Bourdieu Et L'école Troger
Bourdieu Et L'école Troger
Bourdieu Et L'école Troger
Vincent Troger
in Jean-François Dortier, Pierre Bourdieu
2008 | pages 25 à 35
© Éditions Sciences Humaines | Téléchargé le 01/10/2021 sur www.cairn.info via Université de Strasbourg (IP: 90.119.180.145)
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ISBN 9782912601780
DOI 10.3917/sh.colle.2008.02.0025
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https://www.cairn.info/pierre-bourdieu---page-25.htm
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L e fonctionnement du système scolaire ne consti-
tue pas l’objet central des travaux de Pierre
Bourdieu. À travers plus de trente publications importantes,
depuis Sociologie de l’Algérie jusqu’à La Domination masculine,
cet élève de l’École normale supérieure, agrégé de philosophie, a
construit une œuvre large et complexe. L’une de ses ambitions a
été, comme l’écrit Pierre Ansart, de « faire accéder la sociologie à
un niveau supérieur de scientiicité1 ». Pourtant, c’est son travail
critique sur l’institution scolaire, accompli pour l’essentiel en
collaboration avec Jean-Claude Passeron, qui a connu en France
la plus grande notoriété. Leur analyse du rôle de l’école dans la
reproduction des inégalités sociales a signiicativement inluencé
les recherches ultérieures en sociologie de l’éducation, et même
parfois en histoire, et elle a été largement vulgarisée dans l’opi-
nion publique. Trois raisons principales expliquent ce succès. La
première est celle d’une conjoncture politique et sociale favo-
rable lors de la publication, en 1964 et en 1970, des Héritiers
et de La Reproduction. La deuxième, c’est la convergence de ces
analyses avec des critiques formulées depuis déjà longtemps à
l’égard du système scolaire par des mouvements pédagogiques,
syndicaux ou politiques. La troisième raison, enin, réside dans
la puissance de ce travail critique, dont la pertinence, et même
les excès, ont profondément bouleversé notre point de vue sur
l’école, et celui de certains enseignants sur eux-mêmes.
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secondaire puis à l’université. Lycées et facultés doivent faire face
à une augmentation signiicative de leurs efectifs, alors que pen-
dant toute la première moitié du xxe siècle, ces derniers étaient
demeurés stables.
La démographie n’explique cependant qu’une part de
la croissance des efectifs du secondaire. D’importantes réformes
institutionnelles l’ont signiicativement accentuée. L’entourage du
général de Gaulle, comme à peu près l’ensemble des dirigeants des
pays occidentaux à cette époque, croit à la nécessité de former des
élites scientiiques et techniques plus nombreuses pour accroître la
puissance économique. Dans cette optique, les réformes de 1959
et 1963 ont prolongé la scolarité obligatoire de 14 à 16 ans, et un
efort d’ouverture du premier cycle de l’enseignement secondaire
a été entamé. La « démocratisation de l’enseignement » devient un
enjeu central des politiques éducatives.
Mais la croissance des efectifs scolaires et universitai-
res est aussi alimentée par une augmentation remarquable de
la demande des familles. L’élévation du niveau de vie et l’aug-
mentation de la proportion de cadres et de professions intermé-
diaires dans la population active provoque une mutation sociale
fondamentale. Comme l’a montré l’historien Antoine Prost2, la
projection sur les enfants d’un espoir d’ascension sociale devient
une des normes de l’éducation familiale, particulièrement parmi
les classes moyennes. C’est une nouveauté historique : jusqu’à la
Seconde Guerre mondiale, il était globalement admis que la ma-
jorité des enfants demeuraient dans leur classe sociale d’origine.
L’école républicaine autorisait certes une ascension sociale, mais
comme l’indiquent les efectifs bien maigres des enseignements
secondaire, primaire supérieur ou technique, cette ascension
était réservée à une minorité. C’est donc une inversion des logi-
ques sociales jusque-là dominantes que symbolise la « démocra-
tisation de l’enseignement » : l’école est de plus en plus perçue
2- A. Prost, Histoire générale de l’enseignement et de l’éducation en France, T. IV : L’École et
la Famille dans une société en mutation, Nouvelle Librairie de France, 1981.
