MEMOIRE
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Spécialité : LGC
Intitulé :
Jury :
Président(e) :
Rapporteur :
Examinateur :
Nous tenons à exprimer notre sincère gratitude aux membres du jury pour avoir consacré
de leur temps à évaluer ce travail.
La focalisation ............................................................................................................... 29
CHAPITRE III : Le temps et l’espace ............................................................................................... 33
1- Le temps............................................................................................................................... 33
Le moment de la narration ........................................................................................... 35
La vitesse de la narration ............................................................................................ 37
La fréquence de la narration ........................................................................................... 41
2- L’espace ............................................................................................................................... 45
L’insertion de la description............................................................................................ 45
Conclusion : .................................................................................................................................. 55
Bibliographie ............................................................................................................................... 59
Introduction
Les livres façonnent nos attentes en matière d'amour de diverses façons, souvent
en projetant des idéaux romantiques irréalistes ou en renforçant des stéréotypes de
genre. La littérature romantique actuelle a tendance à exalter l'amour, le dépeignant
comme une force capable de surmonter tous les obstacles. Cette vision idéalisée
peut entraîner des attentes peu réalistes chez ceux qui manquent de recul critique.
En nous offrant des modèles, en explorant les émotions et en traitant des thèmes
universels, la littérature influence profondément notre vision de l'amour. En tant que
miroir de la condition humaine, elle joue un rôle clé dans notre compréhension et
notre vécu de l'amour. C'est à nous de relativiser cette influence.
1
Le public, se reconnaissant dans cette histoire d’amour anodine, s’est
unanimement approprié l’œuvre. La critique, allant jusqu’à considérer «L’amour»
comme le chef-d’œuvre de Bégaudeau, salue la manière dont l’auteur saisit la vie
quotidienne sans artifice. Les motivations de Bégaudeau pour écrire cette œuvre
résident dans le désir de capturer l’amour tel qu’il est vécu communément, sans
crises spectaculaires ni événements extraordinaires. «L’amour» a un impact
puissant sur les lecteurs qui le décrivent comme un miracle littéraire. En moins de
cent pages, Bégaudeau parvient à narrer cinquante ans d’une vie de couple
ordinaire, où chaque détail, du mariage à la mort, est empreint de cette
extraordinaire réalisme. La normalité devient poésie, et les lecteurs sont transportés
dans cette vie ordinaire, y découvrant la beauté dans la simplicité des moments.
Dans cette analyse, nous plongerons profondément dans les concepts clés de la
narratologie genettienne, en mettant en lumière la manière dont la focalisation,
l'ordre narratif et la voix narrative interagissent pour tisser la trame complexe de
"L'amour". À travers cette lentille théorique, nous dévoilerons les choix narratifs
délibérés de l'auteur, décortiquerons les structures narratives qu'il déploie et
examinerons les techniques de caractérisation habilement employées pour donner
vie à une représentation authentique de l'expérience humaine.
2
Biographie de l’auteur
Présentation de l’œuvre
les pages jaunies du temps, le destin d'un couple provincial se dessine, une
épopée de cinquante ans ancrée dans la terre de la classe ouvrière qui,
étonnamment, s'élève vers la lueur de la classe moyenne durant les Trente
Glorieuses.
3
Les acteurs du récit quittent la scène dans un ordre logique, sans mort brutal,
suivant une cadence naturelle. Boule, le chien , Gérard, le père de Jacques,
Maryvonne sa mère, les enfants, tous s'éclipsent comme des ombres légères.
Motivations
Dès les premières lignes, j'ai été ensorcelé par la sincérité brute de l'auteur, qui
s'efforce de présenter l'amour dans toute sa splendeur et sa réalité, loin des clichés et
des stéréotypes. Son approche réaliste m'a semblé une bouffée d'air frais dans un
océan de romans superficiels et artificiels, offrant un regard authentique sur les joies
et les peines, les triomphes et les tragédies de l'expérience amoureuse.
4
En tant qu'amateur de l'art réaliste, j'ai été particulièrement touché par la
manière dont l'auteur parvient à saisir la vérité brute de la condition humaine à
travers ses personnages, dépeignant avec subtilité et nuance les complexités des
relations amoureuses. Chaque page révèle de nouvelles couches de profondeur et de
sens, invitant le lecteur à plonger toujours plus loin dans les méandres de l'âme
humaine. Mais ce qui rend ce roman véritablement exceptionnel, c'est sa capacité à
éviter les écueils du sentimentalisme excessif et du mélodrame stérile. Au lieu de
cela, l'auteur opte pour une approche nuancée et équilibrée, offrant une
représentation authentique de l'amour dans toute sa diversité et sa complexité. C'est
une œuvre qui célèbre la beauté et la grandeur de l'ordinaire, tout en reconnaissant
également ses défis et ses imperfections.
En résumé, "L'Amour" est bien plus qu'un simple roman ; c'est une méditation
profonde sur l'essence même de l'existence humaine, une exploration audacieuse
des mystères de l'amour et de la condition humaine. C'est un livre qui continue de
résonner bien après avoir refermé ses pages, laissant une empreinte indélébile dans
l'esprit de ceux qui ont eu la chance de le lire.
Problématique
5
Dans quelle mesure les éléments de la narratologie, en l’occurrence le paratexte,
les choix narratifs et la gestion de la temporalité et de l'espace, contribuent-ils à
la construction et à la communication des thèmes et des messages dans le texte ?
La démarche
6
CHAPITRE I : Le paratexte
« Le paratexte est donc pour nous ce par quoi un texte se fait livre et se propose
comme tel à ses lecteurs, et plus généralement au public. Plus que d’une limite ou
d’une frontière, il s’agit ici d’un seuil ou […] qui offre à tout un chacun la
possibilité d’entrer ou de rebrousser. »1
Dans le cadre de notre étude, nous nous pencherons sur l'analyse paratextuelle,
en particulier sur le péritexte, en examinant de près les éléments suivants : le titre,
l'illustration, la quatrième de couverture et l’incipit.
1
Gérard Genette, Seuils, Edition Seuil, Paris, 1987, p.7.
