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Stabilite F Avant Et Apres La Crise

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Banques centrales

et stabilité financière
Rapport
Jean-Paul Betbèze, Christian Bordes,
Jézabel Couppey-Soubeyran
et Dominique Plihon
Commentaires
Daniel Cohen
Jean-Pierre Vesperini

Compléments
Michel Aglietta, Charles Goodhart
et Tommaso Padoa-Schioppa
À la mémoire de Tommaso Padoa-Schioppa

Conception et réalisation graphique en


PAO au Conseil d’Analyse Économique
par Christine Carl

© Direction de l’information légale et administrative. Paris, 2011 - ISBN : 978-2-11-008594-8


« En application de la loi du 11 mars 1957 (article 41) et du Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992,
toute reproduction partielle ou totale à usage collectif de la présente publication est strictement interdite sans
l’autorisation expresse de l’éditeur.
Il est rappelé à cet égard que l’usage abusif de la photocopie met en danger l’équilibre économique
des circuits du livre. »
Sommaire

Introduction....................................................................................7
Christian de Boissieu

RAPPORT
Le « central banking » après la crise :
deux lectures d’une enquête internationale
auprès d’économistes et de banquiers centraux................................. 9
Jean-Paul Betbèze, Christian Bordes,
Jézabel Couppey-Soubeyran et Dominique Plihon
Synthèse introductive...................................................................9
Lecture 1.......................................................................................21
Pour un aménagement du central banking :
à la recherche de l’affectation optimale des instruments
des politiques monétaire et macro-prudentielle
Christian Bordes
Introduction..............................................................................................25
1. Gouvernance.......................................................................................25
1.1. Tendances observées avant la crise.............................................25
1.2. Questions soulevées par la crise.................................................34
1.3. Conclusion..................................................................................45
2. Stabilité monétaire..............................................................................47
2.1. Politique monétaire et inflation avant la crise............................47
2.2. Politique monétaire et menace déflationniste au cours
de la crise....................................................................................51
2.3. Questions relatives à la stabilité monétaire après la crise..........54
2.4. Conclusion..................................................................................64
3. Stabilisation de l’activité économique................................................65
3.1. Questions sur l’efficacité de la politique monétaire
avant la crise...............................................................................65
3.2. Tensions financières, politique monétaire et activité
économique.................................................................................73
3.3. Sortie de crise et après crise : comment renforcer
l’efficacité de la politique monétaire ?.......................................81
3.4. Conclusion..................................................................................87

BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 3


4. Stabilité financière..............................................................................88
4.1. Avant la crise : politique monétaire et bulle immobilière...........90
4.2. Après la crise : principaux défis et questions.............................97
4.3. Conclusion................................................................................105
Lecture 2.....................................................................................117
Pour un changement de central banking :
la nécessaire coordination de la politique monétaire
et de la politique macro-prudentielle au sein de la Banque centrale
Jean-Paul Betbèze, Jézabel Couppey-Soubeyran et Dominique Plihon
Introduction............................................................................................117
1. La Grande modération : ses causes et ses conséquences
pour le central banking......................................................................121
1.1. L’évolution de l’inflation pendant la Grande modération........121
1.2. La politique monétaire : un facteur parmi d’autres
pour expliquer la Grande modération.......................................124
1.3. Le paradoxe de la crédibilité illustre la complexité
des liens entre stabilité monétaire et stabilité financière..........127
1.4. Les dangers du principe de séparation......................................130
1.5. La diversité des formes d’instabilité.........................................133
2. Le crédit et la prise de risque des établissements bancaires :
deux canaux de transmission des chocs monétaires
à placer sous étroite surveillance.....................................................138
2.1. Accélérateur financier et canal du crédit..................................139
2.2. Le vrai poids des banques dans le financement de l’économie. .141
2.3. Titrisation et shadow banking...................................................145
2.4. Le canal de la prise de risque des banques...............................149
3. Banques centrales et politique prudentielle......................................154
3.1. La mission macro-prudentielle des banques centrales..............155
3.2. La nouvelle mission macro-prudentielle des banques
centrales les engage-t-elle au niveau micro-prudentiel ?..........171
Conclusion..............................................................................................182

Annexe. Questionnaire..............................................................189
1. Motivation et objectifs.......................................................................189
2. Destinataires.....................................................................................190
3. Contenu et synthèse des résultats......................................................191
4. Présentation graphique des réponses...............................................205

Personnes auditionnées...........................................................263

COMMENTAIRES
Daniel Cohen...............................................................................265
Jean-Pierre Vesperini..................................................................269

4 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


COMPLÉMENTS
A. La rénovation des politiques monétaires...........................277
Michel Aglietta
B. La supervision macro-prudentielle.....................................295
Charles Goodhart
C. La coopération : un mode de gouvernance adapté
pour améliorer la stabilité financière ?....................................317
Tommaso Padoa-Schioppa

RÉSUMÉ......................................................................................325

SUMMARY..................................................................................335

BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 5


Introduction

Les banques centrales ont été globalement réactives et pragmatiques


face à la crise mondiale. Elles ont abaissé leurs taux directeurs, pour
certaines d’entre elles pratiquement au plancher de 0 %, ont fourni
généreusement les liquidités dont les banques et le système économique
avaient besoin, et ainsi assumé leur rôle de « prêteur de dernier ressort »,
ont pratiqué des politiques « non conventionnelles » justifiées par
l’impossibilité de réduire encore plus leurs taux directeurs. Chaque
Banque centrale a combiné à sa convenance ces différents axes, selon ses
propres objectifs, instruments et contraintes.
La crise mondiale n’est pas finie, ne serait-ce que si on l’évalue à
l’aune du chômage persistant, des actifs financiers toxiques encore
présents dans les bilans de certaines banques et des « béquilles » toujours
actives en prove- nance des politiques monétaires et des politiques
budgétaires. Un premier bilan permet de penser que, par leur réactivité,
les banques centrales ont permis d’éviter le pire, à savoir une déflation
mondiale. Si l’on remonte de la gestion à la prévention de la crise, ces
banques centrales auraient-elles pu et dû agir autrement, et quelles leçons
en tirer pour l’avenir ? Tel est l’objet principal du rapport qui suit.
Ce rapport exploite et éclaire un questionnaire envoyé, à travers le
monde, à des banquiers centraux, à des économistes et à des superviseurs.
La question centrale concerne l’articulation entre deux objectifs, la
stabilité monétaire (appréhendée le plus souvent à partir du taux
d’inflation) et la stabilité financière. Deux interprétations contrastées
proposées dans le rapport éclairent les termes du débat.
Les deux approches se retrouvent cependant sur deux points : la néces-
sité de réduire l’instabilité financière, mais aussi le besoin d’une
meilleure liaison entre la politique monétaire et la politique macro-
prudentielle chargée, grâce à des mesures préventives adéquates, d’éviter
les crises ban- caires et financières de nature systémique (par différence
avec la politique micro-prudentielle, qui désigne la supervision et le
contrôle des établis- sements financiers sur une base individuelle). Elles
se séparent sur les voies et moyens de réalisation de tels objectifs.

BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 7


La première approche prône la séparation entre politique monétaire et
politique macro-prudentielle, chacune étant confiée à des organismes dis-
tincts ayant en charge pour l’un la stabilité monétaire, pour l’autre la
stabi- lité financière. Elle insiste également sur l’indépendance, la
transparence et la responsabilité (au sens de l’ « accountability » des
Anglo-saxons) de la Banque centrale. Tout en insistant sur certaines de
ces exigences, en parti- culier la responsabilité, la seconde approche
plaide pour un changement et pour une intégration de la politique
monétaire et de la politique macro- prudentielle, l’une et l’autre étant
confiées si possible à la même institution, et pour une meilleure
articulation entre les objectifs associés. Quelques recommandations
communes proviennent des deux approches, mais pour l’essentiel elles
sont fortement contrastées. Le va-et-vient constant entre les arguments
théoriques, les réponses au questionnaire et la conduite con- crète des
politiques monétaires face à la crise éclaire la plupart de ces re-
commandations.
Le rapport a été présenté à Madame Christine Lagarde, ministre de
l’Éco- nomie, des Finances et de l’Industrie lors de la séance plénière du
CAE du 7 mars 2011.

Christian de Boissieu
Président délégué du Conseil d’analyse économique

8 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


Le « central banking » après la crise
: deux lectures d’une enquête internationale auprès
d’économistes et de banquiers centraux
Jean-Paul Betbèze
Chef économiste au Crédit agricole SA
Christian Bordes
Professeur à l’Université Paris I-Panthéon Sorbonne
Jézabel Couppey-Soubeyran
Conseillère scientifique au CAE,
maître de conférences à l’Université Paris I-Panthéon Sorbonne
Dominique Plihon
Professeur à l’Université Paris XIII-Nord

Synthèse introductive
1. Après la crise financière mondiale qui commence en août
2007, on s’accorde sur la nécessité d’une réflexion sur un nouveau
central banking. Si le défi pour les travaux académiques est d’en
redessiner les contours théoriques, il s’agit, pour les banquiers centraux,
de redéfinir le nouveau cadre de leur action, ceci sans attendre
l’aboutissement des re- cherches. La difficulté est de taille et sa solution
passe par une coopération renforcée entre économistes et banquiers
centraux. Ce rapport entend y contribuer, en un temps où les évolutions
des analyses et des organisations s’accélèrent. C’est en effet une
caractéristique de ce rapport d’avoir pu mesurer, presque en temps réel,
comment évoluent les conceptions et les structures, et d’essayer de
donner des repères, à la fois pour comprendre, pour mettre en perspective,
pour relier aux fondements des approches théo- riques et pour faire des
propositions.
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 9
2. Pour étayer nos analyses et cerner les positions en présence,
notre rapport s’appuie ainsi sur un questionnaire que nous avons
conçu puis soumis aux banquiers centraux et aux économistes. Ce
questionnaire, inspiré d’une enquête réalisée par des économistes de la
Banque d’Angle- terre en 1999 et de travaux d’enquête plus récents
devenus de plus en plus fréquents, permet notamment d’évaluer l’accueil
réservé à des propositions récentes de réforme du central banking
(relèvement de la cible d’inflation, ciblage du niveau général des prix,
remise en question du principe de sépa- ration, instruments macro-
prudentiels…) et de comparer les réponses des académiques et des
banquiers centraux. Le rapport présente deux exploita- tions différentes
de ce questionnaire :
• la première, réalisée par Christian Bordes, met l’accent sur les
acquis à préserver en matière de gouvernance du central banking et sur
les aména- gements à opérer du côté de la politique monétaire ;
• la seconde, réalisée par Jean-Paul Betbèze, Jézabel Couppey-
Soubeyran et Dominique Plihon, insiste sur l’implication nécessaire de la
Banque cen- trale dans la politique macro-prudentielle et sur les
exigences qui en décou- lent en termes de coopération et de
responsabilité (accountability).
Ces deux lectures se rejoignent sur la nécessaire articulation entre
poli- tique monétaire et politique macro-prudentielle, mais défendent des
moda- lités très différentes.
3. Avant la crise, le central banking reposait sur un modèle de
type
« nouveau keynésien » où les anticipations jouaient un rôle décisif.
La Banque centrale avait un objectif d’inflation, affiché ou pas. Dans les
éco- nomies industrielles avancées, il se situait dans une fourchette
comprise entre 2 et 3 %. Il était calculé de manière à éviter surtout un
risque infla- tionniste, mais aussi déflationniste, même si ce dernier a été
plus tardive- ment pris en compte. Il s’agissait de permettre des
ajustements normaux dans une économie en croissance : c’était, en
quelque sorte, l’huile dans les rouages. La Banque centrale s’engageait
alors à atteindre cet objectif à moyen et à long terme par sa politique de
taux. Cela était supposé compatible, à court terme, avec la stabilisation de
l’activité économique, même si cette préoccupation pouvait varier d’une
Banque centrale à l’autre. Aucune Ban- que centrale n’était en effet, pour
reprendre l’expression de Mervin King, assez « barjot » de l’inflation («
inflation nutter ») pour ne regarder qu’elle. En permanence, elle envoyait
des messages pour piloter les anticipations et obtenir ainsi, en lissant le
cycle de l’activité, le résultat attendu : la stabilité des prix. Sans que le
modèle soit entièrement défini ni précisément le même pour toutes les
banques centrales, il obéissait à la logique énoncée dans les deux points
suivants, dont les fondements théoriques se trouvent dans la courbe de
Phillips de type « nouveau keynésien ».
4. La politique monétaire devait être conduite par une Banque
cen- trale indépendante du pouvoir politique, cela afin d’assurer sa
crédibi- lité. Sa politique de taux d’intérêt devait être globalement
conforme à une règle, du type règle de Taylor, pour faciliter la formation
des anticipations par les agents privés. Les problèmes de coordination
entre politique moné-
10 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
taire et politique budgétaire étaient envisagés dans le cadre d’un « jeu », où
la Banque centrale était dominante, l’autorité budgétaire devant s’ajuster.
Ce modèle, qui s’est généralisé dans les pays développés, a été adopté
lors de la création de l’euro, dont il a sans doute facilité la naissance. Il a
en effet permis sinon d’évacuer, du moins de traiter dans un cadre
préétabli, les délicats problèmes de coordination entre autorités et entre
pays, en s’en remettant au Pacte de stabilité et de croissance. D’un côté,
la Banque cen- trale européenne (BCE) était indépendante et assurait la
stabilité moné- taire, d’un autre, les gouvernements devaient respecter la
discipline budgé- taire dans le cadre d’un Pacte (on sait que cette
discipline n’a pas fonc- tionné dans la durée).
5. Le principe de séparation jouait un rôle primordial dans la con-
duite de l’action de la Banque centrale. Il a été respecté tout au long de
la Grande modération qui a précédé la crise. Conformément au modèle
précé- dent, la logique du central banking était alors la suivante :
parallèlement à la recherche de la stabilité monétaire, la Banque centrale
intervenait dans le maintien de la stabilité financière au sens étroit. Elle
approvisionnait le marché interbancaire en liquidités, afin de maintenir le
taux au jour le jour au plus près du principal taux directeur et d’en limiter
ainsi la volatilité. Dans des circonstances exceptionnelles, du type 11
septembre 2001, elle jouait le rôle de prêteur en dernier ressort.
6. Aujourd’hui se pose la question d’une éventuelle modification
de l’objectif d’inflation dans les économies industrielles avancées.
La fourchette de 2-3 % doit-elle être conservée ? Afin d’éviter les
problèmes posés par la borne zéro pour les taux d’intérêt, ne vaudrait-il
pas mieux relever cette fourchette jusqu’à 4-5 % comme le propose
Olivier Blanchard ? Ou bien remplacer le « ciblage » de l’inflation par
celui du niveau général des prix ? À cet égard, comme le montrent les
réponses au questionnaire, un clivage apparaît entre « théoriciens » et «
praticiens ». Ces propositions ont plus de partisans chez les premiers que
chez les seconds, qui estiment que leur adoption se traduirait par la perte
de leur crédibilité.
7. Surtout, le modèle canonique qui a fonctionné pendant vingt
ans sort affaibli de cette crise. Trois thèses sont ainsi avancées quant
au rôle qu’ont pu jouer les politiques monétaires et, plus généralement,
les banques centrales, dans son déclenchement :
• la première les exonère de toute responsabilité, en imputant la crise
à un défaut de surveillance du système financier ;
• une deuxième leur attribue une forte responsabilité : après avoir bien
suivi les recommandations du modèle canonique dans les années 1980-
1990 (notamment en conduisant leur politique monétaire conformément à
une règle), les banques centrales s’en seraient éloignées, pour ne pas dire
af- franchies, à partir des années 2002-2003 (avec des taux directeurs
durable- ment inférieurs à ceux recommandés par la règle de Taylor) ;
• une troisième met en avant le paradoxe de la crédibilité, crédibilité
héritée de la période antérieure de croissance non inflationniste. Selon
cette thèse, les succès atteints dans la sauvegarde de la stabilité
monétaire, com-
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 11
binés à une moindre volatilité de la hausse des prix et de l’activité
économi-
que, auraient contribué à réduire le coût du risque. Dans ce climat, les ac-
teurs financiers ont été incités à prendre des risques excessifs, ce qui les a
fragilisés. Appliquant le principe de séparation, les banques centrales ont
certes envoyé des signaux d’alerte, mais elles n’ont pas donné à l’objectif
de stabilité financière toute l’importance requise au vu de la dérive du
crédit ou de la baisse des primes de risque et donc n’ont pas agi.
8. Nous ne retiendrons évidemment pas la première de ces trois
thèses, mais les deux qui suivent nous paraissent mériter deux
traite- ments spécifiques, qui seront défendus dans les deux «
lectures » qui constituent ce rapport.
La première lecture du questionnaire, réalisée par Christian Bordes,
pro- pose un aménagement du central banking qui consiste à rechercher
des gains d’efficience du côté de la politique monétaire et à articuler
celle-ci et la politique macro-prudentielle sur la base du principe
d’affectation opti- male des instruments.
Dans cette approche, la stabilité des prix, à moyen et long termes, de-
meure la mission centrale de la politique monétaire même dans une
écono- mie mondialisée. Toutefois, le régime de central banking, qui a
précédé la crise, y est analysé comme une solution de coin où les risques
d’instabilité financière sont par trop négligés. Il faut donc le revoir. Le
recours à la politique macro-prudentielle correspond au besoin d’avoir un
outil supplé- mentaire (principe de Tinbergen). Son articulation avec la
politique moné- taire doit alors être envisagée conformément aux
recommandations du prin- cipe de Mundell. Chaque outil doit être utilisé
en priorité dans le domaine où son efficacité est la plus forte : pour la
politique monétaire, la réalisation de la stabilité des prix, pour la politique
macro-prudentielle, la stabilité finan- cière. Cela ne veut pas dire pour
autant que chaque politique est conduite en ignorant l’autre. En
particulier, la politique monétaire devra prendre en compte l’incidence
des mesures macro-prudentielles sur le crédit et, plus généralement, sur
les mécanismes de transmission des variations de taux directeurs. Elle
pourra être amenée à réagir, et cela de manière systématique, non
seulement à l’évolution des conditions économiques (inflation et acti- vité
économique), mais aussi à celle des conditions financières (crédit et
primes de risque). En outre, l’horizon retenu pour conduire cette politique
(deux à trois ans jusque-là) pourra être repoussé. Cette démarche
constitue une rupture avec l’idée qu’il vaut mieux pour les banques
centrales « guérir que prévenir » (CUA, cleaning up the bust afterwards,
mop up after). Elles pourront désormais être amenées à « naviguer à
contre-courant » (« leaning against the wind ») autrement dit à agir de
manière préventive.
La seconde lecture du questionnaire, réalisée par Jean-Paul Betbèze,
Jézabel Couppey-Soubeyran et Dominique Plihon plaide pour un
renforce- ment de la mission de stabilité financière et pour une
coordination de la politique monétaire et de la politique macro-
prudentielle au sein de la Ban- que centrale. Elle se démarque du principe
de séparation qui consiste à affecter l’objectif de stabilité monétaire à la
Banque centrale, et celui de stabilité financière à des agences de
supervision spécialisées.
12 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
Pour étayer son propos, elle met en avant les changements structurels de
l’économie mondiale et le fait que d’autres facteurs doivent être pris en
compte dans le processus inflationniste, à côté des déterminants monétai-
res. Cette approche fait ainsi une large place à la dynamique du crédit et
aux comportements des agents bancaires et financiers dans la dynamique
économique et dans la naissance éventuelle de déséquilibres, notamment
sectoriels, et de bulles. Elle conduit alors à une double demande :
instaurer d’abord une meilleure surveillance, par la Banque centrale, de la
dynami- que du crédit et de ce qui concourt au risque systémique ;
rééquilibrer en- suite les missions entre stabilité monétaire et
macroéconomique d’une part, et stabilité financière de l’autre, en
renonçant à leur séparation. Dans cette optique, ces deux missions sont
aussi importantes l’une que l’autre, ce qui implique des responsabilités et
des difficultés nouvelles, notamment de coordination, et donc aussi des
pouvoirs accrus.
Comme on le voit, nous n’avons pas recherché, dans ce rapport, une
voie moyenne, additionnant les propositions venant de deux logiques
théo- riques différentes. Au contraire, il nous a paru plus utile, et plus
transpa- rent, d’ouvrir le domaine des choix en montrant, chaque fois,
leur cohé- rence et leurs limites.
Les auteurs de ce rapport se rejoignent sur l’idée d’une évolution
néces- saire du central banking pour réduire l’instabilité financière et sur
la néces- sité d’une articulation entre politique monétaire et politique
macro- prudentielle pour y parvenir. Mais ils se séparent quant aux
modalités de cette articulation.
La première lecture juge trop ambitieuse une coordination qui
consiste- rait à confier à une même autorité/un même comité la
responsabilité de la politique monétaire et celle de la politique macro-
prudentielle. Christian Bordes soutient que cela pourrait réduire
l’efficacité de la politique moné- taire en rendant difficile l’exercice de
l’autonomie de la Banque centrale, en nuisant à la transparence de son
action et en compliquant sérieusement le contrôle de son action. Dans ces
conditions, il soutient que la réponse la plus réaliste consiste à s’en
tenir au principe d’affectation des instruments énoncé
précédemment : chaque instrument doit être affecté à la réalisation de
l’objectif pour lequel il est le plus performant.
La seconde lecture plaide, au contraire, pour une telle coordination, en
pleine connaissance des risques spécifiques et des difficultés qu’elle com-
porte. Jean-Paul Betbèze, Jézabel Couppey-Soubeyran et Dominique
Plihon précisent alors les contreparties nécessaires pour que les banques
centrales soient à même d’assumer leurs nouvelles responsabilités : une
large batterie d’instruments macro-prudentiels (au-delà d’une simple règle
de capital contra- cyclique ou d’un provisionnement dynamique), qui en
sont encore à un stade expérimental, et un devoir accru de responsabilité
(accountability) d’explication et de transparence. En charge de missions
étendues, les ban- ques centrales auront aussi un pouvoir accru. Leur
indépendance devra s’exercer à l’égard de tous les acteurs, non seulement
publics, mais égale- ment privés. Elles devront éclairer l’horizon, rendre
des comptes (au sens
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 13
de la notion anglo-saxonne d’accountability) et expliquer leur politique,
dans un monde plus complexe.
9. Lecture n° 1 : Pour un aménagement du central banking : à la
recherche de l’affectation optimale des instruments des politiques
mo- nétaire et macro-prudentielle
9.1. Le modèle fondé sur le triptyque indépendance-transparence-
responsabilité (ITR) s’est imposé largement comme le modèle de
référence pour la gouvernance des banques centrales : leur autonomie y
va de pair avec des exigences accrues en matière de transparence et de
responsabilité démocratique. Le maintien de la stabilité des prix doit
rester la mission fondamentale de la politique monétaire. La stabilisation
conjoncturelle en est aussi un objectif capital. De manière générale, il
n’est pas incompatible avec la mission précédente. Les autorités
monétaires ne cherchent pas à atteindre la cible d’inflation dans le court
terme, mais à moyen-long terme ce qui revient à lisser l’évolution de
l’activité économique. Là aussi, le modèle du triptyque a fait preuve de
son efficacité.
Avant la crise, le central banking s’est rapproché, de facto, d’une solu-
tion de coin où l’action de la Banque centrale se limite à la conduite
d’une politique monétaire orientée à moyen terme vers la stabilité des
prix ; ne
« navigue pas à contre-courant » si, au cours de la phase d’expansion, des
bulles se développent dans les prix des actifs alors que le crédit s’emballe
; injecte des liquidités en cas de crise et répare les dégâts après (le
cleaning up) en maintenant, pendant une période assez longue, le taux
directeur à un niveau très bas. Cette solution de coin doit être
abandonnée. Ses limites sont clairement apparues. Elle a conduit, après
l’éclatement de la bulle Internet, à maintenir trop longtemps les taux
d’intérêt à un niveau trop bas. Mais il n’est pas question de passer d’une
solution de coin à une autre, à savoir celle mise en place dans les
économies asiatiques après la crise qui les a frappées. La politique
monétaire, la politique prudentielle et, même, dans certains cas extrêmes
comme en Chine, la politique budgétaire, y sont coordonnées. Ce modèle
y a fait preuve de son efficacité en résistant bien à la crise. Mais, il
apparaît difficilement conciliable avec le triptyque indé- pendance-
transparence-responsabilité et ne correspond pas aux caractéris- tiques
des économies industrielles avancées, en particulier à leur dévelop-
pement financier. Pour celles-ci, le régime central banking optimal
d’après crise consiste dans une solution intermédiaire où l’architecture
politique monétaire/politique macro-prudentielle est bâtie sur le principe
d’affecta- tion des instruments. La stabilité monétaire doit rester l’objectif
central de la politique monétaire, mais cela ne doit pas pour autant justifier
une « douce bienveillance » à l’égard de l’instabilité financière. Une
réaction systématique de la politique de taux d’intérêt à l’évolution des
conditions financières peut être souhaitable. Cette réaction doit dépendre
des caractéristiques de la politique macro-prudentielle. Elle pourra se
traduire par une réaction à l’évolution : du crédit pour les économies où le
financement bancaire est dominant (le renforcement de la place accordée
au second pilier – déjà entrepris par la BCE – va dans ce sens) ; des
spreads de taux pour les éco- nomies où le financement par les marchés
n’a plus d’importance. En tout
14 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
cas, les banques centrales ne doivent pas laisser se développer des bulles
financées par le crédit.
9.2. Du côté de la politique monétaire, l’existence de « gisements
d’effi- cience » exploitables à court terme – en particulier le relèvement
de l’ob- jectif d’inflation et le remplacement du ciblage de l’inflation par
celui du niveau général de prix – doit être examinée au cas par cas.
L’adoption d’un ciblage du niveau général des prix pourrait être une
solution pour les éco- nomies où l’on a observé une dérive dans
l’évolution à long terme de cette grandeur (Canada) et pour celles où il
n’y a pas d’ancrage monétaire expli- cite (États-Unis). Pour la zone euro,
si l’on considère qu’à moyen-long terme, la menace déflationniste est
sérieuse, le relèvement de l’objectif d’inflation pourrait aider à y faire
face.
Ces mesures sont également à envisager au regard de la stabilisation
de l’activité économique. La politique monétaire est un instrument qui a
mon- tré son efficacité, en régime normal comme en temps de crise où
elle peut empêcher le déclenchement d’une spirale déflationniste. Une
fois le plan- cher des taux d’intérêt atteint, la politique monétaire ne se
trouve certes pas démunie : l’efficacité des mesures non conventionnelles
semble en effet avérée. Mais elles font courir des risques, notamment
pour la stabilité fi- nancière. Cela peut constituer un argument
supplémentaire à l’appui de l’adoption du ciblage du niveau général des
prix ou d’un relèvement de l’objectif d’inflation. Dans le cas de la zone
euro, ce dernier pourrait facili- ter les ajustements à des chocs et la
convergence réelle des économies.
9.3. Les banques centrales ont déjà amplement investi ces sujets,
mené des travaux en leur sein pour préparer l’évolution du central
banking. Même si les questions soulevées sont techniques, les banques
centrales devraient communiquer les conclusions auxquelles elles sont
arrivées sous une forme accessible à un large public. Elles devraient
notamment mieux préciser comment elles entendent prendre en compte
l’évolution des conditions finan- cières dans la conduite de leur politique
de taux d’intérêt.
10. Lecture n° 2 : Pour un changement de central banking :
la nécessaire coordination de la politique monétaire et de la
politique macro-prudentielle au sein de la Banque centrale
10.1. La mission de stabilité financière doit s’articuler autour de deux
volets à réévaluer, macro-prudentiel et micro-prudentiel. Le premier volet
est celui de la régulation macro-prudentielle, qui va considérablement im-
pliquer les banques centrales. Ce volet reste cependant à mieux préciser.
Outre les effets déstabilisants bien connus des comportements
mimétiques, et ceux, désormais mieux compris, de la titrisation, les
institutions finan- cières ont en général un comportement procyclique,
influencé par les déci- sions de politique monétaire et prudentielle. La
phase ascendante du cycle est celle où les risques pour l’ensemble du
système sont sous-estimés, en même temps que la concurrence
interbancaire réduit les marges, alors que c’est le contraire après le
retournement. Ce volet macroéconomique était auparavant jugé moins
important que son pendant microéconomique, l’idée
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 15
étant que le suivi rapproché des banques, considérées individuellement,
protégeait contre le risque systémique.
Cela n’est plus possible : il faut veiller aux structures de bilan des ban-
ques, tant en fonds propres qu’en liquidité, et à leur taille, et surveiller
beaucoup plus attentivement qu’auparavant l’évolution du crédit et des
prix d’actifs. Inévitablement, la frontière entre le micro-prudentiel et le
macro- prudentiel sera poreuse et fine. Les objectifs de ces deux volets
seront certes différents (prévenir une faillite individuelle d’établissement
dans un cas, prévenir la crise systémique dans l’autre), mais les
instruments seront par- fois de même nature : coussins de capital contra-
cycliques, surcharge en capital, exigences supplémentaires de liquidité…
La surveillance du crédit sera au cœur du volet macro-prudentiel, car les
épisodes d’instabilité les plus dangereux sont le plus souvent associés à
des processus d’emballe- ment du crédit. Cette surveillance sera du
ressort des conseils du risque systémique qui commencent à se mettre en
place, avec des prérogatives différentes de part et d’autre de l’Atlantique.
10.2. Aucun modèle de coordination entre politique monétaire et politi-
que prudentielle n’a donné totale satisfaction dans les économies
industriel- les avancées, mais la crise a révélé que la proximité entre
Banque centrale et superviseur est décisive. Le macro-prudentiel
constituera ainsi le princi- pal nouveau maillon entre politique monétaire
et politique prudentielle. La plupart des pays s’orientent en effet vers la
mise en place d’un dispositif macro-prudentiel qui va fortement reposer
sur les banques centrales. En revanche, les banques centrales sont
diversement impliquées dans la super- vision micro-prudentielle.
Tous les pays n’organisent pas leur supervision de la même manière :
les trois modèles types (modèle intégré, modèle sectoriel et modèle twin
peaks) font chacun une place plus ou moins grande à la Banque centrale.
Le mo- dèle sectoriel est généralement celui dans lequel la Banque
centrale est le plus directement impliquée. En revanche, l’implication de
la Banque cen- trale est souvent plus rare ou plus indirecte dans les
modèles intégrés ou twin peaks (ce dernier étant encore assez peu
répandu).
La nouvelle mission macro-prudentielle des banques centrales n’impli-
quera pas nécessairement qu’elles endossent, là où elles ne l’ont pas, le
rôle de superviseur micro-prudentiel. Confier les surveillances à la fois
micro- et macro-prudentielles aux banques centrales pourrait même
présenter plu- sieurs inconvénients : concentration excessive de pouvoir,
risque de bu- reaucratie, moindre efficacité dans la masse des
informations à traiter… Cela risquerait aussi d’augmenter le poids des
dispositifs prudentiels secto- riels, pourtant moins bien adaptés à
l’intégration des activités bancaires et financières. La raison en est que si
la Banque centrale peut apparaître comme un superviseur naturel pour les
banques, il n’en va pas de même pour les autres intermédiaires
financiers : la Banque centrale est très rarement un superviseur unique
lorsqu’elle est superviseur.
Quoi qu’il en soit, la question importante n’est pas tant de savoir si la
Banque centrale doit ou non être un superviseur micro-prudentiel.
L’impor-
16 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
tant est que, lorsque ce n’est pas le cas, la Banque centrale soit en relation
étroite et permanente avec le(s) superviseur(s). C’est ce défaut de relation
qui a, par exemple, rendu beaucoup plus difficile la gestion de la crise
finan- cière au Royaume-Uni. Plusieurs dispositions sont ainsi
envisageables pour concrétiser cette proximité au sein de chaque pays
entre la Banque centrale et le(s) superviseur(s) micro-prudentiel(s) : une
plateforme d’informations communes, une gouvernance partagée
(présence croisée de représentants de la Banque centrale et du(des)
superviseur(s) dans les comités de pilo- tage), des réunions régulières
entre un observateur représentant des intérêts des consommateurs de
services financiers, la Banque centrale et la(les) autorité(s) de
supervision.
10.3. La nouvelle architecture proposée passe aussi par une nouvelle
organisation des objectifs, des instruments et de leur affectation.
L’objectif de stabilité des prix doit être mieux cerné, et celui de stabilité
financière mieux paramétré, d’autant qu’il fait manier des informations
complexes et évidemment privées. L’objectif de stabilité financière doit
constituer une mission à part entière des banques centrales, même si
l’instabilité finan- cière est un processus polymorphe, en général plus
difficile à repérer et à mesurer que l’instabilité monétaire. Le taux
d’intérêt doit rester en général l’instrument privilégié affecté à l’objectif
de stabilité monétaire (défini sur un horizon temporel allongé), des
instruments nouveaux – tel le ratio contra- cyclique de capital –
intervenant pour la stabilité financière.
La crise a donné lieu à des propositions dans le domaine des
instruments de régulation prudentielle dont la plus significative à ce jour
est constituée par les nouvelles exigences de fonds propres (Bâle III).
Elles entraîneront une augmentation progressive des fonds propres, une
surveillance renfor- cée de la liquidité et un plafonnement des leviers
d’actifs. Mais il faut qu’elles se mettent en œuvre selon un rythme
compatible avec la sortie de crise et dans un contexte (G20) qui ne
distorde pas la concurrence bancaire et fi- nancière mondiale, au risque
alors d’accroître l’instabilité financière. Ces mesures devront être
complétées par des dispositifs tels que le provision- nement dynamique,
permettant de réduire le comportement procyclique des banques et un
traitement spécifique des établissements systémiques. Enfin, dans la
mesure où le canal du crédit joue un rôle central dans le processus
d’instabilité financière, un renforcement de la régulation du crédit
apparaît souhaitable. Ce qui implique la mise en œuvre d’instruments tels
que des ratios « loan to value » généralisés et/ou des systèmes de réserves
obliga- toires progressives sur les crédits, éventuellement modulés selon
les secteurs et les entités systémiques dont un suivi individualisé apparaît
souhai- table, pour lutter contre les emballements du crédit.
11. Quels que soient les choix théoriques et organisationnels, la
question demeure du fonctionnement de la nouvelle organisation
qui se met en place en zone euro. D’un côté, au niveau de chaque
pays, le suivi sera meilleur, puisque les banques centrales nationales
auront une connaissance plus complète et plus précise du système
financier. Mais il faudra veiller aux échanges d’informations entre
entités spécialisées de
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 17
surveillance. D’un autre côté, des structures se mettent en place à
l’échelle
européenne pour gérer les entités systémiques, ce qui implique une néces-
saire fluidité de l’information depuis les entités nationales et dans des co-
mités de la zone euro.
D’où un défi majeur : au niveau national, il faudra savoir traiter
l’infor- mation et lutter contre sa fragmentation par type d’industrie
financière ; au niveau européen, il faudra encourager l’échange rapide, en
même temps que la confidentialité. Le bon fonctionnement de cette
nouvelle organisa- tion se vérifiera surtout par temps de crise, et les
conditions actuelles mon- trent bien les efforts à faire. En temps normal,
la vérification des modes de travail sera essentielle et l’utilisation des
stress tests plus fréquente. Il faut s’attendre à ce que la gestion des
comités, souvent de grande taille, soit délicate et souhaiter que des
questions de méthode et de prises de décision rapides soient mises au plus
tôt en débat.
12. La complexité des problèmes de coordination dans la zone
euro rend plus difficile l’action de la BCE. Les situations budgétaires
des États vont faire peser sur elle des pressions fortes, d’autant que la
BCE a été, est et pourrait être encore amenée à assurer la liquidité du
marché de la dette publique. Des problèmes de coordination se posent
aussi dans le domaine des changes, en l’absence de mission confiée à la
Banque centrale dans ce domaine. Ce qui est aussi le résultat d’une
définition étroite de l’objectif de stabilité monétaire, exclusivement
interne, contrairement à ce qui est ob- servé dans d’autres régions (pays
émergents). La question de la politique de change et de l’implication des
banques centrales en la matière, qui est un sujet à part entière, n’est
toutefois pas abordée dans ce rapport.
13. Au total, le principal défi est d’arriver à une meilleure
coordination entre politique monétaire, politique prudentielle et
politique budgé- taire. Il importe de maintenir l’indépendance de la
Banque centrale à l’égard des acteurs publics mais aussi privés, afin de
contribuer conjointement à la stabilité des prix et à la stabilité financière et
de minimiser les effets négatifs de l’instabilité sur l’activité et l’emploi.
L’élargissement des missions des banques centrales implique qu’elles
rendent davantage de comptes (au sens d’accountability) et expliquent
davantage leur démarche non seulement dans les différentes instances et
comités, mais également auprès du public. Mais il faut reconnaître que le
risque est alors que l’on attende trop d’elles et qu’une pression croissante
s’exerce sur elles. L’art du central banking se complique donc. Il est
crucial d’en comprendre les enjeux et les risques, pour permettre aux
banques centrales de les aborder dans les meilleures conditions. Il en va
de l’intérêt de tous.

