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Biofilms Bactériens

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Biofilms bactériens

par Thierry JOUENNE


Directeur de recherche au CNRS
FRE CNRS 3101 (Rouen)

1. Qu’est-ce qu’un biofilm ? ....................................................................... BIO 600 - 2


1.1 Où trouve-t-on les biofilms ?....................................................................... — 3
1.1.1 Dans le milieu naturel......................................................................... — 3
1.1.2 Dans le milieu industriel ..................................................................... — 3
1.1.3 Dans le monde médical ...................................................................... — 3
1.1.4 Biofilms à aspect positif ..................................................................... — 4
2. Comment se forme un biofilm ? .......................................................... — 5
2.1 Étapes 1 et 2 ................................................................................................. — 5
2.2 Étape 3 : adhésion irréversible.................................................................... — 5
2.3 Étape 4 : maturation..................................................................................... — 6
2.4 Étape 5 : détachement cellulaire ................................................................. — 6
3. Phénotype biofilm .................................................................................... — 6
3.1 Rôle de la gangue polymère ....................................................................... — 6
3.2 Émergence d’une physiologie « biofilm » ................................................. — 7
4. Moyens de lutte contre les biofilms ................................................... — 7
4.1 Moyens actuels ............................................................................................ — 7
4.2 Développement de surfaces antiadhésives ............................................... — 7
4.3 Élaboration de surfaces à revêtements antimicrobiens ........................... — 8
4.3.1 Incorporation d’espèces inorganiques et/ou chargées .................... — 8
4.3.2 Incorporation d’agents antimicrobiens ............................................. — 8
5. Conclusion .................................................................................................. — 8
Pour en savoir plus ........................................................................................... Doc. BIO 600

a notion et la tradition des cultures en milieu liquide (aujourd’hui appelées


L planctoniques) ont constitué les fondements de la microbiologie pendant
plus de 60 ans.

Naissance de la microbiologie
C’est avec minutie qu’Anton van Leeuwenhoek (1632-1723), un horloger hol-
landais amateur de microscopie, s’attachait à décrire les « animalcules » qu’il
observait à l’aide de microscopes qu’il construisait lui-même. C’est avec l’un
de ces microscopes qu’il décrivit en 1863 les différentes morphologies bacté-
riennes connues à ce jour. C’est lui aussi qui observa pour la première fois, sur
des surfaces dentaires, ce que nous appelons aujourd’hui des biofilms.
5 - 2008

Longtemps, ces êtres microscopiques ont été supposés naître de la matière


non vivante grâce à une « force vitale ». Cette théorie de la génération spon-
tanée perdura jusqu’en 1861 lorsque Louis Pasteur (1822-1895) démontra que
les contaminations observées dans les bouillons nutritifs étaient dues à des
micro-organismes présents dans l’air ambiant. L’implication de ces micro-orga-
BIO 600

nismes dans les maladies, bien que supposée un siècle avant JC, ne fut
démontrée qu’en 1835 par Agostino Bassi (1773-1856) lorsqu’il découvrit que
la muscardine, maladie du ver à soie, était causée par un champignon qu’il
nomma Botrytis paradoxa (aujourd’hui Beauveria bassiana). Dès lors, on
oublia les miasmes et autres déséquilibres des quatre humeurs corporelles et
la microbiologie prit son envol.

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est strictement interdite. – © Editions T.I. BIO 600 – 1
BIOFILMS BACTÉRIENS ______________________________________________________________________________________________________________

En 1876, le médecin allemand Robert Koch (1843-1910) publia ses travaux sur
Bacillus anthracis et développa les « postulats de Koch ». Le deuxième de ces
quatre postulats implique l’isolement du micro-organisme et la notion de culture
pure.
Mais ce sont les travaux de Claude E. Zobell (1904-1989) qui ont ouvert une
nouvelle ère dans le domaine de la microbiologie. Dès 1936, ce chercheur
(considéré comme le père de la microbiologie marine) démontra que les sur-
faces solides sont bénéfiques au développement des bactéries lors de leur
conservation dans un milieu nutritif dilué. En 1943, il montra que de très
faibles quantités de nutriments organiques s’adsorbent sur le verre et que
cette concentration de matière organique favorise la formation de « biofilms »
sur les surfaces [1].

Les biofilms
La mise en évidence de ces biofilms est longtemps restée anecdotique, en
partie parce que les méthodes d’observation n’étaient pas suffisamment per-
formantes. Il fallut attendre la microscopie électronique et les travaux de Jones
et col. [2] pour mettre en évidence que ces biofilms sont composés d’une très
grande variété d’organismes [2]. C’est sous l’impulsion de W.G. Characklis
(décédé en 1992) puis de J.W. Costerton (actuellement directeur du Centre sur
les biofilms à la Faculté dentaire de Californie du Sud) que l’étude des biofilms
a pris véritablement son essor. Dès 1973, Characklis mit en évidence que des
slimes microbiens provenant de circuits d’eaux industrielles étaient hautement
résistants aux désinfectants et, en particulier, au chlore [3]. En 1978, Costerton
et col. proposèrent les premières hypothèses sur les mécanismes impliqués
dans l’adhésion des micro-organismes [4]. Depuis, un nombre croissant
d’études ont été consacrées aux biofilms, aussi bien dans le domaine industriel
et environnement que dans le domaine médical, comme le montre la figure 1.

