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Article 1214

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ISSN : 2111-4307

Défense / Sécurité en Afrique : quel


couple ?
dimanche 25 mai 2014,par Jean-Jacques KONADJE

Citer cet article / To cite this version :


Jean-Jacques KONADJE, Défense / Sécurité en Afrique : quel couple ? , Diploweb.com :
la revue géopolitique, 25 mai 2014.

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CONTINENT à la fois riche et appauvri, l’Afrique se définit la plupart du temps par son
contraste saisissant. Qualifiée souvent de « scandale géologique », le berceau de l’humanité
semble subir la malédiction de ses matières premières et de ses ressources minières. Et pour
cause, depuis les indépendances, le continent n’a cessé d’être le théâtre de guerres et de
crises qui ont jalonné son histoire et porté régulièrement un frein à son développement. Si
plusieurs causes sont avancées pour expliquer les conflits que connaissent bon nombre de pays
africains, le développement de l’économie de guerre dans les zones en proie à des conflits
armés, nous permet d’affirmer, sans ambages, que la conquête du pouvoir et/ou la lutte pour le
contrôle des ressources naturelles, demeurent les principales motivations des guerres civiles
en Afrique. Le paradoxe africain peut, aussi, s’observer à différents niveaux. En effet,
considérée comme le continent où le taux de natalité est le plus élevé, l’Afrique apparaît, non
seulement, comme la région où l’espérance de vie est le moins élevé, mais surtout, la partie du
globe qui enregistre le plus de décès. On y dénombre environ 12 500 000 décès chaque année.
Sur le plan de la stabilité, le continent s’illustre également par son contraste. En même temps
qu’elle est victime d’une insécurité chronique, l’Afrique demeure de loin, la région en quête
perpétuelle de paix. Non seulement, elle abrite le plus grand nombre d’opérations de maintien
de la paix (OMP), mais aussi et surtout, elle totalise à elle seule, le plus de résolutions du
Conseil de sécurité des Nations unies sur les questions de paix et de sécurité internationales.
Cette complexité du continent ne cesse d’interpeller.

Face à ce constat alarmant, nous sommes tous d’accord pour dire qu’il est temps que le vent
de la Démocratie, de la paix durable et de la sécurité souffle sur le continent africain. Les
Africains, eux-mêmes, semblent avoir saisi la gravité de la situation et l’urgence d’agir. Les
questions de défense et de sécurité sont désormais inscrites à l’ordre du jour des agendas des
Etats africains. Les organisations continentales comme l’Union africaine (UA) et régionales
comme la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) en ont fait leur
credo.

Cependant, si tout le monde est unanime pour dire que la paix et la sécurité sont des
conditions sine qua non pour le développement des Etats africains, la question que nous
sommes tentés de nous poser est la suivante : Quel type de sécurité conviendrait-il le mieux
aux peuples africains ? Les outils de défense des pays africains sont-ils adaptés aux réalités
auxquelles le continent est confronté ? La réponse à ces interrogations fera l’objet de notre
analyse. Elle s’articulera autour du plan suivant : dans une première partie, nous ferons un
état des lieux des nouvelles menaces qui guettent le monde et, plus particulièrement, le
continent africain. Dans une seconde partie, nous mettrons en exergue la mission qu’il faudra
dorénavant assigner aux outils africains de défense avant d’évoquer, dans une troisième partie,
la nouvelle conception de la sécurité en Afrique, dans ce monde de plus en plus mondialisé.

