Rock & Folk - Aout 2024
Rock & Folk - Aout 2024
Rock & Folk - Aout 2024
PRES54
19H
GAMBLE
& HUFF
CLUSTER
AVENOIR
JAMES CHANCE
REVIVAL
COUNTRY
2016-2024
Des hors-la-loi
à la ruée vers l’or
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& LE ROCK AUSTR A LIEN
AC/DC
L 19766 - 684 - F: 6,90 € - RD AOÛT 2024
N°684 / 6,90 € - MENSUEL
BEL 7,80 € - ALLEMAGNE 9.90 € - LUX 7,80 €
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NCAL(S) 1030 XPF - ILE MAURICE 7,80 €
Edito
Photo DR
Olivier Cachin JAMES CHANCE 14 22 Revival Country
Prospect
Vianney G. AVENOIR 16
En vedette
Jérôme Soligny CLUSTER 20
Thomas E. Florin REVIVAL COUNTRY 2016-2024 22
Olivier Cachin KENNY GAMBLE 30
Story
Nicolas Ungemuth ELVIS PRESLEY 36
En couverture
www.rocknfolk.com
Jonathan Witt AC/DC DE A À Z 42
Eric Delsart LE ROCK AUSTRALIEN 50
COUVERTURE PHOTO : MICHAEL OCHS ARCHIVES/ GETTY IMAGES 42 AC/DC
RUBRIQUES EDITO 003 COURRIER 006 TELEGRAMMES 008 DISQUE DU MOIS 059 DISQUES 060 REEDITIONS 068 REHAB’ 072 VINYLES 074
DISCOGRAPHISME 076 HIGHWAY 666 REVISITED 078 QUALITE FRANCE 079 ERUDIT ROCK 080 ET JUSTICE POUR TOUS 082 FILM DU MOIS 084
CINEMA 085 SERIE DU MOIS 087 IMAGES 088 BANDE DESSINEE 090 LIVRES 091 LIVE 092 PEU DE GENS LE SAVENT 098
Rock&Folk Espace Clichy - Immeuble Agena 12 rue Mozart 92587 Clichy Cedex – Tél : 01 41 40 32 99 – Fax : 01 41 40 34 71 – e-mail : rock&folk@editions-lariviere.com
Président du Conseil de Surveillance Patrick Casasnovas Présidente du Directoire Sophie Casasnovas
Directeur Général Frédéric de Watrigant Editeur Philippe Budillon
Rédacteur en Chef Vincent Tannières (32 99) Rédacteur en Chef adjoint Eric Delsart
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Conseiller de la Rédaction Jérôme Soligny Maquette Christophe Favière (32 03) Secrétaire de rédaction Manuella Fall
PUBLICITÉ : Directeur de Publicité Olivier Thomas (34 82)
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DIFFUSION : MLP – Rock&Folk est une publication des Editions Larivière, SAS au capital de 3 200 000 euros. Dépôt légal : 3ème trimestre 2024. Printed in France/ Imprimé en France.
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Courrier des lecteurs
STRANGLERS
Jean-Jacques Burnel et son
combo célébreront le jubilé de
leur carrière sur le parvis de Port-
Breton en clôture de la 4ème édition
du Festival Dinard Opening
qui aura lieu du 4 au 10 août.
RYUICHI SAKAMOTO
Capté lors du dernier concert
de l’artiste japonais disparu
en 2023, l’album “Opus”,
qui sert également de trame au
documentaire éponyme filmé par
son fils Neo Sora, est proposé
en streaming sur Criterion
Channel. Le disque physique
est lui attendu le 9 août.
WILCO
Alors qu’il vient de dévoiler
fin juin un nouvel EP (6 titres)
“Hot Sun Cool Shroud”, le
groupe originaire de Chicago
offre la possibilité d’acquérir
son matériel musical depuis le
18 juillet à travers sa boutique en
ligne Reverb. Au programme :
guitares vintage, pédales
d’effets, affiches signées…
Photo-DR
ELZO DURT
Figure incontournable du graphisme underground, l’illustrateur belge
a assuré le visuel de nombreux festivals et de près
de deux cent cinquante albums de la crème du rock’n’roll.
Son deuxième livre sorti, il était temps de lui ouvrir notre rubrique.
RECUEILLI PAR ALEXANDRE BRETON
“MISÉRABLE CRÉATURE MANIFESTEMENT SOUS c’est-à-dire le fondateur d’un des premiers groupes punk à Bruxelles,
L’EMPRISE D’UNE FORCE DÉVORANTE, CHEVAUCHÉE le Phallus Band. Là, on est en 1977, je ne suis pas encore né.
ET FOUETTÉE PAR UN DIABLE VENU DU PLUS PROFOND Début 1980, il monte Melody Massacre, sorte de Cramps belge assez
DE L’ENFER” : par ces lignes lovecraftiennes extraites du site étonnant, à réécouter. Et c’est à ce
de notre hôte, le visiteur est prévenu. On ne met pas assez en moment-là, au milieu des années quatre-
garde les parents de jeunes enfants sur les graves dangers d’une vingt, que j’ai vu aussi un autre groupe
exposition trop précoce à l’acide sournois du rock’n’roll. Elzo de Doc Massacre, les Chainsaws. Eux, ils
Durt — belge, donc relativement dingue — en est la preuve (sur-) jouaient avec le groupe La Muerte, autre
vivante : gueule d’ange à l’œil facétieux roulant dans son orbite, groupe belge mythique. Ce sont mes
sautant tel un cabri sous Ritaline devant des kilos de vinyles premiers grands souvenirs. En 1986,
chargés de toxiques et d’électricité. A l’instar de son univers j’ai aussi vu les Cramps, dont j’ai ici
graphique barré puisant dans l’imagerie des XVII et XIXèmes siècles, l’affiche du concert. Donc, voilà ce qui
collectionnant et archivant avec une effervescence enfantine les tourne quand je suis gamin. Mais il y a
images et lettrages les plus rares, croisant pêle-mêle thèmes surtout un morceau, c’est The Normal,
mythologiques, symbolistes, expressionnistes, psychédéliques, “T.V.O.D”, morceau qu’on écoute tous
SF ou série B. Tout ici sent ce que le rock’n’roll a de plus à la maison en dansant dessus. Après,
dérangé, excessif, baroque. Sourire en coin de l’intéressé : mon père me faisait aussi des cassettes
“Je cherche à faire des images qui pètent à la gueule”. avec, sur la face A, des titres pour
enfants, et sur la B, des trucs bien rock,
comme “Batman” dans la version des
Mon disque à moi Jam ou des titres du “Songs The Lord
ROCK&FOLK : Votre premier disque acheté ? Taught Us” des Cramps, ou du premier
Elzo Durt : Facile ! Le voilà ! Je dois avoir Clash qui m’a vraiment fait vriller. Le
six ans. Je suis né dans un environnement premier Ramones, aussi. Et le premier
un peu particulier. Mon père, qui est Suicide ! Et je me rappelle avoir écouté
mort il y a deux ans, était architecte et en boucle “Golden Hours” de Brian Eno.
gros passionné de musique, de bonne Ça, c’était un disque de ma mère.
musique. Il est né en 1949, il a bien pris
les années soixante dans la figure et bien R&F : Quelle influence aura ce bain
vécu le punk, sans l’être vraiment. Il musical précoce ?
avait une énorme collection de disques, Elzo Durt : D’abord, le punk anglais va
de 33 et de 45 tours, que j’ai récupérés, participer de tout ce que j’aime encore
avec tous les premiers Rough Trade, plein de trucs en super état, bref, aujourd’hui. Il y a plein de mélodies, pour moi ce n’est pas sombre, ce
j’ai été très influencé par lui, et dirigé, aussi. Il écoutait pas mal les sont de belles chansons. Mais le gros choc, c’est vers dix ou onze ans,
Cramps, les Clash. Donc, premier album : on est en 1986, c’est encore “Nevermind” de Nirvana. Mon père le rapporte et il devient
du vinyle, j’achète “London Calling”. immédiatement mon disque à moi. C’est le premier où, brrrmmm, tu
vois ? Puis, au même moment, il y a “Trompe Le Monde” des Pixies.
Photo Vincent Peal
R&F : Six ans ? Vous souvenez-vous de la scène ? Là, on entre dans la période où je commence à avoir mes propres
Elzo Durt : Oui, pour la petite histoire, c’est drôle, c’était à la Fnac, disques, ceux que j’achète moi-même. Il y aura ensuite Babes In
à Bruxelles. Le vendeur du rayon disques, c’était Doc Massacre, Toyland, Hole, peu de Sonic Youth bizarrement. Et beaucoup de punk
“Ils étaient
un peu
mous
alors on a
vidé deux
bouteilles
de poppers
dans la
machine
Photo Vincent Peal
à fumée”
012 R&F AOÛT 2024
Mais je ne fais pas ça bien, je le fais avec beaucoup d’humour et il n’y Une super idée de JB. J’adore ces
en a pas vraiment dans ce milieu. Ça se passe mal. Mais je vois des gens disques. Je peux écouter beaucoup de
qui s’amusent avec l’image, qui prennent leur pied à faire des dessins, choses brutales mais j’aime aussi les
à bomber des trains. Je suis. Et quand vient le Bac, je ne sais pas mélodies, j’ai besoin de trucs qui me
quoi faire, je me décide à créer des pochettes de disque. Je m’inscris font voyager.
en graphisme, je galère, c’est laborieux et je ne sais pas dessiner.
Mais je ne lâche pas. Et à un moment, le truc arrive. J’ai vingt ans,
j’organise des soirées techno parce qu’il y avait un creux dans le rock Du Nirvana
à ce moment-là. On passait Aphex Twin ou de la drum’n’bass. Je fais sous speed
les flyers, d’abord de mes fêtes puis des autres. Je commence alors à R&F : Ce qui est intéressant chez
bosser pour Recyclart, où je m’occupe de leur graphisme, expose des vous, c’est l’absence de complexe
gens en lien avec la musique. C’est là que je me suis développé un à passer d’un style comme le punk
réseau. Ensuite, j’ai bossé pour le magazine “Voxer” où je découvrais à un autre comme la techno, plutôt
plein de musiques et acquérais une légitimité en y publiant. méprisée des rockers et vice versa.
Elzo Durt : Aucun problème. Ici, on
a eu Front 242. Je suis né dedans, mon
Vernissage-carnage père était fan. C’est par eux, les punks,
R&F : Et donc, votre première pochette ? qu’on écoute de la techno. C’est eux
Elzo Durt : C’était en 2008, à l’occasion d’un concert de Charles de Goal qui ont créé la new beat. Quand je suis
au Recyclart dont j’avais fait l’affiche. JB (Jean-Baptiste Guillot, nda) arrivé à Paris, j’étais frappé que tout le
de Born Bad était là, l’affiche lui plaît, il me propose de venir à Paris. monde soit dans une case. Même si ça
Il devait sortir un 45 Tours d’Aqua Nebula Oscillator, il me confie change. J’arrive à Born Bad, ils sont tous
la pochette. Je débarque, bon, ils sont complètement tarés — le mec rockab, moi je suis en tongs. Les mecs
partait grave en sucette, il vivait dans une cave en terre battue et se foutent de ma gueule, même s’ils me
bouffait plein d’acides. La pochette était vachement bien mais ne laissent comme ça vu ce que je fais, mais
sortira pas. Mais du coup, je fais l’affiche et le 45 Tours promo de la un autre que moi se serait fait à moitié
première tournée Born Bad, avec Cheveu, Magnetix, Frustration, tous lyncher dans le shop ! A Bordeaux, chez
mes groupes préférés du moment. Ayant eu un père qui dénigrait le les Magnetix par exemple, t’as une super
rock français, je nourrissais un truc “Ouais, la France peut pas faire discographie, dingue, mais c’est que du
du rock !” Avec JB et Marc de Frustration, qui tient aussi le magasin sixties, que du garage ! Moi, ici, ça va dans tous les sens, même si j’ai
Born Bad, je me mets à acheter plein de trucs français, c’est la période aussi mes périodes. En ce moment, j’écoute plutôt des trucs comme
où, en France, ça explose. Ce sont de très belles années ! Avec les Peuk, des Belges très influencés par les nineties, la chanteuse c’est
compilations “Wizzz !”, je découvrais des tonnes de groupes obscurs Kurt Cobain en meuf. Il y a aussi Psychic Void, “Skeleton Paradise”.
et géniaux, qu’on ne trouvait nulle part, même pas en brocante. Autre Ce sont des Canadiens, ce disque est absolument incroyable. Je suis à
chose que Johnny, quoi… Enfin, je voulais juste ajouter que tous ces fond dans toute une scène punk hardcore actuelle, comme GG King,
groupes français avaient été précédés par les premiers LP de Thee “Remain Intact”, c’est génial ! Ou Plax, “Clean Feeling”, j’adore ça !
Oh Sees, de The Intelligence et puis, surtout, bam !, de Jay Reatard, Le dernier morceau dure dix minutes, du hardcore qui vire kraut ! Ah,
quoi ! Un vrai retour du rock ! Il y avait aussi The Horrorists ou cet il y a ça, aussi, Predator, ou Bib, le mec hurle, on ne comprend rien ! Et
album des Black Lips, “Let It Bloom”. Quand c’est arrivé, c’était hyper Crisis Man, “Asleep In America”. Ces mecs se connaissent tous. Mais
bon ! Les mecs avaient tout, le son, une attitude. ma grosse découverte du moment, c’est Abdomen, des Hollandais.
“Emetophobia”. Du Nirvana sous speed. Hyper puissant. Ah, et ça !
R&F : Puis, en 2011, c’est la consécration, avec la pochette Les Allemands de Die Verlierer. “Beat In My Bones”, vraiment
de “Carrion Crawler / The Dream” de Thee Oh Sees ! génial ! Il y a aussi toute une scène germanophone qui me passionne
Elzo Durt : Oui. J’avais une exposition à Dijon. Je venais juste en ce moment, No Waves, plus kraut ; Pigeon, “Deny All Knowledge
d’avoir mon permis, je descends aussitôt avec un gros camping-car. Ça Of Complicity”, plus punk, dément. En revanche, les trucs comme
devait être un week-end normalement Whispering Sons ou Trammhaus, vite ça m’ennuie. Trop arty. Chiant.
sans drogue mais je picole comme un
dingue et, du coup, pendant trois jours, R&F : Et des musiques calmes, jamais ?
je dors à côté du camping-car. Bref, Elzo Durt : Non. Mais quand je bloque sur un truc, je l’écoute en
vernissage-carnage ! Le lendemain, boucle ! Par exemple, Tiña, “Positive Mental Health Music”. Je les
concert des Magnetix et des Oh Sees ! ai découverts la semaine où ils ont splitté… Ils avaient un côté folk.
Les mecs débarquent dans la salle où Mais quand ça devient trop cérébral, ça m’ennuie. C’est comme Ty
j’avais plein de trucs exposés. Dwyer Segall : au début j’adorais, maintenant, avec ses ballades, il me saoule.
arrive et me dit : “Je te prends ça, ça et
ça”, enfin il m’en achète sept ou huit R&F : Le meilleur souvenir de concert ?
et ajoute : “Ça, c’est la pochette du prochain album”. Ok… Moi là- Elzo Durt : Les Catholic Spray à Bruxelles, à la sortie de leur album
dessus je deviens complètement fou ! Je me souviens, pendant le sur mon label, Teenage Menopause, “Kiss The Smack”. C’était en 2011.
concert, j’étais arraché mort, je plongeais dans la salle, glissais sur le Ils étaient un peu mous alors on a vidé deux bouteilles de poppers
ventre, mordais dans les mollets du bassiste ! Et effectivement, rentré dans la machine à fumée !
aux Etats-Unis, il me recontacte et on fait la pochette. Ce qui est
bizarre, c’est que je n’ai pas fait tant de pochettes pour des Américains R&F : Un seul disque à sauver de la catastrophe ?
alors que je pensais que ça allait décoller. Après on a fait la tournée Elzo Durt : “Trompe Le Monde” des Pixies. Tellement parfait ! H
avec les Magnetix et Ty Segall. La mode, à ce moment-là, c’est le
garage. Je fais la pochette des deux premiers Jack Of Heart en 2009. Livre “Complete Works #2 (2017-2023)” (Timeless Edition)
JAMES CHANCE
1953-2024
Musicien avant-gardiste qui a posé les codes de la no wave,
l’irascible chanteur et saxophoniste s’est éteint le 18 juin dernier.
Il demeure une des figures les plus radicales de l’underground new-yorkais du XXe siècle.
“Y A-T-IL UNE PLACE DANS LE partagée entre James Chance et Lydia Lunch. sur les tables des clubs où il joue, tout
ROCK POUR UN SAXOPHONISTE Le premier album studio signé Contortions en maudissant la scène punk new wave
ALTO KAMIKAZE À CANON SCIÉ EN voit le jour en 1979, avec en couverture underground qu’il méprise intensément.
COLÈRE QUI ÉVOQUE GODZILLA Terence Sellers, une dominatrice SM
SOUS SPEED ?”, se demandait Kurt connue sous le nom de Mistress Angel
Loder en 1980 quand James Chance, Stern, en bikini : “Buy” est un maelstrom Espoirs déçus
26 ans, commençait à percer dans de funk malade traversé des cris de James James reste pourtant proche de quelques
le New York underground post-punk. et zébré de son sax en mode agression collègues de la scène CBGB/ Max’s Kansas
La seconde naissance de James Sigfried, sonore. “J’enregistre d’abord la section City, dont Debbie Harry et Chris Stein de
qui voit le jour à Milwaukee en 1953, rythmique, je n’aime pas tout jouer Blondie, qui monteront sur scène avec lui
fut en 1976, l’année où, après avoir séparément, ça sonne trop artificiel. et quelques autres proches (Nile Rodgers,
largué son quartette instrumental Généralement le groupe joue live sur Bernard Edwards, Fab Five Freddy) pour
Flaming Youth, il forme Teenage les rythmiques et moi je chante et je fais un concert de soutien à sa manageuse-
Jesus And The Jerks avec la mes solos par-dessus, que je ne garde pas girlfriend Anya Phillips. Conceptrice
scandaleuse Lydia Lunch. L’outrage la plupart du temps. C’est beaucoup de de la pochette de “Buy” et designeuse
devient son pain quotidien, et sa travail mais je préfère enregistrer comme de la fameuse robe de plastique rose
réputation d’artiste atrabilaire qui ça et ensuite placer quelques overdubs. arborée par Debbie Harry en couverture
n’hésite pas à provoquer le public L’album ‘Buy’ était enregistré et fini de l’album “Plastic Letters”, Anya mourra
lui colle à la peau dès ses débuts. mais j’ai décidé que ça n’était pas d’un cancer en 1981 à l’âge de 26 ans.
“A l’époque, la scène du CBGB assez inspiré donc on l’a réenregistré.” La carrière de James à partir des années
ressemblait à un lycée, avec toutes Les références de ses deux formations, 1980 est erratique, plombée par divers
ces petites cliques de connards qui James Chance And The Contortions/ problèmes juridiques l’empêchant
vous faisaient bien sentir que si vous James White And The Blacks, sont d’enregistrer. Il vit brièvement à Paris,
n’étiez pas dans un groupe, vous avant tout disco : “On dit que le disco retourne à New York, apparaît en 1999 sur
n’étiez rien. Je voulais leur montrer sonne toujours pareil mais ce sont les l’album de Blondie “No Exit” et retrouve
qu’ils n’étaient pas aussi hip qu’ils disques de new wave qui sont monotones !” en 2001 quelques-uns des Contortions
le croyaient. C’était une forme de disait-il, mettant en pratique son goût originaux pour une série de concerts.
revanche” expliquait-il en 2007. pour le son des clubs avec ses choristes les En 2006, James tourne en Europe avec
Discolitas et ses danseuses les Wigglettes. un groupe de musiciens français sous le
“Off White”, sorti chez Ze Records en 1979, nom de James Chance And Les Contortions.
Disco beat contient ce qui se rapproche le plus d’un Un album en témoigne, “Incorrigible!”,
et punk funk attitude tube pour le jeune sax maniac, le single sorti en 2012, produit par Frank Darcel
En 1977, il s’entoure d’un aréopage “Contort Yourself”, produit par August (Marquis De Sade, Octobre). Ce sera
de musiciens corvéables à merci, “Kid Creole” Darnell, et une reprise très une de ses dernières apparitions
The Contortions, et solidifie son style : personnelle du “(Tropical) Heat Wave” discographiques. Sa santé déclinante
la rencontre d’un free-jazz énervé avec d’Irving Berlin. Le choc entre disco l’éloigne de la scène. Admis dans une
un funk chaotique traversé de furieux solos beat et punk funk attitude lui vaut des maison de repos à Harlem, il y meurt
Photo Ebet Roberts/ Dalle
de saxo sur une rythmique résolument disco critiques plutôt élogieuses, et ses concerts le 18 juin 2024 à l’âge de 71 ans,
funk. Un style “no wave” qui sera sanctifié se transforment en confrontation avec le laissant une discographie chétive
par Brian Eno, gourou de secours du public, James n’hésitant pas à tabasser et des espoirs déçus, balayés par
mouvement et initiateur de la compilation les spectateurs trop tièdes à son goût, le temps avec lequel tout s’en va. H
“No New York” dont la première face est renversant les verres et les bouteilles OLIVIER CACHIN
AVENOIR
Fantassin du renouveau shoegaze, ce quatuor marseillais
témoigne de la vitalité de la scène locale.
Différent et surtout composite, tel est le style
Avenoir, mélange de shoegaze (Léo cite Ride
et My Bloody Valentine), de psychédélisme
et de grunge (Sasha, également mordue de
Fleetwood Mac, a beaucoup écouté Nirvana)
auxquels s’ajoutent, ingrédients moins
attendus qui les distinguent, l’importance
de la boîte à rythmes (depuis peu associée à
une batterie), héritage de la culture house,
et le chant alternativement en français
et en anglais (la moitié de la famille de
Sasha vit au Pays de Galles). Un goût du
désordre bariolé que Léo étend à l’aspect
vestimentaire : “Il y a deux mots que j’ai
toujours en tête quand je décide comment
je m’habille pour les concerts, c’est ‘western
vampirique’. Avec Sasha, on essaie de se
maquiller pas mal. Et j’ai une paire de
santiags, je ne les mets jamais ailleurs
que lors des concerts d’Avenoir !”.
Shoegaze psychédélisant ?