18 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


Questionnaire « Banques centrales et stabilité financière »
Conçu par les auteurs du rapport, le questionnaire compte cinquante-cinq
questions réparties en six grandes parties qui abordent les différentes dimen-
sions (organisationnelle, instrumentale, stratégique, soubassement
théorique…) du central banking.

1. « Grande modération » et instabilité financière


Cette première partie porte sur l’environnement macroéconomique de la
politique monétaire avant la crise ainsi que sur les origines possibles des
désé- quilibres financiers observés au cours de cette période.

2. Design institutionnel du central banking


La deuxième partie s’intéresse au cadre institutionnel du central banking
et tente de cerner les évolutions provoquées par la crise (opportunité des ré-
formes, remise en cause du principe de séparation…).

3. Stabilité financière
Les questions relatives à l’implication des banques centrales en matière
de stabilité financière et aux évolutions attendues dans ce domaine font
l’objet de la troisième partie.

4. Politique monétaire : canaux de


transmission/stratégie/instruments La quatrième partie porte sur un
certain nombre d’aménagements possi- bles de la politique monétaire
actuellement débattus (relèvement de la cible
d’inflation, ciblage du niveau général des prix…).

5. Dimension internationale
La cinquième partie traite des problèmes de coordination à l’échelle
inter- nationale entre les grandes banques centrales.

6. Sciences économiques/science et art du central banking


La sixième partie regroupe des questions sur les rôles respectifs de l’art
et de la science dans le central banking avant et après la crise.
Adressé à environ 200 destinataires (universitaires, banquiers centraux,
superviseurs), le questionnaire a reçu 46 réponses : 15 en provenance des
banquiers centraux et 31 d’universitaires du monde entier. La zone euro et
les États-Unis sont particulièrement bien représentés ; des rencontres ayant
d’ailleurs été organisées entre les auteurs et des représentants de la BCE, de
la Fed, du FMI, de la Banque mondiale ainsi qu’avec des universitaires de
plu- sieurs pays d’Europe et des États-Unis. La répartition des participants à
cette enquête par pays et par institutions est présentée en annexe, où figurent
le questionnaire dans son intégralité ainsi que son traitement complet. Les
deux
« lectures » présentées dans la suite du rapport exploitent chacune les
réponses obtenues et font usage d’un certain nombre d’illustrations
graphiques des réponses, toutes reprises en annexe.

BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 19


Lecture 1

Pour un aménagement du central banking :


à la recherche de l’affectation optimale
des instruments des politiques
monétaire et macro-prudentielle

Christian Bordes

Introduction
La crise soulève des interrogations fondamentales sur l’action des ban-
ques centrales (central banking) et le cadre dans lequel elles l’exercent.
Trois séries de questions sont posées :
• Qu’est-ce qui a bien fonctionné et doit être conservé ?
• Des erreurs ont-elles été commises ?
• Quelles sont les améliorations possibles ?

Qu’est-ce qui a bien fonctionné et doit être conservé ?


Le modèle fondé sur le triptyque indépendance-transparence-
responsa- bilité (ITR) s’est imposé largement comme le modèle de
référence pour la gouvernance des banques centrales : leur autonomie y
va de pair avec des exigences accrues en matière de transparence et de
responsabilité démocra- tique. Le maintien de la stabilité monétaire reste
leur mission fondamen- tale. Dans un système de monnaie fiduciaire, la
hausse des prix est large- ment déterminée par les anticipations des agents
économiques. Le rôle des autorités monétaires est d’en assurer le bon
ancrage, au niveau souhaité. Pour cela, un objectif quantifié de hausse des
prix doit être publié, la straté- gie de politique monétaire retenue pour
l’atteindre précisée… La stabili- sation conjoncturelle est aussi une
mission capitale. Elle n’est pas incom-
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 21
patible avec la précédente. Les autorités monétaires ne cherchent pas à
atteindre la cible d’inflation dans le court terme, mais à moyen-long terme
ce qui revient à lisser l’évolution de l’activité économique. Là aussi, le
mo- dèle en vigueur a fait preuve de son efficacité. Certes, il n’explique
pas à lui seul la baisse de la cyclicité observée avant la crise, mais il y a
contribué. Il a montré aussi son efficacité comme bouclier anti-crise. Les
mesures, con- ventionnelles et non conventionnelles, de politique
monétaire – combinées à des programmes de relance et de soutien au
système bancaire – ont empê- ché le déclenchement d’une spirale
déflationniste et contribué à amorcer une reprise (même si elle reste à
confirmer).

Des erreurs ont-elles été commises ?


Avant la crise, le central banking de jure correspondait à un modèle
intermédiaire où la Banque centrale est chargée de la stabilité monétaire
et a aussi une mission macro-prudentielle. Mais, le central banking de
facto s’est rapproché d’une solution de coin où l’action de la Banque
centrale se limite à la conduite d’une politique monétaire orientée à
moyen terme vers la stabilité des prix ; ne « navigue pas à contre-courant
» si, au cours de la phase d’expansion, des bulles se développent dans les
prix des actifs alors que le crédit s’emballe ; injecte des liquidités en cas
de crise et répare les dégâts après (le cleaning up) en maintenant, pendant
une période assez longue, le taux directeur à un niveau très bas. C’était le
consensus de Jackson Hole dont Alan Greenspan a été la figure
emblématique. Cette solution de coin doit être abandonnée. Ses limites
sont clairement apparues. Elle a con- duit, après l’éclatement de la bulle
Internet, à maintenir trop longtemps les taux d’intérêt à un niveau trop
bas. Mais il n’est pas question de passer d’une solution de coin à l’autre, à
savoir celle mise en place dans les éco- nomies asiatiques après la crise
qui les a frappées. La politique monétaire, la politique prudentielle et,
même, dans certains cas extrêmes comme en Chine, la politique
budgétaire y sont coordonnées. Dans ces économies, ce modèle a fait
preuve de son efficacité en résistant bien à la crise. Mais, il apparaît
difficilement conciliable avec le triptyque indépendance-transparence-
responsabilité et ne correspond pas aux caractéristiques des économies in-
dustrielles avancées, en particulier à leur développement financier. Le ré-
gime de central banking optimal d’après crise consiste dans une solution
intermédiaire où l’architecture politique monétaire-politique macro-
prudentielle est bâtie sur le principe d’affectation des instruments
(application du prin- cipe de Mundell) : chaque politique se voit assigner
la réalisation de l’ob- jectif pour lequel elle est la mieux adaptée. La
politique monétaire doit rester orientée en priorité vers la stabilité des prix
tandis que la politique macro-prudentielle doit s’occuper de la stabilité
financière. Chacune doit prendre en compte l’impact de l’autre sur
l’objectif dont elle est chargée.

22 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


Quelles sont les améliorations possibles ?
Les gains d’efficience du central banking doivent être recherchés du
côté de la politique monétaire, du côté de la politique macro-prudentielle
et dans une meilleure articulation des deux. Pour cela il faut s’appuyer sur
les enseignements de la pratique et les conclusions robustes des travaux
de recherche sur la question. C’est sans aucun doute dans le domaine de
la politique monétaire que les connaissances, théoriques et empiriques,
sont les plus avancées. Dire, comme le fait Leeper (2010), qu’elle «
relève de la science et les autres politiques de l’alchimie » est exagéré et
provocateur, mais elle a pris une longueur d’avance aussi bien sur la
politique macro- prudentielle que sur la politique budgétaire. Aussi peut-
on trouver, de ce côté-là, un gisement immédiatement exploitable. Son
exploration peut se faire à différents niveaux :
• l’objectif quantifié de hausse des prix : à l’heure actuelle, il se situe
au voisinage de 2 % ; on peut envisager de le relever mais aussi, rien ne
l’interdit a priori, de l’abaisser ;
• la stratégie de politique monétaire : le ciblage du niveau général des
prix pourrait remplacer celui de l’inflation ;
• la règle de politique monétaire : jusqu’ici, la politique de taux
d’inté- rêt a réagi à la situation de l’inflation, appréciée au regard de la «
cible », et à celle de l’activité économique, évaluée en fonction de
l’utilisation des capacités de production ; dans le cadre de l’articulation
avec la politique macro-prudentielle se pose la question suivante : cette
règle doit-elle rester inchangée ou bien est-il nécessaire que la politique
monétaire soit menée en prenant aussi en compte les conditions
financières ?
Ces différentes questions sont abordées dans cette première lecture de
ce rapport en prenant appui sur les réponses apportées au questionnaire.
La première section présente le cadre dans lequel s’exerce la gouvernance
des banques centrales et examine à cette aune les principales propositions
aujourd’hui à l’étude en vue d’améliorer le central banking. La stabilité
monétaire est le sujet de la section 2. Après avoir montré que la stabilité
monétaire reste aujourd’hui une mission capitale de la Banque centrale,
cette section souligne qu’il s’agit autant de protéger l’économie contre la
déflation que de la mettre à l’abri de l’inflation ; enfin, on se demande si
un relèvement de l’objectif d’inflation ou l’adoption du ciblage du niveau
gé- néral des prix pourraient permettre d’assurer plus efficacement cette
pre- mière mission. La section 3 porte sur l’utilisation de la politique
monétaire pour la stabilisation de l’activité économique et s’interroge sur
son effica- cité avant, pendant et après la crise. La stabilité financière est
le thème de la section 4. On revient sur la conduite, en temps réel, de la
politique moné- taire avant la crise, face au développement de la bulle
immobilière. On s’intéresse ensuite à la politique monétaire au cours de
la crise systémique avant de se demander comment la politique monétaire
pourrait, à l’avenir, contribuer à limiter l’instabilité financière.
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 23
Points clés et propositions de la lecture 1

1. La gouvernance de l’action des banques centrales doit rester organisée


autour du triptyque indépendance-responsabilité-transparence.
2. L’architecture politique monétaire-politique macro-prudentielle doit
être bâtie sur le principe d’affectation des instruments (application du
principe de Mundell) : chaque politique se voit assigner la réalisation de
l’objectif pour lequel elle est la mieux adaptée.
3. La politique monétaire doit rester orientée en priorité vers la stabilité
des prix tandis que la politique macro-prudentielle doit s’occuper de la
stabilité financière.
4. Repousser l’horizon retenu pour atteindre l’objectif chiffré de hausse
des prix devrait permettre de mieux prendre en compte la stabilité financière,
ce qui ne veut pas dire que cela serait facile à faire.
5. La politique monétaire reste un levier d’action efficace dans les
grandes économies pour stabiliser l’activité économique.
6. En cas de renchérissement des prix des matières premières et des pro-
duits de base, une coordination de l’action des grandes banques centrales
serait souhaitable.
7. Un relèvement de l’objectif chiffré d’inflation en vue de faciliter la
sta- bilisation de l’activité économique est une proposition qui mérite d’être
exami- née de près, notamment pour une union monétaire. Aux États-Unis,
où il n’y a pas d’objectif chiffré officiel, l’adoption du ciblage du niveau
général des prix renforcerait l’ancrage nominal.
8. L’articulation de la politique monétaire et de la politique macro-
prudentielle conformément au principe de Mundell devrait permettre, sinon
d’éviter, du moins de limiter le développement d’une bulle alimentée par une
explosion du crédit
9. Dans ce cadre, la politique monétaire doit être affectée en priorité au
maintien de la stabilité des prix et conduite conformément aux principes
d’une règle de Taylor simple. La politique macro-prudentielle doit être
destinée à assurer la stabilité financière et reposer principalement, elle aussi,
sur l’appli- cation d’une règle, par exemple, l’imposition d’un ratio de
capital contra- cyclique.
10. Les politiques monétaires menées par les grandes banques centrales
ont des implications sur la liquidité internationale, les mouvements de
capitaux et les marchés internationaux des matières premières et des produits
de base. Cela renforce la nécessité d’une coordination internationale des
politiques monétaires pour éviter le développement de déséquilibres financiers
dans l’éco- nomie mondiale.

24 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


1. Gouvernance
Au cours des vingt années qui ont précédé la crise, la gouvernance du
central banking a évolué en direction du triptyque indépendance-
transparence- responsabilité. C’est dans le cadre de cette architecture que
doivent être examinées les principales questions soulevées par la crise.

