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La Digitalisation de L Agriculture

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| AGRICULTURE ET INNOVATION |

Biodiversité, malnutrition, changements climatiques… Face aux


nombreux défis globaux auxquels l’agriculture et l’alimentation
sont confrontées, la digitalisation et les solutions high-tech
sont-elles la solution pour permettre à l’agriculture de sortir de
l’ornière ? De nombreuses institutions internationales, bailleurs
de fonds et fondations en font en tout cas leur priorité. Quelles
opportunités, quels impacts et quels risques pour l’agriculture
familiale ? Petit tour d’horizon digital.

La digitalisation
de l’agriculture, une révolution ?
Un enjeu au cœur de l’actualité

L
e 19 janvier 2019, à l’occasion du Global Forum for Food and Agriculture, les ministres de
l’agriculture de 74 États étaient réunis à Berlin pour discuter des opportunités offertes par la
digitalisation, et pour souligner l’importance fondamentale de celle-ci pour une agriculture
durable et efficace. La digitalisation et les transformations qu’elle implique sont placées en haut de
l’agenda agricole international. Selon ses promoteurs, cette digitalisation de l’agriculture permet de
changer la donne, et permettrait de nourrir une population grandissante de manière durable. Son
potentiel est mis en avant pour augmenter la productivité de l’agriculture, pour donner de meilleurs
revenus aux producteurs.trices tout en augmentant les performances économiques des entreprises
agroalimentaires, pour améliorer l’inclusion des jeunes et des femmes, et pour diminuer les impacts
de l’agriculture sur l’environnement.
Mais de quoi parle-t-on exactement? La digitalisation, ou numérisation, est l’ensemble des tech-
niques qui numérisent l’information, et permettent la production, le stockage, le traitement et le
partage d’informations. Téléphones portables, internet, algorithmes, télédétection, drones… Les
innovations digitales ouvrent de nombreuses opportunités, dans l’agriculture également. On parle
aujourd’hui d’agriculture 3.0 pour décrire l’utilisation grandissante de technologies digitales dans la
production agricole. Cette agriculture 3.0 ferait elle-même partie de la 4ème révolution industrielle,
caractérisée par un ensemble de technologies qui brouillent les lignes entre les sphères physiques,
digitales et biologiques.
Dans les pays du Sud aussi, la digitalisation est en cours : la voie a été ouverte par l’utilisation généra-
lisée du téléphone portable. Celui-ci a créé des opportunités pour améliorer l’accès à l’information,
lier les vendeurs et les acheteurs, faciliter l’accès aux services financiers, et ainsi dépasser une série
de contraintes auxquelles font face les agricultures familiales.

Promesses et impacts
Promesses
Les promesses de cette digitalisation sont nombreuses, notamment dans les pays en développement.
Pour les agricultures familiales, elle offre un accès à des informations sur mesure, ce qui permet aux
agriculteurs de faire de meilleurs choix de production et d’augmenter leur pouvoir de négocia-
tion sur le marché. La digitalisation permet également de faciliter l’accès à des produits et services

4 |  Le baromètre 2019 des agricultures familiales


(inputs) et d’augmenter les opportunités de vente sur différents marchés (outputs). Les revenus des
agriculteurs se voient donc améliorés. Cette digitalisation crée également de nouveaux emplois agri-
coles et permet d’attirer des jeunes vers l’économie agricole et alimentaire : la digitalisation redore
le blason de l’agriculture, la rend plus moderne et diversifie les emplois. La digitalisation participe
de plus à l’émancipation des femmes, en offrant des services adaptés à leurs besoins spécifiques.
La digitalisation améliore aussi la résilience climatique des agricultures : grâce à un accès facilité à
la météo, à des pratiques climato-intelligentes (détection de stress hydrique, accès à des intrants
climato-adaptés, …) et à des assurances basées sur le risque climatique, les agriculteurs sont mieux
armés pour affronter un climat incertain. Cette digitalisation est également une solution pour une
agriculture plus durable : elle permet une utilisation plus précise des intrants, rationalisant ainsi leur
utilisation, et donc leurs impacts environnementaux.
Pour les entreprises, en amont (intrants et services) ou en aval (accès au marché) de l’activité de pro-
duction agricole, la digitalisation permet d’augmenter les opportunités économiques, grâce à un accès
facilité et à une relation de confiance avec les différents agriculteurs, notamment avec les agriculteurs
isolés. Pour la société en général, il en résulte donc une sécurité alimentaire et nutritionnelle amé-
liorée, des emplois, une agriculture plus durable… Les promesses sont nombreuses et alléchantes :
serait-ce la solution miracle pour répondre à tous les défis posés par les systèmes alimentaires?

