Droit Des Relations Entre Organisations Internationales
Droit Des Relations Entre Organisations Internationales
Droit Des Relations Entre Organisations Internationales
ENTRE
LES ORGANISATIONS
INTERNATIONALES
PAR
R. J. DUPUY
Professeur à la Faculté de Droit et des Sciences économiques de l'Université
d'A ix-Marseille
NOTICE BIOGRAPHIQUE
René-Jean DUPUY, né le 7 Février 1918 à Tunis. Études de droit et
d'histoire à l'Université d'Alger. Mobilisé de 1939 à fin 1945. Bronz
Star Medal (U.S. Army). Docteur en Droit à la Faculté de Droit de
Paris en 1948. Agrégé des Facultés de Droit, Section de Droit public en
1950.
Professe à la Faculté de Droit d'Alger de 1951 à 1956. Depuis 1957,
Professeur à la Faculté de Droit et des Sciences économiques de l'Univer-
sité d'Aix-Marseille.
A enseigné à l'Institut des Hautes Études internationales de l'Univer-
sité de Paris, à l'Institut des Hautes Études françaises du Caire, à l'Institut
des Hautes Études européennes de l'Université de Strasbourg, au Centre
européen universitaire de l'Université de Nancy, aux Instituts d'Études
politiques d'Alger, d'Aix, de Grenoble et au Centre d'Études supérieures
de Sciences politiques de l'Institut d'Études juridiques de Nice.
INTRODUCTION
LES T E C H N I Q U E S R E L A T I O N N E L L E S
CHAPITRE I
LES T E C H N I Q U E S O R G A N I Q U E S
§ 1. Les Observateurs
§ 1. La jonction d'organes
Elle se réalise soit au niveau des organes délibérants soit
au niveau des organes administratifs.
A. Il arrive que l'on prévoit que les personnes composant
deux Assemblées soient les mêmes; on peut aussi décider de
sessions jointes de deux corps composés d'individus différents. La
première méthode réalise ce que nous appellerons l'union per-
sonnelle, la seconde, l'union institutionnelle. 6
1. L'unité de personnel, pour deux organes appartenant à
deux organisations, n'a de sens que pour les Assemblées parle-
mentaires internationales, comme on en trouve seulement dans
les organisations européennes. En effet, dans les organes ouverts
non à des individualités mais à des gouvernants, il appartient
aux chancelleries de composer leurs délégations comme elles
l'entendent: de toute façon ce sont les Etats qui votent, alors
qu'au contraire dans les assemblées parlementaires, ce sont des
portée d'un à deux jours. Les trois exécutifs des trois Commu-
nautés européennes y assistent, ce qui aboutit à une vaste confron-
tation entre quatre organisations. 1 Les proportions étendues
qu'offre la jonction de deux Assemblées permettent ainsi une
certaine intégration d'institutions différentes.
En revanche, les sessions jointes de deux organismes restreints,
laissent apparaître très nettement la singularité de chacun, et
réalisent plutôt une juxtaposition des deux institutions. Tel est le
cas de la réunion entre la Haute Autorité de la C.E.C.A. et le
Comité des Ministres du Conseil de l'Europe. Elle relève plutôt
d'une autre forme de jonction, couramment utilisée entre organes
exécutifs ou administratifs: l'organe mixte.
B. Sur le plan des organes administratifs, ce procédé est le
type même de la technique de dialogue entre deux organisations
qui désirent coopérer ou coordonner leurs activités. Il a atteint
un grand développement dans les rapports de l'O.N.U. et des
institutions spécialisées, (car il soulève moins de difficultés que
les précédents,) mais il s'est étendu bien au-delà de ces relations.
O n sait que la Charte des Nations Unies, dans son article 63,
alinéa 2, prévoit que le Conseil économique et social, peut coor-
donner l'activité des institutions spécialisées en se concertant
avec elles. C'est pour parvenir à ce but, que fut créé, par le
Secrétaire général, agissant sur l'invitation du Conseil économique
et social, le Comité administratif de Coordination. 9 II se compose
des Directeurs généraux de l'Organisation des Nations Unies et
des institutions spécialisées, le Secrétaire général, assurant la
Présidence. Le comité se réunit habituellement deux fois par an
pour étudier les problèmes d'intérêt commun et pour faire pério-
diquement rapport au Conseil. 10 Le procédé dans l'ordre des
Nations Unies a reçu une autre application particulièrement im-
8. Ainsi, lors de la réunion jointe des 16 et 17Janvier 1960, ¡la été procédé à un
large échange d e vues sur les problèmes de la zone de libre échange et de
l'association économique européenne.
9. Résolution 13 (III) d u 21 Sept. 1946. Le C.A.C, se réunit p o u r la première
fois à Lake Success Ie 4 fév. 1947. Cf. historique du Comité: Doc.E/1317, p . 95.
10. Le C.A.C, dispose d u concours de divers autres organes qui relèvent de
lui et lui soumettent des rapports, tel le Comité préparatoire, composé de
suppléants, et d'autres organes p e r m a n e n t s : Comité consultatif p o u r les
questions administratives, Comité consultatif pour l'information, Comité
consultatif p o u r les questions statistiques.
484 R. J. DUPUr — RELATIONS ENTRE ORGAN. INT (28)
§ 2. L'organe commun
Plusieurs organisations peuvent avoir un ou plusieurs organes
communs. Il ne s'agit plus alors d'organes composés de délégations
de chaque organisation et habilités ou non à prendre eux-mêmes
des décisions, mais d'institutions qui assurent leur fonction pour
le compte de deux ou plusieurs organisations. Elles ont le même
personnel, c'est ce qui les distingue des sessions jointes d'organes
autonomes et des organes mixtes; ce sont des points de rencontre
pour organisations non pas juxtaposées, mais intégrées au niveau
de ces organes. On voit la différence avec l'union personnelle: il
ne s'agit plus d'envoyer les mêmes personnes siéger dans plusi-
eurs organes, mais d'instituer une seule assemblée commune à
diverses organisations. La solution n'est plus d'ordre personnel
mais organique.
Cela suppose une réelle solidarité entre les institutions, la-
ll. On peut également citer, dans les rapports de la C.E.C.A. et de
l'O.E.C.E., le <i groupe des huit». Cf. Rapport général sur l'activité de la Com-
munauté, 1955/56, p. 40.
(29) LES TECHNIQUES ORGANIQUES 485
LES T E C H N I Q U E S F O R M E L L E S
Ils portent les noms les plus divers. On trouve, aussi bien dans
la Charte des Nations Unies que dans les statuts ou dans divers
textes les expressions de convention, accord, traité, protocole,
mémorandum, échange de lettres, échange de notes, arrange-
ment, modus vivendi. La confusion se trouve parfois accrue par
l'emploi de deux termes différents pour désigner le même accord
dans les versions française et britannique.Le mot anglais «agree-
ment » qui désigne un accord ne présente pas une rigueur plus
grande que son homologue français. Le pluralisme terminologi-
B. E l a b o r a t i o n p a r u n o r g a n e a d m i n i s t r a t i f i n d i v i d u e l
On sait la situation éminemment favorable des chefs admini-
stratifs des organisations et spécialement du Secrétaire général
des Nations Unies, dans les relations internationales. En liaison
constante avec les missions permanentes, tant des organisations
que des Etats, dépêchant des observateurs ou siégeant eux-mêmes
dans diverses institutions, ils puisent dans leur propre perma-
7. Cette dualité apparaît bien des fois dans des négociations entre organisa-
tions, trahissant ainsi un sens de l'organe insuffisant et une persistance ex-
cessive (encore difficilement evitable,) de considérations gouvernementales.
Lors des accords avec la SDN, des membres du comité de négociation des
Nations Unies se demandèrent s'ils agissaient au nom de l'organisation ou de
leurs Etats respectifs. Cf. Kasme, La capacité de l'Organisation des Nations
Unies de conclure des traités, Paris, 1960, p. 186, n°. 48.
498 R. J. DUPUr — RELATIONS ENTRE ORGAN. INT. (42)
Alinéa 1: A u t o r i t é c o m p é t e n t e p o u r e n g a g e r l ' o r g a n i -
sation.
A. L e s a c c o r d s à p r o c é d u r e complexe
pas être engagé par l'action d'un seul de ses membres et requiert
une approbation collective.
Si le pluralisme des organes compétents pour lier l'organi-
sation apparaît ainsi incontestable dans les Communautés euro-
péennes, lesquelles reposent sur des structures complexes, peut-on
le concevoir également dans des organisations plus simples?
2) La question peut se poser à l'égard de l'Organisation des
Nations-Unies. Celle-ci connaît en effet une certaine répartition
de compétences entre les six organes principaux prévus par la
Charte. Bien que fondée en principe sur la souveraineté des
Etats-membres, l'O.N.U. ne saurait voir sa compétence inter-
nationale concentrée dans l'Assemblée générale, comme les orga-
nisations à structure fruste. En admettant même que l'Assemblée
générale, de par la plénitude de ses compétences, soit par ex-
cellence l'organe qualifié pour engager l'organisation, on ne
devrait pas pouvoir conclure d'accords sur des matières relevant
de la compétence particulière d'autre organes sans obtenir leur
concours. O n remarque effectivement, en pratique, que lors de
la conclusion des accords avec les institutions spécialisées, le
Conseil économique et social a pris soin de convier le Conseil de
Tutelle à participer à la discussion des articles qui intéressent
celui-ci, du moins pour les accords conclus après la constitution
du Conseil de Tutelle. 23
Ces explications ne sont pas sans intérêt, mais alors que la
pluralité des organes compétents pour lier internationalement
l'organisation, est un fait d'observation pour les Communautés
européennes, elle n'est plus ici, à l'égard de l'O.N.U., qu'une
théorie, c'est-à-dire que ses conclusions prêtent davantage à
discussion.
O n peut, pour en réduire la portée, faire remarquer que le
parallélisme, à l'O.N.U., se borne à faire participer les organes
intéressés à la négociation, comme dans l'exemple du concours
demandé au Conseil de Tutelle dans la préparation des accords
avec les institutions spécialisées. Il est vrai que l'on peut rétor-
quer que de cette manière, cet organe a pu approuver ces
accords. Il n'en reste pas moins que c'est à l'Assemblée générale
22. Kasmc, op. cit.t p. 181.
510 R. J. DUPUY — RELATIONS ENTRE ORGAN. INT. (54)
qu'appartient le dernier mot; c'est son approbation qui engage
l'organisation. Elle dispose de surcroît d'un pouvoir d'évocation
qui lui permet de décider de la conclusion d'accords qui sem-
blaient rentrer dans la compétence d'autres organes. Alors que,
dans l'esprit des auteurs de la Charte, le Conseil économique et
social devait particulièrement se charger de la coordination avec
les autres organisations internationales et non seulement avec
les institutions spécialisées, expressément prévues à l'article 57,
cet organisme s'est trouvé souvent écarté par l'Assemblée générale
de certains accords comme ceux avec la S.D.N. ou avec le
Conseil de l'Europe. L'Assemblée n'éprouve aucune gêne à agir
avec cette liberté : d'une part elle peut toujours, en présence d'une
nouvelle organisation avec laquelle elle entend conclure une
convention, sans passer par l'intermédiare du Conseil économi-
que et social, lui reconnaître, par rapport aux Nations Unies,
une autre qualité que celle d'institution spécialisée; il lui suffit
précisément de suivre une autre procédure que celle de l'article
63. C'est ce qu'elle a fait à l'égard de l'Agence internationale de
l'Energie atomique. D'autre part, le Chapitre I X de la Charte
se termine par l'article 60 qui confère très explicitement « la
coopération économique et sociale internationale » au premier
chef à l'Assemblée générale en spécifiant que le Conseil écono-
mique et social exerce ses pouvoirs « sous son autorité ». Et c'est
ce que l'on peut dire finalement de tous les autres organes:
l'article 15, alinéa 2 dispose que l'Assemblée « reçoit et étudie»
leurs rapports. Elle est donc bien l'organe fondamental et l'on
peut dire aussi que si la Charte attribue certaines matières plus
spécialement à certains organes, cette répartition est faite sous la
dépendance diffuse de l'Assemblée générale. On ne saurait, pour
réduire son rôle, arguer du fait qu'elle ne dispose pas du pouvoir
de décision et soutenir qu'il est étrange dès lors de reconnaître le
droit d'engager l'organisation à un organe auquel la Charte
n'accorde que le pouvoir de faire des recommandations. D'une
part, la Charte prévoit dans plusieurs hypothèses, on le sait,
l'approbation de l'Assemblée générale. D'autre part, si cet organe
ne peut, en principe, adresser que des recommandations aux
Etats-membres, cette règle ne concerne que le comportement
(55) LES TECHNIQUES FORMELLES 511
que l'Assemblée peut attendre d'eux; elle n'a pas la possibilité
de les obliger à en adopter un, elle doit se contenter de leur en
suggérer. La conclusion d'un accord par l'O.N.U. participe d'un
problème différent, il s'agit moins de lier les Etats que l'organi-
sation elle-même. De même que l'Assemblée exerce un pouvoir
de décision pour prendre des mesures d'ordre intérieur qui
concernent au premier chef l'organe, elle doit avoir la faculté de
prendre, sur le plan extérieur, les mesures que postule l'intérêt
de l'organisation. Cette dernière argumentation tendrait ainsi à
développer au-delà des cas prévus par les textes, la compétence
de l'Assemblée à engager l'organisation.
Or, quelles que soient la réalité et l'importance de cette compé-
tence, elle souffre en fait deux sortes de limites: tout d'abord,
s'agissant d'un organe collégial très nombreux, partant très lourd,
il ne peut être très apte à conclure lui-même les accords; que
ceux-ci aient été élaborés par un autre organe constitutionnel ou
par une délégation ad hoc, l'Assemblée voit son rôle se borner
à l'approbation même si, dans le deuxième cas, elle est juridique-
ment censée être l'agent de l'engagement de l'organisation. Par
ailleurs, l'examen de la pratique des accords conclus par l'O.N.U.
comme par d'autres institutions, révèlent que de plus en plus
apparaissent des accords qui entrent en vigueur sans être formel-
lement approuvés par l'organe plénier.
B) Les a c c o r d s en p r o c é d u r e s o m m a i r e
pouvoir réel d'après les Statuts; dès lors aucun accord ne prévoit
de ratification car, encore qu'ils soient négociés par le Secrétaire
général, ils sont l'œuvre du Comité et c'est pourquoi le négocia-
teur ne les a pas signés, laissant aux ministres la décision de lier
le Conseil.
II est en revanche d'autres accords qui ont été entièrement
conclus par le Secrétaire général sans que le Comité se soit jamais
manifesté. O n peut dire de ceux-ci qu'ils sont des accords en
procédure sommaire. 23
Le développement du rôle des Secrétaires ou Directeurs géné-
raux, dans la conduite des relations extérieures des organisations
que l'on a souligné à propos de l'élaboration des accords, ne
s'est pas borné à cette phase préliminaire et ils ont bel et bien
conclu seuls des conventions.
Le phénomène est particulièrement net aux Nations Unies en
raison de la multiplicité des tâches adminstratives confiées au
Secrétaire général, mais on peut l'observer à des degrés divers
dans d'autres organisations. Il est naturel qu'il ait pris de grandes
proportions dans l'organisation la plus vaste tant par ses domai-
nes d'activité que par le nombre de ses membres, et dans laquelle
la dilution du pouvoir entre plus de 80 Etats et plusieurs organes,
aux ordres du jour surchargés, laisse à l'agent exécutif une assez
large marge de liberté. Il est également aisément compréhensible
que le pouvoir du Secrétaire ou Directeur général soit plus sûre-
ment contenu dans des organisations moins nombreuses ou qui,
bien qu'universelles, poursuivent des buts limités comme les In-
stitutions spécialisées. Aussi peut-on dégager une progression
dans la faculté reconnue aux « executive officers » d'engager leur
organisation.
I) Une simplification de la procédure peut être obtenue en
décidant qu'un accord entrera en vigueur à titre provisoire dès
sa conclusion par l'agent exécutif, avant même qu'intervienne
son approbation par l'organe compétent. 21 Ce procédé accélère
l'applicabilité de la convention en reconnaissant une autorité
23. Encore que souvent ils revêtent la forme traditionnelle, avec préambule,
désignation des parties, exposé des motifs.
24. Lequel peut être un organe restreint: Conseil d'administration de
l'O.I.T., Conseil exécutif de ¡'UNESCO, par exemple.
(57) LES TECHNIQUES FORMELLES 513
A. Les r é s o l u t i o n s p a r a l l è l e s
les institutions spécialisées; ce sont ces accords qui ont créé les
obligations qui s'imposent à ces dernières et non un organe mixte
de coordination institué pour rendre plus complète et plus
efficace l'application des accords. Les résolutions parallèles, dans
ce cas, ne sont ni l'exécution des décisions d'un organe, ni celles
d'un accord conclu dans son sein; elles constituent la fixation
par chaque organisation des modalités d'application de ces
accords principaux, compte tenu des solutions pratiques adop-
tées en commun dans un organe mixte.
Si la valeur obligatoire des résolutions parallèles adoptées sur
le fondement d'un accord formel préalable n'est pas douteuse,
celle de la deuxième catégorie, composée des résolutions consti-
tuant des actes originaires, non précédés d'un accord formel, ne
peut résulter que du jeu du principe général de la bonne foi.
Chaque résolution apparaît, encore en définitive, comme la
confirmation d'un accord antérieur, mais d'un accord informel,
d'un accord verbal. C'est le même principe qui doit s'appliquer
aux engagements unilatéraux.
B. Les e n g a g e m e n t s unilatéraux
Il faut bien voir de quoi il s'agit. Bien des engagements sont
souscrits unilatéralement par des organisations dans des décisions
qui ont préalablement été sollicitées par d'autres. Dans cette
hypothèse on se trouve en réalité en présence d'un accord bila-
téral, mais informel et constaté, soit dans deux documents, l'un
exprimant un souhait qui constitue une offre, l'autre une réso-
lution qui y répond, soit dans un seul acte, si la proposition qui
l'a suscité avait été formulée verbalement. Peuvent se réaliser
ainsi de véritables contrats comme le prêt que l'Assemblée
générale des Nations Unies accepte de consentir à la F.A.O., en
réponse à une demande expresse de celle-ci. 49 De même, il est
possible ainsi, de convenir de la réglementation d'une procédure,
un memorandum de l'O.I.T. ayant proposé d'instituer une
commission d'investigation à laquelle l'O.N.U. devrait renvoyer
les plaintes en matière de libertés syndicales émanant de membres
communs aux deux organisations, le Conseil économique et
49. Cf. Kasmc, op. cit., p. 159.
526 R. J. DUPUY — RELATIONS ENTRE ORGAN. INT. (70)
LES N O R M E S R E L A T I O N N E L L E S
CHAPITRE 1
LA R E P R É S E N T A T I V I T É DES O R G A N I S A T I O N S
15. Selon une doctrine, (Van der Goes van Naters, La révision des traités
supranationaux, in Nederlands Tijdschrift voor internationaal recht, 1959, p . 120)
les Etats membres auraient perdu leur droit de reviser le traité sur la C.E.C. A.
p a r un accord u n a n i m e qui ne respecterait pas la procédure d e l'art. 96.
La révision serait un acte c o m m u n a u t a i r e et ne relèverait plus de la compé-
tence interétatique des six gouvernements. C'est affirmer avec une netteté
rigoureuse la supériorité d u traité constitutif sur les ordres juridiques natio-
naux (contra Wengler, op. cit., p . 116). Cette conception est peut-être en
fait d'une rigidité qui risque d'être excessive tant aux yeux des Etats q u ' a u
regard d u dynamisme propre de l'organisation, lequel peut entraîner une
certaine évolution grâce à l'action des organes encore que ne soient pas
remplies les conditions de l'art. 96.
542 R. J. DUPUY — RELATIONS ENTRE ORGAN. INT. (86)
17. Schneider, op. cit., p. 61. M. Kasme rapporte le fait suivant: «lors
des négociations de l'accord entre l'O.N.U. et l'I.M.CO., un article proposé
par cette dernière organisation, selon lequel l'I.M.C.O. s'engage à co-opérer
avec les membres des Nations Unies a du être modifié en vue de rendre cette
coopération possible avec l'O.N.U, elle même, considérée comme entité,
op. cit., p. 175.
544 R. J. DUPUr — RELATIONS ENTRE ORGAN. INT. (88)
que les accords conclus dans les conditions fixées par l'alinéa 1
« lient les institutions de la Communauté et les Etats membres».
