La Motricité en Apesanteur
La Motricité en Apesanteur
La Motricité en Apesanteur
d'adaptation. en
Sur ce thème. Th. Pozzo et C. Deshays apesanteur
nous font part de leurs recherches.
Que tous ceux qui ont contribué et aidé
à l'élaboration de ce document trouvent,
ici, nos remerciements.
EPS
Revue EP.S n°213 Septembre-Octobre 1988 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé
PATRICK BAUDRY COMMENT DEVIENT-ON ASTRONAUTE ?
REPOND A EPS • Dans votre livre « Aujourd'hui le Soleil se l'entraîneur, les autres membres de
lève 76 fois » [1], vous rappelez fréquemment l'équipe, ceux du club et toutes les
votre goût précoce pour la vitesse. Est-ce votre contraintes sociales qui entourent
expérience dans ce domaine qui vous a amené l'athlète...
à aller dans l'espace ?
• A ce sujet, aviez-vous reçu une formation
• Le fait de piloter des machines rapides particulière pour vous préparer à vivre en
peut constituer une donnée favorable dans groupe avec les autres membres de l'équi-
la mesure où face à de tels instruments il page ?
faut réagir vite. De toute façon, tout est • Non, c'est simplement par la pratique et
utile, même le goût pour la vitesse... Cela les relations de tous les jours. Il n'y a pas
fait partie du caractère : cependant, cer- eu de sociogramme établi au départ ; en
tains de mes collègues n'ont pas du tout fait, nous sommes un cheptel très res-
cette passion et sont devenus quand même treint !... Mais parmi les tests de recrute-
des astronautes : on ne peut pas dire donc ment, notre facilité d'intégration a été, bien
que c'est là un critère décisif. sûr, prise en compte.
• Sélectionné par le Centre national • Nous savons que vous avez un excellent • Pourriez-vous nous donner d'autres préci-
d'Etudes spatiales parmi plus de 400 passé de sportif, notamment en athlétisme et sions sur le contenu de ces tests de recrute-
candidats en 1980, Patrick Baudry a suivi en sports collectifs ; à quel niveau, les qualités ment ?
l'entraînement des cosmonautes soviéti- que vous avez développées dans la pratique de • Je pense d'abord qu'il y a certaines
ques à la Cité des Etoiles près de Mos- ces sports vous ont-elles servi par la suite dans confusions à dissiper concernant les tests
cou, jusqu'en 1982. Membre du votre entraînement pour devenir astronaute ? de sélection. On montre le plus souvent des
deuxième équipage pour la mission tests physiques : or, pour recruter un as-
franco-soviétique, il a été formé pour • Le métier d'astronaute est un métier qui
effectuer des expériences scientifiques demande essentiellement des qualités de tronaute, les tests physiques sont intéres-
dans des domaines tels que la physiolo- coordination et d'adaptation. Ce sont là sants, mais ce n'est pas du tout comme
gie, la biologie, l'astronomie et l'élabora- d'ailleurs, les deux caractéristiques du dans le domaine du sport de haut niveau.
tion de matériaux dans l'espace. contenu des tests de sélection (cf. encadré Je m'explique. C'est vrai qu'il y a un
p. 59) (*). minimum de critères à remplir, mais quand
• Le 23 mars 1984, il est invité par le Dès le premier saut en parachute, par on a passé les tests physiques, on n'en parle
président Ronald Reagan à rejoindre le exemple, j'ai ouvert normalement et ma plus ; car ce ne sont pas eux, en effet, qui
corps des astronautes de la NASA, basé chute a été stable ; tous les sports que rendront compte de la performance que
à Houston, au Texas, pour effectuer le j'avais pratiqués antérieurement ont dû réalisera l'astronaute pendant le vol. Chez
premier vol franco-américain à bord de la effectivement contribuer à ce que je n'aie les Russes, par exemple, le test fondamen-
navette américaine. Au terme d'une an- rencontré par la suite aucun problème de tal, c'est l'expérience humaine ; c'est le
née d'entraînement, il est affecté à la coordination. Mes sports de base ont été, choix d'un homme qui a déjà eu dans sa vie
mission 51-E sur Challenger, puis à la comme vous l'avez dit, la course et le professionnelle au moins un gros problème
mission 51-G. Le lancement a lieu le basket, mais j'en avais pratiqué aussi beau- et qui a bien réagi !...
