Infinite Love - 4 - Nos Infinie - Alfreda Enwy
Infinite Love - 4 - Nos Infinie - Alfreda Enwy
Infinite Love - 4 - Nos Infinie - Alfreda Enwy
Titre
Dédicace
Exergue
Chapitre premier
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Chapitre 28
Chapitre 29
Chapitre 30
Épilogue
Chapitre bonus
Remerciements
Biographie
Du même auteur
Mentions légales
CHEZ EMMA, VOUS AIMEREZ AUSSI…
Alfreda Enwy
Infinite Love – Nos infinis chaos
« Il sourit, son regard se posa sur mes lèvres. Il les dévorait des yeux.
Oh, non… Seigneur, non ! Pas ça. Les baisers, jamais. Surtout pas après un tel
rêve, surtout pas après avoir revu ça ce soir…
— Ne m’embrasse pas, murmurai-je. Ne cherche pas à m’embrasser, Nate.
Jamais. »
Dylan a vécu un grave traumatisme dans son adolescence, depuis lors, elle fait
ce qu’elle peut pour se reconstruire. En débarquant à San Francisco, elle compte
bien reprendre sa vie en main : poursuivre son entraînement au sport de combat,
obtenir une licence de management, et, surtout, garder ses distances avec la gent
masculine – ses lèvres n’embrasseront plus jamais celles de personne. Plus
jamais. À moins que la rencontre de Nate, séduisant boxeur au passé sombre, et
de son fils de 4 ans, aussi charmant que son père, ne vienne perturber cette
dernière règle.
Alors que leurs chemins ne cessent de se croiser, Dylan sent son cœur et son
corps s’éveiller, et ses troubles passés la hanter de nouveau…
« Une merveilleuse découverte, Alfreda Enwy n’a rien à envier à ses aînés. Tous
les ingrédients sont présents pour en faire un must dans le monde du New Adult.
Une auteure à suivre. Foncez ! » Angèle de Mille et une pages
« Je défie quiconque de résister à cette histoire, elle ferait fondre le cœur d’un
bonhomme de neige… En tout cas, le mien s’est liquéfié. » Marina des
Tentatrices
« Un réel coup de cœur ! J’ai aimé l’histoire autant que les personnages. C’est
beau, authentique et remplis d’émotions. » Jess de Book and Cie
« J’ai été agréablement surprise par la plume d’Alfreda qui est fluide et surtout
addictive. Elle nous entraîne sans mal dans son histoire, quitte à nous faire
passer des nuits blanches tant il est difficile de décrocher. Les émotions sont
savamment bien décrites, parfois poignantes, parfois sensuelles, l’auteure à un
réel talent. » Thychat de 1001 chroniques en folie
Alfreda Enwy
Infinite Love – Nos infinies insolences
« Si tu crois que ce truc va me faire oublier que tu portes des chaussettes hautes
qui te font des jambes infinies, que ça va m’empêcher d’être excité de t’avoir
dans mes bras, que je vais oublier combien tu frôles l’absolue perfection
habillée comme ça, alors tu es bien naïve. Marlow, ce qui te rend belle, c’est ton
tempérament et ton caractère de merde. Et ces chaussettes aussi. Les deux réunis
font de moi un homme heureux. »
Marlow Scarlett est une battante, elle ne lâche jamais rien. Encore moins depuis
l’horrible tragédie qui l’a frappée durant son adolescence. Un événement qui la
maintient enchaînée à son passé. Aussi, malgré l’attirance qu’elle éprouve pour
Asher, elle tait son désir, car il est tout ce qu’elle cherche à fuir.
Asher Miles, tatoueur en vogue, n’en désire qu’une : l’impétueuse et insolente
Marlow qui lui résiste mieux que personne. Lorsqu’elle se voit contrainte
d’arrêter la boxe, il compte bien en profiter pour se rapprocher d’elle et lui
montrer que la provocation a du bon.
Entre eux l’alchimie fait des étincelles, l’insolence crépite, mais lorsque le passé
de l’un et de l’autre s’entrechoquent, tout menace d’exploser.
« Encore une fois la magie de la plume d’Alfreda Enwy a frappé, c’est une
valeur sûre autant qu’Anna Todd ou Colleen Hoover. » Les Livres d’Ali
« Infinite Love est une série totalement réussie tant par ses histoires, ses
personnages captivants, émouvants, uniques qui conquièrent nos cœurs. Par son
écriture sans fautes qui capte et lâche au point final. On referme ces livres le
cœur gros tant on a aimé partager ses moments, il est difficile de laisser ces
héros vivre leur vie, sans nous. Le contrat est rempli, je suis fan des histoires de
l’auteure et c’est avec un réel plaisir que je plonge dans ses mots et son
univers. » Angèle de Mille et une pages
« Nos infinis insolences est une romance sexy, drôle et touchante… des
personnages attachants que l’on a pas envie de quitter… Un livre qui fait un bien
fou… De ce que l’on garde pour relire, à l’infini, quand on a besoin d’un
moment d’évasion au pays des licornes. » Les Tentatrices
Alfreda Enwy
Infinite Love – Nos infinis silences
« Je vis la boussole qu’il avait sur le cœur lorsqu’il guida ma main dessus.
— Pour toujours trouver ton chemin ? demandai-je.
— Exactement, Rainbow. Et ce soir, ça m’a conduit à toi… »
Longs cheveux bleus, look coloré, courbes pin-up, Sasha ne passe jamais
inaperçue. Elle perce, tatoue, joue dans un groupe de rock, vit comme elle
l’entend et s’est promis de fuir les hommes à poigne. Gabin est hypnotisé au
premier regard.
Pourtant, lorsqu’ils se rencontrent, elle est loin d’être au mieux de sa forme. Elle
commémore l’anniversaire d’un événement tragique. Lui vient de s’engager dans
l’armée qu’il doit rejoindre dès le lendemain. Ils n’ont rien en commun, mais ils
se comprennent et, le temps d’une soirée, ils se perdent dans les bras l’un de
l’autre.
Quatre ans plus tard, c’est un soldat plus sombre et plus énigmatique encore qui
fait son apparition dans le salon de la tatoueuse. Sasha comprend alors que,
comme elle, Gabin n’a jamais oublié cette nuit. Malgré leurs différences,
l’attirance qu’ils éprouvent l’un pour l’autre est toujours aussi intense. Mais les
silences du militaire pourraient bien cacher un secret qui briserait Sasha à
jamais.
« Chaque plongeon dans les mots d’Alfreda Enwy est un réel plaisir et promet
un voyage fort en émotions. Elle a l’adresse d’écrire des petites phrases, des
déclarations qui touchent directement au cœur. J’ai mis de nombreux marque-
pages dans ce troisième opus, il y a tant de silences puissants, de déclarations
fragiles et pleines d’éclats. » Angèle de Mille et une pages
Infinite Love
Nos infinies insomnies
Emma
À Delsin et Levy parce que vous êtes le commencement de cette saga.
« When I see your face
There’s not a thing that I would change
‘Cause you’re amazing
Just the way you are
D’aussi loin que je me souvienne, je n’ai jamais été heureuse. Je ne sais pas
ce que c’est d’être heureuse.
J’ai 9 ans, c’est peut-être normal après tout. Sait-on à cet âge-là, si on est
heureux ?
Norah prend soin de moi. Elle est ma protectrice, mon bouclier, mais elle est
malheureuse alors je le suis aussi.
Je survis. Je ne fais que ça.
Lorsque la porte grince, je me recroqueville. Il est rentré. Il va à la cuisine,
prend quelque chose dans le frigo, puis il arrive dans le salon.
Il ne m’aime pas. Il ne m’aime pas. Il ne m’aime pas.
Il ne m’a jamais aimée.
Je ne l’aime pas. Je ne l’aime pas. Je ne l’aime pas.
Pourtant, j’ai essayé.
Il n’est pas beau. Il ressemble à un ogre. Il me fait peur.
— Dégage de là ! crache-t-il.
Je suis sur le fauteuil, il ne veut pas de moi là.
— Pardon, papa.
— Ne m’appelle pas comme ça ! Casse-toi, je ne veux pas te voir ! Norah,
occupe-toi d’elle !
Un coup de pied au cul me propulse en avant. Je ne dis rien même si j’ai mal.
Je pars en courant, je monte à l’étage et je me glisse sous les draps de Norah.
Elle me rejoint et me câline.
— Ce n’est rien, murmure-t-elle contre mes cheveux. C’est fini…
∞
Je me réveillai en sursaut, le cœur battant et le souffle court. Je secouai la tête,
regardant autour de moi, perdue.
Calme-toi ! m’intimai-je. Calme-toi ! Tu es en route pour une nouvelle vie.
Je respirai profondément me rappelant pourquoi j’étais là. Le chauffeur
s’arrêta au feu rouge au moment où je reprenais mes esprits. Je ne devais plus
être très loin de ma destination. Quelle idée de s’endormir dans un taxi et surtout
de ressasser le passé ! J’appuyai mon visage contre la vitre. J’avais hâte
d’arriver, de commencer cette vie dont j’avais tant rêvé. Je me détendais peu à
peu quand l’autre portière arrière de la voiture s’ouvrit violemment. Le cœur
battant, je vis un homme dont je ne distinguais pas le visage monter dans le
véhicule. Je poussai un cri de stupeur. Il releva la tête et je pus voir son visage. Il
était ensanglanté, tuméfié. Malgré sa barbe, je voyais sa lèvre gonflée et ouverte,
et des bleus partout.
Seigneur…
Il avait dû se faire passer à tabac pour être dans un état pareil.
— Sortez de ce taxi ! hurla le chauffeur. J’ai déjà une cliente et vous êtes dans
un sale état !
— J’veux juste…
— Dégage !
Je fusillai le chauffeur du regard. Je ne comprenais pas du tout sa réaction
agressive. Il y avait un homme blessé devant lui et tout ce qu’il voulait c’était le
jeter hors de sa voiture, en pleine nuit. Ce genre de personne me rendait malade.
— Ça ne me dérange pas de partager le taxi, lançai-je en espérant détendre
l’atmosphère et le faire changer d’avis.
— J’veux juste rentrer chez moi, grogna l’inconnu. J’habite près de…
— Hors de question ! s’écria le chauffeur d’un ton menaçant. Je ne veux pas
être mêlé à une sale affaire.
— J’ai…, tenta une nouvelle fois l’homme blessé.
Ignorant le feu passé au vert, le chauffeur arracha sa ceinture en grognant et
bondit hors de la voiture. Je sursautai lorsqu’il attrapa l’inconnu par le col pour
l’entraîner dehors. Je croisai le regard du type une brève seconde avant qu’il ne
se laisse entraîner par l’arrière.
— Va te faire foutre ! siffla l’inconnu en se dégageant de la poigne du
chauffeur. J’avais du fric pour la payer ta putain de course. J’vais pas le
vandaliser ton taxi de merde.
— Je ne veux pas avoir affaire à des gars comme toi.
— Tu me connais même pas, connard.
— Non, mais je vois ta tronche, gamin. Ne cherche pas les ennuis !
Le blessé éclata de rire et se laissa tomber sur le macadam. D’ordinaire, je
faisais tout pour ne pas me faire remarquer, et j’étais d’ailleurs très douée pour
ça, être invisible, mais là, j’étais à bout de patience. Et puis, ma nouvelle vie
impliquait sans doute une nouvelle Levy.
Je sortis de la voiture et allai à leur rencontre d’un pas décidé.
— Pourquoi faites-vous cela ? demandai-je au chauffeur avec colère.
— Je ne veux pas d’un délinquant dans mon taxi.
— La non-assistance à personne en danger, vous connaissez ? rétorquai-je.
— Je m’en contrefiche. S’il est suffisamment en forme pour gueuler, il pourra
bien appeler une racaille dans son genre pour le ramener chez lui.
— Je ne suis pas en danger, grommela l’inconnu toujours au sol.
Je l’ignorai en haussant les épaules. J’ouvris la bouche pour répliquer quand le
chauffeur m’interrompit d’un ton menaçant :
— Si vous ne remontez pas dans le taxi vous…
— Comme si j’avais la moindre envie de monter dans le taxi d’une personne
telle que vous ! pestai-je. Vous ne pou…
— Dix dollars ! me coupa-t-il.
Je sortis de mon sac un billet et le lui tendis d’un geste sec. Il me l’arracha
brutalement de la main, l’arrachant presque et sortit mes trois grosses valises de
son coffre. Merde, j’avais oublié ça… Il les abandonna sur la route avant de
redémarrer en trombe, nous laissant seuls dans la rue. Je m’agenouillai près de
l’inconnu et essayai de le relever. Il repoussa ma main en bougonnant.
— Pourquoi t’as fait ça ?
Je soupirai. Je n’avais pas de réponse à sa question. Je ne savais pas pourquoi
je m’étais souciée de lui comme cela. Peut-être parce que je n’avais pas supporté
la vue du sang. Peut-être parce que le chauffeur m’avait semblé injuste. Peut-être
était-ce à cause du regard que nous avions échangé juste avant qu’il ne se fasse
virer de la voiture. Je n’en savais rien. C’était bien la première fois que je
m’affirmais comme ça.
— Je trouvais son comportement injuste, répondis-je finalement.
— C’est la réponse la plus ridicule que j’ai jamais entendue, ricana-t-il.
— C’est parce que tu as mal que t’es si désagréable ? Ou seulement parce que
tu supportes pas d’être aidé par une fille ?
— Je ne t’ai pas demandé de m’aider, grogna-t-il en essayant de se redresser.
— Oui, je sais, j’estimais juste devoir le faire vu ton état. Et ça ne te donne
pas le droit de me parler comme à un chien.
Il me scruta d’un drôle d’air. Mon comportement m’étonnait, je ne réagissais
jamais ainsi.
— Je pourrais être un dangereux malade qui capture ses proies en faisant
semblant d’être à moitié mort. Le chauffeur pourrait être mon complice.
— C’est vrai et, dans ce cas-là, dans le genre psychopathe j’applaudirais
vivement ton ingéniosité. Parfois la série Esprits criminels manque cruellement
d’inspiration, tu devrais penser à proposer des scénarios.
Il sourit dévoilant de parfaites dents blanches avant de grimacer sous le
saignement de sa lèvre. Je m’abaissai une nouvelle fois et cette fois-ci, il accepta
mon aide et prit ma main. Il se redressa et avança en boitant jusqu’au trottoir où
il s’effondra à bout de souffle. Je ne savais pas ce qu’il avait fait ou subi, mais il
semblait déguster. J’avais mal pour lui, ça me semblait tellement familier… Je le
rejoignis en tirant tant bien que mal mes trois valises hors de la route.
— Tu devrais peut-être aller à l’hôpital.
— Pas question !
— Tu ne peux pas rester comme ça, tu as peut-être quelque chose de grave.
— Non, j’ai juste la tronche qui ressemble à un tableau de Pablo Picasso. Je
me suis fait passer à tabac et ce que je voudrais par-dessus tout, c’est rentrer
chez moi, boire un truc anesthésiant et dormir. Demain ça ira mieux, je n’aurais
plus rien.
— Ça, c’est ce qui s’appelle faire confiance à sa capacité de régénération…
— Tout à fait ! lança-t-il en souriant à nouveau.
— Tu devrais peut-être…
Il me lança un regard noir, je n’achevai pas ma phrase. Il ne voulait pas aller à
l’hôpital, il devait avoir ses raisons aussi je laissai tomber. Après tout, il avait
raison, il était peut-être dangereux, mieux valait que je reste sur mes gardes.
— Désolé, lança-t-il alors. Je ne voulais pas te brusquer ou te faire peur.
— Ce n’est rien…
Je m’agenouillai alors qu’il sortait de son jean son téléphone portable. Il tapa
sur l’écran quelques instants, puis annonça en râlant :
— Un taxi arrive dans trente minutes. Pas avant. On se demande ce qu’ils
peuvent bien foutre pour que ça leur prenne autant de temps.
— Conduire d’autres gens à destination, peut-être ? proposai-je.
Il leva la tête vers moi et plissa les yeux. J’aurais peut-être dû garder cette
pensée pour moi, j’étais perdue dans une ville que je ne connaissais pas, et si je
voulais espérer que ce type partage son taxi avec moi, mieux valait ne pas
l’énerver davantage. Dans tous les cas, trente minutes, c’est plus qu’il ne m’en
fallait…
— Je peux peut-être te soigner en attendant, dis-je.
— Quoi ?
Sans l’écouter, je sortis de mon sac ma trousse de secours, je l’ouvris et je pris
tout ce qui pouvait m’être utile pour le soulager un peu. Il me regarda d’un air
bizarre. On aurait dit qu’il me prenait pour une folle.
— Quel genre de femme a ce genre de choses dans son sac ? demanda-t-il
d’un ton amusé.
— Je ne sais pas… À ton avis ?
— Une psychopathe, c’est ça ? En fait, c’est toi la psychopathe, pas moi !
— Oh oui, bien sûr ! répondis-je en riant. Je vais te tuer à coups d’antiseptique
et de bandages stériles. J’avais prévu de trouver un type avec une tête façon
Picasso et tu es arrivé à point nommé.
Il éclata de rire, avant de grimacer à nouveau alors que la plaie de sa lèvre se
remettait à saigner.
— Alors, une psychotique de la propreté ? lança-t-il comme si de rien n’était.
La justicière de l’antiseptique et des pansements ? Dire que j’ai toujours cru que
c’était une légende et elle est là devant moi… La protectrice des types pas
fréquentables !
Je levai les yeux au ciel.
— Ah oui, j’ai oublié de mettre mon masque en sortant, au temps pour moi.
Son regard se fit plus intense et il se mit à me scruter avec ses grands yeux
d’un bleu nuit. J’en vins à me demander si c’était parce qu’il faisait sombre
dehors ou s’ils étaient vraiment d’un bleu si ténébreux et profond. Il se frotta le
crâne, ébouriffant au passage ses cheveux châtains.
— Quelles étaient les chances pour que je tombe sur une psychotique ?
— Dieu seul le sait !
Il secoua la tête et me regarda dans les yeux.
— Ma foi, tu ne peux pas être pire que ces types.
— Sauf si je suis une psychopathe.
— Sans vouloir te manquer de respect, je connais beaucoup de types qui
accepteraient volontiers de se faire malmener par une psychopathe dans ton
genre.
— Et c’est quoi mon genre ?
— Une jolie fille psychotique qui s’improvise infirmière. Les mecs raffolent
des folles et des jeux de rôle.
Je rougis et tentai de cacher mon malaise soudain.
— Est-ce que tu viens d’insinuer que je suis folle ?
— Et jolie, oui.
La chaleur de mes joues se propagea dans mon cou, je devais être plus rouge
que jamais. On ne m’avait jamais dit que j’étais jolie. Avec mon physique à mi-
chemin entre Morticia Addams et la fille de The Ring, c’était pas vraiment
l’adjectif qui venait en tête.
— Ils ne t’ont pas loupé, dis-je en essayant de reprendre contenance. Tu
devrais peut-être aller voir la police.
— Pas question, je vais rester coincé dans un bureau miteux des heures et tout
ça pour rien.
Il n’avait pas tout à fait tort. Je m’agenouillai, je n’avais pas de mouchoir sur
moi et trop peu de compresses pour éponger le sang qui avait coulé de ses
blessures. J’enlevai donc mon écharpe pour en retirer le plus possible de son
visage. Il s’écarta :
— Ne salis pas ton foulard pour…
— Ce n’est rien, ta santé est quand même plus importante qu’un simple bout
de tissu.
— Qu’est-ce que tu en sais ? demanda-t-il perplexe.
— Je le sais.
Je tendis à nouveau le bras pour lui montrer que j’allais le soigner malgré sa
réticence. Son arcade gauche était touchée, mais elle n’avait pas besoin de points
de suture. C’était une bonne chose, mais il aurait tout de même un sacré coquard
à son œil. Il ne me lâcha pas des yeux alors que je passais à ses lèvres. Son
regard me troublait d’autant plus qu’il était plutôt pas mal sous ses blessures. Il
était même très beau. Je tamponnai sa bouche afin d’en retirer tout ce sang. Il
grimaça, ses adversaires ne l’avaient vraiment pas loupé.
— Je suis désolée, dis-je en retirant ma main. Surtout, dis-moi si je te fais mal.
Je n’avais pas l’habitude de soigner les gens, c’était même la première fois
que je faisais cela pour quelqu’un. D’ordinaire, je m’occupais de moi.
— Me faire mal ? répéta-t-il. Pour une psychopathe, tu es plutôt douce. Je
crois que même si après tu deviens folle, t’auras été la meilleure chose qui me
soit arrivée ce soir.
Je sentis le rouge me monter à nouveau aux joues alors que son regard se
faisait de plus en plus insistant.
— Je vais prendre ça comme un compliment, dis-je avant de me remettre à le
soigner.
Je mis un pansement sur son arcade pour empêcher le sang de couler à
nouveau. Sa lèvre n’avait pas non plus besoin d’être recousue, mais elle serait
gonflée encore un moment.
— Ce n’est pas grand-chose, mais je ne peux rien faire de plus, dis-je
finalement avec un sourire.
Je le regardai se redresser de toute sa taille. Il était grand, si grand qu’ainsi
accroupie, je me tordis le cou pour le regarder dans les yeux. Dans un effort qui
lui tira une nouvelle grimace, il se baissa et ramassa tout mon bordel.
— Pas la peine de m’aider, je crois que tu dégustes assez comme ça.
— Il faut bien que j’me montre un minimum courtois après ça.
— Pas besoin, lui assurai-je.
Il sourit et lorsqu’il tendit le bras vers moi pour m’aider, je sursautai
brusquement. Il fronça les sourcils d’un drôle d’air. C’était un réflexe, mais voilà
que je ne savais plus où me mettre. Ce n’était pas le moment d’avoir peur.
— Désolé de t’avoir fait peur…, dit-il d’un ton hésitant.
Je secouai la tête et me redressai seule avant de m’éloigner d’un pas de lui. Et
alors je le découvris enfin dans sa globalité. Il était grand et large d’épaules. Il
avait un physique de sportif. De nageur, de surfeur, peut-être ou de footballeur…
Ses cheveux châtains et ondulés encadraient son visage et basculaient sur son
front, sa barbe ombrait ses joues. Sans l’accoutrement de voyou venant de s’être
pris une raclée, il était vraiment très beau. Je ne savais pas s’il y avait d’autres
types comme ça dans cette ville paumée, mais une chose était certaine, il plaçait
la barre très haut.
— Au fait, moi c’est Del. Delsin.
« Delsin », voilà un prénom que l’on ne côtoyait pas tous les jours. C’était
même la première fois que je l’entendais.
— Et sinon, la logique voudrait que tu me dises le tien, ricana-t-il face à mon
silence.
Je rougis et son petit rire moqueur fit redoubler la couleur sur mes joues.
— Oh, je… Oui, pardon, je m’appelle Levy.
— Alors merci beaucoup pour les soins, Levy, lança-t-il avec un sourire
charmeur cette fois-ci. Je n’oublierai pas que tu m’as évité de galérer tout seul.
Je souris mal à l’aise. La gentillesse et les remerciements étaient des notions
que je n’avais que très rarement côtoyées.
Une quinzaine de minutes plus tard, notre taxi se gara devant un petit hôtel. Je
sortis et me penchai vers la vitre que le chauffeur venait d’ouvrir, j’attrapai mon
portefeuille.
— Non, laisse, c’est pour moi, lança Delsin en ouvrant sa portière.
Il parla au chauffeur qui acquiesça, puis Delsin descendit de la voiture pour
ouvrir le coffre.
— Tu n’es pas obligé de faire ça, je…
Il me tendit mes bagages sans m’écouter. Ses doigts effleurèrent les miens. Ce
contact m’électrisa, il sembla troublé lui aussi. Il le fut plus encore quand je
retirai vivement mon bras comme sous l’effet d’une brûlure.
— Non, je…
— Laisse, c’est bon, m’interrompit-il. Je te dois bien ça après ce que tu as fait
pour moi ce soir.
— Je… c’est normal.
— La normalité se fait rare, lança-t-il en souriant.
Il se retourna et monta dans le taxi.
— Bonne nuit, Levy.
Je souris et lui fis un petit signe. Il sourit à son tour en disparaissant dans la
nuit noire. Lorsque je me rendis vraiment compte de mon geste, je rougis morte
de honte. Secouant la tête j’attrapai les poignées de mes valises, les faisant
traîner derrière moi. Je rentrai dans l’auberge. L’intérieur était coquet et très
cosy. Je posai mes valises et sonnai au comptoir. Une dame d’un certain âge se
présenta.
— Bonsoir, mon petit, je m’appelle Granny. Que puis-je pour toi ?
— Je voudrais une chambre au moins pour cette nuit.
— Bien sûr, lança-t-elle en souriant.
∞
Le soleil venait de se lever sur la vieille cité et j’étais allongée au milieu du
grand jardin de l’auberge, les yeux levés vers le ciel. J’avais encore passé la nuit
éveillée. En scrutant les nuances chaudes qui illuminaient le ciel, j’imaginai que
maman était en train de me regarder de là-haut. J’imaginais quel devait être le
contact de ses bras. Comment était le son de sa voix, quel était son parfum. Tant
de choses que j’ignorai et que je ne connaîtrais jamais. Est-ce qu’elle m’avait au
moins aimé ? Et surtout m’aurait-elle aimée si elle m’avait connue ?
Je secouai la tête chassant ses pensées. Au loin, les cloches sonnaient, je
fermai les yeux écoutant leurs tintements. Tant que je ne les rouvrais pas, je
pourrais continuer de croire que rien n’était arrivé…
Soudain, je sentis une main me tapoter l’épaule. Le cœur tressautant dans ma
poitrine, je me redressai précipitamment. La rosée matinale qui recouvrait la
pelouse avait trempé le dos de mon pyjama de fortune, et je frissonnai soudain à
cause du froid.
— C’est l’heure de prendre votre petit-déjeuner, mon petit.
— Je n’ai pas très faim.
La dame m’observa, le front plissé au-dessus de ses lunettes rondes.
— Manger vous fera du bien.
Je secouai la tête.
— Je ne sais pas, la nourriture a du mal à passer le matin…
— C’est parce que vous n’avez pas encore goûté à la nourriture de Granny,
répondit-elle.
Elle m’adressa un sourire chaleureux qui fut contagieux. Je rougis, ça faisait
tellement de bien la gentillesse. Je me levai.
— Allez donc vous préparer, moi je pars vous concocter un petit déjeuner
digne de ce nom.
J’acquiesçai et remontai dans ma chambre. Je pris une longue douche, restant
un moment le visage levé vers le pommeau de douche pour laisser l’eau effacer
les stigmates de mon esprit. Une fois lavée, j’attrapai un jean et un tee-shirt
décolleté dans le dos. Après un long soupir, je m’arrêtai devant le miroir de la
salle de bains pour y affronter mon reflet. Mes cheveux étaient d’un noir
corbeau, ce qui faisait ressortir le bleu de mes yeux. Ces yeux hérités de mon
père, si clairs, si fades et froids. Je les détestais tellement. Tout était dans le
contraste. Parfois ils semblaient bleu clair, parfois ils paraissaient presque
translucides, me donnant une allure de fantômes.
Je mis du blush sur mes joues et un peu de rose sur mes lèvres pour paraître
plus fraîche. Je passai mes mains dans mes cheveux et les laissai retomber sur
mes épaules. Une fois plus ou moins satisfaite de mon apparence, je sortis de la
salle de bains.
Après le délicieux petit déjeuner de Granny, je pris mon sac à bandoulière en
cuir. Il était vieux et usé, mais je l’adorais. Une fois dehors, j’inspirai
profondément puis je me mis en route. Il était temps de vivre maintenant.
Chapitre 2
∞
Le reste de la journée passa plutôt vite. Rob était vraiment un type génial
même s’il avait tendance à être un peu trop accro à Facebook. Mais comment le
détester ? Il avait été ma bénédiction de la rentrée. J’avais eu peur. Énormément
même. J’étais partie de chez moi en me disant que je ne m’en sortirais jamais,
que j’allais me planter, et au final tout s’était déroulé à la perfection.
Nous étions rentrés ensemble et il m’avait aidé à monter mes bagages jusqu’à
ma chambre avant de repartir. Nous avions convenu que j’irais le chercher le
lendemain pour aller en cours. Au soir, je reçus un message de sa part :
∞
Achluophobie. Un mot que je trouvais bien trop barbare pour une peur aussi
futile que celle-ci. Mais j’en souffrais depuis des années. Je détestai être dans le
noir. Ça me terrifiait. Dans une pièce totalement hermétique et plongée dans la
plus totale des pénombres, je me sentais faible, j’avais l’impression d’être une
proie facile et vulnérable.
Inspirer. Expirer. Inspirer. Expirer…
L’air me manquait. Je suffoquai. J’avais l’impression familière de me faire
étrangler. Je me redressai, j’étais en nage, le drap me collait à la peau. Il était
trois heures du matin, ça faisait plus de deux heures que je scrutais l’affreux
réveil qui réfléchissait l’heure avec une grosse écriture rouge. Je n’en pouvais
plus. Lorsque le réveil afficha une minute supplémentaire, je me levai et allumai
la lumière de la chambre avant de me laisser glisser au sol. La fraîcheur du lino
était agréable, si agréable que je posai mes mains à plat dessus avant de les poser
sur mon visage pour faire descendre ma température. Mon front et mes joues
étaient tellement bouillants que j’avais l’impression d’avoir de la fièvre. Il fallait
que je sorte d’ici pour respirer l’air pur.
Inspire. Expire. Inspire. Expire. Inspire…
Non.
J’avais cru être assez forte après cette première journée réussie. J’avais cru
pouvoir passer le cap, mais il était évident que je n’étais pas prête et que je
n’allais pas me débarrasser si facilement de mes phobies ni de mon passé. Je
n’allais donc pas laisser Lumi, ma veilleuse, au placard. Du moins, pas tout de
suite.
Je me relevai, je sautai dans mon jean puis j’enfilai un gros gilet par-dessus
mon tee-shirt et chaussai mes baskets. Une fois dans le couloir, l’air frais me fit
du bien même si ça n’était pas encore suffisant. Tout était calme. Tout le monde
dormait. J’aurais aimé dormir moi aussi. Mais j’étais insomniaque.
Je sortis de l’immeuble sans faire de bruits. Je ne connaissais pas encore très
bien les environs, mais qu’à cela ne tienne, je me mis à trottiner en dehors du
campus. Et après plus de quinze minutes, je pilai net devant la devanture d’un
diner ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
J’entrai. L’endroit était presque désert. Il n’y avait personne dans la salle
hormis un homme assis au bar. C’était un diner typique des années 1950.
— Bonsoir, lança la serveuse.
Elle me sourit quand je la saluai.
— Installez-vous où vous le souhaitez, ce n’est pas la place qui manque.
— Merci.
Elle avait un costume de serveuse des fifties assorti au décor, et de beaux
cheveux roux, elle était sacrément jolie. Je m’avançai pour m’installer au bar
quand l’homme fit pivoter son siège vers moi.
— Levy, dit-il comme amusé.
Je déglutis, sa barbe avait disparu, mais je n’eus aucun mal à le reconnaître.
Delsin casquette vissée sur la tête et le visage encore sacrément amoché me
lança un sourire qui aurait pu faire fondre la calotte glaciaire. J’en frissonnai.
— Sacrée longue nuit, me lança-t-il tandis qu’il m’invitait à m’asseoir à côté
de lui.
Je le regardai fixement. Ne sachant quoi lui dire ni quoi faire, d’ailleurs.
Pourquoi était-il là ? Mon invisibilité ne marchait vraiment plus.
— Elles le sont toutes, non ? répondis-je finalement. Du moins les miennes…
Il acquiesça en souriant et je m’assis à côté de lui alors qu’il ne cessait de me
regarder.
— Insomniaque ?
— Malheureusement ouais, dis-je.
Il soupira comme s’il compatissait et jeta un coup d’œil à la télé qui était
allumée derrière le comptoir. C’était une de ces émissions culturelles que seuls
les insomniaques connaissaient. Il semblait souffrir du même mal que moi. Je ne
pus m’empêcher de penser que si c’était le cas, alors il était sans doute hanté par
certaines choses. Mes phobies, mes démons, mon monstre m’avaient toujours
empêchée de dormir.
— Cela dit, tu ne me battras pas, reprit-il. Je suis le chef des insomniaques.
— Je ne crois pas, non, lançai-je d’une voix amusée.
— Je te parie que tu dors avant moi !
— Tu en fais vraiment une compétition ? Dans tes rêves, Delsin.
Il éclata de rire en secouant la tête.
— Au moins, tu te souviens de mon nom. C’est une bonne chose.
Je rougis. Je n’avais pas pour habitude de répondre ou de tacler les gens,
surtout la nuit, mais Delsin dégageait quelque chose d’éminemment intense qui
rendait mes pensées muettes de bon sens.
— Je vous sers quoi ? me demanda la serveuse.
— Euh…
— Tarte aux pommes et chocolat, chuchota Delsin. C’est orgasme des papilles
assuré.
Je sursautai, il s’était approché si brusquement de mon oreille que je ne l’avais
pas vu se pencher. Je sentis tout le sang présent dans mon corps affluer vers mes
joues pour les rosir.
— Tarte aux pommes et chocolat, répétai-je machinalement comme s’il avait
pris possession de mon esprit.
— Très bon choix, lança-t-il. Très judicieux.
— Merci, ma conscience m’a donné un conseil qui semblait avisé. Enfin,
j’espère.
— Qui sait ?
Je souris et rougis, encore, j’allais finir par inventer un nouveau rouge. Si
j’avais su qu’à cette heure-ci j’allais croiser quelqu’un dans cette petite ville, si
j’avais su que j’allais le croiser lui, je ne serais jamais sortie. J’avais un
accoutrement affreux, mes cheveux commençaient à être gras, j’avais la mine de
la fille sur le retour de soirée. Pourtant, ça n’avait pas l’air de le déranger. Du
moins ça ne l’empêchait pas de me parler ni de me faire une place à ses côtés.
— Voilà, lança la serveuse en posant devant moi une part de tarte aux pommes
qui dégageait une odeur incroyable.
Sans attendre et sous le regard de Delsin qui me scrutait sous la visière de sa
casquette, je pris une bouchée.
— Bordel de merde, ce truc est divin…, soufflai-je.
La serveuse gloussa.
— Ah, tu vois ! s’esclaffa Delsin. Un vrai conseil avisé.
J’acquiesçai en continuant de manger. Bon sang, cette part de tarte était
délicieuse. Je pris mon temps et n’en perdis pas une miette. Delsin restait
silencieux à côté de moi. Je me demandai s’il était comme moi un insomniaque
chronique et s’il venait souvent ici la nuit.
— Est-ce que ça va mieux les blessures ? demandai-je après avoir fini mon
chocolat chaud.
— Impeccable. Demain, il n’y aura plus rien.
— Je crois que tu m’as dit la même chose hier… Pourtant il me semble que tu
es encore sacrément amoché. Enfin je dis ça, mais c’est sûrement l’éclairage.
Il se mit à rire et fit glisser sa casquette de sorte que sa visière soit à l’arrière
de son crâne et que son visage me soit parfaitement visible. Puis, il me regarda,
un sourire charmeur aux lèvres, ce qui creusa légèrement deux fossettes que je
n’avais pas vues la dernière fois sous sa barbe. Effectivement, son visage était
moins tuméfié, il avait meilleure mine. Sa lèvre était moins gonflée bien que
toujours rouge. Il était vraiment beau. Même ainsi. Je remarquai que son sourcil
droit était coupé par une petite cicatrice. Une légère imperfection qui venait
pimenter son charme.
— Tu vois, je suis à peine amoché. Dis-toi que c’était pour me rendre plus
beau encore.
— Ah, tu t’es fait refaire le portrait pour la bonne cause, alors ?
— Exactement.
— Plus de barbe non plus ?
— Non plus. D’ailleurs, puisque tu en parles, tu en penses quoi ?
Je rougis tandis qu’il arquait un sourcil en attendant ma réponse. Je l’avais
trouvé sexy avec, je le trouvais sexy sans. Mais hors de question de le lui dire.
— Bah c’est moins poilu d’un coup.
Il éclata de rire. Son regard avait quelque chose d’incandescent.
— T’es nouvelle dans le coin, alors ?
— Est-ce que ça se voit tant que ça ? demandai-je en ayant une impression de
déjà-vu.
— Ce n’est pas une grande ville. Tout se sait ! Surtout quand la justicière au
bandage arrive en ville. Qu’est-ce qui t’amène par ici ?
Je souris à l’évocation de mon prétendu statut de super-héroïne.
— Les études, répondis-je. Je vais à l’université.
— En voilà une chose intéressante ! lança-t-il avec une étrange lueur dans le
regard.
Ah, oui ? Comment ça ? Il sourit et replaça correctement sa casquette. Je
laissai alors filer un immonde bâillement.
— Je crois que pour ce soir le point sera pour moi, dit-il en sautant de son
tabouret.
Je secouai la tête, mais je bâillai de nouveau.
— Tu ferais mieux d’aller te coucher, c’est sans doute plus prudent que de
traîner dehors toute seule. Bonne nuit, Levy.
Je le regardais partir jusqu’à ce qu’il franchisse la porte puis je reportai mon
attention sur ma tasse vide. Je rentrai dans ma chambre un peu plus tard, j’avais
fait la route du retour bien plus vite que lorsque j’étais partie plus tôt dans la
nuit.
Ça me faisait tout drôle d’avoir un chez-moi, d’avoir une si grande pièce rien
que pour moi et sans craindre d’y être châtiée. Je n’en revenais pas d’être si
chanceuse, d’avoir atteint ce premier objectif. Sous bien des égards, se réjouir
pour des choses si normales pourrait sembler désespérément niais, mais c’était
incroyable pour moi. J’avais une soif inespérée de vivre. Je comptai bien profiter
de tous les privilèges de ma vie d’étudiante tant que cela me serait permis.
∞
Au petit matin, les couloirs de l’immeuble se mirent en effervescence. Il y
avait des cris de joie, des éclats de voix, des étudiants mal réveillés qui râlaient
et d’autres qui étaient déjà au taquet.
Je me dirigeai dans mon petit coin de salle de bains. Une douche, un évier, une
armoire à pharmacie avec un miroir, des W.-C. et une petite étagère, le strict
nécessaire, rien de plus. C’était petit, froid, terne, mais bon sang je l’adorais,
parce qu’elle n’était qu’à moi. Je regardai rapidement mon reflet dans le miroir
sans y trouver la moindre satisfaction. Seul le petit sourire que j’arborai
contrastait par rapport à d’habitude.
Je finis par me déshabiller et je me glissai sous la douche. Je passai une main
savonneuse sur mon ventre et grimaçai en touchant ma cicatrice.
Si j’avais pu éviter de regarder mon corps, je l’aurais fait bien volontiers.
Malheureusement, même si j’étais loin et libérée de mes entraves, j’avais des
marques qui me rappelaient sans cesse le calvaire que j’avais vécu. Des marques
qui me donnaient envie de vomir tant je les haïssais. Des marques qui
infligeraient le même sentiment de dégoût à quiconque poserait les yeux dessus.
Je secouai la tête, chassant les pensées morbides qui engourdissaient mon
cerveau. J’ouvris la porte de douche et attrapai une serviette. Puis je me préparai.
Une fois prête, je contemplai impuissante la masse humide de cheveux noirs
sans savoir quoi en faire. Je décidai finalement de les laisser ainsi puis, après
avoir préparé mon sac, je sortis de ma chambre. Je fermai la porte à double tour
et me retrouvai subitement dans un brouillard de vie et de joie. La musique qui
émanait d’un vieux poste de radio des années quatre-vingt résonnait dans tout le
couloir. Des étudiants dansaient, d’autres s’embrassaient contre les murs. Je
passai sans attirer l’attention et m’engouffrai dans la cage d’escalier afin d’aller
chercher Rob. Je tapai à la porte, mais ce ne fut pas lui qui m’ouvrit. Non, c’était
un type qui, vu sa carrure, aurait pu bouffer Rob au petit déj’.
— Quoi ? Hé… !
Je levai les yeux. Delsin. Encore. Dans toute sa splendeur. Toute sa semi-
nudité.
Oh. Mon. Dieu.
Delsin était torse nu, une serviette autour du cou. Les pointes humides de ses
cheveux déposaient des gouttes d’eau sur son cou et ses épaules. L’une d’elles
glissa sur son torse…
Oh là là…
Il ne manquait ni de pectoraux ni d’abdos.
Je cillai. Lui aussi, avant qu’une étincelle naisse dans son regard. Je me
tortillai, mal à l’aise. Bon sang, mais pourquoi était-il ici ? Delsin était étudiant
lui aussi ?
Il appuya sa hanche contre l’entrebâillement de la porte et, bordel, jamais un
entrebâillement de porte ne m’avait paru si sexy et si intéressant à regarder.
— Tiens donc, Levy.
Mon prénom sur ses lèvres fit monter le rouge à mes joues.
— Est-ce que tu me surveilles ? demanda-t-il le sourire aux lèvres.
— Non, répondis-je bêtement. Bien sûr que non.
— Tu viens voir si j’ai guéri, alors ? Tu prends ton rôle très à cœur.
Je secouai la tête, morte de honte et les joues tellement écarlates que j’avais
l’horrible impression que j’allais bientôt la créer cette nouvelle nuance de rouge.
— Je te manquais déjà, c’est ça ? continua-t-il en riant.
— Je… Pas du tout ! Je… J’ai dû me tromper de chambre ! piaillai-je comme
une cruche.
— Ça dépend ce que tu cherches, me lança-t-il l’air taquin.
Voilà que je rougissais encore.
MERDE, merde, merde !
— Non, la puce ! lança une voix familière derrière Delsin. J’arrive. Désolé, le
réveil a été dur. J’en ai pour deux minutes, cinq tout au plus.
Le texto que Rob m’avait envoyé la veille me revint alors en mémoire. Une
armoire à glace qui grogne avec la tête en travaux… Merde, j’aurais dû
comprendre !
Je secouai la tête et souris.
Seigneur, « cinq minutes », vraiment ?
Si Delsin restait ici, l’attente allait être une véritable torture… D’autant plus
qu’il ne me quittait pas des yeux.
— Hey ! Del ! s’écria une voix dans mon dos. Grouille-toi qu’on aille
s’entraîner un peu avant d’aller en cours.
— Du calme, Zack, du calme, trop d’enthousiasme de si bon matin, grommela
Delsin.
— Allez, bouge-toi, si tu évitais de jouer les justiciers la nuit, tu serais plus en
forme. Dis-lui au revoir à ta belette et hop !
— « Belette » ? murmurai-je.
Delsin dut m’entendre, car il sembla s’énerver un peu. Je me retournai alors
pour voir le Zack en question. Il était du même gabarit que Delsin, mais un peu
plus grand. Il m’adressa un sourire ravageur et moqueur à la fois.
— Ce n’est pas contre toi, ma jolie, mais ne compte pas sur le fait qu’il te
rappelle. Alors oui, c’est un connard, oui, il baise probablement comme un Dieu,
oui, il a la plus grande collection de porno du campus sous son lit, mais ce n’est
pas grave, un de perdu dix de retrouvés…
— Oh, mais ferme ta grande gueule, lança Delsin.
— Ou quoi ? s’amusa Zack.
— Ou c’est moi qui vais te la fermer ! rétorqua-t-il.
— Oh, mais viens, Elephant Man, je t’attends !
Delsin se pencha alors vers moi, mon corps réagit instinctivement, je sursautai
et m’écartai précipitamment, me cognant violemment contre le mur.
— Hé, doucement, trésor ! s’alarma Delsin en me jetant un regard étrange. Ce
n’est pas toi que je vais corriger. Tu me tiens, ça s’il te plaît ? demanda-t-il en
me tendant la serviette qu’il avait autour du cou. Cet abruti veut se prendre une
raclée en public, il serait cruel de ne pas la lui donner.
Zack éclata de rire :
— Mais oui, mais oui, inquiète-toi plutôt pour toi. T’es complètement HS.
Delsin esquissa un sourire en coin avant de bondir vers son copain. Étant aux
premières loges, je ne perdis pas une miette du spectacle. Zack esquiva le
premier assaut de Delsin, mais il ne s’attendit pas à ce qu’il revienne si vite à la
charge et avant qu’il ne réalise ce qui lui arrivait, il se fit plaquer contre le mur.
Je serrai dans ma main la serviette chaude de Delsin, elle dégageait un parfum
frais et masculin qui me donnait envie de fourrer mon nez dedans.
Bon sang, mais ça ne va pas ! Je deviens barge !
— Alors mon pote, tu t’excuses auprès de ma copine Levy ? demanda Delsin
ce qui me fit encore plus rougir que mes pensées ridicules.
Delsin avança vers moi la tête désormais écarlate de son copain coincée dans
sa clé de bras.
— Je suis désolé, Levy la copine de Delsin. Tu sais, c’est un connard, mais en
fait, il rend service aux gars moches en dégoûtant les jolies filles des beaux
garçons. C’est un sale type. Il n’y peut rien.
Delsin resserra son bras et Zack grimaça :
— Putain de merde ! Je suis désolé, ce mec est un gars en or. Il va te rendre
heureuse.
J’éclatai de rire. Delsin affichait un sourire galvanisant et ensoleillé.
— Je suis prêt, la puce ! annonça soudain Rob en apparaissant à mes côtés.
Il s’immobilisa face à Delsin et Zack qui lui retournèrent son regard surpris. Il
y avait beaucoup de monde à présent dans le couloir qui assistait à la scène.
— Bon, on va être en retard si on n’y va pas là, déclarai-je.
Rob n’avait pas l’air de vouloir bouger.
— Ouais, finit-il par dire.
Nous passâmes devant Delsin et Zack. Je savais qu’ils nous regardaient, mais
j’ignorais pourquoi.
— Levy ?
Mon cœur se mit à cogner fort dans ma poitrine.
— Le beau gosse vient de t’appeler, je crois, chuchota Rob.
Je le savais, mais je n’avais pas envie de me retourner. Je ne voulais pas qu’il
voie la teinte de mes joues rouges en cet instant.
— Levy !
Je finis par me retourner à contrecœur.
— Oui ?
Delsin était encore et toujours torse nu, mais Zack n’était plus là, il avait dû
partir s’entraîner.
— Ma serviette.
Hein ? Je baissai les yeux et remarquai que je l’avais toujours dans les mains.
Était-il possible de rougir davantage ? Je me mordis la lèvre et lui tendis son
bien.
— Merci, passe une bonne journée, dit-il sans se départir de son sourire
ravageur.
— Euh… Merci, toi aussi.
— On fera ce qu’on peut, répondit-il tandis que je faisais volte-face.
Rob arborait une expression bizarre lorsque je le rejoignis, un truc qui voulait
dire : « Toi et moi, faut qu’on parle. »
Chapitre 4
∞
J’enfilai un gros gilet et décoinçai mes cheveux pris dedans. Puis j’allumai
l’iPod de Rob. Il était tard, je n’arrivais pas à dormir. Comme toujours. Avant je
passais mes nuits à avoir peur, à guetter le moindre bruit et à me perdre dans la
contemplation des étoiles pour fuir mon cauchemar. J’étais loin de tout ça à
présent, mais certaines habitudes avaient la vie dure. Cette nuit, j’avais
l’impression que je pourrais rattraper tout ce temps qu’on m’avait volé, comme
connaître les musiques à la mode, lire des tonnes de livres, regarder les étoiles
sans avoir peur de mon ombre.
Je sortis de ma chambre puis de la résidence. Je ne savais pas bien où j’allais.
Je voulais profiter de cette liberté et faire de ces nouvelles insomnies quelque
chose de bien moins morose qu’avant. Ici, je pouvais respirer.
— Tiens donc…
Cette voix m’était familière. Je tournai la tête, sachant très bien qui j’allais
découvrir, et je croisai le regard de Delsin. Il plissa les yeux avant de me sourire.
Il était assis dans l’herbe contre un arbre. Il avait un ballon ovale dans les mains.
— Si tu ne veux pas alimenter la ville de toutes sortes de rumeurs, va falloir
que tu arrêtes de me suivre, trésor.
Je piquai un fard, qui ne se vit sans doute pas dans la nuit. La ville semblait
apparemment trop petite pour deux insomniaques.
— C’est peut-être toi qui me suis…
Il se mit à rire. D’étranges frissons vinrent accompagner une douleur
lancinante dans mon bas-ventre.
— Insomniaque encore ? demanda-t-il.
— Insomniaque toujours !
— Tu comptais faire quoi ce soir pour tuer le temps que perdent ces pauvres
mortels qui dorment la nuit ?
— Je ne sais pas… Écouter un peu de musique.
D’accord, c’était épatant comme programme. De quoi l’impressionner.
— Tu écoutes quoi ? dit-il en s’approchant de moi.
— Ça t’intéresse vraiment ?
Il arqua un sourcil.
— Pourquoi pas, je n’ai que ça à foutre de toute manière.
Il se pencha vers moi et me retira un écouteur pour le mettre à son oreille. Son
visage était tout près du mien.
— Ah, c’est plutôt sympa, commenta-t-il.
Je ne répondis rien. Je ne pouvais pas. Il me coupait le souffle. Pourquoi me
faisait-il un tel effet ? Je l’ignorais. Je n’étais pas particulièrement terrifiée par le
sexe opposé en règle générale. Enfin, Delsin n’avait rien de terrifiant en soi,
hormis peut-être cette forte attraction qu’il exerçait sur moi. Lorsque nos regards
se rencontrèrent, ses yeux s’assombrirent.
— Parce que tu es nouvelle et jolie, je vais te donner un conseil : tu ne devrais
pas te balader dehors toute seule la nuit.
— Et pourquoi ça ?
Il sembla bourru, tout à coup. Comme s’il n’était plus lui-même.
— Parce que t’es une fille et qu’une fille ne se balade pas toute seule dans la
rue à cette heure-ci.
J’arquai un sourcil. En quoi ça le regardait ? Il me toisa comme pour me défier
de lui répondre.
— C’est ridicule.
— Ça le sera moins quand il te sera arrivé quelque chose, grommela-t-il.
Je ne comprenais pas son comportement. Il n’avait rien trouvé à y redire
lorsque nous nous étions croisés au diner, l’autre nuit.
— Que veux-tu qu’il m’arrive à part tomber sur un type à la tronche défoncée
qui me fait la morale ? répliquai-je. Tu es dehors toi aussi, je ne te dis pas d’aller
te coucher, pourtant vu ton humeur, tu devrais.
Il retira brusquement l’écouteur de son oreille. Je remarquai qu’il y avait une
bouteille par terre. Il suivit mon regard. Il avait bu. On était loin du chocolat
chaud et de la tarte aux pommes. Et ça me sembla horriblement familier.
— Je suis un mec. Je sais me défendre. Une fille comme toi ne peut pas en
dire autant.
Pour qui il se prenait ? Il n’avait aucune idée de ce que j’avais vécu. Je
pouvais supporter bien plus qu’il ne pouvait l’imaginer.
— Va te faire foutre, Delsin, dis-je alors qu’une colère froide montait en moi.
— C’est plutôt toi qui finiras par te faire baiser par le premier type venu si tu
continues à traîner dehors. (J’écarquillai les yeux.) Parce que, à moins que tu
sois une boxeuse dans l’âme, je ne vois pas comment tu pourrais te défendre. Tu
saisis ?
J’étais choquée par la violence de ses paroles. Delsin était ivre et me parlait
comme à un chien… Ça me rappelait un peu trop ce que j’avais subi pendant des
années.
— Ce que je saisis surtout, c’est que t’es bourré et que tu te comportes comme
un sale connard, répliquai-je les dents serrées.
— Et alors, j’ai jamais prétendu être autre chose.
— Effectivement, mais tu n’as aucun droit de me dire ce que je devrais faire
ou ne pas faire. Tu ne sais rien de moi, tu ne me connais pas. Et t’es mal placé
pour me faire la morale quand on voit dans quel état tu es.
Il s’approcha de moi et m’attrapa le poignet. Mon sang se glaça dans mes
veines.
— Je te donne juste un conseil, grogna-t-il en se penchant.
Ne pas avoir peur, ne pas penser à lui…
Mais Delsin était en colère, comme lui. Ses yeux étaient sombres et il me
faisait mal. La peur viscérale qu’il me frappe l’emporta sur ma colère.
— Lâche-moi ! hurlai-je.
Je m’écartai vivement, le souffle saccadé. Ma réaction sembla le troubler.
Delsin s’immobilisa et resta interdit quelques secondes. J’étais pétrifiée. Morte
de honte. Mais j’avais vécu ça trop souvent.
— Levy, tu n’as…
Trop tard, je m’enfuyais déjà vers l’immeuble.
— Attends ! l’entendis-je crier.
Je courus à en perdre haleine et ne m’arrêtai qu’une fois dans ma chambre.
Chapitre 5
∞
Vers une heure du matin, je m’arrêtai devant la devanture du diner. Il n’y avait
aucun client. Donc potentiellement pas de Delsin. J’ignorais si cela me
chagrinait ou pas. Sans doute un peu. Je me sentais affreusement paradoxale.
J’avais envie de le voir, mais peur aussi. Ce n’était pas la terreur que m’inspirait
mon père et qui était gravée en moi, ça ressemblait plutôt à de la crainte. Je ne
connaissais pas Delsin, il n’était pas mon père, ça, c’était certain, mais il n’en
demeurait pas moins dangereux. Après tout lors de notre première rencontre, il
était dans un état des plus déplorables, et la nuit dernière il m’avait semblé
tellement rude… Bien sûr, ce n’était rien comparé à mon père, mais c’était bien
assez pour me le rappeler et me faire paniquer.
Alors pourquoi étais-je là ? Pourquoi est-ce que j’espérai secrètement qu’il y
soit ? Pourquoi avais-je besoin de me faire un avis sur lui ?
Je secouai la tête et je fis volte-face pour rentrer chez moi. C’était ridicule,
j’étais ridicule.
Je retournai sur mes pas, j’entrai dans le diner et je commandai à la même
serveuse que l’autre soir un chocolat chaud.
— Pas de tartes aux pommes aujourd’hui ? me demanda-t-elle.
— Non, répondis-je en souriant.
— Tu as raison, elle se déguste en compagnie d’une belle gueule cassée.
Je rougis.
— À emporter ?
— Oui.
Elle s’activa derrière le comptoir.
— Est-ce que… ? commençai-je avant de m’interrompre.
J’étais ridicule. Et indiscrète. Je virai au cramoisi sous son regard.
— Non rien, désolée, bredouillai-je.
— Si je connais Delsin ?
Je hochai la tête et elle esquissa un petit sourire.
— Un peu, oui. Il vient ici régulièrement. Il est très silencieux. Il passe
quasiment tous les jours pour manger une part de tarte et boire un chocolat ce
qui contraste avec son apparence de bad boy à la gueule cassée, tu ne crois pas ?
Je hochai de nouveau la tête.
— Tu l’as raté de peu en tout cas, il est parti quelques minutes avant que tu
arrives.
Elle posa mon chocolat chaud sur le comptoir. Je payai, la remerciai et quittai
l’établissement. J’allais rentrer tranquillement, et si on se croisait, on verrait ce
qu’on aurait à se dire. J’étais presque arrivée sur le campus quand j’entendis des
voix s’élever et je reconnus un nom.
— Je suis désolée, Delsin…
Je tiquai et m’approchai discrètement. Je vis alors une jeune femme en pleur,
et Delsin qui faisait les cent pas à côté d’elle. Il avait l’air furieux.
— Tu fais chier, putain de merde !
Ils avaient l’air de bien se connaître, c’était peut-être sa petite amie.
— J’ai dit que j’étais désolée, lâche-moi maintenant, grogna la fille.
— J’en peux plus de tes conneries ! éructa Delsin, visiblement à bout de
patience.
— Va te faire foutre ! Si tu ne…
Il la saisit brusquement par les épaules.
— Ne me dis pas d’aller me faire foutre, t’as compris. T’as pas à me parler
comme ça.
Les yeux écarquillés, je tentai de comprendre cette scène.
— Je fais ce que je veux.
— Non, justement, tu ne fais pas ce que tu veux. T’es de plus en plus conne,
ma parole.
Elle le gifla et il eut un rictus de colère. La jeune femme eut alors un
mouvement de recul. J’étais pétrifiée. Voir Delsin se comporter ainsi, l’entendre
parler comme ça, me rappelait notre rencontre la nuit dernière, et bien d’autres
choses que j’aurais préféré oublier.
— Je rends coups pour coups, généralement, siffla-t-il.
— Bah qu’est-ce que tu attends, alors ?
— Va chier, Rynne.
— T’oseras jamais, cracha-t-elle en le repoussant violemment.
Il recula à peine et la gifla. Elle se figea en se touchant la joue avant d’être
secouée par de nouveaux sanglots. Alors il se détourna et déblatéra une
succession de mots que je ne parvins pas à entendre. J’étais toujours prostrée
dans mon coin, incapable de bouger. Delsin finit par balancer son poing contre le
mur ce qui redoubla les larmes de la jeune femme qui se laissa tomber au sol.
— Allez ! gueula-t-il. Relève-toi, on bouge d’ici.
Je me décidai alors à partir de risque qu’ils me voient.
J’ignorais qui était Delsin, mais ce que j’avais vu ces deux derniers soirs
m’avait suffi.
Chapitre 6
∞
Après avoir révisé un peu, je m’installai dans mon lit, un livre à la main. Je
n’avais pas envie de sortir, surtout à cause de Delsin, et je n’avais pas sommeil
non plus. Je cogitais trop. Je ne comprenais pas pourquoi d’ailleurs. C’était
pourtant simple, j’avais enfin la vie dont j’avais rêvé.
Quand mon téléphone portable vibra sur la table de chevet, je l’attrapai.
C’était un message de Rob :
Si tu veux, oui.
Je lâchai mon livre quand j’entendis quelques coups contre la porte. J’ouvris
et lorsque la silhouette de mon invité se dessina, j’eus un sursaut.
— Bonsoir, Levy.
Je rougis et croisai le regard sombre de Delsin.
Pourquoi était-il là ? Comment connaissait-il le numéro de ma chambre ?
C’était…
Bon sang, Rob !
J’allais le tuer ce salaud. Dire que quelques minutes auparavant, je me
réjouissais d’être son amie.
Je me rembrunis et je tentai de cacher ma vulnérabilité soudaine et la tempête
de sentiments qui s’affolait dans mon esprit. Je n’étais pas rassurée de voir
Delsin sur le pas de ma porte, encore moins lorsque son regard était si noir.
— Qu’est-ce que tu fais là ? demandai-je sur la défensive.
— Il faut qu’on cause.
J’arquai un sourcil. Ma respiration se faisait plus erratique.
— Ah, bon ?
— Ouais, je crois. Tu me fais entrer deux minutes ?
Je dévisageai son beau visage amoché et les lignes viriles de sa mâchoire. Le
tout représentait un savant mélange de danger et d’aventures. Il ne me semblait
pas menaçant, mais dans un même sens, il ne me semblait pas non plus très
rassurant. J’étais loin de me sentir à l’aise. Je déglutis. J’avais les mains moites.
Bon sang, pourquoi je me mettais dans des états pareils ?
— Non, répondis-je, la gorge sèche.
Il écarquilla légèrement les yeux et je sortis en fermant la porte derrière moi.
Nous étions seuls dans le couloir. J’étais sans doute la seule fille de cet
immeuble, et probablement même de cette université, à avoir rembarré Delsin
White, mais après son comportement, après ce que j’avais vu, je n’avais
absolument pas l’intention de le laisser entrer chez moi. J’avais assez donné avec
les hommes dangereux.
— Toi, tu as peut-être quelque chose à dire, mais pas moi, ajoutai-je.
— Je pensais justement le contraire, grommela-t-il.
— Je ne vois pas de quoi tu parles.
Il eut un rictus et se passa la main dans les cheveux. Ce geste nerveux
accentua mon malaise.
— Commence par me dire ce qui te prend, ensuite on avisera, gronda-t-il.
— « Ce qui me prend » ? répétai-je interloquée. Non, mais franchement, t’es
gonflé. Tu te pointes ici dans une humeur de chien, et c’est moi qui dois
m’expliquer ?
— C’était quoi ton plan tout à l’heure dans le couloir ? demanda-t-il en
ignorant ma réplique.
— Je ne vois pas de quoi tu parles, répétai-je.
— Ne joue pas à ça, Levy. On est assez grands, toi et moi, pour se dire les
choses.
Je le dévisageai, hors de moi. Comment osait-il se comporter comme un tel
connard ? Non seulement il me foutait les jetons, mais il me faisait aussi perdre
patience. Il avait certainement mieux à faire que d’être ici. Et moi aussi.
— Il n’y a rien, Delsin, répondis-je. Laisse-moi tranquille.
— Certainement pas. C’est quoi le problème, bordel ?
Le ton de sa voix était plus sévère et la chair de poule couvrit mes bras.
— Et le tien ? répliquai-je. C’est toi qui viens, qui me montes un plan, c’est
toi qui m’agresses. Alors, fous-moi la paix. Je suis occupée.
— Écoute, si c’est pour l’autre soir je suis désolé ! J’étais pas dans un bon
jour, j’étais bourré et je ne me souviens pas de ce que j’ai pu te dire. Faut pas
faire attention, c’était un mauvais jour, OK ?
— Non pas « OK », soufflai-je.
Il plissa les yeux. Tout mon corps était crispé, mes poings étaient serrés sur
mes mains moites, ma gorge était toujours sèche, mais je m’étais défendue une
fois pour ne plus subir, ce n’était pas pour me laisser faire à nouveau.
— C’est pas une excuse, ajoutai-je. Il faudrait t’excuser de t’être comporté
comme un connard juste parce que tu étais dans un mauvais jour ? Désolée, je ne
suis pas comme ces filles qui adorent probablement que tu viennes t’excuser
comme ça après avoir merdé.
Il s’approcha et je reculai, mais ma porte fermée m’empêcha d’aller plus loin.
— Qu’est-ce que tu as avec moi ? s’emporta-t-il. Il est où ton foutu
problème ? On dirait que je t’ai fait du mal.
— Rien, dis-je en détournant le regard.
— Levy, bon sang ! gronda-t-il. Tu…
Il m’attrapa le poignet comme ce soir-là, et je pris sur moi de ne pas céder à la
panique.
