Le Reporting Intégré Comme Outil Pour Soutenir La Création de Valeur
Le Reporting Intégré Comme Outil Pour Soutenir La Création de Valeur
Le Reporting Intégré Comme Outil Pour Soutenir La Création de Valeur
Bruyère, Timothé
ABSTRACT
La gestion des ressources naturelles est devenue aujourd’hui le plus grand défi de notre époque. Comment
pouvons-nous continuer à consommer des biens et des services comme nous le faisons actuellement ?
Quelle sera la recette pour nourrir une population mondiale de plus en plus importante, alors que la
production et la récolte de nos ressources sont limitées à notre planète ? La réponse est simple, et très
compliquée à la fois, il faudra améliorer les performances des entreprises, tout en réduisant l’impact de
leurs activités sur leur environnement. Cet appel au changement a commencé dans les années septante,
avant de prendre de l’ampleur dans les années quatre-vingts, suite à des catastrophes écologiques
telles que Tchernobyl ou l’Exxon Valdez. Ces événements ont montré les limites d’un système qui se
concentrait uniquement sur la recherche de profit financier sans accorder d’importance aux impacts de
leurs activités. Dès lors, les organisations ont été contraintes de publier des informations allant au-delà
des performances financières pour informer les investisseurs – et autres parties prenantes - quant à leurs
stratégies pour limiter ces impacts. En conséquence, le concept d’un rapport unique visant à centraliser
l’entièreté de l’information financière et extra-financière a été élaboré : le reporting intégré. En plus d'être
un outil de communication, selon des recherches, l'adoption du reporting intégré permettrait de soutenir
la performance des entreprises. L'ob...
Bruyère, Timothé. Le reporting intégré comme outil pour soutenir la création de valeur. Louvain School of
Management, Université catholique de Louvain, 2020. Prom. : De Wolf, Michel. http://hdl.handle.net/2078.1/
thesis:26121
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Préambule
Je tiens à adresser mes remerciements aux personnes qui m’ont aidé dans
l’écriture de ce mémoire.
Partie I. Introduction
La gestion des ressources naturelles est devenue aujourd’hui le plus grand défi
de notre époque. Comment pouvons-nous continuer à consommer des biens et
des services comme nous le faisons actuellement ? Quelle sera la recette pour
nourrir une population mondiale de plus en plus importante, alors que la
production et la récolte de nos ressources sont limitées à notre planète ? Quels
seront nos moyens de transport dans un futur où les ressources fossiles seront
de plus en plus rares ? La réponse est simple, et très difficile à la fois, il faudra
améliorer les performances des entreprises, tout en réduisant l’impact de leurs
activités sur leur environnement.
Nous dédions le premier chapitre à la présentation des éléments qui ont conduit
à l’élaboration du cadre portant sur le reporting intégré. Dans le chapitre 2,
seront présentés le reporting intégré ainsi que la gestion intégrée, l’outil de
gestion qui est associé. Les principes directeurs ainsi que les éléments
constitutifs du cadre portant sur le rapport intégré seront développés dans le
chapitre 3. Le chapitre 4 expose les concepts clés du reporting intégré : la notion
de capitaux, de « Business Model » et de création de valeur. Et finalement, dans le
chapitre 5, nous faisons le point sur les recherches portant sur les bénéfices de
l’adoption du reporting intégré comme outil de communication.
Ensuite, dans la seconde partie, par une recherche qualitative, nous tenterons de
répondre à la question de recherche suivante : « L’adoption du reporting intégré
a-t-elle amélioré les performances du groupe Solvay et si oui, sous quelles
formes ? ».
Après avoir établi, dans le chapitre premier, la méthodologie que nous avons
suivie dans notre étude de cas et les raisons qui nous ont poussé à consacrer
cette recherche au groupe Solvay, nous vous présenterons, dans le chapitre 2, les
résultats obtenus lors de notre analyse. Cette analyse est structurée autour des
bénéfices apportés par l’adoption du reporting intégré. Pour terminer, dans le
chapitre 3, nous tenterons de prendre du recul sur les résultats que nous avons
obtenus précédemment et nous conclurons sur les limites de ceux-ci.
3.
Section 1 – Définition
L’information non financière d’autre part, bien que sujet récurrent dans la
littérature comptable, ne bénéficie pas, aujourd’hui, de définition ou de cadre
clairement définis. Il apparaît en effet, que les définitions portant sur ce thème
diffèrent selon les auteurs. (Protin & al, 2014). Toutefois, P. Protin, dans son
étude portant sur l’ensemble des publications sur la question, et intitulée
« L’information non-financière, clarification d’un concept en vogue »,
entend donner une définition basée sur les caractéristiques communes de ces
publications :
De façon plus concrète, S. Hirschi définit, dans une publication de PwC (2016), le
reporting non financier comme étant « la diffusion d'informations qui ne se
basent pas sur les indicateurs financiers habituels, mais expliquent aux parties
prenantes les principaux domaines de création de valeur d'une entreprise, et qui
vont au-delà des informations contenues dans les comptes annuels. » (PwC,
2016a). Un document diffusé par Deloitte, précise que « le reporting non
financier est le procédé de collecte et de publication de données relatives à des
aspects non financiers de la performance de l’entreprise, y compris les questions
environnementales, sociales, relatives aux employés et à l’éthique, ainsi que la
définition de mesures, d’indicateurs et d’objectifs de développement durable,
fondés sur la stratégie de l’entreprise. » (Deloitte, 2015)
Dans les différentes recherches, les auteurs s’accordent à dire que l’évaluation de
la performance des entreprises s’appuie essentiellement sur les informations
comptables et non financières. L’utilisation en parallèle de ces informations
permet notamment d’expliquer l’impact des actifs intangibles tels que l’image de
marque ou la réputation. (Kossovsky). De plus, les décisions stratégiques portant
sur le développement durable étant fortement liées à la performance financière
de l’entreprise (ACCA, 2017), il n’est pas surprenant que l’information non
financière soit fortement liée à l’information comptable, bien que cette
7.
Pour mieux appréhender le succès des rapports extra-financiers, ainsi que les
facteurs qui ont conduit à une augmentation de leur publication, il est nécessaire
d’examiner l’historique et le contexte qui ont contribué à son succès.
