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Université Du Québec

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UNIVERSITÉ DU QUÉBEC

MÉMOIRE PRÉSENTÉ À
L' UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À TROIS-RIVIÈRES

COMME EXIGENCE PARTIELLE


DE LA MAÎTRISE EN PHILOSOPHIE

PAR
SAMUEL LIZOTTE

WILLIAM KING ET LA CRITIQUE LEIBNIZIENNE DE LA THÉORIE DES ÉLECTIONS

DÉCEMBRE 2017
Université du Québec à Trois-Rivières

Service de la bibliothèque

Avertissement

L’auteur de ce mémoire ou de cette thèse a autorisé l’Université du Québec


à Trois-Rivières à diffuser, à des fins non lucratives, une copie de son
mémoire ou de sa thèse.

Cette diffusion n’entraîne pas une renonciation de la part de l’auteur à ses


droits de propriété intellectuelle, incluant le droit d’auteur, sur ce mémoire
ou cette thèse. Notamment, la reproduction ou la publication de la totalité
ou d’une partie importante de ce mémoire ou de cette thèse requiert son
autorisation.
REMERCIEMENTS

D' abord, je souhaiterais remercier ma conjointe Saray, qui m' a appuyé et encouragé dans

les moments les plus heureux et les plus difficiles de cette épreuve enrichissante et qui a travaillé,

écouté, patienté, respiré, dormi et mangé pour moi pendant les dernières semaines de la rédaction

de ce mémoire. Sans elle, son amour et son aide, j ' y aurais certainement laissé des plumes.

Je voudrais ensuite remercier ma directrice, Syliane Malinowski-Charles, tant pour

m'avoir fait découvrir William King que pour avoir toujours été là pour me conseiller,

m'encourager et commenter mon travail quand j ' en avais besoin pendant les trois années qui ont

suivi cette découverte.

Je me dois aussi de remercier tous les professeurs, collègues et amis que j'ai eu la chance

de rencontrer et de côtoyer pendant ce long retour aux études, tant au niveau collégial

qu'universitaire. Les cours passionnants et les discussions enflammées que j 'ai eu avec chacun

d'eux ont alimenté ma réflexion sur d' innombrables sujets.

Enfin, je dois remercier le Fond de recherche du Québec - Société et culture (FQRSC)

ainsi que le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (CRSH), dont les bourses de

recherche m' ont permis non seulement de me concentrer sur mes études pour la presqu 'entièreté

de mon passage à la maîtrise, mais aussi d' avoir des temps libres et des moments de réel repos,

choses qui m' auraient probablement été impossibles si j ' avais eu à travailler plus pour subvenir à

mes besoins primaires.

-ll-
TABLE DES MATIÈRES

ABRÉVIATIONS ......... ........................................... ............ .......................... ............................ 4

INTRODUCTION ...................................................................................................................... 5

CHAPITRE 1 - WILLIAM KING ET L' ORIGINE DU MAL .............................................. 12

1.1 Vie de William King ................................................................................................... 12


1.2 De la cause première ................................................................................................. 17
1.3 Du mal d 'impeifection .......... .......................... .. ......................................................... 22
1.4 Du mal naturel .......................... ..................................................... ............................ 26
1.4.1 Concernant les animaux .................................................................................. 27
1.4.2 Concernant les erreurs et l 'ignorance ................... ............... ... ........................ 29
1.5 Du mal moral ou la théorie des élections ....................................... ............... .... ...... ..30
1.5.1 Concernant la nature des élections .......................... .......... ... ...... .................... .31
1.5.2 Que Dieu possède le pouvoir d 'élection .......................................................... 36
1.5.3 Que l 'humain possède le pouvoir d'élection ................................................ ...38
1.5.4 En quoi le mal moral est compatible avec le pouvoir et la bonté de Dieu ..... .43

CHAPITRE 2 - DE LA VALIDITÉ DES THÉORIES DE KING FACE AUX CRITIQUES


LEIBNIZIENNES ............ .. .. .... ...................................... ..................... .......... ............... 49

2.1 Du déterminisme non nécessitariste de Leibniz ... ........................ ...................... ........ 51


2.2 Concernant la crédibilité théorique et pratique d 'une liberté par l 'indifférence ......57
2.3 Réponses aux critiques ciblant la crédibilité théorique et pratique d'une liberté
d'indifférence ...................................... .... ...................................................... ...... ....... 62
2.3.1 Le pouvoir d'élection: absolument indifférent ? ............................................ 63
2.3.2 Des élections primaires ...................................... .......... ................................... 68
2.3.3 Des élections secondaires ..... ....... ................................................................. ... 71
2.3.4 Applications des hypothèses précédentes aux critiques leibniziennes ............. 76
2.4 Concernant l 'indifférence de la volonté humaine .................. .... ................ .......... ...... 82
2.5 Réponses aux critiques ciblant l 'indifférence de la volonté humaine ........................ 87
2.5.1 Des« incohérences» d 'une indifférence de la volonté humaine ..................... 87
2.5.2 Le pouvoir d'élection est-il un frein à l 'atteinte du bonheur? ........................ 91
2.6 Concernant l 'indifférence de la volonté divine ..........................................................94
2.7 Réponses aux critiques ciblant l 'indifférence de la volonté divine ............................ 98

CONCLUSION ......... .......... ....................................... ............................................................ 108

BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................. 115

-111-
ABRÉVIATIONS

Puisque ce mémoire fera souvent référence aux mêmes ouvrages et vu la tendance à

l' époque moderne d' utiliser des titres précis et révélateurs, mais souvent très longs, voici une liste

des abréviations qui seront utilisées dans le corps du texte, ainsi que dans les notes de bas de page

et références, après que chaque ouvrage ait été mentionné au moins une fois dans sa totalité:

D.OM De Origine Mali.

E.OE. An Essay on the Origin of Evil.

E.T. Essais de Théodicée: sur la bonté de Dieu, la liberté de l'homme et

l'origine du mal.

Remarques Remarques sur le livre de l 'origine du mal, publié depuis peu en

Angleterre.

Aussi, puisque la pagination n' est pas la même dans ses différentes éditions, les

références à An Essay on the Origin of Evil seront inscrites de la façon suivante: William KING,

E.OE. , année d' édition, chapitre, section (§), sous-section (§§), numéro de paragraphe (m. Par
exemple, un renvoi aux paragraphes 1 à 3 de la sous-section 2 de la section 3 du chapitre 4 de

l'édition de 1731 de An Essay on the Origin of Evil sera inscrit ainsi: William KING, E.OE. ,

1731, IV, § III, §§ II, ~ I-III.


INTRODUCTION

Lorsque nous constatons les ravages que font les ouragans sur les collectivités humaines,

lorsque nous faisons le décompte de la mortalité civile lors d'attaques terroristes, lorsque nous

voyons des centaines de milliers de personnes mourir dans une épidémie ou lorsque nous

entendons les résultats d' une enquête concernant les actions d' un meurtrier en série, nous

pouvons difficilement nous retenir de porter des jugements sur ces événements et leurs

conséquences, jugements qui prennent souvent une forme morale. Nous considérons les

catastrophes naturelles, les meurtres et la mort comme « mauvais », que ce soit absolument ou du

moins « pour nous ». En fonction des croyances de chacun, nous considérons cependant ces

maux et leur origine de façon différente. Pour un scientifique athée, ils seront généralement

réduits à une suite de causes à effets sur laquelle nous n' avons aucune influence réelle. Mais pour

quelqu' un qui croit en l' existence d' un dieu créateur, infiniment sage, puissant et surtout, bon,

l' existence des maux dans notre vie entraîne des conséquences importantes théologiquement et

moralement parlant.

S' il existe du mal dans un monde créé par un être unique, infiniment bon, infiniment sage

et infiniment puissant, cet être ne devrait-il pas en être la cause? L' importance de cette question

a été capitale dans l' histoire de la théologie et de la philosophie, entraînant un très grand nombre

de réponses et de nuances, allant du rejet de la possibilité de l' existence d' un ou de plusieurs

dieux par l'athéisme au rejet de l' existence du mal absolu chez certains « optimistes », en passant

par des concessions intermédiaires qui sacrifient au moins l' un des attributs infinis de Dieu pour

le déresponsabiliser du mal, comme le manichéisme, qui prétend que le dieu créateur n' est pas
infiniment puissant, en ce que ses actes de bonté et de sagesse sont éternellement contrebalancés

par les actes tout aussi puissants d'une seconde entité, elle-même infiniment mauvaise.

La volonté de déresponsabilisation de Dieu envers le mal dans l'histoire philosophique et

théologique occidentale remonte à loin, mais ce sont les penseurs chrétiens, dès saint Augustin 1

(354-430), qui lui ont accordé le plus d'importance. li faudra cependant attendre le tout début du

XVIIIe siècle pour qu ' un terme original soit inventé pour référer à cette tentative de résolution du

paradoxe de l' existence du mal dans un monde créé par un dieu unique infIniment bon, sage et

puissant, et nous devons ce terme à Gottfried Leibniz (1646-1716), qui intitula l' un de ses

principaux ouvrages philosophiques Essais de Théodicée (1710, dorénavant E.T.) . Leibniz aurait

construit ce nom des racines grecques theos (8eoa), «dieu» et dikè (oiKll), «justice », pour

former un néologisme signifiant « de la justice de Dieu» ou « de la justification de la perfection

de Dieu malgré l' existence du mal dans le monde ». Le terme est depuis resté et aujourd'hui toute

tentative de déresponsabilisation de Dieu face à l' existence du mal est caractérisée comme une

« théodicée ».

Mais, il faut le rappeler, Leibniz fut loin d' être le premier ou le seul à s' intéresser à la

question. Leibniz s' inscrit même parfaitement dans son époque, en ce que l'époque moderne fut

l' une des plus actives et productives en ce qui concerne la question de la justification de

l'existence du mal. Plusieurs auteurs majeurs de l' époque y mirent leur grain de sel en plus de

Leibniz en Allemagne, tels les Français Pierre Bayle 2 (1647-1706) et Nicolas Malebranche3

1 Cf AUGUSTIN (saint), Les Confessions, Traduction, préface et notes de J. Trabucco, Paris, Garnier Frères, 1964,
381 pages et Traité du Libre Arbitre, Traduction de Defourny et Raulx, page consultée le 28 août 2016,
http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/librearbitre/index.htm.
2 Cf Pierre BAYLE, « Jansénius », dans Dictionnaire historique et critique (tome 8), Nouvelle édition en 16 tomes
augmentée de notes extraites de Chaufepié et al., Paris, Desoer, 1820 [1697-1706 pour la 1ère édition], p. 317-324 et
« Pauliciens », Ibid. (tome Il), p. 476-509.
3 Cf Nicolas MALEBRANCHE, Traité de la nature et de la grâce, Rotterdam, Reinier Leers, 1703 [1680 pour la 1ère
édition], 396 pages et Traité de Morale, Paris, Flammarion, 1995 [1684 pour la 1ère édition], 433 pages.

6
(1638-1715), le Hollandais Baruch Spinoza4 (1632-1677) ainsi que les Anglais Samuel Clarke5

(1675-1729) et David Hume6 (1711-1776), liste qui ne se veut en aucun cas exhaustive. Ces

débats forcèrent les auteurs à se positionner sur différents axes à propos de diverses questions

particulières au problème de la théodicée, principalement en ce qui concerne le libre arbitre et la

détermination ainsi que la prescience divine et la grâce.

L'un des premiers modernes à avoir présenté un ouvrage entièrement dédié à la question

de la théodicée, quelques huit ans avant la publication, en 1710, des E.T. de Leibniz, est William

King (1650-1729), alors évêque anglican de Derry en Irlande, avec son ouvrage latin De Origine

MalF (1702, dorénavant D. O.M.), qui sera traduit en anglais par Edmund Law (1703-1787) et

publié dès 1731 sous le titre An Essay on the Origin of Evil8 (dorénavant E. O.E.). Dans cet

ouvrage, après avoir présenté sa théorie de la connaissance des objets et de la cause première

(chapitre 1), King aborde la question de l'origine du mal sous trois angles (chapitre 2), les mêmes

qui seront utilisés plus tard par Leibniz et qui auraient été au départ distingués par Proclus 9 (412-

485) au ye siècle, soit le mal d'imperfection (chapitre 3), le mal naturel (chapitre 4) et le mal

moral (chapitre 5). Le dernier chapitre, à lui seul, fait la moitié de l' ouvrage, ce qui souligne bien

4 Cf Baruch SPINOZA, Éthique (Œuvre li), Traduction et notes de C. Appuhn, Paris, Garnier-Frères, 1965 [1677
pour la l ,,,e édition] , 379 pages. Le rejet de la théodicée par Spinoza est en soi une position à propos de la théodicée
et de la question de l'(in)existence du mal d'un point de vue objectif dans le monde.
S Cf Samuel CLARKE, A Demonstration of the Being and Attributes of God, more particularly in Answer to Mr.
Hobbes, Spinoza and their Followers, Glasgow, Richard Griffin and Co., 1823 [1705 pour la 1ère édition] , 443 pages.
6 Cf David HUME, Dialogues Concerning Natural Religion and Other Writings , Cambridge, Cambridge University
Press, 2007 [1779 pour la 1ère édition] , 157 pages, parties X et Xl en particulier. Comme pour Spinoza, Hume n' est
pas tant reconnu pour avoir proposé une théodicée que pour en avoir rejeté l' idée.
e
7 William KING, De Origine Mali, Brême, Philippum Godofredum Saurmannum, 1704 [2 impression, 1702 pour la
1ère impression à Dublin et Londres], 318 pages.
8 William KING, An Essay on the Origin of Evil. By Dr. William King, late Lord Archbichop of Dublin. Translated
from the Latin, with large Notes; tending to explain and vindicate some of the Author 's Princip/es Against the
Objections of Bayle, Leibnitz, the Author of a Philosophical Enquiry concerning Human Liberty; and others. To
which is prefix 'd a Dissertation Concerning the Fundamental Principle and immediate Criterion of Virtue, as also,
The Obligation to, and Approbation of it. With some account of The Origin of the Passions and Affections,
Traduction du latin et annotation d 'E. Law, Londres, W. Thurlbourn Bookfeller, 1731 [1 ère édition, 1702 pour la 1ère
édition latine], 330 pages.
9 Cf PROCLUS, On the Existence of Evils, Traduction de J. Opsomer & C. Steel, Londres, Bloomsbury, 2014 [2003
pour la 1ère édition] , 256 pages.

7
à la fois quel est le mal qui intéresse le plus King ainsi que celui qu'il considère comme le plus

difficile à justifier. C'est aussi dans ce dernier chapitre que nous constatons le plus l'originalité

du philosophe, lorsqu'il présente et défend ce qu'il appelle sa «théorie des élections »,

fondement de sa théodicée rendant, selon lui, les humains responsables de certains de leurs actes,

qui deviendront alors moraux et libres, ce qui permet ensuite à King de reconnaître l'existence

objective du mal dans le monde et la responsabilité humaine face au mal moral.

L'ouvrage de King a été accueilli diversement, mais nous pouvons affirmer sans l'ombre

d'un doute qu' il a bénéficié d'une couverture importante à l' époque, assez pour être commenté et

critiqué par certains grands penseurs modernes tels Bayle et Leibniz lO . Pourtant, William King est

un philosophe peu étudié aujourd'hui, comme le prouve la quasi absence d'ouvrages ou d'articles

lui ayant été consacrés et le fait qu'il ne soit presque jamais cité dans des ouvrages et articles

concernant d'autres auteurs. Une exception notable ll vient des commentateurs étudiant la

théodicée de Leibniz, probablement le plus célèbre critique que King ait jamais eu dans l'histoire.

Mais ces commentateurs se bornent généralement à utiliser la critique que Leibniz fait de

l'ouvrage de King dans l'un des appendices de ses E.r. comme un outil pour mieux comprendre

et approfondir la théorie de Leibniz lui-même, plutôt que d'utiliser cet appendice pour mieux

IO Il faut toutefois spécifier que bien que les critiques les plus célèbres de l 'œuvre de King, ceUes de Bayle et de
Leibniz, aient été faites dès la parution de l'édition latine, certains commentateurs ont observé que la popularité de
l'ouvrage a véritablement atteint son apogée, surtout en Angleterre, suite à la parution de la première édition
anglaise, traduite par Edmund Law en 1731 (Leslie STEPHEN (Sir), Dictionary of National Biography, vol. 31,
Oxford, Smith, EIder & Company, 1892, p . 165).
Il Précisons que King continue d'être étudié aujourd ' hui par certains chercheurs, mais pas pour sa philosophie.
D ' assez nombreux articles et ouvrages lui ont été consacrés récemment et depuis sa mort, mais ils se concentrent
presque toujours sur son influence dans les domaines de la politique irlandaise et anglaise de l' époque et sur ses
positions théologiques ou ses actions en tant qu 'évêque de Derry et, éventuellement, en tant qu ' archevêque de
Dublin. Pour plus de précisions sur ces sujets, cf Philip O'REGAN, Archbishop William King, 1650-1729 and the
Constitution in Church and State, Dublin, Four Courts Press, 2000, 256 pages ou Christopher J. FAUSKE, A
Political Biography of William King, Londres, RoutIedge, 2015, 256 pages.

8
étudier et comprendre l' ouvrage que Leibniz critique, l'ouvrage de King 12 • La validité des

critiques de Leibniz semble ainsi généralement prise pour acquis.

Dans presque tous les cas, les commentateurs contemporains de King, tels Sean

Greenberg 13 et James A. Harris 14 , partagent une critique commune, ciblée par Bayle et Leibniz à

l' époque, selon laquelle la théorie morale de King reposerait sur une liberté d' indifférence

absolue, sur une liberté d'équilibre. Ce type de libre arbitre a eu la vie dure depuis Descartes

(1596-1650) déjà, qui affirmait que la liberté d' indifférence était la moins noble 15 • Suivant cette

interprétation, la théorie morale de King ne pouvait défendre qu' un relativisme absolu et ainsi,

elle a failli à son but prétendu, celui de présenter une théorie assurant le libre arbitre, tout en

reconnaissant l'existence du mal dans le monde. Cependant, lorsque nous faisons une lecture

approfondie du D.o.M , plus particulièrement de son cinquième chapitre concernant le mal

moral, il semble clair que King rejette à la fois le nécessitarisme et la liberté d' indifférence

absolue et qu ' il propose ce qu'il croit être la seule théorie morale pouvant prétendre à la

préservation de la responsabilité humaine face au mal moral et ce, tout en reconnaissant

l'existence objective du bien et du mal.

La question que nous nous posons alors est la suivante: la théorie morale de King lui

permet-elle de sauver la liberté humaine tout en reconnaissant l'existence du mal moral ou,

comme Leibniz le croyait, la fait-il plutôt sombrer dans un relativisme moral reposant sur une

liberté d' indifférence absolue? Le présent travail s' élaborant à l' intérieur de paramètres

12 Sean GREENBERG, « Leibniz on King: Freedom and the Project of the "Theodicy" », Studia Leibnitiana, vol. 2,
2008, p. 205 .
13 Cf Sean GREENBERG, « Leibniz on King: Freedom and the Project of the "Theodicy" », p. 205-222.
14 Cf James A. HARRIS, Of Liberty and Necessity. The Free Will Debate in Eighteenth-Century British Philosophy,
Oxford, Oxford University Press, 2005 , 264 pages.
15 Cf René DESCARTES, « Lettre au Père Mesland, 9 février 1645 », trad. F. Alquié, Œuvres philosophiques,
Garnier, 1989, t. III, p. 551-552 et « Méditation quatrième. Du vrai et du faux », dans Méditations métaphysiques (5 e
édition), notices biographiques et notes par M. Soriano, Classiques Larousse, Paris, Librairie Larousse, 1950 [1641
pour la 1ère édition] , p. 61-70.

9
spatiotemporels limités, nous n' avons pas l' occasion de présenter l' ensemble des critiques faites

par les différents commentateurs de l' ouvrage de King, ce pourquoi nous avons pris la décision

d' utiliser la critique de Leibniz comme outil d'analyse principal, bien que d' autres puissent être

mentionnées en complément lorsque nécessaire.

Comment pouvons-nous espérer résoudre la question précédente? En proposant une

nouvelle interprétation des textes concernés, et plus principalement de l' ouvrage de King. Le

problème qui nous concerne est' d' arriver à déterminer si les critiques de Leibniz, critiques que

plus ou moins tous les commentateurs suivants semblent avoir prises pour acquis, étaient

légitimes, si elles étaient plutôt le résultat d'une tentative sophistique de réduire un adversaire au

silence ou encore, plus probablement, le résultat chez Leibniz d' une lecture biaisée plus ou moins

consciemment par ses propres théories morales et métaphysiques.

Autrement dit, l' objectif que nous nous proposons ici est, en nous basant principalement

sur les critiques leibniziennes du D.O.M dans son appendice aux E. T , de proposer une nouvelle

interprétation de la théorie morale de William King, afin de déterminer si celle-ci permettrait de

répondre convenablement aux accusations latentes ou directes de relativisme moral et de liberté

d' équilibre absolue qui poursuivent William King depuis le XVIIIe siècle.

Sans compter l' éventuelle réhabilitation des théories d' un philosophe ayant été mis au

placard par la grande majorité des commentateurs depuis les critiques de Bayle et de Leibniz s' il

devait se révéler que la théorie morale de King avait peut-être été mal interprétée depuis le début

par ses adversaires, ce mémoire s' inscrit dans une volonté de contribution à l' histoire de la

philosophie, en redonnant de la visibilité à des théories et à des auteurs laissés de côté avec le

temps, afin de souligner l' importance qu' ils ont eu à leur époque et le rôle qu ' ils ont joué dans

l' histoire des idées, que ce soit en tant que défenseurs d' idées fondatrices ou en tant que

responsables de la naissance de grandes critiques qui seront réutilisées à travers le temps. Tous

10
les penseurs s'inscrivent dans leur époque et revenir sur leurs travaux permet à la fois de mieux

connaître ces époques et leurs idées et de mieux comprendre les penseurs qui les ont côtoyés et

qui les ont suivis, que ce soit en tant qu'alliés, en tant que successeurs ou en tant qu'adversaires.

Le travail d'interprétation que nous nous proposons de faire, vient s' ajouter au bassin

d'hypothèses s' affrontant dans le monde des études modernes en philosophie et permet de mieux

connaître tant les périodes étudiées que les idées des auteurs elles-mêmes et leurs possibles

conséquences.

Le présent travail se divisera en deux parties. Dans la première, après une brève

biographie de William King, nous présenterons les théories principales contenues dans le

D.o.M 16, en insistant plus particulièrement sur les théories du cinquième et dernier chapitre. La

seconde partie de ce mémoire sera, quant à elle, réservée à l' analyse des principales critiques que

Leibniz a faites de l'ouvrage de King dans l'un des appendices de ses E.T. , intitulé Remarques

sur le livre de l 'origine du mal, publié depuis peu en Angleterre 17 (dorénavant Remarques) et

suivant chacune de ces critiques adressées à la théorie morale de King et à ses fondements

métaphysiques, nous proposerons une nouvelle interprétation de certains passages clés du

D.a.M., dans le but de déterminer, si faire se peut, si King pouvait véritablement prétendre avoir

sauvé la responsabilité morale tout en combattant le nécessitarisme et le relativisme absolu, ou si

les accusations de relativisme faites par Leibniz atteignaient véritablement leur cible.

16 Nos citations et références seront cependant généralement tirées de différentes éditions de la traduction anglaise
d'Edmund Law, E.o.E., plutôt que de l' ouvrage original latin.
17 Gottfried Wilhelm LEIDNIZ, « Remarques sur le livre de l' origine du mal, publié depuis peu en Angleterre », dans
Essais de théodicée : sur la bonté de Dieu, la liberté de l'homme et l'origine du mal, Paris, Garnier-Flammarion,
1969 [1710 pour la 1ère édition] , p. 386-423.

11
CHAPITRE 1 - WILLIAM KING ET L'ORIGINE DU MAL

William King étant un philosophe aujourd'hui peu connu, ce premier chapitre débutera

avec une courte biographie. Par la suite, nous aborderons successivement les idées principales

présentées dans les quatre premiers chapitres du D. OM, pour enfin terminer avec le cœur de la

théorie morale de King, son cinquième chapitre, à la fois le plus dense, le plus original et le plus

controversé de l'ouvrage.

1.1 Vie de William King

Comme il a été mentionné en introduction, la majorité des ouvrages contenant des

informations biographiques sur William King concernent principalement sa vie politique et

ecclésiastique, plutôt que sa vie philosophique. King lui-même a laissé une autobiographie

originellement rédigée en latin sous le titre Quaedam Vitae Meae Insigniora, qui a été

partiellement traduite en anglais en 1880, puis éditée l 8 en 1906 par l'un de ses descendants,

Charles S. King, et qui sera ici utilisée autant que faire se peut et complémentée par d' autres

biographies lorsque nécessaire.

William King nait en 1650 dans le comté d'Antrim en Irlande du Nord, d'une famille

écossaise presbytérienne de classe moyenne qui s'y est nouvellement établie l9 . La guerre civile20

William KING, « Quaedam Vitae Meae Insigniora », dans Charles S. KING (éd.), A Great Archbishop of Dublin.
18
William King, D.D. 1650-1729. His Autobiography, Family, and a Selection from his Correspondence, Londres,
Longmans, Green, and Co., 1908 [1906 pour la 1ère édition] , p. 1-42. Nous pourrions traduire ce titre par « Quelques
épreuves de ma vie» ou « Quelques faits remarquables de ma vie ».
19 Ibid. , p. 1-2.
20 Les Guerres Confédérées Irlandaises, de 1641 à 1653, opposaient les catholiques irlandais aux colons protestants
fait alors rage en Irlande et le jeune William est continuellement malade, état qui le suivra toute

sa vie. Il n'apprend réellement la lecture et les mathématiques qu'à 12 ans, après avoir changé

plusieurs fois d'école, mais à 15 ans, il a lu La Bible et d'autres ouvrages classiques en latin21 • TI

est admis au College of the Roly Trinity de Dublin en 1667 et suite à une crise existentielle et

spirituelle, il se convertit à l'anglicanisme 22 • En 1670, King devient bachelier, puis en 1674, il est

ordonné prêtre et quitte le collège avec une maîtrise pour entreprendre ses tâches cléricales dans

le comté de Kilmainmore. Dès son entrée en fonction, il néglige ses études, mais son supérieur le

pousse à continuer à étudier, croyant qu'il a le potentiel de gravir les échelons 23 . En 1676, il

devient prévôt de la cathédrale Ste-Marie à Tuam et en 1679, l' archevêque de Dublin John Parker

lui offre le poste de chancelier de la cathédrale St-Patrick de Dublin et la direction de la paroisse

de St-Werburgh. Effrayé par l'ampleur de la tâche, il l' accepte néanmoins et déménage à Dublin,

où il sera reconnu pour sa charité et sa participation à de nombreux projets. TI apprend à apprécier

ses nouvelles tâches, mais sa santé en écope et il est plusieurs fois très malade 24 • TI devient aussi,

en 1683, l'un des membres originaux de la Dublin Philosophical Society25.

britanniques. La guerre tournera définitivement en faveur des britanniques en 1649, lorsque Cromwell débarquera
avec une grande armée en Irlande, ce qui signera l' arrêt de mort d'environ la moitié de la population irlandaise de
l'île et la dépossession des terres irlandaises au profit des colons. La guerre laissera l' Irlande en ruines et ses
habitants affamés et amers. Pour plus de détails à ce sujet, cf Gerard A. HAYES-McCOY, Irish Battles: A Military
History ofIreland, Belfast, Appletree Press, 2009 [1969 pour la 1ère édition], 326 pages.
21 William KING, « Quaedam », p. 3-6. Plusieurs de ses professeurs et de ses commentateurs critiqueront cependant
son mauvais latin écrit, même longtemps après sa mort.
22 Ibid., p. 7-12. King affirme que ces années de recherche, durant lesquelles il a cherché à savoir si les fondements
de la religion chrétienne étaient compatibles avec la lumière naturelle, lui permirent d'établir les principes et
arguments théologiques qu'il défendra pour le reste de sa vie: « [ ... ] the chief thing was that, by the grace of God
co-operating, 1 brought the subject to a happy conclusion, and established myself in such principles, and confirmed
them by such arguments, that from that time to this day, tbanks be to God, nothing in the matter of religion have 1
either changed, added to, or taken from, and 1 have been a help to many in similar doubts, nor has any one by so
much as a nail's breadth di sturbed me from the path which 1 th en took, either by writing or word. » (Ibid., p. 12).
23 Ibid. , p. 12-15.
24 Ibid., p. 16-19.
25 S. J. CONNELY, « William King (1650-1729) », dans Oxford Dictionary of National Biography, Oxford
University Press [Édition en ligne, http://www.oxforddnb.com/view/articleI15605]. 2004.

13
King est à cette époque déchiré entre sa loyauté au roi James II et le rejet du pouvoir

absolu recherché par le roi qui, King en est sûr, tournera à l'abus. Il donne fmalement son appui

au prince Guillaume d'Orange lorsque James II dépossède et emprisonne une partie du clergé

protestant au profit de catholiques26 . En 1688, King obtient son doctorat en théologie, alors que

différents édits royaux empêchent les protestants de se réunir et que les églises protestantes se

vident. TI devient doyen de St-Patrick en 1689, puis lui et certains de ses compatriotes sont

emprisonnés pendant plusieurs mois jusqu'à la victoire du prince d'Orange à Boyne en 1690.

King est alors nommé évêque de Derry par le nouveau roi Guillaume III lui-même 27. L'année

suivante, King publie The State of the Protestants of lreland under the late King James s

Government, ouvrage controversé qui l' a, selon plusieurs, rendu célèbre à l' époque28 .

King, constatant l' état délabré des églises après la guerre et le manque de volonté de

plusieurs membres du clergé envers leurs offices, force plusieurs de ses collègues à s' impliquer et

il fmance lui-même plusieurs salaires et reconstructions. L' imposition de la discipline

ecclésiastique crée d'abord de nouveaux ennemis à King, mais lorsque les résultats positifs

commencent à paraître, plusieurs se rallient à sa cause 29 . L' un des buts principaux de King est de

redonner du pouvoir à l'Église anglicane d'Irlande en commençant par le rétablissement de sa

réputation et de celle de son clergé et suite à de nombreuses années d'effort, un statu quo fragile

s'établit entre les différentes factions religieuses irlandaises 3o .

26 William KING, « Quaedam », p. 19-22.


27 Ibid., p. 23-30.
28 William KING, The State of the Protestants of Ireland under the late King James's Government, Londres, Imprimé
pour Robert Clavel!, 1691 , 408 pages. L 'ouvrage est une apologie, publiée anonymement, de « l' inaction » de King
et de ses alliés en faveur du prince d' Orange, suite à l'abandon de la population protestante d 'Irlande au profit des
catholiques par James II. Ce populaire ouvrage verra une dizaine d ' éditions entre 1691 et 1768.
29 William KING, « Quaedam », p. 31-35.
30 Ibid., p. 36-40. King publie entre autres A Discourse Concerning the Inventions of Men in the Worship ofGod en
1694, où il prétend que les rituels cléricaux anglicans sont plus en accord avec La Bible que les méthodes
presbytériennes. L'ouvrage fait scandale en Irlande, en Écosse et même en Angleterre et voit plusieurs échanges
d' arguments entre King et les principaux représentants irlandais des confessions catholiques et presbytériennes.

14
En 1697, King commence à rédiger en latin ce qui deviendra le D. OM 31 , publié en 1702

à Londres et à Dublin et qui verra une réimpression à Brême en 1704. Il sera résumé et commenté

en 1703 par Jacques Bernard, l'éditeur des Nouvelles de la République des Lettres 32 , puis critiqué

par Pierre Bayle dans son Dictionnaire historique et critique 33 et sa Réponse aux Questions d 'un

Provinciap4 et par Gottfried Leibniz, dans un appendice de ses E.T., critique qui sera étudiée

dans le chapitre suivant de ce mémoire 35 . En 1703, King devient le nouvel archevêque de Dublin,

poste qu'il occupera jusqu' à sa mort en 1729. En tant qu' archevêque, King continue de

s'impliquer dans la restauration du patrimoine anglican d' Irlande et à favoriser la conversion des

catholiques et des presbytériens, en permettant notamment l'apprentissage du gaëlique au Trinit y

College et en fournissant des prêtres le parlant dans les régions majoritairement gaëliques 36 .

Une partie du D.OM est traduite du latin à l' anglais par Salomon Lowe à Londres en

1715 37 , mais il faudra attendre l'année 1731 pour avoir une traduction complète, effectuée par

31 Le D.o.M. se veut une réponse, sous forme de théodicée, aux critiques des athées et des manichéens, telles que
présentées entre autres par Pierre Bayle, en ce qui concerne l' incompatibilité de l' existence du mal avec la création
du monde par un Dieu unique et infiniment puissant, bon et sage.
32 Jacques BERNARD, « Article V, Mai 1703, De Origine Mali » et « Article l, Juin 1703, Suite de l'Extrait du Livre
De Origine Mali », dans Nouvelles de la République des Lettres, Tome I V, comprenant les années 1703-1704,
Genève, Slatkine Reprints, 1966, p. 144-150 et 156-164 (original p. 554-578 et 603-635). Bernard en fera d'ailleurs
une critique positive.
33 Pierre BAYLE, Dictionnaire historique et critique, nouvelle édition en 16 tomes augmentée de notes extraites de
Chaufepié et al., Paris, Desoer, 1820 [1697-1706 pour la 1ère édition] , principalement les articles « Arminius»,
« Jansénius» et « Pauliciens ».
34 Pierre BAYLE, Réponse aux questions d 'un provincial, Tome second, Rotterdam, Reinier Leers, 1706, chapitres
LXXIV-XCII. Bernard et Leibniz critiqueront Bayle parce que ce dernier s'était au départ contenté de commenter
l' ouvrage de King à partir des remarques et résumés de Bernard. Bayle, après avoir lu le D.a.M. , fera quelques
critiques supplémentaires qui ne seront publiées que dans le cinquième tome (posthume) de sa Réponse en 1707.
35 D' autres penseurs ont commenté et critiqué le D.o.M. ou certaines de ses théories à l' époque, comme Samuel
Clarke en 1705 (cf A Demonstration of th e Being and Attributes ofGod, more particularly in Answer to Mr. Hobbes,
Spinoza and their Followers, Glasgow, Richard Griffin and Co., 1823 [1705 pour la 1ère édition] , 443 pages), Johann
Christoph Wolf (1683-1739, à ne pas confondre avec son contemporain Christian Wolff [1679-1754]) en 1707 (cf
Manichaeismus ante Manichaeos et in Christianismo redivivus, Sive tracta tus historico philosophicus , Hambourg,
1707, 528 pages) et Anthony Collins (1676-1729) en 1710 (cf A Vindication of the Divine Atributes, in Some
Remarks on His Grace the Archbishop ofDublin 's Sermon, Intituled, Divine Predestination and Foreknowledg [sic],
Consistent with the Freedom ofMan 's Will, Londres, A. Baldwin, 1710, 32 pages), mais le présent travail s'intéresse
principalement aux critiques de Leibniz.
36 S. 1. CONNELY, « William King (1650-1729» ).
37 William KING, A Key to Divinity: or, a 'Philosophical Essay on Free-Will. By the Most Reverend Father in God

15
Edmund Law, qui deviendra éventuellement évêque de Carlisle, sous le titre An Essay on the

Origin of Evi/38 . Quatre autres éditions paraîtront en 1732 (Londres), 1739 (Cambridge), 1758 et

1781 (Dublin), la traduction anglaise étant beaucoup plus populaire que la version originale

latine39 . Law ajoutera au texte du D.O.M. la Preliminary Dissertation Conceming the

Fundamental Principle of Virtue or Morality de John Gay40 (1699-1745) et plus tard Divine

Predestination and Fore-knowledg [sic], consistent with the Freedom of Man's Will et On the

FaU of Man, deux sermons prêchés par King. Law ajoutera aussi de volumineuses notes

personnelles à travers le document41 • Avant de mourir, King a répondu à certaines des critiques

du D.OM et proposé certaines précisions42 , mais ces réponses sont restées sous forme

manuscrite et n'ont jamais été publiées, bien que Law, qui a eu l' occasion de lire ces manuscrits,

en ait intégré certaines sous forme de notes dans les différentes éditions de sa traduction.

William, Lord Archbishop ofDublin, Part l , Traduction de S. Lowe, Londres, M. Lawrence, 1715, 52 pages.
38 S. 1. CONNELY, « William King (1650-1729) ».
39 Leslie STEPHEN (Sir), Dictionary ofNational Biography, p. 164.
40 Knud HAAKONSSEN, The Cambridge History of Eighteenth-Century Philosophy (Vol. 2), Cambridge,
Cambridge University Press, 2006, p. 1190. Cet essai, bien qu'aujourd ' hui peu étudié, est considéré comme l' un des
textes fondateurs de l' utilitarisme britannique. Pour plus de détails à ce sujet, cf Julia DRIVER, « The History of
Utilitarianism », Stanford Encyclopedia of Philosophy, 2014 [En ligne, consulté le 4 septembre 2016],
http://plato.stanford.edulentries/utilitarianism-history/.
41 Law fait amplement référence aux travaux de John Locke (1632-1704), de Samuel Clarke, de Leibniz, de Bayle et
de plusieurs autres penseurs populaires à l' époque, qu ' il utilise afin de critiquer lui-même certains passages de
l'ouvrage de King ou pour le défendre contre d ' autres, principalement contre Bayle et Leibniz.
42 King, dans son Quaedam , mentionne le fait que Bayle a critiqué son ouvrage à partir d ' un résumé et de
commentaires de Jacques Bernard et il considère ces critiques comme insensées ou faibles, puis il qualifie celles de
Wolf de plus sérieuses, mais non décisives. King y fait aussi mention de Leibniz, mais il fait référence à lui en tant
qu ' auteur anonyme d' un ouvrage français intitulé Tentamina Theodicii sive Essay de Theodicio. King affirme que cet
essai critique ses théories de façon modeste et prudente, mais sans véritable force (William KING, « Quaedam », p.
41). Comme plusieurs autres auteurs de l' époque publiant en langue française, tels Descartes en 1637 avec son
Discours de la méthode ou Malebranche avec la première édition en 1674 de sa Recherche de la vérité, Leibniz avait
en effet choisi en 1710 de publier ses E.r. anonymement, bien que dès la seconde édition de 17]2, son nom
apparaisse en frontispice (Gianluca MORI, « Anonymat et stratégies de communication: le cas de Pierre Bayle », La
Lettre Clandestine, nO8, 1999, Anonymat et clandestinité aux XVII' et XVIIIe siècles, Paris, Presses de l' Université de
Paris-Sorbonne, 2000, p. 20). Il faut donc croire que King a dû lire les E.r. de Leibniz entre 1710 et 1712, puisque
les éditions suivantes portaient son nom. Sachant ceci, il est difficile à dire pourquoi King ne répondit jamais
publiquement ou par correspondance à ces critiques. Peut-être attendait-il une nouvelle édition du D.o.M. , mais que
puisqu ' il n 'yen eut pas et que King mourut avant sa traduction complète par Law, le projet n'aboutit jamais.

