Ebook Thich Nhat Hanh - Prendre Soin de L Enfant Interieur
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PRENDRE SOIN DE
L’ENFANT INTÉRIEUR
Faire la paix avec soi
Traduit de l’anglais
par Bénédicte Genot
Notre véritable héritage
L’enfant intérieur
ÉCOUTE
Quand nous parlons de l’écoute compatissante, nous
pensons généralement qu’il s’agit d’écouter quelqu’un
d’autre. Mais nous devons aussi nous écouter nous-mêmes,
écouter l’enfant blessé en nous. Parfois, il émerge des
profondeurs de notre conscience et sollicite toute notre
attention. Si vous êtes en pleine conscience, vous entendrez
sa voix appeler à l’aide. Alors, au lieu de faire attention à ce
qui vous entoure, retournez à vous-même et prêtez-lui
toute votre attention et votre tendresse. Vous pouvez lui
parler avec amour : « Dans le passé, je t’ai laissé seul. Je me
suis détourné de toi, j’en suis sincèrement désolé. Je vais
t’entourer de toute ma tendresse à présent. » Vous pouvez
dire aussi : « Mon chéri, je suis là pour toi. Je vais bien
prendre soin de toi. Je sais que tu as beaucoup souffert. J’ai
été tellement occupé. Je t’ai négligé mais, à présent, j’ai
appris comment revenir à toi. » Vous pouvez pleurer
ensemble, si c’est nécessaire. Chaque fois que vous en avez
besoin, vous pouvez vous asseoir et respirer avec lui :
« J’inspire, je reviens à mon enfant blessé ; j’expire, je
prends bien soin de mon enfant blessé. »
Il est important que vous vous tourniez vers lui plusieurs
fois par jour. Ce n’est qu’ainsi que la guérison pourra
intervenir. Rassurez-le en l’enveloppant de votre tendresse,
faites-lui sentir que jamais plus vous ne l’abandonnerez, que
jamais plus vous ne le laisserez sans soins. Il est resté seul
pendant si longtemps... Il est donc essentiel de commencer
cette pratique dès à présent. Si vous ne le faites pas
maintenant, quand le ferez-vous ?
Revenez à lui, écoutez-le avec attention chaque jour, cinq
ou dix minutes. Quand vous escaladez une belle montagne,
invitez-le à la gravir avec vous. Quand vous contemplez le
lever du soleil, invitez-le à partager votre joie. Si vous faites
cela pendant quelques semaines ou quelques mois, la
guérison pourra se manifester.
Avec la pratique, nous découvrons que cet enfant blessé
n’est pas seulement nous, il peut représenter plusieurs
générations. Notre mère a probablement souffert tout au
long de sa vie. Notre père peut avoir souffert lui aussi. Peut-
être nos parents n’étaient-ils pas capables de prendre soin
de leur propre enfant intérieur ? Quand nous accueillons
avec bienveillance notre enfant intérieur, nous accueillons
donc aussi ceux des générations qui nous ont précédés.
Cette pratique n’est pas une pratique pour nous seuls, mais
pour d’innombrables générations d’ancêtres et de
descendants.
INTER-ÊTRE1
Avec la pratique de la méditation, nous pouvons encore
percevoir le cordon ombilical qui nous relie à notre maman.
Nous voyons qu’elle n’est pas seulement à l’extérieur mais
aussi en nous. Grâce à la vision profonde, nous pouvons voir
les cordons ombilicaux qui nous relient aux autres choses,
aux autres personnes. Imaginez un cordon qui vous relie au
Soleil. Le Soleil se lève chaque matin, et c’est grâce à lui que
nous pouvons profiter de la lumière et de la chaleur. Sans le
Soleil et sans la chaleur, nous ne pourrions survivre. De la
même manière qu’un bébé dépend de sa mère, nous
dépendons du Soleil. Un cordon nous relie à lui. On peut
même dire qu’il existe une infinité d’autres cordons... Nous
sommes reliés aux nuages car, s’ils n’étaient pas là, il n’y
aurait ni pluie, ni eau, ni lait, ni thé, ni café, ni crème glacée,
rien de tout cela. Un autre cordon nous relie à la rivière et
un autre à la forêt. En poursuivant ainsi, nous voyons que
nous sommes reliés à chaque être et à chaque chose dans le
cosmos. Nous dépendons d’autres êtres pour exister. Nous
avons autant besoin de l’animé que du non-animé, comme
les plantes, les minéraux, l’air et l’eau.
En grandissant, nous pourrions facilement penser que
nous sommes une personne et notre maman une autre,
deux entités bien distinctes. Or, ce n’est pas vraiment le cas.
Nous sommes le prolongement de notre mère, et c’est à tort
que nous pensons être une personne différente d’elle. En
réalité, nous sommes la continuation de notre mère et de
notre père, tout comme celle de nos ancêtres.
Prenons l’exemple d’un grain de maïs que nous plantons
en terre. Sept jours plus tard, il germe et commence à
prendre la forme d’un plant de maïs. Quand l’épi a poussé,
nous ne voyons plus la graine mais elle n’est pas morte pour
autant, elle est toujourslà. En regardant profondément, nous
pouvons voir que la graine est toujours dans la plante. L’épi
et sa semence ne sont pas deux entités distinctes, l’un est la
continuation de l’autre. Le plant est le prolongement de la
graine vers le futur, et la graine le prolongement du plant
vers le passé. Ils ne sont ni la même chose ni deux choses
différentes. Vous et votre maman n’êtes pas exactement la
même personne, mais vous n’êtes pas vraiment deux
personnes totalement distinctes non plus. Cet enseignement
est très important, car il nous montre à quel point aucune
personne ne peut exister uniquement par elle-même. Nous
« inter-sommes », en lien avec tous et tout.
En examinant une cellule de notre corps ou en notre
conscience, nous pouvons reconnaître la présence de toutes
les générations d’ancêtres en nous. Il ne s’agit pas
seulement des êtres humains car, bien avant leur apparition,
nous étions d’autres espèces. Nous avons été minéral, arbre,
plante, organisme cellulaire, écureuil, daim, singe. Toutes
ces générations d’ancêtres sont présentes dans chacune des
cellules de notre corps et dans notre esprit. Et chacun de
nous est le prolongement naturel de ce courant de vie.
Regardons la feuille d’un arbre. Que voyons-nous ? Une
feuille est une feuille, ce n’est pas une fleur. Pourtant, si
nous la regardons profondément, nous pouvons y voir
beaucoup de choses : l’arbre, le rayon de soleil, le nuage, la
terre. En prononçant le mot « feuille », nous devons être
conscients qu’une feuille est constituée d’éléments « non
feuille ». Or, si nous retirons les éléments non feuille, tels
que les rayons du soleil, les nuages et le sol, il n’y aura plus
de feuille. Il en va de même pour notre corps et nous-
mêmes. Nous ne sommes ni identiques ni séparés des autres
êtres vivants ou inanimés. Nous sommes en lien avec tout,
et toute chose est pleinement vivante.
L’ÉNERGIE D’HABITUDE
L’objet de la méditation est de regarder quelque chose en
profondeur afin d’en découvrir les origines. Quelle que soit
notre action, si nous l’examinons en profondeur, nous serons
en mesure d’en identifier les racines. Notre façon d’agir peut
provenir de nos ancêtres ; d’ailleurs, ils agissent toujours en
même temps que nous, dans toutes nos actions. Ainsi papa,
grand-père et arrière-grand-père sont avec nous ; maman,
grand-mère et arrière-grand-mère sont présentes elles
aussi, dans chacune des cellules de notre corps. Certaines
graines sont plantées durant notre vie, d’autres étaient là
bien avant notre manifestation dans ce corps physique.
Parfois nous agissons sans intention particulière ; c’est
l’énergie d’habitude qui nous entraîne et nous pousse à faire
certaines choses, sans que nous nous en rendions compte. Il
nous arrive d’agir sans conscience de ce que nous faisons ou
de poser des actes que nous voulions pourtant éviter. Qui
parmi nous ne s’est jamais surpris à dire : « Je ne voulais
pas le faire, mais c’était plus fort que moi, j’ai été
emporté(e) » ? C’est ce que nous appelons une graine, une
énergie d’habitude, dont l’origine est probablement à
rechercher parmi les nombreuses générations passées.
Nous avons hérité de nombreuses graines. Et, grâce à la
pleine conscience, nous pouvons identifier les énergies
d’habitude qui nous ont été transmises. Nous verrons par
exemple que nos parents ou nos grands-parents
présentaient les mêmes faiblesses que nous et, sans porter
de jugement, nous comprendrons que nos habitudes
négatives proviennent de ces racines ancestrales. Nous
pouvons alors simplement sourire à nos défauts et à nos
habitudes d’énergie. Avec lucidité, nous pouvons choisir
d’agir différemment et, ainsi, mettre immédiatement fin au
cycle de la souffrance.
