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Masao Maruyama Le Fascisme Japonais

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COLLECTION JAPON

SÉRIE NON FICTION

dirigée
par
Christian Galan
et
Emmanuel Lozerand
www.lesbelleslettres.com
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Chokokkashugi no ronri to shinri / Nihon Fashizumu no shiso to kodo /
Gunkoku shihaisha no seishin keitai
© 1946, 1947, 1949, 2011, Tokyo Woman’s Christian University.
Publié pour la première fois en 2003 par Iwanami Shoten, Publishers,
Tokyo.
© Les Belles Lettres, 2021
Edition française publiée en accord avec le propriétaire c/o Iwanami
Shoten, Publishers, Tokyo, Japon.

Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation


réservés pour tous les pays.

© 2021, Société d’édition Les Belles Lettres


95, bd Raspail, 75006 Paris.

ISBN : 978-2-251-91722-1
● PRÉFACE
JOHANN CHAPOUTOT

Que s’est-il donc passé ? Après une guerre mondiale et


une capitulation sans conditions, la question se pose
partout dans le monde en 1945, singulièrement chez les
vaincus. Friedrich Meinecke, que cite Maruyama Masao,
s’y attelle dans un ouvrage de 1946 intitulé
La Catastrophe allemande et propose une étiologie du
nazisme au moyen du « chemin particulier » que
l’Allemagne, après l’échec de la révolution de 1848,
aurait suivi. Selon cette lecture en termes de
Sonderweg, la modernisation industrielle et scientifique
n’aurait pas été accompagnée d’une modernisation
politique comme en Grande-Bretagne ou en France, et
cette disjonction, puis ce hiatus béant, aurait pavé la
voie de la réaction politique (de 1848 à 1918), puis de
l’horreur nazie.
Au Japon, la question est redoutable, et à plusieurs
fonds – et pas seulement parce que la défaite s’est
accompagnée des traumatismes terribles de deux
bombardements nucléaires, mais aussi de
bombardements plus conventionnels qui ont quasi
intégralement détruit Tokyo. Enrôlé tardivement dans
l’armée, en 1944, Maruyama Masao est un survivant du
bombardement de Hiroshima. Enseignant à l’Université
de Tokyo, il a pu mesurer l’intensité destructrice inédite
de la guerre que le « fascisme » japonais avait déchaînée
contre le pays.
Du point de vue des Alliés, il ne fait aucun doute que
le Japon vaincu est un pays fasciste, relié par l’Axe à
l’Allemagne nazie et à l’Italie fasciste. Le discours du
gouvernement américain, tout comme les affiches de
propagande représentant Hitler, Mussolini et Hiro-Hito
comme les trois modalités d’un même mal, sans oublier
les dessins animés produits par Hollywood, tous voient
dans le Japon l’extrémité asiatique de l’Axe, et la
variante jaune d’un péril brun, originaire de l’Europe
blanche.
Or, en réalité, cet « axe » a plus été déclamatoire que
réellement effectif : en violation du pacte anti-
Komintern de 1936, qui scellait solennellement l’amitié
et l’alliance germano-japonaise, rejoint par l’Italie en
1937, l’Allemagne a signé en 1939 un pacte de non-
agression avec l’URSS sans croire bon d’en informer le
Japon. Voyant le peu de cas que l’on faisait, à Berlin, de
ses intérêts, l’Empire, de son côté, n’a jamais lancé de
troupes contre Staline après l’assaut donné par Hitler le
22 juin 1941, avant d’attaquer Pearl Harbor, quelques
mois plus tard, sans l’assentiment de Berlin. Voilà donc
un « axe » bien peu ferme et une Internationale fasciste
très singulière. Tout cela, Maruyama et tous les Japonais
qui s’intéressent à l’histoire récente de leur pays ne le
savent que trop.
Spécialiste de l’histoire des idées politiques, Maruyama
sait également que les catégories politiques
européennes, liées à une histoire spécifique
(mouvement national, révolution industrielle, Grande
Guerre), ne sont pas forcément opératoires dans le
contexte japonais et dans un pays qui est parvenu à être
« moderne, sans être occidental » (Pierre-François
Souyri). Enfin, quand on parle de « fascisme », on pense
souvent (surtout au Japon !) à l’Allemagne nazie, alors
que fascisme italien et nazisme allemand sont distincts
au point qu’il peut paraître surprenant de les rapprocher
et de les subsumer sous le même concept.
C’est en Japonais ébranlé par la guerre, en
universitaire révulsé par l’armée et la vie militaire, mais
aussi en fin connaisseur des cultures politiques
japonaise et européenne – comme en témoigne le vaste
corpus d’auteurs britanniques et allemands qu’il
mobilise – que Maruyama affronte la question du
« fascisme » japonais, dans trois textes de longueurs et
de natures très différentes que Les Belles Lettres ont eu
l’heureuse idée de réunir, trois textes rendus finement
accessibles par la traduction si fluide et exigeante de
Morvan Perroncel.
Ces trois textes, au-delà de leurs différences de forme
et de contexte de production, forment un tout très
cohérent. Si le premier constitue un règlement de
comptes avec l’armée japonaise, dont il a détesté les
cadres, les sous-officiers et la mentalité, le second, qui
est le manuscrit d’un cours, se rapproche le plus du titre
donné à l’ensemble. C’est dans ce texte que le
professeur de sciences politiques exprime son art avec
talent, et tente une définition du fascisme comme
mouvement politique (il y en a eu, au Japon) et comme
régime (c’est là plus douteux). Enfin, le troisième texte
est une lecture médusée des minutes du procès des
criminels de guerre japonais. Maruyama y revient au
sujet de son premier texte, pointant l’immaturité,
l’indolence et l’irresponsabilité des dirigeants japonais
du plus haut niveau de l’armée et de l’État, à
commencer par le général Tôjô.
On ne peut que songer à ce que devait écrire, douze
ans plus tard, Hannah Arendt lors du procès d’Adolf
Eichmann à Jérusalem – à ceci près que nous savons
bien, aujourd’hui, qu’Eichmann jouait un rôle et
qu’Arendt s’y est laissé prendre. De la même manière
qu’elle nous décrit un criminel par défaut (défaut
d’intelligence, d’empathie, d’humour…), Maruyama
décrit un fascisme par défaut ou, plus précisément, par
défaillance – en l’espèce, la défaillance d’élites politiques
et militaires dépassées par les enjeux, débordées par la
base (les officiers subalternes et les sous-officiers de
l’armée) et par les ultras, et presque somnambuliques
dans leur manière de marcher à la guerre avec les États-
Unis sans avoir bien évalué le rapport de forces.
En Europe, les premiers observateurs, dès les années
1920, présentent le fascisme comme une longue liste
d’oppositions (au libéralisme, au communisme, aux
droits de l’homme, etc.), tout comme le fait du reste
Maruyama. Mais ils notent également la position d’une
volonté, et la proposition d’un plan – dans le cas nazi,
c’est explicite, remarque l’auteur, qui souligne à
plusieurs reprises que les responsables du NSDAP
allemand, puis de l’État, ont dit ce qu’ils faisaient et fait
ce qu’ils annonçaient (c’est du reste ce qui a fondé le
chef d’inculpation de conspiracy à Nuremberg). Lors
des procès de Tokyo, impossible de parler de
« complot » ou de « plan » tant les gouvernants semblent
hésiter et n’assumer rigoureusement aucun de leurs
actes – à l’inverse d’un Göring ou de dignitaires SS qui
disent crûment leur vision du monde avant, pendant et
après leurs crimes, et dont certains ne reculent pas, à
l’occasion, devant quelques rodomontades face aux
juges ou même au pied de la potence. Maruyama va
cependant trop loin, et fait fausse route, lorsqu’il
prétend distinguer la normalité policée des dirigeants
japonais, tous issus des élites, du « ramassis
d’anormaux » qu’auraient constitué les dirigeants nazis :
de nombreux travaux d’historiens ont proposé une
sociographie des élites nazies et fait justice de cette
idée-là. C’est bien plutôt la frappante « normalité » des
hauts fonctionnaires du IIIe Reich qui interroge.
Le réquisitoire accablant de Maruyama, qui en devient
parfois drôle de férocité et d’ironie, contre Tôjô et ses
comparses, défend une thèse claire : le gouvernement
japonais est la marionnette de l’armée, elle-même
conçue comme une cascade d’oppressions (du
commandant en chef jusqu’au sous-officier, qui écrase
en retour le soldat, lequel se venge sur les civils) et
comme une entité dotée de son programme propre :
dominer l’Asie et le Pacifique, imposer sa loi au Japon –
un pays à régénérer par des « valeurs » immémoriales
et un agrarisme assumé.
Peut-on cependant parler de régime « fasciste » dans le
cas japonais, ou doit-on évoquer une dictature militaro-
impérialiste sui generis, irréductible aux concepts et
aux catégories venues d’Europe ? Il est d’autant plus
intéressant que Maruyama Masao pose la question que
le terme de « fascisme » est utilisé avant tout, sinon
exclusivement, par les marxistes, qui qualifient le
gouvernement impérial-militaire des décennies 1930 et
1940 par ce mot, directement emprunté aux langues
européennes, et par ceux de « militarisme » et
d’« impérialisme ». Une autre expression, celle de
« système impérial » (tennôsei) leur permet également
de flétrir cette dictature sans chef réel (il y a bien
l’Empereur, le Tenno, mais on ne l’a pas choisi), sans
prise de pouvoir comparable à ce qui s’est produit en
Italie en 1922 et en Allemagne en 1933, sans parti de
masse. Les militaires au pouvoir, quant à eux, et les
fonctionnaires impériaux, multiplient les inventions
rhétoriques, voire poétiques, pour qualifier l’avènement
d’un Très Grand Japon : « sphère de coprospérité
asiatique », « 10 000 peuples sous un même toit », etc.
Rien qui permette au spécialiste des sciences politiques
ou à l’historien de définir avec précision le phénomène
en cours au Japon à cette époque. Les mots des acteurs
sont insatisfaisants, tout comme ceux de leurs ennemis :
« militarisme » place trop l’accent sur l’armée,
« impérialisme » fait dévier le regard vers la guerre de
conquête et minimise les évolutions intérieures au
Japon… Reste donc ce terme de « fascisme », auquel
Maruyama Masao se confronte, car il lui semble à la fois
consacré par l’histoire et fécond analytiquement. Par
ailleurs, dans le contexte de la défaite de 1945, de
l’effondrement de l’Axe face à ses ennemis (États-Unis et
URSS au premier chef), il lui semble important de
réfléchir à ce concept. Il ne s’agit cependant pas pour lui
d’en faire un usage uniquement polémique, comme les
marxistes, qui avaient importé ce terme des langues
européennes et du russe, sans le japoniser – pour être
fidèles à l’orthodoxie de la IIIe Internationale
communiste qui avait, en 1935, fait du terme
« fascisme » une arme de combat ainsi qu’un concept
générique et, à vrai dire, un peu fourre-tout.
Maruyama constate que d’authentiques mouvements
fascistes ont existé depuis les années 1920, mais il note
tout aussi bien qu’aucun n’est parvenu au pouvoir.
Fortement agrariens et familialistes (i.e. concevant le
Japon comme une famille dont l’Empereur est le père),
ces mouvements n’ont eu de cesse de critiquer la
dictature militaire japonaise pour son manque de
radicalité – un peu comme, à Paris, les mouvements
collaborationnistes radicaux accablaient le
gouvernement de Vichy de leurs reproches, avant d’y
être in fine intégrés, en 1944, dans un contexte de
débâcle prévisible et de guerre civile naissante. La
comparaison avec le régime dit de l’« État français »
serait-elle plus féconde qu’avec Rome ou Berlin ?
« Vichy » offre en effet l’exemple d’un régime dominé
par des militaires peu entreprenants, sous la tutelle
sacrale mais peu effective d’un quasi-monarque (« Nous,
Philippe Pétain, Maréchal de France, chef de l’État
français, etc. »), entouré, voire assiégé, d’éléments
fascistes – une dictature nationale-conservatrice
classique et plus proche de l’Espagne de Franco, du
Portugal de Salazar ou de l’Autriche de Dollfuss que du
Reich millénaire. Maruyama n’en souffle mot, pour une
raison sans doute simple : le régime de Vichy, privé
d’armée, n’avait ni l’intention, ni les moyens, de mener
une politique impérialiste. Les Japonais étaient bien
placés pour le savoir : dans leur conquête de l’Indochine
française, ils n’ont rencontré de résistance de l’« État
français » que purement formelle et incantatoire,
nullement militaire. Par ailleurs, Maruyama, bon
connaisseur de la philosophie et de la culture politique
allemandes – il cite Hegel et Carl Schmitt sans hésiter,
et avec à propos – semble moins connaisseur des
réalités françaises.
Il reste que l’on se trouve, devant le cas japonais, dans
une perplexité proche de celle qui surgit lorsqu’il s’agit
de qualifier, outre Vichy et les régimes créés par Franco,
Salazar ou Dollfuss, ceux de l’amiral Horthy en Hongrie
ou du colonel Beck en Pologne. Ni nazis, ni fascistes, ces
régimes furent eux aussi sui generis, ce qui incommode
considérablement l’amateur de taxinomies ou le
spécialiste de sciences politiques. Si, dans le cas de
Franco, Salazar et Dollfuss, on peut avancer le terme de
« national-catholicisme », le même travail conceptuel
reste à mener pour le Japon, pour créer une notion qui
intégrerait le respect d’une monarchie millénaire et
d’essence divine, la puissance de l’armée et de
l’industrie, l’impérialisme conquérant, l’agrarisme et le
familialisme. Maruyama, dans ces trois textes si riches,
nous propose bien des éléments mais ces
considérations, pensées et rédigées à l’ombre immédiate
de l’événement et d’un mot, « fascisme », qui obnubilait
à juste titre les consciences, ne permettent pas de
trouver la qualification idoine.
Est-ce si utile au fond ? Le politiste Maruyama dirait
que oui. L’historien, pour sa part, lui est reconnaissant
d’avoir tant appris et compris au Japon des années
1918-1945, et laisse volontiers la question de la
catégorisation en suspens, tant il est vrai – on le sait
depuis Aristote, considéré du reste comme le fondateur
de la science politique par son inventaire des
constitutions des cités grecques – que l’histoire est
idiographique, qu’elle est science de l’individualité, du
particulier, du singulier. Si l’on peut sans risque ranger
le Japon de la guerre et de l’entre-deux-guerres dans la
famille des régimes autoritaires, si l’on peut gagner à
comparer la réalité japonaise à celle des régimes
fascistes ou autoritaires d’Europe, on perd peut-être son
temps à la coucher sur le lit de Procuste d’un concept
qui a été forgé pour penser d’autres réalités dans
d’autres lieux.
● CHRONOLOGIE

1918-1921
Émeutes du riz. Vague de grèves dans l’industrie, début
de l’augmentation des conflits du fermage. Apparition de
nombreuses sociétés nationalistes. Création de la
Société de la pérennité (Kita Ikki, Ôkawa Shûmei,
Mitsukawa Kametarô).
1922
Traité de limitation des armements navals de
Washington (février). Fin de l’expédition de Sibérie.
1924
Ôkawa Shûmei crée la Société de la pratique terrestre
(Nishida Zei, Mitsukawa Kametarô, Yasuoka Masahiro).
Hiranuma Kiichirô crée l’Association des principes
nationaux.
1925
Loi sur le maintien de l’ordre public (avril). Loi
instaurant le suffrage universel masculin (mai).
Réduction des effectifs de l’Armée de terre (le nombre
des divisions passe de 21 à 17).
1926
Premier cabinet Wakatsuki (janvier). Akao Bin crée la
Société de la fondation nationale, qui regroupe plusieurs
courants de l’extrême droite pendant quelques mois
(février). Scission du Parti des ouvriers et des paysans
en trois courants ; le Parti communiste se reforme
clandestinement (décembre).
1927
Formation du cabinet Tanaka (Seiyûkai, avril). Nishida
Zei crée le Parti de l’épée céleste pour diffuser les idées
de Kita Ikki dans l’armée (juillet).
1928
Premières élections de la Chambre basse au suffrage
universel masculin (février). Arrestation de 1 600
personnes soupçonnées d’être membres du Parti
communiste ; Fujii Hitoshi crée la Société des soldats
impériaux (mars). Les organisations du courant
prolétarien « Ouvriers et paysans » sont interdites
(avril). Incident de Jinan (mai). Aggravation de la loi sur
le maintien de l’ordre public ; assassinat du seigneur de
la guerre Zhang Zuolin par des militaires japonais (juin).
Le Japon signe le Pacte Briand-Kellog de renonciation à
la guerre (août).
1929
Nouvelle série d’arrestations de militants communistes
(avril). Démission du cabinet Tanaka, formation du
cabinet Hamaguchi (Minseitô), début de la politique
étrangère de conciliation menée par Shidehara Kijûrô
(juillet).
1930
Suppression de l’embargo sur l’or (janvier), début de la
crise économique. Victoire du parti Minseitô aux
élections à la Chambre basse (février). Signature du
traité naval de Londres, début d’une campagne de
protestation contre « l’usurpation de la prérogative de
commandement suprême » (avril). Création de la
Société de la fleur de cerisier (septembre). Attentat
contre le Premier ministre Hamaguchi Osachi
(novembre).
1931
Affaire de mars : projet de coup d’État militaire
organisé par la Société de la fleur de cerisier. Création
du Comité national des patriotes pour l’unité de lutte
(mars), du Parti de la production du Grand Japon (juin).
Incident de Moukden, début de l’invasion de la
Mandchourie (septembre). Affaire d’octobre : projet de
coup d’État militaire organisé par la Société de la fleur
de cerisier, dont les dirigeants sont arrêtés. Démission
du cabinet Wakatsuki (Minseitô) et formation du cabinet
Inukai (Seiyûkai), dans lequel Araki Sadao est ministre
de l’Armée de terre (décembre).
1932
Bataille de Shanghai (janvier-mars). Large victoire du
parti Seiyûkai aux élections à la Chambre basse ; Ôkawa
Shûmei crée la Société de Jinmu (février). Assassinats
de la Ligue du sang (février, mars). Création de l’État du
Mandchoukouo (mars). Des scissionnaires des partis de
gauche approuvant l’invasion de la Mandchourie fondent
le Parti social-nationaliste (avril). Tentative de coup
d’État du 15 mai, assassinat du Premier ministre Inukai,
formation du cabinet Saitô (union nationale).
Shimonaka Yasaburô crée l’Alliance nationale du
nouveau Japon (mai). Fusion des partis prolétariens
dans le Parti social des masses (juillet). Le Japon
reconnaît l’indépendance du Mandchoukouo
(septembre).
1933
Le Japon quitte la Société des nations (mars).
Armistice de Tangku, fin de la conquête du Jehol,
incorporé au Mandchoukouo (mai). Le ministère de
l’Éducation suspend le professeur Takigawa Yukitoki,
accusé de fonder sa théorie du droit pénal sur des idées
marxistes ; ses collègues de la faculté de droit de
l’Université de Kyoto démissionnent collectivement en
protestation (mai-juin). Affaire de la Shinpeitai (juillet).
Pic des arrestations en vertu de la Loi sur le maintien de
l’ordre public.
1934
Le général Araki quitte le gouvernement (janvier). Le
cabinet Saitô est contraint à la démission après un
scandale financier, formation du cabinet Okada (juillet).
Le ministère de l’Armée de terre publie et diffuse
largement une brochure contenant des propositions
pour le renforcement de la défense nationale (octobre).
Affaire de l’École des officiers (novembre). Le
gouvernement annonce que le Japon ne signera pas le
renouvellement du traité naval de Londres (décembre).
1935
Début de l’affaire de la monarchie-organe (février).
Accords Ho-Umezu et Chin-Doihara, qui interdisent le
nord de la Chine aux troupes et aux activités du
Kuomintang (juin). Éviction du général Mazaki du poste
d’inspecteur général de l’enseignement militaire,
assassinat du général Nagata par le lieutenant-colonel
Aizawa (août). Déclarations gouvernementales
condamnant les thèses du juriste Minobe Tatsukichi sur
la monarchie-organe (août, octobre). Pic des conflits du
fermage (près de 7 000 sur l’ensemble de l’année).
1936
Le Japon quitte la seconde conférence navale de
Londres (janvier). Le Parti social des masses obtient 18
députés à la Chambre basse (février). Tentative de coup
d’État du 26 février. Interdiction des manifestations du
1er mai (mars). Démission du cabinet Okada, formation
du cabinet Hirota (mars), qui rétablit la règle selon
laquelle le ministre de l’Armée de terre doit être un
officier d’active (mai) et accroît considérablement les
budgets militaires. Arrestation d’une trentaine
d’intellectuels marxistes liés à la « faction du Cours »
(juillet). L’Association des réservistes est placée sous le
contrôle des ministères de l’Armée de terre et de la
Marine (septembre). Signature du Pacte anti-Komintern
(novembre).
1937
É
Échange « du hara-kiri » entre le député Hamada
Kunimatsu et le général Terauchi, ministre de l’Armée
de terre (janvier). Le ministère de l’Éducation publie et
diffuse Les Principes de l’État impérial (mars). Le Parti
social des masses obtient 36 députés à la Chambre basse
(avril). Formation du premier cabinet Konoe (juin).
Incident du Pont Marco Polo, début de la guerre sino-
japonaise (juillet). Début de la campagne de
mobilisation générale de l’esprit national (septembre).
Création de l’Agence de planification (octobre).
Arrestation d’environ 450 militants d’extrême gauche ;
massacre de Nankin (décembre).
1938
Konoe annonce que le Japon cesse de négocier avec le
Kuomintang (janvier). Arrestation d’un groupe
d’universitaires liés au courant « Ouvriers et paysans »
(février). Loi de mobilisation générale (avril). Création
de la Ligue patriotique de l’industrie, destinée à
contrôler la main-d’œuvre des usines (août). Déclaration
de Konoe sur l’ordre nouveau en Asie orientale
(novembre). Le Japon quitte l’Organisation
internationale du travail.
1939
Cabinet Hiranuma, dont plusieurs ministres étaient
déjà présents dans le cabinet Konoe (janvier). Défaite de
Nomonhan (frontière mongolo-mandchoue) contre
l’armée soviétique ; décret sur la réquisition de la main-
d’œuvre pour les industries (juillet). Hiranuma
démissionne après la signature du pacte germano-
soviétique, estimant désormais impossible le
renforcement de l’alliance avec l’Allemagne contre le
communisme qu’il avait recherché (août).
1940
Le ministère de l’Éducation demande et obtient le
renvoi du professeur Tsuda Sôkichi de l’Université
Waseda (janvier). La Chambre basse exclut le député
Saitô Takao (Minseitô) pour un discours contre l’armée
et la guerre en Chine (mars). Konoe Fumimaro lance le
Mouvement pour un nouveau régime (mai). Formation
du deuxième cabinet Konoe (juillet). Pacte tripartite
fondant l’axe militaire Rome-Berlin-Tokyo ; le ministère
de l’Intérieur impose le rattachement de chaque foyer à
un comité de quartier (septembre). Dissolution des
partis et création de l’Association de soutien au Trône ;
création du Centre de recherches sur la guerre totale
(octobre). Dissolution des syndicats et création de
l’Association patriotique de l’industrie (novembre).
Célébration du 2 600e anniversaire de la fondation du
Japon (novembre).
1941
Le ministère de l’Éducation publie et diffuse La Voie
des sujets (mars). Pacte de non-agression nippo-
soviétique (avril). Le gouvernement regroupe les
sociétés panasiatistes dans l’Alliance du Grand Japon
pour l’essor de l’Asie (juillet). Attentat contre Hiranuma
Kiichirô (août). Démission du cabinet Konoe, formation
du cabinet Tôjô (octobre). Loi rendant obligatoire le
service patriotique du travail pour tous les hommes de
14 à 40 ans et pour les femmes célibataires de 14 à 25
ans (novembre). Attaque de la base américaine de Pearl
Harbor, début de la guerre du Pacifique ; loi d’urgence
sur le contrôle de l’expression des opinions, de l’édition,
des assemblées et des associations ; loi pénale spéciale
pour le temps de guerre (décembre).
1942
Création de la Ligue de la jeunesse du Grand Japon
pour le soutien au Trône (janvier). Le gouvernement
regroupe les associations féminines officielles et
indépendantes dans l’Association des femmes du Grand
Japon, placée sous la tutelle collective de six ministères
(février). Élections « de soutien au Trône » (avril).
Création de l’Association politique de soutien au Trône,
de l’Association patriotique de la littérature (mai).
Création de l’Association patriotique de la presse du
Grand Japon (décembre). Parmi les arrestations en
vertu de la Loi sur le maintien de l’ordre public, le
nombre des personnes classées dans la catégorie
« extrême gauche » est pour la première fois inférieur au
total des arrestations classées dans les catégories
« religieux » et « indépendants ».
1943
Arrestation des membres du Centre de recherches sur
les sciences de l’esprit, groupe d’extrême droite proche
de Minoda Muneki, accusés de marxisme pour avoir
critiqué le cabinet Tôjô (février). Loi spéciale sur
l’extension du pouvoir exécutif pour le temps de guerre
(mars). Aggravations de la loi pénale spéciale pour le
temps de guerre (mars, octobre). Série d’arrestations à
l’Université des études commerciales d’Ôsaka (mars-
décembre). Conférence de la Grande Asie orientale
(novembre). Suppression des sursis d’incorporation
pour les étudiants âgés d’au moins 20 ans, sauf dans les
filières techniques et scientifiques ; arrestation et
suicide de Nakano Seigô (octobre).
1944
Arrestation des équipes de rédaction des revues Kaizô
et Chûô kôron (janvier), dont la publication est
interdite peu après. Chute de Saipan, démission du
cabinet Tôjô, formation du cabinet Koiso (juillet). Début
des exercices de défense du territoire national à la pique
de bambou.
1945
Mémoire de Konoe à l’empereur demandant
l’ouverture de négociations avec les États-Unis pour
éviter une révolution au Japon (février). Loi sur la levée
en masse, prévoyant l’incorporation de tous les hommes
de 15 à 60 ans et des femmes de 17 à 40 ans dans la
Milice nationale (mars). Formation du cabinet Suzuki (7
avril-17 août). Vague d’arrestations dans les équipes de
rédaction de plusieurs journaux et revues (avril-juin).
L’Association de soutien au Trône et les organisations
qui en dépendent sont dissoutes dans la Milice nationale
(juin) ; aggravation de la loi pénale spéciale pour le
temps de guerre (juin). Le Japon accepte les conditions
de la déclaration de Potsdam sur la reddition totale du
Japon (14 août). Allocution impériale annonçant la
capitulation (15 août). Arrestation du général Tôjô par
le Grand quartier général américain (septembre). Début
des procès pour crimes de guerre de catégorie B et C au
Tribunal militaire international de Yokohama ; le Grand
quartier général américain décide l’arrestation d’environ
soixante-dix personnes soupçonnées de crimes de
catégorie A, dont Kido Kôichi, Hiranuma Kiichirô,
Hirota Kôki ; Konoe Fumimaro se suicide avant d’être
arrêté (décembre).
1946
Rescrit impérial sur la construction d’un nouveau
Japon, contenant la « déclaration de non-divinité » de
l’empereur (1er janvier). Maruyama publie « Logique et
psychologie de l’ultranationalisme » (mai). Début du
procès de Tokyo (mai 1946-novembre1948).
Promulgation de la nouvelle Constitution (novembre).
● LOGIQUE ET PSYCHOLOGIE DE
L’ULTRANATIONALISME (MAI 1946)

1
Pour désigner l’idéologie qui a plongé la nation
japonaise dans la servitude pendant tant d’années, qui
l’a poussée à mener cette guerre avec le monde dont
nous venons de sortir, on parle dans les pays alliés
d’ultranationalisme ou de nationalisme extrême. Cette
approximation commode, toutefois, ne nous renseigne
guère sur ce dont il s’agit au fond et qui ne paraît pas
avoir encore été suffisamment étudié. Aujourd’hui, les
commentaires s’attachent presque exclusivement aux
déterminations économiques et sociales de cet
ultranationalisme, mais ni au Japon ni à l’étranger, on
ne cherche véritablement à en analyser la structure
intellectuelle ou les racines psychologiques.
On pourrait dire, sans doute, que le problème est trop
simple, comme on pourrait dire qu’il est trop complexe.
Il paraît trop simple parce qu’en l’absence d’organisation
conceptuelle unifiée, devant des slogans tels que « Le
monde entier sous un seul toit ! » ou « Expansion de la
Voie impériale », on se dit qu’il n’y a là que des
vociférations qui ne méritent pas qu’on se penche sur
elles pour les analyser. Assurément, le contraste saute
aux yeux lorsque l’on compare avec le nazisme, auquel
Mein Kampf ou Le Mythe du XXe siècle ont donné une
vision du monde systématique. Cependant, s’il est vrai
qu’il manque à l’ultranationalisme japonais un
fondement doctrinal officiel, on ne doit pas en conclure
qu’il n’aurait eu aucune force en tant qu’idéologie. Mille
filets invisibles ont été jetés sur les esprits de nos
compatriotes, qui ne sont encore qu’imparfaitement
délivrés de cet envoûtement. Or la faible conscience
politique des Japonais ne doit pas être imputée
seulement à la pression extérieure du pouvoir
institutionnel. Ce qu’il nous faut comprendre, en effet,
c’est la nature de la contrainte psychologique qui a
imprégné les organes de pouvoir et entraîné dans une
certaine direction les pensées et les actes des Japonais.
L’absence de théorie claire, ajoutée à l’entrelacs de
racines intellectuelles multiples, rend très difficile une
saisie de l’ensemble. C’est pourquoi on ne doit pas
écarter les slogans simplistes sous prétexte qu’il n’y
aurait là que de la démagogie. Il importe au contraire de
dégager la logique sous-jacente et commune à toutes ces
expressions dispersées et aux diverses manières dont
elles ont été mises en œuvre. Ce n’est pas par
masochisme, en tout cas, que j’entreprends d’exhumer
ainsi notre passé douloureux. « L’aube d’une ère
nouvelle, comme le dit Lassalle, ne se lève que lorsqu’on
parvient à prendre conscience de ce que la réalité a été
jusque-là1. » Aucune révolution authentique dans
l’esprit des Japonais ne serait à espérer si un tel effort
était négligé.
En ce sens, le présent essai veut moins répondre à la
question que tenter de préciser le problème et en faire
voir toute l’étendue.
2
Avant tout, il faut demander ce qui justifie que le
nationalisme japonais soit dit « ultra » ou « extrême ».
Le nationalisme, en effet, paraît consubstantiel à l’État
moderne. L’État moderne, n’est-ce pas l’« État-nation » ?
Comment distinguer alors l’ultra-nationalisme du
nationalisme inhérent à tout État ? Certains, j’imagine,
répondront aussitôt que c’est la tendance impérialiste,
ou le militarisme, qui justifie l’épithète ultra. Pourtant,
É
la formation des États-nations a commencé avec
l’absolutisme, dont tous les exemples montrent des
guerres qui visaient ouvertement à envahir d’autres
pays. À s’en tenir là, on devrait donc dire que la
tendance à l’expansionnisme militaire n’a pas attendu
l’impérialisme de la fin du XIXe siècle pour constituer
l’impulsion fondamentale du nationalisme. Pour que le
nationalisme japonais ait eu un caractère vraiment
« ultra », il ne faut pas seulement qu’il ait été plus
violent dans son impulsion, plus cru dans ses
manifestations, il faut encore que les mobiles de son
expansion, vers l’extérieur, ou de l’oppression qu’il a
exercée, à l’intérieur, révèlent une différence de nature.
L’un des caractères déterminants de l’État moderne
européen est ce que Carl Schmitt appelle sa neutralité2.
L’État moderne est neutre en ce sens qu’il ne se
prononce pas sur des questions comme la vérité ou la
morale, c’est-à-dire sur les valeurs en tant qu’elles ont
un certain contenu. Il abandonne entièrement les choix
et les jugements de valeur soit à des institutions
sociales, par exemple aux Églises, soit à la conscience
des individus. Sa souveraineté est assise sur une
instance légale purement formelle et indépendante des
questions de valeur. Cet État moderne, comme on sait, a
pris son essor au cours des longues années des guerres
de religion qui ont suivi la Réforme, aux XVIe et
XVIIe siècles. Les luttes interminables autour des
questions de foi et de théologie ont fini par faire
renoncer les différents courants religieux à l’ambition de
réaliser politiquement leurs croyances. D’autre part, la
monarchie absolue a elle aussi rencontré une féroce
résistance dans sa tentative de monopoliser la valeur
substantielle en agitant la théorie du droit divin. Elle a
dû progressivement abandonner celle-ci et légitimer sa
domination en devenant la garante d’un ordre public
extérieur aux consciences. Un compromis s’est ainsi mis
en place entre gouvernants et gouvernés, qui réserve
aux premiers l’aspect formel, extérieur et public,
laissant aux seconds tout ce qui est intérieur et privé.
Les questions intellectuelles, de foi et de morale
relevant désormais du seul domaine privé, l’intériorité
subjective s’en trouve garantie, tandis que la puissance
publique est absorbée dans un système juridique qui
prend un caractère de plus en plus technique.
Au Japon, depuis l’ère Meiji et tout au long du
processus de formation de l’État moderne, la
souveraineté étatique n’a jamais montré ce caractère
technique et de neutralité. L’État japonais n’a jamais
cessé de chercher à fonder sa domination sur l’idée qu’il
constituait lui-même la valeur essentielle. Presque tous
les étrangers qui sont venus au Japon avant 1868, dans
les dernières années du shôgunat, ont relevé qu’il
existait alors dans ce pays un double système de
gouvernement, séparant l’autorité spirituelle du mikado
et le pouvoir politique effectif du taïcoun (shôgun). Or,
après la Restauration, la souveraineté étatique a
concentré en une seule instance, autour de la Maison
impériale, le pouvoir qui était auparavant celui du
shôgun et des multiples pouvoirs féodaux. Le processus
connu sous le nom de « réunion des lois et des
administrations » (seirei kiitsu), ou d’« unification des
pouvoirs politiques et judiciaires » (seikei itto), a ainsi
conduit à fusionner le pouvoir et l’autorité, de sorte
qu’aucune force religieuse, aucune Église ne s’y est
opposée en revendiquant la tutelle sur l’intériorité des
individus.
Il est vrai qu’il y eut le Mouvement pour la liberté et
les droits du peuple, apparu peu après la Restauration et
qui mena un combat héroïque face au gouvernement
alors que celui-ci cherchait, comme l’avait souhaité
Iwakura Tomomi, à « inspirer au peuple la crainte du
pouvoir en l’impressionnant par le moyen de l’armée et
de la police ». Mais les partisans de la liberté et des
droits du peuple ne combattaient pas pour la
détermination des valeurs de vérité ou de justice.
Comme le résume un slogan de l’époque, « le pouvoir
d’en haut décide, le pouvoir d’en bas limite » : cette
lutte avait seulement pour enjeu l’étendue et les limites
des actes « externes » des individus ou du peuple. On
voit toute la légèreté avec laquelle le Mouvement pour la
liberté régla cette question de l’intériorisation de la
morale, que présuppose l’individualité moderne, en
lisant le passage où l’un de ses plus importants
animateurs, Kôno Hironoka, raconte comment il
accomplit sa révolution intellectuelle sous l’influence de
Stuart Mill :
C’est à cheval que je découvris son livre, On Liberty, qui produisit une
grande révolution dans mes idées. Moi qui m’étais nourri jusque-là de
confucianisme et de nativisme, moi qui avais même prôné un temps
l’expulsion des barbares, je vis tout cela réduit en poussière, sauf la
loyauté au souverain et la piété filiale, quand je compris qu’il fallait
respecter la liberté et les droits de l’homme.

Vie de Kôno Banshû (Hironaka), vol. 1, 19233.

Sur le chemin qui mène à l’affirmation d’une liberté


subjective, « la loyauté envers le souverain et la piété
filiale » sont précisément les idées auxquelles il aurait
fallu se confronter pour commencer. Or on voit qu’elles
furent d’emblée exclues du champ de la réflexion, et qui
plus est sans que l’auteur de ces lignes ait le moins du
monde conscience du problème. Il était donc inévitable
qu’une telle conception des « droits du peuple » fût un
jour engloutie dans l’idée de « souveraineté de l’État »,
qui dès l’origine lui était étroitement associée dans les
revendications du Mouvement4. En définitive, à travers
cette lutte, jamais la liberté individuelle ne fut
médiatisée par la conscience individuelle (ryôshin).
C’est pourquoi le pouvoir étatique n’est jamais parvenu
à concevoir la valeur formelle de son rôle. Le Rescrit sur
l’éducation, promulgué avant la première convocation
de la Diète impériale (1890), peut être interprété
comme l’acte par lequel l’État japonais se proclamait
source ultime des valeurs, monopolisant ainsi la
substance éthique [de toute existence].
C’est précisément autour de ce Rescrit que devaient se
produire les polémiques bruyantes suscitées par le
conflit qui traverse l’histoire des idées de l’ère Meiji,
entre le christianisme et l’enseignement officiel (kokka
kyôiku). Il est révélateur que le terme kokka shugi
(nationalisme/étatisme), fréquemment utilisé par la
suite, soit apparu à cette époque. Le fait que ces
polémiques se soient éteintes dans l’excitation de la
mobilisation nationale qui accompagna les guerres avec
la Chine (1894-1895) puis avec la Russie (1904-1905),
ne signifie aucunement que le problème qu’elles
soulevaient ait été résolu. C’est bien plutôt parce que les
chrétiens évitèrent toujours l’affrontement direct que
les choses purent sembler apaisées. Jusqu’au rescrit
publié il y a quelques mois, par lequel a été nié le
caractère divin de la personne impériale, rien ne
garantissait la liberté de croyance dans notre pays5.
Il ne s’agit d’ailleurs pas seulement des croyances. Dès
l’instant où l’État se veut « corps national » et accapare
les valeurs en soi que sont le vrai, le beau et le bien,
alors les sciences et les arts, eux aussi, tombent
immanquablement dans la dépendance de cette
substance ultime, source de toute valeur. Ils n’en
dépendent pas extérieurement mais plutôt
intérieurement : quand on demande que les arts ou les
sciences existent pour l’État, on ne demande pas
seulement qu’ils aient une utilité pratique pour celui-ci.
Le point crucial est bien qu’on veut dire par là que la
question de savoir ce qui est bon pour l’État, qui est en
elle-même une question de valeur, sera tranchée par
ceux qui ont devoir d’assistance « envers Sa Majesté et
le gouvernement de Sa Majesté » (Règlement général du
service de la fonction publique, 1887, art. 1). Si la loi
ne respecte pas l’intériorité subjective de « ce dont
l’existence appartient à la subjectivité en tant que
liberté intérieure, et où le droit ne doit pas pénétrer »
(Hegel, Philosophie du droit, § 94, add.), autrement dit
si la loi émane d’une instance étatique tenue pour la
valeur absolue, elle se fonde alors sur une légitimité
intrinsèque et peut donc s’infiltrer dans n’importe quel
domaine de l’esprit sans y rencontrer d’obstacle.
Tant que l’on n’a pas pris conscience du caractère
formel de l’ordre étatique, aucun domaine privé ne
saurait exister qui échappe à cet ordre. Or dans notre
pays, la chose privée n’a encore jamais été reconnue
explicitement.
Ce que nous appelons couramment la vie privée est en définitive la
mise en œuvre de la voie des sujets. Elle a une signification publique,
puisque les sujets, à travers leur vie privée, soutiennent la réalisation
du dessein impérial. […] Ainsi, même dans notre vie privée, faisant un
avec l’Empereur, nous ne devons jamais oublier que nous servons l’État.
La Voie des sujets, 1941.

L’idéologie exposée dans ce texte officiel de 1941 n’est


aucunement apparue avec la vague du totalitarisme, elle
était inhérente et structurelle à l’État japonais lui-
même. En conséquence, la chose privée n’a cessé d’être
regardée comme un mal, ou quasiment, auquel
s’attachait une certaine culpabilité. Cela est vrai en
particulier de l’intérêt personnel ou de l’amour. Dès lors,
puisque le caractère privé des affaires privées n’a pas été
reconnu explicitement, on s’efforçait de leur donner
d’une manière ou d’une autre un sens qui les rapporte à
l’État, afin d’échapper à cette culpabilité. Dans un
passage d’Et puis (1909), Daisuke parle de son père avec
sa belle-sœur :
— Mais pourquoi en avait-il après vous aujourd’hui ?
— Pourquoi ? Je me le demande encore. En tout cas, il m’a épaté quand
il m’a dit qu’il se dévouait pour l’État et pour la société. Il paraît que
depuis l’âge de 18 ans et jusqu’à aujourd’hui, mon père a fait tout ce
qu’il a fait par dévouement envers l’État et la société !
— Eh bien, n’est-ce pas ainsi qu’il est arrivé là où il est aujourd’hui ?
— Si on peut gagner autant par dévouement envers l’État et la société,
alors moi aussi je veux bien me dévouer !

L’ironie mordante de Sôseki nous dévoile ici un


magnifique spécimen de capitaliste japonais, à travers
lequel on peut voir que le nationalisme et « la voie de la
prospérité », comme l’appelait Noma Seiji, se donnaient
la main pour « propulser » le Japon moderne et en
même temps le corrompre. L’idée suivant laquelle il
n’existe pas d’éthique du domaine privé en tant que telle
mais seulement en lien avec la chose étatique, se
renverse en effet facilement, de sorte qu’elle permet aux
intérêts privés de pénétrer sans limite à l’intérieur de
l’État.
3
Lorsque la souveraineté d’État réunit et monopolise à
la fois l’autorité spirituelle et le pouvoir politique, ses
actes portent en eux-mêmes leur critère de légitimité. À
l’intérieur comme vis-à-vis des autres pays, ils
n’obéissent donc à aucun critère moral qui transcende
cet État. On pense aussitôt à l’absolutisme hobbesien, et
pourtant il s’agit ici de tout autre chose. Quand Hobbes
dit que « ce n’est pas la vérité mais l’autorité qui crée la
loi », il veut dire que l’exercice de l’autorité est une pure
décision de fait et non pas l’émanation d’une valeur qui
en serait la norme. Dans l’État Léviathan, c’est la
décision du souverain qui fixe le premier partage entre
vrai et faux ou entre bien et mal. Le souverain ne
concrétise pas une vérité ou une justice qui lui
préexisterait. Autrement dit, cette affirmation que la loi
vaut uniquement par le caractère formel des ordres du
souverain, ouvrait en réalité la voie au positivisme
juridique moderne. Même l’État prussien de Frédéric le
Grand, par exemple, se situe dans le droit fil de cet
absolutisme hobbesien. La légitimité s’y dissout in fine
dans la légalité.
Au Japon, en revanche, comme je l’ai dit plus haut, le
pouvoir souverain ne se contente pas de cette légitimité
formelle. Si les actes de l’État n’y obéissent pas à des
critères moraux qui le transcendent, ce n’est pas parce
que le souverain décide à partir d’un « néant », comme
chez Hobbes, mais parce qu’il incarne en lui-même la
valeur ultime, apparaissant comme « le summum
universel et indépassable du vrai, du bien et du beau »
(Araki Sadao, L’Esprit de l’Armée impériale). La vertu,
dès lors, ne pouvait consister qu’en une expansion de
cette quintessence de l’État impérial, rayonnant vers le
monde à partir de la substance présente en son cœur.
Quand on parlait d’« étendre la Justice sur le monde »,
non seulement la justice dont il est question n’était pas
supposée définie avant l’entrée en action de l’État
japonais, mais cela ne voulait pas non plus dire qu’elle
était définie après. La justice et l’action de l’État étaient
toujours simultanées. On agissait pour accomplir la
justice, mais la justice à son tour était définie par
l’action elle-même. La logique du nationalisme japonais
révèle sa spécificité dans l’intrication de ces deux idées :
« il faut gagner » et « la Justice l’emporte toujours ».
Puisque l’Empire du Japon, « summum du vrai, du bien
et du beau », ne pouvait par définition commettre le
mal, toutes les atrocités, toutes les perfidies étaient ainsi
autorisées !
Autrement dit, dans ce système, pouvoir et morale
s’interpénètrent. La morale et l’effectivité ne font qu’une
dans le pouvoir souverain, parce que celui-ci constitue
la source ultime de l’une et de l’autre. Dès lors la
morale, ne pouvant être intériorisée, comporte toujours
une pulsion vers le pouvoir. Elle ne se manifeste pas
comme un appel émanant du plus profond de l’individu,
elle prend d’emblée la forme d’un mouvement tourné
vers l’extérieur. La campagne de « Mobilisation générale
de l’esprit national » organisée au début de la guerre
sino-japonaise (1937) en offre un exemple typique.
Depuis le problème des relations entre le christianisme
et le Rescrit sur l’éducation, déjà évoqué, jusqu’à
l’affaire de la monarchie-organe, en passant par l’affaire
Kume ou l’affaire Ozaki, chaque fois qu’une discussion
publique a effleuré l’institution impériale, elle a donné
lieu à un affrontement politique6. Quand on parlait de

É
« clarifier les fondements de l’État », ce n’était pas une
manière d’appeler à une autocritique [collective]. Au
contraire, il s’agissait presque toujours d’un moyen
d’oppression politique dirigé vers autrui. Inversement, la
morale individuelle fut régulièrement déclarée
« impuissante » et, pour cette raison, sans valeur.
« Impuissante » parce que dépourvue de la force
matérielle de mouvoir les hommes… alors que telle est
précisément la nature de la morale ou des idéaux ! C’est
donc à l’aune de sa puissance pratique, autrement dit de
son lien avec un pouvoir, que l’on tend à apprécier la
morale, et non pas d’après les valeurs qui l’inspirent, ce
qui signifie simplement, au fond, que l’instance dernière
de la morale se trouve dans l’État. Cette tendance ne se
voit nulle part mieux que dans l’approche des relations
internationales, comme l’illustre parfaitement un
passage de La Voie des sujets :
La résolution de notre pays et sa valeur militaire ont rendu
impuissante toute sanction de [la] part de [la Société des Nations]. En
quittant celle-ci, nous avons fait éclater sa vraie nature, si bien que
l’Allemagne nous a imités dès l’automne de la même année, l’Italie
saisissant un peu plus tard l’occasion que lui donnait l’affaire
éthiopienne pour annoncer son retrait : « Société des Nations » n’était
plus qu’un nom creux. Ainsi, depuis l’automne de l’an 6 de l’ère Shôwa
(1931)7, le Japon marche à grands pas en tête des pays qui se vouent à
la Restauration mondiale.

On se moque ici ouvertement du fait que la Société


des Nations n’avait pas la force permettant de prendre
des sanctions efficaces, tandis qu’on loue implicitement
l’habileté de l’Italie, qui a su « saisir l’occasion ». Qu’il
s’agisse de la « vraie nature » de la Société des Nations
ou du comportement de l’Italie, on ne se réfère pas à des
valeurs morales intérieures pour en juger. On en juge
uniquement d’après la puissance effective et
l’ingéniosité tactique. Voilà un autre aspect de la
conception de la morale qu’on se faisait au ministère de
l’Éducation, parmi les plus hauts responsables des
« affaires pédagogiques » !
En outre, de même que la vertu tend à ne plus être
distinguée de la force, de même le pouvoir apparaît-il
constamment inhibé par l’idée de sa vertu. Au Japon, on
n’a jamais entendu dans la bouche des hommes
politiques de ces professions publiques de
machiavélisme, de ces déclarations piétinant hardiment
la morale petite-bourgeoise. Tant que le pouvoir
politique s’imagine fondé sur l’instance morale ultime, il
lui demeure impossible de reconnaître franchement ce
que la politique a de diabolique.
Sur ce point encore, l’Orient et l’Occident diffèrent
remarquablement. Thomas Mann dit que les Allemands,
au fond d’eux-mêmes, regardent la politique comme une
chose essentiellement immorale et violente8. Mais un
Japonais sera incapable d’une telle lucidité.
Les politiciens de ce pays sont idéalistes, parfaitement
loyaux envers leur souverain, et quasiment dépourvus
de tout sens de la vérité et de la justice, mais aucun n’a
l’audace d’un César Borgia. S’ils n’ont aucune humilité
intérieure, on ne les voit pas non plus exercer leur
pouvoir sans retenue. Ils sont fanfarons et couards tout
à la fois. Cette atrophie du pouvoir, dont Tôjo Hideki est
le symbole, ne touche d’ailleurs pas seulement le
pouvoir politique. Elle caractérise toutes les formes de
domination adossées à l’État.
Prenons par exemple le problème des mauvais
traitements infligés aux prisonniers pendant la guerre.
(Je laisse ici de côté les atrocités commises sur le front
même, qui représentent un problème un peu différent.)
Quand on lit les comptes rendus des procès, on est
frappé de voir que les accusés se défendent presque
unanimement en disant qu’ils se sont efforcés
d’améliorer les conditions de vie dans les camps dont ils
s’occupaient. Je ne pense pas qu’il n’y ait là que des
sophismes inventés pour sauver leurs têtes. Il n’est pas
douteux qu’ils croient sincèrement s’être efforcés
d’améliorer la vie des prisonniers. Ils les frappaient et
les battaient tout en améliorant leurs conditions de vie
dans le camp. Ce qu’on observe à travers cette
coexistence paisible de bonnes actions et de brutalités,
c’est l’étrange phénomène d’intrication de la morale et
du pouvoir que j’ai évoqué plus haut. Ceux qui ont une
expérience de la vie à l’intérieur de l’armée
comprendront probablement de quoi je veux parler ici.
Du point de vue psychologique, ce n’est pas sur de
fortes personnalités que repose un tel exercice du
pouvoir, mais plutôt sur le sentiment de faire corps avec
le pouvoir d’État. C’est pourquoi ces hommes semblent
si faibles et si misérables une fois expulsés de la position
qui les rattachait à l’autorité, lorsqu’ils reviennent à
l’état d’individus. Dans les procès pour crimes de guerre
qui ont déjà eu lieu, on a vu Tsuchiya livide, Kojima en
larmes, quand Göring éclate de rire9 ! Parmi tous ceux
qu’on a inculpés pour crimes de guerre et incarcérés à la
désormais célèbre prison de Sugamo, combien ont cette
insolence arrogante ? Même lorsque les faits sont
identiques, les violences japonaises appartiennent à une
autre « catégorie » que les violences froides et
« objectivantes » des nazis, comme l’exploitation à
grande échelle de la vie des prisonniers dans des
expériences médicales de toutes sortes. Il est vrai que
dans le cas allemand aussi, les auteurs des exactions
étaient les agents d’un État, mais ils avaient avec leurs
victimes une relation qui est davantage celle d’un sujet
« libre » avec des choses. Dans le cas japonais, la
relation se définit entièrement par un sentiment de
supériorité, c’est-à-dire par le sentiment d’une plus
grande proximité avec la valeur ultime que représente
l’empereur.
Or ce sentiment de proximité relative avec l’empereur
n’a pas déterminé seulement des relations de pouvoir et
domination particulières. Il a été la force qui a mu
l’ensemble de la structure étatique. La principale
contrainte qui s’exerçait sur un bureaucrate ou un
militaire, ce n’était pas le souci de la légalité mais le fait
que quelqu’un occupait une position plus élevée, plus
proche de la substance absolue. Lorsque le caractère
formel de l’ordre étatique n’est pas reconnu, il est
naturel que le souci de la légalité n’existe quasiment
pas. Le droit n’est pas compris comme quelque chose
qui contraint également le gouvernant et le gouverné,
personnes abstraites, mais seulement comme un moyen
d’exercer une domination concrète à l’intérieur d’une
hiérarchie de l’autorité au sommet de laquelle se trouve
l’empereur. C’est pourquoi l’exigence de respect de la loi
s’adresse essentiellement aux subordonnés.
Dans l’armée, les règlements compliqués du code
militaire s’appliquent d’autant plus lâchement que
l’intéressé est situé plus haut, d’autant plus
rigoureusement qu’il est situé plus bas. Les règles de
procédures prévues par le droit pénal concernant les
arrestations, les détentions, les interrogatoires, chacun
sait que ce sont les fonctionnaires de l’Empire qui les
ont le plus ouvertement foulées aux pieds. Le maintien
et le renforcement de relations de domination concrètes
étant le seul but visé, loin d’inviter au respect de la loi,
on a recommandé de manière répétée à ceux qui
s’occupaient des enquêtes criminelles de ne pas se
laisser embarrasser par les « vétilles » du droit. La
valeur de la position dans l’État et dans la société ne
dépend donc pas ici de la fonction sociale mais de la
distance vis-à-vis de l’empereur. Nietzsche caractérise
la morale aristocratique en disant qu’elle a toujours et
partout « la passion des distances » (das Pathos der
Distanz). Dans notre pays, le sentiment d’être éloigné
du « vil peuple » est renforcé encore par celui de se
trouver plus proche de l’empereur.
Être « les remparts de la Maison impériale », voilà ce
qui faisait la fierté de la pairie. Et si l’armée tenait la
prérogative du commandement suprême pour
absolument vitale, c’est qu’elle tenait à se représenter
elle-même comme conduite par l’empereur en personne.
Dans son éthique ordinaire la classe dirigeante n’est pas
déterminée par une idée abstraite du droit, ni par une
conscience intime du bien et du mal, ni par une
conception du service public tournée vers le peuple,
mais bien par ce sentiment d’une proximité concrète et
presque palpable avec l’empereur. Elle eut donc
naturellement tendance à confondre ses intérêts avec
les siens et considérer comme une menace pour
l’empereur tous ceux qui s’opposaient à elle. Il n’est pas
douteux que ce sentiment inspirait déjà la crainte et la
haine que les oligarques de l’ère Meiji avaient du
Mouvement pour la liberté et les droits du peuple, et
qu’il n’a cessé, depuis lors, d’habiter l’ensemble des
classes privilégiées.
4
L’armée japonaise a fourni un modèle quasiment
parfait des différents phénomènes pathologiques
entraînés par cette inclination à être plus fier d’une
dépendance verticale directe vis-à-vis de la substance
ultime que d’une fonction définie par la division
horizontale du travail social. On peut dire que dans
toutes ses orientations pédagogiques, elle s’est efforcée
principalement de nourrir une fierté de cette sorte. Pour
commencer, elle a fait de l’armée le cœur de l’État. « Le
soldat est la quintessence de la Nation. Il en constitue la
partie la plus importante », trouve-t-on ainsi dans une
ordonnance sur l’enseignement militaire. Le complexe
de supériorité des militaires vis-à-vis de ceux qu’ils
appelaient « les provinciaux » (!) se fondait évidemment
sur la conviction d’être l’armée de l’empereur. Mais de
cette dépendance directe envers l’empereur, ils ne
tiraient pas simplement une supériorité de position. Ils
imaginaient tirer de là une supériorité en toute forme de
valeur.
Selon Araki Sadao (général et membre de la pairie,
avec le rang de baron), par exemple, le fait que les
militaires s’attirent souvent la réputation d’être trop
francs « suggère les nombreuses difficultés rencontrées
dans la société actuelle par ceux qui viennent de
l’armée, en raison de la différence énorme qui existe
entre les critères moraux de l’armée et ceux de la
société ordinaire » (L’Esprit du soldat impérial, 1933).
Le militaire, en conclut-il, devra donc « purifier l’esprit
qui règne dans la société ordinaire et s’efforcer de le
réunir à celui de l’armée » (ibid.). Pourtant, la
« différence énorme » que la guerre a mise sous les yeux
des Japonais, entre les critères moraux de la société
ordinaire et ceux de l’armée, est exactement l’inverse de
celle que décrivait Araki.
Le même complexe de supériorité s’observe dans
d’autres domaines. D’après le témoignage d’un ami,
longtemps mobilisé dans les services de santé militaire
avec le grade de capitaine, les médecins qui ont été
formés au sein de l’armée sans avoir exercé ailleurs,
sont généralement convaincus que les niveaux d’étude
et de compétence de la médecine militaire surpassent
de loin ceux de toute la médecine « provinciale »,
universités comprises. Ce pathologiste sérieux m’assure
néamoins que c’est en réalité tout le contraire.
L’exaltation de cet orgueil égocentrique ne se limite
pas aux relations de l’armée avec la « province ». Elle
s’immisce même à l’intérieur de l’armée. « L’infanterie
est la partie la plus essentielle de l’armée, le cœur de la
communauté qui unit les différentes armes », trouve-t-
on ainsi dans le Manuel de tactique de l’Armée de terre.
Cette phrase, j’ai dû la réciter presque tous les jours
lorsque j’étais en Corée, où je recevais la formation
destinée aux conscrits. J’ai encore dans l’oreille la voix
du soldat plus gradé qui nous criait dessus en disant :
« Vous y êtes ? L’infanterie est le cœur de l’armée. Ce
qu’il y a de plus important ! C’est écrit là : “L’infanterie
est le-cœur-de-l’ar-mée.” Et quand on dit “l’armée”, ça
veut dire à la fois l’Armée de terre et la Marine. » Bien
entendu, lui-même n’y croyait pas sincèrement. Il est
pourtant indiscutable qu’on reconnaît là une tendance
psychologique dont toute l’instruction militaire était
imprégnée, consistant par exemple à exciter le
complexe de supériorité d’une arme sur les autres
armes, d’une unité sur les autres unités, d’un service sur
les autres services, ou bien à encourager les sous-
officiers à se défaire de « la mentalité 2e classe » et les
officiers à dépasser « l’esprit sous-off’« . C’est sur ce
terreau qu’ont grandi au cours la guerre la complaisance
égocentrique et le factionnalisme, qui ont valu à l’armée
la réputation la plus détestable qu’on puisse imaginer.
Le même genre de factionnalisme, qui n’est en rien
propre à l’armée, se retrouve dans toutes les instances
gouvernementales. On le qualifie souvent de « féodal »,
mais ce n’est pas aussi simple. Avoir le sens de son
territoire d’une manière féodale, c’est essentiellement
chercher à se replier sur un monde autosuffisant et
fermé. Le factionnalisme dont je parle ici présente un
caractère beaucoup plus actif et « intrusif », qui tient au
fait que, la valeur de chacun étant inversement
proportionnelle au dénivelé qui le sépare de l’autorité
ultime, il en résulte une tendance compulsive à vouloir
fusionner avec cette substance absolue. La meilleure
illustration en est la façon dont l’armée, tout en utilisant
la prérogative du commandement suprême pour se
retrancher dans sa citadelle, a utilisé le prétexte de la
guerre totale pour chercher à intervenir dans tous les
secteurs de l’État.
Dans un tel système, la dictature est paradoxalement
inconcevable. L’ordre étatique tout entier s’étant
structuré en chaînes verticales reliées à la valeur
absolue qu’incarne l’empereur, les hiérarchies reposent
sur la distance par rapport au sommet et la valeur
diminue graduellement à mesure que cette distance
augmente. Du haut jusqu’en bas de la chaîne, il n’y a
donc pas place pour l’individu conscient de sa liberté
que suppose la dictature. Aucun sujet indéterminé ne
peut en principe exister puisque toute personne, tout
groupe social est constamment pris dans une double
relation, déterminé d’un côté, déterminant de l’autre.
On discute beaucoup, aujourd’hui, de la « dictature »,
du « despotisme » exercé par les généraux et les
bureaucrates pendant la guerre, mais on devrait prendre
garde à ne pas confondre la réalité objective, ou le
résultat social, et la réalité subjective. Une dictature
suppose nécessairement, de la part de celui qui l’exerce,
une conscience de sa responsabilité. Or ni les généraux
ni les bureaucrates n’étaient conscients de leur
responsabilité.
Les dirigeants nazis, sans aucun doute possible, sont
parfaitement conscients d’avoir pris la décision d’entrer
en guerre, et cela quelles qu’en aient été les raisons.
Mais au Japon, même après avoir déchaîné une guerre
aussi terrible, on n’a encore trouvé personne qui se
sente responsable de l’avoir déclenchée ! Poussé par un
je-ne-sais-quoi, le pays tout entier aurait glissé
lentement vers la guerre avant de se laisser emporter
dans son tourbillon. Que signifie donc ce curieux état de
choses ? Le malheur de notre pays, d’avoir été dirigé par
des factions oligarchiques, se double en effet du malheur
que ces oligarchies n’avaient pas la moindre conscience
des faits. Chacune se composait d’individus incapables
de se percevoir eux-mêmes autrement que comme
subissant. Et puisqu’aucune d’elles ne pouvait occuper
le lieu du pouvoir ultime, elles coexistaient dans leur
dépendance envers l’empereur, rivalisant pour la plus
grande proximité avec celui-ci. Telle est la réalité qui a
empêché la formation d’une conscience autonome et
responsable, et qu’un observateur allemand a décrite en
disant du Japon qu’il était « le pays du côte à côte » (das
Land der Nebeneinander).
En 1943, dans la commission parlementaire chargée
d’examiner un projet de loi spéciale sur l’extension du
pouvoir exécutif pour le temps de guerre, le député Kita
Sôichirô avait demandé s’il fallait comprendre que l’on
se trouvait désormais en dictature. Le général Tôjô,
alors Premier ministre, lui avait répondu en ces termes :
Puisque l’on entend beaucoup parler de « dictature », vous me donnez
l’occasion de clarifier les choses à ce sujet. […] Tôjô n’est en vérité
qu’un obscur serviteur, en rien différent de vous. Seulement, j’ai reçu la
charge de diriger le gouvernement. Voilà toute la différence. Je brille
aujourd’hui pour cette seule et unique raison que la lumière de Sa
Majesté m’éclaire. Privé de cette lumière, je ne suis plus qu’un caillou.
Si j’occupe aujourd’hui cette position, c’est uniquement parce que Sa
Majesté a bien voulu m’y placer. Je n’ai donc rien en commun avec
ceux qu’en Europe on appelle des dictateurs.
Asahi shinbun, 6 février 1943.

De la part d’un homme qui avait entre les mains des


pouvoirs plus étendus qu’on ne l’avait jamais vu, cette
réponse me paraît extrêmement suggestive. D’un côté,
sa proximité très étroite avec l’autorité ultime lui donne
ce sentiment de supériorité dont j’ai parlé plus haut. De
l’autre, il sent peser implacablement sur sa tête tout le
poids de cette autorité. J’y vois l’expression sincère et
nue de sa pusillanimité de serviteur.
En l’absence de subjectivité libre, nul ne tirant de lui-
même les principes bornant ses actions, chacun étant
déterminé par l’existence d’un supérieur (c’est-à-dire de
quelqu’un plus proche que lui-même de la valeur
ultime), ce qui apparaît à la place d’une dictature est un
phénomène qu’on pourrait appeler de préservation de
l’équilibre psychologique par transfert de l’oppression :
le sentiment d’oppression se transmet de proche en
proche du haut vers le bas sous l’effet de manifestations
d’arbitraire, de telle sorte que l’équilibre de l’ensemble
est systématiquement maintenu. L’on peut certainement
dire qu’il s’agit d’un des principaux « héritages » que le
Japon moderne a reçus de l’époque féodale. Fukuzawa
Yukichi l’avait décrit très justement en parlant de
« surpondération du pouvoir », où il voyait une « loi
invariable des relations sociales au Japon depuis
l’origine du pays ».
La distinction hiérarchique des statuts s’accompagne d’une distinction
tout aussi forte des droits et devoirs selon la personne à laquelle ils
s’appliquent. Nul qui ne subisse une tyrannie, nul qui n’en exerce.
Opprimé d’un côté, on opprime de l’autre. Tantôt on courbe l’échine,
tantôt on plastronne. […] Dépouillé par Pierre, on s’en prend à Paul.
Autrement dit, on se paie de l’humiliation subie par le plaisir prochain
de celle qu’on fera subir, et ainsi se liquident les rancœurs.
Esquisse d’une théorie de la civilisation, 1875, chap. 5.

Bien que la description de Fukuzawa évoque


irrésistiblement l’armée, en vérité ce principe anime
l’ensemble de la structure étatique japonaise, où ses
effets se constatent jusque dans les moindres recoins.
L’armée en offre seulement une expression caricaturale.
La surpondération du pouvoir, héritée de la société
féodale, a pris dans le Japon moderne une forme
systématique par la fusion du pouvoir avec l’autorité.
À cet égard il est significatif que depuis l’ère Meiji et
jusqu’à nos jours, à chaque fois qu’il y a eu des
négociations internationales importantes, des voix se
soient élevées dans la population en faveur d’une
attitude intransigeante. Nous ne pouvons pas non plus
fermer les yeux sur cette douloureuse réalité, le fait que
les auteurs des massacres commis pendant la guerre par
l’armée japonaise en Chine et aux Philippines, aient été
de simples soldats, et cela où que se trouvent les
responsabilités. « Minable » dans son propre pays, et
même seulement deuxième classe dans l’armée, on se
retrouve dans une position infiniment supérieure une
fois à l’étranger : soldat de l’empereur, on est du côté de
la valeur suprême. Il n’y a rien d’étonnant à ce que des
gens qui, dans leur vie quotidienne aussi bien que dans
l’armée, ne pouvaient transférer plus bas l’oppression
qu’ils y subissaient, aient été conduits à des explosions
de violence sitôt qu’ils se sont trouvés dans une position
supérieure : ils cherchaient à se libérer d’un coup de
tout ce qui pesait sur eux. Ces violences n’étaient-elles
pas comme un mémorial tragique de ce qu’ils avaient
enduré au Japon ? (Il faut bien sûr mettre à part les
violences perpétrées vers la fin de la guerre, qui
s’expliquent davantage par le sentiment que la défaite
approchait ou par un désir de vengeance.)
5
Dans le système ultranationaliste, où l’empereur
incarne et concentre l’autorité, où il constitue la source
même de la morale et où la position de chacun dépend
de cette valeur suprême, l’empereur serait-il donc le
seul détenteur d’une liberté subjective ? En Europe, le
souverain absolu du début de l’âge moderne s’est
affranchi de la contrainte qui en vertu du droit naturel
médiéval faisait de lui le protecteur de l’ordre (defensor
pacis), pour s’élever au statut de créateur de l’ordre
(creator pacis), devenant ainsi le premier individu
« libre » de l’histoire moderne.
Conçue comme un retour à « l’Antiquité fondatrice de
Jinmu », la Restauration de Meiji a au contraire consisté
à réunir l’autorité spirituelle au pouvoir politique. Si
l’empereur lui-même est la valeur ultime, il ne saurait
créer de valeur à partir du néant. Descendant de la
lignée impériale ininterrompue à travers les âges, il
règne d’après les enseignements hérités de ses ancêtres
fondateurs de l’Empire. La Constitution de 1889,
« octroyée par l’empereur », n’était pas présentée
comme une œuvre librement créée par lui, mais comme
une « conformation aux lois ancestrales du
gouvernement ». L’empereur lui aussi, donc, dépend
d’une autorité, celle d’une tradition remontant à
l’Antiquité immémoriale. Inséparable de ses ancêtres, il
n’est considéré comme l’incarnation absolue de la
valeur que parce qu’il fait un avec l’ensemble de sa
lignée. Si l’on représente le peuple, ceux qui assistent
l’empereur, par des cercles concentriques disposés
autour de celui-ci et plus ou moins distants de lui, ce
n’est pas un point qui occupe le centre, mais un axe
vertical qui le traverse perpendiculairement au plan des
cercles concentriques. L’effusion illimitée de la valeur
irradiant à partir du centre est en somme garantie par
l’infinitude de cet axe vertical, autrement dit par la
« prospérité du Trône Impérial, contemporain du Ciel et
de la Terre », selon la formule bien connue du Rescrit
sur l’éducation.
Nous pouvons maintenant saisir crûment et dans sa
totalité la vision du monde qui est celle de
l’ultranationalisme. L’ambition planétaire de « donner sa
place à chaque pays »10 apparaît lorsque l’on étend au
reste du monde la logique initialement limitée au Japon,
qui détermine la valeur en fonction de la distance par
rapport au centre où se tient l’empereur. La paix
mondiale attribuera à chaque pays une position dans
l’ordre hiérarchique dominé par le Japon, « maison-
mère de tous les pays ».
La Vertu de Sa Majesté se fera connaître par l’éclat des armes
japonaises. Qu’elle s’étende jusqu’à rayonner sur tous les pays du
monde, voilà le sens de l’histoire universelle.
Satô Tsûji, Philosophie de la Voie impériale, 1941.

C’est pourquoi, dans ce monde où existe une entité


centrale et absolue, il n’y a pas place pour quelque
chose comme un droit international qui contraigne
indistinctement tous les États. Comme on pouvait le lire
dans la revue Chûô kôron en décembre 1943, « aucun
droit international ne saurait exister lorsque, en
conformité avec la voie du Pays des dieux, rayonne sur
le monde la seule Vertu de Sa Majesté ». Défendant
l’actualité des mythes relatifs à la fondation du Japon, le
professeur Yamada Yoshio affirmait quant à lui :
Ce qui s’est passé il y a 2 600 ans est comme le premier cerne d’un
arbre qui a continué de croître. […] Les faits de l’âge de l’Empereur
Jinmu ne sont donc pas de l’histoire ancienne, ils ont une existence
actuelle.
« La Mission du Japon impérial et la résolution du peuple japonais »,
Chûô kôron, sept. 1943.
« La croissance verticale (temporelle) s’accompagne
d’un élargissement radial (spatial) » : assurément, il
s’agit là d’une formulation ingénieuse de la logique
ultranationaliste.
« L’éternité céleste et terrestre » garantit une
expansion ininterrompue de la sphère touchée par la
valeur impériale, tandis que l’expansion par « l’éclat des
armes du Pays impérial », en retour, ne cesse de
renforcer le caractère absolu de cette valeur : depuis les
guerres sino-japonaise et russo-japonaise jusqu’à la
guerre du Pacifique en passant par les événements de
Mandchourie puis de Chine, le cercle a pris la forme
d’une spirale ascendante.
La carrière du militarisme japonais a pris fin le
15 août 1945, en même temps que l’État impérial
(kokutai), sur lequel reposait l’ensemble du système
ultranationaliste, a été déchu de son caractère absolu,
laissant ainsi le destin de la nation japonaise entre les
mains des Japonais, devenus libres et autonomes pour la
première fois de leur histoire.
POST-SCRIPTUM
(DÉCEMBRE 1956)
J’ai rédigé cet article en mars 1946 (an 21 de l’ère
Shôwa), c’est-à-dire quelques mois après la défaite. Il fut
publié en mai dans la revue Sekai, créée la même
année. C’est le plus ancien texte de ce recueil (Idéologie
et action dans la politique aujourd’hui, 1956-57). Bien
que j’en aie actualisé l’orthographe, le style a
irrémédiablement vieilli et il reste d’un abord difficile,
notamment parce que j’avais traité le problème en
ramassant l’exposé au maximum. À peine publié,
cependant, il fit l’objet d’un compte rendu dans le
quotidien Asahi shinbun, qui pourtant n’était encore
imprimé que sur un demi-format [en raison de la
pénurie]. À partir de là, les réactions furent
innombrables, au point que j’ai fini par en être écœuré.
Cela tenait sans doute à l’atmosphère tendue qui régnait
alors et à l’état d’esprit intellectuellement volontaire, si
j’ose dire, qui était celui des lecteurs. Une autre raison
vient du fait que la plupart des critiques visant le
système impérial qui furent publiées juste après la
guerre, étaient menées d’un point de vue communiste
ou, en tout cas, marxiste. Elles s’attachaient donc
essentiellement aux infrastructures économiques, ou
bien elles ne contenaient que des révélations
« politiques ». On en était submergé, mais elles se
ressemblaient toutes, si bien qu’une analyse
psychologique comme celle que je proposais parut alors
d’une incroyable fraîcheur.
En m’attaquant au problème de cette manière, je
n’avais aucun modèle. Je ne connaissais pratiquement
rien de la psychologie sociale américaine, des
applications de la sémiologie aux sciences politiques ou
des théories de la communication. Il m’a donc fallu
bricoler moi-même des formules et des catégories, pour
lesquelles je me suis donné beaucoup de mal même si le
résultat n’est pas très élégant. La perspective que j’avais
adoptée n’a plus rien d’original aujourd’hui, ni le choix
des documents cités. Malgré tout, je reste nostalgique en
relisant cet article.
Bien entendu, ma description de la structure
idéologique du nationalisme japonais, focalisée sur la
forme extrême jusqu’à laquelle celui-ci a été porté
durant la guerre du Pacifique, n’est qu’une abstraction
historique, dont le but était de situer les différents
aspects de ce nationalisme dans une vue d’ensemble du
système étatique japonais depuis l’ère Meiji. C’est
pourquoi il était d’emblée exclu d’y aborder certaines
questions, comme celle des étapes par lesquelles est
passée la mise en place de l’idéologie du système
impérial, ou celle des relations entre éléments
constitutionnels et éléments absolutistes au sein de ce
système. Je ne puis que laisser au lecteur le soin de
juger par lui-même si le résultat de ma reconstruction
est arbitraire. Cette abstraction, en tout cas, n’est pas
sans intérêt lorsque l’on cherche à mesurer le
phénomène d’atomisation de l’idéologie impériale
observé après la guerre et dont j’ai traité ailleurs11.
D’autre part, dans un film réalisé par le journal
Mainichi avec la collaboration du ministère de l’Armée
de terre, Le Japon en état d’urgence, on aperçoit en
arrière-plan d’un discours du général Araki, alors
ministre, un schéma expliquant la « Voie impériale »,
qui correspond parfaitement à la « logique » que je
décrivais. Le film date de 1933 mais je ne l’ai découvert
qu’après avoir publié mon article. C’est pourquoi je le
reproduis ici.
La Voie impériale
dans l’espace : extension et développement
dans le temps : perpétuation éternelle

mission de l’Armée impériale : protéger la Voie impériale12.

Cependant, je ne voudrais pas que le lecteur, se


fondant sur ce seul article, me croie ignorant du
développement historique de l’État japonais depuis l’ère
Meiji, ni des aspects progressistes du nationalisme ou
de ce qu’il y a d’universel dans cette idéologie, et qu’on
imagine que je repeins tout aux couleurs de la « pré-
modernité » et de la « spécificité japonaise ». Je renvoie
donc notamment à la conférence que j’ai faite en
octobre 1946, intitulée « La Pensée de l’État Meiji »13,
ainsi qu’à l’article publié en février 1947 dans la revue
Chûô kôron, « Kuga Katsunan – l’homme et sa
pensée »14. Même si ces travaux ne peuvent prétendre à
l’exhaustivité, on verra que j’y ai abordé les éléments
progressistes et véritablement modernes du
nationalisme japonais.
Je peux entendre, à la rigueur, la critique selon
laquelle mon « abstraction » serait unilatérale. Mais en
aucun cas je ne peux acquiescer à l’interprétation,
typiquement exprimée par le professeur Tsuda Sôkichi,
d’après laquelle la pathologie du système impérial que
j’ai décrite ne serait qu’un phénomène exceptionnel
causé par la frénésie due à un « état d’urgence ».
Comme il n’est pas question d’entrer ici dans ce vaste
problème, je me contenterai pour le moment de
répondre en citant ce passage de La Philosophie de
l’histoire dans lequel Hegel évoque l’origine de la
Réforme :
La corruption de l’Église [médiévale] n’a rien de contingent. Elle n’est
pas seulement abus de la violence et de l’autorité. Abus est le terme
habituel pour désigner une quelconque corruption : on présume que le
fondement est bon, la chose même sans défaut, mais que les passions et
les intérêts subjectifs, d’une façon générale la volonté contingente des
hommes, a usé de ce bien comme moyen pour soi et qu’il n’y a rien
d’autre à faire que d’éloigner ces contingences. Une telle conception
sauve le fond des choses, le mal y étant considéré comme extérieur
seulement. Mais si l’on abuse d’une chose d’une manière contingente,
cela n’arrive qu’isolément. Il en va tout autrement d’une grande et
générale perversion dans une chose aussi grande et aussi générale
qu’une Église15.

1. Ferdinand Lassalle (1825-1864), militant et théoricien socialiste,


fondateur de l’Association générale des travailleurs allemands (1863), qui
fut une des origines du Parti social-démocrate, est notamment l’auteur du
Système des droits acquis (1861), dont provient la phrase citée ici. Les
idées de Lassalle avaient été durement attaquées par Marx. En plaçant sa
réflexion sous le signe de cette figure, Maruyama indiquait que son analyse
du système impérial se séparait des critiques formulées par des auteurs
marxistes à la même époque (N.d. T.).
2. L’idée est explicitée dans « L’ère des neutralisations et des
dépolitisations » (1932) mais elle était déjà présente dans la critique du
libéralisme parlementaire que Carl Schmitt (1888-1985) avait développée
au cours des années 1920, dénonçant l’incapacité du régime de Weimar à
constituer un véritable pouvoir politique. En 1939, quelques années après
que Schmitt eut perdu la position éminente qu’il occupait depuis la prise
du pouvoir par Hitler, Maruyama avait publié une traduction partielle
d’État, mouvement, peuple (1933), dont le thème correspondait aux
recherches qu’il menait alors sur le concept d’État dans les sciences
politiques modernes. Tout en reprenant l’idée d’un processus historique de
neutralisation de l’État, Maruyama, loin d’y voir un affaiblissement,
identifie au contraire ce processus à la modernité politique (N.d. T.).
3. Italiques de Maruyama dans toutes les citations.
4. Le Mouvement pour la liberté et les droits du peuple demandait aussi
une « extension de la souveraineté de l’État », c’est-à-dire une politique
extérieure forte, notamment vis-à-vis des puissances occidentales. Comme
le note ailleurs Maruyama, cette revendication s’exprimait conjointement
aux revendications démocratiques, mais sans que le rapport entre les deux
soit clarifié. De plus, la formule elle-même est équivoque : on parle
d’« extension de la souveraineté de l’État » (kokken kakuchô) pour
évoquer le recouvrement de la souveraineté douanière, tout en laissant
entendre que l’on envisage déjà une expansion internationale, et alors que
les mêmes mots peuvent aussi désigner un renforcement du pouvoir
étatique à l’intérieur du pays (N.d. T.).

5. Rescrit du 1er janvier 1946, connu notamment sous le nom de


« proclamation impériale de non-divinité » ou « d’humanité » (ningen
sengen), bien que le terme en soit absent. Sur le processus de
désacralisation de l’empereur, voir Éric Seizelet, Monarchie et démocratie
dans le Japon d’après-guerre, Maisonneuve et Larose, 1990, p. 150-159
(N.d. T.).
6. Sur ces quatre affaires, qui ont en commun le fait que les individus
mis en cause n’avaient émis aucune proposition de réforme de l’institution
impériale, voir Glossaire (N.d. T.).
7. C’est-à-dire depuis l’invasion de la Mandchourie par l’armée impériale,
dont la condamnation par la Société des Nations aboutit en mars 1933 au
retrait du Japon (N.d. T.).
8. Thème de plusieurs de ses œuvres à partir de 1930, l’idée est
développée notamment dans « L’Allemagne et les Allemands », discours
prononcé en mai 1945 à Washington, dont Maruyama semble avoir eu
connaissance. Il y a tout lieu de penser que la caractérisation du nazisme,
dans cet article et dans celui de 1949 (voir infra, p. 117 sq.), doit beaucoup
à la lecture de Thomas Mann. Dans le discours de mai 1945, on trouve par
exemple : « [l’Allemand] considère que la politique n’est que mensonge,
meurtre et violence, quelque chose de parfaitement et unilatéralement
ignoble, et, si par ambition profane, il s’y adonne, il le fait selon cette
philosophie. […] Elle est pour lui le Mal – et il croit devoir, en son nom, se
transformer en un véritable démon. » Trad. fr. Louise Servicen et Jeanne
Naujac, Les Exigences du jour, Grasset, 1976, p. 354 (N.d. T.).
9. Tsuchiya Tatsuo et Kojima Chôtarô furent jugés à partir de novembre
1945 par le Tribunal militaire américain de Yokohama, chargé des crimes
de catégorie B (crimes de guerre) et C (crimes contre l’humanité). Accusés
d’avoir commis ou laissé commettre des mauvais traitements sur des
prisonniers de guerre, respectivement dans les camps de Mitsushima
(préfecture de Nagano) et d’Asobumura (préfecture de Gifu), ils furent
condamnés à l’emprisonnement à perpétuité. La presse avait accordé
beaucoup d’attention à ces affaires, qui étaient les toutes premières affaires
de crimes de guerre traitées au Japon depuis la fin des hostilités (Kosuge
Nobuko et Nagai Hitoshi, Bî shî kyû sensô hanzai saiban, Nihon tosho
sentâ, 1996). S’il n’est pas question ici du procès des accusés de crimes de
catégorie A (crimes contre la paix), ou procès de Tokyo, c’est que celui-ci
n’avait pas encore débuté lorsque l’article fut publié. Il en est longuement
question, en revanche, dans « Le Profil psychologique des dirigeants de
guerre » (mai 1949). Voir infra, p. 111-157 (N.d. T.).
10. Formule utilisée dans la déclaration de guerre de décembre 1941,
parfois interprétée comme annonçant la fin de la domination européenne
et la libération de l’Asie (N.d. T.).
11. Voir Nationalism in Postwar Japan, Tokyo, Japan Institute of Pacific
Relations, 1951.
12. Actes du Tribunal militaire international pour l’Extrême-Orient,
n° 41.
13. Trad. fr. et présentation de M. Perroncel, Ebisu. Études japonaises,
32, 2004, p. 85-121.
14. Trad. fr. et présentation de M. Perroncel, Cipango. Cahiers d’études
japonaises, 20, 2013, p. 307-339.
15. Leçons sur la philosophie de l’histoire, trad. fr. Jean Gibelin, Vrin,
1945, p. 317.
● L’IDÉOLOGIE ET LES MOUVEMENTS
FASCISTES AU JAPON (JUIN 1947)

1. PRÉAMBULE
Je ne suis pas certain d’être assez compétent pour
parler du thème qu’on m’a attribué, l’idéologie et les
mouvements fascistes au Japon, en tout cas pour livrer
une conclusion décisive sur cette question. C’est
pourquoi je préfère m’excuser tout de suite auprès de
ceux d’entre vous qui attendraient que je leur donne
quelque chose comme une vue d’ensemble permettant
de saisir d’un coup l’essence du fascisme, car ils seront
nécessairement déçus. Du reste, on ne saurait traiter un
problème aussi colossal dans un temps aussi bref. Mieux
vaut commencer, donc, en délimitant le sujet autant que
possible, sans quoi vous auriez probablement
l’impression d’un exposé foncièrement dogmatique.
Pour analyser le fascisme, on peut d’abord faire une
distinction entre le fascisme comme structure étatique
et le fascisme comme mouvement particulier. C’est
essentiellement du fascisme comme mouvement que je
vais parler ici, ainsi que de l’idéologie dont ce
mouvement était porteur. Pour expliquer le fascisme
japonais dans sa totalité, il faudrait analyser
concrètement la place de l’armée ou des bureaucrates
dans l’appareil d’État, c’est-à-dire préciser leurs bases
sociales et montrer comment ces forces sont entrées en
relation avec le capitalisme monopoliste. Cependant,
puisque cela dépasse largement ma capacité, je ne vous
en parlerai pas. Naturellement, je ne terminerai pas sans
avoir abordé la relation entre les deux, mais c’est bien
du mouvement fasciste qu’il sera question avant tout ici.
De la même façon, je n’aborderai pas l’idéologie fasciste
en général mais seulement les aspects qui se rattachent
directement au fascisme comme mouvement, en
laissant de côté les thèmes fascistes, ou fascisants, qui
ne lui sont pas liés de manière étroite et incontestable.
Par conséquent, il n’est pas question de traiter toutes les
formes de discours fascisants qui ont pu être tenus ici et
là, par exemple dans le monde universitaire ou dans la
presse.
Ensuite, je voudrais dire un mot sur la façon dont je
compte aborder le problème. Quand on parle du
fascisme japonais, on est aussitôt amené à se
demander : qu’est-ce que le fascisme ? « De but en blanc
vous nous parlez de “fascisme japonais”. Mais d’abord,
est-ce qu’il y a eu fascisme au sens propre du terme ?
Au Japon, est-ce qu’il ne s’agissait pas en réalité d’un
régime absolutiste plutôt que fasciste ? Qu’entendez-
vous au juste par ce mot ? » Voilà probablement un
doute qu’on exprimera d’emblée. J’aurais bien une
réponse à cette question, mais je crois préférable de ne
rien dire pour commencer. Une telle discussion
m’obligerait à parler en termes généraux, et les
déterminations du fascisme sont trop nombreuses pour
que j’aie le temps de revenir aujourd’hui sur cette
question. Je prendrai donc le sens commun comme
point de départ, même si cela doit impliquer une
certaine obscurité.
À propos de cette période de dix et quelques années
qui finit en 1945, nous avons pris l’habitude de parler de
« la période fasciste ». Eh bien, c’est sur l’idée contenue
dans cet usage que nous faisons ordinairement du mot
que je m’appuierai, en espérant que la définition du
fascisme japonais se précise à mesure que nous
avancerons dans l’analyse des faits. Il se peut qu’elle
devienne finalement moins claire, mais il faudra en
discuter le moment venu pour savoir si c’est le cas. Quoi
qu’il en soit, voilà comment je souhaite procéder, c’est-
à-dire, donc, sans partir d’une définition abstraite.
Une autre objection que l’on soulèvera probablement
alors consiste à demander si l’idéologie et les
mouvements fascistes ne sont pas en réalité un
problème secondaire, si ce qu’il importe avant tout
d’étudier n’est pas plutôt le fascisme dans l’appareil
d’État et dans la structure sociale. Et il est vrai que
notre objectif est bien de parvenir in fine à une
compréhension du phénomène dans sa totalité. Mais
justement, pour y parvenir, il ne suffit pas de faire une
théorie du système fasciste tel qu’il apparaît dans sa
forme aboutie. Il est indispensable d’analyser aussi, et
préalablement, le fascisme comme mouvement, car c’est
bien ce mouvement qui a donné l’occasion au fascisme
de devenir une structure totale.
Certes, le fascisme japonais, le fascisme comme
structure d’État, s’est effondré le 15 août 1945, mais on
ne peut absolument pas affirmer pour autant que
désormais plus aucun mouvement fasciste ne se lèvera
dans notre pays. C’est pourquoi nous devons chercher à
comprendre la nature du mouvement fasciste passé tout
en nous posant des questions qui concernent l’avenir.

2. PÉRIODISATION
Après ce préambule un peu long, il faut maintenant
réfléchir au processus de développement du fascisme
japonais. En adoptant une périodisation grossière, il me
semble qu’on peut distinguer approximativement trois
phases.
La première phase, le stade préparatoire, va des
années 1919-1920, c’est-à-dire du lendemain de la
Première Guerre mondiale, jusqu’à l’époque de
l’incident de Mandchourie (septembre 1931). C’est ce
que nous appellerons « l’époque des mouvements
d’extrême droite civils ».
La deuxième phase, celle de la maturation, va de
l’incident de Mandchourie à la fameuse tentative de
coup d’État du 26 février 1936. Au cours de cette
période, des mouvements qui étaient auparavant sans
lien avec l’appareil d’État sont entrés en relation avec
une partie de l’armée, qui est alors devenue la force
motrice du processus au terme duquel la dynamique
fasciste a pénétré le cœur de l’État. C’est l’époque où le
fascisme se manifeste par une série d’actions violentes :
il y eut d’abord les projets de coups d’État militaires
étouffés dans l’œuf, en mars et en octobre 1931, puis
des attentats retentissants, notamment ceux de la Ligue
du sang, en février et mars 1932, la tentative de coup
d’État du 15 mai, la même année, l’affaire de la
Shinpeitai (juillet 1933), l’affaire de l’École des officiers
(novembre 1934), l’affaire Aizawa (août 1935), et pour
finir la tentative de coup d’État du 26 février 1936. On
peut dire que cette période fut l’apogée du fascisme
radical.
La troisième phase, un peu plus longue, commence
avec la reprise en main de l’armée qui a suivi le
26 février 1936 et s’est terminée avec la guerre, c’est-à-
dire avec la déclaration impériale du 15 août 1945. On
pourrait dire que c’est la phase d’accomplissement du
fascisme japonais. En tout cas, au cours de cette
période, c’est l’armée qui devient l’acteur principal,
mais cette fois par le haut et ouvertement. Elle met en
place un système de domination qui, malgré son
instabilité, fédère deux ensembles distincts : d’un côté,
les forces semi-féodales de la bureaucratie et de
l’entourage impérial (jûshin), et de l’autre, le capital
monopoliste et les partis bourgeois.
Je n’aurai pas le temps ici de retracer en détail
l’ensemble du processus, la naissance et le
développement des mouvements fascistes à travers
chacune de ces trois étapes, et je vous renvoie pour cela
à l’Histoire des mouvements nationalistes au Japon de
Kinoshita Hanji (Keiô shobô, 1939), ainsi qu’à l’étude
publiée récemment dans la revue Chûô kôron par
Iwabuchi Tatsuo, « Généalogie des factions militaires ».
Je voudrais seulement apporter quelques précisions sur
les raisons qui m’ont fait adopter la périodisation que je
viens de vous exposer.
D’abord, à propos de la première phase, on cite
couramment l’incident de Mandchourie pour dater le
moment d’entrée dans la période fasciste. Mais, si l’on
regarde du côté de ce qu’on appelle les « groupes
d’extrême droite », en mettant pour l’instant de côté la
Gen.yôsha, née au début de l’ère Meiji, et la Société du
fleuve Amour, créée dans son sillage, on voit que des
groupes proto-fascistes sont apparus et se sont
multipliés à partir des années 1918-1919. Au sortir de la
Première Guerre mondiale, les revendications
démocratiques se propagent et se radicalisent sous
l’influence de la Révolution russe, tandis que les remous
de l’économie consécutifs à la fin de la guerre
provoquent une brusque augmentation des grèves
ouvrières ainsi que des conflits liés aux exploitations
agricoles en fermage. C’est dans ce contexte de la fin de
l’ère Taishô (1912-1926) qu’ont surgi tous ces
mouvements « anti-rouge ». La Ligue de la sincérité et la
Ligue de la Voie impériale sont créées en 1918,
l’Association du Grand Japon pour la quintessence
nationale et l’Association du Kantô pour la quintessence
nationale en 1919, le Groupe de défense
antibolchevique en 1922, l’Association du Grand Japon
pour la Justice en 1925. Malgré quelques nuances qui
les distinguent, tous ces groupes ont en commun de
vouloir s’opposer directement aux organisations de la
gauche. Avec la Société du fleuve Amour ou la Rôninkai,
qui en est issue, leur activité consiste principalement à
briser les grèves, alors nombreuses, et attaquer les
syndicats de gauche, les syndicats paysans ou la Société
pour l’égalité. Mais ils n’ont pas vraiment de programme,
ils ne visent pas vraiment une réforme intérieure. Il
vaudrait donc mieux dire de ces mouvements qu’ils sont
simplement réactionnaires, plutôt que parler
d’organisations fascistes.
Beaucoup de leurs membres, d’ailleurs, appartiennent
aux réseaux extra-parlementaires des grands partis en
place. Il est amusant de constater que, parmi les
personnages centraux, beaucoup étaient entrepreneurs
dans le secteur du bâtiment. Kawai Tokusaburô,
fondateur de l’Association populaire des travailleurs du
Yamato, ou Mori Kenji, de la Société de la sincérité, et
beaucoup d’autres, sont des patrons du bâtiment. C’est
quelque chose que je trouve assez suggestif quand on
songe aux patrons actuels de ce secteur. Dans leurs
programmes, les aspects purement féodaux sont très
marqués. L’Association pour la quintessence nationale
du Grand Japon, par exemple, se définit comme « un
groupe ayant vocation à agir avec courage dans un
esprit chevaleresque ». Celui de l’Association du Grand
Japon pour la Justice proclame que « le patron est
comme un père, le protégé comme son enfant. Les
protégés sont les uns pour les autres comme les frères
d’une seule famille. Ils obéiront en tout à leur patron.
Les frères se chériront et s’assisteront mutuellement,
sans jamais manquer de courtoisie les uns envers les
autres ».
Cependant, des mouvements plus proches du fascisme
au sens strict voient également le jour à cette époque.
Par exemple, c’est en 1919 que Kita Ikki, en qui on peut
voir un père fondateur du fascisme japonais, crée la
Société de la pérennité avec Ôkawa Shûmei et
Mitsukawa Kametarô. Son Plan de rénovation du
Japon, qui devait plus tard être une source d’inspiration
idéologique pour les hommes du 26 février 1936, joua
dans ce groupe un rôle équivalent à celui de Mein
Kampf dans le parti nazi. Le manifeste de la Société de
la pérennité contient en effet des formules telles que
« bâtir un Japon révolutionnaire », « coordonner un
mouvement de réforme », « libérer les peuples de
l’Asie », où l’on voit que ce programme n’était pas
purement réactionnaire comme ceux des organisations
que j’ai citées tout à l’heure. Une idéologie proprement
fasciste y apparaît clairement dans la combinaison d’un
programme de réforme intérieure et de revendications
internationales.
Ôkawa et Mitsukawa devaient bientôt s’opposer à Kita
et fonder la Société de la pratique terrestre avec
Yasuoka Masahiro et Nishida Zei. Beaucoup d’autres
groupes d’extrême droite ont essaimé à partir de cette
mouvance. L’un des plus importants, la Société de la
fondation nationale se constitua autour d’Akao Bin en
1926, avec notamment Tsukui Tatsuo et Atsumi Masaru,
puis Amano Tatsuo et Maeda Torao, qui devaient tous
deux être impliqués dans l’affaire de la Shinpeitai (juillet
1933). Dirigée par Uesugi Shinkichi, elle avait Tôyama
Mitsuru et Hiranuma Kiichirô parmi ses conseillers. Son
programme recommandait le contrôle étatique de la
production, ce qui lui donne un caractère
anticapitaliste. Mais en réalité, il y a là un trait que
partagent les groupes d’extrême droite au cours de la
première et de la deuxième phase, la Société de la
fondation nationale faisant partie de ceux chez lesquels
il est le moins prononcé. Du reste, sa principale activité
consistait à lutter contre les partis prolétariens. Comme
à cette époque, bien sûr, le Parti communiste était déjà
entré dans la clandestinité, elle s’en prenait surtout aux
organisations dont la ligne était la plus proche de celui-
ci, à savoir le Parti ouvrier et paysan et le Conseil
national des syndicats ouvriers. Elle s’employait
notamment à briser les manifestations du Premier mai
[qui avaient lieu depuis 1920 et furent finalement
interdites en mars 1936].