Un nouveau contexte géopolitique induisant de nouvelles


menaces
Depuis la fin de la guerre froide, l’Afrique est confrontée à une instabilité galopante si bien
qu’elle est devenue beaucoup plus vulnérable qu’auparavant. En effet, si pendant longtemps, le
continent noir a été le terrain de jeu des affrontements par procuration entre bloc communiste
et bloc capitaliste, l’Afrique peine, aujourd’hui, à trouver le chemin de la stabilité. Le constat
qui se dégage, à la lecture de tous les événements qui rythment la vie de nombreux pays
africains, est que la fin du bipolarisme n’a pas sonné le glas des crises en Afrique. Bien au
contraire, de nouvelles formes de menaces sont apparues avec leurs conséquences qui
continuent de ruiner les perspectives de développement pour les populations africaines. La
quasi-disparition des guerres interétatiques en Afrique, a laissé place à la multiplication des
guerres civiles sur le continent, instaurant ainsi, des situations de ni guerre ni paix dans
plusieurs pays. Considérées comme des affrontements locaux, qui mettent aux prises les
communautés et/ou populations autochtones entre elles, les guerres civiles apparaissent
comme des guerres totales en ce sens que 90% des victimes sont les populations civiles. Ces
guerres se caractérisent par leur violence et impliquent davantage toutes les couches sociales.
Elles sont souvent nomades et sont à l’origine du développement du marché de l’insécurité. A
côté de ces guerres, on assiste à l’émergence de nouvelles formes de guerres sans combats qui
se déroulent sur des espaces de compétition et de prédation plus libres, moins encadrés et
pour des affrontements tout aussi réels et décisifs, mais non militaires, qui mettent aux abois
bien des sociétés modernes [1]. Selon le Contre-amiral Jean-Dufourcq, « On assiste, de ce fait,
aussi à une sorte de démilitarisation de la guerre. Il ne s’agit pas de la disparition des
antagonistes mais de leur installation brutale et décisive dans tous les secteurs où l’Etat est
insuffisant ou impotent et la communauté internationale impuissante » [2].

Aujourd’hui, la conflictualité du monde s’est déplacée sur le champ de la finance. On parle de


plus en plus de guerre économique. Ce type de guerre est évoqué pour désigner l’effort que
mène un Etat pour se procurer ou conserver des ressources rares, éventuellement avec des
acteurs publics. Il mobilise des collectivités, parfois des moyens régaliens, notamment
l’espionnage. Cette guerre « se fait selon les méthodes qui ne visent pas seulement à la
performance mais aussi à la puissance et modifient un rapport de forces, notamment en
affaiblissant le rival. Les principes de la stratégie s’y retrouvent sans peine. L’art de freiner le
concurrent, que ce soit en le décrédibilisant auprès de l’opinion ou en dressant devant lui des
obstacles juridiques n’en est pas la partie la plus négligeable » [3]. La guerre économique
suppose aussi de l’apparence et de la croyance, de l’image et de la réputation, de la séduction
ou de la répulsion. En gros, elle mobilise de l’influence au service de la puissance. Les pays
africains sont-ils outillés en ce moment pour faire face à ce genre de menace ? Nous en
sommes moins sûrs dans la mesure où les efforts de certains Etats sont centrés sur les
stratégies de prévention des guerres dites matérielles, comme les guerres civiles et les guerres
interétatiques.

Il faut, aussi, souligner que les nouveaux rapports de forces internationaux se traduisent, de
nos jours, par la guerre de l’information. C’est un concept très vaste qui englobe
instinctivement toutes les actions humaines, techniques et technologiques (opération
d’informations) permettant de détruire, de modifier, de corrompre, de dénaturer ou de pirater
l’information, les flux d’information ou des données d’un pays/Etat tiers, entité administrative,
économique ou militaire. Aucun pays, quel que soit sa puissance ou son niveau de
développement n’est à l’abri d’une éventuelle guerre de l’information. La première guerre du
golfe de 1991 avait montré à quel point la maîtrise de l’information et de ses technologies,
pouvaient contribuer à asseoir la suprématie d’une armée. Cette guerre de l’information peut
se manifester sous plusieurs formes. La cyberguerre apparaît comme l’une de ces
manifestations les plus connues. Selon François-Bernard Huyghe, le cyberespace est depuis
quelques années un cadre d’affrontement ou d’expression de puissances dans lequel agissent
acteurs étatiques et non étatiques [4]. Ainsi, confrontés au spectre des cyberattaques, aux
motivations diverses, nombreux sont les Etats qui ont placé la cybersécurité au rang d’enjeu de
sécurité et de défense nationales [5].

