Macroéconomie
Macroéconomie
Macroéconomie
Semestre 1 / 2023-2024
2
Table des matières
Pour cette toute première leçon, nous allons expliquer les grandes fonctions et le rôle d’une
banque centrale. Cette leçon constituera une révision pour certains étudiants issus de classes
préparatoires ECG, mais abordera des éléments nouveaux pour les autres. Nous allons d’abord
expliquer quelles sont les missions d’une banque centrale. L’in‡uence de la banque centrale sur
l’o¤re de monnaie et sur les taux d’intérêt sera ensuite détaillée. En…n, nous zoomerons sur le
système européen et la Banque Centrale Européenne (BCE) dont le système de re…nancement
des banques sera présenté.
Actuellement, la majorité des pays dans le monde dispose d’une banque centrale. Elles
exercent globalement les mêmes fonctions. De manière générale, la banque centrale est l’ins-
titution responsable de la garantie de l’ensemble des règlements au sein des systèmes de paie-
ment. Elle est également chargée du contrôle de la masse monétaire. Plus précisément, selon une
dé…nition bien connue1 , une banque centrale est l’autorité publique chargée de :
1. contrôler le …nancement de l’économie en assurant l’émission des billets de banque et
en octroyant des crédits aux banques commerciales dans le cadre de la politique monétaire.
Cela implique notamment le contrôle de la masse monétaire (ou liquidités en circulation)
et la …xation des taux directeurs.
2. surveiller et gérer les systèmes de paiement liés en particulier à la compensation
des chèques et des virements interbancaires.
3. et, dans certains pays, de surveiller la solidité du système bancaire et …nancier.
En résumé, la banque centrale est donc investie d’une triple mission : une mission de mise en
place de la politique monétaire sur laquelle nous allons beaucoup insister au cours de cette leçon
1
Michel Albert, "les banques centrales", communication présentée au colloque Quel avenir pour
les entreprises publiques organisé par l’Académie des sciences morales et politiques. Weblink :
http ://www.amsp.fr/travaux/colloques/entreprisespubl/albert.pdf
1.3.1 préambule
Nous nous concentrons sur la première des trois missions : la politique monétaire. A…n de
mieux présenter la politique monétaire menée par la banque centrale, nous devons commencer
par quelques dé…nitions. Notamment, nous devons dé…nir la monnaie :
L’avantage de la monnaie est qu’elle peut être utilisée pour réaliser des transactions (achat
ou vente). Plus elle est mobilisable rapidement et à moindre coût pour réaliser des transactions
et plus elle est liquide. Son inconvénient est qu’elle ne rapporte pas ou peu d’intérêt. Nous
présentons ici une version restreinte de la masse monétaire (dite M1) où ne sont retenus que les
actifs les plus liquides. Il existe des dé…nitions plus larges de la monnaie (M2 ou M3 par exemple)
qui incluent également des dépôts à terme ou di¤érents instruments négociables Ceux-ci sont
rémunérés, mais, en contrepartie, moins liquides, car pas immédiatement convertibles en espèces.
Une des tâches principales de la banque centrale sera donc de chercher à contrôler la monnaie
en circulation dans l’économie, c’est-à-dire les espèces ou dépôts à vue détenus par des agents
de l’économie (ménages, entreprises, etc.). Comme nous le verrons ensuite, le fait de contrôler
la monnaie permet à la banque centrale d’exercer une certaine in‡uence sur le taux d’in‡ation,
c’est-à-dire sur le taux de croissance des prix des biens et services dans l’économie. Ce contrôle
de l’in‡ation est, bien souvent, l’objectif ultime de la banque centrale. Nous reviendrons sur ce
point lors de la prochaine leçon quand nous étudierons les objectifs de la BCE.
les acteurs
La question qui se pose à présent est : comment la banque centrale fait-elle pour contrôler
la monnaie ? Le contrôle des espèces ne présente pas de di¢ culté majeure : la banque centrale
a le monopole de l’émission de pièces et billets. Elle dispose donc mécaniquement d’un contrôle
absolu sur le montant des espèces en circulation. En revanche, elle ne dispose pas d’un contrôle
total sur les dépôts à vue. Ceux-ci augmentent ou diminuent en fonction des dépôts ou retraits
e¤ectués par les particuliers ou les entreprises auprès de leur banque. La banque centrale ne
peut pas décider de cela à leur place ... Comment fait-elle alors pour avoir tout de même une
incidence sur les dépôts à vue et donc sur l’ensemble des liquidités en circulation ? La réponse à
cette question est via les opérations d’open-market.
Pour comprendre ce que sont les opérations d’open-market, il faut d’abord poser un petit
cadre analytique avec les di¤érents acteurs impactés par les décisions de la banque centrale. Il
y a quatre acteurs-clé de l’économie :
– La banque centrale qui, comme nous l’avons vu, est l’institution responsable de la politique
monétaire.
– Les banques : ce sont des intermédiaires …nanciers appartenant à la catégorie comptable
des Sociétés Financières (SF, cf. supplément 1). Leur fonction principale est de recevoir des
fonds de la part de ménages et d’entreprises (SNF, sociétés non …nancières, cf. supplément
1) et d’utiliser ces fonds pour acheter des titres ou pour accorder des prêts à d’autres
ménages ou entreprises.
– Les déposants : ce sont les agents économiques – essentiellement des ménages et des en-
treprises –qui détiennent des dépôts bancaires.
– Les emprunteurs auprès des banques : ce sont les agents économiques – également des
ménages et des entreprises –qui empruntent de l’argent aux banques.
Par la suite, dans un souci de simplicité, nous n’e¤ectuerons pas de distinction entre les
deux dernières catégories : déposants et emprunteurs. En e¤et, une telle distinction n’est pas
indispensable pour comprendre le rôle des banques dans le processus de transmission des e¤ets
de la politique monétaire. Par ailleurs, déposants et emprunteurs sont souvent les mêmes : un
ménage (ou une entreprise) peut être à la fois déposant et emprunteur.
LA POLITIQUE MONÉTAIRE 9
Bilan d’une banque
Banques
Actif Passif
Réserves (R) DAV (D)
Prêts
Titres
Le passif des banques est constitué de monnaie, sous forme de DAV2 , collectée auprès des
ménages ou des entreprises. Comme nous l’avons déjà dit, en macroéconomie, les DAV sont
considérés comme de la monnaie car ils sont totalement liquides : les agents économiques peuvent
régler leurs transactions en signant des chèques adossés à leurs DAV ou en e¤ectuant des retraits
avec leur carte bancaire. Les DAV constituent un engagement pour la banque : elle est tenue
de fournir ces liquidités à ses déposants si ceux-ci souhaitent les retirer. C’est pour cela que les
DAV sont inscrits au passif de la banque.
