EBOOK Flora Stark Mille Et Un Coups de Folie
EBOOK Flora Stark Mille Et Un Coups de Folie
EBOOK Flora Stark Mille Et Un Coups de Folie
Avertissement :
Flora STARK
« À tous ceux qui se lèvent chaque jour pour nous protéger, peu importe le danger,
peu importe la gravité.
Qui composent avec l’être humain, ses travers et ses excès, ses dérives et ses
atrocités.
À toutes ces femmes et tous ces hommes qui servent notre Nation avec honneur et
abnégation, courage et détermination.
Flora Stark
Note de l’auteure
Chère lectrice, cher lecteur,
C’est avec beaucoup d’émotions que je vous accueille dans cette toute nouvelle
romance. Mes deux héros se sont imposés à moi, et ce pour mon plus grand bonheur !
Ils m’ont aidée à traverser une période compliquée, me permettant ainsi de m’évader
et surtout de respirer sans penser au lendemain. Bien évidemment, j’espère qu’ils
vous emporteront vous aussi dans leur folle aventure !
Au fil des pages, Lizzie, Jade, Léo, Christian, Bruno, Martine, Mark, Stephen et
Sean s’inviteront également à la fête. Plus on est de fous, plus on rit, n’est-ce
pas ?
Juste une petite piqûre de rappel : cet ouvrage est une fiction, une création de
mon imagination. Même si je fais toujours en sorte de me rapprocher au maximum de
la réalité, il m’arrive parfois de détourner certains éléments afin que ceux-ci
collent parfaitement à mon récit. Toutes références à des événements, des personnes
réelles ou des lieux cités ne sont utilisés que pour servir ce récit fictif. Tous
les autres noms, lieux, personnages et événements sont le produit de mon cerveau
défectueux. De même, toute ressemblance avec des personnes réelles, des lieux et
des événements serait totalement fortuite.
Par ailleurs, attention, cette histoire n’est pas une romance à l’eau de rose, mais
bien une romance érotique ! Elle contient par conséquent des scènes explicites et
destinées à un public averti. Même chose que pour My BOSS Bodyguard, un de mes
précédents romans, si vous n’appréciez pas les jurons, les passages hots et les
mots crus, alors je vous conseille de refermer ce livre immédiatement, il n’est
malheureusement pas pour vous.
Maintenant que la messe est dite, si je puis dire, il est désormais temps de faire
connaissance avec mes nouveaux héros ! Je vous souhaite donc une merveilleuse
lecture.
Chaleureusement,
Flora
Prologue
Et si, du jour au lendemain, je vous annonce qu’il ne vous reste plus que quelques
mois à vivre ? Que votre fin est proche ? Imaginez-vous avoir grandi ainsi, avec
cette échéance ancrée dans la peau, cette épée de Damoclès juste au-dessus de votre
tête. En somme, un rendez-vous programmé avec la mort. Flippant, n’est-ce pas ?
Et si toute votre existence ne se résumait qu’à un vulgaire sursis ?
Ce triste sort est l’histoire de ma vie. Avoir affronté durant mon enfance cette
ignoble date butoir, m’assimilant bien souvent à un animal destiné à l’abattoir.
À quoi ça sert de sourire, hormis pour cacher ses failles et dissimuler ses
souffrances ?
À quoi ça sert de lutter, si c’est pour perdre contre un adversaire bien plus fort
que soi ?
À quoi ça sert de survivre, si c’est pour subir et dépérir au fil des jours ?
Posez-vous un instant, faites le vide dans vos pensées, puis seulement après cela,
songez à la progéniture que vous avez été, aux récits que vous vous êtes racontés,
aux rêves que vous avez imaginés… Vous y êtes ? À présent, souriez, et dites-vous
que vous avez eu de la chance de grandir avec innocence.
De mon histoire…
Contre toute attente, j’ai déjoué tous les pronostics. J’ai posé un lapin à la
grande faucheuse et désormais, je me sens incontrôlable. Je veux croquer la vie à
pleines dents et surtout la vivre à cent à l’heure…
Chapitre 1
Faustine
— Ne la laisse pas tomber, elle est si fragile ! Être une femme libérée, tu sais
c’est pas si facile !!!
En pleine campagne, je prends les chemins pour un circuit. Les pneus de mon bolide
crissent sur le goudron à chaque virage. Il commence à pleuvoir, mais je m’en
moque. Avec le vent, la pluie me fouette le visage, je me sens si vivante ! Je
continue de chanter, lorsque je repère au loin un mec marcher sur le bord de la
route. À première vue, je dirais une trentaine d’années, plutôt bien sapé. Je me
demande ce qu’il fout là, quand je le vois lever son pouce dans ma direction. Il
fait du stop sous la flotte, ce con ! Je ne peux m’empêcher d’aviser l’énorme
flaque juste devant lui et, que le Seigneur me pardonne, j’accélère et roule en
plein dedans. Dans mon rétro, j’observe le gars se faire littéralement arroser de
la tête aux pieds. Je ris à gorge déployée. Roooh, ça va, hein ! Qui ne l’a jamais
fait ? Eh bien, moi ! Enfin, jusqu’à aujourd’hui !
Bordel…
Je fais comment, moi, maintenant ? J’ai tout laissé chez moi, mes papiers et
surtout mon téléphone. Oui, je vous ai dit que je voulais être libre ! Une femme
libérée, vous vous souvenez ? N’empêche que Cookie Dingler il a carrément raison,
ce n’est pas si facile que ça. Je regarde l’étendue des dégâts : mon pneu a
explosé. J’ouvre mon coffre et souffle comme un phoque. Je suis bien dans la
mouise. Pourtant, ce léger imprévu n’entame en rien ma bonne humeur. Évidemment, il
continue de pleuvoir, mais cela ne me dérange pas non plus. J’ai toujours adoré
observer le ciel s’assombrir et les gouttes ruisseler le long des carreaux de ma
chambre d’hôpital. Au fond de mon lit, je rêvais de courir dehors et de danser sous
la pluie. Alors, sans plus réfléchir, c’est ce que je fais. Je me mets à tournoyer,
les bras levés vers les nuages. Mon corps bouge au rythme de mon bassin. Un sourire
s’étend jusqu’à mes oreilles tant je suis heureuse d’être ici, en vie, libre.
Néanmoins, quelques minutes plus tard, il s’efface lorsque j’aperçois
l’autostoppeur arriver droit sur moi.
Le goujat !
Bingo ! L’inconnu se retourne, puis avance vers moi. Sa démarche est désormais si
lente qu’il ressemble à un prédateur. Mon souffle se coupe, mon pouls s’emballe.
J’ignore pourquoi, mais malgré son attitude peu avenante, je ne me sens pas en
danger. Je le détaille et soudain sa beauté me happe violemment. Ses cheveux bruns
en bataille me donnent envie d’y glisser sauvagement les doigts. Ses yeux revolver
aux teintes surprenantes m’intimident et me harponnent : une sorte de gris
métallisé étonnant. Sa mâchoire carrée, quant à elle, lui confère un air viril,
alors que ses lèvres charnues sont un véritable appel à la luxure. Cependant, ce
qui me trouble le plus, je crois, ce sont les deux trois grains de beauté qui
parsèment ici et là son visage. Une fois à ma hauteur, je constate également qu’il
est grand, très grand. Un bon mètre quatre-vingt-dix je dirais. Sachant que je
mesure un mètre soixante, sa proximité m’oblige à ployer la nuque en arrière pour
plonger mon regard dans le sien.
— Roooh, ça vaaa, c’était une p’tite blague ! Avouez-le, c’était quand même super
drôle, répliqué-je en riant alors que je revois la scène. Si on peut même plus
rigoler ! Et puis j’allais m’arrêter !
Il me scrute comme s’il me poussait une deuxième tête. Il est évident qu’il ne me
croit pas une seule seconde. Pourtant, je dois absolument me le mettre dans la
poche, je n’ai franchement pas envie de changer cette roue.
— Bien sûr que non ! rétorqué-je exagérément, tout en écarquillant les yeux et en
levant les mains en l’air. Je m’apprêtais à faire demi-tour quand mon pneu a
décrété qu’on était le 14 juillet !
Il secoue sa belle gueule de gauche à droite, la mine dépitée, puis poursuit son
chemin. Non, mais il ne va quand même pas m’abandonner ici ?
— Qu’est-ce que vous faites ? Vous n’allez pas me laisser là, toute seule, sur le
bord de la route ? hurlé-je, les paumes sur les hanches.
Pas de réponse. L’espace d’un court instant, mon regard se perd sur son postérieur.
Outch… c’est indécent un cul pareil ! Ferme et musclé, comprimé dans son petit jean
Levis aux allures impeccables, il me fait de l’œil. Je crois qu’il me parle. Sans
compter ses cuisses fuselées qui semblent aussi solides qu’un roc. Sauf qu’elles
s’éloignent de plus en plus, alors je reviens à la charge.
— Oooooooooh !!!
Toujours pas de réponse ! Ce qu’il m’agace ! Okay, il est canon, mais visiblement la
galanterie et lui ça fait deux ! Bon, d’accord, je sais ce que vous pensez…
J’aurais pu éviter de rouler dans la flaque, mais elle était énorme, il était là…
c’était trop tentant !
— Bah il est beau le grand samaritain ! Si c’est comme ça que vous aidez votre
prochain, vous pouvez retourner de là d’où vous venez !!! m’égosillé-je comme une
dératée. Et si je me fais découper en morceaux à cause d’un psychopathe, vous aurez
ma mort sur la conscience, c’est moi qui vous le dis !!!
— J’étais la meilleure à un deux trois, soleil ! dis-je avec fierté, le ton enjoué.
— Tout ce que je veux ? me demande-t-il, l’air désarçonné. Mais vous sortez d’où,
bon sang ?!
Il me repose au sol et se tourne pour se placer face à moi. Ses iris d’acier me
sondent et tentent de me déchiffrer. Je ne lâche pas et soutiens son regard alors
qu’il pleut toujours.
— Je…
Merde, il a raison ! Je ne sais plus quoi dire ni même comment réagir. Dois-je
m’enfuir en prenant mes jambes à mon cou ? Non, ça ne sert à rien. Avec un cul et
des cuisses pareilles, il va me rattraper en moins de deux. Je détourne mon
attention pour observer le colza. Peut-être que si je cours à travers champs, je
pourrai le semer ?
— N’y pensez même pas, me balance-t-il en comprenant tout de suite ce qui me passe
par la tête. Je vous préviens, je change votre pneu, mais ensuite vous me déposez
là où je veux !
— Okay, marché conclu ! Tant que vous ne me découpez pas en morceaux, tout me va !
Un rictus bizarre ourle ses lèvres alors qu’il se dirige vers mon coffre. Il
l’ouvre, puis en sort un kit contenant un triangle de signalisation et un gilet
jaune qu’il me lance pour que je l’enfile. Je ronchonne, peu encline à revêtir ce
truc horrible. Toutefois, je m’exécute, déjà bien contente de ne pas mettre les
pattes dans le cambouis. Il me demande, non, pardon, je rectifie : il m’ordonne de
placer le triangle à une trentaine de mètres de distance. Je ronge mon frein, car
j’ai vraiment envie de rentrer chez moi saine et sauve donc j’obéis sans discuter.
Il monte dans ma voiture, enclenche la première, serre le frein à main et allume
mes feux de détresse. Il farfouille à nouveau dans mon coffre et en extirpe une
roue de secours, dissimulée sous un genre de faux plancher. Je ne savais même pas
que j’avais ça ici ! Il en extrait également un cric, puis le dispose sous la
carrosserie, non sans avoir, au préalable, desserré légèrement les écrous du pneu.
Mon véhicule se soulève jusqu’à ne plus toucher le sol. Ma titine passe alors sous
les mains expertes de cet étranger qui a l’air de maîtriser ce qu’il fait. Moi ? Je
lorgne son tee-shirt blanc, parfaitement bien repassé, épouser son épiderme comme
une seconde peau. Avec la pluie, ce dernier est détrempé et complètement
transparent. Ses muscles dorsaux se contractent au rythme de ses efforts, au même
titre que ses biceps qui se gonflent sous la pression.
Il dévisse totalement les écrous et ôte ma roue crevée, pour enfin enfiler celle de
secours à la place. Il la positionne bien en face des pas de vis, puis remet les
écrous. Il redescend ma voiture, puis les serre tous à fond.
— Vos pneus sont lisses, c’est n’importe quoi. C’est dangereux pour vous et les
autres usagers de la route, vous en êtes consciente ?
— Cette infraction est punie par une contravention d’un montant de 135 €, ajoute-t-
il, pensant peut-être me convaincre un peu plus.
— Ouais, et ? J’emmerde les flics ! Ils ont tous une gueule de con. Bon, allez, on
se casse ! Je n’ai pas que ça à faire moi, je suis attendue !
Il me regarde d’un air stupéfait, mais ne me contredit pas. Il grimpe dans mon
bolide et je m’installe derrière le volant. Il me donne son adresse et je
l’enregistre sur le GPS de mon téléphone. Par chance, il s’est arrêté de pleuvoir.
Enfin, je prends une grande inspiration, puis mets le contact. « Ne la laisse pas
tomber, elle est si fragile ! Être une femme libérée, tu sais c’est pas si
facile !!! » retentit alors à fond la caisse. Mon voisin grimace et je me marre,
surtout quand je vois ce grand gaillard emplir tout l’espace. Néanmoins, un détail
m’interpelle, donc je coupe le son et lui lance :
— Vous pleurez ou quoi ? Ne vous inquiétez pas, je vais vous ramener entier chez
votre maman ! me moqué-je ouvertement.
— Eh beh… c’est encore pire que ce que je pensais… murmuré-je tout en appréhendant
un virage serré.
— Comment ça, c’est pire que ce que vous pensez ? Et attention ! Roulez moins vite !
beugle-t-il tout en s’agrippant à la poignée de maintien juste au-dessus de sa
tête.
— Je ne comprends rien !
— Oh arrêtez un peu de vous voiler la face ! Regardez-vous ! On dirait que vous avez
passé la nuit avec une centrale vapeur ! Je suis sûre que vous repassez même vos
slips !
Je n’ajoute plus rien et remets la musique. « Tombé pour elle » de Pascal Obispo
démarre et rapidement, je suis emportée par la mélodie et ses paroles entêtantes :
— Je suis tombé pour elle, je n’ai d’yeux que pour elle, tout tout tout touuuuut !
Mon bel inconnu, quant à lui, est blanc comme un linge. Je crois que mes talents de
pilotage ne lui conviennent pas.
Je pile brusquement, non sans avoir jeté un petit coup d’œil rapide dans mon
rétroviseur pour m’assurer d’être seule sur la route.
— Mon pot de yaourt ? Mon pot de yaourt ?!! répété-je, folle de rage qu’il puisse
parler ainsi de ma voiture. Ne traitez pas mon bolide de pot de yaourt !!!
— Votre bolide ? C’est une putain de Twingo phase une !!! Elle va nous servir de
cercueil si vous continuez de conduire comme ça !
— Oooh, ça va ! Il n’y a jamais personne ici ! Bon, allez, fermez les yeux !
— Quoi ? Pourquoi je devrais fermer les… oooooooooh noooon, non, non, non, non !
Mais vous êtes complètement malade !!! Descendez-moi immédiatement !!!
— Me détendre ??? Me détendre ??? Vous venez de prendre un rond-point à l’envers !!!
— Vous avez enfin retrouvé vos esprits ! marmonne mon voisin qui se cramponne
toujours à sa poignée.
— Non, c’est juste qu’il y a souvent les flics à cet endroit, rétorqué-je, amusée.
— Vous savez qu’avec toutes les infractions que vous avez commises, vous pouvez
perdre votre permis et finir en taule si vous tuez quelqu’un ?
— Tout de suite les grands mots ! Et vous, vous savez que vous êtes chiant à
mourir ?
— Et voilà ! Qu’est-ce que je disais ?! Les condés[1] sont dans la place ! Tellement
prévisibles, ces bouffons !
— Un peu de respect, s’il vous plaît ! Ce sont des citoyens comme tout le monde,
qui font seulement leur boulot ! Ce sont des hommes et des femmes qui prennent des
risques tous les jours pour vous protéger ! Surtout avec des dangers publics comme
vous en liberté !
— Ouiiii, bien sûr… et la marmotte, elle met le chocolat dans le papier alu !
— Et vous, exaspérant !
— Évidemment ! Ils doivent vous prendre pour un tueur en série avec votre regard de
psychopathe ! râlé-je, contrariée.
— Bien entendu ! Ce n’est pas du tout à cause de votre tacot pourri et ses pneus
slicks ! maugrée-t-il en retour.
Ce qu’il m’agace ! C’est dingue comment il peut me faire péter un câble ! Ce mec
m’horripile au plus haut point.
— Cent balles et un mars aussi… murmuré-je plus pour moi que pour le gallinacé.
— Je disais, bien sûr, monsieur l’agent, minaudé-je en lui faisant les yeux doux.
Mon manège fonctionne et un sourire s’affiche désormais sur ses traits. Je n’hésite
pas non plus à bomber la poitrine pour mettre en avant mes atouts, bien qu’ils
soient dissimulés derrière mon haut. Bingo, mes nichons font leur petit effet,
puisque le flic se rince l’œil bien comme il faut. Je me penche pour ouvrir la
boîte à gants et récupérer mes documents, que je lui tends. Je papillonne des cils,
glisse les cuisses subtilement l’une contre l’autre, ce qui a pour conséquence de
remonter le tissu de ma jupe. Ce gros pervers n’en rate pas une miette avant de
s’éloigner pour vérifier mes papiers. Son collègue, en revanche, effectue le tour
de ma caisse et procède à un rapide état des lieux.
— Aaah ! Bah, ils ont bien une bonne tête de bite, tiens ! Et tous autant qu’ils
sont ! dis-je alors que je remarque que mon camarade à ma droite dissimule son
visage aux gendarmes.
— C’est parfait, mademoiselle… ronronne l’agent après quelques minutes. Tout est en
règle. Par contre, il faudra penser à changer vos pneus à l’arrière. Vous avez
dépassé le témoin d’usure. Ça passe pour cette fois-ci, mais n’attendez pas pour
prendre rendez-vous.
— Vous pensez peut-être que je n’ai pas repéré votre manège ? Le pauvre garçon a
failli faire dans son froc tellement vous l’avez aguiché.
Chapitre 2
Jack
Lors du contrôle, une feuille s’est échappée de sa boîte à gants et est venue
s’échouer à mes pieds.
— Redonnez-moi ça, tout de suite ! m’ordonne-t-elle d’un ton furieux, ce qui attise
encore plus ma curiosité.
Je dois l’avouer, elle est plutôt mignonne avec ses petites pommettes rougies et
son chouchou coloré dans les cheveux. Néanmoins, je ne me laisse pas distraire et
poursuis ma lecture :
Mille et un coups de folie
- Me bourrer la gueule
- Fumer un joint
- Voler un truc
- Sauter en parachute
- Prendre l’avion
- Faire un tatouage
- Effectuer un safari
- Gravir un volcan
- Monter à cheval
Je m’arrête là, car pour une raison que j’ignore, cette liste, aussi loufoque que
saugrenue, me laisse un goût amer dans la bouche. Je n’aime pas ce que je ressens à
cet instant précis. Ce courant froid qui me coule dans les veines et me glace le
sang. Cette émotion particulière qui ébranle et malmène mes fondations. Soudain,
c’est comme si je faisais irruption dans sa vie privée, comme si je violais son
intimité. Je déteste ça.
Une folle furieuse, ça, c’est sûr. Il est flagrant qu’elle a un pète au casque et
que je risque ma peau rien qu’en étant simplement assis à ses côtés dans ce tas de
ferraille.
Je hausse les épaules, puis lui demande gentiment de se concentrer sur la route.
Cette femme est un vrai danger public, une calamité. Je n’ai qu’une hâte, arriver à
destination. Évidemment, je ne suis pas fou, je ne lui ai pas communiqué d’adresse
précise, mais un endroit à proximité.
— Vous êtes sûr que vous voulez que je vous dépose au supermarché ? Il va être
fermé à cette heure-là, me lance-t-elle avec pertinence.
Elle n’insiste pas et poursuit sa conduite dans le calme. Elle a levé le pied et
dans mon for intérieur je la remercie mille fois. Ceci dit, moi qui apprécie le
silence, je le trouve à présent pesant et je ne peux m’empêcher de prendre
finalement la parole.
— Vous savez que fumer un joint c’est interdit ? Voler quelque chose encore plus…
D’accord, mon entrée en matière n’était pas des plus subtiles. J’aurais pu aborder
un autre sujet, mais c’est plus fort que moi.
— Faire l’amour sur la plage également. Vous êtes passible d’une amende de quinze
mille euros et d’une peine de prison pour délit d’exhibition sexuelle, ajouté-je
avec sévérité.
— Ben non, voyons ! J’aurai juste à dénicher un type consentant. Ça ne doit pas
être bien compliqué. Au pire je posterai une annonce, me répond-elle avec tout
autant de sérieux.
— Oui, sur un site cochon. Un message du style : grosse coquine en chaleur cherche
bel étalon bien membré et endurant pour se faire déboîter les petites pattes
arrières sur la plage. Je devrais pouvoir trouver sans trop de difficultés. Et
comme ça, je fais d’une pierre deux coups.
Putain, elle est en train de me cramer le cerveau. Je ne suis plus bon qu’à
rabâcher tout ce qu’elle me dit.
— Moumoune ?
— Ma foufoune !
— Non merci, je vais finir à pied, je tiens à rester en vie. Mais merci pour la
flaque d’eau, le changement de roue, ce trajet tout en douceur et cette discussion
très enrichissante, répliqué-je ironiquement, un faux sourire sur mes traits.
Elle me regarde en plissant ses petits yeux incroyables. Un vert pailleté aux
reflets doré et caramel. Je n’avais jamais vu une telle couleur auparavant. Bien
qu’elle soit complètement givrée, elle ne semble pas être bête pour autant. Ainsi,
elle perçoit parfaitement le sarcasme dans ma voix. Sans prévenir, elle donne un
énième coup de volant pour entrer sur un parking.
Elle pile, puis se baisse sur moi pour attraper la poignée de ma porte qu’elle
ouvre avec fracas.
Dès lors, mes yeux se perdent sur elle, sur cette femme hors du commun, et c’est
seulement maintenant que je la vois. D’une beauté ravageuse qui ne laisse aucun
homme indifférent. Ce constat attise d’autant plus mes nerfs à présent réceptifs et
ô combien sensibles ! Mais comment n’ai-je pas pu le remarquer avant ?
— Oh ! Le cleps !
— Jack !
On ne me l’avait encore jamais faite celle-là. Elle a cru que j’avais quatre-vingts
piges ou quoi ?
Cette connasse explose de rire. Bon, c’est vrai que, niveau attitude, je suis loin
de lui ressembler.
Jack
— La vache ! T’es dans un état ! Qu’est-ce qui t’est arrivé ? m’interroge Mark
lorsque je passe les portes de la brigade pour me rendre dans mon bureau.
— Bah, raconte ! me balance-t-il alors qu’il pose son cul à deux centimètres de mon
clavier, un grand sourire sur les lèvres. C’est Charlotte, c’est ça ?
— Euuuh, tu m’expliques comment elle a réussi son coup. Tu mesures pas loin d’un
mètre quatre-vingt-dix et pèses pas moins de quatre-vingt-quinze kilos de muscles,
alors je la vois difficilement te foutre dehors.
— Qui est ?
— Que du cul entre nous ! Elle commençait à me parler d’exclusivité, tout ça, tout
ça, j’ai mis le holà !
— Ah bah tu l’as tellement bien mis qu’elle aussi elle te l’a mis le holà, se marre
mon abruti de collègue.
— Charlotte ?
— Non ! La détraquée en Twingo ! Elle venait de crever ! J’ai dû changer son pneu
pour qu’on puisse repartir.
— Ouais, marre-toi ! En attendant, j’ai risqué ma vie, moi ! Cette nana, c’est la
plus cinglée de toutes !
— Ah oui, en effet !
— Une folle, je te dis ! Moi aussi, j’ai failli crever, je te jure ! Comme sa putain
de roue !
— Nooon ! Ça ne va pas ou quoi ? Même pas j’y touche à celle-là ! J’ai déjà assez de
Charlotte sur le dos, sans parler de toutes les autres.
— Tu veux qu’on aille l’embarquer ? On peut la coffrer avec tout ce que tu dis.
Il a raison, mais ses yeux emplis de larmes lorsque j’ai découvert sa mystérieuse
liste m’en empêchent. J’avoue, elle m’a fait de la peine.
Mon collègue acquiesce et sans plus attendre, je me dirige vers les sanitaires. Je
me lave et à peine quelques minutes plus tard, j’ai déjà revêtu ma tenue du PSIG
Sabre : Peloton de Surveillance et d’Intervention de la Gendarmerie. Cette unité
d’élite a pour objectif de faire régner l’ordre public et de protéger les personnes
et les biens contre les menaces terroristes ou criminelles. Nous sommes formés pour
agir et gérer des situations de crise et nos missions sont diverses. Cela peut
aller de l’assistance aux forces de police locales, à l’investigation de recherche
d’individus ou de preuves liées à des actes répréhensibles. De la même façon, nous
pouvons être amenés à patrouiller dans les rues et sur les autoroutes et bien sûr à
appréhender des suspects. Par ailleurs, nous participons à des opérations de
surveillance et de contrôle des foules lors d’évènements sportifs, rassemblements
politiques, ou encore culturels. Nous sommes outillés de matériels et d’armes
spécifiques, et nos tenues de dotations sont de couleur bleu nuit. Nous sommes
munis d’un pistolet semi-automatique de la marque Sig Sauer au ceinturon, mais nous
avons également d’autres armes en dotation collective : des tasers 7, des
flashballs LBD40, des pistolets mitrailleurs HKU MP9 et des fusils d’assaut HK G36.
Nous pouvons être pourvus d’un casque de protection, d’un bouclier tactique et d’un
bâton télescopique. En réalité, le choix de nos armes, de notre équipement et des
véhicules variera en fonction de la mission et des besoins qui en découleront. De
la même manière, nous devons détenir une condition physique à toute épreuve,
puisque nous sommes bien souvent amenés à courir sur de longues distances avec tout
notre attirail. Requérir d’excellentes aptitudes à la communication est par
ailleurs indispensable dans le cadre de notre métier. Le but étant de pouvoir
interagir au mieux avec la population. La mention Sabre a, quant à elle, été créée
après les attentats qui se sont déroulés dans notre pays en 2015. Cela a permis à
certains PSIG de se voir attribuer du matériel supplémentaire, ainsi que des
entraînements spécifiques afin d’être mieux préparés pour répondre à la menace
terroriste. Nous nous efforçons donc chaque jour d’entretenir et de consolider nos
acquis dans le but de protéger davantage notre nation et ses habitants.
— Vous avez du nouveau ? lancé-je à mon équipe lorsque je la rejoins.
— Non, patron, on en est au point mort pour le moment, me répond un Sean découragé.
— Ne baissez pas votre vigilance ! Vous ne me le lâchez pas d’une semelle, c’est
clair ? J’exige un rapport détaillé de tous ses mouvements sans exception ! Il va
bien finir par faire un faux pas, et ce jour-là, on sera là pour le coffrer ! dis-
je avec énergie pour tenter de les rebooster.
Il n’y a jamais rien de facile lorsqu’une mission perdure sur plusieurs mois et
qu’il n’y a toujours rien à se mettre sous la dent.
Je continue de briefer mes gars et leur donne leur point d’affectation. Lorsqu’on
est tous okay, on grimpe dans nos véhicules et on se dirige vers le stade qui se
situe à seulement trois quarts d’heure de route de la brigade. Nous habitons à la
campagne, mais sommes quand même relativement proches de plusieurs grandes villes.
Deux équipes emblématiques dans l’univers du rugby vont s’affronter : France –
Nouvelle-Zélande. Autant vous dire que cette affiche déchaîne la foule et qu’il y
aura beaucoup de monde ce soir, même aux abords de l’établissement. Comme chaque
fois, nous allons devoir composer avec les vendeurs à la sauvette, les poivrots qui
cherchent la merde, les pickpockets, les spectateurs beaucoup trop envahissants,
les fans en colère… Et surtout, ne laisser personne de suspect entrer.
Lorsque nous approchons des lieux, je repère au loin une Twingo de couleur bleu
nuit, la même que celle de l’autre folle. Je réalise à cet instant précis qu’elle
m’a tellement chamboulé tout à l’heure que je n’ai même pas retenu sa plaque
d’immatriculation. Fait suffisamment rare pour être souligné, surtout après les
nombreuses infractions qu’elle a commises. Un microsourire point sur mes lèvres
sans que je puisse le retenir, mais je me ressaisis de suite quand nous arrivons
sur le parking. En tant que commandant de peloton, je dirige mon équipe. Je suis
donc forcément en retrait par rapport à mes hommes qui ont plus souvent les mains
dans le cambouis. Néanmoins, dès que j’en ai l’occasion, je les rejoins sur le
terrain. Nous nous garons, puis nous nous dispersons en trinôme pour rejoindre les
différents points d’accès et établissons un contact avec les autorités déjà en
place. Dès lors, nous commençons à effectuer des rondes à proximité de la zone.
Nous quadrillons le périmètre en quête du moindre signe douteux, d’une attitude
étrange, d’un comportement inhabituel.
— Mais lâchez-moi, bon sang ! Je vous dis que ce n’est pas moi ! hurle soudain une
voix que je reconnais immédiatement.
Putain de merde !
— Enfin, madame ! Arrêtez de nous prendre pour des cons ! Vous avez des résidus de
peinture sur les doigts ! proteste le collègue d’une autre brigade.
— Allez, hop, je vous coffre pour outrage à agent. Vous allez passer la nuit en
cellule, ça ne va pas vous faire de mal !
— Tout de suite ! Outrage à agent ! Vous êtes bien comme tous vos camarades… des
enfoirés de première ! Aaaaah, je me sens mieux d’un coup, au moins vous allez
m’embarquer pour une vraie raison !
— Dégrader en taguant un mur de l’établissement, ce n’en était pas une selon vous ?
— Cette jeune femme s’est amusée à taguer le mur de l’entrée B. On l’a prise en
flagrant délit, mon commandant.
Je garde mon calme, mais intérieurement, je pouffe comme un con, ce qui est
clairement un exploit lorsqu’on me connaît. Sérieux, je radote, mais qui est cette
fille ? Je me ressaisis, puis me retourne, tout en arborant un regard sombre et peu
avenant.
— Ça peut aussi être PSychopathe très Irrité et hyper Glauque, du style à découper
les gens en morceaux…
La petite brune plisse ses beaux yeux verts et me détaille. Je ne peux m’empêcher
de repenser à sa fameuse liste et ses différents objectifs. Évidemment, deux
d’entre eux me reviennent en mémoire : coucher avec un inconnu et se taper un mec
en uniforme. Tout d’un coup, l’idée de lui rendre service et de la baiser à même la
plage me paraît une proposition somme toute envisageable.
— C’est commandant Barrow, grogné-je pour tenter de me faire respecter par cette
cinglée.
Néanmoins, une petite voix intérieure me souffle à l’oreille que c’est peine
perdue, que je ne parviendrai pas à canaliser cette folle furieuse. Je le sais au
plus profond de moi, surtout lorsque je détecte cette lueur au cœur de ses iris
scintillants.
— C’est une blague ? Vous vous foutez de moi ? commence-t-elle, les yeux embués.
— Donc vous vous appelez Jack Barrow ? m’interroge-t-elle complètement hilare cette
fois-ci.
— Allez, ça suffit, je prends le relais, dis-je à mon collègue qui ne proteste pas.
— La pâle copie a de quoi vous faire passer la nuit au chaud, alors si vous ne
voulez pas aggraver votre cas, je vous conseille de la boucler !
Elle ronchonne, mais se laisse faire. Comme dans sa voiture tout à l’heure, son
parfum vient une nouvelle fois me tourmenter. C’est dingue ce qu’elle peut sentir
bon. Une douce odeur gourmande qui attise mes sens et réveille ma libido.
Une fois devant le véhicule, je lui demande de monter à l’arrière. Je lui ouvre la
porte pour qu’elle s’installe, toujours menottée.
— Pardon ?
— Vous m’avez très bien entendu. C’est pourtant simple comme question. Qu’est-ce
que vous avez tagué sur ce mur ? répété-je, le timbre sévère.
— Fkdcn la pdjdv… baragouine-t-elle en se triturant les doigts.
— Si on m’avait dit un jour que j’allais grimper dans le Black Pearl[4] ! réagit-
elle avec insolence.
Mon visage est à deux doigts de se blottir dans son cou, mes lèvres à quelques
millimètres à peine de sa peau. Ma langue rêve de parcourir sa nuque. J’ai envie de
la bouffer, putain ! Sa respiration est elle aussi hachée. Néanmoins, son haleine a
le mérite de me rappeler à l’ordre.
Je trouve enfin le trou, même si ce n’est pas celui que j’aimerais fourrer en cet
instant précis…
— Vous avez bu ?
— Qu’une seule ?
J’ai des doutes, ses yeux brillent un peu plus que la moyenne. Après, c’est vrai
qu’elle marche et s’exprime correctement. Et concernant son comportement, rien
d’anormal non plus. Enfin, anormal… on se comprend… Toutefois, il subsiste une
légère euphorie qui me permet de dire qu’elle ne supporte pas du tout l’alcool.
— Je veux contrôler votre taux d’alcoolémie. Je n’aime pas me répéter alors mettez-
moi ça dans votre bouche !
Des images de ma queue épaisse et dure s’enfonçant entre ses lèvres insolentes me
viennent subitement par flashs. Je cligne des paupières, comme pour reprendre mes
esprits, mais en vain. Ma bite tressaute et je n’ai qu’une envie : repositionner
mon érection douloureuse. Elle me nargue, me provoque tout en s’exécutant. Je le
vois dans ses yeux.
— Souffle… murmuré-je, la voix rauque. Encore…
— 0,24 mg…
Elle me tend ses bras et l’espace d’un instant, je m’interroge sur sa santé
mentale. Croit-elle réellement que je vais la laisser partir ? J’émets un rire
bref, et l’ignore tout en refermant la porte de la voiture. Je m’installe côté
conducteur et tente de ne pas croiser son regard dans le rétroviseur, persuadé
qu’elle me fusille sur place.
— Qu’est-ce que vous faites ? Vous n’avez pas le droit ! Je ne suis pas bourrée !
— En effet, mais vous avez été prise en flagrant délit de vandalisme auquel
s’ajoute un outrage à agent. Sans compter toutes les infractions au code de la
route que vous avez commises en ma présence.
— Quoi ? Non, mais c’est dégueulasse !!! Je ne savais pas !!! Vous auriez pu me le
dire !
— Mais bien sûr, ça va être de ma faute maintenant si vous êtes une vraie calamité
au volant ? Et puis, si je me souviens bien, vous avez bien dit qu’on avait tous de
bonnes têtes de bite, n’est-ce pas ?
— Oh non… il ne pourra jamais être plus grave que ce qu’il a déjà été… murmure-t-
elle finalement en fixant son regard vers l’extérieur.
J’ignore ce qu’elle veut dire, mais son changement d’intonation me fait l’effet
d’une douche froide. Cette fille est insaisissable. Je ne parviens pas à la
décrypter. Un coup, elle débite des inepties, la fois d’après, elle semble porter
un poids bien trop lourd sur ses épaules. Dans ces moments, je n’ai qu’une volonté,
percer à jour les mystères qui l’entourent, aussi insolente et horripilante soit-
elle.
Chapitre 4
Faustine
Un poulet, sérieux ? Je suis certaine que quelqu’un m’en veut là-haut, ce n’est pas
possible autrement. C’est qu’il est déterminé en plus, cet enfoiré !
— Dites, à tout hasard, je sais que ça n’a rien à voir avec Pirate des Caraïbes,
mais est-ce qu’il y a aussi un Capitaine Crochet au sein de votre service ?
— Bah c’est bien dommage ! En même temps, si c’était le cas, vous n’en feriez
assurément pas partie !
— Vous n’en avez pas marre de débiter des âneries à la seconde ? râle-t-il tout en
entrant sur le parking de la brigade après quarante-cinq minutes interminables de
route.
J’aimerais bien lui rabattre son caquet, mais je m’abstiens de tout commentaire. Je
n’ai pas envie de m’éterniser ici. Il se gare, puis ouvre ma portière. À nouveau,
il se penche pour défaire ma ceinture de sécurité. Je lui facilite l’accès tout en
levant les bras en l’air. J’espère qu’il va aller plus vite que pour me la mettre,
et je parle bien de la ceinture. Sa putain d’odeur de mâle viril vient titiller mes
narines beaucoup trop sensibles à mon goût. Comment peut-on être aussi con et
sentir aussi bon ? Je vous le demande, bon sang ! Ivre de cette fragrance
aphrodisiaque, je ne bouge plus du tout. Pour tout dire, je ne respire même plus.
Je me concentre et attends qu’il se barre de là. Malheureusement, sa proximité
m’étourdit. La chaleur de son corps me rend dingue. Je craque et, contre toute
attente, je me prends pour Jackie Chan. J’attrape sa tête en passant mes mains
menottées autour de son cou. Je l’encercle de toutes mes forces. Il se débat,
forcément. Il gagne, évidemment.
— Vous êtes complètement cinglée, ma parole ! Je vous signale qu’on ne joue pas,
là ! J’aurais pu vous blesser ou même vous tirer dessus !
— Mais vous ne l’avez pas fait. Si j’étais vous, je ferais un peu moins dans les
sentiments la prochaine fois que vous coffrez quelqu’un, car ça pourrait vous
coûter cher.
— Vous me fatiguez, maintenant taisez-vous et avancez.
Un sourire insolent sur les lèvres, je me lève et le frôle quand je passe devant
lui. Il marche derrière moi, je ne le vois pas, mais je sens le poids de son
attention posé sur mon dos. J’ai des bouffées de chaleur, mon sang en ébullition.
Ce type me met dans tous mes états. Je progresse sans jamais regarder en arrière.
C’est seulement lorsque je parviens au premier sas d’entrée, que je réalise dans
quoi je me suis fourrée. Effectivement, je ne rigole plus, la situation est bien
réelle. L’autostoppeur maudit déverrouille chaque accès, puis m’emmène avec lui je
ne sais où. J’ai l’impression de rentrer chez KFC tant ça grouille de flics ici. De
vrais nuggets ambulants. Je vais faire une crise d’angoisse, je dois agir et vite.
On traverse un couloir, je me fige et me retourne pour lui faire face.
— Vous avez déjà fait quelque chose de complètement fou, commandant Barrow ?
susurré-je telle une diabolique tentatrice.
— Cessez votre manège, je vous prie. J’ai bien observé comment vous avez endormi
mon collègue lorsqu’il vous a arrêtée. Ça ne marche pas avec moi, votre petit jeu.
— Sous prétexte que vous êtes déguisé en chapon, vous pensez que je souhaite
coucher avec vous ? riposté-je en éclatant tout bonnement de rire. Jamais de la
vie ! Regardez-vous, on dirait une bonne grosse volaille coincée du croupion,
élevée en plein air et engoncée dans un costume ridicule ! Quand je songeais
uniforme, je visualisais plutôt un pompier, un militaire… je ne parlais pas d’un…
d’un poulet !
— Oh si ! Vous l’êtes !
— Non !
— Libérez-moi…
— Vous avez une grande gueule, Barrow, mais visiblement rien dans le slibard, sinon
vous auriez accepté de me laisser partir.
Contre toute attente, après plusieurs secondes, ce dernier détache mes menottes,
puis me foudroie du regard.
— Je ne veux plus jamais vous revoir, c’est clair ! Barrez-vous avant que je ne
change d’avis ! Et je vous ai déjà dit que je mettais des boxers et non des slips,
bordel de merde !!!
— Oui, chef ! À vos ordres, chef ! Tout de suite, chef ! débité-je comme une fusée,
tout en portant une main sur mon front et en joignant mes pieds en guise de salut
militaire.
Je pouffe, et n’attends pas qu’il revienne sur ses propos. Je me tire d’ici comme
si j’avais le feu au cul. Une fois dehors, je peux à nouveau respirer correctement
et m’empresse de contacter Lizzie.
— Ma poule ! Tout va bien ?! s’alerte-t-elle dès la première tonalité.
— Et tes parents, Seigneur ! Ton père m’aurait trucidée sur la place publique !
— Ça va, détends-toi ! Tout va bien ! J’ai trente ans, je te rappelle ! Et puis, les
flics viennent de me relâcher !
Je raccroche aussitôt, car je sais très bien ce qu’elle va me dire et je n’ai pas
envie de l’écouter. Léo, c’est… Léo, mon Léo. Rien ni personne ne pourra un jour le
remplacer. Nous avons tout traversé ensemble, soudés main dans la main. Le lien qui
nous unit est tout simplement indéfectible.
Chapitre 5
Faustine
— Ma puce, fais attention à toi, s’il te plaît… me supplie mon paternel à l’autre
bout du fil, et ce malgré l’heure très matinale. Une semaine, c’est long…
— Papa… soupiré-je, j’ai fait attention à moi toute ma vie. Laisse-moi juste…
respirer…
— Nous aussi !
Je raccroche et soupire, Léo n’est pas arrivé et surtout, il n’arrivera pas. Ça y
est, je culpabilise déjà. Je suis horrible de faire subir ça à mes parents, mais
j’étouffe, j’ai besoin d’air, juste le temps de quelques jours. Je déteste leur
raconter des salades, mais c’est pour leur bien, rien d’autre. Le simple fait que
je m’active un peu trop ou que j’élève la voix les tétanise, alors prendre la route
et m’absenter une semaine entière, n’en parlons même pas. Je chasse ce sentiment
désagréable qui me cisaille la poitrine à l’idée de leur mentir. Afin de les
rassurer, je leur ai dit que mon ami allait m’emmener, mais pas du tout. J’attrape
mes clés et ma valise, ferme la porte de mon appartement, puis me rends jusqu’à ma
titine. Après mon arrestation l’autre jour, Léo a pu me ramener au stade.
Évidemment, le match était terminé, mais on a profité d’une troisième mi-temps en
bonne et due forme : un verre en terrasse avec mes meilleurs amis, Lizzie, Jade et
bien sûr Léo. On a partagé un très bon moment et surtout on s’est bien marrés. À
vrai dire, comme toujours avec eux. Notre amitié remonte déjà à quelques années
maintenant. D’abord Léo, puisque nous partagions la même chambre à l’hôpital. Puis,
bien plus tard, Lizzie et Jade sont rentrées dans nos vies. Elles étaient nos
infirmières, l’une de jour, l’autre de nuit. Elles entamaient leur parcours
professionnel, avec un bel avenir devant elles, tandis que nous, nous étions à nous
interroger sur le temps qui nous était imparti.
— Comme sur des roulettes ! En plus, ils annoncent un temps magnifique ! Vous allez
être contente !
— Comme vous, mademoiselle Keller ! Je sais que le soleil vous motive et vous
inspire ! J’ai hâte de découvrir ce que vous nous concocterez aujourd’hui !
— Vous êtes un petit filou, Martin ! Me complimenter pour tenter de me tirer les
vers du nez, c’est malin ! Mais ça ne prend pas avec moi ! répliqué-je en riant.
— Bon, bah, j’aurai essayé, me répond-il, résigné, mais malgré tout un grand
sourire sur les lèvres.
Ce gamin est un bon gars. Je n’ai pas pour habitude de faire ami-ami avec mon
personnel, mais Antoine est mon exception. Nous avons un truc en commun lui et moi.
Je sais qu’il n’a pas eu une enfance facile, alors ça me tient à cœur d’être là
pour lui aujourd’hui.
— Tu es prêt ? On y va ?
Son entrain me fait chaud au cœur. Il respire la joie de vivre, ce gosse ! C’est
réellement un bonheur de le former au quotidien.
— Non, pas du tout. C’est secret défense. J’ai tenté de glaner quelques
informations auprès des collègues, mais ils ne sont au courant de rien non plus.
Étrange…
Chapitre 6
Faustine
De retour dans la cuisine, nous rangeons nos courses, puis nous nous affairons
rapidement à la préparation du déjeuner. Comme je suis une patronne plutôt cool,
nous travaillons en musique. Mon équipe adore et moi aussi. Je distille les
différentes missions à chacun et commence à émincer les oignons qui me serviront
pour le futur plat. Un bon chef de brigade doit pouvoir s’adapter à sa clientèle,
quel que soit l’établissement. Il doit avoir une certaine autorité afin de mener
correctement son groupe. Je pense pouvoir affirmer que je détiens une poigne de fer
dans un gant de velours. À mes yeux, il est indispensable que mes collaborateurs se
sentent en confiance. Ainsi, ils se montreront investis et ils donneront le
meilleur d’eux-mêmes. Mais cela ne suffit malheureusement pas. Il faut également
être super bien organisé, et surtout, savoir gérer le stress d’un service intense.
Posséder un sens de l’observation hors pair, faire preuve de ténacité, être rapide,
soigneux, agile et précis, sérieux et concentré. Et bien entendu, maîtriser les
différentes techniques de cuisson et de dressage. Aussi loin que je me souvienne,
j’ai toujours cuisiné. C’est bien le seul truc que mes parents me laissaient faire.
Enfin, pas au début, je le faisais en cachette. Forcément, je me suis vite fait
griller. Après de nombreuses disputes, ils ont fini par craquer. Alors, quand je
n’étais pas à l’hôpital ou au fond de mon lit, je m’évadais en confectionnant mille
et une recettes. Rapidement, c’est devenu une véritable passion. D’après mon
entourage, j’ai un don. Je ne sais pas si c’est le cas, mais ma clientèle me le
rend bien. Ma réputation n’est plus à faire, et j’ai obtenu celle-ci dans un laps
de temps relativement court. Il y a un an j’étais sur le point de crever.
Aujourd’hui, le monde s’ouvre à moi. Le champ des possibles aussi, et je compte
bien ne pas le laisser filer.
Le gravier de l’allée roule sous les pneus d’une voiture. Je dirais même plusieurs,
vu le bruit. Je suis tout excitée ! Je délaisse le temps d’une seconde les oignons
qui rissolent pour aller jeter un œil par la fenêtre. Ma mâchoire manque de se
décrocher.
Mon commis hausse les épaules, il n’en sait pas plus que moi. Je suis toujours en
train de faire ma commère quand une odeur de cramé vient m’agresser les narines.
Oui, je peux aussi être vulgaire. Personne n’est parfait, hein… J’attrape ma poêle
et la glisse sous l’eau pour la refroidir. Je la laisse tremper dans l’évier pour
décoller la garniture carbonisée. Je n’ai plus qu’à recommencer. En quelques
minutes, mes nouveaux oignons frémissent gentiment dans ma casserole. Je songe aux
flics que j’ai vus arriver au domaine. Qu’est-ce qu’ils font là ? Je ferme les yeux
et l’espace d’un court instant, mon autostoppeur surgit sur mes rétines. Son regard
d’acier me tourmente depuis le jour de notre rencontre. Tous les soirs, chaque fois
que mes paupières cillent sous la fatigue, il me hante jusqu’à ce que je sombre
dans les bras de Morphée. C’est n’importe quoi. Ce mec est un vrai con. Certes, il
m’a libérée, mais parce que je l’ai piqué dans son orgueil de mâle alpha ! Voilà
pourquoi il m’a laissée partir, sinon il m’aurait gardée avec lui. Néanmoins, il a
beau m’agacer au plus haut point, à ses côtés, et ce pour une raison inexpliquée,
je me suis sentie vivante. Toutes ces émotions qui bouillonnent à l’intérieur de
moi, qui grondent sous ma poitrine… Je n’ai jamais ressenti une telle chose.
— Oui ?
Je lis l’incompréhension dans les yeux de mon équipe, néanmoins ils ont
l’excellente idée de la boucler. Oui, je suis cool, mais un brin colérique de temps
en temps. Je me dirige vers le frigo et une fois devant, j’en extirpe les blancs de
poulet. Cinq minutes plus tard, je suis en train de défoncer mes escalopes à coup
de pilon. Bah quoi ? Il faut bien les écraser afin que je puisse placer la
garniture à l’intérieur et ensuite enrouler le tout. C’est un acte purement
professionnel. Une nouvelle fois, je sens le poids des regards sur moi, donc je me
fige et les dévisage sévèrement l’espace d’une seconde. Il n’en faut pas plus pour
que ma brigade se remette en mouvement et que ça grouille d’animation. Je préfère
ça.
— Je vous assure, il ne restait plus rien dans les assiettes ! Bien que je ne sois
pas dans le besoin, cette convention reste importante. Si tout se passe bien, elle
sera renouvelée tous les ans. L’entretien du château est très coûteux, et ce sont
des contrats comme celui-ci qui nous garantissent la maintenance et la
restauration.
— Oui, je comprends totalement. Je vais bien évidemment faire mon maximum pour leur
en mettre plein la vue. Enfin, les papilles plutôt, plaisanté-je.
Putain de merde…
Il me tend la main pour me saluer. Je rentre dans son jeu et loge ma paume au creux
de la sienne. Ce simple contact suffit à me court-circuiter les sens. Nos yeux ne
se quittent pas une seconde, j’ai l’impression que l’air ambiant crépite autour de
nous tant l’atmosphère est lourde.
— Ah là, là… Je vous prie de m’excuser, je reviens dès que je peux ! Faustine, en
attendant mon retour, vous n’avez qu’à profiter de la réunion d’introduction et de
la présentation du programme. Jeune homme, j’espère que vous me dérangez pour une
bonne raison ! grogne-t-il à l’attention de son salarié.
Il est sérieux ? Je n’ai pas envie de rester là, moi ! Pour quoi faire ???
— Vous vous moquez de moi ? C’est l’hôpital qui se fout de la charité ! Qui était
sur ma route en train de faire du stop ? Vous ! Qui est venu m’emmerder alors que je
discutais tranquillement avec l’un de vos camarades ? Vous ! Qui est à présent sur
mon lieu de travail ? Vous, vous, vous, vous et encore vous !!! chuchoté-je, hyper
remontée. Vous êtes pire qu’un putain de chewing-gum collé sous ma grolle !
— Vous avez publié votre annonce ? me chuchote mon voisin au creux de l’oreille.
— « Grosse coquine en chaleur cherche bel étalon bien membré et endurant pour se
faire déboîter les petites pattes arrières sur la plage », me souffle-t-il tout en
gardant son sérieux.
— Parce que vous en avez beaucoup d’autres comme celle-là ? grogne-t-il à présent,
les traits durcis.
— Bien sûr, j’en ai tout un tas en stock ! Celle que je préfère c’est : « Petite
chatte docile et asséchée à la recherche désespérée d’une bonne grosse teub bien
juteuse. Quelqu’un pour lui venir en aide et l’hydrater ? », répliqué-je en tentant
de contenir l’énorme fou rire qui menace de s’extirper de ma bouche.
C’est difficile, je vous assure, vous verriez sa tête. Mais finalement, mon envie
de rire s’évapore quand je constate que mon voisin gigote sur sa chaise et qu’il a
besoin de tirer sur son pantalon. Son geste est discret, mais il ne m’a pas
échappé. Forcément, je ne peux pas m’empêcher de jeter un œil curieux. La bosse qui
déforme le tissu de son treillis me donne soudain très chaud, trop chaud.
Nom de Dieu !
Tout de suite.
Chapitre 7
Faustine
— Négatif… grogne-t-il en s’avançant sur la table pour y planter ses coudes dans le
but de m’ignorer.
