ALI-BENCHERIF Revue DORIF
ALI-BENCHERIF Revue DORIF
ALI-BENCHERIF Revue DORIF
1
Introduction
De la haine de soi latente à la prise de conscience manifeste face à la
pluralité que recèle l’algérianité1 linguistique et anthropologique, les
spécialistes et les non-spécialistes mettent en discours et en mots la
question identitaire, souvent posée en termes de revendications voire de
tensions. Elle est aussi bien liée à l’imaginaire linguistique
(CASTORIADIS 1999 ; HOUDEBINE-GRAVAUD 2002) qu’à
l’idéologie que promeut la politique linguistique adoptée au lendemain de
l’indépendance. Suite aux décisions prises à l’égard du tamazight comme
langue nationale (2003) et officielle (2016), nous constatons une
conscience linguistique (ALI-BENCHERIF et MAHIEDDINE 2016) à
l’égard des langues locales, et ce malgré les paradoxes des idéologies
dominantes et les discriminations manifestes qui alimentent les discours
circulants. Par ailleurs, des sociolinguistes et des didacticiens se sont
engagés dans un débat portant sur le rôle des langues maternelles comme
vecteur de citoyenneté (ELIMAM 2004) et de développement. D’autres
se sont penchés sur le rôle que peut jouer l’anglais comme langue « hyper-
centrale ». Le français et l’anglais sont « deux langues rivales »
(BENRABAH 2014) qui opposent arabophones et francophones. Suite à
la révolte pacifique (baptisée hirak) qu’a connue l’Algérie à partir du 22
février 2019, le débat autour du français et de l’anglais a resurgi avec
acuité.
1 L’adjectif « algérianité » est utilisé pour qualifier une Algérie plurielle, prospère et
indépendante de toute implication idéologique à caractère géopolitique, plus
particulièrement la maghrébinité, l’arabité ou encore la méditerranéité.
2 Qui affichent des postures pas loin de celles des linguistes. Ce qui va dans le sens de la
linguistique populaire.
2
face à la pluralité linguistique qui caractérise le contexte sociolinguistique
algérien, où la hiérarchisation des langues n’est pas du tout claire, se
creusent des écarts importants entre les différents discours tenus à l’égard
des langues en présence. Malgré la prise de conscience du rôle capital que
joue chaque langue dans la vie quotidienne des citoyens, on continue à
prôner l’arabité linguistique3, en niant l’algérianité représentée
principalement par l’arabe algérien et le tamazight (langues de la première
socialisation langagière et de la communication quotidienne). La
perspective choisie, à savoir appréhender la gestion des langues à travers
le discours des acteurs sociaux (linguistes, non-linguistes et journalistes),
induit une approche qui considère ces discours comme une participation
au développement social4. Signalons qu’en Algérie la question des langues
a toujours été au centre des débats politiques et sociaux, et elle continue à
susciter un intérêt majeur parmi les sociolinguistes algériens (TALEB
IBRAHIMI 1995 ; BENRABAH 1999 ; CHACHOU 2013, entre autres),
de même qu’elle aiguise la curiosité des non-spécialistes et capte
l’attention du commun des locuteurs.
3
considérer la langue comme l’un des catalyseurs du développement
durable qui repose sur le rôle du locuteur-citoyen à perpétuer le bien-
fondé de la diversité linguistique. Au-delà de la dimension écolinguistique
qui considère la langue comme « un ensemble de pratiques et de
représentations » (CALVET 1999 : 165) et dont l’objectif est d’étudier
« […] les rapports entre les langues et leur milieu, c’est-à-dire d’abord les
rapports entre les langues elles-mêmes, puis entre ces langues et la
société » (Ibid. 17), l’approche développementale tente de cerner la
complexité (socio)linguistique au regard des inégalités (les rapports de
force notamment) imposées par la mondialisation. De ce fait, la
(socio)linguistique pourrait contribuer au développement5 durable dans la
mesure où les locuteurs sont à considérer comme des acteurs
glottopolitiques par leur implication consciente dans les actions
(socio)linguistiques par lesquelles ils visent le bien-être6.