Les projets de digitalisation n’améliorent pas


forcément les conditions de vie des agriculteurs.
Au-delà des promesses, quels sont les impacts
sur les agricultures des pays du Sud?
« Bien que précoces, limités, et dans certains cas hétérogènes, les résultats globaux suggèrent que la
digitalisation pourrait atteindre des résultats transformateurs »1 indique le Centre Technique pour
l’Agriculture et la Coopération Rurale, grand promoteur de la digitalisation dans les pays d’Afrique,
Caraïbes et Pacifique. Face à l’émergence récente de la digitalisation de l’agriculture dans les pays
du Sud, les impacts sont en effet encore difficiles à évaluer. Ce sont donc les techniques les plus
anciennes, à savoir les services d’information générale aux agriculteurs via téléphones portables,
qui ont fait l’objet des plus nombreuses études. Il en ressort que ces technologies ont eu des effets
bénéfiques mais sur des marchés agricoles spécifiques : dans les chaines de valeur structurées et
commerciales comme celles du coton, du café, du cacao. Les résultats sont de plus très contrastés et
inégalement répartis. Lorsque des gains ont été constatés, à qui profitent-ils? Il n’est pas clairement
établi que ces gains se soient traduits par une amélioration des conditions de vie des agriculteurs et
des populations ciblées par les projets de digitalisation, et ce malgré les ressources substantielles qui
y ont été affectées2.
Concernant l’attrait pour les jeunes, il est clair que ces solutions sont séduisantes pour ces derniers.
La jeunesse est plus encline à utiliser ces technologies : en Afrique subsaharienne, 70 % des per-
sonnes enregistrées dans des services digitaux sont des jeunes. Il est par contre plus difficile de
dire que ces technologies vont influencer le choix de carrière des jeunes, et les orienter vers une
carrière agricole. Quant aux bénéfices pour les femmes, le potentiel promis d’émancipation est loin
d’être réalisé : en Afrique subsaharienne, seulement 25 % des utilisateurs sont des femmes, alors que
celles-ci représentent entre 40 et 50 % de la main-d’œuvre agricole. L’accès au digital reste encore
très marqué par le genre : il s’agit la plupart du temps d’hommes agriculteurs, qui travaillent dans
certaines filières.
Quant à l’effet sur l’emploi en général, les discours varient fortement entre promoteurs de la digita-
lisation et sceptiques. Considérant qu’en Afrique subsaharienne, 100 millions de jeunes vont arriver
sur le marché de l’emploi d’ici 2030, c’est une question fondamentale. Pour les promoteurs, il est
probable que cela crée plus de jobs que ça n’en détruise : l’amélioration des chaines de valeur, qui
intégreront plus facilement des agriculteurs familiaux, auront des effets positifs sur l’emploi agricole
et sur leur qualité, ainsi que sur l’emploi digital. Pour les opposants, la digitalisation va détruire des