7
1- Le titre
Il est indéniable que le titre d'un texte joue un rôle crucial dans la façon
dont le lecteur interagit avec celui-ci. Lorsque l'on manque d'informations
précises sur l'auteur, le titre devient souvent le premier critère de décision
pour choisir de lire ou non un roman. En effet, certains titres ont le pouvoir
d'attirer l'attention et de susciter l'intérêt, tandis que d'autres peuvent
repousser. Certains titres intriguent ou choquent, tandis que d'autres captivent
ou irritent. Ainsi, le titre constitue une porte d'entrée essentielle dans la
relation entre le lecteur et le texte, influençant grandement la perception et
l'appréciation de ce dernier.
2
Charles Grivel, Production de l’intérêt romanesque, Paris-La Haye, Mouton, 1973, p. 173
8
En ce qui concerne la fonction descriptive, "L'Amour" offre des indices
précieux sur le contenu du roman. Il évoque directement le thème principal abordé
dans le livre, à savoir l'amour sous ses différentes formes et manifestations.
Cependant, le titre laisse également place à l'interprétation, car l'amour est un
concept vaste et complexe, offrant ainsi une multitude de perspectives et d'histoires
à explorer. Par conséquent, les lecteurs peuvent s'attendre à une diversité de récits,
de personnages et de situations liés à l'amour dans le roman.
9
2- L’illustration
10
11
L'image d'une pendulette dans le contexte d'un roman intitulé "L'Amour"
peut être interprétée de plusieurs façons.Voici quelques interprétations
possibles :
Le temps qui passe : Une pendulette est un symbole classique du temps qui
s'écoule. Dans le cadre de l'amour, cela peut représenter l'éphémérité des
relations, l'importance de saisir chaque moment précieux avec un être cher et
la conscience du caractère fini de la vie et de l'amour.
La notion de destin : Dans certains cas, une pendulette peut être interprétée
comme un symbole de destin ou de destinée. Comme une pendulette suit un
mouvement prédéterminé, cela pourrait représenter l'idée que certaines
relations amoureuses sont destinées à se produire, que l'amour est quelque
chose de prédestiné ou de préordonné.
12
3- La quatrième de couverture
« J’ai voulu raconter l’amour tel qu’il est vécu la plupart du temps par la
plupart des gens : sans crise ni événement. Au gré de la vie qui passe, des
printemps qui reviennent et repartent. Dans la mélancolie des choses. Il est
partout et nulle part, il est dans le temps même. Les Moreau vont vivre
cinquante ans côte à côte, en compagnie l’un de l’autre. C’est le bon mot :
elle est sa compagne, il est son compagnon. Seule la mort les séparera, et
encore ce n’est pas sûr. »
Cette note sert à nous donner un aperçu intéressant de ce à quoi s'attendre dans ce
récit
même édition :
13
Culture-Télérama 2006, adapté au cinéma par Laurent Cantet), La blessure la
vraie, Molécules, En guerre, Un enlèvement et Ma cruauté. »
4- L’incipit
« Informer, pour l’incipit, consiste à répondre aux trois questions que se pose tout
lecteur lorsqu’il aborde une histoire : qui ? où ? quand ? Autrement dit, le début de
roman, dans sa présentation de l’intrigue, renseigne le lecteur sur les personnages
principaux, le lieu et l’époque de l’action. »3
3
Vincent Jouve, La Poétique Du Roman, (2020), P26
14
L'incipit fournit des informations cruciales sur les personnages, leurs actions et
leur environnement immédiat. On apprend que Jeanne travaille en aidant sa mère,
femme de ménage au gymnase :
« La première fois que Jeanne voit Pietro, c’est au gymnase où sa mère fait le
ménage. »
« Jeanne se concentre sur le bois verni du banc qu’elle astique pour ne pas le regarder,
mais c’est impossible car du haut de ses deux mètres il domine son monde. On ne voit que
lui. »4
Ces détails renseignent le lecteur sur les protagonistes et leur contexte social. Le
lecteur est initié à l'univers narratif qui va se déployer devant lui. Ces premières
lignes fonctionnent comme une invitation à pénétrer dans le monde fictionnel créé
par l'auteur. Elles fournissent des indices subtils sur le genre, le ton et même sur le
style de l'œuvre à venir, permettant ainsi au lecteur d'anticiper le type d'expérience
de lecture qui l'attend. Ainsi, dès les premières lignes, le lecteur se trouve dans une
position privilégiée pour interpréter et apprécier pleinement le récit qui va se
dérouler sous ses yeux.
4
François Bégaudeau, l’amour, Verticales, Paris (2023), P3
5
Vincent Jouve, La Poétique Du Roman, Armand Colin, Paris (2020), P26
15
Le suspense est également maintenu par des éléments tels que la pluie imminente et
Jeanne qui se cache pour éviter de croiser Pietro en se contentant de l’observer de
loin :
« Quand Pietro sort à son tour du bâtiment blanc, la pluie a eu le temps d’aplatir sa
choucroute qu’elle a châtain l’hiver et blonde l’été. De toute façon elle ne compte pas se
montrer. Au contraire se recule derrière une benne, hors de vue de la demi-douzaine de
garçons qui s’envoient des blagues, sacs de sport en bandoulière . »6
L'incipit utilise des éléments de topoï du réalisme pour ancrer l'histoire dans un
contexte crédible et familier. Par exemple, la description détaillée du travail de
Jeanne et de son environnement quotidien contribue à créer une atmosphère réaliste
6
François Bégaudeau, l’amour, Verticales, Paris, (2023), P4
7
Ch. Grivel, Production de l’intérêt romanesque, (1973), P91
16
et terre-à-terre. De plus, l'utilisation de détails visuels et sensoriels, tels que le
crissement des semelles sur le parquet et la pluie imminente, renforce l'impression
de réalisme et d'authenticité.
CHAPITRE II : La narration :
1. Le narrateur
La création d'un récit implique la présence d'une entité narrative à son
origine. Afin de comprendre les implications d'une histoire, il est essentiel
d'identifier le rôle et les responsabilités du narrateur. Explorer la question "Qui
est le narrateur ?" revient à examiner la notion de "voix" narrative. Le statut du
narrateur repose sur deux aspects : sa relation avec l'histoire (est-il un
personnage dans le monde du récit ?) et le niveau de narration qu'il occupe
(raconte-t-il en première personne ou est-il lui-même l'objet d'un récit ?).