5 Précisons que le terme développement est pris ici dans un sens général qui peut
concerner le développement social, en relation avec le bien-être (voir infra).
6 Ce qui évitera l’aliénation (BLANCHET 2019) qui résulte des décisions qui visent à
transformer les locuteurs en profondeur en leur imposant une langue qui n’est pas la
leur ou qui laisse peu de place aux langues qu’ils pratiquent, celles qui représentent leur
identité linguistique.
7 Nous considérons les discours idéologiques tenus sur les langues en Algérie comme
des discours déclencheurs de la polémique. Cela dit, le discours réactif qui amorce et
justifie cette polémique est doublé par les positions d’individus qui s’engagent à
défendre, valoriser et promouvoir leur(s) langue(s).
4
Voici les principales questions qui vont aiguiller notre réflexion :
Quels éléments sont mis en mots dans les discours tenus sur
l’identité linguistique en Algérie : l’État, le citoyen, la nationalité,
l’unité nationale, l’idéologie, les droits et les obligations ou
l’appartenance ethnonationale ?
En quoi les politiques linguistiques peuvent-elles contribuer au
développement social ?
Peut-on parler de dynamique des discours circulants relatifs à
l’idéologie linguistique ?
Quels défis relever pour atteindre un développement social qui
repose sur la gestion des langues maternelles et du
plurilinguisme ?
5
Précisons que notre corpus9 est composé de quatre-vingts articles de la
presse algérienne d’expression française et arabe10, écrits par des
journalistes professionnels et des rédacteurs et contributeurs occasionnels
(intellectuels, universitaires, sociolinguistes, didacticiens, anthropologues,
pédagogues, sociologues, philosophes, etc.) ainsi que des commentaires et
réactions des internautes sur les réseaux sociaux. De ce fait, nous
prendrons en considération les commentaires qui font autorité en dépit
de leur teneur discursive en tant que discours réactif ou déclencheur11.
Les articles sélectionnés traitent sous différents angles la question des
langues en Algérie : la question identitaire, le remplacement du français
par l’anglais, la survalorisation de l’arabe standard, le plurilinguisme et
l’enseignement, le plurilinguisme et le développement, les langues et la
science, etc.
9 Voir en annexe un tableau qui reprend une partie des journaux d’expression française.
Il s’agit principalement de titres qui révèlent les différents thèmes qui étaient au cœur
du débat depuis plusieurs années. Certains journaux d’expression arabe sont cités à
titre d’exemple pour illustrer nos propos.
10 Articles publiés entre 2009 et 2019.
11 Des discours qui se caractérisent par la mise en mots des faits problématiques et par
6
Bien que l’engagement ou encore l’implication des universitaires soit
l’action concrète pour répondre à une demande sociale, il n’en reste pas
moins que leurs positions ne vont pas toujours dans le sens d’une
argumentation13 rationnelle et partagée. De l’intersubjectivité qui
caractérise leur discours se dégagent des convictions et des
responsabilités qui justifient leur engagement en tant que citoyens
(posture de dénonciation). Chez certains universitaires, il s’agit plutôt de
reproduction de discours en lien avec leur implication en tant que
scientifiques (ce qui va dans le sens du devoir de vérité). Ce qui revient à
dire qu’ils optent, contrairement à ceux qui portent les deux casquettes à
la fois, – celle de l’universitaire et celle du militant – pour un engagement
voire un discours qui prône le débat rationnel et les solutions empreintes
de réalisme, visant ainsi le bien-être de la société (posture de neutralité).