Le baromètre 2019 des agricultures familiales  | 5


emplois dans l’agriculture familiale, qui ne pourront être compensés en
nombre par les créations d’emploi dans des chaines de valeur dynami-
sées et dans des entreprises de solutions digitales. Quoi qu’il en soit,
tous s’accordent à dire que le marché de l’emploi va être transformé.
Il y aura donc des gagnants et des perdants dans la digitalisation de
l’agriculture, et les perdants seront selon toute vraisemblance les
agricultrices et agriculteurs les plus marginalisés. Concernant les
technologies plus avancées de digitalisation de l’agriculture, im-
pliquant l’intelligence artificielle et une automation importante
des processus de production agricole (drones, tracteurs télégui-
dés, robots-cueilleurs, etc), il n’y a pas de doute qu’elles ouvrent
la voie à une agriculture nécessitant très peu de travail humain, et
donc très peu d’emploi.
Pour ce qui est de la résilience climatique, les informations météo-
rologiques peuvent en effet aider les agriculteurs dans leurs choix et
les aider à anticiper des évènements climatiques. Pour ceux ayant les
moyens, il sera plus facile de se protéger via l’usage d’intrants « clima-
to-adaptés » et via des assurances climatiques digitales. Cependant, la plupart
des solutions techniques proposées se concentrent sur des cultures spécialisées.
Ces solutions digitales impliquent donc souvent une spécialisation, qui elle-même peut
augmenter la vulnérabilité, et empêcher la mise en place d’une résilience des agricultures basée sur
Le ministre belge la diversification des cultures.
de la coopération
au développement, Au-delà de la résilience, l’agriculture digitale améliorerait-elle son impact environnemental? Les so-
lutions digitales sont souvent liées à l’agriculture de précision, qui utilisent les technologies pour un
Alexander de
usage plus précis des intrants et des ressources naturelles : produire plus de denrées avec moins d’en-
Croo, promeut la
grais, de pesticides et d’eau. Si l’agriculture digitale peut donc permettre d’éviter une surutilisation
digitalisation et
des intrants sur les cultures, elle oriente les producteurs vers un modèle fortement dépendant de ces
l’usage de drones, ici
intrants3 et améliore l’accès des producteurs à ces derniers. Ainsi, si un usage d’intrant plus rationnel
au Bénin. sur une parcelle peut être jugé plus durable, la digitalisation risque d’augmenter la quantité totale
© Photo : Twitter d’intrants utilisée, raison pour laquelle elle est d’ailleurs massivement soutenue par les agro-indus-
tries fournisseuses d’intrants agricoles. Cela ne va donc pas améliorer l’impact environnemental total
de l’agriculture4.
En résumé, s’il est encore trop tôt pour mesurer l’ensemble des impacts de la digitalisation en cours,
il convient de modérer les promesses affichées pour les pays du Sud : la digitalisation fonctionne sur-
tout pour des agriculteurs de sexe masculin dans des chaines de valeur structurées et commerciales
; elle échoue encore largement pour les femmes et pour les agriculteurs les plus marginalisés. Quant
à la promesse d’une agriculture plus résiliente et respectueuse de l’environnement grâce à la digita-
lisation, elle est actuellement peu convaincante. La contribution de la digitalisation de l’agriculture à
la sécurité alimentaire globale semble pour l’instant très limitée.

Risques
Qu’on le veuille ou non, la transformation digitale de l’agriculture est bel et bien en cours, au Nord
comme au Sud. Si elle peut créer des opportunités, elle crée aussi un certain nombre de risques et
d’incertitudes pour les agricultures familiales.
AUGMENTATION DES INÉGALITÉS. La digitalisation de l’agriculture touche peu les plus faibles, mais
en favorisant ceux qui ont les capacités de monter dans le train digital, elle risque de renforcer
les disparités existantes, entre riches agriculteurs et pauvres agriculteurs, entre femmes et hommes.
Lorsque les publics marginalisés sont touchés par ces solutions, il y a également une augmentation
des dépenses : utilisation du téléphone portable, d’internet, achats d’intrants, prêts financiers…
les opportunités du digital peuvent engendrer des dépenses qui ne seront pas systématiquement
compensées par des meilleurs revenus agricoles. Un grand nombre de ces solutions augmente donc
le risque de surendettement.
DÉPENDANCE. L’augmentation de la dépendance est un risque pour les agriculteurs. Ils passent
d’agents économiques relativement indépendants à des utilisateurs de services, consommateurs
d’intrants pieds et poings liés par leurs engagements. Les solutions digitales peuvent également
renforcer ce qui est appelé la dépendance de sentier : la capacité à remettre en cause son modèle
de production et à innover est fortement diminuée par l’endettement et les investissements liés à un

