Masao Maruyama Le Fascisme Japonais
Masao Maruyama Le Fascisme Japonais
Masao Maruyama Le Fascisme Japonais
dirigée
par
Christian Galan
et
Emmanuel Lozerand
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Chokokkashugi no ronri to shinri / Nihon Fashizumu no shiso to kodo /
Gunkoku shihaisha no seishin keitai
© 1946, 1947, 1949, 2011, Tokyo Woman’s Christian University.
Publié pour la première fois en 2003 par Iwanami Shoten, Publishers,
Tokyo.
© Les Belles Lettres, 2021
Edition française publiée en accord avec le propriétaire c/o Iwanami
Shoten, Publishers, Tokyo, Japon.
ISBN : 978-2-251-91722-1
● PRÉFACE
JOHANN CHAPOUTOT
1918-1921
Émeutes du riz. Vague de grèves dans l’industrie, début
de l’augmentation des conflits du fermage. Apparition de
nombreuses sociétés nationalistes. Création de la
Société de la pérennité (Kita Ikki, Ôkawa Shûmei,
Mitsukawa Kametarô).
1922
Traité de limitation des armements navals de
Washington (février). Fin de l’expédition de Sibérie.
1924
Ôkawa Shûmei crée la Société de la pratique terrestre
(Nishida Zei, Mitsukawa Kametarô, Yasuoka Masahiro).
Hiranuma Kiichirô crée l’Association des principes
nationaux.
1925
Loi sur le maintien de l’ordre public (avril). Loi
instaurant le suffrage universel masculin (mai).
Réduction des effectifs de l’Armée de terre (le nombre
des divisions passe de 21 à 17).
1926
Premier cabinet Wakatsuki (janvier). Akao Bin crée la
Société de la fondation nationale, qui regroupe plusieurs
courants de l’extrême droite pendant quelques mois
(février). Scission du Parti des ouvriers et des paysans
en trois courants ; le Parti communiste se reforme
clandestinement (décembre).
1927
Formation du cabinet Tanaka (Seiyûkai, avril). Nishida
Zei crée le Parti de l’épée céleste pour diffuser les idées
de Kita Ikki dans l’armée (juillet).
1928
Premières élections de la Chambre basse au suffrage
universel masculin (février). Arrestation de 1 600
personnes soupçonnées d’être membres du Parti
communiste ; Fujii Hitoshi crée la Société des soldats
impériaux (mars). Les organisations du courant
prolétarien « Ouvriers et paysans » sont interdites
(avril). Incident de Jinan (mai). Aggravation de la loi sur
le maintien de l’ordre public ; assassinat du seigneur de
la guerre Zhang Zuolin par des militaires japonais (juin).
Le Japon signe le Pacte Briand-Kellog de renonciation à
la guerre (août).
1929
Nouvelle série d’arrestations de militants communistes
(avril). Démission du cabinet Tanaka, formation du
cabinet Hamaguchi (Minseitô), début de la politique
étrangère de conciliation menée par Shidehara Kijûrô
(juillet).
1930
Suppression de l’embargo sur l’or (janvier), début de la
crise économique. Victoire du parti Minseitô aux
élections à la Chambre basse (février). Signature du
traité naval de Londres, début d’une campagne de
protestation contre « l’usurpation de la prérogative de
commandement suprême » (avril). Création de la
Société de la fleur de cerisier (septembre). Attentat
contre le Premier ministre Hamaguchi Osachi
(novembre).
1931
Affaire de mars : projet de coup d’État militaire
organisé par la Société de la fleur de cerisier. Création
du Comité national des patriotes pour l’unité de lutte
(mars), du Parti de la production du Grand Japon (juin).
Incident de Moukden, début de l’invasion de la
Mandchourie (septembre). Affaire d’octobre : projet de
coup d’État militaire organisé par la Société de la fleur
de cerisier, dont les dirigeants sont arrêtés. Démission
du cabinet Wakatsuki (Minseitô) et formation du cabinet
Inukai (Seiyûkai), dans lequel Araki Sadao est ministre
de l’Armée de terre (décembre).
1932
Bataille de Shanghai (janvier-mars). Large victoire du
parti Seiyûkai aux élections à la Chambre basse ; Ôkawa
Shûmei crée la Société de Jinmu (février). Assassinats
de la Ligue du sang (février, mars). Création de l’État du
Mandchoukouo (mars). Des scissionnaires des partis de
gauche approuvant l’invasion de la Mandchourie fondent
le Parti social-nationaliste (avril). Tentative de coup
d’État du 15 mai, assassinat du Premier ministre Inukai,
formation du cabinet Saitô (union nationale).
Shimonaka Yasaburô crée l’Alliance nationale du
nouveau Japon (mai). Fusion des partis prolétariens
dans le Parti social des masses (juillet). Le Japon
reconnaît l’indépendance du Mandchoukouo
(septembre).
1933
Le Japon quitte la Société des nations (mars).
Armistice de Tangku, fin de la conquête du Jehol,
incorporé au Mandchoukouo (mai). Le ministère de
l’Éducation suspend le professeur Takigawa Yukitoki,
accusé de fonder sa théorie du droit pénal sur des idées
marxistes ; ses collègues de la faculté de droit de
l’Université de Kyoto démissionnent collectivement en
protestation (mai-juin). Affaire de la Shinpeitai (juillet).
Pic des arrestations en vertu de la Loi sur le maintien de
l’ordre public.
1934
Le général Araki quitte le gouvernement (janvier). Le
cabinet Saitô est contraint à la démission après un
scandale financier, formation du cabinet Okada (juillet).
Le ministère de l’Armée de terre publie et diffuse
largement une brochure contenant des propositions
pour le renforcement de la défense nationale (octobre).
Affaire de l’École des officiers (novembre). Le
gouvernement annonce que le Japon ne signera pas le
renouvellement du traité naval de Londres (décembre).
1935
Début de l’affaire de la monarchie-organe (février).
Accords Ho-Umezu et Chin-Doihara, qui interdisent le
nord de la Chine aux troupes et aux activités du
Kuomintang (juin). Éviction du général Mazaki du poste
d’inspecteur général de l’enseignement militaire,
assassinat du général Nagata par le lieutenant-colonel
Aizawa (août). Déclarations gouvernementales
condamnant les thèses du juriste Minobe Tatsukichi sur
la monarchie-organe (août, octobre). Pic des conflits du
fermage (près de 7 000 sur l’ensemble de l’année).
1936
Le Japon quitte la seconde conférence navale de
Londres (janvier). Le Parti social des masses obtient 18
députés à la Chambre basse (février). Tentative de coup
d’État du 26 février. Interdiction des manifestations du
1er mai (mars). Démission du cabinet Okada, formation
du cabinet Hirota (mars), qui rétablit la règle selon
laquelle le ministre de l’Armée de terre doit être un
officier d’active (mai) et accroît considérablement les
budgets militaires. Arrestation d’une trentaine
d’intellectuels marxistes liés à la « faction du Cours »
(juillet). L’Association des réservistes est placée sous le
contrôle des ministères de l’Armée de terre et de la
Marine (septembre). Signature du Pacte anti-Komintern
(novembre).
1937
É
Échange « du hara-kiri » entre le député Hamada
Kunimatsu et le général Terauchi, ministre de l’Armée
de terre (janvier). Le ministère de l’Éducation publie et
diffuse Les Principes de l’État impérial (mars). Le Parti
social des masses obtient 36 députés à la Chambre basse
(avril). Formation du premier cabinet Konoe (juin).
Incident du Pont Marco Polo, début de la guerre sino-
japonaise (juillet). Début de la campagne de
mobilisation générale de l’esprit national (septembre).
Création de l’Agence de planification (octobre).
Arrestation d’environ 450 militants d’extrême gauche ;
massacre de Nankin (décembre).
1938
Konoe annonce que le Japon cesse de négocier avec le
Kuomintang (janvier). Arrestation d’un groupe
d’universitaires liés au courant « Ouvriers et paysans »
(février). Loi de mobilisation générale (avril). Création
de la Ligue patriotique de l’industrie, destinée à
contrôler la main-d’œuvre des usines (août). Déclaration
de Konoe sur l’ordre nouveau en Asie orientale
(novembre). Le Japon quitte l’Organisation
internationale du travail.
1939
Cabinet Hiranuma, dont plusieurs ministres étaient
déjà présents dans le cabinet Konoe (janvier). Défaite de
Nomonhan (frontière mongolo-mandchoue) contre
l’armée soviétique ; décret sur la réquisition de la main-
d’œuvre pour les industries (juillet). Hiranuma
démissionne après la signature du pacte germano-
soviétique, estimant désormais impossible le
renforcement de l’alliance avec l’Allemagne contre le
communisme qu’il avait recherché (août).
1940
Le ministère de l’Éducation demande et obtient le
renvoi du professeur Tsuda Sôkichi de l’Université
Waseda (janvier). La Chambre basse exclut le député
Saitô Takao (Minseitô) pour un discours contre l’armée
et la guerre en Chine (mars). Konoe Fumimaro lance le
Mouvement pour un nouveau régime (mai). Formation
du deuxième cabinet Konoe (juillet). Pacte tripartite
fondant l’axe militaire Rome-Berlin-Tokyo ; le ministère
de l’Intérieur impose le rattachement de chaque foyer à
un comité de quartier (septembre). Dissolution des
partis et création de l’Association de soutien au Trône ;
création du Centre de recherches sur la guerre totale
(octobre). Dissolution des syndicats et création de
l’Association patriotique de l’industrie (novembre).
Célébration du 2 600e anniversaire de la fondation du
Japon (novembre).
1941
Le ministère de l’Éducation publie et diffuse La Voie
des sujets (mars). Pacte de non-agression nippo-
soviétique (avril). Le gouvernement regroupe les
sociétés panasiatistes dans l’Alliance du Grand Japon
pour l’essor de l’Asie (juillet). Attentat contre Hiranuma
Kiichirô (août). Démission du cabinet Konoe, formation
du cabinet Tôjô (octobre). Loi rendant obligatoire le
service patriotique du travail pour tous les hommes de
14 à 40 ans et pour les femmes célibataires de 14 à 25
ans (novembre). Attaque de la base américaine de Pearl
Harbor, début de la guerre du Pacifique ; loi d’urgence
sur le contrôle de l’expression des opinions, de l’édition,
des assemblées et des associations ; loi pénale spéciale
pour le temps de guerre (décembre).
1942
Création de la Ligue de la jeunesse du Grand Japon
pour le soutien au Trône (janvier). Le gouvernement
regroupe les associations féminines officielles et
indépendantes dans l’Association des femmes du Grand
Japon, placée sous la tutelle collective de six ministères
(février). Élections « de soutien au Trône » (avril).
Création de l’Association politique de soutien au Trône,
de l’Association patriotique de la littérature (mai).
Création de l’Association patriotique de la presse du
Grand Japon (décembre). Parmi les arrestations en
vertu de la Loi sur le maintien de l’ordre public, le
nombre des personnes classées dans la catégorie
« extrême gauche » est pour la première fois inférieur au
total des arrestations classées dans les catégories
« religieux » et « indépendants ».
1943
Arrestation des membres du Centre de recherches sur
les sciences de l’esprit, groupe d’extrême droite proche
de Minoda Muneki, accusés de marxisme pour avoir
critiqué le cabinet Tôjô (février). Loi spéciale sur
l’extension du pouvoir exécutif pour le temps de guerre
(mars). Aggravations de la loi pénale spéciale pour le
temps de guerre (mars, octobre). Série d’arrestations à
l’Université des études commerciales d’Ôsaka (mars-
décembre). Conférence de la Grande Asie orientale
(novembre). Suppression des sursis d’incorporation
pour les étudiants âgés d’au moins 20 ans, sauf dans les
filières techniques et scientifiques ; arrestation et
suicide de Nakano Seigô (octobre).
1944
Arrestation des équipes de rédaction des revues Kaizô
et Chûô kôron (janvier), dont la publication est
interdite peu après. Chute de Saipan, démission du
cabinet Tôjô, formation du cabinet Koiso (juillet). Début
des exercices de défense du territoire national à la pique
de bambou.
1945
Mémoire de Konoe à l’empereur demandant
l’ouverture de négociations avec les États-Unis pour
éviter une révolution au Japon (février). Loi sur la levée
en masse, prévoyant l’incorporation de tous les hommes
de 15 à 60 ans et des femmes de 17 à 40 ans dans la
Milice nationale (mars). Formation du cabinet Suzuki (7
avril-17 août). Vague d’arrestations dans les équipes de
rédaction de plusieurs journaux et revues (avril-juin).
L’Association de soutien au Trône et les organisations
qui en dépendent sont dissoutes dans la Milice nationale
(juin) ; aggravation de la loi pénale spéciale pour le
temps de guerre (juin). Le Japon accepte les conditions
de la déclaration de Potsdam sur la reddition totale du
Japon (14 août). Allocution impériale annonçant la
capitulation (15 août). Arrestation du général Tôjô par
le Grand quartier général américain (septembre). Début
des procès pour crimes de guerre de catégorie B et C au
Tribunal militaire international de Yokohama ; le Grand
quartier général américain décide l’arrestation d’environ
soixante-dix personnes soupçonnées de crimes de
catégorie A, dont Kido Kôichi, Hiranuma Kiichirô,
Hirota Kôki ; Konoe Fumimaro se suicide avant d’être
arrêté (décembre).
1946
Rescrit impérial sur la construction d’un nouveau
Japon, contenant la « déclaration de non-divinité » de
l’empereur (1er janvier). Maruyama publie « Logique et
psychologie de l’ultranationalisme » (mai). Début du
procès de Tokyo (mai 1946-novembre1948).
Promulgation de la nouvelle Constitution (novembre).
● LOGIQUE ET PSYCHOLOGIE DE
L’ULTRANATIONALISME (MAI 1946)
1
Pour désigner l’idéologie qui a plongé la nation
japonaise dans la servitude pendant tant d’années, qui
l’a poussée à mener cette guerre avec le monde dont
nous venons de sortir, on parle dans les pays alliés
d’ultranationalisme ou de nationalisme extrême. Cette
approximation commode, toutefois, ne nous renseigne
guère sur ce dont il s’agit au fond et qui ne paraît pas
avoir encore été suffisamment étudié. Aujourd’hui, les
commentaires s’attachent presque exclusivement aux
déterminations économiques et sociales de cet
ultranationalisme, mais ni au Japon ni à l’étranger, on
ne cherche véritablement à en analyser la structure
intellectuelle ou les racines psychologiques.
On pourrait dire, sans doute, que le problème est trop
simple, comme on pourrait dire qu’il est trop complexe.
Il paraît trop simple parce qu’en l’absence d’organisation
conceptuelle unifiée, devant des slogans tels que « Le
monde entier sous un seul toit ! » ou « Expansion de la
Voie impériale », on se dit qu’il n’y a là que des
vociférations qui ne méritent pas qu’on se penche sur
elles pour les analyser. Assurément, le contraste saute
aux yeux lorsque l’on compare avec le nazisme, auquel
Mein Kampf ou Le Mythe du XXe siècle ont donné une
vision du monde systématique. Cependant, s’il est vrai
qu’il manque à l’ultranationalisme japonais un
fondement doctrinal officiel, on ne doit pas en conclure
qu’il n’aurait eu aucune force en tant qu’idéologie. Mille
filets invisibles ont été jetés sur les esprits de nos
compatriotes, qui ne sont encore qu’imparfaitement
délivrés de cet envoûtement. Or la faible conscience
politique des Japonais ne doit pas être imputée
seulement à la pression extérieure du pouvoir
institutionnel. Ce qu’il nous faut comprendre, en effet,
c’est la nature de la contrainte psychologique qui a
imprégné les organes de pouvoir et entraîné dans une
certaine direction les pensées et les actes des Japonais.
L’absence de théorie claire, ajoutée à l’entrelacs de
racines intellectuelles multiples, rend très difficile une
saisie de l’ensemble. C’est pourquoi on ne doit pas
écarter les slogans simplistes sous prétexte qu’il n’y
aurait là que de la démagogie. Il importe au contraire de
dégager la logique sous-jacente et commune à toutes ces
expressions dispersées et aux diverses manières dont
elles ont été mises en œuvre. Ce n’est pas par
masochisme, en tout cas, que j’entreprends d’exhumer
ainsi notre passé douloureux. « L’aube d’une ère
nouvelle, comme le dit Lassalle, ne se lève que lorsqu’on
parvient à prendre conscience de ce que la réalité a été
jusque-là1. » Aucune révolution authentique dans
l’esprit des Japonais ne serait à espérer si un tel effort
était négligé.
En ce sens, le présent essai veut moins répondre à la
question que tenter de préciser le problème et en faire
voir toute l’étendue.
2
Avant tout, il faut demander ce qui justifie que le
nationalisme japonais soit dit « ultra » ou « extrême ».
Le nationalisme, en effet, paraît consubstantiel à l’État
moderne. L’État moderne, n’est-ce pas l’« État-nation » ?
Comment distinguer alors l’ultra-nationalisme du
nationalisme inhérent à tout État ? Certains, j’imagine,
répondront aussitôt que c’est la tendance impérialiste,
ou le militarisme, qui justifie l’épithète ultra. Pourtant,
É
la formation des États-nations a commencé avec
l’absolutisme, dont tous les exemples montrent des
guerres qui visaient ouvertement à envahir d’autres
pays. À s’en tenir là, on devrait donc dire que la
tendance à l’expansionnisme militaire n’a pas attendu
l’impérialisme de la fin du XIXe siècle pour constituer
l’impulsion fondamentale du nationalisme. Pour que le
nationalisme japonais ait eu un caractère vraiment
« ultra », il ne faut pas seulement qu’il ait été plus
violent dans son impulsion, plus cru dans ses
manifestations, il faut encore que les mobiles de son
expansion, vers l’extérieur, ou de l’oppression qu’il a
exercée, à l’intérieur, révèlent une différence de nature.
L’un des caractères déterminants de l’État moderne
européen est ce que Carl Schmitt appelle sa neutralité2.
L’État moderne est neutre en ce sens qu’il ne se
prononce pas sur des questions comme la vérité ou la
morale, c’est-à-dire sur les valeurs en tant qu’elles ont
un certain contenu. Il abandonne entièrement les choix
et les jugements de valeur soit à des institutions
sociales, par exemple aux Églises, soit à la conscience
des individus. Sa souveraineté est assise sur une
instance légale purement formelle et indépendante des
questions de valeur. Cet État moderne, comme on sait, a
pris son essor au cours des longues années des guerres
de religion qui ont suivi la Réforme, aux XVIe et
XVIIe siècles. Les luttes interminables autour des
questions de foi et de théologie ont fini par faire
renoncer les différents courants religieux à l’ambition de
réaliser politiquement leurs croyances. D’autre part, la
monarchie absolue a elle aussi rencontré une féroce
résistance dans sa tentative de monopoliser la valeur
substantielle en agitant la théorie du droit divin. Elle a
dû progressivement abandonner celle-ci et légitimer sa
domination en devenant la garante d’un ordre public
extérieur aux consciences. Un compromis s’est ainsi mis
en place entre gouvernants et gouvernés, qui réserve
aux premiers l’aspect formel, extérieur et public,
laissant aux seconds tout ce qui est intérieur et privé.
Les questions intellectuelles, de foi et de morale
relevant désormais du seul domaine privé, l’intériorité
subjective s’en trouve garantie, tandis que la puissance
publique est absorbée dans un système juridique qui
prend un caractère de plus en plus technique.
Au Japon, depuis l’ère Meiji et tout au long du
processus de formation de l’État moderne, la
souveraineté étatique n’a jamais montré ce caractère
technique et de neutralité. L’État japonais n’a jamais
cessé de chercher à fonder sa domination sur l’idée qu’il
constituait lui-même la valeur essentielle. Presque tous
les étrangers qui sont venus au Japon avant 1868, dans
les dernières années du shôgunat, ont relevé qu’il
existait alors dans ce pays un double système de
gouvernement, séparant l’autorité spirituelle du mikado
et le pouvoir politique effectif du taïcoun (shôgun). Or,
après la Restauration, la souveraineté étatique a
concentré en une seule instance, autour de la Maison
impériale, le pouvoir qui était auparavant celui du
shôgun et des multiples pouvoirs féodaux. Le processus
connu sous le nom de « réunion des lois et des
administrations » (seirei kiitsu), ou d’« unification des
pouvoirs politiques et judiciaires » (seikei itto), a ainsi
conduit à fusionner le pouvoir et l’autorité, de sorte
qu’aucune force religieuse, aucune Église ne s’y est
opposée en revendiquant la tutelle sur l’intériorité des
individus.
Il est vrai qu’il y eut le Mouvement pour la liberté et
les droits du peuple, apparu peu après la Restauration et
qui mena un combat héroïque face au gouvernement
alors que celui-ci cherchait, comme l’avait souhaité
Iwakura Tomomi, à « inspirer au peuple la crainte du
pouvoir en l’impressionnant par le moyen de l’armée et
de la police ». Mais les partisans de la liberté et des
droits du peuple ne combattaient pas pour la
détermination des valeurs de vérité ou de justice.
Comme le résume un slogan de l’époque, « le pouvoir
d’en haut décide, le pouvoir d’en bas limite » : cette
lutte avait seulement pour enjeu l’étendue et les limites
des actes « externes » des individus ou du peuple. On
voit toute la légèreté avec laquelle le Mouvement pour la
liberté régla cette question de l’intériorisation de la
morale, que présuppose l’individualité moderne, en
lisant le passage où l’un de ses plus importants
animateurs, Kôno Hironoka, raconte comment il
accomplit sa révolution intellectuelle sous l’influence de
Stuart Mill :
C’est à cheval que je découvris son livre, On Liberty, qui produisit une
grande révolution dans mes idées. Moi qui m’étais nourri jusque-là de
confucianisme et de nativisme, moi qui avais même prôné un temps
l’expulsion des barbares, je vis tout cela réduit en poussière, sauf la
loyauté au souverain et la piété filiale, quand je compris qu’il fallait
respecter la liberté et les droits de l’homme.
É
« clarifier les fondements de l’État », ce n’était pas une
manière d’appeler à une autocritique [collective]. Au
contraire, il s’agissait presque toujours d’un moyen
d’oppression politique dirigé vers autrui. Inversement, la
morale individuelle fut régulièrement déclarée
« impuissante » et, pour cette raison, sans valeur.
« Impuissante » parce que dépourvue de la force
matérielle de mouvoir les hommes… alors que telle est
précisément la nature de la morale ou des idéaux ! C’est
donc à l’aune de sa puissance pratique, autrement dit de
son lien avec un pouvoir, que l’on tend à apprécier la
morale, et non pas d’après les valeurs qui l’inspirent, ce
qui signifie simplement, au fond, que l’instance dernière
de la morale se trouve dans l’État. Cette tendance ne se
voit nulle part mieux que dans l’approche des relations
internationales, comme l’illustre parfaitement un
passage de La Voie des sujets :
La résolution de notre pays et sa valeur militaire ont rendu
impuissante toute sanction de [la] part de [la Société des Nations]. En
quittant celle-ci, nous avons fait éclater sa vraie nature, si bien que
l’Allemagne nous a imités dès l’automne de la même année, l’Italie
saisissant un peu plus tard l’occasion que lui donnait l’affaire
éthiopienne pour annoncer son retrait : « Société des Nations » n’était
plus qu’un nom creux. Ainsi, depuis l’automne de l’an 6 de l’ère Shôwa
(1931)7, le Japon marche à grands pas en tête des pays qui se vouent à
la Restauration mondiale.
1. PRÉAMBULE
Je ne suis pas certain d’être assez compétent pour
parler du thème qu’on m’a attribué, l’idéologie et les
mouvements fascistes au Japon, en tout cas pour livrer
une conclusion décisive sur cette question. C’est
pourquoi je préfère m’excuser tout de suite auprès de
ceux d’entre vous qui attendraient que je leur donne
quelque chose comme une vue d’ensemble permettant
de saisir d’un coup l’essence du fascisme, car ils seront
nécessairement déçus. Du reste, on ne saurait traiter un
problème aussi colossal dans un temps aussi bref. Mieux
vaut commencer, donc, en délimitant le sujet autant que
possible, sans quoi vous auriez probablement
l’impression d’un exposé foncièrement dogmatique.
Pour analyser le fascisme, on peut d’abord faire une
distinction entre le fascisme comme structure étatique
et le fascisme comme mouvement particulier. C’est
essentiellement du fascisme comme mouvement que je
vais parler ici, ainsi que de l’idéologie dont ce
mouvement était porteur. Pour expliquer le fascisme
japonais dans sa totalité, il faudrait analyser
concrètement la place de l’armée ou des bureaucrates
dans l’appareil d’État, c’est-à-dire préciser leurs bases
sociales et montrer comment ces forces sont entrées en
relation avec le capitalisme monopoliste. Cependant,
puisque cela dépasse largement ma capacité, je ne vous
en parlerai pas. Naturellement, je ne terminerai pas sans
avoir abordé la relation entre les deux, mais c’est bien
du mouvement fasciste qu’il sera question avant tout ici.
De la même façon, je n’aborderai pas l’idéologie fasciste
en général mais seulement les aspects qui se rattachent
directement au fascisme comme mouvement, en
laissant de côté les thèmes fascistes, ou fascisants, qui
ne lui sont pas liés de manière étroite et incontestable.
Par conséquent, il n’est pas question de traiter toutes les
formes de discours fascisants qui ont pu être tenus ici et
là, par exemple dans le monde universitaire ou dans la
presse.
Ensuite, je voudrais dire un mot sur la façon dont je
compte aborder le problème. Quand on parle du
fascisme japonais, on est aussitôt amené à se
demander : qu’est-ce que le fascisme ? « De but en blanc
vous nous parlez de “fascisme japonais”. Mais d’abord,
est-ce qu’il y a eu fascisme au sens propre du terme ?
Au Japon, est-ce qu’il ne s’agissait pas en réalité d’un
régime absolutiste plutôt que fasciste ? Qu’entendez-
vous au juste par ce mot ? » Voilà probablement un
doute qu’on exprimera d’emblée. J’aurais bien une
réponse à cette question, mais je crois préférable de ne
rien dire pour commencer. Une telle discussion
m’obligerait à parler en termes généraux, et les
déterminations du fascisme sont trop nombreuses pour
que j’aie le temps de revenir aujourd’hui sur cette
question. Je prendrai donc le sens commun comme
point de départ, même si cela doit impliquer une
certaine obscurité.
À propos de cette période de dix et quelques années
qui finit en 1945, nous avons pris l’habitude de parler de
« la période fasciste ». Eh bien, c’est sur l’idée contenue
dans cet usage que nous faisons ordinairement du mot
que je m’appuierai, en espérant que la définition du
fascisme japonais se précise à mesure que nous
avancerons dans l’analyse des faits. Il se peut qu’elle
devienne finalement moins claire, mais il faudra en
discuter le moment venu pour savoir si c’est le cas. Quoi
qu’il en soit, voilà comment je souhaite procéder, c’est-
à-dire, donc, sans partir d’une définition abstraite.
Une autre objection que l’on soulèvera probablement
alors consiste à demander si l’idéologie et les
mouvements fascistes ne sont pas en réalité un
problème secondaire, si ce qu’il importe avant tout
d’étudier n’est pas plutôt le fascisme dans l’appareil
d’État et dans la structure sociale. Et il est vrai que
notre objectif est bien de parvenir in fine à une
compréhension du phénomène dans sa totalité. Mais
justement, pour y parvenir, il ne suffit pas de faire une
théorie du système fasciste tel qu’il apparaît dans sa
forme aboutie. Il est indispensable d’analyser aussi, et
préalablement, le fascisme comme mouvement, car c’est
bien ce mouvement qui a donné l’occasion au fascisme
de devenir une structure totale.
Certes, le fascisme japonais, le fascisme comme
structure d’État, s’est effondré le 15 août 1945, mais on
ne peut absolument pas affirmer pour autant que
désormais plus aucun mouvement fasciste ne se lèvera
dans notre pays. C’est pourquoi nous devons chercher à
comprendre la nature du mouvement fasciste passé tout
en nous posant des questions qui concernent l’avenir.
2. PÉRIODISATION
Après ce préambule un peu long, il faut maintenant
réfléchir au processus de développement du fascisme
japonais. En adoptant une périodisation grossière, il me
semble qu’on peut distinguer approximativement trois
phases.
La première phase, le stade préparatoire, va des
années 1919-1920, c’est-à-dire du lendemain de la
Première Guerre mondiale, jusqu’à l’époque de
l’incident de Mandchourie (septembre 1931). C’est ce
que nous appellerons « l’époque des mouvements
d’extrême droite civils ».
La deuxième phase, celle de la maturation, va de
l’incident de Mandchourie à la fameuse tentative de
coup d’État du 26 février 1936. Au cours de cette
période, des mouvements qui étaient auparavant sans
lien avec l’appareil d’État sont entrés en relation avec
une partie de l’armée, qui est alors devenue la force
motrice du processus au terme duquel la dynamique
fasciste a pénétré le cœur de l’État. C’est l’époque où le
fascisme se manifeste par une série d’actions violentes :
il y eut d’abord les projets de coups d’État militaires
étouffés dans l’œuf, en mars et en octobre 1931, puis
des attentats retentissants, notamment ceux de la Ligue
du sang, en février et mars 1932, la tentative de coup
d’État du 15 mai, la même année, l’affaire de la
Shinpeitai (juillet 1933), l’affaire de l’École des officiers
(novembre 1934), l’affaire Aizawa (août 1935), et pour
finir la tentative de coup d’État du 26 février 1936. On
peut dire que cette période fut l’apogée du fascisme
radical.
La troisième phase, un peu plus longue, commence
avec la reprise en main de l’armée qui a suivi le
26 février 1936 et s’est terminée avec la guerre, c’est-à-
dire avec la déclaration impériale du 15 août 1945. On
pourrait dire que c’est la phase d’accomplissement du
fascisme japonais. En tout cas, au cours de cette
période, c’est l’armée qui devient l’acteur principal,
mais cette fois par le haut et ouvertement. Elle met en
place un système de domination qui, malgré son
instabilité, fédère deux ensembles distincts : d’un côté,
les forces semi-féodales de la bureaucratie et de
l’entourage impérial (jûshin), et de l’autre, le capital
monopoliste et les partis bourgeois.
Je n’aurai pas le temps ici de retracer en détail
l’ensemble du processus, la naissance et le
développement des mouvements fascistes à travers
chacune de ces trois étapes, et je vous renvoie pour cela
à l’Histoire des mouvements nationalistes au Japon de
Kinoshita Hanji (Keiô shobô, 1939), ainsi qu’à l’étude
publiée récemment dans la revue Chûô kôron par
Iwabuchi Tatsuo, « Généalogie des factions militaires ».
Je voudrais seulement apporter quelques précisions sur
les raisons qui m’ont fait adopter la périodisation que je
viens de vous exposer.
D’abord, à propos de la première phase, on cite
couramment l’incident de Mandchourie pour dater le
moment d’entrée dans la période fasciste. Mais, si l’on
regarde du côté de ce qu’on appelle les « groupes
d’extrême droite », en mettant pour l’instant de côté la
Gen.yôsha, née au début de l’ère Meiji, et la Société du
fleuve Amour, créée dans son sillage, on voit que des
groupes proto-fascistes sont apparus et se sont
multipliés à partir des années 1918-1919. Au sortir de la
Première Guerre mondiale, les revendications
démocratiques se propagent et se radicalisent sous
l’influence de la Révolution russe, tandis que les remous
de l’économie consécutifs à la fin de la guerre
provoquent une brusque augmentation des grèves
ouvrières ainsi que des conflits liés aux exploitations
agricoles en fermage. C’est dans ce contexte de la fin de
l’ère Taishô (1912-1926) qu’ont surgi tous ces
mouvements « anti-rouge ». La Ligue de la sincérité et la
Ligue de la Voie impériale sont créées en 1918,
l’Association du Grand Japon pour la quintessence
nationale et l’Association du Kantô pour la quintessence
nationale en 1919, le Groupe de défense
antibolchevique en 1922, l’Association du Grand Japon
pour la Justice en 1925. Malgré quelques nuances qui
les distinguent, tous ces groupes ont en commun de
vouloir s’opposer directement aux organisations de la
gauche. Avec la Société du fleuve Amour ou la Rôninkai,
qui en est issue, leur activité consiste principalement à
briser les grèves, alors nombreuses, et attaquer les
syndicats de gauche, les syndicats paysans ou la Société
pour l’égalité. Mais ils n’ont pas vraiment de programme,
ils ne visent pas vraiment une réforme intérieure. Il
vaudrait donc mieux dire de ces mouvements qu’ils sont
simplement réactionnaires, plutôt que parler
d’organisations fascistes.
Beaucoup de leurs membres, d’ailleurs, appartiennent
aux réseaux extra-parlementaires des grands partis en
place. Il est amusant de constater que, parmi les
personnages centraux, beaucoup étaient entrepreneurs
dans le secteur du bâtiment. Kawai Tokusaburô,
fondateur de l’Association populaire des travailleurs du
Yamato, ou Mori Kenji, de la Société de la sincérité, et
beaucoup d’autres, sont des patrons du bâtiment. C’est
quelque chose que je trouve assez suggestif quand on
songe aux patrons actuels de ce secteur. Dans leurs
programmes, les aspects purement féodaux sont très
marqués. L’Association pour la quintessence nationale
du Grand Japon, par exemple, se définit comme « un
groupe ayant vocation à agir avec courage dans un
esprit chevaleresque ». Celui de l’Association du Grand
Japon pour la Justice proclame que « le patron est
comme un père, le protégé comme son enfant. Les
protégés sont les uns pour les autres comme les frères
d’une seule famille. Ils obéiront en tout à leur patron.
Les frères se chériront et s’assisteront mutuellement,
sans jamais manquer de courtoisie les uns envers les
autres ».
Cependant, des mouvements plus proches du fascisme
au sens strict voient également le jour à cette époque.
