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Cahiers du CREAD

Cahiers du CREAD n°64, 2ème trimestre 2003, pages 89­99.

AHMED KOUDRI *

La rénumération des cadres dirigeants des entreprises :


qu'en savons­nous ? qu'avons­nous à apprendre ?

INTRODUCTION :

La question de la rémunération des dirigeants d’entreprises peut


paraître futile eu égard à la population concernée (tout au plus quelques
milliers de personnes); mais en réalité elle est importante en raison de la
position stratégique de cette population, à la tête d’organisations
créatrices de richesse (voir n°spécial de la revue française de gestion n
°16). Elle mérite l’intérêt et la curiosité des chercheurs pour plusieurs
raisons :

­ Le tabou et l’opacité qui entourent la question laissent


place à toutes les spéculations (voir El­Watan du 31/01/02)
et à toutes les supputations. En même temps, les pressions
externes (représentants de la société civile, médias) et
internes (représentants du personnel, actionnaires) poussent
à une plus grande transparence en matière de rémunération.
Cette opacité constitue sans doute la principale raison pour
laquelle ce sujet n'a pas fait l'objet de recherches
antérieures.

­ L’insertion inéluctable des entreprises dans le cadre de la


mondialisation, la privatisation des entreprises publiques et
le partenariat avec les entreprises étrangères, représentent
autant d’arguments pour que ce sujet fasse l’objet d’une
réflexion, voire d’une étude. Si dans de telles circonstances,
l’entreprise algérienne se doit d’être concurrentielle et
compétitive, il n’y a aucune raison pour que le niveau de
rémunération ne le soit pas également. Dans une telle
perspective, va­t­on assister à «une mise à niveau» des
systèmes de rémunération et à l’émergence d’un marché du
travail différencié pour dirigeants d’entreprise ?

La question du niveau de rémunération des dirigeants d’entreprises est


débattue de façon ininterrompue depuis des décennies dans tous les
pays à économie de marché.

Du point de vue théorique, et dans le prolongement de la théorie néo­


classique, la théorie de l’agence (Hambrick & Finkelstein, 1988)
présente la rémunération comme outil de contrôle de l’agent (le
dirigeant) par le principal (les actionnaires); un système de rémunération
se révèle efficace quand il permet de réduire les divergences d’intérêt
entre ces deux parties.
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D’un autre côté, la théorie du capital humain (Argawal, 1981) insiste sur
la nécessaire équité, à la fois interne et externe du niveau de
rémunération; cette rémunération est dite équitable quand elle contribue
à créer un climat de travail «serein et motivant».

Zajac (1990) a proposé de fusionner les deux logiques pour tenter


d’expliquer le lien entre sélection du dirigeant, niveau de sa
rémunération et performance de l’entreprise qu’il dirige.

Cet article a pour but de mettre en exergue les multiples aspects de la


question. C’est une sorte d’état des lieux qui s’appuie sur un survey de la
littérature étrangère sur le sujet ainsi que sur les textes et autres
documents nationaux; il comprendra deux parties :

­La première partie s’intitule : spécificités du rôle du


dirigeant et rémunération

­La seconde partie a pour titre: le niveau de rémunération :


logique et déterminants

1. SPECIFICITES DU RÔLE DES DIRIGEANTS ET


REMUNERATION.

Dans l'entreprise d'aujourd’hui, les questions telles que la nature des


tâches effectuées par le dirigeant ou les composantes de sa
rémunération (et par conséquent sur son niveau) restent encore mal
cernées malgré les recherches réalisées dans ce domaine. La
complexité de la structure de rémunération (1.2.) semblerait liée à la
complexité et à la spécificité des rôles du manager (1.1.).

1.1. De la spécificité du rôle (des rôles)des dirigeants.

Qu’est ce qu’un cadre dirigeant ? Il n’existe pas de définition précise de


cette fonction. Est considérée comme cadre dirigeant la personne qui :

­perçoit une rémunération qui se situe parmi les plus élevées


de l’entreprise
­assure des responsabilités importantes dans l’exercice de
ses fonctions
­dispose d’un pouvoir de décision largement autonome

Pour la législation algérienne (décret exécutif 90/290), le dirigeant est la


personne qui occupe le poste de directeur général; mais tout autre
cadre salarié occupant un poste élevé de responsabilités peut avoir ce
statut, à condition que le directeur général et le conseil d’administration
conviennent ensemble d’octroyer ce statut au salarié.

