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MEMOIRE

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UNIVERSITÉ LES FRÈRES MENTOURI

Faculté des lettres et langues Département de


lettres et langue française
NO d’ordre :
NO de série :
MÉMOIRE
Présenté en vue de l’obtention Du
diplôme de master

Spécialité : LGC

Intitulé :

« L’amour » de François Bégaudeau

Une étude narratologique

Préparé par : BOULAHLIB Mahmoud

Dirigé par : KABOUR Awatef

Jury :

Président(e) :

Rapporteur :

Examinateur :

Année universitaire 2023-2024.


Remerciements

Tout d'abord, je tiens à remercier le directeur de recherche Mme


KABOUR Awatef pour son assistance.

Nous tenons à exprimer notre sincère gratitude aux membres du jury pour avoir consacré
de leur temps à évaluer ce travail.

Merci tout le monde.


Table des matières
Introduction ................................................................................................................................... 1
Biographie de l’auteur et .......................................................................................................... 3
Présentation de l’œuvre ............................................................................................................. 3
Motivations ................................................................................................................................ 4
Problématique ............................................................................................................................ 5
La démarche ............................................................................................................................... 6
CHAPITRE I : Le paratexte ............................................................................................................... 6
1- Le titre .................................................................................................................................... 7
2- L’illustration ............................................................................................................................ 9
3- La quatrième de couverture ................................................................................................. 13
4- L’incipit ................................................................................................................................ 14
CHAPITRE II : La narration : .......................................................................................................... 18
1. Le narrateur .......................................................................................................................... 18
La relation à l’histoire ..................................................................................................... 18

Le niveau narratif ............................................................................................................ 19

Le statut du narrateur .................................................................................................... 19

La fonction du narrateur ................................................................................................ 20

2- Le mode de représentation narrative : ................................................................................. 23


La distance ..................................................................................................................... 24

La focalisation ............................................................................................................... 29
CHAPITRE III : Le temps et l’espace ............................................................................................... 33
1- Le temps............................................................................................................................... 33
Le moment de la narration ........................................................................................... 35
La vitesse de la narration ............................................................................................ 37
La fréquence de la narration ........................................................................................... 41

L’ordre de la narration ................................................................................................... 43

2- L’espace ............................................................................................................................... 45
L’insertion de la description............................................................................................ 45

Le fonctionnement de la description .............................................................................. 49

Les fonctions de la description ....................................................................................... 52

Conclusion : .................................................................................................................................. 55
Bibliographie ............................................................................................................................... 59
Introduction

Les livres façonnent nos attentes en matière d'amour de diverses façons, souvent
en projetant des idéaux romantiques irréalistes ou en renforçant des stéréotypes de
genre. La littérature romantique actuelle a tendance à exalter l'amour, le dépeignant
comme une force capable de surmonter tous les obstacles. Cette vision idéalisée
peut entraîner des attentes peu réalistes chez ceux qui manquent de recul critique.

Certaines œuvres décrivent l'amour comme une expérience passionnelle et


brève, centrée sur des émotions intenses et des moments magiques. D'autres
soulignent la complexité des relations humaines. La littérature propose des
perspectives riches sur la passion, la douleur, la joie, la tristesse et les nuances des
liens sentimentaux. Elle aborde des thèmes universels tels que la fidélité, la
trahison, le sacrifice, le désir et la quête du bonheur. En exposant ces thèmes, elle
nous aide parfois à mieux comprendre nos propres relations.

En nous offrant des modèles, en explorant les émotions et en traitant des thèmes
universels, la littérature influence profondément notre vision de l'amour. En tant que
miroir de la condition humaine, elle joue un rôle clé dans notre compréhension et
notre vécu de l'amour. C'est à nous de relativiser cette influence.

François Bégaudeau, écrivain français contemporain, a captivé les lecteurs avec


son œuvre majeure, «L’amour», publiée en 2023 aux éditions Gallimard. Plongeant
dans les méandres de l’amour, Bégaudeau explore avec finesse les thèmes du temps,
des conditions matérielles d’existence, de la vie intérieure et de la mort. Son style
d’écriture, qualifié d’«écriture blanche», offre une proximité saisissante avec la
normalité amoureuse.

1
Le public, se reconnaissant dans cette histoire d’amour anodine, s’est
unanimement approprié l’œuvre. La critique, allant jusqu’à considérer «L’amour»
comme le chef-d’œuvre de Bégaudeau, salue la manière dont l’auteur saisit la vie
quotidienne sans artifice. Les motivations de Bégaudeau pour écrire cette œuvre
résident dans le désir de capturer l’amour tel qu’il est vécu communément, sans
crises spectaculaires ni événements extraordinaires. «L’amour» a un impact
puissant sur les lecteurs qui le décrivent comme un miracle littéraire. En moins de
cent pages, Bégaudeau parvient à narrer cinquante ans d’une vie de couple
ordinaire, où chaque détail, du mariage à la mort, est empreint de cette
extraordinaire réalisme. La normalité devient poésie, et les lecteurs sont transportés
dans cette vie ordinaire, y découvrant la beauté dans la simplicité des moments.

Dans cette analyse, nous plongerons profondément dans les concepts clés de la
narratologie genettienne, en mettant en lumière la manière dont la focalisation,
l'ordre narratif et la voix narrative interagissent pour tisser la trame complexe de
"L'amour". À travers cette lentille théorique, nous dévoilerons les choix narratifs
délibérés de l'auteur, décortiquerons les structures narratives qu'il déploie et
examinerons les techniques de caractérisation habilement employées pour donner
vie à une représentation authentique de l'expérience humaine.

En scrutant avec minutie ces éléments, nous aspirons à éclairer la subtilité de la


construction narrative dans "L'amour", révélant ainsi les multiples strates de sens
qui sous-tendent ce récit. En nous appuyant sur les concepts élaborés par Genette,
notre analyse ambitionne de transcender la simple lecture pour offrir une
exploration en profondeur des mécanismes narratifs à l'œuvre, enrichissant ainsi
notre compréhension de ce texte et mettant en exergue sa richesse narrative.

2
Biographie de l’auteur

François Bégaudeau, né le 27 avril 1971 à Luçon, en Vendée, France, est un


écrivain, critique littéraire et scénariste. Il réside dans le 11e arrondissement de
Paris.Il a obtenu sa formation à l’Université de Nantes et a débuté son activité
artistique en 2003. Bégaudeau a contribué aux Cahiers du cinéma et s’identifie à
l’idéologie marxiste.Au cours de sa carrière, il a été reconnu pour son talent avec le
Prix France Culture-Télérama en 2006 et le César de la meilleure adaptation en
2009. Ses œuvres, qui couvrent les genres de romans, théâtre, essais et scénarios,
ont captivé le public.Parmi ses œuvres notables figurent « Entre les murs » (roman,
2006), « Vers la douceur » (roman, 2009), « La Blessure, la vraie » (roman, 2011),
« Deux Singes ou ma vie politique » (roman, 2013), « Histoire de ta bêtise » (2019),
« Notre joie » (2021) et « L’Amour » (2023).

Présentation de l’œuvre

les pages jaunies du temps, le destin d'un couple provincial se dessine, une
épopée de cinquante ans ancrée dans la terre de la classe ouvrière qui,
étonnamment, s'élève vers la lueur de la classe moyenne durant les Trente
Glorieuses.

L'écriture visuelle s'entremêle comme au cinéma en un fondu enchaîné,


accélérant la progression du temps tel un brouillard qui voile les faits. Les repères
temporels s'effacent, projetant le lecteur sans crier gare dans la tranche de vie
suivante, où tous ce qui est vie, hommes, femmes, enfants, chiens, objets est affecté
par le touché silencieux de l'âge.

3
Les acteurs du récit quittent la scène dans un ordre logique, sans mort brutal,
suivant une cadence naturelle. Boule, le chien , Gérard, le père de Jacques,
Maryvonne sa mère, les enfants, tous s'éclipsent comme des ombres légères.

Le basculement des existences se grave au cœur de phrases antithétiques, où


chiens et êtres humains partagent le même destin irréductible : "Le saladier de petits
pois est là, mais Jeanne n'y est plus", le chien "Un jour on le siffle et il ne se
redresse pas".

Ce récit est un témoignage de l’entêtement du temps, il nous enterrera tous.


Un cheminement vers une conclusion poignante, la plus belle écrite par l'auteur.

Motivations

Le roman "L'Amour" se présente comme une œuvre magistrale, une fresque


épique dévoilant les intrications intimes du sentiment le plus puissant et complexe
que l'humanité ait jamais connu : l'amour. Son ambition transcendante de capturer
l'essence même de cette expérience universelle a instantanément captivé mon
intérêt, éveillant en moi une profonde résonance tant sur le plan artistique que
philosophique.

Dès les premières lignes, j'ai été ensorcelé par la sincérité brute de l'auteur, qui
s'efforce de présenter l'amour dans toute sa splendeur et sa réalité, loin des clichés et
des stéréotypes. Son approche réaliste m'a semblé une bouffée d'air frais dans un
océan de romans superficiels et artificiels, offrant un regard authentique sur les joies
et les peines, les triomphes et les tragédies de l'expérience amoureuse.

4
En tant qu'amateur de l'art réaliste, j'ai été particulièrement touché par la
manière dont l'auteur parvient à saisir la vérité brute de la condition humaine à
travers ses personnages, dépeignant avec subtilité et nuance les complexités des
relations amoureuses. Chaque page révèle de nouvelles couches de profondeur et de
sens, invitant le lecteur à plonger toujours plus loin dans les méandres de l'âme
humaine. Mais ce qui rend ce roman véritablement exceptionnel, c'est sa capacité à
éviter les écueils du sentimentalisme excessif et du mélodrame stérile. Au lieu de
cela, l'auteur opte pour une approche nuancée et équilibrée, offrant une
représentation authentique de l'amour dans toute sa diversité et sa complexité. C'est
une œuvre qui célèbre la beauté et la grandeur de l'ordinaire, tout en reconnaissant
également ses défis et ses imperfections.

En résumé, "L'Amour" est bien plus qu'un simple roman ; c'est une méditation
profonde sur l'essence même de l'existence humaine, une exploration audacieuse
des mystères de l'amour et de la condition humaine. C'est un livre qui continue de
résonner bien après avoir refermé ses pages, laissant une empreinte indélébile dans
l'esprit de ceux qui ont eu la chance de le lire.

Problématique

Nous avons remarqué que le récit apporte une dimension matérialiste à la


narration de l’amour en abordant ses thèmes et ses événements du point de vue des
conditions concrètes et réelles d’existence avec l’ambition de représenter la
naissance, la longévité et la simplicité du sentiment amoureux de la manière la plus
réaliste, universelle et atemporel qui soit, contrairement à d’autres romans qui ont
une vision plus grandiose, dramatique et crisogène du phénomène.

Notre problématique tournera autour de la question suivante :

5
Dans quelle mesure les éléments de la narratologie, en l’occurrence le paratexte,
les choix narratifs et la gestion de la temporalité et de l'espace, contribuent-ils à
la construction et à la communication des thèmes et des messages dans le texte ?

La démarche

Afin de répondre à notre problématique, notre approche se décomposera en


trois interrogations distinctes, à savoir :

• Dans une perspective narratologique, en quoi le paratexte peut-il être assimilé à


un métadiscours, fournissant des informations supplémentaires sur la narration, les
personnages et les thèmes ?

• Comment les choix narratifs affectent-ils notre compréhension des thèmes et


des messages du roman ?

• Comment l'auteur manipule la temporalité et l'espace pour créer des effets


narratifs et esthétiques dans son oeuvre ?

La finalité de l’étude est d’éclairer les mécanismes complexes mis à l'œuvre


dans la création littéraire, permettant ainsi une meilleure compréhension de la
manière dont les écrivains utilisent les outils narratifs pour transmettre des idées,
des valeurs et des significations profondes à leur lectorat.

6
CHAPITRE I : Le paratexte

Le terme "paratexte" fait référence à tout discours d'accompagnement qui


entoure un texte, jouant ainsi un rôle crucial dans les attentes du lecteur. Selon G.
Genette (Seuils), le paratexte englobe diverses productions, qu'elles soient verbales
ou non, telles que le nom de l'auteur, le titre, la préface, les illustrations, dont il n'est
pas toujours clair si elles appartiennent ou non au texte lui-même, mais qui
entourent et prolongent le texte pour le présenter. En d'autres termes, le paratexte
englobe tout ce qui entoure le texte sans en être directement le contenu.