16
Parfois considéré comme un Whig à cause de ses choix politiques, parfois comme un Tory

à cause de son engagement absolu envers l'Église anglicane, la seule chose qui est certaine est

que King a fermement défendu les droits économiques et législatifs de l'Irlande et de l' Église

anglicane43 • Très actif politiquement et religieusement, il a laissé à sa mort l'équivalent de 20

volumes de correspondance et une bibliothèque personnelle de 7000 ouvrages, en plus de

plusieurs sermons et de quelques essais de philosophie naturené4 . N ' ayant jamais été marié, il a

aussi laissé une considérable fortune à diverses œuvres caritatives d' Irlandé5. King est considéré

comme l'un des Irlandais les plus importants de son époque 46 et au cours de sa vie, il s' est lié

d'amitié avec quelques personnages célèbres, tels William Molyneux 47 et Jonathan Swift48 et il a

influencé les travaux de plusieurs autres, comme Francis Hutcheson 49 et George Berkeley5o.

1.2 De la cause première

Maintenant que le lecteur a une idée plus précise de qui était William King et du contexte

entourant la publication et, ultimement, la traduction5 ) du D.O.M, nous pouvons survoler son

43 S. J. CONNELY, « William King (1650-1729) ». Pour plus de détails à propos de la distinction entre Whigs et
Tories à l' époque de King, cf « Whig and Tory », Encyclopaedia Britannica (consulté le 4 septembre 2016),
https://www.britannica.comltopic/Whig-Party-England.
44 George T. STOKES, « Lecture XV. The Writings of William King, Historical, Theological and Philosophical »,
dans Sorne Worthies of the Irish Church: Lectures delivered in the Divinity School of the University of Dublin ,
Londres, Hodder and Stoughton, 1900, p. 283-293 .
45 S. J. CONNEL Y, « Willjam King (1650-1729) ».
46 Charles S. KING, A Great Archbishop ofDublin , p. vii et S. J. CONNEL Y, « William King (1650-1729) ».
47 Leslie STEPHEN (Sir), Dictionary ofNational Biography, p. 165 .
48 Charles S. KING, « Correspondence », dans A Great Archbishop of Dublin, p. 140-142 et 146-147 et Leslie
STEPHEN (Sir), Dictionary ofNational Biography , p. 165.
49 Knud HAAKONSSEN, The Cambridge History of Eighteenth-Century Philosophy, p. 1190. Francis Hutcheson
était, comme King, un Irlandais né d ' une famille presbytérienne écossaise.
50 Charles S. KING, « Correspondence », p. 121-122. Berkeley s' est souvent basé sur les théories de King, pour les
utiliser ou les critiquer. À ce sujet, cf Jackson P. HERSHBELL, « Berkeley and the Problem ofEvil », Journal of the
History of Ideas, vol. 31 , n° 4, octobre-décembre 1970, p. 543-554. Alexander Pope (1688-1744) aurait aussi écrit
son Essay on Man (1710) avec un résumé du D.o.M. à son chevet (William KING, « Quaedam », p. 41).
51 Traduction qui, comme il a été mentionné précédemment, sera utilisée plutôt que l'édition originale latine à chaque
fois que ce sera possible, car la traduction anglaise a l'avantage de contenir certaines des précisions et réponses aux
critiques de King originellement manuscrites, mais publiées dans les éditions anglaises sous formes de notes lettrées

17
contenu afin de présenter ses idées les plus importantes et de révéler les fondements théoriques

sur lesquels King s'est appuyé pour soutenir l'hypothèse originale de la théorie des élections.

Le premier chapitre du D.OM débute par une réflexion sur la connaissance des choses

externes. King prétend que ces choses nous sont connues par les sens, mais que leurs

représentations sont confuses. Les sens représentent l' ensemble des propriétés des choses à

l'esprit [Mind] , puis l'entendement [Understanding] les sépare par réflexion [Reflection] ,

distinguant substances et accidents 52. « By Substance 1 here understand a thing which the Mind

can conceive by itself as distinct and separate from ail others: [ ... ] But that which implies

dependence in the conception of it we caB a Mode, or Accidenf3. » La substance dont les seules

propriétés intrinsèques sont d'être étendue, capable de mouvement local et de repos et composée

de parties distinctes, divisibles et ne pouvant occuper le même espace, est ce qu ' on appelle la

matière 54 [Matter]. Mais la matière semble aussi se déplacer dans quelque chose d' immobile, de

pour les distinguer des notes du traducteur, qui sont plutôt chiffrées. L'édition de référence pour le présent ouvrage
est la première édition anglaise de E.O.E. de 1731 , mais Law n' ayant pas toujours publié les mêmes notes de King,
ni le même nombre, dans ses différentes éditions, nous utiliserons aussi la cinquième et dernière édition anglaise de
1781 lorsque ce sera nécessaire.
52 William KING, E.O.E. , 1731, l, § 1, ~ I-ill.
53 Ibid., 1, § l, ~ ill. Nous pouvons nous représenter de la cire sans couleur, mais pas la couleur sans quelque chose de
coloré, alors la cire est une substance et la couleur est un accident ou un mode.
54 Ibid. , 1, § 1, ~ IV-Vl. King affirme que « God seems to have endowed us with senses and understanding in order to
distinguish things from one another, and to perceive the presence and uses of them. It is not therefore necessary that
they should be made known to us as they are in themselves, but only so far as they regard and can affect us : [ .. .] And
the report of the senses must be looked upon as true, when they represent these effects to us uniformly, i. e. when the
Object, Medium, and Organ continuing in the same state, they produce the same sensation in us [ . .. ]. » (Ibid., 1, § l,
~ VI, note A). Mais nous pouvons aussi connaître par réflexion, le moyen par lequel nous avons conscience de notre
propre existence, existence que nous attribuons ensuite aux objets externes perçus. Pour King, les universaux sont
des analogies apprises par réflexion, alors que l' existence des choses externes est apprise par les sens. « Now we
come to the Knowledge of sorne things by immediate Sensation, Proportion, or Connection with what we perceive by
the Senses. When we perceive any thing [sic] in the former way, we are said to know it by Idea; when in the latter,
not by Idea, but Reason. » (Ibid.) . C' est ainsi par raison ou réflexion que nous pouvons connaître l'existence d' un
ancêtre ou comprendre ce qu'est la substance, même si nous n' en avons pas d' idée ou de sensation immédiate, c' est-
à-dire en reconnaissant certaines marques [Marks] de leur existence. De la même façon que nous connaissons les
choses externes par leurs effets sur notre esprit et nos sens, nous connaissons des choses à l' aide de la seule raison
par leurs effets, par leurs liens avec nos connaissances des objets externes. Nous pouvons connaître l' existence de
notre père par sensation ou idée et celle d'un ancêtre par raison, mais les deux avec la même certitude. Nous voyons
ici que King se distingue de ses contemporains, et principalement de Locke, par son utilisation du terme « idée ».

18
fixe et d'étendu, capable de recevoir ou de contenir la matière, et cette substance est pour King

l'espace 55 [Space/Spatium].

Suite à cela, King cherche à déterminer la « cause première» de l'univers. Il commence

par prétendre que le seul critère de vérité que nous pouvons suivre à propos des objets externes

est que les représentations que nous nous en faisons par les sens en leur présence obligent

l'assentiment même contre notre volonté et qu'il faut croire qu'elles représentent les choses telles

que Dieu veut que nous les percevions, du moins lorsque nous sommes, ainsi que nos organes des

sens, dans un état fonctionnel. «For we can judge of things no otherwise than from our

Conceptions56 . » La même chose, selon King, est vraie des choses intellectuelles, arguments et

propositions, lorsque représentées dans l'esprit. Il prétend donc que si nous arrivons à nous

représenter le mouvement, la matière et l' espace comme existant nécessairement d'eux-mêmes,

nous devons les considérer tels, et que sinon, ils ont une cause externe57 •

55 Ibid., I, § I, ~ VII-IX.
56 Ibid., I, § II, ~ II. King prétend qu ' il y a quelque chose dans les conceptions qui les rend naturellement disposées à
entraîner l' assentiment ou le rejet de l' entendement, ce qui nous oblige à percevoir la vérité et la fausseté: « For
since perception of Objects is an Act of the Mind itself, and clearness or obscurity, determinateness or
undeterminateness [sic], are modes or affections of this Act of conceiving Objects, not of the Objects themselves, we
can judge of the Acts of our Mind and their affections no otherwise th an from the Sense and Indication of the Mind
itself. [ ... ] Setting aside Criterions therefore, we must necessarily attend to the Conceptions themselves, and in ail
things follow the Guidance of our Mind. For it will as certainly embrace Truth duly offer'd to it, as Fire will
consume combustible Matter: [ ... ] Apply an Object, and the thing will be done of itself. » (Ibid. , note B). Mais une
affirmation verbale de conformité entre les termes alors que l'esprit n'en perçoit pas est un mensonge [Lye] et une
conformité qui n'est qu'apparente est une erreur [Error]. Ces erreurs viennent du fait que nos représentations sont
produites par différentes facultés et que certaines marques appartiennent à plusieurs choses différentes, ce qui cause
l'incertitude. King prétend que la vérité est dans la conformité des termes et non des idées, car comme nous l'avons
vu dans la note 54 de la page précédente, il croit que nous pouvons avoir des connaissances sans idées. Seul Dieu
connaît tout par idées, car lui seul perçoit tout directement par son essence (probablement parce que Dieu est le
créateur des essences et qu'il les distingue toutes individuellement et immédiatement, bien que King n'en précise pas
la raison), alors que nous connaissons par marques et symboles [Characters] imprimés dans l'esprit par sensation
immédiate ou créés par l'entendement par réflexion. Alors que les mots sont des attributions arbitraires de sons à des
choses pour les distinguer à l'oral et à l'écrit, les sensations et les marques sont unies par nature à la présence des
objets pour nous aider à les distinguer mentalement, mais le mot « soleil» n' a probablement rien de plus en commun
avec ce qu'il représente que la sensation d' un cercle lumineux de 30 centimètres de diamètre dans le ciel (Ibid.).
57 Ibid., I, § II, ~ I-II.

19
King s'attaque d'abord au mouvement [Motion], qui est une action, et qui suppose un

agent et un patient. La matière ne semble se déplacer que lorsque nous la bougeons, alors elle

n'est que patiente dans le mouvement, qui a donc besoin d'une cause 58 . Nous pouvons ensuite

imaginer l'espace contenant le monde matériel comme vide autant que plein et imaginer un début

et une fin à ce monde. Admettre l'existence de l'espace ou du vide [Vacuum], selon King, c'est

admettre l'inexistence possible de la matière 59 . Enfin, le cas de l'espace est plus compliqué, car il

est difficile de l'imaginer inexistant. Mais si nous imaginons la matière inexistante, que rien

n'existe hors de notre esprit, ce « hors de nous» [without us] disparaît et la nécessité de l'espace

n'est plus 6o • L'exercice ne fonctionne cependant pas avec l'existence de Dieu, car même en étant

de purs esprits, nous concevons que nous n'existons pas par nous-mêmes et il faut donc nous

chercher une cause externe, cause qui est, pour King, une représentation confuse de Dieu61 •

Considérant que ni le mouvement, ni la matière, ni l'espace ne sont actifs, quel est donc le

principe actif [active Principle] de l' univers, sa cause première? Si nous acceptons que des

choses existent, mais qu'elles tirent leur existence d' autre chose :

[ ... ] In the first place we are certain, that ail other things come from this
active Principle: For nothing el se, as we have shewn before, contains in
itself Necessary Existence, or active Power, entirely independent of any
otber; as tberefore itself is from none, so ail others are from it. [ ... ]
Secondly, we are certain that this Principle is One, Similar and Uniform;

58 À ceux qui répliquent que ce qui est éternel ne peut pas avoir de cause, King répond que si nous supposons que le
Soleil brille depuis l'éternité et que la Terre, par sa rotation, vit le cycle des saisons depuis l'éternité, nous ne
pouvons quand même pas affirmer que les saisons n'ont pas de cause. Ainsi , une action éternelle n' exclut pas
nécessairement une cause active éternelle.
59 Ibid., l, § II, ~ ill-VI.
60 Lorsque nous imaginons la matière absente, nous restons avec l'idée de l' espace, bien que vide, et il est difficile de
penser à une chose autre que nous sans qu 'elle ait une place [Place] dans l'espace, hors de nous. Lorsque nous
annihilons un accident, il reste la substance. Lorsque nous annihilons la matière, il reste l'espace. Mais lorsque nous
annihilons l' espace, nous n' avons rien à lui substituer, sauf des choses matérielles, qui supposent l' espace, ce qui est
contradictoire. Mais si nous ne pouvons imaginer le mouvement sans matière, nous pouvons imaginer la matière
inexistante et pareillement, si nous ne pouvons imaginer les objets matériels sans espace, nous pouvons imaginer
l' espace et la matière simultanément inexistants. Il est difficile ici de ne pas considérer l' influence que ces théories
ont pu avoir sur l' immatérialisme du jeune Berkeley.
61 Ibid. , l, § II, ~ VII-XVIII.

20
[ .. .] Thirdly, That it is Infinite both in Nature and Power: For since it exist
of itself, there is nothing that can bound its Nature or Powel'2.

Premièrement, la cause première est nécessairement auto-existante, sans quoi elle aurait une

cause et ne serait donc pas principe. Deuxièmement, elle doit aussi être unique si elle est parfaite,

car s'il y en a plusieurs, elles se partagent différents niveaux de perfection, sans quoi elles

seraient toutes identiques, ce qui serait alors contradictoire, une même chose étant elle-même et

quelque chose de différent à la fois. Troisièmement, son pouvoir doit effectivement être infini,

puisque King considère qu ' il existe une infinité de choses possibles en puissance [in Power] et

qu ' il faut un pouvoir tout aussi infini pour pouvoir possiblement les actualiser, sans quoi

certaines possibilités seraient en fait irnpossibles63 .

Quatrièmement, il va sans dire que la cause première doit aussi être parfaitement libre, car

SI ses actions étaient nécessaires et passives, elle serait passive et non principe actif.

Cinquièmement, « Cogitation also, Will and Consciousness, or Faculties equivalent to these, are

necessary to a free Cause, and on that account to be attributed to the first Cause, being [ ... ]

perfectly Free: which Cause, since it is infinite [ ... ] in its Essence and Power, it must be so

likewise in Intelligence, viz. Omnipotent and Omniscient64 .» Nous constatons en nous, par

réflexion, un principe pensant, conscient de sa propre existence et immatériel, notre esprit, dont

les actions sont de vouloir, de refuser, de douter, de raisonner, d' affirmer et de nier et nous nous

savons capables de déplacer des parties de matière, comme un bras, par pensée ou volition. Nous

pouvons donc croire que les mêmes capacités peuvent être attribués à la cause première qui, bien

que n'étant pas composée de matière, a le pouvoir, comme nous, d' interagir avec elle.

Sixthly: Since this Principle (which we cali God) is the Cause of ail things,
and infinite in Knowledge as weil as in Power, it follows, that he acts, not

62 Ibid., I, § III, ~ I-V.


63 Ibid.
64 Ibid., l , § III, ~ VIT.

21
by blind impulse but, for an End; and has order' d his Works by such
Wisdom, as to be consistent with themselves, and not destructive of each
other. Seventhly: Since God is perfect in himself, since ail things subsist
by his Providence, and stand in need of him, but he of none; and, since he
can neither be profited nor incommoded by his Works, nor affected by
their Good or Evil; it follows, that he made these things for no Advantage
of his own, and that he neither receives nor expects any Benefit from them
[ ... ]: but he has in himselfthe adequate Exercise ofhis Powers, namely in
the Contemplation and Love of himself. Externals therefore can neither
increase nor diminish the Exercise of his Powers, which before was
infinite. God is indifferent therefore as to these, nor does his Exercise
without please him, otherwise than as he has chosen to exercise himself
thus; as will be shewn below 65 •

Dans ce long passage, nous voyons que Dieu, pour King, puisqu'il est parfaitement sage, doit

agir pour une fin et non « sans raison» et que ses actions respectent le principe de non-

contradiction. Cette fin est le bonheur, qui s'obtient par l'exercice et la satisfaction de ses

attributs, de ses pouvoirs et de ses facultés, et nous verrons plus loin que la raison pour laquelle

Dieu respecte le principe de non-contradiction est que bien que les choses externes ne puissent

pas lui nuire ou lui bénéficier, s' il essayait d'entreprendre quelque chose d' impossible, l'échec

inévitable de son action le rendrait malheureux, sans compter le fait que cela supposerait que

Dieu peut commettre une erreur de jugement. Enfin, Dieu étant conscient de son auto-existence,

il est aussi conscient de sa perfection et il se serait donc satisfait de son amour pour lui-même s'il

n'avait rien créé, alors l' exercice de son pouvoir vers l'extérieur ne lui plaît que par son choix de

l'exercer ainsi.

1.3 Du mal d'imperfection

Dans le second chapitre du D. o.M, King s' attarde à la nature des différents types de

maux, en commençant par définir ce qu'est pour lui un « bien ». « By Good, 1 here understand

that which is convenient and commodious, that which is correspondent to the Appetite of every

65 Ibid., I, § Ill, ~ VIII-IX.

22
Creaturé 6 . » Le bien et le mal sont ainsi des opposés qui naissent des relations profitables ou

nuisibles que les choses ont entre elles. Ce qui est incommode envers lui-même ou autre chose,

ce qui frustre les appétits implantés par Dieu ou ce qui force quelqu'un à faire ou souffrir quelque

chose contre son gré, est mauvais. Les maux peuvent être de trois types: d ' imperfection, naturels

ou moraux. « By the Evil of Imperfection, 1 understand the Absence of those Perfections or

Advantages which exist elsewhere, or in other Beings: By Natural Evil, Pains, Uneasinesses

[sic] , Inconveniencies and Disappointments of Appetites, arising from natural Motions: By

Moral, vicious Elections67 , that is, such as are hurtful to ourselves, or others 68 . »

Ayant établi ces bases, King rappelle alors la finalité de son ouvrage, soit sa volonté de

justifier la compatibilité de l' existence de ces maux dans le monde avec l' existence d' un Dieu

créateur infiniment puissant, sage et surtout, bon. King prétend que devant cette difficulté,

certains ont préféré nier l' existence d' un Dieu créateur, comme l'ont fait les épicuriens et les

athées, alors que d' autres, croyants, comme les manichéens, ont préféré assigner une double

cause aux choses, l' une bénéfique et responsable de tous les biens, l' autre maléfique et

responsable de tous les maux. Plusieurs croyants ont embrassé le manichéisme, considérant qu ' il

lave au moins Dieu de tout mal puisqu ' il s' oppose constamment au principe mauvais. Si le Dieu

unique chrétien ne peut empêcher le mal, son pouvoir semble limité et s' il le peut, mais ne le veut

pas, où est sa bonté ? Et si le mal adhère à certaines natures, Dieu n' aurait-il pas mieux fait de ne

pas les créer plutôt que de faire souffrir le reste de sa création à cause d' elles 69 ?

King reconnaît la difficulté de ces questions, mais refuse de considérer le manichéisme

comme une meilleure solution que le christianisme. Les manichéens excusent leur dieu bon en

66 Ibid., l, § III, ~ XI.


67 Concernant l' usage que fait King du terme « Election » et sa traduction, cf note 107, §§ 1.5 .1 (p. 35) de ce
mémoire.
68 William KING, E.O.E., 1731, Il, ~ 1-11.
69 Ibid., II, ~ III-V.

23
disant qu' il ne tolère le mal que parce qu ' il n'a pas le pouvoir de le détruire entièrement et qu ' il

devait donc tolérer le mal ou ne rien créer de bon du tout. Mais King répond que si leur dieu bon

reste bon après avoir créé des choses en sachant qu'elles seraient rendues misérables par le

principe mauvais, le Dieu chrétien reste aussi bon après avoir créé certaines choses en sachant

qu' elles seraient rendues misérables par les lois nécessaires à leur existence matérielle 70 . Et si le

dieu bon manichéen a créé les choses malgré la nécessité de leur corruption morale à venir, le

Dieu chrétien ne les a créées qu ' en prévision d'une corruption morale possible71 • King considère

qu ' une solution au débat ne sera possible qu 'en démontrant que l'existence du mal est le résultat

nécessaire de l'infinité des attributs divins: « [ ... ] if we can point out a Method of reconciling

these [Evils] with the Government of an absolutely perfect Agent, and make them not only

consistent with Infinite Wisdom, Goodness and Power, but necessarily resulting from them (so

that these would not be Infinite, if those did not or could not possibly exist) then we may be

supposed to have at last discover' d the true Origin of Evils 72 [ ... ]. »

King se lance alors dans cette tâche en s'attaquant d' abord, dans son troisième chapitre,

au mal d' imperfection. Au départ, seul Dieu existait et tout ce qui a été créé a donc été tiré du

néant [out ofnothing]. Malgré son omnipotence, Dieu ne peut créer d'être absolument parfait, car

l' auto-existence est une perfection et il est donc le seul être absolument parfait de l'univers. Le

mal d' imperfection est ainsi inhérent à toute chose créée. « God might indeed have refrain 'd from

creating, and continu' d alone, Self-sufficient, and perfect to aIl Eternity, but rus Infinite Goodness

would by no means allow it; this oblig' d him to produce external things; which things, since they

70 L' argumentation de King, selon laquelle la théodicée chrétienne n' est pas à rejeter parce qu ' elle succombe aux
mêmes fautes que la théodicée manichéenne, se rapproche ici dangereusement d' un sophisme de la double-faute.
7 1 Ibid., II, ' Vill-X.
72 Ibid., II, , IX.

24
could not possibly be perfect, the Divine Goodness preferr' d imperfect ones to none at a1l 73 • »Le

mal d' imperfection est donc né de la bonté infinie de Dieu, sans laquelle il n'aurait pas souffert

l'existence de créatures imparfaites et préféré continuer seul et parfait14 .

King précise aussi qu'il Y a des degrés infinis de perfection entre Dieu et le néant

[Nothing], dont le plus bas est l'existence et le plus haut l'auto-existence et puisque rien, sauf

l'impossible, ne limite le pouvoir de Dieu, « [ ...] it is to be believ' d, that the present System of

the World was the very best that could be, with regard to the Mind of God in framing it. It might

have been better perhaps in sorne Particulars, but not without some new, and probably greater

lnconveniencies, which must have spoil ' d the Beauty, either of the whole, or of sorne chief

Part75 • » Le monde étant composé de différentes parties ne pouvant être plus parfaites que leur

tout [whole] et elles-mêmes composées d' autres parties peut-être ad infinitum, tout ce qu'il

contient ne peut être d' égale perfection. Mais Dieu ne s'est pas contenté de créer les créatures les

plus parfaites, parce que l' existence des moindres ne brimait pas leur bonheur ou leur existence et

que toute existence est une perfection. Une bonté finie aurait peut-être pu se satisfaire de la seule

existence des créatures les plus parfaites, mais une bonté infinie s'étend à tous les possibles, tant

qu ' ils contribuent au toue 6 : « [ ... ] if neither the Number nor Happiness of the more perfect be

diminished by the Creation of those that are less perfect, why will it be unfit to create these

too 77 ? » La bonté infinie de Dieu est donc, pour King, responsable de l'existence des choses les

plus et les moins parfaites.

73 Ibid., 1lI, ~ II.


74 Ibid., III, ~ I-II. Tout ceci, comme nous le verrons bientôt, n' est vrai qu'à partir du moment où Dieu a fait
l' élection de créer le monde, car comme nous l' avons vu un peu plus tôt, s' il avait élu de ne rien créer, il aurait été
éternellement satisfait de la simple conscience de sa nature parfaite (Ibid., I, § III, ~ VIII-IX).
75 Ibid.,III, ~ III.
76 Ibid. , III, ~ III-VII.
77 Ibid., ID, ~ V. Les notions de plus grand bien et du meilleur des mondes chez King reposent sur le principe de
plénitude. L' existence étant une perfection, plus il y a d' existants dans un monde, plus il est parfait. Ainsi, en

25
1.4 Du mal naturel

Suivant ce qui a été dit précédemment, aucune créature ne peut se plaindre de sa place

dans l'univers, car c'était celle-ci ou l'inexistence, les imperfections à différents degrés étant

nécessairement attachées à la nature des choses créées, et King croit que la même chose est vraie

des maux naturels en ce qui concerne les créatures matérielles. Il veut prouver que le monde

matériel devait être créé avec certains maux ou pas du tout et que les maux naturels sont donc

nécessairement rattachés à la nature de la matière.

Bien que passive, la matière est susceptible de mouvement local, et elle est donc meilleure

en mouvement qu ' immobile, car l' action est, ceateris paribus, préférable à l'inactivite S, alors il

était plus agréable à Dieu de produire le mouvement dans la matière. Ces mouvements doivent

aussi être inégaux, car si la matière se déplace uniformément et dans la même direction linéaire

ou circulaire, c'est comme si elle était parfaitement immobile79 • Ces déplacements non-linéaires

provoquent alors collisions, divisions et répulsions des parties, donnant naissance à la génération

et à la corruption de la matière. Il est cependant préférable que la matière suive certaines lois

donnant l' existence à tout ce qui n'empêchait pas l' existence des choses les plus parfaites, Dieu a rendu son monde
meilleur. Comme King le dit lui-même, « [ ...] since they are no manner of hindrance to each other, the more the
better. » (Ibid.). Nous pouvons supposer que ce serait la finalité de la matière dans la théorie de King, car une fois
que le maximum d'esprits [Spirits] et autres créatures immatérielles plus parfaites a été créé pour le bien du tout, il y
avait encore une place infinie pour la matière, puisque les esprits n'ont aucune extension locale. En choisissant de
créer la matière, la chose la plus imparfaite de l'univers, Dieu a rendu possible l' existence de plus de substances,
comme celles des créatures composées d' une âme immatérielle et de matière : les animaux. Sans matière dans
l'univers, ce dernier aurait été moins parfait qu ' il n' aurait pu l'être. Dieu aurait ainsi préféré créer tout ce qui pouvait
contribuer au bien du tout, plutôt que de se limiter au bien de chaque particulier.
78 Dieu est éternellement actif et est la plus grande perfection, alors que le néant, éternellement inactif, est l'absence
totale de perfection. Dans ce cas, l'activité est certainement une perfection, puisqu ' elle rapproche de Dieu.
79 Et, ajoutons, absolument imperceptible, puisque les sens perçoivent par les mouvements de la matière. Si tout est
parfaitement immobile ou si tout va dans le même sens, il n'y a aucun son, la vision est parfaitement fixe, etc. Sans
mouvement, pas de notion du temps. Pas de génération ni de corruption. King rejette d'emblée les règlements par des
miracles perpétuels, indignes de la sagesse infinie de Dieu. « For, if you suppose any sort of Motion in Matter, it
must necessarily be either useless, as we said before, or in opposite Directions . The mutual c1ashing of these
Concretions could therefore not be avoided, and as they strike upon one another, whether we suppose them hard or
soft, a concussion of the parts, and separation from each other, would necessarily be produced: But a Separation or
Dissipation of the parts is Corruption . [ ... ] For, to hinder moveable things from interfering, and the Parts which are
separable in themselves, from separating by mutual repulsions, would require a p erpetuai Miracle. » (Ibid. , III, 'If IV).

26
générales plutôt que d'être complètement erratique, car cela rend possible la science, cela

favorise la préservation des corps et cela aide les créatures corporelles intelligentes à contribuer à

leur propre préservation grâce à leurs connaissances de ces lois 8o.

1.4.1 Concernant les animaux

La matière n'étant pas consciente [Self-conscious] ou capable de bonheur, elle ne doit pas

aVOIr été créée pour son propre bénéfice, mais pour celui d'autre chose, probablement pour

rendre possible l'existence des animaux, êtres sensibles nés de l'union de corps matériels avec

des âmes [Soufs] pensantes 81 . Pour King, la vie est préservée par le mouvement circulaire des

fluides vitaux: «For where there is a circular motion of the Fluids, there is Nutrition and

Increase, there is, as 1 conjecture, sorne sort of Life 82 . » Cette circulation peut toutefois être

interrompue ou troublée par les chocs des corps adjacents sur le corps animal, ce qui peut briser

le corps solide et laisser s'échapper les fluides vitaux, mettant fin à la vie. Ces chocs étant

inévitaHes à cause de la non-linéarité du mouvement, les animaux aux corps solides sont donc

nécessairement mortels 83 •

80 Ibid., IV, § l , ~ I-V. King considère aussi que la matière est composée de parties distinctes, certaines plus fluides et
homogènes comme l'éther [Aether] , d' autres plus denses comme la terre et certaines mixtes et hétérogènes comme
l'air et l'eau, et que plus un corps est fluide et homogène, moins il est assujetti à la corruption et au changement.
81 Ibid., IV, § II, ~I-V . Ce serait le sens de l' affirmation de King, lorsqu'il dit que « There is nothing therefore in
vain, nothing idle, nor any Region without it's Animais . }) (Ibid., IV, § II, ~ 1). Dieu a créé différents animaux partout
où l'univers pouvait subvenir à leurs besoins afin de satisfaire le principe de plénitude, mais chaque environnement
n' est pas nécessairement convenable pour la vie de chaque espèce. King considère que ni la Terre, ni ses habitants,
n' ont été considérés en premier lieu lors de la création du monde, mais qu' ils sont plutôt une partie du tout. Dieu
avait besoin de la Terre comme « [ ... ] a Wheel in the great Automaton [ .. .] }) (Ibid., IV, § Il, ~ IV), mais il a aussi vu
qu'elle pouvait subvenir aux besoins vitaux de certains animaux, alors il a créé ceux qui pouvaient survivre dans son
environnement et il a fait semblablement partout dans l' univers. King considère les humains comme des « animaux })
[Animais ] (Ibid., V, § l, §§ IV, ~ XVII), mais d'une espèce plus parfaite que les « bêtes }) [Brutes] en ce que ces
dernières n'ont pas conscience de leur existence (Ibid. , IV, § V, ~V) et qu ' elles ne possèdent pas de libre arbitre
(Ibid. , IV, § IV, ~ VIII). Les anges [ministring Angels] , quant à eux, sont de purs esprits immatériels et non des
animaux combinant corps d' éther et âme pensante (Ibid., V, § V, §§ IV, ~ XI).
82 Ibid. , IV, § III, ~ III.
83 Ibid. , IV, § III, ~ I-IV. Ainsi, le corps d 'un animal éthéré, puisque parfaitement fluide, répond plus parfaitement
aux ordres de la volonté de l' animal, car les corps extérieurs lui résistent moins, ce qui rend ce type d'animal

27
Mais si nous supposons l'existence d' animaux, en tant que créatures composées d' un

corps matériel et d'une âme pensante, nous devons aussi supposer une sympathie mutuelle entre

ce corps et cette âme 84 . L'âme, active, aurait pour tâche de préserver le corps, passif, mais pour

ce faire, l' âme doit être capable de percevoir ce qui est bon ou mauvais pour le corps et ceci est

rendu possible par la sensation, « [ ... ] and this cou Id not be more effectually procured, than by

providing that those things which tend to its preservation should communicate an agreeable

Sensation to the Soul, and what is pemicious, a disagreeable one 85 . » La douleur et le plaisir

attirent l' attention de l' âme tant que ce qui cause ces sensations persiste, alors que la peur nous

prévient de certains maux à venir, puisque nous ne ressentons pas, par exemple, de douleur en

nous approchant d' un précipice. Les autres passions découlent ensuite de la douleur et de la peur

de la mort. Puisque les maux naturels sont inévitables sans miracles perpétuels dans le monde

matériel, la plupart des maux dans le monde seront nécessaires tant qu ' il existera tel qu ' il est86 .

Pour éviter que l' univers ne se vide de ses animaux, Dieu aurait pu intervenir par miracle

perpétuel pour empêcher leur corruption ou laisser la nature aller et créer un nouvel animal à

chaque mort, mais King prétend qu ' un être infiniment sage éviterait d' outrepasser les lois

naturelles qu' il a lui-même établies lorsqu' il peut implanter en chaque créature un appétit presque

presqu ' incorruptible ou immortel , contrairement aux autres. King ajoute plus loin (Ibid. , IV, § V, ~ I-X) que la
croissance du corps et le ralentissement de sa dissolution nécessitent l'absorption de nouvelle matière, mais puisque
chaque animal est composé de particules matérielles distinctes, tous ne se nourrissent pas des mêmes choses. Les
affections particulières de chaque animal le dirigent vers sa nourriture de prédilection et combler ces affections cause
du plaisir. Si nous devons travailler autant pour nous nourrir, selon King, c' est parce que nous sommes très
complexes et que notre nourriture, semblablement, doit aussi l' être, ce qui nous rend, ainsi que notre nourriture, plus
corruptibles, alors qu ' une plante, moins complexe, se nourrit plus facilement. Nous pouvons ainsi croire que chaque
élément de l'univers sert de nourriture à un type particulier d ' animal. Et s 'il peut sembler cruel que certains animaux
soient mangés par d' autres, King considère que ces proies n'ont pas de notion de futurité, ni de conscience de leur
finalité, et qu'elles profitent donc des plaisirs de la vie sans angoisse ni peur du futur, plutôt que d'être inexistantes,
et qu' une mort violente et rapide n' est peut-être pas pire qu ' une mort lente dans la douleur et la maladie.
84 Nous observons cette sympathie quotidiennement lorsque nous ressentons de la douleur suite au choc de certains
objets avec notre corps et suite au fait que nous arrivons à bouger certains membres matériels par simple volonté ou
pensée.
85 Ibid., IV, § IV, ~ Il.
86 Ibid., IV, § IV, ~ I-VIII.

28
irrésistible de propager son espèce et qui provoque un grand plaisir lorsque satisfait, parfois plus

puissant que la peur de la mort et que l' inconfort de la douleur, et qui s'étend souvent même à la

protection de leur engeance. « Neither does it become the Wisdom of God to have left ms Work

so imperfect as to want continuaI mending even in the smallest Particulars 87 . » Par une seule loi

mécanique de reproduction, Dieu a ainsi assuré la préservation des animaux et le plaisir que nous

ressentons en comblant nos différents appétits remonte d' une façon ou d'une autre à la promotion

de cette auto-préservation ou du désir de reproduction 88 .

1.4.2 Concernant les erreurs et l'ignorance

Après avoir ainsi présenté la nature des maux naturels physiques, King s' attarde l'espace

d'une section aux erreurs et à l'ignorance. Puisque comme toute créature, nous avons une nature,

un entendement et des sens limités, nous ne pouvons pas tout connaître. L'ignorance est ainsi un

mal d' imperfection et ne peut être évité. Comme il a été mentionné plus tôt 89 , les humains, pour

King, acquièrent la majorité de leurs connaissances par les sens, mais les symboles ainsi

imprimés dans notre esprit ne dénotent pas tant la nature des choses que leur usage et ce qui les

distingue des autres. Mais puisque certaines choses différentes portent les mêmes marques

externes, ces similitudes nous font douter ou nous trompent parfois et suspendre notre jugement

jusqu'à la certitude n'est pas toujours possible, faute de temps ou par limitation de

l' entendement9o . Toutefois, selon King, Dieu s'est assuré que lorsque les effets des erreurs

87 Ibid. , IV, § VI, ~ II. Encore une fois, nous voyons que l' idée des miracles perpétuels ne sied pas à King, qui en
rejette la possibilité sous réserve qu'elle est simplement incompatible avec la notion de sagesse infinie. Pour un autre
exemple, cf note 79 (p. 26) de ce mémoire.
88 William KING, E.D.E. , 1731, IV, § VI, ~ I-VII.
89 Cf notes 54 (p. 18) et 56 (p. 19) de ce mémoire.
90 Prenons l' exemple de deux verres de plastique identiques a et b. Lorsque les deux sont présents, nous pouvons les
distinguer facilement. Mais lorsqu ' un seul l'est, il nous est impossible de les distinguer, car ils impriment les mêmes
marques sur nos sens et notre esprit, même si ce sont deux objets différents . Si quelqu ' un nous demande d' affirmer si

29
d'imperfection sont très graves, qu'ils rendent notre vie plus pénible que l'inexistence, notre vie

se termine 91 . Notre entendement est suffisamment parfait pour nous informer des choses

nécessaires à notre bonheur lorsque nous nous y appliquons, mais ce bonheur est limité.

Cependant, le fait que la presque totalité des animaux, y compris des humains, préfèrent

l'existence à l'inexistence fait croire à King que la première est plus désirable que la seconde 92 .

1.5 Du mal moral ou la théorie des élections

Le cinquième chapitre du D.O.M . est, comme il a été mentionné précédemment, le plus

long, le plus dense et le plus critiqué, notamment par Leibniz, ce pourquoi il sera aussi celui que

le verre devant nous est le verre a ou b, ce ne sera que par chance que nous répondrons correctement, pas par
connaissance. Dieu aurait pu nous équiper d'un sens pour chaque objet du monde, ou faire que chaque objet soit
représenté différemment par nos sens, ce qui nous permettrait de distinguer les verres de l' exemple précédent. Mais
puisque nos sens sont limités, les combinaisons de sensations possibles sont limitées et Dieu aurait dû faire violence
à la nature des choses pour nous donner la connaissance parfaite par expérience. Et, King ajouterait, serait-ce
vraiment utile ou indispensable à notre bonheur de pouvoir ctistinguer ces deux verres? Contrairement à Descartes
dans ses Méditations, King range ainsi une partie des erreurs dans le camp des maux métaphysiques et physiques à
cause de la finitude de notre entendement, l'ignorance humaine en étant une source nécessaire et non négligeable,
bien que généralement pas la plus dommageable. Descartes, quant à lui, affirme que l' entendement, pris
indépendamment, n 'est pas source d'erreurs, « [... ] car ne concevant rien que par le moyen de cette puissance que
Dieu m'a donnée pour concevoir, sans doute que tout ce que je conçois, je le conçois comme il faut, et il n'est pas
possible qu'en cela je me trompe. )} (René DESCARTES, « Méditation quatrième. Du vrai et du faux)}, dans
Méditations métaphysiques, p. 66). King aurait cependant concédé à Descartes que la majorité des erreurs, ainsi que
les péchés, sont des maux moraux, dus au mauvais usage de notre liberté et entraînés par le fait que « [ ... ] la volonté
étant beaucoup plus ample et plus étendue que l'entendement, [nous] ne la cont[enon]s pas dans les mêmes limites,
mais que [nous] l'étend[on]s aussi aux choses que [nous] n'entend[on]s pas ; auxquelles étant de soi indifférente, elle
s'égare fort aisément, et choisit le faux pour le vrai et le mal pour le bien [ ... ]. )} (Ibid.) Comme King le dit lui-
même : « But a Creature, as his Elective Power necessarily extends farther than his Wisdom and Goodness, is made
naturally liable to fall sometimes into Evils. )} (William KING, E.O.E., 1731, V, § V, §§ Il, , XllI).
91 Pour King, la vie ne peut être un fardeau pour personne, car lorsque ses maux surpassent ceux de l' inexistence,
nous mourons. Dieu nous ayant tiré du néant sans notre consentement, il est, selon King, obligé par sa bonté de ne
pas rendre cet état plus pénible que le précédent (Ibid., IV , § VIII, , V). Mais il faut garder en tête que le don de Dieu
est l'existence d' abord et qu' à la mort corporelle notre âme existe encore pour King, alors Dieu ne met pas fin à son
don original lorsque nous mourons ainsi, il ne met fin qu'à la vie mortelle: « Men in this Life choose for themselves
Habitations and Companions according to their own Genius, Temper, and Disposition of Mind: and likeness begets
Love: and who can doubt but the same thing may attend the bad and good after Death? The Good resort therefore to
the Society of God, Angels, and Spirits of Good Men, but the Wicked choose those Ghosts , whicb are Partakers in
their Iniquity, and Devils for tbeir Companions [ ... ]. )} (Ibid., Appendix, § II, , XVI). Et ceux qui en viennent à
considérer la vie pire que l' inexistence le doivent, selon King, au fait qu ' ils poursuivent librement des fins
déraisonnables qui ne peuvent pas les rendre heureux, ce pourquoi aucune bête ne se suicide, ne pouvant abuser d' un
libre arbitre qu ' elle n' a pas . King définit d' ailleurs plus loin l' humain comme étant un « animal moral )} (Ibid., V, § I,
§§ IV, , XVII).
92 Ibid., IV, § VIII, , I-Vlll.