Le niveau de la rémunération des dirigeants s’expliquerait par la


spécificité de leur rôle. Déjà en 1938, Ch. Barnard in «the functions of
the executive» centrait son analyse sur le rôle prééminent du dirigeant.
Par la suite, P. Drucker in «the practice of management» (1954) a
insisté sur ces missions notamment en matière de structure, de stratégie
de croissance, de diversification, de mutation et d’innovation. Plus tard,
H. Mintzberg (1984) énonce de façon explicite les tâches des dirigeants
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mettant en relief l’importance et les particularités des tâches du manager


qui est au centre d’interactions permanentes avec des collaborateurs,
des pairs, des clients, des représentants de l’environnement
institutionnel; il distingue trois rôles:

­un rôle interpersonnel (de symbole, de leader, d’agent de


liaison)
­un rôle informationnel (d’observateur, de leader, de porte­
parole)
­un rôle décisionnel (d’entrepreneur, de régulateur, de
répartiteur de ressources, de négociateur)

Le contenu de ces tâches se trouve plus largement et plus clairement


décrit par P. Romelear (1996) qui distingue sept rôles:

­se former des représentations (sous forme de


compétences, de croyance et d’informations)sur tout ce qui
peut avoir une incidence sur l’entreprise c’est­à­dire
identifier les éléments et les liens de causalité entre eux.
­utiliser les instruments et systèmes de gestion
­participer au fonctionnement de la direction générale
­entretenir, développer et utiliser un réseau de contacts
personnels à l’intérieur et à l’extérieur de l’entreprise
­tenir compte du système de pouvoir de l’entreprise et
l’influencer
­gérer les frontières externes et internes de l’entreprise
­ gérer l’organisation

Il faut cependant remarquer que les dirigeants n’assument pas


l’intégralité de ces tâches, à fortiori avec la même intensité.
L’importance relative des différents rôles varie d’une entreprise à l’autre,
ce qui donne un style particulier à la direction générale.

D'un autre côté, R. Koch et I. Godden atténuent le rôle de ces dirigeants;


sur la base d'une enquête, ils révèlent que ces derniers consacrent 80%
de leur temps à des tâches à faible valeur ajoutée (résolution
d'imprévus, administration); 20% seulement de leur temps est absorbé
par des tâches à haute valeur ajoutée. Evidemment, ils plaident pour une
inversion des priorités dans un souci d'une plus grande efficacité de
l'organisation.

En conclusion, on peut dire que par la connaissance des faits internes et


externes, grâce à son réseau, le dirigeant fait des choix en termes de
buts qualitatifs et quantitatifs, organise les moyens d’y parvenir par la
conduite des hommes et en assure le contrôle.

Pour cela, le dirigeant dispose de suffisamment de libertés pour


déterminer les choix stratégiques. Certains auteurs parlent de
«discrétion managériale» ou de «latitude managériale».

1.2. Les composantes de la rémunération.


La rémunération globale représente l’ensemble des gratifications
versées directement en salaires ou indirectement sous forme
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d’avantages divers à court terme et à moyen terme. Parmi les


différentes composantes de la rémunération, on peut relever
principalement:

­ la rémunération fixe: le montant de cette rémunération nominale et son


versement sont garantis. Cette partie fixe n’est généralement pas
renégociée au­delà d’une période de trois ans. Outre le salaire nominal,
cette rémunération comprend les avantages en nature, c’est­à­dire
l’ensemble des biens et services fournis à prix réduit, mis à la
disposition ou offerts (logement de fonction, voiture, téléphone à usage
privé) mais également la prise en charge des frais d’étude des enfants
et des frais généraux.

