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Besprechungsaufsatz - Review Article - Critique: La Justice Constitutionnelle en République Démocratique Du Congo

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BESPRECHUNGSAUFSATZ • REVIEW ARTICLE •


CRITIQUE

La justice constitutionnelle en République Démocratique


du Congo

Balingene Kahombo*

Introduction

Le droit constitutionnel congolais s’est enrichi, en 2017, d’un nouvel ouvrage dans le do-
maine de la justice constitutionnelle, rédigé par Jean-Pierre Mavungu Mvumbi-di-Ngoma.
En cette matière, il s’ajoute à une série d’autres publications, près de 20 ans depuis la paru-
tion de l’ouvrage pionnier de Mabanga Monga Mabanga sur le contentieux constitutionnel
congolais.1 Entre autres publications, on peut citer les ouvrages de Marcel Yabili,2 Dieudon-
né Kaluba Dibwa,3 Léon Odimula Lofunguso4 et Marcel Wetsh’okonda Koso.5 La particula-
rité de ce nouvel ouvrage réside dans le fait que c’est le premier à être publié, si l’on ex-
cepte quelques parutions antérieures et plus thématiques,6 sur la totalité de la Cour constitu-
tionnelle congolaise depuis son installation le 4 avril 2015. Elle se trouve également dans la
qualité de son auteur qui, en plus d’être professeur à la Faculté de droit de l’Université de

* Recension d’ouvrage de Jean-Pierre Mavungu Mvumbi-di-Ngoma, La justice constitutionnelle en


République Démocratique du Congo : aperçu sur la compétence de la Cour constitutionnelle et la
procédure devant cette Haute juridiction, Kinshasa 2017. Balingene Kahombo est chercheur de
Berlin/Potsdam Research Group, ‘The International Rule of Law – Rise or Decline?’, Allemagne
(www.kfg-intlaw.de). E-mail: balingene82@gmail.com.
1 Mabanga Monga Mabanga, Le contentieux constitutionnel congolais, Kinshasa 1999.
2 Marcel Yabili, Etat de droit : les contrôles de constitutionnalité par la Cour constitutionnelle, les
cours et tribunaux, Lubumbashi 2012.
3 Dieudonné Kaluba Dibwa, La saisine du juge constitutionnel et du juge administratif suprême en
droit public congolais. Lecture critique de certaines décisions de la Cour suprême de justice d’avant
la Constitution du 18 février 2006, Kinshasa 2007; Du contentieux constitutionnel en République
Démocratique du Congo : contribution à l’étude des fondements et des modalités d’exercice de la
justice constitutionnelle, Saarbrücken 2011; La justice constitutionnelle en République Démocra-
tique du Congo, Bruxelles 2013.
4 Léon Odimula Lofunguso Ko’songenyi, La justice constitutionnelle et la juridicisation de la vie poli-
tique en droit positif congolais, Paris 2016.
5 Marcel Wetsh’okonda Koso, La protection des droits de l’homme par le juge constitutionnel congo-
lais : analyse critique et jurisprudence (2003-2013), Paris 2016.
6 Voir Gislain Mabanga Monga Mabanga, Le principe de la continuité de l’Etat : issue de secours à la
prohibition du troisième mandat, Paris 2017; Nkata Bayoko, De la gratuité de la procédure devant
la Cour constitutionnelle, Kinshasa 2016.

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Kinshasa, est juge à la Cour constitutionnelle, faisant partie de la toute première composi-
tion de celle-ci. Rien que ceci doit pousser à souhaiter, avec acclamation, la bienvenue à
cette œuvre louable pour l’épanouissement de la pensée juridique congolaise et de l’Etat de
droit.
Toutefois, le contenu est une autre affaire. En dépit de l’utilité scientifique ou publique
de l’ouvrage, on peut affirmer que celui-ci est plutôt limité, au sens propre comme au figu-
ré, vu son volume, la portée et l’envergure des idées qui y sont véhiculées. Cette recension
– voire critique – va tour à tour le démontrer en vue de contribuer à une connaissance
meilleure et intelligible de cet ouvrage combien important, ne serait-ce que sur le plan his-
torique.

I. Le volume et la structure de l’ouvrage

L’ouvrage du juge Jean-Pierre Mavungu est riche de ses 145 pages. Hormis la préface,7
signée par le professeur Auguste Mampuya, l’avant-propos,8 la liste des sigles et abrévia-
tions,9 la bibliographie,10 les annexes11 et la table des matières,12 il s’étend en réalité sur 65
pages, dont 28 consacrées à l’introduction et trois seulement à la conclusion; ce qui est
quand même un grand déséquilibre dans la présentation. Quant aux développements de
l’ouvrage, ils ne comportent que 34 pages.
Ces chiffres soulèvent une interrogation sur le point de savoir s’il valait vraiment la
peine de transformer une telle contribution, originairement présentée sous forme de com-
munication à l’intention des avocats du Barreau de Matadi,13 en ouvrage. Peut-être aurait-il
été approprié de la publier soit comme un article scientifique, soit comme un module de
travail se limitant, comme l’auteur l’admet avec modestie par ailleurs, à la vulgarisation au-
près du plus grand public, y compris les praticiens du droit, de la mission de la Cour consti-
tutionnelle.14 Ceci est d’autant plus vrai que cet ouvrage contient 69 pages reprenant en an-
nexes les textes juridiques régissant la Cour constitutionnelle (extraits de la Constitution
congolaise du 18 février 2006, Loi organique n°13/026 du 15 octobre 2013 portant son or-
ganisation et son fonctionnement et Règlement intérieur de la Cour constitutionnelle du 30
avril 2015), soit plus du double des pages consacrées aux développements de la pensée de
l’auteur. Pourtant, ce remplissage ne se justifiait pas, d’autant plus que les textes juridiques

7 Jean-Pierre Mavungu Mvumbi-di-Ngoma, La justice constitutionnelle en République Démocra-


tique du Congo : aperçu sur la compétence de la Cour constitutionnelle et la procédure devant cette
Haute juridiction, Kinshasa 2017, V-IX.
8 Ibid., XI.
9 Ibid., XIII-XIV.
10 Ibid., 67-71.
11 Ibid., 73-142.
12 Ibid., 143-145.
13 Ibid., XI.
14 Ibid.