30
nous analyserons le plus en profondeur, en commençant par la nature des élections, pour ensuite

étudier les arguments de King expliquant pourquoi il croit que Dieu et les humains possèdent le

pouvoir d' élection indifférent et enfin, nous verrons comment le mal moral est, toujours selon

King, compatible avec les attributs divins.

1.5.1 Concernant la nature des élections

Les maux moraux sont, pour King, des maux naturels qui nous frappent ou autrui suite à

des choix faits librement, que ce soit directement ou en choisissant des choses nécessairement

attachées à ces maux. Insatisfait des hypothèses nécessitaristes et libertaires concernant la

libertë3, King propose sa propre théorie. Il affirme d' abord que les appétits, pouvoirs et facultés

en nous, lorsqu'ils exercent leurs actions propres, produisent du plaisir, qui est à l'origine de

notre bonheur: « [ ... ] AnimaIs are of such a Nature as to delight in Action, or the Exercise of

their Faculties, nor can we have any other Notion of Happiness even in God hirnselfJ4. » Certains

de ces appétits et facultés sont déterminés à s'exercer en présence d'objets particuliers s'ils sont

correctement disposés et à cesser leurs opérations en leur absence, sans tendance envers d'autres

93 King estime que pour les nécessitaristes, un agent est Jjbre s'il veut marcher et qu ' il le peut, mais qu ' il n'est pas
libre de vouloir ou non marcher, sa volonté étant déterminée par la nature des objets perçus par les sens et par les
jugements de l'entendement. Mais si c ' est là la nature de nos actions, King juge qu ' elles sont nécessaires et que
l'agent n' est pas libre. Aucune place pour la contingence [Contingency ] dans ce monde où un meurtre ne serait pas
différent d'un tremblement de terre, car rien ne pourrait y être fait autrement que cela ne devait être fait, selon
l'enchaînement des causes et des effets. Tout serait naturel et rien ne serait moral et notre bonheur, comme nos
actions, seraient victimes du destin (Ibid., V, § l, §§ l, ~ I-XX). En ce qui concerne les libertaires, King affirme qu' ils
considèrent la volonté comme n' étant ni déterminée, ni inclinée par les objets ou l' entendement. Il existerait
cependant pour eux un bien suprême [Chief Good] qui, lorsque perçu, serait nécessairement désiré et dont la
jouissance rendrait parfaitement heureux et les autres choses seraient bonnes ou mauvaises en relation avec lui.
Lorsqu ' un bien autre que le bien suprême serait proposé, puisqu ' il possèderait nécessairement un défaut, la volonté
pourrait alors suspendre son action et commander à l'entendement de trouver ce défaut pour être capable de rejeter
ce bien et de proposer autre chose. La volonté suivrait ainsi toujours un jugement de l' entendement, mais ne serait
pas déterminée par lui. Mais King considère que le bien serait encore ici uniquement dans les choses et que la liberté
de la volonté ne nous servirait qu ' à choisir autre chose que ce que l' entendement jugerait le meilleur. Si les objets
étaient indifféremment bons ou mauvais, à quoi bon le pouvoir de choisir librement l' un plutôt que l'autre ? Cette
liberté serait complètement aveugle et donc, inutile (Ibid., V, § I, §§ II, ~ l-X).
94 Ibid., IV, § V, ~ X.

31
objets95 . Ce qui promeut ou entrave cet exercice est estimé respectivement bon ou mauvais pour

l' appétit ou la faculté et est suffisamment distingué par eux, alors que ce qui est absent ou futur

est distingué par l'entendement. Mais si tous nos pouvoirs, appétits et facultés étaient ainsi

déterminés envers des objets particuliers, la liberté serait, selon King, une imperfection, un

simple pouvoir de se tromper ou de faire le ma1 96 .

King propose alors d' imaginer un pouvoir d' une nature différente,

[ ... ] which may be more indifferent in respect of the Objects about which
it exerts itself. To which no one thing is naturally more agreeable than
another, but that will be the fittest to which it shall happen to be apply ' d:
Between which and the Object, to which it is determin' d, by itself or by
something else, there is naturally no more suitableness or connection than
between it and any other thing, but ail the Suitableness there is, arises
from the Application or Determination itsel f97.

Ce pouvoir serait naturellement incliné à l' exercice, comme les autres, mais seulement parce que

l' exercice lui-même lui plairait, car il pourrait s' exercer en présence de presque n' importe quel

objet98 • Un agent possédant un tel pouvoir pourrait faire naître une congruité entre ce pouvoir et

plus ou moins n' importe quel objet, qui seraient tous indifférents pour celui-ci jusqu' à ce qu' il les

ait élus ou rejetés. Ce pouvoir serait ainsi indéterminé par la nature des objets et il se plairait

95 La vue, si nos organes sont en santé, perçoit nécessairement la lumière, les couleurs, etc., mais jamais les sons.
96 Ibid., V, § l, §§ III, ~ I-Ill.
97 Ibid. , V, § l, §§ III, ~ IV.
98 Les objets externes ne nous plaisent souvent qu ' en tant que motifs pour passer à l'acte d' élection. Un être qui ne
percevrait rien, dont les appétits n' enverraient aucun signal à l'entendement, qui ne pourrait alors rien représenter à
l' esprit, n 'aurait aucune option. Mais lorsque la volonté a au moins un objet, elle est déterminée à agir, comme c' est
le cas de tout autre appétit ou faculté . Comme le dira Jean-Paul Sartre beaucoup plus tard, nous sommes condamnés
à être libres, car même la suspension de la volonté est un choix (cf Jean-Paul SARTRE, L 'existentialisme est un
humanisme, Pari s, Gallimard, 1996 [1946 pour la 1ère édition] , 113 pages). King accorde ainsi à Locke que : « [ ... ]
par conséquent dans un tel cas l' homme n'est point libre par rapport à l' acte même de vouloir, la liberté consistant
dans la puissance d' agir ou de ne pas agir, puissance que l' homme n' a point alors par rapport à la volition. Car un
homme est dans une nécessité inévitable de choisir de faire ou de ne pas faire une action qui est en sa puissance
lorsqu' elle a été ainsi proposée à son esprit. Il doit nécessairement vouloir l' un ou l'autre ; et sur cette préférence ou
volition, l' action ou l'abstinence de cette action suit certainement, et ne laisse pas d' être absolument volontaire. »
(John LOCKE, Essai philosophique concernant l 'entendement humain, Traduction de P. Coste, Paris, Librairie
Générale Française, 2009 [1689 pour la 1ère édition anglaise] , livre Il, chapitre 21 , § 23, p. 406-407). Cependant, peu
importe l' élection, elle apportera un plaisir immédiat et chaque fois que la chose se représentera, elle créera plus de
plaisir si l'agent satisfait son appétit factice en re-voulant ou re-rejetant la chose encore une fois et King rejette donc
l'idée lockéenne que la volonté est déterminée par l'inquiétude (Ibid., § 31 -40, p. 412-421).

32
autant en les élisant qu' en les rejetant. Mais une fois les objets élus ou rejetés, un désir suivrait

naturellement cette détermination, créant une sorte « d'appétit factice» [factitious Appetite], lui-

même suivi par un effort pour obtenir ou fuir l'objet, et tout ce qui contribuerait ou nuirait à cet

effort serait jugé respectivement un bien ou un mal pour ce pouvoir99 .

En supposant qu'un tel agent ait aussi un entendement, ce dernier pourrait lui servir à

proposer des actions possibles, mais pas à déterminer son « pouvoir indifférent» à en choisir une

plutôt qu ' une autre.

For the Understanding or Reason, if it speak Truth, represents what is in


the Objects, and does not counterfeit what it finds not in them: Since
therefore, before the Determination of this Power, things are suppos ' d to
be indifferent to it, and no one better or worse than another; the
Understanding if it performs its DutY right, will represent this
Indifference, and not pronounce one to be more eligible than another; For
the Understanding directs a thing to be done no otherwise than by
determining that it is better; as therefore the Goodness of things, with
respect to this Power, depends upon its Determination, and they are for the
most part good if it embraces, evil, if it rejects them, 'tis manifest that the
Judgment of the Understanding conceming things depends upon the same,
till it perceives whether the Power has embraced or rejected them lOO •

Mais l'entendement resterait utile à l' agent, pour l'aider à éviter ce qui est impossible, car si le

pouvoir indifférent peut se plaire à élire l'impossible, puisque l'acte lui-même d'élection lui est

plaisant, il sera aussi nécessairement frustré à la fin, car il ne pourra jamais jouir de ce qui est

impossible à obtenir JOI . King souligne ainsi la première limite de ce pouvoir indifférent: « [ ... ]

that it confmes itself to Possibilities, and there needs no other, if the Agent be of infinite Power,

in order to the obtaining of its End 102 ». Tout agent autre que Dieu doit aussi respecter une

seconde limitation, car « [ .. .] if the Agent' s Power be finite, it has need also to consuIt its

99 William KING, E.O.E. , 1731 , V, § 1, §§ III, ~ IV-VI.


100 Ibid., V, § l, §§ III, ~ VI
101 Ibid., V, § l, §§ III, ~ VII-VIII.
102 Ibid., V, § l , §§ III, ~ IX.

33
Abilities, and not deterroine itself to any thing [sic] which may exceed them, otherwise it will be

as much disappointed in its Endeavour as ifit had attempted absolute Impossibilities10 3 . »

Pour King, un agent qui posséderait ce pouvoir indifférent et aussi des appétits et

facultés déterminés naturellement envers certains objets ne pourrait pas plus être déterminé par

ces derniers que par son entendement. Les appétits sont parfois contradictoires et pour en

satisfaire un, l'agent doit souvent en frustrer un autre, menant à un plaisir mixte 104 . King croit

qu ' il serait plus facile de satisfaire un appétit factice créé par le pouvoir indifférent que les autres,

parce qu ' il a la capacité d ' entraîner du plaisir [please itself] par l' élection de presque n'importe

quel objet. King croit même que ce pouvoir sert précisément à permettre à l'agent d ' être heureux

lorsque ses appétits naturels sont frustrés par la disposition des choses dans le monde. Ce pouvoir

indifférent serait ainsi d'une grande utilité à un tel agent, car s' il se détermine envers des objets

qui plaisent aux appétits naturels, il multiplie le plaisir ressenti par leur jouissance et s' il se

détermine à ce qui les frustre, il peut diminuer l'inconfort ou même le faire disparaître. La simple

conscience de posséder un tel pouvoir d'éprouver du plaisir malgré les inclinations naturelles

pourrait même parfois entraîner un plaisir supplémentaire lors de la satisfaction d'un appétit

factice, ce qui rendrait cette satisfaction beaucoup plus plaisante que celle des appétits naturels 105.

Mais, et voici la dernière limitation de ce pouvoir, « [y]et this Agent is oblig' d to have sorne

regard to the Appetites, and not to disturb them unnecessarily, nor restrain them from a due

enjoyment of their proper Objects. He that does this will bring upon himself uneasiness, and a

needless contest 106. »

103 Ibid., V, § I, §§ m, ~ X.
104 Quelqu 'un qui déteste l' amertume des olives, mais qui n' a pas mangé depuis trois jours, dévorera ces olives avec
appétit et plaisir malgré l' inconfort, la satisfaction de l' un de ses appétits outrepassant la frustration de l' autre.
105 Ibid. , V, § l, §§ ID, ~ XI-XV.
106 Ibid., V, § I, §§ ID, ~ XV. Nous voyons que King suggère ici que le pouvoir indifférent ne devrait être utilisé à
l'encontre des appétits naturels que lorsque ces derniers sont déjà frustrés, pour compenser les maux que leur

34
King considère qu ' un agent possédant ce pouvoir indifférent peut être considéré « auto-

actif» [Self-active], libre, et capable de se déterminer lui-même à l' action. Ce pouvoir n'est ainsi

pas absolument indéterminé, il se détermine plutôt lui-même. Cette autodétermination, King

l'appelle une « élection» [electio/Election] : « We shall cali this Determination an Election; for

as it is naturally indifferent to many things, it will please itself in electing one before another l07 . »

Les objets ne sont pas choisis par ce pouvoir parce qu' ils lui sont agréables, ils lui sont agréables

parce qu' il les a élus. Cette autodétermination n' est néanmoins pas déterminée par le hasard,

« [ ... ] if by Chance be understood that which happens beside the intention of the Agent; for this

very Election is the Intention of the Agent, and it is impossible that a Man should intend beside

his Intention lO8• »L'autodétermination n'est pas vraiment déraisonnable non plus, car selon King,

« [ .. .] he that prefers a less Good to a greater, must be judg'd to act unreasonably; but he that

makes that a greater Good by choosing it, which, before his choice, had either no Good at all in it,

or a less, he certainly chooses with reason l09 . » Ce pouvoir introduit une contingence dans les

actions de l' agent, le rendant libre et responsable de ses actes autodéterminés, car ils ne sont pas

frustration entraîne, et non quand ils sont actuellement satisfaits, sans quoi ce serait mal user de sa liberté.
107 Ibid., V, § 1, §§ 1II, , XVI. Concernant notre usage du terme « élection » pour désigner un choix libre dans la
théorie morale de King, précisons que dans la version latine du D.D.M., King utilise principalement « electio » ou
« electionis notio» et qu ' en anglais, le traducteur a aussi généralement préféré « election » à « choice )). La
traduction littérale de « electio )) est « Action de choisir ; choix ; ou élection )) et celle de « eligere )) est « Prendre en
choisissant ; choisir. Élire (par voie de suffrages), trier, faire choix de. )) En français actuel, « élection )) signifie
« Choix, désignation d' une ou plusieurs personnes par un vote )) et « élire )) signifie « Choisir comme meilleur ;
Nommer (qqn) à une dignité, à une fonction par voie de suffrages )), alors que « choix )) signifie « Action de choisir,
décision par laquelle on donne la préférence à qqch )) et « choisir )) signifie « Prendre de préférence, faire choix de. ;
Se décider entre deux ou plusieurs partis ou plusieurs solutions )) (ces traductions et définitions sont toutes tirées du
Dictionnaire latin-français d'Henri GOELZER et du Robert illustré & son dictionnaire internet 2014). Nous avons
choisi de traduire « electio )) par « élection )), malgré le fait que ce terme soit aujourd ' hui principalement réservé en
français au lexique politique, d ' une part pour respecter le choix de vocabulaire de King, qui a préféré utiliser
« electio )) plutôt que « electo )) (choix), « optio )) (option) ou « delectus )) (choix, discernement), et d' autre part parce
que nous croyons que « élire )), dans le sens de « choisir comme meilleur )), rend mieux le sens que veut donner King
à son pouvoir libre que « choisir )), en tant que « se décider entre deux ou plusieurs partis )), action qui suppose trop
une comparaison en fonction des qualités intrinsèques des choses, alors que King rejette précisément l' idée que le
pouvoir d' élection est préalablement incliné envers un objet ou un autre à cause de ses qualités.
108 William KING, E.o.E., 1731, V, § l, §§ III, , XVIII. Notre italique.
109 Ibid.

35
nécessaires. Il en est la cause efficiente, et non instrumentale. Un tel agent est obligé d'élire

quelque chose lorsqu'une possibilité d' élection se présente, mais il n' est jamais obligé d'élire une

chose plutôt que l' autre et il a enfin le pouvoir de se rendre heureux, s'il respecte les limites

mentionnées précédemment, même lorsque les objets indisposent ses appétits 110.

1.5.2 Que Dieu possède le pouvoir d'élection

King affmne que Dieu doit alors nécessairement être investi de ce pouvoir. « For in the

first place, nothing in the Creation is either Good or Bad to hirn before his Election, he has no

Appetite to gratify with the Enjoyment of things without hirn, He is therefore absolutely

indifferent to aH extemal things, and can neither receive benefit nor harm from any of them III. »

Avant la création, rien d'externe ne pouvait déterminer sa volonté ll2 , alors il a dû se déterminer

lui-même et se créer des appétits factices en élisant des choses. Une fois quelque chose d'élu,

Dieu a cherché à satisfaire ses nouveaux appétits comme s' ils lui étaient naturels. « And he will

esteem such things as tend to accomplish these Elections, Good; such as obstruct them, Evil ll3 . »

La valeur [Goodness] des choses dépend ainsi de leur congruité avec la volonté de Dieu 114.

110 Ibid., V, § 1, §§ III, ~ XVI-XXIII. Ce qui arrivera inévitablement pour tous les humains, d' une part parce que
certains de nos appétits ne peuvent être satisfaits sans en frustrer d' autres, et d'autre part parce qu ' à cause des lois du
mouvement non-linéaire, il est inconcevable que les objets du monde soient éternellement disposés de façon à plaire
à tous nos appétits à la fois.
111 Ibid., V, § 1, §§ IV, ~ II. Sans le mentionner directement, King semble supposer que Dieu est pur esprit ou du
moins, qu'il n'est pas corporel, ce qui explique pourquoi il n' a pas d'appétits corporels, ni de« sens» au même titre
que les nôtres.
11 2 Car rien, avant la création, n' existait hors de lui .
113 Ibid., V, § l , §§ IV, ~ II.
114 Ibid., V, § l, §§ IV, ~ 1-V. Les objets ne sont donc pas bons ou mauvais en soi, même pour Dieu, car ils n'étaient
rien avant que Dieu, par acte d' élection de leur existence, les nomme bons en relation avec lui et par unité de
volonté, les rende agréables les uns aux autres. Ce qui est mauvais est ainsi ce qui fait obstacle à l' exécution de cette
volonté, ce qui range la théorie morale de King parmi les volontarismes théologiques. Pour plus de détails à ce sujet,
cf Mark MURPHY, «Theological Voluntarism », Stanford Encyclopedia ofPhilosophy, 2012 [En ligne, consulté le
4 septembre 2016], http://plato.stanford.edu/entries/voluntarism-theological/.

36
Avec ce pouvoir actif de se détenniner en toute occasion et d' éprouver du plaisir par ces

déterminations, nous pouvons expliquer la liberté du premier acte créateur de Dieu, car si nous

supposons qu'une raison ab extra, comme le bien dans les objets, a poussé Dieu à créer les

choses externes, cela signifie que la volonté de Dieu a été déterminée extérieurement à agir et que

Dieu n'était donc pas libre de créer le monde ou non. Mais alors, pourquoi Dieu a-t-il élu telles

ou telles choses et s' est-il employé à les créer s'il n' en attendait aucun avantage particulier, plutôt

que de ne rien faire? King répond d' abord que pour Dieu, il n'est pas plus difficile de vouloir

que de ne pas vouloir les choses et que lorsqu'il veut quelque chose, cette chose existe et lorsqu ' il

ne la veut plus, elle redevient néant. Il n' était donc pas plus difficile pour Dieu de créer l'univers

ou de rester seul. Dieu n'avait ensuite pas de raison externe de choisir une chose plutôt qu 'une

autre, sinon l' indifférence de son acte, et sa liberté, seraient détruits. « Now God is invested with

infinite Power, which he can exercise innumerable ways, not ail at once indeed (for ail are not

consistent with each other l15 ) [ ... ]. » TI devait donc, devant deux options (créer l' univers ou non),

élire l'une d'elles et puisqu' elles lui étaient indifférentes, il doit s'y être autodéterminé,

librement. Et à cause de la nature du pouvoir indifférent et du pouvoir infini de Dieu, peu importe

ce qu ' il allait choisir, cela allait devenir le meilleur pour lui l16 .

Mais comment un pouvoir peut-il avoir la capacité de se déterminer lui-même à l' action?

King estime que notre doute quant à cette possibilité vient du fait que puisque la volonté humaine

est le seul pouvoir actif que nous observons en action, nous avons tendance à la considérer

comme tout le reste : passive. Mais il serait absurde de croire en l' existence de choses passives en

115 William KING, E.O.E., 1731 , V, § l, §§ IV, ~ vm.


116 Ibid., V, § l , §§ IV, ~ VI-IX. Dieu ne pouvait pas créer le monde et ne pas le créer en même temps. En somme, il
n' avait donc que deux options contradictoires, soit créer ou ne pas créer le monde (suspendre son action revenait à ne
pas créer le monde). Mais ces deux options lui étaient totalement indifférentes. Dieu aurait agi en vue du bien de sa
nature, de ses pouvoirs, car il est bon de les exercer, et les objets élus seraient devenus bons pour lui par cet exercice.
En élisant de créer le monde, tout ce qui favorisait cette élection est devenu bon pour Dieu, alors que s' il avait choisi
de ne pas créer le monde, il aurait été aussi heureux de continuer éternellement àjouir de sa perfection.

37
mouvement sans croire aussi à l' existence d'au moins une chose active. « It is to be observ' d, that

what we have said conceming this Indifference of things in regard to the Divine Will, takes place

chiefly in those Elections which we apprehend to be the Primary, but not always in the

subsequent ones. For supposing God to will any thing [sic] while that Election continues, he

cannot reject either the same, or any thing [sic] necessarily connected with it, for that would be to

contradict himself1l7. » Et puisque Dieu est bon 118 , il considère comme des biens non seulement

ce qui promeut son élection et sa continuité, mais aussi ce qui permet une existence aussi

agréable que possible pour tout ce qu' il crée l1 9 .

1.5.3 Que l'humain possède le pouvoir d'élection

Si nous acceptons l' hypothèse que Dieu possède ce pouvoir indifférent, nous pouvons

considérer que tout être à qui il aurait partagé ce pouvoir serait plus parfait que les autres et King,

sans grande surprise, considère que l' humain possède ce pouvoir. « Now, that we do partake ofit

may l think be evinced from the following Reasons. First, If we be conscious of an inherent

Liberty. Secondly, If we experience in ourselves those Signs and Properties which have been

117 Ibid., V, § I, §§ IV, ~ XII. Les possibilités primaires sont plus ou moins infinies pour Dieu, car il a le pouvoir de
toutes les faire exister, mais une fois qu ' il en a élu une, ses options sont restreintes à ce qui ne contredit pas cette
première élection tant qu ' elle continue. En élisant, nous formons en nous des appétits factices et la jouissance des
choses désirables ou le rejet des choses indésirables pour ces appétits cause en nous autant de plaisir que la
satisfaction de nos appétits naturels (Ibid., V, § r, §§ V, ~ XXllI-XXIV). Et contrairement à notre entendement
limité, celui de Dieu est infini, alors lorsqu ' il considère une option, il considère absolument tout ce qui lui est
rattaché, ce qui fait que lorsque Dieu élit ou rejette quelque chose, il veut ou ne veut pas objectivement et
immédiatement tout ce qui est nécessairement rattaché à cette chose, ce pourquoi il ne peut pas regretter ou être tenté
de changer son élection primaire, contrairement à nous.
118 Il peut sembler circulaire ou arbitraire de prétendre à la bonté de Dieu, tout en considérant qu ' il est l' auteur du
bien, mais puisqu 'est bon pour Dieu ce qui promeut ses élections, en voulant l' existence des créatures, il doit aussi
vouloir leur bonheur, car l'inexistence serait préférable à une existence perpétuellement malheureuse (cf note 91 ,
§§ 1.4.2 [p. 30] de ce mémoire). Dieu veut donc le bonheur de ses créatures, ce qui fait que pour elles, Dieu est
certainement bon. Si Dieu avait élu de rester seul, il aurait été bon pour lui-même, car il aurait éternellement promu
son propre bonheur, mais cette « bonté » aurait alors effectivement paru beaucoup plus circulaire.
119 William KING, E.o.E., 1731 , V, § r, §§ IV, ~ X-XVIII.

38
dec1ared to attend this Principle. Thirdly, If the Causes which are supposed to determine the Will

be evidently insufficient, or arise from Election, instead ofproducing it 120 • »

Il semble d' abord que nous soyons conscients de posséder une telle liberté. Nous avons

tendance à nous juger responsables de certaines de nos actions, ce pourquoi un mal qui aurait pu,

à notre avis, être évité volontairement, nous afflige souvent plus que s' il est attribué au hasard ou

à la nécessité l21 • Ensuite, nous faisons régulièrement l'expérience de notre capacité à éprouver du

plaisir malgré la frustration de nos appétits naturels et de l'insatisfaction qui nait de la conscience

que nous sommes obligés de faire quelque chose 122. Nous ne devrions jamais frustrer nos appétits

naturels inutilement, mais nous le faisons néanmoins régulièrement et nous arrivons ainsi à

altérer les liens naturels entre certains de nos appétits ou de nos sens et leurs objets à l'aide

d'élections obstinées 123. Le pouvoir indifférent a même l' ascendant sur l' entendement et peut

parfois le mener à considérer comme mauvaises des choses bonnes ou à admettre des faussetés

comme des vérités 124 . Ces mauvais usages de la volonté sont certainement blâmables, mais ils

sont aussi une preuve qu ' elle n' est soumise ni aux appétits, ni à la raison 125 .

Certains attribuent ces comportements à l' imperfection des humains, plutôt qu ' à la liberté

de leur volonté. King reconnaît que nous faisons souvent erreur, mais si nous nous en lamentons,

\ 20 Ibid., V, § 1, §§ V, ~ 1.
\2\ Nous ne ressentirons pas de haine envers une pierre particulière qui nous a écrasé une jambe en tombant, menant
à son amputation, mais nous ressentirons une violente haine envers une personne qui aurait volontairement lancé
cette pierre sur nous, même si l' effet, soit l'amputation, est le même. C' est ce qui distingue un crime d' un accident.
\ 22 Une action que nous aurions entreprise avec plaisir librement, comme lire un certain livre, devient une corvée

lorsqu ' elle est imposée et la douleur ressentie lors d' un entraînement volontaire est souvent supportée avec plaisir,
alors qu'une douleur moindre, lorsqu'infligée sans notre accord, devient un grand mal et n ' entraîne aucun plaisir.
\23 Certaines choses nous sont naturellement désagréables, mais rendues tolérables ou désirables par la force des
élections et vice versa. Pensons aux saveurs amères de la bière, naturellement indésirables à nos sens, mais qui, à
force d' en prendre, deviennent désirables pour plusieurs.
\24 Les croyances établies par tradition et habitude, par exemple, deviennent pour nous des vérités. Comme le dit bien
King lui-même: « [ ... ] we easily believe what we eagerly des ire [ . . .] » (Ibid., V, § I, §§ V, ~ XII), citation qui aurait
particulièrement plu à Nietzsche, qui défend une hypothèse semblable en ce qui a trait à la vérité et à la morale (cf
Friedrich NIETZSCHE, Par-delà le bien et le mal, Traduction de H . Albert, revue par M . Sautet, Paris, Librairie
Générale Française, 2000 [1886 pour la 1ère édition], 415 pages, principalement la première partie Des préjugés des
philosophes, § 1-23).
\25 William KING, E.O.E. , 1731 , V, § I, §§ V, ~l-Xn.

39
nous ne nous en jugeons pas responsables, à moins que cette erreur soit jugée volontaire l26 . C'est

aussi souvent le cas lorsque nous nous obstinons librement dans une élection malgré ses

conséquences négatives 127 . Même la folie [Madness] est trop souvent attribuée à des gens

parfaitement sains d' entendement. «For it is not every one [sic] who acts against reason, that

must immediately be look'd upon as Mad, but only he that acts absurdly from sorne injury done

to the understanding Faculty itself, or an Impediment to the Use of Reason; he that could have

follow'd the dictate of reason, and yet knowingly violated it, must not be reckon'd mad, but

wickedl28 [ ... ]. » Si l' humain ne possédait pas ce pouvoir d'élection libre, ses comportements

seraient parfaitement déterminés et si rien ne pouvait être fait autrement que cela ne devrait

l'être, il n' y aurait rien tel que le blâme [Fault] ou la liberté dans le monde. La possibilité du mal

est nécessaire à la liberté et à la possibilité du bien l29 .

Ce qui est conscient de son existence et qui a le principe de ses actions en lui est plus

semblable à Dieu, plus parfait, et a en lui-même le pouvoir de se rendre heureux.

Since therefore Happiness, according to the common Notion of it, is


granted to arise from a due use of those Faculties and Powers which every
one [sic] enjoys; and since this Power of determini ng ourselves to Actions,
and pleasing ourselves in them, is the most perfect of ail, whereby we are
the most conscious of our Existence, and our Approach towards God, our

126 Pensons aux cas où, devant un choix semblant évident, quelqu ' un nous affirme « tout le monde choisit a ». Il
n' est alors pas rare que pour exprimer notre liberté, nous élisions b et si cela se révèle une erreur coûteuse, le plaisir
d' avoir élu b est rapidement remplacé par une honte et un regret que nous pourrions croire bien mérités.
127 Les choses sont rendues désirables par élection libre à cause du plaisir provoqué par l' acte d' élection lui-même,
mais ce plaisir est parfois associé par accident à l' objet au lieu de l' élection. Ce serait le cas des avares qui, par une
mauvaise association d' idées, accumulent toujours plus d' argent sans jamais le dépenser, au péril de leur santé ou de
celle de leur famille et sans en tirer d ' autre profit que la satisfaction de leur élection. Comment expliquer autrement
pourquoi quelqu ' un souffrirait misères et dangers pour la simple satisfaction de la vengeance, sinon parce qu ' il se
l' est donnée comme fin par élection et que son accomplissement lui apportera du plaisir ? « But if the Will be
determin'd from without, there will be no such thing as Obstinacy. By an obstinate Person we shall only mean one
that has continued a long time in a pernicious Error, without any Motive to change his Judgment. Now he that does
this is miserable indeed, but cannot be call'd in the least degree obstinate [ ... ]. » (Ibid. , V, § I, §§ V, ~ XVI).
128 Ibid., V, § l , §§ V, ~ XX. King considère la folie comme étant un état physique et naturel de dysfonctionnement
de l'esprit ou de l' entendement, et qui n' est donc pas à blâmer, mais à plaindre.
129 Ibid., V, § l , §§ V, ~ XIII-XXII.

40
chief Happiness will consist in the proper use of it, nor can any thing [sic]
be absolutely agreeable to us but what is chosen 130.

Contrairement au cas des créatures passives, le bonheur d' une créature intelligente ayant le

pouvoir d'élection ne dépend pas seulement ou prioritairement de la bonne disposition des objets

extérieurs, sur laquelle elle n' a que peu ou pas de pouvoir, car elle pourra toujours se rendre

heureuse en voulant ce qui lui arrive et en adaptant ses élections aux choses, « [ ... ] for what is

Happiness if not to be in every thing [sic] as we will or choose? But he who chooses to conform

himself in aIl things to the Divine Will, must certainly be always what he would be, and will

never be disappointed in his Choice 131 [ ... ].» Et si la félicité absolue est certainement hors de

notre portée ici-bas, à cause de notre nature corporelle, nous pouvons néanmoins rendre notre vie

plaisante, ou du moins plus supportable grâce aux élections que si nous n'étions que ballotés au

gré des lois du mouvement non-linéaire de la matière 132 .

Mais chaque fois que nous élisons quelque chose de logiquement impossible 133 , d' hors de

notre pouvoir 134 ou qui frustre inutilement nos appétits, facultés et pouvoirs ou ceux des autres 135 ,

\ 30 Ibid., V, § II, ~ II.


13 \ Ibid., V, § II, ~ V. La ressemblance avec le stoïcisme est ici frappante (cf ÉPICTÈTE, De la liberté, précédé de
De la profession de Cynique, Traduit par J. Souilbé, Paris, Gallimard, 1990-1991 , 91 pages et MARC-AURÈLE,
Pensées pour moi-même, suivies du Manuel d 'Épictète, Traduit par M. Meunier, Paris, Garnier-Flammarion, 1992
[1964 pour la 1ère édition de cette traduction] , 223 pages) et King la reconnaît, en disant « This seems to have been
the Opinion of the ancient Stoics, who had the same thoughts of Liberty with those laid down above, but did not
explain them distinctly, nor comprehend the whole Series of the Matter. However, 'tis very plain that they placed
Happiness in the Use and Election of such things as are in our Power, which yet would be impossible, if we were not
able to please ourselves in Election. » (William KING, E.o.E. , 1731 , V, § Il, ~ VII).
\ 32 Ibid., V, § II, ~ I-VII.

\ 33 Lorsque nous élisons des choses incompatibles ou contradictoires par exemple. Lorsque nous élisons, nous élisons
du même coup toutes les conséquences nécessaires de cette élection, mais tout bien dans le monde étant mixte, nous
ne voulons souvent que la partie agréable de quelque chose en refusant le reste. Mais c'est en vain, car nous ne
pouvons séparer la nature des choses et nous nous rendons alors volontairement malheureux.
\ 34 Ce n' est toujours que par hasard que nous jouissons des objets hors de notre pouvoir, alors il est insensé de
risquer son bonheur au hasard lorsque nous avons le pouvoir d' élire ce que nous nous savons capables d' obtenir.
135 Tout agent possédant le pouvoir d' élection a le droit de jouir des objets qu ' il a élus, tant que cette élection n' est
pas un obstacle au bien des autres, comme lorsqu ' il s' approprie plus que sa part de ce qui est commun. Les objets qui
sont déjà tombés sous les élections d' autrui leur appartiennent et ne peuvent pas leur être enlevés de force sans
commettre un crime. Dieu veut le bonheur de toutes ses créatures tant que c'est possible, alors celui qui offense sans
nécessité le bonheur d' autrui, ou même le sien, offense la volonté de Dieu et sera donc nécessairement frustré . King
ne fait pas beaucoup référence aux conséquences sociales de sa théorie, mais ces quelques détails aident à éclaircir sa

41
notre élection est à un moment ou l' autre frustrée et nous sommes alors responsables de notre

malheur ou de celui d'autrui 136 . «Whensoever therefore we make such a Choice, as to not be able

to enjoy the things chosen, 'tis plain that we choose foolishly and unduely: for we bring upon

ourselves unnecessary Misery, since we could have chosen otherwise with equal Pleasure.

Whoever then chooses knowingly what he cannot obtain, or what may produce unnecessary

trouble to himself or others, he must be esteem'd to choose unduelyJ37. »

Nous en arrivons à ces élections inappropriées de différentes façons. Nous faisons parfois

erreur dans nos élections à cause de notre empressement ou de notre négligence et nous sommes

alors au moins partiellement à blâmer. Nous faisons aussi certaines élections par frivolité, pour le

simple plaisir de tester les limites de notre pouvoir, « [fJor [we] please [ourselves] in the Trial,

tho ' [we] be unfortunate in the Event; but this is no Excuse; for every one [sic] is oblig'd to take

care of himself, lest he be too fond of indulging new Elections, and from Levity become unduely

offensive to himself or others 138 . » À l'opposé, nous en venons souvent par habitude à espérer le

même plaisir d'un même acte et à négliger tout ou partie du contexte entourant l'élection

originale, ce qui fait qu ' une élection semblable n'entraînera pas nécessairement le même

plaisir139 • Et puisque frustrer un appétit factice est au moins aussi désagréable que de frustrer un

appétit naturel, «[ ... ] the Delight of which is fix'd and, as it were, riveted in the Mind by

pensée sur le sujet. Il est inapproprié de faire du mal aux autres sans nécessité parce que Dieu, en tant qu ' il veut
l'existence de chaque créature, veut aussi nécessairement les moyens de leur préservation, alors puisque le bonheur
de chaque humain, dans les limites du possible, est nécessaire à son existence (car un être conscient sans bonheur est
plus malheureux qu ' inexistant et n ' aurait donc pas été créé), priver autrui de son bonheur sans que cela ne soit
nécessaire revient à aller à l' encontre de la volonté divine et est donc objectivement mauvais.
136 Ibid., V, § III, ~I-V.
137 Ibid., V, § III, ~ 1.
138 Ibid. , V, § IV, ~ IV. Ce serait le cas des élections arbitraires faites dans le seul but de prendre conscience et
mesure de notre liberté.
139 Quelqu' un qui a eu du plaisir plusieurs fois avec une personne attirante, mais qui était ivre à chaque fois, pourrait
avoir la surprise, une fois àjeun, de trouver cette personne peu de son goût et ennuyante et vivre ainsi de la déception
parce qu ' il a négligé certains détails du contexte de l'élection initiale.

42
frequent Experiment l40 [ ... ] », changer une élection est de plus en plus difficile à mesure qu ' elle

devient habituelle. Enfin, bien que notre pouvoir d ' élection nous permette d' être heureux malgré

l' insatisfaction de nos appétits ou d' amplifier les plaisirs associés à la jouissance de leurs objets,

les négliger ou les satisfaire à l' excès entraînera nécessairement de l' inconfort ou de la douleur

inutiles l41 . « It appears from hence how cautiously Elections ought to be made; for tho ' nothing

pleases us but what is chosen, yet we do not only take delight in choosing, but much more in

enjoying the things chosen, otherwise it would be the same thing whatever we chose: we must

take care then that our Elections be made of such things as we may always enjoyl42. » Mais, il

faut le rappeler, cette possibilité de faire le mal est une condition nécessaire à la liberté, même si

son actualisation ne l'est pas l43 .

