Rock Folk 2024 06 FR
Rock Folk 2024 06 FR
Rock Folk 2024 06 FR
JUIN 2024
N°682 / 6,90 €
MENSUEL
BEL 7,80 €
ALLEMAGNE 9.90 €
LUX 7,80 €
SUISSE 11,70 CHF
PORTUGAL CONT 7,90 €
ITALIE 7,90 €
ESPAGNE 7,90 €
CAN 11,90 $ CAN
DOM 7,80 €
NCAL(S) 1030 XPF
ILE MAURICE 7,80 €
Edito
Disney(lala)land
Les Beach Boys ont deux visages. Au moins.
Celui de deux Amériques. Celle de leurs débuts, des années soixante
et des suivantes. Jusqu’à celle d’aujourd’hui. La figure glabre,
les cheveux bien peignés et les visages mafflus et barbus, les
ventres défaits et les chemises criardes. Casquette de baseball
incluse. “Make America Great Again!” brodé dessus ? Pas loin.
Le groupe de l’Amérique, comme ils se proclament. Oui.
L’Amérique des années soixante où ils débutèrent, comme tant.
Celle d’un Président glabre et aux cheveux bien peignés.
L’Amérique de la conquête spatiale, ses mouvements des
droits civiques, sa contre-culture, son amour, sa liberté mais
sa guerre aussi. Son été de l’amour. Sa musique… Celle des
Beach Boys, aux références doo-wop et au look encore un peu fifties.
Ringardisés par l’arrivée massive de groupes anglais, mais
trouvant dans la rivalité avec les Beatles une raison d’être,
poussant leur musique pop vers des sommets rarement égalés.
Mais derrière les harmonies à cinq voix se nouait un drame.
Une autre Amérique.
La fin des rêves de progrès et d’égalité.
La violence des gangs, les ordis personnels qui
déboulent, la malbouffe qui prospère et la guerre
froide qui ne se réchauffe pas pour l’Amérique.
Côté Beach Boys, conflits permanents,
pétages de plombs et autodestruction.
Les Wilson/ Love/ Jardine seront des champions en la matière.
Raflant des médailles dans toutes les catégories.
Ou comment du chaos naît la beauté.
GRANDADDY 24
Jérôme Soligny
LAST TRAIN 26
H.M.
TONY TRUANT 28
Nicolas Ungemuth
En vedette
Vianney G. RICHARD HAWLEY 32
Thomas E. Florin POKEY LAFARGE 38
Stan Cuesta GERARD MANSET 42
Story
Léonard Haddad BRUCE SPRINGSTEEN 48
www.rocknfolk.com En couverture
Basile Farkas et Eric Delsart THE BEACH BOYS 54
COUVERTURE PHOTO : MICHAEL OCHS ARCHIVES/ GETTY IMAGES 54 The Beach Boys
RUBRIQUES EDITO 003 COURRIER 006 TELEGRAMMES 008 DISQUE DU MOIS 063 DISQUES 064 REEDITIONS 072 REHAB’ 076 VINYLES 078
DISCOGRAPHISME 080 HIGHWAY 666 REVISITED 082 QUALITE FRANCE 083 ERUDIT ROCK 084 ET JUSTICE POUR TOUS 086 FILM DU MOIS 088
CINEMA 089 SERIE DU MOIS 091 IMAGES 092 BANDE DESSINEE 094 LIVRES 095 LIVE 096 PEU DE GENS LE SAVENT 098
Rock&Folk Espace Clichy - Immeuble Agena 12 rue Mozart 92587 Clichy Cedex – Tél : 01 41 40 32 99 – Fax : 01 41 40 34 71 – e-mail : rock&folk@editions-lariviere.com
Président du Conseil de Surveillance Patrick Casasnovas Présidente du Directoire Sophie Casasnovas
Directeur Général Frédéric de Watrigant Editeur Philippe Budillon
Rédacteur en Chef Vincent Tannières (32 99) Rédacteur en Chef adjoint Eric Delsart
Chef des Infos Yasmine Aoudi (32 94) Chef de la rubrique Live Matthieu Vatin (32 99)
Conseiller de la Rédaction Jérôme Soligny Maquette Christophe Favière (32 03) Secrétaire de rédaction Manuella Fall
PUBLICITÉ : Directeur de Publicité Olivier Thomas (34 82)
Assistant de Publicité Christopher Contout (32 05)
PHOTOGRAVURE Responsables : Béatrice Ladurelle (31 57), Flavien Bonanni (35 29) Chromiste : Hugues Vuagnat (3489)
VENTES (Réservé aux diffuseurs et dépositaires) : Emmanuelle Gay (56 95)
ABONNEMENTS : Promotion Abonnements : Carole Ridereau (33 48) Abonnement : France 1 an - 12 numéros papier et numérique : 131,48 e, prélèvement mensuel : 5,95 e
Suisse et autres pays et envoi par avion : nous contacter au (33) 03 44 62 43 79 ou sur : abo.lariviere@ediis.fr VENTE PAR CORRESPONDANCE : Accueil clients 03 44 62 43 79
Commande par Carte Bancaire ou sur www.rocknfolk.fr COMPTABILITÉ (32 37) Fax : 01 41 40 32 58 Directeur de la Publication et Responsable de la Rédaction : Patrick Casasnovas
IMPRESSION : Imprimerie de Compiègne Zac de Mercières 60205 Compiègne Cedex.
Papier issu de forêts gérées durablement, origine du papier : Allemagne, taux de fibres recyclées : 63%, certification : PEFC/ EU ECO LABEL, Eutrophisation : 0,003 kg/ tonne.
DIFFUSION : MLP – Rock&Folk est une publication des Editions Larivière, SAS au capital de 3 200 000 euros. Dépôt légal : 2ème trimestre 2024. Printed in France/ Imprimé en France.
Commission paritaire n° 0525 K 86723 ISSN n° 07507852 Numéro de TVA Intracommunautaire : FR 96572 071 884 CCP 11 5915A Paris RCS Nanterre B 572 071 884
Administration : 12, rue Mozart 92587 Clichy Cedex – Tél : 01 41 40 32 32 Fax : 01 41 40 32 50. LES MANUSCRITS ET DOCUMENTS NON INSÉRÉS NE SONT PAS RENDUS.
Courrier des lecteurs
Ego-trip hyperbolique
De l’art si radicalement opposée. Mais Le retour
d’être rock star ainsi en va-t-il du rock, un continuum de la censure
“Kurt Cobain, ange déchu le 5 avril 1994, organisé comme une succession de J’ai beau aimer les émotions fortes,
restera la dernière rock star”, écriviez- réactions à ce qui précède ? Avec en mais là, je le reconnais, je n’étais
vous dans l’édito du mois dernier. l’occurrence ici l’ombre (“die”) et la pas prêt. Dites, “trouver quelque chose
Je résume. Mais à la relire, la sentence lumière (“live”) — un astre éclairant la des Beatles chez Snoop Dogg”, il faut
semble incomplète. Aussi (permettez- face cachée de l’autre — pour sceller ce au moins le courage d’un commando
moi de me la péter cinq secondes récit tumultueux. Sans doute le dernier marine pour tenir ces propos au
pour vous faire cette suggestion extra- d’ailleurs. Les rock stars après ça n’en magazine dont les lecteurs vénèrent
vagante), n’aurait-il pas fallu écrire plutôt étant plus, cessant de faire les gros le quatuor. Je ne remets nullement en
“Kurt Cobain, ange déchu le 5 avril 1994, titres, d’être centrales ou incarnées, cause la sincérité de Marc Voinchet
restera la dernière rock star, la dernière… eu égard à cette gentrification culturelle ni son statut de musicologue avisé
jusqu’à l’apparition de Liam Gallagher impulsée par le cyber. De sorte que si et reconnu, mais sa déclaration a
le 10 avril (cf. “Supersonic”) de cette on reste suspendu à l’aura de Kurt semé un sacré pataquès chez nos
même année” ? L’apparition de Liam et Liam trente ans plus tard, toute aînés qui ont vécu les sixties. Je les
n’étant de ce point de vue pas dénuée de considération nostalgique mise à part, connais bien, dès que l’on touche à
pédagogie tant, par contraste avec Kurt, c’est que c’est quelque chose qu’on leurs précieux scarabées, ils ont la
il nous a montré que le fait d’être une ne peut, aujourd’hui, pas réfuter. pression artérielle à marée haute et
rock star impliquait déjà d’y consentir et SYD DIDEROU sont capables d’investir vos locaux
de jouer le jeu. A bien des égards, Liam pour protester du camouflet infligé
L’énigme de demeure ainsi le reflet contradictoire de au plus grand groupe de rock du
la page 110 Kurt. Un antagonisme. Certes éclairant. Syllogisme monde (si, si). Alors, la prochaine fois,
Dans votre numéro 681 de mai 2024, Liam ayant toujours prétendu être Mon cher Rock&Folk, compagnon de ne prenez aucun risque et censurez
je constate l’absence de la page 110. “fait pour ça”. Tandis que Kurt ne l’était route depuis 1972, j’ai une question à sans faiblesse ce type d’affirmation.
Vous ne nous vendez donc, en réalité que pas. Kurt chantant l’atrabilaire “I hate poser : suite à l’(excellent) article sur Vous éviterez les embrouilles !
115 pages au prix de 116 ! Néanmoins, je myself and I wanna die”, Liam l’antidoté Kurt, j’aimerais connaître la définition MÉFISTO
ne divulguerais pas cette arnaque si vous “I just want to live, I don’t want to die” de “rock star”. Selon toi, Brian Jones,
publiez un article, minimum quatre pages (cf. “Live Forever”). Ainsi, comment Jimi Hendrix, Jim Morrison, Janis
chacun, signé Stan Cuesta ou Patrick ne pas être interpelés de ce fait à l’idée Joplin, Kurt Cobain, Amy Winehouse Helvètes
Eudeline, sur les géniaux Procol Harum que des gars comme les Lemon Twigs, sont des rock stars mortes à 27 ans… underground
et Gérard Manset. A bon entendeur. qui eux-mêmes ont longtemps vécu dans ok, mais alors Paul McCartney, John Rectifions la réponse de Mr Terrasson
JOËL FERRIEU un sanctuaire Beatles, comme Liam, Lennon, Mick Jagger, Bruce Springsteen, sur les Aiglons, “des Français que
puissent s’être à un moment arrêtés Bob Dylan, Neil Young, Eric Clapton pour j’aimais bien”, ben voyons ! Dans votre
pour se dire, comme ils le révèlent ne citer que quelques-uns des plus incontournable question de la rubrique
Bouillant de culture quelques pages plus loin, “est-ce que ça connus, que sont-ils ? De simples Mes Disques A Moi, “Paul ou Mick ?”,
La question de Bernard Pivot : va parler à quelqu’un qui n’est pas dans businessmen, des songwriters, de il serait de bon ton de mettre quelques
pierres qui roulent ou scarabées ? ma propre tête ?”. Puisqu’en le lisant, vulgaires chanteurs… ? Voilà, si tu vérifications aux réponses données,
PATRICK MOALIC on se dit que ça, c’est précisément pouvais éclairer ma lanterne, je me sous peine de désinformation. Ce qui
quelque chose qui n’est sans doute coucherais ce soir un peu moins idiot. pourrait entraîner des répercussions
jamais arrivé à Liam, si c’est lui qu’on a ALAIN GILET sur l’IA qui ne serait plus alors en
Patriiiiiick toujours à l’esprit. Et pour cause. Quand mesure de savoir qui de la stalactite
Patrick Moalic ou comment se constituer la béance entre ce que Kurt avait en tête ou de la stalagmite descend ou monte.
une discothèque en écrivant deux lignes et ce qu’il vivait semblait pour ce dernier Dadaïsme Dans la réponse, si Ferre Grignard est
tous les mois. Chapeau l’artiste. insurmontable, Liam, lui, apparemment L’histoire de la fable de la grenouille bien belge, Les Aiglons, eux, n’ont
NICOLAS AUBREE imperturbable, donnait l’impression de et du dictateur est très intéressante, rien de français. En effet, il s’agit
traverser, sans s’arrêter, l’existence la mésaventure du musicien Jean-Yves bien d’un groupe suisse fondé
comme dans une transe immersive, Labat de Rossi en Ouganda et sa à Lausanne, dont l’instrumental
Une autre époque un ego-trip hyperbolique, une hypnose, rencontre avec le dictateur Idi Amin “Stalactite” est un succès qui va les
Dickey Betts disparu : souvenir de traversé de visions si transcendantes et Dada feraient un excellent sujet pour rendre célèbres, leur apportant une
“Jessica”, indicatif de “Pas De Panique” épatantes, et si souvent répétées, qu’il un film de cinéma. Bien qu’il y ait eu heure de gloire internationale. Et ils
de Claude Villers sur France Inter, pépite semblait les avoir intériorisées et être un précédent en 2006 avec “Le Dernier sont reconnus localement comme
du 33 tours “Brothers And Sisters” à la finalement devenu ce qu’il projetait, Roi D’Ecosse” de Kevin Macdonald, les premiers rockers helvétiques !
pochette magnifique. Souvenir de “Eat s’entichant de ce rôle qu’il avait en tête, même si l’acteur Forest Whitaker GÉRALD LE LAUSANNOIS
A Peach” que j’avais découvert en 1978, voilà, se hâtant de se confondre avec malgré tout son immense talent et une
au rez-de-chaussée de Beaubourg, cette image, cette version de lui-même excellente prestation, n’était pas assez
du temps où on pouvait choisir d’écouter avantageuse et de vaquer activement terrifiant pour incarner le très flippant
des vinyles au casque. Une autre époque à sa métamorphose. Fascinant de Idi Amin Dada. Quant au personnage Ecrivez à Rock&Folk,
dont, à juste titre, Chris Robinson dans constater ainsi comment Kurt et Liam, du docteur Nicholas Garrigan, interprété 12 rue Mozart,
92587 Clichy cedex
Rock&Folk d’avril souligne qu’elle les deux dernières rock stars mondiales, par le très bon James McAvoy, il était, ou par courriel à rock&folk@
ne revêt “plus la même importance et têtes de gondole des années 1990, ont et c’est bien dommage, un personnage editions-lariviere.com
autour des artistes ou des groupes rock”. articulé leur alternance avec un discours fictif créé par l’écrivain Giles Foden. Chaque publié reçoit un CD
DOMINIQUE ayant pour trame l’estime de soi JACKY SALAMO
ELTON JOHN
Christophe Delbrouck relate
la vie et la carrière artistique
de l’excentrique icône pop
dans le livre “Sir Elton –
L’Odysée Du Petit Reginald
Dwight”. 600 pages aux
éditions Erick Bonnier,
il sera en vente le 6 juin.
MARSHALL
La nouvelle version du
casque Major V, offrant plus
de 100 heures d’autonomie
est disponible sur le site
Photo Daniel Boud-DR
marshall.com au prix de
149 euros. Quant aux
oreillettes Minor IV,
Dirty Three elles sont proposées
au prix de 129 euros.
ALAN VEGA
“Insurrection”, album
posthume contenant onze
morceaux inédits tirés du
travail solo de l’ex-Suicide,
est annoncé pour le 31 mai.
Jusqu’au 27 juillet, la Galerie
Laurent Godin (Paris) mettra
à l’honneur, à travers
l’exposition Alan Vega —
Cesspool Saints, le travail
plastique de l’artiste, avec
Jared Artaud (The Vacant
Lots) en co-commissaire
Photo DR
Orville Peck sous la houlette de Liz
Lamere, compagne et
PAUL McCARTNEY & WINGS ORVILLE PECK SPIRITUALIZED partenaire musicale
Capté en 1974 aux studios Pour annoncer sa signature C’est au tour du sixième d’Alan Vega.
Abbey Road lors du tournage sur le label Warner, l’artiste album “Songs In A&E”, paru
d’un documentaire, le live country a dévoilé le single en 2008, période où le leader THOM YORKE
“One Hand Clapping”, “Cowboys Are Frequently, Jason Pierce était atteint d’une Le chanteur de Radiohead
longtemps piraté, bénéficiera Secretly Fond Of Each double pneumonie, de jouir s’est chargé de la BO du film
enfin d’une sortie officielle Other” (reprise de Ned d’une réédition dans le cadre dramatique italien “Confidenza”
en vinyle, CD et numérique. Sublette de 1981), sa de son projet The Spaceman de Daniele Luchetti.
Au total vingt-sept titres, première collaboration avec Reissue Program. Accompagnée La version digitale a vu le jour
mixés par Giles Martin et Willie Nelson. Il précédait de nouvelles illustrations, la le 26 avril, le CD et le vinyle
Steve Orchard en Dolby la sortie en version digitale version vinyle sera dans les sont attendus le 12 juillet.
Atmos, sortie le 14 juin. le 10 mai dernier de “Stampede, bacs le 21 juin prochain.
Vol 1”, qui contient des duos FRANK ZAPPA
MEGADETH avec Elton John, Allison SUM 41 Un nouveau live de près
Les Californiens adeptes Russell, Nathaniel Rateliff… Les Canadiens seront en de cinq heures contenant
de heavy metal prendront Le volume 2 suivra tête d’affiche de la deuxième de nombreux inédits et capté
d’assaut le Zénith de Paris prochainement. édition du Slam Dunk Festival le 23 juillet 1968, est annoncé.
le 19 juin prochain. de Lyon qui se tiendra à la Halle Au format coffret 3 CD,
POND Tony Garnier le 22 juin. 5 LP ou en édition vinyle
WILLIE NELSON Nick Allbrook, leader et chanteur 2 LP “Frank Zappa &
Pour son pique-nique du combo psychédélique ori- SWIM DEEP The Mothers Of Invention
annuel du 4 juillet ginaire de Perth (Australie), Le quintette d’indie pop a – Whisky A Go Go, 1968”
prochain qui aura lieu pour sortira le 21 juin son dixième terminé son quatrième album. sera disponible le 21 juin.
la première fois dans le album. “Stung!”, qui réunira
New Jersey au Freedom quatorze morceaux, lui
Mortgage Pavillon (Camden), a été inspiré en passant Condoléances
le Texan toujours flanqué la tondeuse chez un voisin. Steve Albini, John Barbata (batteur américain de pop et rock,
des siens a fait appel à Bob The Sentinals, CSNY), Dickey Betts, Mister Cee (DJ américain),
Dylan, Robert Plant, Alison TY SEGALL Roger Corman (cinéaste et producteur américain, “Le Masque De
Krauss, Mavis Staples… Le prolifique Californien La Mort Rouge”), Michael Cuscuna (producteur américain de jazz),
sera à La Rochelle (La Sirène) Gérald Duchemin dit Mag-ness (poète, slammeur et photographe
NOUVELLE VAGUE le 21 juin et à Paris (Elysée français), Duane Eddy, El Globos (dessinateur français, visuels du
Le 4 juin au Trianon Montmartre) le lendemain. Festival des Vieilles Charrues), Richard Horowitz (compositeur
de Paris, le groupe français américain de musiques de film), Steve Kille (bassiste américain,
qui revisite la new wave SPARKS Dead Meadow), Dege Legg (musicien, journaliste et écrivain américain
à la sauce bossa-nova, Le label Pale Wizard poursuit de folk, delta blues, Brother Dege, Santeria, Black Bayou Construkt),
interprétera entre autres sa série hommage “50 Years Mandisa (chanteuse américaine de gospel), Jean Musy (musicien,
sa dernière livraison, Later”, consacrée au duo compositeur et arrangeur français, Nino Ferrer), Graeme Naysmith
“Should I Stay Or Should formé par Ron et Russell (guitariste britannique, Pale Saints), Larry Page (chanteur, producteur
I Go?”, parue en février Mael, en célébrant le jubilé et manager britannique, The Kinks, The Troggs…), Mike Pinder
dernier pour les vingt ans de “Kimono My House” (1974). (musicien britannique, Moody Blues), Reita (musicien et bassiste
du projet conçu par Divers artistes de la scène japonais, The Gazette), David Sanborn (saxophoniste américain,
le producteur Marc Collin rock mondiale ont apporté leur Eric Clapton), Richard Tandy (musicien britannique, Electric Light
et feu Olivier Libaux. contribution à l’édition vinyle Orchestra), Tony Tuff (chanteur jamaïcain de reggae, African
limitée “Kimono My House – Brothers), Rico Wade (producteur américain de hip-hop, Outkast),
50 Years Later”. Déjà en vente. Max Werner (chanteur et batteur néerlandais de rock progressif, Kayak).
JAy ALANSKy
Qui, aujourd’hui, pour parler avec le même enchantement des Beatles,
de Paddy McAloon ou de Cloud rap ? Rien n’est perdu, il se trouve encore
des enthousiastes, go-betweens polymaniaques, dont Jay Alansky, fils spirituel
de Francis Scott Fitzgerald, perdu dans une époque qui lui doit énormément.
RECUEILLI PAR ALEXANDRE BRETON - PHOTOS MURIEL DELEPONT
AU MILIEU DE PILES DE LIVRES, DONT LA QUASI- le rock, mais il avait une boutique d’ins-
INTÉGRALITÉ DE L’EXÉGÈSE PROUSTIENNE, DE DVD, truments de musique rue Vivienne, et un
VINYLES ET CD EN PAGAILLE, JAY ALANSKY A LA FACONDE petit label de disques à compte d’auteur.