1.1. Tendances observées avant la crise


Les banques centrales ont habituellement les responsabilités suivantes
(Blinder, 2010) :
• conduire la politique monétaire, en étant autorisées à exercer la
fonction de prêteur en dernier ressort (PDR) dans certains cas
exceptionnels ;
• assurer la stabilité financière (« éviter et limiter les paniques »), en
ayant la possibilité d’exercer la fonction de PDR de manière moins
limita- tive que dans le cadre de la précédente mission ;
• superviser et réglementer les activités des banques, une mission de
moins en moins exercée au sein même de la Banque centrale, mais par
l’intermédiaire d’agences ;
• assurer le bon fonctionnement des systèmes de paiement et de règle-
ment, avec, ici aussi, la possibilité d’exercer la fonction de PDR.
La première correspond à leur mission relative à la stabilité monétaire
; les trois autres à celle qui est la leur en matière de stabilité financière.
Aussi peut-on résumer l’ensemble de leur action en disant que « le thème
central des fonctions d’une Banque centrale contemporaine est d’assurer
la stabi- lité – celle du pouvoir d’achat de la monnaie du pays et celle de
son sys- tème financier »(1).

1.1.1 Triptyque indépendance-transparence-responsabilité


Le modèle fondé sur le triptyque indépendance-transparence-
responsa- bilité (ITR) s’est imposé largement comme le modèle de
référence pour la gouvernance des banques centrales : leur autonomie y
va de pair avec des exigences accrues en matière de transparence et de
responsabilité démocra- tique. Ce modèle a notamment servi à établir le
Code de bonnes pratiques pour la transparence des politiques monétaire
et financière publié par le FMI en vue de renforcer le système monétaire
et financier international (FMI, 2000).
Les pouvoirs importants délégués par l’État à la Banque centrale en
matière monétaire et financière peuvent influencer le bien-être social, no-
tamment la répartition du revenu au sein de la société ainsi qu’entre les

(1) Gerry Corrigan, ancien Président de la Banque fédérale de réserve de New York, cité
par Davies et Green (2010) p. 19.

BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 25


générations. Par conséquent, des garde-fous sont nécessaires pour
qu’aucune
menace de caractère politique n’entrave le bon exercice de ces pouvoirs.
La transparence est considérée comme une propriété essentielle de la
bonne gouvernance d’une Banque centrale. Elle signifie que les objectifs
des politiques monétaire et financière, leur cadre juridique, institutionnel
et administratif, les décisions qui en relèvent et les motifs de ces
décisions, de même que les données et l’information qui y ont trait et les
principes qui définissent l’obligation de rendre compte (responsabilité
civique) des ban- ques centrales sont présentés au public de manière
compréhensible et ac- cessible, en temps utile (FMI, 2000).
De manière générale, quand, dans une démocratie, une fonction est dé-
léguée par un gouvernement à une agence, celle-ci est responsable vis-à-vis
du pouvoir exécutif ou du pouvoir législatif. La Banque centrale étant in-
vestie d’une mission de service public, elle est, dans un pays
démocratique, comptable de ses actes et doit être en mesure de
s’expliquer et d’être éva- luée. En outre, cette responsabilité renforcerait
l’efficacité de la politique :
« Comme ceux qui en sont chargés sont exposés à des sanctions, on peut
s’attendre à ce qu’ils soient remplacés s’ils sont incompétents et qu’ils
soient incités à mieux remplir les tâches qui leur sont confiées »
(Mishkin, 2007). Cette obligation de rendre compte comporte
généralement trois aspects :
• contrôle par des tiers ;
• comptes rendus d’activité réguliers ;
• risque de répercussions négatives si les résultats sont jugés insuffi-
sants (Geraats, 2009).
L’exercice de la responsabilité se heurte à des difficultés si la Banque
centrale ne contrôle qu’imparfaitement les objectifs assignés à son action
et/ou si les conséquences de ses décisions ne sont observables qu’avec un
délai temporel important et variable et sont soumises à d’autres
influences.

1.1.2. Mise en conformité de la gouvernance de la politique


monétaire avec le modèle ITR
Au cours des vingt dernières années, la gouvernance de la politique
monétaire a été mise en conformité avec le modèle ITR. Dans la plupart
des pays, l’indépendance opérationnelle de la Banque centrale prévaut de
plus en plus avec, comme mission essentielle, la stabilité des prix sur la
base d’objectifs chiffrés.
Si l’on considère les objectifs de politique monétaire des banques cen-
trales du G20 figurant dans leurs statuts, le schéma général est le suivant
(Archer et Bingham, 2009) : la stabilité des prix – ou son équivalent, la
stabilité du pouvoir d’achat intérieur de la monnaie – est l’objectif domi-
nant ; dans la plupart des cas, il s’agit d’un objectif unique ou qui prime
sur les autres objectifs mentionnés ; lorsque ce n’est pas le cas, aucun
objectif
26 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
dominant n’est indiqué et une définition large de la valeur de la monnaie
est utilisée en lieu et place (Inde). Certains pays font exception et ont un
objec- tif légal dominant même s’il n’est pas lié aux prix : Afrique du
Sud, Chine, Indonésie et Russie ; pour les deux premiers, la stabilité de la
valeur de la monnaie est définie par la loi comme l’objectif unique, mais
il n’est pas précisé clairement s’il s’agit de la valeur interne ou de la
valeur externe.

1. Objectifs d’inflation actuellement en


vigueur dans les économies du G20
Objectif d’inflation Mesure de l’inflation
Ciblage Indice des prix
États-Unis 1,5 – 2 % Officieux PCE
(inflation structurelle)
Zone euro < (proche de) 2 % Officieux IHPC
Japon 0–2% Officieux IPC
Chine — — —
Royaume-Uni 2% Officiel IPC
Russie 6–7% — IPC
Brésil 4,5  2 % Officiel IPCA
Canada 1–3% Officiel IPC
Inde — — —
Mexique 31% Officieux IPC
Australie 2 – 3 % sur la durée du cycle Officiel —
Corée du Sud 2–4% Officiel IPC
Turquie 5,5 % (fin 2011) Officiel IPC
Indonésie 51% Officiel —
Arabie saoudite — — —
Argentine 15,5 – 24,2 % croissance M2 — —
Afrique du Sud 3–6% Officiel IPC
Source : Morgan Stanley.

Les objectifs de politique monétaire s’inscrivent généralement dans le


cadre de mandats hiérarchiques : la politique monétaire doit être orientée
en priorité vers la stabilité des prix ; si elle est réalisée, d’autres objectifs
– par exemple, un « niveau d’emploi élevé » ou une « croissance soutena-
ble et non inflationniste » – peuvent être poursuivis. La situation aux
États- Unis est très différente : d’après les statuts de la Réserve fédérale, «
(son) Conseil des gouverneurs et le Comité fédéral de l’open market
doivent as- surer une croissance à long terme des agrégats de monnaie et
de crédit compatible avec la croissance potentielle de la production, de
façon à pro- mouvoir le niveau d’emploi maximum, la stabilité des prix et
des taux d’in- térêt à long terme modérés ». À l’évidence, ce dernier
objectif ne peut être atteint que si la stabilité des prix est assurée ; aussi,
en pratique, le mandat de la Fed est-il dual : elle a deux objectifs –
stabilité des prix et emploi maximum – de même importance de sorte que
des conflits sont possibles (voir la section 3).

BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 27


Les décisions de politique monétaire étant politiquement sensibles, les
confier à un organisme indépendant est le meilleur moyen de les mettre
l’abri des pressions politiques. La plus grande autonomie conférée par
rap- port aux autorités politiques conférée aux banques centrales est l’un
des traits les plus saillants de l’évolution du central banking. Sur le plan
théo- rique, cette évolution a été justifiée par comme une solution au
problème d’incohérence temporelle. La « délégation » de la politique
monétaire à un banquier central indépendant aboutirait à une réduction du
biais inflation- niste résultant d’un manque de crédibilité de la politique
monétaire. Cette justification a certes été discutée, mais, dans leur
majorité, les économistes privilégient l’autonomie de la Banque centrale
pour surmonter le biais in- flationniste. Dans son application, celle-ci est
d’autant plus forte qu’elle combine l’indépendance en matière d’objectifs
ainsi qu’en matière d’ins- truments (Fisher, 1995). Les travaux
empiriques confirment la relation po- sitive entre l’indépendance
opérationnelle des banques centrales et les ré- sultats obtenus en matière
d’inflation et de production et donc, finalement, en termes de bien-être
général.
Trois conclusions principales se dégagent d’une analyse complète de
l’autonomie des banques centrales portant sur 163 économies (Arnone et
al., 2007) :
• les banques centrales des pays industrialisés restent plus indépen-
dantes, d’un point de vue tant politique qu’économique, que celles des
autres régions ;
• il existe une relation positive entre le degré d’indépendance de la
Banque centrale(2) et le niveau de développement économique ;
• à partir des années quatre-vingt s’est amorcé un mouvement de ren-
forcement de l’indépendance des banques centrales.
L’adoption d’objectifs chiffrés rigoureusement définis contribue à pro-
téger les décisions de politique monétaire des influences politiques. Ils con-
cernent une des trois variables suivantes : l’inflation, le taux de change ou
la masse monétaire. Au cours des années quatre-vingt-dix, le choix de la
première l’a emporté. Le tableau 1 fait apparaître que la quasi-totalité des
banques centrales du G20 affichent aujourd’hui des objectifs d’inflation
quantifiés ; l’Arabie saoudite, la Russie et la Chine sont les seules excep-
tions. Ces objectifs sont officiels là où le « ciblage » de l’inflation est en
vigueur : économies développées de « petite » ou « moyenne » dimension
(Australie, Canada, Royaume-Uni) ; économies émergentes (Corée du
Sud, Indonésie, Brésil, Mexique, Turquie, Afrique du Sud). Ils le sont
aussi pour la zone euro, mais restent « officieux » aux États-Unis et au
Japon ainsi qu’en Inde. Dans les économies développées, ils sont fixés au
voisinage de 2 % ; ils sont plus élevés et variables dans les économies
émergentes où ils se situent dans une fourchette comprise entre 3 %
(milieu de la fourchette

(2) Il est mesuré par l’indicateur mis au point par Grilli, Masciandaro et Tabellini (1991).
28 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
retenue par la Corée du Sud) et 6,5 % (Turquie), voire au-dessus (8,5 % en
Inde). Comme les mesures de politique monétaire mettent du temps avant
d’influencer l’activité économique et les prix, l’objectif quantifié de
hausse des prix est établi sur le moyen terme.
S’agissant de la transparence, sa portée et sa teneur dépendent du ré-
gime de politique monétaire et de la stratégie retenue. Si c’est le « ciblage
» de l’inflation, l’exigence de transparence est particulièrement forte :
pour asseoir sa crédibilité, la Banque centrale doit donner des
informations et des analyses détaillées sur la cible visée et les
performances. Si c’est un ancrage du taux de change, la diffusion de
certaines informations peut être restreinte pour limiter le risque de
perturbation des marchés. Une plus grande transparence de la politique
monétaire favorise des conditions propices aux meilleurs résultats
économiques de sorte que les banques centrales gagnent en crédibilité.
Celle-ci peut être acquise plus rapidement si le public dis- pose
d’informations suffisantes lui permettant d’évaluer la cohérence des
politiques et leur mise en œuvre ainsi que le lien entre les mesures
adoptées et les objectifs.
Au cours des dix années qui ont précédé la crise, les banques centrales
ont fait des efforts dans ce domaine et elles sont devenues, dans
l’ensemble, assez ouvertes (BRI, Rapport annuel, 2004). On observe une
grande homo- généité dans certains critères de transparence, tels
qu’objectifs explicites et annonces des décisions (par communiqué de
presse, par exemple). En outre, la plupart des banques centrales publient
désormais régulièrement des ana- lyses détaillées de la situation et des
perspectives de l’économie. Il y a cependant une moindre homogénéité
quant au niveau de détail et au délai de présentation des motivations de
leurs décisions ; cela s’applique notam- ment aux procès-verbaux des
réunions, que certaines banques centrales ne publient d’ailleurs pas.
Tout comme l’autonomie, la transparence reste difficile à mesurer. Un
indice a été mis au point auquel on fait habituellement référence
aujourd’hui (Eijffinger et Geraats, 2006). Il est construit en fonction de la
disponibilité de l’information pertinente pour la conduite de la politique
monétaire et prend en compte les dimensions politique, économique,
procédurale et opéra- tionnelles de la transparence(3) ; il peut prendre des
valeurs allant de 0 à 15. Il est disponible pour 37 pays, à la fin des années
quatre-vingt-dix en 2006. Si on examine son évolution dans les différentes
régions du monde (graphique 1), un mouvement généralisé vers une plus
grande transparence de la politique

(3) Transparence économique : publication des données statistiques, des modèles et des
prévisions utilisées par la Banque centrale pour prendre ses décisions ; Transparence
procédurale : communication d’une stratégie de politique monétaire explicite ainsi que de
l’information sur la prise de décision ; Transparence politique : annonce et explication
régu- lières des décisions de politique monétaire et indications sur les actions probables
dans le futur ; Transparence opérationnelle : discussion portant sur les chocs économiques
et les erreurs de politique susceptibles d’affecter sa transmission.
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 29
monétaire semble se dessiner au cours de la période précédant la crise(4) .
Cette évolution d’ensemble masque toutefois des différences
importantes : si les progrès réalisés ont été significatifs dans les
économies développées, il n’y a pas eu de changement notable dans les
économies émergentes et en développement. S’agissant de la Banque
centrale européenne (BCE), on note que sa transparence est meilleure que
celles des banques centrales des douze premiers pays membres de la zone
euro mais qu’elle reste en deçà de la moyenne des économies ayant un
objectif chiffré de hausse des prix.
En 2005, la situation était la suivante : la Reserve Bank of New
Zealand, la Swedish Riksbank et la Bank of England étaient les plus
transparentes ; venaient ensuite la Bank of Canada, la Banque centrale
européenne et la Federal Reserve ; la Reserve Bank of Australia, la Bank
of Japan et la Swiss National Bank étaient les « mauvais élèves ».

1. Évolution de la transparence des banques centrales


15

12

0
1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005

Afrique Amérique Europe


Asie Océanie Moyenne

Source : van der Cruijsen, Eijffinger et Hoogduin (2010).

Il ressort de l’analyse théorique qu’une meilleure transparence a des


conséquences macroéconomiques ; mais elles varient d’un modèle à
l’autre et il est difficile de tirer des conclusions générales à ce sujet. La
transpa-

(4) Mais Crowe et Meade (2008) trouvent que, globalement, la transparence n’a pas aug-
menté de manière significative depuis la fin des années quatre-vingt-dix.

30
rence est bénéfique quand les asymétries d’information sont une source
d’inefficiences ; en revanche, elle peut être coûteuse si la Banque centrale
peut les compenser en utilisant l’avantage dont elle dispose en matière
d’in- formation. La théorie ne permet donc pas de dire quel est le niveau
optimal de transparence (Blinder et al., 2008) et seule l’analyse empirique
permet aujourd’hui d’en avoir une idée.
Le dernier élément du triptyque – la responsabilité – a été moins
étudié que les deux autres. Il n’existe pas d’indicateur global, analogue
aux deux précédemment utilisés, permettant de dire quelle est la situation
de chaque Banque centrale en la matière et de les comparer. C’est sans
doute parce que l’on estime généralement que transparence et
responsabilité vont de pair et que la première est le meilleur moyen de
garantir la seconde. Par ailleurs, si, au vu de tous les éléments précédents,
il n’est pas exagéré de dire que la gouvernance de la politique monétaire
s’est partout rapprochée du modèle ITR, cela ne veut pas dire que sa
généralisation ne s’est pas accompagnée de la prise en compte des
spécificités nationales ou régionales. En particulier, l’évolution n’a pas été
la même dans les économies indus- trielles développées et dans les
économies émergentes et en développement. Cela s’explique en
particulier par la différence de développement du sys- tème bancaire et
financier et le caractère plus fragile des canaux de trans- mission de la
politique monétaire dans celles-ci (Kempf et Lantieri, 2008).

1.1.3. Problèmes rencontrés pour mettre la gouvernance


de la politique financière en accord avec le modèle ITR
Les banques centrales qui ont la responsabilité de jure de la politique
financière constituent une minorité. Parmi celles-ci, très peu ont un
objectif explicite en la matière ; par exemple, en Chine, la Banque
populaire « doit… prévenir et atténuer les risques financiers et préserver
la stabilité finan- cière ». Si c’est le cas, leur degré de responsabilité dans
la réalisation de cet objectif reste conditionnel et vague : « promouvoir un
système financier sûr, stable ou solide » (Turquie) ou, simplement, «
contribuer » à la stabi- lité financière ou aux initiatives de toute autre
autorité chargée d’un objec- tif de stabilité financière (Australie,
Eurosystème, Japon, Suisse) (Archer, 2010). Toutefois, comme on le voit
dans le tableau 2, la plupart d’entre elles estiment avoir une
responsabilité de facto en la matière.
Considérés à travers leurs statuts, les objectifs de la politique
financière des banques centrales restent très vagues. C’est vrai dans les
économies industrielles avancées et, encore plus, dans les économies
émergentes (cf. la définition de chacune des missions de la Banque
populaire de Chine
– PBOC). Les définitions que l’on peut trouver par ailleurs, par exemple,
dans les revues de stabilité financière ne sont pas plus précises. Comme
c’est souvent le cas, la stabilité financière est ici définie en faisant réfé-
rence à son contraire, l’instabilité financière, elle-même caractérisée par
une série de dysfonctionnements dont la liste n’est pas exhaustive et qu’il
est plus ou moins facile de diagnostiquer. Par exemple, une interruption
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 31
dans le fonctionnement d’un système de paiement est aisément
identifiable
mais comment savoir si une bulle s’est constituée ? si les variations des
prix de certains actifs ou l’emballement du crédit sont excessifs ? si la dé-
faillance d’une institution financière est la conséquence de problèmes
d’illiquidité ou d’insolvabilité ?

2. Rôle des banques centrales dans la stabilité financière


En %

des économies

développées
Économies
Ensemble

Autres
Ayant une responsabilité de jure 3 9 2
Responsabilité de facto déduite 34 89 18
 des objectifs de politique monétaire 10 26 5
 des fonctions relatives au système de paiement 8 20 4
 de la fonction de supervision du système bancaire 12 26 8
 autre interprétation 5 17 1
Paiements extérieurs 100 100 100
Supervision des banques 47 34 51
Supervision de l’ensemble des institutions financières 16 11 18
Publication d’un rapport sur la stabilité financière 29 77 15
Existence d’un service distinct de stabilité financière 32 83 17
Responsabilité générale clairement précisée 45 63 40
Respons. en matière de stabilité financière clairement précisée 2 6 1

Source : Cihák (2010).

S’agissant de leur autonomie en la matière, les banques centrales exer-


cent leur(s) mission(s) financière(s) en relation et en collaboration avec
d’autres organismes de contrôle et de surveillance. Dans ces conditions,
elles n’ont pas dans ce domaine l’autonomie qui est la leur pour la
politique monétaire. S’agissant de la transparence, il est difficile de définir
des critères de performance quantitatifs pertinents pour ces missions et les
objectifs correspondants ; aussi ne sont-ils pas associés habituellement à
des objec- tifs formels. S’agissant enfin de l’obligation de rendre compte,
le critère de performance se limite au respect de procédures appropriées
(Gerats, 2010).
Différents arguments peuvent être avancés à l’appui de la thèse selon
laquelle l’autonomie de la Banque centrale favorise la stabilité financière
(Klomp et de Haan, 2009). Une plus grande autonomie vis-à-vis des pres-
sions politiques permettrait une intervention plus précoce et plus décisive
pour éviter que des déséquilibres financiers ne débouchent sur une crise
(Cihák, 2007). Quand celle-ci a éclaté, les mécanismes de prise de
décision et les incitations au sein de la sphère politique pourraient
conduire à une réaction trop tardive (Alesina et Drazen, 1991).
32 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
Une Banque centrale sous tutelle, si elle est responsable de la supervi-
sion micro-prudentielle, aura plus de mal à imposer les ajustements
néces- saires de la part d’institutions financières fragiles en raison des
pressions politiques qu’elle subira (Cihák, 2007). Elle sera sans doute
amenée aussi à apporter plus facilement son concours à des institutions
financières en dé- tresse ce qui accroît le risque d’aléa de moralité.
Tout comme la politique monétaire, la politique financière serait con-
frontée à un problème d’incohérence temporelle (Cihák, 2010). Face à
l’ins- tabilité financière l’autorité responsable peut se montrer «
inflexible » ou
« laxiste ». Si elle peut convaincre les marchés de son « inflexibilité »,
dans l’éventualité de tensions financières, elle est incitée à se montrer «
laxiste » : les coûts supportés à court terme seront moins élevés. Si les
anticipations sont rationnelles, les autres acteurs ne croient pas à la
déclaration initiale. Le problème est le même que pour la politique
monétaire et seul un engage- ment crédible permet de le résoudre.
Déléguer la responsabilité du main- tien de la stabilité financière à une
Banque centrale indépendante, en met- tant à sa tête un responsable
connu pour sa forte aversion à l’instabilité financière, pourrait être la
solution.
Une évaluation d’ensemble de la gouvernance des banques centrales
dans le domaine de la politique financière pour les pays de l’OCDE,
avant la crise a été proposée à partir de trois critères (de Haan et
Oosterloo, 2006) :
• ses fondements juridiques ;
• la transparence saisie à travers la fourniture d’informations sur la
sta- bilité financière ;
• la relation formelle unissant le mandataire (la Banque centrale) à
son mandant.
Deux conclusions ressortent :
• dans la plupart des économies de l’OCDE, la loi n’assigne pas d’ob-
jectif clair aux autorités chargées de la supervision financière ;
• généralement, il n’existe pas de dispositions précises en vue
d’assurer la responsabilité des banques centrales en matière de stabilité
financière.
Un indicateur offrant une évaluation d’ensemble de la politique finan-
cière – sur la base de dispositions légales relatives à l’autonomie, à la
trans- parence et à la responsabilité – a été construit (Quintyn, Ramirez et
Taylor, 2007). Globalement, la place accordée à la Banque centrale ne
semble pas avoir d’incidence sur la gouvernance : le rating est
indépendant de la loca- lisation des superviseurs. Mais on peut noter que :
• les superviseurs localisés à l’intérieur de la Banque centrale bénéfi-
cient d’une plus grande autonomie alors même que les dispositions visant
à assurer leur responsabilité en matière financière sont moins élaborées(5)
;
• la diversité des situations nationales est plus forte en matière d’auto-
nomie qu’en matière de responsabilité ; les avis quant aux bénéfices de la
(5) Pour Quintyn et al. (2007), cela pourrait s’expliquer par l’accent mis sur leur responsa-
bilité en matière monétaire.

BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 33


première seraient donc partagés et la responsabilité se verrait accorder
plus
d’importance (Masciandaro, Quintyn et Taylor, 2008).
Au total, il apparaît que les tendances observées au cours des vingt an-
nées ont conduit à mettre la gouvernance de la politique monétaire plus
ou moins en conformité avec le triptyque indépendance – transparence –
res- ponsabilité, alors que celle de la politique financière en est restée très
éloi- gnée (tableau 3).

3. Comparaison des gouvernances de la politique monétaire


et de la politique financière
Politique monétaire Politique financière
Définition générale Claire Ensemble de définitions
Définition opérationnelle Claire (objectif chiffré) Non spécifiée
Fondements juridiques du Précisés par la loi/ Interprétation de la loi/
rôle de la Banque centrale les statuts des statuts
Étendue de la responsabilité Responsabilité totale Responsabilité
de la Banque centrale partielle/partagée ;
frontières exactes parfois
pas précisées
Interventions Régulières et très Ponctuelles
fréquentes
Recherche Avancée En développement

Source : Cihák (2010).