6 |  Le baromètre 2019 des agricultures familiales


Bien qu’elle permette une utilisation plus rationnelle
des intrants, la digitalisation risque d’augmenter
la quantité d’intrants utilisée. C’est pour cela qu’elle est
massivement soutenue par les agro-industries.
modèle de production. Ainsi, l’attrait des innovations agroécologiques risque d’être diminué car les
solutions digitales ont favorisé des investissements dans l’agriculture de précision.
TOP-DOWN. Un autre risque de la digitalisation de l’agriculture est que les transferts de technologies
et d’information soient principalement des transferts du haut vers le bas : l’innovation est décidée par
des experts et des entreprises, tandis que les agriculteurs appliquent5. Par ce fait, on reste dans un sché-
ma d’innovation verticale, laissant peu de place à la co-construction par les agriculteurs des solutions
qui leur conviennent, et continuant à limiter les innovations à des solutions qui sont économiquement
attractives pour les intermédiaires qui les déploient.
INADAPTABILITÉ. Ce processus d’innovation peut également rendre ces solutions inadaptées aux be-
soins spécifiques des agricultures familiales des pays du Sud. L’exemple de l’utilisation de drones est
illustratif : étant pour la plupart conçus pour de larges monocultures des principales spéculations du
marché mondial, les drones s’avèrent très peu adaptés pour aider les agricultures diversifiées sur pe-
tite surface. Cela n’empêche pas les bailleurs de fonds internationaux d’en faire une large promotion.
USAGE QUESTIONNABLE DES FONDS POUR LE DÉVELOPPEMENT. On en arrive à un autre danger
lié à l’engouement international pour la digitalisation de l’agriculture : avec la nouvelle priorité faite
à la digitalisation, les fonds publics pour le développement agricole sont de plus en plus utilisés à
cette fin. Comme l’argent public ne se démultiplie pas, cela se fait donc au détriment d’autres types
de projets de soutien à l’agriculture et à la sécurité alimentaire. L’amélioration de la couverture
internet est-elle la meilleure manière de lutter contre la faim? Alors que le coût-efficacité de ces
pratiques reste à prouver, la priorité faite aux solutions digitales pose la question de l’usage légitime
des fonds publics.

Les tendances d’avenir


« Data is the new oil »
L’économie de la quatrième révolution industrielle est de plus en plus immatérielle et basée sur les
flux de données et l’agriculture n’échappe pas à la règle. La digitalisation, très dépendante de la
disponibilité et de la qualité des données, ouvre la voie à une agriculture dominée par les « big da-
tas ». Les big datas en agriculture sont une accumulation massive de statistiques et d’information sur
l’histoire des rendements, les infos météo, les infos du marché, les prix des intrants... De ces données
massives, des algorithmes peuvent tirer des informations importantes, notamment sur les tendances,
sur l’efficacité d’une culture donnée dans un contexte agro-climatique spécifique. Pour les grosses
entreprises, avoir accès à un maximum de données est fondamental pour déterminer les tendances
futures et être un acteur incontournable de l’agriculture de demain. Plus on a de données, et plus
les prédictions sont précises, ce qui pousse à un processus d’intégration qui favorise les plateformes
dominantes. Les grandes sociétés du digital s’intéressent aux méta-données agricoles (Alibaba, IBM
,…), il en va de même des quelques méga-entreprises d’agrobusiness (Bayer Monsanto, Corteva
Agriscience, BASF, …). Aujourd’hui, ces entreprises rachètent des sociétés de solutions digitales et
des données. La digitalisation permettrait ainsi à ces entreprises d’augmenter leur pouvoir, déjà dis-
proportionné, au sein des systèmes alimentaires. Dans cette course pour dominer le marché digital
agricole, les agricultures familiales risquent une marginalisation encore plus grande.

Le techno-optimisme agricole
La promotion politique de la digitalisation de l’agriculture va souvent de pair avec une foi inébran-
lable dans le progrès et la modernité. Ainsi, le président de la Banque Africaine de Développement,

Le baromètre 2019 des agricultures familiales  | 7


Utilisation des solutions digitales par les agricultures familiales
Part des différents types
de solutions digitales en Afrique
Promesses, impacts et risques de la digitalisation
(en fonction du nombre d'utilisateurs inscrits)
PROMESSES ET IMPACTS RISQUES