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en question ont été publiés au journal officiel et sont facilement accessibles au public inté-
ressé, même en ligne.
En revanche, pour être pertinent, l’auteur aurait plutôt pris soin d’annexer à son ou-
vrage les arrêts pertinents de la Cour constitutionnelle, rendus depuis avril 2015. D’abord,
ceci couvrirait un vide doctrinal, car les recueils publiés en matière de justice constitution-
nelle ne portent jusque-là que sur la jurisprudence de la Cour suprême de justice agissant
comme juridiction constitutionnelle.15 Ensuite, l’ouvrage aurait offert aux lecteurs une
bonne lisibilité de la matière, dans la mesure où ils n’auraient pas de peine à rechercher –
au moindre doute méthodique – les arrêts cités dans l’ouvrage pour éclairer ou fonder leur
propre religion. Ce manque enlève donc à cette contribution une importante plus-value pra-
tique et scientifique.
Dans l’ensemble, l’ouvrage contient quatre grands points. Le premier se rapporte à la
compétence de la Cour constitutionnelle (contentieuse, non-contentieuse et pénale), le se-
cond aux actes attaquables devant celle-ci (lois, actes réglementaires, règlements intérieurs
des chambres parlementaires et des institutions d’appui à la démocratie, édits provinciaux,
arrêts de la Haute Cour militaire, arrêts de la Cour de cassation et du Conseil d’Etat en cas
de conflit d’attribution), le troisième à sa procédure et le quatrième aux effets de ses déci-
sions. Comme on le voit, il s’agit d’une structure qui correspond à la présentation générale
et classique de n’importe quelle juridiction constitutionnelle. Certaines matières qui re-
vêtent un intérêt particulier pour les citoyens y figurent de manière très insuffisante. Tel est
le cas de la question des conditions d’introduction des recours individuels devant la Cour
constitutionnelle, y compris le recours en interprétation des arrêts de celle-ci, lequel a susci-
té des débats à la suite de l’arrêt du 21 novembre 2015,16 et le recours en rectification d’er-
reur matérielle. C’est surtout le cas de deux matières d’importance fondamentale dans le
contexte d’un pays post-autocratique ou de tradition centralisatrice des pouvoirs d’Etat,17 à

15 Emery Mukendi Wafwana et al., Jurisprudence. Cour suprême de justice. Contentieux constitution-
nel et législatifs, tome V, Kinshasa 2011; Odon Nsumbu Kabu, Cour suprême de justice : héritage
d’un demi-siècle de jurisprudence, Kinshasa 2015.
16 CC, 21 novembre 2015, R.Const.0143, Recours en interprétation de l’arrêt R.Const.0089/2015 du
08 septembre 2015 de la Cour constitutionnelle relatif à la requête en interprétation des disposi-
tions des articles 10 de la Loi de programmation n°15//004 du 28 février 2015 déterminant les
modalités d’installation de nouvelles provinces et 168 de la Loi numéro 06/006 du 09 mars 2006
portant organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales
et locales, telle que modifiée par la Loi n°11/003 du 25 juin 2011 et celle n°15/001 du 15 février
2015 introduite par la Commission électorale nationale indépendante, CENI, en sigle, inédit. Voir
aussi Balingene Kahombo, ‘Constitution congolaise et adoption des mesures exceptionnelles :
Commentaire sur l’arrêt R.Const.0143 de la Cour constitutionnelle de la République Démocratique
du Congo du 21 novembre 2015 relatif à l’interprétation de l’arrêt R.Const.0089/2015 du 8 sep-
tembre 2015’, Recht in Afrika – Law in Africa – Droit en Afrique 19 (2016), 112-134.
17 Marcel Wetsh’okonda Koso, ‘La Cour suprême de justice et la juridictionnalisation des litiges nés
de la nouvelle décentralisation territoriale en République démocratique du Congo’, in : Jean-Mi-
chel Kumbu Ki Ngimbi (ed), La décentralisation territoriale en République démocratique du Congo
sous le régime de la Constitution du 18 février 2006 : bilan et perspectives, Kinshasa 2014, 147.

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savoir le rôle de la Cour constitutionnelle comme arbitre de la décentralisation entre les


provinces et le pouvoir central et l’extension du fondement des recours individuels en in-
constitutionnalité à sa mission de garant de l’Etat de droit, des libertés publiques et des
droits fondamentaux des citoyens.
L’examen spécifique de ces matières était si nécessaire que la majorité des affaires por-
tées devant la Cour constitutionnelle proviennent de là. En outre, c’est dans ces matières
que sa jurisprudence semble plus s’affirmer et de manière audacieuse dans le cadre de ce
que Evariste Boshab qualifie de ‘fonctionnalité nouvelle’ de la justice constitutionnelle –
par rapport à sa conception traditionnelle de simple mécanisme de contrôle de constitution-
nalité des lois – à subordonner le jeu politique et les gouvernants à la règle de droit.18 Ainsi,
cette insuffisance dans la présentation amoindrit davantage tant l’intérêt scientifique que
l’utilité pratique de l’ouvrage. Qu’en est-il du contenu des idées qui y sont présentées?

II. La portée limitée du contenu de l’ouvrage

Le contenu de l’ouvrage du juge Jean-Pierre Mavungu a l’avantage de procéder à un rappel


descriptif de différentes dispositions juridiques régissant la Cour constitutionnelle : Consti-
tution congolaise du 18 février 2006; Loi organique n°13/026 du 15 octobre 2013 portant
son organisation et son fonctionnement; Règlement intérieur de la Cour constitutionnelle du
30 avril 2015; Décret n° 14/ 035 du 04 décembre 2014 portant organisation et fonctionne-
ment du Greffe de la Cour Constitutionnelle; Ordonnance n° 16/070 du 22 août 2016 por-
tant dispositions relatives au statut particulier des membres de la Cour constitutionnelle. Il
faut ajouter quelques arrêts de la Cour constitutionnelle et de la Cour suprême de justice qui
sont invoqués ici et là, mais sans être ni commentés ni discutés en profondeur. Dans cette
perspective, cet ouvrage contient très peu d’analyses juridiques. Ainsi, les débats sur la dé-
limitation de la compétence matérielle de la Cour constitutionnelle, les recours individuels
au-delà de l’article 162 (2) de la Constitution, le contrôle de constitutionnalité des actes par-
lementaires, la problématique de la récusation des juges constitutionnels, eu égard aux im-
pératifs du procès équitable, la forclusion du délai de procédure et les possibilités de relève-
ment de la déchéance sont passés sous silence. L’auteur avance une excuse pour cela et
semble ainsi justifier ses quelques prises de position personnelles sur le sujet.

A. L’excuse de l’auteur

Pour l’auteur, sa posture intellectuelle a été dictée par l’obligation de réserve qui incombe à
chaque juge constitutionnel. En particulier, il admet s’être délibérément abstenu d’émettre
des points de vue sur les arrêts de la Cour constitutionnelle pour ne pas violer la loi qui
prescrit que les membres de celle-ci ‘ne peuvent, durant leurs fonctions, ni prendre une po-

18 Evariste Boshab Mabudj, ‘Préface’, in : Léon Odimula Lofunguso Ko’songenyi, La justice consti-
tutionnelle et la juridicisation de la vie politique en droit positif congolais, Paris 2016, 13.