— Vous saviez que le coq perd son pénis en même temps qu’il se développe ? Paraît-
il que l’absence de phallus leur faciliterait la reproduction avec la poule…
Je le titille, mais je n’obtiens aucune réponse. Message reçu, c’est très bien
comme ça. Moi qui pensais passer une petite semaine tranquille à travailler dans un
cadre idyllique, c’est loupé. Je me renfrogne sur ma chaise et mâchouille
nerveusement mon stylo. J’attends désespérément le retour de Christian, alias
monsieur Berthou, qui semble m’avoir oubliée. Du coup, pour m’occuper, j’observe le
paysage à travers la fenêtre. Comme lorsque j’étais à l’hôpital ou dans ma propre
chambre sans pouvoir sortir. Je compte le nombre d’arbres, contemple les nuages et
tente de repérer des formes d’animaux dans le ciel. J’écoute le chant des oiseaux
et m’efforce de deviner le sens du vent. Je sens parfois le regard de mon voisin
sur moi, mais je parviens à l’occulter. Je suis la reine également à ce jeu-là.
Faire en sorte de me voiler la face, de balayer sous le tapis mes problèmes.
Pendant des années, j’ai dû lutter contre un ennemi invisible, cohabiter avec lui.
Rien ni personne ne pourra comprendre ce que j’ai vécu mis à part quelqu’un au
passé similaire.
Comment continuer à respirer quand tu sais que tes jours sont comptés ?
Aucun parent n’est capable de t’apprendre une telle chose. Donc tu avances et tu te
débrouilles comme tu peux, avec les moyens du bord. Dès mon plus jeune âge, j’ai
compris que j’allais rejoindre les étoiles. Pendant que mes copains d’école se
chamaillaient pour des bêtises, moi je me battais pour survivre, pour affronter et
retarder une mort pourtant inéluctable. Chaque anniversaire était une victoire, un
pied de nez à ma maladie. Mais c’était également un rappel constant de mon
échéance. On le célébrait comme si on avait gagné quelque chose, du temps,
j’imagine… Puis on le pleurait, car cela signifiait que j’effectuais un pas de plus
dans ma tombe. Le jour de mes dix-huit ans, alors que j’allais être hospitalisée
pour la énième fois, j’ai obligé mes proches à réaliser un détour. Nous nous sommes
rendus dans un magasin. Pas n’importe lequel. Une entreprise funéraire. C’était
important pour moi. Dès lors j’ai pu choisir l’essence de mon cercueil, la matière
du capiton, la couleur du linceul, l’épitaphe, ma stèle et bien d’autres choses
encore. Ça peut vous sembler lugubre, mais au contraire. Cela m’a fait un bien fou
d’être aux côtés de mon père et de ma mère durant cette épreuve. Je me suis même
permis deux ou trois vannes à la Faustine, j’ai cru que le croque-mort allait avoir
une attaque. Mes parents ont explosé de rire et moi aussi. Malgré l’aspect très
glauque de la situation, j’en garde un agréable souvenir. Bon, c’est vrai, j’aurais
préféré faire du shopping à la place, mais j’avais clairement d’autres priorités.
— Je pense que vous avez bien mérité une petite pause. On se retrouve ici dans
quinze minutes ! annonce l’intervenant.
Alléluia !!!
C’est la chose la plus sensée et la plus intelligente qu’il ait dite de tout
l’après-midi, celui-là ! Je vais enfin pouvoir me barrer d’ici discrètement, sans
me faire remarquer par tout le monde. J’amorce donc une tentative d’évasion, quand
un abruti m’interpelle.
— Cheffe Keller ?
— Oui ?
— Merci beaucoup. Je suis ravie que mon plat ait su ravir vos papilles gustatives,
réponds-je d’un ton doucereux.
— Je dois justement y aller si je veux vous préparer quelque chose de sympa pour ce
soir, dis-je pour m’en débarrasser gentiment.
Dans ma fuite, je n’ai même pas prêté attention à Johnny. J’avoue, ça me perturbe
qu’il soit là, pas loin. Sa présence me chamboule. Néanmoins, il est indispensable
que je me le sorte de la tête. Je ne peux pas pactiser avec l’ennemi. Je m’apprête
à crier victoire lorsque je parviens devant les portes de ma cuisine, mais je suis
une nouvelle fois arrêtée dans mon élan.
— Faustine !
— Par ailleurs, puisqu’ils vont avoir besoin d’aide pour quelques-uns de leurs
exercices et comme je sais qu’en dehors de vos services, vous avez un peu de temps
libre, je leur ai dit pouvoir compter sur vous.
— Allons, allons, vous trouverez bien le temps de faire tout ça. J’ai confiance en
vous ! Maintenant je dois vous abandonner, ce n’est pas de tout repos d’être le
propriétaire de ce bijou ! À ce soir, épatez-nous, cheffe Keller !
Médusée, je le regarde prendre la fuite à son tour. Il ne m’a même pas laissé la
possibilité de répliquer ! En même temps, je ne suis pas vraiment en mesure de
refuser. Monsieur Berthou est celui qui m’a donné une chance à l’époque, qui m’a
permis de devenir cette cheffe de renom aujourd’hui. Je lui dois tout. Je soupire,
résignée. Évidemment, mon combat interne n’échappe pas à mon ennemi.
— Cesse de faire ta maligne, ma grande, car on peut être deux à jouer à ce jeu-là,
et crois-moi, tu n’es pas prête… me murmure-t-il à l’oreille, le timbre rocailleux.
Chapitre 8
Jack
— Non, non, pas du tout… tout va bien… dis-je, l’esprit ailleurs malgré tout.
— Ooooh, on dirait bien que j’ai touché une corde sensible, me charrie-t-il.
— Pas du tout, rétorqué-je, conscient de ne pas être crédible pour deux sous.
— Prends-moi pour un con, Jack… profite plutôt de ce super repas ! C’est délicieux !
Je fais style de m’en carrer bien profond, alors que putain, non ! C’est tout le
contraire ! Je déteste qu’il parle d’elle ainsi ! Et surtout, j’abhorre le fait
qu’il ait pu poser son regard sur ses courbes magnifiques et plantureuses.
— Dites, les gars, vous aussi vous trouvez Keller fade et insipide ? interroge-t-il
nos autres collègues présents autour de la table.
— Il faut vraiment avoir de la merde dans les yeux pour la trouver dégueulasse,
franchement. C’est une bombe, cette nana ! lui répond Sean.
— Je confirme ! Je ferais bien un détour par sa chambre cette nuit ! Si elle baise
aussi bien qu’elle fait la bouffe, je lui passe la bague au doigt direct ! ajoute
Steph.
Je ne donne pas cher de leur peau, là, tout de suite, maintenant. J’ai envie de les
buter !
— Vous vous écoutez parler, sans déconner ? Ce n’est pas un bout de viande, hein…
répliqué-je, sérieusement agacé.
Deux fois aujourd’hui que je l’entends celle-là, ils commencent tous à me faire
chier.
— C’est clair ! affirme Stephen. C’est le camembert qui dit au roquefort tu pues…
— Oui, c’est elle, lui répond le traître. Paraît-il qu’elle était canon, malgré son
état mental plus que discutable.
— C’est clair ! Et puis de toute façon, on ne lui demande pas de parler. Avec ta
queue dans sa bouche, le problème est réglé, analyse Sean.
— Des trucs de ouf ? répété-je, abasourdi par la tournure que prend notre
conversation.
— Ooooh ! Les gars, bordel ! Réveillez-vous ! Arrêtez de jouer les saintes nitouches,
hein ! Allez, pour la peine, j’ai une petite blague pour vous ! insiste Steph.
— Vous êtes prêts ? Attention, c’est parti : quelle est la différence entre un cul
et un fast-food ?
Emporté par les rires communicatifs de mes collègues et amis, je lâche enfin prise.
La suite du repas se poursuit donc dans la joie et la bonne humeur. Le sujet Keller
ne reviendra pas sur le tapis ni même celui de la folle à la Twingo. Néanmoins,
cela ne veut pas dire que je n’ai pas pensé à elle. C’est simple, dès que je
regardais mon assiette, je ne pouvais m’empêcher de songer à cette femme hors du
commun. Elle a de l’or entre les mains, cette fille. Le menu qu’elle nous a
concocté ce soir était encore grandiose. Un tel savoir-faire, un tel talent me
laisse pantois. Comment cette psychopathe du volant parvient-elle à réaliser de
telles prouesses culinaires ? Alors, je n’y connais rien en cuisine, mais du peu
que j’ai pu découvrir à la télévision dans des émissions comme Top-chef, Master
chef ou autre, il faut quand même être hyper organisé, rigoureux, consciencieux,
appliqué… Tout ce qu’elle n’est pas, enfin de ce que j’ai pu voir. Je crois. Je ne
sais plus du coup. Je suis paumé. Ses multiples facettes m’intriguent. J’ai eu le
droit à plusieurs reprises à son côté complètement déjanté. J’ai également eu le
droit à ses absences, ses regards perdus dans le vide. Parfois pensive, me laissant
entrapercevoir une faille, une fêlure qui s’exprime douloureusement sur les traits
de son visage. Puis, maintenant, la cheffe de brigade. C’est un sketch à elle toute
seule. En revanche, ce qui m’inquiète, c’est que plus le destin s’amuse à me la
foutre sur mon chemin, plus j’ai envie de la percer à jour. Et aussi de la coller
dans mon lit, soyons honnêtes trente secondes.
Heureux et libre !
Alors pourquoi je me retrouve seul comme un con en train de boire un verre entouré
d’inconnus qui font la fête ? Après le dîner, nous nous sommes tous souhaité une
bonne nuit. Chacun est reparti de son côté, direction sa piaule. Demain, une dure
journée nous attend, riche en informations et en interventions. Je les veux en
pleine forme pour valider tous leurs modules à la fin de la semaine, il est par
conséquent indispensable qu’ils se reposent. Moi ? Eh bien moi je suis le chef,
donc je fais ce que je veux. Après avoir erré dans les couloirs, et n’ayant aucune
envie d’aller m’enfermer dans ma chambre, je suis venu me morfondre au lounge-bar
du château. L’unique partie du domaine encore accessible au public puisqu’elle se
situe dans un autre bâtiment, un peu plus loin sur la propriété. Néanmoins, on
n’est jamais trop prudent, une équipe de protection est quand même venue en renfort
pour sécuriser les lieux et éviter un quelconque débordement ou incident. Je
n’avais bien entendu pas prévu de mettre les pieds ici, mais mon moral m’a conduit
jusque-là. Je n’ai aucune raison de faire la gueule, et pourtant, c’est le cas.
J’observe les nanas se trémousser au rythme de la musique en sirotant mon verre. Le
DJ a visiblement sorti la playlist des années 80 et je peux vous garantir qu’il
règne une ambiance de folie. Tous les âges sont représentés et wôw… c’est grave
flippant. Cela fait à peine un quart d’heure que je suis arrivé, que je me suis
déjà fait accoster trois fois, dont deux par des femmes d’un certain âge. L’une
d’entre elles m’a carrément proposé à l’oreille une pipe de velours. J’ai bien
entendu décliné gentiment son offre. Je viens de vérifier discrètement sur internet
en quoi consistait cette pratique. Elle voulait me sucer sans son dentier ! Je suis
à deux doigts de détaler comme un lapin quand mes yeux se perdent sur une
silhouette, et pas n’importe laquelle.
The silhouette.
Celle qui me tourmente et m’obsède depuis qu’elle a fait irruption dans mon
quotidien. Aussi surprenant soit-il, même pour vous, je n’ai plus du tout envie de
partir. Mon attention est comme aimantée, je ne peux lutter contre cette attraction
qui me pousse à la reluquer sournoisement. Bien que mon attitude soit déplacée,
j’en conviens, c’est plus fort que moi. Pourquoi faut-il qu’elle soit aussi
bandante ? Et pourquoi faut-il qu’elle ait un pète au casque ?
Le souffle suspendu, je la regarde avancer vers la piste, puis, comme si elle était
seule au monde, elle commence à se déhancher, les bras levés en l’air. Comme la
première fois que je l’ai vue sur le bord de cette route. Sous la pluie, elle
dansait, le visage resplendissant. De la même manière qu’en ce moment. J’ignore
comment vous définir ce qui se trame sous ma cage thoracique à cet instant précis,
mais c’est un véritable cataclysme. Ce qu’elle me fait ressentir me dépasse
totalement. Elle m’effraie, peut-être même plus que la vieille et sa pipe de
velours. Je bois une gorgée dans mon verre pour hydrater ma bouche à présent sèche.
Puis, je me redresse pour quitter cet endroit au plus vite, pour la fuir elle. A
priori, le sort s’acharne et le destin semble vouloir s’amuser encore un peu.
Tandis que Keller se déhanche à tout va sur « On va s’aimer » de Gilbert Montagné,
elle effectue soudain une brusque volte-face. À croire qu’on lui a soufflé ma
présence au creux de l’oreille ou bien qu’elle possède un sixième sens. Bordel,
c’est une vraie sorcière… La stupéfaction s’affiche alors sur ses traits, puis très
vite un sourire insolent annihile son étonnement tandis qu’elle continue de danser.
Et Seigneur, que j’ai envie de lui effacer cette fichue arrogance en l’embrassant à
ne plus pouvoir en respirer. La siphonnée du bocal cesse de se trémousser, puis
avance vers moi, au même rythme que Montagné qui braille :
« On va s’aimer
On va s’aimer
Je voudrais fuir, m’en aller loin, très loin d’ici, mais j’en suis tout bonnement
incapable. Je suis comme paralysé. Si ma raison me dicte de me barrer, mon cœur,
lui, semble en parfait désaccord. Son refus d’obtempérer est flagrant. Je pourrais
presque le foutre au trou rien que pour ça. Suis-je vraiment en train de parler de
mon enveloppe corporelle comme s’il s’agissait d’un individu à part entière que je
pourrais coffrer ? Okay, je déraille, rien ne va plus. Elle m’a grillé les
neurones, le cerveau, je ne sais pas quoi, mais ça ne va plus du tout. Je deviens
dingue. Plus elle s’approche de moi avec cette allure de guerrière que rien ni
personne ne peut atteindre, plus je sens que je vais exploser. Je durcis mes traits
encore plus que d’habitude, tentant vainement de garder le contrôle. Néanmoins,
nous savons vous et moi que ceci n’est qu’une façade. Reste plus qu’à faire en
sorte que l’autre folle ne se rende pas compte de l’étrange pouvoir qu’elle exerce
sur moi. Ça ne devrait pas être si compliqué…
Chapitre 9
Faustine
Mais qu’est-ce que je fous, bordel ?! Je suis attirée par lui comme une fichue
mouche sur une merde, nom de Dieu ! Je dois faire quelque chose ! Je marche dans sa
direction, d’une démarche que je veux conquérante. Néanmoins, à l’intérieur de moi
c’est le branle-bas de combat. Il braque sur moi ses yeux de serial killer, tandis
que son visage habituellement fermé affiche clairement une vive hostilité qui me
torpille l’estomac. Il n’a pas l’air ravi de me voir, ce connard. Eh bien, tant
mieux ! Moi aussi je suis dégoûtée. Je viens de finir mon service, j’avais juste
envie de danser un peu, de boire un petit verre tranquille avant d’aller me
pieuter. Mon cerveau tourne à plein régime, car je fonce droit sur lui, mais
j’ignore encore pour quel motif. Je crois que c’est mon corps qui a pris le
contrôle, qu’il n’en fait qu’à sa tête, et qu’il ne souhaite qu’une seule chose, se
faire méchamment culbuter par un poulet.
Impensable…
Et pas par n’importe lequel, hein ! Non, par le plus con de tous ! Le roi des
poulets ! Je ne regarderai plus jamais le crispy chicken cheese de chez Burger King
de la même façon ! Putain, c’était mon préféré ! Même ça, il a réussi à me le
gâcher, l’enfoiré ! Eh ouais, je suis cheffe cuistot et je kiffe les fast-foods, et
alors ? Une fois de temps en temps, ça n’a jamais fait de mal à personne. Quand
j’étais petite, mes parents me ramenaient une fois par semaine mon burger dans ma
chambre d’hôpital. Enfin, lorsque les médecins donnaient leur accord. Autant dire
que ce n’est pas arrivé assez souvent à mon goût. M’enfin, cela me remémore
d’excellents souvenirs. C’est peut-être pour cela que je m’autorise dans certains
cas ce genre d’écart. En attendant, ce n’est pas le tout, mais je dois trouver
quelque chose à dire, et ceci très rapidement, car je suis dorénavant face à lui.
Comme rien ne me vient, et que j’ai très soif, je ne réfléchis pas et m’empare du
verre qu’il tient dans sa main. Il me défie du regard, me jauge, m’interdit
silencieusement de le faire, mais c’est mal me connaître. Sans discuter, je pose
mes lèvres que je veux aguicheuses sur le contenant, puis j’avale d’une traite le
reste de sa boisson. Je m’attends à tousser, suffoquer, à cracher mes poumons, mais
rien de tout ça ne se produit.
Je m’attendais à tout sauf à ça. Je vais bien évidemment garder cet aveu pour moi
et continuer de l’emmerder. L’occasion est trop belle.
Hors de question que je couche avec ce type ! Je détourne mon attention rapidement
et tente de me ressaisir.
— Une coupe, Franck, s’il te plaît ! demandé-je en haussant la voix pour que mon
barman préféré m’entende.
— Beaucoup mieux depuis que tu es là, ma belle ! Ta journée s’est bien passée ?
continue-t-il sur sa lancée, faisant grincer des dents mon voisin.
Le clin d’œil qu’il me lance manque de me faire exploser de rire. Franck possède un
charme fou et il en est conscient. C’est d’ailleurs pour ça qu’il en joue beaucoup.
Nul doute qu’il ne doit pas s’ennuyer, celui-là. Quoique je ne suis pas certaine
que Christian l’autorise à baiser toutes les clientes du domaine. Il a raison, il
pourrait très bien m’aider à me distraire, à désamorcer toute cette tension qui
gronde en moi, qui bouillonne entre mes cuisses… Mais ai-je réellement envie de me
perdre dans son lit, dans ses bras ?
— Je ne vous ai pas sonné, Johnny. Continuez de boire votre jus d’orange et foutez-
moi la paix.
— Pourquoi pas ? Et puis, qu’est-ce que ça peut vous faire au juste ? Je ne vois pas
très bien en quoi ça vous concerne. Ce que je fais de mon cul ne regarde que moi.
Il fait mine de poser son verre vide sur le bar, mais il en profite pour me frôler.
Sa proximité me chamboule une nouvelle fois. La chaleur de son corps, l’odeur de
son gel douche, de son parfum, que sais-je encore, me rend dingue ! Ma respiration
devient laborieuse, je cherche mes mots qui restent bloqués dans ma gorge. Sans
prévenir, l’une de ses paumes effleure le bas de mon dos. C’est comme si je
recevais une décharge électrique. Des papillons par centaine se ruent au creux de
mon ventre alors que je pousse un putain de gémissement. Une sorte de plainte
ridicule, qui ne pourrait être plus explicite quant au désir qu’il éveille en moi.
Au secours !!!
Chapitre 10
Faustine
Après avoir rembarré Franky, et une fois dehors, l’air frais me revigore. J’ai
l’impression de pouvoir de nouveau respirer correctement. Il faisait une de ces
chaleurs dans ce bar ! Et rien à voir avec cet enfoiré de flic, hein ! D’ailleurs,
il y en a un qui fait bien de sortir également étant donné son état.
— Vous êtes tous que des petites bites !!! braille un homme qui titube
dangereusement.
Me situant sur son chemin, il me bouscule assez violemment pour tracer sa route. Je
râle tout en tentant de garder mon équilibre.
Je m’éloigne de lui aussi vite qu’il m’est possible de le faire. Il est le mal
incarné, le diable en personne. Et puis, qu’est-ce qu’il fout encore là, lui ?!
— Outch, ça, ça doit être douloureux… soufflé-je en grimaçant alors que j’observe
l’individu être rapidement interpellé par les mecs de la sécurité.
Le fameux Logan, et un certain Cole. Ils ne sont pas là pour rigoler, eux. Ils sont
d’ailleurs très sexy avec leur costume et leur oreillette. Johnny, quant à lui, ne
bouge pas d’un iota. Il se contente de me dévisager de son regard impénétrable.
— Bah quoi ? C’est la vérité, hein… Une queue c’est déjà pas toujours évident,
alors une centaine… Quoique, en y réfléchissant bien, une fois le passage fait, ça
doit glisser tout seul. Et puis, s’ils prennent son cul pour un juke-box et qu’ils
crachent tous dedans, ça doit devenir un vrai toboggan ! Venez parcourir la
nouvelle attraction phare : le « Big hole mountain », ou encore le « Space Ass ».
Sensations fortes garanties ! Pour aventurier aguerri, n’ayant pas peur du noir ni
même de salir ses outils d’explorateur !
Okay, je sais ce que vous vous dites… que je pars en live, que je déraille. Eh
bien, effectivement, vous avez totalement raison. Je disjoncte. Je dois m’enfuir à
tout prix de ce.. de ce…
Je suis à deux doigts de me jeter sur lui pour lui rouler la pelle du siècle.
D’enrouler mes jambes autour de son bassin et de frotter mon bas-ventre sur sa
queue comme le ferait un putain de chien en rut sur sa peluche préférée… Ouais,
vous vous demandez probablement ce que je raconte encore, mais c’est vrai ! Bobby,
le Jack Russel de mes parents, il faisait ça tout le temps ! Je n’avais plutôt pas
intérêt à laisser traîner mon doudou, c’est moi qui vous le dis ! Bref, je ne peux
donc pas laisser une telle chose se produire, n’est-ce pas ?
— Pardon ?
Et sans prévenir, sans plus réfléchir, je me mets à courir, courir… et rire aussi.
J’ignore pourquoi, mais je me sens si libre, si vivante. Je rigole à gorge
déployée, comme une putain de psychopathe alors que je traverse la propriété au pas
de course. C’est officiel, Sparrow[6] va finir par m’enfermer pour de bon. Si ce
n’est pas dans une cellule, ce sera chez les fous. C’est tout essoufflée et avec un
point de côté que j’arrive devant les portes du château. Les mains sur les hanches,
je tente de retrouver un semblant de normalité, une respiration somme toute
régulière. C’est compliqué. Je suis plus proche de ressembler à un gnou en pleine
crise d’hyperventilation, venant tout juste d’échapper à l’attaque mortelle d’un
gros félin. Entendez par gros félin, Johnny la supercherie. Est-ce que vous saviez
que le nom du gnou lui a été donné d’après le son de son cri ? Non ? Bah maintenant,
vous êtes au courant. Ces pauvres bêtes, qui se font également dévorer par les
crocodiles, poussent une espèce de beuglement grave qui fait « gnouuu ». Avouez,
vous aussi vous avez essayé de le prononcer dans votre tête…
Gnouuuuu !
Je prends une dernière grande inspiration, puis j’entre. Chaque fois, ça me fait le
même effet. L’architecture de cet édifice est incroyable. Tout au long de mon
enfance, quand je n’étais pas à l’hôpital, bien sûr, mes parents m’ont emmenée dans
ce domaine extraordinaire. Christian, me connaît donc depuis mon plus jeune âge.
Grâce à lui et sa gentillesse, j’ai visité chaque pièce, chaque recoin du château.
Petite, je m’amusais à explorer toutes les cachettes qu’un monument tel que celui-
ci peut recenser. À vrai dire, je me sens bien ici, comme chez moi. Les
températures sont fraîches, l’air humide me chatouille les narines, mais surtout il
y règne un climat chaleureux et convivial. Son propriétaire a réussi l’exploit de
remettre ce bâtiment historique au goût du jour. Les gens affluent pour découvrir
et redécouvrir ces murs et tous les secrets dont ils regorgent.
— Bonsoir ! dis-je de manière précipitée, sans même lui jeter un coup d’œil.
Je suis une connasse malpolie, mais tant pis. Je dois à tout prix me rendre dans ma
chambre. C’est une nécessité. Pour mon bien-être et ma santé mentale. Je trace donc
ma route et parviens jusqu’à celle-ci.
Alléluia !
Chapitre 11
Faustine
V’là ti pas que ça recommence ! Et cette fois-ci, je suis certaine que ce n’est pas
une simple hallucination, une sombre machination de mon esprit ! Non, c’est bien
réel. Le cœur tambour battant, je me dirige vers la porte. Néanmoins, je reste
prudente en la maintenant close. En théorie, le site est protégé par la société
LC.Secure. Cependant, on n’est jamais à l’abri d’un tour de passe-passe d’un
détraqué.
— Oui ? Qui est-ce ? demandé-je en m’efforçant de me montrer sûre de moi alors qu’au
fond je n’en mène pas large.
— Jack.
Pour une raison que j’ignore, mes lèvres s’étirent dans un lent et doux sourire.
— Ah…
Je ne m’attendais pas à ce qu’il rentre dans mon jeu. C’est le bordel sous mes
côtes, mon cœur se déchaîne et mon sang bouillonne dans mes veines. Quelle
condition ? Bah, j’en sais rien moi ! Mais pourquoi j’ai lâché ça ?
Aidez-moi !!!
— Keller… s’impatiente-t-il.
— Qu’est-ce que vous voulez, bon sang ? craché-je finalement en tirant brusquement
la porte.
Seigneur…
Qu’est-ce qu’il est beau, ce con… Ses cheveux en bataille et encore humides
m’indiquent qu’il sort probablement de la douche. L’idée qu’il l’ait prise en même
temps que moi me perturbe quelque peu… On aurait pu faire une économie d’eau en se
lavant tous les deux… Bah quoi ? Je songe juste à Christian et sa facture, hein !
Rien de plus ! En attendant, il sent terriblement bon. Un mélange subtil entre son
gel douche et son parfum. Entièrement vêtu de noir, il me chamboule beaucoup trop.
Ses bottes, son jean foncé qui moule ses cuisses que je devine musclées. Ses mains
gantées, son blouson lui conférant un petit côté rebelle, mauvais garçon… Enfin,
son regard d’acier me happe littéralement. Des iris gris et désarmants qui me
détaillent avec beaucoup trop d’insistance. Bouleversée par toutes ces émotions qui
s’entrechoquent sous ma cage thoracique, je resserre machinalement mon peignoir
autour de moi. Mais qu’est-ce qui m’a pris d’ouvrir dans cette tenue ?
— Allez vous habiller, on sort, m’ordonne-t-il alors que son attention est braquée
sur ma poitrine qui remonte et descend beaucoup trop vite.
Si je reste plantée là une seconde de plus, je vais faire une connerie. Je file
récupérer des affaires propres dans ma valise, puis me revêts précipitamment. Jack
est toujours dans le couloir, mais sait-on jamais ?! Je me coiffe rapidement,
abandonnant pour une fois mes chouchous colorés afin de laisser mes cheveux libres
comme l’air. C’est seulement lorsque j’ai terminé que je m’interroge sur ce que je
fabrique. C’est vrai quoi, il est super tard, je m’apprêtais à me coucher et je
suis maintenant parée comme si j’allais affronter une nouvelle journée. J’enfile
mon blouson, chausse une paire de converses et me voilà fin prête.
— Qu’est-ce qui me prouve que vous n’êtes toujours pas un psychopathe avide de
chair fraîche ?
Son ton sombre et rocailleux me donne des frissons. Il m’a balancé ça avec une
telle assurance que je ne bronche plus. Je reste un moment comme une imbécile à me
demander ce que je fous. Il ne se retourne même pas pour vérifier si je le suis.
Comme si c’était logique. Comme s’il ne pouvait en être autrement. Quel connard
imbu de sa personne ! Je peste, mais finis malgré tout par trottiner derrière lui
pour le rattraper.
— Mademoiselle, s’il vous plaît, puis-je récupérer les affaires que je vous ai
confiées ? lui demande le commandant sur un ton beaucoup trop charmant à mon goût.
— Oui, bien sûr, minaude-t-elle en lui tendant deux casques noirs qu’il attrape
immédiatement.
La pouffe glousse comme une vraie pintade. Elle me ferait presque de la peine tant
elle est ridicule.
— Mademoiselle ? Sérieux ? Elle doit avoir au moins cent cinquante ans ! lui balancé-
je, incapable de me contenir, lorsque nous nous éloignons.
— Pfff, alors là, pas du tout ! Vous pouvez farcir autant de dindes que vous le
souhaitez, hein… Quand bien même leur date limite de consommation est largement
dépassée…
Bien qu’il soit deux heures du matin, et que je ne connaisse pas cet homme, je me
sens étrangement en sécurité. Désormais à l’abri derrière le plexi opaque, je
m’octroie le droit de le détailler de manière très, très effrontée. Ses cuisses
enserrent avec vigueur sa bécane, me donnant tout à coup envie de me transformer en
un bon gros réservoir où il faudrait faire le plein, cela va de soi. Okay, je
déraille. Je me ressaisis, puis enfourche à mon tour l’engin. J’ignore où poser les
mains, je ne suis pas à l’aise, étonnamment timide. Mais alors quand Jack me les
attrape pour les placer autour de son ventre, c’est tout mon être qui s’embrase.
Intérieurement, je me liquéfie. Et pas qu’intérieurement si vous voyez ce que je
veux dire ! Juste ciel, je dois absolument cesser cet humour graveleux. N’empêche
que c’est vrai. Il me fait un effet de dingue et je sens clairement mon entrejambe
s’humidifier. C’est mort, je refuse de mouiller pour un poulet. Je ferme les yeux
et prends une grande inspiration. Je les ouvre à nouveau et m’efforce de recouvrer
un tant soit peu de bon sens. Mais c’est peine perdue. Il sent trop bon, et ainsi,
collée contre lui, son odeur s’infiltre encore plus sous ma peau. Quelques secondes
plus tard, le ronronnement d’un moteur vient briser avec fracas le silence de la
nuit. Mon cœur détone, faisant écho au rugissement du deux-roues. Galvanisée, je
n’ai plus qu’un seul souhait, qu’un seul désir, rouler et me laisser porter par cet
homme qui semble être né pour me désarmer. Sans un mot de sa part ni de la mienne,
nous commençons à avancer. À la fois terrorisée et surexcitée, je m’accroche
fermement à Jack. Il doit ressentir ma crainte, alors il plaque l’une de ses mains
sur la mienne. Il la recouvre de sa paume, puis me lance d’une voix ferme et
assurée :
— Fais-moi confiance.
Et c’est ainsi que je me laisse guider, transportée durant de longues minutes, mes
cheveux longs virevoltant au gré du vent. Chaque virage est une véritable bouffée
d’oxygène. Une renaissance. L’adrénaline qui court dans mes veines me transcende.
Je ne voudrais plus jamais redescendre de mon nuage. C’est trop bon. Je serre
vigoureusement mon chauffeur. C’est comme si nous ne faisions plus qu’un lui et
moi. Comme si nous ne faisions plus qu’un avec la moto, la route et le paysage qui
nous entoure. Mon passé se brouille, s’efface le temps de quelques secondes, au
profit d’un présent magique et salvateur. L’air frais fouette mes mains
frigorifiées. Je tente de dégourdir mes doigts gelés, mais mon geste ne passe pas
inaperçu. Jack soulève son blouson, son pull et son tee-shirt afin de les glisser
par-dessus mes phalanges. La chaleur qui parcourt mes extrémités me soulage. Sauf
qu’après ce réconfort, je prends conscience de la situation. Je n’ose plus bouger,
par peur de faire un mouvement déplacé. Cependant, le destin en a décidé autrement.
Ou mon chauffeur, je ne sais pas trop. Jack accélère, se penche un peu plus dans
les virages qu’auparavant. Mon souffle se coupe, je suis obligée de m’accrocher
fermement à lui. Mes doigts se déplient sur sa chair ferme, très ferme…
Bonté divine…
J’ai sans nul doute affaire à un poulet élevé en plein air. On est sur du label de
haute qualité. Bordel, mais c’est quoi ces tablettes de chocolat ?!! Revigorée, mes
barrières envolées, je palpe désormais la marchandise. J’y vais d’abord à tâtons,
puis franchement. Mes paumes recouvrent à présent son abdomen qui se contracte sur
mon passage, mon pouce caressant subtilement son épiderme. Son corps se tend, sa
cage thoracique se soulève frénétiquement. Je peux vous garantir que je n’ai plus
froid du tout… Aventureuse, je remonte délicatement, mon index effleurant l’un de
ses tétons. Ses pectoraux sont parfaitement bien dessinés, tout comme ses
abdominaux que je retrouve pour mon plus grand plaisir. Je soupire, puis pose la
tête contre son dos. Je ne regarde même plus le paysage, je me contente de la
proximité de Jack. De sa chaleur, de son odeur, de sa raid… Non, non, pas de sa
raideur. Mes doigts trouvent une fine ligne de poils qui me rend folle. J’ai
soudain très envie de plus, de découvrir où elle mène… mais je m’arrête là. Je ne
fais rien de plus. Déjà parce que je ne veux pas mourir dans un accident tragique,
mais aussi parce que mes caresses indiscrètes me procurent des émotions qui
m’effraient beaucoup trop…
Chapitre 12
Jack
Bordel de merde ! Je savais que c’était une connerie ! Quelle idée j’ai eu de
l’emmener faire une balade, aussi ! Tout ça à cause de cette fichue liste ! Et, on
ne va pas se mentir, de mon putain d’ego. Lorsqu’elle m’a une nouvelle fois
cherché, insinuant que j’étais ennuyeux à mourir, mon orgueil en a pris un sacré
coup. J’ai voulu lui prouver que… que quoi au juste ? Que je n’étais pas ce type
qu’elle décrivait ? Que j’étais plus que ça ? Mais plus que quoi ? Bordel, je n’en
sais rien ! Elle me trouble et je déteste ça. Depuis quand j’effectue des tours de
moto avec les gonzesses ? Sérieux, elle me fait perdre la tête. Lorsque son regard
a atterri sur ma bécane, ses yeux se sont illuminés. À ce moment précis, j’ai su
que je prenais la bonne décision. En revanche, à cet instant, j’en doute fortement.
Si je parviens à nous ramener entiers au château, je vous jure que je ne
m’approcherai plus du tout de cette psychopathe. Ses mains sur mon corps, sur ma
peau brûlante… me font disjoncter. Mille et une positions se superposent sous mes
paupières. Je me concentre sur la route, mais chaque fois que ses doigts me
caressent, longent ma fine ligne de poils, je ne réponds plus de rien. Mon souffle
est complètement saccadé. Mon cœur bat la chamade et mon sang afflue en une
quantité beaucoup trop importante dans mon calbut. En résumé, c’est la merde.
Vivement que ce satané stage se termine et que je retrouve le cours de ma vie, mon
train-train quotidien. C’est-à-dire une existence paisible sans cette folle
furieuse dans les pattes.
Mes nerfs étant mis à rude épreuve, j’abrège mes souffrances en mettant fin à notre
petite excursion. J’ai malgré tout pris sur moi, en l’amenant vers les plus beaux
spots du coin. Bon, comme il fait nuit, on n’a pas vu grand-chose, mais je sais que
cela ne l’a pas dérangée outre mesure. Cependant, j’ai autant envie de cesser cette
promenade que de me pendre. Son corps penché, blotti et fermement accroché au mien,
me rend dingue. Je ne souhaite pas qu’elle me lâche. Je veux pouvoir continuer à la
sentir près de moi. Alors je ralentis, c’est du grand n’importe quoi. Je décide
d’arrêter notre expédition, sauf que je diminue la cadence pour ne pas que ça se
termine. C’est incompréhensible.
Très bien, je vais pouvoir me barrer, j’ai besoin d’évacuer. Je remets le contact,
puis tourne légèrement la poignée pour faire gronder ma bécane. Je m’apprête à
repartir, quand je fais l’erreur de lui jeter un dernier coup d’œil. Alors qu’elle
retire son casque, ses prunelles poignantes me percutent tel un train lancé à
pleine vitesse. Sa fragilité me happe, me bouffe et me tourmente. Qui est cette
fille, bon sang ? Pourquoi m’intrigue-t-elle autant ? C’est comme si, elle faisait
partie de moi, comme si son âme était connectée à la mienne. Je souffre de ne pas
comprendre, ça m’en fait mal au bide. Cette simple inconnue parvient à me toucher
beaucoup plus que toutes les nanas que j’ai pu baiser auparavant, et nous n’avons
même pas couché ensemble. Je ne cesse de la contempler, mes iris masqués par la
visière teintée. Puis, sans crier gare, je tourne la poignée et démarre sur les
chapeaux de roues. Le gravier vole, tandis que ma bécane rugit. Je fends l’air et
me laisse guider par l’adrénaline qui coule insidieusement dans mes veines. Je
jette un coup d’œil dans mon rétro, Faustine n’a pas bougé. Elle m’observe au loin,
jusqu’à ce que je disparaisse de son champ de vision. Je fuis. Encore et toujours.
Pourquoi je ne me contente pas de la sauter ? Ainsi, elle sortirait enfin de ma
tête. Malgré son côté déluré, je ne peux nier cette attraction qui me lie à elle.
Son corps est un véritable appel à la luxure. Sa poitrine généreuse me donne envie
d’y plonger le visage. De me perdre dans ses deux globes de chair. De caresser,
sucer, mordiller ses gros tétons. Y caler ma queue bien au chaud pour les baiser.
Me branler sur eux pour ensuite gicler, mon sperme se répandant alors sur ses
aréoles. Elle doit au moins faire un 95 D. Je suis même à peu près sûr qu’elle peut
se les lécher elle-même. À cette simple pensée, je manque de cracher dans mon
pantalon.
Oublie-la, putain !
Contre elle.
Contre moi.
Je ne passe pas par l’accueil pour déposer mon casque, je n’ai pas le temps. Je me
dirige directement vers ma chambre d’un pas déterminé, avec une seule pensée en
tête. Soulager ce besoin irrépressible qui me fait souffrir dans l’espoir de
trouver un tant soit peu de répit. À cette simple idée, j’accélère la cadence.
J’ouvre la porte, la poigne fébrile, le souffle court. Je bande déjà, mon sexe
étirant douloureusement le tissu de mon pantalon. Aussitôt le battant rabattu et
verrouillé, je me débarrasse de mon blouson, puis déboutonne mon jean. Je descends
ma braguette pour libérer un peu plus mon érection. Je retire mes grolles, mes
chaussettes, mon froc, mon pull, puis mon tee-shirt que j’abandonne sur mon chemin.
Désormais en boxer, je me vautre sur le lit et me cale contre l’oreiller. Mes
paumes ne tardent pas à parcourir mon torse. Je ferme les paupières dans le seul
but de visualiser une seule et unique personne. Dès lors, ce ne sont plus mes mains
qui caressent mon corps, mais les siennes. Mon pouls s’affole, mon abdomen se
creuse. J’empoigne ensuite mon membre douloureux par-dessus le tissu de mon sous-
vêtement. C’est trop bon. Je pousse un gémissement. J’ai tant besoin de me
soulager.
Besoin d’espérer.
Besoin d’oublier.
Mon bassin s’agite, se soulève dans l’expectative de plus. Beaucoup plus. J’ouvre
les yeux, mon gland suinte et marque mon caleçon d’une tâche de liquide pré-
séminal. L’auréole qu’elle forme me rend fou. Je halète, des pensées obscènes plein
la tête. Sans perdre une seconde supplémentaire, je lève mon cul et vire la
dernière couche de vêtements faisant obstacle à ma délivrance. J’attrape
vigoureusement ma queue tendue, puis la branle avec une énergie redoutable et
débordante. Je la secoue, crache pour l’humidifier encore plus. Ça glisse tout
seul. Je baise mon poing serré, tandis que mon autre main malaxe délicatement mes
couilles. Ma respiration retentit dans la pièce, saccadée et rauque. Le bruit de ma
paume qui claque contre mon pubis résonne, s’entremêlant à mon souffle. Durant de
longues minutes, j’imagine Keller dans toutes les positions possibles. D’abord sur
moi, à califourchon sur ma bite qu’elle avalerait avec gourmandise, puis sous la
douche, sur l’îlot central de ma cuisine, sur le capot de sa putain de Twingo. Mais
aussi et surtout à quatre pattes, ses fesses encaissant violemment mes coups de
reins, ses gros seins ballottant dans tous les sens. C’est cette vision qui me mène
à ma perte. Je vous ai dit que j’avais un penchant pour les poitrines généreuses ?
Ça m’a toujours fait vriller, c’est clairement mon plus gros point faible.
J’éjacule en poussant un long râle sauvage et libératoire, mon sperme jaillissant
en plusieurs jets saccadés. J’en fous partout, sur mon ventre, mais aussi sur les
draps. J’ignore les dégâts et continue de m’astiquer jusqu’à ce que cette douleur
se dissipe, que ce besoin viscéral s’estompe, que Keller disparaisse enfin de ma
tête…
Chapitre 13
Faustine
Je n’ai pas dormi de la nuit. Après notre petite virée nocturne, j’ai déposé son
casque à l’accueil, puis je me suis rendue directement dans ma chambre pour me
coucher. Sauf qu’un certain commandant Barrow a monopolisé toutes mes pensées.
Incapable de fermer l’œil, je n’ai fait que ressasser l’ensemble de nos échanges.
Du ramassage sur le bord de la route à la balade en moto de cette nuit. Je suis
larguée. Je n’ai jamais éprouvé autant de sentiments contradictoires pour une
personne, encore moins pour un homme… J’ai autant envie de l’étriper que de me
jeter sur lui. Voilà maintenant plus d’une demi-heure que je l’observe à travers la
vitre de ma chambre. Il est seulement six heures du matin, et malgré le manque de
sommeil, il est toujours aussi sexy. En tenue de commando, lui et son équipe
effectuent ce que j’imagine être leur entraînement sportif. Je comprends mieux les
abdominaux désormais. Je ne le quitte pas des yeux. Son air taciturne et ténébreux
me procure un effet étonnant. Il dicte ses instructions d’une voix si grave et sûre
d’elle qu’il me fait frissonner. Son uniforme me rend tout à coup fébrile. Jamais
je n’aurais cru ressentir de telles choses pour un flic. Ce désir qui m’anime au
creux de mon ventre me pousse à me remettre en question. En réalité, la colère que
j’éprouve envers les forces de l’ordre provient de mes parents. De mon père
surtout. Il a une haine abyssale pour elles. Depuis toute petite, j’ai grandi dans
un foyer où les gendarmes étaient des ennemis, des enfoirés de première. J’ai été
conditionnée pour les détester. Alors je suis complètement perdue. Je ne le quitte
pas des yeux, mais comme s’il avait senti le poids de mon regard sur lui, Jack
relève la tête et fixe la fenêtre de ma chambre. Mon pouls s’emballe. De là où il
se situe, il ne peut pas me voir, c’est impossible. Néanmoins, j’ai l’impression
qu’il parvient à lire en moi. Mon cœur bat la chamade, à tel point que j’ai le
sentiment qu’il va s’échapper de ma poitrine. J’ai si peur. Je me décale et me
plaque contre le mur, le souffle court. C’est du grand n’importe quoi, je dois me
ressaisir ! Je jette un œil sur mon portable, j’ai un quart d’heure de retard !
Merde !!!
— Antoine, est-ce que tu peux m’apporter la note qui concerne nos invités, s’il te
plaît ? J’ai besoin de vérifier une information.
— Super, merci Antoine ! Occupe-toi des fruits maintenant ! Tu coupes les kiwis, les
bananes et les mangues en bâtonnets réguliers. N’oublie pas de prélever les
suprêmes de pamplemousses non plus. Go !
Je peux relâcher la pression. Nous avons réussi à tout sortir en temps et en heure.
D’après Christian, notre petit déjeuner continental a été grandement apprécié. Plus
encore, mon dessert sucré en trompe-l’œil a rencontré un véritable succès ! Les
sushis et makis sont partis comme des petits pains si j’ose dire. Je suis ravie.
Maintenant, la question que je me pose et qui me brûle les lèvres : est-ce que le
commandant Barrow a adoré ? Mystère et boule de gomme. Néanmoins, je m’abstiens de
tout commentaire, qu’est-ce que ça peut me faire qu’il ait aimé ou non ?
Il me faut plusieurs secondes pour parvenir à déchiffrer qui est mon interlocuteur.
— Qu’est-ce que vous foutez là, nom de Dieu ?!! s’énerve-t-il tout en m’emportant
avec lui pour nous mettre à couvert derrière un rocher.
J’ai crié mes derniers mots, mais sa main gantée s’abat subitement sur mes lèvres
pour me faire taire. Prise de panique, je tente de hurler, mais aucun son ne sort
de ma gorge, ma bouche étant parfaitement scellée par la paume de Johnny le
psychopathe.
— Bouclez-la, bordel ! Vous allez nous faire repérer ! grogne-t-il à mon oreille.
Nous faire repérer ?! Seigneur, je vais mourir assassinée sur l’île où j’ai
toujours souhaité reposer en paix. Si ça, ce n’est pas un fichu signe du destin.
J’inspire, expire, inspire, expire… Il n’y a plus un bruit, c’est déstabilisant.
Que nous veulent les ravisseurs ? Je ne comprends pas !
Boum !
Un nouveau coup de feu retentit. Il rebondit sur la pierre devant nous. J’entends
l’impact que fait la balle lorsqu’elle atterrit sur la surface rocheuse. Je suis
pétrifiée, jusqu’à ce que je remarque un détail qui m’interpelle.
De la peinture… de la peinture sur les pierres… ils font une putain de partie de
paintball ! J’ai failli crever pour une putain de partie de paintball !!! Je vais le
tuer !!!
Ils sont six précisément à le tenir en joue, puis plus d’une dizaine. La seule
chose qui les retienne de tirer ? Moi. Je suis pile-poil dans leur champ de vision,
protégeant ainsi à mes dépens leur enfoiré de boss.
C’est quoi son délire à lui ? Je suis devenue son putain d’otage dans leur
entraînement débile !
— Bonjour, Jack, je suis Marko et j’appartiens au PSIG. On est là pour trouver une
solution ensemble, tente son collègue, la voix calme et maîtrisée, presque
apaisante.
— Oui, c’est le principe même de l’otage, Keller. D’être retenu contre sa volonté…
rétorque Jack en raffermissant sa prise.
Attends de voir, toi, mon coco… je n’ai pas dit mon dernier mot ! Son gilet par-
balles, et ses petites pochettes contenant tout un tas de trucs dont j’ignore
l’utilité heurtent mon dos. Pas franchement agréable, j’en conviens. En revanche,
mon postérieur, quant à lui, bute contre son bassin. Sentir son bas-ventre ainsi
plaqué contre mes fesses me rend dingue. Et soudain, j’ai envie de jouer. Non,
pire, je veux me venger. Sans que cela soit visible à l’œil nu, j’opère de légers
mouvements circulaires avec mon cul. Oui, je suis en train de l’allumer, et alors ?
Il m’a cherchée avec ses mots crus l’autre jour, à mon tour de lui renvoyer la
balle.
Je me dégage brusquement de son étreinte en lui écrasant le pied avec mon talon
gauche, mais surtout je loge mon coude en plein dans son entrejambe. Pris par
surprise, son intérêt et sa vigilance ayant sûrement migré plus au sud, il recouvre
son sexe de ses mains.
Chapitre 14
Jack
Les autres ne sont pas mieux, ils en ont même les larmes aux yeux. En plus de
m’avoir fait super mal, cette connasse m’a ridiculisé devant mon équipe. Je la
hais, putain !
— Règle numéro trois, les gars ! Ne jamais se laisser distraire ! répète Marko en
imitant Keller.
— Cette nana est incroyable… souffle Sean, le ton rêveur. En plus d’être magnifique
et d’être un véritable cordon bleu, elle a également beaucoup d’humour. J’adore !
— Je dois absolument la mettre dans mon lit ! déclare Stephen.
Je m’efforce de rester impassible, mais l’idée même que Steph démonte ma jolie
lionne me révulse.
Ma jolie lionne ?
Ça sort d’où ça ? Oh là là… elle m’a vraiment ensorcelé. Dès mon retour à la
civilisation, je prends rendez-vous avec un marabout, un chaman… tout ce que vous
voulez. N’importe qui du moment qu’il puisse m’aider à me l’extraire de la tête, à
rompre le putain de sort qu’elle m’a jeté.
Marko m’observe attentivement. Il est mon meilleur pote depuis l’école primaire. On
a fait les quatre cents coups ensemble, puis on a décidé de s’engager. Autant vous
dire qu’il me connaît par cœur. Donc, quand il me dévisage de cette manière, je
sais qu’il sait. Et je sais qu’il sait que je sais. Ouais, je suis dans la merde.
— J’ai comme qui dirait l’impression qu’un certain commandant Barrow a perdu son
défi, lance Mark pour changer de sujet et je l’en remercie intérieurement.
— Je n’ai rien perdu du tout. Vous avez profité de l’autre vipère pour m’abattre,
répliqué-je de mauvaise foi. Ce n’était pas prévu.
— Règle numéro cinq : ne pas perdre de vue son objectif… poursuit Steph.
— Règle numéro six : saisir toute opportunité susceptible de nous aider dans notre
mission… continue Marko.
— Comme pour le moment, nous n’avons aucune idée, on est tous d’accord pour le
reporter à plus tard. Néanmoins, comme tu l’avais décidé au préalable, nous serons
obligés de te donner ce gage cette semaine. Si ce n’est pas le cas, passé ce délai,
tu ne seras plus tenu de l’exécuter, m’annonce Marko, un rictus de salopard
placardé sur sa face de cul.
Putain, quelle condition à la con ! Le pire c’est que c’est moi qui ai pondu cette
règle débile ! Les mecs continuent de me charrier en se bidonnant devant ma tronche
de trois kilomètres de long. Moi ? Je suis déjà en train de réfléchir à comment me
venger. J’ignore comment, mais elle a réveillé en moi un sombre désir.
— C’était le deal… Bon, les gars, la journée est terminée ! Vous avez bien bossé !
Vous pouvez regagner vos chambres ou vaquer à vos occupations. On se retrouve pour
le dîner, puis demain matin à six heures tapantes. Soyez en forme.
Mes hommes me répondent par l’affirmative, puis ne tardent pas à plier bagage. Tous
sauf un.
— C’est pour ça que tu fais style de ne pas la blairer depuis le début ! En fait,
c’est juste que tu meurs d’envie de te la taper !
— Pas du tout…
— Arrête ton cinéma, pas à moi ! Il me semblait bien que quelque chose n’allait
pas. Je n’arrivais pas à mettre la main dessus, je comprends mieux désormais !
— Fais le malin, mais ne me prends pas pour un abruti, Jack. J’ai bien observé
chacune de tes réactions lorsque Steph et Sean ont mentionné le fait de sauter
Keller. J’ai tiqué, puis pris ça pour une soudaine solidarité envers la gent
féminine. Bon sang, c’que je peux être con ! éclate-t-il de rire.
Il est vraiment à côté de la plaque. Je ne suis pas du tout, du tout jaloux. Juste,
je ne souhaite pas que mes collègues mélangent plaisir et travail. Ils sont ici
pour le boulot. Si je les autorise à se rendre au lounge-bar, ce n’est pas non plus
une raison pour baiser tout le personnel. Il ne faudrait peut-être pas abuser quand
même.
— Tu parles, elle frottait son cul sur ma queue. N’importe lequel d’entre nous
aurait été déconcentré. Vous avez eu de la chance qu’elle se trouve ici, sinon je
vous aurais tous butés un à un comme chaque année.
— Bah voyons ! Bon allez, je file me doucher. Tu ferais bien d’en faire autant.
— Ça va, je ne suis pas hourdé de peinture, moi… se moque-t-il en me lorgnant de la
tête aux pieds.
Il éclate à nouveau de rire, tandis que nous nous rendons ensemble au château. Nous
déposons dans un premier temps le matériel de paintball et notre équipement dans un
local prévu à cet effet, puis nous rejoignons chacun notre logement. Je ne peux pas
m’empêcher de zyeuter la porte de ma voisine. Je n’ai qu’une envie, toquer et
entrer pour la confronter. Pour la faire taire, effacer ce sourire suffisant
qu’elle arborait tout à l’heure devant mon équipe. Pour autant, je n’en fais rien.