« Le paratexte est donc pour nous ce par quoi un texte se fait livre et se propose
comme tel à ses lecteurs, et plus généralement au public. Plus que d’une limite ou
d’une frontière, il s’agit ici d’un seuil ou […] qui offre à tout un chacun la
possibilité d’entrer ou de rebrousser. »1

Le paratexte est le lieu où se négocie explicitement le "contrat de lecture". Ce


contrat de lecture est crucial car il guide la manière dont le lecteur aborde un texte.
Le paratexte, en fournissant des indications sur le contenu du livre, aide le lecteur à
adopter la perspective appropriée. En plus de guider les attentes du lecteur, le
paratexte dessine un "horizon d'attente". Ce concept signifie que toutes les
informations fournies avant la lecture définissent un ensemble de possibilités que le
lecteur anticipe plus ou moins consciemment. Si ces attentes ne sont pas satisfaites
par le texte lui-même, cela peut entraîner une rupture dans la communication entre
l'auteur et le lecteur.

Dans le cadre de notre étude, nous nous pencherons sur l'analyse paratextuelle,
en particulier sur le péritexte, en examinant de près les éléments suivants : le titre,
l'illustration, la quatrième de couverture et l’incipit.

1
Gérard Genette, Seuils, Edition Seuil, Paris, 1987, p.7.

7
1- Le titre

Il est indéniable que le titre d'un texte joue un rôle crucial dans la façon
dont le lecteur interagit avec celui-ci. Lorsque l'on manque d'informations
précises sur l'auteur, le titre devient souvent le premier critère de décision
pour choisir de lire ou non un roman. En effet, certains titres ont le pouvoir
d'attirer l'attention et de susciter l'intérêt, tandis que d'autres peuvent
repousser. Certains titres intriguent ou choquent, tandis que d'autres captivent
ou irritent. Ainsi, le titre constitue une porte d'entrée essentielle dans la
relation entre le lecteur et le texte, influençant grandement la perception et
l'appréciation de ce dernier.

« Si lire un roman est réellement le déchiffrement d’un fictif secret constitué


puis résorbé par le récit même, alors le titre, toujours équivoque et mystérieux,
est ce signe par lequel le livre s’ouvre : la question romanesque se trouve dès lors
posée, l’horizon de lecture désigné, la réponse promise. Dès le titre, l’ignorance et
l’exigence de son résorbement simultanément s’imposent. L’activité de lecture, ce
désir de savoir ce qui se désigne dès l’abord comme manque à savoir et possibilité
de le connaître (donc avec intérêt), est lancée.»2

Le titre "L'Amour" joue un rôle crucial en tant qu'élément d'identification du


livre. Comme mentionné dans les éléments théoriques, le titre fonctionne comme un
nom propre, identifiant distinctement le sujet principal du roman. Il sert de carte
d'identité du livre, permettant aux lecteurs de le reconnaître et de le distinguer des
autres œuvres littéraires. L'emploi du déterminant "l'" renforce l'idée que l'amour est
un thème central et universel dans le roman, faisant ainsi référence à une notion
générale et omniprésente dans la vie humaine.

2
Charles Grivel, Production de l’intérêt romanesque, Paris-La Haye, Mouton, 1973, p. 173

8
En ce qui concerne la fonction descriptive, "L'Amour" offre des indices
précieux sur le contenu du roman. Il évoque directement le thème principal abordé
dans le livre, à savoir l'amour sous ses différentes formes et manifestations.
Cependant, le titre laisse également place à l'interprétation, car l'amour est un
concept vaste et complexe, offrant ainsi une multitude de perspectives et d'histoires
à explorer. Par conséquent, les lecteurs peuvent s'attendre à une diversité de récits,
de personnages et de situations liés à l'amour dans le roman.

"L'Amour" est chargé de connotations profondes et variées associées à ce thème


universel. Ce titre évoque des émotions intenses, des relations complexes, des joies, des
peines, des espoirs et des désirs. Il peut également rappeler des expériences personnelles des
lecteurs, ainsi que des références littéraires et culturelles antérieures sur le sujet. De plus, il
peut susciter des attentes quant au traitement de l'amour dans le roman, que ce soit d'une
manière romantique, réaliste, tragique ou autre.

"L'Amour" cherche à séduire les lecteurs en mettant en avant un thème


universel et émotionnellement puissant. En choisissant ce titre, l'auteur cherche à
captiver l'attention du public en promettant une exploration profonde et engageante
des différentes dimensions de l'amour. Ce titre peut également susciter la curiosité
des lecteurs en les incitant à réfléchir sur leurs propres expériences et perceptions de
l'amour, ainsi que sur sa place dans la société et dans la littérature. En combinant
l'universalité du thème avec la promesse d'une exploration riche et nuancée,
"L'Amour" cherche à attirer un large éventail de lecteurs et à les engager
émotionnellement et intellectuellement dans le roman.

En résumé, le titre "L'Amour" remplit de manière approfondie les fonctions du


titre en tant qu'élément paratextuel essentiel du roman. Il offre une identification
claire du sujet, donne des indications sur le contenu, véhicule des connotations
riches et variées, et cherche à séduire les lecteurs en promettant une exploration
captivante et profonde du thème de l'amour sous ses multiples facettes.

9
2- L’illustration

L'illustration, dans le contexte de la littérature, constitue l'image qui


accompagne le texte, incarnant visuellement les éléments narratifs ou thématiques.
Elle offre une représentation concrète et tangible d'un sujet, qu'il s'agisse d'une
personne, d'un objet ou d'une scène. Cette représentation peut prendre diverses
formes artistiques telles que la photographie, la peinture ou le dessin, chacune
apportant sa propre dimension esthétique et interprétative. Dans le domaine des
romans, l'illustration est généralement située sur la première de couverture, où elle
agit comme une vitrine visuelle, donnant un aperçu du contenu du livre et
contribuant ainsi à attirer l'attention des lecteurs potentiels. De ce fait, l'illustration
joue un rôle significatif dans l'expérience de lecture, ajoutant une dimension
sensorielle et esthétique à l'appréhension du texte L'illustration présente dans
notre corpus incite le lecteur vers la réflexion sur le contenu de l'œuvre et
l'engage dans une situation d’interprétation.

10
11
L'image d'une pendulette dans le contexte d'un roman intitulé "L'Amour"
peut être interprétée de plusieurs façons.Voici quelques interprétations
possibles :

Le temps qui passe : Une pendulette est un symbole classique du temps qui
s'écoule. Dans le cadre de l'amour, cela peut représenter l'éphémérité des
relations, l'importance de saisir chaque moment précieux avec un être cher et
la conscience du caractère fini de la vie et de l'amour.

La patience et l'attente : Une pendulette peut également évoquer la patience


et l'attente dans l'amour. Parfois, les relations demandent du temps pour se
développer et s'épanouir. L'image de la pendulette peut rappeler aux lecteurs
l'importance de la patience et de la persévérance dans les relations
amoureuses.

La régularité et la routine : Une pendulette, en marquant le temps de


manière régulière, peut symboliser la routine et la stabilité dans une relation.
Dans le roman, cela pourrait être interprété comme l'importance de la
constance et de la prévisibilité dans l'amour, ainsi que les défis associés à la
gestion de la routine tout en maintenant la passion et l'excitation.

Le rythme de l'amour : Une pendulette qui bat au rythme régulier peut


représenter le rythme naturel de l'amour - ses hauts et ses bas, ses moments
de calme et d'intensité. Elle peut symboliser les cycles de l'amour, où les
relations connaissent des phases de croissance, de stagnation et de renouveau.

La notion de destin : Dans certains cas, une pendulette peut être interprétée
comme un symbole de destin ou de destinée. Comme une pendulette suit un
mouvement prédéterminé, cela pourrait représenter l'idée que certaines
relations amoureuses sont destinées à se produire, que l'amour est quelque
chose de prédestiné ou de préordonné.

12
3- La quatrième de couverture

La quatrième de couverture d'un livre offre généralement une présentation


détaillée du contenu de l'œuvre, souvent sous la forme d'un résumé qui donne un
aperçu des thèmes, des personnages et de l'intrigue principale. Elle peut également
contenir des commentaires sur l'auteur, fournissant des informations sur son
parcours, ses précédentes œuvres et parfois sa motivation ou son intention derrière
le livre en question.

La quatrième de couverture de l’amour se compose de :

 En haut, le titre du roman et le nom de l’auteur


 Une note de l’auteur sur ses intentions en écrivant ce roman :

« J’ai voulu raconter l’amour tel qu’il est vécu la plupart du temps par la
plupart des gens : sans crise ni événement. Au gré de la vie qui passe, des
printemps qui reviennent et repartent. Dans la mélancolie des choses. Il est
partout et nulle part, il est dans le temps même. Les Moreau vont vivre
cinquante ans côte à côte, en compagnie l’un de l’autre. C’est le bon mot :
elle est sa compagne, il est son compagnon. Seule la mort les séparera, et
encore ce n’est pas sûr. »

Cette note sert à nous donner un aperçu intéressant de ce à quoi s'attendre dans ce
récit

 La biographie de l’auteur ainsi que la mention d’autres de ses œuvres chez la

même édition :

« François Bégaudeau est né en 1971 à Luçon. Outre de nombreux essais, pièces


de théâtre, scénarios de BD et documentaires, il est l'auteur de douze fictions
depuis 2003 aux Éditions Verticales, dont Jouer juste, Entre les murs (prix France

13
Culture-Télérama 2006, adapté au cinéma par Laurent Cantet), La blessure la
vraie, Molécules, En guerre, Un enlèvement et Ma cruauté. »

4- L’incipit

Le pacte de lecture, souvent formulé de manière explicite dans les préfaces,


trouve une expression plus subtile dans les incipit. En l'absence d'un paratexte
suffisamment explicite, ce sont les premières lignes du roman qui éclairent le
lecteur sur la nature de l'œuvre et orientent sa perception. Il est important de
souligner que ce "pacte de lecture" est étroitement lié au genre auquel le texte est
rattaché. Lorsque le genre n'est pas clairement identifié sur la couverture, c'est le
début même du texte qui révèle son essence. Plus précisément, l'incipit remplit trois
fonctions principales : il informe, éveille l'intérêt et établit un accord tacite sur la
manière de lire l'œuvre.

L'incipit présente les premières interactions entre les personnages, Jeanne et


Pietro, dans un cadre réaliste du quotidien. Les détails sur le lieu (le gymnase) et le
moment (un soir de février) établissent le cadre spatio-temporel de l'histoire,
répondant ainsi aux questions de "où" et "quand" du pacte de lecture.

« Informer, pour l’incipit, consiste à répondre aux trois questions que se pose tout
lecteur lorsqu’il aborde une histoire : qui ? où ? quand ? Autrement dit, le début de
roman, dans sa présentation de l’intrigue, renseigne le lecteur sur les personnages
principaux, le lieu et l’époque de l’action. »3

3
Vincent Jouve, La Poétique Du Roman, (2020), P26

14
L'incipit fournit des informations cruciales sur les personnages, leurs actions et
leur environnement immédiat. On apprend que Jeanne travaille en aidant sa mère,
femme de ménage au gymnase :

« La première fois que Jeanne voit Pietro, c’est au gymnase où sa mère fait le
ménage. »

Tandis que Pietro est décrit comme un joueur de basket imposant :

« Jeanne se concentre sur le bois verni du banc qu’elle astique pour ne pas le regarder,
mais c’est impossible car du haut de ses deux mètres il domine son monde. On ne voit que
lui. »4

Ces détails renseignent le lecteur sur les protagonistes et leur contexte social. Le
lecteur est initié à l'univers narratif qui va se déployer devant lui. Ces premières
lignes fonctionnent comme une invitation à pénétrer dans le monde fictionnel créé
par l'auteur. Elles fournissent des indices subtils sur le genre, le ton et même sur le
style de l'œuvre à venir, permettant ainsi au lecteur d'anticiper le type d'expérience
de lecture qui l'attend. Ainsi, dès les premières lignes, le lecteur se trouve dans une
position privilégiée pour interpréter et apprécier pleinement le récit qui va se
dérouler sous ses yeux.

L'incipit suscite l'intérêt du lecteur en introduisant une dynamique intrigante


entre les personnages :

« Intéresser consiste à susciter la curiosité du lecteur, à le prendre au piège du récit.


Pour cela, le texte doit d’emblée camper une atmosphère, susciter des questions, laisser
présager un conflit et annoncer une thématique. »5

La rencontre entre Jeanne et Pietro est chargée de tension et de curiosité,


notamment à travers la réaction de Jeanne face à la présence dominante de Pietro.

