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FORUM Sur L'accès Aux Services Financiers Rapports Du CGAP Et de Ses Partenaires

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FORUM

sur l’accès aux services financiers


Rapports du CGAP et de ses partenaires
No 12, april 2017

Le rôle des services financiers


dans les crises humanitaires

Mayada El-Zoghbi, Nadine Chehade, Peter McConaghy


et Matthew Soursourian

a
« Nous devons nous recentrer sur l’individu, car c’est lui qui est au
cœur de ces crises, aller au-delà des réponses à court terme centrées
sur l’offre de moyens et rechercher au contraire les solutions vraiment
demandées pour réduire les besoins et la vulnérabilité. Pour cela, les
prestataires internationaux d’aide devront abandonner les étiquettes
institutionnelles artificielles telles que « développement » ou «
humanitaire » afin de travailler ensemble dans un cadre temporel
pluriannuel, faisant des objectifs de développement durable le cadre
commun de la recherche de résultats et de la responsabilisation. »

Ban Ki-moon
« Rapport du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies
pour le Sommet mondial sur l’action humanitaire » (2016)

Le présent document a été financé par le CGAP et le Fonds d’édification de l’État et de


consolidation de la paix (State and Peace-Building Fund - SPF), un fonds fiduciaire mondial
financé par plusieurs donateurs et administré par le Groupe de la Banque mondiale qui
sert à financer des projets de développement essentiels et l’analyse des situations de
fragilité, de conflit et de violence. Le SPF est financé par l’Allemagne, l’Australie, le
Danemark, la Norvège, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Suède et la BIRD. Ce document a
été établi par une équipe CGAP-Groupe de la Banque mondiale composée de Mayada
El-Zoghbi, Nadine Chehade, Peter McConaghy et Matthew Soursourian, avec le concours
de Jamie Zimmerman et Nina Holle. L’équipe tient à remercier les évaluateurs experts
internes du CGAP (Antonique Koning, Greta Bull, Juan Carlos Izaguirre, Michael Tarazi,
Stella Hope Dawson et Steve Rasmussen), du Groupe de la Banque mondiale (Jean Pesme,
Leora Klapper, Stephane Hallegate et Samuel Maimbo) et du Bureau du Mandataire
spécial du Secrétaire général de l’ONU pour la promotion de services financiers accessibles
à tous qui favorisent le développement (Eric Duflos), pour les précieuses observations et
suggestions qu’ils ont formulées durant le processus d’examen par les pairs. Saskia
Veendorp (consultant indépendant) et Craig Churchill (Organisation internationale du
Travail) ont fait des observations sur des versions antérieures du document. Enfin, l’équipe
remercie Paul Bance et Zainiddin Karaev de l’appui opérationnel apporté par le SPF..
Table des matières

Avant-propos iii
Résumé analytique 1
I. Pourquoi étudier le rôle des services financiers dans les situations de crise ? 5
II. Regard sur la vie financière des populations touchées par des crises 9
Demande et utilisation de produits financiers par les populations touchées par des crises 9
Profil des populations touchées par des crises 10
Obstacles juridiques compliquant l’accès aux services financiers dans les situations de crise 12

III. Éléments attestant que les services financiers aident les populations touchées
par des crises 15
Les envois de fonds aident les gens à faire face aux chocs et favorisent l’activité économique 15
L’accès à l’épargne accroît la résilience 16
Ensemble, les programmes d’assurance et de protection sociale peuvent réduire la
vulnérabilité 17
Il faut étudier plus avant le rôle du crédit pour les populations touchées par des crises 17
Les transferts monétaires numériques peuvent être un premier pas vers l’inclusion financière,
mais d’autres tests, déploiements opérationnels et évaluations s’imposent 17

IV. Obstacles à la prestation de services financiers dans les situations de crise 21


Politiques publiques 21
Infrastructure physique et financière 21
Engagement des donateurs 22

V. Nouveaux défis à relever et enseignements à tirer par les prestataires


de services 25
VI. Prochaines étapes 27
Mesures recommandées pour aider à faire face aux situations de crise grâce à l’inclusion
financière 27
Recommandations à l’intention des responsables politiques et des gouvernements pour renforcer
la capacité des pays hôtes 28
Recommandations à l’intention des donateurs concernant les principes d’élaboration de
programmes mondiaux 28
Futures activités de recherche et d’apprentissage 29

VII. Conclusion 31
ANNEXE 1 Glossaire 32
ANNEXE 2 Bibliographie 34

i
Graphiques et encadrés

GRAPHIQUE 1. Les déplacements sont de plus en plus nombreux (période 1951–2015) 1


GRAPHIQUE 2. Durée des déplacements de réfugiés 5
GRAPHIQUE 3. Taux de bancarisation dans certains pays frappés par une crise humanitaire 7
GRAPHIQUE 4. Raisons pour lesquelles les ménages empruntent 10
GRAPHIQUE 5. Épargne formelle et informelle (% des adultes) 11
GRAPHIQUE 6. De l’aide humanitaire à l’inclusion financière 19

ENCADRÉ 1. Méthode de présentation des données sur l’inclusion financière 6


ENCADRÉ 2. Déplacés internes et réfugiés 9

Acronymes

DAB Distributeur automatique de billets


HCR Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés
IDMC Observatoire des situations de déplacement interne
IRC Comité international de secours
OCHA Bureau de la coordination des affaires humanitaires
ODI Overseas Development Institute
OIT Organisation internationale du Travail
PAM Programme alimentaire mondial
PSF Prestataire de services financiers

ii
AVANT-PROPOS

A ujourd’hui, un nombre record de 65 millions de


personnes ont été déplacées de force à cause de
conflits ou de catastrophes naturelles, et plus de
économique au niveau local. L’évolution des
méthodes utilisées pour distribuer l’aide d’urgence
ouvre également la voie à l’inclusion financière. Les
90 % d’entre elles sont hébergées par des pays en dé- organismes d’aide remplacent progressivement les
veloppement (Banque mondiale 2016b). La Jordanie, transferts monétaires d’urgence par des systèmes
la Turquie et le Liban ont du mal à faire face à l’afflux de paiement numérique par carte électronique qui
de réfugiés qui fuient la crise en Syrie, tandis que le élargissent le choix des services financiers acces-
Kenya, la Tanzanie et l’Ouganda accueillent depuis sibles aux personnes déplacées.
des décennies des réfugiés qui fuient la violence et Ce document fort opportun — fruit d’une colla-
les catastrophes naturelles dans les pays voisins. boration entre l’équipe Finance et marchés (Moyen-
Pour le Groupe de la Banque mondiale, aider les Orient) de la Banque mondiale et le Groupe
pays en développement à fournir d’urgence une aide consultatif d’aide aux populations les plus pauvres
aux personnes déplacées est une priorité absolue. — offre un cadre important pour comprendre le rôle
Non seulement les réfugiés ont besoin d’aide, mais ils des services financiers en période de crise humani-
créent d’énormes pressions sur les communautés qui taire. Il offre des conseils spécifiques aux parte-
les accueillent, en termes d’infrastructures, de ser- naires de développement, aux gouvernements et
vices publics et de marchés — pressions qui risquent aux acteurs des marchés financiers en décrivant les
d’ébranler la stabilité politique de ces communautés. enseignements à tirer de certains projets pour les
L’échelle, la fréquence et la complexité des interventions dans le secteur financier. Les auteurs
déplacements forcés, à l’intérieur ou hors des pays, ont donc fait une contribution importance qui fera
ont conduit les institutions de développement à progresser le débat mondial sur l’action à mener et
envisager les crises humanitaires sous un jour nou- encouragera la poursuite des recherches sur le rôle
veau. En particulier, il n’existe plus de dichotomie des services financiers dans la création de moyens
entre aide humanitaire et aide au développement, de subsistance durables pour les populations en
jusqu’ici considérées comme deux réponses dis- situation de crise.
tinctes et séquentielles. Selon cette nouvelle Les propositions formulées dans le présent
optique, nous devons reconnaître que l’inclusion document — qui ont été financées par le Fonds
financière est un outil particulièrement important d’édification de l’État et de consolidation de la paix
que les pays et les institutions de développement du Groupe de la Banque mondiale — contribuent
peuvent utiliser pour atténuer les effets dévasta- directement à notre objectif global : promouvoir des
teurs des crises humanitaires. systèmes financiers diversifiés, efficaces et inclusifs
Plus de 75 % des adultes qui vivent dans des pays aux niveaux mondial et national. La collaboration
frappés par des crises humanitaires restent en permanente entre les secteurs, les institutions et les
dehors du système financier formel. L’inclusion pays est le seul moyen pour la communauté mon-
financière peut fournir aux réfugiés comme aux diale du développement de relever durablement
habitants un ensemble diversifié de produits finan- l’immense défi que posent les déplacements forcés.
ciers (épargne, envois de fonds, crédit et assurance) L’analyse détaillée présentée ici fournit des orienta-
qui sont essentiels pour aider les communautés tions précieuses pour les opérations du Groupe de
vulnérables à atténuer les chocs, à accroître leurs la Banque mondiale dans les pays concernés ainsi
ressources et à promouvoir le développement que pour nos partenaires de développement.

Ceyla Pazarbasioglu
Directrice principale
Pôle Finance et marchés, vice-présidence Pratiques
mondiales
Groupe de la Banque mondiale
iii
iv
Résumé analytique

L es crises humanitaires posent un défi redoutable


pour le développement. Qu’elles soient provo-
quées par un conflit, une catastrophe naturelle, un
de personnes déplacées de force en raison de
conflits ou de violences a atteint 65,3 millions, soit
plus du double que cinq ans auparavant (voir la fi-
phénomène climatique ou une combinaison des gure 1). En outre, depuis 2007, 25,4 millions de per-
trois, les crises sont de plus en plus fréquentes, sonnes en moyenne sont déplacées chaque année
graves et complexes. Bien que la nature et les réper- en raison de catastrophe naturelles ou de phéno-
cussions de ces crises varient fortement, elles mènes climatiques1, et dans les pays touchés par ces
touchent des millions de personnes, surtout les plus catastrophes, on estime à 250-300 millions de dol-
vulnérables. Certains groupes de population sont lars les pertes causées par la perturbation des mar-
déplacés hors de leur communauté ou de leur pays chés et des moyens de subsistance (UNISDR 2015).
à cause de crises ; d’autres restent là où ils sont, par Les crises ont également tendance à se prolonger :
choix ou par nécessité, et doivent faire face à des 90 % des pays ayant lancé un appel humanitaire en
situations imprévisibles et dangereuses. La fré- 2014 avaient lancé un appel annuel au moins les
quence et la durée des déplacements forcés ont ten- trois années précédentes et 60 % des appels s’étaient
dance à augmenter. En décembre 2015, le nombre étendus sur plus de huit ans (Bennett et al. 2016).

GRAPHIQUE 1. Les déplacements sont de plus en plus nombreux (période 1951–2015)

70m

60m

50m

40m

30m

20m

10m

0
1951

1955

1960

1965

1970

1975

1980

1985

1990

1995

2000

2005

2010

2015

Déplacés internes Apatrides


Réfugiés et demandeurs d’asile Autres personnes relevant de la compétence du HCR

Source : HCR 2016. Les données ne prennent pas en compte les personnes déplacées par des catastrophes naturelles ni les réfugiés palestiniens enregistrés auprès de
l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA)

1. La majorité des personnes déplacées restent dans leur pays (IDMC 2016). Le nombre total de personnes déplacées à cause de catastrophes
naturelles à la fin de 2015 n’est pas connu.

1
La durée moyenne du déplacement ayant aug- humanitaires, en faisant la synthèse des données
menté depuis les années 90, les dialogues de haut empiriques existantes et des enseignements pra-
niveau les plus récents ont porté sur la nécessité tiques tirés des évaluations de programme.
d’un nouveau modèle de développement qui asso- Lorsque les données ne sont pas suffisamment
cie les programmes d’aide humanitaire avec une probantes, le document recommande des mesures
approche du développement centrée sur la rési- que les décideurs et les donateurs peuvent prendre
lience et les moyens de subsistance des personnes pour améliorer les services financiers fournis aux
déplacées et de leurs communautés d’accueil. populations touchées par une crise. Il indique éga-
Cette approche repose sur le principe selon lequel lement les futures études et mesures prioritaires.
il importe de répondre aux besoins à moyen terme
créés par le déplacement forcé d’une manière qui Le rôle des services financiers
complète les programmes d’action à court terme
dans les crises humanitaires
après une crise. C’est particulièrement important
compte tenu des maigres ressources disponibles Pour les populations touchées par une crise, il est
pour financer les programmes de développement crucial de pouvoir faire face aux chocs, dont l’effet
durable, d’une part, et de la fréquence et de l’am- déstabilisant est souvent amplifié par la fragilité et
pleur des crises à travers le monde, d’autre part. l’instabilité de la situation. Et pourtant, malgré
L’inclusion financière — l’accessibilité de ser- l’utilisation et l’utilité des services financiers dans les
vices financiers de qualité pour toutes les tranches situations de crise, l’exclusion financière est particu-
de revenu de la société, et leur utilisation — est un lièrement grave dans les pays en crise. Plus de 75 %
moyen potentiellement fondamental de combler le des adultes vivant dans des pays touchés par une
fossé entre l’aide humanitaire et le développement. crise humanitaire restent en dehors du système
L’inclusion financière permet aux ménages à faible financier formel et ont du mal à faire face aux chocs
revenu d’accroître leurs ressources, d’atténuer les et aux urgences, à accroître leurs ressources et à
chocs liés à des situations d’urgence, des maladies investir dans la santé, l’éducation et l’activité écono-
ou des traumatismes et de réaliser des investisse- mique. La demande de services financiers dans les
ments productifs. Elle stimule également l’écono- situations de crise est cependant élevée. Qua-
mie locale en finançant les microentreprises et est rante-cinq pour cent des adultes vivant dans des
fortement corrélée avec la croissance économique2. pays frappés par une crise humanitaire ont écono-
Le recours accru aux transferts monétaires d’ur- misé l’année précédente, mais seulement 7,6 % ont
gence pour réduire la vulnérabilité immédiate des un compte d’épargne dans une institution financière.
populations touchées par des crises pourrait favori- L’exclusion financière fait partie d’une longue liste
ser l’inclusion financière par le biais de nouveaux de facteurs interdépendants et peut être exacerbée
dispositifs de déploiement du numérique. Les pro- par une forte contraction de l’économie réelle, la per-
grammes de transferts monétaires d’urgence par turbation des services financiers essentiels, la des-
carte ou téléphone mobile permettent de relier truction des infrastructures physiques et financières,
pour la première fois les bénéficiaires à des comptes le manque d’actifs pour garantir les prêts et des obs-
courants et, dans un deuxième temps, à une plus tacles juridiques tels que l’impossibilité d’appliquer
large gamme de services financiers (paiements, les mesures de vigilance à l’égard de la clientèle.
épargne, assurance, crédit). L’inclusion financière
peut combler le fossé entre les interventions à court De nouveaux éléments montrent que les services
terme axées sur la protection et la prestation de ser- financiers ont un rôle positif à jouer dans les situa-
vices de base, et les interventions à plus long terme tions de crise3. Selon les données factuelles dispo-
axées sur le maintien des moyens de subsistance et nibles, l’accès aux services financiers peut renforcer
la création de débouchés économiques. la résistance des individus et des ménages aux chocs
Dans ce contexte, ce document vise à faire négatifs et contribuer pour beaucoup à préserver
mieux connaître aux décideurs et aux donateurs le les moyens de subsistance et à stimuler l’activité
rôle des services financiers pour atténuer les crises économique après une crise ou une catastrophe. Les