À
À peu près à la même époque, Uesugi Shinkichi, que
j’ai mentionné il y a un instant, et Takabatake Motoyuki,
traducteur de Marx, créèrent le Cercle d’études
politiques. Celui-ci ne fut pas tellement important
puisqu’il s’agissait davantage d’un groupe de recherches
plutôt que d’un mouvement, mais il faut remarquer en
tout cas qu’il fut créé par des gens qui étaient alors des
intellectuels de premier plan. Enfin, on ne saurait
oublier de mentionner ici la Société de l’ère Taika,
d’Iwata Fumio, créée en 1920.
On voit ainsi clairement que les mouvements droitiers
avaient commencé de se développer à partir des années
1918-1919. Il faut prendre garde surtout au fait que le
fascisme radical n’a pas commencé d’entrer en action
après l’incident de Mandchourie, même s’il fut
beaucoup plus actif après cet événement. Sagôya
Tomeo, qui assassina le Premier ministre Hamaguchi en
novembre 1930 à la gare de Tokyo, n’appartenait pas à
la Ligue du sang, mais c’est à la lumière des attentats
perpétrés par celle-ci après l’incident de Mandchourie
qu’il convient d’interpréter cette affaire [qui leur est
antérieure de plus d’un an]. Les tentatives ou projets de
coup d’État dus à des groupes de jeunes officiers avaient
eux aussi un précédent antérieur à l’incident de
Mandchourie, à savoir l’affaire de mars 1931. Il est vrai
que cette affaire ne fit pratiquement aucun bruit hors du
huis clos de l’armée. Pourtant, il s’agissait d’un complot
dans lequel étaient impliqués à la fois des officiers
« rénovateurs » occupant des postes importants au
ministère et à l’état-major (Koiso, Tatekawa, Nagata) et
des membres d’une société secrète, la Société de la fleur
de cerisier, qui représentait une faction radicale de
l’Armée de terre, mais aussi un groupe d’extrémistes
civils dans lequel on retrouve Ôkawa Shûmei. Leur but
était la constitution d’un gouvernement militaire qui
aurait eu le général Ugaki à sa tête. L’affaire se termina
sans que le plan ait été mis à exécution, comme
quelques mois plus tard l’affaire d’octobre, mais cela
n’empêcha pas que des projets similaires soient conçus
et mis à exécution en mai 1932 et février 193616. Il faut
donc absolument garder à l’esprit que, même si
l’incident de Mandchourie a incontestablement donné
une impulsion décisive au fascisme japonais, ce
mouvement fasciste radical n’est pas apparu subitement
après l’événement de septembre 1931.
Quant à la deuxième phase, qui va du lendemain de
l’incident de Mandchourie au 26 février 1936, je ne
pense pas qu’il y ait à expliquer pourquoi elle forme un
tout cohérent. L’énergie du fascisme radical qui s’était
accumulée au cours de la première phase explose alors,
sous la double pression de la panique économique qui
frappe l’ensemble du pays et des fortes tensions
internationales provoquées par les événements de
Mandchourie, de Shanghai (janvier-mai 1932) ou par le
retrait du Japon de la Société des Nations (1933). Sans
aucun doute, c’est à cette époque que le problème du
fascisme est devenu impossible à ignorer pour les
Japonais. C’est aussi la période la plus importante pour
nous, qui voulons réfléchir sur sa dynamique. La plupart
des documents que je citerai proviennent donc de cette
deuxième phase.
Les groupes extrémistes qui, durant toute la première
phase, avaient encore un caractère de curiosité,
révèlent brusquement une capacité à influer sur la
politique, à partir du moment où ils s’associent avec
l’armée, notamment avec les jeunes officiers. De ce
point de vue, c’est la formation du Comité national des
patriotes pour l’unité de lutte et celle du Parti de la
production du Grand Japon, en 1931, juste avant
l’incident de Mandchourie, qui marquent l’entrée dans
la deuxième phase. Alors qu’il n’y avait jusque-là que
des groupes dispersés, pour la première fois on voit
clairement une tendance à la constitution d’une force
politique unifiée. En même temps, le mouvement
fasciste perd son caractère de simple réaction vis-à-vis
des mouvements de gauche. Il apparaît désormais
comme un mouvement social en soi.
Je ne vais pas évoquer en détail l’histoire du Comité
national des patriotes. Il suffira de dire qu’il visait à
unifier toutes les mouvances que j’ai déjà mentionnées :
celles de la Société de la pratique terrestre, du Cercle
d’études politiques et le courant plus ancien de la
Gen.yôsha. Son existence fut brève mais son ambition
devait être reprise par la Société de Jinmu, qui vit le
jour l’année suivante, avec Ôkawa Shûmei à sa tête.
Grâce aux fonds apportés par un homme d’affaires du
Kansai, Ishihara Kôichirô, elle parvint à absorber un
grand nombre d’éléments isolés. Et comme elle reçut
aussi un soutien du côté de l’armée, tout cela lui permit
d’avoir la brillante carrière que vous savez.
Quant au Parti de la production du Grand Japon, il se
constitua autour de la Société du fleuve Amour, en
absorbant principalement des groupes de l’ouest du
pays. Par rapport aux groupes d’aventuriers un peu
flottants qui existaient jusque-là, l’évolution est
manifeste en ceci surtout qu’il comptait parmi ses
organisations des syndicats de travailleurs. De plus,
comme le montre l’affaire de la Shinpeitai, qui est due
pour l’essentiel à des hommes de ce groupe, il avait une
réelle capacité d’action.
Ce fascisme de la deuxième phase est celui qui,
relativement parlant, présente le plus nettement le
caractère d’un mouvement « venu d’en bas ». On
l’aperçoit dans le nom gauchisant de ce « Comité
national des patriotes pour l’unité de lutte », et plus
encore dans son programme, qui déclare sans détour :
« Nous voulons abattre le capitalisme pour établir la
souveraineté de l’industrie. » Celui du Parti de la
production, quant à lui, parle de « réorganiser de fond
en comble une économie capitaliste qui conduit le pays
à la ruine », de « faire administrer les organismes
financiers par l’État », de « garantir les droits des
ouvriers », d’« établir les droits de ceux qui travaillent la
terre ». Bien entendu, ces revendications et la
signification sociale de ces mouvements sont deux
choses tout à fait différentes. La signification de tels
programmes est exactement la même que dans les
premiers manifestes des Faisceaux de combat italiens
ou du Parti nazi, qui présentaient le même aspect
anticapitaliste. Mais ce qui en dit le plus long, je crois,
sur ce fascisme de la deuxième phase, c’est le fait que
ces proclamations, avec leurs formules si radicales,
disparaissent au cours de la troisième phase et qu’il n’en
est plus question, alors, même simplement au titre
d’éléments de programme.
Corrélativement, un autre phénomène remarquable
caractérise cette deuxième période. C’est l’apparition du
fascisme à l’intérieur des partis prolétariens, dont le
premier signe fut le mouvement « pour un social-
nationalisme » (kokka shakai shugi) d’Akamatsu
Katsumaro, qui vit le jour au sein du Parti social-
démocrate. Le courant mené par Akamatsu, avec Koike
Shirô ou Hirano Rikizô, devait bientôt quitter ce parti et
rompre avec les socio-démocrates (Katayama Tetsu,
Matsuoka Komakichi), en avril 1932, pour mettre sur
pied un comité d’où sortit le Parti social-nationaliste du
Japon. Dans le même temps, l’invasion de la
Mandchourie reçut l’approbation bruyante de gens du
Parti national des masses ouvrières et paysannes
comme Matsutani Yojirô. Et peu après, on vit de vieux
militants comme Aki Sakan ou Imamura Hitoshi quitter
ce même parti pour fonder le Parti social-nationaliste-
japonais avec Akamatsu et Hirano.
Parallèlement, et en légère opposition à ces derniers,
Shimonaka Yasaburô créait l’Alliance nationale du
nouveau Japon avec Sasai Itchô, Kondô Eizô, Amano
Tatsuo. Parmi les membres conseillers figuraient des
gens comme Gondô Seikyô ou Kanokogi Kazunobu.
Cette petite galerie de personnages raconte assez bien,
je crois, la confluence qui se produisit à cette époque
entre des courants issus du socialisme et des courants
purement droitiers.
Dans les partis prolétariens encore autorisés, les
éléments opposés à cette fascisation créèrent un front
commun en se rassemblant dans le Parti social des
masses, en juillet 1932, et adoptèrent la ligne des « trois
anti- » : anticapitalisme, antifascisme, anticommunisme.
Mais bientôt, à l’intérieur même de ce parti, un
rapprochement avec l’armée se dessina autour d’Asô
Hisashi et Kamei Kan.ichirô. Progressivement, donc, le
fascisme rongeait de l’intérieur les mouvements
prolétariens.
Le troisième phénomène de cette période auquel il
faut prêter attention est l’apparition de forces
composées principalement de militaires de réserve et de
bureaucrates. Je n’ai pas le temps non plus d’en parler
en détail mais, en ce qui concerne les militaires, le
groupe formé en 1932 autour du général Tanaka
Kunishige, la Société de l’éthique éclairée, est sans
doute le plus remarquable. Il fut très actif au moment de
l’affaire Minobe, ou affaire de la monarchie-organe
(1935). Pour la même raison, il est impossible d’ignorer
l’Association pour la Voie impériale, née en 1933 du
rapprochement de la faction du général Todoroki avec le
Syndicat des paysans du Japon dirigé par Hirano Rikizô.
Quant aux groupes formés autour de bureaucrates, il
faut à coup sûr mentionner l’Association pour les
principes nationaux, de Hiranuma Kiichirô, l’Académie
du faisan d’or, de Yasuoka Masahiro, et l’Association
pour la restauration nationale, formée par le courant dit
des « nouveaux bureaucrates ». Il ne s’agissait pas
vraiment d’organisations politiques au sens où elles
auraient eu par elles-mêmes une idéologie clairement
définie. Mais en regroupant des hommes qui occupaient
des positions éminentes, dans l’armée, dans la
bureaucratie ou dans le milieu des affaires, elles ont
renforcé les liens horizontaux à l’intérieur de la classe
dirigeante. C’est pourquoi elles ont indéniablement joué
un grand rôle en préparant la domination du fascisme
« par en haut » qui devait caractériser la troisième
phase.
Ainsi donc cette période aura vu la formidable montée
des groupes et organisations d’extrême droite. C’est de
là que viennent les auteurs des attentats de la Ligue du
sang ou des tentatives de coup d’État. Ils ont alors
concentré sur eux l’attention de la société, mais sans
parvenir, finalement, à se rassembler en un front unique
par lequel ils auraient acquis une véritable force
politique. « Comité national des patriotes pour l’unité de
lutte », « Comité d’union contre la crise nationale »
(1932), « Fédération pour la défense de l’État impérial »
(1932), « Comité national du Japon pour le social-
nationalisme » (1933), « Comité pour la coordination
des mouvements patriotiques » (1933), et d’autres
encore… L’union des groupes d’extrême droite fut
tentée à maintes reprises, jamais elle ne dura
longtemps. Malgré une situation objective des plus
favorables, ces mouvements n’ont cessé de s’entre-
déchirer, les scissions succédant invariablement aux
rapprochements. On peut dire que cette division reflète
l’opposition idéologique entre partisans d’un social-
nationalisme et purs nationalistes (ou « nipponistes »).
On peut y voir aussi l’expression d’une divergence
concernant la forme du mouvement, c’est-à-dire d’une
opposition entre les partisans d’une organisation de
masse et ceux qui voulaient s’en remettre à une élite fer
de lance. Je reviendrai sur cette question, car, comme je
l’expliquerai tout à l’heure, il me semble que la raison
profonde de cette situation est plus terre à terre.
La troisième phase va du 26 février à la fin de la guerre
du Pacifique. Vous me direz probablement qu’il s’agit
d’une période trop longue, vague et sans réelle unité. Il
est certain que lorsqu’on s’intéresse au fascisme comme
structure étatique, cette époque est la plus importante
et mérite donc d’être analysée plus finement. Le
déclenchement de la guerre avec la Chine (1937), de la
guerre en Europe (1939), le Pacte tripartite avec
l’Allemagne et l’Italie (1940), le traité nippo-soviétique
(1941), le début de la guerre du Pacifique (1941) :
chacun des événements internationaux qui ont
déterminé le destin du Japon a fait date aussi dans le
processus interne de fascisation du régime. Il va sans
dire également que le « Mouvement pour un nouveau
régime » de Konoe (mai-octobre 1940) ou les élections
« de soutien au Trône » de Tôjô (avril 1942) ont
constitué des moments très importants de ce même
processus. Toutefois, lorsqu’on s’attache au fascisme
comme mouvement, c’est bien le 26 février 1936 qui
forme la grande ligne de partage des eaux. Avec le
26 février, un point final fut mis au mouvement fasciste
radical « par en bas » et il est devenu clair, alors, que le
fascisme, au Japon, n’emprunterait pas la voie italienne
ou allemande d’une révolution ou d’un coup d’État.
Après le 26 février, on peut dire que le processus de
fascisation se poursuit, mais il se poursuit sous la forme
d’une reconfiguration à l’intérieur du régime existant.
Or, en dépit de tous les tâtonnements et revirements par
lesquels il a pu passer, ce processus consista pour
l’essentiel en un renforcement continu du pouvoir d’en
haut, c’est-à-dire du contrôle étatique.
On pourrait ici émettre une petite objection à propos
du Mouvement pour un nouveau régime, puisqu’il a
semblé vouloir donner à la nation, à la population d’en
bas, une nouvelle forme de représentation. Mais, en
réalité, il n’a offert cette apparence qu’à l’instant de sa
création et, comme vous le savez, il s’est
immédiatement heurté à la contre-attaque des forces en
place, qui l’ont transformé en cette chose
bureaucratique et sans contenu que fut l’Association de
soutien au Trône. C’est pourquoi, s’il est vrai que la
« dictature de Tôjô » a quasiment réduit à zéro la liberté
politique, et cela plus ouvertement qu’on ne l’avait
jamais vu, il n’est pas moins vrai que toutes les
conditions qui l’ont rendue possible étaient réunies
avant que Tôjô ne devienne chef du gouvernement, en
octobre 1941. Le développement du fascisme après
cette date ne montre qu’un progrès quantitatif, me
semble-t-il, et je ne vois pas vraiment de différence
qualitative avec les années antérieures17. Le souvenir
de la dictature de Tôjô est si vif et si présent dans nos
mémoires que nous sommes portés à en surestimer la
signification en tant que stade historique. À ne pas
mettre en garde contre ce risque, on laisserait les
masses perdre tout sens critique devant ces fascistes
patentés qui, depuis la fin de la guerre, tentent de se
faire passer pour des démocrates en arguant seulement
qu’ils étaient « contre Tôjô ».
Nous allons maintenant pouvoir entrer, enfin, dans
l’analyse du mouvement fasciste proprement dit. Je
commencerai par la superstructure, c’est-à-dire par les
spécificités idéologiques, après quoi je me pencherai sur
la question de ses vecteurs sociaux.

3. LES SPÉCIFICITÉS IDÉOLOGIQUES DU FASCISME


JAPONAIS

C’est au cours de la première et de la deuxième phase


que l’idéologie portée par le mouvement fasciste a été
exaltée en tant qu’idéologie et que ce mouvement a pu
se manifester en appelant à une rénovation dans tous les
domaines, politique, économique et culturel. Au cours
de la troisième phase, en effet, le fascisme a fait corps
avec l’appareil d’État réel, de sorte que le mouvement
lui-même ne pouvait plus y tenir le rôle central. Du
reste, la plupart des textes représentant le fascisme
japonais datent d’avant cette époque. C’est pourquoi ici
aussi, naturellement, je m’intéresserai surtout aux idées
mises en avant par le mouvement fasciste au cours des
deux premières phases.

THÈMES COMMUNS AUX FASCISMES JAPONAIS ET EUROPÉENS


Faute de temps, je n’évoquerai pas exhaustivement ni
en détail tous les éléments qui composent l’idéologie du
fascisme japonais et dont beaucoup, en fait, sont
communs à tous les fascismes du monde entier. Je
pense par exemple au rejet de la vision du monde
individualiste et libérale, au rejet du parlementarisme,
qui est l’expression politique du libéralisme, à
l’expansionnisme, au militarisme (la tendance, en
particulier, à faire l’apologie de la guerre pour elle-
même), à la mythologie de l’ethnie ou au thème de
l’essence nationale, à la négation des luttes de classes et
à l’antimarxisme qui caractérisent le totalitarisme. Tout
cela, en effet, on le retrouve dans les fascismes allemand
et italien. Il n’est donc pas vraiment nécessaire, je crois,
de développer chacun de ces points. Il y en a tout de
même un sur lequel j’aimerais insister, parce que c’est
un très grand point commun et qu’il se cache derrière
ceux que je viens d’énumérer. Je veux parler d’une
manière de raisonner commune à tous les fascismes
d’Orient et d’Occident. Voyons par exemple la manière
dont Ôkawa Shûmei critique le capitalisme et le
socialisme :
La guerre entre le capitalisme et le socialisme n’est pas un combat de
doctrines mais une simple dispute sur le champ d’application d’une
seule et même théorie. Alors que le capitalisme pur veut réserver la
propriété des richesses matérielles à un petit nombre d’hommes, la
classe des capitalistes, le socialisme se propose de les partager entre
tous les travailleurs : dans les deux cas, c’est la possession qui reste la
chose la plus précieuse. Les deux doctrines sont d’accord pour investir
l’économie et les biens matériels de la valeur suprême, et pour voir
dans les plaisirs matériels le véritable bonheur humain.

La Voie du Japon et des Japonais, 192618.

En conséquence :
On ne peut rien espérer de bon d’un renversement du système
capitaliste et de son remplacement par un système socialiste si l’on ne
réforme pas les idées qui donnent aux choses le primat sur les
personnes19.

Tel est donc, en gros, le sens de la critique : puisque


capitalisme et socialisme se fondent tous les deux sur le
matérialisme, le socialisme est nécessairement
impuissant à traiter les maux de la civilisation
contemporaine. Autrement dit, socialisme (ou
marxisme) et capitalisme sont du même tonneau. Cette
critique ressemble beaucoup à celle que formulent
presque unanimement les idéologues nazis et ceux du
fascisme italien. Or, en vérité, l’« idéalisme » ou le
« spiritualisme » que l’idéologie fasciste exalte contre le
matérialisme, vise à détourner l’attention des
contradictions inhérentes à la structure sociale. Au lieu
d’une transformation de la structure sociale dans la
réalité, on cherche à régler le problème en agissant
seulement sur les esprits, en modifiant la manière dont
les masses voient les choses. Voilà pourquoi le fascisme
a finalement rendu un grand service au capitalisme
monopoliste, en dépit du ton anticapitaliste qu’il pouvait
avoir à ses débuts.
Toutefois, puisque précisément cet aspect ne peut en
rien être considéré comme propre au fascisme japonais,
je ne m’y attarderai pas davantage ici. Nous laisserons
donc de côté les caractères généraux, pour nous
demander quels aspects idéologiques ont été
particulièrement mis en avant dans le cas du Japon. Je
voudrais en aborder deux ou trois.

LE FAMILIALISME
Pour commencer, on peut mentionner le familialisme.
Le modèle familial, en effet, a été exalté par le fascisme
japonais, qui a voulu en faire un principe structurant de
la nation. Le Japon y est toujours présenté comme une
organisation dont l’originalité fondamentale serait que

É
l’État y est une extension de la famille. En termes plus
concrets, cet État-famille est formé par la Maison
impériale, chef de famille, « maison-mère » de la nation,
et par ses « enfants » (akago). Il faut insister ici sur le
fait qu’il ne s’agissait pas d’une simple métaphore,
comme dans les théories organicistes de la société. C’est
bien plus au sens propre qu’on l’entendait. Il ne faut
donc pas y voir une idée abstraite. On présentait cela
comme une réalité historique, en affirmant que le Japon
avait conservé telle quelle depuis l’Antiquité la structure
d’une société constituée à partir d’un lignage unique. Il
y a là une spécificité idéologique particulièrement
importante du mouvement fasciste japonais.
Cette notion d’un État-famille et l’idée qui en découle,
d’après laquelle piété filiale et loyauté au souverain sont
une seule et même chose, n’étaient pas nouvelles,
puisque c’était l’idéologie officielle de l’État absolu
depuis l’ère Meiji. Le mouvement fasciste n’en avait
nullement le monopole20. En revanche, on ne voit pas
dans le fascisme allemand ou italien une insistance
comparable à celle avec laquelle le mouvement fasciste
japonais mettait ce thème en avant dans ses slogans et
son exaltation de l’État impérial. Les illustrations en
sont innombrables, mais voici par exemple ce
qu’écrivait Tsuda Kôzô, secrétaire général de la Ligue de
l’autonomie rurale :
Dans les pays civilisés d’Occident, la société repose sur l’affirmation des
droits individuels. Il en va autrement du familialisme japonais, qui
repose essentiellement sur un sens du service envers le tout de la
famille. Du point de vue social, en effet, la famille est chez nous un
corps vivant, une unité de vie indépendante. Elle constitue en elle-
même une cellule parfaite, l’individu n’étant qu’une partie ou un
élément de cette cellule parfaite. […] L’extension de ce familialisme est
le but auquel doit tendre notre État, car il ne peut avoir d’autre principe
que l’unité ethnique des familles. Le chef de cet État, en tant qu’unité
ethnique, son chef de famille, son centre, son représentant général,
c’est l’Empereur.
Situation actuelle du fascisme japonais, 1933.
Il est vrai que l’importance donnée ici au familialisme
s’explique par l’idéologie localiste et agrarienne, dont je
reparlerai plus loin, de cette Ligue de l’autonomie
rurale. Cependant, même Kita Ikki, pourtant le plus
centraliste parmi les idéologues fascistes, et le plus
influencé par le nationalisme européen, écrit dans son
Plan de rénovation du Japon que le Japon est « une
grande famille organique et indivisible ». Il y a donc bien
là un trait commun à l’ensemble du fascisme japonais.
Certes, on trouvera dans le nazisme quelque chose de
similaire avec la notion de Volksgemeinschaft, c’est-à-
dire de communauté ethnique. Mais on ne voit
absolument pas, dans le cas allemand, qu’il s’agisse
d’une simple extension du principe de la famille. Même
le thème du « sang et [du] sol » (Blut und Boden) n’a
rien de familialiste. Il est clair que ce qu’on cherchait à
désigner par là, c’est l’idée d’un ordre public et
politique. Hitler était perçu non pas comme un chef de
famille ou un patriarche, mais comme un dirigeant
public (öffentlich). Ainsi, la prégnance du familialisme
constitue bel et bien une spécificité du fascisme
japonais, si importante qu’elle a déterminé la manière
dont le fascisme s’est inscrit dans l’espace politique et
son refus de mettre en cause l’État impérial. Il y a là, j’y
reviendrai, une des explications du fait qu’au Japon le
fascisme comme mouvement venu d’en bas ait
finalement échoué.
J’aurais voulu aller plus loin dans l’examen de cet
aspect, mais je dois m’en tenir là puisqu’il me reste
beaucoup d’autres choses à vous dire.

L’AGRARISME
La deuxième spécificité remarquable dans l’idéologie
du fascisme japonais, c’est la place fortement
prédominante que l’agrarisme y occupe. Ceci a d’ailleurs
eu pour effet que la tendance naturelle du fascisme à
renforcer le pouvoir de l’État, à exercer un contrôle
étroit sur tous les domaines, industrie, culture, idées, au
moyen d’un pouvoir d’État centralisé, a été contrariée
par un mouvement inverse en faveur de l’autonomie des
provinces et des campagnes, visant à limiter la
croissance des industries urbaines. Sur ce point encore,
le fascisme du Japon est tout à fait original.
Ôkawa Shûmei, par exemple, dans le programme de la
Société de la pratique terrestre, qu’il avait créée après
sa rupture avec Kita Ikki, écrit que « l’adoration de
l’Occident et la détestable habitude qu’on a prise de
l’imiter ont inspiré une orientation capitaliste donnant
la priorité à l’industrie et au commerce, à laquelle il faut
absolument mettre fin pour fonder l’économie nationale
sur l’agriculture » ; ou encore, qu’il faut « décentraliser
le gouvernement, donner plus d’autonomie aux
provinces et réduire le pouvoir de la Diète, renforcer les
campagnes pour endiguer l’excès d’urbanisation ». Je
rappelle qu’Ôkawa faisait pourtant partie de ceux qui,
au sein de l’extrême droite, étaient fortement imprégnés
de culture occidentale. Il « sentait le beurre », comme
on disait.
D’un côté, donc, on veut renforcer le pouvoir
absolutiste de l’État centré sur l’empereur, et en même
temps, d’un autre côté, il y a une tendance tout aussi
forte et inhérente, à se représenter le Japon comme un
ensemble de provinces plutôt que comme un État. Sur
ce point, l’extrême droite est divisée, entre ceux qui
veulent favoriser un développement industriel rapide,
régulé par l’État, et les purs agrariens, totalement
opposés à ce programme, qui veulent au contraire
donner la priorité aux campagnes. Mais dans beaucoup
de groupes, en réalité, les deux tendances coexistent et
s’entremêlent. Le meilleur représentant du
régionalisme pur est certainement Gondô Seikyô,
devenu célèbre du jour au lendemain avec l’affaire du
15 mai. C’est lui qui, dans les années 1932-1933,
théorisa l’idée que, face à la crise économique, les
campagnes devaient s’organiser elles-mêmes. La vision
développée dans ses ouvrages, Manuel populaire
d’autonomie administrative (1927) et Traité d’auto-
assistance pour les campagnes (1932), est
intégralement régionaliste. Elle est même anti-étatique.
Depuis les temps anciens, il existe deux orientations dans la manière
dont les pays sont gouvernés. Suivant la première, les peuples se
gouvernent eux-mêmes et le souverain donne seulement le modèle des
bienséances et des rites. Il se contente d’exercer sur eux une bonne
influence. Suivant la seconde, le souverain prend en charge toutes les
affaires et gouverne dans tous les domaines. On peut parler de
municipalisme (jichi shugi) à propos de la première, et d’étatisme
(kokka shugi) à propos de la seconde. À sa fondation, notre pays était
inspiré par la première orientation, qui formait aussi l’idéal de tous les
sages de l’Antiquité orientale.
Manuel populaire d’autonomie administrative, tome 2, leçon 2.
Qu’est-ce que l’étatisme ? Un certain groupe, ayant délimité son
territoire, se défend contre les incursions économiques et militaires des
autres pays, ou bien cherche à contrôler d’autres territoires au moyen
des forces économiques et militaires dont il dispose sur son territoire.
Afin d’accroître le prestige de cet État, on fait du peuple un moyen, on
s’en sert comme d’une machine à produire des ressources financières
pour l’État. Toutes les organisations sont mises au service du
gouvernement, qui impose au peuple son ordre et ses règles propres.
Ses agents occupent tous une position privilégiée, ses dirigeants
détiennent une autorité immense. L’esprit de sacrifice est mis au
pinacle des vertus et l’on étouffe toute expression intellectuelle (Ibid.).

Immolées depuis l’ère Meiji sur l’autel de ce


centralisme étatique, les campagnes, que la dépression a
entraînées au fond du gouffre, sont maintenant
exsangues :
Dans l’incertitude et l’angoisse de la situation actuelle, les campagnes
connaissent une incertitude et une angoisse plus profondes encore. Les
campagnes sont le fondement de notre pays, elles sont la source de nos
coutumes. Les paysans représentent la moitié de notre population. Ce
sont eux qui exploitent l’essentiel du sol national. Non seulement
l’essentiel de nos ressources alimentaires, mais la plupart des
ressources industrielles et des marchandises dont vit le commerce
proviennent du travail paysan.
Traité d’auto-assistance pour les campagnes.
Or, poursuivait-il,
l’expansion démesurée de Tokyo et des grandes villes régionales écrase
les campagnes. De grandes et magnifiques demeures toujours plus
somptueuses s’y dressent, quand partout les revenus ne couvrent plus
les besoins, quand la plupart sont au comble du désespoir : de quoi cela
est-il annonciateur ? […] Considérons la situation actuelle des pouvoirs
locaux, la dérive des partis politiques, la moralité des fonctionnaires
civils et militaires, et comparons attentivement avec ce qu’il en était
autrefois. Nous voyons clairement que c’est l’impasse du modèle
étatiste et bureaucratique prussien qui a engendré toutes ces anomalies
(Ibid.).

J’ai voulu citer un peu longuement cet auteur parce


que c’est chez lui que sont le plus clairement
représentées les tendances anti-bureaucratique, anti-
citadine et anti-industrielle de l’agrarisme régionaliste21.
L’État idéal, fondé sur les villages, que Gondô Seikyô
oppose à cet étatisme prussien, c’est une structure
hiérarchique qui serait formée au contraire à partir du
bas. Voilà pourquoi il oppose le concept de « terroir »
(shashoku) à celui de « pays » (kuni). On peut même
sentir chez lui une sorte d’« anarchisme rural », par
exemple dans l’extrait suivant :
Si le monde entier devenait le territoire du Japon, alors le concept
d’État japonais deviendrait inutile. Mais celui de terroir demeurerait
nécessaire. Le mot d’État ne peut s’employer que lorsqu’un pays
coexiste avec d’autres pays. C’est une tache de couleur sur la carte du
monde. Il en va autrement des terroirs, qui répondent aux besoins de la
coexistence des individus. Ce sont d’abord des groupes de villages, puis
des régions, des villes, qui forment la structure des pays […]. Que tous
les pays abattent entièrement leurs frontières, le concept de terroir n’en
perdra pas sa valeur pour autant. Il la conservera aussi longtemps que
l’humanité existera.
Manuel populaire d’autonomie administrative.

Il s’agit là de l’agrarisme dans sa version la plus pure,


mais on retrouve à des degrés divers toutes ces
tendances (anti-citadine, anti-industrielle, anti-
centraliste) dans l’ensemble du fascisme japonais. Or, en
vérité, elles n’ont pas cessé d’être présentes dans le
courant nationaliste depuis l’ère Meiji. Dès qu’est
apparu au Japon le premier mouvement « de
préservation du génie national », dans les années 20 de
l’ère Meiji (1887-1896), c’est-à-dire dès le nipponisme
du groupe de Shiga Shigetaka et Miyake Setsurei, on a
vu défendre exactement les mêmes idées. Voici par
exemple ce qu’écrivait Shiga dans la revue Nihonjin, à
l’adresse du Premier ministre Kuroda Kiyotaka :
De votre gouvernement, je souhaite seulement ceci : que la politique du
pays soit orientée vers la préservation du génie national. […] Je ne
doute pas que vous soyez conscient de ces réalités, et cependant
j’aimerais que lors de vos vacances, ou lorsque vous aurez quitté vos
fonctions actuelles, s’il vous arrive d’aller chasser dans la nature, un
chien à vos côtés, vous descendiez du train à Hasuda ou à Koga, et que
vous preniez le temps d’y observer la détresse des gens de ces régions.
Que ressentirez-vous donc ? Toute la richesse et toutes les capacités du
Japon se concentrent à Tokyo, dont la prospérité ne cesse de croître
tandis que les provinces tombent toujours plus bas dans l’indigence.
C’est désormais le Japon qui appartient à Tokyo, et non plus Tokyo qui
appartient au Japon. […] Utsunomiya ou Fukushima, ces villes abritant
la préfecture de leur département sont maintenant de petites Tokyo, où
l’on dirait que toute la richesse et toutes les capacités de leurs régions
sont aspirées. […] Si le Japon doit bientôt se réduire effectivement à la
capitale et à quelques dizaines de petites Tokyo, si l’on en élimine les
campagnes, alors ce ne sera plus le Japon […] Tokyo s’enrichit à
proportion que les campagnes déclinent ! C’est quand le peuple des
régions tout entier s’enrichit que le pays s’enrichit, et c’est quand le
pays s’enrichit que son armée devient forte. Vouloir enrichir le pays en
asséchant les ressources des campagnes, c’est prendre la fleur pour le
fruit. Vouloir une armée forte sans que le pays s’enrichisse d’abord,
c’est mettre la charrue avant les bœufs.
Nihonjin, mai 1888.

Les nipponistes dénonçaient un développement


privilégiant le centre au détriment des provinces. Ils
s’en prenaient à l’étatisme, au modèle prussien qui était
celui du gouvernement des clans, et demandaient que
l’on favorise au contraire les campagnes pour accroître
les forces économiques de l’ensemble du pays.
L’« occidentalisme » qu’ils rejetaient, en vérité, c’était la
marche forcée vers le capitalisme imposée d’en haut par
le pouvoir d’État. Mais je voudrais attirer votre attention
sur le fait que l’argumentation que l’on trouve chez
Gondô Seikyô correspond mot pour mot à ce discours
nipponiste du milieu de l’ère Meiji. Le développement
capitaliste au Japon, dès l’origine, a sacrifié le secteur
agricole et s’est effectué principalement autour d’un
grand capital lié à l’État et constamment favorisé par
celui-ci, de sorte que le développement industriel a lui
aussi toujours eu, et de manière flagrante, un caractère
boiteux. C’est pourquoi les courants d’idées qui, depuis
l’ère Meiji, ont représenté les intérêts des provinces
laissées de côté par le développement accéléré du
centre, ont toujours pris la forme de réactions contre
une modernisation conduite par le haut. Il me semble
important de souligner que le discours fasciste s’inscrit
dans cette lignée. Je crois qu’il serait également
intéressant de la comparer avec les Narodniks russes.
Bien entendu, cette tendance agrarienne a pris toutes
sortes de nuances parmi les mouvements d’extrême
droite. C’est probablement dans le Plan de rénovation
du Japon de Kita Ikki qu’elle était la plus faible, tandis
que la tendance au centralisme et au renforcement du
pouvoir de l’État y était au contraire la plus marquée.
On y trouve en effet le discours centraliste sous sa
forme la plus pure, puisque Kita prônait une vigoureuse
transformation du gouvernement et de l’économie au
moyen d’un pouvoir impérial renforcé. Je ne vais pas
entrer dans le détail de ses propositions, mais voici
néanmoins les grandes lignes du coup d’État et de la
politique qu’il voulait faire entreprendre par un
gouvernement de rénovation : mobilisation de la
souveraineté impériale pour suspendre la Constitution
et dissoudre les assemblées ; plafonnement des fortunes
individuelles à un million de yens, confiscation par
l’État de tous les dépassements de ce plafond ;
plafonnement aussi de la propriété foncière à une valeur
totale de 100 000 yens ; nationalisation des entreprises
au capital supérieur à 10 millions de yens, pour les
placer sous le contrôle et la gestion de différents
ministères (ministère des Banques, de la Marine, des
Mines, de l’Agriculture, de l’Industrie, du Commerce,
des Chemins de fer, et autres). Nulle part ailleurs le
socialisme étatique et centraliste ne va aussi loin. Mais
justement, on peut dire que parmi ces courants, le
discours de Kita a quelque chose d’exceptionnel. Chez
Tachibana Kôzaburô, dont les idées, avec celles de
Gondô Seikyô, sont très présentes chez les auteurs de la
tentative de coup d’État du 15 mai, on lit par exemple :
Il est bien connu que le Japon, aujourd’hui, « appartient à Tokyo »,
pour le dire platement. À mes yeux, d’ailleurs, Tokyo elle-même n’est
hélas qu’une succursale de Londres, la capitale mondiale. On ne peut
en tout cas nier cette réalité que Tokyo écrase et broie les campagnes
au fur et à mesure de son anormale expansion. Jamais les paysans n’ont
été plus ignorés, jamais l’importance des campagnes n’a été oubliée à ce
point.
Principes de la rénovation patriotique du Japon, 1932.

Tout comme Gondô, Tachibana se montre très hostile


à l’égard de la capitale et des villes. Voici en quels
termes il faisait l’éloge de la vie attachée à la terre :
Le monde humain est éternel tant que les hommes vivent avec la clarté
du soleil au-dessus d’eux, tant que leurs pieds ne s’éloignent pas de la
glèbe. Le monde humain reste dans la paix aussi longtemps que
peuvent s’embrasser les frères nés sur le même sol (dôshi dôhô). […]
Le travail de la terre n’est-il pas le premier appui de l’existence
humaine ? […] « Détruisez la terre, vous détruisez tout », a-t-on dit
avec raison. […] C’est en se fondant sur l’agriculture qu’un pays assure
sa pérennité. Cette grande vérité s’applique notamment au Japon. Non
plus aujourd’hui qu’hier ni dans l’avenir, le Japon ne saurait exister s’il
tournait le dos à la terre (Ibid.).

Il y a quelque chose de tolstoïen dans cet éloge de la


vie aux champs. Bien sûr, la position de Tachibana n’est
pas aussi radicale que celle de Gondô. Son anti-
urbanisme, son rejet du négoce et de l’industrie ne
l’empêchent pas d’approuver, par exemple, la
mécanisation d’un secteur comme celui du bois :
Je ne crois absolument pas qu’il faille refuser la mécanisation de la
filière bois ou le développement des grandes sociétés de commerce. Je
dis seulement que les secteurs de la grande industrie mécanisée doivent
être dirigés et orientés d’après un objectif plus vaste qui est la
construction d’un nouveau Japon, d’une société fondée sur l’autonomie
municipale, la coopération nationale et les principes de l’économie
sociale. Je dis seulement qu’il ne faut pas tomber dans l’erreur funeste
consistant à croire que l’on puisse bâtir la société nouvelle de nos
vœux, que l’on puisse ériger la civilisation nouvelle de nos espoirs et
provoquer un grand tournant dans l’histoire du monde, en étendant
aveuglément la grande industrie mécanisée et en développant sans
mesure ses capacités de production afin de lui donner une dimension
internationale (Ibid.).

Le dernier point fait allusion au socialisme, dans sa


version marxiste. La société idéale que propose
Tachibana doit reposer au contraire sur des
« organisations autonomes de coopération nationale
inspirées par les antiques principes du juste
gouvernement ». Il s’agit de contrôler l’industrie au
moyen d’organisations communautaires très largement
décentralisées. On pourrait donc dire que c’est un
compromis entre le modèle de Kita Ikki et celui de
Gondô Seikyô. Or la recherche de tels compromis est
typique du fascisme. C’est elle qui donne aux idées
fascistes leur caractère absolument illogique et leurs airs
d’utopie.
Le programme du Parti de la production du Grand
Japon nous en fournit un excellent exemple :
La reconstruction socialiste consiste à établir une organisation
centralisée de type socialiste par la négation de l’organisation
centralisée capitaliste. Les deux types d’organisation diffèrent quant à
leurs principes bien qu’elles ne diffèrent pas quant au caractère
centralisé du pouvoir. C’est pourquoi nous sommes convaincus que les
mesures prônées par le Parti de la production du Grand Japon réalisent
pleinement le principe démocratique. L’administration des gouvernés
par eux-mêmes, en effet, ne signifie pas que l’État central doive perdre
tout pouvoir. Sa nécessité est reconnue, mais on ne lui donne pas une
forme telle que ce pouvoir central puisse exercer un contrôle absolu.
Telle est, en sa subtilité (sic), la véritable démocratie. […] Le Parti de la
production du Grand Japon, en outre, refuse catégoriquement le régime
économique anarcho-libéral. […] C’est pourquoi, tout en nous fondant
sur le principe d’administration des gouvernés par eux-mêmes, nous
admettons aussi la nécessité d’un pouvoir d’État centralisé, dans la
mesure où il n’entre pas en contradiction avec ce principe.
Le Front de la reconstruction, n° 8, 1932.

On comprend… tout en se demandant si on a


vraiment compris. À cet égard, je crois qu’il y a là
quelque chose de typique du fascisme japonais. Je veux
dire qu’il existe une tendance commune à tous les
fascismes du monde, un même désir que l’on retrouve
partout, de renforcer la centralisation du pouvoir et le
contrôle étatique, mais qui, dans le cas japonais, a été
infléchi par l’idéologie agrarienne, ce qui lui donne cette
physionomie contrariée. Par ailleurs, il ne faudrait pas
oublier que cette prédominance de l’agrarisme dans le
fascisme japonais n’est pas seulement l’effet d’une
idéalisation romantique de la terre. Elle a aussi un
fondement socio-économique tout à fait réel.
En effet, comme je l’ai dit tout à l’heure, le mouvement
fasciste a connu au Japon une radicalisation brutale à
partir des années 1930-1931. Or la cause sociale la plus
déterminante de cette radicalisation, c’est la crise
mondiale qui a éclaté en 1929, et qui au Japon s’est
déchaînée avec une extrême violence, en touchant
notamment l’agriculture. Il est naturel que la crise qui a
frappé alors le capitalisme japonais ait eu les effets les
plus lourds dans le secteur structurellement le plus
faible qu’était le secteur agricole. En 1930, lors de la
« famine des grandes récoltes », les cours du riz à terme
étaient tombés jusqu’à 16 yens au mois d’octobre. En
juin de la même année, les cours de la soie grège étaient
tombés à 670 yens, soit le cours le plus bas qu’on ait vu
depuis 1897. La détresse indicible des paysans du Nord-
est, qui s’étalait alors chaque jour dans la presse, a laissé
dans nos mémoires un souvenir qui aujourd’hui encore
n’en est pas effacé. Il est presque inutile de rappeler que
la rapide montée du fascisme et les attentats terroristes
qui se sont succédé à partir de 1930, se produisirent
d’abord et avant tout dans le contexte de cette situation
dramatique des campagnes.
Ainsi Onuma Shô, membre de la Ligue du sang et
auteur du premier des deux attentats commis par celle-
ci, déclara-t-il aux enquêteurs qu’il avait assassiné Inoue
Junnosuke « parce qu’[il] ne supportai[t] plus de voir la
misère des campagnes et qu’il en tenai[t] pour
responsable l’ancien ministre des Finances » (Tokyo
Asahi shinbun, 10 février 1932). Ou bien, à propos de la
tentative de coup d’État du 15 mai, le réquisitoire final
explique que les accusés « considèrent que la classe
dominante actuelle est corrompue et dépravée, que les
partis politiques, les groupes financiers et une partie de
la classe privilégiée sont de connivence, qu’ils ne
songent plus qu’à leurs profits, leurs intérêts privés et
leurs politiques de partis, qu’ils ne se soucient plus de la
défense nationale, qu’ils désorganisent le gouvernement
et ruinent le prestige du Japon, qu’ils provoquent la
décadence de l’esprit national, l’épuisement des
campagnes, la misère des petits et moyens
entrepreneurs […] ». Le premier problème qu’ils
mentionnent, avant toute autre chose, c’est la situation
dramatique des campagnes. Qu’il y ait eu là le principal
mobile de la radicalisation chez les « jeunes officiers »
de l’Armée de terre, on le comprend facilement quand
on sait que beaucoup d’entre eux étaient issus de la
petite et moyenne propriété foncière ou de familles
d’exploitants individuels ; ou bien quand on sait que
ceux qui composaient « la fleur de l’armée impériale »,
comme on les appelait, venaient de familles paysannes,
notamment du Nord-est. Accusé au procès de l’affaire du
15 mai, l’officier de l’Armée de terre Gotô Akinori y a
déclaré :
La misère des campagnes est une souffrance pour tout homme de cœur,
comme celle des pêcheurs, comme celle des petits et moyens
entrepreneurs. […] Au sein de l’armée, les paysans-soldats sont de la
meilleure étoffe, et les paysans-soldats du Nord-est sont le modèle de
l’Armée impériale22. […] Il est très dangereux que les hommes du corps
expéditionnaire, alors qu’ils risquent leur vie pour la patrie, soient en
proie à l’angoisse de savoir leurs parents dans la famine. Les cartels
financiers (zaibatsu) regorgent de richesses mais ils ne pensent qu’à
leurs profits et se moquent de la détresse du Nord-est. Là-bas, les petits
enfants vont à l’école le ventre creux, les familles n’ont à manger que
des pommes de terre pourries. J’ai pensé que laisser passer un jour de
plus sans rien faire pour changer quelque chose à cette situation, c’était
exposer un jour de plus l’armée du pays à un grand danger.

Ces lignes montrent assez bien quel était l’arrière-plan


social du fascisme radical. Comme l’avait dit un jour fort
justement Tokutomi Sohô, les campagnes constituaient
en quelque sorte « le bastion électoral de l’Armée ».
Leur détresse donna une impulsion décisive à
l’intervention de l’armée dans la politique.
Cette forte prépondérance de l’agrarisme dans
l’idéologie du fascisme japonais entrait pourtant de
manière évidente en contradiction avec d’autres
revendications concrètes, en particulier avec celles qui
visaient à réorienter l’économie nationale autour de
l’industrie d’armement afin d’augmenter les capacités de
production militaire. Ainsi l’idéologie agrarienne
apparaît-elle de plus en plus comme une illusion à
mesure que le fascisme descend du ciel des idées vers le
sol des réalités. Tel fut le destin tragique de l’idéologie
des forces d’extrême droite, notamment celles de
l’armée. En mai 1936, lors de la 69e session de la Diète,
le député Muramatsu Hisayoshi posa cette question :
Du point de vue des nécessités de la défense nationale, entendue au
sens large, il va sans dire qu’une solution doit être apportée rapidement
à la crise que connaissent les campagnes. […] Nous sommes
naturellement prêts à approuver une augmentation des dépenses
militaires exigée par une situation d’urgence, dans toute la mesure où
une telle augmentation est nécessaire. Nous avons d’ailleurs toujours
approuvé cette politique. Cependant, la question est aujourd’hui de
savoir quels effets ont ces mesures. Étant donné la nature de ses
besoins, l’armée fait appel surtout à l’industrie lourde. C’est donc vers
les grandes entreprises que l’on oriente le flux des dépenses, faisant
ainsi prospérer l’industrie militaire. Il en résulte une croissance
déséquilibrée, qui ne profite qu’aux grandes villes et aux grandes
entreprises, où vont se concentrer la richesse et le capital. Aujourd’hui,
alors qu’il est à prévoir que les dépenses liées à la défense nationale ne
cesseront d’augmenter, nous devons admettre cette réalité que les
dépenses militaires concentrent la richesse dans les villes. Si nous ne
faisons rien pour corriger cet effet, alors, j’en suis convaincu, nous
verrons s’aggraver la contradiction : l’accroissement des dépenses
militaires épuisera les campagnes et, par conséquent, mettra la défense
du pays en péril. L’Armée est-elle consciente du fait que les dépenses
militaires favorisent la concentration de la richesse dans les villes ? Si
oui, de quelle manière entend-elle remédier à ce problème qui
concerne la défense nationale au sens large ? À ces questions, je
souhaiterais que nous puissions avoir des réponses précises et
concrètes.

Voici ce que lui répondit le général Terauchi, ministre


de l’Armée de terre :
En ce qui concerne la crise des campagnes, considérée du point de vue
de la défense nationale au sens large, l’Armée en est préoccupée au plus
haut point. […] Il est vrai que, étant donné la localisation actuelle des
bases militaires, étant donné aussi la localisation des usines fournissant
l’armée, l’effet des dépenses militaires tend à se concentrer dans les
villes. Compte tenu de l’état actuel du développement de l’industrie, je
pense qu’il y a là quelque chose d’inévitable. Cependant, par la
manière dont elle affecte son budget, l’Armée s’efforce aussi de secourir
les campagnes en crise ou de soutenir les petites et moyennes
entreprises, et cela quitte à devoir supporter toutes sortes
d’inconvénients qui peuvent en résulter. [Italiques de Maruyama.]

Réponse embarrassée au possible ! Du reste, les vœux


que formaient les militaires ne cessèrent d’être
contredits par la réalité. À mesure que les industries
militaires se développaient, le fardeau en fut supporté
toujours davantage par les campagnes. Or l’armée ne
pouvait pas non plus écarter de sa vue les effets concrets
de ce problème, ni ceux qui résultaient de la ponction
terrible exercée sur ces campagnes pourvoyeuses
d’excellents soldats. L’angoisse provoquée par cette
contradiction impossible à dissimuler s’observe jusque
dans les années Tôjô (1941-1944). En 1943, c’est-à-dire
bien au-delà de notre période, lors d’une session de la
commission parlementaire chargée d’examiner le projet
de loi spéciale sur l’extension du pouvoir exécutif pour
le temps de guerre, le député Hata Bushirô demanda si
les usines d’armement n’exposaient pas les campagnes à
un grand péril en prélevant comme elles le faisaient sur
la main-d’œuvre rurale, et l’on vit encore Tôjô lui faire
cette réponse :
Je suis sincèrement très préoccupé par ce problème. D’un côté, je
souhaite empêcher à tout prix que la population rurale ne tombe au-
dessous de quatre dixièmes de la population totale. Je suis de ceux qui
pensent que le pays repose sur l’agriculture et que les campagnes sont
la partie la plus essentielle du pays. Toutefois, d’un autre côté,
l’importance prise par la guerre entraîne une extension de l’industrie
[…]. Il est particulièrement malaisé de concilier ces deux exigences. Je
souhaite néanmoins que nous respections coûte que coûte l’objectif de
quatre dixièmes. […] Cependant, il faut augmenter la production. Nous
concilierons au fur et à mesure. Je pense que nous devons concilier
adéquatement les deux exigences, c’est-à-dire en veillant à ne pas
endommager le système familial japonais. Il est certain que nous n’y
parvenons pas aujourd’hui de manière satisfaisante. Il nous faut
accroître rapidement la production industrielle, ce qui suppose de
construire un peu partout dans le pays des usines de grande taille, pour
lesquelles nous avons besoin d’une main-d’œuvre qui puisse être
affectée spécialement à ces usines et que nous sommes donc obligés de
soustraire à l’agriculture. Les effets qui en résultent nous éloignent de
notre idéal, mais cela ne veut pas dire qu’il n’existe aucun moyen de
concilier progressivement les deux exigences. Je suis convaincu qu’il
existe une solution japonaise à ce problème.

Réponse désespérée, qui résume bien la contradiction


entre les données structurelles du capitalisme japonais
et l’impératif absolu d’accroître la production pour
poursuivre la guerre. Elle exprime aussi de façon
concentrée le tourment et l’anxiété d’une classe
dirigeante qui aurait voulu protéger le système familial
traditionnel des régions sur lesquelles elle s’appuyait
contre les effets ravageurs inouïs de la guerre totale.
Ceci concerne bien entendu le système agricole
japonais et sa capacité de production, mais ce qu’il faut
comprendre surtout ici, c’est que le processus
historique a impitoyablement réduit l’idéologie
agrarienne à une illusion, et que le seul rôle que celle-ci
aura finalement joué fut négatif, puisque tandis que la
réalité s’éloignait de l’idéal, les rêves agrariens avaient
toutefois pour effet d’empêcher les mesures par
lesquelles on aurait du moins pu soulager la condition
des ouvriers d’usine. Ce point est particulièrement
important. On peut même penser qu’il y a là une
différence essentielle entre le fascisme japonais et le
nazisme.
Il est vrai que les nazis attachaient beaucoup
d’importance à la paysannerie, comme le montre leur
slogan « le sang et le sol » (Blut und Boden), et qu’ils
s’efforcèrent de fixer les paysans sur leurs terres au
moyen de la Loi sur l’hérédité des exploitations
agricoles (Reichserbhofgesetz) du 29 septembre 1933.
Cependant, le nom même de leur parti, « Parti national-
socialiste des travailleurs allemands », rappelle que
c’est bien davantage à la classe ouvrière qu’ils
consacrèrent leurs efforts, afin de l’arracher à l’influence
des partis socialiste et communiste pour la rallier à eux.
S’il y a eu dès l’origine une composante paysanne dans
le mouvement national-socialiste, il fut en revanche
beaucoup plus difficile de séduire les ouvriers. Or les
nazis se sont donné énormément de mal pour gagner
leur soutien, en les intégrant dans le fameux Front du
travail (Arbeitsfront) et par des mesures destinées à les
amadouer, comme l’organisation des loisirs dans le Kraft
durch Freude.
Mais dans l’idéologie du fascisme japonais, les ouvriers
furent toujours bien moins pris en considération que les
petits entrepreneurs ou les paysans. Cela est vrai même
dans le fascisme radical des débuts, c’est-à-dire lorsque
le caractère de mouvement venu d’en bas était le plus
marqué. L’acte d’accusation des hommes du 15 mai, que
j’ai déjà cité, ne parle que de « la misère des paysans »
et de « la détresse des petits et moyens entrepreneurs »,
sans faire allusion aux ouvriers. On le voit aussi dans la
fameuse brochure publiée en octobre 1934 par l’Armée
de terre, Principes de la défense nationale et
propositions pour la renforcer, où s’exprime
typiquement l’idéologie qui était celle de l’armée au
cours de la deuxième période du fascisme japonais :
« Dans l’état actuel de la nation, le plus grave problème
auquel il faut sans délai remédier est celui des régions
vivant de l’agriculture, de la pêche ou des forêts23. »
Tout le problème y est en effet abordé à partir de l’idée
d’un « antagonisme des villes et des campagnes ».
Je ne veux pas dire, bien entendu, que les auteurs que
je viens de citer auraient omis intentionnellement de
parler des ouvriers. Il ne fait aucun doute que lorsqu’ils
évoquaient les conséquences sociales des problèmes
économiques, ils pensaient naturellement aussi aux
ouvriers. Mais le fait qu’aucun, absolument aucun, ne
les mentionne jamais à côté des paysans et des petites
ou moyennes entreprises, nous révèle assurément
combien peu de place occupait le prolétariat dans leurs
représentations. Un manuscrit rédigé en prison par le
capitaine Muranaka Kôji (un des organisateurs du 26
février) contient cette phrase : « Il faut comprendre que
la Restauration de Shôwa ne se produira que lorsque les
forces armées, paysannes et ouvrières écraseront les
factions de l’armée et les bureaucrates » (« Notes d’un
cœur sincère »). Il s’agit d’un exemple rare d’inclusion
explicite des ouvriers dans les acteurs du changement
espéré. Même là, toutefois, ils ne sont cités qu’en
dernière position.
Ce qui était déjà vrai dans l’idéologie fasciste se
manifesta encore plus crûment dans la politique du
régime. Il est assez bien connu que, durant la guerre, les
mesures sociales prises en faveur des ouvriers furent
très limitées et qu’on ne peut absolument pas les
comparer à celles du régime nazi. Il faut insister ici sur
le fait qu’à propos des ouvriers, un pessimisme profond
habitait, et habita jusqu’au bout, les dirigeants du
régime japonais, qui ne croyaient pas à la possibilité
d’améliorations physiques ou morales pour les ouvriers.
Dans la même commission parlementaire sur
l’extension du pouvoir exécutif que j’ai déjà évoquée
tout à l’heure, le député du Parti social des masses
Kawakami Jôtarô fit l’intervention suivante :
Je ne conteste pas que les campagnes fournissent d’excellents soldats,
mais à propos des usines, s’il est vrai que celles-ci au contraire ne
peuvent en fournir, s’il y a là un point faible, alors il faut y apporter une
solution. […] Par le passé, villes et campagnes ont vécu dans une
hostilité réciproque, mais il faut que cela cesse et que les unes et les
autres puissent fournir à l’armée de bons soldats. C’est ainsi, me
semble-t-il, que le problème doit être abordé.

Tôjô lui fit une réponse assez longue, dans laquelle il


disait notamment ceci :
Si les villes fournissaient de bons soldats comme les campagnes, sans
doute les choses seraient-elles alors pour le mieux. Mais j’ai le regret de
dire qu’en l’état actuel, les garçons des villes ne valent pas ceux de la
campagne, ni au physique ni à quelque point de vue que ce soit.
J’imagine qu’on m’en voudra de ces paroles, mais c’est une réalité : les
garçons de la campagne sont plus solides, psychologiquement et sur
tous les plans. Le fait me paraît indiscutable. Et je crois que ceux qui
travaillent dans les usines du pays, au contraire, sont pour le moment
impropres à être enrôlés dans l’armée. […] Vous affirmez que l’on doit
tout mettre en œuvre pour corriger cette situation afin de mettre villes
et campagnes à égalité. Bien entendu, c’est aussi ce que je souhaiterais.
La situation, hélas, est aujourd’hui très loin, réellement très loin, de cet
idéal.

Une vision uniformément négative des ouvriers de


l’industrie sous-tend la réponse de Tôjô. Or on voit ici
que c’est bien l’idéologie agrarienne qui empêchait toute
perception des ouvriers qui ne soit pas dépréciative.
Cette vision s’est traduite en pratique dans le traitement
des conscrits ouvriers, dont la solde était
remarquablement inférieure et les baraquements
beaucoup moins bien pourvus, sans pourtant que cela
suscite autre chose que de l’indifférence. À l’absence de
zèle et aux dépravations massives qui très vite en ont
résulté parmi les conscrits, on a répondu par une
combinaison de rigueur punitive et de discours
d’exhortation purement idéalistes.
La différence avec le fascisme allemand apparaît très
concrètement lorsque l’on compare l’Association
patriotique de l’industrie et son « mouvement
d’encouragement à la production » avec le Kraft durch
Freude des nazis24. Naturellement, ce n’est pas que les
nazis auraient reconnu aux ouvriers une liberté ou une
forme d’autonomie. En leur permettant d’avoir une
voiture, en leur permettant de partir en vacances une
fois par an, ils ne cherchaient pas tant à faire le bonheur
des ouvriers qu’à détourner leur attention de
l’oppression qu’ils exerçaient par ailleurs. Mais le fait est
que ce souci de la classe ouvrière et toutes les mesures
sociales destinées à améliorer sa condition n’ont aucun
équivalent dans le fascisme japonais. Et même s’il est
vrai que cela tient aussi à l’écart des niveaux
d’accumulation du capital entre les deux pays, le point
le plus important, c’est qu’il n’y avait dans le cas
japonais aucun début d’attention pour les ouvriers,
aucun regret de ne pouvoir améliorer leur situation, et
qu’on regardait comme allant de soi l’infériorité du
traitement qui leur était réservé. Autrement dit, il y
avait bien là un effet concret de l’idéologie agrarienne25.
Celle-ci, bien sûr, n’est pas seule en cause. En
profondeur, c’est la différence entre les forces
auxquelles était parvenu le prolétariat dans les deux
pays qui explique cette différence de traitement. Le
degré auquel un régime fasciste ménage les apparences
démocratiques est largement déterminé par
l’importance que les idées démocratiques ont prise
auparavant dans le pays en question. Or, dans le cas de
l’Allemagne, il est parfaitement clair que la révolution de
novembre 1918 et le baptême républicain qu’avait
constitué le régime de Weimar expliquent certaines
différences cruciales avec le Japon.

LE PANASIATISME
Je n’entrerai pas en détail dans l’examen de la
troisième spécificité idéologique du fascisme japonais, à
savoir ce qu’on appelle le « panasiatisme » (dai ajia
shugi). Ce thème et l’ambition qui en dépendait de
libérer les peuples de l’Asie orientale en mettant fin à
l’oppression européenne, existaient depuis l’époque du
Mouvement pour la liberté et les droits du peuple, mais
le fait est qu’ils ont largement irrigué le fascisme
japonais. L’idée de libération des peuples asiatiques, en
même temps, est inextricablement entrelacée à la
volonté d’instaurer en Asie une hégémonie japonaise,
qui prenne la place de l’impérialisme européen. Il suffit
de voir comment l’on est passé du thème de la
« communauté d’Asie orientale » (Tôa kyôdôtai) à celui
d’« ordre nouveau en Asie orientale » (Tôa shin
chitsujo) au début de la guerre avec la Chine. En
devenant le premier pays à constituer un État moderne
en Orient, le Japon s’est trouvé historiquement en
position de stopper ce que Marx appelait « la poussée
vers l’Est des Européens ». C’est pourquoi l’idée de
libération de l’Asie a toujours été mêlée à ses projets
d’expansion sur le continent. Au fil du temps, bien sûr,
cette idée a de plus en plus servi à maquiller une guerre
essentiellement impérialiste. Pourtant, il suffit
d’observer ce qui se passe aujourd’hui en Birmanie ou
en Indonésie pour comprendre que cette question reste
d’actualité et qu’il vaut la peine d’y réfléchir
sérieusement puisqu’elle continuera de se poser dans
l’avenir26.

4. SPÉCIFICITÉS DES ORGANISATIONS FASCISTES AU JAPON


Telles sont donc, me semble-t-il, les principales
spécificités idéologiques que l’on peut repérer dans le
fascisme japonais quand on le compare au nazisme et au
fascisme italien. Je voudrais maintenant essayer de
mettre en évidence des spécificités d’un autre ordre, qui
concernent cette fois la forme des mouvements eux-
mêmes. À cet égard, ce qu’on remarque d’emblée, c’est
que les forces de l’extrême droite « civile », c’est-à-dire
É
celles qui sont apparues hors de l’appareil d’État, ne se
sont pas développées seulement par leurs propres
moyens. En vérité, elles n’ont pu commencer à peser
réellement sur la politique du pays, au cours de la
deuxième phase de leur histoire, qu’une fois qu’elles
furent entrées en relation avec des éléments de l’armée
et de la bureaucratie. La différence est ici frappante
avec le nazisme et le fascisme italien, car s’il est vrai
que ceux-ci ont pu recevoir un soutien de la part de
l’armée, dans leurs pays respectifs, il est frappant que ce
soit essentiellement depuis l’extérieur de l’appareil
d’État, en mobilisant des forces qui n’en provenaient
pas, qu’ils se sont emparés de cet appareil d’État. Mais je
reviendrai plus loin sur ce point, quand je parlerai de la
manière dont le fascisme s’est développé historiquement
au Japon (voir infra, 6. Des mouvements fascistes à
l’État fasciste).
Pour le moment, je voudrais m’attacher à ce qu’il y a
d’original dans la forme des mouvements fascistes
« radicaux » tels qu’ils apparaissent au cours de la
deuxième phase de leur histoire. Je veux parler
notamment du fait que les animateurs de ces
mouvements n’ont jamais disposé d’organisations de
masse, qu’ils n’ont même jamais montré d’intérêt pour
l’encadrement des masses, et qu’ils ont toujours et
jusqu’au bout préféré agir au sein de petits groupes de
« patriotes ardents et dévoués ». Ce goût de l’héroïsme
qui caractérise les mouvements fascistes au Japon est
en effet ce qui les a toujours empêchés de se
transformer en organisations de masse. Tachibana
Kôzaburô, par exemple, écrivait en 1932 :
Ce que j’affirme hautement, et que je demande à chacun de graver dans
son esprit, c’est ce fait capital que la rénovation nationale et sociale ne
pourra être inaugurée que par un groupe d’hommes entièrement
dévoués à leur pays, capables de servir la Volonté céleste en sauvant le
pays et le relevant. […] Il va sans dire que de tels hommes, qui
sacrifient leur vie pour ouvrir la voie à une grande cause, ne peuvent
jamais se rencontrer en grand nombre. Néanmoins, les patriotes
capables d’accomplir la Volonté céleste si celle-ci les désigne, se
trouvent dans toutes les couches de la société.
Ceux qui appellent une rénovation doivent avant tout se préparer à
faire don de leur personne à la nation. La rénovation patriotique ne
peut être conduite que par un groupe d’hommes qui feront le sacrifice
de leur vie pour sauver la nation. C’est à eux seuls qu’obéira la masse
du peuple. […] Dans la situation actuelle du Japon, c’est d’abord parmi
vous, militaires, et nulle part ailleurs, que l’on trouvera de tels
hommes. Et ce sont d’abord les paysans qui répondront à votre appel.
[…] Voilà pourquoi je dois vous demander de réfléchir mûrement et de
vous armer d’une résolution de fer. [Italiques de Maruyama.]
Principes de la rénovation patriotique du Japon.

Tachibana excitait ainsi l’ardeur héroïque des


militaires, chez qui la « passion des distances », comme
l’appelle Nietzsche, était déjà fortement développée.
Inspiré par de telles idées, il était naturel que le
mouvement prenne la forme de petits groupes idéalistes,
sans chercher à organiser les masses ni même à les
mobiliser, ce qu’il faut rapprocher de cette autre
caractéristique des mouvements fascistes japonais, à
savoir leur incroyable utopisme, leur irréalisme et leur
absence de plan d’action. Une sorte de mythologie
optimiste, en effet, a constamment dominé les
mouvements fascistes radicaux : que les patriotes les
plus ardents donnent le branle par des actions violentes,
il s’ensuivrait naturellement ce qui devait suivre… Dans
les attendus de la sentence d’Inoue Nisshô, le
personnage central de la Ligue du sang, on peut lire ce
passage où sont résumées ses idées : « Le renversement
de l’ancien système est une destruction, c’est-à-dire une
négation. L’établissement d’un nouveau système est une
création, c’est-à-dire une affirmation. Il ne peut y avoir
construction sans destruction. La négation, lorsqu’on la
pousse à son intensité maximale, devient l’affirmation
authentique. C’est pourquoi destruction et création sont
une seule et même chose. » Inoue lui-même a déclaré
lors du procès : « Il vaudrait mieux dire, je crois, que je
n’ai pas de pensée au sens de système de pensée. J’agis
absolument d’après des intuitions qui transcendent la
raison. » Il précisa même avoir consciemment refusé de
théoriser la construction qui devait suivre la destruction
dont il voulait se charger.
Dans la tentative de coup d’État du 15 mai 1932, qui
fut la première action violente relativement organisée
du fascisme radical, on voit que le soulèvement lui-
même avait fait l’objet d’une préparation très élaborée.
Le premier groupe de la Marine, lors de la phase initiale,
devait d’abord investir la résidence du Premier ministre
et celle du comte Makino (gardien du Sceau privé), puis
faire instaurer la loi martiale par l’amiral Tôgô. Le
deuxième groupe devait d’abord attaquer le Club de
l’industrie avant de se rendre à la résidence du Premier
ministre et charger Gondô Seikyô de conduire une
réforme de l’État. Le troisième groupe devait attaquer
les sièges des partis Seiyûkai et Minseitô, puis libérer les
membres de la Ligue du sang qui étaient alors en prison.
Un soin minutieux avait donc été apporté à la
préparation du coup. Mais quant au contenu de la
réforme annoncée, il semble que rien de concret n’ait
été prévu si ce n’est de porter Gondô à la tête de
l’entreprise. L’enseigne de vaisseau Koga Kiyoshi
expliqua lors du procès :
Nous souhaitions avant tout détruire quelque chose. Nous n’avons pas
pensé que nous aurions ensuite un rôle de construction. Nous pensions
qu’il nous suffirait de détruire, car nous escomptions que quelqu’un
d’autre se chargerait de construire. C’est pourquoi nous n’avions à
l’esprit aucune théorie particulière. Nous avions seulement prévu de
commencer par instaurer la loi martiale et mettre en place un
gouvernement militaire. […] En décembre 1930, quand feu le
commandant Fujii [Hitoshi] et moi-même nous sommes rendus à
Kumamoto pour y rencontrer le général Araki, celui-ci nous a dit que
l’âme du Yamato devait rétablir la destinée nationale. Il nous a inspiré
confiance et respect. Puis, en 1932, des hommes proches du général
Araki ont été nommés à des postes importants comme la direction de la
Police militaire ou celle de la Surveillance de Tokyo27. Nous étions
convaincus que, si nous parvenions à faire instaurer la loi martiale, un
gouvernement serait établi avec le général à sa tête, qui entreprendrait
des réformes.
Higashi Asahi shinbun, 26 juillet 1933, édition du soir.

Nous n’aurions qu’à détruire, après quoi quelqu’un se


chargerait bien de construire : voilà tout le programme,
qui n’allait pas donc plus loin que la formation d’un
gouvernement militaire.
Encore y avait-il des divergences parmi les conjurés,
entre les éléments de l’Armée de terre et les éléments de
la Marine, puisque ceux de l’Armée de terre n’allaient
même pas jusqu’à envisager la loi martiale et le
gouvernement militaire que prévoyaient ceux de la
Marine. L’élève-officier Ishizeki Sakae déclara par
exemple : « Ceux de la Marine avaient prévu
l’instauration de la loi martiale, mais quant à nous, nous
voulions seulement périr les armes à la main. Nous ne
pensions pas que les choses se termineraient de la façon
que prévoyait la Marine. » Autrement dit, le degré
d’idéalisme était encore plus élevé du côté de l’Armée.
On retrouve quelque chose de similaire dans la tentative
de coup d’État de la Shinpeitai (juillet 1933). Parmi les
organisateurs figurent notamment Amano Tatsuo et
Maeda Torao, du Parti patriotique du travail, ainsi que
Kageyama Masaharu et Suzuki Zen.ichi, du Parti de la
production du grand Japon, mais des militaires
également y participèrent, notamment le lieutenant-
colonel Yasuda Tetsunosuke, de l’Armée de terre, et
Yamaguchi Saburô, officier instructeur de l’aéronavale.
Comme on sait, le coup fut déjoué avant même d’être
mis à exécution. Or voici ce qui était prévu dans le plan
initial : le 7 juillet à 11 heures du matin, 3 600 hommes
devaient être mobilisés. Chargé de la partie aérienne,
Yamaguchi devait faire bombarder la résidence du
Premier ministre, celle du comte Makino et la
Préfecture de police. Les avions devaient également
lâcher des manifestes sur la ville avant de se poser
devant le Palais impérial et rejoindre les troupes au sol
au moment où celles-ci attaqueraient la Préfecture de
police. Les troupes au sol étaient réparties en plusieurs
groupes. Un premier groupe devait attaquer la résidence
du Premier ministre avec des armes de poing et des
sabres pour tuer les ministres ayant survécu au
bombardement. Un autre groupe devait faire la même
chose à la résidence du comte Makino, un autre devait
assassiner les présidents des partis Seiyûkai et Minseitô,
un autre devait attaquer le siège du Club des industriels,
un autre celui du Parti social des masses, un autre
encore devait pénétrer dans les armureries de la ville
pour y rafler les armes et la poudre. Le gros des troupes
devait d’abord attaquer la Préfecture de police, après
quoi il devait occuper la Banque industrielle du Japon,
s’y retrancher et en faire un centre de propagande, et
enfin périr en combattant les forces de police de toute la
ville. On peut dire qu’il s’agissait d’un plan très élaboré.
Et pourtant il se terminait par la mort au combat de
ceux qui devaient le réaliser. Il est tout à fait frappant
que le soin apporté à la préparation n’ait concerné que
la phase purement militaire de l’entreprise.
J’en arrive enfin au 26 février 1936, qui fut
assurément, dans l’histoire du fascisme radical au
Japon, la tentative de coup d’État la plus importante, à
la fois par son ampleur, sa préparation et son
exceptionnel degré d’organisation. D’après l’acte
d’accusation et les attendus du verdict, il semble que
l’entreprise ait eu pour objectif la réalisation du plan de
réformes exposé dans le livre de Kita Ikki, mais les
officiers impliqués ont été unanimes à nier ce point.
Muranaka Kôji, par exemple, a déclaré :
Pour nous, la « Restauration » dont nous parlions devait être avant tout
une révolution spirituelle de la nation. Nous étions convaincus que la
reconstruction matérielle ne pourrait venir qu’en conséquence d’un
changement dans l’esprit.
Comment mes camarades et moi aurions-nous pu faire ce que nous
avons fait par ambition politique ? Comment des patriotes auraient-ils
pu désirer la réalisation d’un plan de réformes qu’ils auraient conçu
selon leur fantaisie personnelle ?

« Est-il absurde, se demande-t-il ensuite, de détruire


sans avoir pensé à ce que l’on voudrait construire ? » Sa
réponse nous ramène à la même « logique » que nous
avons déjà rencontrée chez Inoue Nisshô :
Qu’est-ce que construire ? Qu’est-ce que détruire ? […] Détruire un
mal, n’est-ce pas ouvrir la voie au Juste ? Ce sont les deux faces d’un
seul et même acte. Restaurer, c’est abattre le mal.

Plusieurs des accusés du 26 février ont cité cette


phrase tirée d’un poème de Fujita Tôko (1806-1855),
pour expliquer ce qu’ils visaient par leur soulèvement :
Une fois que la Justice a été remise en lumière, lorsque les esprits ont
été débarrassés de l’erreur, la Voie impériale ne peut manquer de se
relever.

Par ailleurs, ils n’avaient pas de mots assez durs pour


parler des projets de gouvernement militaire ou de
réforme de l’État, comme il en existait dans les projets
de mars et d’octobre 1931, ou bien à propos du style
hitlérien de Nagata, Tôjô et la faction du Contrôle, ou
bien encore à propos du régime nazi, toutes choses
qu’ils tenaient pour contraires à l’esprit de patriotes
œuvrant pour une Restauration authentique28. Tel fut le
fascisme radical au Japon : chimérique et idéaliste. Rien
ne le montre mieux que ce putsch du 26 février 1936,
qui ne mobilisa pas moins de 1 600 hommes et se
termina sans autre résultat que d’avoir tranché les têtes
de quelques vieillards. Là aussi, la différence avec le
nazisme est frappante. L’idéologie des fascistes japonais
demeurait profondément marquée par ce médiévisme
qui inspirait déjà certains activistes de la fin du
shôgunat comme Kumoi Tatsuo, et qui se refléta, donc,
dans leurs modes d’action29.
Contrairement au nazisme, le fascisme japonais a
rejeté la démocratie en tant que telle. Les nazis
rejetaient la démocratie weimarienne, mais non pas la
démocratie en général. Ils se posaient en défenseurs
d’une démocratie authentique et allemande, contre la
ploutocratie juive qu’ils dénonçaient dans la démocratie
de Weimar ou dans la démocratie anglo-saxonne.
Naturellement, cette manière de présenter les choses ne
faisait que « déguiser en démocratie la justification
d’une dictature », comme l’a résumé le professeur
Miyazawa. Pourtant, la nécessité même d’un tel
déguisement montre que l’idéal démocratique était déjà
enraciné profondément dans la nation allemande. Hitler
se voulait absolument républicain et ennemi du
monarchisme pour lequel tenait encore une partie des
Junkers. Dans Mein Kampf, il distingue nettement le
patriotisme dynastique du patriotisme fondé sur l’amour
des ancêtres et du peuple. Il se moque de ceux qui
adorent le pouvoir d’État pour lui-même en comparant
cette adoration à la fidélité des chiens pour leurs
maîtres. « L’État existe pour l’homme, non l’homme
pour l’État », écrit-il. Mais pour que cette conception de
l’État aille de soi, il faut d’abord que la révolution
bourgeoise ait eu lieu. Voilà pourquoi le mouvement
nazi a eu d’emblée un caractère de masse. « L’idéologie
magnifique du pangermanisme a échoué faute de s’être
donné une organisation de masse », trouve-t-on encore
dans Mein Kampf. Et c’est bien en organisant les masses
et en s’appuyant sur cette organisation que le nazisme
s’est emparé du pouvoir, tandis que les mouvements
fascistes japonais n’ont jamais été autre chose que de
petits groupes d’activistes, ardents mais chimériques,
idéalistes et sans programme.
Tel est le caractère le plus frappant du fascisme
japonais lorsque l’on considère la forme de ses
organisations. Il est bien certain que l’élitisme et la
mythologie héroïque se rencontrent peu ou prou dans
tous les fascismes, mais la différence de degré est ici
tellement importante qu’elle constitue en réalité une
différence de nature.
5. SOCIOLOGIE DU FASCISME JAPONAIS
J’en arrive à une question un peu différente, puisque je
voudrais maintenant analyser le fascisme japonais du
point de vue sociologique. On sait que l’armée et la
bureaucratie en ont été des forces motrices, mais ce
n’est pas exactement cet aspect du problème que je
propose ici d’envisager. Je voudrais plutôt montrer, dans
une perspective plus large, quelles couches de la société
japonaise ont apporté leur soutien au fascisme et
favorisé son développement.
Partout, c’est la petite bourgeoisie qui a constitué la
base sociale des mouvements fascistes. En Italie et en
Allemagne, il s’agissait typiquement d’un mouvement de
classes moyennes. La majeure partie des professions
intellectuelles, même si bien sûr il y eut des exceptions,
a fait partie des soutiens du fascisme italien et du
nazisme. Au Japon aussi, on peut dire en gros que c’est
la classe moyenne qui a porté le mouvement fasciste. Je
pense toutefois qu’une analyse plus approfondie est
nécessaire. Dans le cas japonais, en effet, il faut
distinguer deux types au sein de la classe moyenne, ou
petite bourgeoisie. Dans le premier groupe, il faut ranger
les patrons de la petite industrie, et tous ceux qui
dirigent des usines d’intérêt local ou des ateliers, ceux
du bâtiment qui embauchent des ouvriers pour des
durées limitées, les petits commerçants, les maîtres
charpentiers, les petits propriétaires terriens et la frange
supérieure des propriétaires exploitants, les
enseignants, notamment du primaire et du primaire
supérieur30, les fonctionnaires municipaux de province,
mais aussi tous les fonctionnaires de rang inférieur,
moines bouddhistes et prêtres shintô. Au second type se
rattachent les employés salariés des grandes villes, les
professions dites culturelles, les journalistes, les
professions libérales et intellectuelles (professeurs,
avocats) et les étudiants. Le cas des étudiants, à vrai
dire, est assez délicat, puisqu’on en trouve dans les deux
groupes, mais vous qui m’écoutez, par exemple, vous
faites partie du second. Quoi qu’il en soit, lorsque l’on
parle du fascisme, il est important de bien distinguer ces
deux types de classes moyennes.
Dans notre pays, c’est le premier groupe qui a
constitué la base sociale du fascisme. Si l’on parle de
« professions intellectuelles » à propos du second
groupe, alors il faudrait parler de « professions pseudo-
intellectuelles », ou de « professions para-
intellectuelles » à propos du premier. Or ce sont ces
professions para-intellectuelles qui font entendre la soi-
disant « voix de la nation ». Le second groupe, auquel
nous appartenons tous ici, est resté jusqu’au bout
clairement antifasciste, sans aucun doute. Même si ceux
qui l’ont exprimé ouvertement furent assez peu
nombreux, et même si beaucoup se sont adaptés au
fascisme et ont fini par suivre le mouvement, cela ne
veut pas dire qu’ils en aient été des promoteurs ou des
partisans actifs. Dans l’ensemble, c’est plutôt un
sentiment d’aversion qui a dominé parmi ce groupe,
dont le comportement vis-à-vis du fascisme me paraît
même relever de la résistance passive31. Il y a là un
trait tout à fait caractéristique du cas japonais. Les
organisations de l’Association de soutien au Trône ne
sont jamais parvenues à gagner les employés urbains. La
vogue de ce qu’on a appelé le « culturalisme » (bunka
shugi) pendant les années de guerre, s’apparentait à une
forme de résistance passive au fascisme de la part des
couches intellectuelles du second groupe. En Allemagne
et en Italie, au contraire, la classe des intellectuels a
tenu haut la bannière du fascisme. Il est bien connu que
les étudiants des universités, en particulier, ont eu là un
rôle très important. Peut-on en dire autant à propos du
Japon ? Bien entendu, certains étudiants ont pris part à
des mouvements d’extrême droite, mais du point de vue
culturel, il s’agissait plutôt d’étudiants appartenant au
premier groupe dont j’ai parlé (au Japon, comme vous le
savez, le terme « étudiant » sert de manière un peu
étrange à désigner des réalités très différentes). Les
étudiants relevant des catégories intellectuelles au sens
propre du terme, c’est-à-dire appartenant au deuxième
groupe, ceux-là ne se sont jamais impliqués dans les
mouvements fascistes. Ils ne s’y sont jamais impliqués,
en tout cas, au même degré qu’ils l’avaient été dans le
tourbillon des mouvements sociaux et du marxisme au
cours des années 1920. Même ici, à l’Université de
Tokyo, on a pu voir pendant un temps des associations
qui ressemblaient beaucoup aux mouvements
d’étudiants nazis. Mais justement, alors même que la
situation objective leur était si favorable, elles n’ont pris
aucune ampleur et n’ont rencontré qu’indifférence ou
froideur chez la majorité des étudiants.
Parmi les raisons qui expliquent cette attitude, il y a le
fait que les professions intellectuelles, par leur
formation, étaient de culture européenne.
Contrairement à ce qui s’est passé en Allemagne, on n’a
rien trouvé dans la culture japonaise traditionnelle qui
permette de les aspirer dans le mouvement. En
Allemagne, pour invoquer la quintessence nationale, on
pouvait encenser Bach, Beethoven, Gœthe, Schiller,
c’est-à-dire des figures qui faisaient partie aussi de la
culture des professions intellectuelles. Rien de tel n’était
possible au Japon, où la culture européenne demeurait
un savoir mental, un savoir appris par l’esprit, pour ainsi
dire plaqué, et non pas quelque chose d’enraciné dans la
chair ou les émotions de la vie quotidienne. D’un côté,
donc, le courage intellectuel faisait défaut qui aurait été
nécessaire pour défendre hardiment les droits de la
subjectivité individuelle contre le fascisme. Mais en
même temps, la culture européenne avait aussi cette
vertu d’immuniser totalement contre la médiocrité
culturelle du mouvement fasciste. La disjonction entre
les corps et les esprits, s’ajoutant à la dispersion et à
l’isolement qui sont généralement le lot des
intellectuels, condamna ainsi les intellectuels japonais à
vivre dans l’impuissance et la neutralité.
L’autre groupe des classes moyennes, en revanche, le
premier groupe dont j’ai parlé tout à l’heure, qui
constituait véritablement la colonne vertébrale de la
société, a joué un rôle infiniment plus actif. En outre,
ses représentants occupaient des positions dirigeantes
sur les lieux de travail, dans le commerce, dans les
administrations, les syndicats agricoles, les écoles et
dans les petits groupements de toutes sortes qui existent
en province. La structure patriarcale de la société
japonaise donne à ces gens une autorité personnelle sur
leurs subordonnés, qui composent les divers milieux en
question (employés de magasins, petites mains des
services, ouvriers d’usine, artisans, manœuvres,
personnels administratifs, métayers). Par conséquent,
ce sont eux qui exercent le véritable contrôle sur les
« masses », sur les idées et les mentalités.
Si l’on considère la structure socio-politique du Japon
dans son ensemble, il est clair que ces gens
appartiennent aux dominés. Leurs niveaux de revenu ne
sont pas tellement élevés, ni leurs modes de vie très
différents de ceux de leurs subalternes. Cependant
chacun d’eux, à l’intérieur de son microcosme, est
incontestablement un dominant et détient une autorité
qui fait de lui une sorte de petit empereur, un
oppresseur minuscule et, si j’ose dire, tout à fait
adorable. C’est donc dans cette couche que l’on trouve
les résistances les plus farouches à toute tendance
progressiste, à toute tendance des masses à exercer leur
droit de s’exprimer socialement ou politiquement et
donc à s’organiser elles-mêmes. Ce qu’il importe de bien
voir, c’est que, du point de vue de leur mode de vie, ils
sont très proches de ceux qui subissent leur autorité, et
que c’est cette proximité qui leur permet d’avoir une
influence directe sur les masses. Le contrôle de l’État ou
l’endoctrinement idéologique doivent nécessairement
passer par eux pour pouvoir s’exercer. C’est par eux que
les messages de la classe dominante sont en quelque
sorte traduits pour atteindre les masses qui composent
les couches les plus inférieures de la société. En aucun
cas ils n’atteignent directement celles-ci. La médiation
de tout ce premier groupe des classes moyennes est
donc indispensable.
Par ailleurs, ces « patrons » (oyakata), ces « maîtres »
(shujin) qui occupent des positions de responsabilité
dans les associations de quartier ou de village, dans les
syndicats agricoles, dans les associations religieuses, les
patronages de jeunesse, les sections locales de-
l’Association des réservistes, positions qui font d’eux les
relais de l’opinion publique locale, laquelle fermente
précisément dans ces lieux. Même le gouvernement le
plus despotique, nous dit Hume, est fondé sur
l’opinion32. Sans aucun doute, même le gouvernement
le plus despotique ne peut exister sans un minimum de
coopération volontaire de la part des gouvernés. Dans le
Japon militariste, on peut dire que ce sont les membres
du premier groupe des classes moyennes qui ont joué le
rôle consistant à garantir ce minimum de coopération
nécessaire de la part des gouvernés. Car c’est bien là
que se trouve l’opinion qui influence effectivement la
société. Elle ne se trouve sûrement pas dans les
éditoriaux des quotidiens ou dans les dissertations que
publient les revues. Si au Japon les opinions exprimées
dans la presse sont aussi loin du sentiment de la
population, c’est parce que les journalistes
appartiennent presque tous à la seconde catégorie des
classes moyennes et qu’ils surestiment l’opinion de cette
catégorie au détriment de l’autre33.
Voyez l’affaire Minobe, par exemple, qui faillit
entraîner la chute du gouvernement Okada en 1935, et
qui constitua une étape très importante dans le
processus de fascisation. Ce qui a donné à cette crise
socio-politique l’ampleur qu’elle a prise, c’est l’opinion
des classes moyennes de la première catégorie. La thèse
de Minobe avait fait l’objet d’une discussion à la
Chambre des pairs, mais c’est ensuite seulement que la
crise a éclaté, quand l’Association des réservistes s’en
est emparée et a suscité un mouvement de protestation
dans tout le pays. Le gouvernement, bien entendu, et
même l’état-major militaire, ne voulaient considérer la
thèse de Minobe que comme le point de vue d’un savant.
La preuve en est que, lors du débat qui eut lieu à la
Chambre des pairs, le ministre de la Marine, l’amiral
Ôsumi, avait simplement répondu : « La dignité sans
pareille de notre État impérial me paraît presque
interdire qu’on en fasse même un sujet de discussion.
Cependant, je tiens à préciser que je n’exprime ici que
ma conviction personnelle, sans me prononcer sur
aucune thèse particulière relative à la Constitution. »
Quant au ministre de l’Armée, le général Hayashi, il
affirma que « la thèse du professeur Minobe, bien que
prêchée depuis de nombreuses années, n’avait exercé
aucune mauvaise influence sur l’armée. » Autrement dit,
la Marine et l’Armée ne se souciaient guère de Minobe ni
de sa thèse34. La crise n’a éclaté que parce que le parti
Seiyûkai a exploité l’affaire, y voyant un moyen de
renverser le cabinet en place, et s’est mis à faire chœur
avec Minoda et les fascistes qui réclamaient à grands
cris que l’État impérial soit « clarifié », c’est-à-dire
purgé35. Mais la protestation s’est étendue socialement
parce qu’elle a été relayée par l’Association des
réservistes dans tout le pays. Or il s’agissait d’une thèse
parfaitement acceptée non seulement chez les juristes
et les gens les plus cultivés, mais même par les hauts
fonctionnaires et les magistrats. Cette thèse qui
appartenait depuis longtemps au sens commun a donc
été perçue dans la société comme une idée absolument
intolérable et contraire au sens commun. Aucune
affaire, je crois, n’a révélé aussi crûment le fossé
culturel qui séparait les classes intellectuelles du reste
de la population.
Je dirais que le rôle joué par la première catégorie des
classes moyennes ressemble à celui des sous-officiers
dans l’armée. Les sous-officiers font partie des simples
soldats mais ils se considèrent comme des officiers.
L’armée japonaise a été assez habile pour tirer parti de
cette manière dont les sous-officiers se situent
symboliquement. Cela lui a permis de mieux contrôler
les soldats, car les sous-officiers vivent avec les soldats.
Ce sont eux qui les encadrent, en pratique, alors que les
officiers ne se mêlent pas des « affaires de service ». Un
chef de compagnie, s’il veut avoir en main sa
compagnie, doit donc « tenir » ses sous-officiers. Il en va
de même avec les classes moyennes du premier groupe :
il faut les tenir si l’on veut contrôler les masses.
L’orientation de la politique japonaise dépend ainsi des
forces qui parviennent à enrôler les maîtres des
microcosmes locaux. De plus, il faut bien avoir à l’esprit
qu’en termes de savoirs et de culture, la distance est
considérable entre la première catégorie de classes
moyennes et celle des professions intellectuelles au sens
strict.
J’ignore ce qu’il en est dans d’autres pays, mais il me
semble qu’il y a davantage de continuité entre les deux
groupes en Angleterre, aux États-Unis ou même en
Allemagne, et que l’on touche ici à une spécificité
japonaise. En tout cas, s’il est certain qu’au Japon l’écart
est immense entre les deux classes moyennes, le
premier type est en revanche dans une proximité
culturelle évidente avec les masses laborieuses que
constituent leurs subordonnés. Ils ont une connaissance
charnelle de leur langage, de leur éthique et de leurs
affects, qui leur permet de saisir la psychologie des
masses bien mieux que ne peuvent le faire les membres
des professions intellectuelles. Il faut encore ajouter que
les membres de ce que j’ai appelé les professions
« pseudo- » ou « para-intellectuelles » s’incluent eux-
mêmes à part entière dans les professions
intellectuelles. Et de fait ils savent des choses. Ils les ont
apprises par ouï-dire et ne les connaissent que
superficiellement, peut-être, mais cela leur suffit du
moins pour être capable d’avoir une opinion sur la
politique, sur la société, sur l’économie, et c’est par là
que, dans leur milieu local, ils se distinguent de la foule
des gens ordinaires. Nous avons tous l’occasion d’en
rencontrer, chez le coiffeur, aux bains publics, dans le
train, qui discourent à la cantonade sur l’inflation ou les
relations russo-américaines. Ce sont eux, les pseudo-
intellectuels dont je parlais. Quand on les interroge sur
leur métier, on s’aperçoit qu’ils appartiennent presque
toujours au premier groupe des classes moyennes.
Dans notre pays, le second groupe des classes
moyennes est au contraire isolé intellectuellement et
culturellement des autres couches de la société. Cet
isolement est symbolisé par nos revues « généralistes »,
par cette appellation étrange de « littérature pure », ou
encore par ce qu’on appelle parfois « la culture
Iwanami », toutes choses qui sont fondées précisément
sur la fermeture du monde intellectuel. Aux États-Unis,
des revues comme Time ou Newsweek contiennent
aussi bien des articles sur des sujets très populaires que
des analyses politiques et économiques de haute tenue.
Pourquoi de telles revues sont-elles impossibles au
Japon ? Le problème est que s’il existe bien une culture
Iwanami, les « sous-officiers » de la société, eux, vivent
plutôt dans la culture Kôdansha36. Étant donné la
couche sociale qui a porté activement le fascisme au
Japon, il est naturel que son idéologie ait été encore
plus misérable et farcie d’absurdités qu’en Allemagne et
en Italie. C’est aussi, inversement, la raison pour
laquelle les intellectuels ont été réduits à une attitude de
plus en plus passive. En Allemagne, des savants et des
professeurs de premier plan ont contribué à donner au
nazisme son assise idéologique et sociale. Au Japon
aussi, bien sûr, certains savants se sont faits les hérauts
du fascisme, mais il semble que le sentiment l’ait
emporté, le plus souvent, que le fascisme n’était que
stupidité, et cela quelle que fût l’attitude de façade
adoptée.
Si le contrôle gouvernemental, dans les dernières
années, a pris cette forme incroyablement fanatique, et
en même temps comique, c’est dans une large mesure à
cause du groupe social sur lequel il s’appuyait. C’est ce
groupe, celui des petits notables locaux, qui s’est
appliqué à mettre en œuvre, par exemple, la doctrine
dite de la pique de bambou. Aucun militaire de l’état-
major, même le plus inculte, n’aurait pu croire
sérieusement que des piques de bambou auraient le
moindre effet face à la technologie militaire moderne.
Qui pouvait y croire une seule seconde ? Le slogan de la
pique de bambou était un moyen par lequel on espérait
obtenir un surcroît de force mentale qui compenserait
l’inégalité des forces matérielles. Dans l’esprit de ceux
qui la décrétèrent, il s’agissait d’une mesure excellente
au point de vue tactique. Mais lorsqu’une telle idée
parvient jusqu’au petit maître d’un microcosme, elle y
est interprétée littéralement : la pique de bambou n’est
plus un principe mais une chose. Nous avons tous en
mémoire ces exercices anti-aériens ridicules auxquels
nous avons dû participer37. Ces inepties étaient souvent
le fait des chefs de groupe ou d’équipe, qui
appartenaient au premier type de classes moyennes.
Plus généralement, on peut penser que beaucoup des
absurdités qu’on a vues dans la conduite de la guerre au
Japon avaient la même cause. (On avait d’ailleurs déjà
constaté des problèmes similaires avec les comités de
vigilance en 1923, après le grand tremblement de terre
du Kantô.)
Parmi les gens impliqués dans les violences du
fascisme radical et dans les instances des groupes
d’extrême droite, on trouve un grand nombre
d’instituteurs, de bonzes, de prêtres shintô, de patrons
d’ateliers, de petits propriétaires terriens. Je ne vais pas
y revenir en détail ici mais je l’indique en passant
puisque cela explique ce dont j’ai parlé plus haut, à
savoir que dans l’idéologie fasciste au Japon, les ouvriers
furent bien moins pris en compte que les patrons des
petites et moyennes entreprises commerciales ou
industrielles et que les paysans. Les petits « maîtres »
urbains ont ceci en commun avec la couche dirigeante
des zones rurales qu’ils sont généralement issus de la
campagne eux aussi, et il est fréquent qu’ils y restent
liés d’une manière ou d’une autre. On peut donc dire
que l’agrarisme reflétait des intérêts qu’ils partageaient
avec leurs homologues ruraux.
Il y a également convergence dans les revendications
pour « l’autonomie locale », c’est-à-dire dans
l’opposition au centralisme. Cette « autonomie locale »,
en vérité, ne signifie rien d’autre que la suppression des
ingérences du pouvoir central et de la bureaucratie dans
les microcosmes locaux où chacun d’eux occupe une
position hégémonique. C’est parmi cette couche que les
ressentiments contre la bureaucratie et contre les
cartels financiers (zaibatsu) sont les plus exacerbés. Par
ailleurs, la position de ce groupe à l’intérieur de la
société japonaise est analogue à celle du Japon dans le
monde. D’un côté, en effet, le Japon sentait
constamment sur sa tête la pression exercée par les
pays capitalistes les plus avancés ; de l’autre, il se
comportait lui-même, dans un coin de l’Asie, comme le
pays plus avancé. Maltraité par ici, il maltraitait par là.
Voilà pourquoi cette couche approuvait intimement
l’expansion continentale du Japon : elle avait le
sentiment de subir de la part du grand capital la même
oppression que subissait le Japon de la part des pays
capitalistes plus avancés, tandis que la résistance des
peuples d’Asie orientale à l’impérialisme japonais
suscitait chez eux la même réaction que lorsqu’ils
rencontraient une résistance de la part de leurs
subordonnés, dans leurs magasins, sur leurs lieux de
travail ou dans toute sorte de groupe qu’ils dominaient.
Ainsi sont-ils devenus, par identification, les soutiens les
plus fervents de la guerre contre la Chine et de la guerre
du Pacifique.

É
6. DES MOUVEMENTS FASCISTES À L’ÉTAT FASCISTE
Cet exposé est déjà bien long mais, pour terminer, je
voudrais encore évoquer ce que le développement
historique du fascisme au Japon a eu de particulier.
Contrairement aux fascismes italien et allemand, le
fascisme japonais n’a pas connu de « révolution ».
Aucune organisation fasciste dotée d’un mouvement de
masse, j’en ai déjà dit un mot, ne s’est emparée de
l’appareil d’État depuis l’extérieur de celui-ci. Ce sont
les forces politiques déjà en place (l’armée, la
bureaucratie, les partis) qui, de l’intérieur de l’appareil
d’État, l’ont amené à se transformer progressivement en
un régime fasciste. Telle est la spécificité la plus
importante quand on considère le processus de
développement du fascisme japonais.
Cela signifie-t-il que les groupes extrémistes et les
jeunes officiers radicaux n’ont eu qu’un rôle historique
mineur ? On ne peut en tout cas pas le dire de cette
façon. En réalité, les accès convulsifs du fascisme
radical ont fourni autant d’occasions au progrès du
fascisme par le haut.
Constitué autour de militaires et de bureaucrates, le
fascisme qui s’est développé depuis l’intérieur de
l’appareil de domination a pris appui sur le fascisme
radical. Il en a exploité l’énergie politique pour asseoir
progressivement son hégémonie. Voilà le point capital.
Peu après l’incident de Mandchourie, par exemple, s’est
produite l’affaire d’octobre. Or le processus de
fascisation interne aux partis en place est devenu patent
à la même époque, avec les manœuvres d’Adachi Kenzô
pour installer un cabinet « de coopération »38. Inutile de
rappeler que c’est la tentative de coup d’État du 15 mai
1932 qui mit fin à la brève carrière des cabinets de parti
au Japon et que le cabinet Saitô, formé quelques jours
plus tard, inaugura celle des cabinets formés par des
coalitions de militaires, de bureaucrates et d’hommes
politiques39.
Le poids politique de l’armée augmenta encore après la
mise en échec d’un nouveau projet de coup d’État en
juillet 1933, l’affaire de la Shinpeitai. C’est en novembre
de cette même année, à l’occasion de grandes
manœuvres qui avaient lieu à Kyûshû, que Gotô Fumio,
ministre de l’Agriculture, le général Araki, ministre de
l’Armée de terre, et des officiers de l’état-major créèrent
le Comité interministériel de la politique rurale, au
moyen duquel les militaires purent s’emparer du
problème des campagnes. Puis, de l’affaire de l’École des
officiers (novembre 1934) au putsch de février 1936 en
passant par l’affaire Aizawa (août 1935), c’est la série de
coups de force tentés par des mouvements de jeunes
officiers rénovateurs : à chaque fois, et cela quelles
qu’aient pu être les intentions des protagonistes, ces
entreprises ont abouti à étendre davantage encore la
sphère d’influence politique des élites militaires.
Parmi toutes les tentatives de putsch qui se sont
succédé en l’espace de quelques années, celle du
26 février, la dernière et la plus importante, a marqué
un tournant décisif. Après elle, le fascisme radical d’en
bas, celui des jeunes officiers et des groupes
extrémistes, quitte le devant de la scène. Avec la
« reprise en main » de l’armée, les éléments de la
« faction de la Voie impériale » sont d’un seul un coup
évincés par la faction dite « du Contrôle », c’est-à-dire
en réalité plutôt par une coalition hostile à cette « Voie
impériale »40. Araki, Mazaki, Yanagawa et autres Obata
voient alors l’hégémonie passer aux mains des Umezu,
Tôjô, Sugiyama, Koiso. La nouvelle direction de l’Armée
de terre, tout en réprimant énergiquement les forces du
fascisme radical au sein de l’armée, agita au dehors la
menace du fascisme radical pour mieux obtenir
satisfaction sur ses exigences politiques. Au lendemain
du 26 février, lorsque le général Terauchi entra dans le
cabinet Hirota, elle posa d’emblée comme condition que
soit exclue toute personne soupçonnable de sympathies
libérales. Terauchi fit alors une déclaration dont la
teneur était ouvertement fasciste, résumée dans la
formule : « Rénovation de l’administration
gouvernementale, éradication du libéralisme, mise en
place d’un régime totalitaire. » Les exigences politiques
présentées alors (restrictions au droit de vote,
suppression du contrôle du pouvoir exécutif par le
législatif) visaient à faire de la Diète une coquille vide.
Ainsi, tandis que le fascisme d’en bas était réprimé, la
fascisation par le haut, elle, progressait à grande vitesse.
Kita, Nishida et les jeunes officiers du 26 février auront
bien été comme les lévriers du proverbe, « rôtis avec les
lièvres qu’ils ont attrapés ».
On comprend qu’il s’agissait d’un tournant quand on
compare les peines prononcées en 1936 avec celles des
protagonistes du 15 mai 1932. Dans l’affaire du 15 mai,
les accusés, du moins les militaires, furent condamnés à
des peines légères : 4 ans d’emprisonnement pour Gotô
Akinori et la dizaine d’accusés de l’Armée de terre, tous
graciés du reste en 1936 ; du côté de la Marine : 15 ans
pour les organisateurs, Koga Kiyoshi et Mikami Taku,
entre 1 an et 13 ans pour une demi-douzaine d’autres,
mais là encore, tous étaient libres en 1940. Il s’agissait
pourtant d’une affaire dans laquelle on avait assassiné le
Premier ministre et plongé la capitale dans le chaos. À
l’époque, le général Araki, ministre de l’Armée de terre,
avait déclaré publiquement :
On ne peut qu’être ému aux larmes devant les sentiments qui ont
conduit à de tels actes ces jeunes hommes au cœur pur. Ils n’ont pas
recherché la gloire ni leur profit personnel, ils ne voulaient pas trahir
leur pays. Tout au contraire, ils étaient persuadés d’agir pour le bien de
l’Empire. C’est pourquoi il ne faudrait pas qu’on les juge d’un point de
vue étroit, comme s’il s’agissait de régler une simple question
administrative.