Par exemple, c’est en 1919 que Kita Ikki, en qui on peut
voir un père fondateur du fascisme japonais, crée la
Société de la pérennité avec Ôkawa Shûmei et
Mitsukawa Kametarô. Son Plan de rénovation du
Japon, qui devait plus tard être une source d’inspiration
idéologique pour les hommes du 26 février 1936, joua
dans ce groupe un rôle équivalent à celui de Mein
Kampf dans le parti nazi. Le manifeste de la Société de
la pérennité contient en effet des formules telles que
« bâtir un Japon révolutionnaire », « coordonner un
mouvement de réforme », « libérer les peuples de
l’Asie », où l’on voit que ce programme n’était pas
purement réactionnaire comme ceux des organisations
que j’ai citées tout à l’heure. Une idéologie proprement
fasciste y apparaît clairement dans la combinaison d’un
programme de réforme intérieure et de revendications
internationales.
Ôkawa et Mitsukawa devaient bientôt s’opposer à Kita
et fonder la Société de la pratique terrestre avec
Yasuoka Masahiro et Nishida Zei. Beaucoup d’autres
groupes d’extrême droite ont essaimé à partir de cette
mouvance. L’un des plus importants, la Société de la
fondation nationale se constitua autour d’Akao Bin en
1926, avec notamment Tsukui Tatsuo et Atsumi Masaru,
puis Amano Tatsuo et Maeda Torao, qui devaient tous
deux être impliqués dans l’affaire de la Shinpeitai (juillet
1933). Dirigée par Uesugi Shinkichi, elle avait Tôyama
Mitsuru et Hiranuma Kiichirô parmi ses conseillers. Son
programme recommandait le contrôle étatique de la
production, ce qui lui donne un caractère
anticapitaliste. Mais en réalité, il y a là un trait que
partagent les groupes d’extrême droite au cours de la
première et de la deuxième phase, la Société de la
fondation nationale faisant partie de ceux chez lesquels
il est le moins prononcé. Du reste, sa principale activité
consistait à lutter contre les partis prolétariens. Comme
à cette époque, bien sûr, le Parti communiste était déjà
entré dans la clandestinité, elle s’en prenait surtout aux
organisations dont la ligne était la plus proche de celui-
ci, à savoir le Parti ouvrier et paysan et le Conseil
national des syndicats ouvriers. Elle s’employait
notamment à briser les manifestations du Premier mai
[qui avaient lieu depuis 1920 et furent finalement
interdites en mars 1936].
À
À peu près à la même époque, Uesugi Shinkichi, que
j’ai mentionné il y a un instant, et Takabatake Motoyuki,
traducteur de Marx, créèrent le Cercle d’études
politiques. Celui-ci ne fut pas tellement important
puisqu’il s’agissait davantage d’un groupe de recherches
plutôt que d’un mouvement, mais il faut remarquer en
tout cas qu’il fut créé par des gens qui étaient alors des
intellectuels de premier plan. Enfin, on ne saurait
oublier de mentionner ici la Société de l’ère Taika,
d’Iwata Fumio, créée en 1920.
On voit ainsi clairement que les mouvements droitiers
avaient commencé de se développer à partir des années
1918-1919. Il faut prendre garde surtout au fait que le
fascisme radical n’a pas commencé d’entrer en action
après l’incident de Mandchourie, même s’il fut
beaucoup plus actif après cet événement. Sagôya
Tomeo, qui assassina le Premier ministre Hamaguchi en
novembre 1930 à la gare de Tokyo, n’appartenait pas à
la Ligue du sang, mais c’est à la lumière des attentats
perpétrés par celle-ci après l’incident de Mandchourie
qu’il convient d’interpréter cette affaire [qui leur est
antérieure de plus d’un an]. Les tentatives ou projets de
coup d’État dus à des groupes de jeunes officiers avaient
eux aussi un précédent antérieur à l’incident de
Mandchourie, à savoir l’affaire de mars 1931. Il est vrai
que cette affaire ne fit pratiquement aucun bruit hors du
huis clos de l’armée. Pourtant, il s’agissait d’un complot
dans lequel étaient impliqués à la fois des officiers
« rénovateurs » occupant des postes importants au
ministère et à l’état-major (Koiso, Tatekawa, Nagata) et
des membres d’une société secrète, la Société de la fleur
de cerisier, qui représentait une faction radicale de
l’Armée de terre, mais aussi un groupe d’extrémistes
civils dans lequel on retrouve Ôkawa Shûmei. Leur but
était la constitution d’un gouvernement militaire qui
aurait eu le général Ugaki à sa tête. L’affaire se termina
sans que le plan ait été mis à exécution, comme
quelques mois plus tard l’affaire d’octobre, mais cela
n’empêcha pas que des projets similaires soient conçus
et mis à exécution en mai 1932 et février 193616. Il faut
donc absolument garder à l’esprit que, même si
l’incident de Mandchourie a incontestablement donné
une impulsion décisive au fascisme japonais, ce
mouvement fasciste radical n’est pas apparu subitement
après l’événement de septembre 1931.
Quant à la deuxième phase, qui va du lendemain de
l’incident de Mandchourie au 26 février 1936, je ne
pense pas qu’il y ait à expliquer pourquoi elle forme un
tout cohérent. L’énergie du fascisme radical qui s’était
accumulée au cours de la première phase explose alors,
sous la double pression de la panique économique qui
frappe l’ensemble du pays et des fortes tensions
internationales provoquées par les événements de
Mandchourie, de Shanghai (janvier-mai 1932) ou par le
retrait du Japon de la Société des Nations (1933). Sans
aucun doute, c’est à cette époque que le problème du
fascisme est devenu impossible à ignorer pour les
Japonais. C’est aussi la période la plus importante pour
nous, qui voulons réfléchir sur sa dynamique. La plupart
des documents que je citerai proviennent donc de cette
deuxième phase.
Les groupes extrémistes qui, durant toute la première
phase, avaient encore un caractère de curiosité,
révèlent brusquement une capacité à influer sur la
politique, à partir du moment où ils s’associent avec
l’armée, notamment avec les jeunes officiers. De ce
point de vue, c’est la formation du Comité national des
patriotes pour l’unité de lutte et celle du Parti de la
production du Grand Japon, en 1931, juste avant
l’incident de Mandchourie, qui marquent l’entrée dans
la deuxième phase. Alors qu’il n’y avait jusque-là que
des groupes dispersés, pour la première fois on voit
clairement une tendance à la constitution d’une force
politique unifiée. En même temps, le mouvement
fasciste perd son caractère de simple réaction vis-à-vis
des mouvements de gauche. Il apparaît désormais
comme un mouvement social en soi.
Je ne vais pas évoquer en détail l’histoire du Comité
national des patriotes. Il suffira de dire qu’il visait à
unifier toutes les mouvances que j’ai déjà mentionnées :
celles de la Société de la pratique terrestre, du Cercle
d’études politiques et le courant plus ancien de la
Gen.yôsha. Son existence fut brève mais son ambition
devait être reprise par la Société de Jinmu, qui vit le
jour l’année suivante, avec Ôkawa Shûmei à sa tête.
Grâce aux fonds apportés par un homme d’affaires du
Kansai, Ishihara Kôichirô, elle parvint à absorber un
grand nombre d’éléments isolés. Et comme elle reçut
aussi un soutien du côté de l’armée, tout cela lui permit
d’avoir la brillante carrière que vous savez.
Quant au Parti de la production du Grand Japon, il se
constitua autour de la Société du fleuve Amour, en
absorbant principalement des groupes de l’ouest du
pays. Par rapport aux groupes d’aventuriers un peu
flottants qui existaient jusque-là, l’évolution est
manifeste en ceci surtout qu’il comptait parmi ses
organisations des syndicats de travailleurs. De plus,
comme le montre l’affaire de la Shinpeitai, qui est due
pour l’essentiel à des hommes de ce groupe, il avait une
réelle capacité d’action.
Ce fascisme de la deuxième phase est celui qui,
relativement parlant, présente le plus nettement le
caractère d’un mouvement « venu d’en bas ». On
l’aperçoit dans le nom gauchisant de ce « Comité
national des patriotes pour l’unité de lutte », et plus
encore dans son programme, qui déclare sans détour :
« Nous voulons abattre le capitalisme pour établir la
souveraineté de l’industrie. » Celui du Parti de la
production, quant à lui, parle de « réorganiser de fond
en comble une économie capitaliste qui conduit le pays
à la ruine », de « faire administrer les organismes
financiers par l’État », de « garantir les droits des
ouvriers », d’« établir les droits de ceux qui travaillent la
terre ». Bien entendu, ces revendications et la
signification sociale de ces mouvements sont deux
choses tout à fait différentes. La signification de tels
programmes est exactement la même que dans les
premiers manifestes des Faisceaux de combat italiens
ou du Parti nazi, qui présentaient le même aspect
anticapitaliste. Mais ce qui en dit le plus long, je crois,
sur ce fascisme de la deuxième phase, c’est le fait que
ces proclamations, avec leurs formules si radicales,
disparaissent au cours de la troisième phase et qu’il n’en
est plus question, alors, même simplement au titre
d’éléments de programme.
Corrélativement, un autre phénomène remarquable
caractérise cette deuxième période. C’est l’apparition du
fascisme à l’intérieur des partis prolétariens, dont le
premier signe fut le mouvement « pour un social-
nationalisme » (kokka shakai shugi) d’Akamatsu
Katsumaro, qui vit le jour au sein du Parti social-
démocrate. Le courant mené par Akamatsu, avec Koike
Shirô ou Hirano Rikizô, devait bientôt quitter ce parti et
rompre avec les socio-démocrates (Katayama Tetsu,
Matsuoka Komakichi), en avril 1932, pour mettre sur
pied un comité d’où sortit le Parti social-nationaliste du
Japon. Dans le même temps, l’invasion de la
Mandchourie reçut l’approbation bruyante de gens du
Parti national des masses ouvrières et paysannes
comme Matsutani Yojirô. Et peu après, on vit de vieux
militants comme Aki Sakan ou Imamura Hitoshi quitter
ce même parti pour fonder le Parti social-nationaliste-
japonais avec Akamatsu et Hirano.
Parallèlement, et en légère opposition à ces derniers,
Shimonaka Yasaburô créait l’Alliance nationale du
nouveau Japon avec Sasai Itchô, Kondô Eizô, Amano
Tatsuo. Parmi les membres conseillers figuraient des
gens comme Gondô Seikyô ou Kanokogi Kazunobu.
Cette petite galerie de personnages raconte assez bien,
je crois, la confluence qui se produisit à cette époque
entre des courants issus du socialisme et des courants
purement droitiers.
Dans les partis prolétariens encore autorisés, les
éléments opposés à cette fascisation créèrent un front
commun en se rassemblant dans le Parti social des
masses, en juillet 1932, et adoptèrent la ligne des « trois
anti- » : anticapitalisme, antifascisme, anticommunisme.
Mais bientôt, à l’intérieur même de ce parti, un
rapprochement avec l’armée se dessina autour d’Asô
Hisashi et Kamei Kan.ichirô. Progressivement, donc, le
fascisme rongeait de l’intérieur les mouvements
prolétariens.
Le troisième phénomène de cette période auquel il
faut prêter attention est l’apparition de forces
composées principalement de militaires de réserve et de
bureaucrates. Je n’ai pas le temps non plus d’en parler
en détail mais, en ce qui concerne les militaires, le
groupe formé en 1932 autour du général Tanaka
Kunishige, la Société de l’éthique éclairée, est sans
doute le plus remarquable. Il fut très actif au moment de
l’affaire Minobe, ou affaire de la monarchie-organe
(1935). Pour la même raison, il est impossible d’ignorer
l’Association pour la Voie impériale, née en 1933 du
rapprochement de la faction du général Todoroki avec le
Syndicat des paysans du Japon dirigé par Hirano Rikizô.
Quant aux groupes formés autour de bureaucrates, il
faut à coup sûr mentionner l’Association pour les
principes nationaux, de Hiranuma Kiichirô, l’Académie
du faisan d’or, de Yasuoka Masahiro, et l’Association
pour la restauration nationale, formée par le courant dit
des « nouveaux bureaucrates ». Il ne s’agissait pas
vraiment d’organisations politiques au sens où elles
auraient eu par elles-mêmes une idéologie clairement
définie. Mais en regroupant des hommes qui occupaient
des positions éminentes, dans l’armée, dans la
bureaucratie ou dans le milieu des affaires, elles ont
renforcé les liens horizontaux à l’intérieur de la classe
dirigeante. C’est pourquoi elles ont indéniablement joué
un grand rôle en préparant la domination du fascisme
« par en haut » qui devait caractériser la troisième
phase.
Ainsi donc cette période aura vu la formidable montée
des groupes et organisations d’extrême droite. C’est de
là que viennent les auteurs des attentats de la Ligue du
sang ou des tentatives de coup d’État. Ils ont alors
concentré sur eux l’attention de la société, mais sans
parvenir, finalement, à se rassembler en un front unique
par lequel ils auraient acquis une véritable force
politique. « Comité national des patriotes pour l’unité de
lutte », « Comité d’union contre la crise nationale »
(1932), « Fédération pour la défense de l’État impérial »
(1932), « Comité national du Japon pour le social-
nationalisme » (1933), « Comité pour la coordination
des mouvements patriotiques » (1933), et d’autres
encore… L’union des groupes d’extrême droite fut
tentée à maintes reprises, jamais elle ne dura
longtemps. Malgré une situation objective des plus
favorables, ces mouvements n’ont cessé de s’entre-
déchirer, les scissions succédant invariablement aux
rapprochements. On peut dire que cette division reflète
l’opposition idéologique entre partisans d’un social-
nationalisme et purs nationalistes (ou « nipponistes »).
On peut y voir aussi l’expression d’une divergence
concernant la forme du mouvement, c’est-à-dire d’une
opposition entre les partisans d’une organisation de
masse et ceux qui voulaient s’en remettre à une élite fer
de lance. Je reviendrai sur cette question, car, comme je
l’expliquerai tout à l’heure, il me semble que la raison
profonde de cette situation est plus terre à terre.
La troisième phase va du 26 février à la fin de la guerre
du Pacifique. Vous me direz probablement qu’il s’agit
d’une période trop longue, vague et sans réelle unité. Il
est certain que lorsqu’on s’intéresse au fascisme comme
structure étatique, cette époque est la plus importante
et mérite donc d’être analysée plus finement. Le
déclenchement de la guerre avec la Chine (1937), de la
guerre en Europe (1939), le Pacte tripartite avec
l’Allemagne et l’Italie (1940), le traité nippo-soviétique
(1941), le début de la guerre du Pacifique (1941) :
chacun des événements internationaux qui ont
déterminé le destin du Japon a fait date aussi dans le
processus interne de fascisation du régime. Il va sans
dire également que le « Mouvement pour un nouveau
régime » de Konoe (mai-octobre 1940) ou les élections
« de soutien au Trône » de Tôjô (avril 1942) ont
constitué des moments très importants de ce même
processus. Toutefois, lorsqu’on s’attache au fascisme
comme mouvement, c’est bien le 26 février 1936 qui
forme la grande ligne de partage des eaux. Avec le
26 février, un point final fut mis au mouvement fasciste
radical « par en bas » et il est devenu clair, alors, que le
fascisme, au Japon, n’emprunterait pas la voie italienne
ou allemande d’une révolution ou d’un coup d’État.
Après le 26 février, on peut dire que le processus de
fascisation se poursuit, mais il se poursuit sous la forme
d’une reconfiguration à l’intérieur du régime existant.
Or, en dépit de tous les tâtonnements et revirements par
lesquels il a pu passer, ce processus consista pour
l’essentiel en un renforcement continu du pouvoir d’en
haut, c’est-à-dire du contrôle étatique.
On pourrait ici émettre une petite objection à propos
du Mouvement pour un nouveau régime, puisqu’il a
semblé vouloir donner à la nation, à la population d’en
bas, une nouvelle forme de représentation. Mais, en
réalité, il n’a offert cette apparence qu’à l’instant de sa
création et, comme vous le savez, il s’est
immédiatement heurté à la contre-attaque des forces en
place, qui l’ont transformé en cette chose
bureaucratique et sans contenu que fut l’Association de
soutien au Trône. C’est pourquoi, s’il est vrai que la
« dictature de Tôjô » a quasiment réduit à zéro la liberté
politique, et cela plus ouvertement qu’on ne l’avait
jamais vu, il n’est pas moins vrai que toutes les
conditions qui l’ont rendue possible étaient réunies
avant que Tôjô ne devienne chef du gouvernement, en
octobre 1941. Le développement du fascisme après
cette date ne montre qu’un progrès quantitatif, me
semble-t-il, et je ne vois pas vraiment de différence
qualitative avec les années antérieures17. Le souvenir
de la dictature de Tôjô est si vif et si présent dans nos
mémoires que nous sommes portés à en surestimer la
signification en tant que stade historique. À ne pas
mettre en garde contre ce risque, on laisserait les
masses perdre tout sens critique devant ces fascistes
patentés qui, depuis la fin de la guerre, tentent de se
faire passer pour des démocrates en arguant seulement
qu’ils étaient « contre Tôjô ».
Nous allons maintenant pouvoir entrer, enfin, dans
l’analyse du mouvement fasciste proprement dit. Je
commencerai par la superstructure, c’est-à-dire par les
spécificités idéologiques, après quoi je me pencherai sur
la question de ses vecteurs sociaux.
En conséquence :
On ne peut rien espérer de bon d’un renversement du système
capitaliste et de son remplacement par un système socialiste si l’on ne
réforme pas les idées qui donnent aux choses le primat sur les
personnes19.
LE FAMILIALISME
Pour commencer, on peut mentionner le familialisme.
Le modèle familial, en effet, a été exalté par le fascisme
japonais, qui a voulu en faire un principe structurant de
la nation. Le Japon y est toujours présenté comme une
organisation dont l’originalité fondamentale serait que
É
l’État y est une extension de la famille. En termes plus
concrets, cet État-famille est formé par la Maison
impériale, chef de famille, « maison-mère » de la nation,
et par ses « enfants » (akago). Il faut insister ici sur le
fait qu’il ne s’agissait pas d’une simple métaphore,
comme dans les théories organicistes de la société. C’est
bien plus au sens propre qu’on l’entendait. Il ne faut
donc pas y voir une idée abstraite. On présentait cela
comme une réalité historique, en affirmant que le Japon
avait conservé telle quelle depuis l’Antiquité la structure
d’une société constituée à partir d’un lignage unique. Il
y a là une spécificité idéologique particulièrement
importante du mouvement fasciste japonais.
Cette notion d’un État-famille et l’idée qui en découle,
d’après laquelle piété filiale et loyauté au souverain sont
une seule et même chose, n’étaient pas nouvelles,
puisque c’était l’idéologie officielle de l’État absolu
depuis l’ère Meiji. Le mouvement fasciste n’en avait
nullement le monopole20. En revanche, on ne voit pas
dans le fascisme allemand ou italien une insistance
comparable à celle avec laquelle le mouvement fasciste
japonais mettait ce thème en avant dans ses slogans et
son exaltation de l’État impérial. Les illustrations en
sont innombrables, mais voici par exemple ce
qu’écrivait Tsuda Kôzô, secrétaire général de la Ligue de
l’autonomie rurale :
Dans les pays civilisés d’Occident, la société repose sur l’affirmation des
droits individuels. Il en va autrement du familialisme japonais, qui
repose essentiellement sur un sens du service envers le tout de la
famille. Du point de vue social, en effet, la famille est chez nous un
corps vivant, une unité de vie indépendante. Elle constitue en elle-
même une cellule parfaite, l’individu n’étant qu’une partie ou un
élément de cette cellule parfaite. […] L’extension de ce familialisme est
le but auquel doit tendre notre État, car il ne peut avoir d’autre principe
que l’unité ethnique des familles. Le chef de cet État, en tant qu’unité
ethnique, son chef de famille, son centre, son représentant général,
c’est l’Empereur.
Situation actuelle du fascisme japonais, 1933.
Il est vrai que l’importance donnée ici au familialisme
s’explique par l’idéologie localiste et agrarienne, dont je
reparlerai plus loin, de cette Ligue de l’autonomie
rurale. Cependant, même Kita Ikki, pourtant le plus
centraliste parmi les idéologues fascistes, et le plus
influencé par le nationalisme européen, écrit dans son
Plan de rénovation du Japon que le Japon est « une
grande famille organique et indivisible ». Il y a donc bien
là un trait commun à l’ensemble du fascisme japonais.
Certes, on trouvera dans le nazisme quelque chose de
similaire avec la notion de Volksgemeinschaft, c’est-à-
dire de communauté ethnique. Mais on ne voit
absolument pas, dans le cas allemand, qu’il s’agisse
d’une simple extension du principe de la famille. Même
le thème du « sang et [du] sol » (Blut und Boden) n’a
rien de familialiste. Il est clair que ce qu’on cherchait à
désigner par là, c’est l’idée d’un ordre public et
politique. Hitler était perçu non pas comme un chef de
famille ou un patriarche, mais comme un dirigeant
public (öffentlich). Ainsi, la prégnance du familialisme
constitue bel et bien une spécificité du fascisme
japonais, si importante qu’elle a déterminé la manière
dont le fascisme s’est inscrit dans l’espace politique et
son refus de mettre en cause l’État impérial. Il y a là, j’y
reviendrai, une des explications du fait qu’au Japon le
fascisme comme mouvement venu d’en bas ait
finalement échoué.
J’aurais voulu aller plus loin dans l’examen de cet
aspect, mais je dois m’en tenir là puisqu’il me reste
beaucoup d’autres choses à vous dire.
L’AGRARISME
La deuxième spécificité remarquable dans l’idéologie
du fascisme japonais, c’est la place fortement
prédominante que l’agrarisme y occupe. Ceci a d’ailleurs
eu pour effet que la tendance naturelle du fascisme à
renforcer le pouvoir de l’État, à exercer un contrôle
étroit sur tous les domaines, industrie, culture, idées, au
moyen d’un pouvoir d’État centralisé, a été contrariée
par un mouvement inverse en faveur de l’autonomie des
provinces et des campagnes, visant à limiter la
croissance des industries urbaines. Sur ce point encore,
le fascisme du Japon est tout à fait original.
Ôkawa Shûmei, par exemple, dans le programme de la
Société de la pratique terrestre, qu’il avait créée après
sa rupture avec Kita Ikki, écrit que « l’adoration de
l’Occident et la détestable habitude qu’on a prise de
l’imiter ont inspiré une orientation capitaliste donnant
la priorité à l’industrie et au commerce, à laquelle il faut
absolument mettre fin pour fonder l’économie nationale
sur l’agriculture » ; ou encore, qu’il faut « décentraliser
le gouvernement, donner plus d’autonomie aux
provinces et réduire le pouvoir de la Diète, renforcer les
campagnes pour endiguer l’excès d’urbanisation ». Je
rappelle qu’Ôkawa faisait pourtant partie de ceux qui,
au sein de l’extrême droite, étaient fortement imprégnés
de culture occidentale. Il « sentait le beurre », comme
on disait.
D’un côté, donc, on veut renforcer le pouvoir
absolutiste de l’État centré sur l’empereur, et en même
temps, d’un autre côté, il y a une tendance tout aussi
forte et inhérente, à se représenter le Japon comme un
ensemble de provinces plutôt que comme un État. Sur
ce point, l’extrême droite est divisée, entre ceux qui
veulent favoriser un développement industriel rapide,
régulé par l’État, et les purs agrariens, totalement
opposés à ce programme, qui veulent au contraire
donner la priorité aux campagnes. Mais dans beaucoup
de groupes, en réalité, les deux tendances coexistent et
s’entremêlent. Le meilleur représentant du
régionalisme pur est certainement Gondô Seikyô,
devenu célèbre du jour au lendemain avec l’affaire du
15 mai. C’est lui qui, dans les années 1932-1933,
théorisa l’idée que, face à la crise économique, les
campagnes devaient s’organiser elles-mêmes. La vision
développée dans ses ouvrages, Manuel populaire
d’autonomie administrative (1927) et Traité d’auto-
assistance pour les campagnes (1932), est
intégralement régionaliste. Elle est même anti-étatique.
Depuis les temps anciens, il existe deux orientations dans la manière
dont les pays sont gouvernés. Suivant la première, les peuples se
gouvernent eux-mêmes et le souverain donne seulement le modèle des
bienséances et des rites. Il se contente d’exercer sur eux une bonne
influence. Suivant la seconde, le souverain prend en charge toutes les
affaires et gouverne dans tous les domaines. On peut parler de
municipalisme (jichi shugi) à propos de la première, et d’étatisme
(kokka shugi) à propos de la seconde. À sa fondation, notre pays était
inspiré par la première orientation, qui formait aussi l’idéal de tous les
sages de l’Antiquité orientale.
Manuel populaire d’autonomie administrative, tome 2, leçon 2.
Qu’est-ce que l’étatisme ? Un certain groupe, ayant délimité son
territoire, se défend contre les incursions économiques et militaires des
autres pays, ou bien cherche à contrôler d’autres territoires au moyen
des forces économiques et militaires dont il dispose sur son territoire.
Afin d’accroître le prestige de cet État, on fait du peuple un moyen, on
s’en sert comme d’une machine à produire des ressources financières
pour l’État. Toutes les organisations sont mises au service du
gouvernement, qui impose au peuple son ordre et ses règles propres.
Ses agents occupent tous une position privilégiée, ses dirigeants
détiennent une autorité immense. L’esprit de sacrifice est mis au
pinacle des vertus et l’on étouffe toute expression intellectuelle (Ibid.).
LE PANASIATISME
Je n’entrerai pas en détail dans l’examen de la
troisième spécificité idéologique du fascisme japonais, à
savoir ce qu’on appelle le « panasiatisme » (dai ajia
shugi). Ce thème et l’ambition qui en dépendait de
libérer les peuples de l’Asie orientale en mettant fin à
l’oppression européenne, existaient depuis l’époque du
Mouvement pour la liberté et les droits du peuple, mais
le fait est qu’ils ont largement irrigué le fascisme
japonais. L’idée de libération des peuples asiatiques, en
même temps, est inextricablement entrelacée à la
volonté d’instaurer en Asie une hégémonie japonaise,
qui prenne la place de l’impérialisme européen. Il suffit
de voir comment l’on est passé du thème de la
« communauté d’Asie orientale » (Tôa kyôdôtai) à celui
d’« ordre nouveau en Asie orientale » (Tôa shin
chitsujo) au début de la guerre avec la Chine. En
devenant le premier pays à constituer un État moderne
en Orient, le Japon s’est trouvé historiquement en
position de stopper ce que Marx appelait « la poussée
vers l’Est des Européens ». C’est pourquoi l’idée de
libération de l’Asie a toujours été mêlée à ses projets
d’expansion sur le continent. Au fil du temps, bien sûr,
cette idée a de plus en plus servi à maquiller une guerre
essentiellement impérialiste. Pourtant, il suffit
d’observer ce qui se passe aujourd’hui en Birmanie ou
en Indonésie pour comprendre que cette question reste
d’actualité et qu’il vaut la peine d’y réfléchir
sérieusement puisqu’elle continuera de se poser dans
l’avenir26.
É
6. DES MOUVEMENTS FASCISTES À L’ÉTAT FASCISTE
Cet exposé est déjà bien long mais, pour terminer, je
voudrais encore évoquer ce que le développement
historique du fascisme au Japon a eu de particulier.
Contrairement aux fascismes italien et allemand, le
fascisme japonais n’a pas connu de « révolution ».
Aucune organisation fasciste dotée d’un mouvement de
masse, j’en ai déjà dit un mot, ne s’est emparée de
l’appareil d’État depuis l’extérieur de celui-ci. Ce sont
les forces politiques déjà en place (l’armée, la
bureaucratie, les partis) qui, de l’intérieur de l’appareil
d’État, l’ont amené à se transformer progressivement en
un régime fasciste. Telle est la spécificité la plus
importante quand on considère le processus de
développement du fascisme japonais.
Cela signifie-t-il que les groupes extrémistes et les
jeunes officiers radicaux n’ont eu qu’un rôle historique
mineur ? On ne peut en tout cas pas le dire de cette
façon. En réalité, les accès convulsifs du fascisme
radical ont fourni autant d’occasions au progrès du
fascisme par le haut.
Constitué autour de militaires et de bureaucrates, le
fascisme qui s’est développé depuis l’intérieur de
l’appareil de domination a pris appui sur le fascisme
radical. Il en a exploité l’énergie politique pour asseoir
progressivement son hégémonie. Voilà le point capital.
Peu après l’incident de Mandchourie, par exemple, s’est
produite l’affaire d’octobre. Or le processus de
fascisation interne aux partis en place est devenu patent
à la même époque, avec les manœuvres d’Adachi Kenzô
pour installer un cabinet « de coopération »38. Inutile de
rappeler que c’est la tentative de coup d’État du 15 mai
1932 qui mit fin à la brève carrière des cabinets de parti
au Japon et que le cabinet Saitô, formé quelques jours
plus tard, inaugura celle des cabinets formés par des
coalitions de militaires, de bureaucrates et d’hommes
politiques39.
Le poids politique de l’armée augmenta encore après la
mise en échec d’un nouveau projet de coup d’État en
juillet 1933, l’affaire de la Shinpeitai. C’est en novembre
de cette même année, à l’occasion de grandes
manœuvres qui avaient lieu à Kyûshû, que Gotô Fumio,
ministre de l’Agriculture, le général Araki, ministre de
l’Armée de terre, et des officiers de l’état-major créèrent
le Comité interministériel de la politique rurale, au
moyen duquel les militaires purent s’emparer du
problème des campagnes. Puis, de l’affaire de l’École des
officiers (novembre 1934) au putsch de février 1936 en
passant par l’affaire Aizawa (août 1935), c’est la série de
coups de force tentés par des mouvements de jeunes
officiers rénovateurs : à chaque fois, et cela quelles
qu’aient pu être les intentions des protagonistes, ces
entreprises ont abouti à étendre davantage encore la
sphère d’influence politique des élites militaires.
Parmi toutes les tentatives de putsch qui se sont
succédé en l’espace de quelques années, celle du
26 février, la dernière et la plus importante, a marqué
un tournant décisif. Après elle, le fascisme radical d’en
bas, celui des jeunes officiers et des groupes
extrémistes, quitte le devant de la scène. Avec la
« reprise en main » de l’armée, les éléments de la
« faction de la Voie impériale » sont d’un seul un coup
évincés par la faction dite « du Contrôle », c’est-à-dire
en réalité plutôt par une coalition hostile à cette « Voie
impériale »40. Araki, Mazaki, Yanagawa et autres Obata
voient alors l’hégémonie passer aux mains des Umezu,
Tôjô, Sugiyama, Koiso. La nouvelle direction de l’Armée
de terre, tout en réprimant énergiquement les forces du
fascisme radical au sein de l’armée, agita au dehors la
menace du fascisme radical pour mieux obtenir
satisfaction sur ses exigences politiques. Au lendemain
du 26 février, lorsque le général Terauchi entra dans le
cabinet Hirota, elle posa d’emblée comme condition que
soit exclue toute personne soupçonnable de sympathies
libérales. Terauchi fit alors une déclaration dont la
teneur était ouvertement fasciste, résumée dans la
formule : « Rénovation de l’administration
gouvernementale, éradication du libéralisme, mise en
place d’un régime totalitaire. » Les exigences politiques
présentées alors (restrictions au droit de vote,
suppression du contrôle du pouvoir exécutif par le
législatif) visaient à faire de la Diète une coquille vide.
Ainsi, tandis que le fascisme d’en bas était réprimé, la
fascisation par le haut, elle, progressait à grande vitesse.
Kita, Nishida et les jeunes officiers du 26 février auront
bien été comme les lévriers du proverbe, « rôtis avec les
lièvres qu’ils ont attrapés ».
On comprend qu’il s’agissait d’un tournant quand on
compare les peines prononcées en 1936 avec celles des
protagonistes du 15 mai 1932. Dans l’affaire du 15 mai,
les accusés, du moins les militaires, furent condamnés à
des peines légères : 4 ans d’emprisonnement pour Gotô
Akinori et la dizaine d’accusés de l’Armée de terre, tous
graciés du reste en 1936 ; du côté de la Marine : 15 ans
pour les organisateurs, Koga Kiyoshi et Mikami Taku,
entre 1 an et 13 ans pour une demi-douzaine d’autres,
mais là encore, tous étaient libres en 1940. Il s’agissait
pourtant d’une affaire dans laquelle on avait assassiné le
Premier ministre et plongé la capitale dans le chaos. À
l’époque, le général Araki, ministre de l’Armée de terre,
avait déclaré publiquement :
On ne peut qu’être ému aux larmes devant les sentiments qui ont
conduit à de tels actes ces jeunes hommes au cœur pur. Ils n’ont pas
recherché la gloire ni leur profit personnel, ils ne voulaient pas trahir
leur pays. Tout au contraire, ils étaient persuadés d’agir pour le bien de
l’Empire. C’est pourquoi il ne faudrait pas qu’on les juge d’un point de
vue étroit, comme s’il s’agissait de régler une simple question
administrative.
16. [1956-1957] On peut remarquer aussi que, dans ses « Jugements sur
la situation actuelle » de 1930, l’état-major incluait pour la première fois
des considérations qui n’étaient pas d’ordre purement stratégique mais
concernaient la rénovation de l’État. Si l’on en croit la note secrète du
commandant Tanaka*, il faut y voir la main de certains membres influents
de la Société de la fleur de cerisier, comme Hashimoto Kingorô ou Nemoto
Hiroshi, qui étaient alors en poste au Deuxième bureau de l’état-major.
D’autres sociétés secrètes s’étaient déjà formées avant celle-là, comme le
Parti de l’épée céleste, créé par Nishida Zei dans l’Armée de terre, et la
Société des soldats impériaux, fondée par Fujii Hitoshi dans la Marine, qui
furent des pépinières d’officiers rénovateurs.
[* Rédigée en janvier 1932 par le commandant Tanaka Kiyoshi, cette
note manuscrite reste une des principales sources sur les affaires de mars
et d’octobre 1931. Tombée entre les mains de partisans de la Voie
impériale, elle fut diffusée en 1935 par deux officiers qui allaient prendre
part au soulèvement du 26 février 1936 (N.d. T.).]
