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Ebook Thich Nhat Hanh - Prendre Soin de L Enfant Interieur

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DU MÊME AUTEUR

La Peur. Conseils de sagesse pour traverser la tempête,


Courrier du livre, 2013
Conversations intimes avec le Bouddha, Courrier du
livre, 2013
La Plénitude de l’instant, Marabout, 2013
Instant présent, instant précieux, Courrier du livre, 2012
Thich Nhat Hanh, Albin Michel, 2012
Le Novice, Courrier du livre, 2012
Savourez !, Le Dauphin blanc, 2011
Bouddha et Jésus sont des frères, Éditions du Relié, 2011
Pratique de la méditation à chaque instant, Courrier du
livre, 2011
Ce monde est tout ce que nous avons, Courrier du livre,
2010
Cérémonies du cœur, Sully, 2010
Toucher la vie, J’ai Lu, 2010
Le Prince dragon, Courrier du livre, 2009
L’Énergie de la prière, Courrier du livre, 2009
L’Art du pouvoir, Trédaniel, 2009
Chant du cœur du Village des Pruniers, Sully, 2009
Sagesses d’Orient, Albin Michel, 2009
La Sérénité de l’instant, J’ai Lu, 2009
Le Miracle de la pleine conscience, J’ai Lu, 2008
Changer l’avenir, Albin Michel, 2008
Pour une métamorphose de l’esprit, Pocket, 2008
L’Esprit d’amour, Pocket, 2007
Le Cœur des enseignements du Bouddha, Pocket, 2007
Esprit d’amour, esprit de paix, Pocket, 2007
Paroles de sagesse, Vega, 2006
La Paix en soi, la paix en marche, Albin Michel, 2006
L’Enfant de pierre, Albin Michel, 2006
Maître Tang Hôi, Sully, 2006
Il n’y a ni mort ni peur, Pocket, 2005
Transformation et guérison, Albin Michel, 2005
La Vision profonde, Albin Michel, 2005
(suite en fin d’ouvrage)

Vous pouvez consulter le site de l’auteur à l’adresse


suivante :
http://plumvillage.org/
THICH NHAT HANH

PRENDRE SOIN DE
L’ENFANT INTÉRIEUR
Faire la paix avec soi
Traduit de l’anglais
par Bénédicte Genot
Notre véritable héritage

Le cosmos est plein de précieux trésors


Je veux t’en offrir une poignée ce matin.
Chaque moment que tu vis est un joyau
Qui resplendit et contient la Terre et le ciel,
L’eau et les nuages.

Tu n’as qu’à respirer doucement


Pour que les miracles apparaissent.
Alors, tu entends l’oiseau chanter,
Les pins murmurer.
Et soudain, tu vois la fleur s’épanouir,
Les nuages blancs dans le ciel bleu,
Le sourire et le regard merveilleux de ton aimé(e).

Toi, la personne la plus riche sur Terre,


Tu erres depuis si longtemps,
Ne sois plus cet enfant pauvre,
Reviens et reçois ton héritage.

Savourons notre bonheur


Et offrons-le à chacun.
Chérissons ce moment présent.
Laissons partir le fleuve de nos détresses
Et choyons la vie présente au creux de nos mains.
Thich Nhat Hanh
INTRODUCTION

L’enfant intérieur

En chacun de nous se trouve un enfant qui souffre. Nous


avons tous connu des périodes difficiles et beaucoup d’entre
nous ont été fortement perturbés durant l’enfance. Et pour
nous protéger de toute cette souffrance, la seule solution que
nous ayons trouvée a été d’oublier ces épisodes douloureux.
Chaque fois que la douleur se réveille, cette sensation nous
est si insupportable que nous refoulons nos sentiments et
nos souvenirs au plus profond de notre inconscient. À tel
point que nous pouvons passer des années et des années à
négliger cet enfant blessé1 .
Pourtant, ce n’est pas parce que nous l’ignorons que
l’enfant n’est pas là. L’enfant blessé est toujours là, et il
essaie d’attirer notre attention. Il se manifeste comme il
peut : « Je suis là. Je suis là. Tu ne peux pas m’ignorer. Tu
ne peux pas me fuir. » Désireux d’atténuer notre peine,
nous refusons de l’entendre, et nous nous en tenons aussi
éloignés que possible. En vain, car cette fuite ne met pas fin
à notre souffrance ; bien au contraire, elle ne fait que la
prolonger.
L’enfant blessé a besoin de soins et d’amour mais nous les
lui refusons. La douleur et le chagrin qui nous habitent
semblent insurmontables, et, effrayés par toute cette
souffrance, nous la fuyons. Même si nous en avons le temps,
nous ne revenons pas en nous-mêmes par peur de la
confronter. Nous nous perdons dans une quête permanente
de divertissements (télévision, cinéma, activités mondaines,
alcool, drogues) parce que nous ne voulons plus faire
l’expérience de toute cette souffrance.
L’enfant blessé est là et nous ne le savons même pas.
C’est une réalité, mais nous ne pouvons pas la voir. Cette
incapacité est une forme d’ignorance. Cet enfant a été
sévèrement blessé. Il a vraiment besoin que nous revenions
vers lui pour en prendre soin2. Et, malgré tout, nous nous
détournons de lui.
L’ignorance infuse chaque cellule de notre corps et de
notre conscience, telle une goutte d’encre diluée dans un
verre d’eau. Cette ignorance nous empêche de voir la
réalité ; elle nous pousse à faire des choses idiotes qui nous
font souffrir encore plus, tout en blessant encore et encore
notre enfant intérieur.
Mais l’enfant blessé est lui aussi présent dans chacune de
nos cellules. Il n’y en a pas une seule qui ne le porte en elle.
Nul besoin de regarder loin dans le passé pour le trouver. Il
suffit d’y être attentif, et le voilà qui nous apparaît. Sa
souffrance est inscrite en nous à cet instant, maintenant.
Si la souffrance est présente dans chacune des cellules de
notre corps, les graines3 de compréhension profonde et de
bonheur véritable héritées de nos ancêtres le sont
également. Elles sont là, à notre disposition. La lampe de la
pleine conscience est en nous, et nous pouvons décider de
l’allumer à tout moment. Notre respiration, nos pas, notre
sourire paisible en sont l’huile. Notre pratique consiste donc
à allumer cette lampe pour que brille sa lumière et que se
dissipent les ténèbres.
Dès l’instant où nous prenons conscience de l’existence de
cet enfant blessé, et cessons de l’ignorer davantage, notre
compassion pour lui peut grandir, et c’est alors que nous
commençons à générer l’énergie de la pleine conscience. Et
pour produire cette énergie, les pratiques de la marche, de
l’assise et de la respiration en pleine conscience sont nos
fondements. Grâce à elles, nous revenons à la sagesse
éveillée présente dans chacune des cellules de notre corps.
Cette énergie va nous accueillir et nous soigner et, ce faisant,
elle guérira notre enfant blessé.

ÉCOUTE
Quand nous parlons de l’écoute compatissante, nous
pensons généralement qu’il s’agit d’écouter quelqu’un
d’autre. Mais nous devons aussi nous écouter nous-mêmes,
écouter l’enfant blessé en nous. Parfois, il émerge des
profondeurs de notre conscience et sollicite toute notre
attention. Si vous êtes en pleine conscience, vous entendrez
sa voix appeler à l’aide. Alors, au lieu de faire attention à ce
qui vous entoure, retournez à vous-même et prêtez-lui
toute votre attention et votre tendresse. Vous pouvez lui
parler avec amour : « Dans le passé, je t’ai laissé seul. Je me
suis détourné de toi, j’en suis sincèrement désolé. Je vais
t’entourer de toute ma tendresse à présent. » Vous pouvez
dire aussi : « Mon chéri, je suis là pour toi. Je vais bien
prendre soin de toi. Je sais que tu as beaucoup souffert. J’ai
été tellement occupé. Je t’ai négligé mais, à présent, j’ai
appris comment revenir à toi. » Vous pouvez pleurer
ensemble, si c’est nécessaire. Chaque fois que vous en avez
besoin, vous pouvez vous asseoir et respirer avec lui :
« J’inspire, je reviens à mon enfant blessé ; j’expire, je
prends bien soin de mon enfant blessé. »
Il est important que vous vous tourniez vers lui plusieurs
fois par jour. Ce n’est qu’ainsi que la guérison pourra
intervenir. Rassurez-le en l’enveloppant de votre tendresse,
faites-lui sentir que jamais plus vous ne l’abandonnerez, que
jamais plus vous ne le laisserez sans soins. Il est resté seul
pendant si longtemps... Il est donc essentiel de commencer
cette pratique dès à présent. Si vous ne le faites pas
maintenant, quand le ferez-vous ?
Revenez à lui, écoutez-le avec attention chaque jour, cinq
ou dix minutes. Quand vous escaladez une belle montagne,
invitez-le à la gravir avec vous. Quand vous contemplez le
lever du soleil, invitez-le à partager votre joie. Si vous faites
cela pendant quelques semaines ou quelques mois, la
guérison pourra se manifester.
Avec la pratique, nous découvrons que cet enfant blessé
n’est pas seulement nous, il peut représenter plusieurs
générations. Notre mère a probablement souffert tout au
long de sa vie. Notre père peut avoir souffert lui aussi. Peut-
être nos parents n’étaient-ils pas capables de prendre soin
de leur propre enfant intérieur ? Quand nous accueillons
avec bienveillance notre enfant intérieur, nous accueillons
donc aussi ceux des générations qui nous ont précédés.
Cette pratique n’est pas une pratique pour nous seuls, mais
pour d’innombrables générations d’ancêtres et de
descendants.

Ne sachant pas comment prendre soin de leur enfant


blessé, nos ancêtres nous l’ont transmis. Notre pratique a
pour but d’interrompre ce cycle d’ignorance. Si nous
parvenons à guérir notre enfant intérieur, nous pourrons
non seulement nous libérer nous-mêmes, mais nous
libérerons aussi ceux qui nous ont blessés ou qui ont abusé
de nous. Car ceux qui ont abusé de nous ont certainement
été victimes d’abus auparavant. Les personnes qui ont suivi
cette pratique ont pu soulager leur souffrance et
expérimenter de réelles transformations. La relation avec
leur famille et leurs proches en est devenue plus facile, plus
fluide.
Nous souffrons parce que nous n’avons pas été en contact
avec les graines de compassion et de compréhension en
nous-mêmes. Si nous parvenons à générer l’énergie de
pleine conscience, si nous pouvons comprendre et aimer
notre enfant intérieur, nous souffrirons beaucoup moins.
Avec l’énergie de pleine conscience entraînant compassion et
compréhension profondes, nous pouvons alors plus
facilement recevoir l’amour des autres. Auparavant, nous
nous montrions peut-être méfiants vis-à-vis de tout et de
tous. La compassion peut alors nous aider à nous relier aux
autres et à restaurer la communication.
Notre famille, nos amis et notre entourage peuvent eux
aussi avoir un enfant intérieur grièvement blessé. Si nous
parvenons à nous aider nous-mêmes, nous pouvons aussi
aider les autres. Et, ainsi, nos relations avec notre entourage
deviendront beaucoup plus simples. Il y aura davantage de
paix et d’amour en nous.
Revenez à vous et prenez bien soin de vous. Votre corps,
vos sensations, vos perceptions ont besoin de vous. L’enfant
blessé a besoin de vous. Votre souffrance a besoin que vous
la reconnaissiez. Revenez en vous et soyez là pour eux.
Pratiquez la marche et la respiration en pleine conscience.
Faites chaque activité en pleine conscience de façon à être
vraiment là, et à pouvoir véritablement aimer.

1 Cet ouvrage a été rédigé par Thich Nhat Hanh dans un


style essentiellement oral. Certaines répétitions de termes
ou de concepts constituent une caractéristique essentielle de
ses enseignements et sont intentionnelles. Les éviter
rendrait la lecture plus fluide, mais ôterait à l’écriture une
certaine efficacité didactique. Si donc, pour les termes
propres à l’auteur, nous avons choisi de proposer des
synonymes, vous en trouverez ici d’autres fréquemment
répétés dès lors qu’ils sont utiles à la pertinence du récit et à
son objectif formateur. (Toutes les notes sont de la
traductrice.)
2 Bien souvent, Thich Nhat Hanh nous invite à
« embrasser » (en référence à l’anglais embrace) nos
émotions, nos sensations, en les entourant comme une
maman prend soin de son enfant, avec grande tendresse.
Aussi, pour rendre au mieux son message, nous avons
privilégié dans ce livre les expressions telles que « prendre
dans ses bras avec douceur », « envelopper » ou « étreindre
tendrement ».
3 Le terme « graine » correspond au terme sanskrit bija.
PREMIÈRE PARTIE

Enseignements sur l’art de guérir


1

L’énergie de pleine conscience

L’énergie de pleine conscience nous permet de


reconnaître et de soigner le petit enfant qui vit en chacun de
nous, notre « enfant intérieur ». Mais comment cultiver
cette énergie ?

La psychologie bouddhique distingue deux types de


conscience. D’une part, la conscience mentale et, d’autre
part, la conscience du tréfonds1 . La conscience mentale est
notre conscience active. C’est ce que la psychologie
occidentale nomme généralement le conscient. Pour
développer l’énergie de pleine conscience, nous essayons
d’engager notre conscience active et d’être vraiment
présents dans chacune de nos activités. Nous veillons alors à
être conscients lorsque nous buvons notre thé ou lorsque
nous conduisons en ville. Lorsque nous marchons, nous
cherchons à être conscients que nous sommes en train de
marcher. En respirant, nous portons notre attention sur le
fait que nous sommes en train de respirer.
La conscience du tréfonds, que l’on appelle également
conscience de l’arrière-plan, est la base de notre conscience.
Dans la psychologie occidentale, elle correspond à
« l’inconscient ». Toutes nos expériences passées y sont
stockées. C’est grâce à la conscience du tréfonds que nous
pouvons apprendre et traiter les informations.
Bien souvent, notre esprit n’est pas ici, avec notre corps.
Et nous effectuons nos activités quotidiennes sans que notre
conscience mentale y participe. Beaucoup de nos gestes et
actes quotidiens reposent uniquement sur notre conscience
du tréfonds alors que, pendant ce temps, notre conscience
mentale pense à des milliers d’autres choses. Quand nous
conduisons notre voiture en ville, il est fréquent que notre
conscience mentale ne pense pas du tout à la conduite, mais
nous pouvons quand même atteindre notre destination sans
nous perdre ni provoquer d’accident. La conscience du
tréfonds fonctionne alors de manière autonome.
La conscience est comme une maison dont la cave
constituerait notre conscience du tréfonds, et le salon notre
conscience mentale. Les formations mentales comme la
colère, la tristesse ou la joie demeurent dans la conscience
du tréfonds sous la forme de graines (bijas, en sanskrit).
Chacun de nous porte en lui, en elle, des graines de colère,
de désespoir, de discrimination et de peur, mais nous avons
aussi des graines de pleine conscience, de compassion, de
compréhension, etc. La conscience du tréfonds porte en elle
toutes ces semences ; elle constitue également le terreau qui
conserve et préserve toutes les graines. C’est là qu’elles
demeurent, jusqu’à ce que l’une d’entre elles soit réveillée
par ce que nous entendons, voyons, lisons ou pensons. La
semence émerge alors et se manifeste en colère, joie ou
tristesse au niveau de la conscience mentale, dans notre
salon. Dès lors, nous ne l’appelons plus graine mais
formation mentale (cittasamskara, en sanskrit). Formation
est un terme bouddhique désignant ce qui résulte de la
réunion de nombreuses conditions. Un stylo, par exemple,
est une formation ; ma main, une fleur, une table, une
maison sont toutes des formations, de différentes natures.
Une maison, par exemple, est une formation physique, alors
que ma main est une formation physiologique et ma colère
une formation mentale.
C’est ainsi que, dès que quelqu’un touche notre graine de
colère en disant ou en faisant quelque chose qui nous irrite,
celle-ci va germer et se manifester dans notre conscience
mentale sous forme de formation mentale de la colère. La
psychologie bouddhique fait état de cinquante et une graines
qui peuvent se manifester sous la forme de cinquante et une
formations mentales. La colère n’est qu’une d’entre elles.
Chaque fois qu’elle émerge dans notre salon et se
manifeste sous la forme d’une formation mentale, la
première chose à faire est de toucher la graine de pleine
conscience et l’inviter à se manifester elle aussi. Une
deuxième formation mentale prend alors place dans notre
salon au côté de la colère : la pleine conscience de la colère.
La pleine conscience porte toujours sur quelque chose.
Lorsque nous respirons en pleine conscience, nous faisons
appel à la pleine conscience de la respiration. Lorsque nous
marchons consciemment, nous développons la pleine
conscience de la marche. Et lorsque nous mangeons en
pleine conscience, il s’agit alors de la pleine conscience de la
nourriture. Et donc, quand il s’agit de colère, comme dans
notre exemple, c’est la pleine conscience de la colère qui se
manifeste. C’est elle qui reconnaît la colère et en prend soin
avec tendresse.
Notre pratique est fondée sur la vision profonde de la
non-dualité : ne voyons donc pas la colère comme un
ennemi. Colère et pleine conscience font toutes deux partie
de nous ; et cette dernière n’est pas là pour supprimer ou
combattre la colère, mais, au contraire, pour la reconnaître
et en prendre grand soin. Elle est là, comme un grand frère
qui aiderait son plus jeune frère. C’est ainsi que l’énergie de
colère peut être reconnue et tendrement enveloppée par
l’énergie de pleine conscience.
Chaque fois que nous avons besoin de l’énergie de pleine
conscience, il nous suffit d’en toucher la graine avec notre
respiration attentive, notre marche consciente et notre
sourire. C’est ainsi que sera disponible l’énergie nécessaire
au travail de reconnaissance et d’étreinte, puis de vision
profonde et de transformation. Quoi que nous fassions, qu’il
s’agisse de cuisiner, de balayer, de faire la lessive, de
marcher ou de respirer, nous pouvons continuer à générer
l’énergie de pleine conscience ; ainsi, sa graine pourra se
renforcer en nous. Et si nous parvenons à la développer
toujours plus, la graine de concentration pourra émerger à
son tour. C’est grâce à ces deux énergies que nous pourrons
nous libérer des afflictions.

L’ESPRIT REQUIERT UNE BONNE CIRCULATION


Nous savons qu’il y a des toxines dans notre corps. Si
notre circulation sanguine n’est pas bonne, ces toxines
s’accumulent. Et pour rester en bonne santé, notre corps
travaille à éliminer ces toxines. Quand le sang circule bien,
les reins et le foie peuvent faire leur travail et éliminer les
toxines. Nous pouvons aussi recourir aux massages afin
d’améliorer la circulation.
À l’instar du corps physique, notre conscience peut elle
aussi souffrir d’une mauvaise circulation. Il se peut qu’un
bloc de souffrance, de peine, de tristesse ou de désespoir se
soit formé en nous, comme une toxine dans notre
conscience. C’est ce que nous appelons formation interne ou
nœud interne. Accueillir notre peine et notre tristesse, leur
ouvrir les bras avec l’énergie de pleine conscience, c’est
comme offrir un doux massage à notre conscience. Nous
savons par expérience que quand certaines choses ne
circulent pas bien dans notre corps nos organes ne
parviennent pas à remplir correctement leur fonction, et
nous finissons par tomber malade. C’est en fait pareil pour le
psychisme : s’il circule mal, notre esprit tombe également
malade. Et c’est là qu’intervient notre pleine conscience,
stimulant et accélérant la circulation à travers les blocs de
souffrance.

COMMENT OCCUPER LE SALON


Nos blocs de souffrance, de tristesse, de colère et de
désespoir cherchent toujours à entrer dans notre conscience
mentale, dans notre salon, mais nous ne voulons pas de ces
hôtes indésirables, parce qu’il est douloureux de les
regarder. Alors, nous tentons de leur barrer le passage.
Nous voulons qu’ils restent cachés dans notre cave. Nous ne
voulons pas leur faire face. C’est ainsi que nous avons pris
l’habitude de remplir le salon avec d’autres invités et, dès
que nous disposons de dix ou quinze minutes de temps libre,
nous faisons tout pour que notre salon reste occupé. Nous
appelons un ami ou nous prenons un livre. Nous allumons la
télévision. Nous espérons que ces visiteurs indésirables ne
viendront pas si le salon reste bien occupé...
Or, toutes les formations mentales ont besoin de circuler.
Et si nous les bloquons, si nous ne les laissons pas émerger,
c’est toute la circulation de notre esprit qui s’en trouvera
entravée, nous exposant ainsi au risque de développer des
symptômes de maladie mentale et de dépression, tant dans
notre esprit que dans notre corps.
Parfois, nous prenons de l’aspirine dans l’espoir d’apaiser
un mal de tête, et cependant la douleur persiste. Ce genre de
symptôme pourrait témoigner d’un déséquilibre mental.
Souffrons-nous d’allergies ? Nous pensons que c’est un
problème purement physique mais les allergies peuvent
également être un symptôme de déséquilibre psychique. Si
nous demandons conseil au médecin, il nous prescrira peut-
être des médicaments mais, parfois, ceux-ci ne feront que
contribuer au refoulement de nos formations internes,
aggravant alors notre maladie.

FAIRE TOMBER LES BARRIÈRES


L’enfant qui nous habite ressent peut-être beaucoup de
peur et de colère, tant il est demeuré longtemps à la cave.
Nous ne pouvons pas l’éviter. Quand nous apprenons à ne
plus craindre nos nœuds de souffrance, nous commençons à
les laisser progressivement circuler dans notre salon. Nous
apprenons peu à peu à les accueillir, à accepter leur
présence et à les transformer avec l’énergie de pleine
conscience. Lorsque nous laissons tomber la barrière entre
la cave et le salon, des blocs de souffrance risquent
d’émerger, nous confrontant alors à davantage de
souffrance.
Si la pleine conscience n’est pas là, l’émergence de ces
graines sera peut-être particulièrement pénible. Mais si
nous savons comment générer l’énergie de pleine
conscience, il est utile, voire bénéfique de prendre l’habitude
de les inviter chaque jour et de les accueillir quelque temps.
La pleine conscience est en effet une source d’énergie
puissante qui peut reconnaître, étreindre tendrement ces
énergies négatives et en prendre soin. Si ces graines n’osent
pas se manifester dans les premiers temps, car elles sont
bien trop effarouchées, alors il vous faudra sans doute les
cajoler un peu. Chaque fois, après avoir été étreinte par la
pleine conscience pendant un certain temps, une émotion
forte pourra regagner la cave à l’état de graine, plus faible
qu’avant.
Chaque fois que vous offrez un bain de pleine conscience à
vos formations internes, les blocs de souffrance en vous
s’allègent. Alors n’hésitez pas, chaque jour, à baigner ainsi
votre colère, votre désespoir, votre peur. Si vous maintenez
cette pratique au quotidien, durant plusieurs jours voire
plusieurs semaines, en laissant émerger vos graines de
souffrance et en les aidant ensuite à redescendre, vous
offrirez une bien meilleure circulation à votre esprit.

LE RÔLE DE LA PLEINE CONSCIENCE


La première fonction de la pleine conscience est de
reconnaître, et non de combattre. Nous pouvons nous
arrêter à tout moment et prendre conscience de notre
enfant intérieur. Quand nous le reconnaissons pour la
première fois, tout ce que nous avons à faire est d’être
conscient de sa présence et de lui dire bonjour. C’est tout.
L’enfant est peut-être triste. Si c’est le cas, nous pouvons
simplement respirer en pleine conscience et dire :
« J’inspire, je sais qu’il y a de la tristesse en moi. Bonjour
ma petite tristesse. J’expire, je vais prendre bien soin de
toi. »
Quand nous avons reconnu notre enfant intérieur, la
deuxième fonction de la pleine conscience est de l’entourer
de toute notre tendresse. C’est une pratique très agréable.
Au lieu de combattre nos émotions, nous prenons bien soin
d’elles. Nous avons d’ailleurs une grande alliée que nous
offre la pleine conscience : la concentration. Si nous
reconnaissons, étreignons avec douceur l’enfant, le prenant
tendrement dans les bras, quelques minutes suffiront à
apporter de l’apaisement. Les émotions difficiles seront
encore là, mais nous ne souffrirons plus autant.
Après avoir reconnu et enveloppé avec grande douceur et
tendresse l’enfant, la troisième fonction de la pleine
conscience sera de soulager nos émotions difficiles. Dès que
nous entourons tendrement cet enfant, les émotions
difficiles s’apaisent et nous commençons à nous sentir
mieux. Ainsi, prenant bien soin de nos fortes émotions, avec
grande douceur, et les baignant de notre pleine conscience et
de notre concentration, nous serons en mesure d’en
percevoir les racines. Si nous percevons mieux d’où vient
notre souffrance, celle-ci pourra s’apaiser, tout
naturellement. C’est ainsi que la pleine conscience peut à la
fois reconnaître, étreindre tendrement et soulager.
C’est encore cette même énergie qui pourra donner
naissance à l’énergie de la concentration et, à son tour, à
l’énergie de la vision profonde, qui a le pouvoir de nous
libérer. La concentration nous aide à nous focaliser sur une
seule chose à la fois, et c’est alors que notre vision peut
s’approfondir, s’élargir, permettant ainsi une sorte de
percée dans la réalité. Si notre pleine conscience est
présente et que nous parvenions à la maintenir pleinement
vivante, la concentration se manifeste, elle aussi. Et, si nous
la gardons bien présente, c’est la vision profonde, libératrice,
qui pourra ensuite émerger. Nous voyons donc que l’énergie
de pleine conscience est véritablement celle qui nous permet
de regarder en profondeur et d’acquérir la vision profonde
dont nous avons besoin pour rendre possible toute
transformation.

1 Cette conscience correspond à ce que la psychologie


moderne nomme « conscience de l’arrière-plan »
(Background Consciousness en anglais). Cette conscience
du tréfonds emmagasine et traite de nombreuses
informations, agissant en dehors du mental. C’est là que se
logent les graines (bijas), les semences qui sont au nombre
de cinquante et une dans la tradition mahayana.
2

Nous sommes nos ancêtres et nos descendants

Avez-vous des souvenirs de votre séjour dans le ventre


de votre maman ? Nous y avons tous séjourné environ neuf
mois, ce qui est relativement long, et certains d’entre nous
en ont gardé quelques souvenirs ou quelques sensations.
Nous arrivait-il de sourire ou de pleurer ? Notre tendance
naturelle, lorsque nous sommes heureux, est de sourire. Il
est donc fort probable que nous ayons tous eu l’occasion de
sourire durant ces neuf mois... Personnellement, j’ai déjà pu
voir des enfants sourire durant leur sommeil ; il doit
certainement y avoir quelque chose de merveilleux en eux
pour qu’ils sourient ainsi.
Peut-être avons-nous gardé l’impression d’avoir vécu
dans un paradis dans lequel nous nous sentions en sécurité,
protégés, où nous n’avions à nous préoccuper de rien. Mais,
à présent, nous avons perdu ce paradis.
En vietnamien, « utérus » se dit tu cung, le « palais de
l’enfant ».
Dans ce palais, notre maman mangeait pour nous, elle
buvait et respirait pour nous. À votre avis, vous arrivait-il
parfois de rêver ? Certes, dans le ventre de notre mère,
nous ne pouvions pas encore voir le ciel, ni les rivières. Mais,
dans nos rêves, peut-être y avait-il déjà quelque chose. Il
est possible que nous percevions ce que notre maman voyait
dans ses rêves, ou que nous pleurions comme elle si elle
rêvait de quelque chose de douloureux et qu’elle versait des
larmes. Et lorsqu’elle souriait, peut-être faisions-nous pareil.
Nous formions une seule personne, et non deux. Nous étions
physiquement reliés par le cordon ombilical. Et c’est par ce
cordon que notre maman nous procurait nourriture, boisson,
oxygène et tout ce dont nous avions besoin, y compris
l’amour.
Cela ne veut pas dire que notre papa ne nous apportait
rien durant cette période. Certains d’entre nous ont eu un
père qui était conscient de leur présence et qui savait être
particulièrement attentif à notre mère pour qu’elle, à son
tour, puisse prendre soin de nous. Peut-être lui parlait-il
d’une voix aimante ou, sachant que nous pouvions
l’entendre, nous parlait-il à nous, tendrement, à travers le
ventre.
Certains parmi nous ont peut-être eu la chance d’avoir
une maman qui leur parlait quand ils étaient encore en elle.
Nous pouvions parfois l’entendre et lui répondre. À
l’inverse, elle aura certainement oublié notre présence à
certains moments. Alors, nous lui donnions un coup de pied
pour nous rappeler à elle. C’était comme une cloche de
pleine conscience qui la réveillait et l’invitait alors à
répondre : « Mon enfant chéri, je sais que tu es là et j’en
suis très heureuse. »
À notre naissance, le cordon ombilical a été coupé et nous
avons poussé notre premier cri. Baignés de lumière tout
autour de nous, nous devions respirer par nous-mêmes.
Peut-être notre maman continuait-elle à nous envelopper
de ses bras, nous donnant la sensation d’être encore en elle,
même si nous n’y étions plus. Elle nous enveloppait de tout
son amour et nous faisions pareil. Même si nous n’étions
plus reliés par le cordon, nous étions encore en lien de
manière très concrète et intime.

INTER-ÊTRE1
Avec la pratique de la méditation, nous pouvons encore
percevoir le cordon ombilical qui nous relie à notre maman.
Nous voyons qu’elle n’est pas seulement à l’extérieur mais
aussi en nous. Grâce à la vision profonde, nous pouvons voir
les cordons ombilicaux qui nous relient aux autres choses,
aux autres personnes. Imaginez un cordon qui vous relie au
Soleil. Le Soleil se lève chaque matin, et c’est grâce à lui que
nous pouvons profiter de la lumière et de la chaleur. Sans le
Soleil et sans la chaleur, nous ne pourrions survivre. De la
même manière qu’un bébé dépend de sa mère, nous
dépendons du Soleil. Un cordon nous relie à lui. On peut
même dire qu’il existe une infinité d’autres cordons... Nous
sommes reliés aux nuages car, s’ils n’étaient pas là, il n’y
aurait ni pluie, ni eau, ni lait, ni thé, ni café, ni crème glacée,
rien de tout cela. Un autre cordon nous relie à la rivière et
un autre à la forêt. En poursuivant ainsi, nous voyons que
nous sommes reliés à chaque être et à chaque chose dans le
cosmos. Nous dépendons d’autres êtres pour exister. Nous
avons autant besoin de l’animé que du non-animé, comme
les plantes, les minéraux, l’air et l’eau.
En grandissant, nous pourrions facilement penser que
nous sommes une personne et notre maman une autre,
deux entités bien distinctes. Or, ce n’est pas vraiment le cas.
Nous sommes le prolongement de notre mère, et c’est à tort
que nous pensons être une personne différente d’elle. En
réalité, nous sommes la continuation de notre mère et de
notre père, tout comme celle de nos ancêtres.
Prenons l’exemple d’un grain de maïs que nous plantons
en terre. Sept jours plus tard, il germe et commence à
prendre la forme d’un plant de maïs. Quand l’épi a poussé,
nous ne voyons plus la graine mais elle n’est pas morte pour
autant, elle est toujourslà. En regardant profondément, nous
pouvons voir que la graine est toujours dans la plante. L’épi
et sa semence ne sont pas deux entités distinctes, l’un est la
continuation de l’autre. Le plant est le prolongement de la
graine vers le futur, et la graine le prolongement du plant
vers le passé. Ils ne sont ni la même chose ni deux choses
différentes. Vous et votre maman n’êtes pas exactement la
même personne, mais vous n’êtes pas vraiment deux
personnes totalement distinctes non plus. Cet enseignement
est très important, car il nous montre à quel point aucune
personne ne peut exister uniquement par elle-même. Nous
« inter-sommes », en lien avec tous et tout.
En examinant une cellule de notre corps ou en notre
conscience, nous pouvons reconnaître la présence de toutes
les générations d’ancêtres en nous. Il ne s’agit pas
seulement des êtres humains car, bien avant leur apparition,
nous étions d’autres espèces. Nous avons été minéral, arbre,
plante, organisme cellulaire, écureuil, daim, singe. Toutes
ces générations d’ancêtres sont présentes dans chacune des
cellules de notre corps et dans notre esprit. Et chacun de
nous est le prolongement naturel de ce courant de vie.
Regardons la feuille d’un arbre. Que voyons-nous ? Une
feuille est une feuille, ce n’est pas une fleur. Pourtant, si
nous la regardons profondément, nous pouvons y voir
beaucoup de choses : l’arbre, le rayon de soleil, le nuage, la
terre. En prononçant le mot « feuille », nous devons être
conscients qu’une feuille est constituée d’éléments « non
feuille ». Or, si nous retirons les éléments non feuille, tels
que les rayons du soleil, les nuages et le sol, il n’y aura plus
de feuille. Il en va de même pour notre corps et nous-
mêmes. Nous ne sommes ni identiques ni séparés des autres
êtres vivants ou inanimés. Nous sommes en lien avec tout,
et toute chose est pleinement vivante.

LE KARMA DE LA PENSÉE, DE LA PAROLE ET DE


L’ACTION
Les compositeurs et les peintres signent souvent leur
création de leur nom. Dans notre vie quotidienne, nous
produisons des pensées, des paroles et des actions. Chacune
de nos pensées porte notre signature. En examinant nos
pensées, qu’elles soient justes ou fausses, nous pouvons voir
qu’elles portent notre nom, elles sont notre propre
production. La pensée « juste » est une pensée issue de la
compréhension, de la compassion et de la vision profonde.
Nous devrions veiller à ce que toutes nos pensées soient de
cette nature, à tout moment de notre vie quotidienne ;
chaque moment de notre vie nous en offre l’occasion. Notre
pensée est à la base de nos paroles et de nos actions. Nous
transmettons nos pensées, nos paroles et nos actions –
c’est-à-dire notre karma – à nos enfants et au monde
entier ; c’est là qu’est notre véritable avenir.
Tout ce que nous disons est aussi notre production. Que
notre parole soit juste ou erronée, elle porte notre signature.
Tout ce que nous disons peut provoquer colère, désespoir ou
pessimisme. Nos mots peuvent faire des dégâts. Avec la
pleine conscience, nous éprouvons de la joie à produire des
paroles justes, celles qui accompagnent la compréhension, la
compassion, la joie et le pardon. Grâce à la pratique de la
pleine conscience, nous avons la possibilité de prononcer une
parole juste à chaque instant, une parole aimante qui porte
notre signature et que nous transmettons à nos enfants et
au monde. C’est là notre véritable continuation.
Nos actions physiques portent également notre signature.
Ainsi, toute action que nous posons et qui contribue à
protéger la vie, à apaiser la souffrance d’autres personnes,
et qui exprime notre compréhension et notre compassion
peut être qualifiée d’action juste. Et comme tous nos actes
émanent pleinement de nous, nous ne pouvons pas les nier.
Il nous appartient de cultiver la pleine conscience afin de ne
produire aucun acte de violence, haine, peur ou
discrimination, car de tels actes porteront eux aussi notre
signature. C’est ainsi que nous créons notre propre futur, en
offrant nos meilleures pensées, nos meilleures paroles, nos
plus belles actions. Là encore, c’est la pleine conscience qui
pourra nous aider à reconnaître si nous produisons de
bonnes choses pour l’avenir ; elle nous rappelle que tout ce
que nous produisons nous appartient et constitue notre
continuation.

MARCHER AVEC NOS ANCÊTRES


Petit enfant, du haut de nos quatre ans, nous nous disions
probablement : « Je ne suis qu’un enfant de quatre ans, un
garçon ou une fille, un petit frère ou une petite sœur. »
Mais en fait nous étions déjà une mère ou un père, car
toutes les générations passées et futures étaient déjà
présentes dans notre corps. En posant le pied dans l’herbe
verte du printemps, nous marchons de façon à ce que nos
ancêtres puissent faire un pas avec nous. La Paix, la Joie et
la Liberté de chacun de nos pas pénétreront chaque
génération de nos ancêtres et descendants. Nous marchons
avec l’énergie de la pleine conscience et, à chacun de nos pas,
nous voyons d’innombrables générations d’ancêtres et
descendants marchant à nos côtés.
Lorsque nous respirons en pleine conscience, nous
sommes légers, calmes et parfaitement à l’aise, de telle sorte
que toutes les générations d’ancêtres et de descendants
puissent elles aussi respirer avec nous. Et c’est alors que
nous respirons conformément aux plus hauts
enseignements. Nous n’avons besoin que d’un peu de pleine
conscience et de concentration pour accéder à la vision
profonde. Dans un premier temps, nous pouvons utiliser une
technique de visualisation pour voir tous nos ancêtres faire
un pas avec nous, mais, au bout d’un moment, ce ne sera
même plus nécessaire. À chacun de nos pas, nous sentons
que ce pas est celui de tous les êtres du passé et du futur.
Quand nous cuisinons un plat que nos parents nous ont
appris à faire, une recette transmise de génération en
génération dans notre famille, nous devrions regarder nos
mains et sourire parce que ces mains sont celles de notre
mère, de notre grand-mère. Et ces mêmes personnes sont
en train de cuisiner maintenant avec nous. En cuisinant,
nous pouvons être en pleine conscience ; nous n’avons pas
besoin d’aller dans la salle de méditation pour pratiquer
ainsi.
Pensez-vous que votre grand-père a eu la chance de jouer
au volley-ball ? Et votre grand-mère, faisait-elle du jogging
tous les jours ? Pouvait-elle être pleinement dans le moment
présent en marchant ou en courant ? Si, aujourd’hui, vous
avez la chance de pouvoir pratiquer le jogging, invitez votre
grand-mère à courir avec vous car elle est bien présente
dans chacune des cellules de votre corps. Nous portons tous
nos ancêtres en nous, ils nous accompagnent dans chacun de
nos gestes, que ce soit en courant, en pratiquant la marche
consciente ou quand nous nous établissons dans la joie du
moment présent. Les générations qui nous ont précédés
n’ont vraisemblablement pas connu cette pratique. Mais
désormais, que nous pratiquions la marche, la course ou la
respiration conscientes, nous avons la possibilité d’apporter
joie et bonheur à d’innombrables générations d’ancêtres.
Quand nous nous tourmentons pour des questions telles
que : « Qui suis-je ? », « D’où est-ce que je viens ? », « M’a-
t-on vraiment désiré(e) ? », « Quel est le sens de ma vie ? »,
nous souffrons parce que nous sommes prisonniers de l’idée
d’un soi séparé. Mais si nous regardons profondément, nous
pouvons prendre conscience de ce qu’est le non-soi, en
réalisant que nous ne sommes pas un soi séparé, que nous
sommes en lien véritable avec nos ancêtres, avec tous les
êtres vivants et inanimés.
Les psychothérapies occidentales ont pour but d’aider à
construire un soi stable et équilibré. Mais comme elles sont
encore prisonnières de l’idée d’un soi, elles ne peuvent
apporter que de petites transformations et qu’une légère
guérison ; cela ne peut malheureusement pas mener très
loin. Tant que nous sommes prisonniers de l’idée d’un soi
séparé, nous restons dans l’ignorance. En revanche, si nous
parvenons à entrer dans cette dimension du non-soi, nous
pourrons aller bien au-delà des questions qui nous font tant
souffrir. En percevant la relation intime entre ce qui est soi
et ce qui n’est pas soi, l’ignorance pourra guérir et, de ce fait,
souffrance, colère, peur et jalousie disparaîtront à leur tour.
Nous sommes tous la continuation du courant de la vie.
Nos parents n’ont peut-être pas été toujours à même de
nous apprécier, mais nos grands-parents et nos ancêtres
voulaient que nous vivions. Tous ont toujours voulu que
nous les prolongions. En développant cette conscience-là,
nous ne souffrirons plus autant du comportement de nos
parents. Ils sont tantôt pleins d’amour, tantôt pleins de
colère, et c’est bien ainsi. Dès que nous pouvons reconnaître
que l’amour et la colère ne nous ont pas été transmis par
eux uniquement mais par toutes les générations
précédentes, nous n’avons plus à blâmer nos parents pour
notre souffrance.

