Article Comm 0588-8018 1971 Num 17 1 1243
Article Comm 0588-8018 1971 Num 17 1 1243
Article Comm 0588-8018 1971 Num 17 1 1243
Therme Jean-Pierre. Recherches du S.E.I.T.A. sur l'efficacité de ses campagnes publicitaires. In: Communications, 17, 1971.
pp. 29-42.
doi : 10.3406/comm.1971.1243
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1971_num_17_1_1243
Jean-Pierre Therme
29
Jean-Pierre Therme
son emprise quand l'habitude en a été contractée. Seules des raisons de santé
sont assez puissantes, parfois, pour décider un fumeur à réduire sa consommation,
voire à s'arrêter de fumer.
Car c'est une autre particularité du monopole de commercialiser un bien auquel
on ne connaît aucun substitut direct : l'ensemble des éléments physiologiques et
psychosociologiques qui accompagnent son usage ne se retrouve, même à un
moindre degré, nulle part ailleurs.
Dans ce cadre, la politique commerciale du S.E.I.T.A. s'efforçait (car, redisons-
le une dernière fois, le Marché Commun a changé la situation) d'accroître le
prélèvement fiscal sur les fumeurs : par l'adaptation de la gamme des tarifs
autour des prix de base (Gauloises et « Gris ») fixés par les pouvoirs publics, par
la mise au point de nouvelles marques et par la « propagande » en faveur de cer
tains produits. Ces deux derniers moyens se donnaient pour objectif de déplacer
la consommation vers des marques plus lourdement fiscalisées et non d'accroî
tre le nombre même des fumeurs ou les quantités unitaires fumées.
En ce qui concerne la « propagande », ou publicité, il faut noter dès maintenant,
et souligner nettement, la difficulté de l'entreprise : son ambition est de convaincre
d'une façon ou d'une autre un individu de dépenser davantage pour satisfaire
une sorte de « vice » plus ou moins onéreux et dangereux, car tel est bien en géné
ralle climat des « freins » psychologiques au tabagisme. Il faut donc, pour ainsi
dire, faire franchir au fumeur une barrière, celle des dépenses, pour lui permettre
de se procurer un certain accroissement de satisfactions psychologiques plus
ou moins avouables. Quant au besoin physiologique, il est pratiquement satis
fait par la quantité de cigarettes indépendamment de la qualité, du moins dans
le cadre actuel des marques proposées à la consommation.
Telle était la toile de fond sur laquelle commencèrent à se dessiner les premières
réflexions et études relatives à la publicité mise en œuvre par le S.E.I.T.A., au
début des années 60. On bénéficiait alors de l'expérience d'une dizaine d'années
de publicité : en effet, ce n'est véritablement qu'après la fin du rationnement du
tabac, entre 1945 et 1950, que le S.E.I.T.A. décida d'utiliser les moyens du sec
teur privé pour la mise en œuvre de sa politique commerciale.
Mais avant de manipuler des données chiffrées, il faut savoir ce que l'on cherche
à mettre en évidence. Le diagnostic dépend essentiellement du but que l'on assi
gne à la publicité et, en l'occurrence, la définition suivante fut adoptée : « La publi
citéest un investissement commercial, au besoin renouvelable, s'étalant sur une
durée variable. Comme tel, son taux de rentabilité doit être supérieur au taux
d'actualisation. Cet investissement s'exerce au moyen des techniques de publicité,
ou de propagande, qui constituent comme une information ou une incitation
destinée à modifier, en faveur du S.E.I.T.A., le comportement d'un groupe impor
tantd'individus. » C'est donc sur le plan strictement économique que le débat
était situé.
La comparaison d'un flux de dépenses et d'un flux de recettes supplémentaires
conduit alors à distinguer, pour les effets de la publicité, sa rentabilité de son
efficacité. Nous dirons qu'une action publicitaire est efficace si les quantités ven
dues en fait sont, durablement ou non, supérieures à ce qu'elles auraient été en
l'absence de toute action. Une publicité efficace, dans ces conditions, n'est pas
nécessairement rentable : la dépense publicitaire a pu être trop élevée, les bénéf
ices unitaires de transfert au profit de la marque soutenue par la publicité ont
pu être trop minces, etc. L'efficacité d'une publicité est une condition nécessaire
mais non suffisante de sa rentabilité.
