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www.hugoetcie.fr
ISBN : 9782755630862
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SOMMAIRE
Titre
Copyright
DU MÊME AUTEUR
CHAPITRE PREMIER
CHAPITRE DEUX
CHAPITRE TROIS
CHAPITRE QUATRE
CHAPITRE CINQ
CHAPITRE SIX
CHAPITRE SEPT
CHAPITRE HUIT
CHAPITRE NEUF
CHAPITRE DIX
CHAPITRE ONZE
CHAPITRE DOUZE
CHAPITRE TREIZE
CHAPITRE QUATORZE
CHAPITRE QUINZE
CHAPITRE SEIZE
CHAPITRE DIX-SEPT
CHAPITRE DIX-HUIT
CHAPITRE DIX-NEUF
CHAPITRE VINGT
CHAPITRE VINGT ET UN
CHAPITRE VINGT-DEUX
CHAPITRE VINGT-TROIS
CHAPITRE VINGT-QUATRE
CHAPITRE VINGT-CINQ
CHAPITRE VINGT-SIX
CHAPITRE VINGT-SEPT
CHAPITRE VINGT-HUIT
CHAPITRE VINGT-NEUF
REMERCIEMENTS
CHAPITRE
PREMIER
*
* *
L’adresse que m’a envoyée Smith ne me révèle rien du programme
de la soirée, mais quand j’arrive dans cette calme et charmante petite
rue sur Holland Park, je suis un peu surprise. Je me serais attendue à
un hôtel, pas à quelque chose d’aussi résidentiel. Un coup d’œil rapide à
mon téléphone me le confirme : je suis vraiment au bon endroit.
J’attrape mon sac sur le siège passager, je sors de la Mercedes et vérifie
par deux fois que je l’ai bien fermée, malgré le charme désuet du
quartier. Cette voiture, cadeau bien trop somptueux de mon petit ami,
est devenue une sorte de seconde maison ces dernières semaines. Je
l’aime presque autant que l’homme qui me l’a donnée.
Je m’arrête net dans ma foulée, bouleversée par l’étrange sensation
qui s’est emparée de moi lorsque je me suis dit que je l’aimais. Notre
relation a eu largement sa part d’accidents de parcours dans sa courte
histoire et je ne suis pas encore certaine que l’amour ne va pas
représenter un blocage impossible à contourner. Nous n’en avons parlé
ni l’un ni l’autre. C’est implicite dans nos conversations et je suis peut-
être entêtée, mais je ne vais certainement pas être la première à larguer
la bombe A sur notre relation. J’ai peut-être simplement peur. Smith est
encore un mystère pour moi, et ce à plus d’un titre. En plus, le dernier
homme que je pensais aimer m’a prouvé que mon jugement en matière
masculine n’est pas franchement digne de confiance.
Mais Smith Price n’est pas n’importe quel homme. Il est quelque
chose de plus, un être primitif et autoritaire. Il m’a coupé le souffle, et
c’est lui qui décidera quand je pourrai respirer.
Reprends-toi un peu ! Je remonte la lanière de mon sac à main sur
mon épaule en essayant de me débarrasser de mon appréhension. J’ai
juste les chocottes. Bientôt deux semaines que je ne l’ai pas vu. C’est
suffisant pour faire douter n’importe quelle femme de ses capacités,
mais je ne suis pas ce genre de fille. C’est terminé.
Mais bon, je m’accroche à la rambarde avec un peu trop de force en
grimpant les marches qui mènent à la maison. L’air frais de la nuit
effleure mon sexe dénudé, me rappelant exactement pourquoi je suis
là. Conformément aux demandes de Smith, ma culotte a disparu dans
la voiture pour se retrouver dans mon sac à main. Je me sens à la fois
exposée et puissante. C’est peut-être un peu tendu entre nous ces
derniers temps, mais j’ai exactement ce qu’il veut.
La porte s’ouvre avant même que je n’atteigne le haut des escaliers,
révélant exactement ce que je veux. Mes genoux cèdent légèrement
lorsque j’admire Smith dans son costume trois-pièces gris anthracite. Il
est totalement inexplicable que la vue d’un être humain me fasse un tel
effet. Je m’estimerai heureuse si j’arrive à entrer dans la maison avant
de me mettre à genoux devant lui.
Lorsqu’il m’accueille, le visage de Smith est inexpressif, mais je
repère une lueur amusée dans ses yeux verts, et un léger tressautement
au coin de ses lèvres me prouve qu’il réprime un sourire. C’est son petit
sourire suffisant qui m’a fait craquer, tout autant que le reste de sa
personne. C’est ce qui a conduit à ma perte lors de notre rencontre.
Maintenant, je sais que ce petit sourire bien caché derrière son masque
calculé est là et j’en mouille encore plus.
– Bonsoir, ma belle.
Il jette mon sac par terre, sans attendre que je lui rende son salut,
et me prend dans ses bras pour me faire traverser l’entrée. Je
m’accroche à son cou, invitant ses lèvres à trouver les miennes. Mais il
se contrôle bien mieux que moi. Il presse sa bouche sur mon front avant
de me poser sur un canapé en cuir.
– Tu aimes ?
Je cligne des yeux, momentanément éblouie par sa présence, et je
dois me forcer à regarder la pièce confortable autour de nous. Les murs
sont ornés de tableaux qui jouent clairement dans la catégorie « hors
de prix » et un feu crépite dans une cheminée soigneusement ouvragée.
L’atmosphère du lieu est bien plus proche de celle de son cabinet
juridique que de sa propre maison, et je lui jette un regard
interrogateur en répondant :
– Oui, j’aime bien.
– C’est l’un de mes investissements, explique-t-il en déboutonnant sa
veste.
Il ne la retire pas, ce qui me fait très plaisir. J’ai des projets pour la
soirée et sa veste de costume y prend une part active. Je suis tellement
absorbée par mes fantasmes qu’il me faut une minute pour réaliser qu’il
a dit autre chose.
– Pardon ?
Smith penche la tête sur le côté et pousse un soupir en se passant la
main sur le crâne, ébouriffant ses cheveux châtain clair.
– Je vois bien que tu as besoin d’un peu de plaisir avant de parler
affaires.
– Oui, Maître.
Cette simple réponse déclenche un incendie dans son regard
brûlant d’une telle intensité que je dois mordre ma lèvre inférieure pour
m’empêcher de gémir. Je me suis mise à l’appeler comme ça dans un
accès d’irritabilité. C’est resté quand j’ai découvert à quel point il est
exigeant derrière les portes closes, et à quel point j’ai hâte de le
satisfaire.
Smith se penche vers moi, il pose ses mains sur les bras du canapé
et secoue la tête avant de me dire :
– C’est ma règle du jeu qu’on suit. Tu as besoin d’un rappel ?
On dirait une menace tout autant qu’une promesse. Il m’a déjà
donné la fessée pour le plaisir lorsque je l’ai taquiné ou que j’ai joué les
effarouchées, mais je n’ai pas encore subi de plein fouet ce qu’il est
capable d’asséner. L’idée aurait pu m’effrayer par le passé, mais à force
de jours passés sans ses mains sur mon corps, je me suis découverte
désespérée d’attendre de les sentir sur moi.
– Tu en as tellement envie que ça ? dit-il en utilisant son don
mystérieux pour toujours savoir ce qui se passe dans ma tête. Ne me
pousse pas à bout, Belle, sinon je te ferai attendre une punition encore
plus longtemps qu’un orgasme.
Je lui lance un regard noir, peu disposée à lui montrer que son
avertissement m’a refroidie. Du coup, je me redresse et je croise les
jambes, prenant bien soin de faire en sorte qu’il aperçoive ce qu’il n’y a
pas sous ma jupe.
– Alors, tu as acheté cette maison ?
– Il y a quelques années.
Il ne montre aucun signe me prouvant qu’il a remarqué mon
absence de sous-vêtement. Décevant.
– J’avais l’intention de la vendre.
– Tu n’as pas eu le temps de le faire ?
Je pose ma question d’un ton sec. Il n’y a que Smith pour disposer
d’un véritable trésor immobilier au cœur de Londres dont il ne fasse
rien. Un autre symptôme de son exaspérant self-control. Son compte en
banque lui permet ce genre d’action alors que le reste des mortels est
obligé de partager des appartements.
– J’ai d’autres projets maintenant.
Mais il s’arrête là. Son regard devient moins brillant tandis que ses
pensées voguent dans une autre direction.
Je prends une grande inspiration et j’attends qu’il revienne vers
moi. Comme il ne le fait pas, je tente un nouveau truc :
– Tu m’as manqué.
C’est une déclaration toute simple, mais ma voix est teintée
d’émotion. Je regrette immédiatement de ne pas être capable de
reprendre mes mots. Je lui avais promis d’être forte lorsqu’il m’a révélé
la nature précaire de notre situation. Les sentiments mélancoliques
n’ont pas leur place dans notre arrangement. J’ai été trop prise par la
concrétisation de ma nouvelle entreprise pour être préoccupée par
notre relation. Enfin, pendant la journée. Quand il fallait se traîner au
lit – seule –, c’était beaucoup plus dur. Maintenant qu’il est sous mes
yeux, la douleur qui a habité ces nuits agitées prend allègrement le pas
sur mes résolutions.
Mais plutôt que de me réprimander, il s’installe à mes côtés et me
prend sur ses genoux.
– Ma belle.
Ce surnom calme le désir irrépressible qui a soudain bouleversé
mon corps. Même si c’est loin d’être suffisant.
– J’ai passé tout l’après-midi à préparer ce que je vais te faire cette
nuit, murmure-t-il tout en relevant mon menton d’une pression de
l’index pour que je le regarde en face.
Pleine d’espoir, je réplique prestement :
– Et ?
Un petit sourire apparaît lorsqu’il me fait un clin d’œil.
– Je crois que ça va te plaire. Mais je pense que nous devons
commencer par discuter un peu. On m’a dit que les couples normaux
parlent de leur journée avant de se déshabiller.
Couple. Le terme semble bien trop anodin pour décrire la nature du
lien qui nous unit déjà. Et normal ? La description ne colle pas trop à
notre cas. Mais bon, le concept n’est pas dénué d’intérêt.
– Les couples normaux n’ont pas à se planquer.
Petit rappel. Bon, si je voulais essayer d’entrer dans son jeu, c’est
raté.
– Les couples normaux ne travaillent pas pour des meurtriers,
répond-il, tendu.
Il y a ça aussi. Nous ne nous sommes pas séparés par choix,
j’aimerais bien pouvoir oublier ce fait. Les liens qu’entretient Smith avec
son employeur sont loin d’être normaux. Il est pris dans une toile
perfide à laquelle j’ai moi-même échappé de peu. Grâce à lui,
Hammond, l’homme qui tire les ficelles du passé dont Smith est
prisonnier, ne s’intéresse visiblement plus à moi. Ce ne serait plus le cas
s’il découvrait qu’il n’a pas mis un terme à notre relation.
– Parle-moi de Bless, ordonne-t-il, visiblement prêt à changer de
sujet de conversation.
J’ai tant de choses à lui dire, même si dans les faits, il ne s’est pas
passé grand-chose.
– J’ai trouvé un studio dans mon budget à Chelsea.
– Le mot « budget » ne devrait pas faire partie de ton vocabulaire.
Il plisse le front en me répondant, mais je l’interromps avant qu’il
ne puisse me forcer à accepter plus d’argent.
– Je monte ma boîte. Bien sûr que je fais attention à mes finances,
et en plus, ce local commercial a tout ce dont je rêvais. S’il avait coûté
trop cher, je te l’aurais déjà dit.
La dernière partie est un mensonge. Je n’ai strictement aucune
intention de lui prendre plus d’argent sans en avoir réellement besoin.
– Ce qui est à moi t’appartient.
– Ah oui, vraiment ?
Je pose ma question tout en jouant avec la boucle de sa ceinture.
Pour moi, c’est de plus en plus évident, nous avons tous les deux besoin
de nous détendre et je sais assez bien comment faire pour y parvenir.
Ma réponse me vaut son premier véritable sourire sincère.
– Est-ce qu’on laisse tomber la conversation ?
– On pourrait parler météo, mais en toute honnêteté, je dois
t’avouer que tu n’es pas le seul à avoir des projets pour la soirée.
– Tu penses que tu vas pouvoir faire mieux que moi, ma belle ?
Il passe un doigt sur ma lèvre inférieure et, d’instinct, ma bouche
s’ouvre.
Bon, ça, c’est impossible, surtout quand on pense à quel point
j’adore son autorité. Je presse fermement mes cuisses l’une contre
l’autre, de peur de laisser une trace humide sur son pantalon de
flanelle.
– Même pas en rêve.
– C’est bien.
Je sens ses doigts se refermer sur ma jupe droite pour la tirer vers le
bas. Il la déchire et la jette dans un coin de la pièce.
– J’allais te suggérer de manger un morceau, mais je n’ai faim de
rien d’autre pour le dîner.
Bon, pour ce qui est de protéger son pantalon de costume, c’est
raté. Je mords ma lèvre inférieure et j’écarte mes cuisses pour l’inviter à
continuer.
– D’abord, je veux voir tout ce qu’il y a à la carte, me susurre-t-il à
l’oreille en déboutonnant mon chemisier, portant une lente attention à
chaque détail, ce qui me rend dingue.
Il effleure du bout des doigts chaque centimètre carré de peau à
mesure qu’il le découvre. Puis il frôle les balconnets de dentelle de mon
soutien-gorge avant de le dégrafer pour le faire tomber. Il se lève
prestement, en me portant dans ses bras.