Je reste comme un con sur le seuil de ma porte à m’imaginer ce que je lui
infligerais si je m’introduisais dans sa putain de chambre. Sans surprise, chacune
de mes représailles revêt un caractère interdit aux moins de dix-huit ans. Il n’y a
rien de chevaleresque dans mon comportement. Bien au contraire, elle réveille en
moi mon instinct animal, tout ce qu’il y a de plus primaire. Je n’ai jamais autant
désiré une femme comme je n’ai jamais autant été agacé par l’une d’entre elles non
plus. Elle me fait perdre tous mes moyens.
Après être resté une éternité sous la douche, je vous passe les détails, c’est
soulagé (pas qu’un peu) et détendu que je m’apprête désormais à affronter le repas
de ce soir. C’est bête, mais découvrir que c’est Keller qui prépare chaque menu me
remplit de fierté. À l’arrivée des assiettes, mon palpitant s’énerve, mon cœur
manque un battement. Comme si, à chaque nouveau mets, une autre facette de sa
personnalité se dévoilait à moi. Comme si, j’en apprenais plus sur elle… Ses plats
sont des œuvres d’art. Ils sont élaborés avec délicatesse et élégance. On sent que
la cheffe y a mis toutes ses tripes. Son savoir-faire n’a de cesse de m’épater.
Elle sublime chaque recette. Sa cuisine est classe et raffinée, douce et
extravagante, addictive et subtilement assaisonnée. Je ne peux m’empêcher de la
comparer avec celle qui en est à l’origine. Un sourire discret m’échappe, c’est
tellement elle…
— Bah rien. On ne peut même plus sourire tranquille dans ce pays ? rétorqué-je, sur
la défensive.
— Ne cherchez pas, les gars, c’est la folle de la Twingo. Vous n’avez aucune
chance, affirme Mark.
— Keller, c’est la tarée qui t’a pris en stop ? m’interroge Sean, également ahuri.
— C’est vrai, tu t’es senti obligé de leur raconter cette histoire, pesté-je auprès
de Marko, l’œil meurtrier.
— Ils ont besoin de savoir pourquoi tu es encore plus con que d’habitude, me
répond-il en haussant les épaules.
— Et ? C’est une raison pour balancer ma vie privée à tout le monde ? objecté-je
avec véhémence.
Sans plus attendre, je me casse. C’est n’importe quoi. J’ai conscience que mon
comportement est ridicule, infantile, mais tout ça me dépasse. Je ne me retourne
pas, malgré les protestations de mon équipe. Je dois à tout prix rejoindre ma
chambre et calmer mes nerfs à fleur de peau. Une fois la porte de cette dernière
refermée, je retire mes chaussures et m’allonge sur le lit. J’enfouis mon visage
dans mon bras replié.
Chapitre 15
Jack
J’ai les crocs. Ma réaction était puérile et désormais j’en paye les conséquences.
J’ai super faim. Néanmoins, j’ai beaucoup trop de fierté pour rebrousser chemin et
retourner m’asseoir à table comme si de rien n’était. Les minutes défilent et je
suis incapable de me sortir Keller de la tête. Pourtant, j’essaie. J’ai allumé la
télé, je regarde des vidéos bidon sur mon téléphone, j’ai repris une douche… J’ai
même fait la connerie d’écrire à Charlotte. Ouais, grosse erreur, d’autant plus que
cette pouffiasse m’a largué sur le bord de la route. Malgré ça, je ne parviens pas
à me libérer l’esprit. Les photos de sa chatte et de ses nibards qu’elle m’envoie
ne me font plus aucun effet. Je zoome, tente d’y trouver un quelconque intérêt,
mais ma queue toute flasque semble du même avis que moi : circulez, y a rien à
voir. Ça craint. Ça ne m’était encore jamais arrivé jusqu’ici. Je passe la main
sous la ceinture de mon pantalon et de mon boxer, puis enserre mon sexe. Je
m’efforce de le caresser, de faire monter le désir, mais c’est peine perdue. Dans
une ultime tentative afin de ne pas perdre la face, j’appuie sur la caméra à côté
de son nom. Elle décroche immédiatement, son visage de poupée apparaissant à
l’écran.
Pas toi…
— Touche-toi, marmonné-je, sur les nerfs.
Son téléphone s’abaisse et ses petits seins me font désormais de l’œil. Ses tétons
pointent, j’ai envie de les lécher. Ou pas. Je n’en sais rien, putain !
— Jack… me supplie-t-elle.
— Doigte-toi maintenant…
— Hummm…
Dès lors, j’ai une superbe vue sur sa chatte épilée. Son index et son majeur ne
tardent pas et glissent entre ses lèvres trempées. Elle se pénètre, halète au même
rythme que ses va-et-vient. Je me concentre, fronce les sourcils, promène la main
sur mon torse. Je déboutonne mon jean, sors mon membre, mais rien ne se passe,
bordel. Mon drapeau est en berne. Je persiste, mais malgré une attention assidue,
ma queue est toujours aussi molle.
Putain !!!
Enfin !!!
C’est trop bon… Je me branle, pince mon gland gonflé sous l’excitation extrême que
me procure l’autre psychopathe. Je gémis, baise ma main, quand je me fige
brusquement.
Vingt-trois heures trente. Qui vient me faire chier à cette heure-là, sans
déconner ? Sûrement Marko ou l’un de mes hommes… Qu’ils aillent se faire foutre ! Je
reprends là où je me suis arrêté, mais on frappe à nouveau. Je suis à deux doigts
de me redresser et d’ouvrir cette fichue porte pour fracasser celui ou celle qui
ose me déranger.
Pas n’importe quelle femme… la femme… celle qui me rend fou depuis quelques jours.
Je reconnaîtrais sa voix entre mille. Qu’est-ce qu’elle me veut ? Merde ! Mon pouls
s’affole, mon cœur s’emballe, ma queue se raidit encore plus.
Je ne vois plus qu’une seule solution. Je me rends dans la salle de bain, accède à
l’évier, actionne le robinet et colle ma queue sous l’eau froide.
Je serre les dents à m’en faire péter la mâchoire pour ne pas beugler comme un con.
Ça a le mérite d’être utile. Qu’est-ce qu’elle ne me fait pas faire, celle-là ?! Je
crois que je ne vais pas avoir d’autre choix que de la baiser, c’est évident. Je
dois à tout prix recouvrer mes esprits. Lundi je retrouve le terrain, d’ici là, il
me faut régler le problème et la sortir de ma tête une bonne fois pour toutes. Je
parviens enfin à fermer mon jean correctement et me dirige donc vers l’autre
sorcière.
Ce n’est pas comme ça que je vais la foutre dans mon lit, cette conne.
Cette conne…
— Pas la peine de m’agresser. Il paraît que vous n’avez pas dîné, j’ai juste voulu
bien faire en vous apportant votre repas… grommelle-t-elle, contrariée.
Et elle a de quoi en même temps. Je lui saute dessus alors qu’elle souhaite me
rendre service. Je m’en veux immédiatement. J’attrape le plateau qu’elle me tend,
avise les différents contenants, le pose sur le meuble à ma droite, puis la regarde
partir sans un mot. Mon cœur m’ordonne de la rappeler, de lui dire quelque chose,
mais mon cerveau n’est plus apte à quoi que ce soit, mes neurones ayant tous
grillé.
— Est-ce que vous avez mangé ?! demandé-je alors que je la scrute déverrouiller sa
porte.
Elle marque un temps d’arrêt, sans pour autant se retourner pour me faire face. Je
meurs d’envie qu’elle plonge ses iris verdoyants dans les miens. J’ai besoin de ça,
de ce contact entre nous. Son corps se tend, ses mains restent suspendues dans les
airs. Elle hésite, je le vois, je le sens. Néanmoins, elle finit par pivoter et
river son regard au mien. Percutant. Déstabilisant. Enivrant. Celui-ci manque de
m’enflammer sur-le-champ. Je me fais violence, accroche fermement mes doigts au
bâti afin de ne pas franchir les quelques mètres qui nous séparent pour me jeter
sur elle.
— Ça vous dit de partager ce plateau avec moi ? Il paraît que la cuisine est
excellente… lancé-je en retour, la voix rendue rauque par le désir.
— Je ne sais pas… je ne suis pas certaine que ce soit une bonne idée… balbutie-t-
elle, les pommettes rougies.
Bon sang… elle va me tuer. Je m’efforce de trouver une solution pour essayer de la
convaincre, quand une pensée émerge sous mon crâne.
Faustine
Mon cœur bat la chamade, à tel point que j’ai le sentiment qu’il va s’échapper de
ma poitrine. L’attraction, l’alchimie que j’éprouve à l’encontre de ce type semble
de plus en plus forte chaque jour qui passe. J’ignore comment réagir. Dois-je
refuser et rester ici en m’enfermant à double tour pour être certaine de ne pas
céder à la tentation ? Ou bien je me lâche et suis ce parfait inconnu je ne sais
où, et ceci pour la deuxième fois consécutive ? C’est le bordel sous mes côtes et
dans ma tête. N’est-ce pas justement ce que je recherche ? Ressentir, vibrer,
frissonner…
— J’arrive !
Un mince sourire timide m’étire alors les lèvres. Je me sens à présent vulnérable.
Aussi surprenant soit-il, Jack m’imite et dès lors c’est mon cœur qui éclate sous
ce geste pourtant banal. La puissance du lien qui semble m’unir à lui me pousse à
baisser la tête, à le fuir, à couper cette espèce de truc entre nous. Cette fichue
connexion. Je passe devant lui, attends qu’il daigne bien vouloir sortir pour
refermer à clé derrière nous. Lorsqu’enfin il se décide à me suivre, son parfum
viril et boisé titille à nouveau mes hormones en ébullition. Je vais devoir me
montrer forte pour ne pas craquer, pour ne pas céder à la tentation. Car oui, c’est
exactement ce qu’il représente désormais à mes yeux, une volaille diaboliquement
sexy. Je peine à verrouiller ma chambre. Je sens le poids de son attention sur mon
dos, ce qui n’arrange en rien la situation, soyons clairs. Quand j’ai terminé, je
le suis dans les couloirs du château. Je me demande bien ce qu’il me réserve ce
coup-ci.
Un microrire s’échappe d’entre ses lèvres. Un son pur, grave et si addictif que
j’ai d’ores et déjà envie qu’il recommence. Comme la dernière fois, nous passons
récupérer les casques à l’accueil. Une joie immense s’empare de moi à l’idée de
faire du deux-roues, surtout avec Johnny comme pilote. Mes doigts se rappellent
trop bien la chaleur de son corps et de ses abdominaux ciselés. Forcément,
l’hôtesse lui fait encore du gringue ce qui me soûle toujours autant, voire plus…
Ne capte-t-elle pas que je l’accompagne ? Qu’il sort avec moi ? Enfin, en tout bien
tout honneur, évidemment… Non, cette pouffiasse n’en a rien à carrer, elle ne voit
que par lui. Commandant Barrow par-ci, commandant Barrow par-là… C’en est presque
comique tant la situation est grotesque. Je prends sur moi pour ne pas lui
retourner son bureau. Je me contente de patienter bien gentiment pendant que
l’autre abruti fait son numéro de charme à la grand-mère.
— Je ne savais pas que les momies c’était votre délire, ne puis-je m’empêcher de
balancer d’un ton acerbe lorsque nous repartons.
C’est plus fort que moi, je ne parviens pas à canaliser ce sentiment étrange qui me
parcourt de la tête aux pieds, qui me noue à la fois l’estomac et le cœur. C’est
quoi ce bordel ?! Il peut bien faire ce qu’il veut !
— Quoique, vous me direz, paraît-il que c’est dans les vieux pots qu’on fait les
meilleures soupes… grommelé-je face à son mutisme horripilant.
À nouveau, cette même mélodie tinte et résonne sous ma poitrine qui s’emballe. Les
vibrations de son rire trouvent écho en moi, à tel point que je ne sais plus
comment réagir. Je m’émerveillerais presque devant la beauté de son visage qui
s’illumine l’espace de quelques secondes.
— Faites gaffe quand même, j’ai trouvé qu’elle avait une petite odeur de rance…
J’adooooore !!!
Pas besoin de me le répéter deux fois, j’enfile mon casque. Je ne sais pas si c’est
mon impatience qui me rend fébrile, mais je ne parviens pas à le clipser
correctement. Johnny me voit galérer et vient de suite à ma rescousse. Ses mains
s’attardent sur ma peau, des frissons bardent mon épiderme beaucoup trop sensible à
son contact. Quand il a terminé, je souffle un bon coup. Ça va aller… Il me demande
de porter son sac pour le passer sur mes épaules afin que je puisse me coller
contre lui. Je ne proteste pas, bien au contraire. Il enfourche alors sa bécane, je
l’imite en m’accrochant à ses hanches. Immédiatement, notre proximité me trouble.
Bien qu’on soit camouflés sous toutes nos fringues et que l’on ait nos visages
masqués, le courant est intenable entre nous, presque palpable, limite
insoutenable. Le ressent-il lui aussi ? Ou bien est-ce moi qui déraille ?
Le moteur vrombit et met fin à mes élucubrations. Dès lors, mes doigts
s’entrelacent fermement autour de son bassin. Je me plaque contre lui, ma poitrine
s’écrasant contre son dos. Je prends de grandes inspirations, me shoote à son odeur
exaltante. Avec la vitesse et le vent, les effluves de son parfum m’étourdissent et
me rendent ivre. À présent, je rêve de faufiler mes mains sous son blouson, sous
son pull, sur sa peau… Les températures sont malgré tout plus douces qu’hier, alors
je n’ose pas. Et si ça ne lui plaisait pas ? Je n’en sais rien au final, car nous
n’en avons pas discuté. En même temps, je vois mal comment j’aurais pu aborder le
sujet. « Hey Johnny ! T’as aimé que je te titille l’bedon ? » Ouais, nan, vraiment
pas. Pour autant, le destin est joueur et va me donner un petit coup de pouce. Un
dos d’âne plus tard, je me laisse surprendre et ma paume glisse malencontreusement
sur sa cuisse que j’enserre immédiatement.
Mince alors…
C’est mon instinct de survie qui a parlé, voilà tout. Ni plus ni moins, n’allez pas
imaginer quoi que ce soit, hein… Je suis parfaitement innocente ! Mouais, bon,
laissez tomber, je n’y crois pas non plus. Pour être tout à fait transparente avec
vous, j’en profite même allégrement. Je tâte la marchandise si vous voyez ce que je
veux dire… Merde, je deviens une vraie obsédée. Il fait de moi une putain de
dépravée avide de sexe.
Je suis persuadée qu’il doit être un super coup au lit. Enfin j’espère, pour lui
évidemment, car être gaulé comme un dieu et être nul au pieu, ce serait quand même
ballot. Je ne vous raconte pas la désillusion pour sa conquête. Elle pourrait
porter plainte pour escroquerie, la pauvre…
La pouffiasse, ouais…
Il est déjà loin le temps où j’admirais le paysage. Je suis tellement perdue dans
mes pensées, et concentrée sur mon pelotage de cuisse, que je n’ai pas vu la route
défiler. Si j’en crois l’arrêt du moteur, la balade est terminée et je la trouve
bien trop courte si vous voulez mon avis. Je n’ai pas envie de descendre, je
m’agrippe à lui comme une fichue moule à son rocher. Nous restons ainsi quelques
secondes jusqu’à ce que sa voix grave brise le silence de la nuit.
Sous-entendu, tu peux bouger ton cul, Keller… Okay, okay, ça va, je vais bouger !
On a le temps aussi, nan ? Il n’y a pas le feu au lac, hein…
Chapitre 17
Jack
Qu’est-ce qu’elle attend, bon sang ?!! Elle ne se rend pas compte du supplice que
ça représente pour moi. Son corps appuyé contre le mien, sa poitrine plaquée contre
mon dos, sa paume sur ma cuisse… Si elle n’a toujours pas bougé d’ici trente
secondes, je lui colle sa main sur ma queue pour qu’elle comprenne l’effet qu’elle
me fait. A-t-elle conscience de m’allumer ? De me chauffer comme une putain de
bombe à retardement ? Une chose est sûre, je n’ai pas à m’inquiéter, mon équipement
fonctionne très bien.
Qu’est-ce que je fous ici, bordel ? Une nouvelle fois, je me retrouve dans un lieu
improbable, à une heure improbable, avec cette nana improbable !!! Et je peux même
ajouter complètement givrée du bocal ! C’est n’importe quoi ! Pourtant, quand ma
passagère descend et qu’elle retire son casque, c’est tout mon être qui frissonne.
Ma raison se fait la malle au fur et à mesure que mon cœur se gonfle. Sans plus
tergiverser, je l’amène là où je le souhaite. Au moment où nous arrivons, elle
sourit alors de toutes ses dents devant la beauté du paysage. À présent, je sais au
plus profond de moi que j’ai pris la bonne décision. Toutes mes interrogations, mes
doutes, mes incertitudes s’envolent comme par enchantement. C’est étrange comme la
voir si heureuse contribue à mon propre bonheur, elle, cette simple inconnue. Elle
détient un pouvoir sur moi qui m’effraie chaque jour davantage. Elle est
dangereuse. Néanmoins, malgré cette donnée qui ne m’échappe aucunement, je suis tel
un putain de camé en manque, je ne peux m’empêcher de prendre ma dose. Je flirte
avec le feu, attise les braises au lieu de m’en éloigner, de chercher à les
éteindre. C’est pourtant ma spécialité, tuer dans l’œuf le moindre début de
relation, aussi infime soit-il.
Ses yeux embués retiennent mon attention. Aussitôt, mon cœur se serre. Il faut
qu’elle arrête, bordel. Elle joue avec mes émotions, c’est insoutenable. Le
quotidien à ses côtés se résume à de fichues montagnes russes.
— Si mes souvenirs sont bons, pique-niquer sous les étoiles fait partie de votre
fameuse liste…
Je me retiens d’ajouter : tout comme coucher avec un inconnu, se baigner nue dans
la mer, se taper un mec en uniforme et faire l’amour sur le sable…
Je meurs d’envie d’être dans sa tête, de comprendre ce qui se passe là-haut. Okay,
je suis naze en relation, mais pleurer pour un pauvre repas sur une plage me paraît
être une attitude disproportionnée. Je fais comme si je n’avais pas remarqué, car
elle me déstabilise totalement. J’ignore comment réagir, comment me comporter. J’ai
été formé à affronter des terroristes, des criminels et des délinquants notoires,
mais pas cette fille. Je ne réponds rien, me contente de sortir la nourriture
qu’elle a cuisinée pour moi. J’ouvre les différents contenants, découvre avec
délice le menu. Son ventre gargouille et cela me fait sourire bêtement. Elle
rougit, gênée. Pourtant, elle ne devrait pas, cela ne fait qu’amplifier mon désir
pour elle. Cette attraction violente qui me pourfend de part en part me susurre à
l’oreille de la plaquer sur cette putain de couverture pour la faire mienne. Tel un
diablotin sur mon épaule, elle me ronronne des tonnes de choses salaces. Je ferme
les yeux, prends une grande inspiration, puis les ouvre à nouveau.
Je peux le faire…
— Ça va être froid, murmure-t-elle sans même me regarder, son intérêt rivé droit
sur l’horizon.
Merde, le con !
Poussé par une volonté sourde, je porte mon pouce au coin de sa bouche pour ôter
les quelques miettes qui y figurent, puis le glisse machinalement entre mes lèvres.
Elle n’a rien loupé de mon geste, ses iris brûlants plongés dans les miens. Mes
poumons tentent vainement de s’activer, à la recherche désespérée d’un peu d’air.
J’étouffe.
— J’espère que vous aimez le poisson ! me lance-t-elle d’un coup en rompant notre
échange.
— J’adore… soufflé-je sans savoir réellement si je parle bien de la bouffe ou
d’elle tout simplement.
Comme de base, ce plateau-repas était prévu uniquement pour moi, je n’ai pas
trente-six mille couverts. Je plonge donc la seule petite cuillère que nous avons
dans la préparation culinaire, puis la porte à ma bouche. Au dernier moment, je
m’arrête, suspicieux.
— Au moins ça ! Vous avez raison de vous méfier, on ne sait jamais d’où provient le
véritable danger ! me réplique-t-elle en éclatant de rire. Je suis une redoutable
criminelle. Mon objectif : éliminer l’unité du PSIG. Telle est ma mission, je suis
née pour ça !
Elle continue son speech en prenant une voix grave et en arborant un visage fermé.
Tout en se levant, elle effectue un salut militaire. Ensuite ? Elle fait mine de me
canarder avec une arme imaginaire. Vu comment elle tient ses bras, je devine un
bazooka, peut-être même un lance-roquettes…
Chapitre 18
Faustine
N’importe quoi…
Les deux trois grains de beauté sur son front et ses joues me subjuguent.
L’étincelle fugace qui traverse ses deux billes métalliques me trouble. Plus il me
dévisage de cette manière et plus je perds pied. Je tente de ne pas craquer, de ne
pas céder, mais je lutte contre un adversaire bien plus fort que moi. Incapable de
canaliser le trop-plein d’émotions qui m’assaille, je réagis comme une folle sortie
tout droit de l’asile. Je me redresse, puis cours sur le sable fin ! Je ris, je
crie…
Je retrousse mon pantalon sur les genoux, puis m’approche des vagues. Je suis
saisie par la température de l’eau glaciale, mais la morsure de celle-ci est
vivifiante. Elle me rend vivante, me renvoie le bonheur de ma guérison de plein
fouet. Je danse désormais, les mains levées vers le ciel. Je remercie
intérieurement l’univers de m’avoir donné cette seconde chance, cette nouvelle vie.
Je clos les paupières, profitant ainsi de mes autres sens. La seconde suivante, un
corps se colle contre mon dos. Il m’entoure et m’enveloppe de sa chaleur. Je ne
m’échappe pas, ne me débats pas. Au contraire, je me laisse porter par les émotions
qui me traversent et me transcendent. Les yeux toujours fermés, je prends de
grandes inspirations pour me gorger de son odeur, me shooter à son parfum viril.
Ses paumes atterrissent sur mes hanches, alors que ma tête retombe en arrière, sur
son torse si tendre et si ferme à la fois. Je me reconnecte avec le monde et sonde
intensément mon étrange autostoppeur. Un sourire étire mes traits quand je revois
l’énorme flaque l’engloutir sur le bord de la route… Soudain, il n’est plus le
flic, l’ennemi. Il n’est qu’un homme incroyablement attirant avec lequel j’ai envie
de lâcher prise. Tels de puissants alliés, mon âme hurle et mon cœur bat la
chamade. Mes membres, jusqu’alors plaqués le long de mon corps, se lèvent pour
aller se nouer derrière sa nuque. Je continue de me mouvoir, profitant de cette
étreinte inédite et ô combien libératrice. La seconde suivante, j’effectue une
rotation et saute dans ses bras, mes jambes enserrant fermement son bassin. D’un
simple regard, il me cloue sur place. Mes barrières cèdent, ma raison s’envole, mes
lèvres plongent sur les siennes. Affamées, voraces et impétueuses, elles réclament,
exigent et capitulent. Sa bouche m’accueille avec ardeur et frénésie. La valse que
nous menons est sauvage, bouillonnante et totalement primitive. Seuls nos
gémissements et nos halètements retentissent dans le ciel étoilé. Mes mains
glissent sur son crâne, mes doigts se faufilant dans ses cheveux que je malmène
violemment. Il grogne, je m’enhardis. Barrow semble répondre à mon empressement en
me mordant la lippe. Ses paumes elles aussi bougent et caressent allégrement mon
postérieur. Alors qu’il se met soudain en mouvement, nous nous dirigeons vers la
couverture, sur laquelle il m’allonge une fois arrivé à sa hauteur. Il me dévisage
avec intensité, essaie de me décrypter. Cette tentative d’intrusion dans mon jardin
secret me met mal à l’aise. Dès lors, j’attrape sa veste que je resserre dans mon
poing, puis le tire franchement vers moi. Il bascule, tout en prenant garde à ne
pas m’écraser de tout son poids. Ses avant-bras désormais de chaque côté de ma
tête, il me scrute à nouveau.
Fait chier !
J’entrouvre les lèvres dans le but d’emmagasiner un maximum d’oxygène dans mes
poumons en détresse. Qui suis-je ? Eh bien, je n’en sais foutrement rien. L’unique
certitude que j’aie en cet instant précis, c’est qu’il fait battre mon cœur
beaucoup trop vite et cela m’effraie terriblement. Je n’ai pas le temps de lui
fournir une réponse que sa bouche fond sur la mienne et prend à nouveau possession
de moi. Nous nous embrassons avec passion et déraison. C’est comme si nous étions
seuls au monde. Plus rien n’existe autour de moi ni même sous mon crâne. Comme un
fichu black-out, je ne suis plus en mesure de réfléchir.
— Tu me rends fou…
La haine fugace qui s’était insinuée sous mes pores s’est évaporée comme par
enchantement. Je suis sur un petit nuage, jusqu’à ce que le téléphone de Jack, posé
en équilibre contre son sac, non loin de mon visage, vibre. Je l’ignore, bien trop
obnubilée par la langue de son propriétaire qui joue avec la mienne. Néanmoins, le
portable ne cesse de trembler. Je détourne donc la tête pour jeter un coup d’œil
discrètement, tandis que Johnny n’en a rien à faire et continue de m’embraser en me
dévorant la nuque. Je n’aurais pas dû. Charlotte.
What ???
Je cligne des yeux, sous le choc. Je ne suis plus du tout concentrée. Je suis
paumée et ne sais plus dans quel sens tourner ma langue. Bordel ! Il va croire que
je n’ai jamais roulé de galoche de ma vie ! Un second message arrive, le premier se
soustrayant à ma vue. Cette fois, celui-ci ne me permet pas de découvrir son
contenu, me laissant supposer qu’il contient autre chose. Paraît-il que la
curiosité est un vilain défaut, eh bien tant pis ! Je me saisis de son téléphone,
puis bras tendu derrière son dos, je m’efforce de le déverrouiller. Je suis déjà en
train de me dire que c’est mort, qu’il va être protégé par un code, eh bien non.
J’aurais peut-être préféré du coup. Car la vidéo de mon autostoppeur, à poil,
culbutant la fameuse Charlotte, à quatre pattes et beuglant comme une truie me
donne la nausée. Celle-ci s’enclenche et dès lors je peux bénéficier du son qui
l’accompagne.
— C’est quoi ce bordel ?! s’énerve Jack qui semble enfin recouvrer ses esprits tout
en cherchant d’où provient le son.
Il ne tarde pas à retrouver son portable planté tout à fait par hasard dans le
sable. Il se précipite, le récupère, clique partout sur l’écran avant de parvenir à
ses fins. L’horrible vidéo s’arrête, je peux à nouveau respirer.
Écouter et voir surtout… mais ça il ne peut pas le savoir puisque je n’étais pas
censée fouiner dans son téléphone. Il fait les cent pas, tandis que moi, je reste
bêtement assise sur la couverture. Je déteste avoir vu ce que j’ai vu.
Tellement basse que j’ignore s’il m’a entendue. Tant pis, je n’ose pas affronter
son regard pour m’en assurer. Je préfère même enfoncer les pieds dans le sable
comme pour faire l’autruche.
— Oh, mais je ne crois rien du tout… marmonné-je, sans pour autant le confronter
droit dans les yeux. Vous faites ce que vous voulez…
Un silence de plomb s’abat alors. Je ne sais pas quoi dire pour détendre
l’atmosphère. Une ex qui continue de lui écrire et de lui envoyer des vidéos…
L’ambiance est lourde, pesante. Barrow finit par me rejoindre et nous terminons le
repas que je lui avais préparé. Tout ça sans un mot, signant ainsi la fin de notre
escapade.
Chapitre 19
Faustine
Mon réveil sonne pour la troisième fois déjà depuis ce matin. Je grimace et clique
sur rappel. Encore. Ouais, je ne suis pas d’humeur. Allez savoir pourquoi, tiens !
Je n’ai pas dormi de la nuit. Je n’ai trouvé le sommeil qu’au petit matin, alors
forcément, c’est un peu compliqué à gérer. L’alarme retentit à nouveau, je ne
comprends pas pourquoi, j’ai à peine fermé les yeux. Je grogne et ne parviens pas à
émerger. Quelle idée de m’être couchée si tard, aussi ! J’ai trop mal à la tête. Je
n’aurais jamais dû passer au lounge-bar une fois que Jack m’a raccompagnée. Vous
vous doutez bien, je suis restée droite comme un piquet sur sa moto, refusant tout
contact avec lui. Bon, j’ai bien été obligée de me tenir à ses hanches, mais je me
suis contentée du minimum syndical pour ne pas finir comme une crêpe sur le bitume.
On ne s’est même pas dit au revoir, imaginez le malaise. Je suis descendue de sa
bécane, et j’ai filé à l’anglaise. Je me suis empressée de refourguer le casque à
l’autre cruche de l’accueil, puis je me suis dirigée vers ma chambre. Sauf qu’au
dernier moment, j’ai changé d’avis, j’avais bien trop peur de me retrouver nez à
nez dans le couloir avec Le Gaulois[9]. Donc, étant une jeune femme mature et
réfléchie, j’ai décidé de me changer les idées en allant voir Franck. Néanmoins, je
n’avais clairement pas prévu de me prendre une cuite. J’ai bu bien plus qu’il ne le
fallait, mon corps épongeant non sans mal tout cet alcool ingurgité. Le pire dans
tout ça ? C’est que je ne me souviens pas de tout. Je ne sais même pas comment j’ai
atterri ici, dans mon lit. Je soulève ma couette, constate avec effroi que je ne
porte que mon tee-shirt et ma petite culotte, rien d’autre.
Bordel de merde !
— Allô… réponds-je tout doucement, afin d’éviter que ça résonne trop sous mon
crâne.
— Oh, super ! Je souhaitais juste m’assurer que Calamity Jane se portait bien !
Okay, je n’ai rien suivi. Christian, rire ? Il y a quelque chose de louche. Très
louche.
— Que vous le feriez quand je vous tutoierai moi-même… c’est ridicule, je ne…
— Tu quoi ? Dois-je te rappeler que lorsque tu n’étais pas chez toi enfermée dans
ta chambre ou bien dans cette sordide chambre d’hôpital, tu étais ici ? Que c’est à
moi que tu te confiais, notamment sur tes peines de cœur ?
Oh non, il n’a pas besoin de me le remémorer. J’ai bien trop conscience de la place
qu’il a occupée dans ma vie. À cause de mon état de santé, je n’ai pas eu la chance
de suivre une scolarité normale. Ce sont mes parents en partie qui ont contribué à
mon apprentissage, mais aussi et surtout Christian et son épouse. Marianne Berthou,
une femme intransigeante et bienveillante, cultivée et passionnée. Ancienne
professeur de français au lycée, elle passait tout son temps libre à me donner des
cours particuliers. Ici même au château, ou bien chez moi ou encore à l’hôpital.
Lorsque ce n’était pas elle, c’était Christian, également enseignant, mais dans un
établissement professionnel. Je vous laisse deviner sa matière… mon mentor était
prof de cuisine ! C’est de lui que me vient cette passion pour l’art gastronomique.
Il m’a transmis son savoir-faire et surtout l’amour de son métier. Je ne pouvais
pas rêver mieux, surtout vu les circonstances.
Grâce à eux, j’ai obtenu mon brevet, puis un CAP cuisine. Par la suite, après une
pause de plusieurs mois totalement indépendante de ma volonté, j’ai décroché un bac
pro cuisine. Enfin, j’ai terminé mon cursus en ajoutant à mon CV un BTS management
en hôtellerie restauration option management d’unité de production culinaire. Si je
n’avais pas eu un soutien indéfectible de la part de mes proches et de monsieur et
madame Berthou, je n’en serais pas là aujourd’hui. Je pense même pouvoir affirmer
que je ne serais plus là du tout, surtout. Ils ont été d’une patience redoutable, à
toute épreuve. Alors que je me savais condamnée, je baissais parfois les bras. À
quoi bon assimiler tout ça si c’était pour finir au fond du trou plus vite que tout
le monde ? Ils ne m’ont jamais lâchée, toujours à me rebooster. Quand Marianne est
décédée d’une crise cardiaque, j’ai eu beaucoup de mal à l’accepter. Pendant
longtemps, je me suis dit que c’était moi qui aurais dû y rester.
Elle avait tout juste soixante ans, et moi quinze. Puis un jour, j’ai compris que
cela ne servait à rien de se morigéner pour quelque chose dont je n’étais pas
responsable. À quoi bon ? J’ai réalisé que j’avais encore la chance d’être ici sur
terre et surtout que j’avais eu le bonheur de grandir auprès d’une femme
exceptionnelle. J’ai décidé de lui faire honneur, au moins le temps qu’il me
restait à vivre. Si seulement elle était encore là pour qu’elle apprenne ma
guérison. J’aurais tant aimé partager ma joie avec elle. Après sa mort, je me suis
beaucoup rapprochée de Christian, désormais veuf. Ils ont toujours voulu avoir des
enfants, sans succès. Fils unique, il avait déjà perdu ses parents, se retrouvant
ainsi sans plus personne. Il m’a fait beaucoup de peine et j’ai tenté comme je
pouvais de lui redonner le sourire. Dès que j’étais en état, je passais tout mon
temps avec lui en cuisine, au grand dam de mon père et de ma mère qui avaient
constamment peur pour moi. Bon sang, heureusement qu’il était là. Donc oui, par la
force des choses, Christian est devenu mon confident, mon deuxième papa. Je sais
qu’il continue de me vouvoyer exclusivement pour m’emmerder, parce qu’il n’apprécie
pas mon vouvoiement à son encontre. J’ignore pourquoi, mais c’est étrange pour moi.
Je lui dois tout, c’est pour moi la marque de mon affection, mais surtout d’un
profond respect envers lui.
— Non, ce n’est pas la peine, je suis au courant de tout ça… Je… je vais essayer,
dis-je sans vraiment y croire.
— Super ! Bon alors, cette soirée ? Il paraît que tu as mis le feu sur la piste ! Je
suis bien content de ne pas avoir vu ma petite Faustine se trémousser sur mon bar,
rigole-t-il pendant que mon cœur fait une embardée dans ma poitrine.
Comment ça, je me suis trémoussée sur le bar ? C’est quoi ce délire ? Et, putain de
bordel de merde, pourquoi je ne me rappelle plus de rien du tout !
— Ah si, si, je n’ai pas vu les vidéos, mais ce n’est pas le cas de tout le monde
ici. Crois-moi quand je te dis que tu étais déchaînée, tu es sur toutes les lèvres
ce matin. A priori, d’après nos invités qui étaient présents hier soir, tu voulais
« niquer du poulet ».
— Je… plus très bien, c’est confus… tenté-je de me justifier alors que c’est le
trou noir complet.
Je suis au bord du malaise. Et quand je me dis que la situation ne peut pas être
pire, ça l’est.
— Okay, Christian, ça fait beaucoup trop d’informations, là. Je vais aller prendre
une douche, et remplir mes poumons de flotte pour noyer mon désespoir.
Il éclate de rire.
— Ne t’en fais pas, ça reste entre nous. Si tes parents apprennent ça, moi aussi je
suis mort. En attendant, repose-toi, profite de ta matinée, je gère le reste.
Oh.mon.Dieu !!!
J’ai beau avoir trente ans, mon père et ma mère me voient encore comme une fillette
sur le point de mourir. Même si ça m’énerve bien souvent, je ne peux pas leur
reprocher. Ils ont eu peur de me perdre tellement de fois que je leur pardonne leur
« surprotection ». Je mets fin à cette conversation plus qu’embarrassante et avale
un cachet pour tenter d’apaiser le putain de piaf qui s’amuse à fracasser les
parois de mon crâne. Je clos mes paupières et m’efforce d’oublier les propos de
Christian. À l’inverse, j’essaie de me remémorer la soirée. Comment ça,
heureusement que le commandant Barrow était là pour me maîtriser ? Qu’est-ce qu’il
fiche encore là celui-là ? Il ne peut pas me foutre la paix deux minutes, bon sang ?
C’est trop demander ? Déjà, si j’ai fini minable, c’est uniquement par sa faute !
Oui, ça va, hein ! Je le reconnais, je suis de très mauvaise foi, mais vous aussi
reconnaissez-le, depuis que j’ai croisé sa route, c’est le bordel dans ma vie !
Enfin, encore plus que ça ne l’était déjà…
Chapitre 20
Faustine
Pourquoi personne ne m’a prévenue que cuver était si difficile ? Sans déconner, je
suis dans un état lamentable, une vraie loque. J’ai jeté un œil au miroir lorsque
je me suis rendue aux toilettes, je me suis effrayée toute seule. Je me suis
tellement mis la tête à l’envers qu’on dirait un cadavre en décomposition. C’est
clair, heureusement que mes parents ne me voient pas ainsi, car je me ferais tuer
une bonne fois pour toutes ! Étalée comme une loque à l’agonie sur le lit, je tente
de me motiver pour aller me laver. Je m’apprête à y aller, mais j’ai un fichu coup
au cœur quand mon portable s’énerve. Mince alors, pourquoi il vibre autant ce
con ?!
— Eh bah dis donc, quel accueil ! s’exclame mon meilleur ami à l’autre bout du fil.
— Oh Léo… au secours… aide-moi, je t’en supplie…
— C’est quoi cette voix pâteuse ? Tu es mala… mais non ! Ne me dis pas que tu as
pris ta première cuite sans moi ???
— Mais ! Mais ! Mais !!! Qu’est-ce qui s’est passé ? s’emballe-t-il immédiatement.
— Et je peux savoir pourquoi tu t’es mis une race alors que tu étais toute seule et
surtout sur ton lieu de travail ?!
— C’est une longue histoire… soupiré-je, pas certaine de vouloir tout avouer à mon
ami.
Je souffle et vide finalement mon sac. C’est bête, mais me confier à lui me fait un
bien fou. Il acquiesce, réfléchit, et analyse ce que je lui raconte. Une fois mon
récit terminé, je ne désire plus qu’une chose : qu’il me donne son avis, qu’il me
confirme que j’ai eu raison de fuir, qu’il est de mon côté. Son soutien est
important et je…
— Putain, meuf ! Je ne comprends même pas pourquoi tu n’es pas dans son plumard ce
matin ! me rétorque-t-il, abasourdi.
— T’es sérieux ? bafouillé-je en me redressant pour m’adosser contre la tête de
lit. Je t’explique que le gars c’est un gros con en plus d’être un flic, et toi tu
me conseilles d’écarter les cuisses ?
— Évidemment ! On s’en fout qu’il soit flic et con ! Tu pourrais au moins arrêter de
réfléchir et penser un peu plus à Moumoune, franchement.
— C’est ? On en a déjà parlé un milliard de fois. Ce n’est pas parce qu’un jour
l’un d’entre eux a fait une connerie que tu dois tous les mettre dans le même
panier !
— Léo !
Ce traître rit tandis que ses paroles me touchent au plus haut point. J’étais
encore gamine quand c’est arrivé. Je n’avais pas conscience de la gravité des
faits. En revanche, mon père si. Tant et si bien que depuis ce jour, il ne supporte
plus les flics. Que ce soient policiers ou gendarmes, il ne peut plus les voir en
peinture. Par la force des choses, j’ai grandi avec cette haine viscérale éprouvée
à l’encontre de ces professions. Conclusion, c’est compliqué de ressentir autre
chose envers eux. Néanmoins, Léo a probablement raison. C’est l’occasion de me
faire ma propre opinion… Nous terminons notre conversation en parlant de tout et de
rien. De son travail, de sa nouvelle vie de débauche loin des hôpitaux. J’adorerais
lâcher prise comme il le fait, mais pour une raison que j’ignore, je n’y parviens
pas. Pas encore. Contrairement à ce que pense Lizzie, il n’y a rien de plus entre
Léo et moi qu’un amour profond et fraternel. Il est mon meilleur ami depuis aussi
loin que je puisse me rappeler. Certes, nous avons déjà dérapé tous les deux, nous
avons appris à découvrir respectivement nos corps. Il aura été mon premier amant,
tout comme j’ai été sa première également. Notre échange relevait plutôt d’une
expérience que d’un acte amoureux en tant que tel. Néanmoins, je ne souhaitais pas
mourir sans avoir vécu cette étape. Léo non plus. D’un commun accord, nous nous
sommes donnés l’un à l’autre. Je ne regrette rien de ce qui s’est passé entre nous,
car aujourd’hui, il est mon repère, ma boussole, mon point d’ancrage dans ce monde.
Je raccroche, puis lâche un grand soupir. Je suis perdue, mais avant tout, je dois
me ressaisir. Quoi qu’en dise Christian, je ne peux pas me permettre de louper le
boulot. Cet entretien téléphonique avec mon meilleur pote m’aura au moins permis de
recouvrer un tant soit peu mes esprits. Je file donc sous la douche, puis profite
des bienfaits de l’eau chaude qui coule sur ma peau. Des flashs de la soirée d’hier
surgissent sous mes yeux. La virée en moto avec Jack, notre baiser sur la plage, la
vidéo, les cocktails, l’étreinte de Francky, ses mains baladeuses, ma danse sur le
bar, les acclamations de la gent masculine…
Doux Jésus…
Je ne vais plus jamais pouvoir remettre un pied dans cet endroit. Mais qu’est-ce
qu’il m’a pris ? Je finis de me laver et sors pour me sécher. Quand j’y repense,
j’ai vraiment perdu toute lucidité, c’est effrayant. Quoique, je remarque que je
n’ai pas fait tomber mon haut, à croire que même l’alcool ne parvient pas à abattre
toutes mes barrières. Il reste encore des zones d’ombres, notamment la présence de
Barrow qui ne figure pas dans mes souvenirs. Si l’espace d’un instant, il est
possible que je mette en doute les paroles de Christian, l’arrivée d’un SMS me
coupe l’herbe sous le pied.
[Ce petit déjeuner n’avait pas la même saveur sans vous aux commandes… Pas trop mal
à la tête ?]
Numéro inconnu. Mon pouls s’affole, les battements de mon cœur s’emballent.
[Qui êtes-vous ?]
[Ce n’est pourtant pas ce que vous m’avez confié cette nuit.]
Je m’étouffe presque avec ma salive. Je n’y crois pas, je n’ai pas pu sortir une
chose pareille. Pourtant si, des bribes de souvenirs me reviennent et ce n’est pas
beau à voir. Juste ciel, je lui ai vraiment murmuré ça au creux de l’oreille, qui
plus est comme une effrontée.
Calamity Jane…
Une musique assourdissante retentit soudainement dans mes oreilles : I see red de
Everybody love and outlaw. Un flash, des images. Je me vois danser, à moitié à
poil, debout sur le bar, puis m’accroupir pour enfin marcher à quatre pattes vers…
vers le commandant qui me fusille des yeux. Je fais fi de tous les autres regards
posés sur moi, lui seul compte. J’ondule ensuite du bassin, mimant l’acte sexuel
avec une assurance qui me sidère. Je me redresse, imite un pistolet dans chacune de
mes mains, puis tire dans sa direction. Je le canarde, puis souffle sur mon index
et mon majeur. Je cligne des paupières, reviens à moi progressivement. Je ne dois
plus jamais boire d’alcool de ma vie. Je ne pourrai plus le fixer droit dans les
yeux, c’est une certitude.
Je jette un œil sur mon portable et constate avec effroi que Johnny a raison, il
est onze heures passées, je n’ai pas vu le temps filer ! Je m’empresse de
m’habiller, revêts mes dessous, saute dans une jupe, puis enfile un tee-shirt et un
pull. Le médicament a fait son effet, mon mal de tête s’est estompé, c’est déjà ça.
En revanche, ma dignité en a pris un sacré coup, j’ai hâte que cette semaine se
termine pour enfin ne plus croiser la route de ce flic beaucoup trop présent. Je
décide de sortir de ma tanière pour retrouver ma brigade. Ils doivent s’inquiéter,
se demander pourquoi je suis absente. Ce n’est pas digne d’une cheffe. Néanmoins,
quand j’arrive, je remarque avec stupéfaction que tout roule, Christian ayant pris
le relais avec brio.
— Bonjour, cheffe Keller ! me salue également Nicolas qui lui s’occupe d’émincer
des oignons en quantité importante.
— Très bien, madame ! Monsieur Berthou est un super cuistot ! me répond Antoine,
avec enthousiasme.
Je rejoins Olivier, mon sous-chef, qui lui aussi se laisse porter par le timbre
grave et directif de Christian. J’observe l’intégralité de mon équipe travailler
dans une parfaite cohésion, à croire que malgré son âge, leur chef par intérim n’a
pas perdu la main. Ça me fait chaud au cœur de le constater et je pousse un soupir
de soulagement. Ça me rappelle le bon vieux temps, quand ma santé me le permettait
et que je passais des heures en cuisine avec lui. Depuis que sa femme est partie,
il n’a pas retouché une seule poêle.
— Tu rigoles j’espère ? Je m’éclate, et mon menu est déjà presque terminé. Hors de
question que tu me voles la vedette ! me rétorque-t-il, un sourire gigantesque sur
les lèvres.
Sa joie de vivre est contagieuse et je me dis que ma cuite aura au moins servi à
quelque chose. Nous discutons un peu quand il me chasse finalement des lieux, avec
pour obligation d’avaler mon déjeuner à la salle de réception. J’émets un léger
grognement de protestation, ne souhaitant pas partager mon repas avec tous ces
flics, un en particulier, mais devant l’enthousiasme de Christian, je ne peux pas
refuser…
Chapitre 21
Jack
« Hey… mais c’est mon poulet préféré ça… »
« J’ai soif… »
— Vous êtes sûr ? Vous avez l’air ailleurs… insiste mon collègue.
— J’en sais rien, je posais juste la question. Bon allez, j’ai les crocs !
rétorque-t-il en fermant son ordinateur portable.
— Grave, moi aussi ! J’ai hâte de voir ce que nous réserve notre petit cordon bleu !
s’exclame Sean en se levant.
— Bah oui ! Miss Keller ! Elle a un boule d’enfer, cette meuf… Mamma Mia ! On en
mangerait !
— On s’y enfoncerait tu veux dire… Sans oublier une paire de nibards incroyable,
ajoute Steph, l’air rêveur.
Je vais les buter, putain ! Je ronge mon frein, serre la mâchoire tellement fort
qu’elle manque de se déboîter. Mes dents grincent, mes ongles se plantent dans le
creux de mes paumes. Je vais craquer et les défoncer.
— Tu es bien silencieux, Jack… me cherche Mark.
Mon timbre est létal, véhiculant l’assurance d’une promesse macabre. Mon regard
noir ne leur laisse aucune porte de sortie. Je les dévisage un à un, tant et si
bien qu’ils ne bronchent plus. Enfin, jusqu’à ce que cet enculé de Mark éclate de
rire, très vite suivi pas les deux autres.
— Mais dites donc, c’est qu’il mordrait le vilain toutou à sa maîtresse… se moque
mon meilleur pote.
— Sérieux, mon frère, qu’est-ce qu’elle t’a fait, sans déconner ? Je ne t’ai jamais
vu comme ça avec une nana, m’interroge Sean, limite inquiet.
Incapable de me contenir, je pousse un long râle plaintif qui veut tout dire.
— Foutez-moi la paix ! Je n’ai pas besoin de vous pour serrer une meuf, merde,
grommelé-je, contrarié.
Bordel, mon ego en prend un sacré coup. Je n’ajoute rien de plus et me barre en
direction du restaurant. Mon équipe sur les talons, je les entends ricaner et
jacasser dans mon dos. Je n’ai qu’une envie : dégager d’ici pour partir loin, très
loin. Partout ailleurs en fait du moment que l’autre dégénérée soit absente du
paysage. Nous nous installons autour de la table, mais au vu de mon humeur
fracassante, personne ne court le risque de s’asseoir à côté de moi. Très bien.
Après quelques minutes d’attente, je suis surpris de voir arriver le propriétaire
des lieux en tenu de chef, une toque sur la tête.
— Monsieur Barrow ! Comment allez-vous ? J’espère que tout se passe comme vous
voulez au sein de mon domaine ?
— Très bien, oui, merci. C’est parfait, dis-je le plus sincèrement possible.
C’est la vérité, nous ne pouvions rêver mieux pour notre stage. Les espaces verts
nous permettent d’effectuer un bon nombre d’exercices, tandis que le château nous
offre un cadre agréable pour apprendre et emmagasiner le maximum d’informations, de
conseils et de techniques. Sans omettre la cuisinière qui, non, la cuisine, putain.
Sans omettre la cuisine qui est excellente.
— Alors c’est merveilleux ! Vous m’en voyez ravi ! Je vais devoir vous laisser,
j’ai… Ah, ma petite Faustine ! Viens donc par ici !
Mon cœur fait une embardée. Qu’est-ce qu’elle fout là, bordel ? Qui plus est
habillée ainsi ?! N’est-elle pas censée être derrière les fourneaux à cette heure-
ci ?
— Miss Keller ! On a beaucoup entendu parler de vous ! ajoute Marko qui perd son
statut de meilleur pote sur-le-champ.
— Pour une fois, tu profites ! J’espère que tu seras fière de moi, car l’élève a
dépassé le maître depuis bien longtemps ! lui dit Berthou en plaisantant. Viens
donc t’asseoir en excellente compagnie. La place est libre, commandant ?
Les enculés…
— Bah alors, elle est prise ou pas ? insiste le proprio, hilare, bien loin
d’imaginer le bordel sous mes côtes.
— Non, non, elle est libre ! Venez donc déjeuner avec nous, cheffe Keller ! Ce sera
un honneur ! argumente Marko.
— Alors comme ça, vous faites tourner la tête de notre chef ? l’interroge Sean, de
but en blanc.
C’est finalement lui que je vais buter en premier. Pris au dépourvu, j’avale de
travers. Je tousse, me tape la poitrine avec mon poing. J’ose un regard furtif en
direction de l’autre furie et je fonds, elle est beaucoup trop craquante. Les
pommettes rougies, elle ne sait plus où se mettre, je le vois. Je sens son malaise,
et bizarrement, ça me plaît. Du coup, je recouvre mes esprits et décide de garder
le silence. Je plante mes iris dans les siens et la fixe, imperturbable, amplifiant
ainsi sa gêne.
— Bah alors, Johnny, tu ne leur as pas raconté notre petite escapade ? me balance-
t-elle en plongeant enfin ses magnifiques yeux verts dans les miens.
— Il a fait bien plus que lui en parler si j’ai bien compris… commente Steph, un
sourire de pervers sur les lèvres.
— Putain ! Je n’y crois pas ! T’as encore sauté cette conne ! Je te rappelle qu’elle
t’a laissé tout seul sur le bord de la route et que j’ai dû aller récupérer tes
papiers et ton téléphone chez elle ! s’énerve d’un coup mon meilleur pote. Tu ne
peux pas tenir ta queue deux minutes dans ton froc, bon sang !
— Oh là, doucement, les gars, c’était juste une vidéo ! intervient alors Calamity
Jane, probablement dans le but de calmer le jeu.
Néanmoins, je connais mes hommes, elle vient d’ajouter de l’huile sur le feu.
— C’est quoi cette histoire de vidéo ? Pourquoi on ne l’a jamais vue, nous ? se
plaint Sean.
Je la déteste…
La peste…
— Au contraire, vous épargnez vos tympans. C’est une hurleuse, la Charlotte. Elle
beuglait comme une truie qu’on égorge.
Sur ce point, elle n’a pas tout à fait tort. Parfois, je ralentissais même le
rythme pour qu’elle la boucle trente secondes.
— Je ne vais sûrement pas m’excuser de savoir faire jouir une femme. Vous devriez
essayer, de temps en temps, un petit orgasme entre le plat et le dessert, cela vous
rendrait certainement moins aigrie…
— Ça tire à balle réelle, bordel… ajoute Steph en dépiautant la mie de son bout de
pain.
