Dibwe Chef Kamanda
Dibwe Chef Kamanda
Dibwe Chef Kamanda
LE CHEF SONGYE
KAMANDA
YA KAUMBU
AU RENDEZ-VOUS DE L’HISTOIRE
ET DE LA MÉMOIRE CONGOLAISE
COLLECTION DIGITALE 1 n
« Documents de Sciences humaines et sociales »
L’édition originale de cet ouvrage est parue en 2007 aux Presses universitaires de Lubum-
bashi (RDC). Cette réédition revue et enrichie se fait avec leur aimable autorisation.
This work is licensed under a Creative Commons Attribution 3.0 License (http://creative-
commons.org/licenses/by/3.0/).
ISBN : 978-9-4926-6997-1
Dépôt légal : D/2022/0254/09
L’auteur
Donatien Dibwe dia Mwembu est docteur en histoire (Université Laval, Québec). Il est actuelle-
ment professeur émérite de l’Université de Lubumbashi. Depuis 1990, il s’intéresse à l’histoire sociale,
particulièrement aux cultures populaires urbaines. En collaboration avec Bogumil Jewsiewicki, il
anime le projet « Mémoires de Lubumbashi » dont il est président du comité scientifique local. Il est
coordonnateur de l’Observatoire du changement urbain de l’Université de Lubumbashi.
Bibliographie sélective
Dibwe dia Mwembu, D. 2002. « Processus d’“informalisation” et trajectoires sociales. Le cas de
la ville de Lubumbashi ». In G. de Villers, B. Jewsiewicki & L. Monnier (éd.), Manières de vivre.
Économie de la « débrouille » dans les villes du Congo/Zaïre. Paris/Bruxelles : L’Harmattan/Institut
africain (coll. « Cahiers africains », n° 49-50), pp. 33-63.
Dibwe dia Mwembu, D. 2004. « Le poids des sources orales dans l’écriture et la réécriture de l’histoire
contemporaine au Katanga ». In P. Mabiala Mantuba-Ngoma (éd.), La Nouvelle Histoire du Congo.
Mélanges eurafricains offerts à Frans Bontinck, C.I.C.M. Paris/Tervuren : L’Harmattan/MRAC (coll.
« Cahiers africains », n° 65-67), pp. 35-45.
de Lame, D. & Dibwe dia Mwembu, D. 2005. Tout passe. Instantanés populaires et traces du passé à
Lubumbashi. Paris/Bruxelles : L’Harmattan/MRAC (coll. « Cahiers africains », n° 71), 336 p.
Dibwe dia Mwembu, D. & Jewsiewicki, B. 2005. « Mémoires et oublis congolais du temps colonial ».
In J.-L. Vellut (éd.), La Mémoire du Congo. Le Temps colonial. Tervuren/Gand : MRAC/Snoeck,
pp. 205-208.
Dibwe dia Mwembu, D. 2010. « Let’s laugh it off : Mufwankolo’s theatre and the quest for morality ».
In D. de Lame & C. Rassool (éd.), Popular Snapshots and Tracks to the Past. Cape Town, Nairobi,
Lubumbashi. Tervuren : MRAC (coll. « Studies in Social Sciences and Humanities », vol. 171),
pp. 141-162.
Dibwe dia Mwembu, D. 2016. « La perception du kazi (travail salarié) par les travailleurs de la
Gécamines (1910-2010) ». In P. Mabiala Mantuba-Ngoma & M. Zana Etambala (éd.), La Société
congolaise face à la modernité (1700-2010). Mélanges eurafricains offerts à Jean-Luc Vellut. Paris/
Tervuren : L’Harmattan/MRAC (coll. « Cahiers africains », n° 89), pp. 161-175.
Dibwe dia Mwembu, D. & Omasombo Tshonda, J. 2020. « “Derrière les lunettes de Lumumba”.
Usages et pillages de l’image du héros congolais depuis l’indépendance en RDC ». In M’Bokolo, E.
& Sabakinu Kivulu, J. (éd.), L’Indépendance du Congo et ses lendemains. Tervuren : MRAC
(coll. « Studies in Social Sciences and Humanities », vol. 179), pp. 293-317.
3 n
Remerciements
Cet ouvrage doit beaucoup au concours du Musée royal de l’Afrique centrale de Tervuren qui nous
a fourni le document d’archives de base. Nous pensons ici à Jean-Luc Vellut et à Sabine Cornelis pour
leur précieuse aide.
Nous remercions de tout cœur Bogumil Jewsiewicki pour ses encouragements dans cette entre-
prise sur la reconstruction de la mémoire. Nous associons à ce même sentiment de gratitude Claude
Mwilambwe Mwende, assistant à l’Institut supérieur d’Études sociales de Lubumbashi, Ambroise
Kalamba Mudila Mpiku, chef de travaux à l’Université de Lubumbashi, Astrid Munyemba Lumanu,
ma fille aînée, Roger Ndjibu Kitenge, mon cousin, ainsi que tous les étudiants de l’Université de
Lubumbashi, extension de Kabinda, actuellement Université autonome de Kabinda, pour leur fruc-
tueuse collaboration.
Le concours de Maître Dieudonné Mundala et de tous nos informateurs et informatrices a été pré-
cieux dans l’élaboration de cet ouvrage. Nous leur en sommes sincèrement reconnaissant.
Les collègues Ndua Solol Kanampumb et Ngandu Mutombo ont accepté de lire notre manuscrit.
Leurs critiques nous ont permis de corriger le texte et de lui donner sa forme actuelle. Qu’ils veuillent
bien trouver ici l’expression de notre profonde gratitude.
Enfin, nous remercions Pierre Kasongo Ngoy Pauni, docteur en langue et civilisation latines, dont
la contribution a donné forme au texte. En outre, Pierre Kasongo Ngoy Pauni a accepté de préfacer
cette étude.
n 4
Préface
J’ai lu avec un très vif intérêt Le Chef songye Kamanda ya Kaumbu au rendez-vous de l’histoire
et de la mémoire congolaise de Donatien Dibwe dia Mwembu. L’auteur me demande d’y ajouter une
brève note de présentation. Je le fais bien volontiers.
La biographie du chef songye Kamanda ya Kaumbu que Donatien Dibwe dia Mwembu a le mérite
particulier de mettre à la disposition du public est une excellente œuvre d’histoire. Dans sa forme,
d’abord, le livre répond aux normes classiques que requiert un livre du genre. C’est que, contrairement
à l’écrivain qui tente d’expliquer sa propre pensée, de faire connaître au lecteur, ou à la différence
de l’orateur qui veut persuader et essaie de pénétrer la pensée de l’auditeur, de lui répondre ou d’en
devenir l’écho, l’historien Dibwe n’a pas encombré son texte de figures de style qui chargent les mots
d’un poids additionnel. Il a su employer le mot juste et simple, répondant ainsi à la qualité première
d’un historien : dans un style clair et concis, se limiter à l’exposé de faits. Appeler « chat » un chat,
« figure » une figure comme le conseillait déjà dans l’Antiquité Lucien de Samosate.
D’autre part, le personnage dont il relate les lointaines origines tout à fait modestes, un règne
éclatant et une fin héroïque et tragique, mérite bien d’être exhumé des oubliettes de l’histoire. Le chef
Kamanda revendiquerait à juste titre sa place au panthéon de l’histoire congolaise, pour avoir été le
premier ou tout au moins l’un des premiers nationalistes de notre pays. À la différence d’autres résis-
tants, il s’est affiché comme un implacable indépendantiste. Que ne le prendrions-nous pas, à l’instar
d’autres cultures, pour un précurseur dont les Joseph Kasa-Vubu, les Patrice-Emery Lumumba, les
Moïse Kapend Tshombe ne seraient que de successifs avatars ? Je crois, avec Goethe, que « ce n’est
pas tant pour avoir laissé quelques ouvrages que pour avoir agi et vécu et porté les autres à agir et à
vivre qu’un homme reste marquant ». Les gens heureux n’ont pas d’histoire. La fin tragique du chef
songye a enrichi une légende vraie qui a résisté à l’action oblitérante du temps. D’où toute l’impor-
tance des témoignages qui émaillent le livre qui lui est consacré.
La vie de Kamanda ya Kaumbu est au carrefour de l’histoire nationale et de celle d’un peuple fon-
dateur d’empires méconnu, les Songye. Je vois en ce livre une introduction (générale) à une histoire
générale des Songye, « passée et à venir » qui serait la bienvenue, et surtout dans les meilleurs délais,
comme l’est d’ailleurs déjà cette prosopographie, pour reprendre les mots mêmes de l’auteur, à cette
« heure de la résurgence des identités collectives tribales, ethniques et provinciales ». En donnant à
ce grand homme une vie privée, un cœur, un corps aussi, Donatien Dibwe dia Mwembu, en historien
formé et pratiquant, sans passion, sans rancœur ni jugement de valeur, réhabilite par ricochet le peuple
songye dont l’histoire avait intentionnellement été occultée par le colonisateur belge et auquel les
historiens nationaux n’ont toujours réservé qu’un rôle obscur. Faudrait-il évoquer ici la fondation par
ce peuple de ce que l’histoire appelle le premier Empire luba, la « mise en valeur » du Katanga minier
par les Belges avec son concours, sa récente résistance héroïque aux troupes d’agression rwandaises
aux portes de la « ville » de Kabinda ?…
Comme le disait Hippolyte Taine, « la véritable histoire s’élève seulement quand l’histoire com-
mence à démêler à travers la distance du temps l’homme vivant, l’homme agissant, doué de passions,
muni d’habitudes avec sa voix et sa physionomie, avec ses gestes et ses habits, distinct et complet
comme celui que tout à l’heure nous avons quitté dans la rue ». Comment aborder l’histoire d’un
peuple non encore éteint sans prendre en compte la charge d’émotions vécues par ses contemporains ?
L’histoire c’est aussi la mémoire de l’émotion. Et cela, Donatien Dibwe dia Mwembu le sait.
5 n
Donatien Dibwe dia Mwembu
Sur tous ces sujets, et sur bien d’autres, le lecteur trouvera en ce livre les analyses, justes et utiles,
d’un homme qui a su prouver que le silence de l’histoire n’est jamais une fatalité et que, par ailleurs,
l’ignorance de son histoire compromet chez un peuple toute action présente ou future.
Voici un livre qui se lit comme une archive de secret d’État. Le bonheur de lecture qu’on y prend,
tant il est fort, paraît un peu illégal. C’est ce qui fait son originalité, son charme ; il a de l’avenir ; ses
lecteurs ne seront pas déçus.
n 6
Prologue
1. Article paru dans le journal La Meuse, sous la plume de Cid Frenay, le 25 novembre 1935.
7 n
Donatien Dibwe dia Mwembu
Il se fit construire une maison européenne à étages. Ses revenus, qui dépassaient souvent cent
mille francs, lui permirent de se payer autos, chauffeurs et garde-robe à la dernière mode. Des mœurs
de son père, il n’avait conservé que l’habitude d’entretenir un important harem qui comptait quelques
centaines de femmes.
Il parcourait ses États, en voiture, comme un grand seigneur, accompagné d’une mulâtresse qui
était sa favorite. Dans un camion, sa Cour le suivait. À l’image du maître, ces courtisans étaient aussi
des évolués, toujours habillés à la mode de Paris, parlant un français presque pur. Ils avaient gardé
cependant les fonctions parfois redoutables, dont la loi des ancêtres les avait investis.
L’un d’eux, bourreau attitré, était d’autre part clerc dans une firme de transports automobiles.
On le voyait toujours correctement mis, sans extravagance et portant de larges lunettes en écaille
qui lui donnaient l’air d’un intellectuel pan-nègre. Un autre, qui était chambellan, se distinguait,
par son élégance outrancière : veston de sport à boutons de cuivre, pantalon de flanelle blanche à
la ligne impeccable. Peu avant l’affaire, il était allé chez les Blancs se présenter comme secrétaire
dactylographe.
Un troisième personnage, non le moins puissant, était “sorcierˮ. Mais il avait l’air bonasse du
nègre jovial et volubile qui joue les marchands de cacahuètes sur la Batte.
On s’aperçut bien que, pour administrer et rendre la justice, Yakayumbo avait l’art de faire des lois
du Blanc et de celles de la “coutumeˮ un mélange subtil dans lequel son intérêt personnel trouvait
toujours ses avantages. Mais on mit cela sur le compte de sa jeunesse, de sa trop récente initiation
aux méthodes métropolitaines. Et, comme dans l’ensemble, les choses visibles ne marchaient pas trop
mal, on se félicitait de cette “européanisationˮ si réussie.
Ce n’était qu’une apparence ! Un crime récent vient de montrer Yakayumbo tel qu’il est en réalité,
tel qu’il est resté avec son âme primitive, ses croyances ancestrales, aussi “nègreˮ que ceux de son
clan et poussé au meurtre par ces mêmes lois coutumières dont on l’avait cru libéré. »
n 8
Introduction
En plaçant en prologue l’article publié dans le journal métropolitain La Meuse en son édition
du 25 novembre 1935, nous avons voulu montrer que Kamanda avait laissé derrière lui une fabu-
leuse histoire. Cette dernière a été racontée à toutes les extrémités de la planète par des gens, blancs
et noirs, qui avaient séjourné à Kabinda pendant tout l’exercice de leurs services. Pour tout dire,
l’épopée trouve sa cause et son explication dans l’histoire d’une femme, Kapinga wa Tshiyamba, et
de sa fille mulâtresse. L’affaire Kamanda ya Kaumbu et Kapinga wa Tshiyamba a défrayé la chro-
nique métropolitaine et a fait couler beaucoup d’encre et de salive. Cet événement a animé toutes
les conversations et a été sujet des spéculations parmi la population rurale et urbaine, coloniale et
métropolitaine. Le grand chef songye Kamanda ya Kaumbu fut condamné à mort par l’administration
coloniale pour avoir assassiné et mangé une femme du nom de Kapinga et tué sa fille, une mulâtresse
âgée de deux à trois ans.
Kamanda ya Kaumbu est un personnage dont l’histoire est jusqu’aujourd’hui fort controversée. Il
serait passé inaperçu dans l’histoire générale du Congo et surtout dans la mémoire congolaise s’il n’y
avait pas eu dans sa vie cette femme appelée Kapinga wa Tshiyamba.
L’affaire Kapinga wa Tshiyamba, comme le souligne le journal La Meuse, constituait un grand
point d’interrogation pour les colonisateurs sur ce qu’ils croyaient comme atteint à savoir la « libé-
ration » du Congolais de ses croyances ancestrales et son insertion ou, mieux, son emprisonnement,
dans la culture européenne. En d’autres termes, le colonisateur voulait dépouiller complètement le
Congolais de ses coutumes « sauvages », c’est-à-dire de son identité culturelle par l’action de l’en-
seignement et de l’évangélisation. Le comportement du grand chef Kamanda a remis en question
cette croyance et fait voir que le Congolais avait un choix à faire entre l’apport des colonisateurs
et ses croyances ancestrales, qu’il n’avait pas jeté toute son identité première au profit de l’identité
coloniale, mais qu’il a opéré pour une identité hybride, une sorte de consensus culturel entre l’école
traditionnelle et l’école moderne.
Selon une chanson populaire songye intitulée Panadi mukinga kwetu kwa yaya (« Quand j’étais
enfant chez mon père »), les deux écoles se complètent. Si l’école moderne apprend à l’enfant songye
Panadi mukinga kwetu kwa yaya, Quand j’étais enfant chez mon père,
Yaya bandunguile : mon père me disait :
9 n
Donatien Dibwe dia Mwembu
le savoir-faire, par contre l’école traditionnelle songye l’éduque, lui apprend le savoir-vivre et le
savoir-être. C’est ce dernier qui fait du Songye un homme.
Le chef Kamanda constituait un obstacle commun aux objectifs de trois forces dont les intérêts
étaient divergents. Les Luba du Kasaï voulaient se débarrasser, à travers le grand chef Kamanda, de
l’hégémonie songye, c’est-à-dire, avec l’aide des colonisateurs, les égaler ou alors les dominer à leur
tour. Les Ben’Eki et les Belande, propriétaires fonciers du territoire de Kabinda, voulaient se défaire
de Kamanda et, à travers lui, de la domination des étrangers bekalebwe en vue de recouvrer leur
autonomie, mettre un terme à cette société pyramidale et revenir ainsi à la société songye acéphale
d’avant l’avènement de Lumpungu. Les colonisateurs belges voulaient écarter du pouvoir Kamanda
dont les idées contagieuses et dangereuses d’indépendance risquaient de perturber l’ordre public et de
compromettre l’avenir de la colonie. L’élimination physique de cet individu aurait été profitable aux
uns et aux autres. Pour les colonisateurs, elle servirait de leçon à quiconque oserait se dresser contre
l’autorité coloniale.
L’esprit d’indépendance avait déjà été exprimé implicitement, bien avant Kamanda, par d’autres
chefs africains. En 1891, Msiri, le roi de Garenganze, soucieux de conserver son indépendance, a été
assassiné par un officier belge. En 1920, le roi kuba, Mabunc, s’adressant à Louis Franck, ministre
des Colonies, dit : « Rends-moi les droits de mes ancêtres ou qu’il y ait seulement deux autorités, la
tienne et la mienne, mais actuellement, tout Blanc délivre des “mukandaˮ et chacun se croit juge2. »
L’affaire Kapinga wa Tshiyamba s’est en fait avérée l’occasion tant attendue par les uns et les
autres pour déclencher le processus d’élimination politique et physique du grand chef songye.
Qui est la femme Kapinga wa Tshiyamba ? Était-elle un être réellement vivant ou un fétiche
fabriqué par les Luba du Kasaï, particulièrement ceux de Mutombo Katshi IV ou par les Ben’Eki et,
éventuellement, les Belande, expressément pour piéger le chef Kamanda reconnu extrêmement faible
devant le sexe faible ? La femme Kapinga wa Tshiyamba était-elle une pure machination coloniale
avec la complicité des ennemis du chef Kamanda ? Comment se présente cette histoire complexe et
pathétique ? Et quelles sont les différentes interprétations qu’on lui accorde ?
L’histoire des Songye en général et celle du chef Kamanda en particulier est soucieuse de sortir de
son état problématique. Dans un pays en crise multidimensionnelle comme la République démocra-
tique du Congo où l’histoire officielle a du mal à se reconstituer, la mémoire se développe à sa guise.
Ce travail a été conçu essentiellement grâce aux enquêtes orales menées aussi bien à Lubumbashi
n 10
Le chef songye Kamanda ya Kaumbu
qu’à Kabinda auprès des vieux Songye et Luba du Kasaï. La mémoire, à travers les représentations,
les images, les paroles et les visions, tend à combler la coquille vide laissée par l’histoire officielle.
Actuellement, par exemple, les biographies des grands opérateurs politiques, économiques,
sociaux, culturels et religieux congolais ayant marqué l’histoire du pays de la période aussi bien
coloniale que postcoloniale, ne sont possibles que grâce à la récolte des récits de vie et des témoi-
gnages oraux auprès des populations ciblées. Ici, la mémoire contribue largement à la connaissance
de l’histoire. Son importance est cependant relative. Dans le cas qui nous concerne, nous partageons
le point de vue de Valérie-Barbara Rosoux selon lequel « la mémoire humaine ne se réfère pas au
passé de manière neutre et objective [...] qu’elle ne peut être le reflet exact et parfait du passé [...] que
les souvenirs ne sont pas littéralement conservés, mais plutôt reconstruits, remaniés en fonction des
circonstances3 ». Il résulte le jeu alternatif d’ombre et de lumière qui rend malaisée l’appréhension
du passé.
Les difficultés ne manquent donc pas dans la récolte des données orales. Cependant, l’attitude de
l’historien doit être la même face aussi bien aux sources orales qu’aux sources écrites. Le discours du
narrateur peut être vrai ou faux selon l’identité de l’enquêteur et le type de relations qui lie le narrateur
à l’enquêteur. Les informations et les interprétations que le narrateur fournit à l’enquêteur pendant la
reconstruction du passé du chef Kamanda dépendent aussi du contexte temporel et spatial dans lequel
le narrateur se trouve. Ainsi, le narrateur peut éviter de parler des problèmes intimes qu’il veut garder
secrets et ne voudrait donc pas partager avec l’enquêteur. Il parlera donc des faits connus de mon-
sieur Tout-le-Monde et pour lesquels il trouve de l’intérêt et mettra de côté ceux qu’il juge lui-même
embarrassants, comprometteurs. « Mukusumine nkunde, mukusambe munda busungu » (« Quiconque
te prive les haricots, t’évite les douleurs abdominales »), dit un adage songye. Cela veut dire que le
moment n’est pas indiqué pour fournir à l’enquêteur de l’information dont il a besoin dans la mesure
où elle peut lui causer des ennuis, des difficultés. En fait, ne dit-on pas que toute vérité n’est pas bonne
à dire. L’enquêté qui dit ce que monsieur Tout-le-Monde connaît s’évite et évite à son interlocuteur
des problèmes.
Le Songye lui-même met en garde tout enquêteur qui offre de la boisson (lutuku généralement)
et de la nourriture à son interlocuteur sous peine de récolter des médiocrités. Lisons cet extrait de la
chanson populaire Panadi mukinga kwetu kwa yaya :
Nous sommes ainsi confronté, dans le cas présent, à la divergence des versions données par
les narrateurs sur le chef Kamanda. Cette situation est tout simplement due à des raisons d’ordre
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Donatien Dibwe dia Mwembu
idéologique (pour les colonisateurs) et tribal (pour les Songye et les Luba du Kasaï). Face à de telles
situations, nous recourons généralement à l’histoire, aux renseignements écrits sur la période au cours
de laquelle l’événement a eu lieu4 ou alors nous choisissons la confrontation des narrateurs ou, en
l’absence de ces derniers, celle des témoignages en présence. Nous prenons nous-même position
après discernement et nous justifions notre choix.
Lors de la quatrième édition du projet « Mémoires de Lubumbashi », le « Nganda mémoire » orga-
nisé sur le chef Kamanda et la femme Kapinga wa Tshiyamba a été fort enrichissant dans la mesure où
il nous a permis d’assister à un échange de vues ou, mieux, une confrontation des témoins katangais
originaires des espaces songye et luba du Kasaï sur cet événement.
Comme le lecteur peut le constater, ce travail n’a pas l’ambition de faire une histoire exhaustive du
grand chef Kamanda, mais il veut montrer ce qu’est Kamanda dans la mémoire congolaise.
Nous divisons ce travail en deux parties essentielles. La première parlera de la société songye
avant l’avènement du grand chef médaillé Lumpungu Kaumbu. La seconde traitera de la période de
Kamanda et sera focalisée autour de l’affaire Kapinga wa Tshiyamba et de sa fille mulâtresse.
n 12
I. La société songye à l’avènement
du chef lumpungu a kikolo
1. L’espace songye
Les Songye se sont installés dans la région comprise entre les 5e et 6e parallèles sud ; entre le
Sankuru et le Lomami, et même au-delà.
À cause du tracé arbitraire des frontières de provinces à l’époque coloniale, les Songye se retrouvent
actuellement partagés entre les entités administratives du Kasaï-Oriental, du Maniema et du Katanga.
Le Kasaï-Occidental renferme parmi ses populations une petite fraction de Songye. Ceux-ci avaient
fui les incursions répétées de Lumpungu pour se réfugier, sous la direction de leur chef Nsapu Nsapu,
à Kananga.
La majorité des Songye occupent les territoires actuels de Kabinda et de Lubao au Kasaï-Oriental.
Les groupements les plus importants dans le territoire de Kabinda sont les Ben’Eki, les Bena
Milembwe, les Belande, les Basanga, les Bakankala, les Bena Majiba, les Bena Mpaze. Le territoire
de Lubao comprend les Bekalebwe, les Balaa, les Bena Ngungi, les Bapina, les Baembe, les Bena
Ebombo, les Basonge (Bena Sala, Bena Kafuma, Bena Kahuwa, Bena Mukungu, Bena Muumbo,
Bena Bwabe, Bena Muo, Bena Sangwe, Bena Kibumbu, Ben’Eshadika, etc.).
L’aire occupée par les groupements cités ci-dessus fut subjuguée au cours de la seconde moitié du
XIXe siècle par les bandes armées de Mpania Mutombo dans le nord, de Ngongo Letete à l’est et de
Lumpungu dans le sud.
Les Songye formaient une société acéphale, dépourvue d’une organisation à pouvoir central fort.
La société songye était donc constituée de plusieurs groupements politiquement indépendants les uns
des autres, dirigés par des chefs traditionnels dont le pouvoir était héréditaire électif. À titre d’exemple,
Mwana Kankieza dirigeait les Ben’Eki, Mwana Ngoie Kabamba gouvernait les Bena Milembwe,
Kabwende administrait les Bena Musolo, Kapepula était à la tête des Bena Kibeshi, etc. Chaque
groupement avait alors une autorité centrale propre. Celle-ci était représentée par le Ya Kitenge chez
les Bekalebwe et par le Nkole chez les Ben’Eki, les Bena Milembwe et les Belande. Alors que le
Ya Kitenge était choisi parmi les trois familles régnantes – Batoto, Baseme et Bafwankese –, le
Nkole, chez les Ben’Eki, était fourni alternativement par deux familles : les Babenga et les Babangu.
L’Ehata chez les Bekalebwe et le lac Mbebe chez les Ben’Eki constituaient les lieux d’investiture.
Celle-ci était conditionnée par une série d’interdits et d’actes : le Ya Kitenge devait commettre un acte
incestueux avec une de ses sœurs, tandis que le Nkole immolait sa fille aînée. Chaque chef de grou-
pement était entouré d’un conseil composé des anciens et des chefs de villages. Chez les Bekalebwe,
par exemple, le conseil était composé d’un Tshite, conseiller principal de Ya Kitenge, grand juge
et président de l’Ehata ; d’un Dipumba, d’un Shaja et d’un Kilala, tous conseillers du Tshite ; d’un
Lukungu, introducteur des palabres et messager de Ya Kitenge auprès de la population, etc.
La structure était quasiment la même chez les populations songye de la province du Katanga (Bena
Kalonda, Bena Kilushi, Ben’Ekumbi, Bena Kayayi… respectivement régis par un Mukanjila Ngulu,
un Ilunga Mpumpi, un Kitenge Umbo, un Kihungu) et chez celles de la province du Maniema (Bena
Malela, Bena Bushiba, etc. obéissant à Lusuna ou à Kakona). Chez ceux-ci, Dipumba se dit Lihumba,
Shaja Sasha, Kilala s’appelle Kilolo et le Lukungu se nomme Mutombukulu.
Au niveau du village, le chef du village était aussi entouré d’un conseil dont les membres étaient
pourvus de mêmes titres que ceux précédemment cités, mais à un degré inférieur. Lumpungu va
13 n
Donatien Dibwe dia Mwembu
rassembler tous ces groupements en un État aux structures centralisées. Mais, qui est Lumpungu et
de quelle famille était-il issu ?
n 14
Le chef songye Kamanda ya Kaumbu
comme tous les membres des Bampata, était électeur. Il n’était donc pas éligible à la charge cheffale.
De plus, la liste généalogique des chefs bekalebwe (les Ya Kitenge) établie par l’administrateur de ter-
ritoire R. Strythagen ne mentionne aucun Ya Kitenge portant le nom de Kaumbu ka Ngoie. En outre,
Lumpungu n’a « succédé » qu’au chef Shiso Lusuna de la famille de Bafwankese, mort vers 1900 et
qui ne fut pas légitimement remplacé7.
Selon une autre version, le surnom de Lumpungu signifierait un individu doté d’un grand charisme,
imposant et difficilement maniable. Ce surnom est postérieur à la naissance et date de la période de
prospérité de Lumpungu9.
La date de naissance de Lumpungu n’est pas connue. En 1882, H. Von Wissmann parle de lui
comme d’un jeune prince10. Tshibambe Tshikutu qui cite les sources orales note qu’à l’arrivée des
Européens, Lumpungu avait déjà mangé trente fois les fourmis ailées. Étant donné que les fourmis
ailées ne volent qu’une fois l’an, cela veut dire que Lumpungu avait trente ans en 1882. Tshibambe
Tshikutu note : « Chez les Songye, à la naissance d’un individu, ses parents apprêtaient un vase à
conserver soigneusement. On y mettait, après chaque Nouvel An, un jeton. Ainsi, à la mort de cet
individu, on savait exactement à quel âge il était mort. Il a dû en être de même pour Lumpungu ;
chaque fois qu’apparaissaient les fourmis ailées, on a pu introduire un jeton dans son vase facili-
tant plus tard d’apprécier son âge. C’est pour cela que la chronologie relative des sources orales
7. Strythagen 1921.
8. Kabundji Yando, témoignage recueilli à Kabinda en mars 2002.
9. F. Yamukoko Kalunga, interview accordée à Kabinda, 22 mars 2002.
10. Von Wissmann 1891 : 188.
15 n
Donatien Dibwe dia Mwembu
porte à retenir que Lumpungu serait né vers 185211. » La date de naissance avancée par Tshibambe
pose quelques problèmes. Si Lumpungu était né en 1852, il serait âgé de 15 ans à la mort de son
père en 1867. Cela justifierait son évincement du pouvoir au profit de sa tante paternelle qui, à son
tour, passa le pouvoir à son mari. À l’arrivée de H. Von Wissmann en 1882, Lumpungu aurait alors
30 ans. Pourquoi H. Von Wissmann l’aurait-il alors qualifié de jeune prince, tandis que 9 ans plus
tard, soit en 1891, A. Delcommune lui donnait l’âge approximatif de 25 ans12 ? Si les estimations de
H. Von Wissmann et de A. Delcommune sont exactes, Lumpungu serait né vers 1866. De toutes les
façons, le chef Lumpungu est né dans la deuxième moitié du XIXe siècle.
Quant à son portrait, en 1886, Von Wissmann qui le rencontrait pour la seconde fois fut fort
impressionné par son apparence. Elle avait fort changé. La petite vérole dont il avait été atteint l’avait
terriblement défiguré, lui causant la perte d’un œil13. A. Delcommune abonde dans le même sens
lorsqu’il note en 1891 que Lumpungu, grand et mince, borgne et grêlé par la variole, avait une figure
antipathique14. Les gens que nous avons pu interviewer prétendent que Lumpungu était un personnage
farouche. À cause de son infirmité (il était borgne), Lumpungu ne tolérait pas qu’on le dévisageât.
Aussi, à son passage, les gens devaient-ils se prosterner ou se voiler le visage pour ne point le regarder
et, partant, s’attirer la peine capitale.