30
Recherches du S.E.I.T.A. sur V efficacité de ses campagnes
Toutefois, les données relatives à la part des Gitanes ne peuvent être utilisées
sans qu'y soit apportée une correction pour tenir compte de l'incidence des chan
gements de tarifs intervenus en novembre 1951, juillet 1956, janvier 1959 et
octobre 1961. En effet, lors de ces majorations générales des prix des cigarettes,
des transferts eurent lieu au détriment des Gitanes en faveur des Gauloises dont
le prix de vente était toujours moins élevé. La correction était possible du fait
qu'en 1961 venait d'être menée à bien une étude économique (destinée en fait
à éclairer la politique tarifaire du S.E.I.T.A.) qui mettait notamment en évidence
les valeurs des coefficients d'élasticité directe et croisée des ventes de Gitanes et
de Gauloises. Il était donc possible de corriger l'évolution du pourcentage de la
première colonne et, en fait, on adopta comme variable corrigée de prix, la
variable
• Z = log R — 1,3 log PG + 2 log P,
où R est le pourcentage Gitane, PG et Pj les prix respectivement des paquets de
Gauloises et de Gitanes.
Un ajustement linéaire en fonction du temps donnera le résultat suivant :
Z = 2,253809 + 0,07725 t
où t = 0 en 1956, les années prises en compte étant toutes celles du tableau *.
Quant à la précision de l'ajustement, on obtenait un R2 = 0,998 qui traduisait
un alignement quasi parfait et en tout cas ne laissait que fort peu de place à une
éventuelle variable supplémentaire : la variance résiduelle était tellement infime
qu'il était inutile de l'analyser en fonction des variations des pressions publici
taires. En outre, certains des écarts à la droite de régression trouvaient mani
festement leur explication dans certains événements marginaux tels que la mise
1. En fait, à l'époque où cette analyse fut entreprise, mi-1961, les valeurs de 1961
et de 1962 n'étaient pas disponibles. On a ici étendu un peu le champ de l'étude, ce qui
n'affaiblit pas, bien au contraire, les conclusions tirées à l'époque.
31
Jean-Pierre Therme
GRAPHIQUE I
en vente des Disque bleu en 1954 et le lancement des Disque bleu filtre (simu
ltanément à celui des Gitanes filtre) en 1959.
Cette analyse permet d'avancer une conclusion « probable », ou « provisoire »,
uniquement tirée du fait que les dépenses publicitaires ont carié sur une échelle
très vaste (dans la proportion de 1 à 8 et même, si l'on peut dire, de 0 à 8) et
qu'elles n'ont pas varié, en fonction du temps, de façon linéaire entre ces limites.
Ainsi, à d'infimes variations aléatoires près, le développement relatif (il s'agit
ici du rapport R) des Gitanes s'est effectué, sur une période de 13 années, selon
une exponentielle. Les accidents constatés au cours de cette évolution sont en
totalité explicables par les prix Pq et Pj des Gauloises et des Gitanes et par les
mises en vente sur le marché des Disque bleu et Disque bleu filtre. Cette pro
gression exponentielle n'étant aucunement accentuée ni perturbée par la varia
ble « dépenses publicitaires », on était dès lors fondé à dire que la publicité n'avait
eu aucun effet mesurable sur les ventes de Gitanes.
Examinons maintenant le cas des Royales qui furent mises en vente pour l'été
1956. La nature de ce produit et le peu d'observations annuelles dont on pouvait
à l'époque disposer ont tout naturellement conduit à adopter une autre méthode
d'analyse, d'autant plus qu'il s'agissait principalement de s'efforcer de mettre
en évidence les effets instantanés de la publicité. Pour des raisons d'ordre techni
que,il était préférable de retenir les valeurs trimestrielles du rapport des ventes
de Royales aux ventes totales de cigarettes, du fait qu'elles ne sont pratiquement
pas affectées par les variations saisonnières, alors que les données mensuelles
le sont nettement. Le graphique ci-joint, en coordonnées semi-logarithmiques,
porte une série de segments figurant les trends successifs entre les décrochements
de la chronique. On a délibérément choisi de construire des segments tous paral
lèles entre eux, ceci afin d'affirmer, a priori, la constance du trend exponentiel
que seules viennent a casser » certaines campagnes de publicité. Certes, les données
32
Recherches du S.E.I.T.A. sur l'efficacité de ses campagnes
.' VU" i'l '-l H*i > ^*T H ,' "i i1 I1 i 1 I1 U' '■H' -'1 ) il> 'M ; il« ' !-'(jUt 1U
*r-i ; L 1 - a. l t ii '■ ' n 1, 1 /'' . (i ■ ''• iiii 1 Pli1 in a 1, *«} fi
1
_" - la T. T - t
'
j- *c il- «^
tr" -". Z: ;!;• :'K
se -*?:aisi• •!. "3i §
ni.