4
François Bégaudeau, l’amour, Verticales, Paris (2023), P3

5
Vincent Jouve, La Poétique Du Roman, Armand Colin, Paris (2020), P26

15
Le suspense est également maintenu par des éléments tels que la pluie imminente et
Jeanne qui se cache pour éviter de croiser Pietro en se contentant de l’observer de
loin :

« Quand Pietro sort à son tour du bâtiment blanc, la pluie a eu le temps d’aplatir sa
choucroute qu’elle a châtain l’hiver et blonde l’été. De toute façon elle ne compte pas se
montrer. Au contraire se recule derrière une benne, hors de vue de la demi-douzaine de
garçons qui s’envoient des blagues, sacs de sport en bandoulière . »6

L'incipit combine à la fois l'exposition, en fournissant des informations de base


sur les personnages et leur situation, et l'amorce, en suscitant l'intérêt du lecteur à
travers des éléments de tension et de suspense. Cette combinaison permet d'établir
un équilibre entre la nécessité d'informer et celle d'attirer l'attention du lecteur.

« L’exposition consiste en une série d’informations de base ; le romancier donne là


une actualisation, une mesure de la positivité. Cet avant-récit (dans le récit) réalise
l’archétype conditionnant l’existence du livre comme négativité. C’est à partir de ce fond
que l’aventure désorganisatrice peut arriver. L’amorce, au contraire, provoque (ou
multiplie) l’intérêt. Par elle, le récit négateur obtient un impact maximum. Un début de
roman comprend à la fois l’exposition donnant les termes de la narration et une amorce
provoquant la lecture. Ces deux obligations contradictoires expliquent la variété des
mouvements inauguraux : qui expose n’intrigue guère (alors qu’à une période précédente
du roman l’auteur y parvenait) et qui intrigue se voit bientôt contraint de cesser
d’intriguer pour exposer. » 7

L'incipit utilise des éléments de topoï du réalisme pour ancrer l'histoire dans un
contexte crédible et familier. Par exemple, la description détaillée du travail de
Jeanne et de son environnement quotidien contribue à créer une atmosphère réaliste

6
François Bégaudeau, l’amour, Verticales, Paris, (2023), P4

7
Ch. Grivel, Production de l’intérêt romanesque, (1973), P91

16
et terre-à-terre. De plus, l'utilisation de détails visuels et sensoriels, tels que le
crissement des semelles sur le parquet et la pluie imminente, renforce l'impression
de réalisme et d'authenticité.

CHAPITRE II : La narration :

Le "corps du roman" désigne le texte qui transporte l'intrigue. C'est la partie


que vous lisez, qui correspond au récit lui-même. Cette définition est basée sur la
distinction établie par Genette entre le récit (le discours oral ou écrit qui présente
une intrigue), l'histoire (ce que raconte le récit) et la narration (l'acte de produire le
récit, incluant des choix techniques tels que le rythme ou l'ordre de narration). En
résumé, le "corps du roman" est ce que vous lisez directement, et cela implique des
décisions concernant le narrateur, les modes de représentation de l'histoire, ainsi que
le traitement de l'espace et du temps.

1. Le narrateur
La création d'un récit implique la présence d'une entité narrative à son
origine. Afin de comprendre les implications d'une histoire, il est essentiel
d'identifier le rôle et les responsabilités du narrateur. Explorer la question "Qui
est le narrateur ?" revient à examiner la notion de "voix" narrative. Le statut du
narrateur repose sur deux aspects : sa relation avec l'histoire (est-il un
personnage dans le monde du récit ?) et le niveau de narration qu'il occupe
(raconte-t-il en première personne ou est-il lui-même l'objet d'un récit ?).

La relation à l’histoire

17
En ce qui concerne la connexion entre le narrateur et son récit, deux scénarios
peuvent se présenter. En utilisant le langage de Genette, nous pouvons identifier soit
un narrateur homodiégétique (impliqué dans l'intrigue, c'est-à-dire faisant partie de
l'univers du roman), soit un narrateur hétérodiégétique (qui est extérieur à
l'intrigue). Dans le cas du roman que nous étudions le narrateur est
hétérodiégétique, tout en étant absent de sa diégèse il ne fait que relater les
événements du récit sans oublier sa constante omniscience.

Le niveau narratif

Dans le cadre de l'analyse du niveau narratif, la question se pose de savoir si le


narrateur en question est lui-même l'objet d'un récit raconté par un autre narrateur.
En d'autres termes, il s'agit d'examiner la possibilité d'un emboîtement de récits.

Le premier narrateur est qualifié de narrateur extradiégétique (il n'est lui-même


pas l'objet d'un récit), Le second, le narrateur intradiégétique en revanche est un «
individu raconté ». C'est typiquement un personnage de récit qui se met à raconter
un récit enchâssé.

Dans le cas de « l’amour » le narrateur est extradiégétique, il n’est objet


d’aucun récit il n’y a donc pas d’enchâssement du récit.

Le statut du narrateur

Parmi les multiples combinaisons possibles qui forment le statut du narrateur (


extradiégétique-hétérodiégétique ; extradiégétique-homodiégétique ;
intradiégétique-hétérodiégétique ; intradiégétique-homodiégétique.). Nous pouvons
dire que c’est le statut extradiégétique-hétérodiégétique qui est le plus proche de

18
s’appliquer au roman étudié,effectivement le narrateur raconte en récit premier une
histoire d’où il est absent, à une seule exception près à un moment du roman le
narrateur laisse glisser un « je » :

« Il a donné un spectacle de contes à la salle des fêtes. Conteur c’est son métier.
Demain il se produit à La Roche, après-demain à Luçon où je suis né, ... » 8

Cette unique manifestation du narrateur à première vue anodine peut être


interprétée comme un signe de l’auteur pour dire que même s’il n’est pas objet de
son récit cela n’enlève rien à sa légitimité pour accomplir son ambition première
pour raconter l’amour tel qu’il est, même si ce n’est pas lui qui l’a vécu.

Le choix du type de narrateur a un impact significatif sur la manière dont


l'histoire est présentée et le point de vue offert au lecteur. Identifier le statut du
narrateur permet donc indirectement de déterminer l'objectif ou la finalité du récit.

La fonction du narrateur

Chaque narrateur se trouve investi d'une série de fonctions narratives, dont


certaines sont essentielles pour la construction même du récit, tandis que d'autres
sont facultatives, ajoutant des nuances et des complexités à la narration. Gérard
Genette, théoricien renommé de la narratologie, définit le narrateur comme
l'instance narrative qui assure la médiation entre l'histoire racontée et le lecteur.
Cette définition souligne le rôle central du narrateur dans la transmission de
l'histoire et dans la façon dont elle est perçue.

8
François Begaudeau, l’amour, Verticales, Paris (2023), P23

19
En effet, le narrateur n'est pas simplement un conteur neutre, mais plutôt un
agent actif qui influence la manière dont l'histoire est présentée et interprétée. Parmi
les fonctions essentielles du narrateur figurent la sélection et l'organisation des
événements, ainsi que la création de la perspective à travers laquelle le lecteur
appréhende le récit. Ces fonctions sont indispensables à la création d'une structure
narrative cohérente et engageante.

Parallèlement, certaines fonctions du narrateur sont facultatives, ce qui signifie


qu'elles ne sont pas strictement nécessaires à la construction du récit, mais qu'elles
peuvent enrichir l'expérience de lecture en apportant des éléments supplémentaires
tels que des commentaires, des digressions ou des réflexions métanarratives. Ces
éléments facultatifs peuvent contribuer à approfondir la compréhension du texte et à
susciter une réflexion plus profonde sur ses thèmes et ses implications.

La première fonction dans « l’amour » est la fonction narrative, Le narrateur


occupe initialement une place centrale dans le récit en tant qu'agent principal chargé
de la transmission de l'histoire, dans ce cas la fonction est effectuée de manière
implicite car absente du corps du roman mais nous retrouvons son évocation dans la
quatrième de couverture :

« J’ai voulu raconter l’amour tel qu’il est vécu la plupart du temps par la plupart des
gens. ».

La seconde fonction est la fonction de régie, Aussi essentielle que la première,


elle a la responsabilité cruciale qui consiste à organiser le récit de manière cohérente
et structurée. Selon Genette, cette fonction se matérialise à travers les références
explicites du narrateur aux diverses articulations internes de son texte. Cependant,
cette notion peut également englober un éventail plus large de procédés visant à
"structurer" le récit dans son ensemble. Par exemple, des éléments tels que les

20
retours en arrière, les sauts en avant, les ellipses, ainsi que les oppositions et les
symétries narrative :

« Le narrateur est celui qui raconte, mais aussi celui qui guide, qui interprète, qui
éclaire. Il est le médiateur indispensable entre le récit et le lecteur, fournissant des clés
d'interprétation et des indications sur la construction narrative »9

Dans le récit que l’on analyse le narrateur n’utilise pas de retour en arrière, la
temps est géré de manière unilatéral et les ellipses sont marquées de manière subtile
n’étant détectables que par le changements des objets avec lesquels les personnages
interagissent ou par des clins d’œil à des éléments culturels qui appartiennent aux
époques qu’ont traverser les personnages :

« on installe le réfugié dans sa chambre où un poster de Kurt Cobain a remplacé


celui de Kasparov. ».10

La fonction tierce et qui peut être considérée comme facultative dans ce roman
est la fonction explicative, Cette fonction, largement observée au XIXe siècle,
particulièrement dans les romans didactiques, est celle de l'explication. Elle se
matérialise par l'engagement du narrateur à fournir une quantité d'informations
jugées indispensables pour saisir pleinement le sens de l'histoire. Cette démarche
explicative du narrateur s'inscrit dans une tradition littéraire où la transmission de
connaissances et de concepts était valorisée, contribuant ainsi à enrichir la
profondeur et la portée de la narration. Cet extrait du roman représente bien cette
fonction :

9
Tzvetan Todorov, Qu’est-ce que le structuralisme ?,Paris, Éd. du Seuil, coll. « Points », (1968)
10
François Begaudeau, l’amour, Verticales, Paris (2023), P4

21
« Pour cesser de psychoter Jacques s’occupe. Les dernières quarante-huit heures il
fournit partout. Il fait le tour des copains qui hébergeront les invités venus de loin. Il passe
un coup de fil au collègue qui véhiculera Joël son cousin polio. Il ajoute quatre cubis dans
la commande en gros pour le vin d’honneur. Il rassemble les chaises disponibles dans le
garage de sa belle-mère pour que ce soit plus pratique, et malgré cette précaution le jour J
il en manque. On a beau compter et recompter, il n’y en a ni plus ni moins que 56 alors
qu’on est prévus 70 au repas de midi. Le mystère est vite élucidé : les 15 qui manquent
sont celles que l’oncle Jeannot devait ramener dans son semiremorque, sauf qu’à l’aube la
batterie de son bahut était à plat. Sans doute des lutins qui ont joué avec les phares toute
la nuit. Ou le camionneur rond comme une queue de pelle qui s’est écroulé sur le volant
sans éteindre l’autoradio. Gérard file en camionnette au club de belote prendre ce qu’il
faut de chaises. La moitié commence à fatiguer d’avoir supporté tant de fesses, mais ça
fera la blague. » 11

Ces détails au premier abord insignifiants permettent en fait au lecteur de faire


des déductions indispensable à la compréhension de l’histoire car de-là il reçoit des
informations sur la classe sociale des personnages principaux, leur relation avec les
autres personnages, le type de problématiques matérielles qu’ils peuvent rencontrer
dans un événement qui est avant tout spirituelle (un mariage) et même comprendre
la psychologie des personnages en observant la manière dont ils résolvent ces
problèmes.

2- Le mode de représentation narrative :

La notion de "mode" dans le contexte du roman désigne les méthodes et les


mécanismes utilisés pour réguler la façon dont l'information narrative est organisée
et transmise dans le récit littéraire, Gérard Genette la définit ainsi :

« On peut […] raconter plus ou moins ce que l’on raconte, et le raconter selon tel ou
tel point de vue ; et c’est précisément cette capacité, et les modalités de son exercice, que

11
Ibid, P33

22
vise notre catégorie du mode narratif : la “représentation”, ou plus exactement
l’information narrative a ses degrés ; le récit peut fournir au lecteur plus ou moins de
détails, et de façon plus ou moins directe, et sembler ainsi (pour reprendre une métaphore
spatiale courante et commode, à condition de ne pas la prendre à la lettre) se tenir à plus
ou moins grande distance de ce qu’il raconte ; il peut aussi choisir de régler l’information
qu’il livre, non plus par cette sorte de filtrage uniforme, mais selon les capacités de
connaissance de telle ou telle des parties prenantes de l’histoire (personnage ou groupe de
personnages), dont il adoptera ou feindra d’adopter ce que l’on nomme couramment la
“vision” ou le “point de vue”, semblant alors prendre à l’égard de l’histoire (pour
continuer la métaphore spatiale) telle ou telle perspective. “Distance” et “perspective”,
ainsi provisoirement dénommées et définies, sont les deux modalités essentielles de cette
régulation de l’information narrative qu’est le mode, comme la vision que j’ai d’un
tableau dépend, en précision, de la distance qui m’en sépare, et en ampleur, de ma
position par rapport à tel obstacle partiel qui lui fait plus ou moins écran. »12

Gérard Genette explore la notion de mode narratif en se concentrant sur la


façon dont l'information narrative est présentée dans un récit. Genette suggère que
le mode narratif concerne à la fois la quantité d'informations fournies dans le récit et
les différents points de vue adoptés. Il utilise une métaphore spatiale pour expliquer
que le récit peut sembler se tenir à différentes distances de l'histoire racontée, en
fonction de la quantité de détails fournis et de la manière dont ils sont présentés. De
plus, il souligne que le récit peut être réglé en fonction des perspectives des
différents personnages impliqués dans l'histoire, ce qui influence la manière dont
l'histoire est présentée au lecteur. En résumé, les deux principales modalités de
représentation narrative sont la distance, qui concerne la quantité d'informations
divulguées dans le récit, et la focalisation, qui détermine le point de vue adopté pour
raconter l'histoire.