Il nous est sûrement déjà arrivé de nous surprendre à
faire des choses sans en avoir vraiment l’intention et de
nous faire ensuite de lourds reproches à ce sujet. Ces
attitudes s’observent principalement quand nous nous
percevons comme un individu, isolé et plein de défauts ; en
revanche, si nous pouvons reconnaître ces énergies
d’habitude et le fait qu’elles nous ont simplement été
transmises, nous parviendrons peu à peu à les transformer
et à les abandonner.
Avec la pratique de la pleine conscience, nous pourrons
vite repérer quand un acte répétitif s’est installé. C’est la
première compréhension à laquelle elle nous donne accès.
Dans un second temps, si nous le souhaitons, la pleine
conscience et la concentration nous aideront à découvrir
l’origine de cet acte, qu’il ait été déclenché par quelque chose
qui s’est produit hier ou que ses racines soient bien plus
anciennes, parmi nos ancêtres, peut-être trois cents ans plus
tôt. Dès que nous prenons conscience de nos actes, nous
pouvons reconnaître s’ils sont vraiment bénéfiques et, dans
le cas contraire, décider de ne pas les poursuivre. Ainsi, si je
suis pleinement conscient de mes tendances et, dès lors,
bien déterminé dans mes pensées, mes paroles et mes actes,
je pourrai me transformer moi-même, mais aussi
transformer les ancêtres qui ont semé ces graines en moi.
Chacun pratique donc autant pour soi-même que pour tous
ses ancêtres, ses descendants, et donc pour le monde entier.
Lorsque nous sommes capables de sourire face à une
provocation, nous pouvons prendre conscience de cette
capacité en nous, l’apprécier et la développer. Cela signifie
aussi que nos ancêtres peuvent sourire à ce qui les
provoque. Ainsi, une personne capable de garder son calme
et de sourire face aux provocations aidera le monde entier à
accéder à la paix. La clef principale est d’être simplement
pleinement conscient de la nature de nos actes. Et la pleine
conscience nous aidera ensuite à en comprendre l’origine.
L’ATTENTION APPROPRIÉE
Si nous avons souffert d’abus, petit enfant de sept ans
peut-être, nous porterons toujours en nous l’image de cet
enfant vulnérable et empli de peur. Et chaque fois que nous
entendrons quelque chose qui nous rappellera cette
souffrance, nous serons directement remis au contact de
l’image ancienne. Aujourd’hui adulte, il y a une multitude de
situations et de choses, parmi ce que nous voyons,
entendons et expérimentons, qui ont pour effet de nous
ramener à ce souvenir de souffrance.
Si nous avons été victimes d’une souffrance telle qu’un
abus, ce que nous voyons ou entendons à présent est
presque toujours susceptible de nous ramener à l’image de
l’événement traumatisant de l’enfance. Ce contact quasi
permanent avec les images du passé peut engendrer des
sentiments de peur, de colère et de désespoir. C’est ce que
nous appelons l’attention inappropriée (ayoniso
manaskara, en sanskrit), parce qu’elle nous éloigne de
l’instant présent, en nous plongeant dans un lieu d’ancienne
souffrance. C’est alors qu’il est essentiel de disposer d’outils
pour gérer la tristesse, la peur et la souffrance qui émergent.
Le son de la cloche nous rappelle d’arrêter pensées et
paroles pour revenir à notre inspiration et à notre
expiration. Il peut nous délivrer de l’image de souffrance en
nous invitant à apprécier notre respiration profonde,
l’apaisement de notre corps et de notre esprit, notre sourire.
Quand la souffrance monte, notre pratique est d’inspirer et
d’expirer en récitant : « J’inspire et je sais que la souffrance
est en moi. » Par la pratique, nous reconnaissons, accueillons
et enveloppons cette formation mentale avec une grande
tendresse. Et si nous nous appliquons, nous pourrons aller
plus loin. Par la pleine conscience et la concentration, nous
pourrons alors retourner à l’image et comprendre ce qui l’a
fait surgir : « J’éprouve ceci parce que j’ai été en contact
avec cela. »
Beaucoup d’entre nous ne parviennent pas à quitter le
monde des images. L’énergie de pleine conscience se
présente alors comme un merveilleux outil pour reconnaître
que notre ancienne souffrance n’est qu’une image, et non la
réalité. C’est ainsi que nous pourrons voir combien la vie et
toutes ses merveilles sont disponibles pour nous, ici et
maintenant, et qu’il est possible de vivre heureux dans le
moment présent. Nous pouvons changer toute la situation.
RELAXATION PROFONDE
Si notre corps n’est pas serein, si nous avons trop
d’émotions fortes, alors notre respiration ne peut pas non
plus être paisible. Mais si nous nous exerçons à respirer en
pleine conscience, nous remarquerons que notre respiration
s’apaisera, devenant ainsi plus profonde, plus harmonieuse,
libérée de toute tension. La respiration en pleine conscience
ramène notre esprit à notre corps. Revenant à notre corps,
nous pouvons alors nous réconcilier avec lui. Avec la
pratique, nous prenons conscience de ce qui se passe dans
notre corps, des erreurs que nous avons commises, des
conflits que nous vivons. Peu à peu, nous percevons plus
finement ce qu’il y a lieu de faire – ou de ne pas faire – pour
être en bons termes avec lui. La respiration en pleine
conscience nous permet de reconnaître notre corps comme
notre véritable demeure. Nous pouvons pratiquer ainsi :
J’inspire, je suis conscient(e) de mon corps ;
J’expire, je souris à mon corps.
LAISSER FAIRE
Comment pouvons-nous générer les sentiments de joie et
de bonheur dont nous avons besoin afin d’être assez fort
pour nous occuper de notre souffrance ? La première chose
à faire est de relâcher, de laisser faire, car la joie prend
racine dans le lâcher-prise.
Supposons maintenant que nous vivions dans une grande
ville, à New York ou à Paris. Nous souffrons du bruit, de la
pollution et de la poussière qui partout y règnent en maîtres.
Nous rêvons de fuir à la campagne, le temps d’un week-end
ou davantage, mais nous savons qu’il nous faudra peut-être
une heure pour quitter la ville. Et pourtant nous y allons, car
nous savons que cela en vaudra vraiment la peine. Une fois à
la campagne, nous savourons l’air frais : nous contemplons
les collines, les arbres, les nuages, le ciel bleu. Nous sommes
envahis d’un tel bonheur que nous oublions bien vite la ville
que nous avons délaissée, au profit de l’expérience d’une
telle beauté.
Mais nous constaterons bien vite que nous ne parvenons
pas à retenir cette joie et ce bonheur éternellement. Comme
nous avons certainement déjà tous pu en faire l’expérience,
il est probable qu’après quelques semaines nous aurons
terriblement envie de regagner notre ville, Paris ou New
York. Nous sommes très heureux les premiers jours à la
campagne, mais nous n’avons pas la capacité de nourrir et
d’entretenir cette joie et ce bonheur pendant très
longtemps. Nous souffrons, nous ressentons une grande
impatience à rentrer. Nous croyons que notre « chez-moi »
est là-bas, home sweet home. Ainsi, quand nous rentrons
dans notre ville, nous touchons à nouveau à la joie et au
bonheur, car nous sommes de retour « chez nous »... mais
cela ne va pas durer car le mal-être reviendra bien vite.
C’est ainsi que nous faisons des allers et retours incessants.
Et le phénomène est tel dans notre société moderne que,
aujourd’hui, nombreuses sont les personnes qui possèdent
une résidence secondaire, de façon à pouvoir fuir
régulièrement leur situation, et à y retourner ensuite...
La joie et le bonheur sont de nature impermanente. Ils
ont besoin d’être nourris pour durer plus longtemps. Mais si
nous ne connaissons pas la manière de les alimenter, ils
risquent de disparaître. Au bout de quelque temps, nous
perdrons notre capacité à savourer la joie et le bonheur,
alors qu’ils sont toujours là, disponibles pour nous. Cette joie
et ce bonheur ont la capacité de nous nourrir, voire de nous
guérir, mais à eux seuls ils ne sont pas assez forts pour
transformer la profonde souffrance enfouie au fond de notre
conscience.
SOUS LA SURFACE
En surface, l’océan est généralement calme, mais il
masque de nombreux courants dans ses profondeurs. Si
notre pratique ne nous a pas encore permis d’atteindre le
bloc de souffrance transmis par nos ancêtres et par nos
parents, et que nous n’avons donc pas encore pu le
transformer, cette fine couche de tranquillité ne nous sera
accessible que durant une période de temps limitée. De
temps en temps, en effet, le bloc de souffrance enfoui
émergera. Il n’est donc pas suffisant de nous accrocher à ce
type de joie et de bonheur car, au bout d’un moment, nous
commencerons à éprouver des difficultés, sans savoir quel
est notre véritable problème, notre blessure réelle. Notre
souffrance est peut-être celle de notre père, qu’il nous a
léguée en héritage ; ou bien celle héritée de notre mère, si
elle n’a pas pu la transformer. Si notre pratique reste
superficielle, la tranquillité, la joie et le bonheur auxquels
nous accéderons resteront superficiels eux aussi. Une telle
pratique n’est donc ni assez forte ni assez efficace pour
transformer la grande souffrance enfouie à la base de notre
conscience.