C’est bien plus tard, à partir des années 1960, que l’attrait pour les informations
extra-financières prend de l’importance. Les rapports basés uniquement sur les
valeurs comptables ne suffisaient plus pour expliquer et évaluer les
9.
Dix ans plus tard, les années 1970 sont marquées par les premières recherches
portant sur la comptabilité environnementale (comptabilité et développement
durable). Une prise de conscience générale quant à l’impact des entreprises sur
l’environnement, ainsi que du caractère limité de certaines ressources, suscite un
début d’intérêt pour les premiers indicateurs non financiers ainsi que sur
l’importance du capital humain (Richard, 2012). A la même période, les rapports
financiers traditionnels sont de plus en plus accompagnés par des rapports
sociaux additionnels dans les pays occidentaux. (Hahn & Kuhnen, 2013)
À la fin des années 1990, les recherches et les pratiques en matière de reporting
ont continué à évoluer. Alors que précédemment, les rapports extra-financiers
portaient principalement sur les aspects sociaux, pour ensuite se concentrer sur
l’impact environnemental, dès le début des années 2000 apparaissent des
rapports uniques portant simultanément sur les dimensions sociales et
environnementales. Ce rapport conjoint est publié parallèlement aux rapports
financiers traditionnels. Cette tendance peut être directement liée à l'élaboration
de normes volontaires par la Global Reporting Initiative (GRI) (Kolk, 2010;
Vormedal and Ruud, 2009) que nous développerons plus en détails ensuite.
10.
Aujourd’hui, ces normes sont considérées comme étant le standard mondial pour
les rapports sur le développement durable. (KPMG, 2011).
Pour résumer, nous assistons depuis des années à une réforme du système de
reporting. Alors que les premiers rapports valorisaient une entreprise à partir de
la valeur d’acquisition de ses actifs, la nouvelle génération de rapport présentera
les éléments financiers enrichis par les éléments non financiers dans le but
d’expliquer et d’illustrer la valeur intrinsèque de l’organisation. La réponse fut le
reporting intégré.
Puisque l’économie mondiale tend vers la globalisation, les lois régionales (telle
que les directives européennes) ou nationales ont de plus en plus tendance à se
baser sur les cadres internationaux existants (King et al., 2016). Ces références
n’ont aucun aspect légal, leur objectif est de dynamiser la manière de penser des
organisations, de structurer leur réflexion et d’intégrer le développement
13.
durable dans leur stratégie à moyen et long terme. Ces cadres internationaux
permettent en outre d’accroitre la qualité et la comparabilité de l’information
communiquée (GRI, 2016). Les principales initiatives, instruments et cadres
internationaux qui ont permis l’évolution du reporting non financier sont décrits
ci-dessous.
Le Global Reporting Initiative (GRI) a été développé par la Coalition pour les
Economies Environnementalement Responsables en 1997, avec pour objectifs de
promouvoir un cadre axé sur la durabilité et visant à transmettre des
informations aux parties prenantes. En 1998, une proposition a été acceptée
dans le but d’élargir le cadre et d’inclure les éléments sociaux et économiques du
triple bilan tel que conceptualisé par Elkington. En 2000, le GRI a publié la
première version de ces directives.
Créé en juillet 2011 au Etats-Unis, le SASB est une organisation qui a pour
objectif de concevoir des règles portant sur la publication des impacts
environnementaux, sociaux et de gouvernance. Ces normes sont appliquées
uniquement aux sociétés cotées sur les bourses américaines.
A4S
A4S ou en anglais « The Prince’s Accounting for Sustainability Project » est une
organisation britannique créée en 2004 visant le développement du Reporting
Connecté, prémices du Reporting Intégré. Le cadre du Reporting Connecté,
publié en 2007, a pour objectif d’intégrer les informations financières, narratives
et de développement durable (Druckman et Fries, 2010). Le principe sous-jacent
du «rapport connecté» était que le rapport ESG devait être lié à la stratégie, à
l’évaluation des risques et à la performance de l’organisation pour être
significatif.
14.
Cette directive n’offre pas de cadre précis dans la manière de publier ces
informations. Pour permettre l’application de cette directive, la Commission a
adopté par deux fois, en juin 2017 et en juin 2019, des lignes directrices (non
contraignantes) sur la méthodologie à utiliser pour la communication
d’informations extra-financières.
Toutefois, cette directive est appelée à être modifiée dans un avenir proche. A
travers le Pacte Vert pour l’Europe lancé par la Commission européenne von der
Leyen, la Commission voudrait obliger les grandes organisations et institutions
financières à perfectionner la qualité et la fiabilité de leurs rapports extra-
financiers. Le but serait d’améliorer les fondamentaux de l’investissement
durable, et de mettre au point des nouvelles exigences réglementaires en terme
de reporting non financier. Dans l’objectif d’élaborer ces nouvelles normes, la
Commission a lancé en mai 2020 une large consultation publique pour récolter
les avis des principales parties prenantes, qui devrait ensuite mener à une phase
de réflexion sur les révisions à apporter à cette directive. (Guetsa, 2020)
15.
Lois Belges
D’un autre côté, selon une étude de la société EY (2013), les informations
nécessaires pour évaluer l’aptitude d’une organisation à créer de la valeur sur le
moyen et long terme ne sont pas disponibles dans les différents rapports qui
sont publiés actuellement, et cela pour les raisons suivantes :
ajoute qu’il est difficile pour leurs répondants de relier les informations tirées de
ces rapports ESG avec les informations comptables, ou encore la stratégie de
l’entreprise.
Section 1 – Introduction
Dans le chapitre précédent, nous avons développé les différents éléments qui ont
conduit à la création du Reporting Intégré, <RI>. Bien que la création de ce
concept ait été vivement saluée par le monde institutionnel et les chercheurs, de
nombreux acteurs, notamment les praticiens, ignorent encore ce dont il s’agit, et
quels en sont les grands bénéfices. Ce chapitre a donc pour objectif de définir
cette notion et de donner des exemples concrets d’éléments que nous pouvons
retrouver dans un rapport intégré.
Comme nous l’avons écrit précédemment, l’une des critiques les plus
importantes qui a été faite au reporting traditionnel était la difficulté pour les
parties prenantes de comparer des rapports écrits par des sociétés différentes.