Le ministre de la Marine, l’amiral Ôsumi, dit à peu


près la même chose :
Ceux qui auront à se demander pourquoi de jeunes gens au cœur pur
ont commis cette erreur, devront prendre le temps d’y réfléchir avec
toute la pondération requise.

On voit la sympathie que l’armée dans son ensemble


avait pour les conjurés. Dans le procès du 26 février,
pourtant, le capitaine Kôda Kiyosada et la quinzaine
d’officiers instigateurs du coup furent tous et sans
exception condamnés à la peine capitale. Par ailleurs, le
lieutenant-colonel Aizawa, qui avait assassiné peu
auparavant le directeur du Bureau des affaires militaires
Nagata Tetsuzan, fut lui aussi condamné à mort
quelques mois plus tard. Il me semble que ces sentences
manifestent un revirement complet dans l’attitude de
l’état-major à l’égard des actions de ce genre.
Je me permets d’indiquer en passant un autre fait
remarquable, à savoir que les peines infligées aux civils
accusés dans ces mêmes affaires étaient toujours
nettement plus lourdes que celles des militaires. Dans le
procès du 15 mai, comme je viens de le dire, le militaire
le plus fortement impliqué fut condamné à 15 ans
d’emprisonnement, mais Tachibana Kôzaburô, lui, qui
était civil, fut condamné à l’emprisonnement à
perpétuité. Dans l’affaire du 26 février, les civils Kita
Ikki et Nishida Zei furent condamnés à mort alors qu’il
n’y a pas lieu de penser qu’ils étaient directement
impliqués dans le soulèvement. Quoi qu’il en soit, le
général Terauchi déclara à la Diète peu après le
26 février :
Quant aux mobiles de ce soulèvement, les mutins ont affirmé dans leur
manifeste et dans leurs dépositions que leur dessein était de relever
l’État impérial et de susciter ce qu’ils appellent une « Restauration de
l’ère Shôwa ». On peut reconnaître avec eux que beaucoup de choses
demandent à être largement corrigées ou rénovées dans notre État
aujourd’hui. Toutefois, il est très regrettable de devoir constater que
l’esprit qui les a conduits à cet acte de rébellion est profondément
influencé par les idées subversives de certains extrémistes, étrangers
à l’Armée, dont les principes de rénovation politique sont absolument
incompatibles avec ceux de notre État impérial. [Italiques de
Maruyama.]
L’allusion aux extrémistes subversifs vise
probablement les idées de Kita Ikki, mais ce n’est pas le
plus important. Ce que vous voyez surtout, je pense,
c’est le revirement complet dans la manière dont l’état-
major traite la sédition. Contrairement à l’affaire du
15 mai, il la condamne cette fois sans ambiguïté comme
ennemie de l’État impérial. Or la « nouvelle faction du
Contrôle », comme on l’appelle, qui prit le pouvoir dans
l’armée après le 26 février, était composée d’hommes
qui eux-mêmes avaient autrefois fait partie de groupes
d’officiers rénovateurs comme la Société de la fleur de
cerisier. Une fois au pouvoir, ils annoncèrent la « reprise
en main » de l’armée, empêchèrent toute intervention
de militaires autres que le ministre de l’Armée dans la
politique et réprimèrent les tendances radicales.
Au lendemain de la guerre, les représentants de la Voie
impériale ont de nouveau fait parler d’eux, puisqu’ils
avaient généralement été opposés à Tôjô. Mais
l’affrontement de ces deux grandes factions ne se
résumait pas à une opposition entre partisans d’un
grand principe absolu et adeptes du complot. À bien des
égards, il s’agissait plutôt de luttes entre individus et
entre clans. On peut donc dire, je pense, que l’affaire du
26 février a simplement donné l’occasion à la faction du
Contrôle d’établir son hégémonie en écrasant la Voie
impériale, qui soutenait les jeunes officiers auteurs du
putsch. Terauchi réprouvait leur entreprise comme un
agissement antinational, mais pour les jeunes officiers,
« le plan de rénovation du Japon [de Kita Ikki]
s’accord[ait] parfaitement à l’essence nationale. Mieux,
il en [était] l’expression même, sous la forme d’une
organisation étatique et d’un système économique »
(« Notes d’un cœur sincère »). Selon eux, les hommes de
la faction du Contrôle, qui invoquaient « l’État
impérial » (kokutai) à tout propos, ne cessaient en
réalité de chercher à mettre l’autorité de l’empereur au
service de leur propre idéologie politique. Ils les
accusaient avec colère de proférer sans crainte des
insolences comme : « Si l’empereur veut nous refuser
telle chose, nous lui mettrons l’épée aux reins et il nous
écoutera ! »
À ce sujet, il est tout à fait intéressant de remarquer
que, si la faction de la Voie impériale, dans l’ensemble,
était assez radicale et capable de passer à l’action au
point de déclencher un soulèvement armé, son
programme, en revanche, était des plus idéalistes et se
résumait frustement au principe de soumission intégrale
à l’autorité de l’empereur. Comme je l’ai déjà dit,
l’absence de programme, qui contraste avec l’ampleur
des plans d’action, était liée au fond à cette révérence
absolue pour l’empereur. Il faut donner toute son
importance au fait que, pour les tenants de la Voie
impériale, un véritable programme n’aurait pu être
qu’une spéculation sur la volonté de l’empereur, donc
un outrage à sa souveraineté. Ils se donnaient seulement
pour mission d’éliminer les scélérats qui l’entouraient.
Tout compte fait, leur idéologie consistait en un
optimisme mystique : dispersons les sombres nuées qui
recouvrent le soleil impérial et il brillera de toute sa
lumière. On doit reconnaître au moins ceci à la faction
du Contrôle qu’elle était plus rationnelle, puisqu’elle se
servit de l’empereur pour mettre en œuvre ses propres
plans par le haut41.
Après le 26 février, donc, le fascisme connut au Japon
ce qu’on pourrait appeler un processus de
« rationalisation ». Il ne prit plus la forme de putschs. Il
se développa au contraire dans la légalité, pour ainsi
dire sans heurt, depuis le cœur du pouvoir et des
institutions. Il exploita habilement la sinistre menace du
fascisme radical pour accroître sa domination. Au cours
de la 70e session de la Diète (1936-37), le député
Hamada Kunimatsu posa au ministre de l’Armée, le
général Terauchi, une question qui pointait avec
justesse le sens très paradoxal de la « reprise en main »
de l’armée :
Nous ne pouvons que déplorer les abus […] constatés depuis quelque
temps : plus l’armée est « reprise en main », plus elle intervient dans les
décisions gouvernementales42.

Peu après la répression du fascisme radical, on vit


l’armée, la bureaucratie et les grands groupes se
rapprocher plus étroitement. Cette collusion accrue
permit au fascisme d’évoluer vers sa forme en quelque
sorte achevée. Dans l’atmosphère sociale troublée qui
suivit le 26 février, le cabinet Hirota se donna pour mot
d’ordre la « défense nationale au sens large », afin de
justifier une politique budgétaire qui combinait des
aides aux chômeurs et aux paysans à l’augmentation des
dépenses militaires. Mais l’inflation que ces mesures
provoquèrent inquiéta fortement les milieux financiers.
Leurs désirs furent entendus par le cabinet suivant,
dont la politique budgétaire revenait à une « défense
nationale au sens étroit », c’est-à-dire limitée aux seules
dépenses militaires. On supprima toutes les aides
prévues pour les campagnes et on annula les
subventions destinées à soutenir financièrement les
régions. Le ministre des Finances Yûki Toyotarô ayant
déclaré à l’époque : « Je n’avancerai pas sans garder ma
main dans celle de l’armée », on parla de « la politique
de la main dans la main ». Pour illustrer cette évolution,
je voudrais citer un texte émanant du comité permanent
de la Ligue économique du Japon, daté du 3 mars 1937,
qui reflète bien ce qu’était le point de vue des milieux
d’affaires à ce moment-là :
La situation actuelle du pays, tant extérieure qu’intérieure, rend
inévitable une expansion des dépenses publiques, principalement des
dépenses militaires. Cependant, étant donné l’insuffisance de la
production intérieure, une expansion brutale des dépenses publiques
est de nature à entraîner une inflation des prix. Le seul moyen d’éviter
la contradiction consiste à restreindre les dépenses aux postes
absolument indispensables. En conséquence, toute augmentation des
dépenses administratives autres que militaires devrait être comprimée
autant qu’il est possible. Le budget des deux ou trois années à venir
devrait donc être conçu en donnant toute la priorité à la défense
nationale.
Ainsi, les intérêts de la finance et de l’état-major
s’étant rapprochés, un système se mit en place qui
associait étroitement le capital monopoliste et l’armée.
Le mouvement fasciste venu d’en bas était finalement
absorbé dans le processus de fascisation conduit par le
haut. Puis, à mesure que le Japon s’enfonça dans la crise
internationale provoquée par l’incident du pont Marco
Polo (septembre 1937) et ses suites, « l’union
nationale » devint une exigence toujours plus absolue.
Sous ce mot d’ordre, trois éléments rivaux se donnèrent
la main : la bureaucratie, qui par nature n’avait pas
d’appui dans la population ; l’armée, qui tout en se
présentant comme la « force de propulsion », ne voulait
se reconnaître aucune responsabilité politique ; les
partis enfin, qui se contentaient de renâcler, ayant déjà
perdu toute velléité de combattre le fascisme. Entre le
cabinet Hirota (mars 1936-février 1937) et celui de Tôjô
(octobre 1941-juillet 1944), pas moins de sept cabinets
différents se succèdent (Hayashi, Konoe I, Hiranuma,
Abe, Yonai, Konoe II, Konoe III). Autrement dit, le
gouvernement change dès que se modifient tant soit peu
les rapports de pouvoir entre les trois éléments sur
lesquels il repose. Curieux phénomène, plus on parlait
de « gouvernement fort » et plus le centre politique
tendait à s’évider.
Il ne faudrait surtout pas en conclure pour autant que
le processus de fascisation faiblissait. Ce serait oublier
les séries d’arrestations qui, entre la fin de 1937 et le
début de 1938, visèrent les groupes de professeurs liés
au courant communiste Ouvriers et paysans, au Comité
national des syndicats ouvriers et au Parti prolétarien
du Japon43. Ce serait oublier l’ordonnance interdisant
définitivement le 1er mai, en 1936, la loi de mobilisation
générale, en 1938, la sortie de l’Organisation
internationale du travail, en mars 1939, la dissolution
de tous les partis politiques (inaugurée avec celle du
Parti social des masses), la dissolution de la
Confédération japonaise du travail, la création de
l’Association de soutien au Trône, de l’Association
patriotique de l’industrie, la conclusion du Pacte
tripartite, tout cela en 1940, et d’autres choses encore,
qui furent autant d’étapes dans la mise en place d’un
régime authentiquement fasciste. Rome ne s’est pas
faite en un jour, et la dictature de Tôjô non plus n’a pas
surgi un beau matin toute armée. Je n’ai vraiment pas le
temps de retracer en détail le processus concret qui l’a
précédée, mais je voudrais ajouter un mot à propos du
Mouvement pour un nouveau régime lancé par Konoe en
mai 1940.
Sa création était motivée par le constat que
l’instabilité politique dont je viens de parler tenait au
fait que le pouvoir n’avait pas d’assise dans la nation, et
qu’il fallait donc le renforcer en créant des organisations
qui impliquent la population. Malgré les circonstances
assez confuses qui ont entouré la création de ce
mouvement, et qu’il serait difficile de résumer ici, telle
était bien l’inspiration première. Cette ambition devait
toutefois se heurter au roc d’un système impérial
absolutiste. Les ultras la virent d’un mauvais œil,
soupçonnant qu’on allait susciter une sorte de shôgunat
[qui affaiblirait le pouvoir de l’empereur], si bien que,
comme vous le savez, le mouvement lancé par Konoe
n’est finalement devenu qu’une organisation
bureaucratique purement formelle et sans substance. Il
n’aura servi qu’à préparer le terrain à l’Association de
soutien au Trône, créée en octobre 1940.
Le slogan qu’on avait d’abord envisagé pour celle-ci,
« Que la volonté d’en haut se transmette en bas, que la
volonté d’en bas soit connue en haut », fut critiqué pour
cette idée de « volonté d’en bas », jugée incompatible
avec les principes de l’État impérial. On reformula donc
« volonté d’en bas » en « situation d’en bas ». Même
cela, donc, même une allusion à quelque chose qui
viendrait des gouvernés ne pouvait être tolérée. En
janvier 1942, on compléta la mise en place de
l’Association en créant la Ligue de la jeunesse du Grand
Japon pour le soutien au Trône, mais cette organisation
non plus n’eut aucun caractère politique. Entièrement
liée à l’Association, elle ne put avoir d’activité
importante. Les relations entre l’Association et la Ligue
de la jeunesse ont néanmoins donné lieu à toutes sortes
de problèmes dans certaines régions. En mai 1942,
après les élections dites de « soutien au Trône », qui
avaient eu lieu le mois précédent, on créa encore
l’« Association politique de soutien au Trône », qui fut la
seule organisation à avoir un caractère politique, au
moins théoriquement. Mais puisque tous les courants y
coexistaient, puisqu’on y avait jeté pêle-mêle les
fascistes radicaux, les membres des anciens partis,
l’extrême droite dite « idéaliste », les convertis venus
des anciens partis prolétariens, elle ne joua jamais le
rôle d’un vrai mouvement politique, ni même aucun rôle
important.
Telles sont les péripéties qu’a connues l’effort pour
installer le régime japonais sur une organisation de
masse comparable à ce qui existait en Italie ou en
Allemagne. Toutes ces créations ont connu le même
sort : elles ont toutes fini par être absorbées dans la
hiérarchie bureaucratique. Ainsi, le fascisme japonais
ne sera jamais parvenu à se doter d’une base populaire
stable et organisée. Même le Conseil central de
coopération, mis en place avec le mouvement « de
soutien au Trône », n’a jamais été qu’un organe
purement consultatif, destiné à « faire connaître en haut
la situation d’en bas ». Les avis ou les propositions qui
purent y être exprimés n’avaient aucun caractère
contraignant du point de vue légal. Le gouvernement se
contentait de les « entendre ». L’Association publia à
cette époque une brochure présentant le Conseil de
coopération, dans laquelle on trouve ce passage :
Toutes les questions soumises au Conseil seront entendues par le
gouvernement et par l’Association de soutien au Trône, qui les
examineront attentivement et sans délai. Les propositions adoptées
seront promptement intégrées dans la politique du gouvernement. Ainsi
les affaires seront-elles conduites énergiquement, en vertu de la même
coopération chaleureuse qui prévaut dans une famille. […] On peut
estimer, en somme, que ce Conseil aura une valeur politique en raison
même de sa grande souplesse et parce qu’il ne s’agit pas d’un organe
législatif ni exécutif. Ce qui pourrait sembler une faiblesse à première
vue fera au contraire tout son charme. [Italiques de Maruyama.]

Merveilleux exemple de l’esprit qui a régné pendant


ces années ! Bientôt après, le déclenchement de la
guerre du Pacifique ouvrit la voie au pouvoir dictatorial
de Tôjô. Il n’y avait plus alors ni faction de la Voie
impériale ni faction du Contrôle, car absolument tout ce
qui pouvait gêner Tôjô avait été écrasé. Les lois de
décembre 194144 permirent de réprimer toutes les
oppositions, et même les quelques groupes d’extrême
droite, qui pouvaient se vanter d’avoir été dans le sens
de l’histoire, furent dissous de force dans l’Association
politique de soutien au Trône et dans l’Alliance du
Grand Japon pour l’essor de l’Asie.
Quant à Tôjô lui-même, est-il besoin de rappeler qu’il
s’était arrogé plus de pouvoir que n’en avait jamais eu
aucun Premier ministre au Japon ? Il cumula en effet les
fonctions de ministre de l’Armée, ministre de
l’Armement et chef de l’état-major. Alors on vit se
mettre en place un régime véritablement dictatorial et
fondé sur la force, dans une certaine mesure
comparable à ceux de Hitler et de Mussolini. Mais ce
pouvoir fort ne reposait en réalité que sur un vaste
réseau de police militaire déployé dans tout le pays. Le
fascisme japonais a ainsi poursuivi sa carrière sans
disposer d’une organisation populaire qui lui aurait été
propre, perpétuant jusqu’au 15 août 1945 le système de
domination bureaucratique et le constitutionnalisme de
façade45 hérités de l’ère Meiji. Ironie de l’histoire, ce
sont les mouvements extrémistes qui avaient été si
habilement utilisés pour établir la domination du
fascisme par le haut, ces représentants du fascisme
d’avant la fascisation du régime, qui ont donné à Tôjô,
dans les derniers temps de la guerre, le plus de fil à
retordre. Akao Bin, par exemple, dirigeant historique de
la Société de la fondation nationale, s’exprima en ces
termes à propos de l’Association de soutien au trône
dans une commission parlementaire de la session 1943-
1944 (commission chargée de la loi pénale spéciale pour
le temps de guerre) :
Quant à l’idéologie de l’Association, on y trouve des libéraux, partisans
du statu quo. On y trouve des social-nationalistes, beaucoup de social-
nationalistes. On y trouve aussi des nipponistes, dont certains radicaux
et partisans du terrorisme. […] Beaucoup d’opportunistes aussi y ont
fait leur nid. Où donc espère-t-on aller, sous une direction si hétérogène
dans son inspiration ? […] On a rassemblé beaucoup de gens, on a
donné une organisation formelle à ce rassemblement. Les vrais groupes
nipponistes, qui avaient jusqu’alors des activités réelles, ont tous été
dissous. Et cela pour quoi ? Pour une chose sans âme. On a donné de
l’argent du gouvernement à une bande d’opportunistes et de
bureaucrates sans conviction ni idéal, en leur demandant de conduire
un mouvement spirituel !

Dans la même commission, Mitamura Takeo, qui


appartenait au groupe de Nakano Seigô, posa cette
question :
Le gouvernement du Japon est aujourd’hui aux mains de
l’administration et des ministères. Autrement dit, c’est un régime
bureaucratique. Autrement dit, c’est un régime qui ne connaît pas la
critique. […] Celui qui risque une critique, on dira que c’est un libéral.
S’il suffit d’émettre une critique pour devenir libéral, j’aimerais savoir
ce que l’on entend au juste par ce mot. […] Sans critique, pas
d’émulation. Sans émulation, vous n’aurez ni progrès, ni
développement. […] S’en prendre au gouvernement ou aux
bureaucrates, ce n’est pas nécessairement s’en prendre à l’État. […] Il
ne saurait être bon pour l’État que la flatterie et l’obséquiosité seules
fleurissent dans la société.

Constat féroce, mais juste, sur la dictature de Tôjô.


« Sans critique, pas d’émulation. Sans émulation, pas de
progrès » : on croirait entendre un libéral de la
meilleure école ! Il est piquant de voir qu’au dernier
stade du fascisme japonais, même au sein de la Diète,
les plus opposés au gouvernement, les plus critiques à
son égard furent ces groupes d’extrême droite qui
avaient joué un rôle pionnier dans le processus de
fascisation. C’est d’ailleurs ce qui explique la
renaissance du courant de la Voie impériale après la fin
de la guerre, ou le fait que des fascistes pur sucre aient
pu passer pour des démocrates. En effet, ils avaient été
« contre Tôjô » ! On pourrait dire que l’histoire était
revenue à son point de départ.
Pourquoi, au Japon, les mouvements fascistes apparus
hors de l’État n’ont-ils pas pris le pouvoir par en bas ?
Pourquoi n’y a-t-il pas eu de révolution fasciste ? Moi
non plus, dans le temps qui m’est imparti, je ne pourrai
aborder en détail cette question cruciale, mais voici tout
de même quelques faits qui, à mon sens, peuvent être
considérés comme établis.
D’abord, on peut dire que dans le processus fasciste,
les éléments « d’en bas » sont d’autant plus forts que la
démocratie est plus forte dans le pays en question. En
d’autres termes, le mouvement fasciste ne peut pas se
développer sous sa forme typique, c’est-à-dire
simplement à partir d’en bas, dans un pays qui n’a pas
connu de révolution démocratique au préalable46. Après
la Première Guerre mondiale, des démocraties
bourgeoises se sont mises en place en Italie et en
Allemagne, ce qui a permis la formation d’organisations
prolétariennes puissantes. En Italie, avant la « marche
sur Rome » de 1922, les luttes de classes étaient
extrêmement vives. La tempête des occupations d’usine
et de l’autogestion ouvrière balayait le pays. Le Parti
socialiste était le premier parti en nombre de députés
élus. Quant à l’Allemagne, est-il besoin de rappeler
combien le Parti social-démocrate et le Parti
communiste étaient puissants juste avant que les nazis
ne prennent le pouvoir ? En mars 1933, alors que Hitler
était déjà chancelier et alors qu’il avait saisi le prétexte
de l’incendie du Reichstag pour organiser dans tout le
pays une grande répression du Parti communiste qui le
réduisit quasiment à la clandestinité, même alors les
candidats communistes obtinrent 6 millions de voix !
On a quelque peine à imaginer la force herculéenne qui
dut être nécessaire pour déraciner un mouvement
prolétarien aussi considérable, et la brutalité des
transformations qu’il fallut faire subir aux institutions
démocratiques pour y parvenir. En même temps, un
habillage démocratique subtilement conçu était
absolument indispensable pour arracher les masses à
l’influence du Parti communiste et du Parti social-
démocrate, et les faire entrer dans le système
d’encadrement fasciste. Les nazis n’auraient pu attirer à
eux les masses populaires s’ils ne s’étaient pas présentés
comme le seul vrai parti des travailleurs, comme les
seuls qui mettraient en œuvre le véritable socialisme, ce
qui suggère assez l’importance politique que ces masses
populaires avaient déjà prise en Allemagne, et même en
Italie. Cela explique aussi pourquoi les organisations
fascistes étaient obligées de ménager les apparences en
maintenant parmi elles quelques éléments « venus d’en
bas ».
Qu’en était-il au Japon ? Bien sûr, dans les années
1920, le mouvement ouvrier avait pris son essor et
atteint une ampleur encore jamais vue. Il est vrai aussi,
par ailleurs, que dans les campagnes les conflits du
fermage, entre paysans et propriétaires, se sont
multipliés sous l’effet de la crise agricole. Comme nous
l’avons déjà vu, c’est dans ce contexte que les
mouvements fascistes sont apparus et ont prospéré, en
réaction contre les mouvements de gauche. Jusque-là,
donc, il n’y a rien d’original. Toutefois, si l’on se
demande aujourd’hui, avec le recul, dans quelle mesure
ces mouvements de gauche avaient réellement pénétré
les milieux ouvriers et paysans, il est certain au moins
que cette implantation n’était pas comparable à celle de
leurs équivalents allemands et italiens47. Quant à la
vague du marxisme, il serait naturellement exagéré de
dire que le phénomène était limité au monde des idées,
au journalisme ou à la classe intellectuelle en général,
mais en sens inverse, on peut aussi sérieusement douter
que le « péril rouge » ait constitué une menace aussi
réelle que la classe dominante l’affirmait dans sa
propagande48. En Allemagne ou en Italie, l’éventualité
d’une révolution prolétarienne était une perspective
tout à fait plausible. Acculé dans une situation qui ne
laissait le choix qu’entre les nazis et les rouges, le grand
capital monopoliste appela précipitamment Hitler au
pouvoir. Que la mise en place du fascisme au Japon ait
été progressive, qu’il n’y ait pas eu d’équivalent de la
marche sur Rome ou du 30 janvier 1933, c’est une autre
manière de dire que la résistance venue d’en bas n’y fut
pas aussi importante. Il n’existait pas d’organisation
prolétarienne assez puissante pour engager une épreuve
de force. On le comprend du reste aisément quand on
observe la structure du capitalisme japonais49.
En 1930, à l’époque où le fascisme prend son
brusquement son essor, juste avant l’incident de
Mandchourie, il y a un peu plus de 2 millions d’ouvriers
dans les usines employant au moins cinq personnes et
presque autant d’ouvriers journaliers. Au même
moment, 2,2 millions de personnes travaillent dans les
entreprises commerciales, 1,8 million de fonctionnaires
et employés, 1,5 million de petits commerçants. On voit
tout de suite que le prolétariat au sens strict était
minoritaire face aux petits et moyens entrepreneurs et
aux employés. D’après les statistiques publiées par la
Société des Nations, la population industrielle (y
compris celle de la micro-industrie, c’est-à-dire les
ateliers dont le personnel est limité à une famille)
représente 19,4 % de la population totale au Japon en
1926, contre 39,7 % au Royaume-Uni, 33,9 % en France,
39,5 % en Belgique, 36 % aux Pays-Bas et 35,8 % en
Allemagne. On voit très clairement un décalage entre le
niveau d’industrialisation du Japon et celui des pays
capitalistes d’Europe occidentale. Au sommet de la
structure socio-économique japonaise, comme vous le
savez, trône un capitalisme monopoliste hautement
rationalisé. Mais à la base, c’est une foule de toutes
petites exploitations agricoles travaillant quasiment
avec les mêmes techniques qu’à l’époque d’Edo, et de
micro-industries fonctionnant pratiquement avec la
seule main-d’œuvre familiale. Les techniques les plus
avancées coexistent avec les techniques les plus
primitives dans le même système industriel. Ces modes
de productions correspondant à des stades historiques
différents sont comme empilés les uns sur les autres,
mais en même temps, ils se renforcent mutuellement.
Du point de vue politique, cette structure particulière
a lourdement entravé le développement des forces
démocratiques au Japon, car la domination de
l’absolutisme féodal et le progrès du capitalisme
monopoliste ne sont en rien contradictoires. Ce qui a
déterminé le destin du fascisme au Japon, je crois, c’est
précisément le fait que la domination absolutiste-féodale
et le progrès du capitalisme monopoliste, loin de
s’opposer, se sont appuyés l’une sur l’autre. Ceci nous
montre d’où venait la faiblesse intrinsèque des
mouvements fascistes japonais. Dans la nébuleuse de
l’extrême droite japonaise, on rencontre des hommes
d’un type aussi moderne que les nazis, mais aussi bien
des gens qui sont quasiment des rônins tels qu’il en
existait avant l’ère Meiji, se rattachant de près ou de loin
à la Gen.yôsha. Bien peu avaient reçu le baptême de la
modernité. Le type dominant, parmi ceux qui les
composaient, tenait moins du fasciste que du guerrier
errant de la fin du shôgunat. Leurs dirigeants, comme le
dit très justement Freda Utley, évoquent « une sorte de
croisement entre le rônin de l’époque féodale et le
maffieux de Chicago » (Japan’s Feet of Clay, 1937). Il
est assez symbolique et révélateur que la figure tutélaire
de l’extrême droite japonaise ait pu être un personnage
comme le fondateur de la Gen.yôsha. Quand on
compare le style de vie de Tôyama à celui de Mussolini
ou de Hitler, il me semble qu’il contraste par l’absence
d’aucune discipline ou de plan. Dans Le Portrait
véridique du vénérable Tôyama Mitsuru (1932), où
sont recueillis toutes sortes de propos qu’il a tenus, on
trouve par exemple ce passage évoquant ses jeunes
années :
Je devais avoir 26 ou 27 ans quand je suis arrivé à Tokyo, j’étais dans
toute la verdeur de ma jeunesse. Nous avons loué une maison, avec
quelques camarades. Au début, nous avions encore le nécessaire : un
parapluie, des sandales… Mais tout a disparu assez vite, même la literie.
Cependant j’étais le seul de la bande à vivre nu, les autres avaient
encore quelque chose à se mettre sur le dos. Je trouvais de quoi manger
chez les marchands de repas, mais sans pouvoir les payer. Un jour, la
fille de l’un d’eux s’est présentée avec l’ardoise. Quand elle m’a vu sortir
tout nu d’un placard, ça lui a fait tellement peur qu’elle a fichu le
camp ! Je pouvais vivre deux ou trois jours sans manger, ça ne me
faisait rien.

On devine une sorte de fierté à vivre ainsi, sans payer


ses dettes, en utilisant ce genre de moyens pour se
débarrasser des créanciers. Il raconte aussi comment le
même truc lui a servi à faire fuir des usuriers. On ne
trouvera pas chez lui le moindre signe de cette
rationalité qui caractérise l’humanité moderne. Or
Tôyama n’est pas un cas isolé. Il représente au contraire
un type largement répandu dans l’extrême droite.
L’archaïsme est aussi dans la manière dont sont
organisés les groupes, fondés sur les relations
personnelles de fidélité entre patrons et protégés.
Comme je l’ai déjà dit, l’extrême droite japonaise a
toujours été incapable de constituer un front commun,
alors même que la situation lui était des plus favorables.
Les appels à l’unité furent nombreux mais les unions
étaient rompues sitôt conclues, et alors de nouveau ils
se couvraient d’injures les uns les autres ! Ces relations
de patron à protégés les condamnaient à ne jamais
dépasser l’échelle du groupuscule, à demeurer toujours
en rivalité les uns avec les autres, chacun brandissant sa
propre divinité. Le même phénomène s’observe
d’ailleurs actuellement, avec les innombrables partis qui
sont apparus ici et là depuis la fin de la guerre. Des
groupes se forment, chacun autour de son petit chef,
certains n’étant que des bandes de ruffians habilement
maquillées en partis. Cela était vrai aussi des SA du
Parti nazi, dans une large mesure, mais au moins
étaient-ils organisés et disciplinés. Ils ne passaient pas
leur temps à fusionner et scissionner.
Cet archaïsme ne caractérise pas seulement les
formations politiques. On peut dire la même chose des
officiers rénovateurs, qui ont joué un rôle important en
s’associant avec ces groupes. C’est presque toujours
dans des restaurants ou des maisons de rendez-vous
qu’ils se réunissaient pour comploter. Là, entre les
coupes de saké, lorsqu’ils laissaient exploser leur colère
et leur indignation, on peut être sûr qu’ils avaient
quelque part dans leur tête l’image de ces hommes de la
fin du shôgunat qui aimaient à chanter : « Ivre, je repose
sur les genoux d’une belle / Au réveil, je m’en irai
prendre le pouvoir. »
Au fond, c’est parce qu’il n’y a pas eu au Japon de
révolution démocratique bourgeoise que le mouvement
fasciste y a revêtu ces traits archaïques. D’un point de
vue légèrement différent, on peut dire en effet que tout
cela se manifeste aussi dans la remarquable continuité
entre l’époque « des partis » et celle du fascisme. Les
archaïsmes dont je viens de parler, qui caractérisent les
organisations fascistes et leurs meneurs, se voient
également, même si c’est dans une moindre mesure, du
côté des partis politiques tels qu’ils existaient avant le
fascisme. Au Japon, les partis n’ont pas été les
champions de la démocratie. Très tôt, ils ont fait des
compromis et se sont arrangés avec l’absolutisme. Or
c’est bien parce qu’ils s’étaient satisfaits d’un
constitutionnalisme de façade qu’il n’y avait pas besoin,
au Japon, d’une révolution fasciste menée par en bas et
que le régime absolutiste de Meiji, c’est-à-dire le régime
oligarchique, a pu se muer en un régime fasciste sans
avoir à être bouleversé pour cela. Quand les nazis ont
pris le pouvoir, ils ont balayé tous les autres partis qui
existaient, non seulement les partis socialistes mais
aussi ceux du centre et les autres. Au Japon, les partis
qui avaient dominé la vie politique n’ont pas été
remplacés par des forces nouvelles qui auraient émergé
en dehors d’eux. Pour l’essentiel, ils ont glissé tout en
douceur vers ce régime fasciste dans lequel ils ont été
finalement engloutis. La plupart des forces politiques
qui existaient, je l’ai déjà évoqué, ont été absorbées
dans l’Association de soutien au Trône. C’est la raison
pour laquelle, après la guerre, l’épuration a lourdement
frappé les anciennes forces politiques, partis et
bureaucrates.
Pour autant, il reste difficile de dire à partir de quel
moment commence la période fasciste. Le régime
fasciste s’est mis en place par petites étapes, très
progressivement et sans toucher au cadre institutionnel
établi par la Constitution de 1889. Les partis n’avaient
ni l’énergie ni la volonté nécessaires pour combattre le
processus de fascisation de manière intransigeante.
Dans certains cas, ils y contribuèrent même activement.
Ainsi le cabinet formé par le Seiyûkai et dirigé par le
général Tanaka, qui a duré d’avril 1927 à juillet 1929. Il
s’agissait en principe d’un pur cabinet de parti. Cela ne
l’a pas empêché de réprimer durement les mouvements
de gauche par des arrestations massives50 et d’aggraver
les restrictions aux libertés (d’expression, de publication
et de réunion) en faisant modifier par une ordonnance
impériale d’urgence la Loi sur le maintien de l’ordre
public de 192551. En politique extérieure, la
« diplomatie affirmative » de Tanaka consista à saisir
l’occasion fournie par l’incident de Jinan pour envoyer
des troupes en Chine. Jusqu’à ce que l’assassinat de
Zhang Zuolin (qu’on évoqua officiellement en parlant
d’un « certain incident d’importance survenu en
Mandchourie ») provoque finalement sa chute, la
politique du cabinet Tanaka aura été conforme en tout
point à celle d’un gouvernement fasciste. Ce qu’il a semé
durant ces années, à l’intérieur et à l’extérieur, devait
d’ailleurs prendre tout son sens et toute son importance
à mesure que le fascisme étendit son emprise. Par la
suite, le Seiyûkai devait encore attaquer avec
véhémence le cabinet Hamaguchi en dénonçant le traité
naval de Londres (1930), signé par celui-ci, comme
attentatoire à la prérogative impériale de
commandement suprême des armées. Et quelques
années plus tard, dans l’affaire de la monarchie-organe
dont nous avons déjà parlé, c’est Suzuki Kisaburô,
président de ce même parti, qui se mit à la tête du
mouvement réclamant la « clarification » de l’État
impérial. Il n’est pas exagéré de dire que le Seiyûkai a
largement contribué au processus de fascisation du
régime. On sait que l’affaire de la prérogative impériale a
eu un grand rôle dans la radicalisation des mouvements
fascistes. Quant aux assauts contre la thèse de la
monarchie-organe, dans le contexte que j’ai déjà
rappelé, ils revenaient à nier le fondement théorique du
parlementarisme. Pour un parti politique, jouer les chefs
d’orchestre de telles protestations au sein de la Diète
était une conduite purement et simplement suicidaire.
Tragique ou comique, tel fut le rôle des partis.
En effet, je viens de parler du Seiyûkai, mais le
Minseitô ne fut pas en reste. S’il est vrai que les cabinets
Hamaguchi et Wakatsuki (juillet 1929-décembre 1931),
qui succédèrent à celui de Tanaka, peuvent aujourd’hui
apparaître comme des gouvernements dont le caractère
bourgeois-libéral était relativement plus marqué, le
Minseitô commença en réalité à se déliter peu après
l’incident de Mandchourie, sous l’effet d’une tendance
vers le fascisme qui se révéla lorsque la mouvance
dirigée par le ministre de l’Intérieur Adachi prêcha pour
un cabinet de coalition52. Ai-je vraiment besoin de
souligner que, du point de vue de la résistance au
fascisme, il est impossible de tracer une ligne de partage
À
claire et nette entre le Minseitô et le Seiyûkai ? À
l’époque du cabinet Tanaka, au moment de la
ratification du pacte Briand-Kellogg, qui devait mettre la
guerre hors la loi, c’est le Minseitô, alors dans
l’opposition, qui agita la formule « au nom de leurs
peuples respectifs » que contenait le texte du pacte,
pour la dénoncer comme incompatible avec l’État
impérial japonais, et qui en fit un prétexte pour attaquer
le gouvernement de concert avec l’extrême droite non
parlementaire53. En attaquant le cabinet Hamaguchi sur
la signature du traité de Londres, moins de deux ans
plus tard, le Seiyûkai ne faisait en somme que se venger.
Autrement dit, pour abattre les cabinets formés par son
rival, chacun de ces deux partis était prêt à employer
tous les moyens et à s’allier avec n’importe qui,
contribuant ainsi à favoriser l’ascension de diverses
forces semi-féodales, indépendantes de la Diète mais
déjà puissantes. On peut dire que ces partis ont tenu au
Japon un rôle équivalent à celui qu’ont joué les ailes
droites du Parti socialiste en Italie et du Parti social-
démocrate en Allemagne.
Bien entendu, il ne faudrait pas sous-estimer le fait
qu’au Japon également la fascisation a touché les
mouvements prolétariens, comme je l’ai déjà évoqué
lorsque j’ai parlé de la mouvance Akamatsu-Kamei dans
le Parti social-démocrate, et de la mouvance Asô dans le
Parti ouvrier et paysan du Japon. Ce phénomène est
significatif lui aussi, mais lorsque l’on considère les
forces qui dominaient au sein de la Diète, il est clair que
le Japon n’en était pas au même stade que l’Allemagne
et l’Italie. Le décalage apparaît aussi, par exemple, dans
le fait qu’au Japon, parallèlement à la faillite des partis,
ce sont des éléments venus des groupes de pression
économiques qui ont afflué dans les organisations
d’extrême droite, tandis qu’en Italie, ce sont
principalement des éléments venus de l’anarchisme ou
du syndicalisme. Tout ceci permet de comprendre que
le caractère progressif de la fascisation, autrement dit la
continuité avec la période antérieure, constitue une
spécificité très importante du cas japonais.
Il y a encore toutes sortes d’aspects dont je n’ai pas pu
parler, ou que j’ai seulement effleurés, mais qui ne sont
pas moins importants et appellent une analyse
approfondie, comme les relations du fascisme japonais
avec les monopoles capitalistes ou les relations avec la
structure agraire qui est celle du Japon. Tous ensemble,
nous aurons à éclaircir ces questions au fur et à mesure
que les documents disponibles deviendront plus
nombreux. Ce n’est pas à moi qu’il peut revenir de
traiter exhaustivement toutes ces questions. Je n’ai
donc pas voulu m’avancer ici dans l’analyse structurale
du fascisme japonais, puisque celle-ci reste à faire. Je
me suis contenté d’étudier les mouvements politiques et
de mettre en lumière l’influence qu’ils ont eue sur
l’histoire du Japon jusqu’à la défaite, en insistant sur ce
que le processus a eu d’original quand on le compare
aux cas européens.
Je vous suis reconnaissant, quoi qu’il en soit, d’avoir
bien voulu écouter aussi attentivement un exposé aussi
long.

16. [1956-1957] On peut remarquer aussi que, dans ses « Jugements sur
la situation actuelle » de 1930, l’état-major incluait pour la première fois
des considérations qui n’étaient pas d’ordre purement stratégique mais
concernaient la rénovation de l’État. Si l’on en croit la note secrète du
commandant Tanaka*, il faut y voir la main de certains membres influents
de la Société de la fleur de cerisier, comme Hashimoto Kingorô ou Nemoto
Hiroshi, qui étaient alors en poste au Deuxième bureau de l’état-major.
D’autres sociétés secrètes s’étaient déjà formées avant celle-là, comme le
Parti de l’épée céleste, créé par Nishida Zei dans l’Armée de terre, et la
Société des soldats impériaux, fondée par Fujii Hitoshi dans la Marine, qui
furent des pépinières d’officiers rénovateurs.
[* Rédigée en janvier 1932 par le commandant Tanaka Kiyoshi, cette
note manuscrite reste une des principales sources sur les affaires de mars
et d’octobre 1931. Tombée entre les mains de partisans de la Voie
impériale, elle fut diffusée en 1935 par deux officiers qui allaient prendre
part au soulèvement du 26 février 1936 (N.d. T.).]
17. [1956-1957] Étant donné la focalisation de l’analyse sur la forme du
mouvement fasciste, c’est le 26 février 1936 qui marque une rupture et
qu’il fallait donc prendre ici comme repère pour distinguer entre la
deuxième et la troisième phase. Mais si l’on s’intéresse au fascisme comme
structure totale, une périodisation plus fine devient nécessaire. Comme je
l’ai expliqué ailleurs (voir infra, note 46), on doit alors s’efforcer de dégager
une à une les étapes concrètes de la « fascisation », afin notamment de
déterminer le moment à partir duquel le système fasciste devient
prédominant. La dissolution de tous les partis et syndicats, sous le
deuxième cabinet Konoe (juillet 1940), suivie par la création de
l’Association de soutien au Trône (12 octobre 1940) et celle de
l’Association patriotique de l’industrie du Grand Japon (13 novembre),
constitue à cet égard une double rupture : en un sens négatif d’abord, elle
anéantit les derniers espaces à partir d’où une forme de contestation aurait
encore pu se développer ; en un sens positif, ensuite, elle permet
l’incorporation des éléments dissous dans la structure homogène de
l’Association. Le système parvient à sa forme « achevée » sous le cabinet
Tôjô avec la loi sur le contrôle de l’expression des opinions, de l’édition,
des assemblées et des associations (19 décembre 1941) et les élections
dites « de soutien au Trône » (avril 1942). Par ailleurs, la signature du
Pacte militaire tripartite avec l’Allemagne et l’Italie, sous le cabinet Konoe
(septembre 1940), a beaucoup contribué à geler la situation politique
intérieure en mettant fin à toute discussion sur les alternatives qui, si
minimes fussent-elles, existaient encore jusque-là pour la politique
étrangère.
18. Trad. fr. Pierre Lavelle, « Les Textes et les thèmes fondamentaux du
nationalisme des élites japonaises », thèse de doctorat, Inalco, 1989,
p. 1171-1172.
19. Ibid., p. 1173.
20. [1956-1957] Cette idéologie de l’État impérial (kokutai) ayant pu
devenir, littéralement, l’étendard de l’armée et des mouvements d’extrême
droite, toutes les forces politiques (à l’exception des rares communistes),
toutes les classes sociales ont ainsi été privées du fondement de légitimité
sur lequel elles auraient pu s’appuyer pour résister frontalement au
fascisme. Mais, ironiquement, cette même idéologie, parce qu’elle était
intrinsèque au système impérial (voir « Logique et psychologie de
l’ultranationalisme »), a eu pour effet aussi de brider fortement le
développement des mouvements d’extrême droite japonais et de les
contenir dans certaines limites. La « malédiction » de l’État impérial
(kokutai), comme idéologie ou comme principe d’organisation sociale,
vient précisément du fait qu’il s’agit d’une force politique supra-politique.
La tragi-comédie de l’extrême droite aura en quelque sorte consisté à
vouloir forcer le passage à l’état solide d’une chose dont l’état naturel est
seulement gazeux. Du point de vue du processus de fascisation, ce
paradoxe doit sans doute être rapproché de celui du maccarthysme, qui
s’est développé avec une vigueur extraordinaire dans le contexte de la
guerre froide en faisant de l’anticommunisme son argument commercial,
mais qui n’a cessé de décliner en tant que force politique particulière à
mesure que l’anticommunisme se généralisait jusqu’à devenir
consubstantiel au système politique américain.
21. [1956-1957] Dans une table ronde réunissant des membres du
mouvement paysan proches de Gondô, j’ai trouvé ce passage, qui exprime
assez bien l’idéologie du mouvement d’auto-assistance des campagnes. On
y réagit aux critiques de l’extrême gauche : « Il est amusant de voir que
pour ces gens-là, le problème des campagnes, c’est le fait qu’il y a des
propriétaires et des fermiers ! C’était peut-être vrai en Angleterre à
l’époque de Marx, oui, mais certainement pas aujourd’hui dans notre pays !
[…] Être propriétaire terrien au Japon de nos jours, c’est posséder un titre
purement juridique. Du point de vue des situations économiques réelles,
on peut dire qu’il n’y a pas vraiment de différence avec le reste des
agriculteurs. On ne résoudra donc pas le problème des campagnes en
déclenchant aveuglément la lutte des classes. Il y a dans les campagnes un
problème plus grave et plus profond. Mais c’est un problème qui touche le
monde rural dans sa totalité. » (« Réfutation des critiques visant les thèses
de Gondô Seikyô », publié en annexe de Gondô Seikyô, Kunmin kyôchi
ron [Pour un gouvernement conjoint du souverain et du peuple], 1932.)
Corrélativement, et sans surprise, voici ce que l’on dit des ouvriers : « Nous
ne cherchons absolument pas à refuser la civilisation dont les villes
modernes sont porteuses. […] Mais un développement urbain comme celui
qu’on voit actuellement, qui ne fonctionne qu’au profit exclusif de la classe
dirigeante […], cela, sans aucun doute, nous le refusons, nous n’en voulons
absolument pas. » Ifukube Taketeru, « Sur les Erreurs d’interprétation de
Yamakawa Hitoshi à propos du nouveau mouvement paysan » (Ibid.).
22. Allusion aux unités militaires constituées de paysans et encadrées
par des guerriers de statut, qui furent créées dans les années 1850-1860
par le shôgunat et certains fiefs, posant ainsi les bases de l’armée de
conscription moderne fondée après la Restauration (N.d. T.).
23. « La lutte est le père de la création et la mère de la civilisation »,-
pouvait-on lire au début de cette publication, bien connue en raison des
remous qu’elle suscita à la Diète.
24. [1956-1957] À ce sujet, on peut citer le commentaire que
l’ambassadeur américain Joseph Grew [en poste à Tokyo de 1932 à 1942]
faisait vers le mois de février 1941, et qui ne concerne assurément pas que
les ouvriers : « Les distractions, et plus généralement toutes les joies de la
vie, font aujourd’hui l’objet de telles restrictions dans ce pays, qu’il n’est
pas surprenant de voir la population s’abaisser à certains comportements
[comme les bousculades et les bagarres qui se produisent dans les files
d’attente des cinémas]. Pour s’appliquer au Japon, le fameux slogan nazi
devrait être modifié en “Kraft durch Unfreude” : la force par la tristesse, et
non par la joie. » (Ten years in Japan, New York, Simon and Schuster,
1944, p. 374-375.)
25. L’absence des ouvriers dans les représentations véhiculées par les
idéologues du fascisme ou par l’idéologie officielle n’empêche pas qu’ils
aient été l’objet de politiques sociales plus importantes que ne le laisse
penser Maruyama. Voir Bernard Thomann, La Naissance de l’État social
japonais. Biopolitique, travail et citoyenneté dans le Japon impérial
(1868-1945), Presses de Sciences po, 2015 (N.d. T.).
26. [1956-1957] Il va sans dire que l’actualité, autant que l’histoire,
donne à toutes ces questions une importance et un intérêt extrêmes :
quelle relation faut-il voir entre l’« émergence » du Japon moderne et les
nationalismes asiatiques ? Quel rôle, en particulier, ont pu jouer les
aventuriers du continent liés à la Gen.yôsha ou à la Société du fleuve
Amour dans la Révolution chinoise de 1911 ? Quelle influence a pu avoir la
guerre de la « Grande Asie » sur les mouvements nationaux d’Asie du Sud-
est ? Si j’ai dû me contenter ici d’effleurer la troisième spécificité
idéologique du fascisme japonais, c’était sans doute parce que les
problèmes qu’elle soulève sont énormes, mais c’était d’abord et avant tout
en raison des restrictions flagrantes que l’occupant américain imposait
alors à la liberté d’expression sur ces sujets. Je pensais aussi qu’il valait
mieux éviter d’en parler si je ne pouvais pas le faire avec assez de
précision, car je risquais d’être mal compris. À propos notamment du rôle
du Japon en Asie du Sud-est, une analyse concrète et documentée semble
nécessaire. On trouvera un certain nombre d’informations dans le livre de
Willard H. Elsbree, Japan’s Role in Southeast Asian Nationalist
Movements, 1945-1950 (Harvard University Press, 1953). L’extrême droite
japonaise actuelle, écartelée entre le traditionnel sentiment de solidarité
asiatique et la dépendance occidentale que lui impose son
anticommunisme, n’est toujours pas sortie de la confusion où ce dilemme
l’a plongée depuis la fin de la guerre.
27. Tôkyô keibi shireibu, créée en 1923, pour accompagner la fin de
l’état d’urgence décrété après le Grand tremblement de terre du Kantô, elle
ne fut supprimée qu’en 1937. Les nominations évoquées par Koga suivirent
de peu l’entrée d’Araki au gouvernement (décembre 1931). Voir Factions
militaires et p. 265.
28. [1956-1957] La signification objective du 26 février est bien sûr à
l’opposé de celle que les officiers impliqués donnaient à leur soulèvement.
En recourant à la force armée pour provoquer une action de la part du
« pouvoir suprême », ils pensaient « rénover » la politique intérieure et
extérieure dans le sens qu’ils souhaitaient. Il y avait donc sans aucun doute
quelque chose d’éminemment fallacieux dans leur dénégation du caractère
politique de la transformation qu’ils visaient. Du moins leur « logique »,
telle que je l’ai évoquée plus haut, ne relevait-elle pas d’une justification
inventée après coup. La contradiction qu’il y avait à protester contre la
« privatisation de l’Armée impériale » par l’état-major tout en mobilisant
leurs troupes sans avoir eux-mêmes reçu d’ordres pour cela, s’explique si
l’on songe qu’ils avaient en tête l’article des Règles fondamentales de
tactique (Sakusen yômu rei) qui autorisait un officier subalterne à agir de
sa propre initiative sur un champ de bataille en cas d’urgence (dokudan
senkô). Si l’on voulait les condamner pour leur initiative du 26 février, ils
pourraient donc se défendre, pensaient-ils, en arguant, d’une manière
subjectivement tout à fait cohérente, que le général Honjô aurait dû être
condamné pour avoir usurpé la prérogative impériale lorsqu’il était à la tête
de l’armée du Kwantung et prit les décisions qui entraînèrent l’invasion de
la Mandchourie.
29. Il n’est pas certain que l’analyse de Maruyama puisse être reprise
telle quelle à propos du 26 février. Voir notre présentation, p. 268-269 (N.d.
T.).
30. Seinen gakkô : écoles destinées aux élèves ayant terminé le cycle
d’enseignement primaire, qui dispensaient un enseignement à la fois
général et professionnel, faisant par ailleurs une grande place aux exercices
militaires. Leur cursus complet, qui s’étendait sur 7 années, devint
obligatoire pour les garçons en 1939. Elles furent réformées et intégrées à
l’enseignement secondaire en 1947 (N.d. T.).
31. [1956-1957] Cette analyse pouvait conduire à surestimer la
« résistance passive » de la classe intellectuelle, dont j’ai décrit le rôle en
m’attachant trop exclusivement à son état d’esprit vis-à-vis du mouvement
fasciste. Il y aurait aujourd’hui à étudier en détail et de manière
approfondie le processus qui a conduit l’ensemble des professions
intellectuelles, par-delà la diversité de leurs habitus, à se laisser entraîner
dans une même obéissance silencieuse au régime. Néanmoins, pour ce qui
concerne la comparaison que je faisais avec le nazisme, je ne crois pas que
mon analyse se révèle inexacte. Parmi les manuscrits rédigés en prison par
un des accusés du 26 février, Yasuda Masaru, on trouve une note intitulée
« La décadence morale de la classe moyenne », qui permet de se faire une
idée de la vision que partageait peu ou prou l’ensemble du fascisme
radical : « La classe intellectuelle n’est bonne qu’à se tapir dans un égoïsme
abject. Elle n’a pas le courage nécessaire pour agir suivant ses convictions,
lesquelles se résument du reste à l’évangile marxiste, qu’elle s’est contentée
de gober. Quant aux “petits-bourgeois”, comme on les appelle, ils ne
connaissent que l’hédonisme charnel. Cette décadence est la source de
grands maux pour notre pays. » Une enquête effectuée en 1943 par le
Comité d’études sur la politique idéologique de la ville de Tokyo fait état de
positions divergentes parmi les enseignants à propos du système scolaire
tel qu’il fonctionnait au plus fort de la guerre (Enquête sur l’état
idéologique des maîtres et des élèves de l’enseignement secondaire dans
la municipalité de Tokyo). Parmi ceux qui portent un jugement critique,
certains, que les enquêteurs qualifient de « radicaux » (kyûshinteki),
pensent que les enseignants ne comprennent pas suffisamment la situation
et qu’il faudrait renforcer encore les mesures propres à adapter
l’enseignement aux exigences de la guerre. D’autres, que les enquêteurs
appellent « conservateurs », regimbent au contraire devant un ensemble
d’« excès » : ils estiment que l’on impose trop d’exercices militaires, que
l’on donne trop de temps à des formalités inutiles et que la multiplication
des tâches autres que d’enseignement les empêche de se consacrer à
l’étude. Or, si l’on met de côté ceux qui n’émettent aucune critique,
autrement dit ceux qui s’adaptent à la tendance générale (environ la moitié
des répondants), c’est dans les écoles normales que l’on trouve le plus de
« radicaux », notamment parmi les jeunes enseignants (plus de 55 %),
tandis que c’est parmi les enseignants du secondaire qu’on trouve le plus
de « conservateurs », là encore parmi les jeunes enseignants (plus de 37 %),
et dans le primaire supérieur qu’on en trouve le moins. On remarque aussi
que les « radicaux » donnent peu d’exemples concrets dans leurs réponses,
et formulent plus souvent leurs critiques en termes abstraits et généraux
(« Il faut éradiquer le libéralisme ! », « Le combat final demande plus
d’engagement ! »), tandis que les « conservateurs » se fondent sur des
expériences ou des observations concrètes. Or cette opposition recoupe en
gros celle des habitus entre les deux composantes de la classe moyenne
dont j’ai parlé plus haut. Du point de vue idéologique, les enseignants du
primaire supérieur et des écoles normales tendent fortement à se ranger du
côté du fascisme radical, ou d’un « ardent soutien » au régime, ceux des
collèges classiques se rangeant au contraire du côté des intellectuels et des
salariés urbains.
32. Des Principes premiers du gouvernement (Of the First Principles of
Government, 1741) : « C’est donc sur l’opinion seule que se fonde le
gouvernement. Une telle maxime s’applique tant aux gouvernements les
plus despotiques et les plus militaires qu’aux gouvernements les plus libres
et les plus populaires. » Trad. fr. Gilles Robel, Essais moraux, politiques et
littéraires, PUF, 2001, p. 147 (N.d. T.).
33. [1956-1957] À cet égard les choses ont remarquablement changé
depuis la fin de la guerre, les intellectuels ne formant plus un groupe social
aussi bien délimité qu’autrefois. Dans la presse, tous les grands journaux,
sans exception, se sont rapprochés du modèle américain et adaptés à une
société de masse « nivelée ». Le cas de l’Asahi shinbun, qui avant la guerre
se distinguait nettement des autres feuilles, en donne l’illustration la plus
frappante.
34. Tout au moins la faction du Contrôle, dominante à l’état-major et au
ministère lorsque l’affaire éclata, ne voyait pas dans la thèse de Minobe un
danger pour ses propres ambitions politiques, alors que la faction de la Voie
impériale la combattait résolument. Voir Takahashi Masae, Ni ni roku
jiken, Chûô kôronsha, 1999 (5e éd. revue et augmentée), p. 153-158. De
plus, les déclarations modérées des ministres citées par Maruyama
s’expliquent en partie par la réserve à laquelle ils étaient tenus en tant que
membres du cabinet gouvernemental. L’un et l’autre laissèrent néanmoins
comprendre qu’ils n’avaient pas de sympathie pour Minobe ni pour sa
thèse. (N.d. T.)
35. L’acharnement du Seiyûkai s’explique en partie par l’espoir de faire
tomber le cabinet Okada. Alors qu’il était majoritaire à la Chambre basse,
le Seiyûkai n’avait pas été appelé à former le gouvernement. Voir notre
présentation, p. 257 (N.d. T.).
36. [1956-1957] Là encore (voir note précédente), le fossé culturel qui
existait autrefois s’est largement comblé depuis la fin de la guerre et il y a
aujourd’hui davantage de continuité entre les deux groupes. Ou bien peut-
être vaut-il mieux dire qu’on ne peut plus identifier les professions
intellectuelles aux seuls salariés urbains diplômés des universités. Non
seulement le salariat urbain a pris un caractère massif, mais en outre un
nouveau type de professions intellectuelles à part entière s’est développé,
notamment à travers le syndicalisme, parmi les emplois qui ne sont pas
occupés par les diplômés des universités. D’autre part, le « journaliste
intellectuel » d’avant la guerre a été absorbé dans l’ensemble plus vaste des
« professions culturelles », dont l’apparition s’est traduite à la fois par une
« promotion » des « gens du spectacle » (geinôjin), inclus dans ce nouvel
ensemble, et par une tendance des intellectuels à se rapprocher du
spectacle, c’est-à-dire par une dépendance croissante envers les médias de
masse. L’effacement des frontières entre ces deux milieux est assez bien
symbolisé par l’évolution d’une revue comme Bungei shunjû (« Les
Annales littéraires »), de plus en plus tournée vers le grand public, ou par
la multiplication des hebdomadaires. On pourrait croire que l’opposition
fréquemment soulignée entre le conservatisme des grands quotidiens et le
style progressiste des revues généralistes est un héritage d’avant la guerre.
Cela est peut-être vrai à certains égards mais, si l’on considère l’évolution
des lectorats, il n’est pas certain que la signification sociologique de cette
opposition soit la même aujourd’hui.
37. Initialement destinés à empêcher l’armée des Alliés de débarquer
dans l’archipel, ces exercices consistèrent bientôt également à braquer les
piques vers le ciel afin de repousser les bombardiers américains (N.d. T.).
38. Ministre de l’Intérieur dans le cabinet Wakatsuki et membre du
même parti (Minseitô), Adachi s’en désolidarisa en appelant à une coalition
avec le parti Seiyûkai, hâtant la chute de Wakatsuki alors que celui-ci était
mis en difficulté par les initiatives des militaires sur le continent. Il quitta
peu après le Minseitô pour créer un parti nationaliste (N.d. T.).
39. Hormis l’assassinat du Premier ministre Inukai, la tentative de coup
d’État du 15 mai échoua largement. Elle entraîna cependant l’abandon de
la règle qui s’était progressivement mise en place depuis 1914, consistant à
choisir le Premier ministre au sein de la Diète. De mai 1932 jusqu’au
lendemain de la guerre, les Premiers ministres furent soit des militaires, le
plus souvent, soit des hauts fonctionnaires. Voir notre présentation, p. 254-
259 (N.d. T.).
40. [1956-1957] Bien que ces appellations soient devenues très
courantes et que l’on tende à rabattre systématiquement tous les
affrontements au sein de l’armée sur ce schéma simple opposant faction de
la Voie impériale et faction du Contrôle (parfois en adjoignant à celle-ci la
faction dite « de l’Armée pure » ou Seigun-ha), les choses sont en réalité
plus complexes et difficiles à saisir. L’antagonisme de ces deux factions n’a
vraiment été patent qu’entre le moment où le général Araki est devenu
ministre de l’Armée (décembre 1931) et la tentative de coup d’État du
26 février 1936. S’il est vrai que la faction de la Voie impériale avait une
certaine cohérence, il n’est pas certain, en revanche, que ceux qui prirent
les rênes de l’armée après le 26 février puissent être considérés comme
appartenant à la faction du Contrôle (du reste, on parle souvent de
« nouvelle faction du Contrôle »). Sous ces réserves et par commodité, je
me suis permis d’utiliser les mêmes noms pour évoquer des faits
postérieurs à 1936. [Pour des précisions sur l’histoire de cet affrontement
au sein de l’armée, voir Factions militaires et notre présentation, p. 265-
266 (N.d. T.).]
41. [1956-1957] Nagata Tetsuzan, qui passait pour être le cerveau de la
faction du Contrôle, déclara souvent qu’il ferait de l’armée tout entière
l’artisan « irréprochable » de la rénovation nationale. C’est cette ambition
qui l’amena à se rapprocher de l’entourage impérial (anciens Premiers
ministres et membres du Conseil privé) ainsi que des nouveaux
bureaucrates. Les idées de la Voie impériale, comme je l’ai dit, étaient des
plus abstraites. Leur seule proposition concrète, et qui selon eux devait
passer avant tout, était la guerre contre l’Union soviétique. Elle n’était pas
fondée seulement sur des considérations stratégiques mais découlait
« logiquement » de leur croyance en la supériorité absolue de l’État
impérial. On ne saurait oublier que parmi les revendications du 26 février
figurait la nomination du général Araki à la tête de l’armée du Kwantung,
« afin d’intimider l’Union soviétique ». La plupart des instigateurs du
26 février partageaient sans doute peu ou prou la même anxiété que celle
dont l’un d’eux, le lieutenant Nakahashi, faisait état dans son testament :
« En cas de conflit avec l’URSS, avons-nous vraiment une chance de
l’emporter ? Et si l’ennemi venait à la fois de l’intérieur et de l’extérieur ?
Une fois la droite liquidée, il ne resterait plus que les neutres (“les
impotents”, comme on dit) et la gauche. Je ne saurais exprimer le
désespoir immense que cette idée m’inspire » (« Testament de Nakahashi
Motoaki »). On ne peut comprendre la radicalité des moyens mis en œuvre
par les jeunes officiers de la Voie impériale si l’on ne tient pas compte de ce
sentiment qu’une guerre avec l’Union soviétique était imminente. Par
ailleurs, s’il est certain que les contradictions sociales ont joué un rôle dans
ce qui a poussé les jeunes officiers au soulèvement, l’optimisme de leur
croyance en cette épiphanie impériale qui devait se produire dès qu’ils
auraient éliminé « les scélérats infestant le Trône », leur interdisait
foncièrement toute pensée critique de nature à évoquer le problème social
en tant que tel ou à mettre en cause le régime lui-même. Mais il y a plus,
car dans la politique réelle, ce principe de soumission intégrale à
l’empereur et la méfiance instinctive pour toute initiative de réforme du
système n’émanant pas de l’empereur en personne (méfiance qui motivait
aussi leurs attaques contre « les fascistes de l’état-major ») étaient bien
faits pour fonctionner dans le sens d’un conservatisme absolutiste. Que par
la suite des généraux de la Voie impériale comme Yanagawa ou Obata aient
uni leur voix à celle de vétérans de la haute finance pour dénoncer la
planification de l’économie comme l’œuvre de « démons rouges », ou qu’ils
aient contribué à rendre sans effet le Mouvement pour un ordre nouveau (à
en faire une « mobilisation spirituelle », comme ils disaient), tout cela était
du moins parfaitement cohérent avec le principe idéologique fondamental
de ce courant. C’est la même logique qui commandait l’hostilité violente
des jeunes officiers envers les projets de coup d’État de 1931 (affaires de
mars et d’octobre) ou envers « les fascistes de l’état-major ». On se trompe,
donc, lorsqu’on prétend décrire cette idéologie en la résumant par la
formule « État impérial + socialisme », ou en parlant de social-
nationalisme, car on laisse alors échapper cette combinaison paradoxale de
conservatisme et de radicalité. Il ne suffit pas de pointer la contradiction
entre les fins subjectives et le rôle objectif des jeunes officiers. Il importe
au moins autant de souligner la limite intrinsèque à leur idéologie, qui les
empêchait de formuler aucune critique du système dans son contenu
concret, la radicalité se trouvant réduite à la dimension purement formelle
de l’illégalité.
42. Sur ce discours et l’échange qui s’ensuivit, voir Échange du hara-kiri
(N.d. T.).
43. Voir Affaires du front populaire (N.d. T.).
44. La Loi d’urgence sur le contrôle de l’expression des opinions, de
l’édition, des assemblées et des associations (Genron shuppan shûkai
kessha torishimari hô), ainsi que la Loi pénale spéciale pour le temps de
guerre (Senji keiji tokubetsu hô) furent passées le 19 décembre 1941. La
seconde fut aggravée à trois reprises, deux fois en 1943 et une fois en juin
1945 (N.d. T.).
45. Ou « pseudo-constitutionnalisme » (Scheinkonstitutionalismus) :
terme employé par les libéraux allemands au XIXe siècle pour critiquer les
Constitutions ne servant qu’à maintenir l’ancien régime sous une forme
moderne ou réservant l’essentiel du pouvoir au monarque (y compris la
Constitution imposée par la Prusse en 1870). Il fut repris par Max Weber
dans son analyse de la Russie après la révolution de 1905, qui soulignait le
peu d’effet de celle-ci sur le pouvoir de la bureaucratie. Voir Œuvres
politiques (1895-1919), trad. fr. Él. Kauffmann, J.-Ph. Mathieu et M.-A.
Roy, Albin Michel, 2004. Maruyama s’en est largement inspiré dans sa
propre analyse du régime instauré par la Constitution de 1889. Voir « Le
Profil psychologique des dirigeants de guerre », p. 152 sq. (N.d. T.).
46. [1956-1957] D’autres facteurs contribuent à déterminer le modèle de
développement du fascisme. Sur ce qui fait que le processus se poursuivra
« par en bas » ou « par en haut », je renvoie à mon article de 1952,
« Questions à propos du fascisme. Remarques sur sa dynamique politique »
(« Fashizumu no shomondai. Sono seijiteki dôgaku ni tsuite », Shisô,
octobre 1952, trad. angl. Ronald Dore, dans Thought and Behaviour in
modern Japanese politics, sous la dir. d’Ivan Morris, Londres, Oxford
University Press, 1966, p. 157-176.)
47. En 1928, à l’issue des premières élections au suffrage universel
masculin, les partis de gauche, ou « partis prolétariens » (musan seitô),
obtinrent 7 sièges à la Chambre basse, sur un total de 466 (N.d. T.).
48. [1956-1957] Il ne fait pas de doute que la classe dominante a
réellement cru qu’une révolution « bolchevique » menaçait le Japon, mais
c’est une autre question que celle de savoir si les conditions subjectives et
objectives étaient effectivement réunies pour qu’une révolution
prolétarienne soit bientôt envisageable. Cette réaction, disproportionnée,
au progrès des idées communistes s’explique en premier lieu par le fait
qu’on y voyait l’influence et même la main de l’Union soviétique, pays tout
proche. C’est à la classe dominante japonaise, et non à Foster Dulles, que
revient l’honneur d’avoir inventé la notion d’« agression indirecte ». Que
l’anticommunisme des jeunes officiers ait été plus profond encore que leur
aversion pour les financiers japonais s’explique non seulement par la vision
de l’État impérial dont j’ai parlé, mais par l’instinct de leur profession, qui
ne pouvait considérer le communisme indépendamment de la position
géostratégique du Japon vis-à-vis de la Russie. En second lieu, on a pensé
que les enfants de la bourgeoisie, les intellectuels, les étudiants (l’élite du
pays ou ceux qui devaient la former un jour) étaient progressivement
contaminés. À propos des causes du terrorisme d’extrême droite, un
rapport de la Direction générale de la Police (ministère de l’Intérieur)
expliquait ainsi : « Nous assistons à l’importation des idées socialistes et
communistes, favorisée par la Révolution russe. […] Depuis le grand
séisme du Kantô [1923], les diplômés des lycées et de l’enseignement
supérieur, autrement dit ceux qu’on appelle “les intellectuels”, ont été les
plus exposés à l’influence des idées rouges. Nous voyons aujourd’hui de
plus en plus de membres du Parti communiste qui ne craignent pas de
prôner jusqu’au renversement de notre magnifique État impérial. Nous en
avons découvert des cas jusque dans l’armée de Notre Souverain. »* Alors
que l’organisation des ouvriers et des paysans était encore à un niveau qui
n’avait guère de quoi inquiéter, et alors que l’inclination des
« intellectuels » pour « les idées rouges » était, selon les critères marxistes,
un phénomène tout à fait anormal, il est assez amusant que la classe
dominante japonaise ait vu là une menace redoutable. Comme le montre le
fameux mémoire adressé à l’empereur par Konoe Fumimaro en février
1945, le cauchemar qui jusqu’à la fin terrifia les dirigeants japonais était
moins celui d’une révolution venue d’en bas que celui d’un effondrement
de l’appareil d’État qui aurait été provoqué de l’intérieur de celui-ci**.
Dans l’ensemble, la bolchevisation de la « classe intellectuelle » ou celle des
« fils de bonne famille » était pourtant loin d’avoir pris une ampleur telle
qu’on dût s’en alarmer. Ce constat oblige à s’interroger sur les causes de
ces réactions allergiques suraiguës aux phénomènes de différenciation
idéologique, donc sur les structures psychologiques du Japon impérial
d’avant 1945. Je renvoie ici à « Logique et psychologie de
l’ultranationalisme ». Voir aussi infra, note suivante.
[* Non publié, ce rapport est également cité par Yabe Teiji (Konoe
Ayamaro, Konoe Ayamaro denki kankô kai, Tokyo, 1952, p. 188, 199,
243), qui le tenait probablement de Konoe, dont il était un proche
conseiller. Maruyama a pu en obtenir un exemplaire grâce à Yabe, qui fut
son collègue à la faculté de droit de l’Université de Tokyo jusqu’en 1945 et
qui le mentionne à plusieurs reprises dans son journal (Yabe Teiji nikki, 3
vol., Yomiuri shinbunsha, 1975) (N.d. T.).]
[** Dans ce mémoire, Konoe présentait la défaite comme désormais
inévitable et dénonçait une collusion des ultranationalistes radicaux avec
l’extrême gauche : le jusqu’au-boutisme, selon lui, ne visait en réalité qu’à
produire les conditions les plus favorables à une révolution (N.d. T.).]
49. [1956-1957] Cette explication, naturellement, me paraît aujourd’hui
très insuffisante. Comme l’avait tout de suite fait remarquer Hattori Shisô,
je péchais là par économisme. Pour comprendre l’absence de prise du
pouvoir par en bas, il est nécessaire de dégager ce qu’il y a de spécifique
dans les structures du régime impérial, en mettant au jour les puissants
mécanismes d’assimilation dépolitisante qui ont servi à produire des sujets
loyaux et fidèles. Parmi les travaux récents, on pourra consulter ici
Recherches sur les structures politiques du Japon moderne d’Ishida
Takeshi (Kindai Nihon seiji kôzô no kenkyû, 1956). La stabilité du système
impérial moderne a été assurée d’un côté par la dépolitisation de la base de
la société (l’ordre des notables, gardiens « de la morale et des bonnes
mœurs », appuyé sur les instances de pouvoir locales), de l’autre par un
sommet transcendant la politique (l’empereur et la haute bureaucratie,
placés au-dessus de tous les affrontements politiques). Dans un tel
système, la propension est généralement forte à percevoir la diversification
des idées politiques comme un grand péril pour la concorde naturelle
(« l’esprit d’harmonie »). Cette inclination s’aggrave encore lorsque le
système paraît en crise. La maxime favorite des fascistes et autres
thuriféraires de l’État impérial, selon laquelle « le libéralisme fait le lit du
communisme », a eu au Japon une force particulière. On peut considérer
en effet comme une loi générale que le fascisme, dans une situation
donnée, concentrera toujours ses attaques sur l’idéologie la plus marginale.
Or, s’il est vrai que le fascisme se donne toujours pour première tâche la
destruction des avant-gardes révolutionnaires, celle-ci, au Japon, était déjà
pour l’essentiel accomplie à la fin de l’époque des cabinets de parti. Les
mouvements d’extrême droite et tous ceux qui appelaient à purger l’État
impérial abandonnèrent donc beaucoup plus tôt qu’ailleurs leurs premières
cibles, communisme et socialisme, pour tourner leurs attaques vers ce
libéralisme censé préparer le terrain aux idées rouges. On peut situer vers
1932-1933 le moment de cette réorientation, dont la précocité même eut
une importance extrêmement grande pour le processus politique et social
ultérieur.
50. Voir Arrestations du 15 mars 1928 et du 16 avril 1929.
51. En juin 1928, une ordonnance impériale d’urgence (kinkyû
chokurei) ajouta la peine de mort aux sanctions prévues par la déjà sévère
Loi sur le maintien de l’ordre public (Chian iji hô) de 1925. Elle élargit la
définition des actes pouvant faire l’objet de poursuites et supprima la limite
de dix ans pour les peines d’emprisonnement.
52. Voir supra, note 38.
53. « Les Hautes Parties contractantes déclarent solennellement au nom
de leurs peuples respectifs qu’elles condamnent le recours à la guerre pour
le règlement des différends internationaux et y renoncent en tant
qu’instrument de politique nationale dans leurs relations mutuelles. »
Article premier du pacte de renonciation à la guerre, signé à Paris le
27 août 1928, par les représentants de l’Allemagne, des États-Unis, de la
Belgique, de la France, du Royaume-Uni, de l’Italie, du Japon, de la Pologne
et de la Tchécoslovaquie, auxquels se joignirent peu après une quarantaine
d’autres pays.
● LE PROFIL PSYCHOLOGIQUE DES
DIRIGEANTS
DE GUERRE JAPONAIS (MAI 1949)

1. LE LIEU DU PROBLÈME
À ce jour, aucune réponse claire n’a encore été apportée à la question
de savoir pourquoi le Mikado, le Führer et le Duce ont déclenché une
guerre contre les États-Unis au moment même où Joukov menait
victorieusement la contre-offensive soviétique devant Moscou. Les
choix désespérés d’hommes en proie au fanatisme et à la mégalomanie,
se laissent moins facilement expliquer par des considérations
diplomatiques ou de stratégie que par une étude psycho-pathologique.

Ainsi s’exprime dans un ouvrage récent54, au détour


d’une analyse de la situation internationale à l’époque
de Pearl Harbor, le professeur Frederick L. Schuman,
connu comme l’un des meilleurs spécialistes américains
de géopolitique. Balaierons-nous ses propos d’un revers
de la main en nous contentant de remarquer qu’ils
émanent d’un représentant de cette école de Chicago
qui marche dans les pas de Freud ? Non, car ce que
montre amplement la succession des événements
politiques ayant conduit à la guerre du Pacifique, telle
que le procès de Tokyo l’a mise en lumière avec le plus
grand détail, c’est justement à quel point la décision
d’entrer en guerre a été prise dans des circonstances qui
défient la raison. La déclaration de guerre contre les
États-Unis ne fut pas la conclusion réfléchie d’une
analyse minutieuse de la situation internationale, des
capacités de production des différents pays et de leurs
situations intérieures. Elle fut décidée au contraire par
des hommes de pouvoir si peu au courant des affaires du
monde qu’ils ignoraient jusqu’aux accords de Munich ou
à l’existence des camps de concentration55, et dans
l’état d’esprit de ceux qui ne savent plus à quoi se
prendre, comme l’a révélé crûment cette déclaration du
général Tôjô : « Les hommes doivent parfois sauter du
haut d’une falaise en fermant les yeux56. » On comprend
que les Alliés, qui en arrivant au Japon étaient
persuadés qu’on ne pouvait avoir entrepris de faire la
guerre aux deux premières puissances mondiales sans
une organisation et un plan fondés sur des prévisions
tant soit peu claires, soient tombés des nues lorsqu’ils
découvrirent petit à petit la réalité.
Alors qu’il était encore occupé à guerroyer contre la Chine et tandis
qu’il préparait une offensive contre l’Union soviétique, comment le
Japon a-t-il pu décider d’attaquer en même temps les États-Unis et
l’Empire britannique ? Nombreux sont les hommes très sensés qui se
posent cette question parfaitement légitime, à laquelle il nous est
impossible de répondre sans admettre que les dirigeants japonais, en
particulier les dirigeants militaires, avaient une confiance aveugle dans
la puissance de l’Allemagne et croyaient sa victoire inéluctable. Ils
escomptaient […] que l’Union soviétique s’effondrerait tôt ou tard,
comme l’Allemagne le leur avait promis.

ATMIEO, n° 8557.

Ces paroles du procureur Golunsky suggèrent à quel


point « l’énigme » devant laquelle ils se trouvaient
apparut insoluble aux accusateurs eux-mêmes. Dans son
réquisitoire, le procureur Keenan admit ouvertement sa
difficulté à saisir la réalité du « complot » japonais :
Une difficulté que l’on rencontre dans l’analyse de ce complot tient à
son ampleur même, qui rend inconcevable que celui-ci ait pu être
élaboré par un groupe de quelques hommes.
ATMIEO, n° 371.

On comprend aisément aussi que les avocats


américains aient exploité à fond l’incrédulité qu’en leur
for intérieur partageaient peu ou prou tous les
représentants des Alliés. Dans sa plaidoirie finale,
Monsieur Blewett réfuta ainsi l’argument de l’accusation
sur « l’immense augmentation des équipements
militaires » en citant les chiffres de la production
aéronautique destinée à l’Armée de terre au cours des
années qui précédèrent le conflit.
Pour les avocats ressortissants d’un pays comme les États-Unis, qui
produisait chaque année plus de 50 000 appareils, il y a dans ces
chiffres quelque chose non pas de comique mais de tragique, dès lors
que les vies de plusieurs responsables publics sont ici en jeu. Il faudrait
être Don Quichotte pour entreprendre aujourd’hui de conquérir le
monde avec une poignée d’avions.
ATMIEO, n° 391.

Et sans doute est-ce là l’expression sincère du


sentiment qui pouvait être celui d’un Américain. Les
Alliés furent également frappés par la faiblesse de
l’organisation du régime durant la guerre, alors que leur
propagande avait décrit le Japon comme un modèle de
« totalitarisme » au même titre que l’Allemagne, ainsi
que par la division qui régnait entre les dirigeants et
l’instabilité politique intérieure, contrastant avec le
régime nazi. « Entre les accusés ici présents, il n’a existé
aucun accord, aucune similitude de vues, aucune
coopération supérieure ni même comparable à ce qu’ont
montré les autres puissances à travers les gigantesques
efforts de guerre qu’elles ont accomplis au cours de cet
épisode tragique de l’histoire moderne », a ainsi plaidé
M. Brannon (ATMIEO, n° 255). Le même fit encore
observer peu après :
Quelle preuve réelle avons-nous contre le gouvernement japonais lui-
même ? Simplement le fait qu’au cours de la période en question,
quinze cabinets différents se sont succédé […]. Le fait qu’à travers la
formation et la chute de ces quinze cabinets différents, il y eut treize
Premiers ministres, trente ministres des Affaires étrangères, vingt-huit
ministres de l’Intérieur, dix-neuf ministres de l’Armée, quinze ministres
de la Marine, vingt-trois ministres des Finances. […] Loin d’attester une
entente, un plan commun ou une conspiration visant à dominer le
monde ou à quelque autre objectif, ces faits démontrent clairement
l’absence de direction ou de concentration du pouvoir […].
ATMIEO, n° 386.
Pour les « alliés » nazis qui, contrairement aux Alliés,
eurent l’occasion d’observer de plus près le régime de
guerre japonais, cette multipolarité du pouvoir et
l’instabilité de la politique extérieure qui en résultait
furent très tôt une source de préoccupation. En juillet
1940, lors d’un entretien avec les ambassadeurs
japonais Satô et Kurusu, Ribbentrop leur expliqua qu’il
« savait parfaitement ce que souhaitait l’Allemagne,
mais regrettait de ne parvenir à cerner les intentions du
Japon, et que, tout en regardant comme nécessaire une
collaboration entre les deux pays, il désirait au préalable
qu’on lui expose concrètement les souhaits du Japon »
(Télégramme de Kurusu à Arita, ministre des Affaires
étrangères, 10 juillet 1940, ATMIEO, n° 106). Cela deux
mois à peine avant la signature du pacte militaire
tripartite ! Un autre exemple en est fourni par le
témoignage de l’amiral Paul Wenneker, d’après lequel un
attaché militaire allemand en poste à Tokyo, consterné
par l’hostilité qui opposait la Marine et l’Armée, avait
même tâché de s’entremettre pour améliorer leurs
relations (ATMIEO, n° 256).
À vouloir démontrer le caractère inéluctable du
processus historique ayant conduit de l’incident de
Mandchourie à la guerre du Pacifique, nous sommes
enclins à interpréter ces faits d’une manière qui les
rende rationnels et cohérents avec le sens général du
processus. Or, s’il est vrai que d’un point de vue
macroscopique l’aboutissement de l’impérialisme
japonais apparaît comme le résultat d’une nécessité
historique, ce que l’on découvre à mesure que l’on
descend vers une observation microscopique, c’est une
immense accumulation de décisions irrationnelles. Nous
ne pourrons résoudre le problème en écartant ou en
gommant ces éléments irrationnels, cet aveuglement des
dirigeants japonais. Il faut au contraire prendre appui
sur eux et chercher à les resituer dans une perspective
globale dont la rationalité sera historique.
Lors du procès de Tokyo, deux thèses se sont
violemment affrontées : la thèse du « complot », avancée
par l’accusation, et la thèse de « l’absence de plan »,
avancée par la défense. Sans doute étaient-elles
incompatibles du point de vue juridique. Et pourtant,
elles ne le sont pas forcément du point de vue de
l’analyse historique. Il est certain que les accusés
partageaient le vœu d’établir une « Sphère de
coprospérité » en Asie orientale, de fonder un ordre
nouveau en plaçant « les huit coins du monde sous un
même toit », en « étendant au monde entier la Voie
impériale ». Même si aucun n’a reconnu qu’il s’agissait là
d’un rêve de Don Quichotte, certains avaient néanmoins
encore assez de discernement pour ne pas oser avouer
qu’ils y croyaient, et d’autres, tout en y croyant
fermement, renvoyaient sa réalisation dans un lointain
futur. Les plus fanatiques même auraient spontanément
reculé une fois devant les moulins, en constatant alors
la petitesse de leur lance58. Cependant tous, poussés par
une force mystérieuse, ont fini par se jeter en avant, les
yeux fermés mais tremblants à l’idée du désastre. Ont-
ils souhaité la guerre ? Oui. Ont-ils souhaité l’éviter ?
Oui encore. Ils ont cherché à l’éviter tout en la désirant.
Tout en cherchant à l’éviter, ils ont délibérément choisi
le chemin de la guerre. Telle est la vérité. Quelle que fût
l’impréparation du pouvoir japonais, quelle que fût sa
désorganisation, il ne fait aucun doute qu’il se dirigeait
vers la guerre. Ou plutôt, pour le dire d’une manière
paradoxale, c’est cette absence même de plan qui devint
le moteur d’une « conspiration ». Là se cache la
pathologie la plus profonde du « régime » japonais. Telle
est la paradoxale vérité que nous raconte en détail
l’énorme masse des minutes du procès de Tokyo59.
Il ne s’agit pas seulement des criminels de guerre de
catégorie A, mais aussi des centaines de témoins cités à
comparaître par l’accusation et par la défense, qui
représentaient à peu près l’ensemble du monde
politique japonais : conseillers du Palais, anciens
Premiers ministres (jûshin), états-majors militaires,
membres des partis. Leurs témoignages, nombreux et
variés, ont dévoilé l’incroyable complexité du
fonctionnement de l’appareil d’État japonais. Ils ont mis
en pleine lumière à la fois les faits qu’ils révélaient, mais
également, à travers les manières de répondre aux
questions posées, la psychologie et le mode de
comportement de la classe dirigeante. Notre objectif
consistera donc, en partant de ces documents, à dégager
l’éthos inhérent à ce que fut l’État japonais durant les
années de guerre. Naturellement, le problème est trop
vaste pour qu’il soit question ici d’en traiter davantage
que quelques aspects. Au surplus, sans doute n’y a-t-il
rien que de très banal dans ce que j’ai restitué, rien qui
n’appartienne à ce que nous pouvons observer
quotidiennement. Mais s’il en est ainsi, alors nous
devons d’autant plus nous étonner des immenses
conséquences qu’ont eues ces faits banals, et maintenir
la plus grande vigilance à leur égard.

2. COMPARAISON AVEC LES DIRIGEANTS NAZIS


Il n’est pas besoin d’écouter les freudiens pour
constater que le fascisme est toujours lié à des états
psychologiques anormaux et s’accompagne partout des
symptômes de l’hystérie. De ce point de vue, rien ne
distingue vraiment le fascisme japonais des fascismes
occidentaux. Du point de vue, en revanche, de la
structure pathologique elle-même et de la manière dont
elle s’exprime, l’Allemagne nazie et le Japon militariste
diffèrent sensiblement, sinon totalement.
D’abord et avant tout, le contraste est absolu entre les
origines sociales des dirigeants nazis et celles de nos
criminels de guerre. La plupart des hauts dirigeants
nazis n’avaient pas fait beaucoup d’études et, jusqu’à la
prise du pouvoir, n’occupaient pas des positions très
importantes (si même on peut dire qu’ils occupaient des
positions60). Les accusés d’Ichigaya, au contraire,
sortent des meilleures universités ou académies
militaires du pays. Après ces brillantes études, ils ont
poursuivi sans heurt des carrières qui les ont menés
jusqu’aux positions les plus élevées qui soient dans
l’État impérial. Mais ce n’est pas tout. Toxicomanes,
comme Göring, pervers sexuels, comme Himmler, ou
alcooliques, comme Robert Ley, les dirigeants nazis
formaient un ramassis d’« anormaux » d’un type que la
société tend généralement à rejeter, de véritables hors-
la-loi. On trouve bien parmi nos accusés quelques vrais
malades mentaux (Ôkawa, Shiratori), ou des cas limites
(Matsuoka), mais lorsque l’on considère l’ensemble, il
paraît difficile d’y voir des « anormaux » au sens étroit
du terme, si incompréhensibles pour le sens commun
que puissent avoir été leurs jugements et leurs actes
politiques. Loin que la société les ait rejetés, ces
hommes étaient pour la plupart destinés depuis leur
jeunesse à devenir ministres ou généraux, ou bien ils
étaient auréolés du prestige d’ancêtres glorieux, et c’est
avec envie qu’on les regardait autour d’eux.
On ne trouvera pas d’authentiques hors-la-loi parmi
ces individus. Quelques-uns, sans doute, au sein des
factions militaires, surtout dans l’Armée de terre, se
sont parfois comportés en hors-la-loi. Ainsi Doihara et
Itagaki en Mandchourie vers 1931, ou Hashimoto, dans
les affaires de mars et d’octobre. Même ceux-là,
pourtant, n’y perdirent pas tout à fait leur tempérament
pusillanime et bureaucrate, ce trait s’accusant d’ailleurs
par la suite, à mesure qu’ils montaient en grade. S’il est
vrai que les hors-la-loi n’ont pas joué un rôle moins
important dans le fascisme japonais que dans le
fascisme allemand, ils ont pris chez nous la figure du
rônin, dont la particularité est justement de n’occuper
aucune position de pouvoir. On les voit en revanche
constamment rôder dans les parages des puissants,
sinistres hommes de main agissant dans l’ombre pour le
compte de ces employeurs irréguliers61. Il n’est pas
exagéré de dire que les accusés d’Ichigaya, qui
regardaient de très haut ces mauvais sujets de tout poil,
furent de pitoyables marionnettes entre leurs mains. Il y
a là une différence essentielle entre la structure du
pouvoir fasciste au Japon et celle du pouvoir nazi. Ce
contraste a été noté par l’accusation. Le procureur
Tavenner, par exemple, a conclu ainsi son réquisitoire
final :
Les hommes ici présents ne sont pas les voyous qui pour l’essentiel
occupaient le même banc au tribunal de Nuremberg, cette lie
parfaitement formée aux méthodes criminelles et n’en connaissant
point d’autre. Ces hommes, ces dirigeants honorables en qui l’on avait
confiance, étaient censés représenter l’élite de leur nation […]. En
pleine connaissance de cause, ils ont choisi délibérément la voie du mal
[…]. En pleine connaissance de cause, ils ont choisi d’entrer sur le
chemin de la guerre, apportant la mort et la destruction à des millions
d’êtres humains, apportant la haine partout où leurs forces se
déployaient […] De ce choix, ils doivent assumer la culpabilité.
ATMIEO, n° 416.

Si les accusés d’Ichigaya appellent une analyse


psycho-pathologique, celle-ci ne doit concerner que
l’influence qu’ils ont subie de la part de véritables
aliénés, Japonais ou étrangers, qui les ont en quelque
sorte contaminés. On peut dire en effet qu’ils ont été
atteints par l’épidémie débordante du nazisme, mais
leur pathologie propre n’est pas celle du nazisme. Elle
consiste plutôt en une certaine propension à se laisser
contaminer. Plusieurs chercheurs éminents ont déjà
commencé à étudier les arrière-plans socio-
économiques expliquant cette différence. En ce qui me
concerne, je souhaite aborder le problème de façon plus
directe, en m’attachant aux comportements respectifs
des dirigeants nazis et japonais.
Vis-à-vis du monde, les fascismes allemands et
japonais ont laissé derrière eux à peu près la même
destruction, le même chaos, la même misère. Le
contraste est en revanche flagrant lorsque l’on considère
la parfaite cohérence des idées et des actes chez les
nazis, et l’incroyable fossé qui existe au contraire du
côté japonais. Le 22 août 1939, quelques jours avant
l’invasion de la Pologne, Hitler s’adressait à ses officiers
généraux en ces termes implacables :
Au moment de déclencher la guerre, la raison que j’invoquerai sera de
pure propagande. Peu nous importe qu’elle soit juste ou injuste. On ne
nous demandera pas, plus tard, lorsque nous aurons vaincu, si nous
disions la vérité. Dans l’ouverture et la conduite d’une guerre, ce n’est
pas le droit qui compte, mais seulement la victoire62.

Écœurante mais limpide illustration de ce « nihilisme


actif » dont parle Karl Löwith. Au Japon, même les plus
militaristes ne se sont pas risqués à proférer quelque
chose d’aussi explicite. Ils pouvaient bien penser, en
leur for intérieur, que la raison du plus fort est toujours
la meilleure, que « c’est la victoire qui rend légitime »
[quand la défaite vous met au rang de rebelles], mais ils
n’auraient pas eu la hardiesse de déclarer publiquement
qu’ils en faisaient le principe sur lequel ils fondaient
leurs décisions. Tout au contraire, ils s’efforçaient de
dissimuler ce cynisme en présentant leurs décisions
comme inspirées par la vertu63. C’est pourquoi
l’oppression exercée sur les autres peuples au moyen de
la force militaire a toujours été pensée comme une
extension vers ceux-ci de la Voie impériale, comme un
acte de bienveillance à leur égard. Certains l’ont illustré
jusqu’à la caricature, comme le général Araki, qui
n’aurait pas dormi tranquille avant d’avoir tapissé de
« Voie impériale » les moindres recoins du moindre
massacre :
Étendre la Voie impériale, faire rayonner la Vertu japonaise, telle est
naturellement l’ambition qui anime l’Armée impériale. Autrement dit,
la Voie impériale doit être présente dans chaque balle que nous tirons.
La Vertu japonaise doit être fondue dans le métal de chacune de nos
baïonnettes. Celui qui s’oppose à la Voie impériale, celui qui résiste à la
Vertu japonaise, nous les lui injecterons par le truchement de nos balles
et de nos baïonnettes.
Discours d’Araki Sadao, 1933, ATMIEO, n° 270.

Comparons avec ce que disait par exemple Himmler,


dont la crudité laisse pantois :
Le sort d’un Russe ou d’un Tchèque ne m’intéresse pas le moins du
monde. […] Que des peuples prospèrent ou meurent de faim, cela ne
m’intéresse que dans la mesure où notre Kultur peut avoir besoin d’eux
comme esclaves. De tout autre point de vue, la question est sans
intérêt64.

Bien entendu, au chapitre des jolis slogans, les nazis


souffrent parfaitement la comparaison. Eux aussi en
répandirent de toutes sortes, en direction des Allemands
ou du reste du monde. Néanmoins, il ne s’agissait là
pour eux que de slogans, qu’ils ne semblent pas avoir
employés sans rester capables de discerner le slogan de
la réalité. Chez les dirigeants de guerre japonais, au
contraire, le sens de la réalité s’était brouillé. Ils se
laissaient abuser par les slogans qu’ils avaient mis eux-
mêmes en circulation. Voici par exemple les réponses
que fit au procès l’ancien résident général en Corée, le
général Minami Jirô :
Le président Webb. – Pourquoi parliez-vous de « sainte guerre » ?
Minami. – Parce que c’est la formule dont on se servait couramment à
l’époque.
Le procureur Comyns Carr. – En quoi cette guerre contre la Chine
était-elle « sainte » ? […]
Minami. – Je n’avais pas vraiment réfléchi à ce point. Comme c’était la
formule en usage à l’époque, j’ai fini moi aussi par l’employer. Il me
semblait qu’il ne s’agissait pas d’une guerre d’agression, mais d’une
guerre à laquelle nous étions forcés par les circonstances.
ATMIEO, n° 1935.

La réponse du général Matsui Iwane, qui commanda le


corps expéditionnaire japonais de Shanghai, est
également intéressante. Voici comment il qualifie les
événements de Chine :
Le conflit qui a opposé le Japon à la Chine était en quelque sorte une
querelle entre frères, une querelle au sein de cette famille qu’est l’Asie,
comme on a coutume de dire. […] Dans une famille, lorsque le frère
aîné, quand sa patience n’a pas suffi pour faire renoncer son frère
cadet à la brutalité, en vient finalement à le frapper, ce n’est pas la
haine mais l’amour qui lui impose de prendre ce moyen pour amener
son frère à se repentir. Telle a toujours été ma conviction […].
ATMIEO, n° 310.

Il ne semble pas qu’il s’agisse là d’un discours inventé


après coup. Alors qu’il s’apprêtait à partir pour
Shanghai, Matsui avait en effet déclaré aux membres de
l’Association pour la Grande Asie :
Je n’ai pas le sentiment de partir en guerre. Il me semble plutôt que je
vais là-bas pour tenter de ramener un frère à la raison.
Témoignage de Shimanaka Yasaburô, ATMIEO, n° 310.

Cet amour fraternel a produit, comme on sait, le


massacre de Nankin, devant lequel la honte nous oblige
à baisser les yeux.
En se faisant passer pour inspiré par la vertu, le
pouvoir japonais n’abusait pas seulement les Japonais
ou le monde, il s’abusait avant tout lui-même. Joseph
Grew, ancien ambassadeur des États-Unis au Japon, très
bien introduit parmi les cercles dirigeants japonais,
avait été frappé par ce manque de réalisme et cet
aveuglement :
Je doute qu’il y ait un Japonais sur cent qui pense réellement que le
Japon ait violé le Pacte Briand-Kellogg, le Traité des Neuf Puissances et
le Covenant de la Société des Nations. Il y a comparativement peu
d’esprits réfléchis capables d’admettre franchement les faits. Un
Japonais m’a dit : « Oui, nous avons violé chacun de ces traités ; nous
avons fait ouvertement la guerre ; les arguments de “légitime défense”
et de “libre choix” pour la Mandchourie ne sont que des balivernes ;
nous avions besoin de la Mandchourie et nous l’avons prise. » Mais on
rencontre rarement de pareils hommes. La grande majorité des
Japonais ont une aptitude extraordinaire à se duper […]. Cela ne veut
pas nécessairement dire que les Japonais soient décidés à ne pas
respecter leurs obligations quand ils signent un traité. Cela signifie
simplement que, quand une obligation contrarie finalement leurs
propres intérêts, tels qu’ils les conçoivent, ils interpréteront cette
obligation de façon à ce qu’elle serve leurs intérêts ; suivant leurs
propres vues et leur propre mentalité, ils seront vraisemblablement
parfaitement honnêtes ce faisant.

