Location via proxy:   [ UP ]  
[Report a bug]   [Manage cookies]                

Le Conseil de Sécurité Et Les Opérations de Maintien de La Paix 2022

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 13

LE CONSEIL DE SÉCURITÉ ET LES OPÉRATIONS DE

MAINTIEN DE LA PAIX
Ronald Hatto*

L’Organisation des Nations Unies (ONU) est créée en 1945 pour « préserver
les générations futures du fléau de la guerre qui deux fois en l’espace d’une vie humaine
a infligé à l’humanité d’indicibles souffrances », comme le rappelle le préambule de sa
Charte 1 . C’est donc à l’ONU, première organisation multilatérale véritablement
universelle et élément central de la gouvernance mondiale, que revient la responsabilité
de maintenir la paix et la sécurité internationales. C’est entre août et octobre 1944, à
Dumbarton Oaks dans les environs de Washington, que les quatre « Grands » (Chine,
États-Unis, Grande-Bretagne et Union des Républiques socialistes et soviétiques
(URSS)) élaborent les structures et les compétences de l’ONU. Comme leur but est de
créer un système de sécurité internationale efficace, ils dotent le Conseil de sécurité de
pouvoirs réels en plus d’en faire l’unique garant du maintien de la paix et de la sécurité
internationales. Il s’agit ici d’une différence majeure avec la Société des Nations
(SDN), l’organisation qui a précédé l’ONU, puisqu’au sein de cette dernière, il n’y avait
pas, en principe, de distinction de compétence entre l’Assemblée et le Conseil restreint2.
C’est donc une exigence d’efficacité et de réalisme qui guide la conception du
Conseil de sécurité. Le nouveau Conseil consacre l’inégalité de fait entre les États
membres puisque les plus puissants ont un rang et des droits particuliers au sein de
l’ONU avec un statut spécial octroyé aux membres permanents, les cinq « Grands »
victorieux de la Deuxième Guerre mondiale (Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni
et URSS), sous la forme d’un droit de veto. La création de l’ONU permet de surmonter
certaines des lacunes de la SDN. Tout d’abord, pour éviter la politique de la « chaise
vide » comme lors du retrait du Japon et de l’Allemagne dans les années 1930, les
Nations Unies mettent sur pied un Conseil de sécurité où les membres permanents ont
un droit de veto et où les dix membres non permanents sont élus par l’Assemblée
générale à tous les deux ans. Ensuite, pour dépasser le manque d’universalité de la
SDN, l’ONU instaure une Assemblée générale où tous les États du monde peuvent être
membres et qui, en théorie, supervise les travaux du Conseil de sécurité. Enfin, pour
éviter l’inactivité de la SDN, l’ONU crée un Secrétariat permanent possédant une
expertise technique et diplomatique importante.
Cette contribution examine la capacité d’adaptation de l’ONU et plus
spécifiquement du Conseil de sécurité dans « le maintien de la paix et de la sécurité
internationales ». Malgré ses innovations par rapport à la SDN, l’ONU fait face à de
nombreux défis à ses débuts qu’elle réussit à surmonter graduellement grâce à sa

*
Professeur de relations internationales, Sciences po Paris.
1
Charte des Nations Unies, 26 juin 1945, RT Can 1945 no 7.
2
Ronald Hatto et Nicolas Lemay-Hébert, « Le Conseil de sécurité des Nations Unies : entre
représentativité et efficacité » dans Bertrand Badie et Guillaume Devin, dir, Le multilatéralisme :
nouvelles formes de l’action internationale, Paris, Découverte, 2007 à la p 130.
58 Hors-série (2021) Revue québécoise de droit international

flexibilité institutionnelle. C’est d’ailleurs cette flexibilité qui donne naissance au


maintien de la paix entre 1948 et 1956. La sécurité collective telle qu’envisagée dans la
Charte n’étant pas mise en œuvre pour cause de tensions entre Américains et Soviétiques,
l’ONU (Assemblée générale et Secrétariat) improvise en créant le maintien de la paix.
Cette contribution vise à présenter les liens entre le Conseil de sécurité et le maintien de
la paix et pour ce faire il est divisé en trois parties qui analysent :
• le rôle du Conseil de sécurité dans le maintien de la paix et de la sécurité
internationales ;
• la naissance des opérations de maintien de la paix (OMP) et leur évolution ;
• l’influence des changements géopolitiques sur les relations entre le Conseil
de sécurité et les OMP.

I. Le Conseil de sécurité et la sécurité internationale


La création de l’ONU repose sur une initiative américaine et plus spécifiquement
du président Franklin Delano Roosevelt. C’est lui qui souhaite appeler la future
organisation « Nations Unies ». Cela explique les similitudes organisationnelles entre le
système politique des États-Unis et celui des Nations Unies. Comme dans le système
américain, l’ONU est dotée d’un organe exécutif (le Conseil de sécurité), d’un organe
législatif (l’Assemblée générale) et d’un organe juridique (la Cour internationale de
justice). Le Secrétariat, qui n’a pas d’équivalent dans le système politique américain, joue
un rôle très important dans le fonctionnement du maintien de la paix.
La fonction de garante de la paix de l’ONU se traduit par un ambitieux effort
pour construire la sécurité collective. Cette dernière est présentée au Chapitre VII
(articles 39-51) de la Charte et intitulée « Action en cas de menace contre la paix, de
rupture de la paix et d’actes d’agression ». Si la Charte n’utilise jamais explicitement
le terme, la sécurité collective est présente dès l’article 1. Le premier paragraphe de ce
dernier stipule que le but des Nations Unies est de
maintenir la paix et la sécurité internationales et à cette fin : prendre des
mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d’écarter les menaces à la
paix et de réprimer tout acte d’agression ou autre de rupture de la paix, et
réaliser, par des moyens pacifiques, conformément aux principes de la justice
et du droit international, l’ajustement ou le règlement de différends ou de
situations, de caractère international, susceptibles de mener à une rupture de
la paix3