– Je pense que tu vas trouver le premier étage bien plus intéressant.
Il mordille mon cou en montant l’escalier. Le temps que nous
atteignions la chambre à coucher, je suis déjà à court de souffle tant
j’anticipe la suite. Smith me dépose sur le lit et recule d’un pas pour
apprécier son prix, puis il commence à se déshabiller. Là encore, il
prend son temps. Smith est le genre d’homme capable de plaquer une
femme contre un mur, d’écarter son string et de la baiser complètement
vêtue. Mais quand il met une femme dans son lit – quand il me met,
moi, dans un lit –, cette urgence se transforme en application, ce qui
me donne la chair de poule.
Il retire sa veste, la plie en deux et la dépose sur une chaise dans un
coin. Il répète la manœuvre avec sa cravate, puis avec sa chemise.
Chaque vêtement reçoit le plus grand soin. C’est le strip-tease le plus
lent, et le plus sexy, du monde. Parce que Smith ne réserve pas
seulement ce traitement à ses costumes hors de prix. Chaque once de
mon corps recevra également la même attention.
D’ailleurs, lorsqu’il laisse tomber son boxer par terre, j’aperçois pour
la première fois ce qu’il y a à la carte de mon menu et, bon Dieu, j’ai
envie d’y goûter. Je me mets comme je peux à quatre pattes pour
avancer vers le bout du lit, la bouche ouverte. Smith se déplace comme
un prédateur, les creux et les bosses de son corps musclé soulignés par
les rayons de lune. Il s’arrête à quelques centimètres de moi, me
permettant de regarder d’un peu plus près l’objet de mon désir tout en
restant hors de portée de main.
– Demande.
Mon corps entier le demande, mais ce n’est pas ce qu’il veut dire.
Au début, je trouvais la nature autoritaire de Smith intimidante.
Maintenant, j’en tire un sentiment libérateur et après la semaine que je
viens de passer, je ne veux rien d’autre que de me perdre dans sa
domination.
– S’il vous plaît, Maître.
– Sur le dos, m’ordonne-t-il en approchant.
Je m’exécute en prenant instinctivement la décision de laisser
pendre ma tête au bord du matelas pour qu’il puisse guider la pointe
de son membre vers mes lèvres.
– Est-ce que tu t’es touchée ?
Je fais de mon mieux pour secouer la tête et dire non, mais je suis
bien trop concentrée sur mon envie de prendre son succulent organe en
bouche.
– Mais tu en avais envie, devine-t-il.
Il marque un temps d’arrêt et gémit quand j’aspire son pénis entre
mes lèvres.
– Je sais à quel point ta chatte est vorace. Elle est presque aussi
insatiable que ta jolie bouche avide. Tu as dû avoir du mal à nier ce
dont tu avais besoin, ma belle. Tu peux te toucher maintenant.
Tendant une main en arrière, j’attrape son sexe au niveau du pubis
pour faire bonne mesure et ma main libre plonge entre les replis de
mon anatomie. Rien ne m’excite plus que me donner en spectacle pour
lui, sauf peut-être me retrouver étendue, les membres écartés, sous son
regard possessif avec sa bite dans ma bouche. Mon corps se met à
trembler lorsque le bout de mes doigts trouve mon clitoris engorgé. Je
fais de petits mouvements circulaires en ondulant des hanches pour
accueillir cette merveilleuse pression. En vérité, je n’avais aucune envie
de me caresser quand j’étais séparée de lui, je savais que ça ne suffirait
jamais à satisfaire mon manque. Lui seul en est capable.
– Putain ma belle, suce-moi. Ta bouche est si bonne, dit Smith
d’une voix éraillée, le regard voilé de désir.
Bon Dieu, ce que j’aime me donner en spectacle pour lui. Rien ne
me rend plus vivante, plus irrésistible, que de sentir ses yeux sur moi.
J’existe pour des moments comme ceux-ci.
Il s’écarte et se penche en avant, mettant son visage à quelques
centimètres du mien. Ses bras serpentent le long de mon corps pour
remonter mes mains enduites du fruit de mon excitation et les porter à
ses lèvres.
– J’ai besoin de goûter ça.
Smith suce chacun de mes doigts en prenant tout son temps. La
pression que je ressens entre mes cuisses augmente sous le poids
écrasant du désir. Mes jambes tombent écartées sur le lit et je me mets
à me trémousser. Je me retiens de le tirer contre moi. Il lâche mes
mains, mon majeur est encore coincé dans sa bouche lorsqu’il passe ses
bras sous mes épaules. Il libère enfin ma main avant de me retourner
sur le ventre et de grimper sur le lit. Je n’ose pas bouger lorsqu’il se
positionne derrière moi. Maintenant, je sais qu’il vaut mieux éviter de
l’interrompre quand il prend le contrôle de nos ébats. Ses mains
passent sous mes hanches pour me tirer vers lui, mes cuisses sont
maintenant écartées sur les siennes. Mon visage est plaqué contre le
matelas et mes mains s’agrippent aux draps pour y puiser de la force.
– Ça m’a manqué.
Il caresse mes fesses de la paume de la main avant de descendre
vers mon intimité frémissante, provoquant toute une série de décharges
électriques, toutes centrées sur le point si sensible.
– Je sens que tu as très envie que je te donne la fessée. Tu as envie
de sentir ma main sur ton cul ? Ça t’a manqué ?
– Oui, Maître.
Je gémis ma réponse dans le tissu du drap. Et c’est la vérité. Je me
sens obscène, mais ça m’a tellement manqué. La première claque
atterrit en légèreté sur ma fesse droite. Je mords la couette, car j’ai
peur de jouir tout de suite. La chaleur de ce contact se répand sur ma
peau si fine et Smith la caresse maintenant avec tendresse.
– Encore ? propose-t-il.
Les dents toujours serrées, je hoche la tête.
– Demande-moi ce que tu veux.
Ma bouche s’ouvre, la supplique tombe de mes lèvres :
– S’il te plaît, donne-moi la fessée.
– Avec joie.
La claque suivante est plus forte, elle m’ébranle tellement que mes
jambes essaient de se refermer autour de la taille de Smith. J’ai juste
besoin d’une petite friction. Mais Smith est bien trop habile pour laisser
ça arriver. Au lieu de quoi, j’endure une série de fessées allant de la
légère tape joueuse à la punition. Lorsqu’il s’arrête, mes fesses
fourmillent encore de cet assaut érotique. Plus rien ne me passe par la
tête, mon cerveau n’est plus capable que de comprendre la chaleur et
les sensations qui envahissent mes chairs. Smith ne dit rien d’autre, il
tire mon corps un peu plus près de lui pour insérer son glorieux
membre, centimètre par centimètre, dans mes chairs palpitantes. Ses
mains restent autour de ma taille, elles m’immobilisent alors que mon
corps s’habitue à cette épaisse pénétration.
– Tu mouilles tellement et tu es si serrée. Est-ce que tu es prête à
jouir pour moi ?
Je m’étouffe sur un « oui ». Oh bon Dieu oui. Oui. Oui. Oui. C’est le
seul mot qui ait un sens à cet instant et je le crie alors qu’il s’enfonce
encore et encore en moi, libérant l’orgasme qu’il a lentement fait naître
dans mes entrailles.
Il me pilonne sans relâche, à chacune de ses violentes pénétrations
une nouvelle vague de plaisir m’inonde. J’ai planté mes doigts dans le
lit pour essayer de retenir la sensation. J’aimerais qu’elle ne s’arrête
jamais. Je ne veux pas qu’il me libère, jamais. Mais les spasmes sont de
moins en moins fréquents. Il se retire alors et me guide avec soin pour
me mettre sur le dos avant de me pénétrer de nouveau.
– Regarde-moi, exige-t-il d’une voix rauque. Je veux que tu voies ce
que tu me fais, Belle.
Je force mes yeux baissés à s’ouvrir alors qu’il fait de lents
mouvements de va-et-vient. Son pouce se pose sur mon clitoris et
j’observe son membre entrer et sortir de mon corps.
Je n’ai jamais rien vu d’aussi excitant. Smith surplombe mes jambes
écartées, je regarde la base de son pénis, visible entre les replis roses de
mes chairs.
Mes muscles se tendent, ils se préparent déjà au prochain assaut
que rien ne saura arrêter.
– Putain, ma belle ! grogne-t-il alors que je sens le premier jet dans
mon intimité.
Je me perds dans son étreinte, mes jambes enserrent sa taille pour
l’inciter à accélérer la cadence alors que nous nous abandonnons
ensemble au plaisir. Lorsqu’il s’immobilise enfin, il me prend dans ses
bras et scelle sa bouche à la mienne. Nos bras et nos jambes s’emmêlent
au fur et à mesure que son baiser gagne en profondeur. C’est là qu’est
ma place. Auprès de cet homme. Je suis toute à lui. En mettant un
terme à notre baiser, nous nous effondrons sur le lit, les membres
toujours mélangés. Il prend mon visage dans sa main, puis m’attire de
nouveau vers ses lèvres et la promesse de bien des choses à venir.
CHAPITRE
DEUX
*
* *
Le temps de terminer cette rapide réunion stratégie, j’ai déjà hâte
de retourner au bureau. Le sentiment de calme et de bien-être que je
ressentais après avoir quitté Smith ce matin a été remplacé par un désir
effréné de me concentrer. En deux jours, j’ai réussi à obtenir un local
commercial et une associée. J’extirpe mon téléphone de mon sac, et
ignorant ma boîte mail pleine, j’envoie un message à Edward.
BELLE : BLESS A DEUX CHOSES À FÊTER CETTE SEMAINE !
EDWARD : JE SAVAIS QUE TU EN ÉTAIS CAPABLE, CHÉRIE ! ON BOIT UN VERRE
SAMEDI ? JE VEUX TOUT SAVOIR.
BELLE : C’EST NOTÉ.
EDWARD : JE T’ENVOIE LES COORDONNÉES DÈS QUE POSSIBLE.
Avant que j’aie le temps de le remettre dans mon sac, un appel
apparaît sur mon portable. Je ne connais pas ce numéro. Je regarde
l’écran en me demandant si je dois répondre. Je sais qu’au vu des
circonstances, je devrais le laisser tomber sur la messagerie, mais
maintenant, il m’est impossible d’ignorer le fait que je suis une femme
d’affaires. Cet appel pourrait être important. En fin de compte, la
curiosité l’emporte sur la patience et je réponds :
– Allô ?
– Est-ce que tu as revu les documents que j’ai fait porter chez toi ?
Mes yeux se ferment involontairement en entendant la voix de ma
mère.
– Aurais-tu bloqué ton option appel masqué ?
– Je n’arrive pas à te parler, tu ne réponds pas à mes appels et ces
documents doivent être traités rapidement, dit-elle sans avoir l’air
désolée de m’avoir trompée.
J’évite ses appels depuis des semaines, tout comme je suis restée
loin de l’enveloppe fermée arrivée chez moi après sa désastreuse
dernière visite. Ce jour-là, elle m’a bien fait comprendre que je n’étais
rien de plus qu’une signataire à ses yeux.
– J’ai aussi entendu dire que tu vas aller jusqu’au bout de cette idée
stupide de commerce sur Internet, continue-t-elle rapidement.
Je ne doute pas un instant qu’elle ait beaucoup de doléances à
porter à ma connaissance avant que je raccroche.
– D’où vient le capital pour ça ? C’est ta tante qui te finance ?
– Tante Jane ne m’a pas donné un penny.
Juste son soutien affectif.
– Il aurait été bien plus sage de concentrer ton énergie sur notre
domaine.
Mon domaine, le droit de naissance dont j’ai hérité à la mort de
mon père, est bien la dernière chose à laquelle j’ai envie de penser.
Dans le passé, j’étais d’accord pour me marier et le maintenir à flot.
Maintenant, je n’en ai plus rien à foutre. Il peut bien couler, et ma mère
avec.
– J’imagine que tu contrôles la situation.
Je lui ai répondu froidement. Elle ne m’a jamais demandé mon
opinion sur la manière de s’y prendre pour gérer les dettes du domaine.
Non, elle s’est contentée de me harceler pour trouver un moyen de
maintenir son style de vie aristocratique.
– Les producteurs veulent commencer de filmer à Noël.
Le ton de sa voix est exaspéré, quelque part entre l’attaque de
panique et la défaillance.
– Je l’étudierai quand j’en aurai le temps.
En vérité, si ce document pouvait me permettre de me débarrasser
d’elle, je vendrais toutes les terres à la BBC sur-le-champ. Mais j’ai
comme l’impression que c’est plus compliqué que ça et je n’ai pas envie
de passer le peu de temps que j’ai avec mon conseiller juridique à revoir
des contrats.
Elle me menace :
– Sinon, je devrai passer à la prochaine étape.
Je m’arrête net, causant accidentellement une collision de piétons
sur le trottoir. Je marmonne des excuses en me précipitant vers une
vitrine de magasin.
– Aurais-tu la bonté de m’expliquer ce que tu veux dire par là ?
– Si tu possèdes une entreprise, tu as des actifs financiers. Le
domaine est à ton nom, ce qui veut dire que je peux te transférer ses
dettes, explique-t-elle calmement.
– Si tu fais ça, prépare tes valises, je lâche entre mes dents serrées.
– Je n’arrive pas à croire que tu mettrais à la rue la femme qui t’a
mise au monde !
– Ce sera toujours une dette de réglée et je ne te dois absolument
rien d’autre. Je regarderai ces contrats, je réponds rapidement sur un
ton sifflant de rage.