­ la partie variable: l’obtention de cette rémunération est incertaine; elle


se justifie par la réticence à verser une rémunération lorsque les
résultats de l’entreprise ne le justifient pas. On peut également
l’envisager comme une incitation à la performance. Le montant est fixé à
priori en fonction des objectifs; il peut atteindre de 30 à 200% du
montant du salaire de base. Ces objectifs peuvent être à court, moyen
et long termes. La rémunération variable à court terme est constituée de
primes et bonus liés aux résultats. La rémunération variable à moyen et
long termes est constituée de plans d’épargne d’entreprise, de
participation aux résultats et/ou au capital, et surtout les stocks­options.
Elle vise à inscrire les performances des managers dans la durée
sachant que ces dernières sont par définition ponctuelles.

Cette dernière composante constitue une donnée importante de la


rémunération des dirigeants, notamment des grandes entreprises
cotées en bourse.

2. LE NIVEAU DE REMUNERATION : LOGIQUE ET


DETERMINANTS.

2.1. La rationalité de la rémunération : plus politique


qu’économique.

Le débat actuel sur la rémunération correspond à une tension entre deux


rationalités: une rationalité économique et une rationalité politique. Dans
la pratique des grandes entreprises et notamment les sociétés par
actions, la détermination semble obéir à un processus plutôt politique:
autrement dit, le niveau de rémunération résulte d’un rapport de forces
entre d’un côté les membres du conseil d’administration et le président­
directeur général d’un autre (voir schéma ci­après).

La rationalité économique s’appuie sur les principes énoncés par la


théorie de l’agence qui postule l’alignement du conseil d’administration
sur les intérêts des actionnaires; or le conseil d’administration est loin
d'être représentatif des actionnaires; et les intérêts des administrateurs
sont loin de se confondre avec ceux des actionnaires. Plus le conseil
d’administration dispose de pouvoir vis­à­vis des dirigeants, moins il
semble utiliser la rémunération comme outil de gouvernance
d’entreprise; par conséquent, moins les montants de la rémunération du
dirigeant tant à court qu’à long terme, sont élevés. On peut supposer que

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le conseil d’administration suit de près les décisions d’affaires des


dirigeants.

A l’inverse, un rapport de forces nettement en faveur du dirigeant aura


une incidence directe sur le niveau de sa rémunération; cette situation
“d’hégémonie managériale” du manager sur le conseil d’administration
a pour effet de détacher les administrateurs des intérêts des
actionnaires qu’ils sont supposés défendre. Cette situation s’explique
par le pouvoir de récompense dont dispose le dirigeant (nomination et
reconduction des administrateurs, octroi de contrat de service
professionnel, opérations commerciales avec leur firme ou à des
proches).

L’entreprise publique offre l’exemple parfait de ce type de rapport de


force (voir Koudri A., 1999) où les administrateurs cooptés et sans
représentativité de la base des actionnaires, se retrouvent sous une
emprise totale du dirigeant qui dispose en outre de l’information. Dans
ce cas, le dirigeant impose ses vues sur celles des administrateurs.

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La rémunération du dirigeant (niveau et composition) constitue donc un


enjeu entre deux acteurs essentiels, à savoir le dirigeant d'un côté et le
conseil d'administration de l'autre; le pouvoir de négociation de l'un et de
l'autre se trouve déterminé par des variables endogènes et des
variables exogènes ainsi que par les performances de l'entreprise,
comme on peut le voir sur le schéma ci­dessus

2.2. Les variables déterminantes du niveau de rémunération.

Du niveau de rémunération, il est attendu qu’il réponde à certaines


conditions, en particulier son équité à la fois d’ordre interne et d’ordre
externe:
• au niveau interne, la rémunération des dirigeants s’apprécie par
rapport au salaire moyen distribué dans l’entreprise. A titre d’exemple,
les revenus d’un PDG d’une très grande entreprise représentent
respectivement:

­quinze (15) fois le salaire moyen au Japon

­vingt cinq (25) fois le salaire moyen en Europe

­cent (100) fois le salaire moyen aux USA

Comme on peut le remarquer, l’éventail des salaire est bien plus large
aux USA qu’au Japon; les facteurs culturels, historiques et sociologiques
expliquent en grande partie ces écarts.