2. Pour une analyse approfondie des données factuelles sur l’inclusion financière, voir Cull, Ehrbeck et Holle (2014).
3. Les auteurs ont examiné plus de 100 publications sur les services financiers et les crises. Sur ce total, moins de vingt étaient des
évaluations rigoureuses.

2
envois de fonds peuvent aider à maintenir la financiers) et de facteurs socioculturels qui peuvent
consommation pendant les périodes difficiles et faire pencher en faveur des paiements en espèces.
avoir un effet positif sur l’économie locale. L’épargne, En outre, les donateurs peuvent être enclins à privi-
formelle ou informelle, peut offrir une forme d’au- légier les transferts plutôt que l’investissement dans
to-assurance et donc aider les gens à surmonter les un système d’acheminement de l’aide qui est lié à un
chocs économiques sans devoir recourir à des pra- accès à plus long terme aux services financiers.
tiques néfastes telles que l’épuisement des res-
sources ou le travail des enfants. Bien que le crédit Obstacles à la fourniture de services
soit souvent un autre moyen de financer les dépenses financiers dans les crises humanitaires
d’urgence et de répondre aux besoins de consom-
mation de base, cela peut conduire au surendette- Deux obstacles à la fourniture de services finan-
ment au lieu d’améliorer le bien-être si les fonds ne ciers sont l’absence de mesures efficaces et le
sont pas investis de manière productive. L’expé- manque de préparation aux crises, en particulier
rience montre que l’assurance a des effets positifs l’absence d’un système qui permette de transposer à
sur la consommation, la protection des biens et le plus grande échelle la couverture des services. Cela
redressement des petites entreprises. La mise en peut inclure l’absence d’un régime simplifié de vigi-
place de régimes d’assurance destinés aux pauvres lance à l’égard de la clientèle et d’une réglementa-
s’est toutefois avérée difficile dans les pays en crise, tion claire des agents pour faciliter les transferts
en partie à cause de la faiblesse des institutions, du numériques. Les crises peuvent causer des dégâts
manque de moyens juridiques, des coûts de transac- dans l’infrastructure physique (routes, réseau de
tion et de la faible demande, compte tenu du manque télécommunications, réseaux d’électricité, succur-
de confiance et de compétences financières de base. sales bancaires, distributeurs automatiques de bil-
Une stratégie qui utilise différents outils finan- lets et agents) qui empêchent l’utilisation du
ciers plutôt qu’un ou deux a plus de chances d’aider système financier immédiatement après une crise.
les ménages à atténuer leurs risques parce qu’ils Inversement, des infrastructures de paiement
sont exposés à plusieurs risques à la fois et qu’ils robustes et résilientes peuvent aider à surmonter
peuvent utiliser différents outils pour se protéger les problèmes créés par les crises. Les organismes
contre différents risques (Banque mondiale 2013). d’aide et les communautés de la diaspora ont sou-
Les programmes de développement des moyens de vent des difficultés à faire parvenir les fonds aux
subsistance qui associent des moyens d’aide finan- populations touchées, même lorsqu’elles ont accès
cière et non financière (formation, transferts d’actifs au système financier, tout particulièrement si elles
et transferts monétaires) se sont avérés efficaces ont franchi les frontières internationales. L’in-
pour stimuler la consommation et accroître la rési- frastructure financière, comme les chambres de
lience (sécurité alimentaire, santé mentale, res- compensation automatisées, les systèmes de règle-
sources du ménage). ments interbancaires de montants importants, les
Des études montrent que les transferts moné- centrales de risques et les registres de garanties, est
taires ont un important effet multiplicateur sur l’ac- souvent peu développée dans les pays touchés par
tivité économique et que ceux effectués par voie des crises.
numérique peuvent améliorer l’efficacité, réduire
les pertes et accroitre la sécurité et la commodité. Recommendations
Néanmoins, à ce jour, il n’existe pas d’exemples
concrets où les transferts numériques ont effecti- Le recours aux services financiers pour atténuer
vement conduit à l’utilisation d’un ensemble de les crises humanitaires nécessite un engagement
services financiers. A l’heure actuelle, seulement de longue haleine de la part des prestataires. Il est
6 % de l’aide humanitaire est acheminée en espèces, important d’élaborer des plans d’urgence, de consti-
et bien que l’infrastructure et la plateforme néces- tuer des fonds de réserve, de diversifier la clientèle
saires pour établir un lien avec les services finan- et d’investir dans la formation du personnel afin de
ciers puissent exister dans les pays en crise, les gens pouvoir assurer la poursuite des activités pendant
font souvent des retraits d’espèces pour leurs les crises humanitaires. Les donateurs peuvent
besoins de consommation immédiats. Les résultats jouer un rôle important en aidant les acteurs du
dépendent de l’infrastructure de paiements en place, marché à se préparer aux situations de crise et à les
du cadre réglementaire (liens avec les services gérer. Par exemple, l’aide peut consister à investir

3
des liquidités dans les marchés financiers locaux frastructure ou en développant les moyens de paie-
tout en soutenant la connectivité, la capacité de ment dans les zones ou les groupes de population
règlement et la gestion des réseaux d’agents. Inves- précédemment exclus. Cela peut consister à créer
tir dans l’information et la sensibilisation du des réseaux d’agents ou des points de retrait d’es-
consommateur peut aider à promouvoir l’utilisa- pèces et à investir dans la connectivité mobile et à
tion des services financiers par les communautés haut débit. Enfin, il ne faut pas attendre une crise
touchées. Pour promouvoir le développement pour investir dans l’interopérabilité des systèmes de
durable des marchés pendant les périodes de crise, paiement, qui est également essentielles.
il faut inciter les acteurs du secteur privé à être pré-
sents sur les marchés financiers en offrant des inci- Les donateurs doivent jouer un rôle en créant
tations ciblées et un soutien sous forme de liquidités, des liens systématiques entre l’aide humani-
et en mettant au point des outils d’adaptation, tels taire et le développement, par le biais des ser-
que des mécanismes de gestion des risques, des vices financiers. Il s’agit notamment d’inscrire
fonds de liquidité et des structures de provisionne- expressément l’inclusion financière dans les pro-
ment appropriés. grammes d’aide humanitaire et d’aligner les incita-
tions opérationnelles des organismes d’aide avec
À l’avenir, il faudra investir en priorité dans les l’intégration des acteurs du secteur financier dans
systèmes des pays d’accueil pour qu’ils puissent les programmes d’urgence. Les donateurs peuvent
gérer les crises en tirant parti des services finan- également jouer un rôle de premier plan en créant
ciers. Les interventions doivent appuyer les priori- des mécanismes de financement novateurs, tels
tés de ces pays. Il faudra élaborer des réglementations que les financements concessionnels pour les pays
qui puissent être adaptées aux crises et revoir éven- à revenu intermédiaire qui accueillent une grande
tuellement les règles de vigilance à l’égard de la partie des populations déplacées, les financements
clientèle qui peuvent entraver l’accès aux services mixtes prêt/don et les mécanismes de garantie.
financiers, notamment pour les populations dépla-
cées de force. Il convient également d’accélérer la D’autres éléments d’information sont néces-
réforme des réglementations pour permettre les saires pour mieux cerner la demande et l’utilisa-
paiements par téléphone mobile (réglementation tion de services financiers par les différents
des agents, procédures de vigilance à l’égard de la groupes de population touchés par les crises. Il
clientèle simplifiées ou à plusieurs niveaux, régle- faut également améliorer les données sur cer-
mentation de la monnaie électronique, etc.). Si l’in- tains produits à fort potentiel dans les situations
vestissement dans l’infrastructure de paiements de crise. On pourrait par exemple étudier plus
devrait être une priorité bien avant l’apparition avant l’impact des paiements numériques sur les
d’une crise, les crises sont aussi une occasion de objectifs d’inclusion financière.
« reconstruire mieux » en investissant dans l’in-

4
I
PA R T I E

Pourquoi étudier le rôle des services financiers


dans les situations de crise ?

D
ans les situations de crise, les services finan- par des transferts monétaires, qui sont plus effi-
ciers sont utilisés depuis longtemps pour caces et plus efficients tout en laissant une plus
aider les populations vulnérables et les exc- grande liberté de choix au bénéficiaire et en créant
lus à faire face aux chocs, pour réduire l’exposition un important effet multiplicateur sur l’économie
au risque et pour stimuler l’activité économique. nationale. L’expérience montre que les transferts
Dans les Balkans, par exemple, le HCR a mené pen- monétaires accroissent la consommation alimen-
dant près de deux décennies à partir des années 90 taire et les autres dépenses des ménages, amélio-
des programmes de microfinance pour promouvoir rent le bien-être psychologique (réduction du
les moyens de subsistance et assurer des services stress) (Haushofer et Shapiro 2013) et réduisent la
secours d’urgence. Récemment, les décideurs pauvreté monétaire ainsi que le travail des enfants
mettent davantage l’accent sur le rôle des services (Bastagli et al. 2016). Le Groupe de haut niveau des
financiers dans la gestion des crises et le redresse- Nations Unies sur le financement de l’action
ment après une crise. Cela tient en grande partie
aux facteurs suivants.
GRAPHIQUE 2. Durée des déplacements de réfugiés
Les déplacements durent de plus en plus long-
temps, ce qui demande des solutions à plus long 10
terme. Selon les estimations du HCR, 40 % des 8.9
9
réfugiés relevant de sa compétence (6,7 millions de
personnes) se trouvent dans une situation prolon- 8
gée (UNHCR 2015)4, et selon un récent document 7
directif, les réfugiés sont en exil depuis 10 à 15 ans
Réfugiés (millions)

en moyenne (voir la figure 2)5. Cette durée moy- 6


5.2
enne a augmenté au cours des deux dernières 5
décennies (Devictor et Do 2016). Par ailleurs, le
nombre de personnes touchée par des catastrophes 4
naturelles a augmenté de près de 50 % pour attein- 3
dre 141 millions en 2014, tendance qui pourrait 2.2 2 2.2
s’expliquer par la multiplication des sécheresses. 2
Près de 20 millions des personnes touchées ont été
1
déplacées et la majorité des déplacements étaient 0.2
dus à des phénomènes climatiques (OCHA 2015). 0
1à4 5à9 10 à 34 35 à 37 38 à 55 Palestiniens
La majorité des personnes déplacées restent dans ans ans ans ans ans (plus de 60 ans)
leur pays, mais certaines franchissent les frontières
Durée du déplacement
en quête d’assistance et de sécurité6.
Source: Devictor et Do (2016), basé sur les chiffres du HCR pour 2015 ; CGAP. Note: La base de
La tendance croissante aux transferts moné- données ne comprend pas les Palestiniens dont la situation de déplacés dure depuis plus de 60
taires dans les situations humanitaires offre des ans. Ce chiffre n’est pas directement comparable avec les autres données, qui indiquent la durée
moyenne de déplacement de personnes enregistrées comme réfugiés en décembre 2015 et non
possibilités intéressantes. Le secteur humanitaire pas la durée de déplacement (les réfugiés palestiniens n’ont pas tous plus de 60 ans, mais la
remplace progressivement les transferts en nature situation de ce groupe dure depuis plus de 60 ans).

4. “ Une situation « prolongée » est une situation dans laquelle au moins 25 000 réfugiés ayant la même nationalité vivent en exil depuis plus de cinq
ans dans un pays d’accueil donné. A noter que les réfugiés palestiniens ne relèvent pas de la compétence du HCR et ne figurent donc pas dans cette
base de données. Les réfugiés afghans représentent le plus important groupe de réfugiés en situation prolongée selon la définition du HCR.
5. Palestiniens non compris. La durée moyenne est de quatre ans.
6. Pour en savoir plus sur les déplacements transfrontières engendrés par les catastrophes naturelles, voir l’Initiative Nansen (2015).