1.5.4 En quoi le mal moral est compatible avec le pouvoir et la bonté de Dieu

Le mal moral provient donc des élections inappropriées et contrairement au mal

d ' imperfection ou naturel, il n' est pas nécessaire, mais seulement rendu possible à cause de la

nature libre du pouvoir d' élection et des agents qui le possèdent. Mais alors, pourquoi Dieu

permet-il le mal moral? Dieu a permis les maux d ' imperfection et naturels parce qu ' ils étaient

inséparables des choses créées et matérielles. Mais le mal moral n'a pas cette connexion

nécessaire avec l' acte libre de la volonté ou avec la nature humaine et ne semble pas bénéficier

140 Ibid., V, § IV, ~ V. Changer d'élection s' accompagne du même inconfort que lorsque nous essayons de nous
habituer à une odeur ou à un goût désagréable et si les choses nous plaisent parce que nous les voulons, « [ .. .] to
reject what we have once willed, is contradicting ourselves, and cannot be done without a very djsagreeable struggle
and convulsion of the Mind: as any one [sic] may learn from Experience. » (Ibid., V, § IV, ~ VII).
141 Ignorer les appels de la fajm peut se révéler utile dans certaines situations, mais s' empêcher de manger sur une
longue durée entraîne des carences et toutes sortes de maux. Inversement, satisfaire sa faim jusqu'à l' excès
entraînera autant de maux et parfois même aux dépends des besoins de nourriture des autres.
142 Ibid., V, § IV, ~ VII.
143 Ibid., V, § IV, ~I-VII.

43
aux humains ni à Dieu l44 • C'est là, selon King, la principale difficulté de son enquête : « [ .. .]

Whence come Moral Evils; i. e. those that are not necessary? Ifthey be said to be necessary, how

are they free? Ifthey be not necessary, why does God permit them l45? »

Premièrement, Dieu n'était pas contraint par la nécessité de créer des créatures possédant

le libre arbitre et il aurait donc pu, en ne les créant pas, éviter le mal moral. Mais « [w]ithout Free

Agents then the whole World would be a mere Machine [ ... ]. We need not say, how much a

World thus constituted would be inferior to the present, nor how incommodious and unworthy of

its Divine Author l46 . » Et bien que les élections primaires des agents possédant le pouvoir

d' élection soient parfaitement libres ou arbitraires, leurs élections secondaires sont limitées par le

cadre de ces élections primaires, sous peine de frustrer leurs propres élections. Dieu étant

parfaitement sage, nous pouvons donc croire que ses élections secondaires respectent toujours

parfaitement ses élections primaires l47 . Une fois qu ' il a fait l' élection de créer l' univers, il a aussi

voulu le bien de cet univers et de ce qu ' il contient, car il est bon. Plus il y fait de bien, plus il se

plaît et plus les choses se conforment à sa volonté, plus elles lui plaisent. Et plus ses créatures

font le bien librement, plus il les aime, comme nous aimons plus une personne qui nous embrasse

librement qu 'une machine programmée à le faire. Il semblait donc préférable à Dieu, une fois

qu ' il s'est déterminé à créer le monde, de le remplir du plus de créatures libres qu ' il le pouvait l48 ,

plus encore en considérant que le mal moral n' est que rendu possible par la liberté, car les

144 Ibid., V, § V, §§ l , ~ I-V. Le monde aurait été moins bon si la possibilité du mal moral n' avait pas existé dans
certaines créatures, puisqu 'elles n' auraient pas été libres, mais l'existence actualisée des maux moraux n' apporte
rien au monde ou aux créatures, qui seraient absolument mieux sans eux.
145 Ibid., V, § V, §§ l , ~ III.
146 Ibid., V, § V, §§ II, ~ II.
147 Ibid., V, § V, §§ II, ~ I-V.
148 Dieu aurait été parfaitement heureux s' il avait élu de rester seul, mais une foi s décrétée la création, si Dieu n'avait
pas créé aussi les créatures libres, il aurait eu un manque et n' aurait pas joui de son élection autant qu ' il l' aurait pu.

44
avantages du libre arbitre sont immenses chez les créatures corporelles douées de conscience l49 ,

pouvant mitiger les nécessaires maux naturels et ainsi rendre plus probable leur bonheur.

Demander les bénéfices des élections libres sans la possibilité de faire le mal librement serait

comme demander un pouvoir actif et indéterminé, mais en même temps passivement déterminé

dans une direction par la nature des objets ou par l' entendement, ce qui est contradictoire l5o .

Deuxièmement, si Dieu ne peut pas empêcher le mal moral en respectant les lois de la

nature sans changer notre nature ou réduire la perfection de l'univers, pourquoi ne le fait-il pas

par intervention directe, par miracle? D'abord, Dieu ne peut pas restreindre la volonté des agents

libres sans faire violence à ses propres élections, car « [ ... ] God himself in creating them has

determin'd, as it were by a Law, that they should be free. For by giving them a Nature endow' d

with Choice, he allow'd them to make use of it. They cannot therefore be hinder'd without

Violence done to the Laws of the Creation 151. » Ensuite, ce qui nous plaît dans l'acte d'élection

est la conscience que nous aurions pu élire autrement si nous l'avions voulu, alors si Dieu

déterminait certains ou tous nos choix extrinsèquement, il nous priverait de la source principale

de notre plaisir, que King définit comme « [ ... ] a Sense of the Exercise of those Faculties and

Powers which we enjoyl52. » Plus une action est nôtre, plus elle nous plaît et plus une action est

libre, plus elle est nôtre (car autodéterminée), alors plus une action est libre, plus elle contribue à

notre bonheur, par la conscience de notre propre vertu et le plaisir que cela entraîne 153.

149 Si les autres animaux peuvent être heureux, c'est parce qu' ils n'ont pas conscience de leur existence, du passé et
du futur, alors ils vivent sans regret ni angoisse. Mais l' humain, avec seulement la liberté en moins, serait conscient
d' être impuissant face aux lois du mouvement, ce qui le jetterait dans l' anxiété et la peur constante du futur.
150 Ibid. , V, § V, §§ TI, ~ VI-XVII.
151 Ibid. , V, § V, §§ ITl, ~ II. De plus, si Dieu modifiait ses lois à tout va, la connaissance humaine serait impossible.
152 Ibid. , V, § V, §§ III, ~ IV . Et si nous étions inconscients des interventions divines, non seulement nous ne serions
plus responsables de nos actions et les notions de vertu et de vice disparaîtraient, mais cela rendrait Dieu trompeur.
153 Ibid., V, § V, §§ lIT, ~ I-VI. Cela n' implique cependant pas que les créatures libres soient éternellement laissées à
elles-mêmes, car il est raisonnable de croire que Dieu se soit gardé la possibilité de les aider sans violer leur liberté.
Comme les humains insèrent de la contingence dans l' univers, nous pouvons croire que d' autres créatures,
matérielles ou de pur esprit, étant supposées exister dans le cadre d' un univers le plus plein d'existences possibles,

45
Dernièrement, si l'humain, dans son état actuel, est nécessairement soumis à des maux

naturels et susceptible de maux moraux, pourquoi Dieu ne change-t-il pas cet état en le

transportant ailleurs, où il n' aurait ni l'occasion de souffrir, ni l' opportunité de faire le mal?

D' abord, King croit que la vie terrestre, avec ses maux, n'est que temporaire, mais nécessaire à

notre apprentissage de la vertu et que demander que l' humain reste ce qu ' il est dans un autre état

revient à demander qu' il soit différent et le même simultanément l 54. « For there is no doubt but

the present State of things is as necessary, not only to the Earth lest it should be void of

Inhabitants, and to the AnimaIs, which for the most part depend upon the Labours of Men, but

also to Men themselves: and as requisite in the Divine Administration, in order to sorne better

life, as Seed-time is to Harvest 155 . »

Et concernant l'état dans lequel se trouve actuellement l' humain, King reconnaît que le

bonheur absolu est hors de notre portée, mais il précise aussi que la majorité des humains est au

moins modérément heureuse et qu'un usage approprié du pouvoir d' élection peut rendre cette vie

beaucoup plus plaisante: « [ ... ] tho' we complain of the Miseries of Life, yet we are unwilling to

part with it, which is a certain Indication that it is not a burden to us, and that not so few attain

peuvent nous venir en aide lorsque nous prions pour obtenir l' aide de Dieu, sans besoin de miracles. Mais King
arrive alors devant une grande difficulté : comment la contingence des actions des êtres libres peut-elle être
compatible avec la prescience de Dieu? Il ne répond pas directement à la question dans son D.o.M., mais prétend
que cette question ne pose problème qu ' à cause de notre façon d'appréhender les choses divines (Ibid., V, § V,
§§ IV, ~ I-XIV). Sa solution sera publiée en 1709 dans Divine Predestination and Fore-knowledg [sic], consistent
with the Freedom of Man 's Will, que nous étudierons davantage à la fin du second chapitre (§ 2.7) de ce mémoire.
154 Sans compter que dans un univers rempli du plus grand nombre de perfections possibles, demander plus pour
l'humain, c'est exiger comme faveur à Dieu de priver autre chose de son existence actuelle.
155 William KING, E.o.E., 1731 , V, § V, §§ V, ~ I-III. Ce passage rapproche plus King de la théodicée irénéenne que
de l' augustinienne, puisqu ' il ne prétend pas que la chute de l'humain est la cause de l' existence du mal moral dans le
monde, mais plutôt que l' existence du mal moral permet aux humains, suivant un processus évolutif - « as Seed-
time is to Harvest » - , de découvrir la vertu et que si le mal moral existe, c' est pour permettre un plus grand bien.
Pour plus de détails au sujet de la réponse de saint Irénée de Lyon (- 120-202) au problème du mal, cf John mCK,
« An Irenaean Theodicy », dans Stephen T. DAVIS (éd .), Encountering Evil: Live Options in Theodicy. A New
Edition, Louisville, Westminster John Knox Press, 2001 , p. 38-52.

46
this moderate Happiness l56 [ ••• ]. » King remet aussi en question le fait qu'il y aurait plus de mal

que de bien moral dans l' univers. Non seulement la corruption morale a certainement ses limites

et Dieu ne lui permet sûrement pas de s' étendre au détriment du bien du tout 157 , mais un seul acte

mauvais libre peut mettre une société entière en péril, ce qui donne l'illusion que les humains

commettent beaucoup plus d'actes mauvais que de bons. Et la Terre n'étant qu'une infime partie

de l'univers, comment pouvons-nous être certains que d' autres lieux ne sont pas peuplés d' êtres

plus vertueux et vivant dans un bonheur infiniment supérieur au nôtre, rendant l'ensemble des

maux terrestres insignifiants 158 ?

La solution finale de King concernant le problème de la théodicée 159 est donc qu'il faut

dire que « [ ... ] God neither will nor can remove Evils l60 », car ce serait pour lui une contradiction

de vouloir à la fois l'existence du monde tel qu ' il est et l' absence de toute forme de mal, certains

maux étant nécessairement rattachés à la nature des choses. Si Dieu avait eu le choix entre abolir

ou non le mal, il aurait été malicieux de ne pas le faire, mais il a plutôt dû choisir les moindres

entre plusieurs maux, soit l' existence de choses imparfaites plutôt que l' inexistence de quoi que

ce soit d'autre que Dieu ; le mouvement non-linéaire et la corruption matérielle plutôt que

l'immobilité et l'inutilité éternelle de la matière; et enfin l'existence de créatures libres ayant la

possibilité d' abuser de leur liberté plutôt qu ' un univers purement mécanique ne contenant aucun

agent semblable à Dieu et donc, moins parfait. Le mal, selon King, est ainsi né par nécessité du

156 William KING, E.D.E., 1731 , V, § V, §§ VI, ' V.


157 La théodicée de King prend ici un ton franchement optimiste le rapprochant beaucoup de Leibniz et qui ne se
retrouve jamais aussi clairement dans le reste du D.D.M , annonçant que « [ ... ] ' Tis certain that God does not permit
any bad Elections, but such as may be reconciled with the Good of the whole System, and has digested and order' d
every thing [sic] in such a manner that the se very Faults and Vices shaH tend to the Good of the whole [ ... ]; in like
manner bad Elections, if consider' d alone, are look' d upon as odious and detestable, but compared with the whole
System, they promote and increase the Good and Beauty of the whole. » (Ibid., V, § V, §§ VI, , IX).
158 Ibid., V, § V, §§ VI, ,I-X.
159 En somme: si Dieu veut enlever le mal et ne le peut pas, il est impotent ; s' il le peut, mais ne le veut pas, il est
mauvais ; mais s' il veut et est capable d'enlever le mal, pourquoi ne le fait-il pas ?
160 Ibid., V, § V, §§ vn, , VITI.

47
« conflit» entre deux des attributs infinis de Dieu: sa puissance, qui lui a permis de créer tout ce

qui était possible, et sa bonté, qui a préféré donner l' existence à des choses imparfaites plutôt que

de les laisser dans le néant, tant que leur existence était plus désirable que leur inexistence 161 •

Afin de clore ce premier chapitre, voici, dans les mots de King lui-même, un long passage

résumant clairement le résultat de ses efforts au travers de son De Origine Mali :

To speak my Thoughts, 1 dare confidently, but with Reverence, pronounce


that God would neither have been infinitely powerful nor good, if he could
not have made any thing [sic] which we cali Evil. For there are some
things possible which are not consistent with each other, nay are repugnant
and mutually destructive, i.e. are Evils to each other: If God were unable
to produce any of these, how would he be infinitely powerful, since he
could not do ail that is possible? Nor would it be less injurious to his
Goodness to be unwilling, for by this means his Power must lie idle and
never effect any thing [sic] at all; since nothing can be simply Good and
exempt from ail manner of Evil , but God himself. If therefore the Divine
Goodness had deny'd Existence to created Beings, on account of the
concomitant Evils, he might reaUy have been esteemed Envious, since he
had allow' d none to exist beside himself, and while he refused to admit of
any kind of Evil, he would have rejected ail the Good. Thus vanishes this
Herculean Argument, which induced the Epicurians to discard the good
Deity, and the Manicheans to substitute an Evil one l 62 •

16 1 Ibid., V, § V, §§ VII, ~ I-XI. Dans l' appendice du D.o.M , King se pose trois dernières questions concernant les
lois divines: pourquoi Dieu a-t-il donné des lois positives en sachant qu ' elles ne seraient pas obéies? ; pouvons-nous
punir éternellement des crimes finis ? ; et pourquoi y a-t-il des bonnes personnes malheureuses et des mauvaises
personnes heureuses? À la première, King répond que les lois positives ou révélées ne servent qu ' à sensibiliser les
agents libres à ce qui est bon ou mauvais pour eux, car Dieu préfère respecter la nature des créatures libres et risquer
le mal moral que d' imposer sa volonté à la leur en leur enlevant leur liberté (Ibid., Appendix, § l, ~ I-VI). À la
seconde question, King répond que les punitions doivent être assez intenses pour être craintes, mais pas assez pour
que les subir ou les imaginer entraîne plus de mal que le mal qu'elles sont supposées prévenir. Mais comment rendre
ceci compatible avec le châtiment éternel des damnés? Si leur damnation est plus misérable que l' inexistence, les
lois divines devraient faire qu'ils retourneraient au néant. King répond que ces châtiments éternels permettent peut-
être aux vertueux de prendre conscience de leur vertu et de la justesse de leurs choix de vie et que la volonté des
damnés, trop habituée au mal volontaire, est peut-être corrompue au-delà de toute réparation . Ils seraient donc un
spectacle malheureux pour les sages, mais continueraient eux-mêmes volontairement et éternellement dans les
mauvaises élections responsables de leur damnation. Les damnés se plairaient éternellement à leurs mauvaises
élections, mais la félicité reposant aussi sur la jouissance continue des objets élus, les damnés, ne pouvant jamais
obtenir ces objets, seraient donc éternellement malheureux, mais sans vouloir changer leurs élections parce que le
plaisir qu ' ils tireraient d 'elles serait le seul qu ' ils auraient encore (Ibid. , Appendix, § II, ~ I-XVII). À la dernière
question, King répond que nous sommes des juges très partiaux du bonheur et de la valeur des autres et qu ' il faut
parfois se demander, lorsqu ' une personne bonne est misérable, si sa bonté ne vient pas de cette misère et si elle ne
serait pas mauvaise si elle était tentée par la prospérité et vice versa. Peut-être alors que la prospérité corrompt
simplement l'humain. Pour King, il faut aussi penser dans le cadre d'une vie après la mort, car c' est alors plus facile
de considérer que les maux frappant les justes ici-bas sont des tests de valeur avant leur entrée au Paradis (Ibid. ,
Appendix, § III, ~I-VI).
162 Ibid., V, § V, §§ VII, ~ X.

48
CHAPITRE 2 - DE LA VALIDITÉ DES THÉORIES DE KING FACE AUX
CRITIQUES LEIBNIZIENNES

Maintenant que les théories principales du De Origine Mali (D. OM.) ont été présentées,

passons à l' étude de la critique leibnizienne et des solutions que King leur a proposées ou aurait

pu leur proposer. Afm de favoriser la lecture et pour ne pas obliger le lecteur à passer

constamment d' un chapitre à l'autre entre les critiques et les réponses, nous avons décidé de

regrouper les critiques leibniziennes par thèmes, plutôt que de suivre l'ordre chronologique de

leur apparition dans l' ouvrage de Leibniz, et de les faire immédiatement suivre par leurs possibles

solutions. Ce second chapitre est ainsi divisé en sept sections. La première (§ 2.1) sert de bref

survol de la distinction entre nécessités métaphysique et hypothétique, du rôle du principe de

raison suffisante et des conditions nécessaires à la liberté chez Leibniz, concepts essentiels pour

bien comprendre l' origine de la plupart de ses critiques envers la théorie de King. La seconde, la

quatrième et la sixième regroupent les critiques leibniziennes concernant respectivement la

théorie des élections en soi (§ 2.2), ses applications spécifiques à la volonté humaine (§ 2.4) et,

enfin, à la volonté divine (§ 2.6) et chacune de ces sections est suivie par une autre (§ 2.3, § 2.5 et

§ 2.7) contenant l'énonciation et l'analyse des solutions proposées ou, le cas échant, qui auraient

pu être proposées par King.

D'emblée, précisons que Leibniz n' a pas publié séparément ses Remarques sur le livre de

l 'origine du mal, publié depuis p eu en Angleterre (Remarques), il les a plutôt insérées en annexe

à ses Essais de Théodicée (E. T.), et ce dès la première édition de son ouvrage. Les Remarques ne

représentent que 37 pages, cependant assez denses et suivant la structure lâche et parfois
désorganisée utilisée par Leibniz dans ses E.T. , rendant souvent la lecture et l' analyse assez

difficiles. Les E. T. ont été rédigés principalement en réponse au Dictionnaire Historique et

Critique de Pierre Bayle l 63 , publié une première fois en 1697, et non directement en réponse au

D.o.M , ce pourquoi la critique leibnizienne de l' ouvrage de King ne se trouve qu ' en annexe et

non dans le corps du texte, suite à une autre réflexion sur la liberté et la nécessité entourant le

célèbre débat sur ces sujets entre Thomas Hobbes (1588-1679) et John Brarnhall l64 (1594-1663).

Il est important de souligner que bien que Leibniz fasse une critique parfois sévère du

D.o.M. , cela ne l' empêche pas de reconnaître la qualité de l' ouvrage de King, qu'il qualifie de

« [ ... ] livre latin, plein de savoir et d' élégance l 65 [ ... ] ». Leibniz affirme même, au cœur de sa

critique, que « [ ... ] le fond du discours de l' auteur sur l' origine des maux est plein de bonnes et

solides réflexions, dont [il a] jugé à propos de profiter l 66 . » Les réflexions de King concernant

l' origine des maux métaphysiques et physiques, que King appelle plutôt des maux

d' imperfections et naturels, sont effectivement très proches de celles de Leibniz l 67 . La source de

la critique leibnizienne est ainsi plutôt à trouver dans la théorie de la liberté et de l' origine du mal

163 Gottfried Wilhelm LEIBNIZ, « Préface », dans E.T. , p. 49. Les E.T. n' étaient pas la première tentative par Leibniz
de répondre aux penseurs de son époque à l'aide d' un grand ouvrage et nous pouvons dire que la chance n' était pas
avec lui . En effet, en 1704, peu avant la publication de ses Nouveaux essais sur l'entendement humain, qui se
voulaient une réponse critique au célèbre Essai sur l 'entendement humain de John Locke publié en 1689, ce dernier
mourut, ce qui repoussa la publication de la critique de Leibniz d' une soixantaine d' années, de 1704 à 1765.
L ' histoire devait se répéter pour Leibniz, car Pierre Bayle mourut en 1706, lors de la rédaction des E.T. , mai s cette
fois Leibniz ne se laissa pas abattre et ternlina son ouvrage critique, qu' il publia finalement en 1710.
164 Cf Réflexions sur l 'ouvrage que M Hobbes a publié en anglais, de la liberté, de la nécessité et du hasard, en
annexe aux E.T. Pour plus de détails sur ce débat, voir l' ouvrage de Vere CHAPPELL (éd .), Hobbes and Bramhall
on Liberty and Necessity, Cambridge, Cambridge University Press, 1999, 140 pages.
165 Gottfried Wilhelm LEIBNIZ, « Remarques », § 1, p. 386.
166 Ibid., § Il , p. 397.
167 Nous sommes d' ailleurs encore incertains à savoir si Leibniz a développé sa catégorisation des maux suite à la
lecture du D.OM., car la catégorisation des maux par Leibniz se trouve pour la première fois mentionnée dans son
Tractatio de Deo et Homine de 1702, soit la même année que la première publication du D.OM. Cependant, si la
seule copie du D.OM. qui a été trouvée dans les archives de la Gottfried Wilhelm Leibniz Bibliothek est bien celle de
Leibniz et la première édition qu' il a lue, nous pouvons croire que ce dernier a développé sa catégorisation avant
d' avoir lu celle de King et qu ' il a commenté et critiqué le D.OM. à partir de sa seconde édition latine, car la copie
trouvée dans la GWLB était de l' édition de Brême de 1704 (Maria Rosa ANTOGNAZZA, « Metaphysical Evi l
Revi sited », dans Larry M. JORGENSEN et Samuel NEWLANDS (dir.), New Essays on Leibniz's Theodicy,
Oxford, Oxford University Press, 2014, note 12, p. 115).

50
moral ou du péché chez King.

En effet, l'ouvrage [de King] contenant cinq chapitres, et le cinquième


avec l'appendice égalant les autres en grandeur, j ' ai remarqué que les
quatre premiers, où il s' agit du mal en général et du mal physique en
particulier, s' accordent assez avec mes principes (quelques endroits
particuliers exceptés), et qu ' ils développent même quelquefois avec force
et avec éloquence quelques points oùje n' avais fait que toucher, parce que
M . Bayle n 'y avait point insisté. Mais le cinquième chapitre [ ... ], parlant
de la liberté et du mal moral qui en dépend, est bâti sur des principes
opposés aux miens [ ... ]. Car ce cinquième chapitre tend à faire voir (si
cela se pouvait) que la véritable liberté dépend d' une sorte d' indifférence
d' équilibre, vague, entière et absolue ; en sorte qu' il n ' y ait aucune raison
de se déterminer, antérieure à la détermination, ni dans celui qui choisit, ni
dans l'objet, et qu 'on n 'élise pas ce qui plaît, mais qu 'en élisant sans sujet
on fasse plaire ce qu' on élit l 68 •

Leibniz fait plusieurs critiques à l' ouvrage de King, certaines positives, certaines

négatives, mais vu le but du présent mémoire, nous nous attarderons uniquement aux critiques

négatives dirigées contre la théorie morale de King et son utilisation de l' indifférence de la

volonté dans sa définition de la liberté. Puisque le but de ce mémoire est de déterminer, si faire se

peut, si la théorie morale de King peut ou non être validée en partie ou en totalité malgré les

critiques leibniziennes, il ne sera pas question, sauf dans un éventuel but d' éclaircissement, de la

validité des théories leibniziennes elles-mêmes et aucune tentative ne sera entreprise dans le but

d' estimer laquelle des théories morales et de la liberté est la « meilleure » ou la plus

représentative de la réalité entre celle de King et celle de Leibniz.

2.1 Du déterminisme non nécessitariste de Leibniz

Avant même de se lancer dans la présentation des critiques leibniziennes, il est à notre

avis essentiel de faire un bref rappel de deux concepts principaux chez Leibniz, qui sont souvent

à l' origine de ses critiques envers la théorie de King, soit le « principe de raison suffisante» et la

« nécessité hypothétique », concepts qui permettent à Leibniz, une fois joints à son système de

168 Gottfried Wilhelm LEIBNIZ, « Remarques », § 1, p. 386-387.

51
l'harmonie préétablie, de prétendre que sa conception de la liberté correspond à la conception

traditionnelle chrétienne du libre arbitre.

Leibniz, contrairement à King, ne croit pas que ce qui est déterminé doive être absolument

nécessaire au sens fort du terme. li refuse la distinction binaire de King entre les nécessitaristes,

qui réduisent la liberté à l' absence de contrainte (externe), et les libertaires, qui exigent l'absence

de contrainte et de nécessité (externe et interne) pour que l'agent soit qualifié de « libre », car

Leibniz, comme nous le verrons, distingue deux formes de nécessité, soit une nécessité

métaphysique, absolument nécessaire, et une nécessité hypothétique, seulement certaine 169 .

Leibniz souligne avec justesse que King met dans le même panier nécessitariste saint Thomasl?O,

Spinozal?1 et Hobbes 172 en ce qui concerne la liberté, parce que ces derniers considèrent que la

169 Ibid., § 12, p. 398. Leibniz fait d'ailleurs d' une pierre deux coups en rejetant ces catégorisations, puisqu'elles
reprennent plus ou moins les mêmes que celles proposées par Bayle dans son Dictionnaire historique et critique,
sous l' article «Jansénius», lorsque ce dernier suggère qu ' il n' existe que deux réponses au problème de la
détermination et de la liberté. « Tous ceux qui ont un peu de pénétration voient clairement que sur la matière de la
liberté il n'y a que ces deux partis à prendre : l'un est de dire que toutes les causes distinctes de l'âme qui concourent
avec elle lui laissent la force d' agir ou de n' agir pas ; l' autre est de dire qu ' elles la déterminent de telle sorte à agir,
qu 'elle ne saurait s' en défendre. Le premier parti est celui des molinistes, l' autre est celui des thomistes et des
jansénistes, et des protestans [sic] de la confession de Genève. » (pierre BAYLE, « Jansénius », p. 321-322). Comme
c'est le cas pour King, Leibniz cherche à proposer une troisième alternative au problème. En somme, alors que
Leibniz répond à la catégorisation de King en tentant de prouver pourquoi il croit qu 'il ne devrait pas être classé
parmi les nécessitaristes, il en vient, volontairement ou non, à utiliser la même classification pour accuser King de
défendre une théorie morale libertaire (Sean GREENBERG, « Leibniz on King: Freedom and the Project of the
"Theodicy"», p. 212), hypothèse que ce dernier reconnaît comme étant plus intéressante que l'hypothèse
nécessitariste, mais de laquelle il essaie aussi de se distinguer.
170 Pour saint Thomas d' Aquin, la liberté humaine ne réside pas exclusivement dans la liberté de la volonté, car la

volonté est inclinée à vouloir ou non les choses. « D'où il suit qu'il faut uniquement appeler humaines les seules
actions dont l'homme est le maître. Mais c'est par sa raison et sa volonté que l'homme est maître de ses actions; ce
qui fait que le libre arbitre est appelé " une faculté de la volonté et de la raison ". » (Thomas D ' AQUIN (saint),
Somme Théologique (Tome 4 e) , Prima secundae, Question 1, Article 1, Conclusion, Traduction et notes de F.
Lachat, Paris, Louis-Vivès, 1874, p. 200). Et puisque la volonté ne veut pas n' importe quoi, mais seulement ce que la
raison lui présente comme étant un bien, il s' ensuit que la volonté est inclinée à ses choix par les représentations du
bien venant de la raison. « Or, il est évident que la raison précède en quelque façon la volonté et dispose son acte, en
tant que la volonté, en se rapportant vers son objet, suit l'ordre tracé par la raison, parce que la force appréhensive
présente à la force appétitive son objet. De cette manière, l' acte par lequel la volonté tend vers un objet qui lui est
proposé comme bon, par cela que la raison le rapporte à une fin, appartient matériellement à la volonté, et
formellement à la raison [ . ..]. » (Ibid. , Question 13, Article 1, Conclusion, p. 406).
17 1 Spinoza indique bien qu ' il n'y a rien de tel qu 'une volonté libre: «De quelque manière donc qu' on la conçoive,
une volonté, finie ou infinie, requiert une cause par où elle soit déterminée à exister et à produire quelque effet et
ainsi (Défin. 7) ne peut être dite cause libre, mais seulement nécessaire ou contrainte. » (Baruch SPINOZA, Éthique
[Œuvres III] , 1, Prop. xxxn, Démonstration, Traduction et notes de C. Appuhn, Paris, Garnier-Frères, 1965 [1677

52
volonté est déterminée et que King croit qu' ils nient ainsi toute forme de contingence, et donc de

liberté dans les actions humaines, puisque chaque choix est alors motivé nécessairement, que ce

soit par la représentation du bien ou du mal ou l' appétit le plus fort. Leibniz comprend d' ailleurs

bien qu'il aurait été classé parmi les nécessitaristes par King, car il défend lui aussi l' idée que

notre volonté est toujours motivée par les représentations du bien et du mal 173 .

Mais Leibniz croit qu ' il se distingue de ses illustres prédécesseurs et que sa théorie de la

liberté n'est pas cernée par la catégorisation de King. En effet, avant même de tenter de parler de

quoi que ce soit pour Leibniz, il faut poser un axiome nécessaire à toute forme de discours

prétendant à la vérité et c' est pourquoi la première de ses 24 thèses métaphysiques est la

suivante: « Il y a dans la nature une RAISON pour laquelle quelque chose existe plutôt que rien.

C'est la conséquence de ce grand principe: rien ne se fait sans raison. De la même manière, il

pour la 1ère édition], p. 55). Ceux qui croient que l' humain possède une volonté libre sont ainsi dans l' erreur: « De là
suit : lOque les hommes se figurent être libres, parce qu' ils ont conscience de leurs volitions et de leur appétit et ne
pensent pas, même en rêve, aux causes par lesquelles ils sont disposés à appéter et à vouloir, n ' en ayant aucune
connaissance.» (Ibid., E1App, p. 61-62). Pour Spinoza, puisque le monde est régi par la nécessité, la liberté ne
repose pas sur la volonté et comme c' est le cas pour Leibniz, il considère que c 'est en suivant sa raison que l'humain
peut être dit « libre » : « [ ... ] nous verrons facilement en quoi un homme conduit par l' affection seule ou l'opinion,
diffère d'un homme conduit par la Raison. Le premier, qu ' il le veuille ou non, ne sait en aucune façon ce qu ' il fait ;
le second n 'a à plaire qu ' à lui-même et fait seulement ce qu ' il sait qui tient la première place dans la vie et qu ' il
désire le plus pour cette raison ; j'appelle en conséquence le premier serf, le second libre [ ... ]. » (Ibid., E4P66S, p.
284).
172 Pour Hobbes, la liberté est strictement définie comme une absence de contrainte au mouvement, puisque ne peut
être libre qu 'un corps. C' est ainsi qu ' il en vient à défendre la compatibilité de la liberté et de la nécessité : « Liberté
et nécessité sont compatibles. C' est ainsi que l' eau n' a pas seulement la liberté, mais est aussi dans la nécessité de
suivre le canal. Il en est de même des actions que les humains font, qui, parce qu ' elles procèdent de leur volonté,
procèdent de leur liberté. Et pourtant, puisque tout acte de la volonté, tout désir, toute inclination procèdent d' une
cause, et celle-ci d'une autre cause, selon une chaîne continue (dont le premier maillon est entre les mains de Dieu,
première cause entre toutes), tout cela procède de la nécessité. En sorte que pour celui qui pourrait voir la connexion
de ces causes, la nécessité de toutes les actions humaines volontaires apparaîtrait manifeste. » (Thomas HOBBES,
Léviathan ou Matière, f orme et puissance de l 'État chrétien et civil, livre TI, chapitre 21 , Traduction et notes de G.
Mairet, Paris, Gallimard, 2000, p. 338-339).
173 « Pour moi, je n 'oblige point la volonté de suivre toujours le jugement de l'entendement, parce que je distingue ce
jugement des motifs qui viennent des perceptions et inclinations insensibles. Mais je tiens que la volonté suit
toujours la plus avantageuse représentation, distincte ou confuse, du bien et du mal, qui résulte des raisons, passions
et inclinations, quoiqu ' e\le puisse aussi trouver des motifs pour suspendre son jugement. Mais c 'est toujours par
motifs qu' elle agit. » (Gottfried Wilhelm LEIBNIZ, « Remarques », § 13, p. 399). La volonté est ainsi, pour Leibniz,
toujours poussée à l' action par un motif, même si e\le ne suit pas nécessairement toujours les jugements de
l' entendement, puisqu ' elle peut aussi être motivée à l' action par les passions ou même être amenée à suspendre son
jugement en cas d' incertitude.

53
faut aussi qu'il y ait une raison pour laquelle existe ceci plutôt qu'autre chose 174 . » Ce grand

principe, généralement connu sous le terme de «principe de raison suffisante », mais appelé

« principe de raison déterminante» par Leibniz dans ses E. T 175, sert de pilier à l' ensemble de ses

positions métaphysiques. La raison suffisante, lorsque jointe au «principe de non-

contradiction », soit que « [ ... ] de deux propositions contradictoires, l' une est vraie, l' autre est

fausse l76 [ ... ] », pose un socle de vérités premières indémontrables et nécessaires à toute

prétention à la vérité. Si les choses dans le monde n' arrivaient pas pour une raison, tout ne serait

que hasard, ce qui irait à l' encontre de la sagesse infinie de Dieu 177 et aurait des répercussions

énormes sur la connaissance humaine, puisqu ' aucune vérité ne pourrait être énoncée à propos des

événements du monde, qui ne contiendrait que des événements particuliers et sans cause I78 .

Leibniz considère que l' origine de l' erreur dans la classification de King l79 vient du fait

qu ' il « [ ... ] confond ce qui dépend du principe de contradiction, qui fait les vérités nécessaires et

indispensables, avec ce qui dépend du principe de la raison suffisante, qui a lieu encore dans les

vérités contingentes l 8o . » Leibniz associe la nécessité aux vérités propositionnelles absolument

vraies, qui peuvent être résolues en identiques ou dont l' opposé implique contradiction l 81 . Ces

vérités nécessaires ou essentielles auraient valu également si Dieu avait créé le monde suivant un

174 Gottfried Wilhelm LEIBNIZ, « 24 thèses métaphysiques », dans J.-B. RAUZY (éd.), Recherches générales sur
l 'analyse des notions et des vérités, Traduction de E. Cattin et al. , Paris, Vrin, 1998, § 1, p. 467.
175 Gottfried Wilhelm LEIBNIZ, E.T., § 44, p. 128.
176 Ibid.
177 Gottfried Wilhelm LEIBNIZ, « Sur la contingence », dans J.-B. RAUZY (éd.), Recherches générales sur
l 'analyse des notions et des vérités, Traduction de E. Cattin et al., Paris, Vrin, 1998, p. 327-328.
178 Ibid. , p. 328.
179 Et, précisons-le, l'origine d' un très grand nombre de critiques faites contre Leibniz par différents penseurs et qu ' il
a rejetées durant une bonne partie de sa carrière au nom de cette distinction qui lui est propre entre nécessités
métaphysique et hypothétique. Bien que certainement utile et efficace si nous en acceptons les prémisses, cette
distinction qui sert à préserver la contingence dans la liberté malgré le déterminisme mène rarement au genre de
liberté que nous associons intuitivement au libre arbitre et cette conception intellectualiste de la liberté, fondée sur la
pure logique, a paru pour plusieurs commentateurs de Leibniz à travers les années comme étant insatisfaisante (Sean
GREENBERG, « Leibniz on King: Freedom and the Project of the "Theodicy" », p. 212).
180 Gottfried Wilhelm LEIBNIZ, « Remarques », § 14, p. 400.
181 Gottfried Wilhelm LEIBNIZ, « Vérités nécessaires et vérités contingentes », dans J.-B. RAUZY (éd.), Recherches
générales sur l 'analyse des notions et des vérités, Traduction de E. Cattin et al., Paris, Vrin, 1998, p. 339.

54
autre dessein ou, autrement dit, elles sont vraies éternellement et dans tous les mondes possibles,

car « [ ...] les vérités nécessaires dépendent du principe de contradiction 182.» Les vérités

hypothétiques, existentielles ou contingentes, quant à elles, ne sont vraies que dans certains cas

ou dans certains contextes et peuvent être fausses sans contradiction logique. Ce qui est

contingent est ainsi ce qui est privé de nécessité métaphysique. Mais nous pouvons tout de même

atteindre des vérités contingentes certaines, car

[ ... ] il Y en a encore qui sont vraies presque toujours, du moins de façon


naturelle, si bien que l' exception relève du miracle ; bien plus, [Leibniz]
pense qu ' il y a des propositions vraies de manière absolument universelle
dans cette série des choses, qui ne seront jamais violées même par miracle,
non qu 'elles ne pourraient être violées par Dieu, mais parce qu' en
choisissant cette série de choses il a de ce fait décrété lui-même de les
observer l 83 [ .•• ].

C'est là la distinction entre nécessité métaphysique et nécessité hypothétique pour

Leibniz. La nécessité métaphysique est ce que nous appelons la nécessité au sens strict, alors que

la nécessité hypothétique est plutôt ce que nous appelons une certitude. Le monde et tout ce qu' il

contient n' existe donc pas par une nécessité stricte ou métaphysique et « [p ]uisqu' il est

contingent en effet que cette série-là existe et que cela dépend du libre décret de Dieu, les lois

mêmes de cette série seront aussi absolument parlant contingentes, et néanmoins

hypothétiquement nécessaires et essentielles dès lors seulement que la série est posée 184 . » Ainsi,

bien que tous les événements du monde soient connus de Dieu, cela ne les rend que certains, pas

nécessaires, car leur nécessité est hypothétique et non métaphysique.

En se basant sur cette distinction, Leibniz en vient alors à prétendre que bien que la

volonté soit amenée infailliblement à suivre les représentations du bien et du mal, elle ne l'est pas

de façon nécessaire et donc, qu ' il y a place pour la contingence et la liberté. Tout ce que le

182 Gottfried Wilhelm LEIDNIZ, « Sur la contingence », p. 326.


183 Gottfried Wilhelm LEIDNIZ, « Vérités nécessaires et vérités contingentes », p. 342.
184 Ibid., p. 343 .

55
monde contient et les événements qui s'y déroulent existe de façon hypothétiquement nécessaire

et absolument certaine tant que le monde existe, mais pas de façon métaphysiquement nécessaire,

car le monde aurait pu ne pas exister, exister autrement, ou pourrait arrêter d' exister sans

contradiction logique.

Cela posé, l'on voit comment nous pouvons dire, avec plusieurs
philosophes et théologiens célèbres, que la substance qui pense est portée
à sa résolution par la représentation prévalente du bien ou du mal, et cela
certainement et infailliblement, mais non pas nécessairement, c' est-à-dire
par des raisons qui l' inclinent sans la nécessiter. C'est pourquoi les futurs
contingents, prévus et en eux-mêmes et par leurs raisons, demeurent
contingents; et Dieu a été porté infailliblement par sa sagesse et par sa
bonté à créer le monde par sa puissance, et à lui donner la meilleure forme
possible ; mais il n'y était point porté nécessairement, et le tout s' est passé
sans aucune diminution de sa liberté parfaite et souveraine 185.