68%
Revenus
LES SERVICES DE CONSEIL
PROMESSES De meilleurs revenus pour les agriculteurs
ET D’INFORMATION sont des
services permettant de diffuser un IMPACTS
grand nombre d’informations sur les Résultats surtout dans certaines chaines de valeurs Augmentation des inégalités
conditions climatiques, sur les commerciales, et très inégalement répartis La digitalisation risque de renforcer les
marchés, les techniques inégalités existantes et d’augmenter le
agronomiques et de stockage, etc. surendettement
Ces solutions digitales sont les plus
nombreuses en Afrique, et qui
reçoivent actuellement le plus grand Jeunes
succès. Elles se subdivisent en
services généraux d'information aux PROMESSES Le secteur agricole attire les jeunes
agriculteurs, services de conseil IMPACTS
d’agriculture de précision, les 70% des personnes enregistrées dans des services Dépendance
services de conseils participatifs et de digitaux sont des jeunes. Mais l’influence sur leur choix La digitalisation augmente la
pair à pair et les logiciels d’aide à la de métier est difficile à établir dépendance des agriculteurs aux intrants
gestion de la ferme. et services digitaux

LES SERVICES D’ACCÈS FINANCIER


permettent d’identifier et de se Femmes
connecter avec des agriculteurs
familiaux, et de réduire les coûts
PROMESSES La digitalisation émancipe les femmes Big datas
opérationnels liés à un travail avec ce IMPACTS L’accumulation et l’appropriation de
public. Ces services proposent des 25% des utilisateurs représentent des femmes, alors données agricoles par certaines firmes
solutions digitales de paiement, que celles-ci représentant entre 40 et 50% de la peut renforcer la concentration du
d’épargne, de crédit, d’assurance ou main-d’œuvre agricole pouvoir au sein des systèmes alimentaires
encore de crowdfarming.

LES SERVICES DE LIEN AVEC


LE MARCHÉ permettent une meilleure
liaison des agriculteurs au marché, en Top-down
amont (intrants, mécanisation) et en
Emploi Le processus d’innovation est vertical :
aval de la production (lien avec les PROMESSES Création d’emplois dans l’agriculture, l’innovation est décidée par des experts
acheteurs, au détail ou en gros). les chaines de valeur, et les sociétés digitales et des entreprises, tandis que les
IMPACTS agriculteurs appliquent
La digitalisation peut créer de l’emploi, mais peut aussi
LES SERVICES DE GESTION DE LA en détruire, notamment dans les agricultures familiales
CHAINE D’APPROVISIONNEMENT et dans les agricultures les plus marginalisées
17% permettent de formaliser des relations Les drones, tracteurs téléguidés, robots-cueilleurs
entre des agro-entreprises et des ouvrent la voie à une agriculture nécessitant peu
agriculteurs de petite échelle, et ainsi d’emplois
d’améliorer l’efficacité, la sécurité et Inadaptabilité
la profitabilité de ces chaines de Les solutions digitales peuvent être
valeur. inadaptées aux besoins spécifiques des
agricultures familiales des pays du Sud

LES SERVICES D’ANALYSE DE Résilience climatique


MACRO-DONNÉES AGRICOLES PROMESSES Résilience accrue face aux changements
8% analysent des bases de données
massives sur les champs, les conditions
climatiques

agro-climatiques pour en tirer des


IMPACTS Impact environnemental? Usage questionnable des
Les services météo aident les agriculteurs Usage d’intrants plus rationnel fonds pour le développement
tendances générales et des scénarios.
Elles sont encore peu utilisées en Facilité à se protéger, pour ceux en ayant les moyens sur une parcelle Les moyens financiers pour des projets
(assurances-climat, intrants, …)
7% Afrique mais elles émergent
fortement au niveau global. Solutions impliquant une spécialisation des cultures, ce
Pousse les producteurs vers un modèle très
dépendant des intrants, ce qui crée une augmentation
de digitalisation se font au détriment
d’autres projets de soutien à l’agriculture
qui augmente la vulnérabilité climatique globale de la quantité d’intrants utilisée et à la sécurité alimentaire

Source : CTA

8 |  Le baromètre 2019 des agricultures familiales Le baromètre 2019 des agricultures familiales  | 9
Akinwumi Adesina déclarait : «Avec la rapide croissance de l’utilisation de drones, de tracteurs auto-
matisés, d’intelligence artificielle, de robotiques et de blockchain, l’agriculture telle qu’on la connait
aujourd’hui va changer. Il est fort probable que le fermier de demain sera assis chez lui avec des appli-
cations sur son ordinateur pour utiliser des drones qui détermineront la taille de sa ferme, gèreront et
guideront les applications d’intrants, et avec des moissonneuses sans conducteur qui ramènent la ré-
colte»6. L’utilisation de l’intelligence artificielle, l’automation, la connectivité de tous les appareils et
les analyses de données font aujourd’hui apparaître des agricultures du futur, quasiment entièrement
gérées par des robots. Si cette perspective semble attirante pour un certain nombre et offre des op-
portunités économiques au secteur high-tech, une question fondamentale se pose : que ferons-nous
des 570 millions de fermes et des 2,5 milliards de personnes qui produisent notre alimentation ?