Cela étant dû au manque d’un cadre référentiel universel. (OECD, 2014)
Dans cette idée, les projets « Accounting For Sustainability », A4S et le « Global
Reporting Initiative », GRI s’allièrent en Aout 2010 pour créer l’ «Integrated
International Reporting Council », IIRC ayant pour objectifs de développer un
cadre conceptuel de référence et de promouvoir son utilisation (Cohen & Simnett,
2015). Le Cadre de Référence International portant sur le Reporting Intégré, que
nous détaillerons dans le chapitre suivant, a ainsi été publié en Décembre 2013.
Pour commencer, la définition publiée par l’IIRC est la suivante: «Le reporting
intégré est un type de reporting organisé et interconnecté, qui comprend des
informations interdépendantes sur plusieurs aspects internes et externes d'une
organisation. Le reporting intégré a pour objectif principal de fournir aux
fournisseurs de capitaux financiers suffisamment d'informations sur le
20.
Selon l’ACCA, le but principal du Reporting Intégré est de montrer, d’une part,
les relations qui existent entre les objectifs stratégiques, avec le risque et la
performance d’autre part, pour exposer comment les organisations créent de la
valeur. Cela signifie que les entreprises doivent comprendre, et ensuite rendre
compte des performances de toutes leurs activités sans se concentrer
uniquement sur les résultats financiers à court terme.
De plus, Eccles et Krzus ont défini dans leur livre, «one report, an integrated
report», le <RI> comme étant un rapport unique combinant toutes les
informations financières et narratives, provenant du rapport annuel d'une
entreprise, avec des informations non financières (telles que les questions
environnementales, sociales et de gouvernance) et des informations narratives,
publiées traditionnellement dans le rapport «RSE» ou de «Développement
durable» (Eccles and Krzus, 2010).
Présenté d’une autre manière, l’objectif est « d’apporter une vision globale et
intelligible du business modèle, de la stratégie, de l’organisation et de la
gouvernance de l’entreprise avec des indicateurs pertinents qui permettent
d’expliquer la création de valeur à court, moyen et long termes ». (Akbaraly,
2019)
21.
Par exemple, les types d'informations pouvant être inclues dans les <RI> sont les
suivantes: «Quelle quantité d'eau est utilisée par l’entreprise pour produire une
unité en comparaison à ses concurrents ? Dans quelles mesures les programmes
d'efficacité énergétique réduisent-ils les émissions de carbone et les coûts de
production ? Quel est l’impact des programmes de formation sur l’amélioration
de la productivité de la main-d’œuvre, la baisse du taux de rotation et
l’augmentation du taux de satisfaction de la clientèle ? Comment une satisfaction
accrue entraîne-t-elle une plus grande fidélisation de la clientèle, un pourcentage
plus important de ses dépenses et une croissance plus rapide des revenus ? Dans
quelle mesure une meilleure gestion de la réputation liée à une politique de
bonne gouvernance d'entreprise contribue-t-elle à la valeur et à la solidité de la
marque de l'entreprise ? (Eccles et Saltzman, 2011. p. 59) ”
Rendu célèbre par la loi King III portant sur les principes de gouvernance en
Afrique du Sud, le nouveau concept du reporting intégré a suscité un vif intérêt
dès 2009, ce qui a conduit à la formation du Comité International du Reporting
Intégré. Co-créé par l'initiative Accounting for Sustainability (A4S), la Global
Reporting Initiative (GRI), et Mervyn King, l'auteur des principes King III et
ancien président de la GRI, ce comité avait pour objectifs d’élaborer un cadre
pour le Reporting Intégré et d’en promouvoir son utilisation. En Novembre 2011,
le comité a annoncé sa transformation en conseil, l’International Integrated
Reporting Council (IIRC) (Rowbottom & Locke, The Emergence of Integrated
Reporting).
Ci-dessous sont présentés les sept principes directeurs qui jettent la base de la
préparation d’un rapport intégré. Loin d’être des règles, ces principes sont à
interpréter comme des recommandations portant sur le contenu du document et
sur la présentation de ses informations.
Dans cette section, nous présentons les huit éléments constitutifs d’un rapport
intégré tels qu’ils sont introduits par l’IIRC dans sa présentation du Cadre de
Référence. Tel que leur nom l’indique, chacun de ces éléments doit faire l’objet
d’une publication dans le rapport intégré. L’IIRC a développé ces éléments sous
forme de questions, chaque entreprise doit être libre de choisir l’ordre ou la
forme avec laquelle elle désire répondre à chacune d’entre elles.
De même que pour les principes directeurs, le cadre se veut flexible, et les
organisations peuvent choisir et créer les indicateurs clés qu’elles vont utiliser
pour transmettre leurs informations, qu’elles soient financières ou extra-
financières.
26.
Section 1 – Introduction
De plus, ce concept est innovant car la valeur peut aussi être créée pour les
parties prenantes, et la société dans son ensemble. Evidemment, la capacité de
l’organisation à créer de la valeur pour elle-même, est impactée par la valeur
qu’elle crée pour les autres, car les activités de l’organisation sont liées à son
écosystème. De cette manière, il est important que l’organisation considère
l’impact de son activité sur son environnement lors de la prise de décisions
29.
Ci-dessous sont présentés les différents types de capitaux tels qu’ils sont
introduits dans la publication de l’IIRC (2013).
Capital financier « La réserve de fonds qui est :
• à la disposition de l’organisation pour
produire des biens ou fournir des services ;
• obtenue par financement (ex. : emprunts,
fonds propres ou dotations) ou générée par
le biais d’opérations ou d’investissements. »
Capital manufacturier « Les ressources manufacturières (par opposition
aux ressources naturelles) à la disposition de
30.
Le processus de création de valeur tel qu’il est défini par le Cadre de Référence
est décrit dans l’illustration 2 ci-dessous.
Section 1 – Introduction
Lors de l’étude des effets de l’utilisation du <RI> par l’IIRC, les recherches ont
montré que le processus de transition vers le <RI> apportait de nombreux
avantages à l’entreprise. 91% des organisations qui ont participé à l’étude ont
constaté que la publication d’un rapport intégré avait un impact sur leurs
relations avec les parties prenantes.