2. Langues et développement
En linguistique du développement, le terme de développement « […] est
pris dans son sens économique et social » (METANGMO-TATOU 2019
: 37). Il s’agit d’une orientation scientifique qui repose essentiellement sur
le rapport entre développement et communication et se doit de cerner la
complexité linguistique. Par ailleurs, Léonie METANGMO-TATOU
(2019 : 158) affirme que « L’approche de la linguistique du
développement est nécessairement transversale puisqu’elle nécessite
7
l’étude de problématiques diverses – santé, écologie, élevage, agriculture,
etc. – liées au développement social, étant donné que la vulgarisation
s’opère dans tous les domaines ». C’est avec l’idée de la transversalité que
la linguistique du développement prend son essor puisque les pratiques
linguistiques sont omniprésentes partout dans la société de même que les
pratiques sociales ne sont pas détachées de la langue.
8
écho aux critères retenus dans le baromètre calvétien des langues. Nous
en retiendrons quatre qui sont à nos yeux importants pour comprendre
les catalyseurs du développement : le nombre de locuteurs15, l’économie,
la culture et l’éducation.
15 Le critère démolinguistique est aussi important car le nombre de locuteurs est une
force sociale qui contribue à la vitalité sociolinguistique des langues en présence.
16 Étant une langue principalement orale, l’arabe algérien court le danger du glottocide.
9
préciser les fonctions et la place de chaque langue. L’angle d’attaque pour
aborder la question du développement est la prise en compte du
plurilinguisme en tant que capital humain où les langues maternelles
devraient occuper une place importante. En Algérie, les langues
maternelles sont dévalorisées et passent souvent sous silence dans le
débat public, alors que d’autres langues sont hyper-valorisées et font
l’objet de polémiques et/ou de controverses.
17 Nous nous limiterons volontairement, dans notre contribution, à ne traiter que les
dires relatifs à l’identité linguistique et à sa mise en discours sans pour autant nous
intéresser à l’identité éditoriale des journaux.
10
discursive d’une partie des auteurs d’articles de presse consacrés à la
question linguistique et identitaire est foncièrement teintée d’idéologies.
Algériens (au sein des familles, le paysage linguistique urbain, les médias, la culture,
etc.).
20 Notons que l’arabe standard ne présente qu’une des composantes de la culture
11
langue, même si dans sa nouvelle apparence le tamazight ressort comme
deuxième langue nationale et officielle21. Les adeptes de cette posture
cherchent une adhésion légitimant la pluralité qui accorde la priorité aux
langues maternelles. Ils s’inscrivent, comme dans leurs recherches
académiques, dans une perspective descriptive-compréhensive. Il s’agit
donc d’un engagement dans la polémique qui anime le débat public et que
l’on pourra définir comme un devoir de vérité. Les propos de Merieme
Stambouli (Le Quotidien d’Oran, 17-09-2015) illustrent bien cette position :
« Les langues maternelles, minoritaires à l’école, mais majoritaires dans la société,
représentent le vécu et doivent être traitées avec plus de conscience ».
21 Sur le terrain, que ce soit à travers la réalité ou à travers les textes, la co-officialité ne
semble pas avoir été concrétisée.
22 Nous pouvons citer quelques titres d’articles qui mettent en valeur cette polémique.
12
d’exemple : les fonctions du tamazight, le statut ambigu du français, la
place de l’arabe algérien ainsi que la question ethnonationale.
23 Le Matin d’Algérie, 25 juillet 2015, Rachid Brahimi : « Le multilinguisme est une richesse ;
opposer donc arabophones aux francophones relève d’un débat clos et faux ».
24 Nous utilisons volontairement le terme « camps » du fait de la polémique qu’ils
« L’arabe, le français et l’anglais ne peuvent-ils pas interagir en symbiose » illustre cet état de fait.
L’auteur se demande « Les trois langues arabe, français et anglais ne peuvent-elles pas cohabiter en
Algérie pour émanciper le peuple en culture, en pédagogie et en recherche ».