L’ÉNERGIE D’HABITUDE
L’objet de la méditation est de regarder quelque chose en
profondeur afin d’en découvrir les origines. Quelle que soit
notre action, si nous l’examinons en profondeur, nous serons
en mesure d’en identifier les racines. Notre façon d’agir peut
provenir de nos ancêtres ; d’ailleurs, ils agissent toujours en
même temps que nous, dans toutes nos actions. Ainsi papa,
grand-père et arrière-grand-père sont avec nous ; maman,
grand-mère et arrière-grand-mère sont présentes elles
aussi, dans chacune des cellules de notre corps. Certaines
graines sont plantées durant notre vie, d’autres étaient là
bien avant notre manifestation dans ce corps physique.
Parfois nous agissons sans intention particulière ; c’est
l’énergie d’habitude qui nous entraîne et nous pousse à faire
certaines choses, sans que nous nous en rendions compte. Il
nous arrive d’agir sans conscience de ce que nous faisons ou
de poser des actes que nous voulions pourtant éviter. Qui
parmi nous ne s’est jamais surpris à dire : « Je ne voulais
pas le faire, mais c’était plus fort que moi, j’ai été
emporté(e) » ? C’est ce que nous appelons une graine, une
énergie d’habitude, dont l’origine est probablement à
rechercher parmi les nombreuses générations passées.
Nous avons hérité de nombreuses graines. Et, grâce à la
pleine conscience, nous pouvons identifier les énergies
d’habitude qui nous ont été transmises. Nous verrons par
exemple que nos parents ou nos grands-parents
présentaient les mêmes faiblesses que nous et, sans porter
de jugement, nous comprendrons que nos habitudes
négatives proviennent de ces racines ancestrales. Nous
pouvons alors simplement sourire à nos défauts et à nos
habitudes d’énergie. Avec lucidité, nous pouvons choisir
d’agir différemment et, ainsi, mettre immédiatement fin au
cycle de la souffrance.
Il nous est sûrement déjà arrivé de nous surprendre à
faire des choses sans en avoir vraiment l’intention et de
nous faire ensuite de lourds reproches à ce sujet. Ces
attitudes s’observent principalement quand nous nous
percevons comme un individu, isolé et plein de défauts ; en
revanche, si nous pouvons reconnaître ces énergies
d’habitude et le fait qu’elles nous ont simplement été
transmises, nous parviendrons peu à peu à les transformer
et à les abandonner.
Avec la pratique de la pleine conscience, nous pourrons
vite repérer quand un acte répétitif s’est installé. C’est la
première compréhension à laquelle elle nous donne accès.
Dans un second temps, si nous le souhaitons, la pleine
conscience et la concentration nous aideront à découvrir
l’origine de cet acte, qu’il ait été déclenché par quelque chose
qui s’est produit hier ou que ses racines soient bien plus
anciennes, parmi nos ancêtres, peut-être trois cents ans plus
tôt. Dès que nous prenons conscience de nos actes, nous
pouvons reconnaître s’ils sont vraiment bénéfiques et, dans
le cas contraire, décider de ne pas les poursuivre. Ainsi, si je
suis pleinement conscient de mes tendances et, dès lors,
bien déterminé dans mes pensées, mes paroles et mes actes,
je pourrai me transformer moi-même, mais aussi
transformer les ancêtres qui ont semé ces graines en moi.
Chacun pratique donc autant pour soi-même que pour tous
ses ancêtres, ses descendants, et donc pour le monde entier.
Lorsque nous sommes capables de sourire face à une
provocation, nous pouvons prendre conscience de cette
capacité en nous, l’apprécier et la développer. Cela signifie
aussi que nos ancêtres peuvent sourire à ce qui les
provoque. Ainsi, une personne capable de garder son calme
et de sourire face aux provocations aidera le monde entier à
accéder à la paix. La clef principale est d’être simplement
pleinement conscient de la nature de nos actes. Et la pleine
conscience nous aidera ensuite à en comprendre l’origine.

1 Le terme inter-être est cher à Thich Nhat Hanh ; il


l’utilise très fréquemment pour illustrer le fait que tout dans
l’Univers est relié, que rien n’existe par soi, et que tout être,
toute chose dépend de multiples autres conditions pour
exister. Comme il l’explique dans le texte Inter-être ou
l’interdépendance de tous les phénomènes : « Le mot
“inter-être” ne figure pas encore dans le dictionnaire mais,
en combinant le préfixe “inter” et le verbe “être”, nous
obtenons un nouveau verbe, inter-être. Sans nuage, nous
n’aurions pas de papier ; nous pouvons donc dire que le
nuage et la feuille de papier inter-sont. » Le Cœur de la
compréhension, Village des Pruniers, 1990, p. 7-10.
3

Peur originelle, désir originel

Notre peur est née en même temps que nous. Or, au


cours des neuf mois où nous avons vécu dans le ventre de
notre maman, nous nous sentions en grande sécurité. Nous
n’avions rien à faire, tout y était si confortable... À la
naissance, la situation a radicalement changé ; le cordon
ombilical rompu, nous avons dû apprendre à respirer par
nous-mêmes. Et, avant de pouvoir prendre notre première
inspiration, nous avons vraisemblablement dû faire l’effort
d’expulser le liquide encore présent dans nos poumons.
Notre survie dépendait de ces premières respirations, et
c’est précisément de ce moment-là que provient ce qu’on
nomme la peur originelle. Nous voulons survivre et, tel un
bébé fragile, nous avons des bras et des jambes, mais nous
ne pouvons pas nous en servir. Nous avons besoin que
quelqu’un prenne soin de nous. Cette peur originelle est
toujours assortie d’un désir, le désir originel. Il y a, d’une
part, la peur d’être abandonné et, d’autre part, le désir de
survivre. Et tous deux nous habitent encore aujourd’hui,
même à l’âge adulte.
En fait, peur et désir ont les mêmes racines, et c’est parce
que nous craignons tous de mourir que nous éprouvons du
désir. Nous désirons qu’une personne soit là pour nous aider
à survivre. Nous espérons à chaque instant son arrivée pour
nous aider, nous protéger. Nous nous sentons totalement
démunis, avec l’impression de ne pas avoir les moyens de
survivre par nous-mêmes. Il nous faut impérativement
quelqu’un d’autre. Or, si nous examinons en profondeur
notre désir, nous percevrons qu’en chacune de nos attentes
se trouve le prolongement du désir originel. C’est
précisément parce que nous n’avons pas identifié le désir de
notre enfant intérieur que notre désir actuel est impossible à
satisfaire. Nous voulons une nouvelle relation, un nouveau
travail ou davantage d’argent. Mais, une fois que nous les
obtenons, nous ne parvenons pas à nous en réjouir. Désir
après désir, nous restons insatiables.

RECONNAÎTRE QUE TOUTES LES CONDITIONS DE


BONHEUR SONT DÉJÀ LÀ
Le Bouddha nous a enseigné la pratique de samtusta (en
sanskrit), que l’on peut traduire par prise de conscience que
l’on peut se satisfaire de peu. Reconnaissant que nous avons
assez de conditions pour être heureux, ici et maintenant,
nous n’avons pas besoin d’obtenir davantage. Quand nous
prenons refuge dans l’instant présent, nous identifions
toutes les conditions de bonheur dont nous disposons et
nous voyons qu’elles sont largement suffisantes pour être
heureux dès à présent. Cessons de convoiter tant de choses,
et reconnaissons que même si nous obtenons l’objet de notre
désir, nous n’en serons pas plus heureux, et que nous
développerons même d’autres désirs.
Au contraire, si nous nous sentons suffisamment en
sécurité, nous parviendrons peut-être à ne plus éprouver
aucune attente spécifique. La petite maison que j’occupe est
bien suffisante, je n’en ai vraiment pas besoin d’une plus
grande. Elle a beaucoup de fenêtres et le paysage qu’elle
m’offre est magnifique. Tous, nous pouvons prendre
conscience d’avoir bien assez de raisons d’être heureux.
Pourquoi donc nous projeter dans le futur pour en acquérir
d’autres ? Ce que nous avons est largement suffisant pour
nous. Dès que nous adoptons ce style de vie, nous devenons
une personne heureuse.
Mais comment incarner cette sagesse dans notre vie
moderne alors que tant de personnes autour de nous
pensent encore que l’on ne peut être heureux qu’avec
beaucoup d’argent et de pouvoir ? Prenons le temps de
regarder autour de nous, et nous constaterons que nous
sommes tous entourés de personnes riches et puissantes
mais qui souffrent encore très profondément de stress et de
solitude. Cela montre combien pouvoir et argent sont loin
d’offrir la solution. Pour y remédier, nous devons dès à
présent apprendre l’art de vivre en reconnaissant ce que
nous avons et en nous en réjouissant.

NOUS SOMMES PRISONNIERS DU PASSÉ


La conscience du tréfonds est comme un studio où sont
projetés en permanence les films de notre passé, un lieu où
nous conservons le souvenir de nos expériences
traumatisantes et douloureuses. Même si nous savons que le
passé est révolu, ses images sont toujours là et,
régulièrement, nous y retournons, que ce soit en rêve ou en
réalité, retouchant à la souffrance passée. Nous avons tous
tendance à nous emprisonner dans le passé. Nous savons
qu’il n’est plus là, que nos souvenirs ne sont qu’un film, des
images appartenant au passé, et pourtant le film est
toujours projeté. Et, à chaque « séance », nous souffrons à
nouveau.
Supposons maintenant que nous soyons au cinéma,
assistant à la projection d’un film. Assis dans notre fauteuil
et regardant le film, nous pouvons croire que l’histoire qui se
déroule sous nos yeux est la réalité. Nous pouvons même
nous laisser toucher au point de verser des larmes. La
souffrance est réelle, les larmes sont réelles. Et pourtant,
l’histoire ne se déroule pas maintenant, ce n’est qu’un film.
À présent, suivez-moi et approchons-nousde l’écran,
touchons-le... Que constatons-nous ? Il n’y a personne ici, il
n’y a que de la lumière projetée sur l’écran. Nous ne
pouvons pas parler aux personnes qui sont sur l’écran, nous
ne pouvons pas les inviter à déguster un thé avec nous ; tout
cela n’est que fiction, irréel. Et pourtant cela mène parfois à
une réelle souffrance, voire une vraie dépression.
Il est essentiel d’être conscient que l’enfant intérieur est
toujours là, prisonnier du passé, et qu’il nous appartient de
lui venir en aide. Assis de manière stable, établis dans le
moment présent, parlons-lui : « Cher petit frère, chère
petite sœur, je tiens à ce que tu saches que nous avons
grandi. Aujourd’hui, nous sommes tous deux parfaitement
capables de nous protéger et de nous défendre par nous-
mêmes. »

L’ATTENTION APPROPRIÉE
Si nous avons souffert d’abus, petit enfant de sept ans
peut-être, nous porterons toujours en nous l’image de cet
enfant vulnérable et empli de peur. Et chaque fois que nous
entendrons quelque chose qui nous rappellera cette
souffrance, nous serons directement remis au contact de
l’image ancienne. Aujourd’hui adulte, il y a une multitude de
situations et de choses, parmi ce que nous voyons,
entendons et expérimentons, qui ont pour effet de nous
ramener à ce souvenir de souffrance.
Si nous avons été victimes d’une souffrance telle qu’un
abus, ce que nous voyons ou entendons à présent est
presque toujours susceptible de nous ramener à l’image de
l’événement traumatisant de l’enfance. Ce contact quasi
permanent avec les images du passé peut engendrer des
sentiments de peur, de colère et de désespoir. C’est ce que
nous appelons l’attention inappropriée (ayoniso
manaskara, en sanskrit), parce qu’elle nous éloigne de
l’instant présent, en nous plongeant dans un lieu d’ancienne
souffrance. C’est alors qu’il est essentiel de disposer d’outils
pour gérer la tristesse, la peur et la souffrance qui émergent.
Le son de la cloche nous rappelle d’arrêter pensées et
paroles pour revenir à notre inspiration et à notre
expiration. Il peut nous délivrer de l’image de souffrance en
nous invitant à apprécier notre respiration profonde,
l’apaisement de notre corps et de notre esprit, notre sourire.
Quand la souffrance monte, notre pratique est d’inspirer et
d’expirer en récitant : « J’inspire et je sais que la souffrance
est en moi. » Par la pratique, nous reconnaissons, accueillons
et enveloppons cette formation mentale avec une grande
tendresse. Et si nous nous appliquons, nous pourrons aller
plus loin. Par la pleine conscience et la concentration, nous
pourrons alors retourner à l’image et comprendre ce qui l’a
fait surgir : « J’éprouve ceci parce que j’ai été en contact
avec cela. »
Beaucoup d’entre nous ne parviennent pas à quitter le
monde des images. L’énergie de pleine conscience se
présente alors comme un merveilleux outil pour reconnaître
que notre ancienne souffrance n’est qu’une image, et non la
réalité. C’est ainsi que nous pourrons voir combien la vie et
toutes ses merveilles sont disponibles pour nous, ici et
maintenant, et qu’il est possible de vivre heureux dans le
moment présent. Nous pouvons changer toute la situation.

LA SOUFFRANCE EST NOTRE VÉRITABLE MAÎTRE


Notre capacité à comprendre la souffrance permet de
développer notre compassion et notre amour. Sans elles
deux, le bonheur ne peut exister. La compréhension et la
compassion prennent naissance dans la souffrance et, dès
que nous parvenons à comprendre celle-ci, nous ne blâmons
plus personne ; nous acceptons, emplis de compassion. C’est
en cela qu’elle nous est utile. En revanche, si nous ne savons
pas comment en prendre soin, nous pouvons facilement
sombrer dans un océan de souffrance. Elle est donc notre
maître, elle pourra nous enseigner énormément de choses si
nous apprenons à la gérer.
Nous avons tous tendance à fuir notre souffrance, à
l’éviter et à privilégier la recherche du plaisir. Or, il est
essentiel d’apprendre à notre mental que la souffrance peut
parfois être très bénéfique. Nous pouvons même parler des
bénéfices de la souffrance car c’est elle qui nous montre
comment approfondir notre compréhension ; celle-là même
qui permettra à l’acceptation et à l’amour de s’épanouir tout
naturellement. À l’inverse, sans compréhension, sans amour
il ne peut y avoir de véritable bonheur. Nous voyons ainsi
que la souffrance est étroitement liée au bonheur et que
nous ne devrions pas la craindre. Au contraire, chacun
devrait être capable de contenir sa souffrance et l’examiner
en profondeur, l’entourer de tendresse et écouter ce qu’elle
peut enseigner. Nous pouvons apprendre beaucoup de notre
souffrance, son apport est bien réel puisque, sans elle, il n’y
aurait pas de bonheur. Sans boue, il ne peut pas y avoir de
fleur de lotus. Ainsi, si vous savez comment souffrir, la
souffrance ne sera plus du tout un problème puisqu’en
adoptant cette attitude d’accueil véritable vous la sentirez
nettement moins. Et c’est du cœur même de cette
souffrance que pourra éclore la belle fleur du bonheur.

LES CINQ REMÉMORATIONS


Le Bouddha nous a enseigné que la graine de la peur est
en chacun de nous, mais que la plupart la refoulent et
l’enferment dans les ténèbres. C’est pour nous aider à
identifier, étreindre et examiner en profondeur ces graines
de la peur qu’il nous a transmis la pratique des Cinq
Remémorations.

1. I l est dans ma nature de vieillir. Je ne peux échapper à la vieillesse.


2. I l est dans ma nature d’être malade. Je ne peux échapper à la
maladie.
3. I l est dans ma nature de mourir. Je ne peux échapper à la mort.
4. Tout ce qui m’est cher et tous ceux que j’aime, j’en serai séparé un
jour. Je ne peux échapper au fait d’être un jour séparé d’eux. Je ne peux
rien garder. Je suis venu ici les mains vides et je repartirai les mains
vides.
5. J’hérite du fruit des actions de mon corps, de mes paroles et pensées.
C’est la seule chose que je puisse emmener avec moi.
Nous devrions prendre ainsi chaque jour quelques
instants pour pratiquer chaque contemplation, tout en
suivant notre respiration. La pratique des Cinq
Remémorations permet de faire circuler la graine de la peur.
Il nous suffit de l’inviter à monter pour l’identifier et
l’étreindre avec grande douceur, et, tout naturellement, elle
pourra s’atténuer en regagnant le tréfonds.
La peur constitue un véritable terreau propice à la
croissance de la colère. Comment pourrions-nous donc être
en paix ? La peur se fonde sur l’ignorance, et ce manque de
compréhension est lui-même une des principales causes de
la colère. À l’inverse, si nous examinons régulièrement la
graine de la peur, nous serons nettement mieux préparés à
prendre soin de notre colère, qui prend naissance en son
sein.
4

Respirer, Marcher, Lâcher prise

Respirer, nous le faisons constamment, chaque jour ;


pourtant, pour beaucoup d’entre nous, il est rare de respirer
consciemment. Or la respiration consciente est un
formidable véhicule pour nous ramener à la fois à notre
corps, à nos sensations et à notre esprit. Cela ne prend guère
de temps, mais comment faire ?
Notre pratique est de revenir au moment présent, à l’Ici
et Maintenant, car c’est là que nous pouvons être
profondément en contact avec la vie. Par la respiration
consciente, nous pouvons toujours revenir à l’Ici et
Maintenant mais, si nous l’oublions, nous perdons aussi le
moment présent. La véritable pratique consiste donc à
apprendre à vivre pleinement chaque moment de notre
quotidien.
Il existe de nombreuses manières de revenir à l’Ici et
Maintenant et de toucher la vie en profondeur, et toutes
reposent sur la respiration en pleine conscience.
Parfaitement ancrés dans notre respiration consciente, nous
pouvons pratiquer à tout moment. Nous pouvons être en
pleine conscience lorsque nous marchons, faisons la vaisselle,
mangeons, etc. À défaut, nous risquons de passer à côté de
notre vie, cette vie qui ne peut être vécue que dans l’Ici et
Maintenant.
La respiration consciente est la base même de la pratique
de la pleine conscience. En respirant consciemment, je
ramène mon esprit à mon corps et, ainsi, je suis vraiment
présent. L’énergie de pleine conscience possède en elle
l’amitié et la bonté aimante. Mais comment être un véritable
ami avec nous-mêmes ou avec quelqu’un d’autre si nous ne
sommes pas pleinement présents ? En fait, ce lien d’amitié
n’est possible que si nous développons la compassion.
Et c’est précisément en pratiquant la respiration en pleine
conscience que nous pourrons développer ce lien d’amitié
avec notre corps, nos émotions, notre mental et nos
perceptions. Ce n’est qu’après avoir développé cette
véritable amitié avec nous-mêmes que nous pourrons
procéder aux transformations sur ces différents plans
(agrégats). Si nous avons la profonde intention de nous
réconcilier avec notre famille et avec des amis qui nous ont
blessés, nous devons avant tout prendre soin de nous-
mêmes. En effet, comment pourrions-nous être
véritablement à l’écoute d’une autre personne si nous ne
sommes pas capables de nous écouter nous-mêmes ? Si
nous ne savons pas comment identifier notre propre
souffrance, il sera impossible d’apporter paix et harmonie
dans nos relations.

IDENTIFIER ET APAISER LES SENSATIONS


DOULOUREUSES
Nous avons tous une certaine part de maladie en nous,
physiologique et/ou psychique. Le meilleur moyen de nous
guérir est de commencer par tout arrêter et être
entièrement dans le moment présent. Cela permet à notre
corps et à notre esprit de se soigner par eux-mêmes. Quand
nous prêtons pleinement attention à notre respiration, nous
permettons à notre inspiration et à notre expiration de
s’apaiser et de se détendre. De même, si nous marchons
avec attention, à cent pour cent dans la marche, en toute
simplicité, sans penser ni nous laisser emporter par quoi que
ce soit d’autre, nous commençons déjà à guérir.
Ainsi, dès que nous percevons que notre esprit est
emporté par une douleur vive, il est essentiel que nous
revenions à notre inspiration et à notre expiration,
détendues et paisibles. Nous acceptons cette sensation
douloureuse telle qu’elle est, sans plus nous laisser emporter
par elle ni laisser croître notre agitation. Veillons à ne jamais
combattre la douleur car ce serait lutter contre nous-
mêmes ; elle fait véritablement partie de nous, au même
titre que l’irritation et la jalousie. Alors, quand émergent les
sensations douloureuses, nous pouvons les apaiser en
revenant à notre inspiration et à notre expiration. Notre
respiration paisible calmera ces fortes émotions qui nous
habitent.
Dès qu’une émotion s’apaise, examinons la situation en
profondeur afin d’en percevoir les racines. Ainsi, nous
comprendrons que ceux qui sont à l’origine de notre
souffrance sont eux aussi en difficulté. Bien souvent, quand
nous souffrons, nous pensons être la seule personne à être
aussi mal, et que tous les autres sont heureux. Mais, en
réalité, il est fort probable que la personne qui nous a fait du
tort souffre également beaucoup et ne sache simplement pas
comment gérer ses émotions fortes. Par la respiration
consciente, nous pouvons générer l’énergie de pleine
conscience et parvenir alors à une vision plus claire, qui nous
permettra de prendre soin de notre souffrance avec
compassion, en veillant aussi à celle de l’autre personne.
Quand quelqu’un nous a fait du tort, nous avons deux
« options ». Nous pouvons penser d’une manière qui va
accroître notre colère et susciter notre volonté de
vengeance ; ou, à l’inverse, nous pouvons plutôt chercher à
apaiser cette souffrance en entrant en contact avec notre
compassion et notre compréhension, tranquillisant ainsi
notre esprit. Cette seconde manière de penser nous
permettra de comprendre que l’autre personne souffre elle
aussi, et c’est ainsi que notre colère pourra se dissiper, tout
naturellement.

RELAXATION PROFONDE
Si notre corps n’est pas serein, si nous avons trop
d’émotions fortes, alors notre respiration ne peut pas non
plus être paisible. Mais si nous nous exerçons à respirer en
pleine conscience, nous remarquerons que notre respiration
s’apaisera, devenant ainsi plus profonde, plus harmonieuse,
libérée de toute tension. La respiration en pleine conscience
ramène notre esprit à notre corps. Revenant à notre corps,
nous pouvons alors nous réconcilier avec lui. Avec la
pratique, nous prenons conscience de ce qui se passe dans
notre corps, des erreurs que nous avons commises, des
conflits que nous vivons. Peu à peu, nous percevons plus
finement ce qu’il y a lieu de faire – ou de ne pas faire – pour
être en bons termes avec lui. La respiration en pleine
conscience nous permet de reconnaître notre corps comme
notre véritable demeure. Nous pouvons pratiquer ainsi :
J’inspire, je suis conscient(e) de mon corps ;
J’expire, je souris à mon corps.

Il est toujours très bénéfique de « re-connaître » notre


propre corps et de lui sourire. Si nous disposons de dix ou
quinze minutes, nous pouvons essayer la pratique de la
relaxation profonde, qui nous aide vraiment à guérir. Pour
ce faire, nous cherchons à être dans une position confortable,
idéalement, allongée, et nous revenons à notre souffle :

J’inspire, je suis conscient(e) de mon inspiration ;


J’expire, je suis conscient(e) de mon expiration.

La relaxation totale est une pratique d’amour emplie


d’attention pour notre corps. Nous devons simplement nous
allonger, respirer et apprécier la présence de notre corps, lui
offrant ainsi l’occasion d’être là, simplement, sans rien
devoir faire.

Nous commençons par prêter attention au corps entier,


puis à ses tensions pour les détendre complètement :

J’inspire, je suis conscient(e) de tout mon corps ;


J’expire, je relâche toutes les tensions de mon corps.

Nous pouvons placer notre pleine conscience au niveau de


la tête puis descendre jusqu’aux orteils, ou bien,
inversement, remonter des pieds à la tête. Attentifs, nous
reconnaissons la présence d’une certaine partie du corps et
l’enveloppons tendrement de notre pleine conscience, pour
lui permettre de se détendre et de relâcher toute tension.
Ensuite, nous commençons à pratiquer la pleine
conscience de chaque partie de notre corps :

J’inspire, je suis conscient(e) de mon cerveau ;


J’expire, je souris à mon cerveau.

Nous pouvons prendre une inspiration et une expiration


pour chaque partie du corps ou dix inspirations et
expirations pour chacune d’elles. L’essentiel étant de
parcourir toutes les parties de notre corps, en le balayant
d’un « scan », tel un rayon de pleine conscience.

J’inspire, je suis conscient(e) de mes yeux ;


J’expire, je souris à mes yeux.

Je permets à mes yeux de se détendre parce qu’ils sont


souvent porteurs de nombreuses tensions. C’est pour cela
que le sourire est excellent ; il détend notre visage, et nous
pouvons l’envoyer ensuite à chacune des autres parties de
notre corps.
Un seul sourire peut déjà produire des miracles. En effet,
notre visage compte des centaines de muscles qui, sous
l’effet de la colère ou de la peur, se contractent, accumulent
et gardent de nombreuses tensions. Au contraire, si nous
savons comment respirer en étant pleinement conscients de
ces muscles tendus, puis expirer en leur souriant, nous les
aiderons à se détendre complètement. Un simple cycle
d’inspiration/expiration peut transformer notre visage.
J’autorise mes yeux à relâcher la tension et je leur envoie
mon sourire. En parfaite conscience de mes yeux, je leur
souris avec amour. Mes yeux sont merveilleux.
Nous plaçons ensuite notre pleine conscience au niveau
des oreilles :

J’inspire, je suis conscient(e) de mes oreilles ;


J’expire, je souris à mes oreilles.

Et nous poursuivons avec les épaules :

J’inspire, je suis conscient(e) de mes épaules ;


J’expire, je souris à mes épaules.

Nous aidons nos épaules à se relâcher et à éviter les


raideurs.

Quand nous arrivons à nos poumons, nous pouvons les


baigner d’amour :

J’inspire, je suis conscient(e) de mes poumons ;


J’expire, je souris à mes poumons.

Ils travaillent si dur, et je ne leur offre pas assez d’air pur.


Sans oublier notre cœur qui bat nuit et jour pour nous :

J’inspire, je suis conscient(e) de mon cœur ;


J’expire, je souris à mon cœur.

Je suis décidé à prendre soin de lui, et m’abstiendrai de


fumer ou de boire. Je tiens vraiment à mon cœur.
Nous parcourons ainsi tout notre corps, le balayant de
notre rayon de pleine conscience, le reconnaissant,
l’étreignant, lui souriant. Nous prenons tout le temps qui
nous semble nécessaire, que ce soient dix, quinze ou vingt
minutes, pour scanner lentement notre corps avec l’énergie
de pleine conscience. Souriant à chaque organe, nous aidons
ainsi notre corps à apaiser ses tensions.
Si une partie de notre corps est douloureuse ou malade,
consacrons-lui plus de temps pour la reconnaître et
l’envelopper tendrement dans les bras de notre pleine
conscience. Si nous lui sourions et l’étreignons avec cette
énergie, nous l’aiderons à s’apaiser et se guérir. Quand nous
souffrons physiquement, la pleine conscience nous aidera à
percevoir qu’il ne s’agit que d’une douleur physique ; et c’est
précisément grâce à cette conscience que nous pourrons
nous détendre et guérir plus rapidement.

AUCUNE DISTINCTION ENTRE LA FIN ET LES


MOYENS
Avec la marche en pleine conscience, nos pas ne se
limitent plus à un simple moyen d’arriver à un endroit
précis. Marchant en pleine conscience vers la cuisine pour
nous servir un repas, nos habituelles pensées – « Je dois
aller à la cuisine pour prendre de la nourriture » – peuvent
alors faire place à une tout autre phrase – « Je savoure ma
marche vers la cuisine ». Chacun de nos pas devient alors le
but en soi. Il n’existe plus de distinction entre la fin et les
moyens. Il n’y a pas de chemin vers le bonheur, le bonheur
est le chemin. Il n’existe pas de chemin vers l’éveil, l’éveil
est le chemin.
Ainsi, chaque fois que nous faisons un pas en pleine
conscience, nous sommes engagés dans un acte d’éveil. Nous
nous éveillons au fait que nous sommes en train de faire un
pas. Chacun de nos pas peut être empli de beauté. Laver un
plat peut alors devenir un véritable acte d’éveil. Faire la
vaisselle peut se transformer en un moment délicieux.

PRENDRE SOIN DES SENSATIONS DOULOUREUSES


Dès que nous savons comment prendre bien soin de notre
corps par l’approche de la pleine conscience, nous pouvons
accéder au domaine des sensations. Méditer sur les
sensations implique d’être conscient de chaque ressenti qui
émerge, qu’il soit agréable, désagréable, neutre ou mixte.
Mais avant de prendre soin des sensations désagréables, il
est préférable d’apprendre à nous concentrer en priorité sur
des sensations qui ne le sont pas.
Le Bouddha nous conseille de générer les sensations de
joie et de bonheur, dans le but de nous nourrir, avant de
prendre soin de nos sensations douloureuses. À l’instar du
chirurgien qui, estimant que son patient est trop faible pour
subir une opération, lui recommanderait de prendre d’abord
un peu de repos et de bien se nourrir afin de supporter
l’intervention, nous avons besoin de renforcer nos
fondations de joie et de bonheur avant de nous consacrer à
notre souffrance. Nous pouvons commencer avec la joie, car
Joie et Bonheur sont toujours disponibles dans notre
conscience, sous la forme de graines.

J’inspire, je suis conscient(e) de la sensation de joie en moi ;


J’expire, je souris à la sensation de joie en moi.
J’inspire, je suis conscient(e) de la sensation de bonheur en moi ;
J’expire, je souris à la sensation de bonheur en moi.

LAISSER FAIRE
Comment pouvons-nous générer les sentiments de joie et
de bonheur dont nous avons besoin afin d’être assez fort
pour nous occuper de notre souffrance ? La première chose
à faire est de relâcher, de laisser faire, car la joie prend
racine dans le lâcher-prise.
Supposons maintenant que nous vivions dans une grande
ville, à New York ou à Paris. Nous souffrons du bruit, de la
pollution et de la poussière qui partout y règnent en maîtres.
Nous rêvons de fuir à la campagne, le temps d’un week-end
ou davantage, mais nous savons qu’il nous faudra peut-être
une heure pour quitter la ville. Et pourtant nous y allons, car
nous savons que cela en vaudra vraiment la peine. Une fois à
la campagne, nous savourons l’air frais : nous contemplons
les collines, les arbres, les nuages, le ciel bleu. Nous sommes
envahis d’un tel bonheur que nous oublions bien vite la ville
que nous avons délaissée, au profit de l’expérience d’une
telle beauté.
Mais nous constaterons bien vite que nous ne parvenons
pas à retenir cette joie et ce bonheur éternellement. Comme
nous avons certainement déjà tous pu en faire l’expérience,
il est probable qu’après quelques semaines nous aurons
terriblement envie de regagner notre ville, Paris ou New
York. Nous sommes très heureux les premiers jours à la
campagne, mais nous n’avons pas la capacité de nourrir et
d’entretenir cette joie et ce bonheur pendant très
longtemps. Nous souffrons, nous ressentons une grande
impatience à rentrer. Nous croyons que notre « chez-moi »
est là-bas, home sweet home. Ainsi, quand nous rentrons
dans notre ville, nous touchons à nouveau à la joie et au
bonheur, car nous sommes de retour « chez nous »... mais
cela ne va pas durer car le mal-être reviendra bien vite.
C’est ainsi que nous faisons des allers et retours incessants.
Et le phénomène est tel dans notre société moderne que,
aujourd’hui, nombreuses sont les personnes qui possèdent
une résidence secondaire, de façon à pouvoir fuir
régulièrement leur situation, et à y retourner ensuite...
La joie et le bonheur sont de nature impermanente. Ils
ont besoin d’être nourris pour durer plus longtemps. Mais si
nous ne connaissons pas la manière de les alimenter, ils
risquent de disparaître. Au bout de quelque temps, nous
perdrons notre capacité à savourer la joie et le bonheur,
alors qu’ils sont toujours là, disponibles pour nous. Cette joie
et ce bonheur ont la capacité de nous nourrir, voire de nous
guérir, mais à eux seuls ils ne sont pas assez forts pour
transformer la profonde souffrance enfouie au fond de notre
conscience.

SOUS LA SURFACE
En surface, l’océan est généralement calme, mais il
masque de nombreux courants dans ses profondeurs. Si
notre pratique ne nous a pas encore permis d’atteindre le
bloc de souffrance transmis par nos ancêtres et par nos
parents, et que nous n’avons donc pas encore pu le
transformer, cette fine couche de tranquillité ne nous sera
accessible que durant une période de temps limitée. De
temps en temps, en effet, le bloc de souffrance enfoui
émergera. Il n’est donc pas suffisant de nous accrocher à ce
type de joie et de bonheur car, au bout d’un moment, nous
commencerons à éprouver des difficultés, sans savoir quel
est notre véritable problème, notre blessure réelle. Notre
souffrance est peut-être celle de notre père, qu’il nous a
léguée en héritage ; ou bien celle héritée de notre mère, si
elle n’a pas pu la transformer. Si notre pratique reste
superficielle, la tranquillité, la joie et le bonheur auxquels
nous accéderons resteront superficiels eux aussi. Une telle
pratique n’est donc ni assez forte ni assez efficace pour
transformer la grande souffrance enfouie à la base de notre
conscience.
Comme nous ne connaissons pas la nature de notre
blessure, notre conscience n’est pas en mesure d’éclairer ni
d’identifier sa présence cachée dans les profondeurs de
notre inconscient. Et c’est ainsi que nous n’avons de cesse
d’incriminer ceci ou cela comme éléments responsables de
notre souffrance. Nous accusons certaines personnes ou
situations d’être à la source de notre malheur et, si nous
vivons en famille ou en communauté, nous nous surprenons
sans doute à penser : « Ma famille ne se montre pas assez
respectueuse de l’environnement », ou : « Cette
communauté fait encore preuve de discrimination envers
les homosexuels et les lesbiennes », et ainsi de suite. La vie
regorge d’exemples comme ceux-là, de difficultés sociales.
C’est pour éviter ce type d’écueils, où nous accusons trop
facilement les situations extérieures à nous d’être
responsables de notre souffrance, qu’il est essentiel que
chacun, chacune, nous revenions à nous-mêmes, afin de
reconnaître notre propre souffrance et de l’entourer de
toute notre tendresse. Mais nous devrons
vraisemblablement aussi accepter que cette pratique nous
apporte parfois son lot d’inconfort.
Nous pouvons comparer cela au melon amer, un légume
typique d’Asie. En vietnamien, « amer » se dit khô. Or, khô
signifie aussi « souffrance ». Ce qui est amer est donc associé
à la souffrance ; ce melon tire ainsi son nom de sa saveur. Si
nous n’avons pas l’habitude de manger du melon amer, nous
risquons de souffrir lorsque nous le goûterons. La médecine
chinoise considère pourtant que l’amertume est bonne pour
notre santé. La saveur de ce melon est certes amère, mais
sa dégustation attentive pourra aussi nous en révéler toute
la fraîcheur, ce qui incite d’ailleurs certaines personnes à le
renommer et l’appeler « melon rafraîchissant ». Ce légume
est donc à la fois frais et amer, mais il est largement
apprécié par ceux qui le consomment régulièrement. Nous
aimons son amertume ; c’est amer mais c’est délicieux et
cela nous fait du bien.

LÂCHER PRISE
Un jour où le Bouddha était assis dans la forêt, entouré de
plusieurs moines, un paysan s’approcha. Ses vaches
s’étaient enfuies et il demanda aux moines s’ils les avaient
vues passer. Le Bouddha répondit : « Non, nous n’avons pas
vu passer vos vaches par ici, vous devriez peut-être les
chercher dans une autre direction. » Puis, quand le fermier
fut parti, le Bouddha se tourna vers ses moines, sourit, et
dit : « Chers amis, vous devriez être très heureux. Vous
n’avez aucune vache à perdre. »
Une pratique que chacun de nous peut faire consiste à
prendre une feuille de papier et à y inscrire les noms de nos
vaches. Ensuite, nous pourrons examiner notre situation en
profondeur afin de sentir si nous nous sentons capables d’en
relâcher quelques-unes. Peut-être nous sommes-nous
persuadés que ces choses étaient cruciales pour notre bien-
être, mais, si nous prenons la peine de regarder en
profondeur, nous constaterons que certaines d’entre elles
sont un obstacle à notre joie et à notre bonheur véritables.
À ce propos, je me souviens d’un homme d’affaires qui
était venu à une retraite en Allemagne et qui, entendant
l’histoire des vaches échappées, avait éclaté de rire. Je
l’invitai alors à poursuivre la retraite, mais il m’expliqua
qu’il avait trop à faire. C’était un businessman, il devait aller
en Italie pour ses affaires, et il avait beaucoup de choses à
régler, alors il nous dit au revoir. Mais, le jour suivant, quelle
ne fut pas ma surprise de le revoir assis parmi les autres
retraitants. Il m’expliqua alors qu’il était à mi-chemin vers
l’Italie quand il avait fait demi-tour. Il avait été capable de
relâcher une vache à laquelle il pensait devoir s’agripper et il
en était particulièrement heureux.

PLEINE CONSCIENCE
La première source de joie et de bonheur est le lâcher-
prise. Cependant, si nous nous limitions à cela, notre joie
resterait superficielle et de courte durée. C’est ainsi que,
grâce à la pleine conscience, nous disposons d’une deuxième
source de bonheur. Supposons que nous soyons avec un
groupe de personnes, à contempler un lever de soleil. Si
notre esprit est préoccupé par nos projets ou nos soucis,
pensant au futur ou au passé, il nous est impossible d’être
vraiment là pour contempler et savourer ce splendide lever
de soleil car nous manquons de pleine conscience. À
l’inverse, si nous veillons à revenir en nous par la respiration
consciente, pleinement présents à notre inspiration et à
notre expiration, nous pouvons ramener notre esprit
totalement au moment présent, nous libérant ainsi du passé,
du futur et de tout projet, corps et esprit parfaitement
unifiés. La pleine conscience nous permet d’être totalement
présents afin d’observer, de contempler et de savourer
profondément le lever de soleil qui s’offre à nous.
Nous pourrions illustrer cela à l’aide d’un autre exemple.
Supposons que nous recevions la visite d’un ami ou d’une
amie venu(e) de loin et que nous partagions un beau
moment avec cette personne, autour d’une tasse de thé.
Notre pleine conscience fera de ce temps partagé avec elle
un moment inoubliable. Un temps où nous ne pensons à
rien, où nous ne nous inquiétons ni de nos projets ni de nos
affaires, uniquement concentrés sur ce moment partagé
avec notre ami(e). Pleinement conscient de sa présence,
nous nous réjouissons de ce moment et nous goûtons au
bonheur de pouvoir nous asseoir, avec lui, avec elle,
savourant le partage d’une tasse de thé.
Dans la tradition bouddhique, il existe une petite nuance
entre la joie et le bonheur. Supposons que nous traversions
seuls le désert et que nous nous retrouvions à court d’eau,
particulièrement assoiffés. Tout à coup, nous apercevons
une oasis devant nous. Nous savons qu’il y aura des arbres
et un lac dont nous pourrons boire l’eau. Cette prise de
conscience nous apporte beaucoup de joie. Nous savons que
nous allons enfin pouvoir nous reposer et boire. Cette
sensation se nomme Joie. Ensuite, lorsque nous parvenons
enfin à l’oasis et que nous nous asseyons à l’ombre des
arbres, que nous nous agenouillons et faisons une coupe de
nos mains afin de boire l’eau tant attendue, ce à quoi nous
goûtons à ce moment-là s’appelle Bonheur. La joie éprouvée
à la vue de l’oasis comportait donc davantage une dimension
d’excitation.
Joie et bonheur sont tous deux indispensables. Si nous
ressentons de la souffrance pendant la méditation assise, la
méditation marchée ou la relaxation totale, c’est que nous ne
pratiquons peut-être pas correctement. Nous ne devrions
pas souffrir à cause de la méditation ; ce n’est pas un travail
pénible. Au contraire, la méditation devrait nous apporter
de la joie et du bonheur comme nourriture. Avec cette joie et
ce bonheur dans notre vie, nous serons alors suffisamment
forts pour prendre soin des blocs de souffrance, de tristesse,
voire de désespoir qui sont en nous.
Tous les gestes que nous faisons au quotidien devraient
nous apporter joie et bonheur, qu’il s’agisse de nous brosser
les dents, de préparer notre petit déjeuner ou de nous
rendre à la salle de méditation. Chaque pas, chaque
respiration devrait nous combler. La vie est déjà pleine de
souffrances ; nul besoin d’en créer davantage...