1400
Nombre de publications

1200

1000

800

600

400

200

0
1990 1995 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 Année

Figure 1 – Évolution du nombre de publications par an dans lesquelles le mot « biofilm »


apparaît dans le titre, le résumé ou en mot clef (source PuMed, http://www.ncbi.nlm.nih.gov)

1. Qu’est-ce qu’un biofilm ? adhérant à une surface inerte ou vivante. Ces EPS renferment majo-
ritairement des polysaccharides complexes macromoléculaires et,
en moindre mesure, des protéines, d’autres hydrates de carbone
Étymologiquement, le mot vient du grec « bios », la vie, et de comme par exemple l’acide uronique, ainsi que de petites quantités
l’anglais « film » qui signifie pellicule. Un biofilm est donc, étymo- de lipides et d’acides nucléiques [5]. L’unité structurale du biofilm
logiquement parlant, « une pellicule de vie ». Dans la littérature est la microcolonie (petit amas de cellules bactériennes
scientifique, on trouve de nombreuses définitions, plus ou moins identiques) [6]. La composante bactérienne représente 10 à 25 % du
semblables. Le plus souvent, on définit un biofilm bactérien comme biofilm, les 75 à 90 % restants étant principalement composés par
un ensemble de microcolonies bactériennes engluées dans leurs la gangue polymère. Les bactéries au sein de la microcolonie sont
propres exopolymères (EPS pour ExtraPolymeric Substances ) et caractérisées par l’absence de mouvements browniens. Un biofilm

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peut être constitué d’une seule espèce bactérienne mais, le plus


souvent, plusieurs voire un grand nombre d’espèces coexistent au
sein de la structure. Le biofilm est parcouru par une multitude de
pores et canaux aqueux qui constituent un système circulatoire pri-
maire, assurant ainsi l’acheminement des nutriments jusqu’aux
bactéries et l’évacuation des produits de dégradation. Au sein des
biofilms, des gradients très marqués apparaissent. Ces gradients
d’oxygène, de substrats, de pH ou autre, conduisent au développe-
ment et à la juxtaposition de communautés bactériennes clairement
délimitées et différentes sur le plan physiologique, induisant des
processus biologiques et physico-chimiques multiples et une
complexité structurelle. Outre les bactéries, les champignons (Can-
dida albicans, par exemple), les microalgues et certains protozoai-
res sont capables de former des biofilms.

1.1 Où trouve-t-on les biofilms ? Figure 2 – Biofilm de Legionella pneumophila formé sur de l’acier
inoxydable (photographie prise au microscope électronique à balayage
Dans son article publié en 1943, Zobell mit en évidence qu’il y (UMR CNRS 6143, UMR CNRS 6522, Rouen))
avait plus de bactéries vivantes sur les surfaces d’un récipient que
dans le liquide qu’il contient [1]). Les microbiologistes admettent
aujourd’hui que la quasi-totalité des micro-organismes présents malteries, salaisonneries...) et à tous les niveaux de la chaîne de
dans leur environnement naturel (c’est-à-dire en dehors du labora- production. Toute installation industrielle fabriquant des produits à
toire), le sont sous la forme de biofilms, l’état planctonique n’étant humidité intermédiaire ou élevée est exposée à la formation de
que transitoire, pour passer d’un biofilm à un autre. biofilms. Tout équipement non stérilisé abrite des micro-orga-
nismes qui peuvent amorcer un processus de colonisation entre
1.1.1 Dans le milieu naturel deux procédures de nettoyage-désinfection, et ce en quelques
heures. Les contaminations d’aliments résultant de la présence de
■ La formation de biofilms sur les plaques internes des échan- biofilms en IAA ont un impact socioéconomique important. En
geurs de chaleur industriels peut diminuer de 20 à 30 % leur capa- effet, chaque année, des toxi-infections alimentaires collectives
cité de transfert thermique. (TIAC) sont à l’origine de décès ou de maladies qu’il faut traiter
■ L’industrie navale doit aussi continuellement lutter contre la (frais d’hospitalisation, traitements médicaux).
formation de biosalissures sur les coques des navires et les struc-
■ Les industries de production et distribution d’eau potable sont
tures portuaires, et contre la corrosion qui leur est associée, par
aussi particulièrement sensibilisées à ces problèmes, la formation
des revêtements antifouling (contre l’encrassement), toxiques,
de biofilms sur les parois des canalisations pouvant être à l’origine
souvent responsables de graves pollutions. Le Biocorys interré-
d’une détérioration de la qualité organoleptique et microbiolo-
gional (programme de collaboration scientifique regroupant des
gique de l’eau. La prolifération de biofilms à Legionella pneumo-
chercheurs et des ingénieurs d’universités et de centres techniques
phila sur les tuyauteries des tours aéroréfrigérantes (figure 2),
de Normandie, Picardie et Île-de-France) a évalué le coût annuel
employées pour la climatisation ou des réseaux de distribution
des conséquences de la biocorrosion entre 5 et 10 % de l’ensemble
d’eau chaude constitue un risque sanitaire évident comme l’a
des dégâts causés par la corrosion en général, lequel est chiffré
montré l’épidémie qui a sévi dans le nord de la France entre
dans les pays industrialisés à 3-4 % du PIB, soit 27 milliards
novembre 2003 et janvier 2004.
d’euros pour la France (http://www.biocorys.utc.fr).
■ Dans le cas des aciers inoxydables en eaux naturelles, les méca- 1.1.3 Dans le monde médical
nismes d’initiation de la corrosion induite par les bactéries et les
biofilms sont extrêmement complexes. La composition chimique ■ La plaque dentaire est un exemple bien connu de biofilm dans le
de la couche passive, la nature chimique du milieu, l’hétérogénéité milieu médical. Elle est définie comme une gangue hétérogène
du biofilm, influent en effet sur l’initiation de la piqûre. Trois carac- adhérant à la surface des dents ou logée dans l’espace gingivo-den-
téristiques du biofilm jouent sur le comportement du matériau taire. Elle est composée d’une communauté microbienne riche en
selon les conditions d’aération [7] : bactéries aérobies et anaérobies, enrobée d’une matrice intercellu-
laire d’origine microbienne et salivaire. Sa masse varie, selon
– en eaux aérées, ce sont les propriétés de catalyse des enzymes
l’hygiène dentaire, de 5 à 200 mg. Elle contient de 108 à 109 unités
présentes dans le biofilm qui conduisent à une augmentation des
formant colonie (UFC)/mg et est composée de plus de 500 espèces
vitesses de réactions cataboliques, donc du potentiel corrosif [8] ;
dont 300 ont été identifiées à ce jour. La plaque dentaire est un
– en milieux anaérobies, les sulfures produits par les bactéries
exemple de collaboration métabolique entre espèces. Ainsi, des
sulfatoréductrices diminuent la stabilité de la couche passive et sa
bactéries anaérobies prospèrent lorsqu’elles sont physiquement
reconstitution ;
très proches d’organismes aérobies qui appauvrissent l’environne-
– en milieu faiblement oxygéné et dans les biofilms âgés (matu-
ment en oxygène.
res) où coexistent des zones aérobies et anaérobies, c’est le carac-
tère hétérogène du biofilm qui conduit à des corrosions ■ Les biofilms ont pris une importance toute particulière en méde-
spectaculaires [9], la zone aérobie provoquant une augmentation cine lorsqu’il a été montré qu’ils étaient impliqués dans 60 % des
du potentiel de corrosion alors que le potentiel de rupture de la infections nosocomiales et dans toutes les infections prothé-
couche passive est diminué dans les zones anaérobies où survi- tiques [10]. Des biofilms ont ainsi pu être observés sur des panse-
vent les bactéries sulfatoréductrices. La maîtrise du développe- ments et des matériels de suture, dans des tubes de drainage, des
ment et des propriétés des biofilms est donc une des clefs de la seringues, des cathéters, des pacemakers, des prothèses, dans les
maîtrise des phénomènes de biocorrosion. solutions de stockage des lentilles de contact ou sur les verres de
contact, dans les systèmes de distributions d’eau et aussi sur les
1.1.2 Dans le milieu industriel murs (tableau 1). Il a été montré que 75 % des dispositifs
intra-utérins (DIU) retirés chez des patientes souffrant d’infections
■ Dans l’industrie agroalimentaire (IAA), on retrouve les biofilms du tractus génital supérieur sont recouverts d’un biofilm [11].
dans tous les secteurs (laiteries, brasseries, meuneries, sucreries, L’infection sévère à biofilm est souvent consécutive à un premier