Comme nous ne connaissons pas la nature de notre
blessure, notre conscience n’est pas en mesure d’éclairer ni
d’identifier sa présence cachée dans les profondeurs de
notre inconscient. Et c’est ainsi que nous n’avons de cesse
d’incriminer ceci ou cela comme éléments responsables de
notre souffrance. Nous accusons certaines personnes ou
situations d’être à la source de notre malheur et, si nous
vivons en famille ou en communauté, nous nous surprenons
sans doute à penser : « Ma famille ne se montre pas assez
respectueuse de l’environnement », ou : « Cette
communauté fait encore preuve de discrimination envers
les homosexuels et les lesbiennes », et ainsi de suite. La vie
regorge d’exemples comme ceux-là, de difficultés sociales.
C’est pour éviter ce type d’écueils, où nous accusons trop
facilement les situations extérieures à nous d’être
responsables de notre souffrance, qu’il est essentiel que
chacun, chacune, nous revenions à nous-mêmes, afin de
reconnaître notre propre souffrance et de l’entourer de
toute notre tendresse. Mais nous devrons
vraisemblablement aussi accepter que cette pratique nous
apporte parfois son lot d’inconfort.
Nous pouvons comparer cela au melon amer, un légume
typique d’Asie. En vietnamien, « amer » se dit khô. Or, khô
signifie aussi « souffrance ». Ce qui est amer est donc associé
à la souffrance ; ce melon tire ainsi son nom de sa saveur. Si
nous n’avons pas l’habitude de manger du melon amer, nous
risquons de souffrir lorsque nous le goûterons. La médecine
chinoise considère pourtant que l’amertume est bonne pour
notre santé. La saveur de ce melon est certes amère, mais
sa dégustation attentive pourra aussi nous en révéler toute
la fraîcheur, ce qui incite d’ailleurs certaines personnes à le
renommer et l’appeler « melon rafraîchissant ». Ce légume
est donc à la fois frais et amer, mais il est largement
apprécié par ceux qui le consomment régulièrement. Nous
aimons son amertume ; c’est amer mais c’est délicieux et
cela nous fait du bien.
LÂCHER PRISE
Un jour où le Bouddha était assis dans la forêt, entouré de
plusieurs moines, un paysan s’approcha. Ses vaches
s’étaient enfuies et il demanda aux moines s’ils les avaient
vues passer. Le Bouddha répondit : « Non, nous n’avons pas
vu passer vos vaches par ici, vous devriez peut-être les
chercher dans une autre direction. » Puis, quand le fermier
fut parti, le Bouddha se tourna vers ses moines, sourit, et
dit : « Chers amis, vous devriez être très heureux. Vous
n’avez aucune vache à perdre. »
Une pratique que chacun de nous peut faire consiste à
prendre une feuille de papier et à y inscrire les noms de nos
vaches. Ensuite, nous pourrons examiner notre situation en
profondeur afin de sentir si nous nous sentons capables d’en
relâcher quelques-unes. Peut-être nous sommes-nous
persuadés que ces choses étaient cruciales pour notre bien-
être, mais, si nous prenons la peine de regarder en
profondeur, nous constaterons que certaines d’entre elles
sont un obstacle à notre joie et à notre bonheur véritables.
À ce propos, je me souviens d’un homme d’affaires qui
était venu à une retraite en Allemagne et qui, entendant
l’histoire des vaches échappées, avait éclaté de rire. Je
l’invitai alors à poursuivre la retraite, mais il m’expliqua
qu’il avait trop à faire. C’était un businessman, il devait aller
en Italie pour ses affaires, et il avait beaucoup de choses à
régler, alors il nous dit au revoir. Mais, le jour suivant, quelle
ne fut pas ma surprise de le revoir assis parmi les autres
retraitants. Il m’expliqua alors qu’il était à mi-chemin vers
l’Italie quand il avait fait demi-tour. Il avait été capable de
relâcher une vache à laquelle il pensait devoir s’agripper et il
en était particulièrement heureux.
PLEINE CONSCIENCE
La première source de joie et de bonheur est le lâcher-
prise. Cependant, si nous nous limitions à cela, notre joie
resterait superficielle et de courte durée. C’est ainsi que,
grâce à la pleine conscience, nous disposons d’une deuxième
source de bonheur. Supposons que nous soyons avec un
groupe de personnes, à contempler un lever de soleil. Si
notre esprit est préoccupé par nos projets ou nos soucis,
pensant au futur ou au passé, il nous est impossible d’être
vraiment là pour contempler et savourer ce splendide lever
de soleil car nous manquons de pleine conscience. À
l’inverse, si nous veillons à revenir en nous par la respiration
consciente, pleinement présents à notre inspiration et à
notre expiration, nous pouvons ramener notre esprit
totalement au moment présent, nous libérant ainsi du passé,
du futur et de tout projet, corps et esprit parfaitement
unifiés. La pleine conscience nous permet d’être totalement
présents afin d’observer, de contempler et de savourer
profondément le lever de soleil qui s’offre à nous.
Nous pourrions illustrer cela à l’aide d’un autre exemple.
Supposons que nous recevions la visite d’un ami ou d’une
amie venu(e) de loin et que nous partagions un beau
moment avec cette personne, autour d’une tasse de thé.
Notre pleine conscience fera de ce temps partagé avec elle
un moment inoubliable. Un temps où nous ne pensons à
rien, où nous ne nous inquiétons ni de nos projets ni de nos
affaires, uniquement concentrés sur ce moment partagé
avec notre ami(e). Pleinement conscient de sa présence,
nous nous réjouissons de ce moment et nous goûtons au
bonheur de pouvoir nous asseoir, avec lui, avec elle,
savourant le partage d’une tasse de thé.
Dans la tradition bouddhique, il existe une petite nuance
entre la joie et le bonheur. Supposons que nous traversions
seuls le désert et que nous nous retrouvions à court d’eau,
particulièrement assoiffés. Tout à coup, nous apercevons
une oasis devant nous. Nous savons qu’il y aura des arbres
et un lac dont nous pourrons boire l’eau. Cette prise de
conscience nous apporte beaucoup de joie. Nous savons que
nous allons enfin pouvoir nous reposer et boire. Cette
sensation se nomme Joie. Ensuite, lorsque nous parvenons
enfin à l’oasis et que nous nous asseyons à l’ombre des
arbres, que nous nous agenouillons et faisons une coupe de
nos mains afin de boire l’eau tant attendue, ce à quoi nous
goûtons à ce moment-là s’appelle Bonheur. La joie éprouvée
à la vue de l’oasis comportait donc davantage une dimension
d’excitation.
Joie et bonheur sont tous deux indispensables. Si nous
ressentons de la souffrance pendant la méditation assise, la
méditation marchée ou la relaxation totale, c’est que nous ne
pratiquons peut-être pas correctement. Nous ne devrions
pas souffrir à cause de la méditation ; ce n’est pas un travail
pénible. Au contraire, la méditation devrait nous apporter
de la joie et du bonheur comme nourriture. Avec cette joie et
ce bonheur dans notre vie, nous serons alors suffisamment
forts pour prendre soin des blocs de souffrance, de tristesse,
voire de désespoir qui sont en nous.
Tous les gestes que nous faisons au quotidien devraient
nous apporter joie et bonheur, qu’il s’agisse de nous brosser
les dents, de préparer notre petit déjeuner ou de nous
rendre à la salle de méditation. Chaque pas, chaque
respiration devrait nous combler. La vie est déjà pleine de
souffrances ; nul besoin d’en créer davantage...
Le Bouddha respire,
Le Bouddha marche.
Je savoure la respiration,
Je savoure la marche.
Paix en respirant,
Paix en marchant.
La paix est la respiration,
La paix est la marche.
