Analyse Linéaire ODG 1
Analyse Linéaire ODG 1
Analyse Linéaire ODG 1
1 Homme, es-tu capable d’être juste ? C’est une femme qui t’en fait la
2 question ; tu ne lui ôteras pas du moins ce droit. Dis-moi ? Qui t’a donné le
3 souverain empire d’opprimer mon sexe ? Ta force ? Tes talents ? Observe le
4 créateur dans sa sagesse ; parcours la nature dans toute sa grandeur, dont tu
5 sembles vouloir te rapprocher, et donne-moi, si tu l’oses, l’exemple de cet
6 empire tyrannique.
7 Remonte aux animaux, consulte les éléments, étudie les végétaux,
8 jette enfin un coup d’œil sur toutes les modifications de la matière
9 organisée ; et rends-toi à l’évidence quand je t’en offre les moyens ; cherche,
10 fouille et distingue, si tu peux, les sexes dans l’administration de la nature.
11 Partout tu les trouveras confondus, partout ils coopèrent avec un ensemble
12 harmonieux à ce chef-d’œuvre immortel.
13 L’homme seul s’est fagoté un principe de cette exception. Bizarre,
14 aveugle, boursouflé de sciences et dégénéré, dans ce siècle de lumières et de
15 sagacité, dans l’ignorance la plus crasse, il veut commander en despote sur
16 un sexe qui a reçu toutes les facultés intellectuelles ; il prétend jouir de la
17 Révolution, et réclamer ses droits à l’égalité, pour ne rien dire de plus.
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« Homme, es-tu capable d’être juste ? C’est une femme qui t’en fait la question ; tu ne
lui ôteras pas du moins ce droit. Dis-moi ? Qui t’a donné le souverain empire d’opprimer
mon sexe ? Ta force ? Tes talents ? »
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ANALYSE LINÉAIRE
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INTRODUCTION
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- Nous avons déjà évoqué les deux apostrophes qui encadrent les articles de la
Déclaration ; adressées aux hommes et aux femmes, elles visent ceux qui
doivent s’emparer de ces dix-sept articles pour les faire vivre dans la société
post-révolutionnaire en cours de construction.
o Sans le concours de l’un de ces acteurs, la Déclaration demeurerait lettre
morte
o Mais s’il revient aux femmes de réclamer ce qui leur est dû, les hommes
auront quant à eux, au nom de la raison comme de la justice, à accepter
cette égalité conquise. On comprend dès lors que l’apostrophe aux
hommes intervient la première, non pour sacrifier à une quelconque
1
La démonstration cherche à convaincre à l’aide de la raison, la persuasion met en
jeu les émotions.
2
Capter la bienveillance du lecteur/interlocuteur, se concilier son écoute bienveillante.
3
Le « tu », perçu comme égalitariste et fraternel est, par excellence, le pronom
personnel des révolutionnaires ; le vouvoiement sentait l’aristocrate…
4
Question qui n’attend pas de réponse.
5
« CLÉANTHIS. Ah ! vraiment, nous y voilà, avec vos beaux exemples. Voilà de nos gens
qui nous méprisent dans le monde, qui font les fiers, qui nous maltraitent, qui nous regardent
comme des vers de terre, et puis, qui sont trop heureux dans l'occasion de nous trouver cent
fois plus honnêtes gens qu'eux. Fi ! que cela est vilain, de n'avoir eu pour tout mérite que de
l'or, de l'argent et des dignités ! C'était bien la peine de faire tant les glorieux ! Où en
seriez-vous aujourd'hui, si nous n'avions pas d'autre mérite que cela pour vous ? Voyons, ne
seriez-vous pas bien attrapés ? Il s'agit de vous pardonner, et pour avoir cette bonté-là, que
faut-il être, s'il vous plaît ? Riche ? non ; noble ? non ; grand seigneur ? point du tout.