— Lâche-moi.
Ma voix était tremblante. Il obéit.
Je ne comprenais pas pourquoi il était encore là. Pourquoi ça lui importait de
savoir ce que j’avais ? Son comportement était tellement paradoxal. Comme ses
yeux qui avaient perdu toute leur noirceur à présent. Ils exprimaient un tout autre
sentiment que je ne parvenais pas à déchiffrer.
— Dis-moi ce que tu as, putain ! s’exclama-t-il.
J’étais à bout de nerfs.
— Qu’est-ce que ça peut te faire ? répliquai-je.
Il grommela :
— Ça peut me faire que je suis là et que je ne comprends pas pourquoi tu as
l’air…
Avant qu’il ne dise quoi que ce soit, j’explosai :
— Je t’ai vu gifler cette fille dans une ruelle. Et, tu me fais peur Delsin. Voilà,
tu sais, maintenant. Bonne soirée.
Il me fixa, bouche bée, alors que je le plantai une nouvelle fois et que je
rentrai dans ma chambre.
Je fermai la porte derrière moi et me laissai glisser le long du battant.
J’entendis alors un bruit sourd et sentis le mur vibrer. Je frissonnai. Il venait sans
doute de frapper dans le mur et, tout à coup, je ne me sentais pas plus rassurée de
lui avoir craché ça en pleine figure…
∞
La bibliothèque étant ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre, je m’y
étais réfugiée. Quelle meilleure façon de passer ses insomnies ? J’attrapai mon
gobelet de chocolat quand je me rappelais que je l’avais fini.
Zut !
Lorsqu’un gobelet se posa à côté du mien, je sursautai. Je relevai la tête,
décontenancée.
— J’ai bien fait de t’en prendre un.
Delsin, casquette vissée sur la tête, tira la chaise à côté de la mienne et s’y
installa de sorte que le dossier se trouvait devant lui. Ses yeux rencontrèrent les
miens et ces fichus sentiments paradoxaux me serrèrent le ventre.
— C’est à ton tour de m’écouter, maintenant, déclara-t-il.
— Je…
— Puisque tu te permets de me juger, de te faire des films et d’imaginer toutes
sortes de conneries sur moi, je me permets de te dire ce que j’en pense. Et tu vas
écouter ce que j’ai à dire.
Mes yeux étaient comme prisonniers des siens.
— Je suis désolé pour l’autre soir. J’étais bourré, mais t’as raison, je n’aurais
pas dû te parler comme je l’ai fait ni t’agripper le poignet pour essayer de faire
passer le message encore moins subtilement. Je ne sais pas ce qui m’a pris, tu
étais là dehors, toute seule, et je me suis dit qu’un connard dans mon genre
pourrait t’emmerder et j’ai pas aimé ça. C’était ridicule de ma part de réagir de
cette manière.
Je déglutis.
— Autre chose, j’en reviens pas que tu aies pu être aussi conne.
Je me rembrunis, comme touchée en plein cœur.
— Je ne pensais pas que tu étais le genre de personne qui se faisait un avis sur
les gens sans même chercher à les connaître. Tu n’es pas mieux, que tous ces
gens qui lancent des rumeurs en se fondant sur des préjugés ou des amalgames.
Le ton de sa voix était dur, tout comme ses mots. Il était sincère et je me
sentais mal.
— Je…
— Tu n’as rien vu, Levy. Rien du tout. Tu ne sais rien de ce qui s’est passé
avec Rynne.
Je me souvenais de ce prénom.
— Je peux être un connard avec les filles, c’est vrai. Un queutard qui se tape
plein de nanas, mais j’ai pas besoin de les forcer ni de les frapper, OK ? J’ai sans
doute pas la gueule du type bien sous tous rapports, mais je ne suis pas un
connard violent avec les femmes. Alors ôte-toi cette putain d’idée de la tête.
Je baissai les yeux.
— Regarde-moi, aboya-t-il.
Ce que je fis sans discuter. Son regard était ardent et ses traits étaient tirés.
— La fille que tu as vue avec moi, Rynne, c’est la sœur de mon meilleur pote.
Je voulais me soustraire à son regard, mais je ne pouvais pas et maintenant
qu’il était en train de jouer cartes sur table, je ne pouvais pas me dérober.
— J’étais au café. Elle m’a appelé parce qu’un connard l’emmerdait. Il se
serait passé quoi si je n’étais pas venu dégager ce type selon toi, hein ?
Alors il s’était encore battu. Je secouai la tête.
— Si tu m’as vu mettre une claque à Rynne et la brusquer, c’était amplement
mérité. Je ne vais pas m’excuser pour ça et si je dois le faire, ce n’est
certainement pas auprès de toi. Si elle avait appelé son frère, crois-moi, ça aurait
été pire. Parce qu’il aurait pu lui arriver pire encore que ce que voulait lui faire
ce connard. Cette idiote avait bu, elle était ivre, alors qu’elle est malade. Elle est
atteinte de diabète, c’est invasif. Elle doit suivre un régime spécial, faire très
attention. Elle aurait pu faire une putain de crise dans la rue ! Elle aurait pu
mourir !
Je déglutis. J’étais sonnée par ses révélations. Je me sentais stupide et je
l’étais dans le regard qu’il me lançait.
— Alors oui, je l’ai giflée, oui, je l’ai secouée et je lui ai gueulé dessus, mais
c’était uniquement en tant que presque grand frère, pour son bien. Et si tu veux
tout savoir, je l’ai amenée à l’hôtel pour qu’elle dessoûle et se repose avant de la
ramener chez elle le lendemain.
Je me sentais affreusement mal. Il se redressa et rangea la chaise sous la table
sans jamais lâcher mon regard.
— Maintenant que tu es au courant, libre à toi de me juger, de penser tout ce
que tu veux, mais au moins tu le feras en connaissant la putain de vérité. Bonne
insomnie, Levy.
Sur ces mots, il fit volte-face et me laissa seule, comme je l’avais fait en le
jugeant. Le poids de la culpabilité me coupait le souffle, je n’avais pas pu dire un
mot et je me sentais plus honteuse que je ne l’avais jamais été.
Mon passé m’avait aveuglée, la peur m’avait poussée à le juger, à l’insulter,
moi, la fille battue, moi qui savais pourtant qu’on ne pouvait pas se fier aux
apparences…
Chapitre 7
Cela ne faisait pas encore une semaine que j’avais débarqué à Friendship, et
déjà venir prendre un chocolat dans ce diner semblait être devenu une habitude.
Tout comme mes insomnies.
Je ne cessai de penser à tout ce qui s’était passé ces trois derniers jours et je
me sentais affreusement honteuse. Je n’avais pas croisé Delsin depuis ses
révélations de la nuit dernière et j’ignorais si ça me soulageait ou pas. J’entrai
dans le diner. La serveuse leva les yeux d’un livre de Jane Austen et me sourit.
— Bonsoir ! lança-t-elle gaiement.
— Bonsoir. Je voudrais un chocolat à emporter et une part de tarte aux
pommes.
— Pas de soucis. Je prépare ça.
J’acquiesçai et posai mes coudes sur le comptoir. Je n’avais pas dormi depuis
trois jours. Je ne savais pas si j’allais retourner dans ma chambre ou rester
dehors encore un peu. J’étais loin de tout, loin de mon ancienne vie. Je pouvais
vivre et respirer normalement désormais, il fallait que j’arrête d’être autant
stressée. Je n’avais plus besoin d’être méfiante en permanence. Je laissai ma tête
aller sur le côté quand la sonnette de la porte du diner annonça l’arrivée d’un
client.
— Je crois qu’il va quand même falloir qu’on arrête de tomber l’un sur l’autre
comme ça, ou alors qu’on décide carrément de passer nos insomnies ensemble.
Je frissonnai. Rien à voir avec le froid. Cette voix rauque, c’était la sienne.
Après ce qui s’était passé la veille, et les autres jours, j’ignorais comment me
comporter. Je retins ma respiration avant de me tourner pour lui faire face.
— Je n’ai pas envie d’alimenter les rumeurs, répliquai-je. D’ailleurs cette fois-
ci, ça sera ta faute.
— Non, c’est mon endroit. C’est mon havre de paix.
— Il ne semble pas qu’il y ait écrit Delsin quelque part…
Il se mit à rire. La chaleur qui se dégageait de ce son me donna de nouveaux
frissons.
Beau et en meilleure forme, pensai-je en le voyant.
Il esquissa un sourire. Ses yeux semblaient me scruter. Peut-être s’attendait-il
à me voir m’enfuir en courant. J’en avais envie, terriblement. Mais Delsin n’était
pas lui. Le monde n’était pas lui. Je devais me détendre et vivre.
— Salut, lança-t-il alors d’une voix douce et profonde.
— Bonsoir, répondis-je avec un sourire timide.
— Est-ce que tu vas bien ? demanda-t-il.
Je m’étonnai de sa question.
— Oui, et toi ?
Il hocha la tête.
— Tu ne vas pas t’enfuir ?
— Non, dis-je en secouant la tête.
Ses yeux bleus lancèrent des étincelles, je soutins son regard. Et un sourire se
dessina sur ses lèvres. Alors c’était oublié ? Cette histoire semblait derrière nous.
Il n’avait pas l’air de vouloir en reparler et il était tellement solaire en cet instant,
que j’en oubliai presque toute cette obscurité qui traînait derrière lui.
— Voilà pour toi, lança la serveuse en déposant un sac en papier sur le
comptoir.
Sauvé ! J’allais pouvoir filer. Je pivotai et me dépêchai de sortir mon
portefeuille afin de payer et de m’éclipser.
— Laisse, c’est pour moi, lança Delsin à mon égard. Je vais prendre la même
chose que d’habitude, à emporter aussi.
— Sans soucis, approuva la serveuse en repartant vers les cuisines. Je reviens.
— Tu… Tu n’es pas obligé de faire ça, marmonnai-je.
— Faire quoi ?
— Payer ça, je peux très bien le faire moi-même.
— Je n’ai pas dit que tu ne pouvais pas. Je le fais parce que j’en ai envie,
trésor.
Le rouge teinta de nouveau mes joues. Mal à l’aise, je me dandinai d’une
jambe à l’autre. Une part de moi avait envie de s’enfuir en courant vers la sortie
et de lui dire de laisser tomber sa gentillesse. Et l’autre partie était tellement
ravie qu’elle m’en donnait des crampes d’estomac et me nouait la gorge.
— Voilà, Delsin, fit la serveuse en lui tendant un sac identique au mien. Est-ce
qu’il te faut autre chose ?
— Non. Je te dois combien ? Pour le tout.
— Douze dollars.
Il tendit un billet de vingt et attrapa mon sac en même temps que le sien, me
forçant ainsi à le suivre dehors.
— Tu comptais aller où ? me demanda-t-il. Puisque tu n’écoutes pas mes
recommandations.
— Pourquoi j’écouterais les conseils d’un type bourré ? Tu l’écouterais toi ?
Il tiqua, je détournai les yeux. J’ignorais pourquoi je le piquais de la sorte.
— Absolument pas, grommela-t-il. Alors, tu comptais faire quoi ce soir ?
— Je ne sais pas, à vrai dire.
— Je connais un endroit sympa. Ça te dit de venir ?
— Je ne sais pas trop, je…
— Ce n’est pas très loin d’ici, et puis c’est plus agréable de passer le temps
entre insomniaques. Depuis le temps que j’attendais que vienne la fille qui
partagerait mes insomnies, tu ne vas pas me laisser en plan ?
Le connard. Je ne pus m’empêcher d’esquisser un sourire. Je me demandais
s’il avait conscience de ce que pouvaient laisser entendre ses mots. Il me fit un
clin d’œil, et je me mordis la lèvre avant d’éclater de rire. Oui, il en avait
parfaitement conscience. Mais que répondre ?
J’étais certes un peu plus rassurée sur son compte, je savais qu’il n’était pas
violent gratuitement, mais je le connaissais à peine, finalement. Pourtant ce
danger, ce soleil et cette obscurité qu’il portait comme bagage, m’attiraient
comme un aimant. J’avais envie de fuir et de rester à ses côtés. Je voulais
comprendre pourquoi un type aussi populaire avait décidé de passer du temps
avec moi.
— Je ne vais pas te manger, insista-t-il. J’ai une part de tarte, et si j’ai encore
faim…
Il ne termina pas sa phrase et se rapprocha de moi. Il avait un sourire aux
lèvres et son regard était chaud et gourmand. Je déglutis lorsqu’il ouvrit la
bouche :
— Alors, je mangerai ta part de tarte.
Et il se mit à courir, mon sachet toujours à la main. Une part de moi s’indigna
tandis qu’une autre fut follement amusée, et je me mis à courir après lui. Il
s’arrêta devant une voiture noire et agita mon sac devant lui.
— Alors un rendez-vous nocturne avec un maître en insomnie, ça te dit ?
lança-t-il.
— On dirait que je n’ai pas le choix, rétorquai-je.
— On a toujours le choix, trésor. Reste à savoir si traîner avec moi en est un
bon ou si c’est mieux de me fuir…
Son sourire s’élargit de plus belle. J’avais l’impression qu’il lisait en moi. Le
fuir ou rester avec lui, tel était mon tourment.
— D’accord, mais rends-moi ma part de tarte, je ne te fais pas confiance,
finis-je par dire en tendant la main.
— Hors de question, s’exclama-t-il en tirant mon sachet à lui. Je te la
confisque jusqu’au lieu-dit, quelque chose me dit que tu es fourbe et que tu
pourrais partir en courant une fois que tu l’auras récupéré.
Je grimaçai alors qu’il m’ouvrait la portière du siège passager et je m’installai
à bord. Il prit place au volant après avoir mis les sacs à l’arrière.
— On sort en boîte avec quelques potes après-demain pour fêter la fin de la
première semaine de cours, dit-il en démarrant. Zack sera là, tu l’as déjà vu une
fois, tu pourrais venir, il y aura pas mal de monde.
— Je ne sais pas trop…
— Tu es méfiante avec tout le monde ou c’est juste moi ?
Avec le monde entier. Mais ce n’était pas ma faute.
— C’est juste que…, commençai-je mal à l’aise.
— Que ?
— Je ne suis jamais sortie en boîte et je ne crois pas que ce soit mon truc.
— Comment ça « tu n’es jamais sortie en boîte » ? répéta Delsin alors qu’il
garait déjà sa voiture.
— C’est si difficile à comprendre ? lançai-je sur la défensive. Je ne suis jamais
sortie en boîte pour me prendre une cuite. C’est pas mon truc c’est tout.
— On n’est pas toujours bourrés, on n’est pas des sauvages non plus. On
s’amuse. D’ailleurs tu ne peux pas dire que ce n’est pas ton truc si tu n’y as
jamais foutu les pieds.
Je haussai les épaules alors il me poussa doucement sans doute pour me
taquiner, mais je m’écartai vivement, le cœur battant à vive allure. Être touchée
était difficile, très difficile pour moi. À part Norah qui me protégeait et me
câlinait tout le temps, je n’avais connu que la rudesse et les coups. Le moindre
geste brusque et le moindre contact ravivaient mes instincts. Je savais que le
monde n’était pas lui, j’en prenais un peu plus conscience chaque jour, mais
comment pouvais-je guérir de mes blessures si vite ? Une cicatrice restait une
cicatrice.
— Tu n’aimes pas que l’on te touche ou quoi ? bougonna-t-il vexé.
— Non ! Alors, évite de le faire !
— Ça va, j’ai compris. T’es vraiment bizarre comme fille…
— Oh, parce que je n’ai pas encore écarté les cuisses pour tes beaux yeux, je
suis bizarre ? rétorquai-je.
— Ouais, entre autres…
Il n’ajouta rien et ça me vexa un peu. Mais comment aurais-je pu lui en
vouloir ? Je venais encore de me comporter comme une femme battue. Je m’en
voulais d’avoir laissé mes instincts passés prendre le dessus une fois de plus.
J’étais comme un ciel d’orage ; parfois un rayon de soleil venait percer la
grisaille, mais je restais instable. Et si Delsin pouvait être totalement solaire, il
ne me semblait pas moins écorché pour autant.
Delsin descendit de la voiture et vint ouvrir ma portière. Il me fit descendre
avant d’aller chercher les sachets. Puis sans un mot, il se dirigea vers la baie et la
plage. Je n’avais même pas remarqué qu’il m’avait emmenée là. Je le suivis en
silence, honteuse de mon comportement. Je n’étais jamais allée à la plage, je
n’avais jamais senti le sable sous mes pieds, ni même vu l’océan. Je finis par le
dépasser, hypnotisée par la beauté des lieux, par cette sensation grisante de voir
la baie pour la première fois de ma vie. Je retirai mes chaussures et j’enfonçai
mes pieds dans le sable en souriant comme une gamine quand les grains par
milliers s’insinuèrent entre mes orteils. J’en oubliai tout et me mis à tourner sur
moi-même. Les vagues se jetaient sur les rochers, se retiraient, puis revenaient à
nouveau. C’était magnifique, même en pleine nuit. Je m’avançai jusqu’à l’eau
sans plus me soucier de Delsin et je trempai mes pieds. Elle était froide, mais de
toutes les douches froides que j’avais eues, c’était la meilleure de ma vie.
Lorsque la lune dessina l’ombre de Delsin, je levai les yeux vers lui :
— Je… Je n’avais jamais vu l’océan, dis-je le souffle court.
— Jamais ?
— Non, dis-je en souriant.
Il me scruta un instant avant de s’asseoir sur le sable sec, je le suivis du
regard. Il fallait que je trouve une explication plausible pour qu’il ne me prenne
pas pour une folle. Mais il était hors de question de lui dire la vérité. Je n’étais
pas prête à en parler. Encore moins à un type que je connaissais à peine.
— En fait, j’ai des parents très stricts qui laissaient passer peu de choses, dis-
je en baissant les yeux. Du coup, je me suis renfermée sur moi-même et je me
suis complètement désocialisée. Du coup, j’ai zappé pas mal de choses…
Comme sortir en boîte.
— Si tu veux mon avis, tu n’as pas manqué grand-chose, dit-il d’une voix
douce. Il y a pas mal de trucs nuls au collège et au lycée.
— C’est la réponse typique du gars populaire, ça ! dis-je en pouffant de rire.
Delsin haussa les épaules en ricanant et tapota le sol pour me faire signe de
m’asseoir. Il retira les gobelets de chocolats des sachets et me tendit le mien
avant de sortir les parts de tarte aux pommes. Dans la petite boîte, la serveuse
avait glissé des fourchettes en plastique. J’enfonçai mes pieds mouillés dans le
sable en soupirant d’aise.
— Tu ne peux pas commencer ta première année à l’université sans avoir fait
ce que tu n’as jamais fait, décréta Delsin.
— C’est-à-dire ?
— T’es jamais sortie en boîte, faut absolument remédier à ça ! Tu dois venir
avec moi.
J’avais l’impression d’entendre Rob. J’étais certaine qu’il m’aurait dit la
même chose si je le lui avais avoué. Je grimaçai à l’idée de me ridiculiser, mais
je devais me faire une raison, j’allais souvent être ridicule dans cette nouvelle vie
dont je ne connaissais rien. Je n’avais jamais rien expérimenté, hormis la
violence et les ténèbres.
Je soupirai, dubitative.
À côté de moi, Delsin but une gorgée de chocolat avant de se tourner vers moi
avec un large sourire.
— Il faudra aussi que tu fasses une liste de tout ce que tu n’as jamais fait et
que tu dois réaliser avant la fin de l’année ! lança-t-il, visiblement fier de son
idée.
— Quoi !? C’est stupide ! m’exclamai-je.
— Et pourquoi ça le serait ?
— Je n’en sais rien. Je ne vois pas en quoi ça changerait quelque chose sur le
long terme.
— Qui te dit qu’une virée en boîte ne changerait pas ta vie ? répliqua-t-il.
— C’est trop tard pour rattraper ce que j’aurai dû faire en dix-neuf ans, dis-je
en le fixant dans les yeux. Les trucs comme faire le mur le week-end pour
rejoindre secrètement mon petit copain ou alors aller à une fête, les soirées
pyjama, toutes ces choses-là, je ne les ai jamais faites, et c’est trop tard.
Delsin se pencha vers moi et j’eus un mouvement de recul. Il fronça les
sourcils. Bon sang ! Pourquoi ne pouvais-je pas me contrôler deux secondes ?
— Tu n’es pas du genre à faire confiance ou est-ce moi qui te fais peur comme
ça ? demanda-t-il.
— Non, ce n’est pas toi, je suis désolée…
Delsin se pencha encore, si bien que je pus admirer le ciel étoilé dans ses iris.
Il tendit la main et je pris sur moi de ne pas reculer.
— Il y a une mèche rebelle dans tes cheveux…, souffla-t-il comme pour
m’avertir qu’il allait me toucher.
Il attrapa la mèche entre ses doigts et la replaça correctement caressant dans
un même temps mon oreille du bout de ses doigts étonnamment chauds. Tous les
muscles de mon corps se contractèrent. J’avais du mal à respirer. Il m’avait
prévenu et il avait agi d’une manière si douce. Je ne connaissais pas la douceur,
je l’avais oubliée depuis tellement longtemps. Et cette caresse, à peine
perceptible était comme un salut. J’aurais voulu qu’il continue encore un peu
plus, histoire de goûter encore quelques secondes à cette sensation merveilleuse,
pourtant la simple idée d’être touchée à nouveau me pétrifiait déjà. Tellement de
contradictions…
— Voilà, c’est bien mieux comme ça ! dit-il en s’écartant. En tout cas, je ne
suis pas d’accord avec toi, il n’est jamais trop tard. Fais une liste de toutes ces
choses que tu n’as jamais faites et que tu aimerais faire et nous allons les réaliser.
— Comment ça « nous » ?
— Il te faut un guide, t’es qu’un bébé ! lança-t-il en riant.
— Parce que toi, tu es tellement plus mature peut-être ?
— Mais carrément ! Je suis en deuxième année, je te signale, et je suis déjà
sorti en boîte, j’ai déjà fait le mur, et tout.
— Ouah, félicitations ! Apprendre à tacler un type qui se la raconte, je peux le
mettre sur ma liste ?
Il éclata de rire à nouveau.
— Tu peux toujours, je ne te garantis pas que tu vas y arriver ! rétorqua-t-il
encore hilare.
Je souris. Une liste de choses à faire avant la fin de l’année ? Une liste de
toutes ces choses dont j’avais immensément rêvé lorsque j’étais enfermée. Elle
serait si longue…
— Quand tu auras fait ta liste, viens me la montrer, je t’aiderais du mieux que
je peux !
— Je ne suis pas certaine… C’est ridicule. On ne fait pas à dix-neuf ans ce
que l’on aurait dû faire à quinze ans surtout pas avec un mec que l’on ne connaît
pas.
— Tu me connais !
— Non ! Mis à part ton prénom, le fait que tu ne guéris pas aussi vite que tu le
dis et que tu aimes te battre torse nu avec tes copains… (Ce dernier exemple le
fit grimacer.) Je ne te connais pas du tout.
— Tu as oublié que j’étais insomniaque. Tu vois ? Ça fait quelques trucs
quand même. Plus que la plupart des gens.
Je secouai la tête en esquissant un sourire.
— Super, quelle chance j’ai !
— Et comment ! Je suis un type super sympa ! Et généreux puisque je t’ai
payé une part de gâteau et deux chocolats.
Je pouffai de rire devant ses tentatives désespérées de se vendre.
— Et à part traîner dehors tu fais quoi de tes insomnies ? demanda-t-il.
— Je lis beaucoup.
— Moi aussi, de temps en temps.
— Et quoi donc ? raillai-je. Des pornos ?
Son sourire s’évanouit et il reprit très sérieusement :
— J’avais une collection de pornos sous mon lit du temps du lycée…
— Oh, bah oui, elle n’est plus sous ton lit maintenant, tout est stocké dans ton
ordi ! l’interrompis-je.
Il feignit d’être offusqué.
— Même pas ! J’ai tout donné à un lycéen en manque d’amour. Elle me
manque parfois ma collection de Playboy. J’y vouais un véritable culte.
Effarée, j’ouvris la bouche avant qu’il n’éclate de rire. Je rougis d’avoir été
offusquée pour si peu.
— Je plaisante ! s’esclaffa-t-il. Mais l’un dans l’autre faut assumer ses
conneries et être réaliste, ça sert plutôt pas mal d’avoir une collection de pornos.
Je sentis certaines parties de mon corps prendre feu. Bien sûr que ça devait lui
servir. Je n’en doutais pas le moins du monde. Delsin White ne devait pas être
dénué de connaissances, tout comme il ne devait pas manquer de partenaires
pour s’entraîner.
— Et je découvre donc une nouvelle chose de toi : tu es aussi un pervers,
déclarai-je.
— Hé, ne dis pas ça d’un ton si dédaigneux ! C’est ma plus grande qualité !
— Parce qu’en plus tu t’assumes ?
— Carrément ! lança-t-il en me faisant un clin d’œil.
Je gloussai.
— C’est la première fois que je rencontre un pervers qui s’assume avec autant
de fierté.
— Ravi d’être ton premier pervers qui s’assume. Ce sont les plus sympas.
Je me mis à rire à nouveau. Il se pencha vers moi et me tendit ma part de tarte.
Le silence s’installa alors que nous mangions et seul le cliquetis de l’eau se
faisait entendre. C’était agréable et apaisant. L’épaule de Delsin touchait la
mienne tant nous étions proches l’un de l’autre. Ce rapprochement s’était fait si
naturellement que je n’avais pas eu le moindre sursaut d’angoisse.
J’avais grandi avec un homme qui avait instauré en moi la crainte de tout
contact humain, pourtant depuis mon arrivée dans cette ville, je ne rencontrai
que des exceptions. Rob était le premier ami que j’avais eu depuis longtemps et
le fait qu’il m’ait vue alors que j’avais toujours été transparente avait changé
quelque chose en moi. Ça m’avait boostée et réchauffée. Mais Delsin, lui, c’était
différent. Il n’était pas gay et il faisait naître en moi d’étranges sensations.
Certes, j’avais encore peur qu’il me touche, mais ce n’était en aucun cas, car il
m’inspirait la peur ou du danger. Non, Delsin m’inspirait des choses intimes
auxquelles je n’avais jamais pensé et il me faisait rire. Être ici à côté de lui, en sa
compagnie, sans que personne ne le sache, me donnait l’impression que nous
partagions un secret précieux. Je regrettai d’avoir pensé qu’il était violent et de
l’avoir assimilé à mon passé. Je sentis les larmes me monter aux yeux alors que
la chaleur corporelle de Delsin enveloppait presque mon corps. C’était une
sensation rassurante et agréable. Comme le soleil.
Je souris, me moquant de moi-même de penser à de telles choses alors qu’il
était à côté de moi. J’ignorais l’heure qu’il était, mais un bâillement m’échappa
ce qui amusa Delsin.
— Je crois qu’il est peut-être temps que l’on rentre.
J’acquiesçai.
Quelques instants plus tard, il garait sa voiture près de la résidence.
— Voilà, trésor. Tu es arrivée à bon port.
Comme il ne semblait pas vouloir descendre, je me surpris à me retourner
avant d’ouvrir la portière.
— Tu ne vas pas te coucher ? demandai-je bêtement.
— Si, si… plus tard…
— J’ai encore perdu si je comprends bien ?
Il sourit et acquiesça.
— Ce n’est qu’à charge de revanche. Repose-toi bien, trésor de mes nuits.
Il me fit un clin d’œil et lorsque je sortis dehors j’avais les joues plus
brûlantes que jamais. Quant à son petit surnom, il me poursuivit dans le couloir,
continua de hanter mon esprit quand je me changeai et fit des ravages dans mon
ventre quand je me couchai.
Trésor de mes nuits…
Chapitre 8
Parfois je ne mange pas, parce que je sais qu’il est là et que le simple fait de
poser ses yeux sur moi le fait sortir de ses gonds. Mon ventre gargouille, je n’ai
pas mangé depuis hier midi, mais je préfère avoir faim que subir son courroux.
Norah n’est pas rentrée après son travail au cinéma hier soir. Je suis
tellement inquiète pour elle et j’ai tellement peur de lui que je me force à ne pas
fermer l’œil. Il est plus de minuit et elle n’est toujours pas là.
Elle a déjà eu des petits copains, mais elle n’a jamais découché. Elle a
toujours été là pour moi, elle me protège constamment.
Et elle n’a jamais manqué un seul de mes anniversaires.
Aujourd’hui, j’ai quatorze ans.
Son absence ce soir me glace le sang.
Je me sens plus mal et plus seule que jamais.
Il est plus de deux heures du matin lorsque je quitte ma chambre pour aller
dans celle de Norah. Elle est propre, bien rangée. Elle est beaucoup plus joyeuse
que la mienne parce que Norah a le droit d’avoir des choses. Mais je ne suis pas
jalouse, car elle partage avec moi.
Je reste au milieu de la pièce et je regarde les murs ternis par le temps, la
moisissure à certains endroits est cachée par des posters et des affiches de
magazines. Je touche son lit, et je ne me rappelle plus le nombre de fois où je me
suis pelotonnée ou même cachée dedans.
Je me vois assise ici, à cette même place, la regardant tandis qu’elle
grandissait et devenait femme. Et je priai pour grandir aussi vite qu’elle. Norah
a eu ses dix-huit ans et elle est…
Je me fige tout à coup, le cœur tressautant dans ma poitrine.
Une pensée morbide assombrit le peu de lumière et de stabilité que j’ai.
Je me précipite vers son armoire, je regarde dedans, il reste des habits, mais il
en manque. Ses plus beaux ont disparu, je regarde dans son bureau, son journal
intime n’est plus là et sa photo de chevet, celle de ma mère n’est plus là non
plus.
Mon cœur se contracte douloureusement, et je comprends.
Elle est partie, elle m’a abandonnée.
∞
Levy, ma chérie, je viens d’apprendre que tu étais partie. Où
es-tu ? Que s’est-il passé ? Pourquoi tu ne m’as rien dit ?
Réponds-moi, s’il te plaît.
∞
Rob m’avait envoyé un texto me demandant de venir le chercher, car il avait
eu une panne de réveil. Je me doutais bien que ce n’était pas la seule raison pour
qu’il me demande cela et je ne fus pas étonnée de tomber sur Delsin quand je
frappai à la porte. Il portait un jean et un tee-shirt cette fois-ci, mais il n’en était
pas moins sexy. D’autant plus que je savais comment il était sous le tee-shirt et
qu’à chaque fois qu’il roulait malicieusement des muscles ça me le rappelait. Pas
besoin d’avoir une imagination très fertile.
— Salut, mon trésor.
« Mon trésor » ?
— Salut, lançai-je avec autant d’assurance que possible. Rob est prêt ?
— Si être sous la douche veut dire être prêt, je crois, oui. Ce mec a un vrai
problème avec le réveil.
Merde ! J’en étais sûre… J’étais certaine que c’était un coup monté pour que
je me retrouve avec Delsin.
— Dis-moi que tu viendras aussi taper chez moi quand j’aurai ma propre
chambre ?
— Ah, tu pars ? dis-je en feignant l’indifférence.
— Ouais, bientôt. Ça va te manquer, n’est-ce pas ?
— Je ne crois pas, non.
Il porta sa main sur sa poitrine faisant mine d’être blessé.
— Moi énormément…
Je levai les yeux au ciel face à son cinéma et il se mit à rire.
— Sinon, comment vas-tu, Levy ?
Sa question me prit au dépourvu. Je rougis alors qu’il s’appuyait contre la
porte tout en me fixant. Est-ce que ça se voyait sur mon visage que j’avais passé
une nuit blanche horrible ? Peut-être qu’il le voyait lui, comme il dormait peu
aussi… Ou peut-être était-ce juste de la politesse et rien d’autre.
— Je vais bien, merci. Et toi ?
— Mal, j’ai passé une nuit très longue, figure-toi…
Je baissai les yeux. Le rouge empourprait maintenant mes joues de cette
nouvelle couleur primaire que j’avais arborée plusieurs fois en la présence de
Delsin.
— Et je dois être désolée ? demandai-je.
— Tu peux oui, gronda-t-il. J’ai passé la soirée à attendre que la fille de mes
nuits vienne et elle ne s’est pas montrée… Tu te rends compte que si j’avais un
tant soit peu de cœur, tu l’aurais achevé.
Alerte ! Mayday ! Mayday ! Un seau d’eau froide est demandé au premier
étage ! Mayday ! Mayday ! Nous allons la perdre. Je répète. Nous allons la
perdre.
— Mais, non, mais, non, tu aurais survécu… jusqu’à la prochaine.
— Comment peux-tu te moquer si facilement de moi ? demanda-t-il en
feignant une nouvelle fois d’être touché. Je suis un homme à terre, profondément
blessé, je t’ouvre mon cœur, et toi, tu…
— Moi… je ne suis pas la fille de tes nuits, et heureusement, tu n’as pas de
cœur.
Delsin se rembrunit. Je me demandai alors si j’avais été trop dure dans ma
réplique. Il fit un pas en avant et tendit le bras. Je pris sur moi pour ne pas
bouger, il le remarqua sans doute, mais il ne dit rien. Il replaça une de mes
mèches qui quoi que je fasse, tombait toujours devant mes yeux, dans un même
temps, il effleura du bout des doigts mon oreille, m’infligeant une lente caresse
qui m’affola. Cette fois-ci, j’étais certaine qu’il l’avait fait exprès. Je me sentis
rougir, faiblir sur mes jambes et mon cœur se mit à battre à tout rompre. Pourtant
ce contact était à peine perceptible, mais c’était si doux que je ne voulais pas
qu’il s’arrête. Ça me donnait l’impression d’être vivante et désirable. Ça faisait
naître en moi une chaleur déroutante et salvatrice.
— Bien sûr que si, tu es la fille de mes nuits !
Mayday ! Mayday ! Laissez tomber, nous l’avons perdue… Je répète. Laissez
tomber, nous l’avons perdue…
— Voilà, juste une brindille dans tes cheveux, dit-il en l’enfermant dans sa
main.
J’aurais voulu lui dire de regarder de nouveau s’il n’y en avait pas d’autre.
J’eus l’impression qu’il venait de lire dans mes pensées quand il se mit à sourire
à nouveau. Je remarquai alors que son visage était moins marqué. Sa lèvre
n’était plus gonflée et son coquart perdait de sa couleur.
— J’étais fatiguée hier, je me suis couchée tôt, dis-je en détournant le regard.
Pourquoi me justifiais-je par de stupides mensonges ? Il n’avait pas besoin de
savoir quoi que ce soit, après tout…
— C’est pour ça que tu as une tête à faire peur ce matin ? C’est cela que l’on
appelle un teint frais et reposé ?
— Mais quel connard !
Il se mit à sourire de toutes ses dents et ce fut contagieux, malgré moi.
— Sinon, ton pote est bien homo ?
— Hein ?
Delsin se rapprocha davantage. Il y avait pas mal de monde dans le couloir.
Après ce que j’avais vu sur Facebook, ça me gênait qu’il soit si familier en
public. Delsin semblait être sujet à attirer l’attention, car en regardant un peu
plus la page du campus, j’avais pu le voir à plusieurs reprises.
— Tu ferais mieux de te reculer un peu, dis-je en m’écartant. Tu sais, les
rumeurs et tout ça…
Il se mit à rire en haussant les épaules.
— Je m’en contrefiche, ça m’amuse, et puis c’est toi qui l’alimentes en venant
frapper chez moi.
Je jurai entre mes dents et ça l’amusa. Apparemment, il avait vu la photo et ne
semblait pas s’en soucier le moins du monde. Peut-être aurais-je dû faire la
même chose, je n’avais rien à me reprocher, après tout.
— Mais plus important, reprit Delsin me sortant ainsi de mes pensées. Je veux
savoir si le mec qui chante sous ma douche et qui est toujours collé à toi est
gay ? répéta-t-il en articulant chaque mot pour que je sois bien certaine de
comprendre.
Je restai bouche bée. Rob n’avait pas l’air de faire un secret de son orientation
sexuelle, mais je n’étais pas sûre de pouvoir le révéler à sa place. Pourquoi
Delsin me demandait-il ça ? Était-il homophobe ? J’essayai de trouver la réponse
dans son regard, mais ses yeux bleus sombres étaient indéchiffrables.
— Pourquoi tu me demandes ça ? demandai-je sans répondre à sa question
initiale.
— Comme ça, répondit-il avec nonchalance. Je voulais juste en être certain,
j’aime connaître mes adversaires.
— « Adversaires » ?
Il se mit à rire et Rob choisit ce moment pour faire son apparition.
— Hello, ma puce, me lança-t-il en m’embrassant sur le front avant de passer
son bras autour de mes épaules.
Je réalisai que je m’étais habituée aux manières familières de Rob qui ne me
faisait plus peur. Je levai les yeux vers Delsin, surprenant son regard plissé. Il
n’avait rien raté de notre échange.
— Je suis prêt ! s’exclama Rob. Tout pile dans les temps.
— Super ! m’exclamai-je. On y va alors !
Il acquiesça.
— Bonne journée, Del, lança-t-il.
Delsin répondit sans me lâcher des yeux. Qu’est-ce qui venait de se passer au
juste ?
∞
Le vendredi était une journée que j’affectionnais tout particulièrement, car
nous n’avions que trois heures de cours dans la matinée et puis nous étions en
week-end. Et aujourd’hui à onze heures quarante-cinq, je prenais officiellement
mon premier week-end. Un premier, un vrai de vrai sans peur ni tension. Et pour
ne rien gâcher, le temps était incroyable.
Après avoir acheté des sandwichs, nous avions décidé avec Rob de nous
installer sous le même arbre que la dernière fois. Le coin était agréable et je
soupçonnais Rob d’avoir des vues sur certains joueurs de football qui venaient
ici. En même temps, je ne pouvais pas lui en vouloir, mais Rob semblait avoir
des vues sur tout ce qui était notablement… potable.
— J’ai envie d’aller danser ! déclara-t-il une fois assis.
Il avait dans les mains un prospectus qui annonçait une soirée étudiante dans
une boîte qui s’appelait « La Boîte ». Vachement original comme nom. Je ne
savais pas si c’était de celle-là dont m’avait parlé Delsin, mais Rob avait l’air
ultra partant pour y aller.
— Ça ne me dit trop rien…, soupirai-je.
Il fit la moue.
— Comment ça ?
— Je ne suis pas certaine d’avoir trop envie de sortir.
— Oh, allez viens ! minauda-t-il. Ça va être sympa.
Je secouai la tête. Je préférais franchement rester chez moi et puis je dansais
comme une quiche. Mais surtout, je n’étais jamais sortie en boîte et je ne savais
pas comment on faisait.
— Je ne sais pas trop, Rob…
— Tu ne vas quand même pas rester enfermée ici un samedi soir ?
Il faisait une tête de bambin auquel il était franchement difficile de dire
« non ». Je grommelai entre mes dents. Au même moment une ombre fila au-
dessus de nous. Je levai les yeux et attrapai un ballon ovale avant de me le
prendre en pleine tronche. Rob siffla.
— Non, mais ça va pas ! s’exclama-t-il en cherchant à qui appartenait le
ballon.
Il calma néanmoins ses ardeurs en voyant le même joueur que l’autre jour
courir vers nous en me faisant signe de lui renvoyer le ballon. Il l’avait fait
exprès ou quoi ? Je lui renvoyai la balle avec force, mais au lieu de repartir sur le
terrain avec ses potes, il trottina vers nous comme l’autre fois.
— Je suis désolé, ma belle ! Je voulais juste vérifier si la dernière fois n’était
pas un coup de bol.
— Ton manque de foi en mon talent naturel me blesse, répliquai-je.
Il courba légèrement l’échine tout en riant. Il était charmant lui aussi. Seigneur
comment une ville aussi paumée pouvait regorger de si beaux garçons ?
— Désolé…
Il était évident qu’il ne le pensait pas du tout et ça me fit rire. Une silhouette
se dessina derrière lui.
— Axel, ramène tes fesses par ici au lieu de draguer…
Cette voix familière était de plus en plus proche et lorsque l’autre joueur
arriva devant nous, je hoquetai de surprise. Il plissa les yeux et me scruta.
— … de draguer ma Levy.
— Ta ? dis-je alors que Rob me faisait écho. Il ne me semble pas que l’on ait
convenu à aucun moment que je t’appartenais. Ou alors j’ai loupé un truc.
Comme toujours, quand je lui répondais, Delsin se mit à sourire.
— Tu ne vois donc pas que j’essaie de te sauver de ce type dangereux ?
— Ouais, enfin tu dis ça, mais ce n’est pas moi qui me balade avec la tête
d’un évadé de prison, rétorqua le Axel en question. Faut pas faire gaffe, tu sais,
quand Del n’est pas cleptomane, il se prend pour un Khan. Femmes, terres,
nourritures, enfants… Il croit que tout lui appartient.
Delsin plissa soudain les narines et se mit à renifler l’air environnant.
— Tu sens ça, mon pote ? Ça pue la jalousie à trois kilomètres à la ronde.
Axel éclata de rire. C’était certainement Delsin le joueur manquant de la fois
précédente qui n’était pas trop en état de jouer. Bien sûr ! Rob m’avait aussi dit
qu’il faisait partie de l’équipe de l’université.
— Axel, je te présente Rob mon-bientôt-futur-ex-coloc et Levy.
Alors c’était lui le fameux meilleur ami.
— Enchanté, lança Axel en serrant la main de Rob qui était aux anges, puis en
me lançant un regard amusé.
— Moi… aussi, soufflai-je.
— Oh, mais non ! s’exclama-t-il. Regarde ce que tu as fait avec ta sale
tronche, elle a peur maintenant.
— Ou peut-être qu’elle se dit que la prochaine fois que tu enverras un ballon
exprès dans sa direction elle t’allongera une droite, répliqua Delsin.
Je gloussai comme une idiote.
— Au fait, ce joueur manquant tu l’as retrouvé ? demandai-je à Axel.
— Ouaip, lança-t-il en prenant Delsin par les épaules. Ce mec est un sale con,
mais c’est un crack alors on le supporte juste parce qu’il joue bien. On peut
toujours te trouver une place quand tu veux pour faire une partie bien sûr !
Delsin plissa les yeux, découvrant sans doute que ce n’était pas la première
fois que je parlais à son pote.
— Oh, merci, mais très peu pour moi ! dis-je en levant les mains devant moi.
Je ne crois pas être maso à ce point. Une bande de mecs bodybuildés et accros
aux protéines contre une pauvre fille ça ira.
— On n’est pas des brutes, mais des vrais gentils et pas accros aux protéines,
ma belle, s’exclama Axel. Tout ça, c’est du cent pour cent naturel.
Delsin fit un signe dans le dos de son pote censé nous faire comprendre à moi
et à Rob qu’Axel était fou. J’éclatai de rire et Axel se jeta sur Delsin qui atterrit
au sol. On aurait pu croire que ça allait le calmer, mais pas du tout, ce fut le
début une bataille d’hormones. Delsin attira son pote au sol et l’autre éclata de
rire. Puis, trois autres de l’équipe vinrent les rejoindre et se jetèrent sur eux.
Nous avions à présent devant nous cinq gars qui se chamaillaient comme des
gamins. Rob était aux anges. Moi, j’étais étonnamment amusée.
— On devrait peut-être intervenir, lança Rob les yeux brillants.
— Fais-toi plaisir, je passe mon tour, lançai-je.
Je me rassis à ma place. Rob se posa à côté de moi et, bientôt, Delsin se plaça
en face de moi, si bien que je ne voyais plus que lui.
— Vous faites partie de l’équipe de football de l’université ? demanda Rob qui
connaissait très bien la réponse.
— Ouaip, répondit un type que je ne connaissais pas. Moi, c’est Sawyer.
— Adam, lança un autre type en levant la main.
Quand tous posèrent les yeux sur moi, je compris que je devais me présenter
aussi à ceux que je ne connaissais pas. Exercice sans doute très simple pour tout
le monde, mais qui me terrifiait.
— Levy, dis-je d’une petite voix.
— Rob ! s’exclama ce dernier.
— Vous faites quoi de beau ? demanda Axel.
— On profite de notre week-end, répondit Rob.
— Eh bien, ils n’essaient même plus de traumatiser les petits nouveaux de
première année de nos jours ? s’étonna Sawyer en riant.
— On n’est pas trop à plaindre non plus, lança Axel.
— C’est clair, approuva Delsin. Même si la compagnie est nettement plus
agréable ici.
— Moi, j’ai fait assez pour ma semaine, soupira Zack.
— Adam !
L’Adam en question redressa la tête et son visage changea du tout au tout. La
joie éclaira ses traits et ses yeux se mirent à pétiller. Il se leva et l’instant d’après
une jeune femme se jeta dans ses bras. Sans se soucier de nous, ils se mirent à
s’embrasser passionnément. Tout le monde sans exception regardait leur baiser
torride. Je baissai les yeux et regardai mes genoux avant que l’envie d’épier ne
soit trop forte. Mais mon regard croisa celui de Delsin et encore une fois je
m’empourprai.
— Salut les gars, lança la jeune fille après quelques minutes de baisers
torrides.
— Hello !
Elle nous scruta Rob et moi et nous lança un sourire radieux. Elle était très
jolie avec son teint bronzé et ses longs cheveux noirs.
— Salut, moi, c’est Anna, se présenta-t-elle.
— Rob. Et elle, c’est Levy.
Je lui fis un petit signe.
— Bon les gars, déclara Adam qui n’avait pas lâché sa copine des bras, je vais
aider Anna à s’installer.
— On va t’aider, lança Sawyer d’un air narquois.
Ils se mirent tous à rire.
— Non, non, c’est bon, je devrais pouvoir m’en sortir ! On s’appelle…
— Ouais, c’est ça, se moqua Axel. « On s’appelle »…
Je regardais les amoureux partir avant de reporter mon attention sur mes
genoux.
— Vous faites quoi ce week-end ? demanda Zack.
— Ah merci, j’avais failli oublier ! s’exclama Rob.
Je relevai la tête. Oh, merde !
— J’étais en train de convaincre la demoiselle d’aller en boîte demain soir.
Hors de question qu’elle reste seule pour son premier week-end ici.
— Il a raison, ma belle, appuya Axel.
— Je dois…
— On s’en fout, me coupa Zack. Rester seule chez soi un samedi soir, c’est
interdit !
Delsin ne disait rien, mais tout le monde parlait de mon cas. Chacun apportait
sa plaidoirie. Rob y allait au chantage affectif en me disant que si je n’y allais
pas lui non plus. Axel disait que c’était un rite de passage obligé pour tous les
étudiants de la fac. Zack avait hurlé que nous allions nous marrer comme des
malades. Je secouai la tête, restant silencieuse, attendant qu’ils finissent tous de
parler. Je n’avais pas le choix. J’étais seule contre tous. Et puis, c’était sûrement
le cours normal des choses. Se faire des amis, sortir, s’amuser. Peut-être que
Delsin avait raison. Peut-être que ça changerait ma vie.
— OK…
Chapitre 9
Sans savoir comment c’était arrivé, je me retrouvai seule avec lui. Rob
s’éclatait sur la piste de danse, Adam et Anna semblaient seuls au monde, et les
autres, j’ignorais où ils étaient passés. Et Delsin n’avait pas l’air d’avoir envie de
bouger de là. Il ne semblait pas du genre à se défouler sur la piste, il ressemblait
plutôt à un type qu’il ne fallait pas faire chier. J’avais l’impression de voir deux
personnes en lui et ça me perturbait. Il y avait comme une bête qui sommeillait
au fond de lui mais qui pouvait bondir à tout moment.
J’avais mes démons et je me demandais quels étaient les siens. Parfois il était
là, parfois il me semblait loin, et c’était un sentiment qui m’était tellement
familier. Peut-être avait-il connu la violence lui aussi, ou quelque chose dans le
genre.
On ne connaît pas vraiment les gens.
J’avais le sentiment que ce que j’avais subi pendant toute mon enfance, ne me
permettrait jamais d’avoir une vie normale. J’étais terrifiée de tout, je vivais dans
le noir, et le moindre geste brusque me faisait paniquer. Personne ne pouvait
comprendre sans avoir soi-même quelques démons à son actif.
Delsin termina son verre de bière. Lui qui m’avait vanté les mérites des
soirées en boîte avait l’air de s’ennuyer comme jamais.
— J’ai l’impression qu’il ne reste que nous, déclarai-je.
— Un guet-apens, je pense.
— Ça m’en a tout l’air…
— Est-ce que tu veux quelque chose à boire ?
— Un Coca ou quelque chose dans le genre, je veux bien. Je vais aux toilettes.
Il se leva et se dirigea vers le bar tandis que je me rendais aux sanitaires. Je
n’avais pas tellement envie de me soulager, je voulais surtout m’isoler pour
souffler un peu. Je passai mes mains sous le jet d’eau et la fraîcheur me fit un
bien fou. J’essayai de me détendre un peu, mais rien ne me semblait évident.
Pour autant tout se passait très bien et les potes de Delsin étaient vraiment
sympas. Il fallait que je mette de côté mes démons et que j’apprenne à profiter de
ma nouvelle vie.
Une nouvelle vie dans laquelle je pourrais entreprendre n’importe quoi.
Désormais, plus question de regarder en arrière, jamais je ne pourrais changer
mon passé, il s’agissait seulement de faire en sorte que le présent soit comme
j’en avais envie.
Je regardai mon reflet dans le miroir. Il n’y avait pas grand-chose que je
trouvais intéressant chez moi et malgré mon léger maquillage, je ne me sentais
pas particulièrement jolie. Ça aussi je l’associais au passé. Je me demandais si je
me serais trouvée différente si mon enfance avait été normale. Je secouai la tête,
ce n’était pas le moment de se poser ce genre de questions. Deux filles entrèrent
dans les toilettes.
— Delsin, ce mec est torride.
Je me rembrunis.
— Moi, je préfère son pote avec ses longs cheveux. Une copine m’a dit qu’il
savait clairement y faire si tu vois ce que je veux dire…
Je me demandai comment on pouvait avoir envie de coucher avec un mec
qu’une amie s’était déjà tapé juste parce qu’elle prétendait que c’était un bon
coup. Qu’y avait-il d’excitant à passer les unes après les autres ?
— Puis, il paraît que Delsin a une meuf.
Je tiquai. Delsin, une meuf ?
— Ah bon ?
— T’as pas vu les photos sur Facebook ?
— Si, mais ça ne veut pas dire grand-chose avec lui…
Je m’essuyai les mains.
— Ouais, t’as raison. C’est sans doute une pauvre fille qui ne sait pas encore
qu’elle n’est qu’un vagin.
Je sortis avant d’en entendre davantage.
Il y avait toujours autant de monde, la musique était assourdissante. Ce n’était
définitivement pas pour moi ce genre de soirée. Je préférais les ambiances plus
intimistes. Je me frayais tant bien que mal un chemin à travers la foule pour
retourner à ma place quand on m’attrapa le poignet.
— Hé, toi !
Je fis volte-face en me dégageant brusquement.
— Excuse-moi, je ne voulais pas te faire peur, fit l’homme qui venait de
m’accoster.
— Pas de problème, marmonnais-je.
Je fis demi-tour, mais il m’attrapa à nouveau le poignet, cette fois-ci avec plus
de force. Je tentais de me dégager, en vain. Et je paniquai, toute ma confiance
récemment accumulée s’envola et même si cet homme n’était pas lui, sa poigne
demeurait la même. Un homme normal ne brusquait personne de la sorte. Mon
poignet me faisait mal.
— Hé, sois sympa ! lança-t-il. Ne me fous pas un vent alors que depuis que
t’es arrivée ici j’attends que tu sois seule pour t’aborder.
— Lâche-moi ! Je…
La panique me faisait perdre mes mots. Il était bien moins impressionnant que
mon bourreau, pourtant je ne me sentais pas plus capable de l’affronter.
— Je veux juste te proposer un verre.
Je secouai la tête pour refuser :
— Non merci.
— Tu es toute seule là. On peut faire connaissance.
J’essayai une nouvelle fois de libérer mon bras.
— Lâche-moi.
Son visage se crispa, il semblait à bout de patience. Je connaissais cette
sensation. Je ne l’aimais pas du tout. J’espérais ne plus jamais y être confrontée.
Pourquoi était-il venu me voir, moi ? Et pourquoi n’étais-je pas capable de m’en
débarrasser ?
— Excuse-moi, mais je vais devoir insister parce que tu me sembles seule pas
tellement occupée, dit-il d’une voix dure.
— Lâche-moi ! m’écriais-je tout en tirant de toutes mes forces sur sa prise.
Il m’attira violemment contre lui.
— Pourquoi, on s’amuserait tous les deux ? souffla-t-il à mon oreille.
— Non…
Tout se mit à tourner autour de moi et je me sentis happée dans un puits sans
fond, une terreur familière me foudroya et je poussai un hurlement. L’homme me
plaqua contre un mur. Je sombrai totalement dans la panique lorsqu’un bras vint
s’interposer entre moi et mon agresseur et le repoussa violemment.
— Il me semble qu’elle t’a dit « non » à plusieurs reprises, alors je te conseille
de la laisser et de te barrer ! gronda Delsin en se plaçant devant moi tout en
faisant face à l’homme.
— On ne t’a pas sonné, connard ! cracha-t-il en le repoussant.
Je m’écartai de justesse pour ne pas risquer de me faire écraser entre Delsin et
le mur. Alors je l’aperçus cette étincelle et cette bête. Le visage de Delsin était
crispé par la colère.
— T’emmerdes une fille, et c’est moi le connard ?
Il saisit l’homme par le col et le plaqua contre le mur avec une force inouïe, si
bien que le type se cogna la tête.
Je recouvrai peu à peu mes esprits, à présent que Delsin était là. Et je pris
conscience que la foule s’était écartée et que nous étions devenus le centre de
l’attention.
— Delsin, tu n’es pas…, soufflai-je en me rapprochant de lui.
Je ne voulais pas qu’il s’attire des ennuis par ma faute, j’espérais le calmer. Il
me scruta par-dessus son épaule. Je sentais que mon souffle était saccadé, mes
joues et mes yeux étaient rouges. Je savais qu’il voyait de la peur sur mon visage
et il n’avait pas l’air d’aimer ça. J’étais incapable de parler pour lui exprimer la
gratitude que j’avais à son égard à cet instant.
— Bon sang ! Que se passe-t-il ici ? s’écria Axel.
— Il se passe que celui-là était en train d’emmerder Levy, grogna Delsin.
Rob arriva et vint passer un bras autour de mes épaules. Je ne sursautai pas, je
réagis à peine. Je posai ma tête contre lui, à bout de force.
— Tu vas bien ? me demanda-t-il.
— Oui, répondis-je mécaniquement sans quitter Delsin des yeux.
— Lâche-le, Del ! ordonna Axel. Lâche-le ça ne vaut pas le coup que tu te
mettes dans un état pareil.
— Mais il…
— Mais elle va bien.
Il obéit avec difficulté.
— On va le foutre dehors, ajouta Axel en saisissant le type par le bras dans
l’intention de le guider vers la sortie.
— Va te faire foutre, Ducon ! hurla l’homme en se débattant.
Il s’arracha à la prise d’Axel et enfonça son poing dans le visage de Delsin. Je
poussai un cri. La violence faisait ressurgir ma panique. Même si je n’en étais
pas la cible. Rob resserra un peu plus mes épaules. Bien qu’un peu sonné, Delsin
réagit de suite et envoya son crochet droit en plein visage du type. Puis un
deuxième. Et encore un autre. Elle était encore là cette rage indomptée et
incontrôlée. Je déglutis. Je n’aimais pas non plus les coups lorsque c’était lui qui
les donnait. Et je me surpris à trembler.
— Del…
Ma voix n’était qu’un souffle, mais il l’entendit. Le type s’effondra au sol.
Lorsque Delsin bougea, tout le monde était sur ses gardes. Il se pencha vers moi
et attrapa mon poignet. Je me laissai faire, sans peur.
— Tu vas bien ? me demanda-t-il.
Il caressa mon poignet, là où j’avais une petite marque rouge. Je regardai les
jointures de ses mains, elles étaient rouges et sa lèvre aussi. Une fois encore.
Décidément, il était toujours amoché.
— Oui…
Le monde présent dans la boîte et autour de notre petit groupe avait cessé
toute activité et tout le monde regardait ce qui se passait avec curiosité. Des
videurs arrivèrent. Plusieurs personnes vinrent dire quelques mots à Delsin que
je ne comprenais pas, mais apparemment assez positifs puisque les videurs ne
semblaient pas vouloir le faire sortir.
— Tout va bien ? me demanda l’un d’eux. Tu as besoin de quelque chose ?
— Non… ça va aller.
Ils attrapèrent mon agresseur et l’emmenèrent avec eux. La musique remise en
route, je réalisai alors que je n’avais pas eu conscience du moment où elle s’était
arrêtée. Les gens se remirent à danser.
Delsin tremblait et malgré les larmes qui me troublaient à présent la vue, je
voyais qu’Axel et Zack prenaient soin de rester près de lui et qu’ils essayaient de
le calmer ou de le contenir. J’ignorais pourquoi ils faisaient ça, mais ils avaient
l’air de tenir à leur rôle, comme s’ils y étaient habitués.
— Tout va bien, Del ? demanda Axel alors que nous rejoignions nos places.
— Ouais, grogna-t-il en s’asseyant sur la banquette.
Il devait avoir mal à la lèvre, mais il semblait s’en foutre. Ses mains
tremblaient et son visage était toujours crispé par la colère. Il me scruta
soudainement puis il se leva et partit en direction de la sortie.
— Delsin ? l’appelai-je.
Il m’ignora et fila en zigzaguant à travers les étudiants qui avaient oublié ce
qui venait de se passer. Était-il en colère contre moi ?
— Laisse, ma belle, lança Axel. Il a juste besoin de prendre l’air pour se
calmer, c’est tout.
— Vaut mieux le laisser se détendre, ensuite la fête reprendra son cours,
ajouta Zack.
« La fête reprendra son cours » ? Non… Pour moi la fête était finie. Le type
avait emporté toute ma bonne humeur lorsqu’il m’avait acculée. Peut-être était-
ce l’alcool qui l’avait rendu comme ça, où était-il simplement mauvais, dans tous
les cas, je n’avais plus envie de jouer ni de m’amuser. Je me levai à mon tour. Je
ne voulais pas laisser Delsin seul. Je savais ce qu’un homme en colère pouvait
faire. Delsin était en colère, mais il avait volé à mon secours. Il n’était pas du
genre violent sans raison, je le savais, mais ce n’était pas bon de le laisser partir
comme ça.
— Levy ?
C’était Rob, mais je ne répondis pas et je filai en vitesse hors de la boîte. L’air
frais me fit du bien. Je le repérai de suite. Il était adossé contre le mur, la tête
tournée vers le ciel, les yeux fermés. Je craignais de le déranger et d’éveiller sa
colère, mais je me sentais aussi redevable et inexplicablement attirée.
— Delsin ? soufflai-je.
Après quelques secondes, il baissa la tête et me fit face. Si j’avais vu dans son
regard la moindre étincelle malveillante, je me serais enfuie en courant sauf qu’il
n’y avait rien de tout cela dans ses yeux. Brusquement il m’attira contre lui, mon
souffle se coupa littéralement quand il agrippa ma nuque et qu’il me lova contre
son torse. Les yeux écarquillés, je tentai de comprendre sans opposer de
résistance. Il resserra ses bras autour de moi et mes yeux me piquèrent soudain.
Pour la première fois depuis tellement longtemps, je soufflai enfin. Dans cette
étreinte j’avais l’impression qu’il essayait non seulement de me rassurer sur ce
qui venait de se passer mais aussi qu’il voyait bien plus loin, qu’il savait ce que
j’avais subi et qu’il voulait chasser tout cela de mon esprit et me protéger.
— Est-ce que tu es en colère ? demandai-je d’une petite voix.
— Oui.
Le ton de sa voix n’avait rien de complaisant. Je frissonnai. J’avais peur des
hommes en colère mais j’avais le sentiment que la colère de Delsin n’était pas
comme celle qui résonnait dans mon passé…
— Mais pas contre toi, trésor. Je suis toujours en colère, mais ce n’est pas toi.
Ce fils de pute, j’avais envie de le fracasser !
Ses mains qui me retenaient contre lui tremblaient à nouveau. Je m’écartai de
lui et reculai de quelques pas. Le regard qu’il me lança m’affola pour diverses
raisons. Peur et désir se mêlaient dans mon esprit. Il était sorti pour ne pas faire
de conneries, il se maîtrisait à l’instant. J’ignorais pourquoi il se mettait dans un
tel état, mais je n’aimais pas le voir comme ça.
— Il n’en vaut pas la peine, dis-je.
— Ils n’en valent jamais la peine, cracha-t-il. Et ils s’en sortent toujours de la
même manière parce que quelqu’un dit ça. Parfois un petit exemple ça remet
certaines pendules à l’heure.
Il sortit quelque chose de la poche de son jean. Un paquet de cigarettes.
— Pourquoi tu le défends, qu’est-ce que tu crois qu’il t’aurait fait ? me lança-
t-il.
— Je…
Du mal, sans doute.
Mais ma réponse resta coincée dans ma gorge. Sans réfléchir, je m’approchai
à nouveau et attrapai son visage entre mes mains. Il se laissa faire et n’omit
aucune résistance. J’eus alors le sentiment que sa colère s’évaporait un peu.
Soulagée, je retirai la clope qu’il avait dans la bouche avant de la jeter à terre et
plongeai mon regard dans le sien.
— Levy…
Son murmure sonnait comme une prière. Je tenais toujours son visage en
coupe dans mes mains. J’aurais pu avoir une peur viscérale de ses réactions,
mais ce n’était pas le cas. Il était différent, il n’était pas méchant. Ces choses-là,
j’avais appris à les lire dans les yeux des gens au fil des années. Et Delsin n’était
rien de tout ça. Je voulais le remercier de ce qu’il avait fait pour moi, mais
j’ignorais comment m’y prendre.
— Mon Dieu, je suis désolée…, soupirai-je.
— De quoi ? D’avoir gâché ma dernière clope ?
— Non, pas ça, dis-je en secouant la tête. C’est juste que… c’est ma faute tout
ça.
