Socialism Fascite
Socialism Fascite
Socialism Fascite
SOCIALISME
FASCISTE
Hommage de VAuteur
EDITIONS DE LA
NOUVELLE REVUE
FRANÇAISE
ruy 43, RUE DE
PARIS-VII*
TÉL. : LITTRÉ 28-QI A 28-93
BEAÜNE
R. C. : SEINE N° 35.807
DRIEU LA ROCHELLE
SOCIALISME
FASCISTE
UN VOLUME IN-16 DOUBLE-COURONNE 15 fr.
immÈmss —»
’ c /
SOCIALISME FASCISTE
DU MÊME AUTEUR
Nouvelles
Bomans
Confessions
Essais
SOCIALISME
FASCISTE
GALLIMARD
Paris — 43, rue de Beaune
S. P.
U Édition originale de cet ouvrage a été tirée à cent vingt
exemplaires, soit quarante-cinq exemplaires sur vélin pur
fil Lafuma-Navarre dont vingt-cinq exemplaires numérotés
de 1 à 25 et vingt exemplaires hors commerce marqués de
SL à t, et soixante-quinze exemplaires sur alfa Navarre,
dont cinquante exemplaires numérotés de 26 à 75 et vingt-
cinq exemplaires hors commerce numérotés de 76 à 100.
CONTRE MARX
I
L’IDÉE DE PROLÉTARIAT
(1) Si, plus tard, les noms nobles se font plus rares, du moins
en France, c’est que ne fonctionne plus la « savonnette à vilains »
comme en Angleterre. Voir plus loin nos vues sur la circulation
sociale.
nouveaux mots d’ordre (action sur l’opinion par les
manifestes, les discours, la presse, les élections, les
manœuvres parlementaires, et non plus par les intrigues
de cour, par une pression indirecte sur les classes), la
sphère privilégiée, suivant un nouveau désir, recherche
l’argent donnant le prestige et non plus le prestige
donnant l’argent.
Il n’y a pas eu une masse gouvernante plus nombreuse
qu’auparavant. Dans le cadre des institutions démocra-
tiques et parlementaires, la bourgeoisie n’a pas exercé,
en dépit des simulacres du système représentatif, un
pouvoir plus collectif que les classes soi-disant domi-
nantes de l’ancien régime. S’il écarte les mots, quelle
différence pour l’observateur cynique entre le « monde
parlementaire » et le « monde de la Cour »? Il y a tou-
jours quelques centaines d’ambitieux faibles et ineffi-
caces, qui ont trouvé le moyen d’arriver jusqu’aux
antichambres et aux couloirs et qui se remuent autour
des cent ministrables. Ce cercle des ministrables s’agite
lui-même autour des cinq ou six chefs de gouvernement
possibles. L’élite gouvernementale est concentrée dans
ces deux cercles. En dépit des remous révolutionnaires
ou électoraux, ces deux cercles, depuis 1789, sont restés
immuables dans leur tradition politique, et se sont
typifiés dans certains personnages, des revenants.
Par exemple : Fouché et Talleyrand, plus tard Thiers,
plus tard Clemenceau. Ces cercles restent seuls efficaces,
tant que la technique qu’ils emploient répond à l’état
économique, est souhaitée ou tolérée par l’histoire. Et
sous ces cercles gouvernants, s’épanouissent passivement
les classes d’appui, les classes privilégiées.
L’évolution économique (1) exige à un moment donné
une nouvelle technique gouvernementale et un nouvel
esprit dans la législation sociale. Une société commer-
çante et industrielle a besoin d’autres lois et d’autres
chefs qu’une société agricole et militaire. En 89, les
hommes d’épée et les grands propriétaires terriens
étaient depuis toujours écartés en gros du gouverne-
ment ; mais les bourgeois, les nobles de robe ou de cour
qui gouvernaient devaient se prêter à des habitudes
anciennes et fatiguées, où persistaient d’un poids acca-
blant les souvenirs de l’époque agricole et militaire.
En Angleterre, le passage d’un état à l’autre s’est
fait aussi difficilement et violemment qu’en France dans
l’ordre politique, mais d’une façon plus insensible dans
l’ordre social. Une aristocratie terrienne et militaire
s’est métamorphosée peu à peu en une grande bour-
geoisie industrielle et commerciale, qui fut titrée d’ail-
leurs. Cependant, le pouvoir de fait n’a jamais été
qu’aux mains d’un cercle de quelques personnes minis-
trables, gentlemen de plus ou moins ancienne date.
DE RÉVOLUTION.
(1) On se récriera que Marx est fort loin des vues de Gobineau, et
qu’il considère dans les classes des états économiques dont il lui
importe peu que changent ou ne changent pas les participants.
Mais cela ne lui importe peu que jusqu’à un certain point. Il aurait
combattu et nié l’idée d’une trop vive circulation sociale qui tend
à désagréger évidemment les points d’appui de la lutte de classes.
du travail maintiennent au-dessous d’un complexe de
classes vaguement supérieures un complexe de classes
vaguement inférieures. Nous constatons ainsi une divi-
sion sommaire entre un haut et un bas social. Le point
sur lequel se fait la division, c’est en gros la distinction
de l’intellectuel et du manuel.
Cette distinction va en s’atténuant du fait de l’évo-
lution de l’économie ; et, sans doute, sera-t-elle toujours
un peu plus réduite. Il y aura une confusion de plus
en plus grande dans la grande masse sociale où s’oppo-
seront de moins en moins l’ordre manuel et l’ordre
intellectuel. Mais en attendant ?
Il importe d’insister sur le changement de plans qui
se produit ici. La discussion menée dans cet essai change
de terrain. Nous avons montré dans le passage de la
féodalité à la bourgeoisie le simple remplacement d’une
aristocratie de privilèges par une nouvelle aristocratie
de privilèges. Nous n’avons trouvé aucune novation
dans la structure de la société. Mais le passage de la
bourgeoisie au prolétariat, au contraire, ne pourrait se
faire que par un bouleversement complet des règles
historiques — bouleversement pour lequel contraire-
ment à ce que dit Marx il n’y a ni précédent ni amorce.
Ce ne serait pas une continuation de l’histoire, comme
il le prétend, mais une altération de l’histoire.
On peut croire, selon une autre formule que celle de
Marx, à la réduction progressive de la hiérarchie sociale.
Mais encore faut-il reconnaître pleinement les difficultés
actuelles de cette réduction. Ces difficultés se rassemblent
sur la division du travail qui, d’une part, oppose une
étroite élite de gouvernement à la masse des classes et,
d’autre part, oppose les masses intellectuelles aux masses
manuelles. Certes, Marx a vu le lien entre la division
du travail et la division des classes, mais il a cru, en
bon rationaliste, en bon mécaniste qu’il était, que la
division des classes était devenue la cause de la division
du travail, après en avoir été l’effet, et qu’en suppri-
mant cette cause on supprimerait cet effet. Il n’en est
rien et la division du travail qui ne préoccupe nullement,
semble-t-il, l’État russe recommence à y produire une
division des classes.
En nous plaçant donc sur un tout autre terrain de
discussion que celui où nous avions suivi Marx au début
de cet essai, sans plus nous soucier du rapport A > B,
nous pouvons nier le rapport B ]> C, en nous fondant
sur les réflexions nouvelles qu’appelle ce prétendu
rapport nouveau.
Nous devons considérer que la fatalité persistante
du manuel se présente comme une difficulté décisive —
à supposer que n’existent pas les impossibilités que nous
avons montrées — pour le prolétariat (qui est une des
classes manuelles, la paysannerie étant l’autre) de faire
à lui seul une révolution.