12
Gérard Genette, Figures III, Paris,Seuil, (1972), p. 183-184.

23
La distance

Le concept de "distance" dans un récit réfère à l'évaluation de la précision des


informations fournies par le narrateur. Cette notion, expliquée par Genette comme
une métaphore spatiale, distingue la proximité, où le narrateur reste fidèle aux faits,
de la distance, où il s'en éloigne. La proximité renforce l'illusion mimétique en
offrant un récit détaillé, tandis que la distance souligne le caractère fictif en
fournissant moins d'informations. Ces choix influencent la représentation des
événements, des paroles et des pensées dans le récit.

Le narrateur privilégie la proximité, c'est-à-dire l'illusion mimétique, pour cela


il se repose sur trois procédés particulièrement efficaces.

D'abord, l'effacement de l'instance narrative, qui fait oublier la médiation


inévitable du récit, donne l'impression que l'histoire se raconte toute seule. Voici un
exemple de comment sont présentées dans le récit les routines de Jeanne et Jacques
:

« Quand Jeanne n’est pas plongée dans un Télé 7 Jeux, elle écoute des chansons en
triant les cartes postales qu’elle collectionne. Si elle veut mettre Véronique Sanson dont les
bêlements insupportent Jacques, elle branche le casque sur le radiocassette Toshiba, ou
bientôt s’allongera sur le lit, discman posé sur le ventre. Maintenant qu’il est à son compte
comme paysagiste, Jacques peut embarquer Daniel en tournée le mercredi. Parfois il
passe aussi embarquer Boule dans la camionnette Renault. La mère prétend que voir du
monde lui remonte le moral »13

13
François Begaudeau, l’amour, (2023), p40

24
Le narrateur s’efface complètement donnant l’illusion que l’histoire se raconte
d’elle même, aucun jugement, aucune remarque ne sont émis.

Ensuite, le caractère détaillé du texte transforme le récit en spectacle. Le


narrateur, désireux de rester au plus près des faits exposés, renonce aux sommaires
au profit de scènes "montrant" l'action en train de se dérouler. Pour permettre au
lecteur de "visualiser" l'événement, il recourt à des descriptions précises. Pour
prendre représenter de ce procédé de manière flagrante voici la scène du premier
baiser échangé entre les protagonistes :

« Ils ne savent pas s’ils doivent se remettre en marche. Ils se remettent en marche.
Jeanne demande à quoi ça lui sert. Les bois. Au cerf. Jacques dit à affronter d’autres
mâles quand c’est la saison. D’ailleurs la saison c’est bientôt. C’est déjà là. On sent la
sève qui monte. Jacques frissonne. Croyant que c’est un frisson de froid, Jeanne lui
propose la moitié de son anorak. — Comme saint Martin. Joueuse, elle libère une manche
pour qu’il y glisse son bras, ça les met dans une posture rigolote, ils en rajoutent exprès.
Boule a mis du temps à remonter la balle échouée dans un fossé. Il la recrache aux pieds
de son maître et attend la suite des opérations. La balle reste inerte. Boule grogne
d’impatience. Jacques décolle ses lèvres de celles de Jeanne pour lui dire de la fermer. Il
ramasse la balle et la lance aussi loin que possible. Jusqu’en Chine ce serait parfait. Ils se
rappellent qu’ils ont chacun un bras dans une manche d’anorak. Ils se dépêtrent comme ils
peuvent. Comme ils ont fait demi-tour, Boule les dépasse. Il n’a rien dans la gueule.
Jacques lâche la main de Jeanne pour rebrousser chemin en quête de la balle délaissée.
Quelle plaie ce cleb. » 14

Là où un autre récit se contenterait de faire un grand plan sur les amants qui
s’embrassent, dans « l’amour » nous avons tous les éléments du décor qui enlacent
les amoureux, offrant une vue d’ensemble fidèle à la réalité comme si nous avions
l’image devant nos yeux.

14
François Begaudeau, l’amour, Verticales, Paris (2023), p21

25
Enfin, la mention de détails apparemment inutiles, tels que l’humeur du chien,
le type de veste que porte Jeanne ou la trajectoire de la balle , donne de la crédibilité
au monde de la fiction en montrant qu'il présente la même contingence que le
monde réel. C'est ce que Roland Barthes appelle l'"effet de réel" :

« Lorsque Flaubert, décrivant la salle où se tient Mme Aubain, la patronne de


Félicité, nous dit qu’« un vieux piano supportait, sous un baromètre, un tas pyramidal de
boîtes et de cartons1 », lorsque Michelet, racontant la mort de Charlotte Corday et
rapportant que dans sa prison, avant l’arrivée du bourreau, elle reçut la visite d’un peintre
qui fit son portrait, en vient à préciser qu’« au bout d’une heure et demie, on frappa
doucement à une petite porte qui était derrière elle2 », ces auteurs (parmi bien d’autres)
produisent des notations que l’analyse structurale, occupée à dégager et à systématiser les
grandes articulations du récit, d’ordinaire et jusqu’à présent, laisse pour compte, soit que
l’on rejette de l’inventaire (en n’en parlant pas) tous les détails « superflus » (par rapport
à la structure), soit que l’on traite ces mêmes détails (l’auteur de ces lignes l’a lui-même
tenté3) comme des « remplissages » (catalyses), affectés d’une valeur fonctionnelle
indirecte, dans la mesure où, en s’additionnant, ils constituent quelque indice de caractère
ou d’atmosphère, et peuvent être ainsi finalement récupérés par la structure. »15

En ce qui concerne la représentation des paroles des personnages dans un récit,


il est essentiel de considérer l'illusion mimétique, qui dépend largement du degré de
littéralité dans la reproduction des discours. Le narrateur a à sa disposition toute une
gamme de techniques pour transmettre les mots d'un personnage, et ces techniques
peuvent être classées selon une échelle allant de la plus grande imprécision (ou
distance maximale par rapport au discours original) à la plus grande précision (ou
proximité maximale avec le discours original), une classification que l'on peut
attribuer en suivant les travaux de Genette.

15
Barthes Roland. L'effet de réel. In: Communications, 11, (1968). P84.

26
Le narrateur de «l’amour» s’est accordé à peu près toutes les possibilités pour
transmettre les paroles des personnages, selon les nécessités du récit :

 Le discours narrativisé consiste à résumer les paroles d'un personnage en les

intégrant dans le récit comme s'il s'agissait d'un événement ordinaire. Cette
approche conduit à une dissociation notable entre les mots réellement prononcés et
leur représentation dans le récit, qui se contente souvent d'une mention sommaire et
imprécise de leur contenu, exemple : « Une fois raccroché, elle remonte le
transistor. Une voix plate interrompt l’émission pour annoncer la mort du président
Pompidou, qu’à son tour Jeanne annonce à Jacques. »16

 le discours transposé est utilisé pour rapporter les paroles d'un personnage

au style indirect, on se rapproche davantage de l'exactitude des propos tenus.


Néanmoins, même dans ce cas, les mots prononcés par le personnage subissent
encore une forme de filtrage par la voix narrative qui les rapporte. Cela signifie que
bien que le discours transposé soit plus fidèle que le discours narrativisé, il conserve
néanmoins une certaine subjectivité ou interprétation de la part du narrateur. Voici
un exemple dans le roman étudié : « Comme Jeanne a d’abord pris un ton
professionnel pour dire Hôtel de France bonsoir, Jacques prend une voix de
monsieur pour dire qu’il aimerait racheter l’établissement. Elle rit, elle l’a
reconnu, elle baisse le transistor, il demande s’il peut passer. Il appelle de chez
Frédéric...»17

 le discours rapporté est là pour citer littéralement les paroles d'un

personnage au style direct, on élimine complètement toute forme de distance entre


les mots prononcés et leur représentation dans le récit. Cela signifie que les paroles
du personnage sont présentées telles qu'elles ont été dites, sans aucune intervention

16
François Begaudeau, l’amour, Verticales, Paris (2023), P23
17
François Begaudeau, l’amour, (2023), p22

27
ou altération de la part de la voix narrative. Ainsi, le discours rapporté offre une
immersion totale dans les mots exacts du personnage, rendant l'expérience de
lecture plus directe et authentique comme nous pouvons le constater ici :
« Jacques a transformé en atelier le garage attenant au salon. Il y monte et
remonte, peint et repeint ses fusées qui s’accumulent, ce qui a le don d’exaspérer
Jeanne que ces réalisations ravissent.

— Ça t’exaspère ou ça te ravit faut savoir.

— Les deux. C’est beau et encombrant.

— Comme moi, quoi.

— Comme toi oui. »18

La focalisation

La focalisation, en tant que second grand aspect de la représentation narrative,


aborde la question complexe des points de vue adoptés dans un récit. Alors que
l'étude de la voix narrative répond à la question "Qui raconte ?", l'analyse de la
focalisation s'intéresse à la perspective à partir de laquelle l'histoire est perçue,
répondant ainsi à la question "Qui observe ?". Il est important de noter que ces deux
questions ne se confondent pas : un narrateur utilisant la troisième personne peut
choisir de présenter l'histoire selon son propre point de vue, celui d'un personnage
spécifique, ou même de manière neutre, sans que cela ne soit directement lié à son
identité en tant que narrateur.

Dans cette optique, nous adopterons la définition classique de la focalisation,


qui la considère comme une restriction de champ, ou plus précisément comme la

18
Ibid, p56

28
sélection d'informations narratives, que le récit s'impose en choisissant de présenter
l'histoire à partir d'un point de vue spécifique :

«Par focalisation, j’entends donc bien une restriction de « champ », c’est-à-dire en


fait une sélection de l’information narrative par rapport à ce que la tradition nommait
l’omniscience... L’instrument de cette (éventuelle) sélection est un foyer situé, c’est-à-dire
une sorte de goulot d’information, qui n’en laisse passer que ce qu’autorise sa
situation… »19

La focalisation se décline en trois principaux types : la focalisation zéro, la


focalisation interne et la focalisation externe. Chacune de ces formes de focalisation
influence la manière dont les événements sont perçus et rapportés dans le récit,
offrant ainsi une diversité de perspectives et de niveaux d'intimité avec les
personnages et les situations décrites.

 La focalisation interne est un terme utilisé pour décrire une technique

narrative où le narrateur ajuste son récit pour correspondre au point de vue d'un
personnage spécifique. Cette approche implique une limitation de la perspective à
travers laquelle l'histoire est racontée et une sélection délibérée des informations à
communiquer. En d'autres termes, le narrateur ne partage avec le lecteur que les
connaissances et les perceptions autorisées par la situation et les perspectives du
personnage concerné. Dans ce cadre, le lecteur est donc limité à la compréhension
des événements et des motivations du personnage focalisé, et son niveau de
connaissance de l'histoire est nécessairement restreint à celui de ce personnage
particulier.

 La focalisation externe, est une approche narrative dans laquelle l'histoire est

racontée de manière neutre, semblable à ce que verrait une caméra. Contrairement à

19
Genette, Nouveau discours du récit, Paris, Seuil. (1983), P49

29
la focalisation zéro où le narrateur possède plus d'informations que le personnage, et
à la focalisation interne où le narrateur partage le même niveau de connaissance que
le personnage, dans la focalisation externe, le narrateur est moins informé que le
personnage. Dans ce cas, le narrateur n'a pas accès aux pensées ou aux motivations
des personnages et se contente de décrire uniquement ce qui est observable de
l'extérieur. Cette approche implique une restriction encore plus forte de la
perspective et une sélection plus rigoureuse des informations transmises au lecteur
que dans la focalisation interne.