— Non ! Putain, pourquoi serait-ce ta faute ? C’est lui le détraqué.
C’était juste… une vieille habitude que de me penser responsable.
— Ce genre de mec qui se considère meilleur que toi et qui pense n’avoir rien
fait de mal, ça me dégoûte ! J’aurais dû être plus prudent et le dégager dès que je
l’ai vu te parler.
— Tout va bien, ne t’en fais pas.
J’esquissai un faible sourire. Je n’en donnais peut-être pas l’air, mais j’allais
bien et c’était grâce à lui. Je scrutai son visage que je tenais toujours dans mes
mains et que je n’avais aucune envie de lâcher. J’avais senti qu’à mon contact
ses tremblements s’étaient calmés. Enfin, c’était probablement juste mon
imagination…
— Merci de m’avoir défendue, Delsin.
Personne ne l’avait plus fait depuis des années et je me sentais heureuse.
— Pas de quoi.
— Je… je vais soigner ta lèvre, ça va empirer, sinon…
— Ne t’embête pas avec ça. C’est juste une égratignure.
Sans l’écouter, je sortis de mon sac ma petite trousse d’urgence. Je l’ouvris et
en sortis une lingette désinfectante. Comme lors de notre première rencontre, il
me regarda d’un air bizarre.
— C’est hallucinant ces trucs que tu as dans ton sac. J’ai vraiment bloqué
dessus la première fois.
Je souris à ce souvenir.
— On dirait que je vais de nouveau t’être redevable.
— Chut, dis-je en secouant la tête. Ne parle pas et, non, c’est normal. Tu
aurais fait la même chose pour moi.
— Non.
Je le regardai bizarrement, tout en stoppant ses soins. Il sourit cette fois-ci,
heureux de l’effet qu’il venait d’avoir sur moi.
— Je ne laisserai jamais le temps à quelqu’un de te faire du mal, grogna-t-il.
D’accord ?
Mon cœur se mit à cogner d’une manière si virulente que je crus qu’il allait
jaillir de ma poitrine. La seule personne à m’avoir dit ce genre de choses, c’était
Norah… Et elle m’avait abandonnée. Pourtant dans la bouche de Delsin, j’avais
envie d’y croire, ça sonnait comme une promesse de liberté et d’éternité aussi.
— Voilà qui est digne d’un gentleman, soupirai-je les joues cramoisies.
Je ne savais pas quoi penser. Tout était fouillis dans ma tête. Je me concentrai
alors un peu plus sur sa bouche. Elle était un peu rouge et gonflée.
— Il n’y avait pas grand-chose au final, déclarai-je. Ta lèvre est juste un peu
enflée.
— Des recommandations ? demanda-t-il amusé.
— Je crois que tu ferais mieux de ne pas trop solliciter ta bouche pour…
Il plissa les yeux amusés et leva une main, je sursautai quand il la passa dans
mes cheveux afin de les placer derrière mon oreille.
— « Pour » ?
Je soupirai malgré moi et ses yeux se voilèrent. Nos regards se mêlèrent et la
colère quitta totalement son visage pour laisser place à un sentiment nouveau.
Mon ventre fut parcouru de spasmes, se propageant toujours plus intimement.
J’étais perdue. Il était… Ce garçon au visage amoché, aux yeux de fou. Cet
homme habité par une colère muette m’intriguait et m’attirait plus que jamais.
— « Pour » ? répéta-t-il.
— Quoi ? Pardon, je…
Il éclata d’un petit rire moqueur.
— Ma bouche, je crois que tu en étais là.
— Ah, oui… Vas-y simplement mollo si tu ne veux pas que ça enfle, dis-je
précipitamment.
— Genre ?
Seigneur…
Je pris soudain conscience des degrés qui avaient augmenté, de sa main qui
caressait toujours mes cheveux et de la proximité de nos corps quasiment l’un
contre l’autre. Et moi qui ne prenais plus peur…
— C’était presque guéri, alors laisse reposer au moins une nuit. Sans trop
parler, trop manger ni… Enfin, tu vois quoi.
Je bégayais et cet imbécile ne faisait rien pour m’aider. Il avait même l’air de
trouver ça divertissant. Je grommelai un juron en gonflant mes joues comme une
enfant. Ce qui le fit rire.
— Promis, j’essaierai, trésor.
Je frissonnai quand il toucha mon oreille en retirant sa main de mes cheveux.
Il la caressa ouvertement cette fois-ci. Je ne savais pas ce qui le fascinait à ce
point avec cette oreille. Peut-être était-ce la petite cicatrice en forme arrondie qui
commençait sous mon lobe pour remonter derrière qui l’intriguait.
— Ça te fait mal ? me demanda-t-il.
— Quoi dont ?
— Cette cicatrice ?
Je déglutis. Alors c’était bien ça… Pourquoi fallait-il qu’il l’ait remarqué ?
Elle était moche, tout comme son histoire d’ailleurs.
— Non.
— Elle te correspond…
Mon cœur flancha. Comment ça ?
— Elle ressemble à un croissant de lune et tu es insomniaque. Je trouve ça très
cohérent.
Je souris. Pourtant, j’avais envie de pleurer. J’aurais voulu l’embrasser. Juste
d’une simple pression pour le guérir, pour le goûter et pour me guérir peut-être
aussi. Ce tiraillement était si intense qu’il s’étendait de mon ventre à mon
intimité.
— Arrête, Levy…
Je sursautai et levai les yeux vers lui. Il semblait vouloir la même chose que
moi, enfin c’était l’impression que j’avais.
— Hey ! Del, tu…
Je m’écartai brusquement de Delsin qui lâcha un grognement de frustration.
— Désolé, lança Zack en riant. Désolé, j’ignorais que…
— Qu’est-ce que tu veux, abruti ? gronda Delsin.
— Tout le monde se demande ce que vous faites. Je vais leur dire de ne pas
compter sur vous à moins que… ?
— Est-ce que tu veux y retourner ? me demanda Delsin
Je secouai la tête. Je préférais largement errer dehors jusqu’à tomber de
fatigue.
— Je vais te ramener alors.
— Non, j’ai faim.
Il comprit de suite et un sourire taquin naquit sur ses lèvres.
— Je connais un endroit parfait pour ça.
Chapitre 10
Qu’est-ce qu’elle pensait savoir ? Elle ignorait tout de ce que j’avais subi
après son départ. Tout s’était amplifié après cela.
Bien sûr, elle me manquait malgré tout. J’aurais voulu qu’elle voie la jeune
femme que j’étais devenue. Mais ma colère était trop profonde, je n’arrivais pas
à m’en défaire et à lui pardonner. Quand elle m’avait quittée, elle m’avait trahie,
alors qu’elle m’avait promis de toujours être à mes côtés. Lors de son départ et
les jours qui avaient suivi, elle lui avait donné raison et il ne s’était pas gêné
pour me le faire comprendre.
Je supprimai le message sans y répondre, mais la dernière partie de son
message me restait en travers de la gorge.
« Tu ne t’en sortiras pas toute seule. »
Cela me blessait. Je secouai la tête. Comment osait-elle me dire ça ? Comment
osait-elle après m’avoir abandonnée ?
Deux semaines s’étaient écoulées depuis la soirée en boîte, mon presque
baiser avec Delsin et le dernier message de Norah. Il fut un temps où c’était moi
qui lui en envoyais des dizaines par mois, espérant qu’elle me réponde, voilà que
c’était à son tour d’attendre. Norah avait beau dire, je m’en sortais bien. Je
m’étais fait des amis. Plus en moins d’un mois passé ici qu’en dix-huit ans là-
bas. Et puis, même si j’étais encore sujette aux insomnies, j’avais un coéquipier
pour me tenir compagnie.
En ce moment, je pensais beaucoup à lui. Et si toutefois j’essayai de ne pas le
faire, Rob était là pour me le rappeler et le Facebook de l’université avait publié
deux photos qui m’avaient plus que perturbée.
Sous une légende où l’auteur de l’article expliquait qu’une bagarre avait éclaté
et que le torride Delsin avait joué le sauveur de ces dames ; une première photo
montrait Delsin en train de se battre avec l’autre type, et la seconde, c’était nous.
J’étais dans les bras de Delsin. Carrément enlacée, recroquevillée contre lui. Ma
tête était contre son torse, et ses bras étaient solidement attachés dans mon dos.
Autant dire que Rob en avait fait tout une histoire… Mais ce qui m’avait étonnée
lorsque j’avais vu la photo c’était de voir que Delsin avait alors enfoui son
visage dans mes cheveux. Je ne l’avais pas senti sur le moment. Nous voir ainsi
sur la photo m’avait profondément émue.
Delsin me faisait de l’effet. Beaucoup. Énormément même. Il m’intimidait
aussi. Mais je n’étais pas vraiment prête pour tout cela. Pour la simple et bonne
raison que je n’avais jamais eu de petit copain. Je n’avais pas la moindre
expérience, pas même celle du premier baiser. Alors le reste… c’était le désert
de Gobi ! Je préférais même pas y penser. Je devais probablement être une sorte
d’exception. J’avais vécu en paria toute ma vie, je n’étais pas prête à franchir ces
étapes. Encore moins avec Delsin… Grand Dieu, je préférais encore mourir
plutôt que le voir rire s’il apprenait que j’étais une pauvre vierge effarouchée.
∞
Je m’installai pour la première fois sur une des tables vides de notre diner. Pas
de Delsin en vue. Je sortis mes cours et relus vite fait la dissertation que je
devais rendre sur les droits de la famille. Mais la dernière phrase de Norah était
toujours présente dans mes pensées. Me prendre en main était bien, mais peut-
être que Delsin avait raison après tout ; faire une liste n’était pas une mauvaise
idée. Je sortis une feuille blanche et me lançai dans la rédaction de cette fameuse
liste des choses que je n’avais encore jamais faites. Le constat serait triste et
effarant pour une fille de mon âge, mais après tout, je n’avais rien à perdre et
tout à y gagner.
— Salut, trésor !
Je sursautai et relevai les yeux. J’étais tellement concentrée que je n’avais pas
remarqué l’arrivée de Delsin. Scrutant l’heure sur l’horloge au-dessus du
comptoir, je me rendis compte que ça faisait une vingtaine de minutes que je
grattai des mots sur cette liste. Depuis combien de temps était-il là à me
regarder ?
— Salut…, répondis-je.
J’avais l’impression de lui avoir volé cet endroit, mais il ne semblait pas y
voir d’inconvénients. Ce soir encore, il portait sa casquette.
— Tu fais quoi de beau ? demanda-t-il.
— Rien, dis-je en me rendant compte qu’il avait peut-être vu ma liste.
— Ça ne m’a pas l’air d’être rien, lança-t-il en souriant. Tu étais très
concentrée, j’ai attendu quelques secondes avant de te déranger. Je suis à deux
doigts d’être vexé que tu ne m’aies pas remarqué…
— Peut-être que tu as mal vu.
— Tu as mangé du sarcasme ce soir ? demanda-t-il en riant.
Je lui tirai la langue, mais il souriait tellement qu’il était difficile de faire mine
de lui en vouloir.
— Oh, trésor, on ne pointe pas ce genre de choses vers un homme si on ne
compte pas s’en servir… Et puis, depuis quand as-tu des secrets pour moi ?
Mon Dieu, s’il savait…
Il s’installa en face de moi et commanda la même chose que d’habitude pour
lui, mais aussi pour moi sans se soucier de savoir si j’avais déjà mangé quelque
chose. Puis, il posa paresseusement ses coudes sur la table, tout aussi lentement,
il posa sa tête dans ses paumes et il me scruta sans rien dire. Il voulait savoir,
mais ne demandait rien. Il se contentait d’attendre et je savais qu’il ne me
forcerait pas à lui dire. C’était ce qui me donnait envie de partager ça avec lui,
car après tout c’était son idée.
— J’étais en train de commencer une liste, avouai-je finalement.
— De courses ? railla-t-il.
— T’es con, pouffai-je. C’est une liste de toutes ces choses que j’aimerais
faire…
Un sourire s’étira sur ses lèvres et il se redressa au-dessus de la table pour
essayer de lire.
— Génial ! Tu me montres ?
Subitement le rouge me monta aux joues. Je n’avais pas envie de me
ridiculiser. Encore moins devant lui. Mais ça… Ça, c’était sans doute déjà trop
tard.
— Je…, bredouillais-je.
— Tu ?
— Je ne sais pas trop…
— Tu veux me briser le cœur, c’est ça ?
— Je croyais que tu n’en avais pas, répliquais-je. Et puis, cette liste est
ridicule de toute façon…
— Rien n’est ridicule quand il compte pour quelqu’un !
— Tu le penses, vraiment ? demandai-je en scrutant son regard.
— Bien sûr !
— Tu dis ça, et tu vas te foutre de moi, quand tu vas lire tout ça.
Il se redressa alors et porta une main à son cœur.
— Moi, Delsin White, jure solennellement de ne pas me moquer de toi. Je le
jure sur cette part de tarte qui arrive et qui m’a fait fantasmer toute cette putain
de journée.
Je souris. Une part de tarte, hein ? Ça me semblait absurde et tellement loin de
lui. Comment pouvait-il être aussi complexe et s’extasier pour une part de tarte à
la pomme ?
Et puis merde, après tout…
Je lui tendis ma feuille et il se rassit. Mon premier réflexe fut de baisser la tête
pour ne pas voir sa réaction, mais je fus incapable de détacher mes yeux de lui.
Son visage était extrêmement concentré sur sa lecture, mais il n’y avait aucune
trace de moquerie. L’attente était longue…
— Tu n’as vraiment jamais fait ces choses ?
Je secouai la tête, les joues écarlates. Évidemment qu’il aurait du mal à le
croire.
— Vraiment ? insista-t-il.
— Oui.
— Tes parents étaient stricts à ce point ?
Tu n’as pas idée…
J’acquiesçai en silence et il n’en demanda pas davantage. Notre serveuse
habituelle nous apporta notre commande. Delsin ne disait toujours rien. Il était
très calme et concentré. Je me demandais à quoi il pouvait bien penser. Est-ce
qu’il se disait que j’étais pitoyable ? Ou pire… Je n’arrivais pas à déchiffrer ce à
quoi il pouvait bien penser et ça me rendait nerveuse.
— C’est super ! déclara-t-il finalement.
Je relevai la tête sans comprendre.
— Il y a pas mal de choses que je n’ai jamais faites ! On les ferra ensemble, si
tu veux. Pour ce qui est du reste, je vais m’occuper de toi et de cette liste.
— Tu…
Il souriait à présent et, moi, j’étais au bord des larmes. Ce mec était une
espèce d’extraterrestre et il était tombé sur moi… ou moi sur lui.
— Bon, on va pouvoir se débarrasser d’un truc plutôt vite. Le sexshop…
Il me regarda alors avec un air taquin. Et mon bas-ventre s’embrasa.
— Oh, je…
J’avais vraiment noté ça, moi ?
— N’aie pas honte, trésor. Si j’avais une liste, j’aurais noté : « emmener Levy
dans un sexshop ». C’est un grand classique ! Très romantique.
— Parce qu’on en est à faire des trucs romantiques ?
— Bah, pas là, c’est sûr !
J’inclinai alors la tête en riant.
— D’ailleurs pour ça, la chambre de Zack fera l’affaire. C’est du pareil au
même. Tu y trouveras tout ce que tu pourrais trouver dans un sexshop.
— Ça, plus tes pornos, c’est ça ?
— Je pensais qu’on en avait fini avec cette histoire.
— Si on veut…
J’éclatai de rire.
— Au fait, je déménage enfin ce week-end.
Pauvre Rob… Son fantasme allait partir. J’allais en entendre parler.
— Tu restes sur le campus ?
— Absolument, trésor. Dans le même immeuble. Tu pourras toujours me voir,
ne t’en fais pas.
— T’es pas croyable.
— Je sais. Je vais avoir un appartement bien plus grand que celui que je
partage avec Rob, et surtout, je serai seul.
— Plus tranquille pour lire tes pornos ?
— Les pornos ne se lisent pas, et puis c’est surtout pour être plus tranquille
avec toi.
Oh. Mon. Dieu. Qu’est-ce qu’il venait de dire au juste ? Je relevai la tête. Mon
cœur manqua un battement et certaines parties de mon corps s’éveillèrent
brutalement à l’écoute de ses derniers mots. « Pour être plus tranquille avec
toi », hein ? Je n’avais jamais rien entendu de si sexy ni de si envoûtant et
j’ignorais quoi répondre.
Il sourit face à mon silence et son regard fut soudain happé par la tarte aux
pommes. Ses yeux étaient pétillants. Ce soir, il n’y avait aucune colère. Il retira
sa casquette et se jeta sur sa part sans attendre.
Je l’observai alors et constatai que son visage avait enfin guéri. Il était beau.
De la forme de ses yeux à leur couleur si particulière à son sourcil coupé qui le
rendait imparfaitement parfait en passant par la forme de son nez et celle de sa
bouche… Delsin était à couper le souffle. Il restait pourtant le même, mais je
comprenais qu’il attire autant les filles. J’étais attiré aussi après tout.
— Un problème ? demanda-t-il.
— Hein ?
Ne pas rougir… Rester naturelle…
— En fait, je me disais qu’aujourd’hui c’est la première fois que je voie ton
vrai visage sans tous tes bleus. J’ai l’impression de voir un autre mec.
— Alors t’en penses quoi, trésor ? Je ne t’avais pas dit que c’était pour me
rendre encore plus sexy ?
Je me contentai de boire une gorgée de chocolat.
— Ton silence est éloquent, c’est parce que je suis magnifique.
— « Magnifique », sérieusement ? Si j’ai bouffé un livre sur le sarcasme, toi
t’as dévoré celui sur la confiance en soi !
— Non, je suis réaliste.
— Fais attention à tes chevilles, hein ! Tu risquerais de ne plus pouvoir jouer
au football au rythme où elles gonflent.
— Tu veux que je te dise, s’il y a bien quelque chose qui enfle chez moi, ce ne
sont pas mes chevilles.
J’avais les joues en feu rien qu’à penser à ce qu’il avait en tête.
— Mange, ordonnai-je en levant les yeux au ciel. Ça t’évitera de dire des
conneries plus grosses que toi.
— Si on en arrive là, c’est parce que tu ne veux pas avouer que je suis beau !
railla-t-il. C’est ta faute.
— Mais oui, tu es très beau ! Mais ce n’est pas un scoop, tout le monde le
sait ! Alors, mange et tais-toi !
Bien sûr, un nouveau sourire étira ses lèvres, et mes joues s’empourprèrent de
plus belle.
— Pour en revenir à ta liste.
— Oui ?
— Tu as un ordre de priorité ou d’envie ?
— Non. Mais, tu n’es pas obligé de…
Il fronça les sourcils et tendit son bras. Deux de ses doigts atterrirent sur mon
front qu’il tapota.
— Je t’ai déjà dit que si je le faisais, c’est parce que j’en avais envie sans quoi
je serais ailleurs, d’accord ?
En disant cela, il déplaça ses doigts le long de mon front et replaça mes
cheveux derrière mon oreille.
— OK, soufflai-je.
— Et tu es la fille de mes nuits. Ça, tu le sais aussi, n’est-ce pas ? demanda-t-il
sans cesser de me toucher ni de me regarder.
— Mouais, grommelai-je le souffle court.
— N’empêche, tu as vu ! s’exclama-t-il radieux.
Je le regardai sans comprendre.
— Quoi ?
— Tu n’as pas sursauté…
Je rougis et subitement il me sembla trop prêt, la température quant à elle était
trop chaude et la tension trop intense. C’était vrai, je n’avais pas sursauté à
l’approche de sa main.
— Avec tes habitudes déplacées et bien trop familières de me toucher sans
arrêt, il semblerait que je m’y sois habituée…
Il retira sa main et reporta son attention sur sa tarte.
— Va falloir qu’on voie alors pour la liste, reprit-il. N’hésite pas à la
compléter de tout ce que tu as envie de faire.
Je hochai la tête en silence et rangeai ma feuille dans mon classeur. J’avais le
sourire et du baume au cœur. Cette sensation était étrange, salvatrice et
réconfortante. Je me sentais bien. Vraiment bien.
— En revanche, il y a quelque chose que tu peux déjà rayer, rajouta-t-il.
— Comment ça ?
Son regard me semblait ardent tout à coup ce qui piqua ma curiosité.
— « Flirter », tu peux le rayer de ta liste. On a déjà flirté toi et moi. On flirte
de temps en temps, moi la plupart du temps.
Mon cœur se mit à battre fort. Je ne savais pas quoi dire, je ne savais pas quoi
penser… Quand avions-nous flirté ? Et il avouait ça normalement sans se soucier
de l’impact de ses mots ni d’à quel point ils me chamboulaient.
— Non, je… Je ne flirte pas. On…
— Je t’assure que si. Encore ce soir, même maintenant, mais il n’y a pas de
mal, trésor. Je t’ai déjà dit que je serais ton homme pour cette liste.
Je ne m’en étais jamais rendu compte… J’avais l’air d’une idiote.
— Je suis super efficace, elle est à peine écrite que je te fais déjà rayer
quelque chose.
— D’accord, alors rayer « flirter », je le ferai en rentrant. Il hocha la tête,
amusé et termina sa part de tarte aux pommes.
— Delsin ?
Il releva la tête.
— Merci…
Je me redressai, me penchai vers lui et l’embrassai sur la joue. Il leva les yeux
et me sourit. Je me rassis en silence encore un peu rouge de ma ridicule audace.
Ce type se tapait des tonnes de filles et, moi, je l’embrassais sur la joue. J’étais
parfaitement stupide.
Nous nous remîmes à parler de ma liste tandis que je posai mes mains autour
de ma tasse pour me réchauffer.
Je me disais que le matin serait là bien assez vite, sans qu’on s’en aperçoive et
qu’en attendant, nous avions toute la nuit devant nous et nous étions ensemble.
Alors je fermai les yeux et je me mis à profiter de l’instant présent.
Liste des choses à faire :
Depuis que Delsin avait déménagé dans sa propre chambre, Rob était toujours
à l’heure, mais aussi extrêmement bougon. Selon lui, voir un bel étalon en boxer
ou en jogging le matin au réveil, ça mettait un homme de bonne humeur. Le
pauvre, je compatissais…
J’avais rendez-vous avec lui ce soir. On s’entendait vraiment bien, à ses côtés
j’apprenais le sens du mot « amitié » et je me libérais.
Si nous mangions ensemble ce soir, Rob et moi, c’était parce qu’il était tombé
par hasard sur ma carte d’identité en cherchant un mouchoir dans mon sac et
qu’il avait découvert ma date de naissance. Je ne l’avais dit à personne, parce
que ce n’était pas un événement important pour moi, je détestais cette date.
Je l’avais supplié de ne rien dire aux autres, encore moins à Delsin. Je n’avais
pas envie de le fêter. À l’époque, Norah achetait un petit cupcake et nous le
fêtions rien que toutes les deux. Lui ne me l’avait jamais souhaité parce que ce
jour célébrait ma naissance, mais aussi la mort de ma mère.
Je n’avais pas expliqué tout cela à Rob évidemment, je lui avais juste fait
comprendre que je ne voulais pas le fêter. Il avait cependant insisté pour
m’inviter au fastfood puis, aller au cinéma. J’avais fini par accepter. C’était déjà
beaucoup trop pour moi.
Je terminai de me brosser les cheveux avant d’enfiler mes bottes par-dessus
mon jean. Quelques coups à la porte m’annoncèrent l’arrivée de Rob. Je lui
ouvris et l’enlaçai.
— Comment va ma puce ? demanda-t-il en souriant.
Lui aussi était solaire. Difficile de rester d’humeur maussade à ses côtés. Ça
me changeait tellement.
— Bien, répondis-je joyeusement.
Et c’était la vérité.
— Tu es prête ?
J’enfilai une veste et j’acquiesçai. Il sourit et m’entraîna vers la sortie. Comme
toujours, les couloirs étaient en effervescence.
— Tu m’emmènes où alors ? demandai-je. On va toujours au ciné ?
— Bien sûr !
Le petit sourire qu’il abordait ne me disait rien qui vaille. On s’installa au
volant de sa voiture. Je prenais vraiment sur moi, c’était tellement nouveau.
Encore une fois je me sentis nulle de ne pas connaître une expérience aussi
simple que de célébrer mon anniversaire avec un ami, mais je n’avais rien connu
de beau dans ma vie et tout ce que ces gens rencontrés ici m’apportaient était
comme un onguent sur mes blessures. Rob démarra et je regardai la ville à
travers la vitre. La nuit commençait à tomber et les réverbères éclairaient les rues
de leurs lumières orangées.
Quelque chose me perturbait tout de même. Rob était beaucoup trop
silencieux.
— Qu’est-ce que tu me caches ? demandai-je méfiante.
— Euh… rien. Pourquoi ?
— Tu es bien trop calme.
— N’importe quoi !
— Et c’est moi la piètre menteuse ? Dis-moi ce que tu me caches ?
On approcha de la baie ce qui me rappela l’une de ces premières nuits où
Delsin et moi étions venus ici. Je n’y avais pas été depuis. Rob ralentit et je
restai méfiante. Il gara sa voiture sur le parking de la plage et coupa le moteur.
— On est arrivés.
— Tu m’emmènes où ?
Il ne répondit rien et sortit de la voiture. Seigneur, soit je devenais parano soit
cet idiot m’avait trahie. Et quelque chose me disait que je n’étais pas parano. Je
sortis de la voiture à mon tour et j’eus alors une de ces idées lumineuses qui ne
valent pas un clou mais qui peuvent parfois s’avérer très efficaces : m’enfuir. Ça
leur apprendrait à me faire un coup pareil. Surtout à Rob. Je m’élançai en
courant le plus vite possible sur l’esplanade.
— Elle s’enfuit ! cria Rob.
J’accélérai mon allure, mais j’entendais déjà des pas derrière moi. Je le
savais ! Je ne me retournai pas pour ne pas ralentir. Je n’étais pas franchement
rapide et face aux joueurs de l’équipe de football américain de l’université je ne
valais certainement pas grand-chose, mais je n’avais pas l’intention de me laisser
faire pour autant. Une paire de bras puissants m’enlaça et je poussai un cri aigu
tandis que le goujat qui me retenait se mettait à rire.
— Pas si vite, mon trésor.
Bien sûr, il fallait que ce soit lui !
— Mais…
— Pas de « mais » !
Il resserra un peu plus sa prise sur ma taille tandis que j’essayai en vain de me
dégager. Delsin se pencha et je sentis son visage tout près de mon cou.
— Si tu coopères, il ne te sera fait aucun mal.
Son souffle me chatouilla la peau. Il était si près, tout contre moi que j’en
avais du mal à respirer.
— Je te propose un deal…, dis-je les dents serrées.
Il éclata de rire et il me fit soudainement passer par-dessus son épaule me
coupant littéralement le souffle. Je me retrouvai alors la tête en bas et les fesses
en l’air.
— Repose-moi par terre, Delsin White. C’est un ordre.
— Tu peux toujours courir, trésor.
Je battis des pieds, en vain.
— Je te jure que tu vas me le payer, grondai-je.
— Pourquoi t’es-tu enfuie ?
Je jurai ce qui ne fit qu’augmenter son hilarité. Le salaud.
— On peut encore trouver un arrangement, lançai-je tandis qu’il revenait vers
la baie.
Les passants nous regardaient et pouffaient sur notre passage. La honte ! Si
j’avais su que j’allais me retrouver ainsi sur l’épaule de Delsin, j’y aurais peut-
être réfléchi à deux fois avant de tenter de m’enfuir.
— Repose-moi, espèce de…
— Attention ! lança-t-il avec un absolu sérieux. Si tu deviens vulgaire, je te
fesse.
— Tu n’oserais pas, grommelai-je en gigotant.
— Tu veux parier ? me défia-t-il.
Je secouai la tête. Il ralentit dans les escaliers qui menaient à la plage et
souffla.
— N’empêche, on ne dirait pas comme ça, mais tu n’es pas toute mince, hein !
— Connard.
Il éclata de rire et je compris alors toute la perfidie que ce mec était capable
d’employer pour arriver à ses fins.
— N’essaie même pas de… !
Trop tard, je sentis sa main s’abattre légèrement sur mes fesses.
— Connard ! couinai-je.
J’étais à présent rouge comme une pivoine et je savais que ça n’avait rien à
voir avec le fait d’avoir la tête à l’envers.
— Non, non, pas connard. Je suis juste un homme qui sait tirer parti d’une
situation tout à fait délicieuse.
Je le frappai dans le dos. Il m’ignora et franchit la dernière marche.
— J’ai la demoiselle du jour, les mecs ! Préparez la corde qu’on la bâillonne !
Ils répondirent par des cris de spartiates. J’avais le cœur qui battait à cent à
l’heure. Je n’en voulais pas à Rob d’avoir cafté, je n’étais simplement pas
habitué à tout ça. Je ne réalisais pas encore bien tout ce que je vivais ni à quel
point j’avais rencontré des personnes extraordinaires.
Lorsque Delsin me reposa au sol, j’aperçus alors Rob en compagnie d’Axel,
Zack, Sawyer, Anna et Adam. Ils se tenaient tous autour d’un feu. J’inspirai un
grand coup. Un feu sur la plage, c’était magnifique ! De grosses branches
maintenaient les flammes en hauteur qui dansaient en s’étirant vers le ciel
nocturne.
— Ça va aller, maintenant ? demanda Delsin contre mon oreille.
Je hochai la tête et il sourit. Nous rejoignîmes les autres.
— JOYEUX ANNIVERSAIRE ! crièrent-ils en chœur.
Bouche bée, les joues si rouges que cette fois-ci j’étais certaine de la créer
cette fichue nouvelle couleur primaire, je regardais mes amis alors qu’ils me
fixaient tous amusés.
— Tu n’as pas pu t’empêcher, râlai-je en frappant l’épaule de Rob.
— Il l’a fait ! s’écria Zack. Si tu veux, on peut toujours lui donner une
correction…
— C’est tentant, avouai-je.
— Désolé ma puce, mais tu pensais sérieusement que je n’allais rien dire ?
Putain de merde, dix-neuf ans, ça se fête, quoi !
— Il n’a pas tort, lança Delsin.
— Toi, n’en rajoute pas Monsieur le Connard !
— Oh, j’ai peut-être mes chances finalement, lança Axel en me faisant un clin
d’œil.
— Elle dit ça pour rire, grogna Delsin. Ne te fais pas trop de films.
Je souris et laissai Rob m’enlacer.
— Joyeux anniversaire, ma puce.
— Merci, Rob.
— Bon, on va se débarrasser du plus chiant tout de suite, s’écria Zack.
Je tournai la tête vers lui.
— Les cadeaux !
— Vous n’avez pas…, commençai-je.
— Mais si, ma belle, lança Axel en passant un bras autour de mes épaules.
Qui dit anniversaire avec ses potes dit fête, rigolades et cadeaux.
Ils m’entraînèrent de l’autre côté du feu où plusieurs paquets cadeaux étaient
rassemblés. Seigneur… Étais-je en train de rêver ? Tout ça était vraiment pour
moi ? C’était beaucoup trop, plus que je n’avais jamais reçu. Et ce n’était pas
juste les cadeaux, c’était leur présence, et le fait que depuis cinq ans c’était la
première fois que j’étais entourée pour mon anniversaire. Je ne réalisai pas et je
tentai de leur cacher combien ça me touchait et me perturbait. Pour eux c’était
normal, pour moi c’était beaucoup d’émotions. Impossible de résister au flot de
sensations qui s’emparait de mon cœur tout à coup et les larmes me piquèrent les
yeux. Je levai la tête et croisai le regard de Delsin. Il sourit et me fit signe de
commencer à ouvrir les paquets. Ils s’étaient tous démenés pour m’offrir tout ça,
ils étaient géniaux. J’attrapai une enveloppe et l’ouvris pour découvrir ce qu’elle
contenait. Mon cœur palpita. Ce cadeau…
— Une place pour aller à Disney World…
Je savais de qui ça venait et j’avais juste envie de pleurer et de me jeter dans
ses bras. Je croisai son regard sans savoir quoi lui dire tant les émotions
explosaient en moi.
— Je me suis dit que ça te plairait.
— Oui, mais…
Delsin sortit alors un autre billet de sa poche. Mon Dieu… Il irait avec moi ? Il
ne se contentait pas de faire des promesses, il les tenait aussi.
— Toi aussi ? dis-je émerveillée.
Son fichu sourire s’afficha sur son visage. En même temps, je l’avais bien
cherché.
— Pourquoi pas, répondit-il.
Je hochai vivement la tête. J’avais hâte d’y être.
Je me tournai vers les autres cadeaux. Le deuxième était une robe fleurie
accompagnée d’un petit cardigan. C’était super joli. Dans un autre, il y avait un
épais peignoir blanc d’une douceur infinie qui me donnait envie de me blottir
dedans, et des pantoufles licorne avec des cornes violettes.
Les cadeaux suivants venaient de Rob. Il s’agissait d’un mélange de produits
de beauté ainsi qu’un autre paquet contenant deux livres. Ceux sur lesquels
j’avais lorgné quand nous étions allés faire un tour à la librairie pour nos cours.
— Ce n’est pas grand-chose, je n’avais pas le porte-monnaie adéquat.
— Tu rigoles ? m’exclamai-je. C’est génial !
Dans le dernier paquet, il y avait un mélange de barres chocolatées et de
friandises en tout genre. Je n’avais jamais été autant gâtée de toute ma vie.
J’étais estomaquée. Je n’avais pas de mot pour exprimer ce que je ressentais en
cet instant. Tout était absolument parfait, au-delà de ce que j’aurais pu imaginer.
Une fois de plus, j’avais le sentiment d’être une extraterrestre.
— Vous n’auriez pas dû acheter tout ça. C’est…
— Ça te plaît ? demanda Delsin.
— Bien sûr ! J’adore tout !
— Eh ben, c’est tout ce qui compte ! s’exclama Zack. Et maintenant qu’on est
débarrassés des cadeaux, on va pouvoir faire la fête.
Il frappa dans ses mains et mit la musique sur un vieux poste radio des années
quatre-vingt-dix. Tout le monde se mit à danser.
— Je vais mettre tes cadeaux dans le coffre de ma voiture, proposa Rob. Ils
seront plus en sécurité.
J’acquiesçai.
— Tu as besoin d’aide ?
— Non, me répondit-il. Éclate-toi !
— Tu danses ? me demanda Delsin.
Je secouai la tête.
— Je ne…
Trop tard, ses mains avaient saisi les miennes et ses doigts étaient déjà
entrelacés aux miens. Je dansais comme une quiche. Je n’avais aucun sens du
rythme ou de la coordination. Delsin, lui, bougeait les hanches tranquillement en
cadence. J’oscillais entre des mouvements saccadés et des tentatives pathétiques
d’onduler comme Shakira, c’était… horrible.
— Je crois que je pourrais sérieusement tomber amoureux de ta façon de
danser, lança Delsin. C’est tellement… unique. Je ne sais pas si c’est de l’art ou
si c’est ton corps qui s’exprime. On dirait que tu fais une crise d’épilepsie.
Les joues rouges, je levai les yeux vers lui en souriant de toutes mes dents.
Les autres pouvaient bien nous regarder, je m’en fichais royalement, c’était ma
soirée et je comptais bien en profiter. J’avais l’impression d’être désinhibée, que
rien ne pouvait m’atteindre. Ce moment n’effacerait en rien ce que j’avais vécu,
mais c’était assez parfait pour panser mes blessures.
— Méfie-toi, j’essaie peut-être de te séduire…, répliquai-je.
— Je le suis déjà, répondit-il en me faisant virevolter. Je suis absolument
réceptif.
J’éclatai de rire. Il m’attira alors un peu plus à lui et ce fut le moment que
choisit Zack pour crier à tous de venir boire un verre. Delsin ne me lâcha pas de
suite, il me fit tourner sur moi-même une nouvelle fois avant de m’entraîner vers
les autres.
— À Levy ! lança Rob.
Ils répondirent tous d’une même voix, leurs verres levés vers le ciel.
∞
— Tu ferais mieux d’y aller doucement, me lança Delsin plus tard dans la
soirée alors que je me servais à manger. Rappelle-toi que tu n’es pas toute
légère…
Je gloussai. J’étais tellement bien ce soir-là que mon geste fut instinctif. Ce ne
fut que quand la poignée que je venais de prendre dans le plat de salade de
pommes de terre atterrit en pleine tête de Delsin que le reste du groupe réalisa ce
que j’avais fait. Je l’avais balancé sans hésiter une seconde. Zack cria comme un
spartiate alors que les autres retenaient leur souffle. Moi, je ne fixais que Delsin,
qui clignait des yeux.
— Oh, merde, gronda-t-il. Tu vas voir ce que tu vas voir !
Là-dessus, il s’empara du premier plat qui était à sa portée et avant que j’eus
le temps de réagir, il me le renversa sur la tête dans un rire machiavélique.
C’était tiède et gluant, ça coulait le long de mon visage. Beurk… Cependant, ça
ne m’empêcha pas de m’emparer d’une assiette remplie de tomates afin de le
mitrailler. Il éclata de rire et ce fut le déclenchement d’une guerre féroce.
— Bataille de bouffe ! s’exclama Axel qui s’arma de munitions lui aussi.
De mon côté ou pas, il se mit à bombarder Delsin. J’en fis autant, essayant de
l’acculer le plus possible pour essayer de gagner du temps, des minutions et du
terrain.
— Tu vas voir, trésor. Je n’en ai certainement pas fini avec toi.
Je n’entendis pas la fin noyée dans les cris de guerre des autres qui se
bombardaient. Je baissai la tête, couverte de haricots rouges, et j’essayai en vain
de m’éloigner un peu sans me prendre de bouffe, mais c’était peine perdue.
C’était chacun pour sa peau et tout le monde s’en prenait plein la tête.
Adam et Anna se bombardaient l’un l’autre, Axel et Rob faisaient face à Zack
et Sawyer. Tout le monde rigolait. J’étais terriblement désolée pour le sort de
toute cette nourriture, mais on était tous tellement joyeux.
Delsin, quant à lui… Merde ! Perdue dans la contemplation des autres, j’en
avais oublié ma propre bataille. Delsin m’avait rattrapée et à présent en face de
moi, il dégaina une canette de coca qu’il avait certainement bien secouée avant
de me rejoindre, et l’ouvrit devant mon visage. Je poussai un cri perçant quand le
liquide glacé m’aspergea la figure. Je courus plus loin, Delsin à mes trousses
m’arrosait toujours. Exténuée par ma course dans le sable, je m’appuyai sur mes
genoux et tentai de reprendre mon souffle.
— Attends…
Je levai les mains en signe de reddition.
— Trésor, il n’y a pas de pause dans les batailles de bouffe ! ricana Delsin
tandis qu’il me jetait un morceau gluant de je ne sais pas quoi.
— Alors, comment ça se passe ?
— Tu t’avoues vaincue.
Je regardai mes mains, couvertes de morceaux de haricots rouges et de chips,
mais vides.
— Je n’ai pas envie de perdre, mais je me rends, soufflai-je. Je suis crevée.
— Tu reconnais ta défaite ?
J’éclatai de rire.
On n’était pas très ragoûtants, tous les deux, avec nos cheveux et nos
vêtements couverts de nourritures.
— C’était absolument parfait, soufflai-je.
Immobile, les yeux rivés sur moi, un sourire s’étira sur ses lèvres.
— Tu m’étonnes, répondit-il.
J’entendais les autres hurler et la pauvre Anna seule contre tous qui n’avait
plus de munitions suppliait désespérément Adam de venir de son côté. La
bataille faisait encore rage, mais sous la lumière de la lune, j’avais le sentiment
que nous étions seuls au monde, Delsin et moi. C’était comme nos nuits
d’insomnies, et pourtant c’était différent.
On se regardait l’un l’autre et brusquement, j’imaginai ma main caresser son
visage pour le libérer. C’était si réel dans ma tête que j’avais déjà la sensation de
ma main sur sa joue, de ses cheveux entre mes doigts et aussi de ses mains sur
ma taille. On était immobiles, mais je ne m’étais jamais sentie aussi vivante. Ce
moment était plus réel que tout ce que j’avais vécu. Il ne s’agissait pas que d’un
moment, maintenant, je le comprenais.
— Hé, vous deux ! s’écria Zack.
Je me tournai en direction de sa voix et lentement Delsin m’imita avant de
passer un bras autour de ma taille.
— Vous êtes parfaits ! s’exclama Zack derrière l’objectif de son appareil
photo.
Cette photo ne montrerait probablement qu’un centième de ce que j’avais
ressenti à cet instant précis. Et si un jour je pouvais la récupérer, je savais que je
la chérirais avec force, me souvenant de ce bonheur intense qui m’habitait.
Delsin encore près de moi avait les yeux rieurs, il se pencha vers moi et effleura
ma joue du bout de ses doigts, retirant un morceau de tomate mélangé à je ne
sais quoi.
— C’est encore ton anniversaire, tu peux demander ce que tu veux, me
souffla-t-il.
Qu’il m’enlace et qu’il m’offre mon premier baiser. C’était ça dont je rêvais à
ce moment-là. La soirée aurait été alors d’une perfection absolue. Pourtant je fus
incapable d’exprimer mon souhait.
Je ne savais pas comment m’y prendre, j’aurais voulu qu’il le fasse sans que
j’aie à le lui demander. Et puis non, cette soirée avait déjà atteint son paroxysme.
Je n’avais pas besoin de plus.
— Je veux simplement que cette journée ne s’arrête jamais, dis-je sans quitter
son regard.
— Il y en aura d’autres journées comme celle-là.
Je n’étais pas certaine de la véracité de ses mots, mais je comptais vivre
chaque moment avec autant de fougue que celui-là. Des larmes se mirent à
couler sur mes joues, je m’en rendis compte lorsque Delsin m’attira à lui et qu’il
me lova dans ses bras. Le menton tremblant, j’enfouis mon visage contre son
tee-shirt gluant. Il posa un baiser sur mon front et je me noyai dans une euphorie
des plus intenses.
— Joyeux anniversaire, trésor.
Chapitre 12
∞
Plus tard dans la soirée, vers minuit, un déluge digne d’un film catastrophe
s’abattit sur la ville. Le trajet du bowling à la voiture dura à peine quelques
secondes pourtant nous étions complètement trempés. J’étais glacé jusqu’aux os,
l’eau avait traversé mon jean, mes tennis et même ma veste. Delsin aussi était
dans un sale état. Il alluma le contact et fit ronronner le moteur de la voiture. Je
tremblai de froid. Il mit le chauffage à fond. Quand un éclair zébra le ciel
accompagné d’un bruit sourd, je sursautai. Delsin alluma la radio et chercha la
station locale pour se tenir informé. L’orage était apparemment si violent que la
sirène de la caserne des pompiers annonçait un couvre-feu. Nous étions à bout de
souffle d’avoir tapé un sprint improvisé jusqu’à la voiture, une vapeur blanche
s’échappait de nos bouches en un nuage blanc qui m’hypnotisait. Je tournai
légèrement la tête vers Delsin. Ses cheveux étaient trempés et plaqués en arrière,
il avait passé une main dedans pour ne plus qu’ils lui tombent dans les yeux,
mais l’eau était en train de goutter dans son cou. Son tee-shirt était collé à sa
peau, il était tellement…
— Tout est fermé, lança Delsin. On ferait mieux de…
Il me faisait penser à ces types canon et musclés qu’il y avait dans les boys
bands à une époque. Il aurait pu en faire partie, juste pour ouvrir sa chemise et se
trémousser, on lui aurait largement pardonné de ne pas savoir chanter. Bon, la
plupart de ces types étaient gays, je n’étais donc pas certaine qu’il apprécierait la
comparaison…
— Levy ?
— Hein ?
— Tu étais où, trésor ? demanda-t-il d’un ton moqueur.
— Nulle part…
— Tu m’écoutes ?
— Oui.
Il se moquait de moi, mais je n’y pouvais rien, j’avais une chanson ringarde en
tête et mon imagination se révélait bien trop fertile. Mon Dieu, je n’arrivais pas à
détourner le regard. La vapeur qui s’échappait de ses lèvres me fascinait. L’eau
le rendait luisant et ses vêtements qui le moulaient étaient bien plus excitants que
tout ce que j’avais pu voir.
— Pas le choix, va falloir rentrer ce soir.
J’acquiesçai en silence. Il sortit du parking avec une extrême vigilance. La
pluie frappait violemment les vitres de la voiture dans un bruit sourd qui me
faisait presque flipper. On aurait dit la fin du monde. Les essuie-glaces de Delsin
avaient beau être mis au maximum, il était difficile d’y voir clair. Un autre
grondement se fit entendre et je frissonnai à nouveau. Le ciel noir, combiné à
l’habitacle tout aussi sombre de la voiture me faisait peur.
Il fallut à Delsin plus de trente minutes pour effectuer le chemin qui en prenait
quinze en temps normal. Il se gara sur le parking de la résidence.
— Prête ?
— Pas vraiment, répondis-je en voyant la grande flaque qu’il y avait sous ma
portière.
Le sol était inondé.
— On va mourir de froid si on reste là.
— Je sais.
— Quand tu es prête.
— Tu comptes jusqu’à cinq ? demandai-je.
Je mis ma main sur la portière. Delsin décompta et lorsqu’il arriva à cinq nous
sortîmes en même temps. C’était pire que le déluge dehors. L’eau était glacée.
Les gouttes étaient aussi puissantes que de la grêle. Nous avions beau courir mes
pieds étaient plongés dans l’eau. Lorsque nous arrivâmes au pied de l’immeuble
Delsin sortit ses clés pour ouvrir la porte. Je me dandinai et ne vis pas la bordure
du trottoir dans la nuit noire. Je me vautrai sur le macadam inondé.
— Merde, Levy !
Delsin s’agenouilla et enroula un bras autour de ma taille. Je tremblai,
refoulant un rire nerveux. Bon sang, je venais de me taper la pire honte de ma
vie, et j’avais super mal en plus. J’avais essayé de me rattraper avec mes mains,
mais j’avais l’impression que ça n’avait pas été un bon réflexe.
— Ça va, trésor ?
Il secoua la tête quand je relevai la mienne.
— Viens, tu vas choper la mort, si tu restes ici.
Il me releva et m’attira doucement contre lui puis nous rentrâmes dans
l’immeuble. Au moins ici il ne pleuvait plus, mais… Oh merde !
— J’ai oublié mon sac dans ta voiture ! m’exclamai-je alarmée. Je…
J’étais en train de paniquer, mon cœur battait la chamade. Je claquai des dents.
Delsin se pencha et replaça mes cheveux derrière mon oreille m’arrachant un
frisson et au même moment un éclair s’abattit sur un des arbres du parking. Je
poussai un cri.
— Je crois que ça va attendre plus tard, d’accord ?
Je levai les yeux vers lui. J’allais dormir où, moi ?
— Je…
— Tu n’iras pas dehors par ce temps. Ni moi non plus d’ailleurs. Tu as vu,
ça ? Ça attendra demain.
— Mais je vais…
— Viens, dit-il en plaçant une main dans mon dos pour me faire avancer. Tu
vas te sécher chez moi, te réchauffer et on va aussi soigner tes genoux…
Je baissai les yeux. Mon jean était troué et il y avait des traces de sang. Oh…
— Ensuite, seulement, on avisera. D’accord ?
— Oui…
Je le suivis jusque chez lui. Aucun de nous ne parlait. Seul le son spongieux
de nos chaussures imbibées d’eau résonnait dans les couloirs. J’avais aussi
l’impression que les battements de mon cœur faisaient un boucan d’enfer, mais
ça, c’était juste dans ma tête. Lorsque Delsin s’arrêta devant la porte de son
appartement. J’avais le cœur au bord des lèvres. Il alluma la lumière et me fit
entrer. L’odeur de son chez-lui avait quelque chose d’agréable. C’était son
parfum, celui que j’aimais sentir près de moi. J’avançai de quelques pas.
— Retire tes chaussures, tes chaussettes et tes fringues, je vais monter le
chauffage et te donner une serviette.
Figée, je ne fis rien. « Retirer mes fringues » ? Je n’en avais pas de rechange,
et puis… Quand il refit surface, j’étais toujours figée à la même place. Il
s’avança vers moi, les sourcils froncés.
— Levy ?
Je relevai le visage. Au moins, je n’avais plus froid aux joues. Lui, il était
pieds nus à présent. Il avait même retiré son pull et était torse nu. Son jean était
trempé aussi, mais il le portait encore. Heureusement. Je tremblai, je ne savais
pas quoi faire ni comment me comporter. Lorsqu’il s’agenouilla et qu’il
commença à défaire les lacets de mes baskets, je frissonnai de peur, de froid et
de désir aussi. Hypnotisée, je ne pouvais rien faire d’autre que le fixer. Il retira
ensuite ma chaussette et fit la même chose à mon autre pied. Je n’avais jamais
rien vu d’aussi sensuel. Quand il se redressa et croisa mon regard, je vis ses yeux
voilés par un sentiment inconnu.
— Le pull, on l’enlève aussi, dit-il. D’accord ?
Je n’eus qu’à lever les bras et le tissu tomba au sol avec mes autres affaires. Je
ne portais plus qu’un fin débardeur blanc, tellement mouillé lui aussi qu’il était
devenu transparent et qu’on pouvait voir mon soutien-gorge. Il le remarqua et
son regard déjà sombre se voila davantage. Il me regardait comme s’il voulait
immortaliser cette image de moi, trempée sur le pas de sa porte, son regard était
comme fasciné. Mon Dieu… Il s’approcha davantage et posa une serviette sur
mes cheveux et une sur mes épaules.
— Va te déshabiller dans la salle de bains. N’hésite pas à prendre une douche
chaude, si tu en as besoin. Je vais te trouver des vêtements, tu ne peux pas rester
comme ça.
— Et toi ? dis-je d’une voix mal assurée.
— Moi ? Tu veux que je t’accompagne, trésor ? demanda-t-il en souriant.
Mon cœur fit une cabriole difficile à supporter.
— Tu veux que l’on prenne une douche ensemble ? Je ne te pensais pas si
entreprenante…
Je sentis le rouge me monter aux joues et une violente tension se logea dans
mon bas-ventre. Je secouai la tête.
— Non, mais…
J’étais vraiment sonnée.
— Mais ?
— C’est ton appartement et tu es aussi trempé que moi…
Il sourit davantage. Sa peau était couverte de chair de poule, mais il ne
semblait pas s’en soucier tout comme les gouttes qui perlaient du bout de ses
cheveux n’avaient pas l’air de le déranger.
— Sache, trésor, que la galanterie est une chose qui s’applique uniquement
aux hommes, dit-il d’une voix rauque. D’autant que tu en as plus besoin que
moi. Et il faut aussi soigner tes genoux, alors vas-y.
J’acquiesçai et rejoignis la salle de bains pour m’y enfermer. Le chauffage
était allumé, mais Delsin avait aussi mis en route un chauffage d’appoint en
supplément. Il était prévenant… Je me déshabillai en vitesse, posai mes
vêtements dans le lavabo et les essorai du mieux possible avant de les pendre sur
un petit étendoir à linges qui se trouvait là. J’ouvris l’eau de la douche et entrai
dans la cabine. Je laissai échapper un râle de plaisir quand l’eau chaude se mit à
caresser ma peau. Je fermai les yeux et commençai à me détendre tout en
fredonnant un air de Bruno Mars. J’avais mal aux genoux, je m’étais sacrément
arrangée d’ailleurs. Chacun d’eux arborait de belles écorchures. Mais je me
fichais bien de ça, ma tête était imbibée de Delsin.
Levy…
Ouah, il fallait que je me calme, car je l’entendais presque clairement
prononcer mon nom dans ma tête.
— Levy ?
Je sursautai. Est-ce qu’il était vraiment là ? Alors que j’étais sous la douche,
nue et derrière une vitre transparente ?
— Je pose des affaires pour toi sur le rebord du lavabo et des serviettes
propres.
Je couinai. Je ne l’avais pas entendu entrer. Est-ce qu’il m’avait entendu
chanter ? J’aurais pu pester, mais je n’en fis rien. Je levai mon visage de sorte
que le jet d’eau coule directement sur mes joues.
Calme-toi, m’intimai-je.
— Merci, dis-je simplement.
— Pas de quoi. Est-ce que tout va bien ?
— Oui.
— Tu…
— Sors d’ici espèce de pervers !
Il ricana et sortit en chantant la chanson de Bruno Mars que j’étais en train de
fredonner. Je poussai un juron. Le connard. Je terminai de me laver rapidement.
Je trouvai sur le lavabo une grande serviette dans laquelle je me lovai. Puis une
autre, plus petite pour mes cheveux. Delsin avait posé pour moi un tee-shirt, un
short et une paire de grosses chaussettes. La vue de toutes ces attentions me
donnait envie de pleurer. Jamais personne n’avait pris le temps de faire ça pour
moi. J’avais oublié ce que ça faisait d’être choyée. Je secouai la tête et attrapai le
tee-shirt. Mes sous-vêtements étaient toujours trempés, il était hors de question
de les remettre. J’avais les joues rouges à la simple idée que j’allais être nue sous
son tee-shirt et son short. Le tee-shirt était doux et il dégageait une odeur de
lessive et de Delsin… Je l’enfilai et laissai glisser mon nez sur le col. Mon Dieu,
il sentait divinement bon. Par contre, lorsqu’il se déplia sur mon corps, je ne pus
que constater qu’il était si grand qu’il m’arrivait à mi-cuisse. J’enfilai ensuite le
short. Oh, là là, j’allais avoir une de ces allures comme ça… Je passai
rapidement les chaussettes et mes genoux râpèrent désagréablement sur le tissu
du short, me rappelant la stupide gamelle que je m’étais payée dehors.
— Je peux ?
Je poussai un petit cri aigu.
— Tu ne sais donc pas laisser les gens seuls dans ta salle de bains ?
grommelai-je avec beaucoup moins de colère que je l’aurai voulu.
— Pas les jolies filles, non.
Je rougis, encore. Et il ricana, encore. Delsin s’était changé, il portait un bas
de jogging noir qui n’enlevait rien à son charme. Une veste noire à capuche
complétait l’ensemble, fermée à moitié elle révélait une partie de son torse nu
laissant bien sûr entrevoir les formes arrondies de ses pectoraux. Était-ce comme
cela qu’il s’habillait quand il était chez lui ? J’adorai moi en tout cas…
— Tu te sens mieux ? demanda-t-il.
— Oui. Même si je ne ressemble à rien…
Il sourit en secouant la tête.
— Je ne dirais pas ça, soupira-t-il en me scrutant de son regard encore voilé.
— Ah, merci.
Il avança vers moi tandis que j’étais en train de mourir à petit feu. C’était la
première fois que je rentrais chez lui et la situation était calamiteuse… comme
moi en général. Delsin s’agenouilla à mes pieds et ouvrit le placard sous levier. Il
en sortit une petite boîte de secours.
— Ça va, je n’ai rien…, assurai-je.
— Il y avait du sang, je ne dirais pas que ce n’est rien.
— Mais ça va…
Il ne m’écouta pas et lorsqu’il se redressa, il enlaça mes hanches, me souleva
de terre et me posa sur le côté du lavabo. Il s’installa entre mes jambes
légèrement écartées pour m’empêcher de bouger. Mon Dieu, ce qu’il était sexy !
Une situation calamiteuse pouvait-elle devenir soudain sensuelle et érotique ?
Oui, Delsin rendait les situations calamiteuses sexy à souhait.
— Del… qu’est-ce que tu fais ?
— Je vais te soigner avant que ça s’infecte.
— Mais ça va, je t’assure…
— Chacun son tour, trésor.
J’ouvris la bouche, puis la refermai ne sachant quoi dire. Il s’en trouva
satisfait et il fredonna encore cette même chanson que j’avais chantonnée sous la
douche. Toujours silencieuse, le cœur battant à cent à l’heure, je le regardais
sortir une lingette désinfectante, du mercurochrome et des pansements. Je ne
savais pas quoi dire ni quoi penser. Je n’arrivais pas à démêler les nœuds que
j’avais dans la tête. Tout était fouillis, mon cerveau ressemblait à ces fameuses
guirlandes de Noël que l’on sortait une fois l’an et qui étaient toujours emmêlées
au possible. Personne n’avait pris soin de moi comme cela. Personne depuis
Norah. C’était si étrange, et si bon aussi.
Delsin attrapa ma cuisse et la cala contre sa hanche. Je fis une grimace
lorsqu’il tendit ma jambe.
— Tu vois que ce n’est pas rien. Ça risque de piquer un peu.
J’acquiesçai. Je n’étais pas à une douleur près. Surtout une si petite. Delsin
essuya le sang qui venait de couler sur les côtés puis taponna la plaie avec sa
lingette. Ça piquait, mais j’avais l’habitude. Tandis qu’il s’appliquait à me
soigner, moi, je ne faisais que le regarder. Je ne voyais que lui, penché au-dessus
de moi et sa main sur ma peau et j’en avais des palpitations dans mon bas-ventre.
Et ça empira lorsqu’il commença à bouger légèrement son pouce sur ma cuisse
déplaçant ainsi les palpitations plus bas, dans un endroit bien plus intime. Mon
Dieu…
— Ça va ? demanda-t-il. N’oublie pas de respirer, trésor.
— Oui.
Faisait-il exprès de me perturber de la sorte ? Je frissonnai, toujours
concentrée sur le mouvement circulaire de son pouce à l’endroit où sa main
tenait ma cuisse. Le rouge aux joues, j’imaginai ce même mouvement circulaire
ailleurs… Quand le tonnerre gronda et que l’ampoule de salle de bains grésilla,
je sursautai sortant immédiatement de mes pensées.
Seigneur, faites que l’électricité tienne, je vous en prie. Si je me retrouvais
dans le noir, j’allais paniquer à mort. Et c’était bien la dernière chose dont j’avais
envie à l’instant.
— C’est bien la première fois en deux ans que je suis ici qu’il y a un tel
déluge dehors, commenta Delsin. J’allumerai quelques bougies après, histoire
qu’on ne se retrouve pas dans le noir. Enfin, si j’en ai…
L’idée de me retrouver dans le noir me terrifiait déjà.
— Tu as froid ? demanda-t-il.
— Non.
Il fronça les sourcils. Si j’avais des frissons, c’était à cause de ma phobie ou
de ses doigts sur ma peau, mais pas à cause du froid, ça j’en étais sûre. Il posa un
pansement sur mon genou et infligea un traitement tout aussi particulier au
second, son pouce décrivant toujours des petits cercles qui me rendaient
nerveuse.
— Tu vas bien ?
— Oui, répondis-je en souriant.
Il sembla surpris. Mon ton était peut-être trop enjoué, mais grâce à ses soins et
sa gentillesse, j’étais bien.
— Je vais voir si j’ai des bougies et préparer quelque chose de chaud. Tu n’as
qu’à terminer de te préparer si tu veux. Utilise ce dont tu as besoin et si tu veux
te laver les dents, il doit y avoir un paquet de brosses neuves dans le tiroir.
J’acquiesçai alors qu’il me reposait au sol. C’était fou comme il me semblait
plus grand à présent. Ainsi face et contre moi, ses mains sur mes hanches, j’avais
l’impression de n’être qu’une petite chose fragile. C’était peut-être le cas après
tout, alors que lui donnait l’impression d’être un géant. Il me scruta de toute sa
taille et son regard s’assombrit d’une teinte supplémentaire en voyant la manche
de son tee-shirt glisser sur mon bras dévoilant mon épaule. J’aurais donné
n’importe quoi à cet instant pour connaître ses pensées.
— Je… vais te laisser finir, trésor.
Il se recula comme s’il venait d’être piqué par quelque chose. Le rouge aux
joues, je le regardai partir puis fermer la porte derrière lui. Quelques secondes
plus tard, j’entendis comme un bruit sourd qui n’avait rien à voir avec le
tonnerre. Avait-il cogné dans quelque chose ? Je frissonnai. Je pris la petite
serviette et entrepris de sécher au mieux mes cheveux, puis je trouvai un peigne
et me coiffai tant bien que mal, prenant soin de jeter les cheveux que j’avais
laissés dessus avant de le ranger et de sortir de la salle de bains.
La chambre de Delsin était bien plus grande que la mienne. Elle était bien
rangée étonnamment. Je souris en voyant son bureau, au-dessus trônaient un
poster dédicacé de Peyton Manning et des fanions de l’université. Je regardai
ensuite l’étagère pleine à craquer de livres et de CD ; certains livres étaient de
biais, d’autres étaient couchés pour faire plus de place, mais tout semblait avoir
un ordre précis. Mon regard s’arrêta sur une photo. Il y avait une petite fille sur
les épaules d’un Delsin bien plus jeune. Ils étaient accompagnés d’un homme
assez grand et d’une femme charmante. Leur famille était aussi belle que le
cadre dans lequel ils avaient posé et qui derrière eux offrait une belle vue sur un
coucher de soleil se reflétant sur l’eau d’un lac ou de la mer. Je pivotai sur moi-
même et découvris trois bougies encore éteintes disposées sur la table basse.
— Installe-toi, trésor. J’en ai pour deux minutes.
Delsin refit surface quelques minutes plus tard, les mains prises par deux
tasses fumantes. Il les déposa sur la table et retourna en cuisine. Là, le tonnerre
gronda à nouveau et l’appartement fut plongé dans le noir. J’eus soudain le
souffle coupé alors que la panique me tétanisait, c’est alors qu’une lueur apparut
derrière moi me permettant de respirer à nouveau.
— On dirait que j’ai préparé ça à temps, fit Delsin qui arrivait avec une bougie
allumée à la main.
— On dirait, oui…, dis-je dans un souffle.
Il posa sur la table un paquet de gâteau et alluma les trois autres bougies à
l’aide de la dernière avant de venir près de moi.
— Tu as vu, ce n’était pas un mensonge, je lis…
— De la fantasy et de l’horreur ?
— Pas mal de science-fiction et de romans noirs aussi. Je suis sûr que tu es
impressionnée.
— Dans tes rêves !
— Ah, c’est sûr que dans mes rêves tu es toujours très impressionnée.
Je ris et me rendis compte que je tenais quelque chose dans mes mains. Je
reposai le cadre photo à sa place et levai les yeux vers Delsin. Je vis alors ce
léger changement dans son regard, comme le calme avant la tempête.