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sition publique ni donner une consultation sur des questions ayant fait ou susceptibles de
faire l’objet de décision de la Cour’.19
On peut cependant se poser la question de savoir si une analyse scientifique, couchée
dans un ouvrage publié selon les règles de l’art et qui a le mérite de rester objective et poli-
tiquement neutre, est à regarder comme une prise de position publique ou une consultation
sur des questions intéressant la Cour constitutionnelle. Tel ne semble pas être le cas. Sinon,
qu’adviendra-t-il des enseignements qu’un juge qui est en même temps professeur serait
amené à dispenser à l’université, là où les débats, les commentaires, les critiques et toute
sorte de discussions scientifiques sont érigés en règle d’or? Ecrire un ouvrage – qui porte
sur des thématiques diverses de la même matière – n’est évidemment pas une consultation.
Il ne le serait que s’il est écrit sur commande et concernant les questions dûment visées par
la loi. Ecrire un ouvrage n’est pas non plus une prise de position publique sur de telles
questions. On peut avancer qu’une prise de position publique devrait s’interpréter comme
l’émission par un juge d’une position sur ces questions à travers les voies de communica-
tion ordinaire en public, telles que la radio, la télévision, la presse écrite, les discours et les
conférences à caractère non-scientifique. Il ressort du serment légal des juges constitution-
nels que la raison d’être de leur obligation de réserve est d’éviter de mettre en cause ‘l’indé-
pendance, l’impartialité et la dignité de la Cour’.20 En dehors de ces cas, il n’est pas interdit
à un juge de commenter, de critiquer et d’opiner sur les questions intéressant la Cour consti-
tutionnelle. Il ne l’est pas a fortiori si dans un cadre académique et scientifique, objectif et
neutre, il fait valoir son point de vue qui correspond aux opinions que la loi lui autorise
d’émettre lorsqu’il n’est pas d’accord avec les décisions de la Cour. Dans ce cas, il n’y aura
rien de neuf, la publicité étant d’ores et déjà assurée de jure, dans la mesure où ‘toute opi-
nion dissidente ou individuelle est intégralement reproduite en fin de l’arrêt. Elle comporte
le nom de son auteur’.21
En somme, l’argument de l’obligation de réserve pour ne pas analyser ou commenter
des décisions de justice dans un ouvrage – le propre même de ce genre d’œuvre scientifique
–constitue une faible justification de l’insuffisance de l’analyse présentée par l’auteur. On
acquiescerait tout au moins à l’excuse du caractère informationnel de son étude – qu’il qua-
lifie d’aperçu général sur la Cour constitutionnelle22 – l’ayant contraint, en quelques sorte, à
ne pas approfondir certaines questions spéciales.
Quoi qu’il en soit, cette excuse ne justifie pas des imprécisions qui se sont glissées dans
l’ouvrage. Entre autres exemples, on peut citer le fondement du contrôle de constitutionna-
lité par voie d’action. L’auteur le trouve dans l’article 160 de la Constitution, les articles 44
à 51 de la Loi organique du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la

19 Loi organique n°13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour


constitutionnelle, article 29(2).
20 Ibid., article 10.
21 Ibid., article 92 (5).
22 Mavungu, note 7, 63.

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Cour constitutionnelle ainsi que les articles 38 à 45 de son Règlement intérieur. On peut
observer que d’autres articles sont oubliés sur la liste, notamment l’article 162 (2) de la
Constitution sur le recours individuel en inconstitutionnalité. L’auteur semble plutôt avoir
réduit celui-ci à une simple règle de procédure portant sur la qualité du requérant, lorsqu’il
invoque par la suite l’article 48 de la Loi organique du 15 octobre 2013,23 qui en est pour-
tant une reprise ou une application législative. Ceci est évidemment inexact. L’article 162
(2) de la Constitution est aussi une règle de compétence (relativement aux actes législatifs
ou réglementaires pouvant être soumis au contrôle de la Cour constitutionnelle), qui est cité
comme tel à l’article 42 de la Loi organique du 15 octobre 2013. Ceci conduit à rappeler
que l’article 160 de la Constitution ne constitue pas le fondement du recours individuel en
inconstitutionnalité qui s’exerce a posteriori. Au contraire, cet article ne vise que le recours
en contrôle préalable de constitutionnalité, qui concerne les lois ou les actes ayant force de
loi – donc pas les actes règlementaires – lequel recours est réservé à certaines autorités pu-
bliques.

B. Quelques prises de position de l’auteur

Parmi les rares prises de position de l’auteur, quatre méritent d’être particulièrement souli-
gnées. Il se rapporte à la notion de compétences implicites de la Cour constitutionnelle, à
celle de bloc de constitutionnalité et à la portée de la notion de justice constitutionnelle.

1. A propos des compétences implicites de la Cour constitutionnelle

L’auteur a développé la notion de compétences implicites de la Cour constitutionnelle sans


la définir. Il soutient que ces compétences découlent du pouvoir de régulation des institu-
tions et de la vie politique ou, comme la Cour suprême de justice l’a établi,24 de celui de
régler toute question constitutionnelle bloquant le fonctionnement normal des institutions.25
Il faut noter que cette compétence judiciaire implicite n’a rien à voir, à l’opposé de ce que
pense le préfacier de cet ouvrage,26 avec les pouvoirs explicites d’arbitrage politique confé-
rés au Président de la République par l’article 69 (3) de la Constitution.27 Aucun problème

23 Ibid., 48-50.
24 CSJ, 27 août 2007, R.CONST.055/TSR, Requête de la Commission électorale indépendante ten-
dant à la prolongation de son mandat, septième feuillet, inédit.
25 Mavungu, note 7, 34.
26 Auguste Mampuya Kanunk’a-Tshiabo, ‘Préface’, in : Jean-Pierre Mavungu Mvumbi-di-Ngoma, La
justice constitutionnelle en République Démocratique du Congo : aperçu sur la compétence de la
Cour constitutionnelle et la procédure devant cette Haute juridiction, Kinshasa 2017, IX.
27 Cette disposition prévoit : ‘Il [Le Président de la République] assure, par son arbitrage, le fonction-
nement régulier des pouvoirs publics et des institutions ainsi que la continuité de l’Etat. Il est le
garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire, de la souveraineté nationale et du
respect des traités et accords internationaux’.