17. [1956-1957] Étant donné la focalisation de l’analyse sur la forme du
mouvement fasciste, c’est le 26 février 1936 qui marque une rupture et
qu’il fallait donc prendre ici comme repère pour distinguer entre la
deuxième et la troisième phase. Mais si l’on s’intéresse au fascisme comme
structure totale, une périodisation plus fine devient nécessaire. Comme je
l’ai expliqué ailleurs (voir infra, note 46), on doit alors s’efforcer de dégager
une à une les étapes concrètes de la « fascisation », afin notamment de
déterminer le moment à partir duquel le système fasciste devient
prédominant. La dissolution de tous les partis et syndicats, sous le
deuxième cabinet Konoe (juillet 1940), suivie par la création de
l’Association de soutien au Trône (12 octobre 1940) et celle de
l’Association patriotique de l’industrie du Grand Japon (13 novembre),
constitue à cet égard une double rupture : en un sens négatif d’abord, elle
anéantit les derniers espaces à partir d’où une forme de contestation aurait
encore pu se développer ; en un sens positif, ensuite, elle permet
l’incorporation des éléments dissous dans la structure homogène de
l’Association. Le système parvient à sa forme « achevée » sous le cabinet
Tôjô avec la loi sur le contrôle de l’expression des opinions, de l’édition,
des assemblées et des associations (19 décembre 1941) et les élections
dites « de soutien au Trône » (avril 1942). Par ailleurs, la signature du
Pacte militaire tripartite avec l’Allemagne et l’Italie, sous le cabinet Konoe
(septembre 1940), a beaucoup contribué à geler la situation politique
intérieure en mettant fin à toute discussion sur les alternatives qui, si
minimes fussent-elles, existaient encore jusque-là pour la politique
étrangère.
18. Trad. fr. Pierre Lavelle, « Les Textes et les thèmes fondamentaux du
nationalisme des élites japonaises », thèse de doctorat, Inalco, 1989,
p. 1171-1172.
19. Ibid., p. 1173.
20. [1956-1957] Cette idéologie de l’État impérial (kokutai) ayant pu
devenir, littéralement, l’étendard de l’armée et des mouvements d’extrême
droite, toutes les forces politiques (à l’exception des rares communistes),
toutes les classes sociales ont ainsi été privées du fondement de légitimité
sur lequel elles auraient pu s’appuyer pour résister frontalement au
fascisme. Mais, ironiquement, cette même idéologie, parce qu’elle était
intrinsèque au système impérial (voir « Logique et psychologie de
l’ultranationalisme »), a eu pour effet aussi de brider fortement le
développement des mouvements d’extrême droite japonais et de les
contenir dans certaines limites. La « malédiction » de l’État impérial
(kokutai), comme idéologie ou comme principe d’organisation sociale,
vient précisément du fait qu’il s’agit d’une force politique supra-politique.
La tragi-comédie de l’extrême droite aura en quelque sorte consisté à
vouloir forcer le passage à l’état solide d’une chose dont l’état naturel est
seulement gazeux. Du point de vue du processus de fascisation, ce
paradoxe doit sans doute être rapproché de celui du maccarthysme, qui
s’est développé avec une vigueur extraordinaire dans le contexte de la
guerre froide en faisant de l’anticommunisme son argument commercial,
mais qui n’a cessé de décliner en tant que force politique particulière à
mesure que l’anticommunisme se généralisait jusqu’à devenir
consubstantiel au système politique américain.
21. [1956-1957] Dans une table ronde réunissant des membres du
mouvement paysan proches de Gondô, j’ai trouvé ce passage, qui exprime
assez bien l’idéologie du mouvement d’auto-assistance des campagnes. On
y réagit aux critiques de l’extrême gauche : « Il est amusant de voir que
pour ces gens-là, le problème des campagnes, c’est le fait qu’il y a des
propriétaires et des fermiers ! C’était peut-être vrai en Angleterre à
l’époque de Marx, oui, mais certainement pas aujourd’hui dans notre pays !
[…] Être propriétaire terrien au Japon de nos jours, c’est posséder un titre
purement juridique. Du point de vue des situations économiques réelles,
on peut dire qu’il n’y a pas vraiment de différence avec le reste des
agriculteurs. On ne résoudra donc pas le problème des campagnes en
déclenchant aveuglément la lutte des classes. Il y a dans les campagnes un
problème plus grave et plus profond. Mais c’est un problème qui touche le
monde rural dans sa totalité. » (« Réfutation des critiques visant les thèses
de Gondô Seikyô », publié en annexe de Gondô Seikyô, Kunmin kyôchi
ron [Pour un gouvernement conjoint du souverain et du peuple], 1932.)
Corrélativement, et sans surprise, voici ce que l’on dit des ouvriers : « Nous
ne cherchons absolument pas à refuser la civilisation dont les villes
modernes sont porteuses. […] Mais un développement urbain comme celui
qu’on voit actuellement, qui ne fonctionne qu’au profit exclusif de la classe
dirigeante […], cela, sans aucun doute, nous le refusons, nous n’en voulons
absolument pas. » Ifukube Taketeru, « Sur les Erreurs d’interprétation de
Yamakawa Hitoshi à propos du nouveau mouvement paysan » (Ibid.).
22. Allusion aux unités militaires constituées de paysans et encadrées
par des guerriers de statut, qui furent créées dans les années 1850-1860
par le shôgunat et certains fiefs, posant ainsi les bases de l’armée de
conscription moderne fondée après la Restauration (N.d. T.).
23. « La lutte est le père de la création et la mère de la civilisation »,-
pouvait-on lire au début de cette publication, bien connue en raison des
remous qu’elle suscita à la Diète.
24. [1956-1957] À ce sujet, on peut citer le commentaire que
l’ambassadeur américain Joseph Grew [en poste à Tokyo de 1932 à 1942]
faisait vers le mois de février 1941, et qui ne concerne assurément pas que
les ouvriers : « Les distractions, et plus généralement toutes les joies de la
vie, font aujourd’hui l’objet de telles restrictions dans ce pays, qu’il n’est
pas surprenant de voir la population s’abaisser à certains comportements
[comme les bousculades et les bagarres qui se produisent dans les files
d’attente des cinémas]. Pour s’appliquer au Japon, le fameux slogan nazi
devrait être modifié en “Kraft durch Unfreude” : la force par la tristesse, et
non par la joie. » (Ten years in Japan, New York, Simon and Schuster,
1944, p. 374-375.)
25. L’absence des ouvriers dans les représentations véhiculées par les
idéologues du fascisme ou par l’idéologie officielle n’empêche pas qu’ils
aient été l’objet de politiques sociales plus importantes que ne le laisse
penser Maruyama. Voir Bernard Thomann, La Naissance de l’État social
japonais. Biopolitique, travail et citoyenneté dans le Japon impérial
(1868-1945), Presses de Sciences po, 2015 (N.d. T.).
26. [1956-1957] Il va sans dire que l’actualité, autant que l’histoire,
donne à toutes ces questions une importance et un intérêt extrêmes :
quelle relation faut-il voir entre l’« émergence » du Japon moderne et les
nationalismes asiatiques ? Quel rôle, en particulier, ont pu jouer les
aventuriers du continent liés à la Gen.yôsha ou à la Société du fleuve
Amour dans la Révolution chinoise de 1911 ? Quelle influence a pu avoir la
guerre de la « Grande Asie » sur les mouvements nationaux d’Asie du Sud-
est ? Si j’ai dû me contenter ici d’effleurer la troisième spécificité
idéologique du fascisme japonais, c’était sans doute parce que les
problèmes qu’elle soulève sont énormes, mais c’était d’abord et avant tout
en raison des restrictions flagrantes que l’occupant américain imposait
alors à la liberté d’expression sur ces sujets. Je pensais aussi qu’il valait
mieux éviter d’en parler si je ne pouvais pas le faire avec assez de
précision, car je risquais d’être mal compris. À propos notamment du rôle
du Japon en Asie du Sud-est, une analyse concrète et documentée semble
nécessaire. On trouvera un certain nombre d’informations dans le livre de
Willard H. Elsbree, Japan’s Role in Southeast Asian Nationalist
Movements, 1945-1950 (Harvard University Press, 1953). L’extrême droite
japonaise actuelle, écartelée entre le traditionnel sentiment de solidarité
asiatique et la dépendance occidentale que lui impose son
anticommunisme, n’est toujours pas sortie de la confusion où ce dilemme
l’a plongée depuis la fin de la guerre.
27. Tôkyô keibi shireibu, créée en 1923, pour accompagner la fin de
l’état d’urgence décrété après le Grand tremblement de terre du Kantô, elle
ne fut supprimée qu’en 1937. Les nominations évoquées par Koga suivirent
de peu l’entrée d’Araki au gouvernement (décembre 1931). Voir Factions
militaires et p. 265.
28. [1956-1957] La signification objective du 26 février est bien sûr à
l’opposé de celle que les officiers impliqués donnaient à leur soulèvement.
En recourant à la force armée pour provoquer une action de la part du
« pouvoir suprême », ils pensaient « rénover » la politique intérieure et
extérieure dans le sens qu’ils souhaitaient. Il y avait donc sans aucun doute
quelque chose d’éminemment fallacieux dans leur dénégation du caractère
politique de la transformation qu’ils visaient. Du moins leur « logique »,
telle que je l’ai évoquée plus haut, ne relevait-elle pas d’une justification
inventée après coup. La contradiction qu’il y avait à protester contre la
« privatisation de l’Armée impériale » par l’état-major tout en mobilisant
leurs troupes sans avoir eux-mêmes reçu d’ordres pour cela, s’explique si
l’on songe qu’ils avaient en tête l’article des Règles fondamentales de
tactique (Sakusen yômu rei) qui autorisait un officier subalterne à agir de
sa propre initiative sur un champ de bataille en cas d’urgence (dokudan
senkô). Si l’on voulait les condamner pour leur initiative du 26 février, ils
pourraient donc se défendre, pensaient-ils, en arguant, d’une manière
subjectivement tout à fait cohérente, que le général Honjô aurait dû être
condamné pour avoir usurpé la prérogative impériale lorsqu’il était à la tête
de l’armée du Kwantung et prit les décisions qui entraînèrent l’invasion de
la Mandchourie.
29. Il n’est pas certain que l’analyse de Maruyama puisse être reprise
telle quelle à propos du 26 février. Voir notre présentation, p. 268-269 (N.d.
T.).
30. Seinen gakkô : écoles destinées aux élèves ayant terminé le cycle
d’enseignement primaire, qui dispensaient un enseignement à la fois
général et professionnel, faisant par ailleurs une grande place aux exercices
militaires. Leur cursus complet, qui s’étendait sur 7 années, devint
obligatoire pour les garçons en 1939. Elles furent réformées et intégrées à
l’enseignement secondaire en 1947 (N.d. T.).
31. [1956-1957] Cette analyse pouvait conduire à surestimer la
« résistance passive » de la classe intellectuelle, dont j’ai décrit le rôle en
m’attachant trop exclusivement à son état d’esprit vis-à-vis du mouvement
fasciste. Il y aurait aujourd’hui à étudier en détail et de manière
approfondie le processus qui a conduit l’ensemble des professions
intellectuelles, par-delà la diversité de leurs habitus, à se laisser entraîner
dans une même obéissance silencieuse au régime. Néanmoins, pour ce qui
concerne la comparaison que je faisais avec le nazisme, je ne crois pas que
mon analyse se révèle inexacte. Parmi les manuscrits rédigés en prison par
un des accusés du 26 février, Yasuda Masaru, on trouve une note intitulée
« La décadence morale de la classe moyenne », qui permet de se faire une
idée de la vision que partageait peu ou prou l’ensemble du fascisme
radical : « La classe intellectuelle n’est bonne qu’à se tapir dans un égoïsme
abject. Elle n’a pas le courage nécessaire pour agir suivant ses convictions,
lesquelles se résument du reste à l’évangile marxiste, qu’elle s’est contentée
de gober. Quant aux “petits-bourgeois”, comme on les appelle, ils ne
connaissent que l’hédonisme charnel. Cette décadence est la source de
grands maux pour notre pays. » Une enquête effectuée en 1943 par le
Comité d’études sur la politique idéologique de la ville de Tokyo fait état de
positions divergentes parmi les enseignants à propos du système scolaire
tel qu’il fonctionnait au plus fort de la guerre (Enquête sur l’état
idéologique des maîtres et des élèves de l’enseignement secondaire dans
la municipalité de Tokyo). Parmi ceux qui portent un jugement critique,
certains, que les enquêteurs qualifient de « radicaux » (kyûshinteki),
pensent que les enseignants ne comprennent pas suffisamment la situation
et qu’il faudrait renforcer encore les mesures propres à adapter
l’enseignement aux exigences de la guerre. D’autres, que les enquêteurs
appellent « conservateurs », regimbent au contraire devant un ensemble
d’« excès » : ils estiment que l’on impose trop d’exercices militaires, que
l’on donne trop de temps à des formalités inutiles et que la multiplication
des tâches autres que d’enseignement les empêche de se consacrer à
l’étude. Or, si l’on met de côté ceux qui n’émettent aucune critique,
autrement dit ceux qui s’adaptent à la tendance générale (environ la moitié
des répondants), c’est dans les écoles normales que l’on trouve le plus de
« radicaux », notamment parmi les jeunes enseignants (plus de 55 %),
tandis que c’est parmi les enseignants du secondaire qu’on trouve le plus
de « conservateurs », là encore parmi les jeunes enseignants (plus de 37 %),
et dans le primaire supérieur qu’on en trouve le moins. On remarque aussi
que les « radicaux » donnent peu d’exemples concrets dans leurs réponses,
et formulent plus souvent leurs critiques en termes abstraits et généraux
(« Il faut éradiquer le libéralisme ! », « Le combat final demande plus
d’engagement ! »), tandis que les « conservateurs » se fondent sur des
expériences ou des observations concrètes. Or cette opposition recoupe en
gros celle des habitus entre les deux composantes de la classe moyenne
dont j’ai parlé plus haut. Du point de vue idéologique, les enseignants du
primaire supérieur et des écoles normales tendent fortement à se ranger du
côté du fascisme radical, ou d’un « ardent soutien » au régime, ceux des
collèges classiques se rangeant au contraire du côté des intellectuels et des
salariés urbains.
32. Des Principes premiers du gouvernement (Of the First Principles of
Government, 1741) : « C’est donc sur l’opinion seule que se fonde le
gouvernement. Une telle maxime s’applique tant aux gouvernements les
plus despotiques et les plus militaires qu’aux gouvernements les plus libres
et les plus populaires. » Trad. fr. Gilles Robel, Essais moraux, politiques et
littéraires, PUF, 2001, p. 147 (N.d. T.).
33. [1956-1957] À cet égard les choses ont remarquablement changé
depuis la fin de la guerre, les intellectuels ne formant plus un groupe social
aussi bien délimité qu’autrefois. Dans la presse, tous les grands journaux,
sans exception, se sont rapprochés du modèle américain et adaptés à une
société de masse « nivelée ». Le cas de l’Asahi shinbun, qui avant la guerre
se distinguait nettement des autres feuilles, en donne l’illustration la plus
frappante.
34. Tout au moins la faction du Contrôle, dominante à l’état-major et au
ministère lorsque l’affaire éclata, ne voyait pas dans la thèse de Minobe un
danger pour ses propres ambitions politiques, alors que la faction de la Voie
impériale la combattait résolument. Voir Takahashi Masae, Ni ni roku
jiken, Chûô kôronsha, 1999 (5e éd. revue et augmentée), p. 153-158. De
plus, les déclarations modérées des ministres citées par Maruyama
s’expliquent en partie par la réserve à laquelle ils étaient tenus en tant que
membres du cabinet gouvernemental. L’un et l’autre laissèrent néanmoins
comprendre qu’ils n’avaient pas de sympathie pour Minobe ni pour sa
thèse. (N.d. T.)
35. L’acharnement du Seiyûkai s’explique en partie par l’espoir de faire
tomber le cabinet Okada. Alors qu’il était majoritaire à la Chambre basse,
le Seiyûkai n’avait pas été appelé à former le gouvernement. Voir notre
présentation, p. 257 (N.d. T.).
36. [1956-1957] Là encore (voir note précédente), le fossé culturel qui
existait autrefois s’est largement comblé depuis la fin de la guerre et il y a
aujourd’hui davantage de continuité entre les deux groupes. Ou bien peut-
être vaut-il mieux dire qu’on ne peut plus identifier les professions
intellectuelles aux seuls salariés urbains diplômés des universités. Non
seulement le salariat urbain a pris un caractère massif, mais en outre un
nouveau type de professions intellectuelles à part entière s’est développé,
notamment à travers le syndicalisme, parmi les emplois qui ne sont pas
occupés par les diplômés des universités. D’autre part, le « journaliste
intellectuel » d’avant la guerre a été absorbé dans l’ensemble plus vaste des
« professions culturelles », dont l’apparition s’est traduite à la fois par une
« promotion » des « gens du spectacle » (geinôjin), inclus dans ce nouvel
ensemble, et par une tendance des intellectuels à se rapprocher du
spectacle, c’est-à-dire par une dépendance croissante envers les médias de
masse. L’effacement des frontières entre ces deux milieux est assez bien
symbolisé par l’évolution d’une revue comme Bungei shunjû (« Les
Annales littéraires »), de plus en plus tournée vers le grand public, ou par
la multiplication des hebdomadaires. On pourrait croire que l’opposition
fréquemment soulignée entre le conservatisme des grands quotidiens et le
style progressiste des revues généralistes est un héritage d’avant la guerre.
Cela est peut-être vrai à certains égards mais, si l’on considère l’évolution
des lectorats, il n’est pas certain que la signification sociologique de cette
opposition soit la même aujourd’hui.
37. Initialement destinés à empêcher l’armée des Alliés de débarquer
dans l’archipel, ces exercices consistèrent bientôt également à braquer les
piques vers le ciel afin de repousser les bombardiers américains (N.d. T.).
38. Ministre de l’Intérieur dans le cabinet Wakatsuki et membre du
même parti (Minseitô), Adachi s’en désolidarisa en appelant à une coalition
avec le parti Seiyûkai, hâtant la chute de Wakatsuki alors que celui-ci était
mis en difficulté par les initiatives des militaires sur le continent. Il quitta
peu après le Minseitô pour créer un parti nationaliste (N.d. T.).
39. Hormis l’assassinat du Premier ministre Inukai, la tentative de coup
d’État du 15 mai échoua largement. Elle entraîna cependant l’abandon de
la règle qui s’était progressivement mise en place depuis 1914, consistant à
choisir le Premier ministre au sein de la Diète. De mai 1932 jusqu’au
lendemain de la guerre, les Premiers ministres furent soit des militaires, le
plus souvent, soit des hauts fonctionnaires. Voir notre présentation, p. 254-
259 (N.d. T.).
40. [1956-1957] Bien que ces appellations soient devenues très
courantes et que l’on tende à rabattre systématiquement tous les
affrontements au sein de l’armée sur ce schéma simple opposant faction de
la Voie impériale et faction du Contrôle (parfois en adjoignant à celle-ci la
faction dite « de l’Armée pure » ou Seigun-ha), les choses sont en réalité
plus complexes et difficiles à saisir. L’antagonisme de ces deux factions n’a
vraiment été patent qu’entre le moment où le général Araki est devenu
ministre de l’Armée (décembre 1931) et la tentative de coup d’État du
26 février 1936. S’il est vrai que la faction de la Voie impériale avait une
certaine cohérence, il n’est pas certain, en revanche, que ceux qui prirent
les rênes de l’armée après le 26 février puissent être considérés comme
appartenant à la faction du Contrôle (du reste, on parle souvent de
« nouvelle faction du Contrôle »). Sous ces réserves et par commodité, je
me suis permis d’utiliser les mêmes noms pour évoquer des faits
postérieurs à 1936. [Pour des précisions sur l’histoire de cet affrontement
au sein de l’armée, voir Factions militaires et notre présentation, p. 265-
266 (N.d. T.).]
41. [1956-1957] Nagata Tetsuzan, qui passait pour être le cerveau de la
faction du Contrôle, déclara souvent qu’il ferait de l’armée tout entière
l’artisan « irréprochable » de la rénovation nationale. C’est cette ambition
qui l’amena à se rapprocher de l’entourage impérial (anciens Premiers
ministres et membres du Conseil privé) ainsi que des nouveaux
bureaucrates. Les idées de la Voie impériale, comme je l’ai dit, étaient des
plus abstraites. Leur seule proposition concrète, et qui selon eux devait
passer avant tout, était la guerre contre l’Union soviétique. Elle n’était pas
fondée seulement sur des considérations stratégiques mais découlait
« logiquement » de leur croyance en la supériorité absolue de l’État
impérial. On ne saurait oublier que parmi les revendications du 26 février
figurait la nomination du général Araki à la tête de l’armée du Kwantung,
« afin d’intimider l’Union soviétique ». La plupart des instigateurs du
26 février partageaient sans doute peu ou prou la même anxiété que celle
dont l’un d’eux, le lieutenant Nakahashi, faisait état dans son testament :
« En cas de conflit avec l’URSS, avons-nous vraiment une chance de
l’emporter ? Et si l’ennemi venait à la fois de l’intérieur et de l’extérieur ?
Une fois la droite liquidée, il ne resterait plus que les neutres (“les
impotents”, comme on dit) et la gauche. Je ne saurais exprimer le
désespoir immense que cette idée m’inspire » (« Testament de Nakahashi
Motoaki »). On ne peut comprendre la radicalité des moyens mis en œuvre
par les jeunes officiers de la Voie impériale si l’on ne tient pas compte de ce
sentiment qu’une guerre avec l’Union soviétique était imminente. Par
ailleurs, s’il est certain que les contradictions sociales ont joué un rôle dans
ce qui a poussé les jeunes officiers au soulèvement, l’optimisme de leur
croyance en cette épiphanie impériale qui devait se produire dès qu’ils
auraient éliminé « les scélérats infestant le Trône », leur interdisait
foncièrement toute pensée critique de nature à évoquer le problème social
en tant que tel ou à mettre en cause le régime lui-même. Mais il y a plus,
car dans la politique réelle, ce principe de soumission intégrale à
l’empereur et la méfiance instinctive pour toute initiative de réforme du
système n’émanant pas de l’empereur en personne (méfiance qui motivait
aussi leurs attaques contre « les fascistes de l’état-major ») étaient bien
faits pour fonctionner dans le sens d’un conservatisme absolutiste. Que par
la suite des généraux de la Voie impériale comme Yanagawa ou Obata aient
uni leur voix à celle de vétérans de la haute finance pour dénoncer la
planification de l’économie comme l’œuvre de « démons rouges », ou qu’ils
aient contribué à rendre sans effet le Mouvement pour un ordre nouveau (à
en faire une « mobilisation spirituelle », comme ils disaient), tout cela était
du moins parfaitement cohérent avec le principe idéologique fondamental
de ce courant. C’est la même logique qui commandait l’hostilité violente
des jeunes officiers envers les projets de coup d’État de 1931 (affaires de
mars et d’octobre) ou envers « les fascistes de l’état-major ». On se trompe,
donc, lorsqu’on prétend décrire cette idéologie en la résumant par la
formule « État impérial + socialisme », ou en parlant de social-
nationalisme, car on laisse alors échapper cette combinaison paradoxale de
conservatisme et de radicalité. Il ne suffit pas de pointer la contradiction
entre les fins subjectives et le rôle objectif des jeunes officiers. Il importe
au moins autant de souligner la limite intrinsèque à leur idéologie, qui les
empêchait de formuler aucune critique du système dans son contenu
concret, la radicalité se trouvant réduite à la dimension purement formelle
de l’illégalité.
42. Sur ce discours et l’échange qui s’ensuivit, voir Échange du hara-kiri
(N.d. T.).
43. Voir Affaires du front populaire (N.d. T.).
44. La Loi d’urgence sur le contrôle de l’expression des opinions, de
l’édition, des assemblées et des associations (Genron shuppan shûkai
kessha torishimari hô), ainsi que la Loi pénale spéciale pour le temps de
guerre (Senji keiji tokubetsu hô) furent passées le 19 décembre 1941. La
seconde fut aggravée à trois reprises, deux fois en 1943 et une fois en juin
1945 (N.d. T.).
45. Ou « pseudo-constitutionnalisme » (Scheinkonstitutionalismus) :
terme employé par les libéraux allemands au XIXe siècle pour critiquer les
Constitutions ne servant qu’à maintenir l’ancien régime sous une forme
moderne ou réservant l’essentiel du pouvoir au monarque (y compris la
Constitution imposée par la Prusse en 1870). Il fut repris par Max Weber
dans son analyse de la Russie après la révolution de 1905, qui soulignait le
peu d’effet de celle-ci sur le pouvoir de la bureaucratie. Voir Œuvres
politiques (1895-1919), trad. fr. Él. Kauffmann, J.-Ph. Mathieu et M.-A.
Roy, Albin Michel, 2004. Maruyama s’en est largement inspiré dans sa
propre analyse du régime instauré par la Constitution de 1889. Voir « Le
Profil psychologique des dirigeants de guerre », p. 152 sq. (N.d. T.).
46. [1956-1957] D’autres facteurs contribuent à déterminer le modèle de
développement du fascisme. Sur ce qui fait que le processus se poursuivra
« par en bas » ou « par en haut », je renvoie à mon article de 1952,
« Questions à propos du fascisme. Remarques sur sa dynamique politique »
(« Fashizumu no shomondai. Sono seijiteki dôgaku ni tsuite », Shisô,
octobre 1952, trad. angl. Ronald Dore, dans Thought and Behaviour in
modern Japanese politics, sous la dir. d’Ivan Morris, Londres, Oxford
University Press, 1966, p. 157-176.)
47. En 1928, à l’issue des premières élections au suffrage universel
masculin, les partis de gauche, ou « partis prolétariens » (musan seitô),
obtinrent 7 sièges à la Chambre basse, sur un total de 466 (N.d. T.).
48. [1956-1957] Il ne fait pas de doute que la classe dominante a
réellement cru qu’une révolution « bolchevique » menaçait le Japon, mais
c’est une autre question que celle de savoir si les conditions subjectives et
objectives étaient effectivement réunies pour qu’une révolution
prolétarienne soit bientôt envisageable. Cette réaction, disproportionnée,
au progrès des idées communistes s’explique en premier lieu par le fait
qu’on y voyait l’influence et même la main de l’Union soviétique, pays tout
proche. C’est à la classe dominante japonaise, et non à Foster Dulles, que
revient l’honneur d’avoir inventé la notion d’« agression indirecte ». Que
l’anticommunisme des jeunes officiers ait été plus profond encore que leur
aversion pour les financiers japonais s’explique non seulement par la vision
de l’État impérial dont j’ai parlé, mais par l’instinct de leur profession, qui
ne pouvait considérer le communisme indépendamment de la position
géostratégique du Japon vis-à-vis de la Russie. En second lieu, on a pensé
que les enfants de la bourgeoisie, les intellectuels, les étudiants (l’élite du
pays ou ceux qui devaient la former un jour) étaient progressivement
contaminés. À propos des causes du terrorisme d’extrême droite, un
rapport de la Direction générale de la Police (ministère de l’Intérieur)
expliquait ainsi : « Nous assistons à l’importation des idées socialistes et
communistes, favorisée par la Révolution russe. […] Depuis le grand
séisme du Kantô [1923], les diplômés des lycées et de l’enseignement
supérieur, autrement dit ceux qu’on appelle “les intellectuels”, ont été les
plus exposés à l’influence des idées rouges. Nous voyons aujourd’hui de
plus en plus de membres du Parti communiste qui ne craignent pas de
prôner jusqu’au renversement de notre magnifique État impérial. Nous en
avons découvert des cas jusque dans l’armée de Notre Souverain. »* Alors
que l’organisation des ouvriers et des paysans était encore à un niveau qui
n’avait guère de quoi inquiéter, et alors que l’inclination des
« intellectuels » pour « les idées rouges » était, selon les critères marxistes,
un phénomène tout à fait anormal, il est assez amusant que la classe
dominante japonaise ait vu là une menace redoutable. Comme le montre le
fameux mémoire adressé à l’empereur par Konoe Fumimaro en février
1945, le cauchemar qui jusqu’à la fin terrifia les dirigeants japonais était
moins celui d’une révolution venue d’en bas que celui d’un effondrement
de l’appareil d’État qui aurait été provoqué de l’intérieur de celui-ci**.
Dans l’ensemble, la bolchevisation de la « classe intellectuelle » ou celle des
« fils de bonne famille » était pourtant loin d’avoir pris une ampleur telle
qu’on dût s’en alarmer. Ce constat oblige à s’interroger sur les causes de
ces réactions allergiques suraiguës aux phénomènes de différenciation
idéologique, donc sur les structures psychologiques du Japon impérial
d’avant 1945. Je renvoie ici à « Logique et psychologie de
l’ultranationalisme ». Voir aussi infra, note suivante.
[* Non publié, ce rapport est également cité par Yabe Teiji (Konoe
Ayamaro, Konoe Ayamaro denki kankô kai, Tokyo, 1952, p. 188, 199,
243), qui le tenait probablement de Konoe, dont il était un proche
conseiller. Maruyama a pu en obtenir un exemplaire grâce à Yabe, qui fut
son collègue à la faculté de droit de l’Université de Tokyo jusqu’en 1945 et
qui le mentionne à plusieurs reprises dans son journal (Yabe Teiji nikki, 3
vol., Yomiuri shinbunsha, 1975) (N.d. T.).]
[** Dans ce mémoire, Konoe présentait la défaite comme désormais
inévitable et dénonçait une collusion des ultranationalistes radicaux avec
l’extrême gauche : le jusqu’au-boutisme, selon lui, ne visait en réalité qu’à
produire les conditions les plus favorables à une révolution (N.d. T.).]
49. [1956-1957] Cette explication, naturellement, me paraît aujourd’hui
très insuffisante. Comme l’avait tout de suite fait remarquer Hattori Shisô,
je péchais là par économisme. Pour comprendre l’absence de prise du
pouvoir par en bas, il est nécessaire de dégager ce qu’il y a de spécifique
dans les structures du régime impérial, en mettant au jour les puissants
mécanismes d’assimilation dépolitisante qui ont servi à produire des sujets
loyaux et fidèles. Parmi les travaux récents, on pourra consulter ici
Recherches sur les structures politiques du Japon moderne d’Ishida
Takeshi (Kindai Nihon seiji kôzô no kenkyû, 1956). La stabilité du système
impérial moderne a été assurée d’un côté par la dépolitisation de la base de
la société (l’ordre des notables, gardiens « de la morale et des bonnes
mœurs », appuyé sur les instances de pouvoir locales), de l’autre par un
sommet transcendant la politique (l’empereur et la haute bureaucratie,
placés au-dessus de tous les affrontements politiques). Dans un tel
système, la propension est généralement forte à percevoir la diversification
des idées politiques comme un grand péril pour la concorde naturelle
(« l’esprit d’harmonie »). Cette inclination s’aggrave encore lorsque le
système paraît en crise. La maxime favorite des fascistes et autres
thuriféraires de l’État impérial, selon laquelle « le libéralisme fait le lit du
communisme », a eu au Japon une force particulière. On peut considérer
en effet comme une loi générale que le fascisme, dans une situation
donnée, concentrera toujours ses attaques sur l’idéologie la plus marginale.
Or, s’il est vrai que le fascisme se donne toujours pour première tâche la
destruction des avant-gardes révolutionnaires, celle-ci, au Japon, était déjà
pour l’essentiel accomplie à la fin de l’époque des cabinets de parti. Les
mouvements d’extrême droite et tous ceux qui appelaient à purger l’État
impérial abandonnèrent donc beaucoup plus tôt qu’ailleurs leurs premières
cibles, communisme et socialisme, pour tourner leurs attaques vers ce
libéralisme censé préparer le terrain aux idées rouges. On peut situer vers
1932-1933 le moment de cette réorientation, dont la précocité même eut
une importance extrêmement grande pour le processus politique et social
ultérieur.
50. Voir Arrestations du 15 mars 1928 et du 16 avril 1929.
51. En juin 1928, une ordonnance impériale d’urgence (kinkyû
chokurei) ajouta la peine de mort aux sanctions prévues par la déjà sévère
Loi sur le maintien de l’ordre public (Chian iji hô) de 1925. Elle élargit la
définition des actes pouvant faire l’objet de poursuites et supprima la limite
de dix ans pour les peines d’emprisonnement.
52. Voir supra, note 38.
53. « Les Hautes Parties contractantes déclarent solennellement au nom
de leurs peuples respectifs qu’elles condamnent le recours à la guerre pour
le règlement des différends internationaux et y renoncent en tant
qu’instrument de politique nationale dans leurs relations mutuelles. »
Article premier du pacte de renonciation à la guerre, signé à Paris le
27 août 1928, par les représentants de l’Allemagne, des États-Unis, de la
Belgique, de la France, du Royaume-Uni, de l’Italie, du Japon, de la Pologne
et de la Tchécoslovaquie, auxquels se joignirent peu après une quarantaine
d’autres pays.
● LE PROFIL PSYCHOLOGIQUE DES
DIRIGEANTS
DE GUERRE JAPONAIS (MAI 1949)
1. LE LIEU DU PROBLÈME
À ce jour, aucune réponse claire n’a encore été apportée à la question
de savoir pourquoi le Mikado, le Führer et le Duce ont déclenché une
guerre contre les États-Unis au moment même où Joukov menait
victorieusement la contre-offensive soviétique devant Moscou. Les
choix désespérés d’hommes en proie au fanatisme et à la mégalomanie,
se laissent moins facilement expliquer par des considérations
diplomatiques ou de stratégie que par une étude psycho-pathologique.
ATMIEO, n° 8557.
É
1933 l’Association pour la Voie impériale*. Élu à la
Chambre basse de 1936 au milieu des années 1950, il
poursuivit sa carrière politique après la guerre, dans
l’aile droite du courant socialiste et comme représentant
du syndicalisme paysan.