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comme une chance pour tous les enfants, et non pas seulement
pour une élite, d’accéder à un statut socioprofessionnel meilleur
que celui de leurs parents.
Dans un tel contexte, la publication des Héritiers apparaît
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comme une opération de désenchantement radicale. En se fondant
sur des analyses statistiques publiées antérieurement, P. Bourdieu
et J.-C. Passeron montrent que ce processus de démocratisation de
l’école est en partie illusoire. La surreprésentation des enfants des
familles culturellement favorisées dans l’enseignement supérieur
et, à l’inverse, la sous-représentation des enfants d’origine popu-
laire, indiquent que l’école fonctionne comme une machine de sé-
lection sociale. Alors que la majorité des enfants des milieux à fort
« capital culturel » accèdent à l’université, les enfants des milieux
populaires sont « sursélectionnés ». Pour eux, la scolarité, surtout
secondaire, s’apparente à un parcours d’obstacles qui les oblige à
faire preuve de qualités intellectuelles et psychologiques supérieu-
res à celles de leurs camarades des milieux cultivés. Ces derniers,
en revanche, « héritent » ces qualités de leur environnement cultu-
rel familial et peuvent donc les réinvestir spontanément dans leurs
activités scolaires.
Six ans après Les Héritiers, dans La Reproduction, les deux
sociologues dénoncent la pratique du cours magistral. Le profes-
seur y développe selon eux un discours dont le registre de langue,
les références culturelles implicites et les nombreuses digressions
témoignent de sa propre culture. Mais un tel discours n’est vrai-
ment compréhensible que par des élèves qui ont bénéicié d’une
« familiarisation insensible » et antérieure à cette même culture.
À l’appui de leur démonstration, les auteurs citent l’exemple,
désormais célèbre, du reproche d’être « trop scolaire » parfois
adressé à certains élèves. Reproche paradoxal dans une institu-
tion scolaire, mais qui trahit son fonctionnement implicite : ce
qui est transmis scolairement ne suit pas, la culture authenti-
que consiste à savoir prendre ses distances avec le savoir scolaire
et à manifester une aisance linguistique et comportementale qui
est la marque de « distinction » des classes sociales dominantes.
Il y aurait dans les enseignements secondaire et supérieur une
« complicité traditionnelle » entre les professeurs et les élèves
issus des familles cultivées. P. Bourdieu et J.-C. Passeron écrivent
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appel de toute tentative de démocratisation du système scolaire.
Sa large difusion à un moment où toute la société française sem-
ble adhérer à ce projet peut donc paraître paradoxale.
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avaient dénoncé le caractère socialement élitiste de l’enseignement
secondaire : « Nous ne pouvons plus souscrire à l’antique division
entre un enseignement primaire destiné au peuple et un ensei-
gnement secondaire réservé à la bourgeoisie », écrivait Ferdinand
Buisson dès 19144. Ces critiques s’étaient ampliiées après la Pre-
mière Guerre mondiale. La démocratisation du secondaire était
devenue un thème important de l’argumentaire des partis et des
syndicats de gauche à partir du Front populaire. La publication en
1947 du plan Langevin-Wallon en avait fait un projet incontour-
nable. Cette dénonciation de l’élitisme social du système scolaire
s’accompagnait d’une critique des pratiques pédagogiques tradi-
tionnelles, et particulièrement du cours magistral. Célestin Frei-
net et les autres promoteurs de nouvelles méthodes pédagogiques
associaient étroitement démocratisation et transformation péda-
gogique. Après la Libération, les pionniers des sciences de l’éduca-
tion, tels Gilles Ferry, Roger Gal ou Antoine Léon, ou encore des
sociologues comme Pierre Naville, avaient milité dans le même
sens. Il y a donc convergence entre ces mouvements d’idées, déjà
anciens, et le dévoilement par P. Bourdieu et J.-C. Passeron des re-
lations entre les pratiques pédagogiques dominantes et la sélection
sociale opérée par le système scolaire.