— J’ai toujours dit qu’elle était fausse de toute façon… grommelle Marko.
— Ce n’est pourtant pas ce que j’ai compris hier soir, lorsque votre langue était
fourrée dans ma bouche. Vu la rigidité de votre deuxième cerveau, il était a priori
plus que d’accord pour se « glisser entre mes cuisses » ! Il avait très « faim », lui.
— Je n’y peux rien, comme vous l’avez si bien dit tout à l’heure, tout ce qui
possède une chatte et deux nibards me fait tourner la tête.
Il salue Keller, un mince sourire sur les lèvres, les pommettes rougies. L’enculé.
Lui aussi, il a la dalle. Je suis tellement sur les nerfs que mon genou ne cesse de
tressauter. Je relis pour la troisième fois le menu, ne parvenant toujours pas à
réfléchir correctement. Je laisse les gars répondre en premier, puis n’ayant pas
encore pris de décision, je commande la même chose que Steph. Ma voisine de table
me regarde étrangement, mais ne commente pas. Je sens que cette journée va être
longue.
Très longue…
Chapitre 22
Jack
— J’espère que vous n’aurez jamais besoin de nous et encore moins de mon équipe…
grommelé-je, exaspéré par son comportement.
— J’ai déjà eu besoin des flics un jour, et vous n’avez rien eu d’héroïque, croyez-
moi… murmure-t-elle en me fuyant des yeux.
Deux heures plus tard, ma fausse victime va bientôt en devenir une vraie si elle
continue son bordel.
— Dites donc le G.I. Joe des Happy Meal[10], il va me parler sur un autre ton ! Ce
n’est pas parce qu’on s’est déjà galoché le gosier que vous pouvez vous adresser à
moi de cette façon ! J’ai bien d’autres choses à faire que de rester enfermée ici,
avec vous qui plus est ! J’ai un service à assurer, moi, monsieur !
— Mes hommes ne vont pas tarder. Si vous nous faites remarquer, vous allez mettre
en cause toute l’opération. Vos coquillettes peuvent bien attendre deux minutes !
Elle me cherche, putain ! Et pourquoi elle a enfilé cette fichue jupe aussi !
— Sinon, je vais devoir trouver une solution pour vous faire taire !
Son cul ne cesse de se trémousser sous ma queue qui durcit de plus en plus. C’est
insoutenable tant je souffre de ne pas m’enfouir en elle. Je suis certain qu’elle
le fait exprès, la garce. Néanmoins, je me contiens, je ne suis pas cet enfoiré de
première qu’elle semble penser. Je ne suis pas dépourvu d’humanité. Si j’exerce le
métier qui est le mien, c’est avant tout pour venir en aide à mon prochain. Je ne
risque pas ma vie chaque jour juste pour le bonheur de flirter avec la mort.
— Un échange de bon procédé. Je vous fais plaisir, vous me faites plaisir… lui
susurré-je au creux de l’oreille, tout en lui relâchant ses poignets.
— Cessez de faire la sainte nitouche, Keller. Après votre show d’hier soir, on sait
très bien vous et moi que vous êtes loin d’être innocente. On sait aussi très bien
tous les deux que si j’avais voulu vous baiser, ça aurait été fait depuis bien
longtemps…
— Okay, c’est bon, ça me soûle ! Allez-y, qu’on passe à autre chose ! me rétorque-t-
elle, tout en gesticulant pour remonter sa jupe jusque sur ses hanches, me laissant
ainsi apercevoir son magnifique cul moulé dans un tanga en dentelle bleu turquoise.
J’en ai envie, vous en avez envie. Une bonne levrette et après quoi, on n’en parle
plus !
Putain de merde !
Je vais vriller. Je suis incapable de lui répliquer quoi que ce soit, mon cerveau
étant momentanément indisponible. Enfin, le vrai… car le second est clairement
opérationnel pour répondre aux besoins de Keller.
— Bah alors, qu’est-ce que vous attendez ?! m’interpelle-t-elle tout en remuant les
fesses sous mes défuntes rétines.
Eh oui, bouffon !
Ta gueule, toi !
— Taisez-vous et suivez-moi…
Elle se renfrogne, abaisse sa jupe, la réajuste correctement, puis rive ses yeux au
sol, presque honteuse. Il me faut quelques secondes pour enfin réaliser pourquoi.
Je viens de décliner ses avances purement et simplement. Elle m’offrait son corps,
et je l’ai ignorée. Pire, je l’ai rejetée. J’ai horreur de ce que je ressens à cet
instant précis. Pense-t-elle que je ne suis pas intéressé sous prétexte qu’elle ne
me plaît pas ? Bien au contraire, elle m’attire comme aucune autre ne m’a attiré
jusque-là. C’est justement pour ça que je refuse de la sauter à l’arrache comme
toutes les autres. Lorsque je croise son regard, ses prunelles larmoyantes me
déchirent l’âme et le cœur. Je ne réfléchis plus et fonce. Poussé par une volonté
sourde, un lien inextricable, je prends son visage en coupe, puis fonds sur ses
lèvres.
Alors que le jour commence à décliner peu à peu, je lui tends la main afin de la
guider. Je suis d’accord pour réaliser une exception, mais je refuse malgré tout de
faire capoter toute la mission. Non, parce qu’il ne faudrait peut-être pas pousser
le bouchon trop loin quand même. Au moment où elle se décide enfin à loger sa paume
dans la mienne, c’est tout mon corps qui frissonne à son contact. Elle a de la
fièvre ou quoi ? Elle est brûlante. Ou alors c’est moi qui suis bouillant. Bref. Je
vérifie que la voie est libre, puis nous empruntons les couloirs étroits de la
cave, montons des escaliers, longeons la façade est du château. Il me semble
entendre un son. Dès lors, je nous plaque contre le mur tout en retenant ma
respiration et en collant mes doigts sur la bouche de Keller au passage. Ce n’était
pas le plan, bordel ! Ça y est, je regrette déjà. Les bruits de pas se dissipent,
nous reprenons notre progression. Nous marchons un moment, quand nous finissons par
atteindre le bâtiment escompté. Je lance un dernier regard à ma voisine pour lui
intimer de se taire.
Elle n’a rien compris, putain ! Je la fusille des yeux, tout en mimant un couteau
que je passe sous ma gorge. Le message est clair : je vais la zigouiller. Je pousse
l’un des deux grands battants, puis accède par-derrière aux écuries. Je jette un
coup d’œil à Keller, ses prunelles scintillent malgré l’obscurité qui s’abat de
plus en plus. Sa main tente de se dérober à la mienne, mais ma poigne l’en empêche.
Hors de question qu’on soit repérés ! Lors de notre première visite au sein de ses
locaux, monsieur Berthou a tenu à nous présenter son domaine dans son intégralité,
y compris le centre équestre. Au cours de celle-ci, j’ai appris que Sun, un cheval
de trait ardennais à la robe noire de dix ans, était le plus adorable de tous. Il a
l’habitude qu’on le manipule et qu’on le monte. Pour avoir grandi dans un foyer où
la tromperie régnait en maître, mon seul repère était les animaux. J’ai pour ainsi
dire passé tout mon temps avec eux, dans la ferme des parents de Mark, jusqu’à
l’adolescence du moins. Après ça, j’ai découvert les potes et surtout les filles.
— Qu’est-ce que vous faites ? murmure Keller, alors qu’elle m’observe entrer dans
le box de Sun.
Je l’ignore tout en attrapant la selle de l’équidé accrochée au mur, ainsi que les
autres équipements nécessaires. Je prépare Sun tout en lui prodiguant des caresses
au passage. Keller, quant à elle, a perdu de sa superbe. Elle est toute pâle et
semble comme pétrifiée sur place.
— Je… je… c’était une erreur… balbutie-t-elle, à deux doigts de la syncope, quand
elle réalise pourquoi nous sommes là et surtout dans quel but.
Pour une raison inconnue, la version fragile et cabossée de ma fausse victime me
déplaît grandement. Ça m’impacte beaucoup plus que ça ne le devrait. Je préfère, et
de loin, la folle furieuse sûre d’elle à la répartie cinglante. Ce constat me
chamboule et me fout la trouille.
Encore…
Est-ce qu’elle aussi elle était en train de s’imaginer gémir sous mes coups de
reins ? Parce que moi, oui, je l’imaginais très nettement…
— Deuxièmement, j’étais partante pour que vous me preniez à quatre pattes, et non
pour que je vous grimpe dessus, nuance, conclut-elle, toujours en chuchotant.
Il fait beaucoup trop chaud dans ce box. Le pire, c’est que malgré ses propos, elle
reste blottie contre moi, entre mes bras. Mon cœur bat bien trop vite, bien trop
fort. Nous restons ainsi, quelques secondes supplémentaires. Je me gorge de son
odeur qui me rend dingue, puis je décide qu’il est temps de passer à l’action…
Chapitre 23
Faustine
« Allez-y, qu’on n’en parle plus ! J’en ai envie, vous en avez envie. Une bonne
levrette et après quoi, on n’en parle plus ! »
Je n’ai pas réellement dit ça, n’est-ce pas ? Si, je l’ai dit ? Non, ce n’est pas
possible. Je préfère encore crever que de m’avouer un truc pareil. Si seulement ça
avait abouti à quelque chose en plus ! Entendez par là une bonne partie de baise
sauvage à la clé… Eh bien non, même pas, nada, que dalle. Je me suis pris le plus
gros râteau de tous les temps. J’étais pourtant plus que prête pour me manger un
sacré coup de matraque. Quand je vous le dis que c’est un con, ce mec ! D’après ce
que j’ai compris, il saute tout ce qui bouge, sauf mon cul que je lui colle sous le
nez. La pilule est dure à avaler, je le reconnais. Cerise sur le gâteau, après
m’avoir mis un vent monumental, il me roule le patin du siècle. Encore. Je suis
larguée. Je n’arrive plus à le suivre. Néanmoins, malgré tout ça, je ne parviens
pas à me détacher de son étreinte. Je suis bien, là, nichée dans ses bras. Surtout
qu’il sent sacrément bon, le bougre. Il est si fort, si robuste, je me sens en
sécurité à ses côtés. Ce qui est ridicule, on dirait une midinette en mal d’amour.
Une petite fille à la recherche de protection. Ah ça non ! J’ai été couvée des
années durant, j’ai pratiquement affronté la mort en face, donc ce n’est pas pour
me ramollir maintenant que j’ai la vie devant moi !
— Je sais… murmuré-je. J’ai grandi en partie ici, dans ce domaine, donc je connais
très bien Sun…
Il m’observe avec une drôle d’expression sur le visage. Il semble dérouté par mes
propos, comme surpris.
— Pourquoi ne l’avoir jamais monté alors si c’est l’un de tes plus grands
souhaits ?
Je ne peux pas tout lui dévoiler. En réalité, c’est surtout que je ne veux pas. Mon
père m’a toujours formellement interdit de monter à cheval. Il avait bien trop peur
pour ma vie. Finalement, quand il m’a donné sa bénédiction, mon état ne m’a pas
permis de le faire. Je me suis promis qu’un jour je le ferai, malgré mes craintes.
Je refuse que le regard que Johnny porte sur moi change, bien qu’il ne soit qu’un
simple étranger. Son avis ne devrait pas m’importer autant, mais ce n’est pas le
cas. Loin de là. Je réfute l’idée même qu’il me voit comme une pauvre petite chose
fragile. C’est niet.
— Et ça ne l’est plus ?
Bonne question… plus rien ne m’en empêche, c’est exact. Mais je reste malgré tout
paralysée par la peur. Ces animaux me fascinent par leur carrure et leur beauté.
Ils sont tout bonnement époustouflants. Je pourrais les étudier des heures durant
tant je suis en admiration la plus totale devant eux. Alors même si j’ai toujours
souhaité grimper sur leur dos, il y a une différence entre vouloir le faire et
passer à l’acte. J’observe Jack placer le licol de Sun qui ne bouge pas d’un iota.
Le cheval.
Pas Jack.
Une fois le nécessaire installé, il accroche la longe, puis sort du box. J’ai
l’impression qu’il a fait ça toute sa vie. Je les suis, pas certaine de la conduite
à tenir. Lorsque nous arrivons au manège, je m’apprête à enclencher la lumière,
mais un seul regard du capitaine Sparrow suffit à me raviser. Okay, mauvaise idée.
À cette heure-ci, il n’y a plus personne, donc si j’allume, c’est à peine discret.
Même si nous sommes à bonne distance, on se ferait griller direct, c’est sûr et je
ne donnerais pas cher de ma peau.
Le commandant commence à longer Sun, tout en lui chuchotant des trucs à l’oreille
lorsqu’il s’en approche. Il caresse ses flans, lui sourit. L’animal semble réceptif
et lui assène de légers coups de tête pour chercher son attention. Jack lui parle à
voix basse, ce qui fait que je ne parviens pas à déchiffrer ce qu’il lui raconte.
Je suis curieuse. Curieuse et jalouse. Super méga jalouse. Qu’est-ce qu’il lui
prend de le tripoter comme ça ? De lui sourire ainsi ? Et pis d’abord, qu’est-ce
qu’il peut bien lui dire ? Ce n’est pas bientôt fini tout ce cirque, oui !
#sexychicken
#Bobbyestzoophile
#Bobbyn’estpaszoophilepuisquec’estunchien
Quand je pense qu’il ne peut pas être encore plus attirant, je réalise que je me
goure complètement, que je me voile la face, que je me fous le doigt dans l’œil,
que je… Ouais, vous avez compris… Désolée, c’est juste mon cerveau qui plante.
Alors que le cheval était au pas, Jack a raccourci la longe dans sa main, puis
s’est positionné sur le côté de l’animal, a placé son pied dans l’étrier, puis a
grimpé sur son dos avec une facilité déconcertante. Si tout à l’heure j’avais des
doutes, je n’en ai plus. Il a déjà fait de l’équitation auparavant, c’est obligé.
Je le contemple monter Sun et je beugue. Mes lèvres entrouvertes de stupéfaction,
je le trouve extrêmement séduisant. Trop canon. Carrément baisable. Je crois que je
bave. Ses cuisses saillantes semblent vouloir exploser le tissu de son pantalon
tant il est tendu par l’effort.
Mamma Mia…
— Monte avec moi… murmure-t-il en refermant vivement sa main sur mon poignet comme
un félin aurait ferré sa proie.
Monte avec moi…
Son timbre de voix est profond, puissant, envoûtant. Ses yeux d’une étrange couleur
grise, parsemée de microéclats dorés, me harponnent et me sondent avec intensité.
Je crois que je me suis transformée en biche. Une putain de biche aveuglée par les
phares d’une bagnole. Une très belle bagnole soit dit en passant.
— Je…
— Fais-moi confiance…
Alors, étonnamment, s’il y a bien une chose dont je suis certaine, c’est que j’ai
confiance en lui. Pour qui pourquoi, je n’en sais foutre rien. Cette prise de
conscience suffit à me donner la motivation nécessaire pour me lancer. Je repère le
moment exact où il détecte dans mon regard mon changement d’humeur, et surtout ma
détermination à outrepasser ma peur. Fébrile, je glisse le pied dans l’étrier
libre, puis Johnny n’hésite pas une seconde à m’aider pour me hisser sur le cheval.
— Ça commence à devenir une habitude, dis-je, le visage toujours planqué dans son
uniforme qui a le mérite de sentir super bon.
Il porte l’effluve de son gel douche et de son parfum. Un subtil mélange aux notes
boisées et délicates. Heureusement qu’il ne me voit pas, car je suis littéralement
en train de me shooter à son odeur. Une véritable détraquée.
— Vous pouffez.
— Je… quoi ?
— Et ?
— Qu’est-ce qui vous dit que je ne « pouffais » pas avant ? Peut-être que je suis un
pouffeur professionnel, me rétorque-t-il, amusé.
Je ne le vois pas moi non plus, mais j’entends le sourire dans sa voix. Il sait que
j’ai raison.
Nous rejoignons la cave sans un mot, toujours en mode espion afin de ne pas nous
faire repérer. Nous longeons la façade du bâtiment, descendons les escaliers,
arpentons les couloirs étroits et arrivons enfin à destination. Quand la porte de
celle-ci se referme sur nous, je fais face à un commandant sur les nerfs. Il est à
deux doigts de péter un câble et de sortir pour aller choper ses hommes par la peau
du cul. Ils ont intérêt à vite nous retrouver, sinon je ne donne pas cher de leur
survie. La validation de leurs modules est mal barrée.
— Laissez-leur du temps. Vous connaissant, vous avez dû leur pondre un truc bien
tordu, plaisanté-je gentiment, afin d’essayer de l’apaiser.
— C’est le but ! Les criminels sont tordus ! Les psychopathes sont tordus ! Ils sont
tous tordus !!! Et puis ça veut dire quoi ça « vous connaissant » ? D’où vous me
connaissez ? On ne se connaît pas, nom de Dieu !!!
Je ne le pense pas une seconde, mais il m’a cherchée lui aussi, merde !
— Mais vous vous prenez pour qui ? Vous vous pensez supérieure, peut-être ? Vous,
qu’est-ce que vous avez fait de votre vie au juste ? Allez-y, je vous écoute ! aboie-
t-il en retour, très en colère.
Chapitre 24
Jack
— Vous m’emmerdez avec vos questions à la con ! Et vu comment vous gueulez comme un
abruti, ça ne fait aucun doute que vos collègues vont vite nous retrouver ! Puisque
c’est ainsi, autant me barrer d’ici tout de suite ! hurle-t-elle en retour.
— Si vous croyez que je vais vous laisser sortir, c’est mal me connaître !
rétorqué-je en me mettant en travers de son chemin.
— Bah justement, je ne vous connais pas, c’est vous qui le dites ! beugle-t-elle
comme une hystérique, tout en continuant d’avancer vers moi telle une furie.
Je n’ai pas le temps de réagir qu’elle me décoche un coup de genou monumental dans
les burnes. Elle y a été franco, même pas une seule once d’hésitation. Je ne m’y
attendais pas. Le souffle coupé par l’impact et surtout la douleur que celui-ci a
engendrée, je m’efforce de garder la face. Hors de question que je tombe à genoux
devant cette timbrée. Néanmoins, je suis incapable de la suivre pour la retenir, je
suis comme paralysé, mes jambes ne me répondant plus. C’est uniquement lorsqu’elle
franchit la porte que je m’autorise à flancher. Je porte les paumes sur mon bas-
ventre, puis me penche en poussant un râle tonitruant. Elle n’y a pas été de main
morte, la salope !
— La vache, Jack… est-ce que ça va ? s’inquiète Mark qui arrive évidemment pile-
poil au même moment.
— Le but c’était que tu les vides, pas qu’elle te castre, bon sang ! explique
Stephen, désabusé face à la situation.
— Grave, je me suis dit, chapeau le boss. Respect. Pas du tout, en fait, argumente
Sean.
À l’écurie ?
— Comment ça à l’écurie ?
J’ai articulé chaque mot, tout en insistant bien sur le dernier. Mon timbre glacial
a le mérite de les faire taire. Je me redresse, les examine un à un, le regard
noir.
— Il ne faut pas nous en vouloir. Si on a fait ça, c’était pour toi… bredouille
Sean.
— Fait quoi ?
— Dis-toi que c’était le gage qu’on ne t’avait toujours pas donné… se défend Mark.
— Dégagez d’ici. Tout de suite, leur ordonné-je d’une voix ferme et autoritaire.
Ils s’exécutent sur-le-champ. Il valait mieux pour eux. Je n’en reviens pas de
m’être fait berner à ce point. Savoir qu’ils étaient tous là, à nous observer, me
rend dingue. D’une part, parce que je déteste l’idée même qu’on nous ait volé ce
moment qui nous appartenait à tous les deux. D’autre part, parce que je me rends
compte une nouvelle fois qu’en la présence de Keller, je ne suis plus bon à rien.
Si on avait été sur le terrain, aurais-je été capable de repérer nos ennemis ? De
la protéger ? J’étais bien trop concentré à la contempler, elle et ses beaux yeux
qui scintillaient à la fois de stupeur, d’émoi, mais aussi de peur. J’ai baissé la
garde, l’espace d’un instant, j’ai tout oublié : la mission et surtout la ligne de
conduite que je me suis toujours fixée. Quand j’en ai pris conscience lors de notre
retour à la cave, mon changement d’humeur a été radical. J’ai continuellement mis
de côté les sentiments, les émotions qui vous font devenir faible et impuissant.
Pour une raison que j’ignore, Keller me trouble et me chamboule. Elle m’attire et
me rend ivre. Ivre de son odeur. Ivre de sa peau. Ivre d’elle tout simplement. Par
moments, je me dis que coucher avec elle serait la solution pour passer à autre
chose. Puis, à d’autres, je prends peur en me demandant si une seule fois
suffirait. Étonnamment, j’ai ce truc au fond de moi, au plus profond de mes tripes,
qui me porte à croire que non. Une seule fois avec Keller sera loin d’être
suffisante, j’en suis persuadé.
Lorsque je rentre dans ma chambre, je tourne comme un lion en cage. J’ai appris par
l’instructeur en charge de la formation que mes hommes ont obtenu leur
certification, puisqu’ils nous ont repérés en moins de deux heures, ce qui est
remarquable, je vous l’accorde. Mais cela signifie également qu’ils nous ont laissé
enfermés tout ce temps-là sans nous prévenir. Pire, ces enfoirés ont même mangé
pendant que nous étions en train de patienter comme des cons à la cave. Je suis
fou. J’ai besoin de décompresser. Et de baiser. Quitte à me taper la première
venue, il faut juste que je me détende sinon je vais péter une durite. Avant ça, je
file à la douche.
J’ai à peine mis les pieds au lounge-bar que je regrette déjà. J’aurais dû m’y
attendre pourtant, ce n’est pas la première fois que je me retrouve ici en sa
présence. Assise sur un tabouret, en grande conversation avec le barman, Keller
sirote un cocktail. Comme hier, une rage incommensurable s’empare de moi. Ne voit-
elle pas que ce connard de Franck cherche uniquement à la sauter ? C’est peut-être
ce qu’elle désire après tout, puisque je n’ai pas été capable de combler ses
besoins tout à l’heure. Je ne voulais pas la prendre ainsi, à même le sol argileux
de la cave. Pour autant, suis-je prêt à laisser un autre homme s’en occuper ?
Sûrement pas ! Cette prise de conscience va-t-elle être l’élément déclencheur chez
moi ? Assurément. Et puis depuis quand je m’inquiète du lieu où je baise mes
conquêtes ? C’est n’importe quoi.
Ressaisis-toi, bordel !
Je n’ai plus qu’une idée en tête, arracher ce putain de tanga en dentelle bleu
turquoise. Déterminé, je traverse la piste d’un pas décidé. J’esquive les gens qui
se déhanchent une nouvelle fois sur un tube des années 80 : Macumba de Jean-Pierre
Mader. Je ne sais pas ce que le DJ a ici, mais il fait une véritable fixette sur ce
thème. En même temps, il réalise une salle comble tous les soirs alors pourquoi
changer. Je viens m’asseoir autour du bar, à proximité de ma proie, toujours aussi
splendide que détestable, aussi attractive qu’exécrable. Je ne lui décoche pas un
seul regard et commande un cocktail sans alcool auprès du barman. Je me fais un
malin plaisir d’interrompre sa discussion avec Keller, croyez-moi. Même si l’autre
folle risque encore de me dire que je ne suis pas cool en me payant une boisson non
alcoolisée, je ne peux pas me permettre d’en consommer une. Bien que nous soyons en
stage toute la semaine, nous pouvons être appelés à tout moment pour partir en
mission.
— Finalement, mis à part faire chier le monde sur la route, vous prendre pour un
shérif et sauter tout ce qui bouge, vous ne réalisez pas grand-chose. Pas de quoi
fanfaronner comme vous le faites. Moi, au moins, je fais ma vie, je donne du
plaisir aux gens en cuisinant de bons petits plats, je n’emmerde personne.
— Si, moi.
Elle m’observe, un microsourire ourlant ses lèvres aguicheuses. Sans un mot, elle
se lève, la tête haute, puis se rend sur le dancefloor. Elle recommence, putain !
Elle va encore se déhancher comme… comme une fichue déesse au corps de rêve ! Elle
ne me quitte pas des yeux, son index pointé sur moi, son regard intense me défiant
de la rejoindre. Contre toute attente, j’ignore ce qui m’arrive, poussé par un lien
invisible, je me redresse et me dirige droit sur elle, au milieu de cette satanée
piste. Je ne sais pas danser, bordel ! Je me plante devant elle, droit comme un
piquet. Évidemment, puisque le destin se fout de ma gueule depuis le début de notre
rencontre, la musique « Embrasse-moi, idiot » démarre. Keller éclate de rire, puis
glisse ses mains dans les miennes afin de m’aider à bouger. De drôles de
picotements naissent au creux de mon ventre. Je me cale à son rythme, tente de me
détendre, mais ma partenaire se déchaîne et chantonne :
— Embrasse-moi, idiot ! C’est vraiment beaucoup, beaucoup mieux que des mots !
Embrasse-moi, idiot ! Et j’oublieraiiii tes défauts !
En effet, j’oublie tout. Je ne vois plus qu’elle tant elle est belle. Tel un sombre
idiot, le même que celui de cette putain de chanson, mes lèvres s’étirent. Et
devinez quoi ? Je meurs d’envie de l’embrasser moi aussi. Surtout lorsqu’elle se
colle à moi de cette manière, ses délicieuses formes épousant mon corps à la
perfection.
— Déjà remis ? Je n’ai pas tapé assez fort visiblement… susurre-t-elle, un rictus
au coin des lèvres.
— Tu peux venir dans ma chambre pour vérifier si tu veux… lui balancé-je, le ton
rauque et chargé de désir.
Ça veut dire quoi ça ? Qu’elle préfère que je la saute dans les chiottes du club ?
Bordel, si elle continue de m’allumer comme ça, je vais finir par gicler dans mon
froc sans même l’avoir tripotée. Elle est diabolique.
— Embrasse-moi, idiot ! C’est vraiment beaucoup, beaucoup mieux que des mots !
Embrasse-moi, idiot ! Et j’oublieraiiii tes défauts ! reprend-elle à nouveau avec
entrain.
Okay, d’accord. Elle veut que je sois fun, je vais l’être. De toute façon, je n’ai
plus rien à perdre. Nous arrivons à la fin du programme et tous mes collègues ont
grillé l’attraction qui me lie à cette sorcière. Pire, ils pensent que je suis
incapable de la baiser. Je n’ai jamais eu besoin de qui que ce soit pour sauter une
nana, ce n’est pas aujourd’hui que ça va commencer. Ils vont voir de quel bois je
me chauffe, merde !
— Quoi ? s’étonne-t-elle.
— Tu veux que je sois fun, c’est bien ça ? Alors, joue avec moi…
— Oui, mais je ne suis pas certaine que ce soit une très bonne idée… me répond-
elle, soudain hésitante.
Chapitre 25
Faustine
Embrasse-moi, idiote…
Alléluia !
Je ne sais pas dans quel merdier je me fourre, mais je m’en contrefous, j’y saute à
pieds joints et les yeux fermés. Je fonds sur sa bouche sans plus attendre. La
déflagration qui retentit sous mes côtes est telle que je vacille légèrement. Il me
fait tourner la tête, c’est dingue. Chaque fois, c’est comme si je pouvais à
nouveau respirer, comme s’il m’insufflait une véritable bouffée d’oxygène. A
contrario, je perds tous mes moyens. Je lui mordille la lèvre inférieure, gémis
sans pouvoir me retenir. La pointe de ma langue s’aventure plus loin et vient à la
rencontre de la sienne. Je m’agrippe à son tee-shirt qui, d’ailleurs, épouse ses
muscles un peu trop à mon goût vu les regards que lui jette la gent féminine ce
soir. J’en veux plus. Beaucoup plus. Mon cœur bat la chamade, j’ai mal au ventre et
mon intimité pulse à un rythme effréné. Ses mains tiennent mon visage en coupe,
puis dévalent mes courbes. Elles glissent sur mon dos, effleurent mes fesses,
remontent et me décoiffent. Le désir qui bouillonne en moi est d’une telle
puissance qu’il électrise tous mes sens. Je ne suis plus qu’une boule de feu sur le
point d’exploser. J’ai la sensation que le sol se dérobe sous mes pieds. Je
m’accroche fermement à ses épaules pour tenter de garder le cap, mais entre ses
bras je ne suis plus qu’une poupée de chiffon.
Qu’est-ce qu’il a dit ? Avec la musique, je ne suis pas certaine d’avoir bien
entendu. Il ne m’a pas demandé de lui donner ma culotte quand même ?
Mon cerveau a grillé, bien qu’il soit déjà en train d’élaborer un plan pour
répondre à sa requête. Bon, il n’a peut-être pas cramé tant que ça finalement. Je
l’embrasse à nouveau, incapable de lui résister, puis me rends en direction des
sanitaires. Lorsque je parviens à destination, je croise mon visage dans le reflet
du miroir et c’est tout juste si je me reconnais. Les cheveux hirsutes, mon
chouchou de traviole, les pommettes rougies, les lèvres gonflées, j’ai l’air sortie
tout droit d’une partie de baise monumentale. Ce qui est dingue puisqu’il ne m’a
même pas encore vraiment touchée. Mon regard enfiévré en dit long sur mon état de
combustion. C’est fou si je vous confie que je mouille tellement que je sens mon
humidité entre mes cuisses ? Ça ne m’était encore jamais arrivé. En même temps, je
n’ai eu que très peu de partenaires. Trois pour être exacte, dont Léo. Le souffle
saccadé, on pourrait presque croire que je viens de courir un marathon. La blague.
Je tente de recouvrer un tant soit peu mes esprits, d’apaiser mes sens en
ébullition, de calmer ma respiration. Puis, je me lance. Je m’enferme dans l’un des
toilettes et retire mon tanga. Panique à bord : il est trempé. Logique, me direz-
vous. Je ne peux décemment pas lui donner ça. Fort heureusement, j’ai pris une
douche avant de venir ici, j’ai donc une culotte propre. Trempée, mais propre. Oui,
donc si elle est trempée, elle n’est plus propre.
Zen, putain !
Okay, ce n’est pas grave, tout va bien ! J’inspire, expire… je vais trouver une
solution. La passer sous l’eau ? Mauvaise idée, je ne vais faire qu’aggraver les
choses. Bordel, c’est moi ou mon excitation a une odeur ? Bon sang, ma mouille
sent…
Oh, Seigneur !
Merde !
— C’est occupé !
Je n’arrive même plus à respirer. Les bras de Johnny me soulèvent pour me porter,
mes jambes le ceinturant instinctivement à la taille. Sa queue dure appuie contre
mon bas-ventre en éruption. C’est de la folie. Complètement insensé. Pourtant,
notre corps à corps me paraît à ce moment précis comme une évidence. Il ne pouvait
en être autrement.
— Mais ?
— Je suis assez fun pour toi, là ? murmure-t-il tout en glissant un doigt entre mes
lèvres, puis deux.
C’est étrange, la couleur de ses iris s’est assombrie. Son regard se fait alors
plus profond, plus intense. Ce que je ressens en ce moment même est indescriptible.
Je me sens à la fois vulnérable et invincible. Du grand délire. La tension qui
règne dans cet espace confiné est explosive, démentielle. Je ne peux plus ignorer
l’attraction violente qui me lie à lui. Cette alchimie inexplicable, ce courant
invisible qui me court-circuite des pieds à la tête.
Sûrement pas ! Il est malade ou quoi ?! S’il arrête maintenant, j’en crèverai ! Okay,
ça va, j’exagère peut-être un chouïa… m’enfin j’aimerais bien vous y voir, moi…
— Faustine…
Mon prénom dans sa bouche… oh mon Dieu… Voilà, je ne suis plus bonne à rien, mis à
part écarter les cuisses. Ouais, je sais, c’est loin d’être élégant, mais je suis
loin d’être élégante aussi ! Mince, je dois penser à respirer, car là je suis
plutôt en passe de devenir une championne du monde d’apnée. Le Grand Bleu[11] n’a
qu’à bien se tenir, c’est moi qui vous le dis ! En attendant, c’est un déluge sous
mes côtes. L’air a déserté mes poumons, mon rythme cardiaque court un sprint, et
mes paumes sont moites. Je m’efforce de revenir à moi, de reprendre le contrôle,
mais son odeur, son souffle, la chaleur de son corps m’empêchent de redescendre de
mon petit nuage.
Je pousse un soupir de soulagement tant son intrusion est la meilleure chose qui me
soit arrivée depuis bien longtemps avec un homme. Quant à ses mots, ils
m’électrisent, me désinhibent totalement. C’est violent, animal, primitif. Je me
surprends à me trémousser moi-même sur sa main pour tenter d’apaiser cette boule de
feu qui me consume de l’intérieur. Les vibrations qui me parcourent de part en part
mettent à l’épreuve mon petit bouton de chair qui pulse frénétiquement à la
recherche d’une délivrance. Ses va-et-vient sont de plus en plus rapides, de plus
en plus puissants. Je m’efforce de contenir le plaisir ardent qui me tiraille, qui
manque de s’échapper de ma bouche tant je ressens l’irrépressible envie de crier
son nom.
Chapitre 26
Jack
Les petits bruits qu’elle émet me font péter un câble. Je dois à tout prix me
contrôler, tenter de me maîtriser, mais bordel, ses couinements me font vriller. Je
la préfère cent fois comme ça, silencieuse et gémissante. Je la découvre, la
fouille, la pénètre avec mes doigts. Je ne cherche pas à comprendre, à analyser la
situation. C’est de la folie, tout simplement. Incapable de résister plus
longtemps, je me jette sur sa bouche. Son souffle brûlant se mélange au mien, sa
langue s’enroule autour de la mienne, nos dents s’entrechoquent. Je craque. Notre
baiser est maladroit, empressé, primitif. L’urgence qui nous anime dépasse
l’entendement. J’en ai mal au ventre. Je la veux.
— Tu me rends dingue…
Ses cheveux sentent si bon. Tout comme moi, elle a dû prendre sa douche avant de
venir, car l’odeur de son shampoing envahit mes narines. Une note de parfum d’été
enchanteresse. Keller est si excitée que j’en ai plein la main. Sa mouille coule le
long de mon index, de mon majeur, et je ne vous parle pas du clapotement qui en
résulte. J’ai tellement envie de la goûter que j’en ai l’eau à la bouche. Ceci dit,
c’est hors de question que je pose un genou au sol. Je n’ai pas oublié où nous nous
trouvons… Qu’à cela ne tienne, je compte bien mettre à profit toutes ces heures à
m’entraîner. Je soulève Keller jusqu’à caler mon visage entre ses cuisses. Elle
hoquette de surprise, mais suit le mouvement. Ses jambes positionnées sur mes
épaules, ses paumes placardées de chaque côté des cloisons, son dos plaqué contre
le mur, mes bras la maintenant en place… je suis bien, là…
Dieu, Seigneur…
J’ai l’impression d’être en train de sniffer un bon gros rail de coke. Bon, en
réalité, je n’en sais rien, puisque je n’ai jamais pris de drogue de ma vie. Mais
vous avez compris l’idée. J’ai le sentiment de planer, d’être au paradis. C’est
exactement ça. Sa chatte a un goût de paradis. Je la savoure, la déguste, m’abreuve
de son nectar. Elle halète de plus en plus. Heureusement que la musique qui nous
parvient jusqu’ici couvre nos agissements. Enfin, j’espère. Au fur et à mesure que
le plaisir monte, elle m’arrache les cheveux, griffe mon crâne. Je dois être
dingue, mais ça me fait bander encore plus. J’adore la voir perdre tous ses moyens.
J’aime surtout être le responsable de son état. Tout d’un coup, imaginer un autre
homme à ma place me fait littéralement disjoncter. C’est ridicule, on ne s’est rien
promis. Elle est juste un petit coup rapide dans les chiottes d’une semi-
discothèque. Ni plus ni moins. Je me recule légèrement afin de pouvoir la basculer
en arrière. Ainsi, j’ai un meilleur accès à sa vulve détrempée. Je m’immisce entre
ses chairs chaudes et humides. Je lape le fruit de son désir et la pénètre de ma
langue avec ferveur.
— Jack… gémit-elle.
Je crois que je n’ai jamais autant apprécié mon prénom dans la bouche d’une femme.
Bon sang, je veux qu’elle me le répète encore et encore ! Et pour ça, je m’y
attelle et redouble d’efforts. Néanmoins, sous le plaisir qui l’assaille, elle
gesticule beaucoup trop. Si je ne veux pas la ramasser par terre, la tête fracassée
contre le rebord de la cuvette, je vais peut-être penser à la reposer au sol. Oui,
c’est préférable. D’autant plus que je ne suis pas un surhomme et que mes bras
fatiguent. Lorsque c’est fait, je peux enfin me laisser aller et exaucer mon vœu le
plus précieux depuis que cette folle s’est mise en travers de mon chemin : peloter
ses gros seins. Les prendre dans ma main, les malaxer…
Putain de merde !
Inspire, expire…
Je vais faire dans mon froc, ce n’est pas possible autrement. Je crois bien que
j’ai même commencé à me gicler dessus. La sensation de ses deux énormes globes de
chair appuyant lourdement dans mes paumes vient de m’expédier illico presto sur une
autre planète. Il faut vite que je la baise, ça devient urgent. Ça va être rapide,
mais je vais faire en sorte qu’elle jouisse également. Question d’honneur. Vu mon
état d’excitation très avancé, je sais d’ores et déjà que c’est fichu côté
endurance. Je ne vais pas tenir, c’est une certitude, donc je dois au moins sauver
les meubles. Et comme je suis insatiable, je compte bien remettre le couvert toute
la nuit si elle m’en laisse l’occasion.
J’espère, putain !
Avant d’en arriver là, je dois absolument dévoiler sa superbe poitrine, je ne peux
plus attendre. Depuis le début, je fais une vraie fixette sur ses nibards, je vais
vriller si je perds une minute supplémentaire. Cependant, contre toute attente,
alors que je tente de descendre la fermeture Éclair dans son dos pour lui retirer
cette fichue robe qui me bloque la vue, Keller se tend et m’en empêche.
— J’ai fait quelque chose de mal ? chuchoté-je, en enfouissant mon visage dans son
cou que je parsème de baisers ici et là.
Sa peau fine et délicate est recouverte d’un léger voile d’excitation. Je darde ma
langue pour m’en délecter et savourer la pointe salée qui se dépose sur mes
papilles. Je vous ai dit qu’elle était délicieuse ?
— Non, non… tu n’as rien fait de mal… souffle-t-elle timidement, des larmes au coin
des yeux.
— Non, surtout pas ! Je t’en prie, continue. Je veux… je veux que tu me prennes
vite et fort, s’il te plaît, m’intime-t-elle en plongeant son regard dans le mien.
Je veux me sentir vivante…
Alléluia !!!
Mon cœur bat bien trop vite, bien trop fort dans ma poitrine. J’ai subitement la
sensation qu’un étau se referme sur ma cage thoracique. Sans même le savoir, elle
bouleverse mon équilibre. Alors, sans la quitter des yeux, je sors un préservatif
de ma poche arrière, arrache le coin de l’étui avec les dents, puis en extirpe la
capote. Son souffle devient plus court, plus irrégulier. Elle fixe mes mains qui se
dirigent vers mon entrejambe. Lentement, je déboutonne mon jean, abaisse la
fermeture Éclair, puis fais coulisser mon pantalon et mon boxer légèrement plus
bas, de sorte que ma queue se libère de son carcan. Raide et luisante, elle pointe
fièrement vers elle. Je n’ai pas à rougir de ma virilité, la nature m’a bien gâté.
Cela ne m’a jamais autant satisfait qu’à cet instant précis, quand je repère Keller
se mordre l’intérieur des joues sans s’en rendre compte. Je garde mon calme, bien
qu’à l’intérieur de moi c’est le branle-bas de combat. Je déroule l’élastique sur
mon membre, feignant une maîtrise et un self-contrôle que je ne possède pas du
tout. Néanmoins, j’éprouve le besoin d’apaiser l’angoisse qui l’a parcourue
quelques minutes plus tôt. Pour une raison que j’ignore, elle n’a pas souhaité que
je la déshabille. Pour être honnête, je suis déstabilisé, je ne m’y attendais pas.
C’est la première fois que je me retrouve dans ce genre de situation. Je ne sais
pas comment me comporter et me trouve coincé. Ses yeux encore larmoyants me donnent
envie de l’étreindre dans mes bras, de l’emmener loin d’ici, mais ses paroles m’en
empêchent. Elles tournent en boucle dans ma tête depuis qu’elle les a prononcées…
Je t’en prie, continue. Je veux que tu me prennes vite et fort, s’il te plaît. Je
veux me sentir vivante…
Ce n’est pas normal. Il y a quelque chose qui me dérange et surtout qui m’échappe.
Sa fragilité me fait trop mal au cœur pour que je la saute comme une vulgaire catin
en chaleur. Je suis à deux doigts de tout arrêter, quand, sans crier gare, Keller
vient enserrer ma queue avec force.
Toute trace de faiblesse a disparu pour laisser place à cette femme de caractère
que je reconnais. Je ne suis plus capable de réfléchir ni même de penser. Mon
souffle se coupe au fur et à mesure qu’elle me branle. C’est trop bon ! D’abord
avec paresse, puis avec énergie. Elle me dévisage, me sonde et m’allume comme la
putain de déesse qu’elle est. Mes yeux sont rivés sur une toute petite tache de
café située entre son pouce et son index, marque que je n’avais pas remarquée
jusque-là.
Elle me lâche, puis se tourne. Elle se penche, soulève sa robe, puis appuie ses
deux mains contre le mur. Exposée ainsi, cambrée de cette manière, elle m’offre le
plus beau panorama de toute mon existence. Pourtant, j’ai bien profité, mais rien
de ce que j’ai pu traverser n’est comparable à ce que je vis en ce moment précis.
Bye-bye les interrogations, au diable les tracas, j’aurai le temps plus tard
d’analyser en détail ce qui s’est produit. Je me positionne donc derrière elle,
plaque mes paumes de chaque côté de son bassin. Elle frémit d’anticipation, remue
son petit cul dans le but de m’aguicher. Ma queue se place entre ses cuisses toutes
moites, puis à l’orée de son vagin. Mon gland glisse lentement dans son fourreau
étroit. Je ne parviens plus à contrôler les réactions de mon corps tant cette
sensation est inédite. C’est encore meilleur que dans mes rêves les plus fous. Nous
poussons tous les deux un râle de soulagement lorsque je me suis enfin enfoncé
jusqu’à la garde. Je me retire, puis plonge à nouveau en elle. C’est chaud, humide,
le paradis sur Terre. Je progresse tranquillement, le temps nécessaire pour que ses
chairs s’habituent à mon intrusion. Quand je sens les parois de sa chatte se
détendre, je m’autorise à bouger plus rapidement, plus frénétiquement. Mes va-et-
vient sont de plus en plus puissants, alors qu’elle ahane également de plus en plus
fort. Le plaisir violent qui me fauche, l’onde de choc qui me foudroie sont tout
simplement indescriptibles. Le bruit de mes couilles qui claquent contre son cul
court-circuite mes sens. Sans parler de sa mouille qui se répand à présent sur mon
pubis et qui m’empêche d’avoir les idées claires.
Doux Jésus…
C’est fichu, je suis accro à sa poitrine. Je ne vais plus pouvoir m’en passer. Je
pétris sa mamelle, roule son téton entre mes doigts, puis le pince. Il n’en faut
pas plus à Keller pour exploser et jouir de toutes ses forces. Son vagin se
resserre autour de moi, ne me laissant aucune chance de m’en sortir indemne. Je
lutte, continue de la culbuter afin de faire durer son orgasme au maximum, mais
c’en est trop pour moi. Je pousse un long râle rauque et libérateur, tandis que je
me vide en elle en plusieurs jets chaud et épais. Je suis sonné. Je reste un moment
en elle, sans bouger. C’est finalement quand ma queue ramollit et qu’elle glisse
d’elle-même en dehors de Keller que je reviens à moi. La réalité me rattrape.
Putain…
J’ai baisé la tarée de la Twingo. Dans les chiottes d’un bar. Bordel, je ne me sens
pas bien d’un coup. Keller se redresse, abaisse sa robe, déverrouille la porte,
puis se barre. Comme ça, sans un mot, sans un regard. Je ne comprends plus rien à
ce qui m’arrive. Qu’est-ce qui vient de se passer au juste ? Je reste planté là,
comme un con, le souffle encore saccadé. J’entends un bruit, mets du temps à
percuter que c’est la capote qui vient de chuter et s’étaler sur le sol. La capote
pleine. Au moment de l’impact, mon sperme a giclé et s’est alors répandu sur le
carrelage, mes chaussures, mais aussi mon pantalon qui se trouve sur mes chevilles.
Tuez-moi !
Chapitre 27
Faustine
Continue de marcher, ne te retourne pas. Surtout pas. J’ignore encore pourquoi j’ai
fui ainsi la scène de crime, mais je l’ai fait. Je ne suis pas fière de moi. Rien à
voir avec le fait d’avoir couché avec Johnny. Ah ça non. Comment pourrais-je
regretter d’avoir cédé ? Je crois bien que c’est la meilleure décision que j’ai
prise de toute mon existence. C’était si… je n’ai pas les mots. Ce que j’ai éprouvé
entre ses bras était si fort, si intense, si puissant… En réalité, je crois bien
que c’est pour ça que j’ai pris la poudre d’escampette. J’ai eu peur. Peur de
m’ouvrir, peur de ressentir, peur de souffrir… Je n’ai eu de cesse de me répéter «
tranquille, Faustine », « ne t’emballe pas, bordel », « n’oublie pas, c’est un
poulet », mais c’était peine perdue. Malgré le côté primitif et salace de la scène,
mon petit cœur a sombré dans un océan de passion. Les sentiments m’ont submergée,
m’ont engloutie par vagues sans me laisser une seule chance de m’en sortir.
Je me suis noyée…
Mon pouls, erratique, ne parvient pas à se calmer. Mon organe vital bat
frénétiquement dans ma poitrine qui se soulève à un rythme effréné. Franck
m’interpelle, je crois qu’il me demande si tout va bien, mais je ne réagis pas. Je
l’ignore et poursuis mon chemin d’un pas énergique. Je n’ai même plus de culotte et
mon bas-ventre crépite encore. Je suis perdue, comme anesthésiée. N’est-ce pas ce
que je voulais ? Vivre, ressentir… Sauf que je me suis sauvée, car mon cœur
débordait. Il dégueulait de mièvreries et de sentiments incontrôlables. Plus je
prends conscience de cette énormité et plus je monte en pression. Comment ai-je pu
tomber ainsi dans ses filets ? Il n’y a qu’à bien le regarder et écouter ses
collègues pour comprendre qu’il ne souhaite pas se caser. Le pire, c’est que c’est
moi qui me suis exhibée à plusieurs reprises pour qu’il craque.
Suis-je si repoussante ?
Une fois dans ma chambre, je me laisse retomber lourdement sur le bord du lit.
Assise, je commence à être prise de remords. Je l’ai abandonné dans les toilettes,
la fleur au fusil, le pantalon sur les chevilles. Je crois que je ne pourrai plus
jamais le regarder dans les yeux. J’ai honte. En même temps, si je réfléchis bien,
je préfère être celle qui l’a planté plutôt que l’inverse. Je pense que je ne
l’aurais pas supporté. Je l’aurais très mal vécu, c’est une certitude. Après, c’est
ridicule, puisqu’on ne s’est rien promis, n’est-ce pas ? C’était juste un petit
coup comme ça…
Je soupire, ce mec est un dieu du sexe. Déjà, il est gaulé comme un Appolon, mais
surtout il sait magner son corps à la perfection. La force qu’il a dans les
membres… Il m’a soulevée comme si je pesais deux fois rien. Et alors, il a dégusté
Moumoune comme si c’était du caviar. Léo ne s’est jamais aventuré dans cette zone-
là, mais les deux autres oui. Et bah vous me croyez ou non, mais l’espace d’un
instant, j’ai pensé qu’ils avaient muté en clébard. Ils me léchaient, me lapaient,
me mordillaient comme s’ils avaient reçu un nouvel os à mâcher. Je m’étais dit plus
jamais. Et puis, Johnny m’a prise de court… Je m’allonge sur le matelas, au-dessus
des draps, les bras et les jambes grands ouverts. Je fixe le plafond, le cerveau à
l’envers, les babines à l’air. J’ai l’impression de sentir encore son odeur, le
parfum de son gel douche qui me rend ivre. La chaleur de son corps me manque, tout
comme son souffle, sa voix, son magnétisme… Et puis soudain, une idée saugrenue
germe sous mon crâne, dans mon esprit un peu trop fertile.
Et si je le rejoignais ?
J’hésite, ce serait de la folie. Pourtant, la possibilité de passer la nuit avec
lui fait battre mon cœur à une cadence que je n’imaginais pas être envisageable.
Cela m’effraie, mais c’est précisément ce sentiment d’urgence qui coule dans mes
veines qui me galvanise. Je me relève, cours dans tous les sens. Je dois reprendre
une douche ou pas ? Est-ce que je dois me changer ? Remettre une culotte ?
Merde !!!
D’ailleurs, elle est où ma culotte ??? Mes joues se colorent à vitesse grand V
quand je réalise que Johnny l’a probablement gardée. Je suis dégoûtée, c’était ma
préférée. Je me vois mal aller le confronter et lui demander de la récupérer. Est-
ce que vous pensez que je peux exiger un boxer de lui dans ce cas ? Bah quoi ? Ce
n’est pas juste, il…
Qui est-ce ? Jack ? Vu l’heure tardive, je ne sais pas qui ça peut être d’autre. Le
cœur tambour battant, je me précipite sur la porte que j’ouvre à la volée.
Fausse alerte !
— Comme vous n’avez pas mangé, j’ai imaginé qu’un encas vous ferait plaisir, me
lance-t-il timidement.
— Oh… merci beaucoup ! C’est super gentil ! Merci d’avoir songé à mon estomac,
répliqué-je alors que mon ventre gargouille au même moment comme s’il approuvait
cette belle initiative.
Ah ! Génial ! Je vais quand même pouvoir me rattraper et réparer mon erreur en lui
demandant comment il se porte !
— Antoine ! commencé-je, sur un ton beaucoup plus enthousiaste que tout à l’heure.
— Oui… c’est mon commis, il est venu m’apporter à manger et… et… euuuh… tu veux
partager avec moi ? Tu as faim ?
— Si j’ai faim ? répète-t-il, le timbre grave en avançant lentement vers moi, tout
en refermant ma porte d’un geste du pied.
Seigneur…
Comment ai-je fait pour ne pas m’en apercevoir plus tôt ? Pour être si aveugle ? Ses
cheveux bruns en bataille, ses yeux couleur métal parsemés d’éclats dorés, sa
mâchoire carrée, ses lèvres charnues, ses grains de beauté… Son physique ravageur
m’éblouit. Je me souviens de la première fois que je l’ai vu. Il est vrai que sa
beauté m’a happée littéralement. Et malgré son attitude peu avenante, je me suis
tout de suite sentie en sécurité à ses côtés, alors que je me retrouvais au milieu
de nulle part, en plein milieu des champs, avec un parfait inconnu. Pourtant, sa
taille imposante et sa carrure feraient peur à n’importe quel individu qui oserait
se mettre en travers de sa route. Et dire que je me suis accrochée à ses épaules
tout à l’heure, que j’ai glissé mes doigts dans sa chevelure…
— Tu sais ce que je fais aux gens qui me fuient, Keller ? gronde-t-il d’un air
féroce.