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de constitutionalité ne se pose car chaque institution – Cour constitutionnelle et Président


de la République – exerce indépendamment ses prérogatives qui sont de nature différente.
Toutefois, il est difficile d’admettre que les compétences implicites de la Cour constitu-
tionnelle soient limitées à ce pouvoir de régulation. Par définition, on peut dire qu’une com-
pétence est implicite parce qu’elle n’est pas expressément prévue par le texte, alors qu’elle
est nécessaire à un tribunal pour pouvoir s’acquitter efficacement, compte tenu de circons-
tances de fait, de sa mission juridictionnelle. On peut ainsi aligner dans cette catégorie le
pouvoir que s’arroge la Cour constitutionnelle pour faire des injonctions aux institutions ou
aux services de la République alors même qu’elle statue en matière d’interprétation de la
Constitution ou de contrôle de constitutionnalité, où son pouvoir devrait se limiter à préci-
ser le sens de la disposition constitutionnelle controversée ou à déclarer un acte conforme
ou contraire à la Constitution. Par exemple, elle a exercé ce pouvoir dans son arrêt R.
Const.212/216/2016 du 10 juin 2016 dans lequel elle enjoint au Journal officiel de ‘s’assu-
rer régulièrement de l’insertion de l’arrêt de contrôle de constitutionnalité avant la publica-
tion de toute loi organique soumise au contrôle de conformité à la Constitution (…)’.28 Elle
l’a aussi exercé, bien que de manière fort discutable, dans son arrêt R.Const.0089/2015 du 8
septembre 2015. En effet, face à l’impossibilité d’élire dans le délai les exécutifs de nou-
velles provinces, mises en place en vertu des articles 2 et 226 de la Constitution,29 elle or-
donna entre autres au Gouvernement de la République ‘de prendre sans tarder les disposi-
tions transitoires exceptionnelles pour faire régner l’ordre public, la sécurité et assurer la
régularité, ainsi que la continuité des services publics dans les provinces concernées (…)’.30
Un autre pouvoir implicite, c’est la faculté pour la Cour constitutionnelle de corriger la
loi soumise à son contrôle par des adjonctions ou des soustractions qui vont dans le sens de
la rendre conforme à la Constitution, au lieu de l’anéantir en déclarant cette loi contraire à

28 CC, 10 juin 2016, R. Const.212/216/2016, Requête de Monsieur Kabengele Ilunga Jean-Marie en


inconstitutionnalité de la loi organique n°15/014 du 1er août 2015 modifiant et complétant la Loi
organique n°06/020 du 10 octobre 2006 portant statut des magistrats, inédit, 10.
29 L’article 2 (1) et (2) de la Constitution du 18 février 2006 prévoit : ‘La République Démocratique
du Congo est composée de la ville de Kinshasa et de 25 provinces dotées de la personnalité juri-
dique. Ces provinces sont : Bas-Uele, Equateur, Haut-Lomami, Haut-Katanga, Haut-Uele, Ituri,
Kasaï, Kasaï Oriental, Kongo central, Kwango, Kwilu, Lomami, Lualaba, Kasaï Central, Mai-
Ndombe, Maniema, Mongala, Nord-Kivu, Nord-Ubangi, Sankuru, Sud-Kivu, Sud-Ubangi, Tanga-
nyika, Tshopo, Tshuapa’. L’article 226 de la même Constitution dispose : ‘Une loi de programma-
tion détermine les modalités d’installation de nouvelles provinces citées à l’article 2 de la présente
Constitution. En attendant, la République Démocratique du Congo est composée de la Ville de
Kinshasa et de dix provinces suivantes dotées de la personnalité juridique : Bandundu, Bas-Congo,
Equateur, Kasaï Occidental, Kasaï Oriental, Katanga, Maniema, Nord-Kivu, Province Orientale et
Sud-Kivu’.
30 CC, 8 septembre 2015, R.Const.0089/2015, Requête en interprétation des dispositions des articles
10 de la loi de programmation n°15/004 du 28 février 2015 déterminant les modalités d'installa-
tion de nouvelles provinces et 168 de la loi n°06/006 du 09 mars 2006 portant organisation des
élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales, telle que modi-
fiée par la loi n°11/003 du 25 juin 2011 et celle n°15/001 du 15 février 2015, inédit, 8.

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celle-ci. La Cour constitutionnelle a exercé ce pouvoir dans son arrêt R. Const.309 du 10


août 2016 relatif à la Requête du Président de la République en appréciation de la confor-
mité à la Constitution de la Loi organique portant organisation, compétence et fonctionne-
ment des juridictions de l'ordre administratif.31 En dehors de quelques cas d’excès de pou-
voir,32 elle a par exemple décidé que le terme ‘administratif’ est à remplacer par ‘réglemen-
taire’ à l'article 228 (1) de cette loi, lequel doit désormais se lire comme suit: ‘Lorsqu'une
exception d'inconstitutionnalité d'un acte législatif ou réglementaire est soulevée par ou de-
vant une juridiction de l'ordre administratif, celle-ci saisit obligatoirement, toutes affaires
cessantes, la Cour constitutionnelle’.33
Compte tenu de la variation des circonstances de fait, il est difficile d’établir une liste
exhaustive des compétences implicites d’une juridiction, fût-elle la Cour constitutionnelle.
Il appartient à celle-ci de les déduire et d’en faire un usage aussi bien parcimonieux que
circonstancié chaque fois qu’elle cherche à maximiser l’efficacité de sa fonction juridiction-
nelle.

2. A propos du bloc de constitutionnalité

L’auteur s’est prononcé sur la notion de bloc de constitutionnalité sans vraiment la définir
clairement. C’est bien le préfacier de l’ouvrage qui a magistralement comblé cette lacune,
en replaçant correctement cette notion dans le contexte de l’évolution historique et constitu-
tionnelle du droit français d’où elle est empruntée.34 Pour simplifier, on peut avancer que le
bloc de constitutionnalité renvoie à l’ensemble de normes supérieures auxquelles doivent
être conformes toutes les autres normes inférieures à l’égard desquelles une juridiction
constitutionnelle est appelée à exercer le contrôle de constitutionnalité. En droit français,