La relation à l’histoire
17
En ce qui concerne la connexion entre le narrateur et son récit, deux scénarios
peuvent se présenter. En utilisant le langage de Genette, nous pouvons identifier soit
un narrateur homodiégétique (impliqué dans l'intrigue, c'est-à-dire faisant partie de
l'univers du roman), soit un narrateur hétérodiégétique (qui est extérieur à
l'intrigue). Dans le cas du roman que nous étudions le narrateur est
hétérodiégétique, tout en étant absent de sa diégèse il ne fait que relater les
événements du récit sans oublier sa constante omniscience.
Le niveau narratif
Le statut du narrateur
18
s’appliquer au roman étudié,effectivement le narrateur raconte en récit premier une
histoire d’où il est absent, à une seule exception près à un moment du roman le
narrateur laisse glisser un « je » :
« Il a donné un spectacle de contes à la salle des fêtes. Conteur c’est son métier.
Demain il se produit à La Roche, après-demain à Luçon où je suis né, ... » 8
La fonction du narrateur
8
François Begaudeau, l’amour, Verticales, Paris (2023), P23
19
En effet, le narrateur n'est pas simplement un conteur neutre, mais plutôt un
agent actif qui influence la manière dont l'histoire est présentée et interprétée. Parmi
les fonctions essentielles du narrateur figurent la sélection et l'organisation des
événements, ainsi que la création de la perspective à travers laquelle le lecteur
appréhende le récit. Ces fonctions sont indispensables à la création d'une structure
narrative cohérente et engageante.
« J’ai voulu raconter l’amour tel qu’il est vécu la plupart du temps par la plupart des
gens. ».
20
retours en arrière, les sauts en avant, les ellipses, ainsi que les oppositions et les
symétries narrative :
« Le narrateur est celui qui raconte, mais aussi celui qui guide, qui interprète, qui
éclaire. Il est le médiateur indispensable entre le récit et le lecteur, fournissant des clés
d'interprétation et des indications sur la construction narrative »9
Dans le récit que l’on analyse le narrateur n’utilise pas de retour en arrière, la
temps est géré de manière unilatéral et les ellipses sont marquées de manière subtile
n’étant détectables que par le changements des objets avec lesquels les personnages
interagissent ou par des clins d’œil à des éléments culturels qui appartiennent aux
époques qu’ont traverser les personnages :
La fonction tierce et qui peut être considérée comme facultative dans ce roman
est la fonction explicative, Cette fonction, largement observée au XIXe siècle,
particulièrement dans les romans didactiques, est celle de l'explication. Elle se
matérialise par l'engagement du narrateur à fournir une quantité d'informations
jugées indispensables pour saisir pleinement le sens de l'histoire. Cette démarche
explicative du narrateur s'inscrit dans une tradition littéraire où la transmission de
connaissances et de concepts était valorisée, contribuant ainsi à enrichir la
profondeur et la portée de la narration. Cet extrait du roman représente bien cette
fonction :
9
Tzvetan Todorov, Qu’est-ce que le structuralisme ?,Paris, Éd. du Seuil, coll. « Points », (1968)
10
François Begaudeau, l’amour, Verticales, Paris (2023), P4
21
« Pour cesser de psychoter Jacques s’occupe. Les dernières quarante-huit heures il
fournit partout. Il fait le tour des copains qui hébergeront les invités venus de loin. Il passe
un coup de fil au collègue qui véhiculera Joël son cousin polio. Il ajoute quatre cubis dans
la commande en gros pour le vin d’honneur. Il rassemble les chaises disponibles dans le
garage de sa belle-mère pour que ce soit plus pratique, et malgré cette précaution le jour J
il en manque. On a beau compter et recompter, il n’y en a ni plus ni moins que 56 alors
qu’on est prévus 70 au repas de midi. Le mystère est vite élucidé : les 15 qui manquent
sont celles que l’oncle Jeannot devait ramener dans son semiremorque, sauf qu’à l’aube la
batterie de son bahut était à plat. Sans doute des lutins qui ont joué avec les phares toute
la nuit. Ou le camionneur rond comme une queue de pelle qui s’est écroulé sur le volant
sans éteindre l’autoradio. Gérard file en camionnette au club de belote prendre ce qu’il
faut de chaises. La moitié commence à fatiguer d’avoir supporté tant de fesses, mais ça
fera la blague. » 11
« On peut […] raconter plus ou moins ce que l’on raconte, et le raconter selon tel ou
tel point de vue ; et c’est précisément cette capacité, et les modalités de son exercice, que
11
Ibid, P33
22
vise notre catégorie du mode narratif : la “représentation”, ou plus exactement
l’information narrative a ses degrés ; le récit peut fournir au lecteur plus ou moins de
détails, et de façon plus ou moins directe, et sembler ainsi (pour reprendre une métaphore
spatiale courante et commode, à condition de ne pas la prendre à la lettre) se tenir à plus
ou moins grande distance de ce qu’il raconte ; il peut aussi choisir de régler l’information
qu’il livre, non plus par cette sorte de filtrage uniforme, mais selon les capacités de
connaissance de telle ou telle des parties prenantes de l’histoire (personnage ou groupe de
personnages), dont il adoptera ou feindra d’adopter ce que l’on nomme couramment la
“vision” ou le “point de vue”, semblant alors prendre à l’égard de l’histoire (pour
continuer la métaphore spatiale) telle ou telle perspective. “Distance” et “perspective”,
ainsi provisoirement dénommées et définies, sont les deux modalités essentielles de cette
régulation de l’information narrative qu’est le mode, comme la vision que j’ai d’un
tableau dépend, en précision, de la distance qui m’en sépare, et en ampleur, de ma
position par rapport à tel obstacle partiel qui lui fait plus ou moins écran. »12
12
Gérard Genette, Figures III, Paris,Seuil, (1972), p. 183-184.
23
La distance
« Quand Jeanne n’est pas plongée dans un Télé 7 Jeux, elle écoute des chansons en
triant les cartes postales qu’elle collectionne. Si elle veut mettre Véronique Sanson dont les
bêlements insupportent Jacques, elle branche le casque sur le radiocassette Toshiba, ou
bientôt s’allongera sur le lit, discman posé sur le ventre. Maintenant qu’il est à son compte
comme paysagiste, Jacques peut embarquer Daniel en tournée le mercredi. Parfois il
passe aussi embarquer Boule dans la camionnette Renault. La mère prétend que voir du
monde lui remonte le moral »13
13
François Begaudeau, l’amour, (2023), p40
24
Le narrateur s’efface complètement donnant l’illusion que l’histoire se raconte
d’elle même, aucun jugement, aucune remarque ne sont émis.