Une mixture au total résolument nineties
que Sasha qualifie par dérision de “grunge
mystique” (“C’est moi qui avais trouvé
ça parce que j’écoute du grunge, et
‘mystique’, ça a plus à voir avec les choses
qui influencent mes textes”) et qui jaillit
avec une remarquable cohérence sur leur
deuxième EP “Vu Dans Le Miroir” (sortie
prévue le 25 octobre), lequel fait suite à
“Stuck With Flying Fishes”. Onze titres
en tout et pour tout, excellents pour la
plupart (“Time Machine”, “Page Blanche”,
CEUX QUI JUGENT LA VILLE D’IAM reprend la balle au bond : “On vit dans chantée en français, “Hôtel” ou “Atala”,
PEU PROPICE AUX EXPÉRIENCES une ville qui a une certaine esthétique et morceau inspiré par la vision du tableau de
PSYCHÉDÉLIQUES N’ONT une certaine âme, et je pense qu’on ne Girodet), et qui devraient leur permettre de
MANIFESTEMENT JAMAIS LU peut pas passer à côté dans la musique se faire une place de choix sur la florissante
“HASCHICH A MARSEILLE”, génial qu’on fait. On est forcément imprégné scène marseillaise. Charles : “C’est une
texte de Walter Benjamin dans lequel par l’énergie qui s’en dégage. C’est scène assez active, il y a beaucoup de
le plus baudelairien des marxistes une ville qui depuis très longtemps est groupes qui sont au même niveau de
allemands explore minutieusement le associée au hip-hop et c’est intéressant développement, d’autres sont déjà dans des
désordre intérieur produit par une de la voir avec un autre œil, depuis situations plus sérieuses comme Parade
prise nocturne de haschich. Les mêmes un style de musique différent”. Sasha et Avee Mana, qui sont un peu les leaders
n’ont sans doute jamais vu non plus en précise le making-of : “J’ai fait de la scène marseillaise en ce moment. Et
la vidéo de la pépite “Time Machine”, une fac de cinéma à Montpellier, j’y la semaine prochaine, on part jouer avec
dérive antonionienne (“Zabriskie Point” ai rencontré une copine qui réalise Flatheads” (sur Parade et Flatheads, voir
n’est pas loin) le long des calanques. Se des films, Alice Chevrolat. Avec des notre dossier “50 Groupes Français” de
voient-ils comme les représentants d’un amis, ils ont monté une association décembre 2023). En définitive, le bleu de la
psychédélisme provençal ? La suggestion de réalisateurs-techniciens, etc., qui nuit américaine de “Time Machine” délivre
laisse froid les membres d’Avenoir, s’appelle Monstree et qui réalise des à lui seul le programme de ce psychédélisme
soit les fondateurs Sasha Vaughan films, des courts-métrages, et je leur volontiers shoegazant — ou de ce shoegaze
(guitare et chant) et Charles Priem ai proposé de faire notre clip. J’adore psychédélisant ? — : faire crépiter d’autres
(basse et drum machine) et les nouveaux les esthétiques un peu fantastiques, les lumières et d’autres paysages. H
venus Clément Leray (batterie) et Léo histoires où on a l’impression qu’il y a un
Photo DR
Cluster
La réédition de “Zuckerzeit”, cultissime troisième album de Cluster,
est l’occasion de célébrer le génie de Hans-Joachim Roedelius et
Dieter Moebius, les deux membres de ce duo majeur de l’extraordinaire
musique allemande des années soixante-dix, et de Michael Rother, autre
figure cruciale du krautrock et coproducteur du disque en question.
PAR JEROME SOLIGNY
Photo DR
EN PREAMBULE à ces quelques feuillets rétrospectifs à est également associé à d’autres célébrités du krautrock
propos de Cluster, à l’occasion de la réédition du cinquantième parmi lesquelles Neu!, Kraftwerk, Ash Ra Tempel ou Guru.
anniversaire, chez Bureau B, de “Zuckerzeit”, on se doit de Et donc, les observateurs de l’époque n’ont pas été étonnés
rappeler que la plupart des formations de cette musique de le voir apparaître en tant que troisième membre du
dont l’influence, aujourd’hui, a autant survécu chez les groupe sur la pochette de “Cluster 71”, qu’il a également
explorateurs sonores anonymes que chez certains groupes produit. Mais alors que Kluster, tout en laissant libre cours à
grand public (on pense évidemment à Coldplay), adoraient l’improvisation, avait défriché une sorte de musique bruitiste
sortir de leur propre cadre et ne s’imposaient aucune figure. qu’on peut qualifier de pré-indus, ce premier Cluster (paru
Ainsi, si Kluster est né, au début des années soixante-dix, de sur Brain, le fameux label de Hambourg) est le disque d’un
la rencontre de Roedelius et Moebius avec Conrad Schnitzler groupe qui avait décidé de prendre de la hauteur et d’intégrer
(cofondateur du Zodica Free Arts Labs à Berlin — un endroit davantage de mélodies et d’ambiances planantes — on disait
où, dès la fin des années soixante, les groupes allemands les même cosmiques — à sa mixture encore très organique (à
plus audacieux se sont produits — et membre du Tangerine base d’instruments variés dont des guitares et des claviers
Dream des débuts), son K a été remplacé par un C après classiques). C’est flagrant à l’écoute de “Im Süden”, un
deux albums studio (publiés en 1970 et 1971). L’ingénieur titre particulièrement hypnotique de “Cluster II”, de 1972.
du son du second n’était autre que Conny Plank, une légende Le duo en était alors redevenu un, Conny Plank se contentant,
lui aussi, dont le nom en tant que producteur ou musicien une nouvelle fois, de coproduire le disque.
Cluster et Eno
Le jeu des chaises musicales va se poursuivre avec l’entrée dans la évoluer leur musique, toujours instrumentale, en raccourcissant les
danse (de plus en plus robotique) de Michael Rother. Membre de morceaux et en assumant d’utiliser une boîte à rythmes (de la marque
Kraftwerk à l’époque où le batteur Klaus Dinger l’était également Elka) au lieu d’un batteur. La légende prétend qu’elle appartenait à
(Dinger joue sur le premier album de la formation originaire de Michael Rother et que comme il était aussi, à cette époque, accaparé
Düsseldorf, mais Rother n’a jamais enregistré de disque studio avec par l’enregistrement de “Neu! 75”, sa contribution réelle aurait pu se
elle), le guitariste et claviériste allait monter Neu! (avec Dinger) limiter au prêt, à Cluster, des instruments qu’il n’utilisait pas.
en 1971 qui publiera, durant la décennie et toujours sur Brain, trois
albums studio remarquables. Les choses vont véritablement se corser
lorsqu’en 1973, Hans-Joachim Roedelius, Dieter Moebius et Michael Canot électrique
Rother vont décider de sévir à trois sous le nom Harmonia. A l’origine, Sincèrement, on est en droit d’en douter car un demi-siècle après
il ne s’agissait là que d’un side-project mais les deux albums du trio ne leur parution, ces disques enregistrés par Harmonia, Neu! et donc
vont pas passer inaperçus. La presse (spécialisée) et un public d’initiés Cluster semblent venus de planètes non pas similaires mais reliées
vont goûter ces expérimentations sur le point de devenir purement entre elles par des ponts de verre. Et évidemment, Rother n’y est
électroniques, même si, dans Harmonia, la guitare de Rother, aux pas pour rien. Les dix plages de “Zuckerzeit” (dont on recommande
sonorités amplement trafiquées, est à l’honneur. Et c’est le plus l’écoute en vinyle) ont été composées pour moitié par chacun des deux
naturellement du monde que ce dernier va coproduire “Zuckerzeit”, membres de Cluster. “Hollywood” (Roedelius), d’entrée de face A, fait
le troisième album de Cluster publié en 1974, quelques mois après glisser ses accords sur une rythmique brinquebalante mais sécurisée
le premier Harmonia. Sans renier quoi que ce soit de ce qui avait par des synthés séquencés (avec les moyens du bord). “Caramel”
fait, jusque-là, leur spécificité artistique, Roedelius et Moebius, (Moebius) tourne sur trois pattes, mais il est clair que Devo s’en
comme Rother, vont faire le choix de quitter Berlin pour s’installer à est inspiré pour son “Mongoloid”. Inoffensif au départ, “Rote Riki”
la campagne, à Forst. Loin de la ville, coupés du monde, ils vont faire (Moebius) crapahute sous un balancier menaçant (un seul accord,
“Gagner de l’argent
avec la musique
n’a jamais été une
préoccupation. Il
aurait parfois été
agréable d’être
payé, mais si
j’avais été riche, je
n’aurais pas fait la
même musique”
La tension monte d’une centaine de pieds avec “Rotor” (Moebius) qui
enchevêtre les séquences sur un tempo jungle avant l’heure. Dans le
“Heiße Lippen” (Roedelius) final, ce sont les rythmes et les boucles
harmoniques qui se superposent et finissent par donner le tournis.
sonorités synthétiques qui font regretter que George Lucas ne les ait un vaste univers sonore parallèle, conceptuel, onirique et fascinant.
(certainement) jamais entendues. “Rosa” (Roedelius) se rapprocherait Dans les années soixante-dix, après “Zuckerzeit”, Cluster a enregistré
de Kraftwerk si la rythmique n’allait pas faire un tour du côté de Neu!. “Sowiesoso”, à nouveau produit par Plank, puis travaillé avec Brian
Le fameux motorik beat — d’abord joué par de fins frappeurs de Eno. Une sorte d’intégrale de Harmonia est parue en 2020 et, deux ans
peaux tels que Jaki Liebezeit (Can) ou Zappi Diermaier (Faust), il a plus tard, un coffret contenant les trois albums de Neu! a également
été remplacé par des boucles automatiques, traitées et implacables — été commercialisé.
qui propulse en envoûtant plus qu’il ne ponctue (à la différence des Enfin, signalons que la plupart des musiciens de krautrock, à la
techniques employées par la plupart des batteurs de rock ou de différence de bien d’autres dans des styles divers, n’ont jamais eu soif
jazz) caractérise aussi “Caramba” (Moebius), plus simple dans sa de succès, n’ont jamais eu envie de devenir célèbres et n’ont jamais
construction harmonique mais que beaucoup de formations synth- été riches. Aujourd’hui comme hier, ces gens-là se méritent. Pour
pop, adeptes des machines et apparues dans la foulée de la new eux, l’amour de l’art, la liberté dans la création, l’audace et le besoin
wave, ont pompé. “Fotschi Song” (Roedelius) est prétexte à utiliser d’inventer ont toujours été plus forts que le reste. A la journaliste
une vieille formule du songwriting : faire sonner trois accords comme du “Times” Lisa Verrico, Hans-Joachim Roedelius confiait à ce
quatre. Ce titre est un voyage qu’on pourrait qualifier de planant à sujet en 2005 : “Gagner de l’argent avec la musique n’a jamais été
l’inverse de “James” (Moebius), plus heurté et nervuré de guitares une préoccupation. Il aurait parfois été agréable d’être payé, mais si
(Rother ?) noyées dans l’Echolette. En comparaison, “Marzipan” j’avais été riche, je n’aurais pas fait la même musique. Je n’aurais pas
(Roedelius) — à qui, évidemment, Marzipan & Mustard (l’album vu autant de choses de la vie et pour créer de manière pertinente, il
electro “Playground” a été, dans ce journal, le dernier Disque du Mois faut avoir une grande expérience de la vie.” Ein großer Künstler und
de l’année 1998) doit son nom — est une balade en canot électrique ein großes Zuhause, a-t-on envie d’ajouter. H
sur la Weser où clapotent des vaguelettes de synthés Davoli et Farfisa. Album “Zuckerzeit” (Bureau B)
Revival
countRy
2016–2024
Des
hoRs-la-loi
a la Ruee
veRs l’oR PAR THOMAS E. FLORIN
Les codes
de l’Amérique profonde
Cest de cela dont il va s’agir ici : le revival country a été un renouveau
générationnel, une nouvelle vague qui avait une autre vision de cette
musique en vigueur dans tout le sud des Etats-Unis. Car la country
n’a jamais, au grand jamais, quitté le pays. Depuis les années 1920
et le début des radios américaines, son histoire est à l’image de
celle de la musique populaire : en dents de scie. La country a eu ses
pionniers, sa période classique, son ventre mou, sa période punk
— appelée, logique du cow-boy oblige, outlaw —, son luxe décadent
et richissime — countrypolitan. Mais, depuis 2001, le genre s’était
recroquevillé sur sa base. Plus on s’avançait vers le sud du pays, plus
cette musique envahissait les ondes avec ses chansons parlant de
tracteur vert, des bandes blanches et rouges du drapeau et de cuites
interminables qu’on appelle si justement là-bas bender.
La country était donc destinée aux hommes blancs des contrées
rurales américaines, le genre de personne à avoir rebaptisé freedom
fries les plats de frites après la seconde guerre d’Irak, un style qui
aurait pu avoir son exotisme si sa musique n’était pas tout bonnement
à chier. Production claire, voix nasale surjouée, solo de guitare lyrico
bourrin et rythmique de stadium rock : la country de ce genre a la
finesse musicale d’un hush puppy, ce truc frit dont personne n’est
capable de vous donner la recette. Puis, quand ils ne sont pas en
train de descendre des bouteilles de mauvais whisky au volant d’une
Chevrolet, les chanteurs de country déblatèrent interminablement sur
la Bible, le tout dans des tours de chant qui ressemblent à de violentes
crises d’hémorroïdes. En bref, la musique country était devenue un
cauchemar, un cauchemar à grande échelle, un cauchemar dont le
visage ressemble à la carte d’un pays le lendemain d’une élection.
Pendant ce temps, dans les grandes villes, toute une génération
désabusée, post-moderne et pathétiquement ironique était en train de
se réapproprier les codes de l’Amérique profonde. Les burgers à quinze
dollars, les micro-brasseries, la barbe longue et les trucker hats, ces
casquettes prisées des routiers donc l’arrière est en filet : le hispsterime
était né. D’abord à Brooklyn, ancienne banlieue ouvrière de New York,
Photo Ryan Vestil-DR
puis dans les quartiers équivalents des grandes villes des côtes, avant
que les hipsters, vieillissants et chassés par la courbe ascendante de
l’immobilier, connaissent à leur tour leur grande diaspora. C’était au
milieu des années 2010 que toute une partie des classes créatives Charley Crockett
Paul Cauthen
ce tube hip-hop qui parle de chevaux avec banjo, le père de Miley avec sa casquette de base-ball, ses fringues trop grandes, ses cheveux
Cyrus (Billy Ray Cyrus) au chant, et quelques accessoires devenus courts et sa petite moustache, il est très loin de s’habiller comme
incontournable : un chapeau de cow-boy Gucci et “un Wrangler sur un cow-boy. C’est ainsi : toutes les nouvelles stars de la country
mon petit cul”. Le titre avait même atteint la 19ème place des charts mainstream s’éloignent du mythe pour approcher de la norme. Zach
country avant d’en être rejeté. Motif officiel : il ne correspondait pas Bryan, Kacey Musgraves, Jelly Roll ou même Taylor Swift, longtemps
au genre. considérée comme country, font tout pour ressembler à l’américain
moyen. C’est à eux qu’ils veulent parler car c’est eux qui les écoutent.
Ressembler
à l’Américain moyen La fin
Puis il y a eu le confinement mondial, ce qui a laissé le temps à tout De tels chiffres ne pouvaient être ignorés par l’industrie. Qui s’est
le monde pour deux choses : regarder “Country”, le documentaire de donc emparée du phénomène pour, comme toujours dans l’histoire
seize heures et demie sur l’histoire du genre réalisé par Ken Burns, d’un art, le rentabiliser et le tuer. Les idées des artistes passaient dans
et enregistrer un album avec une guitare acoustique. Etrangement, le les mains des marchands, ce qui nous amène à la fin de cette histoire.
fait d’enfermer la population mondiale chez elle a servi d’accélérateur D’un renouveau esthétique, création d’une nouvelle scène et production
au retour de cette musique. Parce que sa richesse est sans fin, que d’une pléthore de musique excitante, le revival country a atteint son
ces chansons aux chanteurs sublimes stade critique cette année avec “Cow-boy
apportent une sorte de réconfort in- Carter” de Beyoncé. Excellent album au
compréhensible, qu’on avait le temps
d’écouter ses textes, parmi les meilleurs De la nouvelle casting hallucinant — Raphael Saadiq,
Robert Randolph, Reyna Roberts pour
country, très
de la musique populaire, qu’ils soient ne citer que certains les moins connus et
lyriques ou narratifs, et que les musi- les plus talentueux —, il n’en reste pas
ciens et musiciennes de country ont moins un blockbuster normé, quelque
toujours défié, avec panache et ironie,
les pouvoirs qui jugent, enferment et métissée, chose qui constate plus qu’il ne provoque.
“Cow-boy Carter” fédère mais signe
à écouter chez
s’en prennent à nos libertés. Après le aussi la fin d’un pic créatif. En termes
confinement, toute une génération de de poker, il rafle la mise. C’est la vieille
rockers, rappeurs, qu’importe, s’est règle énoncée par David Bowie : il ne faut
mise à se revendiquer de Dolly Parton,
Willie Nelson et surtout John Prine que soi, dehors, jamais être le premier mais toujours le
second. Surtout en revendiquant de façon
en voiture,ou sur
les gens redécouvraient médusés après aussi politique l’héritage de la figure du
sa mort due au coronavirus. Puis ce fut cow-boy, Beyoncé met fin à tout jeu, toute
l’explosion : d’albums acoustiques déjà, ambiguïté et possibilité pour les artistes
et du look qui allait avec. Le moindre
artiste, qu’il soit de Trap ou Emo, portait
un chapeau de cow-boy, les femmes d’ici
son lit de mort de s’inventer en dehors des cadres, de
l’histoire et des communautés. Après
elle, s’habiller en cow-boy, jouer cette
s’emparèrent des bottes mexicaines le musique, aura une autre connotation,
temps d’une saison et même Wrangler, celle qu’elle lui a donnée et l’on sera
disparu de chez nous depuis fort long- pour ou contre. Pour clouer ce cercueil,
temps, était à nouveau distribué. Deux ans Lana Del Rey a annoncé pour la rentrée
durant, la country devint hip et elle se un nouvel album : il sera country,
répandait dans le petit monde de la s’appellera “Lasso” et finira de vider de
musique comme de l’essence dans une toute substance la chose pour en faire ce
flaque d’eau. La country n’était plus qu’a toujours été Lana Del Rey : une belle
simplement une odeur dans l’air, elle image sans rien derrière.
devenait incontournable. Jusqu’à ce que Comme symptôme immédiat de ce glas,
tout flambe en 2023. Orville Peck sort un troisième album,
Cette année-là, les écoutes en ligne du “Stampede”, un disque de duos et une
genre augmentaient de 23%, atteignant horreur absolue. Sa musique, comme
les 20 milliards de streams pour les seuls lui-même, a gonflé au point d’exploser :
USA. Si l’on se penche sur les détails il surjoue, surchante, s’habille mal, a
de ces chiffres, l’on remarque qu’une perdu de sa beauté, peut-être même un
nouvelle génération, à peine diplômée peu de son âme, en tentant le grand saut
s’était mise à écouter le genre massivement. Aussi, un tiers de ses 23% dans le mainstream. Un plongeon plus ou moins réussi, notamment
d’écoutes supplémentaires n’était dû qu’à un seul et unique artiste : avec “Midnight Ride”, un tube, une merde, chanté avec Kylie Minogue
Morgan Wallen. Inconnu en France, il est l’une des plus grandes stars et arrangé par le DJ/criminel contre la musicalité, Diplo. Est-ce
américaines, le genre à pouvoir remplir le moindre stade dans lequel seulement grave ? Bien sûr que non. Comme le dit la sagesse popu-
il pose le pied, même pour plusieurs soirs de suite si cela lui chante. laire : toutes les bonnes choses ont une fin. Bonne nouvelle donc :
Avec 44 millions d’auditeurs par mois sur Spotify, le parcours de la musique, elle, existe, est là, enregistrée et disponible, à portée de
Photo AlysseGafkjen-DR
Wallen raconte la contre-histoire de ce dont il est question depuis le main, des centaines d’heures d’une musique merveilleuse dont on n’a
début de cet article. Originaire du Tennessee et issu de The Voice, il pas encore fait le quart du tour. De la nouvelle country, très métissée,
a “fait son trou” dans le Nashville traditionnel et, si ses productions à écouter chez soi, dehors, en voiture, ou sur son lit de mort, avec les
restent très fidèles à ce son de la ville — défini et plutôt laid — bottes de cow-boy aux pieds ou pas. H
“Est-ce qu’on a
la bonne chanson ?”
Kenny
GaMBLe
Un catalogue de 3 500 titres et une histoire qui se confond avec
celle de l’âge d’or de la soul music : Kenneth Gamble, fondateur
de Philadelphia International Records avec Leon Huff et
Thom Bell (les “Mighty Three”), a une carrière exemplaire.
Il a produit les Jacksons, Dusty Springfield et Wilson Pickett…
et le son symphonique de son label a été à la
source du disco, influençant notamment David
Bowie pour l’album “Young Americans”.
RECUEILLI PAR OLIVIER CACHIN
KEnny GAMblE
PARMI LES ARTISTES DU CATALOGUE PHILLY Flyte Tyme, de Jimmy Jam et Terry Lewis, qui ont suivi ce schéma et
INTERNATIONAL, ON RETROUVE LA FINE FLEUR DE produit de la bonne musique (SOS Band, Janet Jackson, Boyz II Men,
LA GREAT BLACK MUSIC : les O’Jays, les Three Degrees, Usher, ndr). Mais l’industrie du disque a bien changé depuis tout ça.
les Stylistics, Billy Paul, MFSB, Lou Rawls, Harold Melvin
And The Blue Notes, Patti LaBelle, Teddy Pendergrass, Jean
Carn, Dexter Wansel, Dee Dee Sharp, Instant Funk. De Dans l’ascenseur
passage dans la capitale à l’invitation de Dimitri From Paris, R&F : Comment êtes-vous rentré dans cette industrie ?
le DJ français chargé de redonner une nouvelle jeunesse à Kenny Gamble : Je voulais absolument comprendre comment ça se
quelques-uns des classiques de Philly, Kenny nous raconte passait à la radio. Dans les penny arcades où on jouait aux machines à
l’histoire d’une époque révolue, celle où les producteurs de sous, il y avait aussi une cabine dans laquelle on pouvait graver un petit
musique étaient des bâtisseurs d’empire. disque en plastique. Alors, on a enregistré un truc vite fait là-dedans
avec mes amis. On a débarqué avec à WDAS. On les a suppliés :
“Allez, on voudrait rencontrer le DJ Georgie Wood, on a fait un disque
La matrice qu’on voudrait qu’il joue !” Georgie a fini par venir nous voir, il a
ROCK&FOLK : Quels ont été vos débuts dans le monde de discuté avec nous quelques minutes. J’avais une boîte à cirage et j’ai
la musique ? commencé à cirer les chaussures des gens qui bossaient à WDAS. Petit
Kenny Gamble : Quand j’étais gamin, j’ai été influencé par une à petit, on m’a filé des missions, genre aller au magasin acheter des
station radio locale, WDAS. Tous les grands DJ y travaillaient, on y sandwiches. J’ai rencontré le boss de la station, Max Leon. Son boulot
managers et les groupes, je matais tout. Jerry m’a fait rencontrer une à la scène. C’est là que l’on voit ce que veulent vraiment les gens.
Photo Michael Ochs Archives/ Getty Images
maison d’édition, Hill & Range, dans le Brill Building. Ils voulaient Et moi, j’ai compris que je ne voulais pas être artiste. Ça n’était pas
des chansons pour un film avec Elvis Presley, “Kissin’ Cousins”. On pour moi. Je préférais écrire des chansons. Et puis je ne chantais pas
en a écrit cinq avec Jerry, elles n’ont pas été retenues. On en a écrit aussi bien que Marvin Gaye, Levi Stubbs des Four Tops, Jackie Wilson
d’autres pour Chubby Checker, on a fait un tube pour Candy And The ou Bobby Womack. Eux, ils étaient nés pour chanter ! J’avais mon
Kisses, “Do ‘The 81’ ”, top ten aux US, gros break pour nous. Et puis style mais j’ai préféré écrire pour des artistes comme eux.