HIRANUMA Kiichirô (1867-1952) : magistrat, haut
fonctionnaire et homme politique, très hostile aux idées
démocratiques et socialistes, ainsi qu’à toute forme de
pensée étrangère. Après avoir travaillé dans les années
1910 à renforcer le code de procédure pénale afin
d’accroître notamment la répression des crimes
idéologiques, il fut président de la Haute cour (Daishin
in), ministre de la Justice (1923-1924), membre du
Conseil privé de l’empereur à partir de 1924, vice-
président de la Chambre haute (1926-1936). Il fonda en
1924 la Société des principes nationaux*, nationaliste et
antilibérale, dissoute lorsqu’il fut nommé président du
Conseil privé (1936-1939). Premier ministre durant
quelques mois en 1939, il tenta de renforcer l’alliance
avec l’Allemagne contre le communisme et démissionna
après la signature du pacte germano-soviétique. Ministre
d’État sans portefeuille dans le cabinet Konoe
(septembre 1940-octobre 1941), il tenta de s’opposer
aux militaires et à l’alliance avec l’Allemagne, puis de
hâter la chute du cabinet Tôjô*. Jugé comme criminel
de guerre de catégorie A, il fut condamné à
l’emprisonnement à perpétuité mais fut libéré pour
raisons de santé en 1952. Voir aussi Amano Tatsuo,
Association de soutien au Trône, Jûshin, Suzuki
Kisaburô.
HIROTA Kôki / Hirotake (1878-1948) : diplomate et
homme politique nationaliste, proche de la Gen.yôsha*.
Ambassadeur en Union soviétique (1930-1932),
ministre des Affaires étrangères (1933-1936), il adopta
une position intransigeante vis-à-vis des Anglo-Saxons
lors des négociations sur le renouvellement des traités
navals, tout en cherchant un rapprochement avec la
Chine sur la base de l’anticommunisme. Premier
ministre (mars 1936-février 1937) au lendemain du 26
février*, il conclut le Pacte anti-Komintern, rétablit la
règle selon laquelle les ministres de l’Armée et de la
Marine devaient être des militaires du service actif,
renforçant ainsi le pouvoir de l’état-major sur le
gouvernement, et accepta les demandes de l’armée
auxquelles s’opposait le cabinet précédent
(accroissement des dépenses militaires, contrôle accru
sur les industries en vue d’une guerre, aggravation de la
législation sur les crimes idéologiques, adoption d’un
programme de politique extérieure revendiquant pour le
Japon une hégémonie totale en Asie orientale). De
nouveau ministre des Affaires étrangères de 1937 à
1938, il défendit et parvint à imposer le refus de toute
concession vis-à-vis de la Chine. Jugé comme criminel
de guerre de catégorie A par le Tribunal militaire
international, il fut le seul civil à être condamné à mort.
HONJÔ Shigeru (1976-1945) : général de l’Armée de
terre, commandant en chef de l’Armée du Kwantung* au
moment de l’incident de Mandchourie. S’il n’était pas
averti du plan visant à provoquer l’incident, il approuva
les suites qui lui furent données et qui conduisirent à
l’invasion de la Mandchourie. Relevé de son
commandement et rappelé au Japon, il fut nommé à la
Chambre haute et devint aide de camp de l’empereur.
Après le 26 février 1936*, il fut placé sur la liste de
réserve en raison de ses liens avec la faction de la Voie
impériale (voir Factions militaires) et devint directeur
des hôpitaux militaires en 1938. Suspecté de crimes de
guerre, il se suicida rituellement avant d’être arrêté par
les forces d’occupation, en novembre 1945.
HOSHINO Naoki (1892-1978) : haut fonctionnaire du
ministère des Finances, détaché au Mandchoukouo,
dont il dirigea les finances publiques et l’économie de
1932 à 1940. Rappelé au Japon pour y être directeur de
l’Agence de planification* dans le deuxième cabinet
Konoe (1940-1941), il devint secrétaire général du
cabinet Tôjô* (1941-1944) tout en occupant diverses
fonctions liées à l’organisation de l’économie de guerre.
Jugé comme criminel de guerre de catégorie A au procès
de Tokyo, il fut condamné à l’emprisonnement à
perpétuité mais libéré en 1958.
IIMURA Jô (1888-1976) : général de l’Armée de terre,
attaché militaire en Turquie, chef d’état-major de
l’Armée du Kwantung*, rappelé au Japon pour être
nommé directeur du Centre de recherches sur la guerre
totale*, poste qu’il occupa pendant quelques mois, avant
d’être nommé à la tête de la 5e armée (rattachée à
l’Armée du Kwantung, chargée de la défense de la
frontière avec l’URSS). Directeur de l’École supérieure
de guerre (1943-1944), il fut chef d’état-major de
l’Armée du Pacifique sud de mars à décembre 1944 et
directeur de la Police militaire (Kenpeitai) d’août à
décembre 1945.
IKEDA Shigeaki / Seihin (1867-1950) : directeur général
de la banque Mitsui et membre dirigeant du groupe du
même nom jusqu’en 1936, puis gouverneur de la
Banque du Japon. Bien que proche de l’extrême droite,
il faisait partie des hommes que la Ligue du sang* ou les
officiers du 26 février* prévoyaient d’assassiner, le
considérant comme un représentant de la bourgeoisie
corrompue. Conseiller gouvernemental dans le premier
cabinet Konoe en 1937, il y devint ministre des
Finances et ministre du Commerce et de l’Industrie
(1938-1939). Écarté des cabinets suivants par l’armée,
qui le jugeait trop libéral et proche des Anglo-Saxons, il
fut cependant nommé au Conseil privé de l’empereur en
1941. Arrêté en novembre 1945, il fut relâché au bout
de quelques mois et supprimé de la liste des suspects de
crimes de guerre, mais frappé par l’interdiction
d’exercer un emploi public.
Incident de Jinan (Sainan jiken) : affrontement entre
troupes japonaises et chinoises survenu en mai 1928,
peu après que l’armée de Tchang Kai-chek eut reconquis
le Shandong. Malgré les accords conclus l’année
précédente, des troupes chinoises et japonaises étaient
présentes dans la ville de Jinan lorsque se produisirent
des pillages et des violences contre les ressortissants
japonais. Le gouvernement de Tanaka Giichi* envoya
des renforts et, devant le refus de Tchang de retirer ses
troupes hors de la ville, déclencha une offensive qui fit
plusieurs milliers de morts du côté chinois. Le corps
expéditionnaire japonais fut rappelé en juillet mais le
règlement de l’affaire demanda près d’un an.
Incident de Mandchourie (Manshû jihen) : invasion de
la Mandchourie par l’armée japonaise, dont le prétexte
fut une explosion ayant eu lieu sur une voie ferrée du
chemin de fer sud-manchourien, le 18 septembre 1931.
Dénoncé comme un attentat dû à des nationalistes
chinois, le sabotage avait été organisé par l’état-major de
l’armée du Kwantung*, qui occupa aussitôt la ville
voisine de Moukden et celle de Jilin trois jours plus tard,
tandis que l’état-major de l’armée de Corée, également
impliqué dans le complot, faisait franchir la frontière à
ses troupes sans avoir reçu d’ordre pour cela. Le cabinet
Wakatsuki* tenta de s’opposer aux initiatives prises sur
le terrain mais se heurta à l’état-major général, qui
demandait au contraire l’envoi de renforts. Il finit par se
résigner, cédant devant une opinion publique
enflammée par les premiers succès militaires et devant
le risque d’un coup d’État (voir Affaire d’octobre*).
L’ensemble de la Mandchourie fut conquis en cinq mois.
Malgré les protestations internationales, elle devint en
mars 1932 l’État du Mandchoukouo, dont
l’administration était contrôlée par l’armée du
Kwantung. Voir aussi Doihara Kenji, Hayashi Senjurô,
Honjô Shigeru, Itagaki Seishirô.
Incident du Pont Marco Polo (Rokôkyô jiken) :
affrontement entre troupes japonaises et chinoises
survenu le 7 juillet 1937 près d’un pont situé à l’ouest de
Pékin et qui fut à l’origine de la guerre sino-japonaise
(1937-1945). Bien qu’un cessez-le-feu eût été conclu
très rapidement après l’incident initial, les négociations
entre les deux gouvernements échouèrent, la partie
chinoise refusant de céder aux exigences japonaises.
Tout en cherchant un règlement diplomatique, le
Premier ministre Konoe* autorisa la préparation d’un
corps expéditionnaire, à quoi Tchang Kai-chek réagit en
appelant les Chinois à une mobilisation générale. Le
corps expéditionnaire japonais reçut alors des renforts
de Corée et de Mandchourie. Un nouvel incident eut
lieu le 26 juillet, qui fut interprété à Tokyo comme
annonçant une offensive chinoise et justifia l’envoi de
trois divisions. L’armée japonaise passa à l’attaque le 28
sans autre objectif que d’avancer autant qu’elle le
pourrait. Voir aussi Itagaki Seishirô, Matsui Iwane, Mutô
Akira.
INOUE Jun.nosuke (1869-1932) : gouverneur de la
Banque du Japon (1919-1923, 1927-1928), ministre des
Finances (1923-1924) puis, de nouveau dans les
cabinets Hamaguchi* et Wakatsuki*, de juillet 1929 à
décembre 1931. Sa politique (suppression de l’embargo
sur l’or, réduction des dépenses publiques), combinée à
la crise mondiale, eut un effet désastreux sur l’économie
japonaise. Il fut assassiné par un membre de la Ligue du
sang* en février 1932. Voir aussi Inoue Nisshô, Onuma
Shô.
INOUE Nisshô (1887-1967) : prêcheur bouddhiste
indépendant, qui fonda son propre temple dans le nord
du Kantô en 1928, après avoir travaillé sur le continent
pour la Compagnie du chemin de fer sud-mandchourien
et pour les services de renseignement de l’armée dans
les années 1910. Il créa le groupe terroriste de la Ligue
du sang*, responsable des assassinats du ministre des
Finances Inoue Jun.nosuke* et du président du groupe
Mitsui Dan Takuma en 1932. Condamné à
l’emprisonnement à perpétuité en 1934, il fut libéré en
1940 lors d’une amnistie générale. Il reprit ses activités
politiques après la guerre, fondant le Groupe de
protection nationale (Gokoku dan) avec d’autres
anciens membres de la Ligue du sang. Voir aussi Affaire
du 15 mai 1932, Fujii Hitoshi.
ITAGAKI Seishirô (1885-1948) : général de l’Armée de
terre, qui fut un des organisateurs de l’attentat contre
Zhang Zuolin* et de l’incident de Mandchourie*. Après
avoir occupé divers postes à l’état-major général
(section des affaires chinoises) puis dans l’état-major de
l’armée du Kwantung*, il devint conseiller militaire de
l’État du Mandchoukouo. Promu général de division et
chef d’état-major de l’armée du Kwantung en 1936, il
combattit en Chine de 1937 à 1938. Son opposition à
l’extension de la guerre en Chine lui valut d’être appelé
à Tokyo comme ministre de l’Armée dans les cabinets
Konoe* et Hiranuma* (1938-1939). Commandant en
chef de l’armée de Chine de 1939 à 1941, il en fut écarté
pour ne pas avoir empêché les initiatives de l’armée du
Kwantung contre l’Union soviétique, et devint
commandant en chef de l’armée de Corée. Jugé comme
criminel de catégorie A, il fut condamné à mort par le
Tribunal militaire international.
ITÔ Hirobumi (1841-1909) : homme d’État de l’ère
Meiji, membre de la faction de Chôshû, dont il devint le
représentant le plus important à la fin des années 1870.
Secrétaire d’État à l’Intérieur en 1878, quatre fois
Premier ministre entre 1885 et 1901 (poste qu’il fut le
premier à occuper), il fut un des principaux rédacteurs
de la Constitution de 1889, largement inspirée par le
modèle de la Prusse, celui qu’il avait le plus étudié,
admirant Bismarck au point de l’imiter dans son
apparence extérieure. En 1900, il fonda le parti
Seiyûkai*, qu’il présida jusqu’en 1903 tout en
continuant à exercer un rôle d’oligarque par son
influence au Conseil privé. Résident général en Corée à
partir de 1905, il fut assassiné en 1909 par un
indépendantiste coréen.
IWAKURA Tomomi (1825-1883) : noble de cour (kuge)
qui collabora avec les fiefs du Sud-ouest pour organiser
la Restauration impériale de 1868 et joua un rôle
important dans la mise en place du nouveau régime. Il
dirigea l’ambassade extraordinaire chargée de la
renégociation des traités inégaux, qui parcourut les
États-Unis et l’Europe de 1871 à 1873. S’occupant
surtout des questions regardant la Maison impériale et le
nouveau statut de la noblesse, il ne se rallia que
tardivement à l’idée d’instaurer un gouvernement
constitutionnel, et en posant comme condition que le
modèle en fût celui de la Prusse.
Iwanami shoten : maison d’édition fondée en 1913 par
Iwanami Shigeo (1880-1946), qui édita les derniers
romans de Natsume Sôseki et se fit connaître par ses
publications d’ouvrages savants, notamment par ses
collections de philosophie ou d’ouvrages scientifiques,
ainsi que de traductions, mais aussi par ses collections à
bon marché de textes classiques (1927) et d’ouvrages de
vulgarisation rédigés par des spécialistes (1938). Les
expressions « culture Iwanami » ou « intellectuel
Iwanami » suggèrent l’importance particulière que cet
éditeur avait prise dans le monde de l’édition et des
idées japonais. De nombreux textes de Maruyama, ainsi
que le recueil de ses œuvres (1994-1996), furent publiés
par Iwanami. Voir aussi Kôdansha.
IWATA Fumio (1891-1943) : voir Société pour la grande
réforme.
JINMU : premier empereur, fondateur de la lignée
impériale en 660 avant J.-C. selon l’historiographie
officielle jusqu’en 1945. On fêta en 1940 le 2 600e
anniversaire de son avènement. Descendant de Jinmu,
l’empereur était donc également considéré comme le
descendant de la déesse solaire Amaterasu.
Jûshin (Hauts conseillers) : nom donné au groupe
informel qui se constitua dans les années 1930, après
que Saionji Kinmochi (1849-1940) fut devenu le dernier
des genrô (« anciens »), dont le rôle, depuis l’ère Meiji,
consistait notamment à conseiller l’empereur pour le
choix du Premier ministre. En 1934, à la chute du
cabinet Saitô, Saionji ayant chargé Makino Nobuaki* de
définir une nouvelle procédure de désignation du
Premier ministre, celui-ci réunit un groupe d’anciens
Premiers ministres, complété par le président du
Conseil privé de l’empereur et le gardien du Sceau privé,
s’inspirant de ce qu’avait fait Saionji lui-même dès 1932.
Cette conférence des hauts conseillers ne fut toutefois
plus convoquée au cours des années suivantes et ne le
fut de nouveau qu’après que Kido Kôichi* et Konoe
Fumimaro* eurent protesté contre le fait que Makino
était en pratique le seul à conseiller l’empereur lors des
changements de cabinet. Elle fut dès lors convoquée à
chaque changement, soit cinq fois entre juillet 1940 et
avril 1945. Le terme jûshin pouvait cependant être
employé de manière plus vague et servir à désigner tous
ceux qui avaient ou passaient pour avoir une influence
sur l’empereur, généralement modératrice, considérée
comme néfaste par l’extrême droite et les militaires
radicaux, qui les dénonçaient comme des « scélérats
infestant le Trône » (kunsoku no kan). À partir de 1942,
le groupe des hauts conseillers devint un foyer
d’opposition au cabinet Tôjô et intrigua pour obtenir son
renvoi. Il joua également un rôle dans les négociations
qui précédèrent la capitulation. Voir aussi Abe
Nobuyuki, Hiranuma Kiichirô, Hirota Kôki, Kido Kôichi,
Konoe Fumimaro, Okada Keisuke, Wakatsuki Reijirô,
Yonai Mitsumasa.
KAGEYAMA Masaharu (1910-1979) : militant
nationaliste, auteur de nombreux recueils et traités de
poésie. Membre du Parti de la production du Grand
Japon*, il fut emprisonné deux ans et demi pour avoir
participé au projet de coup d’État de la Shinpeitai*. En
1940, il fut condamné à 5 ans d’emprisonnement pour
avoir organisé un complot visant à assassiner le Premier
ministre Yonai* et d’autres personnalités politiques afin
de permettre la conclusion du Pacte tripartite*, mais fut
libéré rapidement pour raisons de santé. Il poursuivit
ses activités politiques jusqu’aux années 1970 et se
suicida pour obtenir le vote de la loi officialisant l’usage
des noms d’ère (gengôhô). Voir aussi Maeda Torao.
KAMEI Kan.ichirô (1892-1987) : socialiste devenu
ultranationaliste, membre dirigeant du Parti social-
démocrate* à partir de la fin des années 1920, élu à la
Chambre basse en 1928 et député jusqu’à la fin de la
guerre. Les partis de gauche ayant fusionné dans le Parti
social des masses* (1932), il se rapprocha d’Asô
Hisashi*, avec lequel il fit évoluer la ligne du parti dans
le sens d’une collaboration avec les militaires. Après le
soulèvement du 26 février 1936*, il déclara à la Diète
que le peuple approuverait l’ingérence des militaires
dans la politique aussi longtemps que les soldats
resteraient indépendants des capitalistes. Il fut directeur
du département « Asie orientale » de l’Association de
soutien au trône*. Frappé par l’interdiction d’exercer un
emploi public pendant quelques années après la guerre,
il reprit ensuite des activités politiques dans l’aile droite
du Parti socialiste. Voir aussi Affaire de mars.
KAN.IN-NO-MIYA Kotohito (1865-1945) : prince impérial,
issu de la maison princière héréditaire (shinnôke)
Fushimi, désigné en 1872 pour relever la maison
princière Kan.in. Général de l’Armée de terre, chef de
l’état-major de 1931 à 1940, il fut partisan de l’alliance
avec l’Allemagne et fit chuter le cabinet de l’amiral
Yonai*, qui s’y opposait, en demandant au général Hata*
de démissionner.
KANOKOGI Kazunobu (1884-1949) : idéologue du grand-
asiatisme. Après avoir été officier de marine et
combattu dans la guerre russo-japonaise, il étudia la
philosophie et la théologie, au Japon puis aux États-Unis
et en Allemagne. Il obtint un doctorat de philosophie à
l’Université Keiô (1921), tout en étant membre de la
Société de la pérennité*. Intéressé par
l’indépendantisme indien, il publia un livre sur Gandhi
(1923), fut nommé professeur à l’Université impériale
de Kyûshû (1926) et enseigna pendant trois ans à
l’Université de Berlin. Au début des années 1930, il
participa à la revue Grand-asiatisme (Dai Ajia shugi),
créée par Shimonaka Yasaburô*, ainsi qu’à la fondation
de l’Association pour la Grande Asie*, dont il fut le
président. Opposé aux panasiatismes visant une
libération des peuples, il affirma que la guerre avec la
Chine devait permettre de réaliser l’unification de l’Asie
en luttant contre les principes démocratiques de Sun
Yat-sen et en propageant la voie impériale japonaise. Il
fut vice-président de l’Association patriotique de la
presse du Grand Japon (Dai Nihon genron hôkoku kai)
de 1942 à 1945. Arrêté comme criminel de guerre de
catégorie A pour son activité de propagandiste, il fut
libéré sans avoir été jugé. Voir aussi Alliance nationale
du nouveau Japon, Parti patriotique du travail.
KATAYAMA Tetsu (1887-1978) : socialiste chrétien,
avocat et conseiller de divers mouvements sociaux à
partir des années 1910, notamment de la Confédération
japonaise du travail*, membre fondateur et premier
secrétaire général du Parti social-démocrate* (1926).
Élu à la Chambre basse de 1930 à 1942, il participa à la
création du Parti social des masses* (1932), mais
n’approuva pas la collaboration avec le militarisme dans
laquelle s’engageait la direction de ce parti, dont il fut
exclu en 1940 pour avoir protesté contre l’exclusion de
la Diète du député Saitô Takao, qui avait prononcé un
discours antimilitariste. De nouveau élu au lendemain
de la guerre et réélu jusqu’en 1963, il fut président du
Parti socialiste japonais (Nihon shakaitô) et Premier
ministre dans le cabinet de coalition de 1947.
KAWAKAMI Jôtarô (1889-1965) : socialiste, membre
fondateur du Parti ouvrier et paysan du Japon*, puis du
Parti social des masses*, député (1928-1932, 1936-
1946), il soutint la collaboration de son parti avec le
régime à partir du milieu des années 1930. Après la
guerre, exclu de la fonction publique jusqu’en 1952 pour
son rôle dans l’Association de soutien au Trône*, il fut
de nouveau député (1952-1965) et continua d’avoir un
rôle important dans le courant socialiste.
KAYA Okinori (1889-1977) : haut fonctionnaire,
membre de la Chambre des pairs (1938-1945) ministre
des Finances dans le premier cabinet Konoe* (1937-
1939) et de nouveau dans le cabinet Tôjô* (1941-1944).
Jugé comme criminel de guerre de catégorie A et
condamné à l’emprisonnement à perpétuité, il fut libéré
en 1955 et put reprendre une carrière politique. Député
de 1958 à 1972, il fut membre des cabinets de Kishi
Nobusuke, dont il avait toujours été proche, et d’Ikeda
Hayato.
KIDO Kôichi (1889-1977) : haut fonctionnaire et
homme politique, petit-fils de Kido Takayoshi (1833-
1877). Membre de la Chambre des pairs dès 1917, chef
de cabinet du gardien du Sceau privé de l’empereur à
partir de 1930. Lors de l’insurrection du 26 février
1936*, son intervention auprès du souverain contribua à
éviter que certains généraux n’exploitent la situation
pour imposer un gouvernement militaire. Il fut ministre
de l’Éducation dans le premier cabinet Konoe* (1937-
1938), puis ministre de l’Intérieur dans le cabinet
Hiranuma* (1939), mais ne chercha pas à devenir
Premier ministre quand la situation lui fut favorable. Il
eut en revanche un rôle très important de conseiller
politique de l’empereur, dont il devint le gardien du
Sceau privé en juin 1940, et soutint la formation du
cabinet Tôjô*. Jugé comme criminel de guerre de
catégorie A, il fut condamné à l’emprisonnement à
perpétuité mais libéré en 1955 pour raisons de santé.
Auteur d’un journal de plus de mille pages, il avait remis
celui-ci au Tribunal militaire international, qui l’utilisa
largement lors du procès. Voir aussi Jûshin.
KITA Ikki (1888-1937) : idéologue du nationalisme
révolutionnaire. Proche des socialistes au milieu des
années 1900, il publia en 1906 L’État impérial et le
socialisme pur (Kokutai ron oyobi jun shakai shugi),
où il prônait des mesures inspirées du libéralisme et du
socialisme en les fondant sur une théorie darwiniste de
l’État, et qui fut aussitôt interdit en raison de ses
critiques du système impérial tel qu’il fonctionnait sous
la Constitution de 1889. Son intérêt se porta ensuite sur
la libération de l’Asie. Il se lia à la Société du fleuve
Amour*, rencontra Sun Yat-sen, devint très proche de
Song Jiaoren et se rendit en Chine en 1911 pour
participer au mouvement révolutionnaire, expérience
dont il tira une Histoire non officielle de la révolution
chinoise (Shina kakumei gaishi), parue entre 1915 et
1921, dans laquelle il insistait entre autres sur le rôle de
l’armée, préconisant par ailleurs que le Japon travaille à
libérer l’Asie de la domination occidentale. Lors d’un
nouveau séjour en Chine, après s’être heurté au
mouvement anti-japonais du 4 mai 1919, il rédigea le
Plan de rénovation du Japon *. Se rapprochant à cette
époque du courant d’Ôkawa Shûmei*, il prit part à la
création de la Société de la pérennité* mais n’y joua pas
un rôle important et s’en éloigna au milieu des années
1920. Seul Nishida Zei* resta proche de lui. Malgré le
radicalisme de ses propositions et l’intérêt que ses idées
rencontrèrent bientôt parmi les jeunes officiers, grâce à
Nishida, il n’eut pas d’activité politique, sinon par des
articles pamphlétaires, et ne fut pas directement
impliqué dans les projets de coup d’État des années
1930. Il fut cependant condamné à mort pour sa
participation supposée à la préparation du soulèvement
du 26 février 1936*, ainsi que pour son influence
idéologique sur les officiers qui l’organisèrent.
KITA Sôichirô (1894-1968) : homme politique,
spécialiste de droit et d’études journalistiques. Il fit de
nombreux séjours d’étude en Europe et aux États-Unis
dans les années 1910 et 1920, avant de devenir
professeur à l’Université Waseda. Entré au Minseitô*, il
fut député de 1936 à 1945, participa à la campagne de
mobilisation générale de l’esprit national* au début de la
guerre sino-japonaise, fut conseiller dans le cabinet
Yonai* (1940). Ayant occupé diverses fonctions dans-
l’Association de soutien au Trône* et l’Association
patriotique du commerce (Shôgyô hôkokukai), il fut
frappé par l’interdiction d’exercer un emploi public de
1946 à 1953, mais fut de nouveau député 1953 à 1955.
Kôdansha : importante maison d’édition fondée en
1909 par Noma Seiji*, publiant notamment des
magazines visant un très large public, dont la lecture
devait être « à la fois amusante et profitable », parmi
lesquels Le Club de la jeunesse (Shônen kurabu, 1914-
1962) et Le Club des femmes (Fujin kurabu, 1920-
1988), qui furent longtemps dominants dans leurs
secteurs respectifs, ainsi que King (Kingu, 1924-1957),
qui fut le premier périodique japonais tiré à plus d’un
million d’exemplaires. Voir aussi Iwanami shoten.
KOGA Kiyoshi (1908-1997) : enseigne de vaisseau,
membre de l’association de jeunes officiers de marine
créée par Fujii Hitoshi* (voir Société des soldats
impériaux). Il fut le principal organisateur de la
tentative de coup d’État du 15 mai* 1932. Condamné
avec Mikami Taku* à la peine la plus lourde parmi les
militaires jugés, soit 15 ans d’emprisonnement, il fut
gracié en juillet 1938.
KOIKE Shirô (1892-1946) : membre fondateur du Parti
social-démocrate* (1926), auteur de nombreux ouvrages
sur le système des classes sociales. D’abord proche de
Katayama Tetsu*, il suivit Akamatsu Katsumaro* lors de
sa rupture avec ce parti et la fondation du Parti social-
nationaliste du Japon* (1932). Il dirigea celui-ci après le
départ d’Akamatsu mais suivit bientôt la même
évolution vers un nationalisme sans référence au
socialisme, et rejoignit Akamatsu dans le Parti
rénovateur du Japon (Nihon kakushin tô) en 1937. Élu
député en 1932, il perdit son siège en 1936, le regagna
en 1937 et le perdit de nouveau en 1942, après quoi il
abandonna la politique.
KOISO Kuniakai (1880-1950) : officier de l’Armée de
terre ayant travaillé notamment à l’état-major à partir
de 1915, promu général en 1926, chef du Bureau des
affaires militaires* (1930), impliqué dans le projet de
coup d’État de mars 1931 (voir Affaire de mars*), chef
d’état-major de l’armée du Kwantung* (1932-1934),
commandant en chef de l’armée de Corée (1935-1938),
ministre de l’Outre-mer dans les cabinets Hiranuma*
(1939) et Yonai* (1940), résident général en Corée
(1942-1944), Premier ministre de juillet 1944 à avril 45.
Jugé comme criminel de guerre de catégorie A, il fut
condamné à l’emprisonnement à perpétuité par le
Tribunal militaire international et mourut en prison.
KONDÔ Eizô (1883-1965) : militant socialiste, ami de
Katayama Sen et membre fondateur du Parti
communiste japonais* (1922), qu’il tenta de rapprocher
des anarchistes. Exilé en Union soviétique de 1923 à
1926, il y fut élu représentant du Japon au Ve congrès de
l’Internationale mais rompit avec le Parti communiste à
son retour au Japon. Il rejoignit alors le courant
Ouvriers et paysans*, puis, après l’incident de
Mandchourie*, s’orienta vers le social-nationalisme et
prit part à la création de l’Alliance nationale du nouveau
Japon*.
KÔNO Hironaka (1849-1923) : homme politique,
pionnier du Mouvement pour la liberté et les droits du
peuple* au milieu des années 1870 et figure éminente
du Parti de la liberté. Condamné à 7 ans
d’emprisonnement pour son rôle dans un mouvement
de protestation contre l’administration préfectorale de
Fukushima en 1883, il fut gracié en 1889 et put être élu
à la Chambre basse dès la première session.
Constamment réélu par la suite jusqu’en 1920, membre
dirigeant de plusieurs partis libéraux, il milita
notamment pour le suffrage universel avec Ozaki
Yukio*, mais aussi contre les conditions du traité de
Portsmouth (1905) qui mit fin à la guerre russo-
japonaise.
KONOE Fumimaro (1891-1945) : membre de
l’aristocratie de cour, issu d’une lignée remontant aux
Fujiwara (famille dirigeante à l’époque de Heian), il fut
le chef de file des « nobles rénovateurs » à la Chambre
des pairs, dont il devint membre en 1916 puis président
de 1933 à 1937. Intéressé par le socialisme dans sa
jeunesse, il évolua vers un nationalisme antilibéral et
opposé à l’hégémonie anglo-saxonne en Asie. Se
rapprochant de l’armée au début des années 1930, il
obtint son soutien pour devenir Premier ministre en
1937. N’ayant pu empêcher l’extension de la guerre
sino-japonaise, il décida ensuite de mettre fin aux
négociations avec le Kuomintang (1938) et lança la
campagne de mobilisation de l’esprit national* destinée
à soutenir la guerre. Allié à la fois aux généraux de la
Voie impériale (voir Factions militaires) et aux
bureaucrates rénovateurs, partisans du dirigisme
économique et inspirateurs du Mouvement pour un
nouveau régime*, qu’il conduisit, il fut de nouveau
Premier ministre à partir de juillet 1940 et œuvra pour
obtenir la dissolution des partis et la création de
l’Association de soutien au Trône*. Sans y être
favorable, il accepta la conclusion du Pacte tripartite*
avec l’Allemagne et l’Italie (septembre 1940), espérant
renforcer la position du Japon face aux États-Unis. Les
négociations avec ceux-ci ayant échoué, il démissionna
en octobre 1941. Opposé à Tôjô* dans les années
suivantes, il adressa un mémoire à l’empereur en février
1945 pour lui demander d’ouvrir des négociations de
paix, afin notamment d’éviter une révolution au Japon.
É
Ministre d’État au moment de la capitulation, il se
suicida en décembre alors qu’il était sur le point d’être
arrêté comme criminel de guerre.
KUME Kunitake (1839-1931) : pionnier de
l’historiographie moderne, membre de l’Institut
d’historiographie à partir de 1879 et professeur à
l’Université impériale de Tokyo à partir de 1888. Il fut
contraint de démissionner en 1893, après une
campagne de protestation visant un article dans lequel il
présentait le shintô comme une survivance d’un culte
primitif. Secrétaire particulier d’Iwakura Tomomi* lors
de son ambassade extraordinaire au début des années
1870, il avait publié en 1878 un Journal de voyage en
Europe et aux États-Unis (Ôbei kairan jikki), qui
connut un succès immense.
KUMOI Tatsuo (1844-1870) : guerrier du fief de
Yonezawa, qui exerça des fonctions officielles à la cour
de Kyoto et tenta de défendre le shôgunat à la fin des
années 1860, en soulevant les fiefs de sa région contre le
parti impérial des clans du Sud-ouest. Après l’échec de
la Ligue du Nord-est, il se rendit à Tokyo, où il essaya
d’organiser un complot pour renverser le nouveau
gouvernement, mais ses projets furent découverts avant
qu’il ait pu les mettre à exécution et il fut condamné à
mort.
KURODA Kiyotaka (1840-1900) : oligarque de l’ère Meiji,
chef de la faction de Satsuma dans les années 1880 et au
début des années 1890. Après avoir dirigé l’Agence de
développement du Hokkaidô, il fut ministre de
l’Agriculture et du Commerce (1887-1888) puis Premier
ministre (1888-1889), ministre des Communications
(1892-1895), président du Conseil privé (1895-1900).
KURUSU Saburô (1886-1954) : diplomate, ambassadeur
en Allemagne (1939-1940) et représentant du Japon lors
de la signature du Pacte tripartite*, envoyé à
Washington en 1941 par Konoe* pour mener les ultimes
É
négociations avec les États-Unis, dont l’échec précipita
la guerre du Pacifique.
L’Esprit du soldat de l’Armée impériale (Kôkoku no
gunjin seishin) : livre publié par le général Araki Sadao*
en janvier 1933, alors qu’il était ministre de l’Armée de
terre, composé d’une dizaine de courts chapitres
explicitant le sens de l’Admonition impériale aux soldats
et aux marins (1882) ainsi que de quelques
proclamations des empereurs Taishô et Shôwa au sujet
de l’armée. Comme dans les nombreux autres textes et
articles qu’il publia au cours des années 1930, Araki y
affirmait la nécessité de rester dans « l’esprit de la
fondation » pour accomplir la mission que son origine
divine imposait au Japon, à savoir « étendre la Voie
impériale » au monde entier pour en assurer la paix
totale et définitive. Il exaltait en particulier le sens du
sacrifice, indispensable à l’accomplissement de cette
mission et plus déterminant que les techniques
modernes, idée largement reprise dans la propagande
officielle jusqu’en 1945. Voir aussi Factions militaires.