« Ils ne savent pas s’ils doivent se remettre en marche. Ils se remettent en marche.
Jeanne demande à quoi ça lui sert. Les bois. Au cerf. Jacques dit à affronter d’autres
mâles quand c’est la saison. D’ailleurs la saison c’est bientôt. C’est déjà là. On sent la
sève qui monte. Jacques frissonne. Croyant que c’est un frisson de froid, Jeanne lui
propose la moitié de son anorak. — Comme saint Martin. Joueuse, elle libère une manche
pour qu’il y glisse son bras, ça les met dans une posture rigolote, ils en rajoutent exprès.
Boule a mis du temps à remonter la balle échouée dans un fossé. Il la recrache aux pieds
de son maître et attend la suite des opérations. La balle reste inerte. Boule grogne
d’impatience. Jacques décolle ses lèvres de celles de Jeanne pour lui dire de la fermer. Il
ramasse la balle et la lance aussi loin que possible. Jusqu’en Chine ce serait parfait. Ils se
rappellent qu’ils ont chacun un bras dans une manche d’anorak. Ils se dépêtrent comme ils
peuvent. Comme ils ont fait demi-tour, Boule les dépasse. Il n’a rien dans la gueule.
Jacques lâche la main de Jeanne pour rebrousser chemin en quête de la balle délaissée.
Quelle plaie ce cleb. » 14
Là où un autre récit se contenterait de faire un grand plan sur les amants qui
s’embrassent, dans « l’amour » nous avons tous les éléments du décor qui enlacent
les amoureux, offrant une vue d’ensemble fidèle à la réalité comme si nous avions
l’image devant nos yeux.
14
François Begaudeau, l’amour, Verticales, Paris (2023), p21
25
Enfin, la mention de détails apparemment inutiles, tels que l’humeur du chien,
le type de veste que porte Jeanne ou la trajectoire de la balle , donne de la crédibilité
au monde de la fiction en montrant qu'il présente la même contingence que le
monde réel. C'est ce que Roland Barthes appelle l'"effet de réel" :
15
Barthes Roland. L'effet de réel. In: Communications, 11, (1968). P84.
26
Le narrateur de «l’amour» s’est accordé à peu près toutes les possibilités pour
transmettre les paroles des personnages, selon les nécessités du récit :
intégrant dans le récit comme s'il s'agissait d'un événement ordinaire. Cette
approche conduit à une dissociation notable entre les mots réellement prononcés et
leur représentation dans le récit, qui se contente souvent d'une mention sommaire et
imprécise de leur contenu, exemple : « Une fois raccroché, elle remonte le
transistor. Une voix plate interrompt l’émission pour annoncer la mort du président
Pompidou, qu’à son tour Jeanne annonce à Jacques. »16
le discours transposé est utilisé pour rapporter les paroles d'un personnage
16
François Begaudeau, l’amour, Verticales, Paris (2023), P23
17
François Begaudeau, l’amour, (2023), p22
27
ou altération de la part de la voix narrative. Ainsi, le discours rapporté offre une
immersion totale dans les mots exacts du personnage, rendant l'expérience de
lecture plus directe et authentique comme nous pouvons le constater ici :
« Jacques a transformé en atelier le garage attenant au salon. Il y monte et
remonte, peint et repeint ses fusées qui s’accumulent, ce qui a le don d’exaspérer
Jeanne que ces réalisations ravissent.
La focalisation
18
Ibid, p56
28
sélection d'informations narratives, que le récit s'impose en choisissant de présenter
l'histoire à partir d'un point de vue spécifique :
narrative où le narrateur ajuste son récit pour correspondre au point de vue d'un
personnage spécifique. Cette approche implique une limitation de la perspective à
travers laquelle l'histoire est racontée et une sélection délibérée des informations à
communiquer. En d'autres termes, le narrateur ne partage avec le lecteur que les
connaissances et les perceptions autorisées par la situation et les perspectives du
personnage concerné. Dans ce cadre, le lecteur est donc limité à la compréhension
des événements et des motivations du personnage focalisé, et son niveau de
connaissance de l'histoire est nécessairement restreint à celui de ce personnage
particulier.
La focalisation externe, est une approche narrative dans laquelle l'histoire est
19
Genette, Nouveau discours du récit, Paris, Seuil. (1983), P49
29
la focalisation zéro où le narrateur possède plus d'informations que le personnage, et
à la focalisation interne où le narrateur partage le même niveau de connaissance que
le personnage, dans la focalisation externe, le narrateur est moins informé que le
personnage. Dans ce cas, le narrateur n'a pas accès aux pensées ou aux motivations
des personnages et se contente de décrire uniquement ce qui est observable de
l'extérieur. Cette approche implique une restriction encore plus forte de la
perspective et une sélection plus rigoureuse des informations transmises au lecteur
que dans la focalisation interne.