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Tableau 1 – Liste partielle des infections


de matériel médical dues aux biofilms
Matériel médical Espèces bactériennes associées
Cathéters veineux
Staphylococcus epidermidis
centraux
Pacemakers Staphylococcus aureus
Prothèses
S. epidermidis, S. aureus
orthopédiques
Nombreuses bactéries
Sondes d’intubation
et champignons
Escherichia coli
Sondes urinaires
et autres Gram négatifs
Stérilets E. coli Figure 3 – Biofilm de Pseudomonas oryzihabitans formé
sur une particule d’argile (photographie prise au microscope
Sutures S. aureus et epidermidis électronique à balayage [UMR CNRS 6143, UMR CNRS 6522, Rouen])
Valves aortiques S. aureus
Pseudomonas aeruginosa, tairement l’espace interstitiel sous la surface du lit. En tant que
Verres de contact
S. epidermidis producteurs de biomasse et décomposeurs, ils constituent un
maillon vital de la chaîne alimentaire [12]. Des biofilms ont été
retrouvés dans des failles océaniques à 3 500 m de profondeur et à
Tableau 2 – Liste partielle des maladies – 0,7 oC [13] [14].
infectieuses associées à un biofilm Ils sont également un élément important de la flore des rhizos-
phères (régions du sol directement formées et influencées par les
Maladies infectieuses racines), les micro-organismes se développant à la surface des
à biofilms Espèces bactériennes associées particules minérales (figure 3) ou/et des racines.
(pathologies associées)
Enfin, la flore microbienne intestinale colonise le tractus intesti-
Bronchites chroniques Pseudomonas aeruginosa, nal sous la forme de biofilm et joue un rôle fondamental dans la
(mucoviscidose) P. cepacia, S. aureus santé humaine.
Caries dentaires Streptococcus
■ La production biotechnologigue par des cellules fixées et organi-
Proteus mirabilis, E. coli, sées en biofilms présente plusieurs avantages, notamment de pou-
Cystites, pyélonéphrites
P. aeruginosa, Enterococcus faecalis voir produire de grands volumes sur un long terme et d’éviter la
Endocardites Streptococci perte de temps induite par les redémarrages de production. Ainsi,
dès 1823, le procédé de fermentation dit allemand ou de Schuet-
Kératites P. aeruginosa
zenbach utilisa des copeaux de hêtre pour adsorber des micro-orga-
Mélioïdose Pseudomonas pseudomallei nismes (Acetobacter aceti ) et produire du vinaigre. Pasteur, quant
Péritonites E. coli, Bacteroides fragilis à lui, développa le premier système à cellules immobilisées, dans
le procédé « Pasteur » ou « Orléans » pour la production de vinaigre.
Prostatites E. coli, Staphylococci, Enterococci
Aujourd’hui, les bioréacteurs à cellules immobilisées sont légion et
leur utilisation très répandue. L’immobilisation des bactéries est réa-
lisée par rétention sur membrane, par attachement à des surfaces,
épisode infectieux et survient souvent chez des patients présentant par inclusion dans des matrices poreuses ou par encapsulation.
un « terrain » favorable (immunodéprimés, personnes âgées...).
L’instauration d’un biofilm (le plus souvent à P. aeruginosa) dans • La technologie des réacteurs à membrane consiste à coupler
les poumons des patients atteints de mucoviscidose est la pre- un fermenteur à une unité d’ultrafiltration ou de microfiltration.
mière cause de mortalité chez ces malades. Le tableau 2 regroupe Les cellules sont retenues dans le système de fermentation qui
les pathologies infectieuses susceptibles de favoriser une infection permet la diffusion des composés solubles de petite taille, selon la
sévère à biofilm. porosité de la membrane choisie. Le renouvellement continu du
milieu de culture permet de diminuer l’inhibition par les produits
du métabolisme bactérien. Dans ces systèmes, les densités cellu-
1.1.4 Biofilms à aspect positif laires obtenues sont 10 fois plus élevées qu’en fermentation classi-
que. Cependant, l’activité métabolique est inhibée lorsque la
À côté de ces effets nocifs, voire dangereux, les biofilms peu- biomasse devient très importante et la stabilité à long terme du
vent aussi avoir des aspects très utiles. procédé est limitée par l’encrassement des membranes.
■ Dans l’environnement, les biofilms sont principalement pluri- • L’immobilisation cellulaire par adsorption sur un support
espèces. On les retrouve sur tous les matériaux immergés dans les solide est basée sur l’affinité des bactéries pour les surfaces.
ruisseaux, les lacs et autres milieux aquatiques, où ils participent à L’adsorption est obtenue par la mise en contact du support et des
l’écosystème. Parmi les bactéries constituant le biofilm, bon nom- cellules pendant une période définie dans le bioréacteur. Dans ces
bre sont non cultivables. La métagénomique (synonyme de géno- systèmes, les difficultés liées à la diffusion de substrats et aux
mique environnementale), qui a pour objectif d’identifier les produits d’inhibition sont moindres. Le problème majeur réside
micro-organismes à ce jour non cultivables, est une approche nou- dans le détachement de tout ou partie du biofilm, ce qui aboutit à
velle et puissante pour analyser les génomes de ces micro-orga- des densités bactériennes plus faibles que celles obtenues dans les
nismes. Pour cela, la population microbienne est extraite, son ADN réacteurs à membranes.
est purifié et séquencé par les méthodes à haut débit. • Le procédé d’immobilisation le plus répandu consiste à inclure
Dans les cours d’eau les biofilms autotrophes, principalement un inoculum bactérien dans une matrice polymère (κ-carraghénane,
composés d’algues se développent sur le fond du lit tandis que les gomme de gellane, agarose, gélatine, alginate ou chitosane). Ces
biofilms hétérotrophes, à dominante bactérienne, occupent majori- polymères naturels sont facilement disponibles et largement acceptés