Les banques peuvent faire trois utilisations des DAV (inscrites à l’actif). Elles en gardent
une partie en réserve et utilisent le reste pour accorder des prêts et acquérir des titres :
Les réserves des banques (R) : ce sont les sommes détenues par les banques sur leurs
comptes ouverts à la banque centrale. Sachant que les DAV sont totalement liquides, il est
possible que des agents économiques, clients de la banque, décident simultanément de retirer
des liquidités de leur compte. La banque doit leur fournir ces liquidités, mais si elle a utilisé
l’intégralité de ses ressources pour accorder des prêts ou acheter des titres (peu liquides), elle
ne pourra pas le faire immédiatement. Il y a alors un risque de crise de liquidités. Les banques
doivent donc garder des réserves. Il s’agit de réserves de liquidités que les banques détiennent
sur un compte qu’elles ont à la banque centrale et sur lequel elles peuvent retirer des fonds si
elles le souhaitent (ou en cas de besoin). En gardant ces réserves, les banques peuvent donc faire
face au risque de liquidité auxquelles elles sont exposées. Il s’agit du risque que, soudainement,
beaucoup de clients de la banque veuillent retirer de l’argent alors que beaucoup moins veulent
en déposer. La banque piochera alors dans ses réserves, convertibles en billets de banque) pour
fournir les liquidités nécessaires et éviter un mouvement de panique (type Northern Rock ). Il faut
noter, de plus, que même si une banque ne souhaitait pas constituer de réserves (parce qu’elle
estime que le risque de liquidités est faible, voire nul), elle y serait cependant contrainte via des
obligations légales. Il s’agit des réserves obligatoires que les banques sont tenues de déposer
à la banque centrale. Le montant des réserves obligatoires, qui peuvent être rémunérées ou non
selon les pays, est calculé comme un pourcentage des dépôts à vue. Par exemple, aujourd’hui
dans l’Eurosystème, la BCE applique un taux de réserves de 1 % aux DAV3 . Ces réserves sont
par ailleurs rémunérées à un niveau basé sur le taux directeur principal de la BCE. En résumé,
2
Il s’agit ici d’un bilan simpli…é : les banques ont d’autres ressources que les seuls DAV.
3
En pratique, ce taux ne s’applique pas qu’aux seuls DAV, mais également à d’autres comptes rémunérés.
R = RO + RE (1.1)
où RO sont les réserves obligatoires. RE sont les réserves excédentaires que la banque peut
constituer en plus des réserves obligatoires, si elle l’estime nécessaire. En pratique, la banque
peut se contenter des réserves obligatoires que la réglementation lui impose (dans ce cas RE = 0
et R = RO).
Prêts et titres : les banques ont également la capacité à accorder des prêts à des entreprises
ou des ménages et à acquérir des titres. Il est important de bien comprendre la distinction entre
les deux : d’une part, les banques vont distribuer des crédits à la consommation ou immobiliers
aux ménages ou des crédits aux entreprises. La banque peut donc utiliser les liquidités à sa
disposition pour les prêter4 . Elle sait qu’à terme, elle sera remboursée et percevra une rémuné-
ration, mais pas immédiatement. Un prêt est donc peu liquide : la banque ne peut pas forcer son
débiteur à la rembourser immédiatement si elle en a besoin. La banque peut aussi utiliser les
DAV pour aller sur les marchés …nanciers et acheter des titres (actions ou obligations). Ces titres
lui procureront, a priori, une rémunération, mais ils peuvent également être peu liquides. Si la
banque a besoin de liquidités, elle peut décider de revendre ses titres sur les marchés …nanciers,
ce qui peut prendre du temps. Les titres …nanciers sont donc, comme les prêts, imparfaitement
liquides.
Important : vous devez bien comprendre pourquoi réserves, prêts et titres sont inscrits à
l’actif de la banque. Il s’agit d’avoirs pour les banques ou, si vous préférez, d’engagements (donc
de passif) pour les agents économiques qui stockent ces réserves, ont obtenu ces prêts ou ont
émis ces titres. Par exemple, le ménage qui a obtenu un prêt (ou l’entreprise qui a émis un titre
obligataire) voit ce prêt (titre) apparaître à son passif. Il s’agit d’un engagement : le ménage
(l’entreprise) s’engage à rembourser le prêt (le titre). La banque percevra ces rémunérations :
de son point de vue, ces prêts et titres sont un avoir, donc apparaissent à l’actif.
La banque centrale est donc, en quelque sorte, la banque des banques. Chaque banque a un
compte auprès de la banque centrale. Elle peut e¤ectuer des dépôts ou des retraits sur ce compte
si elle le souhaite (tout en respectant le taux de réserves obligatoires requis). Les règlements entre
banques (dits règlements interbancaires) sont réalisés par des virements de compte à compte à
la banque centrale.
Le bilan (très simpli…é) d’une banque centrale est donc le suivant :
4
Elle peut aussi créer ces liquidités en créditant le compte DAV du ménage ou de l’entreprise auquel elle prête
LA POLITIQUE MONÉTAIRE 11
Banque Centrale
Actif Passif
Titres (Tbc ) Réserves des banques (R)
Espèces (E)
Il y a deux postes enregistrés au passif de la banque centrale : les espèces (pièces et billets)
et les réserves des banques (obligatoires + excédentaires). Pour la banque centrale, ces réserves
sont un engagement : les banques peuvent e¤ectuer des retraits sur leurs comptes ouverts à la
banque centrale et la banque centrale doit fournir les espèces correspondant à ces retraits. R
est donc inscrit au passif de la banque centrale. La somme des passifs de la banque centrale
constitue la monnaie banque centrale (Mbc ) :
Mbc = E + R (1.2)
Mbc = E + RO + RE (1.3)
La monnaie banque centrale (aussi appelée base monétaire) est au coeur des mécanismes
de création monétaire et du crédit bancaire. En e¤et, il existe une relation entre la monnaie
(M = D + E) et la base monétaire (R + E). Le rapport entre ces deux grandeurs est appelé
multiplicateur monétaire m. Soit
M =m Mbc (1.4)
Ce coe¢ cient m, dépend d’un certain nombre de facteurs et notamment du taux de réserves
obligatoires. En l’absence de variation du taux de réserves obligatoires, m est relativement stable
et peut-être assimilé à une constante5 . Donc en contrôlant la base monétaire Mbc , c’est-à-dire en
ajustant le volume de la monnaie banque centrale à disposition du système bancaire, la banque
centrale peut exercer un contrôle sur la monnaie M .