“Who Do You Love” pour les Sapphires sur Swan Records, le label
de Freddy Cannon et des Beatles quand ils ont débuté aux States.
Crise cardiaque
R&F : Et votre duo avec Leon Huff, ça a débuté comment ? R&F : Votre label n’a pas tout de suite été baptisé Philadelphia
Kenny Gamble : Jerry Ross a eu une proposition pour devenir International ?
directeur artistique chez Mercury Records à New York. J’ai repris Kenny Gamble : Non, c’était d’abord Gamble Records, et aussi
son bureau pour 65 dollars de loyer mensuel. Huff travaillait Huff Records. On a lancé Philly International quand les majors ont
au quatrième étage. Un jour, je le rencontre dans l’ascenseur. Il n’y commencé à racheter les distributeurs indépendants. On n’arrivait
avait pas beaucoup d’Afro-Américains dans l’immeuble à l’époque, plus à sortir nos disques : il y avait une quinzaine de distributeurs à
donc on se salue et on commence à discuter. Il me dit qu’il joue des Philadelphie, une quarantaine à New York, une vingtaine à Chicago
claviers alors je lui propose d’écrire des chansons ensemble. Je suis mais ils ont tous commencé à fermer parce que les majors ouvraient
allé chez lui un samedi. En deux heures, on leurs propres branches. Les gros labels ne
avait écrit sept chansons. A l’époque j’avais pouvaient pas s’aligner sur la créativité des
un groupe, Kenny Gamble And The Romeos, Philly fans indés comme Motown ou Stax, alors ils sont
on avait une petite réputation. On a commencé Le son de Philadelphia International devenus très compétitifs sur la distribution.
à jouer au Loretta’s Hi-Hat, dans le New a séduit plusieurs générations de fans, C’était la clé du succès : à quoi ça sert de faire
tous horizons confondus. Le crooner
Jersey. Chaque fois qu’on était programmé, soul Barry White a compris grâce à un disque si vous ne pouvez pas le distribuer ?
la route 30 était saturée sur des kilomètres Gamble & Huff que “tout était possible, Donc on a décidé de signer un label deal.
tellement les gens du coin se précipitaient artistiquement et commercialement”. Je connaissais Leonard Chess, on est allé à
Le rappeur Chuck D de Public
pour nous voir jouer ! Notre groupe était Enemy a apprécié leur engagement Chicago signer avec Chess Records. On a sorti
tellement bon que tous les autres artistes durant la guerre du Vietnam et leur les Three Degrees, les O’Jays, Billy Paul. Le
côté militant : “C’était des businessmen
venaient nous voir en live. Les Delphonics, noirs en lutte contre un ennemi premier single qu’on sort chez Chess, “One
les Intruders, les Blue Notes d’Harold Melvin, invisible”. Pour Stevie Wonder, Night Affair” des O’Jays, a fait un tabac.
ma copine Dee Dee Sharpe qui a fait un “Gamble & Huff mixaient la joie de On envisageait de bouger à Chicago pour
l’amour et la douleur de l’oppression”.
hit avec “The Mashed Potatoes”, Smokey Le grand patron Clive Davis a loué installer notre studio là-bas. Et un jour où on
Robinson, les Temptations, David Ruffin… leur capacité à “savoir quand une attendait Leonard, on reçoit un coup de fil :
C’était un rendez-vous, on ne savait jamais chanson va faire partie de la vie des il avait succombé à une crise cardiaque au
gens. Ils avaient une vision du futur”.
qui on allait voir. J’ai beaucoup appris grâce volant de sa voiture. J’ai appelé Clive Davis,
“Je ne voulais
qui venait d’être nommé à la tête de R&F : Quels ont été les grands
Columbia Records. Je lui ai raconté moments du label ?
notre histoire. Il a accepté de nous Kenny Gamble : Je me souviens
prendre mais à l’essai, histoire de voir
de quoi on était capable. On cherchait pas être artiste. quand Thom Bell, Leon Huff et moi
avons quitté le Schubert Building pour
Je préférais écrire
un nom, on pensait à Monster Records, acheter l’immeuble de Cameo Parkway.
Soul Power Records, Philly Records. Avant, on ne nous laissait même pas
Et Ronald Luxembourg, le boss rentrer dans l’immeuble. Moi j’y allais
d’Epic, nous dit un jour : “Pourquoi
ne pas vous appeler Philadelphia
International ?”...
des chansons” pour voir Dee Dee Sharp, qui était ma
petite amie et est devenue ma première
femme. On a remis à neuf l’équipement
des studios et on y était sept jours par
R&F : Vous aviez une vision semaine, 24 heures par jour.
précise du son recherché ? C’était
l’aube du disco. R&F : Combien de chansons avez-
Kenny Gamble : On entend une vous écrites et produites durant
musique dans sa tête et on doit la plus de quarante ans de carrière ?
produire en studio, ça n’est pas simple. Kenny Gamble : Notre catalogue
On doit transmettre ce feeling aux compte environ 3 500 chansons, dont à
musiciens. On avait le grand orchestre peu près 1 200 écrites par Huff et moi.
MFSB qui était les Romeos en version Et on en produisait la majorité. En plus,
enrichie. On a ajouté Vince Montana quand un groupe venait enregistrer, on
au vibraphone, Norman Harris à la préparait une vingtaine de morceaux
guitare, Norman Baker à la basse et et on en gardait une dizaine. Il y a des
Earl Young à la batterie. Et on avait choses incroyables sur les bandes. Je
des musiciens plus vieux comme me souviens de ce titre produit par
Don Renaldo aux arrangements de Thom Bell, “Isabelle”, un pur tube. On
cordes et des violonistes venus de devrait le sortir aujourd’hui. Beaucoup
la musique classique, c’est pour ça de choses sont restées inédites.
qu’on avait un son aussi somptueux. Il
nous est arrivé plein de trucs dingues. R&F : Parlez-nous de l’incendie…
Quand on a débarqué dans le Schubert Kenny Gamble : C’était en 2009. Un
Building, on avait deux petites pièces. mec bourré est rentré dans l’immeuble
Quand on est parti, on avait tout le de Cameo Parkway et comme il n’y
sixième étage. Il y avait Thom Bell, avait rien à voler, il a foutu le feu. Il
McFadden & Whitehead, Bunny Sigler, tous en compétition. Comme est en prison mais la tragédie, c’est que ça ne sera plus jamais pareil.
Motown avec Smokey Robinson, Stevie Wonder, Ashford & Simpson,
Holland-Dozier-Holland. R&F : Les enregistrements originaux ont-ils brûlé ?
Kenny Gamble : Non, on les garde dans un endroit qu’on appelle
Iron Mountain. On a plus de 4 000 bandes là-bas. Parfois on doit
Sept jours par semaine, “cuisiner” les bandes magnétiques : durant les seventies, il y a eu un
24 heures par jour stock de bandes magnétiques défectueuses et, pour récupérer le son,
R&F : Vu l’excellence de tous ces artistes, vous n’aviez pas on doit les placer dans un four. La chaleur recolle les bandes mais
de conflits d’ego à gérer ? c’est du one shot. Non, ce que l’on a perdu dans l’incendie du Cameo
Kenny Gamble : Bien sûr que si, mais ça ne me préoccupait pas. Mon Parkway, ce sont des souvenirs. Et on a dû déménager.
objectif, c’était de rassembler tous ces talents sur bande magnétique.
Ils pouvaient râler et protester, mais je voulais qu’ils essaient ce que R&F : Votre musique est régulièrement samplée par les
je leur proposais. Tenez, les O’Jays par exemple : ils n’aimaient pas artistes hip-hop. Ça vous plaît ?
“Backstabbers”. Un jour où je passe au studio, j’entends le morceau Kenny Gamble : J’adore ça. Tous les rappeurs ont samplé notre
et Huff me dit que ça ne leur plaît pas. Je leur dis : “Mais essayez au musique. Ça nous permet de rester dans le game. Jay-Z a pris
moins de la chanter, cette chanson, qu’est-ce que vous avez à perdre ?”. “Something For Nothing” et il en a fait “What More Can I Say”.
Photo Michael Ochs Archives/ Getty Images
Walter Williams avait balancé par terre la feuille avec les paroles.
Mais c’est normal pour des artistes de passer par des phases comme ça. R&F : Vous intéressez-vous à d’autres musiques ?
Ils veulent être auteurs, producteurs, chanteurs, ils veulent tout faire. Kenny Gamble : J’ai rencontré Ziggy Marley il y a quelque temps.
Mais pour moi, la bonne alchimie, c’est quand on a des grands auteurs Vous savez, on allait signer Bob Marley, dont j’étais proche, en 1979.
qui travaillent avec des grands chanteurs. Très peu d’artistes ont la Il est venu me voir à Philadelphie. On avait une organisation appelée
capacité d’écrire pour eux-mêmes. Et la majorité de ceux qui ont une BMA, Black Music Association, un réseau de disc-jockeys R&B
longue carrière, c’est ceux qui ont des équipes d’auteurs à la hauteur. africains américains. Je voulais y amener Bob. Ce soir-là, Bob Marley
Frank Sinatra par exemple, ou Elvis Presley. a fait un show avec Stevie Wonder, c’était superbe. Huff et moi, on
allait parfois en Jamaïque pour composer. C’était peace, là-bas. H
Le meilleur de PIR
Avec plus de 175 disques d’or et de platine, le team Gamble & Huff a traversé le vingtième siècle, laissant
en héritage des classiques de la soul suprême, des hits disco et des albums d’anthologie, tous conçus à
Philadelphie où le duo installa son Xanadu : Philadelphia International Records (PIR). Bref tour d’horizon
des LP les plus emblématiques produits et/ ou écrits par ce duo doté de la Midas Touch. Par Olivier Cachin
1970 Billy Paul leurs sept années passées T.K.O.”). Ultime cri d’amour :
Dusty Springfield “360 Degrees Of Billy Paul” chez daddy Berry Gordy. “Let Me Love You”,
“A Brand New Me” La VO de On trouve parmi les dix violons et basse slappée.
Sixième album “Me And Mrs chansons le très emblématique
pour Dusty Jones”, c’est “Blues Away”, premier morceau
l’Anglaise, Billy. Ce fut
son plus gros
écrit et composé par Michael
Jackson, trois ans avant son
1981
enregistré
fin 1969 à succès et il solo iconique “Off The Wall”. The Jones Girls
Sigma Sound, lui offrit la “Get As Much Love As You Can”
dans la ville pole position Les années
du Brotherly des charts R&B pendant quatre 1977 1980 arrivent
Love, et sorti chez Atlantic. semaines, ainsi qu’un Grammy The Philadelphia et le son de
Gamble & Huff sont aux en 1973. D’autres versions Philadelphie
manettes des dix titres de suivirent dont celle de Johnny International all Stars évolue. Ce
cool soul, avec en vedette la Mathis en 1973, des Dramatics “Let’s Clean Up The Ghetto” trio féminin
chanson-titre qui grimpa à la en 1975, Sarah Jane Morris Compilation originaire
troisième place des charts US. en 1988 et de Michael Bublé des talents de Detroit
avec Emily Blunt en 2007. de Philly, a notamment travaillé avec
cet album Diana Ross et offre ici un
Wilson Pickett rassemble R&B sophistiqué qui oscille
“In Philadelphia”
Après
1973 (entre autres)
des morceaux
entre l’exotisme chic (“Nights
Over Egypt”) et du Gamble/
Memphis et MFSB de Lou Rawls, Huff d’excellente facture (“(I
les studios “Love Is The Message” des Intruders, Billy Paul et Found) That Man Of Mine”).
Muscle Shoals, MFSB Dee Dee Sharp Gamble, qui
Wilson part à (acronyme fut durant treize ans l’épouse
Sigma Sound de Mother,
Father, Sister,
de Kenny Gamble. Morceau
de bravoure : “Let’s Clean
1982
avec dans
son groupe la Brother), Up The Ghetto”, 8 minutes 42 The Stylistics
redoutable section rythmique ce sont une de soul militante avec cuivres “1982”
Ronnie Baker/ Earl Young, trentaine de en rut et chœurs célestes. Si les Stylistics
Thom Bell à l’orgue et Norman musiciens ont surtout
Harris à la guitare, un groove d’exception qui bossent tous à fait carrière
gang de très haute tenue. Sigma Sound. Sous une pochette
anxiogène, le collectif chante
1978 chez Avco
et avec les
l’amour et le groove avec en Lou Rawls producteurs
1972 tube majeur “TSOP”, entré dans
l’histoire de la télé américaine
“Live”
Lou fait
Hugo & Luigi,
ils ont aussi
Harold Melvin comme générique du mythique feu de tout effectué quelques incursions
& The Blue notes “Soul Train” de Don Cornelius. bois sur vers Philly le temps de trois
“I Miss You” ce double albums, dont ce “1982” où
Avec son vinyle qui l’on retrouve l’inimitable
quintette vocal The Three Degrees swingue voix de tête de Russell
comptant “The Three Degrees” jazzy et Thompkins Jr, lead singer de
dans ses Disco divas groove funky, ce quatuor vocal qui pratique
rangs Teddy au recto et avec hommage à Stevie (“Sir le crooning soul sur “United”,
Pendergrass, vixens super Duke”) et Duke Ellington signé Gamble & Huff.
Harold sexy en double (“Sophisticated Lady”).
fait sien centrale Le king du crooning est
l’imparable slow hit “If You gatefold,
les trois
aussi à l’aise sur “Stormy
Monday” que quand il
1985
Don’t Know Me By Now”,
composé à l’origine par Gamble vocalistes reprend sa pub pour la bière Patti LaBelle
& Huff pour LaBelle et qui Valerie Holiday, Sheila Ferguson des prolétaires US, “When “Patti”
redeviendra n°1 en 1989 chanté et Fayette Pinkney sont au top You Say Budweiser, You’ve Miss Patti,
par les Anglais de Simply Red. sur “Dirty Ol’ Man” (n°1 en Said It All”. Tout est dit. qui a enfin
Hollande) et “When Will I See rencontré le
You Again” (n°1 en Angleterre). succès en solo
The O’Jays 1980 avec l’album
“Back Stabbers” “I’m In
La disco soul 1976 Teddy Pendergrass Love Again”
tient un de “TP” en 1983,
ses premiers The Jacksons La voix récidive chez PIR avec ce
tubes avec “The Jacksons” est puissante LP où elle chante du Bunny
“Love Train”, Joint-venture et Teddy est Sigler (“Living Double”, “Shy”)
single solaire entre Epic aussi efficace et du Womack & Womack
en 4/4 tout- et PIR, le quand il duette (“Love Symphony”, “Where
terrain. “Back onzième album disco avec I Wanna Be”) pour finir
Stabbers”, l’autre single, fut des frères est Stephanie en beauté avec une version
inclus en 1993 dans la bande- leur premier Mills (“Take live et extensible de “If You
son de “L’Impasse” de Brian hors du giron Me In Your Arms Tonight”) Don’t Know Me By Now”,
De Palma. Fun Fact : on Motown, que quand il exécute une 8 minutes d’extase.
trouva la K7 de la BO dans la Gamble & Huff faisant office ballade langoureuse écrite
Ford Bronco d’OJ Simpson. de pères de substitution après par Cecil Womack (“Love
Story
ELVIS
PR ESLE Y 5 juillet 1954 :
le second Big Bang
Il y a soixante-dix ans, à Memphis, Tennessee,
un chanteur, un guitariste et un contrebassiste ont non seulement
changé la musique à jamais : ils ont changé le monde.
PAR NICOLAS UNGEMUTH
NICK TOSCHES ÉTAIT GRAND MAIS SNOB COMME UN longtemps dit que le premier morceau de rock’n’roll était
POT DE CHAMBRE. Selon lui, lorsque les Beatles “Rocket 88” d’Ike Turner (ou Jackie Brenton) et
sont arrivés, ça a été la catastrophe, il n’y avait ses Rhythm Kings. Foutaise. Là encore, il s’agit
plus rien d’intéressant, voire de décent, à écou- de R&B sous influence boogie-woogie. A ce
ter. Par ailleurs, toujours selon lui, ce n’est compte-là, autant dire que Pinetop Perkins
pas en 1954 qu’est né le rock’n’roll, mais ou Hank Williams ont inventé le rock’n’roll.
bien avant. C’est ce qu’il détaille dans son Bill Haley a bien sorti “Crazy Man, Crazy”
excellent livre “Unsung Heroes Of Rock ’N’ en 1953 et enregistré “Rock Around
Roll” (traduit en France chez Allia sous le The Clock” en avril 1954, morceau qui
titre “Héros Oubliés Du Rock N’ Roll : Les allait connaître des mois après sa sortie
Années Sauvages Du Rock Avant Elvis”). un succès phénoménal aussi bien aux
Tosches y parle d’Amos Milburn, de Big Joe Etats-Unis qu’en Angleterre, ces deux
Photo Michael Ochs Archives/ Getty Images
R
des Tables de la Loi sont écrites
etour en arrière… En juillet 1953, De toute évidence, Elvis allait chez Sun pour se faire remarquer. Il avait un
Elvis Presley, conducteur à Memphis espoir, une détermination. Chez Sun, il sympathise avec Marion Keisker,
pour la compagnie Crown Electric assistante de Sam Phillips, qui apprécie le garçon timide et l’a entendu
(où, dit-on, il se serait pris une raclée chanter. En quelque sorte, c’est elle qui a découvert Elvis. Sam Phillips,
par le jeune et très nerveux Johnny qui avait enregistré de nombreux bluesmen, était tombé dingue d’une démo,
Burnette) se pointe au studio — au un machin intitulé “Without You”, qui n’était pas un blues. Il cherche
singulier car il n’y en a qu’un — Sun. un chanteur. Keisker lui recommande d’auditionner le jeune homme aux
Lequel propose un service courant à rouflaquettes (qui a tenté, sans succès, d’incorporer deux groupes, dont un
l’époque : enregistrer contre monnaie de gospel). Elvis est contacté et débarque, en transe, au studio. Phillips
Photo Memphis Brooks Museum/ Michael Ochs Archives/ Getty Images
sonnante un acétate à deux faces. Le lui demande d’interpréter “Without You” et de chanter ses morceaux
jeune homme de 18 ans grave “My favoris. Rien n’en sort. Un peu plus tard, le 4 juillet, le patron arrange un
Happiness” et “That’s When Your rendez-vous entre Elvis, Scotty Moore et Bill Black, qui ont eu affaire à
Heartaches Begin” qu’il devait beaucoup aimer puisqu’il la reprendra Sam Phillips chez Sun pour leur groupe les Starlite Wranglers. Les trois
plus tard dans une version inoubliable. Il paye 3,98 dollars. La légende hommes font connaissance, jouent un peu de musique. Moore et Black ne
veut que cet enregistrement ait été un cadeau pour sa mère, même s’il sont pas franchement impressionnés mais disent à Phillips que “le garçon
semble qu’à l’époque, la famille Presley n’avait pas d’électrophone peut chanter”. Le lendemain, c’est la date historique : le 5 juillet 1954, le trio
en ces temps où l’objet était coûteux, surtout lorsque tout le monde se retrouve chez Sun. Ils jouent ensemble des trucs country, des ballades,
écoutait sa musique à la radio. Quelques mois plus tard, le 4 janvier “I Love You Because”. Les heures passent, tout le monde est fatigué. Elvis,
1954, il retourne au studio, cette fois-ci pour y enregistrer “I’ll Never qui a des goûts très variés — gospel, country, Dean Martin, R&B — se
Stand In Your Way” et “It Wouldn’t Be The Same Without You”. On souvient soudain d’un morceau d’Arthur Crudup et commence à ouvrir les
entend sur ces titres un jeune Elvis à la voix juste, plaintive, plus vannes pour se détendre. Il envoie “That’s All Right (Mama)”, Scotty et
aiguë que ce à quoi il habituera son public plus tard. Des ballades Bill, le déconneur du trio, commencent à s’amuser. Il s’agit de se relâcher.
mièvres, un peu niaises. Phillips apprécie, finit par sélectionner la meilleure prise.
I
l faut saluer son génie. Marion Keisker lui avait recommandé Amos Milburn ou Bill Haley… Sam Phillips contacte immédiatement
Photo Bettmann/ Getty Images
ce jeune inconnu. Son chant n’était pas probant, son choix son ami, important DJ de Memphis, Dewey Philips, et lui intime de
de chansons non plus. Voici qu’il dynamite un tout petit passer chez Sun afin qu’il écoute ce qui est, selon lui, une bombe.
classique de la musique noire, domaine que le patron de Dewey se pointe, écoute l’enregistrement à plusieurs reprises, ne
Sun connaît bien. Il savait trouver l’intérieur du diamant s’enthousiasme pas outre mesure mais rappelle Sam le lendemain : “Je
brut enfoui au fond de sa gangue, il le prouvera par la suite n’en ai pas dormi de la nuit. Ce morceau est extraordinaire. On tient
avec une assemblée de légendes. Lorsque Scotty Moore quelque chose”. Puis il passe sur sa radio “That’s All Right (Mama)” non-
tente, sans en avoir les moyens, de copier son héros Chet Atkins, le stop jusqu’à sept fois de suite. Les auditeurs sont hystériques, appellent
virtuose de la country, Phillips est clair : “Tu simplifies. Si je voulais la radio, écrivent, envoient des télégrammes. Le patron de Sun a besoin
Chet Atkins, j’appellerais Chet Atkins”. Ce soir-là, les premières d’une face B pour commercialiser un single. Ce sera “Blue Moon Of
lignes des Tables de la Loi sont écrites. Elles n’ont rien à voir avec Kentucky”, à l’origine une valse du dieu du bluegrass, Bill Monroe.
S
am Phillips tient enfin son premier single d’Elvis Presley, qui
rend tout le monde dingue à Memphis et dans les environs.