La prosternation des sujets devant le chef ne signifie pas seulement que ce dernier est nécessai-
rement farouche. Ce geste est considéré partout en Afrique noire comme un signe de soumission, de
respect du peuple vis-à-vis de son chef.
Mais, comment la famille Kaumbu ka Ngoyi a-t-elle émergé ? D’après une version de la tradition
orale, tout remonterait à une guerre dénommée « Ngoshi ya Konyi ka Mukuku » (« le conflit autour
d’un coucou15 ») qui avait opposé les Bena Tshofue aux Bekalebwe.
« Un jour, lors d’une chasse organisée à l’occasion du feu de brousse, réunissant les
Bena Tshofue et les Bekalebwe, un oiseau appelé mukuku (“le coucouˮ) surgit et reçut
un projectile lancé par un chasseur de Bena Tshofue. Et comme il arrive souvent, les
chasseurs en ont bonne souvenance, l’oiseau ayant reçu un coup peut toujours se pro-
pulser. Ce que fit le coucou en question qui continua à voler. Mais pas pour longtemps,
car un Mwikalebwe (singulier de Bekalebwe) donna le coup fatal et l’oiseau mourut. Le
chasseur mwikalebwe ramassa sa proie et la mit dans sa gibecière. Le Mwina Tshofue
qui avait asséné le premier coup à l’oiseau, réclama son butin, mais en vain. Une dis-
pute s’en suivit et se transforma vite en une bataille rangée entre les Bena Tshofue
et les Bekalebwe. Un notable mwikalebwe appelé Kabengiele y trouva la mort. Les
Bekalebwe cherchèrent à se venger. Quelques jours après, Malangu, le neveu du feu
notable, et certains membres de sa famille tuèrent une femme “Ndalamumbaˮ de Bena
Tshofue et sa suite en visite dans un village des Bekalebwe. À la suite de cet assassinat,
les Bena Tshofue déclarèrent la guerre aux Bekalebwe.
Les Bena Tshofue, placés sous la protection de Mpibwe Kitengie, remportèrent la
victoire.
n 16
Le chef songye Kamanda ya Kaumbu
Les Bekalebwe subirent de lourdes pertes parmi leurs combattants. Ya Kilengiela, des-
cendant de Mudimi-a-Kapenga et témoin privilégié de la déconfiture des Bekalebwe,
fit appel à son ami Kaumbu, originaire du village de Makonde. Les deux personnes
avaient fait connaissance dans leurs activités économiques : Kaumbu échangeait le sel
de fabrication locale contre les perroquets qu’il vendait aux Arabes installés à Isangi,
là où la rivière Lomami se jette dans le fleuve Congo. C’est d’ailleurs de ce commerce
de perroquets que lui vient le surnom de Kakusu. Kaumbu Kakusu veut dire Kaumbu
vendeur de perroquets. Kaumbu s’était rendu compte de la force de frappe des Arabes
disposant des armes à feu face aux populations qui ne disposaient que des flèches. Alors
Kaumbu vint au secours de son ami et s’impliqua, avec sa suite, dans la guerre contre les
Bena Tshofue. Comme ces derniers étaient toujours très forts, Kaumbu fit intervenir les
Arabes dont le plus connu fut Juma Merikani. Les Bena Tshofue, vaincus, furent repous-
sés au-delà de la rivière Lomami, à l’endroit appelé aujourd’hui Kipushya et qui était
appelé “Kipushya mabokoˮ, c’est-à-dire “Balancer les bras en signe de libertéˮ.
D’après la coutume songye en général et des Bekalebwe en particulier, l’allié invité était
toujours récompensé après la guerre en guise de reconnaissance. Les Bekalebwe offrirent
à Kaumbu des femmes, des esclaves, des chèvres, des moutons, des perles, etc. Mais
Kaumbu qui, depuis longtemps, nourrissait l’ambition de devenir un jour ya Kitengye
Kwibwe, déclina l’offre et déclara qu’il avait plutôt besoin d’une partie du territoire des
Bekalebwe. Ces derniers, pour éviter de nouvelles violences, accédèrent à sa volonté.
Kaumbu s’établit à l’Ehata en qualité de Ya Kitengie Kwibwe (chef). Les Bekalebwe lui
donnèrent ce titre en échange de la paix. Mais il ne fit pas longtemps, car il mourut d’une
épidémie de dysenterie. Son fils, Lumpungu-Kaumbu, lui succéda16. »
Ce récit montre que de par son origine, la famille de Lumpungu ne tenait pas son pouvoir de la
coutume. Aidé par les Arabes, Kaumbu ka Ngoyi a profité de la faiblesse des Bekalebwe qui ont
sollicité son concours pour s’imposer et exiger en paiement une concession et un titre cheffal. Il accé-
dait ainsi, avec la complicité des circonstances, à la famille royale des Bekalebwe, contre la volonté
de ces derniers. Cela justifie l’absence du nom de Kaumbu ka Ngoyi sur la liste généalogique des
chefs bekalebwe légitimes. Pourquoi Lumpungu n’a-t-il pas effectivement succédé à son père ? Selon
Tshibambe Tshikutu, Lumpungu, mineur à la mort de son père, fut écarté du pouvoir au profit de sa
tante paternelle Kashindi qui, à son tour, en remit l’exercice à son mari. Cette situation justifierait
l’émigration de ce jeune prince en direction de l’ouest, dans le territoire des Ben’Eki et des Belande
en vue d’y conquérir d’autres terres et de s’y imposer chef. On assiste au même scénario que chez les
Ruund où les frères de Ruej, frustrés par le fait que leur sœur avait remis le pouvoir à son mari, un
étranger, ont émigré pour fonder d’autres royaumes.
Selon certains auteurs, le père de Lumpungu avait bénéficié de l’aide de Tippo-Tip dans le conflit
qui l’opposait aux Bekalebwe de l’Est. Après la défaite de ces derniers, Lumpungu devint le vassal
de Tippo-Tip et devait apporter à son maître un lourd tribut en ivoire, esclaves et madiba (étoffes en
fibres de raphia). La partie occupée par Lumpungu faisait partie de la zone d’influence des Arabisés.
Le souci d’amasser encore plus de richesse, c’est-à-dire plus d’esclaves et d’ivoire, aurait poussé
Lumpungu et Mpania Mutombo, esclave de son père, à conquérir un territoire plus vaste en direction
16. Ya Ngoba Kamanya (1928), ancien travailleur du Parquet de grande instance, Ngoyi Tshofue (1925), ancien agent de
l’administration publique, et Kankieza Mukomba (1927), ancien combattant. Interview accordée à Kabinda en date du
22 mars 2002.
17 n
Donatien Dibwe dia Mwembu
du territoire des Ben’Eki en 188617. Ces auteurs restent muets quant aux relations qui existaient entre
Mwana Kankieza, chef des Ben’Eki, et Lumpungu. Seul H. Von Wissmann a repris le témoignage de
Said, l’un des favoris et chef de troupes de Tippo-Tip, installé dans le pays des Bekalebwe. D’après ce
dernier, Lumpungu, en dépit de son alliance avec Tippo-Tip, entretenait des relations commerciales
avec un autre trafiquant arabe Jama bin Sabim, alias Famba. En outre, Lumpungu avait l’habitude de
couper les têtes des messagers de Tippo-Tip et de les offrir à ses sujets bekalebwe pour leur festin.
C’est pourquoi le puissant arabe envoya Said pour punir le rebelle Lumpungu ainsi que les guerriers
des chefs tributaires Lusuna, Dibwe et Langongo. Averti du danger, Lumpungu s’enfuit et ne réap-
parut pas. Ce n’est que plus tard que Said et ses guerriers apprirent la nouvelle de la récente alliance
avec Mwana Kankieza et avec les Belande, et de son nouveau campement dans le sud-ouest18. C’est
donc de chez les Belande et les Ben’Eki que Lumpungu reprit ses incursions et étendit le royaume
dont il fixa la capitale à Kabinda.
L’installation de Lumpungu à Kabinda, loin de son pays natal, est l’objet de plusieurs versions.
Si, d’après H. Von Wissmann, telle était la cause du départ de Lumpungu vers les régions des
Ben’Eki et des Belande, on se poserait la question de savoir pourquoi seulement la région des Ben’Eki
et des Belande. Ensuite, pourquoi Tippo-Tip avait-il laissé impunis les massacres de ses messagers
après qu’on eût connu le nouvel emplacement de Lumpungu ? En outre, cette version semble frag-
mentaire en ce sens qu’elle demeure muette sur la raison qui poussa Lumpungu à dévaster le pays des
Ben’Eki dont Mwana Kankieza, son nouvel allié, était le chef.
Tout compte fait, l’émergence de Lumpungu marque la naissance d’un nouveau type de pouvoir
coutumier militaire qui, grâce à l’acquisition des armes à feu obtenues des étrangers (Arabes à l’est
de l’Afrique et Portugais à l’ouest), s’impose au pouvoir coutumier traditionnel. Ce nouveau type de
pouvoir s’intercale entre le pouvoir traditionnel et celui moderne des étrangers.
Comme on le voit, l’histoire des Songye est non seulement fragmentaire, mais aussi hypothétique.
Les Songye eux-mêmes ne sont pas unanimes en ce qui concerne, par exemple, la biographie du
chef Lumpungu. Les versions diffèrent selon qu’on est un Mwin’Eki (singulier de Ben’Eki) ou un
Mwikalebwe (singulier de Bekalebwe). Chacun aspire à glorifier son passé. Cependant, la version
que nous donnons ici semble vraisemblable. Mais nous pensons que des études ultérieures plus fouil-
lées en ce domaine pourront nous offrir une histoire complète et plus ou moins objective.
n 18
Le chef songye Kamanda ya Kaumbu
à ce dernier. Au cours de la guerre qui éclata entre les deux prétendants au trône, Mwana Budja fut
tué par les troupes de Lumpungu. Les survivants des partisans du feu Mwana Budja, harassés par les
incursions répétées des guerriers de Lumpungu, durent s’enfuir vers Kananga sous la conduite de leur
chef Nsapu Nsapu.
Après la victoire de Mwana Kankieza, Lumpungu qui voulait rentrer dans sa région natale, exigea
de son allié un cadeau pour sa participation à la guerre. Mwana Kankieza, n’ayant pas d’esclaves,
lui offrit de rester avec lui et de se faire payer tribut19. Mwana Kankieza ne voulait pas laisser s’en
aller Lumpungu et ses guerriers. Il avait peur qu’une fois ses alliés partis, ses ennemis ne revinssent
le détrôner. Le chef des Ben’Eki proposa à Lumpungu de s’installer sur la colline, à côté du chef
Yankinda de Kabinda. Cette colline offrait l’avantage d’une place stratégique en ce sens qu’elle per-
mettait d’apercevoir l’ennemi et de l’empêcher de s’approcher de la résidence de Mwana Kankieza.
Pour qu’à l’avenir, Mwana Kankieza ne revienne pas sur sa décision en renvoyant Lumpungu de
la région, des cérémonies eurent lieu sur la colline et des fétiches y furent enterrés. Désormais ce
qu’avait dit Mwana Kankieza, en ce qui concerne l’installation de Lumpungu à Kabinda, demeurerait
inchangé à travers les générations.
Deux versions apportent quelques corrections à la première en ce qui concerne les liens de parenté
entre Mwana Kankieza et Mwana Budja. La première d’entre elles a été recueillie auprès des chefs
coutumiers favorables au chef Lumpungu tandis que la seconde, celle rapportée par Mwana Shimbi,
de la famille de Mwana Budja, a été sans doute recueillie auprès des chefs coutumiers opposés à
Lumpungu. Voyons d’abord la première de ces deux versions.
« À la mort de Mwana Nkima, chef de Ben’Eki, son fils aîné, Mwana Kasongo Nkila, lui
succéda. Mais ce règne fut de courte durée, car Kasongo Nkima mourut quelque temps
après. Comme Mwana Kankieza était encore trop jeune pour succéder à son père défunt,
Mwana Kasongo, les notables désignèrent Mwana Budja, frère du défunt, pour assurer la
régence. Selon la coutume, Mwana Kankieza, une fois devenu majeur, devait reprendre
le pouvoir.
Le moment venu, Mwana Budja ne se conforma pas à la coutume et ne reconnut donc
pas les droits de Mwana Kankieza de reprendre le pouvoir. Cette entorse à la coutume ne
fut cependant pas ratifiée par la majorité des Ben’Eki. Alors Mwana Kankieza se souleva
contre son oncle paternel Mwana Budja pour reconquérir le pouvoir qui lui revenait de
droit. Mwana Kankieza fut battu. C’est alors qu’il fit appel à Kasongo Kalombo, un frère
du chef Kasongo Niembo, et eut des guerriers armés de fusil à piston. Une guerre éclata
entre Mwana Kankieza et Mwana Budja. Ce dernier fut tué. Sa femme s’enfuit avec les
enfants chez les Basanga, sa région d’origine.
Après la mort de Mwana Budja, Mwana Kankieza prit le pouvoir chez les Ben’Eki
Bena Kasongo. Ces événements auraient eu lieu entre 1881 et 1882 dans la mesure où la
mort de Mwana Budja avait eu lieu au moment de la première traversée du territoire des
Ben’Eki par H. Von Wissmann.
Du territoire des Basanga où il s’était réfugié avec sa mère et ses frères et sœurs, Ngiele,
le fils aîné de Mwana Budja, organisa un complot en vue de reprendre le pouvoir. Pour
ce faire, il sollicita la collaboration des Bena Kima, une famille de Bena Kasongo, et
fit appel à Kema, un des assassins les plus réputés de l’époque et originaire de la tribu
19. Pour les Ben’Eki, c’est le signe que Mwana Kankieza venait de passer le pouvoir à Lumpungu, un étranger. C’est ce
qui expliquerait, entre autres, le départ de la branche de Nsapu Nsapu vers Luluabourg (actuelle ville de Kananga).
19 n
Donatien Dibwe dia Mwembu
des Balaa dans la région de Tshofa. Ngiele voulait faire assassiner Mwana Kankieza. Il
bénéficia aussi de la complicité de Kutwa Katombe, capita de Bena Kima, et de sa fille.
Une fois sur place, pendant la nuit, Kema attenta à la vie de Mwana Kankieza, mais ne
parvint qu’à le blesser grièvement à coups de couteau et de hache. Rattrapé dans sa fuite,
Kema fut tué par les partisans de Mwana Kankieza.
Ce complot avorté suscita de la haine chez Mwana Kankieza qui décida de se venger
sévèrement. Il commença par mettre à mort les différents capitas des Bena Kima, com-
plices de Ngiele. Ensuite, il demanda de l’aide à Lumpungu dont la puissance débordait
déjà les frontières du territoire des Bekalebwe. De peur que Lumpungu ne ravage leur
territoire, les Basanga lui livrèrent la femme et les enfants de feu Mwana Budja. À son
tour, Lumpungu prit ses prisonniers et les remit, sauf un qu’il confia à son frère Kidinda,
au chef Mwana Kankieza. Ce dernier les fit mettre à mort le même jour : Kyaima,
femme de Mwana Budja, ses fils Ngiele, Kidimba et Mukonkole ainsi que ses trois filles
Kibeshi, Ngoie et Musau. Le seul rescapé, celui qui était confié à Kidinda, s’appelait
Mwana Shimbi20, alors âgé de trois à quatre ans21.
Mwana Kankieza se fit alors l’allié de Lumpungu et offrit à ce dernier sa fille en mariage.
Lumpungu s’installa au village Tunta, près de l’actuel centre urbain de Kabinda. Mais
comme la coutume n’admettait pas que deux enfants, issus d’une même souche, mais
de deux branches entre lesquelles du sang avait été versé, vivent ensemble dans une
même famille, Lumpungu chercha à se débarrasser de Mwana Shimbi. Il le remit à Paul
Le Marinel lors de son passage au village Tunta entre 1884 et 1885. Ce dernier l’amena
en Europe et le fit inscrire à l’athénée d’Ixelles en Belgique où il termina ses humanités
complètes. Pendant son séjour en Belgique, Mwana Shimbi changea de nom et s’appela
André Luce. Après ses études, il rentra au Congo belge entre 1895 et 189622. »
La seconde version, celle de Mwana Shimbi lui-même, diffère de la précédente en quelques points
seulement relatifs au conflit de pouvoir chez les Ben’Eki.
« Mwana Budja était le véritable chef des Ben’Eki. Mwana Kankieza voulait tout sim-
plement le détrôner. Mais il ne disposait pas d’un aussi grand nombre de guerriers que
Mwana Budja. À la suite de la guerre qui opposa ces deux ennemis, Mwana Kankieza,
grièvement blessé, prit la fuite et alla se réfugier chez les Bena Majiba. Pendant ce
temps, Budja, vainqueur, fixa sa capitale dans son village, chez les Bena Kasongo.
Guéri de ses blessures, Mwana Kankieza qui tenait toujours à prendre le pouvoir demanda
de l’aide à Lumpungu. Ce dernier remporta la victoire. Mwana Budja, prisonnier, fut
amené auprès de Mwana Kankieza qui ordonna de le tuer. Ce qui fut fait. Pendant la
guerre, les descendants et les partisans de Mwana Budja furent tous tués à l’exception de
Mwana Shimbi encore trop jeune que Lumpungu cacha chez un membre de sa famille
installé au village de Tunta.
Après la guerre, Lumpungu demanda un cadeau à Mwana Kankieza pour son interven-
tion. Mwana Kankieza, qui était déjà très vieux et sentait sa mort prochaine, confia la
20. Valentin prétend que le véritable nom de cet enfant était Mwana Ejimba. Shimbi serait donc une déformation de
Ejimba. Entretien accordé en date du 26 janvier 1991 au quartier Bel Air à Lubumbashi.
21. Mwana Shimbi serait né entre 1877 et 1878.
22. Fonds Vellut, « Documents pour servir à l’histoire sociale du Zaïre », microfiche n° 2579, Université Laval, Québec,
Canada.
n 20
Le chef songye Kamanda ya Kaumbu
régence de son territoire à Lumpungu en attendant que son fils, Mwana Mbô, atteigne la
maturité et reprenne son pouvoir. Méfiant, Lumpungu fit empoisonner Mwana Kankieza.
Quelques années plus tard, Paul Le Marinel et le commandant Michaux arrivèrent à
Kabinda. Paul Le Marinel fit alors dire à l’un de ses agents, Manka Putu, qu’il avait
besoin d’un petit boy. C’est ainsi que Mwana Shimbi fut remis à Le Marinel. Ce dernier
l’emmena en Europe. Mwana Shimbi passa plusieurs années en Belgique. Pendant ce
temps Lumpungu le croyait déjà mort. C’est pourquoi il fut très étonné de le revoir à
Kabinda en 191523. »
La quatrième version, celle des Bena Milembwe, se situe au niveau du retour de Lumpungu après
sa brillante victoire sur Mwana Budja et ses partisans.
« Le moment venu, le chef Mwana Kankieza récompensa son hôte en plusieurs présents
dont, entre autres, hommes et femmes. Lumpungu prit le chemin de retour vers chez lui
à Kamana. Malheureusement, il fut attaqué par les Bena Milembwe (une autre souche
du clan Ben’Eki que Lumpungu est venu combattre) aux environs du village Kabaa et
dépouillé donc de tout son butin chèrement acquis.
Lumpungu ne pouvait pas rentrer chez lui les mains bredouilles, après tant de sacrifices
consentis. Il décida de retourner chez Mwana Kankieza pour lui demander de résider
d’abord sur ses terres. Par hospitalité et reconnaissance pour les services rendus, le chef
Mwana Kankieza lui accorda une résidence dans sa contrée. »
D’après la cinquième version, celle de Kibambe Kieunga, un autre chef songye autoproclamé,
« Lumpungu était rentré à Kabinda pour se faire soigner d’une hernie par Lubamba et Tshibankumu
Mutamba appelés aussi sendwe Mutamba. Lumpungu profita ainsi de l’hospitalité du chef Mwana
Kankieza pour s’installer sur la colline de Kabinda, lieu stratégique, d’où il avait une vue d’ensemble
sur toutes les plaines environnantes. Et cette position lui permettait de voir à distance tout ennemi. Il
y vivait ainsi aisément sans heurts. »
La sixième version que l’étudiant René Kabangu Ngoyi a récoltée auprès d’autres informateurs
diffère des trois premières en ce qui concerne toujours la raison de l’installation de Lumpungu à
Kabinda.
« Après cette victoire éclatante et sanglante, Lumpungu demanda au chef Mwana
Kankieza de lui payer un collier de mitunda (“moshi u mitundaˮ) (monnaie locale) dont
la longueur équivaudrait au périmètre du centre de Kabinda. Mwana Kankieza, inca-
pable de lui fournir une telle somme, lui demanda d’occuper l’actuel espace que couvre
aujourd’hui la cité de Kabinda. »
La septième version apporte un complément d’information en ce qui concerne les fétiches enfouis
dans la terre sur la colline de Kabinda et justifie pourquoi, jusqu’à nos jours, le centre de Kabinda est
inexpugnable.
« Au terme des hostilités qui avaient opposé Mwana Kankieza à son demi-frère Mwana
Budja, la paix fut rétablie. En prévision d’autres attaques éventuelles et n’ayant pas
23. Fonds Vellut, « Documents pour servir à l’histoire sociale du Zaïre », microfiche n° 2583, Université Laval, Québec,
Canada.
21 n
Donatien Dibwe dia Mwembu
grassement récompensé son allié Lumpungu et sa suite, Mwana Kankieza plaça son
héros Lumpungu en amont de Kabinda et lui-même demeura à Bena Kasongo, à plus
ou moins 20 km en aval de Kabinda, sur la route vers Miombe et Lubao. Tous les chefs
coutumiers songye se réunirent pour établir le bilan de toutes ces guerres fratricides.
Les atrocités avaient été énormes d’autant plus que les victimes furent comptées par
milliers. Et, pour qu’à l’avenir des combats meurtriers n’eussent plus lieu sur la colline
de Kabinda, les chefs coutumiers enterrèrent en ce lieu des fétiches. Cet acte appelé
“kibindiˮ signifiait aussi qu’à Kabinda, aucune attaque, d’où qu’elle vienne, ne pour-
rait plus jamais s’y dérouler. “Kubindaˮ, verbe d’où dérive le nom de “Kabindaˮ, veut
donc dire “protéger, préserver rituellement avec un fétiche contre la guerre ou contre les
calamitésˮ24. »
De tout ce qui précède, plusieurs points concordent. Un conflit de pouvoir avait opposé Mwana
Budja, père de Mwana Shimbi, à Mwana Kankieza, tous deux issus d’une même famille régnante chez
les Bena Kasongo. Un deuxième point commun concerne la tentative d’extermination, par Mwana
Kankieza, des descendants et des partisans de Mwana Budja. Il est fort probable que ce fut à cette occa-
sion que les survivants ont dû quitter le territoire des Ben’Eki en direction de Malandji wa Nshinga
(Luluabourg, actuelle Kananga). Un autre point de convergence est la vie sauve de Mwana Shimbi
ainsi que son départ en Belgique où il fit ses études complètes à l’athénée d’Ixelles. Les circonstances
qui avaient amené Lumpungu à cacher et à remettre Mwana Shimbi à Paul Le Marinel demeurent
obscures. Pour Mwana Shimbi comme pour Valentin25, Lumpungu voulait se débarrasser d’un futur
adversaire. Alors, il y a lieu de se poser la question de savoir pourquoi Lumpungu avait épargné la
vie à Mwana Shimbi, pourquoi il ne s’était pas également attaqué à Mwana Mbô, fils de feu Mwana
Kankieza qu’il aurait empoisonné étant donné que lui-même Lumpungu, à croire Mwana Shimbi,
assumait la régence en attendant la maturité de Mwana Mbô. De plus, Mwana Shimbi ne nous dit pas
de qui feu son père, Mwana Budja, tenait le pouvoir. Pour Mwana Shimbi, Lumpungu est à la fois un
assassin et un usurpateur.
L’épopée de Mwana Shimbi nous rappelle celle de Sundjata Keita de l’empire du Mali dont l’infir-
mité lui valut d’échapper au massacre des onze autres princes que Sumaoro fit périr impitoyablement
après la conquête du Mali. Mais Mwana Shimbi n’eut pas la même chance que Sundjata Keita de
bouter hors de son territoire le conquérant. Le territoire des Ben’Eki ne bénéficia pas du fruit des
études de Mwana Shimbi à cause de la difficile cohabitation entre ce dernier et les deux représentants
des pouvoirs traditionnel et colonial dominants. Nous y reviendrons.
Lumpungu qui travaillait pour les Arabes auxquels il offrait des esclaves, de l’ivoire et des
madiba, entreprit, à partir de Kabinda, et avec le concours de Mwana Kankieza, des incursions pour
soumettre les tribus voisines et se faire payer tribut. Ce fut le début des conquêtes qui donnèrent nais-
sance à son État et permirent de l’étendre dans toutes les directions. Selon S.L. Hinde, l’influence de
Lumpungu s’exerçait chez les Lulua et au nord du Katanga26. D’après Muteba Kabemba, le royaume
24. Epandu Kilolo, témoignage recueilli à Kabinda en mars 2002. La tradition rapporte aussi qu’avant de monter à la
potence, Kamanda ya Kaumbu a annoncé au peuple songye que suite, à sa mort, aucun étranger ne ferait couler une
seule goutte de sang songye à Kabinda. Ceci pour dire qu’aucune guerre, d’où qu’elle vienne et quelle que soit son
ampleur, n’atteindrait le centre de Kabinda. Les informateurs de Kabinda interviewés en mars 2002 font remarquer que
ce kibindi ne peut pas être minimisé. Pour preuve, toutes les attaques, arabes d’abord, de Mulele ensuite et aujourd’hui
des Rwandais, Ougandais et Burundais ont failli à l’entrée de Kabinda et n’ont pas atteint leurs objectifs respectifs.
25. Valentin, interview du 29 janvier 1991.
26. Hinde 1897 : 93.
n 22
Le chef songye Kamanda ya Kaumbu
de Lumpungu était limité au nord par la rivière Lumba, à l’est par le Lomami, au sud par le cours de
la Lufubu et à l’ouest par celui de la Ludimbi27.
Ces limites sont vraisemblables. Mais, nous ne partageons l’avis de l’auteur lorsqu’il situe la
limite ouest du royaume à la rivière Ludimbi. Ce cours d’eau est parallèle à la Lumba qui constitue
la frontière septentrionale. Il est donc inimaginable que la frontière nord soit parallèle à la frontière
ouest. D’après nous, la frontière occidentale du royaume doit être portée à l’ouest du territoire des
Belande. Car, ces derniers faisaient partie de l’État de Lumpungu. Eu égard à ces limites approxima-
tives, le royaume couvrait la majeure partie des zones actuelles de Kabinda et de Lubao.
La capitale était fixée à Kabinda, à cause de son rôle politique et économique (lieu d’échange
des esclaves, de l’ivoire, des outils fabriqués par les forgerons, des madiba… contre les produits
étrangers). Cette cité était devenue le centre de polarisation de l’espace et, partant, devait s’attirer
une population nombreuse. A. Delcommune et L. Frobenius qui y séjournèrent assez longtemps, res-
pectivement en 1891 et 1906, estimaient le chiffre de population de Kabinda entre 15 000 et 20 000
habitants28.
Créateur d’un vaste État, Lumpungu va imposer aux Songye une nouvelle organisation politique.
23 n
Donatien Dibwe dia Mwembu
détriment de Mwana Kankieza qui lui avait accordé l’hospitalité. Lumpungu, reconnu par le pouvoir
blanc, s’installa et vécut ainsi à Kabinda pendant que Mwana Kankieza, le chef légitime, était resté
vivre dans son village.
Jaloux de l’accumulation de sa nouvelle puissance et de sa richesse, Lumpungu va s’intégrer dans
un nouvel environnement politique imposé par la colonisation. Nous chercherons à dégager, dans les
lignes qui suivent, la difficile coexistence entre le nouveau type de pouvoir et le pouvoir colonial.
n 24
Le chef songye Kamanda ya Kaumbu
Arabes à l’égard de Ngongo Leteta, ne voulait pas prendre ses dispositions pour qu’en cas de coup
dur, il soit protégé par les forces de l’État. Le chef songye aurait aussi été animé de cet esprit d’indé-
pendance, cette tendance à se soustraire à l’emprise des Arabes auxquels il devait de lourds tributs.
Mais la défaite du redoutable Ngongo Leteta face aux troupes du commandant Dhanis confirma la
supériorité de l’État et décida Lumpungu à se rallier à l’EIC en octobre 1892. Il accepta la fonda-
tion d’un poste d’État à Kabinda et fut confirmé comme chef allié par Dhanis. En se ralliant aux
Européens, Lumpungu ne voulait sans doute pas subir la même défaite que Ngongo Leteta et, partant,
perdre éventuellement son prestige et son pouvoir auprès de ses sujets. Le chef des Songye, grâce à
l’appui dont il bénéficiait des Arabes en compensation des services qu’il leur rendait, était en train de
se tailler un vaste empire qui allait couvrir et même déborder l’aire songye. L’arrivée des Européens
avait été un obstacle à la réalisation du projet qu’il avait conçu. Ainsi, son ralliement à l’EIC lui per-
mettrait-il de maintenir son pouvoir, et si possible, de l’étendre, cette fois-ci, avec la bénédiction des
Blancs. Il était dès lors évident qu’il se fît leur ami et se dévouât à leur cause.
25 n
Donatien Dibwe dia Mwembu
Cette attitude de Lumpungu fut considérée par les Blancs comme un « dévouement » à la cause
coloniale. Ils l’investirent comme chef de l’importante chefferie qui porta son nom en 1902. Lumpungu
continuera à aider l’État même après la création du district de Lomami dans lequel fut incorporée son
entité territoriale.
Le « dévouement » du chef des Songye ne pouvait laisser les autorités coloniales indifférentes :
« Ce chef, écrivait le commissaire de district de Lomami, continue à faire preuve du même dévoue-
ment. La station ne disposait plus de travailleurs nécessaires pour assurer le débroussement des
abords du poste, Lumpungu a été invité à y établir ses plantations. De nombreux hectares ont été ainsi
débroussés, labourés et ensemencés en quelques jours. Une grande activité a été également déployée
par ce chef sous le rapport de la perception de l’impôt. L’on peut juger aisément si l’on songe que les
chiffres de 5000 et 4000 francs obtenus au cours du premier trimestre proviennent presque exclusive-
ment des indigènes de Lumpungu et que les paiements ont été effectués au poste même36. »
Cette déclaration prouve que le « dévouement » de Lumpungu n’était nullement désintéressé. Il
n’aurait peut-être pas envoyé ses sujets débroussailler les environs du poste s’il n’y avait pas cette
proposition d’y établir ses champs propres. En outre, comme il avait droit à un certain pourcentage
dans la perception de l’impôt, dans les recrutements, le portage…, on comprendra pourquoi, en 1918,
toute la population du village était recensée et, sa contribution aux charges financières de l’État élevée
à 20 000 francs37. De plus, les 300 porteurs demandés par le gouverneur général pour le Tanganyika
furent réquisitionnés à Kabinda. Et, même pour l’évacuation du 3e bataillon en 1919, Lumpungu
fournit encore 600 porteurs38.