5
humanitaire a recommandé non seulement dernières innovations technologiques qui per-
d’accroître les transferts monétaires dans les pro- mettent de développer les services financiers
grammes d’aide humanitaire mais aussi de les uti- numériques dans de nombreux pays à faible revenu.
liser par défaut dans les interventions humanitaires. De nouveaux acteurs participent à l’action humani-
Le Programme alimentaire mondial (PAM), entre taire, comme les institutions financières, les acqué-
autres acteurs de l’humanitaire, a décidé de rem- reurs de cartes, les opérateurs de réseau mobile, les
placer progressivement l’aide alimentaire directe agents bancaires et les organismes de réglementa-
par une aide financière. Bien que le versement tion du secteur financier. Ces technologies offrent
d’allocations représente encore une très faible par- de précieuses possibilités nouvelles d’apporter une
tie de l’aide humanitaire au niveau mondial, le réponse fiable et à la hauteur des besoins pendant
nombre de personnes recevant des allocations du une crise, et d’atteindre les régions inaccessibles par
PAM a triplé au cours des six dernières années, les moyens traditionnels de distribution manuelle.
pour atteindre près de 10 millions de dollars. En
2015, le PAM a versé 680 millions de dollars Les pays touchés par une crise ont tendance à
d’allocations à ces personnes (PAM 2016). avoir des taux élevés d’exclusion financière, mais
Au niveau mondial, les organismes d’aide une forte demande de services financiers. Plus de
humanitaire recourent de plus en plus aux trans- 75 % des adultes vivant dans des pays frappés par
ferts monétaires d’urgence effectués par des sys- une crise humanitaire restent en dehors du système
tèmes de distribution mobile (téléphones portables, financier formel (voir l’encadré 1). Ces personnes
terminaux points de vente [TPV] lecteurs de cartes, n’ont pas la possibilité de choisir entre différents
plateformes SMS et plateformes de gestion des services formels ou informels qui leur permettraient
données dans le nuage). De même, de nombreux de faire face aux chocs financiers et aux urgences,
programmes utilisent des succursales de banques et de constituer un capital productif et d’investir dans
des agents bancaires pour les versements effectués la santé, l’éducation ou une activité commerciale
en utilisant une carte à puce. Les nouvelles technol- familiale. Selon une analyse des données les plus
ogies mobiles et les services bancaires sans agence récentes de l’indice Findex sur l’inclusion finan-
qui gèrent les programmes de transfert monétaire cière dans le monde7, moins de 24 % des adultes
utilisent l’infrastructure financière en place et les dans les pays touchés par des crises humanitaires

ENCADRÉ 1

Méthode de présentation des données sur l’inclusion financière

Ce document présente des données sur l’inclusion ment des organisations non gouvernementales
financière dans des pays frappés par des crises huma- (ONG), des organisations internationales et les
nitaires. Les pays ont été sélectionnés selon la classi- médias. Les catégories se fondent sur deux indica-
fication présentée dans IRC (2016), qui est basée sur teurs de l’ampleur de la crise actuelle (le pourcentage
le Projet d’évaluation des capacités (Assessment de la population ayant besoin d’assistance en raison
Capacities Project - ACAPS) lancé en 2009 pour de catastrophes récentes ou prolongées, et le degré
aider à évaluer les besoins humanitaires. ACAPS d’accès à la population touchée) et trois indicateurs
(2016) classe les pays en trois catégories de crise : qui donnent une idée de la vulnérabilité d’un pays
1) crise humanitaire grave, 2) crise humanitaire, aux crises (le taux de mortalité des enfants de moins
3) situation préoccupante. L’analyse présentée ici de cinq ans, l’indice de développement humain et le
porte sur les catégories 1 et 2. Les données ACAPS nombre de déplacés et réfugiés de longue date.
sont régulièrement actualisées au moyen de données
secondaires provenant de sources diverses, notam- Note : Pour plus de précisions, voir ACAPS (2016).

7. C
 ertains pays frappés par une crise humanitaire, comme l’Érythrée, la Libye, la Gambie et la Corée du Nord, ne sont pas couverts
par Findex. Ces pays sont donc exclus de toutes les analyses des données sur l’inclusion financière présentées dans ce document.
Des précisions sont fournies le cas échéant.
6
ont un compte dans une institution financière ou Les crises touchent de manière disproportionnée
chez un opérateur de téléphonie mobile. Quarante- les pays en développement, et donc les populations
cinq pour cent des adultes dans ces pays ont écono- vulnérables et financièrement exclues. A la fin de
misé au cours de l’année précédente, mais seulement 2015, les pays en développement accueillaient 99 %
7,6 % l’ont fait dans une institution financière (voir du nombre total de personnes déplacées et 89 % des
la figure 3). Quatre-vingt-dix pour cent des réfugiés réfugiés (y compris les réfugiés palestiniens). À titre
vivent dans des pays à revenu faible ou intermédi- de comparaison, les six pays les plus riches accueil-
aire, qui ont pour la plupart un faible niveau lent moins de 9 % du nombre total de réfugiés (Oxfam
d’inclusion financière (Banque mondiale 2016b). 2016). Entre 2008 et 2014, la majorité des déplace-
Dans les pays frappés par des crises humanitaires, ments engendrés par des catastrophes ont eu lieu
les femmes ont 30 % moins de chances que les hom- dans des pays à revenu intermédiaire (tranche inféri-
mes d’avoir un compte à leur nom (23 % des hom- eure), la Chine, l’Inde et les Philippines ayant accueilli
mes contre 16 % des femmes), l’écart le plus 60 % du nombre mondial de personnes déplacées à
important ayant été relevé au Liban (62 % contre cause de catastrophes (OCHA 2015). Comme partout
33 %) et en Afghanistan (16 % contre 4 %). Cet écart ailleurs dans le monde, ces pays connaissent égale-
est beaucoup plus important que dans les autres ment une urbanisation rapide, ce qui accroît la vul-
pays à revenu faible ou intermédiaire, où les femmes nérabilité des pauvres aux catastrophes naturelles en
ont en moyenne 18 % moins de chances que les raison de la faiblesse des infrastructures et de la pré-
hommes de posséder un compte. carité des édifices.

GRAPHIQUE 3. Taux de bancarisation dans certains pays frappés par une crise humanitaire

60 %
54 %
50 %

39 %
40 %

30 %
23 %
20 % 17 %
15 %
10 % 12 % 11 %
10 % 6%

0%
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Source : HCR 2016. Findex 2014. Les chiffres présentés ci-dessus portent sur sept pays frappés par une « crise humanitaire grave », telle
que définie par le Comité international de secours (IRC) pour le projet ACAPS. Pour les « pays frappés par une crise humanitaire », le
chiffre est calculé pour 21 des 31 pays frappés par une crise humanitaire ou une crise humanitaire grave selon l’IRC/ACAPS. Ne sont
pas pris en compte les pays pour lesquels il n’existait pas de données Findex sur le taux de bancarisation, à savoir : la République
centrafricaine, l’Érythrée, la Libye et la Syrie (crise humanitaire grave) et Djibouti, la Gambie, le Lesotho, la Corée du Nord et le
Swaziland (crise humanitaire). Le Soudan du Sud est pris en compte dans les données sur le Soudan.

7
Photo : Sujan Sarkar

8
II
PA R T I E

Regard sur la vie financière des


populations touchées par des crises

D
es études récentes axées sur la demande Demande et utilisation de produits
soulignent l’importance des outils de gestion financiers par les populations touchées
financière utilisés par les ménages vulné- par des crises
rables pour répondre à leurs besoins financiers et
gérer l’incertitude économique8, d’autant plus qu’ils Vu l’instabilité et l’imprévisibilité de la situation
opèrent dans le secteur informel de l’économie et dans laquelle vivent les pauvres, il est encore plus
sont donc à la fois des consommateurs et des travail- important pour eux d’avoir accès aux services finan-
leurs indépendants ou des entreprises familiales. ciers et de pouvoir les utiliser pour gérer la vulnéra-
Selon des études réalisées sur l’agenda financier des bilité et assurer des moyens de subsistance de base.
ménages, aussi pauvres soient-ils, aucune ménage Selon les données disponibles, les besoins d’inter-
interrogé dans un échantillon de 250 n’utilisait médiation financière, par le biais du crédit, sont
moins de quatre différents types d’instruments9, et plus importants dans les situations de crise. Les
chaque ménage avait à la fois des économies et des adultes dans ces pays ont également davantage
dettes (Collins et al. 2009). besoin de crédit que ceux qui vivent dans des pays à
Avec des revenus irréguliers et des possibilités de revenu faible ou intermédiaire. Alors que 51 % des
production et d’investissement incertaines, les
pauvres ont généralement besoin d’outils de gestion
financière qui leur permettent de gérer leurs liquidi-
tés à court terme (lisser leur consommation), de ENCADRÉ 2
parer aux urgences et gérer le risque tout en accrois-
Déplacés internes et réfugiés
sant les ressources du ménage pour financer les aléas
de l’existence et les activités productives10. Ces outils Bien que les déplacés internes et les réfugiés soient des
financiers sont souvent informels (famille et amis, populations déplacées, seuls les réfugiés traversent les
tontines) parce que les interactions avec les institu- frontières, ce qui représente un ensemble non négligeable
tions financières établies peuvent être chères en d’obstacles à franchir, d’expériences et de droits pour les
termes de coût économique et de coût d’opportunité. personnes concernées. À l’échelle mondiale, il y a beaucoup
Les besoins financiers des populations touchées plus de déplacés internes que de réfugiés (41 millions con-
par des conflits ou des catastrophes ne sont pas dif- tre 21 millions). La Syrie compte au moins 6,6 millions de
férents, qu’il s’agisse de personnes déplacées ou de déplacés internes, suivie par la Colombie (5,7 millions).
réfugiés (voir l’encadré 2), mais l’accès aux services D’autres pays comme le Nigéria, la RDC, l’Iraq et le Soudan
financiers dans les pays frappés par des crises est ont de nombreux déplacés internes — plus de 2 millions
beaucoup plus difficile. C’est notamment le cas des chacun (IDMC 2016). Près de la moitié des réfugiés vien-
pays touchés par un conflit, où l’infrastructure est nent de Syrie ou de Palestine. Le chiffre atteint 60 % si l’on
souvent détruite ou endommagée, et pour les réfu- prend en compte l’Afghanistan, et 75 % si l’on inclut quatre
giés qui ont des obstacles à surmonter concernant autres pays d’Afrique subsaharienne (Somalie, Soudan du
l’obtention de pièces d’identité, la possession de Sud, Soudan et RDC). On trouvera un glossaire plus détaillé
biens qui puissent servir à garantir un prêt, et l’idée à l’annexe 1.
qu’ils risquent de quitter le pays.

8. Findex, Finscope, agendas financiers et études sur le climat financier.


9. La méthode de l’agenda financier suit les ménages pendant une période prolongée afin de recenser leurs outils de gestion financière. Les
chercheurs rendent visite aux familles tous les quinze jours pour recueillir des informations sur les activités financières du ménage. Collins
et al. (2009) ont été parmi les premiers à utiliser cette méthode et à documenter la vie financière complexe des pauvres. Depuis la publication
de l’ouvrage intitulé Portfolios of the Poor (les portefeuilles des pauvres), cette méthode est largement utilisée à travers le monde.
10. Pour en savoir plus sur les données empiriques concernant les besoins financiers des pauvres, voir le chapitre 2 (« Clients ») dans Ledger-
wood (2013), qui examine de plus près les besoins financiers des pauvres dans leur ensemble.

9
adultes dans les pays frappés par des crises humani- Bien que la proportion d’adultes dans les pays
taires affirment avoir emprunté l’année précédente, frappés par une crise humanitaire grave qui
le chiffre est de seulement 43 % dans les pays à déclarent avoir économisé au cours de l’année pré-
revenu faible ou intermédiaire (voir la figure 4). cédente (43 %) ne soit que légèrement moins élevée
Cela étant, les emprunteurs dans les pays frappés que dans les pays à revenu faible ou intermédiaire
par des crises humanitaires sont près de deux fois (54 %), ces épargnants sont beaucoup moins sus-
moins susceptibles d’avoir emprunté à une institu- ceptibles d’avoir un compte d’épargne dans une ins-
tion financière. Seulement 9 % des adultes dans les titution financière — et plus enclins à utiliser un
pays à revenu faible ou intermédiaire et 5 % dans les groupement communautaire d’épargne (voir la
pays frappés par des crises humanitaires disent figure 5). Le faible niveau d’épargne formelle pour-
avoir emprunté à une institution financière. Les ser- rait aussi être lié à la faible capacité de l’État et au
vices financiers informels ont tendance à être manque de confiance dans les institutions, notam-
souples et proches du lieu où vivent les pauvres, ment les institutions financières. Ces chiffres
mais ils n’ont pas toujours les caractéristiques ni les donnent à penser qu’il existe une demande de pro-
dispositifs d’assurance-qualité requis pour répondre duits d’épargne dans les situations de crise et un
à tous les besoins financiers des populations exclues. fossé à combler entre l’épargne informelle et le sys-
Selon une enquête réalisée en 2016 auprès de plus tème financier formel.
de 4 500 ménages de réfugiés syriens au Liban, 90 %
des ménages sont endettés, à raison de 857 dollars Profil des populations touchées
par ménage en moyenne (HCR, UNICEF et PAM
par des crises
2016). Selon une étude réalisée par ACTED en Haïti,
le pourcentage de ménages endettés a augmenté de Le profil des populations touchées par des crises
13 % après le tremblement de terre de 2010. Les prin- peut varier considérablement. Ces populations
cipaux déterminants du montant de la dette d’un peuvent être riches ou pauvres, diplômées ou anal-
ménage étaient les coûts liés à l’activité commerciale phabètes, qualifiées ou non qualifiées. Dans chaque
et les frais de scolarité (Jusselme et Brenna 2011). situation de crise, les parties prenantes doivent bien

GRAPHIQUE 4. Raisons pour lesquelles les ménages empruntent

20

15

10

0
Santé Enterrement Construction Frais de Achat
ou urgence ou mariage d’un logement scolarité d’un logement

Pays frappés par une crise humanitaire Pays à revenu faible ou intermédiaire

Source : Findex. Les données datent de 2011 parce que la question a été posée différemment en 2014. Les « pays frappés par une
crise humanitaire » comprennent les catégories IRC/ACAPS « crise humanitaire » et « crise humanitaire grave ». Les chiffres excluent
cependant l’Érythrée, la Libye et la Somalie (crise humanitaire grave) et l’Éthiopie, la Gambie et la Corée du Nord (crise humanitaire)
parce que les données Findex sur les raisons d’emprunter n’étaient pas disponibles pour ces pays. Les chiffres sur le Soudan
comprennent le Soudan du Sud.