Pour commencer, l’un des bénéfices les plus importants rencontrés par les
organisations concerne la relation avec les fournisseurs de capitaux. En effet, le
<RI> a notamment pour objectif d’améliorer les informations partagées avec le
marché financier et permet en conséquence, d’accroître les connaissances des
investisseurs quant à la capacité de l’entreprise à créer de la valeur sur le long
terme. De ce fait, 87% des entreprises qui publient un rapport intégré pensent
que leurs fournisseurs de capitaux financiers ont acquis une meilleure
compréhension de la stratégie de l’entreprise, et 79% estiment avoir une plus
grande confiance quant à la viabilité à long terme de leur business modèle (Black
Sun, 2014).
De plus, des études ont montré que les organisations qui communiquent
davantage sur les critères ESG et RSE bénéficient d’avantages en terme d’accès
au financement suite, par exemple, à une réduction de la prime de risque exigée
par les investisseurs (Ioannou and Serafeim, 2017). Ces avantages peuvent être
attribués soit à une réduction des coûts pour l’entreprise suite à un engagement
accru des parties prenantes, soit à une réduction de l’asymétrie de l’information
due à une plus grande transparence.
D’autres recherches ont aussi illustré les bénéfices apportés par le <RI> sur la
valorisation des entreprises qui l’adoptent. En effet, selon les études conduites
par Barth, et Lee & Yeo avant lui, il y a une corrélation positive entre la
35.
Pour résumer, nous pourrions avancer que le <RI> apporte des avantages en
chaîne aux entreprises. En publiant des informations de meilleure qualité,
l’entreprise augmente la confiance dont elle jouit auprès du marché, ce qui lui
permet de se financer à un coût inférieur à la moyenne du marché. Grâce à cet
accès aux capitaux monétaires, la société s’assure des liquidités, ce qui augmente
son évaluation par le marché.
1 Le Q de Tobin est un ratio qui qualifie la relation entre la valorisation du marché, mesuré par sa
capitalisation boursière, et sa valeur intrinsèque. En d’autres termes, il permet d’exprimer si une
société est sous-évaluée ou surévaluée.
36.
De plus, des études ont montré que les engagements portant sur la
responsabilité des entreprises (RSE) pouvaient augmenter l’attractivité d’une
entreprise sur le marché de l’emploi, et même permettre de réduire ses coûts
salariaux en attirant des employés plus motivés (OCDE, 2014). Ainsi, la
publication d’un rapport intégré par une entreprise permettrait une meilleure
accessibilité à ces informations par le marché du travail, et ainsi réduire ses
coûts.
Dans son rapport intitulé « Realizing the Benefits : the impact of Integrated
Reporting » (2014), Black Sun identifie les impacts positifs les plus importants
apportés au fonctionnement d’une entreprise par l‘implémentation et
l’utilisation du reporting intégré.
D’après les recherches de Black Sun (2014), 92% des entreprises ayant participé
à l’étude s’accordent à dire que bénéficier d’une compréhension accrue de leur
chaîne de création de valeur constitue un réel avantage. De plus, parmi les
entreprises qui publient un rapport intégré, 95% d’entre elles constatent des
améliorations dans leur efficacité et leurs performances (chaine de création de
valeur) (Black Sun, 2014). En effet, le rapport intégré offre la possibilité de
37.
L’une des conséquences apportée par l’adoption du <RI> concerne la collecte des
informations. En effet, contrairement aux rapports traditionnels, le rapport
intégré transmet des informations financières et extra-financières au public dans
le but de donner une image complète de l’activité et de la stratégie de l’entreprise.
De cette manière, les entreprises qui décident d’adopter le reporting intégré ne
peuvent plus se contenter de mesurer les résultats financiers et le résultat de
leurs activités ESG de manière indépendante, mais bien d’innover dans les outils
de mesure des six types de capitaux sur lesquels ils communiquent (financier,
manufacturé, intellectuel, humain, social et relationnel, et naturel).
Parmi les entreprises qui ont adopté le reporting intégré et donc de nouveaux
outils de mesure des données, 84% d’entre elles constatent une amélioration
dans la qualité des informations, et 71% pensent bénéfique de se concentrer
davantage sur la mesure de la réussite à long terme de l’entreprise.
38.
De plus, les recherches montrent que, suite aux changements apportés aux
systèmes de gestion, le management est mieux informé quant aux performances
de l’entreprise. Chez 79% des organisations qui publient un rapport intégré, le
processus de prise de décision opérationnel est donc amélioré (Black Sun, 2014).
Au-delà de l’étude de l’efficacité de l’entreprise, les améliorations des systèmes
de gestion permettent également une amélioration de l’identification des risques
et des opportunités. D’après l’étude conduite par Black Sun, 79% des entreprises
qui publient un rapport intégré s’accordent sur cet avis.
Pour commencer, l’IIRC affirme que les objectifs du rapport intégré sont (1)
d’améliorer la qualité des informations pour les fournisseurs de capitaux
externes, et (2) une meilleure prise de décision interne. Ayant pour objectif de
prouver cette affirmation, Barth divise la relation positive entre le <RI> et les
nouvelles performances d’une société en trois composantes : la liquidité, le coût
du capital et les flux de trésorerie futurs prévus. Parmi ces facteurs pouvant
avoir un effet sur la valeur de l’entreprise, l’augmentation de la liquidité et la
diminution du coût du capital seraient interprétés comme un effet du marché.
Mais en ce qui concerne les augmentations des flux de trésorerie futurs, elles
pourraient aussi bien être un effet du marché des capitaux, qu’une conséquence
de l’effet réel.
Un effet réel peut survenir si les décisions prises par les gestionnaires sont
différentes de celles qui auraient été prises en l’absence de rapport intégré. Car
comme présenté précédemment, l’un des avantages des rapports intégrés
présentés par l’IIRC est que son utilisation peut conduire à une réflexion et à une
prise de décisions intégrées.
Dans ses recherches, Barth a pu prouver qu’il y avait bien une relation positive
entre la qualité d’un rapport intégré, et l’augmentation des flux de trésorerie. De
plus, il a prouvé que cette augmentation n’était pas liée à un effet du marché,
mais bien à une amélioration de la prise de décision par les gestionnaires. Ses
analyses ont montré une corrélation significative et positive entre le rapport
intégré d’une part, et les flux de trésorerie opérationnelle et l’efficacité des
investissements d’autre part.
