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KIERKEGAARD
Robert Tirvaudey
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Ipséité et intersubjectivité
16. « Cette apparence de séparation préalable entre les humains est renforcée
par le fait que la philosophie a répandu le dogme suivant : l’homme est de prime
abord sujet et conscience ; comme tel, il est cela même qui, en premier lieu et de
façon absolument certaine, est donné à ce sujet. » Ibid.
17. « Tous correctifs apportés après coup ne servent à rien ; ils ne font au
contraire que pousser dans cette position qui s’est mise sur pied dans l’idéalisme
absolu de Hegel. » Ibid., § 49, p. [305], 308.
18. J.-P. Sartre, L’existentialisme est un humanisme, 1946, Paris, Nagel, 1950,
p. 27-28, 65-66. Répudié par Sartre, ce texte n’en reste pas moins révélateur.
Sartre relève que chez Kierkegaard la faute originaire « est la détermination : Moi
et Dieu apparaissent. Dieu est recul infini mais immédiatement présent en tant
que le péché barre la route à tout espoir de retour en arrière ; Moi, c’est la fini-
tude choisie, c’est-à-dire le néant affirmé et cerné par un acte, c’est la détermina-
tion conquise par le défi, c’est la singularité de l’extrême éloignement ». Sartre,
« L’universel singulier », 1964, in Situations philosophiques, Paris, Gallimard, coll.
« Tel », 1990, p. 314.
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Individualité et communauté
19. À titre heuristique, indiquons déjà que, contre Heidegger et Sartre, nous
entendons montrer que le salut passe par l’angoisse individualisante, sans que
Kierkegaard en reste à un individualisme pur, car l’angoisse a une dimension réso-
lument sociale.
20. N. Viallaneix, Kierkegaard. L’Unique devant Dieu, Paris, Le Cerf, 1974, p. 18.
21. Ibid., p. 19.
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22. Papirer, X (3), A, 585 ; Journal IV, 1850, trad. K. Ferlov et J.-J. Gateau,
Paris, Gallimard, 1942-1961, p. 159.
23. Ibid., XI (2), A, 434 ; Journal V, 22 septembre 1855, p. 358.
24. Comment traduire den Enkelte ? H.-B. Vergote reste fidèle à la traduction
de P.-H. Tisseau, « l’Individu » (voir Sens et répétition. Essai sur l’ironie kierkegaar-
dienne, Paris, Cerf-Orante, t. I, p. 8). N. Viallaneix (La Reprise, Paris, Flammarion,
1990, p. 144) dit l’« Unique » insistant sur « en », « un », disant que c’est « le
terme le plus élevé du développement humain ». Nous préférons « l’individu-
singulier » de H. Politis, qui s’en explique dans Le Vocabulaire de Kierkegaard
(Paris, Ellipses, 2002) et dans Kierkegaard en France du xxe siècle : archéologie
d’une réception, (Paris, Kimé, 2005), notamment p. 217-219.
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25. « Il faut avoir souffert dans le monde, avoir été malheureux, avant qu’il
puisse seulement être question de commencer d’aimer le prochain. » Papirer,
VIII, A, 269 ; Journal II, 1847, p. 148. « Ce n’est que dans le renoncement à
soi-même, dans l’acte de mourir au bonheur, à la joie terrestre et aux bons jours,
qu’alors seulement naît le prochain. » Ibid., p. 149.
26. Ibid., IV, B, 147. Cf. N. Viallaneix, Kierkegaard. L’Unique devant Dieu,
op. cit., p. 115.
27. Cf. Un compte rendu littéraire, 1845, oc VIII, p. 98. Pour saisir l’angoisse
chez Kierkegaard selon le clivage angoisse/Dieu/autrui, voir Le Concept d’angoisse,
1844, oc VII, p. 244 sq. Kierkegaard donne plusieurs modalités de la régéné-
rescence du Soi dont le pardon, qui, dans le don de l’oubli, me restitue la libre
disposition de mon présent, de mon passé et de mon avenir. H. Politis relève que
Kierkegaard ne parle pas du « Moi », mais, selon les cas, du Soi ou du Je.
28. Cf. Kierkegaard, « Un concept d’amour qui n’est que sensibilité et choses
de ce genre est proprement a-chrétien. C’est, en effet, la définition esthétique qui
convient aussi à l’érotique et aux choses semblables. » Papirer, XI (1), A, 409 ;
Journal V, 1854, p. 144.
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à toutes les formes de terreur29. Mais cette voie salutaire passe par
l’angoisse en l’autre, devant l’autre, pour l’Autre. C’est pourquoi l’an-
goisse rejoint le concept central de l’individu-singulier30. Insistons sur
ce lieu proprement kierkegaardien. L’individu est appelé à combattre
l’écroulement des valeurs dont la société moderne fait de plus en plus
l’expérience. L’angoisse est secours pour extraire l’homme de cette
impasse : pour devenir individualité authentique, l’homme doit accepter
d’éprouver l’angoisse. L’angoisse le contraint à affronter les possibilités
qui sont en lui, à assumer la douleur du monde et à se reconnaître
pécheur. Il devient le « disciple de la possibilité » et crie d’angoisse
devant la toute-puissance de la possibilité. Mais Kierkegaard n’aban-
donne pas l’individu à l’angoisse. Celle-ci n’a de sens que si l’individu
vainc les possibilités temporelles par une foi en l’Éternel. L’angoisse
est à elle-même sa propre sortie puisqu’elle révèle en chacun la part
divine qui le compose. L’angoisse maintient la vigilance du Soi qui lui
évite de s’abandonner sans discernement aux institutions ou de s’oublier
dans la foule31. L’égalité dévoyée s’installe par la peur et débouche sur
une nouvelle forme de tyrannie. Seule l’angoisse du Soi comme angoisse
devant l’Autre est salvatrice. Au contraire, le gouvernement par la peur
conduit au chaos. Le germe des catastrophes contemporaines se trouve
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34. Papirer, VIII, B, 193 (p. 302), 1847-1848, trad. N. Viallaneix, Kierkegaard.
L’Unique devant Dieu, op. cit., p. 154.
35. Sartre, « L’universel singulier », op. cit., p. 300. Sartre croit à tort que
Kierkegaard met en avant l’intériorité au détriment de l’extériorité. Or, Kierkegaard,
comme le relève H. Politis (voir Le Vocabulaire de Kierkegaard, op. cit., p. 18),
entend bien participer à la vie éthique concrète.
36. La vraie religiosité est la rencontre factuelle avec l’autre en l’Autre. Cf.
A. Clair, Pseudonymie et paradoxe : la pensée dialectique de Kierkegaard, Paris,
Vrin, 1976, p. 290-298.
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