10
connaître le profil particulier des populations aux- lations touchées par des catastrophes naturelles
quelles elles ont affaire. Par exemple, alors que de est donc comparable à celui des pauvres dans un
nombreux Syriens déplacés par la guerre civile sont pays donné.
très instruits et qualifiés, d’autres réfugiés, comme En revanche, les réfugiés ont tendance à être
les Somaliens ou les Afghans, ont généralement des déplacés pendant des périodes plus longues et
niveaux de revenu et d’instruction beaucoup plus leurs réseaux sociaux sont radicalement transfor-
faibles. Les déplacements de population sont sou- més, même après leur retour. Au niveau mondial,
vent provoqués par une crise, notamment un les réfugiés vivent de plus en plus en milieu urbain,
conflit. Le conflit lui-même peut être engendré et en dehors des camps de réfugiés. En Jordanie, par
exacerbé par le changement climatique ; les popu- exemple, plus de 80 % des réfugiés ne vivent pas
lations des pays à revenu faible ou intermédiaire ont dans des camps. Les camps de réfugiés se trouvent
plus de chances d’être déplacées en raison du chan- souvent dans des régions rurales isolées et
gement climatique. Toutes les crises n’engendrent deviennent des centres économiques à part entière.
cependant pas des déplacements prolongés. Ainsi, le camp de Zaatari est aujourd’hui la qua-
Les populations touchées par des catastrophes trième ville de la Jordanie. Le camp de Kakuma,
naturelles peuvent être déplacées temporairement dans le Nord du Kenya, est le plus grand du monde
et retournent en général assez rapidement dans avec près de 200 000 réfugiés. Les personnes
leurs communautés. Les catastrophes naturelles déplacées étant souvent dans l’impossibilité d’em-
touchent plus gravement les pauvres qui vivent porter leurs biens, il leur est plus difficile d’utiliser
dans des habitations précaires où l’infrastructure des actifs comme garantie pour obtenir un prêt, et
et l’accès aux services sont déjà limités. Les popu- elles n’ont pas de biens immeubles à donner en
lations à faible revenu s’installent parfois dans des nantissement aux nombreux prestataires de ser-
régions exposées aux catastrophes naturelles à vices financiers qui le demandent. Bien que cer-
cause des possibilités de trouver du travail ou des taines personnes déplacées parviennent à emporter
terres à un prix abordable, ou d’avoir accès aux leurs économies avec elles, elles dépensent souvent
équipements (Hallegate 2017). Le profil des popu- une grande partie de ces économies au cours du

GRAPHIQUE 5. Épargne formelle et informelle (% des adultes)

70

60

50

40

30

20

10

0
Afghanistan Cameroun Congo Iraq Somalie Soudan Yémen Pays frappés Pays à
(Rép. dém. du) (Rép. du) par une crise revenu
humanitaire faible ou
grave intermédiaire
Épargne dans une Recours à un club d’épargne ou à Autre méthode
institution financière une personne extérieure à la famille d’épargne

Source : Analyse des données Findex 2014 par les auteurs ; faute de données Findex pour la République centrafricaine, la Syrie, l’Érythrée et la
Libye, ces pays ne sont pas pris en compte.

11
voyage. Comme indiqué plus haut, elles ont donc de réfugiés, on recense un nombre total de 170 res-
davantage tendance à emprunter pour subvenir à trictions légales à l’emploi des femmes (Banque
leurs besoins essentiels. mondiale 2016b). En même temps, les normes
À l’évidence, il faut mieux comprendre les diffé- culturelles concernant la mobilité, la liberté de trai-
rents groupes de populations touchés par des ter avec les institutions publiques et la vulnérabilité
crises, leurs besoins particuliers et leurs difficul- à la violence posent des problèmes particuliers pour
tés. Faute de données mondiales dans ce domaine, ce qui est de desservir ce segment de population. Il
on trouvera ci-après une ventilation de base des importe de réfléchir à la manière dont les services
principaux groupes vulnérables touchés par des financiers sont procurés aux femmes. La commo-
crises, en particulier les réfugiés. dité est essentielle compte tenu de la mobilité limi-
tée des femmes et de leur manque de temps. La
Jeunes. Les enfants et les jeunes de moins de 18 ans sécurité est un autre aspect crucial car les femmes
représentent plus de 50 % des réfugiés. Pour ce risquent davantage d’être victimes de violence. Il
groupe, les déplacements forcés sont lourds de pourrait être important d’offrir des produits simples,
conséquences car ces premières années d’existence les femmes étant plus susceptibles d’être analpha-
peuvent être déterminantes pour le reste de la vie. bètes et moins susceptibles de posséder les pièces
Des études montrent que l’épargne est plus impor- d’identité requises par les institutions financières
tante que le crédit pour les jeunes à travers le qui appliquent les règles de vigilance à l’égard de la
monde. L’accès à l’épargne et le fait d’apprendre à clientèle.
épargner sont particulièrement importants parce
que cela peut améliorer les possibilités d’accès à
l’éducation, aux services de santé et à l’emploi tant Obstacles juridiques compliquant l’accès
pendant la période de déplacement qu’après le aux services financiers dans les situations
retour ou la réinstallation (Kilara et al. 2014). Et de crise
pourtant, l’accès des mineurs aux services finan-
ciers est généralement très limité, d’autant plus L’accès aux services financiers et leur utilisation
qu’il y a un âge minimum pour ouvrir un compte et sont compliqués par des obstacles juridiques, dont
que beaucoup de jeunes ne reçoivent pas de carte certains sont directement liés à une situation de
d’identité avant d’être majeurs. crise. D’autres ne le sont pas, comme l’absence de
pièce d’identité valide qui empêche 375 millions
Mineurs non accompagnés. Le nombre de mineurs d’adultes d’ouvrir un compte (Banque mondiale
non accompagnés parmi les déplacés est important 2016c). Les déplacés internes, que leur déplacement
et ne cesse d’augmenter. Selon les dernières estima- soit dû à une catastrophe naturelle ou à un conflit,
tions publiées par le HCR (2016), le chiffre atteint sont citoyens de leur propre pays et conservent tous
98 500. Ce groupe pourrait avoir encore plus de les droits accordés aux autres citoyens. En théorie,
problèmes d’accès et d’utilisation des services ils conservent également leur nationalité et tous les
financiers. Comme mentionné plus haut, des études privilèges financiers que cela implique, comme le
montrent que l’épargne est particulièrement impor- droit d’ouvrir un compte en banque, d’obtenir un
tante pour ce groupe de population car elle amé- compte par téléphonie mobile ou de recevoir une
liore les perspectives économiques. Dans de allocation publique. Il n’est cependant pas toujours
nombreux pays, par exemple, il y a un âge minimum possible de faire valoir ces droits lorsque le déplace-
pour ouvrir un compte, et sans parent ou tuteur sur ment est lié à des troubles civils ou à des violations
qui compter, ce sous-groupe de jeunes a besoin commises par les structures politiques existantes,
d’exceptions ou de solutions particulières. mais les déplacés internes ont souvent accès à des
proches ou des amis qui parlent la même langue et
Femmes. Les femmes représentent aujourd’hui qui peuvent leur offrir une aide ou un lieu de refuge
49 % des réfugiés. Ces femmes ont souvent la double et faciliter leur accès aux biens familiaux et à des
charge de devoir s’occuper des enfants et des per- possibilités d’emploi.
sonnes âgées tout en travaillant dans le secteur for- En revanche, pour ceux qui ont fui leur pays et
mel ou informel pour contribuer au revenu du franchi une frontière internationale en raison d’une
ménage. Dans les quinze pays qui accueillent le plus crise, il peut être beaucoup plus difficile d’accéder

12
aux soins de santé, à un logement, à l’éducation et documents d’identification délivrés par le HCR
aux services juridiques, et encore moins aux ser- pour satisfaire au devoir de vigilance à l’égard de la
vices financiers. Bien que le HCR enregistre offi- clientèle. En Finlande, la société de paiement
ciellement les réfugiés et leur délivre des documents Moni distribue des cartes prépayées anonymes
d’identification, de nombreuses institutions finan- aux demandeurs d’asile en se fondant sur un
cières officielles ne reconnaissent pas la validité de numéro de dossier attribué par le Ministère des
ces documents. affaires internationales et le casier judiciaire, ce
Les règles de vigilance à l’égard de la clientèle qui protège la vie privée des demandeurs d’asile
imposent généralement la présentation d’une tout en satisfaisant au devoir de vigilance.
pièce d’identité nationale ou d’un passeport, qui Certains prestataires de services financiers exi-
risquent d’avoir été détruits ou perdus en cas de gent cependant des documents supplémentaires
catastrophe soudaine ou de déplacement dû à un tels qu’une preuve de domicile (facture des services
conflit, ce qui complique l’accès des populations publics, par exemple) pour traiter une opération
touchées aux services financiers et autres services. financière, afin de détecter et signaler les activités
Les responsables de l’action publique pourraient suspectes. Une réglementation autorisant les pres-
envisager des mesures pour diversifier les docu- tataires à adopter une approche fondée sur le risque
ments d’identification acceptables par les institu- pourrait faciliter l’accès au secteur financier tout en
tions financières. Ainsi, la Banque centrale de préservant l’intégrité de l’information dans les
Jordanie reconnaît expressément la validité des situations de crise.

13
Photo : Yavuz Sariyildiz

14
III
PA R T I E

Éléments attestant que les services financiers


aident les populations touchées par des crises

D
es études montrent que l’accès et le recours ménage qui utilise plusieurs outils financiers au lieu
aux services financiers peuvent améliorer le d’un ou deux seulement a plus de chances de parve-
bien-être des personnes vivant dans la pau- nir à atténuer ses risques car les gens sont confron-
vreté et contribuent donc à la réalisation des objec- tés à plusieurs risques à la fois et peuvent utiliser
tifs de développement durable définis par l’ONU différents outils pour se protéger contre différents
(Klapper et al. 2016). Bien que les mécanismes utili- risques (Banque mondiale 2013).
sés pour améliorer les résultats sur le plan social
varient selon le contexte et les circonstances, il n’est Les envois de fonds aident les gens
plus à démontrer que l’essentiel est de renforcer la
à faire face aux chocs et favorisent l’acti-
capacité de résistance aux chocs négatifs. Pour les
vité économique
populations touchées par des crises, la capacité de
surmonter un choc est d’autant plus importante En facilitant les envois de fonds en toute sécurité, les
que l’effet déstabilisant des chocs est souvent ampli- services de paiement permettent aux gens de faire
fié par une situation fragile et instable. appel à leurs réseaux pour traverser les moments
Bien que les catastrophes naturelles soient difficiles. Au Kenya, par exemple, le service d’argent
essentiellement analysées en termes globaux (mon- mobile M-Pesa a accru la résilience des ménages
tant estimatif total des dommages causés par un face aux chocs négatifs liés au climat ou à la maladie
cyclone, par exemple), les pauvres et les groupes (Jack et Suri 2014). Ainsi, alors que les chocs ont
marginalisés sont beaucoup plus gravement tou- réduit de 7 % la consommation des ménages sans
chés que les autres groupes. Les pauvres possèdent accès à M-Pesa, celle des ménages ayant accès à ce
moins de biens pour subvenir à leurs besoins, service est restée inchangée, grâce à l’augmentation
consomment tout juste de quoi survivre et n’ont des fonds envoyés de l’étranger après le choc néga-
souvent pas économisé de quoi faire face aux tif. De même, au Rwanda, les ménages ont envoyé
dépenses de santé et d’éducation en période de des crédits de recharge de téléphone aux personnes
crise (Hallegate 2017). touchées par des catastrophes naturelles (Blu-
Aux fins du présent document, les auteurs ont menstock et al. 2016). Entre décembre 2007 et
examiné plus d’une centaine de publications sur les février 2008 — période de violences post-électorales
services financiers et les crises11. Les données dis- au Kenya — les ménages ont utilisé le nouveau sys-
ponibles montrent que l’accès aux services finan- tème M-Pesa pour aider leurs proches et amis à sub-
ciers peut renforcer la résilience des personnes et venir à leurs besoins pendant cette période marquée
des ménages face aux chocs négatifs, et que ces ser- par une forte réduction de la mobilité et de l’accès à
vices peuvent jouer un rôle important en aidant à l’argent (The Economist 2015).
préserver les moyens de subsistance et en stimu- Outre leurs importants avantages microécono-
lant l’activité économique après une crise. (Par rési- miques, les envois de fonds peuvent avoir des effets
lience, on entend ici l’aptitude d’une personne à positifs sur l’activité économique locale. Par
minimiser la perte de bien-être en cas de choc éco- exemple, dans le camp de réfugiés de Kakuma dans
nomique12.) Les chocs négatifs peuvent se produire le Nord-Ouest du Kenya, l’utilité des envois de fonds
au niveau individuel, comme un problème de santé, s’est fait sentir bien au-delà du camp. Le gouverne-
au niveau communautaire, comme une inondation ment kenyan a suspendu les envois de fonds entre la
ou un phénomène climatique, ou au niveau natio- Somalie et le Kenya pendant quatre mois après l’at-
nal, comme un conflit ou des troubles civils. Un taque perpétrée en avril 2015 contre l’Université de

11. Dont moins de vingt évaluations rigoureuses, sur lesquelles porte cette partie.
12. L
 a résilience socioéconomique peut être mesurée à l’aune de la capacité d’une économie à minimiser l’impact des pertes
d’actifs sur le bien-être. Pour une analyse plus approfondie, voir Hallegate (2017, fn 31).