17 juin 1985 au départ de Cap Canaveral coup d'autres. Je pense que tous les sports Cela implique donc qu'il serait insensé de
en Floride. A bord de la navette, il a la d'équipe sont bons pour développer les
responsabilité d'un programme d'expé- choisir, parmi les centaines de candidats en
riences scientifiques et médicales fran- aptitudes d'adaptation, ainsi d'ailleurs que attente, quelqu'un qui aurait moins de
çaises élaboré par le laboratoire de phy- ceux dits individuels car ils représentent 30 ans... c'est-à-dire avant d'avoir eu une
siologie neuro-sensorielle du CNRS sous une autre forme de la vie en équipe : il y a vie active sur le plan professionnel.
la direction du professeur Francis Les-
PHOTOSG.METAIZON ET В. COGNET
tienne, et par le laboratoire de physique
nucléaire du professeur Pourcelot à
Tours. Au terme de cette mission de 112
tours de Terre à 400 kilomètres d'altitude
et à la vitesse de 28 800 km à l'heure, la
navette Discovery se posait sur le lac
asséché de la base d'Edwards (Califor-
nie) le 24 juin 1985.
• Expert en matière des activités de vols
habités, Patrick Baudry a été nommé, le
1er mars 1986, conseiller pour les vols
habités auprès de M. Poggi, directeur de
la division des Systèmes stratégiques et
spatiaux de l'Aérospatiale. Il est notam-
ment le pilote d'essais de l'avion spatial
européen Hermès dont la société Aéros- Interview préparée et réalisée par Francis Fourneau (Professeur EPS, Collège Ingres, Montauban) ;
patiale est le maître d'oeuvre industriel. Thierry Pozzo (Professeur VFR-EPS Dijon) ; Etienne Roques (IPR, Académie de Toulouse) ; Suzanne
Forget (Revue EPS).
58
Revue EP.S n°213 Septembre-Octobre 1988 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé
ensuite la personnalité de l'individu, son
expérience, sa motivation, sa capacité à
apprendre, qui démarqueront les sujets les
uns par rapport aux autres.
L'ENTRAINEMENT DES
CANDIDATS
ASTRONAUTES
• Peut-on dire qu'il existe une évolution
entre les techniques actuelles d'entraînement
et celles que vous avez connues avant votre vol
en 1985 ?
• Pour ma part, avant d'aller en URSS, je
faisais au moins deux heures d'entraîne-
ment physique par jour, surtout du jogging
et de temps en temps un marathon, que
j'organisais moi-même à partir de la lec-
ture d'ouvrages spécialisés (ceux du Dr Jo-
court ou de S. Cottereau). Quand j'ai dû
m'entraîner avec les Russes, les choses ont
changé. Ils m'ont montré ce qu'il valait
mieux ne pas continuer à faire... Nous
avions une à deux heures d'entraînement
quotidien avec un médecin et un entraî-
neur. Notre préparation portait essentiel-
lement sur le foncier, la résistance, l'endu-
rance ; intervenait ensuite un travail de
musculation et de coordination avec,
comme élément de base, le trampoline que
60
Revue EP.S n°213 Septembre-Octobre 1988 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé
sont pas très bien adaptés aux conditions capacité à les maîtriser. Pour aller sur la tés restent sur des orbites comprises entre
réelles qui attendent le sujet dans l'espace. planète Mars, par exemple, il faudra être des altitudes de 300 à 600 km et évitent
On a pu observer l'exemple du cosmonaute capable de rester au moins deux ans en certaines zones, notamment celle des pôles
roumain Dorin Prunarin, qui obtenait des apesanteur. Or, nous savons que le pro- terrestres. Il y a dans l'espace des zones où
performances médiocres dans les tests au blème d'un vol spatial ce n'est pas le la concentration des radiations est, en
sol, et qui n'a eu ensuite aucun problème phénomène de l'accélération du vaisseau effet, plus ou moins importante. Si les
