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Au Commencement, Était L'acte

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“ AU COMMENCEMENT, ÉTAIT L'ACTE ”

Emmanuelle Chervet

Presses Universitaires de France | « Revue française de psychanalyse »

2006/5 Vol. 70 | pages 1515 à 1521


ISSN 0035-2942
ISBN 2130555888
DOI 10.3917/rfp.705.1515
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-francaise-de-psychanalyse-2006-5-page-1515.htm
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© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 08/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 200.123.140.169)

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« Au commencement, était l’acte »

Emmanuelle CHERVET
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Dans « Pour introduire le narcissisme », Freud écrit : « La démence pré-
coce et la paranoïa nous fourniront l’accès à l’intelligence de la psychologie du
Moi. » B. Brusset situe au même carrefour son projet de fonder la nécessité de
penser une troisième topique, qui serait celle des éléments que laisse hors
psyché une organisation narcissique défaillante ou incomplète, cela, à partir des
descriptions de ces pathologies du narcissisme que sont états limites et psycho-
ses. Il s’agit aussi de prendre en compte la nécessité apparue aux praticiens de
ces cliniques de penser la topique des dispositifs de soin qu’il faut empirique-
ment négocier avec ces patients pour accueillir et tenter de réintégrer ces élé-
ments externalisés, qu’il s’agisse de contenus ou, surtout, de processus.
B. Brusset se situe dans une continuité avec son ouvrage antérieur, qui
brosse un large panorama des théories dites de la relation d’objet, préoccupées
de ces pathologies. Or, à sa lecture, j’avais été sensible au fait que ces théories,
volontiers critiques à l’égard de la première topique, proposaient un chemine-
ment parallèle à celui de Freud à partir de là. Ces théories en effet, surtout
celles de la lignée de Ferenczi, décrivent toute une phénoménologie des mouve-
ments d’intériorisation ou d’expulsion des objets, précisent la clinique de
l’aliénation, découvrent la notion de clivage (Ferenczi, 1926 !), produisant ainsi
une sorte de « deuxième topique bis », assez éloignée de la conceptualisation
freudienne.
Or, entre 1911 et 1915, c’est aussi dans un mouvement de dépassement de
la première topique que Freud pose les éléments encore épars de la deuxième
topique autour de l’introduction au narcissisme1, avec « Deuil et mélancolie »,

1. Pendant le Congrès, Catherine Chabert a insisté sur l’importance de cette période intermé-
diaire de théorisation du narcissisme et sur l’intérêt de lui conserver son ouverture.
Rev. franç. Psychanal., 5/2006
1516 Emmanuelle Chervet

« Schreber » et, surtout, Totem et tabou, sur lequel je voudrais centrer aujour-
d’hui mon propos.
Une lecture de la correspondance de Freud avec Binswanger m’a alors sug-
géré qu’à cette même époque, Freud abandonnait, de son côté, l’espoir de
poursuivre une véritable collaboration de recherche avec ses collègues psy-
chiatres à propos de la psychose. À l’intense investissement épistémophilique
des premières lettres se substituent progressivement des échanges d’intérêt bien
tempérés, et une affection amicale d’autant plus stable qu’elle est sans enjeu
profond pour lui. La personnalité de l’un et de l’autre est, bien sûr, en cause,
mais il me semble que cette prise de distance épistémologique de Freud est aussi
l’un des aspects de la rupture avec Jung, déjà avérée à ce sujet, ou du malen-
tendu à venir avec Ferenczi.
En effet, même si ces derniers usent volontiers de la référence culturelle, la
démarche de Freud, au long de Totem et tabou, lui fait prendre une distance
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plus grande avec la démarche clinique. Cette sorte de méditation qui tient en
présence à la fois la pensée de ses contemporains anthropologues, les faits
cliniques qui le tiennent en haleine (la pensée animique des obsessionnels,
l’homosexualité) et les domaines de l’humain afférents (l’animisme de l’enfance,
la religion), jusqu’à ce que des liens et des figures apparaissent qui lui donnent
le sentiment d’un « vrai » à valeur universelle, aboutit à la rupture et au renver-
sement d’une ébauche de théorisation structurale.
De même que l’inférence du désir et du fantasme a détrôné la « neurotica »
par un renversement qui situe l’origine du processus psychique dans le sujet,
Totem et tabou ouvre une voie « intrinsèque » de compréhension du processus
de l’identification primaire, ce processus qui permet d’installer en soi un espace
qui ne soit plus possédé par l’objet parental. C’est la catégorie du meurtre qui
offre cette compréhension, meurtre effectuant une désexualisation de ce père
primitif qui métaphorise la tentation de disparaître au profit de la jouissance. Si
le deuil est relatif au père œdipien de l’histoire personnelle, le meurtre du père
primitif, relatif à la constitution de la psyché, est un acte fondateur. « Au com-
mencement était l’acte. »1
Je me réfère ici, on l’a reconnu, à la lecture de Totem et tabou qu’a élaborée
Denise Braunschweig, lecture qui sous-tend l’écriture de La nuit, le jour2. Le
renversement ici fait de la culpabilité inconsciente la conséquence de la
désexualisation première, dans un raisonnement conforme à celui de Freud