15
Garissa. Pendant ces quatre mois, la consommation tale des groupes de traitement étaient plus élevés à
a diminué dans la région — pas seulement celle des la fin du programme. Un an après la fin du pro-
réfugiés du camp, mais aussi celle des personnes gramme, ses principaux effets (sur la consomma-
vivant aux alentours. Cet effet montre l’impact tion, les ressources et la sécurité alimentaire)
positif des fonds envoyés aux réfugiés sur le bien- avaient peu ou pas du tout diminué. Dans cinq des
être des populations voisines (Sanghi et al. 2016). six sites, les avantages du programme l’empor-
taient sur les coûts (Banerjee et al. 2015).
Selon une évaluation distincte réalisée au Ban-
L’accès à l’épargne accroît la résilience
gladesh sept ans après le lancement du programme,
En offrant une forme d’auto-assurance, les les revenus avaient augmenté de 37 %, avec une
comptes d’épargne peuvent également amortir les hausse notable de la consommation et de l’épargne
chocs négatifs et renforcer les moyens de subsis- (Balboni et al. 2015). Encore récemment, toutes les
tance des ménages. Aux Philippines, les ménages données factuelles sur l’approche Progression
qui avaient un compte d’épargne se sont remis plus avaient été recueillies dans des environnements
rapidement des répercussions du typhon Yolanda stables et il n’était pas certain que les résultats posi-
(Hudner et Kurtz 2015). Il est intéressant de noter tifs puissent être reproduits dans des situations de
que les services financiers formels et informels crise. En 2013, le HCR a commencé à tester cette
semblent contribuer pratiquement de la même approche pour les réfugiés dans cinq pays (Égypte,
manière à la résilience des ménages. Dans le Nord- Costa Rica, Équateur, Burkina Faso et Zambie). Ces
Est du Burkina Faso, une région à faible pluviomé- projets pilotes devraient aider à déterminer si l’ap-
trie et donc particulièrement menacée par la proche Progression peut donner des résultats posi-
sécheresse, les agendas financiers montrent que tifs dans différentes situations13.
les ménages recourent essentiellement à l’épargne Les groupements d’épargne communautaires,
pour surmonter les chocs (Gash et Gray 2016). qui donnent accès à l’épargne et au crédit, sont très
Sinon, ils réduisent leur consommation ou vendent utilisés dans les situations de crise. Les pro-
leur bétail. L’accès à des moyens permettant de grammes revêtent des formes diverses, telles qu’as-
conserver l’argent et d’éliminer les obstacles à sociations villageoises d’épargne et de crédit,
l’ouverture d’un compte d’épargne pourrait amé- groupes d’entraide et tontines.
liorer sensiblement leur capacité d’adaptation aux Les données disponibles montrent que les
chocs sans devoir recourir à des pratiques néfastes membres des groupements d’épargne communau-
comme l’épuisement des ressources ou le travail taires épargnent et empruntent davantage. Selon
des enfants. une étude réalisée sur un groupement de ce type au
L’accès à un compte d’épargne est également Burundi, qui visait les populations vulnérables
l’un des éléments de l’approche « Progression », déplacées par la guerre civile, le niveau de pauvreté
qui consiste en une série d’interventions gra- des membres a sensiblement diminué. Du début à
duelles auprès des plus pauvres pour accroître leur la fin de l’étude, le taux de pauvreté des ménages
autonomie, à savoir : transferts monétaires régu- appartenant au groupe de contrôle a augmenté de
liers, conseils personnels, formation axée sur les 10 %, tandis que celui des ménages du groupe de
moyens de subsistance et comptes d’épargne. Six traitement a reculé de 4 %, ce qui donne à penser
évaluations randomisées (en Éthiopie, au Ghana, que l’accès à un groupement d’épargne commu-
au Honduras, en Inde, au Pakistan et au Pérou) ont nautaire permet aux ménages d’atténuer les chocs
été réalisées par Innovations for Poverty Action et négatifs — et même de prospérer en dépit de ces
le laboratoire Abdul Latif Jameel d’action contre la chocs. D’autres études montrent que les ménages
pauvreté entre 2007 et 2014. Il ressort de ces éva- qui sont membres de ces groupements jouissent
luations, qui ont utilisé des données portant sur d’une plus grande sécurité alimentaire, ce qui
plus de 20 000 membres de 10 000 ménages, que pourrait s’expliquer par le fait qu’ils sont plus
les niveaux de revenu, de consommation, de res- enclins à emprunter aux groupements à la suite
sources, de sécurité alimentaire et de santé men- d’un choc (Gash et Odell 2013).

13. Selon une évaluation à mi-parcours réalisée en Egypte, le programme pilote pour les réfugiés urbains a eu un effet positif à
court terme sur la création d’emplois, la création d’entreprises et les niveaux de revenu mais le programme ne prévoyait pas les
activités nécessaires pour faire perdurer cet effet.

16
Ensemble, les programmes d’assurance et pas les plus démunis posent des difficultés (Hochrai-
de protection sociale peuvent réduire la ner-Stigler et al. 2012). Un examen des systèmes de
vulnérabilité microassurance a conclu que « les données d’expé-
rience sont inégales » pour ce qui est de réduire les
Les programmes d’assurance peuvent procurer une risques de catastrophe à long terme et « les résultats
aide financière cruciale en cas de crise et sont parti- sont moins positifs » pour ce qui est de réduire les
culièrement utiles dans les régions ou les pays vul- pertes dues aux catastrophes (Mechler et al. 2006).
nérables aux catastrophes naturelles d’origine Une étude est en cours en Inde pour évaluer la
climatique. Dans l’idéal, les ménages auraient déjà microassurance contre les catastrophes pour les
accès à ces programmes pour se protéger contre les petites entreprises urbaines (Patel et Bhatt 2016).
risques associés à de tels phénomènes. L’assurance Ces entreprises ayant rarement accès à la microas-
sécheresse basée sur un indice a un effet positif sur surance, cette étude pourrait aider à mieux
la consommation et la protection des actifs14. connaître un segment de marché important.
Au Kenya, les ménages assurés sont 36 % moins
susceptibles que les ménages non assurés de puiser
dans leurs ressources et 25 % moins susceptibles de Il faut étudier plus avant le rôle du
réduire leur consommation alimentaire lorsqu’ils crédit pour les populations touchées
touchent une indemnité (Janzen et Carter 2013). par des crises
Dans les régions du Sénégal et du Burkina Faso
Aucune étude rigoureuse n’a été effectuée sur le
sujettes à la sécheresse, les agriculteurs qui avaient
microcrédit dans les situations de crise, et les éva-
souscrit une assurance investissaient davantage
luations du microcrédit dans des situations stables
dans des intrants et obtenaient de meilleurs rende-
portent essentiellement sur les produits de microfi-
ments (Delavallade et al. 2015). L’assurance est éga-
nance traditionnels destinés à soutenir les
lement essentielle pour la reprise des activités
microentreprises. Il est de plus en plus largement
commerciales. Des chercheurs ont constaté que
admis que les emprunteurs n’utilisent pas les fonds
deux ans après le tremblement de terre survenu en
uniquement pour investir mais aussi (et parfois uni-
2011 à Christchurch, en Nouvelle-Zélande, les
quement) pour lisser leur consommation. Il serait
entreprises qui avaient souscrit une assurance
donc utile de réaliser des études supplémentaires
étaient plus nombreuses que les entreprises non
sur l’impact d’autres formes de microcrédit (comme
assurées à afficher une productivité et des résultats
le crédit à la consommation en cas d’urgence).
meilleurs (Poontirakul et al. 2016).
Des études montrent que les réfugiés sont déjà
Néanmoins, la conception et la commercialisa-
très endettés et qu’un nouvel emprunt n’améliore
tion de régimes d’assurance contre les catastrophes
pas nécessairement le bien-être si les fonds ne sont
pour les ménages à faible revenu posent des diffi-
pas investis de façon productive, ce qui nécessite
cultés particulières, et lorsque ces régimes existent,
d’avoir accès aux marchés et le droit de travailler. Il
les résultats sont inégaux. Parmi les obstacles au
peut être nécessaire d’emprunter davantage pour
développement des marchés d’assurances, on peut
faire face aux urgences, mais d’autres services
citer notamment la faiblesse des capacités institu-
financiers pourraient avoir moins d’effets négatifs.
tionnelles et juridiques et des coûts de transaction
élevés, en particulier pour les pauvres.
D’après les études réalisées, le faible niveau des Les transferts monétaires numériques
compétences financières et le manque de confiance peuvent être un premier pas vers
dans les régimes d’assurance font qu’il est difficile l’inclusion financière, mais d’autres
de stimuler la demande (Clarke et Grenham 2013). tests, déploiements opérationnels
Même lorsqu’il existe des régimes d’assurance, la
et évaluations s’imposent
gestion des demandes d’indemnisation, les procé-
dures de paiement et la mise au point de produits Les transferts monétaires sont un élément impor-
qui répondent aux besoins des pauvres et n’excluent tant de toute stratégie nationale de gestion des

14. L’assurance indicielle est un type d’assurance relativement nouveau qui consiste à débloquer le paiement d’indemnités sans
déclaration de sinistre. Les indemnités sont basées sur un indice composite de conditions météorologiques (précipitations,
vent, rendements agricoles, hauteur des cultures déterminée par satellite, etc.) évaluées objectivement qui correspondent
généralement à une perte d’actifs pour les agriculteurs.
17
risques et permettent de répondre aux besoins éco- mobile ont échappé aux violences post-électorales
nomiques immédiats en cas de crise, soit en utili- de 2008 au Kenya en utilisant l’argent électronique,
sant les programmes nationaux existants soit en une récente étude réalisée en Afghanistan montre
envoyant des organismes humanitaires dans les que les personnes exposées à la violence ou crai-
communautés touchées. Des chercheurs ont cal- gnant d’en être victimes retiraient le solde de leur
culé que l’effet multiplicateur des bons d’alimenta- compte d’argent mobile pour avoir davantage de
tion et des transferts monétaires pouvait atteindre liquidités en cas d’urgence (Blumenstock et al. 2015).
2,5, ce qui signifie qu’un don de 100 dollars en De fait, le lien entre l’aide humanitaire et l’inclu-
espèces se traduit par une injection de 250 dollars sion financière peut être compliqué en pratique,
dans l’économie locale. Selon une étude réalisée par tout d’abord parce que seulement 6 % de l’aide
l’Organisation des Nations Unies pour l’alimenta- humanitaire au niveau mondial est fournie en
tion et l’agriculture (FAO) sur un projet pilote de espèces (Banque mondiale 2016a), bien que l’effica-
prestations sociales en espèces en Éthiopie, les cité de l’aide fournie sous forme de subsides ne soit
effets multiplicateurs allaient de 1,26 à 2,52 (Kagin plus à démontrer et qu’elle ait de nombreux parti-
et al. 2014), tandis qu’une évaluation du programme sans à travers le monde (voir la figure 6). Même
de bons d’alimentation du PAM au Liban a calculé lorsque l’aide est fournie en espèces, il s’est avéré
un effet multiplicateur de 1,51 dans le secteur ali- très difficile de maintenir le recours aux différents
mentaire (Bauer et al. 2014). De même, selon une services financiers dans le cadre de programmes de
étude publiée par le Comité international de transferts monétaires ponctuels ou de durée limi-
secours en 2014 sur les effets du programme de tée. Mercy Corps (2014) résume la situation comme
transferts monétaires organisé en hiver par le HCR suit : « . . . l’aide fournie sous forme de transferts
pour les réfugiés syriens au Liban, l’effet multiplica- électroniques ne conduit pas automatiquement à
teur était de 2,13 (Lehmann et Masterson 2014). l’utilisation de nouveaux services financiers par les
La tendance à remplacer progressivement les participants au programme, qui préfèrent générale-
paiements en espèces par les transferts numériques ment retirer le montant intégral du transfert quand
repose en partie sur la notion que les paiements il devient disponible et utilisent rarement leur nou-
numériques facilitent l’inclusion financière. Les veau compte à la fin du programme. C’est également
comptes courants et les comptes d’épargne bien le cas des programmes nationaux de protection
conçus qui sont intégrés avec les transferts numé- sociale et des programmes d’aide humanitaire en
riques peuvent permettre aux populations vulné- espèces . . . 15». Cela tient à plusieurs facteurs.
rables d’économiser et d’accumuler des ressources Lorsque l’infrastructure est inexistante ou a été
en période de grande incertitude économique. Ils détruite, y compris les réseaux de marchants qui
peuvent également donner accès à une plus large acceptent les paiements électroniques, le coût et
gamme de services financiers (crédit, assurance) en l’éloignement d’un point d’accès, le montant dispo-
créant une interface avec les prestataires de ser- nible à un distributeur automatique de billets, ou
vices financiers et le secteur financier formel. Le même l’opprobre associée au fait de faire la queue
lien n’est pas cependant garanti, et les résultats pour recevoir de l’aide, les bénéficiaires préfèrent
dépendent de différents facteurs, tels que notam- parfois recevoir des subsides. En outre, il y a des
ment le type de produit et ses caractéristiques, la arbitrages à faire entre l’inclusion financière et les
durée du transfert, l’infrastructure de paiement objectifs humanitaires qui influencent les décisions
existante et le cadre réglementaire, qui peut faire de programmation et l’affectation des ressources.
pencher les clients en faveur des paiements en Lorsque l’objectif est de répondre rapidement à
liquide plutôt que sous forme électronique. une crise, il est probablement plus important de
Certains facteurs socioculturels peuvent égale- commencer par assurer le bon fonctionnement des
ment influencer le recours aux paiements électro- systèmes de transfert que d’investir dans un méca-
niques, surtout dans les situations de conflit ou de nisme de prestation lié aux services financiers. De
crise. Par exemple, alors que les utilisateurs d’argent fait, les montants transférés, l’objectif du transfert

15. GSMA (2014) a signalé des résultats similaires : dans presque tous les exemples d’argent mobile cités dans ses recherches, les
populations déplacées retiraient immédiatement le montant total du transfert.