pour décrire une situation narrative où le récit ne se concentre sur aucun personnage
en particulier. Cela signifie qu'il n'y a pas de point de vue spécifique adopté par le
narrateur par rapport à un personnage donné. En d'autres termes, il n'y a pas de
restriction dans la manière dont le narrateur raconte l'histoire en fonction du point de
vue d'un personnage particulier. Par conséquent, le narrateur n'a pas besoin de
sélectionner les informations à transmettre au lecteur en fonction du point de vue
d'un personnage spécifique. Dans ce cas, le seul point de vue qui organise le récit est
celui du narrateur omniscient, qui détient une connaissance complète des événements
et des pensées de tous les personnages. On peut le voir ici dans la scène des
funérailles de Jeanne :
« Au funérarium, Élodie, arrivée le matin même, a branché un amplificateur pour ceux qui
souhaiteraient lui dire un dernier au revoir. Daniel commence en lisant un texte de saint
Paul que sa mère, explique-t-il, avait beaucoup apprécié à son mariage. Même si elle
n’aurait pas passé ses vacances avec un curé, ajoute-t-il pour faire sourire l’assemblée qui
sourit. Puis il tend le micro à son père qui fait un geste pour dire qu’il n’aime mieux pas. Il
dit juste deux mots pour inviter les gens à manger un bout chez lui. Il a prévu de la
charcuterie, du fromage, du vin, et Marie-Jo a fait une tarte meringuée dans laquelle
Jeanne aurait mordu à pleines dents. Jacques laisse volontiers le lit conjugal à Daniel et
Élodie. Passer la nuit là-dedans ne l’enchante pas plus que ça. Et puis le canapé du salon
30
est confortable, c’est souvent qu’il s’endort dessus, veillé par la télé. Il s’en contente aussi
les nuits suivantes, et aussi celles d’après. Il ne dort plus que là, où le réveillent les voix
toniques d’une matinale de chaîne d’information. Il ne remontera plus. »20
20
François Begaudeau, l’amour, Verticales, Paris (2023), P66
31
CHAPITRE III : Le temps et l’espace
1- Le temps
32
temporalités disparates que le roman puise une richesse de significations. En effet,
cette tension temporelle offre au récit une palette d'effets narratifs, permettant
d'explorer les thèmes de la mémoire, de l'attente, de la perception du temps, de
l'évolution des personnages, et bien d'autres encore. Ainsi, l'étude du temps dans le
récit transcende la simple mesure chronologique pour devenir un terrain fertile où se
déploient des stratégies narratives sophistiquées, contribuant à l'enrichissement et à
la complexification des œuvres littéraires :
« Le récit est une séquence deux fois temporelle […] : il y a le temps de la chose-
racontée et le temps du récit (temps du signifié et temps du signifiant). Cette dualité n’est
pas seulement ce qui rend possibles toutes les distorsions temporelles qu’il est banal de
relever dans les récits (trois ans de la vie du héros résumés en deux phrases d’un roman, ou
en quelques plans d’un montage “fréquentatif” du cinéma, etc.) ; plus fondamentalement,
elle nous invite à constater que l’une des fonctions du récit est de monnayer un temps dans
un autre temps. »21
Le moment de la narration
21
Christian Metz, Essais sur la signification au cinéma, (1968), P27
33
offre des perspectives uniques sur la manière dont les événements sont présentés et
interprétés dans le récit.
34
-La narration ultérieure est le positionnement adéquat au récit que nous
étudions, elle implique le récit des événements après leur occurrence, ce qui
constitue le schéma narratif le plus répandu. Dans ce cas, le récit, se déroulant
généralement au passé, est présenté comme postérieur aux événements qu'il relate.
Cette approche narrative conventionnelle offre au lecteur une perspective
rétrospective sur les événements, permettant ainsi une réflexion approfondie sur
leurs implications et leurs conséquences. En adoptant cette structure narrative,
l'auteur se donne le pouvoir de manipuler le temps de manière à créer des tensions
des retournements de situation et des révélations progressivement dévoilées,
enrichissant ainsi l'expérience de lecture comme nous pouvons le constater dans cet
extrait :
« Il était venu à l’hôtel pour elle, en toute connaissance de cause. Avec pour seul
indice son prénom il était remonté jusqu’à elle qu’il contemplait à la dérobée au gymnase.
Quand sa mère venait travailler seule, il en était meurtri, l’entraînement lui semblait durer
des heures. À cet instant il l’attend dans la chambre qu’elle vient de libérer pour lui, pour
eux. Elle s’apprête à monter au troisième pour coller l’oreille à la porte 43 lorsqu’une
femme coiffée d’une toque demande où elle peut laisser son parapluie à sécher. Jeanne
pousse une chaise du hall minuscule pour faire de la place au parapluie ouvert et humide.
La femme demande si monsieur Leduc est déjà là. Jeanne indique la chambre et
l’ascenseur après le coude du couloir. » 22
22
François Begaudeau, l’amour, Verticales, Paris (2023), P7
35
La vitesse de la narration
-La scène crée l'illusion d'une synchronisation parfaite entre le temps qu'il faut
pour lire l'épisode et le temps qu'il prend pour se dérouler dans l'histoire. Cette
harmonisation entre le temps du récit et le temps de l'histoire est souvent exprimée
par l'équation TR (temps du récit) = TH (temps de l'histoire). Le dialogue constitue
le type canonique de cette synchronisation : le temps nécessaire pour lire un
échange de répliques correspond quasiment au temps écoulé dans la séquence
dialoguée elle-même. Cette synchronisation minutieuse crée une immersion
profonde pour le lecteur, lui permettant de vivre l'action de manière presque
instantanée et de ressentir pleinement l'intensité des échanges entre les personnages
comme nous le remarquons dans cette scène du mariage auquel assistent Jeanne et
Jacques :
36
de ce dérangement. Jacques rappuie sur play et dézoome afin d’avoir les deux mariés et le
curé dans le même plan. Moi Daniel, je te reçois Élodie comme épouse, je te promets de te
rester fidèle, dans le bonheur et dans les épreuves, dans la santé dans la maladie pour
t’aimer tous les jours de ma vie. Moi Élodie, je te reçois Daniel comme époux, je te
promets de te rester fidèle, dans le bonheur et dans les épreuves, dans la santé dans la
maladie pour t’aimer tous les jours de ma vie . »23
Étant donné que les descriptions gestuelles et tonales sont limitées, le temps
nécessaire pour lire est approximativement équivalent au temps écoulé pendant le
dialogue entre les personnages. Cette correspondance entre la durée de la lecture et
la progression temporelle des échanges entre les personnages permet une immersion
plus profonde dans la scène, car le rythme de la lecture reflète étroitement le rythme
de l'action narrative. Ainsi, chaque mot échangé entre les personnages semble se
dérouler en temps réel, créant une expérience de lecture captivante et immersive.