1.2. Questions soulevées par la crise


1.2.1. Quelle part de responsabilité de la gouvernance dans la crise
?
Les grands principes d’organisation de la gouvernance des banques
cen- trales sont indépendants de son environnement macroéconomique et
insti- tutionnel. La crise ne les remet pas en cause. En particulier, s’il est
difficile d’indiquer avec précision quel est le degré optimal d’autonomie
de la Ban- que centrale à l’égard du politique, il est largement admis qu’il
doit être élevé, aussi bien de jure (dans les statuts) que de facto
(indépendance effec- tive), en particulier dans ses relations économiques
avec le gouvernement (prohibition ou, au moins, limitation et réduction
du financement moné- taire) (Kempf et Lantieri, 2008). Sur ce point, le
principal enseignement des études récentes consacrées à cette question est
clair : rien ne doit être changé (de Haan, Masciandaro et Quintyn, 2008)
L’autonomie pourrait-elle présenter un danger pour la stabilité finan-
cière ? Cette question fait l’objet d’une étude portant sur un grand nombre
d’économies, pour la période 1985-2005 (Klomp et de Haan, 2009). La
relation entre les variations enregistrées dans l’autonomie de la Banque
centrale et le degré d’instabilité financière – mesuré par un indice prenant
en compte non seulement les crises bancaires mais aussi l’instabilité dans
34 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
d’autres parties du système financier – est représentée sur le graphique 2.
Elle fait l’objet d’estimations économétriques au moyen de modèles
dyna- miques où des variables de contrôle sont introduites. S’en dégage
une rela- tion négative significative robuste entre les deux variables, par
conséquent, l’autonomie de la Banque centrale favoriserait non seulement
la réalisation de la stabilité des prix, mais aussi le maintien de la stabilité
financière. D’autres conclusions ressortent :
• l’instabilité financière serait moins grande dans les pays où la
Banque centrale a un mandat explicite en matière de supervision
financière ;
• l’instabilité financière dépend d’autres variables : une croissance
plus élevée du PIB la réduit ; la libéralisation financière, l’instabilité
politique et les défaillances du cadre juridique l’accroissent.

2. Indépendance et stabilité financière


30
Instabilité financière (en différence première)

20

10

– 10

– 20

– 30

– 40

0,0 0,1 0,2 0,3 0,4 0,5 0,6 0,7 0,8 0,9
Indépendance de la banque centrale (en différence première)
Lecture : Le graphique met en évidence une relation décroissante entre l’indépendance de
la Bnaque centrale et l’instabilité financière. En ordonnées figure la variation de
l’instabilité financière : celle-ci diminue quand l’indépendance augmente.
Source : Klomp et de Haan (2009).

1.2.2. Quels aménagements de la politique monétaire pour l’après-crise ?


S’agissant de la stratégie de politique monétaire, si quelques
banquiers centraux se déclarent favorables à une révision de celles de la
BCE et de la Fed, la majorité des universitaires la trouverait opportune(6).

(6) Pour parer au biais déclaratif des réponses au questionnaire, on ne cite pas, tout au long
de cette partie, de pourcentage précis, mais on utilise des qualificatifs à caractère général :
< 33 % : « peu/quelques uns » ; > 33 % : « beaucoup » ; > 50 % : « la plupart/la majorité » ;
> 66 % : « une majorité sensible » ; > 85 % : « presque tous ». Ces seuils correspondent à la
pratique courante (voir, par exemple, FMI, 2000, note 13).
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 35
Extrait du questionnaire (question 4.2.1) :
Suite à la crise, les stratégies de ciblage d’inflation, la stratégie
de la BCE et celle de la Fed doivent-elles être révisées ?

Oui
Non
NSPP

3%
55%

42%

100%
8%
21%
80%

60%
83%

40% 79%

20%

8%
0%
Banquiers centraux Economistes

36 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


Le « ciblage » de l’inflation pourrait être remplacé par celui du niveau
général des prix (NGP). Avec le ciblage des prix, la Banque centrale an-
nonce que sa politique de taux a pour objectif de maintenir, à moyen-long
terme, le NGP le long d’une trajectoire affichée à l’avance correspondant,
par exemple, à un taux d’inflation moyen de 2 %. La principale différence
entre l’inflation targeting (IT) et le price targeting (PT) est la suivante :
avec l’IT, si l’inflation observée est au-dessous de la cible, la Banque
cen- trale ne cherche pas à corriger l’écart constaté (« lets bygones be
bygones ») ; avec le PT, elle s’efforce de ramener le niveau général des
prix sur le sen- tier désiré (graphique 3).

3. « Ciblage » du niveau général des prix

NGP

NGPt*

PT
IT

Temps
Lecture : PT = price targeting ; IT = inflation targeting ; NGP = niveau général des prix.
Source : Auteur.

Au moment où les réponses au questionnaire ont été données, c’est-à-


dire au début de l’année 2010, cette proposition avait peu de partisans
aussi bien du côté des banquiers centraux que chez les universitaires. À ce
moment-là, il semblait que la sortie de crise était une affaire entendue ;
les banques centrales avaient elles-mêmes commencé à faire des
déclarations dans ce sens à compter de l’été 2009. Il est bien vite apparu
que ce diagnos- tic était trop optimiste. L’adoption, à titre transitoire, du
ciblage du niveau général des prix fait partie des solutions qui ont alors
été avancées pour faire face à l’aggravation de la situation (Woodford,
2010).

BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 37


Extrait du questionnaire (question 4.2.2) :
Le ciblage du niveau des prix est-il préférable au ciblage
de l’inflation ?

Oui
Non
NSPP

65%
19%

16%

100%

15% 17%

80%

60%
54%
85%
40%

20%
29%

0%
Banquiers centraux
Economistes

38 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


S’agissant de l’objectif chiffré d’inflation, la proposition consistant à le
relever à 4 % dans les économies développées, avancée par Blanchard et
al. (2010) est l’une des plus débattues. Les défenseurs d’une politique
mo- nétaire visant à « cibler » les prix des actifs (cours boursiers, taux de
change, prix immobiliers, etc.) sont rares. Beaucoup plus nombreux sont
ceux qui proposent d’en intégrer certains dans la mesure du niveau
général des prix. Cette proposition a des fondements théoriques solides
d’où il ressort que cette mesure doit intégrer non seulement les prix des
biens de consomma- tion présents, mais aussi ceux des biens de
consommation futurs. Ceux-ci ne sont pas observables directement mais
les prix des actifs en donneraient une bonne approximation. Sans parler
de les prendre tous en compte, ce qui serait difficile, ne pourrait-on pas,
au moins, incorporer les prix de l’immo- bilier dans l’indice du coût de la
vie ?
S’agissant de la politique de taux d’intérêt, avec l’IT, elle est
influencée par l’évolution des prix des actifs si, et seulement si, celle-ci
est susceptible d’influencer l’activité économique et les prix à travers ses
conséquences sur la demande (effet richesse). Indépendamment de cela,
la Banque cen- trale pourrait-elle leur accorder un rôle plus important en
« naviguant » parfois à « contre-courant » (« leaning against the wind »),
par exemple en relevant ses taux directeurs en l’absence de risque
inflationniste à l’horizon habituellement retenu (deux ou trois ans) ? Au
départ, dans la stratégie moné- taire à deux piliers de la BCE, le second
était uniquement destiné à établir une prévision d’inflation au-delà de
l’horizon adopté dans le premier pilier ; il consistait donc dans un suivi
des agrégats de monnaie. Au fil du temps, il a accordé de plus en plus
d’importance à la surveillance du crédit en mettant en avant des
considérations relatives à la stabilité financière. On propose parfois de
généraliser le recours à ce second pilier ainsi « revisité » et même d’en
renforcer l’importance dans la conduite de la politique moné- taire.
Il n’est généralement pas possible de maintenir à la fois la stabilité
mo- nétaire et la stabilité financière en utilisant seulement la politique de
taux d’intérêt. Son niveau correspondant à la réalisation de l’objectif
d’inflation peut être différent de celui exigé pour faire face aux
déséquilibres finan- ciers (par exemple, des bulles sur les prix d’actifs).
Aussi la nécessité d’ap- pliquer le principe de Tinbergen en ayant un
instrument supplémentaire, la politique macro-prudentielle, est-elle
largement reconnue.
Dans le cadre des réformes financières, la plupart des pays du G7 ont
pris des mesures allant dans ce sens (créations du Conseil européen du
risque systémique pour l’Union européenne, du Financial Policy
Committee au Royaume-Uni ou encore du Financial Stability Oversight
Council aux États-Unis). Si l’on prend le cas de la BCE, une majorité
sensible d’écono- mistes (80 %) et de banquiers centraux (73 %)
approuve cette évolution.

BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 39


Extrait du questionnaire (question 3.6.2) :
Est-ce une bonne chose d’avoir doté la Banque centrale
européenne de prérogatives macro-prudentielles ?

Oui
Non
NSPP

78%

16%

6%

100%
10%
27% 10%
80%

60%

80%
40% 73%

20%

0%
Banquiers centraux Economistes

40 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


« Avec un objectif supplémentaire, à savoir la ‘gestion’ de l’évolution
du crédit et/ou des prix des actifs afin d’éviter l’instabilité financière, il
est nécessaire de disposer d’un instrument supplémentaire qui attaque
plus di- rectement le problème à sa source. C’est ce que la politique
macro- prudentielle est supposée faire » (Bean et al., 2010). La
dimension macro- économique de cette politique prudentielle est cruciale
en raison de l’exis- tence d’externalités ignorées par la politique micro-
prudentielle : « passer d’une forme de supervision institution par
institution à une autre soucieuse de la stabilité de l’ensemble du système
financier est une nécessité » (Bernanke, 2010). Pour aller dans ce sens,
différentes propositions ont été faites. Celles de la NYU-Stern (Acharya
et al. 2009), des auteurs du Geneva Report sur le sujet (Brunnermeier et
al., 2009) et du Groupe des Trente (2009) sont les plus débattues.
Si le principe général d’une politique macro-prudentielle est acquis, il
reste à la rendre opérationnelle. Cela soulève toute une série de questions
relatives à sa transparence procédurale, sans parler de celles portant sur la
responsabilité de l’autorité responsable :
• quel(s) objectif(s) ? La transparence de la politique financière, en
gé- néral, et celle de la politique macro-prudentielle, en particulier,
restent très en deçà de celle de la politique monétaire. Par exemple, dans
le cadre de la réforme décidée par le nouveau gouvernement britannique,
la mission de la Banque d’Angleterre relative à la stabilité monétaire reste
clairement défi- nie en relation avec le « ciblage » de l’inflation – cf. «
Core Purpose 1: Monetary Stability » –, cela est beaucoup moins vrai
pour son rôle en ma- tière de stabilité financière – cf. « Core Purpose 2:
Financial Stability »(8). Un certain nombre de propositions ont été faites
pour aller plus loin : faire éclater les « bulles » associées à un boom du
crédit (Frederic Mishkin) ;
« renforcer la résilience du système bancaire » (Paul Tucker) ;
• quels instruments ? L’utilisation de ratios de liquidité et/ou celles de
ratios de capital sont celles qui reviennent le plus souvent ;

(8) « Objectif principal n° 1 ‘stabilité monétaire’ : la stabilité monétaire signifie des prix
stables et la confiance dans la monnaie. Les prix stables sont définis par une cible
officielle d’inflation que la Banque centrale cherche à atteindre via les décisions
déléguées au Conseil de politique monétaire, en expliquant ses décisions de manière
transparente et en les mettant en œuvre sur le marché monétaire. Objectif principal n° 2
‘stabilité financière’ : la stabilité financière implique de détecter et de réduire les menaces
sur le système financier dans son ensemble. De telles menaces sont détectées par les
services de surveillance de la Banque. Elles sont réduites en renforçant les infrastructures
et par d’autres interventions financières ou autres, sur le marché domestique ou à
l’étranger, en incluant, dans des circonstances exceptionnelles, la fonction de prêteur en
dernier ressort », (Banque d’Angleterre, 2010).
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 41
• quels indicateurs ? Pour la BRI, la variable idéale constituerait à la
fois un indicateur avancé des tensions financières en phase d’expansion et
un indicateur courant des tensions lorsqu’elles se matérialisent(8) ;
• quels principes ? Il serait souhaitable que la politique macro-
prudentielle soit transparente et prévisible tout en conservant une certaine
flexibilité. La proposition la plus courante consiste dans l’application
d’un ratio de capital « anticyclique ».
Les grandes lignes de la politique macro-prudentielle pourraient être
les suivantes(9) :
• au niveau macroéconomique : construction d’indicateurs macro-financiers
du risque systémique, par exemple, la croissance du crédit ou celle de
l’ac- tif des banques ou encore une mesure du levier (en abscisses sur le
graphi- que 4) ; définition du niveau souhaitable de cet indicateur (X*),
avec une marge reflétant l’incertitude (d) ;
• au niveau microéconomique : si une banque dépasse la limite supé-
rieure correspondant à X + d, son ratio portant sur les encours pondérés
(RWA) est porté au-dessus de la valeur réglementaire retenue dans les ac-
cords de Bâle et augmente régulièrement avec X(10).

4. Principe d’une règle macro-prudentielle

Capital (en %)
RWA

K0
0
X* X* + d Croissance de l’actif ou du crédit (en
%) Mesure du levier
Source : Auteur.

(8) BRI (2010, p. 105). La BRI ajoute qu’« il se pourrait qu’une telle variable n’existe pas
». ;
(9) En reprenant les propositions avancées par Goodhart et Persaud (2008) ou Persaud
(2009) à ce sujet, voir Andreopoulos (2010).
(10) Par exemple, avec k0 = 8 %, X* = 10 %, d = 2 % et k = 0,5 * X, une banque dont la
croissance des crédits atteint 12 % voit son RWA porté à 9 %.

42 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


Mais « le diable est dans les détails ». Le passage des grands principes à
la mise en œuvre soulève un grand nombre de questions. Quelle est la va-
leur de X* pour l’ensemble de l’économie ? et, a fortiori, quelle est-elle
pour la banque individuelle ? En l’état actuel des connaissances, il est dif-
ficile d’y répondre. D’où la suggestion de s’en remettre en attendant à des
instruments comme le système de provisionnement dynamique ou encore
le calcul des exigences en capital non plus à partir de la situation
observée mais sur la base des résultats de stress tests(11).

1.2.3. Comment articuler politiques monétaire et macro-prudentielle ?


À cela s’ajoute la question difficile de la combinaison optimale entre
politique monétaire et politique macro-prudentielle. Partout, elle continue
de susciter des débats animés auxquels participent banquiers centraux et
universitaires(12). Ils ne sont pas près d’être clos. À l’évidence les interac-
tions entre les deux politiques sont nombreuses. D’un côté, la politique
monétaire influence les prix des actifs à travers les taux d’intérêt et le
déve- loppement de bulles peut créer un risque systémique, notamment si
elles s’accompagnent d’un emballement du crédit. En outre, la politique
moné- taire affecte à travers différents mécanismes l’acquisition d’actifs
par les
« leviers intermédiaires » (Adrian et Shin, 2009 et Bean et al., 2010) ainsi
que la qualité de ces actifs (Maddaloni, Peydró et Scopel, 2008). De
l’autre côté, une nouvelle politique macro-prudentielle devrait avoir des
consé- quences sur l’ensemble de l’économie – ne serait-ce qu’à travers
la modifi- cation du comportement des banques en matière d’offre de
crédit – sans que l’on sache très bien quelle pourrait en être l’ampleur.
Les autorités en ont bien conscience et reconnaissent la nécessité d’une
phase transitoire pour la mise en place de telles mesures.
La réponse la plus ambitieuse aux problèmes soulevés par les interac-
tions entre politique monétaire et politique macro-prudentielle consiste
dans leur coordination. Cela demande non seulement d’en confier la
responsabi- lité des deux à la Banque centrale, mais aussi de ne pas
séparer la prise de décision dans les deux domaines. Il est difficile
d’adopter cette solution en conservant le modèle ITR. Cela rendrait
extrêmement difficile l’exercice de l’autonomie de la Banque centrale,
pourrait nuire à la transparence de son action et compliquerait
sérieusement le contrôle de son action. Dans ces conditions, actuellement,
la réponse la plus réaliste consiste à s’en tenir au principe d’affectation
des instruments : dans les situations où le « first best » – la coordination –
est difficile à mettre en place, il est plus réaliste de se contenter du «
second best » consistant à affecter chaque instrument à

(11) Un instrument dont on a bien vu les limites dans le cas des banques européennes en
2010.
(12) Voir, par exemple, le séminaire organisé conjointement par le FMI et la Banque fédé-
rale de réserve de Chicago ‘Macroprudential Regulatory Policies: The New Road to
Financial Stability?’, 23-24 septembre 2010, cf.
http://www.imf.org/external/np/seminars/eng/2010/fed/ index.htm
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 43
44

5. Articulation du central banking autour du principe d’affectation des instruments


CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE

Coordination

Politique
monétaire Gestion Politique Politique Politiques
de la liquidité macro-prudentielle micro-prudentielle fiscale et budgétaire

Modèle du tryptique
Comité de politique
Comité de politique macro-prudentielle
monétaire
Principe Stabilité financière
Stabilité des prix de
Mundell Contribution
Contribution à la stabilité des prix
à la stabilisation et à la stabilistation
de l’activité conjoncturelle
économique
et à la stabilité
financière

Source : Auteur.
la réalisation de l’objectif pour lequel il est le plus performant. Conçu au
départ pour traiter les interactions entre politique monétaire et politique
budgétaire en vue d’atteindre simultanément l’équilibre interne et l’équi-
libre externe (Mundell, 1962), il suffit d’élargir le champ d’application de
ce principe à la combinaison politique monétaire-politique macro-
prudentielle : si l’on veut assurer à la fois la stabilité des prix et la stabilité
financière, il est préférable d’assigner le premier objectif à celle-là et le
second à celle- ci. Cela ne veut pas dire qu’il y a une séparation entre les
deux. La conduite de la politique monétaire doit tenir compte des
conséquences, dans son propre domaine, de la politique macro-
prudentielle – par exemple, de ses effets sur l’offre de crédit et, plus
généralement, sur l’ensemble des méca- nismes de transmission – et vice
versa (Banque d’Angleterre, 2009 et Yellen, 2010). Par ailleurs, dans les
situations où les deux objectifs sont complé- mentaires, la politique
monétaire, en cherchant à assurer la stabilité moné- taire, est amenée à
apporter aussi sa contribution à la stabilité financière.

1.3. Conclusion
Les principales conclusions de cette section sont les suivantes (graphi-
que 5) :
• la gouvernance de l’action des banques centrales doit rester
organisée autour du triptyque indépendance-responsabilité-transparence ;
• la politique monétaire ne peut se voir confier d’assurer à elle seule,
outre ses deux objectifs traditionnels – la stabilité monétaire et la stabili-
sation de l’activité économique –, la stabilité financière ;
• la politique macro-prudentielle est donc une nécessité (application
du principe de Tinbergen) ;
• on s’accorde aujourd’hui sur ses grandes lignes, notamment son arti-
culation autour d’un ratio de capital contra-cyclique ;
• mais, les nombreux problèmes posés par sa mise en œuvre sont loin
d’être résolus ;
• plutôt que d’envisager une coordination totale entre politique moné-
taire et politique macro-prudentielle, il vaut mieux s’en tenir à un pis-aller
consistant à affecter à chaque politique la réalisation de l’objectif pour le-
quel elle est la mieux adaptée (application du principe de Mundell) ;
• la politique monétaire doit rester orientée en priorité vers la stabilité
des prix et contribuer à la stabilisation de l’activité économique ainsi qu’à
la stabilité financière ;
• la politique macro-prudentielle doit s’attacher à la stabilité financière ;
• chacune doit prendre en compte l’impact de l’autre sur l’objectif
dont elle est chargée.

BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 45


Extrait du questionnaire (question 4.1.1) :
L’engagement des banques centrales à assurer la stabilité des
prix à moyen terme est-elle un déterminant important de la
confiance ?

Oui
Non

5%
95%

100%
7% 4%

80%

60%
93% 96%

40%

20%

0%
Banquiers centraux Economistes

46 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


2. Stabilité monétaire
À la question, « l’engagement des banques centrales à assurer la stabi-
lité des prix à moyen terme est-elle un déterminant important de la con-
fiance ? », presque tous les banquiers centraux (93 %) et tous les
universi- taires (96 %) répondent oui.
La section 2.1 cherche à montrer que ce point de vue est parfaitement
fondé : assurer la stabilité monétaire reste aujourd’hui une mission
capitale de la Banque centrale. La section 2.2 souligne qu’il s’agit autant
de proté- ger l’économie contre la déflation que de la mettre à l’abri de
l’inflation. La section 2.3 se demande si un relèvement de l’objectif
d’inflation ou l’adop- tion du « ciblage » du niveau général des prix
pourraient permettre d’assu- rer plus efficacement cette mission.

2.1. Politique monétaire et inflation avant la crise


2.1.1. Contribution des banques centrales à la dynamique de l’inflation
La « grande inflation » observée de 1965 à 1984 est l’« événement
moné- taire par excellence (the climactic monetary event) de la fin du
XXe siècle » (Meltzer, 2005). Trois types d’explication – insistant toutes
sur l’impor- tance de la politique monétaire – sont avancés :
• des défauts du cadre institutionnel et de la gouvernance à l’origine
d’un problème d’incohérence temporelle « à la Barro-Gordon » ;
• des erreurs de politique monétaire commises par inadvertance : elle
aurait été trop laxiste soit parce que les autorités auraient surestimé la
pro- duction potentielle (Orphanides, 2003), soit parce qu’elles n’auraient
pas été suffisamment attentives à l’ancrage des anticipations d’inflation
(Clarida, Gali et Gertler, 1999) ; tous les éléments précédents, combinés à
un fort ralentissement des gains de productivité, ont sans aucun doute
contribué à l’accélération et à la persistance de l’inflation (Collard et
Dellas, 2007) ;
• des erreurs de politique monétaire commises de manière consciente,
plus précisément l’adoption par les autorités d’une approche non monétaire
de l’in- flation ; c’est ce qui ressort notamment d’une analyse des
expériences du Royaume-Uni et des États-Unis (Nelson, 2005 et DiCecio
et Nelson, 2009).
La dynamique de l’inflation s’est modifiée au début des années
quatre- vingt en relation avec le changement profond intervenu à ce
moment-là dans la politique monétaire. À partir de l’expérience Volcker,
la réaction des banques centrales aux chocs inflationnistes est devenue
beaucoup plus agressive. Dans un tel contexte, elles n’ont plus hésité à
relever les taux d’intérêt réel pour empêcher le déclenchement d’une
spirale inflationniste et l’apparition d’effets de second tour. Cela ressort
nettement de la masse importante de travaux sur le sujet. Par exemple, la
forte baisse de la persis- tance de l’inflation observée aux États-Unis au
début des années quatre- vingt pourrait s’expliquer par la réponse plus
agressive de la Fed aux chocs inflationnistes combinée à une moindre
importance des chocs technologiques (Carlstrom, Fuerst et Paustian,
2009).
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 47
Les évolutions du taux d’inflation dans les économies du G3 à partir
du
début des années quatre-vingt-dix sont représentées sur le graphique 6.
On y observe une tendance au ralentissement de la hausse des prix. Ce
phéno- mène a revêtu un caractère atypique, en ce sens que l’inflation a
reculé dans un contexte d’expansion généralisée de l’activité et
d’augmentation des tensions sur les marchés du travail. Ce mouvement a
pris fin en 1999 ; après une légère reprise, l’inflation s’est alors stabilisée
– surtout dans la zone euro – autour de 2 %. Trois types d’explication des
changements ob- servés au cours de cette période dans la dynamique de
l’inflation sont pro- posés (cf. BRI, 2001, pp. 18-20) :
• certains facteurs affectant le processus inflationniste ont pu changer
de façon permanente, ce qui a rendu caduque le modèle de la courbe de
Phillips ; l’arbitrage entre croissance et inflation a été modifié par des
chan- gements structurels enregistrés, notamment en relation avec la «
globa- lisation » (Aglietta, Berrebi et Cohen, 2009) ;
• le modèle traditionnel de la courbe de Phillips continue de bien
expli- quer l’évolution de l’inflation à condition de tenir compte des
divers chocs d’offre temporaires, et éventuellement réversibles, comme la,
forte baisse des prix des matières premières au cours des années quatre-
vingt-dix suivie de leur remontée au début des années 2000 ;
• une explication intermédiaire considère que le modèle traditionnel
reste pertinent à condition de prendre en compte les incidences de la
politique monétaire sur les anticipations d’inflation ; c’est celle qui est
retenue par la suite.

6. Évolution des taux d’inflation dans le G3


En %
5

4 Zone euro

États-Unis
3

Japon
–1

–2
1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006 2007
Source : Auteur, d’après données OCDE.