18
(consommation immédiate, relèvement ou déve- témoigne une évaluation d’un programme de trans-
loppement des moyens de subsistance) et les pres- ferts monétaires post-sécheresse au Niger, où des
sions exercées par les institutions ou les donateurs ménages sélectionnés au hasard ont reçu de l’argent
pour suivre et contrôler l’acheminement et l’utilisa- en liquide ou par le système Zap, une plateforme
tion de l’aide ont tous un impact sur les incitations à d’argent mobile (Aker et al. 2011). Zap a sensible-
délibérément ouvrir la voie à l’inclusion financière. ment réduit les coûts de l’ONG qui gère le pro-
Même sans liens clairs avec l’inclusion finan- gramme et ceux des bénéficiaires. Comparés à ceux
cière, les transferts électroniques conservent des qui ont reçu l’argent en liquide, les ménages qui ont
atouts. Les gains d’efficacité et la réduction des utilisé la plateforme mobile ont acheté un plus large
pertes sont les raisons les plus souvent citées pour éventail d’articles, consommé des aliments prove-
justifier le recours aux transferts électroniques, nant de sources plus variées, vendu moins de biens
mais les données recueillies laissent à penser que et produit une plus grande variété de cultures. Les
ce type de transfert permet également de lisser la chercheurs supposent que les différences pour-
consommation, est plus sûr et plus pratique (accé- raient s’expliquer par le fait que la plateforme
lère la réception des fonds, évite de faire la queue mobile accroît la confidentialité des transferts et
dans des files d’attente qui peuvent être longues, permet aux femmes de mieux contrôler les dépenses
etc.) et offre davantage d’options pour ce qui est de du ménage.
choisir où et comment dépenser l’argent, comme en

GRAPHIQUE 6. De l’aide humanitaire à l’inclusion financière

94 %

Transferts en nature
(y compris par carte Majorité
ou téléphone mobile)
Aide Argent Retrait
humanitaire liquide d’argent liquide
$ 28 billion/year Transferts
monétaires
Accès aux
6% Transferts services financiers
électroniques et utilisation

Minorité

19
Photo : Prakash Hatvalne

20
IV
PA R T I E

Obstacles à la prestation de services financiers


dans les situations de crise

B
ien que de nouvelles données laissent à pen- bref, les acteurs humanitaires doivent parfois gérer
ser que les prestataires de services financiers la distribution des fonds à des milliers de bénéfi-
assurent ces services pendant les crises, cer- ciaires. Dans la pratique, il est rare que des règles
tains problèmes opérationnels peuvent décourager simplifiées de vigilance à l’égard de la clientèle
les acteurs du développement d’établir les liens ou soient en place, ce qui limite l’aptitude des orga-
de faire les investissements nécessaires pour favori- nismes humanitaires à verser les fonds sur des
ser l’accès aux services financiers et leur utilisation. comptes courants ou des comptes d’épargne et les
Il existe de nombreuses études de cas et directives empêche de trouver rapidement des solutions
sur la manière d’utiliser les services financiers en durables. Il existe plusieurs exemples d’application
cas de catastrophe naturelle ou de conflit, mais il réussie de règles de vigilance simplifiées dans les
subsiste de nombreux obstacles au niveau des poli- situations humanitaires (Philippines et Haïti). Deux
tiques publiques et de l’infrastructure, à quoi stratégies qui se sont avérées efficaces consistent à
s’ajoutent les nouveaux problèmes opérationnels utiliser les documents d’identification délivrés par
qui se posent dans le contexte des crises humani- l’organisme d’aide, notamment pour les réfugiés, et
taires et de l’inclusion financière. à considérer l’organisme d’aide comme un « client »
(Levin et al. 2015). L’absence de réglementation des
agents, ou la complexité de celle qui existe, peut
Politiques publiques empêcher le secteur financier de répondre à la
Des politiques publiques et une réglementation qui demande croissante, en particulier dans les régions
permettent aux institutions financières de desservir isolées où les succursales ne sont pas viables, ou de
les pauvres sont une priorité dans n’importe quel bien superviser la gestion et le comportement des
contexte, mais c’est encore plus important dans les agents. Il pourrait être nécessaire de modifier la
situations de crise afin de répondre aux besoins réglementation pour permettre à des fournisseurs
humanitaires les plus pressants. Rares sont les pays ou agents tiers de servir de points de dépôt et de
qui ont adopté des mesures visant expressément à retrait d’argent pendant les crises.
promouvoir la résilience en temps de crise, en parti- Le défi à relever par les pouvoirs publics est le
culier pour les réfugiés. Certains pays empêchent suivant : 1) déterminer rapidement les problèmes et
les réfugiés de s’installer sur le territoire, souvent en les arbitrages à faire; 2) procéder rapidement aux
limitant leur accès aux services, notamment au sec- changements nécessaires, comme la mise en place
teur financier formel. Les dirigeants sont souvent d’une réglementation des agents ou de règles sim-
mal équipés en temps de crise pour procéder aux plifiées de vigilance à l’égard de la clientèle ; 3) le cas
réformes et investissements nécessaires, soit en rai- échéant, régler les questions d’arbitrage à faire entre
son de l’instabilité politique soit parce que les les réfugiés et les communautés qui les accueillent
moyens d’action traditionnels (politique monétaire pour ce qui est des services à fournir. Il faut faire
et budgétaire, systèmes de paiement, liquidité et davantage pour aider les pays à se préparer aux
facilités de refinancement) peuvent être inefficaces situations de crise et à y faire face, et l’essentiel de
face à la gravité de la crise. ce travail doit être accompli bien avant une crise.
L’un des plus grands obstacles à surmonter dans
les pays sujets à des crises qui reçoivent un afflux Infrastructure physique et financière
massif de personnes déplacées est le manque de
préparation du système financier pour transposer à Les infrastructures physiques, comme les routes, les
plus grande échelle et développer rapidement les réseaux de télécommunication, les réseaux élec-
modes de distribution de l’aide. Dans un délai très triques, les succursales bancaires, les distributeurs

21
automatiques de billets et les réseaux d’agents, Au lieu d’investir dans des systèmes spéciaux ou
peuvent être gravement endommagées lors d’un en circuit fermé, la communauté humanitaire pour-
conflit ou d’une catastrophe naturelle. Sans ces ins- rait investir dans le développement d’infrastruc-
tallations de base, les institutions financières ne sont tures et de réseaux d’agents qui pourront être
pas en mesure de participer au processus de relève- maintenus en place bien après la crise avec l’appui
ment. L’infrastructure financière, telle que les sys- du secteur privé. Par exemple, pour préparer les
tèmes de paiement, les chambres de compensation transferts monétaires effectués en partenariat avec
automatisées, les règlements interbancaires de gros le PAM dans les régions arides et semi-arides du
montant, les centrales de risques et les registres de Kenya en 2012, Equity Bank a dû « multiplier par
garanties, est généralement embryonnaire dans de dix le nombre d’agents » dans certains comtés (Zim-
nombreux pays en développement, pas seulement merman et Bohling 2013). Afin d’élargir les pro-
ceux qui sont touchés par une crise. Or, une grammes de transferts monétaires en faveur des
infrastructure de paiements solide et résiliente peut réfugiés syriens au Liban et en Jordanie, les orga-
aider à relever les défis que pose une crise. Les nismes humanitaires ont facilité la multiplication
membres de la diaspora ont tendance à réagir rapi- des points de vente et des appareils de lecture de
dement — même avant la mise en place de l’aide l’iris, l’accent étant mis sur les zones rurales. Ces
internationale — mais ils disposent rarement de investissements aident à parer au plus pressé en
moyens efficaces pour envoyer des fonds aux popu- temps de crise tout en permettant aux populations
lations touchées, y compris les personnes titulaires précédemment exclues d’avoir accès au système
de comptes, et surtout celles qui ont traversé les financier.
frontières internationales.
Après le tremblement de terre de 2010 en Haïti, il
Engagement des donateurs
s’est avéré pratiquement impossible d’acheminer
l’aide par l’intermédiaire du système financier en Bien que les donateurs soient de plus en plus nom-
raison de l’ampleur des dommages. Fonkoze, une breux à privilégier la prestation de services finan-
institution de microfinance (IMF), a formé un par- ciers qui répondent à la fois aux besoins
tenariat avec l’armée américaine pour acheminer humanitaires et de développement, il reste beau-
les fonds par hélicoptère pour que les Haïtiens coup à faire pour assurer la complémentarité entre
expatriés puissent envoyer de l’argent à leur famille, ces deux types de programmes. Les donateurs
et les clients en Haïti ont ainsi eu accès à leur exercent une influence sur les mesures d’incitation
épargne (Luce 2010). Bien que diverses institutions et les moyens opérationnels déployés pour fournir
et les responsables de l’infrastructure financière des services financiers pendant les crises en offrant
soient de plus en plus conscients de la nécessité de une assistance technique et financière qui encou-
se préparer aux crises, la préparation de l’infrastruc- rage les prestataires de services financiers à opérer
ture physique et financière aux crises n’a pas reçu dans des conditions instables et risquées. Ils favo-
suffisamment d’attention. risent également le développement ou la recons-
Même si les pays touchés par des crises ne truction de l’infrastructure financière. Ils aident
subissent pas tous des dommages matériels, les notamment à desservir des zones reculées peu
crises offrent une occasion d’améliorer l’infrastruc- attrayantes pour les prestataires qui n’offrent leurs
ture physique et financière existante. Les orga- services que s’ils ont de bonnes raisons commer-
nismes humanitaires comme le PAM et le HCR ont ciales de le faire. Mais les priorités des bailleurs
de plus en plus recours au système de paiements du d’aide humanitaire ne cadrent pas toujours avec les
pays hôte pour distribuer une aide en espèces aux besoins liés à la création de secteurs financiers
réfugiés. Le système en place - distributeurs auto- viables et résilients.
matiques de billets, succursales bancaires et agents Les agences d’exécution sélectionnent souvent
– risque d’avoir du mal à faire face à cette augmen- les fournisseurs et les produits en fonction de cri-
tation du volume de transactions, mais la coordina- tères de coût-efficacité ou de rapidité et leurs
tion entre le pays hôte et les acteurs humanitaires choix ne sont pas toujours viables à long terme.
peuvent inciter les prestataires à desservir des Par exemple, les donateurs peuvent utiliser des
régions du pays auparavant non desservies. systèmes parallèles pour effectuer des transferts

22
d’urgence au lieu de collaborer avec les acteurs du ont formulé les Principes de Barcelone applicables
système financier. Après le tremblement de terre aux paiements numériques dans le cadre de l’ac-
de 2010 en Haïti, les donateurs ont beaucoup tion humanitaire. Ces principes visent à guider
investi dans la mise en place de réseaux d’agents l’utilisation des paiements numériques afin d’amé-
de transfert de fonds par téléphone mobile pour liorer la riposte aux crises et de mettre en place
faciliter l’afflux massif d’aide dans le pays. Mais des systèmes financiers résilients et inclusifs aux-
faute d’avoir suffisamment étudié la viabilité d’un quels les populations touchées puissent avoir
tel réseau, le projet a été abandonné lorsque les accès (Martin et Zimmerman 2016).
subventions des donateurs ont pris fin. Les difficultés d’accès aux ressources nécessaires
Certains donateurs sont ambivalents à l’égard pour financer les opérations (liquidité) empêchent
des transferts monétaires à finalités multiples et souvent les prestataires de services financiers d’in-
de la possession libre d’un compte par les bénéfi- tervenir en cas de crise. Les donateurs ont tenté de
ciaires car cela réduit la transparence et le contrôle remédier à ces problèmes de diverses façons au
des donateurs et les empêche d’évaluer les résul- niveau national ou régional. Par exemple, la Facilité
tats. Les donateurs pourraient être plus enclins à de liquidité d’urgence (Emergency Liquidity Faci-
utiliser à des instruments financiers à usage plus lity - ELF) créée par les donateurs en Amérique
limité qu’ils puissent contrôler pour mieux centrale accorde des prêts aux prestataires de ser-
répondre à leurs besoins, mais qui ne permettent vices financiers qui ont des problèmes de liquidité
pas facilement aux bénéficiaires de l’aide d’avoir en cas de crise économique ou de catastrophe natu-
accès à des services financiers véritablement relle. L’Indonesia Liquidity Facility After Disaster
viables. Ces choix ont un effet dissuasif sur les (ILFAD), financée par l’USAID et gérée par Mercy
prestataires de services financiers et réduisent la Corps, joue le même rôle, mais uniquement en cas
valeur ajoutée potentielle de ces services pour les de catastrophe naturelle.
bénéficiaires. Bien souvent, les donateurs qui pri- Les donateurs ont un rôle sans égal à jouer en
vilégient l’inclusion financière visant à réduire la aidant les prestataires de services financiers et les
pauvreté et à améliorer les perspectives écono- pouvoirs publics à se préparer aux crises et à y
miques ne tiennent pas suffisamment compte du faire face. Améliorer la complémentarité entre
rôle des chocs et des risques qu’ils comportent16. l’aide humanitaire et le financement de l’aide peut
Des efforts sont cependant faits pour encourager à contribuer pour beaucoup à inciter les acteurs du
prendre des décisions plus avisées. marché (pays hôtes et prestataires de services
En 2016, un groupe de prestataires de services financiers) à faire les investissements nécessaires
de paiements à vocation humanitaire, de dona- dans les capacités, les infrastructures et les poli-
teurs et de spécialistes de l’inclusion financière tiques publiques.