— C’est ta famille ? demandai-je d’une voix douce.
— Oui, c’est Ellie, ma petite sœur, lança-t-il. Et là, ce sont mes parents.
— Elle est très belle.
— Ouais, répondit-il la voix rauque. Viens ici, trésor.
Mon cœur battait encore la chamade. Je le suivis et m’assis quand il me
désigna le canapé.
— Mon ordinateur a suffisamment de batterie pour un film ou deux, je pense.
Ça te va ?
— Pas le choix…
Il fronça les sourcils.
— On a toujours le choix, trésor. Si tu ne veux pas regarder de films, dis-moi
ce que tu veux faire, je suis ton homme.
Ce n’était pas le programme qui me posait problème, mais cette coupure de
courant qui m’angoissait. Je ne pouvais tout de même pas lui dire que j’avais
peur du noir, je m’étais déjà bien assez ridiculisée pour ce soir.
— Non, un film, ça ira très bien. On met quoi ?
— Au vu des conditions météorologiques, de l’heure plus que tardive et en
prenant ta liste en considération, il me semble qu’un film d’horreur s’impose.
— Tu es sûr ?
— Certain !
— OK, tu proposes quoi, alors ?
— C’est ton premier, alors il faut un film culte. Le plus cultissime d’entre tous
c’est évidemment L’Exorciste avec l’inoubliable réplique tout aussi culte que le
film : « Ta mère suce des queues en enfer ! » 1
— Très classe…
Il éclata de rire.
— Et encore, tu n’as pas vu la fille qui le dit. Ensuite deuxième film culte :
Shining. On ne peut pas oublier si facilement un Jack Nicholson fou à lier. Ce
mec est un génie. Sinon dans le genre culte, j’ai aussi Halloween, La Nuit des
masques ou Massacre à la tronçonneuse.
— Je ne sais pas… ils ont tous l’air assez flippants…
— C’est un peu le but des films d’horreur.
Tous les films que Delsin était en train de m’énoncer ne me disaient rien qui
vaille. L’un dans l’autre que l’horreur soit clairement montrée ou suggérée, je
savais que j’allais me faire pipi dessus. Mais c’était l’occasion parfaite de rayer
une nouvelle chose sur ma liste.
— Allez, va pour L’Exorciste, décidai-je finalement.
— Bon choix, trésor.
Delsin se pencha pour prendre son ordinateur portable à terre me donnant une
vue imprenable sur ses fesses moulées dans son jogging. Seigneur… Il bidouilla
quelques minutes puis posa son ordinateur sur la table. Il me donna ensuite l’une
des tasses. Ça sentait bon le chocolat et… les amandes.
— Merci, dis-je en serrant la tasse dans mes mains.
— Tu es prête ?
Non pas du tout, mais je répondis néanmoins par un petit « oui ».
Les yeux rivés sur le tableau blanc et mon prof, j’essayai de me concentrer, en
vain. J’avais mal partout. J’avais des courbatures atroces et ma tête était sur le
point d’exploser. J’avais bien senti en me réveillant ce matin que je n’étais pas
en forme, je pensais que c’était à cause de ma courte nuit, mais au fil des
minutes, ça ne faisait qu’empirer. J’étais probablement malade.
— Ça va ? demanda Rob.
— Mm…
— T’as pas l’air bien…
Je hochai la tête et essayai de comprendre le charabia du prof, il parlait de
structures et de… Mon Dieu ! Dans un élan de force je rassemblai mes affaires et
me levai. Tout le monde se tourna vers moi, et le prof s’interrompit. Je descendis
les marches en titubant. Il me fallait à tout prix aller aux toilettes.
— Un problème mademoiselle MacGrass ?
Je relevai la tête.
— Je crois que je suis malade, monsieur… Il faut vraiment que j’y aille.
— Bon sang, s’il la retient encore elle va lui vomir dessus, entendis-je au loin.
Le professeur hocha la tête après m’avoir scrutée un instant. Je devais
vraiment avoir l’air mal en point.
— Allez-y…
Je sortis en trombe et courus tant bien que mal dans le couloir, mais très vite je
me cognai contre quelqu’un. La violence du choc me sonna quelques secondes et
je titubai en essayant de recouvrer l’équilibre. C’était une silhouette familière.
— C’est dangereux de courir comme ça dans les couloirs.
— Del…
— Non, ma belle.
Je levai la tête ce qui m’arracha une violente douleur.
— Oh, fis-je sans pouvoir masquer ma déception en voyant Axel.
— Désolé que ça ne soit que moi, dit-il en souriant. Est-ce que tu… ?
Je secouai la tête. Je sentais que j’avais les larmes aux yeux.
— Tu as besoin de quelque chose ?
— Toilettes !
Axel réagit si vite que ma tête se mit à tourner un peu plus. Il glissa ses mains
sous mes jambes et se mit à courir à travers le couloir. Lorsqu’il s’arrêta devant
les toilettes pour femmes, j’eus à peine le temps de les atteindre que je me mis à
vomir. Ça dura un long moment, si long que mes genoux encore couverts de
plaies me firent mal.
— Hé, est-ce que tu te sens mieux ? demanda Axel quelques instants plus tard.
Je fis « non » de la tête, me rendant compte alors qu’il était agenouillé derrière
moi et qu’il avait tenu mes cheveux pendant tout ce temps. Il me sourit et ce fut
déroutant d’une certaine manière. Pas autant que Delsin, mais d’une façon
différente. J’avais honte qu’il m’ait vue ainsi.
— Axel, tu…
— Crois-moi, ma belle, j’ai vu bien pire.
— Ah…
— J’ai des potes qui ne sont pas toujours sobres et une petite sœur souvent
malade. Est-ce que tu veux te relever ?
— Oui.
Il glissa ses bras autour de ma taille et m’attira contre lui pour me relever.
Axel était doux et drôlement beau lui aussi. Je ne ressentais pourtant aucun
frisson ni aucun désir pour lui. Il n’était pas Delsin. Il m’amena jusqu’aux
lavabos, il fit couler de l’eau et passa ses mains sous le liquide froid avant de les
poser sur mes joues.
— Tu ferais mieux d’aller te reposer.
— Non, je vais…
— Pas question que tu ailles en cours dans cet état, me coupa-t-il. De toute
manière, je ne te laisserai pas faire, je risquerais encore de me prendre une
beigne…
— Hein ?
— Laisse tomber, lança-t-il en souriant. Je te ramène chez toi…
∞
Je me réveillai en sursaut dans la pénombre. Cauchemars et fièvre ne faisaient
pas bon ménage. Heureusement, le lampadaire dans la rue éclairait la pièce d’un
faible halo de lumière ce qui m’empêcha de paniquer complètement. Je me
redressai en gémissant, je m’étais effondrée dans mon lit vêtue du tee-shirt de
Delsin et d’un pantalon de jogging. J’avais la gorge sèche et le nez bouché. Deux
jours étaient passés depuis le déluge et c’était en train de me retomber dessus. Je
me levai pour allumer la lumière quand je captai une ombre se dessinant derrière
moi, je sursautai et pivotai.
— Delsin ?
Il s’avança, se pencha et embrassa mon front.
— Salut, trésor.
— Tu m’as foutu la trouille.
— Désolé.
J’étais heureuse qu’il soit là.
— Axel m’a prévenu, je suis venu dès que j’ai pu. Et puis, je n’aurais raté
pour rien au monde le remake de L’Exorciste !
Le connard… J’attrapai un cousin et le lançai dans sa direction espérant qu’il
se le prenne en pleine figure. Il se pencha sur le côté et esquiva sans la moindre
difficulté.
— Tu pensais m’atteindre avec ton lancer tout pourri ?
— Si tu étais un gars bien, vu les horribles commentaires que tu viens de me
faire alors que je suis souffrante, tu te le serais pris pour t’excuser.
— J’ai autre chose pour ça, lança-t-il en souriant.
Mon ventre papillonna.
— J’ai mis de la soupe dans ton frigo et des parts de tarte aussi, annonça-t-il
fièrement.
— De la soupe ? Tu m’as fait de la soupe ?
Il sourit et sortit le contenu d’un petit plastique sur ma table basse. Il y avait
des sirops, des cachets et des chocolats.
— Non, je suis allé en chercher chez Granny.
Granny ? La petite dame de l’auberge ?
— Tu la connais ?
— Granny est une guérisseuse. C’est une infirmière à la retraite, elle soigne
les gens avec des plantes. Elle m’a donné de la soupe pour toi et j’ai aussi eu
droit à deux parts de tarte directement sorties du four.
— C’est elle qui fait les tartes du diner ?
Il acquiesça.
— Comment tu te sens ?
— Ça va, répondis-je.
Il s’avança vers moi, leva la main pour la poser sur mon front et fronça les
sourcils.
— Bon sang ! Tu es bouillante.
— Ça va, je te dis…
— Recouche-toi !
Je m’exécutai en silence. Il s’agenouilla et remonta la couverture sur moi.
— Je suis désolée, j’ai mis ton tee-shirt…
— Tu es bien dedans ?
Oh que oui. Il portait encore son odeur. Je hochai la tête.
— Alors c’est parfait. Pas besoin de t’excuser.
Je souris, mais très vite la nausée monta. Je sautai du lit, courus jusqu’aux
toilettes et arrivai juste à temps. Je vomis de suite malgré le fait que mon
estomac me semblait vide. Ça faisait longtemps que je ne m’étais pas senti si
mal. Lorsque je relevai la tête, je me cognai contre quelque chose. Je regardai
au-dessus de mon épaule.
— Delsin… ne reste pas là…
Comme Axel plus tôt dans la journée, il était agenouillé près de moi, ses
mains plongées dans mes cheveux pour les retenir. Je frissonnai.
— Ça va mieux ? demanda-t-il sans prendre compte de ce que je venais de
dire.
— Super bien. Je pète la forme…
— Au moins, tu as encore de l’humour.
Je me relevai en partie grâce à Delsin et il me ramena jusqu’à mon lit.
— Tu n’es pas obligé de rester, tu sais.
— Je sais, mais je vais te le répéter une énième fois en espérant que cette fois-
ci, ça reste gravé dans ton crâne : si je suis ici, avec toi c’est parce que j’en ai
envie. Tu as pris soin de moi à deux reprises, comme ça, on sera quitte.
Vu la manière dont il s’était occupé de moi lors du déluge, nous n’étions pas
quittes du tout. J’avais l’impression que c’était moi qui lui étais redevable.
— Le coup de la dernière fois compte pour deux, je pense, lançai-je.
— Absolument pas, trésor. Ce que tu as fait la première fois compte largement
pour dix voire plus.
Il sourit et toucha mon front puis il se redressa et partit en direction de la salle
de bains. Il revint quelques instants plus tard un gant de toilette humide à la
main. Il le passa sur mon front puis sur mes joues.
— En parlant de ça, tu ne m’as jamais dit pourquoi tu étais aussi amoché ce
soir-là, dis-je.
— Tu ne m’as jamais demandé.
Je souris. Sa réponse lui ressemblait tellement. Il avait raison, je n’avais
jamais poussé la curiosité à ce point.
— Pourquoi alors ? demandai-je.
— Cet été, j’ai bossé pour Granny. Elle paie bien et elle a toujours des
histoires incroyables à raconter, et ses tartes sont à tomber.
Je gloussai, il embrassa mon front.
— Elle s’est foulé la cheville cet été et elle a eu besoin de quelqu’un parce que
sa fille qui l’aide en général passait ses vacances avec sa petite-fille. J’avais
besoin… J’ai postulé, elle m’a pris de suite. Le jour où on s’est rencontrés, toi et
moi, elle m’avait appelé le matin pour me dire de ne pas venir au boulot, qu’elle
s’était fait cambrioler. Je suis quand même allé la voir. Elle n’était pas
particulièrement inquiète, elle restait calme comme à son habitude, digne. Moi,
j’étais fou de colère. Je trouve ça minable de s’en prendre à une vieille dame
seule. Ces sales types n’avaient pas de couilles ! Je suis tombé sur eux en sortant
de boîte le soir même. Ils se pavanaient sur le parking en se vantant à un autre
gars de ce qu’ils avaient fait. J’avais la rage. Je les ai insultés direct sans me
soucier de leur nombre et j’ai frappé. À trois contre un, t’as beau être vif, tu t’en
prends pas mal dans la tronche. Granny ne voulait pas porter plainte ni être
embêtée. Tomber sur ces types c’était ma petite vengeance.
Alors qu’il parlait, la colère était vive dans ses yeux. Plus je la contemplais et
plus je me demandais quelle en était la source et qu’est-ce qui pouvait le troubler
à ce point.
— Et c’est là que l’on s’est rencontrés…, soufflai-je.
Son regard s’adoucit, pourtant une ombre perdurait au fond de ses yeux.
— Quand je t’ai dit que tu étais ma bénédiction de la journée, je ne plaisantais
pas.
Je souris.
— Tu es un type bien, Delsin White.
— Pas vraiment.
Il tamponna mon front avec douceur et je fermai les yeux, profitant de ses
soins.
— Tu fais ça bien, dis-je dans un souffle.
— Tu me facilites grandement la tâche, répondit-il.
Je souris. Il caressa mes cheveux puis mon oreille.
— On dirait que tu as fait ça souvent…
Sa main se figea, et j’ouvris les yeux pour voir un voile d’ombre assombrir
son regard.
— Excuse-moi, Del…
Il baissa la tête un instant, puis revint à moi comme si de rien n’était.
— De quoi, trésor ?
— Je ne sais pas, j’ai l’impression que tu es triste ou en colère.
— Absolument pas, je suis heureux que mes soins te plaisent. Je ne…
Il se tut, comme perdu dans ses pensées. Comment sa gentillesse et sa
prévenance auraient-elles pu ne pas me plaire ? Cependant, je savais que je lui
avais sans doute rappelé de mauvais souvenirs et sa manière d’éviter la question
signifiait qu’il ne voulait pas en parler. Je ne pouvais pas le lui reprocher après
tout, j’étais comme ça moi aussi. Peut-être n’étions-nous pas si différents
finalement.
— Tu ? demandai-je néanmoins.
— Je ne suis pas du genre à soigner les gens d’habitude.
— Mais tu prends soin d’eux.
— Parfois.
Il se redressa, je le suivis du regard.
— Tu te sens assez bien pour manger ? demanda-t-il.
— Je crois, oui. Mais il est quelle heure ?
— Vingt heures. Tu es restée endormie un long moment après mon arrivée.
Il était resté tout ce temps, pour moi ?
— Je vais réchauffer la soupe, ajouta-t-il.
— Je vais le faire, ne…
— Toi, tu ne bouges pas.
— Tu as beau prétendre le contraire, tu es un gentil en fait.
Il se retourna pour me faire face, il arborait un air profondément choqué ce qui
m’amusa.
— Qu’on soit bien clair, ce mot ne doit plus jamais sortir de ta bouche.
Il me fixa avec insistance, attendant ma confirmation. Je souris :
— Pourtant tu me sembles quand même gentil.
— Absolument pas, grommela-t-il. Je suis un connard.
— Alors pourquoi est-ce que tu fais tout ça pour moi ?
Ses épaules s’affaissèrent et il lâcha un soupir.
— Va savoir, lança-t-il avant de repartir dans la cuisine.
∞
J’aime le calme de la maison quand il n’est pas là, même si ce n’est qu’un
prélude à son retour. Ça me laisse un peu de répit, même si je n’en ai pas
vraiment, mon esprit fourmille bien trop. Il a toujours bu, mais ces derniers
temps c’est encore pire. Il ne travaille plus, car il a perdu son job, alors il est
toujours à la maison. Et mes jours ne cessent de s’assombrir.
Je regarde le frigo. Il est vide, hormis des bières qui semblent éclore à foison.
J’ai seize ans aujourd’hui. Comme chaque année depuis le départ de Norah,
mon anniversaire n’est qu’amertume. Il ne se passe jamais rien de bien ce jour-
là. J’ignore si j’ai encore envie d’affronter les prochaines années. Est-ce qu’il ne
voudrait mieux pas en finir ? Je me pose souvent la question. À quoi bon
persévérer dans cette vie… ? Et puis, je m’accroche à une photo, à un visage, à
ma mère, et je me dis que si elle était là, elle m’aimerait. Qu’elle a donné sa vie
pour me mettre au monde et que je ne peux pas gâcher ça.
Seize ans. Seize ans que je subis.
Je n’ai plus jamais eu de nouvelles de Norah. Elle s’est évaporée, elle m’a
oubliée et m’a laissée seule ici. Je la déteste, je la hais… Et je survis depuis deux
ans sans elle. Je n’ai plus que moi et je n’ai aucune défense. Il me terrifie, me
paralyse, il a un tel pouvoir sur moi qu’il me rend impuissante.
Je ne dors plus. Depuis deux ans, je n’ai pas passé une nuit complète. J’ai
peur, constamment. Parfois, je l’entends faire les cent pas devant ma porte, et je
prie pour qu’il n’entre pas pour me faire du mal…
Je ferme la porte du frigo et me sers un verre d’eau. La porte d’entrée claque
brusquement. J’en ai si peur que j’en lâche mon verre qui se brise au sol. Je
blêmis. Il est rentré. J’aurais dû rester en haut ! Je prie pour être invisible. Je
prie pour qu’il m’oublie, rien qu’une fois. Qu’il m’ignore. J’ai toujours le secret
espoir qu’il fasse comme Norah et qu’un soir il ne rentre pas…
Mais il revient toujours et il ne m’oublie jamais. Parce que je suis la raison de
sa déchéance, parce que tout est ma faute. J’ai tué ma mère.
Il entre dans la cuisine, alors que je suis en train de ramasser le verre au sol.
Je sens son regard, son mépris et sa colère qui vont bientôt fuser en insulte. Il est
ivre.
— T’as fait quoi, conasse ?!
— J’ai cassé un verre, je suis désolée…, dis-je d’une toute petite voix.
— T’es vraiment bonne à rien.
Je tremble, il me fait tellement peur que je me coupe avec du verre. Il se prend
une bière, titube et glisse à cause de l’eau. Il lâche sa bière pour se rattraper à
la table et elle explose au sol. Il rugit de rage.
L’instant d’après, une douleur inouïe explose dans mes côtes et je crie sous
l’impact en m’écroulant au sol parmi les morceaux de verre. Puis un autre coup
survient, suivi d’un autre et encore… Tandis qu’il me matraque le ventre à coups
de pied, il m’insulte. C’est la première fois qu’il me bat, jusqu’à maintenant, il
se contentait de me maltraiter moralement ou de me bousculer. Ma vision
s’assombrit et je perds peu à peu connaissance.
Joyeux anniversaire, Levy.
∞
Une douleur dans les côtes me réveilla brutalement. J’ouvris les yeux et
soudain ce fut la panique. J’étais plongée dans le noir le plus complet. Mon
rythme cardiaque s’affola. Je fermai aussitôt les paupières ce qui était ridicule,
car ça n’allait pas me ramener la lumière. Alors, j’inspirai longuement à
plusieurs reprises, je tentai de me calmer et d’appliquer les conseils que j’avais
déjà lus pour vaincre ce genre de phobies. Mais c’était peine perdue. Je sentis la
panique enfler en moi, j’allais hurler si la lumière ne revenait pas. Je devais
bouger, la rallumer, mais mon corps était comme paralysé.
Inspire. Expire. Inspire. Expire. Tu l’as déjà fait !
Un frisson désagréable glissa le long de mon échine. Mes vêtements et la
couverture étaient soudain beaucoup trop lourds, je ne les supportais plus,
cependant mes jambes refusaient de bouger et de m’obéir.
Expire. Inspire. Ex… Non !
Je déglutis, la transpiration coulait sur mes tempes. Je n’en pouvais plus, ma
respiration était de plus en plus saccadée et mon cœur se contractait chaque
seconde un peu plus fort. Je gémis, je voulais sortir, je devais sortir. Je bougeai
les jambes mais quelque chose m’obstruait. Je gémis à nouveau en gigotant plus
fort, il y avait quelque chose qui me retenait prisonnière et me maintenant ici,
dans ces ténèbres et…
— Mmh… pourquoi tu gigotes comme ça, trésor ? grommela une voix
endormie.
Je sursautai et je me rendis alors compte de sa présence. Nous nous étions
endormis ensemble. Les bras de Delsin me tenaient fermement contre lui, sa
jambe retenait la mienne et je compris pourquoi je n’arrivais pas à bouger. On
aurait dit qu’il s’accrochait à moi comme s’il refusait de me lâcher. Il me câlina
en caressant mes cheveux. Je n’allais pas y arriver. J’allais paniquer à mort si ça
continuait. J’avais besoin de lumière, de respirer, j’étais déjà en train de perdre
pied. Il fallait à tout prix que la pièce s’éclaircisse. Ma respiration était saccadée,
je me sentais mal. Je bougeai encore malgré moi et Delsin s’ajusta à mon corps.
— Le noir… il fait noir.
— C’est la nuit.
— Delsin… j’ai peur dans le noir.
Il resserra ses bras autour de ma taille et je sentis une main se poser sur ma
joue.
— Je suis là, rien ne t’arrivera tant que je suis là, dit-il.
Il lâcha ma joue, et se mit à caresser paresseusement mon dos. La douceur
combinée de tous ses petits gestes eut l’effet escompté et je recouvrai peu à peu
une respiration normale.
— T’es qu’une souillon, personne ne t’aimera jamais, me souffla une voix.
La panique me submergea alors et je me recroquevillai sur moi. La peur au
ventre je sentis chaque centimètre de ma peau réagir à cette attaque.
— Comment peux-tu être heureuse de vivre après ce que tu as fait ? cracha la
voix.
Le choc fut violent que j’en gémis de douleur. C’était cinglant. Contre moi
Delsin se figea avant de se redresser brusquement. Je plaquai mes mains contre
mes oreilles pour ne plus entendre ce son, cette voix, ce tyran, mon cauchemar.
— Arrête, soufflai-je. Arrête… Arrête de parler !
— Je n’ai rien dit, trésor, murmura Delsin.
Je secouai la tête. J’étais dans le noir. J’étais la proie. Ça n’allait jamais
s’arrêter. Toute ma vie, j’allais devoir payer le prix de ma naissance. Je n’avais
jamais voulu ça.
— Tu ne devrais même pas respirer ! éructa de nouveau la voix.
Je me sentais aspirée vers le bas, jusqu’à ce qu’une lumière aveuglante chasse
les ténèbres.
— Je suis là, murmura Delsin en entortillant ses doigts aux miens. Levy ?
Putain de merde, Levy !
Quand je refis surface, je m’aperçus que j’étais assise dans la douche et que
j’étais trempée. De l’eau tiède coulait le long de mon visage et sur ma peau. Une
paire de bras musclés m’enlaçait. Je tournai la tête. Delsin aussi était trempé, il
était assis derrière moi me tenant contre lui. J’ouvris la bouche pour parler, mais
je n’y parvins pas.
— Ça va mieux ? demanda-t-il anxieux.
Je hochai la tête.
— Merci, dis-je à bout de souffle.
Je me recroquevillai sur moi-même. Il réaffirma sa prise, me serrant contre lui
et caressant mes cheveux.
— Ne me remercie pas pour ça, trésor.
Je laissai ma tête aller contre lui tout en refoulant mes larmes.
— Levy ?
Je ne répondis pas, redoutant ce qu’il allait me demander. Je comprenais
parfaitement qu’il se pose des questions. Je venais de faire une crise de panique
comme jamais et il en avait été témoin du début à la fin, il était tout à fait
légitime qu’il me demande des explications.
— Qu’est-ce qu’il s’est passé, Levy ?
J’inspirai profondément.
— Je ne sais pas… J’ai peur du noir depuis toujours.
— À ce point ?
Je hochai la tête sans lui dire révéler l’origine de cette peur. Un tremblement
incontrôlé m’assaillit.
— La fièvre et ma peur ne font pas bon ménage, on dirait, ajoutai-je. Ça m’a
fait délirer.
Delsin resta silencieux. Mon explication était lamentable, pourtant il n’insista
pas. Il se redressa un peu et noua davantage ses bras autour de ma poitrine.
— Ne me fais plus peur comme ça, Levy. D’accord ?
— D’accord.
— Putain, j’ai cru que tu ne reviendrais pas. C’était flippant.
— Je suis désolée…
— Tout va bien, maintenant ?
Je hochai la tête, alors il éteignit l’eau et m’entraîna avec lui. Quand il trouva
une serviette sur le portique, il la posa sur mes épaules. C’est là que je remarquai
qu’il ne portait plus qu’un boxer et que moi je n’avais plus que mes sous-
vêtements. Mon réflexe premier fut de me cacher, de masquer ma cicatrice, mais
je me rendis compte que c’était ridicule. Il sourit et toucha mon front de sa
paume.
— Au moins la fièvre est pas mal redescendue. C’est une bonne chose.
Je hochai la tête. Delsin avait ce même regard chaud qu’il avait eu chez lui à
plusieurs reprises lors de la tempête. Je savais qu’il n’oublierait pas si facilement
la grosse crise que je venais de faire. Même s’il avait choisi de gober mon
mensonge sans rien dire, je savais que je ne pourrais pas effacer tout ce qu’il
avait fait pour moi. J’espérais simplement que ça ne changerait rien entre nous.
— Il est quelle heure ? demandai-je subitement.
— Plus de cinq heures du matin, je pense.
— Ça fait tard…
Il frictionna mes bras et me sécha les cheveux, se montrant aussi prévenant
que lorsque nous étions chez lui.
— Je vais te laisser te rhabiller et je vais y aller.
Je hochai la tête et le regardai prendre ses vêtements et une serviette avant de
disparaître derrière la porte. Je retirai mes sous-vêtements trempés et j’enfilai
son tee-shirt ainsi que mon bas de jogging avant de le rejoindre. Il était en train
d’enfiler son tee-shirt.
— On dirait qu’on se retrouve souvent mouillés en ce moment…
Mon Dieu, mais quelle cruche ! Détaille-lui ce qui se passe dans le fond de ta
culotte tant qu’à faire.
— C’est là tout mon charme, trésor.
Je ricanai nerveusement.
— Bon, je vais rentrer, je passerai demain pour voir comment tu vas.
Je scrutai mon lit dans lequel nous nous étions endormis dans les bras l’un de
l’autre. Je ne me rappelais pas la manière dont ça s’était passé, je me souvenais
juste que j’avais senti mes paupières devenir lourdes et qu’à un moment donné,
j’avais été incapable de les ouvrir. Je ne voulais pas qu’il parte. Je ne voulais pas
qu’il me laisse seule. Je me sentais bien quand il était là. Mais, j’avais honte
qu’il m’ait vue dans un tel moment de faiblesse. Alors qu’il se dirigeait vers la
porte, je ne pus me contenir davantage, je me précipitai sur lui et me jetai dans
ses bras. Surpris, il me rattrapa un peu maladroitement avant de me lover contre
lui.
— Merci, Delsin.
Chapitre 14
Emmitouflée dans mon manteau et le nez plongé dans mon écharpe, je frappai
à la chambre de Rob. Quelques personnes me saluèrent dans le couloir et deux
filles arrêtèrent leur conversation pour me regarder passer. Peut-être étaient-elles
dans ma classe et se foutaient-elles de moi parce que j’étais sortie de cours de
manière magistrale la veille… Ça m’importait peu, j’avais autre chose à penser.
Ce matin je me sentais beaucoup mieux, je n’avais plus de fièvre ni de
courbatures. Il ne me restait plus qu’un vilain rhume. J’étais fatiguée, en
revanche, je n’avais pas réussi à m’endormir après le départ de Delsin. J’étais
encore horrifiée par ce qu’il avait vu de moi…
— Salut toi ! lança joyeusement Rob en m’ouvrant la porte.
Je souris en sortant de mes pensées. De toute façon, ça ne servait pas à grand-
chose de ressasser tout ça.
— Je suis content de voir que tu vas mieux, parce que les cours sans toi, c’est
vraiment long.
— Si je comprends bien je ne suis là que pour faire passer le temps plus vite ?
répliquai-je.
Il esquissa un sourire, mit sa veste et attrapa son sac.
— Je me suis inquiété pour toi, puis je me suis dit que tu devais être en très
bonne compagnie. Ça explique sans doute pourquoi tu vas bien aujourd’hui.
— Oui, ça va mieux. Merci de t’en soucier à ce point.
Rob ferma la porte de sa chambre et nous nous engageâmes dans le couloir.
— Levy, Levy, Levy…
— Oui ?
— Raconte-moi ! Je veux tout savoir !
Je souris. À vrai dire, je n’avais pas tellement envie d’en parler et de me
remémorer ma crise de panique monumentale.
Tandis que nous marchions, j’avais l’impression que les gens me regardaient
avec insistance. Je devais vraiment devenir parano…
— Je ne vois pas de quoi tu parles, dis-je évasive.
— C’est ça, ouais. Parle !
Je soupirai, amusée malgré tout par son enthousiasme.
— Il a pris soin de moi, dis-je.
— Comment ?
— Rien d’affriolant, il m’a apporté à manger, il s’est occupé de moi quand je
me suis sentie mal, et comme il avait ramené son ordinateur, on a regardé un
film. Après on…
Je m’interrompis pour ouvrir la porte de l’immeuble.
— « On » ? insista Rob. Ne t’arrête pas au meilleur moment !
— On s’est juste endormis. Je me suis réveillée en pleine nuit parce que j’étais
malade, il m’a soignée et quand il a vu l’heure, il est parti.
Je déformai quelque peu la vérité, mais je ne voulais pas m’étendre sur le
sujet.
— T’endormir avec lui, c’était déjà un bon début. La prochaine fois, faut
passer au stade supérieur.
Je secouai la tête. Delsin ne me voyait probablement pas comme ça. Il ne
m’avait encore jamais embrassée.
— Je ne pense pas être ce genre de fille pour lui.
Il ricana.
— Non, c’est vrai, tu as raison, tu n’es sûrement pas « ce genre de fille ».
Sinon, il t’aurait déjà sauté dessus. Dans ton cas, c’est différent parce que le mec
prend soin de toi quand t’es malade, te ramène à manger, est super sympa avec
toi. Toi, il ne te baise pas c’est sûr, il ne faut pas avoir fait des études supérieures
Levy pour comprendre qu’effectivement, il ne te voit pas comme ce genre de
fille. Et je crois que dans son cas, c’est plutôt une bonne chose puisque ce n’est
pas ce que tu es. Ce mec est sanguin, parfois on dirait qu’un rien peu le rendre
complètement fou et, va savoir pourquoi, il se comporte différemment avec toi.
Peut-être que tu l’apaises…
— Je l’ai rencontré la veille de la rentrée, en fait.
— Qui ça ? Delsin ?
J’acquiesçai.
— Petite cachottière ! s’exclama-t-il. Tu te rends compte que maintenant tu
vas devoir tout me dire ?
Je pouffai et lui racontai comment un mec à la gueule cassée avait fait
irruption dans mon taxi et ce qui s’en était suivi.
— Alors t’as pris soin de la brute épaisse ! s’extasia Rob. Tu m’étonnes qu’il
était tout heureux de te voir frapper à la porte de sa chambre, je comprends
même certaines de ses remarques.
— C’était rien, il était couvert de sang et de bleus, je n’allais pas le laisser
comme ça. Il fallait bien l’aider.
— Oh non, ce n’est pas rien ! La plupart des gens auraient évité son regard,
comme ceux qui détournent la tête quand un gay se fait insulter devant eux dans
la rue. Toi, tu l’as soigné, alors que n’importe quelle autre fille l’aurait fui. C’est
pour ça qu’il te traite différemment, parce que tu n’es pas comme les autres.
— Je ne sais pas trop…
— Crois-moi, il est loin d’être indifférent. Autant pour ce que tu as fait pour
lui, que pour ton physique.
Je tournai la tête vers lui.
— « Mon physique » ?
— Tu es belle, Levy. Tu l’ignores, mais tu es vraiment belle, bon sang ! Et,
oui, même si je préfère les mecs, je sais reconnaître les belles femmes quand je
pose les yeux dessus. Tu es sexy sans…
— Non, l’interrompis-je en secouant la tête. Je ne suis pas une fille sexy, je…
— Tu es sexy sans chercher à l’être, Levy ! Ce qui te rend encore plus
désirable. Rien n’est plus sensuel aux yeux d’un mec hétéro qu’une fille
naturelle qui n’a pas conscience de sa beauté. Et je suis certain que Delsin serait
heureux d’être celui qui te le fera comprendre.
— Je ne me vois pas comme ça.
— Je sais, mais t’en fais pas, je suis là maintenant, je vais m’occuper de toi. Et
tu finiras bien par te le rentrer dans le crâne.
Je ne répondis rien, me contentant de regarder les bâtiments de l’université et
les étudiants qui, comme nous, se dirigeaient vers les amphis.
— Et puis, tu sais, un garçon n’est pas aussi attentionné avec une jolie fille
comme toi sans avoir une idée derrière la tête, renchérit Rob. Le Delsin, il t’a
dans la peau.
— Et c’est quoi son idée d’après vous, Monsieur l’Expert ?
— Bah, autant le lui demander la prochaine fois que tu le vois, comme ça, tu
seras fixée. Genre : Delsin, dis-moi, qu’elles sont tes intentions envers moi ?
mima-t-il en battant exagérément des paupières.
— Certainement pas !
Il éclata de rire, je gloussai. Nous approchions du bâtiment où nous avions
cours.
— Et toi ? lançai-je. On parle de moi, mais toi, tu n’as rien de croustillant à
me raconter ?
— Rien de plus croustillant qu’un Delsin. Me faudrait un extraterrestre pour
ça, mais si j’en trouve un, je ne manquerai pas de te le dire.
Je ris. Il glissa son bras sous le mien et nous entrâmes dans le bâtiment. J’eus
de nouveau la désagréable impression que les autres étudiants me regardaient
avec insistance. Ça ne pouvait pas être dans ma tête, il se passait quelque chose.
Ce n’était quand même pas ma sortie théâtrale de la veille qui intéressait autant
les gens.
— Oh regarde, je crois que c’est elle ! entendis-je.
— Ouais, mais elle n’est pas si belle en fait…
Je rougis malgré moi et une boule se forma dans ma gorge. Est-ce qu’on
parlait de moi ?
— Rob, je…
— Ne t’occupe pas d’eux.
Donc, il y avait bien quelque chose.
— C’est de moi qu’elles parlent ? lui demandai-je.
— Peut-être…
— Mais qu’est-ce qui se passe ?
— Rien.
— Comment ça « rien » ? m’exclamai-je. On parle de moi et je…
— C’est sur Facebook, lança-t-il. Une photo a été publiée ce matin, mais Levy
ne te prend…
Je ne l’écoutais déjà plus, fouillant dans mon sac à la recherche de mon
téléphone. J’ouvris l’application et ne tardais pas à trouver la photo en question.
C’était Axel et moi, dans les toilettes, quand il m’avait aidé. Sur le cliché,
j’apparaissais dans ses bras, et évidemment on ne voyait absolument pas que
j’étais mal en point. La légende disait :
∞
J’enviai ces gens capables de poser la tête sur l’oreiller et de s’endormir en
deux secondes. Moi, il me fallait une intégrale de Game of Thrones pour enfin
me sentir fatiguée. Avant, j’avais tellement peur le soir que je me forçais à
guetter s’il venait dans ma chambre ou pas. Au fil du temps avec l’anxiété et la
peur viscérale de mon monstre, j’étais devenue insomniaque. Je gardais une
photo de ma mère sous mon oreiller et je passais souvent mes insomnies à la
regarder en me demandant quelle vie j’aurais eue si je ne l’avais pas tuée.
Seule dans mon lit, je regardais cette même photo. Avant, elle m’aidait à me
calmer ou à me guérir. Maintenant, je la regardais, car elle me manquait. Elle
était usée, mais c’était comme un talisman. Je caressai ses cheveux avant de la
glisser entre les pages de mon livre. Il était plus de minuit, je n’arriverais pas à
dormir avant un moment.
Je n’étais pas retournée en cours de la journée, Rob était resté avec moi. On
avait fait que papoter, rire et ç’avait été extra. Lorsque j’arrivai au diner, je le
repérai de suite à une table. Sa casquette vissée sur la tête, un tee-shirt noir et sa
belle gueule. Je m’arrêtai au comptoir.
— Je vais prendre la même chose que d’habitude. En double.
La serveuse me sourit avant de se pincer les lèvres.
— Je suis désolée, me dit-elle, mais il ne reste plus qu’une part de tarte aux
pommes de Granny. En revanche, elle a fait une tarte aux pêches. C’est un pur
délice aussi.
— Alors je prends ça. Tu peux nous les apporter ?
— Pas de problème.
Je me dirigeai alors vers Delsin et m’arrêtai debout à sa table. Il leva la tête.
Qu’est-ce qu’il était craquant…
— T’es trop silencieux, Delsin White.
— Salut trésor.
— Ce n’est pas ton heure non plus.
— Je voulais être sûr de te voir.
J’esquissai un sourire. La course des battements de mon cœur s’accéléra.
— Je suis là.
— Et tu n’imagines pas combien ça me fait plaisir.
— Ah bon ?
Il se leva et posa un genou à terre. J’éclatai de rire.
— Qu’est-ce que tu fais ? demandai-je.
— Levy, excuse-moi pour ce matin, dit-il d’un ton penaud et sincère.
— Franchement tu devrais consulter.
— Je me prosterne à tes pieds et tu me balances qu’il faut que j’aille voir un
psy ? s’exclama-t-il faussement outré. Les femmes n’aiment-elles pas ce genre
de chose ?
— Redresse-toi, espèce d’abruti. Moi, je n’aime pas les types qui se
prosternent.
— Ah ouais ? Et quel genre de types tu aimes, alors ?
— Le genre qui chante la sérénade sous ma fenêtre. Ça te va ?
Il plissa les yeux. Je ris. Je n’allais tout de même pas lui répondre que mon
type de mec, c’était lui tout simplement.
— Maintenant que tu es au courant, assieds-toi ! fis-je en prenant place à sa
table.
Il s’exécuta.
— C’est vrai, tu sais, je suis désolé.
— Je n’aime pas que tu te battes, soupirai-je. Je ne supporte pas la violence.
Et puis, j’aime ton visage comme il est, je vais finir par croire que tu fais exprès
de l’abîmer pour que je te soigne.
Son regard me coupa le souffle.
— Désolé, quand j’ai vu cette merde sur Facebook, ça m’a foutu en rogne et
quand j’ai vu ce connard essayer de te frapper, j’ai explosé.
— Merci de m’avoir défendue.
— Ne me remercie pas Levy. Je ne le mérite clairement pas. Je ne me sens pas
héroïque du tout. Ça bouillonne encore en moi, je ne supporte pas l’idée qu’il
aurait pu te frapper ni que tu sois insultée. Je te l’ai déjà dit, je ne laisserai
personne te faire du mal. Et c’est en partie à cause de moi ces rumeurs aussi, et
je ne peux rien faire pour t’en protéger.
— Lâche prise, s’il te plaît. Ne te mets pas en colère pour si peu. En plus, je
vais bien et je suis là.
— Tu es là, c’est vrai.
J’aimais la manière dont il avait dit ça. Il était tellement sincère et ça me
réchauffait le cœur. Je n’aimais pas la violence, je ne comprenais pourquoi il
était si en colère contre le monde, mais j’aimais qu’il me défende, qu’il prenne
soin de moi. C’était des choses que j’avais presque oubliées. Il n’y avait aucune
rancœur ce soir. Je ne voulais pas rester fâchée contre lui.
— Comment va Axel ? demandai-je.
— Bien.
— Et entre vous ?
— C’est toujours nickel entre Axel et moi. On se prend la tête, mais jamais
bien longtemps.
Je souris.
— On était même tous les deux à la une de la nouvelle photo parue sur
Facebook.
— Encore ? Un truc du genre ils en viennent aux mains pour elle ?
— Ouais, quelque chose comme ça. Mais c’est ridicule, c’est moi qui
gagnerais de toute façon.
La serveuse vint nous apporter notre commande.
— Je vais prendre celle aux pêches, fit Delsin.
— Non, elle est pour moi, décrétai-je.
— Attends, j’ai mieux.
Il coupa les parts en deux.
— Voilà comme ça, pas de jaloux.
— Bonne idée.
Après ça, nous restâmes un peu au diner avant de rentrer. Lorsque je me mis à
bâiller un peu trop souvent, tout en tremblant, Delsin enlaça mes épaules. Je
sursautai et frissonnai, avant de me rendre compte que j’étais bien ainsi lovée
contre lui. Nous étions à pied, il n’était pas venu en voiture pour une fois.
— Il est l’heure pour toi, dit-il.
— Mmh, probablement.
Il rit et retira sa veste avant de la poser sur mes épaules. Je soupirai alors que
la chaleur divine et encore présente de son corps m’enveloppait dans un cocon.
Nous arrivions à la résidence.
— Tu…
— Garde-la, tu vas choper la mort et ça ne m’arrange pas…, fit-il.
Trop fatiguée, je ne cherchai pas à comprendre où il voulait en venir. Je
plongeai les mains dans ses poches.
— Merci pour la veste, mais on est arrivés.
— Pas de soucis, trésor.
— Tu ne rentres pas ?
— Non, je vais courir un peu. Je vais me faire un stade. Je dois garder la
forme.
— « Te faire un stade » ?
— C’est monter et descendre toutes les marches d’un stade en courant.
— C’est affreusement barbare ! Qui s’inflige ça ?
— Un insomniaque masochiste.
— Tu me laisseras gagner un jour au jeu des insomniaques chroniques ?
— Peut-être.
Il sourit, de ce sourire lumineux qui effaçait toute la colère en lui. Je rougis.
— Bonne nuit, trésor.
— Bonne nuit.
Je fis volte-face afin d’entrer dans l’immeuble.
— Levy ? m’appela-t-il.
— Oui ?
Je tournai la tête pour le regarder et comme il n’enchaînait pas, je m’arrêtai.
— Ça te dirait qu’on sorte ensemble un de ces soirs ? demanda-t-il finalement.
— Ce n’est pas ce qu’on fait quasiment tous les soirs ?
Il se mit à rire et je me sentis subitement minuscule. Qu’est-ce que je n’avais
pas compris là-dedans ?
— Non, trésor, je te parle de sortir ensemble. Aller au resto, au ciné, je n’en
sais rien, encore. Un rencard exposé, quoi. À une heure normale et pas à trois
heures du matin comme tous les soirs.
— Oh, je…
Il plissa les yeux et son regard se fit tellement intense qu’il fit naître une
tension dans mon ventre. Je rougis de plus belle et attrapai une mèche de
cheveux pour jouer nerveusement avec. Delsin s’avança en souriant.
— Tu ne veux pas ?
— Si.
Mon cœur battait la chamade. C’était Delsin, le même homme avec qui je
partageais mes insomnies depuis des semaines, mais je sentais que ce genre de
rendez-vous ne serait pas du tout pareil que partager un bout de tarte et des
problèmes d’insomniaques.
— Samedi, ça te va ?
— Oui.
Un sourire que je ne lui avais jamais vu illumina les traits de son visage.
— À sept heures ? Tu seras réveillée ? insista-t-il.
— Oui !
— Génial. Je passerai te prendre.
Un sourire plus grand encore s’étira sur ses lèvres et sur les miennes aussi. Je
souriais tellement alors que je me tournai à nouveau vers l’entrée de l’immeuble,
que ça me faisait mal aux joues. Ça en devenait ridicule. Je devais avoir l’air
d’une désespérée.
— Levy ?
Je me retournai encore.
— Oui ?
— J’ai hâte…
Il ne me laissa pas le temps de répondre et fila en courant. Je rentrai dans ma
chambre et une fois la porte fermée, je me laissai glisser au sol. La tête en friche,
je lovai mon nez dans la veste de Delsin afin de me noyer dans son odeur. Rob
avait raison, je n’étais probablement plus invisible, mais à l’instant, ça me
rendait heureuse.
Chapitre 15
Installée en tailleur sur mon lit, je scrutai bouche bée le spectacle que j’avais
devant les yeux. Je n’avais pas mon mot à dire, je devais simplement rester
assise sans bouger. J’avais bien songé à m’enfuir mais c’était peine perdue.
Ma chambre s’était transformée en moins de cinq minutes en une salle de
conférence. Rob avait déposé pleins de trucs à grignoter sur mon lit ; des
bonbons, des gâteaux et du café. Il avait aussi installé un paperboard au centre de
la pièce. Sur la première page était noté en rouge et en majuscule : « LEÇON N
° 1 ».
J’avais peur. J’étais même terrifiée. Je n’avais qu’une envie : m’enfuir, mais il
semblait possédé.
— Alors ! s’exclama-t-il. Leçon numéro un : Quels vêtements porter pour un
premier rencard ?
Je secouai la tête. J’étais franchement partagé entre la panique et l’hilarité.
Bon sang, c’était un grand malade !
— C’est très simple, pour s’habiller, il faut juste analyser du mieux possible la
sortie en question. Pour un pique-nique, un joli jean ou un pantalon en toile avec
une tunique ou autre fera l’affaire, un rencard dans un parc d’attractions pareil il
faut obligatoirement mettre un pantalon, la jupe ce n’est pas pratique sauf si tu
veux être mal à l’aise ou que tout le monde voit les sous-vêtements que tu portes.
Mais ça, ce sera pour plus tard.
Il fit une petite pause. Même si je le trouvais parfaitement dingue, j’étais
contente qu’il ne me laisse pas affronter seule cette nouvelle expérience. C’était
mon premier véritable ami. Et je me sentais à l’aise avec lui, je pouvais lui parler
sans gêne. J’étais ravie qu’il soit venu sans que je n’aie eu à le lui demander.
Faut dire qu’il prenait aussi très à cœur cette histoire avec Delsin, même s’il n’y
avait pas vraiment d’histoire.
— Premier rendez-vous équivaut à mystère, continua-t-il. Il ne te dira jamais
où il va t’emmener, car il veut te faire une surprise, et toi, tu ne commettras pas
l’erreur de lui demander. S’il y a d’autres rencards à l’avenir, tu pourras, mais le
premier c’est lui qui gère. En général, le premier rendez-vous c’est au restaurant.
C’est un classique. C’est assez intime pour se parler et apprendre à se connaître
et à la fois assez court pour en déduire rapidement si tu veux un deuxième
rendez-vous ou pas. Alors, la tenue idéale pour ça, c’est une jupe. C’est aussi ce
qu’attend ton partenaire quand il t’y emmène. Mais attention pas n’importe
quelle jupe, pas celle qui dit : je suis une salope.
— Ah, parce que les jupes te parlent à toi ?
Rob esquissa un sourire avant de faire claquer sa baguette sur le tableau. Il
était tellement drôle.
— On reste concentrée jeune fille.
Je hochai la tête en gloussant.
— Donc, il te faut soit une combinaison jupe chemise avec deux boutons
ouverts tout au plus, pas de décolletés plongeants ni de couleur trop flashy
d’ailleurs, soit une petite robe noire qui descend jusqu’aux genoux. Ça dévoile
un peu la silhouette, sans trop en montrer. Avec ça, il faut porter des petites
chaussures ou des talons si tu te sens capable de les supporter. Mais il faut faire
attention, parce que si le rendez-vous se passe bien et s’éternise ça peut se finir
en balade et là, les talons, ce n’est pas top. Compris ?
Ces petits détails n’avaient pas d’importance pour moi, ce qui m’importait
c’était Delsin. Il me troublait déjà en temps normal mais là…
— Oui, mais…
— Pas de « mais », on écoute ! me coupa Rob. Les sous-vêtements sont
importants aussi, poursuivit-il. Car même s’il ne les voit pas, c’est important
pour ton moral de fourrer tes fesses dans des sous-vêtements sexy. Les culottes
de grands-mères on les laisse à Bridget Jones et si ça excite le beau Hugh Grant
dans le film, pas sûr que les prostituées qu’il se tape dans la vie réelle portent ce
genre de trucs. Les sous-vêtements idéaux sont souvent ceux en dentelles,
assortis. Le tanga, c’est parfait, car tu mixtes shorty et string. Des questions ?
Des tas… Mais celle que je voulais éclaircir, c’était pour quelle raison Delsin
m’avait-il demandé de sortir avec lui… Bon sang, je n’avais rien à me mettre ! Il
allait falloir que je fasse les boutiques.
— Je dois porter une robe noire avec des sous-vêtements sexy et des petites
chaussures, c’est ça ?
— Pour un premier rendez-vous, c’est la tenue parfaite, acquiesça Rob. Après
si tu es plus à l’aise dans un jean, je pense…
— Non, le coupai-je. Une robe, c’est bien, mais il faudrait que je fasse les
magasins. Je n’ai rien de tout ça.
Il éclata de rire. Je voulais être jolie, je ne voulais pas être la Levy ordinaire.
Enfin, ce serait peut-être le Delsin de d’habitude alors peut-être qu’il vaudrait
mieux que je reste comme j’étais… Merde, merde, merde ! Pourquoi je devenais
aussi nerveuse moi ?
— Tu es stressée ?
— Je crois.
Rob sourit et vint à côté de moi.
— Levy, c’est absolument normal. Tout le monde est stressé avant un rencard.
Mais il fallait t’y attendre aussi.
— C’est censé me rassurer ? demandai-je.
— Non, c’est censé te faire comprendre que tu lui plais. Il a réagi comme une
bête en boîte quand ce type t’emmerdait, et il a fait la même chose avec l’autre
connard qui t’as insultée. Ouvre les yeux Levy, t’es pas la fille insignifiante que
tu crois être. Ça c’est dans ta tête. On ira faire les magasins demain, si tu veux.
J’acquiesçai en silence. Tout en resserrant mes bras autour de mes genoux, je
pensais au fait que c’était vraiment bon d’avoir un ami à qui parler. Un ami et
peut-être même un mentor.
— Bien, lança-t-il. Maintenant, que nous sommes OK au niveau des fringues,
passons à la leçon numéro deux.
— T’en as beaucoup des comme ça ? demandai-je en riant.
Rob révéla la feuille suivante et je lus, les yeux écarquillés, les mots suivants :
« Les différents types d’épilation ».
— Quoi ? m’écriai-je. Mais je…
— C’est important. On prône les jambes douces plutôt que les râpes à fromage
ou le mode Chewbacca.
— T’es cinglé. Oh, bon sang…
Mon rire explosa de lui-même et fut communicatif.
— J’en reviens pas d’être tombée sur toi, t’es complètement barge, lançai-je.
— J’adore rendre service.
— C’est ça que tu veux faire plus tard, te lancer dans les causes désespérées ?
— La fille désespérée en question n’est pas si désespérée que ça vu qu’elle a
un putain de rencard avec le beau gosse du campus.
— Alors lui aussi rejoint ta cause !
Il ricana.
— Si tu permets, je vais m’occuper de la partie épilation et débroussaillement
seule, fis-je.
— OK, je te fais confiance ! Alors on passe à la leçon numéro trois…
Il se redressa et souleva la feuille.
— Les baisers.
— C’est obligé ? piaillai-je.
— Carrément, je dirais même obligatoire !
∞
Très honnêtement, le fait de sortir avec Delsin ce soir me mettait dans des
états pas possibles. Ça paraissait ridicule étant donné que nous avions déjà fait
pas mal de choses ensemble, mais cette fois-ci, c’était différent. Il y avait une
nuance entre faire un truc sur un coup de tête et organiser quelque chose à
l’avance. Je ne cessais de ressasser des pensées inutiles qui ne faisaient que me
stresser.
Je pris une longue douche et constatai que mes genoux étaient entièrement
guéris. Il n’y avait plus le moindre bleu sur ma peau. Ce qui me troublait un peu.
Avant dès qu’un commençait à s’effacer il y en avait toujours un autre qui
apparaissait. Aujourd’hui, il ne me restait plus que cette cicatrice sur le ventre. Je
la connaissais par cœur, elle n’aurait jamais dû arriver là, mais après tout ce que
j’avais supporté je devais m’estimer heureuse de n’avoir que ça. Signe distinctif
de mon cauchemar mais aussi de ma liberté. Elle n’était plus douloureuse, ce qui
l’était surtout c’était le souvenir que j’en avais. Ce jour-là, j’avais vraiment cru
qu’il allait me détruire pour de bon. Rien que d’y repenser j’en avais la chair de
poule.
Je secouai la tête et enfilai un body noir au décolleté en dentelle que j’avais
acheté sur les conseils de Rob. Je me séchai les cheveux et les laissai pendre
naturellement. Je maquillai très légèrement mes yeux, et je fis glisser un tube sur
mes lèvres pour les roser. Une fois fait, je fixai mon reflet dans le miroir. Peut-
être que pour la première fois depuis très longtemps je me trouvais jolie.
Satisfaite, je retournai dans la chambre pour finir de m’habiller. Je poussai
mon ordinateur portable qui diffusait encore la playlist de Bruno Mars et je posai
ma robe sur le lit. C’était une petite robe patineuse noire, j’aimais beaucoup la
façon dont elle épousait mon corps et sa coupe fluide. Je me sentais vraiment
bien dedans. Je l’attrapai quand la chanson suivante me fit remuer les hanches.
Je montai le volume de mon ordinateur et me laissai transporter, bougeant sur le
rythme de la mélodie et des paroles. Pour une fois, il n’y avait que moi qui
importais, moi et mon bonheur. Je continuai de danser, serrant la robe contre moi
comme si c’était un cavalier qui menait la danse et je tournai sur moi-même en
riant.
— Vraiment, il n’y a pas à dire, je suis amoureux de ta façon de danser.
Je poussai un cri de surprise en plaquant mes mains sur ma bouche, lentement
je pivotai et découvris, horrifiée, Delsin appuyé contre le mur. Il était tout
sourire.
— Qu’est-ce que tu fous ici ? m’exclamai-je.
— On avait rendez-vous, tu te souviens ?
— Et alors ?
— Alors, j’ai attendu devant la porte plus de cinq minutes et comme tu ne
répondais pas et qu’il y avait de la musique je me suis dit que peut-être tu
n’entendais pas. La porte était ouverte, je suis entré et…
Il me désigna de la main, comme s’il n’avait pas de mot pour décrire le
spectacle que je venais de lui montrer.
Oh, Seigneur, la honte…
— Ça fait combien de temps que tu es là ?
— Je sais plus, ricana-t-il. J’ai oublié quand…
Je levai une main en l’air pour l’interrompre. Deux options s’offraient à moi :
me cacher dans un trou ou assumer la tête haute.
— Huhu, on reste poli, espèce de voyeur, lançai-je en le pointant du doigt.
Il éclata de rire.
— Moi, un voyeur ? s’offusqua-t-il.
Je hochai la tête. Il secoua la sienne.
— Je te signale qu’il n’y a pas de voyeur s’il n’y a pas d’aguicheuse…
Je plissai les yeux. Non seulement il me matait mais il rejetait la faute sur moi.
— Tu te rends compte que maintenant que tu as vu ça, je vais être dans
l’obligation de te tuer, répliquai-je.
— Ouais, concéda-t-il en hochant la tête. Après avoir vu ton dernier pas de
danse, je veux bien. Remontre-moi comment tu remontes…
— Sors d’ici, Delsin !
Il ricana et ne bougea pas d’un pouce.
— Soit tu restes comme ça et tous les mecs diront que je suis le type le plus
chanceux ce soir, soit tu t’habilles et…
Il fit une pause et ce blanc me parut durer une éternité.
— Et ils diront que je suis le type le plus chanceux ce soir.
J’éclatai de rire et il se décida enfin à bouger. Il sortit de ma chambre en
fredonnant. J’enfilai ma robe et mes chaussures, et je me regardai dans le miroir.
C’était pas trop mal. Je me souris à moi-même. Je rassemblai mon sac et mon
manteau sur le lit avant d’aller ouvrir la porte à Delsin.
Il était adossé au mur, les bras croisés. Son visage me semblait très sérieux,
comme s’il était perdu dans de sombres pensées. Son attention se porta
immédiatement sur moi et ses yeux me transpercèrent. Il avait ce même regard
qu’il avait eu lorsque nous étions chez lui et que nous étions tous deux trempés.
Je me sentis frissonner.
— Tu es divine.
Je rougis et sentis le désir remuer dans mon ventre. J’ouvris la bouche, mais
j’eus besoin d’un moment pour récupérer ma capacité à formuler un mot.
— Merci…, soufflai-je.
Je ne me sentais pas capable de lui retourner le compliment, et puis, je savais
qu’il n’en avait pas besoin. Il était plus que craquant. Il portait un jean brut
ajusté, une chemise cintrée bleu marine qui rappelait malicieusement la couleur
de ses yeux et qui mettait divinement en valeur ses larges épaules. Il se redressa,
et entra à nouveau chez moi, il attrapa mon trench posé sur le lit et m’aida à
l’enfiler, je le boutonnai, il attrapa la ceinture et m’attira à lui en tirant
doucement. Je m’arrêtai à quelques centimètres à peine de lui. Il la noua et
sourit.
— Tu me sembles prête.
J’attrapai mon sac et je hochai la tête. Il nous fit sortir en posant une main
dans mon dos et me laissa fermer à clé. Puis, Delsin glissa sa main juste entre
mes reins et me conduisit jusqu’à la sortie. J’avais l’impression qu’un incendie
venait de se déclencher sur ma peau et dans mon ventre.
J’étais silencieuse et quand Delsin s’assit derrière le volant de sa voiture,
j’étais déjà écarlate. Ce soir c’était différent. Tellement différent. Je n’arrivais
pas à m’enlever cette idée de la tête.
— Levy ?
Je relevai la tête et croisai son regard tantôt amusé tantôt voilé.
— Levy, arrête ça…
— Hein ?
Il se pencha et vint lentement poser son pouce sur ma bouche. Je ne sursautai
pas, je ne bougeai pas. Je ressentis juste la chaleur de sa peau contre la mienne.
Ses yeux se posèrent sur mes jambes ce qui me fit baisser la tête.
— Arrête de te mordre la lèvre et de te dandiner comme ça…
Je grimaçai. Il éclata de rire et alluma le contact.
Me détendre. Respirer et me détendre.
J’inspirai profondément. Lorsque Delsin s’engagea sur la route principale, il
se pencha à nouveau et attrapa un paquet de cigarettes. Il en sortit une et
l’alluma. Je ne l’avais pas vu fumer très souvent, la dernière fois ç’avait été en
boîte quand j’avais gâché sa clope.
— Tu ne fumes pas souvent, si ?
— Est-ce que ça te dérange ?
— Pas vraiment, non, mais c’est rare de te voir fumer.
— Ça fait un mois que j’ai acheté ce paquet, ça m’aide à me détendre.
— Est-ce que c’est moi qui te rends nerveux ? lançai-je avec un aplomb du
tonnerre qui me venait de je ne sais où.
— Dans cette robe et avec ce que je sais qu’il y a dessous, oui.
∞
Le restaurant était charmant et on s’installa dans un petit coin assez intimiste.
La salle était pleine, ce qui somme toute me semblait normal pour un samedi
soir. Une douce musique d’ambiance retentissait entre les chuchotements des
nombreux couples qui se tenaient la main sur leur table. Delsin, face à moi, me
scrutait ce qui avait le don d’embraser mes joues et mon corps tout entier. Je
baissai les yeux et me mis à scruter la flamme de la bougie qui vacillait
légèrement.
— Tu es bien installée ? me demanda-t-il.
Je relevai la tête. Delsin m’avait toujours semblé impressionnant, mais là, il
l’était encore plus. Je lui souris en acquiesçant.
— Oui. Et toi ?
Bravo Levy, ça c’est de la conversation !
Son petit sourire moqueur me donna envie de me foutre des claques.
— Bien. Maintenant, parle-moi de toi.
— De… moi ? Mais…
Il hocha la tête et plongea son regard dans le mien.
— Tu connais déjà pas mal de trucs…, fis-je évasive.
— Non. J’ignore si tu as des frères et sœurs, par exemple.
— Non, répondis-je. Enfin, si…
— Oui ou non ? demanda-t-il en riant.
— Oui, j’ai une sœur.
— Elle ne va pas forcément être contente que tu l’oublies.
J’eus un sourire froid. Le serveur arriva au même moment pour nous apporter
une carafe d’eau.
— Ma sœur est partie de chez moi assez tôt, quand elle a eu dix-huit ans et
depuis je n’ai pas vraiment de nouvelle d’elle, en fait.
Delsin fronça les sourcils.
— Pourquoi elle est partie ? Les études ?
— Ouais… Elle voulait être indépendante.
— Tu lui en veux ?
Je relevai les yeux. J’avais envie de pleurer.
— Un peu oui. C’est sans doute stupide.
— Aucune douleur n’est stupide, lança-t-il en se redressant légèrement.
— Tu as sûrement raison.
— Un peu que j’ai raison.
— Et toi, tu as d’autres frères et sœurs ?
— Non, juste une.
Notre serveur revint encore une fois et nous tendit deux menus. Delsin le
remercia et je me pinçai les lèvres. Les prix montaient assez haut.
— Prends ce qui te fait envie.
— D’accord…
Je replongeai dans mon menu et m’arrêtai sur ce qui était sans doute ce que
j’aimais le plus et que j’aurais pu manger tous les jours de la semaine à m’en
faire péter le ventre.
— Tu sais ce que tu vas prendre ? demanda Delsin.
— Oui, répondis-je en souriant de toutes mes dents.
Quelque chose dans ses yeux s’anima, puis il ricana.
— J’ai pensé à la prochaine chose sur ma liste que j’ai envie de faire, dis-je en
haussant les épaules.
Je vis une autre étincelle dans son regard, et je me sentis toute bizarre de faire
naître ce genre de choses chez lui. Il lâcha son menu et me lança un grand
sourire.
— Tu as toute mon attention, trésor.
— Je voudrais faire un marathon Star Wars.
— Vraiment ?
— Ouais. J’ai jamais vu ces films. Je me suis dit qu’un marathon ce serait plus
drôle.
— C’est un marathon d’environ quatorze heures. Non-stop.
— Je sais, acquiesçai-je.
— Mmh, je ne sais pas si tu es prête pour ça.
J’éclatai de rire si fort que les clients de la table la plus proche se retournèrent
et me lancèrent un regard bizarre qui me déstabilisa.
— Je…
— Je suis là, fit Delsin en attrapant ma main. Les vieux cons frustrés, on s’en
fout.