Le nouveau contexte géopolitique mondial est aussi marqué par la mondialisation des menaces
de plus en plus réelles. En effet, au moment où le monde actuel apparaît comme un village
planétaire, la proximité et l’interdépendance entre les sociétés qui composent la famille
humaine n’ont jamais été aussi étroites. Désormais, tout Etat qui aspire aux valeurs
démocratiques et qui est soucieux du bien être de son peuple ne peut prétendre vivre en vase
clos. A ce rendez-vous du donner et du recevoir, symbolisé par le phénomène de la
mondialisation, les différents acteurs du paysage des relations internationales, plus
particulièrement, les différents Etats (y compris les plus puissants économiquement et
militairement), sont guettés par des menaces de plus en plus protéiformes et transnationales.
Les attentats terroristes du 11 septembre 2001 et les attaques terroristes un peu partout, sont
autant d’exemples qui illustrent le caractère international de ces menaces. D’ailleurs, ces
événements malheureux du 11 septembre ont marqué un nouveau paradigme dans le paysage
des relations internationales, au point où, de nos jours, l’on parle d’un avant et d’un après 11
septembre 2001. Cela veut dire indirectement que plus jamais, le monde ne sera comme
auparavant. Avec la mondialisation des menaces, aucun pays n’est à l’abri d’une quelconque
attaque encore moins de ses conséquences.

Même s’il est communément admis qu’aucun continent n’échappe à ces menaces tous azimuts,
il n’en reste pas moins de faire remarquer que l’Afrique demeure de loin, la région la plus
exposée à cette insécurité internationale. Continent déjà meurtri et fragilisé par des
catastrophes naturelles, d’innombrables coups d’Etats et de sempiternels conflits qui ont
provoqué la déliquescence de nombreux Etats, l’Afrique est constamment confrontée à une
insécurité générale dont les conséquences, sur son développement, se font davantage
ressentir. Cet état des lieux du contexte géopolitique actuel montre qu’il existe, aujourd’hui, un
brouillage des frontières entre la sécurité intérieure et la sécurité extérieure. L’écart entre les
notions de défense et sécurité s’est progressivement réduit, alors que la gestion des menaces
et celles d’un certain nombre de risques se sont considérablement rapprochées. Ainsi,
désormais, une menace peut être à la fois locale, nationale, régionale, continentale et
mondiale. C’est, par exemple, la situation à laquelle le Nord du Mali est confronté. En effet, la
présence des groupes terroristes tels qu’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) ou le
mouvement pour l’unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) constituent à la fois une
menace pour tout le Mali, mais aussi, pour l’Afrique de l’Ouest, le continent africain et
l’Europe. En un mot, le fait que le Nord du Mali devienne le théâtre de jeu des groupes
terroristes, constitue une menace pour la paix et la sécurité internationales. La criminalité
transfrontalière, la contrebande et le développement du trafic de drogue vont souvent de pair
avec le développement du terrorisme.

Par ailleurs, la menace environnementale matérialisée par le réchauffement climatique


apparaît comme un grand défi auquel le monde devra faire face. Si cette menace est davantage
prise au sérieux par les grandes nations, qu’en est-il de la posture adoptée par les pays du Sud,
notamment les pays africains ? Pour le moment, aucune politique commune de lutte contre ce
fléau n’a été mise sur pied sur le continent. Et pourtant, il y a une décennie, en Afrique du Sud,
lors du sommet mondial sur le développement durable, qui s’est tenu le 02 septembre 2002 à
Johannesburg, Jacques Chirac tirait déjà la sonnette d’alarme. Dans un discours historique aux
allures de réquisitoire, l’ancien Président français faisait prendre conscience de cette menace
environnementale. Selon lui : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. La nature,
mutilée, surexploitée, ne parvient plus à se reconstituer et nous refusons de l’admettre.
L’humanité souffre. Elle souffre de mal-développement, au Nord comme au Sud, et nous
sommes indifférents. La terre et l’humanité sont en péril et nous en sommes responsables. Il
est temps d’ouvrir les yeux. Sur tous les continents, les signaux d’alerte s’allument. (…)
L’Afrique est accablée par les conflits, le SIDA, la désertification, la famine. Certains pays
insulaires sont menacés de disparition par le réchauffement climatique. Nous ne pourrons pas
dire que nous ne savions pas ! ». On comprend bien que le développement de ces nouvelles
formes de menaces exige une nouvelle conception des notions de défense et de sécurité afin
qu’elles soient mieux adaptées aux nouveaux enjeux mondiaux et aux réalités complexes
auxquelles les pays africains font face. C’est dans cet esprit que l’on parviendra à faire des
outils africains de défense, des instruments au service du développement et de la cohésion
sociale.