Les résultats portant sur l’efficacité des investissements concordent avec l’idée
selon laquelle le reporting intégré facilite la gestion intégrée. Les gestionnaires
qui adoptent le reporting intégré reconnaissent les interdépendances entre les
différents types de capitaux et parties de l’entreprise, ce qui leur permet de faire
de meilleurs choix d’investissement.
40.
L’adoption par une entreprise du reporting intégré change la manière dont les
entreprises conçoivent leurs rapports, mais aussi la manière dont les différents
départements opèrent et se situent dans la chaîne de création de valeur,
notamment via la gestion intégrée.
De plus, pour une société qui est active sur un marché très concurrentiel, réduire
le cloisonnement pourrait constituer une force car elle permettrait d’augmenter
la vitesse de changement au sein de l’entreprise.
41.
L’étude qualitative se concentre donc sur le groupe Solvay. Nous avons choisi
cette entreprise pour différentes raisons. Premièrement, le rapport intégré de
Solvay est repris comme exemple sur le site officiel du Conseil International
portant sur le Reporting Intégré (IIRC), et est classé dans le Top 10 par le World
Business Council for Sustainable Development (WBCSD), ce qui apporte une
certaine confirmation quant à la qualité du document. Ensuite, l'entreprise est
domiciliée en Belgique et doit donc suivre les législations belges et européennes,
comme introduites dans le deuxième chapitre de la revue de littérature.
Finalement, parce que le groupe Solvay est organisé en « Business Unit » selon
les produits manufacturés, et cela partout dans le monde mais avec une
administration centrale. Nous avons donc pensé que si des changements
structurels avaient été apportés suite à l’adoption du reporting intégré, ils
seraient alors suffisamment visibles pour notre analyse.
Section 3 – Méthodologie
Les rapports intégrés étant des documents, nous avons suivi une analyse
qualitative de texte. Cette analyse est réalisée à travers la lecture répétée des
documents tout en relevant toutes les informations pertinentes quant aux
thèmes étudiés. Une analyse thématique est en effet plus indiquée pour
confronter les avis et donc tenir des conclusions solides. Dans notre situation,
les thèmes recherchés sont les différents effets découlant directement de
l’adoption du reporting intégré, et pouvant améliorer les performances de
l’entreprise comme définies dans le chapitre 5 de la revue de littérature:
44.
La récolte d’informations s’est faite à travers des entretiens semi directifs. Cette
méthode a été choisie car elle permet une certaine souplesse dans la discussion.
En effet, le questionnaire est utilisé comme fil rouge pour échanger sur tous les
sujets importants de la recherche tout en laissant la possibilité d’un échange
interactif où les intervenants peuvent approfondir un point ou rebondir sur une
réponse.
Afin de renforcer la validité des résultats de notre recherche, nous avons voulu
interroger quatre employés du groupe Solvay. A travers ces échanges, nous
voulions confirmer la portée des informations partagées à travers les rapports
annuels, ainsi que récolter des informations supplémentaires sur les politiques
et changements opérés en interne qui ne feraient pas l’objet d’une publication.
- Monsieur A
Monsieur A occupe actuellement une fonction au sein du département de l’audit
interne et de la gestion des risques depuis 2017. Avant cela, il travaillait dans le
département Finance du groupe. En conséquence, il a pu fournir des réponses à
nos questions portant sur la relation avec les fournisseurs de matières premières
car ses obligations actuelles le conduisent à revoir les processus d’achat et les
risques qui y sont liés. De même, il a pu nous parler des outils de mesure
financiers et extra-financiers qui sont mis en place par Solvay dans le but de
communiquer sur ses performances en terme de politique RSE. Enfin, grâce à ses
connaissances des processus du département Finance, il a pu nous donner
quelques éléments de réponse concernant l’allocation des ressources et la
politique d’investissement.
- Monsieur B
Monsieur B a travaillé pour le groupe Solvay pendant plus de 30 ans avant de
prendre sa retraite en 2017. La dernière position qu’il a occupée était celle de
président d’un GBU basé en Asie. En sa qualité de cadre haut placé durant le
processus d’adoption du reporting intégré, il a pu nous parler des changements
de stratégie, notamment de la transformation du portefeuille des activités du
groupe telles que développée dans le chapitre suivant, ainsi que de la relation
qu’il entretenait avec les entreprises qui fournissaient des matières premières
aux usines qu’il avait sous sa gestion.
- Madame C
Madame C travaille au sein du département en charge de la communication et de
la relation entre Solvay et son principal actionnaire, la société holding Solvac, qui
regroupe les investissements des descendants des familles fondatrices du groupe
chimique. A cette position depuis quelques années, elle est la personne la mieux
placée pour nous parler de la relation qu’entretient Solvay avec ses fournisseurs
de capitaux.
47.
- Monsieur D
Monsieur D est employé par le département en charge du développement
durable au sein du groupe Solvay depuis plus de cinq ans. Son expérience et sa
fonction nous ont été précieuses pour mieux comprendre l’implication du
programme « Solvay Way », le nouveau système de référence interne sur le
développement durable.
48.
Section 1 – Introduction
Cette seconde section est consacrée au premier effet, qui est l’amélioration des
relations entre le groupe Solvay et les fournisseurs externes de capitaux
financiers suite à la publication des rapports intégrés. Rappelons que selon les
études portant sur le sujet, la publication par une entreprise d’informations
relatives à sa chaine de création de valeur, a pour effet d’accroître les
connaissances, et donc la confiance des investisseurs, quant à sa capacité à être
performante dans un avenir de moyen à long terme. Les effets de ce surcroît de
confiance se traduirait par des avantages en terme d’accès au financement, suite
notamment à une meilleure évaluation des investisseurs ainsi que d’une
diminution de la prime de risque exigée par ceux-ci.
L’unique élément que nous avons retrouvé dans les rapports intégrés faisant
référence à un changement de la relation qu’entretient Solvay avec le marché
financier est relatif à la « Lettre aux CEO » écrite par Laurence Fink, PDG de
l’entreprise Blackrock, actionnaire important de Solvay. Dans ce document, qui a
été largement diffusé, Fink s’adresse à tous les PDG des entreprises dans
lesquelles Blackrock a investi pour leur annoncer que, dorénavant, la durabilité
sera une priorité pour les actionnaires, de même que les actions en faveur du
climat. Cet élément a été repris par Solvay dans les challenges que le groupe doit
surmonter pour progresser avec ses investisseurs.