INFATIGABLE ET DANSANTE DES EXALTÉS. “J’aime l’idée Un jour, il m’a rapporté des disques de
qu’un artiste soit dépassé par ce qu’il fait.” Dépassés ? Nous Donovan qu’on lui avait livrés par erreur.
ne nous souhaitons pas mieux, au milieu d’une discographie- J’ai adoré, “Wear Your Love Like
dédale fascinante, entre productions impeccables pour d’autres Heaven”, “Mellow Yellow”, tout ça. Un
— Lio, Les Innocents, Jil Caplan, Marie-France etc. —, autre jour, c’était Nancy Sinatra, The
les siennes — de “Tendre Est La Nuit” (1980) à ces 167 titres, Association ou Eddie Cochran, dont
“The Pulverized Years”, patiemment assemblés sur Bandcamp j’étais fan. Ce sont d’abord les sixties qui
(un album de huit heures, donc !) — sans oublier quatre m’ont marqué, Elvis est venu plus tard,
livres, huit films, des clips, des expos photos, n’en jetez plus ! avec Buddy Holly, Gene Vincent. Avec
Sous différents avatars — A Reminiscent Drive, Bronzino, un copain qui adorait Gene, à la sortie de
sEYmour, Alansk.i ou .y —, notre hôte compte parmi ces la messe, on se prêtait des disques. Moi,
artistes contemporains aussi essentiels que discrets qui, pour j’en achetais très peu, n’ayant pas d’argent
notre bonheur, ont le sens tragique du grandiose. de poche. Enfin, j’avais un système : je
piquais tous les jours de l’argent dans
le porte-monnaie de ma mère et dans la
A la sortie de la messe poche de mon père. A la fin de la semaine,
ROCK&FOLK : Que ne trouve-t-on pas dans votre discothèque ? je me retrouvais avec quinze ou vingt
Jay Alansky : Rien ! Si, la chanson francs, et là j’achetais immédiatement un
française peut-être. Ça ne correspond disque chez Gibert. Il y a eu, comme ça,
pas à ma sensibilité, même si je peux “A Quick One” des Who, mon premier
reconnaître une chanson bien écrite. Il disque acheté. Je suis resté un obsédé.
y a bien “La Mémoire Et La Mer” de Léo J’achetais souvent sur les pochettes. A ce
Ferré, une chanson de Jacques Brel, mais propos, il y a eu une rencontre importante,
je n’aime pas du tout Georges Brassens. dans les années quatre-vingt, c’est Eyeless
Les émotions ne me touchent pas. C’est In Gaza, acheté à cause de la pochette et
lié à la France, à une certaine couleur du de “The Eyes Of Beautiful Losers”. “Caught In Flux” était aussi envoûtant
ciel, la ville, Paris, etc. Quand j’entends que du This Mortal Coil — qui, d’ailleurs, reprenaient sur l’album “It’ll
Barbara, j’ai juste envie de me flinguer. Mon environnement musical End In Tears”, “Holocaust” d’Alex Chilton dont j’adore “Thirteen”. Là
depuis que j’ai cinq ou six ans, c’est le rock’n’roll. J’étais enfant quand encore, un hommage parfait et tremblant au rock’n’roll et à ses illusions :
les Beatles ont sorti leur premier single. Le rock’n’roll a tout irrigué. “Rock And Roll Is Here To Stay”. Quand on sait qu’Eyeless In Gaza est
J’écoutais ça à la radio, m’endormais avec mon transistor. Le jour de sa le titre d’un livre d’Aldous Huxley qui a écrit “The Doors Of Perception”
sortie, sur Europe 1, passe “God Only Knows” des Beach Boys. Cela dont le groupe s’est inspiré pour trouver un nom ! Je pense aussi à Leonard
m’a bouleversé ! Pareil pour “Sgt. Pepper’s…”. En plus, ça sonnait Cohen, qui a écrit “The Beautiful Losers” dont je me suis inspiré.
grandes ondes, j’adorais ce son. Dans mon album de 2021, “Wine Bref, j’aime cette idée de constellations qui se forment sans cesse.
And Resurrection”, j’ai essayé de retrouver ce son lo-fi, qui viendrait
d’une radio lointaine. On passe devant un garage, un type répare sa R&F : Quand, dans les années soixante-dix, alors élève
voiture et on entend une chanson, comme ça, au loin. du lycée Voltaire, vous sortez “Season”, on perçoit déjà
l’influence prégnante de la folk et d’une pop ouvragée héritée
R&F : Quelle musique écoutait-on chez vous ? des sixties.
Jay Alansky : Mon père était éditeur de musique, il n’aimait pas du tout Jay Alansky : Oui, à l’époque, ce sont les Beatles, les Beach Boys,
“Un disque
avec le double album aux bouteilles de
Coca. Un choc esthétique, le contraire
du rhythm’n’blues dont les groupes
et visionnaire”
avec Bob Dylan dans “Like A Rolling
Stone”. Le son, l’urgence, le lyrisme,
et puis les voix, de Dylan, de Bowie,
de Lou Reed ! Et Marc Bolan ! T. Rex,
Crosby, Stills, Nash & Young, Simon j’ai aimé dès 1968, avec “Debora”.
And Garfunkel, une espèce de folk où Puis, l’album de soixante-dix, “T.Rex”,
la mélodie est fondamentale. Lorsque, génial. De cette période, il y a aussi
enfant, j’entends les mélodies de Burt Sparks, qui ont traduit en anglais les
Bacharach — peut-être le plus grand chansons que j’avais écrites pour Lio.
mélodiste de tous les temps — comme Il y a un autre artiste que j’aimais
“What’s New Pussycat?”, chantée beaucoup, c’est Jobriath. “Creatures
par Tom Jones, je suis complètement Of The Streets”, son deuxième album
bouleversé. Dans les années soixante, de 1974, complètement décrié comme
les mélodies et les harmonies étaient du sous-Bowie, contient des chansons
très complexes et ça faisait des succès folles. Ce type à la voix nasillarde avait des harmonies incroyables.
énormes. Dans les années quatre- New-yorkais, gay, flamboyant, proustien même, au sens où c’est un
vingt, le groupe qui faisait le lien avec malade de réminiscences. Le glam a été très déterminant, jusque dans
Bacharach, dans la démarche harmo- la façon très maniérée de chanter qui venait de Lou Reed. Mon album
nique, l’attachement aux mélodies com- le plus électrique, “Our Secret Place”, de 1994, en est très marqué.
plexes et en même temps immédiates,
c’était Prefab Sprout. Je pense notamment R&F : Que gardez-vous des années soixante ?
à “From Langley Park To Memphis”, Jay Alansky : Les Pretty Things, sublimes, Procol Harum, groupe
de 1988. Enorme influence de Paddy spectral avec des textes étranges, “You skip the light, Fandango” dans
McAloon. Mais, aujourd’hui, le hip-hop et la musique électronique, “A Whiter Shade Of Pale”, ça ouvrait
que j’aime beaucoup par ailleurs ont appauvri harmoniquement plein de portes ! Comme les collages à
le spectre. La simplicité et l’efficacité priment. la Burroughs chez Bowie ou ces visions
qui se télescopent chez Bolan, ces
chansons mystérieuses du John Cale
Sous acide de “Paris 1919”. Et les Kinks ! Mon
R&F : Pour autant, dès la fin des années quatre-vingt-dix, premier EP, c’était “Dead End Street”.
vous vous orientez vers l’electronica avec votre projet Les Doors aussi ont été très importants.
A Reminiscent Drive. Leur psychédélisme était enraciné dans
Jay Alansky : Oui, j’en avais marre de la pop, du rock, des chansons. le blues, la solitude et la désolation de
La techno, l’ambient arrivaient. Il Los Angeles, avec des textes bourrés de secrets et d’obsessions qu’on
y avait déjà eu Brian Eno ou le rock décryptait inlassablement. Morrison était vraiment transgressif, une
allemand, en précurseurs. Kraftwerk sorte de théâtre de la cruauté à lui seul, la connexion sombre avec le
fut une découverte incroyable, surtout Velvet. Tout en cuir, à la Gene Vincent, l’outrage, l’excès, à l’instar
“Trans Europa Express”. Donc, fin des Stooges, que j’ai également adorés, “1969”, “Search And Destroy”.
quatre-vingt-dix, c’était assez logique Sous acide à 17 ans, c’était quelque chose ! Il y avait aussi Love avec
d’explorer cette musique à ma manière : “Forever Changes”, troisième album totalement baroque, typique de
une musique électronique à la main, sans cet affranchissement des formules instrumentales classiques du rock,
ordinateur. J’adorais “Endtroducing.....” tout ça initié par les Beatles bien sûr. Tout à coup, tout était possible,
de DJ Shadow, uniquement fait les cordes, les clavecins, les trompettes. Là encore, un disque drogué,
de samples, incroyablement riche lumineux et visionnaire. Bon, je n’ai pas encore parlé des Beatles !
harmoniquement et très lyrique. Ou
le premier Aphex Twin. En fait, le fil R&F : Nous y venions !
rouge, pour moi, c’est le lyrisme, une Jay Alansky : J’ai une théorie en trois phases : la révélation, le
espèce d’emphase. Quelque chose qui mystère, la présence. La révélation, c’est ce qui se passe quand on
soulève, qui me rappelle Phil Spector, découvre un groupe comme ça. Dylan roule sur une autoroute en
le maître absolu, avec ses cathédrales Amérique, il entend “I Want To Hold Your Hand”, il s’arrête net ! Le
sonores, ses symphonies de poche, mystère : comment est-il possible qu’ils aient fait ça en 1964 et, trois
comme il disait. ans plus tard, “Strawberry Fields Forever” ? Aujourd’hui, les gens
mettent dix ans à faire dix morceaux ! Enfin, la présence. On écoute un
R&F : Le glam rock, aussi, vous a marqué. remastering et on est encore scié par la présence des voix. Les Beatles
Jay Alansky : Le glam rock, bien sûr ! Adolescent, j’ai entendu “Life ont la grâce jusqu’à “Abbey Road”, dont la face B est pure luminosité.
On Mars” de David Bowie à sa sortie, ou “Starman”, à Londres, c’était Les Rolling Stones ne rivalisent pas, même si j’aime beaucoup
énorme. Mais avant ça, il y avait le Velvet Underground, découvert un album mésestimé comme “Their Satanic Majesties Request”.
Candeur
et gravité
R&F : Votre album de 1993, “Honey
On A Razor Blade” réunit tous ces
aspects, l’emphase et le lyrisme.
Jay Alansky : Oui. Après, il y a chez
Todd Rundgren une incandescence,
un rapport à l’enfance, aux souvenirs
massacrés par la violence du monde
auquel je suis très sensible. Comme une apparente légèreté. “Night Fever” est un hymne incroyable ! Je
chez les Beach Boys ou Syd Barrett. commençais alors à travailler avec Lio sur “Le Banana Split”. Berger,
Je me souviens du premier album solo avec “Dancing Disco”, écrit pour France Gall, photographiait bien
de Barrett, écouté en pleine descente mieux l’époque. “Viens, Je T’Emmène”, c’est simple, magique, il y a
d’acide. Il s’arrête, reprend, n’arrive une foi incroyable. Pour revenir à Fitzgerald, je pense à Eric Carmen,
plus à chanter, c’est le chaos. Je passais mort récemment, qui avait écrit une chanson extraordinaire, “Boats
de ça à “Sunflower” des Beach Boys, Against The Current”, où il reprend cette idée que nous sommes
album magnifique, et me souviens avoir comme des bateaux sans cesse rejetés par les courants vers notre
été tiraillé entre le désordre mental de passé. C’est vraiment quelqu’un qui a
Barrett et la plénitude harmonique presque effrayante des Beach œuvré pour le rock’n’roll. Comme Karl
Boys sur “Cool Water” ou “Forever”. On a toujours envie de pleurer. Wailinger, créateur de World Party et
Sinon, en matière de lyrisme, je voulais ajouter un groupe méconnu, ancien des Waterboys. Ces gens-là ont en
The Blue Nile. Un son clinique, presque froid, avec la voix de Paul commun ce rêve de fabriquer la chanson
Buchanan, brisée, au bord du malheur, même si la rédemption n’est parfaite, et cela me touche beaucoup.
jamais loin. Comme chez Nirvana, dont on pressent quelque chose Comme chez les Flaming Lips. “The
de complètement excessif et très lyrique, cette façon de démarrer Soft Bulletin”, de 1999, est le dernier
doucement et d’exploser, cette violence, ce mal-être. grand album que j’ai écouté. Ce n’est
pas toujours très juste, mais ils mettent
R&F : En 1980, après l’explosion toutes leurs ressources mélodiques dans
punk et l’arrivée de la vague cold, cet album, fantastique. Même chose
vous sortez le fitzgeraldien “Tendre avec “In The Aeroplane Over The Sea”,
Est La Nuit”, plus proche de Michel de Neutral Milk Hotel, sorti en 1998,
Berger que du rock qui vous a un album fou. Deux albums pleins de
nourri. foi, de lumière, d’une intensité presque
Jay Alansky : Oui, c’était ma façon de insupportable, de candeur et de gravité.
retrouver une fraîcheur. Au début du Même si la mort rôde toujours.
punk, j’ai adoré Suicide, Richard Hell,
les Buzzcocks, “Spiral Scratch”, leur premier EP avec “Boredom”, R&F : Qu’est-ce que le rock’n’roll pour vous ?
“Orgasm Addict”. J’ai acheté les Sex Pistols, j’ai aimé tout ça mais, Jay Alansky : Une vie fantasmée, comme le dit Lou Reed dans
après, j’ai senti un essoufflement. Le disco, dont j’étais fan, renouait “Berlin”, “Living my life by proxy”. H
avec les musiques noires de Smokey Robinson, Curtis Mayfield. Ça me
parlait presque plus que la new wave, même si j’ai acheté “Love Will
Tear Us Apart” à sa sortie. J’aimais cette profondeur cachée derrière Mixtape “Do Anything” Bandcamp https://jay-h-alanski.bandcamp.com
DICKEY BETTS
1943-2024
Cofondateur des Allman Brothers dont il fut le principal architecte sonore,
le compositeur de “Blue Sky” et “In Memory Of Elizabeth Reed” est parti
reformer son duo avec Duane Allman le 18 avril, à 80 ans.
IL EXISTE UN CERTAIN NOMBRE de jouer ensemble. A Dickey la mélodie, de facto et le principal compositeur. Son
DE PHOTOS SAISISSANTES DE à Duane l’harmonie. C’est par l’entremise “Ramblin’ Man” introduit la country dans
DICKEY BETTS MAIS ON PEUT du bassiste Berry Oakley, avec lequel il a l’univers du groupe et décroche la timbale.
S’ARRÊTER SUR L’UNE DES PLUS fondé Second Coming, que Betts croise la Les Allman sont à leur apogée commercial,
CÉLÈBRES : CELLE QUI ORNE route de ce guitariste blond déjà légendaire mais les Brothers se déchirent. Séparation,
“AT FILLMORE EAST” (1971). Un dans la région : Duane tente alors de recruter reformation en 1979, nouvelle séparation
mur de briques, des flight cases empilés Oakley pour son trio avec le batteur afro- trois ans plus tard. La véritable renaissance
et six jeunes musiciens du Sud plus américain Jaimoe, mais le bassiste refuse interviendra à la fin de la décennie. Trois
ou moins hilares — assis un sourire de faire sans Betts. Lequel renâcle, jusqu’à albums inspirés, des sommets retrouvés.
innocent aux lèvres, Duane Allman une jam épique à Jacksonville (Floride), Betts est aux commandes, mais son
tient entre ses mains croisées un sac le 23 mars 1969, avec un deuxième batteur, caractère s’y prête-t-il vraiment ? Ce
de dope qu’il vient de récupérer Butch Trucks. Le frère de Duane, Gregg, n’est guère l’avis du batteur Butch Trucks,
de son dealer. Boots croco, veste rentre de Californie, passe à l’orgue et qui pointera ses penchants tyranniques,
en cuir, Dickey Betts est assis à ses au micro et l’histoire est en marche. Si alimentés par la boisson et la cocaïne. Au
côtés, le seul des six à ne pas regarder le premier album est composé par Gregg printemps 2000, coup de théâtre : Betts
l’objectif de Jim Marshall. Riant Allman, Betts place deux morceaux sur apprend par fax qu’il est congédié. Fureur,
lui aussi mais l’air un peu ailleurs. le deuxième, l’enjoué “Revival”, tirant course-poursuite avec la police en Floride.
Au sein de cette fraternité que fut sur le gospel après une intro sublime, et Il remontera un groupe, poursuivra une
la première formation des Allman “In Memory Of Elizabeth Reed”, l’un des œuvre solo entamée trois décennies plus tôt
Brothers, et jusqu’à son éviction plus majestueux instrumentaux du rock. par le magnifique “Highway Call” (1974).
du groupe en 2000, Dickey Betts C’est sur “At Fillmore East”, capté live Il raccroche les gants et la Les Paul en
fut un personnage à part. Une âme les 12 et 13 mars 1971 à New York, que 2018, non sans avoir passé le flambeau
solitaire, tenue à devenir un meneur le groupe gravit l’Himalaya : une section à son fils Duane, son portrait craché,
d’hommes par la force des choses. Il rythmique qui swingue et trépide, un jusque dans les envolées de guitare,
fut surtout le principal architecte des orgue crémeux comme à l’église et les cette façon, notamment, de concevoir
innovations musicales induites par le deux guitares qui gravent les nouvelles chaque solo comme une composition.
sextette quand bien même celui-ci Tables de la Loi. Elles vaudront à Duane Personnage complexe, Dickey Betts était
portait un autre nom que le sien. la postérité, mais Betts s’offre des moments tout à la fois un cow-boy et un Indien,
Ce qui fut loin d’aller de soi. d’une grâce absolue : le développement un contemplatif qui consultait un guide
déchirant sur “Whippin’ Post”, la longue spirituel navajo et pouvait retourner un
échappée sur “You Don’t Love Me”, la bar à lui tout seul. Il lègue certains des
Jam épique charge sabre au clair de “One Way Out” plus beaux instrumentaux du rock, des
à Jacksonville (sur “Eat A Peach”)... Puis Duane se tue œuvres ciselées, sensuelles, organiques :
Né le 12 décembre 1943 à West Palm à moto en octobre, imité par Oakley “High Falls”, “Jessica”, “Les Bres In
Beach, en Floride, Forrest Richard Betts un an plus tard, et tout change. A Minor”… Des morceaux témoignant
Photo Dave Brewster/ Star Tribune/ Getty Images
commence à tâter des cordes à l’âge de de son amour d’une country lumineuse,
cinq ans ; son père, violoniste, ses oncles, également, comme “Blue Sky”, cité
guitaristes, s’adonnent au bluegrass, aux Congédié par fax par son compadre Bob Dylan dans
musiques acadiennes, à la country, et le “Je pensais que les Allman étaient un son récent “Murder Most Foul” :
jeune homme saura faire bon usage de cet groupe de blues jusqu’à ce que je découvre “Play Blue Sky, Play Dickey Betts”.
apprentissage : en transposant ces lignes la version menée par Dickey Betts”, nous Betts s’est éteint dans sa propriété de
mélodiques harmonisées au rock, au blues, disait récemment Ewan Currie, le leader Floride qui s’ouvrait sur le golfe du Mexique
en y ajoutant l’influence du jazz, lui et des Sheepdogs, avant de confier son amour le 18 avril, à 80 ans, laissant Jaimoe comme
son comparse Duane Allman inventèrent pour le jeu du guitariste. Avec “Brothers seul survivant des Allman d’origine. H
une nouvelle façon pour deux guitaristes And Sisters” (1973), Betts devient le leader BERTRAND BOUARD
relancé la mode des lustres plus tard, parmi les classiques, repris mille fois, jamais McCartney, James Burton et Steve Cropper.
dans les années quatre-vingt, tous égalé, une menace flippante durant à peine Ça se bousculait au portillon pour rendre
plus navrants les uns que les autres. quelques minutes. Avec Link Wray, c’est hommage à la légende, le “king of twang”.
l’invention des Cramps en direct. Il y Il entre au Rock And Roll Hall Of Fame
en a beaucoup d’autres encore. Il faut en 1994. Que reste-t-il de son héritage ?
Le son de Phoenix entendre l’intro de “Have Love, Will Des morceaux tellement connus qu’on a eu
Eddy était techniquement moins doué Travel” (morceau chanté, oui) pour y tendance à ne pas les réécouter depuis trop
que l’incroyable Dale et moins novateur croire. Hazlewood était un génie du longtemps. Et pourtant, en les remettant
que Wray. Mais il a envoyé les tubes à un studio, il savait aussi trouver les sur la platine, à fort volume, c’est un
rythme infernal : seize singles dans le top bons musiciens. Les enregistrements émerveillement intact qui donne toujours
40 américain, expédiés entre 1958 et 1963. de Duane Eddy à l’époque sont des raison au vieil adage : “Less is more”. H
Douze millions de disques vendus en six ans. modèles sonores. D’authentiques mètres NICOLAS UNGEMUTH
Steve Albini
1962-2024
Le révéré ingénieur du son et musicien américain est mort subitement à 61 ans.
DEPUIS SA DISPARITION, LE 7 MAI, du pacte faustien avec une major. Son à cette époque qu’il devient une sorte
Steve Albini est évoqué avec tristesse premier fait d’armes majeur est la captation de saint, respecté et craint pour ses opinions
par beaucoup de groupes et artistes du premier album des Pixies, “Surfer Rosa” tranchantes comme un scalpel sur une bande
qui ont travaillé avec lui. Au-delà de la (1988). Outre la qualité du disque, immense, 2 pouces. Après “In Utero”, tout le monde
compétence et de l’éthique de travail on y entend tout ce qui fera la marque de souhaite le recruter, Bush, Cheap Trick,
qu’on lui connaissait, l’ingénieur du fabrique de ses enregistrements. Le groupe Low, Helmet... Robert Plant, apparemment
son est décrit comme attentionné, joue en direct avec des médiators en métal, fan de Big Black, convie Albini pour l’album
arrangeant, de bon conseil face mais le maniaque aux lunettes rondes du retour avec Jimmy Page, “Walking Into
aux pièges du business ou encore réussit à saisir sur bandes quelque chose Clarksdale” (1997). Tout le monde, dans
excellent cuistot. Albini avait en plus, le son de la pièce, des fréquences tous les styles, veut le son Albini, synonyme
ouvert son studio à Chicago en 1997, et résonances qu’on n’entend pas ailleurs. de naturalisme et d’authenticité, ce qui
Electrical Audio. Il estimait à 1500 le Il a notamment un don extraordinaire pour devient pour les directeurs artistiques
nombre d’albums capté par ses micros. faire sonner les parties de batterie. Rien rusés un argument à mettre sur le sticker
d’ésotérique là-dedans, Albini travaille du CD. L’Américain s’en moque, il accepte
comme un artisan méthodique. Sa science les clients sans rien écouter et applique le
Théoricien des hertz parasites et du placement des même tarif à tout le monde, qu’il s’agisse
de l’underground microphones est précieuse dans une époque d’un groupe non signé ou de Dionysos.