 La focalisation zéro, celle qui va particulièrement nous intéresser, est utilisée

pour décrire une situation narrative où le récit ne se concentre sur aucun personnage
en particulier. Cela signifie qu'il n'y a pas de point de vue spécifique adopté par le
narrateur par rapport à un personnage donné. En d'autres termes, il n'y a pas de
restriction dans la manière dont le narrateur raconte l'histoire en fonction du point de
vue d'un personnage particulier. Par conséquent, le narrateur n'a pas besoin de
sélectionner les informations à transmettre au lecteur en fonction du point de vue
d'un personnage spécifique. Dans ce cas, le seul point de vue qui organise le récit est
celui du narrateur omniscient, qui détient une connaissance complète des événements
et des pensées de tous les personnages. On peut le voir ici dans la scène des
funérailles de Jeanne :

« Au funérarium, Élodie, arrivée le matin même, a branché un amplificateur pour ceux qui
souhaiteraient lui dire un dernier au revoir. Daniel commence en lisant un texte de saint
Paul que sa mère, explique-t-il, avait beaucoup apprécié à son mariage. Même si elle
n’aurait pas passé ses vacances avec un curé, ajoute-t-il pour faire sourire l’assemblée qui
sourit. Puis il tend le micro à son père qui fait un geste pour dire qu’il n’aime mieux pas. Il
dit juste deux mots pour inviter les gens à manger un bout chez lui. Il a prévu de la
charcuterie, du fromage, du vin, et Marie-Jo a fait une tarte meringuée dans laquelle
Jeanne aurait mordu à pleines dents. Jacques laisse volontiers le lit conjugal à Daniel et
Élodie. Passer la nuit là-dedans ne l’enchante pas plus que ça. Et puis le canapé du salon

30
est confortable, c’est souvent qu’il s’endort dessus, veillé par la télé. Il s’en contente aussi
les nuits suivantes, et aussi celles d’après. Il ne dort plus que là, où le réveillent les voix
toniques d’une matinale de chaîne d’information. Il ne remontera plus. »20

Dans ce contexte narratif, le narrateur détient une connaissance étendue des


sentiments et des pensées de tous les présents à la cérémonie y compris les amis, les
membres de la famille et Jacques le mari de la défunte, et il partage ces informations
avec le lecteur. Cette capacité omnisciente lui permet de plonger dans l'intériorité de
chaque personnage, sans aucune limitation dans la portée de sa perspective. Ainsi, le
récit adopte une approche de focalisation zéro, où le narrateur ne se restreint pas à un
point de vue spécifique et peut fournir une vision globale et détaillée de l'histoire en
révélant les pensées et les émotions de tous les personnages impliqués.

20
François Begaudeau, l’amour, Verticales, Paris (2023), P66

31
CHAPITRE III : Le temps et l’espace

La question de la temporalité s'avère indubitablement cruciale dans


l'élaboration d'un récit. En effet, le choix opéré par un narrateur quant à la quantité de
texte accordée à un événement implique une répartition temporelle sous-jacente. Par
contraste, l'exploration de l'espace semble souvent être mise de côté dans les études
narratologiques. Traditionnellement perçu comme un élément constitutif du contenu
narratif, donc relevant de l'histoire en tant que telle, l'espace semble, à première vue,
étranger à une analyse formelle. Cette tâche semble davantage relever des théoriciens
de la signification, tels que Greimas par exemple. Cependant, il est intéressant de
souligner que, bien que les lieux, à travers leurs connotations et leurs valeurs
symboliques, renvoient indubitablement au contenu narratif, leur description
constitue également un aspect essentiel de la surface textuelle. Cette perspective a été
mise en lumière par Ph. Hamon dans son ouvrage "Introduction à l'analyse du
descriptif". Ainsi, la description spatiale ne concerne pas seulement le contenu, mais
également la forme, étant à la fois un élément du signifiant et du signifié. Par
conséquent, nous examinerons de manière approfondie les deux aspects
fondamentaux que sont le temps et l'espace, en les considérant dans leurs dimensions
narratives.

1- Le temps

L'analyse narratologique du temps se déploie dans une exploration complexe


des relations entre deux entités temporelles distinctes : le temps de l'histoire et le
temps du récit. Le premier est mesurable en unités conventionnelles telles que les
siècles, les années, les jours et les heures, tandis que le second est quantifiable en
termes de lignes ou de pages. Cette dynamique temporelle complexe réside dans la
dissonance entre le temps raconté, c'est-à-dire la durée temporelle couverte dans le
récit (pouvant s'étendre d'une simple journée à plusieurs générations), et le temps mis
à raconter, qui concerne la durée réelle nécessaire pour narrer ces événements (allant
de quelques lignes à plusieurs volumes). C'est dans l'interaction entre ces deux

32
temporalités disparates que le roman puise une richesse de significations. En effet,
cette tension temporelle offre au récit une palette d'effets narratifs, permettant
d'explorer les thèmes de la mémoire, de l'attente, de la perception du temps, de
l'évolution des personnages, et bien d'autres encore. Ainsi, l'étude du temps dans le
récit transcende la simple mesure chronologique pour devenir un terrain fertile où se
déploient des stratégies narratives sophistiquées, contribuant à l'enrichissement et à
la complexification des œuvres littéraires :

« Le récit est une séquence deux fois temporelle […] : il y a le temps de la chose-
racontée et le temps du récit (temps du signifié et temps du signifiant). Cette dualité n’est
pas seulement ce qui rend possibles toutes les distorsions temporelles qu’il est banal de
relever dans les récits (trois ans de la vie du héros résumés en deux phrases d’un roman, ou
en quelques plans d’un montage “fréquentatif” du cinéma, etc.) ; plus fondamentalement,
elle nous invite à constater que l’une des fonctions du récit est de monnayer un temps dans
un autre temps. »21

Quatre questions captivent l'attention du narratologue : le moment de la


narration, la vitesse narrative, la fréquence des événements et leur ordonnancement.

Le moment de la narration

L'analyse du moment de la narration implique une réflexion approfondie sur le


positionnement temporel de la narration par rapport aux événements qu'elle décrit.
Cette question essentielle se décline en quatre possibilités distinctes : la narration
peut être postérieure, antérieure, simultanée ou encore intercalée par rapport au
déroulement chronologique des événements dans l'histoire racontée. Chaque option

21
Christian Metz, Essais sur la signification au cinéma, (1968), P27

33
offre des perspectives uniques sur la manière dont les événements sont présentés et
interprétés dans le récit.

- La narration intercalée représente une approche narrative qui se positionne


entre les moments clés de l'action, se caractérisant par une fusion de temporalités
passées et présentes. Cette technique littéraire, souvent observée dans les écrits tels
que les journaux intimes, permet d'entremêler les événements passés et les
réflexions actuelles du narrateur, offrant ainsi une perspective complexe sur
l'histoire racontée. En intégrant ces fragments narratifs intercalés, l'auteur peut créer
des nuances temporelles subtiles qui enrichissent la profondeur et la texture du récit.

-La narration simultanée se distingue par l'utilisation du temps présent comme


mode narratif privilégié. Cette approche, largement adoptée dans la littérature
contemporaine, crée l'illusion que le narrateur relate les événements au fur et à
mesure de leur déroulement. Cette technique narrative, très en vogue dans le roman
contemporain, confère une impression de réalisme immédiat et offre au lecteur une
immersion totale dans le présent de l'action. En optant pour cette forme de
narration, l'auteur parvient à capturer l'énergie et l'urgence des événements, créant
ainsi une expérience de lecture dynamique et immersive

-La narration antérieure se caractérise par la mention d'événements avant qu'ils


ne se produisent chronologiquement dans l'histoire. Cette approche narrative, assez
rare, implique souvent l'utilisation d'un récit au futur, anticipant ainsi les
événements à venir. Ce type de narration est généralement observé dans des
passages spécifiques du récit, plutôt que dans des œuvres entières. Cette technique
narrative est particulièrement adaptée aux énoncés prophétiques, où le narrateur ou
le personnage principal annonce des événements à venir avec une clairvoyance
remarquable. En intégrant ces éléments anticipatifs, l'auteur peut susciter chez le
lecteur un sentiment d'attente et de tension dramatique, renforçant ainsi l'intrigue et
l'impact émotionnel du récit.

34
-La narration ultérieure est le positionnement adéquat au récit que nous
étudions, elle implique le récit des événements après leur occurrence, ce qui
constitue le schéma narratif le plus répandu. Dans ce cas, le récit, se déroulant
généralement au passé, est présenté comme postérieur aux événements qu'il relate.
Cette approche narrative conventionnelle offre au lecteur une perspective
rétrospective sur les événements, permettant ainsi une réflexion approfondie sur
leurs implications et leurs conséquences. En adoptant cette structure narrative,
l'auteur se donne le pouvoir de manipuler le temps de manière à créer des tensions
des retournements de situation et des révélations progressivement dévoilées,
enrichissant ainsi l'expérience de lecture comme nous pouvons le constater dans cet
extrait :

« Il était venu à l’hôtel pour elle, en toute connaissance de cause. Avec pour seul
indice son prénom il était remonté jusqu’à elle qu’il contemplait à la dérobée au gymnase.
Quand sa mère venait travailler seule, il en était meurtri, l’entraînement lui semblait durer
des heures. À cet instant il l’attend dans la chambre qu’elle vient de libérer pour lui, pour
eux. Elle s’apprête à monter au troisième pour coller l’oreille à la porte 43 lorsqu’une
femme coiffée d’une toque demande où elle peut laisser son parapluie à sécher. Jeanne
pousse une chaise du hall minuscule pour faire de la place au parapluie ouvert et humide.
La femme demande si monsieur Leduc est déjà là. Jeanne indique la chambre et
l’ascenseur après le coude du couloir. » 22

Le retournement de situation est parfaitement réussi, là ou nous attendions


comme Jeanne que l’homme dont elle était amoureuse venait la spécialement pour
la voir, l’effet de surprise s’impose par le moment de la narration quand on se rend
compte que l’homme venait en fait pour rencontrer une autre femme.

22
François Begaudeau, l’amour, Verticales, Paris (2023), P7

35
La vitesse de la narration

L'analyse de la vitesse narrative offre une opportunité de méditer sur le rythme


inhérent au roman, explorant ses moments d'accélération effrénée tout autant que
ses moments de ralentissement délibéré. La vitesse du récit peut être appréhendée à
travers l'examen de quatre modes fondamentaux, chacun contribuant à façonner
l'expérience de lecture de manière unique. En plongeant dans cette réflexion, les
chercheurs en littérature peuvent découvrir comment le rythme narratif influence
non seulement la progression de l'histoire, mais aussi la perception émotionnelle du
lecteur :

-La scène crée l'illusion d'une synchronisation parfaite entre le temps qu'il faut
pour lire l'épisode et le temps qu'il prend pour se dérouler dans l'histoire. Cette
harmonisation entre le temps du récit et le temps de l'histoire est souvent exprimée
par l'équation TR (temps du récit) = TH (temps de l'histoire). Le dialogue constitue
le type canonique de cette synchronisation : le temps nécessaire pour lire un
échange de répliques correspond quasiment au temps écoulé dans la séquence
dialoguée elle-même. Cette synchronisation minutieuse crée une immersion
profonde pour le lecteur, lui permettant de vivre l'action de manière presque
instantanée et de ressentir pleinement l'intensité des échanges entre les personnages
comme nous le remarquons dans cette scène du mariage auquel assistent Jeanne et
Jacques :

« Jeanne demande à Jacques d’arrêter de filmer pendant le discours du prêtre. De


mauvaise grâce Jacques suspend les opérations de filmage et s’efforce de suivre. L’amour
prend patience, l’amour rend service, l’amour ne jalouse pas. Il ne s’emporte pas. Il
n’entretient pas de rancune. Il ne se réjouit pas de ce qui est injuste, mais il trouve sa joie
dans ce qui est vrai. Il supporte tout, il fait confiance en tout, il espère tout, il endure tout,
l’amour ne passera jamais. Au deuxième rang un bébé pleure que sa mère, demi-sœur
d’Élodie, berce en vain. Comme son autre enfant est autiste personne ne lui tient rigueur

36
de ce dérangement. Jacques rappuie sur play et dézoome afin d’avoir les deux mariés et le
curé dans le même plan. Moi Daniel, je te reçois Élodie comme épouse, je te promets de te
rester fidèle, dans le bonheur et dans les épreuves, dans la santé dans la maladie pour
t’aimer tous les jours de ma vie. Moi Élodie, je te reçois Daniel comme époux, je te
promets de te rester fidèle, dans le bonheur et dans les épreuves, dans la santé dans la
maladie pour t’aimer tous les jours de ma vie . »23

Étant donné que les descriptions gestuelles et tonales sont limitées, le temps
nécessaire pour lire est approximativement équivalent au temps écoulé pendant le
dialogue entre les personnages. Cette correspondance entre la durée de la lecture et
la progression temporelle des échanges entre les personnages permet une immersion
plus profonde dans la scène, car le rythme de la lecture reflète étroitement le rythme
de l'action narrative. Ainsi, chaque mot échangé entre les personnages semble se
dérouler en temps réel, créant une expérience de lecture captivante et immersive.