48 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


Les valeurs filtrées(13) de la hausse des prix et du taux de croissance de
M, retardé de trois ans, sont représentées sur le graphique 7a pour la zone
euro (M  M3) et le graphique 7b pour les États-Unis (M  M2). Si l’on
considère des cycles d’une durée de dix ans, on voit que :
• dans la zone euro, il y a une forte corrélation entre les deux séries ;
la croissance monétaire est un bon indicateur avancé de l’inflation à un
hori- zon de trois ans (durée habituellement retenue pour que les
décisions de politique monétaire exercent leur plein effet sur l’inflation)
(14)
;
• aux États-Unis, la corrélation est nettement moins bonne et le déca-
lage entre la croissance monétaire et l’inflation est variable, ce qui
indique qu’il faudrait envisager des cycles d’une durée encore plus
longue.
La politique monétaire apparaît donc bien comme un déterminant fon-
damental de la dynamique à long terme de l’inflation. Mais l’utilisation
de la monnaie dans la conduite de la politique monétaire en temps réel est
difficile. À l’horizon retenu en pratique par les banques centrales – nette-
ment inférieur à dix ans –, l’évolution de la croissance monétaire est très
difficile à interpréter. Les difficultés rencontrées par la BCE dans
l’utilisa- tion de son pilier monétaire, telle qu’elle était prévue au départ,
l’ont bien montré. Ce sont aussi les conclusions auxquelles arrivent des
travaux plus poussés sur la question : la théorie quantitative de la
monnaie reste vérifiée dans les économies modernes ; mais, dans un
régime de basse inflation, la relation entre monnaie et inflation se dégrade
à l’horizon habituellement retenu par les banques centrales dans le cadre
de la stratégie de ciblage de l’inflation (Teles et Uhlig, 2010).

2.1.2. Quelle a été la contribution des banques centrales


à l’ancrage des anticipations inflationnistes ?
Au cours des années quatre-vingt-dix, les objectifs chiffrés d’inflation
des banques centrales ont été fixés au voisinage de 2 % en conformité
avec les résultats des travaux théoriques et empiriques alors disponibles
sur la question du taux d’inflation optimal. Des premiers, relatifs aux
coûts et aux bénéfices de la hausse des prix, il ressortait que l’inflation ne
doit être ni trop forte (car elle met alors du « sable » dans les rouages
économiques), ni trop faible (la hausse des prix est un « lubrifiant » qui
facilite le fonction- nement des rouages de l’économie). De même,
l’objectif chiffré habituel- lement retenu était conforme aux conclusions
des études empiriques dispo- nibles à l’époque(15). La transparence des
banques centrales contribue à l’an-

(13) La technique de filtrage « passe bande » de Christiano et Fitzgerald (2003) est utilisée.
(14) Pour une analyse approfondie de cette question, se reporter à l’ouvrage sur l’analyse
monétaire publié par la Banque centrale européenne (2010).
(15) Notamment à celles du FMI sur la relation inflation-croissance : Ghosh et Phillips
(1998) et Khan et Senhadji (2001). En se fondant sur l’estimation de la relation entre
crois- sance et développement financier, Barnes et Duquette (2006) trouvent un seuil plus
élevé (14 %) pour les économies en développement.
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 49
7. Relation entre les valeurs filtrées de la croissance monétaire
et de l’inflation

a. Zone euro
En %
2,0
Taux de croissance trimestriel (moins moyenne)

1,5

1,0

0,5
M3 (retardé de 3 ans)
0,0

– 0,5
Inflation totale

– 1,0

– 1,5
1970 1973 1976 1979 1982 1985 1988 1991 1994 1997 2000 2003 2006 2009

b. États-Unis
En %
8 Taux de croissance (moins moyenne)
6 Inflation

–2

–4

–6
M2 (retardé de 3 ans)
–8
1968 1973 1978 1983 1988 1993 1998 2003 2008

Source : Auteur, d’après données OCDE.

50 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


crage des anticipations au niveau correspondant à l’objectif chiffré retenu
(van der Cruijsen et Demertzis, 2007). Les évolutions du point mort d’in-
flation (10 ans) à l’intérieur du G3 sont représentées sur le graphique 8.
L’ancrage des anticipations a été, semble-t-il, mieux assuré dans la zone
euro
– où un objectif quantifié de hausse des prix est explicitement affiché –
qu’aux États-Unis où ce n’est pas le cas. Dans le premier cas, le point
mort est resté légèrement au-dessus de 2 % ; dans le second, il a oscillé
autour de cette valeur jusqu’en 2004 et de 2,5 % par la suite. Au Japon,
où la Banque centrale a commencé à donner des indications sur son
objectif chiffré, le point mort reste très au-dessus du taux d’inflation
considéré comme optimal.

8. Point mort d’inflation à l’intérieur du G3 avant la crise


En %
3,0

2,5 États-Unis

2,0
Zone euro

1,5

1,0

0,5
Japon

0,0
1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007
Source : Auteur, d’après données OCDE.

2.2. Politique monétaire et menace déflationniste


au cours de la crise
2.2.1. Quelle menace déflationniste ?
En théorie, le taux d’inflation optimal – qui correspond à un taux
d’inté- rêt nominal égal à zéro – serait négatif (Friedman, 1969). Dans le
cas de la zone euro, en prenant le taux de croissance à long terme comme
indicateur du taux d’intérêt réel, cela voudrait dire que la BCE devrait
chercher à faire baisser le niveau général des prix de 1,5 à 2 % par an !
En pratique, aucune Banque centrale ne suit la recommandation
précédente. D’autres travaux théoriques montrent les dangers d’une
inflation négative résultant d’une
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 51
9. Évolution de la menace déflationniste au cours de la crise

a. Ensemble des économies et G4


0,7
Indicateur de
vulnérabilité

Risque modéréRisque élevé


0,6 du G4

0,5

0,4

0,3
Indicateur de
0,2 vulnérabilité

Risque faible
du FMI

0,1

0,0
1995 1997 1999 2001 2003 2005 2007 2009

b. À l’intérieur du G4
1,0
Japon
Risque élevé

0,8

États-Unis
0,6
Risque faible Risque modéré

0,4

Royaume-Uni
0,2 Zone euro

0,0
1995 1997 1999 2001 2003 2005 2007 2009

Source : Auteur, d’après données OCDE.

52 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


rigidité à la baisse des salaires nominaux, du risque de déclenchement d’une
spirale déflationniste et de l’existence de la borne zéro pour les taux
d’inté- rêt nominaux. Ils ont malheureusement été illustrés au cours de la
crise des années trente.

2.2.2. Indicateur de vulnérabilité (à court-moyen terme) à la déflation


Il existe un indicateur de vulnérabilité (à court-moyen terme) à la
défla- tion mis au point par le FMI (Kumar et al., 2003). Sa construction
est con- forme à une approche « intermédiaire » de la dynamique de la
hausse des prix. Le danger déflationniste est évalué à partir de quatre
ensembles de variables :
• les prix ;
• les capacités excédentaires ;
• les prix des actifs ;
• la monnaie et le crédit – complétées par la prise en compte des
carac- téristiques structurelles de l’économie et de la marge de manœuvre
dont disposent les autorités de politique économique.
La valeur de cet indicateur est comprise entre 0 et 1 ; le risque de
défla- tion est « faible » si elle est inférieure à 0,3, « moyen » si elle est
comprise entre 0,3 et 0,5 et « élevé » au-dessus. Il couvre environ 80 %
de la produc- tion mondiale. Son évolution, de 1994 à la fin 2010, est
représentée sur le graphique 9a pour l’économie mondiale et pour le
G4(16). On note une pous- sée de la menace déflationniste en 2002-2003 ;
le G4 entre alors dans une zone de « risque modéré ». Cela peut expliquer
le caractère très expansion- niste des politiques monétaires à l’époque
auquel on impute parfois le dé- veloppement de la bulle immobilière (voir
la section 4). Aujourd’hui(17), la menace déflationniste est beaucoup plus
forte qu’à ce moment-là : le G4 est dans la zone de « risque élevé » (cf.
OFCE, 2010).
Cette évaluation globale de la menace déflationniste peut être complé-
tée par une analyse pays par pays. Les résultats du calcul de l’indicateur,
sur la période 1994-2010, pour chacune des économies du G4 (G3 +
Royaume-Uni) sont représentés sur le graphique 9b. Sur toute la période,
le Japon a généralement été en « alerte rouge », avec tout au plus deux
légères accalmies de courte durée (en 1997 et en 2006-2007) ; il reste, de
loin, le pays où la menace déflationniste est la plus forte aujourd’hui.
Jusqu’à la fin de 2008, la menace est restée faible dans les trois autres
éco-nomies. Par la suite, le danger déflationniste est monté rapidement,
tout particulièrement aux États-Unis qui ont rejoint le Japon dans la zone
de risque élevé(18).

(16) Les séries utilisées ont été communiquées par Shahin Kamalodin (Rabobank) et Zak
Kandl (Nomura).
(17) Automne 2010.
(18) Cela explique sans doute les décisions prises par la Fed à l’automne 2010 (cf. section 3).
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 53
2.3. Questions relatives à la stabilité monétaire après la crise
2.3.1. La menace inflationniste a-t-elle disparu ?
D’après l’explication non monétaire de l’inflation évoquée au début de
cette section, sa dynamique s’explique par des facteurs structurels totale-
ment indépendants du cadre de gouvernance et de l’action des banques
centrales, principalement par la « globalisation » (Aglietta, Berrebi et
Cohen, 2009). La pression à la baisse exercée par l’offre de biens produits
dans les économies émergentes assurerait à elle seule la stabilité des prix.
La fai- blesse des taux d’inflation observée partout dans le monde depuis
les an- nées quatre-vingt-dix ne serait pas à porter au crédit des banques
centrales et celles-ci devraient donc revoir complètement la logique de
leur action et la réorienter vers d’autres objectifs (en particulier la stabilité
financière). Pour l’ensemble du G7, l’évolution du prix relatif des biens
de consom- mation dits « non structurels » (énergie ; alimentation) par
rapport aux biens dits « structurels » (tous les autres) – mesuré par le
rapport Indice des prix à la consommation couvrant l’ensemble des biens et
services/Indice des prix à la consommation excluant les prix de
l’énergie et des biens alimentaires (cf. OCDE) – est représentée sur le
graphique 10.

10. Évolution du ratio IPCTOT/IPCSTRUCT dans les pays du G7


106

104

102

100

98

96

94

92
1971 1975 1979 1983 1987 1991 1995 1999 2004 2009
Lecture : IPCTOT = indice des prix à la consommation totale ; IPCSTRUCT = indice des prix
à la consommation structurelle excluant les biens énergétiques et alimentaires.
Source : Auteur, d’après données OCDE.

Après avoir baissé régulièrement de janvier 1981 à mars 1999, le prix


relatif des biens « non structurels » est entré dans une phase de hausse
régulière. Celle-ci coïncide avec l’intégration de grands pays émergents
54 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
(la Chine, l’Inde) dans l’économie mondiale. Ils produisent des biens et
services « structurels », dont ils augmentent massivement l’offre sur les
marchés mondiaux, et demandent des biens « non structurels » (matières
premières). Il en résulte une hausse importante et continue du prix relatif
de la seconde catégorie de biens par rapport à la première. On s’attend à
ce qu’il en soit durablement ainsi, le mouvement à la hausse étant
seulement interrompu au cours des phases de récession de l’économie
mondiale
– comme cela a été le cas au cours de la crise.
La Fed suit l’inflation structurelle pour déterminer l’évolution de ses
taux directeurs, alors que la BCE (mais aussi la Banque du Canada, la
Banque d’Angleterre et la Banque du Japon) s’attache à l’inflation totale.
La rela- tion entre l’inflation totale et l’écart entre inflation totale et
inflation struc- turelle, sur la période janvier 1997-octobre 2009, est
représentée sur le gra- phique 11a pour la zone euro et sur le graphique
11b pour les États-Unis. La différence entre les deux économies apparaît
clairement :
• dans la zone euro, le nuage de points est très dispersé et les deux
variables ne sont pas corrélées ; la modification du prix relatif des biens non
structurels ne peut pas y être associée à des variations de l’inflation totale
;
• aux États-Unis, la corrélation entre les deux variables est très élevée
et les points sont alignés le long d’une droite dont la pente est voisine de
1 ; cela signifie qu’une hausse de 1 point de pourcentage du prix relatif
des biens non structurels est associée à une accélération identique de
l’inflation totale.
Cette observation vient à l’appui du modèle « intermédiaire » de
l’infla- tion adopté au début de cette section : son évolution peut être
affectée par les changements structurels qui interviennent dans la sphère
réelle, mais elle dépend des facteurs monétaires, en particulier de la
réaction de la Ban- que centrale à ces chocs.

2.3.2. Existe-t-il une menace déflationniste à moyen-long terme ?


Dans l’ensemble, les économies modernes ne semblent pas être sérieu-
sement menacées par la déflation. C’est du moins ce qui ressort d’une
étude approfondie sur la question (Atkeson et Kehoe, 2004). Elle porte
sur 17 économies (développées et émergentes) où l’on a pu observer, au
total, 73 épisodes de déflation. Dans la quasi-totalité des cas (65 sur les
73), la croissance n’a jamais été négative. Mais deux conclusions sont plus
inquiétantes :
• la déflation et les anticipations de déflation peuvent se déclencher
brutalement ;
• les coûts économiques de la déflation sont très élevés, si ce n’est
dans le cas où elle résulte de chocs d’offre favorables.
Une troisième est, heureusement, plus rassurante : en réagissant
rapide- ment et vigoureusement, les banques centrales pourraient stopper
la défla- tion (Kumar et al., 2003).
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 55
11. Inflation totale et modification du prix relatif
des biens « non structurels » (janvier 1997-octobre 2009)

a. Zone euro
3,0

2,5

y = 0,0613 + 1,6443
2,0 R2 = 0,0146

1,5

1,0

0,5

0,0
– 3,0 – 2,5 – 2,0 – 1,5 – 1,0 – 0,5 0,0 0,5 1,0 1,5 2,0 2,5

b. États-Unis
6

4
y = 1,0296x + 2,1768
3 R2 = 0,9105

–1

–2

–3
–4 –3 –2 –1 0 1 2 3 4

Source : Auteur.

56 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


Existe-t-il, à long terme, une menace déflationniste dans les économies
du G3 (voir le tableau 4) ? Au Japon, la déflation devrait persister car les
caractéristiques structurelles qui l’y prédisposent ne devraient pas
disparaître de sitôt. Aux États-Unis, le risque déflationniste serait faible :
la responsa- bilité et la transparence de la Fed sont plus fortes que celles
de la Banque du japon (BoJ) ; la population est jeune et le système
électoral ne conduit pas à une « surreprésentation » des personnes âgées ;
en raison du déficit élevé des paiements courants, les pressions conduisant
à des réformes struc- turelles sont plus fortes. La zone euro se trouverait
dans une situation inter- médiaire ; la BCE devrait alors preuve d’une
vigilance accrue face à la menace déflationniste.

2.3.3. Faudrait-il repousser l’horizon du « ciblage » de l’inflation ?


Si l’on s’en tient à l’approche habituelle de la politique de taux d’inté-
rêt, la théorie montre que la réaction optimale à un choc dépend de ses
effets sur l’inflation anticipée qui sont fonction de la nature de ce choc.
La poursuite d’autres objectifs (la stabilisation de l’activité
économique, cf. section 3, et la stabilité financière, cf. section 4) est
possible sans sacrifier la stabilité des prix en repoussant l’horizon fixé
pour atteindre la « cible » d’inflation. C’est ce qui est parfois
recommandé pour mieux concilier sta- bilité monétaire et stabilité
financière (Bean, 2004). L’horizon retenu de- vrait être repoussé plus ou
moins loin selon l’indicateur retenu pour pren- dre en compte la stabilité
financière et selon la nature des chocs. C’est du moins ce qui ressort des
simulations faites avec les modèles couramment utilisés par les banques
centrales. Par exemple, en procédant ainsi, les éco- nomistes de la Banque
de Norvège arrivent à deux résultats :
• en règle générale, il est possible de mieux prendre en compte la
stabi- lité financière en repoussant l’horizon au-delà de celui retenu si
l’on se préoccupe uniquement de l’inflation et de l’activité économique ;
• il y a toutefois des exceptions à cette règle (dans certains cas, un
rac- courcissement serait souhaitable).
Ils reconnaissent que, indépendamment de la solution retenue pour le
faire, « la prise en compte de la stabilité financière lors de la fixation des
taux d’intérêt dans un régime de ‘ciblage’ flexible de l’inflation est une
tâche très délicate en raison de l’information qu’elle nécessite » (Akram
et al., 2007 et Akram et Oyvind, 2008).

2.3.4. Faudrait-il relever l’objectif chiffré de hausse des prix ?


Le relèvement de l’objectif chiffré d’inflation à 4 % a été proposé
(Blanchard, Dell’Ariccia et Mauro, 2010). Il ressort de l’enquête
effectuée que presque tous les banquiers centraux (86 %) sont
défavorables à cette proposition alors que beaucoup d’universitaires (45
%) l’approuvent.
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 57
58
CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE

4. Risque déflationniste à moyen-long terme dans les économies du G3

États-Unis Japon Zone euro


Banque centrale
 indépendance Moyenne Forte Forte
 responsabilité Forte Faible Moyenne
Facteurs démographiques
 rapidité du vieillissement de la population < Japon ; zone euro Élevée Moyenne
 degré de concentration géographique de la population âgée Pas de différences Forte concentration hors Diversité
régionales marquées des grandes agglomérations selon les pays
Système électoral (surreprésentation des régions rurales) Congrès : faible Forte Faible
Sénat : forte dans l’ensemble
Solde structurel des paiements courants Largement Largement Diversité des situations
négatif positif nationales
Interaction des facteurs Moyenne Très forte Moyenne
Conclusion : menace déflationniste Faible Élevée Moyenne
Source : Feldman et al. (2010).
Extrait du questionnaire (question subsidiaire à la question 4.2) :
Doit-on envisager de modifier la définition quantitative
de la stabilité des prix ?

Oui
Non

32%

68%

100%

80%
55%

60%
86%

40%

45%
20%

14%
0%
Banquiers centraux
Economistes

BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 59


Du côté européen, la proposition est jugée « malencontreuse » par
tous
les banquiers centraux, aussi bien par les « faucons » – « Rien ne permet
de justifier de s’écarter de la stabilité des prix et de dire que ‘cibler’ un
taux d’inflation de 4 % permettrait d’améliorer la prospérité et la
croissance éco- nomiques », « Pour la zone euro, un relèvement à 4 % de
l’objectif d’infla- tion ferait baisser la croissance potentielle d’un demi-
point de pourcen- tage ».(Jürgen Stark) ; « Ce serait jouer avec le feu.
(Cela) ferait plus de mal que de bien » (Axel Weber) ; « (C’est une idée)
rétrograde » (Lorenzo Bini Smaghi) – que par les « colombes » – « (une
suggestion) contre- productive et très malheureuse qui pourrait mettre en
péril l’ancrage des anticipations » (Athanasios Orphanides). Du côté des
États-Unis, tout en disant comprendre « l’argument avancé, qui mérite
d’être examiné » (« It’s not without its appeal »), Ben Bernanke insiste
sur le risque que cela ferait courir : « Si la Réserve fédérale annonce
qu’elle va relever l’inflation à 4 %, rien ne nous garantit que la hausse
des prix ne montera pas ultérieu- rement à 5, 6 ou 7 % et, dans cette
éventualité, qu’il ne nous faudra pas beaucoup de temps pour la faire
baisser ».
La principale conclusion des travaux théoriques et empiriques des an-
nées quatre-vingt-dix, fixant le taux d’inflation optimal au voisinage de
2 %, est-elle remise en question par des publications plus récentes ? Cette
question a fait l’objet d’une session dans le cadre d’une conférence sur
« l’architecture de la politique monétaire » organisée par la Banque du
Canada (2007) où elle a été examinée avec deux types de modèles :
• avec un modèle macroéconomique de « taille moyenne », le taux
d’in- flation optimal est légèrement négatif et le « seuil zéro » ne
constitue pas véritablement une contrainte pour les autorités monétaires ;
• avec un modèle de type « nouveau » keynésien, le taux optimal d’in-
flation est compris entre zéro et un, selon le calibrage du modèle.
Enfin, deux conclusions ressortent d’un article théorique récent :
• le taux d’inflation optimal se situerait dans un intervalle dont le
plan- cher correspond à la recommandation de Friedman et dont le
plafond est au voisinage de zéro ;
• l’existence de la borne zéro sur le taux d’intérêt nominal n’empêche
pas de fixer la cible d’inflation au voisinage de zéro ou au-dessous
(Schmitt- Grohe et Uribe, 2010).
Au vu de ces travaux, le relèvement de l’objectif chiffré d’inflation ne
semble pas justifié. Mais cette conclusion doit être considérée comme
pro- visoire. La question devra être réexaminée en s’attachant, plus
précisément, aux problèmes posés par la borne zéro pour la stabilisation
de l’activité économique au cours de la crise.

60 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


2.3.5. Faudrait-il remplacer le « ciblage » de l’inflation par celui
du niveau général des prix ?
Les travaux théoriques sur le « ciblage » du niveau général des prix
(PT) se sont multipliés au cours des dernières années. Au départ, deux
bénéfices lui étaient attribués :
• une moindre incertitude quant à l’évolution à long terme du niveau
général des prix par comparaison avec un régime de « ciblage » de
l’inflation ;
• une plus grande stabilité potentielle de l’activité économique et de la
hausse des prix dans une situation de basse inflation ; quand les taux d’in-
térêt nominaux atteignent la borne zéro, les anticipations d’inflation de-
vraient être revues à la hausse, ce qui devrait faire baisser les taux réels,
stimuler la dépense et contribuer à la reprise de l’activité économique.
En contrepartie, l’inconvénient suivant lui était attribué : la possibilité
d’une plus grande variabilité de la hausse des prix et de la croissance en
situation normale. Par la suite, ces conclusions ont été précisées, voire re-
vues. Il ressort des travaux récents sur le sujet (voir notamment Ambler,
2009) que la situation la plus favorable à l’adoption du PT est celle où les
regards des agents économiques sont tournés vers le futur et où leurs
antici- pations sont rationnelles. En revanche, elle n’est pas recommandée
pour une économie où une dérive du niveau général des prix par rapport à
une trajectoire régulière permet les ajustements nécessaires dans la sphère
réelle.
La pratique des banques centrales est-elle très éloignée du PT ? Sur le
graphique 12a est retracée l’évolution du niveau général des prix dans la
zone euro à partir de 1999, en comparaison avec le sentier hypothétique
de PT, à un taux de 2 %, accompagné des limites supérieure et inférieure
cor- respondantes (chacune étant fixée à deux fois l’écart-type des taux
d’infla- tion observés sur la période). Les graphiques 12b et c donnent des
infor- mations similaires pour les États-Unis depuis 1995 (19) et pour le
Japon à partir de 1992(20). Dans les deux premiers cas, l’évolution
observée du ni- veau général des prix est restée à l’intérieur de la
fourchette définie précé- demment ; elle en est seulement sortie en 2008.
Cela peut expliquer pour- quoi les anticipations inflationnistes sont
restées remarquablement stables, y compris au cours de la crise. Aussi
bien aux États-Unis que dans la zone euro, les valeurs observée et
hypothétique de l’indice du niveau général des prix coïncident en fin de
période (3e trimestre 2010). Comme on s’y atten- dait, le Japon se trouve
dans une situation radicalement différente. En sep- tembre 2010, le
niveau général des prix était inférieur d’environ 15 % à la valeur atteinte
avec un PT à 1 % qui aurait débuté en 1992 !

(19) C’est la date généralement retenue dans ce type d’exercice pour deux raisons : elle
correspond à une rupture dans la dynamique de l’inflation et elle coïncide avec l’adoption
officieuse d’un objectif de hausse des prix de 2 %.
(20) Dans ce dernier cas, pour des raisons faciles à comprendre, le taux d’inflation retenu
pour le sentier de référence est fixé à 1 %.
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 61
12. Niveau général des prix :
évolution observée et correspondant à une hausse annuelle de 2 %

a. Dans la zone euro (1999-T1/2010-T3)


Base 100 = 2005
115

100

105

100

95

90

85

80
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010

b. Aux États-Unis (1995-T1/2010-T3)


Base 100 = 2005
115

100

105

100

95

90

85

80

75
1996 1998 2000 2002 2004 2006 2008 2010

62 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


c. Au Japon (1992-T1/2010-T3)
Base 100 = 2005
125
120

115

110

105

100

95

90

85

80
1993 1995 1997 1999 2001 2003 2005 2007 2009

Source : Auteur, d’après données OCDE.

