Besprechungsaufsatz - Review Article - Critique: La Justice Constitutionnelle en République Démocratique Du Congo
Besprechungsaufsatz - Review Article - Critique: La Justice Constitutionnelle en République Démocratique Du Congo
Besprechungsaufsatz - Review Article - Critique: La Justice Constitutionnelle en République Démocratique Du Congo
Balingene Kahombo*
Introduction
Le droit constitutionnel congolais s’est enrichi, en 2017, d’un nouvel ouvrage dans le do-
maine de la justice constitutionnelle, rédigé par Jean-Pierre Mavungu Mvumbi-di-Ngoma.
En cette matière, il s’ajoute à une série d’autres publications, près de 20 ans depuis la paru-
tion de l’ouvrage pionnier de Mabanga Monga Mabanga sur le contentieux constitutionnel
congolais.1 Entre autres publications, on peut citer les ouvrages de Marcel Yabili,2 Dieudon-
né Kaluba Dibwa,3 Léon Odimula Lofunguso4 et Marcel Wetsh’okonda Koso.5 La particula-
rité de ce nouvel ouvrage réside dans le fait que c’est le premier à être publié, si l’on ex-
cepte quelques parutions antérieures et plus thématiques,6 sur la totalité de la Cour constitu-
tionnelle congolaise depuis son installation le 4 avril 2015. Elle se trouve également dans la
qualité de son auteur qui, en plus d’être professeur à la Faculté de droit de l’Université de
Kinshasa, est juge à la Cour constitutionnelle, faisant partie de la toute première composi-
tion de celle-ci. Rien que ceci doit pousser à souhaiter, avec acclamation, la bienvenue à
cette œuvre louable pour l’épanouissement de la pensée juridique congolaise et de l’Etat de
droit.
Toutefois, le contenu est une autre affaire. En dépit de l’utilité scientifique ou publique
de l’ouvrage, on peut affirmer que celui-ci est plutôt limité, au sens propre comme au figu-
ré, vu son volume, la portée et l’envergure des idées qui y sont véhiculées. Cette recension
– voire critique – va tour à tour le démontrer en vue de contribuer à une connaissance
meilleure et intelligible de cet ouvrage combien important, ne serait-ce que sur le plan his-
torique.
L’ouvrage du juge Jean-Pierre Mavungu est riche de ses 145 pages. Hormis la préface,7
signée par le professeur Auguste Mampuya, l’avant-propos,8 la liste des sigles et abrévia-
tions,9 la bibliographie,10 les annexes11 et la table des matières,12 il s’étend en réalité sur 65
pages, dont 28 consacrées à l’introduction et trois seulement à la conclusion; ce qui est
quand même un grand déséquilibre dans la présentation. Quant aux développements de
l’ouvrage, ils ne comportent que 34 pages.
Ces chiffres soulèvent une interrogation sur le point de savoir s’il valait vraiment la
peine de transformer une telle contribution, originairement présentée sous forme de com-
munication à l’intention des avocats du Barreau de Matadi,13 en ouvrage. Peut-être aurait-il
été approprié de la publier soit comme un article scientifique, soit comme un module de
travail se limitant, comme l’auteur l’admet avec modestie par ailleurs, à la vulgarisation au-
près du plus grand public, y compris les praticiens du droit, de la mission de la Cour consti-
tutionnelle.14 Ceci est d’autant plus vrai que cet ouvrage contient 69 pages reprenant en an-
nexes les textes juridiques régissant la Cour constitutionnelle (extraits de la Constitution
congolaise du 18 février 2006, Loi organique n°13/026 du 15 octobre 2013 portant son or-
ganisation et son fonctionnement et Règlement intérieur de la Cour constitutionnelle du 30
avril 2015), soit plus du double des pages consacrées aux développements de la pensée de
l’auteur. Pourtant, ce remplissage ne se justifiait pas, d’autant plus que les textes juridiques
en question ont été publiés au journal officiel et sont facilement accessibles au public inté-
ressé, même en ligne.