-Le sommaire, en condensant une période étendue de l'histoire en quelques


mots ou quelques pages, engendre un effet d'accélération narrative. Par ce moyen, le
narrateur parvient à relater les événements en moins de temps qu'ils n'en ont pris
pour se dérouler. Cette dissonance temporelle est exprimée par la formule TR < TH,
où le temps de narration (TR) est inférieur au temps de l'histoire (TH). En optant
pour cette technique narrative, l'auteur peut insuffler un rythme dynamique au récit,
permettant de couvrir de vastes étendues temporelles de manière succincte tout en
maintenant l'intérêt du lecteur. Ainsi, le sommaire devient un outil puissant pour
accentuer le rythme et l'intensité du récit. Dans le paragraphe suivant, le narrateur
comprime le temps qui a marqué les personnages, par rapport à leur vie, leur
maturité et les changements cruciaux qui ont affecté leur environnement après leur
mariage. Nous assistons ainsi à la condensation d'une décennie en quelques lignes :

23
François Begaudeau, l’amour, Verticales, Paris (2023),P58

37
« Avec le temps, comme les amis de l’un sont les amis de l’autre, les sorties personnelles
se font rares. Les sorties tout court. Les téléphones sont à touches, les bouteilles de soda
en plastique, les mouchoirs en papier, les têtes d’hommes nues, les machines à coudre
envolées, le papier peint suranné, les baguettes tradition, les wagons non-fumeurs, les
shorts de foot longs, et Jeanne et Jacques préfèrent le plus souvent lambiner pieds nus sur
la moquette qu’ils ont choisie épaisse et vert d’eau. »24

- La pause, dans le contexte narratif, se réfère à ces moments où le récit


continue son cours alors que sur le plan de l'intrigue, il ne se passe rien d'essentiel.
Ces passages sont souvent constitués de fragments non narratifs, tels que des
descriptions détaillées ou des commentaires du narrateur sur les événements. L'effet
induit par la pause est celui d'un ralentissement du récit, où l'attention se porte
davantage sur les détails et les nuances plutôt que sur l'action principale. Cette
pause peut être décrite par l'équation TR = n ; TH = 0, où le temps de la narration
(TR) est égal à un certain nombre de mots ou de lignes (n) consacrés à ces passages
non narratifs, tandis que sur le plan de l'histoire (TH), aucun événement significatif
n'a lieu. On peut voir un effet de pause dans ce passage qui n’a aucun impact sur
l’intrigue, le narrateur se contente de faire part en détails de comment se déroule
une fin de journée de travail pour Jacques :

« Au flanc de la camionnette Citroën les lettres de Gérard Moreau Maçonnerie


se reflètent dans la vitrine de la droguerie. Au volant, Gérard demande à son fils de
lui en allumer une. Un essuie-glace est à la traîne derrière l’autre. En deux
gauloises chacun ils sont à la maison où la femme de l’un et mère de l’autre finit
d’équeuter des haricots. La chemise qu’elle a repassée attend sur son cintre.
Jacques monte dans la chambre se remettre à sa maquette d’avion. Une fois peinte
il la disposera en épi face aux fusées alignées sur l’étagère. Il redescend manger seul avec
sa mère, le père a prévu de rester au repas d’après la cérémonie. La pendulette en cuivre

24
François Begaudeau, l’amour, Verticales, Paris (2023), P39

38
donne 7h20, Jacques pensait qu’il était plus. Il baisse le son du poste pour vérifier qu’elle
fait tic-tac. Elle fait tic-tac. »25

- l'ellipse induit une accélération narrative maximale. Elle se manifeste par une
durée d'histoire que le récit décide de ne pas exposer. La logique des événements
suggère qu'il s'est passé quelque chose durant cette période, mais le texte ne fournit
pas de détails à ce sujet. Ainsi, le narrateur prend infiniment moins de temps pour
relater ces événements qu'il n'en ont pris pour se dérouler, puisqu'il choisit de ne
rien écrire à leur sujet malgré leur occurrence. Cette ellipse se conforme à l'équation
suivante : TR = 0 ; TH = n, où le temps de la narration (TR) est nul car aucune
mention n'est faite des événements, tandis que sur le plan de l'histoire (TH), une
certaine durée (n) s'est écoulée sans être narrée. Dans l’extrait qui suit le narrateur
choisit de passer sous silence de potentiels événements tel que Jacques qui annonce
au reste de la famille le décès de Jeanne et la préparation des funérailles, nous
passons donc directement du dernier souffle de la défunte au jour des funérailles :

« Sur la table de chevet, Jacques a installé le discman et un lot de ses CD préférés. Il


lui cale un écouteur dans l’oreille. Il est délicat comme qui ne voudrait pas la réveiller
alors que c’est le contraire. Au bout de quelques mesures sans ouvrir les yeux Jeanne
articule un mot italien. Le son ne sort pas mais le mot y est, c’est l’unique mot du refrain,
Jacques l’a tellement entendue celle-là. Il se précipite dans la salle de repos du personnel.
Elle a bougé, elle a bougé, exulte-t-il. De retour dans la chambre flanqué d’Isabelle,
Jeanne ne bouge plus, ni son cœur.

Au funérarium, Élodie, arrivée le matin même, a branché un amplificateur pour


ceux qui souhaiteraient lui dire un dernier au revoir. »26

25
François Begaudeau, l’amour, Verticales, Paris (2023), p11
26
Ibid, p65-66

39
L'analyse de la vitesse narrative implique ainsi de prendre en considération la
relation dynamique entre les divers modes de narration, tout en identifiant le
moment et le contexte où ces modes interviennent afin de dégager les valeurs qui
leur sont associées. Le roman ne manque pas d'exploiter les effets de sens inhérents
à l'utilisation spécifique de chaque mode : par exemple, l'ellipse et le sommaire sont
souvent privilégiés pour évoquer la rapidité du temps et sa fatalité, tandis que la
pause et la scène sont des outils particulièrement adaptés pour représenter les
moments où le temps semble figé pour mettre en avant les instants de bonheur.
Cette exploration minutieuse des différents modes de narration permet de saisir
pleinement la richesse et la complexité du récit, ainsi que les nuances subtiles qui
contribuent à son impact narratif.

La fréquence de la narration

L'analyse de la fréquence dans la narration implique une exploration


approfondie du nombre d'occurrences d'un événement donné au sein d'un récit. Les
spécialistes de la narratologie ont identifié trois principales modalités de cette
fréquence narrative : le mode singulatif, où l'événement est relaté de manière unique
et isolée, le mode répétitif, où l'événement se répète à plusieurs reprises dans le
récit, et enfin le mode itératif, où l'événement est représenté comme étant récurrent
dans le temps ou dans l'espace narratif :

-Le mode répétitif dans la narration se caractérise par la réitération d'un


événement qui s'est produit initialement une seule fois. Cette technique narrative est
souvent employée dans le but de fournir plusieurs perspectives sur un même
événement, offrant ainsi une richesse d'interprétations et de compréhensions. Elle
est fréquemment observée dans le genre du roman épistolaire, où différents
correspondants relatent un même épisode de manière distincte, permettant ainsi au
lecteur d'appréhender les nuances et les subjectivités propres à chaque point de vue.

40
De plus, de nombreux romans contemporains adoptent ce procédé narratif, mettant
davantage l'accent sur la diversité des perspectives et des interprétations plutôt que
sur le déroulement linéaire de l'action, ce qui enrichit la complexité de l'intrigue et
la profondeur des personnages.

-Le mode itératif dans la narration se distingue par la narration d'un événement
qui se répète à plusieurs reprises au fil du récit. Cette technique narrative vise
généralement à mettre en lumière la notion de permanence et d'habitude. Elle se
caractérise souvent par l'utilisation de temps verbaux tels que l'imparfait ou le
présent, soulignant ainsi la continuité et la régularité de l'action. En évoquant un
monde imprégné de routine et de répétition, le mode itératif suggère un
environnement où aucun événement particulier ne se distingue, mais où la
récurrence des actions contribue à la construction d'une atmosphère immersive et
réaliste. Ce procédé narratif permet ainsi d'explorer les thèmes de la monotonie, de
la stagnation et de la persistance à travers une représentation détaillée des routines
quotidiennes et des schémas récurrents.

-Le mode singulatif est la fréquence dominante dans le récit que nous étudions,
elle constitue la forme narrative la plus répandue, caractérisée par la narration d'un
événement unique à une seule reprise. Cette approche narrative est fréquemment
utilisée dans les récits d'action afin de maintenir un rythme dynamique et de susciter
chez le lecteur un intérêt continu pour le déroulement de l'intrigue. En mettant
l'accent sur la singularité des événements, le roman évite de sombrer dans la
monotonie et parvient ainsi à captiver son public en lui offrant une expérience
immersive et palpitante, à l'image de l'aventure qu'il dépeint. Dans le roman
« l’amour », chaque événement ne se reproduit qu'une seule fois, ce qui capte
l'attention du lecteur. Il réalise qu'il n'y aura pas de retour en arrière ni de répétition,
l'invitant ainsi à vivre pleinement chaque instant. Cette similarité avec la vie réelle,
où notre attachement aux personnages est semblable à celui que nous avons pour les

41
personnes dans notre propre vie, signifie souvent que nous ne pouvons être présents
pour eux qu'une seule fois lors de leurs moments fatidiques.

L’ordre de la narration

L'analyse de l'ordre dans un récit porte sur la corrélation entre la séquence


logique des événements telle qu'elle est présentée et l'ordre chronologique de leur
narration. Deux situations peuvent se manifester : soit il y a une cohérence entre les
deux séries, c'est-à-dire que la manière dont les événements sont organisés dans le
récit reflète fidèlement leur enchaînement logique, soit il y a une discordance,
signifiant que l'ordre de narration diffère de la chronologie des événements.

Dans le cas du court roman que nous analysons nous pouvons le classer dans la
case des récits linéaires, où les événements sont présentés dans l'ordre
chronologique. Généralement, les récits courts comme les contes ou les nouvelles,
qui ont une structure relativement simple, suivent cette convention en présentant les
faits dans leur succession. « l’amour » est un exemple de cela , où l'auteur nous
guide à travers les différentes étapes de la vie des époux Jeanne et Jacques Moreau
dans un ordre chronologique. Cette approche narrative dans le récit met en lumière
de manière frappante la nature implacable de la mécanique du temps têtu qui efface
tout sur son passage : leur souvenirs, leur famille, leur chien, eux-mêmes ; mais
peut-être pas leur amour.

Néanmoins nous avant une exception dans ce récit, nous pouvons remarquer un
seul moment de discordance temporelle : L’anachronie narrative, pour reprendre le
terme de Genette, présentent deux manifestations principales :

« Une anachronie peut se porter, dans le passé ou dans l’avenir, plus ou moins loin
du moment “ présent ”, c’est-à-dire du moment où le récit s’est interrompu pour lui faire

42
place : nous appellerons portée de l’anachronie cette distance temporelle. Elle peut aussi
couvrir elle-même une durée d’histoire plus ou moins longue : c’est ce que nous
appellerons son amplitude. »27

La prolepse, également connue sous le nom d'anachronie par anticipation


consiste à projeter un événement à venir dans le récit. Quant à l'analepse, notre
exception dans ce récit linéaire, est une anachronie par rétrospection, elle se
manifeste lorsque le récit revisite un événement passé, un procédé souvent identifié
dans l'analyse cinématographique sous le terme de "flash-back", Voici le passage en
question :

« Les premières années de diffusion, Jacques était rarement à côté de Jeanne pour
regarder Plus belle la vie. Que l’action se déroule à Marseille le rebutait, il n’aime pas
cette ville, la preuve il n’y a jamais mis les pieds. Mais très vite la couleur locale a
disparu, il s’est plu dans cet univers, les personnages piliers sont devenus des intimes qu’il
retrouve chaque soir comme on s’assoit à table. À l’épisode 4334, Héloïse apprend à son
père qu’elle est homosexuelle. Passé son premier mouvement de rejet, le père apprend à
l’accepter comme elle est, avec ses désirs et ses amantes. Ça lui est plus difficile de
renoncer à une descendance car Marie est sa fille unique. Or elle compte bien devenir
maman et se dit prête à se soumettre au protocole requis. Dans l’esprit du père la
réticence à cet artifice le cède à la joie d’avoir un petit-fils. Même une petite-fille lui ira.
Elle illuminera ses vieux jours. À l’envisager, il se sent rajeunir. Lui qui n’a pas été un
père très présent sera le meilleur des grands-pères. Il y a un bruit de clenche. Jeanne
campée sur le seuil en robe rose fait un geste qui dit viens. Jacques pense d’abord aller
au bout de l’épisode avant de se lever. Combien de temps reste-t-il avant la fin ? La
pendulette indique 20 h 26. Il songe qu’elle va avoir froid avec ces chaussons, il va lui
trouver autre chose. Elle dit que ce ne sera pas utile. Jacques veut au moins prendre une
parka pour lui car on a un mois de mars assez frisquet mais Jeanne dit : dépêche-toi c’est
maintenant. »28

27
Genette , Figures III, Paris, Seuil.(1972), P89
28
François Begaudeau, l’amour, Verticales, Paris (2023), P69

43
Ici Jacques vit ses derniers instants, une page avant qu’il aille rejoindre sa
défunte épouse, il se remémore les moments où il refusait de regarder une série avec
Jeanne, maintenant qu’elle a quitter le bas-monde, la série devient le seul endroit de
réconfort pour le mari, il en arrive même à imaginer son épouse entrain de l’attendre
avec la robe qu’elle portait jadis.