Je raccroche, vibrante de fureur. Je presse mon dos contre la
vitrine, le regard perdu sur la foule de la mi-journée, avant de me
forcer à respirer. Smith ne lui permettrait jamais de ruiner Bless, mais je
ne peux pas lui demander de m’aider sans tout lui révéler sur la gravité
de la crise financière que traverse mon domaine. Je signerai ces papiers
qui garantiront encore quelques années de respirateur artificiel à ma
mère et au domaine avant que je puisse définitivement les débrancher
tous les deux.
CHAPITRE
TROIS
– Je croyais que c’était moi qui avais un sens de l’humour tordu, dit
Georgia en entrant dans son bureau pendant que je surveille l’écran de
la caméra de sécurité de la porte d’entrée du Velvet.
– Rien de drôle, là-dedans, dis-je sans quitter l’écran des yeux.
D’une certaine manière, j’espère encore que Belle fera un autre
choix, mais elle ne m’a pas appelé. Elle n’a pas remis mon message en
question. Ce qui veut dire qu’elle est en route. Georgia m’interroge :
– Qu’est-ce que tu as prévu, au juste ? Je sais qu’elle déteste cet
endroit, mais j’ai vu un truc dans ses grands yeux de biche. Elle aime le
brutal. Et si elle se pointait ici en s’attendant à ce que tu la ligotes ?
– Belle n’aime rien de ce que cet endroit peut offrir.
Elle me l’a clairement dit après sa première, et unique, visite ici.
C’est un sentiment que nous partageons. La seule chose que je trouve
plus détestable que de me retrouver dans ce club est de savoir que j’y ai
aussi attiré Belle.
Georgia s’approche de moi, ajustant le laçage d’un corset qui ne
laisse pas grand-chose à l’imagination et je laisse mon regard planer au
niveau de sa poitrine.
– Si tu n’as pas envie de lui donner quelques bons coups de fouet, je
n’ai rien contre m’en occuper à ta place, ça me ferait même très plaisir.
Elle caresse le petit martinet posé sur son bureau pour joindre le
geste à la parole.
Je lui réponds en grognant :
– Personne ne la touche.
– Tu es adorable quand tu te comportes comme un homme des
cavernes, répond Georgia, tout sourires, en se saisissant du martinet.
Besoin de laisser sortir un peu de cette hostilité réprimée ?
Nous n’avons pas joué depuis des années. Maintenant, ça me
dégoûte de voir jusqu’où nous sommes allés à chaque fois. Georgia n’est
jamais vraiment satisfaite tant qu’elle n’est pas complètement brisée.
Elle fait la fière devant la plupart des gens. Elle n’a jamais supplié que
moi de lui faire encore plus mal. Entre ça et le manque total d’alchimie
entre nous sur le plan sexuel, cette expérience n’a jamais fonctionné
que d’un seul côté.
Hammond a détruit mon existence, mais il a fait d’elle une créature
incapable de ressentir quoi que ce soit d’autre que la douleur.
– Je ne suis pas intéressé.
Je repousse le fouet qu’elle me propose.
Son sourire évasif disparaît au profit d’un masque hautain. Elle voit
que j’ai pitié d’elle.
– La soumission n’a rien à voir avec le sexe, me crache-t-elle. Ou
l’as-tu oublié ?
Non, je n’ai pas oublié. Je sais très bien comment ça fonctionne.
– Je ne pratique plus, Georgia. C’est terminé.
– Genre tu as arrêté ! me nargue-t-elle. J’ai vu comment elle
regardait les membres du club le jour où elle est venue ici. Tu l’as tenue
en laisse.
– On ne peut pas prendre Belle au collet.
L’idée est risible. Tenir en laisse une soumise et ligoter une femme
libérée sont deux choses très différentes. Belle apprécie les jeux sexuels.
Elle adore ça, mais ça reste du sexe, pour nous deux.
– Eh bien, tu es un homme bien informé et ô combien sensible.
Les traits fins et délicats du visage de Georgia se déforment en une
grimace.
Peu importe ce qu’elle pense. En vérité, tout serait plus simple si je
pouvais compter sur Belle pour m’obéir, mais ce n’est pas comme ça
que je la désire. Oui, j’ai envie de lui passer un collier autour du cou
puis de l’attacher, de la baiser jusqu’à ce qu’elle ait du mal à marcher.
Mais le matin, j’ai envie d’entendre sa bouche pulpeuse me dire tout ce
qui passe par son brillant cerveau.
– C’est là que tu déconnes, dit Georgia comme si elle pouvait lire
dans mes pensées. Tu as laissé la situation dégénérer sur le plan
émotionnel.
Fatigué d’observer les écrans de sécurité, je me lève.
– C’est normal que ce soit aussi sentimental, G. C’est ça qui déconne
chez toi.
Je la laisse méditer là-dessus et me dirige vers le bar pour
commander un scotch à la nouvelle barmaid du club, Ariel.
– Vous allez faire une démonstration ce soir ? me demande-t-elle.
Je réponds d’un sourire contraint avant de secouer la tête et
d’annoncer :
– Je laisse ma place ce soir.
– Quel dommage.
Elle se penche par-dessus le bar d’un air conspirateur et ajoute :
– J’ai entendu parler de vous. J’espérais vous voir à l’œuvre.
– Je n’imagine même pas ce que vous avez entendu, parce que je ne
pratique plus.
J’avale d’un trait le reste de mon verre et j’en commande un autre.
– On dit de vous que vous êtes froid. Impitoyable. Que vous poussez
vos sujets au bord du précipice, mais que personne ne donne jamais son
mot d’alerte.
Je n’aime pas me souvenir de cette facette de ma personnalité.
Avalant une gorgée de mon second verre, je me rends compte que, si je
veux accomplir la tâche qui m’a été assignée, c’est peut-être ma seule
option. Je dois prendre une décision. J’ai besoin que cette rupture soit
claire et nette. J’ai besoin qu’elle n’ait plus jamais envie de poser les
yeux sur moi. C’est la seule manière possible de garantir qu’Hammond
cesse de s’intéresser à elle.
Je repose mon verre, déboutonne ma chemise, puis je demande à
Ariel :
– Il y a des soumises ici ce soir ?
– Ce sera donc moi, m’interpelle Georgia depuis l’embrasure de la
porte. Les autres ont leur collier, et leurs maîtres ne partagent pas.
Je retire ma chemise. Ça m’ennuie qu’elle représente ma seule
option. Mais si je dois choisir entre la sécurité de Belle et revenir sur
mon putain de passé avec elle, je sais où est ma place.
– Une préférence ?
– Le prie-Dieu.
Bien entendu, il a toujours été en haut de la liste pour elle. C’est
tout Georgia. Elle cherche l’absolution par la douleur et trouve sa
rédemption dans le péché.
– Je vais me servir de la canne.
– Le choix du maître, répond-elle.
Mais je vois bien qu’elle est satisfaite. Nous nous dirigeons en silence
vers la partie de la pièce dans laquelle se trouve le prie-Dieu. Georgia
s’agenouille en croisant les mains devant elle.
– Le cérémonial est-il nécessaire ?
Je lui pose la question en soulevant sa jupe pour révéler ses fesses
nues.
– Ça l’est pour moi. Je sais très bien ce que tu fais, murmure-t-elle.
Et si je dois me donner en spectacle, je préfère qu’il soit bon. Au fait,
ton jouet vient d’arriver.
Je marque un temps d’arrêt, résistant à la tentation de me
retourner pour voir Belle. Plutôt que de céder, je me penche en avant
pour attraper la canne attachée à un crochet au mur. C’est étrange de
sentir cet instrument en roseau dans ma main. Je ne m’en suis pas servi
depuis des années et, même à l’époque, c’était pour jouer. Georgia ne
veut pas s’amuser, et Belle doit être effrayée.
Le coup fend l’air et s’abat sur le cul de Georgia, laissant une vilaine
trace rouge sur sa peau si pâle. Elle réagit à peine, conservant sa
position blasphématoire et supportant encore trois coups avant que ses
genoux ne cèdent, l’obligeant à s’agripper à l’accoudoir en cuir.
D’une voix dure, je lui demande :
– Ça suffit ?
Un Maître attentionné apaiserait la brûlure de ses blessures d’une
caresse, mais je ne suis pas un bon Maître et Georgia est bien plus
dépravée qu’une soumise normale.
Elle secoue la tête.
Je la frappe encore trois fois avant d’apercevoir des larmes perler
aux coins de ses yeux. Lâchant la canne, je rabaisse sa jupe avant de
l’aider à se relever. Avant que je ne puisse la quitter, Georgia jette ses
bras autour de mon cou et m’embrasse sur la joue pour me murmurer :
– Merci de ne pas avoir retenu tes coups.
Je l’écarte de moi, en proie à un violent cocktail de répulsion et
d’inquiétude. D’une certaine façon, elle est ma seule amie. La seule
personne qui me connaisse vraiment et qui sache de quoi je suis
capable. Du coup, je me sens responsable de son bien-être. Mais
Georgia ne veut pas être aidée. Quel que soit l’équilibre dont elle a
besoin dans l’existence, je ne le lui donnerai jamais.
Tournant le dos au coin de la pièce et espérant pouvoir y laisser ce
morceau de mon passé, je me retrouve directement les yeux dans les
yeux de Belle. Les siens sont pleins de larmes.
Je m’attendais à sa présence. Je savais qu’elle viendrait et qu’elle
assisterait à cette scène. Mais même en le sachant, je n’étais pas prêt à
affronter l’expression de son visage, comme si elle ne savait pas qui
j’étais.
Je ne veux être connu que d’une seule personne, elle, et il a fallu
que je mette fin à notre histoire comme ça.
Je m’avance vers elle, me saisissant de ma chemise au passage.
Cette scène devait être publique. C’est la seule façon de m’assurer
qu’Hammond en entendra parler. Mais, du coup, elle est forcée de
supporter l’humiliation de mes actes.
– Tu es venue, dis-je en remettant ma chemise, puis en la
boutonnant.
– J’ai cru que tu étais devenu fou de me demander de venir ici,
murmure-t-elle. Mais maintenant, je vois que ce n’est pas le cas. Tu es
simplement cruel.
Elle tourne les talons pour s’éloigner de moi, mais je la rattrape par
le bras.
Reprends-toi, Price. L’arrêter ne fait pas partie du plan. Alors, je lui
mens :
– J’avais besoin de laisser sortir la pression. Je ne pensais pas que ça
t’intéresserait.
– C’est ce que tu veux ? demande-t-elle, horrifiée. Et qu’est-ce que
tu fais de tes déclarations comme quoi tout n’est qu’une histoire de
plaisir ?
– Ce n’est pas aussi simple.
Je hausse les épaules, incapable de la regarder en face.
À ma très grande surprise, elle se débarrasse de ses escarpins et
attrape la fermeture Éclair de sa robe.
– Tu as besoin de ça, Smith ? Tu veux que je me déshabille pour
que tu puisses me frapper et prouver à quel point tu es un homme
puissant ?
J’écarte sa main d’une petite tape. Je ne veux pas que cette scène se
passe comme ça. Quoi qu’elle pense, elle m’appartient et je ne suis pas
prêt à la partager avec quiconque. Je ne vais certainement pas
repousser encore les limites de cette soirée. Ce n’est pas nécessaire. J’ai
senti sa douleur, c’était intense, comme si j’avais moi-même reçu ces
coups de canne. La scène a rempli sa mission.
Mais Belle n’est pas le genre de femme à partir en courant, les
larmes aux yeux. Elle va me punir.
– Allez, se moque-t-elle. Prends ton bâton, c’est parti.
– Je ne veux pas faire ça avec toi.
Elle s’arrête net. Ses mains, qui pendaient sans vie le long de son
corps, s’animent et se mettent à trembler.
– Qu’est-ce que tu veux faire avec moi ?
– Rien.
C’est encore plus douloureux, parce que c’est à la fois vrai et faux.
Je veux qu’elle parte. En courant. Tout comme je veux tout lui donner
de moi.
Une seule larme roule le long de sa joue. Elle l’essuie d’un geste
rageur.
– Ça peut s’arranger.
Mais elle ne part pas pour autant.
J’ai envie de lui demander si elle va bien. J’ai envie de la
raccompagner à sa voiture. J’ai envie de la ramener à la maison et de
lui faire l’amour jusqu’à ce qu’elle oublie ce qu’elle a vu. Mais non, je
me force à la regarder méchamment.
– Eh bien ? Qu’est-ce que tu attends ?
– Rien. Absolument rien.
Attrapant ses chaussures par terre, elle se précipite vers le couloir
tapissé de velours qui débouche sur la sortie. Je la suis du regard,
luttant contre mon corps qui ne désire que courir après elle. Non, je me
contente ensuite de me diriger lentement vers le bureau, sentant le
regard choqué d’Ariel sur moi.
Je ne la regarde pas sortir du club, même si Georgia a orienté les
caméras de sécurité du Velvet sur elle. Il est difficile de la laisser partir,
mais la regarder pourrait bien être impossible.
– C’était ce qu’il fallait faire.
La voix cinglante de Georgia interrompt mes pensées.
– Mais vais-je pouvoir vivre avec ce choix ? dis-je doucement.
Mon animosité envers elle s’est enfuie du club en même temps que
Belle. Je reprends alors :
– Ne réponds pas à cette question.
– Hammond suspecte une relation entre vous. Ton penchant pour
la disparition n’est pas passé inaperçu. Les événements de la soirée non
plus. Tu ne pouvais pas jouer de meilleur coup.