Transformer la souffrance
RECONNAÎTRE LA SOUFFRANCE
Supposons que nous pratiquions la méditation marchée
pour entrer en contact avec les merveilles de la vie. Tout à
coup, au cours de la marche, un souvenir de notre enfance
remonte à notre esprit, et les sentiments de souffrance, de
peur et de désespoir refont surface. De ce fait, bien que nous
marchions, nous ne parvenons plus à savourer notre
marche. Nous ne sommes plus au paradis ; nous sommes en
enfer, aux prises avec notre souffrance. Dans une telle
situation, la première démarche à faire est de reconnaître :
« La souffrance est en moi. »
« MANAS »
Une des raisons principales qui nous poussent à éviter le
contact avec notre enfant intérieur est que nous craignons la
souffrance. Cela s’explique par la présence de Manas, cette
partie de notre conscience située entre la conscience du
tréfonds et la conscience mentale dont la caractéristique est
de nous pousser à rechercher constamment le plaisir,
évitant à tout prix la souffrance. Manas nous fait croire que
nous sommes dotés d’un soi séparé et c’est précisément
avec cette illusion et la discrimination qui en découle que
naît toute notre souffrance.
Quand un poisson voit un appât attirant, il a tendance à
mordre dedans. Il ne sait pas qu’un hameçon s’y cache et
qu’en mordant à l’appât il sera tiré hors de l’eau. Notre
pleine conscience peut nous éclairer quant aux dangers
d’une recherche permanente du plaisir. Nous pourrons alors
arroser les graines de sagesse dans notre conscience du
tréfonds, de façon à faciliter la transformation de Manas.
C’est la fonction que remplit notre conscience mentale.
LES SIX CARACTÉRISTIQUES DE « MANAS »
Manas présente de nombreuses caractéristiques. Sa
première tendance est de toujours s’intéresser à la
recherche du plaisir, et sa deuxième est de tenter d’éviter la
souffrance. Troisièmement, Manas a la fâcheuse habitude
d’ignorer les dangers de cette recherche du plaisir. Or, il est
vrai que si nous n’avons de cesse de poursuivre les plaisirs
sensuels, nous risquons de détruire notre corps et notre
esprit. À l’inverse, si nous prenons la peine d’examiner en
détail l’objet de notre convoitise, nous pourrons en discerner
les nombreux dangers.
La quatrième caractéristique de Manas est d’ignorer les
bienfaits de la souffrance alors que cette dernière peut, elle
aussi, présenter nombre d’effets bénéfiques. Nous avons
tous besoin d’une certaine quantité de souffrance pour notre
croissance, afin de comprendre et de cultiver notre
compassion, notre joie et notre bonheur. Nous ne pouvons
apprécier pleinement bonheur et joie que si, en
comparaison, nous avons déjà été en contact avec la
souffrance.
Si nous n’avions pas souffert de la guerre, nous ne serions
pas en mesure d’apprécier la paix. Si nous n’avions pas
souffert de la faim, nous ne pourrions pas apprécier
pleinement le pain que nous tenons en main. C’est
merveilleux d’avoir quelque chose à manger ; nous ne
pouvons véritablement goûter à ce bonheur que si nous
savons ce qu’est la faim.
Nous traversons tous des moments particulièrement
dangereux dans notre vie. Et si nous repensons à ces
moments que nous avons connus, nous pouvons
véritablement savourer la sécurité de l’instant que nous
vivons maintenant. C’est grâce à notre souffrance, en la
comprenant, en la touchant de tout près que nous avons la
possibilité de développer et de laisser croître compréhension
et compassion dans notre vie.
Je ne voudrais pas envoyer mes amis ni mes enfants dans
un endroit préservé de toute souffrance car, dans un tel lieu,
ils n’auraient pas l’opportunité d’apprendre à cultiver la
compréhension et la compassion. Le Bouddha nous a
d’ailleurs enseigné qu’en l’absence de souffrance nous
n’aurions jamais la possibilité d’apprendre. Lui aussi a
beaucoup souffert ; et c’est précisément grâce à sa
souffrance qu’il a pu atteindre l’éveil. Nous devons aller vers
le Bouddha avec toute notre souffrance. La souffrance est le
chemin. C’est à travers elle que nous trouverons la voie de
l’illumination, de la compassion et de l’amour. En examinant
en détail la nature de notre tristesse, de notre peine, de
notre souffrance, nous trouverons la sortie. À l’inverse, si
nous ne savons pas ce qu’est la souffrance, aucun chemin ne
nous mènera au Bouddha, à l’éveil, et nous ne connaîtrons
jamais la possibilité d’entrer en contact avec la paix et
l’amour. C’est précisément parce que nous avons souffert
que nous avons maintenant une chance de trouver la voie
menant à la libération, à l’amour et à la compréhension.
La tendance à fuir la souffrance est présente en chacun de
nous. Nous pensons qu’en recherchant les plaisirs nous
éviterons de souffrir. Malheureusement, cela ne fonctionne
pas ainsi ; au contraire, cela nous empêche de grandir et
d’être heureux. Le bonheur est impossible en l’absence de
compréhension, de compassion, et d’amour. Et, de son côté,
l’amour ne nous sera accessible que si nous comprenons
notre souffrance et celle de l’autre personne. C’est donc en
acceptant de toucher notre souffrance que nous pourrons
développer amour et compassion, tous deux indispensables
au bonheur, le nôtre comme celui des personnes qui nous
entourent. Nous portons tous en nous les graines de
compassion, de pardon, de joie et de « non-peur ». Mais si
nous essayons constamment d’éviter la souffrance, nous ne
laisserons jamais à ces semences bénéfiques la possibilité de
germer.
Au Village des Pruniers, dans le Hameau du Haut où je
vis, nous avons un étang de lotus. Nous savons qu’un lotus
ne peut pas pousser sans boue ; elle est indispensable à sa
vie. Il serait impossible de faire pousser la fleur sur du
marbre. C’est pareil pour nous tous ; la boue joue un rôle
vital dans la croissance du lotus, tout comme la souffrance
est vitale au développement de notre compréhension et de
notre compassion.
Nous devons étreindre notre souffrance et l’examiner en
profondeur car nous avons beaucoup à apprendre d’elle.
Lorsque la graine de peur, logée au plus profond de notre
tréfonds, émerge au niveau de notre conscience mentale,
notre pratique consiste à inviter la graine de pleine
conscience à se manifester à son tour. Car c’est grâce à elle
que nous pouvons être totalement présents et ainsi
reconnaître et accueillir tendrement notre souffrance, et non
plus la fuir. Dans les premiers temps, notre pleine
conscience ne sera sans doute pas assez solide pour contenir
notre douleur et notre tristesse. Par la suite, en pratiquant,
surtout si nous avons la chance d’avoir le soutien d’un
groupe ou d’une communauté, notre pleine conscience va se
renforcer suffisamment pour nous permettre de soutenir
douleur, tristesse et peur.
Nous savons donc maintenant que nous avons tous besoin
d’une certaine dose de souffrance pour développer notre
compréhension et notre compassion. Mais il est inutile d’en
créer davantage ; la souffrance en nous et autour de nous
est déjà largement suffisante ! Faisons confiance à notre
conscience mentale ; elle a la capacité d’apprendre en
observant la souffrance, et elle peut à son tour
communiquer ce savoir à notre conscience du tréfonds.
La cinquième caractéristique de Manas est de tout
ignorer de la loi de modération. Et, là encore, notre
conscience mentale entre en jeu afin de lui rappeler cette
sagesse. Si nous pratiquons la respiration consciente, nous
pourrons aider notre conscience mentale à utiliser la vision
profonde, afin d’identifier Manas et toutes ses illusions,
reconnaissant ainsi la présence des nombreuses graines de
sagesse disponibles au sein même de notre tréfonds. Quand
la conscience mentale œuvre ainsi, sa concentration porte
alors sur l’inter-être, l’interconnexion et sur la non-
discrimination. Et c’est de cette concentration que pourra se
manifester la vision profonde, et parfois étonnamment vite
d’ailleurs !
Enfin, la sixième caractéristique de Manas est qu’il
cherche constamment à obtenir, s’approprier et posséder
tout ce dont il a envie. L’avidité est l’une de nos pulsions les
plus fortes. C’est d’ailleurs elle qui engendre la jalousie et qui
nous pousse à vouloir posséder personnes et objets. Mais si
nous considérons la vie sous l’angle de l’inter-être, nous
comprendrons qu’il n’y a rien à posséder.
TRANSFORMER « MANAS »
La pleine conscience va nous aider à transformer Manas.
En respirant consciemment, nous aiderons notre mental à
regarder la situation en profondeur afin d’identifier Manas
et tout son cortège d’illusions, réalisant ainsi que la graine de
sagesse est disponible au cœur même de notre conscience du
tréfonds. Dès qu’il est transformé, Manas incarne alors la
sagesse de la non-discrimination (nirvikalpajñana, en
sanskrit).
Il existe un conte qui décrit très bien la non-
discrimination. C’est l’histoire du petit grain de sel qui
voulait savoir à quel point l’eau de mer était salée. « Je suis
un grain de sel. Je suis très salé et je voudrais savoir si l’eau
de mer est aussi salée que moi. » C’est alors qu’arriva un
enseignant qui lui répondit : « Mon cher petit grain de sel, la
seule manière pour toi de vraiment savoir quelle est la
salinité de l’océan, c’est de sauter dedans. » C’est ainsi que le
grain de sel sauta dans la mer et ne fit plus qu’un avec l’eau,
et sa compréhension fut parfaite.