Comment le prolétariat pourrait-il produire une révo-
lution et un gouvernement ? En effet, la raison même
qui l’obligerait à faire une révolution, à savoir qu’il lui
faut sortir de la condition misérable qui le destitue des
vertus humaines, l’empêche de faire cette révolution.
Où prendrait-il les vertus intellectuelles et morales qu’il
s’agit précisément pour lui de conquérir ? Certes, on
peut admettre qu’il les ait en germe, mais c’est de ces
vertus déjà toutes déployées qu’il aurait besoin pour
concevoir et mener à bien la révolution et ensuite pour
prendre en main le gouvernement — ce qu’aucune classe
mieux armée n’a jamais fait dans sa masse. Il y a là
un cercle vicieux dont il ne peut sortir — du moins,
par lui-même.
Qu’on ait imaginé qu’il le puisse, serait incompréhen-
sible, si l’on ne se rappelait pas que ce le fut par des
bourgeois, par des gens sortis, après un nombre plus
ou moins grand de générations, de la condition de prolé-
taires, ayant pu étudier et réfléchir, et qui ont incarné
dans le mythe du prolétariat jeune, fort et victorieux
leur besoin de modifier la société actuelle, besoin certes
naturel et raisonnable en soi. Ces bourgeois utopistes,
apportant au prolétariat ces vertus dont il manquait,
ont cru les voir en lui, du moins comme des germes qui
allaient éclater.
Et, en effet, tous les germes des vertus sont dans le
prolétariat, mais ils ne peuvent y éclater sous une
forme collective. Ils ne peuvent qu’éclater dans des
individus, en les faisant sortir de leur classe. Et l’exode
de ces individus les meilleurs maintient d’autant mieux
le prolétariat dans son état de relative pauvreté
intellectuelle et d’impuissance. Les prolétaires qui
manifestent des dons politiques deviennent des agita-
teurs du prolétariat constitué en parti ; parfois, au delà,
ils deviennent des chefs de l’ensemble du peuple. Res-
tant des chefs prolétariens, ils ne se détachent pas moins
de leurs classes qu’en entrant dans le cercle hors-classe
des gouvernants, car plus ou moins, ils vivent d’une vie
pareille à la vie de ceux-ci et perdent insensiblement
leur souci de classe et le besoin pressant de faire une
révolution prolétarienne. D’ailleurs, les chefs du prolé-
tariat issus directement du prolétariat sont en réalité
peu nombreux et peu efficaces. Les hommes politiques
qui s’appuient sur la doctrine prolétarienne sont en
général des bourgeois (Marx, Engels, Bakounine, Trotsky,
Lénine, Jaurès. Les despotes comme Staline, Mussolini,
Hitler sont d’origine plus modeste que ceux-là) — c’est-
à-dire des gens qui profitent d’une évolution d’une ou
deux générations au-dessus du niveau le plus modeste.
Le rêve que des bourgeois comme Marx firent sur le
prolétariat s’explique aussi par les traits que le prolé-
tariat montrait dans les débuts de son histoire et qui
se sont émoussés depuis.
Avant 1848, Marx avait vécu assez longtemps à Paris
et prenait exemple avant tout sur le prolétariat de cette
ville. Or, ce prolétariat était jeune. Il présentait encore
les caractères propres aux classes dont il était issu :
artisans et paysans. De ces classes anciennement consti-
tuées, ayant longtemps participé de la profonde civili-
sation du Moyen Age, et ayant bénéficié de forts usages
particuliers, le jeune prolétariat des grandes villes neuves
tirait des vertus de fierté, de courage, de résistance et
d’indignation. Pris dans un nouvel univers de machines,
d’usines, de faubourgs, il manifestait sa force avec sa
violence, sa foi avec sa naïveté. Les ressources de son
tempérament nourrissaient également des sentiments
contradictoires : l’espoir dans la civilisation nouvelle
et la haine de ses premières nécessités. Laborieux et
patient dans les ateliers, il se montra ardent sur les
barricades. Les premiers ouvriers montrèrent les vertus
du citoyen et du soldat. Fort éloignés des subtilités
citadines, des relâchements modernes, ils étaient près
des paysans ; même quand ils étaient réduits au rôle
de manœuvres, ils demeuraient des artisans. Déchus,
ils gardaient le sentiment de ce qu’ils avaient perdu
et le transposaient dans un beau rêve d’avenir. Ce prolé-
tariat, à peu près ignoré de Balzac, soupçonné par
Stendhal, a été senti par Hugo, Eugène Sue, George
Sand. Il s’est exprimé dans Proudhon, Michelet, Courbet.
Marx a vu ces vertus que le prolétariat tenait de son
origine en plus de celles que lui apportaient des bour-
geois. Dans ce temps-là, le prolétariat était encore le
peuple, la matière même de la race. Marx a pu figurer
en lui un destin extraordinaire faisant suite à celui qu’il
prêtait à la bourgeoisie. Ainsi dans l’imagination des
poètes les dieux s’engendrent les uns les autres.
Mais aujourd’hui, nous n’en sommes plus là. Et déjà
Marx aurait pu réfléchir davantage sur l’exemple que
son ami Engels lui apportait d’Angleterre. Il y avait
déjà plus d’un demi-siècle, au temps du Manifeste
Communiste, que le prolétariat anglais était entassé
dans les villes et on pouvait déjà voir les effets de ce
fatal séjour. Le prolétariat anglais était abâtardi : il
avait oublié le meilleur de lui-même, son origine paysanne
et artisane. Contrairement aux prophéties de Marx, il
se montrait incapable de révolution, à peine de révoltes
spasmodiques. Tour à tour la misère et l’aisance, au
rythme des crises et des rebonds, semblaient pour lui
les prétextes à ne rien faire pour changer radicalement
sa situation. La sensation devenait à peine sentiment ;
elle ne se transmuait pas en conception et en action.
Le prolétariat produisait seulement une obscure diffé-
renciation intime. D’une part, des manœuvres, fort
déchus, fort bas ; d’autre part, des ouvriers qualifiés
qui, de même que les artisans subsistants, tendaient
en montant à se confondre avec la petite bourgeoisie.
Les uns semblaient trop bas, les autres déjà trop haut
pour faire une révolution. Plèbe ou petite bourgeoisie.
Cette décadence du prolétariat s’est produite en
France, en Allemagne, en Italie, de même qu’en Angle-
terre. Et son seul retard en Russie a été un des motifs
nullement marxistes qui ont permis la révolution léni-
nienne. D’autre part, même dans les pays les plus indus-
trialisés, le prolétariat reste une minorité dans la nation,
une classe entre plusieurs autres classes.
(1) J'ai repris et concentré ici des idées déjà exprimées, plus
longuement et moins énergiquement, dans Genève ou Moscou
(1928)— 2e partie : Au delà du capitalisme et du communisme.
n’a donc rencontré qu’une résistance élastique. Pouvant
toujours avancer dans des succès partiels, il n’a jamais
eu l’occasion de se buter et de se contracter en effort
violent et révolutionnaire.
L’histoire du prolétariat anglais est une continuelle
dérision des principes et des prophéties de Marx. Le
prolétariat anglais (1), le plus anciennement constitué
de tous les prolétariats européens, ayant souffert plus
longtemps que tous les autres, s’est pourtant montré le
moins révolutionnaire de tous. En contre-coup des révo-
lutions françaises, il a à peine ébauché un mouvement
un peu vif, le mouvement chartiste entre 1830 et 1848,
mouvement qui s’est dissous dans les réalisations démo-
cratiques. Plus tard, le parti socialiste qui a représenté
ce prolétariat est toujours resté une force vague^instable,
débile en dépit de la solidité coutumière des cadres
quasi-corporatifs dans lesquels tour à tour il se gonfle
et se dégonfle. L’histoire du parti anglais nous propose
un enseignement que nous vérifierons partout ailleurs,
à savoir que le prolétariat est incapable de se poser
(1) Nous avions dit une fois pour toutes au début que nous
n’entrerions pas dans le jeu du matérialisme historique et que
nous ne suivrions pas Marx dans son va-et-vient entre les actes
et les explications matérielles qu’il en donne. Ces explications ne
sont en effet que des justifications. Par exemple, à propos du
prolétariat anglais, Marx aurait pu remarquer — ce que d’ailleurs
ses disciples ont fait après lui — que l’existence de Y Empire colo-
nial explique l’absence de force révolutionnaire chez les ouvriers
anglais. Car YEmpire appelle les plus énergiques d’entre eux et
nourrit de la sportule des chômeurs ceux qui restent en trop.