La sécurité collective a pour ambition de remplacer l’équilibre des puissances


comme mécanisme régulateur des relations internationales. Le but étant de promouvoir
la coopération plutôt que la compétition entre États et l’établissement du principe « un
pour tous et tous pour un ». En 1945, les fondateurs de l’ONU oublient l’échec de la
Société des Nations qui n’a jamais réussi à appliquer ce mécanisme de régulation même

3
Ronald Hatto, Le maintien de la paix : L'ONU en action, Armand Colin, Paris, 2015 aux pp 29-35.
Conseil de sécurité et opérations de maintien de la paix 59

lors d’agressions caractérisées comme celles du Japon contre la Chine ou de l’Italie


contre l’Éthiopie dans les années 1930. Si la théorie de la sécurité collective est
attrayante, personne n’a jamais été prêt à accepter les responsabilités et les risques
qu’entraîne sa mise en pratique 4 . Après la fin de la Deuxième Guerre mondiale,
l’affrontement entre les États-Unis et l’Union soviétique bloque le fonctionnement du
Conseil de sécurité et empêche la mise en œuvre du mécanisme de sécurité collective
prévu au Chapitre VII de la Charte.
Cette paralysie du Conseil de sécurité force le Secrétariat de l’ONU à trouver
une solution de rechange pour gérer les conflits qui suivent la guerre et qui sont
favorisés par une décolonisation souvent mal préparée. Entre 1948 et 1956, les deux
premiers Secrétaires généraux, le Norvégien Trygve Lie et le Suédois Dag
Hammarskjöld, s’efforcent de trouver des alternatives à la sécurité collective pour
permettre à l’ONU de jouer un rôle dans le maintien de la paix et de la sécurité
internationales. Trygve Lie propose en 1946 la mise sur pied d’une garde des Nations
Unies de trois cents personnes en service actif et cinq cents autres maintenues en réserve
pouvant aider les missions envoyées sur le terrain par l’ONU. L’Assemblée générale
est intéressée, mais le Conseil de sécurité rejette l’idée sous prétexte que la proposition
du Secrétaire général outrepasse ses pouvoirs. Si l’Article 99 du Chapitre XV de la
Charte stipule que le Secrétaire général peut « attirer l’attention du Conseil de sécurité
sur les situations mettant en danger le maintien de la paix et de la sécurité
internationales », rien dans la proposition de Trygve Lie de 1946 ne justifiait un tel
recours. Cette opposition du Conseil n’empêche pas l’Assemblée générale d’autoriser
la création, sous son contrôle, d’un « service mobile » des Nations Unies de trois cents
personnes détachées par les États membres et n’ayant pas de fonction militaire, mais
plutôt d’assistance aux missions sur le terrain. Ces efforts posent les bases de ce qui
allait devenir le « maintien de la paix »5.
La Charte des Nations Unies ne mentionne jamais le maintien de la paix tel
qu’il existe depuis 1948, c’est-à-dire sous forme de missions d’observation ou
d’interposition. Cette évolution graduelle de la pratique onusienne entre 1948
– création de la première opération d’observation – et 1956 – création de la première
mission d’interposition – débouche sur une improvisation qui a des implications pour
le fonctionnement des OMP6. Le droit de veto accordé aux cinq membres permanents
du Conseil de sécurité a affecté la capacité de ce dernier à gérer certaines des crises qui
ont eu lieu après 1945. Lorsque l’un ou plusieurs des cinq membres permanents sont
impliqués dans une situation de crise, ils peuvent faire usage de leur droit de veto,
paralysant ainsi le mécanisme de prise de décision. C’est ce qui se passe pendant la

4
Inis L. Claude Jr., Swords into Plowshares : The Problems and Progress of International Organization,
4e éd, New York, Random House, 1971.
5
Ronald Hatto, « Les opérations de maintien de la paix et la limitation de la guerre » dans Benoît Pélopidas
et Frédéric Ramel, dir, Guerres et conflits armés au XXIe siècle, Paris, Presses de Sciences Po, 2018 à
la p 238; Adam Roberts et Dominik Zaum, Selective Security : War and the United Nations Security
Council since 1945, Adelphi Paper 395, Abingdon, Routledge pour IISS, 2008 aux pp 49-50.
6
La première mission en 1948 est l’Organisation des Nations Unies pour la surveillance de la trêve
(ONUST) en Israël-Palestine et celle de 1956 est la Force d’Urgence des Nations Unies (FUNU)
déployée entre l’Égypte et Israël.
60 Hors-série (2021) Revue québécoise de droit international