Il naît à Pasadena, Californie, le 22 juillet (les années quatre-vingt) et un mouvement
1961 mais grandit dans le Montana, à (le punk et l’indie rock) où la majorité des
Missoula. Le premier album des Ramones productions sonnaient mal. Le succès Poker, Scrabble et politique
est une épiphanie. Steve joue de la basse des Pixies lance sa carrière. Avec Kim Deal Outre Big Black, il joue aussi dans Rapeman
dans Just Ducky, un groupe punk de lycée, toujours, qui deviendra l’une de ses clientes à la fin des eighties, un autre projet assez
crétin et violent comme il se doit. Il écrit les plus fidèles, il enregistre “Pod” (1990), duraille dont il regrettera les pochades
aussi dans le “Hellgate Lance”, le journal le premier Breeders, en Ecosse. Encore une provocantes sur le racisme, le fascisme
du lycée où il dézingue déjà la musique merveille de dynamique et d’équalisation ou la misogynie parfois prises au premier
qu’il n’aime pas, s’attire diverses menaces ciselée. Tad, Jesus Lizard, Pussy Galore, degré. Son grand attelage artistique était
mais écrit aussi une longue tribune sur Jon Spencer Blues Explosion passent dans bien sûr Shellac, un trio où il chantait et
la difficulté d’être gay en milieu rural. Il ses vumètres et, en 1993, Nirvana fait appel jouait de la guitare, bien plus intéressant
part dans l’Illinois, s’inscrit à l’université à ses services, au grand dam de Geffen qui pour qui aime autre chose que le noise et
Northwestern où il étudie le journalisme. espère quelque chose d’aussi accrocheur que le hardcore. Il refusait d’être crédité comme
Il fonde un autre groupe, Big Black, “Nevermind”. Albini met en boîte “In Utero” producteur, préférant “recorded by”. Une
dont il est d’abord le seul membre avec avec une brutalité parfaite mais la maison coquetterie ? Non, Steve Albini saisissait
une boîte à rythmes Roland TR-606, mais de disques choisit de remixer les singles. On les groupes tels quels. Il en a magnifié
finit par trouver des musiciens humains à découvre au cours de cet épisode qu’Albini beaucoup et a aussi enregistré des
mesure qu’il s’intègre à la scène souterraine tenait à un certain nombre de principes. albums ratés d’artistes majeurs (“Rid Of Me”
de Chicago. En concert, c’est un déluge Il refuse le pourcentage de royalties que de PJ Harvey en 1993, “The Weirdness”
hardcore de Telecaster aigües (jouées avec le label lui propose et préfère facturer ses des Stooges, qu’il vénérait, en 2007).
la sangle attachée autour de la taille et le services à la journée (900 dollars en 2024). Albini avait d’autres passions : le poker
T-shirt rentré dans le jeans) et de sonorités En fait, alors que le rock alternatif cartonne, (deux tournois World Series gagnés),
industrielles. “Songs About Fucking” (1987), il devient une sorte de délégué syndical la cuisine, la menuiserie, le Scrabble,
l’album le plus connu de Big Black, est occulte du rock américain, un théoricien la politique. Ses réflexions sur la musique,
parfait pour faire partir les invités qui restent de l’underground. Il écrit à cette époque intelligentes et drôles, laissaient entrevoir
Photo Archives Rock&Folk-DR
trop longtemps. Albini vit ces années dans la une sorte de pamphlet, “The Problem With un penseur qui aurait écrit des livres
scène punk chicagoane comme un sacerdoce. Music” (lisible sur internet) qui décortique formidables. Mais sa courte vie
C’est là qu’il développe sur le tas ses talents de façon brillante l’arnaque orchestrée s’est achevée trop tôt, sans prévenir
d’homme de son. Il enregistre le premier par les grosses maisons de disques qui (crise cardiaque) après soixante
Slint ou Urge Overkill, formation qu’il fournissent de mirifiques avances pour et une années d’action. H
assassinera dans une tribune au moment mieux saigner la bête. C’est sans doute BASILE FARKAS
SHANNON
AND THE CLAMS La puissante chanteuse d’Oakland revient avec un disque tragique
et grandiose dédié à son fiancé mort dans un accident de la route.
IL Y A DES INTERVIEWS PLUS Que faire de toute cette peine ? Des chansons. Roy Orbison aurait adoré chanter. “Joe s’était
SENSIBLES QUE D’AUTRES. Celle “C’est comme ça que je fonctionne. Quoi qu’il mis en tête de m’apprendre à jouer de la guitare.
consistant à interroger une chanteuse sur m’arrive dans la vie, je transforme ça en musique. Même si je suis nulle, raconte cette bassiste.
son fiancé mort tragiquement peu avant Je n’ai même pas eu besoin d’en discuter avec Pour notre mariage, j’avais écrit cette chanson
leur mariage n’est pas la moins délicate. le groupe. Ces mecs sont comme mes frères, ils en utilisant uniquement les accords qu’il m’avait
Août 2022. Shannon Shaw est la plus savent comment je travaille. Et eux aussi avaient appris. Et puis… il est mort... Et au-delà du
heureuse des femmes. Son dernier album besoin de dire au revoir à Joe. Ils venaient de chagrin d’avoir perdu Joe, j’étais triste que
avec les Clams, “Year Of The Spider” perdre un ami. Et puis la musique est arrivée le beau mariage qu’on avait préparé ne se
tourne bien et elle va épouser l’homme très vite après la disparition de Joe. J’ai pris fasse pas. Triste que personne n’entende cette
de sa vie, Joe Haener, un rocker fermier ça comme un signe que l’univers m’envoyait.” chanson. Puis la tristesse s’est transformée en
doux comme un agneau. Mais soudain, colère. J’ai fini par me dire ‘Fuck that, cette
un cataclysme. Un virage au bout d’un chanson doit être entendue !’ ” Dès le deuxième
champ. Un pick-up qui arrive en face. Marche nuptiale titre, les choses se gâtent. “The Hourglass” est
Une collision. Un coup de fil de l’hôpital Après des semaines de larmes et de doutes, de un cyclone d’angoisse crachant des chœurs
suivi d’une douleur impossible à négocier. jams et d’écriture (le guitariste Cody Blanchard et fantomatiques et de la limaille de fer. “C’était
“J’étais à mon enterrement de vie de jeune le clavier Willl Sprott signent et chantent eux aussi un choix conscient de mettre ces deux titres l’un
fille en Californie quand j’ai appris la quelques chansons), le groupe accouche d’une à côté de l’autre. En quelques secondes, on passe
nouvelle. J’ai pris le premier avion pour vingtaine de titres. De quoi sculpter un LP. du bonheur au chaos. C’est ce que j’ai ressenti à
l’Oregon sans savoir si Joe était encore Le disque démarre par une marche nuptiale la mort de Joe.” Pendant qu’elle nous parle, les
vivant. Je suis passée du moment le plus pleine de promesses, “The Vow”. Une chanson larmes coulent sur le visage de la chanteuse.
heureux de ma vie au plus violent.” sur un amour absolu. Le genre de truc que On voudrait la consoler ou au moins lui tendre
un mouchoir, mais nous sommes en 2024 la mémoire de son fils ou le dernier Sufjan les erreurs sont souvent plus intéressantes
et nos échanges se font par écran interposé. Stevens dédié à son partenaire disparu… Nos que les bonnes réponses : “Voilà. Et pour moi,
Heureusement, son chien Spanky-Joe, qui pose étagères sont pleines de disques endeuillés. Mais c’était parfait parce que ça venait de Joe. Il est
fièrement sur la pochette de l’album, gratte à ce septième album de Shannon And The Clams mort peu de temps après. Et dorénavant pour
la porte pour venir à son secours. “Il sait que est différent. Ce n’est ni une marche funèbre ni moi, la lune sera toujours au mauvais endroit.”
j’ai besoin de lui”. On reprend. Le travail avec un mausolée. Le chagrin y prend des formes Ces chansons douloureuses, il va falloir les
Dan Auerbach, moitié des Black Keys, qui étonnantes : rock cosmique (“UFO”), ballade défendre sur scène. Chaque soir, traverser
produit une nouvelle fois le groupe ? “C’est pastorale (“Into The Grass”), swing étrange façon le chagrin : “Je m’y prépare comme je peux.
le quatrième album qu’on fait ensemble. Cette Andrew Sisters sous acide (“Big Wheel”) ou J’ai pris une coach vocale, une amie de Joe.
fois, Dan nous a laissé beaucoup d’espace. Il sait doo-wop faussement enjoué (“Bean Fields”). Un Elle m’apprend à me ressaisir. Et si j’éclate en
qu’on ne déconne pas. Son studio à Nashville disque bigarré mais cohérent, dont chaque rayon sanglots, c’est pas grave. Je ne vois pas comment
est vraiment incroyable. Le moindre équipement pointe vers Joe. Jusqu’à son titre cryptique : “Un il pourrait en être autrement, je pleure déjà à
a une histoire dingue. Comme la console de jour Joe est rentré d’une journée merdique au chaque interview. Mais je veux rester solide. Je
mixage qui vient de Muscle Shoals. Quand j’y boulot. Il m’a demandé : ‘Comment vous dites, veux faire ça pour Joe. Pour ses amis, sa famille.
rentre, je veux être à la hauteur.” déjà, en astrologie quand tout part en sucette ? Et pour les gens qui auront un jour à traverser
La lune est au mauvais endroit, c’est ça ?’ ça. La vie est ainsi faite, on devra tous affronter
Photo Jim Herrington-DR
J’ai trouvé la phrase tellement poétique que je un jour la mort d’un proche. Et la musique peut
Marche funèbre l’ai notée. C’était étrange comme question parce être un remède. J’y crois.” H
“Tonight’s The Night” de Neil Young, “If I que j’y connais que dalle en astrologie. En
RECUEILLI PAR ROMAIN BURREL
Could Only Remember My Name” de David fait, il voulait me demander si Mercure était Album “The Moon Is In The Wrong Place”
Crosby, les disques de Nick Cave honorant en rétrograde.” Les musiciens le savent, (Easy Eye Sound)
022 R&F JUIN 2024
Tête d’affiche
“Les harmonies sont un art perdu”
été entendues”. Une excellente idée, tant des artistes comme Unknown Mortal
Orchestra et surtout Connan
titres comme “Mannequins” ou “Growing Mockasin. Pour la scène actuelle,
Mould” méritent d’être découverts, avec leurs Michael Cathro nous a livré ses
RECUEILLI PAR ERIC DELSART
constructions étranges et leurs harmonies conseils avisés avec notamment
The Beths, Ringlets ou Vera Ellen. Album “Kingdom In A Cul-De-Sac”
sublimes. “Les harmonies sont un art perdu (Think Zik!/ Virgin)
“L’outsider de service”
GRANDADDY
Le retour du groupe de Jason Lytle, après sept années de deuil et de silence,
est une des belles surprises de cette année 2024.
CERTAINS CONSIDÈRENT QUE PARMI R&F : Bien que jeune, vous n’êtes plus R&F : Vous avez toutefois effectué un
LES GROUPES DE LA VAGUE INDÉ exactement un gamin. Est-ce l’album énorme travail d’arrangement sur ce
AMÉRICAINE DES ANNÉES QUATRE- d’une certaine maturité ? disque, sur les voix notamment…
VINGT-DIX, QUI A ÉGALEMENT Jason Lytle : J’en suis effectivement à ce stade Jason Lytle : Je suis très méticuleux dans
DÉPOSÉ LES FLAMING LIPS OU de ma vie où j’ai fait une sorte de paix avec ce domaine. Les chœurs ne sont pas toujours
MERCURY REV SUR NOTRE RIVAGE, moi-même et acquis une certaine sagesse. Ça comme un millefeuille avec des dizaines de
GRANDADDY EST CELUI QUI A RATÉ me permet d’agir comme bon me semble et non couches, mais je réfléchis beaucoup aux
LE COCHE. On ne partage pas du tout pas en fonction de ce qu’il y a autour de moi. endroits où ils doivent intervenir.
ce point de vue, mais on admet que Jason
Lytle et ses camarades (ou plutôt sans) R&F : Vous n’éprouvez plus le besoin de
n’ont pas toujours été faciles à suivre. prouver quoi que ce soit à qui que ce soit ? Des dollars
Pourtant, depuis 1997, la formation Jason Lytle : Exactement. Avant, on avait une R&F : Les relations avec l’être cher,
originaire de Modesto (oui, la ville de sorte de complexe d’infériorité. Mais l’idée houleuses ou pas, semblent être votre
“American Graffiti”) n’a publié que six d’être l’outsider de service ne m’a jamais thème de prédilection.
albums studio, et “Blu Wav”, le plus récent, dérangé. Je n’ai pas voulu rentrer dans un Jason Lytle : Là encore, je n’y ai pas trop
n’est que le premier depuis sept ans. moule, me conformer à quoi que ce soit. Je réfléchi avant de comprendre que la plupart
En vérité, Jason Lytle, l’homme à (pres- suis une sorte de punk en paix avec lui-même. des chansons tournaient autour de ça… J’espère
que) tout faire de Grandaddy, n’a pas Quel drôle de mélange ! toujours qu’elles seront un peu plus joyeuses
chômé mais, depuis la reconnaissance mais, au final, elles le sont rarement (rires).
du public (et ses pairs) suscitée par “The R&F : Les textes de “Blu Wav” sont cash :
Sophtware Slump” en 2000, il ne s’est attacher de l’importance à l’honnêteté et R&F : Après tout, c’est l’intention qui
jamais abaissé à courir après le succès. La à l’intégrité fait de vous un cas à part… compte…
première fois que le groupe a mis bas les Jason Lytle : Je tenais compte de plus de choses Jason Lytle : C’est ce que je me dis aussi !
marteaux, Lytle s’est consacré à d’autres auparavant et mon but, c’était de transformer Mais chassez le naturel et il revient au galop.
projets musicaux (Admiral Radley, BNQT) tout ça en émotion, en un état d’esprit. Mais cette
et a même enregistré des disques sous son fois, je n’avais même pas réfléchi à un nom pour R&F : “Cabin In My Mind” est du calibre
nom seul. Finalement, en début d’année, l’album ou à la façon dont j’allais bien pouvoir de “In My Room” de Brian Wilson…
sept ans après le décès du bassiste Kevin présenter ces titres sur scène. Jason Lytle : C’est un morceau que je trim-
Garcia (et l’annulation de concerts de réunion balais depuis des années, notamment le titre ;
prévus) et plusieurs annonces contra- R&F : Grandaddy est plus que jamais un je l’aimais tellement que je me devais de réussir
dictoires, Jason Lytle est revenu, seul mais one-man band… quelque chose avec.
sous le nom de son groupe, avec ce disque, Jason Lytle : Je tiens à préciser que durant
peut-être son dernier, que la presse anglo- toutes ces années, ma relation avec les autres R&F : Peut-on caresser l’espoir de
saxonne et ce journal ont logiquement membres du groupe a été assez exceptionnelle. voir Grandaddy sur scène en Europe
encensé. Il est vrai que sur les disques, j’ai parfois tout prochainement ?
joué, mais nous sommes restés proches. Il y a Jason Lytle : Aucun projet pour l’instant, mais
deux choses qu’il faut savoir concernant notre enregistrer ce disque m’a rendu plus ouvert, plus
Etat d’esprit relation. Premièrement, j’ai toujours eu besoin réceptif, et je suis prêt à étudier les propositions.
ROCK&FOLK : Dans la chronique de de leur avis. Quand je disparaissais pendant Je suis partant pour des expériences, mais pas
“Blu Wav”, on a écrit qu’il reflétait votre deux semaines, puis revenais avec des démos, forcément pour une tournée de cent dates.
vie, une sorte de grand huit émotionnel. il m’importait de savoir ce qu’ils en pensaient. Je préfère la qualité à la quantité.
Jason Lytle : Pour être honnête, je ne suis pas Sur ce point, je dépendais d’eux. L’autre chose
certain d’être en mesure de décrire ce disque ou c’est que ce qui comptait vraiment pour moi, R&F : Le Greatest Hits Tour n’est donc
la musique qu’il y a dedans. J’ai travaillé dessus c’était que nous restions de très bons amis. Vous pas pour tout de suite ?
Photo Dustin Aksland-DR
sans savoir ce que je faisais, mais en espérant savez, on n’était pas les meilleurs musiciens du Jason Lytle : Non, il faudrait me faire
qu’à un moment, il allait finir par faire sens. Je monde et j’ai fait avec. Je n’aurais pas pu faire miroiter des dollars pour ça ! Mais surtout,
me dis toujours que les choses vont prendre un album de prog rock avec ces gars-là, mais ne jamais dire jamais. H
forme au mastering mais à la fois, je sais que c’est eux que je voulais avec moi. Et cette sorte RECUEILLI PAR JEROME SOLIGNY
c’est très hypothétique (rires). de limitation a joué dans le son du groupe. Album “Blu Wav” (Dangerbird)
LAST TRAIN
Le quartette mulhousien crée la surprise avec un essai expérimental.
LAST TRAIN NE SE CONTENTE PAS d’une musique de film : les titres ont été sur des parties percussives sans batterie
D’ÊTRE L’UNE DES VALEURS changés car c’est un jeu de piste où tout est en se familiarisant avec les timbales, les
SÛRES DE NOTRE SCÈNE ROCK référence à notre répertoire. percussions.
ET UN FAROUCHE DÉFENSEUR DE
L’INDÉPENDANCE ARTISTIQUE R&F : Concrètement, comment cela R&F : Et, personnellement, vous ne
À TRAVERS LES STRUCTURES s’est-il passé ? chantez que sur deux morceaux…
INDÉPENDANTES QU’IL A FONDÉES : Jean-Noël Scherrer : A la base du projet, Jean-Noël Scherrer : J’aime bien jouer
en attendant un prochain disque se situant nous devions nous occuper de l’écriture plutôt que chanter, et cette expérience m’a
dans la ligne rock qu’il revendique depuis des parties orchestrales. Nous ne sommes permis de me libérer du chant. Cela dit, sur
le début, il n’hésite pas à emprunter des pas des orchestrateurs, mais nous nous y “Heroin”, reprise d’un de nos vieux titres, il
chemins de traverse. Pendant une pause sommes attelés avec notre maigre bagage. intervient comme un besoin d’accroche : la voix
d’un an et demi, il a ainsi travaillé avec Personnellement, j’ai pris des cours de est la signature d’un groupe et elle était utile
l’Orchestre symphonique de Mulhouse piano de sept à quatorze ans, mais mon prof pour mener au final symphonique. Le bonus
la bande-son d’un film qui n’existe pas m’a appris à écouter plutôt qu’à lire de la “Way Out” correspond à une volonté de se
et pour laquelle il ne s’interdit rien : ni musique : j’ai développé une oreille mais marrer, sur le modèle de ces titres extérieurs
de longues envolées symphoniques, ni j’ai toujours des difficultés à déchiffrer le à la commande originale qui apparaissent
un parti pris généralement instrumental, solfège. Ce fut donc très dur et vertigineux pendant le générique de fin d’un film.
ni deux exceptions chantées, ni des pour nous de parvenir à écrire des parties pour
dissonances bruitistes, ni un intermède un cor, un violon alto ou une contrebasse ! R&F : Pourquoi cette tentative electro
électronique — comme nous l’explique Heureusement, Fabien Cali a repris notre avec “Hate And Loathing” ?
son chanteur-guitariste. travail et l’a traduit pour l’orchestre en y Jean-Noël Scherrer : On s’interdisait plein
apportant la finesse nécessaire. de choses pour conserver le rock à guitares
comme ligne directrice. Mais ces sons élec-
Un exutoire R&F : Vous vous éloignez donc du rock ? troniques sont omniprésents dans ce qu’on
ROCK&FOLK : Ne craignez-vous pas Jean-Noël Scherrer : C’est un exercice de écoute aujourd’hui et on voulait leur rendre un
de désarçonner votre public avec cet style. Depuis toujours, notre cadre est celui hommage. Nous avons découvert le synthé et,
album en grande partie orchestral et d’un groupe de rock. On n’est pas de très bons sur ce morceau, il occupe une position lead,
symphonique ? musiciens mais on a appris à jouer ensemble. mais jamais nous ne l’exploiterons dans le
Jean-Noël Scherrer : Certains seront peut- Cela dit, le rock n’est pas que de l’énergie et cadre du groupe.
être surpris et ne s’attendent pas à ce que l’on des riffs de guitare : il existe une sensibilité
revienne avec ce projet à la marge. Mais les derrière et il nous semblait intéressant de R&F : Vous n’envisagez donc pas de
références cinématographiques et le parti la présenter sous une forme radicalement modifier votre formation ?
pris instrumental sont présents chez nous différente. On voulait jouer avec ce qu’on Jean-Noël Scherrer : Cette expérience est
depuis longtemps, quoique d’une manière s’interdisait et qu’on n’osait pas faire. On un terrain de jeu à part qui nous permet de
moins précise et affirmée. Notre précédente ressentait une frustration parce que ce qu’on rester droits dans nos bottes : notre moyen
expérience, un vinyle avec un unique mor- écoute au quotidien se situe parfois en dehors d’expression, c’est un rock organique et nous
ceau de vingt minutes, constituait une sorte du rock : ambient, classique, musique de film. ne voulons pas en changer. Nous n’intégrerons
d’introduction et une manière de vouloir sortir Ce disque est donc un exutoire. pas d’autres musiciens ni de synthé, d’ailleurs
du format rock. Par le passé, nous avions nous sommes actuellement en studio pour
collaboré avec l’Orchestre symphonique de boucler l’album suivant qui se situera dans
Mulhouse pour des arrangements de cordes Vieux titres la suite logique des deux premiers : il sortira
sur quelques morceaux, mais c’était dans R&F : Le batteur, dont l’instrument est dans quelques mois et nous repartirons
Photo Sybilla Weran- DR
une approche pas très intéressante pour ces la plupart du temps absent, ne s’est-il en tournée dans la foulée. H
musiciens. Là, ils deviennent le centre d’une pas senti frustré ? RECUEILLI PAR H.M.
réécriture à partir de nos morceaux qui sont Jean-Noël Scherrer : Il s’est mis au ser- Album “Original Motion Picture Soundtrack”
croisés, modifiés et réécrits dans l’optique vice du propos. Et il a entrepris un travail (Last Train Productions/ Modulor)
TONY TRUANT
L’ancien Antoine Masy-Périer, désormais Truant, est de retour via un album
incandescent enregistré avec des anciens Grys-Grys. Au feu les pompiers !
C’EST DEPUIS SÈTE OÙ IL RÉSIDE “Chouette, Chouette, Chouette”, c’est “Well R&F : Sur les photos de concert, on voit
DEPUIS QUINZE ANS QUE TONY Well Well” de John Lennon. Puis il y a Dominique vous regarder avec une
TRUANT ÉVOQUE SON NOUVEL “Les Petits Ballons”, composée par Serge complicité très touchante.
ALBUM — il en a fait plus d’une dizaine Gainsbourg et Jean-Louis Vannier pour Tony Truant : Il était mon grand frère.
en tout depuis qu’il a quitté le groupe de France Gall. Le morceau se foutait encore Oui, il y avait une complicité énorme. Il était
Rouen — qui crache le feu, son nouveau une fois d’elle, comme avec “Les Sucettes”. gentil, talentueux, intelligent, fidèle, élégant.
maxi (des musiciens différents sur chaque Je suis devenu proche de Vannier depuis Les deux albums auxquels j’ai participé et
face) et un peu de sa carrière chez les que j’habite à Sète. Je lui sers parfois de que je préfère sont “Too Much Class For The
Snipers, les Dogs et les Wampas. Tout chauffeur. J’ai un peu réarrangé le morceau Neighbourhood” et “Legendary Lovers”. Mais
le monde aime Tony : Keith Streng et pour qu’il soit moins méchant. Il y a “First il y a de très bonnes chansons sur les autres,
Peter Zaremba des Fleshtones, les ex- One’s Free”, des Flamin’Groovies, que je comme “A Million Ways Of Killing Time”
Calamités, les frères Tandy, Marie et chantais en yaourt alors que j’étais gamin chez ou “More More More”. Dominique arrivait
Lionel Limiñanas, Pascal Comelade, on en les Snipers, puis une reprise d’un morceau toujours avec des chansons fabuleuses. Et puis
passe. C’est compréhensible : l’homme, de Dominique coécrit avec Gilles Tandy, lorsqu’il prenait un solo, il était reconnaissable
en plus d’être doué, est adorable. “Je N’Irai Pas Jusqu’à 25 Ans”, rebaptisé entre tous, ce qui n’est pas rien.