La banque centrale doit donc faire varier Mbc pour impacter M . Son principal outil pour cela
prend la forme d’une opération de re…nancement à l’open-market (ou plus simplement opération
d’open-market). Ces opérations d’open-market peuvent prendre di¤érentes formes d’un pays à
l’autre. Nous décrivons ici plus spéci…quement les opérations menées par la BCE dans la zone
Euro. Il s’agit en fait de prises ou de cessions temporaires de créances.
Ainsi, la banque centrale peut décider de re…nancer les banques, c’est-à-dire de leur fournir
des liquidités via des prises en pension. Autrement dit, il s’agit d’un prêt de la banque centrale
5
Pour ceux qui souhaitent approfondir ce point et comprendre comment le multiplicateur monétaire est déter-
miné, vous pouvez vous référer au supplément 2.
1.4 Bilan
Pour e¤ectuer un bilan de cette première leçon, nous avons pour l’instant posé un cadre
purement théorique et présenté :
– les missions d’une banque centrale,
– l’élément principal de la politique monétaire : les opérations d’open-market.
Lors de la leçon suivante, nous mettrons tout cela en pratique pour analyser les décisions de
politique monétaire récentes de la BCE et leur impact sur le système bancaire européen.
BILAN 13
14 LEÇON 1 : LE RÔLE DE LA BANQUE CENTRALE
2. LEÇON 2 : LA BCE, LES TAUX DIREC-
TEURS ET LE MARCHÉ INTERBANCAIRE
Nous allons maintenant passer de la théorie à la pratique. Dans cette deuxième leçon, nous
nous intéressons à la façon dont la politique monétaire est menée concrètement dans la Zone
Euro. Nous allons présenter les trois taux directeurs de la BCE et décrire leur évolution histo-
rique. En particulier, nous nous interrogerons sur les causes et conséquences des taux négatifs
observés actuellement. En…n, nous analyserons l’impact des taux directeurs sur le fonctionne-
ment du marché interbancaire et sur les taux interbancaires.
Comme nous l’avons vu lors de la leçon précédente, la BCE mène donc des opérations d’open-
market de prises ou de cessions temporaires de créances1 . Ces opérations de re…nancement se
font par d’appel d’o¤res et les plus courantes d’entre elles sont à fréquence hebdomadaire :
les opérations principales de re…nancement (MRO, Main Re…nancing Operations). Il s’agit de
prêts de la BCE aux banques pour une durée d’une semaine. Actuellement, ces appels d’o¤re
prennent la forme de prêts à taux …xe (non négociable) : ce taux est le taux principal de
re…nancement (ou taux "re…") qui est le principal taux directeur de la BCE. Comme nous
l’avons déjà dit, ces prêts sont accompagnés d’une garantie pour la BCE (prise en pension de
titres).
Exemple : Lors d’une opération hebdomadaire de re…nancement, supposons que la BCE
annonce qu’elle o¤re 600 millions d’euros. Il s’agit d’un prêt aux banques de la zone Euro pour
une semaine. Le taux de ce prêt est le taux principal de re…nancement, il est …xé à 4,25%
depuis Août 2023 (en forte hausse depuis un peu plus d’un an). Cela signi…e qu’une banque qui
1
En fait, la BCE ne fait pas que prêter des liquidités. Elle peut également acheter ou vendre des titres. Si
elle achète (vend) des titres, elle le fait en injectant (retirant) des liquidités : c’est donc une politique monétaire
expansionniste (restrictive). Il s’agit là d’opérations de cessions dé…nitives. Par exemple, le Quantitative Easing
a consisté en des achats fermes de titres.
En plus du taux "re…", la BCE met en place des facilités permanentes. Ce sont des opérations
e¤ectuées hors du cadre des appels d’o¤re des opérations principales de re…nancement. Elles sont
faites à la demande des banques qui :
– ont un besoin de …nancement urgent. Elles peuvent alors emprunter auprès de la BCE
au taux de facilité d’emprunt, nommé taux de prêt marginal dans la zone Euro. Il s’agit
d’un taux au jour-le-jour (applicable d’un jour ouvrable au suivant) à la di¤érence du taux
re… dont la durée est d’une semaine. Il est aujourd’hui (i.e., en Août 2023) …xé à 4,50%. Il
est un peu plus élevé que le taux re… : c’est le prix à payer pour les banques pour accéder
à des …nancements hors du cadre des appels d’o¤res, lorsqu’elles ont un besoin immédiat
de cash.
– souhaitent déposer des liquidités à la BCE. Elles peuvent déposer sur leur compte de
facilités de dépôts à la BCE3 . Elles seront rémunérées au taux de facilité de dépôt.
Il s’agit également d’un taux au jour-le-jour. Ce taux est, depuis 2022, aussi le taux de
rémunération des réserves obligatoires (RO, cf. leçon précédente). Ce taux de facilité de
dépôt a¤ecte également la rémunération des réserves excédentaires (RE, cf. leçon précé-
dente) de la banque. En e¤et, une partie de ces réserves n’est pas rémunérée (0%) et le
reste est rémunéré au taux de facilité de depôt. Ce taux est depuis Août 2023 …xé à 3,75%
(il était égal à -0,5% en 2021, taux fortement désincitatif pour les banques). Il est bien
évidemment inférieur au taux re… puisqu’il s’agit d’un prêt et non d’un emprunt de la part
des banques.
Les deux taux de facilité encadrent donc le taux principal de re…nancement
Taux de Facilité de Dépôt < Taux REFI < Taux de Prêt Marginal
2
Le système n’a pas toujours fonctionné ainsi. Auparavant, les banques répondaient à l’appel d’o¤res en
proposant un montant et un taux (supérieur à un taux minimum de soumission …xé par la BCE). La banque
ayant proposé le taux le plus élevé était la première servie, puis celle ayant proposé le deuxième taux le plus élevé,
etc... dans la limite du montant global o¤ert.