crise de Suez de 1956 où France et Grande-Bretagne, deux membres permanents du


Conseil de sécurité, paralysent son fonctionnement. Les États-Unis et l’Union
soviétique (occupée à mettre fin à la révolte hongroise par la force) décident de
contourner le Conseil de sécurité et de permettre à l’Assemblée générale de prendre des
mesures visant à mettre fin à la crise. Cette mesure a été utilisée une première fois
pendant la guerre de Corée par les Américains pour contourner un veto soviétique, le
3 novembre 19507.
La création de la première OMP avec déploiement de Casques bleus par
l’Assemblée générale plutôt que par le Conseil de sécurité en novembre 1956 a des
effets immédiats et durables sur les possibilités du maintien de la paix. L’Assemblée
générale, contrairement au Conseil de sécurité, ne peut que recommander et non
imposer ses décisions. L’Assemblée a créé la Force d’urgence des Nations Unies
(FUNU) comme un de ses « organes subsidiaires » auquel elle ne pouvait pas accorder
de pouvoirs qu’elle-même ne possédaient pas8. C’est pourquoi le consentement des
parties (États hôtes et contributeurs de troupes) est une nécessité depuis 1956.
L’Assemblée générale ne peut donc pas imposer aux États de fournir des Casques bleus
ou de recevoir une OMP sur son territoire. La création de la FUNU marque ainsi la fin
de la sécurité collective et le début du maintien de la paix comme outil de gouvernance
globale, mais aussi l’adoption d’une doctrine qu’il est dorénavant convenu d’appeler la
Sainte Trinité du maintien de la paix et reposant sur trois principes : le consentement
des parties, l’impartialité des troupes onusiennes et l’utilisation minimale de la force 9.

II. Le maintien de la paix comme outil de gestion des conflits


La création des OMP en 1956 par l’Assemblée générale a pour effet d’entourer
cette pratique diplomatico-militaire d’un épais « brouillard du maintien de la paix ». Cette
notion est inspirée du « brouillard de la guerre » proposé par le stratège prussien, Carl von
Clausewitz. La notion de brouillard s’apparente au flou qui entoure les opérations
militaires y compris celles impliquant le maintien de la paix. Comme le souligne un
fameux adage militaire, aucun plan de bataille ne résiste au contact de l’ennemi. Cela
s’applique aussi aux OMP. Les ambiguïtés entourant la mise sur pied de la FUNU par
l’Assemblée générale plutôt que par le Conseil de sécurité ont créé un brouillard sur le
plan politique (qui détient l’autorité pour créer des OMP ? qui peut contribuer à ces

7
Il s’agit de la Résolution 377 (V) de l’Assemblée générale appelée « Union pour le maintien de la paix »
ou Résolution Acheson. Malgré son nom, la résolution n’a rien à voir avec le maintien de la paix tel qu’il
se développe à partir de la crise de Suez en 1956.
8
Leland M. Goodrich et Gabriella E. Rosner, « The United Nations Emergency Force » (1957) 11:3 Intl
Organization, 413 à la p 418.
9
Ces trois principes restent au centre de la doctrine du maintien de la paix mais l’utilisation minimale de
la force a évolué de la simple auto-défense vers la défense du mandat des missions; Voir Opérations de
maintien de la paix des Nations Unies : Principes et Orientations, New York, Section des meilleures
pratiques de maintien de la paix, Division des politiques, de l’évaluation et de la formation, Département
des opérations de maintien de la paix Secrétariat des Nations Unies, Janvier 2008; La tendance à donner
des mandats « robustes » aux forces de l’ONU à partir de 1999 a mis à rude épreuve la doctrine du
maintien de la paix.
Conseil de sécurité et opérations de maintien de la paix 61

opérations ?), financier (qui doit payer pour ces opérations ?), légal (quel est le statut légal
des troupes déployées par l’ONU ?) et opérationnel (quelles sont les règles d’engagement
s’appliquant aux Casques bleus ?).
Les brouillards politique et financier étant partiellement résolus depuis
longtemps, le chapitre se concentre davantage sur les ambiguïtés légales et
opérationnelles. Avant de passer à ces deux sujets, il est néanmoins nécessaire de
rapidement présenter les solutions politiques et financières qui ont été adoptées pour
permettre au maintien de la paix de fonctionner. Sur le plan politique, le brouillard
entourant la question de savoir qui a l’autorité pour créer une OMP s’est dissipé
relativement rapidement puisqu’après la FUNU, aucune autre opération n’a été mise sur
pied par l’Assemblée générale10. Étant donné les oppositions de principe de la France et
de l’Union soviétique, c’est le Conseil de sécurité qui détient seul l’autorité et la légitimité
pour décider de la création d’une opération de paix. Ces deux membres permanents du
Conseil ont toujours considéré que seul celui-ci avait l’autorité politique pour créer ce
genre d’opération.
L’improvisation entourant la première OMP en Égypte a aussi pour effet
d’entraîner une résistance de certains États membres à son financement. La France,
l’Union soviétique, mais également plusieurs pays en développement (en Amérique latine
en particulier) s’opposent au financement de la FUNU par tous les membres de
l’ONU. La France et l’Union soviétique parce que l’opération n’a pas été créée par le
Conseil de sécurité et les autres pays parce qu’ils ne voulaient pas payer pour un conflit
qui ne les concernait pas. La question du financement des OMP, même si elle reste
sensible, est en partie résolue en 1973 avec la mise sur pied de la FUNU II déployée entre
l’Égypte et Israël. L’Union soviétique, qui faisait de la résistance depuis 1956, accepte
par la Résolution 310111 de l’Assemblée générale du 11 décembre 1973, la création d’un
budget spécial dédié aux OMP. Depuis cette date, il y a deux budgets des Nations Unies :
le budget ordinaire et le budget du maintien de la paix. Ce dernier est généralement plus
important que le budget ordinaire.
En termes légaux, le brouillard concerne le statut des troupes déployées par
l’ONU. Comme la FUNU a été créée par l’Assemblée générale il ne s’agit plus de sécurité
collective. Cela explique les efforts du Secrétaire général et du Secrétariat visant à
clairement distinguer « maintien de la paix » et « imposition de la paix ». Le maintien de
la paix n’étant pas un instrument visant à imposer la paix comme la sécurité collective, le
consentement des parties est absolument nécessaire. En d’autres termes, les Casques bleus
sont des soldats « invités » et leur sécurité repose sur un accord concernant le statut des
forces (status of force agreement) ou sur un protocole d’entente (memorandum of
understanding)12. Le statut des forces permet la liberté de mouvement des troupes de