Le chef des Songye paraissait donc aux yeux des Européens comme un élément, une force dont
les colonisateurs ne pouvaient se passer dans l’occupation et l’administration du territoire. C’était
un allié fidèle. Pour renforcer leur domination par le truchement de leur allié, les Blancs organi-
saient des opérations de police contre les populations qui se montraient récalcitrantes vis-à-vis de
Lumpungu39. Par cet acte, les Européens voulaient lui faire croire que sa contribution était compensée
par l’affermissement de son pouvoir. En réalité, ils se servaient de lui pour satisfaire à leurs besoins.
C’est pourquoi ils ne pouvaient souhaiter l’émancipation des populations conquises par Lumpungu
avant leur arrivée. Leur souhait était donc de maintenir le statu quo, car le contraire engendrerait
un éparpillement de la population qu’il serait difficile de contrôler efficacement. Apparemment, les
colonisateurs se montraient complices du nouveau type de pouvoir instauré depuis la seconde moitié
du XIXe siècle. Et ces apparences ne dureraient que tant que Lumpungu demeurerait un allié fidèle.
Dans l’entre-temps, les autorités coloniales supérieures durent se tracer une ligne de conduite à
suivre vis-à-vis de ce chef autochtone :
« Ne pas l’inquiéter avec des affaires de minime importance, tolérer ses excès d’humeur,
mais sévir avec rigueur contre les sujets qu’il emploierait ou protégerait pour tenter de
réorganiser son ancien empire40. »
C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre l’indignation d’un administrateur de territoire lors-
qu’il note en 1916 :
n 26
Le chef songye Kamanda ya Kaumbu
« Très orgueilleux, habitué longtemps à voir tous ses actes, même les plus répréhensibles,
approuvés par les autorités, sinon expressément, au moins tacitement, il [Lumpungu] ne
permet à personne de s’occuper de ses affaires, mais ne peut s’empêcher de s’occuper
constamment de celles des autres41. »
Mais, il fallait s’y résigner, car ceux des colonisateurs qui ne se conformaient pas à cette ligne
de conduite, étaient transférés. Le commissaire de district a.i. G. Heenen abonde dans le même sens
lorsqu’il écrit en 1918 :
« Il [Lumpungu] est une force avec laquelle il faut compter qu’on le veuille ou non. Les
commissaires de district passent, Lumpungu reste42. »
En outre, le fait que M. Paul Orbon, commissaire de district a.i. ait mis à la porte M. Allard,
un commerçant blanc de Kabinda, qui reprochait à l’État sa politique de laisser-aller vis-à-vis de
Lumpungu, est très significatif43.
Mais, les bonnes relations entre Lumpungu et l’administration coloniale furent éphémères. Le chef
des Songye prit conscience de l’esprit dominateur qui caractérisait ses « alliés » blancs. Il dut prendre
ses précautions.
6.3. Les relations conflictuelles entre Lumpungu et les Ben’Eki (Mwana Shimbi)
L’installation de Lumpungu à Kabinda n’était pas bien perçue par les Ben’Eki et les Belande,
propriétaires fonciers, dans la mesure où elle mettait pratiquement fin à leur autonomie. La lutte pour
recouvrer leur liberté fut menée ouvertement par le truchement de Mwana Shimbi.
Non content de ce poste sans doute peu rémunérateur, Mwana Shimbi se lança dans le commerce
et quitte Kinshasa. Il se dirige alors vers Kabinda. En 1914, il arrive à Lusambo et y rencontre le
27 n
Donatien Dibwe dia Mwembu
substitut Marzorati, un de ses anciens compagnons de classe. Avec le consentement du chef Lumpungu,
Marzorati aida Mwana Shimbi à obtenir des porteurs des caisses de ballots entre Lusambo et Kabinda.
Mwana Shimbi s’installa à Kabinda en 1915. Il multiplia ses activités commerciales entre Matadi
et Kinshasa pour l’achat et la vente des ballots. En 1917, Mwana Shimbi qui remontait le Sankuru
obtint du commissaire de district de Lusambo une concession de terre pour y établir une factorerie
dans les environs du village de Mutshipula, en face du poste de Mpania Mutombo. C’est au cours de
son séjour à Kabinda que le climat se détériora entre Mwana Shimbi et les deux pouvoirs traditionnel
et colonial.
En s’attaquant ouvertement à Lumpungu et à ses notables, Mwana Shimbi, soutenu par la plu-
part des notables Ben’Eki opposés à Lumpungu, s’attaquait également à l’autorité coloniale dans la
mesure où la population mwin’eki commençait à montrer des velléités d’indépendance vis-à-vis de
Lumpungu et, partant, de l’autorité coloniale. Elle décida de ne pas s’acquitter de ses « devoirs »,
notamment le paiement de l’impôt, aussi longtemps que Mwana Shimbi n’était pas investi chef, elle
se mit à méconnaître tous les ordres qui lui étaient transmis. C’était une véritable insoumission. Voici
quelques stratégies utilisées que note l’administrateur territorial :
« Mwana Mutombe avec son concours fit jeter dans la Ludimbi un fétiche mortel pour
tous ceux qui franchiraient cette rivière qu’il faut traverser pour se rendre à Kabinda ;
45. Fonds Vellut, « Lettre du 9 mars 1918 adressée au commissaire de district par André Luce », microfiche n° 2586/1.
n 28
Le chef songye Kamanda ya Kaumbu
à Kazadi ka Mpania, le capita fit répandre le bruit que Sendwe Mutamba avait décidé
d’anéantir les Ben’Eki et que des sentinelles étaient postées sur toutes les routes et dans
les champs avec pour instruction de tuer quiconque irait à Kabinda qui n’y serait envoyé
par un blanc. Une véritable agitation se créa, une insoumission s’étendit, l’impôt fut
refusé, le nettoyage des routes ne fut plus effectué (chez les Bena Kima et à Kazadi
ka Mpania), le blanc fut accueilli par les indigènes en armes, aux portes de Kabinda46. »
L’administration coloniale se trouva dans une situation délicate. D’une part, Lumpungu qui s’était
aperçu que les Blancs voulaient usurper son pouvoir, prenait ses distances vis-à-vis du pouvoir colonial
et tentait par tous ses moyens, nous l’avons vu, « à reprendre son ancien ascendant sur les populations
qui avaient échappé à son pouvoir lors de la création des chefferies » et à méconnaître l’autorité de ses
collègues chefs de chefferies47. D’autre part, Mwana Shimbi méconnaissait l’autorité de Lumpungu
en briguant la médaille du chef des Ben’Eki et en invitant ces derniers à l’insoumission. En fait, les
activités de Lumpungu et de Mwana Shimbi, bien qu’ayant des objectifs différents et opposés, se
révélaient du sable dans l’engrenage administratif de la colonisation. Tous deux entretenaient chacun
de leur côté une résistance passive.
Étant donné que les Blancs voulaient réduire petit à petit le royaume de Lumpungu48, il est intéres-
sant de savoir pourquoi ils n’ont pas poussé leur audace jusqu’à ériger en chefferie indépendante le
territoire de Mwana Shimbi qui plus est, non seulement avait des relations et des connaissances parmi
les autorités coloniales, mais aussi, et surtout avait reçu une éducation à l’européenne susceptible de
lui permettre d’administrer la chefferie dans le sens voulu par le colonisateur. En outre, la situation
était favorable aux colonisateurs pour reléguer Lumpungu et le faire remplacer par Mwana Shimbi.
Pourtant, tel ne fut pas le cas. Les colonisateurs préférèrent le vieux et illettré Lumpungu au jeune et
intellectuel Mwana Shimbi.
Rosalie Musangilayi Mukendi K. justifie cette prise de position des colonisateurs en ces termes :
« La prise de conscience des intérêts réciproques (Lumpungu − autorité coloniale) prit
le caractère d’un contrat bilatéral entre le puissant chef Lumpungu et Bula Matadi qui
s’évertuait à soutenir l’autorité du premier pour bénéficier de plus en plus de son aide.
C’est dans cette perspective qu’elle poursuivit l’indigène Mwana Shimbi dit André Luce
qui était ennemi farouche du chef Lumpungu49. »
Eu égard à ce qui précède, il appert que les colonisateurs ont voulu se faire malgré eux « amis »
à Lumpungu et combattre Mwana Shimbi pour ensuite se tourner contre Lumpungu. D’ailleurs, la
mort de ce dernier qui ne tardait pas à survenir leur permettrait de réorganiser la chefferie à leur guise.
L’élimination de Mwana Shimbi doit être comprise dans ce contexte général de l’attitude des coloni-
sateurs face aux élites congolaises de cette époque. La relégation de Mwana Shimbi s’offrait comme
le seul salut.
46. Fonds Vellut, « Lettre du 15 juin 1918 adressée au commissaire de district par l’administrateur territorial de Kabinda »,
microfiche n° 2580.
47. Dibwe dia Mwembu 1985 : 67.
48. Ibid. Nous l’avons vu, certains groupements avaient été érigés en chefferies indépendantes. Ce fut le cas de Ebondo,
Piani Tshungu, Kitumbika, Ngoie Lukamba, Mulenda, etc.
49. Musangilayi Mukendi K. 1974 : 39.
29 n
Donatien Dibwe dia Mwembu
50. Pour le décret du 5 juillet 1910, voir Conseil colonial 1910 : 5-21.
51. Fonds Vellut, microfiche n° 2576.
52. Ibid.
53. Ibid.
54. Fonds Vellut, « Lettre d’André Luce du 8 juillet 1918 adressée au commissaire de district, Gaston Heenen », microfiche
n° 2586/1.
n 30
Le chef songye Kamanda ya Kaumbu
Mwana Shimbi était considéré comme un élément dangereux d’autant plus qu’il connaissait les
intentions politiques coloniales à l’égard de la chefferie Lumpungu. C’est pourquoi l’administrateur
de territoire d’abord, le commissaire de district du Lomami ensuite proposaient que le lieu de reléga-
tion de Mwana Shimbi fût situé en dehors du district du Lomami. Mwana Shimbi n’eut pas le temps
de rentrer à Kabinda. Le vice-gouverneur général du Katanga signa en date du 2 septembre 1918 une
ordonnance le reléguant à Élisabethville. Mwana Shimbi quitta Samba un mois après la promulgation
de l’ordonnance, soit le 30 octobre 1918. En même temps, le contrat relatif au terrain loué à Mwana
Shimbi et sis Mpania Mutombo fut résilié unilatéralement56. La lutte que l’Administration coloniale
menait pour étouffer dans l’œuf les revendications des Ben’Eki n’a pourtant pas empêché le chef
Lumpungu de se méfier de ceux qu’il prenait pour ses alliés.
55. Fonds Vellut, « Lettre du commissaire de district, Gaston Heenen, Kabinda, 18 juillet 1919 », microfiche n° 2578.
56. Fonds Vellut, « Lettre du commissaire de district adjoint Paul Orbon », 7 décembre 1918.
57. Archives de la division régionale des affaires politiques du Kasaï-Occidental, « Lettre n° 53/AI du 24 mars 1918 ».
58. ASRK, « Rapport politique du district du Lomami » 1916a : 3.
31 n
Donatien Dibwe dia Mwembu
du portage pour lui et d’entrer dans son magasin59. C’était une punition qu’il lui infligeait, car toute
activité commerciale de M. Allard s’avérait impossible. Tout dépendait de lui, même le paiement de
l’impôt60.
Contrairement à l’esprit du décret du 2 mai 1910 qui stipulait que le chef autochtone devait obéir
à l’autorité européenne, Lumpungu se montrait plus coutumier que fonctionnaire de l’État. Cette
attitude incita les Européens à saper son autorité. À le détruire. Son royaume fut réduit. Certains de
ses territoires furent érigés en chefferies indépendantes (Ebondo, Piani Tshungu, Kitumbika, Ngoie
Lukamba, Mulenda…) En outre, Lumpungu perdit le monopole du commerce (ivoire, esclaves…),
source de sa puissance. En 1914, sa monnaie, les mitunda, fut remplacée par le nickel. Lumpungu
s’aperçut, à la lumière de ces faits, que les Blancs n’étaient pas venus en alliés, mais pour usurper
son pouvoir. Il devait donc changer de politique à leur égard. Cette attitude n’était pas un fait isolé.
Le chef des Kuba, Mabunc, indigné du comportement des colonisateurs, ne s’était-il pas exprimé,
lors de son entretien avec le ministre des Colonies, Louis Franck, de passage à Luebo en 1920, en ces
termes :
« Rends-moi les droits de mes ancêtres ou qu’il y ait seulement deux autorités, la tienne
et la mienne, mais actuellement, tout Blanc délivre de “mukandaˮ et chacun se croit
juge61… »
n 32
Le chef songye Kamanda ya Kaumbu
33 n
II. LA SOCIÉTÉ SONGYE SOUS LE RÈGNE
DE KAMANDA YA KAUMBU (1920-1936)
1. Le problème de succession
Le vieux Lumpungu a Kikolo a laissé derrière lui une nombreuse progéniture. Les avis sont par-
tagés en ce qui concerne le nombre exact de ses enfants. D’après un rapport d’enquête de la chefferie
Lumpungu non daté, le chef Lumpungu aurait eu 14 enfants : 5 garçons et 9 filles. Si cette information
est réelle, la liste de ces enfants se présentait de la manière suivante :
• Ngongo (garçon), fils de Musumba
• Shidi (fille), a épousé le sous-chef Mwana Lubo en 1919
• Kitoto (fille), ex-femme du chef Mwana Mbô
• Ngoie (fille), épouse du sous-chef Sendwe Mutamba
• Mukeni (fille)
• Mianda (fille)
• Mianda II (fille)
• Mianda III (fille)
• Kapakana (fille)
• Ngama (fille)
• Kamanda ya Kaumbu (garçon), fils de Kilemba, fille du chef Kayeye de Bena Budja
• Lubo (garçon), fils de Kitenge
• Kitenge, (garçon), fils de Mianda
• Maole (garçon), fils de Mbula.
Il se dégage de cette liste que Kamanda ya Kaumbu, le second fils de Lumpungu, aurait été le
onzième enfant. Certains auteurs, notamment Kibingani Mpesha et Mulamba K.B.M.Y., prétendent
que le chef Lumpungu aurait laissé cinq enfants : trois garçons (Ngongo, Kamulete Yalukuka et
Kamanda) et deux filles (Mfute et Mianda). Tout compte fait, le chef Lumpungu doit avoir eu plu-
sieurs enfants étant donné le nombre considérable de femmes qui constituaient son harem.
Le problème de succession se posa avec acuité. Mais, à l’instar de ce qui s’est passé au Katanga,
après l’assassinat du roi Msiri, les colonisateurs voulaient maintenir les structures politiques exis-
tantes, c’est-à-dire affermir le pouvoir de Lumpungu en le rendant héréditaire. Comme avec les
Bayeke de Msiri au Katanga, les Belges voulaient se servir des Bekalebwe pour asseoir leur domina-
tion dans le territoire songye.
Forts de l’expérience qu’ils ont eue à partir de la succession de Ngongo Leteta, les Belges avaient
peur que Ngongo (fils aîné de Lumpungu64), de par son caractère, n’hérite du comportement de son
père et constitue ainsi un handicap aux objectifs qu’ils s’étaient tracés. Ngongo ne leur était pas favo-
rable. Il fallait s’en débarrasser. « Qui veut noyer son chien l’accuse de rage », dit-on. G. Heenen,
commissaire de district du Lomami notait :
64. Pour éviter toute confusion, il est important de noter que le fils aîné du chef Lumpungu s’appelait Ngongo. De son côté,
le chef tetela Ngongo Leteta avait un fils qui répondait au nom de Lumpungu.
n 34
Le chef songye Kamanda ya Kaumbu
« Ngongo est une brute à impulsions dangereuses ; il a dans le temps été condamné à
trois ans de servitude pénale pour coups et blessures et il a fallu, enfin de compte, le
reléguer parce qu’il constituait un danger permanent pour la tranquillité publique65. »
Ngongo fut donc relégué à Lisala. Plusieurs rencontres d’entretiens avec les notables et le conseil
d’anciens avec les autorités européennes aboutirent à la désignation de Kamanda ya Kaumbu, deu-
xième fils de Lumpungu, qui était jusque-là âgé d’une quinzaine d’années.
Mais l’avènement de Kamanda ne s’opéra pas sans difficulté. Après la mort de Lumpungu, deux
tendances ont caractérisé les chefs « coutumiers » songye. La première tendance comprenait ceux des
chefs qui croyaient le moment enfin venu pour recouvrer leur liberté. Ce fut, entre autres, le cas du
chef Mwana Mbô des Ben’Eki qui s’opposa énergiquement, mais en vain, à l’idée de voir son grou-
pement continuer à être incorporé dans la chefferie de Kamanda. La deuxième tendance, soutenue
par les Bekalebwe, préconisait le statu quo. L’administration coloniale opta pour la seconde tendance
pour ne pas perdre le contrôle des populations songye.
Kamanda était alors tout désigné pour succéder à son père. Son inexpérience (il avait été tenu
à l’écart de l’administration de la chefferie par feu son père) et sa jeunesse faisaient de lui un outil
flexible et donc maniable au goût du colonisateur, croyait-on. De plus, Kamanda, à l’instar des autres
fils des chefs et grands notables, avait été envoyé à l’école pour être soustrait à toute influence anti-
européenne. En effet, Kamanda avait étudié à l’école de la Kafubu, dans l’hinterland de Lubumbashi,
en même temps que Kabongo Boniface et Kabamba Yamume André, respectivement fils du chef
Kabongo et de Kitenge Yamume, grand notable de Kabinda. G. Heenen notait encore : « Je pense
qu’en le guidant étroitement, il y aura moyen d’en faire un auxiliaire conscient et dévoué ».
35 n
Donatien Dibwe dia Mwembu
Mais, d’après Ngongo Lumpungu, un des neveux du chef Kamanda, Albert Kamanda ya Kaumbu,
avait été présenté longtemps avant par son père, le chef Lumpungu, aux colonisateurs comme le fils
héritier.
« Le chef Lumpungu avait plusieurs femmes et beaucoup d’enfants. Les jours passaient
et les Blancs lui posèrent cette question : “Tu as plusieurs enfants, mais nous voulons
connaître celui que tu as choisi pour te remplacer après ta mort. Il faut nous le présenter
pour que nous le connaissions d’avance.ˮ À ce moment-là, il ne faut pas croire que c’est
nécessairement le fils aîné qui était d’office choisi pour succéder à son père. Il appar-
tenait au chef lui-même de choisir quelqu’un parmi ses enfants, c’est-à-dire qu’il n’y
avait pas que le critère d’âge qui comptait. Il y avait également d’autres critères à savoir
l’intelligence, la sagesse, la serviabilité ainsi que d’autres qualités à caractère social. Le
chef devait être tout d’abord autoritaire, il devait être en mesure de s’imposer. Il devait
en outre avoir le sens développé d’organisation. Il devait également avoir une sagesse lui
permettant de trancher les différends, de prodiguer des conseils. Enfin, c’est quelqu’un
qui devait être social, toujours disposé à accueillir et à servir tout le monde sans distinc-
tion. Bref, le chef devait être en mesure de regrouper autour de lui tout le monde et de
savoir sauvegarder tout le patrimoine culturel. Le choix tomba sur Albert Kamanda. Il
fut présenté aux Blancs par son père comme héritier66. »
D’après Lukunku Etobo, le vrai nom du chef Kamanda serait Ndala Lumpungu. Kamanda serait
la déformation du sobriquet « commandant » qui lui était affublé. Mais Lukunku ne dit pas pourquoi
le chef s’était fait affubler ce qualificatif.
Ce qui a retenu l’attention de Tatiana Nshale Nsaka dans le chef de Kamanda, c’est le nombre
de femmes qu’il avait : « Le chef Kamanda avait plusieurs femmes parmi lesquelles il y avait Mfute
– Lushiye et Musumba Lukombo. C’est Mfute qu’il aimait tant, car dans toutes ses images, dans la
voiture, dans ses tournées, il était avec elle. » Laurent Ngongo Lumpungu, son neveu, nous peint le
tableau de Kamanda en ces termes :
« Il avait remplacé son père alors qu’il était encore très jeune. Il avait 15 ans. Je vous
assure que mon père68 était très beau. Il était envié par plusieurs femmes et même les
femmes blanches. Cela ne l’avait pas empêché de courir avec elles sans problème. Les
n 36
Le chef songye Kamanda ya Kaumbu
Le sultan Lumpungu du Kasaï venu au camp de l’Union minière pour examiner ses sujets.
(Kamanda avec son épouse Mfute.)
AP.0.2.9958, collection MRAC Tervuren ; photographe non identifié (L. Gabriel ?), 1929.
femmes blanches s’offraient elles-mêmes à mon père parce qu’il était d’une beauté qui
n’avait jamais existé jusque-là. Je profite de l’occasion pour vous informer que mon père
avait une femme blanche avec qui il avait eu quelques enfants qui sont tous des mulâtres.
Il y en a un qui réside à la commune Kenya. Il s’appelle Philippe. Mon père avait aussi
hérité de son père toutes les femmes malgré qu’il ne les aimât pas toutes. Les autres
femmes qu’il avait héritées traînaient dans la Cour royale. Il les distribuait aux visiteurs
et aux amis en séjour dans la Cour royale. Un visiteur ne pouvait pas rester dans la cour
du roi sans femme69. »
69. L. Ngongo Lumpungu, récit de vie recueilli à Lubumbashi en date du 19 mars 1993.
37 n
Donatien Dibwe dia Mwembu
Ce tableau est complété par Muyangu Mutamba Lumpungu, le petit-fils du chef Kamanda :
« Né à Kabinda, en 1903, il grandit dans l’opulence. Son père entrant en collaboration
avec les Blancs qui, à leur tour, lui demandèrent d’envoyer son fils aux études, ainsi le
chef Kamanda ya Kaumbu partit à Lubumbashi et fit ses études dans une école d’ad-
ministration organisée par des Blancs pour les enfants des chefs. À cet effet, avant son
départ pour Lubumbashi, il obtint en dotation une épée de la part du roi des Belges par le
canal des Blancs à Kabinda, cela pour représenter les deux Kasaï à Lubumbashi et c’était
pour montrer qu’il provenait d’un peuple guerrier et d’une famille royale.
Dès son retour de Lubumbashi, le chef Kamanda fut mari de deux cents femmes parmi lesquelles,
il y avait celles qui lui ont été données en cadeaux, en butins et d’autres aussi après la guérison d’une
maladie quelconque (ex : l’épilepsie, la sorcellerie, etc.). Beaucoup d’entre elles furent des stériles,
mais certaines d’entre elles eurent des enfants. Il lui naquit vingt-neuf enfants dont les noms sont les
suivants :
Ses deux cents femmes étaient réparties en quatre équipes dont chacune avait un rôle spécifique :
la première équipe était chargée de relations publiques, c’est-à-dire qu’elle jouait le rôle de proto-
cole ; la deuxième équipe était chargée de l’entretien de la Cour ; la troisième était chargée de la santé
des enfants (soins traditionnels) et, la dernière devait s’occuper de lui-même, le chef donc70. »
Il semble que le chef Kamanda était passionné de la chair humaine, chair à laquelle il aurait pris
goût dès son enfance dans la Cour de feu son père Lumpungu Ier et dont l’adoration (de cette chair)
l’avait conduit à la potence.
70. Muyangu Mutamba Lumpungu, fils du chef Mutamba Kamanda et petit-fils de Kamanda, interview accordée à Kabinda
en mars 2002.
n 38
Le chef songye Kamanda ya Kaumbu
Sous-chefferies Sous-chefs
1. Bakwa Lubo Sendwe Mutamba
2. Bena Kabangu Mwana Maole
3. Babenga Mwana Mbô
4. Batshimbo Mwana Kibambe
5. Bena Majiba Mwadi
6. Bena Lumuna Mwamba Mitanta
7. Bena Kampoto Mwamba
8. Bena Kishiba Mukonkole
9. Bena Ngongo Kikumbi
10. Bena Kibeshi Kapepula
11. Bena Panda Kankieza
12. Bena Milembwe ya Mpanda Sapidi Mpania
Les colonisateurs instaurèrent un système confusionniste dans les rapports qui régissaient le suc-
cesseur de Lumpungu et ses administrés noirs. On assista ainsi à un enchevêtrement de trois pouvoirs :
le pouvoir colonial, le nouveau type de pouvoir et le pouvoir traditionnel. Étant donné que, pour leurs
doléances, les chefs des sous-chefferies ne devraient plus s’adresser qu’aux autorités coloniales, le
pouvoir de Kamanda se trouva réduit à sa plus simple expression. Les objectifs de la colonisation
étaient désormais atteints : la mainmise sur toute la chefferie de Lumpungu.
En principe la relégation de Mwana Shimbi, alias André Luce, devait être levée après la mort du
chef Lumpungu. Des cas semblables avaient été vécus ailleurs. Au Bushi, par exemple, le mwami
Rugema, considérant Muliri, un notable de Kabare, comme un traître, avait amené l’administration
coloniale à se débarrasser de lui. L’administration qui tenait à effacer le pouvoir de Rugema finit par
reléguer Muliri en 1928. Mais, lorsque Rugema s’exila à Léopoldville en 1937, l’administrateur du
71. ASRK, « Rapport sur l’administration générale » 1920 : s.p ; 1921 : s.p.
39 n
Donatien Dibwe dia Mwembu
territoire n’hésita pas à lever la relégation de Muliri72. Plus près de nous, dans la chefferie Mutombo
Katshi dans la province du Kasaï-Oriental, Kabengela Lutonga, relégué en 1914 sous le règne du chef
Mutombo Katshi III, vit sa relégation levée à la mort de ce dernier et à l’avènement du chef coutumier
Mutombo Katshi IV en 191673. Mais, l’attitude de l’administration coloniale n’était pas la même par-
tout, surtout à l’égard des Noirs instruits, des évolués de l’époque. Cette catégorie de Noirs constituait
un danger politique pour l’administration coloniale.
La période du refoulement et de la relégation de Mwana Shimbi a coïncidé avec celle de l’effer-
vescence de la « société de secours et de développement moral et intellectuel de la race congolaise »
en Belgique dont Paul Panda Farnana était le président. Aux yeux des Belges tant métropolitains que
coloniaux, les Noirs instruits constituaient un danger : « Le gouvernement métropolitain doit […]
mettre une sérieuse muselière aux Noirs du genre Panda qui, en Belgique, dans les cercles coloniaux,
voire au congrès colonial de Bruxelles, induisent grossièrement l’opinion publique en erreur74. » Chez
les Bakwa Kalonji, Mutombo Polycarpe, petit-fils du feu Mutombo Katshi s’était illustré dans sa
correspondance avec l’administration coloniale (depuis 1926) par un mépris total à l’égard des chefs
traditionnels qui dirigeaient les chefferies. Ses souhaits de voir ces chefs traditionnels remplacés
par des gens instruits, libérés de toutes les idées païennes n’avaient jamais été acceptés par l’auto-
rité coloniale75. C’est à partir de ce moment que le colonisateur belge commença à redouter pour sa
propre sécurité la formation spontanée d’une élite congolaise susceptible de rompre l’équilibre socio-
économico-politique établi. D’où l’adage fort connu au Congo belge : « Pas élite, pas d’ennui ».
Entre Paul Panda Farnana et Mwana Shimbi, il n’y avait qu’un pas à franchir. Et, c’est dans ce
contexte qu’il faudra situer et comprendre le refoulement, la relégation de Mwana Shimbi loin du
district et de son territoire de Kabinda. C’est donc là le but inavoué du refoulement. Cela nous fait
comprendre l’acharnement avec lequel le commissaire de district, Gaston Heenen, s’opposait à la
levée de la relégation de Mwana Shimbi, un danger politique permanent.
« Il se pourrait qu’en apprenant la mort du chef Lumpungu, le relégué Mwana Shimbi,
dit André Luce, sollicite l’autorisation de pouvoir se rendre à Kabinda pour y défendre
ses droits, sinon à la succession de Lumpungu, du moins à l’autorité sur les populations
Ben’Eki. Je me permets de vous demander que cette autorisation soit refusée à André
Luce dont la présence ne pourrait qu’aggraver les réelles difficultés que nous rencontre-
rons pour arriver à une solution heureuse du problème que pose la succession politique
de Lumpungu76. »
En 1920, longtemps après la mort de Lumpungu, Mwana Shimbi qui voulait regagner son territoire
natal fut obligé de signer, en date du 23 mars, une déclaration selon laquelle il renonçait totalement et
définitivement à toute prétention à la chefferie des Ben’Eki, tant pour lui-même que pour sa descen-
dance. Fort de cette déclaration, le vice-gouverneur général du Katanga, Charles Tombeur demanda
au commissaire de district, Gaston Heenen, s’il ne voyait pas d’objection à l’approbation de l’ordon-
nance relative à la relégation de Mwana Shimbi et, partant, au retour de ce dernier dans son milieu
n 40
Le chef songye Kamanda ya Kaumbu
77. Fonds Vellut, « Lettre du 27 mars 1920 du V.G.G. du Katanga au commissaire de district Gaston Heenen ».
78. Fonds Vellut, « Lettre du 13 avril 1920 du commissaire de district au vice-gouverneur général du Katanga ».
79. Kibingani Mpesha 1984 : 62.
80 .Fonds Vellut, « Déposition d’André Luce du 22 mars 1920 ».