• L’équité externe s’apprécie quand la rémunération versée est


comparée à celles versées dans d’autres organisations pour des
fonctions comparables. Ainsi en France, en 1999, la rémunération des
PDG de trois importantes entreprises s’établissaient ainsi:

­ pour le PDG de l'entreprise Vivendi: salaire annuel: 20


millions de francs et stocks­options: 60 millions de francs
­ pour le PDG de l'entreprise Lafarge: salaire annuel: 9,4
millions de francs, et stocks­options pour 22,7 millions de
francs
­ pour le PDG de l'entreprise France Telecom: salaire
annuel: 1,2 million de francs; stocks­options : non indiqué

Les stocks­options peuvent représenter jusqu'à 14 fois le salaire annuel,


ce qui peut paraître excessif. Ils représentent un instrument de motivation
à long terme. Mais des questions se posent: le cours de la bourse est­il
lié au travail du dirigeant ou à d'autres paramètres (spéculation des
investisseurs...).

On peut se demander avec raison, sur quelle base sont déterminés ces
niveaux de rémunération. On peut énumérer un certain nombre de
variables explicatives qui sont:

­ la taille de l’entreprise; celle­ci est positivement corrélée


­ l’âge des dirigeants et leur ancienneté au poste
­ le secteur d’activité: plus on se trouve dans un secteur à
haute valeur ajoutée, plus s’élève le niveau de rémunération
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Il faut noter que les entreprises Vivendi et France Telecom se trouvent


actuellement dans des situations peu reluisantes (baisse de plus de
60% du cours de l'action au cours des six derniers mois pour Vivendi et
niveau record d'endettement pour France Telecom). Par conséquent le
lien niveau de rémunération­performances de l'entreprise est loin d'être
évident.

Source: Finkelstein S. & Hambrick (1988 ).

Le schéma ci­dessus proposé par Finkelstein et Hambrick montre


combien sont nombreux les facteurs qui influencent la rémunération des
dirigeants. Il s’avère donc difficile de dégager des relations ou des liens
clairs entre les différentes variables explicatives et la rémunération, ainsi
que leur impact relatif respectif.

CONCLUSION

La rémunération est un concept à la fois subjectif et relatif; associée à un


individu, elle est toujours rapportée à celle des autres au sein de la
même entreprise et/ou en dehors.

Peut­on reprocher, à un moment ou à un autre, le montant de sa


rémunération à un dirigeant ? Logiquement non, puisqu’en définitive,
c’est encore lui qui décide de ce qui se passe dans son entreprise. Mais
on peut répondre par l’affirmative quand sa rémunération porte à
conséquence sur la vie de l’entreprise.

Cette première réflexion a permis de tirer un certain nombre


d’enseignements et de leçons :

­ le premier est que le phénomène de la mondialisation n’a pas


contribué à un nivellement du niveau de rémunération des dirigeants
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d’entreprises au niveau mondial; on observe des différences notables


d’un pays à un autre, différences dues à des facteurs culturels et de
niveau de vie.

On peut en déduire que le niveau de rémunération des dirigeants des


entreprises en Algérie ne saurait être lié au niveau international.
Autrement dit, il existe des spécificités nationales.

­ le second enseignement est que, dans un contexte de flexibilité, la


rémunération des cadres dirigeants semble peu liée au niveau de
performance de l’entreprise, avec une rigidité à la baisse. Ce lien très
lâche entre niveau de rémunération et performances de l’entreprise
représente une hypothèse forte pour le système de rémunérations des
dirigeants d’entreprises algériennes.

En définitive la rémunération des dirigeants semble dépendre de trois


types de données:

­les unes liées à l'environnement de l'entreprise (réglementation,


situation du marché du travail)

­celles liées à l'entreprise elle­même (secteur d'activité, taille, âge,)

­celles relatives à la personne elle­même (ancienneté, expérience, rôle,


performances)

C'est vrai que le dirigeant est une personne singulière; mais est­ce une
raison pour que sa rémunération le soit également ?

Références bibliographiques
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Note

* Professeur à la Faculté des sciences économiques et des sciences


de gestion (Université d’Alger). Chercheur associé au CREAD.

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