de mal de l'espace pendant le vol. Inver- au départ ou au retour mais celui de l'ape- chercheurs russes voient maintenant assez
sement, d'autres exemples montrent le santeur. Au fur et à mesure que les recher- bien comment maîtriser les données phy-
contraire. ches avancent, on apprend à repousser siologiques, ils savent qu'il n'en est pas de
Le seul critère reconnu reste en fait, la certaines limites purement physiologiques même concernant les données d'ordre
progression des performances ; c'est la (exemple : la lutte contre la décalcifica- psychologique. Ils sont conscients qu'ils
manière dont elles évoluent qui est impor- tion) par l'entraînement physique appro- doivent être maintenant très attentifs à tous
tante, bien plus que la performance elle- prié, le matériel, mais aussi les moyens les problèmes psychologiques des hommes
même. médicamenteux. Par contre, pour l'instant, (ou des femmes...) qui travaillent « là-
Pour revenir à mon cas personnel, puisque la contrainte la plus pénalisante vient de haut ».
vous m'avez posé la question, l'entraîne- l'exposition aux radiations. Quand on ira Pour les Américains, qui ne font que des
ment physique que j'avais suivi en tant que sur Mars, il faudra concevoir des protec- vols de courte durée, seuls comptent le sens
sportif, avant d'envisager de devenir un tions spéciales, peut-être d'ordre électro- de la mission et bien sûr, le degré d'impor-
jour astronaute, m'a certainement aidé ; au magnétique. Jusqu'à présent, les vols habi- tance de la motivation du candidat...
cours du vol, je n'ai absolument pas été
malade, je n'ai eu aucun problème d'adap-
tation, j'étais aussi bien là-haut qu'en bas,
à l'aller qu'au retour. Mais je répète que je
suis un mauvais exemple, car j'ai toujours
été sportif et cela a toujours fait partie de
ma logique de vie ; mais j'ai connu d'au-
tres astronautes qui n'avaient jamais prati-
qué aucun sport, comme Armstrong, par
exemple, dont la devise était : « on a un
certain nombre de battements de cœur
dans notre vie. je ne vois pas pourquoi on
devrait en gâcher un certain nombre en
courant autour d'une piste »... Le sport
pour lui n'avait aucun intérêt !
L'entraînement de l'astronaute est donc
d'une autre nature que celle de l'entraîne-
ment physique ; il n'est pas comparable à
celui du sportif de haut niveau par exem-
ple.
Les médias ont très mal rendu compte,
jusqu'à présent, de cette différence.
Bien sûr, l'un des premiers critères de
sélection reste quand même le critère phy-
sique. Mais si l'on s'assure de sélectionner
un sujet qui n'aura aucun handicap d'ordre
physique, comptent, tout autant, les critè-
res d'ordre psychologique. Là, comme
l'athlète de haut niveau, l'astronaute doit
être extrêmement motivé pour choisir ce
métier qui présente toute une partie de
travail très difficile et fastidieux. Si l'on n'a
pas une volonté à toute épreuve, on n'a
aucune chance de réussir.
APESANTEUR ET
CONTRAINTES
BIOLOGIQUES
• Les limites physiologiques de l'homme
sont-elles le principal obstacle à des vols de
très longue durée ? Va-t-on pouvoir dépasser
le record de 339 jours de la dernière expédi-
tion soviétique ?
• Il vaudrait mieux parler de contraintes
physiologiques que de limites physiologi-
ques. Il est vrai qu'il y a effectivement des
contraintes d'ordre physiologiques (cf. ar-
ticle de C. Deshays) (p. 62) et si la durée
des vols est limitée par ces contraintes, elle
ne pourra évoluer qu'en fonction de notre
PHOTO : RENE BURRI
62
Revue EP.S n°213 Septembre-Octobre 1988 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé