Intermédialité
Intermédialité
Intermédialité
2020 06:37
Cinémas
Revue d'études cinématographiques
Éditeur(s)
Cinémas
ISSN
1181-6945 (imprimé)
1705-6500 (numérique)
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Jùrgen E. Miiller
RÉSUMÉ
Cet article interroge la notion d'intermédialité et pré-
sente une introduction à cette nouvelle approche. Il dé-
veloppe, au départ, une évaluation critique de l'histoire
de ce concept qui sert ensuite de fond à une brève dis-
cussion de cinq axes de recherche. L'axe de pertinence
historique mène enfin à des perspectives paradigmati-
ques en ce qui concerne l'analyse intermédiatique de la
pré-histoire de la télévision.
ABSTRACT
This article questions the notion of intermediality and
gives a critical introduction to this new approach. First,
we will undertake a short historical study of the deve-
lopment of this concept, which will then be used as a
background for five research-perspectives. One of these
perspectives will lead us to a paradigmatic study of the
intermedial aspects of the (pre-)history and of the first
phase of television.
Le concept d'intermédialité
— UN M O T SUR L'ÉTAT DE CHOSES
Le fait que les médias ne peuvent plus être conçus comme des
monades isolées est aujourd'hui admis. À preuve, la fondation
du CRI l et du groupe de recherche Intermedialitat a l'Université
de Siegen2, le nombre croissant de publications et ce numéro de
la revue Cinémas, L'intérêt pour les questions relatives à l'inter-
médialité doit être vu sur fond des spécialisations des sciences en
lettres modernes qui ont commencé vers la fin du XIXe siècle. Il
est évident que les spécialisations et, par voie de conséquence,
les restrictions d'une grande partie des théories sur les médias
exigent actuellement une « révision intermédiatique ».
Néanmoins, la nouvelle approche n'implique pas un pro-
gramme de recherche clos et exhaustivement défini ; pluridisci-
plinaire, dynamique, toujours en développement, elle offre plu-
sieurs avenues à la recherche. « Le croisement des médias dans la
production culturelle contemporaine 3 » va de pair avec un éven-
tail d'avancées théoriques et méthodologiques. Plutôt que don-
ner lieu à la construction d'un système fermé, « système de systè-
mes » où toutes les relations et processus possibles entre les
médias seraient à décrire et à définir, l'approc ie intermédiatique
constitue pour moi un axe de pertinence 4 .
Dans La Révolution du langage poétique, Kristeva conçoit l'in-
tertextualité comme « le passage d'un système de signes à un au-
tre» (p. 59). La définition reste convaincante; alors, quel besoin
de cette autre notion qu'est l'intermédialité ? Évidemment, il y a
beaucoup de rapports entre les notions d'intertextualité et d'in-
termédialité, mais la première servit presque exclusivement à dé-
crire des textes écrits. Le concept d'intermédialité est donc né-
cessaire et complémentaire dans la mesure où il prend en charge
les processus de production du sens liés à des interactions mé-
diatiques.
Au cours des dernières années, la communauté des chercheurs
a reconnu l'importance de l'axe de pertinence de l'intermédia-
lité. En Allemagne, ce sont surtout les travaux de Franz-Josef Al-
bersmeier, Volker Roloff, Joachim Paech, Yvonne Spielmann —
et aussi les miens 5 — qui, s'inspirant des propos de Higgins,
Aumont (1989), Bellour, Jost, etc., ont mis en place des cadres
théoriques pour des recherches intermédiatiques. Malgré que ces
approches fassent entendre différents accents théoriques — le
rôle explicite de la différence entre média et forme (Paech), la
fonction de l'hétérotopie selon Foucault reprise par Barthes et
— C O G N I T I O N ET INTERMÉDIALITÉ
Très souvent, les recherches basées sur la psychologie cogni-
tive ne portent que sur des dimensions ou des éléments médiati-
ques bien isolés (par exemple, les aspects narratologiques par
rapport à l'image.) Cela s'explique par l'histoire des poétiques
traditionnelles et des théories des médias. Mais dans une pers-
pective intermédiatique, les processus cognitifs d'information,
de perception et de conscience doivent être considérés dans une
perspective plus large, allant jusqu'à comprendre les processus
synthétisants de la perception qui sont à l'œuvre à différents ni-
veaux de la conscience.
Avec son modèle tridimensionnel, Jackendorff a présenté des
réflexions sur l'intermédialité. À première vue, il semble très
pertinent de baser ce modèle non seulement sur les bottom-up
processors et les top-down processors bien connus de la psychologie
cognitive, mais aussi sur des integrative processors, ces derniers se
rapportant aux relations dynamiques entre différents niveaux
— SÉMIOTIQUE ET I N T E R M É D I A I R E
La communication moderne et postmoderne se caractérise
par des media-networks, par des fusions et des transformations
intermédiatiques. Si nous concevons les produits et les textes
médiatiques comme des systèmes de signes, organisés par des
codes spécifiques, la reconstruction des systèmes de règles qui
met en relation les différentes sortes de signes devient une ques-
tion centrale de la recherche sémiotique. Une telle reconstruc-
tion des systèmes de règles et de codes ne doit pas porter sur les
seules règles de rattachement, mais aussi sur les processus sub-
jectifs de la sélection des attributs par le producteur et le récep-
teur des textes,. La signification de ces textes et de leurs éléments
est contaminée par leur contexte intermédiatique.
Par rapport aux questions du text-transfer (Hess-Liittich,
1987) et du changement de codes (Hess-Liittich et Roland Pos-
ner), des aspects intermédiatiques du théâtre (Pavis), des interac-
tions entre littérature et film (Jost), la sémiotique a présenté des
résultats remarquables, particulièrement en ce qui concerne
l'analyse de la fluctuation de différents signes et de différents co-
des entre les médias. Un axe de pertinence intermédiatique de-
vra prolonger ces voies déjà tracées.
— ESTHÉTIQUE ET INTERMÉDIALITÉ
Comme nous l'avons suggéré dans notre «définition» de la
notion d'intermédialité, les œuvres d'art audiovisuelles intègrent
dans leur contexte des questions, des concepts, des principes et
des structures d'autres médias. Ces constellations intermédiati-
ques, avec leurs ruptures et stratifications esthétiques, fournis-
sent de nouvelles dimensions à l'expérience du spectateur. L'es-
thétique des médias doit donc tenir compte des différentes
sortes de jeux intermédiatiques entre plusieurs œuvres et genres.
lllustration 2
Robida : les bureaux de L'Époque, p. 2 0 3
(Il y a de la réclame à gauche, et à droite,
des actualités sur la « plaque de cristal ».)
— UN M O T SUR L'INTERMÉDIALITÉ DE LA
TÉLÉVISION DES PREMIERS TEMPS
Notre histoire intermédiatique de la télévision peut encore
s'enrichir d'un autre aspect, que mettent en lumière les années
vingt et trente du XXe siècle. Le média est alors dans sa première
phase, caractérisée par l'instabilité20. Son caractère hybride se
manifeste alors de manière évidente : le foisonnement des dési-
gnations témoignent de la difficulté de le nommer.
Dans le contexte linguistique allemand, on parle à cette
époque-là de (drahtloses) Heimkino [un cinéma chez soi, sans câ-
ble], de (drahtloses) Fernkino [un cinéma à distance, sans câble], de
Fernseh-Rundfunk [une télévision-radio], de Ton-Bild-Empfdnger
[un récepteur de sons et d'images], de Fern-Seh-Sprecher [un haut-
parleur télé-vision], de Fernseh-Wochenschau [des actualités télé-
visuelles], de Fernsehfilm-Theater [un théâtre télé-fîlmique]
(Eisner et al., p. 28). En anglais, il y a les termes bairdvision
(d'après Baird, un des inventeurs de l'image mécanique de la té-
En guise de conclusion
L'axe de pertinence de l'intermédialité exige une réorientation
des recherches dans les médias. Notre petit parcours du concept
Université d'Amsterdam
NOTES
1 Le Centre de recherche sur l'intermédialité de l'Université de Montréal.
OUVRAGES CITÉS
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1989.
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