Assigner les missions de développement et de cohésion


sociale à la défense
L’histoire des institutions de défense en Afrique est intimement liée aux modes d’accessions
aux indépendances des pays africains et surtout aux systèmes politiques qui ont été, par la
suite, mis en place dans les jeunes Etats postcoloniaux. Une approche socio-historique de ces
institutions permet de distinguer deux types d’armées au moment des indépendances. D’une
part, « les armées classiques, issues d’une transition pacifique entre le pouvoir colonial et les
nouveaux gouvernements africains et d’autre part, les armées populaires [6], nées de
mouvements de libération nationale ou de guerres d’indépendance […] » [7]. Pendant
plusieurs décennies, ces deux types d’organisations militaires ont servi de cadre de référence
dans la description que l’on pouvait faire des outils de défense des pays africains. Toutefois,
malgré cette distinction formelle, l’on peut trouver un dénominateur commun aux armées
africaines, celui d’avoir été et dans une moindre mesure, de l’être toujours dans certains pays,
des instruments au service du pouvoir en place. En effet, au lieu de se consacrer, de façon
exclusive, aux missions qui leur sont dévolues, à savoir la défense du territoire national, des
intérêts vitaux et stratégiques du pays, et surtout, de servir de garant de la souveraineté
étatique, la quasi-totalité des armées africaines ont investi le champ politique en grippant
parfois les processus démocratiques enclenchés dans certains pays. Selon Dominique
Bangoura, ces armées « exercent des fonctions qui les éloignent de leur raison d’être. Elles
sont rapidement orientées par les nouveaux chefs d’Etats vers une fonction politique,
contrairement au principe de neutralité. La plupart des Présidents, qu’ils soient civils ou
militaires, les utilisent pour leur accession et leur maintien au pouvoir » [8]. Ce détournement
de la mission des armées africaines au profit des pouvoirs, a fait des outils africains de
défense, une source d’insécurité et de violence politique. Cette posture des armées africaines a
largement contribué à la fragilisation de certains Etats sur le continent. Une situation qui fait
de l’Afrique, le continent où le nombre de coup d’Etat est le plus élevé au monde. En 2012, les
putschs au Mali et en Guinée Bissau et le coup d’Etat en République centrafricaine en 2013,
ont traduit clairement que l’angoisse de voir le pouvoir revenir à nouveau au bout des fusils
dans plusieurs pays africains ne relève pas de la paranoïa. La Communauté internationale et
toutes les organisations régionales africaines condamnent, de façon unanime, ces pratiques
anti-démocratiques. Au-delà de ces condamnations, il est plus qu’urgent de penser autrement
la relation entre les Etats africains et leurs armées. Mieux, celles-ci devraient constituer des
outils au service du renforcement de la Démocratie.
Les réformes du secteur de la sécurité (RSS) menées un peu partout en Afrique devraient
permettre de donner une nouvelle impulsion dans les missions confiées aux armées africaines
en matière de défense et de sécurité. En effet, du fait des besoins sécuritaires spécifiques de
chaque pays, les différentes réformes opérées dans le secteur de la sécurité en Afrique se
déroulent en fonction des réalités complexes qui tiennent compte des dynamiques historiques,
politiques, sociales et culturelles qui ont contribué à forger le secteur de la sécurité dans ces
différents contextes nationaux [9]. Au regard de ces différents contextes, nous pouvons dire
que les processus de RSS sur le continent africain sont, avant tout, des réformes politiques qui
contribuent au développement socioéconomique des pays concernés et à l’émergence de
structures politiques stables. « Ils permettent entre autres de re-légitimer l’État, de renforcer
sa fonction régulatrice et de responsabiliser les différents acteurs du secteur de la sécurité en
les sortant du champ politique pour les remettre à leurs places » [10].