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comme additifs alimentaires dans l’industrie. Afin de réduire les pro-


blèmes liés aux limitations de transport de masse, les billes de gel
sont en général préférées aux films pour leur géométrie sphérique
augmentant la surface spécifique. Les applications de ce procédé avec
les bactéries lactiques font appel, en général, aux gels de
κ-carraghénane [15]. Utilisé seul, le κ-carraghénane produit un gel fra-
gile incapable de résister aux contraintes physiques liées à la crois-
sance bactérienne et aux forces de cisaillement. Un effet synergique
est observé avec la gomme de caroube [16]. L’addition d’ions K+
donne aussi des propriétés plus élastiques aux gels qui sont rhéolo-
giquement plus stables, du fait d’une interaction spécifique entre le
κ-carraghénane et les chaînes de galactomananes de la gomme de
caroube [17]. Une région à forte densité bactérienne est formée à la
Étape 1 : adhésion réversible
périphérie des billes où les conditions de croissance sont plus favo-
Étape 2 : adhésion irréversible
rables. L’épaisseur et la concentration cellulaire de cette couche
Étape 3 : formation de microcolonies
dépendent de l’espèce bactérienne et des vitesses de diffusion dans Étape 4 : maturation
la couche cellulaire, ainsi que d’autres paramètres de fermentation Étape 5 : retour à l’état planctonique (détachement)
tels que le pH, la concentration en substrats, en produits, et la
température. Figure 4 – Différentes étapes dans la vie du biofilm
■ La promiscuité des cellules assure un métabolisme symbiotique http://biology.binghamton.edu
entre espèces [18] ; ainsi, certains biofilms mixtes dégradent les
polychlorobenzoates. Les biofilms sont donc utilisés par l’homme ment de la bactérie dans le milieu et au rapprochement aléatoire de
pour assurer la protection de l’environnement. En effet, pour satis- la cellule vers le support. Les forces de cisaillement et les conditions
faire aux normes sur la qualité de l’eau, il est fait appel de plus en de flux vont influer sur la densité et l’épaisseur du biofilm. Le chi-
plus à la filtration biologique afin d’éliminer la pollution carbonée, miotactisme va, quant à lui, permettre un rapprochement plus spé-
azotée et phosphorée des eaux usées. D’autres applications cifique entre la bactérie et la surface, via des récepteurs situés à la
peuvent également être envisagées dans les prochaines années, surface de la paroi bactérienne. Enfin, des interactions non spécifi-
telles que le traitement des métaux lourds dans les effluents. Il a ques (électrostatiques, Van der Waals, énergie de surface et
été démontré que des biofilms plurimicrobiens sont capables acide-base de Lewis) vont exercer un jeu d’attraction-répulsion.
d’extraire les métaux lourds des rivières à des taux 17 fois plus
élevés que des co-cultures planctoniques [19].
2.2 Étape 3 : adhésion irréversible
■ Enfin, l’un des aspects les plus prometteurs de l’utilisation des
biofilms est l’application d’une flore positive ou neutre sur des sur- Différents appendices bactériens (curli, flagelles, pili) jouent un
faces, notamment en IAA, pour prévenir ou limiter leur colonisation rôle important dans la formation du biofilm. La première fonction
par des flores pathogènes ou d’altérations, ce qui minimiserait les des flagelles est le rapprochement de la bactérie planctonique vers
risques de (re)contamination des produits alimentaires. À ce stade, le support (mécanisme de nage). O’Toole et Kolter [23] ont montré
la recherche et la demande du marché s’orientent plus vers la décou- qu’un mutant de P. aeruginosa défectif dans la formation du flagelle
verte de nouveaux procédés ou molécules permettant une meilleure adhère très difficilement au support. Une fois la surface atteinte, la
implantation et sélection de ces biofilms positifs, tout en limitant bactérie réduit drastiquement la synthèse des flagelles devenus inu-
l’implantation de flores pathogènes ou d’altérations des aliments. tiles. Les pili (sorte de poils) sont également importants dans l’inte-
raction de la bactérie avec le support. Ainsi les pili dits de type IV,
présents au pôle de certaines bactéries à Gram négatif, sont impli-
2. Comment se forme qués dans un type particulier de mobilité appelée « twitching moti-
lity ». Ils permettent des mouvements à l’interface de surfaces
un biofilm ? solides, mouvements basés sur la capacité de rétractation de ces
poils. Contrairement aux mutants dépourvus de flagelle, les
La formation d’un biofilm se déroule en cinq grandes mutants sans pili de type IV peuvent former une monocouche cel-
étapes [20], représentées sur la figure 4 : lulaire mais sont incapables de former des microcolonies [23].
– étapes 1-2 : des bactéries planctoniques isolées évoluant libre- Pour des bactéries pathogènes comme P. aeruginosa, l’instaura-
ment dans un milieu liquide se fixent sur une surface (adhésion tion d’un biofilm signifie l’instauration d’une infection chronique par
réversible) et s’organisent en amas ; rapport à une infection aiguë caractérisée par la sécrétion de nom-
– étape 3 : les bactéries s’ancrent de façon irréversible sur la sur- breuses toxines et facteurs cytotoxiques. Le choix de l’une ou l’autre
face via des appendices cellulaires et les exopolymères ; de ces stratégies de colonisation de l’hôte va dépendre des
– étape 4 : le biofilm arrive à maturation, il est traversé par des conditions environnementales. Il est donc indispensable à la bacté-
courants de liquides (nutriments, molécules signal...) ; rie d’évaluer ces conditions afin d’aboutir à l’expression des méca-
– étape 5 : en fin de maturation, un certain nombre de cellules nismes de virulence les mieux adaptés pour échapper aux défenses
retournent à l’état planctonique et peuvent former plus loin un immunitaires de l’hôte. Les voies de signalisation qui déterminent
nouveau biofilm. le choix du mode de virulence sont encore mal connues. Deux prin-
cipaux systèmes de vigilance permettent à la bactérie de percevoir
les variations environnementales et d’enclencher une réponse phy-
2.1 Étapes 1 et 2 siologique adaptée. Il s’agit des systèmes de chimiotactisme et des
Avant que les bactéries ne viennent au contact du support, un systèmes à deux composants. Les systèmes à deux composants
mélange complexe (encore mal caractérisé), composé de protéines, appelés aussi phosphorelais sont les systèmes les plus utilisés par
de glycoprotéines et de nutriments organiques, forme un film de les bactéries pour détecter les modifications de leur environnement
conditionnement sur la surface (étape 1). Cette zone riche en nutri- (figure 5). Ces systèmes comportent, dans leur forme la plus simple,
ments va favoriser la croissance bactérienne. L’attachement initial deux protéines : un senseur qui détecte un ou plusieurs signaux
(étape 2) des bactéries au support est aussi facilité par les forces environnementaux et un régulateur de réponse qui est, dans la
hydrodynamiques, le chimiotactisme et les propriétés physico- majorité des cas, un régulateur transcriptionnel. Lorsqu’un signal
chimiques de la surface du support et de la bactérie [21] [22]. Les est perçu par le senseur, localisé le plus souvent au niveau de la
forces hydrodynamiques vont servir essentiellement au déplace- membrane interne, ce dernier va s’autophosphoryler et transférer

