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Analyse Linéaire N°2

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« Quand je vois l’alouette mouvoir…»

Le texte étudié s’intitule : « Quand je vois l’alouette mouvoir…» écrit par Bernart de
Ventadorn (1125-1200) et traduit par Paul Fabre, de l’occitan vers le français dans
l’Anthologie des troubadours, publié aux Éditions Paradigme à Orléans en 2010. Bernard de
Ventadour est l’un des plus célèbres troubadours occitans, il n’a cessé d’ennoblir la poésie
médiévale lyrique et de perfectionner la mélodie appelée polyphonie et depuis sa vida de
UCZ de Saint Circ, on associe un épisode de sa vie à son texte, son amour non réciproque
avec Aliénor d’Aquitaine. Cette œuvre est une chanson du moyen âge c’est- à- dire un
poème à forme fixe qui a pour thème un amour profond désespéré qui conduit l’auteur à la
mort. C’est une chanson organisé autour de 7 parties : mort de l’alouette et souffrance
personnel (1ère strophe), un amour non réciproque (2ème strophe), l’inversion de l’histoire
de Narcisse (3ème strophe), le renversement de l’amour à la haine (4ème strophe), une
strophe sur la folie (5ème strophe), strophes sur la mort (6ème et 7ème strophe), il refuse à
la tornade sa fonction d’adresse (8ème strophe). Pourquoi peut-on dire de ce texte qu’il
présente les caractéristiques de la poésie occitane du Moyen-âge ?

Les trois premières strophes abordent un thème commun : l’idée d’un amour non
réciproque qui conduit l’auteur du désespoir à la mort.

On peut remarquer que la 1ère strophe aborde le thème de l’excès négatif sous 2 parties:
Premièrement on assiste au récit de la mort de l’alouette du vers 1 au vers 4, on peut le
définir comme un sommaire d’action : c’est un procédé caractéristique de la narration, il y a
un enchaînement rapide d’événements : « je vois l’alouette mouvoir » (v. 1) ; « de joie ses
ailes dans un rayon » (v. 2) ; « Qu’elle s’oublie et se laisse choir » (v. 3). Cette étape est un
incipit printanier, caractéristique de la poésie des troubadours mais il est ici très schématique
car en effet le terme «alouette» (v. 1) désigne des oiseaux migrateurs qui marquent le retour
du printemps et donc de la « joie » (v.2). En outre, le mot « rayon »(v. 2) est une métonymie
qui renvoie au rayon de soleil.
Deuxièmement, l’auteur décrit ses rapports avec les autres et sa souffrance personnelle.
« Hélas » (v. 5) et « Hélas » (v. 9) est une anaphore qui crée un lien entre la première et la
deuxième strophe car il est repris deux fois. Il évoque l'excès du vers 5 au vers 8, il envie les
personnes heureux : « envie » (v. 5) marque un excès de désir qui n’est pas raisonnable, «
Je m’émerveille » (v. 7) est encore une expression de l’excès, son cœur pourrait fondre : «
Mon cœur ne fonde point de désir » (v. 8) à cause de la chaleur qui est lié à la force de nos
sentiments qui sont excessif car un sentiment très fort peut faire fondre le cœur.

On constate dans la 2ème strophe la mise en évidence d’un état psychologique instable,
on le voit d’emblème par l’anaphore de l’interjection «Hélas» (v. 9) qui permet d’exprimer
une émotion douloureuse vécue par celui qui parle. Elle peut être divisée en deux parties :
un enchaînement de proposition de forme négative liée à l’amour (v. 9 à 12) : «j’en sais si
peu» (v. 10) ; «Je ne peux m’empêcher d’aimer» (v. 11) ce qu’on ignorait dans la strophe
précédente car il a été associé de manière métaphorique avec «mon coeur» (v. 8) . L’origine
de la douleur apparaît pour la première fois au vers 12 : «Celle» qui renvoie à un femme. On
observe aussi la présence de deux polyptote : « savoir » (v. 9) et « sais » (v. 10) ; «amour»
(v. 10) et « aimer » (v. 11) qui produisent un effet d'insistance sur un propos, ici qui renvoie à
une personne : « celle » (v. 12). Il est considéré comme une victime, un objet car la femme
lui prend son coeur : « Elle m’a pris mon coeur » (v. 13), puis c’est plus son cœur qui a été
pris mais lui tout entier : « elle m’a pris » (v. 15). Par ailleurs, il est grammaticalement
considéré comme un objet car il subit l’action de la femme, les constructions grammaticales
laissent apparaître systématiquement l’auteur comme victime des actions de celle-ci : « elle
s’est dérobée » (v. 13) ; « elle ne m’a rien laissé » (v. 15).
La 2ème étape concerne une forme de contradiction comme si tout ce qu’il affirmait
trouvait négation car il dit « Elle m’a pris mon cœur » (v .13) ; « elle ne m’a rien laissé » (v.
15), ici « rien » est une expression du néon, il a tout perdu puis l’auteur se contredit en
disant le contraire : « Sinon mon désir et mon cœur ardent » (v. 16), on retrouve deux
antithèses.