% *£ Ztt Sr £?. cri2J.:3t 4
4*" ~" if 41 •s T -%• v -, r El H. tH. ]: At •s. g: «■r
3r si FE T" i •"t *; .=H ~u lit: i^ J1' S: •if i; tîf •a t -T iiî1 à !» £ii S 3. ?? I
— -t_; --- —.r ' r ■tr 1 ~ >-|«
-
-Jffl
w ^ "i - 1' ■!• 1r •It' $1 1 ;t .!"'_ i EH *r bi
Z■ = 3= "!» ». *: ■ -.
~- 3 -5 ~ = • =• -' :Z. — r ■ ^ wr ■~ "-: r. ■-' - ~Zi S -r:- i.'
■n tttr J P-, I iî^
32 -ff" rtf- T -•ar
ac r' if ■il 3T a., F> itt !•!"
T 4iJ 4- ÏF lit Fi > 5F j-1 n s, m. '.t: F
FF FF -H- i pHF nr ES w; •F 4j, nr *.* Tt. •m 1 rF t ^1 lit ir.
2 *tt| fi
ri^i 4m • "ÎT ■}■h' 1 * f.1 -t..
im Tri Et E~ * ff rTTl «^ t T..,t1* M,. F4 lit
îttF N T
K :, y
9
R -: - —- s-
7 s- 5- ■=-- — ~ •- — :.: > ■~_ -s -. -, -t. =J 3- ~- •= =*. = -s" j- ~^
SI t£ r—" ,3.
a--: -:- *5. r "al :'t -t. * - 5. trr trt se
^.: ?:
6 ft. n ta' 1
g" 53 F- 5? tp. S.: !x: 5 r T 'f 'ï. ■F
?} P>•- M tt ■F •C ■5: t-* iV !f b p tr •, 'ft \ :tr îi{: Uu f' ffi' CI
5 -j ,i ? t• '_ - | '1'- •■t •"■ '-, - ."- r- 1 • 1 -r.
.
r: E3 't. .=; S Z -
_:_ 3_ -- _ •< .=
4 i*
=- = rr :~ r-r_- - Ir". •- - -31 - ~ -. -. -.- _ - :- = '- r — •i- =: r: \r n"1 -î
~_ = ?■ tÇL- - r- — _ t*' Pr •tf fi FF hH **r 5- -• '" H":
3 5- Ta •tt F? Ht?t: '— r£ ..r S;
It" .&
IF* rti; "*t! rS s? Pi Ifft 3Ë: ^'ii
ï f 'Tf: + 8 if £l 'H. ê rr ri .F •'»_itî*- :f
|Hi*lF
-tt ru
nr- rr *UT 4« ■tj : rriT 1 ¥ Wt if
s- ♦H" Ë Ht t- 1 tf nr ■f! tia
if
2 it m 1 te*i ~ '• r!5] .n 1 ?.
Cl =
tt" t** r" - nr 3d 4t> t
trr ÎT ^*^ "- ~r tr t; rfi: -^
'*{ =f !îT
'tt •tt 1T UL in *PT M+'u!1 'f*t tH?