En revanche, pour être pertinent, l’auteur aurait plutôt pris soin d’annexer à son ou-
vrage les arrêts pertinents de la Cour constitutionnelle, rendus depuis avril 2015. D’abord,
ceci couvrirait un vide doctrinal, car les recueils publiés en matière de justice constitution-
nelle ne portent jusque-là que sur la jurisprudence de la Cour suprême de justice agissant
comme juridiction constitutionnelle.15 Ensuite, l’ouvrage aurait offert aux lecteurs une
bonne lisibilité de la matière, dans la mesure où ils n’auraient pas de peine à rechercher –
au moindre doute méthodique – les arrêts cités dans l’ouvrage pour éclairer ou fonder leur
propre religion. Ce manque enlève donc à cette contribution une importante plus-value pra-
tique et scientifique.
Dans l’ensemble, l’ouvrage contient quatre grands points. Le premier se rapporte à la
compétence de la Cour constitutionnelle (contentieuse, non-contentieuse et pénale), le se-
cond aux actes attaquables devant celle-ci (lois, actes réglementaires, règlements intérieurs
des chambres parlementaires et des institutions d’appui à la démocratie, édits provinciaux,
arrêts de la Haute Cour militaire, arrêts de la Cour de cassation et du Conseil d’Etat en cas
de conflit d’attribution), le troisième à sa procédure et le quatrième aux effets de ses déci-
sions. Comme on le voit, il s’agit d’une structure qui correspond à la présentation générale
et classique de n’importe quelle juridiction constitutionnelle. Certaines matières qui re-
vêtent un intérêt particulier pour les citoyens y figurent de manière très insuffisante. Tel est
le cas de la question des conditions d’introduction des recours individuels devant la Cour
constitutionnelle, y compris le recours en interprétation des arrêts de celle-ci, lequel a susci-
té des débats à la suite de l’arrêt du 21 novembre 2015,16 et le recours en rectification d’er-
reur matérielle. C’est surtout le cas de deux matières d’importance fondamentale dans le
contexte d’un pays post-autocratique ou de tradition centralisatrice des pouvoirs d’Etat,17 à
15 Emery Mukendi Wafwana et al., Jurisprudence. Cour suprême de justice. Contentieux constitution-
nel et législatifs, tome V, Kinshasa 2011; Odon Nsumbu Kabu, Cour suprême de justice : héritage
d’un demi-siècle de jurisprudence, Kinshasa 2015.
16 CC, 21 novembre 2015, R.Const.0143, Recours en interprétation de l’arrêt R.Const.0089/2015 du
08 septembre 2015 de la Cour constitutionnelle relatif à la requête en interprétation des disposi-
tions des articles 10 de la Loi de programmation n°15//004 du 28 février 2015 déterminant les
modalités d’installation de nouvelles provinces et 168 de la Loi numéro 06/006 du 09 mars 2006
portant organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales
et locales, telle que modifiée par la Loi n°11/003 du 25 juin 2011 et celle n°15/001 du 15 février
2015 introduite par la Commission électorale nationale indépendante, CENI, en sigle, inédit. Voir
aussi Balingene Kahombo, ‘Constitution congolaise et adoption des mesures exceptionnelles :
Commentaire sur l’arrêt R.Const.0143 de la Cour constitutionnelle de la République Démocratique
du Congo du 21 novembre 2015 relatif à l’interprétation de l’arrêt R.Const.0089/2015 du 8 sep-
tembre 2015’, Recht in Afrika – Law in Africa – Droit en Afrique 19 (2016), 112-134.
17 Marcel Wetsh’okonda Koso, ‘La Cour suprême de justice et la juridictionnalisation des litiges nés
de la nouvelle décentralisation territoriale en République démocratique du Congo’, in : Jean-Mi-
chel Kumbu Ki Ngimbi (ed), La décentralisation territoriale en République démocratique du Congo
sous le régime de la Constitution du 18 février 2006 : bilan et perspectives, Kinshasa 2014, 147.