La Voie des sujets (Shinmin no michi) : manuel
composé par le ministère de l’Éducation et diffusé dans
les écoles à partir de mars 1941, qui reprenait les
thèmes déjà présents dans Les Principes de l’État
impérial (Kokutai no hongi, 1937), c’est-à-dire la lutte
contre « l’égoïsme et l’utilitarisme venus d’Occident » et
le rétablissement d’un sens du devoir envers l’État que
les sujets de l’empereur devaient placer au-dessus de
tout. Il y ajoutait ceux de la propagande militaire et de
l’ultranationalisme en expliquant les exigences de la
défense nationale et la mission dans laquelle était
engagé le Japon depuis 1931, à savoir « la construction
d’un ordre mondial fondé sur la vertu ». Destiné à
préparer les Japonais à une guerre avec les Anglo-
Saxons, il comportait en outre des recommandations
pratiques pour « l’entraînement moral des sujets », dont
les activités quotidiennes devaient être orientées vers
l’accomplissement cette mission.
La Voie du Japon et des Japonais (Nihon oyobi
Nihonjin no michi) : livre publié par Ôkawa Shûmei* en
1926 et qui connut 45 réimpressions ou rééditions
jusqu’en 1945. Synthèse des idées philosophiques et
politiques de son auteur, il se présente comme une
démonstration de la supériorité de l’État impérial
japonais, le plus proche de la véritable nature éthique
de l’homme et le seul capable d’assimiler les progrès
réalisés hors de lui sans en subir les effets pervers, ce
qui lui imposait la mission d’unifier le monde, la
libération des peuples asiatiques ne devant être qu’une
première étape. Cependant, l’État impérial japonais lui-
même demandait à être « rénové » (kakushin), c’est-à-
dire non pas reconstruit (kaizô) extérieurement,
comme le pensent notamment les socialistes, mais
purgé de tout ce qui avait fait dégénérer le projet
fondamentalement sain de 1868, c’est-à-dire l’influence
des idées démocratiques et la mainmise des capitalistes
sur le gouvernement. Essentiellement spirituelle mais
nécessitant une action résolue, cette rénovation, ou
« nouvelle Restauration », ne pouvait être conduite,
selon Ôkawa, que par une élite de gentilshommes lettrés
et guerriers, issus de l’armée et des couches pauvres de
la population civile.
Ligue antibolchevique (Sekka bôshi dan) : société
nationaliste créée en 1922 par l’avocat Yonemura
Kiichirô pour lutter contre l’influence des mouvements
socialistes ou communistes. Son programme dénonçait
également l’avidité des capitalistes, jugés responsables
de la propagation des idées rouges. Elle eut plusieurs
dizaines de sections dans tout le pays, dont les activités
consistaient surtout en affrontements physiques avec les
groupes socialistes, notamment après qu’un débat avec
des représentants de la gauche organisé à sa demande
eut fini en bagarre générale. En juin 1923, Yonemura fut
condamné à quatre ans et demi d’emprisonnement pour
avoir tué un militant socialiste, ce qui entraîna le déclin
progressif de la Ligue.
Ligue de l’autonomie rurale : groupe de militants,
d’intellectuels et d’écrivains fondé en novembre 1931,
auquel prirent part les principales figures du courant
agrarien, dont Tachibana Kôzaburô*, Gondô Seikyô*,
Tsuda Kôzô et Shimonaka Yasaburô*. Son manifeste
affirmait que la communauté rurale était le fondement
de la société humaine, de l’organisation politique et de
la civilisation, qu’il fallait donc mettre fin à
l’exploitation et à la domination des campagnes par les
villes et reconstruire la société à partir du principe
d’autonomie de la communauté rurale élémentaire. Elle
n’eut pas d’activités importantes mais contribua à
préparer le mouvement de la pétition pour le secours
des campagnes (Nôson kyûsai seigan undô) qui fut
lancé peu après.
Ligue de la jeunesse du Grand Japon pour le soutien
au Trône (Dai Nihon yokusan sônen dan) : organisation
créée en janvier 1942 à l’instigation de Mutô Akira*,
après que l’Association de soutien au Trône* eut échoué
à se faire reconnaître comme organisation politique.
Destinée aux hommes âgés de 21 ans et plus, elle mit en
place des sections dans l’ensemble du pays mais c’est
surtout dans les campagnes, parmi les propriétaires
exploitants et les métayers, qu’elle trouva des partisans
actifs. Lors des élections d’avril 1942 (voir Élections de
soutien au Trône), elle intervint pour soutenir les
candidats officiels et perturber les activités des autres.
Une quarantaine de ses membres furent élus à la
Chambre basse. Bien que théoriquement liée à
l’Association de soutien au Trône, elle fut souvent en
conflit avec les instances dirigeantes de celle-ci et avec
les autorités locales. Elle fut dissoute en mai 1945, pour
faciliter la formation des Milices nationales (Kokumin
giyûtai), qui devaient participer à la défense contre
l’invasion du Japon par l’armée des Alliés.
Ligue de la sincérité de l’ère Taishô (Taishô sekishin
dan) : société nationaliste, antidémocratique et
antibolchevique fondée en juillet 1918 par Mori Kenji,
patron du bâtiment, avec l’aide de membres du parti
Seiyûkai*. Elle créa surtout des groupes d’action utilisés
pour briser les grèves ou dans les conflits du fermage*.
Plusieurs organisations du même genre apparurent dans
son sillage. Vers le milieu des années 1920, elle était
considérée moins comme une société politique que
comme un prestataire de violence monnayant ses
services.
Ligue des justiciers du Grand Japon (Dai Nihon seigi
dan) : société nationaliste fondée à Ôsaka en 1925 par
le patron du bâtiment Sakai Eizô (1872-1939), qui lui
donnait pour vocation de s’entremettre dans les conflits
sociaux afin de les résoudre pacifiquement et d’éviter la
lutte des classes. Elle se développa rapidement dans
plusieurs régions et aurait compté jusqu’à environ
300 000 membres, selon ses déclarations, le calcul
incluant les employés des patrons adhérents de la petite
industrie et du commerce, catégorie auprès de laquelle
la Ligue trouva ses soutiens les plus importants. Bien
que Sakai se soit beaucoup inspiré du fascisme italien
dans son style, allant jusqu’à faire porter une chemise
noire aux membres de l’organisation, son discours et ses
méthodes restaient traditionnels. En 1928, il échoua
dans sa tentative d’utiliser la Ligue pour se faire élire
député. À partir de 1932, il envoya une centaine de
membres de celle-ci au Mandchoukouo, pour y mettre
en place des organisations affiliées, qui auraient compté
près de 50 000 membres.
Ligue du sang ou « Conjuration du sang » (Ketsumei
dan) : société nationaliste, de tendance agrarienne,
créée par Inoue Nisshô* dans le but d’éliminer les
hommes jugés responsables de la crise économique. Elle
avait prévu l’assassinat d’une vingtaine de personnalités
politiques et du monde des affaires, chacune devant
l’être par un membre différent. Son nom lui fut donné
après coup, en référence au serment que les conjurés
avaient signé de leur sang. Les deux meurtres mis à
exécution, en février et mars 1932, furent celui d’Inoue
Jun.nosuke*, ancien ministre des Finances, jugé
responsable de la misère des paysans, et celui de Dan
Takuma, président du groupe Mitsui. Inoue, les auteurs
des deux assassinats et plusieurs autres membres du
groupe furent condamnés à des peines de prison, mais
relâchés avant la fin de leur peine. Voir aussi Amano
Tatsuo, Gondô Seikyô, Ikeda Shigeaki, Onuma Shô.
Littérature pure (junsui bungaku ou junbungaku) :
expression servant à désigner les ouvrages auxquels on
reconnaissait une valeur esthétique, utilisée en réaction
au développement de la littérature dite populaire ou de
masse (taishû bungaku) qui se produisit dans les
années 1920 et 1930, notamment sous la forme de
feuilletons souvent stéréotypés, publiés dans les
journaux et les revues (romans pseudo-historiques,
policiers, sentimentaux). La distinction tendit à
disparaître à partir des années 1960, la frontière entre
« grande littérature » et littérature populaire s’effaçant
en pratique, tandis que certaines œuvres rangées dans
cette dernière faisaient l’objet d’une réévaluation.
Loi de mobilisation générale de la nation (Kokka
sôdôin hô) : loi promulguée en avril 1938, donnant au
gouvernement des pouvoirs très larges pour administrer
par ordonnances les ressources matérielles et humaines
en temps de guerre. Elle fut d’abord utilisée surtout pour
organiser des réquisitions de main-d’œuvre, au Japon et
en Corée, et pour permettre le contrôle des salaires. Le
nombre des ordonnances augmenta fortement à partir
de l’automne 1939 (contrôle des matières premières et
des ressources énergétiques, des prix, des
investissements), transformant l’économie japonaise en
économie dirigée. Plusieurs révisions permirent
d’étendre encore son champ d’application (1939, 1941,
1944). Le projet de cette loi avait été mis à l’étude par le
cabinet Konoe* dès mai 1937, c’est-à-dire avant le début
de la guerre sino-japonaise, à la demande de l’armée.
Certaines dispositions pouvaient d’ailleurs être
appliquées en temps de paix (réquisition et formation de
compétences particulières, mise en réserve de matières
premières, subventions de recherches, aides à certains
secteurs). En temps de guerre, la loi donnait la
possibilité d’intervenir même dans le domaine de la
presse et de l’édition, malgré les amendements obtenus
sur ce point par la Chambre basse avant le premier vote
de la loi. Voir aussi Agence de planification, Mobilisation
générale de l’esprit national.
MAEDA Torao (1892-1953) : militant nationaliste et
panasiatiste. Après avoir travaillé sur le continent pour
la Compagnie du chemin de fer sud-mandchourien, il
participa au mouvement de protection de la
Constitution de Sun Yat-sen avec Inoue Nisshô*. De
retour au Japon en 1923, il fut membre de plusieurs
groupes d’extrême droite comme la Société de la
fondation nationale* et le Parti patriotique du travail*.
Arrêté en 1933 pour avoir participé à l’organisation du
complot de la Shinpeitai*, il fut également impliqué en
1940 dans un projet d’attentat contre le Premier
ministre Yonai*. Voir aussi Kageyama Masaharu.
MAKINO Nobuaki (1861-1949) : diplomate et homme
politique, fils d’Ôkubo Toshimichi (1830-1878), il fut un
des derniers représentants de l’oligarchie de l’ère Meiji à
partir des années 1920. Membre de plusieurs
gouvernements, des années 1900 et 1910, ainsi que du
Conseil privé à partir de 1921, gardien du Sceau privé
de 1925 à 1935, il eut un rôle très important auprès de
l’empereur, notamment dans le choix du Premier
ministre, jusque dans la seconde moitié des années
1930 (voir Jûshin). Bien qu’il ait fortement contribué à
mettre fin à la pratique du cabinet de parti après l’affaire
du 15 mai 1932, son opposition à l’expansionnisme lui
valut l’hostilité constante de l’armée et de l’extrême
droite. Le 26 février 1936*, il réchappa
miraculeusement de l’attentat qui le visait. Voir aussi
Affaire d’octobre.
MATSUI Iwane (1878-1948) : général de l’Armée de
terre, spécialiste de la Chine, où il occupa divers postes
à partir de 1907, devint proche de Sun Yat-sen et fut
conseiller de Zhang Zuolin, avant d’être nommé à la tête
de la direction du renseignement de l’état-major (1925-
1928). Membre important de l’Association de la Grande
Asie* et partisan d’une alliance sino-japonaise, il tenta
de rallier Tchang Kai-chek à ce projet, bientôt
condamné par le front commun anti-japonais des
nationalistes et des communistes chinois. Commandant
en chef du corps expéditionnaire de Chine centrale en
1937, il dirigea les opérations contre Shanghai puis
Nankin mais fut rappelé dès le début de 1938, en raison
notamment des atrocités commises par ses troupes.
Jusqu’en 1945, il continua de militer activement pour la
constitution d’une alliance panasiatique. Jugé comme
criminel de guerre de catégorie A par le Tribunal
militaire international, il fut condamné à mort mais
seulement pour des faits de catégorie B (crimes de
guerre conventionnels).
MATSUOKA Komakichi (1888-1958) : syndicaliste et
homme politique, membre fondateur de la Fédération
japonaise du travail* dont il fut un des principaux
dirigeants dans les années 1920 et 1930. Il participa
également à la fondation du Parti social-démocrate*. Il
tenta de s’opposer à la dissolution des syndicats dans
l’Association patriotique de l’industrie* mais dut s’y
résoudre sous la pression gouvernementale. Après la
guerre, il fut le premier président de la Fédération
japonaise des syndicats du travail. Membre du Parti
socialiste, député de 1947 à 1958, il fut le premier
président de la Chambre basse issu d’un parti de
gauche.
MATSUOKA Yôsuke (1880-1946) : diplomate et homme
politique, anti-occidental et antidémocrate. Il quitta les
Affaires étrangères pour devenir administrateur de la
Compagnie du chemin de fer sud-mandchourien dans
les années 1920. Élu à la Chambre basse en 1930, il
dirigea la délégation japonaise à la Société des Nations,
où il annonça le retrait du Japon après que l’assemblée
générale eut voté une motion condamnant l’incident de
Mandchourie* et la création du Mandchoukouo (1933).
Il quitta alors son parti, le Seiyûkai*, et abandonna son
mandat de député, pour créer un mouvement appelant à
la dissolution des partis politiques. Il participa
également à la création de l’Association pour la Grande
Asie*. Président de la Compagnie du chemin de fer sud-
mandchourien de 1935 à 1939, il devint proche du
général Tôjô* à cette époque. Ministre des Affaires
étrangères dans le deuxième cabinet Konoe*, il eut un
rôle central dans la signature du Pacte tripartite*, mais
échoua à entraîner le Japon dans la guerre contre
l’Union soviétique lorsque celle-ci fut attaquée par
l’Allemagne. Son intransigeance dans les négociations
avec les États-Unis amena la chute du cabinet peu
après. Atteint de la tuberculose, il se retira de la vie
politique mais fut arrêté en 1945 et jugé comme
criminel de guerre de catégorie A. Il mourut de la
tuberculose peu après le début du procès de Tokyo.
MATSUTANI Yojirô (1880-1937) : avocat (diplômé de
l’École de droit de Meiji, future Université Meiji) et
homme politique. Actif dans divers mouvements
sociaux, il défendit notamment des fermiers dans les
conflits les opposant aux propriétaires terriens (voir
Conflits du fermage) et fut désigné pour assurer la
défense de Nanba Daisuke, auteur de l’attentat de
Toranomon contre le prince héritier (1923). Membre du
Parti ouvrier et paysan du Japon* à sa fondation en
1926, il travailla à la fusion des partis qui constituèrent
en 1931 le Parti national des masses ouvrières et
paysannes* (1931), puis le Parti social des masses*
après la fusion avec le Parti social-démocrate* (1932).
Élu à la Chambre basse en 1930 et 1932, il fut exclu de
son parti en 1932 pour avoir appelé à l’adoption d’une
ligne nationaliste après l’incident de Mandchourie*.
Avec d’autres membres venus de ce parti (Aki Sakan,
Imamura Hitoshi), il créa en 1934 l’Alliance des
travailleurs (Kinrô dômei) et le Parti des travailleurs du
Japon (Nihon kinrô tô), après être passé par le Parti
social-nationaliste du Japon*.
MAZAKI Jinzaburô (1876-1956) : général de l’Armée de
terre, proche d’Araki Sadao* et, comme celui-ci,
soutenu par les jeunes officiers de l’état-major au début
des années 1930, nommé en 1934 inspecteur général de
l’enseignement militaire (un des trois postes les plus
importants de l’armée, dépendant directement de
l’empereur). S’étant rapproché des jeunes officiers de
troupe, il devint alors la principale figure de la faction
de la Voie impériale (voir Factions militaires). Son
éviction par la faction du Contrôle, en 1935, fut la cause
directe de l’affaire Aizawa*. Convaincu à tort que
l’empereur lui était favorable, il encouragea les jeunes
officiers dans leurs actions contre l’état-major. Bien qu’il
n’ait pas directement participé à la préparation du
soulèvement du 26 février 1936*, il en était averti et
aurait été nommé Premier ministre en cas de succès de
l’opération. Traduit en cour martiale, il fut acquitté en
septembre 1937, en partie grâce aux pressions exercées
par Konoe* sur le tribunal. Figurant dans la première
liste de 28 accusés pour le procès de Tokyo, il en fut
retiré au dernier moment, avec le général Abe*, afin de
permettre l’inclusion de Shigemitsu Mamoru (1887-
1957) et d’Umezu Yoshijirô*, demandée par l’Union
soviétique.
MIKAMI Taku (1905-1971) : officier de marine impliqué
dans l’affaire du 15 mai* 1932. Chef du groupe qui
assassina le Premier ministre Inukai, il fut condamné à
15 ans d’emprisonnement mais libéré dès 1938. Pendant
la guerre, il fut l’un des dirigeants de la Ligue de la
jeunesse du Grand Japon pour le soutien au Trône*.
L’interdiction d’exercer un emploi public dont il avait
été frappé en 1946 ayant été levée en 1952, il fut
candidat à la Chambre basse en 1953. Voir aussi Fujii
Hitoshi, Koga Kiyoshi, Société des soldats impériaux.
MINAMI Jirô (1874-1955) : général de l’Armée de terre,
vice-chef de l’état-major (1927-1929), commandant en
chef de l’armée de Corée (1929-1931), ministre de
l’Armée (1931), commandant en chef de l’armée du
Kwantung* et ambassadeur du Japon au Mandchoukouo
(1934-1936), résident général en Corée (1936-1942),
membre du Conseil privé (1942-1945). Condamné à
l’emprisonnement à perpétuité par le Tribunal militaire
international pour sa responsabilité dans l’invasion de la
Mandchourie, il fut libéré pour raisons de santé en 1954.
MINOBE Tatsukichi (1873-1948) : juriste, professeur à
l’Université impériale de Tokyo, dont il fut président de
1924 à 1927, spécialiste de droit constitutionnel. Il fut
attaqué en 1935 par l’extrême droite pour son
interprétation de la Constitution (voir Affaire de la
monarchie-organe), notamment par Minoda Muneki*.
L’armée et l’extrême droite lui en voulaient
particulièrement d’avoir justifié le droit du
gouvernement à signer un accord de limitation de
l’armement comme celui du Traité naval de Londres*
(voir Prérogative de commandement suprême). Ces
attaques furent reprises à la Diète, d’abord à la Chambre
des pairs, dont il était membre, puis au sein de la
Chambre basse. Bien qu’il ait formulé sa théorie 25 ans
plus tôt, et alors qu’elle était largement considérée
comme la plus juste, il dut démissionner de la Diète et
ses livres furent interdits. Nommé au Conseil privé de
l’empereur en janvier 1946, il y siégea jusqu’à l’abolition
de celui-ci (mai 1947). Voir aussi Miyazawa Yoshitoshi,
Principes de la défense nationale et propositions pour
la renforcer, Uesugi Shinkichi.
MINODA Muneki (1894-1946) : intellectuel d’extrême
droite, diplômé de la faculté des lettres de l’Université
impériale de Tokyo et proche d’Uesugi Shinkichi*, dont
il adopta la théorie de la monarchie transcendantale.
Dans les années 1930, il organisa de nombreuses
campagnes de protestation contre des universitaires
dont il jugeait les écrits antinationaux et dont il réussit
parfois à obtenir la démission (voir Affaire de la
monarchie-organe, Tsuda Sôkichi). Il fut également
membre de la Ligue anticommuniste internationale
(Kokusai bôkyô renmei), créée en avril 1937 sous le
parrainage de Konoe Fumimaro*, Hiranuma Kiichirô* et
Tôyama Mitsuru*. Ses activités déclinèrent à mesure
que l’idéologie du régime devenait proche de la sienne.
En février 1943, il publia une sorte d’autocritique après
l’arrestation des membres d’un groupe dont il était
proche, que la police politique soupçonnait de
marxisme. Vilipendé au lendemain de la guerre, il se
suicida en janvier 1946.
Minseitô (Rikken minseitô) : « Parti démocratique
constitutionnel », né en 1927 de la fusion du parti
Kenseikai (Association pour le gouvernement
constitutionnel) et du courant réformateur du
Seiyûkai*. De tendance libérale et dans la lignée du
Parti de la réforme (Shinpotô, fondé en 1896), il prônait
des mesures sociales, un accroissement du pouvoir de la
Chambre basse contre celui de la bureaucratie et une
politique extérieure favorisant la coopération
internationale. Son électorat était constitué notamment
par les classes moyennes urbaines. Ayant obtenu
presque autant de sièges que le Seiyûkai aux élections
de 1928, il put former le cabinet lorsque celui de Tanaka
Giichi* fut contraint à la démission. Bien qu’ayant
remporté largement les élections de février 1930, il fut
attaqué de plus en plus vivement pour ses concessions
dans la signature du Traité naval de Londres* et parce
que sa politique financière aggravait les effets de la crise
économique. Il fut en outre incapable d’empêcher
l’extension de l’incident de Mandchourie*. Défait aux
élections de 1932, il apporta son soutien aux cabinets
Saitô et Okada*, dans lesquels il eut quelques ministres.
Allié au Seiyûkai pour faire chuter le cabinet du général
Hayashi* en 1937, il résista ensuite de moins en moins à
la fascisation du régime, allant jusqu’à exclure de la
Diète un de ses propres députés, Saitô Takao (1870-
1949), qui avait critiqué l’armée et dénoncé la guerre
menée en Chine, peu avant de se dissoudre dans
l’Association de soutien au Trône*. Voir aussi Adachi
Kenzô, Hamaguchi Osachi, Nakano Seigô, Wakatsuki
Reijirô.
MITAMURA Takeo (1899-1964) : homme politique,
proche de Nakano Seigô*, ayant travaillé au ministère
de l’Intérieur puis à celui des Affaires coloniales avant
d’être élu à la Chambre basse (1937). Réélu en 1942, il
fut un des représentants de l’opposition d’extrême
droite au cabinet Tôjô dans les dernières années de la
guerre. Frappé par l’interdiction d’exercer un emploi
public de 1946 à 1951, il fut de nouveau élu député à
trois reprises dans les années 1950 et 1960.
MITSUKAWA Kametarô (1888-1936) : journaliste et
militant nationaliste et asiatiste. Attiré à la fois par le
socialisme et l’asiatisme dès sa jeunesse, il fut membre
de plusieurs mouvements dans les années 1910 et
rencontra l’indépendantiste indien Rash Behari Bose
(1886-1945), qui lui présenta Ôkawa Shûmei*. En 1918,
il fonda avec Ôkawa l’Association des anciens et des
jeunes (Rôsôkai), qui réunit des représentants
nombreux de tous les courants politiques pour débattre
des questions les plus diverses (le suffrage universel, la
situation de la démocratie dans le monde, la situation
extérieure du Japon, la pauvreté, la place des femmes
dans la société) et qui exista jusqu’en 1922. Admirateur
de Kita Ikki*, il fit revenir celui-ci de Shanghai pour
fonder la Société de la pérennité* avec Ôkawa en 1919.
Il fut aussi membre de la Société de la pratique
terrestre*, fondée par Ôkawa après sa rupture avec Kita,
mais s’en éloigna assez rapidement et rejoignit l’Alliance
nationale du nouveau Japon*. De 1924 jusqu’à sa mort,
il enseigna à l’Université Takushoku comme spécialiste
des questions asiatiques.
MIYAKE Setsurei (1860-1945) : philosophe, éditorialiste
et mémorialiste. Il fut un des fondateurs et un des
principaux rédacteurs de la revue Nihonjin (Japonais,
1888), qui s’opposait à une modernisation ne consistant
qu’à imiter l’Occident et prônait la responsabilité du
gouvernement devant la Diète. Il contribua aussi
régulièrement au quotidien Nihon de Kuga Katsunan
(1857-1907). Il fut par ailleurs le beau-père de Nakano
Seigô*. Voir aussi Shiga Shigetaka*.
MIYAZAWA Toshiyoshi (1889-1976) : spécialiste de droit
constitutionnel, élève de Minobe Tatsukichi*, professeur
à la faculté de droit de l’Université impériale de Tokyo, il
participa aux projets de révision constitutionnelle
débattus à la Chambre des pairs en 1946 et devint un
défenseur ardent de la souveraineté populaire comme
fondement de nouvelle Constitution.
Mobilisation générale de l’esprit national (Kokumin
seishin sôdôin undô) : campagne de mobilisation
patriotique lancée par le cabinet Konoe* au début de la
guerre sino-japonaise (septembre 1937) et qui avait
pour mots d’ordre l’unité nationale (kyokoku itchi), la
loyauté sans faille envers le pays (jinchû hôkoku), la
patience et l’endurance (ken.nin jikyû). Une centaine
d’organisations y participèrent, dont l’Association des
maires, l’Association des prêtres shintô, l’Association
des réservistes* et le Congrès des syndicats du Japon
(Nihon rôdô kumiai kaigi). D’abord campagne de
propagande idéologique, elle prit bientôt la forme de
collectes de métaux, de placements d’emprunts et
d’appels à renoncer au luxe, puis son rôle consista de
plus en plus à organiser la main-d’œuvre dans
l’économie de guerre, au point qu’elle fut placée sous le
contrôle direct du Premier ministre en mars 1939. Son
organisation servit aussi à lancer le Mouvement pour un
nouveau régime* en 1940, avant de se fondre dans
l’Association de soutien au Trône*.
MORI Kaku (1882-1932) : politicien et homme
d’affaires, lié au groupe Mitsui, pour lequel il avait
travaillé depuis la fin de ses études jusqu’à 1920,
notamment en Chine. Il entra au parti Seiyûkai* en
1918, fut élu député en 1920, devint membre du cabinet
du ministre des Affaires étrangères (1927-1929) et
bientôt secrétaire général du Seiyûkai (1929-1931). Très
opposé à la diplomatie de conciliation menée par les
cabinets Minseitô (1929-1931), il était partisan d’une
expansion continentale et d’une coopération étroite
avec les militaires. Appuyé par l’armée et les milieux
économiques, il devint secrétaire général du
gouvernement dans le cabinet d’Inukai Tsuyoshi (1931-
1932), qu’il tenta de déstabiliser au profit de Hiranuma
Kiichirô*.
Mouvement pour la liberté et les droits du peuple
(Jiyû minken undô) : ensemble des associations
politiques et des courants d’idées libéraux qui
apparurent entre le milieu des années 1870 et le début
des années 1880, et qui se traduisirent notamment par
un très important mouvement pétitionnaire en faveur
d’un gouvernement constitutionnel, ainsi que par la
création des premiers partis politiques modernes, le
Parti constitutionnel de la liberté (Rikken jiyûtô, 1881)
et le Parti constitutionnel de la réforme (Rikken
kaishintô, 1882). Voir aussi Kôno Hironaka.
Mouvement pour un nouveau régime (Shin taisei
undô) : mouvement lancé en mai 1940 par Konoe
Fumimaro* en vue d’établir un parti unique et
d’imposer un contrôle étatique de l’économie. Inspiré à
la fois par certains modèles européens et par le souci de
rétablir le pouvoir des civils face aux militaires, il
comptait dans sa direction plusieurs représentants
d’une tendance anticapitaliste de la droite nationaliste,
comme Asô Hisashi*, Nakano Seigô* ainsi que des
membres du courant des « bureaucrates rénovateurs »
(kakushin kanryô) liés à l’Agence de planification*.
Après que Konoe eut été nommé Premier ministre
(juillet 1940), les différents partis acceptèrent bon gré
mal gré de se dissoudre pour participer à la création de
l’Association de soutien au Trône*.
MURAMATSU Hisayoshi (1869-1972) : avocat et homme
politique, élu député en 1932 comme candidat du
Minseitô*, et réélu jusqu’à la fin de la guerre. Membre de
l’Association de soutien au Trône* en 1942, il fut frappé
de l’interdiction d’exercer un emploi public de 1946 à
1951, après quoi il fut de nouveau élu député à deux
reprises, comme candidat du Parti libéral-démocrate.
MURANAKA Kôji (1903-1937) : capitaine de l’Armée de
terre. Diplômé de l’École des officiers en 1925, il
s’enthousiasma à cette époque pour les idées de Kita
Ikki*. Impliqué dans l’affaire d’octobre*, il s’éloigna de la
Société de la fleur de cerisier* et devint un des
principaux animateurs du mouvement des jeunes
officiers, qui soutint la faction de la Voie impériale. Il
entra en 1932 à l’École supérieure de guerre (Rikugun
shikan daigaku), dont il était encore élève en 1935
lorsqu’il fut suspendu, après l’affaire de l’École des
officiers*. Radié de l’armée pour avoir rédigé et diffusé
avec Isobe Asaichi (1905-1937) un mémoire très
critique envers les autorités militaires, visant
notamment Nagata Tetsuzan* et la faction du Contrôle,
il eut un rôle central dans l’organisation de la tentative
de coup d’État du 26 février*. Condamné à mort, il fut
exécuté avec Isobe, Kita et Nishida Zei*, séparément des
officiers encore en activité lors du soulèvement. Voir
Aussi Affaire Aizawa, Factions militaires.
MUTÔ Akira (1892-1948) : officier de l’Armée de terre,
affecté à l’état-major en 1930 après un séjour de trois
années en Allemagne. Proche de Nagata Tetsuzan*, il fut
appelé au Bureau des affaires militaires* en mars 1935.
Alors qu’il n’était encore que lieutenant-colonel, c’est lui
qui mena la purge des officiers généraux après le
soulèvement du 26 février 1936*. De nouveau affecté à
l’état-major au début de 1937, il fut partisan d’utiliser
l’incident du pont Marco Polo* pour déclencher une
guerre contre la Chine. Vice-commandant en chef de
l’armée de Chine centrale, puis de l’armée de Chine du
Nord, il fut nommé général en mars 1939. Chef du
Bureau des affaires militaires de septembre 1939 à avril
1942, il eut un rôle politique très important jusqu’à la
formation du cabinet Tôjô* (octobre 1941). Bien
qu’ayant souvent imposé aux civils les demandes de
l’armée, il ne souhaitait pas la formation d’un cabinet
militaire. Il tenta par ailleurs d’éviter le déclenchement
du conflit avec les États-Unis, ce qui l’exposa à l’hostilité
des partisans de la guerre. Envoyé sur le front comme
général de division, il combattit à Sumatra puis aux
Philippines sous le commandement de Yamashita
Tomoyuki (1885-1946), dont il dut assurer la défense
lorsque celui-ci fut accusé de crimes de guerre devant le
Tribunal militaire de Manille. De retour au Japon, il fut
lui-même jugé par le Tribunal militaire international
comme criminel de guerre de catégorie A, et condamné
à mort à la fois pour son rôle dans le déclenchement des
guerres contre la Chine et les États-Unis, et pour sa
responsabilité dans les crimes commis par les troupes
qu’il commandait aux Philippines. Voir aussi Ligue de la
jeunesse du Grand Japon pour le soutien au Trône,
Factions militaires.
NAGATA Tetsuzan (1884-1935) : général de l’Armée de
terre, théoricien de la mobilisation générale en vue de la
guerre totale. Chef de la section des affaires militaires
(voir Bureau des affaires militaires) en 1930 et membre
d’un groupe d’officiers soutenant la nomination d’Araki
Sadao* comme ministre de l’Armée de terre, il devint
bientôt l’adversaire de celui-ci dans la lutte des factions
(voir Factions militaires) et le principal représentant de
la faction du Contrôle à partir de sa nomination à la tête
du Deuxième bureau de l’état-major (juin 1933) puis
comme chef du Bureau des affaires militaires (mars
1934). Estimant que la modernisation de l’armée, la
préparation à une guerre totale et le règlement des
affaires de Chine excluaient la guerre prochaine avec
l’Union soviétique jugée nécessaire par la faction de la
Voie impériale, il s’efforça de réduire l’influence de
celle-ci dans l’armée, en réprimant notamment les
jeunes officiers qui la soutenaient. Il y parvint mais fut
assassiné par l’un d’eux peu après l’éviction de Mazaki
Jinzaburô*. Voir aussi Affaire Aizawa, Affaire de l’École
des officiers, Principes la Défense nationale et
propositions pour la renforcer.
NAKANO Seigô (1866-1943) : homme politique
nationaliste, fondateur de la Société de l’Orient
(Tôhôkai, 1936-1943) et gendre de Miyake Setsurei*.
D’abord journaliste, il écrivit pour des quotidiens de
centre gauche dans les années 1910. Élu à la Chambre
basse en 1920 et constamment réélu par la suite, il
devint une des figures du parti Minseitô*, qu’il quitta
avec Adachi Kenzô* peu après l’incident de
Mandchourie*. Il développa alors un discours
anticapitaliste, militariste et fascisant. Admirateur de
Hitler et de Mussolini, il se rendit en Europe pour les
rencontrer (1937-1938). Secrétaire général de-
l’Association de soutien au Trône* à sa création en
1940, il se rapprocha alors de Konoe Fumimaro* et
devint un des principaux opposants nationalistes au
cabinet Tôjô*, notamment lors des débats sur la loi
pénale spéciale pour le temps de guerre, ce qui lui valut
d’être arrêté et incarcéré quelques semaines en 1943. Il
se suicida rituellement deux jours après avoir été libéré.
NEMOTO Hiroshi (1891-1966) : officier de l’Armée de
terre, affecté à la section des affaires chinoises de l’état-
major de 1923 à 1927, puis au Bureau des affaires
militaires*. Proche du groupe des officiers rénovateurs
auquel appartenaient notamment Nagata Tetsuzan*,
Tôjô Hideki* ou Itagaki Seishirô*, il fut aussi membre de
la Société de la fleur de cerisier* et impliqué dans les
projets de coup d’État de celle-ci (voir Affaire de mars et
Affaire d’octobre), où il joua un rôle ambigu. Dans
l’affrontement qui se produisit peu après au sein de
l’armée, il se rangea du côté de la faction du Contrôle.
Voir aussi Factions militaires.