“107 ans”. Enfin, j’ai voulu reprendre “The
Endless Sleep” (classique du rock’n’roll
Sur un nuage fifties gothique par celui qui a aussi composé Avec les Wampas
ROCK&FOLK : Ce disque est furieuse- “The Fire Of Love”, ndr) un morceau de Jody R&F : Pourquoi avoir quitté le groupe
ment rock’n’roll… Serait-ce dû à la testo- Reynolds que j’ai toujours adoré, rebaptisé alors ?
stérone de vos jeunes accompagnateurs ? “Le Sommeil Sans Fin.” Tony Truant : Je ne pense pas avoir la
Tony Truant : C’est possible. Il y a quatre ex- réponse à cette question. Musicalement,
Grys-Grys. Je les ai connus gamins, lorsqu’ils R&F : Comme Keith Moon avec les Who, Dominique et moi étions en train de nous
se repassaient les cheveux pour ressembler aux vous avez réussi à intégrer le groupe de vos éloigner. J’avais joué douze ans dans le
Downliners Sect ! On a tout de suite sympathisé, rêves, les Dogs… groupe, il ressortait ses premiers albums
d’autant que le père de l’un d’entre eux est un Tony Truant : Oui, absolument. J’en étais d’Alice Cooper. Il aimait bien Kiss aussi. Ce
très bon ami, excellent guitariste qui a joué parfaitement conscient, j’étais sur mon nuage n’était pas mon truc. Je voulais sans doute
entre autres avec Les Vierges. Il avait fait et je ne souhaitais pas en redescendre. Et essayer de faire quelque chose de mon côté,
la première partie des Dogs sur la tournée puis il y avait à l’époque, à Rouen, une atmo- même si cela n’a pas toujours été facile. Mais
“Walking Shadows”. Cette clique de gosses sphère formidable. Le magasin Mélodie nous sommes restés proches : avant sa mort,
est formidable : “ils marchent seuls dans la Massacre, les frères Tandy, le groupe les Flics, on se voyait, on écoutait de la musique. Le
nuit noire ce sont des voyous”, ils ont du style et etc. Et des concerts de groupes américains et jour où j’ai appris son décès, j’étais dévasté.
une âme. Quand j’arrive avec mes chansons, je anglais en permanence, toutes les semaines. Depuis, je pense à lui quotidiennement.
n’ai pas besoin de papoter pendant des heures,
nous sommes en harmonie. Ils me rappellent R&F : Après, il y a eu les Wampas.
Tony Truant : Je connaissais Philippe
beaucoup les Dogs sur plein de trucs, et on se
régale en jouant ensemble. C’est exactement
Tony truandé Almosnino, guitariste du groupe, depuis
A l’occasion du Disquaire Day,
pareil, mais différent quand je joue avec Bongo un album live inédit des Dogs intitulé longtemps. Un jour, je le croise dans la rue et
Joe en duo sur mon maxi. Chantons en chœur “Live At Home”, enregistré il me demande de rejoindre les Wampas. Chez
le 12 mars 1984 à la salle Exo7
avec Crosby “Music Is Love” (Antoine Masy- de Rouen, a été publié, ce qui eux, il y a ce côté Ramones que j’ai toujours
Périer citant David Crobsy, on a failli en faire chagrine Tony Truant. “Je l’ai adoré. Et Didier est un mec super, vraiment
appris totalement par hasard. J’étais
un infarctus, ndr)… Tout cela a tellement bien très fâché que les responsables n’aient impressionnant : ça fait tout de même trente ans
fonctionné qu’on a répété une journée et tout pas pensé à nous prévenir, Hughes qu’il tient son groupe. Ce n’est pas rien.
enregistré en deux jours. C’est correct, en termes (de Portzamparc, bassiste des Dogs, nda) Ça force le respect ; je l’aime beaucoup.
et moi. Les deux derniers survivants
de spontanéité de bonne entente, il me semble. de cette formation. La pochette D’ailleurs, nous allons refaire des concerts.
Photo Angelique Petit-DR
LOU REED
Entre deux rééditions de raretés, le label Light In The Attic publie un disque
de reprises de Lou Reed. Un exercice périlleux auquel des pointures
telles que Keith Richards ou Joan Jett se prêtent avec brio.
CEUX QUI ÉPLUCHENT LES NOTES chez le voisin du dessous et les Afghan
DE POCHETTE, et sont donc curieux Whigs reprennent “I Love You, Suzanne”
de savoir comment et par qui est faite à rebrousse-poil, ce qui est certainement la
la musique qu’ils aiment, se souviennent meilleure chose qui pouvait arriver à cette
peut-être d’avoir lu le nom de Bill Bentley échappée de “New Sensations”. Elle n’est
dans les crédits de “Animal Serenade”, un d’ailleurs pas la seule puisque la chanson
live de Lou Reed remarquable paru il y a qui donne son titre à l’album que Lou Reed
vingt ans. Bentley est un attaché de presse a sorti en 1984 est relue à la Dandy Warhols
américain qui, chez Warner, a travaillé — et sans boîte à rythmes – par les trois
pour de nombreux musiciens majeurs filles d’Automatic (le père de la batteuse est
dont Reed. Journaliste, aussi, il a rédigé Kevin Haskins, frère de David J, et batteur
plusieurs livrets de CD et, parce qu’en de Bauhaus/ Love And Rockets).
plus d’avoir les oreilles affûtées il a le
cœur grand, Bill est à l’origine de “Where
The Pyramid Meets The Eye”, un tribute- Effrayante absence
album à Roky Erickson échafaudé en Naturellement, il n’est pas facile de résister
1990, lorsque le fondateur de The 13th du fondateur du Velvet Underground sont abor- à “The Power Of The Heart”, la chanson
Floor Elevators était dans la mouise. The dables (peu d’accords et des mélodies — les écrite par Lou Reed pour Laurie Anderson
Jesus And Mary Chain, ZZ Top et Primal plus difficiles à composer — qui semblent en 2008, à l’occasion de leur mariage. Elle
Scream avaient notamment pris part à couler de source), mais sa voix et son phrasé, est, en fin de face, interprétée par Brogan
ce disque de reprises particulièrement aussi géniaux qu’inimitables, font que se Bentley, fils de son père et musicien établi à
réussi. “The Power Of The Heart”, dont frotter à une reprise est aussi hasardeux San Francisco. Dans cette version acoustique,
une édition vinyle limitée était disponible qu’une excursion himalayenne en Louboutin. il expose la tendresse du singer-songwriter de
au récent Record Store Day, s’inscrit dans Et donc, dans l’exercice, Keith Richards New York qui, avouons-le, était peu enclin à
cette lignée d’hommages et paraît sur (qui détricote “I’m Waiting For The Man” le faire. Finalement, la meilleure de cet album
Light In The Attic, un label américain qui avec ironie), Rufus Wainwright (il aborde dont le livret est illustré de photos de Mick
brille par la diversité (de ses rééditions). “Perfect Day” au premier degré alors que Lou Rock (et de Timothy Greenfield Sanders) est
Ainsi, depuis 2022 et la parution de s’était contenté du second), Rickie Lee Jones peut-être “Coney Island Baby”, intouchable
“Words & Music/May 1965”, une com- (qui réinvente “Walk On The Wild Side”) parmi les intouchables, que Mary Gauthier
pilation d’anciennes démos, Lou Reed et Lucinda Williams (elle interprète un peu fait sienne sans effort puisque, comme ceux
côtoie des non-genrés de qualité tels “Legendary Hearts” comme si elle était la de Lou Reed, les tunnels existentiels dans
qu’Annette Peacock, Lee Hazlewood ou chanteuse des Pretenders) ne sont pas moins lesquels elle a rampé à l’adolescence se
Tim Buckley. illustres que certains prédécesseurs (David caractérisaient par une effrayante absence
Bowie, Cowboy Junkies, Duffo, les Runaways) de lumière au bout. La folkeuse originaire
et font oublier les vaines tentatives de U2, de Louisiane, dont le “Drag Queens In
Rebrousse-poil Duran Duran ou Billy Idol. On valide aussi Limousines” de 1999 avait peut-être
“The Power Of The Heart” est le nouveau la prestation de Joan Jett et ses Blackhearts emballé l’ex-protégé d’Andy Warhol, débite
Photo Michael Ochs Archives/ Getty Images
volume des “Lou Reed Archive Series”, sur “I’m So Free” (un brin convenue, mais les mythiques couplets la fièvre au cœur.
proposées en bonne entente avec Laurie c’est le geste qui compte), de Bobby Rush Dans le livret, Gauthier confie que sans Reed,
Anderson, pour lequel Bill Bentley a sollicité qui fait sonner “Sally Can’t Dance” comme elle n’aurait jamais trouvé sa voix. Si on veut,
dix musiciens qui se sont chacun approprié Lou Reed avait sciemment évité de le faire on peut remplacer le “x” par un “e”. H
une chanson de l’immense répertoire. Evi- (plus vintage que vintage) et de Rosanne Cash
demment, à l’annonce de sa parution, ce disque qui, ça s’entend, a bien saisi la beauté fatale JEROME SOLIGNY
de reprises de titres de Reed a fait craindre le du texte de “The Magician”. Maxim Ludwig Album “The Power Of The Heart:
pire à plus d’un fan. Certes, les compositions et Angel Olsen font déménager “I Can’t Stand It” A Tribute To Lou Reed” (Light In The Attic)
RichaRd
hawley
Après une longue absence, Covid oblige, le crooner rock
de Sheffield ajoute une nouvelle pierre à sa discographie.
RECUEILLI PAR VIANNEY G.
“C’EST BIEN, ÇA ME RAPPELLE SHEFFIELD !” : IL de Sonny Boy Williamson, d’Anna Calvi, de Jarvis Cocker
PLEUT À VERSE SUR PARIS ET RICHARD HAWLEY SE et de Tom Hanks, et pour finir d’Homo Sapiens himself.
MARRE. L’attente fut longue ; on compte sept ans depuis sa Et évidemment de Sheffield.
dernière venue en France. Il semble le premier surpris de ce
long hiatus : “Sept ans ! Le truc, c’est que le dernier album est
sorti juste avant le confinement. Pour résumer, ça a mis un Cette ville, c’est ma muse
terme à tout, comme un missile qui retombe dans la mer…” ROCK&FOLK : Cela fait déjà cinq ans que “Further” est sorti.
Non pas qu’il soit resté inactif entre-temps, loin de là. Depuis Vous vouliez prendre du temps pour vous ? On a lu quelque
“Further”, son dernier album, il a eu le temps de sortir un part que vous aviez songé à arrêter quand vous avez passé le
“Very Best Of” (commentaire de l’intéressé : “Ça ne pouvait cap de la cinquantaine.
pas s’appeler ‘Greatest Hits’ parce que je n’ai jamais eu le Richard Hawley : Je crois que la plupart des musiciens, lorsqu’ils
moindre hit !”), concocté la juteuse compilation “28 Little vieillissent, en viennent à se demander : combien de temps je peux
Bangers From Richard Hawley’s Jukebox” pour le label Ace encore faire ça ? Ça te traverse l’esprit de temps à autre. J’y ai pensé
(réédition du mois de septembre 2023), dont le volume deux quand j’ai eu 25 ans. Et ensuite à 30 ans, et encore après… Parce que
est actuellement en projet, participé avec son compère Jarvis tu ne sais pas combien de temps tu vas encore pouvoir continuer. C’est
Cocker à la bande-son du film “Asteroid City” et glané un drôle : plus le temps passe, plus je suis détendu et heureux de jouer…
Laurence Olivier Award pour l’adaptation sur les planches Peut-être que je ne vois pas ce que je pourrais faire d’autre ! Mais je
de son septième album “Standing At The Sky’s Edge”. A quoi fais de la musique depuis que je suis gamin et la capacité à écrire des
s’ajoute donc ces jours-ci un neuvième album (ou dixième, chansons n’a semble-t-il pas disparu. C’est comme Son House et Link
cela dépend des comptes), ce “In This City They Call You Wray, ils ont tenu bon. Je ne vois pas pourquoi je n’en ferais pas autant.
Love” qu’on qualifiera d’ordinairement génial, avec le ratio à Et ce n’est pas comme si j’écrivais de la pop : je n’ai pas à composer
peu près habituel de merveilles pures (“People”, “’Tis Night”, quelque chose qui soit (ici il fait une mine pas possible, façon cheerleader,
Photo Dean Chalkley-DR
“Hear That Lonesome Whistle Blow”), le reste étant à peine en secouant les bras en l’air, nda), vous voyez ce que je veux dire ?
moins suprême. Les sujets ne manquant pas, rendez-vous est Ce que je fais n’est pas attaché à un imaginaire de la jeunesse. Mais
pris avec le maire officieux de Sheffield pour une séance de vous oubliez le covid : ça compte pour deux ans, au moins. (Il se détourne
rattrapage dans un discret hôtel place du Panthéon. Pendant pour une demande) Est-ce qu’on peut couper cette musique de merde
un peu moins d’une heure, il sera question de son père et par pitié ? Désolé, mais c’est putain de fatigant !
“Je ne
peux rien
en dire,
on me
mettrait
en prison”
R&F : L’idée pour ce nouvel album était de se concentrer sur R&F : Quel rapport entretenez-vous avec la ville et avec
“Retour vers
dernier album. Dès qu’ils jouent à Sheffield, ils R&F : Vous avez coécrit plusieurs chansons
m’appellent, je les emmène au pub et on picole. du film “Asteroid City” (réalisé par Wes
J’aime tomber sur des morceaux par accident. Anderson) avec Jarvis Cocker, qui a par
Un jour, j’entends une de leurs chansons et je
me tourne immédiatement vers mon fils aîné l’humanité ailleurs été l’un de vos premiers soutiens
lors de vos débuts en solo…
et vers la
pour lui demander : “C’est qui ça ?” Il a regardé Richard Hawley : L’un des premiers, oui.
sur Internet. C’est lui qui doit s’en charger, moi On se connaît depuis qu’on est gamins. C’est
je ne peux pas… J’ai un portable, mais je ne l’histoire d’une vie. C’est drôle quand on y pense,
m’approche pas d’Internet… Pas moyen…
Reste où tu es… Fuck off… J’ai un crucifix et
une gousse d’ail (rires) ! Et il me dit : “C’est ce
décence” le film de Wes. C’est quand même étonnant de
demander à des Anglais de recréer de la musique
traditionnelle américaine. Le titre principal, celui
groupe irlandais, Fontaines DC”. Je lui dis : “Ils sont bons”. Ça n’est que le petit garçon chante, on a écrit ça à distance avec Jarvis pendant
pas simplement un groupe de rock indé, ils ont aussi des racines le confinement. Ça nous a donné quelque chose à faire. A la fin du
profondes dans la musique folk. confinement, Wes me téléphone : ‘Il faut que tu viennes en Espagne’.
Le tournage avait lieu dans un petit village pas loin de Madrid. On était
R&F : Anna Calvi nous a dit récemment que vous aviez évoqué tous sur le même site, les acteurs et l’équipe au même endroit, avec
l’idée d’enregistrer quelque chose ensemble il y a quelques Tom Hanks et Rita Wilson, sa femme. On a fini par devenir copains
années. parce que le week-end, Jarvis et moi, on s’emmerdait vu qu’il n’y avait
Richard Hawley : C’était une idée d’Anna, elle voulait faire un EP rien à foutre ! Donc on sortait nos guitares et on jouait. Petit à petit, tous
de reprises d’Elvis Presley. Je lui ai répondu que ce serait génial, mais les acteurs et les membres de l’équipe ont fini par nous rejoindre. A
le confinement est arrivé et ça s’est arrêté là. Anna est une guitariste la fin — on est resté là-bas pendant deux ou trois mois —, c’était des
brillante. Elle adore sa Telecaster, mais sur scène elle la balance en sacrées soirées, et Wes a dû finir par les limiter au vendredi soir, parce
l’air comme si elle ne valait pas un kopeck ! Elle est incroyable. C’est que si ça durait tout le week-end, personne n’était en état de tourner
une force. Merci de me l’avoir rappelé, ça m’était sorti de l’esprit. le lundi matin ! Rita est une super chanteuse. J’avais apporté l’un des
vieux livres de mon père, un recueil de chansons de Hank Williams.
R&F : On connaît l’importance de votre famille dans votre Un coup, alors que j’étais en train de le lire en mangeant, Tom et Rita
formation musicale, de votre père bien sûr, mais aussi de votre l’aperçoivent et me demandent : ‘Oh, vous aimez Hank Williams ?’. On
oncle ou de votre grand-père, tous musiciens. Il paraît qu’il y a a commencé à discuter et j’ai fini par apprendre à Rita un de ses vieux
d’ailleurs des anecdotes assez croustillantes concernant votre morceaux qui s’appelle “A Teardrop On A Rose”. Et voilà l’histoire.
père et Sonny Boy Williamson…
Richard Hawley : Je ne peux rien en dire, on me mettrait en prison (rires) ! R&F : Vous avez effectivement des goûts très américains,
Je les garde de côté. Il est possible que j’écrive là-dessus un jour. Toutes ça s’entend sur un titre comme “Hear That Lonesome
ces histoires sont incroyables. Funny shit man ! Et très osées, très. Whistle Blow”. Est-ce que le mythe entourant cette musique,
Mais putain de marrant. Et pas seulement avec Sonny Boy Williamson. ça comptait aussi pour vous ?
Mon oncle Frankie a aussi joué avec Little Walter. C’était cinglé… Richard Hawley : Je crois que quiconque écoute de la musique
développe ce genre de fantasme. Parce qu’il y a cette impression
d’altérité qui vous emporte ailleurs, c’est à ça que sert la musique.
Vous aimez Hank Williams ? D’un autre côté, tous les genres de la musique américaine, le folk, la
R&F : Vraiment… ? country, le blues, etc., parlent de trains, de montagnes, de rivières
Richard Hawley : (Il sourit d’un air entendu et finit par céder) Tous ces et de ce genre de choses. Tout ça, c’était autour de moi. Prends le
gros groupes de rock blanc des seventies, on connaît les frasques qui les mythe de John Henry : “John Henry était un métallo”. Mon père était
ont rendus célèbres, eh bien ce n’est rien du tout comparé aux types du un métallo ! J’écoutais toutes ces chansons de manière totalement
blues. Rien. Ils étaient beaucoup plus furieux. Je peux bien en raconter innocente quand j’étais gamin. Ça parlait de mon coin d’une certaine
une… Dans l’Angleterre de 1962, tout fermait à 22 h 30. Donc il n’y manière. C’est pour ça qu’elles ont toujours résonné en moi.
avait plus d’alcool. Et Sonny Boy Williamson, qui était un alcoolique
chronique — je crois qu’il est mort dix-huit mois après cette tournée —, R&F: “Deep waters/ That we’re in” (sur “Deep Waters”), c’est
refuse de monter sur scène tant qu’il n’a pas une bouteille de whisky. Mon votre manière personnelle de dire qu’on est dans la merde ?
père était dans sa vingtaine. Le public était en train de devenir dingue, Richard Hawley : Il suffit de lire les journaux. Je ne suis qu’un
donc Johnny, le batteur, prend mon père dans son van et l’emmène chez guitariste, je ne suis pas un gros bruit (“I’m not a big noise”, nda), mais
son grand-père. Mon père tient la jambe à son grand-père pendant que ça me paraît évident qu’il nous faut du changement, et rapidement.
Johnny tire la bouteille avant de repartir en trombe à la salle et de donner la Il faut faire marche arrière. Retour vers l’humanité. Et retour vers
bouteille à Sonny Boy Williamson. Sonny Boy n’arrive pas à l’ouvrir, donc la décence. Parce que je n’en vois nulle part. Mais permettez-moi
il la fracasse contre la table pour y parvenir et entreprend d’en descendre d’attirer votre attention vers une époque reculée, il y a des milliers
la moitié en une seule gorgée. Puis, il sort sa bite, l’essuie sur le bord de et des milliers et des milliers d’années, quand nous vivions dans des
la bouteille et demande à la cantonade : ‘Quelqu’un veut boire un coup ?!’. grottes, quand la moindre minute était consacrée à la survie, qu’il n’y
C’était ce qu’il faisait pour que personne ne puisse lui voler. Vous vous y avait pas d’interrupteur pour avoir la lumière ni de robinet pour avoir
risqueriez, vous, si vous voyiez quelqu’un coller sa queue contre le goulot ?! de l’eau chaude, quand chaque instant de la vie était consacré à des
Not safe ! Même s’il s’agissait du plus merveilleux grand cru qui soit, il impératifs tels que faire du feu, trouver un abri et de la nourriture, ou
n’y a pas de putain de moyen de me faire boire ça (rires) ! Finalement, ils fabriquer des vêtements. Pourtant, même dans des conditions aussi
sont montés sur scène et ils ont donné un concert incroyable. Et ça, ça extrêmes, on trouvait le temps de peindre sur les murs. Evidemment,
n’est que le début, il y a des choses encore bien pires. Et aussi beaucoup il n’en reste aucune trace, mais je serais prêt à parier — et je ne suis
plus drôles. Les vétérans du rhythm’n’blues, c’étaient les plus sauvages. pas un joueur — qu’il y avait aussi de la musique autour du feu,
Mais ils faisaient ça avec une forme de désinvolture. C’était la vie chez pendant qu’ils faisaient toutes ces choses. Je serais prêt à le parier. H
eux, ça n’avait rien de rose. Album “In This City They Call You Love” (BMG)
POKEY
LAFARGE
Dans son nouvel album, le crooner américain hors du temps
ouvre encore plus son univers country et bluegrass à des sonorités
du monde entier, avec l’élégance qui le caractérise.
RECUEILLI PAR THOMAS E. FLORIN
POKEY LAFARGE MONTE LES MARCHES QUATRE À R&F : Donc, votre lune de miel, cela va être des concerts dans
QUATRE SANS TRANSPIRER DANS SON TRICOT ITALIEN. le monde entier ?