2- L’espace

Interroger l'espace dans une perspective poéticienne implique une étude


approfondie des techniques et des enjeux inhérents à la description. Cette analyse
repose sur les travaux de Philippe Hamon, tel que exposé dans son ouvrage
« Introduction à l'analyse du descriptif ». Selon Hamon, l'analyse d'une description
se déploie à travers trois axes principaux : son insertion au sein du récit global, son
fonctionnement interne en tant qu'entité autonome, et enfin, son rôle au sein de
l'ensemble romanesque. Ces questions sous-tendent respectivement l'inscription
spatiale de la description dans le contexte narratif, son organisation en tant qu'unité
autonome, ainsi que son rôle déterminant au sein de la structure narrative globale du
roman.

L’insertion de la description

Lorsque les écrivains rencontrent des difficultés avec l'insertion de descriptions


dans leurs récits, c'est souvent parce que ces descriptions peuvent sembler
interrompre le flux de l'action, risquant ainsi de briser l'illusion de réalisme dans le
récit. Ainsi, les auteurs réalistes sont constamment confrontés à la tâche complexe
de rendre ces passages descriptifs aussi naturels que possible. Pour y parvenir, ils
emploient généralement deux stratégies principales : le camouflage et la motivation.
En d'autres termes, ils cherchent à intégrer ces descriptions de manière subtile, de
sorte qu'elles se fondent harmonieusement dans le récit, et ils trouvent des moyens
de les justifier, les reliant de manière organique à l'histoire ou aux personnages. Ces

44
techniques permettent aux auteurs réalistes de maintenir l'authenticité et la fluidité
de leur narration tout en fournissant les détails nécessaires pour enrichir l'expérience
du lecteur.

- Le camouflage implique de dissimuler la nature immobile ou passive de la


description en lui donnant une apparence plus dynamique. Cette transformation peut
être réalisée de différentes manières, notamment en structurant la description de
manière à ce qu'elle évoque un mouvement dans l'espace ou dans le temps. De plus,
cette dynamisation peut également être obtenue en utilisant des verbes d'action qui
insufflent de la vie aux éléments décrits, les rendant ainsi plus engageants pour le
lecteur. En adoptant cette approche, les écrivains parviennent à intégrer les
descriptions de manière plus fluide et organique dans leur récit, évitant ainsi qu'elles
ne semblent être des interruptions statiques au flux narratif.

La structuration des descriptions crée l'illusion que chaque élément mentionné


suit une progression dynamique. Cette structuration peut être réalisée spatialement
en positionnant les éléments décrits de manière verticale (haut/bas), horizontale
(droite/gauche), ou en profondeur (devant/derrière). Sur le plan temporel,
l'utilisation d'adverbes ou de locutions adverbiales telles que "d'abord", "puis",
"enfin", etc., permet d'insuffler une dynamique à la présentation en lui conférant une
logique apparente.

En ce qui concerne l'animation des descriptions, cela implique l'utilisation de


verbes de mouvement pour donner vie à des éléments qui seraient autrement
inanimés, comme "s'étaler", "s'allonger", "s'élever", etc. De plus, l'utilisation de la
gradation, passant du flou à la précision du détail, est particulièrement efficace
lorsque la description est perçue à travers le regard d'un personnage. Cette approche
permet de rendre les descriptions plus vivantes et captivantes, tout en renforçant
l'immersion du lecteur dans l'univers fictionnel créé par l'écrivain. Analysons cet

45
extrait de « l'amour » qui décrit la salle où se déroule le rassemblement familial
pour l'apéritif :

« Pendant l’apéritif, Jeanne remarque la jolie pendulette en cuivre sur le buffet.


Maryvonne en est très satisfaite, pas un raté en vingt ans. Pourtant elle n’est pas d’hier. Ils
l’ont eue en héritage des parents de Gérard qui la tenaient de leurs parents, et va savoir
jusqu’à quand remonter encore. Pour illustration Maryvonne montre la photo encadrée
au-dessus du buffet où posent ses beaux-parents. Madame assise les mains posées sur une
cuisse, monsieur debout derrière en uniforme. C’était en 17, il avait profité d’une semaine
de permission pour l’épouser avant que sa grossesse se voie. Il est reparti le lendemain du
côté de Verdun et il n’est jamais revenu. Même pas les deux pieds devant, puisqu’on n’a
jamais retrouvé son corps. »29

D'un point de vue géographique, l'accent est mis sur la verticalité de l'espace dans
ce contexte (illustré par des éléments comme "au-dessus du buffet", "sur le buffet".

Cependant, la description est également dynamisée par quelques indications


temporelles telles que "C’était en 17", "avant que", "le lendemain".

Le procédé le plus notable réside probablement dans la gradation des verbes de


perception comme "remarque ", "montre" créant ainsi un effet de "zoom" qui nous
rappelle que la description est filtrée à travers le regard de Jeanne et Maryvonne.

-La motivation de la pause descriptive dans le récit est un élément crucial pour
maintenir la cohérence narrative. Une méthode particulièrement efficace consiste à
attribuer la description à un personnage, évitant ainsi une interruption brutale de
l'histoire. Le narrateur choisit alors de rapporter ce que voit, dit ou fait un
personnage spécifique dans le roman. Ce personnage peut être caractérisé par sa
capacité à observer (qu'il soit explorateur, peintre, photographe, espion ou

29
François Begaudeau, l’amour, Verticales, Paris (2023), P29

46
enquêteur), à exprimer (qu'il soit professionnel, initié ou expert dans un domaine)
ou à agir (qu'il soit technicien, ingénieur ou spécialiste). Généralement, ce
personnage se trouve dans un endroit favorable à l'observation (tel qu'un lieu ouvert
sur l'extérieur, le sommet d'une colline ou une cachette aménagée). Son observation
est motivée par des facteurs psychologiques tels que la curiosité, l'appréhension ou
le réflexe professionnel, et est souvent liée à une cause précise, comme la recherche
d'un indice, la découverte d'un lieu inconnu ou une tentative d'évasion. Philippe
Hamon a identifié une séquence typique de cinq phases, spécifique aux romans
réalistes, qui vise à justifier l'insertion d'un passage descriptif dans le récit.
Analysons ces phases à travers ce passage du corpus :

« Jacques se met à la fenêtre pour se griller une Camel. La Camel lui évoque le conteur
qui lui évoque le roi dauphin. Le H de l’enseigne de l’hôtel concurrent est éteint. Ça ne
change rien à la prononciation. Un autre soir, depuis la 34, il regarde un couple tituber
jusqu’à une Audi noire immatriculée dans l’Eure-et-Loir. De la 47, un étage plus haut, on
voit les trois panaches de fumée de l’usine de chaussures. Dans la 9 au rez-de-chaussée,
Jeanne commence par fermer les volets des fois qu’un curieux passerait par là. Le papier
peint de la 12 a pour motif un nénuphar marron tacheté de bleu. Celui de la 13 également.
Dans la 43, l’enseigne d’en face projette un halo jaune sur le couvre-lit. Sur le drap de la
23, Jeanne boutonnant son chemisier repère une traînée rougeâtre. Elle se passe un doigt
pour confirmer. Elles arrivent tôt ce mois-ci. D’un geste sec elle tire le drap pour le rouler
en boule avant que Jacques revienne des toilettes du palier. Dans la serrure de la 11
s’introduit une clé. Jacques se fige entre les cuisses de Jeanne en attendant que le client
aviné réalise son erreur. »30

-La référence à un personnage qualifié Jacques est maçon depuis chaque fenêtre
de l’hôtel où travaille son amante il aperçoit les détails architecturale de son
environnement : «47, un étage plus haut, on voit les trois panaches de fumée de
l’usine de chaussures. », « Le papier peint de la 12 a pour motif un nénuphar

30
François Begaudeau, l’amour, Verticales, Paris (2023), P26

47
marron tacheté de bleu. » , «Dans la 43, l’enseigne d’en face projette un halo jaune
sur le couvre-lit »

-L'indication d'une suspension narrative par le caractère contemplatif de Jacques.

-Un verbe exprimant une perception « il regarde»

-La référence à un endroit favorable «l’hôtel», spécifiquement dans chaque


chambre où jacques peut minutieusement observer la vue qui lui est offerte.

Le fonctionnement de la description

En qualité d'entité autonome, la description suit un processus spécifique qui


repose sur deux opérations macroscopiques : l'aspectualisation et la mise en
relation. Ces deux processus constituent les principaux mécanismes à travers
lesquels une réalité est décrite. L'aspectualisation implique de mettre en lumière les
différentes caractéristiques d'un objet ou d'un phénomène, tandis que la mise en
relation consiste à établir des comparaisons avec d'autres entités du monde
environnant. Ainsi, la description ne se limite pas à une simple énumération des
attributs, mais elle intègre également une analyse comparative qui enrichit la
compréhension et la représentation de la réalité considérée.

-L'aspectualisation, en tant que processus descriptif, vise à dépeindre l'aspect


d'un objet ou d'un phénomène en mettant en lumière ses propriétés intrinsèques
telles que le volume, la taille, la forme, la couleur, et autres caractéristiques
pertinentes. De plus, elle inclut également l'identification et la mention des
composants constitutifs qui contribuent à la nature et à la structure de l'objet ou du
phénomène décrit. Ainsi, l'aspectualisation transcende la simple identification
superficielle pour offrir une représentation détaillée et approfondie de l'entité

48
concernée, permettant une compréhension plus complète et nuancée de sa nature et
de ses attributs. Analysons ce passage décrivant la première visite de Jacques chez
son amante, Jeanne :

« En se voûtant comme pour se cacher, Jacques pointe un bout de forêt borné par deux
chênes. Jeanne finit par repérer l’animal qui se détache de la luzerne, placide et sans peur.
On dirait une statue de cuivre, chuchote-t-elle. Moi tu vois un cerf je pourrais pas,
chuchote Jacques. Le tirer je pourrais pas. Des chevreuils autant que tu veux mais un cerf
non c’est drôle hein ? » 31

La réalité décrite, symbolisée par "un bout de forêt", est présentée à travers une
de ses caractéristiques principales, à savoir qu'il est "borné par deux chênes", ainsi
que par la mention de plusieurs de ses éléments constitutifs, tels que les "deux
chênes" et "l’animal". Chaque élément constitutif peut être développé de manière
autonome, en lui attribuant ses propres caractéristiques ou en le subdivisant à son
tour en composants plus spécifiques, ce qui le fait évoluer vers un statut de "sous-
thème". Dans cet exemple, "l’animal " est décrit à travers ses caractéristiques,
comme le fait qu'il "se détache de la luzerne", et leurs composants, tels que son air
"placide et sans peur".

-La mise en relation constitue une étape essentielle du processus descriptif,


visant à éclaircir les relations entre l'objet décrit et les autres entités présentes dans
le monde environnant. Cette démarche se déploie à travers deux modalités distinctes
: l'assimilation et la mise en situation :

 L'assimilation, en tant que stratégie descriptive, englobe diverses techniques

telles que les comparaisons, les métaphores, les négations ou encore les
reformulations. Son objectif premier est de rapprocher l'objet décrit de réalités plus

31
François Begaudeau, l’amour, Verticales, Paris (2023), P20

49
familières au lecteur, lui permettant ainsi de mieux appréhender et d'interpréter
l'objet en question. Par le biais de comparaisons, l'auteur crée des ponts entre l'objet
décrit et d'autres concepts ou objets familiers, offrant ainsi au lecteur des points de
référence qui facilitent la compréhension. Les métaphores, quant à elles, transposent
l'objet dans un cadre plus familier ou concret, permettant au lecteur de saisir plus
aisément ses attributs et ses implications. Les négations et les reformulations jouent
également un rôle crucial en éliminant les ambiguïtés et en clarifiant le sens de
l'objet décrit à travers des énoncés plus accessibles ou des exemples plus tangibles.
Dans cet énoncé provenant de « l’amour »:

«Il tire de son casier une coupe en étain qu’il lui tend. Elle ne peut l’attraper, il la tient
trop haut. Pietro est un géant et elle un champignon. » 32

La mise en relation entre la réalité décrite, représentée par elle (Jeanne), et un


champignon est réalisée à travers une assimilation métaphorique.