Je reportai mon attention sur lui. Il sourit.
— D’accord ? insista-t-il.
J’acquiesçai silencieusement.
— Donc, tu en étais à Star Wars…
— Oui, j’aimerais bien voir si je penche plus du côté obscur de la Force ou
pas. Du coup, je me suis dit que peut-être tu connaîtrais quelqu’un fan de
science-fiction qui pourrait initier une jeune padawan à l’univers Star Wars.
— Est-ce une façon détournée de me dire que tu veux qu’on fasse le marathon
tous les deux ?
— Oui. Si tu veux bien être mon Maître Jedi…
— Et tu t’es dit que me flatter de la sorte en m’appelant « Maître » ça allait
faire pencher la balance en ta faveur ?
Je me contentai de répondre par un large sourire. Le serveur arriva pour
prendre nos commandes.
— Désolé pour l’attente, nous avons du monde ce soir. Est-ce que vous avez
choisi ?
— Tu prends quoi ? me demanda Delsin.
— Le saumon avec des pommes de terre, répondis-je avec entrain.
— Un steak saignant pour moi. Avec des frites.
— Bien, j’envoie ça.
Le serveur partit, je le suivis du regard et quand je reportai mon attention sur
Delsin, celui-ci me scrutait intensivement.
— C’est quand tu veux pour le marathon.
— Vraiment ?
— À condition que tu m’appelles « Maître » tout du long, lança-t-il d’un air
triomphant
— T’es sérieux là ?
— Estime-toi heureuse que je ne te demande pas de venir avec la tenue de la
princesse Leia dans Le Retour du Jedi.
— Hein ?
Il éclata de rire, son regard pétillait de malice.
— Laisse tomber, tu comprendras plus tard. Tu veux faire ça quand ?
— Je ne sais pas, le week-end prochain par exemple, tu… ?
— Non, fit-il brusquement.
Je relevai les yeux, un peu perdue par sa rudesse.
— Je ne peux pas le week-end prochain, poursuivit-il d’une voix rauque. Je
pars vendredi jusqu’à dimanche soir. J’ai prévu ça depuis longtemps. Je ne peux
pas décommander.
— Oh… Quand tu veux alors.
Mon cœur battait fort. J’ignorais pourquoi. La déception sans doute.
— Levy, excuse-moi, dit-il d’un ton beaucoup plus doux. Je ne peux vraiment
pas annuler.
— Ce n’est pas grave. Dis-moi juste quand tu es libre, ce sera plus simple.
— J’ai toujours du temps pour toi, lança-t-il en souriant. Le week-end d’après,
ça te va ?
— Oui.
∞
Après un repas copieux, et un dessert au chocolat absolument délicieux,
Delsin m’emmena vers la baie. Je gardais des souvenirs tellement précieux de
cette plage… Nous marchions en silence quand Delsin se figea tout à coup. Je
levai les yeux et regardai aux alentours sans comprendre.
— Tu dois absolument voir ça, dit-il.
— Quoi ?
Il entortilla ses doigts aux miens et m’entraîna dans une ruelle à côté du vieux
cinéma où il m’avait dit qu’Axel bossait le soir. Quand j’aperçus ce dont il
parlait, la réalité effaça toutes mes pensées pour m’offrir un instant des plus
magiques. Bouche bée, les yeux ébahis, je regardai la scène, émerveillée.
La bouche d’aération d’une petite boulangerie laissait s’échapper des nuages
de sucre telle une tempête de neige délicieuse. Je m’avançai et lâchai la main de
Delsin pour recueillir du sucre qui se déposa dans ma paume. C’était d’une
beauté à couper le souffle. Je tournai sur moi-même et m’arrêtai quand je vis que
Delsin m’observait. Son regard était empreint d’un sentiment que je n’avais
encore jamais vu. Ses yeux sombres semblaient déterminés, et un frisson me
parcourut. Il s’avança vers moi, à pas lents. Lorsqu’il me fit face, je sentis son
parfum. Je mourrais d’envie de le toucher, mais je n’osais pas. Je mourrais
d’envie qu’il me touche, mais je redoutai les réactions de mon corps. Sans
jamais lâcher mon regard, il s’approcha encore jusqu’à ce que le bout de ses
chaussures touche les miennes et que sa carrure me surplombe totalement.
J’avais le souffle court lorsqu’il parla enfin :
— Tu te rends bien compte que je ne peux pas te laisser traverser une tempête
de sucre sans t’embrasser ?
Mon cœur eut un raté, mes jambes menacèrent de me lâcher et mon cerveau
était en train de court-circuiter. La peur et l’excitation se mêlaient dans mon bas-
ventre et les battements de mon cœur s’affolèrent. Je hochai la tête sans rien dire.
Delsin sourit, se pencha et posa sa bouche juste sous mon oreille, provoquant
mille délices dans tout mon corps. Je sentis un manque irrépressible de sa
chaleur quand il s’écarta. Ma peau brûlante était en manque de lui pourtant il
m’avait à peine touchée. Posant son front contre le mien, il me fit basculer en
arrière et bientôt un mur me retint. Je déglutis alors qu’il posait un bras juste au-
dessus de ma tête. Puis il se mit à caresser mes lèvres du bout de son pouce. Il
sourit en me montrant le dépôt de sucre sur son doigt avant de le faire disparaître
dans sa bouche.
Oh mon Dieu…
— Delsin, tu…
— C’est ce que j’aurais dû faire en premier en voyant ta liste.
Je fondais littéralement.
— M’emmener voir une tempête de sucre ou m’embrasser ?
— Les deux. Levy ?
Je rivai mon regard au sien.
— Est-ce que tu veux que je te donne ton premier baiser ?
Je déglutis et répondis la chose la plus intelligente de toute ma vie :
— Oui.
La chaleur et la puissance de Delsin me submergèrent quand sa large main se
glissa avec douceur sur ma nuque et que sa bouche se posa contre mes lèvres
avec volupté… Et tout le désir me submergea. Je m’agrippai à sa chemise,
froissant le tissu, et il s’écarta sans que je comprenne pourquoi, ce qui m’arracha
un frisson qu’il s’empressa d’apaiser en posant, un puis deux, puis trois petits
baisers sur ma bouche.
— Delsin…, me plaignis-je.
— Je voulais m’assurer que tu étais toujours d’accord.
— Connard…
— Tu aurais pu te contenter d’un simple « oui ».
— Oui, connard.
Il sourit et obéit à ma supplique en faisant remonter sa bouche de mon menton
vers mes lèvres. Sa bouche ouvrit alors la mienne en douceur et je frissonnai de
la tête aux pieds. Ses mains coururent le long de mes reins, puis il m’attira contre
lui me faisant quitter le mur pour me lover contre lui. Ses bras saillants se
contractèrent davantage quand je fis glisser mes mains sur ses pectoraux. Et il
m’offrit le plus beau des premiers baisers, au cœur d’une tempête de sucre.
Je déraillai complètement lorsque sa langue vint caresser la mienne et je
hoquetai quand elle s’immisça plus profondément en moi. Je m’abandonnai
entièrement à son baiser, à tel point que mes jambes me lâchèrent. Delsin
resserra son étreinte, me rapprochant si fort de lui qu’il m’en fit presque mal.
Mais j’étais enivrée et le plaisir ne ravageait plus seulement mon ventre.
Prise par une soudaine envie de lui retourner la faveur, je me redressai alors
sur la pointe des pieds, fermai les paupières et je mordis légèrement sa lèvre
avant de tirer dessus puis je glissai ma langue à l’endroit de ma morsure pour
l’apaiser. C’était étrange de toucher sa bouche autrement qu’en la soignant. Il se
laissa faire. Sa respiration était saccadée et sa main plongée dans mes cheveux se
crispa légèrement.
J’étais certainement très maladroite, par rapport à lui, mais Delsin grogna et sa
poitrine se gonfla brusquement tandis qu’un gémissement franchissait ses lèvres.
Puis un sourire suivit d’un rire profond sorti de sa bouche, ce qui me fit sourire.
— Putain, Levy…
Il avait un goût viril et puissant qui me faisait perdre la tête. Il releva la tête
pour sucer délicatement ma lèvre inférieure, m’arrachant un gémissement de
plaisir. Nous avions tous les deux le souffle court et j’en étais émerveillée.
— Mon souffle, murmurai-je. Je…
— Je suis désolé, trésor, je crois que j’adore ta bouche, gronda-t-il en aspirant
ma lèvre inférieure.
L’intensité de cette étreinte me faisait trembler de toute part.
— « Désolé », hein ? soufflai-je en riant doucement. Tu n’en penses pas un
mot.
— Effectivement, reconnut-il en embrassant mon menton pour me laisser
quelques secondes de répit. Mais je crois que ça ne t’ennuie pas tant que ça.
Sa bouche descendit dans mon cou et lorsqu’il me mordilla sous l’oreille, je
me cambrai en soupirant.
— Tu n’es pas fair-play, je ne peux pas reprendre mon souffle comme ça…
— Je ne veux pas que tu le retrouves, j’adore tes halètements.
Oh, là là là…
Et sans plus attendre, sa bouche retrouva la mienne avec passion.
— Maintenant, je vais devoir écourter la soirée et te ramener chez toi…,
soupira-t-il.
Hein ? Mais pourquoi ? Il n’était pas si tard, et puis, tout se passait
divinement bien. Je le regardai sans comprendre.
— C’est bien ça le problème avec les rencards organisés quand tu rencontres
une insomniaque…, poursuivit-il sans vraiment s’expliquer.
Il disait vouloir me ramener, mais sa bouche revenait constamment sur la
mienne comme s’il était incapable de la quitter.
— Pourquoi ? demandai-je dans un souffle.
Il rit contre ma bouche et mordit doucement ma lèvre.
— Parce c’est un rendez-vous, ce n’est pas comme d’habitude.
— D’accord, dis-je finalement en pressant doucement mes lèvres sur les
siennes.
— Levy, ne dis pas « d’accord » comme ça, soupira-t-il.
— D’accord.
Delsin souffla contre moi et m’embrassa encore, d’une manière si sensuelle
que je ressentis tout son désir se répercuter dans mon corps. C’était redoutable,
presque palpable, quasiment destructeur. Je gémis entre ses bras et il redoubla
l’intensité de son baiser si tant est que cela soit possible.
— Putain, grommela-t-il. Fichu rencard.
Chapitre 16
Retrouver son calme et une certaine sérénité après la soirée que je venais de
passer était impossible. C’était la première fois de ma vie que je ressentais ça. Je
ne me sentais pas plus différente que la veille mais au moins plus heureuse et
plus épanouie. J’étais tellement heureuse d’avoir partagé mon premier baiser
avec Delsin. Toute cette douceur, toute cette sensualité, tout ce mélange partagé
avec lui.
Lui. Mon parfait opposé et pourtant insomniaque comme moi.
D’ailleurs, il aurait pu se contenter de faire comme ces autres nuits quand il
me déposait au pied de l’immeuble, avant de poursuivre son insomnie je ne sais
où, mais pas ce soir. Ce soir, il m’avait raccompagnée jusqu’à la porte de ma
chambre et m’avait embrassée tout son soûl dans le couloir. Il m’avait plaquée
contre la porte et, Seigneur, il m’avait embrassée comme s’il me disait adieu
pour des semaines… J’en avais encore les lèvres gonflées et cet espèce de
sourire niais ne voulait pas quitter mon visage. Merde alors !
Tout avait été parfait. Que se passerait-il maintenant ? Oh, je m’en fichais. Je
ne voulais pas penser à demain. Je voulais saisir jusqu’au bout l’intensité de
cette soirée. Je souris et mon téléphone vibra dans mon sac.
Il me répondit de suite.
Chut, je rêve…
Levy !
Oui ?
Je me demandais ce que Delsin faisait. S’il était rentré ou s’il était allé se
« faire un stade ». Pensait-il à ces baisers lui aussi ?
Alors ?
Oui.
Oui, quoi ?
Il me fit rire.
Merveilleux.
∞
Le début de semaine passa très vite. Les cours avaient doublé d’intensité et le
rythme de travail que nous devions fournir était maintenant plus important.
Accaparée par une dissertation, je n’étais pas sortie le dimanche ni le lundi soir.
En revanche, je m’étais rendue au diner le mardi et le mercredi soir et n’y avais
pas trouvé Delsin. Il ne m’avait pas contactée depuis notre rendez-vous. Je
l’avais aperçu plusieurs fois sur le campus sans qu’il ne vienne me parler. Je me
sentais étrangement délaissée. La désillusion était violente en totale
contradiction avec la soirée que nous avions partagée. Tout le monde savait que
nous nous étions embrassés. Une belle photo de moi dans ses bras alors que nous
nous embrassions avait été postée sur le Facebook de l’université. Et j’imaginais
sans mal les commentaires qui l’accompagnaient.
— Tout va bien ? demanda Rob.
— Bof, je ne sais pas ce que je fous ici, en fait.
Il se rembrunit et passa un bras autour de mes épaules. Malgré mon envie de
partir, j’avais les fesses vissées sur le siège gelé des tribunes du stade du campus
et je ne parvenais pas à regarder un autre joueur que Delsin. Il s’était d’ailleurs
fait engueuler plusieurs fois par le coach. Il semblait sur les nerfs, il faisait des
erreurs et son jeu était agressif.
— C’est à cause du baiser ? demanda Rob.
— Entre autres… Il m’ignore, et je ne sais pas quoi penser.
— Ce n’est peut-être pas fait exprès.
Je ricanai.
— Je ne suis pas débile. Si ça ne lui…
— Si tu te demandes si ça ne lui a pas plu, regarde encore une fois cette putain
de photo, ma puce. Je donnerais n’importe quoi pour qu’on m’embrasse comme
ça. C’est un véritable gâchis que ce mec soit hétéro. Je te jure que s’il existe la
même version en homo je vais m’acharner à le trouver et le rendre heureux.
Je secouai la tête en riant. Au moins avec Rob, je décompressai un peu. Je
n’avais pas besoin de voir cette stupide photo. Bon sang qui ça pouvait
intéresser ? Les gens n’avaient pas de vie, ou quoi ?
En voyant Delsin plaquer un de ses équipiers au sol, je me rappelai cette
frustration que je ressentais et je me demandais ce qu’il avait. Peut-être pensait-il
juste à ma liste lorsqu’il m’avait embrassée. Peut-être que j’avais mal interprété
son comportement ce soir-là…
— Qu’est-ce qu’il a alors ? demandai-je à Rob en espérant que son point de
vue masculin m’éclaire.
— Je ne sais pas, avoua-t-il. Il a l’air sur les nerfs…
— Oui, je trouve aussi.
— Axel aussi est sur les nerfs. C’est Sawyer qui me l’a dit.
Je souris.
— Sawyer ?
— Bah quoi ? se défendit-il d’un haussement d’épaules.
— Tu lui parles souvent ?
Il secoua la tête.
— Est-ce qu’il te plaît ? insistai-je.
— À qui ne plairait-il pas ?
Je devais bien reconnaître que Sawyer avait du charme lui aussi.
— Je crois qu’il l’est, tu sais…, chuchota Rob.
— Quoi ?
— Gay, espèce d’idiote. L’autre jour, on a discuté un peu et…
Il s’interrompit. Pour la première fois, je vis Rob mal à l’aise. Il semblait
troublé. Ça me soulageait dans un sens de voir que malgré mon manque de
connaissance, être perturbé par quelqu’un pouvait arriver à tout le monde.
— Et ? demandai-je.
— Et… je n’en sais rien. J’ai une drôle d’impression quand il me regarde, je
n’arrive pas à lire en lui. Parfois, on dirait qu’il ne peut pas m’encadrer…
— Et les autres fois ?
— Qu’il veut me baiser, sans pouvoir m’encadrer.
Mon sourire s’étira en le voyant rougir.
— Vous êtes là vous deux ! lança une voix féminine derrière nous.
— Hey ! l’accueillit Rob en reprenant une certaine contenance.
Anna nous enlaça avant de s’asseoir entre nous.
— Qu’est-ce que j’ai loupé ?
— Un Delsin agressif sur le terrain, lança Rob.
Je ne dis rien, comprenant qu’il n’avait pas forcément envie de s’étendre sur le
sujet de Sawyer. Anna scruta le terrain, son regard s’adoucit pendant quelques
secondes alors qu’elle trouvait son mec.
— Delsin est toujours impulsif et sanguin, déclara-t-elle. Il adore chercher la
petite bête et être du genre cash quand quelqu’un ou quelque chose ne lui revient
pas. Il ne me semble pas différent de d’habitude.
Nous restâmes silencieux Rob et moi. Je scrutai Delsin, même si je ne pouvais
pas distinguer ses yeux ni son visage à cause de son casque. J’avais l’impression
de ressentir sa rage indomptée et l’impulsivité incontrôlée qui pouvaient le
rendre si sombre parfois. J’enfonçai un peu plus mon visage dans mon écharpe.
Je me sentais perdue et désabusée. Après notre soirée, je m’étais peut-être fait
des films. Peut-être qu’il attendait plus et qu’il s’était senti vexé que je ne l’ai
pas fait entrer chez moi. Bon sang, je n’y connaissais rien à tout ça !
— Putain de merde, qu’est-ce qui se passe ? lança Rob.
Je sortis de mes pensées et mon regard fut immédiatement happé par la scène
qui se déroulait sur la pelouse. Une bagarre avait éclaté sur le terrain entre
Delsin et un autre joueur de l’équipe. Le joueur le poussa et Delsin bondit
comme une bête.
— Mon Dieu, sifflai-je en me redressant.
Je ne fus pas la seule à avoir cette idée, mais je fus la première à atteindre les
barrières de délimitation du stade. Rob saisit mon bras, j’étais incapable de
détourner le regard du terrain.
Delsin frappa son coéquipier qui ne portait plus de casque, celui-ci tenta de
riposter, mais Axel et Zack venaient d’arriver et ils attrapèrent Delsin par
l’arrière pour l’emmener à l’écart.
— Putain de merde, Del ! cria Zack. T’exagères !
Delsin tenta de se dégager d’un mouvement brusque, mais ses deux amis
étaient assez forts pour le contenir.
— Lâchez-moi, putain !
— T’es pas franchement en état, là ! gueula Axel.
— On peut savoir ce qui te prend, White ? s’exclama le coach en approchant
avec les autres joueurs.
Delsin se redressa de toute sa taille. Il ne semblait pas impressionné le moins
du monde.
— Rien…, gronda-t-il.
— Alors toi, tu décides de cogner tes adversaires pour rien ? lança le coach
d’un ton cassant.
— J’aime pas qu’on m’insulte, surtout quand on joue comme une merde.
Le joueur en question ne dit rien.
— Et moi je n’ai pas envie de voir ta tronche sur le terrain
puisqu’apparemment tu n’as pas envie de jouer non plus, répliqua le coach.
— Tu me vires, là ?
— Carrément, White. T’es un bon élément je te l’accorde, très bon même.
Mais tes petites pulsions me prennent la tête et comme j’ai une putain de
migraine à cause de ma femme, je n’ai pas envie qu’on m’emmerde au boulot
aussi, alors tu te casses. Je ne veux pas te voir avant le prochain entraînement. Et
je te préviens, gamin, t’as intérêt à jouer comme un dieu sinon il se pourrait
qu’on se passe de tes services pour le match de sélection.
Delsin ricana.
— C’est ça, coach, passe-toi de moi pour tes sélections et on verra bien si tu
es sélectionné justement.
Le coach lui fit signe de quitter le terrain sans ajouter un mot. Je sentais bien
qu’il voulait simplement l’aider malgré la rudesse de son ton. Comme ses
camarades d’ailleurs. Pourtant, en parfait connard, Delsin bouscula le joueur
sonné pour se diriger vers les vestiaires…
— Eh ben, eh ben…, souffla Anna.
— Ouais, ça, c’est… Levy ?
J’étais déjà en train de partir quand la voix de Rob s’éleva dans les airs pour
me demander ce que je faisais. Je l’ignorais. Je courrais derrière Delsin.
Pourquoi ? Sans doute parce que je voulais savoir ce qu’il avait. Il me semblait si
en colère et si triste aussi. Lorsque j’arrivai devant la porte des vestiaires, je
tendis la main, puis j’hésitai…
Et si… Non. Je secouai la tête, je voulais savoir ce qu’il avait et pourquoi il
m’ignorait tant qu’à faire.
— Delsin ?
Comme il ne répondit pas, je poussai la porte. Il avait déjà retiré son casque,
ses épaulières et son haut de maillot. Il était en train de défaire les lacets de son
pantalon. Il me toisa bizarrement et mes joues prirent feu. Il était rouge,
essoufflé, couvert de sueur. Il était aussi beau que redoutable. En temps normal,
s’il avait été de bonne humeur, il m’aurait dit un truc salace et taquin. Sauf que
son regard et l’expression sur son visage n’avaient rien d’amical. C’était la
première fois qu’il avait un visage si dur envers moi.
— Qu’est-ce que tu veux, Levy ?
— Est-ce que tu vas bien ? demandai-je.
Il grogna et me lança un regard en coin. Je me dandinai mal à l’aise.
— Ouais, ça va, et je suis en train de me déshabiller là, donc si tu pouvais
disposer… T’as rien à foutre ici.
Je fronçai les sourcils. Dans d’autres situations pourtant similaires à celle-ci, il
n’avait jamais réagi comme ça. Il m’avait ouvert la porte de la chambre qu’il
partageait avec Rob mainte et maintes fois torse nu, le regard taquin. Chez lui, il
m’avait déshabillé sur son paillasson torse nu aussi. Et là, il y trouvait à redire.
— Delsin est-ce… ?
— Je n’ai pas le temps pour toi, Levy. Je ne peux pas toujours jouer les
nounous. Tu peux comprendre ça et me foutre la paix ?
« Jouer les nounous », hein ? Ça faisait mal, il me touchait en plein cœur.
J’avais l’impression de m’être pris un coup dans le ventre. Merde, il ne m’avait
jamais parlé comme ça. J’étais complètement déstabilisée. Pourtant, il devait
bien y avoir une raison pour qu’il soit autant en colère. Qu’est-ce qu’il avait ?
— Je voulais juste… juste savoir comment tu allais… depuis… enfin tu as
l’air sur les nerfs.
Je me sentais honteuse, je perdais mes mots, j’étais ridicule. Il me regarda
bizarrement, puis passa sa main dans ses cheveux. Il avait l’air dubitatif tout à
coup.
— Je t’ai déjà dit que j’allais bien, qu’est-ce que tu ne comprends pas là-
dedans ?
Il me rendait nerveuse. Le ton de sa voix n’était pas celui d’un gars qui allait
bien.
— Tu m’évites comme la peste, insistai-je. Tu te bats encore et…
— Ça ne te regarde pas, putain ! C’est pas parce qu’on s’est embrassés que je
te dois des explications. Je n’ai pas envie de parler là. Ce n’est quand même pas
bien compliqué à comprendre, si ?
Je me sentais humiliée. Il avait raison, sur toute la ligne. J’avais les mains
moites et mon cœur battait douloureusement dans ma poitrine. Je parvins malgré
tout à répondre :
— C’est très clair…
Pour une raison ou pour une autre, Delsin était en colère et il n’était pas enclin
à partager ses problèmes. Dans un sens, j’étais très mal placée pour lui en
vouloir, mais même si j’étais une idiote de m’être fait des films après notre
rendez-vous, j’avais parfaitement le droit de me sentir blessée.
— … T’es qu’un parfait connard.
— Bien, si tu as terminé, la porte est derrière toi. J’ai envie de me doucher et
de me barrer d’ici.
Il avait fini de dénouer les lanières et ça me perturbait un peu. Comme je ne
bougeai pas, Delsin fit glisser son pantalon le long de ses jambes. Je pivotais
brusquement et me dirigeai vers la porte. J’eus l’impression de sentir son regard
sur moi jusqu’à ce que j’atteigne la sortie. Pourtant lorsque je posai ma main sur
la poignée de la porte et que je l’entendis bouger, ce n’était pas pour me
rejoindre, car le bruit de la douche se fit entendre quelques secondes plus tard. Je
sortis, les larmes aux yeux. Et tandis que je m’éloignais, j’entendis une
exclamation inintelligible depuis les vestiaires. Je frissonnai et me dépêchai de
rentrer chez moi.
Chapitre 17
∞
Je me retournais sans cesse dans mon lit, les draps me collaient à la peau. Je
suffoquai presque. C’était fou cette obsession. Mes insomnies n’avaient pour une
fois absolument rien à voir avec mon passé. Cette fois-ci, c’était à cause de
Delsin.
Je voulais savoir. Je voulais l’aider. Je me sentais toujours affreusement
stupide et humiliée après la façon dont il m’avait parlé, mais en même temps, je
ne pouvais pas l’abandonner. Et j’ignorais pourquoi. C’était ridicule.
Je n’arrivais pas à décrire ce que j’éprouvais.
Je me redressai dans la pénombre.
Je ne savais pas ce qui m’arrivait, c’était juste plus fort que moi. J’enfilai un
gilet, sortis de chez moi et montai à son étage. Je m’en fichais d’avoir la tête de
la fille qui sortait du lit. Dans la cage d’escalier, je croisais un couple en train de
se bécoter sur les marches. Ils ne me calculèrent même pas. Arrivée au dernier
étage. Je soufflai et une fois devant chez lui, je n’hésitai pas, je frappai.
J’attendis quelques secondes, puis lorsqu’elles s’égrainèrent un peu trop
longtemps, je commençais à me dire qu’à deux heures du matin il y avait peu de
chance qu’il soit chez lui. J’allais rebrousser chemin lorsque la porte s’ouvrit.
— Levy ?
Je levai le visage pour lui faire face. J’eus le temps d’apercevoir la surprise
dans ses yeux avant qu’ils ne s’assombrissent. Il portait un bas de jogging et un
tee-shirt. Pourquoi un bas de jogging me semblait-il aussi sexy ? Je secouai la
tête, vu la tronche qu’il faisait ce n’était pas le moment de s’encombrer l’esprit
avec ça.
— Qu’est-ce que tu fiches ici ?
J’étais venue pleine de résolution, bien décidée à le faire parler, mais lorsque
je vis la bière dans sa main, je perdis un peu contenance alors que me revenait un
souvenir plus que douloureux… Et les mots refusèrent de franchir mes lèvres.
— J’ai pas que ça à foutre Levy, je pars au matin, je dois dormir.
Ses mots m’assommèrent à nouveau. Je ne savais pas à quoi je m’étais
attendue, probablement pas à ça, car la déception me noua la gorge. Je pensais
stupidement à notre relation alors qu’il était apparemment à des kilomètres de
ça. J’aurais dû l’être aussi, surtout après sa façon de me traiter. Mais j’étais là…
— D’accord, je…
— DELSIN ?
Je sursautai et ne terminai pas ma phrase. Une voix féminine déchirait le
calme de la résidence et hurla son nom à nouveau. Ça venait de la cage
d’escalier.
— Qu’est-ce que… ?
— DELSIN ? DELSIN ? DELSIN ?
Elle criait sans cesse désespérément. Ce genre de chose devait forcément
arriver, avec le nombre de filles qui rêvaient d’être son prochain coup. Je
regardai Delsin et mon cœur s’affola, ça ne semblait pas être une de ses
conquêtes. Il était blanc comme un cadavre, ses yeux étaient écarquillés, sa
mâchoire crispée au possible et sa main rétractée serrait sa canette de bière si fort
qu’il l’avait percée.
— Delsin, ta bière…
Il baissa les yeux et grimaça en découvrant l’état de la canette.
— Putain de merde ! siffla-t-il.
Je remarquai alors qu’il avait entaillé sa peau.
— Levy rentre chez toi.
— Non !
— Levy…
Il leva les yeux sur moi alors que la porte de la cage d’escalier s’ouvrait.
J’avais l’impression qu’il redoutait son pire cauchemar. La voix hystérique
résonna à nouveau. N’y avait-il personne pour surveiller l’immeuble, empêcher
des inconnus de rentrer ? Bon sang, mais qui était cette femme ? Elle allait
réveiller tout le monde à cette heure-ci.
— Levy, ne reste pas ici, rentre chez toi !
Je secouai la tête. Il fronça les sourcils, tendit la main pour replacer une mèche
de mes cheveux derrière mon oreille, caressant mon oreille au passage, et
m’infligea malgré ma colère des frissons délicieux.
— Levy, s’il te plaît, je ne veux pas que tu me voies comme ça.
— Comment ça ?
Je me retournai pour voir une femme d’un certain âge se mettre à cogner
contre la première porte qu’elle trouvait. Elle attendit que la personne lui ouvre
et partit quand elle se rendit compte qu’elle n’était pas devant la bonne porte ou
la bonne personne.
— Tu la connais ? demandai-je.
Il ne répondit pas. La femme avait cessé de frapper aux portes et venait de
nous voir. Un sourire incroyable illumina son visage.
— Delsin ! s’exclama-t-elle. Mon Delsin !
Celui-ci grimaça et me fit passer derrière lui. Qu’est-ce que… ? Elle s’avança
vers lui en souriant, les larmes aux yeux. Elle tendit les bras, mais il la repoussa
violemment.
— Ne me touche pas, grogna-t-il.
Je frissonnai. Le ton de sa voix n’était qu’un souffle. Un souffle qui
m’effrayait. Il souffrait. Mais comment pouvait-il être aussi brutal ? Qui était-
elle ? La femme recula de quelques pas, mais elle ne se démonta pas. Elle
souriait toujours.
— Mon chéri, comment vas-tu ? demanda-t-elle.
— Comment es-tu venue jusqu’ici ? Tu n’as pas le droit d’être là ! T’as une
putain d’interdiction !
— J’ai bien le droit de venir te voir, non ?
— Non ! cracha-t-il. Justement non, t’as pas le droit. Comment tu t’es
débrouillée pour… ? Oh putain, laisse tomber espèce de malade. Dégage d’ici !
— Tu n’es pas content de me voir ?
— Content ? Content ? (Sa voix était méconnaissable, hystérique.) Je serai
content le jour où tu croupiras en taule, je serai heureux le jour où on
m’appellera pour me prévenir que tu es morte.
Il était à bout de souffle et… agité. Je reculai de quelques pas. Les mots de
Delsin étaient terribles, et la femme riait, ce qui était autant voire plus perturbant
encore. Les éclats de voix commencèrent à attirer les étudiants des chambres
voisines. Dans le couloir du monde affluait pour savoir ce qui se passait. Delsin
me barrait la vue, mais lorsque je fis un pas en arrière sous le coup de la violence
de ses propos, la femme me remarqua.
— Oh, mais tu as une petite amie, lança-t-elle. Laisse-moi lui dire bonjour,
laisse-moi lui…
Son regard me donna des frissons, Delsin grogna et se mit encore plus en
colère. Je regrettais de ne pas l’avoir écouté, de ne pas être partie quand il m’en
avait donné l’ordre. Elle tenta de passer, mais Delsin l’attrapa par le cou et la
plaqua contre le mur du couloir en murmurant un :
— Non, tu ne la touches pas.
Mon cœur se mit à cogner vigoureusement contre ma cage thoracique. J’avais
la nausée. Voir Delsin, ainsi alors que quelques jours auparavant, il m’avait
embrassée en me plaquant contre un mur, ça mettait mes émotions sens dessus
dessous. Je savais qu’il était impulsif et sanguin, mais pas envers les femmes…
J’essayais de ne pas y penser mais je m’étais retrouvée trop souvent à la place de
cette femme pour faire abstraction de ce que j’avais sous les yeux. Et voir Delsin
en bourreau me bousillait le cœur. Tous ses excès de colère et de rage que j’avais
vus jusqu’ici n’étaient rien en comparaison de celui-ci. Je n’avais pas partagé
tant de choses que cela avec Delsin, mais le peu de fois où il m’avait touchée il
n’y avait eu que de la douceur. Avait-il deux visages ?
Non… non ! C’était forcément autre chose, mais quoi que cela soit, c’était
terrifiant. La femme n’émit aucune plainte quand elle heurta le mur, elle se
contenta de regarder Delsin dans les yeux sans se départir de son sourire.
Lorsqu’il attrapa son téléphone et pianota dessus de sa main libre, je me
demandai l’espace d’une seconde s’il appelait la police.
— Tu ne l’approches pas, gronda-t-il. Tu ne la regardes pas. Tu n’y penses
même pas.
— Elle est jolie, mais est-ce qu’elle te rend heureux au moins ? dit-elle sans
l’écouter.
— Ferme-la ! Ferme ta putain de gueule ! Je ne veux pas t’entendre.
Zack arriva en courant, simplement vêtu d’un jean. Il affichait une mine
déconfite. Il me regarda avant de reporter son attention sur l’horrible scène qui
se jouait devant lui, devant nous.
— Putain de merde, siffla-t-il. Je fais quoi ?
— La police, grogna Delsin d’une voix rauque. Appelle la police.
— Mais pourquoi, tu fais ça, Delsin ? minauda la femme. Non, ne…
Trop tard, Zack entrait déjà dans l’appartement de Delsin en portant son
téléphone à son oreille. La femme tenta de s’extirper de l’étreinte de Delsin,
mais il maintint fermement sa prise. Zack quant à lui était en train de parler en
faisant les cent pas.
— Les flics arrivent, Del, annonça-t-il quelques secondes plus tard. Ils seront
là d’ici cinq minutes.
La poitrine de Delsin se souleva, il sembla se calmer un peu.
— Emmène Levy chez toi et fais dégager tout ce putain de monde.
Zack s’approcha de moi.
— Viens, Levy, dit-il doucement.
Il m’attira contre lui, me lova contre son torse tout en serrant ses bras autour
de moi. Puis, il jeta un regard circulaire aux spectateurs de la scène.
— Le spectacle est fini les gars, rentrez chez vous maintenant, lança-t-il d’une
voix forte.
Lentement, le couloir se vida et chacun rejoint sa chambre. Je le retins quand
il tenta de m’emmener dans son propre appartement. J’étais soulagée qu’il
m’éloigne de là, mais je ne parvenais pas à arracher mon regard de cette scène.
J’aurais voulu aider Delsin mais je n’avais aucun moyen à ma disposition, je ne
comprenais rien de ce qu’il se passait.
— Levy…, souffla Zack.
J’étais incapable de regarder ailleurs, mes yeux restaient figés sur Delsin qui
semblait prêt à… tuer. Vraiment. Il avait une expression résignée sur le visage. Il
semblait souffrir, et j’avais l’impression qu’il se disait que pour se libérer de ce
mal, il devait se débarrasser de cette femme.
— Tu ne m’as pas dit comment tu allais ni comment se passent tes cours…,
fit-elle.
— Qu’est-ce que ça peut te foutre ? éructa-t-il la gorge nouée.
— Je me préoccupe beaucoup de toi, tu sais, répondit-elle d’une voix douce.
— La ferme, espèce de détraquée !
— Levy, viens, insista Zack. Ce n’est pas un beau spectacle.
Je n’arrivais pas à bouger. J’étais simplement figée. Je voulais seulement
comprendre ce que j’étais la seule à ne pas comprendre. Qui était-elle ? Pourquoi
est-ce qu’elle mettait Delsin dans un tel état ?
— D’accord, tu es un peu ronchon, reprit-elle, mais je te signale jeune homme
que tu pourrais venir me voir aussi. Tu ne rentres qu’une fois par an et tu ne
daignes même pas venir me dire bonjour…
Je sentis les mains de Zack se contracter sur moi. Je ne dis rien malgré la
douleur, car il ne le faisait pas exprès. Il se faisait du souci pour son ami.
— Du coup cette année, j’ai décidé de venir te chercher pour qu’on y aille
tous les deux, lança-t-elle avec un large sourire.
— Merde, murmura Zack dans ses dents. Merde, ça va mal finir…
Il me lâcha pour rejoindre Delsin, mais c’était trop tard, celui-ci était
transformé. Les traits de son visage étaient tellement crispés qu’on aurait dit un
mannequin de cire. Sa main libre s’était refermée en un poing qu’il leva
brusquement en l’air pour frapper, je poussai un cri d’effroi.
Delsin s’immobilisa et me jeta un regard par-dessus son épaule. Je n’avais pas
senti mes jambes me lâcher, ce ne fut que lorsqu’il posa les yeux sur moi que je
me rendis compte que j’étais sur les genoux. Mes jambes étaient tremblantes,
mes mains aussi. Mon corps tout entier. J’étais terrifiée. Je connaissais ça. Je
connaissais cette situation. Se retrouver à la place de cette femme… Mais voir
Delsin dans le rôle du bourreau c’était une chose effroyable à laquelle je ne
voulais absolument pas penser.
La femme arborait toujours son fichu sourire.
— Arrête, Del, lança calmement Zack. Arrête. Elle ne mérite pas que tu
perdes ton sang-froid. Elle ne mérite pas que tu ailles en prison.
Delsin le regarda, il avait les yeux rouges. Est-ce qu’il pleurait ? Seigneur…
— Elle est…
— Je sais, fit Zack, mais écoute-moi, tu as des choses bien plus importantes
ici, d’accord ? Carrément plus importantes qu’elle et ses névroses.
Je ne savais pas bien si Delsin l’écoutait. Son bras était toujours en l’air et son
poing toujours aussi serré. Quand il l’abattit brusquement, je retins mon souffle
en plaquant mes mains sur ma bouche. À travers mes larmes, je vis qu’il avait
abattu son poing contre le mur.
— Levy ?
Zack était agenouillé devant moi à présent.
— Relève-toi ma belle, murmura-t-il tendrement.
Il m’aida à me remettre sur pied et chassa de mon visage mes cheveux
mouillés par mes larmes. L’air grave, il se pencha pour me chuchoter à l’oreille :
— Surtout, ne flippe pas.
Je tournai la tête. Nos visages se touchaient presque.
— Pardon ?
— Ne flippe pas, OK ? Les apparences sont trompeuses. Quoi que tu penses
avoir vu, ne le juge pas sans comprendre. Il t’expliquera tout ce que tu dois
savoir bien assez tôt, ne t’en fais pas.
J’acquiesçai doucement et relevai le visage. Delsin nous dévisageait Zack et
moi. Le couloir était désert désormais, nous n’étions plus que quatre et il régnait
un silence de mort qui était loin de me rassurer.
— Bon, ça suffit, lâche-moi, maintenant, Delsin, s’exclama la femme. Tu n’as
pas le droit de me traiter de la sorte.
— C’est toi qui n’as pas le droit d’être ici, d’être en liberté et de m’approcher,
rétorqua-t-il, mais tu es là et même si ça me brûle la main de te toucher je préfère
ça plutôt que tu essaies de faire du mal à quelqu’un d’autre. Maintenant tu la
boucles. Je ne veux pas t’entendre.
Zack se redressa, entra dans l’appartement de Delsin et revient avec une
chaise.
— Lâche-la, Del. Tu risquerais d’avoir des problèmes si les flics te voient
comme ça avec elle.
— Elle est dangereuse.
— Je sais, mais c’est plus raisonnable. On est deux, on ne risque rien.
— OK, capitula Delsin qui fit asseoir la femme sur la chaise. Ne bouge pas
d’ici, toi.
Elle opina sans broncher. Son sourire avait déserté son visage, elle semblait
agacée. Après avoir demandé à Zack de la surveiller, Delsin se tourna vers moi
et s’avança dans ma direction.
— Levy, rentre avant que les flics n’arrivent et ne t’interrogent. Tu n’as rien à
voir avec cette histoire.
J’acquiesçai en reculant. Je n’étais pas en mesure de lui parler ou de le laisser
me toucher. Je ne pouvais pas. Je ne voulais pas qu’il m’en veuille. Je ne le
jugeais pas. Il devait avoir ses raisons pour agir de la sorte, mais mon corps
réagissait de lui-même. Trop de douleurs me revenaient en mémoire. J’avais
besoin de souffler, de m’éloigner.
— Levy, je…
Il avança encore.
— Arrête, suppliai-je d’une petite voix.
Il fronça les sourcils, mais ne chercha pas à me suivre quand je tournai les
talons pour trouver refuge chez moi. De toute manière, il n’aurait pas pu, car la
police arriverait d’un instant à l’autre. Il ne vint pas non plus plus tard dans la
nuit, ce qui me soulagea. Je ne dormis pas pourtant. Je n’arrêtais pas de penser à
toute cette scène et à Delsin… Je repensais à son comportement colérique toute
la semaine, à la scène effroyable qui s’était jouée entre cette femme et lui, puis à
la manière dont il s’était occupé de moi depuis mon arrivée dans cette ville. De
manière si tendre, si attentionnée, c’était tellement paradoxal que j’avais du mal
à croire qu’il s’agissait de la même personne.
∞
Le lendemain, la vie reprit son cours mais comme c’était le week-end, la
résidence était plutôt calme. Rob avait fini par apprendre ce qu’il s’était passé et
on passa l’après-midi ensemble à regarder des séries que je n’avais jamais vues
et à parler de tout et de rien. Étonnement aucune photo de ce moment n’avait
filtré sur Facebook. Ce qui me rassurait. Ce n’était pas des choses à voir ni à
partager. Delsin n’avait pas besoin de ça.
Je passai la semaine qui suivit en compagnie de Rob. Il était comme à son
habitude, absolument génial. Il me changeait les idées et prenait soin de moi, je
me sentais vraiment chanceuse d’avoir rencontré quelqu’un comme lui. Il me
rassurait aussi énormément sur les événements passés, sur Delsin…
Delsin, lui, n’était pas là.
Il n’était pas revenu depuis le week-end.
Sa voiture n’était plus là.
Il m’avait prévenu qu’il avait prévu de partir ce week-end-là depuis
longtemps. Je me demandais si la venue de cette femme avait un rapport avec
son absence prolongée.
Et je passai de longues insomnies toute seule.
∞
Il faisait nuit noire, le dimanche suivant lorsque je relevai les yeux et
découvris Rob en caleçon devant moi. Il brandissait ses bras en l’air et semblait
me brailler quelque chose. Je lâchai mon stylo et retirai mes écouteurs. S’il avait
frappé à ma porte, je n’avais pas entendu, mais ça n’expliquait pas tellement sa
tenue.
— ‘Tain, mais tu es sourde ou quoi ?
— Mais qu’est-ce que tu fous ici ? demandai-je. Et en caleçon en plus…
— Je n’ai pas changé de bord, ma puce. Mais putain Levy, tu n’entends
vraiment rien?
Je le regardai sans comprendre.
— Dehors, la fenêtre, si tu n’y es pas dans deux secondes, je te bute !
s’exclama-t-il. Ce mec est en train d’ameuter tout le monde.
— Mais…
Il m’arracha les écouteurs des mains, m’attrapa brusquement et en moins de
deux secondes il avait tiré les rideaux, ouvert la fenêtre et…
Oh, mon Dieu !
— Delsin ?
— Bon sang ce mec est…
Rob ne termina pas sa phrase. J’avais le cœur qui battait à tout rompre.
Lorsque Delsin m’aperçut, son visage s’éclaira.
— Les types qui chantent la sérénade, je n’ai pas oublié ! cria-t-il.
Sur ces mots, il se mit à gratter sur la guitare qu’il tenait entre ses mains et se
mit à chanter.
J’étais encore sonnée quand je me laissai tomber sur mon lit. Delsin posa le
sac en papier sur mon bureau avant de reporter son attention sur moi. Il se
pencha et replaça mes longs cheveux noirs derrière mon oreille.
— « Tué » ? bafouillai-je. Vraiment ?
Il acquiesça. Il était sérieux. Je fermai les yeux et je sentis ses doigts
descendre sur mon visage.
— Oui, trésor.
Il caressa mes joues puis mes oreilles et embrassa mon front ce qui me fit
ouvrir les yeux. Je savais pertinemment que lorsqu’il disait « tué » il ne parlait
pas d’un malheureux accident de voiture. Je commençais à entrevoir l’horreur de
ce que Delsin avait vécu.
— C’est une longue histoire que très peu de personnes connaissent. Axel et
Zack le savent. Les autres savent que c’est juste une période difficile dont je ne
parle pas. Est-ce que tu as un peu de temps à m’accorder pour que je te raconte ?
— Tu veux m’en parler ? demandai-je étonnée.
— Oui, il le faut. Tu veux bien, trésor ?
J’acquiesçai. Il embrassa mon front encore une fois et se redressa. Je le suivis
du regard. Il semblait un peu stressé.
— Je sais bien que la semaine dernière je me suis comporté comme un sale
connard, et rien ne pourrait excuser la façon dont je t’ai parlé, mais cette période
de l’année est toujours difficile pour moi. J’ai déjà du mal à contenir ma colère
en temps normal, alors quand ce moment approche c’est pire. Ma rage explose et
elle devient incontrôlable. Ce que tu as vu l’autre soir dans le couloir, tu n’aurais
jamais dû le voir, elle, moi dans cet état…
Il se gratta la tête.
— Je t’écoute Delsin, explique-moi, dis-je d’une voix douce pour
l’encourager à poursuivre.
Il inspira et se lança :
— Je viens de Sacramento. Je vivais avec mon père, ma petite sœur et ma
mère. Mon père était souvent absent, car c’était un grand homme d’affaires dans
le milieu de l’industrie immobilière. Il bossait énormément la semaine et la
plupart du temps il partait au bureau le matin quand nous dormions encore et
rentrait tard le soir.
Il caressa mon bureau du bout des doigts et joua paresseusement avec mon
écharpe qui reposait sur le dossier de ma chaise.
— Ma mère ne travaillait pas, poursuivit-il. Malgré sa présence à la maison,
elle ne s’occupait pas de nous. On avait une nourrice. Ma mère sortait beaucoup
et partageait son temps entre le shopping et ses amies. Quand elle était à la
maison elle s’enfermait dans son jardin botanique pour s’occuper de ses putains
de plantes. Je n’ai pas vraiment de souvenirs heureux avec elle. Elle ne faisait
rien avec nous.
Il fit une pause. J’avais l’estomac noué. J’avais déjà peur de ce que j’allais
entendre.
— Je me demande s’ils se sont vraiment aimés un jour. Parfois je pense que
mon père est resté seulement parce qu’elle a trouvé le moyen de tomber
enceinte. En revanche lui nous consacrait absolument tous ses week-ends, c’était
notre héros. Dès que le vendredi soir arrivait, il mettait tout sur pause pour
passer du temps avec Ellie et moi.
Delsin qui faisait les cent pas s’arrêta brusquement. Mon cœur manqua un
battement. Il releva la tête et me scruta.
— Les années ont filé comme ça. Mon père et moi étions très proches, on
parlait beaucoup. J’avais douze ans la première fois qu’il m’a parlé de divorce et
j’avais espéré qu’on partirait avec lui, loin de cette femme qui passait son temps
à nous ignorer, mais un événement vint repousser ce projet.
— Quoi donc ? soufflai-je.
— Ellie est tombée malade. Elle avait trois ans de moins que moi. C’est arrivé
subitement un dimanche soir. Nous l’avons emmené à l’hôpital où elle est restée
plusieurs jours, mais les médecins ne trouvaient rien. Ils ont fait des tonnes et
des tonnes d’examens, de tests et tout un tas d’autres trucs pour comprendre d’où
venait son mal mais, ils n’ont rien trouvé. Elle vomissait et se tordait de douleur,
elle devenait de plus en plus faible. Elle avait à peine la force d’attraper un verre
d’eau. Ils ont fini par lui mettre un tube respiratoire, car le simple fait de respirer
lui coûtait trop d’énergie.
Je déglutis. Je repensai à cette photo de famille que j’avais vue chez lui. Au
jeune Delsin qui souriait et à cette petite fille qui riait aux éclats.
— Elle perdait du poids à vue d’œil et rapidement elle n’avait plus que la peau
sur les os. Son estomac rejetait tout ce qu’on lui donnait à manger. Mon père
était fou de rage et a fini par changer d’hôpital pour consulter d’autres avis.
Delsin se remit à faire les cent pas.
— Ma mère était au chevet d’Ellie, mais elle se plaignait sans arrêt de devoir
aller à l’hôpital et de rester enfermée dans cette chambre… Je voyais bien que
mon père ne la supportait plus, et la tension était étouffante. Entre Ellie que je
perdais un peu plus chaque jour et mes parents qui se déchiraient, j’étais à bout.
Je voulais que mon père demande le divorce. Si j’avais su…, gémit-il. Si
seulement on avait été plus malins…
Je sentais combien ces souvenirs étaient douloureux pour lui. Je serrai mes
bras autour de mes genoux. J’aurais voulu le prendre dans mes bras pour le
réconforter, mais je n’osai pas l’interrompre.
— La vie s’est vite résumée à un quotidien difficile à supporter, reprit-il.
Visite, collège, visite, retour à la maison, embrouilles… C’était comme ça tous
les jours puisque mon père travaillait moins. Puis, un jour mon père est tombé
amoureux du nouveau médecin d’Ellie. C’était une pédiatre très réputée. Il fallait
bien avouer que par rapport à ma mère, elle était amusante, aimante et souriante.
Elle parlait avec Ellie et prenait soin d’elle. Grâce à elle, Ellie a repris du poids
et elle a pu sortir de nombreuses fois de l’hôpital.
Delsin s’interrompit, s’avança vers moi et se laissa tomber sur le lit. Il avait
les poings serrés. Je déglutis.
— Je n’en voulais pas à mon père d’être tombé amoureux ni à Sophia, la
pédiatre, d’éprouver la même chose pour lui. Il s’est enfin décidé à demander le
divorce… et il ne l’a pas obtenu dans la joie.
Je soufflai. Delsin tendit le bras et caressa mes cheveux pour y replacer une
mèche. La douceur de cette caresse contrastait tellement avec ses mots qu’elle
me fit trembler. Était-ce le dénouement ?
— Ma mère est devenue hystérique à table quand il lui a dit qu’il voulait
divorcer. Je me souviens qu’elle s’est levée en riant et qu’elle est partie dans la
cuisine. Elle a ramené une bouteille de vin et trois verres. Je ne savais pas quoi
dire, même mon père ne comprenait pas ce qu’elle faisait. Puis elle est retournée
à la cuisine prétextant avoir oublié le tire-bouchon… Elle est revenue avec un
couteau à viande et a poignardé mon père.
J’étouffai une exclamation effarée.
— Mais elle a mal évalué le point de chute et il s’en est tiré, poursuivit-il le
regard perdu dans ses souvenirs. Pas sans mal, mais ses jours n’étaient pas
comptés. Je me souviens qu’après l’avoir poignardé elle avait brandi le couteau
en braillant qu’il n’était qu’une merde, que Sophia n’était qu’une pute qui n’en
voulait qu’à son argent, que nous étions des petits bâtards, que c’était pour lui
qu’elle était tombée enceinte et qu’elle ne nous avait jamais voulus. Elle hurlait
comme une folle, mon père était au sol. J’essayai alors de la calmer pour pouvoir
appeler une ambulance. Elle m’empêcha de l’approcher en brandissant son
couteau dans tous les sens, et me toucha à l’arcade sourcilière, puis elle hurla
qu’elle ferait croire à tout le monde que nous avions tenté de la tuer et elle se
planta le ventre.
Je retins ma respiration, j’avais les larmes aux yeux.
— Elle a fini en hôpital psychiatrique et mon père a obtenu le divorce et notre
garde exclusive à Ellie et à moi. Il n’a pas voulu porter plainte, mais le juge a
instauré une injonction d’éloignement. Cela interdisait à ma mère de nous
approcher et même de nous contacter. Nous avons passé une période difficile
avec mon père et il nous a fallu pas mal de temps avant qu’on puisse fermer l’œil
sans revoir la scène qu’avait faite cette pauvre tarée. Mon père a même mis un
frein à sa relation avec Sophia, pendant un moment. Mais après quelques
semaines, il s’est mis à la fréquenter réellement. Il s’est passé plus de quatre ans
et demi avant que l’autre folle ne réapparaisse dans nos vies. Mon père était
remarié avec Sophia qui était enceinte, Ellie allait bien mieux malgré sa fatigue
constante et, moi, j’étais un ado comme les autres.
— Qu’est-ce qui s’est passé ? demandai-je péniblement.
— Pour t’épargner plus de détails, elle a fini par sortir de l’hôpital. Elle nous a
invités à manger, mon père a refusé, mais Sophia nous a convaincus que malgré
ce qui s’était passé, un repas pour apaiser les tensions n’allait pas nous tuer.
— Mon Dieu…, gémis-je.
— Ma mère nous a montré sa nouvelle petite vie, elle nous a fait un repas, et
nous a tous empoisonnés. Littéralement. Je me suis simplement senti partir puis
plus rien.
Je retins mon souffle, mais pas mes larmes. Delsin caressa mes joues et les
chassa.
— Je me suis réveillé bien plus tard dans un sale état. J’avais mal partout,
j’étais faible, j’avais de violentes douleurs abdominales, je respirais grâce à un
tuyau. Des médecins étaient tout le temps à mon chevet. J’avais l’impression
qu’il me considérait comme un miraculé.
— Tu… ?
— J’ignorais encore qu’ils étaient…
Je retins ma respiration.
— Ils étaient morts ?
— Ouais, approuva-t-il. Les médecins ne voulaient pas risquer que la nouvelle
mette ma guérison en danger, alors ils avaient décidé de ne pas me le dire de
suite. Ils étaient morts. Tous, Ellie, mon père, Sophia et son bébé. Quand je l’ai
su, je…
Sa gorge était nouée. Mon cœur était brisé.
— J’étais sous le choc. J’ai repensé à tout ce qui s’était passé depuis des
années. La mystérieuse maladie de ma sœur, le fait que plus la situation était
tendue entre mes parents plus elle était malade… Et j’ai compris que pendant
des années cette folle l’avait empoisonnée avec ses putains de plantes. Elle s’y
connaissait tellement dans toutes ces merdes… Cette salope avait empoisonné sa
propre fille pour… Je ne sais même pas pourquoi !
Il se tut sans doute pour éviter que sa colère ne refasse surface. J’avais envie
de le prendre dans mes bras, de lui ôter toute cette peine.
— J’ai confié mes soupçons aux flics et l’hôpital a fait des tests. Seigneur, tu
ne mérites pas d’entendre toutes ces merdes…
— Je peux bien les entendre si tu en as besoin, lui assurai-je.
Il secoua la tête et caressa ma joue puis mon oreille en soupirant.
— Non, ce n’est pas bon de ressasser les souvenirs de cette malade. Bref,
comme tu l’as deviné, elle avait prémédité tout ça. Et les flics ont mis un avis de
recherche sur sa tête. Ce jour-là, nous avions tous plutôt bien mangé et il y avait
une trop grande quantité de poison dans nos organismes. Le corps d’Ellie ne l’a
pas supporté et j’ai su plus tard que mon père et Sophia étaient morts après
plusieurs heures d’agonies.
— Mon Dieu…
— Je suis le seul qui ait survécu.
— C’est horrible, je suis tellement désolée.
Il sourit puis porta son regard au loin.
— Et encore, ce n’est pas fini.
— Quoi ? soufflai-je.
— Cette salope est venue me voir à l’hôpital. J’étais en train de dormir et
quand je me suis réveillé elle était là avec son sourire merdique, en train de me
caresser les cheveux.
— Mon Dieu ! lançai-je dans un sanglot.
— J’ai bondi. Toute la colère et la tristesse que j’avais contenues, tout ça a
explosé. Je l’ai frappée et attrapée par le cou, et crois-moi, j’ai vraiment voulu la
tuer, plus je serrais mes mains autour de son cou et plus je me sentais bien. J’en
avais rien à foutre d’écoper de quoi que ce soit…
— Delsin…
Sa voix tremblait, la mienne aussi.
— Axel et Zack sont arrivés au même moment et ils m’ont calmé.
Heureusement sans doute. Les policiers ont arrêté ma mère et au procès sa
défense a clamé la folie. C’est tellement facile, putain de merde ! Moi par contre,
j’ai eu quelques heures de gardes à vue et de travail d’intérêt général pour l’avoir
frappée.
Il se redressa. Ses poings étaient blancs tellement ils étaient serrés.
— Elle est dans un hôpital, elle a l’interdiction de m’approcher, mais comme
tu as vu, elle a réussi à s’échapper l’autre jour. Ils l’ont ramenée et elle est
enfermée à nouveau. Je ne l’avais pas revue depuis le procès. Je n’étais déjà pas
bien parce que c’était à cette période de l’année que le repas avait eu lieu, et
quand je l’ai vu, j’ai explosé. Je me demande souvent si je serais allé jusqu’au
bout dans cette chambre l’hôpital si Axel et Zack n’étaient pas arrivés…
— Admirable, soufflai-je.
— Pardon ? demanda-t-il en se figeant.
— Admirable, répétai-je les yeux baissés. Tu es admirable.
Et c’était ce que je pensais. Comment aurais-je pu le qualifier autrement ? Une
brute ? Un malade ? Absolument pas. Je me demandais même comment il avait
réussi à garder la raison après avoir vécu cela. Comment arrivait-il à faire
confiance aux gens ? Comment arrivait-il à se nourrir sans avoir peur ?
Comment avait-il réussi à ne pas la tuer la semaine dernière ?
Seigneur… Ce qu’il avait fait à cette femme, j’aurais voulu le faire un million
de fois à Mick. Delsin avait vécu l’enfer, il avait touché le fond et il était devenu
un homme… incroyable. Parce que pour moi il était admirable. Quelques éclats
de colère n’effaçaient pas le fait qu’il avait pris soin de moi avec délicatesse
depuis notre rencontre.
— Levy, j’ai frappé et…
Je frissonnai. Je savais ce que ça faisait d’être frappée par un homme, je savais
aussi ce que ça faisait d’être blessée moralement et physiquement, ce que ça
faisait d’être à la merci d’un bourreau et de n’être qu’une proie. Je connaissais
les regards cruels et dépourvus du moindre remords et Delsin n’avait rien de tout
ça dans les yeux. Il était profondément triste. Il n’était pas une brute. Je me levai,
me plaçai devant lui puis d’un geste maladroit, j’attirai son visage à moi et
plaquai mon front contre le sien.
— Tu n’es pas allé jusqu’au bout parce que tu n’es pas comme elle. Tu ne l’as
pas fait parce que tu te devais de vivre. Et tu as survécu et ça, c’est beau. Je
trouve ça admirable. Tu es un battant. La violence ne résout pas tout et c’est ta
vie à toi qui aurait été détruite, pas la sienne. Certes la frapper n’était pas
vraiment une solution, mais après tout…
— Levy…
— Je suis désolée, si j’ai pu te donner l’impression d’avoir eu peur de toi,
Delsin. Tu vas croire que je t’ai jugé, mais ce n’est absolument pas le cas. Je
voulais simplement te comprendre et t’aider, murmurai-je en approchant mes
lèvres des siennes.
Delsin desserra les poings et ses bras s’enroulèrent autour de ma taille, nous
rapprochant davantage l’un de l’autre. Je sentis ses mains chaudes à travers mon
tee-shirt.
— Je suis désolé de t’avoir paru brusque, je ne suis pas méchant, j’ai juste
quelques mauvais jours et un regain de colère que je ne contrôle pas toujours.
— Je sais.
— Je suis désolé, je ne voulais pas que tu associes l’homme qui t’avait donné
ton premier baiser à celui qui a pété un plomb et encastré cette femme dans le
mur.
— Aucun risque, répondis-je.
Il m’attira tout contre lui. Je lâchai son visage et le pris dans mes bras. J’aurais
voulu lui dire quelque chose. Mais rien ne me semblait assez bien pour lui.
— Merci, trésor.
Je rougis, mais je secouai la tête. Je n’avais rien fait. Delsin m’attira
davantage à lui et me fit asseoir sur ses genoux. Il releva alors mon visage pour
plonger son regard dans le mien. Il avait glissé une main sur ma nuque et l’autre
me caressait la joue. Ses yeux étaient sombres, je soufflai doucement. J’étais
tellement triste et accablée pour lui, mais paradoxalement d’autres sensations
étaient en train de bouillonner dans mon bas-ventre. Apprendre tout ça n’avait
absolument pas atténué le désir qu’il m’inspirait. Les joues rouges, je détournai
le regard. Il grogna. Il interprétait certainement mal les choses.
— À quoi tu penses, là tout de suite ? demanda-t-il.
— À toi, répondis-je sans détour.
— Tu penses à quoi exactement ? demanda-t-il à nouveau les sourcils froncés.
— À ta bouche, dis-je en effleurant ses lèvres avec les miennes.
Ses yeux s’écarquillèrent. Sans doute s’était-il attendu à une autre réponse
comme : « je suis désolée pour tout ce que tu as vécu » ou « merci de m’avoir
parlé maintenant tu peux dégager ». Je ne voulais rien de tout ça. Je voulais mon
Delsin. Celui qui partageait mes insomnies, celui qui me faisait rire, vibrer.
Passant mes mains dans ses cheveux, je sentis leur douceur ondoyer au passage
de mes doigts. Il restait silencieux. Immobile.
— Trésor, souffla-t-il d’une voix rauque.
Ses lèvres s’entrouvrirent sous les miennes et son corps vibra tandis qu’il
semblait lutter pour rester maître de lui-même. Lorsque je glissai ma langue
contre la sienne pour la caresser comme il me l’avait montré, je sentis ses bras
m’emprisonner et notre baiser se fit plus audacieux. L’intensité de ma réaction
m’effraya. Mes mains se perdirent dans ses cheveux et je m’abandonnai
totalement à lui. Une chaleur incroyable m’envahit, prête à me consumer.
Je m’écartai doucement pour reprendre mon souffle.
— Ça m’a manqué, murmura-t-il d’une voix rauque.
Je me penchai vers lui.
— À moi aussi.
Il sourit contre mes lèvres et je me perdis dans toutes les merveilleuses
sensations qu’il m’offrait. Quel bonheur de le retrouver.
— Je suis désolé de t’avoir repoussée, Levy. Axel et Zack sont plus ou moins
rodés et me supportent malgré tout depuis tout ce temps, mais toi… Je n’ai pas
l’habitude de gérer ça.
Le regard qu’il me lança me coupa le souffle. Sa main qui me caressa la joue
me liquéfia.
— La première fois qu’on s’est vus, c’était juste une nuit d’insomnie comme
les autres. Il n’y avait rien, Levy. Juste de la colère. Et soudain, à travers elle, toi.