NISHIDA Zei / Mitsugi / Mitsugu (1901-1937) : idéologue
ultranationaliste, disciple de Kita Ikki*. Membre de la
Société de la pérennité* dès sa création, diplômé de
l’École des officiers* en 1922, il dut quitter l’armée pour
raisons de santé en 1925. Bien que membre de la
Société de la pratique terrestre*, il s’éloigna d’Ôkawa
Shûmei* et travailla à faire connaître les idées de Kita
parmi les jeunes officiers, créant sa propre école ainsi
que le Parti de l’épée céleste*. Impliqué dans l’affaire
d’octobre*, il se rallia ensuite à une stratégie légaliste, à
la demande de Kita, et refusa de prendre part à la
tentative de coup d’État du 15 mai 1932* ainsi qu’à celle
de la Shinpeitai*. Il resta cependant proche des jeunes
officiers qui organisèrent le soulèvement du 26 février
1936* et fut condamné à mort pour sa participation
supposée et pour l’influence qu’il avait eue sur ceux-ci.
Voir aussi Plan de rénovation du Japon.
NOMA Seiji (1878-1938) : magnat de l’édition,
fondateur de la maison Kôdansha* (1911), créateur de
magazines populaires, dont Kingu (King, 1925), qui eut
un succès immense, ainsi que de revues pour les
femmes et pour la jeunesse. Nationaliste, il avait pour
devise « servir le pays par la publication de magazines ».
Il créa également la maison de disques Kingu rekôdô
(1931) et publia La Voie de la prospérité (Sakaeyuku
michi, 1932), livre dans lequel il racontait sa réussite,
expliquant que la voie de l’enrichissement était aussi
celle de la vertu.
NOMURA Kichisaburô (1877-1964) : amiral, retiré du
service actif en 1937, ministre des Affaires étrangères
dans le cabinet Abe (1939-1940), nommé ambassadeur
extraordinaire aux États-Unis en novembre 1940. Il prit
part aux ultimes négociations, dont l’échec fut suivi par
l’attaque de Pearl Harbor. De retour au Japon en 1942, il
fut membre du Conseil privé de 1944 à 1946. Après la
guerre, il fut sénateur de 1954 à 1962 et prêcha pour le
réarmement du Japon.
OBATA Toshirô / Toshishirô (1885-1947) : général de
l’Armée de terre, proche de Nagata Tetsuzan* au début
des années 1920, affecté à l’état-major de 1926 à 1928,
sous les ordres d’Araki Sadao*, qui l’y appela de
nouveau en 1932, cette fois comme chef de la section
des affaires stratégiques. Estimant que le Japon devait se
préparer à une guerre contre l’Union soviétique, il
s’opposa alors vivement à Nagata Tetsuzan*, qui pensait
que le Japon devait se préoccuper d’abord de la Chine et
surtout moderniser son armée. Écarté de l’état-major
par la faction du Contrôle, il fut nommé directeur de
l’École supérieure de guerre en 1935, puis placé sur la
liste de réserve en août 1936, en raison de ses liens avec
la faction de la Voie impériale et parce qu’un de ses
subordonnés était directement impliqué dans le
soulèvement du 26 février*. Proche de Konoe*, il fut
ministre d’État dans le cabinet Higashikuni* (août-
octobre 1945). Voir aussi Factions militaires.
OIKAWA Koshirô (1883-1958) : amiral, commandant en
chef de la flotte de mer de Chine lors de la guerre sino-
japonaise. Partisan du respect des traités navals
internationaux et opposé à la guerre avec les États-Unis,
il fut ministre de la Marine dans les deuxième et
troisième cabinets Konoe. Nommé chef de l’état-major
naval après la chute du cabinet Tôjô*, il démissionna en
mai 1945. Il fut cité comme témoin par le Tribunal
militaire international. Voir aussi Oka Takazumi.
OKA Takazumi (1890-1973) : amiral, affecté au
ministère de la Marine en 1938, puis à l’état-major en
1939, partisan de la guerre avec les États-Unis. Chef du
Bureau des affaires navales à partir d’octobre 1940, il en
fut écarté après la chute du cabinet Tôjô*. Condamné à
l’emprisonnement à perpétuité par le Tribunal militaire
international, il fut libéré en 1954.
OKADA Keisuke (1868-1952) : amiral et homme
politique, ministre de la Marine dans le cabinet Tanaka*
(1927-1929) et dans le cabinet Saitô (1932-1934). En
1930, il contribua à faire accepter la signature du Traité
naval de Londres*. Premier ministre à partir de juillet
1934, il s’opposa à l’augmentation des dépenses
militaires mais ne sut résister à la campagne de
protestation contre la thèse de la monarchie-organe
(voir Affaire de la monarchie-organe), faute notamment
de s’être entendu avec le parti Seiyûkai*, alors
majoritaire, et d’avoir empêché l’exacerbation des luttes
de factions au sein de l’armée, alors qu’il pensait
pouvoir s’appuyer sur celle-ci et sur la bureaucratie.
Inclus dans la liste des personnalités que les officiers du
26 février* avaient prévu d’abattre, il survécut parce que
son beau-frère fut tué à sa place par erreur, mais
démissionna quelques jours plus tard. À partir de 1943,
il travailla activement à faire tomber le cabinet Tôjô.
Voir aussi Jûshin.
ÔKAWA Shûmei (1886-1957) : théoricien et activiste
ultranationaliste. Spécialiste de philosophie indienne
par sa formation, il appela à la libération des pays
asiatiques colonisés avant d’élaborer une idéologie
politique plus générale, inspirée par le confucianisme et
le nationalisme officiel, d’après laquelle le Japon devait
occuper la place la plus éminente non seulement en
Asie mais dans le monde. Il fonda en 1919 la Société de
la pérennité*, qui appelait à une deuxième Restauration,
avec Mitsukawa Kametarô* et Kita Ikki*. Donnant à la
Maison impériale une importance que ce dernier ne lui-
reconnaissait pas, il fonda en 1926 la Société de la
pratique terrestre* et développa des relations de plus en
plus étroites avec des officiers de l’Armée du
Kwantung*, comme Itagaki Seishirô*, et de l’état-major,
notamment Hashimoto Kingorô*. À partir de 1928, il
appela à faire passer la Mandchourie sous le contrôle du
Japon. Le soutien financier de l’armée lui permit de
faire plus de 130 conférences dans tout le pays en moins
de deux ans. Il travailla par ailleurs à unifier l’extrême
droite, créant la Société de Jinmu* en 1932. Impliqué
dans les deux projets de coups d’État militaires de 1931
(affaires de mars* et octobre*), il fut arrêté et condamné
à cinq ans d’emprisonnement pour avoir transmis des
armes et de l’argent de l’Armée du Kwantung aux
organisateurs de la tentative de coup d’État du 15 mai
1932*. Après sa libération, il se consacra à une activité
d’idéologue et de propagandiste, pour laquelle il fut
inclus dans la liste des criminels de guerre de catégorie
A du Tribunal militaire international. Déclaré inapte à
être jugé en raison de troubles mentaux qui se
manifestèrent à l’ouverture du procès, il fut relaxé et
termina une traduction du Coran peu avant sa mort.
Voir aussi La Voie du Japon et des Japonais, Yasuoka
Masahiro.
ONUMA Shô / Tadashi (1911-1978) : membre de la
Ligue du sang*, qui assassina l’ancien ministre des
Finances Inoue Jun.nosuke* le 9 février 1932. Issu
d’une famille de pêcheurs du département d’Ibaraki, il
exerça divers métiers à partir de l’âge de 15 ans, vécut
un temps à Tokyo mais tomba malade et dut rentrer
dans son pays natal au moment où la région était
durement frappée par la crise économique. Il rencontra
alors Inoue Nisshô*, installé dans un village voisin,
auprès duquel il étudia quelques mois et qui lui fournit
l’arme dont il se servit pour tuer l’ancien ministre des
Finances. Condamné à la prison à perpétuité en 1934, il
fut gracié en 1940. Après la guerre, il poursuivit ses
activités politiques à l’extrême droite, tout en travaillant
comme éditeur. Il publia ses mémoires en 1974 sous le
titre Un assassinat, plusieurs vies (Issatsu tashô,
Yomiuri shinbunsha).
ÔSHIMA Hiroshi (1886-1975) : général de l’Armée de
terre, attaché militaire en Allemagne, en Hongrie et en
Autriche dans les années 1920 et 1930, ambassadeur du
Japon en Allemagne de 1938 à 1939, puis de 1940 à la
fin de la guerre. Fervent partisan du rapprochement
avec l’Allemagne et très hostile aux démocraties
occidentales, il joua un rôle important dans la
conclusion du Pacte anti-Komintern (1936) et du Pacte
tripartite* (1940). Condamné à l’emprisonnement à
perpétuité par le Tribunal militaire international, il fut
libéré en 1955.
ÔSUMI Mineo (1876-1941) : amiral, ministre de la
Marine dans les cabinets successifs Inukai, Saitô et
Okada (1931-1936). Choisi pour sa neutralité dans
l’affrontement qui opposait partisans du respect des
traités internationaux et partisans de l’augmentation des
armements navals, il céda progressivement aux seconds,
approuvant la sortie du Japon de la Société des Nations
et demandant la révision du Traité naval de Londres*.
Ouvriers et paysans (Rônôha) : courant marxiste
apparu vers 1927, qui discuta en particulier de la nature
du capitalisme japonais, critiquant la thèse officielle du
Parti communiste*, selon laquelle le Japon n’avait pas
encore pleinement atteint le stade bourgeois-capitaliste.
Il polémiqua notamment avec la « faction du cours »
(Kôzaha) en 1932-1933, qui considérait que la
Restauration de Meiji n’avait produit qu’un régime semi-
féodal. Sans être directement liés au groupe de la revue
Rônô (« Ouvriers et paysans »), d’autres intellectuels
développèrent par la suite des thèses qui en étaient
proches. La plupart furent arrêtés en 1937 et 1938 (voir
Affaires du Front populaire).
OZAKI Yukio (1858-1954) : parlementaire célèbre, élu
24 fois consécutives à la Chambre basse depuis son
ouverture (1890) et partisan du suffrage universel dès
cette époque. En 1898, alors qu’il était ministre de
l’Éducation, il déclara que « si le Japon était une
république, alors c’est le directeur de Mitsui ou de
Mitsubishi qui en deviendrait le président », causant un
scandale qui obligea le cabinet à démissionner. Il se
présenta aux élections de 1942 sans avoir l’investiture
de l’Association de soutien au Trône*. Dans un discours
de campagne, il cita un poème satirique évoquant la
dilapidation par le petit-fils du bien amassé par l’aïeul,
faisant par là allusion à Hiro-Hito, auquel il reprochait
de gâter l’héritage constitutionnel laissé par l’empereur
Meiji. Accusé de crime de lèse-majesté, il fut condamné
à une peine d’emprisonnement en première instance
mais acquitté en appel deux ans plus tard, en juin 1944.
Pacte tripartite (Nichidokui sangoku dômei) : alliance
militaire entre l’Allemagne, le Japon et l’Italie, dont le
traité fut signé à Berlin le 27 septembre 1940, par lequel
les trois pays s’engageaient à collaborer pour la création
d’un ordre nouveau en Europe et en Asie, ainsi qu’à
s’assister en cas d’agression par un pays tiers. Souhaité
par de nombreux militaires et par la faction Matsuoka*
du ministère des Affaires étrangères, cet élargissement
du pacte anti-Komintern de 1936 était en préparation
dès 1939 mais avait échoué à cause de l’indignation
suscitée au Japon par la signature du pacte de non--
agression germano-soviétique (août 1939). Ses
promoteurs y voyaient un moyen de faire sortir le Japon
de son isolement international sans céder aux pressions
américaines concernant la Chine. Les victoires
militaires remportées par l’Allemagne en 1939 et 1940
leur permirent de surmonter les oppositions à l’intérieur
de l’État japonais et d’obtenir la conclusion du pacte.
Toutefois, contrairement à ce qu’ils espéraient, la
position du Japon dans les négociations avec les États-
Unis n’en fut pas renforcée, et les relations nippo-
américaines se dégradèrent davantage encore. Voir aussi
Hiranuma Kiichirô, Kageyama Masaharu, Kan.in-no-
miya, Konoe Fumimaro, Ôshima Hiroshi, Suetsugu
Nobumasa, Yonai Mitsumasa.
Parti communiste japonais (Nihon kyôsantô) : parti
fondé clandestinement en juillet 1922 par des
personnalités du mouvement socialiste (Sakai
Toshihiko, Arahata Kanson, Yamakawa Hitoshi) et des
représentants japonais du Komintern (Tokuda Kyûichi,
Nosaka Sanzô, Katayama Sen). Son objectif était de
favoriser le passage du Japon au stade libéral-bourgeois,
donc l’abolition du système impérial, préalable à la
révolution prolétarienne. En proie à une forte répression
dès 1923, ainsi qu’à des divergences profondes sur la
stratégie à adopter, il parvint à se reformer en 1926 et à
se maintenir en activité, publiant illégalement et
irrégulièrement le journal Sekki (Drapeau rouge, en
principe bimensuel), qui eut près de 190 numéros entre
1928 et 1935. Malgré l’arrestation de nombreux
membres (voir Arrestations du 15 mars 1928 et du
16 avril 1929), il gagna des adhérents jusque vers 1932,
soutenu par le prestige intellectuel du marxisme, jusqu’à
ce que les « conversions » (tenkô) à l’idéologie officielle
de membres dirigeants emprisonnés (1933) et les
nouvelles arrestations qui s’ensuivirent provoquent sa
dispersion. Il se recréa au lendemain de la guerre, après
la libération des membres restés fidèles au marxisme et
le retour des émigrés. Voir aussi Akamatsu Katsumaro,
Conseil des syndicats ouvriers du Japon, Kondô Eizô,
Ouvriers et paysans, Parti des ouvriers et des paysans.
Parti de l’épée céleste (Tenken tô) : groupe de jeunes
officiers de rangs inférieurs de l’Armée de terre fondé en
1927 par Nishida Zei*, qui travaillait à diffuser les idées
de Kita Ikki* parmi les militaires. Contrairement à la
Société de la fleur de cerisier*, composée d’officiers de
grades plus élevés liés à l’état-major, pour lesquels
l’objectif principal était à l’extérieur, ce groupe
entendait agir d’abord à l’intérieur du Japon, en y
menant ou suscitant une rénovation nationale (kokka
kaizô). Il comptait environ 70 membres ou
sympathisants, affectés à des unités stationnées dans
l’ensemble du pays. Ses activités furent limitées et son
existence brève, mais il contribua à faire naître le
mouvement des jeunes officiers. Voir aussi Affaire du
26 février, Muranaka Kôji, Société des soldats
impériaux, Yasuda Masaru.
Parti de la production du Grand Japon (Dai Nihon
seisan tô) : parti nationaliste fondé en juin 1931 par
Uchida Ryôhei (1874-1937) et Yoshida Masuzô (1895-
1967) dans le but d’unifier les mouvements d’extrême
droite autour d’un programme commun qui incluait des
mesures économiques (dirigisme, relance de l’emploi,
élimination des « parasites financiers ») et politiques
(élimination des partis de gouvernement, élimination de
la gauche, annexion de la Mandchourie). Lancé autour
de la branche d’Ôsaka de la Société du fleuve Amour*, il
agrégea une vingtaine de petits groupes ou tendances, ce
qui lui donna une importance remarquable pour une
organisation d’extrême droite, puisqu’il aurait compté
près de 20 000 membres (100 000 selon ses
déclarations) et fut même rejoint au début de 1932 par
le Parti patriotique radical (Kyûshin aikokutô) de
Tsukui Tatsuo*. Sa base sociale resta constituée surtout
par le patronat de petites et moyennes entreprises, mais
il parvint aussi à rallier quelques groupes syndicaux et
accentua le caractère anticapitaliste de son discours
après son échec électoral de février 1932. Son influence
déclina toutefois assez vite, en raison des dissensions
internes entre les courants correspondant aux
organisations qui le constituaient, et parce que plusieurs
de ses membres furent impliqués dans l’affaire de la
Shinpeitai*, discréditant la stratégie très légaliste que la
direction du parti prétendait suivre. Voir aussi Comité
d’union contre la crise nationale, Gen.yôsha, Kageyama
Masaharu, Rôninkai, Société de Jinmu, Suzuki Zen.ichi.
Parti national des masses ouvrières et paysannes
(Zenkoku rônô taishû tô) : parti né en juillet 1931 de la
fusion de la gauche et du centre des partis prolétariens,
et qui fusionna avec le Parti social-démocrate* dans le
Parti social des masses* en juillet 1932.
Parti ouvrier et paysan (Rônô tô) : parti créé en
novembre 1929, notamment par Ôyama Ikuo (1880-
1955), avec ce qui restait des militants du Parti des
ouvriers et des paysans (Rôdô nômin tô), interdit en
avril 1928 et qui représentait l’aile gauche du courant
prolétarien. En juillet 1931, il fusionna avec le parti
centriste de ce courant dans ce qui devint peu après le
Parti social des masses*. Voir Arrestations du 15 mars
1928 et du 16 avril 1929.
Parti ouvrier et paysan du Japon (Nihon rônô tô) :
parti né en 1926 d’une scission au sein du Parti des
ouvriers et des paysans (Rôdô nômin tô) et qui forma le
courant centriste parmi les partis prolétariens, avec
lesquels il fusionna progressivement à partir de 1930,
jusqu’à la création du Parti social des masses* (1932).
Voir aussi Asô Hisashi.
Parti patriotique du travail (Aikoku kinrô tô) : société
nationaliste fondée en février 1930 par un groupe
d’élèves d’Uesugi Shinkichi*, dont Amano Tatsuo*, et un
groupe d’élèves de Takabatake Motoyuki* (voir Tsukui
Tatsuo*), avec Kanokogi Kazunobu* et Ôkawa Shûmei*
comme conseillers. Son but était de « bâtir un pays sans
exploitation, en se fondant sur le principe d’unité du
souverain et du peuple ». Elle fusionna avec d’autres
courants dans l’Alliance nationale du nouveau Japon*.
Parti prolétarien du Japon (Nihon musan tô) : parti
politique formé en mars 1937 par des dissidents du Parti
social des masses* et d’anciens membres du Conseil
national des syndicats ouvriers*, en vue de créer un
front contre le fascisme. Il fut réprimé et interdit après
quelques mois d’existence. Voir Affaires du Front
populaire.
Parti social des masses (Shakai taishû tô) : parti né en
juillet 1932 de la fusion du Parti social-démocrate* et du
Parti national des masses ouvrières et paysannes*, lui-
même produit de la fusion entre le centre et la gauche
du mouvement prolétarien. Sa ligne reprenait alors celle
des « trois anti- » (anticapitalisme, anticommunisme,
antifascisme) du Parti social-démocrate, mais la faction
d’Asô Hisashi* et Kamei Kan.ichirô* devint bientôt
prédominante et le parti se rapprocha de l’armée (voir
Principes de la défense nationale et propositions pour
la renforcer), espérant obtenir la garantie des droits
sociaux que les partis libéraux refusaient d’accorder. Il
progressa électoralement, jusqu’à obtenir 36 députés à
la Chambre basse en 1937. La collaboration avec le
régime s’accrut après le début de la guerre sino-
japonaise, les derniers éléments qui s’y opposaient,
comme Abe Isoo (1865-1949) ou Katayama Tetsu*,
étant exclus au début de 1940, peu avant que la
direction ne prononce la dissolution du parti, en juillet,
et le ralliement au Mouvement pour un nouveau
régime* lancé par le Premier ministre Konoe*. Voir
aussi Affaires du Front populaire, Kawakami Jôtarô,
Matsutani Yojirô, Parti national des masses ouvrières et
paysannes, Parti ouvrier et paysan, Parti prolétarien du
Japon.
Parti social-démocrate ou Parti social populaire
(Shakai minshû tô) : parti fondé en décembre 1926,
autour de socialistes modérés (Katayama Tetsu*,
Matsuoka Komakichi*, Nishio Suehiro) qui avaient
quitté le Parti des ouvriers et des paysans (Rôdô nômin
tô), dominé par l’aile gauche de celui-ci, ainsi que
d’autres personnalités progressistes comme le socialiste
chrétien Abe Isoo, le démocrate Yoshino Sakuzô ou le
syndicaliste Suzuki Bunji. Militant pour la légalisation
des syndicats, il se voulait réformateur, c’est-à-dire
opposé à la fois « aux partis en place, qui représentent la
classe privilégiée, et aux partis extrémistes, qui ignorent
le processus de l’évolution sociale ». Il obtint 4 sièges à
la Chambre basse en 1928, lors des premières élections
au suffrage universel masculin. Après l’incident de
Mandchourie, le courant social-nationaliste d’Akamatsu
Katsumaro* fut mis en minorité par la ligne
« anticapitaliste, anticommuniste, antifasciste », qui fut
aussi à ses débuts celle du Parti social des masses*, né
de la fusion du Parti social-démocrate avec les autres
courants prolétariens en 1932. Voir aussi Kamei
Kan.ichirô, Koike Shirô, Parti social-nationaliste du
Japon, Shimonaka Yasaburô.
Parti social-nationaliste du Japon (Nihon kokka
shakai tô) : parti fondé par Akamatsu Katsumaro* en
mai 1932, après sa rupture avec le Parti social-
démocrate*, dont le programme combinait des
revendications nationalistes et anticapitalistes (« bâtir
un nouveau Japon, sans exploitation, en se fondant sur
l’esprit national d’unité sous l’empereur »). Il inclut
principalement le groupe de transfuges venus du Parti
social-démocrate*, quelques membres scissionnaires du
Parti des masses ouvrières et paysannes (Rônô taishû
tô) et le courant du syndicalisme paysan mené par
Hirano Rikizô*. Bien qu’ayant participé aux réunions
préparatoires, les autres courants venus du
syndicalisme, notamment celui de Shimonaka
Yasaburô*, se retirèrent le jour même de la fondation,
faute de trouver une entente avec le groupe d’Akamatsu
sur la répartition des postes au sein de l’organisation.
Des scissions se produisirent dès 1933, dont celle
d’Akamatsu. Le parti lui-même abandonna bientôt le
social-nationalisme et changea de nom avant de se
dissoudre (novembre 1936). Koike Shirô* et les
principaux membres rejoignirent le parti d’Akamatsu
l’année suivante. Voir aussi Alliance nationale du
nouveau Japon, Comité d’union contre la crise
nationale, Syndicat des paysans du Japon.
Pavillon du nuage pourpre : voir Hashimoto Tetsuma.
Plan de rénovation du Japon (Nihon kaizô hôan
taikô) : ouvrage dans lequel Kita Ikki* développa sa
théorie du nationalisme révolutionnaire. Mis en
circulation sous forme polycopiée dès 1919, il fut
rapidement interdit mais put être publié en 1923,
quelques passages ayant été supprimés. La plupart des
mesures prônées étaient socialistes : plafonnement de la
propriété privée, redistribution des terres,
nationalisation des grandes entreprises, législation sur le
travail, assurances sociales. Quant à la mise en œuvre,
Kita pensait qu’elle ne pourrait se faire que par l’action
d’une avant-garde de civils et de militaires qui
renverserait les élites en place. L’empereur suspendrait
alors la Constitution pendant trois ans et nommerait un
gouvernement exceptionnel qui commencerait par
instaurer le suffrage universel masculin et abolirait la
Chambre des pairs. Les saisies et redistributions
seraient confiées à une instance particulière, formée par
des militaires de réserve. Bien que le but ait été
d’assurer les libertés politiques et l’égalité sociale, le
plan de Kita renforçait considérablement les pouvoirs de
l’État et visait à empêcher la lutte des classes en
interdisant les conflits sociaux. Il affirmait en outre le
droit du Japon à faire la guerre aux pays oppresseurs,
pour assurer l’indépendance de l’Inde ou la sécurité de
la Chine, et à s’étendre en annexant des territoires
comme la Sibérie ou l’Australasie, occupés « au mépris
des lois de la coexistence humaine » que le Japon seul
pouvait faire triompher. Ce programme fut largement
repris dans celui de la Société de la pérennité* et
influença une partie de l’extrême droite, mais il
intéressa surtout de jeunes officiers de l’Armée de terre,
dont plusieurs eurent un rôle central dans le
soulèvement du 26 février 1936 (voir Affaire du 26
février).
Prérogative impériale de commandement suprême
(tôsuiken) : disposition des articles XI et XII de la
Constitution de 1889, d’après laquelle les forces armées
étaient placées directement sous le contrôle de
l’empereur, échappant donc à celui du gouvernement.
Elle permettait aux états-majors de contester aux
responsables civils le droit de prendre des décisions
concernant les affaires militaires et fut invoquée
notamment en 1930 après la signature du traité naval de
Londres*, qui limitait le tonnage de la flotte de guerre,
bien que celui-ci eût été ratifié par l’empereur après
consultation du Conseil privé. Parmi les défenseurs
d’une interprétation des articles XI et XII de la
Constitution légitimant la signature du traité se trouvait
le juriste Minobe Tatsukichi*. Voir aussi Hamaguchi
Osachi.
Principes de la défense nationale et propositions pour
la renforcer (Kokubô no hongi to sono kyôka no
teishô) : brochure publiée par l’Armée de terre en
octobre 1934, dans laquelle était présentée une
conception de la défense nationale entendue « au sens
large », impliquant la mobilisation non seulement des
forces armées mais aussi de l’économie, de la politique
et de la culture, c’est-à-dire faisant de la guerre l’objet
principal de l’État. Cette vision, qui reflétait les idées de
la faction du Contrôle (voir Factions militaires, Nagata
Tetsuzan), était soutenue par une philosophie de la lutte
compétitive comme source de toute civilisation.
Diffusée à 600 000 exemplaires, elle provoqua un tollé à
la Chambre basse et dans la presse. Minobe Tatsukichi*,
notamment, en fit une critique très développée. Seul le
Parti social des masses* l’accueillit favorablement,
voyant dans le dirigisme annoncé le meilleur moyen de
mettre fin à l’exploitation capitaliste. Devant les
protestations, le général Hayashi*, ministre de l’Armée,
déclara que les militaires n’entendaient pas forcer la
mise en œuvre de ce programme.
Rescrit impérial sur l’éducation (Kyôiku chokugo) :
texte promulgué en octobre 1890, fondé sur les
principes moraux du confucianisme (piété filiale,
obéissance au souverain) et demandant une loyauté
absolue de la part des sujets envers la Maison impériale.
Traité comme un objet sacré, avec le portrait du couple
impérial, il était lu par les directeurs d’établissement
lors des cérémonies scolaires jusqu’en 1945 et eut un
grand rôle dans l’affirmation de l’autorité de l’État
moderne et du culte impérial.
Revues généralistes (sôgô zasshi) : revues apparues au
milieu de l’ère Meiji, contenant des articles de
commentaire ou d’analyse de haute tenue, relevant de
domaines variés (politique, société, culture, économie),
le plus souvent mensuelles ou bimensuelles, se
distinguant à la fois des revues spécialisées et des
magazines destinés au grand public. On peut les
comparer aux revues françaises dont La Revue des deux
mondes fut pendant longtemps le modèle. Dans les
années 1930, les plus importantes étaient Chûô kôron
(Le Débat central), Kaizô (La Réforme), Bungei shunjû
(Les Annales littéraires), Nihon hyôron (La Critique).
Leur tirage se montait à plusieurs dizaines de milliers
d’exemplaires, celui de Bungei shunjû dépassant même
100 000 exemplaires.
Rôninkai : société nationaliste fondée en 1908 autour
de figures de la Gen.yôsha* et de la Société du fleuve
Amour*, qui se fit connaître surtout par ses attaques
contre les mouvements démocratiques au lendemain de
la Première Guerre mondiale. Elle fut notamment à
l’origine de l’affaire dite de l’arc-en-ciel blanc, qui
entraîna la démission de plusieurs journalistes de
l’Ôsaka Asahi shinbun en 1918, dont Maruyama Kanji
(1880-1955), père de Maruyama Masao. Beaucoup de
ses membres participèrent à la création du Parti de la
production du Grand Japon* en 1931.
SAGÔYA Tomeo (1908-1972) : membre la Société
patriotique (Aikokusha), groupe nationaliste proche de
la Société du fleuve Amour*. Pour protester contre la
signature du traité naval de Londres*, il tira sur le
Premier ministre Hamaguchi Osachi* et le blessa
grièvement, le 14 novembre 1930, sur un quai de la gare
de Tokyo. Condamné à mort en 1933, il bénéficia d’une
grâce en 1934, sa peine étant commuée en peine
d’emprisonnement à vie, et il fut libéré en 1940. Il
poursuivit ses activités politiques après la guerre,
participant notamment à la fondation du Groupe de
protection nationale (Gokokudan) avec Inoue Nisshô*
en 1954.
SAKOMIZU Hisatsune (1902-1977) : haut fonctionnaire
du ministère des Finances, secrétaire du Premier
ministre Okada* de 1934 à 1936. Secrétaire général du
cabinet Suzuki* (avril-août 1945), il rédigea l’allocution
impériale du 15 août 1945 annonçant la capitulation.
Membre du Parti libéral-démocrate après la guerre, il fut
élu député en 1952, sénateur en 1956, et membre du
cabinet Ikeda au début des années 1960.
SASAI Itchô (1892-1973) : nationaliste ayant d’abord
appartenu à la Société de la pratique terrestre*,
secrétaire général de la Ligue nationale du nouveau
Japon* à sa fondation en 1932. Partisan du social-
nationalisme jusqu’au début des années 1930, il
abandonna la critique du capitalisme, mais ne se rallia
pas au nationalisme officiel. Ayant créé le Parti du
Grand Japon (Dai Nihon tô) en 1940, il fut élu député
en 1942 sans avoir l’investiture de l’Alliance pour le
soutien au Trône*.
SATÔ Naotake (1882-1971) : diplomate, ambassadeur
du Japon en Belgique puis en France au début des
années 1930, membre de la délégation japonaise à la
Société des Nations lors du retrait du Japon, ministre
des Affaires étrangères dans le cabinet Hayashi (1937).
Nommé ambassadeur extraordinaire en Italie en 1940, il
participa aux négociations du Pacte tripartite*, avant
d’être ambassadeur en Union soviétique (1942-1945).
Figure du courant conservateur après la guerre, il fut
sénateur de 1947 à 1963.
SATÔ Tsûji (1901-1990) : spécialiste de littérature
allemande, professeur à l’Université impériale de
Kyûshû, traducteur de Gœthe et de Nietzsche, auteur de
Philosophie de la voie impériale (Kôdô testugaku,
1941) et d’essais sur la pensée shintô. Entre 1942 et
1945, il fut membre du Centre de recherches sur la
culture spirituelle du Japon (Kokumin seishin bunka
kenkyûjo) du ministère de l’Éducation, ainsi que du
comité directeur de l’Association patriotique de la
presse du Grand Japon (Dai Nihon genron hôkoku kai).
Seiyûkai (Rikken seiyûkai) : « Association des amis du
gouvernement constitutionnel », parti politique de
tendance conservatrice fondé en 1900 par Itô
Hirobumi*. Initialement constitué par l’alliance d’une
fraction de l’oligarchie avec un parti dont les
propriétaires terriens représentaient la base sociale la
plus importante, il domina la vie politique jusqu’au
début des années 1920. Affaibli en 1924 par la scission
d’un courant réformateur, il dut laisser place au parti
qui devint peu après le Minseitô*, avec lequel il
gouverna en alternance jusqu’en 1932. Revenu au
pouvoir en décembre 1931 après la chute du cabinet
Wakatsuki*, il remporta une très large victoire aux
élections de février 1932 mais fut empêché de former le
cabinet après l’affaire du 15 mai*, les conseillers de
l’empereur préférant faire appel à l’amiral Saitô Makoto
pour former un cabinet d’union nationale. La direction
du parti refusa de soutenir ce cabinet et celui d’Okada*,
qui lui succéda (1934-1936), et chercha constamment à
les faire tomber. En recul aux élections de 1936 et 1937,
il éclata en deux courants qui se sabordèrent en juillet
1940 et dont les membres rejoignirent l’Association
pour le soutien au Trône*. Voir aussi Affaire de la
monarchie-organe, Association du Grand Japon pour la
quintessence nationale, Association pour les principes
de la voie impériale, Hashimoto Tetsuma, Ligue de la
sincérité de l’ère Taishô, Matsuoka Yôsuke, Mori Kaku,
Suzuki Kisaburô, Tanaka Giichi.
SHIGA Shigetaka (1863-1927) : géographe, membre
fondateur de la revue Nihonjin (Japonais, 1888) avec
Miyake Setsurei*, qui prônait une démocratisation
progressive du régime et une modernisation fondée sur
l’idée de génie national, procédant par une importation
sélective de la civilisation occidentale plutôt que par
une imitation aveugle.
SHIMONAKA Yasaburô (1878-1961) : éditeur et homme
politique. Instituteur puis professeur d’école normale, il
créa en 1920 le Syndicat des enseignants du Japon
(Nihon kyôin kumiai), parallèlement à quoi il fonda la
maison d’édition Heibonsha, spécialisée dans les
ouvrages de vulgarisation et la littérature populaire, qui
publia notamment la Grande Encyclopédie en 28
volumes (Dai hyakka jiten, 1931-1934). À partir du
milieu des années 1920, il s’impliqua également dans le
syndicalisme paysan, tout en devenant membre du Parti
social-démocrate*, mais s’orienta bientôt vers le social-
nationalisme, déçu par l’incapacité de la gauche à s’unir,
et créa en 1932 l’Alliance nationale du nouveau Japon*.
Il publia alors de nombreux ouvrages à caractère
nationaliste sur la culture japonaise et sur
l’enseignement. Membre de l’Association de soutien au
Trône*, du Centre de recherches sur la culture
spirituelle du Japon (Kokumin seishin bunka kenkyûjo)
du ministère de l’Éducation, et de l’Alliance du Grand
Japon pour l’essor de l’Asie*, il fut frappé par
l’interdiction d’exercer un emploi public en 1946 mais
put reprendre la direction de Heibonsha en 1951. Il se
consacra alors à l’édition de l’Encyclopédie mondiale
(Sekai hyakka jiten, 1955-1959) et à des mouvements
pacifistes. Voir aussi Association pour la Grand Asie,
Kanokogi Kozanobu, Ligue de l’autonomie rurale.