1. Freud achève Totem et tabou par cette citation de Goethe.


2. C’est en ces termes que Michel Fain, lors de la journée consacrée à son œuvre à Annecy
en 1998, évoque une participation spécifique de D. Braunschweig à leur œuvre commune. Lecture de
Totem et tabou dont elle lui fit part à Lisbonne lors du Congrès de 1968...
« Au commencement, était l’acte » 1517

lorsqu’il déduit que la sublimation donne lieu à une production de pulsion de


mort. On remarque que cette désexualisation, si elle est première, n’est pas
antérieure à l’Œdipe, mais pleinement œdipienne « dès le début ».
De ce point de vue, souvent chez les théoriciens de la relation d’objet, la
question de l’intrusion parentale envisagée comme traumatisme peut paraître
une « neurotica »... Cette « neurotica » trouve d’ailleurs une légitimité clinique
du fait que, dans les pathologies du narcissisme, il est souvent nécessaire, sur le
plan technique, d’attester la réalité psychique des ressentis de passivation du
patient qui en doute, les annule ou les dénie. Il faut aussi encourager chez lui la
réinstauration d’un mouvement projectif qui situe à l’extérieur une cause, seule
voie vers une historicisation ultérieure qui puisse passer par la retrouvaille d’un
objet dans le transfert. Comme pour la « neurotica », la théorie est influencée
par une identification au mouvement du patient dans la cure, identification qui
constitue un temps nécessaire du contre-transfert.
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Cependant, le modèle, implicite souvent, de la démarche clinique dans les
pathologies du narcissisme, ne serait-il pas de favoriser d’abord un renverse-
ment d’une passivation (peut-être investie activement) vers un mouvement actif,
un processus meurtrier de l’objet, fondateur de l’espace narcissique, au prix de la
confrontation à une culpabilité inconsciente délabrante, qui autorise, elle, toutes
les resexualisations ? Modèle qui paraît, en tant que modèle du moins, diamétra-
lement opposé à celui de la régression à la dépendance de Winnicott... Une
régrédience ne pourra s’installer dans un contact avec les contenus de l’histoire
qu’une fois que cet espace narcissique sera devenu suffisamment fonctionnel.
On pourrait dire, en contrepoint de B. Brusset qui se demande si la topique du
narcissisme autoriserait un modèle constructiviste de la cure, que celle-ci est
dominée alors par la restauration d’un mouvement progrédient.
Il me semble que le cas clinique présenté par B. Brusset illustre cette posi-
tion. Il montre en effet que l’évolution de sa patiente passe par le réinvestis-
sement d’actes, d’un symbolisme particulier, par lesquels elle effectue une
désexualisation, désexualisation qui ne porte pas sur des contenus de son his-
toire, mais permet une appropriation de la question de son origine. C’est un
processus qui utilise des contenus dérisoires ou mystérieux, là n’est pas la ques-
tion, la réaffectation de son histoire viendra plus tard. Peut-être s’agit-il de
tourner le dos, fonctionnellement, à la scène primitive, dans un temps où tout
contenu affecté y ramènerait, d’où la nécessité de manipuler des contenus
absurdes quant à cette tentation, marqués d’extériorité, emprunts certains à un
monde extérieur dont le non-sens est signe d’écart vis-à-vis de l’inceste, seul
espace familier... Réinstauration « en force » d’un intérêt pour l’étranger en
risque de disparaître, pour le dire en termes proches de la théorisation apportée
par G. Lucas.
1518 Emmanuelle Chervet