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Transfert Phospho- Transfert


Signal d'information transfert d'information C
Effet

P P 4,2 ±11,5 %
1,2 ± 2,3 %
Protéine kinase senseur Protéine régulatrice 1,0 ± 0,6 %
Sous l’action d’un signal environnemental, la protéine senseur 2,6 ± 2,6 %
est activée via une phosphorylation, qui est ensuite transmise
10 10 s 5,1 ± 5,9 %
à la seconde protéine (protéine régulatrice) qui devient donc
µm µm % bactéries mortes
active. Cette activation induit une cascade d’événements géni-
ques conduisant à l’adaptation de la bactérie au stimulus.
F
Figure 5 – Représentation schématique des systèmes
à deux composants 99,2 ± 1,0 %
95,5 ± 5,1 %
son phosphate au régulateur de réponse par une interaction pro-
téine-protéine transitoire. Le régulateur, une fois activé, va réguler 65,9 ± 15,6 %
l’expression des gènes cibles grâce à son domaine de fixation à 31,3 ± 9,9 %
l’ADN. La majorité des régulateurs de réponse contrôle directement
l’expression des gènes en se fixant au niveau des régions promo- 10 10 s 19,6 ± 9,5 %
µm µm % bactéries mortes
trices de ces derniers. Néanmoins, tous les régulateurs de réponse
ne portent pas le motif de fixation à l’ADN et certains régulent s : substrat
A témoin non traité (vue du dessus)
l’expression des gènes cibles par l’intermédiaire d’une activité enzy-
B témoin non traité (vue saggitale)
matique qui génère un composé chimique agissant comme second
D et E biofilm traité avec 1 mM de Cu pendant 12 h : D vue du dessus ;
messager intracellulaire, le diguanosyl monophosphate cyclique E vue saggitale.
(c-di-GMP). La concentration intracellulaire de c-di-GMP est Les images ont été prises au microscope confocal à balayage laser après
contrôlée par deux activités enzymatiques antagonistes : l’activité coloration des bactéries par le kit LIVE/DEAD bacLight viability (Molecular
diguanylate cyclase (DGC) et l’activité phosphodiestérase (PDE). Les Probe) : les bactéries vivantes fluorescent en vert, les mortes en rouge.
enzymes portant une activité DGC présentent une séquence en aci- C et F énumération des bactéries mortes et vivantes (exprimée en
des aminés GGDEF conservée et sont impliquées dans la biosyn- pourcentage de cellules mortes en fonction de la biomasse totale dans
thèse du c-di-GMP. Au contraire les enzymes portant une activité un biofilm non traité.
PDE présentent un motif conservé EAL et sont impliquées dans la L’épaisseur moyenne des biofilms est de 10 µm.
dégradation du c-di-GMP en GMP. Le taux de c-di-GMP intracellu-
laire semble être un indicateur cellulaire par lequel la bactérie va Figure 6 – Biofilms de P. aeruginosa, formés sur des coupons
choisir un mode de vie en biofilm ou planctonique [24]. de polycarbonate et traités par le cuivre [28]
À la fin de cette étape, la physiologie bactérienne s’oriente alors
vers un phénotype « biofilm » caractérisé en particulier par la sur- une dégradation enzymatique semblent contribuer favorablement à
production d’exopolymères qui vont « cimenter » le consortium la dispersion des micro-organismes. C’est cette capacité des bacté-
bactérien. ries adhérentes à quitter le biofilm et à aller contaminer un autre
site qui fait des biofilms de véritables réservoirs de pathogènes.
2.3 Étape 4 : maturation
La phase de maturation du biofilm se caractérise par une aug-
mentation de la taille de la structure via la multiplication cellulaire 3. Phénotype biofilm
et la synthèse importante des EPS. Le biofilm va alors acquérir une
structure tridimensionnelle comme, par exemple, celle dite en Les bactéries au sein des biofilms possèdent des propriétés phy-
champignon représentée sur la figure 4. Il a été montré chez siques, chimiques, biologiques et phénotypiques extraordinaires,
P. aeruginosa, que cette structuration du biofilm est sous le par rapport aux mêmes bactéries cultivées en suspension. Elles pré-
contrôle des homosérines lactones (HSL), phéromones produites sentent ainsi, par exemple, une résistance exceptionnelle aux agres-
par la bactérie et impliquées dans le système de communication sions externes et, en particulier, aux agents antibactériens comme
intercellulaire appelé « quorum sensing » [25]. Ce système est les antibiotiques, le chlore ou les métaux lourds [28] (figure 6).
basé sur la production de phéromones diffusibles (les HSL chez les L’âge du biofilm semble avoir son importance puisqu’il a été montré
bactéries Gram négatif, des peptides chez les Gram positifs) qui qu’un biofilm mature est moins sensible aux antibiotiques qu’un
vont informer la bactérie sur la densité cellulaire dans son proche biofilm jeune [29]. Les mécanismes classiques de résistance (pom-
environnement. Ces molécules diffusent à travers l’enveloppe bac- pes à efflux, enzymes, etc.) n’expliquent pas cette augmentation de
térienne et, lorsque leur concentration atteint un seuil critique, la résistance bien qu’y contribuant probablement.
elles induisent l’activation d’un certain nombre de gènes ciblés. Dans leur article publié en 2001, Stewart et Costerton [30] ont
avancé trois hypothèses pour expliquer cette résistance : un effet
2.4 Étape 5 : détachement cellulaire de la gangue polymère, la création de microenvironnements au
sein des biofilms et enfin l’émergence d’un phénotype persistant
Un cycle de croissance et de détachement cellulaire, baptisé chez les bactéries immobilisées, la seconde étant étroitement
« sloughing » par les anglo-saxons, en référence à la mue des ser- dépendante de la première.
pents, s’établit ensuite. Le détachement des bactéries ou, plus géné-
ralement, d’un fragment de biofilm étant induit par une carence
nutritionnelle, il a été avancé qu’il devait permettre aux bactéries 3.1 Rôle de la gangue polymère
de retrouver un environnement plus favorable [26]. Il a été montré
que ce détachement bactérien était précédé d’une nouvelle syn- Par ses propriétés structurales et mécaniques, la gangue poly-
thèse de flagelles chez les bactéries et d’une réduction du nombre mère constitue le premier rempart face aux agents antimicrobiens.
de pili [27]. Les forces de cisaillement, la multiplication cellulaire et Les EPS, de part leurs propriétés physico-chimiques, jouent le rôle