A. L’excuse de l’auteur
Pour l’auteur, sa posture intellectuelle a été dictée par l’obligation de réserve qui incombe à
chaque juge constitutionnel. En particulier, il admet s’être délibérément abstenu d’émettre
des points de vue sur les arrêts de la Cour constitutionnelle pour ne pas violer la loi qui
prescrit que les membres de celle-ci ‘ne peuvent, durant leurs fonctions, ni prendre une po-
18 Evariste Boshab Mabudj, ‘Préface’, in : Léon Odimula Lofunguso Ko’songenyi, La justice consti-
tutionnelle et la juridicisation de la vie politique en droit positif congolais, Paris 2016, 13.
sition publique ni donner une consultation sur des questions ayant fait ou susceptibles de
faire l’objet de décision de la Cour’.19
On peut cependant se poser la question de savoir si une analyse scientifique, couchée
dans un ouvrage publié selon les règles de l’art et qui a le mérite de rester objective et poli-
tiquement neutre, est à regarder comme une prise de position publique ou une consultation
sur des questions intéressant la Cour constitutionnelle. Tel ne semble pas être le cas. Sinon,
qu’adviendra-t-il des enseignements qu’un juge qui est en même temps professeur serait
amené à dispenser à l’université, là où les débats, les commentaires, les critiques et toute
sorte de discussions scientifiques sont érigés en règle d’or? Ecrire un ouvrage – qui porte
sur des thématiques diverses de la même matière – n’est évidemment pas une consultation.
Il ne le serait que s’il est écrit sur commande et concernant les questions dûment visées par
la loi. Ecrire un ouvrage n’est pas non plus une prise de position publique sur de telles
questions. On peut avancer qu’une prise de position publique devrait s’interpréter comme
l’émission par un juge d’une position sur ces questions à travers les voies de communica-
tion ordinaire en public, telles que la radio, la télévision, la presse écrite, les discours et les
conférences à caractère non-scientifique. Il ressort du serment légal des juges constitution-
nels que la raison d’être de leur obligation de réserve est d’éviter de mettre en cause ‘l’indé-
pendance, l’impartialité et la dignité de la Cour’.20 En dehors de ces cas, il n’est pas interdit
à un juge de commenter, de critiquer et d’opiner sur les questions intéressant la Cour consti-
tutionnelle. Il ne l’est pas a fortiori si dans un cadre académique et scientifique, objectif et
neutre, il fait valoir son point de vue qui correspond aux opinions que la loi lui autorise
d’émettre lorsqu’il n’est pas d’accord avec les décisions de la Cour. Dans ce cas, il n’y aura
rien de neuf, la publicité étant d’ores et déjà assurée de jure, dans la mesure où ‘toute opi-
nion dissidente ou individuelle est intégralement reproduite en fin de l’arrêt. Elle comporte
le nom de son auteur’.21
En somme, l’argument de l’obligation de réserve pour ne pas analyser ou commenter
des décisions de justice dans un ouvrage – le propre même de ce genre d’œuvre scientifique
–constitue une faible justification de l’insuffisance de l’analyse présentée par l’auteur. On
acquiescerait tout au moins à l’excuse du caractère informationnel de son étude – qu’il qua-
lifie d’aperçu général sur la Cour constitutionnelle22 – l’ayant contraint, en quelques sorte, à
ne pas approfondir certaines questions spéciales.
Quoi qu’il en soit, cette excuse ne justifie pas des imprécisions qui se sont glissées dans
l’ouvrage. Entre autres exemples, on peut citer le fondement du contrôle de constitutionna-
lité par voie d’action. L’auteur le trouve dans l’article 160 de la Constitution, les articles 44
à 51 de la Loi organique du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la
Cour constitutionnelle ainsi que les articles 38 à 45 de son Règlement intérieur. On peut
observer que d’autres articles sont oubliés sur la liste, notamment l’article 162 (2) de la
Constitution sur le recours individuel en inconstitutionnalité. L’auteur semble plutôt avoir
réduit celui-ci à une simple règle de procédure portant sur la qualité du requérant, lorsqu’il
invoque par la suite l’article 48 de la Loi organique du 15 octobre 2013,23 qui en est pour-
tant une reprise ou une application législative. Ceci est évidemment inexact. L’article 162
(2) de la Constitution est aussi une règle de compétence (relativement aux actes législatifs
ou réglementaires pouvant être soumis au contrôle de la Cour constitutionnelle), qui est cité
comme tel à l’article 42 de la Loi organique du 15 octobre 2013. Ceci conduit à rappeler
que l’article 160 de la Constitution ne constitue pas le fondement du recours individuel en
inconstitutionnalité qui s’exerce a posteriori. Au contraire, cet article ne vise que le recours
en contrôle préalable de constitutionnalité, qui concerne les lois ou les actes ayant force de
loi – donc pas les actes règlementaires – lequel recours est réservé à certaines autorités pu-
bliques.