13
nourrir un faux clivage à base idéologique afin de brouiller les opinions au
sujet de l’arabisation en se servant pour cela soit du français, soit de
l’anglais pour argumenter et plaider en faveur d’une seule langue nationale
et officielle, qui selon eux, porte le génome de l’identité algérienne.
L’article de Rachid Ould Bousekaya intitulé « Le français est la cause de notre
sous-développement » (Echorouk online, 27 juin 2019) plaide pour
l’introduction de l’anglais qu’il qualifie de langue internationale nécessaire
pour faire progresser les universités algériennes.
26 Pour la grande majorité des articles portant sur la promotion des langues maternelles,
les auteurs affichent une attitude favorable quant à leur introduction à l’école afin
d’assurer une formation initiale efficiente. Les spécialistes de la question parlent de
pédagogie convergente ou de solutions en termes d’actions didactiques.
27 Celles-ci n’ont jamais fait l’objet d’une évaluation sérieuse pour ouvrir un chantier de
réflexion.
28 Voir l’article de Hatem Youcef paru dans le quotidien Liberté du 6 août 2015 :
« Apprendre dans sa langue maternelle » ou encore celui de Nacira Zellal paru dans le
quotidien El Watan du 2 juillet 2015 : « La langue maternelle, déjà acquise, n’est pas à
14
autour des solutions pédagogiques et du développement cognitif de
l’enfant-apprenant que sur la place de cette langue dans le système
éducatif, langue qui est loin d’être reconnue par un statut valorisant. Ils
précisent dans la plupart des articles que l’arabe algérien est resté à
l’ombre de l’arabe standard en évoquant les causes et les conséquences de
la minorisation. Les tenants de l’arabisation considèrent l’introduction de
l’arabe algérien en tant que langue d’enseignement comme une
hérésie29 et une manœuvre pour promouvoir le français (Voir quelques
titres en annexe qui font référence à cela).
réapprendre à l’école », pour saisir la nature du débat sur la question des langues
maternelles.
29 Si leurs discours ne sont pas glottophobes, leur portée n’est pas plus neutre puisque
l’idéologie qu’ils recèlent est celle des adeptes de l’arabisation radicale et de l’arabité
tant revendiquée. Ils avancent aussi l’idée selon laquelle la promotion des langues
maternelles est un projet pour affaiblir l’arabe standard.
30 « L’anglais… pour reproduire les désastres de l’arabisation », Par Mouloud Meddi, étudiant et
15
« Plaidoyer pour l’enseignement des variantes de la langue amazighe » par Hafid
Azzouzi (El Watan du 30 novembre 2018).
16
1990 ». Par cette mise en mots et en discours récurrente de la guerre
linguistique, Amine Zaoui s’attaque à la question du développement
social en le ramenant aux problèmes sociopolitiques. Il précise, s’agissant
de certains pays africains, que « L’anglais n’a pas sauvé les populations de ces
pays de la famine, des maladies, de la pauvreté, de la violence, des guerres brutales. La
langue anglaise n’a pas libéré ces populations des pouvoirs politico-
financiers corrompus ». Toutefois, les deux positions émanant des partisans
« du tout français » ou « du tout anglais » ne devraient pas nier le rôle de
la diversité linguistique comme moteur du développement durable au sein
d’une société plurilingue. Dans un article intitulé « “Les francophiles” sont
ceux qui résistent le plus à la langue anglaise en Algérie » (Echurouk, 28 juillet
2019), outre la valorisation de l’anglais qu’elle met en avant, Tsouria
Tidjani (sociologue), revient sur la posture de résistants qu’affichent les
francophiles face à ceux qui veulent promouvoir cette langue. Il faut
remarquer par ailleurs que les discours normatifs et les commentaires
métalinguistiques ne manquent pas. Cette posture puriste concerne
exclusivement l’arabe standard et le français et dénote une vision partiale.