De quoi l’ambassadeur concluait :


Il est beaucoup plus difficile de traiter avec des gens ayant une pareille
mentalité qu’avec ceux qui savent être dans leur tort, quelle que soit
d’ailleurs leur impudence65.

Cette observation décrit parfaitement le contraste


entre des dirigeants nazis qui agissaient en pleine
conscience du sens et des conséquences de leurs actes,
et des dirigeants japonais dont les actes contredisaient
sans cesse les intentions subjectives.
Ni les uns ni les autres ne se sentent coupables.
Cependant, alors que les nazis cherchent à terrasser le
sentiment de culpabilité en l’attaquant frontalement, du
côté japonais, on tente de s’en débarrasser en nimbant
toutes ses actions d’un halo de vertu. Les dirigeants
japonais ont fait exactement l’inverse de
Méphistophélès : ils auront été « cette force qui toujours
veut le bien et toujours fait le mal »66. Il n’est pas aisé
de juger si l’un vaut mieux que l’autre. Tout ce qu’on
peut dire avec certitude, c’est qu’il y a d’un côté un
esprit plus fort, de l’autre un esprit plus faible. Il était
naturel, si l’on réfléchit, que le second subît l’influence
du premier.
C’est pourquoi les mêmes symptômes d’hystérie, les
mêmes actes désespérés sont dans le cas japonais les
effets d’une sorte de dépression nerveuse et restent
fondamentalement déterminés par un complexe
d’infériorité.
L’hypersensibilité des Japonais, observait encore Grew, provient d’un
complexe d’infériorité frappant, qui se manifeste sous l’apparence d’un
complexe de supériorité non moins frappant, par des rodomontades,
par le chauvinisme, la xénophobie et toute une propagande nationale,
de sorte qu’ils abordent le moindre différend avec des moyens et d’une
manière qui lui donnent un sens et une importance hors de proportion
avec ce dont il est question67.

Ce qui a rendu patentes l’impréparation et l’absence


de direction dont j’ai parlé plus haut, c’est que l’on était
incapable d’orienter la mise en œuvre des moyens
d’après une idée claire des objectifs, si bien que le
recours à la force militaire, insensiblement et sans plus
de raison, a fini par devenir l’objectif même. Il est vrai
que dans l’émergence du nazisme sous la République de
Weimar, le complexe d’infériorité de la petite
bourgeoisie allemande a également joué un grand rôle.
Mais ce complexe d’infériorité caractérise les couches
qui soutenaient les nazis. Les dirigeants nazis eux-
mêmes, disciples de Zarathoustra, étaient au contraire
animés par une authentique « volonté de puissance »,
tandis que le pouvoir politique japonais, derrière la
majesté de ses apparences, trahissait continuellement
une faiblesse et une hypersensibilité nerveuses.
Parmi les dirigeants japonais, Konoe Fumimaro est
bien sûr celui auquel on songe immédiatement ici, tant
il apparaît comme une expression concentrée de cet
« esprit velléitaire », dont on a vu les effets désastreux
dans l’extension du conflit avec la Chine qui a marqué
son premier cabinet, dans la manière dont le
mouvement « de soutien au Trône » a complètement
dévié de son but initial, ou encore dans les péripéties
qui ont accompagné la démission de son troisième
cabinet. D’après le témoignage de Kido Kôichi, Konoe
était « un homme qui parlait de démissionner dès qu’un
problème survenait » (ATMIEO, n° 298). Vers le début
d’octobre 1941, alors que les négociations avec les
États-Unis arrivaient à un tournant crucial, en raison du
délai fixé par la réunion du 6 septembre, il aurait alors
confié au général Suzuki qu’il désirait « se retirer du
monde et devenir moine ». Sa fréquentation assidue
d’Inoue Nisshô, archétype du hors-la-loi psychopathe,
qu’il abrita même chez lui, n’était absolument rien
d’autre qu’une compensation psychologique.
Sans doute s’agit-il aussi du tempérament particulier
d’un individu. Il est également possible d’y voir un
exemple de cette pusillanimité qu’on prête souvent aux
gens du palais. On la rencontre pourtant ailleurs. La
faiblesse psychologique dont je parle ici ne se réduit
certainement pas au « tempérament » d’un individu
particulier. Prenons un autre exemple, celui de Tôgô
Shigenori, qui fut ministre des Affaires étrangères dans
les cabinets Tôjô et Suzuki. On ne peut pas dire que son
attitude ait révélé une faiblesse de caractère lorsqu’il
prit la tête de ceux qui s’opposèrent à l’armée pour
demander que le Japon accepte sans conditions la
déclaration de Potsdam. Et cependant, le jour où la
guerre fut déclarée, le matin du 8 décembre 1941, ayant
fait appeler l’ambassadeur américain pour lui remettre
le mémorandum annonçant la rupture des négociations
entre les deux pays, il s’est contenté de remercier Grew
pour son attitude coopérative pendant le temps
qu’avaient duré ces négociations, sans lui dire un mot
de la déclaration de guerre ni de l’attaque sur Pearl
Harbor, que Grew n’apprit qu’une fois de retour à
l’ambassade. Quand Monsieur Blakeney et les autres
avocats de la défense lui ont demandé, au cours du
procès, pourquoi il n’avait pas évoqué l’état de guerre
devant l’ambassadeur américain, voici les raisons qu’il a
données. Elles nous conduisent au cœur du problème.
En premier lieu, il supposait que l’ambassadeur était
déjà au courant par l’émission radiophonique du matin.
Admettons-le, mais en second lieu il invoque le fait
qu’au Japon même, l’état de guerre n’était pas encore
proclamé officiellement et que, pour cette raison, il ne
jugeait pas opportun d’aborder le sujet dès lors qu’il n’y
avait aucune nécessité particulière à le faire, ce qui est
déjà plus étrange. Mais ce qui a ébahi la cour, c’est la
troisième raison :
Connaissant l’ambassadeur Grew depuis plusieurs années, je ne
souhaitais pas évoquer la guerre dans cet ultime entretien que j’avais
avec lui. C’est pourquoi, au lieu de prononcer le mot « guerre », je lui ai
exprimé mes profonds regrets pour la séparation que nous imposaient
les relations de nos deux pays au point où elles étaient parvenues.
ATMIEO, n° 342.

Cela signifie, autrement dit, que des scrupules d’un


genre que l’on peut avoir dans une relation privée,
lorsqu’on se sent embarrassé ou mal à l’aise vis-à-vis de
quelqu’un, ont déterminé la conduite de Tôgô dans cette
rencontre officielle d’un ministre des Affaires étrangères
et d’un ambassadeur, alors que ceux-ci représentaient
leurs pays respectifs, qui plus est dans un moment
extrêmement critique, et que ces scrupules ont retenu
Tôgô d’annoncer franchement et clairement à son
interlocuteur la situation nouvelle qu’il avait sous les
yeux. Il s’y ajoutait, je suppose, la honte liée au fait que
Pearl Harbor avait été attaqué par surprise.
Probablement Tôgô souhaitait-il s’épargner le
désagrément d’une explication sur ce point. Néanmoins,
lorsque le souci de ne pas heurter les sentiments de
l’autre atteint ce degré, il équivaut à la plus grave
insulte. Le contraste est vraiment total avec l’attitude du
secrétaire d’État américain Cordell Hull au cours de sa
dernière entrevue avec les ambassadeurs japonais
Nomura et Kurusu.
La politique intérieure nous fournit l’exemple d’un cas
très similaire. Il s’agit de la chute du cabinet Yonai, en
juillet 1940, provoquée par le désaccord avec l’Armée de
terre sur la question du Pacte tripartite. Le ministre de
l’Armée, Hata Shunroku, se trouvait bien sûr dans la
position la plus délicate. C’est lui qui, en remettant au
Premier ministre sa lettre de démission, devait
provoquer la chute du cabinet. Or il n’est pas facile de
déterminer dans quelle mesure il y avait là une initiative
personnelle. Lors du procès, les avocats de la défense
ont affirmé que Hata y avait été contraint par le prince
Kan.in, chef de l’état-major, par le général Anami, vice-
ministre de l’Armée, et d’autres officiers du Bureau des
affaires militaires68. Toujours est-il que l’épisode a
donné lieu à la scène suivante, racontée par Yonai :
Après la démission du cabinet, j’ai fait venir Hata dans mon bureau et je
lui ai dit à peu près ceci : « Je comprends bien la position dans laquelle
vous vous trouvez. Cela a dû être pénible. Mais en ce qui me concerne,
rassurez-vous, je ne songe pas à vous blâmer. Ne vous inquiétez pas. »
Je lui ai serré la main. Il m’a alors souri tristement, avec ce sourire qui
chez les Japonais exprime une résignation. Il y avait quelque chose de
réellement pitoyable dans sa situation.
ATMIEO, n° 391.

On se croirait dans la chanson de la pomme69. Ici


encore, ce ne sont pas les règles de l’espace public qui
l’emportent, mais les conjectures que l’on fait sur les
sentiments privés de l’autre. Quel qu’ait été le rôle exact
de Hata dans cette affaire, on peut penser que Yonai
rapporte assez fidèlement l’entretien et que l’attitude de
Hata correspond à ce qu’il décrit. Mais justement, quel
être minuscule et pitoyable nous révèle cette attitude !
Ce qui a dévoilé au monde cette petitesse de la classe
dirigeante japonaise de la manière la plus éclatante,
c’est la dénégation unanime de leur responsabilité par
les accusés du procès. Le fait est assez connu pour que
je n’aie pas à citer ici chacun d’entre eux. Il suffira de
citer un extrait du réquisitoire final du procureur
Keenan, qui résume bien le problème :
De la part des vingt-cinq accusés restants, anciens ministres et
Premiers ministres, diplomates de haut rang, propagandistes, généraux,
maréchaux, amiraux, gardien du Sceau privé, nous avons entendu la
même réponse : aucun d’entre eux n’a voulu déclencher cette série
d’agressions qui s’est déroulée pendant quatorze années sans
interruption. Ils n’ont voulu ni l’invasion de la Mandchourie, ni les
guerres avec la Chine, ni la Guerre du Pacifique. […] Lorsqu’ils ne
peuvent nier l’autorité, le pouvoir ou la responsabilité dont ils étaient
dépositaires, lorsqu’ils ne peuvent nier avoir consenti à poursuivre et
même étendre cette politique de guerres d’agression, au point d’en
ébranler le monde entier, ils affirment alors très calmement qu’ils
n’avaient pas d’autre solution.
ATMIEO, n° 317.

L’attitude des criminels de guerre nazis et japonais ne


diffère nulle part autant que sur ce point. Voyez ce que
répondit Göring à propos de l’Anschluss :
Je veux bien assumer cent pour cent de la responsabilité. […] J’ai
même vaincu les objections du Führer. C’est moi qui ai tout dirigé du
début à la fin70.

S’il était « fou de rage » quand l’Allemagne a envahi la


Norvège, c’est seulement parce qu’on ne l’en avait pas
informé au préalable. Mais quant à l’invasion elle-même,
il reconnaît « l’avoir entièrement approuvée ». Göring
s’était également opposé au lancement de l’attaque
contre l’Union soviétique, parce qu’il considérait que le
moment n’était pas propice et qu’il fallait reporter
l’opération tant que l’Angleterre ne serait pas matée.
« Mon point de vue, confirme-t-il, était dicté par des
considérations exclusivement politiques et
stratégiques. » Tout est limpide chez ce nihiliste qui
défie l’esprit européen traditionnel en pleine
connaissance de cause.
Comparées à ces rodomontades d’un hors-la-loi résolu
à « vivre dans le mal », les réponses des accusés du
procès de Tokyo et celles de nombreux témoins sont
fuyantes comme l’anguille ou vaporeuses comme la
brume. Ils éludent les questions des procureurs ou du
président, soit en ne répondant que de biais, soit en
affectant de devancer une intention cachée dans la
question et en répondant alors à une autre question.
Exaspéré par les réponses invariablement creuses ou
hors sujet de Yonai, le président Webb finit par lâcher
que l’ancien Premier ministre était le plus stupide de
tous les témoins qu’il avait entendus (ATMIEO, n° 275),
phrase dont on comprend facilement que la presse se
soit emparée. « Ce n’est pas une réponse. Il faut
répondre par oui ou par non. » Combien de fois n’avons-
nous pas entendu cette adjuration tout au long du
procès !
On pouvait imaginer que les militaires du moins
auraient été enclins par profession à répondre
clairement. Las ! Ils étaient au contraire parmi les plus
obscurs. On en trouve un exemple parfait dans
l’échange qui eut lieu entre le général Ôshima, ancien
ambassadeur en Allemagne, et le procureur Tavenner, à
propos des négociations menées en 1938 pour le Pacte
tripartite.
Tavenner. – Je vous prie de répondre à ma question. Vous êtes-vous
prononcé en faveur de cette alliance [qui obligeait le Japon à entrer en
guerre aux côtés de l’Allemagne en cas de conflit avec l’Angleterre ] ?
Oui ou non ?
Ôshima. – Non. [Avant cet échange, il avait plusieurs fois été demandé
à Ôshima de répondre par oui ou par non ] […]
Tavenner. – Vous êtes-vous opposé à la proposition de Ribbentrop en
vue d’une telle alliance ?
Ôshima. – L’opposition est venue de la partie japonaise.
Tavenner. – Répondez à ma question.
Ôshima. – Je ne cherche pas à éluder la question, mais il est bien
difficile de répondre simplement par oui ou non à une question aussi
complexe.
ATMIEO, n° 322.

Tavenner cherche ensuite à lui faire préciser l’objectif


du Pacte anti-Komintern (1936) en lui demandant s’il ne
partageait pas l’avis du lieutenant-colonel Wakamatsu
quant aux avantages que le Japon pouvait en retirer.
Mais Ôshima lui file de nouveau entre les doigts, en
répondant que le Pacte anti-Komintern présentait
assurément toutes sortes d’avantages, mais que son
objectif était celui qu’il avait mentionné dans sa
déclaration. Le procureur revient donc à la charge :
Tavenner. – Ce n’est pas ce que je vous ai demandé. […] Je vous ai
demandé si le point de vue de Wakamatsu n’était pas le vôtre. Si vous
étiez d’accord avec ce point de vue, dites-le-nous. Sinon, dites-nous que
vous n’étiez pas d’accord.
Ôshima. – Sans doute le pacte présentait-il incidemment les avantages
dont a parlé le lieutenant-colonel Wakamatsu (Ibid.).

Il y aurait d’autres exemples de réponses


caractéristiques, mais qu’il serait trop long de citer ici.
On ne doit en tout cas pas négliger le fait que cette
posture équivoque et contournée qui a si fort
déconcerté la cour, était encore accentuée par certaines
subtilités de la langue japonaise, notamment par les
connotations attachées à certaines formules comme
« Protection (i.e. élévation) de Sa Majesté »,
« tranquillité de la Maison impériale », « faire un rapport
privé (à l’empereur) », « partisan d’une politique active »
(i.e. d’une action militaire), « constante assistance (au
Trône) ». Dans ce pays où l’on aime à dire que « les
mots ont une aura », les formules raffinées mais au
contenu quasiment insaisissable foisonnent dès qu’il est
question de la Maison impériale. Combien de fois n’ont-
elles pas rendu difficile aux juges et aux procureurs la
compréhension des témoignages ! Le pouvoir magique
de ces formules finit par dissoudre le sens de la
responsabilité individuelle, et il est naturel que
l’accusation ait répliqué, alors que l’on disputait sur la
signification de « grand-asiatisme » : « Nous n’avons que
faire de ces définitions. C’est aux actes que nous
voulons nous intéresser » (ATMIEO, n° 176). En effet,
comme l’a relevé un avocat de la défense, il n’y a rien à
tirer de notions susceptibles d’interprétations si variées
qu’un slogan comme « Les huit coins du monde sous un
seul toit » devient synonyme de « fraternité
universelle » ou que « Voie impériale » en vient à
« coïncider avec le concept même de la démocratie ».
On ne peut toutefois pas se contenter de dire que les
accusés ont trouvé des échappatoires dans le flou des
mots. C’est la classe dirigeante dans son ensemble qui a
montré au cours de cette guerre un sens très limité de la
responsabilité personnelle. La racine du mal est trop
profonde pour que l’on puisse réduire le problème aux
subterfuges éhontés ou aux esquives misérables des
seuls accusés, c’est-à-dire à des questions de morale
individuelle. Il s’agit moins de la dépravation morale de
certains individus que de la décadence générale d’un
système. Pour étudier ce phénomène, le mieux sera de
commencer en nous intéressant aux justifications que
les accusés ont données de leurs comportements et de
leurs actions passés, dont il s’agira de dégager le
fondement commun. Ainsi nous pourrons-nous faire
apparaître l’éthos propre au milieu dans lequel ils
vivaient.
3. UN FASCISME ATROPHIÉ (1) :
LA SOUMISSION AUX FAITS ACCOMPLIS

Lorsqu’on essaie de faire un tri parmi les mille et une


justifications que les accusés ont données de leurs actes,
on constate qu’il y a deux grandes veines d’arguments :
la soumission aux faits accomplis et la fuite dans une
sphère de compétence limitée.
La soumission aux faits accomplis consiste à
approuver un fait en le justifiant précisément par ceci
qu’il est déjà une réalité. Les explications de presque
tous les accusés ont en commun cet argument
consistant à dire qu’ils ne pouvaient faire autrement que
se soumettre à des mesures déjà décidées, ou bien qu’ils
ne pouvaient que soutenir une guerre déjà commencée.
Lors de son interrogatoire à la prison de Sugamo, on
posa à Shiratori Toshio la question suivante : « Ne vous
sentiez-vous pas proche des factions de l’armée qui, de
1931 jusqu’à la fin de la guerre, ont mené ces agressions
contre la Mandchourie et la Chine ? N’étiez-vous par
leur ami ? » À quoi il répondit : « Je n’étais pas leur ami.
[…] Je ne les soutenais pas, mais j’étais obligé […] de
donner à ce qui était déjà fait l’apparence la plus
raisonnable. » Et quand le procureur Sandusky lui
demanda : « Étiez-vous favorable ou défavorable aux
“événements de Chine” ? », il répondit : « Je souhaitais
régler le problème rapidement. Puisqu’il s’agissait
d’événements en cours, je ne crois pas qu’il serait
pertinent de dire que j’étais pour ou que j’étais contre »
(ATMIEO, n° 322).
Prenons maintenant l’exemple de Kido, de nouveau à
propos du Pacte tripartite.
Le procureur Keenan. – Je crois qu’il vous sera aisé de répondre par oui
ou non à la question suivante. Lorsque vous étiez membre du cabinet
Hiranuma [janvier-août 1939], vous êtes-vous constamment opposé à
une alliance militaire avec l’Allemagne ?
Kido. – À titre personnel, j’étais opposé à cette alliance. Cependant, le
projet avait été longuement étudié au cours des réunions ministérielles
à cinq71. Je n’en ai entendu parler par le Premier ministre que vers le
mois de mars. Il était difficile de le refuser catégoriquement dès lors
qu’il s’agissait d’un fait accompli.
ATMIEO, n° 297.

On demanda également à Tôgô Shigenori s’il était


opposé au Pacte tripartite lorsqu’il est devenu ministre
des Affaires étrangères dans le cabinet Tôjô (dans une
déposition antérieure, il avait en effet déclaré avoir mis
toute son énergie à lutter contre le renforcement des
relations avec l’Allemagne). Il répondit :
Personnellement, j’y étais opposé, mais en quelque domaine que ce
soit, il y a toujours un cours des choses. […] Une fois que des mesures
ont été décidées et qu’elles sont devenues des faits accomplis, il n’est
guère aisé de les modifier.
ATMIEO, n° 340.

Et quand on lui rappela qu’il avait fait devant la Diète


un éloge du pacte :
Le fait est qu’à ce moment-là, il m’était impossible d’évoquer
publiquement mes sentiments personnels. […] Il serait même plus
juste de dire que, en tant que ministre des Affaires étrangères, je devais
dire ce que j’ai dit, que je me trouvais alors dans une position où je ne
pouvais pas ne pas dire ce que j’ai dit (Ibid.).

Laissons pour le moment de côté la question de savoir


si Kido ou Tôgô étaient aussi foncièrement opposés au
Pacte tripartite et s’ils firent autant d’efforts qu’ils le
prétendent pour empêcher sa conclusion. Le problème
est bien plutôt de comprendre ce qui leur a fait choisir
de n’être pas fidèles à ce qu’ils croyaient à propos de
décisions si importantes pour l’État. Il faut essayer de
saisir cette éthique qui leur a dicté de considérer leur
opinion comme un « sentiment personnel » qu’ils
devaient réprimer pour suivre leur entourage.
À lire les dépositions de ces accusés qui déclarent
avoir été opposés à toute l’évolution politique et aux
alliances internationales passées depuis l’incident de
Mandchourie, on retire l’impression que l’ensemble de
ce processus historique était comme une catastrophe
naturelle qu’aucune force humaine ne pouvait arrêter.
Le procureur Fixel a souligné acerbement le caractère
dérisoire d’une telle défense lorsqu’il a récapitulé la
déposition du général Koiso :
[…] Vous vous êtes opposé au projet de coup d’État de mars 1931, vous
avez tenté d’empêcher l’incident de Mandchourie, vous vous êtes
opposé au Pacte tripartite, vous vous êtes opposé à la guerre contre les
États-Unis et, quand vous étiez Premier ministre, vous avez tenté de
régler le conflit avec la Chine. Dans toutes ces affaires importantes, vos
efforts n’ont eu aucun résultat, vos avis ne l’ont pas emporté. Pourquoi
alors, si vous étiez en désaccord avec cette politique et ces décisions,
avoir constamment accepté d’occuper des responsabilités importantes
dans le gouvernement, ce qui vous impliquait de fait dans la politique à
laquelle vous dites aujourd’hui avoir été si vigoureusement opposé ?
ATMIEO, n° 37.

Mais la réponse de Koiso est conforme à ce que l’on


pouvait prévoir :
Pour un Japonais, quel que soit son point de vue personnel, quels que
soient ses arguments, quand une mesure a été décidée, il faut
s’appliquer à la mettre en œuvre. Telle est la manière de faire qui nous
a été transmise et qui est respectée parmi nous (Ibid.).

Ce que l’on peut voir à travers tous ces exemples, c’est


que la « réalité » n’y est pas conçue comme une chose
continuellement en train d’être produite, en création
perpétuelle, mais toujours comme une chose déjà faite.
Ou même, pour le dire encore plus clairement, comme
quelque chose qui s’est produit quelque part. En
conséquence, agir de manière « réaliste », c’est vivre
enchaîné au passé. La réalité n’est donc jamais
comprise comme l’effet d’une volonté consciente
orientée vers le futur, mais toujours comme une
nécessité aveugle tombée du passé. À cet égard,
l’échange qui eut lieu lors de la première rencontre
entre l’ambassadeur Grew et le ministre des Affaires
étrangères Matsuoka (26 juillet 1940) est extrêmement
révélateur.
Monsieur Matsuoka me dit ensuite que les événements historiques sont
principalement déclenchés par l’action de forces aveugles qui, dans un
monde aussi dynamique que le nôtre, ne sont pas toujours aisées à
contrôler. J’admis bien volontiers que des forces aveugles avaient eu un
rôle dans l’histoire, mais j’ajoutai qu’un des principaux devoirs de la
diplomatie et de la politique de nos hommes d’État consistait à diriger
ces forces vers des eaux calmes et que j’espérais, avant longtemps,
pouvoir étudier avec lui l’état actuel des relations américano-
japonaises, dans le confiant espoir que, lui comme moi, aborderions le
sujet avec le bon état d’esprit et que nous accomplirions beaucoup, si
nous conduisions dans la bonne direction les forces aveugles dont il
venait de parler72.

Ceci illustre à merveille le contraste entre le


militarisme japonais, d’un côté, où l’individu a perdu le
sens de son autonomie pour devenir le jouet de forces
aveugles extérieures à lui, et de l’autre, un pragmatisme
toujours soucieux de proportionner les fins aux
moyens73.
Qu’en est-il du nazisme à cet égard ? Le 23 mai 1939,
Hitler disait au sujet de la Pologne :
Il faut du courage pour résoudre ce problème. Nous ne pouvons
accepter le principe consistant à s’adapter aux circonstances pour
éviter de donner une solution à un problème. Ce sont les circonstances
qui doivent se plier à nos buts. En l’espèce, rien n’est possible sans
envahir des pays étrangers, ou sans attaquer des biens étrangers74.

Comme chez Grew, il y a là une reconnaissance claire


de la capacité humaine à orienter la politique, quoiqu’en
un sens différent, puisque l’autonomie de la subjectivité
individuelle prend ici un sens en quelque sorte
machiavélique. L’invasion de la Pologne est un moyen
que le dirigeant nazi a choisi de sa propre initiative,
après avoir mûrement réfléchi à sa stratégie. Il va sans
dire que les nazis n’appréciaient pas forcément les
circonstances avec exactitude et il est certain,
notamment, que dans la seconde moitié de la guerre le
calcul froid et posé a de plus en plus cédé la place aux
décisions téméraires et désespérées. Pour autant, cela
ne peut absolument pas être comparé avec la manière
dont les dirigeants japonais, prisonniers du cours des
choses du début à la fin, se sont laissé entraîner par la
« situation objective », irrésistiblement aspirés vers les
profondeurs. Comme nous le verrons plus loin, leur cas
doit plutôt être rapproché de celui de l’Empire allemand
ou de la Russie tsariste au cours de la Première Guerre
mondiale.
Ceux qui détenaient le pouvoir suprême au Japon,
comme j’y ai déjà fait allusion, n’étaient que les
marionnettes de leurs subordonnés, lesquels à leur tour
étaient manipulés par les officiers de l’armée présente
sur le continent, ainsi que par les aventuriers d’extrême
droite et tous les bandits avec lesquels ces derniers
s’étaient associés. On comprend ainsi beaucoup mieux
ce qui obligeait les dirigeants à courir haletants derrière
la « réalité » que produisaient les faits accomplis par de
telles forces anonymes. Durant toute la période furent
tenues des réunions aux noms ronflants, mais sans
pouvoir, où devaient théoriquement se prendre les
décisions politiques les plus importantes pour le pays :
« Conférence impériale », « Conférence de liaison (du
cabinet et du Grand quartier général) », « Conseil
suprême pour la direction de la guerre ». À lire leurs
comptes rendus, on est frappé aujourd’hui encore par
l’inanité des débats qui s’y tenaient75. C’est que les
ordres du jour et les discussions étaient préparés par
des « secrétaires » de séance, dont Mutô et d’autres ont
dit qu’ils n’étaient que des greffiers, ou des agents de
liaison, mais qui occupaient en réalité des postes très
élevés dans les états-majors militaires. De plus, ce ne
sont pas ces derniers mais leurs assistants (membres
du Bureau des affaires militaires, du Bureau des affaires
navales, ou bien de l’état-major général), qui décidaient
du contenu des plans discutés dans ces réunions. Les
officiers de rang intermédiaire, mi-bureaucrates, mi-
hors-la-loi, s’exaltaient avec les extrémistes civils qui
avaient leurs entrées dans les bureaux de l’armée et qui
étaient bien, eux, fanatiques et mégalomanes au sens de
Schuman. Même eux, cependant, n’étaient pas toujours
capables de contrôler l’Armée du Kwantung ou le corps
expéditionnaire de Chine. À plus forte raison le cabinet
et le groupe des anciens Premiers ministres (jûshin) se
contentaient-ils de suivre l’évolution de la situation et,
tout en faisant mine de grogner, se soumettaient à
« l’inévitable ». Les incidents de Moukden (1931) et du
Pont Marco Polo (1937) ont eu les conséquences que
l’on sait, sans qu’il ait été possible de les arrêter.
Entérinés comme « faits accomplis » par le sommet de
la hiérarchie, les coups de force tramés dans l’ombre par
des hors-la-loi étaient ainsi promus au rang de politique
décidée au plus haut niveau de l’État76.
Il est bien connu que, tandis que se mettait en marche
l’idéologie antidémocratique et autoritaire dont l’armée
formait le cœur battant, au sein de l’armée elle-même
s’aggravait ce phénomène paradoxal de renversement de
l’ordre hiérarchique (gekokujô) qui fit d’elle un « monde
à l’envers ». Il est évident que l’absence de sanctions
réelles, après les affaires de mars et d’octobre, a favorisé
la répétition d’entreprises terroristes du même genre. À
propos de l’affaire d’octobre, rappelons qu’il s’agissait
d’un plan de grande envergure, comportant la
mobilisation des 1er et 3e régiments d’infanterie de la
Garde impériale, le déploiement de bombardiers de la
Marine à partir de la base de Kasumigaura, l’attaque de
la résidence du Premier ministre pendant une réunion
du conseil, l’assassinat de tous les membres du cabinet,
et enfin l’encerclement du Quartier général de l’armée
et du ministère de l’Armée pour forcer l’état-major à
instaurer la loi martiale. Ni le ministre de l’Armée, le
général Minami, ni son vice-ministre, le général
Sugiyama, n’étaient capables de contrôler les officiers
rebelles. Ils n’eurent d’autre solution que de faire
intervenir le général Araki, celui-là même qui serait
devenu Premier ministre si le plan avait été mis à
exécution ! C’est d’ailleurs pourquoi, même si l’on put
arrêter les instigateurs, il fut impossible de les punir
comme ils le méritaient et l’affaire fut finalement
étouffée77. Quelques mois plus tard, lorsque Kido et
Konoe s’enquirent des suites auprès de Nagata Tetsuzan,
chef du Bureau des affaires militaires, celui-ci leur
répondit :
Bien que le cas relevât en principe du droit pénal militaire, eu égard au
mobile et à l’état d’esprit qui étaient ceux des personnes en question, et
considérant que l’honneur de l’armée était en jeu, nous nous en
sommes tenus à des sanctions administratives.
Journal de Kido Kôin, ATMIEO, n° 292.

Voilà jusqu’où était tombé « l’honneur » de l’armée !


Au lieu de châtier les conspirateurs en les traitant
comme les bandits qu’ils étaient, elle était obligée de
faire un compromis avec eux et d’accepter les faits
accomplis de leurs agissements illégaux78.
Or cette déchéance du pouvoir vertical dans l’armée
fut mise à profit par les militaires dans le sens
horizontal pour imposer leurs volontés. Le ministre de
l’Armée, en Conseil des ministres ou dans les réunions
devant l’empereur, défendait certaines mesures ou
s’opposait à d’autres en recourant systématiquement
aux mêmes arguments : « Si vous faites telle chose, nous
ne garantissons pas que nous serons encore en mesure
de contrôler l’armée », « Si vous ne faites pas telle
chose, nous ne pourrons plus les tenir ». Ainsi, au début
de 1940, quand le cabinet du général Abe s’apprêtait à
démissionner, l’armée poussa Konoe en jurant que rien
ne serait possible avec Ugaki ou Ikeda comme Premier
ministre. Konoe fit alors part de sa perplexité au général
Hata (ministre de l’Armée dans le cabinet Abe) : « Qu’ils
ne veuillent pas d’Ugaki, cela peut encore se
comprendre, étant donné tout ce qui s’est déjà passé,
mais je me demande ce qu’ils reprochent à Ikeda. Ne
pourriez-vous pas les forcer à accepter ? » Il fut étonné
d’entendre Hata lui répondre : « Je n’en ai pas les
moyens. Et si nous tentions de passer outre leur refus,
je crains qu’il ne faille nous attendre à un nouveau 26
février79. » L’épisode a également ceci d’intéressant qu’il
révèle les limites de la « reprise en main » de l’armée qui
avait censément suivi la tentative de coup d’État du
26 février 1936. La même logique se répercutant du
haut vers le bas de la hiérarchie, l’état-major invoque
devant le ministre l’impossibilité d’obtenir le
consentement du chef du Bureau des affaires militaires,
lequel à son tour répondra devant l’état-major la même
chose au sujet ses propres subordonnés, lesquels
invoqueront l’impossibilité de contenir les chefs du
corps expéditionnaire80, et ainsi de suite jusqu’au
peuple. Mais le « peuple » dont il est question, ce sont
les bandes d’extrémistes dont j’ai déjà parlé, qui avaient
leurs entrées dans les bureaux de l’armée, et derrière
lesquels encore on trouve la bourgeoisie de province
représentée dans l’Association des réservistes et d’autres
groupes locaux du même genre. À travers les
extrémistes ou au moyen de feuilles de propagande,
l’armée avait elle-même fréquemment attisé la
xénophobie et le fanatisme pro-impérial dans cette
couche de la population. Elle se découvrit prisonnière
de cette « opinion publique » qu’elle avait elle-même
enflammée et qui la contraignait désormais à pousser les
choses jusqu’à la crise. Cela fut particulièrement visible
durant toute la phase qui va de la conclusion du Pacte
tripartite à la rupture des négociations avec les États-
Unis. En octobre 1941, l’armée se trouvait vis-à-vis du
« peuple » acculée dans une position d’où elle ne pouvait
plus se dégager. Que les négociations nippo-américaines
aient achoppé sur la question du retrait des troupes de
Chine montre de quel poids pesaient les faits accomplis.
Avant d’envoyer Kurusu aux États-Unis, Tôjô lui avait
longuement répété qu’aucune concession n’était
envisageable et qu’il « ne pourrai[t] plus dormir en se
tournant vers le sanctuaire Yasukuni si l’on cédait sur ce
point »81. Le général Matsui exaltait l’intransigeance en
des termes similaires quand, à la même époque, il
écrivait dans la revue Grand asiatisme :
Comment pourrions-nous encore nous tourner vers les âmes des cent
mille héros qui sont tombés pour le Japon si nous envisagions à présent
de rechercher une solution aux événements [de Chine] en collaborant
avec les Anglo-Saxons ? Au nom de ces cent mille héros, je m’oppose à
tout compromis avec les Américains.
« Le Règlement des événements de Chine et la question américaine »,
Dai ajia shugi, juillet 1941.

Ainsi, l’argument d’un refus opposé par « le peuple » à


toute concession fut même employé en faisant jouer le
rôle du peuple aux « âmes des héros ». C’était pousser à
son maximum la logique de l’« enchaînement au passé »
dont j’ai parlé plus haut.
Un problème apparaît cependant ici. J’ai évoqué
autrefois une structure psychologique immanente à la
société japonaise que j’ai appelée « le principe du
transfert de l’oppression », pour désigner ce système
dans lequel chacun transfère quotidiennement sur ses
subordonnés l’oppression qu’il subit de la part de ceux
qui sont au-dessus de lui, de telle sorte qu’un équilibre
psychologique global se maintient82. Il faut alors se
demander quelle relation existe entre ce phénomène et
celui du « renversement de la hiérarchie » dont je viens
de parler ? Y a-t-il contradiction ? Non. Ce sont les deux
faces d’une seule et unique médaille. Le second est la
manifestation pathologique du premier. Le
« renversement de la hiérarchie », c’est en fait
l’explosion irrationnelle d’une force anonyme et
irresponsable, qui ne se produit que dans les sociétés où
les forces venues d’en bas ne sont pas reconnues ni
organisées en tant que telles. Il s’agit en quelque sorte
d’une démocratie inversée. Un pouvoir réellement
démocratique montre au contraire d’autant plus de
capacité à diriger qu’il est choisi de manière publique et
institutionnelle, tandis que dans une société gouvernée
exclusivement par une autorité venue d’en haut, le
pouvoir tend à s’atrophier dès que les gouvernants
deviennent incapables de réagir aux initiatives de leurs
subordonnés ou des gouvernés autrement qu’avec
précipitation et nervosité. Loin de diriger, ils se laissent
alors entraîner par des hors-la-loi ou des agitateurs
irresponsables. Là où règne le transfert de l’oppression,
le mécontentement des masses qui se trouvent au plus
bas de la hiérarchie ne peut se transférer à l’intérieur de
la société. Il se détourne donc, inévitablement, vers
l’extérieur.
Voilà pourquoi, dans un pays non démocratique, les
masses deviennent facilement la proie d’une xénophobie
frénétique. Le mécontentement de la vie quotidienne se
déverse tout entier dans la xénophobie et nourrit un
désir de guerre. Ainsi la classe dirigeante attise-t-elle ces
sentiments pour empêcher le mécontentement de
refluer vers elle, jusqu’au jour où elle n’est plus en
mesure de prendre des décisions politiques de façon
autonome et n’a plus d’autre choix que de céder à cette
« opinion publique » irresponsable83. Il n’est pas dû au
hasard que la tendance au « renversement de la
hiérarchie » dans l’armée japonaise, et la prolifération
des hors-la-loi qui est son corollaire, se soient
exacerbées à l’occasion de la conférence de Londres sur
le désarmement naval (janvier-avril 1930) et de
l’incident de Mandchourie (1931).
Meinecke avait noté que la civilisation industrielle, en
favorisant l’ascension des masses et le développement
des techniques militaires, avait eu pour effet, d’une part,
que l’appareil militaire, qui est en principe un moyen au
service du gouvernement, était devenu une puissance
démoniaque tendant à agir de façon indépendante, et
d’autre part, que les hommes politiques étaient devenus
impuissants à contrôler les mouvements des masses. La
« crise de la raison d’État » dont il parlait, s’expliquait
selon lui par le fait que, depuis la seconde moitié du XIXe
siècle, la notion vague de « nécessité nationale »
(Volksnotwendigkeit) s’était substituée à la notion claire
de « nécessité d’État » (Staatsnotwendigkeit)84.
On peut bien sûr douter que ce jugement, largement
inspiré par l’Allemagne d’avant la Première Guerre
mondiale, puisse être ainsi généralisé. Il me semble
néanmoins qu’une similitude frappante existe entre
l’Allemagne d’avant la Première Guerre mondiale et le
Japon. Dans les deux empires, en effet, on observe la
même autonomie des instances militaires par rapport au
gouvernement et l’existence d’un fort courant
nationaliste dans l’opinion. À mes yeux, ces points
communs sont indissociables d’une autre réalité, à
savoir le caractère autoritaire et hiérarchique des
structures politiques et sociales, qui s’accompagne en
outre, dans les deux cas, d’une médiocrité de tous les
dirigeants politiques.

4. UN FASCISME ATROPHIÉ (2) :


LA FUITE DANS UNE SPHÈRE DE COMPÉTENCE LIMITÉE

Le second argument avancé par à peu près tous les


accusés du procès de Tokyo pour démontrer qu’ils
n’étaient pas responsables de ce dont on les accusait, a
consisté à répondre que les faits reprochés ne relevaient
pas de leur sphère de compétence telle que celle-ci était
définie dans le système bureaucratique. Sur ce point, les
plaidoiries de la défense auront été d’une unanimité
vraiment remarquable. Sans doute fallait-il s’y attendre
de la part de gens comme Kaya ou Hoshino,
bureaucrates parmi les bureaucrates, que leurs avocats
défendirent en disant : « Il n’a fait que son travail
d’administrateur » (ATMIEO, n° 291), ou : « Durant
toute sa vie, il n’aura été qu’un fonctionnaire » (n° 277).
Mais on trouve maints exemples du même genre chez
les avocats des autres accusés. Ainsi celui du général
Ôshima : « Il a commis les actes qu’on lui reproche dans
l’exercice légal de ses fonctions, en tant que
représentant d’un pays souverain. […] Il était seulement
chargé du chiffre et des transmissions passant par les
Affaires étrangères » (ATMIEO, n° 161). Ou celui d’Oka
(ancien chef du Bureau des affaires navales) :
Tous les éléments présentés à son sujet montrent qu’il a toujours
occupé des fonctions de secrétaire et d’officier de liaison, et qu’il n’a
jamais atteint de poste impliquant une participation aux décisions
politiques. Ce sont les décisions de ses supérieurs que contenaient les
communications qu’il transmettait et les messages rédigés par lui ou ses
subordonnés […] [Il n’existe aucun élément tendant à prouver qu’il
aurait eu le pouvoir d’influer sur les décisions] (Ibid.).

Ou encore celui du général Mutô (ancien chef du


Bureau des affaires militaires de l’Armée) :
Il a été clairement prouvé que, durant la majeure partie de sa carrière
militaire, il a occupé des postes subalternes, au sens où les décisions
politiques étaient prises par ceux qui se trouvaient placés au-dessus de
lui ; et que son devoir, en vertu d’une conception de l’armée qui est
universelle, consistait à appliquer les ordres de ses supérieurs (Ibid.).

Ces défenses ne font que refléter l’idéologie des


accusés eux-mêmes. Prenons par exemple cet extrait de
l’audition du général Mutô. Interrogé sur les massacres
commis par l’armée du Japon à Nankin et à Manille
[alors qu’il était respectivement vice-commandant en
chef de l’armée de Chine centrale et chef d’état-major
de l’armée des Philippines], il répond d’abord que ces
comportements scandaleux étaient apparus dès
l’expédition de Sibérie, que les officiers avaient débattu
des moyens d’éduquer les soldats afin d’y remédier, et
que lui-même, pour avoir été affecté à l’Inspection
générale de l’instruction militaire au début des années
1920, en avait toujours été sincèrement et
profondément préoccupé. Mais voici la suite de
l’échange :
Question. – Quelles mesures avez-vous prises pour réformer
l’instruction et l’entraînement des jeunes recrues afin d’éviter que ne se
reproduisent les différents problèmes que vous aviez remarqués lors de
l’expédition de Sibérie ?
Mutô. – À l’époque de cette expédition, je n’étais encore que simple
sous-lieutenant. Même en étant au courant de ces problèmes, je
n’aurais donc rien pu faire pour y remédier.
Question. – Mais par la suite, lorsque vous êtes devenu général et que
vous aviez tout pouvoir pour intervenir dans l’instruction des troupes,
quelles mesures avez-vous prises pour corriger les manquements que
vous aviez remarqués depuis 1918 ?
Mutô. – Même après avoir atteint ce grade, je ne pouvais rien faire
puisque je n’avais pas de division sous mon commandement. Pour
entreprendre quoi que ce soit, il fallait être à la tête d’une division.
Question. – Et lorsque vous êtes devenu chef du Bureau des affaires
militaires ?
Mutô. – Le chef du Bureau des affaires militaires n’est qu’un
subordonné du ministre de l’Armée. Il n’a aucune autorité pour donner
des ordres dans ce domaine.
Question. – Eh bien, en admettant que vous ayez été général de
division, ou que vous ayez été en charge de l’instruction et de
l’éducation dans une école militaire, auriez-vous donné des ordres afin
de corriger les manquements que vous aviez remarqués depuis 1918 ?
Mutô. – Oui (Il rit.).
ATMIEO, n° 159.

Nul doute que ce rire, malgré l’acquiescement, était dû


à l’embarras. Or ce n’est pas seulement à propos d’actes
commis dans leurs bureaux à Tokyo que les accusés se
retranchent derrière les « règlements » et les « sphères
de compétence », mais aussi bien à propos d’actes
commis alors qu’ils commandaient en chef sur le front.
Il vaut la peine de citer encore, malgré sa longueur, cet
échange entre le procureur Nolan et le général Matsui,
qui concerne le massacre de Nankin.
Nolan. – Il y a quelques instants, vous avez laissé entendre que la
morale et la discipline des troupes relevaient d’un officier général qui
vous était subordonné.
Matsui. – C’est la responsabilité du général de division.
Nolan. – Vous étiez bien le commandant en chef de l’armée en Chine
centrale ?
Matsui. – Oui.
Nolan. – La Cour doit-elle comprendre que, selon vous, ce
commandement ne donnait aucun pouvoir de faire appliquer la
discipline dans les troupes qui étaient sous vos ordres ?
Matsui. – En tant que commandant en chef pour la Chine centrale,
j’avais la responsabilité de diriger les opérations des deux corps d’armée
sous mon commandement, mais je n’étais pas compétent pour
intervenir directement dans les questions de discipline.
Nolan. – Mais vous aviez le pouvoir de vous assurer que la discipline et
la morale étaient respectées dans les unités sous votre
commandement ?
Matsui. – Il serait plus exact de dire que j’en avais le devoir, plutôt que
le pouvoir. […]
Nolan. – C’est parce qu’il y avait un chef de corps d’armée dans
chacune des unités sous votre commandement, et c’est pourquoi vous
faisiez passer les mesures disciplinaires par eux… C’est bien cela ?
Matsui. – Je n’avais pas le pouvoir de prendre des mesures
disciplinaires, ni de faire traduire en cour martiale. Ce pouvoir
appartenait au commandant de chaque corps d’armée ou au général de
chaque division.
Nolan. – Mais vous pouviez ordonner la tenue d’une cour martiale, soit
dans un corps d’armée soit dans une division ?
Matsui. – Je n’avais aucun droit à le faire.
Nolan. – Pourquoi alors vous être efforcé de nous démontrer que vous
aviez ordonné que des châtiments sévères soient infligés à ceux qui
avaient perpétré les violences de Nankin ? Et que vous aviez fait tout ce
qui était en votre pouvoir de commandant en chef de l’armée de Chine
centrale pour châtier les coupables ?
Matsui. – En tant que chef de l’armée de Chine centrale, je pouvais tout
au plus exprimer des souhaits aux chefs des unités qui composaient
cette armée (sic).
Nolan. – Il me semble que lorsque le commandant en chef exprime ses
souhaits à des subordonnés, il s’agit bien d’ordres…
Matsui. – Non. Du point de vue réglementaire, ce serait très
problématique.
ATMIEO, n° 320.

En lisant cet échange, on finirait par avoir l’illusion


que le « règne de la loi » qui caractérise la modernité est
plus étendu dans la patrie de Matsui que dans celle de
Nolan. « Un ordre de vos supérieurs est un ordre de Sa
Majesté » : telle était l’ultima ratio de cette « armée
impériale » à laquelle appartenait le commandant en
chef du corps expéditionnaire de Chine centrale, celui-
là même qui sous nos yeux se métamorphose en un
petit fonctionnaire tremblant à l’idée d’outrepasser le
règlement et qui se contente, même vis-à-vis de ses
propres subordonnés, d’exprimer des souhaits lorsqu’il
s’agit de questions hors de sa compétence directe.
En aucun cas il ne s’agit seulement de faux-fuyants
que les accusés auraient improvisés pour échapper à
leurs responsabilités. Au fond de leurs âmes est tapi cet
« esprit bureaucratique » (Beamtengeist) dont parle Max
Weber : lorsqu’ils se trouvent en mauvaise posture, ils
peuvent se transformer instantanément en
fonctionnaires spécialisés (Fachbeamte), n’agissant plus
que dans les limites étroites de leurs attributions telles
que le règlement les définit. Pour réussir ce tour de
passe-passe, les accusés ont notamment exploité à fond
la distinction qu’établissait la Constitution de 1889
entre prérogatives de commandement et prérogatives
d’administration, ainsi que la disposition d’après
laquelle chaque ministre d’État conseille l’empereur
directement, et enfin les chevauchements des sphères
de compétence entre ministères d’État et certains
départements ministériels.
Il est bien connu que les interventions des militaires
dans la politique se sont effectuées largement à travers
le Bureau des affaires militaires (ou celui des affaires
navales, pour la Marine), où se rencontraient chefs de
l’état-major et ministres d’État. De ce point de vue,
l’extrait suivant est particulièrement intéressant. Mutô y
explique le rôle du Bureau des affaires militaires.
Le ministre de l’Armée doit mettre en œuvre les décisions prises en
Conseil des ministres. Pour cela, il a besoin d’un service politico--
administratif. Ce service est normalement le Bureau des affaires
militaires, qui s’occupe du travail politico-administratif mais ne fait
pas de politique à proprement parler.
ATMIEO, n° 131.
Voici donc la justification des brillantes activités
politiques de Mutô alors qu’il était directeur de ce
service : il pouvait se mêler de politique parce que son
travail politico-administratif le requérait, sans pour
autant être politiquement responsable puisqu’il s’agissait
d’un travail politico-administratif. Il est naturel que les
attributions du ministère (donc du Bureau des affaires
militaires) et celles de l’état-major se soient en partie
recoupées. Lors du procès, on les a vus fréquemment se
renvoyer la responsabilité, par exemple au sujet des
affaires de mauvais traitements infligés aux prisonniers,
et surtout quand il fut question du programme de
défense ou des décisions d’étendre les opérations sur le
front : lorsque la responsabilité du ministre de l’Armée
ou de la Marine de l’époque était mise en cause, on a vu
les accusés invoquer systématiquement l’impossibilité
pour un ministre d’interférer dans la prérogative du
commandement suprême. L’état-major, de son côté,
expliquait au contraire :
En principe, les plans d’opérations sont conçus à partir de la politique
générale de défense. Toutefois, la définition des grandes lignes du
programme de défense avait fini par relever entièrement du ministère.
Le chef de l’état-major s’occupait donc seulement des aspects tactiques.
[…] En théorie comme en pratique, il est impossible de concevoir des
plans d’opérations indépendamment de la politique générale et de la
politique de défense.
ATMIEO, n° 159.

Le lieu de la responsabilité s’évanouit ainsi dans les


limbes85.
Dans quelle mesure l’ancien système de cabinet a-t-il
favorisé la dispersion du pouvoir ? Comment a-t-on
entrepris, pour répondre aux nécessités de la guerre, de
surmonter ce problème et de rationaliser le
fonctionnement du cabinet ? Pourquoi cela a-t-il
échoué ? Ces questions ayant été étudiées par mon
collègue, le professeur Tsuji86, il suffira ici de rappeler
que la tentative de renforcer le pouvoir gouvernemental
en créant une sorte de « cabinet restreint » (inner
Cabinet), échoua finalement à changer la mentalité des
ministres d’État, comme l’a souligné le procureur
Tavenner en résumant la position des accusés :
Les ministres présents lors des conseils restreints, représentant les
quatre ou cinq ministères les plus importants, comme Hirota,
Hiranuma, Itagaki ou Kaya, affirment qu’ils étaient impuissants s’ils
n’avaient pas l’approbation ou l’accord des autres membres du cabinet
et que rien de ce qu’ils pouvaient faire n’avait d’importance à moins
d’être approuvé par ces autres membres. Cependant, les membres du
cabinet qui ne prenaient pas part à ces conseils restreints, comme Kido
ou Araki, protestent en disant que leur responsabilité ne peut être
poursuivie, car ils n’avaient pas connaissance de ce qui était débattu
dans ces réunions, ou que, s’ils en étaient avisés, ils ne donnaient leur
approbation que parce qu’ils s’en remettaient à l’expertise de ceux qui y
participaient. Ainsi, même au sein du cabinet gouvernemental, nous
ne trouvons personne qui ait eu la responsabilité des plus
importantes actions mises en œuvre d’après le plan arrêté en
commun.
ATMIEO, n° 416.

On peut laisser toute latitude à cet « esprit


bureaucratique », jamais il ne produira aucune
intégration politique digne de ce nom. Au lieu de cela, il
élèvera des montagnes de papier, de notes et de
circulaires, multipliera les décrets, créera de nouveaux
organismes. À cet égard, une controverse très
intéressante a eu lieu lors du procès au sujet du Centre
d’études sur la guerre totale, créé en septembre 1940
par l’ordonnance impériale n° 648, dont la grande
ambition était fièrement annoncée en ces termes dans
l’article premier des statuts :
Ce centre est placé sous la tutelle du Premier ministre. Il est chargé de
développer les études et les recherches fondamentales sur la
mobilisation de l’État en vue de la guerre totale. Il devra également
assurer un enseignement et une formation dans ce domaine.

On avait recruté un magnifique assortiment


d’étudiants, représentant l’École supérieure de guerre,
les différents ministères et le monde des affaires. Il est
naturel que l’attention des procureurs ait été fortement
retenue par cette création, puisque les recherches et les
travaux des étudiants devaient porter sur la manière de
planifier, dans l’hypothèse d’une guerre avec les États-
Unis, non seulement les aspects purement militaires et
stratégiques, mais une mobilisation générale impliquant
tous les secteurs, politique, économique, éducatif,
culturel. Qu’en fut-il en réalité ? Voici ce qu’a rapporté
un ancien étudiant :
Le Centre était placé sous l’autorité du Premier ministre mais nous ne
l’avons vu que lors des cérémonies, c’est-à-dire au début et à la fin du
cursus. Il ne donnait ni consigne ni orientation. Je n’y ai étudié qu’une
année, mais j’aurais aimé que l’on s’occupe un peu plus de nous. On
sentait que cette institution avait été abandonnée à elle-même sitôt
créée. C’était comme un magasin qu’on aurait ouvert sans savoir ce
qu’on allait y vendre. Puisqu’il fallait maintenir les apparences, les
personnes qui avaient été nommées là ont d’abord improvisé comme
elles pouvaient. […] Elles étaient trop absorbées à réfléchir sur ce qu’il
conviendrait d’enseigner pour pouvoir se consacrer à la moindre
recherche théorique ou pratique. Durant tout ce temps, il n’y a eu
aucune instruction, aucune intervention de la part du gouvernement.
ATMIEO, n° 100.

Même en admettant qu’il y ait ici un peu


d’exagération, ne suffit-il pas à un Japonais de se
rappeler l’expression « travail de fonctionnaire » pour
deviner immédiatement ce qu’il y a de vérité dans ce
témoignage ? Pour le procureur Lambert, en revanche,
il y avait là quelque chose de difficile à admettre :
Devons-nous vraiment croire qu’en septembre 1940, le Japon gaspillait
du temps et de l’énergie dans une institution vouée au bavardage ? […]
Peut-on sérieusement imaginer qu’une personnalité aussi importante
que le général Iimura [chef d’état-major de l’Armée du Kwantung au
moment de sa nomination comme directeur du Centre] ait été rappelée
à Tokyo pour un travail aussi vain, sans le moindre but pratique,
simplement pour y perdre son temps ?
ATMIEO, n° 379.

Il est bien naturel de demeurer ainsi incrédule tant


que l’on applique les critères d’un pays démocratique.
Une telle irrationalité n’en était pas moins parfaitement
banale dans notre monde.
Il se trouve que la responsabilité de Hoshino, Suzuki et
Kimura, qui avaient été « conseillers » du Centre, fut
mise en cause. La dernière question posée par l’avocat
de la défense Kiyose dans son contre-interrogatoire,
ainsi que la réponse du témoin, méritent d’être citées :
Kiyose. – Une dernière chose… En vingt-cinq ans de carrière au service
du gouvernement, ne vous est-il jamais arrivé de constater que, dans
notre pays, des titres comme ceux de « conseiller » ou de « consultant »
pouvaient être purement nominaux et ne renvoyer à aucune activité
réelle ?
Horiba. – J’ai vu des exceptions, bien sûr, mais d’une manière générale,
ceux qu’on appelle ainsi sont seulement des prête-noms, dont la
fonction est surtout ornementale. […] Je pense, oui, qu’il s’agit le plus
souvent de titres purement nominaux (Ibid.).

Chacune de ces sphères de compétence limitées dans


lesquelles on se retranchait, tendait, en raison de son
rattachement vertical à l’autorité impériale, à se
considérer elle-même comme une entité absolue, avec
cet effet que des discordes sans fin les opposaient les
unes aux autres87.
Les bureaucrates n’ont aucune idéologie définie et
arrêtée. Du reste, puisqu’ils sont avant tout au service
de l’État, on ne leur permet pas d’en avoir une. « Un
bureaucrate se doit d’être résolument opportuniste », a
dit un jour très justement Sakomizu Hisatsune. « Même
lorsqu’il paraît avoir une idéologie, ce n’est pas
exactement la sienne, mais plutôt celle que lui dicte sa
position. »
C’est le conflit entre les deux factions de la Marine
autour des dispositions du traité de Londres sur la
réduction des armements navals88 qui, comme on sait, a
mis le feu aux poudres et provoqué l’apparition d’un
fascisme dans l’armée. Mais d’où venait au juste leur
opposition ? Mizuno Hironori touchait au cœur du
problème lorsqu’il écrivit, quelques années plus tard :
Qu’il s’agisse de l’une ou l’autre des deux factions, l’opposition ne vient
pas des personnes mais des postes qu’ils occupent. Si l’amiral Suetsugu
avait alors été vice-ministre de la Marine et si l’amiral Yamanashi avait
été à l’état-major [autrement dit si les places avaient été inversées],
c’est Suetsugu, et non Yamanashi, qu’on aurait alors accusé d’avoir
trahi le Japon [en consentant à la limitation de ses capacités navales].
« Kobayashi Seizô, nouveau gouverneur général de Taïwan »,
Chûô kôron, novembre 1936.

La même règle s’applique à peu de chose près à toutes


les autres oppositions soi-disant idéologiques internes à
l’appareil militaire. Mais en aucun cas cela ne signifie
que les affrontements et les conflits n’aient pas été
acharnés. Bien au contraire. « Union sacrée de la
nation », « Cent mille hommes, un seul cœur » : plus la
propagande hurlait fiévreusement ses appels à l’unité et
plus s’aggravait, en coulisses, la division horizontale des
pouvoirs dirigeants. Ayant pour origine des rivalités
administratives, la division pouvait d’ailleurs apparaître
entre des entités toujours plus petites. Évoque-t-on
l’opposition des civils et des militaires qu’il faut
mentionner aussitôt la rivalité qui, parmi ces derniers,
oppose la Marine à l’Armée, et au sein de l’Armée, l’état-
major au ministère, et encore au sein de ce dernier, les
Affaires militaires aux Affaires générales… On connaît
aussi la rivalité entre les bureaucrates du Plan, ceux de
la Mandchourie et ceux de l’Intérieur. Quant à
l’empereur, à qui sa place donnait théoriquement le rôle
d’intégrer ce gouvernement polycentrique, il ne fit lui-
même que défendre farouchement sa propre sphère de
pouvoir, celle d’un monarque constitutionnel, non sans
donner l’impression que le constitutionnalisme de
façade avait atteint son stade ultime, et il ne rendit de
son propre chef à peu près aucune « auguste décision »
avant la fin de la guerre, c’est-à-dire avant d’y être
absolument contraint. Bien sûr, il y a là l’effet d’une
faiblesse de tempérament personnelle, et l’influence des
hauts conseillers (jûshin), qui préférèrent la guerre à
une lutte des classes, redoutant la révolution davantage
que la défaite89. À s’en tenir à ces explications,
toutefois, on négligerait le fait que s’appliquait là une loi
générale dans l’évolution des monarchies absolues,
notamment lorsqu’elles sont en phase de décadence.
Dans son analyse du pouvoir politique de la
bureaucratie, Max Weber expliquait en effet ceci :
La notion de « secret professionnel » est son invention spécifique, et
elle ne défend rien avec plus de fanatisme que cette attitude
injustifiable, d’un point de vue purement objectif, en dehors de ses
domaines de qualification spécifiques. Si la bureaucratie doit faire face
à un parlement, elle lutte avec un instinct sûr du pouvoir contre toute
tentative de ce dernier d’obtenir des parties en cause, par ses propres
moyens (ce qu’on appelle le « droit d’enquête »), des informations
techniques : elle préfère évidemment un parlement mal informé et par
là privé de pouvoir […] Même le monarque absolu (et, en un sens, lui
plus que tout autre) est sans pouvoir face à la supériorité des
connaissances techniques de la bureaucratie. […] Chaque fois qu’il se
trouve en accord avec une fraction socialement importante des
dominés, le monarque constitutionnel exerce très souvent une
influence plus décisive sur la marche de l’administration que le
monarque absolu : l’ouverture au moins relative à une critique de cette
dernière dans l’espace public la rend en effet plus contrôlable pour le
premier, alors que le second dépend entièrement des informations que
lui transmet la bureaucratie elle-même. Le tsar russe de l’ancien régime
était rarement en mesure d’imposer durablement la moindre mesure si
celle-ci n’était pas du goût de sa bureaucratie ou allait à l’encontre des
intérêts de pouvoir de cette dernière. Les ministères qui dépendaient
directement de ce souverain absolu formaient […] un conglomérat de
satrapies qui luttaient les unes contre les autres par tous les moyens de
l’intrigue personnelle et se bombardaient notamment à longueur de
temps de volumineux « mémoires » sur lesquels le monarque, réduit à
un statut de dilettante, n’avait aucune prise.
Économie et société, chap. IX, trad. fr. Isabelle Kalinovski,
in La Domination, édition établie par Yves Sintomer, 2015, p. 107-108.

Dans une monarchie, il n’y a que deux cas, trois tout


au plus, où l’intégration politique est assurée d’une
manière qui empêche la domination des bureaucrates
irresponsables directement liés au monarque et
l’atomisation du pouvoir gouvernemental qui en résulte :
ou bien le monarque est une personnalité suréminente,
détentrice d’un véritable charisme (il peut arriver que le
porteur de ce charisme soit un bureaucrate de son
entourage immédiat, qui alors n’est plus un simple
bureaucrate), ou bien il existe une assemblée dotée
d’une puissance réelle, comparable à celle d’un pays
démocratique. Il va sans dire que le premier cas est
extrêmement rare et que, même dans le second, à
moins de conditions historiques très particulières
(comme au Royaume-Uni), il y a une tendance
intrinsèque des monarchies modernes, sous leurs
solennelles apparences d’unité, à laisser libre champ
aux forces anonymes et irresponsables qui s’agitent en
coulisses, parce que la classe aristocratique, regroupée
autour du monarque, s’attache instinctivement à
défendre ses intérêts et empêcher l’émergence d’un
régime effectivement constitutionnel et démocratique.
La Russie tsariste, que citait Weber, en est un exemple,
mais l’Allemagne également a suivi une évolution
semblable, après la rupture de l’alliance entre Guillaume
II et Bismarck.
Virtuose de la diplomatie, Bismarck laissa pour tout héritage en
politique intérieure une absence complète de culture et de volonté
politiques, une Nation attendant seulement qu’un homme fort s’occupe
de tout pour elle. Il avait écrasé les partis puissants. Il avait écarté ceux
qui étaient capables d’initiative et d’autonomie en politique. Son
immense autorité avait enfanté le monstre d’un Parlement veule et
incapable. Et tout cela pour quel résultat ? Une domination sans limite
de la bureaucratie.
Marianne Weber, Max Weber. Ein Lebensbild,
Tübingen, C. B. Mohr / P. Siebeck, 1926, p. 59690.

Le parcours de l’Empire du Japon fut lui aussi


déterminé par cette loi des États absolutistes. Le
gouvernement des clans, à l’ère Meiji, réprima par tous
les moyens le Mouvement pour la liberté et les droits du
peuple.
Le désastre auquel nous avons assisté était en germe
depuis le jour où fut mise en place une Constitution
imitée de la Prusse qui n’était que le cache-sexe d’un
régime absolutiste. Le règne de « ces Messieurs de
l’Administration », la corruption de la bureaucratie, la
lutte sourde entre civils et militaires, les manœuvres de
l’armée pour faire tomber des cabinets ministériels, tout
cela n’est pas apparu brusquement avec l’ère Shôwa. Le
refus des états-majors de nommer un ministre pour le
remaniement du cabinet Matsukata en 1892, ou la
démission du général Uehara en 191291, sont de parfaits
exemples des moyens politiques que les militaires
allaient par la suite employer couramment. La Diète,
comme on sait, ne fut jamais en état de devenir le lieu
où s’accomplit l’intégration politique ultime. Au
contraire, les partis politiques se montrèrent si faibles et
si peu combatifs, après l’ouverture du Parlement, qu’une
main de fer comme celle de Bismarck ne fut même pas
nécessaire pour les « écraser ». « Péché originel » du
Japon moderne, la coexistence de pouvoirs politiques
distincts détermina ainsi son destin.
Si ces carences, pour autant, n’ont pas donné lieu à
des catastrophes [avant l’ère Shôwa], s’il existait alors
une direction et une intégration politiques
incomparablement plus fortes que celles que nous avons
connues récemment, cela est dû dans une large mesure
au charisme de l’empereur Meiji, ainsi qu’aux relations
particulières qui unissaient ses conseillers, les
bureaucrates des clans [Satsuma et Chôshû], et au
talent de « politiques » dont ceux-ci étaient relativement
bien dotés. Si amusants qu’aient pu être les airs de
Bismarck que cherchait à se donner un Itô Hirobumi,
lui et les hommes des clans avaient toutefois une
expérience précieuse, ayant dû asseoir leur pouvoir par
leurs propres forces, en repoussant les vagues des
révoltes qui les assaillaient. Ils étaient « politiques »
avant d’être bureaucrates. Sans doute l’idée de
démocratie était-elle étrangère à ces oligarques. Mais au
moins ne doutaient-ils pas de leur pouvoir et avaient-ils
à leur façon le sens des responsabilités. Il n’est pas
douteux que l’amiral Kabayama ait exprimé le sentiment
de fierté intime des oligarques lorsqu’il se laissa
emporter jusqu’à dire devant la Diète, en 1891 : « N’est-
ce pas grâce à Satsuma et Chôshû que notre pays est
devenu ce qu’il est aujourd’hui92 ? » Cette fierté une fois
perdue, le pouvoir ne pouvait plus aller qu’en
s’atrophiant. À l’ère des politiques devenus bureaucrates
succéda l’ère des bureaucrates devenus politiciens, puis
se multiplièrent les bureaucrates qui restaient
bureaucrates même en faisant de la politique, autrement
dit qui n’étaient pas des hommes politiques.
Quoique le sens autocratique de la responsabilité ait
reculé, le sens démocratique de la responsabilité n’a pas
progressé pour autant. Pendant la guerre, Ozaki Yukio
fut accusé de crime de lèse-majesté pour avoir désigné
l’empereur Shôwa en parlant de « troisième
génération », mais l’empereur n’était pas le seul à qui
cette formule pouvait s’appliquer. Car à mesure qu’il
s’atrophiait, on divinisa ce Janus impérial, souverain à
la fois absolu et constitutionnel, faisant ainsi proliférer
sous lui les « serviteurs » pusillanimes.
Une fable d’Ésope raconte l’histoire d’un homme entre
deux âges et déjà grisonnant qui aimait deux femmes à
la fois, l’une plus jeune que lui, l’autre plus âgée. L’une
et l’autre souhaitaient cacher la différence d’âge avec
leur amant. La première lui ôtait donc ses cheveux
blancs, la seconde ses cheveux noirs, si bien qu’il finit
par devenir complètement chauve. Les hauts conseillers
de l’empereur (jûshin) et autres « libéraux » de la haute
bourgeoisie redoutaient que la responsabilité politique
ne leur revînt, à eux-mêmes ou à l’empereur. Ils firent
donc de leur mieux pour gommer les aspects
absolutistes de la fonction impériale. Les militaires,
quant à eux, ainsi que les forces d’extrême droite, ne
cessèrent de brandir la théorie du droit divin, s’efforçant
de « protéger » l’autorité impériale afin de s’en servir
pour obtenir que leurs volontés soient faites. L’empereur
perdit d’un côté le charisme du souverain absolu, et de
l’autre la proximité avec la nation qui est celle du
souverain constitutionnel. Ce sont bien ses « fidèles
serviteurs », et personne d’autre, qui l’ont ainsi dénudé.
5. CONCLUSION
Je n’ai fait ici que restituer à grands traits le
gigantesque « système d’irresponsabilité » que fut le
pouvoir fasciste au Japon. Si j’essaie maintenant d’en
dégager les rôles principaux, il me semble que l’on peut
y repérer en gros trois types fondamentaux : le
Palanquin sacré (mikoshi93), qui représente l’autorité, le
Bureaucrate (yakunin), qui représente le pouvoir, et le
Hors-la-loi (muhômono), ou rônin, qui représente la
violence. Dans l’ordre étatique et du point de vue du
pouvoir légal, le Palanquin occupe la position la plus
haute, le Hors-la-loi la plus basse. Dans ce système,
pourtant, c’est du Hors-la-loi que partent les impulsions,
ses initiatives se répercutant vers le haut de la
structure. Le Palanquin n’est le plus souvent qu’une
marionnette, qui « agit par le non-agir »94. Le
Bureaucrate, civil ou militaire, est celui qui porte le
Palanquin, dont il reçoit la légitimité qui lui permet
d’exercer sa domination sur le peuple. En même temps,
il subit les assauts du Hors-la-loi, qui le pousse et
l’entraîne95. Ce n’est pourtant pas que le Hors-la-loi soit
réellement animé d’une « volonté de puissance ». Il est
satisfait s’il peut exulter d’avoir sidéré le monde par les
violences irresponsables qu’il commet depuis sa position
inférieure. Sa ferveur politique se dissout donc
facilement dans les plaisirs des maisons de rendez-vous.
Bien entendu, ces trois types ne sont pas des statuts
fixés. En pratique, il est fréquent que le même individu
occupe deux places, voire les trois, en même temps ou
successivement. Même celui qui a derrière lui un lourd
passé de Hors-la-loi peut un jour être « promu »
Bureaucrate et « s’assagir » en conséquence. Il peut
même parvenir jusqu’à cette place où il deviendra un
Palanquin que d’autres soulèveront. De plus, tel individu
qui se comporte en Hors-la-loi vis-à-vis de ses
supérieurs, se trouvera vis-à-vis de ses subordonnés
dans la position du Bureaucrate. Tel autre, soulevé et
agité comme un Palanquin par ses subordonnés, servira
son supérieur comme un Bureaucrate, avec humilité et
fidélité. Ainsi, c’est tout l’ensemble de la hiérarchie qui
est structuré par ces relations, où les places et leurs
occupants sont dans la même interdépendance que la
forme et la matière chez Aristote.
Ce qu’il importe de comprendre surtout, c’est que
l’ordre des valeurs qui structure cette hiérarchie
(Palanquin – Bureaucrate – Hors-la-loi) est en lui-même
absolument rigide. Le Hors-la-loi ne peut donc s’élever
sans se transformer en Bureaucrate, ou sans prendre les
caractères qui sont ceux du Palanquin. Autrement dit, il
y a là un contraste remarquable avec le pays des croix
gammées, où le Hors-la-loi s’est emparé du pouvoir
d’État en tant que hors-la-loi96.
Et ceci n’est pas un conte de fées, une histoire qui se
serait passée il y a longtemps, dans un lointain pays.

54. Frederick L. Schuman, Soviet Politics at Home and Abroad, New


York, Alfred A. Knopf, 1946, p. 483. Ce livre fut écrit alors qu’on ignorait
encore le degré d’entente et de concertation préalable entre les trois pays
de l’Axe au sujet d’une guerre avec les États-Unis. C’est pourquoi ils sont
ici mentionnés sur le même pied. Or, au moins en ce qui concerne Pearl
Harbor, il est remarquable que le Japon, qui se laissait généralement mener
par l’Allemagne, ait pris seul une telle initiative. On raconte que
Ribbentrop dansa de joie en apprenant la nouvelle. [L’arrêt de l’offensive
allemande visant à prendre Moscou fut annoncé le lendemain de l’attaque
de Pearl Harbor (N.d. T.)].
55. Réponse de Tôjô à une question du procureur Keenan.
56. Konoe Fumimaro, Ushinawareshi seiji [Une politique en échec],
Asahi shuppansha, 1946, p. 131.
57. Actes du Tribunal militaire international pour l’Extrême-Orient. Les
italiques sont de moi [Maruyama] dans toutes les citations de ces
documents. Je dois à la courtoisie du professeur Kainô Michitaka d’avoir pu
consulter les actes du procès, qui constituent le principal document que
j’ai utilisé dans cette étude. Qu’il trouve ici l’expression de ma profonde
gratitude pour l’aide précieuse qu’il m’a ainsi apportée pendant plus d’un
an.
[La version japonaise consultée par Maruyama n’a pas fait l’objet d’une
édition complète. Deux volumes d’extraits ont paru en 1948-1949. Par
ailleurs, il existe aujourd’hui une édition de ces actes dans leur version
anglaise, The Tokyo Major War Crimes Trial : the Transcripts of the Court
Proceedings of the International Military Tribunal for the Far East, édité
et annoté par R. John Pritchard, 124 vol., Lewiston, New York, Robert M.W.
Kempner Collegium/E. Mellen Press, 1998. De nombreux documents en
relation avec le procès sont également consultables en ligne sur le site de
l’Université de Virginie (N.d. T.).]
58. Le général Suzuki Teiichi a évoqué une rencontre ayant eu lieu en
octobre 1941 à la résidence privée du Premier ministre Konoe, entre celui-
ci, Tôjô, ministre de l’Armée, l’amiral Oikawa, ministre de la Marine,
l’amiral Toyoda, ministre des Affaires étrangères, et lui-même, directeur de
l’Agence de planification. Son témoignage, corroboré par des notes
manuscrites de Konoe, résume bien ce qu’étaient les positions des pouvoirs
civils et militaires tandis qu’approchait la fin du délai fixé lors de la
réunion tenue en présence de l’empereur le 6 septembre 1941 (« Nous
nous résolvons à déclarer la guerre aux États-Unis, au Royaume-Uni et aux
Pays-Bas s’il apparaît vers le début du mois de novembre que nos
demandes ne peuvent être satisfaites par la voie des négociations
diplomatiques. ») : « La Marine estimait qu’une guerre avec les États-Unis
était impossible, mais elle souhaitait ne pas avoir à exprimer ouvertement
cette position. L’Armée, pour sa part, ne souhaitait pas forcément la guerre
mais demeurait opposée au retrait des troupes de Chine. Le ministre des
Affaires étrangères, enfin, considérait que les négociations avec les États-
Unis n’aboutiraient pas si les troupes n’étaient pas retirées de Chine. Pour
éviter la guerre, le Premier ministre devait donc ou bien obtenir de la
Marine qu’elle fasse connaître son point de vue clairement, ou bien amener
l’Armée à comprendre ce point de vue sans qu’il soit exprimé ouvertement,
c’est-à-dire à obtenir qu’elle consente au retrait des troupes de Chine,
condition préalable aux négociations avec les États-Unis » (ATMIEO,
n° 333). Autrement dit, les positions de la Marine, de l’Armée et des
Affaires étrangères se paralysaient les unes les autres. Le refus catégorique
opposé par Tôjô quant au retrait des troupes causa finalement la chute du
cabinet Konoe. Et pourtant, Tôjô lui-même avait envisagé assez
sérieusement la possibilité de museler ceux qui restaient inflexibles, au
sein de l’Armée, en suscitant un cabinet qu’aurait dirigé un membre de la
Maison impériale, le prince Higashikuni.
59. [1956-1957] Dans cette étude, j’ai cherché à dégager les traits
spécifiques de la psychologie et du comportement de la classe dirigeante du
Japon au cours de la guerre, en m’appuyant pour cela sur les déclarations
et sur les témoignages faits lors des auditions publiques du procès de
Tokyo. De nombreuses questions peuvent sans doute être soulevées
aujourd’hui quant à la pertinence de cette méthode, parmi lesquelles deux
me semblent spécialement importantes. La première concerne mon
absence de réflexion sur le caractère politique du procès de Tokyo : quel
crédit doit-on accorder aux documents et aux actes d’un tel procès ? La
seconde porte sur le fait que les déclarations ou les réponses des accusés
émanaient d’hommes qui encouraient la peine de mort : peut-on
sérieusement approcher ce qu’avait été leur comportement ordinaire en se
fondant sur des déclarations faites dans des conditions si particulières ?
Ces deux interrogations sont parfaitement légitimes d’un point de vue
général. Néanmoins, à l’époque où j’écrivais mon article, les actes du
procès de Tokyo avaient une signification éminemment historique en ceci
qu’ils faisaient la lumière sur l’évolution politique, économique et sociale
suivie par le Japon depuis 1930, mettant d’un seul coup sous nos yeux des
masses de documents et d’informations auxquels nous n’avions pas eu
accès jusqu’alors. J’avais donc le plus grand désir d’exploiter toute cette
abondante matière. (Aujourd’hui encore, du reste, en 1956, il n’existe
aucune collection documentaire aussi exhaustive.) Quant au crédit que
l’on peut accorder à ce qui a été dit lors du procès, il serait assurément
dangereux d’utiliser sans précaution ces déclarations en espérant y saisir
les structures politiques ou l’évolution économique dans leur totalité, ou
même pour établir tel petit fait de moindre importance. Toutefois, je ne
crois pas que le biais inhérent au caractère politique du procès affecte
sérieusement les « preuves » que j’en ai tirées, étant donné l’angle
d’analyse qui était le mien, c’est-à-dire, je le répète, la psychologie et le
comportement de la classe dirigeante. En ce qui concerne le second
problème, c’est-à-dire la circonstance particulière que représente la
position d’accusé, on ne peut pas dire que la restriction qu’elle apporte soit
nécessairement importante si l’on tient compte, là encore, de mon angle
d’analyse. La question serait ici de savoir si les spécificités du mode de
comportement que j’ai dégagées ne sont pas en réalité un artefact engendré
par la situation particulière et unique du procès. Or il me semble, au
contraire, que l’éclairage violent donné par ce procès a révélé les effets
politiques de comportements très ordinaires mais qui, généralement,
passent inaperçus précisément parce qu’ils sont trop répandus pour attirer
l’attention.
60. Titulaire d’un doctorat de l’Université de Heidelberg, Goebbels est à
cet égard une exception. La plupart des dirigeants nazis se glorifiaient au
contraire de n’avoir ni titre ni situation, cherchant ainsi à créer parmi les
masses un sentiment de proximité, à quoi d’ailleurs ils sont parvenus. Voici
un extrait du discours que fit Hitler dans une usine de Berlin, peu de temps
après son accession au pouvoir : « Chers compatriotes, mes frères, mes
sœurs, chers travailleurs allemands, j’ai plus qu’un autre le droit de
m’adresser aujourd’hui à vous, ainsi qu’à des millions d’autres travailleurs.
J’ai été parmi vous durant les quatre années et demie de la guerre, je suis
l’un des vôtres […]. Le combat dont j’ai pris la tête est le combat des
travailleurs courageux, de ceux qui peinent au travail […]. Je n’ai besoin
d’aucun titre pour cela. Mon nom, ce nom que je ne dois qu’à ma force,
voilà mon seul titre » (Frederick L. Schuman, The Nazi Dictatorship. A
Study in Social Pathology and the Politics of Fascism, New York, Alfred A.
Knopf, 1936, p. 259). Le général Tôjô, à supposer qu’il eût pu en avoir
l’idée, n’aurait jamais prononcé un tel discours.
61. C’est pourquoi le même personnage sera d’un type différent dans le
contexte du nazisme. Je renvoie ici à « L’idéologie et les mouvements
fascistes au Japon ». L’Autobiographie d’Inoue Nisshô constitue l’une des
descriptions les plus évocatrices de ce « hors-la-loi » typique du fascisme
japonais (Nisshô jiden, Shûhôsha, 1947, réintitulée Un homme, un
meurtre (Ichinin issatsu) à l’occasion d’une nouvelle édition augmentée,
1953).
[1956-1957] Comment et de quoi les rônins vivaient-ils au juste ?
Avaient-ils des ressources importantes ? Il est difficile de le savoir avec
précision, et cela devait varier d’un individu à l’autre, mais il ne fait aucun
doute que « les activités des groupes d’extrême droite étaient directement
liées à leurs besoins alimentaires », comme l’a suggéré un témoignage
direct. L’enquête sur la tentative de coup d’État du 26 février a révélé que
l’administrateur général de la banque Mitsui, Ikeda Shigeaki, stipendiait
régulièrement Kita Ikki, Nakano Seigô, Matsui Kûka, Iwata Fumio, Akiyama
Teisuke, Akamatsu Katsumaro, Tsukui Tatsuo, Hashimoto Tetsuma et
d’autres encore. Puisqu’ils dépendaient beaucoup des fonds secrets de
l’Armée de terre, comme il est à peine besoin de le rappeler, l’importance
de leurs activités varia en stricte proportion de la « perfusion » qu’ils en
recevaient.
62. Cité dans le jugement du Tribunal militaire international de
Nuremberg. Je dois à Monsieur Yoshino, du ministère des Affaires
étrangères, d’avoir pu consulter la version anglaise de ce document. [Voir
Procès des grands criminels de guerre devant le Tribunal militaire
international, Nuremberg, 14 novembre 1945-1er octobre 1946,
Nuremberg, Secrétariat du Tribunal militaire international, vol. 1, 1947,
p. 213 (N.d. T.).]
63. [1956-1957] Sur ce point, voir « Logique et psychologie de
l’ultranationalisme », p. 28 sq. Je compare ici les orientations générales
des structures psychologiques, mais il est certain que l’on rencontre dans
les deux pays des cas particuliers qui vont à l’encontre de ces tendances
générales. Au Japon, parmi les cas du type « hors-la-loi », on trouvera
facilement des exemples du réalisme cynique dont je parle au sujet de
l’Allemagne. Un cynisme fort éloigné de « la morale et des principes »
s’affiche en particulier dans les conversations privées. Un ancien colonel, à
l’époque en poste à la Direction des affaires comptables du ministère de
l’Armée, rapporte qu’au moment d’occuper l’Indochine française, alors que
l’état-major était partisan d’employer la force, la Direction des affaires
militaires (Gunmukyoku) s’était prononcée pour une occupation
« pacifique » en disant que « la peine étant toujours plus lourde pour un
braquage, il vaudrait mieux obtenir la même chose par voie
d’escroquerie ». Mais ce franc-parler restait limité aux coulisses et, dès qu’il
fallait s’expliquer en public ou vis-à-vis de l’extérieur, le discours adoptait
instantanément la langue de bois.
64. Cité dans le jugement du Tribunal militaire international de
Nuremberg. Voir Procès des grands criminels de guerre devant le
Tribunal militaire international, Nuremberg, op. cit., vol. 1, p. 250.
[Extrait du discours de Posen (Poznan), prononcé le 4 octobre 1943 devant
des généraux de la SS. Himmler y évoqua pour la première fois le génocide
des Juifs devant une assemblée, tout en recommandant à ses auditeurs de
continuer à garder le silence sur ce sujet (N.d. T.).]
65. Joseph C. Grew, Ten years in Japan [1932-1942], New York, Simon
and Schuster, 1944, p. 42. Trad. fr. partielle de Gaston Rueff, Dix ans au
Japon, Paris, Flammarion, 1945, p. 56-57.
66. Dans le Faust de Goethe, lorsque Faust rencontre Méphistophélès
pour la première fois et lui demande qui il est, celui-ci répond
énigmatiquement : « Une partie de cette force qui toujours veut le mal et
toujours fait le bien » (N.d. T.).
67. Ten years in Japan, op. cit., p. 84.
68. En juin 1940, l’armée résolut de faire chuter le cabinet Yonai afin
d’obtenir son remplacement par un cabinet favorable à la signature d’un
traité militaire avec l’Allemagne. Suivant une habitude bien rodée, elle pria
le général Hata de démissionner et refusa de nommer un successeur. Yonai
dut présenter la démission de son cabinet. Le cabinet formé par Konoe
Fumimaro le 22 juillet, dans lequel Tôjô était ministre de l’Armée, signa le
Pacte tripartite le 27 septembre. On soupçonne Yonai d’avoir exagéré, lors
du procès de Tokyo, la responsabilité du prince Kan.in et du général
Anami, tous deux morts en 1945, pour mieux disculper le général Hata, qui
figurait parmi les accusés (N.d. T.).
69. Air à succès de l’immédiat après-guerre, chanté par Namiki Michiko,
où la pomme symbolise une jeune fille et, à travers celle-ci, le retour
espéré de la joie de vivre. Bien que les paroles restent allusives (« La
pomme ne dit rien mais je comprends ses sentiments »), on y perçoit le
désir d’oublier les années de guerre (N.d. T.).
70. Cité dans le jugement du Tribunal de Nuremberg. Procès des grands
criminels de guerre devant le Tribunal militaire international,
Nuremberg, op. cit., vol. 1, p. 296-297.
71. Ministre de l’Intérieur, Kido ne participait pas à ces conseils
restreints (goshô kaigi), dans lesquels étaient discutées principalement les
affaires militaires. La pratique consistant à réunir, outre le Premier
ministre, les ministres de l’Armée, de la Marine, des Finances et des
Affaires étrangères, remontait à 1933 et dura jusqu’en 1940. Le principe
d’une alliance militaire élargie avec l’Allemagne et l’Italie fut approuvé lors
des séances tenues au début de 1939, mais sa mise en œuvre, alors jugée
prématurée, ne fut décidée qu’en septembre 1940 (N.d. T.).
72. Ten years in Japan, op. cit., p. 322. Trad. fr. G. Rueff, Dix ans au
Japon, op. cit., p. 259.
73. En 1940, lors d’une réunion du Conseil privé de l’empereur, où il
était question du Pacte tripartite, le même Matsuoka avait déclaré : « La
guerre avec les États-Unis est notre destin » (ATMIEO, n° 76). C’est la
même théorie d’une nécessité fatale qu’on retrouve dans ce qu’il déclarait,
assez inconsidérément, à l’ambassadeur d’Allemagne Ott, lors d’un échange
de mai 1941 à propos de la contradiction entre le pacte de non-agression
nippo-soviétique [signé 13 avril 1941, par Matsuoka] et le Pacte tripartite :
« En cas de conflit de l’Allemagne avec l’Union soviétique, aucun Premier
ministre du Japon, aucun ministre des Affaires étrangères ne pourrait
maintenir le Japon dans la neutralité. Le Japon serait naturellement et
nécessairement conduit à se tenir aux côtés de l’Allemagne et attaquer
l’Union soviétique. » (ATMIEO, n° 76, télégramme d’Ott à Ribbentrop) [Le
Japon n’intervint pas dans le conflit déclenché par Hitler en juin 1941, et
c’est finalement l’Union soviétique qui devait rompre le pacte de neutralité,
le 8 août 1945 (N.d. T.).]
74. Voir Procès des grands criminels de guerre devant le Tribunal
militaire international, Nuremberg, op. cit., vol. 1, p. 211.
75. La vacuité de ces réunions au sommet s’explique entre autres par la
faiblesse de caractère dont j’ai parlé plus haut, qui rendait les participants
enclins à s’exprimer par des rodomontades et des slogans auxquels ils ne
croyaient pas eux-mêmes. Elle fut encore aggravée par les fuites
d’informations, transmises aux « hors-la-loi » de l’armée par leurs
supérieurs immédiats qui assistaient à ces réunions. Le langage employé
par ceux qui participèrent à la réunion des anciens Premiers ministres
(jûshin kaigi) du 5 avril 1945, où était discutée la composition du prochain
cabinet, me paraît très révélateur à cet égard. On y voit combien peu
d’intelligence existait entre ceux qu’on appelait pourtant les « vétérans »
du gouvernement, qui en étaient encore à sonder les cœurs les uns des
autres. Le 13 juin, parlant à Suzuki Kantarô (Premier ministre) de mettre
fin à la guerre, Kido lui rapporta que Yonai (ministre de la Marine) avait dit
de lui : « Suzuki semble encore plein d’optimisme. » À quoi Suzuki
répondit en riant : « Vraiment ? Mais je croyais au contraire que c’était
Yonai qui voulait continuer [la guerre] ! » « Sans l’avoir cherché, rapporte
Kido, j’appris ainsi que Yonai et Suzuki étaient du même avis » (ATMIEO,
n° 294). Autrement dit, même entre Yonai et Suzuki, on jouait encore aux
devinettes.
76. [1956-1957] Pour autant, il est certain que ces « faits accomplis »
n’auraient pas connu la « promotion » qui en a fait des décisions d’État si
les initiatives prises par le « bas » de la hiérarchie ou par l’armée
continentale avaient été en contradiction avec les inclinations et les
intérêts du sommet de la classe dirigeante, ou bien avec l’orientation
fondamentale du développement impérialiste japonais. En ce sens, s’il est
vrai que la vision qui fait de la mobilisation autour de l’empereur et des
déclarations de guerre la stricte mise en œuvre d’une conspiration du
grand capital, ignore la réalité historique, c’est le même dogmatisme,
retourné en doigt de gant, qui présente « l’histoire intellectuelle de l’ère
Shôwa » comme un processus d’élimination du « libéralisme » des hauts
conseillers (jûshin) et de la bourgeoisie par le totalitarisme de l’armée et
des extrémistes. Il y aurait en effet à enquêter sur la nature exacte de ce
« libéralisme » ainsi que sur son rôle historique. Bien que je ne puisse
entrer ici dans le détail, il vaut la peine de citer les trois principes auxquels
dit « être resté fidèle toute [sa] vie » le magnat de la finance Fukai Eigo,
devenu membre du Conseil privé de l’empereur et dont on parlait comme
d’un « libéral » en qui la classe dirigeante pouvait avoir toute confiance :
« (1) L’individu doit servir l’État auquel il appartient comme l’instance la
plus élevée qui soit ; (2) les institutions politiques et sociales ne sont pas
des formes définies une fois pour toutes, l’individu ne doit pas s’y attacher
obstinément mais se tenir prêt à les adapter selon les circonstances ; (3)
vis-à-vis du reste du monde, on doit avoir pour objectif d’accroître la
prospérité de son pays et sans cesse préparer l’avenir d’après cet objectif.
Si une opportunité se présente, il faut la saisir avec audace et hardiesse. Le
cas échéant, c’est par la force qu’il faut obtenir la réalisation de nos
demandes » (Sûmitsuin jûyô giji oboegaki [Mémoires des actes du Conseil
privé de l’empereur relatifs à quelques affaires importantes], Fukai Eigo,
Tokyo, Iwanami shoten, 1953, p. 13). Les points (1) et (3), en particulier,
montrent combien cette vision de l’État était éloignée d’une authentique
profession de foi libérale, et combien, en revanche, il serait difficile de la
distinguer du credo ultranationaliste.
77. Hashimoto Kingorô, Chô Isamu et d’autres protagonistes de cette
affaire avaient passé leur temps à intriguer dans Tokyo dès le lendemain de
l’incident de Mandchourie, organisant parfois des « banquets destinés à
exalter l’esprit militaire », dans lesquels ils réunissaient des officiers de
rang inférieur. Je renvoie ici à la note manuscrite du commandant Tanaka
(« Tanaka Kiyoshi shôsa shuki », voir p. 49), reproduite dans le livre
d’Iwabuchi Tatsuo, Généalogie des factions militaires (Gunbatsu no keifu,
Chûô kôron sha, 1948, p. 67). Chô faisait partie de ces officiers fanatiques
et hors-la-loi qui dégainaient le sabre pour un oui ou pour un non, et c’est
lui, selon leur plan, qui serait devenu préfet de police après la prise du
pouvoir ! On peut penser qu’en cas de succès, leur coup d’État aurait
donné au fascisme japonais une forme proche de celle du nazisme.
78. [1956-1957] Peu de temps auparavant, après avoir échangé des
informations avec des gens comme Konoe, Harada ou Shiratori au sujet de
l’affaire de mars, Kido notait dans son journal : « L’existence d’un complot
remontant à 1927 et visant à renverser les partis pour gouverner le pays
par la “dictature” pose un problème qui ne sera certes pas facile à
résoudre. […] Quoi qu’il en soit, je pense qu’il faut s’efforcer de guider ces
entreprises sur une voie telle qu’elles ne portent pas atteinte aux
fondements du pays et ne causent aucun dommage inutile. Mais cela sera
très difficile. » (Kido nikki, ATMIEO, n° 292.) Ce passage est important
parce qu’il nous montre, sous une forme quasi archétypale, ce que devait
être l’attitude des hauts bureaucrates civils (jûshin) face à la montée des
tendances « rénovatrices » apparues au sein de l’armée. Malgré toutes les
difficultés que prévoyait Kido, la matrice du régime fasciste japonais fut
ainsi progressivement mise en place lorsque se combinèrent, d’un côté, la
stratégie consistant à « guider » le fascisme radical de manière à ce qu’il
trouve sa place dans le système impérial existant, et de l’autre, cette
radicalité bridée, c’est-à-dire les éléments fascistes « guidés dans la bonne
voie », ceux-là dont traite l’étude précédente (voir « L’idéologie et les
mouvements fascistes au Japon »).
79. Manuscrit de Konoe Fumimaro, « Heiwa e no doryoku » [Mes efforts
pour la paix], p. 137-138.
80. [1956-1957] Autre exemple, dans une discussion de mai 1939 entre
le général Koiso, alors ministre des Affaires coloniales, et Harada Kumao, à
propos du renforcement du Pacte anti-Komintern : « On ne peut pas
espérer, disait Koiso, mettre fin rapidement à la guerre [de Chine] sans être
allié avec l’Allemagne et l’Italie. Les officiers et les hommes du front
enragent de voir que la France et l’Angleterre soutiennent Tchang Kai-
chek. Il faut d’abord les tranquilliser en ayant l’Allemagne et l’Italie de
notre côté, et ensuite nous pourrons sans doute résoudre le problème
chinois avec la France et l’Angleterre. Mais autrement, les troupes de ligne
ne voudront rien entendre. » Ce que Harada commente ainsi : « C’était
devenu la rengaine de l’Armée » (Harada Kumao, Saionji kô to seikyoku
[Saionji Kinmochi et la politique], Iwanami shoten, 1950-1952, t. 7, p. 364-
365).
81. Kurusu Saburô, Hômatsu no sanjû go nen [Trente-cinq années pour
rien], Bunka shoin, 1949, p. 72.
82. Voir dans ce recueil, « Logique et psychologie de
l’ultranationalisme ».
83. Dans un rapport daté du 3 novembre 1941, adressé au secrétaire
d’État, l’ambassadeur Grew écrivait : « Au Japon, on trouve toute la gamme
des opinions politiques, depuis ceux qui ont des idées moyenâgeuses
jusqu’à ceux qui en ont de libérales : l’opinion publique a donc une
influence plus ou moins variable. La répercussion, que peuvent avoir des
événements et des conditions qui ne dépendent pas du Japon, peut
déterminer, à un moment donné, quel sera le genre de pensée qui
prédominera. » Il ajoutait ce commentaire : « Dans les démocraties, par
contre, en raison d’une part de l’existence d’un ensemble homogène de
principes, qui influence et dirige la politique étrangère, et d’autre part du
fait que ce sont les méthodes beaucoup plus que les principes qui sont
susceptibles de provoquer des différences d’idées, l’opinion publique se
forme d’une façon différente » (Ten years in Japan, op. cit., p. 467 ; trad.
fr. G. Rueff, Dix ans au Japon, op. cit., p. 421-422). Ces quelques lignes
suffisent à nous expliquer pourquoi, contrairement à ce que l’on pourrait
attendre, la diplomatie des régimes démocratiques est comparativement
plus cohérente et plus stable.
[1956-1957] Ce qui s’est passé après la guerre dans la patrie de Grew
invite toutefois à élargir la perspective : si l’on considère le déclin du
puissant leadership que Roosevelt avait mis en place, ainsi que le climat de
peur qu’ont créé, avec la guerre froide, la « chasse aux sorcières » et les
enquêtes de loyauté, il semble que la question à étudier soit celle du
pouvoir dirigeant dans la société de masse, notamment la relation entre
les situations politiques et les processus de prise de décision. Au moins à
l’époque dont cet article traite, le contraste entre les deux pays était
flagrant sur ce point. On peut dire, d’une manière générale, que le décalage
est grand entre le développement de la société de masse et celui de la
démocratie, ou bien que les phénomènes pathologiques dont je parle se
produisent plus facilement là où il ne reste plus de la démocratie que les
apparences.
84. Friedrich Meinecke (1862-1954), Die Idee der Staatsräson in der
neueren Geschichte, 1924, p. 527-529.
85. [1956-1957] L’attitude du général Itagaki lors du conseil restreint
d’août 1939, telle que la rapporte Harada Kumao, fournit un parfait
exemple de la manière dont la distinction entre les ministres d’État et les
autres fut exploitée pour fuir la responsabilité. « En définitive, l’Armée
soutenait que le changement de la situation rendait nécessaire une alliance
militaire avec l’Allemagne et l’Italie, à la fois défensive et offensive. Mais ils
pensaient aussi que, dans l’immédiat, il fallait continuer de suivre la même
politique que jusque-là, et que, si cela ne suffisait pas, alors on conclurait
cette alliance avec l’Allemagne et l’Italie. Le Premier ministre (Hiranuma)
demanda alors à Itagaki : “Mais qu’en pense au juste le ministre de
l’Armée ?” Celui-ci répondit : “Je suis à la fois ministre d’État et, en même
temps, ministre de l’Armée. En tant que ministre d’État, j’approuve bien
évidemment la proposition de s’en tenir à la politique actuelle. Mais en tant
que représentant de l’avis général de l’Armée, j’approuve également la
seconde option.” » (Saionjin kô to seikyoku, op. cit., vol. 8, p. 42-43.)
86. Tsuji Kiyoaki, « Kankatsu ni nayamu tôji kikô » (Le problème des
sphères de compétence dans les instances gouvernementales), Chôryû, mai
1949. [Il s’agit du même numéro que celui où parut l’article de Maruyama
(N.d. T.).]
87. Voir « Logique et psychologie de l’ultranationalisme ».
88. La « faction des traités » (jôyakuha), représentée surtout au
Ministère, était minoritaire parmi les officiers mais avait alors l’appui des
civils. Perpétuant la doctrine de l’amiral Katô Tomosaburô (1861-1923),
elle considérait que les traités n’empêchaient pas la marine japonaise
d’être dominante dans le Pacifique. La « faction de la flotte » (kantaiha), à
l’état-major, considérait que les limitations imposées sur les navires de
grand tonnage mettaient le Japon en position d’infériorité notamment par
rapport aux États-Unis (N.d. T.).
89. [1956-1957] Dans ses mémoires rédigés après la guerre, l’ancien
Premier ministre Okada Keisuke écrit : « Nous, c’est-à-dire ceux qu’on
appelait les “hauts conseillers” (jûshin), ressentons profondément la honte
d’avoir été impuissants à empêcher ce cours des choses [i.e. la marche à la
guerre du Japon après l’insurrection du 26 février 1936], mais rien n’était
moins facile. […] Seule la force aurait pu l’empêcher, ce qui aurait signifié
la guerre civile (nairan). Les fondements de l’État, au moins tels qu’ils
étaient établis depuis 1868, en auraient été gravement ébranlés. Je n’étais
pas le seul à penser ainsi. Je crois que la guerre civile est ce que
redoutaient par-dessus tout ceux qui se trouvaient alors à quelque poste de
responsabilité. […] On pouvait se dire que, même s’il perdait la guerre, si
du moins le Japon échappait à la division, s’il demeurait uni, ce serait un
bonheur dans le malheur que de pouvoir partager les épreuves et la
souffrance. Je me réjouis du fait que cette guerre civile ait été évitée, que
nous l’ayons évitée au Japon » (« Niniroku no sono hi » [Le jour du 26
février], Chûô kôron, février 1949 [extrait du volume de mémoires publié
l’année suivante]). Quitte à ruiner le Japon dans une guerre avec d’autres
pays, éviter en tout cas le risque d’une « guerre civile » (entendons : le
risque d’abîmer l’État impérial), tel était le mobile décisif qui poussa
secrètement à entériner l’un après l’autre les faits accomplis dont nous
avons parlé plus haut. Ce fil rouge traverse l’ensemble du parcours
accompli par la classe dirigeante et se retrouve jusqu’au dernier moment,
sous la forme d’une condition minimale posée aux Alliés pour accepter la
déclaration de Potsdam : que l’État impérial soit maintenu.
90. On trouvera une version développée de cette analyse de l’héritage
bismarckien dans un article publié par Weber en 1917. Voir Œuvres
politiques, op. cit., p. 312-323 (N.d. T.).
91. En 1892, plusieurs militaires de haut rang déclinèrent l’offre du
Premier ministre Matsukata Masayoshi de participer à un cabinet remanié
(les ministres de l’Armée et de la Marine devant être des officiers généraux
d’active, en vertu d’une ordonnance de 1871), protestant ainsi contre la
démission à laquelle Matsukata avait forcé le ministre de l’Intérieur,
l’amiral Shinagawa, responsable des violences qui avaient marqué les
élections de février, et contre la réduction des dépenses militaires
concédée pour obtenir le vote du budget par la Diète. Ce refus hâta la
chute du cabinet. En 1912, le général Uehara Yûsaku, ministre de l’Armée
dans le deuxième cabinet Saionji, adressa sa démission directement à
l’empereur, n’ayant pas obtenu la création de deux divisions
supplémentaires demandée par l’Armée de terre. L’impossibilité de lui
trouver un successeur obligea Saionji à démissionner. Moyen de pression
des états-majors sur le gouvernement civil, cette méthode fut encore
employée à plusieurs reprises par la suite (1914, 1937, 1940), y compris
dans des cas où le Premier ministre était lui-même un militaire (N.d. T.).
92. Intervention du ministre de la Marine Kabayama Sukenori (1837-
1922) devant la Chambre basse le 22 décembre 1891, connue sous le nom
de « téméraire discours » (banyû enzetsu), qui critiquait avec véhémence
le refus des députés de voter le budget présenté par le cabinet Matsukata,
lequel comprenait notamment une forte augmentation des dépenses
militaires. Elle provoqua un tollé dans la Chambre et dans la presse, en
raison du déni de légitimité qu’elle exprimait. Ce premier heurt entre
l’armée et les députés ayant tourné à l’avantage de ces derniers (la
dissolution de la Chambre et les élections qui s’ensuivirent n’ayant pas
affaibli l’opposition), les militaires préférèrent désormais recourir à des
moyens de pression indirects (voir note précédente) (N.d. T.).
93. Mikoshi : le sanctuaire portatif utilisé dans les processions lors des
fêtes shintô, occasion pour la divinité de parcourir l’espace profane attaché
à son sanctuaire (N.d. T.).
94. Allusion à l’idéal du gouvernement selon Lao Tseu. « Je pratique le
non-agir, et le peuple se convertit de lui-même. J’aime la quiétude, et le
peuple se rectifie de lui-même. Je m’abstiens de toute occupation, et le
peuple s’enrichit de lui-même. Je me dégage de tous désirs, et le peuple
revient de lui-même à la simplicité. » Tao te King. Le Livre de la vertu et
de la sagesse, trad. fr. Stanislas Julien, Imprimerie nationale, 1842, p. 210
(N.d. T.).
95. [1956-1957] Voyez par exemple les « étranges relations »
qu’entretenait Konoe avec Inoue Nisshô, ou bien Kido avec des gens
comme Hashimoto Tetsuma (chef du Pavillon du nuage pourpre) ou Matsui
Kûka. Un passage du journal de Kido montre trop clairement ce que
pouvaient être ces relations et les sentiments de la classe dirigeante envers
les « hors-la-loi » qu’ils employaient. À propos de l’arrestation de Takuya
Denpu, un extrémiste dont la spécialité était de faire chanter les conseillers
de l’empereur et qui s’était illustré dans l’affaire des fiançailles impériales*,
Kido écrit qu’il eut la même impression « que si l’on avait ôté un grain de
riz collé à [sa] semelle » (3 mars 1933).
[* Kyûchû bô-daijiken (1920-21) : des conservateurs de la faction
Yamagata tentèrent de faire annuler les fiançailles du futur empereur Hiro-
Hito en invoquant une tare (le daltonisme) dans la famille de la fiancée. Ils
espéraient renforcer leur influence dans l’entourage impérial. Les
extrémistes nationalistes s’opposèrent violemment à l’annulation,
apportant un soutien paradoxal aux libéraux proches de l’empereur qui
avaient organisé le mariage (N.d. T.).]
96. [1956-1957] Ces trois types et les relations qui les unissent n’ont pas
structuré le monde politique japonais uniquement pendant la période
fasciste, mais durant toute la période impériale [1868-1945]. On les
retrouve dans les partis, où le président occupe la position du Palanquin, le
secrétaire général celle du Bureaucrate, qui détient le pouvoir effectif,
tandis que les groupes de pression jouent le rôle du Hors-la-loi. Les
mouvements d’extrême droite eux-mêmes, s’ils occupent la place du Hors-
la-loi dans la structure générale, reproduisent celle-ci dans leur propre
hiérarchie interne. Il est clair que quelqu’un comme Tôyama Mitsuru, par
exemple, était une sorte de Palanquin [pour la Gen.yôsha et les
organisations qui s’y rattachaient]. L’incapacité des partis à rompre avec ce
modèle et produire leur propre vision du sujet politique donne une idée de
leur faible caractère démocratique. Quelqu’un comme Mori Kaku a bien pu
figurer parmi les plus hauts responsables de son parti (le Seiyûkai), son
rôle et son action politiques furent davantage ceux d’un hors-la-loi que
d’un bureaucrate. « Au cours de ma vie, écrivait-il peu avant sa mort, j’ai
pu contribuer à faire en sorte que le monde se divise en deux, comme cela
avait toujours été mon vœu le plus cher. » (Mori Kaku, Mori Kaku denki
hensankai, Yamaura Kan.ichi éd., 1940, p. 846.) Il y a là une expression
typique du mode de pensée hors-la-loi. Du point de vue social, les hors-la-
loi présentent un caractère double, à la fois rebelles et parasites. S’il est
vrai que leurs comportements ou leurs modes de vie varient sensiblement
selon les milieux et les cultures d’origine (selon les pays, mais aussi selon
que l’origine est citadine ou rurale, selon qu’ils viennent de la haute
bourgeoisie ou d’un milieu populaire), il y a cependant une étonnante
proximité, un ensemble de traits communs qui ressortent par-delà ces
différences.
Bien qu’il soit particulièrement délicat d’abstraire un « type idéal » du
Hors-la-loi, je pense que l’on peut repérer les traits suivants : (1) Manque
de volonté et incapacité à occuper un emploi défini de façon continue, à
supporter la routine d’une vie ordinaire ; (2) Le Hors-la-loi se sent attiré
davantage par les relations humaines que par les « choses », sur lesquelles
il a du mal à se concentrer. Il est donc en principe inapte à la
spécialisation, sauf au sens où il devient ce que Lasswell appelle « un
spécialiste de la violence » ; (3) Corollaire, ou envers, des deux traits
précédents, le Hors-la-loi aspire à l’aventure, à un « travail » qui sorte de
l’ordinaire, improbable et qui fasse dire « on n’a jamais vu ça » ; (4) Mais
dans ce « travail », il est moins requis par un sens ou un but qu’attiré par
l’excitation elle-même que lui font ressentir les troubles et les désordres
provoqués ; (5) Indistinction de la vie privée et de la vie publique. À défaut
d’être conscient de sa responsabilité publique (ou de sa fonction), il a un
sens anormalement développé du devoir privé, de l’obligation envers une
personne particulière (jingi) ; (6) Indifférence ou mépris pour les revenus
assurés d’un travail régulier. Le Hors-la-loi vit de rentrées ponctuelles sans
rapport avec une activité économique (primes, rackets, dessous-de-table),
ou de ressources tirées de trafics illicites comme celui de la drogue ; (7)
Dans la vie quotidienne, ses critères de jugement relèvent d’un mode de
pensée et d’une morale qui sont ceux des situations d’urgence ou
d’extrémité. De là un goût pour les formules qui « clouent le bec » et une
tendance à trancher instantanément dans les questions de bien et de mal ;
(8) Vie sexuelle dissolue. Il existe naturellement une infinité de variations
possibles, selon les proportions dans lesquelles se combinent ces différents
traits, qu’il est d’ailleurs impossible de discerner avec certitude chez un
individu particulier. Tout au plus peut-on dire que le caractère de hors-la-
loi est plus ou moins prononcé chez tel ou tel individu. Cette esquisse d’un
type idéal est pourtant utile lorsqu’on analyse des situations particulières
en les éclairant à partir d’une théorie générale de la dynamique du
fascisme. Ainsi, lorsqu’on étudie la composition des partis communistes,
on voit que plus la part de ceux qui viennent du Lumpenprolétariat et des
éléments tombés en marge des autres classes est importante (en-
comparaison de celle des travailleurs syndiqués et des intellectuels
spécialisés), plus le caractère hors-la-loi du parti est prononcé, son mode
d’action politique effectif devenant alors difficile à distinguer de celui d’un
parti fasciste.
● GLOSSAIRE