31 CC, 10 août 2016, R. Const.309, Requête du Président de la République en appréciation de la


conformité à la Constitution de la Loi organique portant organisation, compétence et fonctionne-
ment des juridictions de l'ordre administratif, Journal officiel de la République Démocratique du
Congo, première partie, numéro spécial, 57è année, 18 octobre 2016, 97-104.
32 Ibid., 103-104. A ce niveau, la Cour constitutionnelle a pris soin d’ajouter à l’article 406(2) de la-
dite loi une condition que doivent remplir les candidats magistrats auprès du Conseil d’Etat qui
sont recrutés sur titre parmi les titulaires du grade de docteur en droit, en ces termes : ‘En cas de
recrutement sur titre, les candidats magistrats sont choisis, pour le Conseil d'Etat, parmi les titu-
laires du grade de docteur en droit ayant enseigné le droit pendant quinze ans au moins dans une
université en qualité d'assistant, chef de travaux ou professeur, ou parmi les avocats jouissant
d'une expérience professionnelle d'au moins quinze ans, et pour les cours administratives d'appel et
les tribunaux administratifs, parmi les titulaires du grade de diplômé d'études supérieurs en droit
au moins, jouissant d'une expérience professionnelle d'au moins dix ans, ou parmi les avocats
jouissant d'une expérience professionnelle d'au moins cinq ans’. Pareil ajout constitue un excès de
pouvoir de la part de la Cour constitutionnelle, dans la mesure où celle-ci ne donnait effet à aucune
exigence d’ordre constitutionnel. Au contraire, la Cour constitutionnelle s’est en fait substituée au
législateur en violation de la Constitution. Les italiques sont nôtres.
33 Ibid., 103.
34 Mampuya, note 26, VI-VIII.

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ces normes supérieures ne se limitent pas à la Constitution de 1958. Elles s’étendent à la


Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, au préambule de la Constitution
de 1946, à la Charte de l’environnement de 2004, aux principes fondamentaux reconnues
par les lois de la République ou à d’autres principes à valeur constitutionnelle tels que la
continuité de l’Etat et du service public, la protection de la dignité humaine, la liberté
contractuelle et d’entreprendre ou le respect de la vie privée.35
Pour le juge Jean-Pierre Mavungu, bien que cette notion ne soit pas consacrée par un
texte en droit congolais, il trouve un début de reconnaissance dans l’établissement de la va-
leur constitutionnelle du principe de continuité de l’Etat par la jurisprudence de la Cour su-
prême de justice et de la Cour constitutionnelle,36 dans leurs arrêts respectifs du 27 août
2007 et du 11 mai 2016.37 Il en appelle alors à un arrêt de principe de la Cour constitution-
nelle sur ce sujet et suggère qu’en droit congolais, le bloc de constitutionnalité devrait com-
prendre les conventions internationales, la Constitution du 18 février 2006, la loi organique
du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de cette Cour, le règlement inté-
rieur de celle-ci, les textes à valeurs constitutionnels, les arrêts de principes y relatifs, les
principes à valeur constitutionnelle et les arrêts de la Cour constitutionnelle en matière d’in-
terprétation de la Constitution.38
Certes, la notion de bloc de constitutionnalité n’est pas étrangère à d’autres juridictions
constitutionnelles des pays d’Afrique francophone qui l’ont imitée et domestiquée.39 En
outre, l’article 126 (3) de la nouvelle Constitution de la République de Côte d’Ivoire du 8
novembre 2016 l’a expressément consacrée, mais sans la définir, en ces termes : ‘Le
Conseil constitutionnel est juge de la conformité de la loi au bloc de constitutionnalité’.
Toutefois, le droit comparé n’est pas en lui-même une raison pertinente de l’introduction de
cette notion en droit congolais, surtout pas dans les termes imprécis et selon la liste élas-
tique et injustifiée d’actes et principes suggérés par l’auteur de cet ouvrage.
Il faut déjà observer que les arrêts qu’il a invoqués ne concernent pas le contrôle de
constitutionnalité. L’arrêt de la Cour suprême de justice du 27 août 2007 répondait plutôt
affirmativement à la question de savoir si la Commission électorale indépendante (CEI),
instituée par l’article 154 de la Constitution de la transition du 4 avril 2003, pouvait conti-
nuer à fonctionner nonobstant sa dissolution de plein droit par l’article 222 (2) de la Consti-
tution du 18 février 2006. Quant à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 11 mai 2016, il se
rapporte à l’interprétation de l’article 70 de la Constitution du 18 février 2006 pour per-

35 Ibid., VII-VIII.
36 Mavungu, note 7, 15-16.
37 CSJ, 27 août 2007, R.CONST.055/TSR, huitième feuillet; CC, 11 mai 2016, R. Const.262, Re-
cours en interprétation de l’article 70 de la Constitution du 18 février 2006 telle que modifiée par
la Loi n°11/002 du 20 janvier 2011 en relation avec les articles 75, 76, 103, 105 et 197 de la même
Constitution, Journal officiel de la République Démocratique du Congo, première partie, numéro
spécial, Première partie, 57è année, 5 juillet 2016, 16.
38 Mavungu, note 7, 16-17.
39 Ibid., 15.

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mettre notamment au Président de la République de rester en fonction à la fin de son man-


dat en cas de non-tenue des élections dans le délai constitutionnel. Par conséquent, on ne
peut pas prendre ces arrêts comme une référence confortable en matière de bloc de constitu-
tionnalité en droit congolais.
Par ailleurs, il existe une jurisprudence concordante qui contredit la position de l’auteur.
En effet, dans l’affaire José Makila Sumanda, la Cour suprême de justice était appelée à
apprécier la constitutionnalité de la motion de défiance contre le requérant en application
des principes généraux du droit relatifs aux droits de la défense. Dans son arrêt R.CONST.
078/TSR du 04 mai 2009, elle a jugé irrecevable ce type de moyen en ces termes :

En tant qu’il vise la violation des principes généraux du droit, plutôt que la violation
d’une disposition de la Constitution, le moyen ne peut être reçu, la Cour suprême de
justice siégeant en vertu des dispositions combinées des articles 162 alinéa 2 et 223
de la Constitution ne pouvant connaître que des violations de celle-ci et non des vio-
lations de principes généraux du droit.40

En outre, dans l’arrêt R.CONST.048/TSR du 26 février 2010, prononcé en l’affaire Amédée


Kirarahumu Isengoma, la Cour suprême de justice a déclaré irrecevable le moyen soulevé
par le requérant au motif ‘qu’il ne vise aucune disposition constitutionnelle’41 ou parce que
‘l’article 162 de la Constitution n’a habilité la Cour constitutionnelle qu’à sanctionner la
violation des dispositions constitutionnelles et non celle des actes législatifs par les actes
réglementaires’.42
Cette jurisprudence est en conformité avec l’article 46 (4) du Règlement intérieur de la
Cour constitutionnelle qui exige que toute requête en inconstitutionnalité ou en exception
d’inconstitutionnalité indique le droit constitutionnellement garanti qui serait violé par
l’acte attaqué. S’agissant de la violation par la loi d’une convention internationale liant la
RDC, la Cour suprême de justice a déjà établi, dans le cadre d’un contrôle indirect de
constitutionnalité, qu’une telle loi viole aussi l’article 215 de la Constitution.43 S’il s’agit
d’une convention de protection des droits de l’homme, un autre motif d’inconstitutionnalité
serait tiré de l’article 60 de la Constitution qui dispose : ‘Le respect des droits de l’homme
et des libertés fondamentales consacrés dans la Constitution s’impose aux pouvoirs publics
et à toute personne’. De la même façon, si une loi vient à être adoptée et est contraire à un
arrêt de la Cour constitutionnelle, il s’agirait de la violation de l’article 168, voir même de