Mais, pour être expliqué, le résultat n’en est pas moins le même.
Dans l’ordre de l’action rien ne justifie rien.
isolément comme une force suffisante, de se constituer
comme une armée, où soldats et chefs de même origine
sont sûrs les uns des autres, capable d’engendrer une
victoire créatrice. Ce parti apparaît tantôt comme un
reflet des formations politiques anciennes et adverses,
tantôt comme un symptôme de sens fort discutable de
la décomposition du présent ordre politique et social.
Fondé par des bourgeois, recrutant encore partielle-
ment des cadres bourgeois, le parti socialiste anglais
reste paralysé dans la mesure où il prétend à être un
parti de classe. Après avoir montré, avant la guerre,
une infinie lenteur dans son développement, il s’est
montré depuis aussi impuissant dans la victoire que
dans la défaite. Il a perdu la gageure d’une grève géné-
rale, puis vainqueur dans des élections, il n’a rien fait
de sa victoire, de même que le parti socialiste en Alle-
magne. En conséquence, il a essuyé tranquillement une
énorme défaite. Pourquoi, si ce n’est parce qu’il a senti
sa base de classe trop étroite et qu’il n’a pas eu le cou-
rage de l’élargir, en rompant avec le mythe prolétarien ?
Ensuite, la France. La France a vécu dans un mou-
vement continuel de révolutions entre 1789 et 1870.
Dans ces révolutions nous voyons — ici comme ailleurs
— un rythme parfaitement régulier. La révolution com-
mence confuse et vaste, englobant des éléments sociaux
divers, confluant tout d’abord vers une vague conquête
démocratique (1789, 1830, Février 1848, 1870). Ensuite
ces éléments se distinguent entre eux et entrent en
conflit. Les éléments modérés cèdent d’abord aux plus
violents où ne se dégage que lentement et insuffisam-
ment l’élément prolétarien (1793, Mars-Juin 1848, 1871).
Ensuite les éléments modérés refluent et balaient les
éléments violents. C’est la réaction thermidorienne,
continuée et complétée pendant les quatre ans du Direc-
toire par une série de coups d’Ëtat dirigés en partie
contre les jacobins en passe de devenir socialistes et
même communistes (babouvistes). Le dernier et le plus
grave de ces coups d’Ëtat est celui du 18 Brumaire.
En 1830, l’élément modéré noie tout de suite l’élément
violent qui éclate après coup dans des insurrections
spasmodiques et sous un aspect assez vaguement socia-
liste entre 1832 et 1839. En 1848, après les tentatives
des premiers mois, ce sont les réactions de Juin et du
2 Décembre 1851. En 1871, après la Commune, qui n’est
point encore très précisément socialiste, c’est la réaction
de Versailles.
Et depuis lors, rien. Depuis soixante ans, l’histoire
française ressemble à l’histoire anglaise. Il se constitue
d’abord un parti radical qui a bientôt épuisé sans éclats
sa veine de réformes démocratiques et qui devient en
fait un élément de conservatisme social. Ensuite, une
série de partis socialistes (1880-1904) finit par s’agglo-
mérer, pour se disjoindre de nouveau moins de vingt
ans plus tard (scission communiste 1920, scission néo-
socialiste 1934), et maintenant se rapprocher encore à
travers des difficultés qui montrent l’absence d’homo-
généité dans la soi-disant classe ouvrière.
Le parti français se montre moins solidement constitué
que le parti anglais ; plus audacieux en paroles, il est
encore moins efficace dans l’action. Il hésite aussi entre
la conception prolétarienne et une autre plus large. Le
prolétariat français, n’étant pas encore né, ne pouvait
certes se dégager dans la première révolution française,
mais il a échoué nettement dans ses tentatives de révo-
lution autonome en 1848 et en 1871. Et depuis il a
nourri des partis divisés, incertains, sans force décisive,
qui depuis un demi-siècle s’étiolent autour d’une idée
fausse.
Passons à l’Italie. Au lendemain de la guerre de 1914-
1918, les partis appuyés sur le prolétariat, socialiste et
communiste, semblaient avoir le pouvoir à portée de
la main. Ils se sont laissé écraser et disperser facilement
par un ancien ouvrier qui a fondé son pouvoir sur la
négation de la lutte de classes.
En Allemagne, le prolétariat a tenté une révolution
en 1918, une autre en 1923. Ici, l’impuissance des partis
construits sur la doctrine prolétarienne apparaît plus
cruellement qu’ailleurs. En 1918, le parti socialiste se
dérobe, se refuse à la révolution prolétarienne ; il ne
se montre ni désireux ni capable de la produire. Ce qui
prouve que la doctrine prolétarienne n’est qu’une pré-
tention dans les partis socialistes. Le parti communiste
qui en dépit de son cuisant échec de 1923 semble plus
cohérent, conscient et violent, s’effondre pourtant sans
bruit en 1932. En Allemagne comme en Italie tout cède
devant une formule qui nie la lutte de classes.
La Russie. Il n’y a de contrariété entre l’enseignement
d’un siècle européen et l’enseignement russe de quelques
années, que pour une vue superficielle. La Russie,
en 1917, était encore au Moyen Age, elle n’avait atteint
que la première des étapes qu’avaient parcourues depuis
la Renaissance les principaux États européens : l’étape
de la monarchie absolue. Décomposée par une longue
guerre malheureuse, elle a soudain parcouru, ou plutôt
brûlé, deux ou trois étapes. Les équipes de rechange
qui attendaient dans l’ombre du tzarisme, se sont pré-
sentées au pouvoir successivement. Comme dans la
France de 89, ou l’Angleterre de 1650, mais plus rapi-
dement, les modérés ont cédé aux violents. Le pouvoir
s’est trouvé aux mains de l’équipe bolchévique. Cette
équipe était nourrie de la doctrine prolétarienne de
Marx, qui, née en Europe mais y ayant fait long feu,
a semblé trouver un terrain plus favorable en Russie.
L’équipe léninienne a enveloppé sa méthode de gouver-
nement dans le vocabulaire de Marx, elle a même appli-
qué brutalement et presque entièrement à deux moments
les thèses de Marx.
On a cru au triomphe du Marxisme. Mais voyons la
réalité. Le prolétariat n’a pas fait seul la révolution
russe. Il y a contribué comme il a contribué à toutes
les révolutions. D’abord, les équipes révolutionnaires
ont bénéficié de l’immense appui de toutes les classes
russes, qui dans l’état économique où elles entraient,
ne pouvaient plus supporter le régime tzariste. Le grand
capitalisme naissant, la bourgeoisie, les intellectuels,
la noblesse, les paysans — tous autant que le proléta-
4
riat, considéraient comme insupportable l’absolutisme.
N’oublions pas que Lénine ne peut se comprendre
sans Kérensky, que Février précède Octobre. Et cela,
après la destruction de la société russe par une force
extérieure, l’armée allemande, l’armée japonaise (1).