Vous étiez tout cela ; en valiez-vous mieux ? Et que faut-il donc ? Ah ! nous y voici. Il faut
avoir le cœur bon, de la vertu et de la raison ; voilà ce qu'il faut, voilà ce qui est estimable, ce
qui distingue, ce qui fait qu'un homme est plus qu'un autre. Entendez-vous, Messieurs les
honnêtes a gens du monde ? Voilà avec quoi l'on donne les beaux exemples que vous
demandez, et qui vous passent : et à qui les demandez-vous ? À de pauvres gens que vous
avez toujours offensés, maltraités, accablés, tout riches que vous êtes, et qui ont aujourd'hui
pitié de vous, tout pauvres qu'ils sont. Estimez-vous à cette heure faites les superbes, vous
aurez bonne grâce ! Allez, vous devriez rougir de honte. »
6
Voir le « Postambule » : « la femme que l’homme achète, comme l’esclave sur les côtes
d’Afrique » […] « Il était bien nécessaire que je dise quelques mots sur les troubles que cause,
dit-on, le décret en faveur des hommes de couleur, dans nos îles. C’est là où la nature frémit
d’horreur ; c’est là où la raison et l’humanité, n’ont pas encore touché les âmes endurcies ;
c’est là sur-tout où la division et la discorde agitent leurs habitans. Il n’est pas difficile de
deviner les instigateurs de ces fermentations incendiaires : il y en a dans le sein même de
l’Assemblée Nationale : ils allument en Europe le feu qui doit embraser l’Amérique. Les
Colons prétendent régner en despotes sur des hommes dont ils sont les pères et les frères ; et
méconnoissant les droits de la nature, ils en poursuivent la source jusque dans la plus petite
teinte de leur sang. Ces colons inhumains disent : notre sang circule dans leurs veines, mais
nous le répandrons tout, s’il le faut, pour assouvir notre cupidité, ou notre aveugle ambition.
C’est dans ces lieux les plus près de la nature, que le père méconnaît le fils ; sourd aux cris du
sang, il en étouffe tous les charmes ; que peut-on espérer de la résistance qu’on lui oppose ? la
contraindre avec violence, c’est la rendre terrible, la laisser encore dans les fers, c’est
acheminer toutes les calamités vers l’Amérique. Une main divine semble répandre par tout
« C’est une femme qui t’en fait la question ; tu ne lui ôteras pas du moins ce
droit. »
« Dis-moi ? Qui t’a donné le souverain empire d’opprimer mon sexe ? Ta force ? Tes
talents ? »
« Dis-moi ? »
- Cette locution
o contient le premier impératif du texte
o même si le caractère banal de cette expression lui fait perdre du
caractère provocateur que les impératifs du 2nd mouvement
présenteront, il convoque l’adversaire et place OdG sur un pied
d’égalité avec lui. On le voit, ce que semble vouloir avant tout l’autrice,
c’est provoquer à l’écoute et à la parole afin de rompre le silence qui
étouffe sa cause
o mime encore une fois le dialogue
o Manière implicite d’affirmer que l’homme seul peut répondre à une
telle question tandis qu’elle, armée de sa seule raison, ne peut trouver
aucune justification de cette injuste dicrimination
« Qui t’a donné le souverain empire d’opprimer mon sexe ? Ta force ? Tes talents ? »
o Rupture syntaxique entre ces trois phrases : au lieu de « qui », il eût
fallut dire « qu’est-ce qui » afin d’annoncer les deux questions suivantes
(« force » et « talent » ne sont pas des personnes) : ⇨ mise en évidence
ironique : personne n’a pu lui donner ce « souverain empire d’opprimer »
l’appanage de l’homme, la liberté ; la loi seule a le droit de réprimer cette liberté, si elle
dégénère en licence ; mais elle doit être égale pour tous ».
7
La convergence des luttes : démarche militante aspirant à faire converger des luttes
différentes dans un mouvement social commun et ainsi de coaliser les aspirations de
ceux que l’Internationale appelle « les damnés de la terre ».
Les mouvements étudiants de mai 68 furent accompagnés d’un mouvement
de grève générale lancée par la classe ouvrière. Étudiants, paysans et ouvriers
défilèrent alors ensemble dans plusieurs villes du pays.