Sa reprise du morceau popularisé par Monroe fait un carton
plein. Personne n’a jamais entendu un titre issu du répertoire
country sonner de telle manière. Le patron de Sun trouve des
concerts à son poulain, le fait passer au mythique Grand Ole Opry et
négocie un concert mensuel au rival de l’Opry, le Louisiana Hayride. Il
faut rappeler aux hommes du XXIème siècle que tout cela était retransmis
à la radio dans les états environnants : un impact monstrueux pour Elvis
âgé de 19 ans. La suite s’annonce plus brillante encore. Elvis, Bill et
Scotty sont devenus amis et complémentaires. Sur scène, Bill monte sur
sa contrebasse comme le fera Slim Jim Phantom chez les Stray Cats des
années plus tard. Scotty joue ses brefs solos très simples. Elvis a une
jambe qui part dans tous les sens sur scène, ce qui rend les jeunes, en
particulier les filles, hystériques. Sa prestance scénique est insensée,
son visage de statue grecque, sa voix qui est descendue dans les graves,
achèvent de séduire les spectateurs. C’est un nouveau monde musical
qui émerge. A telle enseigne qu’après l’avoir entendu ou vu sur scène,
une bande de génies du rockabilly débarque chez Sun, ou ailleurs
(Meteor, King, entre autres). C’est l’apparition d’un genre ultra-violent
pour l’époque qui n’a vraiment plus rien à voir avec pépé Bill Haley,
son accroche-cœur ridicule et son strabisme un poil gênant : tout d’un
coup, Charlie Feathers, Sonny Burgess, Johnny Burnette, Carl Perkins,
Roy Orbison, Jerry Lee Lewis, Billy Lee Riley, Johnny Cash (qui n’a
jamais à proprement parler versé dans le rockabilly), Carl Mann, Sonny
Fisher, Marvin Rainwater, Charlie Rich se sont dit qu’ils pouvaient aussi
s’exprimer dans ce nouveau vocabulaire. Puis, dans un genre moins cru
mais tout aussi génial, Eddie Cochran, Buddy Holly, Gene Vincent,
Chuck Berry, Bo Diddley ou Little Richard ont tout simplement mis le
feu à la musique telle que les gens la connaissaient. Les conséquences
ont été déflagratoires. Sans eux, pas de Beatles, donc pas grand-chose
par la suite. Les Stones, qui jouaient les puristes du blues, ont commencé
en reprenant Chuck Berry (et même Buddy Holly copiant Bo Diddley le
temps de “Not Fade Away”) à tour de bras. Mais sans Elvis — comme
l’a rappelé John Lennon — et le génie de Sam Phillips, rien de tout
cela ne serait arrivé.
L
e tandem, en un peu plus d’un an, a fait toujours plus fort,
toujours mieux, avec parfois un batteur (l’idée venait de Phillips,
le George Martin d’Elvis) pour rehausser certains morceaux
mollassons comme “I’m Left, You’re Right, She’s Gone” ou
“I Forgot To Remember To Forget”, cosigné par le génial
cinglé Charlie Feathers. Les titres d’Elvis pour Sun sont inusables... C’est
pourtant sur trois morceaux en particulier qu’Elvis, Scotty et Bill slappant
sa contrebasse comme un fou, signent les parangons du rockabilly originel.
“Good Rockin’ Tonight”, “Baby Let’s Play House” et, enfin, le chef-d’œuvre
éternel, le morceau qui ne cesse de bouleverser : “Mystery Train”. Phillips
devait en être fier, il avait sorti l’original par Bobby Parker chez Sun en 1953.
La version du jeune gars qui aimait arborer des pantalons roses à bandes
blanches, des chemises en dentelle très gay achetées chez Lansky Brothers
AC DC
/
de a à z
Alors qu’AC/DC fête son cinquantième anniversaire
avec une très attendue tournée européenne, l’occasion était belle
de revenir sur les moments marquants de la légendaire formation
désormais menée par Angus Young. PAR JONATHAN WITT
Une légende immuable, imperméable aux modes (“La seule chose qui change sur un nouveau disque
d’AC/DC, c’est la pochette”, dixit Angus Young). Voilà ce qui lui a permis de se constituer une armée
de fidèles au fil des années. Un concert d’AC/DC est la promesse de toucher un véritable monument
des seventies, de siroter un répertoire chromé déballé avec une énergie survoltée, et d’un spectacle
total : cloche d’une tonne, canons, autrefois un train ou une statue géante d’Angus. Pour patienter
en attendant le concert à l’hippodrome de Longchamp, voici donc un abécédaire forcément subjectif,
qui permet de revenir de manière détournée sur la tumultueuse saga.
au Palais des Sports de Besançon, devant 713 Geordie s’est désagrégé et Brian a vécu I comme…
âmes, en première partie de Rainbow. Après une vraie traversée du désert (séparation, inspiration
un épique trajet de nuit ponctué d’une panne saisies d’huissier). Il s’est remplumé avec De nombreuses formations, plus ou
près d’un passage à niveau, les Australiens Geordie II (constitué d’ex-Fogg) et a monté moins douées, ont rendu hommage
convertissent leurs premiers adeptes au une entreprise de pose de capotes en vinyle : (doux euphémisme) à AC/DC au fil des
Pavillon de Paris, avant que la troupe ne file grimpant sur scène juste après le boulot pour décennies. Airbourne est sans doute le
visiter le Bois de Boulogne. Deux jours plus s’époumoner sur des reprises (dont “Whole copiste le plus connu, mais on peut citer
tard, AC/DC ne foulera pas les planches du Lotta Rosie” !), il a alors adopté son iconique Black Aces (“Shot In The Dark”), ’77
Parc des Expositions de Colmar, la faute casquette d’ouvrier, le protégeant d’une sueur (“Maximum Rock N’Roll”), Sin City,
au claviériste de Rainbow Tony Carey qui rendue urticante par la colle et la poussière. Bonafide, Dynamite, Broken Teeth, Sideburn,
se pointe à une heure très tardive… Bien Boned ou encore les Parisiens de Sticky Boys…
après, AC/DC s’escrimera sur “For Those H comme… Dans la classe au-dessus, on conseillera Rhino
About To Rock” avec “Mutt” Lange à Paris, High Voltage Bucket (“Get Used To It”) et Johnny Crash,
sur les quais de Bercy. Un autre amer souvenir. Saviez-vous qu’il existe deux galettes parues avec l’immense “Neighborhood Threat”
sous le titre “High Voltage” ? Le tout premier produit par Tony Platt, ingénieur du son
G comme… opus d’AC/DC, sorti uniquement en Océanie, sur “Highway To Hell” et “Back In Black”.
geordie et le premier disque d’AC/DC distribué
J comme…
En mars 1973, Geordie, dans la foulée du tube à l’international : une compilation qui reprend
“All Because Of You”, se produit à Torquay avec sept titres issus de… “T.N.T”, seconde livraison (the) Jack
en ouverture Fang (ex-Fraternity), un attelage également cantonnée aux Antipodes, laquelle “She’s Got The Jack… She’s Got The Jack,
prog-folk (plutôt médiocre) dont le chanteur contient la chanson “High Voltage”, bâtie Jack, Jack… ” Qu’est-ce donc que ce “Jack” ?
à barbichette n’est autre qu’un certain Bon sur une suite d’accords A/C/D/C (la/do/ Il s’agit d’un mot d’argot pour “gonorrhée”.
Scott. Attentif au jeu de scène des poulbots ré/do). Parmi les titres écartés de l’édition L’origine de la chanson — dont Bon, conteur
de Newcastle, il retient le moment où Brian internationale : la reprise virevoltante de aussi doué que libidineux, improvisait sur
Johnson, petit hurleur à la voix ultra-râpeuse, “Baby Please Don’t Go” (Big Joe Williams), scène des paroles encore plus graveleuses —
porte son guitariste sur ses épaules et se “Stick Around” avec son riff retardé façon remonte à l’époque où les cinq garnements
souviendra avec émoi de ce soir où son alter ego Free, le R&B cool de “You Ain’t Got vivaient en communauté et où les
se roula par terre lors d’un rappel (finalement A Hold On Me”, “Soul Stripper” et son représentantes de la gent féminine
victime d’une appendicite), au point de rare duel de guitares, la ballade “Love circulaient en nombre… Ce qui a mené
suggérer son nom aux frères Young au cas où, Song”, l’amusant boogie “Showbusiness” à une épidémie de chaude-pisse et à une
si, un jour… Après le très bon “Don’t Be Fooled (sur les travers du milieu) ou encore invasion de morpions jusque dans le van
By The Name” et le raté “Save The World”, la très Little Richard “Rocker”. de tournée. Un épisode à propos duquel
En l’occurrence via sa bande originale Malcolm, exaspéré par sa lenteur des Young aurait remarqué l’inscription
(“Who Made Who”), sorte de best of, comme par ses honoraires, décide AC/DC sur sa machine à coudre. D’autres
avec en prime trois nouveaux morceaux alors de se passer de ses services. penchent pour un aspirateur. L’idée a plu,
(dont la mélodieuse chanson-titre) suggérant la puissance et l’électricité. Quoi
qui verront le retour de la paire George M comme… qu’il en soit, ce n’est que plus tard que nos
Young/ Harry Vanda aux manettes. Marvel Comics morveux découvriront que l’expression
De quoi convertir de nouveaux adeptes. La pochette du colossal et sous-estimé revêt une connotation sexuelle (traduisible
“Ballbreaker” (“The Furor”, “Boogie Man”, par “A voile et à vapeur”), alors qu’il leur
L comme… “Burnin’ Alive”), produit par Rick Rubin arrivait de se produire dans des clubs réservés
Lange
Photo Rob Verhorst/ Redferns/ Getty Images
en 1995 avec le retour de Phil Rudd aux aux homosexuels… A un journaliste qui lui
Suite à l’échec aux Etats-Unis du live fûts, avait été conçue par la société Marvel demanda s’il était l’un ou l’autre, Bon Scott
“If You Want Blood You’ve Got It”, censé Comics, qui édite Spider-Man, X-Men ou rétorqua qu’il était “l’éclair entre les deux”.
conquérir les ondes comme “Alive” de le Silver Surfer. Laquelle a vite prévu une
Kiss, Atlantic menace de couper les vivres. bande dessinée dédiée à AC/DC. Le pitch : P comme…
Les frères Young acceptent à contrecœur Bon Scott joue aux cartes avec Satan et Richard Power Up
un changement de producteur : un premier Nixon, et remporte le droit de chanter une L’actuelle tournée s’intitule “Power
essai avec Eddie Kramer, qui souhaite ultime fois avec ses camarades, aux Enfers. Up Tour” bien que seuls deux titres de
incorporer des claviers, échoue très vite Une idée amusante, mais vite abandonnée. “Power Up” se retrouvent dans la set-list :
la très accrocheuse “Shot In The Dark” avec laquelle Bon Scott a eu une relation unique opus produit par Bruce Fairbairn
(logique) et “Demon Fire” (plus discutable). charnelle. Elle lui a inspiré la très salace (Bon Jovi, Aerosmith) avec l’ex-Manfred
Il a été fignolé sous la houlette de Brendan “Whole Lotta Rosie”, clin d’œil malicieux à Mann Earth Band, Chris Slade, à la batterie.
O’Brien, déjà responsable de l’excellent “Black “Whole Lotta Love”. Cette Tasmanienne a Angus a trouvé le titre lorsque son avion a été
Ice” et du décidément bien nommé “Rock été immortalisée, à partir de 1991, sous la frappé par la foudre au-dessus de l’Allemagne
Or Bust”, dont la tournée a vu les départs forme d’une poupée gonflable géante, dont le de l’Est — lui pense au tonnerre tant l’impact
successifs de Malcolm Young (démence), dégonflage menait à des situations dignes de a été assourdissant. Autre source : les jouets
Phil Rudd (soucis judiciaires), Brian Johnson “Spinal Tap” : musiciens pris au piège sous les d’enfance des frères Young, “Thunder
(surdité) et enfin Cliff Williams (lassitude), Axl amas de plastique et cymbales renversées. Streak” (une sorte d’hydroplaneur).
Rose étant appelé en renfort pour honorer les Utilisée au cinéma (“Iron Man 2”, “Super
derniers concerts. Les derniers riffs de l’aîné S comme… Mario Bros”), “Thunderstruck” sert aussi
des Young, décédé en 2017, parsèment ce Stakhanovistes de bande-son à la chorégraphie la plus célèbre
dix-septième opus très digne, avec l’émouvante On le sait, la route est longue jusqu’au sommet… des athlétiques Dallas Cowboys Cheerleaders.
“Through The Mists Of Time”, la quasi celtique Avant de goûter à la gloire, AC/DC a galéré,
“No Man’s Land” ou l’efficace “Money Shot”. sillonnant sans relâche et dans des conditions U comme…
Q comme…
précaires l’Angleterre puis les Etats-Unis. Uniforme
Ce faisant, il se mesure favorablement à la Peu porté sur les études, Angus se pointait
Qu’ils aillent crème du hard rock de l’époque : Alice Cooper, à ses premières répétitions en uniforme
se faire foutre ! Thin Lizzy, Montrose, Blue Öyster Cult, Van d’écolier, n’ayant pas eu le temps de se changer.
Une expression souvent utilisée par AC/DC à Halen, Aerosmith… Au point d’effrayer la Tirant profit de sa petite taille (1,57 m), il en
l’égard des pontes d’Atlantic, qui sommait nos concurrence (seuls leurs potes de Cheap Trick a fait une sorte de gimmick, celle du gamin
gonzes d’adoucir leur approche, et suggérait soutenant la comparaison). Une époque qui a virtuose de la guitare, créant sur le tas un jeu
même de saquer Bon Scott afin de davantage inspiré “Highway To Hell” : “Quand tu pionces de scène possédé afin de capter l’attention
séduire les radios américaines. Les premières avec les chaussettes du chanteur à deux des gaillards australiens dans les bouges,
réponses du revêche gang ont pris la forme des centimètres de ton pif, tu as une idée de ce à ajoutant ensuite strip-tease et exhibition de
débraillés “Let There Be Rock” et “Powerage”. quoi ressemble l’enfer”, plaisantera Angus. son postérieur au spectacle… Certains diront
que “c’était mieux que de voir sa tronche”.
R comme… T comme… Bon Scott s’est aussi déguisé en écolière
Rosie thunderstruck lubrique lors d’une retentissante apparition
Il s’agit d’une plantureuse tenancière Avec son épileptique introduction, télévisée en Australie. Angus a eu droit dès
d’un bordel situé à l’arrière de l’hôtel où nos “Thunderstruck” est devenu un moment 2001 à une figurine à son effigie, d’une hauteur
fripouilles avaient leurs habitudes à Melbourne, incontournable de l’inégal “The Razor’s Edge”, de quarante centimètres (“presque à l’échelle”,
“Quand
tu pionces
avec les
chaussettes
du chanteur
à deux
centimètres
de ton pif,
tu as une
idée de
ce à quoi
Photo Rob Verhorst/ Getty Images
ressemble
l’enfer”
048 R&F AOÛT 2024
diront à nouveau les mauvaises langues). Il a et sur scène, notamment lors d’un retentissant toutes les décisions importantes.
enfin été plébiscité à la tête d’un classement concert à l’opéra de Sydney (AC/DC en fera George Young, le grand frère producteur,
des “meilleurs petits gars de tous les temps”, la première partie), puis sombre dans une testait au préalable l’efficacité des chansons
devançant notamment Maître Yoda. Chic. addiction aux opiacés. Elle l’empêchera aux claviers. Le neveu Stevie Young (ex-
d’être élu pour remplacer Bon Scott, Starfighters) a suppléé Malcolm Young
V comme… alors qu’il constituait une piste crédible, lors d’un bref départ en 1988 pour soigner
Vomi à l’instar de Noddy Holder (Slade), Terry son alcoolisme latent (il lui ressemblait
Selon la rumeur, Bon Scott a terminé Slesser (Back Street Crawler), Gary Holton tellement que personne n’y a vu goutte)
sa course terrestre “étouffé dans son (Heavy Metal Kids) ou Buzz Shearman et a repris ce rôle depuis 2014. On connaît
vomi”. Le rapport d’autopsie a conclu à (Moxy). L’affable Brian Johnson décrochera moins Alexander Young, autre aîné dont la
une “intoxication alcoolique aiguë”, résultat finalement le poste, conseillé par Lange comme formation (Grapefruit) a été signée sur Apple
d’une homérique nuit de bamboche durant par Bon Scott et un fan de Cleveland, bien qu’il Records avant d’usiner le remarquablement
laquelle notre bien-aimé pirate aurait éclusé ait failli manquer l’heure de son audition pour éclectique “Deep Water” en 1969. Il a écrit pour
la moitié d’une bouteille de whisky. D’autres une partie de billard avec les roadies du groupe. AC/DC un titre resté inédit (“I’m A Rebel”)
penchent pour un mélange fatal avec de et a aussi servi de sherpa en Allemagne.
l’héroïne. Son compagnon de soirée, incapable X comme…
de le transporter jusqu’à son paddock — ou Xylophone Z comme…
bien désireux de laisser la dope s’évacuer Un instrument que l’on n’a jamais entendu Zorba
du corps de l’infortuné… — l’aurait laissé sur aucun disque d’AC/DC, qui s’est A ses débuts, AC/DC s’est retrouvé à animer
roupiller dans sa Renault 5 par une froide cantonné aux classiques guitares, basse le mariage d’un ami. Ils dévalent quelques
nuit d’hiver. A la clé, une entrée fracassante et batterie. Cette approche no bullshit et reprises de Chuck Berry et des Rolling Stones
dans le club des 33, aux côtés de Sam sans concession est l’un des secrets jusqu’au moment où le père de la mariée leur
Cooke, Keith Relf et Donny Hathaway. de la popularité constante du groupe. demande… “Zorba Le Grec”. Incrédule,
Rare exception : la cornemuse le gang refuse, souhaitant protéger son
W comme… de Bon Scott sur “It’s A Long Way intégrité rock’n’roll mais Malcolm, bon
Wright To The Top (If You Wanna Rock ‘N’ Roll)”. bougre, demande un instant. Le temps
Ce shouter d’élite traînera dans les parages de déchiffrer l’air à l’oreille et voilà
des frères Young durant de nombreuses Y comme… qu’AC/DC s’exécute sous les vivats.
années. Vocaliste des Easybeats, Stevie Wright Young Il avait beau être discret, voire mutique,
y côtoie George Young et Harry Vanda, avant La fratrie Young est très soudée et c’était bien lui le chef de la meute. H
de se lancer dans une carrière solo. Il met le AC/DC a longtemps été une entreprise
Concert le 13 août
pied à l’étrier à Malcolm Young en studio familiale dans laquelle Malcolm prenait à l’Hippodrome de Longchamp (Paris)
Le rock
austraLien
Pays du larsen roi, l’Australie possède une culture de la musique live
qui en fait une des scènes rock’n’roll les plus vivaces au monde. PAR ERIC DELSART
LUNDI 1ER JUILLET 2024. A Saint-Brieuc, les Cosmic ses modèles The Stooges. Un groupe qui a créé des vocations
Psychos achèvent leur concert par une ovation avant dans tout le pays et au-delà, ouvrant la voie à d’autres formations
de se retourner et de présenter leurs fesses au public. proto-punk comme the saints de Brisbane. Dans leur sillage,
C’est l’image qu’on a souvent du rock australien, d’autres encore tels que Midnight oil, inXs, rose tattoo, cosmic
celui d’un rock’n’roll teigneux, joué par des mecs Psychos, Beasts of Bourbon ou Hard-ons allaient ensuite façonner
un peu bas du front, voire complètement dégénérés, la marque de fabrique aussie rock dans les années quatre-vingt,
mais généreux. D’AC/DC à Amyl And The Sniffers, celles d’un rock musclé qui tire sa quintessence en concert. Au
l’histoire musicale de ce pays est souvent résumée à ces même moment, la scène post-punk locale produisait des groupes
clichés mais un fait reste indéniable : les Australiens à foison, à commencer par les merveilleux celibate rifles, dont
jouent le rock’n’roll le plus abrasif de la planète. les premiers albums font aujourd’hui l’objet d’un certain culte,
ainsi que les non moins formidables these immortal souls, swell
Maps, the church et bien évidemment the Birthday Party.
Aussie rock C’est ici qu’on se doit d’ouvrir la page nick cave, un artiste
Pourtant l’affaire paraissait mal embarquée. On a souvent une tellement emblématique qu’il a créé à lui seul une figure
perception de l’Australie comme un immense no man’s land où aujourd’hui répandue, celle du chanteur ténébreux et habité qui
les insectes sont surdimensionnés, les plages pleines de surfeurs surnage au milieu du chaos. Cave, poète élégamment déglingué,
et les pubs emplis de groupes rock en sueur. Pourtant, loin de harangue le public, le regarde droit dans les yeux tandis que
ces clichés, le pays de “Mad Max” n’a rien d’un far west sans foi son groupe semble aux aguets, prêt à l’accompagner au moindre
ni loi. C’est un pays historiquement conservateur qui pendant soubresaut électrique. Punk gothique chantant des textes à
très longtemps n’a autorisé la tenue de concerts que dans des la poésie macabre avec son groupe the Birthday Party, Cave
endroits où l’alcool était prohibé. C’est sans doute ce qui a poussé s’est au fil des années mué en frontman contemplatif, roi de la
des pionniers tels que les Bee Gees ou les Easybeats à chercher ballade crépusculaire, au croisement du blues, de la country
fortune en Angleterre au milieu des années soixante. Peu à peu et du rock le plus sombre. La figure du chanteur australien qui
heureusement, les lois ont commencé à s’assouplir et, au début pleure dans sa bière sur une musique rock enracinée dans le
des années soixante-dix, l’âge de la majorité est passé de 21 à blues lui doit beaucoup et son influence demeure immense. Elle
18 ans, les pubs ont eu le droit de servir des femmes (!) et de se ressent auprès d’artistes locaux aussi variés que Rowland S.
faire jouer des groupes tout en distribuant de l’alcool. Il n’en Howard ou Gareth Liddiard, l’intense leader dans les années
fallait pas plus pour qu’émerge une scène résolument rock’n’roll 2000 de the Drones et aujourd’hui de tropical Fuckstorm.
justement nommée pub rock, bien aidée en cela par l’établissement
en 1974 de la radio Double Jay qui mettait à l’honneur la scène
rock locale. Dès lors de nombreux débits de boissons se sont Pop psychédélique
spécialisés dans les concerts et un circuit s’est créé, permettant à Si les années quatre-vingt-dix ont surtout vu des groupes grunge
Photo Brian Rasic/ Getty Images
de nombreux jeunes groupes fougueux tels que AC/DC, Cold Chisel comme Powderfinger, silverchair et — à la marge — You am i
ou The Angels de faire du bruit et créer une véritable culture émerger et caracoler en tête des charts locaux, le rock australien a
musicale. Le rock australien, biberonné à la musique live, serait retrouvé de sa verve au début du XXIème siècle avec des groupes
lourd, violent, sans concessions. Personne n’a mieux incarné ces populaires tels que the Vines, Jet et les très fun Wolfmother
préceptes que radio Birdman, formé à Sydney par Rob Younger qui cartonnent à l’étranger. En 2002, alors que la planète rock
et Deniz Tek, expatrié originaire d’Ann Arbor, Michigan, comme vivait un étonnant revival garage qui se montrera éphémère,
Binic Folks-Blues :
l’ambassade du rock australien
Depuis quinze ans, au croisement des mois de juillet et
août, la petite cité portuaire de Binic, située dans les Côtes-
d’Armor, accueille 40 000 festivaliers le temps d’un week-
end de rock’n’roll qui fait la part belle au rock australien.
Photo Jeff Kravitz/ FilmMagic, Inc/ Getty Images
Explications avec le programmateur du festival, Ludovic Lorre.
“A l’origine, j’étais mod, le punk et le hard-rock c’était pas trop
mon truc même si j’aimais Cosmic Psychos et les Hard-Ons.