h' 'T 'r: ' M' ri1* 'Mt-ir TH. tr.1 . •1 Ir pi1r' nF,, "•t - . lii- Hi 1 Ml rttt
'
E
È 44
1 m 1956 Ff t m ..4. 4' tr* F A1ttl ..1
1957IF tir 1956 \^ •n rtf il 1959 tf ,1 1960 tr 1961
1
GRAPHIQUE 2
33
Jeari'Pierre Therme
espérer l'augmenter sensiblement; de plus, leurs qualités intrinsèques sont en
général connues de l'ensemble des consommateurs. Une campagne de publicité
aura donc très peu d'incidences. Elle en aura d'autant moins que la « quantité »
d'information effectivement véhiculée par la campagne publicitaire se trouve
être relativement faible par rapport à celle que diffuse une autre forme de publi
cité : celle que font naturellement les consommateurs eux-mêmes lorsqu'ils
offrent une Gitane, ou qu'ils la fument, lorsqu'ils montrent le paquet pour pren
dreleur cigarette, ou qu'ils le laissent sur une table ou dans un caniveau quand
il est vide... Ce type de propagande naturelle se trouve d'ailleurs être d'une
intensité d'autant plus forte que la marque est plus diffusée et, en outre, son
action, quasiment continue, s'exerce dans un contexte vivant et personnalisé
dont la force de conviction subconsciente est certainement supérieure à celle d'une
annonce de presse ou de radio.
En revanche, dans le cas d'une marque que l'on met en vente, ou bien qui l'a
été récemment, le niveau de diffusion, au départ, est nécessairement modeste
et l'auto-propagande ne peut avoir d'effets bien grands. Au contraire, la publicité
peut accroître, de façon quasi-instantanée, la connaissance de la marque, qu'il
s'agisse de son existence même ou de ses qualités et caractéristiques propres : il
n'est pas surprenant, dans ces conditions, qu'on puisse constater des « réponses »
importantes à ces stimuli.
Si l'on accepte un tel schéma où s'entremêlent des effets de contagion propre
et de « sensibilisation » du milieu par la publicité, on comprend que plus la popul
ation a des chances d'avoir été au moins une fois en contact, d'une façon ou
d'une autre, avec les « germes de contamination » associés à la marque, plus les
effets de la publicité iront decrescendo. On comprend aussi comment, à partir
d'un certain seuil, d'une certaine « masse critique » de consommation, la marque
peut se développer de son propre mouvement sans avoir recours à une publicité
jouant le rôle d' « activateur » ou de « contaminateur ». En outre, l'exemple des
Royales permet d'accepter l'hypothèse qui découle du schéma de « contagion »
ci-dessus évoqué, à savoir que la publicité peut avoir, dans certains cas, un effet
d'accroissement du niveau de diffusion de la marque, mais n'augmente pas la
vitesse de diffusion de celle-ci. Cette vitesse est directement fonction des carac
téristiques propres du produit considéré dans le contexte du marché où il s'insère.
Les résultats de ces analyses de séries chronologiques ainsi que les hypothèses
qui furent avancées afin d'expliquer les différences de comportement des marques
sous l'effet de la publicité suscitèrent des réactions diverses au sein du S.E.I.T.A.
Le diagnostic négatif relatif aux Gitanes allait trop à l'encontre de certaines
habitudes pour qu'il fût aisément accepté par tous, même s'il n'avait pas mis en
cause, comme c'était bien évidemment le cas, le travail de l'équipe publicitaire
qui avait « consommé » les budgets qu'on lui demandait d'affecter aux Gitanes.
Notons que les Gitanes, à l'époque, formaient véritablement le fer de lance de
la politique commerciale et qu'il était assez normal de se montrer prudent devant
des conclusions aussi opposées aux sentiments d'alors. C'est pourquoi il fut
proposé, et décidé, de compléter ce dossier par une expérimentation publicitaire
in vivo destinée à mettre en évidence le ou les failles, s'il y en avait, du raisonn
ement qui avait abouti aux résultats ci-dessus. Au reste, la campagne expériment
ale que l'on projetait pouvait être un investissement utile, s'il s'avérait que la
publicité était efficace; si au contraire elle devait confirmer le diagnostic établi à
l'aide des séries chronologiques, elle ferait au moins tomber un doute et dispens
erait, à l'avenir, d'engager des frais de publicité en pure perte.
34
Recherches du S. E.I. T. A. sur V efficacité de ses campagnes
35
Jean-Pierre Therme
Les groupes pilote et témoin, avant la campagna qui eut lieu d'octobre 1963 à
avril 1964, étaient aussi homogènes que possible sous l'angle des populations
et de leurs répartitions en catégories socio-professionnelles et sous celui des
consommations des cigarettes Gitanes, ce qui était plus important. C'est ce
qu'indiquent les chiffres suivants, pour le deuxième trimestre 1963 pris comme
exemple, mais il en va de même pour les quatre trimestres antérieurs au début
la campagne.