3
Plus précisément, la BCE fait la di¤érence entre les facilités de dépôts (remunérées au taux de facilités de
dépôts) et les réserves excédentaires dont une partie n’est, depuis 2019 (6 fois le montant des réserves obligatoires,
Tiering ), pas rémunérée et le reste est rémunéré au taux de facilité de dépôt. Pour simpli…er ici, nous n’insistons
pas sur cette di¤érence facilités de dépôts / réserves excédentaires (peu commune hors de la Zone Euro).
Les banques sont donc un acteur dominant du marché des TCN. Le marché interbancaire
est ainsi une composante majeure du marché monétaire.
Le marché interbancaire est donc le lieu où les banques qui disposent de réserves excédentaires
vont les prêter à celles qui sont en situation de dé…cit. Elles gèrent leur trésorerie en prêtant
ou empruntant des liquidités (en l’occurrence de la monnaie banque centrale, Mbc , cf. leçon
1). Cependant, les banques centrales sont également un acteur central du marché interbancaire.
Elles interviennent sur le marché interbancaire via les opérations d’open-market dont nous avons
parlé précédemment. En injectant ou retirant des liquidités, la banque centrale va donc agir sur
les comptes de réserves R des banques et donc exercer une in‡uence sur les taux auxquels les
banques s’échangent leurs liquidités, c’est-à-dire les taux interbancaires.
Lorsque deux banques s’échangent des liquidités (CDN ou emprunt en blanc), elles négocient
entre elles le taux correspondant à la transaction. Ces taux sont donc le fruit d’une négocia-
tion bilatérale. Chaque jour, un grand nombre d’opérations interbancaires ou entre banques et
d’autres acteurs sur le marché monétaire sont réalisées et il y a autant de taux négociés. Il
nous faut donc un indice (une moyenne de taux) pour résumer l’ensemble de cette information.
Les principaux indices re‡étant la valeur d’un taux monétaire à un jour donné sont l’eSTR,
l’EONIA et l’EURIBOR5 .
5
Notons que suite aux manipulations de l’EURIBOR et au scandale qui en a découlé, les autorités européennes
(la Commission Européenne sur la base de calculs faits par l’European Money Market Institute, EMMI ) ont décidé
de réformer le mode de calcul de l’EURIBOR. Le successeur de ces indices monétaires - qui conservera le nom
d’EURIBOR, l’EONIA étant amené à disparaître dé…nitivement - devra re‡éter les transactions interbancaires
réelles plutôt que les déclarations faites par les banques. La disparition de l’EURIBOR et l’EONIA dans leur forme
actuelle devait être dé…nitive en 2020, mais a béné…cié d’un report de deux ans de la Commission Européenne.
Maintenant que les taux directeurs et monétaires sont présentés, analysons leur évolution
récente dans la zone Euro. La …gure 2-1 présente l’évolution quotidienne des 3 taux directeurs
de la BCE et du taux EONIA depuis le 1er Janvier 2012 jusqu’au 3 Septembre 2021.
Que remarquons-nous sur cette …gure ? Tout d’abord, le taux EONIA est encadré par les
deux taux de facilité :
2.4.2 retour dans le passé : pourquoi des taux négatifs ces dernières années ?
Cette dernière remarque nous permet de rebondir sur un élément qui peut surprendre :
certains taux étaient négatifs il y a moins de 2 ans ! Comme nous l’avons dit le taux de facilité
6
Alors même que l’EONIA correspond à des prêts "en blanc" sans garantie (ce qui n’est pas le cas du taux
principal de re…nancement), donc plus risqués et donc, en théorie, plus chers ...
7
Depuis 2017, l’encours des réserves excédentaires est supérieur à 600 milliards d’euros dans la zone Euro alors
qu’il était encore nul en 2010 avant l’explosion de la crise de la dette en Europe.
de dépôt était égal à -0,5% jusque récemment et l’eSTR était égal à -0,083% en Septembre
2022. Une institution qui prêtait un certain montant (disons 50 millions d’euros) à une banque
récupérerait un peu moins de 50 million d’euros le lendemain. Qu’est-ce qui peut expliquer cela ?
Si l’on devait reposer la question de manière triviale (et un peu incorrecte ...), cela donnerait
"pourquoi accepter de prêter si c’est pour perdre de l’argent ?"
L’une des explications se trouve dans les décisions de politique monétaire de la BCE. Depuis
mars 2013, le taux d’in‡ation de la zone Euro8 était souvent inférieur à 2%9 , cible dé…nie
par la BCE pour dé…nir la stabilité des prix. La BCE a donc décidé de mener des politiques
monétaires expansionnistes pour remédier à cela : elle pris la décision de …xer un taux négatif
sur les facilités de dépôts a…n de revenir vers cette cible de 2%. Un taux négatif de rémunération
des dépôts devrait inciter les banques à ne pas garder de réserves excédentaires et à utiliser
ces liquidités pour, par exemple, distribuer du crédit aux ménages ou aux entreprises. Cela
devrait donc contribuer à relancer les dépenses des ménages (consommation) et des entreprises
(investissement) et donc pousser les prix vers le haut. Comme nous le verrons par la suite, le
succès de cette politique de la BCE est tout relatif : les réserves excédentaires ont explosé, preuve
que les banques préfèraient garder des liquidités (même rémunérées à un taux négatif) plutôt
8
Cf. le supplément 1 pour une étude de l’évolution de l’in‡ation.
9
Même si l’in‡ation est maintenant à des niveaux situés entre 5% et 10% dans la zone Euro ces derniers
trimestres ...
2.5 Bilan
BILAN 23
24 LEÇON 2 : LA BCE, LES TAUX DIRECTEURS ET LE MARCHÉ INTERBANCAIRE
3. LEÇON 3 : MACROÉCONOMIE FINAN-
CIÈRE : LES OBLIGATIONS
Cette leçon a pour objectif de poursuivre ce qui a été commencé dans la leçon précédente et
d’a¢ ner notre analyse du rôle des marchés …nanciers en macroéconomie. Nous nous focalisons
à présent sur le rôle des décisions de politique monétaire dans le fonctionnement des marchés
…nanciers et, en particulier, dans la détermination des actifs …nanciers. Dans les leçons précé-
dentes, nous sommes concentrés sur la politique monétaire et, notamment, sur la manière dont
la Banque Centrale prête des liquidités à court terme aux banques. Nous élargissons à présent
notre horizon pour analyser l’arbitrage entre obligations de di¤érentes maturités et dé…nir la
courbe des taux. Nous explorerons les implications de ces arbitrages sur l’évolution du prix
des actifs en nous focalisant sur le rôle des anticipations. In …ne, nous aboutirons à une vision
macroéconomique des marchés …nanciers qui sera poursuivie dans la leçon suivante avec l’analyse
de l’arbitrage entre actions et obligations.