Toi, bon sang ! Tu étais là, avec ton fichu sens de la justice, tes joues rouges et
tout cet arsenal dans ton sac. J’avais la gueule cassée, j’étais en colère, et toi qui
n’avais rien à foutre là, tu m’as aidé. Tu m’as perturbé. C’est une putain de
sensation quand tu n’en as pas l’habitude… Je recommencerais toutes ces nuits
si je pouvais les passer avec toi.
Sa déclaration me laissa sans voix, j’étais touchée en plein cœur. Jamais je
n’avais entendu de si belles paroles. Mes sentiments pour lui étaient tellement
forts que ça me faisait peur. J’avais une envie folle de lui. Je sursautai lorsqu’il
me caressa les joues.
— Levy ?
— Je suis désolée, soufflai-je. J’ai eu peur…
Il fronça les sourcils.
— À quoi tu penses, là tout de suite ?
— À toi.
— Et plus exactement ?
— Est-ce que tu… est-ce que tu me désires ?
Son regard tomba lourdement sur moi. Une vague de chaleur se logea dans
mon bas-ventre.
— Si je te désire ?
Il ferma les yeux et inspira profondément. Je me tortillai ne sachant quoi faire.
Lorsqu’il rouvrit les paupières, il ne semblait pas plus calme.
— Si je te désire ? répéta-t-il. Il n’y a pas une seule chose chez toi que je ne
désire pas, Levy. Tu n’imagines pas à quel point j’ai envie de toi.
Je m’efforçai de contenir la nouvelle vague de palpitation dans mon bas-
ventre.
— Vraiment ?
Il souffla et attrapa mon visage en coupe dans ses grandes mains.
— J’ai envie de te toucher, de…
— De quoi ? demandai-je.
— De tout. De te découvrir, de te faire frémir et jouir. Putain ! Comment tu
peux me demander si je te désire ?
Ses pouces caressaient mes lèvres comme s’il essayait de se calmer.
— Merde, Levy, tu…
Sa bouche s’abattit sur la mienne avec une avidité sans pareille. Ses mains
quittèrent mon visage ; l’une se logea dans ma nuque tandis que l’autre caressa
mon échine. Mes mains glissèrent sur son torse et mes doigts se crispèrent sur sa
chemise. Je ne sentis pas ma force ni la puissance de mon désir. Un bouton sauta
et Delsin grogna.
— Si tu ne me freines pas…
— Je ne veux pas que tu t’arrêtes.
— Levy…
— Encore un peu…
Il frissonna et m’embrassa à nouveau. Sans un mot, il m’entraîna avec lui et
m’allongea sur mon lit. Je rougis quand il se pencha au-dessus de moi et qu’il
m’embrassa langoureusement. Je n’avais jamais connu la volupté ni le désir
charnel et je ne regrettais pas de le connaître avec lui.
— J’ai tellement envie de te toucher, dit-il d’une voix grave. Mais je ne ferais
rien sans ta permission.
Je hochai la tête.
— Levy, ce que je faisais avec les autres filles, je ne le fais pas avec toi. Parce
que tu mérites tout, pas juste de te faire sauter. C’était ton premier baiser, alors
j’en déduis que tu n’as jamais rien fait d’autre.
Oh, mon Dieu, j’avais tellement honte tout à coup.
— Et ça te dérange ? demandai-je d’une petite voix.
— Absolument pas, cela dit, je ne pense pas mériter être ce type-là.
— Ça, c’est à moi seule d’en juger. Et j’en ai envie Delsin, tellement envie…
— Je sais, trésor, murmura-t-il alors en souriant. Et tu n’imagines pas combien
j’en ai envie moi aussi, je voulais juste l’entendre.
— Connard.
Il caressa ma bouche de la sienne avant de m’embrasser plus profondément.
Mon corps s’embrasa, j’étais excitée et aussi un peu apeurée. Je n’eus pourtant
pas le temps de bien y réfléchir, car Delsin effleura la courbe de mes seins puis
mon flanc droit jusqu’à ma hanche. Sa bouche était encore et toujours rivée à la
mienne. D’un coup d’un seul, notre position changea. Il était assis et je me
retrouvai à califourchon sur lui.
— Lève les bras, susurra-t-il.
Je m’exécutai sans un mot et ses doigts chauds effleurèrent ma peau avant
d’agripper mon tee-shirt et de le faire passer par-dessus ma tête. Il me scruta, les
yeux voilés de désir. Il me dévorait du regard…
— Ta cicatrice, comment tu l’as eue ? demanda-t-il.
Son pouce glissait à présent sur la rugosité de ma peau à cet endroit précis de
mon ventre. Je frissonnai et pas seulement de désir, de peur aussi. Je l’avais
oubliée… Je ne pouvais m’empêcher de penser que la première chose qu’il avait
commentée en me déshabillant, c’était cette cicatrice. Il ne m’avait pas dit que
j’étais jolie, il avait…
— Ça ne ressemble pas vraiment à une cicatrice d’appendicite.
Merde. Que lui dire ? Je ne voulais pas gâcher ce moment en pensant à Mick.
Je ne voulais que nous.
— Accident de voiture. J’ai douillé.
— J’imagine.
— Je sais que c’est moche, mais…
— Moi, j’adore les petites imperfections. J’en ai plein moi aussi et cette toute
petite chose ne te rend pas moins sexy à mes yeux.
— « Sexy » ?
— Oui, très, très sexy, dit-il avec un sourire.
— C’est déroutant de passer de la fille invisible à la fille sexy.
Surtout pour un gars comme lui.
— « Invisible » ? Putain, ils avaient de la merde dans les yeux par chez toi, ou
quoi ?
— Peut-être que c’est toi qui en as, dis-je en souriant.
Il secoua la tête sans sourire et posa son merveilleux visage entre le creux de
mes seins, m’arrachant un souffle rauque.
— Absolument pas. Je suis clairvoyant, je vois divinement bien et ce que je
vois est absolument parfait. Tu es magnifique.
Je sentis ses mains se crisper sur mon corps tandis que je passais les miennes
dans ses cheveux pour le serrer un peu plus contre moi.
— Merde, Levy… tu vas me rendre complètement fou.
Je me tortillai sur lui et sa bouche captura la mienne de manière autoritaire et
sauvage.
— Tu es absolument magnifique.
Je souris et lentement ses doigts caressèrent la dentelle de mon soutif et son
pouce effleura la pointe de mon sein. Je gémis tout en me cambrant. Je n’avais
pas franchement honte de me retrouver devant lui en soutien-gorge et en short.
Je ne pensais plus qu’à ce qu’il allait faire…
Delsin se redressa un peu et posa sa bouche sur l’un de mes seins, en aspirant
la pointe. Je gémis plus fort tandis qu’il me regardait de ses yeux sombres.
— Je peux te l’enlever ? demanda-t-il.
J’acquiesçai en silence, me délectant de la manière dont il me regardait.
— Levy ?
— Mmh ?
— Je peux ?
— Oui.
Un magnifique sourire s’étira sur son visage et lentement je sentis ses mains
quitter ma taille pour venir caresser mon échine, puis elles se posèrent sur le
fermoir de mon soutien-gorge. Son visage vint se loger dans mon cou et je sentis
ses lèvres se poser contre ma peau, sur mon oreille, puis sa bouche traça un
chemin de baisers en sens inverse avant de me mordiller l’oreille.
— Je peux ? demanda-t-il à nouveau.
— Mais oui, me plaignis-je comme une enfant.
Le chemin tracé de ses baisers rendait ma peau brûlante, elle était comme
marquée au fer rouge. On m’avait déjà marqué et la cicatrice sur mon ventre en
était une preuve, mais jamais on ne l’avait fait avec tant de douceur et de
sensualité. Delsin ouvrit mon soutien-gorge, dégagea les bretelles et m’en libéra
totalement. Il se figea en me contemplant.
— Tu es tellement belle.
Je me demandais si cette phrase avait pour but de me déstabiliser ou de me
faire penser à autre chose, dans tous les cas à présent, les lèvres de Delsin
allaient et venaient sur ma peau sans jamais se poser sur les miennes, puis
lorsqu’il sembla décidé à les embrasser à nouveau, il caressa ma poitrine du bout
de ses doigts faisant jaillir de ma bouche un gémissement de plaisir. Il se trouva
bientôt haletant, au moins autant que moi. Il effleura alors du bout de ses lèvres
le galbe arrondi de mon sein et se fit de plus en plus pressant à mesure que je me
cambrais. Il sourit contre ma peau avant d’attraper entre ses lèvres expertes la
pointe durcie de mon sein.
— Delsin…
— Est-ce que tu aimes ? murmura-t-il.
— Oui.
— Tu es tellement belle, Levy.
Je secouai la tête dubitative.
— Moi, je te le dis.
Je fermai les yeux.
— Je viens de me découvrir une nouvelle passion, lança-t-il.
— Ah ?
Il sourit, remonta vers mon visage et aspira ma lèvre inférieure de plus en plus
fort, jusqu’à ce que je gémisse.
— Toi. Tu as une peau tellement douce, je pourrais te caresser pendant des
heures tellement j’adore ça.
— Ça me va, gémis-je.
— Les passions en commun, ça rapproche…
Je posai alors mes paumes contre sa poitrine et je m’attaquai à chaque bouton
jusqu’à lui ôter sa chemise. Ses muscles se raidirent d’un coup quand mes lèvres
l’effleurèrent en accompagnant mes doigts maladroits. Toucher son corps était
quelque chose de grisant et avoir l’audace de le faire avec mes lèvres c’était
encore plus incroyable. Je laissai descendre ma bouche sur les pectoraux qui
s’offraient à moi.
Ses mains relevèrent mon visage et je fis face à son regard assombri par le
désir.
— Levy, dis-moi ce que tu veux.
Je voulais tout, mais j’avais peur. Je n’avais aucune honte à l’avouer, c’était
ma première fois et j’étais terrifiée de passer ce cap d’intimité.
— Je ne sais pas… tout.
— Très vague, tout ça, murmura-t-il.
— Désolée…
Delsin sourit et sa bouche gourmande trouva de nouveau la pointe de mon
sein qu’il mordilla cette fois-ci. Je me cambrai au-dessus de lui à bout de souffle.
— Je suis avec toi, je suis tout à toi, souffla-t-il. Alors tu peux avoir tout ce
que tu veux.
Ses doigts agacèrent mon sein nu qui n’avait pas l’attention de sa bouche. Son
pouce décrivit un cercle constant et d’une lenteur agaçante autour de mon
mamelon. Je le désirais tellement. Mon corps en ébullition et en fusion en était la
preuve. Je ne voulais pas faillir, pas à ce stade.
— Je veux que tu me touches, soupirai-je.
Un gémissement torride remonta de sa gorge quand il s’écarta de ma peau.
— C’est ce que je fais, trésor. Pour être même plus sincère, je te goûte aussi.
Je ris nerveusement et je sentis son corps frémir contre le mien.
— Non, je veux…
Je ne savais pas comment le formuler. Tout était nouveau pour moi, tout était à
la fois étrange et bon. J’avais peur, pourtant j’avais pleine confiance en lui et je
le désirais ardemment. Perdue, mais grisée, je pressai ma poitrine contre lui et je
me mis à dévorer son cou de baiser. Il grogna quand j’aspirai sa peau sous mes
lèvres et quand mes seins menus se frottèrent contre ses pectoraux. Quand enfin
je lâchai sa peau, il était haletant. Je me pressai un peu plus contre lui avant de
descendre ma bouche sur ses pectoraux tandis que mes mains s’aventuraient plus
bas, s’arrêtant au bouton de son jean.
— Levy…
Je me redressai alors qu’il me regardait, perdu. Ça avait quelque chose de
grisant de le voir tout autant perturbé que moi par ce que nous faisions. En
souriant, je me redressai de sorte de retirer mon short et lorsqu’il comprit ce que
j’étais en train de faire, il m’attira à lui. Ses mains se posèrent sur mes cuisses
alors que les miennes s’aventuraient de nouveau sur son ventre. Rapidement, je
défis les boutons de son jean.
— Que fais-tu ? demanda-t-il.
— Comme toi, je veux te toucher.
— Il ne me semble pas t’avoir touchée à cet endroit, trésor.
— Ah ? C’était dans mes fantasmes, alors.
— Levy ?
Il gémit alors que j’écartais son jean et que je découvrais sous son boxer son
excitation. Le souffle court, je me lançai :
— J’ai beaucoup pensé à toi, comme ça.
— Merde.
Sa bouche s’écrasa sur la mienne et ses doigts remontèrent sur ma cuisse, se
posèrent sur l’élastique de ma culotte et vinrent caresser mon intimité à travers le
tissu. Animée par la même envie, je n’hésitai pas à libérer son sexe de sa prison.
— Attends…, souffla-t-il.
Il se redressa alors tout en me gardant contre lui et il fit descendre son jean
jusqu’à ses chevilles.
— Je n’ai… jamais fait ça, fis-je d’une voix mal assurée.
— Tu fais ça très bien, m’assura-t-il contre ma bouche. Continue comme ça,
d’accord ? J’ai tout mon temps, je suis à toi.
J’acquiesçai et je repris son sexe dans mes mains. C’était excitant de faire cela
et ça le fut encore plus quand il s’arc-bouta. J’étais émoustillée, je me laissais
aller au rythme de sa chair qui s’activait sur ma paume, qui montait et
redescendait à une cadence haletante. Le désir et l’envie de lui faire du bien
obscurcissaient à présent toutes mes pensées.
— Delsin ?
— Mmh ?
Je souris et lui aussi. Je voulais qu’il me fasse la même chose, je voulais qu’il
apaise la faim qui me tiraillait les entrailles.
— Caresse-moi en même temps.
Il mordilla ma lèvre et ses mains qui semblaient être partout caressèrent mon
corps, mes seins, ma taille, mes hanches, puis remontèrent malicieusement. Sans
m’en rendre compte, je grognais d’impatience.
— Ne me demande pas de te supplier, connard.
— C’est pourtant ce que tu viens de faire.
Mauvaise joueuse, je lui infligeai une longue et lente caresse. Il jura contre ma
bouche et cette fois-ci, sa main glissa sous ma culotte. Il caressa mon point
sensible et d’une lenteur insoutenable, il inséra un doigt en moi. Je hoquetai de
surprise, puis de désir.
— Tu es si serrée. Tellement étroite, soupira-t-il d’une voix cassée.
Je n’étais pas certaine d’avoir bien compris et je m’en fichais. Plus rien ne
comptait que nos corps lovés l’un contre l’autre et ce lien qui rendait ce moment
plus parfait encore. Delsin m’attrapa par la nuque, me fit incliner le visage et il
m’embrassa profondément. Nous étions liés de toutes parts, peut-être pas
totalement certes, mais nos bouches étaient jointes et soudées, nos langues
étaient emmêlées. Je me plaquai contre sa main alors que lui bougeait dans la
mienne. Tout était parfait. Tout n’était que fusion. Une fusion parfaite qui n’allait
pas tardait à exploser d’ailleurs. Je gémis contre sa bouche. Son corps se
contracta et je sentis son sexe enfler dans ma paume. Savoir qu’il était au bord
de la jouissance fit enfler mon propre désir et ma propre envie de délivrance. Ce
qui arriva. Vite. Sans que je ne contrôle quoi que ce soit. Le tiraillement dans
mon ventre gonfla avant d’exploser. Mon corps contracté et douloureux s’arc-
bouta et se secoua de spasmes dans une puissante délivrance, puis Delsin me
suivit et plaqua sa bouche contre la mienne avant que son corps n’imite le mien.
Il se passa certainement de longues minutes avant que l’un de nous ne daigne
bouger. Ses bras étaient solidement attachés autour de ma taille et ma tête
reposait contre son torse. Du bout de ses doigts, Delsin caressa le long de mon
échine.
— À quoi tu penses, là tout de suite ?
— À recommencer, répondis-je.
Il se figea, puis embrassa mes cheveux.
— Alors tout va bien ? demanda-t-il d’un ton ravi.
Je relevai mon visage et embrassai sa bouche.
— Très bien.
Chapitre 19
J’ouvris lentement les yeux et la pièce prit forme autour de moi. La lumière du
soleil filtrait à travers les rideaux mal fermés de ma chambre. Je m’étirai
doucement et appréciai la chaleur délicate qui m’enveloppait. Je tournai la tête et
aperçu une silhouette. Oh, mon Dieu ! J’étais nichée contre le torse de Delsin et
ses bras m’enveloppaient. Le souvenir de la nuit dernière me revint en mémoire.
Et je me rendis compte que pour la première fois depuis toujours sans doute,
je n’avais que des pensées heureuses. Nous avions progressé hier, il s’était confié
à moi et nous avions partagé un moment de tendresse des plus parfait.
— Salut, toi, lança-t-il d’une voix douce.
Seigneur…
— Bonjour, répondis-je avec calme.
Je levai la tête de son torse. Oh, là là ! Comme il était beau avec ses cheveux
en bataille… Je comprenais enfin ce qu’avait voulu dire Rob en disant que voir
un beau mec comme lui au réveil ça mettait de très bonne humeur dès le matin.
— Il est quelle heure ? demandai-je.
— Un peu plus de onze heures.
Ah, ça me laissait le temps de… Minute.
— QUOI ? hurlai-je en me redressant.
Merde, j’avais cours ce matin. J’avais dû recevoir des appels de Rob. Je me
levai à la hâte. Delsin éclata de rire et tira sur mon tee-shirt me faisant basculer,
puis tomber sur le lit. Je rebondis une fois dans un couinement gênant. Je finis
par éclater de rire à mon tour.
— Reste donc ici trésor.
— Mais…
— Vu l’heure autant que tu y ailles pour les cours de l’après-midi, tu ne crois
pas ?
— Mais pourquoi ne m’as-tu pas réveillée ? l’accusai-je avec moins de colère
que je ne l’aurais voulu.
— Parce que tu étais épuisée et que tu dormais si bien qu’il aurait été
hautement cruel de te réveiller.
J’ouvris la bouche, puis je souris sans répondre.
— T’ai-je cloué le bec ?
— Dans tes rêves, Delsin. Dans tes rêves.
— C’est cela, oui. Moi, puisque tu te poses la question, j’ai super bien dormi.
Des mois que je n’avais pas roupillé d’une traite comme ça. C’est grâce à toi.
Il sourit.
— Super, j’ai toujours eu envie d’avoir un effet soporifique.
Il ricana et m’attira à lui tandis qu’il se mettait sur son côté. Il était
impressionnant. Tellement beau et désirable.
— C’est bien aussi de dormir. J’étais bien avec toi dans mes bras. Et puis,
soporifique n’est pas le mot que j’aurais employé pour te définir, trésor. Tu m’as
apaisé et j’aime assez ce don.
Je gloussai en secouant la tête.
— Que de conneries si tôt le matin, lançai-je. Tu en as d’autres des bêtises de
ce genre ?
Seigneur, j’étais écarlate. Carrément cramoisie. J’essayais de faire en sorte
que ses mots ne m’atteignent pas, mais c’était impossible, mes joues me
trahissaient complètement. Il se pencha vers moi, saisit délicatement mon visage
et me força à le regarder. Sa bouche s’étira en un sourire puis elle couvrit
tendrement la mienne.
— Je ne dis ni ne fais jamais de conneries. Tout est toujours parfaitement
consenti et mûrement réfléchi, trésor.
Son haleine mentholée chatouilla mes narines alors qu’il soufflait ses mots à
même ma peau. Il sentait divinement bon. S’était-il lavé les dents et douché
aussi ? Seigneur, j’espérais ne pas sentir le chacal. Pas le temps d’y penser. Sa
bouche joua avec la mienne doucement, puis de façon plus prononcée ce qui
m’arracha un gémissement. « Parfaitement consenti », hein ?
Le salaud, il s’était même changé. Il portait un tee-shirt et son bas de jogging.
Il pressa un peu plus ses lèvres sur les miennes avant de me libérer haletante et
en sueur.
— Ça aussi c’était mûrement réfléchi ? demandai-je le souffle court.
— Parfaitement, approuva-t-il. Depuis que je suis réveillé, j’y ai pensé de
mille façons différentes, mais j’ai l’impression que laisser les choses se faire
c’est encore mieux.
— Je trouve aussi.
∞
— Alors ? aboya Rob quand il me vit arriver. Il serait dans ton intérêt de me
répondre. Alors ? Alors ? Alors ? Alors ? Alors ?
— Alors rien, répondis-je.
Il éclata d’un rire sans joie avant de me lancer un regard assassin. Je battis des
cils, tout à fait innocemment.
— Tu crois que tu vas t’en sortir avec ça ?
— Mais je n’ai rien à dire. Il ne s’est rien passé. Il est rentré, il est venu me
voir et…
— Et il a passé la nuit avec toi, me coupa Rob sur un ton hystérique. Je suis
venu te chercher ce matin et… qui m’a ouvert la porte, torse nu, les cheveux en
bataille pour me dire que tu étais crevée et que tu avais besoin de te reposer ?
J’ai failli avoir un arrêt cardiaque. Je crois que j’ai même eu une…
J’ouvris la bouche, avant de me pincer les lèvres pour ne pas rire.
— Mon Dieu ! se reprit-il. Ce que j’essaie de te dire avec plus ou moins de
délicatesse, c’est que je veux tous les détails. Absolument tous les détails.
Je haussai les épaules.
— Il n’y en a aucun. Nous avons parlé beaucoup de ces derniers jours, et
puis…
— C’est bien, m’encouragea-t-il. Et… ?
Je secouai la tête. Bon sang, il était taré.
— On s’est embrassés, lâchai-je.
— C’est tout ? s’exclama-t-il déçu.
— Non.
— Non ? s’écria-t-il.
— On s’est fait du bien mutuellement, répondis-je en bafouillant. On n’a
pas…
Je regardai mes pieds, un peu mal à l’aise.
— Mais c’est super ! lança-t-il en attrapant mes épaules. C’est vraiment
génial. C’est… C’était ton premier orgasme ?
J’avais oublié à quel point Rob pouvait être direct, comme Delsin d’ailleurs. Il
allait falloir que j’arrête de rougir aussi facilement.
— N’ai pas honte, fit-il avec un sourire. Il n’y a pas de mal à ça, au contraire.
J’acquiesçai.
— T’es contente ?
— Oui, soufflai-je. Oui, c’était vraiment parfait.
Son sourire s’élargit.
— Est-ce que vous sortez ensemble du coup ?
— Je ne sais pas, je ne pense pas, non. On est…
À vrai dire, j’ignorais ce qu’on était. Je ne m’étais pas posé la question. Rob
fit la grimace.
— Tu vas vite le savoir va ! La prochaine fois que tu le verras.
— Tu crois ?
Il hocha la tête.
— Bien sûr, dit-il d’un air confiant. La prochaine fois que vous vous verrez ce
sera déterminant.
Il me semblait tellement sérieux et sûr de lui que je n’ajoutai rien.
Tranquillement, nous nous mîmes en route pour rejoindre notre première heure
de cours de l’après-midi. Rob parlait des fêtes de fin d’année. Moi, je ne m’y
intéressai pas. Je n’avais jamais fêté Noël ni le Nouvel An, chaque fois il rentrait
à la maison ivre mort.
Ce serait bientôt les vacances de fin d’année et le campus serait complètement
désert. Moi, je resterai ici, je n’avais nulle part où aller et je préférais être seule
ici que retourner là-bas. Cette année, au moins je serais en sécurité. Noël ne me
faisait pas rêver et j’avais compris avant même d’en avoir des étoiles dans les
yeux que le père noël n’était qu’une vaste fumisterie. Norah avait bien tenté de
faire vivre cette magie, mais je n’y avais jamais cru.
Rob et moi, nous installâmes l’un à côté de l’autre dans l’amphithéâtre. Je
n’avais pas tellement la tête à étudier aujourd’hui…
— C’est Delsin ! lança Rob tout à coup en fixant la porte.
— Hein ?
— C’est lui en bas.
Je relevai la tête de mon bloc-notes et laissai tomber mon stylo sur le pupitre.
Effectivement c’était bel et bien Delsin qui venait d’apparaître à l’entrée de
l’amphi. Il scrutait la salle et nous repéra, Rob et moi. Qu’est-ce qu’il foutait là ?
— On peut savoir ce que vous faites, monsieur White ? demanda le
professeur. Il ne me semble pas que vous soyez dans mon cours.
— Désolé, monsieur, j’ai un truc hyper important à faire. J’vous jure, c’est
capital. J’ai peur que dans sa tête, elle soit paumée, alors…
— Je ne comprends rien à ce que vous racontez, le coupa le professeur.
— Je sais bien, mais c’est vraiment important. Et puis, vous les ferez sortir
cinq minutes plus tard, ils ne m’en voudront pas, j’en suis sûr.
— Parce que vous avez besoin de cinq minutes ? Est-ce que vous vous fichez
de moi ?
— Je vous jure que non. S’il vous plaît !
Rob à mes côtés, trépignait sur place. L’intégralité de l’amphithéâtre avait les
yeux rivés sur Delsin qui ne semblait absolument pas mal à l’aise. Je ne savais
pas ce qu’il préparait ni si cela avait un rapport avec moi, mais j’étais déjà rouge
écarlate.
— Faites donc, White. Faite, donc. J’ai ouï dire que lorsque vous avez une
idée en tête vous ne lâchez rien. Puis comme tout ça à l’air d’être hautement plus
important que les droits juridiques de la famille, je vous en prie.
Delsin éclata de rire et serra la main du professeur, avant de gravir les marches
de l’amphi. Mon cœur battait de plus en plus vite à chacun de ses pas. Alors
qu’il marchait le long de notre allée, je ne respirais plus. En asphyxie la plus
complète, je le vis avancer d’un pas décidé vers nous. Lorsqu’il s’arrêta devant
moi, il avait un sourire sur les lèvres, mais ses yeux dégageaient une intensité à
couper le souffle.
— Oh putain, siffla Rob.
— Toi, lança-t-il doucement en me tendant sa main.
Il me fallut au moins cinq longues secondes avant de comprendre et d’envoyer
l’information à mon cerveau. Quand ce fut le cas, je glissai ma main dans la
sienne et il me fit me lever.
— Je voulais que ça soit clair, parce que la logique avec toi, c’est… En fait,
avec toi il n’y a pas de logique. C’est ce qui rend les choses amusantes…
Je n’entendais plus rien tellement mon cœur battait fort. Ce mec était un grand
malade. Après le coup de la sérénade, il me faisait une scène devant un amphi
entier. Tout le monde nous regardait à présent. Je ne voyais que lui. Il n’y avait
que ses yeux bleu nuit qui éclipsaient tout le reste. Sa bouche s’étira en un
sourire ravageur, conquis et conquérant.
— Qu’est-ce que tu racontes ? bafouillai-je.
— Tu te souviens de notre petite conversation sur le fait que tout ce que je fais
est toujours absolument réfléchi ?
Je hochai la tête.
— Bien, alors dis-toi que ce n’est absolument pas le cas là. Ce n’est pas du
tout réfléchi parce que j’ai cours et il faut aussi que j’aille voir le coach et je suis
grave à la bourre.
— Nous aussi, lança le professeur. Il ne vous reste plus que trois minutes,
White. Si vous pouviez abréger je vous en serais fort reconnaissant.
— Promis, lança Delsin en s’inclinant vers le professeur.
Quand il reporta son attention sur moi, les gens tournèrent de nouveau leurs
têtes vers nous. Je déglutis. Bon sang, j’étais certaine que sa sérénade était déjà
sur Internet et que ce nouveau numéro allait s’y retrouver aussi…
— Delsin ? soufflai-je estomaquée. Qu’est-ce que tu… ?
Il ne me laissa pas le temps de finir. Il m’attira dans le creux de ses bras et sa
main agrippa ma nuque avant que sa bouche ne se plaque sur la mienne dans un
baiser sensuel et sauvage à la fois. Surprise, soumise et enivrée, j’entourai son
cou de mes bras ce qui lui permit de m’attirer plus près de lui encore. Autour de
nous j’entendis des chuchotements que je ne compris pas, puis des cris et des
soupirs. Notre étreinte était en train de créer la stupeur dans la salle. Je poussai
un soupir. Bon sang, difficile de redevenir invisible après ça.
— Je voulais que ce soit clair avant que les cours ne commencent, dit-il
doucement contre mes lèvres. Parce que je crois avoir oublié de préciser avant
que tu partes que je voulais que tu sois ma petite amie.
— Quoi ?
J’ignorais si c’était moi ou Rob, ou nos deux voix à l’unisson, mais j’étais
estomaquée. Le monde s’arrêta autour de moi. Je devais avoir l’air d’une parfaite
abrutie figée, comme ça. Il sourit tandis que la salle entière semblait retenir son
souffle.
— Je veux que tu sois ma petite amie, Levy. Pas moyen qu’il en soit
autrement. Après cette soirée, je ne suis pas certain d’être capable de m’en lasser
ni de laisser qui que ce soit d’autre en profiter. Je crois même que je péterais la
gueule de tous ceux qui voudront essayer. Je veux nos insomnies et tes journées
aussi.
— Delsin…
— Répondez-lui, mademoiselle MacGrass. « Oui », « non », « merde », ce
que vous voulez, mais répondez-lui vite qu’on puisse passer à autre chose et
nous concentrer sur mon cours. Plus qu’une minute trente, White.
Tout le monde éclata de rire. Delsin aussi. Moi, j’étais écarlate, mais je finis
par pouffer à mon tour.
— Alors, tu es d’accord ? Tu veux bien ? Franchement, je suis un type extra,
tu sais. Tu ne peux pas me dire « non » devant tout ce public.
— Ne me tente pas, c’est très tentant, rien que pour réduire ton énorme ego à
néant, répliquai-je à voix basse.
— Une minute, après je vous fous dehors à coups de pied aux fesses, White !
Les mains de Delsin attrapèrent mon visage en coupe et il posa délicatement
son front contre le mien.
— Alors, trésor ? Tu veux bien ?
J’étais incapable de lui dire « non », alors comme pour mon premier baiser, je
répondis la chose la plus intelligente du monde :
— Oui.
— Génial ! murmura-t-il pour nous deux. Vraiment génial !
Je souris.
— Ma patience a atteint ses limites, lança le professeur. Je ne voudrais pas
qu’à cause de vous mes élèves pensent que je suis quelqu’un de gentil.
— Mais vous l’êtes, Monsieur, lança un élève.
— Rupert, ce n’est pas comme ça que vous gagnerez des points. White,
dehors !
— On se voit ce soir ? souffla Delsin.
J’acquiesçai. Il posa un baiser sur mon front et recula en moonwalk. Un
moonwalk pitoyable, mais rien que pour sa déclaration et son audace, je lui
mettais un dix.
— Alors monsieur White ? Vous avez dérangé mon cours, peut-on connaître la
réponse ?
— Elle a dit « oui » ! hurla Delsin. Elle a dit « oui » !
Tandis que les gens explosaient de joie de manière complètement
disproportionnée, je regardais Delsin descendre les escaliers comme un prince. Il
s’arrêta deux ou trois fois pour serrer la main de plusieurs mecs et avant de
partir, il serra de nouveau la main du professeur qui malgré son faciès sévère
avait une légère fossette sur la joue.
— Merci, monsieur. Vous savez ce que c’est que d’être jeune.
— Dehors !
Delsin s’inclina en souriant et s’éclipsa.
— Bon, nous pouvons commencer ou vous avez besoin de quelques minutes
pour retrouver vos esprits, mademoiselle MacGrass?
— Non, non, c’est bon, répondis-je morte de honte.
Je n’avais jamais été aussi heureuse. J’espérais que cette émotion nouvelle ne
me quitterait plus.
Chapitre 20
∞
Entendre l’histoire de Delsin m’avait convaincue de plusieurs choses. Il avait
été tellement honnête avec moi qu’il faudrait sans doute que je le sois avec lui
moi aussi. Mais comment aborder le sujet de mon passé dans une conversation ?
Expliquer à mon petit ami que j’avais été battue par mon père pendant des
années, c’était délicat. Je savais que j’aurais dû lui dire bien avant, que je n’avais
pas joué franc jeu et que de nombreuses fois quand mes réactions avaient laissé à
désirer j’aurais pu lui expliquer.
Je n’en avais pas le courage et les réactions colériques de Delsin
m’inquiétaient. Je n’avais pas envie que ça le rende fou de rage ni qu’il change
de comportement envers moi. Il était mis dans tous ses états les deux fois où l’on
m’avait un peu brusquée. Comment réagirait-il à mon histoire ?
J’avais aussi compris que les personnes qui comptaient pour nous ne
méritaient pas que l’on s’attarde sur une rancœur. Delsin avait perdu sa famille
tragiquement il y avait quelques années maintenant et ça pesait en lui. J’avais
bien senti que ses insomnies avaient une sombre raison, mais jamais, avant qu’il
ne me raconte je n’aurais imaginé qu’un tel homme puisse porter sur ses épaules
le poids d’une histoire aussi tragique. Bien sûr, il avait auprès de lui deux amis
incroyables, mais quand même. Delsin avait beau jouer au foot comme un dieu,
collectionner les conquêtes, être un étudiant populaire, il n’en demeurait pas
moins un homme qui avait mal.
Et tout cela m’avait fait prendre conscience de ce que j’avais
malheureusement perdu. Norah m’avait protégée maintes et maintes fois. Peut-
être étais-je égoïste de lui en vouloir d’avoir fui. J’aurais peut-être fait la même
chose à sa place. Elle était la seule personne au monde que je pouvais encore
considérer comme ma famille.
Assise en tailleur sur mon lit, je scrutai mon téléphone. Delsin n’allait pas
tarder à passer. J’avais hâte qu’il arrive. Je ne savais pas encore ce que nous
allions faire ce soir, ce qui m’importait c’était de passer mes nuits avec lui.
En attendant, Norah hantait mon esprit. Les choses auraient sans doute été très
différentes si elle m’avait emmenée avec elle, mais alors je n’aurais pas connu
Delsin ni Rob. Je déverrouillai l’écran de mon téléphone puis sans plus réfléchir,
je sélectionnai le numéro de ma sœur avant d’appuyer.
La tonalité rendit mes mains moites, mon cœur battait fort et quand elle
répondit ce fut comme si je venais de me prendre un direct dans l’estomac.
— Levy ? Levy, est-ce que c’est bien toi ? demanda-t-elle en décrochant.
Ma main se crispa sur mon téléphone. Sa voix n’avait pas changé même si à
l’instant elle était empreinte de sanglots et de tristesse. Je fermai les yeux et je
refoulai les larmes qui montaient déjà.
— Levy, je t’en prie ne raccroche pas.
J’avais envie de le faire. Je ne savais pas pourquoi, mais ça me démangeait.
Peut-être était-ce simplement mon subconscient qui essayait de me protéger de
la tristesse. Je pris une profonde inspiration.
— Levy…
— D’accord, répondis-je finalement.
Je l’entendis souffler dans le combiné. Je me recroquevillai un peu plus sur
mon lit, serrant un bras autour de mes jambes pour les empêcher de trembler.
— Oh, merde, alors ! Merci Levy…
Je me sentais tellement étrange. J’ignorais si j’avais bien fait de l’appeler. Je
ne savais pas quoi dire.
— Est-ce que tu vas bien ? demanda Norah.
— Oui, répondis-je.
— Tu en es certaine ?
— Oui, absolument. Je vais bien. Je suis bien…
— Levy…
Cette voix suppliante me donnait des frissons.
— Et toi ? demandai-je à mon tour.
Prise au dépourvu, elle bafouilla. C’était plus difficile que ce que j’avais
pensé. J’avais la nausée.
— Je… euh… ça va. J’étais horriblement inquiète pour toi.
— Je vais bien, tu n’as pas à t’inquiéter, je ne suis plus une enfant. Et puis,
l’éducation de Mick force à s’adapter à tout.
— Ma chérie…
J’entendais dans sa voix tout le désespoir d’une personne n’ayant aucun mot
pour guérir une plaie malheureusement inguérissable. Norah ignorait tout de ce
qui s’était passé après son départ. À l’époque où elle était là, il n’était pas aussi
violent qu’il l’a été avec moi par la suite. D’une violence uniquement morale il
en était venu aux coups.
— Je sais, lâcha-t-elle finalement dans un soupir. Je sais. Ce type est un putain
d’enfoiré. Un profond connard que je m’efforce d’oublier et qui mérite de crever
en taule seul comme un rat.
— Quand je pense à lui, mes insultes vont un peu plus loin que ça, avouai-je,
mais ça fait du bien de t’entendre dire ce genre de choses après ce silence radio.
— « Silence radio » ? répéta Norah sans comprendre apparemment.
J’avais envie de crier, mais je n’en avais pas la force. Le mal était fait, le mal
était passé.
— Ouais, tu as disparu sans laisser de trace. Et tu m’as oubliée. J’aurais
simplement aimé avoir des nouvelles, voir que tu te souciais encore de moi. Je
ne voulais pas que tu lui donnes raison.
— Non, non… je me suis toujours souciée de toi. Je t’ai envoyé des lettres.
Des tonnes de lettres !
Quoi ? Ma gorge se noua.
— Non…
— Si, bien sûr que si ! Toutes les semaines ! Tous les mercredis, pour être tout
à fait exacte, c’était même une amie que j’ai connue à mon boulot qui s’en
chargeait. Elle est chauffeuse routière et à chaque fois elle envoyait le colis ou la
lettre d’une ville différente pour qu’il ne me retrouve pas. Je t’ai envoyé des
lettres, des colis avec de l’argent et des cadeaux à Noël, aux anniversaires… Je
savais que tout ça n’allait pas te réconforter tant que ça, mais… je te savais
maligne et je savais que tu pourrais utiliser tout ça à bon escient pour toi. Oh,
putain de merde… quel connard, gémit-elle.
Je l’entendis pleurer au téléphone, si bien que mon corps se mit à trembler.
Puis elle cria. Un cri de rage. Je ne me souciais plus de retenir mes larmes, elles
coulaient abondamment sur mes joues. Je ne savais pas quoi penser. Ni quoi dire
d’ailleurs. Je ne pensais qu’à ses lettres que j’avais envie de lire, des lettres qui
m’auraient permis de mieux supporter mon cauchemar, de ne pas lui en vouloir
autant. Ce salopard avait fait de ma vie un enfer. Il m’avait bousillée, avait aspiré
la moindre étincelle de joie, le moindre espoir.
— Je n’ai jamais rien reçu, bafouillai-je. Jamais.
Je sentais qu’elle était profondément troublée, choquée et triste. Ça me faisait
mal à moi aussi. Nous n’avions été épargnées ni l’une ni l’autre. Je comprenais
les raisons de sa fuite.
— Je suis désolée, reprit-elle. J’aurais dû être plus maligne, les envoyer à
quelqu’un et demander à ce qu’on te les donne en main propre. Je suis désolée,
Levy. Pour tout. Je suis désolée d’avoir été faible. Parce que c’est ce que j’ai été.
Putain de merde, j’aurais dû appeler les flics, j’aurais dû envoyer les services de
protection de l’enfance, j’aurais dû… être là pour tous tes anniversaires, être là
pour toi… et je n’ai pensé à rien. Absolument à rien. J’étais faible et apeurée. Je
me hais depuis ce jour-là, gémit-elle. J’aurais dû t’emmener avec moi. Je me suis
maudit comme jamais et j’ai voulu faire demi-tour, mais je ne pouvais pas, je
n’en avais pas la force.
Je déglutis. Après des années sans entendre le son de sa voix, après des années
à nourrir une rancœur tenace… c’était difficile d’entendre tout ça. Pourtant, elle
semblait sincère.
— Je comprends, dis-je finalement.
Et c’était vrai, je comprenais. Je ne savais pas comment ni pourquoi, mais une
part de moi comprenait. Cette part de moi qui s’était rebellée il n’y avait pas si
longtemps, celle qui avait lutté et qui m’avait permis de prendre mon envol. Je
posai ma main sous mon tee-shirt pour atteindre ma cicatrice, comme un réflexe.
Norah n’y pouvait rien. Le mal était fait et le mal n’était pas elle. Elle m’avait
protégée jusqu’à ce qu’elle n’en puisse plus. C’était ça que je devais retenir, pas
le reste. Elle avait sacrifié une partie de sa vie pour moi et c’était une chose
sacrée que je ne devais pas oublier. Delsin, lui, avait perdu toute sa famille, je ne
devais pas faire l’erreur de rejeter ma sœur.
— Et je suis désolée que tu aies eu une vie de merde par ma faute, ajoutai-je.
— Non, ne dis pas ça. Ce n’est pas à cause de toi. Ne dis plus jamais ça.
— C’est normal après tout, tu as passé onze ans de ta vie à t’occuper de moi.
Je ne t’en veux pas de t’être enfuie. Je ne t’en veux plus… Je suis désolée
d’avoir filtré tes appels et tes messages. Je ne savais pas pour tes courriers… Je
voulais que tu voies un peu ce que ça faisait de ne pas avoir de nouvelles quand
on en attend.
— Tu m’en as voulu ? demanda-t-elle.
— Oui. Énormément.
Elle réprima un sanglot.
— Tu as raison…
— Je t’en ai voulu, car je n’avais que quatorze ans et que je n’étais pas
préparée. Ça m’est tombé dessus sans prévenir. Ton départ m’a brisée et il n’a
rien fait pour que j’aille mieux. Il disait que c’était bien fait pour moi, que c’était
ma faute, que tout le monde me quitterait…
— Mon Dieu, Levy… je suis désolée. Tellement.
— Quand tu étais là, il feignait l’indifférence. À l’époque, ça me pesait
beaucoup, mais je me suis vite rendu compte que c’était bien mieux que les
attaques morales et physiques.
— Levy, est-ce qu’il t’a fait du mal ? demanda-t-elle horrifiée.
— Un peu, avouai-je en frissonnant.
— C’est quoi « un peu » ?
« Un peu » ça voulait dire « beaucoup ». Je ne voulais simplement pas en
parler. C’était encore bien trop pesant, bien trop douloureux dans ma tête.
— De temps en temps quand ma présence était trop difficile à supporter,
répondis-je évasive.
En sachant que c’était tous les jours que ma présence lui était trop difficile à
supporter.
— Levy, ma toute petite Levy, chuchota-t-elle comme elle le faisait quand
j’étais enfant.
— À cette époque-là, je t’en voulais beaucoup de ne plus être là pour me
protéger, de ne pas m’avoir prise avec toi. Je n’avais aucune nouvelle et je l’ai
cru quand il disait que tu avais fui parce que tu me détestais. J’ai fini par croire à
tout ce qu’il disait d’ailleurs, du coup quand tu m’as envoyé ces messages,
j’avais l’impression que tu reprenais contact uniquement parce que tu sentais que
ton petit monde était menacé.
— Non, je voulais m’assurer que tu allais bien, que tu étais en pleine forme. Je
voulais savoir où tu étais. Je pensais que tu avais eu toutes mes lettres. J’ai pu
récupérer ton numéro de téléphone grâce à ton lycée. Je n’ai jamais cessé de
penser à toi une seule seconde, ma petite fleur des champs.
Je déglutis. Tout ça, était très difficile à dire et à entendre. J’avais vraiment cru
pendant des années que Norah avait tiré un trait sur moi.
— Levy, j’aimerais qu’on se voie… Pourquoi pas le week-end prochain je
pourrais venir ? J’aimerais beaucoup qu’on rattrape le temps perdu.
— Je ne sais pas trop. Plus tard peut-être…
Elle accusa le coup. Je n’étais pas totalement prête. J’avais besoin de temps.
Je voulais conquérir cette nouvelle vie, en profiter. Je voulais parler avec Delsin,
découvrir plein de choses avec lui, poursuivre cette liste que nous avions laissée
en suspens ces derniers temps.
Nous parlâmes encore un peu quand quelques coups à la porte m’annoncèrent
l’arrivée de Delsin. Merde ! J’aurais voulu me débarbouiller, être un peu plus
présentable. Je n’avais pas prévu que cela durerait aussi longtemps.
— Je vais devoir te laisser, Norah. J’ai de la visite.
— On se rappelle, hein ? Tu décrocheras ? Tu promets ?
— Oui, quand tu veux. Je décrocherai, promis.
— Je t’aime, lança-t-elle tendrement.
Je raccrochai sans lui répondre et criai un « j’arrive ». Je passais en vitesse
dans la salle de bains. J’avais une gueule à faire peur. Mes yeux étaient rouges et
bouffis. Merde, merde et merde. Je n’avais pas de crème miracle. Tant pis, je me
dirigeai vers la porte et ouvris.
— Hey ! lança-t-il.
— Salut, toi, répondis-je tout sourire.
C’était déroutant de se dire que d’une seconde à l’autre il glisserait ses mains
sur ma taille et qu’ensuite…
— Est-ce que tout va bien ? s’inquiéta-t-il soudain en voyant mes yeux.
J’acquiesçai, mais il ne semblait pas satisfait de ma réponse. Alors, il m’attira
à lui et attrapa mon visage de sorte que je ne puisse pas me dérober.
— Merde, tu as pleuré ? lança-t-il les sourcils froncés.
Je ne répondis pas de suite.
— Levy, qu’est-ce qui se passe ?
Je le regardai tandis qu’il glissait doucement ses mains sur ma nuque et dans
mes cheveux.
— J’ai appelé ma grande sœur à l’instant, avouai-je. Je suis juste contente.
— Tu es certaine que ça va ?
Je hochai la tête en souriant. Oui, c’était la vérité, j’avais bien parlé à Norah.
— Que veux-tu, je reste une fille et les filles ça pleure. Je suis contente de lui
avoir parlé après des années sans nouvelles.
Il sourit à son tour, enroula un bras autour de ma taille et entra chez moi. Il
ferma la porte d’un mouvement du pied sans me lâcher.
— Je suis heureux pour toi si tu es contente. Quant à moi, je suis un garçon…
— … qui sait tirer parti des situations délicieuses, lançai-je. Oui, oui, je sais.
Une fille qui a pleuré, c’est délicieux ? Je ne ressemble à rien.
— Bien sûr que c’est délicieux, surtout si je dois la réconforter.
— T’es…
— Un mec trop génial et tellement sexy ?
Entre autres, pensai-je sans répondre. Lui avouer tout cela aurait fait enfler
son ego comme un ballon de baudruche.
— Ton silence est éloquent, dit-il avec un large sourire. C’est adorable. Pour
ce qui est de la fille qui ne ressemble à rien, je ne sais pas où elle est parce que
devant moi se trouve tout ce qu’il y a de plus délicieux. À part une zone un peu
rouge ici. (Il se pencha pour embrasser mes yeux l’un après l’autre, puis il
descendit vers ma bouche.) On peut noter une charmante zone ici, aussi appelée
« doigts de l’ange » qui mène à une bouche encore plus délicieuse, sans parler de
cette zone libre, continua-t-il en glissant sa bouche dans mon cou. Dois-je parler
de cette adorable zone libre qui me donne envie de l’envahir ?
Je frissonnai.
— Tu pourrais l’envahir au lieu d’en parler, soufflai-je.
Chapitre 21
Rien n’était comme avant et tout était à faire, mais je me sentais assez forte
pour y arriver. C’est alors que penchée sur la machine, sentant ses vibrations, un
frisson d’excitation me parcourut. Je devais être complètement barge pour penser
à ça. Plutôt crever que de m’envoyer en l’air dans ce sous-sol sur les machines à
laver communes. Mais quand même ça avait quelque chose d’érotique. Je
secouai la tête et brusquement je me retrouvai dans le noir. Ce fut plus fort que
moi, je paniquai. Mon cœur battait fort contre ma poitrine. Je m’appuyai sur la
machine à laver sentant mes jambes devenir du coton. Je me sentais mal, j’avais
la nausée. Les battements affolés de mon cœur me donnaient le vertige, et la
sueur était déjà en train de noyer mon front. J’inspirai profondément et expirai,
je ne me souvenais pas d’une minuterie pour la lumière, mais qu’importe, je
devais à tout prix aller rallumer. C’était trop dur, le noir me rappelait ce monstre.
Le noir, c’était un néant sans protection. C’était une sensation désagréablement
familière qui me rappelait trop de souvenirs. Je sentis les larmes me monter aux
yeux, il fallait que je me ressaisisse, que j’aille de l’avant.
— Je pourrais te manger toute crue.
Je me sentis blêmir.
La voix avait soufflé dans mon oreille. Je poussai un hurlement de terreur et
me débattis de toutes mes forces. Je ne voulais pas revivre ça. J’avais peur. Mon
esprit était enraciné dans mon passé. J’avais son image devant les yeux. De toute
ma vie, je ne pourrais jamais le voir autrement. Il était grand, fort, musclé. Il
avait le visage dénoué de sentiments, les yeux vides et plissés et des poings
blanc puis rouges… je poussai un autre cri.
— Putain de merde, souffla la voix saccadée. C’est moi, Levy. C’est moi,
trésor.
Je le repoussai violemment et je l’entendis s’affairer puis quelques secondes
plus tard la lumière revint. Je vis Delsin s’accroupir à mon chevet et je me rendis
compte qu’au final mes jambes m’avaient lâchée.
— Merde, Levy…
Je repoussai sa main et reculai de quelques centimètres essayant de mettre
entre nous une barrière protectrice.
— T’es malade ou quoi ? grognai-je haletante.
Delsin affichait une expression que je ne lui connaissais pas.
— Levy…
Il tenta de me toucher encore une fois, mais je me reculai à nouveau.
— Ne me touche pas, lançai-je.
Il fronça les sourcils. Mon ton était horriblement dur. J’étais à bout de souffle
et bien qu’elles aient cessé, je savais que mes larmes avaient rougi mes yeux.
— Ne refais plus jamais ça, pestai-je. Putain de merde, je peux savoir ce qui
t’est passé par la tête ?
— Je suis désolé, je ne pensais pas que tu réagirais comme ça…
Ma phobie avait mué en véritable colère. Je savais bien que je la dirigeais
maladroitement sur Delsin, mais un voile noir obscurcissait mes yeux et mes
pensées. J’aurais voulu être différente. J’aurais aimé être une fille normale avec
pour seuls problèmes : la couleur de mon vernis ou alors le prochain film que
j’irais voir au cinéma. Cet incident était une atroce piqûre de rappel. Ça sonnait
comme un tocsin, pour me rappeler que j’étais encore loin d’être normale et que
je ne le serais peut-être jamais.
— Tu croyais que j’allais réagir comment ? Glousser comme une cruche,
comme l’auraient fait tes nombreuses conquêtes.
— Anciennes nombreuses conquêtes, rectifia-t-il. Eh oui, c’était un peu ça
l’idée.
— Je ne suis pas comme ça ! Putain de merde ! Tu éteins la lumière et tu me
bondis dessus, tu croyais, quoi, Delsin ?
Il tendit à nouveau le bras, mais en voyant mon sursaut, il se résigna et stoppa
son geste. À travers mes yeux voilés, je vis la colère et la frustration baigner son
visage. Voilà que la réalité de mon passé était en train de m’éloigner de lui. Elle
était en train de saboter tout ce que j’avais créé ici.
— Je t’ai déjà dit que j’étais désolé, Levy. Je voulais te faire une surprise,
j’étais simplement content de te retrouver. Je voulais juste t’embrasser avant
d’aller me doucher, j’ai cru que tu allais te laisser prendre au jeu.
— Je…
— Tu ?
— Laisse tomber.
Il secoua la tête.
— Non. Explique-moi, parce que je suis perdu là.
— Tu n’avais pas à faire ça.
— Ce n’est pas comme si j’allais te violer, Levy ! cracha-t-il.
Je sursautai à cause de la dureté de ses mots. Ma colère était en train de muer
en chagrin et en culpabilité. Je savais qu’il ne me ferait pas de mal, mais
comment lui expliquer ?
— Je sais, admis-je finalement.
— Non, apparemment, tu ne le sais pas. Enfin, merde, j’ai des défauts, je suis
un connard impulsif, mais je ne te ferai jamais mal, Levy.
C’était une chose que je savais, mais le noir m’avait fait perdre le sens des
réalités et il était trop tard pour revenir en arrière. Trop tard pour que cette
phobie disparaisse. Et trop tard pour m’excuser…
— Je sais que tu ne me feras jamais de mal. C’est juste que j’ai eu peur dans
le noir. C’est tout…
— « C’est tout » ? répéta-t-il en se relevant. Non, ce n’est pas tout. Enfin,
merde, j’ai cru que j’étais un violeur, Levy. Tu me regardais comme si…
Sa voix était saccadée et rauque. Il était en colère. Moi, je ne savais plus trop
ce que j’étais. Triste, ça j’en étais certaine.
— C’est le noir, répétai-je.
— Le noir ?
— J’ai toujours eu peur du noir, ça me fait perdre mes moyens comme la fois
où j’étais malade.
Delsin se mit à faire les cent pas.
— OK.
Il n’avait pas l’air de me croire et pour cause mon explication était bien trop
légère. J’aurais pu à l’instant tout lui expliquer et lui dévoiler les parts sombres
de mon passé, mais aucun son ne sortit de ma bouche. Je lui devais pourtant
après un tel comportement.
— C’est vrai, lança-t-il finalement, je n’aurais pas dû, je le savais. Je pensais
que c’était la fièvre qui t’avait fait paniquer, mais je vois bien que non. Je suis
désolé…
Il s’arrêta brusquement, puis il se fit les poches, sortit un paquet de clopes et
s’en mit une à la bouche. C’était chez lui un signe de nervosité. Signe qu’il avait
besoin de se calmer.
— On ne peut pas fumer ici, lançai-je comme une grosse abrutie.
Il ricana.
— Je sais, trésor. C’est pour ça que je m’en vais.
Mon cœur se brisa tandis qu’il rejoignait la sortie.
— On se voit demain.
Merde.
∞
Je ne dormis pas de la nuit et le lendemain je n’arrivais ni à me concentrer sur
mes cours ni sur ce que Rob me disait. Ce qui s’était passé la veille restait dans
ma tête, je n’arrivais pas à penser à autre chose. Je me sentais ridiculement
honteuse de m’être comportée de la sorte avec Delsin. Il fallait que je m’excuse,
que j’aille le voir pour lui expliquer convenablement mon comportement.
J’ignorais où il avait cours ce matin et s’il allait nous rejoindre pour manger.
J’ignorais même ce que j’allais lui dire, ce que j’avais envie de lui dire et
comment j’allais le formuler. Après mon avant-dernier cours que je ne partageai
pas avec Rob, je rangeai mes affaires dans mon sac et me dirigeai vers la sortie
avec la motivation d’une vache allant à l’abattoir. Il faisait froid, le temps était
humide et le vent glacial. Je m’emmitouflai dans mon écharpe avant de me figer.
Il était là dehors, adossé à un mur. Certaines filles le dévoraient des yeux et
parfois les regards se faisaient plus curieux. Delsin était toujours aussi populaire.
Il s’appuya en arrière quand il m’aperçut avant de s’élancer. Il était vraiment
beau. Avec ou sans bleus sur le visage – surtout sans – il me rendait fébrile. Il
s’avança rapidement et avant que je puisse réfléchir à quoi que ce soit, il était
devant moi. Plusieurs personnes râlèrent comme nous étions immobiles en plein
milieu du passage.
— On peut parler ? demanda-t-il.
Mon pouls s’affola. C’était mauvais signe. En général les « il faut qu’on
cause » n’auguraient rien de bon. J’acquiesçai néanmoins en silence et déglutis
quand il attrapa ma main pour me guider je ne savais où. Puis brusquement dans
un mouvement souple, je me retrouvais contre le mur, ses lèvres douces épousant
les miennes…
Son baiser était… tendre. Ses mains étaient nouées aux miennes. Je sentis
alors qu’il les remontait vers son cou, comprenant où il voulait en venir, je les
joignis sur sa nuque. Alors il enlaça ma taille et son baiser devint plus profond,
sauvage, impatient.
— Delsin…, soufflai-je lorsqu’il libéra mes lèvres.
— Salut, lança-t-il les yeux assombris par le désir.
— Euh… Salut.
Il sourit et embrassa mon front. L’organe fragile qui me permettait de vivre
était en émoi.
— Tu vas bien ce matin ? demanda-t-il.
Non, pas du tout… Mais s’il continuait à m’embrasser de cette manière, ça
allait certainement s’arranger.
— Oui… et toi ?
— Bien. Mieux…
Il se gratta la tête et ébouriffa ses cheveux.
— Je suis désolé pour hier, trésor.
Mon cœur battait la chamade alors que ma culpabilité, elle, enflait comme un
ballon de baudruche.
— C’est bientôt Noël, il ne reste qu’une semaine avant les vacances et c’est…
c’est la fête de tous les pardons, pas vrai ? Et je crois qu’on a tous les deux
besoin de se pardonner pour hier…
Il avait le visage grave, mais doux aussi.
— Del…
Il embrassa mon nez et nous lova un peu plus l’un contre l’autre. J’aurais pu
rester comme ça des heures. Ainsi contre lui, abritée du froid de l’hiver qui
s’était lourdement installé, je me sentais mieux que bien. La veille nous nous
étions disputés pour la première fois, et ça m’avait pourri ma nuit et le début de
ma journée, mais tout semblait pouvoir s’arranger. Il avait l’air d’en avoir envie,
en tout cas. Il était là. Il m’avait attendue, venait de m’embrasser tendrement et
ne semblait pas mettre fin à tout ça.
— Tu sais, Levy, je n’aurais pas dû faire ça et j’ai mal réagi, surtout en te
laissant seule. Tout comme tu n’aurais pas dû réagir aussi violemment. Tu dois
me faire confiance. Je ne te ferai jamais de mal… Enfin si, je ne peux pas te
promettre que je ne te blesserai jamais.
Mon souffle se coupa.
— Pas physiquement, je veux dire, ça jamais de la vie. Mais je suis un être
humain et on est maladroit la plupart du temps. Alors si un jour je te fais du mal
ce ne sera pas volontaire, et surtout jamais physiquement, Levy.
Il avait le visage grave. Je savais qu’il était sincère. Je resserrai un peu plus
mes bras autour de son cou et me rapprochai de lui autant qu’il m’était possible
de le faire. J’avais eu tellement peur qu’il décide de me quitter.
— Je… suis désolée, soufflai-je. J’ai eu peur et je me suis fait des idées. Tu as
raison, je n’aurais pas dû réagir comme ça, c’est juste que…
— Tu as l’imagination trop fertile, murmura-t-il en embrassant la commissure
de mes lèvres. Mais je te pardonne, trésor. J’aime trop les insomnies et les parts
de tartes pour bouder à cause de ça. Et tes lèvres aussi, j’adore tes lèvres. Surtout
quand elles ont le goût de tarte aux pommes. Je ne me lasse pas de t’embrasser.
J’aurais pu tout lui dire à ce moment-là s’il ne m’avait pas coupée, mais ses
lèvres m’en empêchèrent et ses mots aussi d’ailleurs. Si j’avais été moins lâche,
j’aurais pu lui dire que mon père m’avait brisée, mais je ne voulais pas gâcher ce
moment.
— Tout pareil, dis-je contre sa bouche.
Il sourit et m’embrassa, comme pour me récompenser d’avoir donné une
bonne réponse. Je ronronnai et frissonnai.
— Je t’amène en cours ? proposa-t-il.
— Tu es galant, toi ?
— Toujours ! s’exclama-t-il. Mais c’est surtout pour montrer à tous ces types
que tu es à moi, trésor.
Je souris tandis qu’il s’éloignait du mur, m’attirant à lui pour se mettre en
route. Je le suivis en silence à la fois comblée et perplexe. Je m’en voulais d’être
toujours aussi lâche alors que lui venait d’être… parfait. Il n’avait pas hésité à
me parler de sa mère et de son passé. J’allais devoir être plus courageuse que ça
si je ne voulais pas le perdre.
∞
Depuis que nous étions en couple, du moins depuis que c’était officiel nous
avions passé nos insomnies dans l’appartement de l’un ou de l’autre alors quand
après le repas du midi Delsin m’avait dit qu’on sortirait ce soir, j’avais bondi de
joie intérieurement. Je ne savais pas s’il avait prévu quelque chose de particulier,
mais dans tous les cas, je le suivais bien volontiers. En attendant qu’il vienne me
chercher, je me penchai sur ma liste que j’avais affichée sur le frigo. La plupart
des choses que j’avais initialement notées étaient barrées et d’autres avaient été
ajoutées puis barrées à leur tour, car tout ce que Delsin m’emmenait faire se
révélait généralement être une nouveauté pour moi. J’avais bien conscience que
je passais pour la paumée de service, mais je n’en avais rien à faire. Devant
Delsin je n’avais pas honte de ne pas connaître grand-chose.
Des coups à la porte m’annoncèrent son arrivée et lorsque je me rendis
compte que j’avais traversé ma chambre en un quart de seconde et que j’étais
déjà devant la porte, je rougis. Oh, là, là, là… J’étais complètement accro. Je
comptai cinq secondes dans ma tête avant de lui ouvrir.
— Ça va ? demanda-t-il en embrassant mon front.
J’acquiesçai et me levai sur la pointe des pieds pour atteindre sa bouche.
Quand je repensais au fait que quelques mois auparavant le simple fait
d’imaginer avoir un copain et l’embrasser me mettait mal à l’aise…
— Laisse-moi prendre mon sac et mon manteau et je suis prête.
Je passai ma veste, ma grosse écharpe et mon bonnet. Il esquissa un sourire
quand je me tournai vers lui après avoir retiré mes clés de la serrure.
— Un problème ? demandai-je.
— Non, non…
— On dirait pourtant que tu te moques. Je suis encore devant la porte, je peux
décider de bouder et te poser un lapin.
— Et tu le sortirais d’où ? De ton bonnet ?
— Connard.
Il éclata de rire.
— C’est juste que tu ressembles à un petit lutin.
— Un lutin, vraiment ?
Je fis la moue. Un lutin ? Pff… super le compliment. Pas une actrice connue
ou un mannequin, non, un lutin.
— Oui, acquiesça-t-il, ce qui va parfaitement avec tes petites oreilles d’elfe.
— Quoi ?
— Tes oreilles sont pointues. Comme celles des elfes. Je trouve ça adorable…
— Ah ? Je… euh… t’es sûr ?
Delsin éclata de rire.
— Ouais, je suis sûr.
— Euh… merci.
— Merci à toi d’avoir des oreilles aussi charmantes.
J’éclatai de rire et je le suivis dans le couloir.
— On va où ? demandai-je.
— Au drive-in, répondit-il.