Échantillon-pilote Échantillon-témoin
Quantité de Gitanes. 203,6 millions d'unités 202,2 millions d'unités
Quantité totale de cigarettes 831,3 — 852,7 —
Rapport en %. 24,5 — 23,7 —
Moyenne des rapports pour les
villes de l'échantillon. 23,6 — 24,1 —
Écart-type du rapport pour les
villes de l'échantillon 6,06 — 5,48 —
36
Recherches du S. E.I. T. A. sur V efficacité de ses campagnes
37
Jean-Pierre Therme
Ce n'est qu'après avoir terminé le travail de création publicitaire que l'on put
mettre au point le deuxième instrument de mesure des résultats que l'on avait
prévu. Le premier, précédemment décrit, concernait les résultats mêmes de vente.
Le second, qu'on va rapidement présenter, répondait à l'objection suivante :
ia publicité pouvait, sans avoir modifié les comportements effectifs des consommate
urs-cibles, avoir néanmoins infléchi favorablement leurs opinions et leurs
attitudes â l'égard des Gitanes, en sorte qu'ils se trouvaient mieux placés pour
franchir le dernier pas les séparant de l'achat lorsque l'occasion déclenchante se
présenterait. Aussi, une enquête auprès des fumeurs devait-elle être menée pour
cerner cet aspect du problème. Suivant toujours la même méthode, en vue de
rendre quasi nul le risque de se tromper dans l'interprétation des résultats, on
adopta un schéma d'enquête où des échantillons homologues seraient interrogés
dans les villes-pilotes d'un côté, et dans les ville s -témoins de l'autre; une première
double vague ferait le point avant toute action publicitaire ; une deuxième vague,
après la campagne expérimentale, permettrait de comparer les évolutions, au
cas où elles existeraient, entre les groupes pilote et témoin. Puisque seul le facteur
de la publicité expérimentale distinguait, a priori, les deux échantillons, toute
différenciation dans lés attitudes et opinions devrait être l'effet de ce facteur
ainsi mis sous contrôle.
Il est utile de souligner que le questionnaire de ces enquêtes fit l'objet d'une
validation : une enquête pilote analysa les réponses des fumeurs qui furent inter
rogés deux fois : au cours de la première vague et lors de la seconde enquête.
Ainsi purent être dégagés des indices suffisamment sensibles et fidèles pour
mesurer les variations qui surviendraient éventuellement à la suite de l'action
publicitaire.
La population interrogée lors de la deuxième vague comportait, pour moitié
environ, des personnes déjà touchées lors de la première vague et, pour moitié,
d'autres fumeurs de Gauloises et de Disque bleu ayant des caractéristiques socio-
économiques comparables.
38
Recherches du S.E.I.T.A. sur l'efficacité de ses campagnes
Ce test, relativement beaucoup moins sensible et fin que celui qu'on va pré
senter maintenant, permet déjà d'affirmer que la publicité n'a pas introduit de
différences significatives entre les deux échantillons de villes.
Dans le tableau qui suit, la variable analysée est :
ai = U fa) — r< (O,
c'est-à-dire la différence, entre deux trimestres, des rapports « Gitanes sur ciga
rettes » au niveau de chaque ville qui constitue l'unité statistique de base pour
l'analyse. Le tableau suivant donne les résultats pour certaines comparaisons
de trimestres.
Moyenne Variances
des différences des différences
(x 102) (x 10*) Valeur
delà
Villes Villes Villes Villes variable t
pilotes témoins pilotes témoins
Ce tableau comprend, dans une première partie, trois lignes qui comparent les
évolutions moyennes pour chacun des trois trimestres pendant lesquels la publicité
fut mise en œuvre, par rapport aux trimestres correspondants de l'année anté
rieure. On y observe qu'aucune différence significative n'existe entre les évolu
tions des villes pilotes et témoins pour le dernier trimestre 1963 par rapport au
dernier de 1962. Or, c'est durant ce dernier trimestre de 1963 qu'eut lieu la pre
mière vague de publicité. Étant donné que, au moins pour le tabac et en cas
d'effet de la publicité, un accroissement des livraisons aux débitants est toujours
constaté dans les 15 à 20 jours qui suivent le début de la campagne, on est amené
dans ces conditions à conclure que la publicité n'a eu aucun effet sensible et ceci
avec une précision de l'ordre du dixième de point.