On sait que la commission ne conclut définitivement que les
accords portant sur une matière qui rentre dans sa seule compé-
tence, ce qui ne peut être qu'extrêmement rare. La très grande
majorité des accords est négociée par elle sur instruction du
Conseil, celui-ci se réservant la conclusion dans le cas où la
matière rentre dans sa compétence, ce qui est le plus fréquent.
De même .pour les accords d'association conclus avec un Etat
tiers, une union d'Etats ou une organisation internationale, ils
sont entièrement élaborés et conclus par le Conseil à l'unanimité. 22
La décision est bien celle de l'organe et non des Etats, mais étant
unanime, elle se situe, pour ainsi dire, au cas limite de l'înstitu-
tionaîisme: celui où la volonté de l'organe repose sur la volonté
de tous. Toutes ces dispositions doivent être mises en liaison
avec celles prévoyant éventuellement, pour la conclusion des
accords, une modification préalable de la Charte constitutive.
Cet ensemble est assez cohérent.
Le traité de la C.E.C.A. pose des problèmes plus difficiles à
raison de la répartition de matières,plus ferme que dans laC.E.E.,
et du rôle considérable confié à la Haute Autorité dans le domaine
des relations extérieures. En principe, la C.E.C.A. a une com-
pétence internationale parallèle à ses compétences communau-
taires, mais affirmer cette norme ne suffit pas à résoudre un
problème aussi complexe. Il faut noter l'article 71 qui prévoit
que la compétence commerciale des Etats n'est pas affectée par
l'application du Traité, sauf dispositions contraires de celui-ci.
Or, comme, dit Paul Reuter: «les matières ne se laissent pas
découper au couteau »23 si bien que l'on ne peut faire un partage
très net entre les compétences transférées et celles conservées par
les Etats. Ainsi apparaît un système de compétences concurrentes :
des compétences sont exercées par la Communauté, mais dans
de nombreux cas, les Etats conservent leurs compétences, pour
les mêmes matières. Si bien que fréquemment, la conclusion d'un
accord international concernera à la fois des matières de la
aussi irritantes que celles posées par l'accord qui devait établir
l'association avec la Grande Bretagne. Il n'entre pas dans notre
sujet de l'examiner de près. Signalons cependant qu'il met au
premier plan les problèmes de partage de compétence que nous
avons évoqués. Lorsque M. Monnet, en 1954, a négocié au nom
de la Haute Autorité le traité d'association, les gouvernements
membres lui ont fait barrage en arguant que, d'après le traité
de base, les relations avec les tiers sont du ressort des Etats et
non de la Communauté, si bien que l'accord fût conclu d'un
côté par le Royaume Uni, de l'autre par les six Etats membres
et par la Haute Autorité. Deux observations doivent être faites
à ce sujet: d'une part les Etats sont parvenus à faire de la Haute
Autorité, dans un accord impliquant de graves conséquences,
un simple négociateur commun soumis à leurs instructions et
qui a pu sembler dans ce cas là ne pas agir comme institution de
la Communauté. 2 6 Cette dernière appréciation est peut-être ex-
cessive mais elle n'aurait pas été possible sans cette désagrégation
d'un système qui perd ainsi inévitablement de sa teneur fédérale.