Parmi les rares prises de position de l’auteur, quatre méritent d’être particulièrement souli-
gnées. Il se rapporte à la notion de compétences implicites de la Cour constitutionnelle, à
celle de bloc de constitutionnalité et à la portée de la notion de justice constitutionnelle.
23 Ibid., 48-50.
24 CSJ, 27 août 2007, R.CONST.055/TSR, Requête de la Commission électorale indépendante ten-
dant à la prolongation de son mandat, septième feuillet, inédit.
25 Mavungu, note 7, 34.
26 Auguste Mampuya Kanunk’a-Tshiabo, ‘Préface’, in : Jean-Pierre Mavungu Mvumbi-di-Ngoma, La
justice constitutionnelle en République Démocratique du Congo : aperçu sur la compétence de la
Cour constitutionnelle et la procédure devant cette Haute juridiction, Kinshasa 2017, IX.
27 Cette disposition prévoit : ‘Il [Le Président de la République] assure, par son arbitrage, le fonction-
nement régulier des pouvoirs publics et des institutions ainsi que la continuité de l’Etat. Il est le
garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire, de la souveraineté nationale et du
respect des traités et accords internationaux’.
L’auteur s’est prononcé sur la notion de bloc de constitutionnalité sans vraiment la définir
clairement. C’est bien le préfacier de l’ouvrage qui a magistralement comblé cette lacune,
en replaçant correctement cette notion dans le contexte de l’évolution historique et constitu-
tionnelle du droit français d’où elle est empruntée.34 Pour simplifier, on peut avancer que le
bloc de constitutionnalité renvoie à l’ensemble de normes supérieures auxquelles doivent
être conformes toutes les autres normes inférieures à l’égard desquelles une juridiction
constitutionnelle est appelée à exercer le contrôle de constitutionnalité. En droit français,
35 Ibid., VII-VIII.
36 Mavungu, note 7, 15-16.
37 CSJ, 27 août 2007, R.CONST.055/TSR, huitième feuillet; CC, 11 mai 2016, R. Const.262, Re-
cours en interprétation de l’article 70 de la Constitution du 18 février 2006 telle que modifiée par
la Loi n°11/002 du 20 janvier 2011 en relation avec les articles 75, 76, 103, 105 et 197 de la même
Constitution, Journal officiel de la République Démocratique du Congo, première partie, numéro
spécial, Première partie, 57è année, 5 juillet 2016, 16.
38 Mavungu, note 7, 16-17.
39 Ibid., 15.
En tant qu’il vise la violation des principes généraux du droit, plutôt que la violation
d’une disposition de la Constitution, le moyen ne peut être reçu, la Cour suprême de
justice siégeant en vertu des dispositions combinées des articles 162 alinéa 2 et 223
de la Constitution ne pouvant connaître que des violations de celle-ci et non des vio-
lations de principes généraux du droit.40
40 CSJ, 04 mai 2009, R.CONST.078/TSR, in: Mukendi et al., note 15, 65.
41 CSJ, 26 février 2010, R.CONST.048/TSR, in: Mukendi et al., note 15, 50.
42 Ibid.
43 CSJ, 19 août 2011, R.CONST.166/TSR, Requête en appréciation de la conformité à la Constitu-
tion de la loi portant suppression de la peine des travaux forcés, Eméry Mukendi Wafwana et al.,
Jurisprudence. Cour suprême de justice. Contentieux constitutionnel et législatifs, tome V, Kinsha-
sa 2011, 79-80. Notons que l’article 215 de la Constitution dispose : ‘Les traités et accords interna-
tionaux régulièrement conclus ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois,
sous réserve pour chaque traité ou accord, de son application par l’autre partie’.
l’article 151 (2) de la Constitution.44 Dès lors, on ne voit pas bien à quoi servirait le contenu
du prétendu bloc de constitutionnalité tel que suggéré – par pur mimétisme constitutionnel
– par le juge Jean-Pierre Mavungu. Sa proposition est frontalement non-conforme à la
Constitution et en contradiction avec la jurisprudence constitutionnelle bien établie par la
Cour suprême de justice.