Je me tourne vers elle, les poings crispés :
– Ce n’est pas un jeu.
– Si, c’est un jeu, rétorque-t-elle. Pour Hammond du moins. Tu ne
peux pas t’en sortir sans entrer dans la partie. Pas si tu veux la sortir de
l’échiquier.
Elle a raison, et je déteste ça. J’avais espéré pouvoir braver la
tempête un peu plus longtemps avec Belle pour qu’elle sache à quoi
s’en tenir. Mais l’avertir de ce qui se préparait n’aurait fait que mettre à
mal l’efficacité de ma stratégie.
– Qu’est-ce que tu vas faire maintenant ?
– J’ai besoin de parler à nos associés.
Je me concentre sur la prochaine étape rationnelle de notre
tactique.
– Il n’est pas nécessaire de les impliquer.
Georgia se pose contre son bureau et croise les bras sur son ample
poitrine.
– Putain, mais d’après toi, qui a forcé ce scénario ?
Je sors mon portable avant qu’elle ne puisse répondre. Georgia
soupire et descend du bureau.
– Ne compte pas trop sur eux pour être capables de la protéger.
– Quel choix me reste-t-il ? je lui demande d’un ton bourru, alors
qu’elle sort de la pièce.
– Smith ?
De l’autre côté du combiné, la voix qui me répond semble surprise
de mon appel.
– Allons droit au but, sans passer par la merde, dis-je en passant
outre les civilités de rigueur.
Il n’a pas besoin que je lui lèche les bottes.
– Je ne m’attendais pas à vous parler directement.
Tu m’étonnes.
– Bon. C’est fait. Je me suis débarrassé d’elle.
– C’est une sage décision.
– Rien à foutre de ce que vous pensez de mon choix. Hammond
s’intéresse toujours à elle. Je ne fais confiance à personne pour garder
un œil sur elle.
– Et vous voulez que je m’en charge ? devine-t-il.
– Personne ne remettrait en question vos motivations.
– C’est fait. Autre chose ?
– Oui, pensez à me consulter avant de me refaire un coup pareil.
Je perds mon sang-froid maintenant. Qu’est-ce que ça change si un
autre de nos alliés souhaite ma mort alors que je suis déjà sur la liste
des hommes à abattre pour un autre ?
– Vous travaillez pour moi.
Le ton amical a disparu de sa voix.
– Je ne travaille pour personne.
Je raccroche avant qu’il ne puisse répondre. J’ai obtenu ce que je
voulais de lui et même si je trouve que sa stratégie est douteuse, je lui
fais confiance. Ce n’est pas facile pour moi, mais je n’ai pas le choix. Pas
quand il s’agit de Belle. Il fera attention à elle, et ses moyens sont sans
comparaison. Il représente ma meilleure chance de la garder loin des
griffes d’Hammond.
– Tu sais comment te faire des amis, remarque Georgia en
s’installant doucement dans un fauteuil.
– Tu veux de l’eau ou quelque chose ?
Je lui pose la question par obligation. Je n’ai pas besoin d’imaginer
ce qu’elle ressent.
– N’allons pas dire que c’était plus qu’un coup bien calculé, dit-elle.
Tu as fait ce que tu devais.
Effectivement. Et maintenant, je dois vivre avec.
CHAPITRE
SIX
La vie est devenue un cycle infini : aller travailler, être obsédée par
le lancement, rentrer à la maison, être obsédée par le lancement,
dormir, se savonner, rincer. Recommencer. Après une semaine, je
réussis à prendre un rythme abrutissant et confortable qui me permet
de ne pratiquement pas penser à Smith. Enfin presque.
La colère a vite cédé le pas à la tristesse. Parce que, malgré l’emploi
du temps complètement dingue que je m’inflige, je sais très bien qu’il ne
m’a pas appelé. Qu’il ne s’est pas expliqué. Qu’il n’a pas présenté
d’excuses. Ce manque de communication ne fait que confirmer ma plus
grande peur : à ses yeux, je ne suis rien. Je n’ai été qu’un jouet de plus
dans sa collection. Ignorant la pile de listes de choses à faire, j’envoie
un mail à mon frère, le seul autre avocat que je connaisse, pour parler
de mes options. Mon entreprise encore débutante est prise dans les
filets d’un homme que je ne veux plus jamais voir.
Lola entre dans le bureau de sa démarche chaloupée, une minute
plus tard, portant au creux du bras un immense sac fourre-tout en cuir
blanc regorgeant de magazines de mode. Elle laisse tomber le tout sur
l’une des étagères vides qui bordent la pièce. En reculant, elle apprécie
l’espace, l’évalue après une semaine d’absence du fait de ses derniers
cours du semestre. Comme d’habitude, elle semble tout droit sortie des
pages de l’un de ces magazines de mode. Elle porte un large sweat
brun roux, rehaussé d’un foulard Burberry noué lâchement autour du
cou, qu’elle a assorti à un jean skinny et une paire de boots plats, pour
compléter ce look classique qui lui donne l’air d’une femme bien plus
sophistiquée et mature que la majorité des filles de vingt ans.
Je me précipite sur mon portable qui sonne. Quand je m’aperçois
que ce n’est pas Smith qui appelle, je me dis que ce réflexe de
décrocher le téléphone plus vite que l’éclair n’a rien à voir avec de
l’espoir. Je n’ai plus d’espoir qu’il y ait un lien émotionnel qui me relie à
lui. Je devrais plutôt me réjouir de voir le nom de mon frère s’afficher
sur l’écran.
Lola arque un sourcil interrogateur, sans doute pour réagir à mes
gesticulations frénétiques, et je souris, l’index levé pour me donner le
temps de prendre l’appel.
Dès que je décroche, John me parle :
– Je viens de voir ton mail.
Je l’imagine, assis dans son fauteuil de cuir, regardant par la
fenêtre de son bureau qui lui offre une vue spectaculaire sur Londres,
depuis l’un des derniers étages de la tour Gherkin.
– Est-ce que tu peux passer quelques minutes au bureau cet après-
midi ?
Je veux traiter cette question le plus rapidement possible, alors je
lui réponds en mode automatique :
– Oui. À quatorze heures, ça te va ?
– Parfait. Je vais avertir la sécurité qu’ils te laissent monter
directement.
Nous raccrochons sans nous dire au revoir. Pour autant que je
sache, les civilités et les adieux affectueux sont réservés aux frères et
sœurs qui ont grandi dans la même maison.
Après avoir noté le rendez-vous dans mon téléphone, je me remets
à faire le tri entre les différentes personnes que je dois contacter. Bless
n’a pas encore de stock, et se procurer des pièces de créateurs sera
aussi vital que de nous assurer une clientèle fidèle. Lorsque je me mets
à recopier une liste depuis mon écran d’ordinateur, Lola s’éclaircit la
gorge.
– Alors, tu vas me dire ce qui ne va pas ? demande- t-elle en se
laissant tomber sur un tabouret derrière son bureau de fortune.
Je lui jette un coup d’œil, les doigts figés au-dessus du clavier, et je
cligne des yeux. En ai-je envie ? J’ai réussi à éviter les appels d’Edward
la majeure partie du week-end et Clara est perdue au pays des
couches, ce qui veut dire que je n’ai parlé de ma rupture à personne.
Mais confesser la situation impliquerait de partager aussi tout ce qui est
arrivé avant et, là, c’est compliqué. Du coup, je réponds à côté :
– Je suis sous l’eau.
Ce qui est vrai, c’est déjà ça. J’ai tellement de trucs à faire.
Tellement que je n’ai même pas eu le temps de lui dire bonjour.
– Tu es une machine, et pas dans le bon sens du terme. C’est comme
si je bossais avec un robot, Belle.
Lola croise les bras sur sa poitrine en agitant ses cheveux bruns
parfaitement lissés.
– Il y a un truc, ajoute-t-elle.
– Ouais, on est censées lancer notre projet dans deux mois et je n’ai
ni stock, ni plate-forme web, ni stratégie marketing, lui dis-je d’un ton
sec.
– Mais tu as une associée, me rappelle Lola. Arrête d’essayer de tout
faire toute seule et laisse-moi m’occuper du web et du marketing.
Je me détends sur ma chaise en hochant la tête. Elle a raison.
– J’avais un mec. Plus maintenant.
Elle n’a pas besoin d’en savoir plus. C’est tout ce que n’importe
quelle femme a besoin de savoir et à en juger par ses lèvres roses
pincées l’une contre l’autre d’un air maussade, ça lui suffit.
– Je comprends, mais ne passe pas en mode survie. Bon, cet enfoiré
a disparu du paysage, mais il y a beaucoup de monde autour de toi et
j’en fais partie. Tu ne traverses pas ça toute seule.
– Waouh, l’espace d’un instant, j’ai cru entendre parler Clara, lui
dis-je pour la taquiner.
Lola se redresse et me fait un sourire avantageux, rejetant ses
cheveux derrière sa frêle épaule.
– Nous sommes sœurs, même si elle a bien meilleur goût que moi en
matière d’hommes.
– On dirait bien que je ne suis pas la seule à avoir des problèmes
avec les mecs.
Ce n’est pas vraiment une surprise. Il y a bien trop de Philip sur
cette terre et pas assez d’Alexander.
– On ne va pas dire des problèmes. C’est juste un manque d’intérêt.
Soit je suis censée être impressionnée par la taille de leur compte en
banque, soit par leur ego. Apparemment, ils n’ont pas reçu l’info : la
taille ne compte que sur un seul plan.
– Et puis il y a aussi le fait que Clara a épousé le roi d’Angleterre.
– Effectivement, ça place les choses de la vie dans une perspective
un peu plus rude, m’accorde Lola en riant. Ma mère ne comprend pas
pourquoi je n’ai pas encore mis le grappin sur mon propre chef d’État.
Bien entendu, elle ignore que la dernière fois que j’ai fait des avances à
un mec, il est sorti du placard cinq minutes plus tard. À l’évidence, il
faut que je me concentre sur ma carrière maintenant.
– Tu as rendu service à Edward, lui dis-je un sourire aux lèvres au
souvenir de cet épisode. Mais je suis dans le même bateau que toi. Qui
a besoin d’un homme pour conquérir le monde ?
– Je vais porter un toast à cette sentence.
Elle ramasse un gobelet Starbucks vide et le jette à la poubelle.
– Malheureusement, nous n’avons pas encore garni le stock du bar
de l’entreprise, je lui rétorque d’un ton sarcastique.
– Un oubli auquel nous devrons rapidement remédier. Pour
l’instant, je t’emmène déjeuner.
Elle lève la main lorsque j’ouvre la bouche pour protester et
poursuit :
– C’est un déjeuner d’affaires. Diviser pour régner. Voilà comment
nous allons nous y prendre.
J’attrape mon sac et la suis, prenant soin en sortant de verrouiller
la porte derrière nous. Elle a raison. Je ne peux pas faire ça toute seule
et si je veux rembourser Smith et enfin me libérer de lui, une stratégie
de bataille est absolument nécessaire.
*
* *
Quelques heures plus tard, je traverse la ville, l’esprit fourmillant
des idées de Lola au point que j’en ai le vertige. Je suis tellement
préoccupée que je passe pratiquement sans m’arrêter devant le poste
de sécurité à l’entrée du bâtiment dans lequel travaille mon frère.
– Madame ?
Un garde en uniforme m’arrête et me fait signe d’ouvrir mon sac.
– Oups.
J’ouvre la fermeture Éclair et tends mon sac devant moi pour qu’il
l’inspecte. Il regarde à l’intérieur avec une lampe torche et me
demande.
– Disposez-vous d’un téléphone portable ? Nous devons le voir.
– Euh, je l’ai probablement. (Je fouille dans mon sac mais ne trouve
rien.) J’ai dû l’oublier au bureau.
– Vous avez rendez-vous ? demande-t-il, dubitatif.
Il te prend pour une tocarde. Qui peut se pointer à un rendez-vous
pro sans portable ? J’ai vraiment besoin de me reprendre si je veux me
transformer en femme d’affaires aguerrie. Je sors mon portefeuille pour
lui montrer ma carte d’identité.
– Oui. Annabelle Stuart. J’ai rendez-vous avec John Stuart.
– Allez-y, me dit-il après avoir vérifié sa liste. Vous connaissez le
chemin ?
– Je vais m’en sortir, lui dis-je pour le rassurer avant de foncer droit
sur les ascenseurs.
Grâce à ce mortifiant passage par la sécurité, il est pratiquement
l’heure de mon rendez-vous et je n’ai pas mon portable sur moi pour
avertir mon frère que j’ai un peu de retard. À deux heures pile, j’atteins
son étage pour débarquer à la réception.
– Je viens voir John Stuart, dis-je à bout de souffle à la
réceptionniste, derrière son bureau.
– Maître Stuart vous attend.
Elle me fait signe de prendre le couloir de gauche. Le cabinet de
John est l’exact opposé de celui de Smith. Une quasi-douzaine d’avocats
font du conseil tout autant qu’ils plaident.
– Belle.
Il se lève poliment en me voyant entrer, s’inclinant légèrement
avant de rajuster les manches de sa veste Harris Tweed. Tout dans son
apparence, de ses cheveux maintenant rares à ses choix vestimentaires
et cet étrange respect de la bienséance, lui donne l’air d’avoir bien plus
de trente-deux ans.
Je ne sais jamais comment me comporter quand je suis avec lui. Lui
serrer la main ? Faire la révérence ? Il faut l’avouer, il n’a jamais
manifesté autre chose qu’une extrême gentillesse envers moi, malgré le
favoritisme bizarre dont mon père a fait preuve à mon égard.