On note, en revanche, une brusque différence, très significative, en faveur des
39
Jean-Pierre Therme
villes-pilotes, dès le premier trimestre 1964, lorsqu'on compare chacun des deux
premiers trimestres aux trimestres correspondants de 1963. Mais cette différence
reste constante ainsi qu'en témoigne la comparaison du deuxième trimestre au
premier trimestre 1964 (dernière ligne du tableau, l'avant-dernière ligne
montrant la comparaison faite entre les mêmes trimestres de l'année 1963, c'est-à-
dire avant la publicité, afin de s'assurer que l'évolution saisonnière était identique
dans chacun des groupes).
Cette dernière constatation (à savoir qu'il n'y a aucune différence significative
entre les moyennes des 1er et 2e trimestres 1964) permet de conclure que la
deuxième vague de publicité, elle aussi, n'a pas eu d'effet, car si un effet perma
nentavait été produit, la date de cette deuxième vague l'eût reporté presque
totalement sur le compte du 2e trimestre, en sorte qu'on se serait trouvé dans les
meilleures conditions pour l'observer.
Pour que cette analyse soit totalement satisfaisante, il faut expliquer le brusque
décrochement constaté dès le 1er trimestre 1964 en faveur des villes-pilotes. Sans
entrer dans les détails de cette explication qui fit l'objet de toute l'attention
désirée, disons seulement que l'anomalie provient essentiellement d'une chute
exceptionnelle (d'environ 50 %) du rapport rf dans six villes-témoins, toutes
d'ailleurs situées en Normandie. Sans qu'on se soit jamais expliqué nettement
cette régression brutale, on peut remarquer que si on refait le test en éliminant
ces points aberrants, on ne retrouve plus de différence significative entre le
groupe des villes-témoins et celui des villes-pilotes.
Pour conclure cette analyse statistique des résultats de vente, on peut affirmer
qu'aucune des deux vagues de la campagne publicitaire, pas plus que la campagne
dans son ensemble, n'a eu d'effet sur les ventes de Gitanes dans les villes où la
publicité fut réalisée avec une intensité d'impact, rappelons-le, semblable à
celle dont la Régie était coutumière au niveau national.
Qu'en était-il des opinions et des attitudes des consommateurs? Avaient-elles
été favorablement influencées et était-il possible d'escompter ultérieurement
des passages plus rapides à l'acte d'achat? L'analyse des résultats d'enquêtes
permet de répondre à ces questions.
Après avoir effectivement vérifié l'étroite liaison entre les attitudes des consom
mateurs interrogés (au moyen d'un questionnaire spécialement conçu à cet effet) et
leur comportement, c'est-à-dire leur prédisposition à adopter les Gitanes, il était
possible d'interpréter les résultats obtenus à l'aide des indices ainsi construits.
En ce qui concerne les attitudes, on n'a pu observer, pour aucun des indices
pris en compte, de variations significatives : les attitudes restent stables dans le
groupe pilote d'une vague d'enquête à l'autre ; il en est de même dans le groupe
témoin dont les résultats sont quasi identiques à ceux du groupe pilote. Voici à
titre d'exemple les principaux aspects de la situation que ces enquêtes ont tenté
d'éclairer :
— Les actuels non-fumeurs de Gitanes ont-ils l'intention de l'adopter procha
inement?
— Quel est le degré d'attachement aux Gauloises des fumeurs de cette marque?
— Comparaison des Gitanes à la marque principalement fumée selon différents
critères.
— Satisfactions d'ordre social procurées par le fait de fumer des Gitanes.