Ces précisions ayant été données, nous comprenons mieux comment Leibniz en vient à

considérer que sa définition de la liberté est compatible avec une forme de déterminisme et de

nécessité. Leibniz prétend même respecter les conditions de la liberté telles qu 'exigées par la

tradition théologique chrétienne, soit que « [ ... ] la liberté, telle qu ' on la demande dans les écoles

théologiques, consiste dans l' intelligence, qui enveloppe une connaissance distincte de l'objet de

la délibération ; dans la spontanéité, avec laquelle nous nous déterminons ; et dans la

contingence, c'est-à-dire dans l'exclusion de la nécessité logique ou métaphysique l 86 . » C'est

185 Gottfried Wilhelm LEffiNIZ, « Remarques », § 14, p. 400.


186 Gottfried Wilhelm LEffiNIZ, E.T , § 288, p. 290. Nous voyons que s' il ne fait aucun doute que l' intellectualisme
moral de Leibniz répond entièrement à la condition d' intelligence telle que présentée et qu'il accorde effectivement
une place à la spontanéité en se reposant sur son système de l' harmonie préétablie - dans lequel le corps et l'esprit,
qui composent la monade, « réagissent » au reste du monde de façon pré-ordonnée et sans influence réelle de la part
des autres monades - , il interprète la condition de « contingence » plutôt à son avantage. Confiant en sa position en
ce qui concerne les deux premières conditions de la liberté, il précise que « [ ... ] les scolastiques en demandent
encore une troisième, qu ' ils appellent l' indifférence. Et, en effet, il faut l' admettre, si l' indifférence signifie autant
que contingence ; car j ' ai déjà dit ci-dessus que la liberté doit exclure une nécessité absolue et métaphysique ou
logique. » (Ibid. , § 302, p. 297-298). Leibniz prétend donc que la liberté qu ' il propose correspond à la conception
scolastique traditionnelle, mais seulement si nous entendons la contingence en son sens, et non dans le sens d' une
indifférence dans la volonté qui serait, suivant le principe de raison suffisante et celui des indiscernables - qui veut
qu ' il n' existe pas deux choses identiques dans le monde (Gottfried Wilhelm LEffiNIZ, Nouveaux essais sur
l 'entendement humain, Paris, Ernest Flammarion Éditeur, 1921 [1765 pour la 1 ère édition], II, XXVII, § 1, p. 182-
183) - , aussi impossible qu ' absurde. Il y a donc toujours une raison suffisante pour vouloir a plutôt que b et la
volonté sera toujours inclinée vers une option ou l'autre, même si c' est « inconsciemment », par de petites

56
ainsi que Leibniz juge qu' il n'est pas touché par les accusations de nécessitarisme faites par King

contre les défenseurs de la compatibilité de la liberté avec une volonté déterminée. Il sera

essentiel de garder ces concepts à l'esprit lors de la lecture des prochaines pages, car ils

permettront de comprendre l' origine de la plupart des critiques de Leibniz envers la théorie de

King. Passons maintenant auxdites critiques.

2.2 Concernant la crédibilité théorique et pratique d'une liberté par l'indifférence

Le premier groupe de critiques que nous allons aborder s' attaque directement, d' une part,

aux fondements de la théorie des élections et de la liberté par l'indifférence de la volonté, en ce

que Leibniz juge qu ' ils contredisent d' emblée le principe suprême du raisonnement, soit le

principe de raison suffisante, ainsi que, d' autre part, aux conséquences pratiques, incohérentes

pour Leibniz, d' une telle théorie, principalement en ce qui a trait aux éloges et blâmes moraux.

Leibniz critique d' abord la position de King en affirmant que l' inclination de la volonté

n'est non seulement pas un frein à la liberté, mais qu 'elle est même nécessaire à toute forme

d'action. Leibniz refuse la prémisse de King qui veut qu ' une volonté inclinée par les

représentations du bien et du mal venant des objets, des appétits ou de la raison devienne passive

et que cette passivité rende l'agent non libre. « Il n' y a point d' acteur qui puisse agir sans être

prédisposé à ce que l' action demande; et les raisons ou inclinations tirées du bien ou du mal sont

les dispositions qui font que l' âme se peut déterminer entre plusieurs partis 187 . » Leibniz accuse

King de présenter la volonté comme souveraine absolue ayant comme conseiller l'entendement et

comme courtisanes les passions et ayant le pouvoir de favoriser l' un ou l' autre ou de les rejeter

toutes deux, et que ceci est impossible, parce que cela exigerait que la volonté ait une forme

perceptions insensibles, parce que l' entendement ne sera jamais devant deux options identiques.
187 Gottfried Wilhelm LEIBNIZ, « Remarques », § 16, p. 402.

57
d'entendement en elle-même qui lui permettrait de juger ce que l'entendement et les passions

proposent, le tout entraînant au final une régression à l' infini I88 .

Leibniz considère que quelque chose peut être dirigé par quelque chose d'autre, mais sans

en recevoir de force, comme un cheval est gouverné par son cavalier, alors que le cavalier ne fait

que diriger sa monture, sans la pousser dans une quelconque direction. La volonté peut

pareillement, selon Leibniz, être inclinée par des représentations sans en recevoir de force et ainsi

être inclinée tout en étant active et non passive. Les représentations qui déterminent l' agent sont

dans son esprit et c' est donc en accord avec la spontanéité que l'agent agit, car la détermination

vient de lui, des représentations de son esprit, et pas directement de l' objet.

Les objets n' agissent point sur les substances intelligentes comme causes
efficientes et physiques, mais comme causes finales et morales. [ . ..]
Enfin, quand la puissance libre ne serait point déterminée par les objets,
elle ne saurait pourtant jamais être indifférente à l'action lorsqu'elle est
sur le point d'agir ; puisqu'il faut bien que l' action y naisse d' une
disposition d' agir : autrement on fera tout de tout, quidvis ex quovis
[n'importe quoi à partir de n'importe quoi], et il n'y aura rien d' assez
absurde qu ' on ne puisse supposer. Mais cette disposition aura déjà rompu
le charme de la pure indifférence ; et si l'âme se donne cette disposition, il
faut une autre prédisposition pour cet acte de la donner; et, par
conséquent, quoiqu'on remonte, on ne viendra jamais à une pure
indifférence dans l'âme pour les actions qu ' elle doit exercer l 89 •

De plus, un choix non incliné reviendrait à choisir sans cause ni raison, à faire un chOIX

dépouillé de toute sagesse ou bonté.

188 Ibid., § 16, p. 402-403.


189 Ibid. , § 20, p. 408-409. Pour mieux saisir l' angle d' attaque de Leibniz ici, il faut rappeler qu ' il prétend, comme
nous venons de le voir, respecter les conditions de la liberté telles qu'exigées par la tradition théologique chrétienne.
Nous comprenons alors que Leibniz ne s' attaque pas à la théorie de King sous l'angle de la spontanéité, car
l'indifférence de la volonté chez King par rapport à tout ce qui est hors d' elle favorise clairement la spontanéité ; que
Leibniz n' accuse pas non plus King de proposer une théorie mettant en péril la contingence dans les actions, car il
juge même au contraire que la contingence est trop absolue chez King, en ce que les actes des créatures libres pour
King semblent à Leibniz parfaitement et absolument arbitraires et imprévisibles ; mais Leibniz accuse plutôt King de
ne pas respecter la condition d ' intelligence, à cause de ce que Leibniz juge comme étant une absolue indifférence de
la volonté par rapport à tout ce qui est hors d' elle, notamment envers l'entendement, et du pouvoir hypothétique de la
volonté à accorder n' importe quelle valeur aux objets. Quelle place y a-t-il, demande alors Leibniz, pour la
délibération si la volonté choisit n' importe quoi sans raison ? Et si la volonté se détermine elle-même à écouter
l'entendement et les appétits, comment se donne-t-elle cette détermination?

58
Et l' imagination de se pouvoir dire indépendant, non seulement de
l' inclination, mais de la raison même en dedans, et du bien ou du mal en
dehors [ .. .] n' est qu ' une imagination creuse, une suppression des raisons
du caprice dont on se glorifie. Ce qu ' on prétend est impossible ; [ . ..] il ne
se trouvera jamais dans la nature une élection où l'on ne soit porté par la
représentation antérieure du bien ou du mal, par des inclinations ou des
raisons ; et j ' ai toujours défié les défenseurs de cette indifférence absolue
d'en montrer un exemple 190.

Cette possibilité entre en contradiction directe avec le principe suprême du raisonnement et de

l' existence chez Leibniz, soit le principe de raison suffisante. Selon Leibniz, la croyance en

l'indifférence absolue de la volonté vient du fait que nous ne percevons souvent pas ses

inclinations, de la même façon que plusieurs dans le passé ont nié la possibilité de l' existence des

atomes, que Leibniz appelle « corpuscules insensibles », seulement parce qu'ils ne les voyaient

pas l9 1. Leibniz considère que King présente l' indifférence sous son meilleur jour possible et qu ' il

la pare des avantages de la spontanéité et de la raison après les en avoir dépouillés. Mais il

considère qu ' un choix non incliné revient à prétendre qu ' il peut exister un effet sans cause.

Comme nous acceptons qu ' un corps ne peut être mû que par le mouvement d' un autre qui le

pousse, Leibniz croit que les lois de la nature spirituelle devraient faire qu'une âme ne puisse être

mue sans motif ou représentation du bien ou du mal, même si la connaissance distincte de ce

motif n' est pas toujours évidente à cause de l' infinité de petites perceptions qui nous disposent

différemment, car « [ ... ] rien ne se fait sans quelque cause ou raison suffisante 192. »

Prétendre à l' existence de choix non inclinés, à un pouvoir de choisir sans aucun motif et

sans cause finale impulsive, revient pour Leibniz à faire de la liberté la chose la moins

raisonnable et la plus imparfaite. « Et dans le fond, bien loin que ce soit montrer la source du mal

moral, c' est vouloir qu ' il n' yen ait aucune ; car si la volonté se détermine sans qu ' il n'y ait rien,

190 Ibid., § 2, p. 387.


19 1Ceci rejoint le raisonnement de Spinoza, pour qui nous avons l' illusion d' être libres parce que nous n'avons pas
conscience de nos inclinations (Baruch SPINOZA, E1App, p. 61-62).
192 Gottfried Wilhelm LEIBNIZ, « Remarques », § 3, p. 388.

59
ni dans la personne qui choisit, ni dans l' objet qui est choisi, qui puisse porter au choix, il n' y

aura aucune cause ni raison de cette élection; et comme le mal moral consiste dans le mauvais

choix, c' est avouer que le mal moral n'a point de source du tout l93 . » Tout ceci détruirait, selon

Leibniz, le bien comme le mal moral dans la nature. Au contraire, non seulement Leibniz croit-il

que la détermination de la volonté par la raison n ' est pas contraire à la liberté, il croit même que

plus nous sommes déterminés à suivre la raison, plus nous sommes libres, ce pourquoi Dieu est le

seul être parfaitement libre de l' univers. « Être déterminé par la raison au meilleur, c' est être le

plus libre. Quelqu ' un voudrait-il être imbécile par cette raison qu ' un imbécile est moins

déterminé par de sages réflexions qu' un homme de bon sens? Si la liberté consiste à secouer le

joug de la raison, les fous et les insensés seront les seuls libres; mais je ne crois pas que pour

l' amour d'une telle liberté personne voulût être fou, hormis celui qui l' est déjà 194. »

Leibniz s'attaque ensuite aux conséquences de l'indifférence absolue de la volonté sur nos

utilisations du blâme et des louanges.

[Leibniz] convient que celui qui cause du mal par nécessité n' est point
coupable ; mais il n'y a aucun législateur ni jurisconsulte qui entende par
cette nécessité la force des raisons du bien et du mal, vrai ou apparent, qui
ont porté l'homme à mal faire ; autrement celui qui dérobe une grande
somme d' argent, ou qui tue un homme puissant pour parvenir à un grand
poste, serait mois punissable que celui qui déroberait quelques sols pour
boire chopine, ou qui tuerait le chien de son voisin de gaieté de cœur,
parce que ces derniers ont été moins tentés 195.

Au contraire, selon Leibniz, nous avons construit nos lois de façon à ce que plus un crime est

tentant, plus il doive être réprimé par la crainte d' un châtiment sévère. «D ' ailleurs, plus on

trouvera de raisonnement dans le dessein d' un malfaiteur, plus on trouvera que sa méchanceté a

été délibérée, et plus on trouvera qu ' elle est grande et punissable. [ ... ] Mais on aura plus

193 Ibid., § 12, p. 397-398.


194 Gottfried Wilhelm LEIBNIZ, Nouveaux essais sur l'entendement humain, II, XXI, § 50, p. 153-154.
195 Gottfried Wilhelm LEIBNIZ, « Remarques », § 15, p. 401.

60
d'indulgence pour une grand,e passion, parce qu ' elle approche plus de la démence l96 . » C'est

pourquoi Leibniz juge que la liberté de King fait des criminels des fous, ce qui pourrait réduire

toutes leurs peines et faire ultimement disparaître le mal moral, rendant tout crime plus ou moins

accidentel par absence de responsabilité morale. Un criminel est plus à blâmer, selon Leibniz,

lorsqu' il prend plaisir à faire le mal, car ce criminel « diabolique» a alors plus de raisonnement

derrière ses actes mauvais que lorsqu'un crime est fait par passion ou par folie l97 .

La pure indifférence est, selon Leibniz, comme ce l' était pour Descartes 198, ce qu ' il y a de

plus imparfait, car cela rend la science et la bonté impossibles ou inutiles, en réduisant tout au

hasard sans règle ni mesure. Leibniz refuse la théorie de King qui veut que ce ne soit que par

cette indifférence que nous pouvons être considérés responsables de nos actions et de notre

bonheur en en étant la vraie cause, car lorsque nous agissons indifféremment et pas en

conséquence d' une représentation du bien ou du mal, cela revient, pour Leibniz, à agir par hasard,

alors pourquoi nous glorifierions-nous de nos actions ou en serions-nous blâmés? Leibniz croit

au contraire que nous ne pouvons être loués ou blâmés pour une action que lorsque nous la

considérions comme bonne ou mauvaise au préalable.

Aussi, si ce hasard ou ce j e ne sais quoi était la cause de nos actions, à


l' exclusion de nos qualités naturelles ou acquises, de nos inclinations, de
nos habitudes, il n' y aurait point moyen de se promettre quelque chose de
la résolution d ' autrui, puisqu'il n 'y aurait pas moyen de fixer un indéfini,
et de juger à quelle rade sera jeté le vaisseau de la volonté, par la tempête
incertaine d' une extravagante indifférence 199.

196 Ibid.
197 Ibid., § 17, p. 404.
198 René DESCARTES, « Méditation quatrième. Du vrai et du faux », dans Méditations métaphysiques, p. 66.
199 Gottfried Wilhelm LEffiNIZ, « Remarques », § 19, p. 407.

61
2.3 Réponses aux critiques ciblant la crédibilité théorique et pratique d'une liberté
d'indifférence

Avant d'aborder les premières réponses, rappelons que King était conscient de la plupart

des critiques de Leibniz et qu ' il a répondu à certaines d' entre elles, réponses qui n' ont été rendues

publiques que sous forme de notes ajoutées par Edmund Law à ses différentes éditions de An

Essay on the Origin of Evi/ (E.O.E.). Nous utiliserons donc ces notes, le cas échéant, afm de

répondre le plus fidèlement possible à Leibniz tout en respectant la pensée de King, mais les

réponses étant parfois succinctes ou imprécises, nous devrons aussi approfondir différents

passages de E.o.E., déjà précédemment mentionnés pour certains, ainsi que suggérer certaines

hypothèses afin d' estimer les réponses que King aurait pu faire dans les autres cas.

Les critiques précédentes de Leibniz pourraient être regroupées et résumées ainsi: une

volonté indéterminée n'existe pas, car l'inclination est nécessaire à l' action, mais nous pouvons

être inclinés tout en étant actifs; un choix non orienté reviendrait à choisir sans raison ni sagesse,

à choisir au hasard; et choisir au hasard nous priverait de toute bonté ou responsabilité morale.

Afin de pouvoir répondre convenablement à ces critiques, nous devrons définir le rôle de la

volonté dans le processus décisionnel et en tant que faculté de l'âme, mais voici d'abord quelques

mots de King, tirés de la note P de la cinquième édition de E.o.E., qui suivent son rejet du revers

de la main des tentatives leibniziennes de défendre la liberté à l'aide de la distinction entre

nécessité métaphysique et nécessité hypothétique:

1 know very weil men do many things willingly, as beasts eat their food ,
and that sorne cali this liberty and contingence; [ ... ] but it is plain when
we ask whether a man be free or no [sic], our meaning is whether he has
full power to do or not to do any thing [sic] notwithstanding ail previous
conditions and circumstances, in which providence placed him. Not that a
man is al ways absolutely indifferent: for he may have reasons and
inclinations that may byass [sic] him greatly one way; yet notwithstanding

62
that byass [sic] , he has still a power to act against them ail, and please
himselfin so doing 20o •

Nous voyons que King croit qu ' une liberté de nature purement métaphysique comme le propose

Leibniz n'est pas satisfaisante et qu ' il ne réclame rien de moins que le pouvoir réel d'agir d' une

façon ou d'une autre dans les mêmes circonstances, chose qui n' est possible que pour une volonté

indifférente. Mais nous voyons aussi que King précise que l' humain n' est pas absolument

indifférent et qu ' il peut être incliné par sa raison et ses appétits, tout en gardant le pouvoir d'aller

à l'encontre de ses inclinations et d' être heureux malgré tout. Comment est-ce possible?

2.3.1 Le pouvoir d'élection: absolument indifférent?

En premier lieu, nous pouvons d' abord rappeler que la possibilité d'une volonté

infailliblement inclinée par une autre faculté ou par les représentations du bien et du mal dans les

objets qui serait en même temps active et libre est quelque chose d'impossible pour King, une

contradiction, car « [ ... ] for as long as there is a chain of natural or moral causes that certainly

and infaillibly produce the effect, in which the will is absolutely passive, there is no more room

for liberty in intelligent causes than in natural 201 . »King accuserait simplement Leibniz de rendre

Dieu directement responsable de tout le bien et le mal dans le monde, sans aucun mérite ou blâme

pour les humains, puisque chaque événement s'y déroulant ne peut se produire autrement

qu'exactement comme Dieu l'a prévu et voulu: «[00'] the fatal chain is tied to the chair of

200 William KING, An Essay on the Origin of Evil. By Dr. William King, late Lord Archbichop of Dublin. Translated
from the Latin, with Notes. Ta which is added a Sermon by the same Author, On the FaU of Man. Th e Fifth Edition,
revised by Edmund, Lord Bishop of Carlisle, Traduction du latin et annotation d'E. Law, Londres, R. Faulder and T.
and J. Merril, 1781 [5 e édition, 1731 pour la 1ère édition anglaise] , V, § l, §§ V, ~ X, note P.
20 1 Ibid. Pour King, « actif» rime avec « autodéterminé », « [f]or no others ought to be look' d upon as true Causes,
but su ch as arefree. For those that operate necessarily, are to be conceiv'd as passive, and we must recur to sorne
other which imposes that necessity on them, till we arrive at one that is free, where we may stop. » (William KING,
E.o.E., 1731 , V, § l, §§ III, ~ XIX). Une faculté pour qui ce qui est bon et mauvais est prédéterminé ne peut donc pas
être active, car elle fait irrémédiablement partie de la grande chaîne causale.

63
Jupiter. He, and he alone is accountable for aIl the good and ill of aIl sorts in the world 202 . »

Ensuite, King prétend-il vraiment que posséder le pouvoir d'élection revient à posséder

une volonté absolument indifférente? Comme nous venons de le voir dans la citation de la note

P, il semble que non, mais comment King peut-il prétendre à la fois que notre volonté est

indifférente et que nous pouvons être inclinés? Pour rendre plus cohérente 203 la position de King,

il faut, à notre avis, revenir un peu en arrière. King décrit dans son ouvrage la composition de

l'esprit de l' animal composé de l' union d' une âme immatérielle dotée de libre arbitre et d' un

corps de matière solide qu 'est l' humain:

[ . . .] if we inspect our own Minds, we may contemplate a Self-conscious


and thinking Principle within us, whose Actions are, to will, refuse, doubt,
reason, affirm and deny, which carry nothing of Extension along with
them [ . . . ]. That there is such a Principle in us we are certain, not only
from our senses, or the impulses of extemal objects, but also from
Reflection and Self-Consciousness. ' Tis to be observ'd farther, that we can
at our Pleasure move sorne parts of Matter, and shake the Limbs of our
Body by thought only, that is, by Voiition 204 [ ••• ].

Notre esprit (ou âme 205 ) est donc, à tout le moins, doté de conscience ainsi que d' une volonté et

202 Wi\liam KING, E.o.E., 1781 , V, § l, §§ V, ~ X, note P.


203 Il convient de mentionner de prime abord que King n ' est pas toujours très rigoureux dans son utilisation des
termes et passe facilement d' un sens philosophique à un sens plus vulgaire, en plus d ' utiliser des synonymes menant
parfois au doute. Il utilise souvent inconsidérément « choix » et « élection » comme synonymes, ce qui porte parfois
à confusion, comme dans le passage suivant : « It appears from hence how cautiously Elections ought to be made; for
tho ' nothing pleases us but what is chosen, yet we do not only take delight in choosing, but much more in enjoying
the things chosen, otherwise it would be the same thing whatever we chose: we must take care then that our Elections
be made of such things as we may always enjoy (William KING, E.o.E. , 1731 , V, § IV, ~ VII) », où les « choosing»
et « chosen » auraient dû être des « electing » et « elected », selon le sens du passage et pour respecter les nuances de
sa théorie. L ' usage d ' expressions comme « [ .. .] our Liberty of Election » (Ibid., V, § l , §§ V, ~ XIV), qui pourrait
être traduit par « notre liberté de choix libre », ou « Power of choosing» (Ibid., V, § III, ~ IV) au lieu de « Power of
Election », qui est principalement utilisé, porte aussi à confusion dans l' ouvrage, même si en étant attentifs, nous
pouvons leur accorder le sens que l' auteur voulait probablement leur donner suivant le sens de sa théorie, soit « notre
liberté de choix », synonyme d 'élection, et « pouvoir d 'élection » ou « pouvoir de choisir librement ».
204 Ibid., l, § III, ~ VIT.
205 King utilise « âme » [Sou/) et « esprit » [Mind) comme synonymes à travers son ouvrage, les deux étant décrits
comme étant la « chose qui pense » ou la « substance pensante » dans la créature, comme lorsqu' il affirme, en
parlant des animaux dotés de corps d' éther, que leur « [ . . .] Body therefore would be perfectly obsequious to the
thought and will of the Soul that inhabits it [ ... ]. » (Ibid., IV, § III, ~ II). L ' âme ou l' esprit ne semble être que le nom
donné par King à l'ensemble des facultés et non pas une entité à part qui présiderait sur les facultés et qui aurait sa
propre conscience, son propre entendement, sa propre volonté, etc.

64
d'un entendement (ou raison206) qui, de plus, « [00'] distinguishes those Objects which are

communicated to it by the Senses, or perceiv'd by reflection from one another, disposes and

reposits them in the Memory207 [00'] » et « [ ... ] is necessary, in order to propose Matters of

Action, and to distinguish possible ones from those that are impossible208 . »

Gardant ceci en tête, comment King décrit-il le processus décisionnel, menant à la

volition et aux actions de l' agent et qu'est-ce qui le pousse à l'action? La réponse courte est la

recherche du bonheur à travers le plaisir. La réponse longue est que

[ .. .] there are certain Powers, Faculties and Appetites implanted in us by


Nature, which are directed to certain Actions: and when these exert their
proper Actions about Objects, they produce a grateful and pleasant
Sensation in us. [00'] Nor can they be at rest, or enjoy themselves,
otherwise than as those things are produced by or in them, for the
production or reception of which they are design 'd by Nature. [00 '] They
attain their End therefore by Exercise, which must be esteem'd the greatest
Perfection, and most happy state ofany Being 209 .

King ajoute aussi un peu plus loin que « [t]hose Objects which thus promote or impede the

Action, are sufficiently distinguish'd from each other by the Power or Faculty itself; those that

are absent or future, are judg' d of by the Understanding, and what the Mind determines to be the

best in them that we are oblig'd to pursue. He that do es otherwise disobeys the Law of

Reason210 . » Nous voyons que King s'accorde avec Leibniz pour dire que c'est l' entendement qui

est responsable, parmi les facultés, de calculer les pours et les contres pour trouver le meilleur et

que nous devrions toujours désirer ce que l' entendement considère le meilleur. Ceci dit, si notre

206 La « raison» [Reason] et « l'entendement» [Understanding] sont aussi une seule et même chose pour King,
comme nous pouvons le voir lorsqu'il affirme que « [f]or the Understanding or Reason, if it speak Truth, represents
what is in the Objects [00 .]. » (Ibid., V, § I, §§ III, ~ VIT). Mais King utilise aussi parfois « esprit» dans un sens plus
vulgaire, pour parler de l'entendement ou de la raison, en écrivant que « [00 '] Nature has given us Reason, a Mind or
Intellect [ .. .] » (Ibid., V, § 1, §§ I, ~ III) ou « [ .. .] the Mind or Understanding [ ... ]. » (Ibid., V, § l, §§ l, ~ VI).
207 Ibid., V, § l, §§ Ill, ~ IT.
208 Ibid., V, § l, §§ Ill, ~ VITI.
209 Ibid., V, § l, §§ Ill, ~ 1.
210 Ibid., V, § l, §§ ID, ~ Ill. Encore une fois ici, King semble utiliser « Mind» comme synonyme de
« Understanding», si nous considérons que l' esprit, en tant que synonyme d'âme, n 'est pas une entité distincte de
ses facultés et qu ' il précise ailleurs que « [00 '] the Understanding directs a thing to be done no otherwise than by
determining that it is better [00 .]. » (Ibid. , V, § l, §§ 1II, ~ VIT).

65
volonté était entièrement déterminée à suivre ce calcul , tout ce processus ne serait qu' une longue

chaîne de causalité qui ne laisserait place à aucune contingence ou liberté, comme c'est le cas

chez les bêtes pour King211 •

L'esprit de tous les animaux fonctionne pareillement au nôtre et leur entendement a la

même fonction, soit d'évaluer le meilleur afin de préserver le corps et d'entraîner du plaisir en le

faisant. Ce qui distingue les humains des bêtes est que ces dernières « [ ... ] are ignorant of

Futurity, and are neither conscious nor solicitous about their being made for this Purpose2 12 . So

that so long as they live, they enjoy themselves without anxiety; at least they rejoyce [sic] in the

present Good, and are neither tormented with the Remembrance of what is past, nor the Fear of

what is to come213 [ ... ]. »Les bêtes sont dotées d'entendement, d' appétits et de volonté, mais pas

de conscience ou du pouvoir d'élection. Elles sont, pour King, entièrement déterminées et

passives, car toutes leurs facultés sont déterminées et leur volonté, infailliblement inclinée, est

ainsi réduite à une fonction de mécanique volitive au service de l' entendemene I4 .

Cependant, contrairement aux bêtes, la théorie de la liberté de King suppose que nous,

humains, possédons la conscience et le pouvoir d' élection de la volonté, qui se distingue des

autres par sa liberté et par son statut actif et initialement indifférent lui permettant de déterminer

quels objets sont bons ou mauvais pour lui en les voulant ou en les rejetant, plutôt que d'avoir

une relation prédéterminée avec eux215 . « [ ... ] If we consult our own Minds, we may possibly

entertain a doubt whether we are always passive in our voluntary Acts: [ ... ] or, to speak more

211 Ibid., IV, § IV, ~ I-il.


2 12 Soit de servir, pour la plupart, de nourriture aux humains ou à d' autres animaux selon King.
213 Ibid., IV, § IV, ~ V.
2 14 Le pouvoir de la volonté des bêtes se réduit donc à celui que décrit Hobbes dans son Léviathan, soit que « [d]ans
la délibération, le dernier appétit, ou aversion, qui touche immédiatement l' action, ou son omission, s'appelle
volonté: l'acte (non la faculté) de vouloir. Et les bêtes, qui ont la délibération, doivent nécessairement aussi avoir de
la volonté. » (Thomas HOBBES, Léviathan, livre 1, chapitre 6, p. 136-137).
215 William KING, E.O.E., 1731 , V, § l, §§ ID, ~ IV.

66
plainly, whether we always choose things because they please us, or seem convenient; or whether

they sometimes appear indifferent in themselves, or inconvenient before the Choice, and acquire

their Goodness from it, and are for this reason only agreeable because they are chosen216 . » Que

nous partagions ce doute ou non avec King, nous pouvons du moins remarquer qu' il ne semble

pas impliquer que la volonté ne doive jamais être inclinée dans ses volitions pour que nous

soyons libres, mais seulement qu 'elle puisse parfois ne pas l'être. KirJg semble supposer que

notre volonté fonctionne, à la base, de la même façon que celle des bêtes, mais qu ' elle a un

pouvoir supplémentaire, le pouvoir d' élection, qui lui permet de résister aux inclinations217 .

KirJg reconnaît à plusieurs reprises dans son D .OM que notre volonté est parfois

déterminée ou inclinée à l'action par l' entendement et les appétits:

[ . ..] other things please or displease us, viz. such as are agreeable to the
Appetites or Senses, beside those which we choose: Now it being observ' d
that we have regard to these in Elections, and do not choose any thing [sic]
repugnant to them, but upon necessity, and that a11 Men are of Opinion,
that the Judgment of the Understanding ought to be made use of in
choosing, and being accustom' d to this kind ofChoice, we become at last
persuaded that it is absolutely necessary, and that our Wills are al ways
determin' d by sorne Judgment of the Understanding 2 18 [ . . . ] .

L'indifférence de la volonté que requiert King pour prétendre à la liberté est plus restreinte que la

plupart de ses critiques et commentateurs ont bien voulu lui accorde~19. Pour être libre, selon

216 Ibid., V, § l, §§ V, , 1. Nos italiques.


217 King précise ailleurs que c' est ce qui nous permet de mieux résister aux effets des maux naturels, qui ne peuvent
être entièrement évités par un entendement fini , car « [ ... ] it is better to struggle with sorne of these with Liberty,
than a11 ofthem with necessity; the former is the Condition of Men, the latter of Brutes. » (Ibid., V, § V, §§ II, , IX).
218 Ibid., V, § l, §§ V, , XXIll.
219 Outre Leibniz, citons Bayle, lorsqu ' il affirme que si l'humain « [ ... ] a une liberté independante de la raison, & de
la qualité des objets clairement conuë, il sera le plus indisciplinable de tous les animaux, & l'on ne pourra jamais
s' assûrer de lui faire prendre le bon parti. Tous les conseils, & tous les raisonnemens du monde pourront être très-
inutiles ; vous lui éclairerez, vous lui convaincrez l'esprit, & neanmoins sa volonté fera la fiere, & demeurera
immobile comme un rocher [ ... ] » (Pierre BAYLE, Réponse aux questions d 'un provincial, Tome second, chapitre
XC, § V, p. 223) et James A. Harris, quand il écrit que « William King takes an extreme libertarian position: he
argues that aU influence upon the will is incompatible with freedom, and seeks attempts to rehabilitate the liberty of
indifference that is Locke ' s principal target in the Essay' s chapter "Of Power" » (James A. HARRIS, Of Liberty and
Necessity, chapitre 2, p. 41) et que « [t]he conclusion King draws is that in order to give a coherent account of the
freedom, such as also makes clear the advantages of being free, the wiU needs to be decoupled from the
understanding, and regarded as a who11y independent and self-determining power. » (Ibid., p. 44).

67
King, il suffit que notre volonté ait la capacité de résister parfois aux inclinations de

l'entendement ou de déterminer quels objets sont bons ou mauvais pour elle, et pour que cette

liberté soit désirable, il faut que nous puissions tirer du plaisir de cette résistance ou de cette

autodétermination, que notre liberté puisse être source de bonheur.

Leibniz juge trop vite, à notre avis, que la volonté de King est absolument indifférente. À

plusieurs reprises, King précise que la volonté, en tant que faculté, est déterminée à agir, à

vouloir, lorsque l' opportunité de vouloir quelque chose se présente 22o • King implique aussi que la

volonté, en recherchant le plaisir, n'est pas indifférente à l' entendement, car c'est lui qui lui

indique initialement la présence d'opportunités de vouloir, ce qui suppose déjà une évaluation de

possibilité et des capacités de l' agent par l'entendement. «Not that al! things are indifferent with

respect to this Power, for it admits of sorne Limitations, as was observ 'd, beyond which it must

necessarily deviate from Happiness221 • »Et ces limites sont évaluées par l'entendement:

[ . ..] if the agreeableness of things be supposed to depend upon Election, a


very imperfect understanding will serve to direct this Agent, nor need he
to comprehend all the natures and habitudes of things: for if he do but
distinguish possible things from impossible, those things which are
pleasant to the Senses from them that are unpleasant, that which is
agreeable to the Faculties from what is disagreeable, and consult his own
Abilities, viz. how far his power reaches; (all which are easily discovered)
he will know enough to make him completely happy 222.

2.3.2 Des élections primaires

En second lieu, rappelons que King distingue deux types principaux d'actes de volonté,

soit les élections primaires et les élections secondaires 223 • Les primaires seraient les plus

indifférentes, parce que ce serait à l' aide de celles-ci que la volonté déterminerait quels objets

220 William KING, E.O.E. , 1731 , V, § I, §§ ID, ~ 1.


22 1Ibid., V, § I, §§ IlI, ~ XX.
222 Ibid., V, § I, §§ III, ~ XXI. Ces conditions sont, comme nous l' avons mentionné précédemment, les limites à
respecter pour atteindre le bonheur librement, à l'aide du pouvoir d' élection (Ibid., V, § I, §§ ID, ~ IX-XV).
223 Ibid., V, § I, §§ IV, ~ XII.

68
sont bons ou mauvais pour elle. La volonté libre considère au départ tous les objets

indifféremment, ni bons ni mauvais. Or, alors que dans une créature ne possédant pas le pouvoir

d'élection, la volonté attendrait passivement le jugement de ce qui est le meilleur selon

l'entendement pour le vouloir, « [fJor the Understanding directs a thing to be done no otherwise

than by determining that it is better 24 [ ••• ] », dans une créature libre,

[ ... J [sJince therefore, before the Determination of this Power, things are
suppos ' d to be indifferent to it, and no one better or worse than another
[ ... J, 'tis manifest that the Judgment of the Understanding concerning
things depends upon the same, and that it cannot pronounce upon the
Goodness or Badness of them, till it perceives whether the Power has
embraced or rejected them. The Understanding therefore must wait for the
Determination of this Power, before it can pass a Judgment, instead of the
Power's waiting for the Judgment of that Understanding before it can be
deterrnin ' d225.

Il faut préciser que l'entendement, à ce point, a déjà incliné la volonté d ' une certaine

façon, en lui révélant que quelque chose pouvait actuellement être voulu. Mais l' entendement ne

peut pas encore faire son « calcul des plaisirs» ou « du meilleur », car il ne sait pas à ce moment

ce qui est le meilleur pour toutes les facultés concernées. Les élections primaires sont donc libres

et très aléatoires 226 , car elles se produisent avant le calcul du meilleur par l'entendement. Ce

dernier est ici seulement utile « [ ... ] to propose Matters fit to be done, but not to determine

whether [the Will] should do them or not227 . »Lorsque la volonté a désigné un objet comme étant

bon par autodétermination lors d'une élection primaire, cet objet devient objectivement bon pour

elle, car en jouir va désormais entraîner autant de plaisir que celui d'une autre faculté jouissant

d'un objet auquel elle est naturellement attachée, « [ ... ] because we have form ' d an Appetite in

ourselves by sorne antecedent Election, and those things which we embrace by this factitious

224 Ibid., V, § I, §§ III, ~ VII.


225 Ibid., V, § I, §§ III, ~ VII.
226 Mais pas absolument aléatoires, car la volonté ne s' active que sous certaines conditions remplies par
l'entendement et les sens. Les élections primaires ont donc une cause, tirée de la nature de faculté de la volonté,
c'est-à-dire qu ' elle s' active nécessairement sous certaines conditions dans le but de créer du plaisir.
227 Ibid. , V, § I, §§ III, ~ VII.

69
Appetite, as we may call it, give us equal Pleasure with that which we desire by the Necessity of

Nature228 . » Cet appétit factice est ajouté au calcul des plaisirs et entre ainsi en compétition avec

les autres appétits, les appétits « naturels ». La volonté sera aussi maintenant sensible à la

présence des objets de ses appétits factices, comme un appétit naturel sait reconnaître ceux qui

promeuvent ou nuisent à ses désirs: « [ ... ] Desire manifestly follows this Determination, and

Desire is follow 'd by an Endeavour to obtain and enjoy the Object pursuant to the Application of

the Power. But if any thing [sic] should hinder or stop this Endeavour, and prevent the Power

from exerting those Operations which it undertook to discharge in relation to the Object, then

indeed Uneasiness would arise from the hindrance of the Power29 . »

Cette élection, bien qu ' assez aléatoire, peut entraîner du plaisir, car la volonté cause du

plaisir en s' activant, en voulant un objet librement quand elle le peut. Puis, dans le cas des

élections primaires, si l' entendement de l'agent a bien fait son travail en respectant les limites

conditionnelles à l'atteinte du bonheur et que l'objet élu se trouve être le même que celui jugé le

meilleur par l'entendement une fois que ce dernier a ajouté l' appétit factice à son calcul,

l'élection ajoutera au plaisir ressenti par la satisfaction de l'entendement et des appétits jouissant

de leur objet le plaisir entraîné par la jouissance l'objet de la volonté. Et si les appétits étaient

frustrés par la disposition des objets dans la nature et que la volonté s'est déterminée « par

chance » à l'objet qui les frustre, cette élection réduira l' insatisfaction générale de l' agent ou

pourrait même la faire disparaître en ajoutant dans la balance du calcul des plaisirs la double

satisfaction du choix libre et de la jouissance de l'objet de la volonté. « Nor is there need oflong

deliberation, whether any thing [sic] to be done be the very best; for if the Election be but made

228 Ibid., V, § l , §§ V, ~ XXIII.


229 Ibid., V, § l , §§ III, ~ VII.

70
within these bounds, that will become the best which is chosen230 . »

Cependant, il est aussi vrai que dans les mêmes conditions, si la volonté s' autodéterminait

à un objet frustrant des appétits actuellement satisfaits et que l'entendement, suite à son calcul,

jugeait que le meilleur était de vouloir l' objet de ces appétits plutôt que celui auquel la volonté

s'est autodéterminée, l' agent serait frappé de remords par la conscience d' avoir choisi autre chose

que le meilleur, et la frustration inutile de ses appétits et de son entendement le jetterait

certainement dans un inconfort et une douleur desquels il serait jugé responsable selon King,

puisque sa volonté libre serait la cause de ce mal non nécessaire.