ABE Nobuyuki (1875-1953) : général de l’Armée de


terre. Après avoir travaillé à l’état-major au début des
années 1920, il fut chef du Bureau des affaires
militaires* (1926-1928) puis vice-ministre de l’Armée de
terre (1928-1930). Nommé Premier ministre en août
1939, il forma un cabinet resserré, dont plusieurs
membres cumulaient deux portefeuilles, lui-même étant
ministre des Affaires étrangères. Bien qu’initialement
soutenu par l’armée, il adopta une position de neutralité
lorsque la guerre éclata en Europe et annonça qu’il
s’efforcerait de mettre fin à la guerre sino-japonaise.
Ayant échoué par ailleurs à diminuer l’inflation, il perdit
également le soutien de la Diète et démissionna le
14 janvier 1940. De mai 1942 à juillet 1944, il dirigea la
sélection des candidats officiels aux élections de 1942
puis, de mai 1942 à juillet 1944, l’Association politique
de soutien au Trône*. Figurant dans la première liste de
28 accusés pour le procès de Tokyo, il en fut retiré au
dernier moment, avec le général Mazaki*, afin de
permettre l’inclusion de Shigemitsu Mamoru (1887-
1957) et d’Umezu Yoshijirô*, demandée par l’Union
soviétique.
Académie du faisan d’or (Kinkei gakuin) : école créée
par Yasuoka Masahiro* en 1927, dont le nom vient du
pavillon où elle était installée, mis à la disposition de
Yasuoka par le comte Sakai Tadamasa (1892-1971).
Destiné à la formation d’administrateurs publics
intègres et sages, l’enseignement donnait la priorité à la
formation morale et aux cours sur le confucianisme de
Wang Yangming, mais comportait aussi des cours de
science politique ou d’histoire. Il était complété par des
conférences sur des questions d’actualité que venaient y
donner militaires, hauts fonctionnaires et universitaires,
lesquels assistaient par ailleurs aux conférences de
Yasuoka. Celui-ci espérait que l’école serait une
pépinière de gentilshommes patriotes qui
accompliraient la nouvelle restauration nationale dont
le Japon avait besoin. Voir aussi Association pour la
restauration nationale, Gotô Fumio.
ADACHI Kenzô (1864-1948) : homme politique,
nationaliste, proche de l’armée et de la Gen.yôsha*, qui
avait participé à l’assassinat de la reine de Corée en
1895. Devenu membre du parti de centre gauche,
auquel il rallia les députés nationalistes, il fut élu à la
Diète à partir de 1902 et constamment réélu par la suite
jusqu’à la fin des années 1930. Excellent organisateur de
campagnes électorales, il fut membre de plusieurs
cabinets, notamment comme ministre de l’Intérieur
dans les cabinets Minseitô* de Hamaguchi* et
Wakatsuki* (avril 1929-décembre 1931). Après
l’incident de Mandchourie*, il fut partisan d’un cabinet
de coalition (Minseitô*-Seiyûkai*), qui aurait collaboré
avec l’armée tout en renforçant le pouvoir civil. Ayant
échoué face à l’opposition de Wakatsuki, il quitta le
Minseitô avec Nakano Seigô* afin de créer l’Alliance
nationale (Kokumin dômei), qui prêcha pour une
doctrine Monroe asiatique et pour le dirigisme
économique.
Affaire Aizawa (Aizawa chûsa jiken) : assassinat du
général Nagata Tetsuzan*, directeur du Bureau des
affaires militaires* et membre important de la faction du
Contrôle (voir Factions militaires), par le lieutenant-
colonel Aizawa Saburô (1889-1936) en août 1935.
Aizawa voulait protester notamment contre l’éviction du
général Mazaki* (juillet 1935), que des libelles
anonymes avaient dénoncé comme une violation de la
prérogative de commandement suprême* et dont
Nagata, par ailleurs en conflit avec les jeunes officiers
soutenant la Voie impériale (voir Affaire de l’École des
officiers*), était considéré comme le principal
instigateur. Lors du procès, Aizawa déclara avoir agi par
patriotisme. Malgré une campagne de soutien en sa
faveur, il fut condamné à mort et fusillé en juillet 1936.
Voir aussi Affaire du 26 février.
Affaire de la monarchie-organe (Tennô kikan setsu
jiken), ou affaire Minobe, également appelée « Affaire de
la clarification de l’État impérial » (Kokutai meichô
mondai) : campagne de protestation menée par les
ultra-conservateurs, visant à obtenir la condamnation
du juriste Minobe Tatsukichi* pour son interprétation
de la Constitution, qui faisait de la Maison impériale une
institution dont les pouvoirs et les rapports avec les
autres institutions étaient entièrement définis par le
texte de la Constitution de 1889. Les premières
attaques, portées par Minoda Muneki* et certains
militaires, furent relayées à la Chambre des pairs en
février 1935, puis à la Chambre basse, notamment par
des membres du parti Seiyûkai*. Après avoir tenté de
maintenir une position de neutralité, le cabinet Okada*
finit par faire deux déclarations condamnant la théorie
de Minobe (août et octobre), qui dut démissionner de la
Diète (septembre). Le ministère de l’Éducation, qui
avait fait interdire ses ouvrages sur le sujet, publia peu
après Les Principes de l’État impérial (Kokutai no
hongi, 1937), synthèse de la doctrine désormais
officielle, affirmant l’origine divine la Maison impériale,
son pouvoir transcendant et le caractère naturellement
harmonieux de la totalité nationale. Près de 2 millions
d’exemplaires de ce texte furent diffusés. Voir aussi
Association des réservistes.
Affaire de la Shinpeitai, ou affaire des soldats divins
(Shinpeitai jiken) : projet de coup d’État organisé par
des membres du Parti de la production du Grand Japon*
et du Parti patriotique radical (Kyûshin aikoku tô),
Amano Tatsuo*, Suzuki Zen.ichi* et Maeda Torao*. Le
plan prévoyait d’attaquer simultanément la résidence
officielle du Premier ministre un jour de réunion du
Conseil, afin de tuer tous les membres du cabinet, la
Préfecture de police, le bureau du gardien du Sceau
privé, les sièges des principaux partis politiques
(Seiyûkai*, Minseitô*, Parti social des masses*) et les
résidences de leurs dirigeants, les sièges de la Banque
japonaise du commerce et de l’industrie, du Club du
génie civil, ainsi que la résidence de l’amiral Yamamoto
Gonnohyôe (1852-1933), dans l’espoir qu’un nouveau
gouvernement serait formé par un prince impérial. Les
comploteurs n’avaient toutefois réussi à mobiliser
qu’une centaine d’hommes, dont beaucoup
appartenaient aux sections de jeunesse des deux partis.
Ils furent arrêtés le 10 juillet 1933, la veille du jour où
ils devaient mettre leur projet à exécution. Le procès de
63 personnes impliquées commença en 1935 et se
conclut en 1941 par leur acquittement.
Affaire de l’École des officiers (Rikugun shikan gakkô
jiken) : arrestation en novembre 1934 de deux officiers,
Muranaka Kôji* et Isobe Asaichi (1905-1937), et de cinq
élèves-officiers, suspectés de préparer l’assassinat du
Premier ministre et d’autres personnalités politiques.
Les élèves furent exclus de l’école. Muranaka et Isobe,
faute de preuves, furent seulement suspendus. Leur
plainte pour accusation calomnieuse n’ayant pas été
acceptée, ils diffusèrent en juillet 1935 un mémoire
dans lequel ils dénonçaient la répression menée au sein
de l’armée par le général Nagata* et les agissements de
la faction du Contrôle dont ils voyaient la main jusque
dans l’affaire de mars*. Radiés de l’armée au début du
mois d’août, ils eurent un rôle central dans le
soulèvement du 26 février 1936*. Voir aussi Affaire
Aizawa, Factions militaires.
Affaire de mars (Sangatsu jiken) : projet de coup
d’État organisé par le lieutenant-colonel Hashimoto
Kingorô* et d’autres officiers de la Société de la fleur de
cerisier*, qui devait avoir lieu en mars 1931 et dont le
but était l’instauration d’un gouvernement militaire
qu’aurait dirigé le général Ukagi*, alors ministre de
l’Armée de terre, en vue d’empêcher la réduction des
budgets militaires que cherchait à imposer le cabinet
Hamaguchi*, mais aussi de permettre à l’Armée du
Kwantung d’intervenir en Mandchourie. Des extrémistes
civils, comme Ôkawa Shûmei* et Kamei Kan.ichirô*,
avaient accepté d’y participer en créant des troubles
dans la capitale. Ils pensaient pouvoir mobiliser assez
d’hommes pour encercler la Diète, ce qui aurait justifié
l’instauration de l’état de siège. Plusieurs officiers
généraux de l’état-major, dont Ninomiya Harushige
(1879-1945), Koiso Kuniaki*, Sugiyama Gen* et
Tatekawa Yoshitsugu*, avaient suscité ou approuvé le
projet et s’étaient entremis auprès d’Ugaki. Après s’y
être montré favorable, celui-ci aurait finalement refusé
d’y participer, jugeant trop minces les chances de
réussite, mais l’opposition vint aussi d’un groupe
d’officiers du ministère, parmi lesquels Nagata
Tetsuzan*. L’affaire s’ébruita hors de l’armée dans le
courant de l’été. Divulguée par les jeunes officiers
proches de la faction de la Voie impériale quelques
années plus tard, elle ne fut vraiment connue qu’après la
guerre. Voir aussi Affaire d’octobre, Factions militaires.
Affaire d’octobre (Jûgatsu jiken) : projet de coup
d’État organisé en octobre 1931 par le général
Tatekawa* et les lieutenants-colonels Hashimoto
Kingorô* et Chô Isamu* pour empêcher le cabinet
Wakatsuki* de mettre fin à l’incident de Mandchourie*,
en assassinant ses membres et suscitant un
gouvernement dominé par l’armée. Outre la
mobilisation d’unités de l’Armée de terre, le plan
comportait la participation d’extrémistes civils (Ôkawa
Shûmei*, Nishida Zei*, Inoue Nisshô*) dans un cabinet
dirigé par le général Araki*. Une unité de la marine
devait par ailleurs tuer ou capturer le proche conseiller
de l’empereur Makino Nobuaki (1861-1949), gardien du
Sceau privé. Les généraux de l’état-major impliqués
dans le projet ou avertis de son existence préférèrent en
empêcher l’exécution, faisant arrêter une dizaine
d’officiers, dont Hashimoto et Chô, quelques jours avant
la date prévue. La rumeur qu’un coup d’État se préparait
eut par elle-même suffisamment d’effet, Wakatsuki
cédant bientôt aux militaires à propos de la
Mandchourie. Voir aussi Affaire de mars, Société de la
fleur de cerisier.
Affaire du 15 mai (Go ichigo jiken) : tentative de coup
d’État menée le 15 mai 1932 par une vingtaine de
jeunes officiers et élèves-officiers de la Marine et de
l’Armée de terre, avec l’aide de quelques activistes civils
des mouvements agrariens de Tachibana Kozaburô* et
d’Inoue Nisshô*. Leur objectif était d’assassiner
plusieurs hommes politiques, hommes d’affaires et
membres de l’entourage impérial, en espérant que
l’armée décréterait l’état de siège pour prendre le
pouvoir afin d’imposer des mesures économiques en
faveur des campagnes et le retrait du traité naval de
Londres*. Seul réussit l’assassinat du Premier ministre,
Inukai Tsuyoshi (1855-1932). L’armée n’apporta pas son
soutien au complot mais exploita l’affaire en demandant
aux conseillers de l’empereur que le Premier ministre ne
soit plus choisi au sein de la Diète. Elle y fut aidée par
une partie importante de l’opinion publique, qui
manifesta de la sympathie pour les jeunes officiers
impliqués. L’armée obtint aussi que ceux-ci ne soient
condamnés qu’à des peines légères. Bien que
condamnés à des peines d’emprisonnement un peu plus
longues, les civils, dont Tachibana et Ôkawa Shûmei*,
furent eux aussi libérés quelques années plus tard. Voir
aussi Koga Kiyoshi, Fujii Hitoshi, Gondô Seikyô, Société
des soldats impériaux, Mikami Taku.
Affaire du 26 février (Ni ni roku jiken) : tentative de
coup d’État organisée par une vingtaine d’officiers de
troupe de l’Armée de terre, dont les plus gradés étaient
capitaines, visant à installer un gouvernement militaire
dirigé par des généraux de la faction de la Voie impériale
et par l’empereur. Le 26 février 1936, après avoir
assassiné Saitô Makoto*, gardien du Sceau privé,
Takahashi Korekiyo, ministre des Finances, Watanabe
Jôtarô, inspecteur général de l’enseignement militaire,
et tenté d’assassiner Makino Nobuaki*, ancien gardien
du Sceau privé, le Premier ministre Okada Keisuke*,
dont le beau-frère fut tué par erreur à la place de celui-
ci, et le grand chambellan Suzuki Kantarô*, les insurgés
(environ 1 500 hommes) se retranchèrent dans
quelques points du centre-ville de la capitale et ne se
rendirent que trois jours plus tard, l’empereur ayant
refusé de les entendre et menacé de conduire lui-même
les troupes chargées de les réprimer. Seize officiers et
deux civils (Kita Ikki* et Nishida Zei*, pour leur
influence idéologique et leur participation supposée)
furent condamnés à mort. Une trentaine d’autres furent
condamnés à des peines d’emprisonnement. Plusieurs
généraux furent placés sur la liste de réserve, dont
Mazaki Jinzaburô*, suspectés d’avoir encouragé les
jeunes officiers dans leur entreprise. Malgré son échec,
le soulèvement eut pour effet de renforcer le pouvoir des
militaires dans l’État. Voir aussi Affaire Aizawa, Affaire
de l’École des officiers, Factions militaires, Muranaka
Kôji, Yasuda Masaru.
Affaires du Front populaire (Jinmin sensen jiken) :
arrestations massives de militants et de sympathisants
du Parti prolétarien du Japon* et du Conseil national
des syndicats ouvriers du Japon* (Nihon rôdô kumiai
zenkoku kyôgikai), dernières organisations de l’extrême
gauche encore autorisées, qui prônaient un front
populaire contre le fascisme depuis le début de la guerre
sino-japonaise et furent interdites quelques jours après
la première vague d’arrestations. Près de 450 personnes
furent arrêtées dans tout le pays le 15 décembre 1937,
dont les députés Katô Kanjû (1892-1978) et Suzuki
Mosaburô (1893-1970), ainsi que des figures historiques
du socialisme japonais, comme Yamakawa Hitoshi
(1880-1958) ou Arahata Kanson (1887-1981), restés
opposés à la stratégie de ralliement au régime du Parti
social des masses* et de la Confédération japonaise du
travail*. Une quarantaine de personnes furent encore
arrêtées le 1er février 1938, notamment des
universitaires, liés au courant Ouvriers et paysans*.
Agence de planification (Kikakuin) : agence
gouvernementale dépendant du Premier ministre, créée
en octobre 1937 afin d’organiser et de coordonner
l’effort de guerre, c’est-à-dire la mobilisation des
hommes et des ressources matérielles. Elle prépara
d’abord la Loi de mobilisation générale* (1938) et
planifia la gestion des matières premières, puis celle des
ressources financières, de la main-d’œuvre et des
transports. Son interventionnisme croissant suscita des
réactions, notamment après la soumission au Premier
ministre d’un nouveau programme économique de
défense nationale, en novembre 1940, que la droite
conservatrice dénonça comme d’inspiration
bolchevique. En janvier 1941, dix-sept de ses membres,
soupçonnés d’être marxistes, furent arrêtés et
poursuivis en vertu de la Loi sur le maintien de l’ordre
public (Chian iji hô). L’évolution de la guerre du
Pacifique imposant de donner toujours davantage la
priorité aux productions destinées à l’armée, elle
fusionna en octobre 1943 avec le ministère du
Commerce et de l’Industrie dans le ministère de
l’Équipement militaire (Gunjushô). Voir aussi Hoshino
Naoki, Suzuki Teiichi.
AIZAWA Saburô : voir Affaire Aizawa.
AKAMATSU Katsumaro (1894-1955) : diplômé de la
faculté de droit de l’Université de Tokyo en 1919, il fut
d’abord membre du Parti communiste japonais* à sa
fondation (1922), puis entra au Parti social-démocrate*
(1926), mais le quitta après l’incident de Mandchourie*,
que ce parti condamnait, et fonda en avril 1932 le Parti
social-nationaliste du Japon*, dont il se détourna dès
l’année suivante, évoluant vers un nationalisme
dépourvu de référence au socialisme. Membre actif de
l’Association de soutien au Trône* et, à ce titre, frappé
par l’interdiction d’exercer un emploi public au
lendemain de la guerre, il est resté un animateur
important de l’extrême droite jusqu’au début des années
1950, notamment par ses écrits. Voir aussi Alliance
nationale du nouveau Japon, Comité d’union contre la
crise nationale.
AKAO Bin (1899-1990) : homme politique d’extrême
droite, connu notamment pour son antibolchevisme et
ses discours de rue. Syndicaliste au début des années
1920, il se convertit au nationalisme en 1925 et créa la
Société de la fondation nationale* avec Uesugi
Shinkichi*. Élu à la Chambre basse en 1942, sans être
candidat de l’Association de soutien au Trône*, il
critiqua ouvertement le cabinet Tôjô. Frappé par
l’interdiction d’exercer un emploi public après la guerre,
il fut pourtant favorable à l’alliance avec les États-Unis
et resta un animateur très actif de l’extrême droite,
fondant au début des années 1950 le Parti patriotique
du Grand Japon (Dai Nihon aikoku tô).
Alliance du Grand Japon pour l’essor de l’Asie (Dai
Nihon kôa dômei) : organisme créé en juillet 1941 pour
unifier et contrôler les groupements asiatistes (plus
d’une cinquantaine au total y furent inclus), notamment
ceux qui s’étaient créés après le discours sur l’« ordre
nouveau en Asie orientale » du Premier ministre Konoe*
(1938), et parmi lesquels certains prônaient une
politique extérieure différente de celle que suivait le
gouvernement. Placée sous la tutelle de l’Association de
soutien au Trône*, elle eut à sa tête le général Hayashi*
et Nagai Ryûtarô (1881-1944), député, ancien ministre
et proche de Konoe. Les groupements participant à
l’Alliance furent dissous en mars 1942 et celle-ci fut elle-
même incorporée à l’Association de soutien au Trône en
mai 1943.
Alliance nationale du nouveau Japon (Shin Nihon
kokumin dômei) : parti social-nationaliste créé en mai
1932 par Shimonaka Yasaburô* après la rupture avec le
courant d’Akamatsu Katsumaro* (voir Parti social-
nationaliste du Japon*). Outre Shimonaka et d’anciens
membres du Parti social-démocrate*, elle comptait
plusieurs anciens membres de la Société de la pratique
terrestre* (Kanokogi Kazunobu*, Mitsukawa Kametarô*,
Sasai Itchô*) ainsi que l’ancien membre du Parti
communiste* Kondô Eizô* et l’agrarien Gondô Seikyô*.
Deux syndicats étaient représentés parmi ses dirigeants,
la Fédération des syndicats de travailleurs du Japon
(Nihon rôdô kumiai sôrengô) et le Syndicat des
tramways de Tokyo. Elle eut aussi pendant un temps le
soutien du Parti patriotique du travail*. Son manifeste
prônait un dirigisme anticapitaliste et un nouvel ordre
mondial, fondé sur les principes d’égalité des races et
d’équité dans l’accès aux ressources économiques. En
1935, l’évolution de certains membres fondateurs,
comme Sasai, vers un nationalisme non socialiste
provoqua le départ de nombreux membres et la
dispersion progressive du parti.
AMANO Tatsuo (1892-1974) : élève et proche d’Uesugi
Shinkichi*, membre d’associations nationalistes dans les
années 1920, il créa le Parti patriotique du travail*.
Avocat, il défendit Inoue Nisshô* dans le procès de la
Ligue du sang* en 1933. La même année, il fut arrêté
pour sa participation au projet de coup d’État de la
Shinpeitai*. Il fut également impliqué, en 1941, dans
l’attentat contre Hiranuma Kiichirô*, alors partisan
d’une politique conciliation avec les États-Unis.
ANAMI Korechika (1887-1945) : général, vice-ministre
de l’Armée dans le cabinet Yonai (1940) et membre du
Conseil suprême pour la direction de la guerre
(décembre 1944-août 1945). Partisan d’imposer
plusieurs conditions à la capitulation, sans lesquelles il
valait mieux, selon lui, poursuivre la guerre au Japon
même. Le 15 août 1945, il se suicida rituellement, après
avoir refusé de participer à un projet de coup d’État
d’officiers qui ne voulaient pas accepter la reddition.
ARAKI Sadao (1877-1966) : général de l’Armée de terre,
nationaliste et antilibéral, qui eut un rôle politique
important dans les années 1930. C’est autour de lui que
se constitua la faction dite de la Voie impériale, lorsqu’il
fut ministre de l’Armée de terre dans les cabinets Inukai
et Saitô (1931-1934). Il encouragea les jeunes officiers
dans leurs initiatives, à l’intérieur comme à l’extérieur,
mais ne put obtenir du cabinet les mesures de soutien à
l’agriculture qu’il avait promis d’imposer. Son
clientélisme et son projet de guerre avec l’Union
soviétique suscitèrent également l’hostilité d’officiers de
l’état-major qui l’avaient d’abord soutenu, ce qui le
conduisit à démissionner. Écarté de l’armée après le
soulèvement 26 février 1936* en raison de son attitude
favorable aux insurgés, il fut ministre de l’Éducation
dans les cabinets Konoe* et Hiranuma* (1938-1939), où
il contribua fortement à la mise en place d’un
enseignement ultranationaliste, et orchestra la
« mobilisation spirituelle » pour la guerre contre la
Chine. Il imposa aussi le contrôle du ministère sur les
recrutements des enseignants dans les universités
nationales. Accusé de catégorie A au procès de Tokyo, il
fut condamné à la prison à perpétuité mais libéré en
1955 pour raisons de santé. Voir aussi Affaire d’octobre,
Association pour la restauration nationale, Association
pour les principes de la voie impériale, Association pour
les principes nationaux, Factions militaires, L’Esprit du
soldat impérial, Mazaki Jinzaburô, Obata Toshirô,
Société de la Grande réforme, Société de la fondation
nationale, Yanagawa Heisuke.
Armée du Kwantung / Guandong (Kantôgun) : corps
de l’Armée de terre stationné dans les territoires à bail
cédés par la Chine après la guerre russo-japonaise
(1904-1905), chargé de la défense de la péninsule du
Liaodong ainsi que de la zone traversée par le chemin
de fer Sud-mandchourien. Indépendante de l’autorité
civile à partir de 1919, elle tendit à s’émanciper de
l’autorité militaire centrale ou, du moins, à agir avec la
complicité passive de celle-ci, jusqu’à prendre des
initiatives comme l’assassinat du seigneur de la guerre
Zhang Zuolin (1928) ou l’incident qui servit de prétexte
à l’invasion de la Mandchourie (1931). Son état-major
joua un rôle central dans la création et l’administration
du Mandchoukouo, le quartier général étant même
déplacé de Port-Arthur à Xinjing (Changchun), capitale
du nouvel État. Engagée dans la guerre en Chine du
Nord à partir de 1937, elle fut encore à l’origine des
incidents qui l’amenèrent à affronter l’armée soviétique
en 1938 et 1939. Les défaites essuyées contre celle-ci
permirent de la purger de ses éléments les plus
radicaux. Voir aussi Assassinat de Zhang Zuolin, Doihara
Kenji, Honjô Shigeru, Iimura Jô, Incident de
Mandchourie, Itagaki Seishirô, Koiso Kuniaki, Minami
Jirô, Tôjô Hideki, Umezu Yoshijirô.
Arrestations du 15 mars 1928 et du 16 avril 1929
(San ichigo jiken, Yon ichiroku jiken) : vague
d’arrestations visant le Parti communiste*, qui venait de
se reconstituer (1926), après avoir subi une répression
dure, et restait interdit mais avait profité des premières
élections au suffrage universel (février 1928) pour
reprendre ses activités : diffusions de tracts et d’une
revue clandestine, présentation de candidats sous
l’étiquette du Parti des ouvriers et des paysans (Rôdô
nômin tô). Le gouvernement y réagit par un coup de
filet lancé le 15 mars, qui aboutit à l’arrestation
d’environ 1 600 personnes et permit la saisie d’un
registre de membres et de sympathisants qui fut utilisé
pour organiser une deuxième vague d’arrestations le
16 avril 1929. La police eut largement recours à la
torture pour faire avouer aux suspects leurs liens avec le
Parti communiste*. Le Parti des ouvriers et des paysans
fut interdit en avril 1928, ainsi que la Fédération
japonaise des jeunesses prolétariennes (Zen Nihon
musan seinen dômei) et le Conseil des syndicats du
travail du Japon*.
ASÔ Hisashi (1891-1940) : journaliste, ayant d’abord
travaillé au quotidien Tokyo nichi nichi, qui s’engagea
dans le mouvement syndical en 1919 et s’occupa
notamment des conflits du travail dans les mines.
Membre fondateur du Parti ouvrier et paysan du Japon*,
qui formait le courant centriste du mouvement
prolétarien, puis, après la fusion de celui-ci avec le
courant social-démocrate (1932), membre du Parti
social des masses*, dont il devint le principal dirigeant
et qu’il orienta dans la voie de la collaboration avec les
militaires. Voir aussi Kamei Kan.ichirô, Mouvement
pour un nouveau régime.
Assassinat de Zhang Zuolin / Chang Tso-lin (Chô
Sakurin bakusatsu jiken) : attentat à la bombe organisé
le 3 juin 1928 par des officiers de l’Armée du Kwantung*
pour éliminer le seigneur de la guerre Zhang Zuolin,
allié du Japon, qui dominait le nord de la Chine mais
commençait à perdre pied devant l’armée nationaliste
chinoise. Zhang mourut de ses blessures quelques jours
plus tard. Les militaires japonais imputèrent l’attentat
aux nationalistes chinois. Lorsque le gouvernement de
Tokyo découvrit qu’il avait été organisé par des officiers
japonais, il interdit de parler de l’affaire, sinon en y
faisant allusion au moyen de la périphrase « une
certaine affaire d’importance ayant eu lieu en
Mandchourie ». Contrairement à ce que les militaires
avaient espéré, il n’envoya pas de troupes
supplémentaires sur le continent. De plus, l’attentat eut
pour effet de rapprocher les gouvernements du sud et du
nord de la Chine. Le Premier ministre Tanaka fut poussé
à la démission par l’empereur, n’ayant pas obtenu de
l’armée qu’elle sanctionne les responsables de
l’assassinat.
Association de soutien au Trône (Taisei yokusan
kai) : organisation officielle créée par Konoe* en
octobre 1940 après la dissolution de tous les partis et
syndicats. Elle devait incarner le Mouvement pour un
nouveau régime*, en promouvant l’unité nationale et la
loyauté des sujets, et en les mobilisant pour la mise en
œuvre de la Voie impériale. Les militaires refusèrent d’y
entrer, craignant que Konoe n’utilise l’Association pour
les contrôler. Celui-ci tenta donc de s’appuyer sur des
nationalistes conservateurs comme Hiranuma*, qui
contrecarrèrent la tendance anticapitaliste à l’origine du
projet et empêchèrent tout appel aux initiatives
populaires. Contrôlée par le ministère de l’Intérieur à
partir de mars 1941, l’Association servit essentiellement
à relayer les orientations du gouvernement et organiser
la mobilisation générale de la population pour l’effort de
guerre. À partir de juin 1942, on lui subordonna les
autres grandes associations patriotiques officielles
(Associations patriotiques de l’industrie*, de
l’agriculture, du commerce, du transport maritime,
Association des femmes du Grand Japon, Ligue de la
jeunesse*). Dissoute en juin 1945, elle laissa place aux
Milices nationales (Kokumin giyûtai), chargées de
préparer les civils à combattre l’invasion alliée. Voir
aussi Alliance du Grand Japon pour l’essor de l’Asie,
Mikami Taku.
Association du Grand Japon pour la quintessence
nationale (Dai Nihon kokusui kai) : société nationaliste
fondée en 1919, à l’initiative et avec l’aide de Tokonami
Takejirô (1867-1935), ministre de l’Intérieur du cabinet
Hara, dont l’objectif principal était de briser les
mouvements sociaux. Elle était organisée sur la base de
liens patron / protégés (oyabun / kobun) afin de contrer
l’influence croissante des syndicats de travailleurs et
parce que ses membres les plus actifs étaient des
contremaîtres ou recruteurs du bâtiment. Très proche
du parti Seiyûkai*, elle eut entre autres Suzuki
Kisaburô* comme président. Elle compta également
Tôyama Mitsuru*, ainsi que des membres de la
Chambres des pairs parmi ses dirigeants. Représentée
dans tout le pays, elle aurait compté jusqu’à
600 000 membres, ce qui en faisait une des plus
importantes organisations de ce genre. Ses activités
déclinèrent au milieu des années 1920, en partie à
cause de la rivalité qui l’opposa à l’Association du Kantô
pour la quintessence nationale*.
Association du Kantô pour la quintessence nationale
(Kantô kokusui kai) : société nationaliste fondée en
1919, parallèlement à l’Association pour la quintessence
nationale du Grand Japon*, à laquelle elle fut rattachée
formellement jusque vers 1921. Bien que leurs
idéologies fussent identiques, une lutte d’influence les
opposa constamment, qui donna parfois lieu à des
violences. Un arrangement fut conclu en 1927,
réservant à l’Association du Kantô les régions de l’est et
du nord du pays, à l’Association du Grand Japon celles
de l’ouest et du sud.
Association patriotique de l’industrie du Grand Japon
(Dai Nihon sangyô hokoku kai) : organisme créé pour
encadrer la main-d’œuvre industrielle, placé sous
l’autorité des ministères de l’Intérieur et des Affaires
sociales. Des associations avaient créées dans toutes les
usines dès 1938, regroupées géographiquement au sein
d’une organisation pyramidale qui fut rebaptisée en
novembre 1940, quand elle absorba les derniers
syndicats indépendants, et placée sous l’autorité de-
l’Association de soutien au Trône* en mai 1942.
Destinée à stimuler le patriotisme parmi les ouvriers,
elle contribua également aux réallocations de main-
d’œuvre nécessitées par l’économie de guerre. Elle fut
dissoute en juin 1945 pour permettre l’organisation de
la population dans les Milices nationales (Kokumin
giyûtai) en vue de défendre l’archipel contre une
invasion alliée.
Association politique de soutien au Trône (Yokusan
seiji kai) : créée le 20 mai 1942, à la demande de Tôjô*,
elle devait compléter l’Association de soutien au Trône*
en formant le seul parti politique autorisé. Présidée par
le général Abe Nobuyuki*, qui avait déjà dirigé le comité
de sélection des candidats officiels pour les élections
d’avril (voir élections de soutien au Trône*), elle
regroupa la plupart des députés et des membres de la
Chambre des pairs, auxquels s’ajoutaient deux cents
personnalités politiques non élues. Elle représenta
l’étape la plus avancée vers la création d’un parti
unique, sans mettre fin à l’existence de la Diète. Elle
connut quelques défections en 1943 et surtout à partir
de juillet 1944, après la chute du cabinet Tôjô*, et se
dispersa progressivement en 1945.
Association populaire des travailleurs du Yamato
(Yamato minrô kai) : société nationaliste fondée en
janvier 1921 par Kawai Tokusaburô (1870-1937), patron
du bâtiment, lié à la pègre et scissionnaire de-
l’Association du Kantô pour la quintessence nationale*,
avec le parrainage de l’amiral Hachiyo Rokurô (1860-
1930) et d’Uesugi Shinkichi*. Elle se donnait pour but
de contribuer à l’harmonie sociale en prévenant les
conflits du travail. Bien qu’elle semble avoir eu une
certaine importance dans la région de Tokyo, elle
périclita assez vite, en raison notamment des incidents
provoqués par sa rivalité constante avec l’Association du
Kantô pour la quintessence nationale* et parce que
Kawai s’en désintéressa après 1923. Au moins à ses
débuts, elle se distingua des autres sociétés nationalistes
par l’accent mis sur l’éducation populaire.
Association pour la Grande Asie (Dai Ajia kyôkai) :
société nationaliste créée en mars 1933, alors que le
Japon annonçait son retrait de la Société des nations.
Elle prônait une union de l’Asie sous la tutelle du Japon.
Présidée par Konoe Fumimaro* puis par Shimonaka
Yasaburô*, elle était spécifique en ceci qu’elle incluait
de nombreux militaires (Matsui Iwane*, Suetsugu
Nobumasa*, Suzuki Teicihi*, Tatekawa Yoshitsugu*), des
bureaucrates (Hirota Kôki*, Matsuoka Yôsuke*,
Shiratori Toshio*) et des représentants de l’extrême
droite civile (Kanokogi Kazunobu*, Mitsukawa
Kametarô*, Tokutomi Sohô*) ainsi que de mouvements
indépendantistes indien et vietnamien. Elle comptait
environ 600 membres à sa fondation et créa des
sections à Taïwan (1934) puis sur le continent, à
Shanghai notamment (1939). Elle fusionna en juillet
1941 avec d’autres sociétés panasiatistes dans l’Alliance
du Grand Japon pour l’essor de l’Asie*, organisation
elle-même rattachée à l’Alliance de soutien au Trône*.
Association pour la restauration nationale
(Kokuikai) : société nationaliste créée en janvier 1932
autour de Yasuoka Masahiro*, appelant à « une
restauration morale et politique inspirée par l’esprit
japonais » afin de « transcender toutes les rivalités dues
aux luttes pour le pouvoir », c’est-à-dire afin d’accroître
l’autorité de l’État et de réduire l’influence des partis
dans le gouvernement. Elle était composée
principalement de hauts fonctionnaires, comme Gotô
Fumio*, Matsumoto Gaku (1887-1974) ou Hirota Kôki*,
auxquels leur présence en nombre dans les cabinets
Saitô (1932-1934) et Okada (1934-1936) valut
l’appellation de « nouveaux bureaucrates ». Elle
comptait aussi quelques membres de la Chambre des
pairs, comme Konoe Fumimaro*, ainsi que le général
Araki*. Des rumeurs la décrivant comme une officine
toute-puissante, elle annonça sa dissolution en
décembre 1934.
Association pour la voie impériale (Kôdô kai) : société
nationaliste fondée en janvier 1933 autour de Hirano
Rikizô* et d’officiers de réserve qui espéraient gagner
une influence politique en s’alliant au courant agrarien
de Hirano. L’objectif annoncé était la « réforme des
structures capitalistes » par « l’union du soldat et du
paysan » et « le renversement des partis en place ».
L’entente ne dura toutefois que peu de temps, en raison
notamment de la contradiction entre l’augmentation des
dépenses d’armement souhaitée par les militaires et la
politique de secours des campagnes souhaitée par les
agrariens. Ses activités furent très réduites à partir de
1936. (À ne pas confondre avec l’Association pour les
principes de la Voie impériale*.)
Association pour les principes de la voie impériale
(Kôdôgi kai) : société nationaliste fondée en 1918 par
des membres du parti Seiyûkai* et dont le général
Araki* devint la principale figure. Elle fut animée
surtout par des officiers de réserve ou en retraite, qui en
firent un moyen de diffuser leurs idées, traditionalistes
(culte de la Maison impériale, exaltation des arts
martiaux japonais), anti-américaines, anticommunistes
et antidémocratiques. Elle aurait compté jusqu’à
40 000 membres et fit beaucoup pour établir la
réputation d’Araki et favoriser sa carrière politique.
Association pour les principes nationaux (Kokuhon
sha) : société nationaliste fondée en mai 1924 par
Hiranuma Kiichirô*, qui comptait en 1935 une
quarantaine de sections locales et près de
20 000 membres, parmi lesquels de nombreux hauts
fonctionnaires, notamment de l’Intérieur et de la Justice
(Suzuki Kisaburô*), des magistrats, des politiciens, des
hommes d’affaires (Ikeda Seihin*) et des militaires
(Araki*, Koiso*, Mazaki*, Nagata*, Saitô Makoto,
Suetsugu*, Suzuki*, Ugaki*). Son idéologie consistait en
une exacerbation de l’idéologie officielle dans un sens
conservateur, antiparlementaire et opposé à la
conciliation internationale. Très engagée dans la
campagne contre Minobe Tatsukichi* (voir Affaire de la
monarchie-organe*), elle fut dissoute en 1936, lorsque
Hiranuma devint président du Conseil privé.
Association des réservistes ou Association des
militaires de réserve de l’Empire (Teikoku zaigô gunjin
kai) : association fondée en 1910 par les généraux
Tanaka Giichi* et Terauchi Masatake (1852-1919),
destinée à maintenir et développer l’esprit militaire dans
l’ensemble de la population. Au milieu des années 1930,
elle comptait environ 3 millions de membres, répartis
dans 14 000 sections locales, qui participaient à la
célébration des fêtes nationales et organisaient
régulièrement des exercices militaires. À partir de la fin
des années 1910, elle intervint aussi dans la répression
des conflits sociaux. Elle fut également très active dans
certains mouvements d’opinion, notamment dans
l’affaire de la monarchie-organe*. Placée sous le
contrôle du ministère de l’Armée de terre à partir de
septembre 1936, elle eut un très grand rôle dans la
mobilisation et l’encadrement de la population pendant
la guerre.
ATSUMI Masaru / Katsu (1877-1928) : militant
nationaliste qui abandonna ses études de droit à
l’Université impériale de Kyôto et vécut en exerçant
divers métiers, tout en étant membre ou sympathisant
de mouvances, proche à la fois de Tôyama Mitsuru*,
d’Ôkawa Shûmei* et d’Akao Bin*.
Bureau des affaires militaires (Rikugunshô
gunjikyoku) : service du ministère de l’Armée de terre
dont la première section, ou section des affaires
militaires (gunjika), était chargée des relations du
ministère avec l’état-major mais dont le rôle fut en
pratique beaucoup plus large et consista notamment à
intervenir auprès d’hommes politiques pour qu’ils
soutiennent les orientations demandées par l’armée.
Dans la seconde moitié des années 1930, le pouvoir de
la Diète ayant décliné, ce rôle consista de plus en plus à
assurer la liaison entre l’armée et le Palais. L’influence
du Bureau des affaires militaires sur la politique
générale du gouvernement augmenta tout au long des
années 1930 et ne déclina qu’avec l’accession de Tôjô*
au poste de Premier ministre. Voir aussi Abe Nobuyuki,
Koiso Kuniaki, Mutô Akira, Nagata Tetsuzan, Sugiyama
Gen.
Centre d’études sur la guerre totale (Sôryokusen
kenkyûjo) : organisme dépendant du Premier ministre,
créé en octobre 1940, devant servir à la fois de centre
de recherches prospectives et de centre de formation à
la gestion de l’économie et de l’administration en temps
de guerre. La direction en fut d’abord confiée à Hoshino
Naoki*, directeur de l’Agence de planification*, puis à
des militaires, plusieurs ministères (Armée de terre,
Marine, Affaires étrangères, Finances, Commerce et
industrie, Agriculture) y déléguant par ailleurs un
représentant. À partir d’avril 1941, une trentaine
d’élèves, issus de l’armée, de la bureaucratie et de la
société civile, y furent recrutés pour une formation d’un
an. Ses activités cessèrent pratiquement à la fin de 1943
et il fut dissous en mars 1945. En août 1941, il avait
présenté au cabinet et au haut commandement une
étude fondée sur une simulation de guerre avec les
États-Unis, concluant à une défaite inéluctable du
Japon.
Cercle d’études sur la conduite du gouvernement
(Keirin gakumei) : groupe d’études créé en 1923, auquel
participaient le courant nationaliste conservateur
d’Uesugi Shinkichi* et le courant social-nationaliste de
Takabatake Motoyuki*. Bien que le rapprochement ait
été rendu possible par l’évolution politique de
Takabatake vers la droite, les divergences idéologiques
demeurèrent fortes et le groupe se dispersa dès 1924.
Par la suite, Takabatake envisagea la création d’un parti
qui aurait rassemblé les courants d’Ôkawa Shûmei*, de
Yasuoka Masahiro*, d’Asô Hisashi* et de Hirano Rikizô*
sous la direction du général Ugaki*. N’ayant pas obtenu
l’accord de ce dernier, il se tourna vers Uesugi mais
leurs disparitions, en 1928 et 1929 respectivement,
mirent fin au projet.
CHÔ Isamu (1895-1945) : lieutenant-colonel de
l’Armée de terre, membre fondateur de la Société de la
fleur de cerisier*, en poste au Deuxième bureau de
l’état-major de l’Armée de terre en 1931 et organisateur
avec Hashimoto Kingorô* de deux projets de coup d’État
visant à instaurer un gouvernement militaire (affaires de
mars* et d’octobre*). Membre de l’état-major de l’armée
de Chine centrale à partir de 1937, il prit part au sac de
Nankin. Il combattit ensuite sur divers fronts, fut promu
général en 1941 et se suicida rituellement à Okinawa en
juin 1945.
Comité d’union contre la crise nationale (Kokunan
dakai rengô kyôgikai) : éphémère tentative
d’unification de l’extrême droite qui commença en juin
1932, à l’initiative de Tsukui Tatsuo* et Akamatsu
Katsumaro*, à laquelle participèrent notamment le Parti
de la production du Grand Japon*, la Société de Jinmu*,
le Parti social-nationaliste*, le Parti patriotique du
travail* et la Ligue nationale du nouveau Japon*. Son
manifeste demandait des mesures destinées à réduire le
chômage et la misère (lancement d’un grand programme
d’émigration vers le Mandchoukouo, aides sociales),
ainsi qu’à soutenir les agriculteurs (subventions,
moratoire sur les dettes). Le retrait de la Ligue et
l’affaire de la Shinpeitai* stoppèrent l’entreprise dans
son élan l’année suivante.
Comité national des patriotes pour l’unité de lutte
(Zen Nihon aikokusha kyôdô tôsô kyôgikai) :
association de partis nationalistes organisée en mars
1931 par un proche d’Ôkawa Shûmei*, Kanô Bin (1901-
1981), et par Tsukui Tatsuo*, qui représenta la première
tentative d’unifier les mouvements d’extrême droite.
Elle en rassemblait notamment trois grands courants,
celui de la Gen.yôsha*, celui du social-nationalisme et
celui de l’ancienne Société de la pratique terrestre*. Son
programme, antiparlementaire et anticapitaliste,
annonçait que la lutte des classes serait surmontée par
l’expansion internationale du Japon. Les nombreux
groupes qui y prirent part menèrent ensemble des
activités de propagande pendant plusieurs mois. Ils se
dispersèrent au début de 1932, quand il apparut que le
projet de fusion dans un parti unique rencontrait trop
d’oppositions.
Comité national des syndicats ouvriers : voir Conseil
des syndicats ouvriers du Japon.
Confédération japonaise du travail (Nihon rôdô
sôdômei) : premier grand regroupement syndical
japonais, formé au cours des années 1910 et qui
comptait environ 70 organisations pour environ
30 000 membres en 1919. Elle demandait la liberté
d’activité pour les syndicats, la journée de 8 heures, le
suffrage universel et la révision de la loi de police pour
le maintien de l’ordre public. Après une période où
l’influence du courant radical fut prédominante, elle
s’orienta de plus en plus vers une stratégie de
conciliation, se sépara de son aile gauche en 1925 (voir
Conseil des syndicats ouvriers du Japon) et connut
d’autres scissions. Après l’incident de Mandchourie*,
elle prôna la collaboration avec le gouvernement et
approuva sa politique extérieure. En 1936, sa fusion
avec le syndicat centriste, la Fédération nationale des
syndicats ouvriers (Zenkoku rôdô kumiai dômei),
donna naissance à la Confédération nationale du travail
(Zen Nihon rôdô sôdômei), qui comptait environ
100 000 membres, soit 17 % de l’ensemble des
travailleurs organisés, mais se divisa bientôt lorsque le
gouvernement appela les syndicats à se dissoudre, avant
de les y contraindre.
Conflits du fermage (kosaku sôgi) : contestation des
redevances dues par les fermiers ou métayers aux
propriétaires terriens, portant sur le montant des
redevances, sur les modalités de leur versement et sur la
durée des baux. Les conflits se multiplièrent à partir de
la fin des années 1910, d’une centaine de cas recensés
en 1917 à environ 1 700 en 1921 et 2 700 en 1926. Ce
mouvement de contestation fut soutenu et en partie
organisé par le Syndicat national des paysans (Nihon
nômin kumiai), créé en 1922, ainsi que par les partis de
gauche. Malgré les dissensions syndicales et la
répression qui visait tous les mouvements sociaux, le
nombre des conflits augmenta de nouveau sous l’effet de
la crise économique, jusqu’à près de 7 000 en 1935, et
ne diminua que lentement par la suite.
Conseil des syndicats ouvriers du Japon (Nihon rôdô
kumiai hyôgikai) : syndicat lié au Parti communiste*,
fondé en 1925 après une scission de la Confédération
japonaise du travail*. Il se fit remarquer par son
implication dans de nombreux conflits sociaux, mais
refusa de s’allier avec les courants socialiste et social-
démocrate. Interdit peu après la vague d’arrestations du
15 mars 1928*, il se reforma quelques mois plus tard
sous le nom de Comité national des syndicats ouvriers
du Japon (Nihon rôdô kumiai zenkoku kyôgikai),
adhérant au Profintern et affichant ouvertement sa ligne
révolutionnaire. Il aurait alors compté jusqu’à
12 000 membres mais s’affaiblit progressivement, sous
l’effet d’une répression féroce et de dissensions internes,
jusqu’à disparaître pratiquement en 1934. Une dernière
tentative de maintenir un syndicalisme d’opposition eut
lieu en novembre de la même année, avec la création du
Conseil national des syndicats ouvriers du Japon (Nihon
rôdô kumiai zenkoku hyôgikai), composé des différents
courants de l’extrême gauche et qui aurait compté plus
de 6 000 membres. Il fut interdit à la fin de l’année
1937. Voir aussi Affaires du Front populaire.
Conseil national des syndicats ouvriers du Japon :
voir Conseil des syndicats ouvriers du Japon.
Culturalisme (bunka shugi) : affirmation de la valeur
créative de la subjectivité, à la fois dans le prolongement
de l’universalisme cosmopolite des années 1910 et 1920,
et en réaction à celui-ci, se traduisant par un intérêt
croissant pour la culture nationale, notamment dans les
études philosophiques, où ce concept a également
exprimé un rejet du matérialisme socialiste. À partir des
années 1930, le mot a servi à désigner une exaltation de
la culture contre la politique, pouvant alors exprimer
une indifférence vis-à-vis de celle-ci ou bien un rejet du
parlementarisme enveloppant un nationalisme culturel
qui consonait avec l’ultranationalisme du régime.
DOIHARA Kenji (1883-1948) : officier de l’Armée de
terre, membre de l’état-major de l’armée du Kwantung*
qui joua un rôle central dans l’incident de Mandchourie*
puis dans l’extension du conflit. Promu général en 1932,
il prit part à l’administration du Mandchoukouo tout en
travaillant à diviser et déstabiliser la Chine du Nord,
commanda l’armée du Kwantung après le début de la
guerre sino-japonaise mais fut nommé à l’état-major
central en 1939. De nouveau commandant d’armée à la
fin de la guerre, en Chine et à Singapour, nommé
inspecteur général de l’enseignement militaire en avril
1945, il fut condamné à mort par le Tribunal militaire
international, en particulier pour son administration du
Mandchoukouo, dont il avait organisé l’exploitation au
profit du Japon et où il avait encouragé la production et
la consommation de narcotiques dans le but d’affaiblir la
population indigène.
Échange du « hara-kiri » (Hara-kiri mondô) :
altercation qui eut lieu en janvier 1937 à la Chambre
basse, entre le député du Seiyûkai* Hamada Kunimatsu
(1868-1939), qui venait de faire un discours dénonçant
la prise du pouvoir par l’armée, et le général Terauchi*,
ministre de l’Armée de terre. Celui-ci ayant demandé
des excuses, Hamada répondit qu’il s’ouvrirait le ventre
si on pouvait lui démontrer que la réalité n’était pas
telle qu’il l’avait décrite, et que s’il était prouvé au
contraire qu’il avait raison, ce serait alors à Terauchi de
s’ouvrir le ventre. N’ayant pu obtenir la dissolution de la
Chambre, Terauchi démissionna, faisant chuter le
cabinet Hirota*.
Élections de soutien au Trône (Yokusan senkyo) :
nom donné aux élections à la Chambre basse tenues en
avril 1942, pour lesquelles le cabinet Tôjô* avait désigné
des candidats officiels dans chaque circonscription, afin
d’assurer son contrôle sur les députés au moment où la
guerre avec les États-Unis allait prendre toute son
ampleur. Les candidats sélectionnés bénéficièrent d’un
soutien politique et financier très important. Plus de
80 % d’entre eux furent élus, cette large majorité
permettant au général Tôjô de rester Premier ministre
jusqu’en juillet 1944. Après les élections, le comité de
sélection des candidats officiels devint l’Association
politique de soutien au Trône*. Voir aussi Abe
Nobuyuki.
Expédition de Sibérie (Shiberia shuppei, 1918-1922) :
envoi de troupes japonaises en Sibérie dans le cadre du
plan allié d’aide aux contre-révolutionnaires russes,
dont le prétexte initial était le secours d’un contingent
tchèque. Le corps expéditionnaire japonais comptait
environ 70 000 hommes, soit beaucoup plus que ceux
des autres pays et que ce qui était prévu dans l’accord
avec les États-Unis, l’objectif réel étant de s’assurer le
contrôle de la Mandchourie. Contrairement à ceux des
autres pays, qui se retirèrent en 1920, il y demeura
jusqu’en 1922, occupant de fait les provinces maritimes
de la Sibérie, mais ne put résister efficacement aux
partisans soviétiques. Plusieurs massacres de civils
eurent lieu en marge des combats. Il fut retiré à la fois
sous les pressions exercées lors de la conférence de
Washington, et en raison de la forte opposition suscitée
à l’intérieur du Japon par les dépenses que l’expédition
avait entraînées. Voir aussi Traité des neuf puissances.
Factions militaires (gunbatsu) : bien qu’il ait toujours
existé des rivalités de factions au sein de l’armée depuis
l’ère Meiji, les luttes d’influence y ont pris dans les
années 1930 une intensité inédite, notamment après
que le général Araki*, à l’époque où il était ministre de
l’Armée de terre (1931-1934), eut placé à divers postes
clés de la haute administration militaire des hommes
proches de lui et acquis à ses idées (mystique de la
Maison impériale, supériorité de l’esprit sur l’armement,
nécessité de préparer rapidement une guerre contre
l’Union soviétique). Ce groupe fut dénoncé comme
« faction de la Voie impériale » (Kôdôha), en référence à
la formule qu’Araki employait fréquemment dans ses
discours, notamment par les officiers généraux qui
souhaitaient avant tout la modernisation de l’armée et
de l’économie en vue d’une guerre totale qui, selon eux,
ne pouvait avoir lieu à brève échéance. Une faction dite
du Contrôle (Tôseiha) se constitua ainsi à partir de 1933
autour des généraux Nagata Tetsuzan* et Hayashi
Senjurô*, qui parvint progressivement à écarter de
l’état-major et du ministère les proches d’Araki, tout en
s’efforçant de rétablir l’autorité de la hiérarchie sur le
corps des officiers. Elle se heurta cependant à un
mouvement de jeunes officiers (seinen shôkô), apparu
parmi les officiers de troupe de rang inférieur
(lieutenants et capitaines), indépendant de la faction
Araki mais encouragé par celle-ci, avec laquelle il avait
des affinités idéologiques et dont il prit le parti dans la
lutte qui l’opposait à la faction du Contrôle. L’état-major
tenta donc de contenir la diffusion des projets de
« rénovation de l’État » (kokka kaizô) défendus par
certains jeunes officiers, ou de les dissuader de prendre
part à des activités politiques comme la campagne
contre Minobe* (voir Affaire de la monarchie-organe).
Devenu la bête noire des jeunes officiers après
novembre 1934 (voir Affaire de l’École des officiers),
Nagata fut dénoncé encore plus violemment après que
Mazaki Jinzaburô* eut été écarté du poste d’inspecteur
général de l’enseignement militaire. Il fut assassiné en
août 1935 par un officier soutenant la Voie impériale
(voir Affaire Aizawa). L’annonce de l’envoi prochain en
Mandchourie d’un régiment devenu un foyer du
mouvement des jeunes officiers détermina une vingtaine
d’entre eux à tenter un coup de force visant à permettre
au général Mazaki de prendre la tête du gouvernement
(voir Affaire du 26 février) et, espéraient-ils, d’imposer
certaines réformes économiques inspirées notamment
des idées de Kita Ikki*. Le soulèvement échoua, ses
organisateurs furent condamnés à mort et la « reprise en
main de l’armée » (shukugun) qui suivit permit aux
proches de Nagata d’écarter définitivement la faction de
la Voie impériale et de réprimer le mouvement des
jeunes officiers au moyen de sanctions administratives,
de radiations et de mutations. La « nouvelle faction du
Contrôle », qui prit alors le pouvoir, était composée
principalement d’hommes qui avaient été proches de
Nagata (Tôjô*, Umezu*, Mutô*), auxquels se rallièrent
quelques représentants de la faction dite « de l’Armée
pure » (Seigunha), ce nom ayant surtout servi à
désigner ceux qu’Araki avait écartés en 1932, c’est-à-
dire des membres de l’ancienne faction Ugaki* (Koiso
Kuniaki*, Matsui Iwane*, Minami Jirô*, Sugiyama Gen*,
Tatekawa Yoshitsugu*) et certains membres la Société
de la fleur de cerisier* (Hashimoto Kingorô*, Chô
Isamu*, Nemoto Hiroshi*), que les affaires de mars* et
d’octobre* 1931 avaient rapprochés. Elle exploita
largement l’affaire du 26 février non seulement pour
s’imposer au sein de l’armée mais également auprès du
gouvernement civil, en agitant le risque de nouveaux
soulèvements si ses exigences n’étaient pas satisfaites.
Voir aussi Obata Toshirô, Terauchi Hisaichi, Yanagawa
Heisuke.
FUJII Hitoshi (1904-1932) : officier de marine proche
de Nishida Zei*, membre du Parti de l’épée céleste* et
lui-même inspirateur des activités politiques d’un
groupe de jeunes officiers (voir Société des soldats
impériaux*) qu’il mit en relation avec des activistes
civils comme Ôkawa Shûmei* et Inoue Nisshô*. Lui-
É
même participa au projet de coup d’État d’octobre 1931
(voir Affaire d’octobre*) mais mourut peu après dans les
combats qui eurent lieu à Shanghai, au début de 1932,
et ne put donc prendre part à la tentative de coup d’État
du 15 mai*. Voir aussi Koga Kiyoshi, Mikami Taku.
FUJITA Tôko (1806-1855) : penseur confucianiste,
historiographe et théoricien politique, conseiller du
seigneur de Mito. Dans les années 1830, il entreprit une
vaste réforme du fief qui suscita la méfiance du
shôgunat. Assigné à résidence à Edo de 1844 à 1849, il
composa alors des poèmes autobiographiques dans
lesquels il déplorait le déclin de l’antique esprit martial,
qui furent une source d’inspiration pour les activistes du
courant pro-impérial et xénophobe quelques années
plus tard.
FUKAI Eigo (1871-1945) : d’abord journaliste, protégé
de Tokutomi Sohô*, il fut recruté en 1901 à la Banque
du Japon, où il fit carrière et dont il devint gouverneur
en 1935. Il démissionna en 1937, n’ayant pu s’opposer à
l’augmentation de la dette publique entraînée par les
dépenses militaires. Nommé à la Chambre des pairs la
même année, il devint membre du Conseil privé de
l’empereur en 1938 et le resta jusqu’à sa mort.
FUKUZAWA Yukichi (1835-1901) : intellectuel et
journaliste de l’ère Meiji, un des grands introducteurs
des idées occidentales au Japon, fondateur de l’école qui
devint l’Université Keiô et du quotidien Les Nouvelles
du temps (Jiji shinpô, 1882-1936). Ses principaux
ouvrages, parus au cours des années 1870, dans lesquels
il critiquait les mœurs féodales et expliquait le sens de la
modernité, connurent un succès immense. Maruyama,
qui le cite souvent, a publié en 1986 une longue étude
consacrée à son Introduction à l’idée de civilisation
(Bunmeiron no gairyaku, 1875).
Gen.yôsha : société nationaliste fondée à Fukuoka en
1881 par Hiraoka Kôtarô (1851-1906), Tôyama Mitsuru*
et d’autres anciens guerriers qui avaient soutenu la
rébellion de Saigô Takamori (1877). Comme l’indique
son nom, qui fait allusion au détroit séparant le Japon
de la Corée, elle travailla principalement à favoriser et
préparer l’expansion japonaise sur le continent, où elle
développa notamment des activités de renseignement
qu’elle mit au service de l’armée. Au Japon, ses moyens
d’action étaient l’intimidation, le chantage et la
violence, utilisés contre les partisans de la modération
en politique étrangère, les libéraux et les syndicats. Bien
que son influence ait décliné à partir des années 1920,
elle fut impliquée dans différents mouvements de
l’extrême droite, comme le Parti de la production du
Grand Japon*, et resta active jusqu’à son interdiction au
lendemain de la guerre. Voir aussi Hirota Kôki, Société
du fleuve Amour, Rôninkai.
GONDÔ Seikyô / Seikei / Nariaki (1868-1937) :
théoricien de l’agrarisme, qui transforma la défense du
secteur agricole en une doctrine politique générale
comportant notamment une critique de l’État centralisé,
dans lequel il voyait un système d’exploitation des
campagnes. Son principal ouvrage, Modèle populaire
d’autonomie administrative (Jichi minpan, 1927),
prônait le retour à un modèle primitif d’organisation
sociale donnant une autonomie totale aux
communautés rurales et restreignant le rôle de
l’empereur à ses fonctions religieuses. Bien que leur
influence soit restée limitée, ses idées rencontrèrent un
fort écho au début des années 1930, alors que la crise
économique frappait durement les campagnes,
notamment parmi certains jeunes officiers comme Fujii
Hitoshi*. Emprisonné après l’affaire de la Ligue du sang*
pour avoir hébergé des membres de ce groupe, et après
le 15 mai*, en raison de son influence idéologique sur
les auteurs de la tentative de coup d’État, il fut libéré
assez vite. Voir aussi Alliance nationale du nouveau
Japon, Ligue de l’autonomie rurale.
GOTÔ Fumio (1884-1980) : haut fonctionnaire et
homme politique, représentant du courant des
« nouveaux bureaucrates » qui collaborèrent avec les
militaires pour accroître le contrôle de l’État sur
l’économie. Membre de la Société de la Fondation
nationale* dans les années 1920, il suivit les cours de
Yasuoka Masahiro* à l’Académie du faisan d’or* alors
qu’il était à la tête de la Direction de la police au
ministère de l’Intérieur. Nommé à la Chambre haute
(1930), ministre de l’Agriculture dans le cabinet Saitô
(1932-1934), ministre de l’Intérieur dans le cabinet
Okada (1934-1936), président de l’Association de
soutien au Trône* (1941-1943), ministre d’État dans le
cabinet Tôjô* (1943-1944), il fut arrêté en 1945 comme
criminel de guerre de catégorie A. Libéré en 1948 sans
avoir été jugé, il put reprendre sa carrière politique à
partir des années 1950. Voir aussi Association pour la
restauration nationale.
HAMAGUCHI Osachi (1870-1931) : homme politique, élu
à la Chambre basse et membre de plusieurs cabinets à
partir des années 1910, président du Minseitô* à sa
création en 1927 et Premier ministre de 1929 à 1931.
Partisan d’une diplomatie de conciliation, il signa
notamment le Traité naval de Londres*, qui fut dénoncé
par l’opposition et par l’armée comme une violation de
la prérogative impériale de commandement suprême*.
Impopulaire en raison également de la politique de
déflation menée par son cabinet au début de la crise
économique, il fut victime d’un attentat en novembre
1930. Malgré son état, il resta Premier ministre jusqu’en
avril 1931 et mourut peu après, vraisemblablement des
suites de la blessure reçue lors de l’attentat. Voir aussi
Sagôya Tomeo.
HARADA Kumao (1888-1946) : secrétaire particulier de
Saionji Kinmochi (voir Jûshin) à partir de 1926, il tint
un journal de mars 1930 à novembre 1940, y rapportant
avec beaucoup de détails les événements politiques de la
période. Utilisé lors du procès de Tokyo et publié après
la guerre sous le titre Saionji Kinmochi to seikyoku
[Saionji Kinmochi et la politique] (Iwanami shoten, 8
vol., 1950-1952), ce journal reste une source importante
pour comprendre la montée au pouvoir des militaires, à
laquelle il tenta de s’opposer.
HASHIMOTO Kingorô (1890-1957) : officier de l’Armée
de terre nationaliste et xénophobe, qui fut attaché
militaire en Turquie et occupa divers postes à l’état-
major général et au ministère de l’Armée jusqu’au début
des années 1930. Membre fondateur de la Société de la
fleur de cerisier*, il fut un des principaux instigateurs de
deux projets de coup d’État en 1931 (voir Affaire de
mars et Affaire d’octobre), pour lesquels il ne fut que
légèrement sanctionné puis affecté à un régiment
d’artillerie en province. En février 1936, il fit une
tentative de médiation en faveur des insurgés (voir
Affaire du 26 février), ce qui lui valut d’être placé sur la
liste de réserve. Rappelé au service actif au début de la
guerre sino-japonaise, il en fut de nouveau écarté pour
son implication dans le bombardement de navires
anglais et américain sur le Yang-Tsé-Kiang en décembre
1937. De retour au Japon, il participa activement au
Mouvement pour un nouveau régime* ainsi qu’à
l’Association de soutien au Trône* et fut élu à la
Chambre basse en 1942. Jugé comme criminel de
guerre de catégorie A par le Tribunal militaire
international, il fut condamné à l’emprisonnement à
perpétuité en 1948 et libéré en 1955. Voir aussi Chô
Isamu, Tatekawa Yoshitsugu.
HASHIMOTO Tetsuma (1890-1990) : militant
nationaliste, qui fonda en 1912 le Parti constitutionnel
de la jeunesse (Rikken seinen tô). Lié à Hara Takashi
(1856-1921), il contribua en 1918 à la campagne visant
à faire tomber le cabinet Terauchi. En 1924, il fonda le
Pavillon du nuage pourpre (Shiun sô), groupe d’extrême
droite proche de Tanaka Giichi* et du parti Seiyûkai*,
qui reçut d’importants soutiens financiers lui
permettant de faire connaître largement ses idées au
moyen d’encarts publicitaires dans les journaux.
Contrairement à la plupart des organisations du même
genre, il adopta des positions pro-américaines et fut
pour cette raison contraint de se dissoudre en août
1941. Reformé assez vite, il put continuer d’exister
après la guerre et concentra alors son activité sur la
lutte contre les partis de gauche.
HATA Bushirô (1903-1979) : journaliste, éditeur et
homme politique, membre du Seiyûkai*, élu à la
Chambre basse en 1937 et 1942, membre de
l’Association de soutien au Trône* et à ce titre frappé
par l’interdiction d’exercer une fonction publique au
lendemain de la guerre. Il participa à la création du Parti
du progrès puis du Parti libéral-démocrate, dans lequel il
eut diverses responsabilités jusqu’aux années 1960.
HATA Shunroku (1879-1962) : général de l’Armée de
terre, nommé commandant en chef de l’armée de Chine
centrale en 1938, ministre de l’Armée dans les cabinets
Abe* et Yonai* (août 1939-juillet 1940). Bien que
recommandé par l’empereur, dont il était l’aide de
camp, il subit de la part de l’état-major des pressions qui
l’amenèrent à démissionner, ce qui entraîna la chute du
cabinet Yonai. Il fut commandant en chef de l’armée de
Chine de 1941 à 1944, puis de l’armée chargée de
défendre l’ouest du Japon en 1945. Condamné à la
prison à perpétuité par le Tribunal militaire
international pour l’Extrême-Orient, il fut libéré en
1955.
Hauts conseillers : voir Jûshin.
HAYASHI Senjurô (1876-1943) : général de l’Armée de
terre, qui fit dans les années 1920 une ascension rapide
mais sans atteindre un poste important, n’étant pas lié à
la faction dominante de Tanaka Giichi* et Ugaki
Kazushige*. Alors qu’il était commandant en chef de
l’Armée de Corée (1930-1932), il accepta de venir en
aide à l’Armée du Kwantung* lorsque celle-ci entreprit
l’invasion de la Mandchourie, en faisant franchir la
frontière à ses troupes sans avoir reçu d’ordres pour
cela. Dès lors soutenu par les jeunes officiers de l’état-
major, il devint peu après inspecteur général de
l’enseignement militaire. Se joignant à Nagata Tetsuzan*
et à ceux qui voulaient empêcher Araki* d’étendre
encore son influence, il travailla à écarter ses partisans
(voir Factions militaires*) et lui succéda comme
ministre de l’Armée (janvier 1934-septembre 1935).
Placé sur la liste de réserve après le soulèvement du
26 février 1936*, il se rapprocha alors d’Ishiwara Kanji
(1889-1949) et de Konoe Fumimaro*, qui le poussèrent
au poste de Premier ministre (février-juin 1937). Il fit
prononcer la dissolution de la Chambre basse, espérant
ainsi briser les partis, alors qu’il venait pourtant
d’obtenir le vote du budget, mais dut se retirer après
leur victoire aux élections.
Higashikuni-no-miya Naruhiko (1887-1990) : prince
impérial, oncle par alliance de Hiro-Hito, général de
l’Armée de terre, qui fut Premier ministre du 17 août au
9 octobre 1945, choisi parce qu’il était à la fois militaire
de carrière et membre de la famille impériale, afin de
faire accepter la capitulation et la démobilisation à ceux
qui souhaitaient poursuivre la guerre sur le sol du
Japon. Il démissionna à la suite d’un différend avec les
forces d’occupation concernant l’abolition de la Loi sur
le maintien de l’ordre public (Chian iji hô).
HIRANO Rikizô (1898-1981) : syndicaliste et homme
politique. Président du Syndicat des paysans du Japon
(Nihon nômin kumiai) à sa création en 1922, il le quitta
avec son courant en 1926. La même année, il participa à
la fondation du Parti social-démocrate*, qu’il quitta très
vite pour fonder son propre parti, avant de rejoindre le
courant d’Asô Hisashi* puis le Parti social des masses*,
dont il fut exclu à la suite d’un scandale financier.
Proche de l’armée depuis plusieurs années, il fonda en

É
1933 l’Association pour la Voie impériale*. Élu à la
Chambre basse de 1936 au milieu des années 1950, il
poursuivit sa carrière politique après la guerre, dans
l’aile droite du courant socialiste et comme représentant
du syndicalisme paysan.
HIRANUMA Kiichirô (1867-1952) : magistrat, haut
fonctionnaire et homme politique, très hostile aux idées
démocratiques et socialistes, ainsi qu’à toute forme de
pensée étrangère. Après avoir travaillé dans les années
1910 à renforcer le code de procédure pénale afin
d’accroître notamment la répression des crimes
idéologiques, il fut président de la Haute cour (Daishin
in), ministre de la Justice (1923-1924), membre du
Conseil privé de l’empereur à partir de 1924, vice-
président de la Chambre haute (1926-1936). Il fonda en
1924 la Société des principes nationaux*, nationaliste et
antilibérale, dissoute lorsqu’il fut nommé président du
Conseil privé (1936-1939). Premier ministre durant
quelques mois en 1939, il tenta de renforcer l’alliance
avec l’Allemagne contre le communisme et démissionna
après la signature du pacte germano-soviétique. Ministre
d’État sans portefeuille dans le cabinet Konoe
(septembre 1940-octobre 1941), il tenta de s’opposer
aux militaires et à l’alliance avec l’Allemagne, puis de
hâter la chute du cabinet Tôjô*. Jugé comme criminel
de guerre de catégorie A, il fut condamné à
l’emprisonnement à perpétuité mais fut libéré pour
raisons de santé en 1952. Voir aussi Amano Tatsuo,
Association de soutien au Trône, Jûshin, Suzuki
Kisaburô.
HIROTA Kôki / Hirotake (1878-1948) : diplomate et
homme politique nationaliste, proche de la Gen.yôsha*.
Ambassadeur en Union soviétique (1930-1932),
ministre des Affaires étrangères (1933-1936), il adopta
une position intransigeante vis-à-vis des Anglo-Saxons
lors des négociations sur le renouvellement des traités
navals, tout en cherchant un rapprochement avec la
Chine sur la base de l’anticommunisme. Premier
ministre (mars 1936-février 1937) au lendemain du 26
février*, il conclut le Pacte anti-Komintern, rétablit la
règle selon laquelle les ministres de l’Armée et de la
Marine devaient être des militaires du service actif,
renforçant ainsi le pouvoir de l’état-major sur le
gouvernement, et accepta les demandes de l’armée
auxquelles s’opposait le cabinet précédent
(accroissement des dépenses militaires, contrôle accru
sur les industries en vue d’une guerre, aggravation de la
législation sur les crimes idéologiques, adoption d’un
programme de politique extérieure revendiquant pour le
Japon une hégémonie totale en Asie orientale). De
nouveau ministre des Affaires étrangères de 1937 à
1938, il défendit et parvint à imposer le refus de toute
concession vis-à-vis de la Chine. Jugé comme criminel
de guerre de catégorie A par le Tribunal militaire
international, il fut le seul civil à être condamné à mort.
HONJÔ Shigeru (1976-1945) : général de l’Armée de
terre, commandant en chef de l’Armée du Kwantung* au
moment de l’incident de Mandchourie. S’il n’était pas
averti du plan visant à provoquer l’incident, il approuva
les suites qui lui furent données et qui conduisirent à
l’invasion de la Mandchourie. Relevé de son
commandement et rappelé au Japon, il fut nommé à la
Chambre haute et devint aide de camp de l’empereur.
Après le 26 février 1936*, il fut placé sur la liste de
réserve en raison de ses liens avec la faction de la Voie
impériale (voir Factions militaires) et devint directeur
des hôpitaux militaires en 1938. Suspecté de crimes de
guerre, il se suicida rituellement avant d’être arrêté par
les forces d’occupation, en novembre 1945.
HOSHINO Naoki (1892-1978) : haut fonctionnaire du
ministère des Finances, détaché au Mandchoukouo,
dont il dirigea les finances publiques et l’économie de
1932 à 1940. Rappelé au Japon pour y être directeur de
l’Agence de planification* dans le deuxième cabinet
Konoe (1940-1941), il devint secrétaire général du
cabinet Tôjô* (1941-1944) tout en occupant diverses
fonctions liées à l’organisation de l’économie de guerre.
Jugé comme criminel de guerre de catégorie A au procès
de Tokyo, il fut condamné à l’emprisonnement à
perpétuité mais libéré en 1958.
IIMURA Jô (1888-1976) : général de l’Armée de terre,
attaché militaire en Turquie, chef d’état-major de
l’Armée du Kwantung*, rappelé au Japon pour être
nommé directeur du Centre de recherches sur la guerre
totale*, poste qu’il occupa pendant quelques mois, avant
d’être nommé à la tête de la 5e armée (rattachée à
l’Armée du Kwantung, chargée de la défense de la
frontière avec l’URSS). Directeur de l’École supérieure
de guerre (1943-1944), il fut chef d’état-major de
l’Armée du Pacifique sud de mars à décembre 1944 et
directeur de la Police militaire (Kenpeitai) d’août à
décembre 1945.
IKEDA Shigeaki / Seihin (1867-1950) : directeur général
de la banque Mitsui et membre dirigeant du groupe du
même nom jusqu’en 1936, puis gouverneur de la
Banque du Japon. Bien que proche de l’extrême droite,
il faisait partie des hommes que la Ligue du sang* ou les
officiers du 26 février* prévoyaient d’assassiner, le
considérant comme un représentant de la bourgeoisie
corrompue. Conseiller gouvernemental dans le premier
cabinet Konoe en 1937, il y devint ministre des
Finances et ministre du Commerce et de l’Industrie
(1938-1939). Écarté des cabinets suivants par l’armée,
qui le jugeait trop libéral et proche des Anglo-Saxons, il
fut cependant nommé au Conseil privé de l’empereur en
1941. Arrêté en novembre 1945, il fut relâché au bout
de quelques mois et supprimé de la liste des suspects de
crimes de guerre, mais frappé par l’interdiction
d’exercer un emploi public.
Incident de Jinan (Sainan jiken) : affrontement entre
troupes japonaises et chinoises survenu en mai 1928,
peu après que l’armée de Tchang Kai-chek eut reconquis
le Shandong. Malgré les accords conclus l’année
précédente, des troupes chinoises et japonaises étaient
présentes dans la ville de Jinan lorsque se produisirent
des pillages et des violences contre les ressortissants
japonais. Le gouvernement de Tanaka Giichi* envoya
des renforts et, devant le refus de Tchang de retirer ses
troupes hors de la ville, déclencha une offensive qui fit
plusieurs milliers de morts du côté chinois. Le corps
expéditionnaire japonais fut rappelé en juillet mais le
règlement de l’affaire demanda près d’un an.
Incident de Mandchourie (Manshû jihen) : invasion de
la Mandchourie par l’armée japonaise, dont le prétexte
fut une explosion ayant eu lieu sur une voie ferrée du
chemin de fer sud-manchourien, le 18 septembre 1931.
Dénoncé comme un attentat dû à des nationalistes
chinois, le sabotage avait été organisé par l’état-major de
l’armée du Kwantung*, qui occupa aussitôt la ville
voisine de Moukden et celle de Jilin trois jours plus tard,
tandis que l’état-major de l’armée de Corée, également
impliqué dans le complot, faisait franchir la frontière à
ses troupes sans avoir reçu d’ordre pour cela. Le cabinet
Wakatsuki* tenta de s’opposer aux initiatives prises sur
le terrain mais se heurta à l’état-major général, qui
demandait au contraire l’envoi de renforts. Il finit par se
résigner, cédant devant une opinion publique
enflammée par les premiers succès militaires et devant
le risque d’un coup d’État (voir Affaire d’octobre*).
L’ensemble de la Mandchourie fut conquis en cinq mois.
Malgré les protestations internationales, elle devint en
mars 1932 l’État du Mandchoukouo, dont
l’administration était contrôlée par l’armée du
Kwantung. Voir aussi Doihara Kenji, Hayashi Senjurô,
Honjô Shigeru, Itagaki Seishirô.
Incident du Pont Marco Polo (Rokôkyô jiken) :
affrontement entre troupes japonaises et chinoises
survenu le 7 juillet 1937 près d’un pont situé à l’ouest de
Pékin et qui fut à l’origine de la guerre sino-japonaise
(1937-1945). Bien qu’un cessez-le-feu eût été conclu
très rapidement après l’incident initial, les négociations
entre les deux gouvernements échouèrent, la partie
chinoise refusant de céder aux exigences japonaises.
Tout en cherchant un règlement diplomatique, le
Premier ministre Konoe* autorisa la préparation d’un
corps expéditionnaire, à quoi Tchang Kai-chek réagit en
appelant les Chinois à une mobilisation générale. Le
corps expéditionnaire japonais reçut alors des renforts
de Corée et de Mandchourie. Un nouvel incident eut
lieu le 26 juillet, qui fut interprété à Tokyo comme
annonçant une offensive chinoise et justifia l’envoi de
trois divisions. L’armée japonaise passa à l’attaque le 28
sans autre objectif que d’avancer autant qu’elle le
pourrait. Voir aussi Itagaki Seishirô, Matsui Iwane, Mutô
Akira.
INOUE Jun.nosuke (1869-1932) : gouverneur de la
Banque du Japon (1919-1923, 1927-1928), ministre des
Finances (1923-1924) puis, de nouveau dans les
cabinets Hamaguchi* et Wakatsuki*, de juillet 1929 à
décembre 1931. Sa politique (suppression de l’embargo
sur l’or, réduction des dépenses publiques), combinée à
la crise mondiale, eut un effet désastreux sur l’économie
japonaise. Il fut assassiné par un membre de la Ligue du
sang* en février 1932. Voir aussi Inoue Nisshô, Onuma
Shô.
INOUE Nisshô (1887-1967) : prêcheur bouddhiste
indépendant, qui fonda son propre temple dans le nord
du Kantô en 1928, après avoir travaillé sur le continent
pour la Compagnie du chemin de fer sud-mandchourien
et pour les services de renseignement de l’armée dans
les années 1910. Il créa le groupe terroriste de la Ligue
du sang*, responsable des assassinats du ministre des
Finances Inoue Jun.nosuke* et du président du groupe
Mitsui Dan Takuma en 1932. Condamné à
l’emprisonnement à perpétuité en 1934, il fut libéré en
1940 lors d’une amnistie générale. Il reprit ses activités
politiques après la guerre, fondant le Groupe de
protection nationale (Gokoku dan) avec d’autres
anciens membres de la Ligue du sang. Voir aussi Affaire
du 15 mai 1932, Fujii Hitoshi.
ITAGAKI Seishirô (1885-1948) : général de l’Armée de
terre, qui fut un des organisateurs de l’attentat contre
Zhang Zuolin* et de l’incident de Mandchourie*. Après
avoir occupé divers postes à l’état-major général
(section des affaires chinoises) puis dans l’état-major de
l’armée du Kwantung*, il devint conseiller militaire de
l’État du Mandchoukouo. Promu général de division et
chef d’état-major de l’armée du Kwantung en 1936, il
combattit en Chine de 1937 à 1938. Son opposition à
l’extension de la guerre en Chine lui valut d’être appelé
à Tokyo comme ministre de l’Armée dans les cabinets
Konoe* et Hiranuma* (1938-1939). Commandant en
chef de l’armée de Chine de 1939 à 1941, il en fut écarté
pour ne pas avoir empêché les initiatives de l’armée du
Kwantung contre l’Union soviétique, et devint
commandant en chef de l’armée de Corée. Jugé comme
criminel de catégorie A, il fut condamné à mort par le
Tribunal militaire international.
ITÔ Hirobumi (1841-1909) : homme d’État de l’ère
Meiji, membre de la faction de Chôshû, dont il devint le
représentant le plus important à la fin des années 1870.
Secrétaire d’État à l’Intérieur en 1878, quatre fois
Premier ministre entre 1885 et 1901 (poste qu’il fut le
premier à occuper), il fut un des principaux rédacteurs
de la Constitution de 1889, largement inspirée par le
modèle de la Prusse, celui qu’il avait le plus étudié,
admirant Bismarck au point de l’imiter dans son
apparence extérieure. En 1900, il fonda le parti
Seiyûkai*, qu’il présida jusqu’en 1903 tout en
continuant à exercer un rôle d’oligarque par son
influence au Conseil privé. Résident général en Corée à
partir de 1905, il fut assassiné en 1909 par un
indépendantiste coréen.
IWAKURA Tomomi (1825-1883) : noble de cour (kuge)
qui collabora avec les fiefs du Sud-ouest pour organiser
la Restauration impériale de 1868 et joua un rôle
important dans la mise en place du nouveau régime. Il
dirigea l’ambassade extraordinaire chargée de la
renégociation des traités inégaux, qui parcourut les
États-Unis et l’Europe de 1871 à 1873. S’occupant
surtout des questions regardant la Maison impériale et le
nouveau statut de la noblesse, il ne se rallia que
tardivement à l’idée d’instaurer un gouvernement
constitutionnel, et en posant comme condition que le
modèle en fût celui de la Prusse.
Iwanami shoten : maison d’édition fondée en 1913 par
Iwanami Shigeo (1880-1946), qui édita les derniers
romans de Natsume Sôseki et se fit connaître par ses
publications d’ouvrages savants, notamment par ses
collections de philosophie ou d’ouvrages scientifiques,
ainsi que de traductions, mais aussi par ses collections à
bon marché de textes classiques (1927) et d’ouvrages de
vulgarisation rédigés par des spécialistes (1938). Les
expressions « culture Iwanami » ou « intellectuel
Iwanami » suggèrent l’importance particulière que cet
éditeur avait prise dans le monde de l’édition et des
idées japonais. De nombreux textes de Maruyama, ainsi
que le recueil de ses œuvres (1994-1996), furent publiés
par Iwanami. Voir aussi Kôdansha.
IWATA Fumio (1891-1943) : voir Société pour la grande
réforme.
JINMU : premier empereur, fondateur de la lignée
impériale en 660 avant J.-C. selon l’historiographie
officielle jusqu’en 1945. On fêta en 1940 le 2 600e
anniversaire de son avènement. Descendant de Jinmu,
l’empereur était donc également considéré comme le
descendant de la déesse solaire Amaterasu.
Jûshin (Hauts conseillers) : nom donné au groupe
informel qui se constitua dans les années 1930, après
que Saionji Kinmochi (1849-1940) fut devenu le dernier
des genrô (« anciens »), dont le rôle, depuis l’ère Meiji,
consistait notamment à conseiller l’empereur pour le
choix du Premier ministre. En 1934, à la chute du
cabinet Saitô, Saionji ayant chargé Makino Nobuaki* de
définir une nouvelle procédure de désignation du
Premier ministre, celui-ci réunit un groupe d’anciens
Premiers ministres, complété par le président du
Conseil privé de l’empereur et le gardien du Sceau privé,
s’inspirant de ce qu’avait fait Saionji lui-même dès 1932.
Cette conférence des hauts conseillers ne fut toutefois
plus convoquée au cours des années suivantes et ne le
fut de nouveau qu’après que Kido Kôichi* et Konoe
Fumimaro* eurent protesté contre le fait que Makino
était en pratique le seul à conseiller l’empereur lors des
changements de cabinet. Elle fut dès lors convoquée à
chaque changement, soit cinq fois entre juillet 1940 et
avril 1945. Le terme jûshin pouvait cependant être
employé de manière plus vague et servir à désigner tous
ceux qui avaient ou passaient pour avoir une influence
sur l’empereur, généralement modératrice, considérée
comme néfaste par l’extrême droite et les militaires
radicaux, qui les dénonçaient comme des « scélérats
infestant le Trône » (kunsoku no kan). À partir de 1942,
le groupe des hauts conseillers devint un foyer
d’opposition au cabinet Tôjô et intrigua pour obtenir son
renvoi. Il joua également un rôle dans les négociations
qui précédèrent la capitulation. Voir aussi Abe
Nobuyuki, Hiranuma Kiichirô, Hirota Kôki, Kido Kôichi,
Konoe Fumimaro, Okada Keisuke, Wakatsuki Reijirô,
Yonai Mitsumasa.
KAGEYAMA Masaharu (1910-1979) : militant
nationaliste, auteur de nombreux recueils et traités de
poésie. Membre du Parti de la production du Grand
Japon*, il fut emprisonné deux ans et demi pour avoir
participé au projet de coup d’État de la Shinpeitai*. En
1940, il fut condamné à 5 ans d’emprisonnement pour
avoir organisé un complot visant à assassiner le Premier
ministre Yonai* et d’autres personnalités politiques afin
de permettre la conclusion du Pacte tripartite*, mais fut
libéré rapidement pour raisons de santé. Il poursuivit
ses activités politiques jusqu’aux années 1970 et se
suicida pour obtenir le vote de la loi officialisant l’usage
des noms d’ère (gengôhô). Voir aussi Maeda Torao.
KAMEI Kan.ichirô (1892-1987) : socialiste devenu
ultranationaliste, membre dirigeant du Parti social-
démocrate* à partir de la fin des années 1920, élu à la
Chambre basse en 1928 et député jusqu’à la fin de la
guerre. Les partis de gauche ayant fusionné dans le Parti
social des masses* (1932), il se rapprocha d’Asô
Hisashi*, avec lequel il fit évoluer la ligne du parti dans
le sens d’une collaboration avec les militaires. Après le
soulèvement du 26 février 1936*, il déclara à la Diète
que le peuple approuverait l’ingérence des militaires
dans la politique aussi longtemps que les soldats
resteraient indépendants des capitalistes. Il fut directeur
du département « Asie orientale » de l’Association de
soutien au trône*. Frappé par l’interdiction d’exercer un
emploi public pendant quelques années après la guerre,
il reprit ensuite des activités politiques dans l’aile droite
du Parti socialiste. Voir aussi Affaire de mars.
KAN.IN-NO-MIYA Kotohito (1865-1945) : prince impérial,
issu de la maison princière héréditaire (shinnôke)
Fushimi, désigné en 1872 pour relever la maison
princière Kan.in. Général de l’Armée de terre, chef de
l’état-major de 1931 à 1940, il fut partisan de l’alliance
avec l’Allemagne et fit chuter le cabinet de l’amiral
Yonai*, qui s’y opposait, en demandant au général Hata*
de démissionner.
KANOKOGI Kazunobu (1884-1949) : idéologue du grand-
asiatisme. Après avoir été officier de marine et
combattu dans la guerre russo-japonaise, il étudia la
philosophie et la théologie, au Japon puis aux États-Unis
et en Allemagne. Il obtint un doctorat de philosophie à
l’Université Keiô (1921), tout en étant membre de la
Société de la pérennité*. Intéressé par
l’indépendantisme indien, il publia un livre sur Gandhi
(1923), fut nommé professeur à l’Université impériale
de Kyûshû (1926) et enseigna pendant trois ans à
l’Université de Berlin. Au début des années 1930, il
participa à la revue Grand-asiatisme (Dai Ajia shugi),
créée par Shimonaka Yasaburô*, ainsi qu’à la fondation
de l’Association pour la Grande Asie*, dont il fut le
président. Opposé aux panasiatismes visant une
libération des peuples, il affirma que la guerre avec la
Chine devait permettre de réaliser l’unification de l’Asie
en luttant contre les principes démocratiques de Sun
Yat-sen et en propageant la voie impériale japonaise. Il
fut vice-président de l’Association patriotique de la
presse du Grand Japon (Dai Nihon genron hôkoku kai)
de 1942 à 1945. Arrêté comme criminel de guerre de
catégorie A pour son activité de propagandiste, il fut
libéré sans avoir été jugé. Voir aussi Alliance nationale
du nouveau Japon, Parti patriotique du travail.
KATAYAMA Tetsu (1887-1978) : socialiste chrétien,
avocat et conseiller de divers mouvements sociaux à
partir des années 1910, notamment de la Confédération
japonaise du travail*, membre fondateur et premier
secrétaire général du Parti social-démocrate* (1926).
Élu à la Chambre basse de 1930 à 1942, il participa à la
création du Parti social des masses* (1932), mais
n’approuva pas la collaboration avec le militarisme dans
laquelle s’engageait la direction de ce parti, dont il fut
exclu en 1940 pour avoir protesté contre l’exclusion de
la Diète du député Saitô Takao, qui avait prononcé un
discours antimilitariste. De nouveau élu au lendemain
de la guerre et réélu jusqu’en 1963, il fut président du
Parti socialiste japonais (Nihon shakaitô) et Premier
ministre dans le cabinet de coalition de 1947.
KAWAKAMI Jôtarô (1889-1965) : socialiste, membre
fondateur du Parti ouvrier et paysan du Japon*, puis du
Parti social des masses*, député (1928-1932, 1936-
1946), il soutint la collaboration de son parti avec le
régime à partir du milieu des années 1930. Après la
guerre, exclu de la fonction publique jusqu’en 1952 pour
son rôle dans l’Association de soutien au Trône*, il fut
de nouveau député (1952-1965) et continua d’avoir un
rôle important dans le courant socialiste.
KAYA Okinori (1889-1977) : haut fonctionnaire,
membre de la Chambre des pairs (1938-1945) ministre
des Finances dans le premier cabinet Konoe* (1937-
1939) et de nouveau dans le cabinet Tôjô* (1941-1944).
Jugé comme criminel de guerre de catégorie A et
condamné à l’emprisonnement à perpétuité, il fut libéré
en 1955 et put reprendre une carrière politique. Député
de 1958 à 1972, il fut membre des cabinets de Kishi
Nobusuke, dont il avait toujours été proche, et d’Ikeda
Hayato.
KIDO Kôichi (1889-1977) : haut fonctionnaire et
homme politique, petit-fils de Kido Takayoshi (1833-
1877). Membre de la Chambre des pairs dès 1917, chef
de cabinet du gardien du Sceau privé de l’empereur à
partir de 1930. Lors de l’insurrection du 26 février
1936*, son intervention auprès du souverain contribua à
éviter que certains généraux n’exploitent la situation
pour imposer un gouvernement militaire. Il fut ministre
de l’Éducation dans le premier cabinet Konoe* (1937-
1938), puis ministre de l’Intérieur dans le cabinet
Hiranuma* (1939), mais ne chercha pas à devenir
Premier ministre quand la situation lui fut favorable. Il
eut en revanche un rôle très important de conseiller
politique de l’empereur, dont il devint le gardien du
Sceau privé en juin 1940, et soutint la formation du
cabinet Tôjô*. Jugé comme criminel de guerre de
catégorie A, il fut condamné à l’emprisonnement à
perpétuité mais libéré en 1955 pour raisons de santé.
Auteur d’un journal de plus de mille pages, il avait remis
celui-ci au Tribunal militaire international, qui l’utilisa
largement lors du procès. Voir aussi Jûshin.
KITA Ikki (1888-1937) : idéologue du nationalisme
révolutionnaire. Proche des socialistes au milieu des
années 1900, il publia en 1906 L’État impérial et le
socialisme pur (Kokutai ron oyobi jun shakai shugi),
où il prônait des mesures inspirées du libéralisme et du
socialisme en les fondant sur une théorie darwiniste de
l’État, et qui fut aussitôt interdit en raison de ses
critiques du système impérial tel qu’il fonctionnait sous
la Constitution de 1889. Son intérêt se porta ensuite sur
la libération de l’Asie. Il se lia à la Société du fleuve
Amour*, rencontra Sun Yat-sen, devint très proche de
Song Jiaoren et se rendit en Chine en 1911 pour
participer au mouvement révolutionnaire, expérience
dont il tira une Histoire non officielle de la révolution
chinoise (Shina kakumei gaishi), parue entre 1915 et
1921, dans laquelle il insistait entre autres sur le rôle de
l’armée, préconisant par ailleurs que le Japon travaille à
libérer l’Asie de la domination occidentale. Lors d’un
nouveau séjour en Chine, après s’être heurté au
mouvement anti-japonais du 4 mai 1919, il rédigea le
Plan de rénovation du Japon *. Se rapprochant à cette
époque du courant d’Ôkawa Shûmei*, il prit part à la
création de la Société de la pérennité* mais n’y joua pas
un rôle important et s’en éloigna au milieu des années
1920. Seul Nishida Zei* resta proche de lui. Malgré le
radicalisme de ses propositions et l’intérêt que ses idées
rencontrèrent bientôt parmi les jeunes officiers, grâce à
Nishida, il n’eut pas d’activité politique, sinon par des
articles pamphlétaires, et ne fut pas directement
impliqué dans les projets de coup d’État des années
1930. Il fut cependant condamné à mort pour sa
participation supposée à la préparation du soulèvement
du 26 février 1936*, ainsi que pour son influence
idéologique sur les officiers qui l’organisèrent.
KITA Sôichirô (1894-1968) : homme politique,
spécialiste de droit et d’études journalistiques. Il fit de
nombreux séjours d’étude en Europe et aux États-Unis
dans les années 1910 et 1920, avant de devenir
professeur à l’Université Waseda. Entré au Minseitô*, il
fut député de 1936 à 1945, participa à la campagne de
mobilisation générale de l’esprit national* au début de la
guerre sino-japonaise, fut conseiller dans le cabinet
Yonai* (1940). Ayant occupé diverses fonctions dans-
l’Association de soutien au Trône* et l’Association
patriotique du commerce (Shôgyô hôkokukai), il fut
frappé par l’interdiction d’exercer un emploi public de
1946 à 1953, mais fut de nouveau député 1953 à 1955.
Kôdansha : importante maison d’édition fondée en
1909 par Noma Seiji*, publiant notamment des
magazines visant un très large public, dont la lecture
devait être « à la fois amusante et profitable », parmi
lesquels Le Club de la jeunesse (Shônen kurabu, 1914-
1962) et Le Club des femmes (Fujin kurabu, 1920-
1988), qui furent longtemps dominants dans leurs
secteurs respectifs, ainsi que King (Kingu, 1924-1957),
qui fut le premier périodique japonais tiré à plus d’un
million d’exemplaires. Voir aussi Iwanami shoten.
KOGA Kiyoshi (1908-1997) : enseigne de vaisseau,
membre de l’association de jeunes officiers de marine
créée par Fujii Hitoshi* (voir Société des soldats
impériaux). Il fut le principal organisateur de la
tentative de coup d’État du 15 mai* 1932. Condamné
avec Mikami Taku* à la peine la plus lourde parmi les
militaires jugés, soit 15 ans d’emprisonnement, il fut
gracié en juillet 1938.
KOIKE Shirô (1892-1946) : membre fondateur du Parti
social-démocrate* (1926), auteur de nombreux ouvrages
sur le système des classes sociales. D’abord proche de
Katayama Tetsu*, il suivit Akamatsu Katsumaro* lors de
sa rupture avec ce parti et la fondation du Parti social-
nationaliste du Japon* (1932). Il dirigea celui-ci après le
départ d’Akamatsu mais suivit bientôt la même
évolution vers un nationalisme sans référence au
socialisme, et rejoignit Akamatsu dans le Parti
rénovateur du Japon (Nihon kakushin tô) en 1937. Élu
député en 1932, il perdit son siège en 1936, le regagna
en 1937 et le perdit de nouveau en 1942, après quoi il
abandonna la politique.
KOISO Kuniakai (1880-1950) : officier de l’Armée de
terre ayant travaillé notamment à l’état-major à partir
de 1915, promu général en 1926, chef du Bureau des
affaires militaires* (1930), impliqué dans le projet de
coup d’État de mars 1931 (voir Affaire de mars*), chef
d’état-major de l’armée du Kwantung* (1932-1934),
commandant en chef de l’armée de Corée (1935-1938),
ministre de l’Outre-mer dans les cabinets Hiranuma*
(1939) et Yonai* (1940), résident général en Corée
(1942-1944), Premier ministre de juillet 1944 à avril 45.
Jugé comme criminel de guerre de catégorie A, il fut
condamné à l’emprisonnement à perpétuité par le
Tribunal militaire international et mourut en prison.
KONDÔ Eizô (1883-1965) : militant socialiste, ami de
Katayama Sen et membre fondateur du Parti
communiste japonais* (1922), qu’il tenta de rapprocher
des anarchistes. Exilé en Union soviétique de 1923 à
1926, il y fut élu représentant du Japon au Ve congrès de
l’Internationale mais rompit avec le Parti communiste à
son retour au Japon. Il rejoignit alors le courant
Ouvriers et paysans*, puis, après l’incident de
Mandchourie*, s’orienta vers le social-nationalisme et
prit part à la création de l’Alliance nationale du nouveau
Japon*.
KÔNO Hironaka (1849-1923) : homme politique,
pionnier du Mouvement pour la liberté et les droits du
peuple* au milieu des années 1870 et figure éminente
du Parti de la liberté. Condamné à 7 ans
d’emprisonnement pour son rôle dans un mouvement
de protestation contre l’administration préfectorale de
Fukushima en 1883, il fut gracié en 1889 et put être élu
à la Chambre basse dès la première session.
Constamment réélu par la suite jusqu’en 1920, membre
dirigeant de plusieurs partis libéraux, il milita
notamment pour le suffrage universel avec Ozaki
Yukio*, mais aussi contre les conditions du traité de
Portsmouth (1905) qui mit fin à la guerre russo-
japonaise.
KONOE Fumimaro (1891-1945) : membre de
l’aristocratie de cour, issu d’une lignée remontant aux
Fujiwara (famille dirigeante à l’époque de Heian), il fut
le chef de file des « nobles rénovateurs » à la Chambre
des pairs, dont il devint membre en 1916 puis président
de 1933 à 1937. Intéressé par le socialisme dans sa
jeunesse, il évolua vers un nationalisme antilibéral et
opposé à l’hégémonie anglo-saxonne en Asie. Se
rapprochant de l’armée au début des années 1930, il
obtint son soutien pour devenir Premier ministre en
1937. N’ayant pu empêcher l’extension de la guerre
sino-japonaise, il décida ensuite de mettre fin aux
négociations avec le Kuomintang (1938) et lança la
campagne de mobilisation de l’esprit national* destinée
à soutenir la guerre. Allié à la fois aux généraux de la
Voie impériale (voir Factions militaires) et aux
bureaucrates rénovateurs, partisans du dirigisme
économique et inspirateurs du Mouvement pour un
nouveau régime*, qu’il conduisit, il fut de nouveau
Premier ministre à partir de juillet 1940 et œuvra pour
obtenir la dissolution des partis et la création de
l’Association de soutien au Trône*. Sans y être
favorable, il accepta la conclusion du Pacte tripartite*
avec l’Allemagne et l’Italie (septembre 1940), espérant
renforcer la position du Japon face aux États-Unis. Les
négociations avec ceux-ci ayant échoué, il démissionna
en octobre 1941. Opposé à Tôjô* dans les années
suivantes, il adressa un mémoire à l’empereur en février
1945 pour lui demander d’ouvrir des négociations de
paix, afin notamment d’éviter une révolution au Japon.
É
Ministre d’État au moment de la capitulation, il se
suicida en décembre alors qu’il était sur le point d’être
arrêté comme criminel de guerre.
KUME Kunitake (1839-1931) : pionnier de
l’historiographie moderne, membre de l’Institut
d’historiographie à partir de 1879 et professeur à
l’Université impériale de Tokyo à partir de 1888. Il fut
contraint de démissionner en 1893, après une
campagne de protestation visant un article dans lequel il
présentait le shintô comme une survivance d’un culte
primitif. Secrétaire particulier d’Iwakura Tomomi* lors
de son ambassade extraordinaire au début des années
1870, il avait publié en 1878 un Journal de voyage en
Europe et aux États-Unis (Ôbei kairan jikki), qui
connut un succès immense.
KUMOI Tatsuo (1844-1870) : guerrier du fief de
Yonezawa, qui exerça des fonctions officielles à la cour
de Kyoto et tenta de défendre le shôgunat à la fin des
années 1860, en soulevant les fiefs de sa région contre le
parti impérial des clans du Sud-ouest. Après l’échec de
la Ligue du Nord-est, il se rendit à Tokyo, où il essaya
d’organiser un complot pour renverser le nouveau
gouvernement, mais ses projets furent découverts avant
qu’il ait pu les mettre à exécution et il fut condamné à
mort.
KURODA Kiyotaka (1840-1900) : oligarque de l’ère Meiji,
chef de la faction de Satsuma dans les années 1880 et au
début des années 1890. Après avoir dirigé l’Agence de
développement du Hokkaidô, il fut ministre de
l’Agriculture et du Commerce (1887-1888) puis Premier
ministre (1888-1889), ministre des Communications
(1892-1895), président du Conseil privé (1895-1900).
KURUSU Saburô (1886-1954) : diplomate, ambassadeur
en Allemagne (1939-1940) et représentant du Japon lors
de la signature du Pacte tripartite*, envoyé à
Washington en 1941 par Konoe* pour mener les ultimes