La casquette à la main, quelque part dans la cage d’escalier d’un Pokey LaFarge : Presque le monde entier. L’Asie… On n’a joué
immeuble du XVème arrondissement de Paris, il nous annonce qu’une fois en Inde, et devant des Américains. Puis on essaye d’aller au
qu’il vient de se marier. Mais félicitations ! Moue, seconde Japon, mais ça prend du temps. Cette année, nous irons en Australie,
annonce : certes, mais “Rhumba Country”, son onzième en Nouvelle-Zélande, et Cuba en octobre… mais pas pour la musique.
album l’entraîne dans une tournée d’un an autour du monde. Puis, j’essaye vraiment de jouer au Brésil, car ça, ça serait une tout
“Mince, et votre jeune épouse ?” Soupir de soulagement : autre chose…
naturellement, elle joue dans le groupe. Et c’est peut-être à cela
que l’on doit la renaissance de Pokey LaFarge : un homme dont R&F : Donc Cuba, le pays de la rumba, qui a donné son nom
la musique, après le rétro mélancolique, transpire désormais la à votre album ?
joie. Une clef sort de la poche de son pantalon (deux pinces, Pokey LaFarge : Bien sûr. Ce titre est à lire sur beaucoup de niveaux
évidemment), le parquet grince, il pousse la porte de droite. différents. Il y a cette deuxième chanson sur l’album qui s’appelle
Ici, le soleil et une bouteille de San Pellegrino nous attendent “For A Night”. Techniquement, c’est une rumba. Sauf que c’est une
à une table. Suite de la conversation… chanson de country américaine. Bref : en studio, on l’écoutait et j’ai dit
à mon producteur “quelle drôle de chanson, on dirait une sorte de rumba
country”. Voilà le titre. Mais il y a beaucoup d’autres significations à
Cuba en octobre ce nom : c’est un album lumineux, plein de couleurs et qui doit vous
ROCK&FOLK : Où est-ce que vous vivez désormais ? Car vous emmener dans un lieu rempli de joie, un paradis où résonne cette
avez beaucoup déménagé dans votre vie. musique aux influences caribéennes ; bien que tout cela soit plus un
Pokey LaFarge : Enormément, en effet. Ma femme et moi avons état d’esprit qu’un style de musique à proprement parler.
acheté une maison dans le Maine, à deux heures au nord de Portland,
dans une ville au bord de l’Atlantique qui s’appelle, tiens, comme vous :
Thomaston. Nous l’avons achetée il y a deux mois et nous n’y serons Rythme et bleu
pas du reste de l’année. R&F : Vous dites dans le communiqué qui accompagne
l’album, “peut-être que j’avais le blues (le bleu donc, ndr)
R&F : Mais votre femme part avec vous ? Qu’est-ce qu’elle joue avant, et désormais…” ?
dans le groupe ? Pokey LaFarge : “… je vois la vie en technicolor.” Voilà : il y a eu
Pokey LaFarge : C’est une chanteuse, celle que l’on entend sur l’album. des moments difficiles dans ma vie, mais j’en suis sorti.
R&F : Vous vous êtes rencontrés comme cela ? En jouant de R&F : Et donc désormais, vous êtes le rythme et le bleu ! On
la musique ? ne peut pas vivre de manière mélancolique quand on joue
Pokey LaFarge : Plus ou moins. Elle est californienne et c’est pour cela cette musique, si ?
que j’ai passé beaucoup de temps à vivre là-bas. Elle aimait ma musique, Pokey LaFarge : Yes. Et ça marche dans les deux sens. On ne peut
Photo DR
elle est venue à l’un de mes concerts, quelqu’un nous a présentés, mais pas jouer cette musique si l’on est… Car ce que l’on est, et tout ce que
nous étions tous les deux en couple, et des années plus tard… l’on est, s’invite dans la musique, qu’on s’en rende compte ou non.
Manset
Gérard Manset publie un 24ème album, “L’Algue Bleue”, qui conforte son
statut totalement à part dans le paysage musical français. C’est notre Bob Dylan.
Sauf que dans son cas, on parlera de Never Beginning Tour. Ce qui ne le rend
que plus mystérieux. Entretien avec une légende bien vivante.
RECUEILLI PAR STAN CUESTA
LE PATRON DU RESTAURANT CHINOIS S’AVANCE AVEC R&F : Pensez-vous en termes d’œuvre ?
UN GRAND SOURIRE : “Vous êtes avec Monsieur Gérard ?” Gérard Manset : Je suis toujours dans ce qu’on peut appeler l’œuvre,
Anonymat ou familiarité ? On ne le saura pas, mais cela je continue les mêmes albums, ils s’enchevêtrent, se superposent,
résume assez bien la dualité du personnage. On imagine s’entrecroisent, j’ai toujours des titres qui ont dix ans, d’autres très récents...
Manset austère, secret, limite autiste. “Monsieur Gérard”
arrive, sympathique, disert, drôle... La conversation s’entame, R&F : C’était déjà le cas de “Royaume De Siam”...
off the record. A contrario de son image de “Solitaire”, Gérard Manset : Oui mais à cette époque, ils se chevauchaient sur
Manset insiste sur la nécessité d’avoir un copain, un alter ego. trois, quatre ans, maintenant c’est sur quinze ans, quelquefois vingt !
Il fait l’éloge de Laurent Malek, son ami d’enfance avec Dans le dernier album, “Monsieur” a au moins quinze ans. J’en ai dix
qui il a débuté dans les sixties puis tenu le studio de Milan ; versions, plus longues, plus courtes, avec des cordes, sans cordes, avec
de Bernard Estardy et de son studio CBE ; enfin de Jacques une voix de fille, sans voix de fille... Et le premier titre, “Comment Tu
Ehrhart, son comparse actuel en studio depuis “Matrice”, T’Appelles”, date du Studio de Milan ! Enfin la maquette...
et de Nicolas Comment, son ami et photographe attitré...
Oui, nous sommes bien avec Monsieur Gérard. R&F : Vous reprenez les bandes d’époque ?
Gérard Manset : Non, je réenregistre tout. Le seul pour lequel j’avais
exhumé des bandes de Milan, c’est “On Nous Ment”, dans “Blossom”,
L’œuvre qui est d’ailleurs beaucoup passé en radio... Certaines personnes ont
ROCK&FOLK : Votre carrière et Rock&Folk ont débuté à reconnu les guitares sèches que j’avais faites avec David Woodshill.
peu près en même temps...
Gérard Manset : A Rock&Folk, il y avait Bayon (qui signait alors R&F : Parlez-nous de lui.
Photo Nicolas Comment-DR
Bruno T, ndr) pour les premiers articles, une très belle critique de Gérard Manset : C’est un Anglais qui avait débarqué à Paris, qui
deux pages. J’ai eu la chance de n’avoir quasiment que de très bonnes jouait avec des tas de musiciens, très dandy, immensément talentueux,
critiques. Une ou deux fois, j’ai eu des cassages de gueule en règle... il aurait pu faire une carrière à la Mark Knopfler... Avec le jeune
Mon côté un peu désinvolte a dû en agacer quelques-uns et ça s’est guitariste du dernier album, Fabien Mornay, qui joue très bien, on était
parfois retourné en mauvaises critiques injustifiées. en studio, on faisait un petit break, je me suis mis à parler de David.
Je lui dis : ‘J’ai eu un studio pendant six ou sept ans, j’y ai fait quelques R&F : Quid du premier album ? “Golgotha”, c’est superbe,
albums, j’avais un guitariste anglais, il arrivait, il prenait n’importe pourquoi ne pas le ressortir ? On n’a jamais vraiment
quelle râpe, accordée, par accordée, avec des cordes en moins, il jouait, compris...
une prise, il partait, c’était un chef-d’œuvre’. Bon, ça n’a pas de sens Gérard Manset : Moi non plus... (silence) Je ne le renie pas mais...
de dire ça, alors... Je n’avais jamais fait ça, je vais sur YouTube et je C’est périphérique, ça ne m’amuse pas. C’est bricolé, c’est une sorte
lui mets dans les enceintes “2870” ! Ah, là, il a pâli... Et moi aussi de fausse inspiration. Non, mon univers, je l’assume, c’est “Est-ce
d’ailleurs, parce que je ne l’avais jamais entendu comme ça. Ainsi Que Les Hommes Meurent”, c’est “Matrice”, c’est “Lumières”
qui fait dix minutes. Des choses qui flirtent avec la psychanalyse. Le
R&F : Vous appartenez au monde de la pop ? reste, je m’en fous. On pourrait me dire que “Golgotha” flirte aussi
Gérard Manset : Je n’ai jamais été là-dedans, d’abord parce que je ne avec la psychanalyse. Non, ça flirte avec le catéchisme bas de gamme...
fais pas de scène et que j’ai arrêté la télé depuis quarante ans. Donc, Quand ça n’est pas bien, il ne faut pas le ressortir. Surtout pour faire
sans télé, sans scène, c’est quand même problématique d’envisager quoi ? Pour vendre trois albums ?
des comparaisons avec le showbiz ou la musique pop...
R&F : Mais on pourrait vous dire : “il faut un titre qui passe Inconditionnels
à la radio” ! R&F : Outre “Il Voyage En Solitaire”, vous avez eu quelques
Gérard Manset : Ah mais on me l’a souvent dit ! C’est concevable, chansons avec un côté pop...
j’ai un producteur, Warner, j’ai des budgets d’albums très conséquents, Gérard Manset : Oui, j’en ai encore, mais on ne les entend pas de la
j’ai toujours eu une grande liberté, je fais ce que je veux, donc la même manière parce que la voix est plus âgée. Plus près du premier
moindre des choses, c’est qu’en retour... Je n’ai jamais fait d’album album, d’ailleurs, avec toujours cette veine 1968. Je vous en cite une :
complètement délirant. Je suis très soucieux de l’intelligibilité. J’essaie “L’Amour En Océanie”, c’est “La Femme Fusée” !
d’être plus proche de Balzac que du Nouveau Roman.
Vingt-quatre albums tels qu’ils sont parus à l’origine — les douze premiers en vinyle. Les multiples rééditions CD,
orchestrées par Manset, seront l’occasion pour lui de réorganiser son œuvre : des chansons disparaîtront, voire
des albums entiers, d’autres réapparaîtront ailleurs... Il s’en explique : “J’entends sempiternellement dire :
il nous resaucissonne ses titres, il change les compositions des albums... Je paie le fait de ne pas avoir été
une sorte d’escroc qui mettrait sur un CD la même durée qu’un vinyle, 40 minutes, alors qu’un CD, c’est une heure...
Donc il reste vingt minutes à remplir. Voilà, moi je les ai remplies. Pour ça, il faut remanier les albums.” RECUEILLI PAR STAN CUESTA
“Gérard Manset” tomber dans une sorte de névrose, deux mots...” Ça suffit à empêcher Mais ce disque contient deux pures
(1968) ma barbe a poussé, je me suis la réédition d’un album ? Monsieur merveilles, “Les Vases Bleues” et
Un culte entoure cet album interrogé... On est passé du déconneur Gérard, dans un éclat de rire : “Rouge Gorge”, intégrées à d’autres
plusieurs fois réédité en LP sous Dada à la Magritte à l’introversion “Oui, pendant quarante ans !” albums lors des rééditions CD.
le titre “Gérard Manset 1968”, mais et à la gravité. J’étais le premier
jamais en CD. Il contient le fameux désarçonné... Tout le monde croit “Y a Une Route” “2870”
premier single, “Animal On Est que je faisais mes albums dans un état (1975) (1978)
Mal” mais aussi d’autres pépites, second, jamais ! Je ne bois pas, je ne Manset l’appelle “Le Solitaire” L’un des meilleurs, avec
avec des arrangements de cordes et fume pas. Je suis debout à 9h du mat’, — du nom de son unique vrai tube, son morceau titre splendide et
un son de basse fabuleux. Manset ne je n’écris pas la nuit. Je ne regarde “Il Voyage En Solitaire”, qu’on terrifiant. Manset le sait : “Celui-là
s’y reconnaît pas : “Ça ne m’empêche pas les étoiles, je vis sur les étoiles.” retrouve ici — et il en garde un est du niveau de tous les Anglo-
pas d’être assez admiratif, mais...” souvenir mitigé : “C’est quand Saxons du monde !” A l’époque,
Et si on lui dit que beaucoup de “Long Long Chemin” même aussi très grave, ‘On Sait il déclare ne se mesurer qu’à des
gens l’adorent, il répond : “Oui, oui, (1972) Que Tu Vas Vite’, ‘Attends Que artistes comme Pink Floyd. Il
et je les comprends, c’est Ubu Roi.” “L’Album Blanc”, aussi titré Le Temps Te Vide’...” Les artistes tempère aujourd’hui : “Pink Floyd,
“Manset” — comme les deux ne sont pas toujours les meilleurs ils passaient un an en studio, ils
“La Mort D’Orion” suivants — ou “Celui Qui Marche juges de leur production : ce étaient quatre, ils avaient tous les
(1970) Devant”, d’après l’une de ses disque est un chef-d’œuvre. producteurs du monde. Moi j’étais
“Quand le directeur de Pathé a grandes chansons, ne fait pas seul... Je bricolais mes trucs chez
entendu l’album, il est tombé de partie des préférés de son auteur, “Rien a Raconter” moi, ‘2870’, la bande est inaudible,
sa chaise... C’est porté par un son qui a bloqué sa réédition jusqu’en (1976) c’est des bouts, c’est moi qui ai tout
miraculeux, analogique, et par une 2017 : “Je le trouvais presque Manset a-t-il des albums préférés ? refait. Je n’en suis pas si content
voix toute jeune... Rendons grâce impudique... Et quelques phrases “De moi ? Bien sûr. Les années parce qu’à part le long morceau
à Bernard Estardy. Je n’aurais ne me plaisaient pas, je les trouvais Milan, presque tous... Pas le titre, de l’autre côté, il y a ‘Jésus’
jamais pu faire ça ailleurs, j’avais un peu... auteur Sacem. J’aime à la deuxième, ‘Rien A Raconter’, et je ne sais plus quoi, je m’en
beau arriver avec les pires délires fois être complètement inattendu, parce qu’après le “Solitaire”, j’étais fous un peu...” Mais il contient
en tête, il était partant pour tout ! déglingué, mais dans l’orthodoxie un peu déglingué par le succès...” aussi “Le Pont” et “Amis”,
Mais ‘La Mort D’Orion’ m’a fait de la poésie. Donc, il y avait un ou Ce que laisse deviner son titre. deux de ses plus belles chansons.
“Royaume De siam” on est obligé de tout prendre. “Le Langage Oublié” “Opération aphrodite”
(1979) Voilà, ces trois-là, on prend (2004) (2016)
Encore un jugement sévère sur un tout. Pour moi, c’est UN album.
album de toute beauté : “Enregistré J’ai du mal à les dissocier. “Obok” “a Bord du Blossom”
en une journée, on a fini à minuit. Je peux mettre un titre de (2006) (2018)
Il y a des titres très bien, mais je l’un dans un autre...” “J’étais très content, les gens ne se
vais un peu dans tous les sens...” “Manitoba rendent pas compte qu’il y a cent fois
Le morceau “Royaume De Siam” “Matrice” ne Répond Plus” plus de travail là-dedans que dans
est un sommet. Avec son ambiance (1989) (2008) un album de n’importe qui. Dans ces
orientale, son sitar et ses cordes, Trois albums importants deux disques, il y a des chansons très
c’est le “Kashmir” de Manset. “Revivre” qui marquent un net retour lisibles et très claires : ‘Le Lys Dans La
(1991) en forme. Manset retient surtout Vallée’, tout à fait limpide, ‘Que T’Ont-
“L’atelier Du Crabe” “Matrice” a été le premier album les deux derniers : “Ah oui ! Ils Fait ?’... Néanmoins, l’ensemble
(1980) de Manset directement disque Je mets ‘Manitoba’ et ‘Obok’ étant entrelardé de tous ces textes de
Son album le plus rock’n’roll d’or (100 000 ventes à l’époque), ensemble. ‘Le Pays De La Liberté’, voyage, de navigateurs ou d’Aphrodite,
avec le morceau titre et surtout son plus grand succès, excellent ‘Jardin Des Délices’, personne les gens sont paumés, ils ne sont plus
le formidable “Manteau Rouge” : de bout en bout, intense et inspiré. n’a ça !” “Comme Un Lego”, dans le rock titre à titre. Mais ça
“J’étais jeune, avec une inspiration Pour lui, il forme un tout avec le qui ouvre “Manitoba”, sera n’est qu’à moitié mon problème.”
aussi quelquefois sur des suivant : “C’est un seul album. interprété par Bashung sur
titres rapides, cool... ‘L’Atelier Parce que dans ‘Revivre’, il y a son dernier album, “Bleu Pétrole”,
Du Crabe’, de temps en temps, aussi quelques titres... ‘Tristes qui contient quatre chansons “Le Crabe
il me venait un truc comme ça, Tropiques’, magnifique, de Manset (dont une étonnante aux Pinces D’Homme”
léger, pourquoi pas ? Je n’ai les cordes, j’étais content ! version du “…Solitaire”). (2022)
pas de problème avec ça.” ‘Matrice’/ ‘Revivre’, on prend tout.”
“Un Oiseau s’est Posé” “L’algue Bleue”
“Le train Du soir” “La Vallée De La Paix” (2014) (2024)
(1981) (1994) Double album sur lequel Manset “Donc je me suis écarté de ce que
“J’étais très content d’un titre reprend des anciens titres, certains j’avais fait sur ces deux albums,
qui s’appelait ‘Marchand De “Jadis et naguère” en duo, comme “Animal…” avec qui me plaît beaucoup plus comme
Rêves’...” Ce morceau de douze (1998) Deus : “C’était une demande travail de créateur, où j’avais des
minutes est effectivement le Déjà, dans “Revivre”, on pouvait contractuelle de Warner, j’ai textes, des interventions, on partait
sommet de cet album moins regretter l’utilisation d’une boîte dit ok... Pourquoi pas ? Au dans un délire, une sorte de saga,
marquant que les trois suivants. à rythmes au son assez daté. Ces contraire, j’adore ça. Si demain un péplum qui n’en finit plus, ça
deux albums des années 1990 il fallait que je refasse le premier j’adore. J’en ai vendu quand même,
souffrent de problèmes similaires : album, je le referais ! Mais surtout j’ai eu beaucoup de presse, mais j’ai
“Comme Un Guerrier” “J’ai voyagé pendant au moins refaire ‘Lumières’, ça, je l’avais cru comprendre que même ceux qui
(1982) dix ans dans tous les coins de en tête. Et puis ‘Matrice’ ! Et aimaient, tout ça les égarait... Le
“Lumières” la planète, je n’ai sorti que deux ‘Le Train Du Soir’, avec Axel public de la musique, même s’il
(1984) albums. Et il y a surtout le fait Bauer, superbe !” Le plus beau aime Jacques Brel ou Léo Ferré,
que c’était les débuts du numérique... duo, c’est une version incroyable ce ne sont pas des littéraires, ils
“Prisonnier De L’Inutile” C’était effrayant, pas un studio ne du mythique dernier titre de s’en foutent de Pierre Louÿs,
(1985) s’en sortait, un cauchemar. Là, “La Mort D’Orion” : “On a d’Urfé ou de ‘Lord Jim’... Donc
La fameuse trilogie : “Là, on sur le plan de la production, on au moins la preuve que si je suis revenu, avec ‘Le Crabe
entre dans le dur !” Rien à jeter ? pourrait critiquer. Bon, ce n’est j’avais eu quelques Américains... Aux Pinces D’Homme’, à un
“On ne peut pas dire ça. Ça ne pas grave, parce qu’à l’époque, ‘Élégie Funèbre’ avec Mark album où j’aligne des titres, et avec
serait pas raisonnable. Simplement, les autres n’avaient pas mieux.” Lanegan, ça dégage !” celui-ci, ‘L’Algue Bleue’, pareil.”
SPRINGSTEEN
BruCe trop puissant
Il y a quarante ans tout juste, un gars du New Jersey sortait un disque
qui allait s’écouler à trente millions d’exemplaire en chantant l’Amérique
en jean, les vétérans du Vietnam, les amis de jeunesse et ceux
qui ne se rendent jamais. Ni le rock, ni les USA, ni Bruce Springsteen
lui-même ne se sont jamais tout à fait remis de “Born In The USA”.
PAR LÉONARD HADDAD
Le futur du En 1984, Springsteen est dans sa trente-cinquième année. Déjà dix ans
qu’il est le “futur du rock’n roll”, comme l’a écrit le critique Jon
Landau avant de devenir son “producteur”. Les guillemets sont ici
rock’n’roll, une mesure de précaution tant il semble clair que Landau n’a jamais
produit la moindre note de musique mais autre chose : un propos, un
c’est du passé. purpose, des idées sur ce que Bruce devait faire et sur ce qu’il devait
être. Dans ses mémoires, Steven Van Zandt, bras droit et BFF de
Il est temps de
Bruce n’essaie même pas de cacher sa relation disons “compliquée”
(les guillemets signalant ici un euphémisme) avec la manière dont
Landau prit le contrôle sur la geste springsteenienne, en lui expliquant
devenir son présent ce qu’il devait lire (John Steinbeck), voir (Steinbeck filmé par John
Ford) et écouter (Woody Guthrie), avant de lui dire ce qu’il avait envie
d’entendre : “Tu peux être leur héritier, la voix de l’Amérique blanche
L
de la decency, l’incarnation du pays profond, toi le gars de la côte Est”.
’une des meilleures biographies de Bruce Springsteen ne serait pas seulement une musique — ou une star —,
Springsteen, celle de Peter Ames Carlin publiée il serait un idéal à atteindre, un cocotier auquel grimper, une cause
en 2012, se conclut par une anecdote racontée pour laquelle se battre. Quatre disques plus loin, et alors que le double
par sa sœur Pam, un tour de magie de son frère schizo “The River” (1980) et les chansons décharnées de “Nebraska”
aîné quand elle avait six ans et lui dix-huit. (1982) ont délimité un champ de vision immense mais sciemment en
Devant ses yeux écarquillés, il lança de toutes noir et blanc, Landau et Bruce se réunissent entre quatre-z-yeux et
ses forces une balle vers le ciel, qui ne retomba décrètent que le moment est venu. Passage à la couleur. Le futur du
jamais. Où était-elle passée ? Comment avait-il rock’n’roll, c’est du passé. Il est temps de devenir son présent.
fait ? Une grande part du mystère Springsteen se La grosse affaire, celle qui change tout, est qu’entre-temps, Bruce a eu
niche dans cette parabole. Ce type, il ne s’agissait un tube, un vrai, un truc classé n°5 au Billboard US, une pasticherie
pas seulement de l’aimer, il fallait croire en lui. fourrée à la crème fifties intitulée “Hungry Heart”, le genre de titre
En ce qu’il racontait dans ses chansons, en sa qui a l’air sorti d’un jukebox avant même d’avoir été programmé
sincérité, en son groupe, en son authenticité. Béret gris sur la tête dedans. “J’avais toujours été ambivalent vis-à-vis du succès de masse.
ou saxophoniste black sous le bras, bandana au front ou harmonica (…) Le risque existe de perdre son propre message de vue, d’être réduit
aux lèvres, muscles bandés rock ou blessures pansées folk, derrière à un symbole vide de sens, voire pire. Mais une telle audience est aussi
chacune de ces incarnations, toutes passées à la postérité iconique, il l’occasion de mesurer la puissance et la durabilité de ta musique, son
y a un récit. Derrière chacun de ces récits, il y a une idée à faire valoir, impact sur la culture et sur la vie des gens. Alors tu avances à tâtons
une intention à décoder, un palier à franchir. Le premier, fin sixties jusqu’au gouffre et puis tu te jettes dedans, parce qu’il n’y a pas de pente
début seventies, c’est la promenade sur la Boardwalk d’Asbury Park, douce vers le très grand succès. (…) C’était mon moment, j’étais prêt”,
le petit gars du New Jersey et sa bande de hippies rockers bariolés, écrit-il dans son autobiographie à propos de la genèse de “Born In The
le melting-pot US coagulé autour d’un seul type, sa bonne bouille, sa USA”. Intéressant fatalisme rétrospectif. Comme si être prêt à s’asperger
guitare, sa mystique. S’il y a un point d’origine springsteenien, c’est d’essence et à gratter l’allumette changeait quoi que ce soit au résultat.
celui-là, le papa bipolaire buveur de six-packs de bière dans la cuisine
éteinte, la maman italienne qui tient le foyer à la force de ses petits
Photo Aaron Rapoport/ Corbis/ Getty Images
poignets et le jeune Bruce bien décidé à traverser la street pour trouver Le Boss est devenu le patron
non pas un boulot mais un sens à sa vie. Et s’il y a un point d’arrivée Comme d’habitude, comme sur “Darkness On The Edge Of Town” (une
(au sens de réussite), il a lieu en 1984, matérialisé par trente millions quarantaine d’inédits), comme sur “The River” (autant), Bruce empile
d’albums vendus, son cul sur la pochette et le plus grand riff de synthé les chansons (pas loin du double, lire encadré) dans sa quête effrénée
de l’histoire du rock à guitares (répété soixante-dix fois). Pour la suite de savoir où il en est, où il va et comment. Les sessions s’enchaînent,
de cet article, nous nommerons la chanson, le disque, le triomphe, les se complètent, se contredisent. Les tracklists font de même. Une fois,
malentendus et le point de non-retour qui vont avec, sous un seul et deux fois, trois fois, une sortie d’album est imminente avant que Bruce
même titre générique : “Born In The USA”. ne débranche l’affaire et ne reparte en studio pour quelques chansons
Born in Nebraska
“Born In The USA” et “Nebraska” sont-ils les deux faces d’une même pièce ou un grand écart inouï ? Les deux à la fois.