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de barrière filtrante, soit par interaction avec le composé, soit par ■ Au niveau de la lutte contre les salissures marines, des résultats
piégeage. Le chlore, couramment utilisé comme désinfectant, pénè- intéressants ont été obtenus avec des cocktails enzymatiques
tre faiblement dans un biofilm mixte de Klebsiella pneumoniae et constitués de protéases, de glycosidases et de lipases [37]. Des
P. aeruginosa [31]. Néanmoins, la limitation de la diffusion des inhi- hydrolases testées, les protéases dont la subtilisine sont les plus
biteurs dans cette gangue ne peut pas expliquer à elle seule la for- efficaces. Un mélange d’amylases, lipases et protéases a égale-
midable résistance des biofilms. Ainsi, par exemple, un antibiotique ment montré une forte action synergique contre l’adhésion de
tel que la vancomycine, qui diffuse correctement au sein du biofilm, Pseudoalteromonas sp.
est tout aussi inefficace sur les bactéries qu’il contient [32]. Au sein Une des meilleures solutions « anti-biofilms » est probablement
de cette gangue existent aussi des microenvironnements corres- la prévention, consistant à limiter les capacités des matériaux à
pondant à des zones carencées en nutriments, en oxygène ou pré- être colonisés par les micro-organismes. La protection cathodique
sentant des valeurs locales de pH extrêmement basses. L’existence en milieu marin est connue pour son effet inhibiteur vis-à-vis de la
de ces zones peut expliquer l’inefficacité de certains antibiotiques biocorrosion [38]. En 2004 l’Ifremer a testé avec succès une
comme les bétalactamines ou les aminosides, efficaces respective- méthode antisalissure électrochimique basée sur la production de
ment sur les bactéries en croissance et cultivées en aérobiose. chlore localisée au plus proche du capteur fonctionnant par élec-
trolyse de l’eau de mer. La méthode de protection par chloration
3.2 Émergence d’une physiologie localisée s’est avérée très efficace sur les différents types d’instru-
« biofilm » ments testés. Ainsi, dans le cadre d’un partenariat CNRS-lfremer
(http://www.ifremer.fr/com/communiques/04-11-03-hublots-salissu-
Il est aujourd’hui admis que le phénotype « biofilm » reflète des res.htm), des hublots ont été protégés en les recouvrant d’un film
altérations de l’expression génique des bactéries adhérentes. Le de dioxyde d’étain (SnO2) servant d’électrode transparente. Cette
développement de nouvelles approches dites « postgénomiques », dernière est polarisée à un potentiel permettant la production loca-
telles que les puces à ADN, la protéomique et l’hybridation sous- lisée d’eau de javel à partir de l’oxydation des ions chlorures
tractive d’ADNc, ont permis aujourd’hui de commencer à dresser présents dans l’eau de mer. Une contre-électrode et une électrode
un inventaire des différences d’expression génique chez les bacté- de référence complètent le dispositif.
ries organisées en biofilm et les bactéries en suspension ([33] [34]
et références citées).
■ En IAA, différents moyens de décontamination sont utilisés pour
prévenir la présence de biofilms. La plupart d’entre eux font inter-
Cependant, des différences notables ont été observées au niveau venir des désinfectants chimiques (les antibiotiques étant peu utili-
quantitatif entre les approches protéomique (consistant à identifier sés). La bactérie L. pneumophila, quant à elle, est détruite à des
et quantifier les protéines exprimées par une cellule à un moment températures supérieures à 60 oC. Une technique pour éradiquer
donné) et transcriptomique (consistant à identifier et quantifier les les biofilms à légionelles consiste donc à monter la température
ARNm exprimés). Ainsi, alors que la protéomique suggère qu’un des circuits de manière à obtenir une eau chaude à 70 oC. Le
grand nombre de protéines sont différemment exprimées chez les chlore et ses dérivés sont également utilisés, souvent en synergie
bactéries des biofilms soit entre 15 et 50 % de modification du pro- avec la chaleur. Un inconvénient majeur est que la corrosivité de
téome, les résultats obtenus par puces à ADN montrent qu’une faible l’eau augmente avec la température et que le chlore pénètre mal
proportion du génome (entre 1 et 15 %) présente des modifications au sein des biofilms. En cas d’arrêt d’injection, la recolonisation du
significatives d’expression. Ces différences peuvent bien sûr s’expli- circuit par les bactéries peut être très rapide.
quer par la faible corrélation entre la quantité d’ARNm et de protéine
L’ionisation, par contre, est une technologie largement plébisci-
mais pourraient aussi indiquer l’existence de protéines clefs qui ne
tée. Elle consiste à enrichir l’eau en ions cuivre (Cu2+) et/ou argent
seraient pas encore identifiées parce que modifiées qualitativement
(Ag+) qui vont se lier aux cellules négativement chargées et entraî-
et non quantitativement, via des phosphorylations par exemple.
ner leur destruction.
Peu de nouvelles voies de régulation associées à la vie en bio- Cette technique possède un certain nombre d’avantages :
film ont été identifiées et aucune n’a été démontrée comme étant
spécifique ou nécessaire quel que soit le biofilm. Une des rares – son efficacité est indépendante de la température ;
exceptions concerne le gène pA1163 (ndvB ) de P. aeruginosa qui – l’ionisation a un effet bactéricide et algicide puissant (y
est impliqué, non pas dans la formation des biofilms (le mutant compris sur les biofilms) ;
∆pA1163 et le sauvage produisent un biofilm identique), mais dans – elle est facile à mettre en œuvre et a un faible coût d’entretien.
la résistance des bactéries adhérentes à la tobramycine [35]. Un inconvénient est que la concentration des ions doit être
L’autre exception est le gène arr (pA2818 ), toujours de P. aerugi- contrôlée et les électrodes nettoyées régulièrement.
nosa, codant une phosphodiestérase de la membrane interne dont
le substrat est le c-di-GMP [36].
■ Au niveau des matériaux, deux grandes stratégies sont actuelle-
ment proposées : le développement de surfaces antiadhésives et
l’élaboration de matériaux antibactériens.
4. Moyens de lutte contre
4.2 Développement de surfaces
les biofilms antiadhésives
4.1 Moyens actuels La modification physique de la surface est le moyen le plus
simple pour réduire l’interaction de la bactérie avec un support.
Quel que soit le domaine, la lutte contre les biofilms pose tou- Idéalement, la surface doit être la plus lisse possible, la rugosité
jours de réels problèmes. favorisant la colonisation microbienne. Cependant, la biocompa-
■ En milieu hospitalier, la règle générale est leur éradication. Pour tibilité peut nécessiter un certain degré de rugosité pour faciliter,
cela, la plupart des ustensiles utilisés sont à usage unique et stérile par exemple, la colonisation par les ostéoblastes [39]. Une autre
lorsque cela est possible ou, dans le cas contraire, des normes propriété importante est le caractère hydrophile. Ainsi, de nom-
drastiques de décontamination sont mises en œuvre représentant breux cathéters possédant un revêtement hydrophile antifouling
un impact économique important. Une expérience originale est ont été proposés et sont actuellement commercialisés tels les
actuellement en cours à l’hôpital de Birmingham ; elle consiste à cathéters veineux centraux Hydrocath (en polyuréthane recouvert
remplacer tous les matériaux en acier inoxydable par des d’un film de poly-(N-vinylpyrrolidone)).
matériaux en cuivre, métal dont on connaît les propriétés anti- La protection des surfaces peut aussi être obtenue par des modi-
bactériennes depuis l’ancienne Égypte (voir l’article à l’adresse : fications physico-chimiques (traitement plasma, ozonation) ou par
http://www.timesonline.co.uk/tol/news/uk/article1509513.ece). greffage de têtes lipidiques comme la phosphorylcholine, son groupe