É
négociations avec les États-Unis, dont l’échec précipita
la guerre du Pacifique.
L’Esprit du soldat de l’Armée impériale (Kôkoku no
gunjin seishin) : livre publié par le général Araki Sadao*
en janvier 1933, alors qu’il était ministre de l’Armée de
terre, composé d’une dizaine de courts chapitres
explicitant le sens de l’Admonition impériale aux soldats
et aux marins (1882) ainsi que de quelques
proclamations des empereurs Taishô et Shôwa au sujet
de l’armée. Comme dans les nombreux autres textes et
articles qu’il publia au cours des années 1930, Araki y
affirmait la nécessité de rester dans « l’esprit de la
fondation » pour accomplir la mission que son origine
divine imposait au Japon, à savoir « étendre la Voie
impériale » au monde entier pour en assurer la paix
totale et définitive. Il exaltait en particulier le sens du
sacrifice, indispensable à l’accomplissement de cette
mission et plus déterminant que les techniques
modernes, idée largement reprise dans la propagande
officielle jusqu’en 1945. Voir aussi Factions militaires.
La Voie des sujets (Shinmin no michi) : manuel
composé par le ministère de l’Éducation et diffusé dans
les écoles à partir de mars 1941, qui reprenait les
thèmes déjà présents dans Les Principes de l’État
impérial (Kokutai no hongi, 1937), c’est-à-dire la lutte
contre « l’égoïsme et l’utilitarisme venus d’Occident » et
le rétablissement d’un sens du devoir envers l’État que
les sujets de l’empereur devaient placer au-dessus de
tout. Il y ajoutait ceux de la propagande militaire et de
l’ultranationalisme en expliquant les exigences de la
défense nationale et la mission dans laquelle était
engagé le Japon depuis 1931, à savoir « la construction
d’un ordre mondial fondé sur la vertu ». Destiné à
préparer les Japonais à une guerre avec les Anglo-
Saxons, il comportait en outre des recommandations
pratiques pour « l’entraînement moral des sujets », dont
les activités quotidiennes devaient être orientées vers
l’accomplissement cette mission.
La Voie du Japon et des Japonais (Nihon oyobi
Nihonjin no michi) : livre publié par Ôkawa Shûmei* en
1926 et qui connut 45 réimpressions ou rééditions
jusqu’en 1945. Synthèse des idées philosophiques et
politiques de son auteur, il se présente comme une
démonstration de la supériorité de l’État impérial
japonais, le plus proche de la véritable nature éthique
de l’homme et le seul capable d’assimiler les progrès
réalisés hors de lui sans en subir les effets pervers, ce
qui lui imposait la mission d’unifier le monde, la
libération des peuples asiatiques ne devant être qu’une
première étape. Cependant, l’État impérial japonais lui-
même demandait à être « rénové » (kakushin), c’est-à-
dire non pas reconstruit (kaizô) extérieurement,
comme le pensent notamment les socialistes, mais
purgé de tout ce qui avait fait dégénérer le projet
fondamentalement sain de 1868, c’est-à-dire l’influence
des idées démocratiques et la mainmise des capitalistes
sur le gouvernement. Essentiellement spirituelle mais
nécessitant une action résolue, cette rénovation, ou
« nouvelle Restauration », ne pouvait être conduite,
selon Ôkawa, que par une élite de gentilshommes lettrés
et guerriers, issus de l’armée et des couches pauvres de
la population civile.
Ligue antibolchevique (Sekka bôshi dan) : société
nationaliste créée en 1922 par l’avocat Yonemura
Kiichirô pour lutter contre l’influence des mouvements
socialistes ou communistes. Son programme dénonçait
également l’avidité des capitalistes, jugés responsables
de la propagation des idées rouges. Elle eut plusieurs
dizaines de sections dans tout le pays, dont les activités
consistaient surtout en affrontements physiques avec les
groupes socialistes, notamment après qu’un débat avec
des représentants de la gauche organisé à sa demande
eut fini en bagarre générale. En juin 1923, Yonemura fut
condamné à quatre ans et demi d’emprisonnement pour
avoir tué un militant socialiste, ce qui entraîna le déclin
progressif de la Ligue.
Ligue de l’autonomie rurale : groupe de militants,
d’intellectuels et d’écrivains fondé en novembre 1931,
auquel prirent part les principales figures du courant
agrarien, dont Tachibana Kôzaburô*, Gondô Seikyô*,
Tsuda Kôzô et Shimonaka Yasaburô*. Son manifeste
affirmait que la communauté rurale était le fondement
de la société humaine, de l’organisation politique et de
la civilisation, qu’il fallait donc mettre fin à
l’exploitation et à la domination des campagnes par les
villes et reconstruire la société à partir du principe
d’autonomie de la communauté rurale élémentaire. Elle
n’eut pas d’activités importantes mais contribua à
préparer le mouvement de la pétition pour le secours
des campagnes (Nôson kyûsai seigan undô) qui fut
lancé peu après.
Ligue de la jeunesse du Grand Japon pour le soutien
au Trône (Dai Nihon yokusan sônen dan) : organisation
créée en janvier 1942 à l’instigation de Mutô Akira*,
après que l’Association de soutien au Trône* eut échoué
à se faire reconnaître comme organisation politique.
Destinée aux hommes âgés de 21 ans et plus, elle mit en
place des sections dans l’ensemble du pays mais c’est
surtout dans les campagnes, parmi les propriétaires
exploitants et les métayers, qu’elle trouva des partisans
actifs. Lors des élections d’avril 1942 (voir Élections de
soutien au Trône), elle intervint pour soutenir les
candidats officiels et perturber les activités des autres.
Une quarantaine de ses membres furent élus à la
Chambre basse. Bien que théoriquement liée à
l’Association de soutien au Trône, elle fut souvent en
conflit avec les instances dirigeantes de celle-ci et avec
les autorités locales. Elle fut dissoute en mai 1945, pour
faciliter la formation des Milices nationales (Kokumin
giyûtai), qui devaient participer à la défense contre
l’invasion du Japon par l’armée des Alliés.
Ligue de la sincérité de l’ère Taishô (Taishô sekishin
dan) : société nationaliste, antidémocratique et
antibolchevique fondée en juillet 1918 par Mori Kenji,
patron du bâtiment, avec l’aide de membres du parti
Seiyûkai*. Elle créa surtout des groupes d’action utilisés
pour briser les grèves ou dans les conflits du fermage*.
Plusieurs organisations du même genre apparurent dans
son sillage. Vers le milieu des années 1920, elle était
considérée moins comme une société politique que
comme un prestataire de violence monnayant ses
services.
Ligue des justiciers du Grand Japon (Dai Nihon seigi
dan) : société nationaliste fondée à Ôsaka en 1925 par
le patron du bâtiment Sakai Eizô (1872-1939), qui lui
donnait pour vocation de s’entremettre dans les conflits
sociaux afin de les résoudre pacifiquement et d’éviter la
lutte des classes. Elle se développa rapidement dans
plusieurs régions et aurait compté jusqu’à environ
300 000 membres, selon ses déclarations, le calcul
incluant les employés des patrons adhérents de la petite
industrie et du commerce, catégorie auprès de laquelle
la Ligue trouva ses soutiens les plus importants. Bien
que Sakai se soit beaucoup inspiré du fascisme italien
dans son style, allant jusqu’à faire porter une chemise
noire aux membres de l’organisation, son discours et ses
méthodes restaient traditionnels. En 1928, il échoua
dans sa tentative d’utiliser la Ligue pour se faire élire
député. À partir de 1932, il envoya une centaine de
membres de celle-ci au Mandchoukouo, pour y mettre
en place des organisations affiliées, qui auraient compté
près de 50 000 membres.
Ligue du sang ou « Conjuration du sang » (Ketsumei
dan) : société nationaliste, de tendance agrarienne,
créée par Inoue Nisshô* dans le but d’éliminer les
hommes jugés responsables de la crise économique. Elle
avait prévu l’assassinat d’une vingtaine de personnalités
politiques et du monde des affaires, chacune devant
l’être par un membre différent. Son nom lui fut donné
après coup, en référence au serment que les conjurés
avaient signé de leur sang. Les deux meurtres mis à
exécution, en février et mars 1932, furent celui d’Inoue
Jun.nosuke*, ancien ministre des Finances, jugé
responsable de la misère des paysans, et celui de Dan
Takuma, président du groupe Mitsui. Inoue, les auteurs
des deux assassinats et plusieurs autres membres du
groupe furent condamnés à des peines de prison, mais
relâchés avant la fin de leur peine. Voir aussi Amano
Tatsuo, Gondô Seikyô, Ikeda Shigeaki, Onuma Shô.
Littérature pure (junsui bungaku ou junbungaku) :
expression servant à désigner les ouvrages auxquels on
reconnaissait une valeur esthétique, utilisée en réaction
au développement de la littérature dite populaire ou de
masse (taishû bungaku) qui se produisit dans les
années 1920 et 1930, notamment sous la forme de
feuilletons souvent stéréotypés, publiés dans les
journaux et les revues (romans pseudo-historiques,
policiers, sentimentaux). La distinction tendit à
disparaître à partir des années 1960, la frontière entre
« grande littérature » et littérature populaire s’effaçant
en pratique, tandis que certaines œuvres rangées dans
cette dernière faisaient l’objet d’une réévaluation.
Loi de mobilisation générale de la nation (Kokka
sôdôin hô) : loi promulguée en avril 1938, donnant au
gouvernement des pouvoirs très larges pour administrer
par ordonnances les ressources matérielles et humaines
en temps de guerre. Elle fut d’abord utilisée surtout pour
organiser des réquisitions de main-d’œuvre, au Japon et
en Corée, et pour permettre le contrôle des salaires. Le
nombre des ordonnances augmenta fortement à partir
de l’automne 1939 (contrôle des matières premières et
des ressources énergétiques, des prix, des
investissements), transformant l’économie japonaise en
économie dirigée. Plusieurs révisions permirent
d’étendre encore son champ d’application (1939, 1941,
1944). Le projet de cette loi avait été mis à l’étude par le
cabinet Konoe* dès mai 1937, c’est-à-dire avant le début
de la guerre sino-japonaise, à la demande de l’armée.
Certaines dispositions pouvaient d’ailleurs être
appliquées en temps de paix (réquisition et formation de
compétences particulières, mise en réserve de matières
premières, subventions de recherches, aides à certains
secteurs). En temps de guerre, la loi donnait la
possibilité d’intervenir même dans le domaine de la
presse et de l’édition, malgré les amendements obtenus
sur ce point par la Chambre basse avant le premier vote
de la loi. Voir aussi Agence de planification, Mobilisation
générale de l’esprit national.
MAEDA Torao (1892-1953) : militant nationaliste et
panasiatiste. Après avoir travaillé sur le continent pour
la Compagnie du chemin de fer sud-mandchourien, il
participa au mouvement de protection de la
Constitution de Sun Yat-sen avec Inoue Nisshô*. De
retour au Japon en 1923, il fut membre de plusieurs
groupes d’extrême droite comme la Société de la
fondation nationale* et le Parti patriotique du travail*.
Arrêté en 1933 pour avoir participé à l’organisation du
complot de la Shinpeitai*, il fut également impliqué en
1940 dans un projet d’attentat contre le Premier
ministre Yonai*. Voir aussi Kageyama Masaharu.
MAKINO Nobuaki (1861-1949) : diplomate et homme
politique, fils d’Ôkubo Toshimichi (1830-1878), il fut un
des derniers représentants de l’oligarchie de l’ère Meiji à
partir des années 1920. Membre de plusieurs
gouvernements, des années 1900 et 1910, ainsi que du
Conseil privé à partir de 1921, gardien du Sceau privé
de 1925 à 1935, il eut un rôle très important auprès de
l’empereur, notamment dans le choix du Premier
ministre, jusque dans la seconde moitié des années
1930 (voir Jûshin). Bien qu’il ait fortement contribué à
mettre fin à la pratique du cabinet de parti après l’affaire
du 15 mai 1932, son opposition à l’expansionnisme lui
valut l’hostilité constante de l’armée et de l’extrême
droite. Le 26 février 1936*, il réchappa
miraculeusement de l’attentat qui le visait. Voir aussi
Affaire d’octobre.
MATSUI Iwane (1878-1948) : général de l’Armée de
terre, spécialiste de la Chine, où il occupa divers postes
à partir de 1907, devint proche de Sun Yat-sen et fut
conseiller de Zhang Zuolin, avant d’être nommé à la tête
de la direction du renseignement de l’état-major (1925-
1928). Membre important de l’Association de la Grande
Asie* et partisan d’une alliance sino-japonaise, il tenta
de rallier Tchang Kai-chek à ce projet, bientôt
condamné par le front commun anti-japonais des
nationalistes et des communistes chinois. Commandant
en chef du corps expéditionnaire de Chine centrale en
1937, il dirigea les opérations contre Shanghai puis
Nankin mais fut rappelé dès le début de 1938, en raison
notamment des atrocités commises par ses troupes.
Jusqu’en 1945, il continua de militer activement pour la
constitution d’une alliance panasiatique. Jugé comme
criminel de guerre de catégorie A par le Tribunal
militaire international, il fut condamné à mort mais
seulement pour des faits de catégorie B (crimes de
guerre conventionnels).
MATSUOKA Komakichi (1888-1958) : syndicaliste et
homme politique, membre fondateur de la Fédération
japonaise du travail* dont il fut un des principaux
dirigeants dans les années 1920 et 1930. Il participa
également à la fondation du Parti social-démocrate*. Il
tenta de s’opposer à la dissolution des syndicats dans
l’Association patriotique de l’industrie* mais dut s’y
résoudre sous la pression gouvernementale. Après la
guerre, il fut le premier président de la Fédération
japonaise des syndicats du travail. Membre du Parti
socialiste, député de 1947 à 1958, il fut le premier
président de la Chambre basse issu d’un parti de
gauche.
MATSUOKA Yôsuke (1880-1946) : diplomate et homme
politique, anti-occidental et antidémocrate. Il quitta les
Affaires étrangères pour devenir administrateur de la
Compagnie du chemin de fer sud-mandchourien dans
les années 1920. Élu à la Chambre basse en 1930, il
dirigea la délégation japonaise à la Société des Nations,
où il annonça le retrait du Japon après que l’assemblée
générale eut voté une motion condamnant l’incident de
Mandchourie* et la création du Mandchoukouo (1933).
Il quitta alors son parti, le Seiyûkai*, et abandonna son
mandat de député, pour créer un mouvement appelant à
la dissolution des partis politiques. Il participa
également à la création de l’Association pour la Grande
Asie*. Président de la Compagnie du chemin de fer sud-
mandchourien de 1935 à 1939, il devint proche du
général Tôjô* à cette époque. Ministre des Affaires
étrangères dans le deuxième cabinet Konoe*, il eut un
rôle central dans la signature du Pacte tripartite*, mais
échoua à entraîner le Japon dans la guerre contre
l’Union soviétique lorsque celle-ci fut attaquée par
l’Allemagne. Son intransigeance dans les négociations
avec les États-Unis amena la chute du cabinet peu
après. Atteint de la tuberculose, il se retira de la vie
politique mais fut arrêté en 1945 et jugé comme
criminel de guerre de catégorie A. Il mourut de la
tuberculose peu après le début du procès de Tokyo.
MATSUTANI Yojirô (1880-1937) : avocat (diplômé de
l’École de droit de Meiji, future Université Meiji) et
homme politique. Actif dans divers mouvements
sociaux, il défendit notamment des fermiers dans les
conflits les opposant aux propriétaires terriens (voir
Conflits du fermage) et fut désigné pour assurer la
défense de Nanba Daisuke, auteur de l’attentat de
Toranomon contre le prince héritier (1923). Membre du
Parti ouvrier et paysan du Japon* à sa fondation en
1926, il travailla à la fusion des partis qui constituèrent
en 1931 le Parti national des masses ouvrières et
paysannes* (1931), puis le Parti social des masses*
après la fusion avec le Parti social-démocrate* (1932).
Élu à la Chambre basse en 1930 et 1932, il fut exclu de
son parti en 1932 pour avoir appelé à l’adoption d’une
ligne nationaliste après l’incident de Mandchourie*.
Avec d’autres membres venus de ce parti (Aki Sakan,
Imamura Hitoshi), il créa en 1934 l’Alliance des
travailleurs (Kinrô dômei) et le Parti des travailleurs du
Japon (Nihon kinrô tô), après être passé par le Parti
social-nationaliste du Japon*.
MAZAKI Jinzaburô (1876-1956) : général de l’Armée de
terre, proche d’Araki Sadao* et, comme celui-ci,
soutenu par les jeunes officiers de l’état-major au début
des années 1930, nommé en 1934 inspecteur général de
l’enseignement militaire (un des trois postes les plus
importants de l’armée, dépendant directement de
l’empereur). S’étant rapproché des jeunes officiers de
troupe, il devint alors la principale figure de la faction
de la Voie impériale (voir Factions militaires). Son
éviction par la faction du Contrôle, en 1935, fut la cause
directe de l’affaire Aizawa*. Convaincu à tort que
l’empereur lui était favorable, il encouragea les jeunes
officiers dans leurs actions contre l’état-major. Bien qu’il
n’ait pas directement participé à la préparation du
soulèvement du 26 février 1936*, il en était averti et
aurait été nommé Premier ministre en cas de succès de
l’opération. Traduit en cour martiale, il fut acquitté en
septembre 1937, en partie grâce aux pressions exercées
par Konoe* sur le tribunal. Figurant dans la première
liste de 28 accusés pour le procès de Tokyo, il en fut
retiré au dernier moment, avec le général Abe*, afin de
permettre l’inclusion de Shigemitsu Mamoru (1887-
1957) et d’Umezu Yoshijirô*, demandée par l’Union
soviétique.
MIKAMI Taku (1905-1971) : officier de marine impliqué
dans l’affaire du 15 mai* 1932. Chef du groupe qui
assassina le Premier ministre Inukai, il fut condamné à
15 ans d’emprisonnement mais libéré dès 1938. Pendant
la guerre, il fut l’un des dirigeants de la Ligue de la
jeunesse du Grand Japon pour le soutien au Trône*.
L’interdiction d’exercer un emploi public dont il avait
été frappé en 1946 ayant été levée en 1952, il fut
candidat à la Chambre basse en 1953. Voir aussi Fujii
Hitoshi, Koga Kiyoshi, Société des soldats impériaux.
MINAMI Jirô (1874-1955) : général de l’Armée de terre,
vice-chef de l’état-major (1927-1929), commandant en
chef de l’armée de Corée (1929-1931), ministre de
l’Armée (1931), commandant en chef de l’armée du
Kwantung* et ambassadeur du Japon au Mandchoukouo
(1934-1936), résident général en Corée (1936-1942),
membre du Conseil privé (1942-1945). Condamné à
l’emprisonnement à perpétuité par le Tribunal militaire
international pour sa responsabilité dans l’invasion de la
Mandchourie, il fut libéré pour raisons de santé en 1954.
MINOBE Tatsukichi (1873-1948) : juriste, professeur à
l’Université impériale de Tokyo, dont il fut président de
1924 à 1927, spécialiste de droit constitutionnel. Il fut
attaqué en 1935 par l’extrême droite pour son
interprétation de la Constitution (voir Affaire de la
monarchie-organe), notamment par Minoda Muneki*.
L’armée et l’extrême droite lui en voulaient
particulièrement d’avoir justifié le droit du
gouvernement à signer un accord de limitation de
l’armement comme celui du Traité naval de Londres*
(voir Prérogative de commandement suprême). Ces
attaques furent reprises à la Diète, d’abord à la Chambre
des pairs, dont il était membre, puis au sein de la
Chambre basse. Bien qu’il ait formulé sa théorie 25 ans
plus tôt, et alors qu’elle était largement considérée
comme la plus juste, il dut démissionner de la Diète et
ses livres furent interdits. Nommé au Conseil privé de
l’empereur en janvier 1946, il y siégea jusqu’à l’abolition
de celui-ci (mai 1947). Voir aussi Miyazawa Yoshitoshi,
Principes de la défense nationale et propositions pour
la renforcer, Uesugi Shinkichi.
MINODA Muneki (1894-1946) : intellectuel d’extrême
droite, diplômé de la faculté des lettres de l’Université
impériale de Tokyo et proche d’Uesugi Shinkichi*, dont
il adopta la théorie de la monarchie transcendantale.
Dans les années 1930, il organisa de nombreuses
campagnes de protestation contre des universitaires
dont il jugeait les écrits antinationaux et dont il réussit
parfois à obtenir la démission (voir Affaire de la
monarchie-organe, Tsuda Sôkichi). Il fut également
membre de la Ligue anticommuniste internationale
(Kokusai bôkyô renmei), créée en avril 1937 sous le
parrainage de Konoe Fumimaro*, Hiranuma Kiichirô* et
Tôyama Mitsuru*. Ses activités déclinèrent à mesure
que l’idéologie du régime devenait proche de la sienne.
En février 1943, il publia une sorte d’autocritique après
l’arrestation des membres d’un groupe dont il était
proche, que la police politique soupçonnait de
marxisme. Vilipendé au lendemain de la guerre, il se
suicida en janvier 1946.
Minseitô (Rikken minseitô) : « Parti démocratique
constitutionnel », né en 1927 de la fusion du parti
Kenseikai (Association pour le gouvernement
constitutionnel) et du courant réformateur du
Seiyûkai*. De tendance libérale et dans la lignée du
Parti de la réforme (Shinpotô, fondé en 1896), il prônait
des mesures sociales, un accroissement du pouvoir de la
Chambre basse contre celui de la bureaucratie et une
politique extérieure favorisant la coopération
internationale. Son électorat était constitué notamment
par les classes moyennes urbaines. Ayant obtenu
presque autant de sièges que le Seiyûkai aux élections
de 1928, il put former le cabinet lorsque celui de Tanaka
Giichi* fut contraint à la démission. Bien qu’ayant
remporté largement les élections de février 1930, il fut
attaqué de plus en plus vivement pour ses concessions
dans la signature du Traité naval de Londres* et parce
que sa politique financière aggravait les effets de la crise
économique. Il fut en outre incapable d’empêcher
l’extension de l’incident de Mandchourie*. Défait aux
élections de 1932, il apporta son soutien aux cabinets
Saitô et Okada*, dans lesquels il eut quelques ministres.
Allié au Seiyûkai pour faire chuter le cabinet du général
Hayashi* en 1937, il résista ensuite de moins en moins à
la fascisation du régime, allant jusqu’à exclure de la
Diète un de ses propres députés, Saitô Takao (1870-
1949), qui avait critiqué l’armée et dénoncé la guerre
menée en Chine, peu avant de se dissoudre dans
l’Association de soutien au Trône*. Voir aussi Adachi
Kenzô, Hamaguchi Osachi, Nakano Seigô, Wakatsuki
Reijirô.
MITAMURA Takeo (1899-1964) : homme politique,
proche de Nakano Seigô*, ayant travaillé au ministère
de l’Intérieur puis à celui des Affaires coloniales avant
d’être élu à la Chambre basse (1937). Réélu en 1942, il
fut un des représentants de l’opposition d’extrême
droite au cabinet Tôjô dans les dernières années de la
guerre. Frappé par l’interdiction d’exercer un emploi
public de 1946 à 1951, il fut de nouveau élu député à
trois reprises dans les années 1950 et 1960.
MITSUKAWA Kametarô (1888-1936) : journaliste et
militant nationaliste et asiatiste. Attiré à la fois par le
socialisme et l’asiatisme dès sa jeunesse, il fut membre
de plusieurs mouvements dans les années 1910 et
rencontra l’indépendantiste indien Rash Behari Bose
(1886-1945), qui lui présenta Ôkawa Shûmei*. En 1918,
il fonda avec Ôkawa l’Association des anciens et des
jeunes (Rôsôkai), qui réunit des représentants
nombreux de tous les courants politiques pour débattre
des questions les plus diverses (le suffrage universel, la
situation de la démocratie dans le monde, la situation
extérieure du Japon, la pauvreté, la place des femmes
dans la société) et qui exista jusqu’en 1922. Admirateur
de Kita Ikki*, il fit revenir celui-ci de Shanghai pour
fonder la Société de la pérennité* avec Ôkawa en 1919.
Il fut aussi membre de la Société de la pratique
terrestre*, fondée par Ôkawa après sa rupture avec Kita,
mais s’en éloigna assez rapidement et rejoignit l’Alliance
nationale du nouveau Japon*. De 1924 jusqu’à sa mort,
il enseigna à l’Université Takushoku comme spécialiste
des questions asiatiques.
MIYAKE Setsurei (1860-1945) : philosophe, éditorialiste
et mémorialiste. Il fut un des fondateurs et un des
principaux rédacteurs de la revue Nihonjin (Japonais,
1888), qui s’opposait à une modernisation ne consistant
qu’à imiter l’Occident et prônait la responsabilité du
gouvernement devant la Diète. Il contribua aussi
régulièrement au quotidien Nihon de Kuga Katsunan
(1857-1907). Il fut par ailleurs le beau-père de Nakano
Seigô*. Voir aussi Shiga Shigetaka*.
MIYAZAWA Toshiyoshi (1889-1976) : spécialiste de droit
constitutionnel, élève de Minobe Tatsukichi*, professeur
à la faculté de droit de l’Université impériale de Tokyo, il
participa aux projets de révision constitutionnelle
débattus à la Chambre des pairs en 1946 et devint un
défenseur ardent de la souveraineté populaire comme
fondement de nouvelle Constitution.
Mobilisation générale de l’esprit national (Kokumin
seishin sôdôin undô) : campagne de mobilisation
patriotique lancée par le cabinet Konoe* au début de la
guerre sino-japonaise (septembre 1937) et qui avait
pour mots d’ordre l’unité nationale (kyokoku itchi), la
loyauté sans faille envers le pays (jinchû hôkoku), la
patience et l’endurance (ken.nin jikyû). Une centaine
d’organisations y participèrent, dont l’Association des
maires, l’Association des prêtres shintô, l’Association
des réservistes* et le Congrès des syndicats du Japon
(Nihon rôdô kumiai kaigi). D’abord campagne de
propagande idéologique, elle prit bientôt la forme de
collectes de métaux, de placements d’emprunts et
d’appels à renoncer au luxe, puis son rôle consista de
plus en plus à organiser la main-d’œuvre dans
l’économie de guerre, au point qu’elle fut placée sous le
contrôle direct du Premier ministre en mars 1939. Son
organisation servit aussi à lancer le Mouvement pour un
nouveau régime* en 1940, avant de se fondre dans
l’Association de soutien au Trône*.
MORI Kaku (1882-1932) : politicien et homme
d’affaires, lié au groupe Mitsui, pour lequel il avait
travaillé depuis la fin de ses études jusqu’à 1920,
notamment en Chine. Il entra au parti Seiyûkai* en
1918, fut élu député en 1920, devint membre du cabinet
du ministre des Affaires étrangères (1927-1929) et
bientôt secrétaire général du Seiyûkai (1929-1931). Très
opposé à la diplomatie de conciliation menée par les
cabinets Minseitô (1929-1931), il était partisan d’une
expansion continentale et d’une coopération étroite
avec les militaires. Appuyé par l’armée et les milieux
économiques, il devint secrétaire général du
gouvernement dans le cabinet d’Inukai Tsuyoshi (1931-
1932), qu’il tenta de déstabiliser au profit de Hiranuma
Kiichirô*.
Mouvement pour la liberté et les droits du peuple
(Jiyû minken undô) : ensemble des associations
politiques et des courants d’idées libéraux qui
apparurent entre le milieu des années 1870 et le début
des années 1880, et qui se traduisirent notamment par
un très important mouvement pétitionnaire en faveur
d’un gouvernement constitutionnel, ainsi que par la
création des premiers partis politiques modernes, le
Parti constitutionnel de la liberté (Rikken jiyûtô, 1881)
et le Parti constitutionnel de la réforme (Rikken
kaishintô, 1882). Voir aussi Kôno Hironaka.
Mouvement pour un nouveau régime (Shin taisei
undô) : mouvement lancé en mai 1940 par Konoe
Fumimaro* en vue d’établir un parti unique et
d’imposer un contrôle étatique de l’économie. Inspiré à
la fois par certains modèles européens et par le souci de
rétablir le pouvoir des civils face aux militaires, il
comptait dans sa direction plusieurs représentants
d’une tendance anticapitaliste de la droite nationaliste,
comme Asô Hisashi*, Nakano Seigô* ainsi que des
membres du courant des « bureaucrates rénovateurs »
(kakushin kanryô) liés à l’Agence de planification*.
Après que Konoe eut été nommé Premier ministre
(juillet 1940), les différents partis acceptèrent bon gré
mal gré de se dissoudre pour participer à la création de
l’Association de soutien au Trône*.
MURAMATSU Hisayoshi (1869-1972) : avocat et homme
politique, élu député en 1932 comme candidat du
Minseitô*, et réélu jusqu’à la fin de la guerre. Membre de
l’Association de soutien au Trône* en 1942, il fut frappé
de l’interdiction d’exercer un emploi public de 1946 à
1951, après quoi il fut de nouveau élu député à deux
reprises, comme candidat du Parti libéral-démocrate.
MURANAKA Kôji (1903-1937) : capitaine de l’Armée de
terre. Diplômé de l’École des officiers en 1925, il
s’enthousiasma à cette époque pour les idées de Kita
Ikki*. Impliqué dans l’affaire d’octobre*, il s’éloigna de la
Société de la fleur de cerisier* et devint un des
principaux animateurs du mouvement des jeunes
officiers, qui soutint la faction de la Voie impériale. Il
entra en 1932 à l’École supérieure de guerre (Rikugun
shikan daigaku), dont il était encore élève en 1935
lorsqu’il fut suspendu, après l’affaire de l’École des
officiers*. Radié de l’armée pour avoir rédigé et diffusé
avec Isobe Asaichi (1905-1937) un mémoire très
critique envers les autorités militaires, visant
notamment Nagata Tetsuzan* et la faction du Contrôle,
il eut un rôle central dans l’organisation de la tentative
de coup d’État du 26 février*. Condamné à mort, il fut
exécuté avec Isobe, Kita et Nishida Zei*, séparément des
officiers encore en activité lors du soulèvement. Voir
Aussi Affaire Aizawa, Factions militaires.
MUTÔ Akira (1892-1948) : officier de l’Armée de terre,
affecté à l’état-major en 1930 après un séjour de trois
années en Allemagne. Proche de Nagata Tetsuzan*, il fut
appelé au Bureau des affaires militaires* en mars 1935.
Alors qu’il n’était encore que lieutenant-colonel, c’est lui
qui mena la purge des officiers généraux après le
soulèvement du 26 février 1936*. De nouveau affecté à
l’état-major au début de 1937, il fut partisan d’utiliser
l’incident du pont Marco Polo* pour déclencher une
guerre contre la Chine. Vice-commandant en chef de
l’armée de Chine centrale, puis de l’armée de Chine du
Nord, il fut nommé général en mars 1939. Chef du
Bureau des affaires militaires de septembre 1939 à avril
1942, il eut un rôle politique très important jusqu’à la
formation du cabinet Tôjô* (octobre 1941). Bien
qu’ayant souvent imposé aux civils les demandes de
l’armée, il ne souhaitait pas la formation d’un cabinet
militaire. Il tenta par ailleurs d’éviter le déclenchement
du conflit avec les États-Unis, ce qui l’exposa à l’hostilité
des partisans de la guerre. Envoyé sur le front comme
général de division, il combattit à Sumatra puis aux
Philippines sous le commandement de Yamashita
Tomoyuki (1885-1946), dont il dut assurer la défense
lorsque celui-ci fut accusé de crimes de guerre devant le
Tribunal militaire de Manille. De retour au Japon, il fut
lui-même jugé par le Tribunal militaire international
comme criminel de guerre de catégorie A, et condamné
à mort à la fois pour son rôle dans le déclenchement des
guerres contre la Chine et les États-Unis, et pour sa
responsabilité dans les crimes commis par les troupes
qu’il commandait aux Philippines. Voir aussi Ligue de la
jeunesse du Grand Japon pour le soutien au Trône,
Factions militaires.
NAGATA Tetsuzan (1884-1935) : général de l’Armée de
terre, théoricien de la mobilisation générale en vue de la
guerre totale. Chef de la section des affaires militaires
(voir Bureau des affaires militaires) en 1930 et membre
d’un groupe d’officiers soutenant la nomination d’Araki
Sadao* comme ministre de l’Armée de terre, il devint
bientôt l’adversaire de celui-ci dans la lutte des factions
(voir Factions militaires) et le principal représentant de
la faction du Contrôle à partir de sa nomination à la tête
du Deuxième bureau de l’état-major (juin 1933) puis
comme chef du Bureau des affaires militaires (mars
1934). Estimant que la modernisation de l’armée, la
préparation à une guerre totale et le règlement des
affaires de Chine excluaient la guerre prochaine avec
l’Union soviétique jugée nécessaire par la faction de la
Voie impériale, il s’efforça de réduire l’influence de
celle-ci dans l’armée, en réprimant notamment les
jeunes officiers qui la soutenaient. Il y parvint mais fut
assassiné par l’un d’eux peu après l’éviction de Mazaki
Jinzaburô*. Voir aussi Affaire Aizawa, Affaire de l’École
des officiers, Principes la Défense nationale et
propositions pour la renforcer.
NAKANO Seigô (1866-1943) : homme politique
nationaliste, fondateur de la Société de l’Orient
(Tôhôkai, 1936-1943) et gendre de Miyake Setsurei*.
D’abord journaliste, il écrivit pour des quotidiens de
centre gauche dans les années 1910. Élu à la Chambre
basse en 1920 et constamment réélu par la suite, il
devint une des figures du parti Minseitô*, qu’il quitta
avec Adachi Kenzô* peu après l’incident de
Mandchourie*. Il développa alors un discours
anticapitaliste, militariste et fascisant. Admirateur de
Hitler et de Mussolini, il se rendit en Europe pour les
rencontrer (1937-1938). Secrétaire général de-
l’Association de soutien au Trône* à sa création en
1940, il se rapprocha alors de Konoe Fumimaro* et
devint un des principaux opposants nationalistes au
cabinet Tôjô*, notamment lors des débats sur la loi
pénale spéciale pour le temps de guerre, ce qui lui valut
d’être arrêté et incarcéré quelques semaines en 1943. Il
se suicida rituellement deux jours après avoir été libéré.
NEMOTO Hiroshi (1891-1966) : officier de l’Armée de
terre, affecté à la section des affaires chinoises de l’état-
major de 1923 à 1927, puis au Bureau des affaires
militaires*. Proche du groupe des officiers rénovateurs
auquel appartenaient notamment Nagata Tetsuzan*,
Tôjô Hideki* ou Itagaki Seishirô*, il fut aussi membre de
la Société de la fleur de cerisier* et impliqué dans les
projets de coup d’État de celle-ci (voir Affaire de mars et
Affaire d’octobre), où il joua un rôle ambigu. Dans
l’affrontement qui se produisit peu après au sein de
l’armée, il se rangea du côté de la faction du Contrôle.
Voir aussi Factions militaires.
NISHIDA Zei / Mitsugi / Mitsugu (1901-1937) : idéologue
ultranationaliste, disciple de Kita Ikki*. Membre de la
Société de la pérennité* dès sa création, diplômé de
l’École des officiers* en 1922, il dut quitter l’armée pour
raisons de santé en 1925. Bien que membre de la
Société de la pratique terrestre*, il s’éloigna d’Ôkawa
Shûmei* et travailla à faire connaître les idées de Kita
parmi les jeunes officiers, créant sa propre école ainsi
que le Parti de l’épée céleste*. Impliqué dans l’affaire
d’octobre*, il se rallia ensuite à une stratégie légaliste, à
la demande de Kita, et refusa de prendre part à la
tentative de coup d’État du 15 mai 1932* ainsi qu’à celle
de la Shinpeitai*. Il resta cependant proche des jeunes
officiers qui organisèrent le soulèvement du 26 février
1936* et fut condamné à mort pour sa participation
supposée et pour l’influence qu’il avait eue sur ceux-ci.
Voir aussi Plan de rénovation du Japon.
NOMA Seiji (1878-1938) : magnat de l’édition,
fondateur de la maison Kôdansha* (1911), créateur de
magazines populaires, dont Kingu (King, 1925), qui eut
un succès immense, ainsi que de revues pour les
femmes et pour la jeunesse. Nationaliste, il avait pour
devise « servir le pays par la publication de magazines ».
Il créa également la maison de disques Kingu rekôdô
(1931) et publia La Voie de la prospérité (Sakaeyuku
michi, 1932), livre dans lequel il racontait sa réussite,
expliquant que la voie de l’enrichissement était aussi
celle de la vertu.
NOMURA Kichisaburô (1877-1964) : amiral, retiré du
service actif en 1937, ministre des Affaires étrangères
dans le cabinet Abe (1939-1940), nommé ambassadeur
extraordinaire aux États-Unis en novembre 1940. Il prit
part aux ultimes négociations, dont l’échec fut suivi par
l’attaque de Pearl Harbor. De retour au Japon en 1942, il
fut membre du Conseil privé de 1944 à 1946. Après la
guerre, il fut sénateur de 1954 à 1962 et prêcha pour le
réarmement du Japon.
OBATA Toshirô / Toshishirô (1885-1947) : général de
l’Armée de terre, proche de Nagata Tetsuzan* au début
des années 1920, affecté à l’état-major de 1926 à 1928,
sous les ordres d’Araki Sadao*, qui l’y appela de
nouveau en 1932, cette fois comme chef de la section
des affaires stratégiques. Estimant que le Japon devait se
préparer à une guerre contre l’Union soviétique, il
s’opposa alors vivement à Nagata Tetsuzan*, qui pensait
que le Japon devait se préoccuper d’abord de la Chine et
surtout moderniser son armée. Écarté de l’état-major
par la faction du Contrôle, il fut nommé directeur de
l’École supérieure de guerre en 1935, puis placé sur la
liste de réserve en août 1936, en raison de ses liens avec
la faction de la Voie impériale et parce qu’un de ses
subordonnés était directement impliqué dans le
soulèvement du 26 février*. Proche de Konoe*, il fut
ministre d’État dans le cabinet Higashikuni* (août-
octobre 1945). Voir aussi Factions militaires.
OIKAWA Koshirô (1883-1958) : amiral, commandant en
chef de la flotte de mer de Chine lors de la guerre sino-
japonaise. Partisan du respect des traités navals
internationaux et opposé à la guerre avec les États-Unis,
il fut ministre de la Marine dans les deuxième et
troisième cabinets Konoe. Nommé chef de l’état-major
naval après la chute du cabinet Tôjô*, il démissionna en
mai 1945. Il fut cité comme témoin par le Tribunal
militaire international. Voir aussi Oka Takazumi.
OKA Takazumi (1890-1973) : amiral, affecté au
ministère de la Marine en 1938, puis à l’état-major en
1939, partisan de la guerre avec les États-Unis. Chef du
Bureau des affaires navales à partir d’octobre 1940, il en
fut écarté après la chute du cabinet Tôjô*. Condamné à
l’emprisonnement à perpétuité par le Tribunal militaire
international, il fut libéré en 1954.
OKADA Keisuke (1868-1952) : amiral et homme
politique, ministre de la Marine dans le cabinet Tanaka*
(1927-1929) et dans le cabinet Saitô (1932-1934). En
1930, il contribua à faire accepter la signature du Traité
naval de Londres*. Premier ministre à partir de juillet
1934, il s’opposa à l’augmentation des dépenses
militaires mais ne sut résister à la campagne de
protestation contre la thèse de la monarchie-organe
(voir Affaire de la monarchie-organe), faute notamment
de s’être entendu avec le parti Seiyûkai*, alors
majoritaire, et d’avoir empêché l’exacerbation des luttes
de factions au sein de l’armée, alors qu’il pensait
pouvoir s’appuyer sur celle-ci et sur la bureaucratie.
Inclus dans la liste des personnalités que les officiers du
26 février* avaient prévu d’abattre, il survécut parce que
son beau-frère fut tué à sa place par erreur, mais
démissionna quelques jours plus tard. À partir de 1943,
il travailla activement à faire tomber le cabinet Tôjô.
Voir aussi Jûshin.
ÔKAWA Shûmei (1886-1957) : théoricien et activiste
ultranationaliste. Spécialiste de philosophie indienne
par sa formation, il appela à la libération des pays
asiatiques colonisés avant d’élaborer une idéologie
politique plus générale, inspirée par le confucianisme et
le nationalisme officiel, d’après laquelle le Japon devait
occuper la place la plus éminente non seulement en
Asie mais dans le monde. Il fonda en 1919 la Société de
la pérennité*, qui appelait à une deuxième Restauration,
avec Mitsukawa Kametarô* et Kita Ikki*. Donnant à la
Maison impériale une importance que ce dernier ne lui-
reconnaissait pas, il fonda en 1926 la Société de la
pratique terrestre* et développa des relations de plus en
plus étroites avec des officiers de l’Armée du
Kwantung*, comme Itagaki Seishirô*, et de l’état-major,
notamment Hashimoto Kingorô*. À partir de 1928, il
appela à faire passer la Mandchourie sous le contrôle du
Japon. Le soutien financier de l’armée lui permit de
faire plus de 130 conférences dans tout le pays en moins
de deux ans. Il travailla par ailleurs à unifier l’extrême
droite, créant la Société de Jinmu* en 1932. Impliqué
dans les deux projets de coups d’État militaires de 1931
(affaires de mars* et octobre*), il fut arrêté et condamné
à cinq ans d’emprisonnement pour avoir transmis des
armes et de l’argent de l’Armée du Kwantung aux
organisateurs de la tentative de coup d’État du 15 mai
1932*. Après sa libération, il se consacra à une activité
d’idéologue et de propagandiste, pour laquelle il fut
inclus dans la liste des criminels de guerre de catégorie
A du Tribunal militaire international. Déclaré inapte à
être jugé en raison de troubles mentaux qui se
manifestèrent à l’ouverture du procès, il fut relaxé et
termina une traduction du Coran peu avant sa mort.
Voir aussi La Voie du Japon et des Japonais, Yasuoka
Masahiro.
ONUMA Shô / Tadashi (1911-1978) : membre de la
Ligue du sang*, qui assassina l’ancien ministre des
Finances Inoue Jun.nosuke* le 9 février 1932. Issu
d’une famille de pêcheurs du département d’Ibaraki, il
exerça divers métiers à partir de l’âge de 15 ans, vécut
un temps à Tokyo mais tomba malade et dut rentrer
dans son pays natal au moment où la région était
durement frappée par la crise économique. Il rencontra
alors Inoue Nisshô*, installé dans un village voisin,
auprès duquel il étudia quelques mois et qui lui fournit
l’arme dont il se servit pour tuer l’ancien ministre des
Finances. Condamné à la prison à perpétuité en 1934, il
fut gracié en 1940. Après la guerre, il poursuivit ses
activités politiques à l’extrême droite, tout en travaillant
comme éditeur. Il publia ses mémoires en 1974 sous le
titre Un assassinat, plusieurs vies (Issatsu tashô,
Yomiuri shinbunsha).
ÔSHIMA Hiroshi (1886-1975) : général de l’Armée de
terre, attaché militaire en Allemagne, en Hongrie et en
Autriche dans les années 1920 et 1930, ambassadeur du
Japon en Allemagne de 1938 à 1939, puis de 1940 à la
fin de la guerre. Fervent partisan du rapprochement
avec l’Allemagne et très hostile aux démocraties
occidentales, il joua un rôle important dans la
conclusion du Pacte anti-Komintern (1936) et du Pacte
tripartite* (1940). Condamné à l’emprisonnement à
perpétuité par le Tribunal militaire international, il fut
libéré en 1955.
ÔSUMI Mineo (1876-1941) : amiral, ministre de la
Marine dans les cabinets successifs Inukai, Saitô et
Okada (1931-1936). Choisi pour sa neutralité dans
l’affrontement qui opposait partisans du respect des
traités internationaux et partisans de l’augmentation des
armements navals, il céda progressivement aux seconds,
approuvant la sortie du Japon de la Société des Nations
et demandant la révision du Traité naval de Londres*.
Ouvriers et paysans (Rônôha) : courant marxiste
apparu vers 1927, qui discuta en particulier de la nature
du capitalisme japonais, critiquant la thèse officielle du
Parti communiste*, selon laquelle le Japon n’avait pas
encore pleinement atteint le stade bourgeois-capitaliste.
Il polémiqua notamment avec la « faction du cours »
(Kôzaha) en 1932-1933, qui considérait que la
Restauration de Meiji n’avait produit qu’un régime semi-
féodal. Sans être directement liés au groupe de la revue
Rônô (« Ouvriers et paysans »), d’autres intellectuels
développèrent par la suite des thèses qui en étaient
proches. La plupart furent arrêtés en 1937 et 1938 (voir
Affaires du Front populaire).
OZAKI Yukio (1858-1954) : parlementaire célèbre, élu
24 fois consécutives à la Chambre basse depuis son
ouverture (1890) et partisan du suffrage universel dès
cette époque. En 1898, alors qu’il était ministre de
l’Éducation, il déclara que « si le Japon était une
république, alors c’est le directeur de Mitsui ou de
Mitsubishi qui en deviendrait le président », causant un
scandale qui obligea le cabinet à démissionner. Il se
présenta aux élections de 1942 sans avoir l’investiture
de l’Association de soutien au Trône*. Dans un discours
de campagne, il cita un poème satirique évoquant la
dilapidation par le petit-fils du bien amassé par l’aïeul,
faisant par là allusion à Hiro-Hito, auquel il reprochait
de gâter l’héritage constitutionnel laissé par l’empereur
Meiji. Accusé de crime de lèse-majesté, il fut condamné
à une peine d’emprisonnement en première instance
mais acquitté en appel deux ans plus tard, en juin 1944.
Pacte tripartite (Nichidokui sangoku dômei) : alliance
militaire entre l’Allemagne, le Japon et l’Italie, dont le
traité fut signé à Berlin le 27 septembre 1940, par lequel
les trois pays s’engageaient à collaborer pour la création
d’un ordre nouveau en Europe et en Asie, ainsi qu’à
s’assister en cas d’agression par un pays tiers. Souhaité
par de nombreux militaires et par la faction Matsuoka*
du ministère des Affaires étrangères, cet élargissement
du pacte anti-Komintern de 1936 était en préparation
dès 1939 mais avait échoué à cause de l’indignation
suscitée au Japon par la signature du pacte de non--
agression germano-soviétique (août 1939). Ses
promoteurs y voyaient un moyen de faire sortir le Japon
de son isolement international sans céder aux pressions
américaines concernant la Chine. Les victoires
militaires remportées par l’Allemagne en 1939 et 1940
leur permirent de surmonter les oppositions à l’intérieur
de l’État japonais et d’obtenir la conclusion du pacte.
Toutefois, contrairement à ce qu’ils espéraient, la
position du Japon dans les négociations avec les États-
Unis n’en fut pas renforcée, et les relations nippo-
américaines se dégradèrent davantage encore. Voir aussi
Hiranuma Kiichirô, Kageyama Masaharu, Kan.in-no-
miya, Konoe Fumimaro, Ôshima Hiroshi, Suetsugu
Nobumasa, Yonai Mitsumasa.
Parti communiste japonais (Nihon kyôsantô) : parti
fondé clandestinement en juillet 1922 par des
personnalités du mouvement socialiste (Sakai
Toshihiko, Arahata Kanson, Yamakawa Hitoshi) et des
représentants japonais du Komintern (Tokuda Kyûichi,
Nosaka Sanzô, Katayama Sen). Son objectif était de
favoriser le passage du Japon au stade libéral-bourgeois,
donc l’abolition du système impérial, préalable à la
révolution prolétarienne. En proie à une forte répression
dès 1923, ainsi qu’à des divergences profondes sur la
stratégie à adopter, il parvint à se reformer en 1926 et à
se maintenir en activité, publiant illégalement et
irrégulièrement le journal Sekki (Drapeau rouge, en
principe bimensuel), qui eut près de 190 numéros entre
1928 et 1935. Malgré l’arrestation de nombreux
membres (voir Arrestations du 15 mars 1928 et du
16 avril 1929), il gagna des adhérents jusque vers 1932,
soutenu par le prestige intellectuel du marxisme, jusqu’à
ce que les « conversions » (tenkô) à l’idéologie officielle
de membres dirigeants emprisonnés (1933) et les
nouvelles arrestations qui s’ensuivirent provoquent sa
dispersion. Il se recréa au lendemain de la guerre, après
la libération des membres restés fidèles au marxisme et
le retour des émigrés. Voir aussi Akamatsu Katsumaro,
Conseil des syndicats ouvriers du Japon, Kondô Eizô,
Ouvriers et paysans, Parti des ouvriers et des paysans.
Parti de l’épée céleste (Tenken tô) : groupe de jeunes
officiers de rangs inférieurs de l’Armée de terre fondé en
1927 par Nishida Zei*, qui travaillait à diffuser les idées
de Kita Ikki* parmi les militaires. Contrairement à la
Société de la fleur de cerisier*, composée d’officiers de
grades plus élevés liés à l’état-major, pour lesquels
l’objectif principal était à l’extérieur, ce groupe
entendait agir d’abord à l’intérieur du Japon, en y
menant ou suscitant une rénovation nationale (kokka
kaizô). Il comptait environ 70 membres ou
sympathisants, affectés à des unités stationnées dans
l’ensemble du pays. Ses activités furent limitées et son
existence brève, mais il contribua à faire naître le
mouvement des jeunes officiers. Voir aussi Affaire du
26 février, Muranaka Kôji, Société des soldats
impériaux, Yasuda Masaru.
Parti de la production du Grand Japon (Dai Nihon
seisan tô) : parti nationaliste fondé en juin 1931 par
Uchida Ryôhei (1874-1937) et Yoshida Masuzô (1895-
1967) dans le but d’unifier les mouvements d’extrême
droite autour d’un programme commun qui incluait des
mesures économiques (dirigisme, relance de l’emploi,
élimination des « parasites financiers ») et politiques
(élimination des partis de gouvernement, élimination de
la gauche, annexion de la Mandchourie). Lancé autour
de la branche d’Ôsaka de la Société du fleuve Amour*, il
agrégea une vingtaine de petits groupes ou tendances, ce
qui lui donna une importance remarquable pour une
organisation d’extrême droite, puisqu’il aurait compté
près de 20 000 membres (100 000 selon ses
déclarations) et fut même rejoint au début de 1932 par
le Parti patriotique radical (Kyûshin aikokutô) de
Tsukui Tatsuo*. Sa base sociale resta constituée surtout
par le patronat de petites et moyennes entreprises, mais
il parvint aussi à rallier quelques groupes syndicaux et
accentua le caractère anticapitaliste de son discours
après son échec électoral de février 1932. Son influence
déclina toutefois assez vite, en raison des dissensions
internes entre les courants correspondant aux
organisations qui le constituaient, et parce que plusieurs
de ses membres furent impliqués dans l’affaire de la
Shinpeitai*, discréditant la stratégie très légaliste que la
direction du parti prétendait suivre. Voir aussi Comité
d’union contre la crise nationale, Gen.yôsha, Kageyama
Masaharu, Rôninkai, Société de Jinmu, Suzuki Zen.ichi.
Parti national des masses ouvrières et paysannes
(Zenkoku rônô taishû tô) : parti né en juillet 1931 de la
fusion de la gauche et du centre des partis prolétariens,
et qui fusionna avec le Parti social-démocrate* dans le
Parti social des masses* en juillet 1932.
Parti ouvrier et paysan (Rônô tô) : parti créé en
novembre 1929, notamment par Ôyama Ikuo (1880-
1955), avec ce qui restait des militants du Parti des
ouvriers et des paysans (Rôdô nômin tô), interdit en
avril 1928 et qui représentait l’aile gauche du courant
prolétarien. En juillet 1931, il fusionna avec le parti
centriste de ce courant dans ce qui devint peu après le
Parti social des masses*. Voir Arrestations du 15 mars
1928 et du 16 avril 1929.
Parti ouvrier et paysan du Japon (Nihon rônô tô) :
parti né en 1926 d’une scission au sein du Parti des
ouvriers et des paysans (Rôdô nômin tô) et qui forma le
courant centriste parmi les partis prolétariens, avec
lesquels il fusionna progressivement à partir de 1930,
jusqu’à la création du Parti social des masses* (1932).
Voir aussi Asô Hisashi.
Parti patriotique du travail (Aikoku kinrô tô) : société
nationaliste fondée en février 1930 par un groupe
d’élèves d’Uesugi Shinkichi*, dont Amano Tatsuo*, et un
groupe d’élèves de Takabatake Motoyuki* (voir Tsukui
Tatsuo*), avec Kanokogi Kazunobu* et Ôkawa Shûmei*
comme conseillers. Son but était de « bâtir un pays sans
exploitation, en se fondant sur le principe d’unité du
souverain et du peuple ». Elle fusionna avec d’autres
courants dans l’Alliance nationale du nouveau Japon*.
Parti prolétarien du Japon (Nihon musan tô) : parti
politique formé en mars 1937 par des dissidents du Parti
social des masses* et d’anciens membres du Conseil
national des syndicats ouvriers*, en vue de créer un
front contre le fascisme. Il fut réprimé et interdit après
quelques mois d’existence. Voir Affaires du Front
populaire.
Parti social des masses (Shakai taishû tô) : parti né en
juillet 1932 de la fusion du Parti social-démocrate* et du
Parti national des masses ouvrières et paysannes*, lui-
même produit de la fusion entre le centre et la gauche
du mouvement prolétarien. Sa ligne reprenait alors celle
des « trois anti- » (anticapitalisme, anticommunisme,
antifascisme) du Parti social-démocrate, mais la faction
d’Asô Hisashi* et Kamei Kan.ichirô* devint bientôt
prédominante et le parti se rapprocha de l’armée (voir
Principes de la défense nationale et propositions pour
la renforcer), espérant obtenir la garantie des droits
sociaux que les partis libéraux refusaient d’accorder. Il
progressa électoralement, jusqu’à obtenir 36 députés à
la Chambre basse en 1937. La collaboration avec le
régime s’accrut après le début de la guerre sino-
japonaise, les derniers éléments qui s’y opposaient,
comme Abe Isoo (1865-1949) ou Katayama Tetsu*,
étant exclus au début de 1940, peu avant que la
direction ne prononce la dissolution du parti, en juillet,
et le ralliement au Mouvement pour un nouveau
régime* lancé par le Premier ministre Konoe*. Voir
aussi Affaires du Front populaire, Kawakami Jôtarô,
Matsutani Yojirô, Parti national des masses ouvrières et
paysannes, Parti ouvrier et paysan, Parti prolétarien du
Japon.
Parti social-démocrate ou Parti social populaire
(Shakai minshû tô) : parti fondé en décembre 1926,
autour de socialistes modérés (Katayama Tetsu*,
Matsuoka Komakichi*, Nishio Suehiro) qui avaient
quitté le Parti des ouvriers et des paysans (Rôdô nômin
tô), dominé par l’aile gauche de celui-ci, ainsi que
d’autres personnalités progressistes comme le socialiste
chrétien Abe Isoo, le démocrate Yoshino Sakuzô ou le
syndicaliste Suzuki Bunji. Militant pour la légalisation
des syndicats, il se voulait réformateur, c’est-à-dire
opposé à la fois « aux partis en place, qui représentent la
classe privilégiée, et aux partis extrémistes, qui ignorent
le processus de l’évolution sociale ». Il obtint 4 sièges à
la Chambre basse en 1928, lors des premières élections
au suffrage universel masculin. Après l’incident de
Mandchourie, le courant social-nationaliste d’Akamatsu
Katsumaro* fut mis en minorité par la ligne
« anticapitaliste, anticommuniste, antifasciste », qui fut
aussi à ses débuts celle du Parti social des masses*, né
de la fusion du Parti social-démocrate avec les autres
courants prolétariens en 1932. Voir aussi Kamei
Kan.ichirô, Koike Shirô, Parti social-nationaliste du
Japon, Shimonaka Yasaburô.
Parti social-nationaliste du Japon (Nihon kokka
shakai tô) : parti fondé par Akamatsu Katsumaro* en
mai 1932, après sa rupture avec le Parti social-
démocrate*, dont le programme combinait des
revendications nationalistes et anticapitalistes (« bâtir
un nouveau Japon, sans exploitation, en se fondant sur
l’esprit national d’unité sous l’empereur »). Il inclut
principalement le groupe de transfuges venus du Parti
social-démocrate*, quelques membres scissionnaires du
Parti des masses ouvrières et paysannes (Rônô taishû
tô) et le courant du syndicalisme paysan mené par
Hirano Rikizô*. Bien qu’ayant participé aux réunions
préparatoires, les autres courants venus du
syndicalisme, notamment celui de Shimonaka
Yasaburô*, se retirèrent le jour même de la fondation,
faute de trouver une entente avec le groupe d’Akamatsu
sur la répartition des postes au sein de l’organisation.
Des scissions se produisirent dès 1933, dont celle
d’Akamatsu. Le parti lui-même abandonna bientôt le
social-nationalisme et changea de nom avant de se
dissoudre (novembre 1936). Koike Shirô* et les
principaux membres rejoignirent le parti d’Akamatsu
l’année suivante. Voir aussi Alliance nationale du
nouveau Japon, Comité d’union contre la crise
nationale, Syndicat des paysans du Japon.
Pavillon du nuage pourpre : voir Hashimoto Tetsuma.
Plan de rénovation du Japon (Nihon kaizô hôan
taikô) : ouvrage dans lequel Kita Ikki* développa sa
théorie du nationalisme révolutionnaire. Mis en
circulation sous forme polycopiée dès 1919, il fut
rapidement interdit mais put être publié en 1923,
quelques passages ayant été supprimés. La plupart des
mesures prônées étaient socialistes : plafonnement de la
propriété privée, redistribution des terres,
nationalisation des grandes entreprises, législation sur le
travail, assurances sociales. Quant à la mise en œuvre,
Kita pensait qu’elle ne pourrait se faire que par l’action
d’une avant-garde de civils et de militaires qui
renverserait les élites en place. L’empereur suspendrait
alors la Constitution pendant trois ans et nommerait un
gouvernement exceptionnel qui commencerait par
instaurer le suffrage universel masculin et abolirait la
Chambre des pairs. Les saisies et redistributions
seraient confiées à une instance particulière, formée par
des militaires de réserve. Bien que le but ait été
d’assurer les libertés politiques et l’égalité sociale, le
plan de Kita renforçait considérablement les pouvoirs de
l’État et visait à empêcher la lutte des classes en
interdisant les conflits sociaux. Il affirmait en outre le
droit du Japon à faire la guerre aux pays oppresseurs,
pour assurer l’indépendance de l’Inde ou la sécurité de
la Chine, et à s’étendre en annexant des territoires
comme la Sibérie ou l’Australasie, occupés « au mépris
des lois de la coexistence humaine » que le Japon seul
pouvait faire triompher. Ce programme fut largement
repris dans celui de la Société de la pérennité* et
influença une partie de l’extrême droite, mais il
intéressa surtout de jeunes officiers de l’Armée de terre,
dont plusieurs eurent un rôle central dans le
soulèvement du 26 février 1936 (voir Affaire du 26
février).
Prérogative impériale de commandement suprême
(tôsuiken) : disposition des articles XI et XII de la
Constitution de 1889, d’après laquelle les forces armées
étaient placées directement sous le contrôle de
l’empereur, échappant donc à celui du gouvernement.
Elle permettait aux états-majors de contester aux
responsables civils le droit de prendre des décisions
concernant les affaires militaires et fut invoquée
notamment en 1930 après la signature du traité naval de
Londres*, qui limitait le tonnage de la flotte de guerre,
bien que celui-ci eût été ratifié par l’empereur après
consultation du Conseil privé. Parmi les défenseurs
d’une interprétation des articles XI et XII de la
Constitution légitimant la signature du traité se trouvait
le juriste Minobe Tatsukichi*. Voir aussi Hamaguchi
Osachi.
Principes de la défense nationale et propositions pour
la renforcer (Kokubô no hongi to sono kyôka no
teishô) : brochure publiée par l’Armée de terre en
octobre 1934, dans laquelle était présentée une
conception de la défense nationale entendue « au sens
large », impliquant la mobilisation non seulement des
forces armées mais aussi de l’économie, de la politique
et de la culture, c’est-à-dire faisant de la guerre l’objet
principal de l’État. Cette vision, qui reflétait les idées de
la faction du Contrôle (voir Factions militaires, Nagata
Tetsuzan), était soutenue par une philosophie de la lutte
compétitive comme source de toute civilisation.
Diffusée à 600 000 exemplaires, elle provoqua un tollé à
la Chambre basse et dans la presse. Minobe Tatsukichi*,
notamment, en fit une critique très développée. Seul le
Parti social des masses* l’accueillit favorablement,
voyant dans le dirigisme annoncé le meilleur moyen de
mettre fin à l’exploitation capitaliste. Devant les
protestations, le général Hayashi*, ministre de l’Armée,
déclara que les militaires n’entendaient pas forcer la
mise en œuvre de ce programme.
Rescrit impérial sur l’éducation (Kyôiku chokugo) :
texte promulgué en octobre 1890, fondé sur les
principes moraux du confucianisme (piété filiale,
obéissance au souverain) et demandant une loyauté
absolue de la part des sujets envers la Maison impériale.
Traité comme un objet sacré, avec le portrait du couple
impérial, il était lu par les directeurs d’établissement
lors des cérémonies scolaires jusqu’en 1945 et eut un
grand rôle dans l’affirmation de l’autorité de l’État
moderne et du culte impérial.
Revues généralistes (sôgô zasshi) : revues apparues au
milieu de l’ère Meiji, contenant des articles de
commentaire ou d’analyse de haute tenue, relevant de
domaines variés (politique, société, culture, économie),
le plus souvent mensuelles ou bimensuelles, se
distinguant à la fois des revues spécialisées et des
magazines destinés au grand public. On peut les
comparer aux revues françaises dont La Revue des deux
mondes fut pendant longtemps le modèle. Dans les
années 1930, les plus importantes étaient Chûô kôron
(Le Débat central), Kaizô (La Réforme), Bungei shunjû
(Les Annales littéraires), Nihon hyôron (La Critique).
Leur tirage se montait à plusieurs dizaines de milliers
d’exemplaires, celui de Bungei shunjû dépassant même
100 000 exemplaires.
Rôninkai : société nationaliste fondée en 1908 autour
de figures de la Gen.yôsha* et de la Société du fleuve
Amour*, qui se fit connaître surtout par ses attaques
contre les mouvements démocratiques au lendemain de
la Première Guerre mondiale. Elle fut notamment à
l’origine de l’affaire dite de l’arc-en-ciel blanc, qui
entraîna la démission de plusieurs journalistes de
l’Ôsaka Asahi shinbun en 1918, dont Maruyama Kanji
(1880-1955), père de Maruyama Masao. Beaucoup de
ses membres participèrent à la création du Parti de la
production du Grand Japon* en 1931.
SAGÔYA Tomeo (1908-1972) : membre la Société
patriotique (Aikokusha), groupe nationaliste proche de
la Société du fleuve Amour*. Pour protester contre la
signature du traité naval de Londres*, il tira sur le
Premier ministre Hamaguchi Osachi* et le blessa
grièvement, le 14 novembre 1930, sur un quai de la gare
de Tokyo. Condamné à mort en 1933, il bénéficia d’une
grâce en 1934, sa peine étant commuée en peine
d’emprisonnement à vie, et il fut libéré en 1940. Il
poursuivit ses activités politiques après la guerre,
participant notamment à la fondation du Groupe de
protection nationale (Gokokudan) avec Inoue Nisshô*
en 1954.
SAKOMIZU Hisatsune (1902-1977) : haut fonctionnaire
du ministère des Finances, secrétaire du Premier
ministre Okada* de 1934 à 1936. Secrétaire général du
cabinet Suzuki* (avril-août 1945), il rédigea l’allocution
impériale du 15 août 1945 annonçant la capitulation.
Membre du Parti libéral-démocrate après la guerre, il fut
élu député en 1952, sénateur en 1956, et membre du
cabinet Ikeda au début des années 1960.
SASAI Itchô (1892-1973) : nationaliste ayant d’abord
appartenu à la Société de la pratique terrestre*,
secrétaire général de la Ligue nationale du nouveau
Japon* à sa fondation en 1932. Partisan du social-
nationalisme jusqu’au début des années 1930, il
abandonna la critique du capitalisme, mais ne se rallia
pas au nationalisme officiel. Ayant créé le Parti du
Grand Japon (Dai Nihon tô) en 1940, il fut élu député
en 1942 sans avoir l’investiture de l’Alliance pour le
soutien au Trône*.
SATÔ Naotake (1882-1971) : diplomate, ambassadeur
du Japon en Belgique puis en France au début des
années 1930, membre de la délégation japonaise à la
Société des Nations lors du retrait du Japon, ministre
des Affaires étrangères dans le cabinet Hayashi (1937).
Nommé ambassadeur extraordinaire en Italie en 1940, il
participa aux négociations du Pacte tripartite*, avant
d’être ambassadeur en Union soviétique (1942-1945).
Figure du courant conservateur après la guerre, il fut
sénateur de 1947 à 1963.
SATÔ Tsûji (1901-1990) : spécialiste de littérature
allemande, professeur à l’Université impériale de
Kyûshû, traducteur de Gœthe et de Nietzsche, auteur de
Philosophie de la voie impériale (Kôdô testugaku,
1941) et d’essais sur la pensée shintô. Entre 1942 et
1945, il fut membre du Centre de recherches sur la
culture spirituelle du Japon (Kokumin seishin bunka
kenkyûjo) du ministère de l’Éducation, ainsi que du
comité directeur de l’Association patriotique de la
presse du Grand Japon (Dai Nihon genron hôkoku kai).
Seiyûkai (Rikken seiyûkai) : « Association des amis du
gouvernement constitutionnel », parti politique de
tendance conservatrice fondé en 1900 par Itô
Hirobumi*. Initialement constitué par l’alliance d’une
fraction de l’oligarchie avec un parti dont les
propriétaires terriens représentaient la base sociale la
plus importante, il domina la vie politique jusqu’au
début des années 1920. Affaibli en 1924 par la scission
d’un courant réformateur, il dut laisser place au parti
qui devint peu après le Minseitô*, avec lequel il
gouverna en alternance jusqu’en 1932. Revenu au
pouvoir en décembre 1931 après la chute du cabinet
Wakatsuki*, il remporta une très large victoire aux
élections de février 1932 mais fut empêché de former le
cabinet après l’affaire du 15 mai*, les conseillers de
l’empereur préférant faire appel à l’amiral Saitô Makoto
pour former un cabinet d’union nationale. La direction
du parti refusa de soutenir ce cabinet et celui d’Okada*,
qui lui succéda (1934-1936), et chercha constamment à
les faire tomber. En recul aux élections de 1936 et 1937,
il éclata en deux courants qui se sabordèrent en juillet
1940 et dont les membres rejoignirent l’Association
pour le soutien au Trône*. Voir aussi Affaire de la
monarchie-organe, Association du Grand Japon pour la
quintessence nationale, Association pour les principes
de la voie impériale, Hashimoto Tetsuma, Ligue de la
sincérité de l’ère Taishô, Matsuoka Yôsuke, Mori Kaku,
Suzuki Kisaburô, Tanaka Giichi.
SHIGA Shigetaka (1863-1927) : géographe, membre
fondateur de la revue Nihonjin (Japonais, 1888) avec
Miyake Setsurei*, qui prônait une démocratisation
progressive du régime et une modernisation fondée sur
l’idée de génie national, procédant par une importation
sélective de la civilisation occidentale plutôt que par
une imitation aveugle.
SHIMONAKA Yasaburô (1878-1961) : éditeur et homme
politique. Instituteur puis professeur d’école normale, il
créa en 1920 le Syndicat des enseignants du Japon
(Nihon kyôin kumiai), parallèlement à quoi il fonda la
maison d’édition Heibonsha, spécialisée dans les
ouvrages de vulgarisation et la littérature populaire, qui
publia notamment la Grande Encyclopédie en 28
volumes (Dai hyakka jiten, 1931-1934). À partir du
milieu des années 1920, il s’impliqua également dans le
syndicalisme paysan, tout en devenant membre du Parti
social-démocrate*, mais s’orienta bientôt vers le social-
nationalisme, déçu par l’incapacité de la gauche à s’unir,
et créa en 1932 l’Alliance nationale du nouveau Japon*.
Il publia alors de nombreux ouvrages à caractère
nationaliste sur la culture japonaise et sur
l’enseignement. Membre de l’Association de soutien au
Trône*, du Centre de recherches sur la culture
spirituelle du Japon (Kokumin seishin bunka kenkyûjo)
du ministère de l’Éducation, et de l’Alliance du Grand
Japon pour l’essor de l’Asie*, il fut frappé par
l’interdiction d’exercer un emploi public en 1946 mais
put reprendre la direction de Heibonsha en 1951. Il se
consacra alors à l’édition de l’Encyclopédie mondiale
(Sekai hyakka jiten, 1955-1959) et à des mouvements
pacifistes. Voir aussi Association pour la Grand Asie,
Kanokogi Kozanobu, Ligue de l’autonomie rurale.
SHIRATORI Toshio (1887-1949) : diplomate, directeur du
Bureau de l’information au ministère des Affaires
étrangères de 1929 à 1933. Partisan de l’occupation de
la Mandchourie après l’incident de septembre 1931*, il
s’opposa aux offres de médiation américaines et critiqua
publiquement la Société des Nations. Ambassadeur en
Italie de 1938 à 1940, il fut un des plus ardents
partisans du Pacte tripartite*, dont il pressa la
conclusion. Ayant quitté les Affaires étrangères peu
après son rappel au Japon, il fut élu député en 1942
avec l’investiture de l’Association pour le soutien au
Trône*. Au cours des dernières années de la guerre, il se
fit remarquer surtout par des déclarations de plus en
plus étranges sur la signification religieuse de la défaite.
Jugé comme criminel de catégorie A par le Tribunal
militaire international, il fut condamné à
l’emprisonnement à perpétuité. Voir aussi Association
pour la Grande Asie.
Société de Jinmu (Jinmu kai) : organisation
nationaliste créée en février 1932 par Ôkawa Shûmei*,
dont le nom est celui du premier représentant de la
lignée impériale (voir Jinmu*). Ôkawa espérait profiter
de l’excitation produite par l’incident de Mandchourie*
pour créer un mouvement plus large, visant à
« dénoncer les partis en place, abattre les cartels
financiers, nationaliser les intérêts japonais de
Mandchourie ». Il reçut pour cela une aide financière de
l’homme d’affaires Ishihara Kôtarô (1890-1970), ainsi
que de l’armée. Recrutant dans son ancien groupe, dans
le Comité national des patriotes pour l’unité de lutte* et
dans le Parti de la production du grand Japon*, il put
mettre sur pied dix équipes de campagne, qui
organisèrent des meetings dans tout le pays. Elle fut
l’une des plus importantes organisations nationalistes,
comptant plusieurs milliers de membres (30 000 selon
ses déclarations), parmi lesquels des figures de la pairie
comme Konoe Fumimaro* et des militaires influents.
Ses activités déclinèrent assez rapidement après
l’arrestation et la condamnation d’Ôkawa pour son rôle
dans la tentative de coup d’État du 15 mai 1932*. Elle
fut dissoute en 1935, peu après la libération d’Ôkawa.
Voir aussi Comité d’union contre la crise nationale,
Société de la pratique terrestre, Société de l’éthique
éclairée.
Société de la fleur de cerisier (Sakura kai) : société
nationaliste créée en septembre 1930 par Hashimoto
Kingorô* et Sakata Yoshirô (1888-1933), composée
notamment d’officiers de rang moyen en poste à l’état-
major ou au ministère de l’Armée de terre, et se
donnant pour but de « réformer l’État, au besoin en
recourant à la force armée ». Elle comptait environ
150 membres en mai 1931 et plus de 1 000 à la fin de
l’année, parmi lesquels quelques jeunes officiers de
troupe. Sa tendance la plus radicale (Hashimoto, Chô
Isamu*) se rapprocha d’éléments civils, notamment des
groupes d’Ôkawa Shûmei* et de Nishida Zei*, en vue
d’organiser un coup d’État (Voir Affaire de mars* et
Affaire d’octobre*). Elle fut dissoute après l’arrestation
des officiers impliqués dans l’affaire d’octobre. Voir aussi
Factions militaires, Muranaka Kôji, Nemoto Hiroshi,
Tanaka Kiyoshi.
Société de la fondation nationale (Kenkoku kai) :
société nationaliste fondée le 11 février 1926 par Akao
Bin* avec Uesugi Shinkichi* comme président, dans
laquelle étaient représentés à la fois le nationalisme
conservateur (Hiranuma Kiichirô*, Araki Sadao*), le
social-nationalisme (Tsukui Tatsuo*) et divers courants
de l’extrême droite (Maeda Torao*, Suzuki Zen.ichi*,
Tôyama Mitsuru*), ce qui en fit un des groupes
d’extrême droite les plus importants jusque vers 1928.
Beaucoup de ses figures les plus connues s’en
éloignèrent assez vite, Akao utilisant la Société pour
mener des actions violentes contre la gauche et pour
appeler à la guerre contre l’Union soviétique. Son
idéologie tendant à se réduire à l’anti-communisme, elle
perdit l’aspect social-nationaliste qu’elle avait
initialement, ce qui, avec les violences qui firent sa
renommée, contribua probablement à son déclin. Elle
trouva cependant des soutiens financiers dans les
milieux d’affaires. À partir de la fin des années 1930,
elle se montra originale par sa critique des orientations
du gouvernement en politique extérieure (alliance avec
l’Allemagne, hostilité envers les Anglo-saxons, traité de
neutralité nippo-soviétique) ainsi que de l’Alliance pour
le soutien au Trône*, à laquelle elle ne participa pas.
Dissoute en 1945, elle se reforma en 1952 sous le nom
de Parti patriotique du Grand Japon (Dai Nihon
aikokutô).
Société de la Grande réforme (Taika kai) : société
nationaliste de moindre importance, dont le nom
évoque la réforme de l’État menée à l’ère Taika (VIIe
siècle), fondée en 1920 par Iwata Fumio (1891-1943),
qui avait passé quelques années en Chine, où il avait
travaillé pour les services de renseignement de l’armée
et connu Kita Ikki*. Se donnant pour but de faire
connaître la mission du Japon dans le monde, elle fut
fondée avec le soutien de la Société de la pérennité*,
dont elle devait être le groupe d’action. Elle s’efforça
notamment de recruter des membres parmi les clubs
sportifs des universités et eut son propre centre
d’entraînement aux arts martiaux. Parmi ses membres
conseillers figuraient notamment Araki Sadao* et
Takabatake Motoyuki*.
Société de la pérennité (Yûzonsha) : société
nationaliste fondée en 1919 par Kita Ikki*, Ôkawa
Shûmei* et Mitsukwa Kametarô*, visant à établir un
« Empire du Japon révolutionnaire » qui serait « le
grand apôtre de la libération de l’humanité », une fois
qu’elle aurait libéré le Japon lui-même. Contrairement à
la plupart des sociétés nationalistes apparues à la même
époque, elle ne prônait pas une réaffirmation de valeurs
traditionnelles mais une réforme de l’État (kokka
kaizô), inspirée par le Plan de rénovation du Japon* de
Kita, qu’elle s’efforça de faire connaître, notamment à
travers sa revue Otakebi (« Cri de guerre »). Parmi ses
membres fondateurs figuraient plusieurs disciples ou
proches de Kita, dont Nishida Zei*, Kanokogi
Kazunobu*, Yasuoka Masahiro*. La divergence qui
apparut bientôt entre Kita et Ôkawa sur la vision du
système impérial, auquel le programme initial ne faisait
pas allusion, entraîna la dispersion du groupe vers 1923,
Ôkawa s’en retirant avec Yasuoka et Mitsukawa (voir
Société de la pratique terrestre), les autres rejoignant ou
créant divers mouvements d’extrême droite dans
lesquels ils s’efforcèrent de diffuser les idées de Kita.
Société de la pratique terrestre (Kôchisha) : société
nationaliste fondée par Ôkawa Shûmei* en avril 1924,
après sa rupture avec Kita Ikki*. Visant à provoquer une
« Restauration de l’ère Shôwa » qui instaurerait « la
liberté dans la vie spirituelle, l’égalité dans la vie
politique, la fraternité dans la vie économique », elle
avait pour objectif ultime « la libération des peuples de
couleur » et « l’unité mondiale dans la vertu ». Elle
s’efforça de rapprocher les courants agrarien et social-
nationaliste, mais développa surtout les liens entre
nationalistes civils et militaires, à travers sa revue, ses
conférences et son Centre d’études socio-éducatives.
Elle s’implanta aussi dans les universités en y suscitant
des associations d’étudiants qui diffusaient ses idées.
Bien que beaucoup d’anciens membres de la Société de
la pérennité*, à l’exception de Kita, aient participé à sa
création, les divergences idéologiques, auxquelles vint
s’ajouter une affaire de malversation, entraînèrent le
départ de nombreux dirigeants (dont Nishida*,
Mistukawa* et Yasuoka*) et ternirent sa réputation. Elle
fut dissoute en 1932, lorsqu’Ôkawa créa la Société de
Jinmu*. Voir aussi Alliance nationale du nouveau Japon,
Comité national des patriotes pour l’unité de lutte, Sasai
Itchô.
Société de l’éthique éclairée (Meirinkai) : société
nationaliste créée en 1933 par Tanaka Kunishige*,
général retiré du service actif, et par l’homme d’affaires
Ishihara Kôtarô (1890-1970), qui avait soutenu un
temps la Société de Jinmu* mais s’en était détourné, la
jugeant extrémiste. Composée principalement d’anciens
militaires mais recrutant aussi dans la bureaucratie, et
proche de la faction du Contrôle (voir Factions
militaires), elle critiquait surtout la corruption des
« partis en place », mais refusa l’idée de parti unique
lancée par Konoe Fumimaro*, et la présence anglaise en
Asie. Elle connut des difficultés après l’arrestation
d’Ishihara, qui avait fourni de l’argent aux organisateurs
du 26 février*, et cessa ses activités peu après la
disparition de Tanaka.
Société des soldats impériaux (Ôshikai) : groupe
nationaliste créé par l’enseigne de vaisseau Fujii
Hitoshi* en mars 1928, dont le programme, inspiré par
certaines idées de Kita Ikki* et surtout par une
mystique de la Maison impériale, consistait à régénérer
l’armée afin de permettre au Japon d’accomplir son
destin de libérateur des peuples dominés. Composée
d’aspirants et de jeunes officiers de marine, il avait une
dizaine de membres à l’origine et plus d’une quarantaine
après la signature du traité naval de Londres* (avril
1930). Les plus proches de Fujii prirent part à la
tentative de coup d’État du 15 mars 1932*. Voir aussi
Koga Kiyoshi, Mikami Taku.
Société du fleuve Amour (Kokuryûkai) : société
nationaliste fondée en 1901 par Uchida Ryôhei (1874-
1936). Bien que dans la mouvance de la Gen.yôsha*,
son discours était plus franchement panasiatique et son
objectif initial plus spécifiquement anti-russe, comme
l’indique son nom (parfois traduit « Société du dragon
noir », d’après la signification littérale des
sinogrammes). Elle travailla notamment à rassembler
des informations en Sibérie pour le compte de l’état-
major. Elle soutint aussi divers mouvements
indépendantistes en Chine et aux Philippines, visant à
réduire l’influence occidentale en Asie, mission dans
laquelle le premier rôle devait revenir au Japon, en
vertu de la supériorité que lui donnait sa Maison
impériale.
Société nationale pour l’égalité (Zenkoku suiheisha) :
association fondée à Kyôto en 1922, visant à obtenir la
fin des discriminations frappant les burakumin,
descendants des hors-caste de l’époque d’Edo.
Rassemblant les différentes organisations locales qui
existaient déjà, elle comptait environ 300 sections en
1924. Malgré l’hostilité des autorités et de certains
groupes nationalistes, et malgré les dissensions qu’elle
connut avec l’apparition d’une mouvance proche du
Parti communiste*, qui prônait le ralliement intégral au
mouvement de lutte des classes, elle continua d’avoir
des activités jusqu’à la fin des années 1930.
Officiellement dissoute par le gouvernement en 1941,
elle ne se dispersa effectivement qu’en 1942 et fut
recréée au lendemain de la guerre avec la Ligue pour
l’émancipation des buraku (Buraku kaihô dômei).
SUETSUGU Nobumasa (1880-1944) : amiral, vice-chef
d’état-major de la Marine (1928-1930), opposé aux
traités navals de Washington et Londres*, commandant
en chef de la deuxième flotte lors du premier incident
de Shanghai (1932). Partisan de l’alliance militaire avec
l’Allemagne ainsi que d’une guerre avec les Anglo-
Saxons, il fut placé sur la liste de réserve par l’amiral
Yonai* en 1937. Ministre de l’Intérieur dans le premier
cabinet Konoe (1937-1939), il accentua la répression
idéologique (voir Affaires du front populaire*).
Conseiller du gouvernement dans les cabinets
Hiranuma* et Abe* (1939-1940), il quitta ce poste
lorsque Yonai fut nommé Premier ministre, et devint un
membre dirigeant de l’Association de soutien au Trône*.
Voir aussi Association pour la Grande Asie, Association
pour les principes nationaux.
SUGIYAMA Gen / Hajime (1880-1945) : général de
l’Armée de terre, proche d’Ugaki Kazushige*, chef du
Bureau des affaires militaires* (1928-1930) puis vice-
ministre de l’armée, il fit partie des généraux impliqués
dans l’affaire de mars*. Alors qu’il avait été écarté par
Araki Sadao* en février 1932, l’ascension de la Faction
du contrôle lui permit d’être nommé aux postes de vice-
chef de l’état-major et de directeur de l’École supérieure
de guerre en 1934 (voir Factions militaires). Après le
26 février 1936*, il participa à la purge contre la faction
de la Voie impériale et devint ministre de l’Armée de
terre (1937-1938). Partisan de la guerre après l’incident
du pont Marco Polo* et brièvement affecté au
commandement de l’armée de Chine du Nord, il fut
aussi favorable à l’ouverture de la guerre avec les États-
Unis. Chef de l’état-major d’octobre 1940 à février 1944,
il fut de nouveau ministre de l’Armée après la chute du
cabinet Tôjô (1944-1945). Il se suicida en septembre
1945.
SUZUKI Kantarô (1867-1948) : amiral, chef de l’état-
major de la marine (1925-1929), grand chambellan
(1929-1936) et membre du Conseil privé de l’empereur
(1929-1945). Peu après la signature du Traité naval de
Londres*, il empêcha l’état-major de la marine de
présenter ses objections à l’empereur. Inclus dans la
liste des hommes à abattre par les officiers du 26
février*, il fut grièvement blessé mais survécut. Chargé
en avril 1945 de former un cabinet pour mettre fin à la
guerre, il démissionna le 15 août, après que l’empereur
eut annoncé la capitulation.
SUZUKI Kisaburô (1867-1940) : magistrat et homme
politique, vice-ministre (1914-1921) puis ministre de la
Justice (1924, 1931) et ministre de l’Intérieur (1927-
1928, 1932). Conservateur, très hostile aux partis de
gauche, proche de Hiranuma Kiichirô* et membre de-
l’Association pour les principes nationaux*, il devint
également membre du Seiyûkai*, en 1926, et succéda à
Inukai Tsuyoshi comme président de ce parti après
l’affaire du 15 mai* 1932. Alors que le Seiyûkai était
largement majoritaire à la Chambre basse, il ne fut pas
appelé à former le cabinet, entre autres parce que ses
positions très nationalistes suscitaient la méfiance des
conseillers de l’empereur. Opposant acharné aux
cabinets Saitô et Okada* (1932-1936), il exclut du
Seiyûkai les membres qui avaient accepté d’y participer.
Ayant perdu son siège de député aux élections de 1936,
il quitta la direction du parti peu après. Voir aussi
Association du Grand Japon pour la quintessence
nationale.
SUZUKI Teiichi (1888-1989) : officier de l’Armée de
terre, spécialiste des affaires chinoises, affecté à l’état-
major à partir de 1918. Partisan de l’annexion de la
Mandchourie dès le milieu des années 1920, il était lié
aux officiers qui organisèrent l’incident de
Mandchourie*, qu’il soutint activement depuis Tokyo, et
appela au retrait du Japon de la Société des Nations. Lié
à la faction de la Voie impériale au début des années
1930, il se rallia ensuite à la faction du Contrôle et
devint un proche conseiller du général Tôjô*. Promu
général en 1937, placé sur la liste de réserve en 1940, il
fut nommé directeur de l’Agence de planification*
(1941-1943), puis conseiller du gouvernement,
notamment dans les derniers mois du cabinet Tôjô. Il fut
également président de l’Association patriotique de
l’industrie* à partir de septembre 1944. Jugé comme
criminel de guerre de catégorie A par le Tribunal
militaire international, il fut condamné à
l’emprisonnement à perpétuité mais libéré en 1955.
SUZUKI Zen.ichi (1903- ?) : militant d’extrême droite,
membre de la Société de la fondation nationale* (1926)
puis du Parti de la production du Grand Japon* (1931)
et chef de la section jeunesse de ce parti au moment de
l’affaire de la Shinpeitai*, dont il fut un des principaux
organisateurs. Frappé par l’interdiction d’exercer un
emploi public pendant quelques années après la guerre,
il fut de nouveau membre de groupes nationalistes à
partir des années 1950, et président de l’Université
Aichi shukutoku (Nagoya).
Syndicat des paysans du Japon (Nihon nômin
kumiai) : syndicat paysan formé en 1931 par la fusion
de l’aile droite du syndicalisme paysan (courant mené
par Hirano Rikizô*) et de la fraction des centristes qui
avait refusé la réunification avec l’aile gauche en 1928.
Il soutint la politique extérieure du gouvernement et fut
proche du Parti social-nationaliste* d’Akamatsu
Katsumaro*. La répression qui s’exerçait sur les
mouvements de gauche eut pour effet qu’il fut bientôt
rejoint par une autre fraction des centristes. En 1938, il
constitua avec l’aile gauche le Syndicat des paysans du
Grand Japon (Dai Nihon nômin kumiai).
TACHIBANA Kôzaburô (1893-1974) : idéologue de
l’agrarisme, qui se fit connaître à la fin des années 1920
par sa critique de la civilisation urbaine. Il créa dans le
nord du Kantô une école destinée à enseigner les valeurs
perdues du monde rural, qui constituaient selon lui le
véritable esprit japonais, menacé par le matérialisme
occidental. Il pensait qu’un groupe d’activistes issu des
deux catégories saines de la population, les paysans et
les soldats, établirait un gouvernement d’exception qui
instaurerait l’autonomie locale et une économie
anticapitaliste. Impliqué avec plusieurs de ses élèves
dans l’affaire du 15 mai 1932*, il fut condamné à
l’emprisonnement à vie mais fut libéré en 1940. Voir
aussi Ligue de l’autonomie rurale.
TAKABATAKE Motoyuki (1886-1928) : penseur socialiste,
lié au groupe de Sakai Toshihiko et Ôsugi Sakae dans les
années 1910. Il commença alors une traduction
japonaise du Capital, qui parut entre 1921 et 1924,
mais se sépara peu à peu des anarcho-socialistes,
considérant que le socialisme avait besoin d’un État fort
et centralisé. Sa réflexion s’orienta vers un social-
nationalisme (kokka shakai shugi), ce qui l’amena à se
rapprocher de conservateurs comme Uesugi Shinkichi*,
avec qui il fonda en 1923 le Cercle d’études sur la
conduite du gouvernement*, et de la Société de la
Grande réforme*. Tout en continuant à publier de
nombreuses études sur le socialisme, il prêcha pour un
« patriotisme radical ». À ses funérailles étaient
représentées à la fois l’extrême gauche et l’extrême
droite. Voir aussi Parti patriotique du travail, Tsukui
Tatsuo.
TANAKA Giichi (1863-1929) : général, ministre de
l’Armée de terre (1918-1921, 1923-1924), successeur de
Yamagata Aritomo à la tête de la faction de Chôshû. Il
créa en 1910 l’Association des réservistes*, qui devint
un groupe de pression très important, et en 1925 la
Fédération des groupes de jeunesse du Grand Japon
(Dai Nihon rengô seinendan). Président du Seiyûkai*
de 1925 à 1929, Premier ministre et ministre des
Affaires étrangères de 1927 à 1929, il aggrava la Loi sur
le maintien de l’ordre public de 1925 (Chian iji hô) et
réprima les communistes. Avec Mori Kaku*, il voulut
mener vis-à-vis de la Chine une « diplomatie active »
(sekkyoku gaikô), qui annonçait l’expansion
continentale. Trois expéditions militaires furent lancées
au Shandong en 1927 et 1928, destinées à renforcer la
position de Zhang Zuolin et assurer l’hégémonie
japonaise sur la Mandchourie et la Mongolie.
L’assassinat de Zhang (voir Assassinat de Zhang Zuolin)
déjoua ses plans et l’obligea à démissionner. Voir aussi
Incident de Jinan.
TANAKA Kiyoshi (? - ?) : officier de l’Armée de terre,
membre d’une tendance modérée de la Société de la
fleur de cerisier*. En poste à l’état-major au début des
années 1930, il est l’auteur d’une note secrète qui reste
une des principales sources sur les affaires de mars* et
d’octobre* 1931, auxquelles il avait lui-même été mêlé
bien que ne faisant pas partie des comploteurs. Rédigée
en 1932, cette note tomba entre les mains d’un membre
de la faction de la Voie impériale (voir Factions
militaires) et fut divulguée en juillet 1935, annexée à un
mémoire dans lequel Muranaka Kôji* et Isobe Asaichi
(1905-1937), deux des officiers qui organisèrent peu
après le soulèvement du 26 février*, dénonçaient les
agissements de la faction du Contrôle, du côté de
laquelle Tanaka s’était rangé lui-même. Voir aussi Affaire
de l’École des officiers.
TANAKA Kunishige (1869-1941) : général de l’Armée de
terre, membre de l’état-major général dans les années
1900, aide de camp de l’empereur de 1914 à 1917.
Attaché militaire dans les ambassades du Japon en
Angleterre et aux États-Unis, il participa aux
conférences de Paris (1919) et de Washington (1922). Il
fut commandant en chef de la Garde impériale (1925-
1926) puis de l’Armée de Taïwan (1926-1928). Affecté
au cadre de réserve en 1933, il créa la Société de
l’éthique éclairée*, qu’il présida jusqu’à sa mort.
TATEKAWA Yoshitsugu (1880-1945) : général de l’Armée
de terre, affecté à l’état-major en 1909, attaché militaire
en Grande-Bretagne puis en Inde, membre de la
délégation japonaise à la Société des Nations (1920-
1922). Proche d’Ugaki Kazushige*, il fut de nouveau
affecté à l’état-major en 1928, où il devint chef du
bureau du renseignement puis de celui des opérations.
Impliqué dans les affaires de mars* et d’octobre* 1931,
il aida également l’armée du Kwantung* à réaliser son
plan d’invasion de la Mandchourie, en retardant la
transmission des ordres de l’état-major dont il était
porteur auprès d’elle (voir Incident de Mandchourie).
Placé sur la liste de réserve après le 26 février 1936*, il
fut ambassadeur en Union soviétique (1940-1942) et
participa à la direction de l’Association de soutien au
Trône*. Voir aussi Association pour la Grande Asie.
TERAUCHI Hisaichi (1879-1946) : général, fils du général
et homme politique Terauchi Masatake (1852-1919),
nommé ministre de l’Armée de terre (mars 1936-février
1937) après le soulèvement du 26 février*. Très
antilibéral et hostile aux partis mais peu intéressé par la
politique, il fut le porte-parole fidèle et rigide de l’état-
major. Après une altercation avec un député qui
dénonçait l’influence croissante de l’armée dans le
gouvernement et la mise à l’écart de la Diète (voir
Échange du hara-kiri), il démissionna, causant la chute
du cabinet Hirota*. Commandant en chef de l’armée de
Chine du Nord (août 1937-décembre 1938) et de
l’armée de Chine du Sud de novembre 1941 à la fin de la
guerre, il mourut alors qu’il était prisonnier en Malaisie.
TÔGÔ Shigenori (1882-1950) : diplomate, ambassadeur
du Japon en Allemagne (1937-1938) puis en Union
soviétique (1938-1940), ministre des Affaires étrangères
(octobre 1941-septembre 1942) dans le cabinet Tôjô,
puis de nouveau dans le cabinet Suzuki (avril-août
1945), qu’il s’efforça de convaincre d’accepter la
reddition demandée par les Alliés. Il fut également
membre de la Chambre des pairs à partir de 1942.
Condamné à 20 ans d’emprisonnement par le Tribunal
militaire international, il mourut en détention.
TÔJÔ Hideki (1884-1948) : général de l’Armée de terre
et Premier ministre (décembre 1941-juillet 1944). Après
avoir été attaché militaire en Suisse et en Allemagne
(1918-1922), puis instructeur, il travailla à la section de
la mobilisation du ministère de l’Armée de terre (1928-
1929), commanda le premier régiment d’infanterie, basé
à Tokyo (1929-1931), et devint chef de la section de
l’organisation des troupes à l’état-major en août 1931.
Bien que lié aux officiers qui fomentèrent l’incident de
Mandchourie*, il ne semble pas y avoir été directement
impliqué. Très proche de Nagata Tetsuzan*, il fut
nommé général en 1933 et occupa différents postes au
ministère avant d’être affecté à l’armée du Kwantung*,
comme chef de la police militaire puis chef de l’état-
major. Partisan d’exploiter l’incident du pont Marco
Polo*, il fut rappelé à Tokyo par Itagaki Seishirô* pour
devenir vice-ministre dans le premier cabinet Konoe en
mai 1938, puis inspecteur général de l’aviation (1938-
1940). Ministre de l’Armée dans les deuxième et
troisième cabinets Konoe (juillet 1940-octobre 1941), il
fut partisan d’occuper l’Indochine et s’opposa au retrait
des troupes de Chine, ce qui fit échouer les négociations
avec les États-Unis et l’amena à prendre la suite de
Konoe. Il cumula alors les fonctions de Premier ministre
et de ministre de l’Armée de terre, mais aussi de
ministre de l’Intérieur, pendant quelques semaines, de
ministre de l’Approvisionnement militaire, à partir de
novembre 1943, et de chef de l’état-major général à
partir de février 1944. Son cabinet, qui déclencha la
guerre du Pacifique, était composé pour l’essentiel de
militaires et de bureaucrates. Malgré les défaites
continues face aux Alliés, il ne démissionna qu’en juillet
1944, après la chute de Saipan. Arrêté en septembre
1945, il fut condamné à mort comme criminel de guerre
de catégorie A par le Tribunal militaire international.
Voir aussi Factions militaires.
TOKUTOMI Sohô (1863-1957) : journaliste, fondateur de
la revue Kokumin no tomo (L’Ami de la nation, 1887-
1898) et du quotidien Kokumin shinbun (Le Journal de
la nation, 1890-1942), également auteur de livres sur
l’histoire du Japon. Après avoir prôné la
démocratisation de la société et annoncé le progrès
irrésistible du pacifisme, il réorienta son discours dans
un sens nationaliste à l’époque de la guerre sino-
japonaise (1894-1895) et soutint désormais activement
le militarisme et l’expansionnisme. Président de
l’Association patriotique de la presse du Grand Japon
(Dai Nihon genron hôkoku kai) ainsi que de
l’Association patriotique des lettres du Grand Japon
(Dai Nihon bungaku hôkoku kai) depuis leur création,
en 1942, jusqu’à la fin de la guerre, il fut inscrit sur la
liste des suspects de crimes de guerre de catégorie A
mais ne fut pas arrêté, en raison de son âge et de
problèmes de santé. Il fut cependant frappé par
l’interdiction d’exercer un emploi public. Voir aussi
Association pour la Grande Asie, Fukai Eigo.
TÔYAMA Mitsuru (1855-1944) : membre fondateur de la
Gen.yôsha*, dont il fut le dirigeant le plus connu, et
parrain de plusieurs autres groupes nationalistes,
comme la Société du fleuve Amour*. Il contribua
fortement à faire de la Gen.yôsha une organisation
structurée par des liens de fidélité personnelle, dont
l’expansion du Japon fut l’objectif exclusif et dont
l’action fut essentiellement clandestine ou s’exerça en
marge de l’espace politique public. Par anti-
occidentalisme et par calcul, il soutint le nationalisme
coréen dès le milieu des années 1880, puis le
nationalisme chinois, aidant en particulier Sun Yat-sen.
Dans les années 1920 et 1930, Tôyama faisait figure de
doyen de l’extrême droite, respecté et parfois sollicité
mais dont l’influence restait marginale sur les nombreux
mouvements qui apparurent alors.
TOYODA Teijirô (1885-1961) : amiral, affecté au Bureau
des affaires navales du ministère de la Marine de 1920 à
1923, attaché naval à Londres de 1923 à 1927, membre
de la délégation japonaise lors des négociations du
Traité naval de Londres* en 1930. Nommé à la tête du
Bureau des affaires navales en 1931, il en fut
rapidement écarté pour être affecté aux usines
d’aviation pendant plusieurs années. Il revint au
ministère comme chef du Bureau de l’aéronavale (1938-
1940). Vice-ministre de la Marine (septembre 1940-avril
1941) dans le deuxième cabinet Konoe*, il devint
ministre du Commerce et de l’Industrie (avril-juillet
1941) puis ministre des Affaires étrangères dans le
troisième (juillet-octobre 1941). Arrêté comme criminel
de guerre de catégorie A en raison de sa participation
aux cabinets Konoe, il fut libéré sans être jugé mais fut
frappé par l’interdiction d’exercer un emploi public de
1946 à 1958. Voir aussi Bureau des affaires militaires.
Traité des 9 puissances (Kyû ka koku jôyaku) : un des
traités conclus lors de la conférence de Washington en
1922, destiné à faire respecter la souveraineté et
l’intégrité territoriale de la Chine, et à y maintenir le
principe de la « porte ouverte », c’est-à-dire d’égalité des
chances économiques entre les nations. Bien que signé
par le Japon, dont les États-Unis cherchaient à freiner
les ambitions continentales, il contredisait la décision
prise en 1921 par le gouvernement japonais de
considérer la Mandchourie comme une zone d’intérêts
vitaux, à protéger en soutenant le seigneur de la guerre
Zhang Zuolin contre Tchang Kai-chek, dans le nord de la
Chine. De moins en moins respecté en pratique, surtout
à partir de 1927, lorsque le gouvernement nationaliste
entreprit de reconquérir cette région, le traité perdit
toute valeur avec l’invasion de la Mandchourie et la
création du Mandchoukouo. La tentative de le remettre
en vigueur lors de la conférence de Bruxelles (1937)
échoua du fait de l’absence du Japon. Voir aussi
Assassinat de Zhang Zuolin, Expédition de Sibérie,
Incident de Jinan, Incident de Mandchourie, Tanaka
Giichi.
Traité naval de Londres (Rondon kaigun gunshuku
jôyaku) : traité « pour la restriction et la réduction de
l’armement naval » signé en avril 1930, destiné à
étendre les dispositions du traité de Washington (1922),
qui portaient sur les cuirassés et les croiseurs lourds,
aux autres types de bâtiments (croiseurs moyens,
navires auxiliaires, sous-marins). Il prévoyait en outre
que les pays signataires ne construiraient pas de
nouveaux cuirassés ou croiseurs lourds jusqu’en 1937.
Les États-Unis et le Royaume-Uni s’opposant au Japon,
qui demandait à pouvoir posséder un tonnage
équivalant non plus à 6 mais à 7 dixièmes de celui des
flottes américaine et britannique, un compromis spécial
fut trouvé entre les trois pays. Cependant, le traité fut
aussitôt attaqué au Japon, à la fois dans l’état-major de
la marine et par la droite, qui dénoncèrent une violation
de la prérogative impériale de commandement
suprême*. La campagne de protestation redoubla de
violence après la ratification du traité, en octobre, et
culmina avec l’attentat contre le Premier ministre
Hamaguchi* commis par un jeune militant nationaliste
(voir Sagôya Tomeo*). Le gouvernement japonais
annonça en décembre 1934 qu’il quittait le traité et se
retira en janvier 1936 des négociations préparant son
renouvellement. Voir aussi Affaire du 15 mai, Oikawa
Koshirô, Ôsumi Mineo, Société des soldats impériaux,
Suzuki Kantarô, Toyoda Teijirô, Yamanashi
Katsunoshin.
TSUDA Sôkichi (1873-1961) : spécialiste de l’histoire de
l’Asie orientale et pionnier dans l’histoire de la pensée
au Japon, il enseigna à l’Université Waseda à partir de
1918. En 1939, alors que l’Université impériale de
Tokyo venait de lui confier un cours d’histoire de la
pensée politique orientale, il fut visé par une campagne
de l’extrême droite, notamment par la revue de Minoda
Muneki*, pour avoir mis en question l’historicité de
certains empereurs mentionnés dans les anciennes
chroniques japonaises, auxquelles il avait consacré
plusieurs ouvrages. Il dut abandonner le cours dont il
était chargé à l’Université impériale, puis son poste à
l’Université Waseda (janvier 1940), sur la demande du
ministère de l’Éducation, qui fit par ailleurs interdire
quatre de ses livres. Poursuivi en justice pour insulte à
la Maison impériale, il s’efforça de défendre la liberté
intellectuelle lors du procès mais fut condamné en 1942
à trois mois d’emprisonnement ferme et deux ans avec
sursis. En 1946, il publia un article dans lequel il
affirmait la compatibilité du système impérial, auquel il
était attaché, avec la démocratie.
TSUKUI Tatsuo (1901-1989) : auteur, journaliste et
homme politique social-nationaliste. Élève de
Takabatake Motoyuki*, il participa en 1926 à la création
de la Société de la fondation nationale*, dont il fut
secrétaire général mais qu’il quitta au début de 1929. Il
fonda alors le Parti patriotique radical (Aikoku
kyûshintô), qui voulait « représenter fidèlement
l’ensemble des masses japonaises, suivant le principe
d’un gouvernement centré sur l’empereur », et appelait
les Japonais à « prendre conscience de leur état de
nation prolétaire » et « mettre fin à la lutte des classes
en accomplissant une grande expansion
internationale ». Sa création fut complétée par celle
d’un syndicat, dont le programme demandait la
reconnaissance des droits syndicaux, la journée de 8
heures, la création d’assurances sociales (chômage,
accidents du travail, retraite), le salaire minimum et un
système complet de législation sur le travail. Mais il
s’impliqua surtout dans les différentes tentatives
d’unification de l’extrême droite, notamment dans le
Comité national des patriotes pour l’unité de lutte* et le
Parti de la production du Grand Japon*, puis se
rapprocha d’Akamatsu Katsumaro* (voir Comité d’union
contre la crise nationale). À partir du milieu des années
1930, son activité se concentra progressivement sur le
journalisme et la publication de livres. Il fut membre du
comité directeur de l’Association patriotique de la
presse du Grand Japon de 1943 à 1945. Frappé par
l’interdiction d’exercer un emploi public au lendemain
de la guerre, il resta un animateur très actif de l’extrême
droite jusqu’aux années 1960.
UESUGI Shinkichi (1878-1929) : juriste, spécialiste de
droit constitutionnel, élève de Hozumi Yatsuka (1868-
1912), professeur à la faculté de droit de l’Université de
Tokyo à partir de 1903, il combattit la thèse de la
monarchie-organe de Minobe Tatsukichi* au début des
années 1910, et développa la thèse opposée
(transcendance de l’empereur, unité naturelle du corps
national) en lui donnant des implications de plus en
plus larges, critiquant la démocratie parlementaire et
justifiant l’expansionnisme. Il exerça une influence
croissante à travers les groupes d’études qu’il créa ou les
sociétés nationalistes auxquelles il participa (voir
Société de la fondation nationale), et surtout à travers
ses élèves, dont le plus connu est Minoda Muneki*, qui
mena la campagne contre Minobe en 1935. Voir Affaire
de la monarchie-organe, Cercle d’études sur la conduite
du gouvernement.
UGAKI Kazushige / Issei (1868-1956) : général, proche
de Tanaka Giichi*, directeur du Bureau des affaires
militaires* (1911-1913), du Premier bureau de l’état-
major (1916-1919), vice-ministre de l’Armée de terre
(1923-1924). Ministre une première fois de 1924 à
1927, il réduisit les effectifs tout en modernisant les
équipements. De nouveau ministre de l’Armée dans les
cabinets Hamaguchi* puis Wakatsuki* de 1929 à 1931, il
aurait laissé s’organiser un projet de coup de force qui
lui aurait permis de prendre la direction du
gouvernement, avant de se raviser (Affaire de mars*). Il
démissionna peu après et fut nommé résident général en
Corée. Les officiers proches de lui à l’état-major et au
ministère furent bientôt écartés par Araki Sadao*. En
janvier 1937 et en janvier 1940, l’opposition de l’armée
l’empêcha de devenir Premier ministre. Il fut ministre
des Affaires étrangères durant quelques mois dans le
premier cabinet Konoe*, sans parvenir à empêcher la
poursuite de la guerre ni le contrôle accru du
gouvernement par l’armée. Voir aussi Factions
militaires.
UMEZU Yoshijirô (1882-1949) : général de l’Armée de
terre, chef du Bureau des affaires militaires* (1928-
1930), puis de la section des affaires générales de l’état-
major (1931-1933). Commandant en chef de la garnison
de Chine en 1934-1935, il négocia l’accord qui imposa
au Kuomintang le retrait de ses troupes des régions de
Pékin et Tientsin (juin 1935). Vice-ministre de l’Armée
de terre dans le cabinet Hirota (1936-1937), il participa
à la purge qui eut lieu après le soulèvement du
26 février 1936*. Commandant en chef de l’armée du
Kwantung* et ambassadeur auprès du Mandchoukouo à
partir de septembre 1939, il fut chargé de mettre fin au
conflit avec l’Union soviétique. Nommé chef de l’état-
major après la chute du cabinet Tôjô, il était encore
partisan, en août 1945, de poursuivre la guerre jusque
sur le territoire national. Inclus tardivement, à la
demande de l’Union soviétique, parmi les 28 accusés du
procès de Tokyo, il fut condamné à l’emprisonnement à
vie. Voir aussi Factions militaires.
26 février 1936 : voir Affaire du 26 février.
WAKAMATSU Tadakazu (1893-1959) : officier de l’Armée
de terre, diplômé de l’École supérieure de guerre en
1926 et bientôt affecté l’état-major, il effectua un séjour
d’études de deux ans en Allemagne (1930-1932), après
lequel sa carrière se poursuivit entre l’état-major et le
ministère. En 1935, alors qu’il était lieutenant-colonel, il
fut envoyé en Allemagne par l’état-major pour assister le
général Ôshima* dans les premières discussions qui
eurent lieu en vue de la conclusion du Pacte anti-
Komintern. Attaché militaire en Autriche et en Hongrie
(1937-1939), promu général en 1939, il combattit en
Chine du Sud (1939-1940) et dans le Pacifique (1943-
1945), notamment comme chef d’état-major adjoint du
général Terauchi* lors de la bataille des Philippines,
avant d’être affecté à l’armée de défense de la métropole
au cours des derniers mois de la guerre.
WAKATSUKI Reijirô (1866-1949) : haut fonctionnaire,
membre de la Chambre des pairs (1911-1947), ministre
des Finances dans les cabinets Katsura (1912-1913) puis
Ôkuma (1914-1916), il devint à la même époque
membre et bientôt vice-président du parti de centre
gauche Kenseikai (voir Minseitô*). Ministre de
l’Intérieur dans les cabinets Katô (1924-1926), Premier
ministre (1926-1927) après la mort de Katô, il
démissionna en raison d’un désaccord avec le Conseil
privé de l’empereur sur les mesures à prendre face à la
crise financière. La même année, il refusa de prendre la
tête du Minseitô et recommanda Hamaguchi Osachi*.
Représentant du Japon à la conférence sur la réduction
des armements de 1929-1930, il signa le Traité naval de
Londres*. Peu après l’attentat contre Hamaguchi, il
remplaça celui-ci à la tête du Minseitô et comme
Premier ministre. Incapable d’empêcher l’extension de
l’incident de Mandchourie*, il préféra démissionner
plutôt que chercher à former un cabinet de coalition
avec le Seiyûkai*, comme le proposait son ministre de
l’Intérieur Adachi Kenzô*. Pendant la guerre, il fit partie
du groupe d’anciens Premiers ministres qui s’efforça
d’obtenir la démission du cabinet Tôjô* et la fin des
hostilités. Voir aussi Jûshin.
YAMADA Yoshio (1873-1958) : historien et linguiste,
spécialiste de la langue, de la littérature et de l’histoire
japonaises anciennes, auteur de très nombreux ouvrages
dans ce domaine, dont certains, publiés notamment
dans les années 1930 et 1940, à caractère fortement
nationaliste. Professeur à l’Université Nihon (1920), puis
à l’Université impériale du Tôhoku (1925), recteur de
l’Université Jingû kôkagkukan (1940), liée au sanctuaire
d’Ise, il fut également conseiller du Département des
affaires shintô (Jingi in), rattaché au ministère de
l’Intérieur, et membre de la Chambre des pairs (1944-
46). Frappé par l’interdiction d’exercer un emploi public
de 1946 à 1951, il se consacra à l’édition de
dictionnaires et fut décoré de l’ordre du mérite culturel
en 1957.
YAMAGUCHI Saburô (1889-1934) : officier de marine,
qui avait étudié le pilotage aérien sous la direction du
frère d’Inoue Nisshô* et fut impliqué dans le projet de
coup d’État de la Shinpeitai (voir Affaire de la
Shinpeitai), où son rôle consistait à bombarder la
résidence du Premier ministre. Arrêté, il mourut en
prison avant le début du procès.
YAMANASHI Katsunoshin (1877-1967) : amiral, vice-
ministre de la Marine à partir de décembre 1928,
critiqué pour sa position conciliante lors de la
conférence navale internationale de 1930. Il fut écarté
aussitôt après la ratification du Traité naval de Londres*
et retiré du service actif en 1933.
YANAGAWA Heisuke (1879-1945) : général de la faction
de la Voie impériale, proche d’Araki et, pour cette
raison, limogé en 1935 puis placé sur la liste de réserve
après le 26 février 1936*. Remobilisé et affecté en Chine
à partir de 1937, il devient ministre de la Justice dans le
deuxième cabinet Konoe (décembre 1940-juillet 1941)
et ministre d’État dans le troisième (juillet-octobre
1941). Voir aussi Factions militaires.
YASUDA Masaru (1912-1936) : sous-lieutenant
d’artillerie, diplômé de l’École des officiers en 1934,
impliqué dans le soulèvement du 26 février 1936*,
membre du groupe qui assassina le gardien du Sceau
privé, Saitô Makoto (1858-1936), puis le général
Watanabe Jôtarô (1874-1936), inspecteur général de
l’enseignement militaire. Il fut jugé avec les autres
officiers organisateurs de la tentative de coup d’État,
condamné à mort et exécuté en juillet 1936.
YASUOKA Masahiro / Masaatsu (1898-1983) : idéologue
du nationalisme conservateur, qui développa une
doctrine inspirée par le confucianisme et un
enseignement moral visant à former une élite politique
« au désintéressement supérieur ». Après avoir été
membre de la Société de la pérennité* puis de la Société
de la pratique terrestre*, il s’éloigna progressivement du
nationalisme radical, asiatiste et activiste d’Ôkawa
Shûmei*, et trouva des soutiens dans la pairie pour
fonder son école, l’Académie du faisan d’or* (1927), à
travers laquelle se rapprochèrent certaines fractions de
la bureaucratie et des militaires. Exprimée notamment
É
dans les Études sur l’esprit japonais (Nihon seishin
kenkyû, 1924 et 1937), sa pensée faisait converger
l’action politico-administrative avec la quête
individuelle de la personnalité. Bien qu’ayant lui-même
encouragé au renforcement du centralisme en
s’attachant à former une élite de hauts fonctionnaires, il
se montra critique vis-à-vis de l’évolution du régime
dans le sens d’un totalitarisme à partir de la fin des
années 1930. Après la guerre, il fut le mentor spirituel
de nombreux membres du Parti libéral-démocrate. Voir
aussi Association pour la restauration nationale, Gotô
Fumio, Yûki Toyotarô.
YONAI Mitsumasa (1880-1948) : officier de marine,
spécialistes des affaires russes, capitaine de vaisseau au
début des années 1920, nommé contre-amiral et chef
d’état-major de la Deuxième flotte en 1925, vice-amiral
et commandant en chef de celle-ci en 1930,
commandant des bases de Sasebo (1933) puis de
Yokosuka (1935). Devenu ministre de la Marine en
février 1937, alors qu’il venait d’être nommé
commandant en chef de la Flotte combinée, il resta au
gouvernement jusqu’en août 1939, dans les trois
cabinets successifs de Hayashi*, Konoe* et Hiranuma*,
où il s’opposa à la conclusion d’une alliance militaire
avec l’Allemagne et l’Italie (voir Pacte tripartite).
Nommé Premier ministre en janvier 1940, il résista aux
pressions de l’armée, qui souhaitait que le Japon
s’engage dans la guerre aux côtés de l’Allemagne et le
força à la démission en juillet 1940, après la défaite de la
France. De nouveau ministre de la Marine après la chute
du général Tôjô, il le resta dans les cabinets Koiso, *
Suzuki*, Higashikuni et Wakatsuki* (juillet 1944-
décembre 1945). Cité comme témoin par le Tribunal
militaire international, il fit de son mieux pour disculper
le général Hata* mais mit clairement en cause la
responsabilité d’autres accusés dans le déclenchement
de la guerre du Pacifique.
YÛKI Toyotarô (1877-1951) : ministre des Finances du
cabinet Hayashi* (février-juin 1937). Gouverneur de la
Banque du Japon. Dans les années 1920, il suivit les
conférences de Yasuoka Masahiro* à l’Académie du
faisan d’or*. Il fut également membre de la Société des
principes nationaux*.
● BIBLIOGRAPHIE DU GLOSSAIRE