Après “The River” (1980), lui-même scindé en sera donc d’abord le très solitaire “Nebraska” sessions “Electric Nebraska”) donne envie d’en
trois personnalités — rock de bar du samedi (1982), le choix de la stricte crédibilité plutôt savoir plus sur toutes celles qui n’ont jamais
soir, pop Brill Building et folk (rati)boisé —, que celui de la E Street désirabilité. émergé. Dans les vingt-quatre mois qui
Springsteen enregistre, début 1982, dix-sept Aucune des versions rock’n’rollisées des suivront, Springsteen ajoutera une soixantaine
démos acoustiques dans un style narratif chansons de “Nebraska” n’a jamais émergé, ni de chansons de tous styles à ce premier jet.
aride, en parallèle de sessions garage sur les coffrets d’inédits, ni en B-sides, ni en Outre celles qui constituent l’album “Born In
avec le E Street Band, “deux expériences bootlegs, ni en éditions Deluxe (la dernière, The USA”, une quinzaine sont sur le coffret
d’enregistrement aux antipodes l’une de consacrée à “The River”, a déjà neuf ans). Ce “Tracks” (1995), quelques-unes ont servi de
l’autre”. Des infos concordantes indiquent que qui est sûr, en revanche, et qui fait saliver, c’est B-sides ou d’inédits pour best of, une douzaine
le E Street Band essaie les titres acoustiques en qu’au moins deux chansons du futur album enfin ont été bootleggées. Ce qui nous laisse au
question en mode groupe mais que Bruce bannière étoilée existent, elles, en version folk moins vingt titres de la période “Born In
n’aime pas ce qu’il entend, jusqu’à ce que Jon austère : “Downbound Train” et “Born In The Nebraska” jamais entendus nulle part. Alors,
Landau lui explique que le disque, le vrai, ce USA” elle-même. La qualité (stupéfiante) des Bruce et Jon, il vient, ce coffret, oui ou marre ?
sont les démos elles-mêmes. Le disque, le vrai, versions “groupe” de ces deux titres (issues des LH
de plus. Il enregistre chez lui, dans son home-studio. Il enregistre à
la Power Station et au Hit Factory de New York, dans d’incessantes
montagnes russes inspiration/ writer’s block qui menacent de l’engloutir.
Van Zandt parti en début de programme (il sortira deux albums le
temps pour Springsteen de finir le sien), Bruce écrit “Bobby Jean”
à son sujet, candidate au titre de plus grande chanson d’amitié rock
jamais entendue. Les morceaux présents sur chacune de ces tracklists ?
A priori, deux seulement : les inusables “Born In The USA” et “Glory
Days”, les autres étant abonnés à un jeu de chaises musicales perpétuel.
Lorsqu’enfin satisfait Bruce dépose l’acétate sur la platine de Jon
Landau, ce dernier fait gentiment la gueule. “Manque le tube qui tue.”
A défaut de croire à la légende, imprimons-la : Springsteen répond :
“Y a soixante-dix morceaux, t’as qu’à l’écrire toi-même, ton fichu tube.”
Puis, furieux, il claque la porte et revient le lendemain avec le carton
mondial de “Dancing In The Dark”, son synthé sucré, sa voix poppisée,
son vernis post-“Flashdance” et le sourire de Courtney Cox clippé par
Brian De Palma en guise de dernier piolet dans la roche qui permet à
l’alpiniste de basculer au sommet de la montagne. Le succès de masse
est là, la prophétie (c’est maintenant !) auto-réalisée. Top of the pops,
King of the world. Ladies and gentlemen, le Boss est devenu le patron.
“J’y étais”
De manière fascinante, le Springsteen groomé du clip de “Dancing
In The Dark” et de la pochette intérieure de l’album n’est pas resté
l’image d’Epinal de la période. Rien dans ce premier instantané ne
laisse présager la réinvention de Bruce en Musclor mal rasé de la
tournée qui suivra à l’été 1985. Springsteen se grime en Rambo rock, ce
qui lui sera reproché, alors que le délicieusement bourrin “Rambo 2”
sort justement en mai cette année-là. Interrogé à ce sujet dans le magazine
“Technikart”, Sylvester Stallone dira : “Je suis conservateur alors que
Bruce est progressiste, ok. Mais si tu fais abstraction du bullshit politique,
on se rejoint sur le principal : ce que l’on recherche lui comme moi, c’est
un respect absolu de la dignité humaine.” Bruce interdit donc à Reagan
de faire ses entrées de meeting sur le synthé hurlant de “Born In The
USA”. La chanson se veut un hymne oui, mais désenchanté, sur les
vétérans laissés pour compte (comme “Rambo”, donc, mais le premier,
celui de 1982), le contraire d’une exaltation patriotique, plutôt un
lancement d’alerte. Enfin ça, c’est le texte quand on le lit de près, pas
le sur-texte, ce sentiment d’exaltation quand on hurle le refrain en
brandissant le poing. A l’époque, Springsteen n’a pas encore fait son
coming out politique, la moitié (au moins) de son public est Républicain et
il ne s’agirait pas de se l’aliéner, sinon, bye bye les trente millions d’albums
vendus. Or donc, l’affaire tourne au phénomène. Le disque triomphe.
Les singles se multiplient. Il en sort sept, pas des nains : ils se classent
tous dans le Top 10 US. Et encore, aucune des trois meilleures chansons
de l’album (“Bobby Jean”, “Downbound Train”, “No Surrender”) n’en
fait partie… La tournée, n’en parlons même pas. C’est le temps de la
découverte des stades et des concerts fleuves, quatre heures et demie
par-ci, douze heures trois quarts par-là (ok, oui, on exagère). Les gens
disent “J’y étais” avec des étoiles (blanches sur fond bleu) dans les
yeux. Un an plus tard, Bruce sort une anthologie live de cinq albums,
monolithe monstre à la gloire d’une décennie de concerts. Mais, signe qui
ne trompe pas, il est ostensiblement seul sur la pochette du coffret. Pas
de Miami Steve (devenu Little Steven en quittant le groupe). Pas de gros
saxophoniste black à chapeau. Pas de batteur à lunettes fumées ni de prof
de piano chauve ou de bassiste austère. Il est passé où, le E Street Gang ?
Springsteen est à un tournant. Il s’est marié avec une jeune actrice.
Vit dans une villa à Los Angeles, loin d’Asbury Park. On le voit dans
les tabloïds, il a des vestes “Miami Vice”, presque un mulet, presque le
melon. En quelques mois à peine, c’est tout l’arc tendu vers le triomphe
qui pète comme une corde de guitare qui fait un gros bloink. Le mariage
part en sucette parano, le groupe n’en mène pas large, à qui il est
Rambo rock,
vertige altérerait sa réalité pour toujours en en faisant une superstar
du rock (presque) comme les autres. On ne pouvait plus vraiment
croire en Springsteen après ça. En tout cas, plus comme à un grand
ce qui lui frère adoré. Au fond, c’était inévitable. Quand on envoie la balle vers
le ciel pour de vrai, elle finit toujours par retomber. H
sera reproché Album “Born In The USA, 40th Anniversary Edition” vinyle rouge,
“Best Of Bruce Springsteen” (Sony Music)
THE
“Quand on me demande
comment je me suis senti
en regardant ce film,
je réponds : nostalgique
et un peu triste”
BEACH
BOYS
surfanD Destroy
Un grand documentaire sur Disney+ tente d’apporter une conclusion à l’histoire de
l’immense et chaotique groupe familial. Brian Wilson n’est plus en capacité de donner
son point de vue ? Bruce Johnston et le mal-aimé Mike Love apportent ici le leur.
RECUEILLI PAR BASILE FARKAS
NOUS SOMMES EN 2024 ET, AVEC L’AIDE DE LA SCIENCE, Pas de chance, Mike Love est toujours le patron, en tout cas
DE LA LOI ET DE L’AUTO-TUNE, LES BEACH BOYS le détenteur du nom Beach Boys pour les tournées depuis
EXISTENT TOUJOURS. L’incarnation actuelle du groupe le milieu des années 1990, décision de justice faisant foi.
est la propriété de Mike Love, fameux cousin de Brian, Dennis Quiconque, tel le guitariste Al Jardine qui avait collé un of
et Carl Wilson. Tout a été reproché au Californien au cours the Beach Boys derrière son nom pour des concerts solos en
des soixante-deux dernières années : soif de pouvoir, avidité, 2001, sera attaqué au tribunal. Qui pour témoigner en faveur
Photo Michael Ochs Archives/ Getty Images
conservatisme musical et politique, amour exagéré pour les de Jardine au moment de cette triste affaire ? Brian Wilson, sa
chemises de satin bariolées et les actions en justice auprès de son femme Melinda et même l’estate de Carl Wilson décédé trois
entourage. En opposition aux gentils et sensibles frères Wilson, ans plus tôt. Une affaire parmi des dizaines d’autres dans un
Mike Love tient le rôle du salaud depuis 1962. L’homme groupe qui, pourtant, est donc toujours officiellement actif. Pas
qui n’aimait pas “Pet Sounds”, qui aurait voulu sortir des d’album depuis 2012 (“That’s Why God Made The Radio” où
déclinaisons de “Surfin’ USA” jusqu’à épuisement, le square qui toute la dysfonctionnelle famille était réunie), mais des concerts
porte des casquettes tous les jours, déteste les Beatles, la drogue à cadence élevée. Sans Brian Wilson ni Al Jardine, mais avec
et la finesse psychologique. Le méchant, souriant et brutal. Bruce Johnston, l’homme de “Disney Girls (1957)”.
la carrière des Beach Boys. L’impact des chansons a été très marquant.
Vous saviez qu’un psychologue à Sheffield, Angleterre, a fait une étude
pour savoir quelle chanson vous fait vous sentir le mieux ? La chanson
qui est arrivée en tête du classement est ‘Good Vibrations’. J’ai appris ça
très récemment, c’est pas mal pour une chanson qui est sortie en 1966
et qui a été numéro 1, y compris en Angleterre, tandis que le numéro 2,
c’était les Beatles, hé, hé. On a toujours eu des fans formidables,
partout autour du monde. C’est une bénédiction de pouvoir avoir cette
“il y a de l’amour
entre Brian et moi.
C’est mon cousin”
sur l’album le plus joyeux des Beach Boys, un album que nous aimons
tous beaucoup, ‘Sunflower’.” Sur le suivant, “Surf’s Up”, Bruce pouvait
placer son grand fait d’armes dans le répertoire de Beach (un nouveau
nom auquel a songé Al Jardine à l’époque pour déringardiser le groupe) :
“Disney Girls (1957)”, ballade raffinée et nostalgique qui ne figure pas
dans ce programme Disney.
“Mes chansons ne correspondent pas au groupe, elles n’ont pas le style
Diiv
“FROG IN BOILING WATER”
FANTASY/ UNIVERSAL
Nous sommes en 2024 et l’heure la gestation de la chose a été ne leur avaient pas suffi) avec, la lumière semble toujours au bout
est au shoegaze. Quelques groupes longue, douloureuse, contentieuse, nous dit le dossier de presse, du tunnel. Porté par une écriture
emblématiques, comme Ride et et a poussé les membres du groupe “des guitares, du matériel magnifique, le groupe enrobe ses
Slowdive, ont récemment publié à bout, aussi bien moralement d’enregistrement et des livres tourments de textures soniques
des albums convaincants et vont que physiquement. Il en est ainsi sur les échecs de l’humanité, fascinantes (les couches super-
prendre la route des festivals tandis depuis le début de la carrière de la guerre psychologique et de la posées de “Reflected”, la brume
qu’une jeune scène contemporaine Diiv (qui, pour une fois, n’a pas poésie zen”, dans une sorte d’élan psychédélique de “Little Birds”)
— de Daiistar à Bryan’s Magic perdu de musicien en route) et suicidaire incompréhensible. Un plan et fait mouche dès qu’il met
Tears —, fascinée par l’esthétique des tourments de son leader lose magnifique qui, sans surprise, l’accent sur les mélodies (comme
brumeuse du début des années Zachary Cole Smith qui, dans a été un échec total, autant l’hallucinée “Frog In Boiling Water”
quatre-vingt-dix britanniques, un autre monde, aurait tout personnel qu’artistique, qui a ou “Brown Paper Bag”, magnifique
émerge. Fers de lance d’un premier eu de la rock star idéale (il a été failli provoquer la fin du groupe. chant de défaite). Petite précision
revival shoegaze depuis le début mannequin, a eu des petites amies Deux ans après cette expérience pour les néophytes et les fans de
des années 2010, les New-Yorkais célèbres et sa consommation de sociologique ratée, Diiv arrive longue date que le nom du groupe
Diiv sont un peu à la jonction de ces drogues lui a valu quelques avec un album construit après interroge depuis toujours : Diiv se
deux mouvances, à la fois héritiers tourments avec la maréchaussée). une grande remise en question prononce “daïve”. Le groupe avait
et passeurs, puristes par leur façon “Frog In Boiling Water”, comme personnelle de chacun, un désir choisi à l’origine de s’appeler Dive,
d’en utiliser les codes mais bien son titre l’indique, est un album commun de continuer et des d’après la chanson de Nirvana, mais
plus rock’n’roll dans leur attitude dans lequel transparaît un chansons à la beauté glaçante. le nom était déjà pris par un autre
que leurs illustres aînés. S’ils jouent certain mal-être et dans lequel En 2019, “Deceiver” avait groupe. Un nom à la connotation
beaucoup et impressionnent sur le groupe annonce vouloir décrire été l’album de la résurrection aquatique qui fait écho aux sonorités
scène, Diiv n’avait en revanche l’effondrement de notre société personnelle pour Smith après des productions shoegaze et qui
plus sorti de disque depuis 2019 sous divers angles. La beauté un passage en désintox, “Frog évoque aussi Ride et Slowdive,
et le très tonique “Deceiver”. Comme de la conception de cet album In Boiling Water” est celui de la les deux pôles opposés de cet
à chacun de ses albums depuis réside dans le fait que le groupe renaissance du groupe en tant univers esthétique que le groupe
son premier (“Oshin”, en 2012), a décidé de se confiner à l’écart que tel, et une réussite éclatante. Si n’hésite pas à explorer, revisiter
l’annonce de ce nouvel opus est du monde dans un studio au l’ambiance léthargique de l’album et réinventer de façon magistrale.
accompagnée d’un dossier de milieu du désert Mojave (il est empreinte de ces sentiments JJJJ
presse qui explique à quel point faut croire que les années covid mêlés de désespoir et de dépression, ERIC DELSART
piste aux étoiles JJJJJ INCONTOURNABLE JJJJ EXCELLENT JJJ CONVAINCANT JJ POSSIBLE J DANS TES RÊVES
Comme le veut la pratique actuelle, un an après “Mercy”, qui avait cassé portishead + talk talk = Beth Gibbons. la mort est la seule vraie surprise
plusieurs vidéos annoncent l’arrivée les oreilles et pété la plupart des dents Enfin, plus ou moins... Cet album de la vie. Elle arrive à point nommé
d’un album. “Rhumba Country” est de devant des adeptes du jeunisme est plus difficile d’accès que “Out par on ne sait qui et d’on ne sait où
ainsi précédé par celle de “Sister musical, John Cale, le Gallois volant, Of Season”, coproduit par Adrian Utley et, même lorsqu’elle prévient, elle
André” dans laquelle Pokey LaFarge, signe un tonitruant retour (de plus) (de Portishead, donc) et sorti en 2002, ne communique pas de date précise.
aux allures de Pee Wee Herman, livreur avec cet album excessivement bon. que l’on considérait comme le premier Depuis la nuit des temps, elle est
d’oreillers, n’a pas l’heur d’émouvoir Comme, finalement, depuis un bail, album solo de la chanteuse. A tort : il néanmoins prétexte à moult célébrations
sa cliente. Cette chanson au message Cale refait ici du neuf avec du vieux s’agissait d’un duo avec Rustin Man, artistiques. On la redoute mais, au cas
clair (on ne peut jamais prévoir quand (il a la mémoire longue). Mais le flash- alias Paul Webb, ex-bassiste de Talk où elle ferait un tri, on la flatte. Pendant
on tombera amoureux) illustre à back n’étant pas son grand voyage, Talk, qui a depuis sorti deux albums la pandémie, tandis que la mort s’en
merveille la démarche d’un artiste dont il préfère aller brouter l’herbe bleue sous son nom. Le groupe du regretté prenait à des gens qui, sous le masque,
la simplicité ultra travaillée lui permet des champs de demain. Ex-locataire Mark Hollis plane sur la carrière de la craignaient, le chef d’orchestre
de retrouver une innocence digne des d’une époque dont il a déjà retourné Beth puisqu’ici c’est son ex-batteur, anglais Charles Hazlewood a décidé
Modern Lovers grâce à des paroles la plupart des cailloux (et révélé de très Lee Harris, qui s’illustre. Entre-temps, de lui rendre hommage. A la tête du
limpides et une musique intemporelle, belles choses), John Cale continue sa Portishead, dont elle est (était ?) la Paraorchestra (une formation en partie
gracieuse, ici agrémentée de touches marche en avant et les machines et chanteuse, a sorti un troisième album... constituée de musiciens handicapés)
caribéennes. Dans le même esprit, ordis n’ont qu’à bien se tenir ou, plus en 2018. Ces gens-là prennent leur depuis 2011, Hazlewood a réuni une
avec des images rappelant les films exactement, à filer droit et pas dans temps : Beth a mis dix ans à produire douzaine de chansons “en rapport
de vacances tournés en super-8 muet, les murs. Rarement titre aura été mieux ce “Lives Outgrown” avec James Ford avec la mort ou la mort de l’amour”
“So Long Chicago” parle d’un travailleur, trouvé pour un album pop délayé dans (Arctic Monkeys). Ils ont remplacé et a demandé à Brett Anderson
l’instant qui tend à démontrer que de les interpréter en compagnie
l’avenir (ou ce qu’il en reste) n’est de quelques invités. Cet album live est
qu’un reflet illusoire du passé. Un issu de deux concerts donnés à Cardiff,
passé qui, on a les noms et les fin 2021 et début 2022, et les images du
preuves, annonçait la douleur. premier ont été diffusées à la télévision
Car la pop de John, sans trop britannique. Le chanteur de Suede, ça
cacher son jeu, ne se laisse pas n’étonnera personne, est aussi à l’aise
aborder sans risque. Immanquablement, pour chanter “The Killing Moon” de
on pense à l’écoute de “POPtical Echo & The Bunnymen que la sublime
Illusion” à certaines cascades “It’s A Wonderful Life” de Colin “Black”
impériales de Brian Eno lorsqu’il Vearncombe. Naturellement, il excelle
pousse la chansonnette (“How We dans les relectures de “The Next Life”
See The Light”). Mais en prime, Cale et “He’s Dead” (deux titres de Suede)
déjoue les harmonies, ose la dissonance. et surprend agréablement en partageant
au cœur de son inspiration. Il évoque que trois. Lottie Pendelbury, Rosy Jones
ainsi en quelques courtes notations la et Holly Mullineau. Qui ont laissé tomber
difficulté d’assumer son homosexualité leur pseudo et le producteur Brian
dans un environnement de protestants Carnay, inventeur de cette génération,
méthodistes, l’école, “All That School au profit de John Spud Murphy, l’homme
For Nothing”, la famille, “Father”, du “Cavalcade” de Black Midi. Voici
“Mother And Son”, “Daddy”, la vision pour l’enrobage. L’intérieur, lui, si riche,
d’une Amérique aux mains des amis est bien plus difficilement descriptible.
de Trump, “Cause Jesus wants you Goat Girl serait comme une île où ce
rich the art of the lie” sur “Meek AF”. que l’on croit reconnaître se transforme
En outre, John Grant a toujours injecté sous nos yeux. Certains albums sont
un sens de l’humour désespéré dans ainsi — “Spirit Of Eden” de Talk Talk,
ses paroles. Ayant notamment travaillé “Low” de David Bowie : l’on se perd,
avec Grace Jones et Brigitte Fontaine, le chant est notre seul guide pendant
le producteur Ivor Guest s’est entouré sur son passage. Après quelques que la musique vous ouvre le crâne, de la danse avec “Out From Under” et
de Dave Okumu, le guitariste de The écoutes, il faut retenir une chose : répandant notre imagination en flaque ses majestueuses guitares rythmiques.
Invisible, du bassiste Robin Mullarkey les treize titres possèdent un pouvoir épaisse. Dès son démarrage, le disque L’aventure musicale se conclut avec
de Brotherly et du batteur Sebastian attractif plutôt entêtant. D’ “Albatross” à joue dans le bas, le grave, telle la “Dorothy Says”, un texte inspiré par
Rochford, les synthétiseurs complétant “Albert Road”, le groupe réalise un sans- voix de Lottie Pendelbury qui semble la poétesse et critique littéraire Dorothy
un paysage musical propre à singulariser faute sur le plan de la diversité musicale toujours s’habiller du voile de la nuit. Parker qui multiplie les formules
et à magnifier les chansons. Si le tout en réussissant l’exploit de conserver Il y a bien des merveilles sur cet album : littéraires et s’avère être la parfaite
disco synthétique “All That School une certaine unité. Parmi les hits seize titres, certains de transitions, conclusion d’un album original, celui
For Nothing” est un peu banal, qui parcourent l’ensemble, citons d’étranges comptines folk, de grandes d’un groupe qui n’a jamais connu le
“Marbles”, “Father”, “Mother “The World’s Biggest Paving Slab”, le chansons de rock des années quatre- succès populaire à grande échelle
And Son”, “Daddy”, “The Child dylanien “Broken Biscuits”, l’ultra-remuant vingt-dix et un seul mauvais morceau. mais a su garder une intégrité qui
Catcher” et “Laura Lou” allient une “R&B” ou le nostalgique “Sideboob”. Voici le deuxième grand album de lui permet d’être aussi pertinent
atmosphère onirique à la puissance Au final, un album produit de main Goat Girl : bien trop bon pour être en 2024 qu’il l’était lors de la sortie
des mots, contrastant avec les funky de maître par l’Italienne Marta Salogni, revendiqué par une quelconque scène. du single “Shack Up” au siècle dernier.