Nous ne pouvons véritablement comprendre quelqu’un ou
quelque chose que si nous faisons un avec cette personne ou
cette chose. En effet, si l’on considère le terme
« comprendre », son origine latine nous rappelle qu’il signifie
littéralement « prendre quelque chose et fusionner avec ».
Comment pourrions-nous comprendre quelqu’un ou
quelque chose si nous nous en sentons séparés ?
La pratique de la méditation consiste précisément à
porter sur la réalité un regard tel qu’il n’existe plus de
frontière entre sujet et objet. Nous devons supprimer cette
barrière qui sépare celui qui observe et l’objet de son
observation. Si nous voulons comprendre quelqu’un, nous
devons nous mettre dans sa peau. Pour que des amis ou des
proches puissent parvenir à une compréhension mutuelle
authentique, ils doivent pouvoir endosser le personnage l’un
de l’autre. La seule manière de comprendre complètement
est de devenir l’objet de notre compréhension. Elle sera
réelle et profonde lorsque nous aurons pu abolir la frontière
entre nous-mêmes et l’objet de notre compréhension.
Prenons l’exemple des cadeaux et supposons que nous en
offrions un à quelqu’un. Avec la sagesse de la non-
discrimination, nous percevrons qu’il n’y a ni donneur, ni
receveur. Au contraire, si nous restons prisonniers de l’idée
que nous sommes la personne qui offre et que l’autre est
celle qui reçoit, notre don ne sera pas parfait. Si nous
choisissons d’offrir quelque chose à une personne, c’est
parce qu’elle a besoin ou envie de ce que nous avons ; notre
geste est tout naturel. Quand nous pratiquons vraiment la
générosité, il ne nous viendra pas à l’esprit de nous dire :
« C’est un ingrat. »
En pratiquant la pleine conscience, nous pourrons alors
commencer à repérer la présence de Manas en nous. Si nous
sommes vigilants aux six tendances de Manas, nous serons
en mesure d’utiliser la pleine conscience, la concentration et
la vision profonde afin de transformer ces habitudes
négatives et de faire éclore la sagesse de la non-
discrimination. Si, au lieu de fuir notre souffrance, nous
acceptons de la reconnaître, de l’étreindre avec grande
douceur et de l’examiner attentivement, elle pourra se
transformer peu à peu, ouvrant alors la voie à la libération
et à l’éveil.
Il est essentiel pour chacun de nous de prendre le temps
de définir ce qui est nécessaire à notre bonheur. Il est tout
aussi important de pouvoir évaluer les besoins des membres
de notre famille, de notre communauté et de notre société.
En effet, dès que nous aurons pu en identifier les objectifs,
nous pourrons déployer les moyens nécessaires et agir
concrètement afin de procurer la nourriture, la démocratie
et la liberté dont tous ont tant besoin. Nos actions prennent
racine dans nos objectifs ; ils définissent le travail que nous
avons à accomplir pour contribuer à orienter la société dans
une direction positive. Pour déterminer si nos actions sont
bonnes ou mauvaises, nous veillerons à ce qu’elles mènent à
notre vision ultime.
LA SAGESSE DE LA NON-DISCRIMINATION
La discrimination entre ceci et cela, de ceci contre cela,
engendre toujours beaucoup de souffrance. Or, dans notre
conscience du tréfonds, nous disposons d’une graine qui
permet de transformer Manas : la sagesse de la non-
discrimination. Il est essentiel que notre conscience mentale
puisse identifier cette graine de sagesse enfouie au sein
même de notre tréfonds et qu’elle puisse ainsi l’aider à se
manifester. Si nous pratiquons la respiration consciente et la
vision profonde, nous pourrons à notre tour faciliter la
manifestation de la sagesse de la non-discrimination.
Celle-ci est présente en chacun de nous. Prenons
l’exemple de ma main droite ; elle invite la cloche et écrit
des poèmes et fait plein d’autres choses. Ma main droite
porte en elle la sagesse de la non-discrimination, car jamais
elle ne dira à ma main gauche : « Main gauche, tu ne me
sembles pas douée pour quoi que ce soit. C’est moi qui écris
tous les poèmes. C’est moi qui fais de la calligraphie. » La
communication et la collaboration entre les deux mains sont
parfaites ; jamais la main droite ne se considère comme
supérieure à la main gauche ! Elles ne connaissent ni le
complexe de supériorité, ni celui d’infériorité, ni même celui
de l’égalité. En effet, si nous entrons dans la comparaison,
nous nous considérerons toujours soit comme supérieurs,
soit comme inférieurs à l’autre, ou tenterons d’être son égal.
Mais ce genre de comparaison engendre la discrimination, et
c’est d’elle que naît ensuite la souffrance.
Les cellules de notre corps collaborent les unes avec les
autres, sans discrimination. Un jour, ma main gauche tenait
un clou et ma main droite un marteau. J’essayais d’installer
un tableau et je n’étais pas très attentif. Et, au moment de
frapper avec le marteau, j’ai confondu clou et main... Ma
main droite a immédiatement posé le marteau et s’est
occupée de ma main gauche, comme si elle prenait soin
d’elle-même. Et comme ma main gauche possède la sagesse
de la non-discrimination, elle ne s’est pas mise en colère
contre la droite. À son tour, ma main droite n’a pas dit à la
gauche : « Regarde comme je prends soin de toi. À l’avenir,
tâche de t’en rappeler. » Ma main gauche n’a pas dit non
plus : « C’est injuste ! Je demande réparation, donne-moi ce
marteau. » Il n’y a ni « tu », ni « je », ni discrimination. Les
deux mains sont unies, comme la Trinité. Dieu le Père est
dans Dieu le Fils ; le Saint-Esprit est autant dans le Fils que
dans le Père. C’est l’inter-être. Dans l’un, je vois aussi
l’autre. Bien sûr, ma main droite souffrait mais les deux se
partageaient la douleur, sans discrimination, comme dans
toute relation aimante. C’est ce que nous appelons
l’équanimité (upeksha). Bonheur et souffrance ne sont plus
des considérations individuelles dès lors que la sagesse de la
non-discrimination se manifeste.
BONHEUR ET SOUFFRANCE
Grâce à la sagesse de la non-discrimination, nous pouvons
percevoir que le mal-être et le bien-être existent l’un dans
l’autre. Tous, nous avons cette tendance habituelle à
considérer que, cette fois, c’en est assez, nous avons assez
souffert dans notre vie, nous voulons enfin autre chose, nous
voulons être bien. Nous cherchons à fuir le mal-être et à
aller dans la direction du bien-être ; or, c’est précisément là
où se trouve le mal-être que nous pourrons entrer en
contact avec le bien-être. En effet, si nous fuyons le mal-
être, nous nous donnerons peu de chances de trouver le
bien-être.
Tout bonheur porte aussi en lui un goût de souffrance.
C’est comme les fleurs. Quand vous regardez une fleur en
profondeur, vous pouvez y voir les déchets et le sol ; nous
voyons le compost car nous savons en effet que la fleur ne
peut exister sans lui. Ainsi, entrant en contact profond avec
la fleur, je peux aussi entrer en contact avec le compost
qu’elle contient.
NOURRITURE
La nourriture et les divertissements sont pour beaucoup
d’entre nous un moyen de fuir la souffrance. Nous nous
sentons si seuls, si tristes, tellement vides et frustrés ; nous
vivons dans une telle peur que nous essayons de combler
ces états d’âme avec un film ou un sandwich. C’est notre
façon de gérer le malaise, si profond en nous. Nous faisons
tout ce que nous pouvons pour refouler notre douleur, notre
désespoir, la colère, la dépression. Alors, nous écoutons de la
musique, nous ouvrons le réfrigérateur pour manger
quelque chose, nous prenons un magazine ; bref, nous
consommons. Et même si une émission de télévision n’est
pas intéressante, nous continuons à la regarder parce que
c’est toujours mieux que de devoir affronter notre malaise,
ce mal-être si fortement présent en nous.
Mais en réalité, plus nous consommons, plus nous
incorporons des toxines de violence, d’envie, de désespoir et
de discrimination ; et plus la situation empirera. En
revanche, si nous acceptons ce mal-être, notre énergie de
pleine conscience et de concentration nous aidera à regarder
en profondeur dans la nature de ce malaise et à identifier la
source de nourriture qui l’a généré.