B. Brusset souligne aussi que, alors, le mouvement d’élaboration passe par


l’investissement d’une capacité projective envers une réalité qui se rapproche
peu à peu des objets de son histoire, qu’elle construit. Elle devient capable de
négation, de refus, ce qui autorise ensuite un véritable moment transférentiel
utilisant l’analyste. Cette négation est celle décrite par Freud dans l’article du
même nom, associant un refus envers l’objet à un emprunt au monde extérieur
qui donne corps à la réalité interne et fonde le fonctionnement représentatif.
On peut se demander si l’occurrence de l’acte de meurtre « réel » envers le
père de Christine n’était pas un « retour du dehors » d’un processus qu’elle était
incapable d’instaurer, et dont elle pourra ensuite ressentir les effets en elle à pro-
pos de la chambre de ses parents où, s’identifiant au crucifix, elle se tue pour ne
pas s’en exclure, et immobilise dans cette figure l’envahissement par l’excitation
qui signe son incapacité à instaurer un meurtre désexualisant. La scène primitive
aurait alors valeur d’incarner dans l’histoire personnelle une présence du père
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primitif mythique lorsqu’il ne peut être tué, produisant alors des fétiches partiels
à la place d’une organisation topique fondée sur l’identification.
A. Green a signalé, à propos du cas de B. Brusset, la virulence de la scène
primitive dans ces pathologies dominées par une hostilité liée au désinvestisse-
ment libidinal de l’objet. Évoquant le meurtre opéré par la patiente vis-à-vis de
cette scène primitive, il a noté, m’a-t-il semblé, un certain inachèvement des
théories de Winnicott et de Bion quant à cette question du meurtre.
Pour A. Semi, qui envisage là ensemble l’identification première et celle
issue du deuil œdipien, la deuxième topique ajoute une dimension tragique à la
première par l’instauration de l’identification, qui, en tuant le père, libère de la
relation d’objet.
C. Chabert ajoute que dans le cas de l’identification mélancolique, dont
l’observation est à l’origine de la théorisation de l’identification, dans cette
période intermédiaire de l’approche du narcissisme par Freud, il s’agit d’une
identification sans perte de l’objet, en cela aliénante à l’extérieur. Ce serait une
autre figure du meurtre impossible.
Il m’a semblé intéressant de repérer différentes occurrences de la figure du
meurtre dans le discours des patients, selon des positions différentes par rap-
port à l’ « intériorité » psychique, entre ces deux extrêmes que seraient la pure
extériorité du meurtre agi dans l’aliénation de la patiente de B. Brusset et le
rêve de mort de personne aimée dont l’apparition fut un temps considérée
comme un tournant mutatif d’une cure.
Une position intermédiaire de cette figuration du meurtre, sous forme des
vœux de mort qui s’imposent tout en étant farouchement désignés comme exté-
rieurs au Moi, nous est offerte par la névrose de contrainte. La topique est
là celle d’une représentation particulière, qui ressemble à une symbolisation
« Au commencement, était l’acte » 1519