Selon le langage marxiste, on a proclamé la dictature
de la classe prolétaire. Mais ce n’est qu’un mot : la masse
prolétarienne ne gouverne pas plus sous Staline, à tra-
vers le subtil filtrage de la hiérarchie soviétique que la
masse bourgeoise sous les Napoléon, ou à travers les
équipes ministrables de la Restauration. Et le proléta-
riat n’est pas la classe privilégiée : la nouvelle classe
privilégiée en Russie est une bureaucratie, une nouvelle
classe qui se compose, selon le processus que nous avons
indiqué, d’éléments pris partout. Les bolcheviks, intel-
Juin 1934.
II
Juin 1933.
II
LA SITUATION EN FRANCE
I
1. — IL Y A DEUX DROITES.
2. — IL Y A DEUX GAUCHES.
Passons à gauche.
Passons au monde radical et au monde socialiste.
Voilà encore deux mondes voisins et solidaires et débor-
dants l’un sur l’autre. Plus égaux par la quantité que
les mondes nationalistes. Un peu plus provinciaux que
les deux mondes précédents ? Mais ceux-ci sont aussi
fortement provinciaux : alors disons moins parisiens.
Et pourtant, la masse des petits bourgeois, des employés,
des ouvriers radicaux et socialistes n’est pas négligeable
dans l’ensemble du grand Paris — du vrai Paris avec
toute sa banlieue — et c’est à Paris qu’elle a sa tête,
puisqu’elle tient le gouvernement et remplit les admi-
nistrations, mais, dans le climat de Paris qui est passion-
nel et intellectuel, et qui sublime dans la polémique
quotidienne, les réalités, et se réduit aux extrêmes anti-
thétiques, elle est prise entre deux mythes, nationaliste
et communiste.
Il y a aussi un monde de familles radicales et de
familles socialistes, à cheval sur la province et Paris,
à cheval sur toutes les classes. Il y a de la bourgeoisie
des deux côtés, de la paysannerie des deux côtés, du
prolétariat des deux côtés. De la richesse, de la pauvreté,
car il y a des riches radicaux ou même socialistes. Le
monde des affaires se partage entre les mondes national
ou monarchiste, et le monde radical, voire le monde
socialiste.
Quelle est la caractéristique du monde radical et du
monde socialiste ? C’est un monde plus social que natio-
nal. C’est un monde de politique intérieure plus qu’exté-
rieure. C’est un monde qui prétend parler plus social
que national. En fait, le monde radical n’est guère moins
national que les mondes dits nationaux. Le monde socia-
liste de même. Mais là le nationalisme est plus négatif,
plus honteux. Il se veut honteux en face de l’autre qui
se veut arrogant en face de lui. Mais à l’occasion il se
réveille contre l’anti-nationalisme de certaines fractions
socialistes ou en face du communisme. D’ailleurs c’est
un monde qui est bien content qu’on l’oblige à discuter
du nationalisme. Pendant longtemps, ce monde a pré-
texté la question cléricale, maintenant il prétexte la
question de la guerre et de la paix. Il est bien content
qu’on l’oblige à faire du nationalisme mineur contre le
nationalisme majeur de la droite, parce qu’ainsi il peut
laisser en sommeil ses prétentions sociales. La masse
de gauche ne fait du pacifisme que pour ne pas faire
du socialisme. La preuve, c’est qu’elle gagne les élections
sur la question de la paix et de la guerre (1924-1932),
puis, achoppant sur la question fiscale qu’elle ne peut
se résoudre à trancher par le socialisme, elle passe la
main au cours de sa législature à la droite (1926-1934)
qui l’emporte dans la législature suivante (1919-1928).
Il doit tout de même y avoir quelque chose qui
explique la permanence des formations opposées, en
dépit de la facilité pour un bon nombre de passer de
l’une à l’autre, prouvée par l’alternance des succès élec-
toraux. Ce quelque chose nous expliquera en même
temps pourquoi, malgré tout, c’est la gauche en France
qui a fait la plupart de nos pauvres lois sociales si arrié-
rées, si insuffisantes, si maladroites qu’elles soient.
Eh bien ! voilà : le monde de droite et le monde de
gauche, qui reposent sur les mêmes bases mêlées —
géographiques et sociales — participent de la même
combinaison politico-économique, mais ils se séparent
sur le partage des bénéfices.
En gros, le monde « national » de droite est plutôt
celui qui prend les bénéfices économiques, et le monde
« social » de gauche les bénéfices politiques. En gros,
le monde radical est le monde qui s’attache à la machine
politique plutôt qu’à la machine économique. Et le
monde socialiste, par les syndicats des employés, fonc-
tionnaires et des ouvriers travaillant dans les grands
services publics, aussi. Le monde de gauche, secrètement
national, vaguement social, n’est nullement socialiste,
encore moins prolétarien. Il est bourgeois et paysan
bien plus qu’ouvrier, et très fonctionnaire.
Il y a un troisième monde de gauche, certes, le petit
monde communiste. Celui-là est prolétarien, mais nous
verrons plus loin que son rôle est limité, comme celui
de FA. F.
Le monde radical et socialiste a besoin des deux choses
les plus contradictoires dans le régime : des apparences
les plus générales, des réalités les plus immédiates. Il se
console avec celles-ci de FinsufFisance de celles-là. C’est
le monde des places et des prébendes, des bureaux de
tabac et des recettes, des croix et des retraites.
Mais voyez comme toutes les définitions que nous
essayons sont insuffisantes tant se dérobe un univers
entièrement roublard.
Le monde républicain-national et même le monde
monarchiste-national a aussi des croix et certaines
places. Et il y a beaucoup de fonctionnaires dans la
droite : officiers, professeurs, grands administrateurs.
Inversement le monde radical et socialiste touche et
participe aux bénéfices économiques, soit par quantité
de commerçants et d’industriels qui sont de ses mili-
tants, soit par les avocats politiques (qui ne sont pas
moins nombreux et prospères à droite, d’ailleurs)
et tous les fonctionnaires qui concussionnent. Et
puis, il y a le monde paysan qui graphie à droite et à
gauche.
Ce qui explique l’insuffisance de nos définitions mas-
sives, c’est que les deux paires de mondes que nous
examinons, tout en s’opposant pour les nécessités du
jeu politique parlementaire, se tiennent profondément
et sont inextricablement emmêlées pour les néces-
sités du complexe économico-politique.
4. — LE 12 ÉGALE LE 6.
Mars 1934.
II
Juillet 1934
III
CONTRE LA DICTATURE
I
Juin 1934.
II
MÉRITER UN CHEF
Janvier 1934.
IV
GUERRE ET RÉVOLUTION
I
LA JEUNESSE FRANÇAISE
CONTRE LA GUERRE
1. — POSITION DU PROBLÈME.
2. — LA GUERRE MILITAIRE.
3. — LA GUERRE CIVILE.
Mars 1934.
II
L’OBJECTEUR DE CONSCIENCE
Août 1934.
III
LA PROCHAINE GUERRE
France et 1 Alle-
La guerre éclate, dans cinq ans. La
seule serait
magne se ruent l’une sur l’autre. La France
pendant
battue, encore plus sûrement qu’en 1914 :
contre
quelques années, il y aura un jeune Français
doivent
deux jeunes Allemands réarmés. Donc, les autres
trop.
intervenir. Tous les autres. Ils ne seront pas de
ne seront
Les Anglais et les Italiens savent bien qu’ils
suffit pas
pas de trop. Les Anglais savent bien qu’il ne
maintenir une
de refuser le tunnel sous la Manche pour
bien aussi
entité insulaire qui n’existe plus. Ils savent
économique
que l’Empire comme unité politique et
conséquence ils
n’est qu’une utopie mort-née et qu’en
extra-européenne
ne peuvent se replier sur leur puissance
continent.
pour dédaigner les victoires allemandes sur le
et
L’Australie, le Canada et l’Afrique du Sud sont loin
Dominions
auront d’autres chiens à fouetter. Les trois
Paci-
seront atteints par l’explosion japonaise dans le
alors
fique et par la révolte de l’Inde qui se produiront
et ils se rapprocheront des États-Unis. Ils feront bloc
avec le seul grand État blanc riverain du Pacifique,
comme eux directement menacé par la subversion asia-
tique. Et, d’ailleurs, c’est sans doute la croissance bru-
tale du Japon qui provoquera le conflit mondial, qui
sera le conflit mondial dont le conflit européen ne sera
qu’un contre-coup.