C’est ici l’occasion de souligner qu’il y a une différence entre la sanction de la violation
de la Constitution par la voie du contrôle de constitutionnalité et la question du droit appli-
cable par la Cour constitutionnelle. Dans une étude antérieure, il a été démontré que bien
que ne concernant pas expressément la Cour constitutionnelle,45 les sources du droit énu-
mérées à l’article 153 (4) de la Constitution sont applicables,46 tout comme l’article 1 de
l’Ordonnance du 14 mai 1886 de l’Administrateur général au Congo relative aux principes
à suivre dans les décisions judiciaires par les cours et tribunaux du Congo, telle qu’approu-
vée par le décret du Roi souverain du 12 novembre 1886, qui dispose : ‘Quand la matière
n’est pas prévue par un décret, un arrêté ou une ordonnance déjà promulgués, les contesta-
tions qui sont de la compétence des tribunaux du Congo seront jugées d’après les coutumes
locales, les principes généraux du droit et l’équité’. Ceci ne signifie pas que chaque fois que
la Cour constitutionnelle fonde sa décision sur une règle autre que la Constitution, elle au-
rait consacré un prétendu bloc de constitutionnalité. La raison est que la Cour constitution-
nelle ne recourt pas à l’une ou l’autre de ces sources du droit dans la même optique que les
juges ordinaires, car le but n’est pas d’en sanctionner directement les violations, mais de lui
permettre de bien apprécier et de régler le problème constitutionnel qui lui a été soumis.47
L’auteur a procédé à la définition matérielle de la justice constitutionnelle qui est, selon lui,
‘une activité ou, si l’on veut, une fonction exercée en la forme juridictionnelle par un or-
44 L’article 168 (1) de la Constitution prévoit : ‘Les arrêts de la Cour constitutionnelle ne sont suscep-
tibles d’aucun recours et sont immédiatement exécutoires. Ils sont obligatoires et s’imposent aux
pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles, civiles et militaires ainsi
qu’aux particuliers ». L’article 151 (2) de la Constitution prescrit : « Le pouvoir législatif ne peut
ni statuer sur des différends juridictionnels, ni modifier une décision de justice, ni s’opposer à son
exécution’.
45 Balingene Kahombo, ‘Le contentieux de la décentralisation : chronique de la jurisprudence consti-
tutionnelle de la Cour suprême de justice (2006-2011)’, in : Jean-Michel Kumbu Ki Ngimbi (éd.),
La décentralisation territoriale en République démocratique du Congo sous le régime de la Consti-
tution du 18 février 2006 : bilan et perspectives, Kinshasa 2014, 176.
46 Cet article dispose : ‘Les Cours et Tribunaux, civils et militaires, appliquent les traités internatio-
naux dûment ratifiés, les lois, les actes réglementaires pour autant qu’ils soient conformes aux lois
ainsi que la coutume pour autant que celle-ci ne soit pas contraire à l’ordre public ou aux bonnes
mœurs’.
47 Kahombo, note 45, 177 et 183.
gane ayant le caractère d’une juridiction ».48 Il ajoute que dans ce contexte, ‘le juge consti-
tutionnel ne peut que désigner un juge exerçant la justice constitutionnelle, qu’il soit ou non
spécialisé dans cette tâche’.49 Toutefois, il est clair que cette définition manque de clarté sur
le point de la distinction entre la justice constitutionnelle au sens matériel et au sens orga-
nique. Pour simplifier, on peut dire qu’au sens organique, la justice constitutionnelle ren-
voie à l’organe juridictionnel chargé d’assurer le respect par les pouvoirs publics de la
Constitution. Il peut s’agir d’une juridiction spécialisée comme la Cour constitutionnelle ou
d’une juridiction ordinaire comme ce fut le cas de la Cour suprême de justice avant la ré-
forme portée par la Constitution du 18 février 2006. Au sens matériel, on peut dire que la
justice constitutionnelle renvoie à toute activité, procédure ou technique ayant pour finalité
de s’assurer du respect de la Constitution par les pouvoirs publics, aussi bien dans l’exer-
cice de leurs fonctions que dans l’accession à celles-ci par les gouvernants. Dans ce cas, la
notion déborde celle d’une Cour constitutionnelle. Bien d’autres tribunaux peuvent y
concourir.