La troisième strophe est essentiellement centré sur la perte de pouvoir qui va conduire à
la mort, à l'exemple de Narcisse. Elle est constituée par deux parties : d’abord il perd sa
volonté, du vers 17 au vers 20 : « Je n’eus plus sur moi nul pouvoir » (v. 17) ; « Ni ne
m’appartins dès lors » (v. 18), il est ici victime d’un trouble mental qui l'a amené à la mort,
appelé l’aboulie. Puis on apprend que l’origine de cette perte est dû à une femme « Qu’elle
me laissa me voir en ses yeux » (v. 19), le pronom personnel « elle » et le terme « en ses
yeux » désigne bien une personne de sexe féminin. De plus, on constate que c’est une
métaphore car les « yeux » désigne un miroir et on peut le vérifier dans le vers suivant
lorsque l’auteur énonce « Ce miroir qui me plaît beaucoup » (v. 20) qui est aussi une
métaphore car « miroir » représente les yeux de la femme. On note aussi la présence d’une
anaphore du mot « miroir » qui est répété deux fois au vers 20 et 21 qui crée un effet
d’insistance sur le fait qu’il aime les yeux de la femme.
Ensuite, cette anaphore souligne une perte de pouvoir et de volonté de l'énonciateur qui
est occasionné par cet amour pour cette femme. Cette perte de pouvoir fait de lui une
victime. C’est en prenant conscience de l’effet lié à ce jeu de regard qu’il en vient à se
comparer à Narcisse, on assiste à une inversion de son histoire car il meurt de n’aimer
personne tandis que l’auteur meurt d’être aimé par personne qui peut être souligné par le
polyptote « Miroir, depuis que je me suis miré en toi » (v. 21), conséquence de sa mort : «
Mes soupirs profonds m’ont tué » (v. 22), les soupirs l’ont tué, il est à nouveau un objet. De
plus, le polyptote : « je me suis perdu comme se perdit le Beau Narcisse » (v. 23 et 24) met
en évidence que dans les deux cas, ce n’est pas leur volonté. Cette comparaison par le mot
« comme » est l’élément qui nous permet de savoir qu’il se compare à Narcisse.

Le deuxième mouvement du texte est abordé par les strophes 4 et 5, il est


essentiellement centré sur la culpabilité de la femme qui à l’époque de Bernard de
Ventadour n’était pas du tout considéré à l’égard des hommes.

Dans la 4ème strophe, on assiste à un reversement de l’amour à la haine et qui peut être
traitée en 2 étapes différentes : en premier lieu l’homme est victime d’une femme, ce qui
l’autorise à hair toutes les femmes sous le motif qu’elles sont toutes les mêmes : c’est de la
misogynie. Il généralise sa haine qui peut être illustrée par la construction grammaticale de
ces propos : « Des femmes je désespère » (v. 25) ; « Jamais à elles » (v. 26) ; « je les ai
exaltées » (v. 27) ; « je les rabaisserai » (v. 28), effectivement, on remarque une construction
de phrases toujours au pluriel avec le nom « femmes », la troisième personne du pluriel «
elles », l’utilisation du pronom personnel « les ». Par ailleurs, la haine qu’il éprouve envers
les femmes peut être renforcée par son affirmation au vers 27 et 28 : on retrouve une
comparaison reliée par l’outil comparatif « comme » (v. 27) entre le comparé : « je les ai
exaltées » (v. 27) et le comparant : « je les rabaisserai » qui signifie qu’il rabaissera les
femmes au même niveau que quand il les a exaltées.
En second lieu, on découvre que l’origine de cette haine commune envers les femmes est
dû à une seule personne, une femme « elle » (v. 30), on remarque que la construction
grammaticale change : le pronom « elle », précédemment au pluriel, est maintenant au
singulier. Mais il généralise une nouvelle fois, cette fois ci, sa peur : « je les crains » (v. 31) ;
« elles sont toutes ainsi » (v. 32), on remarque une construction de nouveau au pluriel. Il
traite les femmes en général pour une origine qui est individuelle, cette généralisation est un
trouble mental : le narcissisme.