Ces réformes devraient permettre aux armées africaines de consolider davantage leur fonction
d’intégration sociale. Cela se traduit par le recrutement, dans un même creuset, des fils et
filles provenant de toutes les régions et de toutes les ethnies de chaque pays africain. Si pour
des considérations politiques ou tribales les dirigeants africains préfèrent sélectionner des
troupes politiquement fiables, qu’ils peuvent manipuler et contrôler, l’urgence de faire des
armées africaines, le ciment de la cohésion sociale s’impose. Cela est incontournable dans le
processus devant mener au renforcement des capacités des Etats en Afrique. C’est aussi un
premier pas dans la professionnalisation des armées car la question des ressources humaines
constitue un pilier important à prendre en compte dans toute réforme des systèmes de
défense. La composition des armées africaines doit, donc, être à l’image de la diversité
ethnique de chaque pays et, surtout, symboliser l’unité nationale. Cela doit passer par la mise
en place d’un système de sélection, de recrutement qui ne discrimine aucun citoyen des pays
en question. Car, la défense d’un pays repose avant tout sur la volonté déterminée de ses
citoyens de se battre, s’il le faut, pour sauvegarder un « bien commun », ensemble d’acquis et
d’aspirations spirituels et matériels [11]. En tant que garantes de l’unité, les armées africaines
doivent, donc, être le miroir de la société plurielle dans laquelle tous les citoyens pourront se
reconnaître. Elles doivent, de ce fait, jouer un rôle de premier plan dans la stabilisation et la
démocratisation des pays africains. Cette mission devrait nécessairement passer par une
nouvelle relation que l’institution de défense devra tisser avec l’Etat.

Pour qu’elles soient des instruments au service du développement, les armées africaines
devraient s’impliquer davantage dans des tâches extramilitaires comme la construction de
routes et de ponts...

Les missions confiées aux armées africaines doivent évoluer et s’adapter aux contextes
géopolitiques actuels. Elles doivent contribuer à la stabilité politique et au développement
national. Cela passe par une redéfinition stratégique du rôle que l’armée est appelée à jouer
dans la construction de la nation. Il faut dire que, pendant longtemps, « la figure du soldat
africain a été dominée par celle du « sobel », barbarisme désignant le militaire africain comme
étant à la fois un soldat et un rebelle, ennemi de la paix » [12]. Du coup, la plupart des Etats
africains, à travers leurs outils de défense, ont été générateurs d’insécurité et de violence
politique. Cette dernière s’est souvent manifestée sous la forme de coups d’Etat, de crimes et
massacres, de répressions, de rébellions armées, de guerres civiles et d’émeutes [13].
Cependant, depuis quelques années, on assiste à une mutation profonde dans la mission qui est
assignée aux armées africaines. Non seulement, les militaires africains deviennent des faiseurs
de paix à travers les opérations de maintien de la paix auxquelles ils prennent part, mais ils
s’érigent aussi en constructeur des territoires où ils sont déployés et s’impliquent davantage
dans les missions de sécurité, de soutien humanitaire des populations et de
développement [14]. Ce sont de telles missions qu’il faut confier davantage aux armées
africaines dans le cadre du renforcement des capacités des Etats en Afrique. C’est à travers
ces missions de développement que l’armée se rapproche davantage de la population. Par
exemple, la mise en place de programmes de service civique d’aide au développement (SCAD)
dans certains pays africains, par le Général de corps d’armée Bruno Clément-Bollée, a permis
aux armées des pays concernés, de contribuer à la formation professionnelle de jeunes civils.
Ce qu’on peut constater, c’est qu’il faut une volonté politique forte pour que ce genre de
programme produise les effets escomptés.

Pour qu’elles soient des instruments au service du développement, les armées africaines
devraient s’impliquer davantage dans des tâches extramilitaires comme la construction de
routes et de ponts, l’agriculture, l’élevage, la formation et l’éducation. Mieux, elles doivent
contribuer à la sécurisation du développement. « Il s’agit d’assurer la protection des
ressources nationales très convoitées (diamant, or, pétrole, caoutchouc, bois, etc.) de veiller
sur le patrimoine économique, les lieux et industries de production, afin d’éviter leur pillage ou
leur sabotage » [15]. On comprend, donc, que confier des tâches civiles à l’armée est une
nécessité pouvant contribuer au développement des pays africains, ainsi qu’au renforcement
leurs capacités. Pour des organisations internationales comme la Banque mondiale et
l’Organisation des nations unies (ONU), la sécurité et la défense constituent des piliers de la
stabilité, essentielles au développement et à la croissance économique. C’est pourquoi au-delà
de la défense, il est plus qu’urgent pour les Etat africains de redéfinir la conception qu’ils ont
pour leurs outils de sécurité.