Rien ne peut survivre sans nourriture, pas même la
souffrance. Aucun animal, aucune plante, rien ne survivra
sans alimentation. Il en va de même pour notre amour ; si
nous voulons qu’il survive, nous devons le nourrir. À défaut,
si nous ne l’alimentons pas ou si nous ne lui donnons pas les
aliments appropriés, notre amour va mourir. Il peut très
vite se transformer en haine. C’est pareil pour notre
souffrance et notre dépression qui, elles aussi, ont besoin
d’être alimentées pour continuer à exister. Ainsi, si notre
dépression ne veut pas partir, c’est que nous continuons à
l’alimenter au quotidien. Il nous appartient alors de prendre
le temps de regarder en profondeur la nourriture qui en est
à l’origine.
Même si notre souffrance s’exprime parfois sous la forme
d’une émotion puissante, l’identification de ce qui nourrit ce
mal-être nous permettra peu à peu d’en couper la source ;
et la souffrance finira par dépérir. À l’inverse, en
consommant violence et souffrance, nous augmenterons ce
mal-être – non seulement le nôtre, mais aussi celui des
personnes que nous côtoyons. En mettant fin à la
consommation d’images violentes et de conversations
toxiques, notre pratique nous offre alors une magnifique
opportunité de transformer la violence et la souffrance qui
sont en nous. C’est de ce bon terreau que pourront alors
naître compréhension et compassion pour nous guérir et
aider ensuite les personnes autour de nous à guérir, à leur
tour.
Réconciliation
PERCEPTIONS ERRONÉES
Comme nous restons souvent prisonniers des images de
notre souffrance passée, nous avons facilement tendance à
développer de fausses perceptions ; et nos comportements
vis-à-vis des autres engendrent alors encore plus de
souffrance. Supposons que je sois en colère contre quelqu’un
parce que je suis persuadé que cette personne essaie de me
faire du mal. C’est juste ma perception, mais je suis
convaincu que cette personne a l’intention de me faire
souffrir et de me gâcher la vie. Cette perception va générer
de la colère en moi, me poussant à des actions qui
apporteront encore plus de souffrance à toutes les
personnes concernées.
Au lieu de répliquer violemment, nous pouvons revenir à
notre respiration et notre marche conscientes afin de
générer pleine conscience et vision profonde. En inspirant et
expirant, nous percevons qu’il y a de la souffrance en nous
ainsi que nombre de perceptions erronées. Nous voyons
qu’il y a également de nombreuses souffrances et
perceptions erronées chez l’autre personne. Notre pratique
nous permet d’atteindre un certain niveau de prise de
conscience, mais ce n’est pas nécessairement le cas de
l’autre personne si elle ne sait pas comment reconnaître sa
propre souffrance et en prendre soin afin de s’extraire de la
situation qu’elle vit. Elle continue alors à souffrir et à faire
souffrir les personnes de son entourage.
Dès que nous pouvons percevoir la situation sous cet angle
nouveau, nous reconnaissons la souffrance que cette
personne porte en elle, voyant clairement qu’elle ne sait
simplement pas comment la traiter. Si je perçois la
souffrance de cette personne et ce qu’elle vit, il y a alors
place pour qu’émerge la compassion. Et, grâce à celle-ci, la
colère pourra se transformer, nous permettant de modifier
notre façon d’être. Libéré de la colère, je cesserai d’agir dans
l’intention de punir.
Notre changement d’attitude est l’effet de la vision
profonde. Celle-ci peut véritablement nous sauver car elle
permet de corriger nos fausses perceptions, en l’absence
desquelles il n’y a plus ni colère, ni peur, ni désespoir. Il y a
désormais de la place pour la sollicitude et la compassion.
À l’origine de nos actes se trouve ce que l’on nomme la
volition1 . Si nos perceptions sont erronées, notre volition
nous poussera à réagir impulsivement, ce qui risque de
créer encore plus de souffrance. Au contraire, si nous
cultivons la vision profonde, notre volition sera saine et nous
serons motivés par le désir d’aider et non plus par celui de
punir. Avec une telle motivation, nous nous sentirons
nettement mieux, même si nous n’avons encore rien fait.
Nous sentirons immédiatement le bénéfice de notre
pratique. Et l’autre personne, que nous considérions comme
responsable de notre souffrance, en bénéficiera à son tour
elle aussi.
LA MÉDITATION DE METTA
Metta2 signifie « bonté aimante ». Sa racine est le mot
mitra, qui signifie « ami ». La méditation de Metta nous aide
à devenir un ami pour nous-mêmes et pour les autres. Nous
commençons par la formulation d’une aspiration profonde :
« Puissé-je être... » Puis, dépassant le stade de la simple
aspiration, nous examinons en profondeur tous les aspects
positifs et négatifs de l’objet de notre méditation, en
l’occurrence nous-mêmes. Nous devons regarder en
profondeur, avec tout notre être, afin de comprendre, car la
volonté d’aimer n’est pas encore de l’amour. Il ne s’agit pas
de simplement répéter des mots ; ce n’est donc pas de
l’autosuggestion. Nous examinons en détail notre corps, nos
sensations, nos perceptions, nos formations mentales et
notre conscience, et, pratiquant ainsi quelques semaines,
notre aspi-ration à l’amour pourra se transformer en une
véritable intention profonde. L’amour pénétrera nos
pensées, nos paroles et nos actes, et nous nous observerons
nettement plus paisibles, heureux et légers de corps et
d’esprit.
Cette méditation de l’amour est adaptée du
Visuddhimagga (la voie de la Purification) de Buddhaghosa,
une systématisation des enseignements du Bouddha datant
du V e siècle après Jésus-Christ. Nous commençons à
pratiquer cette méditation de l’amour sur nous-mêmes
(« Puissé-je... »). Ce n’est qu’après avoir pratiqué sur nous-
mêmes, en développant la capacité de nous aimer et de
prendre soin de nous, que nous pourrons apporter une aide
véritable aux autres. Nous pouvons alors appliquer cette
méditation à quelqu’un que nous aimons profondément ou
apprécions (« Puisse-t-il, puisse-t-elle... », « Puissent-
ils... »), puis à quelqu’un qui nous est indifférent, enfin, à
quelqu’un qui nous fait souffrir.
TRAITÉ DE PAIX
Si nous voulons éviter de souffrir dans nos relations, avec
nos partenaires ou nos familles, ne plus tomber dans les
pièges des accusations et des conflits, nous pouvons signer
un « traité de paix 3 ». « Chéri(e), je sais qu’il y a une graine
de colère en toi. Je sais aussi que chaque fois que j’arrose
cette graine j’induis ta souffrance et que tu me fais souffrir
également. Je m’engage donc aujourd’hui à m’abstenir
d’arroser la graine de colère en toi. Je le promets. Bien sûr,
je promets également de ne pas arroser la graine de colère
que je porte en moi. S’il te plaît, chéri(e), vois si tu peux
prendre le même engagement. Dans ta vie quotidienne, s’il
te plaît, évite de lire, regarder ou consommer quoi que ce
soit qui puisse alimenter les graines de colère et de violence
qui sont en toi. Tu sais combien la graine de colère que je
porte en moi est déjà suffisamment grande... Et, chaque fois
que tu l’arroses par un geste ou un mot, j’en souffre et je te
fais souffrir toi aussi. Alors, soyons intelligents et n’arrosons
pas les graines de violence et de colère en chacun de nous. »
Cet exemple est une partie du « traité de paix » que nous
pouvons signer avec la personne qui nous est chère : notre
partenaire, notre parent, notre enfant. Ce serait même
magnifique que d’autres membres de la famille ou de la
communauté puissent en être les témoins, en assistant à
notre signature. Selon les termes du « traité de paix »,
chaque fois que la colère monte, nous évitons de dire ou faire
quoi que ce soit. Simplement, nous revenons à notre
respiration consciente, nous prenons soin de notre colère, et
regardons en profondeur pour toucher et identifier l’origine
de cette souffrance.
L’une des premières choses que nous observerons sera
sans doute le fait que la source principale de notre
souffrance est la graine de colère présente en nous et que
l’autre personne n’en est qu’une cause secondaire. Nous
pouvons alors regarder cette personne, et voir qu’elle ne
connaît pas la pratique et ne sait donc pas comment gérer la
violence qui l’habite et en prendre soin. Cette personne a
souffert à maintes reprises et est devenue une victime de sa
propre souffrance. C’est pour cela qu’elle continue à souffrir
et à faire souffrir les personnes autour d’elle. C’est tout
naturel. Bien plus que de nos reproches et réprimandes, elle
a besoin d’aide. Et c’est là une deuxième observation
majeure que nous pourrons sans doute faire.
Mais nous pouvons aller encore plus loin, et nous
demander qui pourrait aider cette personne quand elle a
besoin d’aide. En prenant conscience que nous sommes
probablement celui ou celle qui la comprend le mieux, nous
verrons bien vite que nous devrions être présents pour elle.