Mais en même temps, c’est un autre paradoxe de leur
succès, leur analyse va provoquer dans ces mêmes milieux réfor-
mateurs un malaise durable. En 1970, A. Prost écrit par exemple
dans la revue Esprit un article intitulé « Une sociologie stérile, la
reproduction »5, dans lequel il dénonce un déterminisme excessif
qui frôle le nihilisme. Six ans plus tard, un pionnier des sciences de
l’éducation, Georges Snyders6, reprendra cette argumentation.
4- Texte de Ferdinand Buisson, paru dans le Bulletin de la Ligue des Droits de l’Homme
en mai 1914, cité par Hervé Terral dans L’École de la République, Centre national de
documentation pédagogique, 1999.
5- A. Prost, « Une sociologie stérile, la reproduction », Esprit, décembre 1970.
6- G. Snyders, École, classe et lutte des classes, Puf, 1976.
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sont pas conscients de ce qui, dans leurs pratiques profession-
nelles, produit cette sélection. Selon P. Bourdieu, chaque indi-
vidu intègre inconsciemment des « dispositions », c’est-à-dire
des habitudes de comportement, de langage, de jugement, de
relation au monde, qui sont propres à sa classe sociale. Cet
ensemble de dispositions constitue ce que P. Bourdieu appelle
un habitus. L’habitus est inconscient, il masque à nos propres
yeux les « conditions sociales de production » de nos com-
portements et de nos jugements. Par exemple, les enfants des
classes moyennes et de la bourgeoisie qui ont réussi à l’école
pensent avoir bien travaillé ou être doués, mais se rendent ra-
rement compte, ou très supericiellement, de ce qu’ils doivent
à la culture et aux « dispositions » scolaires qu’ils ont héritées
de leur famille. Les enseignants du secondaire et du supérieur,
presque toujours anciens bons élèves, au moins dans leur dis-
cipline, sont donc en quelque sorte « accusés » par P. Bourdieu
d’oublier ce que leur succès doit à leur héritage culturel. Ou
bien, s’ils sont d’origine populaire, d’oublier les eforts excep-
tionnels qu’ils ont dû accomplir pour réussir à efacer les traces
de leur culture d’origine. Même si P. Bourdieu a nuancé au
cours de sa carrière certains des concepts qu’il a forgés, notam-
ment celui d’habitus, il est resté jusqu’au bout idèle à cette
perception très critique du monde enseignant et universitaire.
« Ceux qui sont immergés, pour certains dès la naissance, dans
des univers scolastiques issus d’un long processus d’autonomi-
sation sont portés à oublier les conditions historiques et socia-
les d’exception qui rendent possible une vision du monde et
des œuvres culturelles placées sous le signe de l’évidence et du
naturel », écrit-il dans ses Méditations pascaliennes en 19977.
Il y a donc aussi une dimension provocatrice dans son
œuvre. Il l’a d’ailleurs clairement assumé, toujours dans Médita-
tions pascaliennes, mais sur le mode de la soufrance : « Je n’avais
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les ingrédients d’une réussite brillante.
Il serait cependant très insuisant de prétendre ré-
duire le succès de ces deux sociologues à un efet de mode
intellectuelle. Le caractère novateur et remarquable de leurs
travaux est largement reconnu par leurs pairs. C’est là la
troisième raison de leur succès, et surtout de sa pérennité.