L’ingérence de ma mère n’y est certainement pas pour rien.
– Comment te portes-tu ? demande-t-il en prouvant une fois encore
qu’il est la quintessence même d’un formalisme civilisé.
– Je suis très occupée, je prononce, pas trop sûre d’être en mesure
de gérer une conversation anodine. Et toi ?
– Moi aussi, je suis très occupé.
Nous nous asseyons dans un silence gêné avant qu’il ne jette un
coup d’œil à son écran d’ordinateur.
– J’ai été assez surpris d’entendre que tu créais une entreprise. Je
n’ai pas l’impression que c’est le genre de projet qu’approuve ta mère.
– Effectivement, dis-je platement.
J’aperçois son regard crispé lorsqu’il parle d’elle. Quand elle
désapprouve l’un de mes choix, ma mère me fait irrémédiablement part
de son désaccord en privé. Elle a toujours fait très clairement entendre
qu’elle n’appréciait pas l’existence de John. Une vraie méchante belle-
mère.
– Au vu de ta situation, je compatis.
Son ton s’est adouci. Nous savons tous les deux ce que ça fait de se
sentir non désiré. Même si, en comparaison, lui a supporté bien pire.
Après la mort de sa mère, mon père s’est remarié. Sa nouvelle épouse,
mon adorable mère, a immédiatement envoyé John en pension et il y
est resté jusqu’à l’université.
– Ça promet un Noël très intéressant.
– Je te propose de laisser Ann profiter de son domaine toute seule
cette année pour les fêtes.
C’est la première fois que je serai célibataire et si Philip n’a jamais
été d’un grand secours sur le plan émotionnel, au moins, il me
procurait une distraction. Je n’ai aucune envie de passer ces jours-là à
être analysée sous toutes les coutures pour qu’on me fasse la liste de
mes défauts.
– C’est ton domaine, me rappelle John d’un ton sec. Tu devrais
peut-être, toi, lui dire qu’elle n’est pas invitée.
– Tu te souviens de la fin de Jane Eyre ? Elle pourrait bien être
capable d’essayer de nous faire griller, je n’ai aucune confiance.
La blague allège un peu l’atmosphère, mais ne fait pas tout à fait
disparaître les implications des paroles de John. En tant que fils
unique, il a hérité du titre de mon père, puisque ce droit lui a été
garanti par la loi britannique, mais je me suis retrouvée héritière du
domaine familial. Je ne doute pas un seul instant que ma mère ait forcé
la main de mon père pour le détourner de son fils.
– Alors ta mère est-elle cet investisseur indésirable ? demande John.
– Heureusement, non.
Je secoue la tête. Sincèrement, cette idée me fait rire. Si ma mère
avait de l’argent, elle ne me le donnerait pas.
– Mais, malheureusement, j’entretiens – enfin j’ai entretenu – une
relation personnelle avec cet investisseur.
– Et ce n’est plus le cas, devine John sans demander plus de détails.
La rougeur de mes joues doit lui révéler la nature exacte de cette
relation.
– Ce n’est pas mon domaine d’expertise, précise-t-il. Je ne travaille
plus directement avec les clients particuliers puisque je suis devenu l’un
des principaux avocats d’affaires du cabinet.
– Oh, dis-je d’une petite voix.
Mes problèmes juridiques sont sur le point de devenir bien plus
pesants, financièrement parlant, si John n’est pas capable de s’en
charger.
– Je suis capable de gérer les litiges, clarifie-t-il. Mais c’est juste que,
généralement, je ne m’en occupe pas, alors tu voudras peut-être
demander une seconde opinion, la mienne pourrait te déplaire.
– J’entends bien.
Je me prépare à écouter son verdict, le souffle coincé par une grosse
boule dans ma gorge.
– En tant qu’investisseur, il a peu de droits sur ton affaire. Il peut
choisir de retirer ses fonds et de te forcer à le rembourser, mais de ce
que tu m’as dit dans ton e-mail, son intérêt est purement financier. Il ne
devrait pas s’immiscer dans la gestion de ton entreprise. Si ton désir est
de le faire sortir du capital, je te conseille de le rembourser et de
t’assurer que son nom ne figure sur aucun document juridique en tant
qu’actionnaire. Puis il faudra aller de l’avant.
Il aurait pu me dire quelque chose de pire, mais ce n’est pas
vraiment ce que j’espérais entendre. Je suppose que je voulais entendre
John me proposer une solution miracle à laquelle je n’avais pas pensé.
Mais Smith fait partie de ma vie et le restera jusqu’à ce que je puisse le
rembourser.
– Tu es déçue, remarque John.
D’un geste de la main, je lui fais signe de ne pas s’inquiéter.
– C’est un sentiment auquel je m’habitue.
Nos regards se croisent et pour la première fois depuis des années,
je lis les mêmes souvenirs pénibles que les miens dans les yeux de
quelqu’un d’autre. Nous n’avons jamais parlé de la mort de notre père.
C’est un fantôme dont on ne parle pas dans la famille.
– Je vais te donner un conseil, m’offre John. Pas en tant qu’avocat,
mais en tant que… frère. Tourne la page. Ne te sens pas coupable de
prendre ce qu’il t’a donné et ne t’excuse pas.
– Pas d’excuse.
Le regard de John se perd au loin lorsqu’il réitère :
– Aucune excuse.
CHAPITRE
SEPT
*
* *
Le rythme sensuel d’une samba résonne dans mon appartement
quand j’y débarque avec mes ongles manucurés de frais. Impossible de
résister à l’envie d’onduler des hanches en entrant dans le petit séjour
de l’appartement que je partage avec ma tante. Jane me fait un grand
sourire lorsque je la rejoins et elle tend ses mains vers moi. Un peu
nerveuse, je les prends, la laissant mener la danse sur quelques pas, le
temps de me prendre les pieds dans le tapis. Jane éclate d’un rire nasal
en me voyant tomber sur le canapé. Elle continue à suivre le rythme,
son ample robe de chambre en soie s’envolant en tourbillons autour
d’elle. Lorsque la chanson s’achève, elle se laisse tomber à mes côtés.
– J’ai tellement peur de te dire que nous sommes vendredi soir,
annonce Jane en se pinçant les lèvres d’un air complice. Je ne voudrais
pas te faire retourner au bureau.
Jane ne m’a pas forcé la main quand je suis rentrée en larmes à la
maison la semaine dernière. Elle n’a eu besoin d’aucune explication. Et
elle a réussi à garder le silence même en voyant le nombre
complètement dingue d’heures que j’ai passées à bosser sur Bless.
Apparemment, cette période de grâce est maintenant terminée, mais je
m’en fous. J’ai passé les deux dernières heures à m’autoriser à me
réjouir de ce que j’ai accompli de plus beau dans ma si courte carrière.
Je sors le dernier numéro de Trend de mon sac et le jette sur ses
genoux.
– Tu as déjà lu ce magazine ?
Maintenant que c’est moi qui ai ce gros scoop à révéler, je me
demande comment a fait Lola pour rester si calme.
– Pas depuis des années.
Jane feuillette le magazine en s’arrêtant sur un article.
– Je n’ai pas vraiment suivi la mode ces vingt dernières années. C’est
très libérateur.
Je lève les yeux au ciel en comprenant où elle veut en venir avec
son insinuation. Jane soutient mon projet, même si elle n’en comprend
pas tout à fait l’intérêt. Je lui rappelle alors :
– C’est mon boulot de suivre les dernières tendances. Quoi qu’il en
soit, ils veulent faire un article sur Bless.
– C’est merveilleux ! s’exclame Jane en se jetant sur moi pour me
serrer dans ses bras.
Lorsque je sors de son étreinte, je vois des larmes briller au coin de
ses yeux. Sentant déjà une vague chaude et humide assaillir mes
paupières, je la menace :
– Ne fais pas ça ! Sinon je vais me mettre à chialer.
– Tu as travaillé si dur et tu as réussi à remonter la pente. Je ne
pourrais pas être plus fière de toi.
Une boule se forme dans ma gorge et peu importe le nombre de fois
que j’essaie de la faire descendre, elle ne bouge pas. J’ai passé
quasiment toute ma vie à obtenir l’approbation de ma mère. Jane a
rempli ce vide pour moi. La rendre fière compte plus que tout.
– Je dois partir pour New York lundi.
– De mieux en mieux.
Les yeux de Jane brillent encore plus, mais cette fois-ci, ce ne sont
pas des larmes. C’est de la malice. Elle reprend :
– La ville qui ne dort jamais. Que c’est excitant !
– C’est pour le boulot. Ça va certainement se limiter à quelques
réunions et à du room service.
– Ça ne va pas, ça, rétorque Jane en secouant ses cheveux couleur
platine. Et tu ne t’en sortiras pas comme ça de toute façon. Impossible
d’aller à New York sans en récupérer quelque chose. Tout y est
tellement vivant, c’est contagieux.
– Alors je me protégerai, dis-je platement.
Il fut un temps où visiter New York était tout en haut de ma liste de
trucs à faire impérativement avant de mourir. Savoir que je vais y aller
toute seule, pour un voyage d’affaires, affadit considérablement la
saveur de cette opportunité. Et plus important encore, ce voyage est
totalement centré sur Bless. Ce n’est pas le moment d’être distraite en
tirant des plans sur la comète sur cette ville. Pas quand je dois être
purement et uniquement concentrée sur la tâche qui m’attend.
– Avant que tu ne quittes le pays, dit Jane soudain redevenue si
sérieuse que je sais que je vais me prendre une leçon, appelle Edward.
Ce pauvre garçon est dans tous ses états. Il s’inquiète tellement pour toi
qu’il est passé me rendre visite hier soir.
– D’accord, je lui promets d’un air coupable.
Le regard perçant de Jane voit clair en moi.
– Il ne va pas remuer le couteau dans la plaie. Tu comptes pour lui,
il se fait du souci.
– Je voulais juste prétendre que tout allait bien, j’admets d’une voix
sourde.
– Non, tu voulais éviter la réalité.
Jane encercle mes mains de ses fins doigts noueux. Je hoche la tête,
je sais qu’elle a tout compris.
– Je vais l’appeler.
– Le plus tôt possible.
– Promis.
Il est temps que j’affronte la réalité de ce que j’ai traversé et de me
concentrer sur ce que j’ai : des amis, une entreprise et un voyage à New
York.
CHAPITRE
NEUF
*
* *
Les bureaux de la rédaction de Trend sont situés dans un building
tout aussi impressionnant que les rues grouillantes de vie de New York.
Mon regard monte et monte encore, essayant d’apprécier dans toute sa
gloire la maison mère du plus ancien et plus important magazine de
mode du monde. Comme par hasard, c’est à ce moment précis que mon
portable se met à sonner. Lorsque je décroche, Lola demande :
– Tu es arrivée ?
Je presse le téléphone contre mon oreille et je bouche l’autre de
l’index pour diminuer le brouhaha ambiant.
– J’y suis. Rappelle-moi pourquoi tu n’es pas là ?
– Parce que je dois finir ce foutu portfolio. Rappelle-toi, parle
comme si nous avions déjà un succès phénoménal, me conseille-t-elle.
– Ça serait beaucoup plus simple si nous avions ne serait-ce qu’un
site web, je marmonne alors que mon estomac fait des bonds en fixant
du regard la porte à tambour devant moi.
– On en a un depuis deux heures.
– Quoi ? Tu es une sorte de fée ou quoi ?
– Ouais, la fée connasse. Notre site ne fonctionne que sur invitation.
Maintenant, entre et va impressionner Abigail Summers.
Nous raccrochons et je traverse à grands pas la réception de la
société Dwyer Publishing. Si j’en avais eu le temps, j’aurais
probablement été intimidée par le sol en marbre poli et les écrans
géants projetant les couvertures de leurs derniers magazines. Mais pas
de pétage de plombs au programme. Alors, je fonce droit vers les
ascenseurs.
Lorsque j’entre dans la cabine, un liftier me demande :
– Quel étage ?
– Vingt-cinquième.
– Très bien.
Il appuie pour moi sur le bouton et reprend sa position très étudiée.
Je dévisage le vieil homme dans son uniforme impeccable en me
demandant depuis combien de temps il fait ce boulot. Il a
probablement fait monter plus d’une fashionista pleine d’espoir à cet
étage. J’ai à moitié envie de le bombarder de questions.
– Vous vous en sortirez très bien, me dit-il gentiment, alors qu’une
dernière secousse m’indique que nous sommes arrivés.
Je réussis à conjurer un sourire nerveux. Les portes s’ouvrent et je
tombe nez à nez avec une jolie rousse. Son teint de porcelaine est
animé de quelques taches de rousseur et, sachant probablement qu’une
tenue noire basique lui donnerait un air de cadavre, elle porte une robe
chemise vert émeraude.
Elle me tend la main.
– Katherine Harper. L’assistante d’Abigail. Est-ce que je peux vous
dire que nous adorons le concept de Bless ?
– M… merci, je réponds en bégayant.
– Puis-je vous apporter quelque chose ? Un café ? De l’eau ?
Elle s’arrête un instant, et son visage se déforme dans son effort
pour trouver d’autres options :
– Oh, du thé ?
– Je vous remercie, ça ira.
Vu comme je tremble, je finirais par me renverser la tasse dessus.
– Êtes-vous prête à aller directement faire l’interview ou souhaitez-
vous prendre un moment ? continue-t-elle en me guidant à travers un
dédale de parois vitrées pour nous diriger vers un grand bureau à
l’angle du plateau.