Dé…nition : Une obligation est un titre de dette. Le prêteur (l’acheteur de l’obligation, c’est-
à-dire l’investisseur) met des fonds à disposition de l’emprunteur (l’émetteur de l’obligation).
En contrepartie, l’emprunteur s’engage envers le prêteur : cet engagement prévoit un échéancier
de ‡ux …nanciers qui dé…nit les modalités de remboursement de ces fonds.
Il est capital de noter que le prix d’une obligation dépendra de plusieurs facteurs et tout
particulièrement du risque de signature (ou risque de défaut). Le risque de signature
est le risque que l’émetteur de l’obligation ne soit pas en mesure d’honorer ses engagements
(qu’il ne puisse payer les 1000e dans 2 ans dans le cas de l’exemple 1). Plus le risque de
signature est élevé et plus a priori le prix de l’obligation sera faible. En général, on considère
que le risque de signature est plus important quand l’émetteur est une …rme (on parle alors
d’obligation d’entreprise, ou corporate bond en anglais) que si l’émetteur est un Etat (on parle
alors d’obligation publique ou souveraine, sovereign bond en anglais).
Prenons l’exemple de deux obligations obligations à zéro coupon à un an. Le versement dans
un an est égal à 1000e1 . La seule di¤érence est que la première obligation est notée AAA par
Standard and Poor’s (S&P estime que l’entreprise qui a émis cette obligation est très …able : le
risque de défaut est quasi nul). La seconde obligation est émise par une entreprise moins sûre et
est notée BBB (risque de défaut moyen). Soit PtAAA le prix de la première obligation à la date
t et PtBBB le prix de la seconde obligation à la date t. Compte tenu du risque accru de défaut
pour l’obligation BBB, les investisseurs sont prêts à payer plus cher la première obligation :
1000
1 + iAAA
t = pour l’obligation AAA (3.2)
PtAAA
1000
1 + iBBB
t = pour l’obligation BBB (3.3)
PtBBB
1
La maturité étant d’un an, le titre peut être assimilé à un TCN (cf. leçon 2) plutôt qu’à une obligation. Par
souci de simplicité, nous utilisons tout de même le terme d’obligation.
Il s’agit d’une formule d’actualisation classique. Ce taux d’intérêt iot est également appelé taux
de rendement interne (yield to maturity) : c’est sur ce taux que la presse …nancière et les
marchés évalueront la rentabilité de l’obligation. Comme nous connaissons Pto (c’est le prix
d’achat : il est observé sur les marchés), nous pouvons utiliser la formule (3.4) pour déterminer
iot . Il est facile de voir qu’il y a une relation négative entre Pto et iot . Plus le risque de défaut
d’une obligation est élevé et plus son prix d’achat Pto sera bas et donc plus le taux d’intérêt
associé à cette obligation iot sera élevé. Les obligations peu sûres doivent o¤rir des rentabilités
plus élevées pour compenser le risque de défaut. La prime de risque que nous avions identi…ée
pour les obligations zéro coupon se retrouve facilement pour les obligations avec coupon.
Comme nous venons de l’expliquer, des obligations de di¤érentes maturités ont chacune un
prix et un taux d’intérêt associé. A un instant t, il est possible de construire une relation entre
taux d’intérêt et maturité. Cette relation est appelée courbe des taux, ou structure par
terme des taux d’intérêts.
La …gure 3-1 ci-dessous représente la structure par terme des taux d’intérêts sur les obliga-
tions publiques françaises2 le 9 Août 2023. Notons que la courbe des taux est asez plate (les
taux courts sont même un peu plus élevés que les taux longs) : le taux à 1 mois est de 3; 6370%
alors que le taux à trente ans est de 3; 4640%. Notons que ces taux sont obtenus en utilisant
la formule (3.4). Ces taux sont relativement élevés : ils ont fortement augmenté au cours des
derniers trimestres. Ainsi, il y a deux ans (i.e., en Septembre 2021), toute la courbe des taux
était négative, à l’exception des taux à 30 ans !...
2
Plus précisément, ce graphique donne les taux des Bons du Trésor (maturité inférieure à deux ans) et des
OAT - Obligations Assimilables du Trésor- (maturité supérieure ou égale à deux ans).
Qu’est-ce que la courbe des taux révèle sur les anticipations sur les marchés …nanciers ? Pour
répondre à cette question, nous procéderons en deux étapes. Tout d’abord, nous regarderons la
relation entre le prix des obligations à di¤érentes maturités. Ensuite, nous analyserons la relation
entre les taux des obligations de di¤érentes maturités et nous chercherons les déterminants de
la forme de la courbe des taux.
Considérons deux obligations3 : une à maturité d’un an qui donne droit à un paiement de
1000 euros dans un an ; une à maturité deux ans qui donne droit à un paiement de 1000 euros
dans deux ans. Pour simpli…er notre raisonnement, nous avons choisi des obligations zéro coupon.
Soit P1t et P2t leurs cours respectifs à la date t. On suppose que les 2 obligations ont le même
risque de signature. Par exemple, elles sont toutes deux notées AAA.
Soit it le taux d’intérêt annuel aujourd’hui (à la date t) d’une obligation à un an. Le prix de
3
Là encore, en toute rigueur, lorsque la maturité est d’un an, nous devrions parler de TCN plutôt que d’obli-
gation ...
1000
P1t = (3.5)
(1 + it )
Le prix d’une obligation dont la maturité est deux ans est la valeur présente de 1000e dans
deux ans soit :
1000
P2t = (3.6)
(1 + i2t )2
où i2t est le taux d’intérêt annuel aujourd’hui (à la date t) d’une obligation de maturité deux
ans. Le terme 1= (1 + i2t )2 est le facteur d’escompte à 2 ans.