Au vu des conclusions principales de la théorie économique et d’un


rapide examen des pratiques banques centrales, les observations suivantes
peuvent être faites :
• la situation dans la zone euro ne paraît pas favorable à l’adoption du
PT : de nombreux travaux économétriques – par exemple, les estimations
de la courbe de Phillips de type « nouveau keynésien » – indiquent que la
formation des anticipations n’y est pas rationnelle, mais « hybride » ; il
ne faut pas y introduire d’obstacle supplémentaire aux ajustements de
prix relatifs entravés par ailleurs par certaines rigidités ; l’apprentissage
de la stratégie à deux piliers de la BCE a pris du temps, l’abandonner
implique- rait de repartir à zéro ; l’évolution observée du niveau général
des prix n’est pas très éloignée de ce qu’aurait donné un PT ;
• la situation aux États-Unis est plus favorable à cette adoption : il
n’existe pas à l’heure actuelle de stratégie d’ancrage nominal explicite ;
en adopter une améliorerait la transparence de la politique monétaire et
ren- forcerait l’ancrage des anticipations ; le choix du PT paraîtrait
justifié : les caractéristiques structurelles de l’économie américaine –
formation des anticipations et fixation des prix – semblent proches des
conditions requises pour espérer retirer pleinement les avantages du PT ;
de facto, cela ne devrait pas changer sensiblement la conduite de la
politique monétaire (cf. graphique 12b) ;

BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 63


• la situation du Japon est très particulière : l’évolution observée du
niveau général des prix est sortie de la fourchette correspondant à une
évo- lution régulière à compter de l’automne 2000 et elle n’a cessé de
s’en écar- ter depuis ; la Banque du Japon s’est toujours montrée hostile à
l’idée même d’un « ciblage », y compris pour l’inflation ; l’adoption du
PT marquerait un changement radical de son attitude, ce qui n’est pas
dans les habitudes des banquiers centraux.

2.4. Conclusion
Les principales conclusions qui se dégagent de cette section sont les
suivantes :
• les caractéristiques de la gouvernance de la Banque centrale et son
action constituent un déterminant essentiel de la dynamique de la hausse
des prix même si celle-ci est influencée par d’autres facteurs ; la stabilité
monétaire doit continuer à être pour elle un objectif central ;
• au cours de la période qui a précédé la crise, les banques centrales
ont généralement bien rempli cette tâche ; l’affichage d’un objectif chiffré de
hausse des prix a contribué à assurer l’ancrage des anticipations
inflationnistes ;
• il en a été de même au cours de la crise même si cela a été beaucoup
plus difficile ; les banques centrales ont tout fait pour empêcher le déclen-
chement d’une spirale déflationniste et y sont parvenues ;
• il faut s’attendre à ce qu’elles restent confrontées au
renchérissement des prix des matières premières et des produits de
base induit par la
« globalisation » ; face à ce défi, pour assurer la stabilité des prix, il est
préférable que l’action des autorités soit conduite en fonction de
l’inflation totale plutôt qu’en réaction à l’inflation structurelle ;
• en sens inverse, certaines évolutions structurelles pourraient faire
pla- ner une menace déflationniste ce qui nécessitera une vigilance accrue
de la part des autorités ;
• repousser l’horizon retenu pour atteindre l’objectif chiffré de hausse
des prix devrait permettre de mieux prendre en compte la stabilité finan-
cière, ce qui ne veut pas dire que ce sera facile à faire ;
• en se limitant exclusivement à des considérations relatives à l’évolu-
tion tendancielle et à la variabilité de la hausse des prix, le relèvement de
l’objectif chiffré d’inflation des prix à 4 % dans les économies dévelop-
pées ne semble pas être justifié ; ce sont donc ses incidences sur la stabili-
sation de l’activité économique (cf. section 3) et sur la stabilité financière
(cf. section 4) qui permettront de se prononcer sur cette proposition ;
• la situation de la zone euro est telle que les coûts liés au
remplacement de la stratégie actuelle de la BCE par un « ciblage » du
niveau général des prix seraient beaucoup plus élevés que ses avantages ;
• la situation aux États-Unis est différente : il n’y existe pas d’ancrage
nominal explicite, ce qui est préjudiciable ; l’adoption du PT éliminerait
cet inconvénient sans que cela se traduise par un changement notable
dans la conduite de la politique monétaire ; en assurant un meilleur
ancrage des anticipations, le PT pourrait même en faciliter la conduite.
64 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
3. Stabilisation de l’activité économique
Cette section porte sur l’utilisation de la politique monétaire pour la
stabilisation de l’activité économique. Cette question est examinée en
rete- nant un découpage identique à celui de la section précédente : avant,
pen- dant et après la crise.

3.1. Questions sur l’efficacité de la politique monétaire


avant la crise
3.1.1. Stabilisation de l’activité économique : quelle
importance dans l’action des banques centrales ?
Même si la politique monétaire ne détermine pas le cours des variables
réelles à long terme, elle influence leur évolution à court terme (sur deux
ou trois ans). La stabilisation de l’activité économique est une mission
capi- tale des banques centrales. D’après les réponses au questionnaire,
pour une majorité sensible des universitaires (78 %) et pour presque tous
les ban- quiers centraux (92 %), leur indépendance est une condition
nécessaire pour qu’elles puissent l’assurer tout en maintenant la stabilité
monétaire.
Deux conclusions ressortent des travaux théoriques et empiriques sur
la politique monétaire optimale :
• l’horizon retenu par la Banque centrale pour atteindre l’objectif de
stabi- lité des prix influence la variabilité de l’activité économique à court
terme ;
• la stabilité monétaire doit être recherchée seulement à long terme,
essayer de l’atteindre à court terme à tout prix conduirait à une trop forte
variabilité de la production
L’évolution de la volatilité du taux de croissance du PIB dans chacune
des économies du G3 est représentée sur le graphique 13 du début des
années quatre-ving-dix jusqu’au milieu de 2007. Sa diminution au cours
des années quatre-ving-dix est frappante. Aux États-Unis, en 2000-2001,
elle avait diminué de moitié par rapport à son niveau initial. Dans la zone
euro, la baisse a été encore plus spectaculaire entre 1996 et 2006. Le
Japon a connu le même phénomène même s’il y a été moins marqué et
plus irrégu- lier. Il est d’autant plus remarquable qu’il a coïncidé avec une
baisse de la volatilité de l’inflation.
Les chocs de demande poussent l’inflation et l’activité économique
dans la même direction. Ils ne créent donc pas de situation de conflit. Par
exem- ple, une envolée des cours boursiers – qui s’accompagne d’un
boom de la demande, stimule l’activité et crée des tensions inflationnistes
– appelle une hausse du taux directeur. Si la réponse de la Banque
centrale est bien conduite, elle peut neutraliser les effets non désirés de ce
choc. Il n’en est pas de même pour les chocs d’offre qui exercent des
effets de directions opposées sur l’activité économique et sur les prix. La
Banque centrale doit alors faire un arbitrage entre les deux. La plus
grande stabilité de l’activité économique observée avant la crise
notamment au cours des années quatre-
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 65
Extrait du questionnaire (question 2.3) :
Pensez-vous que la capacité des banques centrales à assurer
la stabilité des prix tout en apportant leur soutien à la
croissance
nécessite une forte indépendance ?

Oui
Non

17%

83%

100%
8%
22%
80%

60%

92%
40% 78%

20%

0%
Banquiers centraux Economistes

66 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


13. Variabilité de la croissance au sein du G3
3,5 10
Japon
3,0 (échelle de droite) 8

2,5 Zone euro 6


(échelle de gauche) États-Unis
(échelle de gauche)
2,0 4

1,5 2

1,0 0

0,5 –2

0,0 –4
1981 1983 1985 1987 1989 1991 1993 1995 1997 1999 2001 2003 2005 2007
Source : Auteur, d’après données OCDE.

vingt-dix pourrait donc s’expliquer par la chance, plus précisément par


une moindre importance des chocs d’offre, en particulier ceux qui
affectent les prix des matières premières. L’évolution de la hausse des
prix des produits alimentaires et de l’énergie (mesurée par la différence
entre l’inflation to- tale et l’inflation structurelle) à l’intérieur du G3 est
représentée sur le gra- phique 14. Elle est positive quand ils augmentent
plus vite que les prix des autres biens et services. On voit qu’il n’y a pas
eu de choc d’offre important au cours des années quatre-ving-dix ce qui a
sans aucun doute contribué à la relative stabilité de l’activité économique
observée sur cette période. La situation a été moins favorable par la suite :
les États-Unis ont enregistré un premier choc d’offre au début de l’année
2000, puis un deuxième entre 2003 et 2006 ; la zone euro en a connu un à
la fin de 2001 et en 2002.
Les changements intervenus dans la politique monétaire au cours des
années quatre-ving-dix ont contribué aussi à la moins grande volatilité
des économies. Une réponse plus rapide et plus vigoureuse aux pressions
infla- tionnistes dès qu’elles se manifestent permet s’assurer une
meilleure stabi- lisation. Par exemple, il apparaît que la formule suivante
rend bien compte du comportement de la Fed depuis une vingtaine
d’années : Taux des fonds fédéraux = 8,5 + 1,4 * (inflation structurelle –
chômage)(21). Sa réaction à un choc inflationniste est donc « agressive » :
elle augmente alors les taux d’intérêt réels. La Fed répond aussi à
l’évolution du chômage. Cela est

(21) Cf. Mankiw (2001). Dans la formule, la hausse des prix est mesurée en glissement
annuel et le taux de chômage est corrigé des variations saisonnières.
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 67
conforme non seulement au caractère dual de son mandat, mais aussi aux
enseignements de l’analyse économique (le chômage est un indicateur
avancé de l’inflation future). Les valeurs du taux des fonds fédéraux cor-
respondant à la formule ci-dessus ainsi que leurs valeurs observées sur la
période 1990-2007 sont représentées sur le graphique 15. Jusqu’à
l’automne 2000, les deux séries restent très proches l’une de l’autre et
leurs points de retournement coïncident à peu près ; au total la formule
explique 85 % des variations constatées du taux directeur. Par la suite, la
réaction de la Fed à l’éclatement de la bulle Internet et sur les nouvelles
technologies a été con- forme dans ses grandes lignes à son
comportement passé, mais elle a été plus marquée et plus durable qu’on
ne pouvait s’y attendre au vu de celui- ci (cf. section 4.1).
Il est habituel de dire que la BCE accorde moins d’importance à la
stabi- lisation de l’activité économique que ne le fait la Fed. Un manque
d’acti- visme en la matière lui est même souvent reproché. Mais, les
différences observées entre la politique de taux de la BCE et celle de la
Fed s’expli- quent essentiellement par des différences de nature, de taille
et de persis- tance des chocs qui frappent les deux économies (Sahuc et
Smets, 2008). Ils ne peuvent être imputés à des gouvernances ou des
préférences différen- tes, en particulier à une moindre importance
accordée par la BCE à la stabi- lisation conjoncturelle. Il ressort d’une
expérience « contrefactuelle » que, placée dans l’environnement
européen, la Fed aurait adopté une politique de taux analogue à celle qu’a
suivie la BCE (graphique 16).

14. Taux de variation des prix des produits


alimentaires et de l’énergie à l’intérieur du
G3
1,5 3,0

Zone euro
1,0 Japon (échelle de droite) 2,5
(échelle de gauche)

États-Unis
0,5 (échelle de gauche) 2,0

0,0 1,5

– 0,5 1,0

– 1,0 0,5

– 1,5 0,0
1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006 2007
Note : Le taux de variation des prix des produits alimentaires et de l’énergie est obtenu en
faisant la différence entre l’inflation totale et l’inflation structurelle calculées en
glissement annuel.
Source : Données OCDE.
68 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
15. Évolutions observée et hypothétique du taux des fonds fédéraux
aux États-Unis
9

6
5 Taux « hypothétique »
des Fed funds
4

2
Taux « observé »
1 des Fed funds

0
1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006

S ource : Auteur d’après Mankiw (2001).

16. Évolution hypothétique du taux directeur de la BCE


avec la fonction de réaction de la Fed
En %
7
Taux des Fed funds
6

5
Taux directeur de la BCE
avec la fonction de réaction de la Fed
4

2
Taux directeur de la BCE

0
1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005

Source : Sahuc et Smets (2008).

BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 69


17. Évolutions du taux court (taux des fonds fédéraux)
et du taux long (taux à 10 ans) aux États-Unis
10

8 Taux à 10 ans

2
Taux des Fed funds

0
1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006

Source : Auteur.

18. Part de la dette obligataire des États-Unis


détenue par les autorités officielles du reste du
monde
36

32

28

24

20

16

12
1986 1988 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006

Source : Bandholz, Clostermann et Seitz (2009).

70 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


3.1.2. La globalisation : quelles incidences ?
À partir du milieu des années quatre-ving-dix, tandis que la volatilité
de la croissance baissait, la transmission des chocs entre les pays s’est
ampli- fiée et accélérée ce qui constitue une menace pour la stabilité de
l’activité économique. Ces effets de débordement appelle deux types de
réponses de la part des autorités : au niveau international, un
renforcement des méca- nismes de coordination ex post en cas de chocs
importants et, à l’échelon national, une stratégie de surveillance ex ante
(Carare et Mody, 2010).
Au cours des années quatre-vingt-dix, il y a eu aux États-Unis deux
épisodes de resserrement de la politique monétaire au cours desquels la
hausse des taux longs a accompagné celle des taux courts :
• entre décembre 1994 et avril 1995, le taux des fonds fédéraux a aug-
menté de 300 points de base ; le taux à dix ans a alors enregistré une
hausse de 263 points de base (graphique 17) ;
• entre octobre 1998 et janvier 2000, le taux court est passé de 4,53 à
6,66 % ; le taux à dix ans est alors monté de 4,63 à 6,54 %.
Aussi, au printemps 2004, quand les marchés ont commencé à se
prépa- rer à un resserrement de la politique de la Fed, s’attendait-on à ce
qu’il en soit de même. Entre juin 2004 et juillet 2006, le Comité fédéral
de l’open market a augmenté son taux directeur à 17 reprises et l’a porté
de 1 à 5,25 % ; mais le taux à 10 ans est seulement passé de 3,83 à 5,11 %
et il a même baissé à la fin de 2006. Alan Greenspan a parlé d’une
véritable anomalie (conundrum). Comme on a assisté au cours de toutes
ces années à une forte progression de la part de la dette publique
américaine détenue par des in- vestisseurs étrangers – elle a été multipliée
environ par 3 entre 1986 et 2006 (graphique 18) –, l’anomalie lui a
souvent été attribuée. De nombreux travaux économétriques se sont
intéressés à cette question. Les conclusions suivantes en ressortent.
L’évolution des taux longs observée en 2004-2005 constitue bien une
anomalie : les modèles qui donnent jusque-là de bons résultats ont du mal
à expliquer l’évolution de la courbe des rendements. Les origines du
conundrum pourraient être les suivantes :
• une baisse des taux d’intérêt réels due à la modification des anticipa-
tions concernant l’évolution à long terme de la situation budgétaire (jugée
plus favorable à l’époque) ;
• une révision à la baisse des anticipations inflationnistes à long terme ;
• une diminution des primes de risque liée à la « grande modération »
et à la meilleure prévisibilité de la politique monétaire ;
• des facteurs conjoncturels pourraient aussi avoir joué. Mais il ressort
surtout de ces travaux que la relation entre la politique monétaire et la
courbe des rendements est extrêmement complexe – elle est sans doute
non li- néaire – et qu’elle change au cours du temps – ce qui ne serait pas
autre chose qu’une illustration supplémentaire de la « loi de Goodhart ».
Il ne faudrait pas en conclure que le levier habituel de la politique
moné- taire – le canal des taux d’intérêt – n’opère plus. Mais la force
qu’il permet
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 71
de déployer se modifie au cours du temps et doit être sans cesse
réévaluée
par les banquiers centraux. Elle est sans doute affectée par l’intégration
financière internationale. Mais, l’exemple du « Greenspan conundrum »
ne permet pas d’affirmer que la politique monétaire est devenue
inefficace dans une « grande » économie comme celle des États-Unis. En
tout cas, ce n’est pas la conclusion qui se dégage des études portant sur
cette question : certes, elles montrent que l’intégration financière
internationale affecte bien la relation entre taux court et taux long, mais
elles montrent aussi que cette relation ne s’évanouit pas.
En théorie, dans le cas d’une petite économie dont le taux de change
est flexible, la mobilité internationale des capitaux renforce l’autonomie et
l’ef- ficacité de la politique monétaire. Mais, en général, il ne semble pas
en être ainsi. Une plus grande intégration financière y est généralement
accompa- gnée d’une moindre connexion entre taux court et taux long
nationaux. Cela est illustré par le graphique 19 où sont représentées les
évolutions du coefficient reliant les variations du taux long à celle du taux
court dans les
« grandes » économies et dans les autres. Pour les premières, ce
coefficient est resté assez stable depuis le début des années quatre-vingt-
dix. En revan- che, dans les secondes, il a fortement baissé en fin de
période (Jansen, 2009). Cela pourrait vouloir dire que leurs banques
centrales ont plus de difficultés à agir sur les conditions financières
nationales en réaction à des chocs idiosyncrasiques.

19. Évolution de la relation entre taux court et taux


long en fonction de la taille de l’économie
0,4

Grandes économies

0,3

0,2

0,1 Petites économies Ensemble des économies

0,0
1972 1975 1978 1981 1984 1987 1990 1990 1993 1996

Source : Jansen (2009).


72 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
3.2. Tensions financières, politique monétaire et activité
économique
3.2.1. Politique monétaire ou politique budgétaire ?
À l’occasion des baisses de taux auxquelles a procédé la Fed à la fin
de 2007 et au début 2008, le « vieux » débat – il avait largement occupé
les économistes dans les années soixante – sur l’efficacité comparée de la
po- litique monétaire et de la politique budgétaire pour la stabilisation de
l’ac- tivité économique a resurgi. Quels effets pouvait-on attendre de ces
baisses
– 150 points de base au total – sur l’activité économique ? Seraient-elles
suffisantes ou pas pour assurer la stabilisation de l’activité économique ?
Des mesures de relance budgétaires ne seraient-elles pas plus efficaces ?
Sa plus grande rapidité d’action – un critère très important dans un con-
texte où la détérioration de la situation économique est rapide – a été le
principal argument avancé en faveur de la politique budgétaire. Cela peut
paraître paradoxal puisqu’il faut beaucoup moins de temps pour décider
et mettre en place une baisse des taux d’intérêt que pour bâtir et réaliser
un programme budgétaire. Mais, même en tenant compte de ces délais,
les effets sur l’activité économique de la relance budgétaire pourraient se
ma- nifester plus rapidement que ceux d’une baisse des taux. C’est du
moins ce qui ressort des travaux de simulation effectués avec le « gros »
modèle économétrique de la Réserve fédérale (Elmendorf et Furman,
2008). L’uti- lisation de modèles d’équilibre général dynamique et
stochastique (dits DSGE, dynamic stochastic general equilibrium)
conduit à la conclusion opposée : la politique monétaire y est plus
efficace que la politique budgé- taire (Wieland, 2008). Sa plus grande
rapidité d’action vient de ce que les décisions des ménages et celles des
entreprises sont fondées sur l’évolution attendue des taux directeurs de la
Banque centrale, en fonction notamment des annonces faites à ce sujet.

3.2.2. Quelle réponse en cas de conflit d’objectifs comme en 2007-2008 ?


La situation économique observée après le déclenchement de la crise
jusqu’à l’été 2008 est un exemple des conflits possibles entre stabilité
mo- nétaire et stabilisation de l’activité économique. Deux chocs ont
frappé simultanément les économies : le choc financier mais aussi le
renchéris- sement des matières premières et des produits de base ; par
exemple, au cours de l’année 2007, le prix du pétrole a augmenté de plus
de 10 % (cours du baril de brent). Ce choc d’offre, contrairement à ceux
observés avant la crise, a frappé simultanément les trois économies du G3
; il a atteint son intensité maximale en septembre 2008 (graphique 20). Le
choc financier justifiait de la part des banques centrales une riposte sur
deux fronts :
• une injection de liquidité sur les marchés monétaires et du crédit
(en particulier, là où l’on observait une paralysie) ;
• en cas de crainte de ralentissement brutal de l’activité économique,
une baisse des taux.
Au contraire, dans une économie importatrice de matières premières et
de produits de base, le choc d’offre pouvait justifier une hausse des taux
en
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 73
20. Taux de variation des prix des produits alimentaires
et de l’énergie à l’intérieur du G3

2,0 Zone euro

1,0
Japon

0,0

– 1,0

États-Unis
– 2,0

2008 2009 2010


Note : Le taux de variation des prix des produits alimentaires et de l’énergie est obtenu en faisant
la différence entre l’inflation totale et l’inflation structurelle calculées en glissement
annuel.
Source : Auteur, d’après données OCDE.

21. Évolutions observée et hypothétique du taux des fonds


fédéraux aux États-Unis
6

Taux des Fed funds


0

–2

–4 Taux hypothétique

–6
2008 2009 2010
Source : Auteur.

74 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


cas de risque de déstabilisation des anticipations inflationnistes.
La question du caractère « agressif » ou non de la réponse à un choc
majeur (comme le choc financier) s’est aussi posée à ce moment-là. Dans
de telles circonstances, l’éventualité de voir le taux d’intérêt buter contre
son plancher n’est pas à écarter. Cela justifierait une réaction agressive :
le taux directeur devrait être fixé au-dessous du niveau retenu si la
Banque centrale ne craignait pas qu’il tombe à son plancher. À cela, les
dirigeants de la BCE ont avancé deux objections : la Banque centrale
devrait se mon- trer plus prudente qu’en temps ordinaire pour ne pas «
brûler toutes ses cartouches » ; une politique monétaire agressive pourrait
donner un mau- vais signal – la Banque centrale a des informations sur la
situation écono- mique plus mauvaises que celles dont dispose les autres
agents économi- ques – et accentuer la perte de confiance (Bini-Smaghi,
2008).
La BCE a estimé que, pour la zone euro, la « balance » penchait du
côté du risque inflationniste. Elle a fait explicitement référence au
principe de séparation pour justifier la combinaison d’une politique
monétaire restric- tive – resserrement des conditions financières et même
hausse de 25 points de base (pb) des taux directeurs en juillet 2008 – pour
contrecarrer le risque inflationniste et d’une offre abondante de liquidité
sur le marché monétaire destinée à stabiliser le taux du marché monétaire
(Bordes et Clerc, 2010). De son côté, la Réserve fédérale a estimé, dans
un premier temps que la
« balance des risques » penchait du côté du risque de ralentissement de
l’activité (baisse du taux cible des fonds fédéraux de 1 point de pourcen-
tage au second semestre 2007 et de 2,25 points début 2008) puis qu’elle
était neutre (possibilité de ralentissement de la croissance combinée à un
risque de hausse des prix) ce qui l’a conduite à adopter une attitude atten-
tiste. Les évolutions du taux des fonds fédéraux et du taux hypothétique
correspondant à la formule de Mankiw donnée ci-dessus sont
représentées sur le graphique 21. Au moment où la crise est survenue,
leurs valeurs étaient à peu près les mêmes. Par la suite, jusqu’à la fin
2008, le premier a baissé beaucoup plus rapidement. Autrement dit, la
Fed s’est montrée alors beau- coup plus réactive qu’elle ne l’avait été par
le passé (si ce n’est peut-être en 2003-2004). À cette occasion, on a pu
dire que : « (La Fed) vient de Mars, tandis que (la BCE) vient de Vénus
»(22). L’attitude « diplomatique et atten- tiste » de la Fed face au risque
inflationniste lié à un choc d’offre s’expli- querait par la mémoire de la
déflation et de la dépression des années trente aux États-Unis ; celle «
frontale » de la BCE par le souvenir de l’hyper- inflation et de la réforme
monétaire allemandes. Mais une leçon plus im- portante peut être tirée de
cet épisode. Le choc d’offre de 2007-2008 a donné lieu à un « jeu de
poules mouillées ». Dans chaque économie, les autorités ont reculé avant
de prendre les mesures nécessaires, attendant que les autres agissent et
supportent le poids de l’ajustement. Ce type de com- portement, rationnel
quand on considère chaque pays individuellement,

(22) Hooper, Mayer et Slok (2008). Allusion au titre du livre de John Gray (1999). Au
cours de cet épisode, les deux banques centrales ont réagi comme si elles venaient de deux
planètes différentes : chez les dieux de Rome, la réaction frontale de la BCE contre
l’inflation aurait satisfait Mars, tandis que Vénus aurait préféré la prudence et la patience
de la Fed.

BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 75


conduit à un équilibre sous optimal si on les prend leur ensemble. Plus
précisément, cela a pu laisser croire que l’engagement des banques
centra- les à maintenir la stabilité des prix était moins ferme
qu’auparavant. Dans de telles circonstances, il aurait mieux valu que les
banques centrales aug- mentent leurs taux directeurs de façon coordonnée
(Posen et Subramanian, 2010). C’est une leçon à retenir pour l’avenir.