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polaire (qui possède une forte affinité pour l’eau) limitant l’adhésion
irréversible des protéines sur la surface [40]. Une autre stratégie H H
consiste à élaborer des polymères mixtes ou copolymères possédant Br Br O H
Br H
une queue hydrophobe pouvant adhérer fortement à la surface et O
N
une tête hydrophile limitant les interactions avec les protéines. C’est
le cas lorsque des monomères de méthacrylate sont utilisés pour O O H
H H O
former différents types de polymères ou quand des copolymères
triséquencés type Pluronic® PE sont piégés dans un polymère tel
O O
que la polyaniline [41]. Récemment, certaines études ont proposé Furanone C30 Furanone C56 C4-HSL
l’utilisation de poly(éthylèneoxyde) ou de poly(éthylèneglycol) (PEO
ou PEG). Ces polymères non chargés ne sont ni toxiques ni immu- O O
H
nogènes. Connus pour leur caractère hydrophile, ils sont capables O
de former des brosses moléculaires flexibles. Une diminution signi- N
ficative de l’adhésion bactérienne a également été obtenue avec des
3-oxo-C12-HSL H O
hydrogels [42], polymères hydrophiles présentant une forte capacité
de gonflement. Lorsque la quantité d’eau dans l’hydrogel est
comprise entre 10 et 98 %, ce gonflement induit la formation d’un Figure 7 – Structures chimiques de furanones synthétiques
film d’eau à la surface qui devient donc plus lisse. Insolubles dans (C30 et C56) et des molécules signal (C4-HSL et 3-oxo-C12-HSL)
produites par la bactérie P. aeruginosa
l’eau, ces hydrogels peuvent être utilisés dans les fluides biologiques.