81. Dibwe dia Mwembu 1985 : 69-70.
41 n
Donatien Dibwe dia Mwembu
Ne se sentant pas pour autant battu, Mwana Shimbi adressa une lettre au roi de Belgique. Il lui
racontait non seulement sa vie, mais aussi exposait les circonstances qui avaient amené le commis-
saire du district de Lomami à le faire reléguer et demandait sa réhabilitation à la tête de la chefferie
Lumpungu. La lettre que le ministre des Colonies adressa au major Gaston Heenen, commissaire du
district de Lomami, montre que Heenen avait le dernier mot en ce qui concernait la levée de la relé-
gation de Mwana Shimbi :
« Je vous serais obligé de me faire tenir vos avis et considérations au sujet de cette
demande. Je vous prie notamment de bien examiner de façon tout à fait objective si
actuellement, en présence de la mort de Lumpungu, laquelle a amené la dislocation de la
chefferie artificielle et la reconnaissance autochtone des divers groupements coutumiers
qui la constituaient, il ne serait pas intéressant au point de vue expérimental – et pour
autant, bien entendu, qu’André Luce ait des droits coutumiers à la charge qu’il reven-
dique et qu’il soit désiré par la population – de mettre à la tête des Ben’Eki un chef ayant
eu une éducation européenne et vraisemblablement apte, de ce fait, à administrer sa chef-
ferie dans l’esprit selon lequel nous désirerions voir évoluer les communautés indigènes.
Le fait que cette chefferie soit proche de Kabinda permettrait heureusement à l’autorité
territoriale de suivre l’expérience de près et de prendre immédiatement toute mesure
adéquate si l’on s’aperçoit qu’André Luce n’exercerait pas ses fonctions selon le prescrit
du décret du 2 mai 1912. »
Le major Gaston Heenen demeurait toujours ferme dans sa décision. Pour lui, lever la relégation
de Mwana Shimbi risquait « de compromettre la paix, la tranquillité chèrement acquises dans le pays
songye82 ». Dans l’entre-temps, Mwana Shimbi qui était devenu employé à la firme Corréa sollicitait
en janvier 1922 auprès du vice-gouverneur général du Katanga l’autorisation de s’installer dans le
district de Lomami comme recruteur et commerçant. Mais, toujours méfiant à ses paroles, Gaston
Heenen demanda et obtint du même vice-gouverneur général du Katanga en date du 21 mars 1922 une
ordonnance interdisant à Mwana Shimbi de séjourner dans le district du Lomami83.
En 1928, le major Gaston Heenen devint vice-gouverneur général du Katanga. Lui-même
qui s’était toujours opposé à l’idée de voir Mwana Shimbi résider dans le district du Lomami,
signa pourtant en date du 9 octobre 1928 une ordonnance abrogeant celle du 24 octobre 1925 qui
interdisait à Mwana Shimbi de résider dans le territoire de Kabinda. Dans une note adressée au
commissaire de district du Lomami, le vice-gouverneur général autorisait Mwana Shimbi à s’ins-
taller à Luputa pour y commencer une entreprise de culture et d’élevage. De plus, Mwana Shimbi
pouvait voyager en vue d’effectuer des transactions commerciales. Cependant, le vice-gouverneur
général demandait avec insistance au commissaire de district du Lomami d’exercer une surveil-
lance discrète sur tous les faits et gestes de Mwana Shimbi84. Ce dernier devait d’ailleurs être tenu
éloigné de Kabinda.
Mais, les activités commerciales de Mwana Shimbi ne furent pas aussi florissantes qu’il l’espé-
rait. De nouveau, Mwana Shimbi était sans emploi et sans ressources. Dans une lettre adressée au
82. Fonds Vellut, « Lettre du major Heenen du 28 décembre 1921 adressée au ministre des Colonies ».
83. Fonds Vellut, « Lettre du major Heenen du 24 février 1922 adressée au vice-gouverneur général du Katanga ».
84. Fonds Vellut, « Lettre du vice-gouverneur général Gaston Heenen du 11 octobre 1928 au commissaire de district du
Lomami ».
n 42
Le chef songye Kamanda ya Kaumbu
commissaire de district du Sankuru, le commissaire de province, Wauters, notait qu’il était intervenu
auprès du gouverneur général pour faire accorder un emploi à Mwana Shimbi démuni de ressources
et qu’en attendant la régularisation de sa situation, il lui avait accordé un prêt de 250 francs sur les
crédits de la relégation publique85.
Mwana Shimbi demanda, en vain, la levée de la relégation. Pourtant sans emploi et sans res-
sources, Mwana Shimbi, réduit à la plus simple expression, voulait regagner son milieu natal86. Il est
à noter que la situation politique dans le territoire de Kabinda en général et dans l’ancienne chefferie
Lumpungu en particulier n’était pas bonne. L’Administration coloniale n’était pas parvenue à faire
du chef Kamanda ya Kaumbu un auxiliaire soumis et totalement dévoué à la cause coloniale comme
elle le souhaitait.
85. Fonds Vellut, « Note du commissaire de province Wauters au commissaire de district du Sankuru », 19 août 1935.
86. Fonds Vellut, « Lettre d’André Luce du 13 mai 1936 adressée au commissaire du district du Sankuru » ; voir aussi
« Lettre de l’administrateur de territoire du 19 mai 1936 adressée à André Luce » dans laquelle l’administrateur du
territoire Benoît V. notait qu’aucune décision n’avait été prise concernant la levée de la relégation d’André Luce.
43 n
Donatien Dibwe dia Mwembu
Le chef avait une maison à étages. Il passait la nuit à l’étage, mais prenait ses repas au rez-de-
chaussée. Chaque matin, la foule attendait sa sortie pour trancher les différends ou pour présider
diverses manifestations à caractère politique ou magico-religieux. Dès que les guetteurs l’aperce-
vaient, ils annonçaient sa sortie à la foule en entonnant cette chanson :
Au passage du chef Kamanda, fils du Léopard, les visiteurs se prosternaient, assis à même le sol,
en signe de soumission et de respect.
Les éloges du griot Ntunta envoûtaient, affolaient et enorgueillissaient le chef Kamanda à tel
point que les Songye avaient l’impression qu’aucun autre chef coutumier du Kasaï ne l’égalait. Dans
ce cadre, plusieurs chansons de louange lui étaient dédiées par la population. Nous reproduisons les
extraits de quelques-unes recueillies à Lubumbashi et à Kabinda.
n 44
Le chef songye Kamanda ya Kaumbu
Le chef Kamanda est comparé ici à la fouine et au renard, deux petites bêtes en ce qui concerne leur
taille, mais pourtant déterminées à aller jusqu’au bout de leur entreprise. Mutshienge (« Renard »),
petite bête sauvage de la famille du chat, a l’habitude de poursuivre sa proie (le plus souvent les
poules) jusqu’au village et est même capable de ravager tout le poulailler si le propriétaire n’y fait
attention. La fouine, petit animal rusé et doté d’une superbe vision de loin, détecte et suit avec une
attention particulière les mouvements de ses adversaires. Ces différents attributs affublés au chef
Kamanda mettent à nu ses caractères : il était très fort, rusé et insaisissable. Lorsque son pays était
attaqué, le chef Kamanda ne se contentait pas seulement de repousser l’adversaire, mais aussi le pour-
suivait jusque dans ses derniers retranchements.
À l’instar de tous les chefs coutumiers investis par le pouvoir colonial, le chef Kamanda percevait
l’impôt auprès de la population de sa chefferie. D’après certains informateurs, Kamanda percevait
aussi un pourcentage au prorata du montant récolté. Cela constituait une source de ses revenus. Les
autres chefs coutumiers jaloux de la richesse du chef songye nourrissaient une haine contre Kamanda
non seulement à cause de cela, mais aussi et surtout du prestige dont il jouissait auprès des autorités
politiques coloniales.
Le succès du chef Kamanda atteignit son point culminant lors de la visite qu’avait effectuée le
prince Léopold de Belgique en 1925 à Kabinda. Très impressionné par l’accueil combien chaleu-
reux que le chef Lumpungu lui avait réservé, le prince Léopold aurait remis au chef Kamanda une
épée d’honneur et lui aurait fait cette promesse d’ordre politique : « Les nouvelles vous concernant
qui nous parviennent en Belgique nous réjouissent beaucoup. Nous sommes vraiment contents de
vous. J’ai reçu mandat de venir vous dire que tous les responsables blancs vous doivent du respect,
obéissance et soumission. S’il y en a qui s’enorgueillissent, veuillez nous le faire savoir. Nous les
démettrons de leurs fonctions et ferons remplacer par ceux qui se soumettront à vous sans bouder.
Nous avons placé toute notre confiance en vous. »
45 n
Donatien Dibwe dia Mwembu
Tata Kabamba, baya Mfute, baya Mianda Père Kabamba, époux de Mfute et de Mianda
Tata Kabamba, baya Bibi Kalambu Père Kabamba, époux de Bibi Kalambu,
Tata Kabamba, nakuimuna na kutompo Père Kabamba, je te salue et viens à tes nou-
Tata Tshisakatshi mukua Madimba velles,
Père Tshisakatshi mukua Madimba
Le tshisakatshi est un arbre géant au grand feuillage, pourvoyeur de fleurs comestibles pendant
la saison sèche, période au cours de laquelle les légumes sont rares. C’est pourquoi beaucoup de
familles en quête des légumes l’entourent.
Tireur d’élite et grand chasseur, Kamanda abattait beaucoup d’animaux, les partageait en trois
parties : une pour la population, une autre pour les Blancs, mais destinée aux prisonniers, et, enfin,
une troisième pour lui-même et sa famille. Il semble que lorsque la population percevait un début
de négligence en ce qui concernait l’hospitalité du chef, elle le rappelait à l’ordre. C’est dans ce
contexte que tous les Blancs qui se ravitaillaient chez le chef Kamanda entonnaient la chanson sui-
vante lorsqu’ils se sentaient lésés : « Kamanda tua kuluidi bua tusangale petu, ukadi mutubenge bua
kutusankisha buetu bulongu budi biakudia kabiena bimpe to » (« Kamanda, nous venons vers toi pour
que nous nous réjouissions aussi ; tu nous a déjà écartés de ces réjouissances. Notre terre ne produit
pas de bonnes denrées alimentaires »). Les colons blancs recevaient des œufs, des poules, de la viande
et divers autres produits. Quiconque voulait manger chez le chef était le bienvenu. Trois repas étaient
préparés à la Cour du chef : un pour les Blancs, un deuxième pour la population et un troisième pour
lui-même.
n 46
Le chef songye Kamanda ya Kaumbu
On comprend alors la raison d’être de cette métaphore. Le chef Kamanda est comparé à cet
arbre géant qui produit des fleurs pendant la saison sèche. Cette saison est comparée à des périodes
de disette, de rareté en denrées alimentaires. Le territoire des Ben’Eki, par exemple, n’est pas très
giboyeux. La consommation de la viande y est considérée comme un luxe par les familles pauvres.
Les tributs en viande que le chef reçoit de ses sujets des régions giboyeuses sont redistribués aux
gens des milieux qui en sont dépourvus. Kamanda avait fait siens les enseignements fondamentaux
de l’école traditionnelle chers à tout chef songye contenus dans la chanson populaire Panadi mukinga
kwetu kwa yaya :
Panadi mukinga kwetu kwa yaya, Quand j’étais petit chez mon père,
Yaya bandunguile : Mon père me disait :
Babakupa bufumu Lorsqu’on te donne le pouvoir (tu es élu
Weyukie bantu chef)
Bantu abakutulu Pense au peuple
Su bodi bufumu bantu natusepu Le peuple te soutiendra
Bwabwa abufunfumuka Si tu règnes et apportes le sourire au peuple
Su bodi bufumu bantu nakudila Ton règne prospérera
Bwabwa abufunduluka Si tu règnes et apportes les pleurs au peuple
Mashinda na bibelo bibukata, tabikulunga- Ton règne s’appauvrira
mina, Les larges avenues et les portes (des mai-
Mototambukilanga wenyunyanga, sons)
Totambuka muibungie. Te seront rétrécies.
Toi qui te promenais fièrement,
Tu passeras inaperçu.
Il est cependant important de noter que les maisons construites près de l’arbre géant courent le
danger de voir leurs murs lézardés et finalement détruits par ses racines rampantes. Le chef Kamanda
était un bon pourvoyeur, mais pouvait facilement éliminer tout collaborateur ou tout pays voisin qui
ne partageaient pas son point de vue.
Somme toute, certains adages populaires songye, notamment « Mfumu Bantu, Bantu Mfumu »
(« On est le chef avec un peuple ; on est peuple avec un chef ») et « Apadi Mfumu, tuadia kantu »
(« Là où le chef mange, nous en profitons aussi »), confirment le caractère de pourvoyeur des chefs
songye en général et du chef Kamanda en particulier. Un vieil enquêté de la commune de Kenya nous
a proposé cette interprétation :
« “Mfumu Bantu, m’bantu Mfumu” : on n’est chef que lorsqu’on a sous ses ordres des
personnes et autour de soi une population que l’on gouverne. Toute population a besoin
d’un chef pour la gouverner. Et, un chef est celui qui comprend bien son peuple, plaide
pour lui dans des moments difficiles. S’il arrive que dans un village le chef ne sache bien
entretenir sa population, celle-ci, inquiète, pourrait être amenée à contester son pouvoir,
à l’abandonner au profit d’un autre plus puissant, plus compréhensible et capable de
satisfaire leurs besoins.
A-t-on déjà rencontré un chef de la brousse ou de la forêt ? Un chef qui gouverne les
herbes ou les arbres ? Non, n’est-ce pas. On est chef pour la population et non pour soi-
même. Un chef qui est en bons termes avec son peuple découvre beaucoup de choses de
ce peuple.
47 n
Donatien Dibwe dia Mwembu
“A padi Mfumu, tuadia kantuˮ est un adage populaire qui veut dire que là où le chef
mange, nous mangeons aussi. Le chef est le pourvoyeur de sa population. Cet adage est
le plus souvent employé par les membres de l’entourage du chef qui jouissent presque
des mêmes privilèges que ce dernier. Lorsque le chef est en déplacement, ses conseillers
qui l’accompagnent se partagent la boisson, la nourriture, les dons offerts au chef. “Qui
travaille à l’hôtel dîne à l’hôtelˮ, dit-on ici. À son retour, le chef partage les présents
qui lui ont été offerts avec ses courtisans. De ce fait, chacun ramènera dans son ménage
quelque chose, signe que le chef a été bien accueilli et qu’il n’a pas mangé seul. D’autre
part, certaines gens se rendent chaque matin et chaque soir à la Cour royale pour faire
leur civilité au chef. S’il arrive que pendant leur visite, les femmes du chef offrent de
la boisson ou des mets à leur époux, le chef mangera-t-il seul sans en offrir à ses visi-
teurs ? Non, il ne peut pas se comporter de cette façon. De même, il n’est pas possible
que le chef mange seul de la viande et offre à ses visiteurs des légumes. D’où la chanson
suivante qu’entonnait autrefois un des griots du chef : “Ami lomba lua Mfumu, nadia
kalese, ami akudi’etombole nadia kikukwe ?ˮ (“Moi le chantre (ou le batteur de tam-tam)
du chef, pourquoi mangerais-je les feuilles de manioc, moi qui mérite de manger le coq
ou la poule ?ˮ) »
Les visites à la Cour royale étaient suspendues pendant les heures de repos du chef Kamanda. Mais
comme ces moments n’étaient pas fixes, la population était informée par cette chanson qu’entonnait
le griot :
Ntekesha Mwembo apele bantu kuno, Le puissant Mwembo ne reçoit pas (des gens) ici,
Ntekesha Mwembo apele bantu kuno, Le puissant Mwembo ne reçoit pas (des gens) ici.
A Ngye, a Ngye, Léopard, Léopard,
Lumpungu akala tabadi binu, L’ancien Lumpungu n’était pas ainsi,
Lumpungu akala tabadi binu. L’ancien Lumpungu n’était pas ainsi.
Le surnom de Mwembo était donné aux vainqueurs et aux chefs à cause de leur puissance. Cet
hymne, entonné lorsque le grand chef se reposait ou était ivre, interdisait tout accès à la Cour royale.
Quiconque entendait cette chanson devait rebrousser chemin au cas où il aurait voulu rendre visite
au chef. Au même moment, le griot excitait le léopard à se constituer en obstacle contre tout visiteur
indésirable qui tenterait d’accéder à l’intérieur de la cour. Cet hymne qui se substituait à une affiche
ou à un communiqué cessait dès que le repos du chef prenait fin.
Comme pour le repos, les sorties ou les déplacements du chef Kamanda étaient annoncés à la
population par des chants de louange appropriés dont voici un extrait :
n 48
Le chef songye Kamanda ya Kaumbu
Ce cantique était exécuté, comme nous l’avons dit, lorsque le chef Kamanda était sur le point de
sortir de la Cour royale ou de se déplacer. Le griot, après l’avoir exalté, comptait jusqu’à quatre et
demandait au chef de se lever et de partir. Le griot donnait pratiquement un ordre puisque le chef, dans
sa tenue blanche, se levait immédiatement, la casquette sur la tête et quittait la cour pour une tournée
dans le chef-lieu de la chefferie ou à l’intérieur de celle-ci. Cette vie princière prit fin en 1935 avec
l’affaire Kapinga wa Tshiyamba.
En effet, les relations entre Kamanda et les autorités coloniales, qui étaient bonnes au début, com-
mncèrent à se détériorer. Hier pacifique, la cohabitation entre les deux pouvoirs, colonial et coutumier
moderne, devint conflictuelle.
5. Le martyre de Kamanda
Les relations entre le chef Kamanda et l’administration coloniale furent à la longue teintées de
malentendus et se détériorèrent. Le double assassinat de la femme Kapinga wa Tshiyamba et de sa
fille mulâtresse imputé à Kamanda fut l’occasion tant attendue par l’administration coloniale pour
rompre avec le chef songye. Ce fut le début de son martyre qui le conduisit à la peine capitale par pen-
daison le 3 septembre 1936. Mais, invitons d’abord la mémoire et l’histoire pour nous donner leurs
versions respectives, populaires pour la première, et officielle et coloniale pour la seconde.
49 n
Donatien Dibwe dia Mwembu
Si ces deux premières versions parlent de Kapinga et de sa fille en tant qu’êtres vivants, les deux
suivantes, bien qu’attribuant le double assassinat aux épouses de Kamanda, considèrent les deux vic-
times comme des bilengeleshi, c’est-à-dire des fétiches transformés en êtres humains.
« Lumpungu aimait les femmes. Il les aimait tellement qu’il les draguait à sa guise, très
nombreuses. Pour la conquête amoureuse, il envoyait des émissaires auprès de celles qui
lui plaisaient. Sa mort vient de là. Voici ce qui s’était passé : officiellement, lors de son
n 50
Le chef songye Kamanda ya Kaumbu
investiture, il n’avait que deux femmes. Les notables lui avaient préparé un fétiche sur
un van (lungo). Ce fétiche devait être enterré devant la porte de l’une de deux femmes
avec interdiction d’être “exhuméˮ à l’avenir. À la question de savoir devant la porte de
laquelle de deux épouses cela devait se faire, il opta pour la porte de la première épouse.
Cela se fit tel qu’il l’avait souhaité. Plus tard, il s’éprit d’amour avec une troisième
qui l’affola. Le chef ordonna qu’on déterre le fétiche pour l’enterrer devant la porte de
cette dernière. Refus des notables qui le rappelèrent à l’ordre. Intransigeant, il insista
et menaça d’en tuer quelques-uns pour insubordination. La peur les fit s’exécuter et la
volonté du chef fut faite. Trois jours plus tard, il y eut l’apparition d’une femme blanche
dans le village de Kabinda. Le chef apprit la nouvelle et décida de conquérir son cœur.
Il ne tarda pas à la solliciter sans savoir que c’était son fétiche qui s’était transformé en
femme blanche. Abordée, elle agréa les avances du chef et lui céda le corps. Ses trois
épouses apprirent que “Sa Majesté le Roiˮ les cocufiait avec une Blanche ; elles se
révoltèrent, se liguèrent et attaquèrent la rivale qu’elles battirent à mort. La nouvelle
s’ébruita. Le chef décida de livrer ses trois épouses aux Blancs (colonisateurs) au cas où
ceux-ci apprendraient le drame et viendraient pour enquêter. Les notables lui dirent qu’il
n’était point besoin de livrer ses épouses. Le chef devait assumer ses responsabilités : se
reconnaître auteur de la tragédie. Et en tant que grand chef, les Blancs ne lui feraient rien
tant il était respecté. Quand ceux-ci arrivèrent, Lumpungu exécuta la proposition de ses
notables. Mais auparavant, il promit malheur à tous (notables et épouses) au cas où il lui
arriverait un mauvais châtiment de la part des Blancs. Il avait donc endossé la responsa-
bilité du meurtre. La nouvelle se répandit sur ses terres : “Lumpungu a tué une femme
blancheˮ. Le commissaire de district de Kabinda ainsi que l’inspecteur de police firent
rapport à Léopoldville, chez le gouverneur général et en Belgique chez le roi. Le rapport
stipulait en substance : “Lumpungu qui mangeait ses frères noirs vient de commencer à
manger le cœur des Blancsˮ88. »
La deuxième version est celle d’un fétiche fabriqué par une créancière (mwin’eki ?). Une femme
sorcière et féticheuse aurait préparé un fétiche que Kamanda lui aurait demandé en vue d’asseoir son
autorité tant sur les Blancs que sur les Noirs. En contrepartie, elle espérait obtenir du chef Kamanda
une partie du territoire qu’elle dirigerait. Mais elle fut déçue et conçut alors un stratagème pour éli-
miner le chef Kamanda. Kapinga wa Tshiyamba et sa fille ne seraient qu’un fétiche fabriqué par la
sorcière pour se venger de Kamanda qui n’avait pas honoré ses engagements. Voici comment cela se
serait passé :
« À Kabinda, Kamanda alla consulter une femme féticheuse et sorcière du nom de
Kapinga afin de solliciter quelques gris-gris qui lui permettraient d’augmenter sa puis-
sance mystique avec en toile de fond l’extension de son autorité tant à ses sujets noirs
qu’aux Blancs. De cette façon, les Blancs devaient accepter tout ce qu’il leur proposerait
sans discussion. En contrepartie, il concéderait à Kapinga une partie de sa chefferie que
cette dernière administrerait et dans lequel elle régnerait. Kapinga accepta l’offre, fit
un fétiche à Kamanda et demanda à ce dernier d’être fidèle à ses paroles. Il faut avouer
que ce fétiche était très puissant. La réaction du fétiche de la sorcière Kapinga ne s’était
pas fait attendre longtemps : le pouvoir de Kamanda se répandit à telle enseigne que les
51 n
Donatien Dibwe dia Mwembu
Européens n’écoutaient plus que ce qu’il leur disait. Pour les réunions, il ne se déplaçait
que lorsque les colons blancs lui envoyaient une voiture et un chauffeur qui devait le
transporter. Faute de quoi, il restait chez lui, vaquant à d’autres occupations. Mais, des
jours s’écoulèrent et, ivre du pouvoir et imbu de lui-même, le chef Kamanda oublia ses
engagements vis-à-vis de la sorcière Kapinga. Il ne se doutait du tout ce qui l’attendait.
Il mangeait, buvait, s’amusait comme bon lui semblait. Kapinga enrageait, mais n’osait
pas encore se prononcer auprès du tyran.
À la Cour royale, il y avait plusieurs femmes et hommes parmi lesquels un domestique
du nom de Kabombo Dima qui était très fidèle au roi. Et le chef Kamanda sentit les effets
du fétiche : tout était calme. La chefferie vivait sous un calme et une paix absolus. Les
Blancs ne pouvaient plus agir sans recourir à l’aval du chef Kamanda. Ils lui offraient
des présents et recevaient en retour des esclaves dont ils se nourrissaient de la chair. Le
pouvoir de Kamanda se raffermissait davantage, sa chefferie prospérait. Tout était calme.
Kapinga finit par en avoir haut le cœur et vint trouver le chef Kamanda. Elle s’adressa
poliment à lui, faisant savoir le mobile de sa visite. D’ailleurs, Kamanda le savait fort
bien. L’ayant écoutée, il lui demanda de revenir après quelques semaines. Sans rouspé-
ter, elle retourna chez elle d’où elle revint quelques semaines plus tard pour recevoir la
même réponse auprès du chef Kamanda. Ce furent des promesses intenables et des aller
et retour sans succès. Kamanda promettait toujours à Kapinga qu’il donnerait satisfac-
tion à sa requête, mais n’arrivait jamais à y répondre. Il s’écoula des jours, des semaines,
des mois et des années sans que la sorcière Kapinga fût satisfaite. Elle ne se fatigua point
ni ne se découragea si bien que ses visites à la Cour du chef Kamanda furent fréquentes
au risque de lui attirer des ennuis. Sa présence ne passait pas inaperçue aux yeux des
femmes du chef Kamanda qui pouvaient voir en elle la maîtresse de leur époux. Cela
signifie que la jalousie et la haine qu’elles entretenaient contre Kapinga Mwambu furent
telles qu’elles provoquèrent une crise qui atteignit son paroxysme. Le chef Kamanda le
remarqua très vite et, sans tarder, réagit violemment à l’égard de la sorcière qu’il somma
de ne plus fouler ses pieds à la Cour sous peine d’y subir un châtiment exemplaire. Sur
ces entrefaites, Kapinga, très déçue par ce comportement d’ingratitude de la part du chef
Kamanda, salua le chef et partit comme un trait, promettant de se venger contre le chef
Kamanda qui ne voulait pas honorer sa parole donnée le jour où il la consultait pour sol-
liciter le pouvoir magique. Très fâchée, Kapinga décida d’éliminer physiquement le chef
Kamanda, qui se croyait au-dessus de tout, pareil à un aigle qu’un crapaud ne pourrait
atteindre.
De retour à la maison, Kapinga se mit à étudier minutieusement tous les points forts qui,
selon les pouvoirs magiques dont Kamanda était possesseur, lui conféraient l’irréductibi-
lité. Elle se mit au combat en diminuant chaque plan de métamorphose du chef jusqu’au
moment où, jugeant le moment venu, elle devait passer à l’assaut. Elle lui expédia bien
des épreuves que Kamanda déjouait avec autant de souplesse possible. La lutte dans le
monde métaphysique était âpre entre les deux adversaires. Kapinga envoyait des sor-
tilèges que le chef Kamanda déjouait et, à son tour, Kamanda répliquait. Kapinga se
moquait de Kamanda et attaquait de nouveau. Pour elle, tout ce qui se passait entre le
chef Kamanda et elle ressemblait au simple amusement entre chat et souris. Ce combat
mystique dura plusieurs jours jusqu’à ce que Kapinga décidât de sortir alors sa dernière
carte. Il s’agit d’un kilengeleshi, un vrai sosie de femme blanche. Avec tous les pouvoirs
n 52
Le chef songye Kamanda ya Kaumbu
magiques qu’elle détenait, elle se transforma elle-même en une dame blanche, char-
mante qu’on avait alors surnommée Hélène Mutoke (“Hélène-la-Blancheˮ).
Ainsi transformée en femme blanche, Kapinga partit de chez elle tôt le matin, elle se
présenta à la Cour du chef Kamanda avec tous les respects possibles et dignes de son
rang. On l’annonça au chef qui était encore au lit. Celui-ci se leva, ouvrit la fenêtre de
sa chambre à l’étage et, à la vue de cette belle créature européenne, il eut un coup de
foudre. Il demanda de la faire monter à l’étage de toute urgence. Ce qui fut fait. Le chef
s’entretint un long moment avec son hôtesse et, après échange de vues et considérations,
ils s’embarquèrent tous les deux dans la voiture qui les conduisit auprès des responsables
blancs qui s’occupaient de l’administration. Kamanda dont la conscience n’était plus
tranquille brûlait d’envie de voir Hélène Mutoke devenir sa femme. Il n’hésita pas à
poser son problème aux Blancs pour demander sa main. Après débat et délibération, les
Blancs la lui confièrent en échange de pointes d’ivoire et d’esclaves. Le chef Kamanda
s’exécuta et fournit tout ce qu’on lui avait exigé. Il recueillit ainsi Hélène Mutoke chez
lui à la Cour au vu et au su de tous les Européens qui habitaient la contrée de Kabinda.
Or, cette Hélène Mutoke n’était que la sorcière Kapinga transformée en une femme
blanche pour faire disparaître le chef Kamanda. Leur nuit de noces fut une nuit de miel.
Et Kamanda, qui ignorait tout de la vraie nature de sa nouvelle femme, s’adressa le matin
suivant à toutes ses anciennes femmes de manière sentencieuse : “Vous toutes, femmes
de ma Cour, écoutez-moi bien. Votre nouvelle ‘coépouse’ Hélène Mutoke ne touchera
ni mortier ni pilon, moins encore la cuisine ou la vaisselle. Tous les travaux de ménage
seront les vôtres et elle en sera dispensée. Si vous osez le lui faire faire, je vous tuerai et
vous me perdrez puisqu’elle en mourra et les Blancs me tueront. Que mes paroles restent
de stricte application, elles sont un serment.ˮ
Silencieuses, les femmes se retirèrent chacune dans leur maison, se répétant l’ordre for-
mel qui émanait de leur chef d’époux. Les premiers jours d’Hélène à la Cour du chef
Kamanda étaient beaux et gracieux. Elle s’amusait dans les bras de son mari ou s’en-
dormait très profondément toute la journée jusqu’au moment où l’on venait la réveiller
pour le repas. Ainsi se levait-elle et allait-elle s’asseoir à la table pour manger. Les visites
des Blancs à la Cour de Kamanda devenaient de plus en plus fréquentes à cause de cette
femme blanche, Hélène Mutoke.
Désormais c’est elle qui sortait tous les soirs avec le chef Kamanda pour des séances
de détente ou de divertissements pendant que les autres femmes restaient s’occuper des
travaux de ménage. Toutes les nuits étaient destinées à Hélène, la Blanche. Tout cela ne
devait pas contenter ses “coépousesˮ qui se sentaient abandonnées par leur mari avec
lequel elles partageaient le lit alternativement. Elles en furent très jalouses.
Chaque fois qu’elles s’assemblaient pour leur besogne quotidienne, elles en parlaient.
Et le sujet de toute leur conversation était Hélène Mutoke. Elles se demandaient pour-
quoi leur mari devait épargner la Blanche de tous les travaux de ménage. N’était-elle
pas femme comme toutes les autres femmes ? Elles se décidaient même de recourir à la
vengeance, mais cassaient leur décision à l’idée que Kamanda se vengerait s’il arrivait
quelque malheur à Hélène.
Kamanda sortit pour une tournée de quelques jours dans les villages de sa chefferie.