Grâce à Sébastien Blanchais de Beast Records, j’ai redécouvert
toute la scène australienne, et notamment The Gin Club dont je
suis tombé amoureux parce que c’était les Pogues australiens,
avec Ben Salter qu’on accueille encore cette année. Le premier
groupe australien qu’on ait jamais eu à Binic, c’était Digger &
The Pussycats.” Signe de cette affinité qui perdure depuis des
années, le programmateur a passé plusieurs mois récemment
en Australie afin de prospecter pour les prochaines éditions
du festival. “Il y a une recrudescence depuis le covid, avec une
nouvelle scène de branleurs, notamment à Sydney. Et Melbourne, The Vines
ce n’est pas pour rien que c’est la capitale du rock’n’roll dans
le monde. Il y a dix ou quinze clubs qui, du jeudi au dimanche,
proposent cinq concerts tous les soirs, ça n’arrête pas.” Chevillé
avec le très australophile label Beast (nommé ainsi en hommage the Vines ont un moment fait croire qu’ils étaient le nouveau grand
aux Beasts Of Bourbon) et le tourneur bordelais U-Turn, le groupe australien avec leurs tubes néo-grunge envoyés avec un
Binic Folks-Blues s’est peu à peu éloigné de ses racines blues-
punk pour créer un pont avec cette vivace scène. Des jeunes sens de l’autodestruction qui rappellait Nirvana (“Get Free”).
groupes flamboyants tels Civic, Stiff Richards, Satanic Togas, C’était avant que Craig Nicholls ne montre des signes de fébrilité.
Split System ou, prochainement, Goutlaw et The Judges sont Diagnostiqué autiste, l’artiste s’est alors peu à peu éloigné de
venus en Europe grâce au festival qui a même, un moment
officialisé cette relation en lançant un programme d’échange la scène, livrant des albums de plus en plus anecdotiques dans
musical entre la Bretagne et l’Australie. “C’est tombé à l’eau l’indifférence générale. C’est finalement Jet qui emportera la
parce que pendant deux ans, l’ambassade d’Australie en France a timbale avec son tube putassier “Are You Gonna Be My Girl?” sans
eu interdiction de communiquer avec l’ambassade de France pour
des raisons diplomatiques à cause de la crise des sous-marins.” Si pour autant convaincre réellement. Le véritable réveil proviendra
les relations entre la France et l’Australie en ont pâti, le Binic finalement de Perth grâce à une constellation de formations qui
Folks-Blues œuvre à les rétablir par la diplomatie du rock’n’roll.
allaient redéfinir la notion de rock psychédélique pour les années
Le charismatique
chanteur aux
gants noirs
a propulsé le groupe au sommet. Si Tame Impala a pris une
direction pop qui fait grincer les dents des rockers les plus retors,
Pond persiste dans l’expérimentation et la bizarrerie avec un
Photo Adam Patterson/ Avalon/ Getty Images
Fous excentriques
Groupe à concepts très prolifique, capable de visiter des territoires
aussi divers que le prog’, le metal, la musique électronique ou le
Wolfmother jazz-rock, King Gizzard fascine autant qu’il irrite et fait l’objet d’un
fanatisme presque religieux de la part de ses fidèles. La formidable
liberté qu’il défend a inspiré des dizaines de groupes à travers le
monde et surtout, par le biais de son label Flightless, il aide la
scène émergente. C’est ici que des groupes tels que civic ou amyl
and the sniffers ont vu leurs premiers albums publiés. Ainsi, au-
delà d’être des fous excentriques, King Gizzard sont des passeurs
qui participent activement à la vitalité de la scène australienne
actuelle. Une nécessité dans un pays où l’intermittence n’existe
Photo archives Rock&Folk
Photo DR
Courtney Barnett
Photo-DR
Eddy Current
Photo-DR
Amyl And The Sniffers The Chats
fait son grand comeback avec l’excellent “All In Good Time”, que et Amyl And The Sniffers, tous larsens dehors, perpétuent avec
le groupe n’a pas vraiment pu défendre sur scène, le covid ayant à propos l’image du groupe rock australien crétin et fun, tandis
enrayé le retour de la machine. Leur influence sur la musique que des stylistes comme clamm et split system poursuivent la
australienne des quinze dernières années demeure immense. tradition high energy. the chats, venus du Queensland, avec leurs
Sous leur impulsion, de nombreux artistes se sont lancés dans coupes de cheveux dégueulasses et leurs chansons aux titres
le grand bain, tels les formidables royal Headache, uV race et craignos (“The Kids Need Guns”, “I’ve Been Drunk In Every Pub
surtout ausmuteants. Formés au début des années 2012 par Jake In Brisbane”) envoyées à mille à l’heure, ont signé un des tubes
Robertson, leader des psychédéliques Frowning Clouds, avec rock les plus improbables de ces dernières années avec “Smoko”,
un jeune homme nommé Billy Gardner, le groupe a fait parler sur lequel ils compensent un certain manque de technique par
la poudre sur quelques albums post-punk anguleux. Surtout, il une attitude punk débilos irréprochable. Dans un genre tout aussi
a permis à Gardner de monter son label Anti Fade qui publie provocateur et idiot, amyl and the sniffers ne font pas non plus
aujourd’hui la crème de la scène garage locale : Vintage crop, dans la finesse, en témoigne la pochette de leur dernier single
civic ou encore the Judges, où il tient la guitare solo, et qui “U Should Not Be Doing That” montrant la chanteuse Amy
s’annonce, avec son premier album “Judgement Day” (sorti cet Taylor accroupie en robe blanche qui urine tout sourire, devant
été) comme une des claques stoogiennes des années à venir. les autres membres du groupe. Héritiers des Cosmic Psychos et
Rose Tattoo, et portés par une chanteuse ébouriffante, le quatuor
envoie un rock lourd et frénétique. Leur troisième album à venir
Attitude punk devrait être leur couronnement et confirmer — si besoin était
Aujourd’hui, la scène jeune rock australienne se porte mieux que — que le rock’n’roll australien actuel, dans sa variété, dans son
jamais. Des groupes comme the chats, satanic togas, Gee tee énergie, est décidément le plus passionnant du moment. H
natHan rocHe
Beatnik en chef, chanteur et écrivain, nathan Roche, originaire de townsville
au nord-ouest de l’Australie, vit depuis dix ans en France. L’occasion pour
Rock&Folk de parler avec lui de ce qui attire ses compatriotes musiciens
dans le pays aux 1200 variétés de fromage. RECUEILLI PAR THOMAS E. FLORIN
“Des huîtres
puis qui est resté coincé en France
parce qu’il était chez Brigitte Bardot et
il a fait Gong… C’était très romantique
et du vin blanc
d’imaginer cela depuis l’Australie.
à 8 heures du matin”
une figure australienne ?
nathan Roche : Oui : toutes les
histoires qu’on a lues dans les magazines
de musique, ça nous influence beaucoup
quand on est petit et il y en a des tas alors tu peux manger arabe, grec ou du côté de Lens la semaine dernière :
qui viennent de la scène des années italien, qu’importe, et quand tu fais ça, un monsieur avec un château qui est à
quatre-vingt : Nick Cave And The Bad tu voyages un peu dans ton cerveau fond dans la musique et qui organise des
Seeds, Crime & The City Solution, The mais après quelques années, ça ne concerts que tout le village vient écouter.
Moodist, Bruno Adams ou Hugo Race qui suffit plus : il faut aller à la source. Bah, c’est assez incroyable. Alors bien
habite en Italie depuis trente ans. C’est sûr, tu peux vivre des aventures dans la
un musicien qui a joué un an dans les
Bad Seeds mais sinon, il était dans The Sans papiers nature australienne, mais moi j’ai besoin
d’attraction humaine : voir le changement
Wreckery et Plays With Marionettes. R&F : on a souvent une image de l’architecture, de la langue, de la
Bref, j’ai lu cet article où il expliquait sa de l’Australie comme un pays nourriture, du vivant, des livres et la
vie en Sicile. “Oui, j’étais en tournée en sauvage, un peu rude ? musique. J’ai besoin de ça pour m’inspirer.
Italie et maintenant, je suis chez moi, nathan Roche : Oui. C’est assez
au bord de la mer, j’entends le bruit sauvage : dans chaque ville, la nature R&F : Qu’est-ce que ça a changé
d’un grand mec qui fracasse un poulpe n’est jamais loin. Et il n’y a que quatre pour vous d’être en France ?
contre un rocher.” Hyper romantique. ou cinq endroits dans tout le pays où tu nathan Roche : C’est une sorte de
peux faire des concerts alors qu’ici, j’ai stimulation. Que ce soit la langue, la
R&F : oui, mais la mer, tout cela, été en tournée improvisée pour quatorze culture, les références, il faut que tu
ça existe aussi en Australie, non ? dates… C’est impossible là-bas. Parce sois toujours en alerte. Chez moi, j’ai
nathan Roche : Bien sûr, mais il qu’en Australie, les petites villes ne sont l’impression d’être comme drogué ;
n’y a pas la même culture. C’est la pas aussi développées qu’ici : les gens ont je me sens 100% à l’aise, je sais
culture qui excite le corps. Si tu as peur de la nouveauté, de l’extérieur. Ici, il comment ça fonctionne. Ici, même
envie d’être inspiré. En Australie, il y a toujours des gens ouverts d’esprit, des après dix ans, j’apprends quelque
y a beaucoup d’immigration du monde gens qui organisent des free party chez chose de nouveau tous les jours. H
entier avec des restaurants différents eux au milieu de la campagne. J’ai vu ça
La pierre angulaire
du rock high energy australien
et international
14. Midnight oil 18. Wolfmother de punchlines (“Pedestrian At Best”),
“Diesel And Dust” 1987 “Wolfmother” 2005 livrées dans un emballage rock aux
Actif dans la scène Sur son premier références esthétiques 90’s marquées
pub rock depuis la fin album, le power (Breeders, Sleater-Kinney, Cat Power).
des années soixante- trio mené par Le slacker rock à son meilleur.
dix, Midnight Oil a Andrew Stockdale
connu un succès tardif rassemblait un riff- 22. King gizzard
avec cet album, son
sixième. Manifeste
o-rama de première
bourre avec les très
And the Wizard Lizard
écologiste porté par brutales “Woman”, “nonagon infinity” 2016
le tube planétaire “Joker & The Thief” Conçu comme
“Beds Are Burning”, et “Dimension”. une boucle de
ce n’est certes pas l’album le plus Ajoutez à cela une ou deux power ballads neuf morceaux
rock’n’roll du groupe mais c’est du bien senties (“Mind’s Eye”) et ces grands pouvant être jouée
rock australien des années quatre-vingt. crétins emportaient la timbale avec panache. en mode repeat
de façon infinie,
le huitième album
15. epic Soundtracks 19. eddy Current du collectif de
“Rise Above” 1992 Suppression Ring Melbourne est
Héros underground “Primary Colours” 2008 un tourbillon
avec Swell Maps, S’il ne faut garder de rock psychédélique joué à cent à
groupe créé avec son qu’un seul disque l’heure. Les morceaux s’enchaînent,
frère Nikki Sudden de la discographie créant une transe hypnotique qui
à la fin des années parfaite d’Eddy lance idéalement des tubes krautpunk
soixante-dix qui s’est Current, l’album (“Gamma Knife”, “Evil Death Roll”).
avéré très influent rouge, deuxième du Leur concept le plus abouti.
auprès de la scène indie groupe de Melbourne,
américaine, Kevin Paul
Godfrey a publié son
s’impose peut-être.
Accent australien à
23. Stiff Richards
premier album sous le nom d’Epic Soundtracks couper au couteau, “State of Mind” 2020
en 1992. Accompagné de fans célèbres (Lee guitares anguleuses et grooves post-punk On aurait pu choisir
Ranaldo, Kim Gordon, J Mascis, Rowland intenses : voici la recette de cet album qui pour cette sélection
S Howard…), il a composé un chef-d’œuvre brille par le minimalisme de ses chansons les teigneux Civic
de pop mélancolique influencé par “Pet hypnotiques. “Which Way To Go”, “Colour ou Split System,
Sounds” des Beach Boys, jusqu’à la pochette. Television”, “I Admit My Faults” figurent avec qui ils partagent
déjà au panthéon du rock australien. un guitariste, mais
Stiff Richards est
16. Silverchair le groupe qui a
“Frogstomp” 1995 20. tame impala replacé l’Australie
Drôle de paradoxe “Lonerism” 2012 sur la carte au
que celui de ce groupe Enregistré seul lendemain de la pandémie. Emportant
qui a atteint son à Paris par son son rock’n’roll ravageur aux quatre
sommet alors que ses auteur, le deuxième coins de la planète, Stiff Richards a
membres n’avaient album de Tame Impala remis le projecteur sur Melbourne
que 15 ans. Héritiers voyait Kevin Parker et sa scène. Quiconque ayant perdu
de la couronne du repousser les limites la foi en la musique et le rock en particulier
grunge peu après la du do it yourself et se doit d’aller voir ce groupe sur scène
mort de Kurt Cobain, poser les codes du ou, à défaut, écouter “State Of Mind”.
Silverchair devait sans psychédélisme
doute pourtant plus à Pearl Jam qu’à Nirvana. pour le XXIème 24. Amyl
Son premier album reste emblématique de
cette époque et, chose rare, vieillit assez bien.
siècle. Un disque-monde cosmique, voire
onirique (“Endors Toi”), touché de
And the Sniffers
moments de grâce (“Feels Like We “Comfort to Me” 2021
Only Go Backwards”) mais qui D’un côté on
17. the Vines n’oublie pas de rocker quand a les Sniffers,
“Highly evolved” 2002 il le faut (“Elephant”). groupe garage-
Que reste-t-il en 2024 punk qui aime
de ces grands espoirs les rythmiques
du rock australien ? 21. Courtney Barnett grasses et les riffs
Un album, impeccable “Sometimes i Sit And think, de guitare saillants.
de bout en bout, qui And Sometimes i Just Sit” 2015 De l’autre Amy
surprend aujourd’hui Après une paire Taylor, une pile
par sa variété, du d’EP qui avaient électrique d’1,60 m
grunge (“Get Free”) créé une attente qui emporte les chansons du trio dans une
à la pop psychédélique immense autour autre dimension avec son chant possédé et
(“Sunshinin”) de son premier album, son énergie contagieuse. Cet album, leur
en passant par le ska-punk (“Factory”), Courtney Barnett deuxième, a fait entrer le quatuor dans la
la country cosmique (“Contry Yard”) se montrait à la cour des grands avec ses hymnes féministes
et le punk-garage (“Outtathaway”). hauteur avec des (“Choices”, “Guided By Angels”).
Quel gâchis ! chansons aux textes
drolatiques emplis
King Gizzard
And The Lizard
“FLIGHT b741”
Wizard
P(DOOM) RECORDS
Saviez-vous qu’en 2020, quatre au passage de la fainéantise de Surprise ! Pour la collection du fun, quitte à parfois passer à
Français s’étaient mis en tête de certains messagers (on convient automne/hiver 2024/2025, KGLW côté de jolis paysages pendant
décrypter l’intégralité de l’œuvre vite qu’un âge d’or a existé, qu’il est propose à première vue un rock la petite quarantaine de minutes
de Prince ? Analyse des paroles, révolu et, c’est pratique, tout sera assez conventionnel qui fantasme réglementaire tant leurs idées,
précis musicologiques de haute désormais vu à travers ce prisme). l’Amérique comme tant d’autres solos, patterns, mélodies vocales
volée, contextualisation historique, Le format long du podcast permet avant eux, pied au plancher. se succèdent à une allure délirante,
témoignages émouvants de fans ainsi une véritable évaluation de la Mais à y regarder de plus près, brutale même. Comme par peur de
ou de collaborateurs même : tout production du Minnésotain et dit, il y a bien du neuf en cette saison. l’ennui. La forme des morceaux, à la
est dans “Violet”, podcast qu’on en creux, l’impossibilité de digérer De la slide et des harmonies, déjà. structure très libre renvoie presque
se doit de recommander à tous une œuvre aussi dense en temps Les mots-clés du nouveau cru à une version sous speed de l’Elton
les mélomanes. Entre autres réel. Et c’est ici que débarque le “Flight b741” sont donc les John de “Tumbleweed Connection”,
choses, l’équipe d’illuminés vingt-sixième album en douze ans suivants : boogie rock (“Daily Blues”), qui partageait d’ailleurs la même
revient régulièrement sur les de King Gizzard & The Lizard Wizard. cadavre exquis (pour la composition ambition fantasmatique. Que
critiques contemporaines au disque Deux caractéristiques différencient et l’écriture, plus collective que nous racontent vraiment les
décortiqué pour chaque épisode. cependant les Australiens du leader jamais), chanteurs (pour la Australiens ? Une fuite en avant
Et l’exercice fascine : il met en du NPG : un insuccès commercial première fois au pluriel), Laurel nihiliste ? Imposée par monde en
lumière l’absolue et inévitable relatif imposé par l’époque et Canyon (des chœurs, très beaux, déliquescence ? Qui contemplerait
incohérence de tout discours l’ambition délirante de proposer un partout !), gospel (?!), solos hard 80’s son glorieux héritage ? Que vaut
critique sur “L’Artiste”. Dans leur concept ou une rupture stylistique à (“Field Of Vision” qu’adorera Justice), vraiment ce spectaculaire album
majorité, les papiers de l’époque chaque sortie ou presque, souvent call and response (l’excellent single à la pochette délicieusement
nous renseignent plus sur l’esprit à la faveur d’un instrument vintage “Le Risque”), signatures rythmiques stupide ? Toutes ces questions
du moment (on parle mégalomanie déniché sur “leboncoin” aussie. aventureuses (“Raw Feel”), riffs seront réservées à leurs survivants,
plutôt que funk, on élude l’aspect L’année dernière, la pop électro stoniens et harmonica (le morceau s’il y en a. Et courage à eux pour
politisé pour disserter sur une de “The Silver Cord” succédait titre). Frénétiquement, le roi gésier trouver un bon titre de podcast.
absence supposée d’inspiration) ainsi au thrash metal de et son lézard magicien roulent JJJJ
que sur l’œuvre, et témoignent “Petrodragonic Apocalypse”. ainsi à 200 à l’heure sur l’autoroute JOHAN DALLA BARBA
PISTE AUX éTOILES JJJJJ INCONTOURNABLE JJJJ EXCELLENT JJJ CONVAINCANT JJ POSSIBLE J DANS TES RÊVES
de ceux qui sont mal dans leur peau, jouant seul de tous les instruments.
ce qui pleut de ce nuage de crack ne Cette fois-ci, il recrute David Givhan,
pouvait être que tout sauf inintéressant. basse, Josh da Costa, batterie, et
Enregistré entre la Californie et le Jay Israelson, claviers, et teste les
Canada, “Red Mile” se veut une chansons en tournée avant des sessions
thérapie où les intervenants utilisent pendant lesquelles les arrangeurs
le punk, toutes sortes d’influences Jeff Parker pour les cuivres sur
musicales du hip-hop au planant, la “Damage” et Josh Johnson pour
danse, la vidéo et le dialogue multiple la flûte, le saxo et la clarinette,
pour créer des chansons visuelles qui apportent aussi leur contribution.
font du bien à l’âme. Vu comment tous Album court, à peine trente minutes,
les intervenants ont roulé des pelles au “Paint A Room” offre dix chansons
no future, il est impossible de se moquer pop rock décrivant les sensations du
de cette initiative tant le résultat est chanteur et compositeur face aux
un mélange addictif surprenant. Mode Robert Howard reste un orfèvre. incertitudes de l’époque. Musicalement, ballade acoustique portée par la voix
d’emploi : commencer par le blues Dans “Waking Up Is Hard To Do” il alterne entre jazz cool, “Damage”, une claire de Jon, qui pourrait connaître
urbain “Ballad Of Billy”, enclencher ou “Not The Only Game In Town”, subtile rythmique reggae, “Sunever”, un destin à la Tracy Chapman avec
sur “Lost On The Red Miles” pour il déroule le tapis de soul et profite une délicate touche de bossa, “Randy’s ce premier album suffisamment bien
découvrir l’univers festif des fans de de “Rope-A-Dope” et “Cool Summer Chimes”, des tempos lents, “Cobb conçu pour séduire un large public
hockey de Calgary, revenir sur “Crack Hideway” pour renvoyer l’ascenseur Estate”, d’autres plus vifs, “Wishing rétif à l’ultra moderne sonorité de la
Of Life” et apprécier l’arrivée de la à ses idoles des années 1960/70 (oui, Well”, “Night Or Day”, “Dog’s Face” pop contemporaine. Alors, rétro, Jon
guitare à la 87ème seconde. Là, avec Marc Bolan). Chanteur toujours aussi ajoutant des effets à la guitare. La voix Muq ? Non, juste un artiste bien dans
cet arrangement, l’on comprend qu’un admirable, il entraîne la chanson- douce de Cohen, parfois enveloppée son époque mais ancré dans l’histoire
des messages du groupe est de dire titre vers des sommets de solennité d’un halo sonore vaporeux, et les de la pop acoustique et électrique.
que rien ne peut mourir quand on a la que Nick Anker à la basse et Neville mélodies chatoyantes évoquent Michael JJJ
volonté de s’en sortir. Au final, unir le Henry au saxophone lui permettent Franks, “Paint A Room”, “Laughing”, OLIVIER CACHIN
pouvoir relaxant de la musique avec des de gravir comme un chamois. “Physical Address”, et les derniers
power chords n’est pas une vaine idée. JJJJ albums de Mac DeMarco. Addictif.