LAISSER RESPIRER LE BOUDDHA


Il y a une dizaine d’années, j’étais à Séoul, en Corée du
Sud. La police avait fait en sorte que nous puissions avoir
une marche méditative en ville et avait donc dégagé la voie.
Mais quand la marche a démarré, j’ai trouvé cela très
difficile de marcher car des centaines de photographes
barraient la route. Il n’y avait pas du tout de passage pour
marcher. J’ai dit au Bouddha : « Cher Bouddha, j’abandonne.
Marche pour moi. » Le Bouddha est arrivé immédiatement
et il a marché. Le chemin s’est dégagé. À la suite de cette
expérience, j’ai écrit une série de poèmes de pratique
auxquels nous pouvons recourir en toutes circonstances, et
tout particulièrement quand nous nous sentons en grande
difficulté pour marcher ou respirer.
Je laisse respirer le Bouddha,
Je laisse marcher le Bouddha.
Je n’ai pas à respirer,
Je n’ai pas à marcher.

Le Bouddha respire,
Le Bouddha marche.
Je savoure la respiration,
Je savoure la marche.

Bouddha est la respiration,


Bouddha est la marche.
Je suis la respiration,
Je suis la marche.

Il n’y a que la respiration,


Il n’y a que la marche.
Il n’y a personne qui respire,
Il n’y a personne qui marche.

Paix en respirant,
Paix en marchant.
La paix est la respiration,
La paix est la marche.

De prime abord, nous avons sans doute la conviction qu’il


doit y avoir quelqu’un pour que la respiration soit possible,
qu’il doit y avoir quelqu’un pour que la marche ait lieu. En
réalité, la marche et la respiration se suffisent à elles-
mêmes. Nous n’avons pas besoin d’un marcheur, nous
n’avons pas besoin de quelqu’un qui respire. Nous pouvons
simplement prendre conscience que la marche est en cours ;
observer que la respiration a lieu.
Prenons l’exemple de la pluie. Nous avons l’habitude de
dire que la pluie tombe. Cette expression est plutôt
amusante car, si la pluie ne tombe pas, ce n’est pas de la
pluie. La pluie est donc la chute elle-même. Nul besoin d’un
« pleuveur ». Seule la pluie suffit. Il en va de même pour le
vent ; quand nous disons qu’il souffle, c’est tout aussi
curieux car s’il ne soufflait pas, ce ne serait pas du vent.
Nous n’avons pas besoin d’un « souffleur ». Pluie et Vent se
suffisent donc à eux-mêmes, et c’est tout à fait pareil pour la
marche. Quand je me réfère au Bouddha en train de
marcher, c’est juste la marche, toute simple, mais elle est de
très haute qualité, délicieuse, en pleine conscience. Elle nous
apporte en effet beaucoup de paix et de joie. Le Bouddha est
précisément cette respiration-là ; il est cette marche. C’est
parce qu’elle présente beaucoup de paix et de joie que l’on
peut dire que c’est une marche en pleine conscience.
5

Transformer la souffrance

Que pouvons-nous faire pour transformer les graines de


souffrance parfois si profondément enracinées en nous ? La
pratique nous offre trois façons de les traiter.
La première consiste à semer et arroser nos graines de
bonheur. Dans ce cas, nous n’abordons pas directement les
graines de souffrance, mais nous faisons en sorte qu’elles
puissent être transformées par nos semences de bonheur.
C’est une transformation indirecte.
La deuxième manière de gérer notre souffrance est de
cultiver la pleine conscience en permanence. Ainsi, lorsque
les graines émergeront, nous serons en mesure de les
identifier. Nous les baignerons alors dans la lumière de notre
pleine conscience. Nos graines sont un champ d’énergie, et la
pleine conscience est une formidable énergie elle aussi. C’est
ainsi que notre pleine conscience pourra transformer nos
graines de souffrance, leur permettant de s’affaiblir au
contact de son énergie.
La troisième solution qui s’offre à nous pour prendre soin
des afflictions qui nous accompagnent depuis notre plus
tendre enfance est de les inviter délibérément à monter
dans notre conscience mentale. Nous pouvons inviter la
tristesse, le désespoir, les regrets, les désirs qu’il nous était
difficile de contacter dans le passé, et simplement nous
asseoir pour bavarder avec eux, comme avec de vieux amis.
Prenons toutefois la précaution d’allumer notre lampe de
pleine conscience avant de les inviter à monter, et veillons à
ce que sa lumière soit suffisamment stable et forte.

RECONNAÎTRE LA SOUFFRANCE
Supposons que nous pratiquions la méditation marchée
pour entrer en contact avec les merveilles de la vie. Tout à
coup, au cours de la marche, un souvenir de notre enfance
remonte à notre esprit, et les sentiments de souffrance, de
peur et de désespoir refont surface. De ce fait, bien que nous
marchions, nous ne parvenons plus à savourer notre
marche. Nous ne sommes plus au paradis ; nous sommes en
enfer, aux prises avec notre souffrance. Dans une telle
situation, la première démarche à faire est de reconnaître :
« La souffrance est en moi. »

J’inspire, je sais que les sentiments de souffrance, de désespoir, de


tristesse, de peur sont en moi ;
J’expire, j’ouvre les bras tendrement à cette sensation de souffrance.

Avec pleine conscience et concentration, nous pouvons


revenir au souvenir et comprendre ce qui l’a fait remonter.
« Je ressens ceci parce que j’ai été en contact avec cela. »
Grâce à la pleine conscience et à la concentration, nous
sommes capables de répondre à cette image, comprenant à
présent que nous ne sommes plus un enfant démuni.
Aujourd’hui, nous sommes adultes, solides, et capables de
nous protéger nous-mêmes.
Certains d’entre nous sont arrivés en Occident comme
immigrants. Nous sommes nombreux à avoir dû
abandonner l’Asie du Sud-Est, traverser les océans comme
boat people pour nous réfugier en Occident. Au cours de ces
voyages, nous étions terrorisés. À tout moment, nous
aurions pu nous noyer. Nous aurions pu être tués ou blessés
par des requins ou des pirates. Ceux d’entre nous qui ont
fait ce voyage ont encore présentes à l’esprit les images de
tous ces dangers.
Désormais, nous avons atteint l’autre rive. Nous avons été
acceptés comme réfugiés et nous sommes sur la terre ferme.
Mais il nous arrive d’oublier que nous sommes maintenant
en toute sécurité. Quand nous retouchons aux images de
cette période, nous nous laissons malgré tout gagner par la
souffrance qui les accompagne. Même si la souffrance
appartient au passé lointain, elle a tendance à remonter
chaque fois que nous sommes confrontés à ces souvenirs.
Beaucoup d’entre nous restent prisonniers du monde des
images alors qu’en réalité ce ne sont que des images ; elles
ne correspondent plus à la réalité d’aujourd’hui. Inspirant et
expirant en pleine conscience, nous pouvons développer
cette sagesse, cette vision profonde. Imaginons posséder
encore une photographie de l’océan où nous avons craint de
nous noyer. Quand nous regardons cette photo, nous
ressentons la souffrance et la peur qui ont accompagné
l’événement passé. Mais la pleine conscience et la
concentration peuvent nous éclairer sur la réalité : ceci n’est
qu’une image, ce n’est pas l’océan. Nous pouvons nous noyer
dans l’océan, mais pas dans une image.
Nous constatons donc qu’en prenant soin de nos
formations mentales de désespoir et de souffrance, en les
observant plus finement, nous percevrons clairement que
ceci est né de cela. La souffrance est apparue parce que
nous avons été en contact avec une image du passé. Or,
aujourd’hui, nous sommes en sécurité et nous avons la
capacité de jouir des merveilles de la vie dans l’instant
présent. Dès lors que nous réalisons que notre souffrance est
fondée sur des images du passé et n’appartient pas à la
réalité actuelle, le bonheur dans l’instant présent nous est
directement accessible. Et c’est précisément là que réside le
merveilleux pouvoir de la pleine conscience et de la
concentration.

« MANAS »
Une des raisons principales qui nous poussent à éviter le
contact avec notre enfant intérieur est que nous craignons la
souffrance. Cela s’explique par la présence de Manas, cette
partie de notre conscience située entre la conscience du
tréfonds et la conscience mentale dont la caractéristique est
de nous pousser à rechercher constamment le plaisir,
évitant à tout prix la souffrance. Manas nous fait croire que
nous sommes dotés d’un soi séparé et c’est précisément
avec cette illusion et la discrimination qui en découle que
naît toute notre souffrance.
Quand un poisson voit un appât attirant, il a tendance à
mordre dedans. Il ne sait pas qu’un hameçon s’y cache et
qu’en mordant à l’appât il sera tiré hors de l’eau. Notre
pleine conscience peut nous éclairer quant aux dangers
d’une recherche permanente du plaisir. Nous pourrons alors
arroser les graines de sagesse dans notre conscience du
tréfonds, de façon à faciliter la transformation de Manas.
C’est la fonction que remplit notre conscience mentale.
LES SIX CARACTÉRISTIQUES DE « MANAS »
Manas présente de nombreuses caractéristiques. Sa
première tendance est de toujours s’intéresser à la
recherche du plaisir, et sa deuxième est de tenter d’éviter la
souffrance. Troisièmement, Manas a la fâcheuse habitude
d’ignorer les dangers de cette recherche du plaisir. Or, il est
vrai que si nous n’avons de cesse de poursuivre les plaisirs
sensuels, nous risquons de détruire notre corps et notre
esprit. À l’inverse, si nous prenons la peine d’examiner en
détail l’objet de notre convoitise, nous pourrons en discerner
les nombreux dangers.
La quatrième caractéristique de Manas est d’ignorer les
bienfaits de la souffrance alors que cette dernière peut, elle
aussi, présenter nombre d’effets bénéfiques. Nous avons
tous besoin d’une certaine quantité de souffrance pour notre
croissance, afin de comprendre et de cultiver notre
compassion, notre joie et notre bonheur. Nous ne pouvons
apprécier pleinement bonheur et joie que si, en
comparaison, nous avons déjà été en contact avec la
souffrance.
Si nous n’avions pas souffert de la guerre, nous ne serions
pas en mesure d’apprécier la paix. Si nous n’avions pas
souffert de la faim, nous ne pourrions pas apprécier
pleinement le pain que nous tenons en main. C’est
merveilleux d’avoir quelque chose à manger ; nous ne
pouvons véritablement goûter à ce bonheur que si nous
savons ce qu’est la faim.
Nous traversons tous des moments particulièrement
dangereux dans notre vie. Et si nous repensons à ces
moments que nous avons connus, nous pouvons
véritablement savourer la sécurité de l’instant que nous
vivons maintenant. C’est grâce à notre souffrance, en la
comprenant, en la touchant de tout près que nous avons la
possibilité de développer et de laisser croître compréhension
et compassion dans notre vie.
Je ne voudrais pas envoyer mes amis ni mes enfants dans
un endroit préservé de toute souffrance car, dans un tel lieu,
ils n’auraient pas l’opportunité d’apprendre à cultiver la
compréhension et la compassion. Le Bouddha nous a
d’ailleurs enseigné qu’en l’absence de souffrance nous
n’aurions jamais la possibilité d’apprendre. Lui aussi a
beaucoup souffert ; et c’est précisément grâce à sa
souffrance qu’il a pu atteindre l’éveil. Nous devons aller vers
le Bouddha avec toute notre souffrance. La souffrance est le
chemin. C’est à travers elle que nous trouverons la voie de
l’illumination, de la compassion et de l’amour. En examinant
en détail la nature de notre tristesse, de notre peine, de
notre souffrance, nous trouverons la sortie. À l’inverse, si
nous ne savons pas ce qu’est la souffrance, aucun chemin ne
nous mènera au Bouddha, à l’éveil, et nous ne connaîtrons
jamais la possibilité d’entrer en contact avec la paix et
l’amour. C’est précisément parce que nous avons souffert
que nous avons maintenant une chance de trouver la voie
menant à la libération, à l’amour et à la compréhension.
La tendance à fuir la souffrance est présente en chacun de
nous. Nous pensons qu’en recherchant les plaisirs nous
éviterons de souffrir. Malheureusement, cela ne fonctionne
pas ainsi ; au contraire, cela nous empêche de grandir et
d’être heureux. Le bonheur est impossible en l’absence de
compréhension, de compassion, et d’amour. Et, de son côté,
l’amour ne nous sera accessible que si nous comprenons
notre souffrance et celle de l’autre personne. C’est donc en
acceptant de toucher notre souffrance que nous pourrons
développer amour et compassion, tous deux indispensables
au bonheur, le nôtre comme celui des personnes qui nous
entourent. Nous portons tous en nous les graines de
compassion, de pardon, de joie et de « non-peur ». Mais si
nous essayons constamment d’éviter la souffrance, nous ne
laisserons jamais à ces semences bénéfiques la possibilité de
germer.
Au Village des Pruniers, dans le Hameau du Haut où je
vis, nous avons un étang de lotus. Nous savons qu’un lotus
ne peut pas pousser sans boue ; elle est indispensable à sa
vie. Il serait impossible de faire pousser la fleur sur du
marbre. C’est pareil pour nous tous ; la boue joue un rôle
vital dans la croissance du lotus, tout comme la souffrance
est vitale au développement de notre compréhension et de
notre compassion.
Nous devons étreindre notre souffrance et l’examiner en
profondeur car nous avons beaucoup à apprendre d’elle.
Lorsque la graine de peur, logée au plus profond de notre
tréfonds, émerge au niveau de notre conscience mentale,
notre pratique consiste à inviter la graine de pleine
conscience à se manifester à son tour. Car c’est grâce à elle
que nous pouvons être totalement présents et ainsi
reconnaître et accueillir tendrement notre souffrance, et non
plus la fuir. Dans les premiers temps, notre pleine
conscience ne sera sans doute pas assez solide pour contenir
notre douleur et notre tristesse. Par la suite, en pratiquant,
surtout si nous avons la chance d’avoir le soutien d’un
groupe ou d’une communauté, notre pleine conscience va se
renforcer suffisamment pour nous permettre de soutenir
douleur, tristesse et peur.
Nous savons donc maintenant que nous avons tous besoin
d’une certaine dose de souffrance pour développer notre
compréhension et notre compassion. Mais il est inutile d’en
créer davantage ; la souffrance en nous et autour de nous
est déjà largement suffisante ! Faisons confiance à notre
conscience mentale ; elle a la capacité d’apprendre en
observant la souffrance, et elle peut à son tour
communiquer ce savoir à notre conscience du tréfonds.
La cinquième caractéristique de Manas est de tout
ignorer de la loi de modération. Et, là encore, notre
conscience mentale entre en jeu afin de lui rappeler cette
sagesse. Si nous pratiquons la respiration consciente, nous
pourrons aider notre conscience mentale à utiliser la vision
profonde, afin d’identifier Manas et toutes ses illusions,
reconnaissant ainsi la présence des nombreuses graines de
sagesse disponibles au sein même de notre tréfonds. Quand
la conscience mentale œuvre ainsi, sa concentration porte
alors sur l’inter-être, l’interconnexion et sur la non-
discrimination. Et c’est de cette concentration que pourra se
manifester la vision profonde, et parfois étonnamment vite
d’ailleurs !
Enfin, la sixième caractéristique de Manas est qu’il
cherche constamment à obtenir, s’approprier et posséder
tout ce dont il a envie. L’avidité est l’une de nos pulsions les
plus fortes. C’est d’ailleurs elle qui engendre la jalousie et qui
nous pousse à vouloir posséder personnes et objets. Mais si
nous considérons la vie sous l’angle de l’inter-être, nous
comprendrons qu’il n’y a rien à posséder.
TRANSFORMER « MANAS »
La pleine conscience va nous aider à transformer Manas.
En respirant consciemment, nous aiderons notre mental à
regarder la situation en profondeur afin d’identifier Manas
et tout son cortège d’illusions, réalisant ainsi que la graine de
sagesse est disponible au cœur même de notre conscience du
tréfonds. Dès qu’il est transformé, Manas incarne alors la
sagesse de la non-discrimination (nirvikalpajñana, en
sanskrit).
Il existe un conte qui décrit très bien la non-
discrimination. C’est l’histoire du petit grain de sel qui
voulait savoir à quel point l’eau de mer était salée. « Je suis
un grain de sel. Je suis très salé et je voudrais savoir si l’eau
de mer est aussi salée que moi. » C’est alors qu’arriva un
enseignant qui lui répondit : « Mon cher petit grain de sel, la
seule manière pour toi de vraiment savoir quelle est la
salinité de l’océan, c’est de sauter dedans. » C’est ainsi que le
grain de sel sauta dans la mer et ne fit plus qu’un avec l’eau,
et sa compréhension fut parfaite.
Nous ne pouvons véritablement comprendre quelqu’un ou
quelque chose que si nous faisons un avec cette personne ou
cette chose. En effet, si l’on considère le terme
« comprendre », son origine latine nous rappelle qu’il signifie
littéralement « prendre quelque chose et fusionner avec ».
Comment pourrions-nous comprendre quelqu’un ou
quelque chose si nous nous en sentons séparés ?
La pratique de la méditation consiste précisément à
porter sur la réalité un regard tel qu’il n’existe plus de
frontière entre sujet et objet. Nous devons supprimer cette
barrière qui sépare celui qui observe et l’objet de son
observation. Si nous voulons comprendre quelqu’un, nous
devons nous mettre dans sa peau. Pour que des amis ou des
proches puissent parvenir à une compréhension mutuelle
authentique, ils doivent pouvoir endosser le personnage l’un
de l’autre. La seule manière de comprendre complètement
est de devenir l’objet de notre compréhension. Elle sera
réelle et profonde lorsque nous aurons pu abolir la frontière
entre nous-mêmes et l’objet de notre compréhension.
Prenons l’exemple des cadeaux et supposons que nous en
offrions un à quelqu’un. Avec la sagesse de la non-
discrimination, nous percevrons qu’il n’y a ni donneur, ni
receveur. Au contraire, si nous restons prisonniers de l’idée
que nous sommes la personne qui offre et que l’autre est
celle qui reçoit, notre don ne sera pas parfait. Si nous
choisissons d’offrir quelque chose à une personne, c’est
parce qu’elle a besoin ou envie de ce que nous avons ; notre
geste est tout naturel. Quand nous pratiquons vraiment la
générosité, il ne nous viendra pas à l’esprit de nous dire :
« C’est un ingrat. »
En pratiquant la pleine conscience, nous pourrons alors
commencer à repérer la présence de Manas en nous. Si nous
sommes vigilants aux six tendances de Manas, nous serons
en mesure d’utiliser la pleine conscience, la concentration et
la vision profonde afin de transformer ces habitudes
négatives et de faire éclore la sagesse de la non-
discrimination. Si, au lieu de fuir notre souffrance, nous
acceptons de la reconnaître, de l’étreindre avec grande
douceur et de l’examiner attentivement, elle pourra se
transformer peu à peu, ouvrant alors la voie à la libération
et à l’éveil.
Il est essentiel pour chacun de nous de prendre le temps
de définir ce qui est nécessaire à notre bonheur. Il est tout
aussi important de pouvoir évaluer les besoins des membres
de notre famille, de notre communauté et de notre société.
En effet, dès que nous aurons pu en identifier les objectifs,
nous pourrons déployer les moyens nécessaires et agir
concrètement afin de procurer la nourriture, la démocratie
et la liberté dont tous ont tant besoin. Nos actions prennent
racine dans nos objectifs ; ils définissent le travail que nous
avons à accomplir pour contribuer à orienter la société dans
une direction positive. Pour déterminer si nos actions sont
bonnes ou mauvaises, nous veillerons à ce qu’elles mènent à
notre vision ultime.

LA SAGESSE DE LA NON-DISCRIMINATION
La discrimination entre ceci et cela, de ceci contre cela,
engendre toujours beaucoup de souffrance. Or, dans notre
conscience du tréfonds, nous disposons d’une graine qui
permet de transformer Manas : la sagesse de la non-
discrimination. Il est essentiel que notre conscience mentale
puisse identifier cette graine de sagesse enfouie au sein
même de notre tréfonds et qu’elle puisse ainsi l’aider à se
manifester. Si nous pratiquons la respiration consciente et la
vision profonde, nous pourrons à notre tour faciliter la
manifestation de la sagesse de la non-discrimination.
Celle-ci est présente en chacun de nous. Prenons
l’exemple de ma main droite ; elle invite la cloche et écrit
des poèmes et fait plein d’autres choses. Ma main droite
porte en elle la sagesse de la non-discrimination, car jamais
elle ne dira à ma main gauche : « Main gauche, tu ne me
sembles pas douée pour quoi que ce soit. C’est moi qui écris
tous les poèmes. C’est moi qui fais de la calligraphie. » La
communication et la collaboration entre les deux mains sont
parfaites ; jamais la main droite ne se considère comme
supérieure à la main gauche ! Elles ne connaissent ni le
complexe de supériorité, ni celui d’infériorité, ni même celui
de l’égalité. En effet, si nous entrons dans la comparaison,
nous nous considérerons toujours soit comme supérieurs,
soit comme inférieurs à l’autre, ou tenterons d’être son égal.
Mais ce genre de comparaison engendre la discrimination, et
c’est d’elle que naît ensuite la souffrance.
Les cellules de notre corps collaborent les unes avec les
autres, sans discrimination. Un jour, ma main gauche tenait
un clou et ma main droite un marteau. J’essayais d’installer
un tableau et je n’étais pas très attentif. Et, au moment de
frapper avec le marteau, j’ai confondu clou et main... Ma
main droite a immédiatement posé le marteau et s’est
occupée de ma main gauche, comme si elle prenait soin
d’elle-même. Et comme ma main gauche possède la sagesse
de la non-discrimination, elle ne s’est pas mise en colère
contre la droite. À son tour, ma main droite n’a pas dit à la
gauche : « Regarde comme je prends soin de toi. À l’avenir,
tâche de t’en rappeler. » Ma main gauche n’a pas dit non
plus : « C’est injuste ! Je demande réparation, donne-moi ce
marteau. » Il n’y a ni « tu », ni « je », ni discrimination. Les
deux mains sont unies, comme la Trinité. Dieu le Père est
dans Dieu le Fils ; le Saint-Esprit est autant dans le Fils que
dans le Père. C’est l’inter-être. Dans l’un, je vois aussi
l’autre. Bien sûr, ma main droite souffrait mais les deux se
partageaient la douleur, sans discrimination, comme dans
toute relation aimante. C’est ce que nous appelons
l’équanimité (upeksha). Bonheur et souffrance ne sont plus
des considérations individuelles dès lors que la sagesse de la
non-discrimination se manifeste.

BONHEUR ET SOUFFRANCE
Grâce à la sagesse de la non-discrimination, nous pouvons
percevoir que le mal-être et le bien-être existent l’un dans
l’autre. Tous, nous avons cette tendance habituelle à
considérer que, cette fois, c’en est assez, nous avons assez
souffert dans notre vie, nous voulons enfin autre chose, nous
voulons être bien. Nous cherchons à fuir le mal-être et à
aller dans la direction du bien-être ; or, c’est précisément là
où se trouve le mal-être que nous pourrons entrer en
contact avec le bien-être. En effet, si nous fuyons le mal-
être, nous nous donnerons peu de chances de trouver le
bien-être.
Tout bonheur porte aussi en lui un goût de souffrance.
C’est comme les fleurs. Quand vous regardez une fleur en
profondeur, vous pouvez y voir les déchets et le sol ; nous
voyons le compost car nous savons en effet que la fleur ne
peut exister sans lui. Ainsi, entrant en contact profond avec
la fleur, je peux aussi entrer en contact avec le compost
qu’elle contient.

NOURRITURE
La nourriture et les divertissements sont pour beaucoup
d’entre nous un moyen de fuir la souffrance. Nous nous
sentons si seuls, si tristes, tellement vides et frustrés ; nous
vivons dans une telle peur que nous essayons de combler
ces états d’âme avec un film ou un sandwich. C’est notre
façon de gérer le malaise, si profond en nous. Nous faisons
tout ce que nous pouvons pour refouler notre douleur, notre
désespoir, la colère, la dépression. Alors, nous écoutons de la
musique, nous ouvrons le réfrigérateur pour manger
quelque chose, nous prenons un magazine ; bref, nous
consommons. Et même si une émission de télévision n’est
pas intéressante, nous continuons à la regarder parce que
c’est toujours mieux que de devoir affronter notre malaise,
ce mal-être si fortement présent en nous.
Mais en réalité, plus nous consommons, plus nous
incorporons des toxines de violence, d’envie, de désespoir et
de discrimination ; et plus la situation empirera. En
revanche, si nous acceptons ce mal-être, notre énergie de
pleine conscience et de concentration nous aidera à regarder
en profondeur dans la nature de ce malaise et à identifier la
source de nourriture qui l’a généré.
Rien ne peut survivre sans nourriture, pas même la
souffrance. Aucun animal, aucune plante, rien ne survivra
sans alimentation. Il en va de même pour notre amour ; si
nous voulons qu’il survive, nous devons le nourrir. À défaut,
si nous ne l’alimentons pas ou si nous ne lui donnons pas les
aliments appropriés, notre amour va mourir. Il peut très
vite se transformer en haine. C’est pareil pour notre
souffrance et notre dépression qui, elles aussi, ont besoin
d’être alimentées pour continuer à exister. Ainsi, si notre
dépression ne veut pas partir, c’est que nous continuons à
l’alimenter au quotidien. Il nous appartient alors de prendre
le temps de regarder en profondeur la nourriture qui en est
à l’origine.
Même si notre souffrance s’exprime parfois sous la forme
d’une émotion puissante, l’identification de ce qui nourrit ce
mal-être nous permettra peu à peu d’en couper la source ;
et la souffrance finira par dépérir. À l’inverse, en
consommant violence et souffrance, nous augmenterons ce
mal-être – non seulement le nôtre, mais aussi celui des
personnes que nous côtoyons. En mettant fin à la
consommation d’images violentes et de conversations
toxiques, notre pratique nous offre alors une magnifique
opportunité de transformer la violence et la souffrance qui
sont en nous. C’est de ce bon terreau que pourront alors
naître compréhension et compassion pour nous guérir et
aider ensuite les personnes autour de nous à guérir, à leur
tour.

ACCEPTER LA VIE TELLE QU’ELLE EST


Nous savons que naissance et mort, maladie et vieillesse
font partie de la vie. Nous ne voulons pas vieillir, ni tomber
malade, ni mourir, mais ainsi est la vie... Si nous nous
révoltons, si nous protestons, nous souffrirons encore plus.
Inversement, si nous acceptons la vie et tout ce qu’elle
implique – les moments de bonheur, de joie, de paix, mais
aussi la maladie, la vieillesse et la mort –, alors nous ne
souffrirons plus. Ainsi, la souffrance est acceptable. Et non
seulement elle est acceptable mais, grâce à elle, nous avons
une opportunité d’expérimenter le bien-être.
Si nous voulons surmonter la peur, nous pouvons
commencer par simplement prendre conscience de sa
présence en nous. Puis, dans un second temps, nous
pouvons faire naître en nous l’intention de ne pas la fuir. La
fuite est en effet une réaction très courante chez nous, car ce
n’est pas agréable d’avoir peur. Nous ne voulons pas vivre
avec elle mais elle revient, sans cesse ; nous craignons
toujours qu’il arrive quelque chose, cet après-midi ou
demain. Nous vivons avec cette peur de l’impermanence.
Cette deuxième étape de la transformation consiste donc à
être déterminé à ne pas fuir, pour examiner en profondeur
notre angoisse et l’accepter pleinement.
Le processus de transformation repose sur une troisième
étape, qui consiste à agir de façon appropriée face à la peur.
En effet, si nous acceptons de lui faire face et d’en faire
profondément l’expérience, nous pourrons observer quelle
est notre réaction face à elle. Nous verrons si nous
réagissons avec confusion ou déni ; ou, à l’inverse, si nous y
répondons avec gentillesse, acceptation et compassion. C’est
précisément cette réponse clairvoyante qui apportera la
guérison.
Désormais, puisque nous savons comment susciter la
guérison, nous pouvons éviter que la souffrance ne nous
surprenne. Avec l’entraînement, notre pleine conscience
gagnant en force et en stabilité, nous n’avons plus à attendre
que les graines de souffrance surgissent à l’improviste pour
en prendre soin. Nous savons qu’elles résident au cœur de
notre conscience du tréfonds. Nous pouvons donc les inviter
à venir dans le champ de notre conscience mentale et les
éclairer à la lumière de notre pleine conscience.
Il est essentiel de se renforcer avant de traiter la
souffrance. En effet, prendre soin du mal-être, c’est un peu
comme essayer d’attraper un serpent venimeux. Nous
devons d’abord apprendre à connaître le serpent et, en
parallèle, nous devons développer notre habileté et notre
stabilité afin de pouvoir l’attraper sans nous blesser. Une
fois cette étape accomplie, nous serons prêts à faire face au
serpent. Au contraire, si nous ne nous confrontons jamais à
lui, viendra le jour où il nous prendra par surprise, et nous
perdrons la vie à la suite de sa morsure. Il en va de même
avec la douleur que nous gardons dans les profondeurs de
notre conscience. Lorsqu’elle enfle et nous met au défi, il n’y
a rien que nous ne puissions faire si nous ne nous sommes
pas entraînés à renforcer et à stabiliser notre pleine
conscience. Nous ne devrions donc pas inviter notre
souffrance à remonter avant d’être réellement prêts à
l’accueillir. Alors, quand elle arrivera, nous pourrons la gérer
en toute sécurité. Transformer la souffrance ne veut pas
dire la « combattre » ni « se débarrasser » d’elle. Il s’agit
tout simplement de la baigner dans la lumière de notre
pleine conscience.
6

Guérir l’enfant intérieur

Enfants, nous étions tous très vulnérables, si facilement


heurtés, blessés. Un seul regard sévère de notre père
suffisait parfois à nous plonger dans une profonde douleur.
Un mot dur de notre mère pouvait creuser une profonde
blessure dans notre cœur. Comme tous les jeunes enfants,
nous ressentions beaucoup de sentiments, d’émotions, mais
nous ne pouvions pas nous exprimer facilement. Nous
essayions et essayions encore. Parfois, alors même que nous
trouvions les mots, les adultes autour de nous ne pouvaient
pas nous entendre ; ils ne nous écoutaient pas ou ne nous
laissaient pas parler.
À présent, nous avons la possibilité de revenir à nous et
de parler à notre petit enfant intérieur ; nous pouvons
l’écouter et lui répondre directement. Personnellement, bien
que j’aie reçu beaucoup d’amour et d’affection de mes
parents, j’ai pratiqué ce retour à l’enfant intérieur et cela
m’a considérablement aidé. Le petit que nous avons été est
toujours là, en nous, il est peut-être profondément blessé.
Nous l’avons négligé pendant si longtemps qu’il nous
appartient aujourd’hui de revenir à lui, de le réconforter,
l’aimer et lui donner toute notre attention.
MÉDITATION SUR L’ENFANT DE CINQ ANS
Cette méditation peut être faite en position assise ou en
marchant. L’essentiel étant de trouver un lieu calme,
confortable, là où vous ne serez pas dérangé et pourrez vous
relaxer pendant au moins cinq minutes. Sur chaque
inspiration et expiration, je vous propose de prononcer ces
phrases :

J’inspire, je me vois enfant, à l’âge de cinq ans ;


J’expire, je souris avec compassion à l’enfant de cinq ans en moi.

Au départ, vous pouvez prononcer la phrase complète


pour, ensuite, dire simplement :

Moi à l’âge de cinq ans ;


Souris avec compassion.

L’enfant de cinq ans qui se trouve en chacun de nous a


besoin de beaucoup de compassion et de toute notre
attention. Si, chaque jour, nous trouvions quelques minutes
pour nous asseoir avec lui, avec elle, et pratiquer cette
méditation, nous pourrions lui apporter réconfort et
guérison. Cet(te) enfant de cinq ans est toujours vivant(e)
en nous et a besoin que nous prenions soin de lui, d’elle. Si
nous reconnaissons sa présence et prenons le temps
d’entrer en réelle communication, nous pourrons entendre
ses réponses et, peu à peu, notre enfant se sentira
nettement mieux. Nous bénéficierons tout naturellement
nous aussi de son mieux-être ; nous nous sentirons de
mieux en mieux, de plus en plus libérés.
L’enfant qui sommeille en chacun de nous est en fait bien
plus que nous. Nos parents ont souffert eux aussi quand ils
étaient enfants. Tous ont été de jeunes enfants de cinq ans,
fragiles et vulnérables. Et, même adultes, ils se sont souvent
sentis démunis face à leur souffrance, ne sachant pas
comment la gérer et la reportant alors sur leurs enfants.
Victimes de leur propre souffrance, leurs enfants en sont
devenus victimes à leur tour. Si nous ne parvenons pas à
transformer la souffrance en nous, nous la transmettrons
inévitablement à nos enfants.
Mon père et moi sommes pareils, nous ne sommes pas
deux entités séparées ; je suis sa continuation et il est donc
en moi. Si je peux aider le petit garçon de cinq ans qui est
mon père en moi, nous nous guérirons tous les deux en
même temps. En prenant soin de la petite fille de cinq ans
qui était ma mère et qui est toujours en moi, je l’aide à se
transformer et à se libérer. Je suis son prolongement. Cette
petite fille blessée qui a tant souffert est toujours vivante en
moi. Ainsi, si je suis capable de transformer et de soigner ma
mère et mon père en moi, je serai aussi capable de les aider
à l’extérieur de moi. Cette méditation va engendrer de la
compassion et de la compréhension pour nous-mêmes mais
également envers nos parents, enfants de cinq ans.
Nous parlons souvent de compréhension, mais n’est-ce
pas là une des plus grandes qui puissent se révéler à nous ?
Quand nous sourions, nous savons que nous sommes en
train de sourire pour notre père et notre mère, et que nous
leur permettons ainsi de se libérer. Si nous pratiquons de
cette manière, alors toutes ces questions existentielles qui
nous font tant souffrir – Qui suis-je ? Est-ce que ma mère
me désirait vraiment ? Est-ce que mon père voulait
vraiment de moi ? Quel est le sens de ma vie ? –
s’évanouiront d’elles-mêmes.
Nous n’avons pas besoin de retourner sur notre terre
natale, en Irlande ou en Chine, pour trouver nos racines. Il
nous suffit d’être en contact avec chaque cellule de notre
corps. Notre père, notre mère et tous nos ancêtres sont
présents de manière très concrète dans chacune des cellules
de notre corps, y compris dans les bactéries. La
compréhension éveillée nous a été transmise par toutes les
générations, par tous les êtres vivants, ainsi que par tous les
êtres que l’on dit « inanimés ». Nous sommes à la fois père
et fils, mère et fille. Nous nous manifestons parfois comme
père ou mère et parfois comme l’enfant. Nous pouvons
comparer cela au fruit de la goyave ; dès qu’il apparaît, il
porte des graines de goyave en lui et il est donc déjà un père
ou une mère.
Si nous voulons aller plus loin dans cette belle
compréhension, nous pouvons pratiquer ainsi :

J’inspire, je vois papa à l’âge de cinq ans ;


J’expire, je souris à papa, enfant de cinq ans.

Papa, à l’âge de cinq ans ;


Souris avec compassion.

Avant d’être un père, votre papa a lui aussi été un enfant


de cinq ans, petit garçon très vulnérable. Sensible, il se
sentait facilement blessé par votre grand-père ou votre
grand-mère et par d’autres personnes. Si votre papa s’est
parfois montré particulièrement sévère, violent ou exigeant,
c’est probablement en raison de la manière dont il a été
traité lui-même. Sans doute a-t-il été blessé quand il était
encore un petit garçon.
Si vous comprenez cela, vous ne ressentirez peut-être
plus le besoin de vous mettre en colère contre lui car vous
pourrez éprouver de la compassion pour lui. Peut-être
pouvez-vous prendre une photo de lui quand il avait cinq
ans et le regarder pendant votre méditation. Regardez-le
enfant et, en inspirant et expirant, vous pourrez percevoir le
petit garçon de cinq ans qui est toujours vivant en lui, et en
vous aussi.
Il en va de même pour votre maman. Elle aussi a été une
petite fille de cinq ans vulnérable et fragile. Elle s’est parfois
sentie facilement blessée, sans avoir la chance d’avoir un
enseignant ou un ami pour l’aider à guérir. C’est ainsi que la
blessure et la peine subsistent encore en elle, expliquant les
moments où elle a sans doute manqué de gentillesse pour
vous. Si vous pouvez voir votre maman comme cette petite
fille de cinq ans, fragile, alors vous pourrez facilement lui
pardonner avec compassion. La petite fille de cinq ans qui
est devenue votre maman est toujours vivante en elle et en
vous.

J’inspire, je vois maman comme une petite fille de cinq ans ;


J’expire, je souris à la petite fille de cinq ans qui est devenue ma
maman.

Maman, petite fille de cinq ans ;


Souris à maman.

Si vous êtes encore jeune, il est essentiel que vous


pratiquiez pour guérir l’enfant de cinq ans toujours présent
en vous, sous peine de risquer de transmettre cet enfant
blessé à vos propres enfants. Mais ne vous inquiétez pas si
vous avez déjà transmis cette blessure à votre fille ou votre
fils ; il n’est jamais trop tard. Il vous appartient maintenant
de pratiquer afin de guérir l’enfant en vous ; c’est ainsi que
vous pourrez aider ensuite vos enfants à soigner l’enfant
blessé que vous leur avez transmis.
Nous avons tous, parents et enfants, la possibilité de
pratiquer ensemble et de guérir l’enfant blessé qui vit
encore en nous et en nos enfants. Il n’y a pas de temps à
perdre, c’est une sorte d’urgence car, si nous parvenons à
faire cette pratique, la communication avec nos familles sera
rétablie et la compréhension mutuelle deviendra possible.
En réalité, nous sommes nos enfants. Nous leur avons
légué notre être tout entier. Nos fils, nos filles sont notre
continuation, ils sont nous-mêmes ; ils nous emporteront
avec eux loin dans le futur. En prenant le temps d’aimer nos
enfants avec compassion et compréhension, nous leur
donnons tous les moyens d’en bénéficier pleinement pour
que, à leur tour, ils puissent contribuer à un meilleur avenir
pour eux-mêmes, leurs enfants et les générations futures.

ÉCOUTER L’ENFANT INTÉRIEUR


Pour bien prendre soin de nous-mêmes, il est important
que nous revenions à l’enfant blessé qui vit encore en nous,
afin de veiller attentivement sur lui. Cette pratique du
retour à l’enfant blessé doit être quotidienne. Nous revenons
à lui et l’accueillons tendrement dans nos bras, comme un
grand frère ou une grande sœur.
Nous devons l’écouter. Il est en nous, ici et maintenant, et
nous pouvons le guérir dès à présent. « Mon cher petit
enfant blessé, je suis là pour toi, prêt(e) à t’écouter. Je t’en
prie, fais-moi part de toute ta souffrance, de toute ta
douleur, je suis là pour toi, je t’écoute vraiment. » Nous
devons étreindre cet enfant et, si nécessaire, nous pouvons
pleurer avec lui, même durant notre méditation assise. Nous
pouvons aussi aller en forêt pour pratiquer. Si nous savons
comment revenir à l’enfant blessé, et l’écouter ainsi chaque
jour, cinq à dix minutes, la guérison aura lieu.
Plusieurs parmi nous ont déjà pu appliquer cette pratique
et, par leur régularité, ressentir un réel apaisement, jusqu’à
obtenir une véritable transformation. Si nous maintenons
bien cette pratique, notre relation aux autres sera meilleure
et plus souple, nous ressentirons plus de paix et davantage
d’amour en nous.