SHIRATORI Toshio (1887-1949) : diplomate, directeur du
Bureau de l’information au ministère des Affaires
étrangères de 1929 à 1933. Partisan de l’occupation de
la Mandchourie après l’incident de septembre 1931*, il
s’opposa aux offres de médiation américaines et critiqua
publiquement la Société des Nations. Ambassadeur en
Italie de 1938 à 1940, il fut un des plus ardents
partisans du Pacte tripartite*, dont il pressa la
conclusion. Ayant quitté les Affaires étrangères peu
après son rappel au Japon, il fut élu député en 1942
avec l’investiture de l’Association pour le soutien au
Trône*. Au cours des dernières années de la guerre, il se
fit remarquer surtout par des déclarations de plus en
plus étranges sur la signification religieuse de la défaite.
Jugé comme criminel de catégorie A par le Tribunal
militaire international, il fut condamné à
l’emprisonnement à perpétuité. Voir aussi Association
pour la Grande Asie.
Société de Jinmu (Jinmu kai) : organisation
nationaliste créée en février 1932 par Ôkawa Shûmei*,
dont le nom est celui du premier représentant de la
lignée impériale (voir Jinmu*). Ôkawa espérait profiter
de l’excitation produite par l’incident de Mandchourie*
pour créer un mouvement plus large, visant à
« dénoncer les partis en place, abattre les cartels
financiers, nationaliser les intérêts japonais de
Mandchourie ». Il reçut pour cela une aide financière de
l’homme d’affaires Ishihara Kôtarô (1890-1970), ainsi
que de l’armée. Recrutant dans son ancien groupe, dans
le Comité national des patriotes pour l’unité de lutte* et
dans le Parti de la production du grand Japon*, il put
mettre sur pied dix équipes de campagne, qui
organisèrent des meetings dans tout le pays. Elle fut
l’une des plus importantes organisations nationalistes,
comptant plusieurs milliers de membres (30 000 selon
ses déclarations), parmi lesquels des figures de la pairie
comme Konoe Fumimaro* et des militaires influents.
Ses activités déclinèrent assez rapidement après
l’arrestation et la condamnation d’Ôkawa pour son rôle
dans la tentative de coup d’État du 15 mai 1932*. Elle
fut dissoute en 1935, peu après la libération d’Ôkawa.
Voir aussi Comité d’union contre la crise nationale,
Société de la pratique terrestre, Société de l’éthique
éclairée.
Société de la fleur de cerisier (Sakura kai) : société
nationaliste créée en septembre 1930 par Hashimoto
Kingorô* et Sakata Yoshirô (1888-1933), composée
notamment d’officiers de rang moyen en poste à l’état-
major ou au ministère de l’Armée de terre, et se
donnant pour but de « réformer l’État, au besoin en
recourant à la force armée ». Elle comptait environ
150 membres en mai 1931 et plus de 1 000 à la fin de
l’année, parmi lesquels quelques jeunes officiers de
troupe. Sa tendance la plus radicale (Hashimoto, Chô
Isamu*) se rapprocha d’éléments civils, notamment des
groupes d’Ôkawa Shûmei* et de Nishida Zei*, en vue
d’organiser un coup d’État (Voir Affaire de mars* et
Affaire d’octobre*). Elle fut dissoute après l’arrestation
des officiers impliqués dans l’affaire d’octobre. Voir aussi
Factions militaires, Muranaka Kôji, Nemoto Hiroshi,
Tanaka Kiyoshi.
Société de la fondation nationale (Kenkoku kai) :
société nationaliste fondée le 11 février 1926 par Akao
Bin* avec Uesugi Shinkichi* comme président, dans
laquelle étaient représentés à la fois le nationalisme
conservateur (Hiranuma Kiichirô*, Araki Sadao*), le
social-nationalisme (Tsukui Tatsuo*) et divers courants
de l’extrême droite (Maeda Torao*, Suzuki Zen.ichi*,
Tôyama Mitsuru*), ce qui en fit un des groupes
d’extrême droite les plus importants jusque vers 1928.
Beaucoup de ses figures les plus connues s’en
éloignèrent assez vite, Akao utilisant la Société pour
mener des actions violentes contre la gauche et pour
appeler à la guerre contre l’Union soviétique. Son
idéologie tendant à se réduire à l’anti-communisme, elle
perdit l’aspect social-nationaliste qu’elle avait
initialement, ce qui, avec les violences qui firent sa
renommée, contribua probablement à son déclin. Elle
trouva cependant des soutiens financiers dans les
milieux d’affaires. À partir de la fin des années 1930,
elle se montra originale par sa critique des orientations
du gouvernement en politique extérieure (alliance avec
l’Allemagne, hostilité envers les Anglo-saxons, traité de
neutralité nippo-soviétique) ainsi que de l’Alliance pour
le soutien au Trône*, à laquelle elle ne participa pas.
Dissoute en 1945, elle se reforma en 1952 sous le nom
de Parti patriotique du Grand Japon (Dai Nihon
aikokutô).
Société de la Grande réforme (Taika kai) : société
nationaliste de moindre importance, dont le nom
évoque la réforme de l’État menée à l’ère Taika (VIIe
siècle), fondée en 1920 par Iwata Fumio (1891-1943),
qui avait passé quelques années en Chine, où il avait
travaillé pour les services de renseignement de l’armée
et connu Kita Ikki*. Se donnant pour but de faire
connaître la mission du Japon dans le monde, elle fut
fondée avec le soutien de la Société de la pérennité*,
dont elle devait être le groupe d’action. Elle s’efforça
notamment de recruter des membres parmi les clubs
sportifs des universités et eut son propre centre
d’entraînement aux arts martiaux. Parmi ses membres
conseillers figuraient notamment Araki Sadao* et
Takabatake Motoyuki*.
Société de la pérennité (Yûzonsha) : société
nationaliste fondée en 1919 par Kita Ikki*, Ôkawa
Shûmei* et Mitsukwa Kametarô*, visant à établir un
« Empire du Japon révolutionnaire » qui serait « le
grand apôtre de la libération de l’humanité », une fois
qu’elle aurait libéré le Japon lui-même. Contrairement à
la plupart des sociétés nationalistes apparues à la même
époque, elle ne prônait pas une réaffirmation de valeurs
traditionnelles mais une réforme de l’État (kokka
kaizô), inspirée par le Plan de rénovation du Japon* de
Kita, qu’elle s’efforça de faire connaître, notamment à
travers sa revue Otakebi (« Cri de guerre »). Parmi ses
membres fondateurs figuraient plusieurs disciples ou
proches de Kita, dont Nishida Zei*, Kanokogi
Kazunobu*, Yasuoka Masahiro*. La divergence qui
apparut bientôt entre Kita et Ôkawa sur la vision du
système impérial, auquel le programme initial ne faisait
pas allusion, entraîna la dispersion du groupe vers 1923,
Ôkawa s’en retirant avec Yasuoka et Mitsukawa (voir
Société de la pratique terrestre), les autres rejoignant ou
créant divers mouvements d’extrême droite dans
lesquels ils s’efforcèrent de diffuser les idées de Kita.
Société de la pratique terrestre (Kôchisha) : société
nationaliste fondée par Ôkawa Shûmei* en avril 1924,
après sa rupture avec Kita Ikki*. Visant à provoquer une
« Restauration de l’ère Shôwa » qui instaurerait « la
liberté dans la vie spirituelle, l’égalité dans la vie
politique, la fraternité dans la vie économique », elle
avait pour objectif ultime « la libération des peuples de
couleur » et « l’unité mondiale dans la vertu ». Elle
s’efforça de rapprocher les courants agrarien et social-
nationaliste, mais développa surtout les liens entre
nationalistes civils et militaires, à travers sa revue, ses
conférences et son Centre d’études socio-éducatives.
Elle s’implanta aussi dans les universités en y suscitant
des associations d’étudiants qui diffusaient ses idées.
Bien que beaucoup d’anciens membres de la Société de
la pérennité*, à l’exception de Kita, aient participé à sa
création, les divergences idéologiques, auxquelles vint
s’ajouter une affaire de malversation, entraînèrent le
départ de nombreux dirigeants (dont Nishida*,
Mistukawa* et Yasuoka*) et ternirent sa réputation. Elle
fut dissoute en 1932, lorsqu’Ôkawa créa la Société de
Jinmu*. Voir aussi Alliance nationale du nouveau Japon,
Comité national des patriotes pour l’unité de lutte, Sasai
Itchô.
Société de l’éthique éclairée (Meirinkai) : société
nationaliste créée en 1933 par Tanaka Kunishige*,
général retiré du service actif, et par l’homme d’affaires
Ishihara Kôtarô (1890-1970), qui avait soutenu un
temps la Société de Jinmu* mais s’en était détourné, la
jugeant extrémiste. Composée principalement d’anciens
militaires mais recrutant aussi dans la bureaucratie, et
proche de la faction du Contrôle (voir Factions
militaires), elle critiquait surtout la corruption des
« partis en place », mais refusa l’idée de parti unique
lancée par Konoe Fumimaro*, et la présence anglaise en
Asie. Elle connut des difficultés après l’arrestation
d’Ishihara, qui avait fourni de l’argent aux organisateurs
du 26 février*, et cessa ses activités peu après la
disparition de Tanaka.
Société des soldats impériaux (Ôshikai) : groupe
nationaliste créé par l’enseigne de vaisseau Fujii
Hitoshi* en mars 1928, dont le programme, inspiré par
certaines idées de Kita Ikki* et surtout par une
mystique de la Maison impériale, consistait à régénérer
l’armée afin de permettre au Japon d’accomplir son
destin de libérateur des peuples dominés. Composée
d’aspirants et de jeunes officiers de marine, il avait une
dizaine de membres à l’origine et plus d’une quarantaine
après la signature du traité naval de Londres* (avril
1930). Les plus proches de Fujii prirent part à la
tentative de coup d’État du 15 mars 1932*. Voir aussi
Koga Kiyoshi, Mikami Taku.
Société du fleuve Amour (Kokuryûkai) : société
nationaliste fondée en 1901 par Uchida Ryôhei (1874-
1936). Bien que dans la mouvance de la Gen.yôsha*,
son discours était plus franchement panasiatique et son
objectif initial plus spécifiquement anti-russe, comme
l’indique son nom (parfois traduit « Société du dragon
noir », d’après la signification littérale des
sinogrammes). Elle travailla notamment à rassembler
des informations en Sibérie pour le compte de l’état-
major. Elle soutint aussi divers mouvements
indépendantistes en Chine et aux Philippines, visant à
réduire l’influence occidentale en Asie, mission dans
laquelle le premier rôle devait revenir au Japon, en
vertu de la supériorité que lui donnait sa Maison
impériale.
Société nationale pour l’égalité (Zenkoku suiheisha) :
association fondée à Kyôto en 1922, visant à obtenir la
fin des discriminations frappant les burakumin,
descendants des hors-caste de l’époque d’Edo.
Rassemblant les différentes organisations locales qui
existaient déjà, elle comptait environ 300 sections en
1924. Malgré l’hostilité des autorités et de certains
groupes nationalistes, et malgré les dissensions qu’elle
connut avec l’apparition d’une mouvance proche du
Parti communiste*, qui prônait le ralliement intégral au
mouvement de lutte des classes, elle continua d’avoir
des activités jusqu’à la fin des années 1930.
Officiellement dissoute par le gouvernement en 1941,
elle ne se dispersa effectivement qu’en 1942 et fut
recréée au lendemain de la guerre avec la Ligue pour
l’émancipation des buraku (Buraku kaihô dômei).
SUETSUGU Nobumasa (1880-1944) : amiral, vice-chef
d’état-major de la Marine (1928-1930), opposé aux
traités navals de Washington et Londres*, commandant
en chef de la deuxième flotte lors du premier incident
de Shanghai (1932). Partisan de l’alliance militaire avec
l’Allemagne ainsi que d’une guerre avec les Anglo-
Saxons, il fut placé sur la liste de réserve par l’amiral
Yonai* en 1937. Ministre de l’Intérieur dans le premier
cabinet Konoe (1937-1939), il accentua la répression
idéologique (voir Affaires du front populaire*).
Conseiller du gouvernement dans les cabinets
Hiranuma* et Abe* (1939-1940), il quitta ce poste
lorsque Yonai fut nommé Premier ministre, et devint un
membre dirigeant de l’Association de soutien au Trône*.
Voir aussi Association pour la Grande Asie, Association
pour les principes nationaux.
SUGIYAMA Gen / Hajime (1880-1945) : général de
l’Armée de terre, proche d’Ugaki Kazushige*, chef du
Bureau des affaires militaires* (1928-1930) puis vice-
ministre de l’armée, il fit partie des généraux impliqués
dans l’affaire de mars*. Alors qu’il avait été écarté par
Araki Sadao* en février 1932, l’ascension de la Faction
du contrôle lui permit d’être nommé aux postes de vice-
chef de l’état-major et de directeur de l’École supérieure
de guerre en 1934 (voir Factions militaires). Après le
26 février 1936*, il participa à la purge contre la faction
de la Voie impériale et devint ministre de l’Armée de
terre (1937-1938). Partisan de la guerre après l’incident
du pont Marco Polo* et brièvement affecté au
commandement de l’armée de Chine du Nord, il fut
aussi favorable à l’ouverture de la guerre avec les États-
Unis. Chef de l’état-major d’octobre 1940 à février 1944,
il fut de nouveau ministre de l’Armée après la chute du
cabinet Tôjô (1944-1945). Il se suicida en septembre
1945.
SUZUKI Kantarô (1867-1948) : amiral, chef de l’état-
major de la marine (1925-1929), grand chambellan
(1929-1936) et membre du Conseil privé de l’empereur
(1929-1945). Peu après la signature du Traité naval de
Londres*, il empêcha l’état-major de la marine de
présenter ses objections à l’empereur. Inclus dans la
liste des hommes à abattre par les officiers du 26
février*, il fut grièvement blessé mais survécut. Chargé
en avril 1945 de former un cabinet pour mettre fin à la
guerre, il démissionna le 15 août, après que l’empereur
eut annoncé la capitulation.
SUZUKI Kisaburô (1867-1940) : magistrat et homme
politique, vice-ministre (1914-1921) puis ministre de la
Justice (1924, 1931) et ministre de l’Intérieur (1927-
1928, 1932). Conservateur, très hostile aux partis de
gauche, proche de Hiranuma Kiichirô* et membre de-
l’Association pour les principes nationaux*, il devint
également membre du Seiyûkai*, en 1926, et succéda à
Inukai Tsuyoshi comme président de ce parti après
l’affaire du 15 mai* 1932. Alors que le Seiyûkai était
largement majoritaire à la Chambre basse, il ne fut pas
appelé à former le cabinet, entre autres parce que ses
positions très nationalistes suscitaient la méfiance des
conseillers de l’empereur. Opposant acharné aux
cabinets Saitô et Okada* (1932-1936), il exclut du
Seiyûkai les membres qui avaient accepté d’y participer.
Ayant perdu son siège de député aux élections de 1936,
il quitta la direction du parti peu après. Voir aussi
Association du Grand Japon pour la quintessence
nationale.
SUZUKI Teiichi (1888-1989) : officier de l’Armée de
terre, spécialiste des affaires chinoises, affecté à l’état-
major à partir de 1918. Partisan de l’annexion de la
Mandchourie dès le milieu des années 1920, il était lié
aux officiers qui organisèrent l’incident de
Mandchourie*, qu’il soutint activement depuis Tokyo, et
appela au retrait du Japon de la Société des Nations. Lié
à la faction de la Voie impériale au début des années
1930, il se rallia ensuite à la faction du Contrôle et
devint un proche conseiller du général Tôjô*. Promu
général en 1937, placé sur la liste de réserve en 1940, il
fut nommé directeur de l’Agence de planification*
(1941-1943), puis conseiller du gouvernement,
notamment dans les derniers mois du cabinet Tôjô. Il fut
également président de l’Association patriotique de
l’industrie* à partir de septembre 1944. Jugé comme
criminel de guerre de catégorie A par le Tribunal
militaire international, il fut condamné à
l’emprisonnement à perpétuité mais libéré en 1955.
SUZUKI Zen.ichi (1903- ?) : militant d’extrême droite,
membre de la Société de la fondation nationale* (1926)
puis du Parti de la production du Grand Japon* (1931)
et chef de la section jeunesse de ce parti au moment de
l’affaire de la Shinpeitai*, dont il fut un des principaux
organisateurs. Frappé par l’interdiction d’exercer un
emploi public pendant quelques années après la guerre,
il fut de nouveau membre de groupes nationalistes à
partir des années 1950, et président de l’Université
Aichi shukutoku (Nagoya).
Syndicat des paysans du Japon (Nihon nômin
kumiai) : syndicat paysan formé en 1931 par la fusion
de l’aile droite du syndicalisme paysan (courant mené
par Hirano Rikizô*) et de la fraction des centristes qui
avait refusé la réunification avec l’aile gauche en 1928.
Il soutint la politique extérieure du gouvernement et fut
proche du Parti social-nationaliste* d’Akamatsu
Katsumaro*. La répression qui s’exerçait sur les
mouvements de gauche eut pour effet qu’il fut bientôt
rejoint par une autre fraction des centristes. En 1938, il
constitua avec l’aile gauche le Syndicat des paysans du
Grand Japon (Dai Nihon nômin kumiai).
TACHIBANA Kôzaburô (1893-1974) : idéologue de
l’agrarisme, qui se fit connaître à la fin des années 1920
par sa critique de la civilisation urbaine. Il créa dans le
nord du Kantô une école destinée à enseigner les valeurs
perdues du monde rural, qui constituaient selon lui le
véritable esprit japonais, menacé par le matérialisme
occidental. Il pensait qu’un groupe d’activistes issu des
deux catégories saines de la population, les paysans et
les soldats, établirait un gouvernement d’exception qui
instaurerait l’autonomie locale et une économie
anticapitaliste. Impliqué avec plusieurs de ses élèves
dans l’affaire du 15 mai 1932*, il fut condamné à
l’emprisonnement à vie mais fut libéré en 1940. Voir
aussi Ligue de l’autonomie rurale.
TAKABATAKE Motoyuki (1886-1928) : penseur socialiste,
lié au groupe de Sakai Toshihiko et Ôsugi Sakae dans les
années 1910. Il commença alors une traduction
japonaise du Capital, qui parut entre 1921 et 1924,
mais se sépara peu à peu des anarcho-socialistes,
considérant que le socialisme avait besoin d’un État fort
et centralisé. Sa réflexion s’orienta vers un social-
nationalisme (kokka shakai shugi), ce qui l’amena à se
rapprocher de conservateurs comme Uesugi Shinkichi*,
avec qui il fonda en 1923 le Cercle d’études sur la
conduite du gouvernement*, et de la Société de la
Grande réforme*. Tout en continuant à publier de
nombreuses études sur le socialisme, il prêcha pour un
« patriotisme radical ». À ses funérailles étaient
représentées à la fois l’extrême gauche et l’extrême
droite. Voir aussi Parti patriotique du travail, Tsukui
Tatsuo.
TANAKA Giichi (1863-1929) : général, ministre de
l’Armée de terre (1918-1921, 1923-1924), successeur de
Yamagata Aritomo à la tête de la faction de Chôshû. Il
créa en 1910 l’Association des réservistes*, qui devint
un groupe de pression très important, et en 1925 la
Fédération des groupes de jeunesse du Grand Japon
(Dai Nihon rengô seinendan). Président du Seiyûkai*
de 1925 à 1929, Premier ministre et ministre des
Affaires étrangères de 1927 à 1929, il aggrava la Loi sur
le maintien de l’ordre public de 1925 (Chian iji hô) et
réprima les communistes. Avec Mori Kaku*, il voulut
mener vis-à-vis de la Chine une « diplomatie active »
(sekkyoku gaikô), qui annonçait l’expansion
continentale. Trois expéditions militaires furent lancées
au Shandong en 1927 et 1928, destinées à renforcer la
position de Zhang Zuolin et assurer l’hégémonie
japonaise sur la Mandchourie et la Mongolie.
L’assassinat de Zhang (voir Assassinat de Zhang Zuolin)
déjoua ses plans et l’obligea à démissionner. Voir aussi
Incident de Jinan.
TANAKA Kiyoshi (? - ?) : officier de l’Armée de terre,
membre d’une tendance modérée de la Société de la
fleur de cerisier*. En poste à l’état-major au début des
années 1930, il est l’auteur d’une note secrète qui reste
une des principales sources sur les affaires de mars* et
d’octobre* 1931, auxquelles il avait lui-même été mêlé
bien que ne faisant pas partie des comploteurs. Rédigée
en 1932, cette note tomba entre les mains d’un membre
de la faction de la Voie impériale (voir Factions
militaires) et fut divulguée en juillet 1935, annexée à un
mémoire dans lequel Muranaka Kôji* et Isobe Asaichi
(1905-1937), deux des officiers qui organisèrent peu
après le soulèvement du 26 février*, dénonçaient les
agissements de la faction du Contrôle, du côté de
laquelle Tanaka s’était rangé lui-même. Voir aussi Affaire
de l’École des officiers.
TANAKA Kunishige (1869-1941) : général de l’Armée de
terre, membre de l’état-major général dans les années
1900, aide de camp de l’empereur de 1914 à 1917.
Attaché militaire dans les ambassades du Japon en
Angleterre et aux États-Unis, il participa aux
conférences de Paris (1919) et de Washington (1922). Il
fut commandant en chef de la Garde impériale (1925-
1926) puis de l’Armée de Taïwan (1926-1928). Affecté
au cadre de réserve en 1933, il créa la Société de
l’éthique éclairée*, qu’il présida jusqu’à sa mort.
TATEKAWA Yoshitsugu (1880-1945) : général de l’Armée
de terre, affecté à l’état-major en 1909, attaché militaire
en Grande-Bretagne puis en Inde, membre de la
délégation japonaise à la Société des Nations (1920-
1922). Proche d’Ugaki Kazushige*, il fut de nouveau
affecté à l’état-major en 1928, où il devint chef du
bureau du renseignement puis de celui des opérations.
Impliqué dans les affaires de mars* et d’octobre* 1931,
il aida également l’armée du Kwantung* à réaliser son
plan d’invasion de la Mandchourie, en retardant la
transmission des ordres de l’état-major dont il était
porteur auprès d’elle (voir Incident de Mandchourie).
Placé sur la liste de réserve après le 26 février 1936*, il
fut ambassadeur en Union soviétique (1940-1942) et
participa à la direction de l’Association de soutien au
Trône*. Voir aussi Association pour la Grande Asie.
TERAUCHI Hisaichi (1879-1946) : général, fils du général
et homme politique Terauchi Masatake (1852-1919),
nommé ministre de l’Armée de terre (mars 1936-février
1937) après le soulèvement du 26 février*. Très
antilibéral et hostile aux partis mais peu intéressé par la
politique, il fut le porte-parole fidèle et rigide de l’état-
major. Après une altercation avec un député qui
dénonçait l’influence croissante de l’armée dans le
gouvernement et la mise à l’écart de la Diète (voir
Échange du hara-kiri), il démissionna, causant la chute
du cabinet Hirota*. Commandant en chef de l’armée de
Chine du Nord (août 1937-décembre 1938) et de
l’armée de Chine du Sud de novembre 1941 à la fin de la
guerre, il mourut alors qu’il était prisonnier en Malaisie.
TÔGÔ Shigenori (1882-1950) : diplomate, ambassadeur
du Japon en Allemagne (1937-1938) puis en Union
soviétique (1938-1940), ministre des Affaires étrangères
(octobre 1941-septembre 1942) dans le cabinet Tôjô,
puis de nouveau dans le cabinet Suzuki (avril-août
1945), qu’il s’efforça de convaincre d’accepter la
reddition demandée par les Alliés. Il fut également
membre de la Chambre des pairs à partir de 1942.
Condamné à 20 ans d’emprisonnement par le Tribunal
militaire international, il mourut en détention.
TÔJÔ Hideki (1884-1948) : général de l’Armée de terre
et Premier ministre (décembre 1941-juillet 1944). Après
avoir été attaché militaire en Suisse et en Allemagne
(1918-1922), puis instructeur, il travailla à la section de
la mobilisation du ministère de l’Armée de terre (1928-
1929), commanda le premier régiment d’infanterie, basé
à Tokyo (1929-1931), et devint chef de la section de
l’organisation des troupes à l’état-major en août 1931.
Bien que lié aux officiers qui fomentèrent l’incident de
Mandchourie*, il ne semble pas y avoir été directement
impliqué. Très proche de Nagata Tetsuzan*, il fut
nommé général en 1933 et occupa différents postes au
ministère avant d’être affecté à l’armée du Kwantung*,
comme chef de la police militaire puis chef de l’état-
major. Partisan d’exploiter l’incident du pont Marco
Polo*, il fut rappelé à Tokyo par Itagaki Seishirô* pour
devenir vice-ministre dans le premier cabinet Konoe en
mai 1938, puis inspecteur général de l’aviation (1938-
1940). Ministre de l’Armée dans les deuxième et
troisième cabinets Konoe (juillet 1940-octobre 1941), il
fut partisan d’occuper l’Indochine et s’opposa au retrait
des troupes de Chine, ce qui fit échouer les négociations
avec les États-Unis et l’amena à prendre la suite de
Konoe. Il cumula alors les fonctions de Premier ministre
et de ministre de l’Armée de terre, mais aussi de
ministre de l’Intérieur, pendant quelques semaines, de
ministre de l’Approvisionnement militaire, à partir de
novembre 1943, et de chef de l’état-major général à
partir de février 1944. Son cabinet, qui déclencha la
guerre du Pacifique, était composé pour l’essentiel de
militaires et de bureaucrates. Malgré les défaites
continues face aux Alliés, il ne démissionna qu’en juillet
1944, après la chute de Saipan. Arrêté en septembre
1945, il fut condamné à mort comme criminel de guerre
de catégorie A par le Tribunal militaire international.
Voir aussi Factions militaires.
TOKUTOMI Sohô (1863-1957) : journaliste, fondateur de
la revue Kokumin no tomo (L’Ami de la nation, 1887-
1898) et du quotidien Kokumin shinbun (Le Journal de
la nation, 1890-1942), également auteur de livres sur
l’histoire du Japon. Après avoir prôné la
démocratisation de la société et annoncé le progrès
irrésistible du pacifisme, il réorienta son discours dans
un sens nationaliste à l’époque de la guerre sino-
japonaise (1894-1895) et soutint désormais activement
le militarisme et l’expansionnisme. Président de
l’Association patriotique de la presse du Grand Japon
(Dai Nihon genron hôkoku kai) ainsi que de
l’Association patriotique des lettres du Grand Japon
(Dai Nihon bungaku hôkoku kai) depuis leur création,
en 1942, jusqu’à la fin de la guerre, il fut inscrit sur la
liste des suspects de crimes de guerre de catégorie A
mais ne fut pas arrêté, en raison de son âge et de
problèmes de santé. Il fut cependant frappé par
l’interdiction d’exercer un emploi public. Voir aussi
Association pour la Grande Asie, Fukai Eigo.
TÔYAMA Mitsuru (1855-1944) : membre fondateur de la
Gen.yôsha*, dont il fut le dirigeant le plus connu, et
parrain de plusieurs autres groupes nationalistes,
comme la Société du fleuve Amour*. Il contribua
fortement à faire de la Gen.yôsha une organisation
structurée par des liens de fidélité personnelle, dont
l’expansion du Japon fut l’objectif exclusif et dont
l’action fut essentiellement clandestine ou s’exerça en
marge de l’espace politique public. Par anti-
occidentalisme et par calcul, il soutint le nationalisme
coréen dès le milieu des années 1880, puis le
nationalisme chinois, aidant en particulier Sun Yat-sen.
Dans les années 1920 et 1930, Tôyama faisait figure de
doyen de l’extrême droite, respecté et parfois sollicité
mais dont l’influence restait marginale sur les nombreux
mouvements qui apparurent alors.
TOYODA Teijirô (1885-1961) : amiral, affecté au Bureau
des affaires navales du ministère de la Marine de 1920 à
1923, attaché naval à Londres de 1923 à 1927, membre
de la délégation japonaise lors des négociations du
Traité naval de Londres* en 1930. Nommé à la tête du
Bureau des affaires navales en 1931, il en fut
rapidement écarté pour être affecté aux usines
d’aviation pendant plusieurs années. Il revint au
ministère comme chef du Bureau de l’aéronavale (1938-
1940). Vice-ministre de la Marine (septembre 1940-avril
1941) dans le deuxième cabinet Konoe*, il devint
ministre du Commerce et de l’Industrie (avril-juillet
1941) puis ministre des Affaires étrangères dans le
troisième (juillet-octobre 1941). Arrêté comme criminel
de guerre de catégorie A en raison de sa participation
aux cabinets Konoe, il fut libéré sans être jugé mais fut
frappé par l’interdiction d’exercer un emploi public de
1946 à 1958. Voir aussi Bureau des affaires militaires.
Traité des 9 puissances (Kyû ka koku jôyaku) : un des
traités conclus lors de la conférence de Washington en
1922, destiné à faire respecter la souveraineté et
l’intégrité territoriale de la Chine, et à y maintenir le
principe de la « porte ouverte », c’est-à-dire d’égalité des
chances économiques entre les nations. Bien que signé
par le Japon, dont les États-Unis cherchaient à freiner
les ambitions continentales, il contredisait la décision
prise en 1921 par le gouvernement japonais de
considérer la Mandchourie comme une zone d’intérêts
vitaux, à protéger en soutenant le seigneur de la guerre
Zhang Zuolin contre Tchang Kai-chek, dans le nord de la
Chine. De moins en moins respecté en pratique, surtout
à partir de 1927, lorsque le gouvernement nationaliste
entreprit de reconquérir cette région, le traité perdit
toute valeur avec l’invasion de la Mandchourie et la
création du Mandchoukouo. La tentative de le remettre
en vigueur lors de la conférence de Bruxelles (1937)
échoua du fait de l’absence du Japon. Voir aussi
Assassinat de Zhang Zuolin, Expédition de Sibérie,
Incident de Jinan, Incident de Mandchourie, Tanaka
Giichi.
Traité naval de Londres (Rondon kaigun gunshuku
jôyaku) : traité « pour la restriction et la réduction de
l’armement naval » signé en avril 1930, destiné à
étendre les dispositions du traité de Washington (1922),
qui portaient sur les cuirassés et les croiseurs lourds,
aux autres types de bâtiments (croiseurs moyens,
navires auxiliaires, sous-marins). Il prévoyait en outre
que les pays signataires ne construiraient pas de
nouveaux cuirassés ou croiseurs lourds jusqu’en 1937.
Les États-Unis et le Royaume-Uni s’opposant au Japon,
qui demandait à pouvoir posséder un tonnage
équivalant non plus à 6 mais à 7 dixièmes de celui des
flottes américaine et britannique, un compromis spécial
fut trouvé entre les trois pays. Cependant, le traité fut
aussitôt attaqué au Japon, à la fois dans l’état-major de
la marine et par la droite, qui dénoncèrent une violation
de la prérogative impériale de commandement
suprême*. La campagne de protestation redoubla de
violence après la ratification du traité, en octobre, et
culmina avec l’attentat contre le Premier ministre
Hamaguchi* commis par un jeune militant nationaliste
(voir Sagôya Tomeo*). Le gouvernement japonais
annonça en décembre 1934 qu’il quittait le traité et se
retira en janvier 1936 des négociations préparant son
renouvellement. Voir aussi Affaire du 15 mai, Oikawa
Koshirô, Ôsumi Mineo, Société des soldats impériaux,
Suzuki Kantarô, Toyoda Teijirô, Yamanashi
Katsunoshin.
TSUDA Sôkichi (1873-1961) : spécialiste de l’histoire de
l’Asie orientale et pionnier dans l’histoire de la pensée
au Japon, il enseigna à l’Université Waseda à partir de
1918. En 1939, alors que l’Université impériale de
Tokyo venait de lui confier un cours d’histoire de la
pensée politique orientale, il fut visé par une campagne
de l’extrême droite, notamment par la revue de Minoda
Muneki*, pour avoir mis en question l’historicité de
certains empereurs mentionnés dans les anciennes
chroniques japonaises, auxquelles il avait consacré
plusieurs ouvrages. Il dut abandonner le cours dont il
était chargé à l’Université impériale, puis son poste à
l’Université Waseda (janvier 1940), sur la demande du
ministère de l’Éducation, qui fit par ailleurs interdire
quatre de ses livres. Poursuivi en justice pour insulte à
la Maison impériale, il s’efforça de défendre la liberté
intellectuelle lors du procès mais fut condamné en 1942
à trois mois d’emprisonnement ferme et deux ans avec
sursis. En 1946, il publia un article dans lequel il
affirmait la compatibilité du système impérial, auquel il
était attaché, avec la démocratie.
TSUKUI Tatsuo (1901-1989) : auteur, journaliste et
homme politique social-nationaliste. Élève de
Takabatake Motoyuki*, il participa en 1926 à la création
de la Société de la fondation nationale*, dont il fut
secrétaire général mais qu’il quitta au début de 1929. Il
fonda alors le Parti patriotique radical (Aikoku
kyûshintô), qui voulait « représenter fidèlement
l’ensemble des masses japonaises, suivant le principe
d’un gouvernement centré sur l’empereur », et appelait
les Japonais à « prendre conscience de leur état de
nation prolétaire » et « mettre fin à la lutte des classes
en accomplissant une grande expansion
internationale ». Sa création fut complétée par celle
d’un syndicat, dont le programme demandait la
reconnaissance des droits syndicaux, la journée de 8
heures, la création d’assurances sociales (chômage,
accidents du travail, retraite), le salaire minimum et un
système complet de législation sur le travail. Mais il
s’impliqua surtout dans les différentes tentatives
d’unification de l’extrême droite, notamment dans le
Comité national des patriotes pour l’unité de lutte* et le
Parti de la production du Grand Japon*, puis se
rapprocha d’Akamatsu Katsumaro* (voir Comité d’union
contre la crise nationale). À partir du milieu des années
1930, son activité se concentra progressivement sur le
journalisme et la publication de livres. Il fut membre du
comité directeur de l’Association patriotique de la
presse du Grand Japon de 1943 à 1945. Frappé par
l’interdiction d’exercer un emploi public au lendemain
de la guerre, il resta un animateur très actif de l’extrême
droite jusqu’aux années 1960.