primitive, mais qui porte toute la question de l’identification impossible. La


névrose de contrainte est le champ clinique envisagé dans Totem et tabou
autant que dans « La négation » cité plus haut, véritable intermédiaire vers les
désorganisations graves du narcissisme. J’illustrerai par une brève vignette cli-
nique la fonction qu’y tient la représentation obsédante de mort des proches, et
son évolution, dans l’ambiance d’inquiétante étrangeté1, liée au flou des limites
de l’espace narcissique.
Une jeune fille de 15 ans m’est amenée par ses parents pour des « pensées »
qui l’envahissent. Très vite, par allusions vagues de sa part, je comprends qu’il
s’agit de l’idée qu’un geste d’elle, voire une pensée, pourrait déterminer la mort
de ceux-ci. Le contact affectif de la jeune fille m’oriente vers l’idée de pensées
compulsionnelles dans le cadre d’une névrose de contrainte, mais je constaterai
par la suite des périodes d’envahissement extensif où ce cadre de la névrose sera
dépassé.
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Pendant deux ans, devant une résistance opaque des parents à rapprocher les
rendez-vous, pour d’incontournables contraintes de réalité selon eux, je ne pour-
rai installer que des consultations thérapeutiques espacées, mensuelles au mieux.
Cependant, au fil de ces quelques entretiens, j’aurai le sentiment que
s’installe entre la jeune fille et moi un « contrat » analytique, avec le sentiment
de justesse et de nécessité processuelle que cela implique de ma part ; la déter-
mination latente et la confiance envers le cadre proposé, de la sienne. Ce con-
trat restera en attente d’une reconfiguration des pactes narcissiques que je peux
supposer entre elle et ses parents, inaccessibles pour l’instant ; en cela, elle est
encore enfant, incluse dans leur implicite sans écart, répondant à toute interro-
gation impliquant ses trajets pour venir, trajets allégués comme impossibilité
par ses parents, par un : « Je ne sais pas, il faut que je demande à mes parents. »
Cette topique qui l’aliène à ce qui d’elle est consubstantiel à ses parents évoque
aussi l’impossibilité d’installer une identification caractéristique de la logique
psychotique, et m’impose la « topique » externe d’un dispositif respectant la
dépendance d’un espace subjectif restreint, presque potentiel, à la présence de
ceux-ci dans la salle d’attente, maîtres de la fréquence des entretiens2.
Lors de ceux-ci, lorsqu’elle tente, à ma demande, d’expliquer ses « pen-
sées », elle s’enferre dans une phobie du toucher les concernant, qui la contraint
à répéter les mêmes allusions vagues, dans une angoisse croissante et communi-
cative. Elle est impuissante à trouver quelque dérivatif que ce soit, quelque

1. Autre texte freudien de cette période d’exploration du narcissisme.


2. Cet aspect de la topique des dispositifs qui de facto s’installent et disent quelque chose de
l’état de la topique psychique, en particulier en psychanalyse d’enfant, aurait pu être un objet de
réflexion lié au thème du Congrès, comme l’a signalé N. Zilkha, évoquant les scénarios narcissiques de
la parentalité, à propos de l’exposé de G. Lucas.
1520 Emmanuelle Chervet