Supposons que vous soyez un investisseur et que vous ayez le choix entre ces deux obligations :
une obligation à un an et une obligation à deux ans. Supposons de plus que vous vous intéressiez
au montant de votre patrimoine dans 2 ans. Autrement dit, votre horizon d’investissement est
de 2 ans. Comment arbitrer (choisir) entre les deux obligations disponibles ? Vous
avez deux stratégies :
– Vous investissez dans une obligation à un an. Pour chaque euro placé dans les obligations
à un an, vous recevez (1 + it ) euros l’an prochain. Puis vous réinvestissez ces (1 + it ) euros
dans un an dans une nouvelle obligation à un an. Le prix anticipé de cette obligation est
a
P1t+1 = 1000=iat+1 , où iat+1 est le taux d’intérêt nominal dans un an –anticipé aujourd’hui
– d’une obligation de maturité un an. Sur l’ensemble des deux années, pour chaque euro
placé, vous recevez (1 + it ) 1 + iat+1 euros.
– Vous investissez dans une obligation à deux ans et vous recevez (1 + i2t )2 euros dans deux
ans.
Année t Année t + 2
Obligation à un an 1 euro =) =) =) 1 (1 + it ) 1 + iat+1 euros
Nous ne sommes pas les seuls à investir sur les marchés …nanciers et à arbitrer entre ces deux
obligations. Un grand nombre d’autres investisseurs, préoccupés par le rendement4 de leur actif,
arbitrent entre ces deux obligations. En conséquence, il faut que les deux obligations o¤ rent les
4
Il s’agit d’une hypothèse simpli…catrice : la question de la prime de liquidité est, pour le moment, mise de
côté. Nous nous appuyons ici sur la théorie des anticipations (Expectations Theory ) pour déduire la structure par
terme des taux. Nous n’utilisons pas la théorie de la prime de liquidité (Liquidity Premium Theory ).
C’est une relation d’arbitrage entre les deux obligations. A…n de mieux comprendre pourquoi,
supposons que cette condition ne soit pas véri…ée. Supposons par exemple que le rendement
anticipé des obligations à un an soit plus élevé que celui des obligations à deux ans. Cela signi…e
que (1 + it ) 1 + iat+1 > (1 + i2t )2 . Personne ne voudra acheter d’obligations à deux ans : le prix
P2t va baisser et du coup le rendement (1 + i2t )2 de l’obligation à deux ans va augmenter jusqu’à
rétablir l’égalité avec l’obligation à un an. De même, si on avait (1 + it ) 1 + iat+1 < (1 + i2t )2 ,
les investisseurs se détourneraient des obligations à un an, le prix P1t baisserait et donc it
augmenterait, rétablissant ainsi l’égalité (3.7).
Nous avons obtenu la relation exacte entre les taux anticipés et courants à un an et le taux
à deux ans, cf. équation (3.7). Une approximation simple de cette relation d’arbitrage donne :
1
i2t it + iat+1 (3.8)
2
L’équation (3.8) est intuitive : le taux à deux ans est approximativement égal la moyenne
des taux à un an courant et anticipé.
Il est facile de montrer que le principe d’arbitrage s’étend à des obligations de maturité plus
éloignée :
(1 + int )n = (1 + it ) 1 + iat+1 ::: 1 + iat+n 1 (3.9)
où int le taux d’intérêt aujourd’hui d’une obligation de maturité n années. Une approximation
de (3.9) montre que int est très proche de la moyenne pondérée des taux courant et anticipés
sur des obligations à un an pendant les (n 1) prochaines années :
1
int it + iat+1 + ::: + iat+n 1 , n = 1,2,3,... (3.10)
n
L’ensemble des taux it , i2t , ...,int , ... sont ceux montrés dans la courbe des taux de la …gure 3-
1. Les relations (3.10) nous donnent la clé de l’interprétation de la courbe des taux. Une courbe
des taux croissante signi…e que les acteurs sur les marchés …nanciers anticipent une
hausse des taux d’intérêts à court terme dans le futur : par exemple, ils anticipent
que it < iat+1 < ::: < iat+n 1. En conséquence, it < i2t < ::: < int . Une courbe décroissante
signi…e qu’ils anticipent une baisse des taux.
Revenons à la …gure 3-1 a…n d’éclairer notre propos : la courbe des taux des obligations
publiques françaises en Août 2023. Compte tenu de son pro…l, on peut en déduire ce qu’anticipent
En Août 2023, it (le taux à un an) est de 3; 5740%. Le taux à deux ans est de 3; 1769%. Le
taux anticipé à un an en Août 2024 est donc égal à :
soit nettement en dessous du taux en vigueur en Août 2023. Les marchés anticipent donc une
baisse des taux d’ici un an ! !...
E¤ectuons à présent le lien entre cette leçon et les leçons 1 et 2 portant sur la politique
monétaire. Comme nous l’avons vu, la banque centrale a un impact sur les taux courts (que nous
assimilerons ici, par souci de simplicité, au taux à un an5 it ). Suite à une politique monétaire
expansionniste, le taux d’intérêt it doit baisser. Suite à une politique monétaire restrictive, il doit
augmenter. Supposons que la banque centrale décide d’un changement de politique monétaire
(expansion ou restriction) et supposons également que ce changement n’ait pas été préalablement
anticipé par les marchés6 : les marchés …nanciers vont chercher à déterminer si ce changement de
politique monétaire est durable ou non. Supposons que la banque centrale décide d’une politique
monétaire expansionniste (it #), mais que les marchés …nanciers anticipent que cette mesure ne
sera que transitoire (iat+1 , ..., iat+n 1 ne changent pas), alors les taux longs int se seront que très
peu a¤ectés par ce changement de politique monétaire (cf. équation 3.10 : int est une moyenne
pondérée des taux it , iat+1 , ..., iat+n 1, etc., il variera donc moins que it ). En conséquence, la
pente de la courbe de taux va s’accentuer : it va baisser fortement, i2t va baisser mais moins
fortement, ..., int va baisser moins fortement encore.
Au contraire, si les marchés anticipent que l’expansion monétaire décidée par la banque
centrale est durable, alors l’ensemble des taux courant et anticipés vont baisser (it #, iat+1 #, ...,
iat+n 1 #) et donc l’ensemble de la courbe de taux va être a¤ectée à la baisse, sans nécessairement
a¤ecter sa pente.
Si nous revenons à la …gure 3-1, à votre avis, qu’est-ce qu’elle nous apprend sur les futures
décisions de politique monétaire de la BCE ?
5
En fait, comme nous l’avons vu lors de la leçon 2, la politique monétaire agit principalement sur des taux
beaucoup plus courts : journaliers ou hebdomadaires.
6
Si le changement avait été anticipé préalablement, alors rien ne se passe : les taux d’intérêt it , iat+1 , iat+2 , ...
prennent déjà ce changement en compte.