— Certains oui. La plupart. Je leur fais aussi leur fête si l’occasion s’y prête…
— C’est dangereux…
Il conclut sa phrase en plaquant ses mains contre le mur derrière moi, de chaque
côté de ma tête. Je bloque sur ses avant-bras saillants, ses veines gonflées qui
serpentent son épiderme. Je ne parviens même plus à parler, le son reste coincé
dans ma gorge. Mes lèvres s’entrouvrent, probablement à la recherche d’air, mais
j’ai malgré tout le sentiment d’étouffer. S’il continue son petit jeu, je vais
finir par crever d’asphyxie. Il me fixe, me sonde avec intensité. Puis, enfin, il
cesse son manège et fond sur ma bouche. Sa langue s’enroule à la mienne et c’est
comme si je pouvais à nouveau respirer. Comme si, il m’avait privée d’oxygène
depuis notre dernière étreinte. J’accueille ce baiser comme un cadeau du ciel. Une
libération, une délivrance… Ça réveille en moi tout ce que je craignais dans ses
bras tout à l’heure. Des sentiments bien trop puissants, bien trop profonds pour
mon petit cœur. Ses mains retirent mon foulchie, se faufilent dans mes cheveux.
Elles tiennent ensuite mon visage en coupe, puis se promènent sur ma peau. D’abord
sur ma nuque, puis sur mes clavicules, mes épaules. Elles longent mon dos, ma chute
de reins, effleurent mes fesses. Mon épiderme se barde de frissons, mon entrejambe
frémit de désir. Lorsque l’une de ses paumes me caresse l’intérieur des cuisses,
tout mon corps est pris de tremblements. Elle remonte paresseusement, se faufile
entre mes lèvres humides.
Sans nul doute, il fait référence à ma culotte. Ou plutôt à mon absence de culotte.
Son ton badin me donne envie de rentrer dans son jeu, de m’amuser avec lui. Mince
alors, mon cœur fait des loopings dans ma poitrine, ce n’est pas normal du tout.
— Il ?
— Comment ça ?
— Il sentait le poulet à plein nez, lâché-je.
Un éclat de rire tonitruant retentit alors dans la pièce, tandis que ses doigts se
figent en moi.
Sa bonne humeur est communicative. Mon cœur explose et un sourire immense me mange
le visage. Je crois bien ne jamais avoir été aussi heureuse qu’en cet instant
précis. Il me soulève une nouvelle fois avec facilité, me renverse sur ses épaules,
puis chatouille mes flancs. Je crie, tente de me débattre, mais c’est peine perdue.
Je n’en peux plus, je pleure de joie.
Il me rejoint avec agilité, tel un félin sur le point d’attraper sa proie, non sans
oublier de retirer ses groles au passage. Il avance lentement, pour finalement me
dominer de tout son poids. Ma cage thoracique se soulève à un rythme délirant tant
je suis assaillie par tout un tas d’émotions inédites. Mon cœur bat si fort dans ma
poitrine que j’ai l’impression qu’il va s’échapper d’une seconde à l’autre. Ce
constat m’effraie, et si c’était déconseillé ? Et si je prenais un risque pour ma
santé ? En même temps, je me suis répété ces fichues questions tout au long de mon
existence.
Les mots de mon médecin résonnent en moi, font écho sous mon crâne, vibrent dans
chaque particule de mon être. Je suis libre et vivante. Combien de fois vais-je
devoir me le répéter afin que mon cerveau enregistre l’information ? Autant de fois
qu’il le faudra. Je refuse que l’enfer que j’ai traversé conditionne la jeune femme
que je suis devenue aujourd’hui. Il m’a déjà beaucoup trop volé. Revigorée par cet
élan d’insouciance, j’attrape son tee-shirt, puis le tire vers moi pour unir ma
bouche à la sienne. Mon baiser est vorace, avide et enflammé. Je l’embrasse avec
passion et déraison, à m’en couper le souffle, à en perdre toutes mes peurs, mes
doutes et mes repères…
Chapitre 28
Jack
Nom de Dieu…
Elle va avoir ma peau, je l’ai toujours dit. Elle m’embrasse d’une telle façon que
j’ai le sentiment qu’elle me revendique et me réclame corps et âme. J’ai des
palpitations et des difficultés à respirer. La tempête émotionnelle dans laquelle
elle me plonge est un véritable cataclysme. Elle pulvérise une à une toutes mes
barrières, abat chacune de mes fondations. Ma main glisse sur ses courbes
voluptueuses, se faufile sous sa robe, cramponne sa fesse que je malaxe. Je n’ai
qu’une seule envie, me perdre en elle jusqu’à ne plus pouvoir me relever. Elle me
rend insatiable. Malgré notre petite baise rapide dans les chiottes il y a moins
d’une heure, j’ai encore faim d’elle au point d’en avoir mal au ventre. Mes doigts
agrippent sa chair délicieuse, se plantent en elle avec un appétit démesuré. Elle
m’observe, une lueur incendiaire au cœur de ses iris enflammés. Son regard est
comme envoûté, hypnotisé. Je crains d’y lire autre chose que de l’excitation pure.
J’ai peur, dans la mesure où demain matin tout sera fini. Il en a toujours été
ainsi et ça le restera. D’autant plus avec Keller. Je ne souhaite pas la faire
souffrir. Même si elle m’exaspère et me fout hors de moi les trois quarts du temps,
je sens une grande part de fragilité chez elle. Je n’envisage pas de la blesser
davantage. Je ne suis pas quelqu’un pour elle. Alors si cette nuit doit être notre
seule et unique nuit, je vais tout donner, car tout ce que je veux c’est elle et
exclusivement elle.
J’étouffe ses gémissements avec ma bouche, enfonce ma langue entre ses lèvres. Je
l’embrasse à en perdre haleine, comme si ma vie en dépendait. Je perds les pédales.
Je suis incapable de retenir les râles de plaisir qui s’échappent de ma poitrine.
Je mets fin à notre baiser en me redressant jusqu’à être à califourchon sur elle.
Mes prunelles la harponnent pour ne plus la lâcher. Un sourire carnassier sur mes
traits, je la dévisage, arborant fièrement cette allure de prédateur qui la fait
chaque fois frissonner un peu plus. Puis, lentement, mes paumes s’emparent du bas
de mon tee-shirt. Elles le remontent doucement, laissant peu à peu apparaître une
partie de ma ceinture d’Apollon, mes abdominaux saillants, mes pectoraux durs et
fermes comme de la pierre, pour enfin atteindre mes larges épaules. Keller me
dévore des yeux, se mordille l’intérieur des joues au fur et à mesure qu’elle me
découvre. Son regard débordant de luxure fait durcir ma queue qui forme déjà une
belle bosse dans mon pantalon. Mon érection est douloureuse tant le besoin que je
ressens de m’unir à cette femme est viscéral.
Je me débarrasse de mon haut, alors que les mains de Keller viennent parcourir
timidement mon torse, dessinant les lignes de mes abdos, effleurant délicatement
mes tétons qui se dressent et frémissent à son toucher. Elle y va à tâtons, comme
si elle était gênée et ça me rend fou. Elle paraît si innocente, comme si elle
n’avait pas l’habitude. Ce constat me rend encore plus dingue. Il électrise mes
sens au point d’avoir envie qu’elle n’ait connu que moi. Ce qui est risible,
parfaitement égoïste et surtout impossible puisqu’elle n’était clairement pas
vierge tout à l’heure. En attendant, c’est indéniable, elle n’a pas beaucoup
d’expérience. C’est un fait que je ne peux réfuter. Non pas parce qu’elle est
nulle. Pas du tout. Juste, je ne peux pas l’expliquer, je le lis dans ses yeux.
Même son corps parle pour elle. À cette idée, mon sexe durcit davantage. Je
poursuis et joue désormais avec la ceinture de mon pantalon. Elle coince alors sa
lippe entre ses jolies dents blanches, dans l’attente de plus. Je m’amuse avec la
boucle de mon ceinturon, puis finis par déboutonner mon jean. Son souffle se coupe,
ses lèvres s’entrouvrent machinalement. Je descends très lentement la fermeture
Éclair, et je m’esclaffe quand je l’entends gémir de frustration.
— Qu’est-ce qui t’arrive ? Je ne suis pas assez rapide à ton goût ? la taquiné-je.
Lorsque le tissu tendu de mon boxer apparaît, je la vois tiquer. Elle doit sans
doute se demander pourquoi je n’ai pas le même calbut depuis l’épisode des
toilettes. Elle n’a d’ailleurs probablement pas remarqué que j’avais également
changé de pantalon. Je la laisse gamberger. Hors de question que je lui avoue
m’être foutu du sperme partout. Ça, c’est un secret entre vous et moi. Me
retrouvant dans l’incapacité de poursuivre mon effeuillage, je la quitte quelques
secondes pour me redresser. Une fois en dehors du lit, j’ôte tous les vêtements
qu’il me reste. Désormais dans mon plus simple appareil, je scrute la réaction de
Keller. Ses pupilles brillent d’une vive étincelle. J’ai l’impression qu’elle va me
bouffer tout cru et c’est loin, très loin de me déplaire. Ma queue épaisse et toute
raide luit d’excitation. Je bande tellement fort que mon gland est déjà décalotté
et une perle de liquide séminal pointe sur le bout. Ma partenaire ne bronche plus,
je crois qu’elle a perdu sa langue. Puisque j’aime bien l’allumer et la pousser à
bout, je la nargue en empoignant mon membre qui tressaille. Lentement, je descends
ma paume autour de ma virilité. Incapable de me contenir, un soupir lascif
m’échappe. Je me branle, sans jamais la quitter des yeux. Plus je la regarde, et
plus je suis fasciné par sa beauté. Ses cheveux éparpillés sur les draps, son
visage à la fois si innocent et empli de luxure. Finalement, ça la représente bien,
je trouve. Si fragile et si rebelle à la fois, si forte et si frêle en même temps.
Cette fille est un paradoxe à elle toute seule. Je n’en peux plus et décide de la
rejoindre. Néanmoins, je vous avoue être un tantinet embêté. J’ignore quel
comportement adopter. Je suis nu alors qu’elle est encore tout habillée. Je
voudrais lui retirer sa robe, mais suite à son rejet tout à l’heure, j’ai peur de
la braquer à nouveau. Je ne souhaite pas la mettre dans une position délicate, et
encore moins apercevoir des larmes affluer dans ses magnifiques iris verdoyants.
Elle doit sentir mon malaise, puisqu’elle me sourit à présent tendrement.
— Je reviens, ne bouge surtout pas, me lance-t-elle alors qu’elle saute du lit pour
aller s’enfermer dans la salle de bain.
— Je ne comptais aller nulle part… dis-je tout en étudiant chacun de ses faits et
gestes jusqu’à ce qu’elle disparaisse de ma vue.
— J’ai pensé que… commence-t-elle. Puisque je ne souhaite pas retirer mon haut,
j’ai switché ma robe avec un tee-shirt et un pantalon. Comme ça, tu peux quand même
enlever le bas, enfin, je veux dire…
Elle est mignonne quand elle s’empourpre de cette manière, embourbée dans ses
explications. Même si je rêve de voir ses seins, et encore plus de savoir pourquoi
elle se cache de cette façon, je n’insiste pas. C’est vrai, quoi… je ne suis pas
son mec après tout, cela ne me regarde pas… Je grimace à cette pensée. Tout ça, ce
ne sont que des conneries, des balivernes. Je vous mens ainsi qu’à moi-même. Bien
sûr que je meurs d’envie de connaître les raisons de sa pudeur, de ses réticences.
Pire, ça me tue qu’elle n’ait pas suffisamment confiance en moi au point de se
mettre à nu, de me livrer ses secrets. Quelque part, ça me fait mal. Bien plus que
ça ne le devrait et ça, ça craint.
Toute gênée, elle progresse lentement dans ma direction, jusqu’à glisser sa paume
dans la mienne. Comme pour me prouver que ça a constamment été électrique entre
nous, un coup de jus nous parcourt au contact de nos deux peaux. Nous nous
sourions, amusés par la réaction de nos corps qui s’aimantent et qui s’épousent à
la perfection. Nous nous embrassons à nouveau, incapables de résister à cette
violente attraction. Elle me désire autant que je la désire. Moi, le gendarme
qu’elle semble détester. Je ne sais toujours pas pourquoi elle ne peut pas encadrer
les flics. Une mauvaise expérience visiblement. À cette pensée, bien que je ne
connaisse pas les faits, je ressens une profonde colère envers mes collègues. Si
Keller agit ainsi, ils ont dû merder et bien comme il faut.
Bon sang !
Cette barrière en béton armé que j’ai façonnée depuis tant d’années… En réalité,
dès que j’ai été en âge de comprendre que le véritable amour n’existait pas. Que
c’était un nuage de fumée, un fichu mensonge ! Ce n’est qu’un concept, un argument
de vente, un putain de business. En public, mes parents ont toujours sauvé les
apparences, mais une fois à la maison, ils n’avaient plus besoin de se cacher.
Notre foyer était devenu un baisodrome. Entendre votre mère gémir alors qu’elle se
faisait prendre par tout un tas de types, ça a de quoi vous écœurer à vie. Cela ne
dérangeait pas mon paternel, il s’en fichait, puisque lui aussi était occupé dans
les bras d’autres femmes.
Ils me dégoûtent…
Si seulement cela avait pu être un jeu pour eux, une sorte de complicité au sein de
leur couple, mais non. Il n’y avait strictement rien entre eux mis à part moi, le
fruit d’une capote percée. Je ne l’invente pas, ce sont mes géniteurs eux-mêmes qui
me l’ont avoué et rabâché tout le long de mon enfance. Ils sont restés ensemble
pour m’élever, mais avec du recul, ils auraient mieux fait de m’abandonner. Je
n’étais qu’un boulet, un fardeau qu’ils ont tenté de caler dans un coin pour
continuer de vivre dans la débauche et la luxure. Il n’y avait rien de sain dans
leur relation, bien au contraire. Je ne sais pas pourquoi je ressasse tout ça,
surtout dans un moment comme celui-ci, mais Keller a le don de bouleverser mon
monde, chasser mes démons et illuminer mon ciel assombri. Elle vient combler en moi
un vide dont j’ignorais l’existence. Elle est le maillon de la chaîne qu’il me
manquait, la dernière pièce du puzzle, incomplet et délaissé depuis trop longtemps.
Ce constat me paralyse, me tétanise de l’intérieur. Il me terrifie. Si elle éprouve
pour moi ce que je ressens pour elle, je dois me dépêcher de mettre un terme à
toute cette mascarade.
Chapitre 29
Jack
Perdu dans mes sombres pensées, Keller me ramène sur Terre. Ses doigts se promènent
le long de ma mâchoire crispée, pressent la dureté de mes épaules tendues. Ils
s’enfoncent dans ma chair contractée, alors que je me noie dans ses iris aux
teintes incroyables. Un vert pailleté aux étranges reflets dorés et caramel.
Je suis foutu…
— Je te l’ai dit, je n’irai nulle part… soufflé-je, la voix étranglée par ce trop-
plein d’émotions.
Et merde !
Je dois me ressaisir, je suis en train de fondre plus vite qu’une putain de glace
en plein soleil. Je ne me reconnais plus. Fort de cette nouvelle résolution, je
prends les choses en main. J’attrape son visage pour l’embrasser sauvagement. Je
mordille sa lèvre, suce la pointe de sa langue. J’étouffe ses gémissements, enroule
ses cheveux dans mon poing. Je la goûte, la dévore, la possède. Je la prive de la
moindre parcelle d’air compris dans ses poumons. Je déboutonne son pantalon, lui
retire en même temps que… que rien du tout. Elle ne porte toujours pas de culotte.
Elle rit et ce son si pur se répercute sous mes côtes et les parois de mon crâne.
Je m’empresse de la déshabiller pour faire taire ce besoin violent et abyssal qui
me tiraille de toutes parts. Désormais nue, excepté en haut, je descends jusqu’à
son intimité. J’ai faim, bordel. Pour la deuxième fois ce soir, je plonge la tête
entre ses cuisses afin de m’abreuver de son nectar. Ses lèvres exhalent une
fraîcheur qui me surprend. Après l’épisode dans les toilettes, je ne m’attendais
pas à ça. Je suppose donc qu’au cours de son passage éclair dans la salle de bain
afin de se changer, elle a effectué un brin de toilette. Elle n’y était pas
obligée, mais cette douce attention m’excite davantage. En plus d’être canon et de
sentir le paradis, elle est succulente. Son goût est juste divin ! Je savoure son
miel sucré qui se dépose délicatement sur ma langue, quand elle finit par crier
d’extase. Alors que je me délecte de son jus qui me mouille le visage, ma
partenaire s’agite, s’arc-boute. Je remonte, un rictus fier et arrogant dépeint sur
mes traits de sale gosse. Un instant, je contemple avec admiration son air hagard,
puis je glisse la paume sur sa poitrine généreuse par-dessus son tee-shirt. Je ne
m’arrête pas en si bon chemin et poursuis jusqu’à me faufiler dans son dos. Je
dégrafe son soutien-gorge, toujours en respectant bien la barrière du tissu, tandis
qu’un hoquet d’effroi s’échappe de ses lèvres.
Elle gémit, mon souffle chaud faisant frissonner la peau fine de sa nuque. Elle
n’est plus qu’un corps en perdition, luisant et fiévreux. Elle hoche la tête pour
me donner son aval, je ne perds pas une seconde. Je lui retire son soutif, tout en
restant vigilant. Je ne veux surtout pas rompre la confiance qu’elle me porte.
Aussitôt fait, ma bouche se retrouve au bout de son sein. Malgré la barrière du
textile, son contact m’excite bien plus que n’importe quelle autre paire de nibards
que j’ai pu peloter dans ma vie. C’est fou le pouvoir qu’elle a sur moi. Je mords
son téton et le suce à travers le tissu. Je tête l’un, puis l’autre. Pas de jaloux.
Je les prends dans mes mains, les pétris sans douceur, les soupèse. Keller ahane,
se cambre, écarte les cuisses de manière à ce que je me loge entre elles. Ma queue
ne tarde bien évidemment pas à trouver le chemin, mon gland se plaçant à l’orée de
son vagin. Affamé, je me redresse et attrape son bassin pour améliorer l’axe. J’en
profite allégrement et frotte le bout de ma bite qui suinte sur son clito gonflé.
Je la fais coulisser le long de sa fente, titille son orifice qui ne réclame qu’à
m’aspirer. Je me contiens, me fais violence, car moi aussi je ne demande qu’à
m’enfouir en elle jusqu’à la garde.
— J’ai plus de capotes… annoncé-je, haletant et tremblant par l’effort
incommensurable que cela représente pour moi.
Bordel de merde !
Elle est si chaude et si humide. Elle est plus que prête pour moi. Je n’en peux
plus, je vais craquer.
Je prends la pilule…
Qu’est-ce que cela signifie ? Qu’elle me donne son consentement pour la pénétrer
sans plastique entre nous ? Bon sang… je ne l’ai encore jamais fait sans
préservatif. J’ai constamment refusé de dépasser cette limite. Toujours à cause de
cette fameuse muraille infranchissable que j’ai érigée pour me protéger moi, et
surtout me préserver d’une éventuelle progéniture non désirée. Hors de question que
je reproduise le schéma de mes géniteurs. Déjà que même avec des capotes, il y a
des loupés. Et je parle en connaissance de cause, puisque je suis justement un de
ces loupés.
C’est pour moi un véritable cas de conscience. Pourtant, son visage angélique me
fait basculer du côté obscur. Mon cœur bat à tout rompre, alors que je prends la
mesure de sa confiance placée en moi. Confiance ou inconscience. Pas une seule
fois, elle se soucie de savoir si moi aussi je suis en bonne santé. Je devrais
peut-être m’en inquiéter, mais étonnamment, moi aussi j’ai une confiance aveugle en
elle. Ça grouille au plus profond de moi, dans mes tripes. C’est comme une
évidence. Et puis, si notre nuit s’achève dans quelques heures, je peux bien
m’accorder au moins une fois dans ma vie cette douce folie. De toute façon, elle me
fait faire n’importe quoi depuis le tout début. Je flanche au fur et à mesure que
ma verge la pénètre lentement, centimètre par centimètre. Un râle puissant et
libérateur m’échappe. Cette sensation est totalement inédite. Elle est si serrée
que j’ai le sentiment de détecter la moindre aspérité. Ma queue est aux anges,
fourrée bien au chaud au fond de sa chatte.
Seigneur…
Je ne pourrai plus jamais toucher une autre femme après ça. Le souffle coupé tant
le plaisir me prend de court, je commence à bouger délicatement. Ses ongles
agrippés fermement à mes hanches s’enfoncent dans ma chair. La douleur que cela
m’inflige s’annihile avec les décharges de bonheur qui me ravagent de l’intérieur.
Elle soupire, gémit alors qu’elle se donne à moi entièrement. Mes coups de reins
sont de plus en plus puissants, la faisant ainsi crier plus fort. Mon ego se gonfle
encore un peu plus, mon orgueil de mâle alpha en pâmoison. Putain, ça me plaît. Je
m’active et la pilonne désormais de toutes mes forces. Je suis en feu. La seule et
unique chose qui compte à l’instant, c’est sa jouissance. Chaque fois que mon sexe
heurte le sien, sa poitrine ballotte dans tous les sens. À cet instant précis, je
rêverais de posséder des superpouvoirs. Je vous laisse deviner lequel en
particulier… celui de voir à travers les vêtements, bien entendu. Je suis en trans
tant j’accélère la cadence. J’attrape ses chevilles pour tendre ses jambes et les
écarter davantage. Je la culbute à un rythme effréné. Keller en profite pour
caresser mon abdomen qui se contracte à son toucher, puis mon torse qui se soulève
frénétiquement. Elle dessine les courbes de ma mâchoire, un doux sourire sur les
lèvres, ses prunelles porteuses d’un message qui me fait bien trop peur. Par
chance, elle met fin à notre échange en se redressant sur les coudes, puis en
matant outrageusement ma queue pleine de mouille aller et venir en elle. Je grogne
tant cette vision est terriblement érotique.
Il ne m’en faut pas plus pour que j’explose moi aussi en retour. J’éjacule, en
émettant un grognement puissant digne d’un homme des cavernes, mon foutre giclant
en plusieurs jets intermittents tapissant ainsi les cloisons de sa chatte. Je
n’avais jamais connu une telle libération jusqu’à présent. J’ai l’impression de la
marquer, de délimiter mon territoire. Et voilà que je me prends pour un putain de
clébard, bordel !
Nous restons un moment sans bouger, imbriqués l’un dans l’autre. Seul le bruit de
nos respirations haletantes résonne dans la pièce. Chose que je ne fais jamais au
grand jamais quand j’ai fini, je continue d’enlacer Keller. Je ne parviens pas à me
détacher d’elle. Je recule mon visage jusque-là niché dans sa nuque, rive mon
regard au sien, puis dépose un doux baiser sur ses lèvres délicates. Nos bouches se
meuvent avec paresse, alors que de drôles de picotements embrasent mon bas-ventre.
Nous sommes sur notre petit nuage, jusqu’à ce que je sente mon sperme couler
insidieusement le long de mes cuisses. Keller le détecte aussi et s’esclaffe.
Grosse erreur. Mon foutre s’éjecte de son vagin en plus grande quantité, ainsi que
ma queue à présent ramollie. La miss éclate de rire pour de bon, tandis que moi
j’en ai partout. Encore. Cependant, cela ne m’empêche pas de me joindre à elle et
de rire.
Rien ne va plus…
Chapitre 30
Faustine
Ma première pensée est : je dois prendre rendez-vous avec mon médecin ! J’ai
absolument besoin de savoir si je peux m’adonner au sport de chambre à pratique
intensive. Hautement intensive…
Ma deuxième pensée est : nom d’un perroquet ! Je ne vais plus pouvoir marcher
correctement !
Mes paupières papillonnent alors que j’émerge progressivement. Mon désir de m’unir
à Jack pour la quatre, cinq, sixième fois, je ne sais plus, est incontrôlable. Mon
bas-ventre s’embrase à nouveau, mon clitoris pulsant frénétiquement de passion. Je
tends le bras, me décale dans le lit afin de me blottir contre lui. La seule chose
qui m’accueille est le drap froid. Mon cœur loupe subitement un battement. Mes yeux
s’ouvrent brusquement à la recherche de l’homme qui a bouleversé ma nuit et, soit
dit en passant, mon existence. La panique me gagne. Il ne m’a tout de même pas
laissée en plan après ce que l’on vient de partager ? Non ! Je refuse d’y croire, il
ne peut pas me faire ça… J’observe l’heure sur mon téléphone portable : cinq heures
du matin.
Outch… ça pue…
Putain, ça fait mal. Affolée, je me lève pour en avoir le cœur net. Je gémis à
cause des courbatures, allume la lumière et parcours la pièce du regard dans le but
de trouver ses affaires. Je fouille également dans la salle de bain. Le résultat
est sans appel, il n’y a plus aucune trace de Jack. J’ignore simplement si c’est
possible, mais j’ai l’impression que mon organe vital se disloque sous le choc. Je
confirme, il s’est barré. La déception qui me gagne est telle que mes yeux se
noient dans un océan de tristesse. C’est n’importe quoi. Je surréagis. Je dois me
ressaisir. Afin d’endiguer les larmes qui affluent beaucoup trop vite,
j’entreprends d’aller me laver pour me changer les idées.
Erreur…
Il était démentiel…
Néanmoins, son absence me revient dans la face tel un boomerang lancé à pleine
vitesse. Je tente de me rassurer, il s’est probablement rendu à son travail.
Pourtant, leur entraînement sportif commence en général aux alentours de six
heures. Pas cinq. Il est peut-être juste retourné dans sa chambre pour se reposer.
Voilà, ça doit être ça. Je soupire, puis me glisse sous l’eau chaude, cette fois-ci
complètement nue. Vous allez me prendre pour une folle, mais une part de moi se
brise à l’idée de me débarrasser de son odeur sur ma peau. J’aurais aimé la garder
plus longtemps, mais force est de constater que je ne peux pas aller au boulot
ainsi. Je suis certaine que je sens le cul à des kilomètres à la ronde.
Jack…
Ma poitrine me fait mal, comme si ma cage thoracique était désormais lestée d’une
chape de plomb invisible. Sous les jets brûlants, des flashs de ces dernières
heures me hantent, des images de nos deux corps ne faisant plus qu’un. Du feu
d’artifice qui scintillait au creux de mon ventre et surtout dans mon cœur.
L’étincelle dans ses yeux était pourtant là, bien présente. Elle était réelle, j’en
suis persuadée. Ce que nous avons partagé était… je refuse de croire que ce n’était
que du sexe. Ce n’était pas le cas, n’est-ce pas ? Une larme coule le long de ma
joue, suivie par d’autres. Ce que je peux être crédule… Sous prétexte que je passe
une nuit explosive avec un homme, c’est le prince charmant. Ça doit être le trop-
plein d’endorphine qui me détraque complètement le ciboulot.
Après m’être lavée, je me suis posée l’espace de quelques instants sur le bord de
mon lit. J’ai attrapé la petite pierre en forme de cœur au fond de la poche d’un de
mes pantalons, celle-là même qui me suit partout depuis le jour où mon destin a
basculé. C’est peut-être ridicule de ma part, mais je la considère comme un porte-
bonheur. Elle me réconforte et m’apaise, et j’en avais besoin après tout ça.
Ensuite, je me suis rendue directement en cuisine. Malgré le peu d’heures de
sommeil, il était évident que je n’allais jamais pouvoir me rendormir. Depuis, je
gribouille des idées de recettes et de menus sur mon calepin en attendant l’arrivée
de ma brigade. Je regarde ma feuille et soupire tant il y a de ratures. Il faut
dire que je ne parviens pas vraiment à me concentrer. Je ne cesse de zyeuter sur
mon téléphone pour voir si j’ai reçu un message de Johnny. Plus le temps passe,
plus je désespère, alors qu’en soi, ça va, il n’y a pas mort d’homme, il est
seulement six heures et demie. Néanmoins, un sentiment désagréable me titille
l’échine. Il devrait être en train de s’entraîner avec son équipe dans le jardin ;
or il n’y a toujours personne. Je m’efforce de recouvrer mes esprits, me sers un
café même si je ne suis pas une adepte de cette boisson. Il me faut un sérieux coup
de peps pour me rebooster.
— Je t’ai déjà dit de me tutoyer, je vais réellement finir par me fâcher, rouspète-
t-il aussitôt.
— Le PSIG…
— Ne t’en fais pas, c’était prévu dans les clauses de notre contrat. Je savais
qu’ils pouvaient être contactés à tout moment. Toi comme moi savons que je n’ai pas
besoin de ça. Si je continue mon activité, c’est uniquement pour m’occuper. Je ne
supporterais pas de vivre ici tout seul. D’ailleurs, pour être tout à fait honnête
avec toi, je préfère qu’ils aillent aider des gens en détresse plutôt que de rester
au château pour emplir mon tiroir-caisse.
Christian est un homme bon et il me le prouve une nouvelle fois. Il est vrai qu’il
n’a pas de problème financier, loin de là même. Pour autant, cela ne veut rien
dire. Nous connaissons tous une personne ultra blindée qui est encore plus radine
que le pauvre SDF du coin. L’argent fait tourner les têtes et malheureusement, plus
tu en as, plus tu en veux. Ce qui n’est clairement pas le cas de Christian.
Aujourd’hui en âge de partir à la retraite, il ne souhaite surtout pas en entendre
parler. Je crois surtout qu’il est effrayé à l’idée de se retrouver tout seul
depuis le décès de sa femme. Ce qu’il ignore c’est que je serai toujours présente
pour lui. C’est comme un second père pour moi.
— Arrête un peu, tu veux ! Profite que ton contrat soit terminé pour te reposer. Je
trouve que tu as une mine fatiguée.
S’il savait…
— Écoute un vieux sage comme moi. C’est tout nouveau pour tout le monde. Tes
parents vont finir par lâcher du lest, je te le promets. Ils doivent juste ouvrir
les yeux. Peu importe le temps que ça nécessitera, laisse-les s’adapter. Ils ont
aussi besoin d’être rassurés.
Je sais qu’il a raison, mais que c’est difficile, parfois ! Par moment, j’ai envie
d’envoyer chier l’univers et de partir loin, très loin ! Sans même me retourner.
Mais qu’est-ce que cela fera de moi ? Une sale gamine capricieuse et égoïste qui a
déjà fait de la vie de sa famille un enfer. Voilà la réponse. Donc je prends sur
moi, ronge mon frein et croise les doigts pour qu’un jour ils réussissent à
surmonter le traumatisme que je leur ai imposé bien malgré moi durant toutes ces
années.
La journée est passée vite finalement. Comme j’étais venue en renfort pour le
fameux stage du PSIG, Christian n’a plus besoin de moi, alors j’ai flâné dans les
différents jardins du château. Je me suis baladée sur mon île préférée, puis j’ai
marqué un temps d’arrêt sur mon banc fétiche. Évidemment, même ce lieu, il a fallu
que Johnny me le parasite. J’avoue, je ne suis pas parvenue à me le sortir de la
tête. J’ai déverrouillé mon téléphone un nombre incalculable de fois dans l’espoir
d’apercevoir un petit 1 apparaître sur l’icône des messages. Nada. Que dalle. Rien
du tout. L’annonce de Christian ce matin m’a rassurée. Il ne s’est pas sauvé parce
qu’il a passé la nuit avec moi, mais parce qu’il a eu une urgence. C’est horrible
ce que cette simple information suscite en moi. L’espoir pernicieux qui s’infiltre
sous ma peau, coulant sournoisement dans mes veines. Aussi, n’étant plus capable de
rester dans cet endroit sans penser à lui, et surtout, puisqu’il est inconcevable
pour moi de dormir une nuit de plus dans ma chambre après les souvenirs que j’en
ai, j’ai repris la route direction chez mes parents. Comme ils ont eu vent de la
fin de ma mission (merci Christian), ils ont insisté pour que je mange avec eux.
J’y ai vu là une excellente solution pour oublier le temps d’une soirée, celui qui
m’a retourné le cerveau.
Quand j’approche de la maison, un sourire attendri émerge sur mes traits. Rien ne
change ici, et cela m’apporte une certaine dose de réconfort. J’admire notre jardin
comme toujours impeccable, puis pousse la barrière du portail en levant le petit
loquet de sécurité. Je traverse la grande allée, me rends au sous-sol, emprunte les
escaliers qui grincent, puis accède au rez-de-chaussée. Chaque fois, mes parents
râlent. Ils veulent que je passe par la porte d’entrée. Ce n’est pas près
d’arriver, les mauvaises habitudes ont la dent dure.
— Salut M’man !
— J’espère que tu as fait attention sur la route, grommelle aussitôt mon père.
Je les embrasse, car bien qu’ils soient super méga relou, je les aime à la folie.
Les retrouver assis tous les deux autour de la table, comme un bon vieux couple,
l’un préparant le repas, l’autre étudiant son journal, me réchauffe le cœur. Je
m’installe à leur côté et, évidemment, les questions ne tardent pas à pleuvoir en
mode rafale.
— Ça a été, ma chérie ? Ça n’a pas été pas trop dur ? Comment va Christian ? C’était
bien là-bas ? Tu as bien pris ton traitement ? Tu as pensé à rappeler ton
chirurgien ?
— M’enfin ! Bruno ! Bien sûr que si elle est épuisée, tu le vois bien ! Tu as de ces
questions parfois…
Je les regarde se pouiller comme ils savent si bien le faire depuis toujours. Mes
parents, c’est ainsi qu’ils s’aiment. À première vue, tout porte à croire qu’ils
sont à deux doigts de se foutre sur la tronche, mais non, rassurez-vous. Ils se
chérissent d’un amour indéfectible. Je ris en les observant chacun leur tour se
renvoyer la balle. Heureusement que ce n’était qu’un contrat d’une semaine, sinon
je n’imagine même pas leur réaction. Quand ils ont terminé, je me lance et prends
la parole. Je leur énumère chacun des menus que j’ai élaborés. Mon père insiste sur
l’identité de mes convives, malgré le fait que je ne puisse rien lui dévoiler.
Puisqu’il est obstiné, il ne lâche pas l’affaire. Sauf que, les chiens ne font pas
des chats, je suis encore plus têtue que lui. D’ailleurs, si au début de mon séjour
au château, je ne comprenais pas cette clause de confidentialité, désormais tout me
paraît clair. Il est évident que pour des raisons de sécurité, l’unité d’élite du
PSIG ne pouvait dévoiler son emplacement. D’autant plus que des informations
secrètes allaient être dévoilées, tout comme des méthodes de travail ou encore des
techniques de combat. Je réconforte ma mère, lui mentionne que j’ai rendez-vous
avec mon chirurgien pour une visite de contrôle d’ici quelques jours. Lorsque j’ai
achevé mon rapport détaillé, soit une heure plus tard, nous passons à table.
— Steak haché et purée maison pour ma petite princesse ! Je te l’ai écrasé comme tu
aimes, me précise alors celle qui m’a donné la vie.
— Maman…
— Si, mais tu sais, j’ai trente ans maintenant… Je peux le faire moi-même…
— Ma puce, je t’écraserai toujours ton steak même lorsque tu auras soixante ans !
Enfin, si je suis encore de ce monde, plaisante-t-elle, le visage radieux.
— Ce n’est pas demain la veille que tu vas te débarrasser de nous ! Moi aussi tu
m’auras sur ton dos jusqu’au bout, ajoute mon père, amusé.
Nous rions tous les trois jusqu’à ce que nous allumions la télévision pour mettre
le journal. Le générique du vingt heures retentit et dès lors, j’ai plutôt intérêt
à la boucler. Chez les Keller, on ne rigole pas avec les informations ! D’autant
plus ce soir, où un événement tragique semble se dérouler en direct.
Chapitre 31
Faustine
Mon sang se glace comme à chaque évènement de ce genre. Je suis effrayée à l’idée
que mes proches deviennent un jour les victimes d’un acte terroriste. Les images
défilent, et un bon nombre de gendarmes apparaissent à l’écran.
Seigneur…
Est-ce pour cette raison que Jack et son équipe ont décollé tôt ce matin ? Je
scrute tous ces hommes en espérant ne voir aucun signe distinctif me permettant de
les reconnaître. Je ne suis pas certaine que je supporterais de les savoir sur
place. Le problème, c’est qu’ils sont tous cagoulés, il m’est donc impossible de
les repérer.
— Regarde-moi ça, toute cette flicaille… Ah ! Ils font moins les malins, là !
commente mon père tout en mastiquant son steak.
Si avant, ses remarques ne me dérangeaient pas, voire j’allais même dans son sens,
je m’aperçois qu’à présent, mon opinion a radicalement changé. Je prends sur moi,
je ne réponds pas, mais ce n’est pas l’envie qui m’en manque. Je reste concentrée
sur la télévision où l’on nous apprend que plusieurs attentats ont eu lieu tout au
long de la journée. Une salle de cinéma, un supermarché, un collège, un musée mais
aussi la sortie d’une gare très connue pour son affluence. C’est un véritable
carnage, nous remémorant ainsi de sombres moments. Notre pays est sur le pied de
guerre, tentant de couvrir l’ensemble des zones touchées. Toutes les forces de
l’ordre sont mobilisées afin de quadriller et sécuriser le territoire. De nouvelles
menaces ont été proférées, et les établissements sont dès lors fermés au public.
Les images défilent à l’écran, et je ne compte plus le nombre de victimes. Le pire
dans tout ça, c’est que le cauchemar n’est pas fini. Un groupe de terroristes s’est
retranché dans une usine en compagnie d’une dizaine d’otages. Apparemment, les
gendarmes se préparent à donner l’assaut. Cette situation me bouleverse. Mon cœur
bat à un rythme effréné, et je n’arrête pas de guetter mon téléphone en espérant
voir surgir un message de Jack à tout moment. Pourtant, pour une raison que
j’ignore, et aussi étrange que cela puisse paraître, je sais que je ne vais pas
recevoir de SMS de sa part. J’ai un mauvais pressentiment. Je le sens au plus
profond de moi. Puis, comme un signe du destin, un titre apparaît en bas de l’écran
dans une banderole rouge.
Je ne parviens plus à respirer. La fourchette que je tenais dans la main tombe sur
le rebord de mon assiette, alertant immédiatement mes parents.
— Tu vois ! Je te l’avais dit que c’était n’importe quoi toute cette semaine de
boulot ! Tu as vu dans quel état tu es ! Mais tu ne veux jamais écouter ton père !
s’énerve-t-il soudainement alors que je m’efforce de percevoir ce que la
journaliste déclare à la télé.
Je me lève, dépose mon assiette pleine à côté de l’évier, puis range mes couverts
sales dans le lave-vaisselle.
Elle a un sixième sens, c’est fou. L’instinct maternel, sans doute… J’ignore ses
questions et me dirige dans ma chambre, mon véritable sanctuaire depuis toujours.
J’ai passé ma vie dans cette pièce. Quand je n’étais pas à l’hôpital ni au château
avec Christian, j’étais ici, enfermée entre ces quatre murs qui m’ont bien souvent
étouffée. Durant toutes ces années, je n’aspirais qu’à une seule chose, m’échapper.
Pourtant, aujourd’hui, elle constitue l’essence même de tous mes repères. Je
m’assois en tailleur sur mon lit. J’observe mon bureau, ma bibliothèque remplie de
livres, mes différents souvenirs : peluches, babioles, cadres… J’ai besoin de me
raccrocher à quelque chose, de puiser dans ce que j’ai de plus cher pour ne pas
sombrer, pour ne pas paniquer.
C’est une simple coïncidence. Je m’allonge, contemple le plafond où j’ai collé une
quantité astronomique d’étoiles phosphorescentes. Lorsque mon moral me faisait
défaut, quand je pensais rejoindre ces astres illuminés, j’avais pour habitude de
fixer ce ciel constellé, de me perdre dans cette voie lactée. Allais-je moi aussi
devenir ce point brillant dans l’ombre de la nuit ? Malgré ça, rien n’y fait, mes
palpitations ne se calment pas. Je me redresse, attrape la télécommande posée sur
ma table de chevet, puis allume le téléviseur. Aussitôt, je choisis la chaîne
d’infos en continu et reste figée devant l’écran. C’est du direct et j’apprends que
l’assaut n’a toujours pas été donné. J’observe tous ces hommes vêtus de leur
uniforme, le visage masqué par une cagoule. Fiers et droits, armés jusqu’aux dents,
ils font bloc et attendent sûrement les instructions.
Mon Jack ?
La réalité.
Ma réalité.
La mienne.
La sienne.
[C’est plus fort que toi, hein ? Tu te la pètes tellement que tu es obligé de
passer à la télé.]
Je sais, c’est pourri, mais il n’y a que ça qui m’est venu. Les trois points
m’indiquant qu’il est déjà en train de m’écrire apparaissent aussitôt. Il était sur
notre conversation, il attendait mon message.
[Je n’en sais rien… Ceux de tes collègues ne sont pas mal non plus !]
[Si je ne reviens pas, sache que j’aurais aimé voir tes seins.]
[Non ?]
[Que tu dois t’en sortir indemne pour pouvoir les admirer… et peut-être même les
goûter !]
[Ne dis pas de bêtises. Tu as intérêt à te sortir de là, t’as compris ? Jack
Sparrow s’en sort toujours, lui.]
[Oui ?]
[Jack a dit, profite de la vie. Reste comme tu es, même si un jour un sombre crétin
te balance que tu es folle… Sois heureuse, Keller.]
Je ne parviens même plus à discerner quoi que ce soit sur l’écran tant j’ai de
larmes qui me brouillent la vue. Le seul truc que je réussis à distinguer, c’est la
voix de la journaliste :
Chapitre 32
Jack
Ça fait un petit moment qu’on s’est vus, lui et moi. La vie, la routine, le boulot,
tout ça, tout ça… Désormais, je regrette amèrement de ne pas avoir pris le temps de
le contacter pour qu’on aille boire un verre. On ne pouvait pas envisager un pire
scénario que celui-ci pour nos retrouvailles. En théorie, lorsque les membres du
GIGN sont sur place, ce sont eux qui agissent. Nous, nous nous occupons seulement
de boucler la zone, de sécuriser le périmètre. Nous sommes là en renfort.
Cependant, compte tenu du manque d’effectif à cause des nombreux attentats et de ma
relation avec Ezra, il a été décidé que nous allions donner l’assaut ensemble. Lui
et moi nous sommes inscrits à l’école de gendarmerie en même temps. Nous avons donc
déjà travaillé tous les deux, et ce, à maintes reprises. Je sais comment il bosse,
et vice-versa. C’est par conséquent pour cette raison que nous allons faire front
et collaborer main dans la main. L’agencement des lieux est complexe,
l’intervention périlleuse. Après un appel de plusieurs minutes avec le négociateur
du GIGN, le résultat est sans appel. Nous allons devoir entrer, et ce, coûte que
coûte. L’objectif de cette communication était de mettre fin à une crise en évitant
tout épanchement de violence supplémentaire, mais c’est un échec. Les trois
terroristes retranchés dans l’enceinte de l’établissement menacent d’exécuter les
otages si nous ne relâchons pas dans l’heure les autres attaquants interpellés plus
tôt dans la journée. L’un d’entre eux serait le frère de l’un des assaillants, ce
qui complique drastiquement la tâche, le rendant ainsi très instable. Enfin, encore
plus qu’il ne l’était déjà. Pour nous le prouver, il a éliminé une des victimes de
sang-froid. Il n’y a donc plus de temps à perdre. Nous allons entrer et essuyer les
tirs de ces fous furieux. Honnêtement, les chances qu’on s’en sorte tous indemnes
me paraissent relativement minces. Nos deux groupes vont devoir se coordonner, l’un
s’occupera de faire diversion, pendant que l’autre se chargera de libérer les
civils. Conclusion, ce sont ses gars ou les miens, lui ou moi… Il le sait, je le
sais. Nos hommes le savent.
— On fait comme on a dit. Ton équipe et toi allez passer par le côté ouest du
bâtiment, pendant que nous, nous allons créer une ouverture du côté est. Plusieurs
tireurs seront postés à l’arrière en cas de fuite et évidemment, des soldats
camperont à l’entrée principale. On les encercle, on ne laisse personne s’échapper.
On récupère les otages, et on coffre ces salopards. Est-ce que tout est clair pour
toi ?
— Toi et moi connaissons les enjeux. Bonne chance, camarade, me lance-t-il, une
lueur sombre dans le regard. On se retrouve après pour boire une bière comme au bon
vieux temps.
Nous nous serrons la main, puis partons chacun de notre côté. Mes gars sur les
talons, nous nous taisons, le temps étant à la concentration. Aucun bruit ne
retentit, mis à part celui de nos bottes qui tintent avec gravité sur le bitume ;
celui de nos boucliers qui s’entrechoquent tant nous marchons en bloc ; celui de
nos respirations cloisonnées derrière nos visières blindées. L’air est lourd,
oppressant. La tension monte, le stress grimpe en flèche. Néanmoins, c’est une
excellente chose, puisque c’est lui qui va nous permettre de maintenir l’ensemble
de nos sens en éveil. Il va déclencher tout un tas de capteurs en nous afin que
nous soyons opérationnels. C’est lui qui provoque l’adrénaline qui court
actuellement dans nos veines, nous stimule et nous guide. La meilleure approche
pour gérer ce genre d’événements, c’est de raisonner de façon tactique, ainsi on
évite de se laisser submerger par nos émotions. Cette technique se déroule en deux
temps. Le premier consiste à évaluer la situation de manière très méthodique. De
quoi s’agit-il ? Qui ? Avec qui ? Contre qui ? Où ? Quand ? Comment ? Pourquoi ? Puis,
en fonction des réponses apportées à ces questions, on détermine un objectif. Cela
nous permet de rester concentrés, de ne pas nous éparpiller. Dans ces conditions,
notre esprit reste focus sur le plan établi et rien d’autre.
Ou presque…
Aucun mot n’est prononcé, l’heure n’est plus à la parlotte. Je jette un dernier
regard à Marko, Steph et Sean. D’un clignement de paupières, nous nous disons tout
ce qu’il y a à nous dire. Nous n’avons pas besoin de plus. La cellule de crise qui
coordonne les opérations, établie non loin d’ici, va permettre à nos deux pelotons
d’intervenir en même temps, et ce à la seconde près. Juste avant de lancer les
hostilités, cette dernière nous a équipés, Ezra et moi, d’une oreillette. Celle-ci
émet un grésillement et je sais que c’est maintenant que tout va se jouer. Notre
but ultime ? Sauver les otages, stopper la menace, appréhender les terroristes,
morts ou vifs, afin d’éviter un nouveau carnage. La réussite de notre mission, il
n’y a que ça qui compte. Notre survie ? Secondaire. Si le prix à payer pour sauver
ces gens et éliminer ces individus est notre existence, alors nous en assumons les
conséquences. Le poids du sacrifice, la base de notre métier. Venir en aide à nos
prochains, quoi qu’il nous en coûte. Notre dévouement n’a d’égal que notre
altruisme envers notre pays et ses habitants. Un décompte à distance me résonne au
creux de l’oreille, c’est le feu vert que j’attendais. Dès lors, je mime ce dernier
avec mes doigts.
Trois…
Deux…
Un…
Deux explosions éclatent en simultané, un trou béant apparaît. Sans perdre une
minute, nous nous engouffrons dans la faille. L’ensemble de mes hommes s’accroche
fermement à leur bouclier pour essuyer les rafales qui se dirigent droit sur nous.
Comme on le redoutait, les terroristes se trouvaient de notre côté. Désormais, nous
n’avons plus qu’un seul objectif. Leur tenir tête, rester en vie pendant que
l’équipe d’Ezra les cueille par-derrière et récupère les otages. Les balles fusent,
les détonations des grenades retentissent. Un nuage de fumée nous obscurcit la vue.
L’air est saturé, une odeur ferreuse emplit alors l’espace, nous agressant
violemment les narines. Je n’ai pas le temps d’analyser la situation. Est-ce moi
qui suis blessé ? Mes camarades ? Je l’ignore, l’unique chose dont je sois capable,
c’est de faire barrage, de gagner de précieuses secondes et de tirer sur les
assaillants. Un de mes hommes s’écroule au sol, mon cœur se comprime
douloureusement sous ma poitrine. Néanmoins, je ne peux pas me laisser distraire.
Je tente d’endiguer cet élan de tristesse, mais aussi de rage incommensurable qui
s’empare de moi. Je ne dois pas laisser mes émotions guider mes actes, je lutterai
corps et âme, et ce jusqu’au péril de ma vie.
Chapitre 33
Faustine
Je vais vomir…
C’est au-delà de mes limites, je ne peux pas regarder. Je viens d’apprendre qu’ils
allaient entrer de force dans le bâtiment. Mon cœur bat à tout rompre, j’ai tout
simplement l’impression qu’on me l’arrache de la poitrine à main nue. Compte tenu
de la présence des otages, d’une négociation a priori sans résultats, et d’un degré
de menace toujours très critique, l’autorité chargée de maintenir l’ordre a décidé
de passer à l’offensive. Aucune information ne nous a été communiquée sur la marche
à suivre.
Les tirs continuent de pleuvoir à une cadence vertigineuse, puis tout d’un coup,
plus rien. Ça a été très, très vite, ça n’a duré qu’une minute ou deux. Est-ce déjà
fini ? C’est désormais le silence qui remplace le chant des balles. Plus aucun coup
de feu n’est échangé, même la journaliste reste muette, les lèvres suspendues à son
micro. Sûrement dans l’attente d’informations, tout comme moi et tous les Français.
Celle-ci, en plus d’être insoutenable, me paraît interminable, jusqu’au moment où
l’on apprend que les trois assaillants sont morts et que les otages sont sains et
saufs. C’est une bonne nouvelle, certes… mais moi, ce que je veux savoir, c’est
comment va Jack. J’ai besoin qu’on me dise qu’il va bien, qu’il s’en est sorti
indemne. Chaque seconde qui défile est un véritable supplice. Quand, enfin, il
commence à y avoir du mouvement, une ribambelle de pompiers accourent pour investir
les lieux. L’envoyée spéciale s’excite comme une dératée, ce qui a le don de
m’agacer. À croire qu’elle prend son pied, cette garce. À mon plus grand désespoir,
elle nous annonce qu’il y a trois blessés du côté des forces de l’ordre, dont deux
graves. Jack fait-il partie des victimes ? Est-ce que ses collègues les plus
proches, Mark, Sean et Stephen sont eux aussi touchés ?
Je ne parviens pas à lui répondre, tant l’angoisse qui coule insidieusement dans
mes veines et m’étreint la poitrine me paralyse. Évidemment, il ne lui en faut pas
plus pour pousser la porte et passer sa tête dans l’entrebâillement.
Alors qu’elle m’enchaîne de questions, elle me manipule dans tous les sens. Elle
touche mon front pour jauger ma température, pose le bout de son index et de son
majeur sur mon poignet afin de relever mon pouls, sort le tensiomètre de mon tiroir
de table de nuit…
C’est plus fort que moi. Pourtant, croyez-moi, tout en moi hurle de révolte, j’ai
envie de lui dire d’arrêter ça de suite. Mais, j’ai le sentiment d’être à nouveau
comme cette petite fille que j’ai toujours été. J’ai trop mal. Et j’ai peur aussi.
Je suis effrayée, peut-être même plus que lorsque je l’étais pour ma propre vie.
Non, pas peut-être, c’est une certitude.
Manquait plus que lui. Merveilleux. Ma tristesse ne cesse de se répandre sur mes
joues, me brouillant considérablement la vue. Je chasse ces larmes en me séchant
les yeux d’un geste rageur afin d’observer la télévision. Cependant, les images qui
défilent à l’écran sont désormais celles de l’attaque des assaillants et non
l’assaut des forces de l’ordre. Ils ne sont plus en direct.
Les mots restent bloqués dans ma gorge obstruée. Je n’ose pas leur communiquer la
source réelle de mes craintes.
— Il y a trois blessés, dont deux graves, bredouillé-je tant bien que mal.