23
François Begaudeau, l’amour, Verticales, Paris (2023),P58
37
« Avec le temps, comme les amis de l’un sont les amis de l’autre, les sorties personnelles
se font rares. Les sorties tout court. Les téléphones sont à touches, les bouteilles de soda
en plastique, les mouchoirs en papier, les têtes d’hommes nues, les machines à coudre
envolées, le papier peint suranné, les baguettes tradition, les wagons non-fumeurs, les
shorts de foot longs, et Jeanne et Jacques préfèrent le plus souvent lambiner pieds nus sur
la moquette qu’ils ont choisie épaisse et vert d’eau. »24
24
François Begaudeau, l’amour, Verticales, Paris (2023), P39
38
donne 7h20, Jacques pensait qu’il était plus. Il baisse le son du poste pour vérifier qu’elle
fait tic-tac. Elle fait tic-tac. »25
- l'ellipse induit une accélération narrative maximale. Elle se manifeste par une
durée d'histoire que le récit décide de ne pas exposer. La logique des événements
suggère qu'il s'est passé quelque chose durant cette période, mais le texte ne fournit
pas de détails à ce sujet. Ainsi, le narrateur prend infiniment moins de temps pour
relater ces événements qu'il n'en ont pris pour se dérouler, puisqu'il choisit de ne
rien écrire à leur sujet malgré leur occurrence. Cette ellipse se conforme à l'équation
suivante : TR = 0 ; TH = n, où le temps de la narration (TR) est nul car aucune
mention n'est faite des événements, tandis que sur le plan de l'histoire (TH), une
certaine durée (n) s'est écoulée sans être narrée. Dans l’extrait qui suit le narrateur
choisit de passer sous silence de potentiels événements tel que Jacques qui annonce
au reste de la famille le décès de Jeanne et la préparation des funérailles, nous
passons donc directement du dernier souffle de la défunte au jour des funérailles :
25
François Begaudeau, l’amour, Verticales, Paris (2023), p11
26
Ibid, p65-66
39
L'analyse de la vitesse narrative implique ainsi de prendre en considération la
relation dynamique entre les divers modes de narration, tout en identifiant le
moment et le contexte où ces modes interviennent afin de dégager les valeurs qui
leur sont associées. Le roman ne manque pas d'exploiter les effets de sens inhérents
à l'utilisation spécifique de chaque mode : par exemple, l'ellipse et le sommaire sont
souvent privilégiés pour évoquer la rapidité du temps et sa fatalité, tandis que la
pause et la scène sont des outils particulièrement adaptés pour représenter les
moments où le temps semble figé pour mettre en avant les instants de bonheur.
Cette exploration minutieuse des différents modes de narration permet de saisir
pleinement la richesse et la complexité du récit, ainsi que les nuances subtiles qui
contribuent à son impact narratif.
La fréquence de la narration
40
De plus, de nombreux romans contemporains adoptent ce procédé narratif, mettant
davantage l'accent sur la diversité des perspectives et des interprétations plutôt que
sur le déroulement linéaire de l'action, ce qui enrichit la complexité de l'intrigue et
la profondeur des personnages.
-Le mode itératif dans la narration se distingue par la narration d'un événement
qui se répète à plusieurs reprises au fil du récit. Cette technique narrative vise
généralement à mettre en lumière la notion de permanence et d'habitude. Elle se
caractérise souvent par l'utilisation de temps verbaux tels que l'imparfait ou le
présent, soulignant ainsi la continuité et la régularité de l'action. En évoquant un
monde imprégné de routine et de répétition, le mode itératif suggère un
environnement où aucun événement particulier ne se distingue, mais où la
récurrence des actions contribue à la construction d'une atmosphère immersive et
réaliste. Ce procédé narratif permet ainsi d'explorer les thèmes de la monotonie, de
la stagnation et de la persistance à travers une représentation détaillée des routines
quotidiennes et des schémas récurrents.
-Le mode singulatif est la fréquence dominante dans le récit que nous étudions,
elle constitue la forme narrative la plus répandue, caractérisée par la narration d'un
événement unique à une seule reprise. Cette approche narrative est fréquemment
utilisée dans les récits d'action afin de maintenir un rythme dynamique et de susciter
chez le lecteur un intérêt continu pour le déroulement de l'intrigue. En mettant
l'accent sur la singularité des événements, le roman évite de sombrer dans la
monotonie et parvient ainsi à captiver son public en lui offrant une expérience
immersive et palpitante, à l'image de l'aventure qu'il dépeint. Dans le roman
« l’amour », chaque événement ne se reproduit qu'une seule fois, ce qui capte
l'attention du lecteur. Il réalise qu'il n'y aura pas de retour en arrière ni de répétition,
l'invitant ainsi à vivre pleinement chaque instant. Cette similarité avec la vie réelle,
où notre attachement aux personnages est semblable à celui que nous avons pour les
41
personnes dans notre propre vie, signifie souvent que nous ne pouvons être présents
pour eux qu'une seule fois lors de leurs moments fatidiques.
L’ordre de la narration
Dans le cas du court roman que nous analysons nous pouvons le classer dans la
case des récits linéaires, où les événements sont présentés dans l'ordre
chronologique. Généralement, les récits courts comme les contes ou les nouvelles,
qui ont une structure relativement simple, suivent cette convention en présentant les
faits dans leur succession. « l’amour » est un exemple de cela , où l'auteur nous
guide à travers les différentes étapes de la vie des époux Jeanne et Jacques Moreau
dans un ordre chronologique. Cette approche narrative dans le récit met en lumière
de manière frappante la nature implacable de la mécanique du temps têtu qui efface
tout sur son passage : leur souvenirs, leur famille, leur chien, eux-mêmes ; mais
peut-être pas leur amour.
Néanmoins nous avant une exception dans ce récit, nous pouvons remarquer un
seul moment de discordance temporelle : L’anachronie narrative, pour reprendre le
terme de Genette, présentent deux manifestations principales :
« Une anachronie peut se porter, dans le passé ou dans l’avenir, plus ou moins loin
du moment “ présent ”, c’est-à-dire du moment où le récit s’est interrompu pour lui faire
42
place : nous appellerons portée de l’anachronie cette distance temporelle. Elle peut aussi
couvrir elle-même une durée d’histoire plus ou moins longue : c’est ce que nous
appellerons son amplitude. »27
« Les premières années de diffusion, Jacques était rarement à côté de Jeanne pour
regarder Plus belle la vie. Que l’action se déroule à Marseille le rebutait, il n’aime pas
cette ville, la preuve il n’y a jamais mis les pieds. Mais très vite la couleur locale a
disparu, il s’est plu dans cet univers, les personnages piliers sont devenus des intimes qu’il
retrouve chaque soir comme on s’assoit à table. À l’épisode 4334, Héloïse apprend à son
père qu’elle est homosexuelle. Passé son premier mouvement de rejet, le père apprend à
l’accepter comme elle est, avec ses désirs et ses amantes. Ça lui est plus difficile de
renoncer à une descendance car Marie est sa fille unique. Or elle compte bien devenir
maman et se dit prête à se soumettre au protocole requis. Dans l’esprit du père la
réticence à cet artifice le cède à la joie d’avoir un petit-fils. Même une petite-fille lui ira.