40 CSJ, 04 mai 2009, R.CONST.078/TSR, in: Mukendi et al., note 15, 65.
41 CSJ, 26 février 2010, R.CONST.048/TSR, in: Mukendi et al., note 15, 50.
42 Ibid.
43 CSJ, 19 août 2011, R.CONST.166/TSR, Requête en appréciation de la conformité à la Constitu-
tion de la loi portant suppression de la peine des travaux forcés, Eméry Mukendi Wafwana et al.,
Jurisprudence. Cour suprême de justice. Contentieux constitutionnel et législatifs, tome V, Kinsha-
sa 2011, 79-80. Notons que l’article 215 de la Constitution dispose : ‘Les traités et accords interna-
tionaux régulièrement conclus ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois,
sous réserve pour chaque traité ou accord, de son application par l’autre partie’.

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l’article 151 (2) de la Constitution.44 Dès lors, on ne voit pas bien à quoi servirait le contenu
du prétendu bloc de constitutionnalité tel que suggéré – par pur mimétisme constitutionnel
– par le juge Jean-Pierre Mavungu. Sa proposition est frontalement non-conforme à la
Constitution et en contradiction avec la jurisprudence constitutionnelle bien établie par la
Cour suprême de justice.
C’est ici l’occasion de souligner qu’il y a une différence entre la sanction de la violation
de la Constitution par la voie du contrôle de constitutionnalité et la question du droit appli-
cable par la Cour constitutionnelle. Dans une étude antérieure, il a été démontré que bien
que ne concernant pas expressément la Cour constitutionnelle,45 les sources du droit énu-
mérées à l’article 153 (4) de la Constitution sont applicables,46 tout comme l’article 1 de
l’Ordonnance du 14 mai 1886 de l’Administrateur général au Congo relative aux principes
à suivre dans les décisions judiciaires par les cours et tribunaux du Congo, telle qu’approu-
vée par le décret du Roi souverain du 12 novembre 1886, qui dispose : ‘Quand la matière
n’est pas prévue par un décret, un arrêté ou une ordonnance déjà promulgués, les contesta-
tions qui sont de la compétence des tribunaux du Congo seront jugées d’après les coutumes
locales, les principes généraux du droit et l’équité’. Ceci ne signifie pas que chaque fois que
la Cour constitutionnelle fonde sa décision sur une règle autre que la Constitution, elle au-
rait consacré un prétendu bloc de constitutionnalité. La raison est que la Cour constitution-
nelle ne recourt pas à l’une ou l’autre de ces sources du droit dans la même optique que les
juges ordinaires, car le but n’est pas d’en sanctionner directement les violations, mais de lui
permettre de bien apprécier et de régler le problème constitutionnel qui lui a été soumis.47

3. A propos de la notion de justice constitutionnelle

L’auteur a procédé à la définition matérielle de la justice constitutionnelle qui est, selon lui,
‘une activité ou, si l’on veut, une fonction exercée en la forme juridictionnelle par un or-

44 L’article 168 (1) de la Constitution prévoit : ‘Les arrêts de la Cour constitutionnelle ne sont suscep-
tibles d’aucun recours et sont immédiatement exécutoires. Ils sont obligatoires et s’imposent aux
pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles, civiles et militaires ainsi
qu’aux particuliers ». L’article 151 (2) de la Constitution prescrit : « Le pouvoir législatif ne peut
ni statuer sur des différends juridictionnels, ni modifier une décision de justice, ni s’opposer à son
exécution’.
45 Balingene Kahombo, ‘Le contentieux de la décentralisation : chronique de la jurisprudence consti-
tutionnelle de la Cour suprême de justice (2006-2011)’, in : Jean-Michel Kumbu Ki Ngimbi (éd.),
La décentralisation territoriale en République démocratique du Congo sous le régime de la Consti-
tution du 18 février 2006 : bilan et perspectives, Kinshasa 2014, 176.
46 Cet article dispose : ‘Les Cours et Tribunaux, civils et militaires, appliquent les traités internatio-
naux dûment ratifiés, les lois, les actes réglementaires pour autant qu’ils soient conformes aux lois
ainsi que la coutume pour autant que celle-ci ne soit pas contraire à l’ordre public ou aux bonnes
mœurs’.
47 Kahombo, note 45, 177 et 183.

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gane ayant le caractère d’une juridiction ».48 Il ajoute que dans ce contexte, ‘le juge consti-
tutionnel ne peut que désigner un juge exerçant la justice constitutionnelle, qu’il soit ou non
spécialisé dans cette tâche’.49 Toutefois, il est clair que cette définition manque de clarté sur
le point de la distinction entre la justice constitutionnelle au sens matériel et au sens orga-
nique. Pour simplifier, on peut dire qu’au sens organique, la justice constitutionnelle ren-
voie à l’organe juridictionnel chargé d’assurer le respect par les pouvoirs publics de la
Constitution. Il peut s’agir d’une juridiction spécialisée comme la Cour constitutionnelle ou
d’une juridiction ordinaire comme ce fut le cas de la Cour suprême de justice avant la ré-
forme portée par la Constitution du 18 février 2006. Au sens matériel, on peut dire que la
justice constitutionnelle renvoie à toute activité, procédure ou technique ayant pour finalité
de s’assurer du respect de la Constitution par les pouvoirs publics, aussi bien dans l’exer-
cice de leurs fonctions que dans l’accession à celles-ci par les gouvernants. Dans ce cas, la
notion déborde celle d’une Cour constitutionnelle. Bien d’autres tribunaux peuvent y
concourir.
On peut bien s’en rendre compte si l’on tient compte de différentes procédures de jus-
tice constitutionnelle consacrées en droit positif congolais. Par exemple, la justice électorale
concernant les élections des membres des institutions politiques provinciales et nationales
fait incontestablement partie de la justice constitutionnelle, alors même qu’elle est rendue
par la Cour constitutionnelle (pour les élections nationales) et les Cours administrative
d’appel (pour les élections provinciales). Un autre exemple c’est celui de la procédure de
l’exception d’inconstitutionnalité qui oblige la juridiction devant laquelle cette exception
est invoquée à sursoir à statuer et à saisir la Cour constitutionnelle toutes affaires ces-
santes.50 Il est important de souligner que si la juridiction de fond n’a pas compétence pour
apprécier le bien-fondé de l’exception d’inconstitutionnalité soulevée devant elle, on peut
néanmoins avancer qu’elle peut statuer sur sa recevabilité aux seules fins de se prononcer
sur la surséance demandée. Celle-ci étant une obligation constitutionnelle, on peut cepen-
dant avancer qu’elle ne vaut pas –tout comme l’obligation de saisir la Cour constitution-
nelle –automatiquement. Encore faut-il que certaines conditions soient réunies, dont celles
découlant logiquement de l’article 46 du Règlement intérieur de la Cour constitutionnelle.
Cet article impose entre autres que toute requête en exception d’inconstitutionnalité in-
dique, sous peine d’irrecevabilité, la disposition contestée qui doit être applicable au litige
ou à la procédure en cours devant la juridiction où l’exception est soulevée et les droits
constitutionnellement garantis qui seraient violés par elle. Ces éléments ne pouvant être in-
ventés par la juridiction de fond, celle-ci déclarera irrecevable l’exception soulevée devant
elle (aux fins de la surséance) – ce qui est différent de la recevabilité de la même exception
devant la Cour constitutionnelle une fois saisie – en l’absence des précisions fournies par le