C’est une posture qui a longtemps reçu une grande audience du fait de la
survalorisation de ces deux langues comme langues d’enseignement au
détriment des langues locales (maternelles) considérées comme des
variétés basses. Le discours est souvent moralisateur et s’accompagne de
propos violents. On y trouve : « les Algériens, analphabètes bilingues », « semi-
linguisme », « Les Algériens puisent dans la langue arabe ou française les mots qui
leur plaisent, puis les triturent, les maltraitent, les torpillent, jusqu’à en faire de
nouveaux termes, qui ne peuvent être compris par quelqu’un ne vivant pas sur la
planète Algérie » (El Watan du 28 septembre 2011).
17
propos du remplacement du français par l’anglais. À certains égards, cette
initiative, prise dans un contexte de crise, apparaît davantage comme une
manœuvre, face aux revendications sociales et politiques du hirak. Les
articles de presse écrits à ce sujet abondent et traitent la question avec
ferveur (voir annexe). Se dessine alors une nouvelle guerre de langues
inutile qui s’oppose à notre avis à la révolte populaire qui se veut
pacifique, souriante et plurilingue (MORSLY 2019).
18
concernent le maintien du français et le rejet du projet de l’introduction
de l’anglais comme première langue étrangère dans l’éducation nationale
lancé au début des années 1990. Dans un autre article intitulé « L’anglais
est la langue de la science et du business, c’est une nécessité et non pas un choix »,
paru dans le quotidien Echorouk du 28 août 2019, la journaliste Wahiba S
revient sur la crise politico-économique du pays et montre le bien-fondé
de l’anglais comme langue de la science, de l’économie et du
développement.
Une des catégories des internautes qui prend part au débat sur les langues
se montre très consciente du rôle du plurilinguisme et défend les langues
maternelles en les associant à l’algérianité. La fréquence de ce genre de
commentaires montre à quel point certains internautes sont conscients de
l’existence d’une identité linguistique algérienne fondée sur la pluralité.
Les commentaires métalinguistiques et les images associées aux langues le
confirment. Dans cette catégorie, nous n’avons pas noté de rejet
catégorique des langues mais une posture de linguistes qui se manifeste
par l’utilisation d’une terminologie savante en lien avec les phénomènes
socio-langagiers comme identité linguistique, politique linguistique, haine
de soi, langue comme vecteur de progrès, etc. Ils expliquent, définissent
et tentent d’apporter des précisions quant à leur emploi et avancent des
arguments pour justifier leurs positions. D’autres commentaires élogieux
19
permettent de comprendre l’orientation idéologique et la teneur
discursive des propos avancés. Les internautes valorisent certaines
langues plus que d’autres sans discréditer les langues qu’ils estiment
moins importantes. Nous soulignons toutefois une forme de violence
verbale dans les commentaires échangés entre certains internautes qui se
rapportent aux différentes orientations idéologiques. Voici quelques
extraits qui illustrent les différentes positions tirés de plusieurs pages
Facebook (Mostefa Bouchachi, El Bahith, Ouled El djebas, entre autres) :
« Les Algériens parlent trois langues l’arabe, le tamazight et le français », « vous
défendez une cause nationale avec une langue non nationale », « notre génération est
inscrite dans la mondialisation, elle a besoin de toutes les langues », « je suis dans mon
pays et je parle ma langue. Je peux te traduire mes paroles en français, en anglais ou en
allemand… », « l’arabe c’est notre langue », « l’anglais est une langue de la science et
de l’économie mondiale », « le français est une langue du sous-développement », « les
problèmes économiques de l’Afrique subsaharienne sont dus au français », etc.
Les commentaires des internautes présentent une autre guerre des langues
et des idéologies. L’examen des commentaires qui suivent les articles de
presse révèle l’existence de différentes catégories : celles qui tiennent un
discours d’opposition en tant que résistants, celles qui défendent une
langue mais sans rejeter les autres, et une autre catégorie qui propose des
solutions. Quoi qu’il en soit, ces commentaires témoignent d’une
conscience linguistique très aiguisée et d’un plurilinguisme qui suppose
une évaluation des politiques linguistiques qui débouche sur une
hiérarchisation des langues en présence. Cependant, nous pouvons
remarquer dans d’autres catégories des fluctuations en rapport avec la
crise identitaire. Il importe de noter ici que les internautes n’ont pas
manqué de porter leur attention sur le rôle de chaque langue, la place que
chacune d’elles occupe et les valeurs qui leur sont associées.