10
L’Autorité exécutive temporaire des Nations Unies (AETNU) déployée en Nouvelle-Guinée occidentale
en 1962-63 a été autorisée par l’Assemblée générale mais après la signature d’un accord entre l’Indonésie
et les Pays-Bas. L’autorité pour créer cette opération provenait surtout des deux États signataires.
11
Financement de la Force d'urgence des Nations Unies, Rés AG 3101 (XXVIII), Doc off AG NU, 2196e
sess, Doc NU A/RES/3101(XXVIII) (1973).
12
Certaines opérations n’ont pas de statut des forces ou de protocole d’entente formels mais la liberté de
mouvement et la sécurité des casques bleus reste la responsabilité des États hôtes.
62 Hors-série (2021) Revue québécoise de droit international

l’ONU, il identifie les endroits qui leur sont interdits d’accès et il indique quelles sont les
responsabilités de l’État hôte à l’égard de la sécurité du personnel onusien. Le statut des
forces peut toutefois être remis en question par le gouvernement de l’État hôte ou, plus
fréquemment, par divers groupes armés ou par des milices en conflit avec le
gouvernement. Les exemples ne manquent pas où les Casques bleus ont été attaqués par
des groupes armés qui ne respectaient pas l’autorité du gouvernement central ou même
celle des chefs de leurs mouvements. L’Opération des Nations Unies au Congo (ONUC)
de 1960 à 1964 ou la Force de protection des Nations Unies (FORPRONU) en ex-
Yougoslavie de 1992 à 1995 sont deux cas où les soldats de la paix ont été attaqués malgré
le consentement des gouvernements centraux.
Le statut légal des forces de l’ONU repose sur un document datant de 1946 la
Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies13. Ce document, adopté avant
la mise en place des OMP, avait pour but de protéger le personnel onusien déployé dans
certains pays contre d’éventuelles décisions de justice arbitraires qui pouvaient être prises
par les États hôtes à leur encontre. En 1946, l’ONU n’avait que peu de personnel déployé
dans le monde et la majorité était des civils. La Convention était une bonne idée. En
revanche, la décision d’utiliser ce cadre légal pour les Casques bleus de la FUNU en 1956
a eu des répercussions durables. Ainsi, les membres de la FUNU n’étaient soumis qu’à la
juridiction exclusive de leur État respectif en cas d’actes criminels commis en Égypte14. En
d’autres termes, aucun membre de la FUNU n’était assujetti aux tribunaux égyptiens. Cette
immunité des soldats de la paix prend une tournure controversée à partir de 1989 avec le
déploiement de grosses missions multifonctionnelles en Afrique, en Amérique centrale, en
Europe et en Asie du Sud-Est. Ces OMP complexes, qui impliquent souvent plus de
20 000 personnes, civiles et militaires, sont à plusieurs reprises le théâtre d’activités
criminelles et de mauvaises conduites à caractère sexuel de la part du personnel onusien.
Si l’immunité n’est pas synonyme d’impunité, dans la pratique il est difficile de
distinguer les deux concepts. Pourtant, comme le souligne Françoise
Hampson : « L’immunité répond, dans une certaine mesure, à un objectif important, à
savoir permettre à une personne ou une organisation de s’acquitter de ses responsabilités
en toute indépendance. Elle ne doit pas pour autant servir de prétexte à une impunité. »15
Or, les différentes catégories de personnel déployé dans les OMP jouissent de différents
degrés d’immunité à l’égard de l’État hôte. Les fonctionnaires de l’ONU de rang
supérieur et les casques bleus déployés au sein d’un contingent (la plupart du temps un
bataillon) national sont protégés par une immunité absolue à l’égard de la juridiction de
l’État hôte. La plupart des autres personnels comme les observateurs militaires (hors
contingent national) ou les membres de la police civile se voient accorder une immunité
fonctionnelle ou provisoire. Cette dernière immunité protège moins les personnels en