JJJJ JÉRÔME SOLIGNY JJJJ
GEANT VERT PHILIPPE THIEYRE
Gratter l’accord, vers le bas, sur Set You Free” PARTISAN RECORDS
Ces dernières années, la country a fait
JAGJAGUWAR
tous les temps. A la guitare électrique, Le deuxième album ressemblait un retour mainstream aussi spectacu-
ça sonne comme les deux tiers des Ceci est le troisième Bonny Light au premier ? Le troisième est pareil ! laire qu’inattendu. Tout le monde s’y
groupes américains, des Ramones aux Horseman en quatre ans. Il est double, A ce niveau-là, c’est quasiment colle : de Lil Nas X à Beyoncé en passant
Cars, qui ont changé la face du rock ce qui fait qu’il compte triple. Le groupe conceptuel. Les fans qui aiment par Lana Del Rey. Orville Peck n’est pas
dans le sillage du punk et à l’explosion lui-même est une affaire de multiple, le que rien ne bouge seront aux anges. pour rien dans ce revival. Son personnage
de la new wave. A la guitare sèche, talent multiplié par trois. A ma gauche D’ailleurs, la musique elle-même ne intrigant de crooner queer et masqué
ça sonne comme Coldplay, Chris Martin Anaïs Mitchell, chanteuse dont le timbre bouge pas, statique, lancinante et... ainsi que deux albums d’excellente
ayant composé l’essentiel de ses tubes hésite entre un twang Dolly Parton et séduisante. On est enveloppé dans facture ont contribué à réhabiliter le style
en appliquant à la lettre cette technique. une indy folk jazz à la Ani DiFranco. A ma un univers sonore de toute beauté, Nashville. Ou en tout cas à l’éloigner de
Qui n’a pas non plus échappé à Fin droite Josh Kaufman, multi-instrumentiste totalement anachronique. Le succès l’imagerie redneck-bas-du-front qui lui
Greenall, aka Fink, dont le huitième arrangeur producteur avec un CV Dead de ce groupe, dû en grande partie collait aux santiags. Et voilà un album de
album démarre par ce “What Would You Head qui ferait presque oublier qu’il joue à YouTube et Tik Tok, en plein duos. Un exercice de style (sans doute
Call Yourself”, totalement dans l’esprit aussi sur les disques de Taylor Swift. règne du rap, est aussi énorme une commande de sa nouvelle major,
de “Parachutes” ou “A Rush Of Blood To Le troisième larron est Eric D. Johnson, qu’incompréhensible. On croit rêver. Warner) par définition inégal mais
The Head”. Sorte d’homme à tout faire leader de Fruit Bats, voix pop, vision Comment ça marche ? Un rythme lent, dans le cas présent pas totalement
de la musique venu de Cornouaille (il aérienne, groove chaloupé. Ecrit et des ambiances cotonneuses, une basse dénué d’intérêt. Certes, on baille sur
a versé dans l’electro, été disc-jockey, enregistré entre un studio new-yorkais et une batterie tout en souplesse, des “Rhinestone Cowboy” de Glenn Campbell
produit d’autres artistes), Fink rappelle et un pub en Irlande, avec des gens qui nappes de synthétiseurs omniprésentes restituée à la coda près. On ricane sur
ici qu’il est avant tout un songwriter toussent, un enfant qui rigole, un piano mais discrètes, des guitares sèches l’évident “Cowboys Are Frequently
qui sonne comme seul un piano trouvé au Secretly Fond Of Each Other” de et avec
fond d’un pub irlandais peut sonner, ce Willie Nelson. On roule des yeux sur la
disque est un espace-temps à lui seul. Il y version karaoké de “Saturday Night’s
passe un peu d’un esprit libre des grands Alright (For Fighting)” chanté par-dessus
disques hippies (“Speak To Me Muse”, la jambe par Elton John. La production
“When I Was Younger”), un parfum est souvent paresseuse. Ni noble ni
de folk celtique (“Hare And Hound”, kitsch. Comme dans les westerns,
“Rock The Cradle”), des gouttelettes pour trouver de l’or, il faut creuser.
de mélodies pop (“I Know You Know”), Alors on tombe sur ce “Conquer The
l’impression que certaines d’entre elles Heart” spectorien, élevé à la hauteur
ont été attrapées dans un filet à papillons des étoiles par Nathaniel Rateliff. Ou
(“Your Arms {All The Time}”) et que ce “Chemical Sunset” roulé comme
d’autres attendaient là, dans un coin du une chanson des Kills. Plus fort
pub, depuis des temps immémoriaux encore, cette collaboration avec Beck
accompli qui ne renie pas ses origines en doux balayage et des électriques qui
ni ses influences. Car il émane de ce carillonnent subtilement, le tout noyé
“Beauty In Your Wake”, essentiellement dans la réverb. Et par-dessus, la voix
joué avec des instruments devant de Greg Gonzalez, le Lider Maximo,
lesquels on met un micro (enregistrés douce et presque lointaine, qui chante
par Sam Okell, l’ingénieur du son qui sur de belles mélodies très simples
travaille sur les rééditions des Beatles), des textes parfois malins et osés,
des effluves de musique celtique, parfois à la limite de la mièvrerie, ne
l’impression que la scène de Canterbury parlant que d’amours naissantes ou
n’est pas qu’un souvenir et le sentiment finissantes — ici plutôt la deuxième
que la discographie de Nick Drake, un option. Les critiques qui aiment bien
trésor, reste une formidable source ranger leurs affaires dans des tiroirs
d’inspiration. Mais Fink, on tient à le appellent ça de la “dream pop” ou
préciser, est l’artisan d’une œuvre du “slowcore”, voire du “shoegaze”.
personnelle qu’il doit avant tout à (“Singing To The Mandolin”). Il y a Faudrait vous mettre d’accord, bande qui claque comme une chute de
son talent. Cultivant une mélancolie des grands disques et il y a des grands d’entomologistes ! Bref, on pense aux “Midnite Vultures” (“Death Valley High”).
également héritée de l’anti-folk, Fink doubles. Parmi ceux-ci, des beaux Cowboy Junkies, à Julee Cruise, voire C’est quand il fricote avec la nouvelle
enchante avec des choses précieuses débarras fourre-tout et quelques-uns, aux Cocteau Twins, à Mazzy Star ou à garde de l’americana féminine que
comme “One Last Gift” ou “The Only plus rares, qui distillent comme celui-ci Elysian Fields. Sauf que... Toutes ces le Lone Ranger canadien est le plus
Thing That Matters”, ravive l’espoir et les une atmosphère, un mood, comme si voix d’un autre monde sont féminines. convaincant. Accolée à celles de Debbii
blessures dans “Don’t Forget To Leave” leurs auteurs étaient tombés sur un filon L’originalité de Cigarettes After Sex tient Dawson, Molly Tuttle ou Margo Price
et rappelle à l’ordre, nouveau malgré les inépuisable, une fontaine de beauté. Le dans ce paradoxe : ici, la chanteuse (l’hilarant “You’re An Asshole, I Can’t
apparences, dans l’impressionnante et premier disque de ce super groupe était à la voix éthérée est un homme. Et si Stand You (And I Want A Divorce)”),
introspective “When I Turn This Corner”. une prise d’élan, le second une prise on ajoute que Françoise Hardy était sa voix grave et presleyienne fait
JJJJ de risque, le troisième est une prise l’idole de Gonzalez, on a tout compris. des miracles dans le registre de la
JÉRÔME SOLIGNY de décision, le moment où ça devient C’est beau, triste, délicat, hypnotique. roucoulade bluegrass. Assurément
sérieux, parce qu’on ne plaisante pas On a l’impression de rouler de nuit les plus beaux moments de ce disque
avec l’alchimie. A ce stade, Bonny Light sur une autoroute américaine avec indécis, peuplé de légendes fatiguées
Horseman n’a plus rien d’un side project. l’overdrive. Tout glisse au ralenti. et de jeunes femmes prometteuses.
JJJJ JJJ JJJ
LÉONARD HADDAD STAN CUESTA ROMAIN BURREL
Avec son CV irréprochable et ses “In Search Of The Cosmic Tale: Pat Metheny est un musicien éclectique.
différentes activités (dont la rédaction Crossing The Galactic Portal” Californiens avec une image de Sudistes, Prodige de la guitare, il a entamé sa
HEAVY PSYCH SOUNDS
d’un livre sur les années de guerre), si à la manière de Creedence auquel le titre carrière discographique il y a cinquante
le bassiste historique des Rolling Stones A force de bassiner le peuple avec la de l’album pourrait faire allusion, Robert ans sur le mythique label ECM, aux
enregistre un disque (le premier depuis musique Metal et tous les sous-genres Jon & The Wreck, d’Orange County, côtés d’un autre petit génie précoce,
“Back To Basics” en 2015), c’est qui en découlent, il serait bon de se incarnent la nouvelle aristocratie Jaco Pastorius. Depuis, Pat a enregistré
purement pour le plaisir d’être toujours rappeler que l’overdose de décibels du southern rock. La lune rouge des tonnes de disques, dans toutes
créatif… L’album est réalisé à domicile est une habitude qui puise ses racines montante éponyme symbolise le les configurations possibles, du solo
avec Paul Beavis (batterie) et Terry à une époque où les hippies n’étaient changement, leur musique étant au grand orchestre, et collaboré avec
Taylor (guitare), complice depuis la pas encore de ce monde. Gardiens de la toujours en évolution. Grâce à la des musiciens de tous horizons, de
production de son groupe, The End, tradition, les Italiens de Black Rainbows liberté que leur laisse le contrat avec David Bowie à Ornette Coleman...
par Bill Wyman en 1969. Celui-ci et le trio de fous furieux américains Journeyman, le label de Joe Bonamassa, Pas étonnant pour quelqu’un dont les
signe cinq originaux dont la chanson- qu’est Nebula se sont associés dans un bien avant que ne soit fixée une date trois premiers chocs esthétiques ont
titre (qui ne doit donc rien à celle des split LP pour rappeler aux amateurs ce de publication d’album, ils en diffusent été Miles Davis, Wes Montgomery et...
Beatles). Il a connu Bob Dylan au temps que le boucan doit aux stoners. L’écoute régulièrement des extraits, “Ballad Of A les Beatles. On retrouve cet éclectisme
où, en compagnie de Brian Jones, ils des 6 titres (3 chacun) figurant sur ce Broken Hearted Man” (où l’influence de sur ce nouvel album, enregistré seul
arpentaient Greenwich Village guidés disque sera le crash-test nécessaire Lynyrd Skynyrd fait plaisir à entendre), à la guitare baryton acoustique, sans
par le futur prix Nobel de littérature ! pour vérifier le bon état des tympans “Hold On” (riff qui tue), “Trouble” re-recordings. Cela peut sembler un
Il place en ouverture “Thunder On The de l’auditoire. Derrière un nom d’album (inspirée par une femme dangereuse !), peu austère au premier abord, mais
Mountain” (Dylan, 2006), déjà repris en forme de manifeste que l’on pourrait “Help Yourself” (tempo digne du Band), le jeu de Metheny est tellement
croire rédigé par Hawkwind et Michael incroyable qu’on en oublie vite
Moorcock sous psychotropes, Nebula qu’il est tout seul... Il s’était déjà livré
ouvre le bal avec “Acid Drop”, un à l’exercice, sur “One Quiet Night”,
véritable mur du son de l’Atlantique en 2003, dans lequel il reprenait
où le niveau des guitares est tel qu’il aussi bien Keith Jarrett que Gerry
serait possible d’entendre craquer les & The Pacemakers (!), et sur “What’s
boutons de braguettes des haut-parleurs It All About”, en 2011, uniquement
si les enceintes portaient des 501. Bâti constitué de covers comme “The
sur un riff porteur à la “Playground Sound Of Silence” ou “And I Love
Twist” avec des vocaux difficilement Her”. Fidèle aux Beatles, il reprend ici
identifiables, ce titre tue les voisins “Here, There and Everywhere” — il est
fascistes sans problème. Pour les loin d’être le premier à le faire mais
deux chansons suivantes (elles aussi sa manière est hautement originale
enregistrées dans le désert Mojave), et séduisante. Le reste de l’album
Antony And The Johnsons, Sia, Tina n’ont publié leur premier album,
Turner, Duffy et James Blunt. “Neptune”, “Wreckless Abandon”, qu’en 2020,
sa rythmique apaisée et ses relents suivi en 2022 d’ “External Combustion”.
country apportent une autre tonalité, Avec ce nouvel opus, Mike Campbell
histoire de prouver que Bette ne se trouve véritablement sa voix et accède à un
résume pas à sa puissance vocale autre statut. Malgré son titre hermétique,
mais est tout aussi efficace quand “Vagabonds, Virgins & Misfits” surprend
elle descend d’une tonalité et ralentit par sa cohérence et sa force. Qui aurait
le tempo. Au jeu des sept familles de cru Campbell aussi souverain, non pas à
la soul et du blues, on demandera la guitare à l’évidence, mais au chant ? Il
la grand-mère (Big Mama Thornton, convie quelques amis prestigieux : Chris
première interprète du “Hound Dog” Stapleton sur “Don’t Wait Up”, où joue
de Leiber/Stoller), la mère (Koko Tayor, également son vieux complice Benmont
la queen of blues de Chicago) et la Tench ; Graham Nash sur “Dare To Dream” ;
fille (Amy, who else), afin de rendre En studio, Ian Gillan reste un chanteur quant à Lucinda Williams, elle chante sur grâce à l’âme immense que sa voix
justice à cette interprète exceptionnelle. diaboliquement efficace (“Pictures le magnifique “Hell Or High Water” tout de stentor insuffle à l’affaire. Puis les
“Lived And Died A Thousand Times” Of You”, “Bleeding Obvious”) et Don en sensibilité : “Deep in the darkness we trois derniers morceaux renversent la
est une supplique amoureuse de haut Airey continue de prouver que le shared our last kiss/ A lifetime of pain for table, les deux derniers surtout, “Call
niveau et “Beautiful Mess” est tout groupe a eu raison de lui faire one night of bliss”. “The Greatest” ouvre Me (Whatever You Like)” et “Time
simplement splendide. Si “Goodthing” confiance lorsqu’il s’est agi de l’album par les murmures d’un public Makes Fools Of Us All”, qui partent
n’est pas le premier rodéo de Bette, succéder, aux claviers (principalement qui rappelle l’atmosphère des concerts, pied au plancher, déploient une
qui a déjà cinq albums au compteur un B3 Hammond) à Jon Lord. “Innocent Man” évoque les déboires que urgence d’autant plus renversante
(dont les deux premiers sous le Enfin, si Paice continue de tenir chacun peut avoir avec la justice pour des que rien n’y préparait et comptent
nom de Bette Stuy), ce pourrait bien la baraque comme un chef (“A Bit raisons injustifiées, “My Old Friends” signe parmi ce que Rateliff a écrit de mieux,
être celui qui la fera décoller vers On The Side”), il faut rappeler que avec humour un adieu aux alcools. Un discret toutes périodes confondues. Un cas
une notoriété plus que méritée. Roger Glover et sa basse en sont instrumental bluegrass, “Amanda Lynn” compliqué, décidément, ce Rateliff,
JJJ les fondations (“Lazy Sod”). achève cette odyssée américaine : Campbell beau diable prompt à s’extraire
OLIVIER CACHIN JJJJ a surmonté les épreuves des dernières des tiroirs dans lesquels
JÉRÔME SOLIGNY années et su se forger un nouveau destin. on voudrait le ranger.
JJJJ JJJ1/2
CHARLES FICAT BERTRAND BOUARD
John Cale
“SHIP OF FOOLS – THE ISLAND ALBUMS”
Cherry Red (Import Gibert Joseph)
Le Robert Mitchum
Photo Michael Putland/ Getty Images
Conway Twitty
“HELLO DARLIN’/ FIFTEEN YEARS Thom Bell
AGO/ HOW MUCH MORE CAN SHE “DIDN’T I BLOW YOUR MIND? THE SOUND
STAND/ I WONDER WHAT SHE’LL OF PHILADELPHIA SOUL 1969-1983”
THINK ABOUT ME LEAVING” Kent (Import Gibert Joseph)
BGO (Import Gibert Joseph)
La Philly Soul ne convient pas à tout le
Quand on a coécrit (avec Loretta Lynn) monde. C’est le moment où le genre
et aussi bien chanté une splendeur s’est lissé, est devenu suave et sans
comme “It’s Only Make Believe”, aspérité. Beaucoup de gens, et pas
rien que pour ça, on rentre au seulement les puristes, préfèrent de
Panthéon d’autorité. Mais Conway loin celle du Sud durant la seconde
Twitty a fait plus encore. Il avait moitié des sixties. James Carr, Otis,
commencé comme un chanteur rockab’ Wilson Pickett, OW Wright et les autres.
chez Sun puis est parti dans un genre Mais l’école de Philadelphie a ses
hybride entre la country et les tubes fans. Thom Bell a été l’un de ses plus
opératiques de Roy Orbison. C’était grands architectes, utilisant pour ses
un chanteur fabuleux, comptant de arrangements des instruments peu
nombreux admirateurs dont Willie orthodoxes lorsqu’on parlait de musique
Nelson et Merle Haggard en personne. noire dans les années soixante-dix.
“Pour certains morceaux, j’entendais
dans ma tête du hautbois, du basson
ou du cor de chasse. Un arrangeur m’a
dit que les Noirs n’écoutaient pas cela,
j’ai répondu : ‘Pourquoi se limiter aux
Noirs ? Je fais cela pour les gens. Je
m’en fous s’ils ont une trompette dans
la tête’.” Bell avait commencé chez
Cameo Parkway, et arrangeait pour les
légendes Kenny Gamble et Leon Huff.
Succès immédiat avec des groupes
comme les Stylistics, les O’Jays,
les Spinners ou les Delfonics (que
Quentin Tarantino a rendus populaires
The Nits
“WORK” CBS
ALLÔ, CAP CANAVERAL, LA TRAJECTOIRE PART EN VRILLE. Au voire “Alankomaat” (1998), “Strawberry Wood” (2009) et “1974” (2003),
début des années quatre-vingt-dix, les Nits subissent un sort peu enviable : tout aussi recommandables. Quant aux derniers enregistrements, c’est
les Hollandais, dont le nom signifie pourtant “Les Crétins”, deviennent “Blood On The Tracks” en mode “I’m Your Man”, cotonneux, raffinés, le
les chouchous des gens de goût, des étudiants qui savent tout sur tout, des premier qui s’endort réveille l’autre.
parents cool, critiques à lunettes, férus de Raymond Carver et du MoMa, Voilà pour le survol historique. Auquel il manque tout un pan, négligé :
d’un public sensible et cultivé. Jean-Luc Godard : “Quand j’entends le mot l’avant-reconnaissance, les quatre premiers albums. “The Nits” (1978) : du
culture, je sors mon carnet de chèques”. Rien de plus versatile que la conso : Electric Light Orchestra bricolé pour deux francs six sous — parfaitement
les Nits, qui n’avaient cessé de gagner écoutable. Les trois suivants plongent
des auditeurs, de “Omsk” (1983) à dans l’air du temps, les Hollandais
“Ting” (1992), vont alors, sous l’angle ralliant la vague froide, jouant syn-
carriériste, légèrement pédaler dans thétique. Kraftwerk vient de sortir
la semoule — même les abonnés de “Die Mensch-Maschine”, modèle plus
“Télérama” oubliant progressivement up-to-date qu’Harry Nilsson, place donc
d’acheter leurs disques. Alors que le à “Tent” (1979), l’équivalent, même
niveau musical, généralement, reste année, de “Cool For Cats” (Squeeze).
élevé grâce à des compositions au- Très bon, comme “New Flat” (1980),
ssi sidérantes que “The Key Shop où l’on entend Orchestral Manœuvre
(War & Peace)”, “The Flowers”, In The Dark copier Talking Heads.
“What We Did On Our Holidays”, Déboule ensuite le meilleur disque de
“Robinson”, “Pockets Of Rain”, “The leur trilogie kraftwerkienne, “Work”
Hole”… Art-pop, synth-pop, sophisti- (1981). Il s’agit toujours de new wave,
pop, indie-pop, voilà un groupe pop, de synth-pop, mais avec la patte qui
sans être populaire. S’accrochant caractérisera définitivement les Nits :
aux commandes cinquante ans après des velléités arty, l’envie d’expéri-
avoir fondé les Nits, Henk Hofstede menter gentiment sur trois minutes,
ne compte plus à ses côtés qu’un autre d’inclure des sons déviationnistes,
membre originel, le percussionniste des instruments hérétiques, du si-
Rob Kloet. Un troisième larron lence, un chant protéiforme. On est
fait des allers-retours, le clavier- finalement ici plus proche de “Before
producteur Robert Jan Stips, auteur And After Science” (Brian Eno) ou
de plusieurs incartades solos — dont “Low” que de Depeche Mode — qui
le magnétique “Up” (1981) et le sortent au même moment leur premier
splendide “Greyhound” (1999). album. Le pitch du fantastique single
Bref : sur vingt-cinq albums, plus de “Red Tape” devance de quarante-
la moitié se retrouve invisibilisée. Le déficit d’image des types n’arrange trois ans tous les films d’auteur français contemporains : l’histoire d’une
rien. Look, physique, sex-appeal, arrogance, défonce, bastons, scandales, jeune femme qui ne peut trouver sa place dans une société dominée
coolitude, on approche du néant — mon grille-pain possède un pouvoir par les hommes et la bureaucratie, sa seule échappatoire étant de “se
d’attraction supérieur. Reste un détail : la musique, les chansons. A eux confier au hublot de sa machine à laver”. Autres sommets : “Empty
seuls, les Bataves ont enregistré autant de petits chefs-d’œuvre que Room”, “Footprint”, “Suddenly I Met Your Face”, “Tables And Chairs”,
Squeeze, XTC, Joe Jackson et Split Enz réunis — alors que ce sont ces “Umbrella Army”, “Man-Friday”… Au niveau du son, on dirait du Japan,
alter ego anglo-saxons, entre 1978 et 1983, qui se retrouvèrent sous les mais avec des super chansons. Un Colin Newman romantique, Yello et
feux de la rampe. Quand la new wave passe de mode, la bande à Hofstede The Monochrome Set mélancoliques. Ensuite, les Bataves réussiront
va creuser son propre style, malaxant Paul McCartney, Brian Eno et Philip l’exploit de citer à tout bout de champ Jan Hendrik Frederik Grönloh,
Photo Archives Rock&Folk
Glass pour délivrer des morceaux existentiels et baroques, minimaux Henry Moore, Walter Gropius, une pénible flopée d’écrivains et peintres,
et poétiques. “In The Dutch Mountains” (1987), “Ting” (1992), le live sans que ça ne dégrade la beauté de leurs compositions. Preuve du talent
“Urk” (1989), le EP “Hat” (1988), plus “Giant Normal Dwarf” (1990), unique de ces Crétins. H
“Omsk” (1983), “Adieu, Sweet Bahnhof” (1984), “dA dA dA” (1994),
voilà leurs classiques. Excellents, mais pas obligatoirement les meilleurs.
Après, il y aura “Les Nuits” (2005), “Doing The Dishes” (2008), Première parution : 13 novembre 1981
Silicone Values
“How To Survive Black
When People Don’t Snake Moan
Like You And You “Lost In Time”
Don’t Like Them” Area Pirata
SDZ
Black Snake Moan n’est pas vraiment
Selon le patron du label SDZ, il aurait un groupe, c’est le projet solo de Marco
découvert ce jeune groupe venu de Contestabile, multi-instrumentiste italien
Bristol lors d’une errance sur YouTube qui joue d’à peu près tout. Sur scène,
un soir de confinement. A sa grande Contestabile a débuté en véritable one-
surprise, le groupe n’avait jamais rien man-band, guitare à la main, un pied
publié. Les quinze morceaux de cet sur une pédale de grosse caisse, l’autre
album au titre misanthrope semblent sur celle d’un charleston, taillant ses
presque trop bons pour être vrais. chansons dans un blues-rock lourd. Sur
Enregistrées avec manifestement disque, il construit des pistes bluesy
peu de moyens, les chansons post- trippantes, enrichissant sa musique de
punk délicieusement lo-fi de Silicone textures psychédéliques qui le poussent
Values évoquent autant Television aujourd’hui à étoffer son projet sur
Personalities et The Clean que des scène. “Lost In Time”, son troisième
branleurs contemporains tels que album empli de méditations hallucinées
Satanic Togas. C’est raide, mélodique, à la façon des Black Angels, est son
dégueulasse et irrésistible. Des meilleur à ce jour (“Shade Of The Sun”).
titres tels que “Streaming TV” ou
“I Hate Fascist Rock’n’Roll” sont
des futurs tubes underground.