C’était le moment tant attendu. Ses femmes préparèrent un grand bassin où elles mirent
des cossettes de manioc à piler le soir. La nuit venue, elles se séparèrent pour aller se
coucher. Le matin, elles se firent d’abord paresseuses à se réveiller. Le soleil était déjà
53 n
Donatien Dibwe dia Mwembu
très haut dans le ciel. S’étant toutes rassemblées au milieu de la cour, elles préparèrent
un grand mortier avec un seul pilon, puis envoyèrent chercher Hélène Mutoke. Celle-ci
se réveilla à l’idée qu’elle allait manger. Mais, on lui demanda de descendre dans la cour
où l’attendaient ses “coépousesˮ. Elle suivit poliment l’émissaire qui la conduisit auprès
des autres femmes du chef Kamanda. Elle se tint coite. Les autres la dévisagèrent avec
dédain et haine. Puis l’une d’elles, la première épouse, prit la parole au nom de toutes
et décréta cet ordre à la nouvelle venue : “Tu as accepté volontiers d’être la femme
de Kamanda. Tu dois aussi préparer pour ton mari et faire d’autres besognes pour lui.
Nous ne sommes pas tes esclaves, compris ? Maintenant tu vas te mettre à piler tout ce
manioc jusqu’à emplir ce bassin de farine toi seule. Personne ne t’épaulera. Tu sauras
aussi ce que ça coûte de te marier et d’être femme.ˮ Alors toutes les femmes quittèrent
la cour et laissèrent Hélène visiblement choquée, sous un soleil de plomb. Elle n’eut pas
d’autres solutions. Elle ramassa le pilon au sol, le plongea dans le grand mortier et se
mit à piler avec autant de maladresse possible, fournissant le plus d’énergie, suffoquant
et transpirant comme une gargoulette remplie d’eau. Le soleil l’accablait et elle se mor-
dillait les lèvres sous les douleurs qu’elle éprouvait. Elle tentait de soulever le pilon qui
semblait peser plus que son corps et n’y parvenait qu’au prix d’un grand effort. Tout lui
était devenu douleur et asphyxie. Soudain, prise de vertige, elle vit tout tourner autour
d’elle et tomba à la renverse. Lorsque les autres femmes accoururent, elles la trouvèrent
étendue au sol, morte. Ce fut alors la panique à la Cour. À l’idée que si le chef rentrait
et la trouvait morte il se vengerait comme il l’avait promis, certains sujets de la Cour
recommandèrent le silence ou la discrétion pour que les Blancs ne le sussent. Mais,
c’était trop tard. La nouvelle s’était répandue comme une traînée de poudre. Le chef
Kamanda, informé, rentra et constata la catastrophe. Contrairement à ses promesses, il
se contenta de proférer quelques menaces à ses autres femmes et déclara qu’elles avaient
ainsi l’unique but de le perdre. Les Blancs l’ayant su se rendirent à la Cour du chef
Kamanda pour s’enquérir de la situation. Le chef Kamanda ne leur dit pas la vérité et
ces derniers ne s’arrêtèrent pas là. Ils continuèrent leurs investigations qui furent vaines.
Ils décidèrent alors de convoquer Kamanda au tribunal. Celui-ci alla comparaître, mais
ne dit rien de convaincant sur la mort de Hélène Mutoke. Plusieurs sujets, même les
femmes du harem de Kamanda, furent interrogés. Personne ne révéla le secret de la
mort de la “Blancheˮ. Les Blancs qui savaient que le chef Kamanda avait un serviteur
(Kabombo Dima) qui lui était plus fidèle interpellèrent ce dernier et le soumirent à un
interrogatoire, allant jusqu’à lui proposer des cadeaux. Mais celui-ci tint bon. Alors, ils
changèrent de méthode. Ils dressèrent un mât avec une poulie et des chaînes. Au lieu
d’un siège, ils l’y attachèrent par les poings et les pieds. Ils l’élevèrent dans les airs et,
ayant relâché la manivelle, le pauvre homme abattit les fesses contre terre et fit grincer
les dents, mais ne dit rien. Au deuxième tour, il supporta malgré lui ses douleurs. Mais
au troisième tour, il dégringola violemment et les fesses, déjà endolories, battirent le sol.
Kabombo Dima en pleurs promit de leur dire la vérité. C’est ce qu’il fit.
Alors on se rendit à la tombe et on retira le corps de la défunte. Après examen, les Blancs
conclurent qu’il s’agissait bien du corps de la femme blanche qui gisait là. Et le chef
Kamanda fut arrêté. Son procès commença.
Ce ne fut pas facile. Il y eut trop de reports et de mauvaises coïncidences. Chaque fois
que les Blancs se proposaient de l’arrêter, ils le croisaient en cours de route sans le
reconnaître. Lorsqu’ils se rendaient à la Cour du chef, on leur disait que ce dernier était
sorti pour se rafraîchir au bar. Ils l’y poursuivaient et, parfois, partageaient un verre avec
n 54
Le chef songye Kamanda ya Kaumbu
lui sans le reconnaître. Ceci dura longtemps jusqu’au moment où il jugea utile d’aller
lui-même comparaître au tribunal. Les Blancs, courroucés, lui dirent qu’il venait de les
braver, de se moquer d’eux en mangeant les boyaux de Hélène-la-Blanche, parce qu’eux
mangeaient les Noirs. Toute la responsabilité de la tragédie lui fut imputée et les femmes
furent blanchies : Kamanda avait tué la Blanche pour se venger du comportement des
Blancs. Malgré ses protestations, il ne fut pas écouté. Leur décision était formelle : il
devait être pendu publiquement à Kabinda89. »
Tous ces récits montrent que les femmes du chef Kamanda sont responsables de la mort de Kapinga
wa Tshiyamba et de sa fille. C’est pourquoi, la plupart des Songye commencent ce récit par cet adage :
« Kipama nkiobe kiakushinga nsenga » (« Pour une igname qui pourtant t’appartient, tu te couvres
de terre », cela veut dire : tes propres femmes te couvrent de honte au lieu de t’honorer). La première
femme, Mfute, est la plus citée. Instigatrice, elle aurait poussé ses coépouses à commettre le crime.
D’ailleurs, comme nous le verrons, cette femme est citée comme témoin lors du procès. Les quatre
récits montrent que Kamanda est mort pour avoir voulu sauver ses épouses et sauvegarder sa dignité.
En cela, le chef Kamanda répond aux critères d’un vrai homme selon l’école traditionnelle songye.
En fait, qu’est-ce qu’un homme ? La chanson populaire songye Panadi mukinga kwetu kwa yaya nous
en donne une description :
Panadi mukinga kwetu kwa yaya, Quand j’étais enfant chez mon père,
Yaya bandunguile : Mon père me disait :
Bu mwana mulume tanka kudia nyoka na Être un homme, ce n’est pas seulement man-
Mwefu ku kanwa, ger du serpent et avoir une barbe au menton,
Bu mwana mulume mianda kumona Être un homme, c’est endurer des problèmes
Anka na kuyipwa : et savoir les résoudre ;
Mianda ku kifuko, mianda ku muilo, Problèmes issus de sa propre famille, pro-
Mianda ku bamukashi. blèmes issus du peuple,
Ufike bufuku, ufike kanya, Problèmes issus de la famille de l’épouse.
Mulume biayimana. Que le problème surgisse la nuit ou le jour,
Mwanda aukukwata, banda kuumina, l’homme est toujours prêt.
Leka kudila dilanga. Lorsque tu es confronté à un problème,
Kuidila dilanga, bebungi abakusengie, maîtrise-toi. Ne te lamente pas.
Bapela abakusamba. Si tu te lamentes, nombreux sont ceux qui se
Mukumbo wa mulume wibu na mpika, moqueront de toi ; très peu te consoleront.
Ufulwa wi mulwe La douleur d’un homme ressemble à celle
Mikolo na mutue na munda lusungo, d’un esclave.
Tokumona akumusamba Pris des douleurs des pieds et de la tête et des
Mwana mulume nyi ntambwe na ngye douleurs abdominales,
Tafuiya bulale Personne ne te consolera.
Otanda mwana, omulungule biobio. Un homme ressemble à un lion et à un léopard
qui ne meurent pas endormis (sans avoir à
résister).
Lorsque tu as un enfant, prodigue-lui ces
conseils.
89. Pilipili Kongolo Ilunga Katombe, refoulé, témoignage recueilli à Lubumbashi, novembre 2002.
55 n
Donatien Dibwe dia Mwembu
La mémoire entretient une confusion entre Hélène, la femme métisse du chef Kamanda, surnom-
mée « Hélène Mutoke » (« Hélène-la-Blanche »), et Kapinga wa Tshiyamba. Kapinga n’était pas une
métisse, mais avait une fille métisse. Le dernier récit a quelque chose de commun avec le réquisitoire
du ministère public du tribunal de Kabinda : de tous les prévenus, seuls Kamanda et ses épouses ont
nié les faits leur reprochés, à savoir le double assassinat et le recel des objets de la défunte Kapinga
wa Tshiyamba.
La deuxième version considère le chef Kamanda comme le véritable auteur du double assassinat.
Cette version, la plus populaire, se rapproche ou s’inspire de la version officielle que nous allons
découvrir dans le volet suivant. Mais voyons d’abord comment la nouvelle du double assassinat de
Kapinga et de sa fille était parvenue auprès des autorités coloniales.
n 56
Le chef songye Kamanda ya Kaumbu
les pistaches se trouvent des patates doucesˮ), dit un adage songye qui recommande la
prudence, c’est-à-dire toujours s’assurer de l’identité ou de la nature de tout le contenu
avant l’expédition du contenant.
Et quand l’autorité est venue contrôler le paiement d’impôts et l’état de la caisse, elle
déversa le contenu de la malle par terre. La présence de ce bout de papier attira son
attention. Après l’avoir lu, l’autorité comprit le message et confia le bout de papier
aux autorités administratives et judiciaires de droit. Ces dernières décidèrent de traîner
Lumpungu devant leur justice pour répondre de ses crimes91. »
Cette version est partagée par bien d’autres personnes et par les membres de la famille du chef
Kamanda qui voyaient en ce geste la machination des Ben’Eki toujours à l’affût du pouvoir et donc
favorables à l’éviction de Kamanda. Certains informateurs rapportent que les Belande et les Ben’Eki
ne cessaient d’accuser le chef Kamanda auprès des Belges des actes d’anthropophagie. De plus, le
chef Kamanda aurait incité le peuple songye à la rébellion contre les Belges en vue de recouvrer l’in-
dépendance du territoire songye.
Un autre doigt accusateur était pointé sur les Baluba du Kasaï. Yvonne Ndalamumba, membre de
la famille Kamanda, rapporte :
« Pendant que Kamanda cherchait à rattraper Kapinga et sa fille, les Baluba du Kasaï qui
connaissaient sa passion pour la chair humaine, crurent qu’il avait déjà tué et mangé leur
“sœurˮ. Ils portèrent l’affaire à la connaissance des autorités coloniales qui décidèrent
d’arrêter Kamanda et de l’acheminer à Lusambo, jusque-là chef-lieu de la province du
Kasaï. Après l’avoir entendu, les autorités provinciales le libérèrent, probablement au
bénéfice du doute. C’est plutôt à Kabinda que Lumpungu fut arrêté et exécuté non pas
à cause de l’affaire Kapinga, mais pour avoir réclamé l’indépendance au roi des Belges,
geste considéré comme un manque de respect à l’égard du fils du roi souverain. »
À l’instar de Yvonne Ndalamumba, Pierre Ndjibu minimise le double assassinat et attribue l’ar-
restation et la condamnation à la peine capitale de Kamanda à la lettre que ce dernier avait envoyée
au roi des Belges. Il consacre pourtant la grande partie de son récit à l’enquête menée autour de la
disparition de Kapinga et de sa fille. Mais, comment les faits se sont-ils passés d’après la mémoire
populaire ? Écoutons Pierre Ndjibu :
« Une semaine après, un groupe d’hommes et de femmes sont venus dans le village de
Lumpungu. Ils se présentèrent à la Cour du grand chef Lumpungu. On leur répondit :
“Nous avons vu cette femme que vous cherchez. Nous l’avons reçue et lui avons offert
à manger. Elle a mangé et par après elle a continué son chemin. Elle a d’ailleurs refusé
de passer la nuit ici. Elle n’est donc pas ici. Allez plutôt la chercher ailleurs et non ici.”
Ces hommes et ces femmes continuèrent leur recherche dans d’autres villages. Partout
où ils se présentaient, on leur répondait que la femme n’était jamais passée par là. Les
autres leur disaient tout simplement ceci : “Ne perdez pas votre temps à chercher cette
femme. Allez plutôt la chercher chez le chef Lumpungu. C’est là qu’elle a disparu. Il n’y
a que le chef Lumpungu qui sait où se trouve cette femme. Il ne faut pas avoir peur de
lui.”
57 n
Donatien Dibwe dia Mwembu
n 58
Le chef songye Kamanda ya Kaumbu
humiliation. Ils étaient tous en colère et cherchaient à se rabattre sur le chef Lumpungu.
Celui-ci se préparait pour se rendre dans le territoire de Bekalebwe pour la collecte de
l’impôt. L’ordre fut donné d’arrêter le chef Kamanda.
Il fut arrêté directement et conduit auprès de Mme Marquet, l’administrateur de Kabinda.
Le chef Lumpungu se présenta en voiture. Il était très bien habillé. Il était tout en blanc
avec une cravate. Il arriva devant Mme Marquet et celle-ci le gifla avant de cracher sur
lui. Les gens ne croyaient pas leurs yeux. C’était là une chose à laquelle ils ne s’étaient
jamais attendus. Un roi aussi puissant que Kamanda ne pouvait jamais être humilié de
cette façon. Lorsque cette nouvelle considérée comme un scandale se répandit, beaucoup
de gens n’y ajoutaient pas foi. Pour eux, c’était un mensonge diffusé pour dénigrer le roi
Kamanda et tout le peuple qui était sous sa soumission. Il semble qu’il y avait déjà des
mouvements de protestation. Les gens voulaient se soulever pour exprimer leur mécon-
tentement. C’est pour cette raison qu’après avoir été arrêté, il fut conduit à Léopoldville
où il fut emprisonné.
En fait, il était condamné à mort. Il demanda au pouvoir colonial d’être pendu sur son
propre sol de Kabinda, devant son peuple. Heureusement pour lui, le pouvoir colonial
accepta et le reconduisit à Kabinda. Le pouvoir colonial avait fait venir de Kisangani et
de Watsa des soldats pour maintenir l’ordre et prendre le chef Kamanda. En effet, parce
que grand chef, un soulèvement populaire était fort redouté sur place à Kabinda92. »
59 n
Donatien Dibwe dia Mwembu
procès-verbal d’interrogatoire à sa façon sans avertir les autorités coloniales de Kabinda de la dispa-
rition de cette femme.
Désespéré, Kima s’adressa alors à l’officier de police judiciaire de Kumba, M. Potvin. Ce der-
nier se rendit immédiatement au village de Fwatoni et fit une première enquête sans aucun résultat.
Mais, deux vieilles femmes du village de Mwamba Mitanta, les nommées Buyu et Panda, déclarèrent
qu’elles avaient vu une femme accompagnée d’un enfant mulâtre arriver au village, avec deux malles
et une valise. Cette femme inconnue se dirigeait dans la direction du lupangu du sous-chef Mwamba
Mitanta, occupé en partie, à cette date, par le grand chef ya Kaumbu et ses femmes.
Interrogés, le grand chef ya Kaumbu et le sous-chef Mwamba Mitanta ont nié avoir vu la femme
disparue et n’ont même pas semblé connaître quoi que ce soit au sujet de cette affaire. Les enquêtes
se poursuivirent dans les autres villages sans donner des résultats positifs. Les villageois donnaient
toujours une réponse négative. C’est grâce aux cantonniers que la police judiciaire put établir avec
exactitude l’itinéraire suivi par cette femme inconnue et son enfant mulâtre de Kabinda à Fwatoni.
Grâce aux différents témoignages et aux aveux des prévenus, la reconstitution des faits fut possible.
Accompagnée de sa fille mulâtresse et de quatre porteurs, Musao Kapinga se rendait de Kabinda
à Fwatoni. Dans ce dernier village, Kapinga paya les porteurs, demanda à un certain Mulumba d’al-
ler avertir son frère Kima de son arrivée. Entre-temps, elle se rendit chez le sous-chef Mwamba
Mitanta. En cours de route, elle rencontra Maole Benoît qui la conduisit jusqu’au lupangu du sous-
chef Mwamba Mitanta, près du grand chef ya Kaumbu. Ce dernier demanda à Kapinga si elle pouvait
devenir sa femme. Kapinga lui réserva une réponse évasive. Ya Kaumbu appela alors le sous-chef
Mwamba Mitanta et lui enjoignit d’aller avec la femme inconnue prendre ses bagages. Mwamba
Mitanta, accompagné de Kapinga Musao, de Maole Benoît, de Lumpungu Joseph, de Lukunku Pierre,
de Kasongo Mule et de quatre porteurs (Kasongo Kadiakupita, Mitanta Maloani, Tshimpele Lubinda
et Kalombo Boniface), vint prendre les bagages : deux malles et une valise. Le groupe reprit la direc-
tion du lupangu du sous-chef Mwamba Mitanta. Les deux malles et la valise furent déposées devant
la barza de la résidence du grand chef ya Kaumbu, en présence de ce dernier.
Ya Kaumbu se renseigna sur la femme inconnue : était-elle connue dans les villages environ-
nants ? Avait-elle des parents ? L’avait-on vue sur la route ? Fort des renseignements recueillis par ses
collaborateurs, ya Kaumbu décida de la mort de la femme et de sa fille de deux à trois ans.
La nuit venue, ya Kaumbu, ses épouses, ses collaborateurs et la femme Kapinga se mirent à boire de
l’alcool. À vingt-trois heures, le drame commença. Sur instruction du grand chef Kamanda, Solotshi,
aidé par Lumpungu Joseph, Maole Benoît et Kasongo Mule, égorgea Kapinga. Alors commença la
mutilation du cadavre de la victime. Chaque personne présente put avoir un morceau du cadavre
qu’elle prépara et mangea. Puis vint le tour de la distribution des biens de la défunte, c’est-à-dire ses
deux malles et sa valise ainsi que de leurs contenus : vêtements, souliers, bijoux, argent. Enfin, pour
effacer toutes traces présentes et futures de la défunte Kapinga, Maole Benoît fut chargé par le grand
chef Kamanda de tuer la fillette de deux à trois ans. Le corps de cette dernière victime fut mis dans la
valise que le grand chef Kamanda emporta le lendemain matin pour Kabinda.
5.2.2. Le verdict
Le ministère public proposa une série de sanctions à l’endroit du chef Kamanda :
« Vu les articles 1, 3, 6/12°, 6/13°, 18, 19 et 29 du code pénal livre II, les articles 95 à
101 ter du code pénal livre I, les décrets sur l’organisation judiciaire coordonnés par
l’arrêté royal du 22 décembre 1934, le décret du 11 juillet 1923.
Déclarer établie dans le chef du prévenu ya Kaumbu la provocation directe de l’infrac-
tion d’assassinat commise sur la personne de la femme Musao Kapinga et le condamner
n 60
Le chef songye Kamanda ya Kaumbu
par application des articles 101 bis du code pénal livre 1, 1 et 3 du code pénal livre II à
la peine de mort.
Déclarer établie dans le chef du prévenu ya Kaumbu la provocation directe de l’infrac-
tion d’assassinat commise sur la personne de l’enfant mulâtre de la femme Kapinga
Musao et le condamner par application des articles 101 bis du code pénal livre I, 1 et 3
du code pénal livre II à la peine de mort.
Déclarer établie dans le chef du prévenu ya Kaumbu l’instruction de vol et le condamner
par application des articles 18 et 19 du code pénal livre II à cinq ans de servitude pénale.
Déclarer établie dans le chef du prévenu ya Kaumbu la provocation directe de l’instruc-
tion de mutilation méchante du cadavre de la femme Kapinga Musao et le condamner
par application des articles 101 bis du code pénal livre 1, 6, 12° du code pénal livre II à
deux ans de servitude pénale.
Déclarer établie dans le chef du prévenu ya Kaumbu la provocation directe de l’instruc-
tion de recel des biens de la femme Kapinga Musao et le condamner par application des
articles 101 bis du code pénal livre 1 et 29 du code pénal livre II à cinq ans de servitude
pénale.
Déclarer établie dans le chef du prévenu ya Kaumbu l’infraction d’avoir été trouvé en
possession de chair humaine destinée à des actes d’anthropophagie et le condamner par
application de l’article 6 du code pénal livre II à trois ans de servitude pénale.
Déclarer non établie dans le chef du prévenu la provocation de la préparation à des actes
d’anthropophagie et l’acquitter de cela.
Dire que la peine de mort absorbera les peines privatives de liberté ci-dessus
prononcées94. »
Quant aux autres prévenus, le ministère public proposa des sanctions allant de la peine de servi-
tude à perpétuité à la peine de servitude pénale de quelques mois.
Nous n’avons pu accéder au registre de jugement, mais nous pensons, étant donné la suite réservée
à cette affaire, qu’en ce qui concerne le grand chef Kamanda, le jugement avait entériné le réquisitoire
du ministère public, car le chef Kamanda fut effectivement pendu.
Néanmoins, d’après les témoignages recueillis, le réquisitoire fut entériné par le jugement95 et ce
dernier confirmé en appel à Luebo, le 4 mars 1936.
« Il fut poursuivi et condamné à mort par le jugement du tribunal de district de Kabinda
le 4 décembre 1935. R.M.P 5592-Rôle 1739 coauteur du meurtre de la femme Kapinga
Musao, de l’assassinat de la fille mulâtresse de celle-ci, de vol, de mutilation méchante
de cadavre, de recel, d’acte d’anthropophagie et de détention de chair humaine. Il fut
acquitté de l’infraction d’acte d’anthropophagie et fut coupable d’autres infractions
mentionnées malgré ses dénégations constantes et formelles uniquement sur déclara-
tions de témoins.
Le jugement fut confirmé en appel à Luebo le 4 mars 1936. Le recours en grâce adressé
au roi fut rejeté et la peine exécutée le 3 septembre 1936.
94. MRAC, « Parquet de Kabinda. Conclusions du ministère public. Affaire ya Kaumbu et Consorts », 1935 : 56-57.
95. Témoignages recueillis auprès de Epandu Kilolo, Willy Kasongo-Ngoie Kalembo et de Yamakoko Kalunga Fabien,
Kabinda, 22 mars 2002.
61 n
Donatien Dibwe dia Mwembu
En plus, il était soupçonné d’avoir écrit une lettre demandant l’indépendance du Congo
belge. On signale que son accusation fut une machination de ses ennemis, les Ben’Eki96. »
5.3. La pendaison
Le chef ya Kaumbu Kamanda fut pendu le 3 septembre 1936. Cet événement est raconté avec
beaucoup d’emphases par les Songye soucieux de mettre en relief non seulement le martyre, mais
aussi la puissance et l’esprit héroïque du grand chef Kamanda qui, à l’instar de Jésus-Christ, a accepté
de mourir pour sauver son peuple de la servitude. Les Songye, fiers de leur chef, glorifient l’événe-
ment en lui attribuant un caractère international puisque, selon eux, les invitations avaient été lancées
à beaucoup de gens tant nationaux qu’internationaux en vue d’assister à la mort physique du géant.
Les Blancs, savourant leur victoire sur le grand chef songye, partagèrent leur joie avec leurs amis et
serviteurs fidèles. Les témoignages laissent aussi voir que le chef Kamanda ya Kaumbu défiait aussi
bien les Blancs que la mort. C’est pourquoi le lieu et le moment de sa mort dépendaient de sa seule
volonté.
Ouvrons ici une parenthèse pour voir comment les Songye pouvaient échapper à la mort ou la
retarder grâce aux fétiches manga (pl.) ; bwanga (sg). Nous avons, à titre d’exemple, les misamu (de
kusama, « crier » ; misamu, « cris ») grâce auxquels la personne échappe à un danger quelconque en
émettant seulement un cri. Kabemba Mutamba Nsumbu nous raconte que : « Lorsque le détenteur
des misamu émet un cri, il se retrouve automatiquement hors d’atteinte ». Il y a aussi un autre fétiche
appelé « bitutula » (de kututula qui veut dire « laver », mais ici ce verbe est utilisé au sens figuré et
signifie « frapper, tabasser »). Le détenteur de ce fétiche ne peut pas craindre un affront. Aucune arme
blanche ne peut le blesser. Même quand on le frappe, il ne sent rien, car son corps est semblable à du
caoutchouc.
Mais les fétiches les plus puissants sont les biminua (de kumina, « avaler » ; biminua, « les fétiches
avalables »). Ces fétiches, mis dans des tupula (calebasses de la grosseur d’une bille à jouer), sont
avalés sinon alors enfouis ou cachés en un lieu secret. Les détenteurs de ces fétiches ont la possibilité
de retarder leur mort, c’est-à-dire de mourir au moment voulu par eux-mêmes. Certaines personnes
assistent même à la putréfaction partielle de leur corps. D’autres attendent que tout soit prêt pour
l’organisation de leurs funérailles avant de livrer leur secret et de mourir enfin.
On m’a déjà raconté deux cas qui se sont produits dans mon village. Le premier concerne Dipumba
Kitengie, père de Ntondo Kitengie.
« Dipumba Kitengie était malade, gravement malade, car son côté droit était déjà en
putréfaction. Mais il parlait, bavardait et buvait le lutuku, sa boisson alcoolique locale
préférée. Pour céder à la demande des membres de sa famille excédés de le voir souffrir
ainsi sans mourir, il demanda qu’on lui apporte l’eau du confluent des rivières Kasulu
ka Mukienge et Muiluyi. La personne chargée de puiser cette eau ne devait pas regarder
en arrière après avoir rempli la bouteille d’eau. Après avoir bu le contenu de la bouteille,
Dipumba Kitengie mourut. Il faut rappeler ici que depuis qu’il était en possession de son
fétiche, Dipumba Kitengie ne buvait plus de l’eau. L’alcool autochtone et le vin de palme
étaient sa seule boisson. »
96. Archives du Parquet de Kabinda, E. Mattelaer (commissaire de district), « Note confidentielle relative à la requête de
monsieur Maole Laurent, fils de ya Kaumbu », 1959.
n 62
Le chef songye Kamanda ya Kaumbu
Le deuxième cas est celui du mari de ma tante paternelle Matenda a Luenyi rongé par une lèpre
mystérieuse. Il a fallu le supplier pour qu’il se décide finalement à mourir. Il demanda qu’on lui
attrape une hirondelle et qu’on la lui apporte grillée. Pour cela, il fallut attendre la saison des pluies,
période au cours de laquelle les hirondelles envahissent le milieu. Mais, dès qu’il eut mangé la chair
de l’hirondelle, il mourut.
Kabemba Mutamba Nsumbu, charpentier de son état dans la commune de Kenya, nous parle de
ce qu’il a vécu :
« “Celui qui a des biminua peut vivre autant d’années qu’il voudra sans mourir, même
si les asticots sortent de son corps, il ne mourra pas s’il ne le veut pas. C’est le cas d’une
femme de mon village appelée Mianda Katontame. Elle avait avalé et fait aussi avaler
les biminua à son fils. Elle tomba malade ici à Lubumbashi et ne pouvait se mouvoir.
Étant donné qu’elle souffrait atrocement, je résolus de lui demander pourquoi elle souf-
frait ainsi. Elle me dit qu’elle en était consciente, mais ne pouvait pas, dans son état, se
rendre au village où elle avait caché ses fétiches (les biminua). Elle dit qu’elle voulait
communiquer avec les esprits de ses ancêtres et leur demander de neutraliser ses fétiches
afin de mourir. Parce qu’elle venait d’avouer son secret, elle mourut vingt-quatre heures
plus tard.ˮ
Un autre cas est celui de mon grand-père Ya Nsangwa. Il avait caché ses fétiches sous un
rocher en amont d’une source d’eau qui alimentait le village de Mwembia à Tshipakula.
Il eut à souffrir atrocement dans la mesure où une partie de son corps était déjà en putré-
faction et laissait couler un liquide puant et des asticots. Les gens ne venaient plus lui
rendre visite, car ses blessures empestaient l’atmosphère. Les membres de sa famille
l’exposaient au soleil. Lorsque les rayons solaires devenaient accablants, on le cou-
vrait d’une peau de chèvre ou de mouton pour empêcher la chaleur de pénétrer dans ses
blessures. Les membres de la famille élargie se réunirent et tinrent conseil pour savoir
pourquoi il tenait à souffrir ainsi et surtout à faire souffrir les siens. Il leur demanda
de s’entretenir avec son frère Nkolomonyi à qui il avoua son secret : il avait avalé les
biminua. Pour neutraliser ses fétiches, il envoya Nkolomonyi en amont de Kanfulame
(nom donné au rocher d’où jaillissait la source d’eau) récupérer les fétiches qu’il y avait
cachés. Dès que ces fétiches lui furent apportés, il ne fit pas plus de quarante-huit heures.
Avant de mourir, il lança un grand cri : “Nsangwa Kitete, bukome budi mwanda kubalaˮ,
ce qui veut dire : “Nsangwa (son nom), Kitete (nom d’un grand arbre mort, mais tou-
jours debout), la puissance qui finit malˮ. En d’autres termes, lorsqu’un grand arbre mort
s’écroule, il peut bien ou mal tomber jusqu’à provoquer des dégâts matériels importants.
Mon grand-père se comparait à un grand arbre. En lançant ce cri, nous croyions qu’il
avait accepté de mourir malgré lui, sous la pression de la société.
Lorsque Nkishi Mutwale est mort sous la pression de la société, il s’était produit une
grosse érosion dans la savane appelée “kipya kya Musumba” (“savane de Musumbaˮ).
L’érosion s’est produite à l’endroit même où Nkishi Mutwale avait caché ses biminua.
Cette érosion est toujours visible même aujourd’hui et les vieux racontent aux jeunes que
c’est là que s’était caché Nkishi Mutwale du village Ngoie Musengye, dans le groupe-
ment de Tshipakula, chez les Belande-Nord. C’est dire que chaque fois qu’un détenteur
des biminua mourait, il se produisait un phénomène étonnant.