“Meek AF” et “It’s A Bitch”. une femme qui connaît son boulot. JJJJ JJJ
JJJ JJJJ THOMAS E. FLORIN OLIVIER CACHIN
PHILIPPE THIEYRE GEANT VERT
elle exhale rigueur et morbidité. Elle rêve d’un palace à Venise pendant que
sied parfaitement au contenu, qui montre les personnages de “Tinseltown” vivent
d’emblée une évolution palpable : il y avec leurs regrets et la conscience d’être
a moins de synthétiseurs et davantage remplacés sitôt leur minute de gloire
de guitares sur “aiw777”, charge punk écoulée. Interprète charismatique tout
bizarroïde dont les ruptures et certains en finesse, Asherton donne l’impression
détours obliques évoquent les Pixies. de se promener ici, ajoutant un saxo par-
La belliqueuse “Sheer” confirme ce ci, un coup de violon par-là, arrangeant
virage, tout comme l’excellente “Ur ses ballades sans les surcharger ni
Cross”, qui lorgne cette fois plus vers étouffer ses mélodies gracieuses dont
“Trompe Le Monde” que “Come On certaines se logent dans la mémoire en
Pilgrim”. Autre sommet : l’accrocheuse deux écoutes. A l’image de “For Added
chanson-titre, dont l’alternance entre Charisma” avec sa guitare empruntée
calme et tempête et le mal-être carabiné aux Byrds, morceau aussi bien gaulé
nous transportent sur les terres de aux yeux cernés des nuits blanches circa qu’un standard pop sixties. Ou implacable, sorte d’anti-hymne à
Nirvana. La même brume désenchantée Pigalle ce qu’on imagine d’angoisses “No Doubt About It”, tranche de l’idiocratie qui nous guette tous.
nimbe les ballades “Nothing” et “Carry nocturnes et de phrases arrachées music-hall enlevé que Paul McCartney “Chat Gepetto” accélère le rythme,
The Zero”, bâties sur des entrelacs aux démons de la vie moderne. Voilà ne renierait pas. Et si, pour cause sature comme il faut. “Le Tocsin” sonne
de six-cordes saturées ou réverbérées. Les Mercuriales, soleil noir dans le de timbre grave, les comparaisons notre fin en galopant entre les barbelés
“Top Range DNA” et l’impressionnante clair-obscur de notre monde agité ; avec Johnny Cash et Leonard Cohen et les saloperies cyniques des puissants.
“Stay A Rat” renouent enfin avec la voilà de quoi grincer, flirter, tomber abondent, on voit plutôt en lui un émule Cyril Cyril chante, oui, une planète qui se
violence gelée des premiers méfaits. amoureux, gicler. Voilà de quoi habiller de Lou Reed lorsqu’il déclare, d’un ton suicide. Sans slogan ni étendard acheté sur
Au terme de ces onze titres aussi nos carcasses malmenées avec une parlé-chanté sur “Enfant Terrible”, Amazon. Ses onze titres sont pourtant des
désespérés qu’impétueux, Rendez classe folle, une façon de se tenir au que le rock’n’roll va sauver son âme. promesses d’avenir de par leur richesse
Vous assoit son statut et cultive monde : façon désespérément chic Rien que pour l’entendre ronronner et leur générosité artistiques. “Le Futur
son aura particulière, fascinante et sombre. “Je ne peux pas avancer “rock’n’roll” sur fond de piano Ça Marche pas”, ultime morceau, et ses
étrangeté, vénéneuse et spectrale. les mains, je ne peux pas toucher nerveux, on peut écouter cet cordes d’apocalypse, ses petits bruits qui
JJJJ les choses” fait entendre à qui veut hymne discret en boucle. explosent ici et là, ses cassures et ses
JONATHAN WITT la voix fanée de Maurice Ronet. JJJJ mélanges, donnent envie d’encore respirer.
JJJJ ISABELLE CHELLEY JJJJ
ALEXANDRE BRETON JERÔME REIJASSE
HOLLAND SONGBOOK”
Les gars arrivaient chez Motown le matin, à de R Dean Taylor, inconnue du grand public ?
Detroit, et en repartaient tard dans la nuit. Ils “Don’t Do It”, live, par le Band, dans un genre
Photo Michael Ochs Archives/ Getty Images
y sont restés de 1962 à 1967, soit durant la très New Orleans, n’est pas mal mais ne vaut
Kent (Import Gibert Joseph)
période “pop” de Motown, avant l’arrivée du pas l’énergie de celle de Daltrey, Townshend,
psychédélisme et de la soul. Lamont et Brian Entwistle et Moon. Fallait-il vraiment inclure
Lorsqu’il pense aux tandems de songwriters, s’occupaient de la musique et de la production, Laura Nyro en 2011, Dionne Warwick en
le grand public a tendance à toujours évoquer Eddie se chargeait des paroles, puis supervisait 1973, Dusty Springfield en 1978 ou la version
les mêmes : Lennon et McCartney, Jagger et les enregistrements et donnait ses conseils épouvantable de “You Keep Me Hanging On”
Richards. Ceux qui sont un peu plus pointus aux chanteurs et chanteuses de l’écurie par les bourrins de Vanilla Fudge ? Pas sûr.
savent que la tradition a commencé, pour le qu’il surveillait de très près. Les tubes sont Reste une leçon de songwriting époustouflante.
jazz et Broadway, des décennies avant, mais tombés comme une avalanche durant six ans.
que, pour la pop, elle a vécu un véritable âge Le grand label anglais Kent a choisi de leur NICOLAS UNGEMUTH
(“A New World Record”, “Out Of The Blue”, “Face The Music”), il faut procure cette illusion : comme si Lennon avait décidé de se renouveler
avoir l’estomac bien accroché. A lui tout seul, “Discovery”, c’est comme en troquant ses ex-collègues contre Supertramp. Autre coup de pouce,
se cogner en continu, une journée entière, les vingt et un albums de Marc Bolan joue sur le bestial “Ma-Ma-Ma Belle”. Et pour la caution
Scorpions. Des disques fantastiques mais bulldozer, rouleau compresseur, classique, l’album se clôt par la cover d’un tube de 1875, “In The Hall
à la fois imaginatifs et ultra-formulatiques, dont on ressort comme si l’on Of The Mountain King” (d’Edvard Grieg, déjà repris par les Who). La
s’extirpait enfin du tambour d’une machine à laver. Il faut recommander pochette américaine, avec photo signée Richard Avedon, montre sept
une écoute homéopathique de ces disques, gavés de chansons démentielles musiciens exhibant leur nombril et un système pileux surdéveloppé.
— “The Diary Of Horace Wimp”, “Tightrope”, “Here Is The News”, Au diapason de l’album à la musicalité décoiffante. H
“Shangri-La”, “Mr. Blue Sky”, “Can’t Get It Out Of My Head”,
“Yours Truly, 2095”, “Fire On High”, “Poor Boy (The Greenwood)”, Première parution : 14 décembre 1973
45 tours
The Judges
“Judgement Day” Tony Truant
Anti Fade/ Total Punk “Tony Truant
Sorti en fin d’année en Australie,
& Bongo Joe/
le premier album des formidables
Tony Truant Présente
The Judges arrive enfin dans les
Les Rois Du Reg-Rock”
Dangerhouse Skylab/ Mono-Tone
bacs à vinyles de nos disquaires
préférés. Ils sont quatre, viennent de Non content de sortir un album
Melbourne et jouent le punk-garage avec les Solutions Du Sud Profond,
le plus dégueulasse entendu depuis Tony Truant publie également un mini-
“Back From World War III” de Jack album dans lequel il présente deux
Meatbeat And The Underground autres de ses projets, comme une
Society (“Goodnight”) ou les premiers sorte de split-album avec lui-
albums de Human Eye (“The House même. En face A, il joue en duo
Always Wins”) et The Hunches avec le percussionniste Bongo Joe
(“Who’s Your God Today?”), des chansons aussi minimalistes
références en termes de rock’n’roll qu’inspirées (“Ils Ebranlèrent
apocalyptique. Une immense claque. Le Monde”). Les trois morceaux
de la face B, enregistrés avec des
ex-Grys-Grys, sont délicieusement
R&B façon Pretty Things, avec
Satellite Jockey l’irrésistible “666 Fois”.
“… Plays Music!”
Another Record
Nostalgie élégante
Le rythm’n’blues à la française, façon Nino Ferrer ou Jacques Dutronc, n’est pas mort !
Ce mois-ci, deux des huit artistes sélectionnés (parmi les cinquante-trois reçus
à la rédaction) rendent ouvertement hommage à ces précurseurs inspirés.
Depuis six ans, nous étions sans Pilier de la scène marseillaise, Le quatuor parisien Sleazy Town Le nom de Pipi Tornado
nouvelles de Madame Robert. Daniel Sani délaisse son a attendu douze ans pour sortir son ressemble à un gag, mais ce quatuor
Ce second album nous rassure : non, pseudo de Dan Imposter — mais pas premier album mais, pour l’occasion, de Montpellier ne se limite pas au
ce quintette formé par le chanteur de ses qualités de multi-instrumentiste et il ne mégote pas puisqu’il s’agit d’un registre déconnant. Formé en 2019
Lofofora avec le bassiste de Parabellum de chanteur décalé — pour célébrer double avec vingt-quatre morceaux par des musiciens venus de divers
et d’autres musiciens émérites (dont un parolier qu’il admire depuis son originaux au compteur. Ces fans groupes et horizons musicaux (rock,
une claviériste bienvenue) n’était pas apparition avec Bijou : Jean-William d’Aerosmith et de Guns N’Roses punk, funk pop), il s’ébroue dans un
un hommage sans lendemain à Nino Thoury. Au gré de chansons plaisantes, y font allégeance à un hard rock brassage d’influences et ce premier
Ferrer. Les dix morceaux pétillants cet hommage inspiré se délecte sleaze qui reste fidèle aux canons du single cinq titres annonce la couleur.
et groovy en sont la preuve : la d’ambiances et références sixties bien genre : guitares à profusion, rythmiques Dès le premier morceau (“Spider”),
célébration décomplexée d’un maîtrisées (connexion Ferrer/ Dutronc !) survoltées, vocaux mélodiques ou on est surpris par les intonations
rhythm’n’blues à la française et de textes fluides où l’amour reste écorchés. Sans rechercher une vocales presque asiatiques. Et la
compte bien s’inscrire dans la le sujet favori mais où affleure une quelconque originalité qui serait singularité de la chanteuse se confirme
durée, revitaliser les souvenirs de nostalgie élégante : “Tu me demandes hors propos, le groupe célèbre quand elle vocalise ensuite (“Pipi Of
Dutronc ou Ferrer première manière à quoi je pense/ Au temps qui passe avec conviction un courant heavy The Apes”) en évoquant les délires
et remettre au goût du jour le culte au temps qu’il fait/ A ce bonheur remontant jusqu’aux années soixante- de Nina Hagen, bien secondée par
de la dérision et du son Stax (“C’Est dans une journée/ Qu’un seul sourire dix… qui étaient justement friandes ses compagnons dans une entreprise
Pas Blanche-Neige Ni Cendrillon”, peut éclairer” (“Daniel Sani Chante de doubles albums conceptuels de tonique, dansante et déjantée
Les Amants De Madame Robert/ Jean-William Thoury”, Les Disques ce genre (“Unfinished Business”, (“Pipi Tornado”, facebook.com/Pipi.
At(h)ome, madamerobert.com). Tchoc, facebook.com/DisquesTchoc). M&O Music, sleazytown.com). Tornado.official, distribution Pias).
Du côté de Saint-Brieuc, Red Rowen Six ans après ses débuts, le trio Venue de Somalie, la chanteuse Sahra A ses débuts, en 2016, Grande
& The Madchester défend une lyonnais Johnnie Carwash Halgan s’appuie sur trois musiciens était un duo tourangeau formé par
noisy pop rock blues qui parvient à illustre avec son second album sa français pour donner une envergure rock un chanteur multi-instrumentiste et
trouver le ton juste et à s’imposer au conception d’un rock impulsif et et groovy à ses chansons : Aymeric Krol, une violoniste. Il est devenu quatuor
fil des onze titres d’un premier album festif qui se réclame de Fidlar (pour qui a étudié la percussion malienne et avec l’arrivée d’une batteuse et d’une
réjouissant. Une voix qui accroche et la hargne) et Frankie Cosmos (pour fondé le groupe BKO Quintet, le guitariste contrebassiste qui assurent à ce premier
interpelle, des climats touffus, des la fraîcheur). Aisément reconnaissable Maël Salètes, membre de l’Orchestre album arachnéen une diversité et une
mélodies prégnantes, des flambées grâce à la voix acidulée de sa chanteuse- Tout Puissant Marcel Duchamp, et densité orchestrales propices à sa volonté
noisy et des pauses presque intimistes, guitariste et à l’énergie qui l’anime, il Régis Monte pour l’orgue vintage et les d’explorer des espaces en apesanteur
tout parvient à happer l’auditeur avec des oscille entre pop déjantée et frénésie ouvertures electro. Unissant tradition et entre folk et rock atmosphérique.
réussites évidentes, comme le fascinant punk tout en cultivant un parti pris modernité, ces derniers lui ont concocté, L’intimisme y fait bon ménage avec
“PJ Song” ou la délicieuse ballade garage. Cet alliage est en adéquation à l’occasion de son troisième album, une profusion de sonorités aériennes,
“The Other Side”. Et sous les influences avec l’insolence et la vivacité un véritable écrin musical pour des et le chant, tout en retenue, égrène des
assumées de la scène américaine des revendiquées, et cette impression de envolées vocales hypnotisantes, mélopées mélancoliques et des textes
années quatre-vingt-dix, on retrouve spontanéité gouailleuse irradie leurs à l’instar de “Sharaf” en guise de qui sont autant de bulles poétiques :
le charme enivrant de groupes garage meilleures réussites, notamment le tourbillon introductif, ou de “Diiyoohidii” “J’ai connu des aurores/ Défié des
des années soixante comme les Seeds percutant “I’m A Mess” (“No Friends comme hymne frénétique (“Hiddo orages/ Et tracé sur mon corps/ Des lignes
(“Red Rowen & The Madchester”, El Tio, No Pain”, Howlin’ Banana Records, Dhawr”, Danaya Music, facebook.com/ de partage” (“Mer N° 7”, On N’Est Pas Des
facebook.com/Madchester.officiel). facebook.com/johnniebecool). sahrahalgantrio, distribution InOuïe). Machines, facebook.com/grannnde). o
De 1976 à 1979, la POWER en trois minutes une quintessence “47 Moons” (2004), “The Beatles” Cheap Trick, les Cars, Nick Lowe,
POP connaît son apogée de power pop, se classe à la 16ème (2009), quatorze reprises des “Labour Of Lust”. Les Nerves n’ont
grâce à l’émergence de place des charts US. En revanche, à Beatles, et “Always” (2014). qu’un seul EP sans succès à leur actif,
formations telles que cause d’une mise en vente trop tardive Paru en novembre 1976, “Tom Petty “The Nerves” (1976) et un mini-album
le Dwight Twilley Band, par rapport au hit, des problèmes de And The Heartbreakers” est un des posthume, “The Nerves” (1986), plus
Tom Petty And The distribution et un conflit entre Cordell grands disques de la power pop. Né le ou moins officiel, sur Offense, mais
Heartbreakers, Shoes, et Russell, “Sincerely” est un échec 20 octobre 1950 à Gainesville, Floride, ce trio a marqué l’histoire de la power
Dirty Angels, The Knack. commercial. Toujours en 1976, Thomas Earl Petty est d’abord un fan pop. La composition de Jack Lee,
DEUXIèME PARTIE Phil Seymour et Dwight Twilley d’Elvis Presley qu’il a rencontré sur “Hanging On The Telephone” adaptée
contribuent aux chœurs sur trois un tournage. Par la suite, les Beatles par Blondie sur “Parallel Lines” (1978)
En 1967, Dwight Twilley, né le chansons du premier album éponyme et les Rolling Stones rejoindront son est un hit international. Si Jack Lee,
6 juin 1951 à Tulsa, Oklahoma, et de Tom Petty And The Heartbreakers, panthéon. En 1970, il forme Mudcrutch guitare, ne réalise que deux albums
Phil Seymour, né le 15 mai 1952 à le premier sur “Breakdown” et avec le guitariste Tom Leadon, le frère dont “Jake Lee’s Greatest Hits Vol 1”
Oklahoma City, partagent le même “American Girl”, le second sur de Bernie des Eagles, un deuxième (1981), de son côté, Paul Collins,
enthousiasme lors d’une projection “Anything That’s Rock’n’Roll”. lead guitariste, Mike Campbell, puis batterie puis guitare, fonde The Beat.
de “A Hard Day’s Night”, le film de Malgré la qualité de “Twilley Don’t Benmont Tench aux claviers. Après “The Beat” (1979) est le premier de
Richard Lester avec les Beatles. Mind” (1977) avec des titres comme deux 45 tours sans succès, le groupe dix albums sous ce nom ou sous
Ils décident aussitôt de former un “Looking For The Magic” avec Tom se sépare fin 1975. Il se reformera celui de Paul Collins Beat, auxquels
groupe, Oister, avec Twilley à la Petty à la guitare, “Here She Come”, de 2007 à 2017, année de la mort de s’ajoutent neuf autres en solo, le
composition, à la guitare et au piano, “Rock And Roll 47”, “Twilley Don’t Tom Petty. En 1976, Petty, Campbell dernier en 2024. Enfin, Peter Case,
et Seymour à la basse et à la batterie, Mind”, “Sleeping”, les ventes, une et Tench créent Tom Petty And The basse puis guitare, met sur pied les
tous deux se partageant chant et nouvelle fois, ne sont pas bonnes. Heartbreakers avec deux autres Plimsouls en 1978 (voir la troisième
harmonies. Très vite, ils enregistrent Désireux d’avoir une plus grande musiciens de Gainesville, le bassiste partie) avant une fructueuse carrière
un grand nombre de chansons sur liberté artistique, Phil Seymour Ron Blair et le batteur Stan Lynch. solo. Une autre formation power pop
un magnétophone TEAC. La plupart s’engage dans une carrière solo. Ajoutant des doses d’americana et s’appelle The Nerves, des Irlandais
d’entre elles seront exhumées sur Il réalise deux albums, “Phil Seymour” de southern rock à sa power pop, dont le seul album, “Notre Demo”,
“Pre-Dwight Twilley Band 1973-1974: (1980) incluant le hit “Precious To Me” la popularité du groupe s’accroît est paru en janvier 1981 sur Good
The TEAC Tapes” (2017). A Memphis, et deux compositions de Twilley, et fortement à partir de “Damm The Vibrations, label des Outcasts et du
le duo est reçu par Jerry Phillips, “Phil Seymour 2” (1982). Peu après, Torpedoes” (1979), “Here Comes premier 45 tours des Undertones,
le fils de Sam, le fondateur de Sun il rejoint les Textones de Carla Olson, My Girl”, “Don’t Do Me Like That”, “Teenage Kicks” en 1978.
Records, et redécouvre le rockabilly. “Midnight Mission” (1984), puis, un “Refugee”, “Century City”. Avec
Après l’arrivée du guitariste soliste Bill an avant son décès le 17 août 1993, les Heartbreakers ou sous son nom, A seize ans, début 1970, Charlie
Pitcock IV, Oister s’installe en 1974 à les Zigs de Tulsa, “The Zigs” (1992). Petty a sorti seize albums en studio, Karp devient le lead guitariste du
Los Angeles où la formation de Tulsa Après un superbe “Twilley” (1989), pratiquement tous recommandables. groupe de Buddy Miles dont David
signe avec Shelter, le label fondé par Dwight Twilley sort une douzaine Hull est le bassiste. Après quatre
Denny Cordell et Leon Russell, autre d’albums, en grande partie avec En 1976 et 1977, parallèlement au albums, Karp, qui a écrit “Busted
ressortissant de l’Oklahoma, qui a Bill Pitcock IV, dont “Jungle” (1984) punk, de nombreuses formations Feet”, et Hull accompagnent Arthur
justement une succursale à Tulsa. avec son deuxième succès “Girls”, participent au développement de Lee sur “Vindicator” (1972) avant de
En avril 1975, le single “I’m On Fire”, chanté avec Tom Petty, “Tulsa” (1999), la power pop. Y sont parfois inclus former White Chocolat avec un autre
Affaire numéro 52
Manu Dibango contre
Michael Jackson
Pas de banco
pour Dibango
ON CONNAÎT LA CHANSON, Amérique, sa maison de disques fait un
ET ON CONNAÎT L’HISTOIRE. deal avec Atlantic. Le saxophoniste et son
Mais il y a aussi la politique. groupe se produisent à l’Apollo Theater,
À la mort de Manu Dibango, le en première partie des Four Tops.
24 mars 2020, l’Elysée réagit par Ça, c’est la belle histoire.
un communiqué qui fait notamment
l’éloge du saxophoniste et chanteur De l’autre côté, il y a le plagiat, le sale
camerounais : “C’est avec un tube funk plagiat. Plus de dix ans se sont écoulés.
en diable, “Soul Makossa”, qu’il avait Le futur plaignant témoigne : “Je l’ai
accédé à une renommée internationale. su parce que la nièce de Léopold Sédar
Un hymne à la danse et au mélange Senghor, ancien président du Sénégal,
qui n’était à l’origine que la face B travaillait à l’ONU : c’est une amie, on
d’un 45 tours sorti à l’occasion de la s’échange des cartes de vœux. En 1983,
Coupe d’Afrique des Nations de 1972, elle l’a conclue en disant : ‘Bravo pour
et qui est devenu, par un improbable ta collaboration avec Michael Jackson’.
cheminement d’admirations et de reprises, Ah bon, je ne suis pas au courant, ça va
un hymne mondial dont le succès ne se être un problème. Je vais à Lido Musique
dément pas : découvert par les pionniers sur les Champs-Élysées acheter le disque.
new-yorkais du disco, pillé par les plus En écoutant le morceau, habilement
grandes stars, cité, repris, il est joué et intégré par Quincy Jones, dès le départ,
rejoué depuis près de cinquante ans.” je l’ai reconnu. Après ça devient évident,
il a dû dispatcher les instruments
Pillé par les plus grandes stars ? Les plus autrement, c’est un sacré arrangeur.
grandes stars ? Mais pourquoi ne pas les Quand j’ai découvert que je n’étais pas
ou la citer ? On vise en premier lieu MJ. crédité, j’ai eu un double sentiment :
d’abord la fierté que ces gens-là, que
Alors que s’est-il (exactement) passé ? j’écoute, m’écoutent eux aussi. Ce que
A l’approche de la Coupe d’Afrique des j’ignorais, ensuite, ce sont les avocats.”