PARLER À L’ENFANT INTÉRIEUR


Nous ne sommes pas totalement différents de notre
enfant intérieur, nous ne formons pas deux entités
totalement distinctes, mais nous ne sommes pas
véritablement un non plus. L’un influence l’autre. À présent,
nous sommes adultes et nous pouvons pratiquer la pleine
conscience, invitant le petit qui vit en nous à nous rejoindre
dans la pratique. Cet enfant existe bel et bien, au même titre
que l’adulte que nous sommes aujourd’hui. C’est comme le
grain de maïs qui estencore présent dans le plant. Il est
pleinement là, aujourd’hui, et ce n’est pas juste quelque
chose qui appartient au passé. Ainsi, dès que le plant de
maïs a conscience d’être uni au grain, leur conversation
devient possible. En revanche, il est essentiel d’être
conscient que, si nous avons tendance à revenir sans cesse
au passé et à revivre nos souvenirs douloureux, nous
replongeons dans le passé avec notre enfant intérieur,
expérimentant à nouveau cette peur, cette envie. Cela est
devenu une habitude qu’il est essentiel d’abandonner car
elle ne nous aide pas.
Pour ce faire, nous pouvons dialoguer avec notre enfant
intérieur et l’inviter à sortir, à venir faire connaissance avec
la vie dans le moment présent. Rester totalement ancré
dans le moment présent, ici et maintenant, est une réelle
pratique, c’est un entraînement. Tant que je suis totalement
établi dans l’instant présent, je ne souffre pas des
traumatismes du passé, et je prends ainsi pleinement
conscience de toutes les merveilles disponibles pour moi, de
toutes les conditions favorables qui sont à ma disposition, ici
et maintenant. La véritable pratique consiste dès lors à
prendre la main de l’enfant et à jouer avec lui, pour rentrer
plus profondément en relation avec toutes ces merveilles du
présent. Bien sûr, comme notre tendance naturelle nous
pousse tous à retourner vers le passé, il nous arrivera
d’avoir besoin d’aide ; nous n’hésiterons pas alors à chercher
le soutien d’une personne en qui nous avons confiance.
Tous nos désirs sont issus de notre besoin initial d’être en
sécurité. Aujourd’hui encore, le petit enfant en nous reste
inquiet, apeuré. Et pourtant, l’instant présent ne comporte
aucun problème, aucune menace. Donc, si nous n’avons pas
de problème dans le moment présent, cela veut dire qu’en
réalité nous n’avons pas de problème du tout. Pourquoi donc
continuer à cultiver nos peurs et inquiétudes ?
Communiquons donc cette sagesse àl’enfant qui demeure en
nous, et disons-lui bien qu’il n’a plus aucune raison de
s’inquiéter.
Nous pouvons aller sur la colline pour être seul, marcher
parmi les pruniers ou les vignes, et parler à l’enfant en nous.
Rassurons-le : « Mon petit frère chéri, ma chère petite
sœur, je sais que tu souffres. Tu es mon enfant intérieur et
je suis donc également toi. Aujourd’hui, nous avons grandi ;
alors, n’aie plus peur, nous sommes en sécurité. Nous
avons les moyens de nous protéger. Viens avec moi et
vivons ce que nous offre le présent. Ne laisse plus le passé
nous emprisonner. Viens, prends ma main, marchons
ensemble et savourons chacun de nos pas. »
Nous devons réellement parler à l’enfant qui vit en nous,
même à voix haute – non seulement y penser, mais le faire
vraiment. Si nous prenons l’habitude de dialoguer avec
notre enfant intérieur chaque jour, la guérison interviendra.
À son tour, il nous rejoindra dans notre vie, aujourd’hui.
Parlons à l’enfant, prenons sa main, et ramenons-le au
présent pour qu’il savoure la vie, ici et maintenant. Si nous
pouvons dialoguer ainsi quinze minutes tous les jours avec le
petit enfant vulnérable, nous pourrons faire face à nos
vieilles angoisses.
Comparons cela à une casserole d’eau que nous faisons
bouillir en laissant dessus un couvercle. Sous l’effet de la
chaleur, la vapeur fera pression sur le couvercle. À l’inverse,
dès qu’on ôtera celui-ci, la vapeur pourra s’échapper.
Libérée de tout obstacle, la vapeur ne crée plus aucune
pression.
C’est pareil avec l’enfant. Si nous pouvons lui parler
tendrement et exposer la peur originelle de l’enfance à la
lumière de notre pleine conscience, nous commencerons à
guérir. Nous devons rassurer l’enfant et lui faire sentir que,
bien que la peur soit réelle, elle n’a plus aucun fondement. À
présent, nous sommes adultes et nous pouvons nous
protéger et nous défendre par nous-mêmes.
DIALOGUER AVEC L’ENFANT INTÉRIEUR
Comme nous l’avons vu, il est essentiel de parler à
l’enfant, mais il est tout aussi important de lui laisser
l’espace pour s’exprimer lui aussi. Si, à l’époque, l’enfant que
nous étions n’a guère pu s’exprimer, voici l’occasion rêvée
pour qu’il puisse enfin le faire.
Placez deux coussins face à face. Asseyez-vous sur l’un
des deux et regardez l’autre. Visualisez-vous assis, là, enfant
de trois, quatre ou cinq ans, et parlez-lui : « Mon enfant
chéri, je sais que tu es là, en moi. Tu es blessé, je le sais. Tu
as traversé tant de souffrances, je sais que c’est vrai parce
que j’ai été toi. Mais, maintenant, je te parle comme ta part
adulte, et je veux te dire que la vie est merveilleuse, qu’elle
regorge d’éléments qui apportent fraîcheur et apaisement.
Ne nous laissons plus engloutir par le passé, ressassant et
revivant sans cesse tout ce qui nous a tant fait souffrir.
Aujourd’hui, je suis là pour toi, si tu as quelque chose à me
dire, je t’écoute, tu peux me le dire simplement. »
Ensuite, asseyez-vous sur l’autre coussin ou même, si
vous préférez, allongez-vous, comme l’enfant de trois ans, et
utilisez le langage de la petite fille ou du petit garçon que
vous étiez. Vous pouvez vous plaindre. Vous pouvez vous
lamenter de vous sentir tellement fragile et vulnérable,
complètement démuni ; dire que vous ne pouvez rien faire
et que vous avez si peur. Dites à quel point vous avez besoin
de la présence d’un adulte. Exprimez-vous librement, jouant
pleinement le rôle de l’enfant en vous. Et si l’émotion et la
peur émergent, c’est très bien ; c’est le signe que vous êtes
en contact avec une angoisse réelle. Vous ressentez le désir
profond d’avoir quelqu’un près de vous, pour vous protéger.
Revenez enfin sur l’autre coussin et dites-lui : « Bien, je
t’ai écouté, mon enfant chéri, et je comprends entièrement
ta souffrance. Mais tu sais, nous avons grandi. Aujourd’hui,
nous sommes devenus un adulte. Toi etmoi sommes
désormais capables de nous défendre par nous-mêmes.
Nous pouvons même appeler la police s’il y a vraiment un
danger ! Nous pouvons nous protéger et empêcher
d’autres personnes de faire ce qui nous cause du tort. Et
nous pouvons tout faire par nous-mêmes. Nous n’avons
plus besoin d’un adulte pour nous protéger ; nous n’avons
besoin de personne. Nous pouvons ressentir la plénitude
par nous-mêmes, sans avoir besoin que quelqu’un d’autre
soit là pour nous sentir bien. » Il est vrai que nous avons
souvent tendance à croire qu’il nous faut une autre personne
pour jouer le rôle de papa et maman ; mais ce n’est qu’une
impression, ce n’est pas la réalité. J’ai déjà pu faire
l’expérience de me sentir vraiment comblé sans avoir besoin
d’une personne extérieure ; nous pouvons être autonomes
et nous épanouir, sans devoir recourir à la présence de
quelqu’un d’autre pour obtenir détente et réconfort.
Si vous préférez, il n’est même pas nécessaire de changer
de coussin ni de parler à voix haute. Si vous dialoguez avec
votre enfant intérieur en l’écoutant aussi attentivement
chaque jour, cinq à dix minutes, la guérison s’amorcera.

ÉCRIRE UNE LETTRE À L’ENFANT INTÉRIEUR


Une autre approche est d’écrire au petit enfant ; rédigez
une, deux, trois pages ou plus, pour lui montrer que vous
savez qu’il est là en vous et que vous ferez tout ce que vous
pouvez pour soigner ses blessures. Après lui avoir écrit
plusieurs lettres, vous pourrez remarquer que lui aussi a
peut-être quelque chose à vous écrire en réponse !

PARTAGER LES JOIES AVEC L’ENFANT INTÉRIEUR


Une autre manière de veiller à ce que le petit enfant en
nous se sente en sécurité est de l’inviter à nous
accompagner pour jouer « dans la cour du moment
présent ». Lorsque nous escaladons une montagne
magnifique, invitons le petit enfant à grimper avec nous.
Quand nous contemplons un magnifique coucher de soleil,
invitons-le à le savourer ensemble. Là encore, en
poursuivant cette pratique quelques semaines ou quelques
mois, l’enfant pourra guérir ses blessures.

NOUS ASSEOIR AVEC DES AMIS DE LA SANGHA1


Si nous avons profondément souffert durant l’enfance, il
nous sera difficile d’oser encore faire confiance et aimer.
Nous craignons de laisser l’amour nous pénétrer. Et
pourtant, cette pratique nous invite à retourner en nous,
afin de prendre bien soin de notre enfant blessé, même si
cela peut parfois se révéler particulièrement difficile. Il nous
faut quelques pistes, des instructions sur la manière de
pratiquer, afin de ne pas nous laisser submerger par la
douleur intérieure. La pratique consiste à développer
l’énergie de pleine conscience pour nous renforcer. Et pour
ce faire, l’énergie de pleine conscience de nos amis peut
également être une aide précieuse. Il est possible que quand
nous « reviendrons à nous » pour la première fois, nous
ayons besoin de la présence rassurante d’un ou deux amis –
en particulier ceux qui ont déjà l’expérience de cette
pratique – pour nous apporter soutien, pleine conscience et
énergie. Si un ami est assis à notre côté et nous tient la main,
nous pourrons combiner son énergie à la nôtre pour aller
étreindre notre petit enfant blessé.
Si vous avez une Sangha attentionnée, alors votre
pratique sera facilitée. En revanche, il est souvent trop
difficile de pratiquer seul, en particulier pour quelqu’un qui
serait encore au début de sa pratique. C’est pourquoi il est si
important de prendre refuge dans la Sangha, et d’avoir des
frères et des sœurs de pratique pour bénéficier du soutien et
des conseils nécessaires dans les moments difficiles.

1 Communauté ou groupe d’amis de pratique.


7

Réconciliation

Nous avons tous tendance à blâmer les autres, comme


s’ils étaient séparés de nous. Mais peut-être pouvons-nous
prendre le temps de nous arrêter, pour revenir en nous et
nous interroger profondément : « Est-ce que j’évolue
chaque jour ? », « Suis-je chaque jour un peu plus heureux,
heureuse ? », « Suis-je en meilleure harmo-nie avec moi-
même et avec les autres, autant avec les personnes qui me
sont chères qu’avec celles que j’aime moins ? »
Peu importe ce que disent ou font les autres ; cela ne doit
pas nous affecter car chacun de nous est capable de prendre
soin de lui-même. Nous pouvons faire de notre mieux pour
vraiment aider les autres au lieu de les juger ou de les
réprimander, et nous éviterons ainsi de générer encore plus
de conflits autour de nous par nos comportements.
Quand notre main gauche est blessée, jamais nous ne nous
énervons sur elle en lui disant : « Oh ! Quelle main stupide !
Comment as-tu pu faire cela ? » Au contraire, nous lui
portons naturellement toute notre attention de façon à ce
qu’elle puisse guérir. C’est de cette manière que nous
devrions aussi considérer les personnes qui, au sein de notre
famille ou de notre communauté, ne vont pas très bien ou
sont facilement blessées et traversent de nombreuses
difficultés. Au lieu de leur reprocher : « Tu ne fais pas ce
qu’il faut, tu dois changer », apprenons à prendre soin d’elles
comme nous le ferions pour notre main gauche blessée.
Quand nous sommes en colère contre une autre personne,
c’est bien souvent parce que nous ne parvenons pas à voir
les nombreux éléments en elle et qui, comme nous le savons
à présent, ne sont pas vraiment elle. Dans ces moments-là,
nous ne voyons pas qu’elle agit sous l’emprise des énergies
d’habitude qui lui ont été transmises. En revanche, si nous
prenons le temps de nous arrêter et de porter un regard
plus profond sur ce que vit cette personne, nous pourrons
l’accepter beaucoup plus facilement. Et cela s’applique tout
autant à chacun de nous. En effet, si nous pouvons repérer
en nous tous les éléments qui nous ont été transmis par
d’autres personnes, comme nos parents ou nos ancêtres, et
les éléments qui nous viennent de notre environnement,
nous verrons à quel point la sévérité avec laquelle nous nous
traitons nous-mêmes et nous traitons les autres vient en
grande partie d’autres causes, d’autres éléments. Peut-être
pourrons-nous repérer : « Ah, ça, c’est grand-père qui juge
mon ami », car nos ancêtres continuent à vivre en nous
chaque jour. Chaque fois que nos interactions seront basées
sur une intention claire et sans jugement, notre conscience
s’élargira, nous montrant à quel point nos pensées, paroles
et actions sont loin d’être les nôtres uniquement. Enrichis de
cette nouvelle compréhension, nous pourrons aisément
trouver un moyen de résoudre les difficultés que nous
vivons avec les autres et parvenir à la paix.

PERCEPTIONS ERRONÉES
Comme nous restons souvent prisonniers des images de
notre souffrance passée, nous avons facilement tendance à
développer de fausses perceptions ; et nos comportements
vis-à-vis des autres engendrent alors encore plus de
souffrance. Supposons que je sois en colère contre quelqu’un
parce que je suis persuadé que cette personne essaie de me
faire du mal. C’est juste ma perception, mais je suis
convaincu que cette personne a l’intention de me faire
souffrir et de me gâcher la vie. Cette perception va générer
de la colère en moi, me poussant à des actions qui
apporteront encore plus de souffrance à toutes les
personnes concernées.
Au lieu de répliquer violemment, nous pouvons revenir à
notre respiration et notre marche conscientes afin de
générer pleine conscience et vision profonde. En inspirant et
expirant, nous percevons qu’il y a de la souffrance en nous
ainsi que nombre de perceptions erronées. Nous voyons
qu’il y a également de nombreuses souffrances et
perceptions erronées chez l’autre personne. Notre pratique
nous permet d’atteindre un certain niveau de prise de
conscience, mais ce n’est pas nécessairement le cas de
l’autre personne si elle ne sait pas comment reconnaître sa
propre souffrance et en prendre soin afin de s’extraire de la
situation qu’elle vit. Elle continue alors à souffrir et à faire
souffrir les personnes de son entourage.
Dès que nous pouvons percevoir la situation sous cet angle
nouveau, nous reconnaissons la souffrance que cette
personne porte en elle, voyant clairement qu’elle ne sait
simplement pas comment la traiter. Si je perçois la
souffrance de cette personne et ce qu’elle vit, il y a alors
place pour qu’émerge la compassion. Et, grâce à celle-ci, la
colère pourra se transformer, nous permettant de modifier
notre façon d’être. Libéré de la colère, je cesserai d’agir dans
l’intention de punir.
Notre changement d’attitude est l’effet de la vision
profonde. Celle-ci peut véritablement nous sauver car elle
permet de corriger nos fausses perceptions, en l’absence
desquelles il n’y a plus ni colère, ni peur, ni désespoir. Il y a
désormais de la place pour la sollicitude et la compassion.
À l’origine de nos actes se trouve ce que l’on nomme la
volition1 . Si nos perceptions sont erronées, notre volition
nous poussera à réagir impulsivement, ce qui risque de
créer encore plus de souffrance. Au contraire, si nous
cultivons la vision profonde, notre volition sera saine et nous
serons motivés par le désir d’aider et non plus par celui de
punir. Avec une telle motivation, nous nous sentirons
nettement mieux, même si nous n’avons encore rien fait.
Nous sentirons immédiatement le bénéfice de notre
pratique. Et l’autre personne, que nous considérions comme
responsable de notre souffrance, en bénéficiera à son tour
elle aussi.

AMÉLIORER LES RELATIONS AVEC NOTRE FAMILLE


Quand vous étiez encore enfant, votre père considérait
peut-être que vous lui apparteniez, comme une maison, une
somme d’argent ou une voiture. Il estimait alors qu’il
pouvait faire tout ce qu’il voulait de vous, puisque vous étiez
son fils, sa fille. À ses yeux, vous n’étiez pas une véritable
personne, un être humain pouvant penser, agir et suivre ce
qui vous semblait juste, bon et vrai. Il voulait seulement que
vous suiviez la voie qu’il avait tracée pour vous. Mais
pourquoi donc certains pères sont-ils ainsi, alors que
d’autres sont si différents, capables de traiter leurs enfants
avec un profond respect, comme des êtres vivants libres ?
Si notre père ne nous a pas bien traités, c’est peut-être
parce qu’il est né sous une mauvaise étoile. Son éducation et
son environnement ne lui ont pas appris à ressentir et à
exprimer l’amour et la compréhension. Si nous le blâmons, si
nous voulons le punir, il souffrira encore plus, et cela en
restera là. Or ce n’est pas comme cela que nous pourrons
l’aider. Inversement, si nous prenons la peine de voir qu’il a
été malheureux, qu’il n’a pas eu de chance, notre colère
envers lui pourra s’estomper. Nous le verrons alors comme
un papa qui a besoin de notre amour et non de notre
punition.
De notre côté, il est évident que nous devons aussi veiller
à être en sécurité et à ne pas rester en sa présence si notre
père nous blesse sur le plan physique ou émotionnel. Il faut
trouver le juste équilibre car, à l’inverse, le fuir ne fera
qu’accroître la souffrance pour l’un et l’autre. Si nous ne
pratiquons pas la pleine conscience avec nos parents, nous
risquons de créer un véritable enfer pour chacun de nous.
Quand il y a conflit entre les enfants et leurs parents, ce
sont bien souvent les enfants qui « perdent » car un enfant
n’est pas censé répondre avec le langage qu’utilisent ses
parents. Ils peuvent peut-être le maltraiter, voire le battre,
mais l’enfant n’est pas supposé riposter quand il s’agit de ses
parents. D’autres abusent de leurs enfants, par des mots
violents, mais les enfants ne peuvent pas répliquer. Comme
ils ne peuvent pas exprimer la violence qu’ils ont reçue, ils la
manifestent autrement, parfois en tombant malades. La
violence reste en eux et cherche une échappatoire, une façon
de s’exprimer. Bien souvent, si nous ne prenons pas soin de
nous, s’il nous arrive de nous mutiler, c’est parce que nous
n’avons pas trouvé d’autres moyens pour exprimer la
violence que nous avons accumulée. Nous sommes souvent
les victimes de la violence que nous avons reçue de nos
parents et de la société.
Malgré tout l’amour qu’ils voulaient nous donner, toujours
soucieux de nous rendre heureux, nos parents n’ont pas pu
développer la sagesse nécessaire pour nous préserver de la
violence qu’ils portaient en eux. Cela me rappelle le cas d’un
jeune homme, étudiant en médecine et dont le père était lui-
même médecin. Comme la plupart des jeunes de sa
génération, cet étudiant s’était promis d’être différent de
son père. Or, quand il fut papa à son tour, il reproduisit
exactement le même scénario que celui qu’il avait connu
avec son propre père, ne cessant de crier sur ses enfants et
de les critiquer chaque jour.
Enfants, nous nous jurons toujours de faire tout l’inverse
de ce qu’ont fait nos parents. Or, bien souvent, quand nous
avons nos propres enfants, nous reproduisons leurs
habitudes. C’est ce qu’on appelle la roue du samsâra, la
continuation de la souffrance de génération en génération. Et
si nous pratiquons, c’est précisément pour couper court à la
roue du samsâra, pour stopper nos habitudes et éviter
qu’elles n’affectent notre relation avec nos propres enfants.
Nos deux générations, parents et enfants, doivent
identifier la violence qui nous détruit tous, tant nous-mêmes
que les personnes que nous aimons. C’est ensemble que
nous devrions chercher la voie de la vision profonde car nous
ne sommes que des victimes. Bien souvent, en revanche,
nous ne cessons de nous adresser des reproches les uns aux
autres ; les enfants étant persuadés d’être victimes de leurs
parents, et les parents, quant à eux, étant convaincus d’être
victimes de leurs enfants. Au lieu de nous affronter,
cherchons à nous rapprocher, parents et enfants, compagne
et compagnon, afin de trouver une issue à nos conflits,
acceptant ainsi de reconnaître que la violence est en chacun
de nous. Ce n’est pas parce que nous avons souffert que
nous devons perpétuer cette souffrance l’un envers l’autre.
Puisque nos blessures présentent en grande partie les
mêmes causes, cessons d’être ennemis et faisons alliance. La
souffrance que nous portons chacun suffit amplement à nous
indiquer le chemin qui nous évitera de retomber dans les
mêmes erreurs. Le Bouddha lui-même a dit : « Quoi qu’il
advienne, examinez en profondeur sa nature. » Il nous
montre ainsi que, dès que nous avons compris la nature et
l’origine de notre souffrance, nous sommes sur la voie de la
libération.
Cherchons donc à nous rapprocher, compagne et
compagnon de vie, amis, mère et fille et, ensemble,
reconnaissons que, l’un et l’autre, l’une et l’autre, nous
avons souffert et que, toutes et tous, nous sommes habités
par la violence, la haine et les afflictions. Au lieu de rester
dans l’opposition et les reproches, aidons-nous et pratiquons
ensemble, avec l’aide d’un enseignant et de notre
communauté.

OUVRIR NOTRE CŒUR


J’ai connu un jeune homme qui était dans une colère telle
contre son père qu’il n’hésitait pas à déclarer : « Je ne veux
plus rien avoir à faire avec mon père. » D’une certaine façon,
nous pouvons le comprendre. Persuadé que sa souffrance
provenait de son père, tout ce qu’il voulait était être à
l’opposé de lui. Il voulait marquer une rupture totale avec
cette partie de son existence. Et pourtant, en prenant le
temps d’examiner en profondeur sa situation, il pourrait
clairement voir que même s’il éprouve une haine profonde
envers son père, il est malgré tout ce père, il en est la
continuation. Haïr son père, c’est se haïr soi-même. Nous
n’avons pas d’autre choix que celui d’accepter notre père.
Et, pour ce faire, il est bon que notre cœur soit bien ouvert,
bien grand, car, s’il est encore étriqué, comment y accueillir
notre père, l’y étreindre de toute notre tendresse ?
La pratique du regard profond est la seule qui puisse
permettre à notre cœur d’avoir une expansion sans limites.
Un cœur que l’on peut mesurer n’est pas un grand cœur.
Dans le bouddhisme, nous parlons des « quatre
incommensurables », les quatre éléments qui constituent
l’amour véritable. Il s’agit de la bonté aimante, de la
compassion, de la joie, et de l’équanimité ou de la non-
discrimination (respectivement en sanskrit : maitri, karuna,
mudita et upeksha). Nous pratiquons avec ces éléments de
façon à transformer notre cœur en une dimension
incommensurable. Ainsi, lorsqu’il commence à gagner de
l’expansion, à s’élargir, nous sommes en mesure de contenir
et supporter toutes sortes de souffrances. Et si nous
accueillons tendrement la souffrance que nous portons en
nous, nous ne la subissons plus.
Pour décrire ce qu’est ce cœur incommensurable, le
Bouddha aimait proposer cette analogie : « Si une poignée de
sel tombait dans notre verre d’eau, nous ne pourrions pas
boire cette eau et nous devrions la jeter. Mais si nous
décidions de confier cette poignée de sel à une immense
rivière, nous pourrions toujours en utiliser l’eau. La rivière
est grande, elle peut accueillir cette quantité de sel et nous
pouvons en boire l’eau. »
Un cœur tout petit n’est pas en mesure de supporter la
somme de douleurs et de souffrances subies d’une autre
personne ou de la société. Élargissons notre cœur, et nous
pourrons alors étreindre la douleur sans devoir souffrir. La
pratique des quatre incommensurables transforme notre
cœur en une immense rivière.

LA MÉDITATION DE METTA
Metta2 signifie « bonté aimante ». Sa racine est le mot
mitra, qui signifie « ami ». La méditation de Metta nous aide
à devenir un ami pour nous-mêmes et pour les autres. Nous
commençons par la formulation d’une aspiration profonde :
« Puissé-je être... » Puis, dépassant le stade de la simple
aspiration, nous examinons en profondeur tous les aspects
positifs et négatifs de l’objet de notre méditation, en
l’occurrence nous-mêmes. Nous devons regarder en
profondeur, avec tout notre être, afin de comprendre, car la
volonté d’aimer n’est pas encore de l’amour. Il ne s’agit pas
de simplement répéter des mots ; ce n’est donc pas de
l’autosuggestion. Nous examinons en détail notre corps, nos
sensations, nos perceptions, nos formations mentales et
notre conscience, et, pratiquant ainsi quelques semaines,
notre aspi-ration à l’amour pourra se transformer en une
véritable intention profonde. L’amour pénétrera nos
pensées, nos paroles et nos actes, et nous nous observerons
nettement plus paisibles, heureux et légers de corps et
d’esprit.
Cette méditation de l’amour est adaptée du
Visuddhimagga (la voie de la Purification) de Buddhaghosa,
une systématisation des enseignements du Bouddha datant
du V e siècle après Jésus-Christ. Nous commençons à
pratiquer cette méditation de l’amour sur nous-mêmes
(« Puissé-je... »). Ce n’est qu’après avoir pratiqué sur nous-
mêmes, en développant la capacité de nous aimer et de
prendre soin de nous, que nous pourrons apporter une aide
véritable aux autres. Nous pouvons alors appliquer cette
méditation à quelqu’un que nous aimons profondément ou
apprécions (« Puisse-t-il, puisse-t-elle... », « Puissent-
ils... »), puis à quelqu’un qui nous est indifférent, enfin, à
quelqu’un qui nous fait souffrir.

Puissé-je être en paix, heureux et léger de corps et d’esprit,


Puissé-je être en sécurité et libre de toute blessure,
Puissé-je être libéré de la colère, des soucis, de la peur et de l’anxiété.

Puissé-je apprendre à me regarder avec les yeux de la compréhension et


de l’amour,
Puissé-je être capable de toucher et d’identifier en moi les graines de joie
et de bonheur,
Puissé-je apprendre à repérer en moi les sources de colère,
d’attachement et d’aveuglement,
Puissé-je savoir nourrir quotidiennement en moi les graines de joie,
Puissé-je être capable de vivre frais, solide et libre,
Puissé-je être libéré des deux extrêmes que sont l’attachement et
l’aversion, sans tomber dans l’indifférence.

L’amour n’est pas seulement l’intention d’aimer ; c’est


aussi la capacité d’alléger la douleur et d’offrir paix et
bonheur. La pratique de l’amour développe notre tolérance,
notre capacité à faire preuve de patience et à apprivoiser
difficultés et douleur. Si notre cœur est suffisamment
ouvert, nous pouvons accueillir la douleur sans en souffrir.
Tolérer la douleur ne signifie pas tenter de la supprimer.

TRAITÉ DE PAIX
Si nous voulons éviter de souffrir dans nos relations, avec
nos partenaires ou nos familles, ne plus tomber dans les
pièges des accusations et des conflits, nous pouvons signer
un « traité de paix 3 ». « Chéri(e), je sais qu’il y a une graine
de colère en toi. Je sais aussi que chaque fois que j’arrose
cette graine j’induis ta souffrance et que tu me fais souffrir
également. Je m’engage donc aujourd’hui à m’abstenir
d’arroser la graine de colère en toi. Je le promets. Bien sûr,
je promets également de ne pas arroser la graine de colère
que je porte en moi. S’il te plaît, chéri(e), vois si tu peux
prendre le même engagement. Dans ta vie quotidienne, s’il
te plaît, évite de lire, regarder ou consommer quoi que ce
soit qui puisse alimenter les graines de colère et de violence
qui sont en toi. Tu sais combien la graine de colère que je
porte en moi est déjà suffisamment grande... Et, chaque fois
que tu l’arroses par un geste ou un mot, j’en souffre et je te
fais souffrir toi aussi. Alors, soyons intelligents et n’arrosons
pas les graines de violence et de colère en chacun de nous. »
Cet exemple est une partie du « traité de paix » que nous
pouvons signer avec la personne qui nous est chère : notre
partenaire, notre parent, notre enfant. Ce serait même
magnifique que d’autres membres de la famille ou de la
communauté puissent en être les témoins, en assistant à
notre signature. Selon les termes du « traité de paix »,
chaque fois que la colère monte, nous évitons de dire ou faire
quoi que ce soit. Simplement, nous revenons à notre
respiration consciente, nous prenons soin de notre colère, et
regardons en profondeur pour toucher et identifier l’origine
de cette souffrance.
L’une des premières choses que nous observerons sera
sans doute le fait que la source principale de notre
souffrance est la graine de colère présente en nous et que
l’autre personne n’en est qu’une cause secondaire. Nous
pouvons alors regarder cette personne, et voir qu’elle ne
connaît pas la pratique et ne sait donc pas comment gérer la
violence qui l’habite et en prendre soin. Cette personne a
souffert à maintes reprises et est devenue une victime de sa
propre souffrance. C’est pour cela qu’elle continue à souffrir
et à faire souffrir les personnes autour d’elle. C’est tout
naturel. Bien plus que de nos reproches et réprimandes, elle
a besoin d’aide. Et c’est là une deuxième observation
majeure que nous pourrons sans doute faire.
Mais nous pouvons aller encore plus loin, et nous
demander qui pourrait aider cette personne quand elle a
besoin d’aide. En prenant conscience que nous sommes
probablement celui ou celle qui la comprend le mieux, nous
verrons bien vite que nous devrions être présents pour elle.
Dès que nous sentons en nous ce désir d’aider l’autre
personne, nous savons alors que notre colère a pu se
transformer en compassion. Nous ne souffrons plus. Nous
sommes motivés par l’amour, par la compassion et par
l’envie d’aider. Par expérience, je peux vous assurer que
cela fonctionne car j’ai rencontré de nombreux jeunes qui,
après avoir pratiqué au Village des Pruniers, sont rentrés
chez eux aider leurs parents. Toute haine envers eux les
avait quittés.
ÉCRIRE UNE LETTRE
Lors d’une retraite, j’ai rencontré un jeune homme qui
ressentait beaucoup de colère envers sa mère. Et alors que
j’avais demandé à tous les participants d’écrire toutes les
qualités positives de leurs parents, cet homme s’était
persuadé que, pour lui, ce serait impossible : « D’accord,
faire la liste des qualités de mon père, c’est facile ; mais si je
dois énumérer celles de ma mère, je ne pense pas que je
pourrai écrire grand-chose. » Et pourtant, il commença à
écrire et se surprit lui-même quand, l’une après l’autre,
chacune des qualités de sa mère put prendre forme sur son
papier. Tant et si bien qu’une seule page n’y suffit pas et
qu’il dut retourner la feuille pour continuer à écrire !
Pendant ce temps, il pratiqua le regard profond et prit
conscience des très nombreuses qualités de sa maman. Son
sentiment de colère contre elle n’était dû qu’à une seule
chose, mais celle-ci avait masqué tout le reste. À la fin de
l’exercice, il avait redécouvert que sa maman était une
personne merveilleuse. Dans un deuxième temps, il put
alors s’asseoir et rédiger une belle lettre d’amour pour elle.
Il la remercia pour toutes les qualités qu’elle lui avait
transmises : « Maman, je suis si heureux et fier d’avoir une
maman comme toi. » Une semaine plus tard, son épouse lui
téléphona depuis les États-Unis pour lui annoncer : « Ta
maman a été extrêmement heureuse quand elle a lu ta
lettre. Elle a dit qu’elle avait retrouvé son fils merveilleux.
Et elle m’a même confié que si sa propre mère avait encore
été en vie, elle aurait aimé pouvoir lui écrire une aussi belle
lettre. »
Après cette conversation avec son épouse, le jeune
homme s’assit et se mit à rédiger une deuxième lettre à sa
mère. « Maman, si tu regardes profondément en toi, tu
verras que grand-mère est toujours vivante, dans chaque
cellule de ton corps. Et je suis certain que si tu t’assieds et lui
écris une lettre, ma grand-mère pourra la lire. Il n’est pas
trop tard. » La relation entre la maman et son fils a été
rétablie en beauté, et bien plus vite qu’on ne pourrait
l’imaginer !
Selon le « traité de paix », si nous ne parvenons pas à
transformer notre colère après l’avoir pleinement accueillie
et examinée en profondeur, nous devons alors en faire part
à la personne concernée, dans un délai de vingt-quatre
heures. Nous n’avons pas le droit de garder notre colère
pour nous plus d’un jour, ce ne serait pas sain, nous devons
la lui exprimer. Pour ce faire, nous nous adressons à l’autre
personne, lui expliquant que nous sommes en colère, que
nous souffrons. En revanche, si nous sentons que nous ne
sommes pas encore capables de le dire avec calme, nous
pouvons l’écrire sur un bout de papier. Et, là aussi, le
« traité de paix » nous conseille de transmettre ce mot dans
les plus brefs délais4.

TROIS PHRASES POUR SE RÉCONCILIER


Au Village des Pruniers, nous avons l’habitude d’utiliser
trois courtes phrases quand nous nous sentons en colère
contre quelqu’un. Si vous voulez, vous pouvez les noter et
les garder dans votre portefeuille, en guise de rappel. Avec
la première phrase, vous exprimez la vérité à l’autre
personne. Par la parole aimante, vous lui dites combien vous
souffrez et êtes en colère contre elle ou contre lui : « Je suis
en colère, je souffre et je veux que tu le saches. » Bien
souvent, dans une situation comme celle-là, nous ressentons
de l’arrogance, voire de la fierté. Dans ce cas, quand l’autre
personne s’approche de nous et nous demande si nous allons
bien, si nous sommes fâchés, nous aurons tendance à
répliquer sous l’emprise de la colère : « Moi, en colère ? Non,
pourquoi ? Je vais très bien ! » Or, cette attitude est à
l’opposé de la pratique. Ce que je vous conseille plutôt est de
simplement reconnaître : « Je suis en colère, vraiment en
colère. Je souffre et je veux que tu le saches. » Et si vous
voulez préciser davantage votre ressenti, vous pouvez
même ajouter : « Je ne comprends pas pourquoi tu m’as dit
cela, pourquoi tu m’as fait cela. Je souffre beaucoup. » Voilà
ce à quoi nous invite la première phrase.
Avec la deuxième phrase, nous expliquons à l’autre
personne que nous veillons à pratiquer : « Je fais de mon
mieux. » Et cela veut simplement dire que je pratique et
que, chaque fois que je me mets en colère, je dois éviter de
dire ou faire quoi que ce soit. Je reviens simplement à ma
respiration et, en pleine conscience, j’entoure ma colère de
toute ma tendresse, je l’examine en profondeur pour bien
voir les racines qui sont en moi. En affirmant que je fais de
mon mieux, je montre ainsi à l’autre personne que je suis un
pratiquant et que je sais comment prendre soin de ma
colère. Tout en lui inspirant confiance et respect, cette
attitude sera aussi une manière indirecte d’inviter cette
personne à pratiquer à son tour. Ainsi, peut-être pourra-t-
elle s’interroger sur sa propre attitude : « Qu’est-ce que j’ai
dit ? Qu’est-ce que j’ai fait pour le faire souffrir autant ? »
Et ça, c’est déjà le début de la pratique. La deuxième phrase
invite donc l’autre personne à examiner en profondeur si
elle a été injuste dans ce qu’elle a dit ou fait.
Avec la troisième phrase, je demande de l’aide à l’autre
personne quand, seul, je ne me sens pas capable de
transformer ma souffrance, ma colère : « S’il te plaît, aide-
moi. » Bien souvent, le simple fait d’écrire cette troisième
phrase apporte déjà un soulagement. Quand nous sommes
en couple ou que nous avons des amis de pratique, il est
essentiel de pouvoir partager les moments de bonheur, tout
comme ceux de souffrance. « Maintenant je souffre, je veux
le partager avec toi et j’ai besoin de ton soutien. » Or, bien
souvent, nous faisons juste l’inverse. Sous l’emprise de notre
blessure, de notre colère, nous préférons nous réfugier dans
notre chambre et pleurer seul, refusant toute aide venant de
quelqu’un d’autre. Cédant à notre fierté, nous voulons punir
l’autre en lui montrant que nous pouvons parfaitement nous
en sortir sans lui, sans elle. Or, exprimer notre souffrance,
ne serait-ce que par écrit, nous aidera à surmonter cette
fierté. Cela montre à quel point ces trois phrases peuvent
être un véritable guide pour notre pratique. Elles nous
aident à nous exprimer sincèrement : « Je suis en colère
contre toi, j’en souffre beaucoup et je veux que tu le
saches. » « Je fais de mon mieux pour prendre soin de ma
souffrance. » « S’il te plaît, aide-moi. »
Peut-être pourriez-vous écrire ces trois phrases sur un
petit bout de papier – la taille d’une carte de crédit suffira –
pour pouvoir la glisser dans votre portefeuille ? Chaque fois
que surgira en vous l’énergie de la colère, vous saurez ainsi
quoi faire ; il vous suffira de prendre cette carte et de relire
les phrases. Le Bouddha sera alors avec vous et vous saurez
exactement quoi faire et ne pas faire. Nombre de mes amis
ont pu appliquer cette méthode et ont transformé leurs
relations – entre père et fils, entre mère et fille, entre
partenaires. Les pratiques de la respiration et de la marche
en pleine conscience sont une aide très précieuse pour nous
aider à revenir au calme. Elles nous invitent à faire appel à
ce qu’il y a de meilleur en nous pour gérer la situation. Ainsi,
nous ne cédons plus à notre tendance à réagir en laissant
colère et violence entraîner encore plus de souffrance.