De leur vivant, les détenteurs des fétiches ont des interdits. Par exemple, celui dont
les fétiches étaient cachés dans un cours d’eau ne pouvait ni boire ni se laver de cette
eau ; celui dont les biminua étaient enfouis au croisement de deux routes ou sentiers, ne
63 n
Donatien Dibwe dia Mwembu
pouvait pas passer par cette bifurcation ; celui qui avait caché ses fétiches dans un arbre,
n’approchait jamais cet arbre, etc. »
Comme à regret, le vieux Kabemba Mutamba Nsumbu termina son récit par ces mots :
« Nous regrettons une chose : le fait d’avoir converti les gens au christianisme. Les
gens abandonnent leurs fétiches et se convertissent au christianisme. La conséquence
est qu’ils ne savent plus vivre longtemps. De plus, ils sont devenus les victimes faciles
des sorciers. Il y a une différence entre le sorcier et le féticheur. On ne sait pas découvrir
un sorcier, car il opère dans le noir, tandis que le féticheur organise une manifestation
publique lorsqu’il fabrique son fétiche. Les invités boivent, mangent et dansent. Tout
le monde sait que telle ou telle personne a tel ou tel fétiche. Les fétiches sont bons par
rapport au mazende (magie indienne pour tuer). »
Fermons cette parenthèse et disons que le grand chef Kamanda avait aussi ses fétiches pour retar-
der la mort. Par exemple, il voulait mourir chez lui, dans son Kabinda natal et non ailleurs. Cela fut
fait. Fabien Yamukoko Kalunga nous raconte :
« En plus, pour sa mort, les Blancs l’avaient acheminé jusqu’à Lusambo pour l’abattre,
mais ils n’avaient pas réussi à le tuer. Sa demande d’être tué à Kabinda fut finalement
acceptée. Il rentra à Kabinda pour y être pendu. Les Blancs invitèrent tous les chefs cou-
tumiers à assister à la pendaison publique de Kamanda ya Kaumbu afin qu’ils puissent
en tirer une leçon. Le lieu même de sa pendaison fut fixé au camp militaire de Kabinda. »
n 64
Le chef songye Kamanda ya Kaumbu
Kamanda descendit, il s’amena avec son fils devant le bureau du district. Il connais-
sait son sort. Il y avait un monde compact, plusieurs curieux de toutes races, de toutes
les provenances (certains Blancs s’étaient déplacés de Bruxelles vers Kabinda). Tous
attendaient voir la pendaison du grand et redoutable chef Kamanda. Il y eut plusieurs
allocutions avant l’acte final. Toutes ces allocutions justifiaient la décision tragique :
“Nous allons vous pendre, car vous avez débordé. Vous avez poussé votre hardiesse
jusqu’à tuer une Blanche, au lieu de vous limiter à vos frères noirs. Nous allons,
aujourd’hui vous réduire à néant97.ˮ
Après ces adresses, on le hissa sur une table sur laquelle il y avait un fût vide. Au-dessus
une chaise pendait accrochée à une latte transversale. Cela suffisait pour le compte à
ce “gibier de potence”. Puis, on introduisit la tête dans le nœud de la corde, vint alors
l’heure fatidique : on poussa le fût, Kamanda pendit un moment, mais disparut aussitôt.
Curieusement, à sa place se trouvait alors un Blanc venu assister, assis dans la tribune.
Le temps de le détacher, il était mort. Et Kamanda réapparut. On reprit le geste exécu-
toire et au fur et à mesure qu’il disparaissait, un Blanc, puis un autre, puis un troisième
[…] mouraient. Jusqu’à seize ! On compta 8 Blancs et 8 Blanches qui périrent sur place
dans ces conditions. Panique ! »
97. Ce sont les propos du conteur et non un extrait d’un discours prononcé à cette occasion-là.
65 n
Donatien Dibwe dia Mwembu
Pilipili Kongolo Ilunga Katombe n’est pas songye. Il tient ce témoignage de son père, originaire
du Maniema, mais qui s’était retrouvé à Kabinda, longtemps après la mort de Kamanda, pour des
raisons professionnelles. Là, on lui raconta la triste nouvelle de la pendaison du chef Kamanda. À
son retour dans son village natal, il raconta à son tour la triste histoire de la pendaison de Kamanda
aux membres de sa famille. Ce témoignage apporte deux éléments nouveaux : le chef Kamanda a été
pendu parce que ses bourreaux n’ont pas réussi à le fusiller ; le chef Kamanda n’est pas mort pendu,
mais il a été enterré vivant.
« Comme il était décidé, on l’amena, élégamment habillé, sur la place publique. On le
fit monter sur une table d’où il était vu par tout le monde. Puis l’on rangea des tireurs de
part et d’autre de la table, immobiles, le doigt sur la gâchette, prêts à tirer. Les Blancs
lui demandèrent de faire son testament à sa famille. Fièrement, Kamanda s’adressa à
sa famille, l’exhortant à prendre courage malgré le supplice fatal qu’il allait subir : “Je
vais mourir à cause des machinations des Blancs et de ceux qui sont jaloux de moi et de
mon règneˮ. À la fin du testament, on commanda la fusillade. Les coups ne partirent pas,
puisque tous ses bourreaux furent paralysés sur-le-champ. On reprit trois fois l’opéra-
tion, mais en vain. On laissa tomber ce jour-là.
n 66
Le chef songye Kamanda ya Kaumbu
Le lendemain, on dut changer de méthode. Ce jour-là, on amena une potence avec une
corde. Kamanda fut monté sur la table et on lui attacha une corde solide au cou. Il refit
son testament et hop ! On renversa la table et le chef Kamanda resta suspendu à la
potence, tout en battant l’air dans le vide. Il s’abattit le plus longtemps possible, les yeux
grands ouverts, sans paraître étouffé par la corde qui lui enserrait la gorge. Il n’expira
pas sur le coup. Excédés et impatients, les Blancs coupèrent la corde, approchèrent le
cercueil, prirent le corps encore en vie et tout chaud et le déposèrent dans la bière. Ils
fixèrent le couvercle à l’aide des clous. Là-dedans, le chef Kamanda s’ébattait toujours
et violemment, ce qui stipulait qu’il n’était pas encore mort. C’était une mort forcée par
les Blancs qui ne voulaient plus d’un chef sanguinaire qui, au lieu de se contenter de se
régaler de la chair de ses sujets noirs, était allé jusqu’à se nourrir de la chair des Blancs,
défiant ainsi l’homme d’outre-mer.
Après avoir hermétiquement fermé le cercueil, on le transporta au cimetière et on l’y
enterra pendant qu’à l’intérieur de celui-ci, les mêmes mouvements continuaient à se
faire entendre. Toute la famille fut en deuil. Et, après le deuil, les Blancs convoquèrent
la famille et lui demandèrent de préparer le fils aîné pour succéder à son père. Tout le
monde marqua son accord, mais le candidat voulut s’y opposer et préféra faire venir
de son village natal un jeune frère à feu son père. On lui donna feu vert et il partit à la
recherche du prétendu oncle paternel. Au jour fixé, ce dernier se présenta auprès des
Blancs avec son nouvel hôte. Toute la population accourut pour saluer celui qui, désor-
mais, allait être leur nouveau grand chef coutumier. Lorsqu’il monta sur le podium, tout
le monde poussa un cri de surprise, car le prétendu oncle paternel qui devait succéder à
Kamanda n’était, à vrai dire, qu’un prototype du chef Kamanda ou son véritable sosie.
Celui-ci ne différait en rien du chef Kamanda : il portait un chapeau, les mêmes habits
et coiffé de la même façon que le chef défunt. Les Blancs, après l’avoir longuement
observé, le renvoyèrent et intronisèrent de force le fils aîné qui régna à la place de son
père. Ainsi déjouèrent-ils encore ce stratagème des sortilèges du grand et indomptable
chef Kamanda. La paix revint à Kabinda. D’où l’on s’éprit à dire : “Kamanda mushipan-
gani abamushipa, Kabinda kabatalalaˮ, ce qui veut dire : “Kamanda le tueur est tué et
la paix règne à Kabindaˮ. »
L’on est tenté de se poser la question de savoir pourquoi le chef Kamanda a finalement fini par
accepter de mourir. D’une part, comme l’a souligné un des témoins, il ne voulait pas voir sa famille
persécutée à cause de lui. Ensuite, cause combien noble et héroïque, il mourait pour sauver son peuple
de la domination belge. Les témoignages qui suivent font allusion aux atrocités et humiliations dont
il fut victime de la part de ses bourreaux belges :
« Cela énerva les Blancs qui décidèrent de le détacher et de l’amener dans une chambre,
à l’écart. On lui amputa le sexe et on lui dit qu’il était gracié. Il refusa, trouvant indigne
de vivre sans sexe. Il insista pour qu’on l’achevât et proposa de sortir et d’être reconduit
à la tribune où la foule curieuse attendait se réaliser l’issue de ce feuilleton sui generis.
Arrivé à la tribune, il fit deux miracles : il demanda qu’on lui apporte un bananier qu’il
planta. Ce dernier germa, produit des fruits ; il cueillit deux bananes mûres, en mangea
une et en offrit une autre à son fils. Deuxièmement, il demanda un poussin, il le couvrit
sous un panier et au bout de quelques minutes, le poussin avait pondu deux œufs, il les
cuisit et en mangea un, l’autre étant destiné à son fils. Après cette cérémonie, il remit
une bague à son fils et demanda alors qu’on l’exécuta : “Vous avez beaucoup lutté pour
67 n
Donatien Dibwe dia Mwembu
me tuer, j’accepte de mourir, mais sachez que quiconque a insisté pour que je sois tué ou
a participé de loin ou de près à ma mort, me suivraˮ. Ces mots concernaient les femmes
qui avaient tué la Blanche, les notables qui lui avaient conseillé de ne pas dénoncer les
femmes meurtrières, et les Blancs qui avaient signé sa mort. »
Deux témoignages montrent que la première femme de Kamanda gardait les fétiches de son mari
ou alors elle connaissait le secret à l’instar de la femme de Samson.
« Les Blancs n’ont pas su le tuer ; le chef Kamanda leur dira ceci :
“Je ne peux pas mourir ici à Lusambo, si vous voulez que je meure, ramenez-moi dans
mon village à Kabinda. Pour que je dise adieu à mes enfants et aux autres !ˮ
Les Blancs n’ont pas hésité, ils l’ont amené à Kabinda où il fit venir ses enfants, les
membres de sa famille et les autres différentes autorités et il leur dit ceci :
“Ne faites pas des troubles parce que moi-même j’ai accepté de mourir.ˮ
Kamanda faisait tout cela parce qu’il ne voulait pas mourir en dehors de son territoire.
Pour finir, il avait contraint les autorités belges à le ramener à Kabinda parce qu’il vou-
lait mourir devant les gens de son village. Il a appelé sa première femme et lui a demandé
de lui couper un peu de cheveux et ses ongles qu’elle a mélangés avec le sang et les
fétiches de Kamanda. Après que la femme a fait ce mélange, le chef Kamanda avala et
se fit pendre. C’était vers 15 heures que le chef Kamanda est mort. »
98. Dans Matthieu, XXVII, 50-54, il est écrit : « Jésus poussa de nouveau un grand cri et mourut. À ce moment, le rideau
suspendu dans le temple se déchira depuis le haut jusqu’en bas. La terre trembla, les rochers se fendirent, les tombeaux
s’ouvrirent et de nombreux membres du peuple de Dieu revinrent à la vie […] L’officier romain et les soldats qui
gardaient Jésus avec lui virent tout ce qui arrivait ; ils eurent alors très peur et dirent : “Il était vraiment le Fils de
Dieuˮ. » Outre ce qui est arrivé au rideau du temple, Luc (XXIII, 44-45) ajoute ce qui suit : « Il était environ midi quand
le soleil cessa de briller ; l’obscurité se fit sur tout le pays et dura jusqu’à trois heures de l’après-midi ».
n 68
Le chef songye Kamanda ya Kaumbu
Il y eut une nuit de 14 à 17 heures. C’est la nuit de Kamanda qui avait été vécue même
dans le territoire Bangubangu. »
Ensuite l’obscurité totale a enveloppé la ville de Kabinda et les territoires environnants. Un autre
informateur nous rapporte ceci :
« À la mort du chef songye Kamanda, il y eut une obscurité pendant la journée, les coqs
avaient chanté et après la lumière du soleil était revenue. Les Blancs avaient pris la fuite
à cause de l’obscurité99 et ils étaient revenus après. »
Selon un autre informateur, ce sont les corbeaux qui ont rendu le ciel obscur :
« Au moment où le grand chef rendit l’âme, le ciel s’obscurcit. Il était couvert des
corbeaux. Après avoir survolé le territoire de Kamanda, ils s’en allèrent pour ne plus
revenir. Le grand chef avait un chien répondant au nom de Tshimpuku. Il avait disparu
et n’a jamais été retrouvé ni même son corps. »
Et, enfin, on parle d’une pluie torrentielle qui se serait abattue sur la ville :
« Quand la mort fut constatée, le corps fut descendu et amené à une destination incon-
nue. Dans l’entre-temps, une pluie torrentielle s’abattit sur toute l’étendue de la ville de
Kabinda et pendant toute la journée. Ce fait fut interprété comme si c’était Lumpungu
qui avait voulu effacer les traces de ses pieds à Kabinda. Et le fait que la sépulture du
chef ya Kaumbu reste inconnue a fait croire aux Songye que son corps a été mangé par
les Blancs. Toutefois, ce qui est vrai, c’est que le lieu d’inhumation des condamnés à
mort n’est jamais connu du public. »
Il est fort probable que la pendaison du chef songye Kamanda a coïncidé avec l’éclipse solaire, ce
qui explique l’obscurité dont parlent certains témoins.
99. Il s’agissait, d’après certains témoignages indépendants, d’une coïncidence avec une éclipse solaire. Il y aurait dans
ce témoignage et dans tous ceux du genre une corruption des faits et un anachronisme involontaire. Le chef Kamanda
ya Kaumbu est pendu le 3 septembre 1936. Et neuf mois après, le 8 juin 1937, il se produit une éclipse solaire d’une
durée importante (sept minutes et six secondes). Elle a coïncidé avec un maxima d’activité solaire. De même que la
mort du chef Lumpungu, son père, le 22 mai 1919, avait (presque) « coïncidé » avec la célèbre éclipse solaire dite
« d’Einstein » de six minutes quarante-huit secondes, survenue sept jours après, le 29 mai. Pour ces éclipses solaires,
cf. Delaye 1991 : 34-40.
69 n
Donatien Dibwe dia Mwembu
La chanson exprime le regret devant le vide laissé par le chef Kamanda (qui n’est plus : descendu
sous les eaux), le défenseur des intérêts du peuple songye (bouclier), le grand guerrier craint de tous
les voisins (fournisseur des armes de guerre), l’opposant acharné des Blancs. Kamanda repose désor-
mais dans le village des chenilles (dans l’au-delà). Le peuple a connu des moments de flottement,
d’incertitude quant à son destin. Décapités de leur chef, les Songye n’étaient-ils pas alors à la merci
de leurs ennemis ? Ne seraient-ils pas l’objet d’incessantes intimidations de la part des Blancs et de
leurs sujets ? Avec quelles armes se battraient-ils en cas d’attaque, étant donné que leur fournisseur
d’armes n’est plus ? Qui le remplacerait à la tête des guerriers songye pour repousser les agresseurs
hors du territoire (songye) et pour les poursuivre jusque dans leur dernier retranchement ? Le peuple
songye ressemblait à une colonne de fourmis décapitée en débandade, à une rame de wagons privés
de leur locomotive sur une pente raide.
Malgré sa mort, certains Songye étaient convaincus qu’en invoquant son nom en cas de danger,
l’esprit de Kamanda viendrait leur porter secours contre leurs ennemis :
n 70
Le chef songye Kamanda ya Kaumbu
Il semble, d’après nos informateurs, que quiconque invoquait le nom du défunt Kamanda était
secouru par les partisans de ce dernier partout où il se trouvait.
100. Archives du Parquet de Kabinda, « E. Mattelaer, Note confidentielle relative à la requête de monsieur Maole Laurent,
fils de ya Kaumbu », 1959.
101. Ibid.
71 n
Donatien Dibwe dia Mwembu
ressentiment contre lui. Nous allons nous pencher sur cette deuxième version, notamment sur ses
tendances.
Avant de chercher à comprendre pourquoi les gens ont fabriqué le fétiche contre le chef Kamanda,
il est nécessaire, à notre avis, d’identifier d’abord ces ennemis et de répondre à la question de savoir
pourquoi ces gens se sont ligués contre Kamanda.
Il semble qu’à son retour à Kabinda, le chef Kamanda eut une voiture avec chauffeur, un compte
en banque à titre de dommages-intérêts et une maison à étages lui fut construite. Cependant, l’autorité
coloniale ne nomma pas un Songye à la tête du Busongye. Si telles étaient réellement les doléances du
chef Kamanda, il faut alors reconnaître qu’il était parmi les précurseurs de l’indépendance politique
de son pays. Ses doléances avaient été prises en considération pour la plupart sans doute parce que
l’autorité coloniale voulait à tout prix l’amadouer pour ne pas trop envenimer l’atmosphère avant la
visite royale au Katanga. Lorsqu’en 1932, le roi Albert Ier visita le centre urbain de Kabinda, le chef
n 72
Le chef songye Kamanda ya Kaumbu
Kamanda aurait fait de nouveau montre de son « arrogance ». Un informateur tente d’interpréter cette
« arrogance » en ces termes :
« Le chef Kamanda avait une personnalité imposante. Chaque fois qu’une manifestation
était organisée par les Blancs et qu’il y était invité, le chef Kamanda arrivait sur le lieu
après que tout le monde y soit installé. Il ne serrait la main qu’au seul commissaire de
district de l’époque et non à tous les autres Blancs, quel que fût leur rang dans l’admi-
nistration coloniale.
On reproche aussi au chef Kamanda le fait qu’il courtisait les femmes de ses adminis-
trés et même celles des colons blancs installés à Kabinda. Enfin, le chef Kamanda était
soupçonné de détenir la chair humaine et accusé d’anthropophagie. En d’autres termes,
Kamanda était suspecté de mangeur de chair humaine. Homme cruel et anthropophage,
Kamanda disposait d’une équipe de bourreaux qui coupaient la tête des gens et prenaient
le sang des victimes pour en asperger mensuellement son fétiche Tshilemba wa Mutombo
Katshi mukwa Kalonji. Ce fétiche le protégeait, lui procurait la force et la gloire et lui
permettait enfin de dominer d’autres catégories de fétiches. »
Cette somme de comportements du chef Kamanda, arrogants aux yeux des colonisateurs, justifie
l’ouverture de la guerre froide entre l’autorité coutumière songye et l’autorité coloniale. Il fallait à
tout prix faire disparaître ce chef dont le comportement risquait d’influencer l’attitude des autres
chefs coutumiers. Restait donc une occasion. Celle-ci arriva avec Kapinga wa Tshiyamba.
73 n
Donatien Dibwe dia Mwembu
La tournée du chef Kamanda, selon le neveu du chef songye, lui aussi du nom de Ngongo
Lumpungu, se situe après la condamnation du chef Kamanda par l’autorité coloniale territoriale.
Cette tournée avait pour but de calmer la population songye de Bekalebwe qui s’apprêtait à entrer en
rébellion contre l’autorité coloniale. Écoutons-le :
« Il devait donc s’expliquer devant le pouvoir colonial. Il fut convoqué et répondit à
la convocation. Les Belges lui dirent ceci : “Cher Kamanda, vous nous avez vraiment
déçus. Vous avez même eu le courage de vous attaquer aux Blancs que nous sommes.
Une femme italienne de passage dans votre territoire a disparu sans laisser de traces.
Vous devez savoir où se trouve cette femme. Si vous l’avez mangée, dites-le-nous et
nous allons vous juger.ˮ La nouvelle se répandit partout. Tout le monde était informé que
le chef Kamanda avait mangé la chair d’une femme blanche de passage dans le territoire
de Kamanda. Ceux qui étaient mécontents du pouvoir de Kamanda se frottaient déjà les
mains, convaincus que cette fois Kamanda ne s’en sortirait pas. Kamanda était un Blanc
à la peau noire. Il était très éveillé et très sage. Il s’adressa au pouvoir colonial en ces
termes : “Tout le monde dit que j’ai mangé la chair de madame Kapinga wa Tshiyamba,
une femme blanche de passage dans mon territoire. C’est pour cela que vous m’accusez.
Mais, je ne peux pas mourir comme cela. Laissez-moi vous démontrer que je n’y suis
pour rien. Je vous demande l’autorisation de procéder à un recensement de la population.
Ainsi, je saurai l’identité de cette femme. Je saurai également le nom du chef qui lui a
délivré la feuille de route. Je demanderai ensuite à ce chef de me dire réellement qui était
cette femme, d’où elle venait et où elle se rendait. Je souhaiterai procéder à cela avant
d’être jugé.ˮ
Les Blancs étaient quelque peu confus. Ils autorisèrent le chef Kamanda de procé-
der au recensement de la population. Cela fut fait sans que l’on ait trouvé une trace
de Mme Kapinga wa Tshiyamba. Cela voulait dire que cette mulâtresse n’avait jamais
existé. C’était une créature mystique, une créature fantôme inventée pour éliminer le
chef Kamanda. Le chef Kamanda brandit les résultats de ses enquêtes pour confondre les
Belges et leur prouver qu’il était innocent et victime de la jalousie des gens de mauvaise
foi.
En fait, la volonté de Dieu était que Kamanda était à la fin de sa vie. Le pouvoir colonial
le jugea, l’arrêta et le condamna à mort. Il était accusé d’avoir offensé le pouvoir colo-
nial, d’avoir troublé l’ordre public. Il fut emprisonné en attendant sa pendaison.
Le peuple s’apprêtait à prendre les armes pour exprimer son mécontentement et ven-
ger son chef. Le chef Kamanda demanda aux Belges de le laisser partir pour calmer
la tension qui était prête à exploser. Il sortit de la prison et se mit à faire le tour de son
territoire pour convaincre son peuple de ne pas se soulever. Voici le discours que le
chef Kamanda tenait à son peuple : “Mes chers frères, je vous remercie beaucoup pour
m’avoir soutenu jusqu’à ce point. Je vous supplie de vous calmer, de déposer les armes.
Je suis condamné pour une cause juste et noble. J’ai réclamé notre indépendance comme
103. Ngongo Lumpungu (fils de Kamanda), né en 1928. Interview accordée à Nkongolo Funkwa à Lubumbashi, 15 avril
1990.
n 74
Le chef songye Kamanda ya Kaumbu
cela avait été promis par le roi Léopold II. C’est pour cette raison que je suis condamné à
mort. J’accepte de mourir, parce que j’estime que c’est une mort dont la cause est noble.
Je suis fier de mourir de cette mort. Soyez donc calmes, ne réagissez pas en vous rabat-
tant contre ces Belges. Laissez-les et sachez que cette cause pour laquelle je vais mourir
finira par triompher un jour. Retenez bien cela, mes chers frères.ˮ
Après cette tournée, il rentra en prison pour y attendre calmement la mort. »
Le récit de Ngongo Lumpungu est sûrement une mémoire réajustée, réactualisée compte tenu
de la situation actuelle au moment de l’enquête. Ngongo Lumpungu voudrait-il faire croire que le
chef Kamanda était un prophète et que ce qu’il avait dit s’est réalisé avec Lumumba ? C’est dans ce
même contexte que se place l’avis de Kasongo Sungula, selon lequel les Blancs en voulaient au chef
Kamanda parce qu’ils avaient trouvé en lui un homme intelligent, un nationaliste passionné, soucieux
de l’indépendance du peuple songye en particulier et de celle du peuple congolais en général. C’est
Kamanda qui a amené cet esprit d’indépendance et c’est de lui que Patrice-Emery Lumumba avait eu
l’idée de réclammer l’indépendance du peuple congolais en général.
Pour Ngoie Mayele, Kamanda ne se laissait pas intimider par les Blancs parce qu’il leur tenait ce
discours :
« Vous n’avez rien à nous apprendre et vous n’avez rien apporté de neuf au peuple
songye. Avant votre arrivée, nous avions des habits (les pagnes en fibres de raphia
appelés madiba), nous mangions bien, nous portions des chaussures et nous avions des
maisons construites qui ont de tôles, alors votre présence ne vaut rien chez les Songye. »
Alexis Kabundji Yando donne les facteurs qui ont milité en faveur de la réclamation, par le chef
Kamanda, de l’indépendance :
« Après avoir reçu une bonne formation de la part des Belges, il était devenu doué et
a compris que le peuple songye était déjà évolué. Ce peuple disposait des armes à feu
achetées auprès des Arabes et de celles fabriquées par ses propres forgerons. Fort de
cela, le chef Kamanda s’était alors permis d’écrire une lettre au roi Léopold III, avec
l’aide de son ami belge, commerçant à Kabinda, et qui avait épousé sa sœur. Ce Belge,
un nommé Jacob104, lui a donné l’adresse du Palais de Laeken, résidence privée du roi
à Bruxelles. Le chef Kamanda écrivit donc au roi des Belges une lettre dans laquelle il
réclamait l’indépendance du peuple songye et lui précisait que les Songye étaient des
intellectuels et capables de tout faire et de se diriger. Cette lettre comportait, en annexe,
une photo du chef Kamanda débout à côté de sa voiture, devant sa maison à étages.
À la réception de cette lettre, le roi des Belges et ses sujets étaient inquiets. »
Ngongo Lumpungu, neveu du chef Kamanda, pense aussi que la réclamation de l’indépendance
est la cause inavouée de la condamnation à mort du chef Kamanda. L’affaire Kapinga n’étant qu’un
prétexte.
104. Pierre Jacob, ancien agent Interfina à Kabinda, gendre et ami intime du chef ya Kaumbu, aurait proclamé l’innocence
de ya Kaumbu. Ses opinions lui causèrent des ennuis avec l’administration territoriale. À sa demande, le directeur de
l’Interfina le muta à Mweka. Jacob aurait acheté la voiture du chef Kamanda pour une valeur de 15 000 francs. On
ignore si réellement cette somme fut payée et quelle fut sa destination.
75 n
Donatien Dibwe dia Mwembu
« Les Blancs étaient mécontents de Lumpungu II. Pour eux, le chef Kamanda voulait
éveiller la conscience des Nègres et les amener à réclamer leur indépendance. Il n’était
plus pour eux un ami, mais un élément dangereux dont il fallait se débarrasser le plus tôt
possible. Ils se mirent déjà à réfléchir sur les moyens dont ils pouvaient se servir pour se
débarrasser de leur ancien ami. Dans l’entre-temps Kamanda continuait à conscientiser
le peuple pour réclamer l’indépendance.
Les Blancs se rendirent aussi compte que les chefs coutumiers que le chef Kamanda
avait soumis n’étaient pas contents de lui. Ils boudaient cette domination. Ils étaient donc
frustrés. La tension était alors latente. Un autre élément qui avait contribué à faire mon-
ter la tension est l’humiliation dont les chefs coutumiers étaient l’objet par le fait qu’ils
étaient dirigés par un plus jeune qu’eux. Ils faisaient alors tout pour saboter toutes ses
actions. Malheureusement pour eux, le chef Kamanda se défendait valablement.
Les Belges sont allés voir le chef Mutombo Katshi pour lui dire ceci : “Écoute, cher ami,
nous ne sommes plus contents de Kamanda. Il est devenu très orgueilleux, c’est pour-
quoi nous voulons le démettre. C’est toi qui vas le remplacer. Mais nous te demandons
de nous trouver un moyen pour nous débarrasser du chef Kamanda. Nous comptons
beaucoup sur ton concours.ˮ »
Selon certains informateurs, le terme « bambu (sg : mwambu) » accolé aux Luba du Kasaï signifie
« esclaves ». Certains esclaves luba du Kasaï étaient troqués contre une chèvre, un chien ou tout autre
produit. D’autres esclaves étaient des prisonniers de guerre. Les femmes esclaves étaient utilisées
pour la procréation.
n 76
Le chef songye Kamanda ya Kaumbu
Nos informateurs rapportent que les esclaves luba étaient égorgés comme des chèvres. On les
empalait ou on leur arrachait le sexe avant de les tuer105.
Les informateurs rapportent aussi que Kamanda vendait les femmes luba laides aux Arabes, tandis
qu’il distribuait les femmes luba jolies à ses collaborateurs en guise de cadeaux.
Les Luba du Kasaï en voulaient aussi au chef Kamanda parce qu’il était le chef le plus intelligent
et favori de tous les chefs de la province du Kasaï. Pour les Luba du Kasaï, Kamanda était un « muntu
mufunkumina munu » (« une personne pointée du doigt »), c’est-à-dire une personne sur laquelle un
mauvais sort avait été lancé.
C’est donc forts de ces alibis que les Luba du Kasaï vont préparer l’élimination physique et poli-
tique du chef Kamanda.
Certains informateurs déclarent que Mutombo Katshi, le chef des Luba du Kasaï, a fabriqué le
fétiche Kapinga wa Tshiyamba pour causer de sérieux problèmes à Kamanda qu’il considérait comme
un grand ennemi parce qu’il mangeait les Luba du Kasaï. D’autres enquêtés prétendent que Kapinga
wa Tshiyamba existait depuis longtemps. C’était un fétiche qui avait l’habitude de disparaître et de
réapparaître. Kapinga wa Tshiyamba n’était donc pas et ne pouvait être considérée comme un être
humain. On l’appelait « tshilengulengu » chez les Luba du Kasaï, c’est-à-dire « qui se transforme, un
être fantomatique106 ». Les Songye pensent à un kilengeleshi, c’est-à-dire un esprit qui lui aurait été
envoyé pour lui créer des ennuis. Yvonne Ndalamumba Kikudi, membre de la famille Lumpungu, fait
partie des gens qui soutiennent cette thèse :
« Kapinga était une femme du monde invisible, un revenant donc. Cette femme, envoyée
du monde invisible, avait la mission d’emmener Kamanda dans l’au-delà. Lorsque ce
dernier la vit, il n’a pu se retenir. Il sauta dessus, la prit pour épouse et la garda chez lui
avec son fils. Un jour, des gens se faisant passer pour des envoyés de l’autorité coloniale
de Kabinda se présentèrent chez Kamanda, porteurs d’un message. Kamanda devait se
présenter de toute urgence au bureau de l’autorité coloniale de Kabinda. Et, c’est pen-
dant son absence pour aller répondre à l’appel de l’autorité coloniale que Kapinga et son
fils prirent une direction inconnue. À son retour à domicile, Kamanda voulut connaître la
direction qu’ils avaient prise. Mais personne n’a su le lui dire avec exactitude. Certaines
personnes lui déclaraient les avoir vus prendre telle ou telle direction. Il tenta de les
poursuivre en voiture, s’arrêtant de temps en temps pour prendre des renseignements.