Cette dernière leçon vient compléter la précédente. Après avoir étudié l’arbitrage entre obli-
gation courtes et obligations longues et en avoir déduit la courbe de taux, nous ajoutons ici
un nouvel actif : les actions. Plus précisément, nous allons procéder à l’analyse de l’arbitrage
entre actions et obligations. Nous allons étudier la détermination du prix d’une action (de la
même façon que nous avons étudié la détermination du prix d’une obligation). Puis, nous nous
intéresserons à la façon dont la capitalisation boursière des sociétés réagit à l’activité économique
et notamment aux modi…cations de politique monétaire.
Nous nous sommes jusqu’à présent intéressés aux seules obligations. Elles constituent, en
e¤et, une source de …nancement importante pour les entreprises (et plus encore pour les gouver-
nements). Cependant, la gamme de sources de …nancement d’une entreprise est large :
– l’auto…nancement : les investissement de l’entreprise sont …nancés avec les pro…ts précé-
demment réalisés,
– l’endettement :
– l’émission d’actions.
Dé…nition : Une action est une part des capitaux propres d’une entreprise. Le détenteur
d’une action détient donc une "part de l’entreprise".
A la di¤érence d’une obligation ou d’un crédit, une action n’est pas un titre de dette :
l’entreprise qui émet une action ne s’engage pas à verser dans le futur des montants prédéterminés
comme pour une obligation ; les actions donnent droit à des dividendes, prélevés sur les pro…ts,
pour un montant déterminé à chaque exercice. Plus les pro…ts de l’entreprise sont élevés et plus
les dividendes le sont en général. En cas de mauvais résultats de l’entreprise pour un exercice
comptable, les actionnaires peuvent ne recevoir aucun dividende. Au contraire, dans le cas d’une
obligation ou d’un crédit, que les résultats comptables soient bons ou non, l’entreprise doit
honorer ses engagements et rembourser ses créanciers.
La …gure 4-1 donne l’évolution du CAC 40. Cet indice boursier retrace l’évolution du cours
des actions des 40 plus grandes entreprises françaises. Cet indice est quotidiennement commenté
dans les médias et la presse spécialisée. Comme nous pouvons le voir, après une période de relative
constance au début des années 1990, l’indice croît très rapidement ensuite jusqu’à l’explosion
de la bulle internet au début des années 2000. Sa croissance est ensuite de nouveau interrompue
par la crise des subprime en 2007/2008 : son évolution est très erratique ensuite. On observe, en
Mars 2020, l’impact (très limité) de la crise COVID.
L’étude de la …gure 4-1 pose plusieurs questions auxquelles nous allons tenter de répondre
dans cette leçon :
– Qu’est-ce qui explique de telles variations des performances des marchés …nanciers au cours
du temps ?
– Plus généralement, comment les cours des actions répondent-ils aux variations de l’envi-
ronnement macroéconomique ?
Quel est le déterminant du prix d’une action ? Lorsqu’un investisseur achète une action, il
sait que cet achat lui permettra de béné…cier d’éventuels dividendes dans le futur. Plus il est
convaincu de la bonne santé …nancière de l’entreprise, plus il anticipe des pro…ts et donc des
dividendes élevés et plus il est prêt à accepter un prix élevé pour l’action. Compte tenu des acquis
des précédentes leçons, cela montre que la valeur des actions est égale à la valeur actualisée
anticipée des dividendes futurs.
Soit At , le prix de l’action, dt le dividende par action versé à la date t, dat+1 , le dividende par
action anticipé pour l’année t + 1, dat+2 , le dividende par action anticipé pour dans deux ans, etc.
Nous supposons ici que si l’investisseur achète une action au prix At à la date t, il commence à
percevoir des dividendes à partir de l’année suivante1 (t + 1). Le prix de l’action est égal à :
où it , i2t , i3t , etc. sont les taux d’intérêt d’obligations de maturité 1; 2; 3 années déjà dé…nis
dans la leçon 3.
Hypothèse (forte) : Dans la formule (4.1), nous avons posé l’hypothèse que l’investisseur
actualise avec des taux d’intérêt obligataires. Nous supposons donc qu’au moment de décider à
quel prix il est prêt à acheter une action, l’investisseur compare le rendement (anticipé) de l’action
avec le rendement d’obligations. Nous montrerons plus bas qu’une telle hypothèse implique
mécaniquement l’égalité entre rendement en action et en obligation.
Le prix de l’action est égal à la valeur actuelle anticipée des dividendes futurs. Plus les
dividendes anticipés sont élevés et plus le prix de l’action est élevé. Par ailleurs, plus les taux
d’intérêt sont élevés et plus le prix des actions est bas. Pour comprendre ce résultat, il faut se
référer à la leçon 3 (équation 3.2). Plus le taux d’intérêt d’une obligation est élevé et plus son
prix est faible. Lorsque les taux d’intérêt sont élevés, le marché obligataire devient donc plus
attractif pour les investisseurs : pour garantir l’équilibre, le marché en actions doit donc baisser
également. Ceci explique la relation négative entre taux d’intérêt obligataires et prix de l’action.
Notons que l’équation (4.1) n’a pas de limite d’horizon. Cela est dû au fait qu’à la di¤érence
d’une obligation, une action n’a pas de maturité. Une fois achetée, elle vous procure des divi-
dendes tout au long de la vie de l’entreprise. Cependant l’équation (4.1) peut être réexprimée
dans le cas d’un investisseur ayant un horizon d’investissement …ni. Fixons par exemple l’horizon
d’investissement à un an. Cela signi…e que l’investisseur achète l’action l’année t en prévoyant
de la revendre en t + 1. Dans ce cas, nous avons :
dat+1 Aat+1
At = + (4.2)
(1 + it ) (1 + it )
1
Autrement dit, les dividendes pour l’année courante t ont déjà été versés avant qu’il n’achète.
dat+2 dat+3
Aat+1 = + + ::: (4.3)
1 + iat+1 1 + iat+1 1 + iat+2
en utilisant les formules d’arbitrage (3.7), (3.9) de la leçon 3, il est facile de montrer que la
combinaison des équations (4.2) et (4.3)
Considérons un investisseur qui doit choisir entre des obligations à un an et des actions à la
date t. Supposons également que son horizon d’investissement soit un an. S’il choisit de détenir
des obligations à un an, pour chaque euro investi à la date t, il reçoit (1 + it ) l’an prochain
(cf. leçon 3). S’il choisit de détenir des actions, pour chaque euro investi à la date t, il reçoit
dt+1 + Aat+1 =At . Pour comprendre ce résultat, le raisonnement est le suivant : pour chaque
euro investi à la date t,
– il peut acheter 1=At actions ;
– pour chaque action achetée, il reçoit un an plus tard dat+1 + Aat+1 ;
– comme il a acheté initialement 1=At actions, il reçoit un an plus tard dat+1 + Aat+1 =At .