Oh… Super !! Comme toujours Delsin avait des idées parfaites. Encore une
fois, il m’étonnait. J’avais de la chance. Énormément de chance. Tellement
même que je savais que je ne le méritais pas du tout.
— Hier soir, j’ai fait un tour en voiture et j’ai vu que dans la ville d’à côté il
ne restait que deux jours pour le drive-in. Je me suis dit que tu aimerais, que ce
serait une autre première.
Un sourire s’étira sur mon visage. Je me mordis la lèvre avant de me lover
contre lui. Il enroula son bras autour de mes épaules.
— Ça te plaît ? demanda-t-il.
— Carrément.
— Il repasse Fantôme contre fantôme avec Michael J. Fox. Ce film est génial,
et avec un peu de chance à la fin tu te cacheras dans mes bras.
Je souris de plus belle.
— Faut juste passer au diner avant, ajouta-t-il.
J’acquiesçai en silence. Il me subjuguait. Il avait vécu un drame atroce et il
affrontait la vie la tête haute malgré ce poids sur ses épaules. Delsin était fort,
mais aussi protecteur. J’avais le sentiment qu’il savait que je cachais quelque
chose et qu’il faisait tout pour me rendre heureuse. Il avait l’air de sentir que moi
aussi j’avais connu quelque chose de grave et j’avais l’impression que même
sans savoir de quoi il s’agissait exactement, il essayait de me préserver. Delsin
était parfait et j’étais folle de lui.
∞
— Fatiguée ? demanda-t-il après la fin du film.
— Un peu, oui…
Il sourit. Je n’avais pas dormi la nuit dernière, trop perturbée par notre dispute,
mais ce soir, la fatigue finissait par me gagner. Cette soirée avait été géniale. Le
drive-in était une chose que je voulais absolument refaire. Autant pour découvrir
des films en plein air que pour rire et parler avec Delsin.
— Levy ?
— Oui ?
— Qu’est-ce que tu fais pour Noël ?
Un frisson désagréable me parcourut. Je devais mentir, je le connaissais assez
pour savoir qu’il me demanderait de l’accompagner chez Axel s’il savait que je
resterais à la résidence. Depuis la mort de ses parents, Delsin fêtait chaque Noël
dans la famille d’Axel. Nous en avions parlé plus tôt dans la semaine et je ne
voulais certainement pas qu’il se sente obligé de s’occuper de moi. Il avait la
chance d’avoir des proches qui prenaient soin de lui et il était hors de question
d’être le boulet qui le priverait de ça, surtout après ce qu’il avait vécu.
— Je rentre chez moi, mentis-je.
Il ne répondit pas. Il resta silencieux, ses yeux sombres me scrutant toujours,
son expression indéchiffrable. Puis tout à coup, il m’attira d’un mouvement
fluide et je me retrouvai à cheval sur ses genoux face à lui. Un bras pressé autour
de ma taille comme s’il avait peur que je me dérobe, il caressa ma joue de sa
main libre et guida doucement ma tête de sorte que je lui fasse face. Il était si
beau, j’en avais le souffle court.
— Levy ?
Il regardait ma bouche et moi la sienne. Mes mains étaient moites et mon
ventre se contractait délicieusement.
— Mmh ?
— Tu fais quoi à Noël ? demanda-t-il de nouveau.
Je relevai les yeux et rencontrai son regard pénétrant. Alors c’était ça ? Il avait
senti mon mensonge, et il essayait de me faire avouer la vérité. Je soupirai sans
le lâcher des yeux. J’étais faible sous la torture de ses caresses et l’intensité de
son regard…
— Je reste ici, avouai-je en lovant mon visage dans sa main qui me tenait
toujours.
J’avais envie de rajouter que de toute manière je n’avais pas d’autre chez-moi,
mais je n’en eus pas la force.
— Pourquoi m’as-tu menti à l’instant ?
— Parce que je n’ai pas envie que tu bouscules tes projets ou que tu me
prennes en pitié.
— Je ne te prends pas en pitié, Levy.
Je haussai les épaules et il me rapprocha de lui.
— Pourquoi tu restes ici ? demanda-t-il.
— Bah…
J’hésitais à lui dire la vérité. Peut-être au moins en partie… Je pris une grande
inspiration.
— Ma mère n’est plus là, elle est morte. Et…
Je sentis son corps se raidir contre moi et sa main se faire plus douce. Son
pouce se mit à faire des petits cercles apaisant sur ma pommette.
— Tu ne me l’avais jamais dit, remarqua Delsin d’un air triste.
— Non, ce n’est jamais venu dans la conversation.
— Quand même…
— Je n’allais pas me présenter et te dire : « au fait, ma mère est morte ».
— Je sais bien, mais bon…
— Mais quoi ? soupirai-je en posant mes mains sur son torse. Tu n’aurais rien
pu faire, et puis, je ne voulais pas que tu changes de comportement en
l’apprenant. C’est triste, mais c’est comme ça.
— C’est vrai, je suis désolé, trésor. Et ton père ?
Mon père ? Je n’étais pas prête à en parler…
— Il est en voyage. Il n’y aura personne à la maison.
Bon OK, c’était un pieux mensonge. Le prétendu voyage de mon père était un
séjour luxueux en prison.
— Tu ne vas pas rester toute seule quand même.
— Si, déclarai-je en embrassant son nez.
— Levy…
— Delsin ?
— Passe Noël avec moi.
Je secouai la tête. Il fronça les sourcils.
— Non, pas question que je vienne avec vous. Je ne connais pas Axel ni ses
parents. Je ne m’incrusterais pas pour une fête familiale comme Noël.
— Bien sûr que tu le connais.
— Non, lançai-je en secouant la tête. Je ne le connais pas. Je ne pourrais
même pas te dire son nom de famille ni sa couleur préférée ni rien de ce qui le
concerne mis à part qu’il est ton ami et qu’il a une sœur qui est malade. C’est un
type extra, je le sais, mais je dis juste que je ne le connais pas vraiment.
Il ouvrit la bouche, mais ne trouva rien à dire. Mon regard scintilla et un
sourire taquin étira mes lèvres.
— Est-ce que je t’ai cloué le bec ?
Il esquissa un sourire.
— Tu marques peut-être un point, mais…
Je ne sais pas ce qui l’empêcha de continuer. Peut-être ma façon de dévorer sa
bouche des yeux. Peut-être mon tout léger mouvement du bassin qui venait de
frotter son excitation à travers nos vêtements. Peut-être l’association des deux. Je
déglutis et il captura ma bouche sans la moindre douceur ni patience. Il était
excité. Sa langue attrapa la mienne et il redoubla l’intensité de notre étreinte.
— Je venais juste d’avoir le permis la première fois que j’ai flirté avec une
fille dans une voiture, lança-t-il le souffle court tout en gardant nos lèvres
jointes.
Il sentait la pomme et le sucre, c’était divin surtout que cette odeur sucrée se
mêlait à celle de sa peau : un mélange d’after-shave et de lui… Je souris tout en
tentant de récupérer mon souffle.
— Moi, je viens d’en avoir dix-neuf, c’est une première fois et j’avais espéré
que ça ne soit pas la dernière.
— Une chose de plus à rajouter à ta liste.
— Mmh, on dirait bien…
— Je suis un bon guide, on dirait.
Dans son genre il était plus que parfait, mais lui dire aurait fait enfler son ego
déjà élevé.
— Ouais, t’es pas mal.
— « Pas mal » ? répéta-t-il en fronçant les sourcils.
Je haussais les épaules et son regard s’enflamma. Mon Dieu…
— Tu oses me qualifier de « pas mal » ? Tu vas voir un peu, trésor.
Il m’embrassa encore, mais cette fois-ci, sa main quitta ma hanche pour
caresser mon échine avec plus d’entrain et il donna un léger coup de hanche,
mettant mon intimité en émoi. Je poussai un soupir qu’il aspira dans sa bouche et
j’agrippais son pull, soumise à des sensations grisantes que je côtoyais pour la
première fois et que je ne voulais jamais oublier. Taquin et connaisseur, il
reproduit son mouvement de hanches, m’arrachant un tremblement incontrôlé.
Le frottement de la bosse qui renflouait généreusement son pantalon contre mon
legging et mon intimité suscitait des sensations incroyables. Ça m’excitait.
Follement.
— Trésor…
Il avait susurré mon surnom contre mes lèvres comme si ça le rendait fou lui
aussi. Je serrai son pull entre mes doigts ainsi que mes cuisses sur les siennes
pour le sentir plus encore. Il grogna dans mon cou.
— Pour en revenir à Noël, commença-t-il. Je comprends que tu ne veuilles pas
venir mais tu dormiras dans ma chambre.
— Quoi ?
— Elle est plus grande, plus confortable.
— Mais…
— Tu auras la télé, des films, des livres, une cuisine plus grande, un lit plus
grand et tu seras mieux que chez toi. J’aurais fait les courses, changé les draps.
C’est ça ou tu viens avec moi, c’est non négociable.
Je soupirai.
— D’accord, comme tu veux.
Je sentis son sourire contre ma peau. Je desserrai mes doigts de son pull et
posai mes mains à plat contre ses pectoraux. Ils étaient fermes. Bon sang,
comment ce beau gosse pouvait-il être là avec Devil MacGrass ?
Il caressa l’arrondi de mon visage avec une extrême concentration puis nous
nous embrassâmes à nouveau, bougeant doucement et en rythme. La buée avait à
présent envahi l’habitacle de la voiture, recouvrant toutes les vitres. Lorsque
Delsin libéra ma bouche, je poussai un gémissement plaintif.
— Merde, Levy…
Il m’étudiait à présent. Ses yeux sombres légèrement plissés essayaient de
déchiffrer mes émotions, mon état et mes sentiments. Ce câlin n’était pas…
n’était plus anodin. Une envie sourde titillait mon ventre et le creux de mon
intimité. C’était dérangeant, j’avais envie de me soulager pour connaître la
délivrance des chaînes qui nouaient ces parties de mon corps. J’avais envie de
nous.
— Putain de merde, t’es si belle.
— Je…
— Tu es d’une telle beauté… Tu me troubles, tu sais. Putain, c’est dingue, t’as
même pas idée d’à quel point tu es belle. Et ça te rend encore plus divine. Et tes
yeux…
— Mes yeux ?
Je les avais toujours détestés.
— Je n’avais jamais vu une couleur pareille. Ils sont magnifiques, tout comme
toi. Quand tu les as glissés dans les miens, c’était comme si leur lumière chassait
l’obscurité des miens.
Ouah… Ses mots me percutèrent de plein fouet. Pour la première fois je me
voyais autrement. Pour la première fois, j’avais envie d’aimer mon regard. Je
fermai les yeux et je collais ma bouche contre la sienne pressant ma poitrine
contre son torse.
— Levy…
Je ne l’écoutais pas, son murmure se perdit sur mes lèvres et je continuai de
l’embrasser encore et encore.
— Arrête, trésor, geignit-il.
— Pourquoi ?
— Pas ici, trésor. Pas dans une voiture. Pas avec ce putain de Facebook à la
con. Je ne veux pas qu’on te voie comme ça. Je ne veux pas faire quoi que ce
soit avec toi dans une voiture.
— Je…
— Ce que je faisais avec les filles, c’était ça. Enfin non, ça, t’avoir contre moi
comme ça, je ne l’ai jamais fait. En revanche, je faisais passer les filles sur la
banquette arrière et on baisait. Et ce que je faisais avec elles, je ne le ferai pas
avec toi. Parce que tu n’es pas comme ces filles-là.
Mon souffle était court et mes joues roses. Ses pouces caressaient mes
pommettes tandis qu’il parlait et qu’il m’expliquait. Et alors que je comprenais
plus ou moins qu’il m’expliquait que j’étais différente des autres, un bâillement
traître défigura les traits de mon visage.
Il sourit.
— Je crois qu’il est temps pour toi d’aller te coucher, trésor.
— Mais non, je…
— Au lit et pas de discussion.
Chapitre 22
La neige se faisait désirer. Les vacances étaient arrivées et il n’y avait plus
grand monde sur le campus, la plupart des étudiants étaient retournés chez eux
pour fêter Noël en famille. Rob, Delsin et sa bande étaient partis eux aussi.
J’avais sérieusement cru qu’il allait rester ou se transformer en kidnappeur
acariâtre pour me forcer à monter dans la voiture tant il était devenu insistant à
l’approche de son départ.
J’étais donc dans sa chambre, comme convenu. J’avais déménagé quelques
affaires de chez moi pour y passer plusieurs jours. Il avait raison, sa chambre
était plus spacieuse et plus agréable. Pendant ces quelques jours, j’aurais le
temps de lire, regarder la télé, me gaver de cochonneries, rattraper mes cours
et… passer mes insomnies, seule.
Je frissonnai malgré moi.
J’en avais passé un nombre incalculable sans Delsin avant de le connaître,
mais depuis mon arrivée à Friendship, je les avais quasiment toutes passées avec
lui. Elles étaient vraiment plus belles à ses côtés.
Je tournais déjà en rond alors qu’ils étaient partis ce matin. Ils avaient dû
arriver depuis un bon moment maintenant. Sacramento était à environ une heure
trente d’ici. Axel avait insisté lui aussi pour que je vienne avec eux, mais j’avais
tenu bon. Comme je l’avais dit à Delsin, je n’avais rien à faire chez lui. Pas pour
une fête comme Noël. Il fallait juste que je trouve de quoi m’occuper un peu.
Lorsque mon téléphone sonna, je me jetai dessus. C’était un message de
Delsin.
Je te manque ?
J’éclatai de rire.
Il répondit aussitôt :
Dit la fille qui répond illico à mon texto. Avoue que tu attendais
de mes nouvelles, trésor.
J’éclatai de rire.
Touchée…
Tu fais quoi ?
Tu portes quoi ?
Rien.
Mes joues étaient écarlates et mes mains étaient moites. J’en avais envie moi
aussi et la prochaine fois que nous nous retrouverions ensemble, je comptais
bien le lui montrer.
Oh pauvre chou, ça doit être dur pour toi qui n’as pas de
cœur…
Je souris, il voulait toujours avoir le dernier mot. Mais, ce n’était pas bon pour
lui de laisser son ego enfler de la sorte.
∞
La première nuit fut longue.
La journée du lendemain le fut encore plus.
Et aujourd’hui, c’était le vingt-quatre décembre et je m’ennuyais.
J’avais tourné en rond toute la journée. Comme à chaque Noël j’étais seule. À
l’époque je ne ressentais pas cet ennui, parce que j’étais constamment sur mes
gardes, j’avais peur de lui et il obscurcissait toutes mes pensées. Mick allait
toujours au dîner organisé par la ville, il bouffait et buvait pour rentrer torché
comme pas possible.
Aujourd’hui, j’étais seule, mais son ombre ne menaçait pas de me tuer. Là, en
sécurité, Delsin me manquait. À croire que je ne savais plus quoi faire sans lui.
J’avais dévoré cinq livres en deux jours. J’avais revu tous mes cours et mis mes
notes au propre, j’avais fait des courses et il n’y avait absolument rien à la télé.
J’avais déjà regardé trois téléfilms de Noël à la suite, le quatrième n’allait pas
tarder à commencer. Je parlais un peu avec Rob par message.
Le soir arrivant, j’avais décidé de regarder Le Seigneur des Anneaux, Rob
m’avait convaincue qu’Aragorn et Légolas étaient un délicieux remède contre
l’ennui. Pour le moment, je m’apprêtai à aller au diner pour m’acheter une part
de tarte et un chocolat chaud. J’enfilai mes bottes par-dessus mon jean, j’attrapai
mon sac quand quelques coups à la porte me firent sursauter.
Méfiante, j’hésitai un peu. Je me demandai qui ça pouvait bien être. Une
conquête de Delsin ? Un de ses potes peut-être ? Je secouai la tête, je n’avais
absolument aucune raison de craindre quoi que ce soit. J’ouvris la porte et là,
mon cœur manqua un battement.
— Mais…
— Surprise, trésor !
J’étais ébahie, il était vraiment là avec ses grands yeux bleu nuit qui me
scrutaient, sa posture décidée et ses bras rassurants. Il était là pour moi, avec
moi, et j’en avais presque les larmes aux yeux. Avait-il une idée des émotions
qui déferlaient en moi ? Je ne savais absolument pas quoi dire. Le rouge aux
joues, je me jetai dans ses bras. Nous étions chargés tous les deux et nos sacs
tombèrent lourdement au sol. Il attrapa mon visage en coupe et je glissai mes
mains sur son torse.
— Salut, toi, souffla-t-il tendrement.
— Salut aussi, répondis-je sur le même ton. Delsin, qu’est-ce que… ?
Il se pencha et sa bouche gourmande trouva la mienne. Dès lors, une
avalanche de frissons dévala mon échine, des papillons dansèrent sous ma peau
et très vite, une chaleur diffuse se logea au creux de mon intimité. Je m’agrippai
à son pull, me sentant fébrile.
— Delsin, qu’est-ce que tu fais là ? demandai-je dans un souffle.
— Je m’improvise cadeau de Noël. Depuis le début, il était absolument hors
de question que tu passes Noël toute seule, répondit-il l’air grave et la voix
rauque.
— Mais…
— Absolument hors de question, trésor. Je ne te laisse pas toute seule à Noël.
Sauf si tu ne veux pas de moi et je sais déjà que c’est impossible.
— Mais… Axel et ses parents et…
— Axel a compris, ses parents aussi. Il m’a prêté sa voiture et il reviendra
avec Zack après les fêtes.
— Mais…
Il sourit et sa bouche se posa de nouveau sur la mienne. Il aspira ma lèvre et
me fit frissonner.
— Noël n’est pas fait pour se fêter seul. C’est un moment qu’il faut partager et
j’avais envie d’être avec toi. Tu es à moi, je suis à toi ; comment je pourrais te
laisser seule ? J’ai pensé à ma justicière à moi, et je me suis dit : « imagine, elle
sort, elle rencontre un autre type pas fréquentable avec la gueule en travaux… tu
peux pas laisser ça arriver Del ! »
Je gloussai. Rencontrer un autre type avec une gueule cassée, comparable à
Delsin ? Impossible.
— Alors il était absolument hors de question que je te laisse seule. Tu as
compris ou je dois encore me répéter pour que tu comprennes ?
— Tu… tu n’étais vraiment pas obligé, murmurai-je.
En réalité, j’étais heureuse. Mon cœur était sur le point d’exploser. Je ne
savais pas quoi dire tellement je me sentais reconnaissante et ravie. Il m’offrait
le plus beau des cadeaux… À croire que moi aussi j’allais avoir un Noël
magique comme dans les films.
— Bon honnêtement, je suis surtout venu parce que tu as dit que tu étais à
poil… Du coup, je suis un peu déçu, mais bon, j’aime aussi l’idée de te
déshabiller…
J’éclatai de rire et je me lovai davantage contre lui.
— T’es con…
Il rit à son tour et caressa ma joue de ses lèvres.
— Peut-être, mais ça fait partie de mon charme.
De voir qu’il était là devant moi, pour moi, avec moi, c’était sans doute la plus
belle chose que l’on m’avait faite.
— Pas de sarcasmes ? demanda-t-il en souriant.
— Tu m’as manqué, avouai-je sans me soucier d’être ridicule.
Ses bras se resserrèrent autour de ma taille.
— Ça, c’est l’effet Delsin, ronronna-t-il.
Je gloussai. Il prit mon visage en coupe.
— Tu m’as manqué aussi.
Je souris.
— Tu allais faire quoi ? demanda-t-il. Ne me dis pas que tu as un amant.
— Puisque tu es là, je vais être obligée d’annuler notre rendez-vous…
— Pas obligé, tu sais. On peut toujours aller le voir ensemble, histoire que je
me présente entre deux coups de poing.
— Tu n’oserais pas quand même ! m’offusquai-je en riant.
— Oh que si. Je ferais bien pire que ça d’ailleurs. Il ne pourra plus bander et
c’est avec une paille qu’il bouffera ses prochains repas.
— Quelle cruauté…
Je secouai la tête le sourire aux lèvres. Imaginer Delsin jaloux ça avait
quelque chose de grisant.
— Et sinon, sérieusement, tu allais faire quoi ? demanda-t-il de nouveau.
— Tu es jaloux ? murmurai-je en contournant la question.
— Carrément, répondit Delsin en embrassant la peau sous mon oreille. Je ne
suis absolument pas prêteur. Tu es à moi.
J’ignorais dans quel monde parallèle je venais de basculer mais, j’adorais.
— Je voulais aller au diner pour avoir de quoi grignoter devant la télé.
— Pas la peine, j’y suis passé en arrivant. J’ai tout ce qu’il faut pour nous ce
soir.
— Delsin…
— Je suis content d’être là avec toi, me coupa-t-il.
Il embrassa mon front. Nous étions encore à la porte. Mon sac et les affaires
de Delsin, au sol. Je me rendis alors compte du nombre impressionnant
d’affaires qu’il avait avec lui.
— Je n’en reviens pas que tu sois là…, soufflai-je.
— Tu es contente ?
— Oh oui !
Tout sourire, il me lâcha pour ramasser ses sacs et rentrer. Je l’aidai avec ses
nombreux sacs plastiques.
— C’est quoi tout ça ? Tu as dévalisé les magasins ?
— Ça, tu vois, c’est le minimum pour fêter Noël comme il se doit.
— Ah…
Je devais bien reconnaître que je manquais d’expérience en la matière mais,
j’étais absolument ravie d’apprendre. Je fermai la porte derrière nous.
— Laisse-moi faire, je m’occupe d’absolument tout, lança Delsin en se
dirigeant vers la cuisine avec quatre sacs pleins à craquer.
— Tu es sûr ? demandai-je en le suivant.
Il éclata de rire.
— Certain. Va te changer.
— Mais…
Il me regarda par-dessus son épaule et plissa les yeux.
— Pas de discussion, tu files te changer ! Je prends la suite en main. La
mission : « passer un Noël génial avec Levy » a commencé. Et pour tout te dire,
la première étape a été validée avec succès.
Je souris.
— Maintenant, j’ai besoin de ta coopération, trésor.
— Ah oui ?
Il éclata de rire et se retourna. Bon sang, ce qu’il était sexy !
— Soit, tu agis sagement et tu files te préparer. Soit tu me laisses faire, mais je
ne serai pas sage du tout.
Je frissonnai.
— File te préparer, maintenant.
Il posa un baiser sur mon front puis frappa mes fesses quand je fis volte-face.
— Je vais chez moi, je n’en ai pas pour longtemps.
Il ricana.
— Un problème ?
— Non, c’est juste que tu es une femme, que tu dois te préparer et que tu me
dis que ce sera rapide comme si c’était vraiment possible… Je trouve ça hilarant.
— Fais gaffe, je pourrais ne pas revenir.
— Tu en mourras d’envie.
— Connard.
— Pour te servir, trésor.
Après une douche rapide chez moi, je me préparai. J’essorai et séchai mes
cheveux et pour la première fois, je contemplai leur longueur. Ils m’arrivaient
dans le bas du dos et ils n’étaient pas si repoussants que ça finalement. Je les
relevai façon queue-de-cheval et me rendis compte alors que je ne les avais
jamais plus attachés depuis mon enfance. Ils avaient toujours servi à dissimuler
mes yeux et mon visage pour me protéger du monde extérieur, et surtout de lui.
À présent, je n’avais pas envie de me cacher, j’avais envie de les attacher. Je les
nouai sur le sommet de mon crâne en un chignon lâche et je me maquillai
légèrement en suivant les conseils de Rob, puis enfin j’enfilai ma robe noire et
en voyant mon reflet dans le miroir, je me troublai. Je me trouvai jolie. Moi, la
fille fantôme… Moi, Devil MacGrass, je me sentais belle. J’en avais les jambes
tremblantes. C’était tellement étrange et salvateur de penser ce genre de choses,
de penser comme une jeune femme normale… Je souris à mon reflet et une fois
prête à le rejoindre, je me rendis compte qu’il avait raison : je m’étais absentée
un bon moment.
Je frappai à sa porte deux minutes plus tard. Elle s’ouvrit sur lui vêtu d’une
chemise bleu nuit et d’un jean noir. Il était à tomber.
— Ça valait le coup d’attendre un peu ? demandai-je en rougissant tandis que
ses yeux vagabondaient sur moi.
— Et comment, grogna-t-il en posant ses mains sur mes hanches pour
m’attirer contre lui. Tu es… merveilleuse.
Et mon cœur, cet idiot, s’affola.
— C’est la première fois que je te vois avec les cheveux attachés.
Je souris, un peu mal à l’aise mais aussi touchée qu’il l’ait remarqué. Il attrapa
mon visage en coupe et j’eus l’impression qu’il me découvrait pour la première
fois et la couleur d’un ciel de nuit dans ses yeux avait ce soir quelque chose de
pétillant.
— Peut-être, oui…
— C’est un peu étrange de ne pas voir cette mèche qui te cache éternellement
le visage et que j’ai toujours envie de glisser derrière ton oreille, dit-il en
caressant mon oreille comme il le faisait d’habitude.
Son regard restait intense au possible. Il avait l’air aussi troublé que je l’avais
été devant mon miroir. Je me sentais plus belle et plus en confiance.
— Tu es divine, Levy.
J’étais un peu perturbée qu’un homme tel que lui puisse dire des choses
comme ça, pire les ressentir.
— Dire que tu es à moi, souffla-t-il.
Je souris, il caressa la ligne de ma mâchoire. « Tu es à moi » Je me demandais
comment quatre petits mots pouvaient faire battre mon cœur à ce point. Il se
pencha, m’embrassa la joue et je le suivis à l’intérieur.
Je marquai soudain un temps d’arrêt, émerveillée. La pièce était décorée, il
avait disposé des bougies un peu partout, et des guirlandes lumineuses ornaient
le dessus de son lit, son canapé et sa bibliothèque. La table était dressée, et cerise
sur le gâteau : un petit sapin de Noël trônait près de la fenêtre.
J’en avais la gorge nouée. Je n’avais jamais rien vu d’aussi beau de toute ma
vie. J’allais fêter mon premier Noël et, même dans mes rêves, je n’aurais pu
imaginer une telle perfection.
— Delsin, c’est… c’est magnifique ! Je ne sais pas quoi te dire.
— Dis-moi simplement que tu acceptes de passer Noël avec moi.
Je me jetai dans ses bras sans aucune retenue. Du bout de ses doigts Delsin
caressa l’arrondi de mon visage et sourit :
— Je dois prendre ça pour un « oui » ?
— Oui.
∞
Après la fin du film, Delsin se leva.
— Tu veux qu’on se mette le deuxième ?
Je ne me sentais pas fatiguée.
— Pourquoi pas ? L’insomnie ne prend pas de pause, même pendant les fêtes.
Il sourit et se dirigea vers la cuisine et revint quelques minutes plus tard avec
deux parts de tartes et deux chocolats chauds sur un plateau. Il déposa le tout
devant nous et se rassit à côté de moi sur le canapé.
— Mais avant ça, lança-t-il, il est plus de minuit alors…
Il se pencha et ses lèvres rencontrèrent les miennes avec tendresse.
— Joyeux Noël, Levy.
— Joyeux Noël, dis-je en rougissant malgré moi.
— Tiens, dit-il en me présentant une petite boîte noire.
— Qu’est-ce que c’est ? demandai-je. C’est pour moi ?
— Non, belle idiote. C’est pour la fille derrière toi !
— Mais…
— Ouvre, m’intima-t-il.
— Je pensais que c’était toi le cadeau.
Il éclata de rire.
— Je me suis dit que ça ne comptait pas, puisque j’étais déjà à toi avant Noël.
Je déglutis sans bouger.
— Ouvre, trésor !
J’obéis. J’ouvris la boîte et je découvris un magnifique médaillon.
— Mon Dieu… c’est…
J’attrapai la chaîne en argent et le fis danser devant moi. Le médaillon
représentait la nuit, il y avait une lune et des étoiles et au verso était gravé le mot
« insomnia ». Perturbée, je le fis tomber sur mes cuisses. Mon cœur battait si fort
dans ma poitrine qu’il me faisait mal. Delsin récupéra le bijou.
— Hé… tout va bien ? demanda-t-il.
Je ne savais pas quoi dire et mes pensées devenaient de plus en plus
incohérentes. C’était tellement beau, bien trop pour moi. Je n’avais jamais
possédé une chose aussi belle. Et il n’avait aucune idée de ce que ça signifiait à
mes yeux.
— Levy ?
— Excuse-moi, je suis maladroite. Il est magnifique Delsin, il est absolument
parfait.
— Il est fait pour toi. Tu l’aimes ?
— Plus que ça, soufflai-je.
— Tourne-toi, je vais te le mettre.
Je m’exécutai et il l’attacha. Je soufflai en le voyant pendre à mon cou et je
me retournai vers lui.
— Définitivement à sa place, dit-il en me scrutant de ses beaux yeux sombres.
Et tu verras, les étoiles et la lune sont phosphorescentes. Pas de quoi te guérir de
ta peur du noir, mais peut-être que ça pourra t’aider un peu.
Mon petit cœur déjà rudement sollicité était désormais au bord de l’implosion.
— Tu n’aurais pas dû…
— Ah non ? Et rater ça ?
— Merci, Delsin, mais moi, je n’ai rien pour toi.
— Bien sûr que si. C’est toi mon cadeau. Je n’ai envie de rien d’autre que toi.
Je compris la puissance de ses mots lorsque Delsin m’allongea sur le canapé
et qu’il se pencha au-dessus de moi, le sourire aux lèvres et les yeux brillant de
malice et de désir. Je rougis et l’accueillis dans mes bras.
— Pourquoi vouloir guérir les insomnies quand elles sont aussi belles, souffla-
t-il en embrassant le médaillon. Il était fait pour toi celui-là. Et je n’ai besoin de
rien, parce que tout ça, c’est plus que parfait, trésor.
Mon cœur cogna vigoureusement contre ma cage thoracique. Sa bouche
embrassa ma gorge avant de remonter lentement vers mon oreille. Ma peau
s’embrasait déjà sous son contact.
— Delsin ?
— Mmh ?
Il laissa courir sa bouche sur mon cou, explorant chaque parcelle de peau,
comme s’il quadrillait chaque centimètre carré un peu à la manière des
archéologues. La caresse de ses lèvres était divine. Un léger gémissement monta
de ma gorge quand il se plaqua davantage contre moi.
— Embrasse-moi, soupirai-je.
Un grognement suivit d’une phrase que je ne compris pas, sortit de sa bouche
avant qu’il ne la plaque sur la mienne. Je nouai mes bras autour de son cou. D’un
mouvement doux et assuré, il me fit légèrement glisser et nous nous retrouvâmes
plus intimement lovés l’un contre l’autre. Notre baiser redoubla d’ardeur et
d’intensité. J’avais envie de tellement plus que ce nous avions déjà fait. J’avais
envie de lui, je voulais tout de lui. C’était le seul avec qui je voulais
expérimenter toutes mes premières fois. Lentement, il s’écarta en s’appuyant sur
ses bras tendus, ses biceps se contractèrent quand il descendit sur ses coudes
pour attraper mon visage. Il caressa mes joues avec une infinie douceur.
— Mon Dieu, soupirai-je. Je n’ai plus de souffle.
— Voilà le genre de « Mon Dieu » que j’aime entendre.
— Tu es trop prétentieux…
— Mais c’est toi qui le dis, trésor.
Je souris et je le vis soudain porter le regard au-dessus de moi. Un sourire
presque enfantin étira ses lèvres.
— Putain, c’est magique, il neige…
Chapitre 23
∞
Lorsque Delsin me déposa sur le paillasson de son entrée, je fus saisi d’un
frisson. Nous étions trempés tous les deux. Je levai les yeux, ceux de Delsin
étaient en train de me scruter d’une façon redoutable. Son visage était fiévreux.
Il avait l’air d’avoir chaud, ses cheveux étaient humides et quelques gouttes
perlaient sur ses tempes.
— Va falloir que tu te changes, trésor. Tu vas être malade sinon.
— D’accord.
Il me conduisit à la salle de bains et me tendit une serviette, avant de me
laisser me sécher. Enfermée dans la salle de bains, je me déshabillai. C’était
étonnant de voir comme certains événements pouvaient se ressembler et comme
j’avais envie de les faire évoluer et d’aller plus loin. En sous-vêtements face au
miroir, je me regardai, je touchai le médaillon qu’il venait de m’offrir. La peur
était en train de crisper mes muscles pourtant la joie gonflait mon cœur. J’étais
tendue au possible, car je savais ce qui allait se passer et ce dont j’avais envie. Je
retirai mes sous-vêtements et je détachai mes cheveux qui tombèrent en cascade
sur mes épaules et dans mon dos. Je pris une grande inspiration, puis, sans
réfléchir, je sortis de la pièce tant que le courage était encore là. Delsin assit sur
le canapé son téléphone à la main, se figea. Je déglutis. Il n’y avait plus rien pour
me cacher. J’étais à lui.
— Putain de merde ! s’époumona-t-il en suffoquant d’un coup. Tu… Oh,
putain de bordel de merde, trésor… Tu…
Delsin qui perdait ses mots et semblait confus c’était déroutant et très sexy.
— Ça te plaît ?
— Si ça me plaît ? Putain, Levy…
J’avançai vers lui à pas lents pour prendre le temps d’étudier son visage.
C’était une sorte de première. Je voulais capter sa surprise, voir ses prunelles
d’un bleu magnétique s’émerveiller.
— T’as conscience j’espère que maintenant, dans l’intimité tu ne pourras plus
porter que cette tenue ?
— Rien, tu veux dire ?
— J’adore le rien. Dans ton cas, ça te va à merveille.
Je gloussai et fis un pas de plus. Il s’était changé, il portait son bas de jogging
noir, que j’adorais sans comprendre pourquoi, et un tee-shirt.
— Putain, Levy… Merde, je suis désolé de ne dire que « putain », mais
putain, tu es…
Lorsque j’arrivai à lui, il leva les mains, mais elles restèrent en suspens sans
me toucher.
— Joyeux Noël, Delsin.
L’expression qu’il arborait était merveilleuse.
— Très joyeux, ouais… Parfait, c’était ce que je voulais le plus. Tu es si
belle…
Je souris, mon cœur battait fort. J’étais tellement heureuse d’avoir pris cette
initiative.
— C’est vrai ?
— Vrai, tu étais tout en haut de ma liste.
Il sourit.
— Tu sais que ce n’est pas humain d’être aussi belle que toi. Tu vas me rendre
fou.
Impatiente, je me pressai plus contre lui et notre baiser se fit plus brutal.
— Levy ?
— Mmh ?
— À quoi tu penses là tout de suite ?
— Aux infinies possibilités qui s’offrent à nous et à ton bas de jogging…
— « Mon bas de jogging » ? répéta-t-il étonné.
— Mmh, oui, je l’aime beaucoup.
Un doux grognement lui échappa et je l’embrassais encore.
— Et les infinies possibilités auxquelles tu penses, incluent-elles mon bas de
jogging ?
Je m’écartai doucement, j’étais haletante, lui aussi. Ses mains caressaient
toujours mon dos avec son éternelle tendresse.
— Non…
Il rit.
— Je veux… toi.
— Toi vouloir moi ?
— Oui. Je te veux toi.
— Tout ce que tu veux, Levy. Je suis ton homme.
Je glissai ma main dans l’encolure de son jogging pour lui faire comprendre
que je voulais qu’il me suive. Hypnotisé, il suivit le mouvement jusqu’à son lit.
Je m’assis au bord et fis glisser son jogging jusqu’à ses chevilles. Il ne portait
rien en dessous, pas de boxer, ce qui m’étonna et m’excita follement. Lorsqu’il
voulut me rejoindre, je fis « non » de la tête tout en posant mes paumes à plat sur
son torse pour lui faire comprendre que je voulais qu’il reste debout. Il murmura
mon prénom à la seconde où le goût salé de sa peau entra en contact avec ma
langue.
Un frisson le parcourut.
Il respirait fort. Pendant quelques secondes, je ralentis et laissai ma langue le
câliner me délectant d’absolument tout. De lui, de son corps contre le mien…
Puis, délicatement, je remontai à la base.
— Bon sang, j’ai bien fait de ne pas écouter les bons conseils, tu me rends
fou… merde, tu…
Je ronronnai et bougeai lentement la tête tandis que ma main accompagnait
mes mouvements pour tenter de le rendre plus fou encore. Je le pris plus
profondément en moi. J’étais émerveillée, excitée de savoir qu’il aimait ça, que
j’étais capable de lui donner du plaisir.
— Levy…
Ma langue et sa tige de chair semblaient s’entendre à merveille. Il était tendu
et dans mon bas-ventre les palpitations éclataient vigoureusement. Il haletait.
J’accélérai la cadence. Il jura et sa main se crispa légèrement contre mon cou.
Je sursautai, mais je pris sur moi de ne pas lui dire que ça me dérangeait un peu,
car je savais qu’il ne se maîtrisait pas.
— Levy, si tu continues comme ça…
Il remua contre moi et trembla, sa main dans mes cheveux les agrippa plus
fort. Je n’avais pas l’intention de m’arrêter, pour ça comme pour le reste. Je
voulais le marquer au fer rouge. Galvanisée et euphorique, je fis un dernier va et
bien le long de son sexe avant qu’il ne convulse en grognant mon prénom. Je
déposai un baiser sur son ventre avant de relever mon visage pour le regarder. Il
avait les cheveux en bataille, ses yeux étaient sombres et pétillants et son jogging
était encore sur ses chevilles. Seul son torse qui se soulevait au rythme effréné de
sa respiration m’indiquait qu’il était encore en vie. Dieu qu’il était sexy.
— Tu viens ? dis-je en le tirant à moi.
Il sourit et s’avança. Je m’étendis sur le lit à mesure qu’il approchait de moi.
Ses yeux étaient perçants et quand il s’allongea au-dessus de moi, je déglutis. Il
inclina son visage et tendrement sa bouche couvrit la mienne tandis que l’une de
ses mains partait en quête d’exploration le long de mes courbes. Je gémis quand
il la glissa dans le creux humide de mon intimité. Il aspira mon gémissement
dans sa bouche et m’embrassa plus profondément, sa langue me titillant
lentement. Tendrement, il introduisit un doigt puis deux en moi, m’arrachant un
soupir.
— Delsin…
— Tu es magnifique, tu sais.
Je me tortillai, mon corps était en feu. Il se redressa alors et son regard
malicieux me fit fondre. Doucement, il m’écarta les jambes et je pris feu,
littéralement.
— Merde, tu es tellement belle. Je pourrais te regarder pendant des heures…
Il se baissa et embrassa mon intimité. Je hoquetai de surprise, mon cœur
battait si fort que j’avais l’impression qu’il allait exploser.
Sa bouche me recouvrait, chaude, affamée, redoutable, experte. Sa langue me
caressait inlassablement, se faisant tour à tour taquine, légère, profonde. Je
rejetai la tête en arrière, submergée par un plaisir vertigineux. En haletant, je
roulai des hanches m’enfonçant dans le matelas, soumise à cette implacable
sensation vertigineuse qu’il me procurait tandis que rapidement des sensations
sauvages m’envahirent. Mon corps était ravagé par un ouragan. Je ne me
contrôlais plus.
— Delsin…
Le dos cambré, je le sentis s’enfoncer plus profondément. Puis plus encore
jusqu’à ce qu’il glisse ses mains sous mes fesses et qu’il me dévore comme un
affamé. Les gémissements qui voulaient s’échapper restèrent bloqués dans ma
gorge tant le désir était puissant. La délivrance était proche, si proche que je
pouvais la toucher, si proche qu’il…
Sa langue me taquina une dernière fois et mon corps se déchira soumis au
plaisir qui se propagea dans tout mon être. Mes doigts se crispèrent sur les draps
et je retrouvai ma voix en criant son nom. Mon orgasme lancinant crispa mes
muscles et mon corps se convulsa, Delsin me retint tandis que mon bas-ventre
palpitait. Je fermai les yeux, alanguie par le plaisir mais lorsqu’il tenta de se
mettre sur le côté, j’entourai sa taille de mes jambes.
— Levy qu’est-ce que tu veux ? demanda-t-il en glissant sa bouche sur la
mienne.
— Toi.
— Comment ?
— Je te veux en moi, avouai-je sans détour en l’embrassant. Je veux que tu
me fasses l’amour.
Lorsqu’il se laissa tomber sur moi, je me rendis compte que j’en avais une
envie irrépressible. Ce n’était pas simplement du désir, c’était la continuité des
choses. Je voulais que nous fassions l’amour. Il me scrutait, ses yeux cherchaient
à lire en moi. Bien sûr, il y avait encore des zones d’ombre, des choses qui
devaient être dites et expliquées. Je savais que Delsin en était conscient, mais ce
n’était pas le moment d’en parler.
— Levy…
— Oui ?
— Tu n’es pas comme les autres, je peux…
— J’en ai envie, Delsin. Je ne te le demanderais pas sinon.
— Et moi, gémit-il d’une voix grave. Tu n’imagines pas combien j’ai envie de
toi, trésor.
Je souris et passai mes mains dans ses cheveux légèrement humides. Bon
sang, qu’il était sexy. Il tourna la tête et embrassa le creux de ma main.
— Tu es certaine ? demanda-t-il.
— Bien sûr, murmurai-je.
Delsin me scruta et embrassa mon front avant de tendre son bras vers sa
commode de laquelle il sortit un petit paquet brillant. Je soufflai, j’étais plus que
prête.
Sa bouche couvrit la mienne. Ses mains avides, mais douces se mirent à
caresser mon corps remontant de mes hanches à ma poitrine. Je poussai un
soupir et ses lèvres quittèrent les miennes pour se poser sur mes seins. Je grognai
lorsque sa langue titilla mon téton.
— Regarde-moi, trésor.
Je rouvris les paupières et mes yeux captèrent les siens. Delsin me regardait
comme si j’étais la plus belle chose au monde. Il embrassa ma bouche et poussa
son membre dur et érigé vers la partie la plus douce et fragile de mon corps.
Lorsqu’il entra en moi d’une poussée, je suffoquai tandis que mon corps lui se
raidissait. Il me donna un premier coup de reins et une douleur aiguë me fit
monter les larmes aux yeux.
— Ça va ? murmura-t-il contre mon front.
— Oui, répondis-je d’une voix tremblante.
Il embrassa mes yeux et mes larmes disparurent sous ses lèvres. J’inspirai
profondément puis je captai son regard ardent dans lequel je me perdis. Delsin
était parfait, je ne pouvais pas rêver mieux pour ma première fois. Il ne bougeait
plus, il restait immobile, niché au plus profond de moi. C’était légèrement
douloureux, mais tellement intense. Il se mit alors à bouger doucement, et me
serra contre lui et contre son cœur qui battait à tout rompre.
— Bon sang, tu es tellement tout, trésor.
Ma poitrine se gonfla et quelque chose se brisa en moi pour laisser se répandre
une douce et intense chaleur dans tout mon corps. Je gémis et me détendis dans
ses bras tout en pressant mon corps contre le sien. Je bougeai alors légèrement
mon bassin. Une douleur m’arracha une grimace, mais je fis abstraction de ce
pincement et je recommençai. Puis encore et encore et je me rendis compte qu’il
gémissait de plaisir et que la douleur se dissipait.
— Levy…
Je donnais un autre mouvement de hanche pour l’encourager et cette fois-ci ça
m’arracha un cri haché de plaisir. Ses yeux se mirent alors à pétiller, il me saisit
doucement par les fesses et poussa un coup. Je rejetai ma tête en arrière, le saisis
par les épaules et enroulai les jambes autour de sa taille, l’invitant plus
profondément. Je ressentais toujours une légère brûlure mais les merveilleuses
sensations que j’éprouvais à l’instant éclipsaient absolument tout. Il trouva son
rythme, qui s’intensifia petit à petit jusqu’à devenir plus brut, effréné, quasiment
incontrôlé. Il s’activa encore, et je le sentais partout, notamment sur mes seins,
où sa bouche me dévorait avidement. Sans cesser son va-et-vient, Delsin captura
profondément ma bouche et je n’y tins plus. Je rejetai la tête en arrière, tremblant
de tous mes membres. Une sensation incroyable m’envahit. Les convulsions me
parcouraient le corps en autant d’ondes rapprochées et sensuelles.
— Levy.
Il grogna mon nom en enfouissant sa tête dans mon cou. Deux ultimes coups
de reins le firent jouir alors que les derniers frissons me parcouraient encore. Nos
cœurs battaient à l’unisson, nos peaux moites collées l’une à l’autre. Plusieurs
minutes s’écoulèrent, peut-être des heures. Je l’ignorais. Quand il se retira
lentement, il m’embrassa avec une délicatesse qui me fit fondre.
— Tout va bien ? demanda-t-il en revenant après s’être débarrassé du
préservatif.
Je tournai la tête, alanguie :
— Oui.
Il se coucha à côté de moi et m’attira à lui. Je me serrai contre son torse, tout
en mêlant mes jambes aux siennes. Je voulais disparaître dans sa poitrine, contre
son cœur, je voulais me fondre dans ses bras car pour la première fois de ma vie
je savais ce que voulaient dire les mots « sécurité » et « bonheur ». Je me sentais
légère et épanouie.
— C’est le Noël le plus parfait de toute ma vie.
— Moi aussi, trésor.
Il me caressa les cheveux et je fermai les yeux.
Pour la première fois, je m’endormis de suite.
Chapitre 24
∞
— Salut beauté brune, lança Delsin.
Je lui souris tandis qu’il m’attirait à lui. Le cœur battant, je fondis dans ses
bras. Une insomnie de plus à passer avec lui. Il avait raison, pourquoi vouloir les
guérir quand elles étaient aussi belles que les nôtres. Je me redressai sur la pointe
des pieds pour l’embrasser. Il se pencha vers moi et ses lèvres chaudes
couvrirent les miennes.
L’endroit le plus sécurisant du monde, c’était là, dans ses bras.
Je m’étonnais encore de vivre cela et je continuerai de m’en étonner chaque
jour. C’était déroutant et l’homme avec qui je partageai mes journées et mes
insomnies l’était encore plus. Je me demandais encore ce qui l’avait poussé à me
remarquer. Notre première rencontre avait été si étrange et bizarre. Qu’est-ce qui
m’avait poussée à me préoccuper de lui ? Pourquoi avais-je sorti ma trousse de
soin pour un sombre inconnu ? Pourquoi m’avait-il vu alors que j’avais toujours
été invisible ?
— Qu’est-ce qu’on fait ici ? demandai-je alors que nous approchions du stade.
— Regarde le ciel.
Je m’exécutai et remarquai alors qu’il était tapi d’étoiles scintillantes. On
aurait dit une guirlande lumineuse infinie qui connectait le monde.
— Ouah…
— C’est un de ces soirs où elles sont le plus visibles.
Je souris au fait qu’il est eu l’idée si romantique de m’emmener regarder les
étoiles et je remarquai qu’il avait une sorte de plaid sur l’épaule. De plus en plus
romantique…
— Et pourquoi ici ?
— Assis dans les gradins, on aura le spectacle pour nous.
— Tu ne vas pas me forcer à faire un stade ? demandai-je horrifiée.
— Non, pas un stade. J’étais plutôt dans l’ambiance tripotage.
Je souris. Le tripotage, j’étais pour. Nous étions devant le terrain de football
de l’université. J’étais étonnée qu’il soit accessible la nuit, mais j’aurais suivi
Delsin n’importe où de toute manière. Regarder les étoiles dans les gradins d’un
stade de football avec lui c’était encore une chose à ajouter sur ma liste.
— En route ? fit-il avec un grand sourire.
— En route !
Je glissai ma main dans la sienne et je le suivis à travers les gradins, jusqu’à
ce qu’il s’arrête. Nous nous assîmes côte à côte et il nous enroula dans le plaid.
Je posai ma tête contre son épaule. Je regardai le ciel et je m’émerveillai de sa
clarté et de ces milliers de petits points lumineux qui le parsemaient.
— Quand j’étais gamin, j’aimais bien regarder les étoiles.
— Tu y emmenais déjà tes petites amies ?
— Non, juste Ellie. Elle aimait que je lui raconte des histoires, et pour elle,
j’en avais toujours en stock. Et elle adorait les étoiles, je crois que j’ai dû
inventer tout un système solaire rien que pour elle. J’inventai des constellations
et, en ce temps-là, je n’étais pas en colère comme maintenant.
— Del…
— Mais depuis quelque temps, ça va mieux. Je me sens moins prisonnier de
tout ça. Je suis plus calme. J’ai le sentiment qu’elle s’estompe cette colère, et
c’est grâce à toi, Levy.
— « Grâce à moi » ? répétai-je étonnée.
— Oui, toi. Depuis cette nuit-là, elle n’a fait que diminuer. Je ne dis pas que
c’est parti, mais ce n’est plus le sentiment le plus fort que je ressens.
Sa voix était sombre et intense. Il se tourna vers moi et je déglutis tandis qu’il
me regardait à présent avec plus d’éclats dans les yeux que toutes les étoiles au-
dessus de nos têtes.
— En ce moment, je ressens une extrême possessivité, du genre tu es à moi,
Levy. Exclusivement et rien qu’à moi. Du désir aussi, chaque fois que tes putains
d’yeux me regardent. Et de l’envie, j’ai envie de nous jour et nuit. C’est la
première fois que je ressens toutes ces choses en même temps et surtout qu’elles
éclipsent cette colère constante en moi.
Je levai une main et caressai délicatement sa joue.
— C’est vrai que ton visage est tout à fait normal depuis quelque temps.
— Ça te manque, les bleus ? demanda-t-il, amusé.
— Non, et toi ? Je peux toujours te mettre une gifle de temps en temps, si tu
veux un peu d’adrénaline.
— Dis pas ça, ça m’excite !
Je ris.
— Alors c’est pour ça ! Tu n’es pas vraiment en colère, tu aimes juste te faire
frapper.
— Démasqué.
Il se pencha et m’attira contre lui. Ses lèvres rencontrèrent les miennes, à la
fois douces et impatientes. Ses mots étaient tellement importants pour moi.
J’avais envie de lui dire combien c’était réciproque mais, ils résonnaient encore
à mes oreilles et j’écoutai égoïstement leur mélodie.
— Et cette liste, on en est où ? demanda-t-il contre mes lèvres.
— Elle ne ressemble plus vraiment à une liste, il y a des ratures partout.
Il me lança un sourire éclatant.
— On progresse, alors.
— Mieux que bien.
— Rien d’anormal, je suis un guide exceptionnel.
Je souris tandis qu’il descendait dans mon cou.
— Je pense qu’il va falloir que je rajoute de nouvelles choses à faire.
— Tout ce que tu veux, opina-t-il en embrassant mon cou. Rajoutes-en une
centaine, même plus, quoi qu’il arrive, je suis ton homme.
— J’ai aussi pensé à une liste… plus coquine, soufflai-je.
Il fallut un petit moment pour que mes mots atteignent son cerveau, puis il
releva la tête brusquement.
— Répète un peu ça.
— Une liste coquine. Tu t’occupes aussi de celle-ci ?
— Je m’occupe d’absolument toutes les listes qui te concernent, grogna-t-il en
me mordillant la peau. Et je suis très consciencieux dans mon travail.
Sa bouche me dévorait, il était comme affamé.
— Del…
— J’ai envie de toi et c’est entièrement ta faute.
Je soufflai alors qu’il m’attirait sur ses genoux.
— J’ai envie de rentrer, dit-il contre mon oreille. Et voir ce qu’on peut
rajouter, rayer, essayer et faire.
— Mais, j’ai envie de regarder les étoiles et de t’entendre inventer des
constellations moi aussi…
— Putain Levy ! Tu ne peux pas me sortir ça et…
— Désolée, haletai-je contre ses lèvres.
Nos regards se verrouillèrent. Je frémis dans ses bras. Je ne me reconnaissais
pas et pourtant j’aimais cette fille que je devenais. Celle qui avait moins peur,
celle qui disait ce qu’elle aimait, celle que j’étais avec lui. J’avais tellement
envie de lui moi aussi. Mais ici…
— Tu ne peux pas dire que tu es désolée, alors que tu en as envie, trésor.
Je hochai la tête. Il siffla. Ses yeux étaient voilés, sa mâchoire crispée.
— Merde, Levy ! Tu as marqué « jouir dans un lieu public sur ta liste » ?
Parce que là, il faut que je te touche. J’en ai besoin…
— Non, oui, mais…
— Pas de « mais ». Tu es à moi.
Sur ces mots, il glissa sa main dans ma culotte et commença à me caresser. Je
soufflai sous son regard et me cambrai sous le plaisir. Seigneur ! C’était
tellement bon, inattendu et indécent que je me sentais déjà sur le point
d’exploser.
— Je vais prendre un malin plaisir à m’occuper de cette nouvelle liste,
grogna-t-il. Tu n’es pas près de te débarrasser de moi.
Il se contorsionna et me pénétra de ses doigts tandis que sa paume comblait la
partie la plus nerveuse de mon intimité. De plus en plus instable, je me frottai
contre lui ce qui sembla lui plaire.
— C’est ça, m’encouragea-t-il.
Sa bouche couvrit la mienne et je me laissai aller.
— Mais toi ? Tu n’as pas l’air plus calme…
— Effectivement, mais il s’agit de toi. Maintenant, les étoiles…
Je me penchai dans son cou et remontai jusqu’à son oreille.
— Tu pourrais me les montrer dans ton lit, susurrai-je, ou dans le mien.
Celles-ci seront encore là demain, je pense, nos insomnies aussi…
Il se redressa tellement vite que je tombai presque à la renverse. Je riais aux
éclats quand il se mit à courir en me traînant comme un gros boulet derrière lui.
— Bon sang, t’es dingue ! m’exclamai-je.
— T’as pas idée, dit-il en s’arrêtant soudain.
Il m’attrapa et comme lors de mon anniversaire, me fit passer par-dessus son
épaule. Je couinai et il reprit sa course à une allure impressionnante, ignorant
complètement mes supplications.
Chapitre 25
∞
Rob n’était pas là pour assister à l’entraînement des garçons. Sa mère avait
appelé plus tôt dans la journée pour lui annoncer que son père avait fait une crise
cardiaque. Je n’avais pas eu de nouvelles depuis qu’il était parti et je
m’inquiétais pour lui et pour son père.
L’entraînement se passait bien, et je dévorais Delsin des yeux en repensant au
fait que la nuit dernière, j’avais eu un orgasme ici même. C’était dingue, mais
pour la première fois de ma vie j’étais heureuse.
— Salut, Levy !
Je levai les yeux vers Anna et lui souris.
— Je peux m’asseoir ?
J’acquiesçai, elle m’enlaça et s’installa à côté de moi.
— Tu vas bien ? demanda-t-elle.
— Oui, et toi ?
Elle hocha la tête et souffla dans ses mains. Il faisait plutôt froid ce soir.
— On ne s’est jamais vraiment retrouvées toutes seules pour papoter.
Elle n’avait pas tort, Rob était toujours là, et puis, je n’avais jamais vraiment
appris à copiner alors même si j’avais des amis ici, j’avais peut-être encore un
peu de mal à parler avec les gens. On ne changeait pas son passé, on pouvait
juste améliorer son présent, mais c’était vrai aussi qu’il était difficile de se
débarrasser de certaines habitudes. Anna était très joviale, mais j’avais
l’impression que notre relation était plus courtoise qu’autre chose. Elle sortait
avec un joueur de football, moi aussi, et ça s’arrêtait là. Je n’avais pas le même
feeling avec elle qu’avec Rob.
— Comment ça se passe avec Delsin ? Tu es la première nana fixe qu’il a
depuis que je le connais et avec qui il s’affiche surtout.
— Tout va bien.
— Ça fait tellement bizarre. C’est genre super sérieux entre vous ?
Je me demandais ce qu’elle sous-entendait par-là.
— Oui.
— En même temps, il t’a quand même fait la cour en plein milieu d’un amphi
et il a chanté la sérénade sous ta fenêtre, alors il doit être sérieux. Il a toujours
été excessif et impulsif, j’imagine qu’il est pareil quand il est en couple.
Je souris, ç’avait de très bons côtés d’être excessif parfois, surtout quand il
faisait ce genre de choses. Hier soir c’était très impulsif et ça m’avait ravie. Je
me sentais bien dans ma tête, dans ma peau, dans mon corps, tout était vraiment
stupéfiant.
Je regardai Delsin sur le terrain alors qu’il changeait de direction pour profiter
de la brèche laisser par ses adversaires. Il était vraiment doué. Quand il canalisait
son énergie pour la focaliser sur du sport comme maintenant, rien ne semblait
l’arrêter. Je me demandais tout à coup s’il avait toujours pratiqué ce sport, s’il
voulait en faire sa carrière ou s’il avait déjà un métier en tête. Et si ce soir il
m’emmènerait à nouveau voir les étoiles et si on les regarderait vraiment cette
fois-ci.
Mon téléphone vibra dans ma poche au moment où Delsin marqua un
touchdown. Je le sortis, mais grimaçai face au numéro masqué. Je n’aimais pas
tellement ça, je préférais quand les gens s’annonçaient. Ça évitait les mauvaises
surprises. C’était peut-être Rob qui essayait de m’appeler de l’hôpital ? À part
lui ou Norah je ne voyais pas qui pouvait m’appeler. Je décrochai :
— Allô ?
— Mademoiselle MacGrass ? Levy MacGrass ?
Je déglutis, ma gorge me semblait sèche tout à coup.
— Allô ? fit la voix masculine au téléphone. Vous êtes là ?
Je forçai sur ma voix :
— Oui, je suis là.
— Vous êtes bien Levy MacGrass ?
— Oui.
— Je suis l’officier Bennett, se présenta-t-il.
« Officier » ? Je sentis mon sang se glacer. Je jetai un coup d’œil à Anna qui
était heureusement obnubilée par le match, et je me levai.
— Tout va bien ? demanda-t-elle.
— Je reviens, dis-je en souriant.
J’espérai avoir assez bien masqué mon inquiétude. Je m’éloignai pour
m’isoler, le téléphone à l’oreille.
— Que se passe-t-il ? Pourquoi… ?
— Vous êtes bien la fille de Mick MacGrass ?
— O-oui…
— Votre père a profité d’un transfert pour s’évader.
Je défaillis et me retins à la rambarde devant moi pour ne pas tomber tandis
que mon cœur battait comme un malade dans ma poitrine.
— Comment ça ? Je…
— Il a échappé à notre surveillance et se trouve actuellement en fuite.
Mon cœur était tellement compressé tout à coup, que j’en avais la nausée. Je
mis ma main devant ma bouche, prête à vomir à tout moment. Je secouai la tête
effarée, écœurée, paniquée.
— Vous êtes toujours là, mademoiselle ?
Ma main tremblante se crispa sur le téléphone.
— Oui, répondis-je d’une voix chevrotante.
Je me rendis compte alors que des larmes coulaient le long de mes joues.
— Nous faisons notre maximum pour le retrouver. Tous nos services sont
mobilisés. Vous n’avez pas à vous inquiéter, des hommes sont postés à votre
ancien domicile, aux entrées et sorties de la ville. Il n’a pas de véhicule et il n’y
a aucune raison qu’il sache où vous habitez désormais. Nous seuls avons cette
information.
À travers mes yeux brouillés, je le revoyais ce monstre, mon bourreau, celui
qui toute ma vie, m’avait détestée, détruite.
— Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour le retrouver dans les plus
brefs délais, mais vous n’avez rien à craindre de lui là où vous êtes.
Je n’écoutais pas, je n’écoutais plus. Seuls mes halètements faisaient office de
réponse.
— Nous vous rappellerons dès que nous aurons du nouveau.
Je raccrochai et la peur fut plus forte que tout. Elle me happa vers le bas, dans
les recoins les plus sombres et les plus sordides de mon passé. Tremblante, je
lâchai la barrière mais je tombai maladroitement. Mon corps était paralysé,
pétrifié, comme s’il refusait de m’obéir. Je me relevai tant bien que mal et je me
mis à courir. Loin.
Chapitre 26
∞
Lorsque j’arrivai au diner, je regardai mon portable. Quatre appels en
absences. Un de Rob et trois de Delsin. Il avait fini l’entraînement. Je voulais
éteindre mon téléphone, parce que c’était trop dur de ne pas répondre et de les
laisser s’inquiéter, mais je ne pouvais pas, Norah risquait de m’appeler. Je
repensai à la première fois que j’avais revu Delsin après notre étrange première
rencontre. Assis au comptoir, une casquette vissée sur la tête, la tronche en
travaux et rasé. Je m’étais étonnée qu’un type comme lui puisse trouver le
moindre intérêt à une fille comme moi. Cet endroit était particulier, il signifiait
tant pour moi. C’était ici que mes insomnies étaient devenues autre chose que de
la peur.
— Tu as quelques heures d’avance aujourd’hui, Levy, me lança joyeusement
Maddie la serveuse.
Il y avait plus de monde que d’habitude. Presque toutes les tables étaient
occupées. J’essayai de sourire et de me détendre en vain.
— Tu veux quelque chose ?
— Un chocolat chaud.
— Je n’ai plus de tarte aux pommes, dit-elle. L’apple pie de Granny a eu du
succès aujourd’hui.
Je souris en secouant la tête pourtant, dans mon cœur, j’y voyais comme un
signe de mauvais augure.
— À emporter ! précisai-je.
Je préférai attendre devant la porte plutôt qu’à l’intérieur. J’y avais bien trop
de souvenirs et, tout à coup, je regrettai d’avoir choisi cet endroit. Maddie
acquiesça et s’occupa de ma commande.
— Tu vas quelque part ? demanda-t-elle en pointant mon sac du doigt.
— Juste un aller et retour…
Elle sourit.
— Rapide, j’espère, sinon j’en connais un qui va revenir passer ses nuits tout
seul ici avec une gueule à faire peur.
Je n’aurais jamais dû donner rendez-vous à Norah ici.
— Voilà pour toi.
— Maddie, la table huit attend sa commande, lança une voix depuis l’arrière-
salle.
— J’y vais ! répondit la serveuse.
Je payai, récupérai mon gobelet et sortis. Je m’adossai au mur, face au
parking. Norah ne devrait plus tarder maintenant. Je laissai tomber mon sac à
mes pieds et je bus une gorgée de chocolat. Bizarrement, il n’avait pas la même
saveur. J’avalai difficilement ma gorgée.
— Levy !