48 Mavungu, note 7, 3.
49 Ibid. L’auteur se réfère à ce sujet à Michel Fromont, La justice constitutionnelle dans le monde,
Paris 1996, 2.
50 Constitution du 18 février 2006, article 162 (2) et (3).

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requérant dans la procédure en cours devant elle. Ceci est d’autant plus vrai que le manque
de ces précisions la mettrait dans l’impossibilité juridique de saisir la Cour constitutionnelle
conformément à la Constitution. La même irrecevabilité devrait frapper toute exception
d’inconstitutionnalité portant sur une disposition ou une loi sur laquelle la Cour constitu-
tionnelle a déjà exercé son contrôle de constitutionnalité, sauf changement de circonstances
(comme par exemple une modification de la Constitution ou une interprétation nouvelle par
la Cour constitutionnelle qui est intervenue dans l’entre-temps). Cette exception préjudi-
cielle serait aussi logiquement irrecevable si la juridiction devant laquelle elle est soulevée
est incompétente pour examiner l’affaire au fond.
Ces exigences d’ordre pratique relèvent d’une bonne politique juridictionnelle, dans la
mesure où il s’agit d’éviter de donner libre cours aux exceptions d’inconstitutionnalité de
complaisance qui sont soulevées dans le seul but d’orchestrer des dilatoires judiciaires en-
combrantes et inutiles. Il s’agit aussi d’éviter de submerger la Cour constitutionnelle par
des exceptions d’inconstitutionnalité dépourvues de tout caractère sérieux. Les juridictions
congolaises ne feront pas exception. En droit comparé, les cours et tribunaux français
jouissent du même type de pouvoir pour apprécier la recevabilité des exceptions d’inconsti-
tutionnalité invoquées devant eux.51 Ainsi, les jugements avant-dire-droit de surséance, ren-
dus (en première instance ou en appel) par les juridictions de fond sur la problématique des
exceptions d’inconstitutionnalité, participeraient incontestablement de la justice constitu-
tionnelle, du moins sur le plan de l’implémentation de la procédure consacrée par la Consti-
tution. Ces jugements s’ajouteraient donc à l’œuvre de la Cour constitutionnelle sur le
même sujet.
Par ailleurs, qu’adviendra-t-il précisément en cas de refus ou de retard dans la procé-
dure de saisine de la Cour constitutionnelle, alors que la juridiction de fond a prononcé la
surséance? Voici la réponse de l’auteur :

En pareille circonstance, la partie ayant soulevé l’exception aurait la latitude d’atti-


rer l’attention de la Cour constitutionnelle, avec copie réservée au chef de la juridic-
tion incriminée et à l’autre partie au litige, sur cet état de fait. (…) la Cour, en sa
qualité de gardienne ou protectrice des droits constitutionnels, pourra donner injonc-
tion à la juridiction incriminée de s’exécuter sans tarder (…) pour lui permettre de

51 Voir l’alinéa 1 de l’article 23-2 de la Loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à
l'application de l'article 61-1 de la Constitution française de 1958. Cet article pose les conditions
de transmission par une juridiction inférieure saisie d’une exception d’inconstitutionnalité (pour
violation par la loi des droits et libertés garantis par la Constitution) au Conseil d’Etat ou à la Cour
de cassation, qui sont chargés de la renvoyer au Conseil constitutionnel. En effet, cette transmis-
sion ne peut se faire que si : ‘1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure,
ou constitue le fondement des poursuites; 2° Elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitu-
tion dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des
circonstances; 3° La question n’est pas dépourvue de caractère sérieux’. Les italiques sont nôtres.

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vider cette instance en procédure d’urgence afin d’éviter de dilater ou de bloquer le


détournement de ce litige devant la juridiction appelée à en examiner le fond.52

Il faut tout de suite noter que cette procédure est une pure invention de l’auteur. Elle n’est
fondée sur aucun texte. En substance, elle pose des graves problèmes de constitutionnalité
et de légalité. Tout d’abord, voici qu’il ait inventé une nouvelle procédure d’accès des parti-
culiers à la Cour constitutionnelle en dehors de l’article 162 (2) de la Constitution et de l’ar-
ticle 48 de la Loi organique du 15 octobre 2013,53 oubliant que cette matière relève du do-
maine de la loi.54 Ensuite, puisque la Cour constitutionnelle n’est pas ouverte aux particu-
liers pour solliciter qu’elle fasse des injonctions aux juridictions de fond, la proposition du
juge Jean-Pierre Mavungu vise en fait à lui conférer le droit de statuer d’office sur les re-
quêtes desdits particuliers, visiblement irrecevables pour défaut de qualité. Enfin, cette in-
vention ne se justifie pas du tout, même en termes de proposition de réforme juridique à
faire au législateur, d’autant plus que la partie lésée a d’autres voies de recours à sa disposi-
tion.
Entre autres hypothèses, on peut citer l’introduction d’une plainte auprès du Procureur
général près la Cour constitutionnelle qui peut, après appréciation discrétionnaire, prendre
fait et cause pour le plaignant parce que l’article 49 de la Loi organique du 15 octobre 2013
lui donne le pouvoir de saisir cette Cour en inconstitutionnalité des actes législatifs ou ré-
glementaires ‘lorsqu’ils portent atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine
ou aux libertés publiques’. Le Parquet général près la Cour constitutionnelle devrait être en-
couragé à développer, dans le cadre d’une stratégie judiciaire appropriée, ses procédures et
ses méthodes de travail dans ce sens; ce qui l’aiderait à sortir de son inertie fonctionnelle
actuelle. On peut également soutenir que la non-saisine délibérée de la Cour constitution-
nelle constituerait une faute disciplinaire à charge du juge (s’il a par exemple caché le dos-
sier au lieu de faire rapport au chef de juridiction) ou du chef de la juridiction incriminée (si
ce dernier s’est abstenu de signer, au nom de sa juridiction, la requête devant saisir la Cour
constitutionnelle en congelant, en quelque sorte, le dossier). Cette faute disciplinaire décou-
lerait de la violation de serment55 et ouvrirait à la partie lésée le droit de saisir par plainte la