Sauf mention contraire, les ouvrages en français sont


publiés à Paris, les ouvrages en japonais à Tokyo.
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● MARUYAMA MASAO ET
L’ULTRANATIONALISME JAPONAIS
PAR MORVAN PERRONCEL

Depuis leur première publication, au lendemain de la


guerre, les textes de Maruyama sur le fascisme japonais
ont fait l’objet de commentaires innombrables.
Aujourd’hui encore, malgré toutes les critiques et
malgré les apports des recherches historiques
ultérieures, ils sont fréquemment cités, par des
historiens, des philosophes ou des sociologues. On s’y
réfère aussi plus largement comme à un élément
fondateur de la démocratie de l’après-guerre. Cette
longévité s’explique sans doute par la richesse des
analyses que proposait Maruyama, mais également par
la manière dont il a su profiter de la situation que créait
la défaite pour imposer un questionnement sur la
modernité du Japon qui allait au-delà d’une enquête sur
le passé immédiat. En effet, si un tel questionnement est
légitime à propos de n’importe quel pays et même
lorsque la démocratie ne paraît pas menacée, la
situation du Japon lui donnait alors une acuité très
singulière.
Le désastre incontestable par lequel s’était terminée la
« guerre de la grande Asie orientale » pouvait être
interprété de diverses façons. On pouvait le réduire à
une défaite militaire, sans remettre en cause l’idéologie
qui avait soutenu l’expansion territoriale. On pouvait y
voir un défaut des institutions, qui avait permis à
l’armée d’étendre son pouvoir dans l’État, et considérer
qu’une réforme de la Constitution de 1889 y
remédierait. On pouvait également ramener le problème
de l’expansionnisme à ses causes socio-économiques.
L’approche de Maruyama visait plus profondément. Elle
jetait le doute sur l’ensemble du processus de
modernisation suivi par le Japon depuis 1868. Le
désastre devenait le signe d’une insuffisance que les
progrès techniques et économiques avaient cachée.
Moins radicale en apparence que la critique marxiste,
elle était à sa façon plus sévère, confrontant sans cesse
la réalité japonaise à un idéal de la modernité.
C’est la conjugaison de cette situation historique et
d’une réflexion sur la modernité au Japon qui a donné
leur force aux textes de Maruyama et leur a permis de
conserver une actualité, le questionnement de la réalité
à partir de l’idéal pouvant toujours être réactivé, fût-ce à
propos d’une réalité qui n’est plus celle de l’immédiat
après-guerre. Les trois textes traduits ici n’ont d’ailleurs
pas été publiés séparément d’autres interventions de
cette époque. Ils ne forment qu’une petite partie du
grand recueil Idéologie et action dans la politique
aujourd’hui (1956-57), dont le titre indique assez que
Maruyama n’entendait pas séparer l’analyse du cas
japonais d’une réflexion sur la politique au XXe siècle, sur
la portée de la révolution communiste, la nature du
fascisme, les relations entre gouvernants et gouvernés
en démocratie, ou sur les limites de la politique. Les
textes consacrés au nationalisme japonais avaient
toutefois une importance particulière, dans la mesure
où ils formaient une manière de prolégomènes à
l’avènement d’une démocratie authentique au Japon,
une critique préliminaire que Maruyama jugeait
indispensable. Pour cette raison, l’habitude s’est prise de
les commenter comme un ensemble distinct.
Il est vrai qu’ils forment un tout cohérent si l’on
considère que le dernier apporte une réponse aux
questions posées par les deux autres, mais l’analyse ne
progresse pas d’une façon tout à fait linéaire. Tandis que
« Logique et psychologie de l’ultranationalisme » (mai
1946) situe l’origine du problème dans la Restauration
de Meiji et dégage une structure qui englobe toute la
période 1868-1945, le cours de juin 1947 resserre au
contraire la perspective, puisqu’il n’étudie que les
mouvements fascistes, et sur une période de quelques
années seulement (1931-1936). Maruyama y souligne
que leur contribution à la fascisation du régime fut
décisive mais n’aurait pas suffi si d’autres facteurs
n’avaient joué simultanément. L’article de mai 1949 sur
la psychologie des dirigeants japonais explique à la fois
comment le processus de fascisation s’est poursuivi à
l’intérieur de l’État impérial après le déclin des
mouvements fascistes, mais aussi pourquoi le problème,
dont la cause remontait au début de l’ère Meiji, ne
s’était pleinement révélé que dans les années 1930. Les
nombreuses notes ajoutées pour l’édition groupée de
1956-57 visent du reste à préciser les liens entre les
trois textes.
Ainsi, en quelque 150 pages, Maruyama livrait une
interprétation complète de l’histoire politique du Japon
depuis la Restauration, dont la conclusion tenait dans ce
diagnostic : loin du dépassement de la modernité
annoncé par le marxisme et l’ultranationalisme,
l’individu n’avait pas encore atteint à la subjectivité
moderne, c’est-à-dire à l’intériorisation des valeurs qui
doivent transcender l’État et l’empêcher de devenir
tout-puissant97.
Après avoir retracé brièvement la genèse de ces textes
en suivant Maruyama depuis ses années de formation
jusqu’au début de 1946, nous essaierons d’en éclairer
certains aspects dont la compréhension demeure
difficile, parce que l’histoire elle-même est complexe et
parce que Maruyama doit souvent se contenter d’y faire
des allusions. Pour terminer, nous examinerons la
question implicitement posée par le fait que, tout en
affirmant la forte spécificité du cas japonais, il en parle
néanmoins comme d’un fascisme.

I. DE L’AVANT-GUERRE À L’APRÈS-GUERRE
L’ÉTUDIANT
Né en 1914, Maruyama est encore lycéen au début des
années 1930, lorsque se produisent les premiers
événements qui vont entraîner le Japon dans
l’ultranationalisme.
Son goût pour la musique lui a fait choisir l’allemand
comme première langue étrangère. Il est également
intéressé par la politique et, comme beaucoup d’autres
étudiants, il subit l’influence du marxisme, à un
moment où le Parti communiste japonais*98 a déjà
quasiment disparu. Il s’en pénètre assez pour être
bientôt convaincu que toute idéologie est historique et
dépend de la structure sociale. Cela ne l’empêche pas
d’entendre d’autres voix. Celle du député Ozaki Yukio*,
par exemple, lorsque le vétéran de la Chambre basse,
venu faire une conférence devant les étudiants du
Premier lycée, l’interloque en parlant d’un droit naturel
antérieur à l’État et auquel l’empereur lui-même ne
pourrait toucher. Ou celle, un peu plus tard, de son
professeur à l’Université de Tokyo, Nanbara Shigeru
(1889-1974), dans le néo-kantisme duquel il retrouve la
même affirmation de valeurs anhistoriques, liées à
l’existence de la société mais ne dépendant pas des
institutions politiques99. Dès 1933, il a l’occasion de
comprendre l’importance des droits formels que la
critique marxiste dénonce comme des paravents de
l’ordre bourgeois, le jour où il est arrêté et brutalement
interrogé par la Police politique (Tokkô) pour avoir
assisté à une conférence sur le matérialisme. Relâché le
lendemain, il devait faire l’objet d’une surveillance
pendant plusieurs années100.
Il continue cependant à s’intéresser au marxisme et lit
ce qui peut encore être publié, notamment le fameux
Cours sur l’histoire du développement capitaliste au
Japon publié par un courant dont la thèse est que le
Japon n’a pas atteint complètement le stade libéral-
bourgeois101. Étudiant à la faculté de droit de Tôdai à
partir de 1934, il organise même un groupe de lecture
secret dans lequel on étudie des auteurs comme Rosa
Luxemburg et Rudolf Hilferding102. L’influence marxiste
est encore perceptible dans un de ses premiers textes,
« Le concept d’État dans les sciences politiques »
(1936), mais cette attraction reste foncièrement
intellectuelle. Le constat d’une crise du modèle libéral
parlementaire associé au capitalisme individualiste ne le
fait incliner ni vers le modèle totalitaire dont
l’Allemagne et l’Italie donnent alors l’exemple, ni vers
une solution communiste. Il insiste au contraire sur la
nécessité de préserver la « liberté négative » de
l’individu par rapport à l’État. Progressivement, il
s’ouvre à d’autres courants de pensée : Hegel, Max
Weber, Karl Mannheim, Franz Borkenau, Harold Laski,
Harold Lasswell et même Carl Schmitt, dont il traduit
partiellement État, mouvement, peuple103. Ses lectures
débordent donc l’histoire de la philosophie et l’amènent
vers la sociologie, voire la psychologie. Il retient en
particulier de Weber que l’idéologie d’un groupe ou
d’une société ne se résume pas à sa partie explicite,
mais se trouve aussi déposée, sous des formes moins
patentes, dans des pratiques et des institutions, de sorte
que l’histoire des idées ne suffit pas pour saisir
l’idéologie d’un système politique ou d’une époque. La
sociologie de la connaissance de Mannheim lui apprend
à traiter les faits idéologiques de la même façon que les
faits socio-économiques, c’est-à-dire comme des
infrastructures ayant leurs lois, leur densité et leur
efficacité propres.
Lorsque s’approche la fin de son premier cycle
universitaire, Maruyama songe à se faire embaucher
dans une agence de presse, espérant qu’on l’enverrait à
l’étranger. C’est l’opposition de son père, lui-même
journaliste, qui l’aurait fait renoncer. Il est finalement
recruté comme assistant à la faculté de droit.
Alors qu’il souhaitait travailler sur l’histoire des idées
politiques occidentales, Nanbara le pousse vers le
domaine japonais, à peu près absent des enseignements
de la faculté de droit, et prévoit de lui confier un cours
dont la création sera le résultat d’une sorte de marché
de dupe entre le ministère de l’Éducation et la faculté.
Conséquence de l’affaire Minobe*, le ministère
souhaitait mettre en place un cours sur l’essence de
l’État impérial (kokutai kôza) dans les facultés des
grandes universités publiques. La faculté de droit, de
son côté, avait depuis longtemps le projet d’un cours sur
l’histoire des idées politiques en Asie. Elle utilisa la
demande du ministère pour en obtenir la création, mais
sans vraiment donner satisfaction à celui-ci sur le fond,
c’est-à-dire sans faire du cours un relais de la
propagande nationaliste officielle comme il en existait
déjà dans d’autres facultés, et cela malgré les attaques
de l’extrême droite dont elle était devenue l’objet depuis
quelques années104.
À partir de 1937, il commence donc à se familiariser
avec l’histoire des idées au Japon, sans grand
enthousiasme. Il entreprend bientôt la rédaction d’un
mémoire dans lequel il cherche à mettre en lumière
l’émergence d’une conception moderne de la politique
dans la pensée de l’époque d’Edo, prenant implicitement
à revers l’idéologie ultranationaliste qui vise à retrouver
un Japon d’avant la modernité, purifié de l’influence
occidentale. Il publie ce travail en 1940, ce qui permet
sa titularisation, et le prolonge par une étude consacrée
plus spécifiquement à l’idée que la communauté
politique est un ordre foncièrement humain, un artifice
dont les règles ne sont pas données par une nature
immuable mais peuvent évoluer à mesure que leurs
effets se découvrent. L’enjeu, là encore, n’est pas
seulement de contredire l’idéologie officielle. Il s’agit
aussi de montrer qu’une continuité existe entre l’avant
et l’après 1868, autrement dit que la modernité a des
racines au Japon même, sur lesquelles on peut et doit
s’appuyer105.
Cette perspective l’amène à étudier parallèlement des
penseurs du début de l’ère Meiji. Il consacre deux
articles à Fukuzawa Yukichi (1835-1901), qui soulignent
la dimension critique de son œuvre et l’importance que
Fukuzawa donnait à l’autonomie intellectuelle des
individus pour l’indépendance nationale. On y trouve
aussi une première évocation de l’idée qui sera
thématisée dans l’article de mai 1946 sous le nom de
« transfert de l’oppression ». Mais c’est dans le dernier
texte important de cette période que se voit le plus
clairement le souci qu’a Maruyama de faire le pont entre
l’époque d’Edo et l’ère Meiji. Il s’agissait de montrer que
l’idée de communauté nationale fondant l’État
(kokumin shugi), défendue à l’ère Meiji par des
penseurs comme Fukuzawa Yukichi ou Kuga Katsunan
(1857-1907), avait commencé de se former dès la
première moitié du XIXe siècle, à la fois stimulée et
contrariée par la menace étrangère. Si l’article publié en
1944 ne traite finalement que de l’époque d’Edo, c’est
qu’il était devenu plus long que prévu et parce que
Maruyama venait d’apprendre qu’il était mobilisé. Il en
termina la rédaction la veille de son départ. La partie
traitant de l’ère Meiji n’ayant pu être écrite avant la fin
de la guerre, il en reprit l’idée sous des formes
différentes quelques années plus tard.

SOLDAT DE DEUXIÈME CLASSE


Mobilisé une première fois en juillet 1944, il est
bientôt affecté à l’Armée de Corée, comme soldat de
deuxième classe dans un bataillon d’infanterie. La
mobilisation d’un universitaire en fonction, âgé de
30 ans, et son placement au grade le plus bas étaient
assez inhabituels pour qu’on puisse y voir une
conséquence de son arrestation de 1933 et du statut de
suspect idéologique qu’il en avait gardé même après que
la surveillance eut cessé, c’est-à-dire après sa
titularisation à la faculté de droit en 1940. Cette
première expérience de l’armée, où les brimades étaient
courantes, surtout pour les nouveaux venus, fut
particulièrement pénible. On en trouve l’écho dans
l’article de mai 1946, ainsi que dans une discussion qu’il
eut en 1949 avec les écrivains Noma Hiroshi et Ôoka
Shôhei106.
Renvoyé au Japon dès novembre parce qu’il a
contracté le béribéri, il est mobilisé de nouveau en mars
1945, affecté cette fois au Bureau du service maritime
de l’Armée de terre, à Hiroshima, où il se trouvait donc
le 6 août107. Les relations avec les supérieurs y sont
moins brutales mais, bien que la défaite soit désormais
certaine, il reste impossible de parler ouvertement de la
situation désespérée du Japon ni de son avenir. Lors des
quelques mois passés à Tokyo entre ses deux
mobilisations, Maruyama a appris par Nanbara que des
partisans de la négociation avec les Américains
essayaient de faire nommer Premier ministre un
membre de la famille impériale, y voyant le seul moyen
d’imposer la capitulation aux jusqu’au-boutistes de
l’armée. Comme beaucoup d’autres, Maruyama pense
que cette solution ne deviendra réalisable qu’après que
des combats auront eu lieu au Japon même, ce qui veut
dire que la guerre n’est pas encore près de sa fin. Le
bombardement atomique accélère brusquement les
choses, c’est-à-dire l’entrée dans la phase à propos de
laquelle il estimait impossible de faire des prévisions. La
déclaration de Potsdam et l’allocution impériale du
15 août annonçant la capitulation autorisaient à espérer
de grands changements. Toutefois, le cabinet dirigé par
le prince Higashikuni* ne fit aucune déclaration précise
en ce sens, appelant seulement la nation à un « repentir
général », comme si la responsabilité du désastre
revenait à tous les Japonais indistinctement.
Démobilisé le 12 septembre, il est de retour à Tokyo le
14. Assez rapidement, malgré toutes les difficultés
matérielles, il reprend son travail à l’université, créant
ou participant à plusieurs groupes de recherches.
Quelques mois plus tard, il est nommé à la commission
de la faculté de droit chargée de déterminer quels
enseignants doivent être exclus et interdits d’exercer un
emploi public. Prévoyant seulement de reprendre ses
recherches là où il avait dû les arrêter, il pense que la
guerre aurait pu être empêchée si la culture politique
moderne avait été plus largement diffusée dans la
société japonaise. Il s’implique alors dans l’université
populaire de Mishima, créée par collègue natif de cette
région, où il se rend régulièrement pour donner des
cours de science politique à un public d’adultes, avec
lequel il discute longuement. Ces échanges lui
permettent de constater un intérêt nouveau et très fort
pour la politique, une soif de changement, mais aussi la
difficulté à se déprendre de l’idéologie inculquée à la
population au cours des années précédentes.
En octobre, il accompagne le juriste libéral Tanaka
Kôtarô (1890-1974) lorsque celui-ci se rend auprès de
Konoe Fumimaro*, ministre d’État dans le cabinet
formé en août, pour le conseiller sur les réformes
institutionnelles à accomplir. Ce n’est pourtant pas qu’il
ait un avis tranché dans ce domaine. La seule chose
dont Maruyama semble avoir été convaincu à cette
époque est qu’il n’était pas nécessaire d’abolir le
système impérial. S’il pouvait déjà envisager certaines
réformes de la Constitution de 1889, comme la
suppression de l’indépendance du commandement
militaire ou le renforcement des pouvoirs de la Chambre
basse, il ne songeait pas à un bouleversement complet.
Le problème venait moins des institutions, dont la
pratique avait évolué dans un sens libéral jusqu’en 1931,
que des manières de penser. C’est d’abord l’éthos
indispensable au fonctionnement de la démocratie qui
avait manqué, selon lui, pour résister à
l’ultranationalisme. Cette préoccupation s’exprime dans
plusieurs notes d’un carnet datant de la fin de l’année
1945108. Elle est à l’arrière-plan de tous ses textes de
l’après-guerre, nourrie de ce qu’il avait observé de la
politique à partir du milieu des années 1930, de son
expérience de l’armée et, enfin, de l’enthousiasme
général pour la « révolution démocratique » qu’il avait
découvert en revenant à Tokyo.
L’atmosphère, en effet, avait changé du tout au tout.
Mais alors qu’il aurait dû s’en réjouir, Maruyama se
sentait de plus en plus mal à l’aise. Derrière
l’enthousiasme pour la révolution démocratique
espérée, il percevait surtout un désir d’oublier la période
passée, de tourner simplement la page pour suivre de
nouveau ce qui se présentait comme une nécessité
historique irrésistible, non pas une adhésion réfléchie et
volontaire. La rapidité du changement lui apparaissait
aussi problématique que celle du basculement qui avait
mis fin au libéralisme.

L’ANALYSTE DU SYSTÈME IMPÉRIAL


On pourrait penser que Maruyama avait passé les
années de guerre à mûrir une critique dont ses travaux
publiés entre et 1940 et 1944 n’auraient été que la
version cryptée. N’y exposait-il pas comment, à l’époque
d’Edo, les prémices d’une pensée politique moderne
avaient été détournées par le courant nativiste ? À
travers cette histoire, ne racontait-il pas en vérité celle
du présent, dont il ne pouvait alors parler
ouvertement ? En reprenant son travail sur la fin de
l’époque d’Edo et l’ère Meiji, sans doute entendait-il
continuer à enquêter sur les causes profondes de ce qui
avait permis à la réaction antilibérale de se déployer
aussi facilement dans les années 1930. Pourtant, il ne
songe pas alors à écrire sur la période récente ni à
intervenir directement dans l’actualité. Les conférences
qu’il donne portent sur la modernité en général ou sur
l’ère Meiji, dont il s’attache à mettre en valeur les
aspects progressistes et les racines autochtones. Dans
un court texte écrit en décembre 1945 et publié en
janvier 1946 (le premier depuis son retour à Tokyo), qui
résume son état d’esprit du moment, il n’annonce rien
de la critique du système impérial qui va le faire
connaître quelques mois plus tard109.
Encore sous l’influence de ses professeurs, Nanbara
Shigeru, Tanaka Kôtarô ou Oka Yoshitake, libéraux dont
il partageait l’aversion pour l’ultranationalisme mais qui
se souciaient alors surtout du sort de la Maison
impériale, il n’a lui-même aucune antipathie envers
Hiro-Hito. Comme pour beaucoup de Japonais,
l’empereur représente un point d’attache affectif,
d’autant plus difficile à rejeter que la situation du pays
est très incertaine. L’article de mai 1946 devait marquer
une première rupture à cet égard, mais il faut noter que
Maruyama n’y met pas en cause l’empereur lui-même et
analyse sa position dans le système impérial comme
trop contrainte pour être comparée à celle du souverain
absolu de l’Europe moderne. En 1949 encore, il le
présente comme un acteur isolé qui a dû lutter pour
maintenir le peu d’autonomie dont il disposait face aux
autres pouvoirs, emporté comme les autres dans un
processus que personne ne contrôlait. C’est seulement
une dizaine d’années plus tard qu’il devait aborder la
question de la responsabilité individuelle de Hiro-Hito et
affirmer que celui-ci aurait dû abdiquer en 1945110.
La situation évolue rapidement entre la fin de 1945 et
début de 1946. Le Grand quartier général américain
semble d’accord pour maintenir la Maison impériale,
mais il presse le gouvernement japonais de faire une
nouvelle Constitution. Le 1er janvier, l’empereur publie
la déclaration dite « de non-divinité »111. Le 13, dans le
grand quotidien Mainichi, paraît un article de Hani
Gorô, représentant du courant marxiste dont nous
avons parlé plus haut, qui dénonce la Maison impériale
comme la source d’un système d’oppression existant au
Japon depuis l’Antiquité. Les appels à abolir le système
impérial qui se font entendre depuis plusieurs semaines
émanent du Parti communiste ou d’intellectuels
marxistes, auxquels répliquent des conservateurs,
comme l’historien Tsuda Sôkichi, qui tentent de
convaincre que le problème ne vient pas du système
impérial en tant que tel mais de son dévoiement par le
militarisme, et qu’il suffirait de faire en sorte que la
Maison impériale soit ramenée à son rôle spirituel ou
d’autorité morale. Il est difficile de savoir ce que pouvait
penser Maruyama jusqu’à ce débat. Son souci de
remonter jusque vers un moment de l’histoire moderne
d’où il soit possible de repartir, le rapproche de certains
conservateurs. S’il n’est pas hostile au marxisme, il se
méfie de la tendance à l’historicisme, à considérer que
tous les événements vont dans le sens de l’histoire, dont
il pense qu’elle a entraîné certains intellectuels dans le
rêve d’un âge nouveau combinant la fin de la démocratie
bourgeoise à la libération de l’Asie. La manière dont
l’immédiat après-guerre se déroule a confirmé son
inquiétude.
En octobre, la mauvaise volonté du cabinet
Higashikuni à appliquer les mesures de démocratisation
prévues par la déclaration de Potsdam avait incité
MacArthur à émettre une directive exigeant la mise en
œuvre de réformes. Celles-ci furent engagées par le
cabinet Shidehara*, formé après la démission de
Higashikuni, mais il avait donc fallu l’intervention de
l’occupant pour que le changement se produise. Le
même scénario devait se répéter en février 1946 à
propos de la Constitution. Face aux réticences du
gouvernement japonais à toucher au système de 1889,
le Grand quartier général américain imposa finalement
un projet comportant notamment le principe de la
souveraineté populaire. Membre de la Commission
d’études sur la Constitution de Tôdai, Maruyama avait
pu suivre de près les travaux d’élaboration du texte de la
nouvelle Constitution et mesurer l’écart entre le projet
initial du gouvernement et le projet américain112.
C’est l’expérience de ces quelques mois qui le
persuade que quelque chose fait encore obstacle à une
démocratisation qui ne soit pas simplement octroyée de
l’extérieur ou acceptée comme une nécessité historique
inévitable. Il se lance alors dans la rédaction de
« Logique et psychologie de l’ultranationalisme ». Conçu
et achevé en moins d’une semaine, l’article paraît au
mois de mai dans la toute nouvelle revue généraliste
Sekai (« Le Monde »). Comme il l’a expliqué plus tard,
l’écriture de ce texte fut un combat avec lui-même. Loin
d’exprimer ce qu’il pensait depuis longtemps, elle
supposait une remise en question à laquelle il avait
jusqu’alors cru pouvoir échapper113. C’est pourquoi
l’analyse de la psychologie du système impérial y
occupe autant de place que celle de son idéologie. Il
fallait s’attaquer à quelque chose qui ne pouvait être
déterminé simplement comme une insuffisance et qui
disparaîtrait si la modernité politique était mieux
comprise, à quelque chose qui avait empêché le
déploiement de la modernité au Japon quand toutes les
conditions semblaient réunies, et l’avait même
finalement balayée. En mai 1946, il situe pour la
première fois le problème dans l’État tel qu’il existe
depuis la Restauration de 1868, c’est-à-dire dans le fait
que l’institution impériale concentre à la fois l’autorité
spirituelle et le pouvoir effectif, alors que la modernité
disjoint au contraire ces deux instances, permettant à la
subjectivité autonome de se développer dans l’entre-
deux ainsi ménagé. Combinée à la centralisation
administrative et politique, cette fusion avait eu l’effet
inverse : elle avait enserré l’individu dans une
hiérarchie qu’aucun principe ne pouvait transcender, la
transcendance étant absorbée dans le système, incarnée
par l’empereur, lui-même enchaîné à la lignée de ses
prédécesseurs.
On pouvait en déduire au minimum que, pour
Maruyama, la Maison impériale devait ne plus avoir
aucun rôle politique, voire qu’elle devait être disjointe
de l’appareil d’État, mais aucune conclusion pratique
n’était formulée, sinon que les Japonais avaient leur
destin entre leurs mains depuis le 15 août 1945. Il n’est
pas certain que Maruyama, à ce moment, soit devenu
partisan de l’abolition pure et simple de l’institution
impériale114. Son texte ouvrait une brèche entre
marxistes et conservateurs, rendant possible une
réflexion sur ce qu’avait été le fonctionnement concret
du système impérial, qui permit à beaucoup de lecteurs
d’analyser leur propre expérience115. Tel était l’objectif,
bien plutôt que de formuler des recommandations. Dans
l’article de 1949 encore, on voit que Maruyama
n’intervient pas pour dire ce qu’il faudrait ou aurait fallu
faire. Même si son discours n’est pas purement de
savoir, il ne s’avance pas au-delà d’une interprétation du
présent.
À cet égard, l’article de mai 1946 présente une
difficulté de traduction révélatrice. Dans plusieurs
passages, lorsque Maruyama décrit un état des choses
lié au système ultranationaliste, il ne le considère
visiblement pas comme révolu. En rendant au passé des
phrases qui, à première lecture, semblent parler d’avant
le 15 août 1945, on ferait donc disparaître le doute qui
persistait à propos du présent. Il cherche plutôt à
maintenir dans le présent le moment ouvert par
l’allocution impériale du 15 août, à partir duquel les
Japonais pouvaient, selon lui, entrer dans une nouvelle
époque. L’incertitude qui demeure dans le texte montre
ainsi que Maruyama ne tenait pas pour acquise la
« révolution démocratique ». La même préoccupation
s’exprime en février 1947, quelques semaines avant
l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution :
Une Constitution réformée vient d’être promulguée, qui donne des
droits à la nation. Pour que ces droits deviennent une réalité, pour
atteindre par nous-mêmes à une liberté plus grande, nous aurons
besoin d’une résolution sans faille, et les obstacles qu’il nous faudra
vaincre seront autrement plus importants que ceux que nous avons
rencontrés jusqu’à maintenant116.

Parmi toutes les objections qui lui furent présentées à


propos de « Logique et psychologie de
l’ultranationalisme », il en est au moins une que
Maruyama se faisait spontanément : si l’origine du
problème était dans le système impérial mis en place à
l’ère Meiji, il fallait expliquer pourquoi le régime n’avait
pas pris dès cette époque la forme totalitaire à laquelle il
était parvenu vers 1940117. D’autres textes de l’après-
guerre montrent qu’il ne condamnait pas en bloc l’ère
Meiji et cherchait au contraire à en rappeler la part
authentiquement moderne. Il poursuivit donc l’analyse
de la période ultranationaliste sans se contenter d’en
faire une longue critique, mais en s’attachant à saisir le
processus concret de la fascisation du régime.
« Logique et psychologie de l’ultranationalisme » paraît
alors que s’ouvre le procès de Tokyo. Vingt-sept anciens
dirigeants civils et militaires, plus un intellectuel, sont
jugés par le Tribunal militaire international pour
l’Extrême-Orient, dont les juges représentent onze pays
alliés mais qui a été mis en place essentiellement par
l’occupant américain. Maruyama se rend-il à Ichigaya
pour assister à certaines séances de cet événement qui
dura deux ans et demi ? On peut du moins être sûr qu’il
suit attentivement le procès dans la presse et par tout ce
qu’il pouvait en apprendre à la faculté de droit de Tôdai.
Il suit également le procès de Nuremberg et s’y intéresse
au point de souhaiter consulter un exemplaire des
minutes. Il entreprend bientôt de montrer que les
attitudes des accusés, la manière dont ils répondent aux
questions du tribunal, révèlent une différence
essentielle entre le Japon et l’Allemagne : selon lui, alors
que les dirigeants nazis admettent généralement les faits
qui leur sont reprochés, les dirigeants japonais
esquivent les questions, se présentent comme des
exécutants dont la sphère de compétence était limitée
ou affirment avoir été contraints de poursuivre des
politiques dont la mise en œuvre avait commencé avant
leur accession à un poste de décision. Ces observations
l’amènent à développer et préciser son analyse du
système impérial moderne pour comprendre ce qui en a
fait un « système d’irresponsabilité ».
Sommairement résumée, la conclusion donnée dans
l’article de mai 1949 sur la psychologie des dirigeants
japonais explique la succession de décisions aberrantes
qui les a conduits à entreprendre une guerre perdue
d’avance par l’ambiguïté de leur position : même en
situation de responsabilité politique, ils se comportaient
comme des bureaucrates, n’ayant de fait accédé au
pouvoir qu’à travers leurs carrières dans
l’administration, l’armée, la Chambre des pairs ou le
Palais. Pusillanimes, ils n’avaient ni le sens de la
responsabilité des oligarques de l’ère Meiji, qui
occupaient une position quasiment imprenable mais
avaient assis leur pouvoir eux-mêmes et demeuraient
conscients des réalités internationales, ni le sentiment
d’avoir à répondre de leurs décisions devant la Diète,
elle-même incapable de s’affirmer comme pouvoir
indépendant.
Restait à expliquer comment un pouvoir aussi faible
avait donné lieu à un fascisme. On comprend qu’avant
de se tourner vers ce problème, Maruyama ait souhaité
aborder la question des mouvements d’extrême droite
dans les années 1930, puisqu’il y avait là un paradoxe à
résoudre. Incontestablement, des groupes de toutes
sortes avaient proliféré depuis les années 1920, y
compris dans l’armée, dont beaucoup étaient porteurs
d’une idéologie différente de celle de l’extrême droite
venue de l’ère Meiji, presque uniquement préoccupée de
la politique extérieure. Les programmes de certains
contenaient des mesures de politique sociale ou de
« rénovation nationale » qui les apparentaient aux
fascismes européens. Cependant aucun ne s’était
imposé, aucun grand parti n’avait unifié cette
nébuleuse. Ils n’avaient jamais accédé au gouvernement,
ni même obtenu plus que quelques députés à la Diète, et
les coups de force tentés par des groupes de jeunes
officiers avaient échoué. Fallait-il en conclure que leur
action n’avait eu aucune influence et qu’ils n’étaient
pour rien dans la fascisation progressive du régime ?

II. LA FASCISATION DU RÉGIME DE 1889


Le cours de juin 1947 souligne l’absence de prise du
pouvoir par ce « fascisme du bas » mais il affirme
néanmoins l’unité du processus de fascisation, poursuivi
« par le haut » à partir du milieu des années 1930. Il
fallait donc éclaircir le rapport entre les deux, montrer
que le fascisme qui s’était développé à l’intérieur de
l’appareil d’État dépendait malgré tout de ces
mouvements fascistes qui avaient en apparence échoué.
La focalisation sur les mouvements d’extrême droite et
l’application de Maruyama à mettre en relief leurs
spécificités pourraient donner l’impression que le long
cours de 1947 s’écarte des questions posées par l’article
de 1946. Son objectif est pourtant bien de parvenir à
une compréhension globale d’un processus unique,
rendu très difficile à saisir par le grand nombre des
organisations et des personnages impliqués. Comme il le
note en introduction, le fascisme japonais ne peut
s’étudier à partir du point de vue relativement simple
que donne, en Allemagne ou en Italie, l’existence d’un
parti unifié dominé par un individu, où l’histoire semble
se concentrer. Il peut donc être utile de compléter les
indications qui concernent le rôle de ces mouvements
en les resituant dans le fil des principaux événements de
la période. Cela permettra aussi de préciser quelques
points importants que Maruyama ne fait qu’effleurer.
L’AFFAIBLISSEMENT DU POUVOIR CIVIL
Maruyama souligne fortement le fait que le processus
de fascisation était à bien des égards dans le
prolongement d’une politique menée dès la fin des
années 1920 (répression des mouvements de gauche,
premières tentatives d’accroître la présence militaire sur
le continent) mais, comme le montrent les deux
cabinets Minseitô* de la période 1929-1931, il ne
s’agissait pas nécessairement d’une évolution
irréversible. En particulier, la pratique consistant à
choisir le Premier ministre dans le parti majoritaire à la
Chambre basse, quoique récente, ne semblait pas devoir
être remise en cause. On pouvait espérer aussi que le
suffrage universel masculin, en vigueur à partir de 1928,
obligerait peu à peu les deux grands partis qui
dominaient la Chambre basse, Seiyûkai* et Minseitô, à
s’appuyer davantage sur les classes populaires et qu’ils
deviendraient ainsi moins dépendants de la
bureaucratie et des cartels financiers. C’est pourquoi les
quelques mois situés entre l’incident de Mandchourie*
(septembre 1931) et la tentative de coup d’État du
15 mai 1932* constituent sans aucun doute un moment
de bascule décisif.
L’invasion de la Mandchourie par la petite Armée du
Kwantung* discrédita le pouvoir civil, qui se révéla
incapable d’arrêter les militaires et fut même
directement menacé par un projet de coup d’État dont
les organisateurs appartenaient à l’état-major de l’Armée
de terre (affaire d’octobre*). Il est difficile de savoir ce
qui se serait passé si le projet avait été mis à exécution.
On peut même penser que ses organisateurs ne
cherchaient en réalité qu’à impressionner le cabinet
Wakatsuki* et les conseillers de l’empereur pour les
dissuader de retenir la progression des troupes sur le
continent118. Quelques semaines plus tôt, en août, ceux-
ci avaient eu vent d’un autre projet de complot (affaire
de mars*) et tenté d’obtenir que l’Armée de terre en
sanctionne les responsables. Dans l’affaire d’octobre, les
préparatifs avaient à peine été dissimulés. Le fait que la
presse japonaise n’ait pas pu en parler ne signifie pas
que les élites civiles n’aient pas été averties, mais
qu’elles jugèrent dangereux d’en appeler à l’opinion
publique, à la fois de peur d’encourager des projets
similaires et parce que l’invasion de la Mandchourie
était largement approuvée119. L’affaire d’octobre se
termina par l’arrestation des conspirateurs mais l’état-
major et le ministère de l’Armée de terre ne cessèrent,
par la suite, d’agiter la menace de nouveaux complots et
s’en servirent comme d’un moyen de pression120. Même
si Maruyama l’évoque déjà suffisamment, il convient
d’insister sur ce point, déterminant dans toute
l’évolution politique ultérieure. On doit rappeler ici
qu’Inukai Tsuyoshi, qui succéda à Wakatsuki trois mois
après l’incident de Moukden, même s’il ne réussit pas à
contrecarrer les initiatives de l’Armée du Kwantung,
avait entrepris d’obtenir la radiation de plusieurs
dizaines d’officiers liés au complot d’octobre lorsqu’il fut
assassiné. Inukai comprenait parfaitement le péril que
faisait courir au pouvoir civil l’état d’esprit que l’armée
avait laissé se développer parmi les officiers. Il en fut du
reste la première victime.
L’affaire d’octobre eut d’autres conséquences. Quelle
qu’ait été la sincérité des organisateurs, beaucoup
d’officiers et de civils qui avaient accepté de participer à
un coup d’État furent déçus en constatant que l’armée
elle-même en avait finalement empêché la réalisation,
notamment ceux qui espéraient des mesures en faveur
des campagnes. Les jeunes officiers de troupe en
conclurent qu’il ne fallait pas compter sur « les
bureaucrates de l’état-major », mais la nomination du
général Araki comme ministre de l’Armée de terre
(décembre 1931) en rassura certains pour un temps.
Araki n’était pas lié à la faction militaire dominante et
promettait d’imposer au cabinet une politique
économique de soutien aux paysans en difficulté.
D’autres estimèrent que cette nomination ne suffirait
pas. Ce fut le cas de l’extrémiste civil Inoue Nisshô*, qui
créa le groupe connu sous le nom de « Ligue du sang* »,
responsable des assassinats de l’ancien ministre des
Finances Inoue Jun.nosuke* et du magnat de la banque
Dan Takuma (février et mars 1932), premiers d’une liste
qui comptait une quinzaine de personnalités politiques
et économiques. Inoue Nisshô avait eu par ailleurs une
grande influence sur un groupe de militants agrariens et
de très jeunes officiers qui élaborèrent leur propre
projet de coup d’État et passèrent à l’action dès le
15 mai suivant121. Leurs moyens étaient bien plus
réduits que ce qui était prévu dans l’affaire d’octobre, et
leur plan peu réaliste, mais ils réussirent à assassiner le
Premier ministre Inukai et eurent la sympathie d’une
grande partie de l’opinion, très hostile aux partis depuis
le début de la crise économique.
C’est cette série d’événements qui détermina les
conseillers de l’empereur Saionji Kinmochi et Makino
Nobuaki*, à ne pas proposer comme Premier ministre
celui qui aurait pris la place d’Inukai après le 15 mai,
c’est-à-dire le chef du Seiyûkai à la Diète, Suzuki
Kisaburô*, si la règle en usage depuis plusieurs années
avait été suivie. Saionji choisit de faire appel à Saitô
Makoto, amiral retiré du service actif, pour former un
cabinet d’union nationale. Le Minseitô accepta d’y
participer mais non le Seiyûkai, qui se jugeait lésé du
fruit de sa large victoire aux élections de février et
s’employa au contraire à faire tomber par tous les
moyens le cabinet Saitô (puis, y étant parvenu, le
cabinet Okada, formé sur le même principe que le
cabinet Saitô). Les partis et les conseillers de
l’empereur, ceux-là mêmes qui avaient tout intérêt à
préserver le pouvoir civil contre les militaires et les
extrémistes, contribuèrent ainsi directement à sa
déchéance.
On voit dans quelle spirale le gouvernement fut engagé
à partir de là. Si en mai 1932 il était encore possible
d’imaginer que le cabinet d’union nationale ne serait
qu’une solution temporaire, rien ne permit ensuite de
revenir en arrière122. L’agitation de l’extrême droite ne
se calma pas totalement avec l’amélioration de la
situation économique. Elle se porta de manière de plus
en plus agressive vers les intellectuels suspectés de
sympathie pour le socialisme, puis vers les libéraux
jugés trop peu patriotes, puis, après 1937, vers tous
ceux qui semblaient ne pas vouloir soutenir la guerre
sino-japonaise. L’affaire Minobe* (1935)123 n’est à cet
égard que l’épisode le plus important d’une évolution
quasi continue dans un sens antilibéral et
ultranationaliste. Comme le souligne Maruyama, l’action
des seuls groupes d’extrême droite, même en y incluant
les réseaux implantés dans la bureaucratie (celui de
Hiranuma Kiichirô*, par exemple, au ministère de la
Justice), n’aurait pas suffi pour amener le cabinet Okada
à condamner la théorie de la monarchie-organe, dont
Minobe Tatsukichi avait donné la formulation mais qui
était largement admise, y compris par l’empereur et ses
conseillers. Il y a fallu une coalition de forces qui
comprenait en outre la puissante Association des
militaires de réserve*, la faction de la Voie impériale et
les jeunes officiers, la faction ultra-conservatrice de la
Chambre des pairs, alors présidée par Konoe
Fumimaro*, et enfin le parti Seiyûkai124.
L’affaire Minobe ne fut pourtant pas l’occasion de
prendre le pouvoir pour cette coalition très hétéroclite.
On voit mal comment le Seiyûkai, si peu libéral qu’il fût,
aurait pu profiter longtemps de l’agitation créée par des
groupes de toute façon antiparlementaires. L’extrême
droite elle-même restait dispersée, Maruyama l’analyse
longuement, composée de groupes numériquement très
faibles et se querellant sans cesse. L’unité ne se fit que
dans les moments où il semblait possible de mettre en
difficulté le gouvernement. Leurs actions favorisèrent
pourtant la montée des antilibéraux, mais elles
affaiblirent donc en même temps le pouvoir civil.
Lorsque les antilibéraux prirent le contrôle du
gouvernement, dans la seconde moitié de la décennie,
ils se trouvèrent plus démunis encore face aux militaires
que ne l’étaient les cabinets Hamaguchi*, Wakatsuki et
Inukai quelques années plus tôt.
Les civils qui dirigèrent le cabinet entre 1936 et 1941
n’étaient pas issus de la Chambre basse : Hirota et
Hiranuma venaient de la haute administration, Konoe,
représentant d’une lignée aristocratique prestigieuse,
avait présidé la Chambre haute. Parvenus au pouvoir
grâce à leurs appuis dans la bureaucratie et à l’action de
groupes non parlementaires, ils ne pouvaient espérer un
soutien de la Chambre basse qu’à condition de s’opposer
efficacement à l’armée, dont l’accord avait pourtant été
nécessaire à leur nomination. Cela est vrai en
particulier de Konoe, qui fut très populaire parce qu’on
espérait qu’il rétablirait l’autorité civile125. Or il échoua
à empêcher le développement de la guerre sino-
japonaise, y contribuant même, ainsi que l’alliance avec
l’Allemagne, puis enfin la guerre avec les États-Unis,
précisément parce qu’il ne disposait d’aucun moyen de
pression sur l’armée et vivait dans la crainte d’être
renversé manu militari. Convaincu que la démocratie
bourgeoise était dépassée, il n’imaginait certainement
pas d’en rétablir le principe126. Tout ce qu’il entreprit
pour apparaître plus fort tendit seulement à réduire
davantage encore les possibilités de contestation dans
l’espace civil.

L’ARMÉE, ENTRE MONTÉE AU POUVOIR ET RENVERSEMENT DE LA


HIÉRARCHIE

L’armée profita de cette évolution et elle étendit


d’autant plus volontiers son pouvoir que beaucoup, en
son sein, avaient des ambitions politiques ou des idées
de « rénovation nationale », mais cette montée au
pouvoir ne se fit pas d’après un plan préconçu. Elle
résulta d’un processus complexe, auquel contribuèrent
deux phénomènes qui, curieusement, auraient plutôt dû
l’affaiblir ou l’entraver, en tout cas si le pouvoir civil
avait davantage résisté. Le premier est ce
« renversement de la hiérarchie » que Maruyama
analyse dans l’article de 1949, l’autre la rivalité des
factions au sommet de la hiérarchie, qui mérite
quelques éclaircissements, puisque Maruyama n’en
parle que brièvement. C’est la combinaison des deux
phénomènes qui explique pourquoi la rivalité entre la
faction de la Voie impériale et celle du Contrôle a pris
un tour dramatique en 1935-1936, avec l’assassinat du
général Nagata Tetsuzan* et le soulèvement du 26
février*, mais aussi le recours à des militaires pour
diriger le cabinet, de plus en plus fréquent à partir de
1932.
Les premiers signes de « renversement de la
hiérarchie » datent de la seconde moitié des années
1920. De l’extérieur, la montée au pouvoir des militaires
apparaît comme une réaction au déclin relatif de leur
place dans la société qui a marqué le début de la
décennie, lorsque la tendance était au pacifisme et à la
conciliation internationale. L’armée apparaissait alors
comme une dévoreuse de budgets, ses cadres comme
des fonctionnaires à l’utilité douteuse. Au sein de
l’armée, le sentiment que cette évolution rendra le
Japon incapable de se défendre sur le continent, ou de
jouer le rôle international auquel il est appelé,
s’accompagne d’un ressentiment contre la faction de
Chôshû, qui a dominé l’Armée de terre depuis l’ère Meiji
et dont l’hégémonie se perpétue jusque dans les années
1920. Son chef de file est alors le général Ugaki
Kazushige*. Même s’il n’est pas originaire de la région de
Chôshû, il est bien le successeur désigné de Tanaka
Giichi* et représente donc la lignée contre laquelle s’est
accumulé un désir de revanche127. Ugaki est également
considéré comme trop proche des partis et on lui
reproche d’avoir accepté les réductions d’effectifs que
ceux-ci demandaient.
Les officiers qui veulent mettre fin à son hégémonie
ont commencé à se regrouper vers 1927 dans des
associations qui tiennent à la fois de l’amicale et du
groupe d’étude. Nés dans la seconde moitié des années
1880, ils sont diplômés de l’École supérieure de guerre
(Rikugun shikan daigaku). Leur carrière se déroule
donc pour l’essentiel entre l’état-major, le ministère et
des détachements à l’étranger. Ils ne doutent pas de
pouvoir accéder un jour au sommet de la hiérarchie et
s’organisent en conséquence pour s’aider mutuellement
de manière à favoriser leur avancement. Les plus
connus sont Nagata Tetsuzan, Tôjô Hideki*, Ishiwara
Kanji, Obata Toshirô*, Itagaki Seishirô*, Yamashita
Tomoyuki*, Yanagawa Heisuke*, Suzuki Teiichi*, Mutô
Akira*, qui se retrouvent en mai 1929 dans la Société
d’un soir (Issekikai). Plusieurs de ses membres devaient
avoir un rôle un rôle important dans les événements de
1928-1931, c’est-à-dire avant qu’ils ne se divisent, une
partie se rangeant du côté de la Voie impériale, l’autre
formant le noyau de la faction du Contrôle128.
Leurs discussions tournent autour de la manière
d’évincer la faction de Chôshû et de la politique à mener
une fois qu’ils auront pris le contrôle de l’armée. Quant
au premier point, puisqu’ils sont encore trop jeunes et
trop peu gradés pour être nommés aux postes les plus
élevés, ils décident de soutenir l’ascension de trois
généraux n’appartenant pas à la faction dominante,
Araki Sadao, Mazaki Jinzaburô* et Hayashi Senjurô*.
Quant au second point, ils souhaitent entreprendre une
« rénovation nationale » (kokka kaizô), formule un peu
vague, qu’ils ne sont pas les seuls à employer, qui sert à
désigner euphémiquement le rejet du parlementarisme,
mais aussi le dirigisme économique et une réorientation
de la politique extérieure dans un sens nationaliste.
Certains, comme Nagata, ont déjà une idée assez claire
de l’objectif : il faut d’abord tirer les enseignements de la
Première Guerre mondiale en préparant le Japon à une
guerre totale, ce qui suppose l’intégration de l’économie
à l’appareil militaire et la mobilisation générale. Ils
n’envisagent pas pour cela de renverser le pouvoir civil
mais plutôt d’imposer progressivement leurs vues à
l’intérieur du gouvernement par le relais d’hommes
politiques et de bureaucrates partageant leur volonté de
mettre fin au « système de Washington », mis en place
par les accords de 1922129.
Ceux-ci comprenaient notamment un principe de
limitation des armements navals et le respect de la
souveraineté chinoise, interdisant au Japon de faire de
la Mandchourie une zone d’intérêts réservée comme il
en avait montré l’ambition en 1921. Si le traité naval de
Washington pouvait être dénoncé par le gouvernement
japonais, la question de la Mandchourie était plus
épineuse. En outre, la formation du cabinet Hamaguchi,
en juillet 1929, avec Shidehara* comme ministre des
Affaires étrangères, laissait peu d’espoir, le Minseitô
étant partisan de la conciliation internationale, donc du
renouvellement du traité, et refusant les initiatives
unilatérales sur le continent. Cependant, avec la crise
économique, dont les effets terribles furent aggravés par
les mesures déflationnistes du cabinet Hamaguchi, les
nationalistes eurent de nouveau le vent en poupe. Ils
présentèrent l’annexion de la Mandchourie comme la
solution à la crise, et le non-renouvellement du traité de
Washington comme nécessaire pour permettre au Japon
de s’armer en vue de ce qu’impliquait cette politique
d’expansion.
La Société d’un soir n’est évidemment pas la seule
organisation impliquée dans cette propagande, mais elle
la soutient en trouvant des moyens de subventionner
des civils qui partagent leurs idées, comme Ôkawa
Shûmei*. Elle contribue aussi fortement à répandre
dans l’armée l’idée que la Mandchourie doit être saisie
par n’importe quel moyen, ce qui explique en partie que
le haut commandement n’ait réagi que mollement lors
des événements de septembre 1931. À cet égard, même
si l’état-major approuvait au fond l’initiative des officiers
de l’Armée du Kwantung et fit de son mieux pour
empêcher les civils d’y mettre un terme130, il s’est bien
produit alors ce que Maruyama appelle un renversement
de la hiérarchie (gekokujô). Ce n’est donc pas
seulement l’autorité du gouvernement civil qui a été
bafouée mais aussi celle du haut commandement.
Or l’exemple est venu de la Société d’un soir, à laquelle
appartenaient les organisateurs de l’incident de
Moukden (Doihara*, Itagaki, Ishiwara) ou ceux qui les
aidèrent (Nagata, Suzuki*). Y appartenait aussi le
colonel Kômoto Daisuke (1883-1955), responsable de
l’assassinat du seigneur de la guerre Zhang Zuolin*,
commis quelques années plus tôt, en juin 1928.
Plusieurs membres du groupe étaient alors intervenus
auprès de leurs supérieurs pour demander que Kômoto
ne fût pas sanctionné. Alors qu’il aurait dû être traduit
en cour martiale, comme le Premier ministre Tanaka
Giichi l’avait promis à l’empereur, il fut seulement placé
sur la liste de réserve. Avant même l’incident de
septembre 1931, donc, un premier exemple
d’insubordination collective avait été donné. La manière
dont il fut traité ne pouvait qu’encourager d’autres
officiers à se lancer dans des projets similaires ou plus
ambitieux encore. L’invasion de la Mandchourie fut le
plus important mais, par la suite également, l’Armée du
Kwantung ne cessa de prendre sur le continent des
initiatives, imposant au gouvernement ces « faits
accomplis » qui mirent souvent en échec sa diplomatie.
Parallèlement, l’activisme politique des officiers se
développa dans la métropole.
Créée en septembre 1930 à l’initiative du lieutenant-
colonel Hashimoto Kingorô*, la Société de la fleur de
cerisier* avait les mêmes buts politiques que la Société
d’un soir131. Elle comptait toutefois des officiers de rang
un peu moins élevé que celle-ci et, surtout, certains de
ses membres envisageaient d’employer la force au Japon
même plutôt que de favoriser d’abord une initiative de
l’Armée du Kwantung en Mandchourie. Tel était le sens
des projets de coup d’État de mars et octobre 1931, dont
Hashimoto et quelques autres officiers de l’état-major
furent le centre actif. Contrainte de se dissoudre après
l’affaire d’octobre, la Société de la fleur de cerisier avait
à son tour diffusé dans l’armée l’idée que des officiers
pouvaient imposer leurs idées par la violence.
Les lieutenants et capitaines de troupe qui s’était
joints à Hashimoto au cours de 1931 eurent en effet le
sentiment que l’état-major, auquel appartenaient
Hashimoto et ses fidèles, approuvait implicitement
l’entreprise. Malgré leur déception, malgré la rancœur
qu’ils conçurent envers l’état-major quand la direction
de celui-ci préféra empêcher la mise à exécution du
projet, les faibles sanctions, de nouveau, qui frappèrent
les principaux conjurés, ou celles, encore plus légères,
qui les frappèrent eux-mêmes, n’étaient pas de nature à
les dissuader de recommencer. Au surplus, la
nomination d’Araki au gouvernement modifia l’attitude
de la hiérarchie en leur faveur et facilita leurs activités
politiques.
La nomination d’Araki et son maintien dans le cabinet
Saitô, formé après le 15 mai 1932, sont en fait la
conséquence de l’indiscipline qui s’est manifestée à tous
les niveaux du corps des officiers. Araki fut choisi
comme ministre de la Guerre contre l’avis d’Ugaki, sur
le conseil de Mori Kaku*, membre du Seiyûkai proche
de l’extrême droite et de l’armée. Mori avait fait valoir
auprès d’Inukai sa popularité parmi les officiers132.
Soutenu par la Société d’un soir, Premier ministre dans
le plan du coup avorté d’octobre, il est fêté par un
rassemblement de jeunes officiers de troupe en gare de
Tokyo lorsqu’il vient prendre ses fonctions. Il s’agissait
donc d’une stratégie très risquée. Le cabinet attendait
de lui qu’il calme l’agitation d’officiers pour lesquels son
accession au gouvernement représentait une victoire. La
présence d’Araki dans le cabinet n’aida pas Inukai à
résoudre l’affaire de la Mandchourie, tout au contraire.
Elle n’empêcha pas non plus le 15 mai. Il y a même lieu
de penser, comme le suggère la déclaration d’un des
conjurés, Koga Kiyoshi*, que cite Maruyama (voir
p. 75), qu’elle fit espérer à certains qu’un coup de force
recevrait immédiatement une traduction politique.
Autrement dit, en acceptant Araki dans son cabinet,
Inukai aurait encouragé ceux qui devaient l’assassiner
quelques mois plus tard.

FACTION DE LA VOIE IMPÉRIALE ET FACTION DU CONTRÔLE


Ministre de l’Armée de terre de décembre 1931 à
janvier 1934, Araki multiplia les discours et publia de
petits livres exaltant l’antique esprit martial de la « Voie
impériale » (kôdô) contre l’hédonisme et la décadence
morale. Il prit publiquement la défense des auteurs de la
tentative de coup d’État du 15 mai, qui avaient pourtant
assassiné le chef du cabinet auquel il appartenait, et alla
jusqu’à faire pression sur Saionji en lui disant que
l’armée n’accepterait désormais plus de cabinet de parti.
Il satisfaisait encore les attentes de l’armée en écartant
les membres de la faction Ugaki des postes de
responsabilité, mais c’est aussi par là qu’il commença à
se créer des inimitiés. Il apparut en effet qu’Araki
favorisait seulement l’ascension d’hommes proches de
lui et ne faisait que remplacer une faction par une autre,
suscitant par réaction la formation d’une faction
adverse, composée notamment de membres de la
Société du soir qu’il n’avait pas favorisés133.
Les griefs de ses nouveaux adversaires ne se limitent
pas au clientélisme. Araki défend une conception de
l’armée peu moderne, donnant la priorité à l’infanterie,
fondée sur la pureté de l’esprit martial et le sens du
sacrifice, voire sur une mystique de l’arme blanche, non
sur une stratégie tenant compte des nouveaux
armements et des contraintes propres à une guerre
longue. De plus, il est convaincu qu’un conflit éclatera
sous peu avec l’Union soviétique, qu’il considère comme
la principale menace pour le Japon, pour des raisons à
la fois idéologiques et géostratégiques. Tout cela
contrarie les projets de Nagata Tetsuzan, qui pense au
contraire qu’il est nécessaire de développer les
armements modernes, de travailler d’abord en vue
d’assurer au Japon les ressources en matières premières
de la Chine du Nord et de planifier l’organisation de
l’économie civile en vue de son intégration à une
économie de guerre totale : la réalisation d’un tel
programme demandant du temps, toute guerre à brève
échéance ne pourrait que le retarder134.
Enfin, on l’a vu, Araki encourage l’agitation des jeunes
officiers de troupe, au moment où Nagata et d’autres
s’efforcent au contraire de rétablir la discipline en
éloignant et dispersant les officiers activistes, ou en
interdisant leurs rassemblements135. De là le nom de
« faction du Contrôle » (Tôseiha) qui apparaît au début
de 1933, allusion à l’autorité qu’elle cherchait à
reprendre sur le corps des officiers, mais aussi,
probablement, à l’économie dirigée (tôsei keizai) dont
Nagata préparait la mise en œuvre en développant des
concertations avec le patronat et les bureaucrates civils.
Aidée par le ralliement du général Hayashi, la faction
du Contrôle s’imposa assez vite à l’état-major et affaiblit
de manière décisive l’influence d’Araki. Ayant perdu
aussi la confiance de beaucoup de jeunes officiers, faute
d’avoir pesé réellement sur la politique économique, il
démissionna du gouvernement au début de 1934 en
prétextant des raisons de santé. Le seul représentant de
la Voie impériale à occuper encore un poste important
était Mazaki Jinzaburô, inspecteur général de
l’enseignement militaire, qui devint la nouvelle figure de
proue des opposants à la faction du Contrôle. Nagata et
Hayashi auraient pu ne pas s’en inquiéter si Mazaki,
dont l’ambition politique égalait au moins celle d’Araki,
n’avait eu le soutien des jeunes officiers de troupe, qui
reportèrent sur lui les espoirs qu’ils plaçaient en Araki
peu auparavant.

LES JEUNES OFFICIERS


Une des difficultés que l’on rencontre dans la lecture
des textes de Maruyama, ou de certains historiens de
cette période, tient au fait que l’appellation « faction de
la Voie impériale » tantôt renvoie aux seuls officiers
directement liés à Araki, généraux (Mazaki, Obata,
Yanagawa, Yamashita…) ou officiers de l’état-major,
tantôt inclut aussi les jeunes officiers de troupe qui les
soutenaient. L’équivoque est dans ce soutien même, qui
n’allait pas du tout de soi, au point que certains des
jeunes officiers concernés refusèrent même
l’appellation, préférant se dire « nippo-
fondamentalistes » (Nihon genri ha). Le soutien à Araki
puis à Mazaki repose certes sur une communauté de
vues avec ces derniers (antisoviétisme, agrarisme,
importance donnée à la Maison impériale) mais cela ne
veut pas dire que les jeunes officiers aient placé en eux
toute leur confiance. Il dépend au moins autant d’une
convergence d’intérêts liée à l’antagonisme avec la
faction du Contrôle, expression d’une hiérarchie
désirant mettre fin aux activités politiques des
lieutenants et des capitaines.
Par ailleurs, il arrive que des formules comme « jeunes
officiers » ou « officiers rénovateurs » soient employés
avec un sens très large, jusqu’à inclure le groupe de la
Société d’un soir. Or, si la composition de la Société de
la fleur de cerisier et l’affaire d’octobre 1931 peuvent
laisser croire à une continuité entre l’état-major et les
officiers de troupe, un antagonisme profond les séparait
en réalité.
Pour les jeunes officiers, la Société d’un soir ou les
dirigeants de la Société de la fleur de cerisier
représentent l’élite de l’armée, c’est-à-dire le petit
nombre de privilégiés qui ont étudié à l’École supérieure
de guerre (Rikugun shikan daigaku) et sont destinés à
occuper les postes éminents. De plus en plus mal
acceptée au sein de l’armée, cette distinction sociale est
alors symbolisée par un insigne spécial que portent les
diplômés de l’École supérieure de guerre, surnommé
« tenposen » en raison de sa forme ovale qui rappelle
une pièce de monnaie de l’ère Tenpo136. Maruyama n’y
fait pas allusion et il est possible qu’il n’ait pas eu
conscience de cet arrière-plan sociologique du
mouvement des jeunes officiers. Cet éclairage permet de
comprendre que, dès l’époque de l’affaire d’octobre,
l’entente était mauvaise entre les officiers de l’état-
major, le groupe de Hashimoto et Chô, et les officiers de
troupe qui s’étaient brièvement alliés à eux.
Ce « mouvement des jeunes officiers » (seinen shôkô
undô) n’a pratiquement pas eu d’existence formelle. Il
apparaît au milieu des années 1920 avec la rencontre
entre certains officiers nés dans les années 1900 et
Nishida Zei*, disciple de Kita Ikki* et lui-même ancien
officier de l’Armée de terre. Nishida leur fit connaître les
textes de Kita, son programme à la fois nationaliste et
socialisant, dont la mise en œuvre impliquait les
militaires137. Le Parti de l’épée céleste* (Tenken tô),
qu’il créa en 1927, ne fut guère plus qu’un réseau de
personnes qui avaient été en contact avec lui et
auxquelles il adressait des lettres d’information ou qu’il
rencontrait plus ou moins régulièrement. Ce réseau
continua toutefois d’exister après que le nom eut
disparu138, et permit la diffusion des idées de Kita.
L’intérêt des jeunes officiers pour la « rénovation
nationale » ne signifie pas qu’ils aient adopté tel quel
son programme. Il est clair, par exemple, que la
question des campagnes avait pour eux une importance
plus grande que dans le Plan pour une rénovation du
Japon*, et que les effets de la crise économique
accentuèrent cet infléchissement dans un sens agrarien.
De plus, si l’idée que les militaires pouvaient diriger une
action politique d’envergure les séduisait, beaucoup ne
pouvaient concevoir une telle entreprise sans y donner
à l’empereur une place centrale, alors que Kita ne le
faisait intervenir que marginalement. Le lecteur du
cours de 1947 peut d’ailleurs sentir un flottement dans
le texte de Maruyama lorsqu’il aborde le passage
consacré à l’idéologie du soulèvement de février 1936.
Il y avait en effet une contradiction, entre le principe
de soumission intégrale à l’empereur et l’adoption d’un
programme politique inspiré de Kita, c’est-à-dire entre
les deux traits par lesquels est caractérisée l’idéologie
des jeunes officiers (voir p. 93-94). Maruyama effleurait
là un problème dont les historiens ont mis longtemps à
prendre conscience alors qu’il aurait dû au moins les
intriguer. Lui-même ne le résout qu’en faisant de cette
contradiction la spécificité des jeunes officiers, trop
inhibés par l’idéologie impériale, selon lui, pour
expliciter les raisons de leur action et les mesures qu’ils
souhaitaient. Il semble penser que leur coup de force ne
visait qu’à mettre l’empereur en situation d’agir et qu’ils
n’avaient pas prévu de se donner un rôle dans la suite
des événements, comme si l’empereur n’attendait que
d’être libéré par eux pour appliquer le programme de
Kita ! On comprend que, faute d’une information plus
détaillée, il ait conclu à une irrationalité ne s’expliquant
que par une forte inhibition psychologique.
Or c’est l’échec de leur soulèvement qui a donné
l’impression que ses auteurs ne se donnaient pas d’autre
rôle que de libérer l’empereur des « scélérats » qui
l’entouraient. Comme l’a montré Tsutsui Kiyotada, les
plus impliqués dans l’organisation du soulèvement-
comptaient en réalité sur certains appuis pour obtenir
du palais que Mazaki soit nommé Premier ministre.
Plusieurs canaux d’accès à l’empereur avaient même été
prévus. Ils espéraient en outre qu’ils contrôleraient
suffisamment Mazaki pour lui imposer les réformes
auxquelles ils tenaient, voire qu’ils seraient en mesure
de le supplanter dans un second temps.
D’une manière générale, le fait que les jeunes officiers
aient soutenu la faction de la Voie impériale ne signifie
pas qu’il y ait eu une convergence idéologique parfaite
entre eux et Araki ou Mazaki, enclins à se méfier de tout
ce qui ressemblait à du socialisme. Plus exactement,
deux tendances existaient au sein du groupe qui
organisa le soulèvement du 26 février : si l’une
correspondait au principe de soumission à l’empereur
que décrit Maruyama, l’autre avait bel et bien un
programme politique139. Après leur arrestation et lors
du procès, les insurgés s’efforcèrent tous de dissimuler
ce plan et de nier ou de minimiser l’influence de Kita,
en évitant par exemple de parler des subventions en
faveur des campagnes, de la réforme agraire, de la
destruction des cartels financiers, autrement dit de tout
ce qui s’apparentait à une révolution socialiste140. Pour
certains, l’invocation du principe de soumission à
l’empereur n’était en quelque sorte que le système de
défense le plus propre à leur éviter la peine capitale. On
ne peut guère reprocher à Maruyama d’avoir été mal
informé à l’époque où il écrivait141, ni d’en avoir conclu
que, comme il l’affirmait dans une note ajoutée dix ans
plus tard, les jeunes officiers étaient incapables d’une
pensée critique de nature à évoquer le problème social
en tant que tel (voir p. 94). Le fait est que leur
programme, quelles qu’aient été leurs arrière-pensées
ou leurs sentiments réels pour la Maison impériale,
n’avait une chance d’être accepté que si leur discours se
prévalait d’une loyauté totale envers l’empereur,
opposable aux « scélérats infestant le Trône ».
Une vaste « reprise en main de l’armée » (shukugun)
fut menée après le 26 février, dont les premières cibles
étaient naturellement Araki, Mazaki et les généraux qui
avaient eu une attitude suspecte lors du soulèvement,
mais qui toucha l’ensemble du corps des officiers (voir
Factions militaires*). La « nouvelle faction du
Contrôle » qui apparut alors à la tête de l’armée était
une sorte de coalition dominée par des hommes qui
avaient été proches de Nagata, comme Tôjô et Mutô,
auxquels se rallièrent la plupart de ceux qui n’avaient
pas été proches d’Araki. La carrière politique de la Voie
impériale ne prit toutefois pas fin en mars 1936.
Plusieurs de ses figures devinrent des conseillers auprès
de Konoe Fumimaro, comme Araki, qui fut même
ministre de l’Éducation de mai 1938 à août 1939, et
firent plus tard partie d’un front anti-Tôjô avec le
courant pro-américain de Yoshida Shigeru142.
La dispersion du courant des jeunes officiers liés de
près ou de loin à Nishida et Kita marqua sans aucun
doute un tournant dans l’histoire intérieure de l’armée.
Mais comme le souligne Maruyama, les militaires ne
cessèrent ensuite d’exploiter l’affaire du 26 février
auprès des civils en agitant la menace de nouveaux
coups de force. La manière dont celui-ci s’était terminé
(refus de l’empereur opposé à toutes les suggestions de
changement de cabinet, intransigeance vis-à-vis des
insurgés), la surveillance accrue de la Police militaire et
les mobilisations entraînées par la poursuite de la guerre
sino-japonaise rendaient en vérité peu probable la
répétition de projets aussi élaborés. Des assassinats
demeuraient toutefois possibles, comme le montre le
complot visant à assassiner l’amiral Yonai alors qu’il
était Premier ministre et s’opposait à la conclusion d’un
pacte militaire élargi avec l’Allemagne. L’attentat dont
fut victime en août 1941 Hiranuma Kiichirô, alors
ministre d’État dans le cabinet Konoe, après s’être
montré partisan d’une politique d’apaisement avec les
États-Unis143, suggère aussi que le « rôle historique »
des groupes d’extrême droite non plus ne prit pas
totalement fin en 1936. Ils contribuèrent à réprimer les
velléités de contestation qui existaient encore, agissant
parfois de leur propre chef, parfois pour le compte de
l’armée quand la Police militaire jugeait plus expédient
de faire appel à leurs services. Pour quelques années
encore, ils servirent aussi d’adjuvants à la Police
politique (Tokkô), notamment dans la répression des
« crimes idéologiques » (shisôhan). Sur les dirigeants
militaires eux-mêmes, une pression continua de
s’exercer depuis l’intérieur de l’armée. Le
« renversement de la hiérarchie » ne prit plus la forme
de tentatives de coups d’État (même si l’on put encore
découvrir des complots), il s’exprima de manière plus
informelle, par des exigences portant sur les budgets
militaires ou sur la politique extérieure. Ainsi, le refus
de retirer les troupes de Chine, au cœur du différend
avec les États-Unis144.

