Le Fantome de La Liberté
Le Fantome de La Liberté
Le Fantome de La Liberté
Le fantôme de la liberté
Anne-Marie Lugan
Lugan Anne-Marie. Le fantôme de la liberté. In: Les Cahiers du GRIF, n°26, 1983. Jouir. pp. 115-120.
doi : 10.3406/grif.1983.1378
http://www.persee.fr/doc/grif_0770-6081_1983_num_26_1_1378
plus
«Et je ne
deviens
peux plus
captive,
courir
retenue
vers cepar
queunj'aime.
engourdissement
Et plus j'aime,
qui
me fige sur place. Et je me mets en colère, je me débats je
crie je veux m 'en aller de cette prison.
Mais quelle prison ? Où suis-je recluse ? Je ne vois rien qui
m'enferme. C'est dedans que je sub maintenue, en moi que
je suis prisonnière. Comment aller dehors? Et pourquoi
suis-je détenue en moi?»
Luce Irigaray
«Et l'une ne bouge passons l'autre»
«Il parut alors une beauté à la cour, qui attira les yeux de
tout le monde, et l'on doit croire que c'était une beauté
parfaite» puisqu'elle donna de l'admiration dans un lieu
où l'on était accoutumé à voir de belles personnes». (P.
247 éd. Garnier).
Sans doute serait-il intéressant Dans le refus final de la Princesse à Nemours, la malédic
d'analyser comment dans les liens tion de la mère, le poids de l'éducation donnée par celle-
qui entravent la mère et la fille ci ont certes pesé de manière décisive. Quelque chose est
viennent interférer les représenta bien passé, transmis par la mère. Pourtant la fille a fran
tions mentales de nos sociétés sur
la sexualité, le désir, la jouissance. chipar rapport à celle-ci un pas qualitatif exemplaire:
Comment toute réflexion réelle alors que Madame de Chartres, face au désir de sa fille
sur la maternité est oblitérée par (prolongement idéal d'elle-même) choisit de disparaître,
cette impossibilité des femmes à choisit la mort, comme seule réponse possible au désir,
assumer leur jouissance. Peut-être Madame de. Clèves, elle, choisit de vivre, mais une vie
n'est-ce pas exactement la matrice
ou l'utérus qui vient occulter le hors de l'histoire - anhistorique pourrait-on dire -, hors
sexe des femmes, mais peut-être la du réel de la jouissance. Elle a «réussi » ce que sa mère ne
représentation du sexe, faussée pouvait réaliser: soutenir le choc du désir et renoncer à
par effet idéologique, permet-elle jouir. Ce qu'elle prend alors, c'est la place de La Femme,
le non-pensé de la maternité? Ce telle que nous la vivons encore aujourd'hui.
ne sont que des hypothèses que
j'avance prudemment.
Il serait intéressant un jour d'analyser l'impasse du fémi
nisme dans le mouvement précieux: les femmes y ont
éludé le rapport à l'histoire, au réel, qu'aurait supposé le
fait d'assumer le désir et la jouissance et d'en chercher la
juste position. Les précieuses ont pensé au contraire qu'il
fallait éviter les passions au même titre que le mariage,
pour arriver à vivre libre et trouver la sérénité de l'auto
nomie. Nous avons, je crois, à interroger la représenta
tion des femmes qui s'est élaborée à ce moment là du pre
U faudrait analyser l'influence de
Descartes, du Jansénisme, mais ce mier mouvement féministe de l'histoire.
serait une autre perspective; à la
fois par choix et par manque de Dans le roman de Madame de Lafayette, Madame de
temps, j'ai décidé d'emprunter de Chartres est encore une femme de la génération précé
nombreux raccourcis et d'en rester dente, Madame de Clèves annonce les femmes de l'âge
à l'épure du roman dans ce qui moderne telles que les ont souhaitées les précieuses : hors
pouvait le rendre proche de mes
représentations personnelles et de de la question du sexe, du désir, de la jouissance et donc,
celles, je pense, d'un certain nomb de l'histoire. Etrange exemple, la Princesse choisit de
red'entre nous aujourd'hui. vivre en filigrane la liberté des fantômes.