– Je suis prête.
C’est un mensonge, mais je me colle un sourire sur le visage.
Katherine salue quelqu’un en passant devant un bureau.
– Voici Nolan, notre rédacteur international. Nous l’avons emprunté
à notre branche française pour quelques semaines.
Ledit Nolan fait un signe de tête sans prendre la peine de lever les
yeux de sa tablette.
– Il pense que nous sommes toutes des ploucs en surpoids,
murmure-t-elle dès qu’elle est sûre qu’il ne peut plus nous entendre.
À première vue, j’ai l’impression qu’il adopte l’attitude typique des
Français vis-à-vis des Américains. Au moins, je n’ai pas à me plier à
cette interview avec lui.
Toutefois, Katherine semble totalement immunisée contre son
comportement. Elle l’ignore aussi facilement qu’il l’a complètement
zappée.
– Nous avons tellement hâte d’en savoir plus sur Bless et sur les
origines du concept.
Alors, c’est ça l’impression de se faire chouchouter
professionnellement ?
Katherine s’arrête net et fait volte-face. Son comportement
excessivement jovial est soudain remplacé par des chuchotis de
conspiratrice.
– C’est assez écrasant, non ? La première fois que je suis venue ici,
j’ai cru que j’allais me mettre à vomir.
Un sourire reconnaissant aux lèvres, j’admets :
– C’est toujours une possibilité.
– Écoutez, Belle, vous avez une super-idée. Quand j’ai lu le pitch de
votre associée, j’étais prête à m’inscrire et faites-moi confiance, bon
nombre de femmes ont besoin de ce type de service, y compris moi.
Vous savez à quel point c’est difficile de trouver les moyens d’assumer
sa propre carrière ? J’ai besoin d’une garde-robe dernière tendance
pour venir travailler.
Le ton de sa voix continue de descendre en me parlant. Je vois bien
que ce n’est pas le genre de confidence qu’elle partage facilement. Je ne
suis à New York que depuis vingt-quatre heures et j’ai déjà l’impression
de ne pas pouvoir suivre.
Je prends une grande inspiration pour me calmer. Je suis ici pour
une bonne raison. Mon business plan, terminé ce week-end, c’est du
solide. Le plan marketing et la campagne de communication de Lola
sont incroyables. Nous avons même suffisamment d’argent pour
financer notre lancement. J’ai devant moi notre première cliente type,
et elle est déjà acquise à la cause. Tout se met en place.
– Merci. J’avais besoin d’entendre ça.
– Croyez-moi, mon compte en banque vous remercie.
Elle se redresse, et ses yeux s’écarquillent tant elle est excitée.
– Prête ?
– Oui.
Cette fois-ci, je le pense vraiment.
Quand je pense à l’énorme impression que me faisait Abigail
Summers, je suis surprise de me retrouver face à une petite brune aux
cheveux emmêlés amassés à la va-vite au sommet de la tête. Une paire
de lunettes de vue Versace est perchée au bout de son long nez. Il n’y a
qu’une personne aussi puissante que la rédactrice en chef de Trend
pour être capable d’imposer le respect sans prendre la peine de se
coiffer le matin. Par-dessus son bureau, elle me jette un coup d’œil
assez soutenu pour jauger mon apparence de manière désintéressée
avant de revenir à son dossier.
– Celle-ci.
Elle tend un bout de papier et Katherine se précipite pour le
récupérer.
– Votre rendez-vous vient d’arriver, lance-t-elle alors que sa chef se
remet à fouiller dans ses papiers.
– Ah oui ? demande-t-elle, atone, en reportant son attention sur
moi. Dieu merci, vous êtes là. Appelez mon médecin, je crois que j’ai
besoin d’une nouvelle ordonnance.
Apparemment, elle est légèrement sarcastique à tendance connasse
lourde. Le regard de Katherine va et vient entre le bureau et moi,
essayant d’arrondir les angles en excuses muettes. L’irritation me
gagne. J’ai déjà eu affaire à beaucoup de personnes comme Abigail. J’ai
même travaillé pour un homme exactement comme elle et si mon
expérience auprès de Smith m’a appris quelque chose, c’est que les gens
de son espèce ne réagissent qu’à la force brute.
Je m’approche de son bureau en tendant la main :
– Belle Stuart. Un plaisir de vous rencontrer, Abigail.
Il n’en faut pas moins pour rester en sécurité dans le monde du
cirage de bottes. L’arrogance apprécie la flatterie mais respecte
l’assurance, et le respect nous sera plus profitable des deux côtés. Du
moins, c’est ce que je me dis.
Je pourrais aussi m’être complètement foirée.
Abigail retire ses lunettes d’un geste brusque et les laisse tomber sur
son bureau. Elle se frotte les tempes avant de me faire signe de
m’asseoir.
– Kat, va nous chercher du café.
J’ai peut-être pris la bonne décision finalement, même si je préfère
éviter de lui signaler que je préférerais qu’on m’apporte du thé.
– Belle, c’est ça ? demande Abigail dès que son assistante quitte la
pièce. Rappelez-moi pourquoi vous êtes ici, au fait.
Je sais exactement pourquoi je suis là. Ces derniers jours, j’ai vu et
revu les points que je souhaite aborder. Lola m’en a bourré le crâne
avant même que je prenne l’avion pour venir. Le fait que cette femme
n’ait aucune idée de la raison de ma présence dans son bureau, c’est
dur à avaler.
Je la regarde droit dans les yeux et ne la lâche pas. Je marque une
pause pour pondérer ma réponse, et c’est là que je la vois. La petite
étincelle qui luit de façon inquiétante dans son regard. Le reste de son
visage est indéchiffrable. Mais c’est tout ce que j’avais besoin de savoir.
Elle connaît la raison de ma présence.
– Votre magazine veut faire un article sur ma start-up, dis-je sur un
ton mielleux trop sucré.
Pas besoin de lui faire comprendre que je ne suis pas tombée dans
son piège. Soit Abigail Summers me teste, soit elle me punit. D’une
manière ou d’une autre, je sais où j’en suis.
– Allons droit au but, voulez-vous ?
Elle pose ses mains sur son bureau et attend que je réponde. Je
hoche la tête. Elle reprend alors :
– Nous sommes des femmes très occupées, alors je ne vois pas
pourquoi nous irions prétendre le contraire. J’ai dit à Katherine qu’elle
pouvait faire cette série de petits articles parce qu’elle est préoccupée
par l’image du magazine. Ou plutôt mon image. En réalité, je n’ai
strictement rien à foutre de ce qu’on peut penser de moi.
– C’est rafraîchissant, dis-je sincèrement.
– Alors, j’espère que vous ne vous offusquerez pas si je vous dis que
je me moque de ce que peut bien faire une start-up, sauf si elle s’est
mise à produire des clones de Michael Fassbender. Ne le prenez pas
mal.
Mes sourcils sont arqués et mes lèvres pincées, jusqu’à former une
fine ligne. Oh si, je le prends mal. Surtout parce que son message est
assez clair.
– Alors Trend ne va pas faire cette série d’articles sur les femmes qui
montent leur boîte ?
– Si, répond Abigail. Mais pas moi. Franchement, ce rendez-vous est
une perte de temps et d’énergie.
– En toute honnêteté, dis-je en me levant pour lui sourire de haut,
j’ai la même impression. Je connais la sortie.
Je croise Katherine devant la porte.
– Tout va bien ?
– L’interview est terminée, lui dis-je. Et je partais.
Elle prend une grande inspiration en secouant la tête.
– Je vais m’occuper personnellement de l’interview. Je voulais
simplement que vous rencontriez ma rédactrice en chef.
Trop petite sa réponse. Trop tard aussi. J’ai rencontré sa brillante
rédactrice en chef et je suis assez intelligente pour savoir que j’ai été
mêlée à une lutte de pouvoir interne. J’ai déjà assez subi ce genre de
situation dans ma vie personnelle.
– Belle, m’interpelle Abigail, je suis certaine que vous êtes une
femme remarquable avec un concept solide et beaucoup d’avenir, mais
Trend ne met pas en valeur les potentiels. C’est une vitrine.
Je devrais laisser tomber. Le mieux à faire, c’est de hocher la tête et
de partir. Il y a très peu de retombées positives potentielles dans ce
scénario. Mais c’est assez clair qu’il y a fort peu de chance pour que
Trend parle de mon entreprise.
– Une vitrine dont les abonnements et les ventes se sont effondrés
de vingt pour cent l’année dernière. Votre magazine a aussi réduit son
tirage de moitié en cinq ans alors que votre version numérique ne
représente que dix pour cent de vos ventes. Sans mentionner le fait que
votre régie publicitaire courtise les annonceurs pour la première fois en
vingt ans, parce qu’ils n’accourent plus directement à vous. Mettez ce
que vous voulez en vitrine. Vous êtes la rédactrice en chef. Mais prenez
ce conseil de la part d’une personne dont l’entreprise est en phase
d’expansion, vous devriez un peu moins vous soucier de vos traditions
et un peu plus de votre pertinence.
Pendant ma tirade, son visage reste impassible. Abigail ramasse ses
lunettes et les remet sur son nez.
– Profitez bien de New York.
J’ai été éjectée. Ce n’est pas la première fois, mais là, ça me brise
vraiment le cœur. J’ai investi mes rêves dans cette journée, mais en fait
ce n’était qu’une mascarade. À mes yeux, Bless est encore vulnérable,
comme si tout pouvait s’effondrer au moindre faux mouvement.
Et je viens juste de tout foutre en l’air.
Je ne prends pas la peine de rendre la politesse à Abigail, je me
contente de sortir, laissant dans mon sillage une Katherine
complètement éberluée. Je passe sans le voir devant le bureau de
Nolan, me demandant si être un branleur est un prérequis pour se faire
engager ici, lorsqu’elle me rattrape.
– Je suis tellement désolée, dit-elle à bout de souffle. Je ne sais pas
ce qui l’a poussée à faire ça.
Je me retourne en essayant de garder le contrôle sur ma
frustration. Katherine a été adorable avec moi depuis le début. Ce n’est
pas sa faute. Mais puisqu’elle est la seule que j’ai sous la main, c’est elle
qui va encaisser ma rage.
– C’est une question de contrôle. C’est elle qui contrôle ce
magazine.
Et pas vous. Ça, je le dis dans ma tête. Je ne sais pas ce qui se passe
entre Katherine et sa boss, mais je me doute bien qu’elles ne
s’apprécient pas franchement. C’est évident, Abigail n’a rien à faire
d’elle ni de ses idées.
– C’est elle qui a validé le projet, rétorque Katherine sur la
défensive. Elle vous a spécifiquement choisie.
– Puis elle a décidé le contraire, dis-je, un peu plus calme.
Katherine, ne vous inquiétez pas. Je ne souhaite pas qu’on ait pitié de
moi. Dans quelques années, elle ne sera plus en position d’ignorer mon
entreprise, mais moi, je serai plus que ravie de l’ignorer, elle.
Les lèvres de Katherine tressautent, mais elle s’empêche de sourire.
– J’aimerais bien voir ça.
– Quelque chose me dit que vous le verrez probable-ment dans un
avenir prochain.
Le signal de l’ascenseur tinte quand les portes s’ouvrent.
– Bonne chance.
– Je vous dirais bien la même chose, mais je ne pense pas que vous
en aurez besoin. Pas avec une attitude pareille.
– Merci, je réponds en entrant. Pour vos paroles tout à l’heure et
pour m’avoir donné cette opportunité.
– Je ne suis pas certaine que vous devriez me remercier pour ça.
Elle paraît joyeuse, mais son rire sonne creux. Je retiens la porte de
mon bras.
– Non, tout à l’heure, vous m’avez montré que ma place était ici.
Ma place est dans votre magazine.
– J’aimerais que ce soit mon magazine.
– C’était votre idée de dépoussiérer son image, et c’est une bonne
idée. Mais je pense qu’à l’heure actuelle, vous comme moi, nous ne
sommes pas au bon endroit. Je vais monter dans cet ascenseur et
retourner là où je suis censée être.
– Si seulement je savais où est ma place.
Sa voix se fait mélancolique.
– Vous trouverez et quand ce sera le cas, appelez-moi. Le monde a
besoin que les femmes pleines de potentiel se serrent les coudes.
Katherine s’avance vers moi et me fait une bise sur la joue avant de
répondre :
– Vous avez raison. Maintenant, si vous voulez bien m’excuser, je
dois rester ici et purger ma peine.
Alors que l’ascenseur me ramène au rez-de-chaussée, je réfléchis à
ce qu’a dit Abigail. Le temps que j’arrive en bas, toute mon anxiété a
disparu. Cette réunion terrifiante qui devait changer le cours de mon
existence n’est rien qu’un petit accident de parcours. Trend ne veut pas
catapulter mon entreprise au royaume de la super-célébrité ? Eh bien,
je m’en occuperai toute seule.
J’appelle Lola, inquiète qu’elle se soit finalement endormie, mais
elle répond immédiatement.
– Alors, comment ça s’est passé ?
– Abigail Summers m’a dit que Trend ne s’intéressait pas aux
potentiels, alors je lui ai jeté à la figure les chiffres que tu m’as donnés
sur leurs abonnements et les tirages.
– Et ensuite ?
Lola est à bout de souffle de l’autre côté de la ligne.
– Elle m’a dit de profiter de New York et elle s’est remise à bosser.
Je survole la porte à tambour pour me retrouver sur le trottoir
devant le building du conglomérat Dwyer. Cette fois, je ne le trouve
plus aussi imposant.