A titre d'illustration, on trouvera un tableau résumant les réponses à un
ensemble de questions destinées à appréhender ce qu'on pourrait appeler l'impact
social des Gitanes : on y constate sans peine que la campagne publicitaire expé-
40
Première vague
Expérimentales Témoins
Total 1 951 == 100 % 1 004 == 100 %
D'accord Pas D'accord Pas
d'accord d'accord
Bien que je fume des Gauloises, il
m'est plus agréable d'offrir des
Gitanes * 67 32 68 32
Autour de moi, je vois de plus en
plus de gens fumer des Gitanes * 28 70 30 70
Du moment que je fume des
loises, je trouve inutile d'acheter
des Gitanes pour les offrir aux
gens 75 25 78 21
Quand on offre une Gauloise à un
fumeur de Gitanes on n'est pas
certain de lui faire plaisir * 60 37 63 . 35
Quand je veux faire un cadeau à
quelqu'un et que je ne sais pas
ce qu'il fume, je préfère acheter
des Gitanes plutôt que des
loises * 70 27 74 25
Quand on veut offrir une cigarette,
il est souvent gênant de sortir un
paquet de Gauloises tout
tiné * . 88 11 85 14
Offrir une Gitane ça fait mieux
qu'offrir une Gauloise * 68 30 70 28
Quand on offre une Gitane ça fait
plaisir même à un fumeur de
Gauloises * 65 34 66 33
Même si on m'offre une Gitane, je
ne suis pas du tout gêné d'offrir
une Gauloise en retour 92 7 92 7
Les vrais fumeurs préfèrent les
Gauloises 78 19 79 19
* Les propositions marquées d'un astérisque expriment une opinion favorable aux Git
L IMPACT SOCIAL DES GITANES
Jean-Pierre Therme
rimentale n'a introduit aucune modification favorable des attitudes selon cette
batterie de questions. Pour les autres indices, la comparaison des données numér
iques conduirait au même diagnostic.
De même, en ce qui concerne les comportements, on ne pouvait constater
aucune modification qui pût s'expliquer par l'intervention de la publicité.
Quoique le test sur les ventes aux débitants, dont on a amplement parlé plus
haut, ait été négatif, on aurait pu constater certains légers changements de
comportement, en particulier chez les consommateurs qui fument à la fois des
Gauloises et des Gitanes : la publicité aurait pu leur faire fumer davantage de
Gitanes au détriment des Gauloises. Un tel succès pourtant limité, n'a pu être
mis en évidence.
Ainsi les enquêtes sont venues confirmer de façon indiscutable les résultats de
l'analyse statistique des ventes : malgré toutes les précautions prises pour réaliser
une campagne publicitaire aussi pertinente que possible, on n'a réussi à modifier
tant soit peu ni les attitudes ni les comportements des fumeurs de Gauloises.
On n'a pu les convaincre d'adopter, ne fût-ce que partiellement, les Gitanes.
Les hypothèses qui avaient servi de point de départ à cette vaste expériment
ation publicitaire se trouvaient dès lors validées, et par là, notons-le en passant,
les méthodes d'analyse des séries chronologiques qui avaient été développées
trouvaient également leur validation concrète.
Bien entendu, le S.E.I.T.A. sut tirer le parti qui s'imposait de ces études et
désormais, la Régie des Tabacs n'envisage plus de faire de publicité pour un
produit largement conçu, du moins tant qu'il n'est pas menacé par une concur
rence. L'avenir, en effet, pourrait changer les conditions du problème.
Il est temps de conclure. Bien que durant les dix années écoulées un grand
nombre d'expériences publicitaires aient été effectuées, dont certaines ont conduit
à des résultats précieux, sur le plan pratique, pour élaborer une politique commerc
iale, c'est sans conteste l'ensemble d'études précédemment décrit qui est le
plus intéressant.
Soulignons au moins deux des caractéristiques principales de ces études. La
première concerne le fait qu'elles ont porté sur un bien particulier, le tabac, dans
un contexte relativement unique, celui d'un Monopole : il faudrait se garder de
généraliser sans précaution les méthodes mises en œuvre et les résultats auxquels
elles ont conduit. La deuxième, la longue durée de ces études et, partant, leur
coût : dans ce domaine de la recherche il faut faire preuve de patience. Toutefois,
grâce aux ordinateurs on peut désormais envisager l'intégration plus complète
des informations relatives aux performances (les résultats des ventes) et aux
moyens mis en œuvre (publicité, actions de promotion). Le problème qui se pose
est d'étudier des modèles statistiques, en général basés sur l'analyse de variance,
qui permet une comparaison continue et systématique de ces deux types d'infor
mations. Ce genre de « système » est délicat à mettre en application, et il faut du
temps pour le rendre « opérationnel ». Mais on peut être assuré à l'avance que de
tels efforts seront récompensés par des renseignements précis et abondants dont
profiteront largement les décisions commerciales ultérieures. C'est vers quoi, à
l'heure actuelle, s'oriente le S.E.I.T.A.
Jean-Pierre Therme
Service d'Exploitation Industrielle des Tabacs et des Allumettes.