On peut bien s’en rendre compte si l’on tient compte de différentes procédures de jus-
tice constitutionnelle consacrées en droit positif congolais. Par exemple, la justice électorale
concernant les élections des membres des institutions politiques provinciales et nationales
fait incontestablement partie de la justice constitutionnelle, alors même qu’elle est rendue
par la Cour constitutionnelle (pour les élections nationales) et les Cours administrative
d’appel (pour les élections provinciales). Un autre exemple c’est celui de la procédure de
l’exception d’inconstitutionnalité qui oblige la juridiction devant laquelle cette exception
est invoquée à sursoir à statuer et à saisir la Cour constitutionnelle toutes affaires ces-
santes.50 Il est important de souligner que si la juridiction de fond n’a pas compétence pour
apprécier le bien-fondé de l’exception d’inconstitutionnalité soulevée devant elle, on peut
néanmoins avancer qu’elle peut statuer sur sa recevabilité aux seules fins de se prononcer
sur la surséance demandée. Celle-ci étant une obligation constitutionnelle, on peut cepen-
dant avancer qu’elle ne vaut pas –tout comme l’obligation de saisir la Cour constitution-
nelle –automatiquement. Encore faut-il que certaines conditions soient réunies, dont celles
découlant logiquement de l’article 46 du Règlement intérieur de la Cour constitutionnelle.
Cet article impose entre autres que toute requête en exception d’inconstitutionnalité in-
dique, sous peine d’irrecevabilité, la disposition contestée qui doit être applicable au litige
ou à la procédure en cours devant la juridiction où l’exception est soulevée et les droits
constitutionnellement garantis qui seraient violés par elle. Ces éléments ne pouvant être in-
ventés par la juridiction de fond, celle-ci déclarera irrecevable l’exception soulevée devant
elle (aux fins de la surséance) – ce qui est différent de la recevabilité de la même exception
devant la Cour constitutionnelle une fois saisie – en l’absence des précisions fournies par le
48 Mavungu, note 7, 3.
49 Ibid. L’auteur se réfère à ce sujet à Michel Fromont, La justice constitutionnelle dans le monde,
Paris 1996, 2.
50 Constitution du 18 février 2006, article 162 (2) et (3).
requérant dans la procédure en cours devant elle. Ceci est d’autant plus vrai que le manque
de ces précisions la mettrait dans l’impossibilité juridique de saisir la Cour constitutionnelle
conformément à la Constitution. La même irrecevabilité devrait frapper toute exception
d’inconstitutionnalité portant sur une disposition ou une loi sur laquelle la Cour constitu-
tionnelle a déjà exercé son contrôle de constitutionnalité, sauf changement de circonstances
(comme par exemple une modification de la Constitution ou une interprétation nouvelle par
la Cour constitutionnelle qui est intervenue dans l’entre-temps). Cette exception préjudi-
cielle serait aussi logiquement irrecevable si la juridiction devant laquelle elle est soulevée
est incompétente pour examiner l’affaire au fond.
Ces exigences d’ordre pratique relèvent d’une bonne politique juridictionnelle, dans la
mesure où il s’agit d’éviter de donner libre cours aux exceptions d’inconstitutionnalité de
complaisance qui sont soulevées dans le seul but d’orchestrer des dilatoires judiciaires en-
combrantes et inutiles. Il s’agit aussi d’éviter de submerger la Cour constitutionnelle par
des exceptions d’inconstitutionnalité dépourvues de tout caractère sérieux. Les juridictions
congolaises ne feront pas exception. En droit comparé, les cours et tribunaux français
jouissent du même type de pouvoir pour apprécier la recevabilité des exceptions d’inconsti-
tutionnalité invoquées devant eux.51 Ainsi, les jugements avant-dire-droit de surséance, ren-
dus (en première instance ou en appel) par les juridictions de fond sur la problématique des
exceptions d’inconstitutionnalité, participeraient incontestablement de la justice constitu-
tionnelle, du moins sur le plan de l’implémentation de la procédure consacrée par la Consti-
tution. Ces jugements s’ajouteraient donc à l’œuvre de la Cour constitutionnelle sur le
même sujet.