UNE LETTRE DE RÉCONCILIATION


Ces trois phrases peuvent servir de trame à une lettre de
réconciliation que nous pourrions écrire. La pratique réserve
en effet une part importante à la rédaction de lettres car,
même habités des meilleures intentions, nous restons tous
susceptibles de céder à l’irritation quand nous parlons, en
réagissant parfois maladroitement, si notre pratique n’est
pas assez solide. C’est dommage, car cela risquerait de
gâcher complètement toute occasion de faire la paix. C’est
pour cela qu’il est parfois plus judicieux, voire plus simple,
de rédiger une lettre. Cela nous laisse alors l’occasion d’être
parfaitement honnête. En mettant sur papier tout ce que
nous ressentons, dans le plus grand calme, par des mots
témoignant paix et amour, nous pouvons expliquer à l’autre
personne que certains de ses actes ou paroles nous ont
blessés. Nous cherchons à établir le dialogue, en lui écrivant
des phrases telles que : « Chère amie, cher ami, je suis peut-
être victime de perceptions erronées, et il est possible que
ce que j’écris ici ne reflète pas la réalité. Cependant, c’est
ainsi que je vis la situation. C’est vraiment ce que je ressens
au plus profond de mon cœur. Si mes perceptions sont
fausses, alors, s’il te plaît, détrompe-moi. S’il y a quoi que ce
soit de faux dans ce que j’écris, prenons le temps de
réexaminer la situation ensemble afin de résoudre le
malentendu. » En écrivant, il est important d’utiliser la
parole aimante et, si une phrase n’est pas assez bien écrite,
n’hésitons pas à recommencer et à la remplacer par une
autre plus aimable.
Dans la lettre, il est tout aussi important de montrer que
nous reconnaissons la souffrance que vit l’autre personne.
« Toi, à qui je tiens tant, je sais que tu as souffert toi aussi.
Et je sais que tu n’es pas totalement responsable de ta
souffrance. » En pratiquant la vision profonde, nous
pourrons repérer certaines des racines et des causes de la
souffrance qu’elle vit. Nous pouvons même lui en parler, et
exprimer ce qui nous fait souffrir de notre côté, montrant
ainsi que nous comprenons sa réaction ou les paroles qu’elle
a pu prononcer.
Cette lettre est vitale pour notre bonheur ; il est donc
essentiel de prendre tout le temps dont nous avons besoin
pour la rédiger, qu’il s’agisse d’une semaine, voire de deux
ou trois, si nécessaire. Le temps que nous consacrerons à ce
courrier est même plus important que l’année, ou les deux
années, que certains d’entre nous passent à rédiger leur
thèse de doctorat. Notre thèse n’est pas aussi essentielle que
notre lettre ; cette dernière représente sans doute la
meilleure occasion qui s’offre à nous pour parvenir à rétablir
la communication. Nous pouvons être le meilleur médecin, le
meilleur thérapeute de la personne que nous aimons, car
c’est nous qui la connaissons le mieux.
L’aide dont nous avons besoin pour rédiger ce message
nous sera donnée. N’oublions pas que nous avons des frères
et sœurs de pratique, au sein même de la communauté, qui
peuvent nous aider et nous éclairer ; nous ne sommes pas
seuls. Quand nous écrivons un livre, nous en confions le
manuscrit à des amis et à des spécialistes pour leur
demander conseil. Nos compagnons de pratique sont des
spécialistes car ils pratiquent tous l’écoute compatissante, le
regard profond et la parole aimante. Nous pouvons donc
faire lire notre lettre à un frère, à une sœur, et lui demander
de nous dire si le ton est suffisamment aimable, assez calme,
et si notre regard sur la situation est suffisamment profond.
Nous pouvons ensuite la soumettre à l’avis d’une autre sœur
ou d’un autre frère et poursuivre ainsi jusqu’au moment
oùnous sentirons que notre message pourra contribuer à la
transformation de l’autre personne et la guérir de sa
souffrance.
Cette lettre est tellement importante qu’elle mérite qu’on
y consacre tout le temps, l’énergie et l’amour nécessaires. Il
est vital de restaurer la communication avec cette personne
à laquelle nous tenons tant ; et il est certain que personne ne
nous refusera son aide pour un aussi beau projet. C’est peut-
être notre père, notre mère, notre fille ou notre partenaire
qui nous aidera, ou la personne assise juste à côté de nous.
L’essentiel est de commencer dès à présent ; nous pouvons
même rédiger les premières lignes aujourd’hui. Ainsi, nous
découvrirons qu’avec un simple stylo et une feuille de papier
nous pouvons pratiquer et transformer notre relation.
Et même si nous ne pensons pas à ce courrier durant nos
activités, que ce soient la marche ou l’assise méditatives, le
jardinage, le nettoyage ou la préparation de notre repas, il
est évident que tout ce que nous ferons sera en relation avec
son contenu. Le temps que nous passons à écrire, face à
notre table, n’est que le temps consacré à mettre nos
sentiments sur le papier. Mais ce n’est pas véritablement le
moment où nous produisons la lettre. Sa véritable création
intervient quand nous arrosons les légumes, quand nous
pratiquons la méditation marchée, ou même quand nous
cuisinons pour la communauté. Toutes ces pratiques nous
aident en effet à nous apaiser et à nous rendre plus solides.
C’est alors que, par la pleine conscience et la concentration,
nous permettrons à nos graines de compréhension et de
compassion de se développer. Si la lettre que nous adressons
à la personne qui nous est si chère est le fruit de la pleine
conscience générée par notre pratique attentive tout au long
de notre journée, elle sera certainement magnifique. Et
même si nous n’y pensons pas, elle est en train de s’écrire
dans les profondeurs de notre conscience.
Notre journée ne peut pas se résumer à nous asseoir et
écrire ; nous avons d’autres choses à faire, qu’il s’agisse de
simplement boire notre thé, préparer le petit déjeuner,
laver nos vêtements ou arroser les légumes. Le temps que
nous consacrons à chacune de ces activités est extrêmement
important. Nous devons les faire du mieux que nous
pouvons et nous impliquer à cent pour cent dans l’acte de
cuisiner, d’arroser le potager ou de faire la vaisselle. Nous
apprécions tout simplement ce que nous sommes en train de
faire, et nous le faisons profondément. Cela est essentiel
pour notre lettre et pour tout ce que nous voulons produire
d’autre.
L’illumination n’est en rien différente de la vaisselle ou de
la culture des salades. La réelle pratique consiste à vivre
intensément chaque moment de notre quotidien avec pleine
conscience et concentration. C’est précisément durant ces
moments de vie quotidienne que la conceptualisation et la
création d’une œuvre d’art prennent naissance. L’instant où
nous écrivons notre morceau de musique ou notre poème
n’est jamais que la phase d’accouchement de notre bébé. Ce
nouveau-né doit déjà être en nous pour que l’on puisse lui
donner naissance. Si le bébé n’est pas en nous, nous
pourrons rester des heures et des heures face à notre
bureau, il n’y aura rien à produire rien dont nous pourrons
accoucher. Notre vision, notre compassion et notre capacité
à écrire d’une manière qui puisse ouvrir le cœur de l’autre
sont des fleurs qui s’épanouissent sur l’arbre de notre
pratique. Nous devrions faire bon usage de chaque instant
de notre vie quotidienne afin de permettre à la
compréhension et à la compassion de s’épanouir.
C’est grâce à l’énergie de pleine conscience présente en
nous que nous pouvons écrire une vraie lettre d’amour et
nous réconcilier avec une autre personne. Les mots d’amour
sont toujours empreints de vision profonde, de
compréhension et de compassion. Sans cela, il ne s’agirait
pas vraiment d’une lettre d’amour. La véritable lettre
d’amour peut alors induire une réelle transformation chez
l’autre personne et donc dans le monde. Mais, avant qu’il
nous soit possible de produire cette transformation en
l’autre, elle doit s’opérer en nous. Et c’est pour cela que
certaines lettres nous demanderont peut-être une vie
entière.

MALADRESSE
Si, par le passé, nous avons souffert ou fait souffrir
d’autres personnes, surtout ne nous laissons pas décourager
par la prise de conscience que nous avons aujourd’hui ! Si
nous savons comment prendre soin de notre souffrance, elle
pourra nous enseigner beaucoup. Bien sûr, nous avons fait
des erreurs. Bien sûr, nous n’avons pas toujours été très
adroits. Certes, nous nous sommes fait du tort à nous-
mêmes et nous avons même fait souffrir des personnes
autour de nous. Mais rien ne nous empêche de prendre un
nouveau départ et de faire bien mieux l’année prochaine et,
pourquoi pas, tout de suite... Posons un regard neuf sur
notre souffrance, et nous pourrons la transformer en un
élément positif. Nous avons tous commis des bêtises, des
maladresses, mais, désormais, nous pouvons faire le choix
de progresser, de recommencer et de nous transformer.
Généralement, dès que quelque chose va de travers, nous
cherchons à ce que cela s’arrange immédiatement. Nous
voulons que la douleur et la souffrance, tout ce qui ne va pas,
disparaissent au plus vite. Et pourtant, quand nous sommes
confrontés à une difficulté, la toute première étape est
justement de ne pas chercher à la résoudre. Avant toute
chose, il s’agit de la reconnaître, simplement pour ce qu’elle
est. Ensuite, quand nous aurons pu rester quelque temps
avec nous-mêmes, il sera beaucoup plus facile de nous
rapprocher de la personne avec laquelle nous sommes en
conflit. Nous pourrons lui parler calmement : « Je sais que
tu as beaucoup souffert durant ces derniers mois et même
au cours des dernières années. Je sais aussi que je suis en
partie responsable de ta souffrance. Je ne t’ai pas montré
beaucoup d’attention. Je n’ai pas suffisamment compris ta
souffrance et tes difficultés. J’ai peut-être même dit ou fait
certaines choses qui ont encore empiré la situation. J’en suis
vraiment navré(e). Ce n’est pas du tout ce que je souhaitais.
Au contraire, je veux ton bonheur, ta sécurité, ta liberté et
ta joie. J’ai été maladroit(e) à différents moments, parce que
je ne comprends pas suffisamment bien ce que tu vis. Je t’ai
peut-être même donné l’impression que je cherchais à te
faire souffrir. Mais, tu sais, ce n’est vraiment pas le cas. S’il
te plaît, parle-moi de ta souffrance ; ainsi, je ne répéterai
plus les mêmes erreurs. Ton bonheur est essentiel à mon
propre bonheur. J’ai besoin de ton aide. Parle-moi de tes
peurs, de tes préoccupations, de tes difficultés ; ainsi je
pourrai t’aider plus facilement. » C’est ce type de dialogue
que la vision profonde peut apporter.
Bien souvent, nous avons manqué de vigilance à l’égard de
nos enfants, ignorant leurs difficultés, leur souffrance, la
colère et la douleur qu’ils portaient en eux. Tout parent
devrait être capable de parler à son enfant avec les mots du
cœur. C’est le langage coulant directement du cœur qui
permet de rétablir la communication et de faire la paix avec
l’enfant, permettant alors au processus de réconciliation de
s’amorcer.
Nous savons tous que la paix commence par nous-mêmes.
Mais nous ne savons pas toujours comment nous y prendre.
Si nous parvenons à générer l’énergie de pleine conscience
et que notre souffrance se transforme ainsi en
compréhension et en compassion, alors la réconciliation
pourra s’amorcer beaucoup plus facilement. Avant cela, c’est
quasiment impossible. La fierté, la colère et notre peur de
souffrir nous barrent la route. Mais avec la pleine
conscience, la compréhension peut pénétrer le terreau de
notre cœur, laissant alors jaillir le nectar de la compassion.

SE RÉCONCILIER AVEC SOI-MÊME


Je me souviens du jour où un couple qui allait se marier au
Village des Pruniers vint me voir et m’interrogea : « Thây 5,
il ne reste plus que vingt-quatre heures avant notre
mariage. Comment pouvons-nous nous préparer afin que ce
mariage soit une réussite ? » Je répondis : « La chose la plus
importante est de regarder profondément en chacun de
vous, pour voir s’il y demeure encore un obstacle. En ce
moment, y a-t-il quelqu’un avec qui vous êtes encore en
conflit, avec qui vous voudriez vous réconcilier ? Reste-t-il
quelque chose en vous-même que vous ne vous êtes pas
pardonné ? » La réconciliation n’implique pas
nécessairement une relation avec une autre personne, c’est
aussi se pardonner à soi-même. Il y a beaucoup de conflits
en nous et nous devons prendre le temps de nous asseoir
pour les harmoniser. Nous devons pratiquer la méditation
assise et marchée, de façon à prendre conscience de notre
situation et à voir clairement quelle action engager.
Si nous pratiquons la marche méditative et la méditation
assise, si nous cuisinons, faisons la vaisselle et veillons à
accomplir chacune de nos activités quotidiennes en pleine
conscience, c’est toujours avec l’intention de regarder en
profondeur ce que nous pouvons faire pour prendre un
nouveau départ. C’est ainsi que, à la suite de cette
observation, le couple se rendit compte qu’il restait
beaucoup trop de choses à réaliser pour les vingt-quatre
heures dont il disposait encore avant le mariage. L’un et
l’autre voulaient notamment se réconcilier au plus vite avec
un ami. Mais comment pourraient-ils lui faire parvenir une
lettre en moins de vingt-quatre heures ? J’ai pu les rassurer
en leur montrant que, si la réconciliation prenait place en
eux, c’était largement suffisant. Par la suite, l’effet et les
conséquences de cette paix seraient perceptibles partout.
Même si la personne avec laquelle nous voulons nous
réconcilier est très loin de nous, si elle refuse de décrocher le
téléphone ou d’ouvrir notre lettre, même si elle est déjà
disparue, la réconciliation est toujours possible. Il s’agit
peut-être de notre père, notre mère, notre sœur, notre fille
ou notre fils. Que cette personne soit toujours en vie ou
qu’elle soit déjà décédée, il sera toujours possible de
parvenir à faire la paix avec elle. Se réconcilier signifie avant
toute chose parvenir à la transformation en nous-mêmes, de
façon à ce que la paix puisse être rétablie. Nous savons qu’à
tout moment il est possible de repartir de zéro, de tout
renouveler. Notre maman a peut-être déjà quitté cette vie.
Mais si nous regardons en profondeur, nous percevrons
qu’elle est toujours en vie à travers nous. Nous ne pourrions
pas être sans notre maman. Et même si nous la haïssons, ou
si nous sommes en colère contre elle, même si nous ne
voulons pas penser à elle, elle est toujours en nous. Et, plus
que cela, elle est nous et nous sommes elle. Nous sommes la
fille ou le fils de notre mère. Nous sommes sa continuation.
Nous sommes notre mère, que cela nous plaise ou non. C’est
pour cela que la réconciliation opère à l’intérieur de chacun
de nous et que nous réconcilier avec notre mère, notre père,
notre fils, notre fille ou notre partenaire implique
simplement de pouvoir nous réconcilier avec nous-mêmes.
Nous regrettons parfois de ne pas avoir dit ce qu’il fallait à
quelqu’un de notre famille avant sa mort. Nous regrettons
de ne pas avoir été aimables avec cette personne tant qu’elle
était encore en vie. Aujourd’hui pourtant, même si nous
croyons qu’il est trop tard, nous pouvons laisser de côté de
tels regrets car cette personne est toujours en nous et nous
pouvons repartir de zéro. Sourions-lui, et disons-lui tout ce
que nous aurions dû lui dire sans en avoir eu l’occasion.
Parlons-lui dès maintenant et elle l’entendra. Parfois, nous
n’aurons même rien à formuler car le simple fait d’incarner
pleinement l’esprit d’un nouveau départ permettra à cette
personne de sentir ce renouveau.
Un jour, j’ai pu expliquer cette pratique à un ancien
vétéran américain qui avait tué cinq enfants au Vietnam :
« Cessez de souffrir à cause des cinq enfants que vous avez
tués. Si vous savez comment vivre votre vie aujourd’hui,
comment sauver les enfants du présent et du futur, ces cinq
enfants parviendront à vous comprendre, ils vous souriront
et vous soutiendront sur votre chemin de pratique. » Nous
n’avons aucune raison de rester dans la prison de notre
complexe de culpabilité. Tout est possible. Le passé n’est
pas révolu, il est toujours disponible sous la forme du
présent. Si nous savons comment toucher le présent en
profondeur, nous toucherons le passé par la même occasion
et pourrons même le transformer. C’est ce que nous
enseigne le Bouddha. Si nous avons dit quelque chose de
particulièrement méchant à notre grand-mère alors
qu’aujourd’hui elle n’est plus dans cette vie, nous pouvons
effacer nos propos. Nous avons juste à nous asseoir,
pratiquer la respiration consciente pour entrer en contact
avec notre grand-mère en nous. Nous lui sourions et disons :
« Grand-mère, je suis désolé(e). Je ne dirai plus jamais une
chose pareille. » Et nous verrons notre grand-mère sourire à
son tour. Cette pratique nous apportera beaucoup de paix et
nous donnera ainsi une sensation de véritable renouveau.
Notre entourage en ressentira énormément de joie et de
bonheur, tout comme les générations qui nous suivront.

QUE FAIRE QUAND NOUS AVONS BLESSÉ


QUELQU’UN ?
Que faire si nous avons blessé d’autres personnes et
qu’elles nous considèrent à présent comme leur ennemi ? Il
peut s’agir de membres de notre famille, de notre
communauté, ou de personnes vivant à l’étranger. Peu
importe car je pense que nous connaissons déjà la réponse ;
nous savons qu’il y a plusieurs choses que nous pouvons
faire. La première est de prendre le temps de dire : « Je suis
désolé(e), je vous ai blessé par ignorance, par manque
d’attention, j’ai fait preuve de maladresse. À l’avenir, je ferai
de mon mieux pour témoigner de plus de compréhension.
Mais, maintenant, je préfère ne rien dire d’autre car je ne
voudrais pas vous blesser davantage. » En général, nous
n’avons pas l’intention de faire du mal, mais cela arrive
quand nous sommes maladroits ou manquons de pleine
conscience. C’est pour cela qu’il est aussi important de
cultiver la pleine conscience dans notre vie quotidienne, de
façon à pouvoir nous exprimer sans blesser les personnes à
qui nous nous adressons.
La deuxième chose à faire est d’essayer de faire émerger
le meilleur de nous-mêmes, notre fleur, afin de nous
transformer. C’est la seule manière d’en témoigner. Lorsque
nous serons emplis de fraîcheur et de gentillesse, l’autre
personne le remarquera très vite. Ainsi, quand nous aurons
l’occasion de l’approcher, nous pourrons venir vers elle
comme une fleur, et elle remarquera immédiatement que
nous avons fortement changé. Il est probable que nous
n’aurons même rien à dire, et que le simple fait de nous voir
ainsi permettra à l’autre personne de nous accepter et de
nous pardonner. C’est alors par notre vie que nous nous
exprimons, plus uniquement par nos mots.
La véritable transformation débute dès que nous
commençons à voir que celui que nous percevons comme
notre « ennemi » est en fait en souffrance. Dès que je peux
toucher en moi l’espoir profond que l’autre personne cesse
de souffrir, c’est mon véritable amour qui se manifeste. Mais
c’est là que nous devons faire preuve de vigilance, car il nous
arrivera parfois de penser que nous sommes plus forts qu’en
réalité. Afin de vérifier la réalité de notre force intérieure,
nous pouvons alors approcher l’autre personne, l’écouter et
lui parler. Et nous découvrirons immédiatement si notre
compassion est réelle ou non. Nous avons besoin de la
réalité, d’être en présence de l’autre personne pour tester
notre force. Si je me contentais de méditer sur un concept
abstrait, comme la compréhension ou l’amour, je risquerais
de rester bloqué dans l’imaginaire, sans accéder à la réelle
compréhension ou à l’amour véritable.
Pour parvenir à faire la paix, nous devons donc
abandonner toute vue dualiste et quitter notre tendance à
toujours vouloir punir l’autre personne. Même si la
réconciliation s’oppose à toute forme d’ambition, elle ne
prend jamais aucun parti. Il nous faut pourtant reconnaître
que nous cherchons souvent à prendre position dans les
conflits, arbitrant entre le vrai et le faux, la plupart du
temps sur la base de preuves insuffisantes ou de rumeurs.
Nous pensons que l’indignation est nécessaire pour agir. Or,
même quand elle est légitime ou justifiée, elle ne suffira
jamais. Notre monde ne manque pas de personnes motivées
qui veulent se lancer dans l’action ! Pourtant, ce dont nous
avons le plus besoin, c’est de personnes qui soient capables
d’aimer sans prendre parti et qui puissent ainsi embrasser
la pleine réalité de la vie.
Nous devons poursuivre notre pratique de pleine
conscience et de réconciliation jusqu’à parvenir à percevoir
le corps des enfants affamés comme étant le nôtre, jusqu’à
ce que la douleur de toutes les espèces soit la nôtre. C’est
alors que nous atteindrons la pleine dimension de la non-
discrimination, l’amour véritable. Nous pourrons enfin
regarder tous les êtres avec les yeux dela compassion et
véritablement œuvrer à réduire la souffrance.

QU’EST-CE QUI NOUS EMPÊCHE D’ÊTRE HEUREUX ?


Si nous pratiquons, c’est parce que nous voulons
réapprendre à marcher, à respirer, à nous asseoir – à faire
en sorte que chacun de nos pas soit empreint de paix et de
joie, tout au long de notre marche, à respirer de telle façon
que paix, vie et compassion soient manifestes. Quand nous
prenons notre petit déjeuner, nous mangeons de telle sorte
que la liberté et la joie soient possibles tout au long du repas.
C’est quelque chose que nous apprenons, une pratique à
laquelle nous pouvons nous entraîner avec l’aide de la
Sangha, parmi nos frères et sœurs de pratique. Une seule
inspiration peut apporter beaucoup de plaisir, et certains
parmi nous sont capables de respirer en pleine conscience,
d’apprécier et de savourer le moment présent. « J’inspire, je
suis vivant, vivante ! » C’est un instant de célébration de la
vie qui est là pour nous. Nous savons que nous sommes en
vie et que nous pouvons vivre pleinement, célébrer notre
vie à chaque instant. « J’inspire, je sais que je suis
vivant(e) ; j’expire, je souris à la vie. »
La pratique est simple et à la portée de tous. Nous
pouvons tous inspirer et célébrer la vie avec cette
inspiration. Et pourtant, il y a souvent quelque chose qui se
met en travers de notre route. Lorsque nous marchons,
chacun de nos pas peut nous aider à entrer en contact avec
les merveilles de la vie, toutes disponibles pour nous. Nous
savons que le printemps est là, le soleil brille, la vie est là et
les fleurs nous sourient. En théorie, nous devrions donc tous
être capables de toucher ces merveilles pour nous en
nourrir, nous guérir. Mais il y a quelque chose qui bloque,
qui nous empêche de nous sentir bien et d’être heureux.
Nous avons perdu notre sourire.
Nous pourrons retrouver ce sourire si chacun de nos pas
est profondément en contact avec la vie et ses merveilles.
Chaque pas est alors une véritable célébration de la vie.
Marchant ainsi, nous marchons en liberté – je suis libre de la
souffrance, de la peur, du désespoir. Cette liberté est le
fondement de notre bonheur. Avec chaque pas, nous
marchons comme une personne libre. Libérés, nous pouvons
être en contact avec les merveilles de la vie qui nourrissent
et guérissent.
Mais alors, quel est donc cet obstacle, sur notre route, qui
nous empêche de célébrer la vie à chacun de nos pas ? Nous
devons le reconnaître tel qu’il est, et le nommer pour ce qu’il
est, par son « vrai nom ». Qu’est-ce qui m’empêche de
marcher, de respirer en pleine conscience, de prendre mon
petit déjeuner dans la joie et le bonheur ? Nous savons
pourtant très bien que l’instant présent est le seul moment
où nous pouvons pleinement entrer en contact avec la vie.
Le passé n’est plus là ; il ne contient plus la vie. Et le futur
n’est pas encore là. Le passé n’est pas réel, pas plus que le
futur. Seul le moment présent est réel. La pratique consiste
donc à entrer en contact avec le moment présent, à nous
rendre pleinement disponibles pour lui, à nous établir dans
l’instant. C’est ainsi que nous pourrons toucher la vie et la
vivre pleinement. Il nous suffit d’un seul pas, d’une seule
respiration, d’une simple tasse de thé, d’un petit déjeuner ou
d’un son de la cloche. Et tout cela nous ramène à l’instant
présent, de façon à pouvoir vivre notre vie. Nous nous
entraînons à marcher de telle manière que chaque pas,
chaque inspiration, chaque expiration nous procure du
bonheur, nous apporte la vie.

TRANSFORMER LE PASSÉ DANS L’INSTANT PRÉSENT


Il est possible que tout semble aller pour le mieux tant
que nous sommes en retraite ou dans notre centre de
pratique, que nous ne ressentions plus aucun problème ; et
pourtant, nous savons que nous retrouverons tous nos
soucis dès que nous serons de retour chez nous, peut-être
une difficulté relationnelle avec une personne de notre
entourage. Nous avons déjà rencontré de nombreuses
difficultés par le passé, et nous pensons que cette autre
personne est un réel problème, que c’est ce qui nous
empêche de respirer ou de contempler les jonquilles ici, car
nous songeons sans cesse au moment où il nous faudra
rentrer et revoir cette personne. Nous ne sommes donc pas
libres. Nous ne pouvons pas vraiment apprécier notre
inspiration ni notre expiration car nous n’arrêtons pas d’y
penser. Nous ne cessons de replonger dans notre passé alors
que nous pourrions nous établir pleinement dans l’Ici et
Maintenant. La vie n’est nulle part ailleurs qu’Ici et
Maintenant...
Heureusement, nous avons la pratique ; nous ne devrions
donc pas nous inquiéter du moment où nous reverrons cette
autre personne. En examinant la situation en profondeur,
nous verrons que nous avons la capacité de la gérer, en
pratiquant la respiration consciente et en nous établissant
dans le moment présent. Nous sommes tout à fait à même
de faire face à toutes les situations. C’est un peu comme
savoir utiliser le gaz pour cuisiner et l’électricité pour
chauffer la maison. Si nous ne connaissons pas suffisamment
ces deux énergies, le gaz et l’électricité peuvent nous tuer.
Et pourtant nous en savons déjà bien assez, nos
connaissances peuvent nous protéger de tout danger. Même
si nous ne sommes ni expert ni électricien professionnel, nos
connaissances sont suffisantes pour maîtriser l’électricité, et
c’est bien pour cela que nous ne craignons pas de nous
électrocuter. Même si nous connaissons les dangers du gaz
et de l’électricité et que nous n’en ignorons pas les risques
mortels, nous savons que ce n’est pas leur fonction
première. Nous avons appris à les connaître, à les utiliser et
à les maîtriser. Inutile donc de nous faire du souci, ils ne
nous font pas peur. Bien au contraire ! Tous deux nous sont
utiles ; le gaz nous aide à cuisiner, à préparer de bons plats,
et l’électricité nous apporte une aide précieuse sous diverses
formes à la maison.
C’est exactement pareil en ce qui concerne cette autre
personne que nous redoutons. Elle non plus ne veut pas
nous faire souffrir, bien sûr que non ! C’est notre propre
incapacité à voir notre nature d’inter-être avec elle qui
cause notre souffrance. Comme le gaz et l’électricité que
nous devons connaître un minimum pour les utiliser sans
danger, nous devons apprendre à comprendre l’autre
personne. Ainsi, si nous comprenons suffisamment son mode
de fonctionnement, il n’y a plus ni danger ni souffrance.
Cette personne n’a aucune intention de nous faire souffrir ni
de nous blesser. Sans doute s’agit-il plutôt de grandes
difficultés et de souffrances qu’elle porte en elle et ne
parvient pas à gérer. Elle ne sait simplement pas comment
prendre soin d’elle-même. Elle souffre et nous fait souffrir à
notre tour. Mais si nous en sommes conscients et
connaissons un minimum le fonctionnement de l’autre
personne, nous comprendrons de suite qu’il est inutile d’en
souffrir.
Si elle dit quelque chose de particulièrement désagréable
qui nous fait souffrir, c’est un peu comme si nous ouvrions le
gaz. Nous connaissons sa nature et nous devons être
vigilants, rien de plus. L’autre personne porte en elle
certaines souffrances, et elle n’a pas encore appris comment
s’y prendre pour pouvoir les traiter. Elle continue donc à en
souffrir et à faire souffrir les autres. Mais si son entourage la
connaît bien et sait comment l’aborder, il n’y aura plus lieu
de souffrir à cause d’elle. Avec cette prise de conscience,
nous pouvons même l’aider à diminuer sa propre souffrance.
Si elle nous regarde et s’exprime de façon violente, notre
compréhension et notre compassion pourront nous en
protéger. Nous savons parfaitement bien qu’elle esten
souffrance et qu’elle ne sait pas comment s’y prendre. Elle a
surtout besoin de compassion et d’aide. Si nous parvenons à
comprendre et à percevoir cela, nous nous protégerons
automatiquement, nous ne souffrirons plus de ce qu’elle dit
ou fait. Nous pouvons alors nous sentir portés par le désir de
faire quelque chose – non plus réagir, mais répondre de
façon à pouvoir l’aider à moins souffrir. Là encore, la
compréhension et la compassion nous protègent. Tout
comme nous avons appris à connaître les caractéristiques du
gaz et de l’électricité pour en éviter les dangers possibles,
nous pouvons apprendre à connaître l’autre personne,
reconnaissant sa souffrance et le fait qu’elle ne cherche pas à
nous blesser. Elle souffre et nous devons l’aider.
Maintenant que nous avons acquis cette compréhension
et développé notre compassion, nous pouvons être en toute
confiance et tout simplement nous dire : « Quand je
reviendrai vers elle, j’adopterai cette attitude et je ne
souffrirai plus. Je trouverai le moyen de l’aider à moins
souffrir. » Chacun de nous est suffisamment armé, doté de
compassion et de compréhension, il n’y a plus rien à
craindre. Nous sommes des humains libres, et c’est pour
cela que le bonheur est possible dans l’instant présent. La
fleur a conservé notre sourire, et nous pouvons nous le
réapproprier immédiatement et en profiter pleinement.
Prenons un moment pour examiner en profondeur notre
réalité du moment. Avons-nous un problème, là,
maintenant ? Arrêtons-nous un instant et observons notre
corps, nos sensations, nos perceptions. Avons-nous un
problème particulier ? Si nous ne constatons aucun
problème en ce moment, alors ne nous laissons pas envahir
par nos fantômes du passé. Cessons de nous laisser détruire
par les projections du futur ou du passé. Ce ne sont que des
fantômes. C’est pour cela que nous nous entraînons à être
toujours dans le moment présent. C’est notre pratique. C’est
notre voie ; celle de la réconciliation.
1 Dans la psychologie bouddhique et en particulier dans la
terminologie de Thich Nhat Hanh, le terme « volition » est
utilisé plus volontiers que « volonté » pour se référer à
l’intention qui dirige l’esprit, notre motivation profonde,
l’énergie qui alimente nos actions.
2 Metta est le terme pali, tandis que mitra en est la racine
et vient de maitri en sanskrit.
3 Pour plus de détails au sujet du traité de paix, se référer
à l’ouvrage de Thich Nhat Hanh, La Paix en soi, la paix en
marche, paru chez Albin Michel (2006).
4 Voir l’exemple de « traité de paix » dans la section
« Pratiques de guérison », en fin d’ouvrage.
5 Les étudiants de Thich Nhat Hanh l’appellent
affectueusement Thây, ce qui signifie en vietnamien maître
ou enseignant. Ce mot désigne aussi tout moine reconnu en
qualité d’enseignant.
8

Devenir un bodhisattva

Nombreux sont ceux qui, parmi nous, pratiquent la


méditation assise pour échapper à la souffrance, parce que
cette assise procure tranquillité et relaxation, en aidant
aussi à laisser ce monde « de misère et de conflits » bien loin
derrière... Certes, nous préférons éprouver de la joie et du
bonheur, et nous nous asseyons dans l’espoir de moins
souffrir. Mais, faisant cela, nous nous comportons comme un
lapin qui se réfugie dans son terrier, sous terre, pour se
sentir protégé. Nous nous asseyons tel un lapin dans son
terrier qui ne veut plus être dérangé. Nous cherchons à
laisser le monde loin derrière nous. Cette attitude indique
simplement que nous souffrons trop et que nous aspirons à
du répit, une sorte d’échappatoire. Mais ce n’est pas la
véritable finalité de la méditation. Quand nous sommes assis
comme un lapin, ce que nous cherchons en réalité, c’est à
éviter la souffrance. Mais nous devrions plutôt recourir à
notre intelligence et à notre concentration pour parvenir à la
vision profonde, car ce n’est qu’ainsi que nous pourrons
trouver les moyens de transformer notre souffrance
intérieure et de devenir un Bouddha, un être éveillé, une
personne libre.
Le bouddhisme aborde la notion des « trois mondes » : le
monde du désir, le monde de la forme, et le monde de la
non-forme. Nous avons tous la capacité de dépasser nos
désirs et nos pulsions. Par la pratique, nous pouvons laisser
le monde du désir derrière nous et accéder à la joie et au
bonheur. C’est la toute première étape de la pratique. Nous
constatons pourtant que, même après avoir quitté le
domaine des désirs, le discours mental se poursuit. C’est
pourquoi nous pratiquons l’arrêt, le retour au calme, afin de
mettre un terme à ce discours interne. Le discours mental
est constitué de deux éléments : vitarka et vicara – vitarka
étant la pensée initiale et vicara la pensée récurrente,
continue.
Nous ne pouvons pas nous arrêter de penser. Il y a un
enregistrement audio en lecture permanente dans notre
tête ; ce bruit est celui du discours mental qui tourne sans
arrêt. Et c’est précisément pour apprendre à mettre un
terme à ce discours intérieur que le Bouddha nous a
enseigné le retour à l’observation de l’inspiration et de
l’expiration. Demeurant simplement dans notre inspiration
et dans notre expiration, nous pouvons apaiser le mental. En
appréciant chaque inspiration et chaque expiration, nous
sommes en mesure de stopper les pensées récurrentes. Et
c’est là que nous trouverons notre stabilité. Nous pouvons
donc simplement nous asseoir là et apprécier chacune de nos
inspirations et expirations, savourer ce calme, l’absence de
discours mental, et appréciant alors pleinement tous ces
petits moments de joie et de bonheur qui nous sont offerts.
En revanche, nous ne pouvons pas en rester là car cela ne
suffirait pas. Si nous ne pratiquons que cela, nous aurons
sans doute quitté la communauté de pratique d’ici à trois
ans. Et, hors de la communauté, de retour dans « le
monde », nous verrons à quel point celui-ci est empli de
souffrances. Il est même probable qu’au bout de trois mois
ou d’une année nous ferons la demande de réintégrer la
communauté. Et nous poursuivrons sans doute ce même
schéma, continuant à pratiquer de la mêmefaçon : joie et
bonheur émergeant du retour au calme, nés du simple fait
de laisser tout derrière nous.
C’est une cloche de pleine conscience qui nous indique que
nous devons aller davantage en profondeur. Si nous ne
sommes pas heureux dans la pratique, nous imputerons
notre malheur à autre chose. Nous disons que si nous ne
sommes pas pleinement heureux, c’est à cause des
conditions autour de nous, à l’extérieur ; que nous n’y
sommes pour rien. C’est une difficulté que rencontrent
toutes les communautés de pratique. À l’inverse, si nous
connaissons ce problème, nous pourrons construire notre
communauté de telle sorte que chacun puisse prendre
conscience du fait que, s’il n’est pas heureux, c’est parce
qu’il ne sait pas comment préserver son propre bonheur. Le
problème est que, bien souvent, nous ne savons pas
comment aller en profondeur pour transformer la douleur et
l’anxiété, toute cette immense souffrance qui séjourne en
permanence dans notre conscience du tréfonds.
Or, celle-ci provient généralement de notre enfance. Nous
avons peut-être subi une certaine forme d’abus quand nous
étions encore enfants. Il se peut aussi que notre souffrance
soit celle de notre père ou de notre mère ; ils ont peut-être
connu la maltraitance durant l’enfance et, maintenant, leur
souffrance est devenue la nôtre. Même si nous n’avons
qu’une très vague perception de notre blessure, nous
devons pratiquer pour entrer en contact avec elle, de façon à
pouvoir utiliser notre vision profonde et la reconnaître. Et
s’il nous faut souffrir, alors nous pouvons nous encourager :
« J’accepte de souffrir, parce que je sais qu’en ressentant la
douleur de cette façon je pourrai apprendre et, ensuite,
obtenir de bonnes choses. » C’est un peu comme si nous
mangions du melon amer. Puisque nous savons qu’il peut
nous soigner, nous ne craignons pas du tout d’en
consommer.
Si votre souffrance émerge, il est donc essentiel que vous
restiez là où vous êtes pour simplement l’accueillir, qu’il
s’agisse de votre colère, de votre frustration, ou de votre
ardent désir d’obtenir quelque chose que vous n’avez pas. Et
même si ce bloc de souffrance n’a pas de nom, que vous ne
pouvez pas encore le nommer, c’est toujours de la
souffrance. Soyez alors prêt à simplement lui dire bonjour, à
l’accueillir et l’embrasser tendrement. Apprenons à
apprivoiser notre douleur et à vivre pleinement avec elle.
Dès le moment où je peux accepter totalement ma
blessure et où je suis prêt à la sentir, elle ne pourra plus
m’affecter. Je sentirai que je suis tout à fait capable
d’apprivoiser ma souffrance et de vivre avec elle, parce que
son effort est bénéfique et, comme le melon amer, elle peut
même me guérir. Permettons donc à la souffrance d’être en
nous. Acceptons-la totalement, sentons-nous prêts à souffrir
un petit peu pour apprendre ce qu’elle peut nous enseigner.
À l’inverse, si nous n’accueillons pas cette souffrance et ne
lui offrons pas notre tendresse, nous ne saurons pas de quoi
il s’agit. Et nous ne saurons pas qu’elle peut nous apprendre
tant de choses et même nous apporter joie et bonheur. Sans
souffrance, sans compréhension de cette souffrance, le
véritable bonheur est impossible.
LA FIN DU MALENTENDU
Pendant la guerre du Vietnam, des millions de personnes
croyaient que j’étais un communiste tandis que, pour
d’autres, j’étais un agent de la CIA. Si vous étiez dans une
situation analogue, vous en souffririez peut-être
terriblement. Vous pourriez vous sentir victime
d’incompréhension et d’injustice. Vous pourriez vous dire
que votre souffrance ne cessera jamais tant que les gens
continueront à penser que vous êtes un communiste ou un
agent de la CIA. Mais vous pourriez aussi décider d’agir,
faire quelque chose d’autre : simplement décider d’accepter
la situation telle qu’elle est. Oui, il y a effectivement des
millions de personnes qui croient que vous êtes communiste
et il y en a des millions d’autres qui croient que vous
soutenez la CIA. Mais c’est uniquement leur manière de voir
les choses. Je ne suis ni un communiste ni un agent de la
CIA ; je n’ai donc aucune raison de souffrir. Ce n’est qu’en
vivant ma vie, par mes actions, par mes paroles, que je
pourrai me prouver à moi-même que ma cause est tout à
fait juste ; c’est la cause de la paix et de la réconciliation. Si
nous parvenons à faire cela, alors ce type de souffrance ne
nous affectera plus du tout.
La souffrance est faite de malentendus, de colère, de haine
et d’ignorance. Et si je compte sur les autres pour dissiper ce
genre de causes à ma place, je pourrai peut-être attendre
une éternité. Nous devons donc élargir notre perception, et
utiliser notre concentration et notre vision profonde pour
discerner à quel point les personnes autour de nous
souffrent en raison de leur façon de penser, de leur manière
d’agir ou de parler. Or, si nous souffrons comme elles, nous
n’aurons pas non plus les moyens de les aider. Il nous
appartient donc d’y œuvrer, afin de transformer notre
souffrance et de donner à notre compréhension et à notre
compassion toutes les chances d’émerger. Par la suite, nous
pourrons ainsi aider ces personnes. Si nous adoptons ce type
d’attitude, cette forme de compréhension, nous ne
souffrirons plus car nous disposons de bons outils, ceux de la
compréhension et de la compassion. Et ce n’est qu’avec la
pratique que nous pouvons les développer.
Ces difficultés et ces injustices ont existé de tout temps ;
le Bouddha lui-même a dû les traverser. Un jour, des
malfrats tuèrent une danseuse et enterrèrent son corps
dans les terres du monastère, avant de prévenir la police.
Celle-ci arriva sur les lieux et, après avoir découvert le
corps, elle commença à répandre la rumeur selon laquelle le
Bouddha et les moines avaient eu des relations sexuelles
avec la danseuse, avant de la tuer et de l’enterrer. Le
lendemain matin, quand les moines revêtirent leur robe,
prirent leur bol et partirent en ville faire l’aumône, on les
regarda avec ce type de regard qu’il est si difficile de
soutenir – un regard empli de suspicion et de mépris. Ils ont
dû subir cela des jours et des jours.
Les moines allèrent alors trouver le Bouddha : « Cher
Maître, nous n’en pouvons plus. Chaque fois que nous allons
en ville, les gens nous regardent avec des yeux méprisants.
Nous souffrons énormément. » Alors le Bouddha leur
répondit : « La chose essentielle est que vous n’ayez pas
commis ces actes, que vous n’ayez pas fait ce dont ces
personnes vous accusent. Vous savez très bien que vous
avez respecté vos préceptes.
« Voilà donc notre pratique. Un jour, le malentendu
pourra se dissiper, simplement par la façon dont vous vivez
votre vie, à travers la manière dont vous pratiquez. Le
monde regorge d’exemples comme celui-là mais, si vous
cultivez la compréhension et la compassion, vous n’avez pas
à en souffrir. Partout, nous pouvons rencontrer des groupes
de personnes jalouses, qui font tout ce qu’elles peuvent pour
éclabousser notre réputation. En fait, ces personnes doivent
souffrir terriblement de leur propre jalousie pour en venir à
faire de telles choses. Nous devons donc les considérer avec
beaucoup de compassion. Grâce à votre pratique, vous serez
un jour à même de les aider à s’éveiller, et vous parviendrez
à voir que ce qu’elles ont fait n’est pas digne de personnes
qui marchent sur le chemin spirituel. » C’est grâce à cet
enseignement du Bouddha que les bhikshus, les moines,
cessèrent enfin de souffrir de cette situation.
La communauté du Bouddha avait tout de même souffert
près d’un mois de cet incident, mais, quelques semaines plus
tard, le pratiquant laïc Anathapindika, étudiant et fervent
défenseur du Bouddha, engagea des détectives privés. Et
ceux-ci parvinrent à démasquer les auteurs du crime.
En réalité, votre degré de souffrance dépend entièrement
de vous. Que vous souffriez un peu, beaucoup ou pas du
tout, cela dépend totalement de votre capacité à regarder
profondément, de votre aptitude ou non à faire preuve de
compréhension et de compassion. S’il vous faut souffrir un
peu, autorisez-vous à souffrir. Enveloppez votre souffrance
de toute votre tendresse, ressentez-la de tout votre cœur et
regardez en profondeur afin de générer concentration et
vision profonde. Vous développerez ainsi les moyens de
générer la compassion et la compréhension, mettant alors
fin à vos sentiments de colère ou de haine envers les
personnes qui tentent de vous faire souffrir. Ensuite, faites
aussi le vœu de cultiver votre pratique et de vivre de telle
sorte que vous puissiez leur venir en aide plus tard.
Si votre souffrance vous a été transmise par votre père ou
votre mère, ne blâmez ni votre papa, ni votre maman.
Dites-vous simplement qu’ils n’ont pas eu la chance de
rencontrer le Dharma et la pratique, et c’est pour cela que
cette souffrance est parvenue jusqu’à vous. Mais vous
pouvez agir pour vous et pour eux car, si vous savez
comment pratiquer, vous aiderez votre papa en vous et
votre maman en vous. Vous êtes prêt à souffrir pour lui,
pour elle. Et, dans ce cas, la douleur n’est pas du tout
négative car vous souffrez dans le but de trouver une
solution, une issue. Permettez-vous donc d’avoir un petit
peu mal. Ne cherchez pas à fuir la souffrance car elle n’est
pas uniquement négative. Dites-vous qu’il y a beaucoup
d’enfants qui détestent le melon amer au début et qui, à
l’âge adulte, s’en délectent !
Les situations les plus difficiles à vivre sont celles où nous
reconnaissons la présence de la souffrance, mais sans
parvenir à en identifier la nature. Cela reste quelque chose
de très vague ; impossible de l’appeler par son « vrai nom ».
La souffrance est bel et bien présente en nous, mais il nous
est impossible de l’éclairer suffisamment de notre pleine
conscience afin de la reconnaître clairement. Tout cela
provient de nos blocages, des résistances que nous portons
en nous et de notre tendance à toujours la fuir, au lieu de
revenir à nous et de la reconnaître. Comme nous l’avons
déjà évoqué, c’est notre tendance habituelle. Chaque fois
que nous sommes sur le point de toucher la souffrance, nous
refusons de la contacter et nous préférons prendre la fuite.
Cela fait si longtemps que nous agissons ainsi que jamais
nous n’avons encore eu l’occasion de rencontrer cette
souffrance, de la reconnaître et de l’identifier. Désormais,
nous pouvons nous faire la promesse d’agir différemment.
Nous nous engageons à ne plus la fuir. Nous pouvons alors
faire le vœu que, chaque fois qu’elle se manifestera, nous
pratiquerons l’arrêt et nous l’accueillerons avec un sourire.
Et, puisque tous les blocs de souffrance tentent toujours de
s’exprimer à un moment ou à un autre, nous aurons tous
l’opportunité de les identifier, plus tard, grâce à
l’observation et à notre pleine conscience. Il n’est en effet
absolument pas nécessaire de retourner vers le passé pour
rencontrer notre souffrance et la reconnaître. Il suffit de
simplement rester dans le moment présent, avec vigilance,
en pleine conscience, et elle se manifestera d’une manière ou
d’une autre. Et quand nous reconnaîtrons les signes de sa
manifestation, nous serons en mesure d’en identifier la
nature.
La pratique de la méditation bouddhique est centrée sur
le moment présent. Nous n’avons pas besoin de retourner
dans le passé, dans notre enfance, pour rencontrer notre
souffrance et ses causes profondes. Il nous suffit de rester
entièrement ancré dans l’instant présent et d’observer ce
qui s’y passe. Cette souffrance, dont les racines sont
profondément enfouies dans le passé, voire dans des vies
antérieures, finira toujours par se manifester à nous. En fait,
elle est présente toute la journée, et sa simple manifestation
suffit à l’identifier.