52 Mavungu, note 7, 54.


53 Ces articles prévoient le recours individuel en inconstitutionnalité de tout acte législatif ou régle-
mentaire.
54 Constitution du 18 février 2006, articles 122 et 169.
55 L’article 46 (7) de la loi organique n° 06/020 du 10 octobre 2006 portant statut des magistrats dis-
pose : ‘Sont notamment constitutifs de fautes disciplinaires : le fait pour un magistrat de violer les
termes de son serment’. L’article 5 de la même loi prévoit : ‘Le magistrat n’entre en fonction
qu’après avoir prêté verbalement ou par écrit, devant la juridiction à laquelle il est affecté, le ser-
ment : « je jure de respecter la Constitution et les lois de la République Démocratique du Congo et
de remplir loyalement et fidèlement, avec honneur et dignité, les fonctions qui me sont confiées »’.
On notera que cette loi fait, compte tenu de l’usage de l’adverbe « notamment », une énumération
indicative et non exhaustive des fautes disciplinaires; ce qui ouvre bien une grande marge de ma-
nœuvre au plaignant.

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chambre disciplinaire compétente pour faire appliquer la sanction disciplinaire appro-


priée.56 En plus, il y aurait un déni de justice qui est établi ‘lorsque le magistrat refuse de
procéder aux devoirs de sa charge ou néglige de juger les affaires en état d’être jugées’.57
Ceci ouvrirait la voie de la procédure de prise à partie devant la Cour de cassation (pour les
magistrats de l’ordre judiciaire) ou le Conseil d’Etat (pour les magistrats de l’ordre admi-
nistratif).58 En tout état de cause, pour couper court à toutes ces procédures compliquées et
longues, le législateur pourrait carrément imposer aux juridictions de fond un délai de ri-
gueur au-delà duquel tout requérant lésé aurait le droit de porter directement son exception
d’inconstitutionnalité devant la Cour constitutionnelle.

Conclusion

L’œuvre du juge Jean-Pierre Mavungu offre précisément l’avantage de pouvoir exister


comme le premier ouvrage entier de référence historique sur la Cour constitutionnelle, ins-
tallée en avril 2015. Au fond, on n’y trouve pas les subtilités de droit dont le lecteur, surtout
praticien ou spécialiste, pourrait avoir besoin, d’autant plus que l’auteur avoue avoir élabo-
ré juste un aperçu général de la matière – en fait un rappel de ce qui est contenu dans les
différents textes juridiques régissant cette Cour – afin de donner quelques informations de
base au grand public. Cette recension a démontré que cette insuffisance d’analyses ne sau-
rait – dans une œuvre qui se veut scientifique – s’expliquer par l’impératif du respect d’un
prétendu devoir de réserve qui incombe à l’auteur en tant que juge constitutionnel, ni par le
volume très réduit de l’ouvrage, soit à peine 34 pages consacrées aux développements.
C’est ici l’occasion de conclure qu’on peut être concis et rester en même temps pertinent
dans une œuvre scientifique. On n’a pas besoin d’écrire des milliers de pages pour ce faire,
ni de nommer sa contribution d’ouvrage, alors qu’elle aurait pu être publiée comme un
simple article dans une revue appropriée. En outre, cet ouvrage ne contient que quelques
rares positions personnelles de l’auteur – notamment sur les compétences implicites de la
Cour constitutionnelle, le bloc de constitutionnalité, la définition de la justice constitution-
nelle et l’exception d’inconstitutionnalité – lesquelles sont soit imprécises, soit imperti-
nentes, soit encore contraires à la Constitution, à la légalité et à la jurisprudence constitu-
tionnelle bien établie en droit positif congolais.
En somme, toutes ces observations ont l’ambition d’être constructives. Elles visent à
agiter l’esprit critique et à en appeler à la publication des œuvres scientifiques ou acadé-

56 Loi organique n° 08/013 du 05 août 2008 portant organisation et fonctionnement du Conseil supé-
rieur de la magistrature, article 28 (2) : ‘Sans préjudice des dispositions pertinentes de la susdite
Loi, la Chambre de discipline peut être saisie par le Ministre de la Justice ou sur plainte de toute
personne intéressée’. Les italiques sont nôtres.
57 Loi organique n° 13/010 du 19 février 2013 relative à la procédure devant la Cour de cassation,
article 58; Loi organique n° 16/027 du 15 octobre 2016 portant organisation, compétence et fonc-
tionnement des juridictions de l’ordre administratif, article 390.
58 Ibid., articles 55 et 387.

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miques d’une certaine qualité. L’épanouissement de la pensée juridique congolaise en dé-


pend, si tant est que les auteurs congolais envisagent de se remettre en lice de la compéti-
tion scientifique internationale. Le droit est enseigné à l’université; s’il fuit les auditoires
pour des causes structurelles de prise en charge, il serait plus dommage que les scientifiques
et les universitaires fuient le droit. De la même manière, le droit enseigné devrait trouver
toute sa résonnance au sein des palais de justice. S’il fuit les cours et tribunaux, c’est l’Etat
de droit qui décline. De part et d’autre, les critiques devraient être encouragées et bien ac-
cueillies tant qu’il ne s’agit pas des stigmatisations contre ou entre des personnes. La seule
façon idoine de les éviter ce n’est pas de développer un sentiment a priori de rejet au motif
que ‘tout le monde, sans qualification aucune, voudrait s’arroger les attributs de juge consti-
tutionnel, sans nomination ni investiture’,59 ni d’en avoir peur, mais de bien faire le travail,
qui puisse s’imposer de lui-même.
Au 21ème siècle, où les moyens de communications sont aussi avancés que diversifiés,
plus rien ne pourrait passer inaperçu, même à l’observation des simples citoyens. Si ces
derniers parviennent à se faire leur propre opinion sur les sujets de société ou sur la marche
d’une institution de l’Etat comme la Cour constitutionnelle, on ne peut que s’en féliciter.
L’Etat de droit et la démocratie vont de pair avec l’appropriation et la réalisation du prin-
cipe politique de participation citoyenne à l’espace public.

59 Mavungu, note 7, 64.

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