Or, l’équation (4.2) montre que ces deux rendements sont égaux
dat+1 + Aat+1
= 1 + it (4.6)
At
L’équation (4.6) stipule l’égalité du rendement en actions dat+1 + Aat+1 =At et du rendement
en obligations (1 + it ). C’est le principe d’arbitrage entre actions et obligations. Si cette
égalité n’était pas véri…ée, les investisseurs ne se reporteraient que sur le marché le plus rentable
et l’autre n’existerait pas.
Les mouvements des cours boursiers sont largement imprévisibles. Cela peut s’expliquer par
l’arbitrage entre actions et obligations que nous venons d’aborder. Supposons que les investisseurs
anticipent une forte hausse du cours des actions à l’horizon d’un an (Aat+1 "). Les actions
deviennent alors plus attractives que les obligations de court terme dont le rendement est stable
(it stable). Il y aura donc une forte demande d’actions, et le prix des actions va s’élever dès
aujourd’hui (At ") jusqu’au point où le rendement anticipé des actions se réalignera sur le
rendement anticipé des obligations (l’équation (4.6) doit rester véri…ée). En d’autres termes,
l’anticipation de hausse des prix des actions va conduire à une hausse du prix des actions
aujourd’hui. C’est le caractère autoréalisateur des mouvements boursiers.
Plus généralement quel est l’impact de l’environnement économique sur le marché boursier ?
Autrement dit, quel est le lien entre les variables fondamentales macroéconomiques (PIB, chô-
mage) et les marchés boursiers ? Une période illustre particulièrement bien ce lien. En e¤et,
aux Etats-Unis, entre 1995 et 2000, l’économie américaine connait des performances macroéco-
nomiques exceptionnelles : accélération de la croissance de 2,7% en 1995 à 5% en 2000, avec
de surcroît des taux de chômage relativement bas sur cette période. De nombreux économistes
considèrent cette phase de prospérité comme ayant joué un rôle crucial dans l’envolée des prix
d’actifs …nanciers. Pour le comprendre, il faut s’intéresser à la richesse des agents économiques.
Cette richesse détermine les décisions de consommation, d’investissement et de demande de
monnaie. En e¤et, la richesse des ménages est notamment composée d’actions et d’obligations.
Ainsi, les taux d’intérêt in‡uencent les décisions des ménages. Les choix de consommation des
ménages dépendent du taux d’intérêt. Lorsque celui-ci augmente, les valeurs des obligations (cf.
leçon 3) et des actions (cf. leçon 4) vont baisser, cela réduit la richesse des ménages qui vont,
par voie de conséquence, moins consommer.
Supposons que pour des raisons irrationnelles, les ménages adoptent un comportement eu-
phorique sur les revenus attendus des actifs …nanciers. Les agents se mettent à anticiper des
gains futurs extrêmement élevés : cela revient à supposer une croissance des dividendes futurs
anticipés. Les anticipations positives de gains futurs accroissent la richesse future anticipée des
ménages et donc leur consommation courante. Cette hausse de la consommation impacte posi-
tivement le PIB.
Qu’en est-il du prix des actions ? Intuitivement si les dividendes anticipés augmentent, cela
doit faire progresser la valeur des actions (cf. équation 4.1). Au total, une anticipation de la
croissance des dividendes futurs est compatible avec une phase de croissance du PIB et simul-
tanément une hausse des cours boursiers.
Quels sont les e¤ets d’une modi…cation de politique monétaire sur le cours des actions ? Sup-
posons, comme dans la précédente leçon, que la banque centrale décide de mener une politique
monétaire expansionniste et que ce changement n’ait pas été anticipé préalablement par les mar-
chés2 . La conséquence de cette politique monétaire expansionniste est la hausse du cours des
actions. Les taux d’intérêt it , iat+1 , etc. vont baisser et ce, d’autant plus que la modi…cation de
politique monétaire sera considérée comme durable (cf. leçon 3). Si l’on admet que les dividendes
anticipés dat+1 , dat+2 , dat+3 ; etc. restent inchangés alors l’équation (4.1) montre que le cours des
actions augmente (At " si it , iat+1 ; iat+2 #).
Il est possible d’étendre notre raisonnement d’arbitrage entre actions et obligations au cas
d’un investisseur ayant un horizon d’investissement de 2 ans. Nous savons :
Le prix de l’action est égal à la valeur actuelle anticipée des dividendes pour les deux prochaines
années, plus la valeur actuelle anticipée de l’action lorsqu’elle sera revendue dans deux ans. Si
l’investisseur décide d’investir en actions, la rentabilité anticipée obtenue est égale à
En e¤et, il recevra des dividendes dat+1 en t + 1 (que nous avons multiplié par 1 + iat+1 pour les
ramener à l’année t + 2), des dividendes dat+2 en t + 2 et le prix de revente Aat+2 en t + 2, le tout
divisé par le prix initial d’achat At . S’il décide d’investir en obligations, la rentabilité anticipée
obtenue est égale à
(1 + i2t )2 (4.9)
Dans cette leçon, nous n’avons tenu compte que du rendement anticipé des actions et des
obligations et pas du risque de ces titres. Dans l’équation (4.6), nous avons négligé le fait que
les investisseurs considèrent les actions comme plus risquées que les obligations (rappel : les
obligations reposent sur un engagement de versement ce qui n’est pas le cas des actions). Les
investisseurs sont averses au risque. Pour compenser ce surcroît de risque des actions, ils vont
exiger un supplément de rendement : une prime de risque "t > 0. Si l’on inclut cette prime de
risque, la relation d’arbitrage entre actions et obligations devient
dt+1 + Aat+1
= 1 + i t + "t (4.11)
At
Les investisseurs vont donc exiger un rendement anticipé des actions supérieur à celui des obli-
gations ( dt+1 + Aat+1 =At > 1 + it ) pour compenser le risque propre aux actions.
4.7 Bilan
BILAN 39