Oh, non…
Il avait les cheveux en bataille, l’air fatigué, les manches de son pull étaient
remontées sur ses coudes. Pourquoi avais-je choisi ce point de rendez-vous ?
Pourquoi était-il là ? Pourquoi les choses ne se déroulaient-elles jamais comme
on l’espérait ? Là, c’était pire que tout.
La colère et l’incompréhension se lisaient sur le visage de Delsin.
— Putain qu’est-ce que tu fous là ?! grommela-t-il en se jetant sur moi.
Il m’attrapa fermement par l’épaule.
Je déglutis. Je devais le protéger. Les seules choses de bien que j’avais connu
dans ma vie, c’était d’avoir rencontré cette gueule cassée, c’était qu’il m’ait
remarquée.
— Alors ? Je te parle !
Delsin me plaqua contre le mur et m’arracha un gémissement. Il attrapa mon
poignet d’une main et choppa mon menton de l’autre pour que je le regarde.
Mon gobelet tomba et se déversa au sol. Les yeux de Delsin étaient plus sombres
que d’habitude. Il était bien plus qu’en colère. Furieux. Il y avait tant d’émotions
qui passaient actuellement sur son visage. La colère, l’inquiétude,
l’incompréhension, la tristesse… S’il savait, il péterait un câble. Et Mick lui
ferait du mal, comme il m’en avait fait.
— Levy ?
Ma gorge était nouée. C’était la première fois que sa colère était dirigée contre
moi. Mais je comprenais tout à fait.
— Putain, tu vas répondre, oui ! Qu’est-ce que tu fous ici ? Et pourquoi tu ne
réponds pas au téléphone ?
— Je prends juste l’air, soufflai-je alors.
— Tu prends… C’est tout ce que tu as à dire ? Tu prends l’air ?
Je hochai la tête. J’avais les yeux brouillés de larmes.
— Putain, explique-moi, Levy !
— T’expliquer quoi ?
Il arqua un sourcil.
— M’expliquer pourquoi ma copine avait disparu quand j’ai fini
l’entraînement et qu’elle était injoignable et que je la trouve ici sans explications
et… Anna m’a dit qu’on t’avait appelé, que tu as répondu et tu n’es pas revenue.
Rob a essayé de te joindre, tu n’as pas répondu et quand j’ai essayé…
Il baissa les yeux et il vit le sac à mes pieds. J’eus alors tout le loisir de voir la
détresse dans ses yeux avant qu’elle ne se change en colère.
— Putain de merde, c’est quoi ça ? Tu te casses ? Tu…
Il prit une pause pour se calmer tant sa colère lui coupait le souffle.
— Dis-moi que t’es pas en train de te barrer comme…
Plus il parlait et plus le ton de sa voix était dur. Plus il parlait et plus il serrait
mon menton et mon poignet dans ses mains. Je poussai un gémissement de
douleur.
— Tu me fais mal, piaillai-je.
— Je m’en branle ! Ne change pas de sujet alors que tu es de train de te
barrer !
— Je suis désolée…, dis-je en sentant les larmes monter.
— Ça ne suffit pas, Levy ! cria-t-il. Merde ! Qu’est-ce qui se passe ? Dis-
moi !
— Lâche-moi, tu me fais mal !
— Non, pas tant que tu ne m’auras pas dit où tu étais ni ce qui se passe.
Je remontai ma main libre sur sa poitrine pour le pousser. Je ne supportai pas
le fait de sentir ses mains à lui me faire du mal. C’était plus douloureux que
toutes ces choses que j’avais subies avec mon père même si je savais qu’il
réagissait ainsi parce qu’il avait peur et qu’il s’inquiétait.
— Arrête, le priai-je. Tu n’as pas le droit de me faire du mal. T’as dit que tu
ne m’en ferais jamais…
— Tu n’as pas le droit de te servir de ça pour fuir la conversation. T’as pas le
droit de me faire ça, Levy. Pas maintenant, putain. On est… Putain jamais je te
ferais du mal. Et tu le sais.
Il serra les dents.
— Putain, j’en ai marre. Je me donne du mal pour te faire sourire, te faire
oublier tes putains de problèmes alors que je ne les connais même pas, pour
réaliser cette liste parce qu’on t’a privée de vivre. Je suis patient, je ne t’ai jamais
forcé à m’expliquer ce qui a pu te rendre si triste. Jamais !
— Je sais…
— Tu sais ? railla-t-il d’une voix sévère. Ça n’en a pas l’air.
Il ne semblait pas vouloir lâcher l’affaire. Les larmes me brouillaient la vue.
— Je ne sais pas quoi faire ni quoi dire pour te faire comprendre que tu peux
me faire confiance. Toi, tu sais tout de moi. Je t’ai expliqué les zones d’ombre
les plus sombres de ma vie parce que je t’estimais plus importante que n’importe
qui à mes yeux. Tu sais tout, tu as même vu mes faiblesses. Moi, je ne sais rien
hormis ce que tu m’autorises à savoir de temps en temps. Tu crois qu’en
balançant un bout d’information sur toi tu me fais oublier que je t’ai ramassée
complètement détruite ?
— « Ramassée » ?
Il grogna, me relâcha et passa sa main dans ses cheveux.
— La nature de tes blessures, je l’ai devinée, et pourtant… Je voulais t’aider,
te protéger, te rendre heureuse. Mais on ne peut pas aider quelqu’un qui ne veut
pas l’être. Ce que j’essaie de te faire comprendre, c’est qu’une relation, ça doit
aller dans les deux sens. Tu sais ce que j’ai vécu, tu sais que je peux tout
entendre, tout comprendre. Tu n’as pas à te cacher, pas avec moi. Je ne te jugerai
jamais, je ne me moquerai jamais de toi. Tu peux être celle que tu veux avec
moi, y compris cette fille qui a des insomnies et qui a peur du noir. T’as pas
besoin de faire semblant.
Ses mots étaient comme un baume, ils me réchauffaient le cœur et l’âme. Je
les gravais dans ma mémoire. J’avais envie de me fondre en lui, de l’écouter à
l’infini, de guérir grâce à lui.
— Mais, ça ne peut pas marcher si tu ne me dis pas ce qui t’a bousillée à ce
point, poursuivit-il. Je t’ai dans la peau, Levy. Tellement que j’arrive à dompter
le flot de colère que j’ai en moi, tellement qu’il me faudrait moitié moins d’une
seconde pour enrager si je me trouvais face à la cause de tes problèmes. Mets-toi
à ma place pendant deux putains de secondes et dis-moi comment toi tu réagirais
si je te cachais des choses ainsi, si je décidais de fuir.
Je hoquetai. J’étais en larmes. J’avais peur. J’avais mal. J’étais une vraie
loque.
Je n’avais pourtant qu’à ouvrir la bouche et lui expliquer. Mais les mots
restaient coincés dans ma gorge. Je ne pouvais pas. C’était mon combat, c’était
mon fardeau, ma peine et mon passé. C’était à moi de gérer ce problème.
Je secouai la tête.
— Tu ne peux pas partir comme ça… Pas sans m’expliquer ! Pas sans me dire
qui… Merde ! gémit-il. Putain de merde, je me sens comme le roi des cons ! Je
ne suis vraiment rien pour toi, alors ? Juste un connard que tu utilises parce que
c’est plus drôle pour passer ses nuits ? C’est ça ?
S’il savait ce qu’il représentait pour moi… Combien j’étais amoureuse de lui
et combien je lui étais reconnaissante pour tout ce qu’il m’avait apporté. Il était
le premier homme dans ma vie à m’avoir respectée, à m’avoir appris que tous les
hommes n’étaient pas mauvais. Delsin était tout pour moi, et il le serait à jamais.
Aussi, j’avais une boule dans la gorge lorsque je répliquai :
— Je ne t’ai rien demandé, Delsin. Rien demandé du tout. Ni avant, ni
maintenant, ni jamais. Je ne t’ai pas demandé de faire cette liste avec moi ni tout
le reste d’ailleurs. J’ai le droit de prendre l’air. Comme toi quand ton putain de
passé t’as rendu fou.
La déception se reflétait dans ses yeux et sa mâchoire était crispée par la
colère.
— Tu as raison, tu n’as rien demandé, tu ne m’as pas demandé non plus d’être
inquiet pour toi. Alors va te faire foutre, Levy. Reste avec ton passé merdique et
tes putains de secrets. T’as raison, c’est mieux. Quand j’ai pété un plomb, nous
n’étions pas comme maintenant. Je ne sais pas pourquoi tu as décidé de te casser
comme une voleuse. Je ne comprends pas, quoi qu’il se passe ce n’est pas en
fuyant que ça va s’arranger.
— Je n’ai pas le choix, soufflai-je. Tu ne sais rien !
— On a toujours le choix. Toi, tu choisis juste le plus facile parce que t’en as
rien à foutre de moi, de nous tous… Si tu t’en vas, j’en déduis que c’est fini
entre nous.
— C’est…
— Une menace, un ultimatum, une supplication désespérée, choisis ce que tu
veux, j’en ai rien à foutre. En fuyant c’est toi qui décides de rompre avec moi, de
m’abandonner. J’en ai ma claque de tout ça. Marre de faire semblant que je m’en
branle, parce que c’est pas vrai. Parce que j’ai envie de savoir ce qui t’a détruite,
parce que j’ai envie de ton âme à nue, parce que je… (Il s’interrompit et passa
une main nerveuse dans ses cheveux.) Laisse tomber.
— Je… dois partir. Tu n’aurais pas dû le voir.
Il eut un sourire glacial.
— D’accord.
Ce que je ressentais était tellement paradoxal que j’en tremblais. Je me sentais
perdue, j’avais besoin qu’on m’aide, qu’on comprenne ma douleur dans mon
silence.
— Delsin…
— Prends soin de toi, Levy.
Puis il tourna les talons et s’éloigna. Si j’avais été en état, je lui aurais couru
après et je lui aurais tout déballé. Mais j’en étais incapable, les minutes
s’égrainèrent et je ne parvenais pas à m’en remettre.
Quelque chose venait de se briser en moi et ça me détruisait.
— Levy…
Le cœur battant, je levai les yeux pour regarder mon interlocuteur, espérant
que c’était Delsin, et là… mon monde s’écroula. La lumière disparut et je me
retrouvai plongée dans les ténèbres tellement épaisses qu’elles m’étouffèrent.
Mon corps me fit mal et mon esprit hurla. Mes jambes tremblèrent.
C’était lui. Ma bête noire. Cet homme qui m’avait tant fait souffrir.
Je secouai la tête. Le souffle court, j’étais dans l’incapacité de respirer. Je
déglutis, et fis deux pas en arrière pour le fuir, mais il m’attrapa fermement le
poignet.
Je sombrai à nouveau.
Chapitre 27
∞
Rob m’accompagna au poste. J’y retrouvai la policière que j’avais vue à
l’hôpital, elle prit ma déposition et ma plainte contre mon père, et je vécus une
nouvelle fois cet enfer avec lui, racontant chaque détail de mon calvaire dans
cette ruelle. J’avais également entendu les aveux de Norah enregistrés par la
police et ça ne m’avait pas aidée à me sentir mieux. Au contraire, ça m’avait
encore un peu plus détruite. Elle n’avait montré aucun remords, et je comprenais
désormais à quel point je n’avais jamais compté pour elle. J’avais donc porté
plainte contre elle aussi. J’espérai ne plus jamais entendre parler d’eux.
Une fois fini, je pus enfin rendre visite à Delsin. J’avais tellement envie de le
voir, de me serrer contre lui, de lui dire combien j’étais désolée, à quel point je
l’aimais. J’avais besoin de lui, plus que jamais.
On me fit rentrer dans une salle d’interrogatoire avec un miroir sans tain. J’y
vis mon reflet. Le résultat de l’œuvre de mon père était fracassant. C’était la
première fois qu’il me frappait autant au visage, avant il préservait les
apparences. Je m’assis sur une chaise en ignorant mon reflet.
Quelques minutes plus tard, la porte s’ouvrit. C’était la policière. Elle était
seule.
— Je suis désolée, mademoiselle. Il ne viendra pas.
— Comment ça ? Vous aviez dit que…
— Je sais, oui, c’est lui qui ne veut pas venir.
Ce fut la douche froide.
— Il ne veut pas vous voir. J’ai insisté, mais il ne veut pas.
Une profonde douleur s’éleva dans ma poitrine et me compressa le cœur et les
poumons. Cette douleur-là était bien plus mordante que tout le reste. J’avais
besoin de lui, plus que jamais. Je ne m’étais jamais sentie aussi seule de toute ma
vie, la trahison de Norah me brisait le cœur et j’avais besoin de la seule personne
au monde qui m’avait sauvé de mon père.
Il m’en voulait encore. Il était toujours en colère contre moi, il n’avait pas
pardonné mes silences… J’avais été bête de croire que parce qu’il avait tabassé
mon père, ç’avait changé les choses entre nous. Il ne voulait probablement pas
voir mon visage tuméfié. Il était en prison à cause de moi, je lui gâchais la vie, il
avait toutes les raisons du monde d’être en colère contre moi.
— D’accord, je… Est-ce qu’il va bien ?
— Mieux. Ne vous en faites pas. Allez vous reposer, votre santé est plus
importante.
Il n’y avait rien de pire que se sentir seule, je le savais. Ce sentiment était
dévastateur et personne ne pouvait comprendre sans l’avoir déjà ressenti soi-
même. Ça nous rendait vide, ça nous rongeait de l’intérieur, et ça nous brisait. Je
l’avais ressenti pendant tant d’années, puis ça s’était estompé dans cette petite
ville paumée et voilà que cette vieille amie qui ne m’avait pas manqué
m’enfermait de nouveau dans son étreinte étouffante.
Chapitre 29
∞
Il devait être tard lorsque je me réveillai car le ciel était foncé à travers la
fenêtre. Je sentis comme une odeur de nourriture. Rob devait être revenu et
faisait à manger. Je rejetai le plaid et m’assis avant de me lever pour le rejoindre
à la cuisine. Je tombai alors sur un spécimen très différent de Rob.
Il était là. Il était bien là. Mon cœur se mit à battre à tout rompre dans ma
poitrine.
— Delsin ?
Il se retourna. C’était bien lui. Il n’y avait plus de haine sur son visage, elle
avait disparu, pourtant quand il vit mon visage, la colère sembla légèrement
assombrir ses yeux. Non, je ne voulais pas qu’il ressente ça à chaque fois qu’il
me voyait. Ce n’était pas l’image que je voulais qu’il ait de moi et c’était pour ça
que j’avais tu mon passé jusque-là, parce que je refusais qu’il me voie comme
une chose fragile.
— Lui-même, répondit-il en souriant.
Ignorant mes courbatures, je me jetai dans ses bras. Il m’accueillit avec
douceur et ses bras se refermèrent autour de moi avec précaution. C’était
tellement bon de sentir son odeur, de sentir ses bras, de se serrer contre lui.
— Hé, doucement trésor, ne te fais pas mal.
— Tu es là… Tu es là…
Il arrêta le gaz et éloigna une casserole dans laquelle il y avait de la soupe.
Puis, il glissa une main sur ma nuque, je relevai doucement la tête pour ne pas
qu’elle tourne trop. Nos regards curieux se trouvèrent. C’était un peu comme la
première fois. En silence, on se découvrait pour nous convaincre que nous étions
réels tous les deux. Il se pencha un peu, fit glisser une mèche de mes cheveux
derrière mon oreille et la douceur qui naquit dans ses beaux yeux sombres
m’ébranla.
— Putain, Levy…, siffla-t-il en me serrant dans ses bras. Putain !
Je compris en sentant ses biceps trembler qu’il se contrôlait pour ne pas me
serrer trop fort contre lui et qu’il n’était pas en colère du tout, mais plutôt
soulagé.
— Tu es là…, soufflai-je à nouveau sans y croire.
— Putain, mais où veux-tu que je sois ? Bien sûr que je suis là.
— Mais tu n’as pas voulu me voir au poste alors j’ai cru…
— Je ne voulais pas que tu me voies là-bas, me coupa-t-il, avec des menottes,
avec un pull couvert de sang, sale et… Je ne voulais pas que tu me voies comme
ça, Levy. Je ne voulais pas qu’on se voie enfermés dans une salle
d’interrogatoire. Ce n’était pas un lieu pour toi. Et puis, je savais que si je te
voyais triste, couverte de bleus, je n’arriverais pas à me calmer. Il me fallait
prendre un peu de recul.
— Tu as l’air encore en colère, tu…
— C’est vrai, je le suis. Ça bouillonne en moi et je vais avoir besoin de toi et
de temps pour me calmer. Mais je ne suis pas en colère contre toi. Je le suis
contre moi de t’avoir laissée seule avec cette enflure, de lui avoir laissé le temps
de te faire du mal à nouveau, de ne pas avoir compris et de t’avoir abandonnée.
Je secouai la tête. C’était ma faute. Tout était entièrement ma faute. Pas de la
sienne. Pourtant, c’était lui qui s’excusait.
— Non…
— Je voulais le tuer, avoua-t-il d’une voix blanche. J’ai encore envie de le
tuer.
Je ne cessai de le fixer, comme ce soir-là en boîte quand j’essayais de déceler
la moindre onde de malveillance en lui, mais encore une fois, il n’y avait rien. Il
avait l’air d’avoir peur de mes réactions.
— Je sais, soufflai-je en frissonnant. Je sais.
— Il te regardait avec ce putain d’air malsain pendant que je le frappais,
j’avais envie de le massacrer… Il n’y avait plus rien d’humain en moi, je ne
ressentais plus rien, Levy. C’était le néant, je frappais simplement parce que
j’avais envie de tuer. La dernière fois que j’ai ressenti quelque chose comme ça
c’était quand j’ai revu ma mère après ce qu’elle nous avait fait, mais cette fois-là
n’était rien en comparaison. C’était la première fois que je perdais pied à ce
point.
— Tu ne l’as pas fait.
— Levy, tu te rends compte que si les flics avaient mis plus de temps, j’aurais
fait de la prison pour meurtre.
— Je sais, je suis tellement désolée, Delsin…
— Non, gémit-il en posant son front contre le mien. Non, arrête. Pourquoi tu
t’excuses ?
— Sans moi…
Il secoua la tête.
— Mais sans toi je ne serais pas aussi vivant que je le suis actuellement. Sans
toi je serais toujours ce gars impulsif qui s’ennuie de tout et qui ne ressent rien.
Tu m’as ramené à la vie, Levy. Tu m’as sorti de ma colère, de ma léthargie.
Grâce à toi, j’ai pu recommencer à ressentir des sentiments positifs.
— Mais…
— Dès le premier soir dans le taxi, j’ai su que tu étais faite pour moi. J’ai
voulu connaître l’origine de tes tourments et t’en protéger. Je ne te connaissais
pas et pourtant, j’avais déjà envie de te venger.
J’étais émue par ses mots. Je ne voulais pas qu’il culpabilise de la manière
dont il m’avait sauvée.
— Ça m’a fait du bien de te voir le frapper au début, soufflai-je. Puis, j’ai
détesté cette colère qui prenait possession de toi. Tu n’es pas comme lui, Delsin.
Je soufflai et je levai une main pour lui caresser la joue. Il pressa son visage
contre ma paume. Il était sans doute temps que je parle, même si c’était trop tard.
— Qu’est-ce que tu veux savoir de cette période de ma vie ? lui demandai-je
sans le quitter des yeux.
— Tout.
— Tu sais tout maintenant.
— Non, dit-il avec tendresse. Non, je ne sais pas, parce que je ne l’ai jamais
entendu de ta bouche.
— Tu veux que je te dise que mon père ne m’a jamais aimée ?
— Par exemple.
— Qu’il m’a toujours reproché la mort de ma mère ? continuai-je.
— Oui.
— Qu’il a commencé à me frapper peu de temps après que ma sœur m’ait
trahie en m’abandonnant seule avec lui ? Et qu’elle m’a trahie une seconde fois
en me tendant un piège pour qu’il me retrouve ?
— Continue.
Et là, c’était comme si un sortilège venait de me délier la langue.
— Il m’a frappée pendant des années et il m’a insultée toute ma vie. J’espérais
que ma sœur reviendrait me chercher. J’ai subi pendant des années en silence. Je
suis devenue fantomatique. Puis, un jour d’été, il faisait très chaud, j’ai trouvé
une jolie robe à la maison, je l’ai essayée et comme ça faisait des jours qu’il était
absent, je l’ai gardée. Quand il est rentré et qu’il m’a vue dans la cuisine… Il
m’a appelé par le prénom de ma mère et il m’a caressée. J’étais paralysée par la
peur. Quand je lui ai dit d’arrêter, il est devenu fou, il m’a…
Me remémorer se souvenir était douloureux, mais je pouvais le faire pour lui
et pour nous.
— Ne t’arrête pas. Je peux tout entendre même le plus moche.
Je ne voulais pas qu’il soit de nouveau en colère, pourtant maintenant que j’en
étais à déballer mon sac, j’avais envie de finir.
— Il a arraché ma robe et m’a touchée, repris-je. Pour la première fois, je l’ai
supplié d’arrêter. Je préférais me faire frapper que de subir ça. J’ai fini par
attraper un couteau de cuisine et je l’ai planté dans sa cuisse, mais il l’a retiré et
m’a poignardée dans le ventre.
Delsin grogna.
— Alors c’est ça, cette cicatrice…
— Oui, avouai-je. J’ai réussi à retirer le couteau pour le lui planter à nouveau
et il s’est effondré. Alors j’ai appelé les flics et j’ai tout déballé. Tout ce qu’il me
faisait subir depuis des années. Quelque temps après, je débarquai dans une ville
paumée et j’aidais un type à la gueule cassée.
— Cette fameuse fille avec sa trousse de secours. Un fantasme devenu réalité.
— « Un fantasme » ?
— Dire que tu n’as pas conscience de combien tu m’as perturbé ce soir-là.
C’est dingue. Tu m’as retourné la tête.
Je secouai la tête, il sourit tendrement et embrassa ma paume qui n’avait pas
quitté son visage.
— Et pourquoi tu ne m’as pas dit qu’il était revenu ? demanda-t-il.
— Je ne savais pas. La police m’a appelée pendant ton entraînement pour me
dire qu’il s’était enfui. Selon eux je n’étais pas en danger, mais j’ai paniqué.
C’était plus fort que moi, j’étais perdue, je voulais fuir. Il a toujours eu cette
emprise sur moi. Je suis redevenue la petite fille apeurée…
— Bon sang, Levy ! Je t’aurais protégée, je… (Il s’interrompit en soupirant.)
Ce n’est plus important, c’est fini.
— Je suis désolée. Je sais que ce n’est pas beau. Rien n’est beau dans mon
histoire. Je ne veux pas que tu me voies comme ça, je ne voulais pas que me
perçoives de cette façon.
— Non, c’est vrai, ce n’est pas beau. C’est ce qu’il y a après qui est beau. J’ai
tout de suite vu combien tu avais été bousillée par la vie, trésor. J’ai su tout de
suite que tu avais des démons aussi lourds que les miens.
— Comment ça ?
Son pouce vint caresser délicatement la minuscule cicatrice en dessous de
mon oreille et un éclat particulier passa dans ses yeux sombres.
— Il y avait tes réactions, comme ta façon de te reculer le premier soir,
comme si tu avais peur que je te frappe. Et puis, celle que tu as eue quand j’étais
bourré et ta façon de penser que j’étais violent avec Rynne. Je ne connaissais pas
ton histoire, mais j’avais une petite idée de la nature de tes blessures.
Je me sentais stupide et honteuse, mais aussi heureuse qu’il m’ait vue telle que
j’étais et que ça ne l’ait pas repoussé.
— Alors…
— Alors, j’ai compris pourquoi tu n’étais pas comme les autres et que c’était
pour ça que j’étais autant perturbé le premier soir. Tu étais comme moi, toi aussi
tu connaissais la douleur. Et j’ai senti le besoin irrépressible de te protéger.
Ses révélations me rendaient bizarre, ses mots avaient un drôle d’effet sur mon
cœur.
— Delsin…
— Je te l’ai dit l’autre soir, tu peux tout me dire, tu n’as pas à te cacher devant
moi. J’ai vécu assez de choses dans ma vie pour comprendre qu’on ait peur ou
qu’on puisse avoir des réactions excessives.
Je hochai la tête.
— Ce qui m’importe maintenant, c’est nous, poursuivit-il. Je devais savoir,
entendre ton histoire au moins une fois, parce qu’elle fait partie de toi et que ça
ne changera jamais rien à mes sentiments. Ni même ces bleus sur ton visage.
Rien ni personne ne changera ça.
— « Tes sentiments » ? répétai-je hébétée.
— C’est évident, non ? répondit-il en souriant.
Je le regardais, déroutée, et il s’en amusa.
— Tu n’as donc pas encore compris que je t’aime ?
Je déglutis.
— Tu ne l’as jamais dit, soufflai-je.
— C’est vrai, je ne l’ai jamais dit.
Il se pencha plus encore et posa ses lèvres doucement sur les miennes. Mon
cœur s’éveilla et pour la première fois depuis des jours je ressentis autre chose
que de la douleur. Je ne le quittais pas des yeux. Je me pressai contre lui, tout à
coup avide de mots.
— Je t’aime, murmura-t-il. Je t’aime comme j’aime nos nuits avec passion,
comme j’aime ta tristesse, ta solitude, chaque recoin de ton âme et de ton esprit.
J’aime la façon dont tu me regardes, dont tu me touches, dont tu m’embrasses.
J’aime cette mèche de cheveux qui tombe toujours devant tes yeux et qui cache
ton visage, j’aime la remettre en place et découvrir à chaque fois combien tu es
belle. Je t’aime autant que le goût des tartes aux pommes, autant que le jour qui
devient nuit, autant que chaque étoile qui scintille. J’aime penser que tu es à moi
et croire que tu es aussi possessive que moi. J’aime tes sourires parce que je sais
qu’à travers chacun d’eux se cache un monde entier de possibilités. Et ce monde
infini, je veux le mettre à tes pieds parce que l’amour que je ressens pour toi m’a
appris à aimer vivre.
Mon cœur était ravagé. Je n’avais jamais rien entendu d’aussi beau ni de si
merveilleux. J’en avais les larmes aux yeux. Ses mots effaçaient tous les maux
qui m’oppressaient la poitrine. Je me sentais tout à coup tellement légère,
comme si le poids de mon passé venait tout à coup de disparaître. J’avais
l’impression de respirer pour la première fois.
Je fermai les yeux et Delsin se pencha vers moi :
— Être impulsif ça a quand même de bon côté, surtout quand il s’agit de
t’aimer, glissa-t-il à mon oreille. Alors, j’espère que tu es prête, ma Levy, parce
que je vais t’aimer sans la moindre retenue. De toute façon, tu sais bien que je ne
sais pas faire autrement.
Je frémis de bonheur et frissonnai quand il posa une pluie de baisers sous mon
oreille. Les yeux toujours clos, je laissai l’amour s’infiltrer par tous les pores de
mon corps, cette sensation était merveilleuse et dévastatrice.
J’étais aimée. Moi, pour la première fois de ma vie, j’étais aimée. L’homme
qui m’avait appris à vivre, l’homme qui avait chamboulé mon arrivée dans cette
petite ville, l’homme qui m’avait poussée à faire une liste, cet homme
merveilleux dont j’étais amoureuse m’aimait aussi.
J’étais si heureuse, si comblée. Jusqu’à maintenant j’ignorais ce que ça faisait,
mais je ne comptais plus m’en priver. Plus jamais.
J’ouvris les yeux, je me sentais différente, prête pour le reste.
— Hé, salut toi, dit-il.
Je fondis.
— Hé !
— À quoi tu penses là tout de suite ? Tu as peur ? demanda-t-il.
Je secouai la tête et le découvris, un peu comme la première fois. Delsin
souriait si largement qu’il ne m’avait jamais paru si beau, et il me scrutait sans
colère, il y avait une douceur infinie dans son regard, et je compris qu’il m’avait
toujours regardée de la même manière.
Depuis tout ce temps… Depuis ce premier soir.
Depuis cette fameuse nuit, nous étions destinés l’un à l’autre. C’était évident,
maintenant, je le savais. Une fille lasse d’être battue qui soignait les bleus d’un
gars impulsif. La rencontre de deux insomniaques que la vie n’avait pas
épargnés.
— Delsin… Si tu savais combien je t’aime moi aussi.
Il se figea un instant et cilla.
— Putain, redis-moi, ça ! m’intima-t-il d’une voix rauque.
— Tu n’avais pas encore compris ?
Il rit doucement, et entendre ce son mélodieux me galvanisa. Il était tellement
beau quand il souriait. Je souris à mon tour, amusée de reprendre ses mots pour
le taquiner.
— Tu ne l’as jamais dit.
— C’est vrai, dis-je amoureusement. Je ne sais pas quand j’ai commencé à
t’aimer, je m’en suis à peine rendu compte, je n’ai pas réfléchi, j’ai juste senti
que peu à peu je voulais absorber ta colère en trop, que j’aimais chaque mot que
tes lèvres prononçaient, chacune de tes parfaites imperfections. Je te voulais toi,
aucun autre que toi. Tu n’as pas la moindre idée de la puissance de tes actes et de
tes mots ni de leur répercussion sur mon cœur et mon âme. Et pourtant, de jour
en jour, de nuit en nuit, je me suis sentie renaître grâce à toi, tu m’as rendu la vie,
Delsin. Tu as transformé mes insomnies en rendez-vous nocturnes, tu as effacé la
peur qui leur était associée. Tu m’as fait faire une liste et tu m’as fait découvrir
les choses de la vie, parfois aussi simple qu’un bout de tarte aux pommes et
d’autres fois aussi intense qu’un premier baiser. Tu es toutes mes premières fois
et je ne veux pas que ça s’arrête…
Ses yeux étaient éclatants et brillants. Il résidait dans ses pupilles aussi
sombres qu’un ciel nocturne la promesse d’un toujours. J’étais tellement
heureuse. Et légère. Il avait raison, certains mots douloureux devaient être
prononcés et on se sentait mieux après les avoir dits malgré toutes les horreurs
qu’ils racontaient. Mon passé ferait toujours partie de moi et le retour de mon
père pour se venger aussi, mais ça ne ferait plus partie intégrante de ma vie. Je
savais désormais que je ne céderais plus jamais aux enfers de mon passé, c’était
fini. Ce qui comptait maintenant, c’était l’avenir.
Mon cœur débordait d’amour comme jamais.
Delsin semblait ébahi et je m’étonnais d’être capable de faire naître ces
sentiments chez lui, mais puisque j’en étais capable et puisque je l’aimais, j’étais
bien décidée à continuer de le rendre fou. Il m’avait vue et aimée alors même
que j’étais invisible et détruite. Tout comme j’étais tombée sous le charme d’un
type impulsif à la gueule cassée qui avait juste besoin d’oublier sa colère.
Ensemble, au fil de nos nuits, nous avions appris combien les choses pouvaient
être belles.
— Voilà qui s’annonce très prometteur, murmura-t-il.
— Je crois aussi.
Il se pencha à nouveau et ses lèvres se posèrent sur les miennes. Elles
remuèrent doucement. Trop doucement. C’était délicieux de le retrouver, mais
j’avais envie de beaucoup plus. Je me serrai tout contre lui, ses mains glissèrent
dans mes cheveux et avec une profonde douceur le long de mon échine. J’étais
bien là, la vie reprenait tout son sens. Cependant, quand je grimaçai à cause de
ma lèvre, il s’éloigna.
— Merde, je m’étais promis d’être patient et de ne pas…, soupira-t-il.
— Je vais bien, assurai-je en pressant ma bouche contre la sienne. Je vais
bien…
— D’accord, on va se concentrer sur ça, grommela-t-il. Putain, arrête de faire
ça. Tu sais que je ne peux pas y résister.
— Quand je fais quoi ?
— Ta guérison avant tout, grogna-t-il sans me répondre. Surtout après ce que
tu as vécu. Tu m’as tellement manqué mais j’ai flippé comme jamais quand tu
t’es évanouie.
C’était aussi pour ça que je l’aimais, parce qu’il me respectait et il me
protégerait jusqu’au bout. J’abdiquai en faisant la moue. Je n’avais pas si mal et
ses mains à lui me réparaient, me protégeaient, c’était tout ce que je voulais.
— À quoi tu penses là de suite ? demanda-t-il en rivant son regard au mien.
J’adorais ces petits rituels entre nous. Cette manie qu’il avait de me demander
à quoi je pouvais bien penser.
— À tes bras dans lesquels j’adore me blottir et à combien j’ai envie de toi,
répondis-je.
Je me demandais tout à coup s’il me désirait encore ou si la scène qu’il avait
vue avait suffi à le dégoûter de moi.
— Levy ? s’inquiéta-t-il.
Mes doutes avaient dû se voir sur mon visage.
— Tu me désires toujours, n’est-ce pas ? demandai-je d’une toute petite voix.
Il se mit à rire, un rire moqueur qui me fit rougir.
— Aucun homme ne te désirera jamais plus que moi. Je t’ai dit que rien
n’affecterait mes sentiments et ça vaut aussi pour mon désir. Je t’aime et te
désire tellement fort, mais tu es blessée et je veux que tu guérisses. Tu es
fatiguée, affaiblie et…
— Tes mains ne m’ont jamais fait mal, elles m’ont révélée, elles m’ont fait
découvrir la douceur et le plaisir, elles m’ont protégée. Je ne veux pas que tu
craignes de me casser, Delsin. Je sais que ça doit être dur pour toi de me voir
comme ça, mais…
— Ne crois pas que ce sont ces quelques bleus qui changeront mon désir pour
toi, trésor. Tu n’as qu’à baisser les yeux pour voir combien je suis à toi et comme
j’ai envie de toi.
— C’est comme ça que je veux oublier, il n’y a que toi qui puisses me réparer.
J’ai trop subi avant pour me focaliser sur le passé. C’est le présent que je veux
vivre.
— Bon sang, mais quelle… Tu sais pourtant que… Merde !
Je souris. Il m’enlaça de plus belle et m’entraîna vers le lit. Il retira ses
chaussures, ses chaussettes et même son tee-shirt et je le rejoignis, absolument
fascinée par mon amoureux parfait.
— Doucement, trésor.
Je me plaçai de sorte à ne pas avoir mal tout en étant contre lui et ses doigts
glissèrent dans mes cheveux.
— Laisse-moi faire. Je m’occupe de tout.
Je fermai les yeux en souriant et je le laissai faire.
∞
Mes hématomes avaient dégonflé en une semaine. Delsin me taquinait, la
couleur de ma peau changeait chaque jour et il disait qu’il sortait avec une
femme arc-en-ciel. Selon lui mon pouvoir de régénération était plus puissant que
le sien et il m’avait même proposé de se faire frapper pour qu’on soit assortis.
Les marques sur mon visage s’estompaient, j’avais hâte que tout disparaisse.
C’était grâce à Maddie, la serveuse du diner, que Delsin avait pu me sauver ce
soir-là. En prenant une pause pour fumer une cigarette elle avait vu mon sac et
mes affaires à terre. Pensant qu’il m’était peut-être arrivé quelque chose, elle
avait appelé Delsin, puis la police.
Assise à une table au fond de la salle, blottie contre Delsin, je terminais ma
part de tarte aux pommes.
— Au fait, j’ai quelque chose pour toi, dit-il.
Je levai paresseusement les yeux. Il esquissa un sourire.
— Donne-moi ta main.
Je la lui tendis et il déposa un médaillon dans ma paume.
— C’est…
— Ce n’est pas le même, mais lui aussi brille dans le noir, et représente la nuit
et nos insomnies, lança-t-il en tournant le pendentif pour me montrer la gravure.
Je trouve ça important que tu portes la nuit à ton cou, ça ne peut pas être
autrement.
Nos nuits étaient uniques, elles le seraient toujours.
— Del…
— Mais je crois savoir ce que représentait l’autre pour toi, alors…
Il sortit de la poche intérieure de sa veste un petit carnet en cuir relié et le posa
sur la table. Au milieu de la couverture était incrusté le médaillon ébréché qu’il
m’avait offert à Noël. Mon cœur palpita.
— C’est… Comment ?
— Granny connaît un artisan bijoutier, il a une boutique en ville. Il fabrique
des choses sur mesure et répare les bijoux cassés. Quand je lui ai amené le
médaillon qu’il avait lui-même fabriqué, il m’a dit qu’il ne pouvait pas le
réparer, mais que si j’avais une idée, il pourrait lui donner une seconde vie.
Alors, j’ai pensé à ta liste, au fait qu’elle grandira de jour en jour, et voilà…
— C’est magnifique Delsin. C’est…
— Ça te plaît ? demanda-t-il tendrement.
— C’est parfait.
Je me redressai et l’embrassai amoureusement. Comme je n’étais pas tout à
fait guérie, il prenait soin de ne pas être trop brusque.
— J’adore quand tu as des idées romantiques, murmurai-je.
— J’adore quand tu m’inspires.
Il me caressa la joue et comme je savais si bien le faire, je brisai la magie du
moment en bâillant.
— Je crois que je vais encore gagner au jeu des insomniaques, s’amusa-t-il en
posant un baiser sur ma tempe.
Il attrapa une mèche de cheveux et l’enroula autour de son doigt.
— C’est pas juste, les antidouleurs me font dormir.
— Et pour les autres nuits, c’était quoi ?
Je souris.
— Un point pour toi.
— Allez, on rentre.
Chapitre 30
Parfois, quand on rêve très fort à quelque chose, ce dont on désire fini par se
réaliser. Comme rêver d’une nouvelle vie où de la mort d’une personne qui vous
a fait du mal.
J’avais obtenu les deux.
Je vivais à présent ma vie d’étudiante sans me retourner, sans avoir peur. Mon
avenir me semblait radieux et je profitais de chaque jour, aussi fort que je le
pouvais. J’avais terminé ma première année à l’université et Delsin sa deuxième.
J’étais de plus en plus intéressée par l’idée de devenir infirmière. J’avais envie
d’aider les gens, de prendre soin d’eux, de les soigner, comme j’avais une fois
soigné un type à la gueule cassée. J’avais subi, beaucoup trop, et je voulais aider
les gens dans le même cas que moi. Il y avait toujours cette liste de toutes ces
choses que je n’avais jamais faites et que j’avais envie de faire et qui maintenant
était inscrite sur un petit carnet noir. Delsin s’y donnait à cœur joie et faisait tout
pour qu’elle se réalise.
Et puis, j’avais appris la mort de mon père. Il s’était suicidé dans sa cellule
après le verdict de son nouveau procès. Il n’avait pas supporté les restrictions de
son nouvel enfermement, ni d’écoper de dix ans de plus. Je n’éprouvais pour sa
mort que… En réalité, je ne ressentais rien de particulier. Juste un profond
soulagement. Qu’il se soit suicidé, désespéré de ne plus pouvoir se venger, je
m’en fichais éperdument.
Il était parti pour de bon, j’étais définitivement libre et j’avais appris à ne plus
m’en vouloir. Ce n’était pas ma faute si ma mère était morte en couche, je
n’avais rien fait, maintenant je le savais.
Ce qui comptait à présent, c’était mon avenir.
Lorsque j’ouvris les yeux, je découvris une pièce baignée de lumière et surtout
le plus sexy des insomniaques que je savais nu sous les draps. Mon insomniaque
à moi. Nous ne nous étions plus quittés après son retour de garde à vue. Plus
jamais. Et la vie avait repris son cours, nos insomnies aussi, et le reste
également.
Delsin me regardait avec un regard taquin et un sourire particulier. Je me
demandai depuis quand il était réveillé. Il se redressa et m’embrassa avec
passion. Ses lèvres et sa langue prirent possession de ma bouche dans une suave
sensualité. Il devait être réveillé depuis un moment. Mon corps s’éveilla
brutalement et mes sens aussi.
— Salut toi !
— Hé !
Je soupirai tandis qu’il m’attirait à lui et je me retrouvai au-dessus de lui. Je le
contemplai, tout à fait réveillée à présent. Ses abdos délicieux, son sourire à
croquer et son érection m’accueillirent comme si j’étais la chose la plus désirée
au monde.
— Quelle vue splendide ! soupira-t-il, comme ébahi. C’est magnifique.
— La mienne n’est pas mal non plus.
Je me penchai pour l’embrasser à mon tour puis je guidai son sexe en moi.
D’une poussée plus qu’impatiente, il me fit sienne. Je me cambrai en
l’accueillant dans toute sa longueur et m’affaissai en posant mes mains sur ses
pectoraux. Faire l’amour dans l’un des plus beaux hôtels de Disney World avait
quelque chose de totalement féerique. Je me sentais comme une princesse, une
princesse dévergondée, certes, mais une princesse tout de même. Nous avions
passé la journée dans le parc la veille, tous les deux. Rob et les autres nous
rejoignaient aujourd’hui. J’avais hâte.
Un sourire éblouissant se dessina sur le visage de mon insomniaque tandis que
je le chevauchai. Du bout de ses doigts, il replaça une mèche derrière mon oreille
et m’embrassa doucement, puis profondément.
— Tellement belle. Je t’aime.
Je ne me lassais pas d’entendre ça et quand il me faisait l’amour, c’était
encore pire. Depuis six mois, je profitais d’être aimée et j’étais complètement
accro. Nos corps bougeaient à l’unisson, nous ne faisions qu’un et dans
l’harmonie de nos gémissements le plaisir nous transcenda.
— Je n’en reviens pas d’être là, dis-je quelques instants plus tard en me
blottissant contre lui. J’ai l’impression de rêver. Il y a un an, je me libérais de
l’emprise de mon père, je n’en reviens pas de tout ce que j’ai fait, de tout ce que
tu as fait pour moi depuis.
Nous avions pris l’avion et nous avions passé une semaine en Floride avant de
venir ici pour terminer nos magnifiques vacances. Il me caressa l’échine d’une
main et me fit relever la tête de l’autre. Je croisai son regard amoureux.
— Cette liste de chose, c’était vraiment une idée brillante, ajoutai-je en
souriant.
— Je t’ai dit que toutes mes idées étaient brillantes.
— Je veux la finir.
— Elle ne sera jamais finie, Levy. Impossible. Je mettrai un point d’honneur à
y rajouter des nouvelles choses. Je veux que ta vie soit belle, je ne peux pas me
lasser de te voir t’émerveiller. Et quand on sera vieux et qu’on nous demandera
ce qu’on a fait dans nos vies, on pourra expliquer à nos petits-enfants cette
énorme liste et combien on s’est aimés.
Je ronronnai.
— Elle est belle, tu sais, ma vie. Merveilleusement belle, depuis que tu as
débarqué complètement débraillé dans ce taxi.
— Dès que je t’ai vue, tu étais foutue, trésor.
— Tu m’as traité de psychopathe, si je me souviens bien…
— J’ai dit que tu étais une jolie psychopathe, ce n’est pas pareil, corrigea-t-il.
— T’as raison, dis-je en souriant. Après tout, quel genre de femme se balade
avec une trousse de secours dans son sac ?
Je me mordis la lèvre, lentement il se bascula vers moi me forçant à me
coucher sur le dos. Il s’allongea au-dessus de moi et m’embrassa avec une
passion dévorante et sans le moindre effort voilà que nous étions de nouveau un.
— Unique en son genre. La mienne.
C’était comme ça que j’avais commencé à vivre. Il n’avait suffi que de peu de
choses pour me rendre heureuse, mais ces choses m’étaient inestimables. Une
liste accrochée sur un frigo, un crayon pour rayer les lignes et un guide pour
m’aider à l’accomplir et aussi et surtout d’infinies insomnies…
Épilogue
DELSIN
J’avais un jour promis à la femme qui m’avait soigné dans la rue et dont
j’étais tombé fou amoureux que je ferais absolument tout pour que sa liste
perdure. Ça durait depuis plus de cinq ans maintenant et la liste de Levy, notre
liste, n’en finissait pas de s’agrandir. Nous en avions fait des choses en cinq ans
et il y en avait tellement d’autres à venir.
Quand la vie décide de vous foutre des coups dans la gueule, il arrivait un
moment où on ne croyait plus avoir le droit au bonheur, où l’on ne croit même
plus à son existence. Et parfois, la vie met une personne sur votre chemin et vous
savez que quoi qu’il se passe elle vous est destinée. C’était comme ça qu’était
venue ma rédemption. Si je regardais six ans en arrière, jamais je n’aurais cru un
jour me défaire de ma colère, et pourtant… La colère ne faisait plus partie de ma
vie à présent. Ça faisait longtemps que je n’en avais pas ressenti ses effets. La
dernière fois que la rage s’était emparée de moi, plus fort que jamais, c’était le
jour où j’avais failli tuer le père de Levy et parfois je ressens encore cette envie
malgré le fait que ce sombre lâche se soit suicidé.
Les jours suivants, la colère s’était estompée jusqu’à ce que je me rende
compte un jour qu’elle était partie. Totalement. Levy était ma rédemption, ma
guérison. C’était elle qui m’avait soigné et libéré de son emprise. C’était elle que
j’avais attendue pendant tout ce temps où j’étais perdu dans les limbes et un soir
de septembre elle était tombée du ciel.
Je l’avais demandé en mariage un an après sa dernière année d’université et
elle avait dit « oui ». Je crois que ce jour-là, je ne m’étais jamais senti aussi
heureux de toute ma vie. Il n’y avait en moi que du bonheur. Aucune tristesse,
aucune colère, j’étais bien. Puis nous nous étions mariés avec tous nos amis qui
formaient, pour nous deux orphelins, une famille plus que formidable. J’étais
comblé. Cette vision de Levy ce jour-là était gravée dans ma mémoire, comme la
première fois que je l’avais vue. Et même si elle n’était plus cette fille-là, elle
était toujours aussi belle à m’en rendre dingue.
Maintenant, je regardai la petite chose que je tenais mes bras. Toute rose.
Toute petite. Toute fragile.
Un petit mec. Mon fils.
Je venais de devenir papa et j’avais les bras qui tremblaient de tenir ce tout
petit être contre moi. J’étais heureux au possible le jour où Levy m’avait
annoncé sa grossesse, mais aussi complètement flippé. Je me demandais
comment un type comme moi pourrait gérer ça, et elle m’avait rassuré en me
disant que tout irait bien, que je n’aurais qu’à l’aimer comme je l’aimais elle. Et
au fur et à mesure des semaines, son ventre s’était transformé et j’avais ressenti
sans même y penser la même possessivité que j’éprouvais pour elle. J’avais
simplement eu peur à cause de mon passé, puis je me suis souvenu que mon père
était fantastique et que je ferais tout pour être un homme comme lui.
Je tournai mon regard vers Levy, qui bien qu’épuisée après son accouchement,
nous souriait amoureusement. Comme si nous voir, lui et moi, calmait sa
douleur. Elle était si forte, si belle. Mienne.
Je me penchai vers elle et déposai Luan dans ses bras.
Luan, un prénom en rapport avec la nuit, parce que nous n’avions jamais
arrêté de vivre la nuit. C’était nous. Et ça le resterait à jamais. Nous l’avions
même gravé sur notre peau. Mon pectoral gauche et son poignet étaient tous
deux marqués d’un triangle dans lequel des nuances d’ombres représentaient la
nuit, le ciel et les étoiles.
Elle embrassa notre fils avant de le blottir contre sa poitrine et tendit une main
vers moi.
Je m’assis à côté d’eux. Je me sentais serein, plus heureux que jamais.
Et cinq années n’avaient pas suffi à me satisfaire.
J’en voulais plus. J’en voulais toujours plus.
— À quoi tu penses là tout de suite ? demandai-je.
— Je ne pense pas, je suis heureuse. (Elle baissa la tête.) Encore une chose
rayée sur la liste, murmura-t-elle.
— L’une des plus magnifiques, approuvai-je. Et le plus beau, c’est tout ce
temps qu’il nous reste, toutes ces insomnies à vivre et ces choses à faire encore
et encore…
Elle hocha la tête et esquissa un sourire merveilleux, ce sourire ouvert sur un
monde de possibilités.
Notre avenir serait infini et ce sourire en était la promesse.
Chapitre bonus
DELSIN
∞
Levy. Levy.
Je ne pourrais jamais oublier ce prénom étrange ni même le trésor qui le
portait.
J’avais vécu toute sorte de trucs dans ma putain de vie, mais je ne m’étais
jamais fait soigner dans la rue en pleine nuit par un drôle d’ange aux cheveux
noirs après m’être fait fracasser la gueule par trois gars.
Je devais rentrer à la résidence universitaire, mais cette rencontre me
chamboulait, mon esprit était bien trop vif et mes pensées trop perturbées, et
pour la première fois depuis longtemps ce n’était pas à cause de ma mère ni à
cause de ma colère.
Putain, je ne me sortais pas cette fille de la tête. Je n’y arrivais pas, mon esprit
était obnubilé par cette étrange brune qui ressemblait à un merveilleux mirage.
— Bon sang, Del ! Comment tu t’es retrouvé comme ça ?
Je levai la tête et saluai Maddie en entrant dans le diner. Elle avait l’air
horrifiée, mais elle avait l’habitude de me voir comme ça. Maddie était sympa,
elle ne me jugeait jamais.
— J’ai eu la chance de tomber sur les petites merdes qui ont braqué Granny.
— La chance ?
— À trois contre un, je m’en sors super bien, tu sais. Tu verrais la gueule des
autres.
— Si tu le dis, mais j’imagine que tu leur as donné une bonne raclée.
— Et comment !
Elle rigola.
— La même chose que d’habitude ?
J’acquiesçai, elle s’éloigna pour préparer ma commande.
Assis au comptoir, je fermai les yeux quelques secondes et sous mes paupières
clauses, je ne voyais qu’une chose : des yeux si clairs qu’ils paraissaient
quasiment translucides. Des yeux capables de me faire avouer tous mes péchés,
même les plus enfouis. Leurs clartés contrastaient avec les miens si sombres. Je
n’avais jamais vu pareille couleur ni pareille beauté. De ses pommettes rouges, à
ses lèvres pleines avec ce petit arc de Cupidon arrondi qui les rendait si parfaites,
à la forme ovale de son visage et ses cheveux de jais qui n’en finissaient pas…
Je me frottai le crâne, perturbé.
Merde ! Des belles filles j’en avais déjà vu. Des comme elle, jamais…
Maddie déposa une part de tarte aux pommes et un chocolat chaud devant
moi. Je bus une gorgée ignorant ma lèvre douloureuse.
— Tu as besoin de quelque chose d’autre ?
Je secouai la tête.
— Je crois que j’ai vu un fantôme ce soir.
— Ou tu t’es pris un mauvais coup sur la tête, railla-t-elle amusée.
— Tu crois qu’on peut s’inventer une nana qui te soigne à cause d’un coup à
la tête ?
— On t’a soigné ?
— Ouais, dans la rue… C’était complètement dingue.
Je la revoyais me soigner, et pendant qu’elle l’avait fait, une perturbation avait
ébranlé la densité de mes ténèbres. À travers eux, une brèche s’était formée et
avait laissé échapper un faible halo de lumière. Elle. Cette fille étrange me
perturbait, m’étonnait. Elle, son sens de la justice parfaitement ridicule, cette
trousse dans son sac et sa beauté pétrifiante. Elle aurait dû continuer sa putain de
route, pourtant elle s’était occupée de ma gueule cassée. Pendant que ses doigts
m’inspectaient, je m’étais senti anesthésié de la moindre pensée et du moindre
sentiment de colère.
Qu’est-ce qu’elle avait cette nana ?
D’accord, je l’avais trouvé à tomber malgré son sweat informe, mais des jolies
filles j’en avais baisé pleins sur la banquette arrière de ma caisse et aucune
n’avait jamais eu cette capacité de me calmer. Il me fallait du sexe d’ordinaire
pour au moins faire taire le flot de pensées infâmes qui me revenait constamment
en mémoire.
J’avais envie qu’elle me touche encore, qu’elle soit près de moi pour qu’elle
m’anesthésie de toutes pensées.
Putain, c’est n’importe quoi !
Je déraillai sévère ce soir.
Maddie avait raison, j’avais probablement pris un mauvais coup.
— Tu es tombé sur ta bonne étoile, pour un insomniaque chronique comme
toi, moi j’appelle ça le destin.
Une bonne étoile ? Ma bonne étoile.
— Sauf que le destin ne m’a ni donné son adresse ni son numéro de portable,
ricanai-je.
— J’avoue que là… Quel enfoiré celui-là !
Je ricanai. Maddie s’éloigna pour s’occuper de deux chauffeurs routiers qui
venaient d’arriver.
Je baissai les yeux vers mes mains et je touchai mon majeur avec mon pouce
repensant à cette soirée, et cette rencontre, cette fille, son contact et les réactions
étranges qu’elle avait eues. Comme si… Je compris alors pourquoi, elle n’était
pas comme les autres, pourquoi elle me perturbait autant… Elle aussi avait des
démons qui peuplaient son passé et à en juger par sa réaction, il ne fallait pas
être un génie pour deviner leurs natures. Elle était comme moi, bousillée. Je le
sentais. J’aurais voulu savoir, tout connaître de ses douleurs et de ses tourments.
J’aurais voulu me trouver face à son bourreau et lui faire connaître mille fois pire
jusqu’à ce qu’il supplie qu’on lui pardonne ses fautes, mais il n’y avait pas de
pardons possibles.
Putain qu’est-ce qui m’arrive ? Pourquoi je suis dans un état pareil ?
Et ma colère fulmina dans ma poitrine et sous ma peau d’une manière inédite.
Une colère sourde, violente et irrationnelle.
Levy…
Ma rage était tout à coup décuplée par ce bout de femme que je ne connaissais
pas, dont il me restait uniquement le prénom et le visage…
Il était très tôt ou très tard quand je retournai à la résidence et quand je
m’allongeai dans mon lit sans prendre le temps de me changer, je pensais
toujours à cette drôle de rencontre. Putain, c’était la première fois que ça
m’arrivait de rêvasser comme ça. Ce qui me fit sourire. C’était franchement
agréable d’être surpris pour une fois.
∞
Le lendemain, il était plus de midi quand je me réveillai. Mon coloc n’avait
pas fait de bruit et sans doute avait-il flippé de me réveiller. Il aurait dû.
J’envoyai un texto à Axel pour le prévenir que je le rejoindrais pour notre
premier cours de l’après-midi. Je me levai et je filai sous la douche. Je me
sentais courbaturé, le contrecoup d’hier était douloureux. Mais ça valait
foutrement la peine, pour avoir vengé Granny et pour avoir été soigné par une
fille qui, je l’espérais, ne sortait pas de mon imagination.
Je me lavai et une fois face au miroir, j’inspectai ma gueule. J’allais encore
avoir la tronche en travaux pendant des jours. Je frottai ma barbe, je la traînais
depuis des mois. Je l’avais laissée pousser tout l’été, il était sans doute temps que
je la rase. J’ignorais pourquoi j’avais l’envie soudaine de m’en débarrasser,
d’habitude je me moquais éperdument de ma tête et de l’avis des gens. Depuis la
nuit dernière, je débloquais.
Je n’avais pas fermé l’œil de la nuit. J’avais dû m’endormir sur le matin,
fatigué à cause de mes blessures et de mon putain de cerveau incapable de se
mettre sur pause. Je pensais à cette fille. Levy. Je ne pensais jamais aux filles.
Enfin si, mais juste pour baiser, une fois fini, je passais à autre chose, mais
elle… Elle me bouleversait, elle n’était pas comme les autres, c’était le genre de
fille que personne ne remarquait jamais mais qui m’avait chamboulée, moi.
Comme si elle avait atterri ici pour moi. Comme si toute cette soirée avait eu
pour seul but de me mener à cette rencontre. « Quand on rencontrait quelqu’un,
c’était le signe qu’on devait croiser son chemin, c’était signe que cette personne
nous apporterait quelque chose qui nous manquait. » C’était mon père qui
m’avait dit ça un jour.
Et le fait qu’elle était partout dans ma tête… Merde ! Putain de merde, ça
virait à l’obsession ridicule. Je ressemblais à quoi à penser à des trucs comme
ça ? D’habitude j’étais en colère et là j’étais excité par une fille fantôme. Je ne la
reverrais sans doute jamais, et moi, je débloquais. Me forçant à penser à autre
chose, je branchai mon rasoir électrique.
— Putain, siffla Axel quand je les rejoignis l’après-midi. T’es moche, mon
pote.
— C’est assez curieux, ajouta Zack. Quand on est partis, il avait une barbe et
il était plus ou moins normal. Là, on dirait que des gars t’ont rasé avant de te
tabasser.
Axel et Zack étaient les seuls à me connaître vraiment, les seuls à connaître
mes secrets et aussi les deux seuls capables de me calmer quand ma colère me
rendait dingue.
— Soyez pas jaloux, répliquai-je.
Ils éclatèrent de rire.
— Jaloux de ta tronche ? s’exclama Zack. Jamais, en plus t’as l’air de souffrir
le martyre.
— Même comme ça je suis le plus sexy des trois, affirmai-je avec un sourire.
— Le plus con surtout, lança Axel. Maintenant raconte-nous ce qui s’est
passé.
∞
Le commun des mortels dormait paisiblement à cette heure-ci. Moi, j’avais
encore des insomnies. Assis au comptoir du diner, je sirotai un chocolat chaud
quand la cloche accrochée à la porte d’entrée tinta. Rares étaient les gens qui
poussaient la porte du diner en pleine nuit, mis à part quelques routiers qui
passaient par-là parfois.
Maddie salua la personne et l’invita à s’installer. Quand elle répondit un bref
« merci » la course des battements de mon cœur se fit légèrement plus soutenue.
Je tournai la tête et découvris celle qui empoisonnait mon esprit depuis la nuit
dernière. Elle avait l’air fatiguée, triste, mais elle n’en demeurait pas moins belle
à en crever.
Elle était donc bien réelle. Et elle s’était posée ici dans cette ville paumée.
— Sacrée longue nuit, lui lançai-je.
Elle me découvrit, me scruta étonnée et la confusion dans son regard associé
au rouge sur ses joues me fit sourire. Je ne la laissais pas indifférente. Je n’étais
pas le seul à être perturbé par cette alchimie étrange, par cette attraction entre
nous. Je la fixai tandis qu’elle s’asseyait à côté de moi. J’avais peur qu’elle
s’évapore, peur qu’elle ne soit qu’une illusion créée par mon esprit… Mais
Maddie lui avait parlé, alors je n’étais pas si fou.
— Elles le sont toutes, non ? soupira-t-elle. Du moins les miennes…
C’était dingue, mais sa réponse m’excitait.
— Insomniaque ?
Elle acquiesça.
De mieux en mieux.
∞
Le lendemain matin je m’apprêtai à enfiler un tee-shirt quand on frappa à la
porte de la chambre.
— Tu peux ouvrir ? lança mon coloc depuis la salle de bains. C’est pour moi.
Dis-lui que j’en ai pour cinq minutes.
J’oubliai mon tee-shirt et j’ouvris la porte pour me retrouver face à une
sublime créature brune. Elle releva la tête, comme ébranlée. Étonné et excité,
tout à coup, je la dévorai des yeux, parfaitement incapable de défaire mon regard
d’elle, et quand elle scruta mon torse, le rouge aux joues, je compris qu’encore
une fois nous étions sur la même longueur d’onde. Malgré sa timidité, malgré la
longue mèche de cheveux qui la protégeait des regards et les putains de démons
qui la fragilisaient, elle était éblouissante. Putain, c’était la première fois qu’une
fille avait un tel pouvoir sur moi.
C’était vraiment de mieux en mieux et de plus en plus excitant.
Décidément Maddie avait raison, cette fille était comme une étoile, tombée du
ciel rien que pour moi. Ma bonne étoile. La preuve, le destin la mettait encore
sur ma route… Et pour qu’elle ébranle chaque fois mon esprit à ce point, il
devait y avoir une raison.
Je savais déjà que je la protégerais de tout. D’absolument tout, de moi y
compris s’il le fallait. Parce que j’étais loin d’être un type fréquentable. Pourtant,
j’étais inexorablement attiré par sa lumière et je me sentais incapable de rester
loin d’elle. Je voulais qu’elle soit mienne. Levy, ma bonne étoile… Mon trésor.
REMERCIEMENTS
Merci à tous ceux qui ont sauté de joie en apprenant que Nos infinies insomnies
allait enfin être édité, à ceux qui l’ont lu dans sa première version et que j’ai hâte
de surprendre avec ces changements. Votre soutien, bien qu’il m’étonne encore
et m’étonnera toujours, fait de moi l’auteure que je suis. À mes lecteurs encore et
toujours présents, de plus en plus nombreux et toujours aussi merveilleux.
Merci à Sophie pour le temps que tu m’accordes, je ne sais pas si un jour
j’arriverais à te le rendre mais merci d’être à mes côtés pour me soutenir et vivre
ça avec moi.
Frédérique, ma pote, pour ton soutien sans faille, pour m’avoir poussée du nid
tellement souvent, d’aimer ce livre autant que moi et d’y croire pour moi. Merci
de m’avoir aidée avec ce manuscrit si souvent qu’on en a perdu le compte.
À ma team de bêtas qui attendait impatiemment ce tome, parce que Delsin c’est
notre premier « Infiniteman ».
Merci Anne-Laure pour la délicatesse de tes mots et ta justesse et de m’avoir
aidée à rendre cette histoire plus parfaite. Merci aux éditions Milady de les
rendre réels.
Après une année remplie de sorties, on recommence. Et je sais qu’elle me
portera chance, puisqu’elle commence avec ce tome. Bien que j’aime cette saga
à « l’infini », ce tome est mon préféré. Je ne saurais l’expliquer, j’ai juste
commencé cette aventure avec eux et ils ont quelque chose de particulier, alors
j’espère que celles et ceux qui plongeront dans cette histoire prendront autant de
plaisir que j’en ai eu à l’écrire et à la réécrire, quitte peut-être à faire des
insomnies avec Delsin et Levy…
Incorrigible romantique, Alfreda Enwy dévore les romances et c’est donc tout
naturellement qu’elle s’est mise à en écrire. Tant à l’aise en urban fantasy qu’en
romance contemporaine ou New Adult, elle aime se perdre dans ses écrits et
s’avoue volontiers victime de ses héros de papier.
Du même auteur, chez Emma :
Infinite Love :
Nos infinis chaos
Nos infinies insolences
Nos infinis silences
Nos infinies insomnies
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