Toutefois, outre cet unique élément que nous venons de décrire, l’essentiel des
informations que nous avons pu recueillir sur ce sujet nous provient de la
conversation que nous avons eue avec Madame C. Selon elle, les relations avec
les actionnaires dépendent fortement du groupe dans lequel ils se trouvent.
Par exemple, Solvay est un, sinon le dernier, des groupes internationaux à jouir
d’une base d’actionnaires stables. En effet, les actions détenues par les
descendants des membres fondateurs changent rarement de main, ou alors
seulement entre les membres d’une même famille. Détenir ces actions fait
souvent partie des traditions familiales, et leurs détenteurs se contentent de
toucher leur dividende. En conséquence, la publication d’un rapport intégré par
Solvay n’a donc pas d’effet sur cette partie des actionnaires.
50.
Le cadre de référence portant sur le reporting intégré prévoit que les sociétés qui
l’adoptent doivent publier des informations sur leurs fournisseurs de matières
premières, ainsi que sur les relations qui les unissent. L’avantage de publier ces
informations permet à l’entreprise de fidéliser ses fournisseurs pour, à long
terme, sécuriser une source de matériel, avoir du poids sur la négociation de ses
prix et pouvoir éventuellement demander la personnalisation de ses commandes.
51.
Dans cette section, nous analysons les publications relatives aux fournisseurs de
matières premières qui ont été faites par Solvay dans ses rapports intégrés, et ce
depuis 2016. L’objectif est de comprendre si ces publications traduisent un
renforcement de ces relations depuis l’adoption du reporting intégré comme
outil de communication.
Pour commencer, le groupe Solvay établit des critères dans le choix de ses
fournisseurs. Pour avoir le groupe chimique comme client, chacun d’entre eux
doit fournir un bilan RSE et adhérer au code des fournisseurs du groupe. A
travers cette démarche, Solvay veut s’assurer de la motivation des sociétés qui
désirent travailler avec eux, ainsi que sur leur politique ESG.
Ensuite, les rapports annuels intégrés de 2019 et 2018 ont fourni des
informations sur la relation entre Solvay et ses fournisseurs de matières
premières. En effet, le groupe est à l’écoute de ces parties prenantes via
notamment des questionnaires de satisfaction et des journées des fournisseurs.
Les informations retenues de ces échanges se traduisent par la demande des
fournisseurs d’élaborer une « collaboration plus poussée en matière de fixation
d’objectifs, de réflexion stratégique et de développement durable » (Solvay, 2019,
p.67). De plus, le groupe déclare : « Nous collaborons avec nos principaux
fournisseurs pour les aider à améliorer leur performance en matière de
durabilité́ , et contribuer à la création de solutions ayant plus de valeur pour nos
clients » (Solvay, 2018, p.13).
En 2017, dans son rapport annuel intégré, Solvay a consacré plusieurs pages à
ses fournisseurs, notamment dans une rubrique intitulée : « Nos parties
prenantes s’expriment : Fournisseurs ». Dans ces quelques pages, quelques
sociétés témoignent de la relation qu’ils entretiennent avec le groupe Solvay :
« Solvay nous challenge fortement pour satisfaire ses besoins. Nous nous
concentrons sur ce qui est important pour eux. Notre collaboration renforcée
nous permettra de créer plus de valeur pour Solvay à tous les niveaux de sa
chaine d’approvisionnement ». (Solvay, 2017, p.17)
De plus, Solvay a publié dans son rapport de l’année 2016 les résultats d’une
enquête de satisfactions des fournisseurs, menée fin 2015. Les conclusions de
cette enquête mettaient en lumière que « les fournisseurs apprécient beaucoup
leur forte relation avec Solvay » (Solvay, 2016, p.88).
Les informations que nous avons récoltées à suite aux interviews avec Monsieur
A et Monsieur B s’inscrivent dans la continuité des extraits cités ci-dessus. Selon
Monsieur B, la relation entre Solvay et ses fournisseurs est cruciale pour la
continuité des usines du groupe et il était important pour lui de trouver le bon
équilibre entre deux extrêmes : aucune collaboration ou alors une dépendance
de Solvay à ses fournisseurs. S’il n’y a pas de collaboration, alors il y a une perte
d’efficacité liée au manque de planification pour les deux parties prenantes. De
même, si le groupe devenait dépendant de son fournisseur, celui-ci serait alors
en situation de force pour renégocier des augmentations de prix ou des éléments
similaires.
Selon des études portant sur les effets de la publication d’informations RSE,
présentées dans le chapitre 5 de la partie précédente de ce mémoire, une
entreprise qui partage des informations sur sa gouvernance et sur le
développement de son capital humain, verrait son attractivité augmenter sur le
54.
A la lecture des rapports intégrés publiés par Solvay depuis 2016, nous n’avons
pas constaté de renforcement de la relation avec le marché du travail. Solvay
présente évidemment des informations concernant son personnel, sa
gouvernance ou la rémunération des cadres dirigeants, tel que le prévoit le cadre
de l’IIRC, mais aucun de ces éléments ne révèlent une attractivité accrue de la
part du marché de l’emploi pour le groupe Solvay. Les possibles explications de
cette conclusion nous ont été fournies par les employés que nous avons
interrogés.
Lors des interviews que nous avons eues avec des employés de Solvay, nous les
avons questionnés sur les éléments qui avaient été décisifs dans leur décision de
rentrer dans le groupe lors de leur procédure de recrutement. De cette manière,
nous pouvions juger si la publication d’informations extra-financières contenues
dans le rapport intégré pouvait avoir un effet sur les résultats actuels des
procédures de recrutement du groupe.
Pour commencer, Monsieur A et B sont tous les deux d’origine belge, et déjà
avant d’intégrer le groupe, ils connaissaient de nom du groupe, de même que sa
réputation. Pour ces deux personnes, la réputation du groupe, et l’image qu’il
véhicule, étaient conformes à ce qu’ils recherchaient chez leur employeur. De ce
fait, ils ne se sont pas informés en pratiquant des recherches, ou en ayant lu des
rapports contenant des informations extra-financières.