– Tu as foutu la trouille à la femme la plus puissante du monde de
la mode.
Après un petit silence, Lola reprend :
– Tu es sur la route du succès.
– Tu ne m’en veux pas ?
Je suis soulagée.
– Pas du tout. Nous n’aurions jamais eu le temps de lancer la plate-
forme en temps et en heure. On n’est pas prêtes !
Je me fige en plein mouvement
– Alors qu’est-ce que je fais là ?
– J’avais envie de foutre la trouille à la prochaine femme la plus
puissante du monde de la mode. Je t’y ai envoyée parce que
maintenant, tu as affronté ta plus grosse baffe professionnelle.
Comment tu te sens ?
– Comme si j’avais envie de lui prouver qu’elle a tort.
J’ai répondu automatiquement.
– Et c’est ce que tu vas faire.
Oui, oui, bien sûr.
CHAPITRE
TREIZE
*
* *
Nous nous promenons dans Central Park. Des branches d’arbres
quasiment dénudées se mêlent les unes aux autres au-dessus de nos
têtes. Leurs feuilles crissent sous nos pieds, et nous traversons les
jardins, main dans la main. L’hiver approche et la fraîcheur de l’air
nous mord le visage. Nous nous sommes tous les deux équipés pour
sortir. Belle a réussi à retrouver son pull après notre matinée à nous
aimer, mais elle s’est finalement rabattue sur une jupe et des collants
quand elle a admis que son pantalon avait disparu du front.
Il est sous le lit, mais je n’ai rien contre jouer les idiots si ça me
permet de passer l’après-midi à reluquer ses cuisses fuselées.
– Il y a un zoo quelque part ici, me dit-elle. Et un étang et, oh !
Elle s’arrête net pour dévisager un homme peint en blanc de la tête
aux pieds. Il est immobile devant une petite boîte posée par terre. En
fouillant dans ma poche, j’extirpe quelques dollars que j’y dépose et
l’homme se met à bouger, clignant des yeux et changeant de position,
comme s’il s’étonnait de sortir de sa transe. Belle l’observe, parfaitement
attentive et ravie, un immense sourire aux lèvres. Quelques minutes
plus tard, l’artiste prend une nouvelle position. Il s’accroupit et pose
son menton sur ses mains.
– J’espère qu’il va rapidement retrouver un public, dis-je en
poursuivant notre chemin.
– Mais oui, répond Belle, toujours souriante en resserrant ma main
dans la sienne.
Il y a comme de la magie dans l’air et elle plane autour de nous. Je
la sens, comme si nous pouvions l’attraper en étant suffisamment
patients. C’est peut-être la sensation de paix qui semble régner ici,
malgré la vitalité grouillante de la ville hors du parc. Ou peut-être est-
ce simplement la personne qui m’accompagne.
Nous tombons sur l’étang par accident et nous y arrêtons pour
regarder deux garçons y faire naviguer de petits voiliers. Belle tape des
mains et les encourage avant de trouver le chariot du loueur de
bateaux et qu’elle nous en prenne deux.
– Ça te tente une petite compétition amicale ? demande-t-elle en se
penchant en avant pour mettre son bateau à l’eau.
Je me déplace pour me mettre derrière elle et empêcher que tout le
monde puisse voir son cul. Je l’attrape par les hanches et la serre dans
mes bras.
– Je n’aime pas perdre.
– Moi non plus, m’avertit-elle en me lançant un regard taquin avant
de relâcher son bateau, tricheur.
– Ce n’est pas de ma faute si tu te déconcentres aussi facilement.
Elle agite son derrière alors que je me dépêche de mettre mon
propre bateau à l’eau. En fin de compte, elle m’écrase à plate couture
tant et si bien que je sais que je n’aurais pas pu gagner, même si elle
n’avait pas pris cette avance. Toutefois, ce n’est pas ce qui va
m’empêcher de la pourrir avec ça tout le reste de la journée.
– Tu n’as pas honte ? lui dis-je quand nous allons récupérer nos
esquifs de l’autre côté du plan d’eau en passant devant une famille
assise juste à côté.
– Je ne peux pas m’empêcher de gagner.
Elle m’assène un regard hautain.
– Effrontée. Compétitive, dis-je en marmonnant. Tu es déjà une
vraie Price.
Belle a le souffle coupé à ces mots, mais avant que je puisse juger sa
réaction, elle tire sur ma manche et me montre l’entrée du zoo. Mais
elle a bien eu cette réaction. Tout comme l’autre soir sur la terrasse,
comme si mes suggestions l’effrayaient autant qu’elles la faisaient
frissonner de joie. Si j’étais honnête, je dirais que ça me fait le même
effet, mais pour des raisons bien différentes.
Je paie nos billets d’entrée et nous passons les heures suivantes à
nous promener dans la petite réserve animalière, savourant nos
réactions mutuelles, tout autant que celle des espèces préservées. Près
de la sortie de la zone des primates, un chimpanzé me jette une
pomme en me faisant signe de la manger. Je mords dedans et la lui
renvoie.
– Je suis à peu près certaine que c’est interdit dans le règlement du
zoo, commente Belle très sérieusement, en poursuivant sa route avant
que l’animal ne me la renvoie pour jouer.
– Entre primates, on se comprend, dis-je en passant un bras autour
de sa taille pour l’attirer vers moi.
Elle se laisse couler dans mon étreinte en riant.
– Parfois, j’ai l’impression que ta place est dans une cage, admet-
elle.
– Tu as probablement mis le doigt sur quelque chose, ma belle, lui
dis-je en me penchant vers son oreille pour murmurer : Tout à l’heure
je vais te montrer à quel point je peux être sauvage.
Belle secoue la tête, éclatant de rire alors que son regard se dirige
vers une petite fille accompagnée de sa mère. Une expression d’envie se
peint sur son visage, mais elle fait un grand sourire à l’enfant qui passe
devant nous. J’ai la confirmation de ce que je suspectais. Belle a tout
autant envie de construire une famille qu’elle est intéressée par le
monde des affaires. Ça me paraît un peu tiré par les cheveux que ce
soit de mon fait plus que celui de son horloge biologique, mais bon,
quand nous nous sommes rencontrés, elle n’avait aucune envie de sortir
avec quelqu’un.
– À quoi penses-tu ? me demande-t-elle en me faisant sortir de mes
divagations.
– Que j’ai faim.
J’ai menti. Je ne suis pas près de partager cette idée avec elle, pas
tant qu’elle ne s’en est pas encore vraiment rendu compte. Du coup,
nous trouvons un vendeur ambulant qui vend des hot dogs et j’en
commande deux. Nous les mangeons, installés sur un banc, en
discutant des étranges habitudes alimentaires des Américains.
– Ils ne peuvent pas mettre autant de trucs sur un seul sandwich.
Belle secoue la tête en m’entendant lui parler d’un hot dog
commandé un jour à Chicago. Je lève la main pour lui répondre :
– Je te le jure.
Elle ouvre la bouche pour continuer son interrogatoire lorsqu’un
truc coloré tombe devant nos pieds. Belle réagit immédiatement en
aidant l’enfant à se relever pendant que sa mère se précipite vers nous.
Le petit garçon se met à pleurer et Belle le console d’une voix douce en
essuyant les cailloux incrustés dans son pantalon au niveau du genou.
– Merci, s’exclame la mère d’une voix troublée en arrivant enfin à
notre hauteur. (Elle lui prend la main pour repartir.) Tu dois arrêter de
t’enfuir comme ça, Gabe !
Belle se rassied en les regardant tous les deux se diriger vers le zoo.
Aucune erreur d’interprétation possible, à voir son visage. De l’envie.
Elle veut une famille. Elle veut un enfant.
Bon Dieu, ce que j’ai envie de le lui donner ! Aux côtés de cette
femme magnifique, qui semble comprendre naturellement comment
vivre une vie pleine et entière, je veux tout. Je veux qu’elle m’apprenne
comment faire la même chose. Je n’aurais jamais cru possible de
devenir un homme bien. Avec elle, ça me semble possible. Elle me fait
croire que je suis plus que la somme de mes erreurs passées.
J’ai déjà pensé à être plus, mais seulement pour me demander
comment elle réagirait à l’idée d’engagement. Là, c’est différent. C’est
comme si j’avais passé toute ma vie à attendre ce moment et,
maintenant qu’il est là, tout ce qui a existé avant disparaît. Je ne savais
même pas qu’un tel avenir m’attendait.
– Tu as terminé ?
J’essuie un peu de moutarde à la commissure de ses lèvres. Belle me
jette un regard curieux. Elle n’est pas passée à côté du ton rauque de
ma voix. Je ne peux pas prétendre que tout mon être ne résonne pas à
cette révélation.
Elle roule en boule sa serviette en papier et la jette dans une
poubelle. Lorsqu’elle se tourne vers moi, je capture sa bouche et j’y
glisse toutes les promesses que je souhaite lui faire. Sa douce main se
pose sur ma nuque et me retient en place.
Je le sens. Et je sais qu’elle aussi.
Nous n’avons pas besoin d’en parler. C’est aussi réel, aussi tangible,
que nos corps qui se touchent. C’est aussi compliqué que nos membres
emmêlés lorsque nous nous offrons totalement l’un à l’autre. Nous ne
sommes qu’un homme et une femme qui répondent à l’appel basique et
urgent de la biologie de nos corps. J’ai envie de la prendre sur place,
mais je me retiens.
– Allons au lit, soupire Belle lorsque nous arrivons enfin à dégager
nos langues suffisamment longtemps pour parler.
Nous n’ajoutons pas un mot en retournant à toute vitesse vers le
Plaza. Au-dessus de nos têtes, le grondement du ciel nous annonce la
pluie quelques instants avant que les premières gouttes ne s’écrasent
sur nos visages. Le déluge nous tombe brutalement dessus, aussi rapide
et inattendu que la révélation que je viens juste d’avoir. Le temps
d’arriver à l’hôtel, nous sommes tous les deux tellement trempés que
personne ne trouve rien à dire de nous voir courir vers l’ascenseur.
L’alibi est absolument parfait.
Impossible d’attendre le vingtième étage. Mes doigts passent sous le
pull de Belle et je lui enlève son vêtement trempé. Écartant d’un geste
vif les bretelles de son soutien-gorge, je libère ses seins et ma bouche se
referme sur ses tétons alors que nous grimpons vers le ciel. Ses mains
sont plaquées contre le miroir tandis que je la mordille et que je suçote
sa peau. Une main sous sa jupe, j’arrache la couture de son collant au
niveau de sa chatte juste au moment où les portes de l’ascenseur
s’ouvrent.
Il y aurait pu y avoir tout un groupe d’hommes d’affaires japonais
devant nous que nous ne nous en serions pas rendu compte. Je la
prends dans mes bras pour la porter vers la suite, incapable de garder
ma bouche loin d’elle. Loin de ses lèvres. Loin de sa peau. Elle est la
perfection incarnée, une déesse et une tentatrice dans la peau d’une
femme. Mais en même temps, elle est tellement plus que ça. Je pourrais
passer ma vie à étudier le dictionnaire et ne jamais découvrir assez de
termes pour décrire sa nature sauvage, sensuelle et si intelligente,
putain.
– J’ai besoin d’être en toi, dis-je en grognant alors que nous nous
écrasons contre la porte.
Belle tente d’ouvrir mon pantalon de ses mains tremblantes lorsque
je nous fais entrer dans la suite. Nous manquons tomber, mais je la
rattrape contre la porte. Écartant sa lingerie de côté, je pousse mon
membre dans sa chatte humide. Un rien suffirait à me faire basculer.
J’ai envie de la remplir. J’ai envie de voir son visage pendant que je me
vide en elle. Mais sa tête tombe en arrière et elle se met à gémir.
– C’est si bon, chantonne-t-elle avant de crier de plaisir. Baise-moi,
Smith. Je veux te sentir.
Oh ! Pour me sentir, elle va me sentir. Elle le sentira même encore
demain et, si j’ai mon mot à dire, la semaine prochaine aussi.
Quelques mots salaces tombent encore de ses lèvres avant que je
n’écrase ma bouche contre la sienne. Elle n’a pas besoin de demander.
Je ne m’arrêterai jamais. Je ne renoncerai jamais à elle. Quand elle se
met à contracter ses muscles autour de moi, je l’appuie contre le mur et
je la pilonne jusqu’à nous emmener ensemble vers un orgasme
fracassant. Mais lorsqu’elle s’affale sur moi, je ne me retire pas.
Non, je l’attrape par le cul et l’incite à enrouler ses jambes autour
de moi. Je la porte dans les escaliers et l’allonge avec soin sur notre lit,
puis je nous déshabille lentement.
Malgré cet orgasme puissant, mon érection n’est toujours pas
retombée. Elle ne proteste pas lorsque je m’allonge sur elle pour me
glisser dans son corps. C’est la seule chose que je peux concevoir. Ses
ongles qui s’enfoncent dans mon dos, qui me griffent la peau. Ses seins
qui frôlent ma poitrine. Le lent mouvement circulaire de son bassin
contre mes coups de reins.
– Tu es à moi.
Je grogne ces mots en m’appuyant sur mes mains pour m’enfoncer
plus profondément dans ses chairs.
J’ose la regarder dans les yeux, j’ose espérer y trouver la même
ferveur, le même émerveillement que dans les miens. Mais ce que j’y lis,
c’est la peur. Je change de position et lève une main sur sa joue. Je
veux essuyer, effacer totalement l’anxiété et le doute qui salissent notre
relation. Mais je sais que ce n’est pas aussi simple que ça. Tout ce que je
peux lui offrir, c’est le réconfort dont elle a besoin, que je la rassure.