' Tis on this account only that a light Evil occasion ' d by our own Choice
grieves and afflicts us more than a very great one from the Action of
another. If we expose ourselves to Poverty, Disgrace, or an untimely End,
by an Act of Choice, our Conscience remonstrates against it,
Remembrance stings us, and we cannot forgive ourselves [ . .. ]. But when
the same Evils befall us by extemal Force or the Necessity of nature, we
[ ... ] have none of that wounding Anxiousness, and vindictive Reproach of
Conscience, which scourges those that become miserable by their own
fault2 31•

2.3.3 Des élections secondaires

En dernier lieu, les élections secondaires seraient, quant à elles, les élections que nous

ferions lorsqu ' au moins un appétit factice serait considéré dès le départ par l'entendement dans

son calcul du meilleur ou autrement dit, lorsque nous serions en présence d'un objet à propos

duquel nous nous serions déjà autodéterminé par le passé. Ce second type d' élections serait ainsi

plus représentatif des élections que nous faisons au quotidien à l'âge adulte, car en vieillissant, en

accumulant des expériences, les situations où nous ne pouvons bénéficier d ' aucun secours de

230Ibid., V, § l, §§ Ill, ~ XXI. King parle ici des limites [bounds] conditionnelles à l' atteinte libre du bonheur.
Ibid., V, § l, §§ V, ~ V. Cette conscience de notre liberté et du bien et du mal n' est cependant pas innée pour
23 1
King, mais plutôt acquise par l'expérience de la frustration des facultés, des blessures du corps, des punitions, des
récompenses et des prévisions de punitions et récompenses faites par l'entendement. « This Method is to hinder or
excite Elections by Rewards and Punishments: To di vert [Free Agents] from unreasonable or absurd things, and draw
them to better by the persuasion of Reason. » (Ibid., V, § V, §§ III, ~ llI).

71
notre mémoire ou de nos capacités déductives devraient théoriquement devenir de plus en plus

rares. Le processus entourant ce second type d'élections est cependant plus difficile à cerner,

d' une part parce que King ne s'y est pas beaucoup attardé et qu'il est donc plus difficile

d' interpréter sa pensée à leur sujet, et d' autre part parce plusieurs facteurs peuvent les influencer.

Mais voici néanmoins un aperçu qui, nous l' espérons, leur rendra justice.

Supposons, donc, qu' un agent est dans une situation semblable à une autre qu' il a vécue

par le passé et qu ' il s' est précédemment autodéterminé à une action ou qu ' il s' est déjà

autodéterminé à l' un des objets parmi ceux représentés par l'entendement, et que dans tous les

cas, il possède un appétit factice dont l' objet est actuellement représenté par l'entendement.

D'abord, l'entendement pourra, avant même que la volonté ait pu agir, faire son calcul du

meilleur, car il peut évaluer la possibilité de satisfaction de l' appétit factice, la durée et l' intensité

du plaisir escompté, etc., comme il le fait pour les appétits naturels, et ensuite comparer les

différentes combinaisons de plaisir afin de déterminer laquelle sera la plus profitable, la

meilleure. Ainsi, alors que la volonté est informée de la possibilité d'élection et qu ' un objet

qu ' elle considère bon est parmi les choix, l'entendement a déjà rendu son verdict. L'agent est

d' emblée conscient de ce qui serait le meilleur choix alors que l' entendement commence à

incliner la volonté vers lui, comme l'entendement le ferait avec une volonté purement passive.

Si l' objet de la volonté se trouve être le meilleur selon l' entendement, nous nous trouvons

devant l'élection secondaire idéale, où l' agent, par son élection primaire, s' est autodéterminé à

désirer ce qui, dans la situation présente, est le meilleur. Dans ce cas, la volonté sera portée à

maintenir son élection primaire et à re-vouloir le même objet pour satisfaire son appétit factice .

Dans cette situation, la volonté serait libre, car bien que ses désirs correspondent au jugement de

l' entendement et que l'entendement l' incline vers cet objet, elle s' était au départ autodéterminée

à cet objet, ce n'est pas sous la contrainte du jugement de l'entendement qu ' elle l' a désiré.

72
Mais si l' objet de la volonté n' est pas le meilleur selon l' entendement, l' agent résistera:

sa volonté combattra l' inclination de l' entendement au meilleur. En effet, avoir conscience que ce

que nous désirons n ' est pas la meilleure option provoque un malaise et remet en question la

conscience de notre liberté, soit la conscience que nous avons de pouvoir nous plaire à élire une

chose ou son contraire si nous nous y déterminons 232 , en plus du fait que changer une élection est

toujours désagréable, « [ ... ] [fJor things please us because we will them, but to reject what we

once willed is contradicting ourselves, and cannot be done without a very disagreeable struggle

and convulsion of the Mind: as any one [sic] may learn from Experience233 . » Par contre, puisque

l'acte même d'élire, en tant que « choisir librement ce qui est bon ou mauvais pour nous », nous

est plaisant, résister à l' entendement et aux désirs des appétits est lui-même plaisant. Plus encore,

plus la volonté résiste à une inclination puissante, plus l' agent prend conscience de sa liberté, de

son pouvoir de résister aux inclinations naturelles et plus sa résistance entraîne de plaisir :

[ ... ] the Will, which has a Good peculiar to itself, which it produces by
Election [ ... ] has a certain Complacency in its own Exercise, and
endeavours to augment its Happiness by the pursuit of such things as are
repugnant to them. For the more Difficulties and Absurdities it encounters,
the more it applauds itself in a consciousness of its own AbiHties; which
seems to be the very thing we cali Vanity and Pride234 •

Or, l' acte de résistance, en créant du plaisir, associe un nouveau plaisir plus grand à la

jouissance de l' objet de la volonté, ce qui force l' entendement à faire un nouveau calcul pour

prendre en considération les nouvelles données et qui peut faire pencher la balance en faveur de

la volonté. Si la somme du plaisir initial associé à la jouissance de l' objet de la volonté et du

plaisir entraîné par la résistance de la volonté à vouloir cet objet en vient à rendre cet objet le

232 Ibid., V, § l, §§ V, ~ VI.


233 Ibid., V, § IV, ~ VII. Autrement dit, en plus de l' inconfort entraîné par la remise en question de notre liberté, se
contredire frustre grandement l'entendement et entraîne du déplaisir supplémentaire.
234 Ibid., V, § l, §§ V, ~ Xx. Bien que la formulation littérale laisse ici croire que King suppose un entendement à la
volonté, cette supposition n' est jamais ailleurs suggérée et ne va pas dans le sens de la description des facultés chez
King. TI faudrait donc, à notre avis, voir ce passage comme une personnification, une figure de style, alors que c' est
plutôt l' âme ou l' agent qui a conscience de sa liberté et du pouvoir d ' élection de sa volonté.

73
meilleur, soit celui promettant le plus de plaisir ou de bonheur, l' entendement, passivement,

soumettra ce nouveau calcul à la conscience et commencera naturellement à incliner la volonté

dans le sens de ce nouveau meilleur. La volonté pourra alors jouir de son objet et l' agent

bénéficiera d' un surplus de plaisir venant de la conscience de sa liberté. Bien sûr, cette victoire

n' est pas garante d' un plaisir plus grand que celui qui aurait pu être obtenu si l' agent s' était

autodéterminé au meilleur initial de l' entendement, mais l' agent « [ ... ] pleases himself in the

Trial, tho ' he be unfortunate in the Evenf 35 [ ... ]. » Cette élection secondaire, comme la

précédente, est encore libre, car bien que la volonté ait dû combattre les inclinations de

l'entendement, au final, c' est l' entendement qui a cédé et qui s' est plié aux désirs de la volonté.

Cependant, si le plaisir ajouté de la résistance n' est pas suffisant pour faire de l' objet de la

volonté le meilleur choix, ce sera la volonté qui cède ra et comme si elle était une simple volonté

passive et mécanique, elle sera forcée d' agir selon la décision de l' entendement. Ce type

d' élections secondaires serait le seul où la volonté agit de façon déterminée, où elle n' agit pas

librement. Privé de la jouissance de l' objet de sa volonté, l' agent sera misérable et le plaisir qu ' il

ressentira suite à la jouissance du meilleur sera grandement mitigé par le déplaisir de douter de sa

liberté, ce qui le mettra probablement sur le chemin du changement d'élection 236 .

[ ... ] [I]t is to be observ'd, that Elections are not chang ' d without a Sense
of Grief and Remorse. For we never think of altering them till we are
convinc ' d that we have chosen amiss. When therefore we are disappointed
of the Enjoyment of that which we have chosen, we despair, become
miserable, penitent, and conscious of an Evil Choice, and then at last
begin to alter our Choice, which cannot be done without an anxious and
uneasy Sense of Disappointment, and the more and longer we have been
intent upon any Election, so much the greater Pain it will cost us to be
forced to change it 237 •

Le processus de changement d' élection serait semblablement provoqué par les élections

235 Ibid., V, § IV, ~ IV.


236 « But the happiness lies in thi s, that it is not obliged to choose, and when it has chosen, if it can't enjoy the object
ofits choice, it may reject it again. » (William KING, E.D.E., 1781 , V, § l , §§ V, ~ X, note P) .
237 William KING, E.G.E. , 1731, V, § IV, ~ VII.

74
primaires des objets desquelles nous n' avons pas pu jouir, que ce soit parce qu' ils étaient

impossibles ou parce qu ' ils étaient hors de notre pouvoir. En ce qui concerne la question de

savoir si le changement d'élection équivaut à un retour à la case départ, soit à une nouvelle

élection primaire par laquelle nous risquerions de re-choisir le même objet, il ne semble pas que

ce soit le cas. Lors du processus, l'agent considère qu'il a fait un mauvais choix et la volonté, qui

comme toute autre faculté fuit la douleur et recherche le plaisir, changerait plutôt son élection

pour faire de l' objet initialement désirable ou bon un objet indésirable ou mauvais. Lorsque la

volonté fera sa nouvelle élection pour se déterminer à un autre objet, elle aura déjà un appétit

factice rejetant l' objet initial et ce dernier sera donc exclu de la nouvelle élection.

Comme nous l' avons mentionné un peu plus haut, plusieurs autres facteurs peuvent

influencer les élections secondaires, principalement à travers le calcul des plaisirs de

l'entendement et la force de la résistance de la volonté à ses inclinations, mais nous ne

développerons pas ceux-ci comme ils le mériteraient, faute d' espace. Néanmoins, voici les deux

principaux et plus développés par King et leurs possibles effets. D ' abord, lorsque l' agent se voit

remettre en doute sa liberté, il est possible que cela déclenche un changement d'élection, même si

l' objet de l'élection initiale était considéré comme le meilleur par l' entendement238 • Ensuite, au

contraire, plus une élection a été répétée ou plus nous avons souvent joui de son objet par le

passé, plus il sera difficile de la changer parce que reconnaître que nous avions tort de croire son

objet bon, c'est reconnaître que nous nous sommes trompés autant de fois , et certains préfèrent

ainsi persévérer dans la dissonance cognitive que d' admettre leurs erreurs 239 .

238Et même si « [ ... ] every one [sic] is oblig 'd to take care of himself, lest he be too fond of indulging new Elections,
and from Levity become unduely offensive to himself or others. » (Ibid., V, § IV, ~ IV). Dans ces cas, le déplaisir
ressenti par la remise en question de notre liberté provoquerait l' équivalent d' un changement d' élection,
généralement temporaire puisque très situationnel, et un autre objet serait élu à la place, bénéficiant de la valeur
ajoutée du plaisir associé au sentiment de liberté et ce, malgré les risques encourus par ces élections « frivoles ».
239 « Rence proceeds the Difficulty which we feel in altering Elections; hence many had rather persist in absurd

75
2.3.4 Applications des hypothèses précédentes aux critiques leibniziennes

Maintenant que le fonctionnement des élections et le rôle de la volonté dans les actions

ont été présentés, nous pouvons commencer à répondre directement aux critiques leibniziennes.

D ' abord, nous avons vu que les accusations de Leibniz concernant l' absolue indifférence de la

volonté libre de King semblent exagérées, considérant le fait que dès le départ, elle dépend des

jugements de l' entendement pour s' activer. King reconnaît donc avec Leibniz que l' inclination

est nécessaire à l 'action, mais il peut tout de même prétendre à la liberté de la volonté parce que

l' objet auquel la volonté se détermine, lui, n'est pas choisi par l'entendement24o . Mais nous avons

aussi observé que dans les cas où la puissance des appétits ou les besoins du corps ou de l'esprit

dominent la volonté, où elle est donc inclinée infailliblement, la volonté est passive dans son acte,

qui n' est alors pas libre, car l'objet de la volition n' est pas, dans ce cas, autodéterminé, mais

déterminé directement par l' inclination de l'entendement suivant son jugement du meilleur 41 .

Ensuite, King doit-il reconnaître avec Leibniz que les actes libres, tels qu ' il les présente,

sont équivalents à des choix faits au hasard, et donc dépourvus de toute forme de sagesse? En ce

qui concerne le hasard, nous avons déjà vu auparavant que King cherche à rejeter la question en

affirmant que si le hasard est « ce qui arrive hors de notre intention », les actes libres ne sont pas

Elections than undergo the trouble of altering them [ ... ]. » (Ibid., V, § IV, ~ Vil).
240 Bien que ce dernier ait un minimum d ' influence sur le choix de l'objet si nous considérons qu ' il détermine au
départ ceux qui sont possibles et accessibles. La volonté ne se détermine pas à suivre ou non les jugements de
l' entendement et les désirs des appétits, contrairement à ce que Leibniz semble en comprendre en mettant en garde
contre le risque de régression à l' infini de la volonté qui se déterminerait à se déterminer, etc. Ce processus se fait
« malgré » la volonté, qui a le pouvoir de résister à l' entendement, pas de se déterminer ou non à l' écouter.
241 Leibniz prétend que selon King, « [ . .. ] il semble qu' on serait misérable, si quelque heureuse nécessité nous
obligeait à bien choisir. [ . . .] Mais [il] ne sai[t] comment [King] a cru que ce serait dégrader Dieu et les hommes, s' ils
devaient être assujettis à la raison ; qu ' ils en deviendraient tous passifs [ ... ]. » (Gottfried Wilhelm LEIBNIZ,
« Remarques », § 3, p. 389). Or, en vérité, King reconnait que nous serions heureux si nous étions déterminés à bien
choisir, mais seulement d' un bonheur équivalent à celui des bêtes, sans mérite, car il croit que cette détermination
nous priverait de notre liberté en nous rendant passifs, notre volonté étant déterminée par la raison, elle-même
passive (William KING, E. OE. , 173 1, V, § I, §§ il, ~ V).

76
faits au hasard, car l' acte de volonté est l'intention, la volonté de l'agent242 • Néanmoins, ce bel

exemple de rhétorique n'empêche pas King de reconnaître ailleurs qu'effectivement, les actes

libres sont« [ ... ] dependent upon Chance, as ail the Actions of Free-Will are in manner supposed

to be243 [ ••• ]. » Mais ceci est surtout vrai des élections primaires, comme nous venons de le voir,

car ce sont les plus arbitraires, alors que les secondaires deviennent de plus en plus prévisibles.

En effet, nous avons aussi observé que la volonté ne s'autodétermine que dans un cadre

du possible posé par l'entendement et que les erreurs et mauvaises élections mènent normalement

à de nouvelles élections excluant les erreurs du passé. Ce processus de perfectionnement par

essais et erreurs, couplé au fait que l'entendement mémorise les conséquences des actions

précédentes et peut prévoir les maux à venir, peuvent laisser croire que les actes libres d' un agent

sont de moins en moins aléatoires à mesure qu'il accumule de l' expérience dans le monde.

« [ ... ] Punishment is a natural Evil, viz . Pain, Disappointment of Appetite, or Damage annex' d to

a wrong Choice, by a Foresight whereof we might be deterr'd from making a wrong Choice. In

these consists the Power and Efficacy of Laws, nor would they be of any force without them 244 • »

Puisque l'entendement incline au meilleur, la crainte des maux futurs peut forcer la volonté à

modifier ses élections fautives pour les rapprocher de plus en plus du meilleur245.

Sachant ceci, pouvons-nous alors affmner sans l' ombre d' un doute que de telles actions

libres, qui reposent effectivement sur une forme de hasard, sont alors faites sans sagesse? Disons

d'emblée que contrairement à ce que Leibniz suppose, King ne prétend pas que pour être libres,

nous devons ignorer la raison et ses conseils. Pour être libres, nous devons plutôt avoir le pouvoir

242 Ibid., V, § 1, §§ Ill, ~ XVlll.


243 Ibid., V, § 1, §§ Il, ~ V.
244 Ibid., Appendix, § Il, ~ 1.
245 King précise encore que « Punishments then are annex'd to Evil Elections, in order to prevent them, and inflicted
to correct and am end the Offenders, or to deter others from the like Offences. » (Ibid., Appendix, § II, ~ IV). Ceci
indique à la fois que King ne prétend pas que les élections successives d ' un même agent doivent rester purement
aléatoires pour être libres, et qu ' il reconnait l' importance d'établir la possibilité d'un progrès moral dans sa théorie.

77
de la sUIvre ou non librement, un acte autodéterminé de la volonté allant dans le sens de

l' inclination de l'entendement étant aussi libre qu ' un autre qui lui résiste. En allant plus loin,

nous pouvons affirmer que si un acte doit être entrepris en conséquence d' une représentation du

bien ou du mal, sans quoi il est entrepris sans sagesse et donc au hasard, comme le veut Leibniz,

alors l' acte acco~pli librement dans la théorie de King n'est pas fait sans sagesse. Si nous

déconstruisons une élection primaire en ses différents moments, nous formons d' abord l' acte

d'élection, par lequel nous créons un appétit factice qui rend un objet bon pour la volonté, puis

ceci fait naître un désir, suivant la représentation du bien de l' appétit factice, en présence ou en

perspective de l' objet, suivi par un effort pour l' obtenir, effort qui est l' acte de volition mettant en

branle le corps et qui mène à l' action désirée. Si nous désirons l' objet, c' est parce que nous le

considérons préalablement bon. La chose est encore plus vraie des actes découlant d' élections

secondaires, car le premier instant est alors la représentation du bien pour notre volonté.

Et si nous inspectons l' acte d'élection lui-même, lors d' une élection primaire, il n'est pas

si évident qu ' il soit fait sans sagesse, car si le pouvoir d'élection s' active au départ, en présence

d'objets dont aucun n' est meilleur pour lui initialement, c'est en perspective du plaisir d'exercer

son pouvoir, comme c' est le cas dans toutes les facultés. Il semble ainsi que dès ce premier

instant, l' activation initiale du pouvoir d' élection soit due à une représentation du bien de la

faculté. De son propre bien, certes, mais une représentation du bien tout de même 246 . Par contre,

si nous requérons, comme semble aussi le sous-entendre Leibniz, que pour qu 'un acte soit fait

avec sagesse, il doive être le résultat d' une délibération de l' entendement2 47 , King devrait

répondre qu ' il ya toujours délib~ration de l'entendement, mais qu ' être libre c' est justement avoir

246 Il semble donc que les actes fondés sur la liberté d' indifférence peuvent être, d' une certaine façon , « motivés » et
non purement arbitraires, contrairement à ce que Leibniz suggère, ainsi que James A. Harris, lorsqu ' il écrit que tous
les défenseurs de la liberté d' indifférence sont « [ ... ] such as King, who hold[s] that a motive is not necessary to a
particular exercise of the will. » (James A. HARRIS, Of Liberty and Necessity, chapitre 7, p. 164).
247 Gottfried Wilhelm LEffiNIZ, Nouveaux essais sur ' ·entendement humain, II, XXI, § 50, p. 153-154.

78
le pouvoir de s' accorder ou non à son jugement, car les actes que nous posons sous la contrainte

de l' entendement sont passifs, puisque l'entendement lui-même est passif. Cependant, King est

d' accord avec Leibniz pour dire que nos élections s'accordant aux jugements de l' entendement

sont les plus profitables et que les contredire mène au mal. « These things, 1 confess, ought not to

be done; but if nothing could be done which ought not, there would be no such thing as a Fault.

As therefore much Good arises from this Principle, so there is this Evil also, that by it Crimes and

Follies are committed: And it has this Inconvenience that it can do what it ought not 248 . »

Enfin, pouvons-nous dire avec Leibniz que les actes libres tels que proposés par King

nous priveraient de mérite et de démérite, de notre responsabilité morale? Premièrement, King

répond directement à ce problème dans la note L de la cinquième édition de E.O.E. , en disant que

pour juger si un agent est moralement responsable, « [ ... ] those good or bad qualities that oblige

him to do a good or bad action are either from himself, that is his choice; or proceed from

outward agents that produced them in him: if from his own choice, then it agrees with [my]

opinion; but if from sorne outward agent, then it is plain the good or evil is to be imputed to that

agent onl1 49 . » Autrement dit, lorsqu ' une personne est assassinée à l'aide d' une arme à feu, nous

serions justifiés d' affirmer que c'est la balle de l'arme à feu qui a provoqué la mort de la victime,

mais comme le fait remarquer King, ce n'est pas là le sens de notre réflexion morale. Derrière un

blâme moral, il y a un jugement sous-entendant que le mal a été causé librement, qu 'il aurait pu

être évité dans les mêmes circonstances. Puisque nous jugeons que ni la balle, ni l' arme n'avaient

en elles le principe de leur action, qu ' elles ne se sont pas déterminées à l' action, qu ' elles n'étaient

que des outils ou des moyens, nous remontons alors dans la chaîne causale jusqu 'à trouver un

248 William KING, E.o.E. , 1731 , V, § l, §§ V, ~ XXII.


249 William KING, E.O.E. , 1781, V, § l, §§ Ill, ~ XIX, note L.

79
agent que nous jugeons libre et c' est lui que nous jugeons responsable moralement25o . Or, c' est

précisément ce que King propose comme liberté, soit que nos actes libres sont autodéterminés et

que nous en sommes donc la cause réelle.

Deuxièmement, nous avons vu que Leibniz requiert que pour qu' une action puisse être

louée ou blâmée moralement, nous devions la considérer bonne ou mauvaise au préalable. Un

criminel est, selon Leibniz, plus à blâmer lorsqu ' il prend plaisir à faire le mal, alors qu' un

individu le faisant par accident ou sous l'influence irrépressible des appétits verrait ses peines

réduites, distinguant du même coup un homicide au premier degré d' un homicide accidentel.

Mais n' est-ce pas précisément ce que King propose? Comme nous venons de l' observer plus

haut, lorsqu 'un agent fait une élection, qu ' elle soit primaire ou secondaire, c' est parce que la

perspective du plaisir qu ' il retirera de l' action a provoqué en lui un désir, qui a été suivi d'un

effort pour entreprendre cette action, à l'exécution de laquelle l' agent s'est plu. Les criminels,

selon la théorie de King, sont à blâmer moralement pour cette exacte raison: parce qu ' ils

prennent plaisir à des actions qui entraînent un mal non nécessaire. C' est ce qui explique

pourquoi être nu n' est pas un crime légal ou moral, mais qu ' être nu en public l' est25 1. Et la chose

est encore plus vraie des élections secondaires et des cas où la volonté du criminel a résisté aux

exhortations au bien de l'entendement pour satisfaire son plaisir sadique252 .

Dernièrement, devons-nous croire avec Leibniz que la théorie des élections ferait

250 Et si, en sui vant ce raisonnement, nous ne trouvons aucune cause que nous jugeons libre, nous concluons
généralement à un accident. Si un individu qui se trouvait au bord d ' un précipice est poussé en bas par une rafale
subite de vent et qu ' i! meurt de sa chute, nous conclurons qu ' il s' agissait d' un accident, car aucun agent libre ne
pourra être trouvé dans la chaîne causale ayant mené au décès, qui est alors un mal naturel et non moral.
251 Paola LORIGGIO, La loi canadienne sur la nudité est constitutionnelle, (page consultée le 10 juillet 2017),
http://www.lapresse.ca/actualites/nationaI/20 120 1112/01-4485 367 -la-loi -canadienne-sur-la-nudi te-est-
constitutionnelle.php.
252 « [ ... ] [I]n an absurd Election, tho' we see and know ail that we are about to do : if then there be any Error, 'tis
only this that we judge it better to enjoy a free Election, than to be exempt from natural Evil s. Hence it is evident that
there arises so mu ch Pleasure from Election as is able to impose upon the Understanding, and induce it to prefer that
to aU kinds ofnatural Good, nay to Life itself. » (William KING, E.O.E. , 1731 , V, § l, §§ V, ~ XV).

80
disparaître la distinction entre les criminels et les fous à cause de l' origine aléatoire des élections

et que celles qui seraient au contraire préméditées devraient être lavées de toute louange ou blâme

parce qu ' elles seraient déterminées, aboutissant à des absurdités 253 ? Pour répondre simplement à

ceci, posons-nous la question suivante: quelle est la raison la plus blâmable pour avoir commis

un crime? Leibniz semble supposer qu ' à la question « pourquoi as-tu tué x? », un agent libre

selon la théorie de King devrait répondre « je ne sais pas », alors que sa réponse serait plutôt

« parce que je le voulais » ou, plus troublant encore, « parce que la perspective de le faire me

plaisait ». Les absurdités craintes par Leibniz ne semblent pas probables suivant la théorie des

élections, car les actes qui sont déterminés, où la volonté de l' agent est écrasée par sa raison, ne

mènent normalement pas à des maux moraux 254 . N ' oublions pas que l' entendement incline au

meilleur, alors un individu qui commettrait des crimes par « nécessité », parce que c' était la

« meilleure solution », serait certainement bien mal en point, sa détresse palpable, ce qui

risquerait plus de lui attirer de la sympathie que du blâme.

253 Gottfried Wilhelm LEffiNIZ, « Remarques », § 15, p. 401. Il n'est même pas évident que l' affirmation de Leibniz
voulant que plus nous trouvons de raisonnement derrière un crime, plus il est punissable, soit justifiée. Certes, les
crimes passionnels sont généralement mieux tolérés, mais un criminel expliquant ses 18 meurtres par « j ' en avais
envie », ne s' attirera probablement pas beaucoup de sympathie, malgré le raisonnement très limité derrière ses
crimes. Au contraire, un criminel qui justifierait ses 18 meurtres en expliquant, preuves à l' appui, que ses victimes
étaient elles-mêmes des criminels violents qu ' il avait étudiés pendant des semaines au préalable, s' attirerait
certainement beaucoup plus de sympathie, malgré le raisonnement complexe derrière ses crimes. Et si son châtiment
légal n' en serait peut-être pas altéré, le blâme moral qui lui serait attribué en serait probablement atténué.
254 King reconnaît deux exceptions à ceci, soit les erreurs d' entendement et la folie, à travers lesquelles
l' entendement peut forcer l' agent à commettre des actes mauvais non libres. L 'entendement humain étant une faculté
limitée, il est possible qu' il commette des erreurs dans ses calculs, ce qui se produit principalement en bas âge,
lorsque l'agent est en train d ' accumuler son bagage d 'expériences, mais qui devrait normalement devenir moins
fréquent en vieillissant. « [ ... ] [W]e are liable to Errors and Ignorance; and [ ... ] this is to be reckon ' d among the
natural Evils . When therefore we are forc ' d to choose among things not sufficiently known, our Errors are not to be
charg' d upon us, nor is it credible that God will suffer them to prove fatal to us. » (William KING, E.D.E. , 1731 , V,
§ IV, , II). Cependant, quelqu ' un qui n' arriverait pas, en vieillissant, à apprendre de ses expériences physiques et
morales le devrait à un dysfonctionnement de l' entendement, ce que King définit comme étant la folie. « He that is
so far disorder'd in his Mind as not to be able to deduce one Idea from another, nor make Observations upon what he
sees, is look' d upon as a Mad-man [ ... ]. » (Ibid. , V, § l, §§ V, , XX). Comme c' est le cas avec les enfants, nous
sommes plus tolérants moralement et même légalement avec les malades mentaux, car nous considérons qu ' ils ne
possèdent pas les facultés nécessaires pour être jugés responsables moralement.

81
2.4 Concernant l'indifférence de la volonté humaine

Le second ensemble de critiques faites par Leibniz cible principalement la prémisse de

King voulant que ce ne soit que par la possession du pouvoir d' élection que nous pouvons

expliquer rationnellement la plupart de nos comportements et de nos intuitions concernant la

liberté, mais même dans le cas où nous posséderions un tel pouvoir, Leibniz considère qu ' il serait

une nuisance et non la clé du bonheur.

D ' abord, Leibniz rejette la preuve par l' intuition de King, selon laquelle nous devons

posséder le pouvoir d' élection de la volonté parce que nous sentons une indifférence en nous

lorsque nous faisons l' expérience de notre liberté. Leibniz croit au contraire que

[n]ous sentons ordinairement en nous quelque chose qui nous incline à


notre choix ; et lorsqu ' il arrive quelquefois que nous ne pouvons point
rendre raison de toutes nos dispositions, un peu d ' attention pourtant nous
fait connaître que la constitution de notre corps et des corps ambiants,
l' assiette présente ou précédente de notre âme, et quantité de petites
choses enveloppées dans ces grands chefs, peuvent contribuer à nous faire
former des jugements divers en différents temps ; sans qu ' il y ait personne
qui attribue cela à une pure indifférence, ou à une je ne sais quelle force de
l' âme qui fasse sur les objets ce qu 'on dit que les couleurs font sur le
caméléon 255 •

Leibniz rappelle ainsi que ce n' est pas parce que nous n' avons pas conscience d' être incliné par

quelque chose que nous ne le sommes pas et que ne pas percevoir quelque chose n' est pas une

preuve suffisante de son inexistence.

Leibniz rejette ensuite la preuve a posteriori de King, soit que nous expérimentons les

marques et les propriétés de cette liberté d'indifférence lorsque nous nous plaisons à nous

opposer aux appétits et à la raison. Leibniz rappelle d' abord que nous pouvons être actifs tout en

étant inclinés, tant que l'agent est poussé à l' action par ses propres représentations du bien et du

mal, et donc spontanément. Puis, Leibniz ne croit pas que notre capacité à nous opposer à nos

appétits naturels et à la raison vienne de l' indifférence de notre volonté. « Mais je l' ai déjà dit, on

255 Gottfried Wilhelm LEIBNIZ, « Remarques », § 23 , p. 413.

82
s'oppose aux appétits naturels par d' autres appétits naturels. On supporte quelquefois des

incommodités et on le fait avec joie ; mais c'est à cause de quelque espérance ou de quelque

satisfaction qui est jointe au mal et qui le surpasse ; on en attend un bien ou on l'y trouve 256 . »

Leibniz ajoute que ce n' est pas par la force de notre volonté libre que nous arrivons parfois à

changer nos appétits naturels, mais simplement par habitude, par accoutumance, comme nous

nous endurcissons à certains maux.

[King] prétend que c'est par cette puissance transformative des apparences
qu ' il a mise sur le théâtre, que nous rendons agréable ce qui nous
déplaisait au commencement ; mais qui ne voit que c'est plutôt parce que
l'application et l'attention à l'objet et la coutume changent notre
disposition, et, par conséquent, nos appétits naturels? L ' accoutumance
aussi fait qu' un degré de froid ou de chaleur assez considérable ne nous
incommode plus comme il faisait auparavant, et il n'y a personne qui
attribue cet effet à notre puissance élective 257 •

Leibniz rejette enfin la conclusion de King qui veut que le pouvoir indifférent de la

volonté soit le meilleur moyen ou le seul que nous avons pour expliquer plusieurs de nos

comportements et choix, principalement ceux qui vont à l'encontre de la raison, comme lorsque

nous ignorons les conseils, les incommodités, la colère de Dieu ou même la mort pour poursuivre

des sottises et que nous en tirons du plaisir. Leibniz reconnaît les observations de King, mais

refuse de les expliquer par l'indifférence de nos élections.

Car quand on viendra à quelque exemple, on trouvera qu ' il y a eu des


raisons ou causes qui ont porté l'homme à son choix et qu'il y a des liens
bien forts qui l'y attachent. Une amourette, par exemple, ne sera jamais
venue d ' une pure indifférence ; l' inclination ou la passion y aura joué son
jeu : mais l'accoutumance et l'obstination pourront faire dans certains
naturels qu 'on se ruinera plutôt que de s'en détacher258 •

Leibniz souligne avec justesse que pour King, certains actes déraisonnables, lorsqu'accomplis par

des agents agissant autrement comme des personnes sensées et raisonnables, ne peuvent

s'expliquer autrement que par le pouvoir d'élection, car les conséquences de ces actes entraînent

256 Ibid., § 23, p. 414.


257 Ibid.
258 Ibid., § 24, p. 415.

83
naturellement beaucoup plus de maux que de biens et n' offrent aucune perspective rationnelle de

bien dans le funu-2 59 . Mais Leibniz refuse toujours la conclusion de King, soit la nécessité

d' utiliser le pouvoir indifférent d' élection pour expliquer ces comportements irrationnels.

En effet, nous pouvons faire ces transformations ; mais ce n' est pas
comme chez les fées, par un simple acte de cette puissance magique ; mais
parce qu 'on obscurcit et supprime dans son esprit les représentations des
qualités bonnes ou mauvaises, jointes naturellement à certains objets ; et
parce qu 'on n'y envisage que celles qui sont conformes à notre goût ou à
nos préventions ; ou même parce qu 'on y joint, à force d 'y penser,
certaines qualités qui ne s'y trouvent liées que par accident, ou par notre
coutume de les envisager. [ ... ] En un mot, une impression forte, ou
souvent répétée, peut changer considérablement nos organes, notre
imagination, notre mémoire, et même notre raisonnement26o .

Leibniz poursuit en critiquant l' explication de l'obstination chez King, qui est à la source

de la plupart des changements de nos appétits et de notre raison. Leibniz affirme que

[ . ..] l'obstination n ' est pas simplement une mauvaise élection qui
persévère, mais aussi une disposition à y persévérer, qui vient de quelque
bien qu 'on s'y figure, ou de quelque mal qu ' on se figure dans le
changement. La première élection a peut-être été faite par légèreté ; mais
le dessein de la maintenir vient de quelques raisons, ou impressions plus
fortes . Il y a même quelques auteurs de morale qui enseignent qu ' on doit
maintenir son choix, pour ne point être inconsistant, ou pour ne le point
paraître26 1 [ ... ] : mais quand la pensée du changement est désagréable, on
en détourne facilement l' attention ; et c' est par là le plus souvent qu ' on
s'obstine. [King] , qui a voulu rapporter l'obstination à son indifférence
pure prétendue, pouvait considérer qu ' il fallait autre chose pour s' attacher
à une élection que l' élection toute seule, ou qu' une indifférence pure,
surtout si cette élection s'est faite légèrement ; et d' autant plus légèrement
qu ' elle s' est faite avec plus d' indifférence ; en quel cas on viendra
facilement à la défaire, à moins que la vanité, l'accoutumance, l' intérêt, ou
quelque autre raison nous y fassent persévérer 262 .

Chaque fois que nous choisissons à l' encontre de l' évidence des appétits ou de la raison, selon

Leibniz, c' est suite à une inclination plus forte venant d' un autre appétit ou d' une autre raison,

jamais par indifférence, même si ces inclinations ou raisons ne sont pas perceptibles ou si les

259 Rappelons encore une fois l' exemple des avares, gens parfaitement sensés au quotidien, mais qui agissent contre
toute raison et vivent dans la misère, la maladie et au péril de leurs familles et amis pour accumuler une fortune
qu ' ils n' auront jamais l' intention d' utiliser (William KING, E.D.E. , 1731 , V, § V, §§ VI, ~ VI).
260 Gottfried Wilhelm LEIBNIZ, « Remarques », § 24, p. 416 .
261 Bien qu ' il n'y fasse pas référence directement, nous reconnaissons ici clairement une attaque envers Descartes et
la seconde maxime de sa morale provi soire, cf René DESCARTES, Discours de la méthode (Troisième partie),
Paris, Librairie Générale Française, 2000 [1637 pour la 1ère édition], p. 99-100.
262 Gottfried Wilhelm LEIBNIZ, « Remarques », § 25 , p. 417.

84
représentations du bien et du mal que nous poursuivons ne sont qu ' apparentes. Un choix fait par

indifférence, envers lequel nous ne sommes donc pas naturellement fortement inclinés, devrait au

contraire, selon Leibniz, être facile à renverser, puisque rien ne nous y attache. Nul besoin de

supposer une indifférence de la volonté pour expliquer ces comportements selon Leibniz. Il nous

suffit de considérer que bien souvent, les gens « [ ... ] sacrifient leurs avantages à leurs caprices,

c'est-à-dire des biens réels à des biens apparents 263 . »

Et en plus du fait que Leibniz rejette les explications de King justifiant notre possession

du pouvoir d' élection, il considère que de supposer que nous le possédons est en soi une

absurdité, parce que ce genre de liberté serait un frein à notre recherche du bonheur et que

chercher à prouver le contraire embourbe King dans les absurdités et les contradictions. Leibniz

rejette l' argument de King qui veut que sans l' indifférence de la volonté, cette dernière serait

soumise aux représentations du bien et du mal et dépendrait ainsi de la bonne disposition des

choses externes, sur laquelle nous n' avons pas de pouvoir, pour atteindre le bonheur, ce qui le

rendrait, au mieux, difficile à atteindre, et au pire, impossible. Leibniz considère d' abord que

l'indifférence de la volonté n' empêcherait en rien de ressentir la douleur, de craindre des maux

futurs ou imaginaires ou d' être esclave de ses passions et il accuse King d'affirmer le contraire à

l' aide de son « calcul des plaisirs264 », ce qui mène à des absurdités.

Supposé que, par mon choix, qui fait que je donne la bonté, par rapport à
moi, à ce que je choisis, je donne à l' objet choisi six degrés de bonté, et
qu ' il y eût auparavant deux degrés de ma] dans mon état : je deviendrai
heureux tout d' un coup et à mon aise ; car j 'aurais quatre degrés de
revenant bon, ou de bien franc. Voilà qui est beau, sans doute ; mais, par
malheur, il est impossible. Car quel moyen de donner ces six degrés de
bonté à l' objet ? Il nous faudrait pour cela la puissance de changer notre
goût ou les choses comme bon nous semble. Ce serait à peu près comme si
je pouvais dire efficacement au plomb: Tu seras or ; au caillou : Tu seras
diamant ; ou du moins : Vous me ferez le même effet. [ .. .] Mais s' il m' est

263Ibid., § 25, p. 419.


264 Ibid. , § 18, p. 405. Leibniz utilise les termes « compte » et « estime », mais nous croyons que « calcul des
plaisirs» ou calcul du meilleur illustre mieux ce processus chez King.