Rappelons que l’adoption du reporting intégré peut apporter des avantages sur
la stratégie opérationnelle de l’entreprise. En effet, le cadre publié par l’IIRC
prévoit la publication par les entreprises d’informations concernant leur modèle
de création de valeur. De cette manière, le processus d’adoption du reporting
intégré peut apporter au management des éclaircissements sur le
fonctionnement opérationnel de l’entreprise et mettre en évidence les activités
les plus lucratives, ainsi que renseigner sur les étapes de la chaine qui détruisent
le plus de valeur. Des avancées dans la compréhension de la chaine de valeur
pourraient alors se manifester par la présence des initiatives suivantes :
a. reconsidération des priorités de l’entreprise ;
b. modification dans le système d’allocation des ressources pour privilégier
les activités les plus lucratives ;
c. repositionnement de l’entreprise sur son secteur.
En 2012, Jean-Pierre Clamadieu prend alors la tête d’un groupe constitué d’un
portefeuille d’activités présentes sur de nombreux secteurs, marqué par une
structure décentralisée, héritée des deux groupes fusionnés. D’après Monsieur B,
la mission de Clamadieu à la tête du groupe est alors de transformer le groupe
pour le simplifier, et de changer sa stratégie depuis un modèle diversifié, vers un
modèle de spécialité avec une administration centralisée pour tous les GBU. Ces
mêmes éléments ont pu être retrouvés durant l’analyse des rapports annuels.
Le premier extrait analysé est aussi, à notre avis, le plus éloquent quant à la
présence de changements stratégiques. En effet, dans le message des présidents
du rapport annuel de 2019, les deux principaux responsables résument les
activités du groupe et les changements qui ont été mis en place durant l’année.
Dans cet extrait, la société met en avant qu’ils ont « procédé à des changements
sur trois fronts : la stratégie, la structure et la culture » (Solvay, 2019, p.2).
Concernant les changements opérés sur la stratégie, ils annoncent avoir
commencé par reconsidérer l’entièreté de leur chaine de création de valeur, et
avoir considéré un repositionnement stratégique de leurs activités sur les
secteurs à forte croissance: « Nous avons réalisé un examen stratégique complet
de toutes nos activités et de notre modèle opérationnel. (…) Nous avons remis à
plat et validé l’alignement de nos principales activités sur les grandes tendances
57.
qui génèreront une croissance supérieure sur des marchés finaux à fort
potentiel, où nous occupons des positions de leader » (Solvay, 2019, p.2).
En résumé, la lecture des rapports annuels et les interviews nous ont donné
beaucoup d’éléments quant aux changements stratégiques opérés depuis
quelques années au sein de Solvay. En effet, nous avons constaté que Solvay a
pris clairement conscience des activités de son portefeuille qui étaient les plus
créatrices de valeur, et a décidé de se concentrer sur celles-ci. Selon nous, il s’agit
de changements majeurs pouvant refléter que l’adoption du reporting intégré a
permis au management d’approfondir ses connaissances sur la chaine de
création de valeur du groupe, ainsi que des opportunités qui s’offraient à celui-ci.
Bien sûr, il est difficile de conclure que la préparation du reporting intégré fut
59.
Pour commencer, rappelons que l’adoption du reporting intégré peut avoir des
effets sur les outils de mesure au sein d’une entreprise. Le cadre de référence
contraint les entreprises qui l’utilisent à partager des informations sur les six
types de capitaux. En conséquence, les sociétés doivent concevoir des nouveaux
outils de mesure et établir de nouveaux objectifs reprenant la performance de
ces différents capitaux. Selon les études portant sur le sujet, ceci aurait pour effet
d’améliorer la qualité des informations produites en interne, et utilisées par le
management pour prendre les décisions stratégiques. De cette manière,
l’adoption du reporting intégré permettrait de soutenir la performance des
entreprises.
2 L’effet réel désigne dans notre recherche, le fait qu’une décision serait différente de celle qui
aurait été prise en l’absence de rapport intégré, et serait inspirée par une meilleure information
fournie par l’adoption du RI.
60.
du groupe Solvay. En effet, selon les employés que nous avons interrogés, cela
fait partie de la stratégie interne du groupe, et cela peut constituer un avantage
stratégique par rapport aux entreprises concurrentes. Solvay ne prévoit donc
pas de communiquer sur ce point, et ses employés n’y sont pas autorisés si cela
ne fait pas l’objet d’une publication dans le rapport intégré. Toutefois, Monsieur
C nous a expliqué les effets et les objectifs de Solvay WAY, tels que présentés
dans le rapport annuel.
La définition de Solvay WAY telle que publiée dans le rapport annuel de l’année
2016 est la suivante : « Solvay Way est l'approche du Groupe en matière de
développement durable. Elle intègre les aspects sociaux, sociétaux, environne-
mentaux et économiques à la gestion de l'entreprise, à sa stratégie ainsi qu'à ses
prises de décisions et pratiques d'exploitation dans le but de créer une valeur qui
résiste à l'épreuve du temps » (Solvay, 2016, p.79).
De cette manière, lancé en 2013, Solvay Way est utilisé à la fois comme outil
d’évaluation, mais aussi de progrès. En effet, en plus de définir les 49 pratiques
qui reflètent les 22 engagements de Solvay envers ses parties prenantes et le
climat, Solvay Way est également utilisé comme une plateforme pour réunir les
informations relatives à ces pratiques. Les GBU doivent, de manière répétée,
communiquer leurs performances en matière de développement durable sur les
facteurs sociaux, sociétaux et environnementaux. Grâce à cet outil, l’ensemble
des informations extra-financières est centralisé, et mesuré de la même manière
dans tous les sites de Solvay.
Suite aux informations que nous avons récoltées, nous pouvons conclure que
Solvay Way est utilisé comme un outil de mesure, apportant une amélioration de
la qualité des informations.
61.
Karim Hajjar, CFO du groupe, déclare ceci concernant la gestion intégrée dans le
rapport annuel relatif à l’année 2018 : « Ce troisième rapport annuel intégré
reflète la progression de notre démarche de management intégré. Celle-ci a
débuté en 2012 lorsque le Groupe a engagé une approche d’ ”Integrated
Thinking” afin de renforcer les interactions entre nos activités, le développement
durable et la finance. Depuis, nos décisions en matière de business et de
portefeuille de produits sont prises avec pour critère la création de valeur
économique et durable » (Solvay, 2018, p.2).