Partout on lui répondait que les deux personnes venaient de passer. Il accélérait alors,
avec l’espoir de les retrouver, mais en vain. Estimant enfin que la distance qu’il venait
de parcourir était suffisamment grande pour des personnes allant à pied depuis très peu
de temps, il décida de rebrousser chemin. »
105. D’après nos informateurs, Kamanda tuait et mangeait aussi certaines personnes qui venaient lui rendre visite. Un
informateur rapporte : « Dans sa maison, il y avait un grand trou, dans lequel le chef avait fait placer des flèches
pointues, et couvert par une natte. Lorsqu’un étranger vient lui rendre visite, le chef l’approche, lui offre la chaise
placée à côté du trou. Lorsque le visiteur s’assied sur la chaise, il tombe dans le grand trou où les flèches le blessent
mortellement. Les serviteurs du chef Kamanda dépiècent [sic] le corps du défunt, le préparent et le mangent. Le chef
Kamanda mangeait la chair humaine à l’aide d’une tige, il ne touchait pas cette viande avec ses mains. »
106. Les informateurs rapportent que Kapinga wa Tshiyamba se transformait. Elle était tantôt jeune et belle, tantôt vieille
et laide. Elle disparaissait dans un village et apparaissait dans un autre village.
77 n
Donatien Dibwe dia Mwembu
Lorsque Kapinga wa Tshiyamba disparut définitivement, les Luba du Kasaï ont conclu que le chef
Kamanda devait en être l’auteur puisqu’il avait l’habitude de manger les gens. Ils l’ont alors accusé
auprès des autorités coloniales. C’était pour eux une occasion de faire disparaître le chef Kamanda.
Ngongo Lumpungu (neveu de Kamanda) prétend que l’affaire Kapinga wa Tshiyamba n’était
qu’un prétexte pour éliminer physiquement le chef Kamanda. Les Blancs, mécontents de son com-
portement, auraient fait recours aux services du chef Mutombo Katshi pour se débarrasser de son
adversaire Kamanda.
« Le chef Mutombo Katshi se frotta les mains et se mit à réfléchir. Il trouva une occa-
sion de se venger en éliminant Kamanda. Il consulta ses grands féticheurs. À la fin de la
réunion, ils tombèrent d’accord sur le plan à exécuter. Ils parvinrent à inventer, grâce à
la magie, une mulâtresse avec un bébé.
Après avoir inventé cette mulâtresse, ils l’envoyèrent à Kabinda auprès du chef Kamanda.
Lorsque celle-ci arriva dans le territoire de Kamanda, elle disparut avec son bébé. C’était
là le coup. Le nom de cette mulâtresse était Kapinga wa Tshiyamba. Après cette dispa-
rition, le chef Mutombo Katshi dit aux Belges que sa mission était accomplie. Selon les
messages échangés entre les Blancs, une femme de nationalité italienne venait de dispa-
raître dans le territoire de Kamanda. Ce dernier était donc pris au piège. »
La mort de Kamanda fut accueillie avec beaucoup de joie dans le milieu luba du Kasaï, non seu-
lement parce que l’autorité coloniale y avait fait passer Kamanda pour un grand assassin, mais aussi
parce que les Luba du Kasaï eux-mêmes croyaient retrouver la paix et la liberté et dominer à leur tour
leurs anciens dominateurs. Un informateur songye nous rapporte : « Même aujourd’hui, là chez nous,
vous trouverez des Luba du Kasaï dans certains villages. Ce sont les enfants des esclaves laissés par
le chef Kamanda. Les Luba du Kasaï ne s’amusaient pas avec nous dans le temps, ils craignaient les
Songye. C’est aujourd’hui qu’ils se permettent de se jouer de nous. » Tout cela appartient désormais
au passé.
En effet, depuis que la quasi-totalité des hauts postes politiques et administratifs provinciaux est
occupée par les Luba du Kasaï, ces derniers pensent à un renversement de la situation. « Nkashama
uvua udia mbuji, lelu, mbuji ikadi imuna nkashama » (« Le léopard mangeait les chèvres, aujourd’hui
les chèvres élèvent (dominent) le léopard »), disent-ils. En d’autres termes, les vaincus d’hier sont
devenus des vainqueurs d’aujourd’hui et vice-versa.
n 78
Le chef songye Kamanda ya Kaumbu
Selon les informateurs, de telles expressions n’expriment nullement l’émotion et encore moins la
compassion, mais sans doute le sentiment de joie ou, mieux, de moquerie de leurs auteurs.
Kamanda était aussi considéré par les Ben’Eki comme un chef tracassier et anthropophage. Nos
enquêtés déclarent que lorsque le chef Kamanda sortait avec son véhicule, il n’empruntait jamais
la même route que tout le monde. Il avait sa propre route parallèle à celle fréquentée par tous les
villageois et que la population appelait : « Eshinda dia Kinyongole » ou « la voie de Kinyongole ».
Quiconque était surpris sur la route de Kinyongole devait être tué. Le chef Kamanda consommait la
chair humaine de ses victimes. Il offrait aussi des sacrifices humains à ses fétiches pour renforcer sa
puissance.
Ces différentes tracasseries ont renforcé la haine et l’opposition des Ben’Eki à la famille Lumpungu
venue usurper le pouvoir sur leur territoire. Chez les Ben’Eki, tout chef politique doit être initié au
bukishi. Le chef Kamanda n’étant pas initié à l’école du savoir ne pouvait pas être considéré comme
chef par les Ben’Eki. Ces derniers ont exprimé leur antipathie et leur insoumission à maintes reprises
pendant le règne et à la mort du chef Lumpungu a Kikolo, père du défunt chef Kamanda. Il revient
de la plupart des informateurs que le chef Kamanda avait été trahi par ses proches collaborateurs
d’origine eki.
Les soupçons ont ainsi pesé sur Pierre Lukunku, fils de Mwana Maole, un des chefs de la tribu des
Ben’Eki, et comptable du chef Kamanda, qui aurait dénoncé le crime. Un autre doigt accusateur fut
pointé sur Lubamba Mutamba, fils de Sendwe Mutamba, un autre originaire de la tribu des Ben’Eki
et ancien ministre du chef Lumpungu. Lubamba Mutamba, fatigué de se soumettre au pouvoir de
Kamanda, aurait accusé ce dernier non seulement des actes d’anthropophagie, mais aussi d’incita-
tion des Songye à la rébellion contre les Belges. Lubamba Mutamba fut relégué à Kaniama, dans le
territoire de Mutombo Mukulu, à cause de son insubordination au chef Kamanda. Les informateurs
rapportent que c’est à Kaniama qu’il aurait contacté une femme muluba sorcière en vue de se débar-
rasser de son adversaire Kamanda.
En dehors de l’espace songye, la lutte pour la reconquête de l’autonomie des Ben’Eki se pour-
suivait sous la houlette de Mwana Shimbi, relégué à Élisabethville au Katanga. Mwana Shimbi qui
sollicitait l’autorisation de rentrer à Kabinda était bien au courant du climat de tension qui régnait
entre Kamanda ya Kaumbu et l’administration coloniale au sujet de l’affaire Kapinga wa Tshiyamba.
Mais ce climat ne pouvait pas permettre aux colonisateurs de réserver une suite favorable à la requête
de Mwana Shimbi dont la présence dans le territoire de Kabinda risquait d’envenimer une situation
politique déjà préoccupante. Nous savons que le chef Kamanda ya Kaumbu, jugé et condamné à mort,
fut pendu à Kabinda en date du 3 septembre 1936. Mutamba, le fils aîné de feu Kamanda ya Kaumbu,
était encore mineur à la date de la pendaison de son père. L’administration coloniale, qui tenait à
rendre héréditaire la succession à la tête de la chefferie Lumpungu, désigna Ya Kasongo, un membre
de la famille de feu Kamanda ya Kaumbu, pour assumer la régence de 1936 à 1951, année de l’avè-
nement du chef Mutamba. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre pourquoi le commissaire de
province, C. Wauters, s’était opposé énergiquement à la levée de la mesure de relégation de Mwana
Shimbi. Il écrivait :
« Il est vraisemblable que la mort de Lumpungu a réveillé une fois de plus ses ambitions
politiques. J’émets un avis absolument négatif à la levée de la dernière mesure de relé-
gation prise à son égard. Le territoire de Kabinda et l’ex-chefferie de Lumpungu sont en
79 n
Donatien Dibwe dia Mwembu
pleine réorganisation et le moment serait mal venu d’y autoriser le retour d’un élément
aussi dangereux107. »
Mwana Shimbi est mort empoisonné à Jadotville en 1941, en dehors du territoire de Kabinda.
Trois ans après sa mort, le groupement eki fut érigé en chefferie portant le même nom (1944). Onze
ans plus tard (1955), la chefferie Ben’Eki fut convertie en secteur. L’autorité coloniale remplaça
à cette occasion le nom Ben’Eki, sans doute pour des raisons politiques, par Ludimbi, celui d’un
cours d’eau qui arrose cette juridiction. À partir de 1959, le secteur Ludimbi fusionna avec celui de
Basanga-Bakankala pour donner naissance au secteur de la Ludimbi-Lukula.
n 80
Le chef songye Kamanda ya Kaumbu
Beaucoup de femmes ont peur d’être intronisées pour éviter de devenir sorcières. En
effet, pendant la période d’initiation, les novices sont censés ne rien exiger de plus en
dehors du repas qui, d’ailleurs, leur est présenté une fois par jour. Les initiatrices (sup-
posées sorcières prêtes à distribuer leur sorcellerie sous forme de repas ou de boisson à
quiconque exigerait un repas ou une boisson en plus de celui qui leur est offert) peuvent
se régaler et boire comme bon leur semble dans la case d’initiation, au vu et au su des
postulantes.
Le pouvoir mystique observé chez certaines femmes songye fait que ces dernières soient
craintes et respectées dans la société songye. Lorsqu’un village est profondément affecté
par un problème (une épidémie meurtrière, un grand nombre de femmes stériles, rareté
de chenilles, de champignons, nombreux cas d’échecs des enfants aux études, feux de
brousse successifs et infructueux, etc.), le ya Kitengye (chef du village) ordonne à toutes
les femmes de vider leurs cruches d’eau et de ne pas allumer le feu dans leur foyer. Cela
veut dire que tout le village observe un jeune à sec.
De leur côté, toutes les femmes se réunissent et demandent à celle qui, parmi elles, fait
ses règles de déposer sur le sol, au milieu d’elles, ses serviettes souillées. Ces dernières
serviront d’instrument ou d’arme pour conjurer ce qui les préoccupe, par exemple, la
stérilité, les échecs des enfants, l’épidémie meurtrière, la rareté de chenilles, de cham-
pignons, de rats, de gibier et de sauterelles en brousse, etc. Elles prononcent alors ces
paroles : “Si la personne qui a bloqué les naissances, qui a freiné les études de nos
enfants, qui a bloqué les produits de la chasse, qui a envoyé des maladies dans le village,
etc. est sortie d’une femme, a séjourné pendant neuf mois dans le sein et est sortie d’entre
les jambes d’une femme songye, tout ce que cette personne fait n’aura aucun effet. Que
cette personne restitue tout ce qu’elle a bloqué sinon elle connaîtra la mort.ˮ Alors toutes
les femmes crachent sur les serviettes souillées. Cette salive signifie que ce qui est dit et
arrêté par les femmes doit produire des effets. La Ndalamumba Kitenge donnera un coup
de kilonda (petite hache, symbole de son pouvoir)109 sur les serviettes souillées. Puis,
toutes les femmes frappent le sol de leurs mains en prononçant ces mots : “Mpaa anka
shi kita binu tamutukie kui mwana mukaji anyi shi taatomene meema atape kui mwana
mukaji mu mulondo anyi taadile biashi bitekie kui mwana mukaji, kie mbubiˮ, cela veut
dire littéralement ceci : “Quiconque est à la base de cette situation (catastrophique) ne
pourra tenir que si et seulement s’il n’est pas sorti d’une femme, ou qu’il n’a jamais bu
de l’eau puisée par une femme dans la cruche ou encore qu’il n’a jamais mangé de repas
préparé par une femme. Autrement, il connaîtra le malheur (la mort)ˮ. »
81 n
Donatien Dibwe dia Mwembu
Signalons en passant que les femmes sorcières stériles et/ou celles qui ont atteint la ménopause
bloquent les produits de la chasse, de la cueillette et de la pêche, parce qu’elles n’ont pas ou plus de
jeunes enfants pour les leur apporter.
De tout ce qui précède, il résulte que dans la société songye, les gens ne mangent pas la chair de
femmes. Nul ne peut pas manger celle qui l’a enfanté. La femme est une puissance dont on ne peut se
passer et incarne certaines valeurs. Même s’il arrivait que les femmes et les hommes fussent arrêtés
ensemble, les hommes pourraient être tués, tandis que les femmes seraient contraintes de payer des
amendes. À l’époque coloniale, les femmes n’étaient pas inquiétées par les batumbula à Kabinda
de même que sur tout l’espace songye. Cela veut dire que dans la société songye, de tout temps, les
femmes ont toujours été protégées. Tuer et manger une femme, c’est enfreindre la coutume songye.
Et, quiconque enfreint la coutume est sanctionné proportionnellement à la gravité du délit commis110.
Kamanda n’était pas initié au bukishi, contrairement à certains de ses notables et proches colla-
borateurs présents le jour de la disparition de Kapinga et de sa fille. Tous n’étaient pas des personnes
initiées. Le bukishi est une école de savoir de la société qui prône, entre autres, le respect de la fémi-
nité. « Avoir une femme ou plusieurs femmes importe peu. Ce qui compte, c’est la considération
envers cet être. C’est par elle que passent tous les pouvoirs naturels dévolus à l’homme. Cela explique
la présence de la femme dans tout ce que l’homme fait111. » Dans ce contexte, tuer et manger une
femme ne veut nullement dire la tuer physiquement, mais la tuer de façon mystique, dans le monde
invisible. La tuer et la manger mystérieusement. Les différentes versions que nous allons passer en
revue montrent clairement que la femme Kapinga a été effectivement tuée en tant que fétiche ou esprit
(tshilengeleshi) et non en tant que personne physique vivante. La question qui se pose maintenant est
celle d’identifier le ou les auteurs de ce double assassinat.
110. Kabemba ka Mutamba Nsumbu, menuisier, témoignage recueilli à Lubumbashi, commune Kenya, en date du
25 novembre 2002.
111. Ngongo Kalumbua 2000 : 45.
n 82
Le chef songye Kamanda ya Kaumbu
nous avons tant de Tetela et de Luba-Kasaï à Kabinda. Avez-vous déjà appris que le chef
songye avait offert des tributs à tel ou tel chef du Kasaï si ce n’est à lui que ceux-ci les
offraient ? »
Le chef Kamanda devait sa renommée et sa puissance à d’autres fétiches dont il disposait. Ces
fétiches, source de ses nombreux succès, provenaient des esprits mauvais auxquels le chef Kamanda
ya Kaumbu devait offrir des sacrifices humains (le foie) à chaque nouvelle lune. Pour cela, il lui fal-
lait capturer et tuer les gens. Kamanda disposait à cet effet d’une sorte de milice composée de jeunes
gens qu’on appelait « bantomboshi », une sorte de « batumbula », chargés de capturer des promeneurs
solitaires.
« Les bantomboshi se rendaient en groupe en brousse à la recherche de leurs victimes.
Ils s’y cachaient à côté d’un sentier. Un des leurs montait sur un arbre pour épier s’il y
avait une victime qui passait par là. Lorsqu’il voyait des gens venir en groupe, ils les
laissaient passer. Mais, ils étaient intéressés par celui qui se promenait seul en brousse.
C’est alors que celui qui était monté sur l’arbre avertissait les autres. Ceux-ci capturaient
alors leur proie. La victime disparaissait ainsi sans laisser de traces. Après l’avoir tuée,
on la dépiéçait [sic] et le foie était offert en sacrifice au fétiche.
La chair humaine, mélangée à celle de chèvre, de cochon et parfois de chien, était prépa-
rée, et le repas était alors servi à tout visiteur de passage à la Cour royale. Ce repas était
très bien apprécié. Kamanda goûtait toujours le premier la sauce, succulente, aux dires
des gens.
Les fétiches permirent à Kamanda d’étendre sa domination sur beaucoup de chefs du
Kasaï. Ces derniers, totalement soumis, lui offraient des tributs milambu : des chèvres,
des moutons, des poules et même des jeunes filles. Celles-ci étaient toutes logées à
la Cour royale et certaines d’entre elles étaient offertes aux visiteurs que le roi rece-
vait chaque jour, pour rendre leur séjour vraiment agréable. Cette hospitalité contribuait
grandement au succès du grand chef Kamanda. »
Mais alors, comment un homme si puissant avait-il pu tomber si facilement dans le piège ? Les
informateurs sont d’avis que le chef Kamanda a été l’auteur de sa propre défection pour avoir d’une
part négligé d’entretenir ses fétiches et, d’autre part, transgressé la coutume et la tradition songye.
« La terre songye est hospitalière, mais elle engloutit sans excuse quiconque enfreint ses coutumes.
C’est pourquoi le pays songye est appelé “terre d’hibiscusˮ ou “terre glissanteˮ, c’est-à-dire pays
où l’on passe facilement du monde des vivants à celui des morts lorsqu’on va à l’encontre des cou-
tumes112… » Il est alors logique que Kamanda n’ait pas échappé à la loi. « Dura lex sed lex », dit-on.
83 n
Donatien Dibwe dia Mwembu
palais, Lumpungu déménagea en abandonnant le fétiche dans la cour de l’ancien palais. C’est alors
que ses courtisans lui rappelèrent que le fétiche de protection était resté loin de lui et qu’il fallait aussi
le transférer dans la nouvelle cour. Cela ne pouvait se faire qu’en creusant avec un outil (une houe ou
une machette). Cela fut fait en violation des interdits du fétiche. D’où la fâcheuse conséquence qu’est
l’affaire Kapinga wa Tshiyamba et la condamnation à mort qui s’ensuivit. »
Les informateurs demeurent muets quant à la corrélation entre la violation de l’interdit du fétiche
et l’affaire Kapinga wa Tshiyamba.
Alexis Kabundji Yando semble lever un coin de voile de cette énigme : « Kamanda avait son
fétiche de protection que lui avait donné une femme “kasaïenne113ˮ du nom de Tshiyamba. Ce fétiche
devait être aspergé régulièrement de sang humain. Après avoir renforcé son pouvoir et protégé
d’autres forces magiques, Kamanda refusa d’écouter ses conseillers qui lui rappelaient l’aspersion de
son fétiche de sang humain conformément à la coutume. C’est là le début du déclin de la puissance
du chef Kamanda. »
Ce témoignage, complété par celui ci-dessous de Kumba Kadiompo, permet d’établir le lien entre
le fétiche et la personne de Kapinga wa Tshiyamba. Kumba Kadiompo rapporte :
« La dernière preuve de son arrestation et de sa condamnation fut celle de Tshiyamba
wa Mutombo Katshi Mua Kalonji, fétiche transformé en une personne réellement
vivante et qui, depuis la cour royale du chef Kamanda, criait ici à Kabinda en disant ceci
aux Belges : “Lumpungu Kamanda ya Kaumbu a tué cette nuit dans sa cour une dame
blanche avec son filsˮ. Or cette femme fut l’esprit de son fétiche révolté à cause de l’in-
soumission du chef à ce fétiche. À cause de cette déclaration, le chef fut convoqué par
le Parquet de Kabinda et envoyé à Lusambo où il fut définitivement condamné à mort
par pendaison. »
Le fétiche protecteur non entretenu se serait alors retourné contre son protégé Kamanda. Une deu-
xième version fait provenir la défection du chef Kamanda du mécontentement et de la révolte de ses
esprits protecteurs. Abandonné par ces derniers, Kamanda fut non seulement réduit à sa plus simple
expression, mais aussi, et surtout la proie facile de ses ennemis notamment les Luba du Kasaï.
b) La révolte des esprits des hommes enterrés vivants avec le fétiche de Kamanda
« Après la guerre, d’abord le chef Kamanda remportait des victoires partout où il com-
battait, alors après la guerre tous les chefs coutumiers qui étaient aussi puissants que
Kamanda se sont retrouvés à Kabinda, plus précisément chez les Bekalebwe (village
natal du chef Kamanda), où ils ont creusé un très grand trou dans lequel ils ont mis cha-
cun toutes sortes de fétiches pour la sécurité de leurs villages. Ces fétiches étaient mis
dans une très grande casserole. Avant de déposer cette casserole dans le trou, chaque
chef a pris deux personnes de son village, les a vêtus à la manière de leurs coutumes, les
a hypnotisés, leur a coupé les ongles et les cheveux qu’il a mis dans la casserole. Ces per-
sonnes hypnotisées étaient ensuite couchées dans le trou. Les chefs coutumiers ont déposé
la grande casserole sur leurs dos. Ensuite ils ont enterré ces personnes vivantes. Et dans
une cérémonie coutumière, ils ont tué les chèvres, les poules etc. Après l’enterrement
113. Ce terme est impropre pour désigner les Baluba de la province du Kasaï-Oriental. Tout originaire (Luba, Songye,
Tetela, Kanioka, etc.) de cette province méritant cette appellation, le terme propre serait donc « muluba » comme ils
s’appellent eux-mêmes ou « mwambu » comme les nomment les Songye.
n 84
Le chef songye Kamanda ya Kaumbu
de ces gens, les autres chefs ont interdit au chef Kamanda de recreuser en aucun cas ce
trou pour enlever cette casserole sans leur autorisation, sinon il serait responsable de ce
qui pourrait lui arriver. Cette casserole était une casserole magique. Le lieu où s’était
produite cette cérémonie était désormais sacré suite à l’enterrement des hommes vivants.
Mais le chef Kamanda commit une grave erreur. Lorsque les Blancs ont construit pour
lui une maison à étages à Kabinda, avant d’aller habiter cette maison, il a jugé bon
de faire ce que ses collègues chefs coutumiers lui avaient interdit : il a autorisé à ses
sujets de déterrer les fétiches et de les enterrer de nouveau dans sa nouvelle résidence
à Kabinda. Le chef Kamanda justifie sa décision par le fait que c’est à lui qu’on avait
confié la garde de cet endroit. Comme il devait quitter son village natal pour s’installer
à Kabinda, il devait amener ces fétiches qui y étaient enterrés.
Mais les esprits de ceux qui avaient été enterrés vivants, portant la casserole sur leur dos,
se sont révoltés contre lui. Les Luba-Kasaï ont profité de cette occasion pour accuser
le chef Kamanda. Ils ont créé une personne (femme mulâtresse) et l’ont envoyée chez
le chef Kamanda. Certaines personnes disent que ce sont les esprits des personnes qui
étaient enterrées qui se sont transformés en une femme blanche et que c’est elle qui avait
causé la mort au chef Kamanda. »
De toutes les façons, les différents témoignages convergent lorsqu’ils établissent un lien étroit
entre le fétiche du chef Kamanda et Kapinga wa Tshiyamba. Cette femme ne serait pas une personne
réellement vivante, mais un tshilengeleshi, un esprit transformé en femme pour piéger Kamanda et le
faire éliminer physiquement et, partant, politiquement. S’il est réellement établi que le chef Kamanda
n’a pas suivi les conseils de ses collaborateurs et a enfreint la coutume, il a alors lui-même choisi la
voie du suicide. « Shilungulwanga baile ku luendu na tuvi ku bilamba » (« Un évaporé a voyagé avec
des habits souillés des matières fécales »), dit un adage songye.
85 n
CONCLUSION
n 86
Le chef songye Kamanda ya Kaumbu
l’intronisation de Kamanda, était âgé de plus de 45 ans, donc pratiquement sans instruction. Mutombo
Polydor, petit-fils du chef Mutombo Katshi II, traitait avec mépris les chefs coutumiers illettrés dans
la mesure où ils restaient ancrés dans la coutume. Il voulait les faire remplacer par des jeunes instruits,
chrétiens et monogames. Ces idées ne trouvaient pas un écho favorable auprès des colonisateurs qui
continuaient à soutenir les vieux chefs coutumiers illettrés116.
Les autorités coloniales trouvaient prématuré et surtout dangereux de collaborer avec des jeunes
intellectuels congolais de cette époque. C’est pourquoi elles les écartèrent de la gestion des affaires
publiques. Mwana Shimbi alias André Luce de Ben’Eki et, plus tard, Polydor Mutombo de Bakwa
Kalonji ont été relégués.
Kamanda était le chef de la chefferie mère en ce sens que sa juridiction hébergeait le chef-lieu à
la fois du territoire et du district de Kabinda, c’est-à-dire la résidence du commissaire de district et de
ses collaborateurs. Toutes les réunions regroupant les différents chefs coutumiers avaient lieu dans la
chefferie Lumpungu et à Kabinda dont Kamanda était le chef.
Kamanda ya Kaumbu a réuni toutes les caractéristiques révélatrices d’une nouvelle identité pour
les chefs coutumiers. Il avait une voiture, était à la mode sur le plan vestimentaire (portait des cos-
tumes à l’européenne), disposait d’une maison à étages et d’un compte en banque, etc. C’est un signe
d’accumulation de richesse et de puissance dont étaient dépourvus la plupart des chefs coutumiers
contemporains, du moins en apparence.
Kamanda ya Kaumbu avait hérité le prestige et le pouvoir politique de son père, feu Lumpungu,
chasseur et guerrier redoutable. Lumpungu martyrisait les populations luba du Kasaï jusqu’au début
du XXe siècle. Cela justifie la présence dans beaucoup de familles songye de nombreux Luba-Kasaï,
anciens esclaves affranchis et intégrés dans la société songye. Il a fallu l’intervention de l’autorité
coloniale pour soustraire la population luba-kasaï à l’autorité du chef Lumpungu.
Kamanda doit de ce fait avoir hérité de son père la puissance magico-religieuse, des forces occultes
capables de le maintenir et de l’aider à faire face à toutes les attaques visibles et invisibles de ses
adversaires tant de l’intérieur que de l’extérieur. Dans ce domaine, il n’était pas un jeune, un enfant.
Les gens disaient de lui qu’il était éveillé puisqu’il se sentait fort, c’est-à-dire magiquement supérieur
aux autres chefs coutumiers. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre son comportement orgueil-
leux et ses arrivées toujours tardives aux réunions convoquées par les autorités coloniales, une sorte
d’arrivée « après la mise en place terminée ». Kitengie Mulopwe nous raconte :
« En effet, chaque fois qu’il était invité à une manifestation nationale, il arrivait avec
un grand retard, longtemps après l’arrivée des autorités administratives coloniales. Ces
dernières se tenaient debout à son arrivée et Kamanda ne serrait que la main du commis-
saire de district. Les autres autorités coloniales disaient de lui qu’il était orgueilleux117. »
Dans ce sens aussi, la réclamation de l’indépendance du peuple songye par Kamanda se situe
dans la logique même du comportement du chef songye. Kamanda ya Kaumbu avait-il besoin des
Blancs pour diriger son peuple ? Il disposait, croyait-il, de tout ce qu’il fallait pour gouverner son
pays. Il avait accumulé le pouvoir et la richesse, il avait des armes à feu, il était puissant sur le plan
magico-religieux, etc. Il se comportait aussi comme un chef évolué dont les idées étaient opposées
à celles des colonisateurs. Il était en fait le précurseur des autorités modernes actuelles qui vivent à
cheval sur deux mondes, urbain et villageois, sur deux mentalités moderne et ancienne. Le costume,
87 n
Donatien Dibwe dia Mwembu
la cravate, le pantalon, la voiture, la maison à étages, le compte en banque ne sont-ils pas des indices
de richesses de la vie moderne, les caractéristiques d’une autorité moderne par opposition au cos-
tume traditionnel, au tipoï, à une hutte en paille, etc. propres à une vie villageoise ? Mais, Kamanda
ne voulait pas rompre avec sa culture, sa conception du monde, la philosophie songye. C’est pour-
quoi il demeurait fidèle aux fétiches, source de sa puissance, de son maintien et de sa supériorité.
N’assiste-t-on pas actuellement, du moins depuis le régime de Mobutu, à l’émergence de cette classe
de chefs coutumiers modernes, coutumiers dans la mesure où ils dirigent la chefferie, font appliquer
la coutume, sont chrétiens avec plusieurs femmes, portent les costumes modernes, ont des comptes
en banque, passent plus de temps en ville qu’au village, etc. Ils adaptent la chrétienté à leur vie et
non cette dernière à la conception chrétienne. La relation ville-campagne sur le plan politique veut
dire que les chefs coutumiers peuvent aussi jouer un rôle politique moderne. On a vu des chefs cou-
tumiers députés, membres du comité central du Mouvement populaire de la Révolution, parti-État,
etc.118 Actuellement aussi, peut-on parler de la résurgence ou de la continuité de l’Afrique ancienne
où la sorcellerie jouait un rôle important dans la promotion sociale et politique d’un individu ? A-t-on
jamais assisté à la fin de cette Afrique culturelle ancienne pour parler de sa résurgence aujourd’hui ?
Les violences politiques qui ont caractérisé le début de la période postcoloniale ont vu les jeunesses
des partis politiques puiser leurs forces et leur bravoure, pourquoi pas leur victoire, dans des pratiques
fétichistes, les bizaba. N’a-t-on pas longuement parlé de la « Prima Curia » sous le régime de Mobutu
dont des symboles de l’influence satanique auraient été trouvés sur le billet de banque de 50 zaïres119 ?
Ne voit-on pas des autorités politiques, civiles, militaires et même religieuses actuelles recourir, entre
autres, à des pratiques fétichistes pour leur maintien ou leur promotion professionnelle ? Nous repro-
duisons ci-dessous, à titre illustratif, un extrait des bouleversantes confessions d’un dignitaire de la
Deuxième République :
« Dans cette expérience, je me rappelle avoir participé à des scènes miraculeuses, tou-
jours à la recherche du pouvoir, à la recherche de la puissance. Je suis allé avec mon
magicien toujours très tard la nuit, pendant que vous dormiez paisiblement. Dans les
bras de Morphée, il était trois heures du matin, c’était à la veille d’une mission à Dakar,
et il fallait que là, comme c’était ma première sortie, je puisse briller. Et à la demande
du Grand Maître, c’est-à-dire du Chef des esprits, nous sommes allés [...] vers une chute
d’eau après le quartier De Bonhomme, et après laquelle il y a une sorte d’étang. Et c’est
là que nous sommes allés faire des invocations avec une casserole vide sur l’eau. Après,
nous avons fait une pêche miraculeuse. Nous avons pris un gros poisson (ngolo), que
nous avons amené au sanctuaire. Nous l’avons déchiré, et nous avons trouvé dans ses
entrailles le Buffle, symbole de la puissance et de la force. J’avais appris à invoquer les
esprits, j’avais appris à leur parler. Et j’avais appris comment leur présenter mes besoins.