Dès que nous sentons en nous ce désir d’aider l’autre
personne, nous savons alors que notre colère a pu se
transformer en compassion. Nous ne souffrons plus. Nous
sommes motivés par l’amour, par la compassion et par
l’envie d’aider. Par expérience, je peux vous assurer que
cela fonctionne car j’ai rencontré de nombreux jeunes qui,
après avoir pratiqué au Village des Pruniers, sont rentrés
chez eux aider leurs parents. Toute haine envers eux les
avait quittés.
ÉCRIRE UNE LETTRE
Lors d’une retraite, j’ai rencontré un jeune homme qui
ressentait beaucoup de colère envers sa mère. Et alors que
j’avais demandé à tous les participants d’écrire toutes les
qualités positives de leurs parents, cet homme s’était
persuadé que, pour lui, ce serait impossible : « D’accord,
faire la liste des qualités de mon père, c’est facile ; mais si je
dois énumérer celles de ma mère, je ne pense pas que je
pourrai écrire grand-chose. » Et pourtant, il commença à
écrire et se surprit lui-même quand, l’une après l’autre,
chacune des qualités de sa mère put prendre forme sur son
papier. Tant et si bien qu’une seule page n’y suffit pas et
qu’il dut retourner la feuille pour continuer à écrire !
Pendant ce temps, il pratiqua le regard profond et prit
conscience des très nombreuses qualités de sa maman. Son
sentiment de colère contre elle n’était dû qu’à une seule
chose, mais celle-ci avait masqué tout le reste. À la fin de
l’exercice, il avait redécouvert que sa maman était une
personne merveilleuse. Dans un deuxième temps, il put
alors s’asseoir et rédiger une belle lettre d’amour pour elle.
Il la remercia pour toutes les qualités qu’elle lui avait
transmises : « Maman, je suis si heureux et fier d’avoir une
maman comme toi. » Une semaine plus tard, son épouse lui
téléphona depuis les États-Unis pour lui annoncer : « Ta
maman a été extrêmement heureuse quand elle a lu ta
lettre. Elle a dit qu’elle avait retrouvé son fils merveilleux.
Et elle m’a même confié que si sa propre mère avait encore
été en vie, elle aurait aimé pouvoir lui écrire une aussi belle
lettre. »
Après cette conversation avec son épouse, le jeune
homme s’assit et se mit à rédiger une deuxième lettre à sa
mère. « Maman, si tu regardes profondément en toi, tu
verras que grand-mère est toujours vivante, dans chaque
cellule de ton corps. Et je suis certain que si tu t’assieds et lui
écris une lettre, ma grand-mère pourra la lire. Il n’est pas
trop tard. » La relation entre la maman et son fils a été
rétablie en beauté, et bien plus vite qu’on ne pourrait
l’imaginer !
Selon le « traité de paix », si nous ne parvenons pas à
transformer notre colère après l’avoir pleinement accueillie
et examinée en profondeur, nous devons alors en faire part
à la personne concernée, dans un délai de vingt-quatre
heures. Nous n’avons pas le droit de garder notre colère
pour nous plus d’un jour, ce ne serait pas sain, nous devons
la lui exprimer. Pour ce faire, nous nous adressons à l’autre
personne, lui expliquant que nous sommes en colère, que
nous souffrons. En revanche, si nous sentons que nous ne
sommes pas encore capables de le dire avec calme, nous
pouvons l’écrire sur un bout de papier. Et, là aussi, le
« traité de paix » nous conseille de transmettre ce mot dans
les plus brefs délais4.
MALADRESSE
Si, par le passé, nous avons souffert ou fait souffrir
d’autres personnes, surtout ne nous laissons pas décourager
par la prise de conscience que nous avons aujourd’hui ! Si
nous savons comment prendre soin de notre souffrance, elle
pourra nous enseigner beaucoup. Bien sûr, nous avons fait
des erreurs. Bien sûr, nous n’avons pas toujours été très
adroits. Certes, nous nous sommes fait du tort à nous-
mêmes et nous avons même fait souffrir des personnes
autour de nous. Mais rien ne nous empêche de prendre un
nouveau départ et de faire bien mieux l’année prochaine et,
pourquoi pas, tout de suite... Posons un regard neuf sur
notre souffrance, et nous pourrons la transformer en un
élément positif. Nous avons tous commis des bêtises, des
maladresses, mais, désormais, nous pouvons faire le choix
de progresser, de recommencer et de nous transformer.
Généralement, dès que quelque chose va de travers, nous
cherchons à ce que cela s’arrange immédiatement. Nous
voulons que la douleur et la souffrance, tout ce qui ne va pas,
disparaissent au plus vite. Et pourtant, quand nous sommes
confrontés à une difficulté, la toute première étape est
justement de ne pas chercher à la résoudre. Avant toute
chose, il s’agit de la reconnaître, simplement pour ce qu’elle
est. Ensuite, quand nous aurons pu rester quelque temps
avec nous-mêmes, il sera beaucoup plus facile de nous
rapprocher de la personne avec laquelle nous sommes en
conflit. Nous pourrons lui parler calmement : « Je sais que
tu as beaucoup souffert durant ces derniers mois et même
au cours des dernières années. Je sais aussi que je suis en
partie responsable de ta souffrance. Je ne t’ai pas montré
beaucoup d’attention. Je n’ai pas suffisamment compris ta
souffrance et tes difficultés. J’ai peut-être même dit ou fait
certaines choses qui ont encore empiré la situation. J’en suis
vraiment navré(e). Ce n’est pas du tout ce que je souhaitais.
Au contraire, je veux ton bonheur, ta sécurité, ta liberté et
ta joie. J’ai été maladroit(e) à différents moments, parce que
je ne comprends pas suffisamment bien ce que tu vis. Je t’ai
peut-être même donné l’impression que je cherchais à te
faire souffrir. Mais, tu sais, ce n’est vraiment pas le cas. S’il
te plaît, parle-moi de ta souffrance ; ainsi, je ne répéterai
plus les mêmes erreurs. Ton bonheur est essentiel à mon
propre bonheur. J’ai besoin de ton aide. Parle-moi de tes
peurs, de tes préoccupations, de tes difficultés ; ainsi je
pourrai t’aider plus facilement. » C’est ce type de dialogue
que la vision profonde peut apporter.
Bien souvent, nous avons manqué de vigilance à l’égard de
nos enfants, ignorant leurs difficultés, leur souffrance, la
colère et la douleur qu’ils portaient en eux. Tout parent
devrait être capable de parler à son enfant avec les mots du
cœur. C’est le langage coulant directement du cœur qui
permet de rétablir la communication et de faire la paix avec
l’enfant, permettant alors au processus de réconciliation de
s’amorcer.
Nous savons tous que la paix commence par nous-mêmes.
Mais nous ne savons pas toujours comment nous y prendre.
Si nous parvenons à générer l’énergie de pleine conscience
et que notre souffrance se transforme ainsi en
compréhension et en compassion, alors la réconciliation
pourra s’amorcer beaucoup plus facilement. Avant cela, c’est
quasiment impossible. La fierté, la colère et notre peur de
souffrir nous barrent la route. Mais avec la pleine
conscience, la compréhension peut pénétrer le terreau de
notre cœur, laissant alors jaillir le nectar de la compassion.
Devenir un bodhisattva
« HOMO CONSCIOUS »
Le Bouddha est l’un des plus beaux exemples de l’espèce
humaine que nous appelons Homo conscious. Il y eut
d’abord Homo erectus (l’homme debout), ensuite Homo
habilis (l’homme adroit), puis Homo sapiens (l’homme
pensant). Maintenant, nous avons l’expression Homo
conscious, l’être humain qui est conscient, éveillé. Cette
expression a été utilisée par d’autres personnes avant moi ;
je n’en suis pas l’auteur et je ne fais que la leur emprunter.
Lorsque la conscience amène l’humain à faire ce grand
constat : « Un jour, je tomberai malade... je vais vieillir... je
vais mourir... », il peut facilement sombrer dans les affres
de l’anxiété, de la peur et de l’angoisse ; et c’est alors qu’il
sera susceptible de tomber malade. Souvent, nous nous
interrogeons : « Les autres espèces sont-elles moins
conscientes que nous ? », « Souffrent-elles moins de savoir
ce qu’elles deviendront à l’avenir ? »... Comme tous les
humains portent cette angoisse en eux, nous nous posons
alors ces questions métaphysiques : « Qui suis-je ? », « Que
vais-je devenir ? », « Est-ce que j’existais déjà dans le
passé ? », « Et si c’est le cas, à quelle espèce d’animal ai-je
appartenu ? », « Est-ce que j’existerai encore dans le
futur ? », « Si oui, quelle espèce animale serai-je ? »...
Toutes ces questions trouvent leur origine dans cette
angoisse typiquement humaine et peuvent engendrer mal-
être et maladies. Et c’est encore cette même angoisse qui
génère nos habituelles questions : « Est-ce que mes parents
me désiraient vraiment ? », « Est-ce que je suis né(e) par
accident ? », « Y a-t-il quelqu’un qui m’aime ? » et les
innombrables pensées qui en découlent.