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8
Denis Diderot (XVIIIa), Supplément au voyage de Bougainville, « Le discours du vieux
Tahitien » : « Si un Tahitien débarquait un jour sur vos côtes, et qu'il gravât sur une de vos
pierres ou sur l'écorce d'un de vos arbres : Ce pays est aux habitants de Tahiti, qu'en
penserais-tu ? Tu es le plus fort ! Et qu'est-ce que cela fait ? »
9
Voir Olympe de Gouges, Zamore et Mirza, pièce anti-esclavagiste « Nous n’avons plus
de protecteur que la Nature. Mère bienfaisante, tu connais notre innocence : non, tu ne nous
abandonneras pas, et ces lieux déserts nous cacheront à tous les yeux », plus loin : « Ta
naïveté me charme ; c’est l’empreinte de la nature ». Plus loin encore dans la bouche d’un
naufragé français, la nature enseigne la liberté inscrite dans ses los : « Nous sommes
libres en apparence, mais nos fers n’en sont que plus pesants. Depuis des siècles, les Français
gémissent sous le despotisme des ministres et des courtisans. Le pouvoir d’un seul maître est
dans les mains de mille tyrans (les aristocrates) qui foulent son peuple. Ce peuple un jour
brisera ses fers et reprenant ses droits écrit dans les lois de la nature apprendra à ces tyrans ce
que peu l’union d’un peuple trop longtemps opprimé, et éclairé par une saine philosophie. »
10
Lois physiques dont l’une d’entre elles, la loi de gravitation universelle, fut établie
par Newton. Voltaire la vulgarisa pour le public européen (le français est la langue
universelle, particulièrement celle des gens cultivés).
11
Voir Montaigne, Essais, « Des Cannibales » I31.
« et donne-moi, si tu l’oses »
- Défi encore. Le silence des hommes quant aux raisons de leur domination ne
saurait résister à l’examen de la Raison, OdG les met donc au défi de les
exposer. ⇨ elle suppose de la part des hommes, une sorte de mauvaise-foi, ou,
du moins, une absence de réflexion
« Remonte aux animaux, consulte les éléments, étudie les végétaux, jette enfin un coup
d’œil sur toutes les modifications de la matière organisée ; et rends-toi à l’évidence quand je
t’en offre les moyens ; cherche, fouille et distingue, si tu peux, les sexes dans
l’administration de la nature. »
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12
Pour un homme des Lumières, particulièrement pour Rousseau et OdG, la raison
rend bon et compatissant, la bonté, la sensibilité mène naturellement à la raison.
Ainsi dans Zamore et Mirza : « Une morale douce et consolante a fait tomber en Europe le
voile de l’erreur. Les hommes éclairés jettent sur nous (les esclaves noirs) des regards
attendris ; nous leur devront le retour de cette précieuse liberté, le premier trésor de l’homme,
et dont des ravisseurs cruels nous ont privés si longtemps. »
13
Principe : du latin principium : « commencement », d’où première vérité, notion
fondamentale à la base d’une science.
14
Olympe de Gouges, Zamore et Mirza : l’esclave Zamore évoque « le despotisme
affreux » des esclavagistes:
15
Voyez Montaigne, Essais, « Des Cannibales » I3I.
16
Michel de Montaigne, Essais, « De l’institution des enfans » I26, « Mieux vaut une
tête bien faite qu’une tête bien pleine ».
17
Ce passage trouve un écho intéressant dans la « préface de 1872 » de Zamore et
Mirza, pièce d’Olympe de Gouges consacrée au scandale de l’esclavage des noirs :
« Dans les siècles de l’ignorance, les hommes se sont fait la guerre ; dans le siècle le plus
éclairé, ils veulent se détruire. Quelle est enfin la science, le régime, l’époque, l’âge où les
hommes vivront en paix ? Les savants peuvent s’appesantir et se perdre sur ces observations
métaphysiques. Pour moi, qui n’ai étudié que les bons principes de la nature, je ne définis
plus l’homme, et mes connaissances sauvages ne m’ont appris à juger des choses que d’après
mon âme. Aussi mes productions n’ont-elles que la couleur de l’humanité. » On le
comprend, la « boursouflure » affecte la capacité de jugement selon « la nature »,
« l’âme », « l’humanité ».
18
Voir Zamore et Mirza, « Ce peuple (les Français) brisera un jour ses fers, et reprenant
tous ses droits écrits dans les lois de la nature… »
19
Attention, OdG ne veut pas dire ici que les femmes auraient reçu la totalité des
facultés intellectuelles de telle sorte qu’il n’en resterait plus pour les hommes, mais
bien qu’elles sont pourvues de chacune d’entre elles, sans en excepter une seule :
l’intelligence des femmes est égale à celle des hommes.
20
Attention encore, pas d’équivoque, je vous rappelle qu’il s’agit ici de « l’homme-
adversaire » des idées d’OdG relatives à l’égalité des hommes et des femmes, non de
l’homme en général.
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CONCLUSION
Au moment de clore notre étude, force est de constater que ce texte ne laisse
pas d’être un peu déroutant
À qui s’adresse-t-il et quel but poursuit-il vraiment ?