13
Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies, 13 février 1946, 1 RTNU 16 (entrée en
vigueur : 17 septembre 1946)
14
Leland M. Goodrich et Gabriella E. Rosner, « The United Nations Emergency Force » (1957) 11:3 Intl
Organization, à la p 426.
15
Françoise Hampson, « Administration de la justice, État de droit et démocratie : Document de travail sur
la responsabilité du personnel international participant à des opérations de soutien de la paix » (2007),
Commission des droits de l’homme du Conseil économique et social, Document de travail
E/CN.4/Sub.2/2005/42 à la p 9.
Conseil de sécurité et opérations de maintien de la paix 63

théorie, mais elle est souvent difficile à appliquer en pratique. Enfin, dans certaines
grandes opérations multifonctionnelles, les autorités nationales de l’État hôte sont quasi
inexistantes ou le système juridique n’est pas en état de fonctionner. C’est pourquoi
l’impunité sur le terrain n’est pas seulement imputable à l’exercice de l’immunité, mais
aussi à l’absence de système juridique local16.
Enfin, le brouillard opérationnel – qui découle aussi des ambiguïtés
légales – concerne le manque de clarté entourant les règles d’engagement des soldats de
la paix. Ce problème existe depuis la première mission d’interposition de l’ONU en 1956,
mais il s’accentue vers le début des années 2000, avec la mise sur pied d’OMP visant à
protéger les civils. La première OMP à se voir dotée d’un mandat visant la protection des
civils est la Mission des Nations Unies en Sierra Leone (MINUSIL), créée le 22 octobre
1999 par la Résolution 127017. À partir de cette opération, les soldats de l’ONU voient
leurs fonctions évoluer et leurs règles d’engagement se complexifier. Les règles
d’engagement ont pour but d’offrir aux soldats des directives opérationnelles, en
particulier lors des situations exigeant l’utilisation de la force18. L’un des problèmes du
maintien de la paix est que les soldats déployés dans les OMP proviennent de nombreux
pays et que ces derniers n’ont pas tous les mêmes perceptions du rôle que doivent jouer
leurs soldats.
Deux aspects des règles d’engagement affectent négativement l’orientation
éthique des peacekeepers dans les OMP récentes. En premier lieu, ces règles sont par
nature discrétionnaires. Elles n’offrent donc pas aux soldats de la paix une base solide
pour décider d’utiliser ou non la force pour protéger les civils. Ensuite, les règles
d’engagement sont un amalgame d’exigences légales, militaro-opérationnelles et
politiques. Cela signifie que les ambiguïtés des politiques nationales et celles du droit
international à l’égard du maintien de la paix créent de l’incertitude dans l’application des
règles d’engagement des Casques bleus 19 . L’ambivalence des États contributeurs se
caractérise par l’acceptation officielle du mandat de ces missions, mais d’une hésitation
à mettre la vie de leurs soldats en danger pour protéger des civils. Dans la réalité, les
soldats de la paix reçoivent souvent des ordres du commandant de la force et de leur
hiérarchie nationale qui se contredisent20. Ce phénomène de violation de la chaine de
commandement par les États contributeurs n’est pas nouveau, mais il s’accentue dès que
les missions deviennent dangereuses pour les troupes de l’ONU. Le résultat final est
souvent une inaction des Casques bleus face aux violences qui sont faites aux populations
civiles.

16
Hampson, supra 15 note aux pp 10-11.
17
Résolution 1270, Rés CS 1270, Doc off CS NU, 1999, Doc NU S/RES/1270 (1999).
18
Daniel S. Blocq, « The fog of UN Peacekeeping : Ethical Issues Regarding the Use of Force to Protect
Civilians in UN Operations » (2006) 5:3 J of Military Ethics 201 à la p 205.
19
Ibid aux pp 205-206. Selon les Conventions de Genève, les casques bleus sont des non-combattants et
ils sont théoriquement protégés des violences armées. S’ils s’engagent dans des activités militaires
offensives (pour protéger des civils par exemple), ils perdent leur statut de non-combattants.
20
L’habitude prise par les contingents de communiquer avec leurs capitales nationales avant d’accepter les
ordres donnés par le commandant de la force de l’ONU s’appelle le « syndrome de l’appel à la maison »
(phone home syndrome). Cette interférence des États contributeurs dans la chaîne de commandement des
OMP s’est accentuée avec l’adoption des mandats robustes reposant sur le Chapitre VII de la Charte.
64 Hors-série (2021) Revue québécoise de droit international

La naissance improvisée du maintien de la paix en novembre 1956 et sa


création par l’Assemblée générale plutôt que par le Conseil de sécurité l’entourent
donc d’un flou qui menace son efficacité. Or, si les brouillards financier et politique
sont partiellement dissipés, les ambiguïtés entourant le statut légal des Casques bleus
et le manque d’uniformité dans l’application des règles d’engagement continuent
d’influencer négativement le déroulement des OMP. De plus, les changements
géopolitiques depuis les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis avec la
montée en puissance de la Chine et le retour d’une Russie revancharde exercent une
influence sur le développement des missions de maintien de la paix et sur le rôle du
Conseil de sécurité dans la gouvernance globale.