« HOMO CONSCIOUS »
Le Bouddha est l’un des plus beaux exemples de l’espèce
humaine que nous appelons Homo conscious. Il y eut
d’abord Homo erectus (l’homme debout), ensuite Homo
habilis (l’homme adroit), puis Homo sapiens (l’homme
pensant). Maintenant, nous avons l’expression Homo
conscious, l’être humain qui est conscient, éveillé. Cette
expression a été utilisée par d’autres personnes avant moi ;
je n’en suis pas l’auteur et je ne fais que la leur emprunter.
Lorsque la conscience amène l’humain à faire ce grand
constat : « Un jour, je tomberai malade... je vais vieillir... je
vais mourir... », il peut facilement sombrer dans les affres
de l’anxiété, de la peur et de l’angoisse ; et c’est alors qu’il
sera susceptible de tomber malade. Souvent, nous nous
interrogeons : « Les autres espèces sont-elles moins
conscientes que nous ? », « Souffrent-elles moins de savoir
ce qu’elles deviendront à l’avenir ? »... Comme tous les
humains portent cette angoisse en eux, nous nous posons
alors ces questions métaphysiques : « Qui suis-je ? », « Que
vais-je devenir ? », « Est-ce que j’existais déjà dans le
passé ? », « Et si c’est le cas, à quelle espèce d’animal ai-je
appartenu ? », « Est-ce que j’existerai encore dans le
futur ? », « Si oui, quelle espèce animale serai-je ? »...
Toutes ces questions trouvent leur origine dans cette
angoisse typiquement humaine et peuvent engendrer mal-
être et maladies. Et c’est encore cette même angoisse qui
génère nos habituelles questions : « Est-ce que mes parents
me désiraient vraiment ? », « Est-ce que je suis né(e) par
accident ? », « Y a-t-il quelqu’un qui m’aime ? » et les
innombrables pensées qui en découlent.
C’est précisément notre capacité à être éveillé qui peut
nous sauver – notre nature même d’être humain, doté d’une
conscience. C’est en effet grâce à elle que nous percevons
combien l’environnement de cette planète appartient à
toutes les espèces, que nous comprenons que l’être humain
est en train de la détruire. Dès que les hommes sont
conscients de la souffrance engendrée par l’oppression
politique et par l’injustice dans la société, ils sont en mesure
d’arrêter ce qu’ils sont en train de faire et d’aider les autres
à s’arrêter à leur tour pour amorcer une nouvelle direction,
une orientation différente, qui ne détruira plus notre
planète. Il est vrai que c’est notre conscience qui révèle
notre anxiété et notre angoisse. Mais si nous savons
comment utiliser cet éveil, cette pleine conscience, nous
parviendrons à discerner la situation dans laquelle nous
nous trouvons. Nous percevrons alors clairement ce qu’il est
bon ou non de faire afin de transformer la souffrance, et
ainsi de faire place à la paix, au bonheur et à l’avenir.
La méditation assise n’a rien à voir avec une quelconque
recherche d’illumination dans le futur. Au contraire, quand
nous sommes assis, nous avons la possibilité d’être
totalement avec nous-mêmes. Bien présents, sur notre
coussin, nous respirons de façon à être pleinement vivants ;
nous sommes complètement dans le présent, dans l’Ici et
Maintenant. Avoir le temps de nous asseoir, avoir le temps
de marcher, de nous brosser les dents, d’apprécier l’eau qui
coule sur nos mains quand nous en rinçons le savon – tout
cela peut déjà nous apporter beaucoup de bonheur.
Quand nous prenons un repas, nous devrions manger de
manière à ce que la joie, la détente et le bonheur soient
disponibles, car partager un repas à plusieurs est une
véritable pratique profonde. Tout comme nous le faisons
avec la respiration, l’assise, la marche et le travail, nous
mangeons de telle sorte que nos ancêtres puissent manger
avec nous. Notre père mange avec nous, notre grand-père
et notre grand-mère mangent à nos côtés. Nous nous
asseyons confortablement, comme quelqu’un qui n’a aucun
problème, aucune angoisse. Le Bouddha nous a enseigné à
ne jamais nous laisser emporter par des pensées ou des
conversations futiles au cours des repas. Nous devrions
simplement demeurer dans l’instant présent pour être
profondément en contact avec la nourriture et avec nos
bien-aimés qui nous entourent. Nous devrions toujours
manger de façon à être heureux, à l’aise, et en paix, afin que
chacun de nos ancêtres et de nos descendants puisse en
profiter également.
Lorsque j’avais quatre ou cinq ans, ma mère avait pour
habitude de me rapporter un gâteau à base de pâte de
haricots chaque fois qu’elle se rendait au marché. Ainsi,
durant son absence, je restais au jardin, m’amusant avec les
escargots et les cailloux. Et quand maman rentrait, j’étais
toujours très heureux de la voir ; je prenais le gâteau qu’elle
me tendait et j’allais le déguster au jardin. Je savais que je
ne devais pas le manger à toute vitesse. Je voulais le
savourer lentement – plus c’est lent, plus c’est bon ! Je me
contentais de grignoter un petit morceau du bord pour
laisser pénétrer la saveur du gâteau dans ma bouche, puis je
levais les yeux vers le haut, vers le ciel bleu. Ensuite, je
redescendais mon regard vers le bas, vers mon chien. Puis je
regardais le chat. J’avais mon rituel, c’est comme cela que je
voulais savourer mon gâteau, et ce bonheur se prolongeait
facilement une demi-heure. Je n’avais aucun souci. Je ne
pensais ni à la gloire, ni aux honneurs, ni au profit. C’est
pour cela que ce gâteau de mon enfance est un souvenir
merveilleux, profondément ancré dans ma mémoire. Nous
avons déjà tous connu de tels instants, sans aucune attente,
des moments pleins en eux-mêmes, où nous ne regrettons
rien. Ce sont des instants de réel bonheur, où nous ne nous
embarrassons d’aucune question philosophique du type :
« Qui suis-je ? » Mais, aujourd’hui, qui est véritablement
capable de manger un gâteau de cette façon, de boire une
tasse de thé avec une telle présence et d’apprécier
pleinement son environnement ?
Nous pouvons redécouvrir tout cela ! Renaître et
réapprendre à marcher, avec stabilité, comme une personne
libre, sans « fantômes » à notre poursuite. Nous sommes ici
pour apprendre à nous asseoir ; à nous asseoir
confortablement, comme si nous étions sur une fleur de
lotus, et non sur des charbons ardents, ce qui est souvent le
cas dans notre société. Assis sur des charbons ardents, nous
perdons notre sérénité. Nous pouvons décider, aujourd’hui,
de réapprendre à respirer, à sourire, à cuisiner. Notre
maman nous a appris à manger, à boire ; elle nous a montré
comment nous tenir debout, comment marcher, comment
parler, elle nous a tout appris ! Et maintenant, nous devons
réapprendre tout. Et si nous parvenons à poser tous ces
actes en pleine conscience, nous renaîtrons à la lumière de
l’éveil.

« BODHICITTA »
La Bodhicitta est l’esprit d’éveil, l’esprit de débutant. Si je
suis inspiré par le désir de pratiquer et de transformer ma
souffrance, je suis vraiment en mesure d’aider les
nombreuses personnes qui souffrent autour de moi. À ce
moment-là, l’esprit est particulièrement beau ; c’est
précisément l’esprit d’un bodhisattva, l’esprit de celui qui
s’est libéré de la souffrance et qui peut alors venir en aide à
tous les êtres. C’est ce qui est parfois nommé « esprit
d’amour » ; l’amour étant ce qui nous pousse à pratiquer.
Nous ne cherchons pas uniquement à fuir la souffrance ;
nous voulons autre chose, nous voyons bien plus loin que
cela. Notre désir profond est de transformer notre propre
souffrance et de nous en libérer afin d’aider de nombreuses
autres personnes à transformer la leur. En tant que moines,
moniales ou pratiquants laïcs, nous devrions tous veiller à
garder cet état d’esprit de débutant à tout moment, bien
présent, bien vivant, car c’est une puissante source
d’énergie. Elle pourra nous nourrir et, grâce à elle, nous
pourrons pratiquer au mieux les entraînements à la pleine
conscience. Nous trouverons alors l’énergie nécessaire pour
affronter et surmonter les difficultés rencontrées dans notre
vie de pratiquant. Il est vraiment essentiel de pouvoir
nourrir l’esprit d’amour, de préserver l’esprit de débutant
et d’alimenter notre Bodhicitta. Entretenons donc notre
pratique et veillons à ne pas laisser mourir cette énergie au
bout de deux ou trois années.
Personnellement, j’ai eu le bonheur de pouvoir maintenir
vivant mon esprit de débutant jusqu’à aujourd’hui – et cela
ne veut pas dire pour autant que je n’ai pas rencontré de
difficultés. Au contraire, j’ai dû dépasser de nombreux
obstacles sur mon chemin de pratique. Mais jamais je n’ai
abandonné, et ce, grâce à la Bodhicitta, mon esprit de
débutant, toujours très puissant. Cultivez la confiance en
votre pratique, car tant que cet esprit demeure en vous,
tant qu’il est suffisamment puissant, vous n’aurez pas à vous
inquiéter. Quelles que soient les difficultés que vous
rencontrerez sur votre chemin, vous serez en mesure de les
surmonter, aussi nombreuses soient-elles. Et quand vous le
sentirez faiblir, soyez bien conscients que tout danger peut
arriver. Dans ces moments-là, veillez à ne pas le laisser
faiblir davantage. Entretenez-le, restez un bodhisattva votre
vie entière et vous pourrez apporter beaucoup de bonheur
autour de vous et dans le monde. Vous serez une personne
pleinement heureuse.
DEUXIÈME PARTIE

Récits de guérison
Les petits yeux

Récit de Lillian Alnev

Le simple fait de dire qu’il y a en moi une longue mémoire


d’expériences traumatisantes me pousse encore à me faire
toute petite, tant j’en ressens de la honte. Je peux même en
dresser la liste « physique », sur papier, mais elle me fait
honte elle aussi. Elle est bien trop longue et horrible pour
paraître réelle ; et, en même temps, tout ce qui y figure
semble pourtant bien dérisoire... Il paraît qu’il s’agit de la
« culpabilité du survivant ». J’ai l’impression qu’il me
faudrait une éternité pour éradiquer toutes ces parts de moi
qui ne cessent de comparer et juger.
Si les crimes dont j’ai été victime avaient été dénoncés,
certains de leurs auteurs auraient pu être condamnés. Et j’ai
moi-même été témoin de nombreuses offenses commises à
l’encontre d’autres personnes. Mais, concrètement,
l’événement le plus déchirant de mon enfance n’est en fait
pas considérable. Et pourtant, il représente le meilleur
exemple illustrant à quel point la pratique m’a permis
d’amorcer une guérison.
J’ai grandi dans un environnement particulièrement
exposé aux intempéries, tout ce qui était à découvert
rouillait particulièrement vite. En revanche, le bassin des
Grands Lacs où nous vivions était magnifique en toute
saison et, pour l’enfant que j’étais et qui aimait tant créer de
ses mains, les variations extrêmes de la météo
transformaient chaque espace en une magnifique boîte aux
trésors, regorgeant de merveilles artistiques et naturelles :
bois, roches, pigments et autres décors.
C’est ainsi que je passais tout mon temps libre à
l’extérieur, à construire mon village miniature personnel,
parfaitement exempt d’écoles, de magasins de vins et
spiritueux, sans églises ni prisons... Je me bâtissais mon
petit monde utopique dont l’accès était interdit à toute
personne qui me faisait du tort. Je bâtissais des maisons de
brindilles aux toits de chaume et des logements en pierres,
garnis de bardeaux. Je nivelais les routes dans les dépôts
glaciaires et construisais des barrages pour contenir l’eau de
pluie et former lac et canaux. De maisons en immeubles,
c’est toute une ville qui s’édifiait. J’avais même créé une
ferme à l’aide des radis et carottes géants dont j’avais chipé
les graines dans le potager familial.
Ensuite, ce fut au tour de mes jouets, dinosaures et
animaux de ferme préférés, d’emménager dans les maisons,
constituant ainsi une communauté à part entière. Œuvrant
au fil des saisons à mon tout petit projet de génie civil, j’ai
peu à peu développé l’illusion sensorielle de voir le monde
entier du haut de quelques dizaines de centimètres. Mes
« petits yeux » m’enchantaient ; je sentais même qu’ils me
protégeaient.
Un dimanche matin, en plein cœur de l’hiver, je me suis
réveillée très tôt. Sans attendre, j’ai enfilé mes vêtements,
tout excitée de voir ma ville recouverte par la neige toute
fraîche. Lorsque je suis arrivée à hauteur du coupe-vent en
genévrier qui protégeait la porte arrière de notre maison,
j’ai repéré de petites empreintes de pas sombres dans la
neige. Deux traces devant notre entrée principale, dirigées
précisément dans la direction de mon village.
De toute évidence, il s’agissait de chaussures à la semelle
dure, et non des habituels sabots en caoutchouc que nous
portions tous durant l’hiver. Mes toutes premières pensées
ont été pour la personne qui portait ce type de chaussures ;
je la plaignais presque, songeant aux difficultés qu’elle devait
avoir en marchant dans la neige avec de simples chaussures
d’école. Et ce n’est qu’après un moment que j’ai réalisé ce
que ces traces signifiaient... Je me souviens précisément
qu’il n’y avait pas d’issue à ce sentier. Le visiteur, mon
village, mes animaux, tout semblait s’être volatilisé dans les
airs. C’est alors que je me suis précipitée vers la maison, en
courant et hurlant, accusant mon père d’avoir détruit tout
mon petit monde, comme s’il voulait m’infliger une étrange
punition que je ne comprenais pas.
J’ai encore aujourd’hui du mal à comprendre ce qui s’est
réellement passé. J’avais déjà connu des actes de violence et
de cruauté avant cet événement, mais jamais on ne m’avait
volé quelque chose. Et là, quelqu’un avait pris mes animaux,
mon travail et, avec eux, mes « petits yeux »... Dès ce
moment, j’ai commencé à me méfier de tout. Mes créations
sont devenues étranges et de plus en plus rares.
Aujourd’hui, je me dis que j’ai de la chance d’être en vie.
Et j’éprouve beaucoup de gratitude d’avoir une pratique
spirituelle. Je peux méditer en communauté parce que
l’invitation à « tuer le Bouddha si jamais nous le croisions sur
la route » me rassure. Je me sens rassurée par cette
exhortation du maître Linji1 car elle me rappelle combien
questionner les apparences est essentiel à ma survie.
Je me souviens que lorsque mes amis de la sangha ont
décidé d’organiser une retraite pour les personnes qui
avaient souffert de traumatismes ou d’abus durant
l’enfance, et qu’ils l’ont intitulée « Guérir l’enfant
intérieur », j’ai senti combien ma part extrêmement critique
fulminait de rage. Ma rebelle intérieure s’insurgeait,
réactivée par l’industrie du développement personnel axé
sur l’« aide intérieure » : ma personne mince intérieure,
mon génie intérieur, mon chef cuisinier intérieur... Mais, en
réalité, j’étais terrorisée. Je me suis pourtant inscrite à cette
retraite... et j’ai participé activement aux exercices
proposés. Je suis même parvenue à commencer une lettre
adressée à mon moi enfant. « Coucou, toi. Je sais que tu
n’aimes pas ton nom. Alors, comment dois-je t’appeler ? »
C’est ainsi que ma lettre démarrait. J’ai pu écrire longtemps,
mais je n’étais pas bien loin dans mon écriture quand j’ai
remarqué que la voix changeait ; en fait, c’est l’enfant qui
m’écrivait... et tout ce que j’ai pu faire à ce moment a été de
pleurer à chaudes larmes. Quand je suis parvenue à
m’apaiser et à écouter cette enfant, j’ai pu aller à l’extérieur
et faire ce qu’elle me demandait de réaliser.
Je me suis alors rendue le long du cours d’eau, et je me
suis mise à ramasser des pierres, celles qui étaient lisses,
douces et fraîches au toucher. J’aimais la sensation qu’elles
laissaient dans ma main et j’ai commencé à les disposer sur
le sable. Un peu plus tard, quand la cloche nous invitant au
repas du soir a interrompu ma concentration, j’ai débarrassé
mes mains de leur sable et des gravillons, et je me suis levée
pour contempler ce que j’avais réalisé. Une petite table de
pierres était dressée avec deux assiettes elles aussi en
pierres, empilées grâce à quelques graines provenant d’une
plante sur les berges du fleuve. Et, de part et d’autre de la
table, toujours en pierres, deux chaises disposées de façon à
profiter pleinement de la magnifique vue sur l’eau.
Dès l’aube, je me suis à nouveau rendue jusqu’au fleuve.
Tout le décor de la salle à manger était toujours là et, dans le
sable humide, je pouvais distinguer de petites empreintes ;
des daims, des oiseaux et plusieurs petits mammifères
avaient contourné ma table, avec grande précaution. En
revanche, les graines avaient disparu.
Quand je suis retournée au même endroit un peu plus
tard dans la journée, j’ai remarqué que l’eau froide avait
changé sa trajectoire. La berge grise paraissait totalement
nouvelle, douce et vide. Cette fois, je savais que rien ne
pourrait m’être volé. Et tandis que je regagnais le zendo, j’ai
remarqué que je parvenais à voir les détails très
distinctement jusqu’à environ trente centimètres au-dessus
du niveau du sol. Je commençais enfin à entrer dans mon
chagrin ; mes « petits yeux » étaient de retour.

1 Cette citation, attribuée au maître zen Linji, signifie que


nous devrions tuer notre idée préconçue concernant une
personne ou une chose, afin d’entrer directement dans la
réalité de cette autre personne ou de cette chose.
Que puis-je faire pour t’aider ?

Récit de Joanne Friday

À l’époque, cela faisait près d’un an que ma mère était


extrêmement malade. Hospitalisée à huit reprises au cours
de sa maladie, elle ne pouvait plus vivre chez elle et
séjournait dans un centre de santé adapté. Quant à mon
père, vétéran de la Seconde Guerre mondiale, il avait
toujours excellé dans le contrôle de son environnement,
étant très doué pour créer les conditions où rien de négatif
ne puisse arriver. C’est une personne particulièrement
méticuleuse ; pour lui, il est essentiel que tout soit en ordre,
sous contrôle. Il a toujours fait un excellent travail pour
prendre soin de tout, et il a été remarquable avec ma mère.
Mais à l’époque que je relate, ma mère était mourante et on
ne pouvait rien y changer. Cette situation était donc
extrêmement douloureuse pour lui. Quand les choses
échappent à son contrôle, il essaie encore plus fortement de
les maîtriser ; il devient alors impatient, irrité, et sa colère
est très perceptible. C’est simplement son énergie
d’habitude.
Un jour, comme je l’accompagnais dans une de ces
cliniques pour rendre visite à maman, il s’est énervé, très en
colère contre elle. Il se montrait de plus en plus impatient
vis-à-vis de maman. Moi, j’étais assise à côté de lui, et je
sentais bien que la rage montait en moi. Habituellement,
j’aurais réagi en lui disant : « Tais-toi, elle ne peut pas faire
autrement. » Mais au lieu de continuer comme par le passé,
je me suis arrêtée à temps et j’ai simplement respiré. Je
sentais que je devais quitter la chambre. Je savais que si je
disais ou faisais quoi que ce soit d’autre, je ne ferais
qu’aggraver la situation ; je créerais encore plus de
souffrance, tant pour moi que pour eux deux. Je me suis
donc contentée de dire : « Je vais marcher un peu. » Je suis
allée dans le parking de la clinique pour pratiquer la marche
méditative.
J’ai repris contact avec ma respiration et, après quelques
minutes, j’ai senti le calme revenir. J’ai ainsi pu inviter la
colère à remonter en moi. J’ai respiré avec elle et j’ai
regardé profondément pour essayer de mieux la
comprendre. Les émotions m’ont immédiatement ramenée
au passé. J’ai compris que ma réaction violente vis-à-vis de
mon père était en fait celle de la petite fille de trois ans que
j’avais été, quand mon père reportait cette même colère sur
moi, toute cette impatience qu’il montrait aujourd’hui. Et
c’était précisément cette petite fille de trois ans qui,
aujourd’hui, se manifestait avec une aussi forte réaction.
Voyant cela, j’ai pu prendre grand soin de la petite fille de
trois ans. Je l’ai prise avec tendresse dans les bras et je lui ai
dit ce qu’elle souhaitait entendre. Je l’ai rassurée sur le fait
que la colère et l’impatience de son papa n’avaient rien à
voir avec elle. Je lui ai expliqué qu’elle n’avait encore jamais
appris comment se protéger de la colère de papa et éviter de
la prendre pour elle, alors que cette rage était en fait
uniquement liée à sa souffrance à lui. Cela n’avait rien à voir
avec elle personnellement, car il aurait réagi exactement de
la même manière avec qui que ce soit d’autre. Grâce à cette
nouvelle compréhension, je me suis sentie emplie de
compassion, tant pour moi-même que pour mon père. Je
vivais là une mise en pratique très concrète de
l’enseignement de Thây : la pleine conscience génère la
concentration ; et celle-ci mène à la vision profonde ; la
vision profonde permet la compréhension, dont peut alors
émerger la compassion.
Pour la plupart, nous avons eu l’habitude de fuir nos
sensations toute notre vie, de nous éloigner le plus loin
possible de ces émotions qui nous font si peur. L’expérience
de cette pratique varie selon les personnes. Mais le simple
fait de nous arrêter, de respirer et d’accueillir ce qui se
manifeste en nous permet déjà d’initier le processus de
transformation, tout en déployant notre capacité à ne plus
céder à la peur. Dans mon cas, la colère m’a ramenée à l’âge
de trois ans, à cette petite fille que j’ai été et qui a vécu la
même expérience que celle que je ressentais à présent.
Quand j’ai touché cela, j’ai immédiatement compris que
quelque chose en moi avait pu se transformer. Je savais que
je pouvais sans problème retourner dans la chambre auprès
de ma mère et de mon père.
En quittant la chambre quelque temps auparavant, je
percevais mon père comme un ogre. Mais à présent,
retournant aux côtés de mes parents, jetant un regard à
papa, je ne distinguais plus que sa souffrance. Elle était si
intense que c’en était presque trop pour moi. Je percevais à
quel point il avait peur et, en moi, seul subsistait un
immense élan de compassion envers lui. Il n’y avait plus rien
d’autre que de la compassion, et une seule chose à lui dire :
« Je suis désolée que tu doives traverser tout cela papa. Dis-
moi ce que je peux faire pour t’aider. »
Ce qui m’apparut clairement aussi, c’est que tant que je
restais coincée dans ma propre souffrance, il était tout à fait
impossible que je voie celle des autres. Je ne pouvais pas
avoir une vision claire de la situation ; je pouvais juste voir
ma propre souffrance. Si je n’avais pas pu m’arrêter et
prendre soin de mes si vives émotions, je me serais sentie
parfaitement satisfaite de ma réaction, et me serais sans
doute dit que j’agissais tout à fait comme une « bonne fille »
doit le faire envers sa mère, convaincue que je me
préoccupais vraiment d’elle. Je me serais persuadée que je
faisais tout pour prendre soin d’elle au mieux, et ma façon
de le faire aurait probablement été de dire à mon père de se
taire. Si j’avais agi ainsi, c’est le père vivant en moi qui se
serait exprimé, réagissant par les critiques et les jugements.
Lui-même s’en serait senti encore plus jugé et critiqué, ce
qui l’aurait sans doute poussé à être encore pire avec ma
mère. En fait, j’aurais créé la situation précise que je
cherchais à éviter.
Je pratique depuis suffisamment de temps pour savoir
quels mots utiliser et de quelle façon les prononcer. J’aurais
sans doute pu avoir la bonne réaction tout de suite et éviter
de critiquer mon père, sans avoir besoin de quitter la
chambre. Mais il est probable aussi que j’aurais gardé un
fond de rage en moi et que, si je m’étais exprimée par ces
mêmes mots sans quitter la pièce un moment, la façon dont
je les aurais prononcés m’aurait trahie. Mon père aurait sans
doute perçu du jugement ou de la critique dans le ton de ma
voix, sur l’expression de mon visage ou dans ma gestuelle.
C’est grâce à cette expérience que j’ai découvert combien
les paroles conscientes sont loin d’être limitées au simple
choix des bons mots, mais qu’il s’agit surtout de transformer
les mauvaises intentions au creux de mon cœur. Si j’utilise la
vision profonde et parviens jusqu’au lieu de compréhension
en moi, j’éprouverai de la compassion, tant pour moi que
pour la personne avec qui je suis en difficulté. Dès que la
souffrance de mon cœur est transformée, les émotions qui
subsistent sont la compréhension et l’amour, pour l’un et
l’autre. Alors, peu importe finalement les mots que je
prononcerai car la personne à qui je m’adresserai ressentira
l’amour, uniquement l’amour. Les personnes savent quand
elles sont aimées et elles savent aussi quand elles ne le sont
pas.
Avec l’expérience, j’ai également pu observer que la
pratique régulière atténue l’intensité des émotions
désagréables qui m’habitent, même si je perçois toujours
bien la présence de toutes mes fortes émotions. À présent, je
peux dire : « Bonjour ma petite colère, mon amie, te voilà
de retour », et ensuite l’émotion disparaît. Quand je prends
bien soin de l’enfant blessée en moi, les émotions sont sans
doute encore là, mais ma relation à elles est complètement
différente ; mes perceptions du monde et des relations que
j’entretiens avec les autres sont tout à fait transformées,
elles aussi. C’est le miracle de la pleine conscience !
Le véritable moi

Récit de Glen Schneider

Je me souviens d’un après-midi où je repensais à une


amitié qui comptait beaucoup pour moi mais qui avait
littéralement volé en éclats, se soldant par un cuisant échec.
Je songeais à la douleur de cette rupture, me demandant si
je n’allais pas reprendre contact avec cette personne afin de
voir s’il y avait une possibilité d’arranger les choses, et de
nous réconcilier. Et tandis que je me préparais mentalement
à ce qu’elle pourrait dire et à ce que je répondrais à mon
tour, je sentis un horrible nœud à l’estomac, quelque chose
de l’ordre du rejet. Je me dis que c’était l’après-midi, que
j’avais du temps, que j’étais seul à la maison et que je
pouvais m’arrêter un moment pour examiner de plus près
ce qu’était cette énergie qui se manifestait en moi.
Je me suis donc installé dans le canapé et me suis
contenté de concentrer mon esprit sur ce nœud au creux de
l’estomac, et, bien vite, dans le coin arrière gauche de ma
tête, un bruit clair et précis a retenti : « Flap... flap... flap... »
J’ai reconnu immédiatement le bruit de la ceinture que mon
père avait utilisée pour me frapper les fesses nues quand
j’avais environ six ans. Je sentais nettement les coups et,
durant un long moment, je n’ai fait que pleurer, gémir et le
supplier d’arrêter. Je revivais totalement ce moment où il
me frappait les fesses, ma mère le regardant faire, debout
dans la cuisine. C’est d’ailleurs elle qui l’y avait incité, et le
petit garçon en moi suppliait : « Non, je t’en prie, ne me
frappe pas, je serai sage. » Là, assis dans le divan, je me suis
demandé si je n’étais pas en train de faire une
décompensation psychotique et, en même temps, comme je
sentais que tout cela me soulageait, j’ai laissé l’énergie
monter en moi et s’exprimer. Mais ensuite, quand j’ai
commencé à me calmer, j’ai perçu dans mon esprit un tunnel
sombre qui m’aspirait. Et j’ai pris peur. Je me suis dit : « Oh,
mon grand, voilà que tu vas découvrir que tu as subi des
abus ou quelque chose du genre dont tu ne te souvenais
pas ! » Mais j’ai décidé d’entrer quand même dans ce tunnel,
et c’est alors que...
... j’étais un tout jeune garçon, dans le poulailler que nous
avions chez nous, et je plaçais ma main sous une poule
couvant ses œufs ; je sentais la chaleur de ses plumes
moelleuses, et les œufs lisses et chauds qu’elles
protégeaient. Quand j’étais enfant, ma famille habitait à la
campagne et nous avions une cinquantaine de poules et
poulets. Nous vendions les œufs et j’apportais mon aide à ma
façon, en m’occupant des poules. J’adorais glisser ma main
sous une poule et l’y laisser là, au chaud ; ces sensations
comptaient parmi les expériences les plus merveilleuses,
nourrissantes et vivantes que j’aie connues. Mon regard
errait un peu partout, et je voyais les bords tranchants et
cassants des coquilles d’huîtres dont nous nourrissions les
poules. Je distinguais aussi tous les détails de la porte du
poulailler que nous fermions chaque nuit afin de les protéger
des ratons laveurs et des renards. Plus loin, dans le verger,
je pouvais voir la moutarde en pleine floraison, avec ses
belles teintes de jaune doré. Tandis que j’étais bien installé
dans le canapé, cette douce rêverie s’est prolongée une
bonne dizaine de minutes. J’étais comme au paradis ; je
vivais un beau rêve, retouchant à tous les délices visuels et
olfactifs de mon enfance. Les couleurs étaient on ne peut
plus brillantes, les formes étaient pures, j’étais conquis. Puis
ce délicieux moment s’est finalement terminé, mon jeune
moi marchait sur le chemin pour regagner la maison
lorsqu’une voix s’est fait entendre dans ma tête : « Ils ont
mis cela en toi. »
Grâce à l’aide d’une sœur de la Sangha qui travaille avec
des jeunes incarcérés et en grande difficulté psychique, j’ai
commencé à comprendre que ce « ils ont mis cela en toi »
voulait dire que d’autres personnes avaient fait naître ce
traumatisme en moi, toutes les choses difficiles que je vivais,
mais que cela n’était pas mon moi véritable. Mon vrai moi,
lui, était le petit garçon qui aimait tant ce qu’il voyait, les
couleurs et les formes avec lesquelles il avait grandi. Mais
l’horrible énergie que l’on m’avait inoculée avait agi comme
une porte d’acier, cadenassant littéralement dans ma
mémoire certains des merveilleux moments de mon
enfance.
J’ai beaucoup de chance d’avoir pu me libérer de cette
énergie traumatisante. J’aimerais d’ailleurs pouvoir dire que
j’ai pu me défaire totalement de cette souffrance en une
seule séance, mais ce ne fut malheureusement pas le cas. Il
m’a fallu plusieurs visites mais, chaque fois, j’ai senti que le
poids s’allégeait, jusqu’à ce que ces moments s’apparentent
un peu à de simples tâches ménagères : « Oh, il serait temps
de refaire un bon nettoyage. » Le temps et la diligence ont
permis que tout s’apaise.
Je pense personnellement que la part en nous qui est si
facilement blessée est précisément celle qui est capable
d’aimer, notre bonté intérieure. Et, même si elle est
facilement masquée par la souffrance et la douleur, nous
portons toujours en nous cette part qui peut accueillir et
embrasser tendrement, capable de pleinement savourer les
merveilles et la tendresse de ce monde. Cette part qui vit en
chacun de nous peut prendre soin de cette beauté si
précieuse ; elle peut la partager, à cœur ouvert. C’est en tout
cas l’expérience que j’ai pu en faire.
Simplement aux côtés d’un ami

Récit d’Elmar Vogt

Je me souviens de cette retraite de trois semaines au


Village des Pruniers, en juin 2006, où j’ai été tellement
malade durant la quasi-totalité du séjour que j’ai dû rester la
majeure partie du temps au lit, cloué par une très forte
douleur à l’estomac. Je souffrais de terribles diarrhées et je
ne mangeais pas grand-chose, mais tout le monde faisait de
son mieux pour m’aider, tant les moines que les amis laïcs
ou mes compagnons de chambre.
J’ai d’ailleurs développé une relation très forte avec un de
ces amis du dortoir. Il avait emmené avec lui un concertina,
sorte de mini-accordéon à boutons, et nous avons très vite
remarqué notre passion commune pour le chant. Un soir,
alors qu’il était assis dans les champs, chantant et jouant des
chansons du folklore américain, je l’ai rejoint et nous avons
entonné des chants ensemble, à la tombée du jour. Après
cette soirée, nous avons pris l’habitude de chanter ensemble
chaque fois que nous en avions l’occasion. C’est ainsi qu’a pu
se tisser entre nous un lien de très forte amitié et de
confiance, et que nous sommes tout naturellement devenus
amis.
Un matin, à l’approche de la fin de la retraite, j’étais
toujours au lit quand mon ami est revenu du petit déjeuner.
Il s’est assis sur le bord de mon lit, me demandant comment
je me sentais. Ensuite, il m’a proposé d’explorer en
méditation cette sensation si douloureuse logée au creux de
mon estomac. Et comme j’étais d’accord, il s’est mis à
entonner quelques chansons pour moi. Puis il a invité la
cloche et m’a suggéré de me concentrer uniquement sur les
sensations de mon estomac, en laissant passer toutes les
pensées, restant juste disponible à tout ce qui pourrait
émerger.
Il ne m’a pas fallu plus d’une minute pour être à nouveau
un petit garçon... J’étais caché au sous-sol, derrière ce qui
abritait le charbon, et je criais pour que ma grand-mère
disparaisse de notre maison. Je l’ai toujours connue vivant
avec nous, depuis ma naissance – bien avant d’ailleurs,
puisqu’elle s’est installée dans notre famille quand son mari,
le grand-père que je n’ai jamais connu, a été porté disparu
lors d’une intervention dans la bataille de Stalingrad, sur le
front Est, en 1942-1943. Enfant, je vivais dans un climat
plutôt toxique, en raison des tensions que générait sa
présence parmi nous. Durant cette méditation, le petit
garçon en moi a imploré mon père de m’extraire de cette
ambiance-là. Une ou deux minutes plus tard, j’ai senti une
larme couler du coin de mon œil, et mon compagnon de
chambre s’en est probablement aperçu car c’est à ce
moment-là qu’il s’est mis à secouer doucement mon avant-
bras pour me rassurer : « Tout va bien, laisse juste les
émotions s’exprimer. » J’ai littéralement fondu en larmes, et
mes sanglots se sont prolongés ainsi durant un assez long
moment, vingt minutes peut-être. J’ai senti combien c’était
source de guérison.
Quand je me suis calmé, j’ai senti un net soulagement au
niveau de l’estomac. Ensuite, nous avons parlé encore et
encore de mon enfance et de mon adolescence, de mes
parents, abordant même le sujet de nos filles (car nous
avons tous les deux une fille d’une bonne vingtaine
d’années). Puis nous avons pris notre repas de midi
ensemble et je lui ai appris une chanson du folklore allemand
Bunt sind schon die Wälder, qui évoque les couleurs des
feuilles et des champs à l’automne.
À présent, je ressens encore la tension dans l’estomac,
mais elle n’est plus pareille depuis cette méditation. Je la vis
plutôt maintenant comme le désespoir du petit garçon dans
le ventre de sa mère quand il se sent à nouveau insécurisé.
Je vois aussi mon père en moi ; papa, qui a été confié à la
garde de sa tante alors qu’il n’avait encore que deux ans. Il
n’a d’ailleurs jamais su pourquoi, et jamais il n’a pu se sentir
pleinement chez lui, nulle part. Ma mère, quant à elle, a
perdu son père quand elle était encore très jeune et elle n’a
même jamais pu pleurer l’absence de son papa. Personne à
l’époque ne savait s’il reviendrait ou non. Ma grand-mère
devait travailler dur, seule, pour s’en sortir et assumer tout
pour ses deux enfants. Elle aimait beaucoup son mari mais il
n’est jamais revenu. Lui-même, tout comme mon père,
n’avait pas grandi auprès de ses parents. Ma grand-mère
m’a d’ailleurs raconté ce que lui-même lui avait confié un
jour : « Ce n’est que depuis que je t’ai épousée et que nous
vivons ensemble que je sais ce que “chez moi” veut dire. »
C’est vraiment triste qu’il ne soit jamais revenu.
Avec le recul, je comprends que le barrage en moi a
commencé à céder durant cette retraite au Village des
Pruniers. Et maintenant, quand ces tensions se manifestent
au creux de mon estomac, je sais que cela n’appartient pas
uniquement à moi. Ces souffrances sont aussi celles de
nombreuses générations de ma famille, ainsi que celles de
toute notre histoire de peuple allemand.
Peut-être qu’une seule vie ne suffira pas à transformer
toute cette douleur. Mais j’essaie désormais d’entrer en
contact avec mon enfant intérieur, je l’écoute et je lui parle.
Je l’invite à venir me rejoindre dans le moment présent et je
lui montre les merveilles de la vie.
TROISIÈME PARTIE

Pratiques de guérison
Arrêter les ruminations

par la Sangha de Buckeye

Linji, grand maître zen chinois du IX e siècle et fondateur


de la lignée du Village des Pruniers, avait coutume d’inviter
les pratiquants à cesser les ruminations ou, selon ses
termes, à « ôter l’objet » ; l’objet étant la personne ou la
situation à laquelle nous pensons, l’histoire que nous nous
racontons. La pratique consiste à ôter l’objet et à revenir au
corps, aux sensations. Il s’agit de rester avec l’énergie
présente et de lâcher nos pensées, nos ruminations. En
ramenant toute notre attention à l’énergie dans notre corps
et à nos sensations, nous pourrons déceler des nœuds en
nous, les accueillir avec grande tendresse puis laisser ces
tensions se dénouer et se libérer d’elles-mêmes. Il s’agit
d’un véritable chemin de guérison. C’est un peu comme
l’apprentissage du vélo. Vous pouvez vous asseoir sur la
selle, vous faire pousser un certain temps par quelqu’un,
puis, à un moment donné, vous vous surprendrez à pouvoir
rouler par vous-même : « Hourra, j’y arrive ! Je roule ! »

Voici alors comment pratiquer pour « ôter l’objet », cesser


nos ruminations :

1. J’inspire, je prends contact avec mon inspiration ; j’expire, je prends


contact avec mon expiration.
2. J’inspire, je ramène à mon esprit une situation difficile pour moi
(l’objet) ; j’expire, je me rends disponible à cette situation (je m’ouvre à
cette situation).
3. J’inspire, j’abandonne toute pensée concernant cette situation
(objet) ; j’expire, de toute ma tendresse, j’enveloppe cette énergie
présente dans mon corps.
4. J’inspire, je suis conscient(e) de mon corps et de mes sensations ;
j’expire, j’entoure mon corps et mes sensations de toute ma tendresse.
5. J’inspire, je dirige cet air frais vers tout mon corps et mes
sensations ; j’expire, je relâche les tensions dans mon corps et mes
sensations.
6. J’inspire, je suis conscient(e) de mon inspiration ; j’expire, je suis
conscient(e) de mon expiration.