85
libre de donner ces six degrés de bonté à l' objet, ne m' est-il point permis
de lui en donner davantage ? Je pense que oui. Mais si cela est, pourquoi
ne donnerons-nous pas à l'objet toute la bonté imaginable ? pourquoi
n' irons-nous pas à vingt-quatre carats de bonté ? Et par ce moyen nous
voilà pleinement heureux, malgré les accidents de la fortune ; qu ' il vente,
qu ' il grêle, qu ' il neige, nous ne nous en soucierons pas ; par le moyen de
ce beau secret, nous serons toujours à l'abri des cas fortuits 265 .

Nous le voyons, Leibniz n' accorde aucune crédibilité au calcul des plaisirs de King, car il

juge qu'alors rien ne pourrait empêcher un agent possédant une volonté indifférente de donner

infiniment de bonté aux objets et que les conséquences seraient inacceptables, puisqu ' il n ' y aurait

alors aucune raison logique expliquant pourquoi certains humains sont malheureux ou souffrent,

observations qui sont reconnues par King, lorsqu'il affirme que la félicité absolue est impossible

dans cette vie. « Car d' où prendrait-on la raison des bornes, si l' objet est possible, s' il est à portée

de celui qui veut, et si la volonté lui peut donner la bonté qu' elle veut, indépendamment de la

réalité et des apparences? Il me semble que cela peut suffire pour renverser une hypothèse si

précaire, où il y a quelque chose de semblable aux contes de fées 266 [ •.• ]. »

Leibniz accuse enfm King de se contredire lui-même sur les conditions du bonheur, car ce

dernier dit d' une part que notre bonheur dépend de notre liberté d' indifférence envers les

objets267 , que nous partageons avec Dieu, et d'autre part que pour être solidement heureux, nous

devons accommoder nos élections à la nature des choses et à la volonté de Dieu parce que les

choses ne seront jamais perpétuellement disposées selon nos appétits et parce que les choses se

produiront toujours selon la volonté de Dieu 268 . Leibniz affinne alors que si ces deux affirmations

sont vraies, « [ ...] c' est dire en même temps qu' il faut que notre volonté se règle, autant qu' il est

265 Ibid.
266 Ibid., § 18, p. 406.
267 William KING, E. O.E. , 1731 , V, § II. Sean Greenberg va plus loin que Leibniz à ce sujet : « The main problem
with King' s account of freedom is that it seems to make happiness altogether independent of God. In this respect,
however, King' s account of freedom reveals a flaw in the project of On the Origin of Evil, for it does not reinforce
belief in God ' s existence, and thus does not tum away the threat posed by "Epicurism, Deism, and the denial of
revealed religion". » (Sean GREENBERG, « Leibniz on King: Freedom and the Project of the "Theodicy" », p. 220).
268 William KING, E.O.E., 1731 , V, § V.

86
possible, sur la réalité des objets, et sur les véritables représentations du bien et du mal ; et par

conséquent que les motifs du bien et du mal ne sont point contraires à la liberté, et que la

puissance de choisir sans sujet, bien loin de servir à notre félicité, est inutile, et même très

dommageable 269 • » En effet, selon Leibniz, si nous devons accommoder nos élections à la volonté

de Dieu pour être solidement heureux, comment l' indifférence de notre volonté pourrait-elle être

garante de notre bonheur? Son indifférence ne fera que nous permettre de nous tromper, alors

que nous serions franchement mieux servis par une volonté déterminée par les représentations du

bien et du mal, afin de pouvoir découvrir la volonté de Dieu et nous y accorder.

2.5 Réponses aux critiques ciblant l'indifférence de la volonté humaine

Afin de structurer les réponses qui suivent, nous pourrions résumer la seconde série de

critiques leibniziennes sous deux thèmes différents, soit d' une part que tenter d' expliquer les

comportements humains libres à l' aide de la théorie des élections mène à des absurdités et,

d' autre part, que cette théorie, même si nous admettions qu ' elle était possible, ne pourrait pas

garantir notre bonheur.

2.5.1 Des« incohérences» d'une indifférence de la volonté humaine

Premièrement, nous croyons que suivant l' explication que nous avons donnée

précédemment du processus électif, le fait que nous puissions, au quotidien, « rationaliser » nos

élections n' est pas une preuve de détermination par l' entendement, principalement en ce qui

concerne les élections secondaires. Alors que dans une élection primaire, il est difficile de

justifier pourquoi nous avons voulu quelque chose autrement qu ' en disant que la perspective d' en

269 Gottfried Wilhelm LEIBNIZ, « Remarques », § 26, p. 419.

87
jouir nous plaisait, lors des élections secondaires libres, le jugement de l'entendement s' accorde à

la volonté, qu'il y ait eu coopération initiale ou résistance de la volonté, et puisque l'agent a

conscience de ce jugement et même de l'éventuelle résistance de sa volonté, il peut souvent

facilement justifier ses élections à l' aide du calcul de l' entendement27o .

Deuxièmement, nous croyons que King accorderait à Leibniz que lorsque nous nous

opposons à la raison et aux appétits naturels, c'est par la force d'autres appétits, mais nous avons

vu que King suppose que les élections forment des appétits factices et c' est ce type d'appétit que

la volonté cherche à satisfaire lorsqu ' elle résiste aux inclinations de l' entendement. Leibniz a

donc raison d' affirmer que c' est dans l'espoir d'une satisfaction surpassant le malaise de la

confrontation que nous nous opposons à l' entendement2 71 , et non par un caprice indifférent, mais

comme nous l' avons vu, ce n' est pas non plus ce que King suppose.

Troisièmement, nous croyons aussi que Leibniz s' attaque à une chimère lorsqu'il affirme

que King prétend que c' est par indifférence que nous rendons agréable ce qui déplaisait au départ

à nos appétits et vice versa 272 • King affirme que nous pouvons

[ . .. ] alter, as it were, Nature itself, by an obstinate Election, and make


these Appetites pursue what they naturally avoid and tly what by Nature
they desire. And this takes place not only in Appetites, but aiso in the
Objects of the Senses. Sorne things are naturally unpleasant to them, sorne
things bitter, nauseous, deform 'd, yet these are made tolerable by the
force of Election, and by a change of the natural Propensity, at length
become Delights [ ... ] for it has a Good in itself superior to these, by the
Power ofwhich it can overcome and alter the Nature ofthem 273 [ . .. ] .

Ce passage semble supposer que nous pouvons littéralement modifier la nature des appétits ou

modifier leurs objets, mais dans les faits, le seul pouvoir que nous ayons est de modérer

indirectement l' amplitude de leur satisfaction ou de leur insatisfaction en modifiant, à l'aide de

270 Même si, à dire vrai, ce n' est pas suivant le jugement que nous avons élu, mais plutôt l' inverse.
27\ Ibid., § 23, p. 414.
272 Ibid.
273 William KING, E.o.E. , 1731 , V, § J, §§ V, ~ IX, p.203-204. Nos italiques.

88
nos élections, la valeur qu'ils ont dans le calcul du meilleur de l' entendement. Chaque fois que le

jugement de l'entendement considère comme meilleure l' insatisfaction d'un appétit plutôt que sa

satisfaction, ce jugement est mémorisé et lors des calculs ultérieurs, l'entendement jugera de

prime abord qu'il est possible d' être heureux malgré son insatisfaction 274 . King accorderait donc

à Leibniz que ce n' est pas l' indifférence qui est directement responsable de ces changements,

mais bien l' habitude et la répétition. Par contre, ils sont bel et bien motivés par la volonté libre.

Quatrièmement, les critiques de Leibniz entourant les causes nous menant à agir contre les

aVIs de l' entendement et concernant l' origine de l' obstination ont perdu, rendu où nous en

sommes, leur « mordant », car elles sont encore une fois basées presqu ' exclusivement sur

l' interprétation qu ' il fait des élections de King, soit qu ' elles seraient, du début à la fin,

parfaitement indifférentes et aléatoires et qu ' elles devraient donc aussi être faciles à abandonner

ou à changer. Mais au risque de nous répéter, voici ce que pourraient être les réponses de King à

ce sujet. D' abord, Leibniz a raison d' affIrmer que lorsque nous agissons librement contre la

raison, c'est « [ ... ] parce qu ' on obscurcit et supprime dans son esprit les représentations des

qualités bonnes ou mauvaises, jointes naturellement à certains objets ; et parce qu ' on n'y

envisage que celles qui sont conformes à notre goût ou à nos préventions; ou même parce qu ' on

y joint, à force d' y penser, certaines qualités qui ne s' y trouvent liées que par accident275 [ .. . ]. »

Mais c'est aussi exactement la description du déroulement d' une élection secondaire où la

volonté résiste victorieusement aux inclinations de l' entendement.

274 Reprenons l' exemple de la bière et de l' amertume. La première gorgée de bière résulte rarement en un plaisir
absolu, à cause de l' amertume qui est souvent considérée naturellement détestable au goût. Mais plusieurs autres
plaisirs sont associés à sa consommation, en plus de la satisfaction de l' objet de la volonté et du plaisir d' élire,
comme une éventuelle saveur sucrée, une légère ivresse, une sensation de rafraîchissement, etc. Or, suivant la théorie
des élections, chaque consommation ultérieure, tant que l'élection de vouloir de la bière continue, verra le plaisir
augmenter par la satisfaction continue de l'objet du pouvoir d' élection, jusqu' à ce que l' inconfort associé à
l'amertume, bien qu ' encore présent, soit plus ou moins étouffé sous le plaisir entraîné par les autres facultés .
275 Gottfried Wilhelm LEIBNIZ, « Remarques », § 24, p. 416.

89
Ensuite, Leibniz s'accorde encore, malgré lui, avec King en ce qui concerne l'origine de

l'obstination, lorsqu 'il écrit que

[ ... ] l'obstination n' est pas simplement une mauvaise élection qui
persévère, mais aussi une disposition à y persévérer, qui vient de quelque
bien qu'on s'y figure, ou de quelque mal qu'on se figure dans le
changement. La première élection a peut-être été faite par légèreté ; mais
le dessein de la maintenir vient de quelques raisons, ou impressions plus
fortes [ .. .] : mais quand la pensée du changement est désagréable, on en
détourne facilement l'attention ; et c' est par là le plus souvent qu' on
s' obstine 276 .

Or, voilà encore une fois la description d' une obstination dans la théorie des élections277 . Bien

que nos élections primaires soient effectivement faites avec une certaine légèreté 278, l'élection

crée un appétit factice que la volonté sera déterminée à satisfaire comme toute autre faculté

naturelle déterminée envers son objet. Et si nous changeons souvent difficilement d' élection,

surtout dans le cas des secondaires, même lorsque nous sommes plusieurs fois frustrés de leur

objet, c'est parce que changer équivaut à reconnaître que nous avons eu tort à toutes ces reprises

par le passé, ce qui frustre d' une part l' entendement à cause de la contradiction et d' autre part la

volonté, par la remise en doute que cette contradiction provoque concernant notre liberté ou notre

capacité à nous plaire de l'objet de notre choix.

276 Ibid. , § 25 , p. 417.


277 « [ ... ] Obstinacy is, viz. an unnecessary adherence to an Election, and a Self-complacency in it contrary to the
dictate of Reason, and with the loss of natural Good . But if the Will be determin' d from without, there will be no
such thing as Obstinacy. By an obstinate Person we shall onIy mean one that has continued a long time in a
pernicious Error, without any Motive to change his judgment. Now he that does this is miserable indeed, but cannot
be call ' d in the least degree obstinate [ ... ]. » (William KING, E.D.E. , 173 1, V, § l , §§ V, ~ XVI). Edmund Law
rapporte aussi ces étranges critiques de Leibniz dans une note de la première édition de E.D.E. et arrive aux mêmes
conclusions que nous. « In short, Leibnitz [sic], after aU his seerning opposition to our Author on the head of Liberty,
most evidently grants the Question [ ... ]. Now what is it to darken or suppress the representations of good or iII
Qualities, to regard sorne onIy and neglect others and to join Qualities to Objects by the force ofthought, but to exert
this very Power in debate? » (Ibid. , V, § l , §§ V, ~ XVI, note 81).
278 Et nous pourrions certainement accorder à Leibniz qu ' en règle générale, les élections primaires, soit celles faites
avec le plus de légèreté, sont probablement les plus faciles à changer, parce que peu de plaisir passé nous y attache.

90
2.5.2 Le pouvoir d'élection est-il un/rein à l'atteinte du bonheur?

Malgré le fait qu'il semblait considérer comme absurde la possibilité du pouvoir

d'élection, Leibniz a quand même pris le temps d'examiner les conséquences qu'entraînerait sa

possession par l'humain et encore une fois, il lui a paru que ce pouvoir n'était pas plus à la

hauteur pour expliquer les comportements humains que pour leur servir de moyen vers le

bonheur. D'une part, en observant les exemples de calcul des plaisirs proposés par King dans son

ouvrage279 , Leibniz, comme nous l'avons vu, prétend que ce dernier présente le pouvoir

d'élection comme un pouvoir de changer la nature des objets et de donner n' importe quelle valeur

à n'importe quoi et que ceci, en plus d'être absurde, rendrait impossible l'explication de pourquoi

certains humains sont malheureux. Or, King ne prétend à rien de cela28o • En réponse à Leibniz

lui-même, il écrit que:

[ ... ] Good is not an absolute thing, but relative, and consists in the
agreeableness of one thing to another, as suppose between the appetite and
object; if then these be disagreeable to one another, the one is evil to the
other, and to make them agreeable, one of them must of necessity be
changed, and the change of either will cause it. Although therefore 1
cannot change lead into gold, by any act of my free-will, yet 1 can
condemn gold as much as if it were lead, and be as weil content with a
leaden cup as if it were gold 281 •

279 Respectivement situés à V, § l , §§ Ill, ~ XI et V, § II, ~ VII de la première édition de E.o.E. de 1731.
280 « [ ... ] [A]II that [King] pleads for, is that the will ought not to be determined by the judgment of the
understanding concerning things antecedently agreeable or disagreeable to our natural appetites, because ail the good
of man does not lie in them; If it did, there would be no need of a will at ail, but we ought to be absolutely
determined by them. » (William KING, E.o.E., 1781 , V, § l, §§ l, ~ XVIII, note K).
281 Ibid. La nature du changement n'est donc pas matérielle ou absolue, mais limitée à l' appréciation du sujet,
modifiable grâce à l'indifférence initiale de sa volonté. King précise que le pouvoir d'élection « [ ... ] is of such force
that it always carries its satisfaction with it; and tho' it cannot absolutely change the nature of the appetites, or make
us not feel the natural evils that surround us, such as pain, torment, disappointment; yet by its exercise it raises us so
much satisfaction as to make these tolerable, if not pleasing to us. » (Ibid., V, § l, §§ V, ~ X, note P). D 'autres
commentateurs, comme Sean Greenberg et N. G. E. Harris par exemple, sans croire avec Leibniz que King prétend à
un pouvoir de changer la nature des choses, font une erreur semblable en prétendant que King affirme que les choses
n'ont pas de valeur indépendamment des agents libres et que ces derniers « créent» les valeurs, le bien et le mal
moral. Greenberg affirme effectivement que « [o]n King' s account of freedom , by contrast, no objects are
intrinsically good or bad independent of agents; the fact that an agent chooses an object makes it good, and thus
agents are able to ensure their happiness » (Sean GREENBERG, « Leibniz on King: Freedom and the Project of the
"Theodicy" », § II, p. 215) et encore que « Leibniz thus somewhat misrepresents King' s position in order to bring it
closer to his own. King' s "accomodationist" approach differs from that of Leibniz, insofar as it requires that there be

91
Et en ce qui concerne la possibilité de donner une valeur infinie aux objets ainsi désirés par la

volonté, King répond ensuite la chose suivante:

[ ... ] ail created powers and pleasures are limited, and no subject is capable
of more than such a certain degree, therefore there is likewise a limitation
of the pleasure arising from the use of free-will, as weil as from the use of
seeing or hearing, or any other faculty or appetite [ .. .]; but in what degree
we cannot precisely determine, any more than we cao settIe the proportion
between the pleasures of seeing and hearing; which yet we know are
neither of them infinite 282 .

D'autre part, Leibniz considère que King n'arrive pas à expliquer convenablement

comment le pouvoir d'élection peut favoriser notre bonheur. En effet, si, comme King l'affirme,

utiliser notre pouvoir d'élection n'est pas suffisant pour nous rendre heureux et qu'il faut, pour ce

faire, que nos volontés s'accordent à celles de Dieu, à quoi bon ce pouvoir? Insérer de la

contingence et de l'aléatoire dans la recherche du bonheur, alors qu'il se trouve dans l'obéissance

à la volonté de Dieu, semble une piètre méthode pour arriver à ses fins.

À ce sujet, nous avons déjà vu que King ne prétend effectivement pas que le pouvoir

d'élection fasse disparaître toute forme de douleur ou d'inconfort en nous, car nous évoluons tout

de même dans un corps soumis aux aléas de la nature et aux lois de la matière et il est donc

no "true representation of good and evil", and that human beings have the capacity to determine by their own choices
whether things are good or evil. Admittedly, this capacity is somewhat mysterious and fantastic, and King himself
does not give a good explanation of how it is supposed to work. » (Ibid., § III, p. 219). Il est donc normal que
Greenberg ait jugé le pouvoir d' élection « mystérieux », parce que King ne prétend nullement que les objets n'ont
pas de valeur indépendamment des agents libres, mais seulement qu ' ils ne sont pas bons ou mauvais de façon
prédéterminée pour la volonté de l' agent libre. Semblablement, N. G. E. Harris écrit que « [h]ere King appears to go
further that any modern philosopher in spelling out implications of the doctrine that free choices of action create
values. For it is not just that prior to action there is an underdeterrnination of what actions are good, there is also an
underdeterrnination of what actions are reasonable to do. And when an action is performed which creates good in
that action, it also invests that action with reasonableness. » (N. G. E. HARRIS, «Creating Values: Sartre and
Archbishop William King », History of Philosophy Quarter/y, vol. 4, nO 1, janvier 1987, p. 57). Lisant ceci, nous
comprenons alors facilement comment Harris en vient à se demander la chose suivante: « If any choice one makes is
bound to create good, there seems no basis for anguish. No actions are right in ad vance, but any action once done
will be the right one to have done. It may be cIaimed that Sartre, unlike King, does not so much take individual
actions as creating good, as take values to result from the general pattern of action to which one commits oneself.
But if values exist only wh en a morality of this kind is created, there can be no meta-morality by which to judge it. »
(Ibid., p. 58). Or, justement, King ne prétend jamais que les humains créent les valeurs, car la « méta-moralité» à
partir de laquelle les actions humaines sont jugées est leur accord avec la volonté divine.
282 William KING, E.O.E., 1781, V, § 1, §§ 1, ~ XVIII, note K.

92
certain que si nous pouvons mitiger une partie des maux naturels qui nous frappent, cela

n'implique pas la félicité absolue et éternelle et la disparition de toute forme de doulew2 83 . Et

King reconnaît aussi que « [ ... ] if any thing [sic] which the Understanding can discover, be the

very best before or independent of our Choice, it were proper for us to be necessarily determin'd

to it; for the fruition of it, howsoever obtain'd, would make us happy, and be so much the more

valuable, as it would be certain, and not dependent upon Chance, as all the Actions of Free-Will

are in manner supposed to be284 [ ••• ]. » Mais voilà, ce que l'entendement juge le meilleur n 'est

pas le meilleur possible pour nous indépendamment de notre volonté, car Dieu nous a créés libres

et ce qui plaît dans la liberté, c'est précisément la conscience d'avoir choisi librement2 85 .

Ainsi, puisque nous sommes libres, King considère que nous ne serions pas mieux, mais

plus misérables si nous n' avions pas la capacité de nous plaire à choisir librement, malgré le

danger toujours présent de faire le mal, car nous serions privés du pouvoir de nous rendre

heureux librement. D'autant plus que d' avoir cette liberté nous rend éligibles à la vertu.

1 grant, that if a Man were absolutely determin 'd in his Actions to the best,
there would be no room for virtue, properly so cali' d; for virtue, as it is
commonly understood, requires a Free Act, and this Liberty is the very
thing that is valuable in virtue; and with good reason, if a free Choice be
the very thing which pleases: (For thus it would be impossible to attain the
end of choosing, i. e. to please ourselves, without Liberty, since that very
thing which pleases in Actions, viz. Liberty, would be wanting 286 .) [ ••• ] .

King est en effet persuadé que nous pouvons être heureux dans ce monde, même si la félicité

283 Ibid.
284 William KING, E.O.E. , 1731 , V, § l, §§ n, ~ V.
285 « That which gives us the greatest Pleasure in Elections, is a Consciousness that we could have not chosen;
without this 'tis no Choice at ail: but su ch is the Nature of us rational Beings, that nothing pleases us but what we
choose. In order therefore to make any thing [sic] agreeable to us, 'tis necessary for us to be conscious that we
choose it voluntarily, and could have refused it [ ... ]. But however this be, 'tis very certain that our greatest Pleasure,
nay our very Reward, consists in being conscious that we have used our Choice aright, and do ne those things which
we might have not done, and which another in the same Circumstances would perhaps not have done. On the other
hand, 'tis the greatest Grief and Affliction to have omitted such things as would have tended to our Happiness, and
were in our Power: one of these could not be had without the other, and if none were suffer' d to grieve for a bad
Election, none would rejoice for a good one. }) (Ibid., V, § V, §§ Ill, ~ IV).
286 Ibid., V, § l, §§ n, ~ V.

93
absolue ne nous est pas accessible, et le moyen d'être le plus solidement heureux est d'être

vertueux. Pour y arriver, il faut que notre volonté en vienne à correspondre à celle de Dieu 287 .

Nous avons déjà vu comment, par l' influence de l'entendement, nous perfectionnons notre

connaissance du bien et du mal parallèlement à nos connaissances du monde physique, de la

même façon que « [ ... ] our Knowledge is to be acquired by Care, Industry and Instruction [ ... ] »,

de la petite enfance à la mort288 • Autrement dit, nous progresserions moralement lorsque nous en

viendrions à faire ce qu ' il faut, plutôt que ce que nous voulons, mais nous deviendrions vertueux

lorsque nous voudrions ce qu ' il faut, lorsque la perspective de l'acte vertueux nous plairait289 .

2.6 Concernant l'indifférence de la volonté divine

Le troisième et dernier groupe de critiques leibniziennes que nous étudierons tourne

principalement autour des conséquences que tire Leibniz de l'hypothèse de King que Dieu, en

tant qu' être parfait et libre, doit aussi posséder une volonté autodéterminée, sans quoi il serait

passif et donc, déterminé et non libre. Leibniz refuse la théorie de King selon laquelle il n' y avait

287 À ce sujet, nous comprenons mal la critique de Greenberg (cf note 267, § 2.4 [p. 86] de ce mémoire) selon
laquelle la théorie des élections rendrait le bonheur humain indépendant de Dieu et que cela mettrait en péril la
finalité du D.o.M. Bien que nous puissions avoir du plaisir en voulant ce qui n' est pas naturellement bon pour nous,
ce genre de plaisir n' est toujours que temporaire et il mène infailliblement au malheur, alors nous ne pouvons être
véritablement heureux que lorsque nous conformons notre volonté à celle de Dieu. Or il serait, à notre avis, difficile
d' endosser cette théorie sans, au strict minimum, accepter la prémisse de l' existence de Dieu.
288 Dès la petite enfance, nous « entraînons » nos enfants à suivre des codes moraux, par la punition et les
récompenses, car les maux que leurs actions entraînent ne leur sont pas toujours évidents. L ' enfant apprend à dire
« merci » parce qu ' il finit par s'apercevoir qu ' il est récompensé lorsqu ' il le fait ou qu ' il est puni lorsqu' il ne le fait
pas. Une fois cette expérience ancrée dans sa mémoire, elle s' ajoute à son « code moral » et suivant le processus de
changement d' élection, il y a fort à parier que l' entendement de l' enfant finira par le forcer à dire « merci » et
qu'avec le temps, il finira par se plaire à le dire lorsqu ' il aura enfin embrassé volontairement la marque de politesse.
En vieillissant, la simple perspective de punitions ou de récompenses suffit généralement à imposer notre
entendement à notre volonté pour les éviter, mais nos prisons pleines de criminels récidivistes nous rappellent chaque
jour que la volonté peut toujours résister aux bons conseils de la raison .
289 « A Mind conscious of Virtue is the Pleasure and Reward of good Actions, but unless it were possible for it to
become conscious of Vice, ' tis plain it cannot be conscious of Virtue. » (William KING, E.O.E., 1731 , V, § V,
§§ Ill, ~ IV). Cependant, il faut tout de même considérer que s' il devait advenir qu ' une personne, par le plus heureux
des hasards, faisait à chaque élection primaire le choix du meilleur selon la volonté de Dieu, cette personne devrait
être considérée vertueuse, bien qu ' elle n' aurait jamais eu à « apprendre » le bien et n'ayant jamais fait le mal. Nous
pouvons cependant concevoir que les probabilités d' une telle chose sont bien minces.

94
pas de bien ou de mal dans les objets ou l'entendement divin avant la volonté de Dieu et dans

laquelle Dieu devait être indifférent avant la création, sans quoi ses élections auraient été

inclinées et Dieu serait déterminé 29o . Leibniz se demande d'abord ce qui aurait pu mener Dieu à

créer l'univers, s'il était absolument indifférent envers tout.

Il est vrai que Dieu n'a besoin de rien: mais [King] a fort bien enseigné
lui-même que sa bonté et non pas son besoin l'a porté à produire des
créatures. Il y avait donc en lui une raison antérieure à la résolution et,
comme je l'ai dit tant de fois, ce n' est ni par hasard ou sans sujet, ni aussi
par nécessité que Dieu a créé ce monde, mais c' est par inclination qu'il y
est venu, et son inclination le porte toujours au meilleur. Ainsi il est
surprenant que [King] soutienne ici 29 1, qu' il n'y a point de raison qui ait
pu porter Dieu à créer quelque chose hors de lui ; ayant enseigné lui-même
auparavant 292 , que Dieu agit pour une tin, et que son but est de
communiquer sa bonté. Il ne lui était donc pas absolument indifférent de
créer ou de ne point créer, et néanmoins la création est un acte libre 293 .

Comment Dieu pouvait-il être indifférent à créer le monde ou non, s'il souhaitait en même temps

agir pour une fm, soit communiquer sa bonté294 ? Leibniz prend cette première contradiction

comme un aveu arraché de force à King, qui en viendrait d'une certaine façon à défendre une

hypothèse de la création semblable à la sienne, soit que Dieu avait une raison de préférer créer le

monde plutôt que de ne pas le faire, et que cette raison était la communication de sa bonté.

Leibniz pousse ensuite sa critique plus loin et demande comment Dieu peut être considéré

comme bon, s'il ne suit pas une conception éternelle et objective du bien. « Mais comment est-il

possible qu' on puisse dire qu'il n'y a point de bien ou de mal dans les idées avant la volonté de

Dieu? Est-ce que la volonté de Dieu forme les idées qui sont dans son entendement2 95 ? » Cette

290 Gottfried Wilhelm LEIBNIZ, « Remarques », § 21, p. 409.


29 1 William KING, E.o.E., 1731, V, § l, §§ IV, ~ V.
292 Ibid., l, § III, §§ VIII, ~ IX.
293 Gottfried Wilhelm LEIBNIZ, « Remarques », § 21 , p. 410-411.
294 Ibid., § 22, p. 411-412.
295 Ibid., § 21 , p. 410. Leibniz croit que toutes les idées des possibles sont éternellement dans l' entendement de Dieu.
« En Dieu, il est manifeste que son entendement contient les idées de toutes les choses possibles; et c' est par là que
tout en lui est éminemment. Ces idées lui représentent le bien et le mal [ ... ] ; et sa bonté surabondante le fait choisir
le plus avantageux. Dieu donc se détermine par lui-même; sa volonté est active en vertu de la bonté, mais elle est
spécifiée et dirigée dans l' action par l' entendement rempli de sagesse. » (Ibid., § 21 , p. 409-410).

95
théorie, défendue entre autres par Descartes 296 , veut que Dieu soit le créateur des vérités

éternelles, afin de préserver sa liberté et pour ne pas qu ' il soit déterminé par quelque chose

d' antécédent à sa volonté. Leibniz n' accuse cependant pas vraiment King d' y adhérer : il ne fait '

qu' annoncer les conclusions qu ' il aurait fallu, selon lui, nécessairement tirer de la théorie de

King, si ce dernier n' avait pas corrigé sa théorie plus loin, au prix d' une autre contradiction 297 •

Celle-ci naîtrait du fait que King prétend que Dieu est parfaitement bon, tout en disant que la

volonté de Dieu est indifférente aux objets externes, dont font partie les créatures, ainsi qu ' aux

représentations du bien et du mal, normalement présentées par l' entendement. « Pense-t-on aussi

que la douleur et l' incommodité des créatures sensitives, et surtout la félicité et l' infélicité des

substances intelligentes, sont indifférentes à Dieu? Et que dira-t-on de sa justice? Est-ce aussi

quelque chose d ' arbitraire, et aurait-il fait sagement et justement, s' il avait résolu de damner des

innocents298 ? » Pour Leibniz, cette contradiction est rendue nécessaire parce que King souhaite

sauver la bonté de Dieu, mais qu ' il ne peut le faire que d' une seule façon, soit en sabordant son

hypothèse initiale: l' indifférence divine.

Leibniz comprend aussi que la bonté de Dieu a dû le pousser à créer le meilleur plutôt que

n' importe quoi et qu ' il n ' était donc pas indifférent, sinon il aurait aussi créé « [ ... ] des créatures

irrégulières, mal bâties, malfaisantes, malheureuses, des chaos perpétuels, des monstres partout,

des scélérats seuls habitants de la terre, des diables remplissant tout l'univers 299 » en plus des

créatures bonnes, n' étant incliné vers aucune chose en particulier. Il reconnaît que King refuse

cette idée en disant que Dieu, une fois qu ' il a voulu les choses, a aussi voulu les accommoder

autant que possible, mais Leibniz prétend que cette volonté de commodité devrait alors venir

296 René DESCARTES, « Lettre à Mersenne, 27 mai 1630 », dans Œuvres de Descartes [édition Adam-Tannery],
Paris, Vrin, 1966, tome 1, p . 152.
297 Gottfried Wilhelm LEIBNIZ, « Remarques », § 21 , p. 410.
298 Ibid. , § 21 , p. 410.
299 Ibid. , § 22, p. 412,

96
d' une autre élection, car la commodité (ou le bien) n'est pas liée à la nature des choses selon

King. «Mais d'où vient cette nouvelle élection? vient-elle aussi d' une pure indifférence? Si cela

est, rien ne porte Dieu à chercher le bien des hommes, et s'il y vient quelquefois, ce sera comme

par hasard. Mais [King] veut que Dieu y a été porté par sa bonté : donc le bien et le mal des

créatures ne lui est point indifférent; et il y a en lui des élections primitives où il est porté par la

bonté de l'objet30o • » Or, Leibniz considère que si cela est vrai de la création des humains, cela

doit aussi être vrai de la création du reste du monde et cela fait disparaître en fumée les

prétentions de King à l' indifférence de la volonté divine. Dieu est bon et veut le bien de ses

créatures et l'ordre dans l' univers. Mais si c' est vrai, « [i]l ne lui était pas non plus indifférent de

créer un tel ou tel monde, de créer un chaos perpétuel ou de créer un système plein d'ordre. Ainsi,

les qualités des objets, comprises dans leurs idées, ont fait la raison de son choix301 . »

Pour Leibniz, King n'arrive pas, et avec raison, à rendre compatible la bonté de Dieu et

son indifférence et devant ce dilemme, plutôt que de commettre l'hérésie d' abandonner la bonté

divine, King a préféré remettre en question son indifférence. «Nous voilà donc revenus à la

bonté des objets ; et l'indifférence pure, où Dieu agirait sans sujet, est absolument détruite par la

procédure même de [King] chez qui la force de la vérité, quand il a fallu venir au fait, a prévalu à

une hypothèse spéculative, qui ne saurait recevoir aucune application à la réalité des choses 302 . »

Enfin, Leibniz soulève, mais sans s' y étendre le moindrement, l' une des plus grandes

difficultés rencontrées par la théorie de la liberté de la volonté par l' indifférence, et c'est celle de

sa compatibilité avec la prescience de Dieu. « [King] se trouve encore bien embarrassé par la

prescience de Dieu; car si l' âme est parfaitement indifférente dans son choix, comment est-il

300 Ibid.
30 1 Ibid., § 21 , p. 41O-41l.
302 Ibid., § 22, p. 413 .

97
possible de prévoir ce choix, et quelle raison suffisante pourra-t-on trouver de la connaissance

d'une chose, s' il n'yen a point de son être 303 ? » Non seulement il serait difficile de concevoir

comment nous pourrions apprendre à prévoir les actions des autres agents libres à cause de

l'indifférence de leur volonté et de leurs actions, ces dernières étant, selon Leibniz, entièrement

aléatoires, mais il serait encore plus difficile de comprendre comment Dieu pourrait avoir une

pré-connaissance parfaite d' une suite presque infinie d'actes libres et, toujours selon Leibniz,

dont les effets sont sans causes, sans motifs et sans raisons suffisantes 304 • Leibniz ne demande

cependant pas à King de justifier, advenant que ce dernier prétende tout de même que la

prescience de Dieu arrive à prévoir les actes libres, comment ces actes peuvent rester libres en

étant prévus par Dieu. Cela nous paraît étrange, car bien que Leibniz ait sa propre réponse à la

question, reposant sur la distinction entre nécessités métaphysique et hypothétique, il ne peut pas

avoir cru que cette réponse aurait satisfait King, ni qu'elle était compatible avec sa théorie.

2.7 Réponses aux critiques ciblant l'indifférence de la volonté divine

Le troisième ensemble de critiques leibniziennes peut encore une fois être divisé en deux

thèmes différents, soit d'un côté les nombreuses critiques ciblant ce que Leibniz juge comme des

incohérences entraînées par la supposition de l' indifférence de Dieu dans son acte de création et,

de l'autre, une unique critique soulevant le problème de la compatibilité de la prescience de Dieu

303 Ibid., § 27, p. 42l.


304 Une autre formulation du même raisonnement peut être trouvée chez Pierre Bayle, qui avait aussi critiqué les
différentes tentatives de compatibilisme dans son Dictionnaire historique et critique, sous l' article « Jansénius ».
Selon Bayle, ceux qui, comme King, prétendent que l'omniscience et la prédestination divines sont compatibles avec
la liberté des créatures sont pris avec la difficulté insurmontable d' avoir à expliquer rationnellement comment Dieu
peut prévoir de façon infaillible les actes de ses créatures sans que ces dernières y perdent leur libre arbitre. C'est,
selon Bayle, impossible, et cela prouve, selon lui, l'irrationalité de la foi chrétienne. « Tout se réduit enfin à ceci:
Adam a-t-il péché librement? Si vous répondez qu 'oui ; donc, vous dira-t-on, sa chute n' a pas été prévue : si vous
répondez que non ; donc, vous dira-t-on, il n' est point coupable. Vous écrirez cent volumes contre l'une ou l'autre de
ces conséquences, et néanmoins vous avouerez, ou que la prévision infaillible d' un événement contingent est un
mystère qu ' il est impossible de concevoir, ou que la manière dont une créature qui agit sans liberté pèche pourtant,
est tout-à-fait incompréhensible. » (pierre BAYLE, « Jansénius », p. 321).

98
et de la liberté de ses créatures.

En premier lieu, que pouvons-nous répondre à Leibniz lorsqu ' il demande à King

d'expliquer comment Dieu a pu vouloir créer le monde en ayant en vue une fin, soit

communiquer sa bonté, tout en étant en même temps indifférent aux objets extérieurs? D' abord,

nous ne nous attarderons pas sur les arguments que propose King concernant comment Dieu,

malgré le fait que tous les objets extérieurs lui étaient indifférents avant son élection primaire,

s'est tout de même déterminé à créer le monde, puisque nous jugeons les avoir présentés assez en

détail dans le chapitre précédent305 • Mais voyons le premier passage dont parle Leibniz:

[ ... ] Since this Principle (which we cali God) is the Cause of all things,
and infinite in Knowledge as well as in Power, it follows, that he acts, not
by blind impulse but, for an End; and has order'd his Works by such
Wisdom, as to be consistent with themselves, and not destructive of each
other. [ . ..] And hence it manifestly follows, that the World is as weil as it
could be made by infinite Power and Goodness. For since the Exercise of
the Divine Power, and the Communication of his Goodness, are the Ends
for which the World is fram ' d, there is no doubt but God has attain ' d these
Ends306 .

Nous voyons que la première partie du passage s'accorde très bien à l'explication du

processus d'élection, soit que l' acte d'élection n'est pas purement aveugle, mais s'enclenche dans

des conditions spécifiques et vise des objets possibles, que l' élection a comme fin le plaisir et que

l'entendement de Dieu étant parfait et infini, il rend possible, lors des élections, de concevoir

absolument tous les compossibles leur étant rattachés, ce qui permet à Dieu de ne jamais vouloir

305 Cf §§ 1.5.2 (p. 36-38) du présent mémoire. En quelques mots, bien que Dieu soit omnipotent, et que les
possibilités primaires soient pour lui plus ou moins infinies, son pouvoir est muselé par sa sagesse, qui l'empêche de
vouloir l'impossible, ce qui fait que devant la possibilité de créer ou non le monde, deux options mutuellement
contradictoires ou incompossibles qui lui étaient initialement indifférentes, Dieu devait élire l' une d' elles et il s'est
ainsi autodéterminé à la création. Cette élection a fait naître en Dieu un appétit factice et tout ce qui favorise ou nuit à
cet appétit est alors devenu respectivement bon ou mauvais pour lui. Dieu possédant un entendement parfait et infini,
son élection primaire embrasse objectivement tous les compossibles, ce qui fait qu ' il ne peut pas, contrairement à
nous, faire erreur en jugeant ce qui favorise ou nuit à son élection et ainsi la frustrer lors d'une élection secondaire.
Ce qu' il a élu est aussi nécessairement devenu le meilleur pour lui, car ne possédant pas d'appétit naturel, rien ne
peut entrer en compétition avec son appétit factice et son pouvoir étant infini et balisé par un entendement parfait, il
ne peut manquer d'obtenir ce qu'il veut.
306 William KING, E.OE. , 1731, I, § fi, ~ Vfi-IX.

99
l' impossible ou des choses incompossibles et mutuellement destructives qui mettraient en péril

l' intégrité de ses élections et qui mèneraient à leur frustration. Mais il faut avouer que la seconde

partie est moins claire et qu ' elle laisse entendre que la fin ultime visée par l' élection de Dieu est

l'exercice de ses pouvoirs et la communication de sa bonté. Lorsqu' il reconstitue l'élection

primaire de Dieu, Leibniz écrit ceci :

La première question sera : Dieu créera-t-il quelque chose ou non, et


pourquoi ? [King] a répondu qu 'il créera quelque chose pour
communiquer sa bonté. Il ne lui est donc point indifférent de créer ou de
ne point créer. Après cela on demande: Dieu créera-t-il telle chose ou bien
une autre, et pourquoi ? Il faudrait répondre, pour parler conséquemment,
que la même bonté le fait choisir le meilleur ; [ ... ] mais, suivant son
hypothèse, il répond qu ' il créera telle chose, mais qu ' il n'y a point de
pourquoi, parce que Dieu est absolument indifférent pour les créatures qui
n'ont leur bonté que de son choix 307 .