16. D
 e nombreuses initiatives ont été lancées à l’échelle mondiale pour soutenir et guider la mise au point ou l’expansion des
systèmes de paiement numérique dans des pays non touchés par des crises, notamment les Principes du Groupe des Vingt
concernant l’inclusion financière numérique, les Directives de la Banque mondiale sur les aspects de l’inclusion financière
concernant les paiements et les Directives de l’alliance « Better Than Cash » (Mieux que de l’argent liquide) pour assurer des
paiements numériques responsables ainsi que les dix accélérateurs définis par l’alliance pour progresser vers des écosystèmes
de paiements numériques inclusifs (« 10 Accelerators to Inclusive Digital Payments Ecosystems »). Ces directives accordent
cependant peu d’attention aux situations de crise et aux problèmes des populations touchées.

23
Photo : Ingrid Bonilla Rodriguez

24
V
PA R T I E

Nouveaux défis à relever et enseignements


à tirer par les prestataires de services

U
ne crise touche à la fois la population et les l’un des principaux problèmes des prestataires
institutions. Les prestataires de services pendant une crise. Les agents qui assurent des
dans des régions sujettes à des crises sont services de retrait d’espèces pour les pro-
autant susceptibles de souffrir de la crise que leurs grammes de transferts d’urgence doivent main-
clients. Il est essentiel de mettre en place des méca- tenir un niveau de liquidités suffisant et assurer
nismes qui aident une institution à se préparer à la liaison avec des systèmes de paiement et de
une crise et à y faire face pour assurer la reprise règlement efficaces. Les donateurs jouent un
rapide des services après la crise et éviter de lourdes rôle important en soutenant l’écosystème natio-
pertes. De même, il importe d’informer et sensibili- nal des modes de paiement, ce qui consiste
ser les clients pour promouvoir l’adoption des pro- notamment à mettre en place des programmes
duits introduits sur le marché pendant une crise. de transferts numériques et à assurer la distribu-
Malgré les gros efforts déployés pour rappeler aux tion, la trésorerie et la gestion des liquidités.
prestataires de services financiers l’importance d’éla- Les prestataires de services financiers tradi-
borer des plans de préparation aux crises et de gestion tionnels (banques et institutions de microfi-
des risques, il reste encore beaucoup à faire. De nom- nance) risquent de ne pas avoir accès aux marchés
breux prestataires n’ont aucun plan de crise ni mesures des capitaux (transferts interbancaires provenant
de précaution en place pour atténuer les risques, telles d’investisseurs étrangers) en raison de la détério-
que diversification de la clientèle, assistance aux ration de leurs opérations, de la diminution des
clients pour renforcer leur propre résilience, ou négo- dépôts et des déséquilibres financiers sur les
ciation de mécanismes permettant de répondre aux marchés obligataires. Pour aider à atténuer ces
besoins immédiats de liquidité. Parmi les premiers problèmes, les donateurs peuvent apporter un
enseignements tirés de l’expérience dans ce domaine, soutien - sous la forme de lignes de crédit, de
on peut citer notamment les mesures suivantes : financements par des institutions faîtières ou de
garanties partielles de crédit - aux institutions
• Investir dans un plan de préparation. De nom- financières locales qui encouragent le développe-
breuses études montrent l’importance d’un plan ment des petites entreprises.
de préparation pour atténuer les risques et Dans de nombreux pays sortant d’un conflit, le
mieux gérer les crises : les bonnes pratiques recours aux institutions faîtières pour injecter des
mondiales sont bien documentées17. Pour les liquidités sur le marché tout en soutenant les IMF
prestataires de services financiers, les directives est la norme depuis la création du Local Initia-
sur les moyens de minimiser les risques liés au tives Department (LID) en Bosnie-Herzégovine
maintien des services pendant une catastrophe en 1996 (Goodwin-Groen 2003). Ce projet a été
ou un conflit mettent l’accent sur la continuité jugé concluant et a pris fin après avoir accompli sa
des opérations et la reprise rapide après un choc, mission : injecter des liquidités et renforcer les
non seulement pour l’institution mais aussi pour capacités des acteurs du marché. De nombreuses
ses clients et, dans la mesure du possible, pour le institutions faîtières ultérieurement créées dans
secteur. Il est généralement recommandé d’éla- des pays sortant d’un conflit n’ont cependant pas
borer des plans d’urgence, de constituer des atteint les objectifs visés (Forster et Duflos 2012).
fonds de réserve, de diversifier la clientèle, de • Évaluer les besoins des clients et les possibilités
collaborer et partager les savoirs avec d’autres de desservir de nouveaux groupes. Si les presta-
institutions ou réseaux et d’investir dans la for- taires de services financiers doivent travailler avec
mation du personnel. L’élaboration de plans de leurs clients actuels qui risquent d’être touchés
préparation est également essentielle pour les par une crise, cela peut aussi être une occasion de
opérateurs de téléphonie mobile et leurs agents18. desservir de nouveaux clients. Un ouvrage récem-
• Réduire les problèmes de liquidité pour moti- ment publié par l’Équipe spéciale de la protection
ver les prestataires. Le manque de liquidités est sociale (Social Protection Task Force - SPTF) et le

17. Voir par exemple Normes minimales de redressement économique (Minimum Economic Recovery Standards) et Programme de
réduction des risques liés aux catastrophes naturelles, du réseau SEEP (http://www. seepnetwork.org/minimum-economic-recovery-­
standards-resources-174.php et http://www.seepnetwork.org/disaster-riskreduction-program-pages-20799.php, respectivement).
18. V oir GSMA (2015 et 2016). 25
HCR récapitule les principaux enseignements sécheresse qui avait un double objectif d’inclu-
tirés par les prestataires qui ont fourni des services sion financière et d’aide alimentaire (Zimmerman
financiers aux réfugiés (Hansen 2016). Comme et Bohling 2013). À l’appui de cet objectif, le pro-
pour tout autre groupe de nouveaux clients, les gramme a initialement essayé d’utiliser une plate-
prestataires doivent investir dans des études de forme d’argent mobile reliée au système M-Pesa
marché avant de lancer de nouveaux services ou pour effectuer les transferts mais il s’est replié sur
d’élargir ceux qui existent. Ces mesures sont un système de cartes de débit liées à un compte
encore plus importantes dans le cas des réfugiés, bancaire lorsqu’il s’est avéré que la connectivité
car le manque d’information et les obstacles du réseau était trop faible pour effectuer des
d’ordre institutionnel peuvent être plus graves. La transferts par téléphonie mobile. Même avec le
SPTF souligne la nécessité d’évaluer les besoins et système de cartes de débit, le programme s’est
d’élaborer des stratégies, d’établir des liens avec heurté à des difficultés, concernant notamment
les populations de réfugiés, de segmenter la clien- l’enregistrement des bénéficiaires, le manque de
tèle, de revoir les critères qui excluent les réfugiés liquidités des agents et les pannes de réseau.
(tels que les conditions d’identification ou de rési- Selon une étude récemment effectuée en Jor-
dence) et de tirer des enseignements des projets danie par l’Agence allemande de coopération
pilotes. La sensibilisation et la capacité sont parti- internationale (GIZ) et le CGAP, l’information sur
culièrement importants pour lancer des systèmes les transferts d’argent par téléphone mobile est un
de paiement mobile qui puissent atténuer les facteur déterminant du succès de cette formule et
effets d’une crise, et encore plus si le mode de de son utilisation par les réfugiés syriens et les Jor-
paiement par téléphone mobile n’était pas bien daniens à faible revenu. Les méthodes de forma-
développé ou très utilisé avant la crise. tion et de sensibilisation varient selon la situation.
Après le passage du typhon Haiyan aux Philip-
• Répondre à une crise — l’inaction peut porter
pines, Mercy Corps a lancé un programme de
atteinte à la réputation d’un prestataire de ser-
transferts monétaires par téléphone mobile pour
vices financiers. En cas de catastrophe naturelle
faciliter le redressement et testé deux méthodes
récurrente, les prestataires qui ne répondent pas
pour familiariser les clients avec cette formule
immédiatement aux besoins des clients, en
(Causal Design 2015). L’étude a comparé l’impact
apportant une aide directe ou en collaboration
d’une heure d’initiation aux services financiers et
avec les organismes d’aide, risquent de perdre la
l’impact de messages vocaux encourageant les
confiance des populations qu’ils desservent. Les destinataires à économiser. D’après les résultats de
prestataires qui sont bien établis et dont les l’étude, la formation spéciale n’a eu aucun effet sur
clients sont touchés peuvent participer aux opé- l’épargne, alors que ceux qui avaient reçu des mes-
rations de secours sans que leur viabilité s’en res- sages vocaux ont davantage utilisé les produits
sente. De nombreuses études de cas réalisées au d’épargne formelle et informelle.
Bangladesh, en Inde, au Sri Lanka et au Népal, Les situations de crise étant souvent associées
entre autres pays, ont montré comment les pres- à un faible développement des infrastructures et
tataires de services financiers ont directement du secteur financier formel, les consommateurs
aidé à acheminer l’aide ou ont collaboré avec les ont généralement peu d’options. Ils sont souvent
organismes d’aide pour faire en sorte que leurs obligés d’utiliser un type de compte particulier
clients bénéficient de cette assistance19. chez un prestataire désigné par un acteur huma-
• Utiliser l’expérience et le niveau de sensibilisa- nitaire. L’absence de choix ne se traduit pas tou-
tion des consommateurs pour aider à promou- jours par l’acceptation des services financiers
voir le recours aux services formels. Les pannes formels, surtout si ces services sont de mauvaise
de réseau, les problèmes de liquidité et le manque qualité ou mal gérés. De fait, les consommateurs
de transparence peuvent compromettre l’adop- continueront à utiliser des services informels —
tion et l’utilisation des services financiers (Zim- associations villageoises d’épargne et de crédit,
merman et Baur 2016). Le PAM a lancé un tontines ou hawalas (réseaux de transferts
programme de transferts monétaires condition- monétaires) — plutôt que des produits ou ser-
nels du PAM à l’intention des ménages en situa- vices financiers de mauvaise qualité, peu pra-
tion d’insécurité alimentaire dans les régions tiques, onéreux ou mal conçus, comme le montre
orientales et côtières du Kenya menacées par la invariablement l’analyse des données Findex.

19. Voir les sept études de cas publiées par la Foundation for Development Cooperation (Nagarajan 2006a, 2006b, 2006c et
26 2006d) et le réseau Banking with the Poor (2006a, 2006b e 2006c) sur la microfinance et les secours aux sinistrés.
VI
PA R T I E

Prochaines étapes

I
l est évident qu’on peut faire davantage pour four- cès ; 3) connectivité mobile haut débit adéquate
nir des services financiers aux populations tou- pour effectuer des opérations et paiements en ligne
chées par des crises. L’inclusion financière peut en temps réel. Les systèmes de paiement interopé-
aider à combler le fossé entre, d’une part, les pro- rables ou qui relient plusieurs types de prestataires
grammes d’aide humanitaire axés sur la protection au même système sont importants car ils rédui-
et l’accès aux services de base, et d’autre part, les raient la dépendance à l’égard de partenariats
instruments financiers qui permettent aux popula- rigides ou de systèmes de distribution de bons et
tions vulnérables d’acquérir des biens, de mieux autre systèmes en circuit fermé qui ne relient pas
gérer les risques économiques et les crises et d’amé- les bénéficiaires aux services financiers. Lors-
liorer leurs moyens de subsistance à moyen terme. qu’une crise éclate, il est souvent trop tard pour
Les donateurs, en particulier, ont un rôle important régler les problèmes systémiques afin de pouvoir
à jouer dans le dialogue avec les pays touchés par répondre aux besoins immédiats. Cela étant, les
des crises, en procédant à des investissements crises offrent des possibilités de « reconstruire
essentiels qui profitent à tous car ils ont un effet mieux » en investissant dans des infrastructures
positif sur l’économie nationale tout en renforçant qui auraient dû déjà exister, ou en étendant les ser-
la résilience des populations touchées. Les mesures vices aux régions ou aux populations non desser-
ci-après sont des priorités pour les acteurs concer- vies. Faire en sorte que ces systèmes soient capables
nés, tout particulièrement les responsables de l’ac- de faire face aux chocs devrait être un élément de la
tion publique et les donateurs. stratégie de planification préalable d’un pays.