Envisager la sécurité dans une perspective globale


L’Afrique souffre d’un véritable déficit sécuritaire. Cela se traduit, entre autres, par des
violations massives des droits humains les plus élémentaires, observés un peu partout dans les
pays qui composent le continent et surtout le manque de vision stratégique des différents Etats
et gouvernements sur les questions de sécurité. Pourtant, aussi paradoxal que cela puisse
paraître, des chefs d’Etats africains, préoccupés le plus souvent à trouver des voies et moyens
à se maintenir au pouvoir, n’hésitent pas à investir des moyens colossaux dans des systèmes de
sécurité propres à eux et qui peuvent contribuer à la sauvegarde de leurs régimes. Et ce, au
mépris total de la sécurité de leurs peuples. « Les actions aussi diverses que la protection du
gouvernement en place plutôt que des citoyens abandonnés à une insécurité chronique, la
criminalisation de l’opposition politique, le recours à des unités spéciales et privées de sécurité
(plutôt que la sécurité publique), le détournement des missions des forces de sécurité à des
tâches de maintien de l’ordre politique, l’implication massive des militaires dans les actions de
sécurité interne et le monopole du contrôle de sécurité par l’exécutif ont été observés
(…) » [16] un peu partout en Afrique. A travers l’analyse de ces exemples qui sont tout de
même légion sur le continent, nous constatons qu’il existe un décalage criard entre le concept
de sécurité, pensé et développé par les pays africains et les situations d’insécurité auxquelles
les peuples sont confrontés. En effet, les différentes politiques de sécurité mises en place dans
les pays africains sont essentiellement portées sur la sécurité d’Etat. Celle-ci peut se définir
comme étant une forme de politique sécuritaire axée sur la défense des institutions de l’Etat (y
compris le régime en place). Malgré l’accent mis par les Etats africains sur ce type de sécurité,
le nombre de rébellions et de coups d’Etat observés sur le continent, constitue un véritable
baromètre des carences, voire de l’inefficacité de ces politiques sécuritaires. C’est à la lumière
de ces échecs constatés et au regard de leurs conséquences drastiques et dramatiques sur la
vie des populations africaines que nous estimons qu’il est temps de penser autrement les
politiques de sécurité dans les différents pays africains. Pour cela, les dispositifs sécuritaires
des pays africains devraient être envisagés dans une perspective globale. Cela suppose d’aller
au-delà de la sécurité d’Etat et de tenir compte des nouvelles menaces qui guettent bon
nombre de pays africains. Selon Jean-François Daguzan, la sécurité globale « doit répondre
prioritairement à une nouvelle philosophie des besoins. La notion de sécurité globale répond à
un besoin de sécurité « individuelle » du citoyen alors que la défense répond à une vision plus
« collective ». Le droit à « la sécurité humaine » s’impose de plus en plus. Il ne s’agit pas d’une
sécurité exclusivement « sécuritaire » (la protection contre les malveillances) mais d’une
notion globalisante, telle que définie par l’Unesco, impliquant l’accès à un environnement
sécurisé (sur le plan écologique), à l’accès aux besoins primaires comme l’eau ou l’énergie et
aux services de base : poste, banque, télécoms, grandes infrastructures de transports, de
santé, d’information, etc. » [17]. Il faut reconnaître que la mise en œuvre d’une politique de
sécurité globale dans les pays africains est un véritable parcours du combattant. Son évolution
résulte de changements d’équilibres dans plusieurs sphères fondamentales qu’il s’agit de
rapprocher et d’articuler plus complètement : échelon national et échelon africain,
responsabilités publiques et privées, partage entre le collectif et le citoyen, aspects militaires
et civils, finalités spécifiques et finalités multiples, actions locales et globales, dialectique entre
sécurité et liberté, relation avec la technologie [18]. En se référant à la définition que nous
avons mentionnée plus haut, la sécurité globale peut être perçue comme un système fondée
sur la sécurité humaine. Celle-ci recouvre la sécurité économique, alimentaire,
environnementale, personnelle, communautaire et politique. Selon l’approche du programme
des Nations unies pour le développement (PNUD), la sécurité humaine est caractérisée par le
fait d’être « à l’abri des menaces chroniques que constituent la faim, la maladie et la
répression ainsi que par la protection contre les événements soudains et dangereux dans le
cours de sa vie quotidienne, que ce soit dans le foyer, au travail ou au sein des communautés ».
La sécurité humaine permet, donc, à tout citoyen de « vivre à l’abri de la peur et du besoin » et
contribue au développement humain. Elle se caractérise par son universalité,
l’interdépendance entre les différents éléments qui la composent. Elle se focalise sur l’individu
et contribue à la prévention des conflits. En un mot, c’est un véritable outil de lutte contre la
misère sous toutes ses formes. Elle permet également de lutter contre les inégalités sociales de
plus en plus fortes dans les pays africains.