The Cherry Pies
“Don’t Just Say Things”
Beast
Rasco On reste en Italie avec les Cherry Pies
“Dmaot” de Turin qui contiennent, entre autres,
Batov
des membres de Movie Star Junkies
S’il est bien un endroit d’où on et Love Trap. Le premier album de
n’imaginait pas provenir l’album ce quatuor propose un rock garage
garage-surf le plus psychédélique lumineux aux mélodies tournoyantes
et décontracté de l’année, c’est bien qui dessine sous ses détours joyeux une
Jerusalem. Porté par le jeu magnifique toile mélancolique. Agrodolce, dit-on de
de la guitariste Eden Atiya et ses l’autre côté des Alpes. De “For Good”,
harmonies avec la bassiste Gaya qui rappelle les Américains Harlem à
Wajsman, le trio israélien produit sur “Where Rivers Run” qui sonne comme
ce “Dmaot” une musique enchanteresse un inédit de The Coral, “Don’t Just Say
sous influences sixties qui rappelle Things” est une ode magnifique à la pop
Mystic Braves (“Sleeping Sea”) ou, lo-fi éternelle. Un joyau idéal pour l’été.
plus près de nous, les formidables
Ponta Preta (“Manson”). Loin de la folie
qui règne au Moyen-Orient (le groupe
a d’ailleurs écrit un texte où il espère
“que la guerre prenne fin le plus tôt
45 tours
possible” et croit “en une solution
Savak /
à deux états, vivant en paix et dans
la prospérité côte à côte”), cet album
Contractions
est un bijou de poésie et de quiétude.
“Split EP”
Echo Canyon/ Peculiar Works
Bienvenue dans l’univers atypique de Avant de s’installer en Touraine, Conçu comme un challenge pendant le Lyonnais installé en Ardèche,
Manuel Laisné qui se présente Marquis De Coco Nut a confinement de 2020, Katapola (de Mike Noegraf a promené
comme un “artiste artisan malaxeur bourlingué entre Berlin, les Etats-Unis Toulouse) réunit une néophyte musicale pendant des années sa guitare agile
de compositions métissées”. Chef et la Guadeloupe, notamment avec les et Don Joe, directeur de label et membre dans de multiples groupes de rock,
d’orchestre et guitariste de Cannibale, Lolitas dont il était le guitariste. D’ailleurs, de nombreux groupes (Indian Ghost, Don pour la plupart étrangers. Et puis, après
il officie en tant qu’homme-orchestre c’est en mémoire de Françoise Cactus Joe Rodeo Combo, Jesus Of Cool). Après des centaines de concerts, il a eu envie
dans son premier projet solo, qui n’a (leur chanteuse décédée il y a une dizaine s’être exercés avec des reprises, ils de défendre un projet personnel. Son
rien à envier à ses essais collectifs d’années) qu’il a conçu — en marge des ont conçu ce premier album avec leurs quatrième album depuis 2015, enregistré
question mélange des genres et Barons du Bayou et de ses activités de propres compositions bilingues et nous avec quelques complices talentueux
chaudron musical polymorphe (post- peintre — cet hommage sous forme de embarquent dans une pop rock à (dont certains de son trio Les Outlaws),
punk, rock psyché, afrobeat, krautrock, reprises unplugged : six morceaux de ce tendances psyché qui affectionne les bénéficie de compositions stylées, d’une
reggae mutant) : après la plongée en groupe français culte, mais également climats en mi-teintes (“Ce Ciel Presque production léchée et d’une mise en
eaux inconnues (“Phobie”), “Terreau” une étonnante version folk de “Anarchy Noir”), les vocaux harmonieux gorgés place impeccables ; il alterne plages
enclenche le processus addictif, puis In The UK” et des versions francisées de de souvenirs sixties (“Vincent”), les acoustiques et flambées rock mais c’est
“Conseil” ou “Raisonnable” célèbrent le titres empruntés à Johnny Thunders, The montées au créneau incantatoires quand il prend le parti pris de la douceur
parti pris dansant qui pare ses délires Four Tops ou Nina Hagen, brassés avec (“Nimble Mind”) et les parenthèses qu’il se révèle le plus convaincant,
verbaux et sonores d’une dimension verve, fraîcheur et aplomb (“Puisque sereines et cool (“Wheat Fields”, Pop porté par la grâce des mélodies et une
résolument fun (“Caverne”, TFT Tu Es Partie”, Coco Nut, facebook. Sisters, https://popsistersrecords.com, voix au charme troublant (“Polarities”,
Label, tftlabel.com/manuel-laisne). com/groups/marquisdecoconut). distribution L’Autre Distribution). Sbam Records, mikenoegraf.com).
Fondé à Strasbourg en 2016, Caesaria Issu de la scène rennaise en 2020, Beau Le quatrième album de Dead Horse Trois ans après ses débuts, le quatuor
se présente toujours comme un trio, Bandit a de solides références : excepté One débute dans un mélange de bruit de Mulhouse Trigger King livre
même s’il fait appel à un batteur régulier. la guitariste, les quatre autres musiciens et de fureur traversé de brèves phases un premier EP cinq titres qui puise ses
Son premier album était placé sous le faisaient partie de Santa Cruz, ce qui d’apaisement. Formé à Valence en 2011, racines dans le rock des années quatre-
signe de la britpop des années quatre- est une garantie de qualité. Le premier le quatuor poursuit ainsi sa plongée dans vingt-dix et auprès de ses illustres
vingt-dix, le second préserve une album s’ébroue dans une pop élégante une fusion bouillonnante où se télescopent ancêtres heavy. Il privilégie le mid-tempo,
influence anglophile prononcée mais tour à tour mélancolique et joyeuse, qui metal, grunge, shoegaze et musique notamment pour une longue composition
lorgne du côté de Manchester et du ne craint pas d’afficher ses influences contemplative. Les guitares saturées de plus de sept minutes en état de tension
clubbing rock en adoptant des rythmiques (“I’m A David Bowie Fan”) et séduit s’acoquinent avec un chant onirique, (“Riding High”) et apprécie les ballades
dansantes : hommage inspiré, “Love par ses vocaux suaves, ses mélodies les flambées bruitistes à la limite du (“Season Of The Sun”) — s’offrant même
You More Than Me” attaque bille en tête délicates, ses compositions adroites et supportable y côtoient des nonchalances une pause acoustique avec “Reaching For
avec son refrain lancinant, ses claviers sa manière d’utiliser des sons vintage aériennes, parfois à l’intérieur d’un même The Moon” — mais il s’illustre surtout par
entêtants et sa voix mouillée qui invitent sans sombrer dans l’hommage rétro, morceau (“Regenerated”) et les ruptures une ouverture bouillonnante (“Take Me
au saut spatio-temporel, alors que “Empty comme en témoigne une reprise futée de ton et d’atmosphère sont l’un des By Surprise”) qui est gorgée de vitalité
Club” nous propulse avec efficacité et astucieusement modernisée du “Bette principes fondateurs d’expérimentations et témoigne d’une réelle propension à
sur le dance floor (“Tonight Will Only Davis Eyes” de Kim Carnes (“Middle Class âpres et tendues (“Seas Of Static”, façonner de véritables chansons destinées
Make Me Love You More”, Caesaria Luxury”, Hasta Luego Productions/ Requiem Pour Un Twister, facebook.com/ à être reprises en chœur (“The Giant
Production/ Budde/ Birdcall, caesaria.fr). Daydream Music, beaubandit.fr). deadhorseone, distribution Modulor). Rooster”, facebook.com/p/Trigger-King). o
Amon Düül II
Stockhausen, Webern, Ligeti sont “Disaster” (1969). “Paradieswärts par le multiinstrumentiste Christian turcs, marocains, japonais, espagnols.
les principales sources d’influences. Düül” (1971) est le véritable Burchard, qui a joué sur “Phallus Sur le même principe, Dissidenten
En 1967, à Munich, Amon Düül est deuxième album, un folk-rock Dei”, et Edgar Hofmann, un est une scission d’Embryo.
une communauté libertaire, politique, psychédélique à base de percussions, saxophoniste de jazz, Embryo est A l’affiche du Song Tage festival,
artistique et musicale à la sexualité et guitares électriques et acoustiques, un groupe important et singulier du Soul Caravan est une formation de
à l’expression libres. La composition voix et rythmiques répétitives rock allemand. Pas de synthétiseur rhythm’n’blues originaire de Munich
en est fluctuante au gré des arrivées pendant trois longues plages. De mais une fusion de jazz, de space avec un album à son crédit, “Get
et des départs. Accompagnant leur côté, Chris Karrer, guitares, rock et de world souvent basée In High” (1967). En 1969, sous le
régulièrement les manifestations, violon, Dieter Serfas, batterie, sur l’improvisation, “Opal” (1970). nom de Xhol Caravan avec l’apport
leurs concerts ressemblent à des Christian Thiele/ Shrat, bongos, Autour des fondateurs se succèdent de Hansi Fischer, flûte et saxo
happenings dont le nombre de chant, violon, Renate Knaup, chant, un grand nombre de musiciens (Embryo), elle sort un album psyché-
participants, en général sous LSD John Weinzierl, guitares, basse, allemands, britanniques, américains délique influencé par Frank Zappa,
ou autres psychotropes, varie au Falk Rogner, claviers, et le bassiste comme les jazzmen Mal Waldron et “Electrip”. Cette fois sous l’appel-
fil des rencontres. Les échanges anglais Dave Anderson forment Charlie Mariano, indiens, pakistanais, lation de Xhol parait “Hau-Ruk” (1971).
avec d’autres communautés Amon Düül II. Avant l’enregistrement africains, au final, près de quatre Le troisième et dernier album,
sont fréquents, comme avec la de “Phallus Dei” (1969), ils sont cents de 1969 à 2024. Le groupe est “Motherfuckers GmbH & Co KG”
Kommune 1 ou K1 de Berlin proche rejoints par Peter Leopold qui a donc aujourd’hui dirigé par Marja Burchard, (1972) est une compilation.
des théories situationnistes et contribué aux premiers albums des la fille de Christian. A partir de 1973, De la région munichoise, Missus
dont, à la dissolution, certains deux incarnations d’Amon Düül. Les le guitariste, joueur de saz et de oud, Beastly est difficile à cerner tant au
membres rejoindront la Fraction morceaux sont plus structurés avec Roman Bunka devient un élément niveau de sa composition fluctuante
Armée Rouge ou la Bande à Baader. de longues improvisations entre moteur en apportant une très forte que de sa musique, un krautrock
Après la scission, Amon Düül a psychédélisme et rock progressif en touche orientaliste. Très productif entre psychédélisme et progressif
enregistré pendant vingt heures devenir. “Phallus Dei”, “Yeti” (1970) avec une cinquantaine d’albums avec, par moments, des sonorités
une musique conforme à ses et “Tanz Der Lemminge” (1971) à son actif, Embryo a monté son jazzy et blues, du moins en ce qui
prestations scéniques. Cette longue figurent en bonne place parmi les propre label, Schneeball/April en concerne le premier album, “Missus
improvisation libre est exécutée par disques fondateurs du krautrock. 1976. Peu après, le groupe effectue Beastly” (1970), un grand moment
les frères Leopold, Ulrich, basse, et “Wolf City” (1972) et “Vive La Trance” une longue tournée avec femmes de l’underground allemand. Les trois
Peter, batterie, Rainer, guitare, et (1973) sont également d’excellents et enfants en Inde, Afghanistan et disques suivants, “Missus Beastly”
Ella, percussions, Bauer, Wolfgang albums. Après de nombreux Pakistan, pendant laquelle il partage (1974), “Dr. Aftershave And The
Krischke, percussions, piano, Helge mouvements de personnels, Amon régulièrement la scène avec les Mixed Pickles” (1976) avec Roman
et Angelika Filanda, percussions, Düül II est encore actif aujourd’hui. musiciens locaux. Ces rencontres Bunka sur April Records, et “Space
tous chantant plus ou moins. En 1982, Chris Karrer a intégré constituent l’essentiel du double Guerilla” (1978), se rapprochent
De ces sessions sortiront trois une autre formation munichoise, album avec livret, “Embryo’s Reise” du style des premiers Embryo.
albums, en premier “Psychedelic Embryo, qui compte deux autres (1979). L’expérience se poursuit Il existe également un faux ou
Underground” (1969), “Collapsing, musiciens d’Amon Düül II, Dieter en Egypte, puis avec des musiciens un dissident Missus Beastly auteur
Singvögel Rückwärts & Co” (1969), Serfas et Lothar Meid. Créé en 1969 africains, surtout du Nigeria, chinois, de deux albums en 1972 et 1973. o
Top fünf
s’entremêlent des Knaup, “Archangels Total”, Edgar Hofmann de pédales et d’effets sonore qui donne le ton
guitares stridentes Thunderbird”, puis est de retour à la flûte. pour leurs instruments, aux sept morceaux dont
plus ou moins désaccordées, les guitares tranchantes, La deuxième est wah-wah, echoplex, quatre longues pièces.
des psalmodies, des distordues, de John enregistrée aux fuzz. Dans l’esprit du Les instruments, en
hurlements en guise Weinzierl, les percussions studios Bombay “Third” de Soft Machine, particulier guitares et
de chant et des bruits et les voix d’outre-tombe le 30 décembre 1976 les improvisions nous claviers, se superposent,
divers. Une expérience sur “Cerberus” et “Eye- avec Trilok Gurtu, tabla, plongent dans un univers rejetant parfois les voix
psychédélique sombre Shaking King”. Le second et sa mère Shoba Gurtu, original et captivant. en arrière-plan, “Uncle
et violente. se résume à trois chant et tamboura. Sam”. “Mean Woman”,
improvisations, “Yeti”, “Getalongwithasong”, “Shame On You” et
“Yeti Talks To Yogi” et composé par Bunka et “Chinese Love Songs” sont
l’orientalisant “Sandoz In Burchard, est une longue des blues où les influences
The Rain” avec l’apport de et fascinante mélopée. psychédéliques et jazz se
Thomas Keyserling, flûte, télescopent au milieu des
de Rainer Bauer et d’Ulrich percussions, des effets de
Leopold d’Amon Düül. l’orgue et des guitares.
Et justice pour tous PAR FABRICE EPSTEIN
Affaire numéro 54
LAPD contre
tupac Amaru Shakur
Il était 2Pac
Tupac posait LA question.
en Amérique sa caution est généreusement réglée par
La seule qui compte en Amérique. Suge Knight, ledit patron de Death Row
Et qui est la suivante : Records. Libre, Tupac n’a d’autre choix
Existe-t-il une différence entre que de rejoindre le label de Suge. Alors,
une vie noire et une vie blanche ? les ennuis s’amplifient et l’attitude, plus
grave, change. Les imitations d’Al Pacino
Dans le monde de la musique (noire), ont fait long feu. Désormais, Tupac
la question est plus que légitime. Elle incarne le gangsta rap. Dans le même
épouse le cadre plus général d’un pays temps, sur un plan artistique, l’artiste
labouré par la haine, le racisme, la fait carton plein. Il enregistre “California
ségrégation. Martin Luther King voulait Love”. C’est un immense tube et son
croire qu’elle n’était que pure rhétorique quatrième album solo, le premier double
et que demain, ou après-demain, elle album de l’histoire du rap, vendu à plus
n’aurait plus droit de cité… en Amérique. de 9 millions d’exemplaires, est certifié
quintuple platine. En juin 1996, il sort
Mais le grand homme avait tort un titre où il fait expressément référence
— et son pays le lui rappellerait à heures aux rapports sexuels qu’il aurait eus avec
trop régulières. Ainsi, avec la mort du plus la femme de Biggie. C’est toujours mieux
grand philosophe du rap (et rock star que de s’attaquer à la gloire d’une mère,
accréditée — ce qui justifie sa présence mais l’attaque cinglante n’a pas vocation
dans cette chronique !), les sociologues à faire baisser la pression entre les deux
admettent que LA question revêt hommes. Ces provocations viennent éclairer
(encore) une actualité dévorante. le caractère du nouveau Shakur, calque de
Suge Knight, et qui ne cache plus son
Une question est une réponse, hostilité pour Sean Combs (alias Puff
et elle engendre d’autres questions. Daddy), manager East Coast et ennemi
par monts et par vaux, grassement nourri juré craché de la West Coast depuis
Tupac ! Il y en a des choses à dire, des par les procès, les meetings, les hurlements que Knight est convaincu de l’implication
interrogations en pagaille. Pourquoi sa pour la liberté, la recherche de l’égalité, de Combs dans l’assassinat de son garde
mort n’a-t-elle pas dévoilé ses secrets ? la poursuite du bonheur noir dans ce que du corps et ami Jake Robles. Le sang va
Plus précisément, qui a tiré sur la star Romain Gary appelait une “société de la couler. Du sang noir. En grande quantité.
et pourquoi ? Réponse : irrésolue ! provocation”. L’hérédité n’est pas mauvaise,
Oui, l’affaire est irrésolue. On lui sa mère fut acquittée dans ce qu’il est 1996. François Mitterrand et Marcello
préférera l’anglais unsolved. Mais convenu d’appeler le procès des 21 ; Mastroianni passent l’arme à gauche.
doit-on se contenter, en la matière, d’une son parrain se nomme Elmer “Geronimo” Tupac aussi.
incertitude ? Est-ce parce qu’une vie noire Pratt, un cacique des Black Panthers.
recèle moins de valeur qu’une vie blanche ? Tupac a la contestation dans le sang Le 7 septembre 1996, à Las Vegas,
Ou bien est-ce le code de la rue, ce et “du chaos en soi pour enfanter une il assiste au combat entre Mike Tyson
diktat qui sévit dans les ghettos noirs étoile qui danse”. Passons sur le reste et Bruce Seldon. Préalablement à la
de l’Amérique sans espoir de Sleepy Joe, de sa vie, son amitié avec Biggie, leur rencontre, Tupac passe à tabac Orlando
Photo NY Daily News Archive/ Getty Images
qui garrotte les langues et supprime le détestation pas vraiment réciproque, Anderson, un Crip. Motif : quelques mois
courage ? Le plus politisé des rappeurs ne les déboires East Coast West Coast, auparavant, il aurait volé un membre de
mérite-t-il pas que son assassin ait un nom, les Crips, Compton, Death Row Records. l’entourage de Death Row Records. Suge
un nom judiciaire, un nom au nom de tous Knight fonce tête baissée aux côtés de
les citoyens des Etats-Unis d’Amérique ? Non, arrêtons-nous quelques secondes sur son protégé. Après la rencontre, Tupac
le label du couloir de la mort. Death Row file à bord d’une BMW E38 noire. Suge
Tupac : poète, hâbleur, manipulateur, Records. Un nom tristement prophétique. Knight conduit, Shakur occupe la place
génial et transgressif. Tupac, jeune vieillard Début 1995, le golden-boy du rap connaît du mort. On tire à plusieurs reprises sur
et vieil enfant ; dès sa prime jeunesse, il vit une impasse artistique. En prison pour viol, l’artiste. Son manager est épargné,
bien qu’heurté par un éclat de verre. Ou encore une combinaison qui a tué Tupac. Le code de l’honneur
Plus tard, il expliquera à la presse avoir de ces nombreuses hypothèses ? obligeait ce dernier à régler son compte
été lui-même sévèrement touché ; preuve au chanteur. Il est lui-même assassiné
en est, une balle de revolver se serait L’enquête patine. A croire que les polices deux ans après la mort de Tupac. Laissez
logée dans son crâne. On marche sur de Los Angeles et de Vegas ne font pas les morts enterrer les morts. C’est bien
la tête ; Suge serait-il l’instigateur de cet correctement leur travail. Véritable Etat pratique tandis que Keefe D s’épanche dans
assassinat ? Ce n’est pas la première fois dans l’Etat, comment la police de LA un podcast diffusé sur une chaîne YouTube
que des inconnus tentent de supprimer peut-elle ignorer ce qui se dit dans les qui voit défiler l’aristocratie du rap.
Shakur. Il avait survécu à New York, rues de sa ville ? Est-ce à dire qu’à ce
mais n’est pas en mesure de rééditer crime, elle ne souhaite pas trouver un ou Néanmoins, la police reste muette…
l’exploit à Vegas. Tupac est en pièces plusieurs coupables ? La fiction rattrape jusqu’en octobre 2023. La presse
détachées. Les témoins rapportent qu’une la réalité lorsque Netflix fait paraître mondiale inscrit alors en lettres noires
Cadillac Fleetwood s’est approchée côté la série “Unsolved” sur nos écrans sur la Toile qu’une perquisition a
passager de la BMW. Ils ont entendu d’ordinateur. Celle-ci met en scène lieu… vingt-sept ans après les faits
une rafale de coups de feu à bout portant. les confessions de Keefe D, passager au domicile de Keefe D. Les flics de
Mais personne n’a été appréhendé par la de la voiture “meurtrière”. Keefe D la LAPD auraient “récupéré des choses”.
police. Dès lors, les théories fleurissent. est ce qu’on appelle un OG, un ordinary Keefe D est arrêté. Enfin, c’est le début
Qui est à la manœuvre ? Biggie et gangster, baron de la drogue de catégorie de quelque chose, peut-être le début
la côte Est ? Ou bien Suge Knight, 1, en contact quotidien avec les cartels de de la fin de l’histoire de l’assassinat
le diabolique et retors producteur Colombie et en cheville avec Puff Daddy. du plus célèbre rappeur au monde.