Elle illuminera ses vieux jours. À l’envisager, il se sent rajeunir. Lui qui n’a pas été un
père très présent sera le meilleur des grands-pères. Il y a un bruit de clenche. Jeanne
campée sur le seuil en robe rose fait un geste qui dit viens. Jacques pense d’abord aller
au bout de l’épisode avant de se lever. Combien de temps reste-t-il avant la fin ? La
pendulette indique 20 h 26. Il songe qu’elle va avoir froid avec ces chaussons, il va lui
trouver autre chose. Elle dit que ce ne sera pas utile. Jacques veut au moins prendre une
parka pour lui car on a un mois de mars assez frisquet mais Jeanne dit : dépêche-toi c’est
maintenant. »28
27
Genette , Figures III, Paris, Seuil.(1972), P89
28
François Begaudeau, l’amour, Verticales, Paris (2023), P69
43
Ici Jacques vit ses derniers instants, une page avant qu’il aille rejoindre sa
défunte épouse, il se remémore les moments où il refusait de regarder une série avec
Jeanne, maintenant qu’elle a quitter le bas-monde, la série devient le seul endroit de
réconfort pour le mari, il en arrive même à imaginer son épouse entrain de l’attendre
avec la robe qu’elle portait jadis.
2- L’espace
L’insertion de la description
44
techniques permettent aux auteurs réalistes de maintenir l'authenticité et la fluidité
de leur narration tout en fournissant les détails nécessaires pour enrichir l'expérience
du lecteur.
45
extrait de « l'amour » qui décrit la salle où se déroule le rassemblement familial
pour l'apéritif :
D'un point de vue géographique, l'accent est mis sur la verticalité de l'espace dans
ce contexte (illustré par des éléments comme "au-dessus du buffet", "sur le buffet".
-La motivation de la pause descriptive dans le récit est un élément crucial pour
maintenir la cohérence narrative. Une méthode particulièrement efficace consiste à
attribuer la description à un personnage, évitant ainsi une interruption brutale de
l'histoire. Le narrateur choisit alors de rapporter ce que voit, dit ou fait un
personnage spécifique dans le roman. Ce personnage peut être caractérisé par sa
capacité à observer (qu'il soit explorateur, peintre, photographe, espion ou
29
François Begaudeau, l’amour, Verticales, Paris (2023), P29
46
enquêteur), à exprimer (qu'il soit professionnel, initié ou expert dans un domaine)
ou à agir (qu'il soit technicien, ingénieur ou spécialiste). Généralement, ce
personnage se trouve dans un endroit favorable à l'observation (tel qu'un lieu ouvert
sur l'extérieur, le sommet d'une colline ou une cachette aménagée). Son observation
est motivée par des facteurs psychologiques tels que la curiosité, l'appréhension ou
le réflexe professionnel, et est souvent liée à une cause précise, comme la recherche
d'un indice, la découverte d'un lieu inconnu ou une tentative d'évasion. Philippe
Hamon a identifié une séquence typique de cinq phases, spécifique aux romans
réalistes, qui vise à justifier l'insertion d'un passage descriptif dans le récit.
Analysons ces phases à travers ce passage du corpus :
« Jacques se met à la fenêtre pour se griller une Camel. La Camel lui évoque le conteur
qui lui évoque le roi dauphin. Le H de l’enseigne de l’hôtel concurrent est éteint. Ça ne
change rien à la prononciation. Un autre soir, depuis la 34, il regarde un couple tituber
jusqu’à une Audi noire immatriculée dans l’Eure-et-Loir. De la 47, un étage plus haut, on
voit les trois panaches de fumée de l’usine de chaussures. Dans la 9 au rez-de-chaussée,
Jeanne commence par fermer les volets des fois qu’un curieux passerait par là. Le papier
peint de la 12 a pour motif un nénuphar marron tacheté de bleu. Celui de la 13 également.
Dans la 43, l’enseigne d’en face projette un halo jaune sur le couvre-lit. Sur le drap de la
23, Jeanne boutonnant son chemisier repère une traînée rougeâtre. Elle se passe un doigt
pour confirmer. Elles arrivent tôt ce mois-ci. D’un geste sec elle tire le drap pour le rouler
en boule avant que Jacques revienne des toilettes du palier. Dans la serrure de la 11
s’introduit une clé. Jacques se fige entre les cuisses de Jeanne en attendant que le client
aviné réalise son erreur. »30
-La référence à un personnage qualifié Jacques est maçon depuis chaque fenêtre
de l’hôtel où travaille son amante il aperçoit les détails architecturale de son
environnement : «47, un étage plus haut, on voit les trois panaches de fumée de
l’usine de chaussures. », « Le papier peint de la 12 a pour motif un nénuphar
30
François Begaudeau, l’amour, Verticales, Paris (2023), P26
47
marron tacheté de bleu. » , «Dans la 43, l’enseigne d’en face projette un halo jaune
sur le couvre-lit »
Le fonctionnement de la description
48
concernée, permettant une compréhension plus complète et nuancée de sa nature et
de ses attributs. Analysons ce passage décrivant la première visite de Jacques chez
son amante, Jeanne :
« En se voûtant comme pour se cacher, Jacques pointe un bout de forêt borné par deux
chênes. Jeanne finit par repérer l’animal qui se détache de la luzerne, placide et sans peur.