— Tu ne vas pas te mettre dans un état pareil pour des flics quand même ? Ils font
juste leur boulot, c’est comme ça, c’est la vie, hein, maugrée mon paternel.
— Ce n’est pas parce que l’un d’entre eux a commis une erreur il y a de ça des
années qu’il faut tous les mettre dans le même panier. Il y a des flics bien…
avancé-je sur un ton que j’aurais souhaité être plus incisif.
Rien à faire, devant lui, je me sens minuscule. Et même si, là, tout de suite, je
suis en colère après lui, ça n’empêche qu’il reste mon paternel.
Ça va aller…
Chapitre 34
Faustine
Plusieurs jours se sont écoulés depuis l’attentat, et je n’ai reçu aucune nouvelle
de Jack malgré les nombreux SMS envoyés. Au début, le petit signe distinctif sur
mon écran me précisant que le message n’a pas été réceptionné m’a indiqué que son
téléphone était toujours éteint. Serait-il mort ? Mon Dieu, non, ils l’auraient
signalé aux infos. C’est d’ailleurs la seule chose à laquelle j’ai pu me
raccrocher. Pour qu’il ne puisse pas me répondre, il devait très probablement être
en soins intensifs. Puis, un matin, mes textos sont tous partis. Encore mieux, la
mention « lu » a fait chavirer mon cœur. Ma joie a été de courte durée, car j’ai vu
les heures défiler sans pour autant recevoir de réponses. Voilà où j’en suis
aujourd’hui, sept jours après cet événement tragique. Alors vous vous doutez bien,
je ne suis pas restée là sans rien faire. Non, j’ai harcelé la brigade de
gendarmerie où il travaille en les contactant tous les jours, mais ces cons ne
veulent me fournir aucune information. Je me suis même rendue sur place, sans
résultat. J’ai bien failli me faire coffrer. Encore. Sauf que là ce n’était pas
Johnny pour me passer les menottes, du coup c’était nettement moins drôle. Je ne
comprends pas. Je suis tellement désemparée que j’ai épluché tous les journaux pour
essayer de dénicher l’hôpital dans lequel il se trouve. S’il ne me donne aucun
signe de vie, c’est qu’il doit être gravement blessé.
— Oui, bonjour, j’appelais pour avoir des nouvelles du commandant Barrow, s’il vous
plaît, je suis une amie, tenté-je d’une voix douce, sans pour autant lui
transmettre mon nom afin de ne pas griller ma couverture.
— Madame Keller, commence-t-elle sur un ton qui ne me dit rien qui vaille.
Merde, loupé…
— Si vous continuez de nous harceler comme ça, on va finir par vous envoyer en
cellule !
— Ne quittez pas, j’ai un double appel, me répond cette morue, en soufflant comme
un bœuf dans le combiné.
— Non, mais… elle est cinglée celle-là… j’en reçois tous les jours des appels de
ses amies « ie » à Jack, mais celle-ci c’est la plus gratinée… va falloir faire
quelque chose… oui… un harem… okay… je ne sais pas où il va les dénicher sans
déconner… okay… l’entends-je baragouiner à quelqu’un, songeant probablement avoir
mis sur pause notre conversation.
Je ne parviens pas à capter ce que lui rétorque son collègue en retour, néanmoins,
ses paroles m’achèvent. Oh, ce n’est pas « le cinglée » qui me fait mal. Non, c’est
plutôt le « j’en reçois tous les jours des appels de ses amies “ie” ». Comment ça «
ie » ? Je ne suis pas la seule à chercher à le joindre ? Mais combien a-t-il de
femmes qui lui courent après ? Elle a fait mention d’un harem… non, je ne veux pas
y penser. Notre nuit était… différente… unique… Je ne peux pas croire que tout cela
n’était qu’un simple plan cul. Cette attirance, cette alchimie… Suis-je la seule à
avoir ressenti cette connexion ? Partage-t-il la même chose avec toutes les autres ?
Est-ce moi qui ai tout inventé, tout magnifié ? Agacée, je raccroche et relis les
derniers messages que l’on s’est envoyés juste avant le drame, juste avant qu’il ne
parte au purgatoire. Je les décrypte, les analyse…
A-t-il envoyé ce message à toutes ses fameuses conquêtes, justement ? Mon cœur
pleure, mes poumons manquent d’oxygène. J’étouffe, je me noie dans mes propres
larmes. Dans cet océan de tristesse qui m’engloutit un peu plus à chacun de ses
mots.
[C’est plus fort que toi, hein ? Tu te la pètes tellement que tu es obligé de
passer à la télé.]
[Je n’en sais rien… Ceux de tes collègues ne sont pas mal non plus !]
[Bravo Sherlock.]
Cet échange me fait sourire de nostalgie. Mais pourquoi a-t-il fallu que cet
attentat vienne tout gâcher ? Écoutez-moi… la petite fille égoïste qui ne pense
qu’à elle alors que des gens sont morts. Ça ne me ressemble pas. Jamais je n’ai
éprouvé autant de choses, autant de sentiments contradictoires envers une seule et
même personne. Nous venions tout juste de céder à cette tension qui nous habitait,
qui nous rongeait. Et c’était si… explosif !
[Si je ne reviens pas, sache que j’aurais aimé voir tes seins.]
[Non ?]
[Que tu dois t’en sortir indemne pour pouvoir les admirer… et peut-être même les
goûter !]
On est bien d’accord qu’ici, le message était clair, non ? C’est moi qui ai mal
interprété ses mots ? Quand il dit que c’est la plus belle chose que je pouvais lui
dire, c’est positif, bon sang ! Je suis larguée. Pourquoi ne me donne-t-il pas de
nouvelles ?
[Ne dis pas de bêtises. Tu as intérêt à te sortir de là, t’as compris ? Jack
Sparrow s’en sort toujours, lui.]
[Oui ?]
[Jack a dit, profite de la vie. Reste comme tu es, même si un jour un sombre crétin
te balance que tu es folle… Sois heureuse, Keller.]
Sois heureuse, Keller… il est drôle lui. Comment le pourrais-je alors qu’il m’a
lobotomisé le cerveau, retourné le cœur et ensorcelé l’âme. Je demande juste des
putains de nouvelles, bordel ! Après quoi, s’il ne veut plus jamais entendre parler
de moi, je disparaîtrai. J’ai seulement besoin de savoir s’il s’en est sorti, s’il
va bien. Si au début j’étais folle d’inquiétude, plus le temps passe et plus je me
questionne sur le fait qu’il me ghoste ou non. À cette pensée, mon ventre se noue
douloureusement. Heureusement, la sonnette de mon appartement retentit. Merde, ils
sont déjà là, je n’ai pas vu l’heure tourner !
— Okay, tu avais raison sur toute la ligne, avoue instantanément Jade à l’attention
de Lizzie.
— Qu’est-ce qu’elle a ma tête ? l’interrogé-je, surprise par son ton qui tintait
plus comme un reproche qu’autre chose.
Bon, en même temps, je n’allais pas non plus les laisser sur le palier, hein…
— Tu n’as même pas intérêt à nous baratiner, Keller… gronde alors Léo.
— Vous avez fini, oui… tu ne vas rien faire du tout… Il était parmi les gendarmes
qui ont donné l’assaut lors de l’attentat la semaine dernière…
— Il fait partie des blessés ? C’est pour ça que tu es livide ? s’inquiète Jade.
— Je n’en sais rien… je n’ai pas de nouvelles depuis… murmuré-je en rivant mes yeux
au sol.
Ils sont givrés, mais c’est aussi pour ça que je les aime. Un microsourire ourle
mes lèvres, tandis que je les regarde s’installer dans mon salon. C’est vrai que je
les ai tenus à l’écart toute cette semaine. Je ne me sentais pas capable de mettre
des mots sur ce que je ressentais, sur ce qui grouillait en moi. Cette multitude de
sentiments contraires qui s’entrechoquent. D’abord le bonheur après notre nuit
partagée, ensuite la peur qu’il lui soit arrivé quelque chose, l’incertitude et
l’attente qui en ont découlé, puis maintenant l’incompréhension la plus totale. Ce
n’est peut-être pas plus mal qu’ils soient là après tout, ils vont me permettre d’y
voir plus clair. Enfin, je l’espère… Et quand bien même ce n’est pas le cas, cela
me soulagera peut-être de vider mon sac. Je les rejoins et m’installe sur le tapis,
à même le sol. Léo me sert un verre, Jade gesticule pour se placer dans une
meilleure position et Lizzie s’enfile une poignée de gâteaux apéritifs.
Chapitre 35
Faustine
Bon, ce sont mes meilleurs amis, ils comprendront. Pas besoin de tourner autour du
pot cent sept ans, je prends donc une grande inspiration, puis me lance. Je passe
rapidement sur notre première rencontre, puis la deuxième puisqu’ils sont déjà plus
ou moins au courant.
— Qu’est-ce qu’elle est chiante ! Il faut toujours qu’elle mette quinze ans pour
nous expliquer quelque chose, celle-là ! me chambre Lizzie.
— Trois heures plus tard… marmonne Jade qui en rajoute une couche.
— C’est juste que j’ai signé un contrat de confidentialité ! Voilà pourquoi je suis
embêtée ! Je n’ai pas le droit de vous en apprendre plus sur ma semaine au château !
— Croix de bois, croix de fer, si je mens vous allez en Enfer ! glousse Lizzie.
— Ce n’est pas plutôt toi qui devrais y aller en Enfer ? la reprend Léo.
— Et pourquoi ce serait moi ? Je vous signale que je suis la plus sage de vous
trois ! s’offusque-t-elle, un sourire diabolique affiché sur son visage d’ange.
— Mais bien sûr ! lançons-nous de concert, amusés.
Bon, bah, quand il faut y aller, il faut y aller, hein… Je commence mon histoire en
débutant par mon arrivée au château, puis ma rencontre avec Johnny Depp et son
équipe. Je leur précise donc que leur présence au sein du domaine est
confidentielle et ne leur indique pas la nature de leur séjour. Ils n’ont pas
besoin de le savoir. En revanche, je leur relate la balade en moto, la partie de
paintball, le pique-nique sur la plage, notre baiser avorté par la vidéo de cette
pouffiasse de Charlotte, le tour à cheval… Je leur raconte tout ce qui me passe par
la tête, jusqu’à cette fameuse nuit… notre fameuse nuit…
— Respect… Il faudrait beaucoup plus d’hommes comme lui, tiens… confirme Léo, le
regard toujours rivé sur l’écran de mon portable.
Bon, je ne voudrais pas me montrer égoïste, mais ce n’est pas vraiment ce que
j’attends d’eux, là… Je le sais déjà, que c’est un héros…
— Le mec t’a dans la peau, ça ne fait aucun doute, m’annonce Lizzie, de but en
blanc et très sûre d’elle.
— Tu crois ? Et vous, qu’est-ce que vous en dites ? demandé-je alors à Jade et Léo.
— Je pense que pour une fois, Lizzie ne raconte pas que de la merde, approuve Léo.
— Il a quand même réalisé plein de trucs de ta liste… Pour un type qui souhaitait
seulement te sauter, il a donné de sa personne ! me fait remarquer à juste titre
Léo en me coupant la parole.
— Ma poule ! Le gars était sur le point de sacrifier sa vie pour son pays ! Juste
avant ça, il avait un laps de temps très court pour joindre ses proches. À qui il a
envoyé un message ? À toi, bon sang ! À toi ! Ça me paraît plutôt clair, non ? Et si
tu crois vraiment qu’il a également contacté d’autres nanas au même moment, excuse-
moi de te le dire, mais tu es sacrément conne ! s’emballe Lizzie.
— D’ailleurs, je repense à un truc, là. Il a écrit qu’il aurait aimé mater tes
nichons… Ne me dis pas que vous avez baisé sans avoir enlevé ton haut ? me
questionne Jade.
— Euuuuuh…
— Tu m’étonnes qu’il était heureux quand tu lui as annoncé qu’il pourrait les voir
après ! Si ça se trouve, tu lui as sauvé les miches ! Tellement déterminé à
découvrir tes gros nibards qu’il les a tous butés ! Ne jamais se mettre en travers
d’un homme assoiffé de grosses mamelles généreuses et appétissantes ! réplique Léo,
hilare.
— Vous avez fini, oui ! Ça ne me dit toujours pas pourquoi je n’ai plus de
nouvelles !
— Oui, ça je te l’accorde, c’est sacrément bizarre… relève Lizzie.
— Pauvre con, va ! Vous êtes vraiment des nazes, soupiré-je, amusée, mais dépitée.
— Tu sais quoi, ma biche ? J’ignore pourquoi il réagit ainsi ton commandant. Tout
ce que je sais, c’est qu’on est venus pour te changer les idées. Donc ce soir, on
va profiter et sourire à la vie. Okay ?
— Oui, enfin juste nous deux… lui répond Lizzie tout en nous regardant Léo et moi.
Vous deux, vous devez faire attention, et si j’ai bien compris, Faustine, tu as
déjà bien abusé ces derniers temps…
Faustine
— Allez, pète un coup tu veux ! On est ici pour s’amuser ! me rabroue Lizzie.
— Ça va ? me demande immédiatement Léo qui m’étreint contre lui dans une accolade
bienvenue.
Je ferme les yeux, inspire son odeur réconfortante, me laisse guider pas ses bras
qui me bercent tendrement. Cependant, mon accalmie est de courte durée, car lorsque
je me connecte à nouveau à la réalité, mes iris verdoyants se perdent aussitôt dans
deux prunelles orageuses. Je clos les paupières, puis les rouvre.
Jack…
— Je… je ne sais pas… il était là… juste là… bredouillé-je en pointant du doigt
l’endroit où j’ai cru l’avoir aperçu.
J’en tremble tellement je suis sous le choc. J’ai besoin de prendre l’air. Il fait
trop chaud ici, j’étouffe, j’ai du mal à respirer.
Je ne suis pas en état de protester. Je le suis sans broncher, alors que Lizzie et
Jade continuent de danser, inconscientes du bordel qui se trame sous mes côtes en
ce moment même.
— Bois un coup, ça va te faire du bien, me suggère mon meilleur ami lorsque nous
regagnons notre table.
Il est inquiet, je le vois dans ses yeux, je le connais par cœur. Je sais tout de
lui, du plus infime grain de beauté qui parsème sa peau mate jusqu’à ses moindres
secrets.
En réalité, ce n’était pas vraiment une interrogation, mais plutôt une affirmation.
Il me prend de court, j’ignore quoi lui répondre.
Oui ?
Non ?
Si je lui réponds non, ce serait clairement lui mentir. Si je lui réponds oui, ce
serait exprimer à voix haute quelque chose qui m’effraie depuis plusieurs jours. Ce
serait comme rendre tout ce bordel réel.
— Ce n’était pas une question, me souffle-t-il comme s’il lisait dans mes pensées.
Tu es amoureuse…
Amoureuse…
— Tu devrais retourner t’amuser avec les filles, je vous rejoins juste après avoir
retrouvé mes esprits, lui proposé-je gentiment afin de faire diversion.
— Oui, ne t’en fais pas pour moi. En plus, si tu restes ici, Lizzie risque de se
faire accoster par un autre. Ne la laisse pas seule trop longtemps, le taquiné-je,
un sourire aux lèvres.
— Ah non, hein ! À tout à l’heure alors, ricane-t-il, une mine canaille sur son
visage de beau gosse.
Je l’observe déambuler entre les tables, puis quitter la pièce pour regagner la
salle de danse. Moi ? Il faut que je sorte ! Que je prenne un grand bol d’air frais.
Je dois me ressaisir, inspirer à pleins poumons pour me gorger d’oxygène. Plus je
songe à Jack, plus je panique. La simple pensée qu’il ait pu lui arriver quelque
chose m’est tout bonnement insoutenable. J’ai besoin de savoir. Être dans
l’indifférence la plus totale me tue, son absence me ronge à petit feu.
Chancelante, je me lève, puis me dirige vers la sortie. Lorsque je franchis la
porte, non sans avoir slalomé entre les différents invités, je souffle de
désespoir. Mes mains sur les hanches, je clos les paupières et profite de ce
silence salvateur. Ayant laissé ma veste à l’intérieur, la morsure du froid m’aide
à me remettre les idées bien en place. Pour autant, à mon grand dam, une question
subsiste. Comment ai-je pu tomber aussi bas ?
Jacquot, l’autostoppeur…
Sérieusement ? Je ne pouvais pas faire pire. Enfin, je crois. Je ne sais plus. Ça,
c’était avant que j’ouvre les yeux et qu’à nouveau mon cœur effectue un looping.
Même deux. Des putains de montagnes russes. Ce n’est plus un mirage, mais une
réalité. Jack se tient le long d’un mur, discutant comme si de rien n’était. Il ne
m’a pas encore repérée, ce qui me laisse le temps de le détailler en toute
impunité. Je reconnais ses amis, les membres de son équipe. Je distingue également
la fameuse Charlotte accrochée à son bras. Je suis partagée entre la joie de les
savoir en vie, de le savoir en vie… mais très vite la colère outrepasse tout le
reste. Pourquoi ne m’a-t-il rien dit ? Pourquoi ne pas avoir répondu à mes
messages ? Si j’ai cru me sentir mal auparavant, ce n’est rien comparé à ce que je
ressens en cet instant. J’ai l’impression que mon monde s’écroule, que la terre
s’ouvre sous mes pieds, que ma poitrine passe sous un rouleau compresseur. Je suis
incapable de détacher mon regard de cette vision désastreuse, de ce spectacle qui
m’achève pour de bon. Sans que je puisse maîtriser quoi que ce soit, des larmes me
montent aux yeux. Incontrôlables, indomptables, elles dévalent mes joues, glissent
sur mes lèvres, longent les flancs de ma mâchoire. Un sanglot insidieux et
incoercible me prend de court. Je tente de l’étouffer, de l’étrangler dans ma
trachée qui se contracte de plus en plus. Tout à coup, ma respiration brusque et
bruyante interpelle les gens. Je suis plus forte que ça, merde !
— Tout va bien, mademoiselle ? me demande gentiment une jeune fille positionnée non
loin de moi, l’air soucieux.
J’essuie mes yeux inondés avec mes manches, renifle comme une moins que rien, quand
je distingue à présent deux iris métallisés, obscurs et torturés. Évidemment, je me
suis fait repérer. Johnny me fixe avec une intensité que je ne lui connaissais pas.
Je ne parviens pas à déchiffrer l’expression de son visage. Fermé, sombre, il me
tétanise.
Je ne peux pas vraiment lui en vouloir, cet enfoiré est un putain de mannequin. En
plus de sa belle gueule de con, il dégage un charisme, une aura magnétique. Il
représente tout ce que les femmes aiment chez un homme. La beauté à l’état brut,
l’élégance, il inspire le respect, instille la peur. Un mâle alpha, une force de la
nature. Finalement, à ses côtés, on se sent en sécurité, protégé, à l’abri des
prédateurs. Or c’est lui le plus gros danger, celui qui risque de vous détruire
sans aucune pitié.
— Personne.
Atrocement mal…
Chapitre 37
Jack
— Personne…
— Jack… murmure Marko, lui aussi les yeux rivés sur Keller.
Rappelez-moi pourquoi elle est là, celle-là ? Vous n’en savez rien ? Eh bien, moi
non plus ! Lorsque nous sommes arrivés ici, dans le seul et unique but de nous
détendre et passer un bon moment, elle était déjà présente. Notez que ce n’est pas
moi qui suis à l’origine de cette virée entre mecs. Ce sont les gars qui m’ont
obligé à sortir de chez moi. Ils étaient tellement insistants et hyper relous,
avouons-le, j’ai fini par céder. Si j’avais su que l’autre mollusque serait ici, je
ne serais pas venu. Pourtant, à cet instant, elle me sert d’alibi parfait. Si avec
ça, Keller ne me déteste toujours pas, je ne sais plus quoi faire.
— On y va, Charlotte, ordonné-je d’un ton glacial sans jamais quitter des yeux
Keller.
Après l’avoir poignardée en plein cœur, j’enfonce ma lame encore plus profondément.
Je suis un enculé…
Un putain de sadique. Alors que non, pas du tout, je n’en tire aucun plaisir. C’est
tout l’inverse même ! Étrangement, comme si nous étions connectés, reliés l’un à
l’autre, je ressens sa douleur, celle que je lui inflige, au plus profond de mon
être, dans la moindre particule de mon organisme. Quand je lui fais du mal, je m’en
fais à moi-même. J’ai besoin de partir d’ici. Je ne supporte plus de la voir ainsi.
Si je reste ne serait-ce qu’une minute supplémentaire, je vais craquer et me ruer
sur elle pour la prendre dans mes bras. La serrer fort contre moi, lui dire que je
suis désolé, que je ne le pensais pas une seule seconde, que je l’aime plus que…
Enfin, non, je ne lui impose rien du tout. C’est elle qui a décidé de me tenir la
jambe. Le jour où cette pauvre conne m’a largué en pleine nature, en embarquant
avec elle toutes mes affaires, elle a cru que j’allais revenir vers elle comme un
toutou. Sauf que ce qu’elle n’avait pas pigé, c’est que je n’en ai rien à foutre de
sa gueule. Maintenant, elle a bien compris, ce qui fait qu’elle sort les rames pour
pouvoir goûter à nouveau à ma queue. Celle-ci frémit à cette pensée. Oh non,
rassurez-vous, elle ne frémit pas d’excitation, mais bien de dégoût. Plus jamais je
ne la toucherai. À vrai dire, je ne me vois même plus toucher personne. Je serais
incapable de m’extraire de la tête une certaine cheffe cuisinière…
Quand j’arrive chez moi, je souffle enfin. J’ai déposé l’autre folle chez elle, ce
qui m’a valu une énième crise de sa part. Le problème, c’est que je n’ai plus
aucune patience. J’ai supprimé mon numéro de son téléphone et je lui ai interdit de
m’approcher, que ce soit dans la rue ou à la brigade. Je vais devoir prévenir les
collègues, je ne veux plus jamais la croiser. Je suis si mal que mes yeux me
brûlent. Je ne vais tout de même pas me mettre à chialer alors que la dernière fois
que j’ai pleuré remonte au jour de mes six ans. Nous ne fêtions jamais mon
anniversaire, mais cette année-là, j’avais demandé à mon père et ma mère d’aller au
parc. Évidemment, ça les soûlait, mais comme c’était une journée importante pour
moi, ils ont finalement cédé. Une fois arrivé, j’ai retrouvé des copains d’écoles,
j’étais heureux. Nous avons fait un foot, c’était super. Au moment où le match
s’est terminé, mes amis ont rejoint leurs parents qui patientaient bien sagement.
Les miens ? Ils avaient disparu. J’ai attendu des secondes, des minutes, des
heures, assis seul sur un banc de l’aire de jeu… Je jouais avec les cailloux,
tentais de dénicher le plus joli. C’est uniquement quand la nuit a commencé à
tomber que je suis allé toquer à la première porte venue. J’étais en larmes. La
gentille famille qui m’a recueilli a composé le 17 et les gendarmes se sont
déplacés pour me récupérer. Après explications, il s’avère que mes géniteurs
trouvaient le temps un peu trop long, donc ils sont partis. Ils se sont barrés,
voilà tout. Ensuite ? Eh bien, ils m’ont tout simplement oublié au parc. Autant
vous annoncer que depuis je n’ai plus jamais souhaité célébrer mon anniversaire. En
revanche, voyons le côté positif, c’est depuis cet événement que j’ai voulu rentrer
dans les forces de l’ordre. L’officier qui m’a pris sous son aile s’appelait
Pierre. Je l’ai observé des étoiles plein les yeux, et je me suis dit qu’un jour je
serais comme lui, que je viendrais en aide aux gens…
Chapitre 38
Jack
Il s’installe face à moi, sans que je lui en aie donné la permission. Son attitude
m’agace fortement.
Il ne va pas falloir venir me faire chier aujourd’hui, c’est moi qui vous le dis !
Je n’ai pas dormi de la nuit. J’ai le moral dans les chaussettes et j’ai la gueule
en vrac. C’est d’ailleurs pour cette raison que dès mon arrivée à la brigade très
tôt ce matin, j’ai fermé la porte de mon bureau. Le message était clair : personne
ne vient m’emmerder. Visiblement, ce n’était pas suffisant pour mon meilleur pote.
— Il n’est pas encore huit heures, mon service débute dans un quart d’heure, donc
techniquement, non, je ne suis pas encore au boulot.
Je fais mine d’ignorer sa question en étudiant l’écran de mon ordinateur, quand cet
enfoiré s’apprête à nommer la seule personne qu’il ne fallait pas mentionner ici.
— Keller était…
— Ne serait-ce que quoi ? Alors, écoute-moi bien, mon petit père, m’enchaîne-t-il,
l’air redoutable. Tu es peut-être mon boss, mais tu es avant tout mon pote. Et mon
rôle dans tout ça, c’est de te foutre le nez dans la merde quand il y a besoin ! Et
là, il y a urgence ! Autant on a pris sur nous toute cette semaine, autant
maintenant c’est terminé. Même la pauvre Cécile à l’accueil ne savait plus quoi
répondre à Keller chaque fois qu’elle l’avait au téléphone. Elle a carrément menacé
de la coffrer pour harcèlement si elle continuait. Tu te rends compte de ce que tu
lui as fait subir ? Donc tu sais quoi ? Que tu baises à droite à gauche, je n’en ai
rien à faire, ça ne regarde que toi. En revanche, quand tu dépasses sérieusement
les bornes, je ne peux pas rester sans rien dire, sans réagir. J’ignore ce qui se
trame avec cette fille, mais tu ne t’es jamais comporté ainsi jusqu’à présent. Si
tu as la réputation d’être un connard invétéré avec la gent féminine, tu n’es pas
réellement méchant pour autant. Enfin, en temps normal. Ce que tu as fait à
Faustine… il n’y a pas de mots. Hier, tu as été beaucoup trop loin. Et je peux te
garantir que les gars sont du même avis que moi.
— Il ne se passe rien du tout, grommelé-je, vexé comme un pou d’être sermonné par
celui que je considère comme un frère.
— Arrête de me prendre pour un con, putain ! s’énerve-t-il d’un coup. C’est pour ça
que tu enquêtes sur le mec avec qui elle dansait hier soir ?
Léo Vasseur…
Voir Keller dans les bras de ce type m’a rendu fou et m’a également donné la
nausée. J’avais envie de vomir, mais j’avais surtout envie de l’arracher à
l’étreinte de cet homme. Des idées noires m’ont traversé l’esprit, je ne désirerais
plus qu’une seule chose, exploser la cervelle de cet enculé. Au-delà de leur
proximité, ce qui m’a le plus fait mal, c’était leur putain de complicité. Elle
crevait le plafond, bordel de merde ! Mais d’abord, c’était qui, ce mec ? Cette
question, je me la suis posée un milliard de fois cette nuit, d’où ma petite
recherche matinale. Malheureusement, je n’ai pas appris grand-chose, si ce n’est
qu’il a trente et un ans et qu’il possède un casier vierge.
— Oh si, crois-moi, je veux tout savoir. Surtout tout ce qui concerne de près comme
de loin celle qui fait perdre la tête à notre commandant de peloton… Alors, tu as
fait comment ? insiste-t-il, un sourire niais sur sa face de cul.
— Lorsque nous étions au club, j’ai demandé à la personne qui s’occupe des
vestiaires de m’en donner l’accès…
— Tu as demandé… ?
— Putain ! Je n’y crois pas ! Tu as fouillé dans les affaires de ce mec sans
autorisation !
— Oui, bien sûr… donc, tu disais, il ne se trame rien entre elle et toi…
— Affirmatif.
— Donc ça ne te fera rien d’apprendre que c’est Steph qui l’a raccompagnée hier
soir…
— Non, pas du…
— Pas encore arrivé… jubile Mark, alors que je me décompose à vitesse grand V. Il
ne devrait plus tarder…
Ce connard ricane, se lève, lisse un pli imaginaire sur la manche de son polo, puis
se barre sans rien ajouter. Néanmoins, au moment de franchir le seuil de la porte,
il se fige, puis sans même se retourner me lance :
Briser Keller…
Ces mots m’auront hanté toute la journée. Sans compter Stephen qui est resté très
évasif sur la nuit dernière. Si Mark ne m’avait pas précisé qu’il avait ramené
Keller chez elle, je ne l’aurais même pas su. Son silence ne me rassure pas le
moins du monde, je dirais même qu’il m’angoisse. Est-ce qu’il est monté chez elle ?
Est-ce qu’il a bu un dernier verre en sa compagnie ? S’est-il perdu en elle des
heures durant comme moi je l’ai fait ? Une rage folle et dévastatrice s’empare de
moi, mais contre toute attente ce n’est pas cette colère sourde et pernicieuse qui
prédomine sur mes émotions. Non, mon âme se fissure à chaque pensée qui me
traverse, à chaque image qui défile sur mes rétines. Plus j’imagine mon camarade la
tenir dans ses bras, capter sa lumière et sa joie, s’enfouir en elle, plus je
souffre, plus mon ventre se noue, plus mon souffle se coupe, plus mes paumes
deviennent moites, plus mon cœur se désagrège. Une nouvelle fois retranché dans mon
bureau, je presse les accoudoirs de mon fauteuil avec une telle force que mes
jointures blanchissent. Je suis paumé. J’ai toujours refusé de reproduire le même
schéma que mes parents. Pour moi, le célibat était un choix, une évidence. Tout est
remis en question. Je soupire, tente de me concentrer sur mes dossiers. La journée
a été rythmée, il y a eu du nouveau dans l’affaire Chaves après des mois de
surveillance. Les agissements étranges de notre suspect m’ont alors permis de faire
une demande de mandat de perquisition. C’est bien, les choses bougent et avancent,
bien que pas assez vite à mon goût. Ensuite, nous avons procédé à quatre
interpellations, la dernière n’ayant pas été de tout repos. À croire qu’ils se sont
tous donné le mot. Autant vous dire qu’il ne fallait clairement pas m’emmerder
aujourd’hui. Évidemment, cela engendre une montagne de paperasse derrière : des
bulletins de service à compléter, des comptes rendus d’opération à remplir. Tout ce
dont j’ai horreur. Je suis un homme de terrain. Une petite voix me souffle que si
je ne suis pas content, je n’avais qu’à refuser mon grade de commandant de peloton.
Je râle, m’énerve sur le clavier. Je ne parviens pas à me concentrer et suis à deux
doigts d’attraper les clés de ma moto pour filer sur la route. Pour aller où, je
n’en sais rien. J’ai juste besoin de m’aérer, de me changer les idées, de me
prendre un putain de shoot d’adrénaline. D’aussi loin que je me souvienne, je suis
motard. Cela a toujours été pour moi une passion, une échappatoire. L’inconvénient,
c’est que même ça, ma folle à la Twingo a réussi à me le parasiter. Je ne peux plus
enfourcher ma bécane sans m’imaginer son corps pressé contre le mien, ses mains
curieuses se glisser sous ma veste, ses doigts gourmands caresser ma peau brûlante…
— C’est parti ! beugle soudain Sean en débarquant dans mon bureau, sans même se
donner la peine de toquer.
Je le regarde, un air stupéfait sur mes traits durcis. J’attends qu’il développe,
mais celui-ci semble s’apercevoir de son erreur.
Je me lève, range mon flingue dans mon holster, réajuste mon gilet par-balles, puis
chope les clés de la bagnole. J’inspire une grande bouffée d’oxygène, fais le vide
dans ma tête. Seule la mission compte à présent. Le voilà le shoot d’adrénaline que
j’espérais tant !
Chapitre 39
Jack
— Gendarmerie nationale, annoncé-je aux trois secrétaires qui nous font face. Nous
avons un mandat de perquisition à l’encontre du Docteur Chaves.
Les trois dames d’une cinquantaine d’années me dévisagent, bégayent une espèce de
bonjour timide, puis se lèvent pour nous laisser la place. Mes hommes débarquent et
emplissent la pièce, sous l’œil assidu du magistrat et du conseiller ordinal. Comme
l’investigation s’effectue dans un cabinet médical, la procédure est spécifique et
surtout très réglementée du fait du secret médical qui en résulte. Dans cette
situation, c’est le magistrat lui-même qui procède à la saisie des dossiers. Il ne
nous manque plus que le médecin, mais interpellé par tout le raffut que mon équipe
fait, il ne tarde pas à nous rejoindre.
— Monsieur Chaves, je vous informe que nous avons un mandat de perquisition à votre
encontre. Nous allons donc opérer une fouille minutieuse des lieux.
L’espace d’une fraction de seconde, je vois danser dans ses yeux une vive
étincelle. Une lueur hautaine et sans aucun doute malsaine. Rien qu’à sa réaction,
je sais que l’on va faire chou blanc. Son assurance et son allure désinvolte ne
sont pas feintes, elles sont réelles. Je l’étudie méticuleusement, quand le
représentant de l’ordre des médecins décline son identité, puis se charge de faire
respecter le protocole à la lettre concernant la saisie des documents qui
pourraient nous intéresser dans le cadre de notre enquête. Le motif de notre
investigation : trafic d’organes. Le chirurgien en transplantation cardiaque est
soupçonné de tremper dans ce commerce illégal. Cela va faire des mois que nous le
suivons à la trace, que nous surveillons sa ligne téléphonique personnelle. Sauf
que voilà, soit on fait fausse route, soit cet homme est très intelligent. Vu son
métier, j’opte plutôt pour la seconde option.
— C’est docteur Chaves, me corrige-t-il avec condescendance.
Un sourire arrogant ourle désormais mes lèvres. Il ne peut pas le voir, puisque
nous avons pris le soin de dissimuler nos visages derrière notre cagoule, mais je
m’efforce de faire transparaître mon assurance à travers mon regard déterminé. Je
ne fléchis pas, il ne me fait pas peur. Deux heures plus tard, nous avons tout
passé au peigne fin, et comme je le redoutais, cela n’a rien donné.
— Ce n’est pas possible, bordel ! s’agace Steph. On va bien finir par le coincer !
— Même dans son planning, tout roule, je ne relève rien d’anormal, ajoute Sean qui
examine l’agenda électronique du chirurgien.
Je me penche et jette un œil par-dessus son épaule. Je fais défiler les jours et
soupire. On n’a rien et ça me fout en rogne. Je m’apprête à fermer l’écran quand un
détail attire mon attention. Un rendez-vous plus exactement, programmé dans quinze
jours, à onze heures…
Faustine Keller…
Mon sang déserte subitement les traits de mon visage. Je déglutis avec difficulté,
je pâlis encore un peu plus. C’est quoi ce cirque ?
— Je…
— Oh merde… tu crois que… balbutie mon collègue sans parvenir à finir sa phrase.
Je ne crois pas, j’en suis sûr. Après avoir effectué une petite recherche sur le
fameux Léo, je ne me suis pas arrêté en si bon chemin. J’ai bien évidemment enquêté
sur Keller. Mon investigation n’a rien donné de concluant. Je n’ai rien appris
excepté ses coordonnées, sa date de naissance et son casier vierge. Et là, sa date
correspond en tout point. De plus, j’ignore pourquoi ni comment c’est possible,
mais je sais au plus profond de moi qu’il s’agit bien de Keller, de ma Keller… Je
suis incapable de réagir, comme paralysé par l’émotion que me suscite cette
révélation.
— Pas le temps. Ils étaient bien trop occupés à se sauter à la gorge soit pour
s’étriper soit pour s’envoyer en l’air… riposte Mark, d’un ton accusateur.
Je n’en peux plus de garder ça pour moi. Je dois leur dire, leur confier ce que
j’ai sur le cœur. J’ai besoin de connaître leur avis. Peut-être que je me fais des
idées ? Que je me monte la tête ?
— Il y avait cette liste-là, dans sa boîte à gant… elle est tombée à mes pieds et…
— Lorsque Keller m’a pris en stop, j’ai découvert dans sa voiture une liste de
choses qu’elle désirait faire. Elle s’intitulait « Mille et un coups de folie ». Je…
— T’es vraiment le plus gros des putains de blaireaux de toute la planète, Jack !
aboie désormais mon meilleur ami.
— Mais je n’en savais rien, bordel !!! Vous pensez que… non… ce n’est pas possible…
Ma voix est étranglée par l’émotion vive qui me gagne, l’angoisse qui me parcourt
de toute part, la douleur qui m’étreint et me cisaille la poitrine.
— Au moins, vois le côté positif, enfin une qui ne te fera plus chier après que tu
l’aies baisée, me crache Mark d’un ton acerbe.
La violence de ses paroles me poignarde en plein cœur et me perfore l’âme. Je n’ai
qu’une envie, me redresser pour l’affronter. Mon poing me démange et ne demande
qu’à s’écraser sur sa putain de gueule d’enfoiré. Mes trois coéquipiers me
dévisagent, l’œil noir, sûrement dans l’attente d’une réaction de ma part qui tarde
à venir. Contre toute attente, je me lève, balance un billet de vingt balles sur la
table, puis me barre sans un mot ni un regard pour eux. Je suis déjà bien assez mal
comme ça pour qu’ils en rajoutent une couche. Je sais que mon comportement avec les
femmes laisse à désirer. Pour autant, j’ai toujours été clair sur ce que je
voulais ! Ce n’est pas bien compliqué, cela se résume en trois mots : juste du cul !
Ce n’est pourtant pas si difficile à comprendre ni à retenir, merde ! Le problème
avec les nanas, c’est que dès que vous les faites grimper aux rideaux, BAM ! Elles
tombent toutes raides dingues amoureuses. C’est délirant ça quand même ! Néanmoins,
une petite voix me souffle à l’oreille que cette fois-ci, avec Keller, c’était
différent. Je ne peux pas m’imaginer une seule seconde que son temps puisse être
compté, que sa vie soit un putain de compte à rebours qui a déjà commencé. Qui plus
est, je me sens littéralement impuissant face à cet adversaire invisible.
Ma folle à la Twingo…
Malade…
Mourante…
Je ne peux pas rester avec les gars plus longtemps. J’ai besoin de respirer, de
prendre l’air. Et j’ai surtout besoin de réponse. Est-ce pour cette raison qu’elle
ne souhaitait pas retirer son tee-shirt en ma présence ? Bon sang, j’ai été trop
con, je n’ai rien vu. Toutes ces fois où elle semblait si forte, puis dans la
minute qui suivait si fragile…
Chapitre 40
Faustine
— Il faut te ressaisir, ma vieille ! Je sais que c’est facile à dire, mais ton
Jack, là, tu dois l’oublier !
— Bon sang ! Quel enfoiré ! Ça me fait mal au cœur de te voir dans un état pareil !
Pas toi, ma Faustine ! Tu es une battante ! Tu vas te relever et passer à autre
chose ! Si seulement cette ordure pouvait être atteinte de la grippe aviaire !
balance-t-elle avec hargne.
Je souris à sa dernière remarque. Mon amie est en colère et il ne vaut mieux pas
pour Jack qu’elle croise sa route.
— Ah, je te jure ! J’irais bien lui sonner les matines[13] en personne à celui-là !
Et si au passage, je peux lui broyer son haricot magique[14], tiens ! Ce serait
parfait !
Je soupire, des flashs de son fameux « haricot magique » s’insinuant sur mes rétines
avec violence. Et pas que sur mes rétines, si vous voyez ce que je veux dire…
Cette fois-ci, j’éclate de rire franchement. Elle est complètement folle, mais
c’est ainsi que je l’aime. À l’hôpital, elle était un véritable rayon de soleil. Je
comprends pourquoi Léo est tombé sous son charme.
— Pour pleurer devant Titanic ou Pirate des Caraïbes ? C’est niet ! De toute façon,
je ne te lâcherai pas d’une semelle, donc tu peux oublier ton programme de merde !
Je connais Lizzie, ce n’est donc pas la peine d’insister. Il n’y a pas plus bornée
qu’elle. Lorsqu’elle a une idée en tête, elle ne l’a pas autre part. Vaincue et
résignée, je me lève, puis me dirige dans la salle de bain avec autant de
motivation qu’un condamné à mort.
Une demi-heure plus tard, je suis fin prête. Malheureusement, je n’ai pas fait de
miracle, j’ai toujours une gueule de déterrée. Mes cernes violacés me mangent les
joues et mes yeux rougis à force d’avoir trop chialé me font effectivement
ressembler à un animal en phase terminale. Même mon shampoing au monoï n’a pas
réussi l’exploit de me remonter le moral. J’ai l’impression d’être cassée, vide de
l’intérieur. Enfin, quand on y pense, pas si vide que ça finalement vu comment j’ai
mal. Je souffle, m’attache les cheveux à l’aide d’un de mes foulchies colorés, puis
m’efforce de faire bonne figure.
Je suis ma meilleure amie sans poser de question. La seule chose que je lui aie
demandée, en revanche, c’est d’éviter le club où l’on a croisé Jack la dernière
fois. Je ne suis pas suffisamment solide pour lui faire face. Affronter son
indifférence me tuerait. Pire, l’observer parader avec, à son bras, sa fichue
Charlotte, c’est tout simplement au-dessus de mes forces. Rien qu’à cette
éventualité, ma poitrine me brûle et m’oppresse. Je ne pourrais pas le supporter.
Une larme, insidieuse et silencieuse, coule sur ma joue pendant que je contemple le
paysage qui défile sous mes yeux. Lizzie a pris le volant, c’était plus prudent.
Nous empruntons la route où j’ai rencontré Johnny, et mon cœur se serre à nouveau.
Ma copine tente de me faire la conversation, mais je ne réponds que par des
monosyllabes. Je vois bien qu’elle s’efforce de me changer les idées, mais j’ai
beaucoup de mal à passer outre. Moi qui me suis battue toute ma vie, je semble
avoir abandonné la bataille. J’imagine qu’un jour ça ira mieux, mais pour le
moment, tout est noir. Comment puis-je me mettre dans un état pareil alors que cet
homme a fait irruption dans mon existence il y a si peu de temps ? C’est tout
bonnement ridicule. Je me comporte comme une fichue gamine en mal d’amour.
— Bah, bah, bah ! On ne veut rien entendre ! On est là pour passer un bon moment
ensemble, et te mettre du baume au cœur ! réplique Lizzie avec entrain.
Depuis qu’elle a été affectée aux urgences, elle n’arrête pas de nous relater tout
un tas de situations cocasses. C’est impressionnant comme les gens peuvent être
barrés dans leur tête. Ce sont de grands malades ! Honnêtement, qui se fourre un
hamster vivant dans le cul ? C’est sûr que du côté de Lizzie, c’est nettement moins
drôle, elle bosse aux soins palliatifs.
— J’ai hâte que tu nous racontes ! lui répond Léo, tout en préparant l’apéro dans
le salon. Qu’est-ce que vous souhaitez boire, les filles ?
— Non, non, tu as déjà un peu trop abusé ces derniers temps, proteste Lizzie. Mais
ne t’inquiète pas, j’ai prévu un truc pour toi ! En plus, c’est un excellent anti-
inflammatoire !
Je ne conteste pas, elle a raison. La cuite que je me suis tapée au château, plus
le cocktail ingurgité au club, n’étaient vraiment pas raisonnables. Sans compter
que cela n’est pas très recommandé avec mon traitement médicamenteux
immunosuppresseur. Deux heures plus tard, nous avons mangé comme quinze. Nous
n’avons rien eu à faire, nous nous sommes fait livrer, et notre choix s’est porté
sur le restaurant italien du village voisin. Les pizzas étaient délicieuses, et la
bonne humeur règne en maître. J’avoue, je parviens (un chouïa) à penser à autre
chose que Jacquot. Enfin, ça, c’était avant que je repère un léger détail qui me
fait replonger direct. Léo, qui s'autorise un écart avec un verre de whisky à la
main, s’aperçoit instantanément de mon trouble.
— Vous croyez que le deuxième prénom de Jack c’est Daniel ? les questionné-je,
intriguée.
— Euuuuuh, j’en sais rien… bafouille Léo, surpris et désarçonné par ma remarque.
— Putain, Léo ! Tu n’avais rien d’autre à boire que du Jack Daniel’s, sérieux ?! lui
balance Jade, comprenant soudainement mon changement d’humeur.
Aussitôt, mon ami tente de reprendre son alcool, mais je le conserve précieusement
contre moi.
— Elle n’est pas vraiment en train de lui faire un câlin, n’est-ce pas ? Rassurez-
moi… chuchote Lizzie.
— Léo, fais quelque chose, s’il te plaît… car à ce rythme-là, elle va finir aux
urgences, une bouteille de Jack coincée dans la teuch… le supplie Jade.
— Bon, allez hop ! lance Léo tout en se levant pour s’approcher de moi, l’air
déterminé.
Forcément, comme il est beaucoup plus fort que moi, il récupère mon nouveau copain
sans aucune difficulté.
— Exactement ! C’est pour ton bien ! affirme Léo en allant planquer le contenant en
verre dans ses placards.
— Qu’est-ce que tu vas faire de toute façon ? Tu vas la donner à Charlotte, c’est
ça ? Non, parce que tu me préviens, hein… que je lui foute de la mort aux rats
dedans… Vous auriez dû l’entendre, c’était horrible. « Oh oui ! Plus fort ! Je suis
une grosse cochonne ! » qu’elle gémissait, cette truie. « Ta grosse queue me manque,
Jack… ».
— Ah ouais ? Il est bien équipé ? me demande Jade, curieuse, sans prêter attention
une seule seconde à ma détresse.
— Bah heureusement qu’il est magique, parce qu’un haricot, ce n’est pas très
flatteur, hein… réplique Jade, dubitative.
— Une surprise ? répété-je, sur mes gardes, avant de me souvenir qu’elle m’a
annoncé avoir quelque chose pour moi tout à l’heure.
— Ce soir ?
— Oui, ce soir !
Mon amie rigole face à mon intérêt soudain. J’ignore ce qu’elle a prévu, mais je
suis impatiente de le découvrir.
Je scrute Jade et Léo, ils ne semblent pas être au courant. De quoi peut-il
s’agir ? Je me remémore mes différents points, quand je la vois débarquer à
nouveau, une petite boîte à la main.
— J’ai réussi à m’en procurer grâce à l’un de mes patients ! Un papi super cool. Il
paraît que c’est de la bonne ! s’exclame-t-elle, toute contente, alors qu’elle ôte
le couvercle de son contenant, me laissant ainsi apercevoir plusieurs joints.
— Ça va, pète un coup. Tu devrais même en fumer un, tiens, ça te fera du bien ! le
rembarre-t-elle aussitôt.
Bah ça promet…
Chapitre 41
Faustine
Un pétard[15] à la main, nous sommes tous avachis sur le canapé et les fauteuils du
salon en train de refaire le monde. Le nuage de fumée qui nous entoure me prend à
la gorge, ou bien c’est la latte que je viens d’aspirer. Peu importe. Je tousse,
mais je me sens détendue, comme si je flottais. Nous échangeons sur des sujets
d’actualité, mais aussi sur des problèmes de société auxquels nous sommes tous les
quatre persuadés d’avoir trouvé des solutions. Je plane totalement, jusqu’à ce que
mon portable vibre et que je jette un œil sur l’écran.
Mon cœur effectue un triple saut sous mes côtes. J’ai reçu un message de Jack !
L’espace d’une seconde, je suis comme tétanisée, je n’ose pas l’ouvrir. Il est
minuit passé, pourquoi me contacte-t-il ? Qui plus est à cette heure-ci ? Et
pourquoi maintenant ? Qu’est-ce que cela signifie ? Sans plus attendre, je me lance
et clique.
[Où es-tu ?]
Où je suis ? C’est quoi cette question ? Mon changement d’humeur, et surtout mon
silence depuis quelques secondes, ne passe pas inaperçu.
— Bah, ça y est…
— Il me demande où je suis…
— Il est en train de craquer !!! jubile Lizzie.
— De craquer ?
Je ne vous raconte pas comment mon cœur bat la chamade. Étonnamment, un simple
texto de sa part et mon pouls accélère à un rythme démesuré. Les paroles de mes
amis sont pernicieuses, elles s’infiltrent en moi comme du poison, insufflant sous
mon crâne et sous ma poitrine de douloureux espoirs.
[Keller…]
C’est plus fort que moi, j’ai craqué et répondu. Je ne vais pas vous mentir, je
suis heureuse qu’il me contacte. Sans doute l’effet du joint… ou pas. J’ignore
encore pourquoi, mais tout ce dont je suis sûre, c’est que je ne vais pas lui
simplifier la tâche.
— Il ne lâche pas l’affaire, le garçon ! commente Lizzie qui lit par-dessus mon
épaule. Tu sais quoi, c’est trop facile de revenir la fleur au fusil après ce qu’il
t’a fait. J’ai bien une petite idée pour l’asticoter un peu…
Le rictus diabolique qui retrousse à présent ses lèvres ne me dit rien qui vaille.
Néanmoins, je suis curieuse de découvrir ce qu’elle a en tête. Je l’écoute
attentivement et, comme je plane plus ou moins, je valide son plan machiavélique.
Ce n’est sans doute pas très intelligent. Je vais sûrement le regretter l’instant
d’après, mais prise dans l’euphorie du moment, je joue le jeu, Léo aussi.
[Certainement pas. Qui plus est, je suis en excellente compagnie. Claque le cul de
Charlotte de ma part. Adieu, connard !]
— Ah non, hein ! C’est très bien ! On va lui montrer de quel bois on se chauffe !
scande Lizzie, révoltée. Si avec ça, il n’a pas compris qu’il avait sérieusement
merdé, c’est qu’il est vraiment con !
— Oh que si, crois-moi ! Il va revenir vers toi plus vite que… Bah voilà ! Qu’est-ce
que je te disais ? Qu’est-ce qu’il a envoyé ? Vite ! Dis-nous ! s’excite ma meilleure
amie comme une hystérique au moment où mon téléphone vibre à nouveau.
Mon cœur battant la chamade comme un fou, je déverrouille mon écran et constate que
Jack m’a répondu. J’ouvre son message, les mains tremblantes.
[Le seul cul que j’ai envie de claquer, c’est le tien, Calamity Jane…]
— Comment ça, il est bon ? Non, il n’est pas bon ! s’agace Lizzie.
— Si, si, je t’assure qu’il est trèèèès bon, murmuré-je en ayant en tête tout à
fait autre chose.
— On ne parle pas de la crème fraîche de son putain de haricot magique, bon sang !
me renvoie-t-elle immédiatement.
— Il va vraiment falloir lui trouver un autre surnom, hein… lance Jade, perplexe.
— T’es sûre ?
— À cent pour cent ! Tu dois le laisser mariner ! Si tu lui réponds, c’est fichu. Il
va piger que tu n’en as rien à foutre du soi-disant mec avec qui tu es censée
batifoler en ce moment précis. Tu comprends ? Alors que là, il va cogiter,
t’imaginer dans ses bras. Il ira même jusqu’à visualiser ce type te flanquer la
fessée qu’il meurt d’envie de t’asséner. Il va péter un câble ! affirme-t-elle en
émettant un rire démoniaque.
Elle est effrayante quand elle s’y met. J’ignore si son stratagème s’avérera
payant, mais il est désormais trop tard pour faire machine arrière. Elle a raison,
je ne dois surtout pas réagir, sinon je vais me tourner en ridicule. Néanmoins, ce
revirement de situation m’insuffle du baume au cœur. Ceci dit, je ne dois pas
oublier tout le mal qu’il m’a fait. Ne pas me donner de nouvelles juste après notre
nuit et l’attentat, me laisser dans l’indifférence la plus totale était tout
bonnement ignoble de sa part. Et je ne parle pas de la manière dont il m’a traitée
lorsqu’on s’est croisés au club. Il mérite effectivement de ramer un peu et de
souffrir comme moi j’ai pu souffrir. Pourtant, c’est une chose de vous le dire,
mais une autre de le penser. Au plus profond de moi, je déteste cette espèce de
vendetta stérile et ô combien puérile ! Nous aurions pu discuter comme des adultes,
tenter de comprendre le pourquoi du comment, mais non, j’ai tout envoyé en l’air
avec mon comportement de gamine. En même temps, c’était trop facile aussi. Il me
brise le cœur, puis il se ramène la bouche en cœur ?