La strophe 5 aborde le thème de la folie et est liée à la strophe précédente car elle met en
évidence la conscience qu'il a de sa propre folie. Elle est organisée autour de 2 parties : tout
d’abord il accuse la femme : « je lui reproche » (v. 34), de ne pas l’aimer : « De ne pas
vouloir ce qu’on doit vouloir » (v. 35). Ensuite l’auteur évoque du regret face à l’amour qu’il
éprouve pour la femme : « Je suis tombé en male merci » (v. 37) et exprime sa folie comme
le souligne la comparaison : « J’ai fait comme le fou sur le pont » (v. 38). Enfin, l’expression
de ses remords peut être intensifiée par ces propos : « j’ai abordé une pente trop rude » (v.
40), est une métaphore faisant référence à la femme qui lui est innaccessible.

Le dernier mouvement est centré uniquement sur la mort, il regroupe les strophes 6, 7, 8.

La strophe 6 expose la femme comme un être dénué de pitié et la mort de l’auteur. Ce


huitain peut être décomposé en 2 parties : en premier lieu, la femme ne ressent aucune
compassion envers le poète : « Merci est bien perdue » (v. 41) ; celle qui plus en devrait
avoir / N’en a point » (v. 43 et 44). En deuxième lieu, Bernard de Ventadour évoque sa mort
causée par la femme qui ne l’aime pas : « sans elle ne pourra guérir » (v. 47), il explique que
seule l’amour de la femme pourra le sauver, le sortir de sa folie, de sa haine envers les
femmes, et qui le laisse « mourir, sans l’aider » (v. 48).

Dans la strophe 7, on assiste à la mort irrévocable de l’auteur qui ne peut être sauvé et
qui nous est présentée sous 2 étapes : d’abord on apprend que pour la « dame » (v. 49), rien
ne fonctionne : « Ni prières, ni merci, ni les droits que j’ai » (v.50). La deuxième étape du
texte aborde le rejet, l’auteur est poussé à renoncer à l’amour : « je me sépare d’amour et le
renie » (v. 53), il répond à la femme qu’il va mourir : « par ma mort je lui réponds » (v. 54) ;
«Misérable, en exil, je ne sais où» (v. 56)

La dernière strophe, la tornade, on assiste à un double mystère, l’auteur refuse à la


tornade sa fonction de tornade car il retient une énigme sur le destinataire : « Tristan »
(v.57), on ne peut pas savoir qui est ce personnage, si c’est un homme ou une femme et il
n’indique aucun lieu. Il énonce une nouvelle fois la mort : « je m’en vais, misérable, je ne
sais où » (v. 58) et abandonne tout ce qui lui est chère : « Aux chansons je renonce et je les
renie » (v. 59).

En somme, il s’agit d’une chanson d’un des auteurs les plus célèbres de cette période,
Bernard de Ventadour. On y trouve un incipit printanier, certains mots clé propre à cette
poésie mais surtout le thème qui est ici traité de manière très particulière car en effet il passe
de l’amour à une haine générale causée par une seule personne, la femme.
Ce même thème, on peut le retrouver dans une chanson célèbre de Guilhem de Peitieus
dans lequel il a développé une nouvelle conception de l’amour, plus large, plus universel,
proche de ce qu’on appelle aujourd’hui l’altruisme.
La disparition de la poésie occitane n’a pas pour autant fait disparaître la poésie lyrique
amoureuse. On peut retrouver ces thématiques dans des œuvres modernes comme
NoireClaire de Christian Bobin.

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