III. Le Conseil de sécurité et les OMP dans un monde


multipolaire
Une des règles non écrites du maintien de la paix pendant la guerre froide
était la non-participation des cinq membres permanents du Conseil de sécurité au
OMP. Cette règle visait à éviter l’implication directe de l’une ou plusieurs des cinq
grandes puissances dans les conflits régionaux. Toutefois, le but véritable était
d’éviter une confrontation directe entre Américains et Soviétiques. Il faut également
noter que les pays du bloc communiste n’ont participé aux OMP qu’à partir de la
FUNU II en 1973 en Égypte avec l’envoi d’une unité logistique polonaise. La fin
pacifique de la guerre froide a mis un terme à cette situation et entraînée l’émergence
de deux phénomènes politiques majeurs : la participation active de la France et du
Royaume-Uni aux OMP et la mise en place d’un monde unipolaire sous la houlette
des États-Unis. Ces deux phénomènes, malgré leur caractère temporaire, ont eu une
influence durable sur l’évolution doctrinale et le déroulement des opérations de
l’ONU.
Avec la fin de la guerre froide, la France et le Royaume-Uni ont profité de
l’assouplissement des règles entourant le maintien de la paix pour s’investir
davantage dans les opérations de l’ONU. Cette participation très active entre 1991 et
1995 – plus de 4000 soldats chacun en ex-Yougoslavie – a pour but de justifier leur
statut de membres permanents au Conseil de sécurité. Statut contesté à l’époque par
certains États comme l’Inde ou le Japon. Au début des années 1990, tandis que la
Chine reste discrète et que la Russie tente de se remettre de l’effondrement de
l’URSS, les puissances occidentales font à peu près ce qu’elles veulent au Conseil de
sécurité. Elles en profitent pour promouvoir un interventionnisme qui bouscule la
souveraineté des États. Cette situation déplait aux gouvernements de nombreux pays
en développement, mais également à la Chine et à la Russie. Le paradoxe est que les
puissances occidentales se retrouvent embourbées dans des opérations qu’elles ont
mises sur pied, mais qu’elles ne contrôlent plus21.

21
À noter que les États-Unis, qui ont rarement accepté de fournir des casques bleus, n’ont déployé que 300
soldats en Macédoine à partir de juillet 1993. C’est le seul cas de déploiement d’un contingent américain
sous commandement étranger dans une mission de l’ONU.
Conseil de sécurité et opérations de maintien de la paix 65

L’investissement massif des Britanniques et des Français dans les OMP


onusiennes prend fin vers 1995 suite aux fiascos que sont la Bosnie, le Rwanda et la
Somalie. Ces opérations multifonctionnelles très ambitieuses, mais aux mandats
impossibles avaient été mises en place à la demande des trois membres permanents
occidentaux (États-Unis, France et Royaume-Uni) du Conseil de sécurité : les
Permanent Three (P3). Or, depuis 1995, le seul membre permanent du Conseil de
sécurité à participer de façon substantielle aux OMP est la Chine22.
L’activisme des Britanniques et des Français à l’ONU du début des
années 1990 est rendu possible par la position dominante des États-Unis dans le
système international. Avec l’effondrement de l’URSS, les Américains se retrouvent
pratiquement seul au sommet de la hiérarchie des États. Certains parleront alors de
structure internationale unipolaire. Cette unipolarité a graduellement été ébranlée par
les États-Unis eux-mêmes à la suite de leurs interventions plus ou moins légales en
Afghanistan et en Irak. Pendant que Washington s’embourbait dans deux conflits
violents, mais de basse intensité, la Chine et la Russie en profitaient pour se renforcer
militairement, mais aussi pour mettre un terme à l’interventionnisme tous azimuts des
Occidentaux. L’abstention de la Chine et de la Russie lors de l’adoption de la
Résolution 197323, le 17 mars 2011, autorisant l’OTAN à intervenir contre le régime de
Mouamar Khaddafi en Libye au nom de la Responsabilité de Protéger (RdP,
Responsibility to Protect ou R2P en anglais), marque un tournant dans la relation entre
les membres permanents du Conseil de sécurité. À partir de cette date, Chine et Russie
utilisent leur veto pour empêcher le P3 d’intervenir en Syrie. Les rééquilibrages de
puissances entre le P3 d’un côté et la Chine et la Russie de l’autre affectent donc le
maintien de la paix et la gouvernance mondiale.
À noter que la RdP a pour origine un rapport préparé en 2001 par la
Commission internationale sur l’Intervention Internationale et la Souveraineté des États
(CIISE) sous l’égide du Canada24. Le rapport traite du lien complexe qui existe entre
les violations des droits de la personne et les principes de non-ingérence et de
souveraineté des États. La RdP insiste sur trois points : 1) Les États ont la responsabilité
de protéger leurs populations contre le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage
ethnique et les crimes contre l’humanité. La RdP ne couvre pas les catastrophes
naturelles ; 2) la communauté internationale a la responsabilité d’aider les États à
s’acquitter de leur responsabilité de protection ; 3) lorsqu’un État n’assure pas la
protection de ses populations, la communauté internationale a la responsabilité de les
protéger. Pour ce faire, elle peut aller jusqu’à l’utilisation de la force en dernier recours.
La RdP origine donc des États occidentaux qui ont tendance à faire primer la sécurité
humaine au détriment de la souveraineté. La référence à la « communauté
internationale » ne facilite pas la désignation des acteurs responsables de son