Beaucoup d’agriculteurs sont privés d’un accès durable


et suffisant à la terre et à l’eau. On est à mille
lieues des problèmes que les solutions digitales
cherchent à résoudre.

Notes
1 Technical Centre for Agricul-
tural and Rural Co-operation,

Conclusion
2019, The digitalisation of
african agriculture report
2018-2019,

Face à l’optimisme débridé pour la digitalisation du secteur de l’agriculture, qui risque d’encore 2 Aker J., Ghosh I., Burrel, J.,
2016, The promise (and
augmenter les inégalités ainsi que les impacts environnementaux de ce secteur, il nous semble es- pitfalls) of ICT for agricul-
ture initiatives, Agricultural
sentiel de garder les pieds sur terre. Pour une part importante des agriculteurs et agricultrices des Economics.
475 millions de fermes faisant moins de 2 hectares 7, le simple accès à des outils basiques reste pro- 3 D’ailleurs, le rapport de CTA
blématique. Nombre d’entre eux se voient privés d’un accès durable et suffisant à la terre et à l’eau. sur la digitalisation de l’agri-
culture en Afrique promet,
On est à mille lieues des problèmes que de nombreuses solutions digitales cherchent à résoudre… en plus d’une transformation
Il est donc important de rester très critique et vigilant face à l’engouement de nos décideurs po- vers une agriculture plus
durable, une plus grande
litiques envers ces nouvelles technologies. L’innovation agricole, qu’elle soit technologique ou so- demande des agriculteurs
pour les intrants.
ciale, devrait se réaliser avec les agriculteurs. Elle devrait permettre l’émergence de solutions qui
4 Au-delà de l’influence sur
sont adaptées à leur réalité, qui leur sont accessibles sur le plan financier et qui veillent à préserver le modèle agricole, nous
leur autonomie. n’avons pas abordé ici
l’impact environnemental de
Quoi qu’on en pense, la digitalisation de l’agriculture est en marche. Il est évident qu’elle offrira des l’utilisation de ces technolo-
gies (extraction de matières
opportunités très intéressantes pour les agricultures familiales et pour une évolution des systèmes premières liées aux technolo-
gies digitales, consommation
alimentaires : accès à l’information, au marché, plateformes d’échange entre pairs, économie du par- d’énergie dû au stockage,
tage… Cependant la nouvelle priorité faite à la digitalisation, en se focalisant sur l’optimisation et traitement, partage de
données numériques, …).
l’amélioration des « process » dans les chaines de valeur, en misant prioritairement sur les innova- Cet impact est également à
prendre en considération.
tions technologiques liées à l’agriculture de précision, évite de questionner le modèle et empêche
5 Il est à noter qu’il existe
la nécessaire réflexion sur une transition agroécologique des systèmes de production. Cette priorité de nombreux cas où le
politique faite à la digitalisation, en mettant en avant des solutions win-win, pour les agro-industries numérique peut être un outil
important pour faciliter la
et les agriculteurs, omet de questionner les inégalités et les rapports de force dans les systèmes co-conception, l’échange
d’expériences.
alimentaires, ce qui la condamne à les reproduire et à les renforcer. Ces faiblesses de la digitalisation
6 Commodafrica, La BAD mise
sont en fait ses forces : c’est bien parce qu’elle ne remet pas en cause les intérêts du système domi- $ 24 milliards sur 10 ans
nant qu’elle reçoit un tel soutien politique et financier. pour révolutionner l’Afrique
agricole, 7 août 2018.
La digitalisation, dans les trajectoires qui se dessinent aujourd’hui, n’est donc pas une révolution. Pour 7 The number, size, and
les agricultures familiales des pays du Sud, elle risque même d’avoir un goût très amer.   distribution of farms,
smallholder farms, and family
farms worldwide, World
Dev., Lowder S K, Skoet J and
Rédaction : Iles de Paix Raney T, 2015

10 |  Le baromètre 2019 des agricultures familiales

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