déplacement ou ruse vis-à-vis d’une présence pulsionnelle sans structure d’ac-


cueil autre que le combat pour ne pas penser ces pensées-là...
Elle sera cependant capable, après que je lui ai donné des indications sur la
méthode analytique, de raconter un rêve et de s’y intéresser dans un remar-
quable mouvement épistémophilique. Si je définis entre nous un espace, un
« objet » de nos préoccupations, son fonctionnement mental retrouve une flui-
dité et une richesse imaginaire comme si un refoulement se réinstallait.
Il faudra deux épisodes d’envahissement par les « pensées » pour que les
parents puissent accepter la mise en place d’un véritable traitement psychothé-
rapique. Dès l’instauration de celui-ci, la jeune fille m’amène un écrit, tapé à
l’ordinateur. Elle y explique combien l’équivalence de toute parole avec l’acte
meurtrier envers ceux qu’elle aime lui rend la tâche de me parler difficile. Elle
prend cependant possession du cadre des entretiens immédiatement. Elle écrit
maintenant sur place, avant de me lire ce qu’elle a écrit, avec quelques com-
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mentaires, dans une sorte de parole différée, redoublée, presque solennelle.
« J’ai mis que je voulais vous dire que... »
Dans une première période, elle cherche, dessine, change de couleur selon
les lignes ou selon les thèmes, de façon enfantine. Puis, un jour, le style change.
Sobrement, abandonnant les couleurs, elle écrit de façon cursive un récit de
rêve. L’aspect « dessin d’enfant » a, du jour au lendemain, disparu au profit de
l’écriture abrégée en langage SMS d’une adolescente.
« J’ai fait un rêve étrange : il était question d’une de mes cousines. Dans
mon rêve, elle était morte ! J’ai l’impression que j’étais contente. Je ne me rap-
pelle pas d’avoir eu un tel sentiment. Bizarre ! De plus, je ne le considère pas
comme un mauvais rêve, un cauchemar. Pourtant, bien que j’aie l’impression
que j’étais contente, je ne souhaite pas sa mort. »
Je suis très impressionnée par la réintégration dans l’espace du rêve de la
question du meurtre, à la faveur d’un léger déplacement sur sa cousine, et
l’immédiate évolution de la forme de son expression. Il ne s’agit pas d’un rêve
de mort de personne aimée auquel manquerait l’affect, mais la question du
meurtre n’en est pas moins réintégrée dans l’espace psychique, tant par sa figu-
ration en rêve que par l’expression dénégatoire « banale ».
Lors de la séance suivante, elle élabore un schéma ovoïde où elle construit
une véritable topique (qui me rappelle quelque chose...). Quatre zones sont
individualisées :

— La zone apicale est « ma prudence », qui évoluera ensuite en instance


d’autocritique et de protection.
— La base est « mon côté dérisoire et futile », qu’elle appellera plus tard son côté
infantile, son attachement à des objets d’enfance (Noël, la Star Academy...).
« Au commencement, était l’acte » 1521

— Une mince lisière sur le côté, dont l’épaisseur variera selon les moments,
relie le haut et le bas. Ce sont « mes pensées ».
— Le centre, volumineux, est consacré à : « Tout le reste est pour ma famille,
autrui, l’amour que je leur porte », soit ses investissements d’objets grevés de
leur encombrante formation réactionnelle.

Ce schéma sera repris, dès lors, à chaque séance avec de nouveaux com-
mentaires et de petits décalages, de façon assez répétitive. Elle dit qu’elle a
besoin d’écrire des choses, de les conserver. Cette quête épistémophilique
qu’elle partage avec moi m’a évoqué le passage par un domaine sublimatoire
comme voie possible de construction narcissique relative, dérivée par rapport à
la voie identificatoire, mais non sans liens implicites avec elle. Dans le premier
temps de cette cure, l’histoire personnelle n’est pas évoquée, encore déléguée
aux parents. La question d’une voie sublimatoire dans la cure de patients au
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narcissisme en souffrance a plusieurs fois été évoquée, latéralement lors du
congrès, par exemple à propos de l’activité de gravure d’œufs de Laura, la
deuxième patiente de B. Brusset.
Fin juin, au moment où se joue son passage en seconde, annoncé comme
impossible, elle arrive un jour très angoissée, les « pensées » sont revenues en
force. Elle tente divers schémas brouillons et impulsifs, pour tenter de représen-
ter sa confusion ; elle a très peur.
La semaine suivante, elle va mieux, la crise est passée. J’apprends, sans
qu’elle fasse le lien, que la semaine précédente elle venait d’apprendre son
admission en seconde, et s’était ensuite disputée avec son unique amie,
craignant de l’avoir perdue. J’anticipe désormais le retour des « pensées » à
chaque étape qui réclamera d’elle une acquisition, et l’attestation de celle-ci
face aux autres, je peux les comprendre comme l’expression de sa culpabilité
inconsciente.
Emmanuelle Chervet
23, rue Trarieux
69003 Lyon

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