22
La France maintient toutefois une force de quelques centaines de casques bleus au sein de la Force
intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL) et, à partir de 2013, plusieurs milliers de soldats sous
commandement national au Sahel. Ces troupes assurent le soutien aux OMP déployées au Mali et en
République centrafricaine.
23
Résolution 1973, Rés CS 1973 (2011), Doc off CS NU, 2011, Doc NU S/RES/1973 (2011).
24
Canada, Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des États, La responsabilité
de protéger, Gareth Evans et al, Ottawa, Centre de recherches pour le développement international, 2001.
66 Hors-série (2021) Revue québécoise de droit international

application pratique. Une chose est sûre, la montée en puissance très rapide de la Chine,
le retour musclé de la Russie sur la scène internationale à partir du printemps 2014,
mais aussi le positionnement du Brésil ou de l’Inde vers un plus grand respect de la
souveraineté marque un renversement de la relation entre intervention d’humanité et
non-ingérence. Ce renversement de priorité n’est probablement pas étranger au fait
qu’aucune grosse opération multifonctionnelle n’a été créée depuis la fin de 2013 25.
La Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la
stabilisation en Centrafrique (MINUSCA) - dernière grosse opération en
date - cristallise les tensions entre les cinq membres permanents du Conseil de sécurité
dès 2018. Depuis 2013, près de la moitié des Casques bleus sont déployés dans
d’anciennes possessions ou zones d’influences françaises incluant le Liban. Or, la
MINUSCA a mis à jour deux types de disputes entre les membres permanents du
Conseil de sécurité : puissances occidentales contre Chine et Russie et, plus surprenant,
France contre États-Unis26. Dans le cas de la Russie, elle veut augmenter sa présence
en Centrafrique pour exploiter les ressources de ce pays, mais aussi pour soutenir le
Soudan dans sa quête d’hégémonie régionale, ce qui dérange les Français et les
Américains. En ce qui concerne les États-Unis, ils ne veulent plus payer pour maintenir
la stabilité des anciennes colonies françaises en Afrique. À noter que les tensions entre
les membres permanents du Conseil de sécurité ont toujours affecté le fonctionnement
du maintien de la paix, en particulier pendant la guerre froide 27. Une trêve a permis les
grandes opérations multifonctionnelles des années 1990, mais elle n’a duré qu’une
vingtaine d’années, de 1991 à 2011. Depuis 2011, les tensions se multiplient entre les
grandes puissances et leur impact sur les OMP, s’il n’atteint pas le niveau de la guerre
froide, commence à se faire sentir.
Paradoxalement, ce ne sont pas les divisions entre les membres permanents du
Conseil de sécurité qui affectent l’efficacité des OMP, mais leur entente. Certains
spécialistes soulignent que malgré l’importance des divergences entre les cinq membres
permanents du Conseil de sécurité – au moment d’écrire ces lignes, la Syrie et l’Ukraine
par exemple – depuis 1999, toutes les OMP ont été dotées d’un mandat reposant sur le
Chapitre VII de la Charte. En d’autres termes, avec un tel mandat, les Casques bleus
sont autorisés à utiliser la force. Cette entente entre les membres permanents concernant
l’autorisation d’opérations aux mandats « robustes » découle, selon Howard et Dayal28,
d’une volonté de préserver leur statut et leur légitimité. Pour ce faire, ils résistent aux

25
Au moment d’écrire ces lignes en février 2021.
26
Richard Gowan, « What the U.N. Peacekeeping Mission in CAR Reveals About Security Council
Gridlock », World Politics Review (19 novembre 2018), en ligne :
<www.worldpoliticsreview.com/articles/26785/what-the-u-n-peacekeeping-mission-in-car-reveals-
about-security-council-gridlock>.
27
En octobre 1978, l’URSS a menacé d’utiliser son veto pour empêcher le renouvellement du mandat de
la FUNU II en signe de protestation contre les accords de Camp David entre l’Égypte et Israël auxquels
elle s’opposait. Le Conseil de sécurité plutôt que d’avoir à affronter un veto soviétique laissa le mandat
de la FUNU II expirer le 24 juillet 1979. Comme Israël et l’Égypte souhaitaient le maintien d’une force
d’interposition, une Force Multinationale d’Observateurs (MFO) non onusienne a remplacé la FUNU II
dans le Sinaï à partir du 20 mars 1982.
28
Lise Morjé Howard et Anjali Kaushlesh Dayal, « The Use of Force in UN Peacekeeping » (2018) 72:1
Intl Organization 71.
Conseil de sécurité et opérations de maintien de la paix 67

changements de composition du Conseil de sécurité et ils privilégient une unité de


décision lors de la création des OMP. Si la Chine et la Russie privilégient le respect de
la souveraineté, le consentement des parties et la non-intervention, elles acceptent
néanmoins de faciliter le fonctionnement du Conseil de sécurité au nom de leur statut
de membre permanent. C’est pourquoi, lorsque leurs intérêts nationaux ne sont pas en
jeu, elles acceptent des mandats ambitieux et robustes pour les OMP.
Pour Howard et Dayal29, le processus d’adoption des résolutions du Conseil
de sécurité risque de devenir une fin en soi plutôt qu’un moyen pour gérer les conflits.
Le problème est que les débats sur l’utilisation de la force dans les OMP ne portent pas
à controverse et que l’adoption des mandats reposant sur le Chapitre VII se fait sans
grande difficulté. Cela découle du fait que les membres permanents du Conseil de
sécurité ne sont pas influencés par des pressions internationales ou internes pour
adopter ces mandats robustes. De plus, comme ils ne déploient pas leurs propres soldats,
les coûts associés aux mandats robustes sont indirects30.
À ce propos, Philip Cunliffe considère que ce mécanisme de prise de décision
collectif destiné à déployer des casques bleus est un système de gouvernance qui reflète
les inégalités de l’ordre international 31 . Le processus voulant que la décision de
déployer des soldats de la paix puisse être prise par des acteurs qui ne seront pas eux-
mêmes membres des missions, ouvre la porte aux inégalités de fait entres les États
membres des Nations Unies. Les cinq membres permanents du Conseil de sécurité
décident de l’envoi de soldats qui ne sont pas les leurs dans des OMP robustes qui
mettent potentiellement leur vie en danger. Cela signifie que l’autorité morale pour une
opération de l’ONU est revendiquée par les membres permanents du Conseil de
sécurité, sans qu’ils portent directement la responsabilité des décisions qui sont
appliquées par d’autres sur le terrain. À l’ONU, aucun acteur individuel ne porte la
responsabilité politique et stratégique des OMP. Les incohérences découlant de ce
découplage entre la prise de décision au Conseil de sécurité et la mise en œuvre des
OMP favorisent le développement du brouillard opérationnel décrit plus haut.