Envisager la sécurité dans une perspective globale, c’est tenir compte du contexte géopolitique
régional, voire mondial, dans l’élaboration des politiques nationales de sécurité sur le
continent. Dans un monde de plus en plus considéré comme un village planétaire, on assiste à
une sorte de mondialisation des menaces. Ainsi, la sécurité intérieure peut se trouver entravée
par des facteurs souvent exogènes même au continent africain. Selon Joseph Vitalis, Cette
sécurité est menacée par des identités, des pouvoirs, des violences et des trafics
transnationaux dont le catalyseur se trouve souvent dans ces pays occidentaux : débouchés des
filières du diamant, du coltan, des ventes d’armes, de la drogue, etc. [19]. Cet enchevêtrement
des questions de sécurité intérieure et extérieure n’exclut pas l’existence de problèmes de
sécurité externe des pays africains qui, à notre avis, sont à régler par coopération entre les
forces publiques régionales plutôt que par une intervention des unes sur le territoire des
autres [20]. D’ailleurs, les différentes communautés économiques régionales (CER) africaines
devraient penser à mettre sur pied des systèmes d’alertes précoces (SAP) dans leurs
différentes zones géographiques, afin de mieux prévenir les crises. Le moment est aussi venu
pour ces organisations régionales de mettre en place des brigades d’intervention rapide (BIR)
qui seraient opérationnelles et prêtes à être déployées, dans les meilleurs délais, lorsque les
systèmes d’alertes précoces n’ont pas permis d’éviter l’éclatement d’éventuelles crises. Car, en
période de conflit, le temps constitue une donnée à prendre en compte dans la nature et
l’efficacité d’une éventuelle intervention.

Le développement de la sécurité globale en Afrique représente la meilleure façon de prévenir


les conflits sur le continent en ce sens qu’elle se fonde sur une démarche capacitaire
d’anticipation, de gestion de crise et de résilience. Cette démarche s’articule autour de deux
axes : un axe portant sur le traitement amont de la sécurité et un second qui répond à l’aval
lorsque les effets redoutés sont produits [21]. « Les capacités amont sont particulièrement
importantes parce que ce sont elles qui brident les malveillances ou fournissent les alertes, et
constituent ainsi la source majeure de sécurité. Leur impact est largement visible, elles
touchent l’ensemble de la société dans son fonctionnement normal et quotidien. (…) Les
capacités aval sont là pour remédier à ce que l’amont n’a su déjouer. Dans le domaine du
terrorisme, il faut répondre à la technicité et l’inventivité des agresseurs face à des sociétés
technologiques plus vulnérables par le renforcement d’un certain nombre de capacités » [22].

Même si l’Afrique est souvent définie en marge de la mondialisation par les afro-pessimistes,
force est de constater que le continent subit, de plein fouet, les effets pervers de la
globalisation. L’évolution du contexte géopolitique mondial et africain suppose une redéfinition
des concepts de sécurité et de défense afin qu’ils soient davantage adaptés aux réalités des
pays africains. La paix tout comme la sécurité ne peut émerger que dans des contextes
favorables aux respects des droits humains. Les Etats africains devraient garantir la protection
de leurs citoyens et tout mettre en œuvre pour assurer leur développement humain. Pour y
parvenir, il est urgent de prendre en compte les questions de défense et de sécurité dans le
développement du continent africain. Mieux, elles doivent faire l’objet d’adaptations au
contexte géopolitique actuel, eu égard aux nouveaux enjeux mondiaux. L’Afrique doit, donc,
s’outiller davantage afin de mieux faire face aux enjeux sécuritaires de la mondialisation. Si,
pendant longtemps, les chefs d’Etats africains ont opté pour des politiques de défense et de
sécurité leur permettant d’assurer la longévité de leurs régimes, le moment est venu de
tourner la page à ces mécanismes qui exposent les populations africaines à l’insécurité
chronique. Il est temps que l’ensemble des pays africains mènent, de façon collective ou
individuelle, une réflexion à la fois profonde et scientifique sur les questions de défense et de
sécurité. Cela doit absolument passer par l’émergence d’une pensée stratégique africaine à
laquelle il faudra associer la nouvelle génération d’intellectuels africains.