On dirait une statue de cuivre, chuchote-t-elle. Moi tu vois un cerf je pourrais pas,
chuchote Jacques. Le tirer je pourrais pas. Des chevreuils autant que tu veux mais un cerf
non c’est drôle hein ? » 31
La réalité décrite, symbolisée par "un bout de forêt", est présentée à travers une
de ses caractéristiques principales, à savoir qu'il est "borné par deux chênes", ainsi
que par la mention de plusieurs de ses éléments constitutifs, tels que les "deux
chênes" et "l’animal". Chaque élément constitutif peut être développé de manière
autonome, en lui attribuant ses propres caractéristiques ou en le subdivisant à son
tour en composants plus spécifiques, ce qui le fait évoluer vers un statut de "sous-
thème". Dans cet exemple, "l’animal " est décrit à travers ses caractéristiques,
comme le fait qu'il "se détache de la luzerne", et leurs composants, tels que son air
"placide et sans peur".
telles que les comparaisons, les métaphores, les négations ou encore les
reformulations. Son objectif premier est de rapprocher l'objet décrit de réalités plus
31
François Begaudeau, l’amour, Verticales, Paris (2023), P20
49
familières au lecteur, lui permettant ainsi de mieux appréhender et d'interpréter
l'objet en question. Par le biais de comparaisons, l'auteur crée des ponts entre l'objet
décrit et d'autres concepts ou objets familiers, offrant ainsi au lecteur des points de
référence qui facilitent la compréhension. Les métaphores, quant à elles, transposent
l'objet dans un cadre plus familier ou concret, permettant au lecteur de saisir plus
aisément ses attributs et ses implications. Les négations et les reformulations jouent
également un rôle crucial en éliminant les ambiguïtés et en clarifiant le sens de
l'objet décrit à travers des énoncés plus accessibles ou des exemples plus tangibles.
Dans cet énoncé provenant de « l’amour »:
«Il tire de son casier une coupe en étain qu’il lui tend. Elle ne peut l’attraper, il la tient
trop haut. Pietro est un géant et elle un champignon. » 32
32
François Begaudeau, l’amour, Verticales, Paris (2023), P5
50
«Jacques qui finit à 19 heures, au pire 20, la retrouve chez elle et non plus à l’hôtel,
c’est un gros plus. On a juste perdu sur le chauffage. La chambre de Jeanne est mal isolée,
l’été on crève et l’hiver le poêle est impuissant contre l’air qui s’infiltre de partout. À
l’arrivée de Jacques ils se fourrent sous les draps et se serrent avides de la chaleur de
l’autre.» 33
33
Ibid, P32
51
pertinentes, élargissant ainsi la compréhension du lecteur sur différents aspects de la
vie, qu'ils soient culturels, historiques ou scientifiques. Par exemple la description
de la chambre de Jeanne nous donne une idée sur la classe sociale à laquelle elle
appartient.
52
Conclusion :
53
lui-même, ce qui nécessite une prose au diapason, sans artifice ni signalisation
explicite du passage du temps.
La façon dont les moments importants de la vie des personnages sont traités
matériellement plutôt que psychologiquement ou métaphysiquement contribue à
une représentation réaliste et non idéalisée de l'existence. Cette approche met en
lumière la vie quotidienne des classes populaires et souligne la façon dont les
préoccupations matérielles et pragmatiques sont intrinsèquement liées à la vie
amoureuse.
54
L'absence délibérée de tensions dramatiques laisse place à une contemplation
tranquille, à une observation minutieuse des émotions et des interactions. Comme le
souligne François Bégaudeau lui-même, cette absence de tension permet aux
lecteurs de se plonger pleinement dans les scènes, sans être guidés par un narrateur
omniscient.
Dans cette chronique intimiste, où les petits riens prennent une importance
démesurée, se dessine le portrait d'une France en mutation, mais surtout celui d'un
couple ordinaire, Jeanne et Jacques, dont l'amour se décline dans les gestes du
quotidien, dans les silences complices, dans les épreuves surmontées ensemble.
55
Bibliographie
Corpus
Ouvrages et Revues
Barthes, Roland. "L'effet de réel." Communications, 11, 1968, p. 84.
Sitographie
www.avoir-alire.com
www.francoisbegaudeau.fr
www.persee.fr
www.wikipedia.org
www.zone-critique.com
56
Résumé :
Ce mémoire de master se concentre sur le roman «L’amour» de François Bégaudeau,
appartenant à la littérature française contemporaine. Ce roman explore la vie d'un couple
provincial sur cinquante ans, abordant des thèmes tels que l'amour, le temps, les conditions
matérielles d’existence, la vie intérieure et la mort, à travers une écriture minimaliste et réaliste.
Notre étude porte sur les éléments narratologiques du texte, où nous avons tenté d'analyser le
paratexte, les choix narratifs, et la gestion de la temporalité et de l'espace. Nous avons examiné les
éléments paratextuels selon les travaux de Gérard Genette, puis les choix narratifs à partir des
théories narratologiques, et enfin la temporalité et l'espace en lien avec la création d'effets
narratifs et esthétiques. Cette analyse vise à révéler comment Bégaudeau utilise des techniques
narratives pour représenter de manière authentique et poétique l'expérience humaine.
ملخص
. التي تنتمي إلى األدب الفرنسي المعاصر،يركز هذا المذكرة للماجستير على رواية "الحب" لفرانسوا بيغودو
، الزمن، حيث تتناول مواضيع مثل الحب،تستكشف هذه الرواية حياة زوجين من المحافظات على مدى خمسين عا ًما
دراستنا تركز على العناصر السردية. من خالل كتابة بسيطة وواقعية، الحياة الداخلية والموت،الظروف المادية للوجود
لقد قمنا بفحص العناصر العتباتية. وإدارة الزمن والمكان، الخيارات السردية، حيث حاولنا تحليل العتبات النصية،للنص
وأخيرا الزمن والمكان فيما يتعلق بخلق
ً ، ثم الخيارات السردية بنا ًًء على النظريات السردية،وفقًا ألعمال جيرار جينيت
تهدف هذه التحليل إلى الكشف عن كيفية استخدام بيغودو للتقنيات السردية لتمثيل التجربة.التأثيرات السردية والجمالية
.اإلنسانية بطريقة أصيلة وشاعرية
Abstract:
This master's thesis focuses on François Bégaudeau's novel "L’amour," which belongs to
contemporary French literature. This novel explores the life of a provincial couple over fifty
years, addressing themes such as love, time, material conditions of existence, inner life, and
death through a minimalist and realistic writing style. Our study focuses on the narratological
elements of the text, where we attempted to analyze the paratext, narrative choices, and the
management of temporality and space. We examined the paratextual elements according to the
works of Gérard Genette, then the narrative choices based on narratological theories, and finally
temporality and space in relation to the creation of narrative and aesthetic effects. This analysis
aims to reveal how Bégaudeau uses narrative techniques to authentically and poetically
represent the human experience