Parfois, nous avons l’impression que nos sensations et


l’énergie dans notre corps sont accablantes, voire
insurmontables. Si c’est le cas, nous pouvons simplement
prendre contact un court instant avec les sensations difficiles
ou la situation, juste vingt secondes ou une minute peut-
être. Ensuite, nous ouvrons les yeux et, durant quelques
minutes, nous laissons simplement aller notre attention sur
quelque chose à l’extérieur de nous – nous pouvons par
exemple regarder par la fenêtre le monde réel. Puis, quand
nous nous en sentons capables, nous pouvons ramener
doucement notre attention vers nos sensations. Libre à nous
ensuite de faire différents allers et retours car ces
alternances nous procureront à la fois la sécurité nécessaire
à l’extérieur et l’espace intérieur dont nous avons besoin.
Les seize exercices de respiration consciente

L’enseignement sur la respiration consciente nous vient


en ligne directe du Bouddha. Les seize exercices de
respiration consciente sont des pratiques qui nous aident à
prendre soin de notre corps, de nos sensations, de notre
esprit (nos formations mentales) et des objets de notre
esprit (objets de nos perceptions).
Ces enseignements sont utiles à notre pratique
quotidienne et sont de précieux outils pour nous aider à
prendre soin de nos sensations douloureuses. Chaque fois
que notre souffrance est telle que nous craignons de ne plus
pouvoir en sortir, dès que nous ne savons plus que faire,
nous devrions revenir à ces seize merveilleux exercices1 de
respiration ; ils sont là pour nous.

PREMIÈRE SÉRIE DE QUATRE EXERCICES : LE CORPS


Le tout PREMIER EXERCICE consiste à reconnaître notre
inspiration pour ce qu’elle est, une simple inspiration, et
notre expiration comme une expiration.

J’inspire, je sais que j’inspire.


J’expire, je sais que j’expire.

C’est simple, mais l’effet est très profond. Quand vous


vous concentrez pleinement sur votre inspiration, et la
reconnaissez comme telle, vous vous libérez
automatiquement du passé et du futur, et revenez à
l’instant présent. Vous commencez à générer l’énergie de
pleine conscience et de concentration, accédant ainsi à la
liberté.

Le DEUXIÈME nous permet d’aller


EXERCICE plus
profondément dans l’inspiration et l’expiration :

J’inspire, je suis mon inspiration sur toute sa longueur, du début jusqu’à


la fin.
J’expire, je suis mon expiration sur toute sa longueur, du début jusqu’à
la fin.

Vous vous concentrez sur la longueur de votre inspiration,


durant ses trois, quatre, cinq ou six secondes. Vous êtes
tellement concentré sur l’inspiration qu’il n’y a aucune
interruption durant ces quelques secondes. Il y a non
seulement de la pleine conscience, mais également de la
concentration.
Avec le premier exercice, vous avez déjà pu générer
l’énergie de la pleine conscience et un peu de concentration.
Avec celui-ci, la pleine conscience et la concentration vont
devenir beaucoup plus profondes, et la sensation de bien-
être pendant l’inspiration pourragrandir. Vous n’avez pas à
souffrir pendant l’inspiration. Inspirer peut être quelque
chose de très agréable à faire.

J’inspire, je me réjouis de mon inspiration, parce que je


sais que je suis vivant. Quelqu’un qui est déjà mort ne peut
plus respirer.
« J’inspire donc je suis », ce n’est pas « Je pense donc je
suis »... En effet, quand je pense, je suis perdu dans ma
pensée, je ne suis pas vraiment là, mais quand j’inspire, je
ramène mon esprit vers mon corps. Je suis vraiment établi
dans le moment présent, et je sais très bien que je suis
vivant. Une personne morte ne peut plus prendre
d’inspiration.

J’inspire, je me réjouis de mon inspiration ;


J’expire, je sais que je suis vivant.

Nous célébrons la vie. Nous sommes en vie, bien vivants.


C’est ce que nous constatons avec notre respiration.
Le premier et le deuxième exercice nous procurent
beaucoup de bonheur et de joie. Pourquoi devrions-nous
souffrir dans notre pratique spirituelle ? La vie est déjà
pleine de souffrance. Il faut s’entraîner à respirer de sorte
que la joie et le bonheur soient possibles.

Le TROISIÈME EXERCICE ramène notre esprit à notre corps

J’inspire, je suis conscient de mon corps ; je reconnais


que mon corps est là. Dans la vie quotidienne, nous sommes
trop occupés. Nous oublions que nous avons un corps. Il
nous arrive souvent d’être là sans y être vraiment ; mon
corps est là mais mon esprit est ailleurs, sans doute
préoccupé par le passé, ou par le futur, dans mes projets, ma
colère, mes soucis. Je suis là mais, en réalité, je n’y suis pas.
Je ne suis disponible pour personne, ni pour moi-même ni
pour les autres. Nous pouvons passer trois heures, quatre
heures, avec notre télévision, notre ordinateur, en oubliant
que nous avons un corps. Il est pourtant essentiel de nous
souvenir que nous possédons un corps physique, en
revenant simplement à notre respiration.
Il suffit parfois d’une seule inspiration pour ramener notre
esprit vers notre corps et être ainsi en contact avec cette
merveille qu’est notre corps. Il contient tout le cosmos et,
grâce à lui, nous pouvons entrer en contact avec la planète
Terre, la plus belle dans tout le Système solaire. Joie et
bonheur nous sont directement accessibles. Il y a un maître
zen qui a dit ceci : « Le miracle, ce n’est pas de marcher sur
les braises ou sur les nuages ; le miracle, c’est de marcher
sur Terre. » Avec chaque pas, vous entrez en contact avec
cette merveilleuse planète, vous êtes libre, et chaque pas
vous amène la détente, chaque pas vous nourrit, chaque pas
vous guérit, chaque pas vous libère de vos soucis, du passé
et du futur. C’est le miracle de marcher sur Terre. Ce
miracle peut s’accomplir chaque jour, à tout moment.

J’inspire, je suis conscient de tout mon corps ;


J’expire, je suis totalement présent à mon corps.

La respiration est en fait le pont qui relie notre corps et


notre esprit. Dès l’instant où nous lui portons toute notre
attention, notre corps et notre esprit se rejoignent tout
naturellement. C’est ce que nous appelons « l’unité de corps
et d’esprit ». Notre respiration se calme, et le corps et les
sensations en ressentent les bénéfices immédiats. C’est la
pratique de la paix. Pleinement établis dans l’Ici et
Maintenant, totalement présents, vivants, nous pouvons
toucher les merveilles de la vie. C’est un véritable miracle
qui s’accomplit par ce simple exercice, le miracle de pouvoir
vivre profondément chaque instant.
Nous revenons chez nous, dans notre corps, afin d’être
pleinement conscients de l’existence de ce corps et d’en
prendre bien soin. Peut-être l’avons-nous négligé, voire
maltraité. Mais, à présent, nous pouvons l’entourer
tendrement, dans notre énergie de pleine conscience, et être
conscients de tout ce qui réclame notre attention. C’est ainsi
que nous découvrirons peut-être que, par notre façon de
vivre, notre corps a progressivement accumulé quantité de
tensions, douleurs et stress.

Le QUATRIÈME EXERCICE nous invite à lâcher prise et à


relâcher la tension dans notre corps.

J’inspire, je détends tout mon corps ;


J’expire, je relâche toute la tension dans mon corps.

Nous pouvons pratiquer la relaxation à tout moment de


notre vie quotidienne. Dans une position assise, allongée, ou
en marchant, nous pouvons très bien relâcher la tension.
Que vous fassiez la vaisselle ou prépariez le petit déjeuner,
faites chaque geste en pleine conscience de façon à ce que la
détente soit possible, que la joie puisse être là dans chaque
moment, dans chaque instant. C’est là la véritable
méditation, nul besoin d’une salle de méditation pour
pouvoir méditer. Dans la cuisine vous pouvez très bien
méditer, vous réjouir de tout ce que vous faites. Tout
dépend donc de votre manière de poser chaque geste... Cela
demande bien sûr un peu d’entraînement.
Ces quatre premiers exercices constituent l’essentiel de la
pratique qu’il est indispensable de maîtriser. En effet, la
respiration orientée vers le corps est essentielle avant de
pouvoir appliquer cette même pratique à notre esprit. Être
pleinement conscients de notre respiration signifie que nous
revenons à nous-mêmes, chez nous, et que nous générons
ainsi l’énergie de notre véritable présence. C’est avec cette
même énergie que nous pourrons accueillir et entourer
notre corps avec une grande tendresse, et lui procurer le
calme et la détente dont il a tant besoin. La relaxation
profonde du corps pourra ensuite aider l’esprit à se
détendre lui aussi.

DEUXIÈME SÉRIE DE QUATRE EXERCICES : LES


SENSATIONS
Les quatre exercices qui suivent concernent le domaine
des sensations. Dès que je parviens à ramener mon
inspiration vers le corps, dans le calme et la détente, je suis
pleinement établi dans le moment présent et j’entre alors
tout naturellement en contact avec nombre de merveilles.
Dès que je peux porter mon attention à mes sensations, je
peux accéder à la solution dont j’ai besoin.
Notre corps est une merveille. Le soleil et la pluie sont des
merveilles. Les arbres, les collines, le printemps, tout est
merveille. Le Royaume de Dieu est là pour nous, disponible
dans l’instant présent. C’est à lui que se réfère le
bouddhisme quand il parle de « Terre Pure du Bouddha ». Il
y a des bouddhas dans le passé, il y a des bouddhas dans le
présent, il y aura des bouddhas dans le futur, et chaque être
vivant peut être, peut devenir un bouddha.
Mais qu’est-ce qu’un bouddha ? Un bouddha est
quelqu’un qui est habité par l’énergie de la pleine
conscience, de la concentration, de la compréhension et de
l’amour. En réalité, chacun de nous a cette nature de
bouddha en lui, en elle. Car, tout comme lui, nous avons en
nous des graines de pleine conscience, de concentration, de
compréhension et de compassion. En manifestant ces
semences, nous sommes des bouddhas nous aussi.
Pour moi, le Royaume de Dieu n’est pas une idée, ce n’est
pas une chose qui appartient au futur et ailleurs. Le
Royaume est disponible pour nous, ici et maintenant.

Le CINQUIÈME EXERCICE consiste à reconnaître, à faire


émerger une sensation agréable et à générer l’énergie de
joie.

J’inspire, je ressens la joie en moi ;


J’expire, je ressens la joie en moi.

Quand je suis véritablement installé dans le moment


présent, je peux entrer en relation avec les merveilles de la
vie qui sont là en moi et autour de moi, et c’est pourquoi je
peux générer une énergie de joie tout de suite, à n’importe
quel moment.
La toute première pratique qui permet de générer la joie
est le lâcher-prise car, pour y accéder et la savourer, il y a
certaines choses dont nous devons nous libérer. Bien
souvent, nous pensons que la joie est extérieure à nous,
quelque chose à rechercher en dehors pour en bénéficier,
alors qu’en réalité il nous suffit de repérer quels sont les
obstacles en nous et de les laisser de côté. C’est tout
naturellement que la joie viendra alors jusqu’à nous.

Le SIXIÈME EXERCICE consiste à faire naître un sentiment de


bonheur.

J’inspire, j’éprouve du bonheur ;


J’expire, j’éprouve du bonheur.

Avec pleine conscience et concentration, nous pouvons


faire naître une sensation de joie et de bonheur. Il faut nous
mettre en contact avec les choses saines et nourrissantes
pour nous nourrir, nous transformer.
Bien souvent, le simple fait de pratiquer ces exercices
permettra de générer un sentiment de bonheur en nous, car
la pleine conscience et la détente sont des sources de
bonheur véritable. Elles nous permettent de reconnaître que
nous avons bien assez de conditions de bonheur à notre
disposition. Il est donc facile de faire naître un sentiment de
joie et de bonheur ; c’est quelque chose que nous pouvons
faire à tout moment, et en tous lieux. Vous avez cette
capacité d’être heureux. Il faut donc l’utiliser. Avec l’énergie
de la pleine conscience, avec la marche et la respiration,
vous pouvez générer cette énergie en or. C’est une habitude
qu’il faut cultiver : l’habitude du bonheur. La vertu la plus
grande est la capacité d’être heureux. Si vous pouvez être
heureux, vous pouvez faire le bonheur de tous les êtres, tant
les membres de votre famille que la société.

Le SEPTIÈME EXERCICE nous invite à reconnaître et à


prendre soin des sensations et émotions désagréables,
douloureuses, qui se manifestent en nous. Cette sensation
peut être physique ou mentale.

J’inspire, je reconnais mes sensations douloureuses ;


J’expire, je suis conscient(e) des sensations douloureuses en moi.
Quand une sensation douloureuse se manifeste, il faut
être là pour elle. Il ne faut pas chercher à la fuir. Avec la
pratique de la marche méditative et de la respiration en
pleine conscience, nous pouvons en prendre soin. Cet
exercice nous montre donc comment gérer au mieux nos
sensations de douleur, tristesse, peur ou colère.

J’inspire, je sais que la douleur est là. Bonjour, ma petite


douleur, je sais que tu es là et je vais prendre soin de toi,
sans peur. Le pratiquant reconnaît la sensation pénible,
douloureuse ou désagréable ; il l’accueille et prend soin de
celle-ci, avec beaucoup de tendresse et grande douceur,
comme une maman qui réconforte son bébé dans ses bras.
La tendresse, c’est vous, et la douleur, c’est vous aussi. Nous
ne devrions jamais masquer notre douleur mais, au
contraire, en prendre grand soin car si nous l’ignorons, ou si
nous tentons de supprimer la souffrance, c’est à nous que
nous faisons violence. Or, il n’y a pas de combat à mener ; il
faut juste reconnaître que la sensation douloureuse fait
partie de nous, tout comme la pleine conscience est
également une part de nous. C’est la pratique de la non-
dualité, la non-discrimination.
À l’inverse, chaque fois que nous fuyons, que nous faisons
tout pour éviter de revenir à nous-mêmes, nous laissons
grandir la souffrance. Or, la méthode proposée par le
Bouddha consiste justement à revenir en nous et à prendre
soin de ce qui se manifeste. Pour ce faire, il nous faut faire
appel à notre concentration, à notre pleine conscience. Le
but de ces deux énergies est de nous renforcer afin de ne
plus nous laisser submerger par nos souffrances, notre
tristesse. Ensuite, pleine conscience et concentration nous
permettront de revenir en nous avec confiance, afin de
reconnaître nos sensations douloureuses. « J’inspire, je
reconnais la sensation pénible en moi ; j’expire, je reconnais
la sensation pénible en moi. » C’est une véritable pratique
et, tous, en bons pratiquants, nous devrions être capables de
reconnaître nos douleurs et de les entourer de notre
tendresse, comme une maman avec son bébé. Bien sûr, cela
ne sera pas toujours facile, surtout si nous en sommes au
début de la pratique, mais l’énergie collective de la Sangha
pourra nous y aider.

Le HUITIÈME EXERCICE consiste à apaiser la douleur.

J’inspire, j’apaise les sensations désagréables présentes en moi ;


J’expire, je calme les sensations désagréables présentes en moi.

Chaque exercice proposé nous permet d’aller toujours un


peu plus loin, jusqu’à ce que nous puissions transformer
notre souffrance – non seulement apporter un soulagement
mais transformer cette douleur en quelque chose de plus
positif, comme la compassion, la paix, la joie. Généralement,
dès que nous ressentons une sensation désagréable, notre
tendance dans la vie de tous les jours est de chercher à nous
évader coûte que coûte, pour ne pas entrer en contact avec
elle. Nous allumons la télé même si le programme n’est pas
très intéressant, nous écoutons de la musique ou cherchons
quelque chose à manger ou à boire, nous appelons quelqu’un
au téléphone, nous faisons tout pour ne pas nous confronter
à la douleur. Nous ne savons pas comment gérer une
souffrance, c’est pourquoi nous cherchons à consommer
pour pouvoir oublier. Qu’il s’agisse de la télévision, de
journaux, de l’Internet, de musique ou de conversations,
tout sert le même objectif : couvrir, ensevelir, ignorer la
souffrance en soi. La pratique de la méditation nous
enseigne une autre voie : elle nous apprend à générer
l’énergie de la pleine conscience et la concentration afin de
reconnaître cette sensation douloureuse, de l’accueillir, d’en
prendre soin tendrement et d’obtenir un soulagement. Nous
pouvons revenir à nous-mêmes avec force, nous n’avons
plus peur.
Il existe un rapport étroit entre souffrance et bonheur. Le
bonheur est constitué d’éléments « non bonheur ». Une
fleur, par exemple, est faite d’éléments « non fleur ». Si vous
regardez attentivement une fleur, vous y verrez le soleil. Le
soleil, ce n’est pas une fleur, je suis d’accord avec vous, mais
si on enlève le soleil, la fleur cesse automatiquement
d’exister. De même, il y a un nuage dans la fleur. Si on essaie
de faire sortir le nuage, la fleur ne sera plus là. Tous ces
éléments « non fleur », tels le soleil et les nuages, sont donc
essentiels à la fleur, c’est grâce à eux qu’elle peut se
manifester comme une merveille.
Le bonheur, quant à lui, est aussi une fleur, car il est
constitué de nombreux éléments « non bonheur ». C’est ce
que le Bouddha a enseigné.
Parmi les éléments « non bonheur », il y a l’élément
souffrance. Celle-ci joue en effet un rôle majeur dans la
fabrication du bonheur. Si vous regardez en profondeur dans
la souffrance, vous pouvez en voir les racines et la nature
véritable, vous pouvez percevoir la manière dont elle se
développe. Cela vous donne ainsi accès à une
compréhension, une vision profonde de ce qu’est la
souffrance. Et cette compréhension ouvrira la porte à la
compassion et à l’amour.
L’amour est le véritable fondement de la compréhension.
Comment pourrions-nous aimer une autre personne si nous
ne la comprenons pas ? Pour l’aimer, l’essentiel est donc
avant tout de comprendre sa souffrance, ses difficultés. C’est
en percevant clairement ce que cette personne traverse que
pourra émerger la compréhension, puis, avec elle, la
compassion. Notre désir de punir cette personne disparaîtra
alors tout naturellement, au profit d’une profonde intention
de l’aider, d’un véritable désir de faire quelque chose qui
puisse l’aider à souffrir moins.
Si vous avez l’habitude de jardiner selon les principes du
bio, vous savez combien le compost est essentiel à la culture.
Vous ne jetez rien, vous conservez les déchets, les détritus,
et vous faites du compost afin de pouvoir nourrir les fleurs
et les légumes. La même chose est vraie avec la pratique.
Nous nous servons de la souffrance, avec beaucoup de
sagesse, pour développer le bonheur. Nous nous servons de
notre compost pour nourrir nos fleurs.
C’est une vision profonde appelée « Vision de l’inter-
être ». La fleur ne peut pas être par elle-même, elle doit
« inter-être » avec tous les éléments « non fleur ». Le
bonheur aussi, c’est une sorte de fleur. Il ne peut exister par
lui-même, il doit inter-être avec les autres éléments, y
compris l’élément souffrance. Un pratiquant ne doit pas
avoir peur de la souffrance, il doit simplement apprendre de
quelle façon l’utiliser au mieux, avec souplesse, agilité et
talent, afin de pouvoir œuvrer au bonheur. Un pratiquant
est un artiste, il ne craint pas la souffrance car il sait
comment utiliser les deux conditions nécessaires à la joie et
au bonheur :
1. Entrer en contact avec les merveilles de la vie qui sont
disponibles dans l’instant présent ;
2. Savoir comment utiliser avec agilité cette douleur et
cette souffrance pour pouvoir non seulement apporter un
soulagement mais aussi les transformer.
C’est en fait tout l’art du jardinage biologique.

TROISIÈME SÉRIE DE QUATRE EXERCICES : L’ESPRIT


(LES FORMATIONS MENTALES)
À l’instar de la pratique sur les sensations, cette série
nous propose de nous centrer sur les formations mentales.
Celles-ci seront cependant d’un autre type. En effet, les
sensations ne sont qu’une partie de nos formations
mentales, et le terme « formation » (samskara, en sanskrit)
signifie en fait que de nombreuses conditions ont dû être
réassemblées pour que quelque chose puisse se manifester.
Mais qu’est-ce qu’une formation ? Il s’agit de tout ce qui
se manifeste grâce à la réunion des conditions, comme
l’exemple de la fleur, formation qui se manifeste grâce à
différentes conditions, telles que la terre, les semences, la
pluie, les engrais et la chaleur. Moi-même, je suis une
formation, et vous aussi en êtes une, comme la cloche, la
maison... Le concept « formation » implique donc tous les
êtres, les choses, les phénomènes. Les formations sont
physiques, biologiques ou mentales. Votre haine, votre
colère, votre amour, votre peur sont des formations
mentales (cittasamskara, en sanskrit).
Le bouddhisme dénombre cinquante et une catégories de
formations mentales. Certaines sont considérées comme
positives : par exemple la joie, la paix, la compassion,
l’espoir, le pardon, la fraternité qui nous rendent heureux
chaque fois qu’elles se manifestent. Certaines autres sont
considérées comme négatives, comme le désespoir, la colère,
le doute. D’autres encore sont indéterminées car elles
peuvent être soit positives, soit négatives ; c’est le cas du
regret, par exemple. Si nous nous disons : « Je regrette, j’ai
fait cela, j’ai dit ceci, et cela a produit de la souffrance », il
s’agit d’une bonne formation ; en revanche, si cela aboutit à
un complexe de culpabilité et que nous en soyons
prisonniers, alors cette formation mentale devient négative.
Prenons un autre exemple d’une formation mentale
indéfinie : la pensée. Si elle nous aide à entrer en profondeur
dans la nature des choses, elle sera tout à fait bénéfique ;
mais si elle nous introduit dans le domaine de la peur, des
ténèbres et du désespoir, elle le sera nettement moins et
pourra même nous nuire, voire nous détruire. La pensée est
donc une formation mentale qui peut être bénéfique ou non
bénéfique. Il appartient à chaque pratiquant d’observer
finement le courant de sa conscience et de reconnaître
chaque formation quand elle se produit, quand elle est là ;
ou, quand elle n’y est plus, de simplement savoir que cette
formation mentale n’est plus là. Toutes les formations sont
de nature impermanente et changent continuellement.
Les cinquante et une formations mentales ont toutes une
semence (bija en sanskrit), au fond de la conscience du
tréfonds. Nous avons tous une graine de pleine conscience
dans notre tréfonds. Avec la pratique, nous touchons cette
graine et lui permettons de se manifester en formation
mentale, c’est-à-dire en énergie de pleine conscience. Nous
sommes maintenant habités par cette énergie. Dès lors,
nous pouvons faire en sorte que cette énergie demeure avec
nous longtemps. Il est bon en effet de maintenir la pleine
conscience minute après minute, heure après heure.
Alors qu’avec le troisième exercice de respiration
consciente, nous apprenons à ramener notre conscience au
corps et que le septième consiste à revenir aux sensations, le
NEUVIÈME EXERCICE nous invite à ramener notre attention à
notre esprit et à reconnaître dans quel état il se trouve.

J’inspire, je suis conscient(e) de mes formations mentales ;


J’expire, je suis conscient(e) de mes formations mentales.

Notre conscience est comme une rivière faite de gouttes


d’eau, appelées formations mentales. Chaque fois qu’une
graine se manifeste dans le niveau supérieur de la
conscience, le mental, nous devrions être là afin de la
reconnaître. Nous sommes assis sur la rivière des
formations mentales et reconnaissons la formation mentale
qui s’élève. Nous pouvons alors l’appeler par son vrai nom :
« Bonjour, ma petite peur, je sais que tu es là, je vais
prendre bien soin de toi. » Le neuvième exercice est d’être
conscient des formations mentales, de les reconnaître. Une
simple reconnaissance de la formation mentale suffit. Il ne
sert à rien d’essayer de saisir, ni de combattre ce qui se
manifeste, seulement de reconnaître.

Le DIXIÈME EXERCICE, quant à lui, consiste à réjouir l’esprit.

J’inspire, je rends mon esprit joyeux ;


J’expire, je rends mon esprit joyeux.

Nous faisons en sorte que notre esprit soit joyeux afin de


le renforcer, l’encourager et lui apporter la vitalité dont il a
besoin. En aidant ainsi notre esprit à gagner joie et énergie,
c’est lui qui nous aidera à son tour quand nous
rencontrerons des difficultés. Par la force qu’il nous
apportera, nous pourrons accueillir tendrement nos
souffrances et les regarder en profondeur, quand elles se
présenteront.
De même, si nous savons comment fonctionne notre
esprit, le dixième exercice nous paraîtra certainement plus
facile. En pratiquant la « diligence juste », les quatre étapes
de l’effort juste, nous trouverons le moyen d’être
pleinement conscients de notre esprit, tout en mettant au
repos les graines négatives.
La première étape de la diligence juste consiste à
permettre à nos graines négatives de rester « dormir », à
l’état latent, au sein de notre conscience du tréfonds. Nous
ne leur laissons donc pas l’occasion de se manifester car, si
elles se révèlent trop souvent, leurs racines se renforceront.
La deuxième pratique de l’effort juste nous invite à
renvoyer au plus vite nos graines négatives dans le tréfonds,
dès qu’elles se manifestent à notre conscience. Cette
pratique est essentielle car si les graines restaient trop
longtemps actives, nous en souffririons et leurs racines se
consolideraient également. Il s’agit dès lors de remplacer
une formation mentale négative par une positive, en invitant
la graine positive à se manifester dans notre mental. C’est ce
qu’on nomme « changer la cheville2 ». Lorsqu’une cheville
reliant deux morceaux de bois commence à rouiller, le
charpentier glisse une nouvelle pièce dans le trou existant,
ôtant ainsi celle qui est abîmée. Avec la troisième pratique,
nous mettons alors l’accent sur les graines positives de notre
conscience du tréfonds, déployant les moyens de les arroser,
et ce même si elles ne se sont pas encore manifestées. Et,
quand l’une de nos graines positives se révèle dans notre
mental, la quatrième pratique de la diligence juste consiste à
la nourrir au mieux, afin qu’elle y reste longtemps et
continue de grandir.
C’est un peu comme quand un ami que nous aimons
beaucoup nous rend visite. S’il réjouit toute la maisonnée,
nous essayons de le convaincre de prolonger son séjour de
quelques jours.
La pratique s’applique à nous-mêmes, mais aussi à toute
autre personne que nous voudrions aider. Si nous constatons
qu’elle est envahie d’une pensée sombre, qu’elle est rongée
de colère ou d’anxiété, nous pouvons pratiquer en arrosant
ses « bonnes graines » afin qu’elles se manifestent et
puissent ainsi remplacer ses formations mentales négatives.
C’est ce que nous appelons l’« arrosage sélectif ». Nous
pouvons d’ailleurs tous organiser notre vie de façon à ce que
les bonnes graines soient sollicitées et arrosées plusieurs fois
par jour.

Le ONZIÈME EXERCICE de respiration consciente consiste à


ramener notre esprit dans un état de concentration qui nous
permette d’accéder à une perception claire de notre
situation.

J’inspire, je concentre mon esprit ;


J’expire, je concentre mon esprit.

Que la manifestation se nomme envie, désespoir ou colère,


vous pouvez focaliser votre attention sur cette formation
mentale, regarder en profondeur dans sa propre nature,
effectuer une « percée », et en comprendre la véritable
nature, la vraie racine. C’est un peu comme une lampe
focalisée sur un point. Votre pleine conscience, votre
concentration sont comme une lumière de projecteur dirigée
sur cet objet, afin que vous puissiez le regarder
profondément. C’est la pratique de la concentration. Toute
personne qui pratique ainsi est capable de libérer son esprit,
se libérer de la formation mentale.
Le Bouddha nous a transmis plusieurs enseignements
bien précieux pour nous permettre de cultiver la
concentration. Parmi les pratiques sur lesquelles nous
pouvons nous concentrer chaque jour, citons
l’impermanence, le non-soi et le vide. C’est ainsi par
exemple que, quelle que soit la situation que nous vivions
durant la journée, qu’il s’agisse de la rencontre d’un ami, du
contact avec une fleur ou de la vue d’un nuage, nous
pouvons pratiquer afin d’en discerner la véritable nature
d’impermanence et d’inter-être, et ainsi de suite.

Le DOUZIÈME EXERCICE consiste à libérer l’esprit.

J’inspire, je libère mon esprit ;


J’expire, je libère mon esprit.

Quand nous sommes pris par le désespoir, la peur, la


colère ou la discrimination, nous avons besoin de recourir à
la concentration afin de surmonter toutes ces afflictions qui
accaparent et emprisonnent notre esprit. Nous pouvons
utiliser une méditation de concentration pour pouvoir
regarder en profondeur dans la nature de cette souffrance.
Une concentration forte peut nous aider à faire une sorte de
percée dans la situation difficile ; c’est ainsi que nous
parviendrons à la vision profonde qui pourra nous libérer.
Outre le soulagement de la souffrance qu’elle apporte, elle
permet d’œuvrer pleinement à sa transformation. Notons
d’ailleurs que le sens véritable du terme « concentration »,
samadhi en sanskrit, est de « maintenir la conscience
éveillée, à chaque moment, et aussi longtemps que
possible ». Seule la concentration a le pouvoir de générer la
vision profonde puis de nous libérer. Trois sortes de
samadhi sont enseignées dans toutes les traditions
bouddhiques :

Première concentration : le vide (shuny ata, en sanskrit)

Méditer, c’est prendre le temps de regarder. En


regardant en profondeur et avec concentration, nous
pouvons voir beaucoup de choses. Prenons par exemple une
fleur : nous pouvons y voir un nuage. Sans celui-ci, il n’y
aurait pas de pluie et la fleur ne pourrait pas pousser, et, si
je fais sortir le nuage de la fleur, elle n’existera plus. La fleur
abrite aussi le Soleil, la Terre, les minéraux, la chaleur, et
même le jardinier. Tout le cosmos est réuni pour l’aider à se
manifester comme une merveille. Pour moi, il est une
évidence que la fleur est pleine du cosmos. Nous aussi
sommes d’ailleurs des fleurs dans le jardin de l’humanité ;
tout le cosmos est en nous. Si nous regardons profondément
en nous-mêmes, nous voyons ancêtres, éducation,
nourriture... Nos ancêtres sont bien sûr humains mais aussi
animaux, végétaux, minéraux. Tous sont présents en nous
et, quand nous marchons, tous nos ancêtres font les pas avec
nous, tant les minéraux que les végétaux, les animaux ou les
humains. Je suis constitué d’éléments « non moi », tout
comme la fleur est faite des éléments « non fleur » et le
cosmos entier l’habite.
Dans le bouddhisme, il est dit : « C’est vrai que la fleur
contient tout le cosmos, mais il y a quelque chose qui n’est
pas dans la fleur, c’est une existence séparée. » La fleur n’a
pas d’entité séparée. Elle n’est constituée que d’éléments
« non fleur » et il en va de même pour tout dans l’Univers.
Le bouddhisme n’est fait que d’éléments « non
bouddhiques », et le Bouddha ne contient que des éléments
« non Bouddha ». La fleur existe grâce aux éléments « non
fleur » ; elle est donc vide d’une substance séparée. La fleur
est pleine du cosmos, mais elle est vide d’une entité séparée,
c’est le moi, le soi. Si nous posons un regard attentif sur
nous-mêmes, nous pouvons voir d’innombrables éléments :
ancêtres, nourriture, culture... Nous sommes seulement la
continuation de notre maman, de notre papa et de nos
ancêtres, nous n’avons pas une existence séparée. C’est ainsi
que, méditer, c’est prendre le temps de toucher cette nature
du vide dans chaque phénomène. Chacun de nous est à la
fois plein et vide, plein de tout et vide d’un soi, d’une
existence séparée. La fleur ne peut pas être par elle-même.
Elle doit inter-être avec tout le reste et, être, c’est inter-
être.
Le Bouddha a exprimé cela dans un langage très simple :
« Ceci étant, cela est » ; si ceci n’existe pas, cela n’existe pas
non plus. Cette vision profonde est appelée la « vue juste ».
Quand nous touchons la nature du vide dans chaque
personne, dans chaque phénomène, nous ne voyons pas une
existence séparée et nous touchons aussi la nature de la
non-naissance et de la non-mort. Est-ce qu’un nuage peut
mourir ? Non, il est impossible au nuage de mourir. Mourir,
cela implique que, au départ de quelque chose, nous
devenons rien, de quelqu’un nous devenons personne ; telle
est en tout cas notre idée de la mort, de l’être nous passons
au néant. La méditation nous offre l’occasion de voir les
choses tout différemment. Certes, il est possible pour un
nuage de se transformer en neige, grêle ou pluie. Mais
jamais le nuage ne pourra devenir néant, c’est impossible.
La vraie nature du nuage, c’est la nature de la non-mort et
de la non-naissance. Avant d’être sous la forme d’un nuage,
il a été quelque chose d’autre : l’eau dans l’océan,
notamment. Nous comprenons mieux maintenant que la
nature du nuage est aussi la nature du vide, qu’il n’a pas un
moi séparé. Imaginons par exemple que nous soyons un
nuage et qu’une grande part de notre forme se soit déjà
transformée en pluie ; de là-haut, nous nous regardons
tomber sur la Terre et devenir ruisseau, nous souhaitant :
« Bonne route, je vais te revoir bientôt. » Nous sommes à la
fois là-haut et déjà ici. C’est ce regard que nous devons
poser sur notre vie quotidienne. Je suis ici mais je suis aussi
là-bas. Je suis le papa mais je suis aussi l’enfant. Même si
vous êtes encore très jeune, vos enfants sont déjà en vous.
Vos enfants attendent pour se manifester. Si vous avez
quelqu’un qui vient de vous quitter, un être cher qui vient
de décéder, ne pensez pas que cette personne soit passée de
l’être au non-être. C’est impossible pour elle de mourir. Si
vous avez les yeux du méditant, vous pouvez la reconnaître
sous sa nouvelle forme. Si votre nuage n’est plus présent
dans le ciel, il ne faut pas pleurer car votre nuage est
toujours là, mais sous une autre forme, et la pluie est sans
doute en train de vous appeler : « Chéri(e), chéri(e), je suis
là, tu ne me vois pas, il ne faut pas pleurer, je suis encore
là » ; c’est l’œil du méditant qui touche la réalité de non-
naissance et de non-mort, et cette vision vous libère de
votre désespoir. Votre bien-aimé est toujours là, en vous et
autour de vous. Il faut regarder en profondeur pour
reconnaître sa continuation.
Cette vision profonde vous libère du désespoir et de
l’angoisse. C’est la méditation sur le vide. Tout est plein du
cosmos, mais rien n’a d’existence séparée. Nous ne pouvons
pas être, nous ne pouvons qu’inter-être les uns avec les
autres.
Lavoisier a dit : « Rien ne se crée, rien ne se perd, tout se
transforme », ce qui est très bouddhique. Une vision
profonde est indispensable au bonheur véritable. Avec cette
vision profonde, nous ne sommes plus victimes de la peur,
des perceptions erronées. La pratique de la pleine
conscience et de la concentration nous permet de faire une
percée dans la réalité pour que nous puissions obtenir cette
vision profonde, le prajna, qui peut nous libérer de notre
désespoir, de notre douleur.