Dans cette section, nous mettons en avant les informations recueillies dans les
rapports annuels qui pourraient révéler des changements dans le modèle
opérationnel du groupe Solvay suite à l’adoption du reporting intégré.
62.
Comme nous l’avons déjà mentionné précédemment, Solvay est au milieu d’un
long processus de transformation initié en 2012. Pour permettre cette
transformation, Solvay a redéfini sa stratégie et a abouti à l’initiative G.R.O.W.
Cette stratégie est constituée de quatre points différents. Les trois premiers
clarifient les objectifs des trois segments d’activités obtenus après la
transformation du portefeuille, à savoir MATERIALS, CHEMICALS et SOLUTIONS.
Le dernier, quant à lui, reflète l’adoption d’un nouveau modèle opérationnel pour
soutenir les activités citées précédemment : Solvay ONE.
City Lights était un projet architectural, porté par Jean-Pierre Clamadieu lorsqu’il
était au poste de PDG, qui avait pour objectif de construire deux nouveaux
bâtiments. La première construction était un nouveau centre de recherche et
d’innovation de 46.000 m2 sur son site de Saint-Fons, en France, et devait
pouvoir accueillir un millier de personnes. Le second était la rénovation de son
centre social à Bruxelles. Monsieur Clamadieu voulait faire de ce bâtiment une
vitrine pour le groupe entier, et rassembler en son sein un maximum de
départements pour favoriser les rencontres entre les employés, et le partage
d’informations. De l’avis de Monsieur A, ce projet n’a pas pu aboutir, car
l’investissement était trop important.
Après avoir analysé les publications du groupe Solvay, et conduit des interviews
avec des employés dans le but de récolter des informations, nous pouvons
conclure sur les répercussions de l’adoption du reporting intégré sur la
performance du groupe.
Ensuite, nous avons étudié la relation qu’entretient Solvay avec ses parties
prenantes. Nous avons pu découvrir que le groupe a installé depuis quelques
années une politique de collaboration avec ses parties prenantes grâce
notamment à des échanges d’informations et à la participation des fournisseurs
dans des discussions portant sur des aspects stratégiques tels que la
planification. Selon les informations que nous avons pu recueillir à travers notre
analyse, le rapport intégré a été un solide outil pour permettre cette
collaboration. En effet, Solvay a utilisé ses pages pour faire la publicité de ses
plus grands fournisseurs et, de cette manière, les fidéliser.
Le troisième effet que nous avons analysé était la relation entre Solvay et le
marché du travail. A travers notre recherche, nous n’avons pas trouvé d’élément
pouvant nous montrer que l’adoption du reporting intégré avait apporté des
bénéfices sur la relation avec cette partie prenante. En effet, le groupe jouit d’une
65.
grande réputation à travers le monde, et est considéré par ses employés comme
étant attractif sans devoir partager des informations quant à sa politique de
gouvernance et de gestion de son capital humain.
L’élément suivant sur lequel nous nous sommes penché est la compréhension
accrue de sa chaine de création de valeur par le groupe Solvay. Cet élément est le
plus important que nous ayons pu observer, mais aussi celui à propos duquel il
est le plus difficile de conclure. En effet, beaucoup d’éléments présents dans les
rapports intégrés, et dans les réponses fournies par nos intervenants, prouvent
que des changements stratégiques et opérationnels sont en œuvre au sein du
groupe Solvay. Les profonds changements dans le portefeuille d’activités, et dans
le système d’allocation des ressources reflètent une meilleure connaissance, de la
part du management, des activités les plus profitables du groupe, et le désir de
faire de celles-ci la grande priorité.
Par la suite, nous avons fait des recherches portant sur l’amélioration des outils
de mesure servant à la production d’informations utilisées en interne. Dans la
66.
section dédiée à cette analyse, nous avons développé l’idée que la conception de
l’initiative Solvay Way avait permis d’améliorer la collection d’informations à
travers l’entièreté du groupe. En conséquence, Solvay Way a permis la
comparaison des performances extra-financières entre les sites grâce,
notamment, à l’élaboration d’un système de mesure commun. Cependant,
comme pour les changements stratégiques développés précédemment, nous ne
sommes pas en mesure de prouver le lien entre l’adoption du reporting intégré,
et la mise en place du cadre Solvay Way.
Après avoir dressé l’état actuel des recherches portant sur les bienfaits de
l’adoption du reporting intégré, et avoir présenté l’outil et les éléments qui ont
conduit à son élaboration, nous avons exposé les résultats de notre étude de cas.
Nous avons conclu que notre analyse avait permis d’identifier un certain nombre
d’éléments pouvant être liés à l’adoption du reporting intégré, et apportant un
bénéfice stratégique à Solvay, mais que nous ne pouvions statuer avec
suffisamment de certitude sur la connexion entre l’adoption du reporting intégré,
et l’apparition de ces avantages. En effet, l’apparition de ces avantages peut être
liée à beaucoup d’autres évènements que l’adoption du cadre de l’IIRC.
Par ailleurs, nous avons basé une grande partie de notre approche sur le résultat
de quelques recherches qui ont été conduites par la société Black Sun,
organisation affiliée à l’organisme responsable de la promotion et de
l’intégration du cadre portant sur le reporting intégré, l’IIRC. En effet, le concept
de rapport intégré est encore jeune, et les impacts de son adoption prendront
des années pour se révéler. Jusqu’à présent, peu d’autres études que celles
initiées par Black Sun ont été diffusées. D’un autre côté, la littérature est riche
d’études portant sur l’impact de la publication d’informations extra-financières
sur la performance des entreprises, mais nous avons délibérément décidé de
baser notre recherche sur l’étude des six effets relevés par l’étude de Black Sun
car notre recherche portait sur le rapport intégré, et non pas sur la publication
d’informations extra-financières de manière générale.
Pour terminer, nous pensons que l’élaboration du reporting intégré peut être un
tournant dans la manière de concevoir la création de valeur. A notre avis,
beaucoup d’entreprises restent encore aujourd’hui trop focalisées sur l’étude de
69.
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