No way…
Chapitre 42
Jack
C’est sa main, putain ! Comment puis-je en être certain ? Grâce à la toute petite
tache de café qui se situe précisément entre son pouce et son index. Elle est
minime, mais j’en suis sûr… J’ai déjà eu le loisir de l’admirer quand elle me
branlait la dernière fois.
C’est sa main…
Sa fichue main qui dévale les abdos de cet enculé, qui caresse délicatement son
ventre. Je suis fou depuis qu’elle m’a envoyé cette photo il y a une semaine.
Pourtant, c’est comme si c’était hier. J’ai craqué, je ne parvenais pas à dormir.
Je pensais constamment à elle. J’étais incapable de me la sortir de la tête. Le
manque était si important que je n’ai pas résisté. En plein milieu de la nuit, j’ai
enfourché ma bécane dans le but d’aller la rejoindre. J’avais besoin de la voir, de
la prendre dans mes bras, de me shooter à son odeur, de savoir qu’elle allait bien,
que ce rendez-vous avec Chaves n’était rien, que cette histoire de liste n’était
qu’une putain de folie. Je me suis rendu chez elle, mais à mon plus grand
désespoir, elle n’y était pas. Aussitôt, je me suis imaginé mille et un scénarios.
Est-ce qu’elle s’était fait enlever ? Est-ce qu’il lui était arrivé quelque chose
de grave en lien avec ses problèmes de santé ? Était-elle dans le lit d’un autre ?
Bien entendu, je me suis empressé de lui envoyer un SMS. Puis deux, comme je
n’avais pas de nouvelles. Quand j’ai aperçu, dans un premier temps, la mention «
vu » s’afficher sur mon écran, mon pouls s’est affolé. Puis, dans un second temps,
les trois petits points qui clignotaient pour m’indiquer qu’elle était en train de
me répondre m’ont empli de joie. Bon, j’ai vite déchanté. En même temps, je
m’attendais à quoi sérieusement ? Je lui ai brisé le cœur, c’était l’objectif.
Qu’elle me haïsse afin de passer à autre chose, qu’elle m’oublie pour se construire
une vie de famille stable et durable. Tout ce que moi je ne suis pas en mesure de
lui apporter. Enfin, que je croyais ne pas être en mesure de lui apporter. Mon plan
était parfait. Néanmoins, c’était sans compter sur un détail majeur que je n’avais
pas pris en considération.
Moi…
Il ne m’était pas venu à l’esprit un seul instant que je puisse être dans un tel
état de manque, que je ne sois finalement pas capable de tirer un trait sur elle.
Je ne peux pas m’y résoudre, c’est tout simplement impossible. Je suis trop accro à
elle. Dorénavant, tout me paraît fade et insignifiant. Les femmes, c’est terminé
pour moi, à moins qu’elle se nomme Faustine Keller. Même mon boulot ne me fait plus
vibrer, c’est pour dire l’ampleur des dégâts. Ma vie tout entière est chamboulée.
Je suis complètement paumé. Si mettre une fille dans mon plumard ne m’a jamais posé
de problème jusque-là, je sens bien qu’avec Keller c’est différent. Je ne maîtrise
pas les codes de la séduction. Bien souvent, on me mâchait le travail. Et comme je
ne souhaitais rien d’autre que du cul, je me contentais de prendre ce que je
désirais, ni plus ni moins. Dans ce cas de figure, je pars de zéro. Parvenir à ce
qu’elle me pardonne, la convaincre de me donner une seconde chance, la soutenir
dans son combat si tel est le cas, vivre ses derniers instants à ses côtés, peu
importe ce que cela implique, telle est ma nouvelle mission. Tout cela me terrifie,
je n’ose pas prononcer les mots fatidiques. La seule chose que je peux affirmer
avec certitude c’est que je la veux. Oh oui, je veux cette femme dans mon lit, mais
surtout dans ma vie. Peu importe le passé, peu importent mes craintes et le temps
qui lui est imparti, je ne peux désormais plus avancer sans elle à mes côtés. C’est
viscéral, ça grouille au plus profond de mon être. Je n’ai plus peur. En revanche,
plus je prends conscience de mes sentiments envers elle, plus je suis effrayé par
ce que je vais découvrir. Pourquoi a-t-elle rendez-vous avec Chaves ? Que lui
arrive-t-il exactement ? Y a-t-il un lien avec le fait qu’elle m’ait caché le haut
de son corps ? Tant de questions sans réponses qui me nouent les tripes au point
d’en avoir la nausée.
Autant vous dire que je n’ai pas beaucoup dormi ces derniers temps. Dès que je
ferme les yeux, je visualise Keller batifoler avec l’enfoiré qui était avec elle
l’autre nuit. Est-ce qu’il lui a fait du bien ? A-t-elle réussi à jouir ? Est-ce
qu’à lui, elle lui a montré ses seins ? L’imaginer poser ses sales pattes sur elle
me rend fou et me donne envie de tout casser. Je perds la tête. Je me fais du mal,
j’en ai pleinement conscience, mais je ne peux empêcher mon cerveau de cogiter et
de spéculer. Et surtout, je ne peux réfréner mon cœur de battre éperdument pour
elle alors que je prends de plus en plus conscience qu’elle risque de mourir.
Putain, je l’aime…
— Tout va bien, mon commandant ? m’interpelle Steph, coupant ainsi mes réflexions
au pire des moments.
Depuis qu’il a raccompagné Keller chez elle l’autre jour, je ne peux plus le voir
en peinture. En réalité, c’est surtout être dans l’incertitude qui me ronge et me
fait péter un câble. Est-ce que lui aussi il a couché avec elle ? Je grimace de
douleur. En plus d’être mon coéquipier, c’est surtout un ami, l’un de mes plus
proches alliés. Il est comme un frère pour moi. Alors, les imaginer tous les deux,
c’est précisément de la torture. Je ne peux le supporter, c’est au-dessus de mes
forces.
Mes hommes s’exécutent non sans grommeler au passage leur mécontentement. Marko se
permet même de me faire discrètement un doigt d’honneur. Je leur ai concocté un
WOD[16] dont ils se souviendront toute leur vie. Quant à Stephen, il reste planté
là, devant moi, à me dévisager comme un con.
— Si tu veux. Sache juste que grâce à toi, Mark et Sean vont gagner leur pari, me
balance-t-il en amorçant son départ.
— Quoi ? Quel pari ? lui demandé-je en me saisissant de son bras avant qu’il ne
prenne la fuite.
— Ils ont parié que tu n’aurais pas les couilles de lui rendre visite. J’ai parié
le contraire, mais visiblement ils ont raison, tu n’es qu’un lâche, me lance-t-il
de but en blanc, avant de s’en aller en trottinant pour rejoindre ses camarades.
Il n’a pas sourcillé une seule seconde en me crachant son fiel au visage. Cette
fois-ci, c’est moi qui reste planté là comme un con. Je cogite sur ses dernières
paroles et elles me font l’effet d’un électrochoc.
Je ne l’ai jamais été. Pourtant, une petite voix dans ma tête me souffle qu’ils
n’ont pas tort, que j’ai peur et que j’adopte la politique de l’autruche. Que va-t-
elle m’annoncer ? Qu’elle n’a plus beaucoup de temps à vivre ? Finalement, je
réalise que, quelle que soit la réponse, je ne souhaite pas perdre une minute de
plus loin d’elle. Me planquer n’est pas la solution. J’ignore si elle partage mes
sentiments, mais si tel est le cas, elle a sans doute besoin de moi, tout comme moi
j’ai besoin d’elle. Sans plus attendre, j’invite Mark à me rejoindre.
— Tu prends le relais, j’ai un truc à faire, lui ordonné-je tout en lui refourguant
le chronomètre que je tenais dans les mains.
— Tout va bien ?
— Bonne chance, mon commandant ! lance l’un de mes hommes, suivi par toute mon
équipe.
Pour une raison que j’ignore, leurs paroles me réchauffent le cœur et me confortent
dans mes décisions. Galvanisé, je cours désormais dans l’espoir de la retrouver. Le
boulot attendra, Keller, non. Si je continue à me comporter comme un con, je vais
la perdre et elle m’échappera définitivement. Si ce n’est pas déjà le cas. Ma
poitrine se comprime douloureusement à cette pensée. Non. Je ne peux pas
l’envisager. Je me pose tellement de questions que j’en ai mal au crâne. Elle m’a
retourné le cerveau… Puisque je n’ai pas une minute à perdre, je ne me change pas.
J’emprunte même l’un de nos véhicules de fonction pour aller plus vite. Sur la
route, je tente de me maîtriser, de réfréner ce besoin violent d’accélérer. Les
automobilistes sont à l’affût, ils me guettent et libèrent la voie. Un conducteur,
surpris, balance le téléphone qu’il tenait à son oreille. Mon gars, c’est ton jour
de chance, j’ai d’autres chats à fouetter.
Ne me demandez pas ce qui se trame dans ma tête pour faire une chose pareille, mais
quand j’aperçois un fleuriste, je m’arrête pour en ressortir avec un énorme bouquet
de roses rouges dans les mains. Plus kitsch, tu meurs. Quand je vous le dis qu’elle
m’a ensorcelé ! Je suis persuadé qu’elle m’a empoisonné lorsqu’on était au château.
Une sorte d’élixir hyper puissant. En attendant, une fois arrivé en bas de chez
elle, je constate avec amertume qu’elle est absente, sa voiture n’étant pas ici.
J’ignore quoi faire, mais après quelques minutes de réflexion, où je ne cesse de me
répéter que je ne suis pas un lâche, je me décide à quitter ma bagnole. J’attrape
les fleurs, puis me pointe devant la résidence. L’entrée est sécurisée par un code,
mais par chance, une dame sympathique m’ouvre la porte. Puisqu’il est probable que
j’ai effectué quelques petites recherches en amont… je monte direct au deuxième
étage. Je grimpe les marches deux par deux, sans temps mort. J’ai l’impression de
jouer ma vie, alors que c’est ridicule, il y a de grandes chances qu’elle ne soit
même pas là. Je le sais, mais l’infime possibilité qu’elle soit présente en
revanche, me fout une pression monstre. Malgré tout, j’outrepasse ma peur. Je
sonne, sonne, puis sonne encore… Personne… Je m’en doutais, mais ça ne m’empêche
pas d’être déçu. Je regarde ma montre, 17 h… Je n’ai plus qu’à attendre, espérant
qu’elle finisse par pointer le bout de son nez…
Chapitre 43
Jack
Assis par terre comme un malheureux, adossé contre la porte d’entrée, mon bouquet
entre les cuisses, je fais peine à voir.
21 h 30…
Elle ne va peut-être plus tarder. Enfin, c’est ce que je me raconte pour me
rassurer. Néanmoins, je désespère. Le téléphone dans la main, j’hésite à lui
envoyer un message. Je me retiens, ma dernière tentative ayant été infructueuse
puisqu’elle s’est soldée par un horrible « Adieu, connard ! ».
22 h 30…
J’ai besoin de pisser, mais j’ai surtout envie de l’appeler pour lui demander ce
qu’elle fabrique. Une petite voix dans ma tête, la plus rationnelle de toutes, me
souffle qu’elle doit sûrement être au travail. En revanche, une autre, plus perfide
et plus sournoise, me susurre à l’oreille qu’elle passe tout simplement du bon
temps avec son gigolo.
23 h 30…
Je me ronge les ongles, tandis que la voisine de palier ne cesse de venir prendre
de mes nouvelles. Je crois que je lui fais mal au cœur.
2 h…
J’abandonne. Si elle bossait ce soir, j’imagine qu’à cette heure-ci, son service
est terminé. Je suis dépité. Je me relève en grimaçant. J’ai mal partout d’être
resté assis par terre toute la soirée. Je n’ai cependant pas dit mon dernier mot.
Déterminé, je remonte dans ma voiture et regagne mon domicile.
Et je ne croyais pas si bien dire, je n’ai quasiment pas dormi de la nuit. Encore.
Je deviens fou. J’ai ressassé mille et un scénarios pour parvenir à mes fins. À
savoir, me faire pardonner par Keller et conquérir son cœur. Oui, j’ai conscience
que mes propos dégoulinent de niaiseries, mais c’est pourtant ce que je ressens au
plus profond de moi. J’aime cette femme, et je n’envisage plus ma vie sans elle.
J’ai besoin de la voir, de m’excuser, de lui avouer mes sentiments. Je souhaite lui
confier qu’elle me manque cruellement, qu’il ne s’écoule pas une seule seconde sans
que je pense à elle. Si après ça, elle m’annonce n’en avoir rien à faire de moi,
qu’elle décide de tracer sa route sans moi, alors je l’accepterai et la laisserai
en paix. Mais pour le moment, je suis au pied du mur. Elle ne répond à aucun de mes
appels ni même à mes textos. Oui, parce que j’ai fini par craquer. Vers quatre
heures du matin, je lui ai envoyé un misérable « Appelle-moi », « T’es où ? », «
Réponds-moi », puis un « S’il te plaît », pour terminer par un malheureux « Tu me
manques ».
Pitoyable…
— Je ne suis pas vraiment certain que ce soit la bonne méthode, commandant… tente
d’amorcer un membre de mon équipe.
— Je ne t’ai pas demandé ton avis. On quadrille la zone et on arrête chaque putain
de bagnole, c’est clair ?!! aboyé-je, sur les nerfs.
Avec un peu de chance, Keller va prendre la route. Steph et Sean sont à un autre
point de contrôle, Mark et trois de mes hommes, à un autre encore. Impossible
qu’elle puisse passer entre les mailles du filet. Pourtant, trois heures plus tard,
et des dizaines de contrôles réalisés, toujours pas de Twingo bleu nuit en vue. Je
désespère. Mon téléphone sonne et quand je repère le nom de la personne qui
m’appelle sur l’écran, je sais déjà à quoi m’attendre.
— À quoi tu joues ?
— Jack… Ils nous arrivent de faire de la police de route, mais uniquement lorsqu’on
constate des infractions ou des délits routiers pris en flag. C’est tout et tu le
sais parfaitement, je ne vais pas t’apprendre notre métier. Laisse la BTA[17] faire
son job. On a l’impression qu’on s’apprête à attraper un criminel de guerre. Et
puis, tu es au courant que ce n’est pas en te mettant à dos tout son quartier que
tu vas conquérir le cœur de ta belle ?
Putain ! C’est qu’il a raison en plus, je n’avais pas analysé ça sous cet angle.
— Okay, on décolle, répliqué-je, paumé et surtout déçu.
— Non, elle n’est pas rentrée chez elle… me lamenté-je auprès de mon camarade. Je
ne sais plus quoi faire… Je lui avais acheté un bouquet de roses et…
— Quoi, quoi, quoi ? Qu’est-ce que tu viens de dire ? Tu lui as acheté… des fleurs ?
— Ta gueule…
— Seigneur tout-puissant ! C’est donc vrai, les miracles existent bel et bien !
— Jamais de la vie, mon pote ! me répond-il, hilare. Tu dois reconnaître que c’est
quand même un exploit, n’est-ce pas ?
— Ne t’inquiète pas, tout va bien finir par s’arranger. Enfin, dans les téléfilms à
la con, les trucs à l’eau de rose, ça se termine toujours bien.
— Si tu le dis…
Cet idiot parvient à me faire rire, malgré mon humeur plus que maussade. Je
raccroche et ordonne à tous mes hommes de rentrer. Une fois de retour, nous nous
rendons dans notre salle de réunion afin de déjeuner. Nous nous installons autour
de la table, puis sortons nos gamelles. Je n’ai pas grand appétit, mais je me force
malgré tout à avaler un encas, histoire de garder de l’énergie. Les gars discutent
de tout et de rien, jusqu’à ce que le sujet qui occupe toutes mes pensées ces
derniers temps arrive sur le tapis.
— Je ne sais pas vous, mais les bons petits plats de la cheffe Keller me manquent !
déclare l’un d’entre eux.
Plus personne ne cause, c’est le silence qui règne en maître. Tous les visages
convergent vers une seule et même direction : moi.
— Ne t’en fais pas, il n’y a pas de mal. Tu as raison, c’était bien meilleur que
cette merde que tu t’enfiles, dis-je, tout en lorgnant son repas préparé, réchauffé
au micro-ondes.
— En parlant de ça, ça a donné quoi hier ? me questionne justement Sean, qui n’est
pas au courant de l’échange que j’ai eu avec Marko une heure plus tôt.
— Rien du tout. Elle n’est pas rentrée chez elle, leur annoncé-je, dépité.
— C’est qui lui ? l’interroge Sean qui n’est pas au courant non plus de ma petite
enquête clandestine.
— Une longue histoire… soufflé-je pour clore ce sujet.
Je n’ai pas du tout envie de parler de celui qui couche avec ma femme, sinon je
vais avoir des envies de meurtre.
Ma femme…
— Je sais où elle est, affirme Steph qui était resté silencieux jusqu’ici.
— Qu’est-ce que t’as dit ? demandé-je pour être sûr de ne pas avoir eu
d’hallucination.
Mon cœur rate un battement tant cette information me désarçonne. J’ignore toujours
ce qui s’est déroulé entre eux, l’autre nuit, quand il l’a raccompagnée. Que s’est-
il passé ? S’est-il contenté de la déposer devant chez elle ? Ou bien est-il monté
boire un dernier verre ? Jusqu’à présent, j’ai préféré enfouir toutes mes peurs,
tous mes doutes dans un coin de ma tête, mais là je n’ai d’autre choix que
d’affronter cette terrible vérité. Est-ce que mon frère d’armes et celle que j’aime
éperdument ont couché ensemble ? Couchent-ils encore ensemble ? Cette simple pensée
suffit à me faire vriller. Des images s’immiscent alors sous mes paupières et me
court-circuitent l’âme. C’est au-delà de mes forces. La douleur qui me pourfend de
part en part me coupe le souffle. Je ne parviens pas à canaliser l’afflux
d’émotions qui me submerge. Ce mélange de souffrance et de désarroi qui me ronge de
l’intérieur. J’explose. Je me redresse brusquement et renverse ma chaise au
passage. Je me dirige droit vers cet enculé et me jette littéralement sur lui en
poussant un râle digne d’un homme des cavernes. Je suis incontrôlable. J’ai à peine
le temps de distinguer la stupeur sur le visage de mon collègue, que je suis déjà
sur lui. Sous mon poids, son siège bascule également en arrière, nous faisant ainsi
chuter tous les deux. Une main autour de son cou, mon poing amorce sa descente pour
s’abattre sur sa gueule d’enfoiré. Je suis aveuglé par la colère, je ne vois plus
rien d’autre que lui entre les cuisses de Keller. Combien de fois a-t-il répété
qu’il voulait la baiser lors du stage de formation ? Il savait qu’elle me plaisait,
mais ça ne l’a pas arrêté.
— Putain ! Jack ! Qu’est-ce que tu fous ? beugle Mark qui m’attrape par la taille
afin que je lâche prise.
Jamais !
— Mais t’es complètement malade !!! aboie Sean en venant lui aussi fourrer son
grain de sel.
— T’as couché avec elle !!! Voilà ce qui me prend ! Tu n’es qu’un putain d’enculé !!!
— Ah c’est donc ça qui te pose problème ! Donc toi, tu as le droit de lui briser le
cœur, mais moi, je ne peux pas passer du bon temps avec elle, c’est bien ça ?
crache-t-il, furieux.
— Donc, si je résume, tu peux la faire souffrir. Par contre, moi, je ne peux pas
lui donner du plaisir ? conclut-il, un rictus au coin des lèvres.
Je vais le tuer !
Il marque une pause, s’efforce de remettre en ordre son uniforme que j’ai malmené,
puis plonge à présent son regard noir dans le mien.
— Comment peux-tu croire une seconde que j’ai couché avec Keller tout en sachant
que tu es fou amoureux d’elle ? gronde-t-il, le timbre létal.
— Je t’ai juste laissé penser que tu avais raison. J’ai estimé que tu méritais une
bonne leçon après ce que tu lui as fait. Tu t’es comporté comme un connard, mec !
Je ne sais plus quoi dire. Je lis la déception dans ses yeux, mais aussi la
sincérité. Mes muscles, auparavant bandés à l’extrême par la haine qui me
consumait, se relâchent totalement. Je suis vidé, comme si cet accès de rage avait
usé toutes mes batteries. Mon équipe me libère, me jauge du regard pour évaluer mon
état et le niveau d’alerte. Ils se détendent, s’apercevant ainsi qu’ils n’ont plus
de crainte à avoir. Je me sens à présent comme une merde. Je grommelle des excuses
à voix basse, tout en ramassant les chaises que j’ai fait tomber.
— Je pense qu’elle est chez ses parents. C’est là-bas que je l’ai déposée, déclare
Stephen.
— Oui, chez ses parents, imbécile. Maintenant, si tu veux en avoir le cœur net, je
peux t’y emmener, me propose-t-il comme si je n’avais pas été à deux doigts de lui
fracasser la tronche cinq minutes plus tôt.
— Oui, oui ! On y va ! Mais, tu n’as pas fini de manger, dis-je en avisant son
assiette devant lui.
— Non, c’est bon, j’ai plus faim… marmonne-t-il, ce qui a pour effet d’amplifier ma
culpabilité.
Chapitre 44
Jack
— C’est juste ici, m’indique alors Steph, au moment où nous nous garons devant une
magnifique propriété.
— Je suis désolé pour tout à l’heure, je ne sais pas ce qui m’a pris…
— Celui que tu as fait avec Mark et Stephen, à savoir si j’allais aller voir Faust…
Bordel, tu m’as piégé ? Vous n’avez fait aucun pari ! réalisé-je d’un seul coup.
Ce connard éclate de rire lorsque je percute qu’il m’a roulé dans la farine pour
que je réagisse. Je ne lui dirai pas, mais je l’adore, putain !
— Arrête de te voiler la face, gros. T’es mordu, mon pote. Tu l’aimes comme un
dingue, cette nana. Voilà pourquoi tu as démarré au quart de tour. J’espère pour
toi que ce n’est pas trop tard… souffle-t-il, la mine inquiète.
— Allez, qu’est-ce que tu attends pour en avoir le cœur net ? Assez discuté, file !
— Il y a un type qui nous guette à la fenêtre, il n’a pas l’air très heureux de
nous voir…
— J’espère pour toi qu’elle n’a rien raconté à beau-papa, car sinon, t’es dans la
merde, mon gars ! éclate-t-il de rire, alors que de mon côté je me décompose de
plus en plus.
— Bonjour, lancé-je en tentant d’avoir l’air sûr de moi, alors que je n’en mène pas
large du tout.
— Qu’est-ce que vous voulez ? Vous n’avez rien à foutre sur ma propriété !
m’agresse-t-il en retour.
Okay… c’est confirmé, il ne veut pas me voir, mais j’ignore encore si c’est parce
que Keller lui a parlé de moi, ou si c’est uniquement parce que je suis flic.
Je ne vais quand même pas coffrer le père de Keller, ce serait me tirer une balle
dans le pied. Va-t’en la convaincre qu’elle sorte avec moi après ça… et je n’ose
même pas imaginer les repas de famille ensuite… Enfin, si je réussis à recoller les
morceaux. C’est plutôt mal barré.
— Je ne souhaite pas vous déranger plus longtemps, je suis juste venu voir votre
fille, est-ce que…
D’instinct, je reste sur mes gardes. Visiblement, la haine envers les forces de
l’ordre, c’est de famille.
— Papa ? Tout va bien ?
Ma poitrine se soulève d’un seul coup et mon rythme cardiaque accélère brusquement.
Je reconnais parfaitement cette voix qui nous parvient depuis une autre pièce. Je
suis partagé entre un mélange de joie et de craintes, d’excitation et de stress,
d’euphorie et d’angoisse.
— Oui, oui, tout va bien, lui lance-t-il aussitôt avec douceur, son timbre
contrastant considérablement avec celui qu’il emploie avec moi.
La première chose à laquelle je pense est que je n’ai même pas mon putain de
bouquet de fleurs, je suis vraiment naze.
— Ce commandant Barrow je ne sais pas quoi souhaite te voir… lui annonce son
paternel.
— Je n’ai rien à lui dire, lui répond-elle en pulvérisant mon cœur au passage.
S’il te plaît…
— Qu’est-ce qui se passe ici ? les interroge celle que je devine être cette fois-ci
la mère de Keller. Oh…
— Qu’est-ce que vous lui voulez à la fin ? gronde son père. Foutez-lui la paix !
— Bruno… intervient la maman, tout en effectuant des signes de la tête
discrètement.
Enfin, discrètement… Elle essaie de faire comprendre à son mari de déguerpir, mais
celui-ci ne capte pas. Ou bien il n’en a rien à carrer et ça ne m’arrange
clairement pas. Je suppose que ce serait plus facile pour moi s’ils n’étaient pas
dans les parages.
Elle leur a parlé de moi !!! Ma respiration s’affole, tandis que mon organe vital
opère un triple salto sous ma cage thoracique.
— Putain, Martine allume le four, je vais me le faire !!! braille l’homme désormais
fou de rage en s’avançant pour se jeter sur moi.
— Je suis au courant pour tes soucis de santé, je suis désolé ! Je veux être là
pour toi, être à tes côtés ! Je ne veux pas te laisser affronter ça toute seule !
annoncé-je tout en gardant un œil sur son père qui souhaite clairement ma mort.
— Je ne peux pas t’en parler, mais tout ce que je peux te dire c’est que je mènerai
ce combat avec toi. On luttera ensemble, je te le jure !
— Comment ça, tu vas bien ? Tu n’es pas malade ? Mais ce rendez-vous avec le docteur
Chaves… commencé-je, abasourdi.
Je ne parviens pas à finir ma phrase tant je suis perdu. Faustine ne me répond pas,
mais émet alors un long soupir. D’un geste d’une lenteur extrême, elle défait la
veste qu’elle portait. Cette dernière choit sur le sol, et déboutonne ensuite un à
un les boutons de son chemisier. Qu’est-ce qu’elle fout, bon sang ? Ce n’est pas le
moment de se déshabiller, surtout en présence de ses parents.
— Qu’est-ce que tu fais, ma puce ? lui demande sa maman avec beaucoup de douceur
dans la voix.
— Rhabille-toi, immédiatement ! gronde à l’inverse son père avec dureté.
Mais celle-ci n’en a rien à faire et continue son effeuillage à l’aide de ses mains
tremblantes. Quant à moi, je suis bien trop concentré sur la poitrine qui se
dévoile sous mes yeux pour voir arriver la droite monumentale que m’assène son
paternel.
Je suis sonné, il a une sacrée poigne, l’enfoiré ! Mon arcade sourcilière se met
alors à saigner, mais je m’en cogne. La seule chose qui m’interpelle à présent,
c’est le chemisier de Keller gisant à ses pieds, puis l’énorme cicatrice qui strie
son corps. Située au niveau du sternum, elle mesure une bonne dizaine de
centimètres. Tel un champ magnétique, je suis inexorablement attiré par cette
marque aussi poignante qu’irréelle. J’entre dans la maison, avance lentement,
jusqu’à plaquer mes paumes brûlantes sur ses hanches. Elle ne prend pas la fuite et
frissonne sous mon contact. Mon regard reste rivé sur cette balafre qui zèbre son
thorax. D’un geste d’une douceur infinie, je positionne mon pouce sur son entaille,
puis longe délicatement cette dernière. Je répète l’opération plusieurs fois, de
haut en bas, de bas en haut.
Des gouttes viennent s’échouer sur sa poitrine et je devine alors qu’elle pleure
pour de bon. Je reviens à moi et plonge à présent mes yeux dans les siens. Je sais
désormais pourquoi elle ne souhaitait pas retirer son tee-shirt. Ce que j’ignore en
revanche, c’est pour quel motif elle voulait me cacher cette boursouflure. Cela
n’aurait strictement rien changé à l’attirance que j’éprouve envers elle. Au
contraire, ces stigmates me prouvent à quel point elle est une femme forte et
courageuse. Ils sont les réponses à toutes mes questions.
Je colle d’abord mon front au sien, puis je l’enlace pour la prendre contre moi.
Elle ne me repousse pas, je suis aux anges. Sa tête plaquée contre mon torse, je
niche mon nez dans ses cheveux tout en caressant délicatement son dos nu. Mon cœur
bat si vite sous ma poitrine que je suis sûr qu’elle peut l’entendre s’affoler.
— Fous-leur la paix ! S’il y a des spectateurs dans cette pièce, ce n’est pas lui,
mais nous ! Laissons-les tranquilles !
— C’est du passé ! Jack n’est pas responsable de ce qui s’est produit ! Il n’y est
pour rien !
— Je vous garantis qu’elle sera en sécurité à mes côtés, monsieur. Faustine compte
énormément pour moi, je donnerai ma vie pour elle, affirmé-je avec assurance.
— On ne t’a pas sonné, toi ! Où tu étais quand ma fille a failli crever à cause de
l’un de tes abrutis de collègues ? rétorque-t-il, enragé.
— M’enfin, Bruno ! Ne dis pas de bêtises, ce n’était qu’un gamin ! Il doit avoir
approximativement le même âge que Faustine !
— Tu mélanges tout ! Ça fait des années que je supporte toutes tes remarques à la
con sur les forces de l’ordre, j’en ai plus que marre, ça doit cesser ! hurle-t-
elle à présent.
Seigneur…
Les parents de Keller sont en train de s’engueuler, et tout ça à cause de moi. Bien
que je ne sois pas un expert en relation, pour une première présentation au sein de
la belle-famille, je pense qu’on peut faire largement mieux. Je ne sais plus où me
mettre, mais une chose est sûre, malgré tout ce bordel, je suis le plus heureux des
hommes. Keller est toujours blottie contre moi et ne semble plus vouloir quitter
mes bras.
— Il n’y a pas de Martine qui tienne, bon sang ! Je suis furieuse après toi ! Tu es
tellement obnubilé par ta guéguerre avec les gendarmes, que tu n’es même pas
capable de voir à quel point notre fille est malheureuse et surtout à quel point
elle est amoureuse !
Amoureuse ???
— Alors oui, notre trésor a failli mourir, et ce à maintes reprises depuis qu’elle
est née. J’ai arrêté de compter le nombre de séjours à l’hôpital et toutes les
frayeurs qu’on a pu avoir. Oui, un connard de flic s’est pris pour un cow-boy et a
empêché notre bébé d’avoir une enfance heureuse. Mais aujourd’hui, la seule chose
qui compte, n’est-ce pas son bonheur ? Peu importe la profession de la personne
qu’elle aime ?
— Ça va aller, il lui faut juste un tout petit peu de temps, me lance Martine avec
beaucoup de tendresse.
Elle tapote gentiment mon épaule, puis s’éclipse pour nous laisser un peu
d’intimité. Je resserre alors mon étreinte autour de Keller, galvanisé par ce doux
parfum qui m’a tant manqué.
— Tu vas bien… soufflé-je de soulagement, mon nez enfoui dans ses cheveux. Tu es
saine et sauve…
— Je vais bien…
Je ne peux retenir les trémolos dans ma voix en me confessant ainsi. Son épiderme
se barde alors de chair de poule, ce qui me fait frissonner en retour.
J’espère qu’à travers mes yeux scintillants, elle peut lire toute ma sincérité.
— J’ai paniqué… Lors de l’attentat, je me suis rendu compte que je tenais beaucoup
à toi. Que j’éprouvais des sentiments, au point de ne plus parvenir à me concentrer
sur ma mission. J’aurais pu mettre mes hommes en péril, et cela m’a effrayé. Je ne
voulais pas non plus t’imposer cette vie-là, où les risques que j’encours avec mon
métier sont omniprésents. Je n’ai jamais eu de relation, excepté des coups d’un
soir, car je refusais de m’enfermer dans ce schéma de vie. Je ne voulais pas te
faire souffrir. Je suis fils unique et mes géniteurs ne m’ont jamais désiré. Je
suis une erreur et ils m’en ont toujours fait payer le prix fort. Par leur faute,
je ne croyais pas en l’amour sincère et véritable. Le vrai, celui qui vous donne
des ailes et qui vous ouvre les yeux pour vous faire découvrir le monde autrement.
J’avais pris la décision de ne jamais me mettre en couple, évitant ainsi le risque
de reproduire le même modèle que mes parents. Et puis… tu es arrivée dans mon
existence et tu as tout renversé sur ton passage : mon univers, mes principes et
mes certitudes. Si j’ai agi de cette façon, c’était pour t’éloigner le plus
possible de moi, car je savais pertinemment que je craquerais si tu étais dans les
parages. Je me suis servi de Charlotte pour t’atteindre, je n’aurais jamais dû. En
revanche, crois-moi lorsque je te dis que je ne l’ai pas touchée. Il en était hors
de question. Je l’ai ramenée chez elle après t’avoir laissé penser que… bref… Dans
mon plan foireux, j’avais omis un léger détail : moi. Je n’imaginais pas une
seconde que mon quotidien serait si compliqué sans toi à mes côtés. Tout me paraît
terne et sans saveur. Tu me hantes en permanence, je suis incapable de te sortir de
ma tête. Partout où je me rends, où que je sois, je pense à toi. Le matin quand je
me réveille, la journée dans mon bureau, sur le terrain, le soir dans mon lit, puis
la nuit dans mes rêves les plus fous… Je t’aime comme un dingue, Calamity…
Chapitre 45
Jack
Je suis suspendu à ses lèvres dans l’attente d’une réponse qui ne vient pas. J’ai
l’impression que je vais mourir d’une crise cardiaque d’une seconde à l’autre. Je
ne me suis jamais senti aussi vulnérable qu’en cet instant précis. J’ai le
sentiment de lui avoir confié mon cœur sur un plateau d’argent et qu’elle a
désormais le pouvoir de le briser en mille morceaux.
Je vais crever d’un infarctus. Pas la peine de sortir de Saint-Cyr pour comprendre
que ce « mais » est clairement en trop. Je tente de me concentrer sur l’essentiel,
elle m’aime, elle vient de le dire. Néanmoins, je suis tétanisé par la peur de ce
qu’elle va m’annoncer. Que c’est trop tard ? Que j’ai tout gâché ? Qu’elle est en
couple avec l’autre tocard ? Que je ne la mérite pas ? Elle aurait raison, c’est ça
le pire. Cependant, je préfère m’accrocher à cet espoir insidieux qui fait battre
mon cœur beaucoup trop vite. Nous deux, c’est écrit, c’est pour la vie. Il ne peut
en être différemment. Ses traits restent impassibles, je ne parviens pas à
déterminer si oui ou non elle va me pardonner. Je suis à deux doigts de me foutre à
genoux pour la supplier de me donner une chance.
Bon Dieu, elle va avoir ma mort, c’est certain ! Je pouffe également de rire, ou de
soulagement, je ne sais plus trop… jusqu’à ce que sa main atterrisse doucement sur
ma joue. Je grimace, son père ne m’a pas loupé.
— Alors comme ça, tu m’aimes… soufflé-je en lui conférant un bisou esquimau, tandis
que mes doigts s’agrippent solidement à ses hanches pour la plaquer contre moi.
Une longue plainte m’échappe au moment où nos deux bouches se rencontrent pour
s’épouser à la perfection.
Bonté divine…
Je ne pourrai plus m’en passer. L’armée de papillons qui grouillait au creux de mon
ventre prend son envol. Le nœud que formait mon estomac se dénoue. La chape de
plomb qui écrasait ma poitrine se volatilise. Je l’aime à en crever. Nos dents
s’entrechoquent, nos langues se meuvent dans un ballet ardent. Je mets fin à notre
baiser, la respiration saccadée, avant que mon sang ne converge plus au sud. Ça la
foutrait mal pour ce qu’il me reste encore à faire.
J’ai envie de lui hurler « votre fille ! », mais je me contiens. Ce n’est clairement
pas la bonne méthode à employer.
— C’est pourtant mal parti. Ça fait trois jours que ma petite est revenue à la
maison et qu’elle pleure un enfoiré qui lui a brisé le cœur. Alors, permets-moi
d’en douter. Donc ta parole, tu sais où tu peux te la mettre. Seuls les actes
comptent, gamin. Moi je crois en l’amour et au destin, rien d’autre.
Outch…
— Est-ce que je peux vous demander ce qui s’est passé pour que vous nous haïssiez
autant ?
Monsieur Keller marque une pause, et c’est tout mon être qui vibre d’émotions. Ma
gorge se noue face à cet homme, pourtant si grand et si fort, qui semble à deux
doigts de pleurer. Les yeux pleins de larmes, la voix chevrotante, il reprend :
— Oui, c’est vrai, je roulais trop vite, mais c’était la vie de ma fille qui était
en jeu. Nous nous sommes fait interpeller par tes chers collègues.
Il a craché ces derniers mots avec une telle haine que j’ai bien cru qu’il allait
m’en décocher une à nouveau.
— Un contrôle qui a dégénéré, un connard de flic qui n’a pas saisi l’urgence de la
situation ou qui n’a pas souhaité l’entendre, un père à l’agonie ne parvenant plus
à canaliser ses émotions, des minutes qui s’égrenaient dangereusement. Le pire dans
tout ça, c’est qu’il éprouvait une sorte de satisfaction personnelle, un besoin
pervers à assouvir. J’ai fini par lui coller mon poing dans la gueule. Forcément,
j’ai terminé en cellule. Sauf que ces enfoirés ne s’en sont pas seulement pris à
moi, mais aussi à ma femme qui hurlait et pleurait en même temps. Ils nous ont tous
emmenés au poste, Faustine y compris. À cause de ces pourris, ma fille n’a pas pu
être opérée à temps. Je leur en voudrai pour le restant de mes jours. Par chance,
le corps médical a trouvé un traitement qui a permis de stabiliser sa santé, même
si celle-ci nécessitait encore de nombreux séjours à l’hôpital et surtout une
vigilance accrue. Il y a un an et demi, son état s’est à nouveau dégradé. Rebelote,
elle était de nouveau sur liste d’attente. Fort heureusement, elle a pu profiter
cette fois-ci d’une transplantation cardiaque très rapidement, et ce n’était
pourtant pas couru d’avance. Je me souviendrai de ce jour toute ma vie. Si ma
princesse a pu bénéficier d’une greffe, moi j’ai bien failli ne pas m’en remettre.
Ce 22 mars 2022 est gravé au fer rouge dans mon esprit.
Je suis abasourdi par tout ce que me confie cet homme. Il m’ouvre son âme et
m’expose toute sa détresse. Son récit me donne la chair de poule, néanmoins un
détail m’interpelle et pas des moindres. C’est tellement gros que j’ai du mal à y
croire, c’est impossible. J’ai malgré tout besoin d’en avoir le cœur net, alors je
l’incite à poursuivre en lui demandant pourquoi ce n’était pas gagné.
— Comment ?
— Tu étais là-bas…
— Ils ont fait erreur, monsieur, c’était moi… Pour vous le prouver, je peux même
vous dire que j’y ai déposé une petite pierre en forme de cœur. J’avais trouvé ce
caillou le jour de mes six ans, dans l’aire de jeux où je me trouvais. C’était en
quelque sorte mon gri-gri, mon porte-bonheur depuis. Ce jour-là, j’ai ressenti la
nécessité de l’offrir à la personne qui en avait plus besoin que moi. Je ne sais
pas s’ils lui ont bien remis, mais je…
Je me retourne et avise le galet dans les mains de la femme que j’aime plus que
tout au monde.
— Je n’ai fait que mon devoir, monsieur… répliqué-je sans jamais lâcher des yeux
Faustine.
Je vous avoue être un peu mal à l’aise, mais à vrai dire, je suis tellement
estomaqué que je ne sais plus trop comment réagir.
Avec Faustine, nous nous regardons, puis nous éclatons de rire tous les deux devant
cette scène improbable. J’ai encore du mal à saisir ce revirement de situation,
mais je ne vais pas m’en plaindre.
Loin de là…
Chapitre 46
Faustine
Je n’en reviens pas… Jack est mon sauveur ? C’est grâce à lui si j’ai pu être
opérée à temps… et c’est à lui qu’appartenait ce gri-gri que j’ai tant chéri depuis
ce jour…
— Donc… en fait… quand on y réfléchit bien… tu étais déjà monté avec moi en moto…
me lance-t-il, l’air espiègle.
— Il faut croire que tu avais finalement volé mon cœur depuis longtemps…
— Qui eût cru que le cœur que j’ai transporté en urgence finisse par se retrouver
dans un super bolide de couleur bleu nuit, à m’asperger littéralement de la tête
aux pieds, perdu en plein milieu des champs…
Nous nous enlaçons ainsi un moment, avant qu’on aperçoive une partie de la tronche
de mes parents derrière les rideaux. J’ignore s’ils se pensent réellement discrets,
mais c’est loin d’être le cas. Nous rigolons à nouveau devant ce spectacle
inespéré.
— Je n’ai pas envie de te laisser, mais je vais devoir y aller, m’annonce-t-il à
contrecœur. Je dois retourner au travail. En plus, Steph, qui est resté dans la
voiture, va commencer à s’inquiéter et se demander si ton père ne m’a pas déjà mis
sous vide dans le congélateur.
— Oh, bien sûr… répliqué-je, déçue, mais compréhensive. Je viens avec toi, je vais
aller lui faire un petit coucou !
— Qu’est-ce qu’il y a ?
— Rien…
— Commandant Barrow…
— Keller…
— Êtes-vous jaloux ?
Et pour une raison que j’ignore, ça me plaît. J’aime qu’il se montre un tantinet
possessif.
— Gros bêta, va… c’est l’un de tes meilleurs amis. Même après avoir merdé bien
comme il faut, il te défendait encore lorsqu’il m’a raccompagnée le soir où… bref…
— Je suis désolé. Je sais que ça ne changera rien du tout, mais sache que te faire
du mal revenait à m’en faire à moi-même…
Je proteste pour la forme, tandis que nous nous rendons jusqu’au véhicule de
gendarmerie garé juste en face de chez mes parents.
— Comment ça va, les amoureux ? nous lance alors Stephen en sortant pour me saluer.
Tu vois, je te l’avais bien dit qu’il n’était pas si naze que ça, mon pote…
— Par contre, je constate que beau-papa n’était pas forcément ravi de ta visite !
explose-t-il de rire en avisant l’arcade sourcilière ensanglantée, ainsi que
l’hématome qui se forme déjà autour de l’œil de Jack.
— Oui, et toi, Calamity… susurre Jack en glissant sa main discrètement sur mon
postérieur.
Mon sang ne fait qu’un tour. En une fraction de seconde, il embrase un feu que lui
seul peut allumer, mais surtout éteindre…
— J’arrive ! Je vais dire à mes parents que je viens avec vous ! décrété-je en
courant déjà jusqu’à la maison.
J’entends les mecs rigoler derrière moi, tandis que je parviens tout essoufflée à
destination. Forcément, mon père et ma mère m’attendent de pied ferme.
— Oui, bon, bon… ce n’est pas si grave après tout… il t’a quand même sauvé la vie…
me confie-t-il, mal à l’aise. Il ne faut pas tous les mettre dans le même panier…
Bon sang que ça fait du bien de rire ! Je me sens à présent si légère, si heureuse…
Avoir retrouvé Johnny me procure un sentiment de joie intense et indescriptible. Un
bien-être incommensurable. Comme si, j’avais trouvé mon essentiel, déniché mon âme
sœur…
Mon pouls bat à un rythme effréné à l’idée de rejoindre Jack. C’est insensé la
vitesse à laquelle il s’affole, c’en est presque indécent. Tout comme mon bas-
ventre qui se réveille douloureusement.
— Oui, enfin doucement quand même, hein ! crie mon père pendant que je monte dans
ma piaule pour fourrer deux trois affaires dans un sac. J’aurais peut-être dû
prévenir cet énergumène d’y aller tranquille dans la chambre à coucher, on ne sait
jamais !
Mon Dieu, je suis morte de honte. Il n’a pas vraiment dit ça à ma mère, pas vrai ?
— Arrête un peu, mon amour… Ta fille a un cœur en pleine forme, elle peut faire
tout le sport en chambre qu’elle désire, y compris du rodéo !
— Papa !!!!!! hurlé-je, scandalisée, mes oreilles meurtries à tout jamais par ce
que je viens d’entendre.
Maman glousse comme une gamine de quinze ans, alors que mon père l’enlace en lui
bécotant le cou. J’ignore ce qui se trame dans cette baraque, mais je dois
déguerpir, et ce très rapidement ! Je leur lance un au revoir à la volée, puis
referme la porte derrière moi. Si vous voulez mon avis, je ne dois surtout pas
faire demi-tour, au risque de devoir plonger mes yeux dans de la javel afin
d’effacer des images capables de me choquer pour le restant de mes jours.
Pas la peine de vous préciser que je marche d’un pas très déterminé. Lorsque je
retrouve les garçons, Jack, assis devant côté passager, me décoche un sourire à
tomber. Je craque, et son visage radieux donne le top départ au million de
papillons au creux de mon abdomen pour s’envoler.
Bordel…
Il va me tuer ! J’ai tellement envie de me blottir dans ses bras que ça m’en fait
mal au ventre. Mon estomac se tord dans tous les sens, tandis que mon entrejambe
pulse au rythme de mes pulsations cardiaques. Autant vous dire que Moumoune est sur
le qui-vive ! Je ne perds pas une seconde, et entre dans le véhicule. J’inspire et
ne peux m’empêcher de soupirer de satisfaction. Je distingue parfaitement les
effluves de Jack et ça me rend toute fébrile, mon palpitant s’affolant comme un
dingue. L’homme que j’aime m’observe attacher ma ceinture, et quand c’est chose
faite, je lui tire la langue pour l’embêter. Ce con me lance alors un clin d’œil
qui me donne chaud. Très chaud. Super méga chaud. Je m’efforce de me concentrer sur
le paysage qui défile, me mordillant les lèvres d’excitation. Je tente de contrôler
ma respiration, de recouvrer un tant soit peu de calme intérieur, mais c’était sans
compter sur Jack qui en a visiblement décidé autrement.
— Euh oui, bien sûr. On a oublié quelque chose ? l’interroge son coéquipier qui
s’exécute.
Il se range sur le bas-côté, non sans avoir mis son clignotant au préalable pour
avertir les usagers de la route. Oui, oui, je surveille. Disons que je veille au
grain. À la première incartade… bim ! Je lui tombe dessus et lui casse les dents.
En attendant, ça ne me dit pas ce que fabrique Johnny. Je l’observe sortir du
véhicule, en faire le tour, ouvrir la portière arrière, puis s’installer et
s’attacher sur la banquette à mes côtés, sur le siège du milieu… J’ai à peine le
temps de respirer que sa bouche est sur la mienne pour me rouler le patin du
siècle. Je suffoque, Moumoune aussi. On est toutes les deux en pleine crise
d’hyperventilation.
— D’accord… je vois… marmonne Steph en pianotant des doigts sur le volant. Je vous
préviens, vous niquez pas dans la bagnole, hein !
— On est bientôt arrivés, nom de Dieu ! Vous ne pouvez pas vous retenir cinq
minutes !
— Dépêche-toi, lui ordonne Jack, le timbre hyper rauque, ses cordes vocales
trahissant son désir intense.
Ça m’excite encore plus. Sa voix rocailleuse résonne sous mon crâne et me fait
mouiller davantage. Je suis une putain de boule de feu sur le point d’embraser
cette fichue banquette arrière d’un instant à l’autre.
Juste ciel…
Sa queue est toute raide, prête à pilonner Moumoune dard-dard. Si Stephen n’avait
pas été là, je lui aurais ouvert sa braguette pour le soulager. Le coulisser dans
ma bouche pour le sucer goulûment. Pendant un court instant, l’idée ne me paraît
pas si saugrenue. Oh là là, je suis en train de me transformer en une véritable
nymphomane, ce n’est pas possible. Il me fait dérailler. Je mute. C’est la première
fois que je ressens un tel désir, un tel besoin que c’est presque mon instinct
primaire qui parle.
— Il faut qu’on arrive et vite, haleté-je à voix basse pour que lui seul m’entende.
Je suis au bord de la rupture. Jack glousse, son visage niché dans ma nuque, et je
fonds davantage. L’espace d’une seconde, je prends le temps de l’observer, de
détailler son accoutrement. Je n’aurais jamais cru dire ça un jour non plus, mais
son uniforme me catapulte dans une autre putain de stratosphère. J’ai perdu toute
retenue. Je veux qu’il me saute et le plus tôt possible.
Mais pourquoi j’ai mis un fichu pantalon, sérieux ? Une robe, ça aurait été
tellement plus pratique… À compter d’aujourd’hui, c’est décidé, je ne porterai plus
que ça. Bah quoi ? Il vaut mieux se parer à toute éventualité, n’est-ce pas ?
Chapitre 47
Faustine
Nous sommes enfin arrivés à la brigade. Je reconnais quelques têtes ici et là. Je
fais la rencontre de Cécile qui s’excuse immédiatement de ne pas m’avoir donné des
nouvelles de Jack. Les ordres venaient d’en haut et je me doute de qui plus
précisément. Je ne lui en veux pas, même si une part de moi me souffle qu’elle
aurait pu me distiller un petit indice discrètement. Solidarité féminine, quoi…
Bref. J’attends que Jack boucle deux trois trucs afin qu’il puisse se libérer et
avoir exceptionnellement sa fin d’après-midi. Quant à moi, je patiente en observant
tout autour de moi. Mon avis sur les gendarmes avait déjà progressé lorsque j’ai
commencé à tomber amoureuse de Jack, mais c’est désormais officiel, je ne les hais
plus. Au contraire, ils ont à présent tout mon respect. Bon, je suppose qu’il y a
encore des cons parmi les rangs, mais c’est comme partout. Et j’ai envie de vous
dire, ils ne font que leur boulot. Quand nous avons besoin d’aide, c’est eux que
nous appelons, ne l’oublions jamais. En réalité, c’est peut-être le métier le plus
ingrat qui existe sur cette planète. Un jour, tu es un héros ; un autre tu es
l’ennemi public numéro un. Je réalise que les mentalités doivent sérieusement
évoluer. Si je suis parvenue à changer d’opinion, ainsi que mon père, surtout mon
père à vrai dire, j’imagine que tout est possible !
— Hey… ne serait-ce pas celle qui a rendu notre commandant complètement dingue ces
derniers jours ? me lance Sean en me découvrant.
— Navrée, les gars, répliqué-je, amusée. Si ça peut vous consoler, moi aussi j’en
ai bavé…
— On est désolés. Crois-nous, on a tout fait pour qu’il ouvre les yeux plus tôt !
Il est parfois borné, quand il veut, plaisante Mark.
Oh, je les crois ! Je rigole avec eux, puis nous discutons quelques minutes,
jusqu’à ce que j’aperçoive Steph au loin, puis Jack fondre droit sur moi. L’espace
d’une seconde, je me vois déjà tendre les poignets pour qu’il me passe les
menottes. Aussitôt, une bouffée de chaleur me donne des sueurs froides. Il faut que
je me soigne.
— C’est beau d’être chef quand même… Pouvoir se libérer comme ça, pour baiser tout
l’après-midi, moi aussi je veux postuler, nous confie Steph, amusé.
Je n’ai pas le temps de répliquer aux trois fantastiques que Jack m’attrape et me
tire à lui pour m’emmener dans son sillage. Je me contente donc de leur adresser un
signe de la main, en gloussant comme une imbécile.
— Montre-lui de quel bois on se chauffe, nous, les poulets ! scande Steph en levant
son poing en l’air.
— Par contre, si Faustine cuisine pour toi, pense à nous, hein ! s’écrie à nouveau
Sean.
Ses potes sont fous ! Mais tellement drôles ! Johnny leur répond en leur lançant un
magnifique doigt d’honneur, ce qui me fait rire davantage.
— Bah bravo… ce n’est pas très joli-joli comme geste… le charrié-je à mon tour.