L’Italie sait bien que, marchant avec l’Allemagne,
elle se trouverait dans un état d’infériorité absolu vis-
à-vis de son compagnon de luttes au lendemain d’une
victoire. Tout cela va de soi et ce n’est pas cela qui
m’intéresse.
Mais voyez de l’autre côté ! Que fait la Pologne ? Elle
marche contre l’Allemagne. Vous en êtes bien sûr ? Je
pose la question parce que je regarde plus loin.
Que fait la Russie, en effet ? Bien qu’aux prises avec
le Japon, la Russie marche contre l’Allemagne. Cela,
parce que l’Allemagne (hitlérienne ou non) est pour la
Russie un bien plus grand danger qu’aucun autre groupe
humain. L’Allemagne est encore pour la Russie le grand
voisin dont la supériorité technique n’est pas abolie.
Et ensuite, il y a entre le semi-socialisme des fascistes
allemands, et le semi-fascisme des communistes russes
la même sourde haine familiale qu’entre l’impérialisme
des Romanov et celui des Hohenzollern et des Habs-
bourg. Des deux côtés, même base fortement nationale
et par-dessus même tendance à l’évangélisation mon-
diale. Ce qui mène à la lutte.
Pour cette lutte-là, en dépit des apparences actuelles,
évitera
la Russie réservera ses forces, ou tout au moins
avancées
de les engager à fond dans la défense des vieilles
tzaristes en Extrême-Orient. La Russie soviétique ne
refera pas la gaffe tzariste. Elle ne jettera pas toutes
une
ses forces fragiles au bout du Transsibérien dans
nouvelle guerre coloniale. En dépit des nécessités de sa
politique de prestige (une politique de propagande à
large envergure finit toujours par n être qu une poli
tique de prestige en Chine et dans le monde colonial en
général) on peut croire la Russie soviétique assez bonne
maîtresse de son destin pour maintenir, de ce côté-là
tout au plus, une position défensive qui lui sera, du
reste, grandement facilitée par les États-Unis. Quand
les Japonais auront pris la province maritime, la Russie
se contentera de guerroyer sur une série de lignes de
repli en Sibérie.
Donc, la Russie marche contre l’Allemagne. Mais
alors ? C’est là que je vous attends. Que la Pologne
marche avec ou contre l’Allemagne, la Russie l envahit.
Et voici ce qui imprimera son caractère capital à la
nouvelle grande guerre. Comme amie ou comme ennemie,
la Russie envahit la Pologne et tous les pays jeunes-
slaves qui lui sont limitrophes, et les pays baltes. La
Russie envahit la Roumanie et la Pologne et l’Esthonie.
Et dans tous ces pays, les soviets sont proclamés
que Moscou le veuille ou non. Au besoin, les commu-
nistes locaux forceront la main aux généraux et com-
missaires russes. L’avantage russe paraît probable parce
que la Pologne, nous le savons, a absorbé trop de terri-
toires en 1918. Toute la zone polonaise limitrophe de
la Russie, sur une grande profondeur et du Sud au
Nord, renferme des populations ukrainienne, russe-
blanche et lithuanienne qui sont déjà travaillées par
le nationalisme. Ce nationalisme, certes, menace aussi
bien la Russie que la Pologne. Mais, avec son habile
politique des nationalités, la Russie, si faible qu’elle
puisse être encore, industriellement et militairement,
riche de la force de choc de sa jeunesse, trouvera là
un terrain propice pour ses offensives ou défensives.
Mais, sans doute, elle pénétrera plus facilement en
Roumanie. Et par là, jusqu’où n’ira-t-elle pas dans les
Balkans et en Europe Centrale ? Alors ? On aperçoit
aussitôt une série de contre-coups qui se prolongent
jusqu’au cœur de la situation européenne et qui la bou-
leverse. Mais les contre-coups vont s’exercer sur la
simple anticipation de cet événement, ils n’attendront
pas l’avènement lui-même.
1° La Pologne et la Roumanie sont amenées à se
rapprocher de l’Allemagne. Les bourgeois de l’Europe
Orientale préféreront l’occupation allemande parce
qu’elle sera fasciste à la conquête russe, parce qu’elle
serait communiste.
2° On peut prévoir que, si la guerre éclate, l’Alle-
magne aura fort à faire, au moins autant, sans doute
plus qu’en 1914. Elle ne pourra pas, pour les raisons
que j’ai dites, défendre intégralement le territoire polo-
nais et encore moins roumain. Aussi, elle bénira (comme
je l’ai écrit dans VEurope contre les Patries, dès 1930) le
Traité de Versailles qui lui a ménagé des États tampons
contre le flot slave et communiste. Mais, dans la mesure
où sa défense sera difficile, elle fera figure aux yeux de
toute la bourgeoisie européenne de barricade contre la
menace communiste.
Là encore, le contre-coup s’exercera sur l’anticipation
du fait et non sur le fait lui-même. Et ce contre-coup va
être, dès maintenant, la germination de partis fascistes
germanophiles partout en Europe, et même en France.
Est-ce que les positions sociales sont plus fortes ou
moins fortes chez les hommes que les positions natio-
nales ? C’est ce que nous verrons bientôt. Car, ainsi,
la future guerre européenne sera beaucoup plus nette-
ment que la précédente, une guerre sociale en même
temps qu’une guerre internationale. La dernière guerre
était, malgré tout, déjà une guerre de régimes. Les
résultats sont là pour le prouver : les démocraties d’Occi-
dent ont démoli les vieilles aristocraties et monarchies
de l’Europe centrale. Les Habsbourg et les Hohenzollern
avec leurs séquelles féodales restent les victimes défini-
tives de 1914, avec les Romanov. Et les Savoie n’en
valent guère mieux, malgré quelques apparences.
Mais la prochaine fois, ce sera la lutte à couteaux
tirés entre le fascisme et le communisme.
Les nécessités de la lutte obligeront les bourgeois
d’Occident, mêlés à la lutte entre le gouvernement anti-
démocratique de Russie et le gouvernement antidémo-
cratique de Berlin, à jeter aux orties leur dépouille
démocratique.
Mais cela ne suffira pas. Abandonneront-ils la démo-
cratie pour se faire russophiles et donc communistes
ou pour se faire fascistes et donc germanophiles ? Car
enfin, si les bourgeois d’Occident sont vainqueurs des
Allemands, les Russes le seront aussi ; les armées bour-
geoises d’Occident rencontreront au milieu de l’Alle-
magne, les armées rouges répandant sur leur passage
les soviets.
Il est évident qu’elles les attaqueront. Mais en
seront-elles encore capables ? Ne seront-elles pas épui-
sées ? Dans quel sens se sera exercée la contagion entre
Paris et Moscou alliés ? Pour nourrir l’enthousiasme
des forces nationales en France, Belgique, Suisse, Angle-
terre, n’aura-t-il pas fallu flatter les groupements com-
munistes qui en seront devenus des ferments néces-
saires ?
A vouloir mener jusqu’au bout la lutte nationale
contre l’Allemagne, les bourgeois français risquent d’y
perdre leur raison d’être.