Par ailleurs, qu’adviendra-t-il précisément en cas de refus ou de retard dans la procé-
dure de saisine de la Cour constitutionnelle, alors que la juridiction de fond a prononcé la
surséance? Voici la réponse de l’auteur :
51 Voir l’alinéa 1 de l’article 23-2 de la Loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à
l'application de l'article 61-1 de la Constitution française de 1958. Cet article pose les conditions
de transmission par une juridiction inférieure saisie d’une exception d’inconstitutionnalité (pour
violation par la loi des droits et libertés garantis par la Constitution) au Conseil d’Etat ou à la Cour
de cassation, qui sont chargés de la renvoyer au Conseil constitutionnel. En effet, cette transmis-
sion ne peut se faire que si : ‘1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure,
ou constitue le fondement des poursuites; 2° Elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitu-
tion dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des
circonstances; 3° La question n’est pas dépourvue de caractère sérieux’. Les italiques sont nôtres.
Il faut tout de suite noter que cette procédure est une pure invention de l’auteur. Elle n’est
fondée sur aucun texte. En substance, elle pose des graves problèmes de constitutionnalité
et de légalité. Tout d’abord, voici qu’il ait inventé une nouvelle procédure d’accès des parti-
culiers à la Cour constitutionnelle en dehors de l’article 162 (2) de la Constitution et de l’ar-
ticle 48 de la Loi organique du 15 octobre 2013,53 oubliant que cette matière relève du do-
maine de la loi.54 Ensuite, puisque la Cour constitutionnelle n’est pas ouverte aux particu-
liers pour solliciter qu’elle fasse des injonctions aux juridictions de fond, la proposition du
juge Jean-Pierre Mavungu vise en fait à lui conférer le droit de statuer d’office sur les re-
quêtes desdits particuliers, visiblement irrecevables pour défaut de qualité. Enfin, cette in-
vention ne se justifie pas du tout, même en termes de proposition de réforme juridique à
faire au législateur, d’autant plus que la partie lésée a d’autres voies de recours à sa disposi-
tion.
Entre autres hypothèses, on peut citer l’introduction d’une plainte auprès du Procureur
général près la Cour constitutionnelle qui peut, après appréciation discrétionnaire, prendre
fait et cause pour le plaignant parce que l’article 49 de la Loi organique du 15 octobre 2013
lui donne le pouvoir de saisir cette Cour en inconstitutionnalité des actes législatifs ou ré-
glementaires ‘lorsqu’ils portent atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine
ou aux libertés publiques’. Le Parquet général près la Cour constitutionnelle devrait être en-
couragé à développer, dans le cadre d’une stratégie judiciaire appropriée, ses procédures et
ses méthodes de travail dans ce sens; ce qui l’aiderait à sortir de son inertie fonctionnelle
actuelle. On peut également soutenir que la non-saisine délibérée de la Cour constitution-
nelle constituerait une faute disciplinaire à charge du juge (s’il a par exemple caché le dos-
sier au lieu de faire rapport au chef de juridiction) ou du chef de la juridiction incriminée (si
ce dernier s’est abstenu de signer, au nom de sa juridiction, la requête devant saisir la Cour
constitutionnelle en congelant, en quelque sorte, le dossier). Cette faute disciplinaire décou-
lerait de la violation de serment55 et ouvrirait à la partie lésée le droit de saisir par plainte la
Conclusion
56 Loi organique n° 08/013 du 05 août 2008 portant organisation et fonctionnement du Conseil supé-
rieur de la magistrature, article 28 (2) : ‘Sans préjudice des dispositions pertinentes de la susdite
Loi, la Chambre de discipline peut être saisie par le Ministre de la Justice ou sur plainte de toute
personne intéressée’. Les italiques sont nôtres.
57 Loi organique n° 13/010 du 19 février 2013 relative à la procédure devant la Cour de cassation,
article 58; Loi organique n° 16/027 du 15 octobre 2016 portant organisation, compétence et fonc-
tionnement des juridictions de l’ordre administratif, article 390.
58 Ibid., articles 55 et 387.