D'autre part, l'accord d'association présente cette singularité
d'être entré en vigueur à l'égard de la Grande Bretagne et des
Etats membres après leur ratification et pour la Haute Autorité
dès sa signature. 27
Il ne faudrait pas croire que des difficultés de cette sorte ne
soient concevables qu'à propos d'accords avec des Etats tiers et
ne puissent être éprouvées au même degré pour des accords avec
d'autres organisations. Si ces derniers ne se bornent pas à prévoir
de simples contacts de coopération, mais tendent à fixer la
situation des six au sein d'un organisme plus vaste ayant lui-
même des compétences qui entament profondément le réel, les
considérations politiques reprendront inévitablement le dessus
et viendront en compliquer la conclusion. C'est ce qui ne man-
quera pas de se produire avec la réforme de l'O.E.C.E,, comme
26. Wengler, op. dt., p. 94.
27. Art. 102 du Traité sur l'Euratom: «les accords ou conventions avec
un Etat tiers, une organisation internationale . . ., auxquels sont parties
outre la Communauté, un ou plusieurs Etats-membres, ne peuvent entrer en
vigueur qu'après notification à la Commission par tous les Etats-membres
intéressés que ces accords ou conventions sont devenus applicables conformé-
ment aux dispositions de leurs droits internes respectifs. »
554 R. J. DUPUr — RELATIONS ENTRE ORGAN. INT. (98)
cela est également apparu lors des discussions sur la zone de libre
échange. 28 Parmi toutes les questions qui compliquaient cette
affaire, celles tenant aux institutions sont apparues des plus
difficiles. Les six demeuraient organisés et conservaient leurs
institutions tandis que la zone devait avoir les siennes propres.
Dès lors, se posait le problème de savoir comment les six seraient
représentés au sein des dix-sept? Il a été dit à l'Assemblée parle-
mentaire européenne, comme à la sixième réunion jointe de cet
organisme avec l'Assemblée consultative du Conseil de l'Europe, 2 9
qu'il fallait partir du principe de la permanence, de l'intangibi-
lité des Communautés et que la meilleure formule était de traiter
la Communauté des six comme une personnalité autonome.
L'Assemblée parlementaire, dans une résolution adoptée à l'una-
nimité le 27 juin 1958, a posé la règle que la solution devait
revêtir la forme d'un accord conclu avec les autres pays de
l'O.E.C.E. par la Communauté économique intervenant comme
telle, c'est-à-dire, comme une entité. Les conversations sur la
zone de libre échange furent rompues fin 1958. Il ne nous
appartient pas d'en examiner ici les raisons. Qu'il nous suffise
de noter, à la lumière des cas examinés, que la Communauté
laisse tranparaître nettement les Etats membres. Dans la mesure
où une organisation tend à intégrer des matières du domaine
domestique, l'Etat réapparaît ou plutôt refuse de s'effacer. Il
en résulte que la personnalité internationale d'une telle organi-
sation tire sa valeur non seulement du Traité de base, mais
encore du soutien que doit lui apporter l'adhésion permanente
de ses membres. Elle vit certes sa propre vie, mais grâce à un
courant qui lui vient des Etats membres, c'est-à-dire de l'exté-
rieur, ceux-ci n'étant que très faiblement intégrés. Dans ces
conditions il est normal, que les Etats tiers, également, lorsqu'ils
envisagent une organisation, attachent une grande importance
à l'opacité ou à la transparence de celle-ci, à l'autonomie plus
ou moins grande de ses organes, spécialement s'ils font eux-
mêmes partie d'une autre organisation, appelée à nouer des
relations avec elle.
28. Cf. Europeus, La crise de la zone de libre échange, Paris, Pion, 1959.
29. 6 ô m e réunion jointe, cf. rapport Furier, p. 34.
(99) LA REPRÉSENTATIVITÉ 555
les tiers: non seulement dans son préambule, mais dans plusieurs
de ses articles et particulièrement dans la déclaration signée le
25 mars 1957 et annexée à l'acte final, les six avaient affirmé
leur volonté de faire une politique libérale de coopération avec
les Etats tiers et notamment avec les Etats européens réunis dans
les organisations, antérieurement édifiées. Les choses ne se sont
pas pour autant réglées, et à l'heure actuelle, on s'efforce d'éviter
que ne s'accuse entre les six et les autres Etats membres de
r O . E . G . E . et du G.A.T.T. une 'antinomie pouvant entraîner
une véritable guerre douanière et la fin de l'Accord général. 31
Il est remarquable de noter que des difficultés aussi sérieuses
opposent des organisations ou des Etats qui présentent pourtant,
sur le plan politique, certaines affinités. O n conçoit que, sans
mordre aussi profondément sur le réel, des organisations puissent
cependant refuser de se reconnaître à raison d'idéologies dont se
réclament les Etats membres de l'une et de l'autre.
3) L'ignorance réciproque entre organisations peut être totale.
Il existe entre les pays de l'Est, depuis 1959, un organisme, le
Conseil d'Assistance économique mutuelle appelé aussi dans la
terminologie anglo-saxonne C.O.M.E.C.O.N., lequel évoque à
certains égards l'O.E.C.E. Mais il n'a pas davantage de liaisons
avec cette dernière que PO.T.A.N. n'en a avec l'organisation
du Pacte de Varsovie.