Nations 1972, qui prendra ses quartiers
Photo Michael Ochs Archives/Getty Images
Au cinéma
une bonne
histoire
d’amour
est une
histoire
d’amour qui
dégénère
Quelques poches
d’hémoglobine
Abigail En Attendant La Nuit
En 2019, les duettistes Matt Bettinelli- Dans une banlieue de province,
Olpin et Tyler Gillett se font remarquer une famille débarque. Le père, la
avec “Wedding Nightmare”, chouette mère, la fillette et le fils adolescent.
comédie horrifique qui, avec un sacré Gros problème : ce dernier, atteint
bon esprit (ce qui n’est pas toujours d’une maladie rare, a besoin de sang
évident), se moquait des slashers. Puis, pour survivre. Il lui faut sa dose
après avoir emballé (faut bien vivre !) quotidienne pour ne pas passer de
deux épisodes un brin lassant de la vie à trépas. Sa mère se démène pour
franchise “Scream”, autres mises en aller bosser à l’hôpital du coin et voler
abyme du genre, ils reviennent avec quelques poches d’hémoglobine, tandis
“Abigail” où ils retrouvent leur esprit que son fiston livide tombe amoureux
frondeur et tordu. Il faut dire que d’une fille de son âge. Mais comment
ce face-à-face entre une bande mener son amour naissant avec une
de ravisseurs à la ramasse et leur telle tare ? Très ancré dans la réalité,
victime, une ballerine de 12 ans ce premier long-métrage de Célia
pire qu’une petite peste (et pour Rouzet joue la carte de la tendresse
cause, c’est une vampirette !), est à défaut de l’horreur frontale. Un quasi-
digne d’une version ultra gore de mélodrame, proche de “Martin”, vieux
“Le Grand Chef”, ce vieux film film culte et rare de George Romero où,
de la fin des années cinquante où là aussi, un jeune homme était
Fernandel et Gino Cervi se coltinaient obligé de tuer façon Dracula (mais
les crises d’un enfant irascible qu’ils sans les canines proéminentes)
venaient de kidnapper. Entre deux pour survivre. L’émotion, presque
envolées de sang “Abigail” est digne poétique et bucolique, fonctionne.
des spectacles du Grand Guignol Jusqu’à faire verser quelques larmes
d’antan (en salles le 29 mai). d’apitoiement (en salles le 5 juin).
Abigail
En Attendant La Nuit
Festival
Du Cinéma De Brive
Rencontres Internationales Du Moyen-Métrage
Le moyen-métrage
est un genre un peu
bâtard. A cause de
leur durée (à peu
près entre 30 et
59 minutes), les
films sont trop
courts ou pas assez
longs pour connaître
une exploitation
Reset en salle. D’où
l’existence de ce
festival qui fête
cette année ses
21 printemps.
Cette édition,
bardée de films
offre aussi des
récompenses en
pagaille. On retiendra
entre autres “Reset”
de Souliman Schelfout
J’ai Vu Le Visage Du Diable où l’on suit, en plein
covid, le pétage de
plombs d’un complotiste persuadé que Bill Gates est le responsable
du virus, et qui étaye son illogisme en recoupant des informations
absurdes sur le Net et en composant une chanson rap paranoïaque.
En plus du Grand Prix, “Reset” a obtenu le prix Label de la jeune
création et le prix du Jury des activités sociales de l’énergie CMCAS
et CCAS ! Autre surprise avec le prix (ex-aequo) Ciné + (ce qui lui
permettra d’être diffusé sur la chaîne) attribué à “J’ai Vu Le Visage
Du Diable” de Julia Kowalski qui, comme “Reset”, est tourné en
mode faux documentaire. Dans un patelin paumé de Pologne,
une adolescente persuadée d’être possédée demande l’aide
d’un prêtre exorciste pour faire sortir le mal de ses entrailles.
Déjà couvert de récompenses (prix Jean-Vigo, Grand Prix
Clermont-Ferrand), cette version quasi réaliste de “L’Exorciste”
opère cependant un pas de côté sur le chef-d’œuvre de Friedkin
en parlant des émois durailles de l’adolescence et du fanatisme
(religieux et autre) avec un look mi-rêveur mi-cauchemardesque
digne du grand cinéma polonais étrange des années
soixante et soixante-dix. Plus que William Friedkin,
c’est certainement Andrzej Zulawski qui aurait kiffé !
Mon
Petit
Renne
Entre amour fou Les Bolides
et folie schizophrénique De L’Enfer
(Elephant Film)
Le 11 avril dernier a marqué un tournant dans par une femme quelques années plus tôt. Alors dans Si Tom Cruise et
l’histoire du box-office netflixien avec la mise la vingtaine et essayant de percer dans le monde du Sylvester Stallone
en ligne de “Mon Petit Renne”. Suite à des spectacle, il gagne sa vie comme barman dans un ont tourné leur
éloges enthousiastes transmis via un méga bouche- pub londonien. Un jour, par compassion, il offre un pire film dans le
à-oreille, cette mini-série de sept épisodes d’environ thé à une cliente à la ramasse qu’il pensait ne jamais milieu de la course
34 minutes chacun a battu tous les records d’audience revoir. Celle-ci développe alors une obsession à son automobile (“Jours
avec 10 millions d’heures de visionnages la première égard, le harcelant avec plus de 41 000 e-mails De Tonnerre” pour
semaine, 52 millions la deuxième et 87 millions la et SMS et 350 heures de messages vocaux le premier, “Driven”
troisième. Et cela sans promotion particulière. Côté d’amour et/ou de haine. Elle s’immisce dans pour le second),
cinéma, on pourrait faire un parallèle avec “Trois sa vie sentimentale et familiale, allant jusqu’à ce ne fut pas le
Hommes Et Un Couffin”, la comédie de Coline perturber ses spectacles. Un véritable enfer qui cas pour Tony
Serreau sortie il y a près de quatre décennies, va durer plusieurs mois. Surnommée “Petit Renne” Curtis. En 1954, le père de Jamie Lee
qui malgré un démarrage timide a fini par devenir par cette Martha dont il ne parvient pas à se Curtis, alors star en devenir, avait
le douzième plus grand succès de l’histoire du cinéma débarrasser, Gadd frôle lui-même la folie, perdant déjà à son actif quelques films
français avec plus de 10 millions d’entrées. “Mon Petit confiance en lui-même et en son avenir. Si le cinéma populaires comme “Le Fils D’Ali
Renne” a reçu un taux de satisfaction unanime et nous a déjà proposé quelques bons exemples de Baba” et “Le Voleur De Tanger”.
optimum. Même Stephen King, téléphage de première, femmes persécutrices (“Misery” donc, mais aussi Pour “Les Bolides De L’Enfer”,
a précisé qu’il était rassuré que son propre roman “Harcèlement” de Barry Levinson et “Un Frisson Dans réalisé par George Sherman, il incarne
“Misery” soit sorti bien avant pour qu’on ne l’accuse La Nuit”, premier long-métrage de Clint Eastwood le constructeur d’une nouvelle voiture
pas d’avoir pompé l’idée sur la série. En effet, tout derrière la caméra), “Mon Petit Renne” se distingue de course ultra-performante qui se
comme dans le livre de King — et comme dans la en explorant et en approfondissant d’autres aspects. retrouve contraint de participer à
version filmée par Rob Reiner qui a suivi —, la série Comme le doute de soi, l’ambiguïté masochiste une course pour prouver l’efficacité
explore le thème du harcèlement d’un homme par et la frontière poreuse entre amour fou et de son bolide. Un pitch simple, mais
une femme. Cependant, là où l’auteur de “Carrie” folie schizophrénique. “Mon Petit Renne” agrémenté d’une belle compétition
et “Shining” flirtait avec le grand-guignol, “Mon Petit fonctionne ainsi sur la psychologie tortueuse entre pilotes, d’un triangle amoureux
Renne” fait dans le réalisme total. Puisque l’histoire, de ses deux personnages, chacun présentant très tenu et surtout de véritables
bien que romancée, est basée sur des faits réels un côté Dr Jekyll et un côté Mr Hyde. En particulier courses automobiles bien speed.
vécus par son auteur et interprète Richard Gadd, Martha, incroyablement incarnée par Jessica Cunning, L’une d’elles, pour la première
un comédien écossais maintes fois récompensé qui oscille entre diabolisme et angélisme. fois dans l’histoire du cinéma,
pour ses one-man-shows cinglants dont un, intitulé Une femme perdue qui, en essayant de faire était filmée depuis un hélicoptère.
“Baby Reindeer”, détaille sa propre persécution le bien, finit par faire le mal (disponible sur Netflix). o
Streaming/
DVD/
Blu-ray
Angela Davis
Photos AppleTV-DR
était déjà la contre-culture
1971 : The Year
That
Apple TV+
Music Changed Everything
ANDY WARHOL AURAIT PRIS ÇA POUR UN COMPLIMENT : David Hepworth
est ce qu’on appelle un journaliste musical plutôt, hum, controversé. En son
Royaume-Uni. Ici on ignore tout, ou presque, de lui. Les lecteurs de la presse
anglo-saxonne ont découvert son nom dans le “NME” à la fin des années
soixante-dix et, au cours des décennies suivantes, il a été associé à des
magazines tels que “Smash Hits”, “Q”, “Empire”, “Mojo” ou “The Word”.
C’est dire si ce natif de Dewsbury a ratissé large, mais pas toujours profond.
C’est ce que lui reprochent ses détracteurs, et notamment des lecteurs de
ses livres, heurtés par certaines erreurs factuelles. S’il était traduit chez
nous, Hepworth aurait du succès car en France, au prétexte qu’elle peut
blesser, la vérité est souvent balayée sous le tapis. Même s’il y a à prendre
et à laisser dans ce qu’a écrit cet authentique passionné de musique,
quelques-uns de ses ouvrages sont réussis. On lui doit notamment
“Abbey Road Studios At 90”, un livre de référence sur l’endroit où
les Beatles ont concocté leurs merveilles, paru en 2022, “Overpaid,
Oversexed And Over There: How A Few Skinny Brits With Bad Teeth
Rocked America” (tout est dans le titre, et c’est disponible depuis 2020), et
“1971 – Never A Dull Moment: Rock’s Golden Year”, ouvrage qui a cartonné
outre-Manche en 2016 et a servi de trame à la série qui intéresse aujourd’hui.
Certes, pour Paul McCartney, l’année qui a tout changé est plus certainement
1970, celle où il a annoncé — après avoir demandé à John Lennon de ne pas le
faire pour ne pas risquer d’altérer le succès potentiel de “Abbey Road” — qu’il
quittait les Beatles. Pour David Bowie en revanche, l’année cruciale a plutôt
été 1972, celle où tous ses efforts (disons, ceux fournis depuis 1967) ont abouti
à la création d’un rocker venu d’ailleurs et désormais mythique : Ziggy Stardust.
Des rock stars majeures de la décennie qui, après avoir vécu le traumatisme
du split des Fab Four, ont compris qu’il était sûrement la meilleure chose qui
pouvait leur arriver (la nature a horreur du vide), sont en droit d’avancer que
1972, 1973 et même 1974 (on pense à Queen) sont aussi des années pivots.
Mais en vérité, la date exacte a peu d’importance et ce qu’il ressort du
bouquin de David Hepworth, comme de la série de huit épisodes orchestrés
par Asif Kapadia, c’est que ce début de décennie a bel et bien été une période
majeure de la musique populaire, celle ou évolution a rimé avec révolution.
Kapadia, on connaît puisqu’il est déjà responsable du lamentablement
voyeuriste “Amy” de 2015 (distribué en France par TF1, ça en disait long…)
qu’à l’époque et dans cette rubrique, on a éreinté comme il fallait. Et donc
— cette daube lui a valu un Oscar —, on pouvait craindre le pire de “1971:
The Year That Music Changed Everything”. Mais force est de constater que la
série se laisse regarder. Apple a mis la main au porte-monnaie et beaucoup de
vedettes survivantes (pas McCartney…) et de figures marquantes de l’époque
ont accepté de s’y exprimer. On peut déplorer que, comme toujours dans
ce type d’exercice, il manque des musiciens (et des albums) importants,
ou que certains passages s’articulent autour de faits et de chansons
Tina Turner
Keith Richards
qui ne datent pas de 1971 (“Walk On The Wild Side”, prétexte à l’exhumation
d’images de la Factory, est sortie, en 45 tours et sur “Transformer” en 1972),
mais tout le monde devrait s’y retrouver. Hepworth et donc Kapadia n’ont
évidemment pas manqué de replacer cette succession d’éclosions magnifiques
dans le contexte sociopolitique de l’époque (la guerre du Vietnam, la libération
de la femme, le procès du journal “Oz”…) et il ressort de leur analyse commune
que la seule culture qui valait alors était déjà… la contre-culture. Parmi les
séquences les plus réussies (les épisodes sont davantage fourre-tout que
chronologiques, ce qui n’est pas un problème puisqu’il en va de même pour
notre mémoire), on a retenu celles consacrées à l’engagement politique de John
Lennon (et aux stridences de Yoko Ono, toujours parfaite), aux Rolling Stones
(la débâcle financière, les errances artistiques — “On ne va pas jouer du Chuck
Berry toute notre vie” déclare, à un moment, un Mick Jagger qui ne croyait pas
si mal dire…) et au traumatisme d’Altamont (c’était en 1969), à “Lifehouse” et à
Pete Townshend dans son studio, à l’invention du shock rock par Alice Cooper
(qui, dans une interview en voix off, se défend d’en faire…), aux prédictions
de David Bowie et à la portée de la musique noire, soul comme reggae.
Bref, ces huit pages se tournent, avec de l’huile de coude, un peu
comme les Tables de La loi (attention, la version traduite et doublée,
en surimpression de la VO, est catastrophique et indigne de la compagnie
qui nous a donné — façon d’écrire — l’iPhone). Si l’année 1971 n’a pas
changé le monde, elle a au moins contribué à ce que la décennie qui
l’a suivie soit la plus riche du siècle sur le plan musical. Après quoi,
lentement mais irrémédiablement, les choses se sont gâtées. o
La diva du destroy
Au premier coup d’œil, “Studio Cabana” (Delcourt) ressemble à une énième romance
adolescente entre la bonne élève de la classe et le beau gosse taciturne du collège. Celui-ci, Yusuke
Kusaka sèche les cours au grand dam de Yukari Maki, seize ans et chef de classe autoritaire qui
veille à ce que tout se passe bien dans les couloirs de l’établissement. A force de le harceler pour
qu’il retourne en classe, elle finit par le suivre après les cours. En chemin, après avoir été rejoints
par une espèce de punk à la Bryan Gregory, les deux se rendent dans un studio de répétitions.
En fait, Yusuke est un auteur-compositeur de grand talent spécialisé dans la romance électrique.
Tout se passe bien jusqu’au moment où l’on se pose la question de savoir pourquoi nous ne voyons
jamais Yukari et Yusuke en classe. C’est simple, les deux ne sont pas vraiment dans la même
classe, ils ont quelques années de différence. Grâce au mangaka Agri Uma, c’est “Sweet Little
Sixteen” qui redémarre dans une étude de mœurs des habitudes japonaises plutôt intéressante.
Dans une formule devenue aussi traditionnelle que les lapins en chocolat de Pâques, les Editions
Petit à Petit proposent “Amy Winehouse en BD”, un ouvrage qui détaille plutôt bien
l’une des plus grandes erreurs de management de l’histoire de la musique. Artiste née libre et
incontrôlable, la Londonienne avait tout pour devenir une des plus grandes voix de la soul du
XXIème siècle. Mais ça, c’était avant que l’industrie musicale
ne vienne s’immiscer dans une histoire qui ne pouvait pas
se régler à coups de chèques bancaires. Scénarisée par
Tony Lourenço et documentée par Elsa Gambin, la vie de
la diva du destroy a été partagée en seize chapitres dessinés
par le collectif de dessinateurs et dessinatrices maison.
Véritable patchwork de styles, cette manière bigarrée
de raconter la vie d’Amy Winehouse sied comme
un gant au sujet et cette virée graphique au pays
de la Jet Set 27 se lit mieux qu’elle ne se vit.
Grâce à Pauline de Tarragon, le public sait qu’il peut y avoir une vie après la Nouvelle Star.
Classée troisième dans l’édition 2014, elle s’est fait connaître autant par sa musique avec
Pi Ja Ma que comme illustratrice de livres intelligents pour les enfants. Après des années
de réflexion, elle se lance dans l’introspection à travers son premier roman graphique
“Minuscule Folle Sauvage” (La Ville Brûle). Si elle reconnaît qu’il n’est pas
facile de se mettre à nu pour aller au fond des choses, le résultat obtenu est plaisant
grâce à un dessin tout en douceur qui arrondit les angles des sujets décryptés comme
la solitude, l’impression d’être de trop et l’obligation de supporter les autres. Le livre
démarre sur un visage avec un trou au-dessus de la boîte crânienne. A côté, une
version minuscule de Pauline s’apprête à plonger dans cette inconnue. Dans ce
voyage intérieur où il est aussi possible de croiser Patti Smith, nul ne peut se
sortir de cette lecture sans apprendre quelque chose sur sa propre personne. o
No Fear Of The Dark une disposition à se laisser appeler”. Ça rigole pas. Les Coronados
Une Sociologie Du Heavy Metal Mais ça surprend. Rosa n’hésite pas à souligner Esthètes, Fainéants & Sauvages,
HARTMUT ROSA des faits plus étonnants : les fans qui ont le plus Un Mystère Du Rock Français 80’s
La Découverte en commun avec les fans de heavy metal seraient - Conversation Avec Yves Calvez
Très franchement, il y a des phrases qu’on aurait les amateurs de musique classique, aussi PATRICK SCARZELLO
juré sur sa vie être sûr sûr sûr de ne jamais écrire obsessionnels, dans la même recherche d’un Les Editions Mono-Tone
dans ces pages et sans doute que “un célèbre exutoire, d’une expérience quasi religieuse et, On avait zappé les Coronados et, pour tout dire, on les
philosophe allemand publie un livre sur la tenez-vous bien, plus “littéraires” que les fans de avait déjà un peu ratés dans les années 1980, à l’époque
sociologie du heavy metal” aurait gagné rock classique et très consommateurs d’une presse de leur — petite — gloire, disons qu’on ne pouvait pas
le pompon de l’improbabilité. Hartmut Rosa, spécialisée ultra-abondante en Allemagne. L’auteur tout faire. C’est donc sans aucun a priori qu’on a ouvert
dont nous n’étions guère familiers, ni du nom souligne d’ailleurs que pour les deux groupes de ce livre d’entretiens entre l’auteur Patrick Scarzello et le
ni du travail, avouons-le — bien sûr qu’on le fans, la musique prend une place immense dans leur disert bassiste du groupe, Yves Calvez et oh, quelle bonne
connaissait pas, hein — est en effet un intellectuel, vie quotidienne et “joue un rôle central dans leur vie idée. Non pas que musicalement, on aurait découvert
sociologue et philosophe de renom — askip donc — et dans la construction de leurs identités”. Rosa là une admirable pépite et que depuis la lecture, on
dont nous ignorions aussi la passion quasi religieuse ne manque pas d’arguments et sa solide étude n’écouterait plus que les Coronados, non, ils ont certes
pour le heavy metal. Notons d’ores et déjà qu’on repose sur une intime connaissance du genre toujours la brutalité juvénile et le riff sanglant mais ce texte
est pas du tout spécialiste en heavy metal et encore et de ses sous-genres, musicalement comme est en fait une véritable petite time machine, une de ces
moins en heavy metal allemand alors qu’il semble politiquement le cas échéant. Le cas échéant histoires de gamins, d’énergie brute et de rock dont on
florissant chez nos voisins si on en croit les riches justement vachement souvent vu les images et ne se lasse pas et qui, finalement, nous touche toujours
pages de Rosa. Mega fan et musicien lui-même, les idées parfois douteuses ou carrément puantes plus qu’une énième biographie de star. Mais pas que.
son amour du heavy metal — et de sa douzaine associées à certains groupes que Rosa n’hésite C’est aussi, et peut-être à son corps défendant, une
de sous-catégories, selon ses notes — a bien pas à aborder explicitement sans jamais pourtant description nostalgique d’une France vintage qui, par
sûr incité ce par ailleurs grand intellectuel à se laisser détourner de son évangile passionné petites touches, rappellera un paquet de trucs à ses
coucher sur papier ses réflexions et analyses de brillant fan ultra-connaisseur qui domine son contemporains et en particulier à tous ceux qui ont
sur ce qui est pour lui une affaire très sérieuse sujet et qui, en y cherchant un ordre, une formule, aussi rêvé de rock dans ces années-là. Ils sont tous
et pas du tout le truc de headbangers en recherche cherche aussi évidemment un sens plus profond, là, les tenanciers de magasins de disques entrés
de défoulement qu’on aurait pu croire : Le metal universel autant que sans doute, personnel. dans la légende, les salles de concerts, les ambiances,
n’est pas une distraction. Ou du moins pas Tout ce qui ne tue pas nos oreilles nous les bandes, les labels, ce popu-rock qui survivait tant
seulement”… “Il est fait pour une écoute rend plus fort, en somme, et c’est bien que mal, tous animés de la même impérieuse
engagée, ouverte et sans réserve — précisément : pas ici qu’on dira le contraire. urgence, urgence qui secoue encore à l’écoute
pour une écoute existentielle. Le metal présuppose des Coronados qu’on ne ratera pas cette fois-ci. o
Rock’n’Roll”. Et enfin “Reverence”, pour à incarner. Systématisme du phrasé sont revisités avec maestria et l’air de ne
une version allongée foutraque et psyché, en mode spoken sans relief : le groupe pas y toucher. Les Jaws ont encore franchi
bien Stooges comme il faut. Seul regret : fait tapisserie. La guitare rugit, le public un palier. Avant de partir, ils annoncent qu’ils
cette limitation des décibels frustrante pour s’agite sur le hit ultime “Scratchcard Lanyard”, joueront en première partie des Black Keys
le groupe qui a un jour inventé la noisy pop. c’est attendu, on applaudit poliment. On passe. au Zénith. Dan et Patrick, va falloir assurer.
JÉRÔME REIJASSE ALEXANDRE BRETON ISABELLE CHELLEY
bande FM pour éditorialiser leurs playlists, mettre — Il faut vous manifester vite, Matzneff
en avant certains titres et uniformiser nos goûts est chaud, il voudrait décliner le concept
comme ils l’ont si bien fait avec la radio. S’il y a “Conversations Secrètes” avec Nordahl
bien une qualité au numérique, c’est qu’il permet à Lelandais, le père Preynat, Monique Olivier...
l’auditeur de se faire son propre jugement en étant — Calmez-le, on commence avec Dupont
le moins possible conditionné par le marketing. de Ligonnès, on verra pour la suite.”