 La mise en situation éclaire la position de l'objet décrit dans un contexte

spatial et temporel donné, fournissant ainsi des repères essentiels pour sa


compréhension et son interprétation. Ce processus permet non seulement de situer
l'objet dans un environnement spécifique, mais également de le replacer dans une
séquence chronologique, offrant ainsi une perspective plus complète de son rôle et
de son impact dans son cadre spatio-temporel. En détaillant la situation de l'objet
dans l'espace et dans le temps, cette approche enrichit la description en lui
conférant une dimension contextuelle plus approfondie, facilitant ainsi une
meilleure appréhension de son importance et de sa signification dans son cadre
environnant. Ainsi, dans ce passage du roman étudié :

32
François Begaudeau, l’amour, Verticales, Paris (2023), P5

50
«Jacques qui finit à 19 heures, au pire 20, la retrouve chez elle et non plus à l’hôtel,
c’est un gros plus. On a juste perdu sur le chauffage. La chambre de Jeanne est mal isolée,
l’été on crève et l’hiver le poêle est impuissant contre l’air qui s’infiltre de partout. À
l’arrivée de Jacques ils se fourrent sous les draps et se serrent avides de la chaleur de
l’autre.» 33

la « La chambre de Jeanne» est, par sa situation, mise en relation avec « mal


isolée » et « l’air qui s’infiltre de partout ».

Les fonctions de la description

Dans le contexte du roman, la description remplit diverses fonctions cruciales


qui contribuent à enrichir l'œuvre. Ces fonctions comprennent notamment la
mimésis, la mathésis, la sémiotique et l'esthétique.

La fonction mimétique vise à créer une illusion de réalité en ancrant l'histoire


dans un espace tangible, renforçant ainsi sa crédibilité, Par le biais de la description,
l'auteur donne vie à l'univers fictionnel, rendant l'expérience de lecture plus
immersive et cette immersion est clairement ressenti dans l’extrait concernant la
forêt où Jacques et Jeanne aperçoivent l’animal/

La fonction mathésique permet quant à elle la transmission de connaissances


sur le monde. L'auteur utilise la description pour partager des informations

33
Ibid, P32

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pertinentes, élargissant ainsi la compréhension du lecteur sur différents aspects de la
vie, qu'ils soient culturels, historiques ou scientifiques. Par exemple la description
de la chambre de Jeanne nous donne une idée sur la classe sociale à laquelle elle
appartient.

La fonction sémiotique revêt une importance particulière, car chaque


description est chargée de significations. Une séquence descriptive peut revêtir un
rôle explicatif en fournissant des détails sur l'espace et les personnages, ou encore
un rôle évaluatif en exprimant subtilement un jugement sur l'objet décrit comme
nous l’avions vu dans l’extrait où Jacques observe le comportement de son chien.
De plus, elle peut avoir une dimension symbolique en représentant quelque chose
au-delà de sa simple apparence, ajoutant ainsi des couches de complexité et de
profondeur à l'œuvre.

Enfin, l’esthétique de la description repose sur sa mise en forme, sa structure et


son écriture. De plus, la description est souvent liée de manière implicite à un
mouvement littéraire particulier. Dans le contexte du réalisme, par exemple,
l'utilisation de termes techniques peut être intégrée dans la description de sujets tels
que "l'amour", afin d'apporter une précision supplémentaire.

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Conclusion :

La construction et la communication des thèmes et des messages dans les textes


littéraires sont des processus complexes qui font intervenir une multitude d'éléments
narratifs, parmi lesquels le paratexte, les choix narratifs, la gestion de la temporalité
et de l'espace jouent des rôles essentiels. En examinant en détail chacun de ces
aspects, nous pouvons mieux comprendre comment ils contribuent à la construction
et à la communication des thèmes et des messages dans la littérature.

Les choix narratifs, tels que la perspective narrative, la focalisation et la


structure narrative, jouent un rôle déterminant dans la façon dont les thèmes et les
messages sont présentés et interprétés. Le narrateur, en tant que voix à travers
laquelle l'histoire est racontée, influence profondément la manière dont le lecteur
perçoit les événements et les personnages. Par exemple, un narrateur omniscient
peut offrir une vision d'ensemble des différentes perspectives des personnages,
tandis qu'un narrateur à la première personne limite le lecteur à une seule
perspective subjective. De même, la focalisation, c'est-à-dire le choix de ce que le
narrateur choisit de mettre en avant ou de taire, peut orienter l'attention du lecteur
vers certains aspects de l'histoire au détriment d'autres, influençant ainsi sa
compréhension des thèmes et des messages.

Le choix de la concision du livre, reflétant l'influence de "Un cœur simple" de


Flaubert, démontre une volonté de créer une narration elliptique et économique,
sans superflu ni commentaires analytiques. Cette brièveté contribue à la focalisation
sur les faits et à l'immersion dans le flux temporel de la vie des personnages.

L'absence de chapitres et de marqueurs temporels traditionnels renforce cette


immersion dans le temps linéaire et continu de la vie quotidienne. En évitant les
ruptures dramatiques ou événementielles, le texte s'efforce de représenter le "temps"

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lui-même, ce qui nécessite une prose au diapason, sans artifice ni signalisation
explicite du passage du temps.

La façon dont les moments importants de la vie des personnages sont traités
matériellement plutôt que psychologiquement ou métaphysiquement contribue à
une représentation réaliste et non idéalisée de l'existence. Cette approche met en
lumière la vie quotidienne des classes populaires et souligne la façon dont les
préoccupations matérielles et pragmatiques sont intrinsèquement liées à la vie
amoureuse.

Le choix délibéré de ne pas exprimer l'amour à travers des mots romantiques,


mais de le faire transparaître à travers les actions et les situations concrètes des
personnages, renforce le thème de l'amour discret et omniprésent dans la vie
quotidienne. Cette absence de déclarations d'amour verbales reflète une expérience
partagée par de nombreuses personnes et ajoute une dimension réaliste et
authentique à la représentation de l'amour dans le texte.

Les éléments de la narratologie dans "L'amour" contribuent à la construction


d'une représentation réaliste et nuancée de la vie quotidienne et de l'amour, mettant
en valeur les thèmes de la simplicité, de la continuité temporelle et de l'importance
des aspects matériels et pragmatiques de l'existence.

Dans "L'Amour" de François Bégaudeau, la narration se déploie avec une


subtilité qui épouse la quotidienneté des protagonistes, Jeanne et Jacques Moreau.
La construction narrative semble suivre le fil ténu de la vie elle-même, sans les
artifices des arcs dramatiques spectaculaires. Cette approche, loin de diluer l'impact,
révèle la puissance des petits moments, des détails infimes qui composent la trame
de l'existence.

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L'absence délibérée de tensions dramatiques laisse place à une contemplation
tranquille, à une observation minutieuse des émotions et des interactions. Comme le
souligne François Bégaudeau lui-même, cette absence de tension permet aux
lecteurs de se plonger pleinement dans les scènes, sans être guidés par un narrateur
omniscient.

Cette immersion dans la simplicité du quotidien rappelle l'esthétique de certains


maîtres de la littérature, tels que Flaubert, dont l'écriture se caractérise par sa
capacité à magnifier les aspects les plus modestes de la vie. Chez Bégaudeau, cette
humilité narrative est une forme de respect envers ses personnages et leur réalité.

L'utilisation astucieuse des éléments de la vie quotidienne, des références


culturelles comme des marqueurs temporels contribue à ancrer l'histoire dans une
réalité tangible. Les transitions temporelles se fondent avec fluidité, permettant au
lecteur de voyager à travers les décennies sans heurt, comme si les années
s'écoulaient sans effort.

Dans cette chronique intimiste, où les petits riens prennent une importance
démesurée, se dessine le portrait d'une France en mutation, mais surtout celui d'un
couple ordinaire, Jeanne et Jacques, dont l'amour se décline dans les gestes du
quotidien, dans les silences complices, dans les épreuves surmontées ensemble.

Finalement, "L'Amour" de François Bégaudeau s'impose comme un miroir de


nos propres vies, un rappel de l'importance des petites choses, des instants fugaces
qui tissent la trame de nos existences. Au-delà d'une simple histoire, c'est un hymne
à la vie, à l'amour, et à la beauté insoupçonnée de l'ordinaire.

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Bibliographie

Corpus

 Bégaudeau, François. L’amour. Paris: Verticales, 2023.

Ouvrages et Revues
 Barthes, Roland. "L'effet de réel." Communications, 11, 1968, p. 84.

 Genette, Gérard. Figures III. Paris: Seuil, 1972.

 Genette, Gérard. Seuils. Paris: Seuil, 1987.

 Genette, Gérard. Nouveau discours du récit. Paris: Seuil, 1983.

 Grivel, Charles. Production de l’intérêt romanesque. Paris-La Haye: Mouton,


1973.

 Jouve, Vincent. La Poétique Du Roman. Paris: Armand Colin, 2020.

 Metz, Christian. Essais sur la signification au cinéma. 1968.

 Todorov, Tzvetan. Qu’est-ce que le structuralisme ?. Paris: Éditions du Seuil,


coll. « Points », 1968.

Sitographie

 www.avoir-alire.com

 www.francoisbegaudeau.fr

 www.persee.fr

 www.wikipedia.org

 www.zone-critique.com

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Résumé :
Ce mémoire de master se concentre sur le roman «L’amour» de François Bégaudeau,
appartenant à la littérature française contemporaine. Ce roman explore la vie d'un couple
provincial sur cinquante ans, abordant des thèmes tels que l'amour, le temps, les conditions
matérielles d’existence, la vie intérieure et la mort, à travers une écriture minimaliste et réaliste.
Notre étude porte sur les éléments narratologiques du texte, où nous avons tenté d'analyser le
paratexte, les choix narratifs, et la gestion de la temporalité et de l'espace. Nous avons examiné les
éléments paratextuels selon les travaux de Gérard Genette, puis les choix narratifs à partir des
théories narratologiques, et enfin la temporalité et l'espace en lien avec la création d'effets
narratifs et esthétiques. Cette analyse vise à révéler comment Bégaudeau utilise des techniques
narratives pour représenter de manière authentique et poétique l'expérience humaine.

‫ملخص‬

.‫ التي تنتمي إلى األدب الفرنسي المعاصر‬،‫يركز هذا المذكرة للماجستير على رواية "الحب" لفرانسوا بيغودو‬
،‫ الزمن‬،‫ حيث تتناول مواضيع مثل الحب‬،‫تستكشف هذه الرواية حياة زوجين من المحافظات على مدى خمسين عا ًما‬
‫ دراستنا تركز على العناصر السردية‬.‫ من خالل كتابة بسيطة وواقعية‬،‫ الحياة الداخلية والموت‬،‫الظروف المادية للوجود‬
‫ لقد قمنا بفحص العناصر العتباتية‬.‫ وإدارة الزمن والمكان‬،‫ الخيارات السردية‬،‫ حيث حاولنا تحليل العتبات النصية‬،‫للنص‬
‫وأخيرا الزمن والمكان فيما يتعلق بخلق‬
ً ،‫ ثم الخيارات السردية بنا ًًء على النظريات السردية‬،‫وفقًا ألعمال جيرار جينيت‬
‫ تهدف هذه التحليل إلى الكشف عن كيفية استخدام بيغودو للتقنيات السردية لتمثيل التجربة‬.‫التأثيرات السردية والجمالية‬
.‫اإلنسانية بطريقة أصيلة وشاعرية‬

Abstract:

This master's thesis focuses on François Bégaudeau's novel "L’amour," which belongs to
contemporary French literature. This novel explores the life of a provincial couple over fifty
years, addressing themes such as love, time, material conditions of existence, inner life, and
death through a minimalist and realistic writing style. Our study focuses on the narratological
elements of the text, where we attempted to analyze the paratext, narrative choices, and the
management of temporality and space. We examined the paratextual elements according to the
works of Gérard Genette, then the narrative choices based on narratological theories, and finally
temporality and space in relation to the creation of narrative and aesthetic effects. This analysis
aims to reveal how Bégaudeau uses narrative techniques to authentically and poetically
represent the human experience

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