Deuxième concentration : la non-apparence (anim itta, en sanskrit)

Il ne faut pas se fier à l’apparence. Votre nuage bien-aimé


n’est plus là dans son apparence, mais ne croyez pas qu’il est
mort. Il lui est tout à fait impossible de mourir. Regardez
avec la sagesse de la non-apparence et vous verrez que
votre nuage est toujours là, bien vivant, mais sous une autre
forme. La première loi de thermodynamique et de
conservation de la matière etde l’énergie nous dit que rien
ne se crée, rien ne seperd. Il n’y a ni création ni destruction,
il n’y a ni commencement ni fin. Ce ne sont que des idées.
Quand nous pouvons regarder avec l’esprit de la non-
apparence, nous ne sommes plus victimes du désespoir, de
la souffrance, car nous avons ôté ces notions d’être et de
non-être, de naissance et de mort. Ces notions ne peuvent
pas s’appliquer à la vérité ultime. La vision profonde ainsi
acquise nous libère de la peur et du désespoir, et si une
personne qui nous est proche vient de quitter la forme sous
laquelle nous la connaissions, ne pensons pas qu’elle n’est
plus parmi nous, regardons encore et parlons-lui : « Chère
amie, cher ami, je sais que tu es encore là, parmi nous. » De
même, en buvant notre thé, nous pouvons reconnaître notre
nuage bien-aimé dans notre tasse, et diriger notre sourire
vers ce nuage qui se manifeste maintenant sous une forme
liquide. C’est la sagesse de la non-apparence qui nous
permet de poser ce regard, grâce à notre pratique de la
concentration de la non-apparence.

Enfin, la troisième concentration : la non-poursuite (apranihita, en sanskrit)

Ne pas poursuivre, cela implique de ne rien convoiter, de


ne pas mettre devant soi un objet derrière lequel courir,
même s’il se nomme pouvoir, argent, renommée ou plaisir
sensuel. La non-poursuite est une condition de base pour le
bonheur véritable. Grâce à la pratique, vous pouvez
ramener votre esprit à votre corps ; vous vous installez dans
le moment présent et pouvez ainsi reconnaître toutes les
conditions de bonheur qui sont disponibles ici et maintenant.
Vous pouvez être heureux là, tout de suite. Vous êtes déjà
celui ou celle que vous voulez devenir. Vous êtes une
merveille, pourquoi chercher à être autrement ? Comme
cette fleur est une merveille, elle peut être heureuse, elle n’a
pas besoin d’être une autre fleur. Elle ne cherche pas à
devenir une fleur de lotus ou un chrysanthème. Regardez-
vous : vous êtes une merveille. Pourquoi chercher à être
quelqu’un d’autre ? Est-ce que vous êtes en train de
chercher le nirvana ou le paradis, le Royaume de Dieu ? Le
nirvana est déjà là en vous, vous êtes bien installé dans le
nirvana, la réalité ultime, libre de toute notion, comme l’être
et le non-être, la naissance et la mort. Et votre nuage ? Il est
là, il réside dans le nirvana parce que sa nature est la nature
de la non-naissance et de la non-mort. C’est pourquoi il peut
être heureux en tant que nuage. Mais s’il se transforme en
pluie, il se sentira heureux en tant que pluie. S’il devient thé,
il pourra être heureux aussi. Il n’a pas à chercher le
bonheur, car ce bonheur est accessible ici et maintenant. Et
c’est pareil pour nous : une seule inspiration dans la pleine
conscience peut déjà nous apporter le bonheur et la paix
tant recherchés, c’est une réponse positive. Avec la pratique
de la non-poursuite, on peut arrêter complètement la
course. Nous avons l’habitude de courir partout, tout le
temps, sans cesse ; même dans nos rêves, nous cherchons
toujours quelque chose. Nous pensons que dans le moment
présent le bonheur est impossible, et c’est pourquoi nous
cherchons toujours, nous sacrifions le moment présent au
profit du futur. Heureusement, nous avons la pratique et
nous pouvons donc nous arrêter. L’arrêt nous apporte calme
et paix, reconnaissant que tout est déjà là, y compris le
Royaume de Dieu, toutes les merveilles de la vie. Le
nirvana, la libération, la non-peur sont donc possibles.
Avec ces concentrations appelées les trois portes de
libération – le vide, la non-apparence et la non-poursuite –
nous allons pouvoir ôter toutes les notions d’être et de non-
être. Il est impossible de décrire la réalité ultime en termes
d’être et de non-être, de commencement et de fin, ou de
naissance et de mort. En pratiquant la méditation, nous
pouvons générer un certain soulagement, mais le plus grand
apaisement ne pourra s’obtenir qu’en touchant notre
véritable nature : notre nature de non-naissance et de non-
mort, c’est-à-dire le nirvana.

QUATRIÈME ET DERNIÈRE SÉRIE DE QUATRE


EXERCICES : LES PERCEPTIONS
Les quatre dernières pratiques de respiration consciente
abordent le domaine des objets de l’esprit. Le bouddhisme
envisage le monde et tous les phénomènes comme les objets
de l’esprit et non comme une réalité objective. Bien souvent,
nous nous laissons piéger par la notion selon laquelle il y
aurait une conscience en nous et un monde objectif hors de
nous. Nous essayons de comprendre ce monde, ce qui
affecte nos perceptions, qui est nous-même. En revanche, si
nous nous plaçons sous l’angle de l’inter-être, nous nous
apercevons que le sujet et l’objet ne peuvent exister
séparément. Quand nous percevons quelque chose, l’objet
de notre perception se manifeste toujours en même temps
que le sujet de notre perception, qui est nous-mêmes. Ainsi,
être conscient implique toujours être conscient de quelque
chose.
Le TREIZIÈME EXERCICE de respiration nous invite à
contempler l’impermanence.
J’inspire, je contemple la nature impermanente de toute chose ;
J’expire, je contemple la nature impermanente de toute chose.

Intellectuellement, nous savons ce qu’est l’impermanence,


et nous sommes aussi d’accord que les choses changent,
qu’elles sont impermanentes, et pourtant nous nous
comportons encore trop souvent comme si les choses étaient
permanentes. Quand vous vous mettez en colère contre
votre bien-aimé, il peut être utile de fermer les yeux. Ne
dites rien, inspirez, et visualisez la personne que vous aimez
dans trois cents ans. « Où seras-tu, mon bien-aimé, et où
serai-je ? » Il vous suffira de quelques secondes pour
toucher à la nature de l’impermanence, et réaliser combien il
est ridicule de vous mettre en colère l’un contre l’autre.
Quand vous ouvrez les yeux, la seule chose qui vous semble
importante est d’étreindre cette personne qui est là, auprès
de vous, et de vous réjouir du fait que vous êtes encore
vivants l’un et l’autre. Voilà une magnifique opportunité de
pratiquer la méditation de l’étreinte. Il s’agit d’une véritable
pratique de l’impermanence. L’impermanence n’est pas une
théorie ni une doctrine, c’est une vraie pratique du regard
profond, une pratique de concentration. L’idée de
l’impermanence ne peut jamais nous aider ; tant que nous
ne pratiquons pas, une idée reste un concept. Nous avons
besoin de la vision profonde de l’impermanence, de la vraie
vision profonde de l’impermanence. L’idée ne nous libérera
jamais, mais la vision profonde le peut. S’il s’agit d’une vision
profonde, c’est là tout le fruit de notre pratique de la
concentration : samadhi qui, loin d’être une idée, est une
pratique véritable. Toutes les personnes que nous
considérons comme « sages », quelle qu’en soit l’origine –
qu’elles viennent de l’est ou de l’ouest, du nord ou du sud –
sont unanimes pour reconnaître la nature impermanente de
toute chose.

Avec le QUATORZIÈME EXERCICE, nous contemplons le non-


désir, la non-recherche.

J’inspire, j’observe la disparition du désir ;


J’expire, j’observe la disparition du désir.

Quand nous visualisons l’objet de notre désir, que ce soit


la richesse, la gloire, le sexe ou le pouvoir, nous devons
regarder profondément dans cet objet, et voir sa vraie
nature, parce qu’il pourrait comporter de nombreux
dangers. Si nous poursuivons sans cesse cet objet, nous
risquons de souffrir indéfiniment, au point de ne pas
parvenir à en sortir. Supposons qu’un pêcheur lance sa ligne,
et que le poisson voie un appât très attirant, puis qu’il
veuille y mordre. Si le poisson sait que cet appât cache un
hameçon, il n’y mordra jamais, car il sait qu’il y resterait
accroché et en mourrait. Il en va de même avec l’objet de
notre désir. Nous devons pratiquer la contemplation de non-
désir afin de nous libérer de l’objet de notre désir.
Cet exercice est destiné à transformer Manas, dont la
spécificité est d’être en constante recherche de plaisir et
d’en ignorer les méfaits. La contemplation sur
l’impermanence peut contribuer à la transformation de
Manas. C’est en posant un regard profond sur l’objet de
notre avidité que nous en percevrons la véritable nature.
L’objet de notre avidité peut détruire notre corps et notre
esprit. C’est pour cela qu’il est aussi important d’être
pleinement conscient de ce que nous désirons et
consommons.
Le Bouddha nous a offert l’enseignement sur les quatre
sources de nourriture que nous consommons au quotidien.
La toute première est la nourriture comestible. Préserver
notre planète et nos enfants passe aussi par elle et, pour ce
faire, nous ne devrions consommer que des aliments qui
procurent paix et bien-être à notre corps et à notre esprit.
Notre nourriture devrait être consommée de façon à
maintenir la compassion au sein de notre cœur. C’est en
pratiquant de cette manière que nous pourrons sauver
notre planète et garantir un avenir meilleur à nos enfants.
La deuxième source de nourriture, quant à elle, concerne
les impressions sensorielles. Cela inclut tout ce que nous
consommons avec nos organes sensoriels, qu’il s’agisse de
musique, magazines, films, conversations ou qu’il s’agisse
même de nos loisirs. Et, puisque la colère ou la violence
présente dans les articles que nous lisons, ou les films que
nous regardons, pénètre d’office en nous, il nous appartient
de faire le choix de ce que nous consommons ou refusons.
Nous devons tous nous protéger des nourritures
« toxiques », même les professionnels de l’aide... Les
psychothérapeutes, notamment, sont des personnes qui
doivent être particulièrement prudentes, car leur profession
les amène à écouter de nombreuses souffrances et colères.
Ces professionnels doivent donc avoir une pratique solide
pour pouvoir rester en bonne santé et bien ancrés, faute de
quoi ils risquent de tomber eux-mêmes malades. Comment
pourriez-vous aider d’autres personnes si vous vous laissez
envahir par l’énergie négative des patients que vous
rencontrez au quotidien ? Idéalement, chaque
psychothérapeute devrait donc créer une Sangha, une
communauté de pratique qui le protège et lui procure la
nourriture nécessaire chaque semaine, à chaque rencontre.
Sans cette pratique, il s’expose à l’épuisement, et il lui sera
alors impossible de continuer à aider d’autres personnes.
Le Bouddha lui-même a consacré beaucoup de son temps
à bâtir sa Sangha. Et c’est précisément ce que nous
devrions faire chacune et chacun. Il ne faut pas toujours
chercher bien loin, les éléments de notre Sangha sont déjà
autour de nous ; construisons une Sangha qui nous
procurera protection et nourriture, tout en maintenant
notre pratique bien vivante. Si nous ne veillons pas à cela,
nous perdrons nos acquis au bout de quelques mois et nous
nous laisserons totalement envahir par toutes les
impressions sensorielles, ce que nous consommons par le
biais de nos yeux, de notre nez, des oreilles, du corps et de
notre esprit. Nous voyons ainsi que la consommation
consciente est une véritable pratique de protection, tant
pour nous que pour notre famille et pour la société. Elle
représente la voie vers notre propre guérison et œuvre à la
prévention de la destruction de notre planète.
La troisième source de nourriture est la volition, ce à quoi
nous aspirons le plus. C’est elle qui nous procure la vitalité
dont nous avons besoin pour mener notre vie. Il nous
appartient à chacun de regarder profondément dans la
nature de nos désirs afin de distinguer ceux qui sont sains de
ceux qui le sont moins. Nos désirs sont de différentes
natures et si le nôtre est de rechercher les plaisirs, cela peut
être dangereux, notamment si nous sommes sous l’emprise
du désir de vengeance, avec la profonde volonté de punir.
Comme ces désirs-là puisent souvent leur source dans
maintes perceptions erronées, nous devons prendre le
temps d’examiner profondément leur véritable nature afin
de clairement reconnaître s’ils proviennent d’une peur, du
doute, de la colère ou s’ils puisent leur source dans d’autres
racines malsaines.
Siddhartha était lui aussi porté par une aspiration
profonde. Comme il voyait combien son royaume était en
souffrance et que le pouvoir politique n’y apportait pas l’aide
suffisante, il a cherché un autre chemin. Et c’est ainsi qu’il
s’est engagé sur de nouvelles bases, œuvrant à sa propre
transformation, aidant d’autres personnes à se transformer
à leur tour et ouvrant une voie nouvelle. Nous parlons
généralement d’esprit d’éveil, ou esprit de débutant, pour
nous référer à cette volition. Nous devrions tous avoir une
profonde aspiration dans la vie, afin de maintenir éveillé
notre esprit de débutant, car c’est précisément lui qui peut
nous donner la force et l’énergie nécessaires pour
poursuivre notre pratique.
Enfin, la quatrième source de nourriture est la conscience,
c’est-à-dire la conscience collective, l’énergie collective.
D’ordinaire, dès que plusieurs personnes se réunissent, elles
ont tendance à générer une énergie commune. Ainsi, dès
que nous nous rassemblons à plusieurs pour pratiquer la
pleine conscience, la concentration et la compassion, nous
générons des énergies saines à l’échelle collective, capables
de nous nourrir et nous guérir. C’est pour cela que la
création d’une Sangha est une pratique de guérison pour le
monde.
Notre environnement immédiat est tout aussi important.
Nous devrions en effet veiller à vivre là où l’énergie
collective est saine, car si nous sommes en présence de
personnes en colère, leur énergie parviendra jusqu’à nous.
Et même si, de prime abord, nous ne sommes pas comme
elles, il est probable que si nous les côtoyons un moment,
cette énergie collective nous pénétrera. Et, en fin de compte,
sans même nous en apercevoir, nous aurons tendance à
nous comporter comme ces personnes. Il est donc essentiel
que nous examinions la qualité de notre environnement,
tant pour nous que pour nos enfants.

Le QUINZIÈME EXERCICE consiste à contempler la cessation.

J’inspire, j’observe la cessation ;


J’expire, j’observe la cessation.

Dans cet exercice, nous pratiquons la concentration


appelée extinction, ou nirvana, l’extinction de toutes les
notions, y compris les notions d’être et de non-être, de
début et de fin, de naissance et de mort. Il s’agit d’une
pratique fondamentale et très utile car elle permet d’ôter
nombre de perceptions erronées. Supposons que nous
pensions à l’immortalité et à la mortalité, que nous
vénérions un Dieu, que nous croyions que notre Dieu est
immortel et que nous, nous sommes mortels. Il existe alors
une forme de discrimination entre les deux : « Je suis
mortel, et vous êtes immortel, je m’incline devant vous et
vous demande de m’aider à ne pas souffrir autant. » Et
quand vous vous inclinez devant le Bouddha, vous dites :
« Vous êtes un bouddha, je ne suis qu’un être humain ; s’il
vous plaît, aidez-moi. » Cette discrimination entre bouddha
et être humain est donc une perception erronée, parce que
le fait est qu’un bouddha est un être vivant, et chaque être
vivant peut être un bouddha. C’est pourquoi, quand nous
pratiquons avec la communauté le matin et que nous nous
inclinons devant le Bouddha, nous contemplons cette vérité :
« Cher Bouddha, celui qui s’incline et celui devant lequel il
s’incline ont tous deux la nature du vide. Tu es vide de soi
séparé, et je suis vide de soi séparé. Toi, Bouddha, tu es fait
d’éléments “non Bouddha”», et moi, je suis seulement fait
d’éléments “non moi”. Je suis en toi, et tu es en moi. » Par
cette méditation, nous percevons alors clairement la vérité
de l’inter-être, et c’est pourquoi, quand vous vous inclinez, il
y a une vraie communication ; sinon, le Bouddha serait
seulement le Bouddha, et vous seriez seulement vous pour
toujours, aucune véritable communication ne serait possible.
Ainsi, si vous priez Jésus, je vous conseille d’ôter toute
barrière entre vous et lui, afin de contempler l’inter-être ;
votre communion avec Jésus sera alors très profonde. Je
crois que les mystiques chrétiens savent comment le faire.
Si nous pouvons enlever de telles notions, y compris les
notions d’être et de non-être, nous pouvons aussi ôter les
notions de naissance et de mort, de début et de fin. Parmi la
communauté scientifique, certains chercheurs reconnaissent
aujourd’hui que rien ne naît et rien ne meurt. Nous ne
pouvons pas créer de la matière, détruire de la matière,
créer de nouvelles énergies, ou réduire l’énergie à rien. C’est
la loi de la conservation de l’énergie et de la matière. C’est
très clair, quelques-uns de nos scientifiques ont vu la nature
de non-naissance et de non-mort de la réalité. D’autres,
pourtant, cherchent encore à comprendre comment s’est
créé le cosmos. Ils essaient de savoir comment il a
commencé. C’est de là que naissent les théories telles que le
big bang ou d’autres encore. S’il y a une création, il y aura
une destruction. S’il y a un début, il y aura une fin. S’il y a un
big bang, alors il devrait y avoir un big crunch... Tâchons
d’ôter ces notions et nous serons en paix absolue, nous ne
souffrirons plus. Tel est le véritable objet de ce quinzième
exercice : contempler la suppression de toutes les notions,
l’extinction de toutes les notions, afin de refroidir toutes les
flammes des afflictions.

Le SEIZIÈME EXERCICE nous invite enfin à contempler le


nirvana, l’extinction.

J’inspire, j’observe le lâcher-prise ;


J’expire, j’observe le lâcher-prise.

Lâchez prise de toutes ces idées et vous serez totalement


libre. Dans le christianisme, nous parlons du salut par la
grâce ; dans le bouddhisme, nous préférons l’expression de
la libération par la vision profonde. Si vous avez la vision
profonde, vous êtes libéré. Mais je pense que la vision
profonde est une sorte de grâce. Vous pouvez très bien
interpréter la vision profonde comme la plus grande sorte de
grâce que vous puissiez obtenir. Par cet exercice, chacun est
donc invité à se débarrasser de toutes les notions afin de
savourer pleinement la liberté. C’est grâce à cette
concentration que nous pourrons toucher la véritable nature
de la réalité et la sagesse profonde qui nous libérera de la
peur, de l’angoisse et du désespoir. Contrairement à ce que
nous croyons souvent, le nirvana n’est pas un lieu où aller, ni
quelque chose qui existe dans un futur lointain ; le terme
« nirvana » désigne simplement l’extinction. Le nirvana est
la nature de la réalité, telle qu’elle est ; il est disponible pour
nous, ici et maintenant.
Prenons l’exemple de la vague. Quand elle monte à la
surface de l’océan, elle est constituée d’eau, et pourtant il lui
arrive parfois d’oublier qu’elle est cette eau. La vague a un
début et une fin, elle a une phase montante et une phase
descendante. Elle sera tantôt haute, tantôt basse, plus forte
ou plus faible que les autres vagues. Mais si elle se laisse
piéger par des notions telles que début, fin, montée,
descente, force ou faiblesse, elle souffrira certainement. Au
contraire, si la vague prend conscience qu’elle aussi est de
nature « eau », la situation sera radicalement différente.
Car, avec sa nature d’eau, elle ne se préoccupera plus de
savoir si elle est début, fin, montée ou descente ; elle pourra
savourer sa montée, sa descente, elle appréciera
simplement le fait d’être cette vague ou d’être l’autre vague.
Dès lors, la discrimination et la peur n’ont plus leur raison
d’être. La vague n’a pas besoin de chercher l’eau ; elle est
eau, dans le moment présent.
Notre véritable nature n’a ni commencement ni fin, elle
n’a ni naissance ni mort. Ainsi, dès que nous parvenons à
toucher notre véritable nature, il n’y a plus de peur ni
d’angoisse, plus de désespoir. Notre nature véritable est
celle du nirvana. On pourrait dire que nous avons été
« nirvatisé » par la nature de « non-commencement ».
Selon la logique de notre esprit, mourir signifie que nous
passons soudainement de « quelque chose » à « plus rien »,
que nous sommes quelqu’un et, d’un coup, ne sommes plus
personne. Or, comme nous l’avons déjà dit précédemment,
nous savons qu’un nuage ne peut pas mourir. Le nuage peut
devenir pluie, neige, grêle, il peut se transformer en rivière,
thé ou jus, mais jamais il ne mourra, c’est impossible. Sa
véritable nature est celle de la non-naissance et de la non-
mort. Ainsi, si vous avez récemment perdu une personne
très proche de vous, je vous invite à essayer d’en percevoir
les nouvelles manifestations autour de vous. En réalité, cette
personne ne peut pas mourir, c’est impossible pour elle ; elle
continuera toujours à se manifester, de nombreuses façons.
Grâce aux yeux du Bouddha, vous pourrez reconnaître sa
présence autour de vous et même en vous. « Mon ami(e), je
sais que tu es encore là dans ta nouvelle forme. »
Avant notre naissance, nous existions déjà dans le ventre
de notre maman et, même avant, nous existions pour moitié
dans notre père et pour l’autre moitié dans notre mère.
Aucune chose ne peut surgir de rien. Nous ne venons pas
d’un état de « non-être » ; nous avons toujours été là, sous
une forme ou une autre. Notre nature est celle de la non-
naissance et de la non-mort.
Le nirvana signifie donc l’extinction de toutes les notions,
quelles qu’elles soient, y compris les notions de naissance et
de mort, d’être et de non-être. Le seizième exercice que
nous venons de décrire nous invite donc à nous libérer, nous
débarrasser de toutes ces notions, nous permettant ainsi
d’accéder à la véritable liberté.

C’est un des textes les plus basiques sur la méditation, et


il serait profitable d’avoir le temps d’étudier en profondeur
ce soutra et d’appliquer les enseignements dans notre vie
quotidienne.

1 Ces exercices trouvent leur source dans le soutra de la


Pleine Conscience de la Respiration. Pour les explications
détaillées et les commentaires sur ce soutra, le lecteur
pourra se référer à l’ouvrage de Thich Nhat Hanh, La
Respiration essentielle. Notre rendez-vous avec la vie, paru
aux éditions de poche Albin Michel/Spiritualités vivantes,
1996.
2 Thich Nhat Hanh parle aussi fréquemment de « changer
de CD ».
Une lettre de votre enfant intérieur

par Glen Schneider

La pratique proposée ici est en fait la combinaison de deux


pratiques : d’une part la rédaction d’une lettre et, d’autre
part, l’écoute de ce que l’enfant veut exprimer. Durant cette
pratique, nous éviterons de repasser en détail tout ce que
nous avons vécu quand nous étions un enfant ; nous
privilégierons au contraire le rapprochement avec notre
enfant intérieur : « Qu’as-tu ressenti à ce moment-là ? »
ou : « Qu’attends-tu maintenant de l’adulte que tu es
devenu(e) ? »
Dans un second temps, nous pourrons alors rédiger la
lettre que notre enfant intérieur serait susceptible d’écrire.
Apprêtons-nous à être occupés un certain bout de temps,
car sa liste de demandes nous paraîtra peut-être
interminable ! Pour ma part, mon petit bonhomme m’a
demandé des choses aussi variées qu’un animal en peluche
pour la nuit, du sorbet à l’orange, un repas composé de la
fameuse tourte surgelée au poulet de chez Swanson1 (un
comble pour moi qui suis végétarien !), ou une reprise de
contact avec un cousin qu’on aimait beaucoup mais qu’on
n’avait plus vu depuis plus de trente ans...
Il suffit juste de placer notre stylo ou crayon sur le papier
et d’écrire tout ce qui se présente à nous. Et surtout de ne
pas s’inquiéter de la mise en pages, simplement d’écrire ; le
tout est d’établir la communication avec l’enfant qui vit
encore en nous.
En ce qui me concerne, j’ai pu faire quasiment tout ce qui
figurait sur la liste de mon petit enfant et, depuis, je me sens
nettement plus stable et heureux, et ce, de façon vraiment
profonde.

1 L’entreprise américaine Swanson (du nom de son


fondateur, Carl A. Swanson, Suédois qui émigra dans le
Nebraska en 1896) propose une large gamme de produits
surgelés sur le marché nord-américain. Son créneau est
celui des repas tout prêts « spécial plateau-télé ».
L’appellation TV Dinner® est une marque déposée qui, aux
États-Unis, est maintenant synonyme de « dîner congelé
acheté dans un supermarché et réchauffé à la maison »,
même si Swanson n’utilise désormais plus officiellement
cette appellation.
Les Cinq Touchers de la Terre

La pratique du « Toucher de la Terre », également


connue sous l’appellation « révérence profonde » ou
« prosternation », est là pour nous aider à retourner à la
Terre et à nos racines, et ainsi reconnaître que nous ne
sommes pas seuls mais connectés à tout un courant
d’ancêtres spirituels et génétiques, ainsi qu’à tous ceux et
celles qui ont bâti notre pays. Nous touchons la Terre pour
nous libérer de notre perception d’être séparé et pour nous
rappeler que nous sommes la Terre, que nous faisons partie
de la Vie.
En touchant la Terre, nous respirons toute la force et la
stabilité de la Terre et de notre famille génétique et
spirituelle. Nous recevons aussi l’énergie de toutes les
personnes qui ont habité notre pays. Sur l’expiration, nous
nous libérons de notre souffrance – nos sentiments de
colère, de haine, de peur, d’inadéquation ou de chagrin.

1. En gratitude, je m’incline devant toutes les générations d’ancêtres de


ma famille génétique.
Je visualise ma mère et mon père ; leur sang, leur chair et leur vitalité
circulent dans mes propres veines et nourrissent chacune de mes
cellules. À travers eux, je peux aussi voir mes quatre grands-parents. Je
porte en moi la vie, le sang, l’expérience, la sagesse, les joies et les
tristesses de toutes ces générations. J’ouvre mon cœur, ma chair, mes
os pour recevoir l’énergie de clairvoyance et d’amour ainsi que
l’expérience qu’ils m’ont transmise. Je sais que les parents aiment
toujours leurs enfants et petits-enfants, qu’ils leur apportent leur
soutien, et ce, même s’ils ne sont pas toujours capables d’exprimer leur
amour de façon très habile, en raison des difficultés qu’eux-mêmes ont
rencontrées. Je suis la continuation de mes ancêtres et je permets à leur
énergie de circuler à travers moi ; je leur demande soutien, protection et
force.
2. Avec gratitude, je m’incline devant toutes les générations de mes
ancêtres spirituels.
Je vois en moi mes enseignants spirituels, ceux qui me guident sur la
voie de l’amour et de la compréhension, ceux qui m’apprennent à
respirer, à sourire, à pardonner et à vivre en profondeur le moment
présent. Je m’ouvre cœur et corps à cette énergie de compréhension, de
bonté aimante et de protection qui me vient des êtres éveillés, de leurs
enseignements et de la communauté de pratique depuis de nombreuses
générations. Je fais le vœu de pratiquer pour transformer la souffrance
qui est en moi et dans le monde, et de transmettre l’énergie de mes
ancêtres spirituels aux futures générations de pratiquants.
3. Avec gratitude, je m’incline vers ce pays que j’habite et vers tous les
ancêtres qui ont œuvré à son existence.
Je suis conscient(e) de n’avoir besoin de rien, d’avoir déjà tout : je suis
protégé(e) et nourri(e) par cette Terre et par tous les êtres vivants qui y
ont vécu et qui, au prix de tant d’efforts, y ont rendu la vie digne
d’intérêt et possible pour moi. Je me vois en train de toucher la Terre de
mes ancêtres d’origine européenne1 , eux qui ont vécu ici de si
nombreuses années et ont développé des moyens d’existence pacifiques
et en harmonie avec la nature, protégeant les montagnes, les forêts, les
animaux, les végétaux et minéraux de ce pays. Je sens l’énergie de cette
Terre pénétrer mon corps et mon âme. Elle me soutient, elle m’accepte.
Je fais le vœu de participer à la transformation de la violence, de la
haine et de l’aveuglement, encore si profondément enracinés dans la
conscience de notre société, offrant ainsi ma contribution pour que les
générations à venir connaissent davantage de sécurité, joie et paix. Que
la Terre de mon pays me soutienne et me protège !
4. Avec gratitude et compassion, je me prosterne et transmets à tous
ceux que j’aime l’énergie que j’ai reçue de mes ancêtres.
Je transmets à présent l’énergie que j’ai reçue à mon père, à ma mère, à
tous ceux que j’aime, à tous ceux qui ont souffert, qui se sont fait du
souci pour moi et mon avenir. Je souhaite de tout cœur qu’ils jouissent
d’une bonne santé et vivent dans la joie. Je prie tous mes ancêtres
génétiques et spirituels, ainsi que les familles ayant habité cette Terre,
de protéger de leur énergie et de soutenir tous mes êtres chers. Je ne me
vois plus comme une entité séparée, je suis un(e) avec ceux que j’aime.
5. Avec compréhension et compassion, je m’incline afin de me
réconcilier avec toutes les personnes qui m’ont fait souffrir.
J’ouvre grand mon cœur et envoie mon énergie d’amour et de
compréhension à chaque personne m’ayant causé de la souffrance,
ainsi qu’à celles qui ont détruit une grande part de ma vie et celle des
personnes qui me sont chères. Je sais à présent que ces personnes ont
elles-mêmes traversé de nombreuses souffrances et que leurs cœurs se
sont emplis de douleur, colère et haine. Je prie à présent qu’elles
puissent se transformer afin de goûter à la joie de vivre, mettant ainsi
un terme à ce cycle de souffrance, tant pour elles-mêmes que pour les
autres. Je vois leur souffrance et refuse désormais de porter en moi ces
sentiments de haine ou de colère envers elles. Je ne veux pas que ces
personnes souffrent, et j’envoie mon énergie d’amour et de
compréhension à chacune d’elles. Je demande à tous mes ancêtres de
leur venir en aide.

1 Le texte original mentionne les ancêtres d’origine nord-


américaine. En modifiant la référence initiale, nous avons
choisi d’adapter la pratique à la réalité probable du lecteur
francophone européen. De même, le pratiquant se sentira
libre d’adapter le texte à sa propre réalité familiale et
culturelle.
Traité de paix

Quand quelqu’un a réveillé notre colère ou notre


irritation, nous devons le lui exprimer dans un délai de
vingt-quatre heures. Si notre énervement est tel que nous
nous sentons totalement incapables de nous exprimer de
façon suffisamment aimable, nous pouvons toujours lui
écrire, lui donner un « mot de paix », et ce, avant que les
vingt-quatre heures ne soient écoulées.

Traité de paix
Date :
Heure :
Cher, Chère _______________________,
Ce que tu as dit (fait) ce matin (cet après-midi) m’a particulièrement
mis(e) en colère. J’en ai beaucoup souffert et je tiens à ce que tu le
saches. Voici les faits :
_______________________________________________
Es-tu d’accord pour que nous prenions le temps d’examiner cela
ensemble ? Pouvons-nous analyser la situation, ouvertement et dans le
calme, ce vendredi soir ?
(Prénom) qui ne va pas trop bien en ce moment.
Pratique du « nouveau départ »

La pratique du « nouveau départ 1 » peut se faire au sein


de notre famille, ou de notre communauté de pratique, avec
une personne avec qui nous éprouvons des difficultés. Nous
pouvons même pratiquer le renouveau avec nous-mêmes.
Au Village des Pruniers, le renouveau se pratique chaque
semaine. C’est l’occasion de nous réunir en cercle, autour
d’un vase garni de fleurs fraîchement cueillies, et de suivre
notre respiration dans l’attente que le facilitateur ouvre la
cérémonie. Celle-ci se déroulera en trois phases : l’arrosage
des fleurs, l’expression des regrets, et l’expression des
difficultés et souffrances. C’est une magnifique pratique
pour éviter que des sentiments de souffrance ne
s’accumulent au fil des semaines ; elle permet ainsi que
chaque membre de la communauté s’y sente en sécurité.
Nous commençons par l’arrosage des fleurs. Quand une
personne se sent prête à parler, elle le manifeste en joignant
les paumes des mains. À leur tour, les autres participants
joignent leurs paumes en signe de réponse, montrant ainsi
que l’espace de parole est tout à elle. C’est alors qu’elle se
lève, marche lentement vers les fleurs, et emmène le vase
jusqu’à sa place dans le cercle. Lorsqu’elle s’exprime, ses
mots reflètent la fraîcheur et la beauté des fleurs qui se
trouvent face à elle. Durant la phase de l’arrosage des fleurs,
elle veille à souligner toutes les merveilleuses et belles
qualités des autres membres du cercle. Nous veillons
toujours à ce que nos mots reflètent la vérité, ce n’est pas de
la flatterie gratuite ! C’est par notre pleine conscience que
nous pouvons percevoir clairement les points forts des
autres personnes. Tout le monde en possède. Durant sa
prise de parole, personne ne l’interrompt ; elle prend le
temps dont elle a besoin et chaque personne pratique
l’écoute véritable. Après avoir à nouveau joint les paumes
des mains pour indiquer qu’elle a exprimé tout ce qu’elle
souhaitait, elle se lève afin de replacer les fleurs au centre.
Cette étape de l’arrosage des fleurs n’est pas à sous-
estimer car son essence est de rétablir l’amour et la
compréhension parmi les membres de la communauté. En
effet, si nous parvenons à reconnaître très sincèrement
toutes les qualités des autres personnes, il sera bien difficile
de nous accrocher à nos sentiments de colère ou de
ressentiment. Nous aurons une tendance toute naturelle à
nous radoucir, et notre perspective pourra s’élargir afin
d’inclure l’ensemble de la réalité des choses. Dès lors, libérés
de nos perceptions erronées, de l’irritation et du jugement,
nous pourrons aisément trouver le chemin de la
réconciliation avec les autres membres de la communauté
ou de notre famille.
Dans la deuxième phase du renouveau, nous allons
exprimer nos regrets pour les actes que nous avons posés et
qui ont blessé quelqu’un d’autre. Il suffit parfois d’une
simple petite phrase prononcée sans réfléchir pour blesser
une autre personne. La cérémonie est alors une excellente
occasion d’exprimer nos regrets pour un geste ou une parole
qui a pu blesser quelqu’un les jours précédents et d’y
remédier.
Enfin, dans la troisième phase du « nouveau départ »,
chacun pourra exprimer ce en quoi il a pu se sentir blessé
par d’autres. Et c’est là que la parole aimante est essentielle,
car notre intention profonde est de guérir la communauté,
pas de la blesser. Notre discours est franc mais pas
destructeur. C’est pourquoi la méditation de l’écoute est une
part importante de la pratique. Assis en cercle, parmi tous
nos amis pratiquant l’écoute profonde, notre parole gagne en
beauté et devient plus constructive. Jamais nous
n’adressons de reproches, jamais nous ne cherchons la
dispute.
L’écoute compatissante est de toute première importance.
C’est dans cette dernière partie de la cérémonie que nous
écoutons les difficultés et les souffrances de la personne qui
s’exprime. Nous l’écoutons avec le profond souhait d’apaiser
sa souffrance, et certainement pas de la juger ou de susciter
le conflit. Toute notre concentration est portée vers cette
écoute et, même si nous entendons des propos qui ne sont
pas exacts, nous poursuivons notre écoute profonde afin de
permettre à l’autre personne d’exprimer sa souffrance et,
ainsi, d’apaiser les tensions qu’elle porte en elle. À cette
étape, nous nous contentons d’écouter car, si nous lui
répondions ou cherchions à corriger ses propos, la pratique
ne porterait pas ses fruits. Et si nous ressentons la nécessité
de lui dire que sa perception n’est pas correcte, nous
pourrons le faire quelques jours plus tard, calmement et en
aparté. Il n’est pas impossible non plus que, lors de la
cérémonie de renouveau suivante, cette même personne
rectifie son erreur par elle-même, sans que personne n’ait
eu à lui en parler. Généralement, la cérémonie du « nouveau
départ » se clôture en chantant ou en nous mettant en
cercle, nous donnant les mains, consacrant une ou deux
minutes à respirer ensemble.

1 La pratique du « nouveau départ » est aussi connue


sous l’appellation « renouveau ».
Lâcher-prise émotionnel et mouvements physiques

par Thây Phap An

Quand nous méditons et recherchons les causes et les


racines de nos contrariétés, de nos attachements
douloureux, il n’est pas rare que resurgissent des images de
notre enfance, et qu’elles nous accompagnent encore
plusieurs minutes. Dans ce cas, il est essentiel de rester
pleinement conscients de notre corps physique. Peut-être se
mettra-t-il à trembler, il est possible aussi que nous
éclations en sanglots, et que cela se prolonge quelques
minutes ou parfois plus longtemps. Ce relâchement
émotionnel peut avoir un effet très bénéfique, et, après un
tel épisode, nous ressentirons probablement plus de
légèreté, accédant même à une perception beaucoup plus
claire de la situation. Avec le temps, nous nous sentirons
nettement plus libres.
Ce processus de libération de la souffrance est excellent.
On peut en effet s’attendre que la guérison fasse suite aux
pleurs et à l’expression des émotions. La toute première fois
que nous traverserons une telle expérience, il est possible
que la libération émotionnelle soit particulièrement forte,
peut-être 10 sur une échelle de 1 à 10. Le deuxième épisode
sera sans doute déjà moins fort, peut-être 8 sur 10, puis 6,
4, 3, 2, 1, etc. Ainsi, dès que l’énergie aura été libérée, nous
serons en mesure de regarder notre situation en profondeur
et de mieux comprendre ce que nous revivons. C’est là que
prend naissance l’amour véritable. Nous n’éprouverons plus
de colère, nous pourrons comprendre les personnes qui nous
ont blessés, profondément, véritablement.
Il est vraiment important de ne pas nous laisser
submerger par le processus émotionnel, l’explosion ou la
libération émotionnelle. Nous veillerons aussi à ne pas nous
perdre dans la souffrance que l’épisode nous révélera. Au
contraire, il sera même tout à fait bénéfique d’observer
comment tout cela émerge. Il faut aussi que le processus
reste naturel, car la vraie guérison naîtra de la
compréhension véritable.
Une autre pratique essentielle dans ce cadre est le
mouvement physique. En effet, toutes ces fortes énergies
peuvent se loger dans notre corps et dans certains organes,
comme les reins, le foie ou le cœur. Après la libération
émotionnelle, ces organes seront probablement vulnérables
et déséquilibrés. Il est donc important d’en prendre soin et
de pratiquer des mouvements qui permettent à l’énergie de
circuler ; nous veillerons donc à régulièrement pratiquer
quelques exercices, tels que ceux proposés par le taï-chi ou
le qi gong. Nous aiderons ainsi notre corps sur le chemin de
la guérison véritable.
DU MÊME AUTEUR (suite)

Love in action, Dangles, 2004


Enseignements sur l’amour, Albin Michel, 2004
La Colère, Pocket, 2004
Soyez libres là où vous êtes, Dangles, 2003
La Respiration essentielle, Albin Michel, 2003
Clés pour le zen, Pocket, 2001
Toucher la vie, Dangles, 2001
Vivre sans peur, Le Jour, 2001
Vivre en pleine conscience, Terre du ciel, 2000
Entrer dans la liberté, Dangles, 2000
Feuilles odorantes de palmier, La Table ronde, 2000
Un lotus s’épanouit, Dzambala, 1998
Sur les traces de Siddhartha, Pocket, 1998
Bouddha vivant, Christ vivant, Marabout, 1998
Le Silence foudroyant, Albin Michel, 1997
La Paix, un art, une pratique, Bayard-Éditions Centurion,
1996
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Titre original :
RECONCILIATION
Healing the Inner Child
publié par Parallax Press, P.O. Box 7355, Berkeley,
California 94707

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EAN 978-2-7144-5719-6
© Unified Buddhist Church, Inc., 2010. Tous droits
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© Belfond 2014 pour la traduction française.

Couverture : guylainemoi@gmail.com - Illustration


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Composition numérique Maury Imprimeur

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