Qu’elle sache qu’elle est aimée.
Parce que, bon Dieu, j’aime cette femme, et si je dois passer chacun
de mes jours à le lui prouver, je le ferai.
– Pour toujours.
Je me force à dire ces mots entre nos soupirs.
– À moi pour toujours.
Et même un peu plus.
Ce n’est pas son corps ou son cœur que je veux. C’est son âme. Je
veux tout d’elle, jusqu’à son dernier souffle.
Une larme roule au coin de son œil et je l’embrasse pour la faire
disparaître. Elle me sourit timidement et se cambre pour m’offrir ses
lèvres. Je les prends, capturant ses baisers, partageant son souffle, tout
comme je prends le reste de sa personne pour la faire mienne.
CHAPITRE
DIX-SEPT
*
* *
Le décalage horaire est une excuse toute trouvée pour échapper à
la tension qui régnait dans la voiture et, à peine chez moi, je laisse
tomber mon sac. Affalée contre la porte, j’essaie de lutter contre
l’abattement qui me gagne. Je suis perturbée par la réaction d’Edward.
Je n’aime pas être en mauvais terme avec un ami, spécialement à cause
d’un homme.
D’autant plus que cet homme est là pour rester.
Mais il n’y a rien à faire, et Smith m’attend de l’autre côté de la
ville. Après avoir dormi dans l’avion, je suis maintenant parfaitement
réveillée et, étrangement, encore crevée. Demain, je vais devoir me
bouger les fesses. Ce soir, je vais devoir faire le tri dans les événements
de ces vingt-quatre dernières heures.
Mon regard se promène dans la pièce de vie. Cet appartement et un
autre, en tout point similaire, ont été ma maison ces dix-huit derniers
mois. Mais l’impression de confort que je ressens chaque fois que j’y
reviens, est remplacée par une sorte d’agitation impatiente. Je n’ai plus
ma place ici, mais l’ai-je chez Smith ? À ce stade, les deux options me
font l’effet d’un abri plus que d’une maison.
– Je me disais bien que c’était toi.
Ma tante débarque, vêtue d’un pyjama de soie, et poursuit :
– Tu as l’air crevée.
– C’est le cas, enfin d’un certain côté, lui dis-je alors qu’elle se
prépare à attraper une bouteille de vin. Pas pour moi, merci.
– Je boirai un verre à ta santé, alors, dit-elle sans rire. Est-ce que
j’ose te demander comment s’est passé ton voyage ?
– Je ne saurais pas par où commencer.
Je me laisse tomber sur une chaise et pose mes coudes sur la table.
– C’était comment, l’interview ? demande-t-elle avant de se servir
un verre et de me rejoindre.
J’hésite à répondre. Comment se fait-il que l’aspect le moins
intéressant de mon voyage d’affaires soit justement ce qui concerne
mon entreprise ?
– Ça n’a pas marché. La rédactrice en chef s’est révélée être une
connasse de premier ordre.
– Au moins, tu auras l’expérience de cette espèce et tu sauras
comment les gérer.
– En parlant de maman, est-ce qu’elle t’a appelée ?
Je connais la réponse.
– Tous les jours.
Jane pince les lèvres en signe de dégoût.
– Je suis désolée. Je m’occuperai d’elle demain.
Ajoutons ça à la liste des corvées que je redoute tant. Je n’ai
toujours pas pris la peine de regarder la paperasse qu’elle m’a envoyée
au sujet du domaine. J’avais l’intention d’appeler mon frère pour lui
demander de lire tout ça et de me donner son avis. Mais, au final, je me
suis retrouvée de l’autre côté de l’océan. On dirait que j’ai élevé mes
stratégies d’évitement de ma mère au rang des beaux-arts.
– Ça n’a aucune importance. Qu’ai-je d’autre à faire ? Frederick s’est
enfermé dans un studio pour achever son dernier opus.
Malgré le chaos dans lequel je me trouve, je me surprends à sourire.
Écouter Jane parler de ses conquêtes est la meilleure distraction du
monde, mais même ses histoires farfelues ne peuvent détourner mes
pensées de mes propres imbroglios sentimentaux.
Surgie de nulle part, une question s’échappe de mes lèvres :
– Tu t’es déjà mariée. Pourquoi ?
Jane repose doucement son verre sur la table.
– Je suppose qu’il y a une raison à cette question.
Mes joues deviennent écarlates, mais je réussis à hocher la tête.
– Je l’ai été, mais pas vraiment, répond-elle, secouant la tête avant
de soupirer. J’ai eu des maris, Belle, mais je n’ai jamais été vraiment
mariée. Ça semble dingue, non ?
– Oui, j’admets en riant avec elle.
– Des hommes m’ont demandé de les épouser et je me suis prêtée
au jeu. Certains sont morts. D’autres sont partis. Mais je ne me suis
jamais vraiment sentie mariée à aucun d’eux.
– J’imagine que ça explique pourquoi certains jours tu es une vieille
fille, et d’autres, une femme divorcée.
Les étranges conceptions de ma tante sur l’amour m’ont toujours
amusée, même si elles me déroutent complètement.
– Parfois, je suis plus l’une que l’autre, répond-elle en tapotant son
verre. J’imagine que tu veux savoir pourquoi.
Oui, je veux le savoir, parce que là, j’ai besoin de comprendre –
comprendre pourquoi certaines personnes choisissent de se marier et
d’autres non. Et pourquoi certains mariages durent toute une vie et
d’autres sombrent dans le chaos. Je cherche des réponses dont je doute
de l’existence, mais je suis plus que prête à écouter parler toute
personne volontaire pour aborder la question.
– Un jour, j’ai aimé un homme. Si ça a l’air d’un début d’histoire
triste, je te le confirme, ça l’est.
– Que lui est-il arrivé ?
– La vie. La fierté. La peur. Il est bien plus facile de prétendre
s’engager dans une relation sans vraiment le faire que d’envisager la
possibilité de donner tout ce que tu possèdes à l’autre. Il faut avoir
confiance pour ça.
– Et tu ne lui faisais pas confiance ?
– C’est en moi que je n’avais pas confiance, clarifie-t-elle en passant
une main dans ses cheveux platine. Et quand j’y suis parvenue, c’était
trop tard. Il avait épousé quelqu’un d’autre.
– Il te manque encore ?
– Tous les jours. Je le regrette. Les amants me divertissent, mais
personne n’a réussi à combler le vide que son absence a créé en moi.
Peut-être est-ce pour cette raison que j’ai toujours dit oui quand un
homme m’a demandé de l’épouser. J’avais peur d’avoir les mêmes
regrets que j’ai sur cette histoire.
– Alors, si tu pouvais tout changer, tu le ferais ?
– Je suis une vieille femme riche qui a bien plus découvert le monde
que la majorité des gens. Si j’étais politiquement correcte, je te dirais
non. Mais en fait, c’est l’inverse. Si je pouvais revenir en arrière, oui, je
changerais le cours des choses, me dit-elle en haussant les épaules, le
regard devenu distant. Peut-être que j’aurais regretté cette vie-là aussi.
Je ne le saurai jamais et je crois que c’est ce qui me ronge.
Elle s’adosse à sa chaise et son regard revient lentement vers moi.
– Maintenant, dis-moi pourquoi tu m’as posé cette question.
– Parce que j’ai peur.
Après cette confession, j’avale la grosse boule dans ma gorge. Ce
n’est pas facile d’admettre que j’ai peur de ce que je désire le plus sur
terre, précisément parce que j’en ai envie.
– Alors, suis mon conseil, ma chérie. Fais ce qui t’effraie. C’est ce qui
maintient en vie. Mieux vaut vivre en regrettant une relation qui n’a
pas tenu la distance que de vivre avec la douleur de l’avoir perdue, me
recommande-t-elle en prenant ma main dans les siennes par-dessus la
table. J’imagine que tu as bien d’autres choses à me dire à propos de
ton voyage à New York.
– Oui, je murmure.
Mais je ne suis pas encore prête à le partager. Pas tant que je
n’aurai pas pris ma décision.
– Quand tu voudras m’en parler, je serai là pour t’écouter.
Elle ne me met pas la pression pour que je lui en dise plus. Les
larmes me montent aux yeux et je serre sa main fermement.
– Merci.
– Si je dois vivre avec les erreurs de mon passé, au moins qu’elles
puissent te servir d’exemple.
À son tour, elle serre ma main avant de la relâcher.
– Bon, maintenant, est-ce que tu veux un verre de vin ?
– Non, je dois voir quelqu’un.
– C’est ce que je me disais, remarque-t-elle avec sagesse. N’aie pas
peur de faire confiance à ton cœur, Belle. C’est ta boussole. Laisse-le te
guider.
Je hoche la tête car mon monde se met à chavirer. Comment
pourrais-je suivre la direction que m’indique mon cœur quand je ne
peux pas rester assez longtemps en place pour savoir vers où il pointe ?
La seule chose que je sais, c’est qu’il m’indique la direction d’une
maison à Holland Park. Je ne peux pas voir plus loin que ça, mais les
grands voyages débutent toujours par un simple pas en avant. Je suis
prête à faire le premier.
CHAPITRE
VINGT
*
* *
Je me réveille au contact d’une main sur mon front. Je lève ma tête
pour m’apercevoir que je me suis endormi dans la pire des positions et
je croise le regard de Belle. Son visage est enflé, une trace violette
encercle son œil et, pourtant, elle est toujours à couper le souffle, la
plus belle femme du monde.
Je me redresse, prends sa main et lui murmure :
– Hé, ma belle.
– Est-ce que je devrais demander un miroir ?
Elle se lèche les lèvres en parlant. Je secoue la tête.
– Pas besoin. Tu es magnifique.
– Menteur, m’accuse-t-elle avec un petit sourire aux lèvres qui
n’atteint pas son regard fatigué.
– Tu te souviens de ce qui s’est passé ?
Je me prépare à entendre le pire.
– Un gros con de merde a essayé de me voler ma voiture, et j’ai
bêtement résisté.
Je déglutis et me force à poser la question à laquelle je n’ai pas
vraiment envie qu’elle réponde.
– Est-ce qu’il… est-ce qu’il t’a violée ?
– Non.
Elle grimace en essayant de se redresser. Je bondis pour l’aider,
sentant une partie du fardeau sur mes épaules s’alléger. Ça ne rend
pas cette situation plus acceptable, mais je ne peux pas m’empêcher de
me sentir soulagé.
– L’hôpital n’en était pas sûr.
– Il m’a fait comprendre que c’était dans ses intentions, répond-elle
en me regardant nerveusement. Est-ce que ça aurait eu de l’importance
s’il l’avait fait ?
– La seule chose qui aurait changé, c’est la vitesse à laquelle je vais
mettre fin à ses jours.
Inutile de prétendre le contraire. Hammond est au cœur de cette
histoire, mais quel que soit le sbire qu’il a envoyé se charger de ses
basses besognes, il aura à payer le prix de ses actes, lui aussi.
– Smith.
Mais je ne suis pas prêt à entendre la note de supplique dans sa
voix.
– Ne t’inquiète pas pour ça maintenant, lui dis-je pour l’apaiser.
Je me penche en avant pour effleurer son front de mes lèvres.
– Ce n’est pas ta faute, murmure-t-elle.
Nous savons tous les deux que ce n’est pas vrai.
– Belle, je ne peux pas laisser cette situation empirer.
Mes mots sortent par salves, fragmentés, chacun est plus dur à
sortir que le précédent.
Les larmes s’accumulent dans ses immenses yeux bleus, mais elles
ne coulent pas.
– Désolée, Price. J’ai pris ma décision. Tu es coincé avec moi.
– Pas si c’est synonyme de…
– Je sais que notre mariage n’a pas été des plus ortho-doxes,
m’interrompt-elle, mais je suis relativement certaine que nous avons eu
droit à des vœux et tout ce bazar sur la mort qui nous sépare, la
maladie et la santé.
– Tu ne peux pas me demander d’ignorer ça, dis-je sur un ton un
peu plus dur que je ne le souhaitais.
Mais elle campe sur ses positions. D’ailleurs, elle se redresse et
m’assassine du regard.
– Non, c’est impossible. Mais tu es mon mari, alors il va falloir que
tu te fasses à cette idée et que tu l’acceptes.
Je ferme les yeux en essayant de ravaler le sourire qui étire déjà la
commissure de mes lèvres.
– Est-ce qu’un jour tu m’écouteras ?
– Tu aimes quand je te provoque, me rappelle-t-elle.
Je ne peux pas nier que c’est la vérité.
– Je ne pourrais pas vivre s’il t’arrive quelque chose, ma belle.
– Et je ne pourrais pas vivre en sachant que j’ai fui. Je crois qu’il va
falloir que nous apprenions à vivre ensemble.
Il est dangereux de l’écouter, dangereux de céder aux appels de
mon cœur. Mais lorsque la docteure revient quelques heures plus tard,
je suis encore là. Je l’ai mise dans cette situation et je ne peux pas
l’abandonner maintenant, pas tant qu’elle est si vulnérable, pas tant
que je respire encore.
Je l’ai faite mienne. Il est de mon devoir de la protéger et je suis
peut-être insensé de la convoiter encore après les incidents de la nuit,
mais elle m’appartient dorénavant et personne ne me la prendra avant
de m’avoir traîné en enfer.
CHAPITRE
VINGT-QUATRE