En réalité, je suis surtout mal à l’aise et super gênée de me retrouver enfin seule
avec lui. L’atmosphère est irrespirable, surtout depuis que nous avons atteint le
parking souterrain - dont j’ignorais jusque-là l’existence -, pour récupérer son
véhicule. Je tente de briser un peu la glace, d’alléger cette atmosphère beaucoup
trop lourde et chargée en tension sexuelle.
Il me grille le cerveau. Quand ses yeux sont rivés sur moi ainsi, ses paumes
agrippant fermement mon corps, son souffle effleurant ma peau sensible, ce sont
tous mes neurones qui sautent les uns après les autres comme du putain de popcorn.
Johnny tente de se ressaisir en émettant des râles dignes d’un homme des cavernes.
Il s’éloigne, passe ses mains dans ses cheveux, qu’il malmène furieusement. Ses
traits sont fermés, il semble souffrir de cette distance qu’il s’efforce de
respecter entre nous.
— Je ne vais jamais pouvoir tenir… grommelle-t-il plus pour lui que pour moi. Et
puis merde !
— La seule chose qui va nager ici, Calamity, c’est ma queue dans ta chatte trempée.
Okay, il a gagné par KO. Que répondre à ça, franchement ? Je sais très bien à quel
point sur ma liste il fait référence, et plus j’y pense, plus je m’agite. Enfin ça,
ce n’était rien en comparaison de la suite. Je frémis d’anticipation tandis qu’il
commence à défaire la ceinture de son pantalon, à déboutonner ce dernier, puis à
descendre sa fermeture Éclair. Je le contemple, si beau et si fier dans sa tenue
bleu nuit. Sa veste, son gilet pare-balles où figure la mention « Gendarmerie »
ainsi que le drapeau tricolore, son holster accroché au niveau de sa hanche…
Bon sang…
Putain, il est la tentation incarnée. Il coulisse son poing serré de haut en bas,
de bas en haut, son gland violacé suintant d’excitation. Une goutte perlée se
matérialise alors sur le bout de sa queue, me rendant ainsi complètement folle de
désir. Je grogne, m’apprête à descendre de cette fichue bagnole pour me jeter sur
lui, mais c’était sans compter sur ses réflexes aguerris.
— Hep, hep, hep… où est-ce que tu vas comme ça… susurre-t-il, tout en plaquant mes
poignets de chaque côté de mon visage.
Incapable de bouger, je me languis sous lui, me cambre, écarte les jambes pour lui
frayer un chemin. Dès lors, mes pieds l’encerclent et le ceinturent à la taille. Je
donne une légère impulsion, l’incitant de cette façon à rapprocher son bassin du
mien. Son membre généreux vient instinctivement se positionner devant mon vagin, ce
qui me fait geindre d’impatience. Je m’attends à ce qu’il me pénètre pour nous
libérer de toute cette tension, mais non, il se fige.
Oh putain !
— Mais le mec de la photo… murmure-t-il, son visage se tordant sous la douleur que
ce souvenir lui inflige.
— Parlé de toi ? Si, je n’ai fait que ça… Couché avec lui ? Sûrement pas…
Alléluia !!!
C’est tellement bon que c’est une véritable délivrance. Nous gémissons à l’unisson,
nos deux corps s’épousant à la perfection. Chaque particule de mon organisme,
chaque fibre de mon être s’embrase à son contact. L’alchimie, ce lien invisible et
inextricable qui nous unit, est toujours là. Bien là. Intact. Inébranlable. Quand
je repense à notre première rencontre, je ne l’aurais jamais cru capable de se
lâcher ainsi. C’est vrai, rappelez-vous :
« Vous savez que fumer un joint c’est interdit ? Voler quelque chose encore plus…
Faire l’amour sur la plage également. Vous êtes passible d’une amende de quinze
mille euros et d’une peine de prison pour délit d’exhibition sexuelle. »
— Tu m’as tant manqué… murmure-t-il, son souffle chaud me caressant l’oreille, tout
en maintenant ses va-et-vient libérateurs.
Chérie…
— Fais quoi ?
La honte. Je suis en train de suffoquer alors que j’écartais juste les cuisses.
Tandis que lui, qui me pilonnait sans cesse, ne semble même pas essoufflé. Il va
falloir que je me mette très sérieusement au sport.
— Quoi ma culotte ?
— Oh putain ! Ma culotte !
Dans la précipitation, je n’ai pas percuté que j’avais le cul à l’air, mes bottes
et mes fringues gisant lamentablement devant le capot de la bagnole. À quatre
pattes, je m’efforce de tendre le bras en catimini pour attraper mes vêtements,
mais je suis trop juste.
— Hey, Jack ! Tu n’es pas parti ? l’interpelle une voix féminine qui ne me semble
pas appartenir à Cécile.
— Non, j’ai oublié mes clés de maison, lui rétorque-t-il en envoyant valser ma
deuxième godasse discrétos.
— Ma copine, ma petite amie, ma femme, celle que j’aime quoi… À plus, Sandrine !
répète-t-il avec aplomb.
Chapitre 48
Faustine
— Et alors ?
— Rooooh, ce que tu peux être rabat-joie ! Je ne sais pas moi, on n'a qu’à mettre
la sirène avec la lumière bleue clignotante ! On pourrait faire comme à la télé et
doubler tout le monde à fond la caisse avec ton gyrophare ! Oh là là ! Je dois
absolument l’ajouter sur ma liste !
Sa main coulisse alors le long de ma cuisse, tandis que mes sens, extrêmement
réceptifs, sont à nouveau en ébullition. Avoir commencé notre petite affaire sur le
parking, mais ne pas avoir terminé, n’a fait que décupler la tension entre nous. Je
suis une fichue cocotte-minute sur le point d’exploser tant la pression est à son
paroxysme. Il ne me faut pas grand-chose pour partir en vrille, et clairement, sa
paume sur ma jambe est l’élément déclencheur à mon coup de folie… Je l’imite et
m’aventure paresseusement sur son pantalon. Je longe son quadriceps, son genou,
puis je remonte doucement, effleure son bas-ventre.
— Oui ?
Qu’il est beau ainsi, ses traits se déformant sous le plaisir que je lui procure.
Je me mords l’intérieur de la joue, frictionne mes cuisses entre elles dans le but
de me soulager. La vision de son gland qui se dévoile chaque fois que je le branle
un peu plus me donne l’eau à la bouche. Je le décalotte franchement, puis me jette
sur ce dernier. Je l’engloutis, le gobe, le lèche, puis le suce. Au lieu de me
rebuter, la pointe salée qui atterrit sur ma langue m’excite davantage. Je bave,
crache sur sa queue tandis que je m’active avec assiduité. Ma tête plonge de haut
en bas avec ferveur, motivée par les sifflements émis par Jack. Je le prends de
plus en plus loin, de plus en plus fort.
Je le pompe avec une telle détermination qu’il ne semble même plus capable
d’articuler pour aligner trois mots. J’ai très bien compris ce qu’il voulait me
dire, je l’avais de toute façon deviné. Son sexe inondé de sang gonfle en moi
jusqu’à se vider entre mes lèvres. Je gémis, la bouche pleine, son sperme chaud et
épais se déposant sur mes papilles gustatives. Je n’avais jamais fait une chose
pareille auparavant. Et si, dans un premier temps, je réprime un haut-le-cœur au
moment où sa semence visqueuse se déverse au fond de ma gorge, je prends finalement
plaisir à avaler. C’est déroutant, mais pas si désagréable… surtout quand j’observe
Jack, le regard hagard, l’œil pétillant. Cela en valait clairement la peine et me
donne presque envie de réitérer.
Alléluia !
La fragilité que j’ai perçue dans sa voix me chavire l’âme et le cœur. L’étincelle
qui brillait au creux de ses iris il y a une minute a disparu pour laisser place à
un léger voile empli de tristesse.
Dès lors, je comprends ce qu’il attend de moi. Après une longue inspiration, il me
faut quelques secondes pour faire redescendre la pression et surtout pour prendre
mon courage à deux mains.
— Je suis née avec une malformation cardiaque, enfin ça, tu le sais déjà… Tout au
long de mon existence, j’ai été dorlotée, choyée comme une véritable poupée de
porcelaine. Je ne pouvais ni courir, ni chanter, ni danser, ni même m’amuser. J’ai
été privée de tout ce dont un gosse a besoin pour grandir et s’épanouir pleinement.
Bien sûr, ce n’est en aucun cas un reproche vis-à-vis de mes parents, ils ont tout
fait pour moi. Au contraire, une part de moi s’en veut de leur avoir fait subir
tout ça. Ils ont mis leur vie entre parenthèses pour s’occuper de leur fille
unique, ne souhaitant pas d’un second enfant pour se consacrer entièrement à moi.
J’ai passé beaucoup de temps à l’hôpital. Le rythme cardiaque irrégulier, le pouls
rapide, le souffle court, le teint bleuâtre, la fatigue… autant de symptômes qui
indiquaient que ça n’allait pas. J’ai évolué dans un cocon où chaque parole, chaque
geste était examiné au peigne fin. J’ai eu de nombreux traitements, pour la plupart
expérimentaux. Par chance, les médecins sont parvenus à stabiliser mon état grâce à
l’un d’entre eux, même si je devais quand même faire attention. Mon adolescence
s’est résumée à lire, regarder la télévision et papoter avec Léo.
— Léo Vasseur, mon meilleur ami, mon confident, mon allié. Nous nous sommes
retrouvés dans la même chambre, lui et moi, au cours d’un passage à la clinique.
Nous avions douze ans et il souffrait également d’une cardiopathie congénitale.
Forcément, ça rassemble. Depuis ce jour, nous avons partagé tous nos séjours, enfin
quand nos hospitalisations concordaient. J’imagine que cela ne va pas te
surprendre, mais mes parents, en particulier mon père, ne voyaient pas ça d’un très
bon œil, mais nous ne leur avons pas laissé le choix. Nous étions déjà bien assez
malheureux. Aussi étonnant soit-il, nous avons pour ainsi dire traversé un parcours
identique. Par miracle, il a également été greffé un an avant moi. Ensemble, nous
avons tout surmonté, unis main dans la main. Je ne vais pas te le cacher, Léo aura
été mon premier amant, mais l’un comme l’autre, on pensait mourir dans un avenir
proche. C’était une sorte d’expérimentation, il n’y avait rien de plus qu’une
simple envie de découvrir son corps à travers une tierce personne, qui plus est de
confiance. Pour être honnête, ça a été une catastrophe, dis-je en gloussant alors
que je me remémore la scène. Un vrai carnage. Puisqu’il n’y avait rien de plus
qu’une amitié profonde et sincère entre nous, j’imagine que ça n’a pas aidé pour le
reste. Néanmoins, je ne regrette rien. Bien que cela puisse te paraître étrange de
dire cela, voire carrément inapproprié, je considère Léo comme le frère que je
n’aie jamais eu.
— Non, je comprends… bien que je déteste l’idée même qu’il ait posé les mains sur
toi, grogne-t-il d’un coup en me portant dans ses bras. Tu as eu d’autres…
expériences après lui ?
Je glousse devant son comportement d’homme des cavernes. J’aime cette facette chez
lui, cet aspect possessif, voire presque primitif. J’apprécie qu’il se montre
transparent avec moi, qu’il ne cherche pas à dissimuler ses émotions. Pendant trop
longtemps, on a tenté de me préserver, de me cacher ce que les gens ressentaient,
toujours dans le but de me protéger. Avec Jack, je me sens libre et surtout
entière. Je ne lis aucune pitié dans ses yeux, mais plutôt de l’admiration. Il ne
me perçoit pas comme une petite chose fragile qui a besoin d’être dorlotée. Non, il
me voit comme une femme forte. À ses côtés, j’ai l’impression d’être capable de
soulever des montagnes ou de lui décrocher la lune rien que pour lui.
— Et toi alors…
Je pouffe, tandis qu’il me couche sur son lit. Je n’insiste pas, car honnêtement,
je ne préfère pas savoir. Tout ce qui compte, c’est le shoot enivrant que je me
prends. Ses draps sentent si bon, tellement lui, que j’ai la sensation d’avoir
atterri au Paradis. Instinctivement, je tourne mon visage pour l’enfouir dans son
oreiller, sans me soucier du regard appuyé de son propriétaire sur moi. J’inspire
comme une putain de droguée en pleine rechute, ce qui ne manque pas de le faire
rire. Après avoir retiré ses chaussures, il me rejoint, puis grimpe à califourchon
sur moi, sans réellement faire peser le poids de son corps sur le mien. Il me
scrute avec grande attention et je rougis immédiatement face à son inquisition.
J’ai le sentiment qu’il souhaite me poser un milliard de questions. Cependant, il
ne prend pas la parole de suite, pas avant de m’avoir ôté ma veste et mon haut avec
tendresse. À présent en soutien-gorge sous ses yeux observateurs, il détaille ma
cicatrice, survole celle-ci du bout de son index, puis me demande dans un murmure :
— C’est douloureux ?
— Alors quoi ?
Évidemment, il ne lâche pas l’affaire, c’est bien un flic. Je n’ai plus d’autre
choix que de lui parler à cœur ouvert, de lui confier la vérité. De toute façon,
mon petit doigt me dit que si je lui raconte des salades, son détecteur de
mensonges de super poulet va se déclencher dans la seconde.
— Parce que je ne souhaitais pas que ton regard change sur moi. Que tu me vois
comme une chose fragile ! déblatéré-je avec précipitation, le souffle court. Je
voulais que pendant…
Chapitre 49
Jack
— Plus fort, gémit-elle en agrippant mes draps qu’elle froisse comme une
sauvageonne.
Elle va avoir ma peau. Après l’avoir baisée, puis lui avoir fait l’amour, puis
l’avoir baisée, puis… bref, vous avez compris l’idée. Je pensais réveiller ma belle
au bois dormant en douceur, la pénétrant avec lenteur. L’embrasser avec tendresse,
la caresser avec paresse. Mais non, Keller en redemande, et bordel, je remercie
l’entraînement intensif du boulot, il me sauve la mise. Heureusement que je suis
endurant ! Bientôt, ce ne seront plus des couilles que j’aurai, mais des raisins
secs à ce rythme-là - et ce, pour mon plus grand bonheur bien évidemment.
— Jack…
Que j’aime l’entendre gémir mon prénom ainsi ! J’ai l’impression d’être le roi du
monde ! Je continue de la remplir sans relâche, ma queue pleine de mouille
coulissant en elle avec ferveur. Finalement, je craque et glisse mon index le long
de son anus qui me nargue depuis hier soir. Je désirais attendre, ne pas précipiter
les choses pour ne pas aller trop vite, mais ma faim d’elle n’a aucune limite. Je
souhaite tout partager avec cette femme, encore plus cette partie de son anatomie
que j’ai toujours refusé d’explorer auparavant. Pour tout vous dire, ça m’écœurait
franchement. Mais pour une raison que j’ignore, chez Keller, la simple idée de
pénétrer son cul me rend dur comme la pierre. Mon intrusion ne semble pas
l’offenser, au contraire, elle paraît même apprécier, si j’en déduis ses petits
couinements chaque fois que j’effleure cette zone interdite. Ce constat électrise
mes sens, me donne le tournis, court-circuite le peu de contrôle qu’il me restait.
Je me recule, juste assez pour pouvoir plonger mon visage entre ses deux globes de
chair. Je perds les pédales, ma queue toute raide jutant toute seule entre mes
cuisses sans même qu’on la touche. La pointe de ma langue, gourmande et insatiable,
coulisse entre sa raie, avant de se loger dans les plis de sa rondelle. À son tour,
elle pousse alors un cri guttural, aussi bien de surprise que de satisfaction au vu
de ses grognements de plaisir qui retentissent sans retenue.
Bonté divine…
— Je t’aime…
Keller m’observe, l’œil pétillant. Elle ne me répond pas tout de suite, préférant
se mouvoir lascivement sur ma queue toujours enfoncée en elle. Je gémis, incapable
de résister tant le plaisir qu’elle me procure est bon. Puis, sans que je m’y
attende, elle se penche vers moi, ses seins s’écrasant contre mon torse. Ses lèvres
me cajolent ici et là, sur mon épaule, sur la ligne de ma mâchoire. Puis, elle
enfouit sa tête dans mon cou qu’elle parsème également de baisers. Le rythme
particulièrement lent qu’elle entreprend est une véritable torture, mais je la
laisse diriger, me contrôler. Lorsqu’elle me mordille le lobe de l’oreille, une
plainte m’échappe. Elle glousse, avant de me porter le coup de grâce :
Mon cœur vient d’exploser en plein vol. Je suis décédé et arrivé au Paradis. C’est
la plus belle chose qu’elle pouvait m’annoncer. Alors, sans plus tarder, je
l’embrasse tel un condamné à mort, avec fougue et déraison, amour et exaltation. Je
reprends là où je m’étais arrêté, et retrouve son anus encore bien dilaté.
— Tu veux essayer… ? lui demandé-je, la voix étranglée par le désir qui me consume
de toute part.
Ses yeux s’écarquillent en grand alors que sa bouche forme à présent un magnifique
o de stupéfaction. Elle ne s’attendait visiblement pas à cette réponse de ma part.
Oui, c’est vrai, j’ai profité, mais j’avais quand même mes limites. Ce qui,
manifestement, n’est plus du tout le cas avec Keller.
— Oh…
Plus je m’active et plus les gémissements de Keller retentissent. Les petits bruits
qu’elle fait avec sa bouche sont étouffés par ma langue qui ne lui laisse aucun
répit. C’est le feu vert que j’attendais, j’espère seulement qu’elle ne tardera pas
à jouir, car je ne vais pas tenir encore bien longtemps, c’est une certitude.
J’accélère la cadence sans jamais cesser de l’embrasser. Mes paumes fermement
arrimées à ses hanches, je martèle son cul qui me rend dingue depuis le tout
premier jour. Elle se redresse, et aussitôt mes mains englobent ses deux gros seins
qui ballottent sous mes assauts répétés. Très vite, Keller ne se contente plus
d’encaisser mes coups de reins. Non, elle prend les rênes. Je n’en reviens toujours
pas d’avoir une chance pareille. Désinhibée, elle se lâche totalement et me
chevauche la queue avec une détermination folle. Elle ahane, rugit de plaisir,
plante ses ongles dans mon torse, tandis que je grogne également en retour pour
m’efforcer de maîtriser ce désir violent qui me pourfend de part en part. J’ignore
combien de temps nos corps se montrent à quel point ils s’aiment, à quel point ils
ne font plus qu’un, mais je parviens à résister. Cependant, je ne pourrai bientôt
plus rien contrôler, je le sais. Par chance, Faustine se met à pousser un cri
capable de réveiller un mort, tandis que les parois de son rectum se referment
brutalement sur ma verge.
Seigneur tout-puissant…
Chapitre 50
Faustine
Je crois qu’il m’a cassée en deux. Le cul encore en l’air, la tête enfouie dans son
oreiller, je n’ose pas le regarder.
C’était quoi, ça ?
Je suis sonnée, dans un état second. Toute cette nuit aura été magique, sans parler
du réveil explosif. Mon corps retombe mollement sur le côté, comme une putain de
loque à l’agonie. J’ai mal partout. Je geins, sous l’attention amusée de Jack qui a
déjà pris sa douche, prêt à se rendre au boulot. Moi ? Je ne sens plus mes jambes
après le dernier orgasme démentiel qu’il vient de me procurer. Je n’aurais jamais
imaginé un seul instant permettre à quiconque d’entrer par-derrière. C’est une
porte de sortie, et non un hall de gare. Pourtant, je ne regrette à aucun moment de
m’être laissé aller. Oh que non… même si au début c’est quelque peu étrange, pour
ne pas dire désagréable, arrive ensuite une sensation extraordinaire qui te
propulse tout droit au septième ciel.
— Peux plus marcher… marmonné-je, le visage toujours écrasé dans ses draps.
Un rire tonitruant retentit dans la pièce et c’est tout mon univers qui vibre avec
lui. J’adore l’entendre lâcher prise ainsi.
— Un peu que je suis fier de moi… ronronne-t-il à présent à mon oreille. Je dois
partir, sinon je vais être à la bourre.
Ses lèvres se posent sur la peau fine et délicate de ma nuque. Automatiquement, des
frissons parcourent mon épiderme, et c’est tout mon être qui s’apaise. Je soupire
de contentement, sous le regard attentionné de Jack.
— J’ai rendez-vous avec Christian, réponds-je, avant de lui remémorer son nom quand
je repère ses sourcils se froncer d’incompréhension. Monsieur Berthou. J’ai reçu un
appel étrange de sa part, il veut absolument me voir ce matin, mais j’ignore
pourquoi.
— Un nouveau contrat ?
— Peut-être ! répété-je, avec entrain. Ce serait génial !
— Oh, je n’y compte pas… pour rien au monde… me rétorque-t-il, les yeux dans les
yeux, son regard chargé en intensité. Tiens, tu en auras besoin, elles sont à toi…
Il me tend un jeu de clés, sûrement son double, et tout en moi hurle de joie. Un
sourire béat point sur mes traits quand je m’en empare sans hésiter. Il m’embrasse
une dernière fois, mais cette fois-ci sur la bouche. Je garde mes lèvres scellées,
bien que sa langue tente de forcer le passage.
Je vais pour lui répondre, mais il est plus malin et exploite cette ouverture pour
s’immiscer. Le goût mentholé de son dentifrice, ainsi que sa chaleur, me fait
frémir instinctivement. Ses mains en profitent pour malaxer mes seins qu’il vénère.
Il les pétrit, roule mes tétons entre ses doigts. Ils durcissent et si j’en crois
la bosse que je perçois dans son pantalon, ils ne sont pas les seuls.
Cependant, son regard change du tout au tout lorsqu’il reçoit un message et qu’il
en prend connaissance.
—Non, non… une urgence au boulot, je dois y aller… rétorque-t-il, l’air absent
avant de prendre la poudre d’escampette.
Bizarre… bon, après, il n’exerce pas un métier facile non plus. Il faut
certainement que je m’habitue à ce changement d’attitude. Mais du coup, je
m’inquiète. Et si c’était encore une attaque terroriste ? Je secoue la tête
énergiquement, puis décide d’aller me doucher. J’avise l’heure sur mon téléphone,
et presse le pas. Avant de me rendre chez Christian, je dois d’abord honorer ma
visite de contrôle chez le médecin. Elle était prévue dans quelques jours, mais
suite à un désistement, celle-ci a été avancée. Ça m’arrange, plus vite c’est fait,
plus vite je peux penser à autre chose. Je me dépêche donc et ne traîne pas sous
les jets, même si l’effet de l’eau chaude sur ma peau me procure un bien immense.
Elle détend mes muscles et dénoue le stress qui s’est emparé de moi depuis le
départ de Jack.
J’accompagne mes paroles de plusieurs pas de danse hasardeux, bien que je sois au
milieu du chemin. N’importe qui pourrait me voir et me trouver barjot, mais je m’en
contrefous. D’ailleurs, je ne croise pas un chat, c’est étonnamment désert.
Certainement à cause de ces fichus travaux qui vont débuter. Je plisse les yeux,
regarde autour de moi. Il n’y a personne, mais j’ai l’étrange sensation qu’on
m’épie. Ce silence est oppressant.
Je le salue, puis entre dans son cabinet. Il n’a pas l’air de très bonne humeur.
Enfin, encore moins que d’habitude, je veux dire. Il paraît même nerveux. Étrange.
Je prends place sur la chaise disposée face à son bureau, et extrais mon dossier
médical de mon sac. Je le lui tends lorsqu’il regagne son fauteuil, mais il ne le
saisit pas, préférant ignorer mon geste.
C’est demandé si gentiment que je m’exécute immédiatement, non sans grincer des
dents au passage. J’ôte mon manteau, ma veste, puis défais un à un les boutons de
mon chemisier en m’asseyant sur la table prévue à cet effet. Lorsque le docteur me
rejoint, il se munit de son stéthoscope, le place dans ses oreilles, puis le colle
sur ma poitrine. Il fronce les sourcils, je m’inquiète aussitôt.
— Désolée, murmuré-je, comme une gamine qu’on réprimande après une bêtise.
J’ignore pourquoi, mais il me fout la trouille. Il y a quelque chose chez lui qui
me met mal à l’aise. Je m’exécute et me lève. Chaves fait le tour, se positionne
derrière moi, et réitère son geste, mais dans mon dos cette fois-ci. Il s’apprête à
me demander je ne sais quoi, quand la porte de son bureau s’ouvre avec perte et
fracas.
— Gendarmerie !!!
— À terre !!!
— À terre !!!
— Oh, je ne crois pas, non… lui répond le praticien en enfonçant dans ma peau la
lame d’un putain de scalpel, placée juste sous ma carotide.
J’ignore ce qui se trame ici, mais ça ne me dit rien qui vaille. Je commence à
paniquer, prenant conscience de la situation merdique dans laquelle je me trouve.
— Docteur, balbutié-je.
Inspire, expire…
Un coup de feu est tiré, j’ignore qui est touché et où ? Suis-je blessée ? Je n’en
sais rien, car tout se déroule très, très vite. Le médecin se retrouve violemment
plaqué à terre, tandis que moi j’ai subitement la tête qui tourne. Une légère
morsure, comme une sorte de brûlure me cisaille la gorge. Dès lors, je palpe mon
cou, et la matière poisseuse que je détecte sous la pulpe de mes doigts ne présage
rien de bon. Je m’efforce de garder les yeux ouverts, mais c’est de plus en plus
difficile. Comme si mon corps se vidait de toute son énergie. Je ne parviens plus à
lutter, cède à la tentation de clore mes paupières, puis m’écroule au sol.
— Faustine !!!
Chapitre 51
Jack
— Bah l’autre, elle ne se fait pas chier, grogne l’un de mes coéquipiers.
Je suis son regard et observe dès lors une jeune conductrice au volant d’une Twingo
bleu nuit, escalader le trottoir afin de contourner la barrière que nous avons
installée pour limiter la circulation. Qu’est-ce qu’elle fabrique ici, putain ? Son
rendez-vous avec Chaves était prévu pour dans trois jours, et non aujourd’hui !
Soudain, la peur me prend à la gorge et me tord les tripes. Est-ce qu’elle va
bien ? Y a-t-il une urgence ? Je dois à tout prix me ressaisir.
Il ronge son frein, frustré de ne pas pouvoir intervenir sous peine de risquer
notre couverture. Nous sommes huit planqués à plusieurs mètres de là, à l’intérieur
d’un fourgon banalisé.
— C’est Keller, la meuf de… débute Marko avant de se taire en avisant mon regard
noir.
— Fermez-la et concentrez-vous, putain, ordonné-je.
Hors de question de laisser Keller une seconde de plus dans ce bâtiment en présence
de Chaves. Il a beau être son chirurgien, il baigne surtout dans un trafic
d’organes. Très tôt ce matin, la BTA a interpellé trois individus tentant de
kidnapper une jeune fille à la sortie d’une boîte de nuit. Après plusieurs heures à
les interroger, l’un d’entre eux a fini par cracher le morceau. Son corps était
destiné à la revente de pièces détachées, ce sont les termes qu’il a employés.
Après un interrogatoire plus musclé, un autre de ses camarades nous a confié
différents noms, dont celui de Chaves. On n’a jamais été aussi près de démanteler
ce putain de réseau qui sévit depuis plusieurs années et tout ça sur une simple
arrestation à la sortie d’un club. Comme quoi, le travail paye et le destin nous
réserve parfois de bonnes surprises. Néanmoins, je ne vous cache pas mon
appréhension quant à la réaction de Faustine. J’aurais voulu qu’elle n’en sache
rien pour la préserver. Si j’en crois son parcours, il lui a sauvé la vie en lui
greffant ce nouveau cœur. La seule chose qui me rassure, c’est que ce dernier n’est
pas issu de ce trafic illégal, puisque c’est moi-même qui lui ai ramené à
l’hôpital. Je ne suis pas certain qu’elle se serait remise d’un tel choc. Vivre
avec le cœur d’une personne qu’on a assassinée dans le but de lui arracher cedit
cœur, c’est tout bonnement effroyable.
On ne perd pas de temps et déjà nous sommes devant la porte de son bureau que l’on
pousse violemment.
— Gendarmerie !!!
— À terre !!!
— À terre !!!
Nous beuglons nos ordres, l’adrénaline pulsant dans nos veines à un rythme effréné.
Cependant, la vision d’horreur que j’ai face à moi me glace le sang. Un maelstrom
d’émotions me submerge. La peur, la rage, tout se mélange. Cet enculé retient
Keller contre lui, devenant malgré elle son bouclier. Un scalpel dans la main, la
lame fichée dans la peau fine et délicate de son cou, il menace de l’égorger sous
nos yeux.
Sauf que Keller est tenace et commence donc à opérer un décompte avec sa main. J’ai
l’impression que mon cœur est tout simplement en train de se briser sous ma cage
thoracique. Il nous le faut vivant pour parvenir à éliminer le maximum de têtes et
démanteler ce putain de réseau, mais si je n’ai pas le choix, je n’hésiterai pas
une seconde à lui coller une balle entre les deux yeux à ce fils de pute.
Tout se passe très, très vite. Faustine écrase son talon, puis lui assène un coup
magistral dans l’entrejambe. Surpris, Chaves relâche son attention l’espace d’une
fraction de seconde, un instant suffisant pour nous laisser une fenêtre de tir. Je
vise son épaule et aussitôt mon équipe le plaque violemment face contre terre.
Quant à moi, mon regard se porte sur Keller qui vacille dangereusement. Je suis sa
main qui se dirige vers sa gorge ensanglantée, et c’est comme si je me faisais
percuter par un trente-cinq tonnes.
— Faustine ! Putain ! Reste avec moi ! Faustine ! Je t’aime ! Reste avec moi !
Ne me laisse pas…
Chapitre 52
Faustine
— Bien sûr qu’elle va bien, ma petite chérie ! C’est une guerrière, ma princesse !
s’exclame mon père, les yeux emplis de fierté. Les gars m’ont raconté comment elle
a fait pour se dégager de ce fou furieux !
— Alors c’est papa, c’est ça ? lui chuchoté-je, finalement inquiète pour sa santé
mentale à lui.
— Je crois qu’on a juste fini par comprendre qu’on devait te laisser vivre ta vie.
Ça n’a pas été facile pour nous, mais tu dois désormais voler de tes propres ailes.
Nous sommes si fiers de toi, ma puce. Je sais que tu culpabilises souvent, que tu
penses être responsable du fait de ne pas avoir eu de petit frère ou de petite
sœur, mais tu n’y es pour rien du tout. C’était notre décision, celle de consacrer
notre existence à notre petit trésor. Pour rien au monde nous regrettons notre
choix.
Je contemple ma mère les yeux embués de larmes. Ses mots me vont droit au cœur et
me percutent l’âme. Un poids dont je n’avais pas réellement conscience jusque-là se
volatilise, me permettant ainsi de me sentir plus légère.
— Et puis, on compte sur toi pour nous faire plein de beaux petits enfants !
ajoute-t-elle, toute guillerette.
Je lance direct un regard sur mon paternel de peur qu’il nous claque entre les
pattes.
— C’est bon, Martine. J’ai déjà vu ça avec Jack, lui répond-il tout en lui
décochant un clin d’œil.
Okay, ils sont devenus fous. Depuis quand ils s’entendent bien au point de parler
« bébé » ces deux-là ?
— Oooooh, je suis tout excitée ! réplique ma mère en tapant dans ses mains.
— Euuuuh… j’ai peut-être mon mot à dire, non… commencé-je avant d’être interrompue
par mes amis qui déboulent dans la chambre comme de vrais bulldozers.
— Tu nous as fichu une de ces trouilles, bon sang ! s’exclame Lizzie en se jetant
sur moi pour m’embrasser.
— C’est juste impressionnant, c’est tout… dis-je en plaquant mes doigts sur mon
cou, avant que mon regard se perde sur deux iris couleur azur. Hey…
— Tout va bien ?
— C’est plutôt à moi de te demander ça… tu m’as flanqué une peur bleue, m’avoue mon
meilleur ami en me serrant fort contre lui.
La porte s’ouvre à nouveau et c’est désormais l’homme de ma vie qui me fait face.
Il nous dévisage, semblant ne pas trop apprécier me retrouver dans les bras d’un
autre, mais il se contient et surtout respecte notre accolade purement amicale. Il
se place dans un coin de la pièce, attendant sans doute son tour. J’ai envie de
faire sortir tout le monde, mais ce ne serait pas très sympa, alors je prends mon
mal en patience. Je lui adresse un sourire qu’il me retourne et qui me réchauffe
immédiatement le cœur. Je me recule de Léo et lui dépose un baiser sur le front
comme nous avions l’habitude de le faire quand nous n’étions encore que des gosses.
Le bal des visites se poursuit, et ce sont désormais les coéquipiers de Jack :
Mark, Sean et Stephen qui déboulent.
— Cette chambre va être trop petite si ça continue, blagué-je, ravie de les voir
ici.
— Ça, c’est clair ! Notre commandant a intérêt à filer droit avec un petit bout de
femme pareille ! plaisante Sean en imitant son collègue et en jetant un coup d’œil
discret à son chef et ami.
— Ton père et moi, on voulait t’annoncer quelque chose. Pour les mois à venir, nous
avons décidé de profiter un peu et de voyager. Nous serons moins présents, mais tu
pourras utiliser la maison comme tu l’entends, on te laissera les clés. On te sait
entre de bonnes mains, lance-t-elle en jetant un coup d’œil à Jack, puis à mes
amis, alors nous allons tâcher de prendre un peu de temps pour nous.
Cette nouvelle ne pouvait pas me faire plus plaisir. Découvrir mes parents
rayonnants ainsi n’a pas de prix. Par ailleurs, un autre détail m’interpelle. La
paume de Lizzie logée dans celle de Léo me fait froncer le nez dans leur direction.
— Entrez !
— Ça ne va pas de nous faire des frayeurs comme ça, plaisante alors Christian.
Je rigole avec lui, tandis qu’il me dépose une bise sur chaque joue. Je suis
heureuse qu’il soit ici, parmi nous. Voir tous les gens que j’aime réunis dans
cette pièce me prouve à quel point je suis entourée, à quel point j’ai eu raison de
me battre, à quel point la vie peut être dure, mais qu’elle vaut la peine d’être
vécue. Je regarde chacun d’entre eux, un doux sourire sur les lèvres. Ils sont ma
famille et pour rien au monde je ne souhaiterais une autre existence que celle qui
est la mienne. Cohabiter avec un cœur qui n’est pas le sien n’est pas simple tous
les jours. Je me pose parfois des questions, puis très vite je me dis qu’à travers
moi, une personne que je ne connais pas perdure. Qu’elle m’a sauvée et que je me
dois d’honorer sa mémoire. Le don d’organe est crucial, ne cessons jamais de
l’oublier. Parlez-en autour de vous, à vos amis, à vos proches. Peu importe que
vous soyez pour ou contre, dites-le, car on ignore toujours de quoi l’avenir sera
fait. Ne remettez jamais les choses au lendemain. Plus tard, c’est bien souvent
trop tard.
— Quand est-ce que tu vas me dire tu, bon sang, plaisante-t-il en faisant mine de
s’énerver.
— Non…
— Que de là-haut, avec Marianne, on voudra voir tout un tas de petits enfants
gambader partout dans notre beau château, s’esclaffe-t-il, la larme à l’œil.
— Ce n’est jamais trop pour les gens qu’on aime, affirme-t-il en appuyant sa paume
chaude et calleuse sur ma joue. Tu es une magnifique jeune fille qui s’est battue
tout au long de son existence. Tu mérites ce qui t’arrive, alors profite de ce que
la vie t’offre à présent.
Je suis en larmes tant les paroles de Christian me touchent au plus profond de mon
cœur. Je n’en reviens pas. Il m’enlace et nous pleurons tous les deux dans les bras
l’un de l’autre. Lorsque je relève mon visage, je constate que mes proches ont
également le regard pétillant. Jack, quant à lui, sourit en m’observant. Nous
échangeons encore un moment, jusqu’à ce que tout le monde décide de me laisser me
reposer. Enfin, tout le monde, presque tout le monde…
— J’ai cru que je n’allais jamais t’avoir pour moi tout seul, murmure-t-il dans mon
cou en inspirant tel un camé en manque.
Je gémis en m’agrippant à son uniforme qui me fait toujours autant d’effet. Il doit
arrêter ça de suite, sinon je vais me jeter sur lui.
— Alors comme ça, tes collègues et toi, vous avez bu un café chez mon père… lancé-
je, amusée.
— Tu as vraiment envie de discuter de mon nouveau meilleur pote, là, tout de suite,
s’esclaffe-t-il désormais au coin de ma bouche avant de m’embrasser franchement.
J’ignore combien de temps nous restons ainsi, assis tous les deux dans ce lit, à
simplement nous bécoter et nous peloter comme deux adolescents. Mon amour pour lui
est infini. Une fois repus, nous papotons de tout et de rien. De son boulot, de ma
passion pour la cuisine. De ses amis, des miens. De notre avenir ensemble. Des
quinze enfants que nous allons devoir procréer pour satisfaire ma famille. Il me
parle de ses parents, enfin plutôt de ses géniteurs. Le petit garçon en lui me
brise le cœur, et je me fais le serment de toujours lui fêter son anniversaire
comme il se doit. De ne jamais l’oublier. Je lui raconte mon histoire, mes défaites
et mes victoires, mon combat et ma renaissance.
— Pour tout ce qui t’est arrivé, pour mon comportement de connard et pour avoir mis
derrière les barreaux celui qui t’a sauvé la vie.
— Qui ça ? Chaves ?
— Alors oui, mais seulement depuis six mois. Celui qui m’a opérée est parti à la
retraite. C’est Chaves qui a récupéré sa patientèle. J’étais dégoûtée, je ne
l’appréciais pas tellement, je ne sais pas, je ne le sentais pas. Comme quoi, j’ai
du flair, blagué-je.
Je lis aussitôt du soulagement dans ses yeux. C’est vrai que je n’avais pas songé à
cet aspect-là. Coffrer l’individu qui a sauvé la vie de la personne qu’on aime, ça
doit être déstabilisant. Et dire que Chaves opérait clandestinement des gens pour
extraire leurs organes alors qu’ils étaient encore en vie et en bonne santé. C’est
un meurtrier. Tout ça pour de l’argent, ça fait froid dans le dos et honnêtement je
préfère ne pas y penser. D’après Jack, il va croupir en taule pour un long moment.
— En effet, tu aurais presque pu entrer à la gendarmerie si tu avais voulu,
plaisante-t-il alors que je glousse de ses bêtises. Presque, je dis bien… car tu as
deux trois petites notions du code de la route à revoir…
L’œil pétillant qu’il pose sur moi à cet instant suffit à me rendre ivre de
bonheur. La tendresse qui se dégage dans l’intensité métallisée de son regard me
chamboule et me submerge d’un sentiment de joie absolue. J’ignore de quoi demain
sera fait. Ce que me réserve l’avenir est un mystère. Mais si je suis bien sûre
d’une chose à présent, c’est qu’il est l’homme de ma vie, mon âme sœur, et que je
me battrai désormais pour lui, pour nous, pour que notre amour ne s’éteigne jamais…
#Bobbyestamoureux
#lepouletcestpourlavie !
#haricotmagiqueforever
#Moumouneauneconjonctivite
Épilogue
Faustine
— Mon commandant, susurré-je en frottant délibérément mon cul contre son entrejambe
afin de détourner son attention.
— Arrête tes conneries, bon sang…
— Tout ce que je veux ? répète-t-il en plissant ses yeux d’un air malicieux.
Okay…
— Excusez-le, il semblerait qu’il ait mangé un peu trop pimenté ce midi. C’est
toujours pareil avec lui, il ne sait pas s’arrêter à temps. Le souci, c’est
qu’après, ça le détraque de l’intérieur. Chouchou, combien de fois je t’ai dit de
ne pas manger trop épicé, hein ? Ah là, là, les hommes, ils n’écoutent jamais… Le
problème, c’est que ça lui donne la diarrhée, et ça coule, ça coule… Dans certains
cas, il ne parvient même plus à se retenir, c’est terrible. Terrible ! Et mon Dieu,
l’odeur, quelle horreur !
— Ça ne va pas bien, non ! m’engueule Jack lorsqu’on s’éloigne du magasin. Pour qui
je passe, moi maintenant ?
— Pour un mec un peu trop fragile des intestins ? rétorqué-je en riant aux éclats.
— Ce n’est pas bien du tout, murmure-t-il, la voix éraillée par le désir violent
qui flamboie soudainement dans ses pupilles dilatées.
— Vous allez devoir me punir… avez-vous songé à apporter votre grosse matraque avec
vous ? roucoulé-je, tout en resserrant mes bras de chaque côté de ma poitrine pour
la faire pigeonner.
Un sourire victorieux éclaire mon visage quand j’aperçois la bosse qui se forme
sous le short hawaïen de l’homme que j’aime.
— Ah ça non, hein… Savez-vous que pour ce délit vous êtes passible d’une amende de
quinze mille euros et d’une peine d’emprisonnement ? lui répété-je les mots qu’il
m’avait lancés au cours de notre toute première rencontre.
Nous rions aux éclats devant notre très mauvais jeu d’acteur. On pourrait presque
tourner un porno si on continue ainsi. J’ai déjà le titre. Enfin, j’hésite entre
deux. Soit « Mille et un coups de bite ! », soit « Jack et son gros haricot
magique ! ».
Lorsque nous arrivons dans la somptueuse villa sur pilotis que Jack a réservée pour
nous, je suis toujours époustouflée par le panorama. L’eau turquoise à perte de vue
me donne envie de plonger immédiatement. Il faut dire que le climat aride pèse
aussi dans la balance. Vous devez sans doute vous demander ce qu’on fabrique ici,
eh bien, c’est simple… Jack a entrepris de réaliser mes rêves, même ceux les plus
fous, en effectuant toutes les choses de ma liste. Liste qu’on poursuit ensemble
désormais. Ce voyage était une magnifique surprise et j’ai ainsi pu prendre l’avion
pour la première fois. C’était incroyable, quand bien même j’ai flippé ma race au
moment du décollage et de l’atterrissage. Depuis, Jack fait tout pour rayer un à un
les différents objectifs mentionnés sur cette fameuse liste. Il est d’ailleurs
temps de refaire le point sur celle-ci. Je m’assoie, sors ma feuille, la déplie,
puis lis :
- Sauter en parachute
— Celui-ci, grince-t-il des dents avant de s’emparer de mon stylo pour griffonner
quelque chose.
- Coucher avec un inconnu = Baiser avec Jack tous les jours.
J’éclate de rire et lui souffle que ça ne devrait pas être trop compliqué à
réaliser… Je continue :
- Faire un tatouage
- Nager avec des dauphins = cet après-midi !!! Autant vous dire que je suis
surexcitée à l’idée de rencontrer Flipper[19].
- Effectuer un safari
- Gravir un volcan
- Se baigner nue dans la mer = check (pas plus tard qu’hier et c’était incroyable.
Attention, scoop : le haricot magique est submersible).
- Assister à un concert
Je souris en constatant que j’ai déjà accompli pas mal de choses et tout ça grâce à
Jack. À mon tour, je m’empare du stylo et ajoute :
- Faire du jet-ski.
— Oui, oui, nous sommes complets jusqu’à votre retour ! J’appelais juste pour
prendre de vos nouvelles.
Je souris devant l’enthousiasme de mon ancien commis. Depuis que Chaves est
derrière les barreaux, avec tous ses amis les psychopathes, ma vie a
considérablement changé. Charlotte a définitivement lâché la grappe de mon mec. Mes
parents sont souvent absents, voyageant aux quatre coins du monde. Quant à
Christian, il tient ses promesses et me laisse gérer d’une main de maître son
domaine, tout en m’apportant son aide et son expertise. Je n’aurais jamais cru dire
ça un jour, mais je suis la plus heureuse des femmes. Je m’éclate en cuisine, tout
en réalisant salle comble tous les soirs. J’ai bien entendu engagé Antoine à plein
temps, et je l’ai promu au poste de cuisinier. Tout comme moi, ce gosse a vécu une
histoire compliquée. Sa petite sœur est née avec la même malformation cardiaque que
moi, sauf qu’elle n’a pas eu la même chance et est décédée. Forcément, ça crée des
liens. En plus, c’est un bosseur et il fait un travail remarquable. Il devait faire
partie de mon équipe. Je lui réponds, nous discutons quelques minutes, je lui donne
deux trois pistes pour des idées de menus à venir, puis je raccroche.
L’attention perdue sur cette étendue d’eau, mon cœur ne cesse de se gonfler de
joie. Surtout quand mes iris se posent sur Jack qui m’observe, alors qu’il est à
présent en train de se baigner. J’ignorais qu’une volaille savait si bien nager.
Vous verriez comment les muscles de son dos roulent à chaque brasse…
— Le blanc de poulet !
J’éclate de rire alors qu’il secoue la tête de gauche à droite, l’air à la fois
désespéré et amusé. Je me perds dans ses beaux yeux gris, puis me fais violence
pour décrocher mon regard du sien afin de reprendre là où j’en étais :
Fin
Remerciements
C’est avec beaucoup d’émotions que je termine ce nouveau manuscrit… Comme vous le
savez, enfin ceux qui me suivent sur les réseaux, j’ai traversé une période
compliquée. J’étais partie pour rédiger le tome deux de GHOST, puis une mauvaise
nouvelle est venue contrecarrer mes plans et me mettre à terre. Je n’ai pas écrit
pendant un moment, puis, petit à petit, Jack et Faustine se sont immiscés dans ma
tête. Tels des superhéros, ils m’ont changé les idées et ont égayé mes journées. Et
mes nuits aussi, soit dit en passant ! Ne me demandez pas comment cette histoire est
arrivée, je ne le sais pas moi-même. Toujours est-il que c’est au volant de ma
voiture que mes deux héros sont nés. Tout comme Mathias et Élisa, Jack et Faustine
m’ont apporté beaucoup de joie. J’ignore encore comment j’ai pu y introduire autant
d’humour (certes pourri, je vous l’accorde), dans une période où tout était noir
dans ma vie, mais je l’ai fait. J’espère donc qu’ils vous procureront autant de
bonheur en quelques heures que ce qu’ils ont pu me livrer durant ces derniers mois.
Il y a clairement une partie de mon âme dans ce roman. Au même titre que Faustine,
bien que cela ne concerne pas du tout le même sujet, je me sens à présent libre, et
croyez-moi, la liberté n’a pas de prix. Aujourd’hui, c’est à vous lecteur-lectrice,
que je la dois. Alors mille mercis pour tout votre amour, votre soutien et votre
fidélité ! Je ne vous le répéterai jamais assez, mais merci de me faire vivre un
rêve éveillé ! Merci pour vos nombreux messages sur les réseaux, en privé ou encore
sur mon site internet. Vous êtes extraordinaires !
Je tenais également à remercier ma famille, mon mari et mes enfants. Tous mes
proches et amis qui sont derrière moi, qui n’ont jamais cessé d’y croire. Aussi
surprenant soit-il, à chaque nouvelle histoire, je me dis : « Hannn, je ne vais
jamais y arriver ! », « Mais comment j’ai fait pour écrire ne serait-ce qu’un seul
livre ? ». Je n’ai toujours pas la réponse à l’heure où je vous parle, mais soyez-en
sûrs, je ne compte pas m’arrêter là. Peu importent les doutes, peu importent les
épreuves, je continuerai d’avancer et de vous embarquer dans toutes mes folles
aventures !
Je remercie du fond du cœur toute mon équipe qui se mobilise et donne le meilleur
d’elle-même pour sublimer mes ouvrages. Elle chasse toutes les vilaines
incohérences, les saloperies de coquilles, et Dieu sait que c’est un exercice
difficile ! Merci à ma meilleure amie : Margot ; mes supers bêtas : Joy, Audrey,
Candy, Tiphaine, et aux deux nouvelles arrivantes, Mimi et Titi ! Mais aussi Laure,
mon amie et super correctrice ! Tu fais un boulot de dingue, je ne sais pas ce que
je ferais sans toi ! Vient ensuite le tour de Maya Aasri, ma talentueuse graphiste
qui a encore fait des miracles. Tu as su retranscrire tout ce que je voulais dans
cette cover qui me tenait particulièrement à cœur, alors merci mille fois ! Merci à
toi aussi Lydasa, pour avoir mis en valeur mon dernier bébé avec cette magnifique
mise en page !
Enfin… je voudrais conclure avec un remerciement un petit peu spécial. Tout au long
de mon roman, il me semble que les forces de l’ordre ont pris cher… et je m’en
excuse, mais c’était tellement tentant… J’espère que vous aurez compris que c’était
seulement de l’humour ! Depuis toujours, j’éprouve un profond respect envers vos
professions. Honnêtement, je crois que vous exercez le métier le plus ingrat qui
puisse exister. Un jour, on vous acclame comme les héros que vous êtes. Un autre,
vous devenez l’ennemi public numéro un. On vit dans un triste monde, mais l’unique
chose que je retiens, c’est que votre engagement va bien au-delà de toute cette
noirceur dont vous vous efforcez de nous protéger au quotidien. Durant mon récit,
bien qu’il s’agisse d’une fiction (c’est important de le souligner), j’ai tâché de
me rapprocher au maximum de la réalité. Alors bien évidemment, c’est parfois
cliché, bien souvent enjolivé, mais ne lit-on pas pour rêver et s’évader ?
Je tenais donc à remercier tout particulièrement l’amicale PSIG de Lille pour tout
le temps que vous m’avez accordé et pour toutes les précieuses informations que
vous m’avez communiquées. J’ai adoré échanger avec vous sur votre métier, vos
habitudes, vos ressentis… L’écriture de ce roman a été intense, et vous avez rendu
cette aventure encore plus incroyable. Merci du fond du cœur ! Si vous aussi vous
voulez partager le quotidien de cette super équipe, je vous invite à les suivre sur
leur page Facebook et Insta. Il y a des petites stories sympas à regarder, et
paraît-il qu’ils nous préparent un wod mortel, soyez donc au taquet ! (Si vous
passez par-là, désolée les gars, mais vous n’avez plus le choix !) Pour celles et
ceux que ça intéresse, vous pouvez également les soutenir en achetant l’écusson de
leur uniforme disponible à la vente. Me concernant, je vais me dépêcher de leur en
commander un avant qu’ils n’en aient plus.
Voilà… c’est terminé. Je suis à la fois triste et heureuse. Triste de quitter Jack
et Faustine, mais heureuse de vous les confier. Prenez-en bien soin, et n’oubliez
pas, un petit message sur les réseaux, un commentaire sur Amazon ou toute autre
plateforme, et vous contribuerez à ce qu’ils volent de leurs propres ailes !
MERCI
Chaleureusement,
Flora
De la même auteure
Déjà parus :
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Autoédition
* * *
[5] Marque créée en 1969 pour valoriser les volailles de l’entreprise vendéenne
dans les rayons des supermarchés.
[7] Walker, Texas Ranger est une série américaine créée par Christopher Canaan. On
y retrouve une équipe de Texas rangers, dirigée par Cordell Walker, un ranger
champion d’arts martiaux.
[8] Le maréchal des logis-chef Ludovic Cruchot est un gendarme fictif interprété
par Louis de Funès, héros de la série cinématographique du Gendarme de Saint-
Tropez.
[11] Le Grand Bleu est un film franco-italien coécrit et réalisé par Luc Besson. Il
est inspiré des vies de Jacques Mayol et Enzo Maiorca, de célèbres champions de
plongée en apnée.
[15] Je rappelle que l’usage de stupéfiant est interdit. C’est un délit puni d’une
peine maximale d’un an d’emprisonnement et d’une amende de 3750€. Jack
[18] Chicken Run est un film d’animation réalisé par Nick Park et Peter Lord.
[19] Flipper le dauphin est une série télévisée américaine créée par Ricou Browning
et Jack Cowden.