***

Le Conseil de sécurité est l’organe exécutif des Nations Unies. C’est lui qui
devait décider de la mise en place des opérations de sécurité collective comme
envisagé dans le Chapitre VII de la Charte en cas de menace à la paix. Ce mécanisme
de maintien de la paix et de la sécurité internationales n’est toutefois jamais mis en
œuvre pour cause de tensions entre les États-Unis et l’Union soviétique après
1945. Entre 1948 et 1956, le personnel du Secrétariat des Nations Unies s’efforce de

29
Ibid à la p 98.
30
Seule la Chine (et dans une moindre mesure la France) déploie un nombre relativement important de
casques bleus dans les OMP.
31
Philip Cunliffe, « The Politics of Global Governance in UN Peacekeeping » (2009) 16:3 International
Peacekeeping 323 à la p 324.
68 Hors-série (2021) Revue québécoise de droit international

développer un outil capable de remplacer la sécurité collective pour gérer les conflits
liés à la décolonisation. Cet outil voit finalement le jour en novembre 1956 avec la
création de la Force d’Urgence des Nations Unies lors de la crise de Suez. Pour la
première fois, l’ONU déploie sur le territoire de l’Égypte des soldats provenant de
différents pays afin de superviser le retrait des forces britanniques, françaises et
israéliennes et de s’interposer entre les armées égyptienne et israélienne.
La présence de la France et de la Grande-Bretagne, deux membres
permanents du Conseil de sécurité avec un droit de veto, dans le conflit oblige alors
l’ONU à faire appel à l’Assemblée générale pour créer cette force de maintien de la
paix. Or, comme l’Assemblée générale ne peut que recommander et non imposer ses
décisions, le maintien de la paix est, dès sa création, soumis à diverses contestations
et entouré d’un brouillard qui affecte son efficacité. Le Conseil de sécurité retrouve
son unité lors de la création des autres OMP, mais il faut plusieurs années avant de
dissiper le brouillard financier qui affaiblit le maintien de la paix. La création d’un
budget du maintien de la paix en 1973 permet de lui assurer une plus grande stabilité
financière et depuis les années 1990, ce budget est supérieur au budget ordinaire des
Nations Unies.
L’évolution du maintien de la paix depuis sa création démontre que le
Secrétariat est flexible et capable de s’adapter. La mise sur pied d’un Département
des opérations de maintien de la paix (DOMP) en 1992 et la publication de textes
visant le développement d’une doctrine pour les Casques bleus comme l’Agenda pour
la paix en 1992 et la Doctrine fondamentale en 2008 en sont deux illustrations. En
revanche, le rôle du Conseil de sécurité dans cette évolution est plus controversé. En
tant que garant de la gouvernance globale, le Conseil de sécurité a une responsabilité
particulière à l’égard du maintien de la paix comme outil de gestion des conflits. Cette
responsabilité concerne les populations civiles et le personnel de l’ONU, civil et en
uniforme, déployé dans les OMP. Or, depuis 1999, le Conseil de sécurité a pris
l’habitude de doter les opérations de paix d’un mandat reposant sur le Chapitre VII
de la Charte. Cela signifie que la différence entre maintien de la paix (peacekeeping)
et imposition de la paix (peace enforcement) a tendance à se dissiper. Ce manque de
clarté dans les fonctions des soldats de la paix remet en question les trois principes
de base du maintien de la paix : consentement des parties, impartialité et utilisation
minimale de la force. Des Casques bleus moins impartiaux et autorisés à utiliser la
force plus fréquemment deviennent des cibles légitimes. D’où un nombre élevé de
pertes dans les OMP comme la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations
Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA).
Les membres permanents du Conseil de sécurité doivent revoir leur approche
consistant à doter les OMP de mandats robustes reposant sur le Chapitre VII de la
Charte s’ils veulent améliorer le maintien de la paix comme outil de gestion des
conflits et de gouvernance globale. Une telle révision devrait permettre de déterminer
quels sont les acteurs les plus efficaces pour gérer les conflits violents. Dans les
régions où il n’y a pas de paix à maintenir, il serait préférable de déployer une force
de paix régionale ou une alliance militaire équipée pour imposer la paix. Les Casques
Conseil de sécurité et opérations de maintien de la paix 69

bleus pourraient ensuite prendre le relais. Comme le soulignent Howard et Dayal 32,
cette fixation du Conseil de sécurité sur l’adoption de mandats robustes ne permet ni
d’assurer la sécurité internationale ni de sauver des vies ou de mettre fin aux guerres
civiles. Une révision des pratiques de l’organe exécutif des Nations Unies est donc
nécessaire pour permettre au maintien de la paix de jouer un rôle positif dans la
gouvernance globale.

32
Howard et Dayal, supra note 28 à la p 100.

Vous aimerez peut-être aussi