Copyright Mai 2014-Konadje/Diploweb.com


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P.-S.

Docteur en science politique, consultant en géopolitique et relations internationales, expert en


maintien de la paix et spécialiste de la défense, de la sécurité et de la sociologie militaire.
Chercheur au Laboratoire ERIAC (Equipe de recherche interdisciplinaire sur les aires
culturelles), enseignant à l’Université de Rouen et d’autres Universités françaises.

Notes

[1] Jean Dufourcq, « De la guerre à la paix au XXIe siècle », in


ecoledelapaix.org/forum/ ?page_id=580 (site internet consulté le 30 décembre 2012).

[2] - Ibid.

[3] François-Bernard Huyghe, « Guerre économique, une tentative de définition »,


huyghe.fr/actu_694.htm (site internet consulté le 30 décembre 2012).

[4] Voir huyghe.fr/livre_43.htm (site internet consulté le 30 décembre 2012).

[5] Daniel Ventre, Cyberguerre et guerre de l’information : stratégies, règles, enjeux, Paris,
Ed. Lavoisier, 2010, 319 p.

[6] -Notons que deux catégories d’armées populaires sont à distinguer. La première
concerne les armées nationales populaires qui ont émergé à la suite d’une lutte politique,
militaire voire d’une guerre d’indépendance. La seconde regroupe les armées populaires
d’Etat d’Afrique noire francophone qui ont vu le jour à la suite d’un brusque changement de
régime politique.

[7] Dominique Bangoura, « les armées africaines face au défi démocratique »,


afrology.com/soc/armees_afrique.html (site internet consulté le 29 décembre 2012).

[8] - Ibid.

[9] Jean-Jacques Konadje, « les réformes du secteur de la sécurité vues d’Afrique » in Revue
défense nationale, Mai 20012, pp. 47-53.

[10] Ibid.

[11] Jean-Luc Mathieu, La défense nationale, Paris, Ed. PUF, 2003, p. 3.


[12] Axel Augé, « Les armées africaines et le développement : une nécessaire
transformation » in bulletin du maintien de la paix,
operationspaix.net/data/bulletinpaix/3.pdf , P. 1.

[13] Comme le disait Houphouët-Boigny, la plupart des armées africaines « ne tiennent leur
existence que de satisfaire un « faux prestige » car elles seront toujours fortes pour
réprimer la population mais jamais assez pour exécuter leurs tâches républicaines ».

[14] Axel Augé, Op.cit, p. 1.

[15] Dominique Bangoura, « les armées africaines face au défi démocratique »,


afrology.com/soc/armees_afrique.html (site internet consulté le 6 novembre 2012).

[16] Axel Augé, « les réformes du secteur de la sécurité et de la défense en Afrique sub-
saharienne : Vers une institutionnalisation de la gouvernance du secteur sécuritaire »,
Afrique contemporaine, 2006/2 N° 218, P. 49-67.

[17] - Jean-François Daguzan, « Une stratégie pour piloter la sécurité globale », Note de la
Fondation pour la recherche stratégique, 5 avril 2007, P. 2.

[18] - Ibid. P. 1.

[19] - Joseph Vitalis, La réforme du secteur de sécurité en Afrique : Contrôle démocratique


de la force publique et adaptation aux réalités du continent, Afrique contemporaine, n°209,
2004, PP. 65-79.

[20] - Ibid.

[21] -Jean-François Daguzan, Op.cit, P. 2.

[22] - Ibid. p. 3.

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