4.3 Élaboration de surfaces de ces agents antibactériens, le challenge consistant à maintenir leur
à revêtements antimicrobiens activité biologique. Cela implique également que ces agents doivent
agir au niveau de la paroi bactérienne. Dans ce contexte, Haynie et
Les revêtements antibactériens ont été largement étudiés ces coll. [49] ont lié de façon covalente le résidu C-terminal de la magai-
dernières années. L’objectif n’est plus simplement de repousser nine sur une résine de polyamine-éthylènediamine modifiée.
les micro-organismes mais de les tuer. Les molécules biocides Compte tenu de l’émergence des résistances aux antibiotiques
peuvent être soit immobilisées sur les surfaces, soit incorporées et de la toxicité des molécules utilisées (métaux lourds ...), un mar-
dans le polymère. Deux grandes classes de molécules sont le plus ché important est ouvert concernant la recherche de nouvelles
souvent utilisées : des espèces inorganiques chargées ou des molécules moins toxiques. Au début des années 1990, P. Steinberg
agents antimicrobiens. s’est étonné de voir la capacité de l’algue marine Delisea pulchra à
4.3.1 Incorporation d’espèces inorganiques rester libre de toute colonisation dans des eaux pourtant fortement
et/ou chargées contaminées. Manefield et coll. [50] ont démontré que la molécule,
appelée furanone, qui prévient la contamination de l’algue, a une
Le développement de revêtements contenant des particules structure très proche des HSL (figure 7) et se comporte donc
d’argent ou des sels d’argent est une méthode efficace pour préve- comme un antagoniste des HSL. Ces furanones sont aujourd’hui
nir la colonisation bactérienne. L’argent possède un large spectre incorporées dans divers produits comme les pâtes dentifrices, des
antibactérien. Son action est due à la diffusion d’ions Ag2+ capables vernis ou des chewing-gums. Très récemment, une équipe de l’Ins-
de se fixer sur l’ADN microbien et sur les groupes sulhydril des titut Pasteur associée au CNRS vient de caractériser une molécule
enzymes. Cioffi et coll. [43] ont proposé en 2005 des films de capable d’inhiber la formation de biofilm. Dans un travail publié
poly(vinylméthylcétone) piégeant des nanoparticules de cuivre et dans PNAS (USA) [51], ces chercheurs ont montré que cette molé-
d’argent. Ces films présentent une activité antibactérienne signifi- cule, sucre complexe sécrété dans le milieu de culture par des
cative et sont incorporables dans des peintures antifouling. Cepen- Escherichia coli uropathogènes, appliquée sur différents types de
dant, l’incorporation de ces sels métalliques dans les peintures sera matériaux comme le plastique et le verre, empêche la formation
totalement interdite en 2008 (directive européenne no 99/54/EC). de biofilm par des bactéries pathogènes.
La fonctionnalisation des surfaces par des ammoniums quater-
naires ou des polymères cationiques (poly(éthylèneimine)) réduit
aussi considérablement l’adhésion microbienne [44]. Il a été montré 5. Conclusion
que des films multicouches de polyélectrolytes contenant de la
cétrimide inhibent fortement la colonisation bactérienne [45]. L’intérêt grandissant porté aux biofilms cette dernière décennie
Récemment ont été proposé des matériaux en polyuréthanes et procède de la prise de conscience :
copolyuréthanes porteurs de groupes ammonium et hydroxyl, qui – (i) qu’ils sont ubiquitaires et concernent plus de 90 % des
sont efficaces contre P. aeruginosa [46]. De bons résultats ont éga- micro-organismes présents sur notre planète ;
lement été obtenus par greffage d’ions N+ et Si+ sur la silicone ou – (ii) que les méthodes conventionnelles pour tuer les bactéries
le polyuréthane [47]. sont inefficaces sur ces structures.
4.3.2 Incorporation d’agents antimicrobiens Les doses massives d’agents antimicrobiens requises pour éra-
diquer ces biofilms sont incompatibles avec l’exigence environne-
L’incorporation d’antimicrobiens (antibiotiques, antiseptiques ou
mentale, la réalité médicale (éradiquer le biofilm engendrerait la
enzymes) dans des polymères est une des stratégies utilisées pour
mort du patient) et, souvent, avec la législation en vigueur ou à venir.
lutter contre les biofilms. Deux méthodes sont utilisées :
En conséquence, il est urgent de proposer de nouvelles stratégies
– (i) l’adsorption de la molécule sur la surface après fabrication de lutte antibactérienne, celles-ci devant reposer sur une meilleure
du matériau ; connaissance des mécanismes d’adhésion. Pour cela, il est impératif
– (ii) l’incorporation de la molécule dans le polymère durant le de croiser les compétences de très nombreux domaines complé-
processus de fabrication. mentaires comme la microbiologie, la chimie des solutions, la
Cette seconde approche concerne entre autres des peptides anti- physico-chimie des surfaces, l’hydrodynamique, la science des
bactériens piégés au sein de films multicouches de polyélectroly- matériaux, l’ingénierie..., condition sine qua non pour relever ce qui
tes [48]. L’avantage de cette approche est que les molécules diffusent est probablement le plus grand défi de la microbiologie du 21e siècle.
lentement, maintenant dans le milieu environnant des concentra- Cet impératif a conduit le CNRS à créer en 2005 le Pôle de Recherche
tions inhibitrices sur de longues périodes. L’inconvénient majeur est National à Implantation Régionale (PNIR) « Biofilms » qui rassemble
le risque d’émergence de multirésistance. Pour éviter ce risque, de 21 laboratoires sous la tutelle de quatre départements scientifiques
nouvelles stratégies ont été proposées comme le greffage chimique (science pour l’ingénieur, chimie, vivant, sciences de l’univers).

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BIO 600 – 8 est strictement interdite. – © Editions T.I.

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