En 1982, André Petitat9 souligne par exemple l’intelligen-
ce de la théorie de la reproduction, qu’il qualiie de théorie
« conlictualiste non-marxiste » : P. Bourdieu et J.-C. Passeron
reconnaissent aux conlits entre les classes sociales un rôle dé-
terminant dans la société, mais ils démontrent que ces conlits
se jouent autant dans l’ordre du symbolique que dans celui des
relations économiques et politiques, ce qui confère à l’école sa
spéciicité et son autonomie dans le jeu des rapports sociaux en-
tre dominants et dominés. La théorie de la reproduction oblige
à penser l’école à la fois dans ses relations avec la société qui l’a
produite, et dans les relations sociales spéciiques qui se jouent à
l’intérieur de l’institution, dont les règles sont en partie autono-
mes. Cette approche dialectique a été remarquablement féconde
parce qu’elle évite deux écueils : d’une part celui d’une analyse
trop réductrice, du type de celle qu’avaient produite Christian
Baudelot et Roger Establet première manière dans L’École ca-
pitaliste10, où ils faisaient du système scolaire un instrument de
domination directe aux mains de la bourgeoisie ; d’autre part
celui des travaux de beaucoup de pédagogues qui limitent leurs
analyses aux pratiques pédagogiques et sous-estiment dès lors
l’inluence de la société sur ce qui se passe dans l’école.
C’est pourquoi, après P. Bourdieu et J.-C. Passeron,
beaucoup de sociologues de l’éducation ont mis leurs résultats
8- Ibid.
9- A. Petitat, Production de l’école, production de la société, Droz, 1982.
10- C. Baudelot et R. Establet, L’École capitaliste en France, Maspéro, 1975. Le livre
se terminait par une annexe composée d’une citation de Mao Tsé-Toung et d’un texte
pédagogique du Groupe rédactionnel de critique révolutionnaire de Chang-hai.
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élèves dans l’institution scolaire ou la réussite scolaire d’enfants
de familles populaires, P. Bourdieu et J.-C. Passeron sont convo-
qués, testés, validés ou réfutés. C’est d’ailleurs cette permanence
de la référence à leurs travaux qui permet aujourd’hui de tenter
un bilan de leurs analyses.
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une famille modeste, l’orientation vers le technique est moins ris-
quée que vers les ilières générales : les études techniques assu-
rent à court terme une insertion professionnelle sans interdire de
continuer si les résultats sont bons, alors que les ilières générales
ne sont rentables qu’à long terme ; en outre, les ilières techniques
sont de toute façon valorisantes puisqu’elles conduisent à un statut
socioprofessionnel qui a toutes les chances d’être supérieur à celui
de parents appartenant aux catégories sociales les plus modestes.
Pour R. Boudon, l’échec de la démocratisation serait donc plus un
« efet pervers » de l’accumulation de décisions individuelles que
l’efet de la domination symbolique exercée par les classes sociales
favorisées à l’école.
Ce type de critique a été fécond pour les sociologues de
l’éducation et les a conduits à insister sur le point faible de la théo-
rie de la reproduction : une proportion signiicative d’individus
échappe aux déterminismes sociaux énoncés par P. Bourdieu et
J.-C. Passeron, qu’il s’agisse d’enfants d’ouvriers qui réussissent
à l’école, ou d’enfants de familles culturellement favorisées qui y
échouent. Philippe Perrenoud12 ou François Dubet13, en travaillant
sur l’expérience quotidienne des élèves à l’école, Bernard Lahire14
en enquêtant sur la vie des familles ouvrières dont les enfants
réussissent scolairement, Bernard Charlot15, Élisabeth Bautier et
Jean-Yves Rochex, en étudiant le rapport au savoir des enfants de
milieux populaires, C. Baudelot et R. Establet16, en s’interrogeant
sur les réussites scolaires des illes, ont, parmi d’autres, fait ap-
paraître que des conigurations familiales, individuelles, scolaires,
sexuelles ou de sociabilité peuvent être plus ou moins favorables
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Les enseignants sont-ils coupables ?
Il reste néanmoins que ces nouvelles approches portent
essentiellement sur ce qui, dans la théorie de la reproduction,
concernait les élèves et leurs familles. Du côté de l’analyse des
pratiques enseignantes, les critiques scientiiques ont été rares.