— qui en faisant tuer son poulain Cela fait un moment qu’il joue à qui veut Mais pourquoi donc “la seule chose
économiserait par là même l’entendre la même musique. Pour lui, qui permet au mal de triompher est
plusieurs millions de dollars ? c’est son neveu, Orlando Anderson, l’inaction des hommes de bien” ? o
La violence,
le désordre
et l’anarchie
City Of Darkness
DE SOI CHEANG Si le réalisateur chinois n’a pas vraiment cumulé de très grands films en
début de carrière, tous sont pourtant empreints d’une énergie sauvage très
communicative. Voir les séquences d’hargneux combats au corps à corps
Il y a une cinquantaine d’années, Bruce Lee mis à part, le cinéma de ses “Dog Bite Dog”, “Coq De Combat” et “Kill Zone 2”. Le point commun
de baston asiatique était relégué dans les salles de quartier du entre tous ces films, qui marquent très sûrement le style Soi Cheang, est son
nord de Paris, avec des centaines de pellicules projetées dans des versions nihilisme forcené. Comme si ses personnages se battaient une dernière fois
françaises grotesques et des copies aussi rayées que délavées. Sans parler de avant d’aller s’enfermer au purgatoire pour leur propre bien-être masochiste.
certaines versions tronquées avec 10, 20 ou 30 minutes de pellicules en moins. Une vision du monde sacrément noire qu’il a encore plus accentuée dans son
Le Trianon, Bellevue, Gaîté Rochechouart et autre Hollywood Boulevard (paix récent et premier très grand film : le méga crépusculaire et désespéré “Limbo”,
à leur âme) ont ainsi vu défiler quelques chefs-d’œuvre du genre (notamment sorti dans les salles françaises il y a pile un an. Ce film, tourné dans un noir et
ceux produits par la firme Shaw Brothers) dans des conditions déplorables, tous blanc très expressionniste, a permis aux spectateurs et à la critique de plonger,
restés confinés à un public limité pendant des décennies. Puis le temps a passé. iris en avant, dans un authentique very bad trip mâtiné d’ultra-violence post-
Certains cinéphiles passionnés de cinéma d’exploitation (y compris Tarantino apocalyptique. Une ambiance no future, qu’il reproduit dans “City Of Darkness”
de l’autre côté de l’Atlantique) se sont battus pour faire connaître ce genre assez (projeté donc en séance de minuit à Cannes cette année) qui raconte une simple
méprisé à l’époque où Belmondo, Delon et De Funès cartonnaient au box-office. mais redoutable guerre de clans. Thème basique du genre, certes, mais où
Grâce à la VHS, puis aux laser disc, DVD et Blu-ray, ainsi qu’à des rétrospectives le cinéaste réinvente stylistiquement les fameuses chorégraphies de combat
à la Cinémathèque et des revues spécialisées (dont “HK Magazine” patronné qui ont fait la patte du cinéma asiatique (Japon, Corée du Sud et Thaïlande
par le réalisateur Christophe Gans), les bastons épiques et autres gunfights compris) depuis une bonne demi-décennie. Soit des courses-poursuites
apocalyptiques (voir les polars de John Woo des années quatre-vingt-dix) à pied et du tabassage en masse dans les rues étouffantes de la citadelle
ont fini par obtenir leurs lettres de noblesse. Au point, pour certains, d’être de Kowloon, enclave chinoise située naguère aux abords de Hong Kong
projetés à Cannes. Mais jamais en compétition. Juste en séance spéciale. et démolie au début des années quatre-vingt-dix. Une sorte de ville dans
Histoire de divertir les festivaliers se fossilisant d’ennui dans la compétition la ville, aux appartements insalubres et très rapprochés où se croisent les
officielle. Ainsi, en 2024, si Cannes a cumulé les déceptions sur les films laissés pour compte de la société, les triades et les trafiquants de toutes
les plus attendus (Coppola, Cronenberg, Costner), cela n’a pas empêché sortes. Une anti-chambre de l’enfer où la violence, le désordre et l’anarchie
la presse de publier des kilotonnes d’articles sur eux, et ce au détriment ont pris le dessus sur le bien-être zen. D’où cette sensation, dans “City
d’autres films qui méritaient bien plus d’éloges. Comme “City Of Darkness”, Of Darkness”, de morbidité constante, accentuée par des règlements de
de Soi Cheang, digne héritier des films de kung-fu d’antan et des polars compte infernaux et crus où douleurs et plaies deviennent presque un
hard-boiled survitaminés à la Ringo Lam dont, justement, Cheang fut l’assistant. art de vivre. Et, bien entendu, de mourir (en salles le 14 août). o
Cinéma PAR CHRISTOPHE LEMAIRE
Monolith une version réduite d’un monolithe Matt Vesely plongeant la psyché de représentation subliminale de
Seule derrière son ordinateur, une un peu semblable à celui de “2001, sa journaliste en herbe aux confins de l’inconscient de celui qui le reçoit ?
podcasteuse se met à investiguer L’Odyssée De l’Espace”. Ce huis la métaphysique. Avec des questions “Monolith”, aussi minimaliste
sur les cas de plusieurs personnes clos hors norme, selon son degré qui planent tout au long du film : que fascinant, finit par virer dans
dont le quotidien a été totalement d’acceptation d’étrangeté et de que représente donc ce monolithe ? une paranoïa pouvant remettre
bouleversé après qu’ils ont reçu une paranormal, devient vite addictif et Est-il envoyé par Dieu ou des en question le principe même de
mystérieuse brique. Plus exactement, angoissant, le réalisateur australien extraterrestres ? Ou est-ce une l’existence (en salles le 24 juillet).
Monolith
MaXXXine
MaXXXine au “Massacre A La Tronçonneuse” de Car on se croirait vraiment dans un pur le milieu des eighties, époque de
Totalement fan du cinéma d’exploitation Tobe Hooper, puis “Pearl” (le meilleur film grindhouse des années quatre- l’action du film. Même les salles
yankee des années 70/ 80, le réalisateur des trois), version âpre et inquiétante vingt. Les endroits les plus pouilleux de porno et les studios de tournage
Ti West a consacré sa filmographie à du “Magicien D’Oz”. Et aujourd’hui d’Hollywood Boulevard de l’époque de films X (le triple X du titre étant
lui rendre hommage. Voir “The House “MaXXXine”, dans lequel miss Goth sont restitués à l’identique et filmés à synonyme de films de cul) sont
Of The Devil” et “The Innkeepers”, interprète une porno girl prête à tout travers des filtres bleus, façon “Angel”, fidèlement reconstitués. Pour le
films de sectes diaboliques aux arrière- pour devenir star de cinéma d’horreur polar urbain culte de l’époque qui a du néophyte de cinéma d’exploitation,
goûts poivrés du “Rosemary’s Baby” et qui, sur son chemin de gloire, son succès en VHS grâce à sa tagline “MaXXXine” pourra paraître un peu
de Roman Polanski. En 2022, Ti West va être confrontée à un serial killer provocatrice (“Bon élève le jour, bonne kitsch, ce qui est évidemment une
se lance dans une trilogie de séries B zigouilleur de starlettes. Ce qui fascine pute la nuit”). “MaXXXine” use aussi volonté de la part de Ti West, dont le
bien vicelardes mettant en scène sa dans “MaXXXine”, ce n’est pas tant du split screen (écran divisé en deux), but semble être de raviver la nostalgie
muse et actrice fétiche : Mia Goth. son scénario que ses références comme le “Body Double” de Brian des cinéphages déviants qui erraient
D’abord dans “X”, hommage stylistique picturales et cinéphiliques très précises. De Palma tourné justement dans dans les salles d’exploitation de
l’époque (en salles le 31 juillet).
The Seeding
“The Seeding” de Barnaby Clay est l’une
des plus grandes surprises du cinéma
horrifique de cette année. Sans monstre
en pleine face ni gore à profusion,
le film suit le chemin d’un homme
qui, photographiant les recoins d’un
désert aride, finit par se perdre avant
de trouver refuge au fond d’une petite
vallée entourée de rochers et habitée
par une jeune femme énigmatique.
Elle le recueille et le nourrit, mais il ne
peut plus partir, l’échelle qu’il a utilisée
pour descendre ayant été retirée par
une bande d’adolescents sauvages et
hystériques semblant s’être échappés
de “Sa Majesté Des Mouches”, le roman
de William Golding. Lentement mais
sûrement, “The Seeding” bascule dans
un quotidien cauchemardesque où
se mêlent paganisme étrange, rituels
malsains et dévotion ancestrale envers la
nature. Un pur et authentique folk horror
à la “The Wicker Man”, pour prendre
le film étalon du genre (disponible
The Seeding
en SVOD sur Filmo et Shadow). o
Nightmares La
Trilogie
Du Vice
And Daydreams
Fantômes élégants
(Artus Films)
Spécialiste du cinéma
d’exploitation italien
des années 1970/ 80,
Sergio Martino a touché à tous les genres
(westerns spaghetti, comédies sexy,
aventures post-apocalyptiques) avant
de découvrir celui dans lequel il était
le plus à l’aise : le giallo. Des polars
Des anthologies horrifiques télévisées, de pauvres, symboles des laissés-pour-compte psychotiques et graphiques dont il a
il y en a eu à la pelle depuis l’indépassable de la société indonésienne, sans oublier un fond signé trois classiques réunis ici dans un
“The Twilight Zone”, dont les 158 épisodes diffusés religieux où l’islam, le catholicisme, le bouddhisme, coffret magnifique : “L’Etrange Vice
aux Etats-Unis entre 1959 et 1964 ont chamboulé la le protestantisme, l’hindouisme et le confucianisme De Madame Wardh”, “Toutes Les
logique des spectateurs du monde entier. Une série cohabitent sans trop de heurts. Sauf que certains Couleurs Du Vice” et “Ton Vice Est
mythique devenue le fer de lance de toutes les autres mauvais esprits maléfiques, très présents dans Une Chambre Close Dont Seul Moi
séries (et même films) fantastiques, de science-fiction la culture indonésienne, se mettent à jouer des Ai La Clé”, largement inspiré quant à
et d’horreur dans les six décennies suivantes. Avec tours pendables. Genre, pour reprendre quelques lui par la nouvelle d’Edgar Poe “Le Chat
des acteurs différents et des histoires variées dont les pitchs d’épisodes : un enfant adopté censé Noir”. Avec son érotisme élégant, ses tueurs
thèmes explorent ce qui pourrait se cacher derrière être la réincarnation de Satan, un vieux cinéma gantés de cuir et fans d’armes blanches
chaque porte sombre de l’inconscient collectif. L’année abandonné gardé par des fantômes élégants sortis et ses expérimentations filmiques où l’on
dernière, Guillermo del Toro a produit la sienne pour tout droit de l’Overlook Hotel de “Shining” et un pêcheur ne distingue plus les rêves de la réalité,
Netflix, le “Cabinet Des Curiosités”, suite de cauchemars sans le sou devenant l’emblème de son village après revoir (ou découvrir) ces films donne
étranges ancrés dans le monde d’aujourd’hui et vendue avoir photographié l’apparition d’un ange en plein orage. l’impression de pénétrer dans une rêverie
sous son titre complet “Le Cabinet Des Curiosités De Comme dans chaque série basée sur des anthologies nostalgique bardée d’une étrange obsession
Guillermo Del Toro” grâce à la notoriété internationale horrifiques, certains épisodes sortent du lot. Ici le pour une violence aussi stylisée que pop.
du réalisateur mexicain. Il en va de même pour premier où un chauffeur de taxi est obligé d’amener
“Nightmares And Daydreams”, autre série d’anthologie sa vieille mère dans une maison de retraite étrange.
mêlant effroi, trouble, noirceur carabinée et cauchemars avant de plonger littéralement dans un univers imprégnation du mal), à l’image de son seul
éveillés, produite, coscénarisée et en partie réalisée lovecraftien à base de monstres et de trifouillages long-métrage sortit dans les salles françaises il y
par Joko Anwar, cinéaste très célèbre en Indonésie. d’âmes intenses. Ces mini-films, d’une durée a une douzaine d’années, “Modus Anomali : Le
Ces sept histoires, bien qu’elles n’aient pas de liens moyenne de 48 minutes, proposent un fantastique Réveil De La Proie”, un survival d’auteur tourné
directs, sont tout de même reliées par un lieu (la ville social et immersif bien loin des films gore cultes en huit jours dans une forêt tropicale qui, déjà,
de Jakarta) et partagent un fond historique en rapport américains ou des vieux films d’horreur des offrait une représentation nihiliste d’un monde
avec les quarante dernières années du pays. Et elles sixties à la Hammer Film. Et restent dans partant à vau-l’eau et définitivement dominé par
mettent en scène dans chaque épisode des couples l’esprit du style Joko Anwar (lenteur inquiétante, la force des ténèbres (disponible sur Netflix). o
Streaming/
DVD/
Blu-ray
Hystéricharisme
Aretha Franklin les “Aretha Day Franklin Day” dans tout le pays, irrépressible soif de musiques différentes.
FRÉDÉRIC ADRIAN les chansons sur elle, “Aretha, Sing One For Me”, De son “Paris, Texas” à “Let It Bleed” où il était
Le Mot Et Le Reste les mots inventés pour elle, “hystéricharisme”, il y musicien de studio avec sa slide guitar , de “Buena
Arrêtez tout, Aretha est là ! Pas vraiment là bien sûr mais a même eu des fausses Aretha qui se produisaient Vista Social Club” qu’il a produit à “Talking Timbuktu”
presque, sous la plume avisée de Frédéric Adrian qui sur scène en essayant de se faire passer pour elle ! avec Ali Farka Touré, il a collaboré avec les plus
nous régale avec son récit carré quoiqu’exhaustif de la La liste de ses collaborations, de ses albums, grands, Randy Newman, Neil Young, Taj Mahal,
vie de la Queen de la Soul, diva entre les divas, géniale de ses concerts mythiques est sans fin, elle a Captain Beefheart, Little Feat, Van Morrison, Eric
musicienne et légende parmi les légendes. Des légendes travaillé dans tous les registres, pas 1000% Clapton, John Lee Hooker, la liste éblouissante est
sur elle, il y en a eu beaucoup, des noires — sans jeu à bon escient certes, “Aretha est sa propre sans fin. Mais il n’était pas qu’un musicien et la
de mots — et d’autres heureusement plus dorées. Elle a catégorie. Il peut lui arriver d’échouer dans ce réédition par Les Belles Lettres de son recueil de
bien eu son premier enfant à 12 ans — beurk — mais cadre, mais selon ses propres règles”, écrivait nouvelles, autrefois éditées par l’excellente feue
son père n’en était pas le père — rebeurk — comme à juste titre Christgau mais c’est aussi cette maison d’édition 13e Note nous le prouve. Avec son
le dirent longtemps les mauvaises langues et oui, elle curiosité — Cyrano de Bergerac, vraiment ? — “Los Angles Nostalgie”, Cooder affiche son jeu, il
ne roulait qu’en Cadillac et envisonnée de haute couture et cette soif de nouveautés qui ont fait d’Aretha rêve encore d’un Los Angeles des années quarante
mais finançait et affichait très publiquement son soutien Franklin une artiste en mouvement perpétuel et cinquante, ce Los Angeles décrit en marge par
aux mouvements américains pour les droits civiques, à et donc souvent pile au bon endroit. Excellente les films noirs, peuplé de petites gens, ici souvent
Angela Davis et à Martin Luther King, ami de son père pianiste, compositrice à ses heures, divine des musiciens qui y survivent plus ou moins bien,
de longue date et aux funérailles duquel elle chantera. chanteuse, peu d’artistes ont à ce point incarné mariachis nains, arnaqueurs et détectives foireux
Musicienne précoce, élevée dans la musique et la foi et influencé une culture, ce n’est pas moi, c’est compris. On est loin de Beverly Hills mais si les
par un père pasteur réputé, apparentée et entourée de Obama qui le dit : “Aretha a contribué à définir collines d’Hollywood peuplent au loin les mirages
musiciens de grands talents, Aretha impressionnait dès l’expérience américaine” et ici parfaitement de réussite des modestes héros de Cooder et si on y
son plus jeune âge. Et celle qui fut la première femme démontré par Adrian, toujours sobre et précis. croise Charlie Parker et John Lee Hooker, ce monde
à entrer au Rock&Roll Hall Of Fame et la seule artiste, n’existe vraiment pas ici, dans ce LA avant la pop et
avec James Brown, à avoir eu cent 45 tours dans les avant le showbizz triomphant des années soixante
charts rhythm’n’blues d’une très longue carrière, n’a Los Angeles Nostalgie et soixante-dix qui va en changer l’essence même.
jamais dévié de sa brillante trajectoire, reine un jour, RY COODER Hommage attendri à ces générations de musiciens
elle le fut toujours. Peu bavarde avec les médias, elle Les Belles Lettres qui ont modestement construit le mythe de ce vintage
préférait parler recettes de cuisine que de sa vie privée On connaît tous Ry Cooder, qu’on le sache ou Los Angeles, ce livre est aussi un extraordinaire
agitée — ou bitcher les collègues qui osaient viser sa pas. Ce génie de la guitare et passionné fou de voyage dans le temps, une véritable plongée dans
couronne, pas très partageuse d’aura, Aretha — musiques traditionnelles a marqué l’histoire de un univers disparu et extraordinairement évocateur
mais cette discrétion n’a jamais entamé son la musique de mille façons avec ses albums, sous la patte de Ry Cooder, aussi fin ici qu’il l’a
immense succès et son inouïe popularité, entre ceux des autres et tous ceux nés de son été tout au long de son incroyable carrière. o
Le plus grand
wall of death
du monde
Hellfest
DU 27 AU 30 JUIN,
CLISSON
Plus de 200 groupes sur 4 jours
dont 99 jouaient à Clisson pour
la première fois, une Gardienne
des Ténèbres de 10 mètres de haut
et des têtes d’affiche dantesques. Slaughter To Prevail
Programmé pour la première fois au Hellfest, chimère mi-femme mi-scorpion à cornes mise sur un set énergique mené par Poun de
Slaughter To Prevail n’a qu’une idée en tête : de bélier, s’anime dans la nuit noire… Black Bomb A et rejoint par une belle liste
marquer les esprits en organisant le plus grand Vendredi, Dropout Kings réveille la Warzone de musiciens invités. Joli succès pour les
wall of death du monde. Imposant par le à coups d’uppercuts nu-metal tandis que Grecs de 1000mods, qui envoûtent la Valley
physique, Alex Terrible l’est tout autant par l’ambassadeur du fuzz italien Black Rainbows avec leur Stoner 90’s teinté de grunge,
sa voix d’outre-tombe qui ordonne à la fosse atomise la Valley avec son doom psyché et pour Tom Morello qui fait le show à coups
de se scinder en deux et d’agrandir la faille occulte. Toujours aussi vindicatif, Lofofora de reprises et de medleys de RATM. Après
toujours plus loin pour entrer dans l’Histoire. crée la surprise en invitant des Femen sur le set électrique de Shaka Ponk, à l’origine
Outre les prestations saluées des pontes du “Macho Blues”, brûlot précurseur contre de l’un des plus gros circle pits de l’édition,
metal Kerry King et Megadeth entrecoupées le harcèlement et les violences sexuelles, le rouleau compresseur Machine Head prend
par l’ovni Babymetal, l’autre concert marquant avant l’arrivée de Fear Factory, bien décidé les commandes. Du gros show avec déluge de
de la journée est celui de Landmvrks, à torpiller le public avec ce son qui lui est boules de feu et artifices en tout genre mené
programmé en remplacement de Bad Omens. propre, entre death, groove et indus. Savage par un Robb Flynn très à l’aise, qui laissera
Une belle opportunité pour les Marseillais Lands, le super groupe fondé en 2022 par place à The Prodigy pour clôturer la transe.
qui ont pu prouver que leur progressive Dirk Verbeuren, le batteur de Megadeth, et Le samedi, Brutus joue devant le parterre
ascension n’était pas due au hasard. Au l’artiste activiste Sylvain Demercastel pour de la Valley blindé jusqu’en Warzone,
même moment, la Gardienne des Ténèbres, sensibiliser à la déforestation du Costa Rica, tout comme Kvelertak, venu déverser
durant deux heures. Enfin, Saxon a terminé et “A Song For The Dead”. Pendant que joué. “The Teacher” — la chanson la plus
la soirée avec une déflagration heavy qui a Corey Taylor, T-shirt rose à l’effigie de David longue et la plus importante jamais écrite
directement (re)plongé le public à l’époque Bowie sur le dos, se mue en chanteur de par Dave Grohl — dédiée à sa mère, est
de la new wave of British heavy metal. rock alternatif, le groupe polonais Batushka, l’un des temps forts d’un set équilibré, entre
Dimanche, la pile Frank Carter a frappé encapuchonné et sans visage, fait résonner singles récents et hymnes incontournables.
très fort en descendant au cœur du pit ses chants liturgiques sous la Temple CLARA LEMAIRE
Eurockéennes De Belfort
DU 4 AU 7 JUILLET, PRESQU’ÎLE DU MALSAUCY (SERMAMAGNY)
Malgré un climat politique tendu, la 34ème édition de l’institution belfortine,
avec une programmation équilibrée, affiche un record de 127 500 tickets vendus. Breeders
Il ne fallait pas être en retard jeudi pour la Wet Leg, sans les tubes “Chaise Longue” la lourde et inconfortable tâche d’ouvrir sur
prestation bruitiste mais fun du trio originaire et “Wet Dream” malheureusement. Un peu La Grande Scène. Les Irlandais, habitués au
de Brighton, Lambrini Girls. Punk, féministe, plus loin, le woodoo blues de Dirty Deep qui phénomène et imperturbables, livrent une
queer, Phoebe Lunny incarne la riot grrrl 2.0 vient de sortir “Upstream Shake” ameute une prestation dantesque et une reprise bienvenue
et n’hésite pas à grimper à un arbre pour foule impressionnante sur La Plage avant de “Deceptacon” du Tigre. Sur La Plage, les
rameuter les premiers festivaliers. Autre que les Toulousains de Slift et leur space jumelles Kim et Kelley des Breeders, 126 ans
groupe originaire du Sussex, Royal Blood, rock n’assènent la mandale du jour sur La à elles deux, alignent la fraîcheur de leur été
dont le grand retour ne suscite aucune Loggia, trop exiguë pour eux. Pendant qu’une 1993 et de l’intemporel tube “Cannonball”
attente particulière, expédie un set tout en équipe de France moribonde se qualifie dans avant de finir par la désarmante “Gigantic”
puissance, massif mais dénué de mélodie. la douleur pour les demi-finales de l’Euro, la des Pixies. Puis, le grand retour de Sum 41
Tout le contraire des Pretenders et leur soul hypra-décontractée mais exigeante de et son punk à roulettes rassemblent les
répertoire élégant. Chrissie l’Impératrice Black Pumas fait déborder le Chapiteau avant nombreux quadras fans de Jackass pour un
rayonne, chante divinement la guimauve le come-back de Lenny Kravitz. Le séduisant cartoonesque concert pyrotechnique qui
“I’ll Stand By You” repris par la Greenroom entertainer sexagénaire et sa farandole tranche avec celui d’Idles. Joe Talbot et son
pour un concert d’une classe folle. A la de tubes (“Are You Gonna Go My Way”, groupe, anti-fachistes reconnus, délivrent une
tombée de la nuit, l’électro et les ondes “I Belong To You”, “Fly Away” et “Let Love prestation encore plus sombre mais pleine
positives de Romy enchantent La Plage avant Rule”) émoustillent la festivalière de 16 à d’espoir et invite le festivalier à ne pas se
un final baraqué et les surprenants Horskh 76 ans tandis que les punks celtes, Dropkick tromper de bulletin de vote le lendemain.
de Besançon. Une heure violente de metal Murphys, dans une ambiance houblonnée et Pour le final du jour, les gentlemen-
indus évoquant le Marilyn Manson de Trent virile, clôturent dans la joie ce deuxième jour. farmers/ rockers de Mont-De-Marsan,
Reznor alors que The Prodigy dynamite la Samedi, clairement la journée la plus rock The Inspector Cluzo et leur blues péremptoire
Grande Scène avec un enragé numéro de mais aussi la plus humide. Le hardcore metal blindent La Plage avec une prestation
Photo Christian Ballard
Maxim en frontman et un spectacle son et de Gel lance brutalement les hostilités tandis enlevée et généreuse. Le lendemain,
lumière épileptique. Le lendemain, appelé que Bar Italia et son indie rock cérébral à la David Guetta se produit pour la première fois
en remplacement de Girl And Girl, The Pill, Sonic Youth confirment sur scène les espoirs aux Eurockéennes et fait le plein dans une
trio de l’Ile de Wight avec deux filles aux entendus sur disques. Puis des trombes d’eau ambiance populaire à la gouaille fête foraine.
micros, rappelle évidemment les fabuleuses s’invitent au concert de Sprints, à qui revient MATTHIEU VATIN
Chez Max (disponible sur Prime), un de Stax. Parce qu’ils étaient follement
documentaire HBO en quatre épisodes admiratifs et follement amoureux de
de Jamila Wignot, “Stax: Soulsville USA”. la musique qui avait été créée chez
Entendre Steve Cropper, Al Bell, Carla Stax Records, à Soulsville, USA.”
Thomas, David Porter, Booker T, Al Bell Vive l’admiration, l’amour et l’action. o