Le problème des rapports entre organisations à couleurs poli-
tiques différentes, sinon opposées, se pose en revanche lorsqu'il
apparaît à l'intérieur d'une organisation universelle. Ainsi a-t-il
été posé à la Commission économique pour l'Europe par la
C E . G . A . L'article 93 du Traité de Paris faisant à la Haute
Autorité l'obligation d'assurer « toutes liaisons » avec les Nations
Unies, il pouvait sembler que ces contacts devaient le plus
opportunément s'instituer au niveau de la Commission économi-
que pour l'Europe. Mais celle-ci, organe du Conseil économique
et social comprend des Etats de l'Est qui ne reconnaissent pas
la G.E.C.A. Dans ces conditions, il a été impossible à la Com-
N O R M E S DE C O O R D I N A T I O N DES O R G A N I S A T I O N S
INTERNATIONALES
§ 1 ) Activités subordonnées
§ 2) Activités contrôlées
C. A c t i v i t é s c o n c e r t é e s
17. E/1317, p. 78. Sur l'accord avec l'A.I.E.A., cf. article de G. Fischer,
in Ann.fr. de Dr. int., 1957, pp. 375-382.
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(131) BIBLIOGRAPHIE 587
Documents: (nous ne pouvons citer ici que les principaux documents consultés).
a) PourPONU:
— Cons. Ec. et S o c , R a p p o r t d u Secrétaire général sur les mesures prises
d a n s le cadre des accords conclus avec les institutions spécialisées. E/l 317.
— Publication 1951.X.1.
— Répertoire d e la pratique suivie p a r les organes des Nations Unies,
5 vol. et index, 1955. V.2.
Supp. en 2 vol. 1957. V.4.
— Rules a n d practices concerning the conclusion of treaties. 1952.V.4.
— Commission d u droit international: rapports de Brierly sur le droit
des traités: A/CN. 4/23 et A C / C N . 4 / 4 3 ; d e L a u t e r p a c h t : A / C N . 4/63
et A/CN. 4/87; de Fitzmaurice: A/CN. 4/101, A / C N . 4/107, A / C N .
4/115, A/CN. 4/120.
b) Pour les institutions spécialisées, cf. les documents officiels publiés p a r elles.
c) Pour le Conseil de l'Europe:
— Procédure d u Conseil d e l'Europe, Strasbourg, 1956.
— Sessions jointes de l'Assemblée consultative et d e l'Assemblée parle-
mentaire européenne; compte-rendus des débats.
— Recueil des textes fondamentaux.
—• Cf. tous les textes reproduits en annexe d a n s l'ouvrage d e P. Duelos
précité.
d) Pour les Communautés européennes:
— C.E.G.A. : Bulletin mensuel d'information.
R a p p o r t général sur l'activité de la C o m m u n a u t é , publié
depuis 1953.
— C.E.E. : R a p p o r t sur l'activité de la C o m m u n a u t é .
— Assemblée parlementaire européenne:
Débats, compte-rendu in extenso.
Documents de séance.
— J o u r n a l Officiel des Communautés européennes.
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION 461-466
PREMIÈRE PARTIE:
Les techniques relationnelles
CHAPITRE I; L e s t e c h n i q u e s o r g a n i q u e s 467-488
Section I : Les agenta de liaison.
§ I : Les observateurs.
§ 2 : Les missions d e liaison.
Section I I : Les rapports structurels.
§ 1 : La jonction d'organes.
§ 2 : L'organe c o m m u n .
CHAPITRE IL — L e s t e c h n i q u e s f o r m e l l e s 489-527
Section I : Les accords formels.
§ 1 : L'élaboration des accords.
§ 2 : L'entrée en vigueur des accords.
Section I I : Les accords informels.
DEUXIÈME PARTIE
Les normes relationnelles
CHAPITRE I. — La r e p r é s e n t a t i v i t é d e s o r g a n i s a t i o n s 528-561
Section I : Personnalité à contenu variable.
Section I I : L'autonomie à l'égard des Etats.
§ 1 : Le transfert des compétences internationales à l'organi-
sation.
§ 2 : L a reconnaissance entre organisations.