LE RÔLE DES INTELLECTUELS


Avant d’en venir à la question du fascisme japonais, il
convient d’évoquer encore un point, à propos duquel la
lecture de Maruyama semble un peu rapide. Comme on
peut le voir dans le cours de 1947, Maruyama
considérait que les professions intellectuelles au sens
propre (la première catégorie, opposée aux professions
« pseudo- » ou « para-intellectuelles ») avaient été
largement indifférentes au fascisme, ce qu’il expliquait
par la médiocrité idéologique de celui-ci et par le
décalage entre leur culture, essentiellement occidentale,
et une propagande qui puisait au contraire dans un
fonds de figures et de thèmes nationaux. Sans doute cela
était-il vrai de Maruyama et de beaucoup de ceux qu’il
avait côtoyés dans l’université, mais la généralisation
paraît hâtive. Le moins étonnant n’est pas que
Maruyama donne lui-même de nombreux exemples
d’intellectuels qui, d’une manière ou d’une autre,
soutinrent l’ultranationalisme, comme ceux de l’école de
Kyôto et du courant de la « philosophie de l’histoire
mondiale », dont il se moque dans le court texte de
janvier 1946 auquel nous avons déjà fait allusion145, ou
les nombreux auteurs qu’il cite lorsqu’il présente
l’idéologie du fascisme japonais. À propos de Kita Ikki,
on peut certes considérer qu’il fut toujours étranger au
milieu universitaire. On peut également admettre, sans
doute, qu’Ôkawa Shûmei ou Minoda Muneki*, quoique
diplômés de Tôdai, s’étaient mis en marge de ce milieu,
qu’ils attaquèrent même146. Mais que dire de tous ceux
que séduisit, à partir de 1937, l’idée d’« ordre nouveau
en Asie orientale » lancée par Konoe, qui rapprocha une
partie de la gauche avec l’extrême droite, ou plus
généralement de tous ceux qui pensèrent qu’une ère
nouvelle commencerait avec la fin annoncée de la
démocratie bourgeoise147 ?
Malgré les critiques qui purent lui être adressées sur ce
point, Maruyama ne changea pas d’avis. En 1956,
lorsqu’il aborda de nouveau la question des
responsabilités dans la guerre (sensô sekinin), tout en
admettant que celle des intellectuels devait également
être débattue, ce fut essentiellement pour parler de
l’empereur et du Parti communiste148. En 1982,
évoquant la situation des intellectuels dans le Japon du
XXe siècle, il dit à peu près la même chose qu’en 1947, à
savoir que, dans leur majorité, ils furent préservés du
fascisme par la médiocrité culturelle de celui-ci et que,
ne pouvant non plus résister, ils tendirent à se
dépolitiser et se réfugier dans une indifférence qui tenait
de la résistance passive149. Cette conclusion ne
l’empêchait toutefois pas de s’inclure dans ce qu’il
appela en 1977 une « communauté du remords (ou de la
repentance) » (kaikon kyôdôtai), pour désigner les
intellectuels dont le destin aurait dû être de résister à la
fascisation du régime mais qui n’en trouvèrent pas les
moyens.

III. ESQUISSE D’UNE THÉORIE DU FASCISME


Maruyama conclut son enquête d’une façon
paradoxale, en tout cas surprenante pour les historiens
d’aujourd’hui, habitués à voir dans le fascisme un
phénomène essentiellement lié à l’entre-deux-guerres :
tout en parlant de « fascisme japonais », il rapproche
pour finir le cas japonais de l’Allemagne d’avant 1914.
On pourrait en déduire que « fascisme » n’est pas un
mot auquel il s’efforce de donner un contenu précis. Il
nous semble qu’il faut au contraire prendre au sérieux le
fait que, dans le même texte, en mai 1949, il emploie
encore ce mot, alors qu’il avait à sa disposition
« ultranationalisme » s’il voulait l’éviter. Il avait indiqué,
au début du cours de 1947, qu’il ne l’employait pas sans
y avoir réfléchi, mais préférait ne pas partir d’une
définition abstraite.
Cette prudence s’explique bien sûr par le fait que
l’enquête historique ne présenterait plus beaucoup
d’intérêt si une définition pouvait être donnée
préalablement. D’autre part, comme le montre l’article
de 1946, il est convaincu que le cas japonais est très
spécifique et que les différences avec l’Allemagne nazie
ne sont pas secondaires. Il navigue donc entre deux
écueils : réduire l’explication à des facteurs propres au
Japon ou, inversement, rabattre celle-ci sur une théorie
générale du fascisme qui laisserait échapper des aspects
essentiels du cas japonais.
À cet égard, la réflexion de Maruyama s’inscrit dans un
débat interne à la gauche japonaise, qui remonte au
début des années 1930. Comme on sait, la position du
Komintern consista longtemps à traiter le fascisme
comme le signe de la crise finale du capitalisme, sans y
reconnaître d’autre nouveauté et donc sans préconiser
de changement de tactique, notamment vis-à-vis des
sociaux-démocrates. La contribution des intellectuels
marxistes proches des partis communistes fut par
conséquent limitée, ou s’exprima d’une manière très
enveloppée. Dans le cas japonais, la question était
rendue plus complexe par le fait qu’il n’allait pas de soi
que le capitalisme approchait de son stade ultime, étant
donné que la part de l’industrie dans l’économie était
encore sensiblement inférieure à ce qu’elle représentait
dans beaucoup de pays d’Europe de l’Ouest. Le courant
marxiste « Ouvriers et paysans » (Nôrôha) considérait
néanmoins que le Japon avait pleinement atteint le
stade bourgeois capitaliste et que l’exacerbation du
nationalisme y dépendait des mêmes causes que dans
les autres pays capitalistes. Contre cette vision, le
courant dit « du Cours » (Kôzaha) faisait valoir la
prégnance de structures sociales caractéristiques du
stade féodal, coexistant avec des structures modernes,
et le maintien d’un système politique de type absolutiste
quoique fonctionnant partiellement comme une
démocratie bourgeoise. Il importait donc de saisir cette
dualité, qui faisait l’originalité du Japon, sans rabattre
l’analyse sur celle qu’on pouvait faire à propos de pays
plus avancés. Il valait mieux éviter de parler de fascisme
tant que le passage à un régime intégralement bourgeois
ne serait pas attesté. Cette position était à peu près celle
du Komintern en 1932150. Si au contraire le fascisme
était défini par ses moyens, comme une dictature
terroriste, position adoptée par le Komintern en 1935,
alors on pouvait parler de fascisme au Japon, même en
considérant que les structures politiques et socio-
économiques n’y étaient pas celles du régime bourgeois-
capitaliste à son stade le plus avancé. La question fut de
nouveau posée parmi les communistes au lendemain de
la guerre, à l’époque où Maruyama publiait ses propres
textes. Kamiyama Shigeo (1905-1974) affirmait que le
Japon en était resté jusqu’en 1945 à ce que Marx
appelait le stade « absolutiste », tandis que Shiga Yoshio
(1901-1989), s’appuyant sur la définition donnée par le
Komintern en 1935, parlait de « système impérial
fasciste » (tennôsei fashizumu). Le Parti communiste
japonais mit fin au débat, sans trancher sur le fond151.
Maruyama avait retenu les analyses plus nuancées de
la faction du Cours, sans partager le point de vue d’après
lequel la démocratie libérale était de toute façon
condamnée. Il puisa aussi beaucoup d’informations chez
l’historien marxiste Kinoshita Hanji (1900-1989), auteur
d’une histoire de la Commune de Paris et traducteur de
textes de Marx, Jaurès, Lénine, Sorel, Malaparte ou
Georges Valois. Kinoshita avait publié en 1936 la
première version de son Fascisme japonais (Nihon
fashizumu), augmentée plusieurs fois par la suite
jusqu’après la guerre et complétée par un Dictionnaire
du fascisme (Fashizumu jiten, 1937, édité avec
Miyazawa Toshiyoshi*), qui restent des sources utiles
pour connaître toutes sortes de mouvements ou
d’épisodes de cette époque152.
Cependant, la question de savoir si le cas du Japon
pouvait être éclairé à partir de l’exemple des fascismes
européens avait été abordée de manière un peu
différente par d’autres auteurs. Plusieurs ouvrages
consacrés au « fascisme japonais » furent publiés en
1932, après l’incident de Mandchourie et la tentative de
coup d’État du 15 mai, dont le plus connu est la
Critique du fascisme japonais (Nihon fashizumu
hihan) de Hasegawa Nyozekan (1875-1969)153.
Intellectuel socialiste, ami de la famille de Maruyama et
dont l’itinéraire ultérieur ressemble à une conversion
progressive au nationalisme154, Hasegawa était devenu
très proche du marxisme vers 1930 et son livre
développait une analyse en termes de lutte de classes.
Toutefois, contrairement aux marxistes, il expliquait
que la lutte décisive avait lieu entre la classe dominante
et les segments les moins modernes de la classe
moyenne, non pas entre le prolétariat et la bourgeoisie.
Constatant que les mouvements d’extrême droite
avaient pris une importance telle qu’ils pèseraient
nécessairement sur l’évolution politique, il notait aussi
que leur dispersion les empêcherait d’imposer leurs
vues à une classe dirigeante vis-à-vis de laquelle leur
attitude était d’ailleurs équivoque (leur hostilité envers
le grand capital n’étant pas aussi forte que leur
anticommunisme). Avec beaucoup de clairvoyance, il
prédisait que ce fascisme « chaud » serait
progressivement incorporé à un fascisme « froid » des
élites, autrement dit que ces dernières lui feraient des
concessions sans le laisser accéder au pouvoir. Il y a là
plusieurs éléments que l’on retrouve chez Maruyama.
L’analyse de Hasegawa évoquait longuement l’armée
mais sans en faire une instance particulière : l’armée
reflétait la structure sociale d’ensemble, les officiers
radicaux représentant la classe moyenne et l’état-major
la classe dominante. C’est l’économiste Kawai Eijirô
(1891-1944), adepte du socialisme anglais, qui s’en prit
le plus résolument à l’armée en tant que telle, ce qui
devait lui coûter son poste à l’Université de Tokyo en
1939. Dans plusieurs textes, dont le volumineux
Critique du fascisme (Fashizumu hihan, 1934), il
dénonça les interventions croissantes de l’armée dans la
politique et les dangers que celles-ci faisaient courir à la
fois au parlementarisme et à la situation internationale
du Japon. Il pointait le problème posé par la
Constitution de 1889, qui favorisait ces interventions en
permettant à l’armée d’échapper au contrôle du pouvoir
civil (voir Prérogative impériale de commandement
suprême*)155.
Tout en reconnaissant une nouveauté dans ce qui se
passait au Japon ou en Europe, ces auteurs n’ont pas
véritablement cherché à produire une définition du
fascisme sur la base de comparaisons serrées entre
différents cas. Chez eux, le recours à ce mot veut
signaler, outre une intention péjorative156, l’apparition
d’un phénomène inédit, dont il n’y avait pas
d’explication déjà donnée et dont les effets les plus
redoutables étaient encore à venir. Leurs exemples
avaient montré la voie d’une interprétation qui ne
réduisait pas le fascisme à une radicalisation des
moyens employés par la bourgeoisie pour se défendre
contre une menace révolutionnaire réelle ou fantasmée.

LE PROCESSUS FASCISTE
Le lecteur d’aujourd’hui peut être frappé en voyant
Maruyama parler de « stade absolutiste » à propos du
Japon moderne, signe parmi d’autres de son éclectisme,
ou de son sens du bricolage théorique, mais également
d’un souci de ne pas abandonner certains concepts aux
marxistes. Cela ne signifie pourtant pas qu’il voie dans
le fascisme un « stade » de l’évolution politique
moderne, un moment historique déterminé par les
structures économiques ou une sorte de crise de
croissance de la démocratie qui, une fois passée, ne
pourrait plus se reproduire. Il n’a guère explicité cette
idée dans ses textes sur le cas japonais, mais il l’a un
peu développée par la suite, dans quelques textes, hélas
peu nombreux, qui abordent la question en termes plus
généraux. Si le rapprochement avec l’Allemagne d’avant
1914 qui conclut l’article de mai 1949 a de quoi
surprendre, il devient plus étonnant encore lorsqu’on lit
un article de 1952 dans lequel Maruyama s’intéresse
cette fois au phénomène du maccarthysme et aux
formes prises par la réaction contre le mouvement des
droits civiques aux États-Unis157.
La question est moins de savoir si tel mouvement ou
tel régime doit être qualifié de fasciste, que de saisir un
processus au terme duquel un régime libéral devient
totalitaire. Les exemples italien et allemand donnent
l’impression qu’il s’agit d’une transformation rapide et
que l’arrivée au pouvoir du parti qui en fut l’acteur
constitue une césure nette et irréversible. Cette
représentation fait oublier que le Parti fasciste et le Parti
national-socialiste ont dû dans un premier temps
composer avec d’autres forces politiques, dont le soutien
les a aidés à s’installer au pouvoir, et qu’il a leur a fallu,
de plus, réprimer en leur sein des tendances
radicales158. Au Japon, à l’inverse, le caractère graduel
de la fascisation et la coopération active d’une partie des
élites politiques sont évidents et impossibles à éluder.
On peut bien sûr l’attribuer au fait qu’aucun
mouvement ni l’armée ne pouvait bouleverser
ouvertement les institutions qui dépendaient de la
Constitution de 1889, donc de la Maison impériale. La
remise en question du régime parlementaire, ce
qu’expriment au fond des formules comme
« Restauration de Shôwa » ou « rénovation de l’État », se
heurtait à la source même de la légitimité qu’elle voulait
faire jouer contre le régime parlementaire. Maruyama y
insiste à plusieurs reprises. Pourtant, il n’en conclut pas
que le cas japonais serait moins fasciste parce que
l’évolution fut plus progressive et qu’il n’y eut pas de
prise du pouvoir « par en bas ». Il montre au contraire
que la transformation du régime est le résultat d’une
interaction entre les mouvements « d’en bas » et les
élites politiques, les premiers favorisant la montée au
pouvoir des courants antilibéraux présents parmi les
secondes. Lorsqu’il parle d’un « fascisme atrophié » à
propos du Japon, ce n’est pas le régime ou ses effets
qu’il caractérise, mais cette structure disjointe des
forces qui l’ont rendu fasciste.
Corrélativement, l’idéologie n’est pas le seul trait
auquel il s’attache lorsqu’il étudie les mouvements
d’extrême droite ou lorsqu’il évoque ce que devient le
régime japonais au cours des années 1930. Il ne lui
accorde finalement pas plus d’importance qu’aux
aspects sociologiques : prévalence des petits groupes et
des relations verticales au sein de ceux-ci, position
sociale des soutiens actifs du régime, rôle de la
bureaucratie dans l’appareil d’État. Il prend certes le
temps de détailler les thèmes de prédilection qui lui
semblent spécifiques du fascisme japonais (familialisme,
agrarisme, asiatisme), mais il note aussi que l’on n’y
trouve rien de très original, qu’il s’agit d’emprunts à
l’idéologie officielle ou à des courants qui existaient
depuis l’ère Meiji et que le cœur de la doctrine se réduit
à peu de chose.
Cette analyse converge avec celle de Robert Paxton,
pour qui l’idéologie fasciste est faite d’oripeaux, de
pièces et de morceaux trouvés pour l’essentiel dans une
tradition locale. Il ne s’agit pas d’une organisation
théorique ou d’un ensemble de principes définissant une
idéologie fasciste universelle. Les ressemblances
formelles entre les fascismes de pays différents ne sont
donc pas forcément significatives, le fascisme se
reconnaissant plutôt à sa manière d’amalgamer les
éléments d’un corpus patriotique national avec des idées
socialistes. Ces dernières jouent un grand rôle dans les
débuts, puisqu’elles donnent au discours fasciste un
caractère antibourgeois et anticapitaliste, mais
s’effacent par la suite, lorsque le mouvement fasciste se
rapproche du pouvoir ou l’exerce. Tout cela était déjà
présent dans l’analyse de Maruyama, qui remarque aussi
le détournement de l’idée de transformation sociale : le
fascisme vise les manières de penser pour ne pas
toucher à la structure sociale elle-même159. Les
éléments qu’on retrouve d’un pays à l’autre sont pour
l’essentiel des rejets : « rejet de la vision du monde
individualiste et libérale, […] rejet du parlementarisme,
qui est l’expression politique du libéralisme, […]
négation des luttes de classes et […] antimarxisme »
(voir p. 54). La part affirmative (« expansionnisme,
militarisme […] mythologie de l’ethnie ou […] thème de
l’essence nationale ») est analysée comme un moyen de
mettre en œuvre ces rejets plutôt que comme un
véritable contenu de pensée. Il ne mentionne qu’en
passant « la tendance […] à faire l’apologie de la guerre
pour elle-même », sans y voir le cœur d’une vision du
monde, ce qui serait déjà une manière de reconnaître au
fascisme une consistance intellectuelle. Il insiste au
contraire sur sa mobilité idéologique et politique.
Comme chez Paxton, ces observations conduisent à
définir le fascisme par une dynamique particulière160.
Dans la dernière partie du cours de 1947, Maruyama
insiste sur tout ce qui distingue le stade où les
mouvements ont le premier rôle de celui où les
impulsions décisives viennent de l’intérieur de l’État. Il
souligne également le fait que le fascisme dirige son
agression d’abord vers l’extrême gauche, puis vers les
socialistes, puis vers le centre et la droite libérale, puis
vers ceux qui ne soutiennent pas activement le régime,
et que cette extension de la répression ne paraît pas
avoir de fin. Autrement dit, le fascisme ne vise pas un
ennemi déterminé, il s’en donne toujours un nouveau
une fois qu’il s’est débarrassé de celui qu’il dénonçait
auparavant, comme s’il ne pouvait exister qu’à travers la
répression même, dans l’action de faire disparaître tout
ce qui semble nier l’unité nationale, réduisant toujours
davantage les possibilités de contestation, jusqu’à ce que
la guerre devienne le seul moyen de continuer à affirmer
l’unité nationale, détournant vers l’extérieur l’énergie
des tensions internes.
C’est pourquoi Maruyama parle de fascisme à propos
du maccarthysme en 1952. La répression du
communisme lui apparaît comme la première étape d’un
processus dont la logique profonde est hostile au
libéralisme politique. Cela explique aussi ses prises de
position en faveur du Parti communiste japonais, pour
lequel il n’avait qu’une sympathie limitée.
Ce qui l’intéresse est donc moins de dénoncer la
vanité de l’ambition dont est porteuse l’exacerbation du
nationalisme, que de mettre au jour l’incapacité à
accepter le pluralisme dans l’espace politique, la peur
qui constitue le mobile caché du fascisme avant de
devenir un de ses moyens161. En ce sens, le concept est
susceptible d’une généralisation qui excède son
application à quelques objets historiques bien
déterminés. Le mot trouve alors sa place aussi bien dans
un dictionnaire de sciences politiques que dans un
dictionnaire d’histoire162. Mais, en étendant
l’application du concept, Maruyama ne cherche pas à
ramener tous les cas envisagés à un modèle unique. Il
en limite au contraire la portée, afin de permettre la
prise en compte de facteurs multiples et d’expliquer
pourquoi, dans tel pays, à tel moment, le rejet du
pluralisme a pu subvertir effectivement le régime libéral.
Ceci explique également pourquoi Maruyama n’était pas
très intéressé par la question des ressemblances entre
les régimes fascistes et les régimes soviétique ou
chinois. Il lui arrive de parler de « totalitarisme » pour
évoquer le résultat de la fascisation, mais son
interrogation porte avant tout sur une transformation
dont le début au moins n’abolit pas les institutions
existantes.
L’article de mai 1949 sur la psychologie des dirigeants
japonais vise ainsi à comprendre la dynamique
particulière qui a mis fin au pluralisme, avant
d’entraîner le pays dans la guerre. La disjonction entre
l’instance du pouvoir (le bureaucrate) et celle de la
violence (le hors-la-loi), et la relation complexe entre
celles-ci, donnent aux décisions un caractère souvent
irrationnel, de sorte qu’aucun des acteurs impliqués
n’aurait le sentiment d’en être responsable. Il montre
également que cette structure est le produit d’une
histoire spécifique, liée à l’importance qu’avait la
bureaucratie dans le gouvernement à l’ère Meiji et
qu’elle avait conservée, sous une forme dégradée,
jusqu’au début de l’ère Shôwa.
On peut presque s’étonner du fait que Maruyama ait
maintenu une perspective généraliste dans son travail,
puisque sa préoccupation fondamentale était de mettre
en évidence les aspects très particuliers du cas japonais.
Au terme de l’article de 1949 sur la psychologie des
dirigeants japonais, après qu’il a si fortement souligné
les différences avec les dirigeants nazis, l’utilité du mot
« fascisme » a perdu beaucoup de son évidence. Qu’il
s’agisse de la forme prise par le régime à la fin des
années 1930 ou de l’entrée en guerre contre les États-
Unis, on ne perçoit pas nettement la volonté de mettre
en œuvre un projet consciemment réfléchi, alors que le
volontarisme apparaît central dans l’idée qu’on se fait du
fascisme. Cette impression est due en partie au fait que
Maruyama, dans cet article, ne s’attarde pas sur la
dissolution des organisations politiques et syndicales, la
mise en place du « nouveau régime » (shin taisei),
l’embrigadement de la population dans les organisations
rattachées à l’Association de soutien au Trône*, et sur
« l’ordre nouveau en Asie orientale ». Il rappelle
néanmoins, à la fin du cours de 1947, que tout cela était
antérieur au déclenchement de la guerre avec les États-
Unis, et refuse d’y voir une adaptation à la situation
créée par la guerre avec la Chine. De plus, dans les
débats du procès de Tokyo dont il se sert en 1949, il
n’était que secondairement question de la disparition
des libertés politiques. C’est surtout à propos de
l’expansionnisme armé que le procès donnait l’occasion
d’observer ce que Maruyama voulait mettre en lumière,
à savoir l’incapacité des dirigeants à assumer leurs
décisions163. Il y a donc un effet de perspective dont le
lecteur peu familier de cette époque doit se méfier164.
En outre, l’insistance de Maruyama sur les dérobades
des accusés japonais ne doit pas faire oublier qu’à ses
yeux, s’il est vrai qu’ils ont voulu éviter la guerre, il est
vrai aussi qu’ils ont voulu la faire, et que le sens général
de leur politique allait au-delà d’une réaction
conservatrice et autoritaire. Sur ce point encore, les
textes du début des années 1950 sont plus explicites.
Maruyama y distingue clairement les régimes fascistes
des régimes autoritaires dont l’idéologie est de type
conservateur, qui ne reprennent pas à leur compte
certains thèmes purement modernes, qui ne visent pas
l’intégration forcée des masses dans des structures
unifiées et qui ne se présentent pas comme les
promoteurs d’un ordre ou d’un âge nouveau, inauguré
dans un pays particulier dont le destin est de rayonner
sur le monde165. Naturellement, la distinction est
toujours délicate à faire. Même un régime qui se veut
purement conservateur et prétend ne s’inspirer que
d’une tradition est en pratique amené à innover. Dans le
cas du Japon, le maintien du cadre institutionnel
existant peut donner l’impression que la part de la
nouveauté est limitée. S’il est vrai aussi que le fascisme
d’autres pays peut être partiellement imité166,
l’influence que les fascismes européens ont eue au
Japon vient surtout de l’audace dont ils donnèrent
l’exemple, dans le rejet de la démocratie et dans leur
politique extérieure agressive, ainsi que des succès
extérieurs de l’Allemagne jusqu’en 1941, mais les
emprunts idéologiques proprement dits sont très
limités.
Toutefois, l’hésitation que l’on peut sentir par
moments chez Maruyama ne tient pas à l’absence de
lien direct avec le fascisme européen. Elle tient plutôt,
nous semble-t-il, à l’idée que le fascisme est une
pathologie qui présuppose l’implantation d’une
démocratie libérale. Maruyama est visiblement réticent
à admettre que le Japon était devenu une démocratie
libérale à la fin des années 1920. Dans ses textes sur les
années 1931-1945, il paraît bien penser le contraire. Ses
textes sur l’ère Meiji, par ailleurs, donnent l’impression
que le chemin vers la démocratie libérale a été perdu
quelque part au début du XXe siècle. Comme l’a relevé
Ishida Takeshi, les allers-retours que Maruyama ne
cesse de faire entre l’ère Meiji et le début de l’ère Shôwa,
passent sous silence la période intermédiaire, l’ère
Taishô (1912-1926), qui est précisément le moment
auquel restait associé le mot de démocratie167.
Maruyama n’en disant rien explicitement, il n’est pas
possible d’affirmer qu’il tenait la « démocratie de
Taishô » pour un moment sans importance, mais il est
clair qu’il ne parvient pas à la situer dans son schéma
d’ensemble. Sans doute admettait-il que la pratique
avait évolué dans un sens libéral, mais tout en estimant
que le retournement brutal du processus avait trahi une
incompréhension ou un rejet du libéralisme. C’est
pourquoi il évoque si souvent le député Ozaki Yukio,
exemple trop rare d’homme politique affirmant les
droits imprescriptibles des gouvernés face à l’appareil
d’État, capable de s’opposer aux « faits accomplis » et de
résister à ce que le gouvernement présentait comme
inévitable.
Néanmoins, redisons-le, après l’article de 1949, il
s’oriente sans aucun doute vers une théorie du fascisme
qui fait place à des cas très variés. En particulier, il
relativise fortement les conclusions que l’on pourrait
tirer de la préservation du cadre institutionnel :
[…] lorsque les forces contre-révolutionnaires sont largement
majoritaires au Parlement et que cette situation ne paraît pas devoir
changer à brève échéance, le système parlementaire ne constitue pas
un obstacle au progrès du fascisme. Naturellement, si les principes du
parlementarisme sont respectés, si le règne du droit garanti par la
Constitution est suffisamment maintenu, l’organisation de la contre-
révolution se heurtera toujours à une difficulté et une résistance
sérieuses. Il est alors improbable que le fascisme se développe sans
toucher au système constitutionnel moderne. Ou bien, s’il paraît le
maintenir, diverses lois auront vidé ce système de sa substance. On doit
en tout cas prendre garde au fait que l’existence d’une Constitution
moderne ou d’un Parlement ne suffit pas à prouver l’absence d’un mode
de domination de type fasciste. Des régimes tels que la dictature d’un
parti unique ou l’État corporatif ne sont que les formes d’organisation
prises par le fascisme dans des situations particulières où elles étaient
les plus efficaces pour venir à bout des forces révolutionnaires168.

Si ces quelques lignes semblent s’appliquer au Japon


d’avant 1945, Maruyama pense alors tout autant aux
États-Unis de 1952, voire au Japon de la même époque,
où le communisme était de nouveau réprimé. On peut
même penser que c’est cette répression qui, pendant
quelques années, l’a incité à reprendre sa réflexion sur
la nature du fascisme169.
LES CRITIQUES DE LA THÈSE DU FASCISME JAPONAIS
Les textes de Maruyama ont reçu de nombreuses
critiques dès leur parution, comme il le rappelle dans
plusieurs notes de l’édition de 1956-57. Certaines ne
visaient que ses interprétations, voire un aspect
particulier de celles-ci, d’autres l’englobaient dans un
ensemble historiographique dont le point commun était
de chercher à mettre en évidence le caractère fasciste
pris par le système impérial. La version la plus achevée
de la thèse du « fascisme impérial », ou du « système
impérial fasciste » (tennôsei fashizumu), fut donnée en
1955 dans la fameuse Histoire de l’ère Shôwa (Shôwa
shi) de Tôyama, Imai et Fujiwara, qui empruntaient à la
fois à Shiga Yoshio et, dans une moindre mesure, à
Maruyama170. Les auteurs ne manquaient pas de
souligner les différences avec l’Italie et l’Allemagne, tout
en maintenant qu’il s’agissait bien d’une forme de
fascisme, notamment dans leur analyse du Mouvement
pour un nouveau régime* lancé par Konoe Fumimaro en
mai 1940 et qui déboucha sur la création de
l’Association de soutien au Trône après la dissolution
des partis politiques. Bien que l’ouvrage ait donné lieu à
une polémique importante, sa thèse tendit à devenir
axiomatique dans beaucoup des recherches poursuivies
à cette époque.
À la thèse du fascisme japonais, le romancier
Takeyama Michio (1903-1984) ou, un peu plus tard, le
politologue Nakamura Kikuo (1919-1977) opposèrent
celle du régime d’exception dont la mise en place était
inextricablement liée à la situation de guerre dans
laquelle se trouva le Japon de façon continue à partir de
1937. Cette interprétation reprenait en la développant
un point de vue proche de celui que Tsuda Sôkichi avait
opposé à Maruyama dès 1947 (voir p. 40-41) :
phénomène anormal produit par une situation
exceptionnelle, l’ultranationalisme n’exprimait pas la
nature profonde du système impérial. Takeyama,
Nakamura et d’autres après eux, insistaient aussi sur le
fait que l’armée avait eu au Japon un rôle central, ce qui
est incontestable, et soutenaient que, pour cette raison,
il conviendrait mieux de parler de « militarisme »171.
Mais c’est avec les travaux de l’historien Itô Takashi
(1932-), à partir de 1976, que la thèse du fascisme
japonais fut le plus vivement attaquée. Itô s’en prenait
au concept même, dont l’emploi par les historiens
n’était dû selon lui qu’à l’influence du marxisme. Or
ceux qui parlaient de « fascisme impérial » décrivaient
en réalité un régime totalitaire, peu différent du
totalitarisme communiste. Bien que cette observation
ne soit pas dénuée de pertinence, elle paraît viser
surtout la complaisance de certains intellectuels
progressistes envers les régimes communistes ou, du
moins, leur tendance à laisser hors-champ les questions
posées par l’existence de ces régimes. Quant à
Maruyama, le fait qu’il ne se soit pas intéressé aux
ressemblances entre ceux-ci et le fascisme s’explique
avant tout, on l’a vu, par son application à comprendre
le processus de dégénérescence du système libéral,
plutôt qu’à produire une définition du régime fasciste
archétypal. Cela ne l’a pas empêché de critiquer l’Union
soviétique, en évoquant par exemple les limites de la
déstalinisation ou le Parti communiste japonais.
Itô proposait de mener les recherches sur la période
de manière plus « positiviste », en se fondant sur des
concepts moins abstraits et en évitant les jugements de
valeur. Ses travaux d’histoire politique, abondamment
documentés, décrivent ainsi l’affrontement entre
partisans d’une « rénovation » (kakushin) et partisans
du statu quo, ainsi que le « régime de guerre » (senji
taisei) mis en place à partir des années 1940-1941. Il
s’attachait notamment à montrer que l’Association de
soutien au Trône n’avait pas été l’équivalent d’un parti
unique, puisqu’elle n’avait pas fait disparaître le régime
parlementaire et puisque des luttes politiques avaient pu
avoir lieu en son sein. D’autre part, les « rénovateurs »
proches de Konoe ou ralliés à son projet, qui l’avaient
créée et dont l’idéologie était la plus proche du
totalitarisme, en perdirent assez vite le contrôle, au
profit de la bureaucratie et de certains ultra-
conservateurs172. Maruyama, on l’a vu plus haut, avait
par avance répondu à des objections de ce genre en
contestant que la domination du fascisme implique
nécessairement la formation d’un pouvoir monolithique.
D’une manière générale, beaucoup d’objections
paraissent dépendre d’une image simplifiée des
fascismes européens.
Les critiques d’Itô, ou celles de Tsutsui Kiyotada
(1948-), eurent toutefois pour effet de relancer les
recherches sur la question, notamment dans une
perspective comparatiste, de sorte qu’on n’a peut-être
jamais autant parlé de « fascisme japonais » que dans les
années 1970 et 1980173. Si les débats sont aujourd’hui
beaucoup moins animés, la querelle n’est pas tout à fait
éteinte pour autant. Le simple fait d’employer ou
d’éviter le mot suffit à indiquer un positionnement.
Comme on l’imagine facilement, l’enjeu n’est pas
purement conceptuel. Bien souvent, les détracteurs de
la thèse du fascisme japonais portent un regard moins
critique sur la période et se soucient visiblement
d’éviter le rapprochement avec la criminalité sans appel
du régime nazi. Ils insistent sur les facteurs liés aux
circonstances internationales dans l’évolution générale
du régime, sur les défaillances des partis ou sur la
concurrence entre des centres de décision distincts,
minimisant voire passant sous silence les faits les plus
dérangeants174.
Dans les débats ou les polémiques au sujet de la
période, la question du fascisme a, depuis les années
1990, laissé place à des objets plus circonscrits
(massacre de Nankin, femmes de réconfort, décisions
d’entrée en guerre, nature ou sens de la guerre), ce qui
peut donner l’impression que la question de la
qualification du régime a perdu de son importance. Elle
demeure en réalité au centre du problème, bien que
plus implicitement que par le passé, puisque la question
est toujours de savoir si l’on peut parler d’un processus
unique, comme le pensait notamment Maruyama, ou s’il
n’y a eu qu’une accumulation de décisions et de
circonstances particulières, et de luttes internes,
comme le pensent les historiens « positivistes ». La
résistance que ces derniers rencontrent s’exprime
aujourd’hui moins par de nouveaux arguments en faveur
de la thèse du fascisme que par des travaux comme
ceux d’Okudaira Yasuhiro (1929-2015) ou d’Ogino Fujio
(1953-), qui montrent l’importance de l’appareil
répressif développé à partir des années 1920, et la
cohérence de cette politique, entreprise bien avant de
pouvoir être justifiée par la situation extérieure du pays.
Puisque la thèse du régime d’exception dû à la guerre
est la plus souvent mise en avant dans les réfutations de
la thèse du fascisme japonais175, ou dans les remises en
question des discours critiques sur les années 1931-
1945, il est intéressant de noter que, dès les années
cinquante, Maruyama s’était efforcé de clarifier le sens
de « militarisme », en insistant sur le fait que le mot ne
pouvait servir à désigner une idéologie mais une
tendance propre à la société de masse, plus ou moins
fortement marquée d’un pays à un autre, et consistant à
faire de l’état de guerre un état quasi normal. Mais alors
que les régimes démocratiques maintiennent malgré
tout la distinction entre état de guerre et état de paix, le
fascisme tend au contraire à rendre l’état de guerre
permanent ou, en l’absence de conflit extérieur, à se
donner pour objectif une « mobilisation générale » de la
nation, au point que cet état de mobilisation devient
pratiquement un but en soi176. Il existe donc bien une
affinité particulière entre militarisme et fascisme. Les
historiens qui refusent de voir un fascisme dans
l’évolution du régime japonais au cours des années
1930, affirment que l’état de guerre ou la situation
internationale du Japon n’ont pas été voulus pour eux-
mêmes et que le « régime d’exception » ne faisait que
répondre à une situation extérieure spécifique et
périlleuse. Maruyama réplique que la guerre a été voulue
au moins comme un moyen de ne pas traiter les
tensions intérieures par des voies démocratiques.
Du reste, le fait que l’armée ait joué un rôle central
dans le processus ne saurait constituer en soi une
objection sérieuse. L’uniforme exclurait-il par nature le
fascisme ? On peut rappeler ici que plusieurs généraux
importants de cette époque furent des idéologues et non
des hommes préoccupés seulement de défense
nationale : Araki Sadao ou Nagata Tetsuzan, dont nous
avons déjà parlé, mais également Ishiwara Kanji, dans
l’esprit duquel la création du Mandchoukouo préparait
la « guerre mondiale ultime » (sekai saishûsen) qui
devait un jour se produire entre l’Orient et l’Occident.
Enfin, les interventions des militaires dans la politique
n’auraient pas produit les mêmes effets si elles n’avaient
convergé avec l’action tout aussi résolue de forces
civiles qui mirent très tôt en œuvre la répression des
mouvements de gauche, puis celle des libéraux, puis ce
que Maruyama appelle « l’assimilation forcée »
(kyôseiteki dôshitsuka), c’est-à-dire l’intégration de la
population dans des organisations de masse destinées à
remplacer ou absorber tout ce qui permettait l’existence
d’une société civile distincte de l’appareil
gouvernemental.
***
À bien des égards, la contribution de Maruyama reste à
la fois stimulante et riche en analyses qui n’ont rien de
perdu de leur intérêt.
Si elle cessa finalement après quelques années, c’est
d’abord à cause de l’engagement de Maruyama, à partir
de 1949, dans la Conférence sur le problème de la paix
(Heiwa mondai danwa kai), dont il rédigea deux des
trois rapports177. Cet engagement l’occupa beaucoup
jusque vers 1952, c’est-à-dire jusqu’à la signature du
traité nippo-américain de San Francisco, qui consacra
l’alignement du Japon sur les États-Unis, à l’encontre
des espoirs formulés par la Conférence. Il y a ensuite les
problèmes de santé que connut Maruyama dans les
années 1950, qui l’empêchèrent de mener des
recherches suivies nécessitant la manipulation d’une
documentation importante. Il ne put ainsi prendre une
grande part aux activités du groupe de recherches sur le
fascisme qu’il avait lui-même créé, et dut se contenter
de signer un court texte introductif présentant les
travaux de ceux qu’il avait réunis autour de lui178.
Si les notes ajoutées pour la publication du grand
recueil Idéologie et action dans la politique aujourd’hui
(1956-57) montrent un Maruyama encore très soucieux
de cerner le phénomène fasciste et d’en donner une
interprétation globale, cette question disparaît ensuite
presque totalement de son travail et n’y est en tout cas
plus abordée en tant que telle. D’une manière générale,
à partir de 1957, la réflexion de Maruyama s’éloigne de
la période contemporaine. Maruyama explique alors
qu’il n’est plus intéressé par les combats qui l’ont
mobilisé depuis la fin de la guerre, contre le système
impérial et contre le marxisme179. Il souhaite se
recentrer sur l’époque d’Edo et l’ère Meiji, mais aussi
aborder l’histoire des idées de façon plus large, sans
donner une place particulière aux questions politiques.
Dans La Pensée au Japon (Nihon no shisô, 1961,
recueil de textes publiés entre 1957 et 1959), il cherche
à mettre en évidence un mode de pensée qu’il retrouve
à différents moments, par-delà les différences de
champs et de contenus. Il affirme que la rapidité avec
laquelle les idées dominantes changent au Japon ne
vient pas seulement du fait que beaucoup ont été
importées mais également de l’absence d’une tradition
autochtone unique et centrale. En Occident, cette
tradition est constituée par le christianisme, à partir
duquel et contre lequel la pensée a pu se développer de
manière dialectique et continue. Au Japon, le progrès
aurait davantage pris la forme d’un empilement de
théories et de paradigmes, sans qu’aucun ne s’impose
suffisamment pour qu’un progrès décisif puisse se
produire de façon autonome, c’est-à-dire à partir d’une
critique interne. L’importance prise à l’époque moderne
par le système impérial s’expliquerait ainsi par la
stabilité idéologique qu’il apportait. Cette prise de recul
avec les thèmes qu’il avait privilégiés depuis 1946 devait
l’entraîner de plus en plus loin en arrière, jusqu’aux plus
anciens textes japonais connus, dans lesquels il tenta de
dégager une structure intellectuelle spécifique au Japon
et qui se serait reproduite à travers les siècles180. Cette
enquête ne portait plus sur l’histoire récente mais il est
clair qu’elle prolongeait les textes sur le fascisme
puisque leur objet demeurait, au fond, la question de la
responsabilité que ceux-ci avaient déjà soulevée.
On peut regretter que Maruyama se soit ainsi orienté
vers la recherche de racines lointaines à un problème
qu’il croyait propre au Japon. Même en admettant que
ce qui le préoccupait ait eu au Japon une importance
particulière, en raison des circonstances dans lesquelles
ce pays avait fait son entrée dans l’ère moderne, la
réflexion de Maruyama n’aurait-elle pas gagné à
considérer le problème de la responsabilité, individuelle
ou collective, comme une question qui se posait à la
philosophie de son temps ? Au moment même où il
s’interrogeait sur les enseignements du procès de Tokyo,
on la trouve par exemple au cœur de l’œuvre de
Sartre181. À traquer si loin dans l’histoire les causes de
comportements observés au XXe siècle, fût-ce pour les
objectiver afin de rendre leur dépassement possible, ne
risquait-il pas aussi de produire comme un
ultranationalisme inversé ? Dire que les facteurs de
résistance à la modernité sont aussi profondément
enracinés, n’est-ce pas, d’une certaine façon, reprendre
le discours ultranationaliste en affectant seulement d’un
signe négatif le mode de pensée ainsi mis au jour ?
Que l’on voie dans ces textes de l’après-guerre une
occasion d’élargir la réflexion sur le fascisme par la prise
en compte d’un cas non européen, ou que l’on préfère y
voir simplement une introduction à l’histoire politique
du Japon de ces années, relativement mal connue en
France, il vaut probablement mieux se garder de
considérer qu’il n’est là question que du Japon, et
toujours se demander si ce qu’en dit Maruyama ne se
retrouve pas aussi bien ailleurs, sous d’autres formes, y
compris là où la modernité est réputée mieux installée.

97. Sur la problématique générale de Maruyama, on pourra consulter en


anglais, l’ouvrage de Rikki Kersten, Democracy in Postwar Japan :
Maruyama Masao and the Search for Autonomy, Londres, Routledge,
1996. Voir aussi Jacques Joly, « Maruyama Masao : de l’autonomie au
pacifisme », dans Sengo. Le Japon de l’après-guerre, sous la dir. de Michael
Lucken, Anne Bayard-Sakai et Emmanuel Lozerand, Presses de l’Inalco,
2007 (édition revue et corrigée, mise en ligne sur le site OpenEdition,
2017).
98. L’astérisque indique la présence d’une notice dans le Glossaire lors
de la première occurrence d’un nom de personne, d’événement ou
d’organisation.
99. Maruyama Masao kaikodan [Souvenirs de Maruyama Masao]
(MMK), Iwanami shoten, 2016, I, p. 178, 242-243.
100. Il échappa du moins au renvoi du lycée, sanction fréquemment
appliquée lorsque des étudiants étaient suspectés d’avoir des idées
socialistes. Sur cet épisode, voir Karube Tadashi, Maruyama Masao and
the Fate of Liberalism in Twentieth Century Japan, trad. angl. David
Noble, International House of Japan, Tokyo, 2008, p. 38-39 ; Oguma Eiji,
« Mythe et réalités du champion de la démocratie de l’après-guerre »,
Ebisu. Études japonaises, 54, 2017, p. 14-15.
101. Nihon shihon shugi hattatsushi kôza, 7 vol., Iwanami shoten, 1932-
1933. Sur la faction dite « du Cours » (Kôzaha), voir infra, partie III. Le
premier volume se serait vendu à près de 13 000 exemplaires, le dernier à
un peu moins de 8 000. Ishida Takeshi, Nihon no shakaigaku [Les
Sciences sociales au Japon], Tokyo daigaku shuppankai, 1984, p. 118.
102. Karube, op. cit., p. 54-55.
103. Voir p. 23.
104. Le « cours d’histoire des idées politiques de l’Orient » (Tôyô seiji
shisô shi kôza) fut ouvert en avril 1939, d’abord confié à l’historien de la
culture Tsuda Sôkichi* (1873-1961). Immédiatement attaqué par l’extrême
droite pour des livres dans lesquels il avait mis en doute l’historicité des
récits antiques au sujet de l’origine de la Maison impériale, Tsuda fut
bientôt poussé par le ministère à renoncer, ce qu’il fit dès la fin de la
session universitaire. Sur cette affaire, sur le rôle que Maruyama y joua et
sur les suites qu’elle eut pour Tsuda, voir Oguma Eiji, « Mythes et réalité du
penseur de la démocratie de l’après-guerre », op. cit., p. 17, 19, 37. Le
cours fut alors confié à Muraoka Tsunetsugu (1884-1946) pendant deux
années, puis à Maruyama, comme prévu, à partir d’octobre 1942.
105. Essais sur l’histoire de la pensée politique au Japon, trad. fr.
Jacques Joly, Les Belles lettres, 2018.
106. Maruyama Masao Zadan [Maruyama Masao. Dialogues] (MMZ),
Iwanami shoten, 1998, I. Noma est notamment l’auteur d’un roman qui
témoigne de la dureté des relations hiérarchiques dans l’armée japonaise
jusqu’en 1945, Zone de vide (Shinkû chitai), paru en 1952 (trad. fr.
Henriette de Boissel, Le Sycomore, 1954).
107. Son exposition au rayonnement nucléaire fut probablement la cause
de ses problèmes de santé ultérieurs mais, sur le moment, n’ayant pas été
touché directement par l’explosion et parce qu’il se trouvait là pour des
raisons militaires, Maruyama ne songea pas à se considérer comme une
victime de la bombe atomique. Dès le 6 août, il participa au secours des
blessés puis au déblayage des rues. Karube, op. cit., p. 90-91. Sa perception
de l’événement changea toutefois par la suite. En 1969, il admit que même
les soldats présents à Hiroshima devaient être considérés comme des
victimes de la bombe atomique. Kersten, op. cit., p. 42.
108. Jikonai taiwa [Dialogue intérieur], Misuzu shobô, 1998, p. 8-11, 14-
15.
109. « Kindaiteki shii » [La Modernité dans la pensée], Maruyama
Masao shû [Recueil d’œuvres de Maruyama Masao] (MMS), III, p. 3-5. Cet
article est longuement cité par Oguma, op. cit., p. 20-22.
110. « Sensô sekinin mondai ni okeru môten » [Les points aveugles du
débat sur les responsabilités de la guerre], MMS, VI, p. 159-165.
111. « Rescrit impérial sur la construction d’un nouveau Japon », trad. fr.
et présentation de Pascal Griolet et Michael Lucken dans Sengo. Le Japon
de l’après-guerre, op. cit.
112. À en croire Maruyama, le principe de souveraineté populaire ne fut
accepté que comme un sacrifice nécessaire pour le maintien du système
impérial. Jusqu’au projet américain de février 1946, seul le Parti
communiste demandait son inscription dans la future Constitution. MMK,
I, p. 319-320.
113. Voir le texte publié en 1989, peu après la mort de Hiro-Hito,
« Shôwa tennô o meguru kiregire no kaisô » [Divers souvenirs autour de
l’empereur Shôwa], MMS, XV, p. 3-10.
114. Karube Tadashi pense que c’est le cas (op. cit., p. 107 sq.) mais,
comme le note Oguma Eiji, une allusion faite lors d’une table ronde en
1952 permet de penser que, pendant quelques années encore, Maruyama
n’a pas tranché cette question, probablement parce qu’il demeurait sous
l’influence de Nanbara et Tanaka (op. cit., p. 27-28). S’il n’en a plus parlé
ensuite, c’est peut-être parce qu’il estimait que le moment était passé où la
question avait un sens. Sur son désintérêt pour la critique du système
impérial, voir infra, p. 290.
115. L’importance des réactions montre que Maruyama avait mis le doigt
sur quelque chose de plus sensible que ce que visait le discours marxiste.
Voir ce qu’il en dit dans son post-scriptum de 1956, p. 38.
116. « Kuga Katsunan. Hito to shisô » (MMS, III, p. 93-106), trad. fr.
M. Perroncel, « Kuga Katsunan. L’homme et sa pensée », Cipango, 20,
2013.
117. Voir le post-scriptum de 1956 (p. 38), dans lequel Maruyama fait
allusion aux critiques lui reprochant une description du système impérial
fondée exclusivement sur l’observation de la période récente.
118. Takahashi Masae voit de sérieuses raisons de douter qu’un coup de
force fût réellement sur le point d’être mis à exécution lorsqu’on arrêta
Hashimoto Kingorô* et une quinzaine de ses complices : l’insuffisance des
troupes qu’ils auraient pu mobiliser, les dissensions entre les groupes
impliqués, l’imprudence des conspirateurs, le caractère dérisoire des
sanctions qui furent prises à leur encontre et d’autres détails encore
donnent l’impression d’une mise en scène destinée seulement à faire
accroire qu’un coup d’État se préparait (Shôwa no gunbatsu, Kôdansha,
2003, p. 180-194). Les recherches approfondies de Karita Tôru tendent à
montrer que, même si le plan comportait beaucoup d’incertitudes, un petit
groupe d’officiers, autour de Hashimoto et Chô Isamu*, demeurait résolu à
passer à l’action. Shôwa shoki seiji gaikôshi kenkyû : jûgatsu jiken to
seikyoku, Ningen no kagakusha, 1989. Comme l’écrivait Tsutsui Kiyotada il
y a quelques années, « beaucoup d’aspects de cette affaire sont encore à
éclaircir » (Ni ni roku jiken to seinen shôkô, Yoshikawa kôbunkan, 2014,
p. 54).
119. Sur l’enthousiasme suscité par l’invasion de la Mandchourie, voir
par exemple Tsutsui Kiyotada, Senzen no popyurizumu : nichibei sensô e
no michi, Chûô kôronsha, 2018, p. 129-148.
120. Pour cette raison, Karita Tôru pense que l’affaire d’octobre n’eut pas
moins d’influence sur l’évolution politique ultérieure que l’affaire du 15 mai
1932, qui fut seulement plus spectaculaire. Dès décembre 1931, la
présence dans le cabinet Inukai d’Araki Sadao* et de Mori Kaku*,
recommandés par l’armée, marquait un premier tournant antilibéral (op.
cit., p. 387-388).
121. L’enquête menée après les assassinats de Dan et Inoue permit
d’arrêter les membres de la Ligue du sang, dont le procès eut lieu peu
après, mais elle ne remonta pas jusqu’au groupe de jeunes officiers de
marine qu’avait organisé Fujii Hitoshi*.
122. Prônée dès octobre 1931 par le ministre de l’Intérieur Adachi
Kenzô*, la solution du cabinet de coalition avait alors été repoussée par
Shidehara* et Inoue (ministres respectivement des Affaires étrangères et
des Finances), qui estimaient que le Japon régresserait en abandonnant
ainsi le système du cabinet de parti. D’abord séduit par la proposition
d’Adachi, Wakatsuki se rangea finalement à leur avis. En mai 1932, Saionji
lui-même ne se rallia à cette solution qu’après avoir entendu les souhaits
de l’empereur, alors qu’il s’apprêtait à laisser Suzuki Kisaburô former le
nouveau cabinet, malgré toutes les réserves qu’il avait au sujet de celui-ci.
Il semble que l’empereur ait été à la fois déçu de voir les cabinets de parti
(Wakatsuki puis Inukai) incapables de contrer les militaires, et plus
réticent encore que Saionji à l’idée de confier le gouvernement à Suzuki,
jugé trop proche de l’extrême droite, tout comme à Hiranuma, qui était
alors le candidat des militaires (Koyama Toshiki, Shôwashi kôgi, sous la
dir. de Tsutsui Kiyotada, Chikuma shobô, vol. 2, 2016, p. 106-113).
123. Voir p. 84-85.
124. Yamazaki Masahiro, Tennô kikan setsu no jiken, Shûeisha, 2017,
p. 113-137.
125. Tsutsui, Senzen no popyurizumu, op. cit., p. 239 sq. Il semble que
Maruyama lui-même ait caressé cet espoir : voir le court dialogue sur la
politique et l’économie qu’il publia en septembre 1940 (MMS, II, p. 309-
313) et les échos qu’on en perçoit dans ce qu’il dit du Mouvement pour un
nouveau régime*, p. 53, 97-98 et 201.
126. Ainsi que Maruyama le nota plus tard ironiquement, Konoe avait
fréquenté la gauche dans sa jeunesse mais il n’en avait retenu que cette
condamnation de la démocratie bourgeoise, entendue comme
condamnation du parlementarisme (MMK, I, p. 199).
127. L’exemple le plus fameux est Tôjô, dont le père estimait ne pas avoir
eu la carrière qu’il méritait parce qu’il venait du Nord-est. À partir des
années 1910, la région de l’ancien fief de Chôshû fut de moins en moins
représentée dans les promotions de l’École supérieure de guerre. C’est
aussi parce que son hégémonie était très critiquée au sein de l’armée que
Tanaka choisit Ugaki pour lui succéder. Comme le remarque Maruyama
dans l’article de 1949, la tendance de l’armée à agir de plus en plus
indépendamment du pouvoir civil est directement liée au déclin des
grandes factions politico-militaires de l’ère Meiji, qui assuraient au moins la
cohésion gouvernementale.
128. Le cas d’Ishiwara et d’Itagaki est bien sûr particulier puisqu’ils
devaient être affectés à l’état-major de l’armée du Kwantung, où ils
jouèrent le rôle que l’on sait dans l’invasion de la Mandchourie et la
création du Mandchoukouo. Ils n’eurent pas à choisir entre les deux
factions lorsque la rivalité entre celles-ci se précisa. Pour cette raison, il
arrive qu’on parle à leur sujet de « faction de Mandchourie ». De retour à
Tokyo en 1936, Ishiwara tenta de s’opposer à la guerre sino-japonaise, dont
il pensait qu’elle mettrait en péril l’avenir brillant qu’il avait préparé pour
le Mandchoukouo. Cela lui valut d’être écarté par la faction du Contrôle, à
laquelle Itagaki se rallia peu après.
129. Voir Traité naval de Londres* et Traité des neuf puissances*.
130. Les plans d’invasion de la Mandchourie conçus par les officiers de-
l’Armée du Kwantung durant l’été avaient été approuvés à l’état-major.
L’invasion ne devait théoriquement être déclenchée qu’en cas d’événement
menaçant gravement les ressortissants et les intérêts dans la région. Le fait
que l’événement qui servit de prétexte (la destruction de quelques mètres
de voie ferrée) fût mineur et le fait qu’il ait été en réalité provoqué par
l’armée japonaise ne constituaient pas des objections sérieuses aux yeux de
beaucoup. On peut penser que le général Tatekawa*, chef du Bureau des
opérations, avait même deviné ce scénario en découvrant les plans
d’invasion. La complicité active du général Hayashi est un cas de figure un
peu différent, puisqu’il participa directement à l’invasion de la
Mandchourie en faisant intervenir les troupes stationnées en Corée.
Comme on l’a vu plus haut, il avait le soutien des officiers anti-Chôshû, ce
qui l’aida à être promu inspecteur général de l’enseignement militaire peu
après, puis ministre de l’Armée de terre en 1934 et Premier ministre en
1937.
131. Il ne semble pas, en revanche, qu’elle ait eu un caractère anti-
Chôshû, du moins à ses débuts, mais l’échec de l’affaire de mars provoqua
un ressentiment contre Ugaki. Par ailleurs, quelques-uns des membres de
sa tendance modérée, c’est-à-dire non favorable à l’emploi de la force dans
la métropole, appartenaient aussi à la Société d’un soir ou en étaient très
proches (Mutô Akira*, Nemoto Hiroshi*, Tanaka Kiyoshi*).
132. Ugaki avait recommandé le général Abe Nobuyuki* (Takahashi
Masae, Shôwa no gunbatsu, op. cit., p. 235-236).
133. Le noyau de la faction de la Voie impériale était formé par un petit
groupe d’officiers originaires des régions de Kyûshû et de Kôchi. Il
représentait une faction minoritaire de l’armée, parfois appelée « faction de
Kyûshû », dont la principale figure fut le général Uehara Yûsaku (1856-
1933). L’entrée dans le groupe comportait un rite consistant à avaler un
poisson rouge. Ses membres avaient également adopté comme signe de
reconnaissance une posture particulière mettant en avant l’épaule gauche
(Tsutsui Kiyotada, Ni ni roku to sono jidai. Shôwa shoki Nihon no kôzô,
Chikuma shobô, 2006, p. 119-120).
134. Nagata avait exposé les grandes lignes de ce programme dès 1920,
alors qu’il était membre de la Commission d’enquête sur les affaires
militaires (Gunji chôsa iinkai) du Ministère de l’Armée de terre. On les
retrouve dans la fameuse brochure publiée en 1934, Principes de la
défense nationale et propositions pour la renforcer*, où la mobilisation
générale des hommes et des ressources est appelée « défense nationale au
sens large » ou « défense nationale avancée ». La nécessité de préparer le
Japon à une guerre totale était largement admise parmi les dirigeants
militaires, y compris par Ugaki, dès les années 1920, et par les généraux de
la Voie impériale. Sur ce point, les divergences viennent de différences
d’appréciation sur les implications concrètes et sur les stratégies à mettre
en œuvre pour obtenir la coopération des civils.
135. Remarquons en passant que les mesures prises par l’état-major de la
Marine après le 15 mai 1932 furent plus efficaces et qu’il n’y eut presque
aucun officier de marine impliqué dans les complots et les violences qui
eurent lieu par la suite.
136. Cet insigne fut aboli et son port interdit en mai 1936, quelques
semaines après le soulèvement du 26 février. Sur la critique du système
social de l’armée, voir Karita Tôru, op. cit., p. 229-233.
137. Pour une présentation des principales figures de ce mouvement, on
peut se reporter à Tsutsui Kiyotada, Ni ni roku jiken to seinen shôkô, op.
cit., p. 31-45, ainsi qu’à Karita Tôru, op. cit., p. 145-159. Parmi ceux qui
avaient été très tôt en relation avec Nishida et Kita, plusieurs ne prirent
pas part au soulèvement du 26 février 1936, soit parce que leur garnison
n’était pas dans la région de Tokyo, soit parce qu’ils s’étaient entre-temps
éloignés du mouvement.
138. Le Parti de l’épée céleste fut dissous après quelques mois
d’existence. Nishida avait imprudemment mis en circulation une liste de
ses abonnés qui les rendit aussitôt suspects aux yeux de la hiérarchie. Sur
cet épisode, voir Imai Seiichi et Takahashi Masae, Gendaishi shiryô, vol.
23 (Kokka shugi undô, t. 3), Misuzu shobô, 1963, p. 246-253.
139. Ni ni roku to sono jidai, op. cit., chap. 5 et 6.
140. Ni ni roku to seinen shôkô, op. cit., p. 100. Si tous les officiers
impliqués n’approuvaient pas le programme inspiré de Kita, tous avaient lu
son livre ou en connaissaient les grandes lignes. Voir Kita Hiroaki, Ni ni
roku zenkenshô, Asahi shinbun shuppan, 2003, p. 80 sq.
141. La signification du soulèvement resta énigmatique pour les
contemporains, qui n’y virent généralement qu’un épisode dans une lutte
des factions à propos de laquelle l’information du grand public resta très
limitée jusqu’au lendemain de la guerre. Le procès avait été tenu à huis
clos et les organisateurs furent exécutés dès le mois de juillet suivant. Sur
le moment, Maruyama lui-même eut le sentiment de ne rien comprendre à
ce qui se passait et ne perçut de l’idéologie des jeunes officiers que la
dimension réactionnaire, autrement dit ce qui la rapprochait de la Voie
impériale. Il eut une discussion animée avec son frère aîné, qui soutenait
au contraire que l’idéologie des jeunes officiers était progressiste (MMK, I,
p. 197-198). Tout en rendant Maruyama responsable de l’aveuglement
ultérieur des historiens devant l’existence de deux idéologies distinctes au
sein du groupe du 26 février, Tsutsui admet que l’événement n’a cessé
d’être enveloppé d’un brouillard très difficile à dissiper. Voir l’entretien « Ni
ni roku jiken no imêji wa naze hizumitsuzuketeiru no ka » [Pourquoi
perdure une image déformée de l’affaire du 26 février], Chûô kôron, 121-3,
2006, p. 256-265. Même en admettant que l’idéologie du groupe n’était pas
d’un seul bloc, les officiers condamnés avaient toutefois assez d’idées en
commun pour organiser ensemble une tentative de coup d’État.
142. Dans le cours de 1947 (p. 53-54) mais encore au début des années
1990 (MMK, I, p. 322-323), Maruyama s’indigne contre les hommes de la
Voie impériale qui essayèrent après la guerre de se faire passer pour des
pacifistes opposés à la dictature de Tôjô.
143. Il en réchappa, miraculeusement semble-t-il, puisqu’il fut atteint de
plusieurs balles, tirées par un homme dont le groupe était lié à Amano
Tatsuo*. La menace qui pesait alors sur ceux qui passaient pour modérés
en politique extérieure est une des raisons pour lesquelles Kidô Kôichi
préféra ne pas devenir Premier ministre alors que le moment lui devint
favorable.
144. Voir l’allusion de Maruyama au fait que Tôjô lui-même aurait jugé
impossible de faire accepter des concessions sur ce point, et aurait
envisagé de faire appel à un membre de la famille impériale pour diriger un
gouvernement qui aurait repris les négociations avec Washington (p. 115).
Il semble également que Mutô Akira, dont la responsabilité fut grande dans
la décision de ne pas négocier tout de suite avec la Chine en 1937, ait lui
aussi compris, mais trop tard, qu’il ne fallait pas céder aux intransigeants.
145. Voir aussi MMK, I, p. 323. Sur ce courant, on pourra lire Pierre
Lavelle, « Nishida Kitarô, l’école de Kyôto et l’ultranationalisme », Revue
Philosophique de Louvain, 92-4,1994, p. 430-458.
146. Sur le cas de Minoda, organisateur de nombreuses campagnes
contre des professeurs, signalons les pages très intéressantes que lui
consacre Takeuchi Yô (Maruyama Masao no jidai. Daigaku, chishikijin,
jânarizumu [L’Époque de Maruyama Masao. Les Universités, les
intellectuels et le journalisme], Chûô kôron, 2005, p. 51-55, 67-92, 100-
110), qui souligne le caractère « déviant » de son parcours et le fait
qu’aucun texte de lui ne fut publié dans les grandes revues de cette époque.
147. MMK, I, p. 200. Maruyama cite aussi l’exemple de Yabe Teiji (1902-
1967), professeur à la faculté de droit et proche conseiller de Konoe, qui fit
en 1937, alors qu’il revenait d’un séjour en Europe, une conférence dans
laquelle il expliquait que l’effondrement de la démocratie était inévitable et
que l’Europe devait choisir entre le fascisme et le communisme, et se disait
préoccupé par l’influence de ce dernier au Japon (Ibid., p. 215, 224). Voir
aussi Takeuchi Yô, selon qui le nationalisme avait séduit beaucoup plus
d’intellectuels que ne le pensait Maruyama, y compris parmi les étudiants
des universités (op. cit., p. 278-294). Il remarque par exemple que,
contrairement à ce que l’origine sociale des assassins d’Inoue Jun.nosuke
et Dan Takuma laissa longtemps penser, sur la quinzaine de membres que
comptait la Ligue du sang, une dizaine étaient des étudiants, qui venaient
notamment des universités impériales de Tokyo et Kyoto.
148. Voir supra, note 110.
149. « Les Intellectuels dans le Japon moderne », trad. fr. de Jacques Joly
dans Cent ans de Pensée au Japon, sous la dir. d’Yves-Marie Allioux, vol. II,
p. 273-332. Cette position a été critiquée notamment par Tsurumi
Shunsuke (voir son texte de 1956, « La Responsabilité des intellectuels
dans la guerre », trad. fr. et annotations de Joël Piguet et Maya Todeschini
dans La Trajectoire du Japon, sous la dir. de Nicolas Mollard, Les Belles
Lettres, 2018, p. 65-74). Dans le même volume, le texte de Hashikawa
Bunsô traduit et présenté par N. Mollard donne une idée de l’attrait que put
exercer l’ultranationalisme sur une fraction de la jeunesse intellectuelle.
150. Katô Tetsurô, « Le Marxisme et l’héritage du mouvement socialiste
sur la question de la modernisation », Ebisu. Cahiers d’études japonaises,
44, 2010, p. 111-136. Sur la spécificité du régime japonais et de la tactique
à y suivre d’après les thèses de 1932, voir p. 119-125.
151. Sur l’évolution de la position marxiste en Italie, qui tendit
progressivement à reconnaître la spécificité du régime fasciste, voir Emilio
Gentile, Qu’est-ce que le fascisme ? Histoire et interprétation, Gallimard,
2004, trad. fr. de Pierre-Emmanuel Dauzat, p. 71, 83.
152. Comme le remarque Brice Fauconnier, la langue et les concepts de
Kinoshita sont marxistes, ainsi que son schéma d’analyse (le fascisme est
un moyen pour la bourgeoisie de maintenir la domination du capital
menacé par le mouvement prolétarien), davantage explicité dans les
éditions publiées après la guerre. « Tenkô : va-et-vient, convergences et
changements idéologiques dans le Japon des années 1920-1959 », thèse de
doctorat, INALCO, 2012, p. 363.
153. Sur la diffusion du terme « fascisme », couramment appliqué au
Japon à partir de 1931, voir les statistiques de Brice Fauconnier à propos
de l’emploi du mot dans la presse entre 1926 et 1945 (op. cit., p. 357-359).
154. Andrew E. Barshay, State and Intellectual in Imperial Japan : the
Public Man in Crisis, Berkeley, University of California Press, 1988, p.
203. Selon Mary L. Hanneman, Hasegawa aurait utilisé la langue du
nationalisme pour pouvoir continuer à faire entendre des critiques qui
n’auraient pu être publiées sans cet habillage. « Dissent from Within.
Hasegawa Nyozekan, Liberal Critic of Fascism », Monumenta Nipponica,
52/1, 1997, p. 35-58.
155. Fauconnier, op. cit., p. 347-351, 696-704.
156. Indiquons en passant que « fasciste » fut aussi un des mots favoris
employés par les jeunes officiers radicaux pour dénoncer les membres de
la faction du Contrôle (Maruyama y fait allusion, p. 77, 94), et qu’on
retrouve le mot jusque chez Saionji : notant les souhaits de l’empereur en
mai 1932, il écrit que celui-ci ne veut pas d’un Premier ministre « proche
du fascisme » (fassho ni chikaki mono), songeant visiblement à Suzuki
Kisaburô et Hiranuma Kiichirô (Koyama, op. cit., p. 111). Néanmoins, sa
diffusion rapide au début des années 1930 ne signifie pas qu’il ait eu
toujours un sens péjoratif. Dans un article du Japan Times intitulé « The
Challenge of Fascism » (11 mai 1932), le ton est au contraire élogieux,
comme dans le portrait de Tôyama Mitsuru* que ce même journal publia
quelques semaines plus tard (Richard Storry, The Double Patriots. A Study
of Japanese Nationalism, Boston, Houghton Mifflin, 1957, p. 121, 124-
125). Maruyama cite également un livre de l’agrarien Tsuda Kôzô, publié en
1933, Situation actuelle du fascisme japonais (Nihon fassho no genjô),
qui distingue deux fascismes au Japon, l’un de type moderne, c’est-à-dire
occidental, l’autre inspiré par la civilisation rurale de l’Orient et dont le
système impérial japonais serait l’expression la plus pure, ce qui qualifiait
selon lui le Japon pour relever l’Asie puis pour faire advenir un monde
nouveau, débarrassé de l’illusion des droits individuels.
157. « Fashizumu no sho mondai. Sono seijiteki dôgaku ni tsuite no
kôsatsu » [Questions à propos du fascisme. Remarques sur sa dynamique
politique], novembre 1952, MMS, V, 253-278. Trad. angl. Ronald Dore,
« Fascism – some problems : a consideration of its political dynamics »,
Thought and Behaviour in Modern Japanese Politics, sous la dir. d’Ivan
Morris, Londres, Oxford University Press, 1966, p. 157-176.
158. Robert O. Paxton, « Les Fascismes. Essai d’histoire comparée »,
Vingtième siècle. Revue d’histoire, 45, 1995, p. 3-13 ; Le Fascisme en
action, Seuil, 2004, trad. fr. de William Olivier Desmond. Sur les difficultés
rencontrées par Mussolini au sein du mouvement fasciste, avant et après la
conquête du pouvoir, voir Gentile, op. cit., p. 209 sq.
159. Voir p. 54-55. Sur le sens que le fascisme donne au mot
« révolution » selon Paxton, voir « Les Fascismes. Essai d’histoire
comparée », op. cit., p. 5.
160. Le Fascisme en action, op. cit., chap. 2. On peut renvoyer
également aux travaux de Renzo de Felice, qui a montré, à propos de
l’Italie, toutes les différences entre le mouvement et le régime fascistes,
soulignant les compromis et les adaptations qui permirent à Mussolini de
conserver le pouvoir. Voir par exemple Les Interprétations du fascisme,
Éditions des Syrtes, 2000 (Le Interpretazioni del Fascismo, 1971, trad. fr.
de Xavier Tabet), p. 255-276.
161. « Fashizumu no shomondai », op. cit., p. 262-263.
162. Voir les trois articles écrits pour l’Encyclopédie des sciences
politiques de Heibonsha en 1954 (« Militarisme », « Fascisme »,
« Nationalisme »), et le court texte qui les introduit dans Gendai seiji,
MMS, VI, p. 299-336.
163. Maruyama ne fait aucun commentaire sur la tenue du procès lui-
même. Sans doute percevait-il les limites de cette forme nouvelle de justice
et de la manière dont elle fut appliquée au Japon, mais, comme le
remarque Rikki Kersten, il jugeait plus important le fait historique que les
anciens dirigeants aient ainsi été placés devant leurs actes et forcés d’en
répondre individuellement (op. cit., p. 27). On ne peut en conclure,
comme le fait un peu vite Ushimura Kei, que Maruyama approuvait
intégralement les attendus du procès de Tokyo et que l’on pourrait donc
traiter ses textes comme s’ils exprimaient la philosophie du Tribunal
militaire international (« Bunmei no sabaki » o koete : tainichi senpan
saiban dokkai no kokoromi [Au-delà du « verdict de la civilisation » : essai
d’interprétation des procès pour crimes de guerre japonais], Chûô
kôronsha, 2001 ; trad. angl. Steven J. Ericson, Beyond the « Judgement of
Civilization » : the Intellectual Legacy of the Japanese War Crimes Trial,
1946-1949, The International House of Japan, 2003). Voir aussi Tsutsui
Kiyotada, « Shôwa seiji shi kenkyû no ichi shikaku » [À propos des
recherches sur l’histoire politique de l’ère Shôwa], Shisô, 624, 1976 (6), p.
949-962.
164. Sur le développement de la « monarchie totalitaire », on trouvera
quelques précisions dans Éric Seizelet, Monarchie et démocratie dans le
Japon d’après-guerre, Maisonneuve et Larose, 1990, p. 44-54, ainsi que
dans les réflexions de Michael Lucken sur la « dynamique totalitaire » (Les
Japonais et la guerre : 1937-1952, Fayard, 2013, p. 59-82).
165. « Fashizumu no gendaiteki jôkyô » [Le Fascisme aujourd’hui], avril
1953, MMS, V, 299-318 ; « Fashizumu no sho mondai », op. cit., p. 257,
264 sq.
166. Voir aussi les réflexions de Philippe Burrin sur ce qu’il a appelé le
« champ magnétique des fascismes ». « La France dans le champ
magnétique des fascismes », Le Débat, 32, p. 57-72, repris dans Fascisme,
autoritarisme, nazisme, Le Seuil, 2000.
167. Ishida Takeshi et Kan Sang-jung, Maruyma Masao to shimin
shakai, Seori shobô, 1997, p. 25.
168. « Fashizumu no shomondai », op. cit., p. 259-260.
169. Outre les textes mentionnés plus haut, on peut citer la discussion
d’octobre 1953 avec Tsuji Kiyoaki et Tsuru Shigeto, « Le Fascisme au nom
de la démocratie » (« Minshu shugi no na ni okeru fashizumu », MMZ, II, p.
274-285), dans laquelle Maruyama dénonce le prétexte de défendre la
liberté utilisé aux États-Unis et au Japon pour justifier les sanctions ou
poursuites contre les communistes.
170. Sur ce livre et sur les critiques qu’il reçut, voir Tristan Brunet,
« Le Débat sur l’Histoire de Shōwa et le Japon de 1955. Vers un nouveau
sens du savoir historique », Cipango. Cahiers d’études japonaises, 17,
2010, p. 181-258.
171. Pour une présentation des premières critiques de la thèse du-
fascisme japonais, voir Abe Hirozumi, Nihon fashizumu ron, Kage shobô,
1996, p. 10-16.
172. Itô Takashi, Konoe shintaisei [Le Nouveau régime de Konoe], Chûô
kôronsha, 1983. Itô affirme que ces partisans d’une rénovation totalitaire
ne furent pas alors considérés comme des fascistes (p. 225-227), laissant
entendre qu’il y aurait là un argument contre la thèse du fascisme japonais.
D’après ce qu’en dit Maruyama, l’Association de soutien au Trône fut
d’abord perçue comme une tentative de donner aux civils un moyen de
peser plus fortement sur les militaires. Furukawa Takahisa, élève d’Itô, a
quant à lui mis l’accent sur le maintien d’une vie parlementaire (Shôwa
senchûki no gikai to gyôsei [Le Parlement et le pouvoir exécutif pendant la
guerre de l’ère Shôwa], Yoshikawa kôbunkan, 2005). Pour une présentation
des travaux d’Itô et de ses élèves, voir Fauconnier, op. cit., p. 84-100. Il est
intéressant de remarquer que l’analyse de la décision d’entrer en guerre
comme résultat d’un processus de « non-décision » (hikettei) proposée par
Moriyama Atsushi (1962-) rejoint quasiment celle de Maruyama, qui avait
déjà amplement montré que la thèse d’un vaste complot contre la paix sur
laquelle se fondait l’accusation au procès de Tokyo était pour le moins
difficile à étayer.
173. Entre beaucoup d’autres, on peut citer les ouvrages de Yamaguchi
Yasushi, spécialiste du nazisme, Fashizumu : sono hikaku kenkyû no tame
ni [Pour des recherches comparées sur le fascisme] (1979), d’Asanuma
Kazunori, Hikaku fashizumu kenkyû [Recherches comparées sur le
fascisme] (1982), d’Abe Hirozumi, Nihon fashizumu ron [Sur le Fascisme
japonais] (1996, composé en grande partie d’articles publiés dans les
années 1980), de Kisaka Jun.ichirô, Nihon fashizumu kokkaron [La
Théorie de l’État dans le fascisme japonais] (1997), ainsi que les travaux,
dont le début est légèrement antérieur, du Groupe de recherches sur le
fascisme de l’Université Waseda, Nihon no fashizumu [Le Fascisme au
Japon] (1970-1978).
174. Les ouvrages publiés ou dirigés par Tsutsui Kiyotada sont
aujourd’hui les plus représentatifs de ce courant.
175. Abe Hirozumi, op. cit., p. 7-11.
176. Voir supra, note 162 (Encyclopédie des sciences politiques). Sur-
l’apologie de la guerre comme caractère générique du fascisme, voir p. 54.
177. Sur les activités de ce rassemblement d’intellectuels, voir la
communication de Jacques Joly dans Japon Pluriel 13 (à paraître).
178. « Fashizumu kyôdô kenkyû maegaki » [Préambule aux recherches
collectives sur le fascisme], août 1953, MMS, V, 347-348. La fin de ce
programme de recherches fut annoncée en août 1954. On trouvera la liste
des principaux participants et celle des travaux publiés dans la notice du
volume V des MMS (p. 373 sq.). Même s’il est difficile de savoir quelle fut
l’influence de Maruyama dans le choix des thèmes, remarquons qu’ils
portent pour la plupart sur la transformation du régime et non sur les
mouvements d’extrême droite.
179. Oguma, op. cit., p. 32.
180. Voir la présentation du traducteur des Essais sur l’histoire de la-
pensée politique à l’époque d’Edo, op. cit. En anglais, on pourra lire la
traduction d’un article de 1985 très représentatif du travail mené par
Maruyama depuis les années 1970, dans lequel il tente de montrer
notamment l’ancienneté du lien entre renversement de la hiérarchie et
irresponsabilité, « The Structure of Matsurigoto : the basso ostinato of
Japanese political life », dans Themes and Theories in Modern Japanese
History : Essays in Memory of Richard Storry, sous la dir. de Sue Henny et
Jean-Pierre Lehmann, Londres, The Athlone Press, p. 27-44.
181. Bien que le problème soit posé chez Sartre en termes plus généraux
et visant un individu universel, la convergence de leurs questionnements
peut devenir très nette, ainsi dans la critique de la « tendance à entériner
l’événement accompli simplement parce qu’il est accompli » (« Qu’est-ce
qu’un collaborateur ? », Situations, III, Gallimard, 1949, p. 52), que
Maruyama reproche à la fois aux bureaucrates qui ne résistèrent pas aux
« hors-la-loi », et aux intellectuels qui s’efforcèrent de trouver une
nécessité « historico-mondiale » aux guerres déclenchées par le Japon.
● INDEX DES PERSONNES

Les numéros de page en caractères italiques


correspondent
à une notice dans le Glossaire.
A
Abe Nobuyuki 154, 165, 168, 172, 185, 259
Adachi Kenzô 87, 155, 199, 203, 230, 253
Aizawa Saburô 156, 160
Akamatsu Katsumaro 48, 115, 160, 161, 169, 188, 208,
211, 222, 228
Akao Bin 14, 44, 97, 160, 168, 217
Aki Sakan 48, 197
Akiyama Teisuke 115
Amano Tatsuo 45, 48, 73, 156, 161, 179, 194, 210, 266
Anami Korechika 162
Araki Sadao 15, 26, 32, 117, 162, 191, 197, 203, 204,
217, 218, 220, 229, 252, 257, 284
Asô Hisashi 48, 163, 169, 179, 185, 201, 210
Atsumi Masaru 45, 168
B
Blakeney, Benjamin B. 121
Blewett, Geroge F. 109
Borgia, Cesare 29
Brannon, John G. 110
C
Chô Isamu 133, 158, 169, 174, 177, 217, 251
Comyns Carr, Arthur S. 118
D
Doihara Kenji 163, 172, 182
Dulles, John Foster 99
F
Fixel, Rowland W. 128
Frédéric II le Grand 26
Freud, Sigmund 108
Fujii Hitoshi 15, 46, 159, 174, 176, 183, 188, 197, 219,
252
Fujita Tôko 75, 174
Fukai Eigo 132, 175, 225
Fukuzawa Yukichi 35, 175, 241
G
Goebbels, Joseph 114
Goethe, J. W. von 120
Golunsky, Serguei 109
Gondô Seikyô (Seikei, Nariaki) 48, 56, 57, 59, 60, 61,
72, 159, 161, 175, 192, 194
Göring, Hermann 11, 29, 114, 124
Gotô Akinori (Eihan) 63, 89
Gotô Fumio 87, 155, 166, 176, 231
Grew, Joseph C. 68, 119, 120, 121, 122, 129, 130, 137
H
Hamada Kunimatsu 17, 92, 172
Hamaguchi Osachi 15, 176, 199, 212, 214, 230
Harada Kumao 135, 143, 176
Hashimoto Kingorô 46, 133, 157, 158, 169, 174, 177,
206, 217, 251, 259
Hashimoto Tetsuma 115, 152, 177, 212, 215
Hata Bushirô 65, 177
Hata Shunroku 122, 178
Hattori Shisô 101
Hayashi Senjurô 173, 178, 182, 257
Hegel, G. W. F. 13, 25, 40, 239
Higashikuni-no-miya Naruhiko 178
Himmler, Heinrich 114, 118
Hirano Rikizô 48, 167, 169, 179, 211, 222
Hiranuma Kiichirô 14, 18, 19, 45, 49, 162, 167, 179,
185, 198, 201, 208, 217, 221, 235, 254, 266, 272
Hiro-Hito 9, 152, 178, 207, 245, 246
Hirota Kôki (Hirotake) 19, 166, 175, 179, 185
Hitler, Adolf 9, 22, 55, 76, 96, 98, 100, 102, 114, 116,
130, 203
Hobbes, Thomas 26
Honjô Shigeru 163, 180, 182
Hoshino Naoki 160, 168, 180
Hull, Cordell 122
Hume, David 81
I
Ifukube Taketeru 57
Iimura Jô 163, 180
Ikeda Shigeaki (Seihin) 115, 181, 194
Inoue Jun.nosuke 182, 194, 206, 252, 268
Inoue Nisshô 72, 74, 115, 121, 152, 158, 161, 174, 182,
183, 194, 195, 206, 214, 230, 252
Inukai Tsuyoshi 158, 201, 221, 252
Ishihara Kôichirô 47
Ishiwara Kanji 178, 256, 284
Ishizeki Sakae 73
Isobe Asaichi 157, 202, 223
Itagaki Seishirô 163, 182, 183, 203, 206, 225, 256
Itô Hirobumi 150, 183, 215
Iwabuchi Tatsuo 43, 133
Iwakura Tomomi 23, 183, 190
Iwata Fumio 45, 115, 184, 218
J
Jinmu 15, 36, 37, 47, 169, 184, 206, 209, 216, 219
K
Kabayama Sukenori 150
Kageyama Masaharu 73, 185, 195, 208, 209
Kainô Michitaka 109
Kamei Kan.ichirô 48, 157, 163, 185, 210, 211
Kan.in-no-miya Kotohito 185
Kanokogi Kazunobu 48, 161, 166, 185, 210, 218
Katayama Tetsu 48, 186, 188, 210, 211
Katô Tomosaburô 146
Kawai Tokusaburô 44, 166
Kawakami Jôtarô 67, 186, 211
Kaya Okinori 186
Keenan, Joseph B. 108, 109, 123, 127
Kidô Kôichi 266
Kimura Heitarô 145
Kinoshita Hanji 43, 270
Kita Ikki 14, 44, 54, 55, 59, 61, 74, 89, 90, 115, 159,
174, 187, 199, 201, 204, 206, 208, 212, 218, 219, 235,
236, 263, 267
Kita Sôichirô 34, 188
Kiyose, Ichirô 145
Kôda Kiyosada 89
Koga Kiyoshi 72, 89, 159, 174, 188, 197, 219, 260
Koike Shirô 48, 188, 211
Koiso Kuniaki 157, 163, 168, 174
Kojima Chôtarô 29
Kondô Eizô 48, 161, 189, 208
Konoe Fumimaro 17, 19, 100, 108, 121, 123, 134, 166,
167, 178, 184, 185, 189, 198, 201, 203, 208, 217, 219,
243, 254, 266, 281
Kôno Hironaka 189, 201
Kume Kunitake 190
Kumoi Tatsuo 76, 190
Kuroda Kiyotaka 58, 190
Kuruso Saburô 135, 191
L
Lassalle, Ferdinand 21
Ley, Robert 114
Löwith, Karl 117
M
Maeda Torao 45, 73, 156, 185, 195, 217
Makino Nobuaki 158, 159, 184, 195, 253
Mann, Thomas 28
Marx, Karl 21, 45, 57, 69, 270
Matsui Iwane 118, 166, 174, 182, 195
Matsui Kûka 115, 152
Matsuoka Komakichi 48, 196, 211
Matsuoka Yôsuke 166, 196, 215
Matsutani Yôjirô 48, 196, 211
Mazaki Jinzaburô 159, 162, 173, 197, 203, 257, 261
Meinecke, Friedrich 9, 137, 138
Mikami Taku 89, 159, 164, 174, 188, 197, 219
Mill, John Stuart 23
Minami Jirô 118, 163, 174, 197
Minobe Tatsukichi 16, 156, 167, 198, 200, 212, 213,
228, 254
Minoda Muneki 18, 156, 198, 227, 228, 267
Mitamura Takeo 97, 199
Mitsukawa Kametarô 14, 44, 161, 166, 199, 206
Miyake Setsurei 58, 200, 203, 215
Miyazawa Toshiyoshi 200, 270
Mizuno Hironori 146
Mori Kaku 153, 200, 215, 223, 252, 259
Mori Kenji 44, 193
Muramatsu Hisayoshi 64, 201
Muranaka Kôji 67, 74, 157, 159, 201, 209, 217, 223
Mussolini, Benito 9, 96, 102, 203, 274, 275
Mutô Akira 168, 182, 193, 202, 256, 259, 267
Mutsu-Hito (empereur Meiji) 150, 207
N
Nagata Tetsuzan 89, 91, 133, 156, 158, 168, 173, 178,
200, 201, 203, 204, 213, 225, 255, 256, 261, 284
Nakahashi Motoaki 91
Nakano Seigô 19, 97, 115, 155, 199, 200, 201, 203
Natsume Sôseki 184
Nemoto Hiroshi 46, 174, 203, 217, 259
Nietzsche, Friedrich 31, 71, 215
Nishida Zei (Mitsugi, Mitsugu) 14, 44, 46, 89, 158, 159,
174, 187, 202, 204, 208, 217, 218, 263
Nolan, Henry 140, 141
Noma Seiji 26, 188, 204
Nomura Kichisaburô 204
O
Obata Toshirô (Toshishirô) 162, 174, 204, 256
Oikawa Koshirô 205, 227
Okada Keisuke 147, 159, 185, 205
Oka Takazumi 205
Ôkawa Shûmei 14, 15, 44, 46, 47, 52, 55, 157, 158, 168,
169, 170, 174, 187, 191, 199, 204, 205, 210, 216, 217,
218, 231, 234, 258, 267
Onuma Shô (Tadashi) 62, 182, 194, 206
Ôshima Hiroshi 206, 208
Ôsumi Mineo 207, 227
Ott, Eugen, 130
Ozaki Yukio 151, 189, 207, 238, 279
R
Ribbentrop, Joachim von 108, 110, 125, 130
Roosevelt, Franklin D. 137
S
Sagôya Tomeo 45, 176, 214, 227
Saionji Kinmochi 135, 176, 177, 184, 253
Saitô Makoto 159, 167, 215, 231, 253
Sakai Eizô 193
Sakomizu Hisatsune 145, 214
Sandusky, Arthur A. 127
Sasai Itchô 48, 161, 214, 219
Satô Naotake 214
Satô Tsûji 37, 215
Schmitt, Carl 13, 22, 239
Schuman, Frederick L. 107, 108, 114, 131
Shidehara Kijûrô 15
Shiga Shigetaka 58, 200, 215
Shimonaka Yasaburô 15, 48, 161, 166, 186, 192, 211,
215
Shiratori Toshio 127, 166, 216
Suetsugu Nobumasa 166, 208, 220
Sugiyama Gen (Hajime) 157, 168, 174, 220
Sun Yat-sen 186, 187, 195, 226
Suzuki Kantarô 131, 159, 221, 227
Suzuki Kisaburô 105, 165, 167, 179, 215, 221, 253, 272
Suzuki Teiichi 111, 160, 221, 256
Suzuki Zen.ichi 73, 156, 209, 217, 222
T
Tachibana Kôzaburô 60, 61, 71, 89, 158, 192, 222
Takabatake Motoyuki 45, 169, 210, 218, 222, 228
Takuya Denpu 152
Tanaka Giichi 168, 177, 178, 181, 199, 215, 223, 227,
228, 256, 258
Tanaka Kiyoshi 46, 133, 217, 223, 259
Tanaka Kunishige 48, 219, 223
Tatekawa Yoshitsugu 45, 157, 158, 166, 174, 177, 224,
258
Tavenner, Frank S. 115, 125, 143
Tchang Kai-chek 135, 181, 182, 195, 226
Terauchi Hisaichi 174, 224
Todoroki Morizô 48
Tôgô Heihachirô 72
Tôgô Shigenori 121, 122, 128, 224
Tôjô Hideki 163, 203, 224, 256
Tokutomi Sohô 63, 166, 175, 225
Tôyama Mitsuru 45, 102, 103, 153, 165, 168, 175, 198,
217, 226, 272, 280
Toyoda Teijirô 111, 226, 227
Tsuchiya Tatsuo 29
Tsuda Kôzô 54, 192, 272
Tsuda Sôkichi 17, 39, 198, 227, 240, 245, 281
Tsuji Kiyoaki 143, 280
Tsukui Tatsuo 45, 115, 169, 170, 209, 210, 217, 223,
228
U
Uehara Yûsaku 149, 260
Uesugi Shinkichi 45, 160, 161, 166, 169, 198, 210, 217,
223, 228
Ugaki Kazushige 46, 134, 157, 167, 169, 174, 178, 220,
224, 228, 256, 259, 260, 261
Umezu Yoshijirô 88, 155, 163, 174, 197, 229
Utley, Freda 102
W
Wakamatsu Tadakazu 125, 229
Wakatsuki Reijirô 185, 199, 230
Webb, William 118, 125
Weber, Max 96, 141, 147, 149, 239
Wenneker, Paul 110
Y
Yabe Teiji 100, 268
Yamada Yoshio 37, 230
Yamaguchi Saburô 73, 230
Yamakawa Hitoshi 57, 159, 208
Yamanashi Katsunoshin 227, 231
Yanagawa Heisuke 88, 92, 162, 174, 231, 256, 262
Yasuda Masaru 78, 159, 209, 231
Yasuda Tetsunosuke 73
Yasuoka Masahiro (Masaatsu) 14, 44, 49, 155, 166, 169,
176, 206, 218, 219, 231, 232
Yonai Mitsumasa 185, 208, 232
Yonemura Kiichirô 192
Yûki Toyotarô 93, 231, 232
Z
Zhang Zuolin 15, 105, 163, 164, 183, 195, 223, 226,
227, 258
DANS LA MÊME COLLECTION

ÉTUDES

Michael Lucken, Grenades et amertume. Les


peintres japonais à l’épreuve de la guerre.
1935-1952, 2005.
Emmanuel Lozerand, Littérature et génie
national. Naissance d’une histoire littéraire
dans le Japon du XIXe siècle, 2005.
Jean-Jacques Origas, La Lampe d’Akutagawa.
Essais sur la littérature japonaise moderne,
2008.
Éric Seizelet et Régine Serra, Le Pacifisme à
l’épreuve. Le Japon et son armée, 2009.
Bernard Faure, L’Imaginaire du Zen. L’univers
mental d’un moine japonais, 2011.
Érick Laurent, Les Chrysanthèmes roses.
Homosexualités masculines dans le Japon
contemporain, préface par Éric Fassin, 2011.
Basile Doganis, Pensées du corps. La
philosophie à l’épreuve des arts gestuels
japonais (danse, théâtre, arts martiaux),
préface d’Alain Badiou, 2012.
François Bizet, Tôzai !… Corps et cris des
marionnettes d’Ôsaka, 2013.
Mieko Macé, Médecins et médecine dans
l’histoire du Japon, préface de Marcel Detienne,
2013.
Olivier Ansart, Une modernité indigène,
Ruptures et innovations dans les théories
politiques japonaises du XVIIIe siècle, 2014.
Morvan Perroncel, Le Moment nipponiste (1888-
1897). Nation et démocratie à l’ère Meiji, 2016.
Agnès Giard, Un Désir d’humain. Les love doll
au Japon, 2016.
Zaven Paré, L’Âge d’or de la robotique japonaise,
2016.
Jacqueline Pigeot, L’âge d’or de la prose
féminine au Japon (Xe-XIe siècle), 2017
Olivier Ansart, Paraître et prétendre,
L’imposture du bushido dans le Japon pré-
moderne, 2020.
NON FICTION

Kishida Ryūsei, La Peinture crue. Réflexions sur


l’art et l’ukiyoe, textes traduits, présentés et
annotés par Michael Lucken, 2011 (Prix Konishi
2012).
Nakae Chōmin, Un an et demi. Un an et demi,
suite, textes
traduits, présentés et annotés par Eddy
Dufourmont, Romain Jourdan et Christine Lévy,
2011.
Takahashi Tetsuya, Morts pour l’empereur. La
question du Yasukuni, préface de Stéphane
Audoin-Rouzeau, texte traduit du japonais par
Arnaud Nanta, 2012.
Sous la direction de Pierre-François Souyri,
Japon colonial, 1880-1930. Les voix de la
dissension. Présentation, notes et traductions
par Le Groupe de Genève, 2014.
Masaoka Shiki, Un lit de malade six pieds de
long, traduit et présenté par Emmanuel
Lozerand, avec une préface de Philippe Forest,
2016 (Prix Konishi 2017).
Fukuzawa Yukichi, L’Appel à l’étude. Traduit,
annoté et présenté par Christian Galan, 2018.
Maruyama Masao, Essais sur l’histoire de la
pensée politique au Japon. Traduit et annoté par
Jacques Joly, 2018. Préface de Géraldine
Mulhmann.
Sous la direction de Nicolas Mollard, La
Trajectoire du Japon moderne – Regards
critiques des années 1950. Présentations, notes
et traductions par Le Groupe de Genève, 2018.
Nakamura Naofumi, La Révolution industrielle
des régions du Japon. Traduit par Alexandre
Roy et Claude Michel-Lesne. Préface de Jean-
Marc Olivier, 2021
FICTION

Mori Ōgai, Vengeance sur la plaine du temple


Goji-in et autres récits historiques, traduits et
présentés par Emmanuel Lozerand, 2008.
Higuchi Ichiyō, La Treizième Nuit et autres
récits, traduits et présentés par Claire Dodane,
2008.
Kōda Rohan, La Pagode à cinq étages et autres
récits, traduits et présentés par Nicolas Mollard,
2009.
Si on les échangeait. Le Genji travesti, traduit et
présenté par Renée Garde, 2009 (Prix Konishi
2011).
Ishikawa Jun, Fugen ! Tōkyō années 1930, récits
traduits et présentés par Vincent Portier, 2010.
Yosano Akiko, Cheveux emmêlés, traduit et
présenté par Claire Dodane, 2010.
Ishikawa Jun, Errances sur les Six Voies, traduit
et présenté par Jean-Jacques Tschudin avec la
collaboration de Sumi Fukui-Tschudin, postface
de Vincent Portier, 2012 (Prix Konishi spécial
2014).
Akutagawa Ryûnosuke, Jambes de cheval,
traduit par Catherine Ancelot, postface de
Ninomiya Masayuki, 2013 (Prix Konishi 2015).
Santô Kyôden, Fricassée de galantin à la mode
d’Edo, traduit et présenté par Renée Garde,
2014.
Santô Haruo, Mornes saisons, récits présentés et
traduits par Vincent Portier, 2014.
Masamune Hakuchô, Où t’en vas-tu ? suivi
d’Enfer, traduits et présentés par Philippe
Cominetti, 2015.
Recueil des joyaux d’or et autres poèmes,
traduits et présentés par Michel Vieillard-Baron,
2015.
Sakaguchi Ango, Meurtres sans série, traduit et
présenté par Estelle Figon, 2016.
Uchida Hyakken, Au-delà. Entrée triomphale
dans Port-Arthur, traduit par Patrick Honnoré,
2017.
Contes d’Ise. Contes de Risée. Une parodie
japonaise. Traduits, annotés et présentés par
Renée Garde, 2018.
Ishikawa Jun, Ève sous la neige, traduit et
présenté par Vincent Portier, 2018.
Jôji Tani, Chroniques d’un trimardeur japonais
en Amérique, traduit par Gérald Peloux, 2019.
Takehiko Fukunaga, La Fleur de l’herbe, traduit
par Yves-Marie Allioux et Iwatsu Kô, 2021
Cette édition électronique du livre
Le Fascisme japonais (1931-1945)
de Masao Maruyama
a été réalisée le 6 décembre 2021
par Flexedo.
Elle repose sur l’édition papier du même ouvrage
(ISBN 978-2-251-45240-1).

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