UESUGI Shinkichi (1878-1929) : juriste, spécialiste de
droit constitutionnel, élève de Hozumi Yatsuka (1868-
1912), professeur à la faculté de droit de l’Université de
Tokyo à partir de 1903, il combattit la thèse de la
monarchie-organe de Minobe Tatsukichi* au début des
années 1910, et développa la thèse opposée
(transcendance de l’empereur, unité naturelle du corps
national) en lui donnant des implications de plus en
plus larges, critiquant la démocratie parlementaire et
justifiant l’expansionnisme. Il exerça une influence
croissante à travers les groupes d’études qu’il créa ou les
sociétés nationalistes auxquelles il participa (voir
Société de la fondation nationale), et surtout à travers
ses élèves, dont le plus connu est Minoda Muneki*, qui
mena la campagne contre Minobe en 1935. Voir Affaire
de la monarchie-organe, Cercle d’études sur la conduite
du gouvernement.
UGAKI Kazushige / Issei (1868-1956) : général, proche
de Tanaka Giichi*, directeur du Bureau des affaires
militaires* (1911-1913), du Premier bureau de l’état-
major (1916-1919), vice-ministre de l’Armée de terre
(1923-1924). Ministre une première fois de 1924 à
1927, il réduisit les effectifs tout en modernisant les
équipements. De nouveau ministre de l’Armée dans les
cabinets Hamaguchi* puis Wakatsuki* de 1929 à 1931, il
aurait laissé s’organiser un projet de coup de force qui
lui aurait permis de prendre la direction du
gouvernement, avant de se raviser (Affaire de mars*). Il
démissionna peu après et fut nommé résident général en
Corée. Les officiers proches de lui à l’état-major et au
ministère furent bientôt écartés par Araki Sadao*. En
janvier 1937 et en janvier 1940, l’opposition de l’armée
l’empêcha de devenir Premier ministre. Il fut ministre
des Affaires étrangères durant quelques mois dans le
premier cabinet Konoe*, sans parvenir à empêcher la
poursuite de la guerre ni le contrôle accru du
gouvernement par l’armée. Voir aussi Factions
militaires.
UMEZU Yoshijirô (1882-1949) : général de l’Armée de
terre, chef du Bureau des affaires militaires* (1928-
1930), puis de la section des affaires générales de l’état-
major (1931-1933). Commandant en chef de la garnison
de Chine en 1934-1935, il négocia l’accord qui imposa
au Kuomintang le retrait de ses troupes des régions de
Pékin et Tientsin (juin 1935). Vice-ministre de l’Armée
de terre dans le cabinet Hirota (1936-1937), il participa
à la purge qui eut lieu après le soulèvement du
26 février 1936*. Commandant en chef de l’armée du
Kwantung* et ambassadeur auprès du Mandchoukouo à
partir de septembre 1939, il fut chargé de mettre fin au
conflit avec l’Union soviétique. Nommé chef de l’état-
major après la chute du cabinet Tôjô, il était encore
partisan, en août 1945, de poursuivre la guerre jusque
sur le territoire national. Inclus tardivement, à la
demande de l’Union soviétique, parmi les 28 accusés du
procès de Tokyo, il fut condamné à l’emprisonnement à
vie. Voir aussi Factions militaires.
26 février 1936 : voir Affaire du 26 février.
WAKAMATSU Tadakazu (1893-1959) : officier de l’Armée
de terre, diplômé de l’École supérieure de guerre en
1926 et bientôt affecté l’état-major, il effectua un séjour
d’études de deux ans en Allemagne (1930-1932), après
lequel sa carrière se poursuivit entre l’état-major et le
ministère. En 1935, alors qu’il était lieutenant-colonel, il
fut envoyé en Allemagne par l’état-major pour assister le
général Ôshima* dans les premières discussions qui
eurent lieu en vue de la conclusion du Pacte anti-
Komintern. Attaché militaire en Autriche et en Hongrie
(1937-1939), promu général en 1939, il combattit en
Chine du Sud (1939-1940) et dans le Pacifique (1943-
1945), notamment comme chef d’état-major adjoint du
général Terauchi* lors de la bataille des Philippines,
avant d’être affecté à l’armée de défense de la métropole
au cours des derniers mois de la guerre.
WAKATSUKI Reijirô (1866-1949) : haut fonctionnaire,
membre de la Chambre des pairs (1911-1947), ministre
des Finances dans les cabinets Katsura (1912-1913) puis
Ôkuma (1914-1916), il devint à la même époque
membre et bientôt vice-président du parti de centre
gauche Kenseikai (voir Minseitô*). Ministre de
l’Intérieur dans les cabinets Katô (1924-1926), Premier
ministre (1926-1927) après la mort de Katô, il
démissionna en raison d’un désaccord avec le Conseil
privé de l’empereur sur les mesures à prendre face à la
crise financière. La même année, il refusa de prendre la
tête du Minseitô et recommanda Hamaguchi Osachi*.
Représentant du Japon à la conférence sur la réduction
des armements de 1929-1930, il signa le Traité naval de
Londres*. Peu après l’attentat contre Hamaguchi, il
remplaça celui-ci à la tête du Minseitô et comme
Premier ministre. Incapable d’empêcher l’extension de
l’incident de Mandchourie*, il préféra démissionner
plutôt que chercher à former un cabinet de coalition
avec le Seiyûkai*, comme le proposait son ministre de
l’Intérieur Adachi Kenzô*. Pendant la guerre, il fit partie
du groupe d’anciens Premiers ministres qui s’efforça
d’obtenir la démission du cabinet Tôjô* et la fin des
hostilités. Voir aussi Jûshin.
YAMADA Yoshio (1873-1958) : historien et linguiste,
spécialiste de la langue, de la littérature et de l’histoire
japonaises anciennes, auteur de très nombreux ouvrages
dans ce domaine, dont certains, publiés notamment
dans les années 1930 et 1940, à caractère fortement
nationaliste. Professeur à l’Université Nihon (1920), puis
à l’Université impériale du Tôhoku (1925), recteur de
l’Université Jingû kôkagkukan (1940), liée au sanctuaire
d’Ise, il fut également conseiller du Département des
affaires shintô (Jingi in), rattaché au ministère de
l’Intérieur, et membre de la Chambre des pairs (1944-
46). Frappé par l’interdiction d’exercer un emploi public
de 1946 à 1951, il se consacra à l’édition de
dictionnaires et fut décoré de l’ordre du mérite culturel
en 1957.
YAMAGUCHI Saburô (1889-1934) : officier de marine,
qui avait étudié le pilotage aérien sous la direction du
frère d’Inoue Nisshô* et fut impliqué dans le projet de
coup d’État de la Shinpeitai (voir Affaire de la
Shinpeitai), où son rôle consistait à bombarder la
résidence du Premier ministre. Arrêté, il mourut en
prison avant le début du procès.
YAMANASHI Katsunoshin (1877-1967) : amiral, vice-
ministre de la Marine à partir de décembre 1928,
critiqué pour sa position conciliante lors de la
conférence navale internationale de 1930. Il fut écarté
aussitôt après la ratification du Traité naval de Londres*
et retiré du service actif en 1933.
YANAGAWA Heisuke (1879-1945) : général de la faction
de la Voie impériale, proche d’Araki et, pour cette
raison, limogé en 1935 puis placé sur la liste de réserve
après le 26 février 1936*. Remobilisé et affecté en Chine
à partir de 1937, il devient ministre de la Justice dans le
deuxième cabinet Konoe (décembre 1940-juillet 1941)
et ministre d’État dans le troisième (juillet-octobre
1941). Voir aussi Factions militaires.
YASUDA Masaru (1912-1936) : sous-lieutenant
d’artillerie, diplômé de l’École des officiers en 1934,
impliqué dans le soulèvement du 26 février 1936*,
membre du groupe qui assassina le gardien du Sceau
privé, Saitô Makoto (1858-1936), puis le général
Watanabe Jôtarô (1874-1936), inspecteur général de
l’enseignement militaire. Il fut jugé avec les autres
officiers organisateurs de la tentative de coup d’État,
condamné à mort et exécuté en juillet 1936.
YASUOKA Masahiro / Masaatsu (1898-1983) : idéologue
du nationalisme conservateur, qui développa une
doctrine inspirée par le confucianisme et un
enseignement moral visant à former une élite politique
« au désintéressement supérieur ». Après avoir été
membre de la Société de la pérennité* puis de la Société
de la pratique terrestre*, il s’éloigna progressivement du
nationalisme radical, asiatiste et activiste d’Ôkawa
Shûmei*, et trouva des soutiens dans la pairie pour
fonder son école, l’Académie du faisan d’or* (1927), à
travers laquelle se rapprochèrent certaines fractions de
la bureaucratie et des militaires. Exprimée notamment
É
dans les Études sur l’esprit japonais (Nihon seishin
kenkyû, 1924 et 1937), sa pensée faisait converger
l’action politico-administrative avec la quête
individuelle de la personnalité. Bien qu’ayant lui-même
encouragé au renforcement du centralisme en
s’attachant à former une élite de hauts fonctionnaires, il
se montra critique vis-à-vis de l’évolution du régime
dans le sens d’un totalitarisme à partir de la fin des
années 1930. Après la guerre, il fut le mentor spirituel
de nombreux membres du Parti libéral-démocrate. Voir
aussi Association pour la restauration nationale, Gotô
Fumio, Yûki Toyotarô.
YONAI Mitsumasa (1880-1948) : officier de marine,
spécialistes des affaires russes, capitaine de vaisseau au
début des années 1920, nommé contre-amiral et chef
d’état-major de la Deuxième flotte en 1925, vice-amiral
et commandant en chef de celle-ci en 1930,
commandant des bases de Sasebo (1933) puis de
Yokosuka (1935). Devenu ministre de la Marine en
février 1937, alors qu’il venait d’être nommé
commandant en chef de la Flotte combinée, il resta au
gouvernement jusqu’en août 1939, dans les trois
cabinets successifs de Hayashi*, Konoe* et Hiranuma*,
où il s’opposa à la conclusion d’une alliance militaire
avec l’Allemagne et l’Italie (voir Pacte tripartite).
Nommé Premier ministre en janvier 1940, il résista aux
pressions de l’armée, qui souhaitait que le Japon
s’engage dans la guerre aux côtés de l’Allemagne et le
força à la démission en juillet 1940, après la défaite de la
France. De nouveau ministre de la Marine après la chute
du général Tôjô, il le resta dans les cabinets Koiso, *
Suzuki*, Higashikuni et Wakatsuki* (juillet 1944-
décembre 1945). Cité comme témoin par le Tribunal
militaire international, il fit de son mieux pour disculper
le général Hata* mais mit clairement en cause la
responsabilité d’autres accusés dans le déclenchement
de la guerre du Pacifique.
YÛKI Toyotarô (1877-1951) : ministre des Finances du
cabinet Hayashi* (février-juin 1937). Gouverneur de la
Banque du Japon. Dans les années 1920, il suivit les
conférences de Yasuoka Masahiro* à l’Académie du
faisan d’or*. Il fut également membre de la Société des
principes nationaux*.
● BIBLIOGRAPHIE DU GLOSSAIRE
I. DE L’AVANT-GUERRE À L’APRÈS-GUERRE
L’ÉTUDIANT
Né en 1914, Maruyama est encore lycéen au début des
années 1930, lorsque se produisent les premiers
événements qui vont entraîner le Japon dans
l’ultranationalisme.
Son goût pour la musique lui a fait choisir l’allemand
comme première langue étrangère. Il est également
intéressé par la politique et, comme beaucoup d’autres
étudiants, il subit l’influence du marxisme, à un
moment où le Parti communiste japonais*98 a déjà
quasiment disparu. Il s’en pénètre assez pour être
bientôt convaincu que toute idéologie est historique et
dépend de la structure sociale. Cela ne l’empêche pas
d’entendre d’autres voix. Celle du député Ozaki Yukio*,
par exemple, lorsque le vétéran de la Chambre basse,
venu faire une conférence devant les étudiants du
Premier lycée, l’interloque en parlant d’un droit naturel
antérieur à l’État et auquel l’empereur lui-même ne
pourrait toucher. Ou celle, un peu plus tard, de son
professeur à l’Université de Tokyo, Nanbara Shigeru
(1889-1974), dans le néo-kantisme duquel il retrouve la
même affirmation de valeurs anhistoriques, liées à
l’existence de la société mais ne dépendant pas des
institutions politiques99. Dès 1933, il a l’occasion de
comprendre l’importance des droits formels que la
critique marxiste dénonce comme des paravents de
l’ordre bourgeois, le jour où il est arrêté et brutalement
interrogé par la Police politique (Tokkô) pour avoir
assisté à une conférence sur le matérialisme. Relâché le
lendemain, il devait faire l’objet d’une surveillance
pendant plusieurs années100.
Il continue cependant à s’intéresser au marxisme et lit
ce qui peut encore être publié, notamment le fameux
Cours sur l’histoire du développement capitaliste au
Japon publié par un courant dont la thèse est que le
Japon n’a pas atteint complètement le stade libéral-
bourgeois101. Étudiant à la faculté de droit de Tôdai à
partir de 1934, il organise même un groupe de lecture
secret dans lequel on étudie des auteurs comme Rosa
Luxemburg et Rudolf Hilferding102. L’influence marxiste
est encore perceptible dans un de ses premiers textes,
« Le concept d’État dans les sciences politiques »
(1936), mais cette attraction reste foncièrement
intellectuelle. Le constat d’une crise du modèle libéral
parlementaire associé au capitalisme individualiste ne le
fait incliner ni vers le modèle totalitaire dont
l’Allemagne et l’Italie donnent alors l’exemple, ni vers
une solution communiste. Il insiste au contraire sur la
nécessité de préserver la « liberté négative » de
l’individu par rapport à l’État. Progressivement, il
s’ouvre à d’autres courants de pensée : Hegel, Max
Weber, Karl Mannheim, Franz Borkenau, Harold Laski,
Harold Lasswell et même Carl Schmitt, dont il traduit
partiellement État, mouvement, peuple103. Ses lectures
débordent donc l’histoire de la philosophie et l’amènent
vers la sociologie, voire la psychologie. Il retient en
particulier de Weber que l’idéologie d’un groupe ou
d’une société ne se résume pas à sa partie explicite,
mais se trouve aussi déposée, sous des formes moins
patentes, dans des pratiques et des institutions, de sorte
que l’histoire des idées ne suffit pas pour saisir
l’idéologie d’un système politique ou d’une époque. La
sociologie de la connaissance de Mannheim lui apprend
à traiter les faits idéologiques de la même façon que les
faits socio-économiques, c’est-à-dire comme des
infrastructures ayant leurs lois, leur densité et leur
efficacité propres.
Lorsque s’approche la fin de son premier cycle
universitaire, Maruyama songe à se faire embaucher
dans une agence de presse, espérant qu’on l’enverrait à
l’étranger. C’est l’opposition de son père, lui-même
journaliste, qui l’aurait fait renoncer. Il est finalement
recruté comme assistant à la faculté de droit.
Alors qu’il souhaitait travailler sur l’histoire des idées
politiques occidentales, Nanbara le pousse vers le
domaine japonais, à peu près absent des enseignements
de la faculté de droit, et prévoit de lui confier un cours
dont la création sera le résultat d’une sorte de marché
de dupe entre le ministère de l’Éducation et la faculté.
Conséquence de l’affaire Minobe*, le ministère
souhaitait mettre en place un cours sur l’essence de
l’État impérial (kokutai kôza) dans les facultés des
grandes universités publiques. La faculté de droit, de
son côté, avait depuis longtemps le projet d’un cours sur
l’histoire des idées politiques en Asie. Elle utilisa la
demande du ministère pour en obtenir la création, mais
sans vraiment donner satisfaction à celui-ci sur le fond,
c’est-à-dire sans faire du cours un relais de la
propagande nationaliste officielle comme il en existait
déjà dans d’autres facultés, et cela malgré les attaques
de l’extrême droite dont elle était devenue l’objet depuis
quelques années104.
À partir de 1937, il commence donc à se familiariser
avec l’histoire des idées au Japon, sans grand
enthousiasme. Il entreprend bientôt la rédaction d’un
mémoire dans lequel il cherche à mettre en lumière
l’émergence d’une conception moderne de la politique
dans la pensée de l’époque d’Edo, prenant implicitement
à revers l’idéologie ultranationaliste qui vise à retrouver
un Japon d’avant la modernité, purifié de l’influence
occidentale. Il publie ce travail en 1940, ce qui permet
sa titularisation, et le prolonge par une étude consacrée
plus spécifiquement à l’idée que la communauté
politique est un ordre foncièrement humain, un artifice
dont les règles ne sont pas données par une nature
immuable mais peuvent évoluer à mesure que leurs
effets se découvrent. L’enjeu, là encore, n’est pas
seulement de contredire l’idéologie officielle. Il s’agit
aussi de montrer qu’une continuité existe entre l’avant
et l’après 1868, autrement dit que la modernité a des
racines au Japon même, sur lesquelles on peut et doit
s’appuyer105.
Cette perspective l’amène à étudier parallèlement des
penseurs du début de l’ère Meiji. Il consacre deux
articles à Fukuzawa Yukichi (1835-1901), qui soulignent
la dimension critique de son œuvre et l’importance que
Fukuzawa donnait à l’autonomie intellectuelle des
individus pour l’indépendance nationale. On y trouve
aussi une première évocation de l’idée qui sera
thématisée dans l’article de mai 1946 sous le nom de
« transfert de l’oppression ». Mais c’est dans le dernier
texte important de cette période que se voit le plus
clairement le souci qu’a Maruyama de faire le pont entre
l’époque d’Edo et l’ère Meiji. Il s’agissait de montrer que
l’idée de communauté nationale fondant l’État
(kokumin shugi), défendue à l’ère Meiji par des
penseurs comme Fukuzawa Yukichi ou Kuga Katsunan
(1857-1907), avait commencé de se former dès la
première moitié du XIXe siècle, à la fois stimulée et
contrariée par la menace étrangère. Si l’article publié en
1944 ne traite finalement que de l’époque d’Edo, c’est
qu’il était devenu plus long que prévu et parce que
Maruyama venait d’apprendre qu’il était mobilisé. Il en
termina la rédaction la veille de son départ. La partie
traitant de l’ère Meiji n’ayant pu être écrite avant la fin
de la guerre, il en reprit l’idée sous des formes
différentes quelques années plus tard.
LE PROCESSUS FASCISTE
Le lecteur d’aujourd’hui peut être frappé en voyant
Maruyama parler de « stade absolutiste » à propos du
Japon moderne, signe parmi d’autres de son éclectisme,
ou de son sens du bricolage théorique, mais également
d’un souci de ne pas abandonner certains concepts aux
marxistes. Cela ne signifie pourtant pas qu’il voie dans
le fascisme un « stade » de l’évolution politique
moderne, un moment historique déterminé par les
structures économiques ou une sorte de crise de
croissance de la démocratie qui, une fois passée, ne
pourrait plus se reproduire. Il n’a guère explicité cette
idée dans ses textes sur le cas japonais, mais il l’a un
peu développée par la suite, dans quelques textes, hélas
peu nombreux, qui abordent la question en termes plus
généraux. Si le rapprochement avec l’Allemagne d’avant
1914 qui conclut l’article de mai 1949 a de quoi
surprendre, il devient plus étonnant encore lorsqu’on lit
un article de 1952 dans lequel Maruyama s’intéresse
cette fois au phénomène du maccarthysme et aux
formes prises par la réaction contre le mouvement des
droits civiques aux États-Unis157.
La question est moins de savoir si tel mouvement ou
tel régime doit être qualifié de fasciste, que de saisir un
processus au terme duquel un régime libéral devient
totalitaire. Les exemples italien et allemand donnent
l’impression qu’il s’agit d’une transformation rapide et
que l’arrivée au pouvoir du parti qui en fut l’acteur
constitue une césure nette et irréversible. Cette
représentation fait oublier que le Parti fasciste et le Parti
national-socialiste ont dû dans un premier temps
composer avec d’autres forces politiques, dont le soutien
les a aidés à s’installer au pouvoir, et qu’il a leur a fallu,
de plus, réprimer en leur sein des tendances
radicales158. Au Japon, à l’inverse, le caractère graduel
de la fascisation et la coopération active d’une partie des
élites politiques sont évidents et impossibles à éluder.
On peut bien sûr l’attribuer au fait qu’aucun
mouvement ni l’armée ne pouvait bouleverser
ouvertement les institutions qui dépendaient de la
Constitution de 1889, donc de la Maison impériale. La
remise en question du régime parlementaire, ce
qu’expriment au fond des formules comme
« Restauration de Shôwa » ou « rénovation de l’État », se
heurtait à la source même de la légitimité qu’elle voulait
faire jouer contre le régime parlementaire. Maruyama y
insiste à plusieurs reprises. Pourtant, il n’en conclut pas
que le cas japonais serait moins fasciste parce que
l’évolution fut plus progressive et qu’il n’y eut pas de
prise du pouvoir « par en bas ». Il montre au contraire
que la transformation du régime est le résultat d’une
interaction entre les mouvements « d’en bas » et les
élites politiques, les premiers favorisant la montée au
pouvoir des courants antilibéraux présents parmi les
secondes. Lorsqu’il parle d’un « fascisme atrophié » à
propos du Japon, ce n’est pas le régime ou ses effets
qu’il caractérise, mais cette structure disjointe des
forces qui l’ont rendu fasciste.
Corrélativement, l’idéologie n’est pas le seul trait
auquel il s’attache lorsqu’il étudie les mouvements
d’extrême droite ou lorsqu’il évoque ce que devient le
régime japonais au cours des années 1930. Il ne lui
accorde finalement pas plus d’importance qu’aux
aspects sociologiques : prévalence des petits groupes et
des relations verticales au sein de ceux-ci, position
sociale des soutiens actifs du régime, rôle de la
bureaucratie dans l’appareil d’État. Il prend certes le
temps de détailler les thèmes de prédilection qui lui
semblent spécifiques du fascisme japonais (familialisme,
agrarisme, asiatisme), mais il note aussi que l’on n’y
trouve rien de très original, qu’il s’agit d’emprunts à
l’idéologie officielle ou à des courants qui existaient
depuis l’ère Meiji et que le cœur de la doctrine se réduit
à peu de chose.
Cette analyse converge avec celle de Robert Paxton,
pour qui l’idéologie fasciste est faite d’oripeaux, de
pièces et de morceaux trouvés pour l’essentiel dans une
tradition locale. Il ne s’agit pas d’une organisation
théorique ou d’un ensemble de principes définissant une
idéologie fasciste universelle. Les ressemblances
formelles entre les fascismes de pays différents ne sont
donc pas forcément significatives, le fascisme se
reconnaissant plutôt à sa manière d’amalgamer les
éléments d’un corpus patriotique national avec des idées
socialistes. Ces dernières jouent un grand rôle dans les
débuts, puisqu’elles donnent au discours fasciste un
caractère antibourgeois et anticapitaliste, mais
s’effacent par la suite, lorsque le mouvement fasciste se
rapproche du pouvoir ou l’exerce. Tout cela était déjà
présent dans l’analyse de Maruyama, qui remarque aussi
le détournement de l’idée de transformation sociale : le
fascisme vise les manières de penser pour ne pas
toucher à la structure sociale elle-même159. Les
éléments qu’on retrouve d’un pays à l’autre sont pour
l’essentiel des rejets : « rejet de la vision du monde
individualiste et libérale, […] rejet du parlementarisme,
qui est l’expression politique du libéralisme, […]
négation des luttes de classes et […] antimarxisme »
(voir p. 54). La part affirmative (« expansionnisme,
militarisme […] mythologie de l’ethnie ou […] thème de
l’essence nationale ») est analysée comme un moyen de
mettre en œuvre ces rejets plutôt que comme un
véritable contenu de pensée. Il ne mentionne qu’en
passant « la tendance […] à faire l’apologie de la guerre
pour elle-même », sans y voir le cœur d’une vision du
monde, ce qui serait déjà une manière de reconnaître au
fascisme une consistance intellectuelle. Il insiste au
contraire sur sa mobilité idéologique et politique.
Comme chez Paxton, ces observations conduisent à
définir le fascisme par une dynamique particulière160.
Dans la dernière partie du cours de 1947, Maruyama
insiste sur tout ce qui distingue le stade où les
mouvements ont le premier rôle de celui où les
impulsions décisives viennent de l’intérieur de l’État. Il
souligne également le fait que le fascisme dirige son
agression d’abord vers l’extrême gauche, puis vers les
socialistes, puis vers le centre et la droite libérale, puis
vers ceux qui ne soutiennent pas activement le régime,
et que cette extension de la répression ne paraît pas
avoir de fin. Autrement dit, le fascisme ne vise pas un
ennemi déterminé, il s’en donne toujours un nouveau
une fois qu’il s’est débarrassé de celui qu’il dénonçait
auparavant, comme s’il ne pouvait exister qu’à travers la
répression même, dans l’action de faire disparaître tout
ce qui semble nier l’unité nationale, réduisant toujours
davantage les possibilités de contestation, jusqu’à ce que
la guerre devienne le seul moyen de continuer à affirmer
l’unité nationale, détournant vers l’extérieur l’énergie
des tensions internes.
C’est pourquoi Maruyama parle de fascisme à propos
du maccarthysme en 1952. La répression du
communisme lui apparaît comme la première étape d’un
processus dont la logique profonde est hostile au
libéralisme politique. Cela explique aussi ses prises de
position en faveur du Parti communiste japonais, pour
lequel il n’avait qu’une sympathie limitée.
Ce qui l’intéresse est donc moins de dénoncer la
vanité de l’ambition dont est porteuse l’exacerbation du
nationalisme, que de mettre au jour l’incapacité à
accepter le pluralisme dans l’espace politique, la peur
qui constitue le mobile caché du fascisme avant de
devenir un de ses moyens161. En ce sens, le concept est
susceptible d’une généralisation qui excède son
application à quelques objets historiques bien
déterminés. Le mot trouve alors sa place aussi bien dans
un dictionnaire de sciences politiques que dans un
dictionnaire d’histoire162. Mais, en étendant
l’application du concept, Maruyama ne cherche pas à
ramener tous les cas envisagés à un modèle unique. Il
en limite au contraire la portée, afin de permettre la
prise en compte de facteurs multiples et d’expliquer
pourquoi, dans tel pays, à tel moment, le rejet du
pluralisme a pu subvertir effectivement le régime libéral.
Ceci explique également pourquoi Maruyama n’était pas
très intéressé par la question des ressemblances entre
les régimes fascistes et les régimes soviétique ou
chinois. Il lui arrive de parler de « totalitarisme » pour
évoquer le résultat de la fascisation, mais son
interrogation porte avant tout sur une transformation
dont le début au moins n’abolit pas les institutions
existantes.
L’article de mai 1949 sur la psychologie des dirigeants
japonais vise ainsi à comprendre la dynamique
particulière qui a mis fin au pluralisme, avant
d’entraîner le pays dans la guerre. La disjonction entre
l’instance du pouvoir (le bureaucrate) et celle de la
violence (le hors-la-loi), et la relation complexe entre
celles-ci, donnent aux décisions un caractère souvent
irrationnel, de sorte qu’aucun des acteurs impliqués
n’aurait le sentiment d’en être responsable. Il montre
également que cette structure est le produit d’une
histoire spécifique, liée à l’importance qu’avait la
bureaucratie dans le gouvernement à l’ère Meiji et
qu’elle avait conservée, sous une forme dégradée,
jusqu’au début de l’ère Shôwa.
On peut presque s’étonner du fait que Maruyama ait
maintenu une perspective généraliste dans son travail,
puisque sa préoccupation fondamentale était de mettre
en évidence les aspects très particuliers du cas japonais.
Au terme de l’article de 1949 sur la psychologie des
dirigeants japonais, après qu’il a si fortement souligné
les différences avec les dirigeants nazis, l’utilité du mot
« fascisme » a perdu beaucoup de son évidence. Qu’il
s’agisse de la forme prise par le régime à la fin des
années 1930 ou de l’entrée en guerre contre les États-
Unis, on ne perçoit pas nettement la volonté de mettre
en œuvre un projet consciemment réfléchi, alors que le
volontarisme apparaît central dans l’idée qu’on se fait du
fascisme. Cette impression est due en partie au fait que
Maruyama, dans cet article, ne s’attarde pas sur la
dissolution des organisations politiques et syndicales, la
mise en place du « nouveau régime » (shin taisei),
l’embrigadement de la population dans les organisations
rattachées à l’Association de soutien au Trône*, et sur
« l’ordre nouveau en Asie orientale ». Il rappelle
néanmoins, à la fin du cours de 1947, que tout cela était
antérieur au déclenchement de la guerre avec les États-
Unis, et refuse d’y voir une adaptation à la situation
créée par la guerre avec la Chine. De plus, dans les
débats du procès de Tokyo dont il se sert en 1949, il
n’était que secondairement question de la disparition
des libertés politiques. C’est surtout à propos de
l’expansionnisme armé que le procès donnait l’occasion
d’observer ce que Maruyama voulait mettre en lumière,
à savoir l’incapacité des dirigeants à assumer leurs
décisions163. Il y a donc un effet de perspective dont le
lecteur peu familier de cette époque doit se méfier164.
En outre, l’insistance de Maruyama sur les dérobades
des accusés japonais ne doit pas faire oublier qu’à ses
yeux, s’il est vrai qu’ils ont voulu éviter la guerre, il est
vrai aussi qu’ils ont voulu la faire, et que le sens général
de leur politique allait au-delà d’une réaction
conservatrice et autoritaire. Sur ce point encore, les
textes du début des années 1950 sont plus explicites.
Maruyama y distingue clairement les régimes fascistes
des régimes autoritaires dont l’idéologie est de type
conservateur, qui ne reprennent pas à leur compte
certains thèmes purement modernes, qui ne visent pas
l’intégration forcée des masses dans des structures
unifiées et qui ne se présentent pas comme les
promoteurs d’un ordre ou d’un âge nouveau, inauguré
dans un pays particulier dont le destin est de rayonner
sur le monde165. Naturellement, la distinction est
toujours délicate à faire. Même un régime qui se veut
purement conservateur et prétend ne s’inspirer que
d’une tradition est en pratique amené à innover. Dans le
cas du Japon, le maintien du cadre institutionnel
existant peut donner l’impression que la part de la
nouveauté est limitée. S’il est vrai aussi que le fascisme
d’autres pays peut être partiellement imité166,
l’influence que les fascismes européens ont eue au
Japon vient surtout de l’audace dont ils donnèrent
l’exemple, dans le rejet de la démocratie et dans leur
politique extérieure agressive, ainsi que des succès
extérieurs de l’Allemagne jusqu’en 1941, mais les
emprunts idéologiques proprement dits sont très
limités.
Toutefois, l’hésitation que l’on peut sentir par
moments chez Maruyama ne tient pas à l’absence de
lien direct avec le fascisme européen. Elle tient plutôt,
nous semble-t-il, à l’idée que le fascisme est une
pathologie qui présuppose l’implantation d’une
démocratie libérale. Maruyama est visiblement réticent
à admettre que le Japon était devenu une démocratie
libérale à la fin des années 1920. Dans ses textes sur les
années 1931-1945, il paraît bien penser le contraire. Ses
textes sur l’ère Meiji, par ailleurs, donnent l’impression
que le chemin vers la démocratie libérale a été perdu
quelque part au début du XXe siècle. Comme l’a relevé
Ishida Takeshi, les allers-retours que Maruyama ne
cesse de faire entre l’ère Meiji et le début de l’ère Shôwa,
passent sous silence la période intermédiaire, l’ère
Taishô (1912-1926), qui est précisément le moment
auquel restait associé le mot de démocratie167.
Maruyama n’en disant rien explicitement, il n’est pas
possible d’affirmer qu’il tenait la « démocratie de
Taishô » pour un moment sans importance, mais il est
clair qu’il ne parvient pas à la situer dans son schéma
d’ensemble. Sans doute admettait-il que la pratique
avait évolué dans un sens libéral, mais tout en estimant
que le retournement brutal du processus avait trahi une
incompréhension ou un rejet du libéralisme. C’est
pourquoi il évoque si souvent le député Ozaki Yukio,
exemple trop rare d’homme politique affirmant les
droits imprescriptibles des gouvernés face à l’appareil
d’État, capable de s’opposer aux « faits accomplis » et de
résister à ce que le gouvernement présentait comme
inévitable.
Néanmoins, redisons-le, après l’article de 1949, il
s’oriente sans aucun doute vers une théorie du fascisme
qui fait place à des cas très variés. En particulier, il
relativise fortement les conclusions que l’on pourrait
tirer de la préservation du cadre institutionnel :
[…] lorsque les forces contre-révolutionnaires sont largement
majoritaires au Parlement et que cette situation ne paraît pas devoir
changer à brève échéance, le système parlementaire ne constitue pas
un obstacle au progrès du fascisme. Naturellement, si les principes du
parlementarisme sont respectés, si le règne du droit garanti par la
Constitution est suffisamment maintenu, l’organisation de la contre-
révolution se heurtera toujours à une difficulté et une résistance
sérieuses. Il est alors improbable que le fascisme se développe sans
toucher au système constitutionnel moderne. Ou bien, s’il paraît le
maintenir, diverses lois auront vidé ce système de sa substance. On doit
en tout cas prendre garde au fait que l’existence d’une Constitution
moderne ou d’un Parlement ne suffit pas à prouver l’absence d’un mode
de domination de type fasciste. Des régimes tels que la dictature d’un
parti unique ou l’État corporatif ne sont que les formes d’organisation
prises par le fascisme dans des situations particulières où elles étaient
les plus efficaces pour venir à bout des forces révolutionnaires168.
ÉTUDES