Mesures recommandées pour aider à Accélérer l’adoption de réformes réglemen-


taires qui donnent accès aux services financiers
faire face aux situations de crise grâce à
numériques et à l’argent mobile, notamment en
l’inclusion financière permettant aux réfugiés d’utiliser d’autres
Même si l’objectif ultime est de faciliter l’accès des moyens d’identification pour satisfaire aux obli-
populations touchées aux services financiers, gations de vigilance à l’égard de la clientèle. À
encore faut-il qu’il existe une infrastructure finan- titre d’exemples de mesures qui faciliteraient les
cière de base. Il n’est donc pas possible d’améliorer choses, on peut citer la réglementation des agents,
les services financiers pour les populations tou- la simplification des obligations de vigilance et la
chées par des crises sans régler les problèmes systé- réglementation de l’argent électronique. La contri-
miques et infrastructurels. bution de l’argent électronique à une meilleure
inclusion financière n’est plus à démontrer, et il y a
Définir les investissements prioritaires pour des avantages à en tirer tant pour les populations
créer une solide infrastructure de paiements locales que pour les populations déplacées.
numériques. Un système de paiements efficace,
robuste, résilient et fiable comprend les éléments Inciter les acteurs du secteur privé et les parte-
suivants : 1) suffisamment de points d’accès (télé- naires à déployer des services financiers viables.
phones mobiles, TPV, réseau d’agents, DAB ou suc- Des subventions ciblées devraient contribuer au
cursales bancaires) pour les dépôts/retraits développement du marché, notamment en atté-
d’argent et autres opérations ; 2) réseaux bien gérés nuant le risque pour encourager les opérateurs pri-
d’agents et de commerçants qui sont équipés pour vés à fournir des services financiers durables en
répondre aux besoins de liquidité aux points d’ac- période de crise. En dernière analyse, l’idée est de

27
continuer à assurer les services financiers après la • Soutenir l’adoption de réglementations qui
réponse immédiate à la crise. Les acteurs privés peuvent s’adapter aux crises et créent des
doivent également s’adapter aux situations de crise, conditions favorables à la mise en place de ser-
par exemple en veillant à mettre en place des méca- vices financiers solides pour les déplacés
nismes de gestion du risque, des fonds de liquidité internes et les réfugiés. Il s’agit notamment de
et des structures de provisionnement appropriés. simplifier les obligations de vigilance l’égard de
Les spécialistes de l’aide humanitaire et du déve- la clientèle afin d’éliminer les obstacles qui
loppement doivent recenser et comprendre les empêchent les réfugiés et les déplacés internes
besoins des prestataires privés et leur offrir des d’avoir accès aux systèmes de paiement. On
incitations qui tiennent compte des risques accrus pourrait envisager par exemple d’assouplir pen-
en cas de crise et des adaptations nécessaires pour dant une durée déterminée la réglementation en
assurer la poursuite des opérations à l’avenir. place pour autoriser les fournisseurs tiers ou les
agents à servir de point de dépôt et de retrait
d’argent pendant les périodes de crise.
Recommandations à l’intention
des responsables politiques et • Mettre en place des mécanismes de finance-
des gouvernements pour renforcer ment novateurs pour mobiliser les ressources
nécessaires pour faire face aux crises et aux
la capacité des pays hôtes
déplacements forcés, y compris sous forme de
Les pays en développement accueillent la grande financements concessionnels pour les pays à
majorité des personnes déplacées dans le monde revenu intermédiaire qui accueillent la plus
et supportent une énorme charge économique et grande proportion de réfugiés, de financements
sociopolitique au nom de la communauté interna- mixtes prêt/don et de mécanismes de garantie.
tionale. Ils ne sauraient financer l’intégralité de ces Le Pacte avec la Jordanie est un pas dans cette
coûts tout en gérant la pression exercée sur les ser- direction20. Les mécanismes de garantie au pre-
vices, dont se ressentent également les populations mier risque peuvent également être utiles,
locales. Les donateurs et les responsables poli- notamment pour financer les programmes de
tiques mondiaux doivent reconnaître l’importance services financiers destinés aux réfugiés. Ces
de ces biens publics et donner aux pays hôtes les mécanismes peuvent également encourager les
moyens de financer leur réponse à la crise. Ces donateurs du secteur privé à intervenir sur le
pays doivent pouvoir compter sur le fait que l’aide marché, à condition qu’ils soient déployés de
qu’ils apportent aux populations déplacées ne manière efficace et coordonnée.
conduira pas de facto à leur absorption dans l’éco-
nomie nationale. Il faut promouvoir des solutions Recommandations à l’intention des
de développement qui profitent à tous en amélio- donateurs concernant les principes
rant à la fois la situation socioéconomique des
d’élaboration de programmes mondiaux
communautés d’accueil et celle des réfugiés. Les
donateurs doivent comprendre que ces solutions La communauté humanitaire est de plus en
ne sont pas seulement techniques, mais aussi poli- consciente qu’il est impératif d’établir un lien avec le
tiques. Ils doivent notamment : développement à long terme, compte tenu du déficit
de financement de l’aide humanitaire et de la durée
• Investir dans des projets qui appuient les prio-
croissante du déplacement. Pour ce faire, il faudra
rités des pays hôtes. Outre les investissements
déployer des efforts stratégiques concertés pour
qui amélioreront de façon concrète l’infrastruc-
créer des liens explicites entre l’action humanitaire
ture financière d’un pays, il faut s’attacher en
et les programmes de développement par le biais
priorité à mettre au point et tester des interven-
des services financiers. On pourrait notamment :
tions qui profitent à tous à moyen terme en amé-
liorant la résilience économique des réfugiés et • Tenir compte des facteurs dissuasifs et incita-
des communautés qui les accueillent. tifs qui influent sur le comportement des insti-

20. Les pays du Moyen-Orient, comme la Jordanie, peuvent aujourd’hui emprunter à des taux concessionnels, tout en bénéficiant
des concessions commerciales accordées par l’Union européenne.

28
tutions et du personnel responsable des existent dans les données d’expérience, il fau-
programmes sur le terrain. La plupart des orga- drait notamment :
nisations humanitaires sont guidées par les mon- • Mieux comprendre la demande et l’utilisa-
tants engagés par les donateurs après une crise. Il tion des services financiers par les différents
s’agit d’engagements à court terme qui néces- sous-groupes touchés par une crise. Il
sitent de reconstituer fréquemment et régulière- convient d’étudier plus avant les différents
ment les ressources. En pratique, ce cycle de groupes, leur demande et leur utilisation des
financement empêche toute planification ou pro- services financiers, ainsi que leurs comporte-
grammation à long terme. Stefan Dercon, écono- ments et préférences. Comme mentionné dans
miste en chef au Ministère du développement la Partie II, les besoins des différents groupes
international du Royaume-Uni, a récemment sont très variés, et les programmes seraient
proposé un mécanisme mondial de mutualisation beaucoup mieux conçus et ciblés si l’on com-
des risques qui permettrait de faire des contribu- prenait mieux la manière dont les services
tions avant les crises et de mettre ces fonds à la financiers peuvent répondre à leurs besoins
disposition des pays touchés après les crises financiers et les aider à rétablir leurs moyens de
(Clarke et Dercon 2016). subsistance. De telles études peuvent égale-
• Intégrer expressément les objectifs d’inclusion ment favoriser l’adoption et l’utilisation des
financière dans les programmes d’aide huma- services financiers.
nitaire. Un financement plus régulier et à plus • Améliorer la base de données concrètes sur
long terme permettrait de créer des liens expli- les produits qui ont un fort potentiel en cas de
cites entre les programmes d’aide humanitaire et crise. Le rôle de l’assurance, notamment l’assu-
l’inclusion financière. De nombreuses organisa- rance contre les catastrophes, est une question
tions internationales ont déjà des équipes séparé- à approfondir. En outre, vu la tendance grandis-
ment chargées des secours d’urgence et du sante à la numérisation des paiements, d’autres
développement, et elles pourraient utiliser les études sont nécessaires pour apprécier l’impact
services financiers pour relier ces deux domaines de cette numérisation sur le bien-être et l’inclu-
d’activité. Un pas dans cette direction serait d’ac- sion financière. Il convient d’accorder une
croître le partage des connaissances entre les attention particulière aux répercussions sur la
équipes internes. vie des différents groupes (réfugiés, déplacés
internes, femmes, jeunes) et à l’échelonnement
des produits financiers.
Futures activités de recherche
et d’apprentissage • Accroître la base de données sur le rôle des
services financiers dans les programmes
Malgré le caractère prévisible des catastrophes et d’amélioration des moyens de subsistance.
la concentration des déplacés dans certains pays, Quelques études ont été réalisées sur le réta-
la communauté internationale ne s’est pas suffi- blissement des moyens de subsistance après
samment attachée à incorporer dans les pro- une crise, mais on manque encore d’éléments
grammes une évaluation rigoureuse des effets des probants sur le rôle des services financiers dans
divers services financiers offerts. C’est une occa- ces modèles et les types de programmes de
sion manquée de comprendre où et comment les développement des moyens de subsistance de
organismes d’aide humanitaire et de développe- groupes particuliers touchés par une crise. Il
ment pourraient optimiser l’utilisation des ser- faut également redoubler d’efforts pour évaluer
vices financiers pour améliorer la réponse aux l’impact du microcrédit dans les situations de
crises, les moyens de subsistance et la résilience crise et la manière dont il peut aider à préserver
à long terme. Pour combler les lacunes qui les moyens de subsistance.

29
Photo : Mohammad Moniruzzaman

30
VII
PA R T I E

Conclusion

À
l’avenir, une coordination étroite entre les donateurs, les gouverne-
ments, les organismes de réglementation, les prestataires de ser-
vices financiers et les organisations de la société civile sera essentielle
pour améliorer les actions de développement pendant les crises humani-
taires, qui sont de plus en plus graves, longues et complexes. L’inclusion
financière peut contribuer pour beaucoup à combler le fossé entre l’aide
humanitaire et le développement en favorisant les gains d’efficacité dans
les transferts d’urgence qui utilisent les réseaux de distribution numé-
rique et par téléphone mobile, et plus généralement, en fournissant des
instruments financiers (paiement, épargne, assurance et crédit) qui amé-
liorent la résilience et les possibilités économiques en période de crise.
S’il peut sembler irréaliste d’espérer apporter des solutions durables aux
crises humanitaires, l’intégration des services financiers dans les pro-
grammes d’aide d’urgence et les programmes de développement connexes
pourrait faciliter grandement ce processus.

31
ANNEXE 1

Glossaire

Demandeur d’asile Personne qui s’enfuit dans un autre pays et demande le droit d’asile, c’est-à-dire le droit à une
protection internationale en vertu de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés (ou
Convention de Genève). Un demandeur d’asile peut être un réfugié ou un migrant, mais seuls
les réfugiés obtiennent le droit d’asile lorsque leur demande est validée. Les obligations au titre
de la Convention de 1951 empêchent de pénaliser les demandeurs d’asile qui sont entrés
illégalement dans un pays.

Au niveau mondial, il y a 3,2 millions de demandeurs d’asile (HCR 2015).

Populations touchées Dans le présent document, l’expression désigne un groupe de personnes touchées par
par des crises un conflit ou une catastrophe naturelle, y compris celles liées au changement climatique. Ces
groupes peuvent être déplacés de force ou non. Ils comprennent les populations directement
touchées et leurs communautés d’accueil en cas de déplacement.

Personne déplacée Personne forcée de s’enfuir de son domicile.


de force
 Au niveau mondial, il y a 65 millions de personnes déplacées de force en raison de conflits
ou de violences (HCR 2015), ce qui comprend des réfugiés, des déplacés internes et des
demandeurs d’asile.

Personne déplacée Personne qui est forcée de s’enfuir de son domicile mais qui reste à l’intérieur des
dans son propre pays frontières de son pays.
(ou déplacé interne)
Au niveau mondial, il y a 40 millions de déplacés internes (HCR 2015).

Migrant 
Personne qui quitte son pays en quête d’une vie meilleure à l’étranger (emploi, études ou
regroupement familial). Un migrant continue à bénéficier de la protection de son propre
gouvernement, même à l’étranger.

Il y a près de 250 millions de migrants dans le monde (Ratha et al. 2016). Selon les estimations,
ils envoient 580 milliards de dollars dans leur pays d’origine, dont 432 milliards de dollars dans
des pays en développement (Banque mondiale 2016e).

« Les migrants environnementaux sont des personnes ou des groupes de personnes qui, pour des
raisons impératives liées à des changements soudains ou progressifs de l’environnement ayant des
effets préjudiciables sur leur vie ou leurs conditions de vie, sont obligés d’abandonner leur foyer
ou lieu de résidence habituel, ou choisissent de le faire, à titre temporaire ou permanent, et qui se
déplacent à l’intérieur de leur pays ou se rendent à l’étranger » (OIM 2007) (italiques ajoutés).

Refugee 
Personne contrainte de quitter son pays pour échapper à un conflit ou à la persécution.

Aux termes de la Convention de 1951, un réfugié est toute personne qui, « craignant avec
raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son ap-
partenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays
dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la
protection de ce pays ». Les réfugiés ne peuvent être expulsés ni refoulés vers un pays où leur
vie est en danger. Cette définition ne s’applique pas aux personnes qui n’ont pas franchi une
frontière internationale ni aux migrants économiques. Les personnes déplacées à cause de
catastrophes naturelles (environ 25 millions de personnes par an) ou des changements clima-
tiques ne sont pas des réfugiés. On ignore le nombre de personnes qui ont quitté ou regagné
leur pays, ainsi que le nombre total de personnes déplacées à une date spécifique.

Au niveau mondial, il y a 21 millions de réfugiés (HCR 2015) dont 16,1 millions relevant du
mandat du HCR et 5,2 millions de Palestiniens relevant du mandat de l’UNRWA. Le nombre de
réfugiés diminue lorsqu’ils retournent chez eux, se réinstallent ailleurs ou sont naturalisés, sauf
dans le cas des Palestiniens qui conservent leur statut de réfugié quelle que soit leur nationalité.

Apatride 
Personne qui ne possède la nationalité d’aucun pays. Les apatrides ne sont pas nécessairement
des personnes déplacées de force mais ils relèvent tous du mandat du HCR.

On compte au moins 10 millions d’apatrides à l’échelle mondiale (HCR 2015).

32
Assistance Aide et mesures visant à sauver des vies, à alléger les souffrances et à préserver et protéger la
dignité humaine durant et après les crises d’origine humaine et les catastrophes naturelles, ainsi
qu’à renforcer la préparation et empêcher l’apparition de ces crises.

Selon Development Initiatives (2016), le financement de l’assistance humanitaire a atteint le


niveau record de 28 milliards de dollars en 2015.

Aide publique au Aide visant à soutenir le développement d’un pays sur le plan économique, environnemental,
développement social et politique.


Selon les estimations du Comité d’aide au développement de l’OCDE, l’aide publique au
développement se chiffrait à 131 milliards de dollars en 2015.

Déplacement « Situation dans laquelle au moins 25 000 réfugiés de la même nationalité vivent en exil depuis
prolongé plus de cinq ans dans un pays donné », selon le HCR.

33
ANNEXE 2

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