L’Occident se fera-t-il communiste par haine de
l’Allemagne ?
L’hypothèse n’est pas excessive. Car, encore une fois,
voyez bien ce qui se passera en cas de victoire des
« Alliés ». L’armée française devra vaincre l’armée rouge,
grossie d’un flot énorme ramassé dans toute l’Europe
orientale et même en Allemagne. Aura-t-elle le temps
de rallier les forces allemandes battues, qui ne seront
pas devenues communistes ? Et ne connaîtra-t-elle pas
dans ses propres rangs, surtout dans les rangs de ses
troupes de couleur, au moment où se produira un sou-
lèvement dans tout le monde musulman, une dangereuse
subversion ?
Le risque final de la partie engagée dès maintenant
par les bourgeois français en liaison avec les commu-
nistes russes contre le fascisme allemand est énorme.
Ce risque se multiplie avec les chances de victoire. Ce
n’est rien moins que la conquête de l’Europe par le
communisme russe — y compris la conquête de la
France et de l’Angleterre.
Les bourgeois français ne reculeront-ils pas devant
ce risque, comme déjà reculent les bourgeois polonais
qui, hier, dans la première minute de terreur hitlé-
rienne, signaient un pacte avec la Russie, mais qui,
maintenant, se rapprochent de l’Allemagne ?
Mais si les Français reculent devant ce risque, est-ce
qu’ils ne se précipitent pas vers un autre ?
S’ils ont peur de s’engager dans une guerre atroce
où, après s’être longtemps battus, complètement épuisés,
ils n’auront pas d’autres ressource que de devenir com-
munistes, vont-ils se lancer dans l’alliance allemande ?
Vont-ils jeter en l’air toutes leurs traditions, tout leur
atavisme, toutes les alliances péniblement acquises ou
maintenues pour essayer du condominium franco-alle-
mand sur l’Europe et l’Afrique et une partie de l’Asie ?
Le danger d’être étouffé par l’allié allemand paraît
plus immédiat, l’horreur même de ce rapprochement
paraît plus certaine que le danger russe.
Est-ce que j’exagère le danger pour la France du
rapprochement avec l’Allemagne ? Ce ne peut être
pourtant, ce rapprochement, que l’union cynique de
deux impérialismes qui jettent le masque et dédaignent
tout l’univers tombé à leurs pieds. Car, si l’on faisait
leur part à l’Angleterre et à l’Italie dans cette alliance
comme feignent de le proposer les Hitlériens, quelle
différence y aurait-il entre une si large conciliation et
celle de Genève ? Si l’alliance franco-allemande signifie
quelque chose pour les Hitlériens, c’est le partage du
monde à la manière romaine et rien d’autre. Pour satis-
faire la fureur des révolutionnaires allemands, la néces-
sité d’entreprendre qui travaille Hitler comme elle a
travaillé Napoléon III, il faut que l’alliée — France
ou Italie — lui offre un champ immense, une avance
irrémédiable. Ce champ, l’Allemagne ne peut le trouver
qu’à l’Est, du côté de la Russie, après avoir passé sur
le ventre des Jeunes-Slaves.
Tôt ou tard, l’allié le plus puissant, le mieux nourri
des profits de l’alliance — et ce sera l’Allemagne — se
retournera contre l’allié le plus faible, haï de tous ceux
qu’il aura trahis. César contre Antoine. On ne peut donc
guère envisager un retournement des positions occiden-
tales en faveur de l’Allemagne avant les hostilités. Ce
retournement ne semble guère possible qu’au cours des
hostilités, si l’Allemagne essuie des revers à l’Est.
L’alliance Berlin-Paris est trop dangereuse pour Paris.
Paris ne s’y résignerait que si Berlin avait à ses portes
une armée rouge. Alors Paris se retournerait contre son
alliée d’aujourd’hui.
En tout cas, les deux hypothèses sont, dès mainte-
nant, vivantes et à la fois effrayantes et séduisantes.
Les esprits vont commencer à se partager d’après elles.
Il y aura en France un parti pro-allemand et un parti
pro-russe.
Ce qui amènera les plus surprenants bouleversements
dans les positions acquises et toutes les classifications
admises. D’une part, on verra le communisme en France,
si faible, reprendre un peu de poil de la bête grâce à la
confusion de ses buts avec des buts nationalistes, élé-
ment de succès qui lui manquait tellement. D autre
part, on verra des bourgeois jusque-là nationalistes
s’apercevoir que le nationalisme n’était pas l’âme de
leur vie autant qu’ils le croyaient. On les verra justifier
soudain l’esprit allemand et entrer dans des concessions
telles que n’en ont jamais rêvé les braves gens de la
gauche. Hitler a de beaux jours devant lui.
Toute cette énorme et confuse situation nouvelle
semble donc se ramener à ce dilemme étrange ; les Fran-
çais préfèreront-ils devenir communistes pour ne pas
devenir Allemands ? ou devenir Allemands pour ne pas
devenir communistes ? Et n’en sera-t-il pas de même
en Italie et en Angleterre ?
Ce dilemme n’épuise-t-il pas toute la possibilité histo-
rique ? Sans doute non. Ne peut-on envisager le maintien
d’un tiers-parti en Europe ? Ce tiers-parti se constitue-
rait sur les répugnances et les réticences que provoquent
également les deux branches de mon dilemme. Ce tiers-
parti se formerait sur un compromis entre les vieilles
démocraties d’Occident, les jeunes démocraties de l’Est,
les unes et les autres retapées à la mode fasciste d’une
part et le fascisme italien d’autre part, ce fascisme ita-
lien qui prend figure depuis quelque temps de fascisme
modéré en face du fascisme allemand et de fascisme
bourgeois en face d’un fascisme socialisant. Ce tiers-
parti lutterait à la fois contre Moscou et contre Berlin.
Tous ceux-là qui y entreraient y trouveraient leur
compte : jeunes-slaves et baltes qui craignent autant
la Russie que l’Allemagne, France et Angleterre qui
craignent autant le communisme que l’Allemagne, Italie
qui pourra arracher plus à l’alliée de Paris qu’à l’alliée
de Berlin, qui a moins à craindre Paris vainqueur que
Berlin vainqueur.
Mais pour cela, il faudrait que la France renonce à
sa nouvelle alliance avec la Russie. Il faudrait que
l’Italie et l’Angleterre sortent de leurs propres tergiver-
sations. N’est-il pas trop tard ? Le sort n’en est-il pas
déjà jeté ? La France n’y a-t-elle pas déjà sacrifié la
Pologne ? L’Italie et l’Angleterre ne feront-elles pas
jusqu’à la dernière minute le jeu d’Hitler ?
A la faveur de cette analyse nous voyons apparaître
nettement les trois caractères abominables de cette
prochaine guerre qui menace l’Europe.
1° La lutte s’engagera entre trois types politiques appa-
remment dissemblables : fascisme, communisme et démo-
cratie. Mais, en fait, deux de ces types — tous les esprits
de bonne foi le reconnaissent aujourd’hui, après avoir
longtemps tardé — se ressemblent déjà beaucoup et
tendent à se rejoindre. Les socialistes et communistes
de Moscou font de Fantidémocratie, donc du fascisme
— les fascistes, ceux de Rome et ceux de Berlin, font
les uns du corporatisme, les autres du capitalisme d État
— ce qui est reculer pour mieux sauter dans le socia-
lisme. Or, il est évident aussi que les démocraties de
France n’auront pas beaucoup à faire pour se trans-
former, pour les besoins de la lutte, en fascisme socia-
lisant. La prochaine guerre sera donc une ruée de tous
les fascismes les uns contre les autres.