3.2.3. En période de crise, comment stopper l’effet de rétroaction


négatif entre l’évolution du secteur financier et l’économie réelle ?
Une fois le seuil zéro atteint, la politique monétaire n’est pas pour
autant privée de tout moyen d’action. Dans un cadre prospectif, elle peut
s’ap- puyer sur la fonction informationnelle des taux d’intérêt directeurs
(Eggertsson et Woodford, 2003). Plus précisément, la Banque centrale
peut chercher à rétablir l’ancrage des anticipations concernant l’inflation
au ni- veau de sa cible et/ou s’engager à maintenir son taux directeur au
plancher jusqu’à ce que l’amélioration des conditions économiques soit
manifeste. Cette annonce devrait se traduire par des pressions à la baisse
des taux longs (Reifschneider et Williams, 2000 et Wolman, 2005). La
Réserve fé- dérale et la Banque du Japon ont officiellement suivi cette
recommandation en amenant, à la fin de 2008 et au début de 2009, leurs
taux directeurs quasiment à zéro et en accompagnant cette décision de
déclarations pour indiquer qu’ils resteraient durablement à ce niveau (23)
ainsi que par des mesures d’assouplissement quantitatif ciblées sur des
objectifs précis. La BCE a procédé différemment ; elle n’a pas descendu
son principal taux directeur au-dessous de 1 % ; simultanément, elle a
commencé de faciliter l’octroi de liquidité dans le cadre de ses opérations
de refinancement sous forme d’appels d’offres à taux fixe, en allant
jusqu’à des opérations d’une durée d’un an. De facto, les conséquences
sur le taux du marché monétaire ont été les mêmes qu’à la suite des
décisions prises aux États-Unis et au Japon : il est descendu au voisinage
de zéro(24).
Au début de l’année 2010 (période au cours de laquelle l’enquête a été
effectuée), à la question « les politiques monétaires non conventionnelles
ont-elles résolu le problème du plancher zéro des taux d’intérêt ? », la
majo- rité (62 %) des universitaires répondait oui alors que peu de
banquiers centraux (29 %) étaient du même avis.
Des études publiées récemment semblent donner raison aux « écono-
mistes ». Les achats de titres par la Fed auraient provoqué des baisses
(23) Par exemple, après avoir fixé au mois de décembre 2008, la cible du taux des fonds
fédéraux à un niveau compris entre 0 et 0,25 %, la Réserve fédérale n’a cessé de répéter
par la suite, à l’issue de ses réunions, qu’il resterait « à des niveaux exceptionnellement
faibles » pendant une « période étendue ».
(24) Au moment où la question de l’adoption d’une politique de taux d’intérêt nul ( zero
interest rate policy – ZIRP) dans la zone euro s’est posée, des dissensions sont apparues
au sein du Conseil des gouverneurs de la BCE, ce qui est inhabituel. Une majorité de ses
membres s’y est déclarée hostile. Mais, quelques voix discordantes se sont fait entendre
sur la question, dont celle d’Athanasios Orphanides – à la tête de la Banque centrale de
Chypre après une brillante carrière d’économiste au sein de la Fed –, qui a qualifié de «
dange- reuse » et d’« erronée » l’idée selon laquelle la politique monétaire devient
inefficace quand les taux sont proches de zéro.

76 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


Extrait du questionnaire (question 4.3.1) :
les politiques monétaires non conventionnelles ont-elles
résolu le problème du « plancher zéro » des taux d’intérêt ?

Oui
Non
NSPP

20%

49%

31%

100%

14%
29%
80%
24%

60%

43%
40%

62%

20%
29%

0%
Banquiers centraux
Economistes

BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 77


78
CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE

5. Variations des taux d’intérêt à la suite des annonces des opérations d’achats de titres par la Fed
En points de base
25 novembre 2009 1-2 décembre 2009 16-17 décembre 2009 28-29 janvier 2010 18-19 mars 2010
 achats achats  achats  achats  achats
Taux à 10 ans obligations d’État – 24 – 27 – 33 30 – 40
Swap à 10 ans – 32 – 23 – 53 5 – 37
Taux à 10 ans obligations privées – 16 – 27 – 57 23 – 29
Source : Gagnon (2009).
« économiquement significatives et durables » (Gagnon, Raskin, Remache
et Sack, 2010) des taux d’intérêt sur tout un ensemble de titres, y compris
certains n’ayant pas fait l’objet de ces achats (tableau 5) ; des baisses
reflé- tant principalement des diminutions de prime de risque plutôt
qu’une révi- sion à la baisse des anticipations concernant les taux courts.
Dans une si- tuation où le taux court a atteint la borne zéro, en achetant
pour 400 mil- liards de dollars d’obligations d’État à long terme, la Fed
ferait baisser le taux long de 14 points de base (pb) environ (Hamilton et
Wu, 2010).
Début 2010, au moment de notre enquête, la sortie des mesures de
poli- tique monétaire non conventionnelles semblait proche. Les banques
cen- trales avaient commencé à faire des annonces en ce sens à partir de
l’été 2009. La perspective d’une sortie de crise et d’une reprise franche de
l’acti- vité économique au cours de l’année 2010 s’est très vite dissipée.
En Eu- rope, la crise des dettes souveraines est venue justifier le maintien
de mesu- res exceptionnelles d’approvisionnement en liquidité ainsi que
la décision d’acheter des obligations d’État des pays concernés. Aux
États-Unis, avec un taux d’inflation nettement au-dessous du niveau
souhaité et une valeur élevée du taux de chômage, la valeur appropriée du
taux des fonds fédé- raux, au regard du comportement habituel de la Fed,
restait fortement néga- tive (graphique 22). Là aussi, la prolongation –
décision prise au mois d’août d’utiliser les revenus procurés par le
remboursement des titres hypothécaires précédemment acquis pour
acheter des obligations publiques – et même l’extension des politiques
non conventionnelles – décision d’ouvrir une deuxième phase dans la
politique d’assouplissement quantitatif (désignée habituellement comme
le QE2, quantitative easing 2) consistant dans l’achat de 600 milliards de
titres d’État – apparaissent tout à fait justifiées (25). En effet, la valeur
hypothétique du taux des fonds fédéraux calculée avec la formule de
Mankiw restait fortement négative. Elle a même baissé entre le printemps
et le début de l’automne 2010. Si l’on se réfère au « gros » mo- dèle
économétrique utilisé par la Fed, une baisse de 25 pb du taux des fonds
fédéraux et une diminution de 15 pb du taux long (taux à 10 ans) ont des
effets équivalents sur la demande globale ; au vu des études mentionnées
ci-dessus, l’achat de 200 milliards de titres d’État devrait faire baisser le
taux long d’environ 15 pb ; par conséquent, le programme de QE2
équivau- drait à une baisse du taux court de 75 pb. Sur la base du même
modèle, les effets attendus étaient ceux figurant dans le tableau 6.
L’annonce de ces décisions ayant été suivie d’une augmentation des
taux longs (graphiques 23a et b), on a pu dire que les effets obtenus
seront bien en deçà de ceux espérés. Mais on peut voir là un signe de
l’efficacité du QE2 : les anticipations d’inflation et de croissance ont été
revues à la hausse alors que, simultanément, la forte reprise des cours
boursiers signalerait une baisse de l’aversion pour le risque (Siegel,
2010).

(25) D’après le gros modèle économétrique de la Fed, une baisse de 25 points de base (pb)
du taux des fonds fédéraux et une diminution de 15 pb du taux long (taux à 10 ans) ont
des effets équivalents sur la demande globale. Au vu des études mentionnées dans le
texte, l’achat de 200 milliards de titres d’État fait baisser le taux long d’environ 15 pb. Par
consé- quent, le programme de QE2 équivaudrait à une baisse du taux court de 75 pb.
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 79
Il est encore trop tôt pour faire un bilan de l’efficacité des mesures ex-
ceptionnelles de politique monétaire prises par les banques centrales pour
stopper l’effet de rétroaction négatif entre l’évolution du secteur financier
et l’économie réelle. Mais, déjà, certaines conclusions claires ressortent
des premiers travaux qui leur ont été consacrés :
• lorsque l’économie peut passer d’un régime de tensions financières
à un autre, la politique monétaire peut influer sur la probabilité de
change- ment de régime ;
• la politique monétaire a un retentissement plus marqué en période de
fortes tensions financières ;
• son resserrement semble avoir davantage d’incidences que son
assou- plissement (Li et St-Amant, 2010).

6. Effets attendus du QE2 aux États-Unis


Impact en…
2011 2012 2013
 % PIB 0,2 0,8 1,6
Taux de chômage – 0,1 – 0,3 – 0,7
Inflation 0,7 0,6 0,4
Sources : Federal Reserve Board et Deutsche Bank.

22. Évolutions du taux court (taux des fonds fédéraux) et des


taux longs (à 10 ans et à 30 ans) aux États-Unis au cours de la
crise
6

5
Taux à 30 ans

3 Taux à 10 ans

1
Taux des Fed funds
0
2008 2009 2010 2011
Source : Auteur, d’après données du FRB Saint-Louis.

80 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


3.2.4. Mesures non conventionnelles, quels risques ?
Pour les « faucons », les politiques monétaires non conventionnelles
peu- vent mettre en danger la stabilité des prix. La moitié des banquiers
centraux qui ont répondu à l’enquête sont de cet avis contre 31 %
seulement des universitaires.
L’accord est plus large en cas d’existence de risques pour la stabilité
financière à différents niveaux :
• risque de paralysie du marché monétaire : quand, sur le marché
moné- taire, les taux sont au voisinage de zéro, le coût opérationnel des
transac- tions sur le marché monétaire dépasse les intérêts reçus,
étroitement liés aux taux directeurs ; les banques commerciales peuvent
alors renoncer à y effectuer des transactions ;
• risque de caractère « contre-productif » : le coût de la ressource sur
le marché monétaire étant très bas, les banques sont moins incitées à
nettoyer leurs bilans et à surveiller de près leurs risques de crédit ;
certaines, incapa- bles de se refinancer sur le marché monétaire, peuvent
ainsi être mainte- nues sous perfusion (Clerc, 2010).
Ces risques croissent avec la durée des mesures non conventionnelles.
Enfin, une sortie trop tardive de ces dispositifs pourrait être à l’origine
d’une bulle et de mouvements de « hot money ».

3.3. Sortie de crise et après crise : comment renforcer


l’efficacité de la politique monétaire ?
3.3.1. Adoption d’un régime transitoire de « ciblage » du niveau
général des prix pour faciliter une sortie de crise ?
En théorie, le « ciblage » du niveau général des prix (PT) devrait per-
mettre une moindre variabilité de l’inflation et de l’activité économique.
En particulier, dans une situation où l’inflation est très basse et où les
taux directeurs sont au voisinage de zéro, le PT devrait conduire à une
révision à la hausse des anticipations d’inflation, les taux d’intérêt réels
vont devenir négatifs ce qui va stimuler la dépense et contribuer à la
reprise économique. Son adoption pour faciliter la sortie de crise a de
nombreux partisans (par exemple, Evans, 2010 et Woodford, 2010). Au
début 2010, peu de ban- quiers centraux (8 %) étaient de cet avis ;
beaucoup d’économistes (39 %) pensaient le contraire.
La trajectoire hypothétique du niveau général des prix dans le cas
d’une adoption transitoire du PT est représentée pour les États-Unis sur le
graphi- que 23a et pour la zone euro sur le graphique 23b. Leur
construction est fondée sur les deux hypothèses suivantes : le dernier
trimestre 2007, où le retournement conjoncturel a eu lieu aux États-Unis,
est choisi comme si- tuation de référence ; la trajectoire retenue pour le «
ciblage » du niveau général de prix (P*) correspond à un glissement
annuel de 2 %. Pour reve- nir sur cette trajectoire au dernier trimestre de
2012, à partir de la valeur
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 81
Extrait du questionnaire (question 4.3.3) :
Les politiques non conventionnelles font-elles courir un risque
à moyen-long terme sur la stabilité des prix à la consommation
?

Oui
Non
NSPP

37%

5%
58%

100%
8% 4%

80%
42%
65%
60%

40%

50%
20%
31%

0%
Banquiers centraux Economistes

82 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


Extrait du questionnaire (question subsidiaire à la question 4.3.3) :
Les politiques non conventionnelles font-elles courir un
risque à moyen-long terme sur la stabilité des prix d’actifs

Oui
Non
NSPP

34%

3%
63%

100%
5%

80%
50%

68%
60%

40%

50%
20%
27%

0%
Banquiers centraux
Economistes

BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 83


23. Trajectoire hypothétique du niveau général des prix
en cas d’adoption transitoire du « ciblage » du niveau général des
prix

a. États-Unis

120
118
p*
116
114
112
110
108
p
106
104
102
100
2008 2009 2010 2011 2012 2013

b. Zone euro
118

116

114 p*

112

110

108 p

106

104

102

100
2008 2009 2010 2011 2012 2013

Source : Auteur, d’après données OCDE.

84 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


observée du niveau général des prix au cours du troisième trimestre 2010,
celui-ci devrait augmenter à un rythme annuel de 2,7 % aux États-Unis et
de 2,6 % dans la zone euro (ce qui correspond à l’évolution de p). Le
choix de la date de référence est une difficulté majeure soulevée par
l’adoption, à titre transitoire, d’une stratégie de « ciblage » du NGP. En
effet, dans une perspective de long terme, aussi bien les États-Unis que la
zone euro se trouvaient au 3e trimestre 2010 sur le sentier d’évolution du
niveau général des prix fixé par un PT qui aurait démarré dans les années
quatre-vingt-dix (voir les graphiques 12a et b).

3.3.2. Une efficacité renforcée par un relèvement de l’objectif ?


Dans le cas général, deux arguments peuvent être avancés en faveur
d’un relèvement de l’objectif d’inflation afin de renforcer l’efficacité du
« central banking » dans la stabilisation de l’activité économique :
• l’accroissement de la marge de manœuvre de la politique monétaire
en cas de choc majeur : c’est l’argument mis en avant pour justifier une
« cible » de 4 % : « Si, au début de la crise, le taux d’inflation et, par
consé- quent, les taux d’intérêt avaient été plus élevés, en moyenne, cela
aurait permis de baisser plus fortement ces derniers, ce qui aurait
probablement limité la baisse de la production et la détérioration des
situations budgé- taires » (Blanchard, Dell’Ariccia et Mauro, 2010) ;
• la réduction du coût d’un rééquilibrage budgétaire : il ressort des
der- niers exercices de simulation effectués au moyen du modèle GIMF
(Global Integrated Monetary and Fiscal Model) du FMI qu’il est
beaucoup plus élevé si le taux d’intérêt se trouve bloqué à son plancher (26)
: quand il est bien supérieur à zéro et qu’il peut baisser librement, les
pertes de produc- tion sont d’environ 0,5 % après deux ans ; s’il est
bloqué à zéro, les pertes de production dues au rééquilibrage budgétaire
doublent pour atteindre environ 1 % après deux ans (graphique 24).
Dans le cas de la zone euro, un argument supplémentaire peut être
avancé en faveur du relèvement de l’objectif chiffré(27). Les divergences
observées entre les taux d’inflation nationaux ont conduit, après une
dizaine d’années de monnaie unique, à des différentiels de compétitivité
importants (graphi- que 25). L’Irlande, l’Espagne et la Grèce sont entrées
dans la crise avec des taux de change réels très élevés comparés à ceux de
l’Allemagne. Dans une union monétaire, la disparition de tels écarts
de compétitivité ne peut se faire que par des ajustements des prix «
domestiques » : au cours des 5-10 prochaines années, l’inflation devra
être moins forte dans les écono- mies concernées qu’en Allemagne. Ces
ajustements seraient sans aucun doute facilités si l’objectif chiffré de
hausse des prix pour l’ensemble de la

(26) Pour des raisons de simplicité, l’analyse ne tient pas compte de la possibilité qu’aurait
la Banque centrale de réagir au rééquilibrage au moyen d’outils monétaires non
conventionnels.
(27) On le trouve, par exemple, chez Krugman (2010).
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 85
24. Effets sur l’activité économique d’un rééquilibrage budgétaire
selon que le plancher de taux d’intérêt à zéro est atteint ou pas

a. PIB réel
En %
0,2

0,0

– 0,2
Plancher de taux d’intérêt à zéro
– 0,4 non atteint

– 0,6

– 0,8

– 1,0 Plancher de taux d’intérêt à zéro


atteint

– 1,2
0 1 2 3 4 5

b. Inflation de l’indice des prix à la consommation (IPC)


En points
0,1

0,0

– 0,1
Plancher de taux d’intérêt à zéro
non atteint
– 0,2

– 0,3

– 0,4
Plancher de taux d’intérêt à zéro
atteint
– 0,5

– 0,6
0 1 2 3 4 5

Note : Effets d’une réduction du déficit budgétaire, équivalant à 1 point du PIB, composée
entièrement de baisses des dépenses.
Source : FMI (2010).

86 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


zone était relevé de 2 à 4 %. En contrepartie, cette mesure aurait un certain
nombre d’inconvénients (l’ancrage des anticipations et la crédibilité de la
BCE pourraient en souffrir) et son adoption soulèverait des difficultés
pra- tiques (par exemple, risque de krach obligataire). Afin de les limiter,
il fau- drait que le passage au nouvel objectif chiffré se fasse non pas
graduelle- ment, mais d’un seul coup. C’est ce qui ressort des travaux
consacrés à la question d’un changement de « cible » : les coûts réels de
l’ajustement sont moindres s’il est immédiat (Fève, Matheron et Sahuc,
2010).

25. Évolution des taux de change réels de quelques pays membres


de la zone euro en comparaison avec l’Allemagne
115

110

105
Allemagne
100 Portugal

95

Espagne
90

85 Grèce
Irlande

80
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010

Source : Auteur, d’après données OCDE.

3.4. Conclusion
Au cours des années quatre-vingt-dix, la conduite de la politique
moné- taire a été facilitée par la relative stabilité des conditions de
l’offre ; cette chance explique en grande partie la baisse de la volatilité de
la croissance observée au cours de cette période ; l’amélioration des
politiques moné- taires y a aussi contribué. Au fil du temps, le contexte
est devenu moins favorable : le début des années 2000 a été marqué par
un retour des chocs d’offre et l’amplification des effets de débordement
résultant de la globali- sation. La conduite de la politique monétaire est
alors devenue plus délicate. Elle est restée malgré tout un levier d’action
efficace dans les « grandes » économies où les mouvements de capitaux
n’ont pas éliminé la transmis- sion de l’action des autorités le long de la
courbe des rendements. En re- vanche, cette efficacité semble avoir baissé
dans les « petites » économies.
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 87
En 2007-2008, face à la simultanéité du déclenchement de la crise fi-
nancière et d’un renchérissement des prix des matières premières, la
politi- que monétaire des grandes économies a été confrontée à un
dilemme. Cela a donné lieu à un « jeu de poules mouillées ». Dans
chaque économie, les autorités ont reculé avant de prendre les mesures
nécessaires, attendant que les autres agissent et supportent le poids de
l’ajustement. Ce type de com- portement, rationnel quand on considère
chaque pays individuellement, conduit à un équilibre sous-optimal si on
les prend dans leur ensemble. Plus précisément, cela a pu laisser croire
que l’engagement des banques centrales à maintenir la stabilité des prix
était moins ferme qu’auparavant. Dans de telles circonstances, il aurait
mieux valu qu’elles coordonnent les variations de leurs taux directeurs.
C’est une leçon importante à retenir au moment (début 2011) où les
économies sont confrontées à nouveau à un renchérissement des prix des
matières premières et des produits de base.
Par la suite, les mesures non conventionnelles sont parvenues à
stopper l’effet de rétroaction négatif entre l’évolution du secteur financier
et l’éco- nomie réelle sans toutefois parvenir à bien assurer la sortie de
crise et la reprise de l’activité économique. Pour les faciliter, l’adoption
transitoire d’un ciblage du niveau général des prix pourrait être une
solution. En pra- tique, elle paraît difficile à retenir là où, comme dans la
zone euro, il existe déjà un objectif chiffré d’inflation officiel ; y
renoncer, même si c’est de manière transitoire, aurait sans doute plus de
coûts – la crédibilité de la BCE pourrait en souffrir – que d’avantages.
Cela est moins vrai dans le cas contraire, comme aux États-Unis. Enfin,
un relèvement de l’objectif chiffré d’inflation en vue de faciliter la
stabilisation de l’activité économique est une proposition qui mérite
d’être examinée de près, notamment pour une union monétaire. Son
principal avantage serait d’y faciliter les ajustements rendus nécessaires
par des chocs asymétriques et, plus généralement, par la convergence des
économies. Il doit être mis en parallèle avec le coût que ferait supporter la
modification de l’objectif chiffré de hausse des prix ac- tuellement en
vigueur.

4. Stabilité financière
Essayer de contribuer à la stabilité financière tout en assurant la
stabilité monétaire, tel est le principal défi auquel est confronté
aujourd’hui le central banking. Cette section lui est consacrée. La section
4.1 revient sur la conduite, en temps réel, de la politique monétaire avant
la crise face au développement de la bulle immobilière. À la question «
Entrons-nous dans une ère de plus forte instabilité financière ? »,
beaucoup de banquiers cen- traux (40 %) et la plupart des universitaires
répondent oui. La section 4.2 se demande comment la politique monétaire
pourrait contribuer à limiter cette instabilité.
88 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
Extrait du questionnaire (question 1.4) :
Entrons-nous dans une ère de plus forte instabilité financière ?

Oui
Non
NSPP

3%

38%
59%

100%
8%

30%
80%

54%
60%

40%
70%

20%
38%

0%
Banquiers centraux
Economistes

BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 89


4.1. Avant la crise : politique monétaire et bulle immobilière
4.1.1. Face aux prix des actifs, approche directe ou indirecte ?
La place accordée à l’évolution des prix des actifs dans la conduite de la
poli- tique monétaire découle de la réponse donnée à chacune des questions
suivantes :
• les autorités ont-elles la possibilité de détecter une bulle ? ;
• l’éclatement d’une bulle pourrait-il avoir des effets significatifs
diffi- ciles à corriger par la suite ? ;
• la politique monétaire est-elle l’instrument approprié pour faire écla-
ter une bulle ? (Rudebusch, 2005).
Si, en temps réel, la réponse à chacune de ces questions est positive, la
Banque centrale a trois possibilités :
• faire éclater la bulle ;
• « cibler » les prix des actifs, par exemple en les incluant dans la me-
sure du niveau général des prix ;
• suivre une politique du type « leaning against the wind » (ci-dessous
LAW) en relevant progressivement son taux directeur alors même que la
réalisation de l’objectif chiffré de hausse des prix, à l’horizon habituel
(deux ou trois ans), ne semble pas mise en danger.
En 2005, voici quelles étaient les réponses de Jean-Claude Trichet :
• à la question 1 : « Oui, il y a des bulles, mais il est très difficile de
les identifier avec certitude et pratiquement impossible d’être d’accord
sur le point de savoir si une phase de boom du prix d’un actif particulier
devrait ou non être considérée comme une bulle » ;
• à la question 2 : « Les phases de boom dans le prix d’un actif ne sont
pas toutes dangereuses ; elles peuvent l’être si elles sont associées à un
endettement élevé, ce qui est par exemple généralement le cas pour les
booms des prix immobiliers » ;
• à la question 3 : « Des déséquilibres structurels sous-jacents peuvent
être à l’origine des bulles – et plus généralement des mauvais alignements
des prix des actifs. Si c’est le cas, des politiques visant à traiter ces causes
structurelles – comme la réglementation prudentielle ou des modifications
de la fiscalité – sont mieux appropriées. Il faut aussi tenir compte des
con- séquences possibles de la politique du type LAW sur les marchés.
[…] En particulier, (dans cette éventualité), une réaction désordonnée de
leur part n’est pas à exclure, même dans le cas où cette politique est mise
en œuvre graduellement sur une période assez longue » (Trichet, 2005).
Dans ces conditions, la BCE s’en est tenue à une prise en compte des
prix des actifs limitée à ce qui était prévu dans sa stratégie à deux piliers, c’est-
à-dire en envisageant leurs conséquences possibles sur l’activité
économique et sur les prix à un horizon de court-moyen terme..
L’attitude des autres
« grandes » banques centrales a été la même, pour des raisons identiques(28)

(28) Par exemple, pour le point de vue de la Banque d’Angleterre sur la question, voir
Vickers (2000).

90
4.1.2. La bulle immobilière a-t-elle été détectée « en temps réel » ?
Les évolutions des prix immobiliers aux États-Unis et dans la zone
euro sont représentées sur le graphique 26. Après une phase de croissance
assez forte à la fin des années quatre-vingt, une correction, plus marquée
aux États- Unis que dans la zone euro, est intervenue au début des années
quatre- vingt-dix. Elle a été suivie d’une période où les prix ont fortement
pro- gressé jusqu’au retournement observé fin 2006 aux États-Unis et
quelques mois plus tard dans la zone euro.

26. Évolution des prix immobiliers aux États-Unis et dans la zone euro
Base 100 = 1er trimestre 1990

160 États-Unis

140

120

Zone euro

100

80
1991 1993 1995 1997 1999 2001 2003 2005 2007 2009
Lecture : Prix immobiliers/Indice des prix à la consommation.
Source : Auteur, d’après données BRI et OCDE.