La confusion de Leibniz nous semble ici tout à fait légitime, le passage précédent de King

manquant, à notre avis, de rigueur et de précision. Mais nous croyons tout de même que la

contradiction que soulève Leibniz n' est qu ' apparente. La fm absolue de toute action est le

bonheur et le moyen de l'obtenir est par le plaisir, King est assez clair sur le sujet308 . Mais nous

pourrions certainement reconnaître que chaque action particulière a aussi une finalité particulière,

comme la fin particulière de l'étude est la connaissance, alors que sa fm ultime reste le plaisir et à

travers lui, le bonheur. Suivant cette hypothèse, nous croyons que la contradiction soulevée par

Leibniz n' est due qu ' à un manque de précision chez King.

307 Gottfried Wilhelm LEIBNIZ, « Remarques», § 22, p. 411-412. Leibniz indique dans ses Remarques à quel
endroit se trouve l'hypothèse dont il parle, dont voici un passage : « Unless therefore we attribute to [God] such a
Power as has been described (namely, an ability to please himself, by determining himself to action, without any
other regard had to the Quality of the Object, than that it is possible) it seems impossible that ever he should begin to
effect any thing [sic] without himself. For, as far as we can apprehend there can be no reason assign 'd why he should
create any thing [sic] at ail, why a World, whyat that particular time when it was created, why not before or after,
why in this and no other Form: he receiv' d no advantage or disadvantage from the se, no benefit or harm; in short,
nothing that could move him to choose one before another. » (William KING, E.O.E. , 1731 , V, § 1, §§ IV, ~ V).
308 « [ ... ] AnimaIs are of such a Nature as to delight in Action, or the Exercise of their Faculties, nor can we have any
other Notion of Happiness even in God him sel f. » (Ibid. , IV, § V, ~ X). « [ .. .] [T]here are certain Powers, Faculties
and Appetites implanted in us by Nature, which are directed to certain Actions: and when these exert their proper
Actions about Objects, they produce a grateful and pleasant Sensation in us. The exercise ofthem therefore pleases
us; and from hence probably ail our Pleasure and Delight arises; consequently our Happiness, ifwe have any, seems
to consist in the proper exercise ofthose Powers and Faculties [ .. .]. » (Ibid. , V, § I, §§ IIII, ~ 1).

100
En deuxième lieu, le bien et le mal sont éternellement dans l' entendement divin pour

Leibniz, alors selon lui, soit le Dieu de King a suivi dès le départ son entendement et a fait le

bien, mais il n'était alors pas indifférent au bien et au mal, soit il a créé le bien et le mal dans son

entendement, mais nous ne pourrions alors pas le considérer comme absolument bon, puisque s'il

aime ce que nous appelons le bien et la vertu, ce n'est que par hasard. La solution de King,

comme nous allons le constater, repose sur sa définition du bien et de la bonté.

[ ... ] [T]here was properly free-will in God, that is a power to please


himself by choosing one thing before another, where the things were
perfectly indifferent to him. According to which principle, if it be allowed,
though there be no best in nature antecedent to the will of God, yet by
choosing one thing before another he will make that the best to him,
because his own choice will please him best. But here 1 must observe, that
most of this dispute, and the embarrassment of men's understandings
about it, seems to proceed from their taking these words, good, better and
best for absolute qualities inherent in the nature ofthings; whereas in truth
they are only relations arising from certain appetites 309 .

Les choses ne sont pas bonnes ou mauvaises en soi pour King, mais seulement en relation avec

quelque chose. «By Good, l here understand that which is convenient and commodious, that

which is correspondent to the Appetite of every Creature 31O • » Or, puisqu'avant la création, Dieu

était seul, rien ne pouvait être bon ou mauvais pour quelque chose sinon Dieu pour lui-même 311 ,

car son entendement n' avait aucun appétit naturel ou factice à considérer. Dieu n' a donc pas pu

être incliné par son entendement autrement qu'en lui signifiant qu ' il y avait possibilité d'élection.

Mais si la valeur n'est attribuée aux choses que selon la volonté de Dieu, cela ne

risquerait-il pas de remettre en question la valeur de la vertu et du vice?

309 William KING, E.o.E., 1781 , V, § l, §§ IV, ~ V, note N. Cela peut se voir du fait qu' une même chose peut être
bonne pour quelque chose et mauvaise pour une autre, comme l'eau est mauvaise pour les poumons des humains,
mais bonne pour les « poumons» des poissons.
310 William KING, E.O.E. , 1731, I, § III, ~ XI.
311 Et Dieu étant conscient de sa liberté, de sa nature parfaite et auto-existante et étant doué d 'un entendement infini,
nous pourrions concevoir qu' il était déjà parfaitement heureux, car « [ ... ] he has in himselfthe adequate Exercise of
his Powers, namely in the Contemplation and Love of himself. » (Ibid., I, § III, ~ IX). Or, possédant toutes ces
qualités, nous pourrions aussi dire que Dieu était bon pour Dieu et ainsi, il serait possible de prétendre qu'il existerait
une chose bonne en soi, et ce serait Dieu, puisqu ' il est bon de toute éternité et qu ' il le sera toujours et pour tout.

101
But lastly it is urged that according to these principles virtues are not good
antecedently to God ' s choice, and would not be good if God did not
choose them; nay if he chose vices in their stead, they wou]d be good both
morally and physically. For obedience to God is good, and if God had
commanded vice it would have been man ' s duty to obey him; and perhaps
goodness might this way have been as effectuaIJy brought into the world,
as by those virtues that arise from the exigence of our nature, as God has
now framed it. [ . . .] But to ail this 1 aoswer [ .. .] that as long as the thing
continues what it is, God ' s will continues also to preserve it so: to suppose
therefore that he wills at the same time it should be without those parts and
properties, is plainly to suppose two contradictory wills in God. Now an
obligation to virtue is a property necessarily resulting from the nature of
man, and therefore to suppose God to command him not to be virtuous
when he has given him such a nature, is a contradiction3l2.

Dieu aurait peut-être pu désirer ce que nous considérons actuellement comme des vices, mais il

n' aurait pu le faire qu ' en changeant la nature du monde ou des créatures intelligentes. Se

demander si les choses auraient pu être différentes tout en restant les mêmes est pure

contradiction. « But the truth is, goodness is a conformity to the will of God, and the reason that

God cannot will evil is because it is always contrary to sorne other act of his will, and his will

cannot be contrary to itselP 13 [ ... ]. » Peu importe, donc, l' ordre du monde, les objets ne seront

312 William KING, E.O.E. , 1781 , V, § l, §§ IV, ~ III, note M. Donc, les choses sont bonnes ou mauvaises dans le
monde en relation avec la volonté de Dieu parce qu' avant de déterminer l' ordre du monde, toutes les choses
pouvaient être bonnes ou mauvaises pour une chose ou une autre, mais une fois les lois de la nature déterminées, la
valeur des choses est en même temps fixée. Mais Dieu n'est pas responsable de la relation qu 'ont les choses entre
elles, puisque ceci repose sur leurs natures respectives et que ces relations et ces natures sont observées par
l'entendement divin, passivement.
313 Ibid. Et la raison pour laquelle le vice est toujours contraire à une autre de ses élections est que « [ ... ] these and
ail other wicked and irreligious actions do mischief to mankind, and have a destructive influence according to their
number, and if aIl men should give themselves up to them without restraint, mankind cou Id not subsist. )} (Ibid., V,
§ l , §§ IV, ~ XVI, note 0). Or, puisque Dieu veut l' existence des humains, leur destruction frustrerait sa volonté,
alors il ne veut jamais le vice. « In short, the congruity of things is their goodness, and that congruity arises from
their natures, and they have those natures from the will of God, and those natures must have a congruity because they
proceed from one will, which cannot be contrary to itself, because it is conducted by infinite wisdom. )} (Ibid., V, § l,
§§ IV, , III, note M). Il semble donc que King peut ainsi prétendre à la bonté absolue de Dieu malgré son
indifférence initiale, mais sans avoir à embrasser une théorie de la création divine des vérités éternelles. King rejette
l'accusation voulant que sa théorie de la liberté « [ ... ] makes God oot on]y free as to virtue, so that he may make it
either good or bad; but likewise to the trutb or falsehood ofthings, so that he may change their nature and make three
and tbree not to be six. It were a sufficient answer to this, to say the case is not parallel; for the goodness ofthings is
supposed to arise from the will of God, which is free; but the truth of them from his intellect, which is a necessary
faculty; and therefore though the one rnight be arbitrary, yet the otber cannot. )} (Ibid.) . King voyait le même
problème que Descartes: « Si l'on se refuse à penser en ces termes le statut des essences, précise [Descartes], on
réduit alors le créateur à une divinité soumise aux décrets arbitraires du destin : dans ces conditions, Dieu ne serait
pas libre, mais contraint d'agir conformément aux préceptes d'une puissance supérieure et extérieure à lui. )} (Olivier
DEPRÉ, « De la liberté absolue. À propos de la théorie cartésienne de la création des vérités éternelles )}, Revue

102
toujours que bons ou mauvais selon la volonté libre de Dieu, mais la vertu et le vice reposant sur

la nature des créatures intelligentes et leurs relations avec le monde, il est aussi vrai que Dieu ne

pourra jamais vouloir ce qui est mauvais pour elles sans frustrer ses élections. Or, si Dieu est,

dans tous les mondes possibles, toujours bon pour ses créatures et le monde, King juge que cela

est suffisant pour prétendre à la bonté infinie et objective de Dieu.

En troisième lieu, pour Leibniz, si le Dieu de King a voulu le meilleur, il a dû considérer

la valeur des objets avant son élection et il ne pouvait donc pas être indifférent, car s'il l'était,

puisqu'il ne peut y avoir qu ' un meilleur, soit Dieu y est alors arrivé par pure chance, ou notre

monde n'est pas le meilleur. King rejette bien sûr l'hypothèse que Dieu n'était pas indifférent

préalablement à son élection, « [fJor if we suppose that there is such a thing as better and worse

in the Objects themselves, who would affirm that the Goodness and Wisdom of God will not

necessarily deterrnine him to choose the better? For who can honestly postpone the better, and

prefer the worse? [ ... ] Nay so great is the Power of God, that whatever he shall choose out of

infinite Possibilities, that will be the best, it matters not therefore which he prefers 314 . » Or, si

Dieu était déterminé à un meilleur, ni lui ni son œuvre n'auraient été libres 315 .

Mais alors comment King peut-il prétendre que ce qui a été librement choisi par Dieu est

véritablement le meilleur? King croit qu'aucune création ne peut être la meilleure absolument

Philosophique de Louvain, Quatrième série, tome 94, nO2, 1996, p. 218). Mais alors que Descartes a proposé que
« [Dieu] a été aussi libre de faire qu'il ne fUt pas vrai que toutes les lignes tirées du centre à la circonférence fussent
égales, comme de ne pas créer le monde» (René DESCARTES, « Lettre à Mersenne, 27 mai 1630 », p. 152) pour
pallier le problème, King a plutôt proposé la théorie des élections. Nous sommes donc en désaccord avec la lecture
que fait James A. Harris de la volonté divine, lorsqu ' il affirme que « [ ... ] God ' s freedom is similar in character to the
liberty of indifference explored by King. Every one of God 's choices is completely arbitrary, and expressive
primarily of rus unlimited power. » (James A. HARRIS, Of Liberty and Necessity, chapitre 2, p. 47).
314 William KING, E.O.E. , 1731, V, § l , §§ IV, ~ IX.
315 « Now ifthis reasoning hold, and amongst infinite schemes there is oruy one best, 1 do not see how it is possible
to avoid making God a necessary Agent. For in a chain of causes, where every link is necessarily and infallibly
connected, the whole must likewise be necessary. If then there be but one best in nature, and if God necessarily and
infallibly knows that best, and bis goodness obliges him necessarily to choose it, 1 think the case is plain, ail rus
actions are linked and tyed [sic] together by a fatal and infallible necessity.» (William KING, E.O.E. , 1781 , V, § l,
§§ IV, ~V, noteN).

103
parlant, parce qu'une meilleure est toujours possible.

To prove this, we need only .consider that there is an infinite distan.ce


between God and his creatures, and how perfect soever [sic] we conceive
any creature or system of creatures, yet the distance between that and God
is not lessened, but still continues infinite [ ... ]. Hence it follows, that the
nature of God and bis omnipotence is such, that whatever number of
creatures he has made he may still make more; and howsoever good or
perfect, he may still make others better and more perfect 316•

Une fois que Dieu a fait élection de vouloir l'existence d'un monde, son pouvoir infini et sa

perfection ont fait que l' entendement n'aurait jamais pu déterminer un meilleur, chaque

possibilité étant aussitôt surpassée par une autre et ainsi de suite. Alors si Dieu n'avait pas

possédé le pouvoir d' élection, King croit que le monde n' aurait jamais été créé, car Dieu aurait

délibéré éternellement à cause de la nature infinie de son pouvoir317 • Ce serait donc le sens de

l'affirmation précédente de King comme quoi peu importe quel monde Dieu allait élire, ce

dernier aurait été le meilleur, car c'était lui ou aucun 318 .

En dernier lieu, comment King arrive-t-il à croire que la prédestination divine peut être

compatible avec la liberté d' indifférence de ses créatures? Comme nous l'avons mentionné

auparavant 319 , King reconnaissait cette difficulté dans le D .O.M ., mais il a refusé d'y donner une

316 Ibid.
317 Ibid.
318 Nous voyons donc que King contourne habilement la critique de Leibniz plutôt que d'y répondre directement.
Leibniz serait encore en droit de dire que dans ce cas, notre monde n'est pas le meilleur, puisque Dieu aurait pu en
faire exister un meilleur et qu ' il s'est simplement arrêté au nôtre. Nous ne croyons pas que King aurait pu donner une
réponse plus satisfaisante en respectant sa théorie, car toutes les solutions qui auraient pu satisfaire Leibniz
remettraient nécessairement en question la liberté de Dieu. Ceci semble confirmé lorsque King écrit que « [t]here is
no way of conceiving how the present world could have been bettered [ ... ] » (Ibid.) , laissant ouverte la possibilité
qu' un autre monde aurait pu l'être. King ne semble donc pas défendre l'optimisme «traditionnel» du XVIIIe siècle,
tel que défini par Arthur Lovejoy : « So far from asserting the unreality of evils, the philosophical optimist in the
eighteenth century was chiefly occupied in demonstrating their necessity. To assert that tbis is best [sic] of possible
worlds implies nothing as to the absolute goodness of this world; it implies only that any other world which is
metaphysically capable of existence would be worse.» (Arthur O. LOVEJOY, The Great Chain of Being,
Cambridge, Harvard University Press, 1957 [1936 pour la 1ère édition], p. 208). Contrairement à ce qu' en pensent
plusieurs commentateurs (Bernard COTTRET, « L'Essai sur l'origine du mal de William King. Vers une définition
de l'optimisme», Dix-huitième Siècle, nO18, 1986, p . 296; John mCK, Evi/ and the God of Love, Cambridge,
Macmillan, 1966, p. 153), nous croyons donc que la théorie des élections de King et sa variante de l'optimisme font
de lui un penseur original et non un simple vulgarisateur.
319 Cf note 153, §§ 1.5.4 (p. 45-46) du présent mémoire.

104
solution claire pour différentes raisons 32o . Cette solution ne sera publiée que sept ans plus tard

dans Divine Predestination and Fore-knowledg [sic], consistent with the Freedom of Man 's Will,

mais nous verrons cependant que King avait bel et bien réfléchi à la solution à l' époque de la

rédaction du D.o.M , car elle reposera, comme il l' y avait mentionné, sur une critique de notre

façon d' appréhender les choses divines.

D ' abord, King prend pour acquis que la nature de Dieu, ses pouvoirs et ses facultés et les

moyens par lesquels il les utilise, nous sont incompréhensibles en S OP 2 1. li ne faut toutefois pas

en conclure que nous ne pouvons rien connaître de Dieu, car King croit que nous pouvons

connaître avec certitude son existence 322 • Comme nous l' avons vu précédemment 323 , King

prétend que nous pouvons connaître par idée, par la sensation, ou par raison, par comparaison ou

réflexion. Or, la connaissance que nous avons des attributs de Dieu est limitée à celle de raison et

[ . ..] we must either be content to know them this way, or not at aIl. [ .. .]
[God] is the Object of none of our Senses, by which we receive aIl our
direct and immediate Perception of things; and therefore if we know any
thing [sic] of him at all, it must be by Deductions of Reason, by Analogy
and Comparison, by resembling him to something that we do know and
are acquainted with. It is by this way we arrive at the most noble and
useful Notions we have, and by thi s Method we teach and instruct others
[ ... ] to sorne conception of any thing [sic], that has not fallen within the
reach ofhis Senses 324 [ •.• ] .

Ensuite, la nature de Dieu et de ses attributs n' étant pas accessible à nos sens, nous devons

donc nous rabattre sur des comparaisons et des déductions pour les concevoir. C' est ainsi que

320 « Tis scarce possible for one who reads this not to think of that famous Difficulty, viz. how the Contingency of
things can be consistent with the Divine Prescience: Neither is it proper to meddle with it in this Place: For it would
require a whole Book. Let it suffice to give a hint, that the Solution of it depends upon considering the Manner by
which we apprehend the things of God. He that understands that manner rightly will never stick at this Difficulty. »
(William KING, E.a .E., 1731 , V, § V, §§ IV, ~ XIV). Il est aisé de comprendre, à la lecture de ce passage, pourquoi
Leibniz n' a pas été satisfait du traitement du problème de la prédestination par King dans son D .a .M .
32 \ William KING, Divine Predestination and Fore-knowledg [sic], consistent with the Freedom of Man 's Will. A
Sermon Preach 'd at Christ-Church, Dublin; May 15, 1709, Before his Excellency Thomas Earl of Wharton, Lord
Lieutenant of Ireland, and the Right Honourable the House of Lords, by his Grace, William Lord Archbishop of
Dublin, Dublin-Londres, J. Baker, 1709, § ID, p. 4-5.
322 Avec la même certitude que nous pouvons connaître celle de l'un de nos ancêtres, soit en déduisant que notre
existence serait impossible si la leur l' était, puisque nous ne sommes pas auto-existants.
323 Cf notes 54 et 56, § 1.2 (p. 18-19) du présent mémoire.
324 William KING, Divine Predestination, § vm, p. 10-11.

105
nous nous sommes formés, selon King, une idée des attributs de Dieu et que nous lui avons

attribué la sagesse, la puissance et la bonté à partir des

[ . ..] Observations we have made of his Works, and from the


Considerations of those Qualifications, that we conceive would enable us
to perform the like. [ .. .] And it doth truly follow from hence, that God
must either have these, or other Faculties and Powers equivalent to them,
and adequate to these rnighty Effects which proceed from them. And
because we do not know what his Faculties are in themselves, we give
them the Names ofthose Powers, that we find would be necessary to us in
order to produce such effects [ . ..]. Thus our Reason teaches us to ascribe
these Attributes to God, by way of Resemblance and Analogy to such
Qualitys [sic] or Powers as we fmd most valuable and perfect in our
selves325 [sic].

C' est de la même façon que nous décrivons l'amour de Dieu pour les vertueux ou le fait qu'il a

parlé à ses prophètes comme s'il avait une bouche, mais dans tous les cas, ce ne sont que des

analogies faites à rebours pour nous permettre d'estimer comment Dieu est parvenu à créer le

monde et de quelle façon nous devons nous comporter pour lui plaire326 .

Enfin, c'est en utilisant la même méthode que nous en sommes venus à attribuer la

prescience et la liberté à Dieu, mais King croit que ceux qui voient une contradiction entre ces

deux. attributs oublient que ce ne sont pas les attributs réels de Dieu.

Now inasmuch as we are certain that nothing can surprize [sic] God, and
that he can never be at a loss what to do in any Event; therefore we
conclude, that God has a faculty to which our Foreknowledg [sic] bears
some Analogy, and therefore cali it by that Name. But it does not follow
from hence, that any of these are more properly and literally in God after
the manner that they are in us, than Hands or Eyes, than Mercy, Love or
Hatred are; but on the contrary we must acknowledg [sic] [ ... ] that in
reality there is no more likeness between them, than between our Hands
and God's Power [ .. .]. And therefore to argue, because Foreknowledg
[sic] , as it is in us, if suppos ' d infallible, cannot consist with the
Contingency of Events, that therefore what we cali so in God cannot, is far
from Reason, as it would be to conclude, because our Eyes cannot see in

325 Ibid., § IV, p. 5.


326 William KING, E.O.E., 1781 , I, § Ill, ~ X, note A. « We ought therefore to interpret ail these things, when
attributed to God, as thus express ' d, only by way of condescension to our Capacities, in order to help us to conceive
what we are to expect from him, and what Duty we are to pay him [ ... ]. )} (William KING, Divine Predestination,
§ VI, p. 8).

106
the dark, that therefore, when God is said to see aIl things, rus Eyes must
be enlighten' d with a perpetuai Sunshine 327 [ •.• ] .

Nous voyons donc que King, plutôt que de proposer une solution favorisant la compatibilité de la

prescience et du libre arbitre, affirme qu ' il n ' y a pas de problème ou, pour reprendre les mots de

Cottret, «King tente, non plus de trancher le débat, mais d' en relativiser les termes pour le

dépasse~28 .» Mais si cette «solution» est ingénieuse, elle nous laisse sur notre faim.

Contrairement à ce qui est le cas dans le reste du D. O.M , King en revient à demander au lecteur

d'avoir la foi ou comme il le disait plus haut, de nous contenter de cette connaissance

hypothétique, puisqu ' aucune autre ne nous est possible. King n ' a donc pas de réponse

satisfaisante à donner à Leibniz, autre que « Dieu doit avoir pensé à cette éventualité en créant

des créatures possédant le libre arbitre ». À ceci, Leibniz lui aurait probablement répondu que s' il

n' a pas d' idée claire des attributs de Dieu, il n' a « [ ... ] point de fondement de lui attribuer ces

attributs ou de l'en louer. Sa bonté et sa justice, aussi bien que sa sagesse, ne diffèrent des nôtres

que parce qu ' elles sont infiniment plus parfaites 329. »

327 Ibid., § VI, p. 7-8.


328 Bernard COTTRET, « L'Essai sur l'origine du mal de William King », p. 299-300.
329 Gottfried Wilhelm LEffiNIZ, « Discours de la conformité de la foi avec la raison », dans Essais de théodicée: sur
la bonté de Dieu, la liberté de l'homme et l'origine du mal, Paris, Garnier-Flammarion, 1969 [1710 pour la 1ère
édition], § 4, p. 52.

107
CONCLUSION

Maintenant que nous avons présenté tant les critiques leibniziennes ciblant la théorie des

élections de King que les réponses à ces critiques, nous pouvons revenir à la question que nous

nous posions en introduction concernant la crédibilité de cette théorie. C' est-à-dire: King arrive-

t-il, à l' aide de sa théorie des élections, à proposer une théorie morale permettant de prétendre à la

liberté humaine et à sa responsabilité morale ou, comme l' accuse Leibniz, en vient-il à défendre

l' indifférence absolue de la volonté humaine et, qu ' il le veuille ou non, un relativisme moral dans

lequel ne serait « bon» ou « mauvais» que ce qui est élu ou rejeté aléatoirement par la volonté,

et où la responsabilité morale ne serait qu ' illusoire, tous les choix libres étant faits au hasard, sans

raison suffisante ou représentation préalable du bien ou du mal?

Nous avons vu que suivant le principe de raison suffisante, Leibniz juge qu ' une volonté

indéterminée ne peut pas exister, car l' inclination est nécessaire à l' action et même si nous

supposions qu'une telle volonté pouvait exister, tous nos choix libres seraient privés de sagesse,

de bonté et de responsabilité, les réduisant à des actions faites au hasard. Nous avons aussi pu

voir que Leibniz juge qu ' utiliser la théorie des élections pour justifier nos comportements ne fait

que mener à des absurdités logiques, puisque l' indifférence de notre volonté devrait rendre tous

nos comportements imprévisibles, et que même en admettant que nous possédions une telle

indifférence de la volonté, cette dernière ne pourrait ni expliquer pourquoi plusieurs personnes

sont malheureuses alors qu 'elles possèdent le pouvoir de se plaire à n' importe quoi, ni garantir

notre bonheur, car King lui-même suggère qu ' un bonheur stable ne peut être atteint qu 'en

conformant notre volonté à celle de Dieu, conformité rendue impossible - ou, dans le meilleur
des cas, reposant entièrement sur le hasard - par l' indifférence de notre volonté. Enfm, nous

avons pu constater que Leibniz juge qu ' autant d ' incohérences naissent de l' application de la

théorie des élections à la volonté divine qu ' à la volonté des créatures, Dieu ne pouvant pas avoir

créé le monde suivant des desseins et sa sagesse infinie tout en étant indifférent. Il juge aussi que

la liberté que propose King ne permet pas de résoudre le célèbre problème de la compatibilité de

la prescience divine et de la liberté des créatures, car comment Dieu pourrait-il prévoir

infailliblement une suite infinie d' actions aléatoires ?

Afin de répondre convenablement à ces nombreuses critiques, nous avons dû,

premièrement, déconstruire le processus électif, ce qui a permis de voir que King ne semble

jamais proposer une indifférence absolue de la volonté, mais seulement un pouvoir de déterminer

quels objets sont bons ou mauvais pour elle et de résister parfois aux inclinations de

l' entendement. Cette autodétermination et cette résistance nous sont profitables, parce qu ' elles

sont sources de plaisir et contribuent ainsi à notre bonheur. En distinguant les élections primaires

des secondaires, King arrive ensuite à préserver la relative indifférence de la volonté tout en

supposant une forme de progrès moral chez l' agent, qui, grâce à sa mémoire, développe

parallèlement ses connaissances « scientifiques» et morales, rendant ses actions de plus en plus

stables et prévisibles avec le temps et le rendant fmalement entièrement responsable de ses actes

libres. En effet, les accusations leibniziennes auraient été beaucoup plus légitimes si King avait

prétendu que tous nos actes libres résultent d ' élections primaires, car elles sont hautement

arbitraires, mais nous avons aussi vu que les élections primaires ne sont pas représentatives des

élections que nous faisons normalement à l' âge adulte, à l' âge de maturité morale. Ce serait la

raison pour laquelle nous sommes plus prudents lors des jugements moraux appliqués aux enfants

et aux situations où nous jugeons que l' agent n' était pas en possession des connaissances

nécessaires pour agir de façon moralement « éclairée », car nous reconnaissons, d ' une façon ou

109
d'une autre, que les élections primaires rendent l' agent moins responsable moralement que les

élections secondaires.

Deuxièmement, nous avons vu que si nous acceptons les explications de King, les

accusations leibniziennes concernant l' indifférence absolue de la volonté et ses conséquences

perdent leur force. Puisque la grande majorité des critiques de Leibniz reposent sur cette

interprétation de la théorie des élections, il ne reste que peu de critiques pouvant encore porter

atteinte à la théorie de King. Considérant que ce dernier ne prétend pas que la volonté soit

absolument indifférente, ni qu'elle garde sa relative indifférence après chaque élection, nos actes

libres deviennent de plus en plus prévisibles, et si plusieurs agents libres sont malheureux, c' est

qu ' ils persistent à se plaire davantage à prendre conscience de leur liberté qu ' à accorder leur

volonté à la volonté de Dieu à travers le calcul du meilleur de l'entendement. Et puisque la

volonté est de moins en moins indifférente après chaque élection et que nous recherchons tous le

bonheur, nous en venons à prévoir et à craindre les punitions naturellement associées aux vices et

à les éviter, ce qui nous pousse finalement dans les bras de la vertu, à travers laquelle nous en

venons à vouloir les actions bonnes - celles s' accordant à la volonté de Dieu - parce que la

perspective et l' acte lui-même de les accomplir font naître en nous du plaisir.

Dernièrement, nous croyons, contrairement à Leibniz, que King peut affirmer que Dieu

est absolument bon, car le bien et le mal sont pour King des relations entre les choses, et dans

tous les mondes possibles, Dieu est bon pour tous les objets. Même dans le « monde» possible

où Dieu a décidé de rester seul, Dieu est éternellement et parfaitement bon pour lui-même. À la

critique de Leibniz concernant l' indifférence de la volonté de Dieu et son élection du meilleur des

mondes, nous avons cependant vu que King ne donne pas une réponse aussi satisfaisante, car s' il

peut affirmer que notre monde est, d' un point de vue pratique, le meilleur possible - car c'était,

dans les faits, celui-ci ou aucun autre - , absolument parlant, il « existe » une infinité de mondes

110
possibles plus parfaits que le nôtre et que Dieu aurait pu créer à sa place. Le nôtre est devenu le

meilleur simplement parce que c' est celui sur lequel s' est arrêtée la volonté primaire et arbitraire

de Dieu. La critique de Leibniz, à notre avis, garde ici une partie de sa force. La théorie de

l' analogie utilisée par King pour contourner le problème de la compatibilité de la prescience de

Dieu et de la liberté de ses créatures n' est pas non plus entièrement convaincante. En effet, même

si nous l'acceptons, elle doit aussi s' appliquer à tous les autres attributs et qualités de Dieu. Or,

lorsque nous supposons que Dieu est bon ou juste, nous ne supposons pas, intuitivement, que ce

n' est que par analogie : nous prétendons, au contraire, que sa bonté et sa justice sont de même

nature que les nôtres, bien qu ' à des proportions infiniment supérieures. Si ce que nous appelons

la « prescience » chez Dieu peut admettre ce qui revient à des contradictions pour notre

prescience, qu ' est-ce qui empêcherait un critique de supposer que ce que nous appelons la

« bonté » chez Dieu peut admettre la cruauté et la haine des créatures? Pour une seconde fois,

donc, nous croyons que la critique de Leibniz garde sa force , à moins de s' en remettre, comme

semble le suggérer ici King, et contrairement à ce qu' il suggère dans le reste du D.o.M , à la foi.

Ceci dit, que pouvons-nous répondre à notre question initiale? La théorie morale de King

est-elle suffisante pour garantir la liberté et la responsabilité morale des humains ? À notre avis,

nous pouvons conclure que King répond de façon satisfaisante aux critiques de Leibniz à ce sujet.

La théorie des élections ne prétend pas à l' indifférence absolue de la volonté, mais à une

indifférence initiale envers les objets et un pouvoir de résister aux inclinations de l' entendement

et des appétits, qui rendent possible la liberté, ainsi qu' à un progrès moral grâce à la

mémorisation et à la prévision des punitions et des récompenses, qui rend nos actions de plus en

plus prévisibles et stables et qui , jumelé à notre liberté, nous rend de plus en plus responsables

moralement, tant à cause de la perspective du plaisir qui nous pousse aux actions bonnes ou

mauvaises que parce que nous sommes la cause réelle, et non accidentelle, de nos actions libres.

111
Cependant, comme nous l'avons constaté, King ne parvient pas à donner des réponses

satisfaisantes aux deux critiques de Leibniz concernant l'élection du meilleur des mondes par

Dieu et la compatibilité de sa prescience avec notre liberté, mais nous croyons que la théorie

morale de King garde son intégrité malgré elles. En effet, ces deux dernières critiques visent, à

notre avis, des aspects plus métaphysiques et théologiques que moraux de la théorie de King. Il

est toutefois certain que le problème de la prédestination est une douloureuse écharde dans la

théorie de la liberté de King, à cause des conséquences indésirables qu' il semble entraîner peu

importe de quel côté nous nous rangeons, soit la perte de la liberté des créatures si la prescience

de Dieu est de même nature que la nôtre ou l' idée contre-intuitive que Dieu n'est peut-être pas

vraiment bon, sage, puissant ou juste dans le sens où nous l'entendons normalement, lorsque

nous nous attribuons ces qualités.

Mais si la théorie des élections n'est pas parfaite, nous croyons qu 'elle apporte des

hypothèses intéressantes concernant le fonctionnement du processus d'élection ou du choix chez

l' humain, ainsi que concernant la construction des « codes moraux ». La théorie des élections

nous semble même compatible avec les théories contemporaines du développement cognitif et

moral de Piaget330 et Kohlberg 331 . En effet, en suivant le même cadre conceptuel, nous pourrions,

330 Jean Piaget distingue quatre stades du développement cognitif, chacun intégrant les acquis des stades précédents
et restructurant la pensée. Lors de la période sensori-motrice (0-2 ans), l' humain fonctionne sans représentations ou
pensées et ne distingue pas le monde externe de lui-même. Lors de la période préopératoire (2-6 ans), il intériorise
des représentations, mais de façon imparfaite et ses conceptions sont fortement teintées d' égocentrisme et ne
reposent que sur les apparences. Lors de la période des opérations concrètes (6-12 ans), les premières organisations
logiques et stables apparaissent. Enfin, lors de la période des opérations formelles (12 ans et plus), l'humain arrive à
prendre un point de vue objectif, quittant sa subjectivité ou son égocentrisme intellectuel pour faire des hypothèses,
les vérifier et faire des inférences et des raisonnements hypothético-déductifs (Louise ALLAIRE-DAGENAIS,
« Jean Piaget et l' intelligence », Québecfrançais, nO48, 1982, p. 67).
331 Lawrence Kohlberg, quant à lui, distingue trois stades du développement moral, inspirés des étapes du
développement piagétien. Lors du stade pré-conventionnel (4-10 ans), l' humain développe sa pensée symbolique et
morale, mais il est encore égocentrique, il ne fait qu 'adapter ses comportements aux règles pour fuir les punitions et,
dans une moindre mesure, en perspective de récompenses. Lors du stade conventionnel (11-14 ans), l'humain
commence à vouloir bien faire pour se conformer aux attentes de sa famille, de ses amis et de son milieu. Lors du
dernier stade, post-conventionnel (15-18 ans ou plus), l' humain accorde de la valeur aux actes en fonction de valeurs

112
à notre avis, proposer une théorie du développement moral chez King 332 .

Jusqu ' à 2 ans, selon King, l' humain ne serait pas libre, car sa conSCIence, son

entendement et sa volonté ne seraient pas assez développés. Ses actions seraient souvent

prévisibles parce qu ' elles suivraient les dicta,ts de ses appétits333 . De 2 à 10 ans, l' humain

développerait sa conscience et son entendement et commencerait à tester les limites de sa volonté

et les conséquences de ses élections 334 . Ce serait le stade le plus imprévisible de l' humain, car

manquant d'expérience cognitive et morale, la plupart de ses élections seraient arbitraires, des

élections primaires, alors il serait souvent impossible de prévoir ses élections à partir d' élections

antérieures. Même si l' humain ferait alors souvent des actes libres, cette liberté se réduirait

principalement à une liberté d' indifférence, celle qui est justement décriée par Descartes et

Leibniz et qui, même dans le système de King, ne serait pas le genre de liberté auquel nous

associons la responsabilité morale. De 10 à 18 ans, l' humain atteindrait progressivement le

développement maximal de ses facultés cognitives et morales. Puisqu ' il aurait eu plusieurs

expériences, ses élections seraient de plus en plus souvent des élections secondaires et ses actions

deviendraient plus assurées et prévisibles, car il apprendrait progressivement ce qui est réellement

bon et mauvais pour lui. li comprendrait que certaines choses sont naturellement bonnes ou

éthiques universelles et plus seulement en fonction des attentes d' autrui . L' humain apprend à respecter les lois même
si elles vont contre son intérêt immédiat et il se soucie du bien commun. Kohlberg suggère que certains humains en
viendront à comprendre que les lois peuvent entrer en conflit avec les valeurs individuelles et même à faire des
jugements moraux universels primant sur le respect aveugle des lois (Dalila BELGACEM, « Le développement
moral », Les Cahiers Dynamiques, vol. 3, nO45 ,2009, p. 30-31).
332 Nous avons proposé ce pont entre la philosophie et la psychologie pour la première fois, et plus en détails, lors de
l' édition 2017 du colloque Fodar, cf Samuel LIZOTTE, Le progrès moral est-il possible dans le cadre d 'une liberté
d 'indifférence ?, communication présentée au colloque Fodar, UQTR, Trois-rivières, 31 mars 2017.
333 Les jeunes enfants agiraient en suivant leurs appétits naturels, qui n' ont que des demandes immédiates. Un bébé a
faim ? Il pleure jusqu' à ce qu' il soit en train de manger. Il a froid ? Il pleure jusqu' à ce qu ' il soit au chaud.
334 Vers 2 ou 3 ans, l' enfant développerait sa conscience, son identité, mais il prendrait aussi conscience de la liberté
de sa volonté. Il commencerait à faire des prédictions pour le futur, à faire des liens entre des événements passés et
présents, et il commencerait à tester ouvertement les limites de sa liberté. Par essais et erreurs, il se formerait un
bagage d'expériences physiques et morales. Il testerait les limites morales de ses parents: à quelle amplitude puis-je
crier sans être puni ? Quels mots puis-je dire pour être récompensé ? Le raisonnement serait, au début, surtout
rattaché aux punitions, puis éventuellement aux récompenses.

113
mauvaises, mais qu'il resterait souvent libre de les poursuivre ou de les fuir. Ce serait à la fin de

ce stade, à l'aube de l'âge adulte, que l'humain deviendrait véritablement libre, responsable

moralement et, parallèlement, majeur légalemene 35 .

Tout cela n' est, bien sûr, qu' une piste de réflexion, mais nous sommes persuadés que la

théorie des élections de King peut encore nous être utile aujourd'hui. Si la compatibilité des

théories de King, de Kohlberg et de Piaget devait se révéler positive, cela pourrait être un moyen

de ramener au goût du jour, dans les discussions philosophiques autant que dans les discussions

psychologiques, la possibilité du développement du libre arbitre par l'indifférence partielle de la

volonté dans les débats contemporains entourant la liberté et la morale, qui semblent actuellement

dominés par les théories déterministes strictes comme celle de Sam Harris 336 ou par ce que King

considérait comme étant les déterminismes non assumés des compatibilistes tels que Leibniz à

l'époque moderne ou Daniel Dennett337 aujourd' hui.

335 L' âge adulte moral serait le moment où un agent serait considéré assez vieux, comme ayant eu assez
d' expériences physiques et morales, pour fonctionner de façon autonome en société en suivant ses codes légaux et
moraux. Éventuellement, les actes prendraient une valeur « strictement)} morale, « transcendante )}. Aider autrui ne
se ferait plus suite à la domination de l'entendement sur la volonté en perspective des récompenses, mais parce que
l' agent voudrait, librement, le bien.
336 Cf Sam HARRIS, Free Will, New-York, Free Press, 2012.
337 Cf Daniel C. DENNEIT, Elbow Room. The Varieties ofFree Will Worth Wanting, Cambridge, Bradford, 1984.

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