2° Ensuite, cette guerre sera une bouillie obscure de
tous les nationalismes. N’importe quelle puissance
engagée dans cette guerre des dupes y sera venue, en
effet, avec l’arrière-pensée de se retourner contre son
alliée du premier jour (Italie-Allemagne ; France-Russie).
Ce qui donne à ce conflit son deuxième caractère de
tourbillon fou. D’où ne pourra sortir sur des ruines,
que la dictature d’un de ces nationalismes. Le natio-
nalisme vainqueur ne trouvera plus de contre-poids à
la prochaine paix, il étalera son hégémonie sur ses
propres ruines morales et matérielles et sur celles des
autres. Les libertés nationales y périront en Europe,
après les libertés intérieures.
3° Le troisième caractère abominable de la prochaine
guerre reste la puissance démoniaque et irrémédiable-
ment hostile à l’humanité, des instruments. A lui seul,
il suffirait à la rendre exécrable.
Janvier 1934.
IV
Mars 1934.
y
L’ALLEMAGNE
I
nommés Celtes dans leur langue et Gaulois dans la nôtre. Les trois
nations ont un idiome, des coutumes et des lois différentes. Les
Gaulois sont séparés des Belges par la Seine et la Marne, des Aqui-
tains par la Garonne. Les plus braves de tous sont les Belges, parce
qu’ils se trouvent plus éloignés de notre province et de sa civilisa-
tion, et que les marchands vont plus rarement leur porter ces
objets qui peuvent amollir le courage ; enfin parce qu’ils sont sans
cesse en guerre avec les Germains leurs voisins, qui habitent sur
l’autre rive du Rhin. Les Helvétiens, par la même raison, sur-
passent en valeur les autres Gaulois ; ils sont presque chaque jour
en lutte avec les Germains, soit pour défendre leur propre pays
contre les Germains, soit même pour les attaquer chez eux. Le
territoire des Gaulois proprement dits commence au Rhône ; il est
borné par la Garonne, l’Océan et la Belgique ; s’avance jusqu’au
Rhin, par le pays des Séquaniens et des Helvétiens, et regarde le
septentrion. La Belgique commence où finit la Gaule ; elle s’étend
jusqu’à la partie inférieure du cours du Rhin, et elle est exposée
au septentrion et au levant. L’Aquitaine s’étend depuis la Garonne
jusqu’aux Pyrénées, et à la partie de l’Océan qui baigne l’Espagne ;
elle est entre le septentrion et le couchant. »
UNITÉ FRANÇAISE ET UNITÉ
ALLEMANDE 191
de sorte que ce n’est pas la raison
qui puisse déterminer
a ne la pas suivre ; et ainsi ce ne peut
être que la concu-
piscence et la malice du cœur. (Je
suis concupiscent,
c est de mon âge, concupiscent à
l’égard de toutes les
possibilités de la vie. Pourquoi la
frontière plutôt ici
que la ? Et malicieux.) Et par ce
moyen il y a assez
d evidence pour condamner et non assez
pour convaincre ;
a in qu il paraisse qu’en ceux qui la
suivent, c’est la
grâce zt non la raison qui fait suivre... »
Vous êtes en
état de grâce.
LE PROFESSEUR. -
J’augure mal de votre avenir :
Vous confondez l’humour avec l’intelligence.
L ELÈVE. En tous cas, ce n’est pas dans
manuels que je l’aurai trouvé. Mais je vos
voulais vous
rappeler que le commencement de la
raison, c’est de
connaître qu elle a des limites.
LE PROFESSEUR. —
Vous ne faites que répéter ce que
je vous ai dit : il faut des limites.
L ELEVE. — Mais il faut savoir
que ces limites sont
conventionnelles.
LE PROFESSEUR. — Eh
bien, notre convention en
rrance, ce sont les limites naturelles.
L ÉLÈVE. —- Non. Puisque cela
ne vaut ni pour la
Corse ni pour l’Algérie, ni pour le
Pas-de-Calais ; et
c est le moins qu’on puisse dire.
Notre convention, ce
ne sont pas les limites naturelles,
mais les limites tout
court, tout simplement. Et pour
entendre pratiquement
ces limites, il faut être en état de
grâce. « Vérité en deçà
des Pyrenees, mensonge au
delà. » Toujours Pascal
État de grâce à Nancy, état de concupiscence à
Cologne. Et vice-versa. Bref, admettre l’état de grâce
en politique, c’est admettre tout simplement la raison
d'Etat.
LE PROFESSEUR. — La raison d’État, jamais. Je suis
13
LE PROFESSEUR. — Comment ? Comment ?
L’ÉLÈVE. — Oui, ou bien la majorité en Europe main-
Octobre 1933.
II
MESURE DE L’ALLEMAGNE
ITINÉRAIRE
Je suis né d’une famille de petite bourgeoisie catho-
lique, républicaine, nationaliste. Avant la guerre, entre
quinze et vingt ans, j’ai tout de suite entrevu à travers
diverses personnalités obscures : un catholicisme socia-
lisant, moderniste, pacifiste ; un radicalisme anti-cléri-
cal, modestement national, verbalement social ; un
socialisme parlementaire ; une Action Française ultra-
nationaliste, anti-parlementaire et corporative ; un syn-
dicalisme anarchisant. D’autre part, il m’advint d’appro-
cher la secte officielle qui confond république, démo-
cratie, patrie et capital. Toutes ces sectes s’offraient
pêle-mêle. Dans chacune, quelque chose me plaisait,
quelque chose me répugnait.
Pourtant je me savais d’ores et déjà fixé sur quelques
principes extraits de toutes ces mixtures : républicain
mais soucieux d’entre-aide sociale, laïque mais nulle-
ment anti-religieux, patriote mais non sans ironie et
non sans un regard inextinguible au delà des frontières
— et toujours désireux, à propos de chaque événement,
d’éprouver une opinion par l’opinion contraire. Je
méprisais à jamais l’esprit étroit des droites, le contraste
entre leur chaleur patriote et leur froideur sociale ; mais
j’appréciais la vague aspiration qu’elles gardent pour
la tenue. Je méprisais le débraillé des gauches, leur
méfiance devant toute fierté du corps et pourtant je
goûtais leur amertume.
Je suis resté tout cela. Seulement tout cela, non sans
peine, s’est précisé et organisé.
Pendant la guerre, je me trouvai donc patriote la
plupart du temps, mais haïssant fort ceux qui se jetaient
sur mon acte comme sur un aveu. Sous mon premier
veston, portant les idées passionnées & Interrogation
(1917), le recueil de mes poèmes de guerre, j’étais tout
à fait fasciste sans le savoir. Ayant le sentiment d’une
communauté populaire, mais connaissant l’impuissance
du peuple s’il est privé de chefs, voyant trop qu’il avait
mérité son épreuve, souhaitant qu’il fût pris en main,
— assoiffé de jouissances simples comme de boire,
manger, dormir, aimer, travailler modérément et fine-
ment — désireux de requinquer avec des paroles
modestes et des actes nets la société et de lui donner
une jolie allure.
Tout cela s’est bientôt perdu pour longtemps. Nous
l’avons laissé étouffer. Nous avons été accablés par les
vieilles institutions et les vieux partis. Pour moi, la
première expérience que j’en eus, ce fut dans les vagues
rapports avec l’A. F. par où commença mon périple.
Action Française et Vieille Droite. — Tout en écoutant
avec étonnement sur la naissance vantarde du parti
communiste les rapports de jeunes bourgeois de mes
amis qui y militaient, je lorgnais du côté de l’Action
Française. Autour du génie séduisant, il y avait là des
hommes éduqués, instruits, courageux et bien serrés
ensemble. Ce léger penchant qui non seulement ne se
manifesta par aucune adhésion d’ensemble, mais même
pas par des amitiés suivies, allait sans aucune préférence
idéologique. D’abord je n’étais pas monarchiste. J’ai
toujours méprisé les Orléans dont l’un vote la mort de
Louis XVI et l’autre, l’ancien combattant de Jemmapes,
finalement s’en va sans avoir su garder sa couronne.