Je savais, en cas de difficulté, comment demander et recevoir une bénédiction spéciale,
118. Le président Mobutu lui-même avait été investi comme grand chef coutumier dans les provinces de l’Équateur et de
Bandundu. Bundjoko (2001 : 56, 96) note : « Les chefs coutumiers lui livrèrent leurs secrets intimes, le conduisirent
dans des lieux sacrés. Mobutu monta alors sur leurs épaules pour voir plus loin qu’eux. […] Sa canne, un signe sans
doute de pouvoir coutumier, était, disait-on, chargée d’une puissance magique. »
119. Dans son édition n° 48/4 du 1 au 8 avril 1991, le journal Cobalt donne quatre symboles aux effets sataniques sur la
monnaie zaïroise : le léopard qui est porté sur une de deux cornes de Lucifer ; l’effigie du « Grand Maître » (Mobutu) ;
la figure représentative du siège de la « Prima Curia » en Italie ; le symbole de Lucifer portant sur sa tête les initiales
de la Banque du Zaïre.
n 88
Le chef songye Kamanda ya Kaumbu
et, dans ce cas, je recevais des coups de dents sur ma tête, comme un jet de douche. Et
c’était ça la bénédiction spéciale.
J’ai plusieurs fois rencontré et parlé avec la sirène dans la brousse, sur la route, pour
ceux qui connaissent la route qui conduit de Mont-Ngafula à l’UNIKIN. C’est là que je
rencontrais la sirène. Des fois, elle venait nue, des fois elle venait vêtue120. »
.
Nombreux sont des catcheurs congolais qui ne pratiquent pas ce sport sans fétiche121. Aussi,
combien de joueurs de football congolais peuvent-ils se produire sur le terrain sans fétiche ? Selon
l’opinion généralement partagée, les prostituées doivent faire usage des fétiches pour avoir plus de
charmes. Le bar et le nganda sont ainsi considérés comme des espaces de compétition des fétichistes :
d’une part, les prostituées cherchent à s’arracher les clients, d’autre part, les propriétaires du bar ou
du nganda cherchent à s’attirer le plus de clients possible au détriment des autres bars et nganda des
environs.
Ouvrons ici une autre parenthèse. Dans le cadre du cours de Critique historique dispensé aux étu-
diants de premier graduat en Sciences politiques et administratives de l’Université de Lubumbashi,
extension de Kabinda, il a été demandé aux étudiants de donner des facteurs explicatifs de la résis-
tance des habitants de la cité de Kabinda à l’avancée des troupes rebelles du Rassemblement congolais
pour la Démocratie (RCD) aidées par l’armée rwandaise. Les travaux des étudiants de l’extension
de Kabinda révèlent trois tendances qui en fait se complètent, car elles convergent toutes vers une
fin commune. La première tendance met l’accent sur la puissance de la prière. Un étudiant note :
« Les chrétiens disent que c’est grâce à leurs prières que le Seigneur Dieu a opéré des miracles pour
protéger la cité de Kabinda. Les chrétiens veillaient et jeûnaient. Dieu a exaucé leurs prières. » Un
autre étudiant renchérit : « Une autre attaque foudroyante pour le contrôle de la cité de Kabinda
eut lieu le 7 juillet 1999. Elle se solda par un échec. Des dizaines d’obus de mortier tombèrent un
peu partout dans la cité sans faire des victimes. » Un autre étudiant renchérit : « Lorsqu’un obus
est tombé près de l’extension de Kabinda, nous étions dans une séance de prière dans l’église de la
30e Communauté pentecôtiste située derrière les bâtiments de l’université ». La deuxième tendance
regroupe les étudiants alliés à la puissance militaire. Un étudiant écrit : « C’est grâce à la puissante
armée zimbabwéenne bien équipée, à la collaboration entre les hommes politiques, les chefs coutu-
miers, les différents services de renseignements comme l’Agence nationale de renseignement et les
Forces d’Autodéfense populaire (FAP) et à la détermination de la population songye que les rebelles
n’ont pu envahir la cité de Kabinda ». Certains étudiants sont convaincus que la résistance de la cité de
Kabinda tire son origine de la puissance des fétiches enterrés en ces lieux par le chef Lumpungu et les
chefs coutumiers songye. Une étudiante écrit : « Pour qu’à l’avenir, la cité de Kabinda ne connaisse
plus de guerre sur son sol, les chefs coutumiers organisèrent des cérémonies de protection de la cité
appelées “kibindjiˮ (d’où le nom de Kabinda), creusèrent un grand trou à la bifurcation de deux routes
au centre de la cité, y enterrèrent un homme vivant et d’autres fétiches, puis ils pendirent un chien.
Ils prononcèrent ces paroles : “Jamais le sang ne coulera sur le sol de Kabindaˮ. Cette tradition est
89 n
Donatien Dibwe dia Mwembu
toujours d’actualité. Et les chefs coutumiers actuels, garants de la sécurité du peuple songye, se sont
réunis à Kabinda et ont réitéré ces paroles. » Fermons la parenthèse.
n 90
Le chef songye Kamanda ya Kaumbu
tenterait de s’attaquer aux populations locales vivant en aval. Il jouait donc le rôle de guetteur. Mais,
voilà que le chef Kamanda chassait régulièrement sur le territoire mwilande et mwin’eki sans daigner
offrir des milambu (« tributs ») aux Ben’Eki et aux Belande, propriétaires fonciers. C’est la raison
pour laquelle Mwana Kankieza lui disait : « C’est moi qui t’ai fait venir ici et les Belande ont donné
leur accord pour te placer en amont de la colline, car le chef n’a jamais été placé en amont ». L’attitude
rebelle du chef Kamanda a fait dire aux Belande cet adage : « Mupele Mwilande atshinke mwetu
mwiloba », c’est-à-dire « Quiconque ne se conforme pas à la coutume des Belande doit quitter leur
territoire ».
Mais, épris de paix, les Ben’Eki et les Belande ont préféré mettre en application cet autre adage qui
dit : « Mpolela bakashinama mu mwengie, etu bena nsenga tutadima mwibanda » (« Les herbes enva-
hissent la colline, tandis que nous, les propriétaires fonciers, nous cultivons dans la vallée »). Mpolela
est une espèce d’herbes envahissantes difficiles à déraciner. Beaucoup de cultivateurs, pour éviter
des travaux de désherbage harassants, préfèrent laisser l’espace occupé par cette herbe pour cultiver
ailleurs. Il s’agit en fait de Lumpungu et sa famille qui se conduisent en conquérants et occupent non
seulement le sommet de la hiérarchie politique, mais aussi font du pouvoir leur chasse gardée. Les
Ben’Eki et les Belande, pourtant propriétaires fonciers, se contentaient du reste du territoire en aval
de la colline, c’est-à-dire qu’ils régnaient dans les collectivités, les groupements et les villages, la
base de la pyramide. La peur de la guerre ou l’amour de la paix ont poussé les Ben’Eki et les Belande
à pratiquer la politique de la non-violence. C’est dans ce contexte que se situe cet adage qui dit :
« Kumatshi talala, mbwanga bwa tulwa » (littéralement : « La paix des oreilles, c’est le remède du
sommeil »). Cela veut dire : la paix engendre la tranquillité.
Les Ben’Eki ont toujours lutté pour l’autonomie de leur chefferie vis-à-vis de Lumpungu. En son
temps, nous l’avons vu, le chef Lumpungu a été à maintes reprises secoué par Mwana Shimbi, alias
André Luce, jeune intellectuel mwin’eki, qui a terminé ses études à l’athénée d’Ixelles en Belgique.
Il fut relégué au Katanga et mourut, empoisonné, à Likasi en 1941.
Sous le chef Kamanda, ce conflit a continué. Les tentatives de Mwana Shimbi de regagner
Kabinda à la mort de Lumpungu et même après la pendaison de son fils Kamanda sont restées vaines.
La sorcière Kapinga qui se serait métamorphosée en une dame blanche que le chef Kamanda se
serait empressé d’épouser et qui réclamait son territoire en compensation de la puissance accordée à
Kamanda peut symboliser la situation conflictuelle réelle qui existait entre Kamanda et les proprié-
taires fonciers qui réclamaient l’autonomie de leurs chefferies. Face au refus de Kamanda, ils auraient
alors fabriqué ce fétiche pour se débarrasser de lui. En fin de compte, ils n’ont pas été déçus.
91 n
Donatien Dibwe dia Mwembu
Belande-Nord, Belande-Sud, Baluba Shankadi, Bena Budja et Basanga – et trois secteurs : Kabinda,
Baluba Lubangule et Bena Milembwe. L’autorité du successeur de Kamanda s’en trouvait pratique-
ment réduite dans la mesure où elle était limitée au seul secteur de Kabinda. Son ascendant sur le
peuple songye n’était plus que symbolique. L’administration coloniale venait de mettre un terme à
l’existence du royaume de Lumpungu.
Au fil du temps, le nombre de chefferies diminuait, tandis qu’augmentait celui des secteurs. À la
veille de l’accession du pays à l’indépendance, le territoire de Kabinda était subdivisé en six secteurs
dirigés chacun par un chef de secteur : Kabinda, Ludimbi-Lukula, Lukashi-Lualu, Lufubu-Lomami,
Vunayi et Lubangule122. Le chef Mutamba dirigeait le secteur de Kabinda.
Qui, de Mutombo Katshi IV ou des Ben’Eki et des Belande, avait envoyé le fétiche Kapinga au
chef Kamanda ? Voilà une équation difficile à résoudre. Ces adversaires politiques sont tous accu-
sables, des prévenus. Peut-être pas.
« Il paraît souhaitable de commencer par faire remarquer qu’il ne s’agit in specie que
d’un réquisitoire du ministère public, lequel comporte une très grande démarcation par
rapport à la sentence du juge communément appelée jugement en arrêt selon qu’il est
décidé par les magistrats du tribunal ou bien d’une cour.
n 92
Le chef songye Kamanda ya Kaumbu
93 n
Donatien Dibwe dia Mwembu
Cependant, il est resté également dans sa mission initiale de rechercher les éléments
constitutifs des infractions. Dans ce cadre, ya Kaumbu a été trouvé comme l’auteur
intellectuel du double assassinat de Musao Kapinga et de sa fillette. Cela découle des
déclarations des autres prévenus et des dépositions des témoins selon lesquels ya Kaumbu
avait ordonné à Solotshi d’aller tuer la femme Musao Kapinga. Il a retenu plusieurs
préventions dont le vol des biens de la victime Musao Kapinga, le recel de ses effets
mobiliers, la mutilation.
La sanction réclamée par le ministère public est juste, car l’assassinat est passible de
peine capitale. A fortiori pour un double assassinat associé d’autres préventions, il ne
pouvait comminer que quelques peines dont la principale est la peine de mort. C’est la
peine la plus lourde qui s’applique.
En outre, le ministère public dans son réquisitoire estime que le prévenu ya Kaumbu ne
doit pas bénéficier des circonstances atténuantes à cause de son attitude à l’audience qui
ne pouvait appeler aucun remords.
Il semble souhaitable de renseigner qu’un prévenu peut choisir de plaider coupable ou
non coupable. Par voie de conséquence, un inculpé qui plaide non coupable reçoit une
sanction grave. Néanmoins le fait pour le prévenu ya Kaumbu de plaider non coupable
en niant les faits mis à sa charge n’emporte pas le rejet des circonstances atténuantes,
car en dépit du fait qu’il était “semi-civiliséˮ, il demeurait lié à sa tradition l’obligeant
de faire des sacrifices humains aux fins d’accroître sa puissance. Il n’était pas détaché
de la source. À mon humble avis, la peine capitale réclamée par le ministère public
contre ya Kaumbu paraît inefficace. Elle n’est en rien différente de la vengeance privée
du code d’Hammourabi de type “œil pour œil, dent pour dentˮ. La meilleure façon de
lutter contre les actes de barbarie aurait été de placer ces prévenus en servitude pénale
principale tout en militant en faveur de leur réinsertion sociale. La période de détention
servirait à éradiquer tout instinct de barbarie.
Le magistrat du parquet a brillé par sa sévérité en présentant un réquisitoire qui incrimine
tous les prévenus sans exiger du tribunal aucun acquittement pur et simple ni aucune
condamnation avec sursis. Le prévenu principal écope la peine capitale, l’auteur maté-
riel et tous ceux qui ont coopéré à la commission de l’assassinat sont frappés de peines
privatives de liberté. Pourrions-nous faire allusion au châtiment exemplaire qui servirait
de leçon à tous les autochtones tentés de réitérer les mêmes actes de barbarie au nom de
leur coutume ?
En définitive, le ministère public présente un réquisitoire fondé en droit, car toutes les
préventions mises à charge de chacun des prévenus ainsi que les peines comminées pour
chaque infraction rentrent dans le principe de la légalité des délits et des peines. De la
peine de mort retenue à charge du cerveau de l’infraction à la peine privative de liberté
la plus légère, chacune est proportionnée au fait incriminé. Pour rappel, l’assassinat est
sanctionné de peine capitale (peine de mort). Le meurtre, quant à lui, est punissable de
vingt ans de servitude pénale au maximum, etc. Bref, il n’est pas allé au-delà de la peine
prévue.
Néanmoins, le réquisitoire du ministère public pèche par son application rigoureuse des
peines sans tenir compte de la personnalité même des criminels concernés. S’il est vrai
que l’assassinat de Musao Kapinga plaçait le ministère public en droit de réclamer du tri-
bunal que la peine de mort soit infligée au prévenu ya Kaumbu, il ne demeure pas moins
n 94
Le chef songye Kamanda ya Kaumbu
vrai que le juge était également en droit de tenir compte de son intime conviction. La
condamnation d’un grand chef de la trempe de ya Kaumbu et sa suite de sous-chefs à des
peines visant leur réinsertion sociale n’aurait-elle pas mieux réparé le dommage causé ?
La peine capitale n’est-elle pas une pratique barbare fondée sur le droit ? La meilleure
façon de lutter contre la barbarie des autochtones n’aurait-elle pas été l’application de
peines privatives de liberté ? Le ministère public aurait pu réclamer une servitude per-
pétuelle pour ya Kaumbu. Les modes de preuves usités par le ministère public, à savoir
les aveux et les dépositions des témoins, sont amplement suffisants pour asseoir toutes
les préventions. Il s’agit là d’un avis qui n’est pas impératif, car on n’a pas besoin de
l’autorisation pour réfléchir sur une question124. »
124. Dieudonné Mundala, licencié en Droit, Commentaires du document inédit « Archives MRAC, Parquet de Kabinda.
Conclusions du ministère public. Affaire ya Kaumbu et Consorts, 1935 », Lubumbashi, 11 décembre 2002.
125. Isidore Kalonda Mukonkole, témoignage recueilli à Kabinda, mars 2002.
126. José Ngoie Mayele, 60 ans, témoignage recueilli à Lubumbashi, 2001.
95 n
Donatien Dibwe dia Mwembu
Tatiana Nshale Nsaka est frappée par la fière histoire et les qualités du chef Kamanda.
« Donc, c’était ça l’histoire du chef Kamanda ya Kaumbu qui fut pendu non seulement à
cause de la mort de Kapinga, mais surtout à cause de son savoir-faire et aussi parce qu’il
réclamait l’indépendance dans ses écrits. Il était un bon chef dans ce sens qu’il nourris-
sait le peuple et supportait même les études des certains enfants. C’est cela même qui
fait qu’il soit considéré comme un “hérosˮ. Kamanda était sage, il avait pensé à la sco-
larisation des enfants. Son père n’avait jamais voulu que les enfants du village étudient,
il disait ceci : “Il ne faut pas amener les enfants à l’école, parce que les Blancs vont leur
apprendre à voler, ils seront voleurs comme les Blancs sont en train de voler les richesses
de notre pays pour les envoyer chez eux128ˮ. »
La guerre d’agression dont la République démocratique du Congo a été victime pendant près de
cinq ans a été une autre occasion pour le peuple songye de revaloriser la mémoire des grands chefs
guerriers songye en général et de Kamanda ya Kaumbu en particulier. En effet, la résistance de la cité
de Kabinda face aux troupes rebelles du RCD. aidées par les Rwandais, a fait couler beaucoup d’encre
et de salive. Selon le journal Info-Kabinda, le peuple songye de Kabinda a hérité sa détermination de
ses grands guerriers en général et du chef Kamanda ya Kaumbu en particulier :
« Les grands guerriers qu’étaient nos aïeux avaient tenu compte du relief pour bâtir
cette cité. Elle devait servir de place forte au chef Lumpungu Kaumbu ka Ngoyi dans
ses conflits armés avec ses voisins. La tradition orale affirme que des “cérémonies reli-
gieusesˮ ont été célébrées alors dans cette intention pour que perdure à jamais cette
immunité. Le chef Mutamba Lumpungu est vu aujourd’hui comme le symbole de l’iné-
branlable paix de Kabinda .
Les chefs coutumiers présents à Kabinda sont unanimes. Ils parlent un même langage :
“Jamais de guerre à Kabinda. L’ennemi ne franchira pas nos portes. Tout traître ne pourra
s’en prendre qu’à lui-même.ˮ Leur ferme volonté tire son origine dans la tradition reçue
qu’ils veulent à tout prix réactualiser avec compétence. Le chef Mutamba, non seule-
ment pour la raison évoquée ci-dessus, mais également pour sauvegarder la fierté de
son père qui est – si pas le premier – parmi les premiers à récuser ouvertement la tutelle
blanche au moment de sa plus grande cruauté dans les années trente. La puissante armée
zimbabwéenne n’a fait que renforcer la détermination du peuple songye. Une étudiante
conclut : “Un adage songye dit ceci : ‘Bomono mutwishi, anyisha mwishi’, ‘Lorsqu’une
personne vient vous aider à piler, redouble d’ardeur avec ton pilon’”129.»
127. Kasongo Sungula, 60 ans, fonctionnaire de l’État, témoignage recueilli à Lubumbashi, 2001.
128. Tatiana Nshale Nsaka, témoignage recueilli à Kabinda, mars 2002.
129. Info-Kabinda 1999 : 1.
n 96
Le chef songye Kamanda ya Kaumbu
Basongye nuelene binango, nupusheyi uno Peuple songye, réfléchissez et posez le pro-
mwanda wa Kaumbu ka Ngoie Masengo. blème de Kaumbu, fils de Ngoie Masengo.
Yaya n’kaye badi mushale, etanyina Le chef était assis. Il fit appeler ses aînés
banshaye kushi na kunundu : « Basongye du sud et du nord (de tous les coins) :
nkumbaneyi boso bulela ». « Peuple songye, rassemblez-vous autour
Kya Ntambwe badi muele binangu muishim- de moi ».
ba, atala kushi mpa na kunundu : « Bakwetu Le lion (Kamanda) avait réfléchi, et ayant
kapumba nkumbaneyi boso bayaye, nguba fait un tour d’horizon, (il dit) : « Chers
ande bapu kukumbana babo, nguba ande amis, réunissez-vous autour de moi, mon
ngiawa bakumbana yayo ». heure est arrivée, mon heure arrive ».
Belande na Bekalebwe-a-Kitoto yayo, Be-
lomeneyi boso bakwetu kapumba, talangayi Peuple Belande et peuple Bekalebwe-a-
kuno kwetu tankwa kunoka mase pashi, Kitoto doivent être compatissants. Tenez,
sunka namo nenka tandi mulale muifula nya- que le sang ne coule pas chez nous même
ma. après ma mort.
Musongye sunka nkwanyi kwende, nakitun-
duilo kyaye yayo, bikitshino byaye abileshe Le Songye, partout où il ira, ses caractéris-
anka busongye bulela. tiques et son savoir-faire témoigneront son
Atwe Basongye tatuina bilumbo na muntu. appartenance à l’espace songye.
Pabafiki Basungu, babasanganayi bintu bie- Nous, les Songye, nous n’avons de pro-
tu mbikumbane bioso munsenga. blèmes avec personne.
97 n
Donatien Dibwe dia Mwembu
Musongye nkusanganwa ena bintu biaye bulela : aye na bilamba, na kifulu kiaye bulela,
bilato ku mikolo, nkaye tadi mufwale na mabwe.
Basungu namo abatalayi namo lele, abapuku nya namo ku mitue. Abu shi bano bantu
bena kinangoyi kikile.
Twalukileyi namo ku Katanga,
Mfumu Lumpungu alungula’nka Basongye, aye shi : « Kinango kietu nkileke bamashetu
bulela. Sunka kalakala, Musongye takukenga namo nya, n’kaye na mwenyi nyi ena kinan-
go. »
Ungi mwanda ubetumwesha mpombo n’Katanga ngwa province ababetunyengiele namu
Basongye bena Kabinda betuipayishayi namo.
Twende kwetu, atufwiya mwishinda, badiena.
Atwe Basongye, tatwina kilumbu na muntu nya. Talanga bamashetu, tembela nyinaye
muntu aku mwimbi bilamba bia mpeku.
A kya Ntambwe lelo anka tui mu mioshi lele,
Yayo lele anka tui mu mioshi bulela.
Musongye anka tena kilumbu na muntu nya.
Naye uno emu mioshi mu Buikalebwe.
Longa luendo tualalengie kwetu, lele.
Katundu ka mwenyi kalele kalongye, Musongye, longa luendo tualalengye, yayo ae
O longa luendo, leka tualalengye kwetu babo.
Ku Kabinda kui musase, nabetwitanyina, balumiana.
Kya Ntambwe naye uno tadi mulale bulela. Lwenyi lui mu mpembe, lele, kitambala
kunshingu, bakwetu kapumba, tubapombo na bana, lele.
Kya Ntambwe nkuitanyina Basungu bena mikandu. Efuku dia lelo, Musongye eyifukena
bulela.
Dipanda diaye dibatekiele, dibamwipayisha, Basongye.
Ayayo, ayayo yayo, ayayo yayo, ayayo yayo.
Nami mwita wa kuyiba taudibwa na mpyanyi
Akitemba na nyinaye Kabemba Kwibwe.
Kya Ntambwe tadi mwende, nkuyimbanga nami mulunda, mulunda a ba Kyabu.
Ayayo anka lelo ne kobe nkwete nkuyimba.
Aboshi anka bwemuna mfumu odia kantu, byankuimuna luembe.
Ayayo Topusha bya nkusengie biobio.
Mwanana anka nkwete kukienga bulela. Ngela meshi, tangelele kinangu mwishimba.
Musongye bashala mwimane mwikunka dia nshibo, takiebe kualuka kwabo bulela.
Kamaja maja maja, kamaja maja maja…
Nguba bende tadi atuele ee
Nguba bende tadi atuele, bakwetu kapumba. Nguba na lwendo, muntu na lwaye mu ka-
longo.
Eshina diande Musongiela Lumumbe Nkonko
Yaya bende tubapombo na bana
Yaya bende tubapombo na bana ee131.
131. Musongiela Lumumbe Nkonko, cantique populaire chanté à Lubumbashi, 6 septembre 2003 ; traduction : Roger
Ndjibu Kitenge (étudiant de 2e licence en Psychologie, faculté de Psychologie et de sciences de l’Éducation,
Université de Lubumbashi).
n 98
Le chef songye Kamanda ya Kaumbu
À leur arrivée, les Blancs ont trouvé que nous disposions de tout sur notre territoire. Le
peuple songye avait des habits, le chapeau, portait des souliers (claquettes en bois) et des
colliers.
Les blancs, ébahis, ne cessaient de secouer la tête d’étonnement. Ils se dirent que ces gens
sont très intelligents.
Le chef Lumpungu Kamanda s’adressa de nouveau aux siens : « Nous sommes très évo-
lués par rapport à nos semblables. Même à l’avenir, le peuple songye ne pourra souffrir,
car il n’y a que lui et les visiteurs qui sont intelligents. »
Un autre problème qui fait pourtant souffrir le peuple songye est celui de notre province
qui nous a été arrachée. Les Songye de Kabinda nous feront tuer.
Rentrons chez nous, nous risquons de mourir en cours de route. Nous les Songye n’avons
pas de problèmes avec personne. Regardez les frères qui rendent régulièrement visite à
leur mère, portant des tissus en raphia.
Lion, aujourd’hui, nous sommes emprisonnés
Le Songye n’a de problème avec personne. Le voici emprisonné dans le territoire Bekale-
bwe
Préparez vos bagages et rentrons chez nous.
Les biens du visiteur sont toujours emballés.
Songye, préparez vos bagages et rentrons.
Oh, préparez le voyage, rentrons chez nous.
À Kabinda, un message nous réclame, chers compatriotes.
Le lion, lui, s’est déjà endormi (est déjà mort), avec la plante odorante dans le nez et le
foulard au cou. Chers compatriotes, nous souffrons avec les enfants.
Le lion appela les Blancs et leur dit : « Aujourd’hui, le peuple songye entendra de ses
propres oreilles. L’indépendance qu’il avait réclamée lui apporte la mort. »
Ayayo ayayo…
C’est moi la viande volée que la femme ne peut manger
Toi qui te promenais avec sa mère, Kabemba Kwibwe.
Le lion est déjà dans l’au-delà. Je te chante, moi le mari, l’époux de Kyabu.
Père, aujourd’hui, je suis chez toi en train de chanter.
On dit que quiconque vient saluer le chef, mange quelque chose. Je te salue, chef.
Père, n’entends-tu pas que je te supplie ? Chef, je souffre beaucoup.
J’ai déjà longuement réfléchi. Le Songye se tient debout dans le coin d’une maison, atten-
dant l’heure de son retour dans son pays d’origine.
Kamaja maja maja, kamaja maja maja…
Il se fait tard, le soleil va se coucher
Il se fait tard, le soleil va se coucher, mes chers compatriotes.
L’heure de départ a sonné, chacun doit se mettre en rang.
Je m’appelle Musongiela Lumumbe Nkonko
Mon père est mort, nous souffrons avec les enfants. Mon père est mort, nous souffrons
avec les enfants.
99 n
Donatien Dibwe dia Mwembu
L’artiste musicien Musongiela Lumumbe Nkonko projette son regard dans le passé lointain du
peuple songye. Le sort réservé aujourd’hui à son ethnie et le rang que cette dernière occupe parmi les
autres nations ethnies lui laissent un goût amer dans la bouche. Il regrette la disparition de Kamanda
(Kya Ntambwe ou le Lion), l’un des constructeurs de la grandeur du peuple songye. L’indépendance
que ce guerrier avait réclamée lui a causé sa perte. L’image du peuple songye dans la mémoire de
l’artiste musicien Musongiela se situe au niveau politique, économique, social et culturel. Les Songye
étaient un peuple évolué et capable de s’autosuffire. C’est pourquoi leur gestion de l’espace s’était
attiré l’admiration des premiers Européens arrivés sur place. Aujourd’hui, ce peuple jadis glorieux est
devenu l’ombre de lui-même. L’inversion des valeurs et des rôles a commencé avec la colonisation
qui a privé le peuple songye de son chef Kamanda ya Kaumbu. Depuis, les Songye, décapités, n’ont
plus connu de chef aussi fougueux que Kamanda. La série de frustrations dont le peuple songye est
actuellement l’objet n’est-elle pas la conséquence de la colonisation qui a consacré son déclin au
moment où elle favorisait la libération, l’émancipation et l’émergence des nations ethnies jadis assu-
jetties. Cette situation héritée de la colonisation a été entretenue par le pouvoir postcolonial. Une autre
humiliation que le peuple songye a subie a été la disparition de sa province de Lomami.
L’artiste musicien évoque, entretient cette mémoire et s’en sert alors comme d’un instrument de
mesure dans la lutte pour la redécouverte de l’identité perdue du peuple songye. L’évocation de la
mémoire de Kamanda ya Kaumbu lui permettra, espère-t-il, d’exciter l’amour propre des Songye de
la diaspora et de les inciter à réhabiliter leur pays d’origine. Quoi de plus beau que de voir son pays
remonter à la surface et redorer son blason !
La chanson de l’artiste peintre Musongiela Lumumbe Nkonko est un produit de la mémoire urbaine
qui justifie la position sociale, politique actuelle des Songye par le cumul des injustices politiques
et sociales que ce peuple a subies depuis la période coloniale jusqu’à ce jour. Elle revêt le caractère
d’une interpellation face à une société qui semble avoir rompu avec sa tradition de peuple évolué,
inventif et donc objet d’admiration et de jalousie. Interpellation aussi face à l’élite songye actuelle
apparemment distraite et incapable de sortir son peuple et son espace de la léthargie dans laquelle ils
se sont enlisés depuis la mort du chef Kamanda ya Kaumbu.
n 100
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in 8° »), pp. 20-28.
La Belgique coloniale. 1895-1896.
La Belgique coloniale. 1895-1896. « Les troubles de Luluabourg », p. 5.
Le Marinel, P. 1891. « L’Expédition Faul Le Marinel au Katanga ». Mouvement géographique : 9-31.
Lohaka, O. 1974. « Ngongo Leteta ». Likundoli. Enquêtes d’Histoire zaïroise (EHZ) 2 (1) : 53-62.
101 n
Donatien Dibwe dia Mwembu
Archives
Archives de la division régionale des affaires politiques du Kasaï-Occidental :
-« Lettre n° 53/AI. du 24 mars 1918 ».
Archives de la sous-région de Kabinda à Kabinda (ASRK) :
-« Rapport politique du district du Lomami », 1913.
-« Rapport politique du district du Lomami », 1915 (1er trimestre).
-« Rapport politique du district du Lomami », 1916a (1er trimestre).
-« Rapport politique du district du Lomami », 1916b (2e trimestre).
-« Rapport politique du district du Lomami », 1918 (1er trimestre).
-« Rapport sur l’administration générale ». Mod. B, 1919 (2e trimestre).
-« Rapport sur l’administration générale ». Mod. B, 1920 (1er trimestre).
-« Rapport sur l’administration générale », 1921 (1er trimestre).
n 102
Le chef songye Kamanda ya Kaumbu
103 n
TABLE DES MATIÈRES
R emerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
P réface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
P rologue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
I ntroduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
n 104
Le chef songye Kamanda ya Kaumbu
C onclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86
1. L’affaire Kamanda, un conflit hégémonique à trois niveaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86
2. Le démembrement du royaume Lumpungu. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
3.Que pensent les Songye du sort réservé au chef Kamanda ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92
3.1. « Devant la poule, une graine de maïs a toujours eu tort ». . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92
3.2. L’avis d’un magistrat congolais sur le réquisitoire du ministère public . . . . . . . . . . . . . . . 92
3.3. Kamanda est un héros national. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95
3.4. L’avis des artistes musiciens de la diaspora . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97
B ibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101
105 n