C’est précisément notre capacité à être éveillé qui peut
nous sauver – notre nature même d’être humain, doté d’une
conscience. C’est en effet grâce à elle que nous percevons
combien l’environnement de cette planète appartient à
toutes les espèces, que nous comprenons que l’être humain
est en train de la détruire. Dès que les hommes sont
conscients de la souffrance engendrée par l’oppression
politique et par l’injustice dans la société, ils sont en mesure
d’arrêter ce qu’ils sont en train de faire et d’aider les autres
à s’arrêter à leur tour pour amorcer une nouvelle direction,
une orientation différente, qui ne détruira plus notre
planète. Il est vrai que c’est notre conscience qui révèle
notre anxiété et notre angoisse. Mais si nous savons
comment utiliser cet éveil, cette pleine conscience, nous
parviendrons à discerner la situation dans laquelle nous
nous trouvons. Nous percevrons alors clairement ce qu’il est
bon ou non de faire afin de transformer la souffrance, et
ainsi de faire place à la paix, au bonheur et à l’avenir.
La méditation assise n’a rien à voir avec une quelconque
recherche d’illumination dans le futur. Au contraire, quand
nous sommes assis, nous avons la possibilité d’être
totalement avec nous-mêmes. Bien présents, sur notre
coussin, nous respirons de façon à être pleinement vivants ;
nous sommes complètement dans le présent, dans l’Ici et
Maintenant. Avoir le temps de nous asseoir, avoir le temps
de marcher, de nous brosser les dents, d’apprécier l’eau qui
coule sur nos mains quand nous en rinçons le savon – tout
cela peut déjà nous apporter beaucoup de bonheur.
Quand nous prenons un repas, nous devrions manger de
manière à ce que la joie, la détente et le bonheur soient
disponibles, car partager un repas à plusieurs est une
véritable pratique profonde. Tout comme nous le faisons
avec la respiration, l’assise, la marche et le travail, nous
mangeons de telle sorte que nos ancêtres puissent manger
avec nous. Notre père mange avec nous, notre grand-père
et notre grand-mère mangent à nos côtés. Nous nous
asseyons confortablement, comme quelqu’un qui n’a aucun
problème, aucune angoisse. Le Bouddha nous a enseigné à
ne jamais nous laisser emporter par des pensées ou des
conversations futiles au cours des repas. Nous devrions
simplement demeurer dans l’instant présent pour être
profondément en contact avec la nourriture et avec nos
bien-aimés qui nous entourent. Nous devrions toujours
manger de façon à être heureux, à l’aise, et en paix, afin que
chacun de nos ancêtres et de nos descendants puisse en
profiter également.
Lorsque j’avais quatre ou cinq ans, ma mère avait pour
habitude de me rapporter un gâteau à base de pâte de
haricots chaque fois qu’elle se rendait au marché. Ainsi,
durant son absence, je restais au jardin, m’amusant avec les
escargots et les cailloux. Et quand maman rentrait, j’étais
toujours très heureux de la voir ; je prenais le gâteau qu’elle
me tendait et j’allais le déguster au jardin. Je savais que je
ne devais pas le manger à toute vitesse. Je voulais le
savourer lentement – plus c’est lent, plus c’est bon ! Je me
contentais de grignoter un petit morceau du bord pour
laisser pénétrer la saveur du gâteau dans ma bouche, puis je
levais les yeux vers le haut, vers le ciel bleu. Ensuite, je
redescendais mon regard vers le bas, vers mon chien. Puis je
regardais le chat. J’avais mon rituel, c’est comme cela que je
voulais savourer mon gâteau, et ce bonheur se prolongeait
facilement une demi-heure. Je n’avais aucun souci. Je ne
pensais ni à la gloire, ni aux honneurs, ni au profit. C’est
pour cela que ce gâteau de mon enfance est un souvenir
merveilleux, profondément ancré dans ma mémoire. Nous
avons déjà tous connu de tels instants, sans aucune attente,
des moments pleins en eux-mêmes, où nous ne regrettons
rien. Ce sont des instants de réel bonheur, où nous ne nous
embarrassons d’aucune question philosophique du type :
« Qui suis-je ? » Mais, aujourd’hui, qui est véritablement
capable de manger un gâteau de cette façon, de boire une
tasse de thé avec une telle présence et d’apprécier
pleinement son environnement ?
Nous pouvons redécouvrir tout cela ! Renaître et
réapprendre à marcher, avec stabilité, comme une personne
libre, sans « fantômes » à notre poursuite. Nous sommes ici
pour apprendre à nous asseoir ; à nous asseoir
confortablement, comme si nous étions sur une fleur de
lotus, et non sur des charbons ardents, ce qui est souvent le
cas dans notre société. Assis sur des charbons ardents, nous
perdons notre sérénité. Nous pouvons décider, aujourd’hui,
de réapprendre à respirer, à sourire, à cuisiner. Notre
maman nous a appris à manger, à boire ; elle nous a montré
comment nous tenir debout, comment marcher, comment
parler, elle nous a tout appris ! Et maintenant, nous devons
réapprendre tout. Et si nous parvenons à poser tous ces
actes en pleine conscience, nous renaîtrons à la lumière de
l’éveil.
« BODHICITTA »
La Bodhicitta est l’esprit d’éveil, l’esprit de débutant. Si je
suis inspiré par le désir de pratiquer et de transformer ma
souffrance, je suis vraiment en mesure d’aider les
nombreuses personnes qui souffrent autour de moi. À ce
moment-là, l’esprit est particulièrement beau ; c’est
précisément l’esprit d’un bodhisattva, l’esprit de celui qui
s’est libéré de la souffrance et qui peut alors venir en aide à
tous les êtres. C’est ce qui est parfois nommé « esprit
d’amour » ; l’amour étant ce qui nous pousse à pratiquer.
Nous ne cherchons pas uniquement à fuir la souffrance ;
nous voulons autre chose, nous voyons bien plus loin que
cela. Notre désir profond est de transformer notre propre
souffrance et de nous en libérer afin d’aider de nombreuses
autres personnes à transformer la leur. En tant que moines,
moniales ou pratiquants laïcs, nous devrions tous veiller à
garder cet état d’esprit de débutant à tout moment, bien
présent, bien vivant, car c’est une puissante source
d’énergie. Elle pourra nous nourrir et, grâce à elle, nous
pourrons pratiquer au mieux les entraînements à la pleine
conscience. Nous trouverons alors l’énergie nécessaire pour
affronter et surmonter les difficultés rencontrées dans notre
vie de pratiquant. Il est vraiment essentiel de pouvoir
nourrir l’esprit d’amour, de préserver l’esprit de débutant
et d’alimenter notre Bodhicitta. Entretenons donc notre
pratique et veillons à ne pas laisser mourir cette énergie au
bout de deux ou trois années.
Personnellement, j’ai eu le bonheur de pouvoir maintenir
vivant mon esprit de débutant jusqu’à aujourd’hui – et cela
ne veut pas dire pour autant que je n’ai pas rencontré de
difficultés. Au contraire, j’ai dû dépasser de nombreux
obstacles sur mon chemin de pratique. Mais jamais je n’ai
abandonné, et ce, grâce à la Bodhicitta, mon esprit de
débutant, toujours très puissant. Cultivez la confiance en
votre pratique, car tant que cet esprit demeure en vous,
tant qu’il est suffisamment puissant, vous n’aurez pas à vous
inquiéter. Quelles que soient les difficultés que vous
rencontrerez sur votre chemin, vous serez en mesure de les
surmonter, aussi nombreuses soient-elles. Et quand vous le
sentirez faiblir, soyez bien conscients que tout danger peut
arriver. Dans ces moments-là, veillez à ne pas le laisser
faiblir davantage. Entretenez-le, restez un bodhisattva votre
vie entière et vous pourrez apporter beaucoup de bonheur
autour de vous et dans le monde. Vous serez une personne
pleinement heureuse.
DEUXIÈME PARTIE
Récits de guérison
Les petits yeux
Pratiques de guérison
Arrêter les ruminations
Traité de paix
Date :
Heure :
Cher, Chère _______________________,
Ce que tu as dit (fait) ce matin (cet après-midi) m’a particulièrement
mis(e) en colère. J’en ai beaucoup souffert et je tiens à ce que tu le
saches. Voici les faits :
_______________________________________________
Es-tu d’accord pour que nous prenions le temps d’examiner cela
ensemble ? Pouvons-nous analyser la situation, ouvertement et dans le
calme, ce vendredi soir ?
(Prénom) qui ne va pas trop bien en ce moment.
Pratique du « nouveau départ »
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1055, bd René-Lévesque-Est,
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