Je tiens aussi que le sens de la continuité du comman-
dement n’est pas trop étroitement lié à l’institution
monarchique ; en témoignent quelque peu Rome et
l’Angleterre. Je détestais la politique étrangère de
l’Action Française qui, autour du traité de Versailles,
tenait plus de l’arrogance des Conventionnels que de
la prudence des premiers Capétiens. Enfin, je sentais que
l’A. F. qui avait pressenti la verve populaire du fascisme
avant la guerre, l’avait oubliée depuis lors. Je ne pou-
vais rester toute ma vie concentré sur le plus indéraci-
nable, mais le plus étroit de moi-même. Mon socialisme
devait découvrir son tuf plus concret sous mon natio-
nalisme.
Toutefois, dans cet air-là, j’ai débuté à la littérature
politique. En 1922, Mesure de la France me valut ma
première audience dans le public, à droite et à gauche.
Ce livre acceptait le nationalisme comme un fait qui
pouvait être non pas nié, mais surpassé. L’embryon
d’une pensée européenne s’y faisait jour. En effet,
c’était dans le cadre européen que je méditais sur la
France ; je la rattachais à une raison européenne par
les réflexions, les remords, les inquiétudes, les devoirs
que je lui suggérais.
Ce livre était pensé dans une manière étroite. Par
exemple, le problème social, je l’apercevais seulement
sous l’angle de la machine. Ébloui et épouvanté par les
succès du capitalisme américain, je n’y voyais que les
frasques de la machine ; je dénonçais, croyant résoudre.
Je niais dès lors le mythe prolétarien.
Ensuite, je m’efforçai plus ou moins au renouveau
des vieux partis républicains conservateurs. En les
bousculant, cela va de soi : je ressentais un premier
choc du fait italien. Je composai une sorte de pro-
gramme pour une Jeune-Droite où Paul Souday notait
que toutes les idées y étaient de gauche.
Mais arriva 1925. Ce fut un grand tournant. Ce fut
le temps de la rupture avec la plupart de mes amis qui
étaient de gauche et allaient vers le communisme ou
s’y enfonçaient davantage. Cependant, n ayant plus à
disputer avec eux, mon esprit de contradiction ne jouait
plus. Seul, je pus m’intéresser davantage au socialisme ;
je me remis à des études d’histoire et d’économie inter-
rompues par la guerre. En même temps je conversais
avec Emmanuel Berl dans une feuille intime : « Les
Derniers Jours ».
Je pris du large, j’envisageai les problèmes dans un
horizon plus vaste. Je considérai un problème mondial :
le capitalisme, une force énorme et détraquée. Rien en
face, en dépit de l’apparent accomplissement du com-
munisme en Russie, où je voyais surtout des circons-
tances nationales, nullement communicables. En Europe,
je sentais la faiblesse profonde des partis à prétention
prolétarienne. N’avaient-ils pas dès lors perdu la partie
en Allemagne, en Angleterre ?
Je voyais d’ailleurs le capitalisme évoluer de lui-
même vers son contraire. Ce n’était plus une force spon-
tanée, libérale, anarchiste, c’était une forme qui se tas-
sait, qui ne pouvait plus compter que sur l’organisation,
la contrainte. Le socialisme, inventé par des bourgeois,
n’était que le pressentiment du destin de la civilisation
bourgeoise, amenée à se transmuer en son contraire
comme tous les faits humains.
Dans ces conditions, je trouvais stérile de me mettre
dans la position du socialiste ancien, détracteur d’un
régime qui cessait d’être. Je voulais me faire le conseiller
intellectuel de cela seul qui était : un monde en voie
de métamorphose. La métamorphose n’était pas com-
plète, et risquait d’avorter, à cause d’un obstacle : le
nationalisme. Je dénonçai le nationalisme comme le
débris qui couperait la route de l’anarchie à la hiérarchie.
Dans cette vue, je m’attachai au mythe de Genève. Je
voulais faire de Genève le symbole d’un industrialisme
intelligent, qui comprendrait que l’étroitesse des bases
nationales jurait avec la nécessité universaliste de son
économie. De là mon second ouvrage politique, Genève
ou Moscou (1927), qui me valut beaucoup de méfiance
silencieuse à droite et à gauche. C’est que dans ce livre
d’une part j’analysais et dénonçais le mythe proléta-
rien, d’autre part je montrais le nationalisme non plus
comme une fatalité, mais comme un rabâchage dange-
reux autour d’un fait autrefois jeune, aujourd’hui sté-
rile, une routine de paroles ramenant à la guerre, à la
guerre devenue un fléau foudroyant pour l’Europe.
J’esquissais un patriotisme européen sur trois maximes
promptes : nécessité de passer outre à l’épuisement
spirituel des patries, nécessité de créer une vaste autar-
chie économique à la mesure d’un continent, nécessité
d’éviter le suicide par les gaz.
A travers tout cela se sentait un sourd travail vers
le socialisme. Car on entend bien qu’anti-marxiste, je
n’avais pas moins développé ma tendance de toujours
vers une société qui reposât sur des valeurs plus nobles
et durables que la production à tout hasard et le profit
en tous cas.
Août 1934.
TABLE DES MATIÈRES
CONTREIMARX
I. — LTDÉE DE PROLÉTARIAT 9
1. — Mythologie de la lutte des classes 11
2. — Le Mythe du Prolétariat, classe capable de révo-
lution 31
3. — Les Révolutions du xxe siècle 53
II. — NIETZSCHE CONTRE MARX 63
II
LA SITUATION EN FRANCE
III
CONTRE LA DICTATURE
GUERRE ET RÉVOLUTION
V
L’ALLEMAGNE
VI
ITINÉRAIRE
ITINÉRAIRE 219
GE LIVRE
A DIJON
EN NOVEMBRE
M.CM.XXXIV
EDITIONS DE EA
NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
(EXTRAIT DU CATALOGUE)
OUVRAGES DE DOCTRINE
ALAIN. Éléments d’une Doctrine Radicale 15. »
KARL MARX. Morceaux choisis 24. »
J. DURET. Le Marxisme et les crises 15. »
MAX RAPHAËL... La Théorie philosophique du Marxisme (enpréparation)
OSWALD SPENGLER. Le Déclin de l’Occident, Tome I (2 vol.) 120. »
— — Le Déclin de l’Occident, Tome II (3 vol.) 150. *
DRIEU LA ROCHELLE. Le Jeune Européen 12. »
— — L’Europe contre les Pairies 15, »
— — Genève ou Moscou . .. 15. »
— — Socialisme Fasciste 15. »
LUC DURTAIN. L’Autre Europe (Moscou et sa Foi) . . .. 18. »
EMMANUEL BERL. Discours aux Français (sous presse)
LEWIS L. LORWIN. L’Internationalisme et la classe Ouvrière 30. »
MAX EASTMAN. La Science de la Révolution 12. »
— — L’Apprenti Révolutionnaire .. .. • • .. 15. »
PLAN DU 9 JUILLET, préiace de J. Romains ; 2.50
DICTATEURS ET DICTATURES
COMTE SKORZA.
Les Bâtisseurs de l’Europe Moderne. .. ., 18. »
Dictateurs et Dictatures de l’après Guerre .. 15. »
Les Frères Ennemis 15. »
TURQUIE JAPON
DAGOBERT von MIKUSCH. MAURICE LACHIN.
Ghazi Mustapha Kémai 15. » Japon 1934 15. »