20
articles dont les titres contiennent le terme langues maternelles, arabe
algérien, darija, tamazight renforcent une image favorable aux langues en
question qu’ils associent à l’identité. On y trouve par exemple : « nos
langues », « notre identité », « l’identité algérienne », « algérianité », « langues
algériennes », « école algérianisée », « langues locales », etc. Ces éléments suscitent
un intérêt de la part des auteurs et des lecteurs qui les approuvent sans
conteste et adhèrent aux arguments et à cette mise en mots de l’identité.
Les commentaires laissés par les internautes illustrent bien cela.
Visiblement, les internautes ont tendance à associer l’arabe algérien et le
tamazight à l’algérianité. Les avis sont mitigés voire ambivalents à propos
du français et de l’anglais. Nous relevons chez certains internautes des
expressions qui traduisent une image positive à l’égard du français, telles
que : « langue d’ouverture », « de mobilité », « des affaires », « de progrès », « cette
belle langue », « de l’enseignement supérieur », etc. Chez d’autres, les opposants
au français, cette langue n’est pas à même d’assurer le développement. Ils
la comparent à l’anglais qu’ils considèrent comme « langue internationale »,
« langue de la science et de la technologie », rejoignant ainsi les avis des
journalistes qui, dans plusieurs articles, avancent des arguments
disqualifiant le français et valorisant l’anglais. En tout état de cause, les
commentaires des internautes, en tant que discours ordinaire, révèlentdes
postures similaires à celles des sociolinguistes et des journalistes
(professionnels et/ou occasionnels).
Conclusion
L’examen des deux corpus (articles de presse et commentaires laissés sur
les réseaux sociaux) a permis d’identifier deux types de discours, l’un
disqualifiant et l’autre consensuel. Le premier se caractérise par une
orientation qui reflète le vieux débat idéologique sur les langues en
Algérie et qui est, à notre sens, stérile car il ne débouche pas sur des
solutions qui visent le développement humain. Au contraire ce sont des
discours qui augmentent davantage la tension entre les sphères de
décisions et les adeptes de telle ou telle idéologie linguistique. Le second
se caractérise par une vision rationnelle qui vise un développement dans
le long terme et appelle à une renaissance qui met l’algérianité, comme
vecteur de l’unité, au centre du débat. Ils prônent le pluralisme comme
ciment de l’identité où les langues peuvent occuper les places qui leur
reviennent naturellement selon les fonctions qu’elles remplissent et les
21
besoins de communication des groupes ou des locuteurs qui les
pratiquent.
Références bibliographiques
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22
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23
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24
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« Le choix des langues – 2019
d’enseignement et d’apprentissage : « Le choix de l'anglais : l’autre
est-ce la principale cause d’échec lecture », Bouchikhi Nourredine, Le
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Stambouli, Le Quotidien d’Oran, 17 – 9 « Le faux débat sur les langues en
– 2015 Algérie », Farouk Lamine, Le quotidien
« En Algérie, comment les pouvoirs d’Oran, 22 – 7 – 2019
des langues sont-ils partagés ? », « L’anglais opposé au français : l’autre
Amin Zaoui, Liberté, 2 – 7 – 2015 diversion », Abdelghani Aichoun, El
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« La daridja, langue populaire Watan, 2 – 11 – 2019
25
algérienne, comme une marche », « Les langues étrangères interdites
Farouk Lamine, Le Matin d’Algérie, 17 dans les documents officiels », Souhila
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« La langue maternelle, déjà acquise, « Que nos autorités commencent
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