Dans les années 1980, des travaux comme ceux de Jean-Michel
Chapoulie17, Éric Plaisance18 ou Régine Sirota19 ont plutôt conir-
mé la proximité des valeurs et des pratiques éducatives des ensei-
gnants avec celles des classes moyennes, dont ils sont majoritai-
rement issus. R. Sirota montre par exemple qu’à l’école primaire,
les élèves dont le comportement en classe correspond le mieux à
l’attente des institutrices sont souvent les enfants du même milieu
social qu’elles. Dès lors, si ces élèves sont en diiculté, elles sont
plus indulgentes avec eux qu’avec les autres. Plus récemment, une
sociologie des « professions de l’éducation », inspirée d’un modèle
anglo-saxon, a émergé. Mais elle demeure encore embryonnaire et
ne se donne pas pour objet de replacer les pratiques enseignantes
dans la logique des déterminismes sociaux.
On peut ainsi se demander si la sociologie de l’édu-
cation contemporaine n’a pas un peu de mal à revenir sur un
sujet qui n’est pas sans douleur pour la profession enseignan-
te. Car certains des mots de P. Bourdieu et J.-C. Passeron
sont particulièrement durs : « En concédant à l’enseignant le
droit et le pouvoir de détourner au proit de sa personne l’auto-
rité de l’institution, le système scolaire s’assure le plus sûr moyen
d’obtenir du fonctionnaire qu’il mette toutes les ressources et
tout le zèle de sa personne au service de l’institution et, par là, de
la fonction sociale de l’institution20. » Même si on peut discuter
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tique. Lorsque B. Charlot rapporte que les collégiens de Seine-
Saint-Denis comparent le langage des enseignants à celui des
« hommes politiques »21, c’est bien la même réalité qu’il souligne.
Et A. Prost, par ailleurs critique avec la théorie de la reproduc-
tion, ne dit en déinitive rien d’autre lorsqu’il admet que l’école
de masse est aujourd’hui très éloignée des préoccupations des
jeunes « pour une part du fait de ses contenus, pour une part du
fait de l’origine sociale de ses professeurs »22. Certaines recher-
ches contemporaines mettent en évidence la capacité de certains
enseignants à réduire la distance entre la culture scolaire et celle
de leurs élèves d’origine modeste, mais elles montrent en même
temps que ces enseignants sont rares.
En dénonçant la participation, inconsciente ou non,
des enseignants au processus de sélection sociale opérée par le
système scolaire, P. Bourdieu et J.-C. Passeron ont en déinitive
frappé assez juste. Ils ont mis le doigt sur un très vieux sentiment
de culpabilité, celui des clercs et de l’éternelle ambiguïté de leur
relation avec le pouvoir. Pouvoir dont ils estiment devoir dénon-
cer les vices, mais qui souvent les nourrit. Une culpabilité que
P. Bourdieu lui-même, rescapé brillant et rebelle de la sélection
scolaire, semble avoir intensément éprouvée. Du moins l’air-
me-t-il, toujours dans ses Méditations pascaliennes. Laissons-le
donc conclure, de cette écriture si peu luide qui était sa mar-
que de fabrique, et peut-être la manifestation d’une authentique
soufrance : « Je n’aime pas en moi l’intellectuel, et ce qui peut
sonner, dans ce que j’écris, comme de l’anti-intellectualisme, est
surtout dirigé contre ce qu’il reste en moi, malgré tous mes ef-
forts, d’intellectualisme ou d’intellectualité, comme la diiculté,
si typique des intellectuels, que j’ai d’accepter vraiment que ma
liberté a ses limites. »
Vincent Troger
21- B. Charlot, Le Rapport au savoir en milieu populaire, Anthropos, 1999.
22- A. Prost, « L’enseignement s’est-il démocratisé ? », entretien paru dans L’Histoire,
« Mille ans d’école », Les Collections de L’Histoire, octobre 1999.
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