Quelle a été l’analyse faite « en temps réel » par les banquiers


centraux de l’envolée des prix immobiliers au début des années 2000 ?
Les comptes- rendus des réunions mensuelles tenues à l’époque par le
Federal Open Market Committee sont aujourd’hui disponibles. Il y est
fait mention, à de nombreuses reprises, des inquiétudes que les évolutions
des prix immobi- liers suscitaient chez les présidents des banques de
réserve régionales. À la lecture de ces mêmes documents, il apparaît que,
dès le mois de juin 2004, de nombreux responsables de services de la Fed
ont souligné les dangers représentés par les excès de la spéculation et
l’envolée des prix dans le secteur de l’immobilier. Par exemple, lors de la
réunion du 30 juin 2004, un économiste du département de la recherche a
présenté une étude d’où il ressortait que le ratio loyers/prix des logements
s’était écarté de sa moyenne historique et que cette évolution ne pouvait
être expliquée par celle des fondamentaux ; sa conclusion était la suivante
: « Les fondamentaux expli- quent une partie de la hausse des prix
immobiliers. Mais, même après les
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 91
avoir pris en compte, une partie de la hausse est difficile à expliquer »
(Stephen Oliner de la Division of Research and Statistics). La Fed n’a pas
été la seule à faire cette analyse. Par exemple, au même moment, le
diagnostic des économistes de la Banque de France était identique
(Wilhelm, 2005).

4.1.3. Pourquoi la politique monétaire n’a-t-elle pas été du type LAW


?
Il est donc clair qu’en 2004 les autorités monétaires avaient détecté la
bulle immobilière. Elles n’excluaient pas un scénario marqué par un
effon- drement des prix immobiliers mais elles ont estimé que cela ne
nécessitait pas une action « préemptive » de leur part : « Si les prix
immobiliers devai- ent baisser nous aurions des raisons d’être préoccupés
par la dette hypothé- caire ; mais, aujourd’hui, nous n’avons aucune
raison de l’être compte tenu de la situation financière des ménages »
(Greenspan, octobre 2004). Elles ont adressé de nombreuses mises en
garde : « (Les investisseurs) voient trop souvent comme structurelle et
permanente une telle augmentation de la valeur marchande (des biens
immobiliers ; cela les conduit) à prendre des risques de plus en plus
importants et sur des périodes de plus en plus étendues » ; « Le boom de
l’immobilier va inévitablement se calmer. Le rythme des ventes de
logements tombera alors au-dessous de ses niveaux historiquement
élevés, tandis que la hausse des prix va ralentir et que les prix pourraient
même reculer » (Greenspan, 2005). Elles ont commencé à relever leur
taux d’intérêt à compter du mois de juin 2004. À la question de savoir
pourquoi elles l’ont fait de manière très graduelle, elles donnent la
réponse suivante : « Il est très difficile d’augmenter les taux d’intérêt en
l’absence de risque inflationniste. Les entreprises indiquaient qu’il leur
était difficile d’augmenter leurs prix. L’existence d’une liquidité
excédentaire combinée à la difficulté d’augmenter les prix constituait une
situation tout à fait inhabituelle pour le Comité fédéral de l’open market.
La faiblesse du taux d’inflation nous donnait le temps de démarrer un
mouvement graduel, mais persistant de hausse des taux. Cela devait
permettre aux entreprises et aux ménages de s’ajuster. En leur annonçant
clairement un mouvement à la hausse des taux courts, nous voulions
amener les firmes à envisager des possibilités de refinancement et de
restructuration de leur endettement. (Si vous augmentez brutalement les
taux d’intérêt après une période où ils sont restés bas) vous multipliez les
difficultés financières » (Greenspan, 2008).
Face au développement de la bulle immobilière, en l’absence de risque
inflationniste, la politique monétaire n’a donc pas été du type LAW. Les
autorités s’en sont tenues à la doctrine suivie depuis la fin des années
quatre-vingt : la politique monétaire ne doit pas réagir dans la phase de
boom mais seulement en cas d’éclatement de la bulle. Différents
arguments ont été avancés à l’appui de cette attitude :
• le coût pour l’économie d’une forte chute des prix des actifs serait
beau- coup plus élevé que celui d’une hausse, même exagérée, car elle
pourrait plon- ger l’économie dans une récession sévère, voire dans une
crise systémique ;
• un boom des prix des actifs n’est pas nécessairement suivi par un
krach ; sur les 24 épisodes d’emballement de ces prix identifiés dans
quinze pays industrialisés du début des années soixante à la fin des
années quatre-
92 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
vingt-dix, seulement trois s’étaient terminés par l’éclatement d’une bulle
(Bordo et Jeanne, 2002) ;
• pour pouvoir agir au cours de la phase d’emballement, la Banque
cen- trale devrait non seulement être capable d’identifier la bulle avec
certitude et dans des délais adéquats, mais aussi être sûre qu’en relevant
ses taux elle pourra juguler l’activité spéculative sans risque majeur pour
l’économie.
Face à cette situation, les banquiers centraux sont restés fidèles au «
con- sensus de Jackson Hole » : vouloir faire éclater une bulle est
impossible, voire dangereux, et donc à éviter ; la bulle doit éclater d’elle-
même et il faut se tenir prêt à réparer les dégâts – « cleaning up
afterwards » (CUA) ou « mop up after ».
4.1.4. Les taux d’intérêt sont-ils restés trop bas trop longtemps ?
Tout au long des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, les politiques
de taux d’intérêt des banques centrales ont été conformes aux principes
de la règle de Taylor. Pour les États-Unis et la zone euro, les valeurs
observées des taux d’intérêt à court terme et des taux de Taylor (29), sur la
période 2000-T1/2007-T2, sont représentées sur les graphiques 27a et b.
Dans les deux cas, une divergence importante entre les deux taux
apparaît. Le com- portement des banques centrales a donc changé à ce
moment-là. Au regard de la règle de Taylor, le niveau très bas auquel les
taux d’intérêt directeurs ont été descendus après l’éclatement de la « bulle
Internet » a été maintenu trop longtemps aux États-Unis et en Europe et,
d’une manière générale, dans toutes les économies industrielles avancées.
Aux États-Unis, cette po- litique a été justifiée par des craintes de
déflation. L’indicateur du risque déflationniste construit par le FMI fait
apparaître une poussée du risque déflationniste à ce moment-là (voir les
graphiques 9a et b). Mais il est resté modéré. En outre, la crainte
déflationniste est très vite retombée. Il ne fait guère de doute que les
politiques de taux ont été laxistes trop longtemps (à partir de fin 2002 aux
États-Unis et de fin 2004 dans la zone euro)(30).
Les valeurs trimestrielles du « gap » de taux d’intérêt peuvent être rap-
prochées de la variation des prix immobiliers. Pour la zone euro et pour
les États-Unis, les résultats sont représentés sur le graphique 28. Dans les
deux cas, on observe une relation significative entre les deux variables.
En moyenne, un écart de taux d’intérêt d’un point de pourcentage
coïncide avec une hausse d’un demi-point de pourcentage des prix
immobiliers. Sans trop s’avancer, on peut dire que le caractère
accommodant des politiques monétaires a permis l’envolée des prix
immobiliers au début des années 2000. C’est ce que pensent aujourd’hui
presque tous les universitaires et presque tous les banquiers centraux (85
% dans les deux cas).
(29) Pour cela, le mieux est de l’utiliser en retenant sa formulation originale pour chacune
des économies considérées :
Taux de Taylor = 1 + taux d’inflation + ½ x [taux d’inflation – 2] + ½ x [écart de production]
où l’inflation et l’écart de production sont mesurés comme le fait Taylor (déflateur du PIB
; écart entre le PIB effectif et le PIB potentiel mesuré au moyen du filtre de Hodrick-
Prescott).
(30) La BCE a été sévèrement critiquée quand elle a relevé ses taux fin 2005 en l’absence
de tensions inflationnistes.

BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 93


27. Taux d’intérêt à court terme (3 mois) et taux de Taylor

a. États-Unis
8

4
Taux de Taylor

1
Taux à court terme
0
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007

b. Zone euro
6

5
Taux de Taylor

2
Taux à court terme
(euribor 3 mois)

0
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007

Source : Auteur, d’après données OCDE.

94 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


Extrait du questionnaire (question 1.5) :
Le bas niveau des taux d’intérêt a-t-il favorisé la
formation de la bulle immobilière, et par la suite son
explosion ?

Oui
Non

13%

87%

100%

15% 12%

80%

60%

40% 85% 88%

20%

0%
Banquiers centraux
Economistes
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 95
28. Écart de taux d’intérêt et variations des prix réels des
logements
(1996-T1/2007-T2)

a. Zone euro
7

2
y = – 0,4974x + 3,0529
1 R2 = 0,4259
T stat = 5,713

0
–5 –4 –3 –2 –1 0 1 2 3 4

b. États-Unis
4,5
4,0
3,5
3,0
2,5
2,0 y = – 0,4965x + 2,3604
R2 = 0,5027
1,5 T stat = 6,669

1,0
0,5
0,0
– 0,5
– 1,0
–3 –2 –1 0 1 2 3 4 5 6

Note : L’écart de taux d’intérêt correspond à la différence entre le taux à 3 mois et le taux
de Taylor correspondant. Il apparaît une relation significative entre la variation en
pourcentage des prix immobiliers déflatés par l’indice des prix à la consommation.
Source : Auteur, d’après données OCDE.

96 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


4.2. Après la crise : principaux défis et questions
4.2.1. Quel progrès dans la détection des déséquilibres
sur les marchés d’actifs ?
Dispose-t-on aujourd’hui de nouvelles techniques pour détecter les
bul- les. L’utilisation du contrôle stochastique optimal donne des résultats
inté- ressants (Stein, 2010). Elle permettrait le calcul d’un signal avancé
de crise dont voici un exemple. La condition de stabilité sur le marché
immobilier est la suivante : quand le taux d’endettement est supérieur à sa
moyenne, le ratio loyers/prix immobiliers doit être lui aussi au-dessus de
la sienne (les loyers sont suffisamment élevés pour permettre de
rembourser les emprunts). Deux observations ressortent de l’examen de la
situation du marché immo- bilier aux États-Unis sur la période 1980-2007
(graphique 29) :
• le ratio loyers/prix immobiliers est resté au-dessous de sa moyenne
et n’a cessé de baisser de 1996 à 2007 ;
• le taux d’endettement a été en permanence au-dessus de sa moyenne
et n’a cessé d’augmenter de 1998 à 2007.
La hausse de l’endettement a donc été suscitée par la perspective de
plus-values immobilières supérieures aux charges d’intérêt. La situation
était donc insoutenable : une fois les plus-values inférieures aux charges
d’intérêt, les revenus ont été insuffisants pour faire face à la dette. Dès
lors, la crise était inévitable.

29. Un signal avancé de crise pour le marché immobilier


3

Ratio loyers/prix immobiliers

–1
Ratio d’endettement

–2
1980 1983 1986 1989 1992 1995 1998 2001 2004 2007

Note : Ratio d’endettement = (endettement des ménages en % de leur revenu disponible –


moyenne)/écart-type ; Ratio loyers/prix immobiliers = (loyers/indice des prix immobiliers
– moyenne)/écart-type.
Source : Stein (2010).

BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 97


4.2.2. Complémentarité ou conflit entre stabilité monétaire
et stabilité financière ?
Dans un régime régulier, la stabilité monétaire et la stabilité financière
sont deux objectifs complémentaires. La première peut même être
considé- rée comme une condition nécessaire à la réalisation de la
seconde. La stabi- lité financière est sans doute mieux assurée dans un
environnement macro- économique qui a lui aussi cette propriété. Dans
cette situation, une poli- tique monétaire orientée vers la stabilité des prix
– sans pour autant se désin- téresser des fluctuations de l’activité
économique – devrait contribuer à la stabilité financière. La poursuite
d’un objectif de faible inflation est alors la meilleure contribution que la
politique monétaire puisse apporter à la stabilité du système financier. De
la même façon, la stabilité financière contribue sans doute à la stabilité
monétaire. La solidité et l’efficacité du système financier concourent à la
croissance de l’économie et renforcent sa résistance aux chocs.
Inversement, les crises bancaires et financières se traduisent par un
ralentissement de l’activité économique qui peut rendre difficile la
réalisation de l’objectif d’inflation ; dans les cas extrêmes, une spirale
déflationniste peut même se déclencher.
Différents mécanismes peuvent contribuer au renforcement mutuel de
la stabilité monétaire et de la stabilité financière (Papademos, 2009). Les
contrats financiers étant rédigés en termes nominaux, la stabilité des prix
élimine les effets redistributifs arbitraires, entre prêteurs et emprunteurs,
dus à l’inflation non anticipée et donc les conséquences (difficultés finan-
cières voire défaillances) qu’ils pourraient avoir. Un bon ancrage des anti-
cipations augmente l’efficacité de la politique monétaire quand les taux
d’intérêt sont proches de zéro ; cela permet d’éviter le déclenchement
d’une spirale déflationniste, de stabiliser l’activité et de contribuer à la
stabilité financière (cf. section 3). De son côté, la stabilité financière
renforce l’effi- cacité de la politique monétaire en assurant un bon
fonctionnement de ses mécanismes de transmission à l’intérieur de la
sphère financière ainsi qu’en- tre celle-ci et le secteur réel.
En cas de chocs, tout dépend de leur nature. Dans certains cas, les
deux objectifs restent complémentaires (Artus, 2010). Voici quelques
exemples : un choc de demande ayant des effets positifs sur l’inflation, le
crédit, les prix des actifs ; un choc négatif sur le taux d’intérêt réel qui
entraîne des hausses de la demande, des prix des actifs, et du crédit ; une
poussée des prix des actifs qui provoque hausse de la demande et du
crédit par effet de richesse, donc aussi hausse des prix ; dans ces trois
situations, une hausse des taux contribue à la fois à la réalisation de la
stabilité monétaire et à celle de la stabilité financière. Mais, il y a des cas
où la poursuite de la stabilité monétaire et la recherche de la stabilité
financière peuvent être antagoni- ques. Il en est ainsi chaque fois que, à la
suite d’un choc, la première exige- rait le statu quo pour les taux d’intérêt
– pas de risque inflationniste – alors même que la seconde nécessiterait
leur relèvement – emballement du crédit accompagnant une envolée des
prix des actifs. Le risque de conflit entre
98 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
stabilité monétaire et stabilité financière est notamment élevé en cas de
choc d’offre – comme en 2007-2008 avec une révision à la hausse des
anti- cipations inflationnistes à la suite de l’augmentation des prix des
matières premières et des produits de base alors même que le système
financier con- naissait une crise de liquidité, avec des tensions sur le
marché monétaire – ou en cas de modifications des comportements des
agents économiques
– comme dans la période qui a précédé la crise où, après une longue période
de stabilité des prix et de taux d’intérêt bas, des déséquilibres financiers
se sont formés et développés en raison d’une sous-estimation des risques
et d’un endettement exagéré de la part des agents économiques
(Papademos, 2009). Dans un tel contexte, l’utilisation des taux d’intérêt
ne permet pas, à elle seule, d’atteindre les deux objectifs. Le recours à la
politique macro- prudentielle correspond à ce besoin d’avoir un outil
supplémentaire. L’arti- culation entre les deux instruments doit alors être
envisagée conformément aux recommandations du principe d’affectation
des instruments de Mundell.

4.2.3. Quelle règle de politique monétaire ?


S’agissant de la conduite de la politique de taux d’intérêt, une
première possibilité consiste à s’en tenir au respect de la règle de Taylor
qui a montré son efficacité dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-
dix. Dans la si- tuation actuelle (fin 2010-début 2011) où des mesures non
conventionnelles restent en vigueur, cela pourrait se traduire par
l’adoption des deux dispo- sitions suivantes :
• l’annonce immédiate d’une politique de taux conforme à la règle de
Taylor après le retour à une situation normale ;
• pour le faciliter, affichage et respect d’une règle claire de sortie des
mesures non conventionnelles actuellement en vigueur (diminution régu-
lière de la taille du bilan de la Banque centrale, selon des montants
prévisi- bles fixés en fonction de l’état de la reprise) (Taylor, 2010).
La règle de Taylor « simple » étant construite sur l’hypothèse
implicite qu’il n’y a pas d’imperfections financières, il paraît logique de
chercher à l’améliorer. Deux possibilités sont offertes pour la rendre plus
performante par la prise en compte des conditions financières à travers :
• la croissance du crédit : l’inflation étant généralement basse au
cours des phases de boom de la Bourse, la conduite de la politique de
taux d’inté- rêt avec une règle trop étroitement centrée sur la hausse des
prix peut désta- biliser le marché des actifs et, au-delà, l’ensemble de
l’économie. Accorder un rôle spécifique à la croissance du crédit (distinct
de sa prise en compte pour la prévision de l’inflation) permettrait de
limiter la variabilité de la production et celle des prix des actifs, tout en
contribuant à mieux assurer la stabilité monétaire à long terme
(Christiano, Ilut, Motto et Rostagno, 2010) ;
• les variations des spreads de taux : la version originale de la règle
de Taylor revient à supposer que le taux d’intérêt directeur, mesuré en
termes
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 99
réels, mesure le coût du financement pour l’ensemble de l’économie
et/ou
que sa relation avec ce dernier est parfaitement stable ; dans ces
conditions, toute variation de ce taux directeur est répercutée, à
l’identique, sur les conditions de financement ; en réalité, ce n’est bien
entendu pas le cas en rai- son de l’existence de primes de risque variables.
Dans le cas où, toutes choses égales par ailleurs, elles augmentent à la
suite d’un resserrement des condi- tions financières, pour que le coût du
capital reste inchangé, une baisse du taux directeur est nécessaire. Plus
généralement, il doit donc être ajusté à la hausse où à la baisse selon que les
primes de risque diminuent ou augmentent (McCulley et Toloui, 2008,
Curdia et Woodford, 2009 et De Fiore et Tristani, 2010).

4.2.4. La politique monétaire peut-elle être parfois du type LAW ?


D’après l’enquête, beaucoup de banquiers centraux (50 %) et une
majo- rité sensible d’universitaires pensent que la politique monétaire est
un outil efficace pour contrer les cycles du crédit.
Mais, à la question « la Banque centrale doit-elle choisir le plus bas
taux d’intérêt compatible avec son objectif de stabilité des prix ? Ou
choisir un taux plus élevé en cas de bulle ? Ou choisir un autre instrument
? », une majorité sensible de banquiers centraux (80 %) et beaucoup
d’universi- taires répondent que la première solution est la meilleure : la
politique monétaire ne devrait pas être du type LAW (42 %).
Cela pourrait donner l’impression que la crise n’a pas fait évoluer les
points de vue sur la question. Mais ce n’est pas le cas. Celui de la BCE
n’est plus aujourd’hui le même que celui exprimé en 2005 par Jean-Claude
Trichet (voir ci-dessus) : « Nous sommes arrivés à la conclusion qu’une
surveillance très étroite de l’évolution des prix des actifs est nécessaire et
nous l’avons incorporée dans notre analyse » (Lucas Papademos, 2009) ; «
La crise semble montrer la nécessité d’une approche symétrique de la
réaction des banques centrales à l’envolée puis à l’effondrement des prix
des actifs […] Tradi- tionnellement, la proposition en faveur de
l’adoption du LAW se heurtait au scepticisme. Au vu des événements
récents, cette proposition doit être réexaminée en rendant mieux justice à
ses avantages » (Jürgen Stark, 2010) ;
« Les banques centrales devraient adopter une perspective de long terme
afin de prendre en compte les conséquences défavorables possibles d’une
croissance forte de la monnaie et du crédit, d’une envolée des prix des
actifs et d’une chute de l’aversion au risque pour la stabilité des prix »
(Axel Weber, 2009). L’évolution de la doctrine de la BCE sur ce sujet
appa- raît très nettement dans un ouvrage qu’elle a publié récemment
(BCE, 2010). Il y est écrit que plusieurs membres de son Directoire ont
eu par le passé
« une certaine sympathie pour le principe du LAW […] Même s’il y a un
accord chez les économistes pour dire que la politique monétaire ne doit
pas être la première ligne de défense (contre les cycles des prix d’actifs),
cela n’atténue en rien l’acuité de ce problème pour les autorités moné-
taires ».
100 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
Extrait du questionnaire (question 4.4.3) :
La politique monétaire peut-elle contrer les cycles du crédit ?
D’autres instruments sont-ils plus efficaces ?

Oui
Non

67%

33%

100%

25%
80%
50%

60%

40%
75%

50%
20%

0%
Banquiers centraux
Economistes

FINANC
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ
101
Extrait du questionnaire (question 4.4.2) :
La Banque centrale doit-elle choisir le plus bas taux d’intérêt
compatible avec son objectif de stabilité des prix ? Ou choisir
un taux plus élevé en cas de bulle ? Ou choisir un autre instrument
?

Choisir le plus bas taux d'intérêt


Non

55%

45%

100%

20%

80%
58%

60%

40% 80%

20% 42%

0%
Banquiers centraux Economistes

102 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


Ce nouveau point de vue de la BCE sur le LAW est partagé par un grand
nombre d’autres banquiers centraux européens : « Étant donné les coûts
possibles d’un krach, il paraît avisé d’utiliser la politique monétaire pour
essayer d’empêcher la création de déséquilibres […] Cela ne veut pas dire
qu’il faudrait aller jusqu’à « cibler » les prix des actifs […] Mais cela
justi- fie au moins la conduite d’une politique monétaire à contre-courant
au cours de la phase ascendante du boom du crédit et des prix d’actifs en
vue de l’atténuer et donc de limiter la chute qui pourrait suivre » (Bean,
2008). Il ne doit toutefois pas y avoir de malentendu sur la signification
du LAW telle qu’il est envisagé ici (Svensson, 2010). Il ne s’agit pas de
se fixer des
« cibles » pour la croissance du crédit, voire pour les prix d’actifs, et de
compléter, dans la fonction de perte de la Banque centrale, les écarts d’in-
flation et de production par des « écarts de crédit » et/ou des « écarts de
prix d’actifs ». Ce sont simplement des indicateurs qui peuvent s’avérer
utiles en raison des effets non désirés du crédit et des prix d’actifs sur
l’in- flation et sur l’activité économique.
Une distinction entre deux catégories de bulles sur les prix d’actifs de-
vrait être établie (Blinder, 2008 et Mishkin, 2008) :
• celles financées par le crédit bancaire : elles correspondent à des ex-
cès de la spéculation favorisés par un comportement irresponsable des
ban- ques en matière de crédit (par exemple, la dernière bulle
immobilière) ;
• les autres, pour lesquelles le rôle du crédit est mineur, comme ce fut
le cas pour la bulle des nouvelles technologies ou de la nouvelle
économie.
S’agissant de la seconde catégorie, la Banque centrale n’est pas mieux
placée que les autres observateurs pour se prononcer sur l’existence ou
non d’une bulle et son diagnostic peut être erroné. Elle peut commettre
aussi bien des erreurs de première espèce (type I) – quand elle rejette
l’hypothèse de présence d’une bulle alors qu’elle est vraie – que des
erreurs de seconde espèce (type II) – quand elle ne rejette pas cette
hypothèse alors qu’elle est fausse. En outre, à supposer qu’elle
diagnostique la présence d’une bulle de ce type, la Banque centrale ne
peut pas faire grand-chose. Relever ses taux d’intérêt ? Si c’était le cas, la
hausse devrait être substantielle.
S’agissant des bulles financées par le crédit, la Banque centrale est
beau- coup mieux placée. Tout d’abord, l’exercice de ses responsabilités
en ma- tière de politique « prudentielle » la met dans une position
privilégiée pour suivre les pratiques des banques dans la distribution de
crédit et leurs con- séquences sur les bilans. Cela devrait lui permettre de
déceler d’éventuels excès. Dans cette éventualité, elle devrait s’interroger
sur le niveau de ses taux directeurs même si, par ailleurs, il n’y a pas de
danger pour l’activité économique et pour la stabilité des prix à l’horizon
habituellement retenu. S’ils sont bas, il ne lui est pas possible d’en
ignorer les conséquences pos- sibles sur l’industrie financière, les
innovations, les différents spreads… L’origine de l’emballement du
crédit et de l’envolée des prix d’actifs peut être là (Issing, 2008). Dans le
cas contraire, c’est sans doute à la politique macro-prudentielle qu’il
revient d’agir.
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 103
4.2.5. Quelle articulation optimale entre politique monétaire
et politique macro-prudentielle aujourd’hui ?
Dans le cadre d’une application du principe d’affectation des instru-
ments, quatre régimes de central banking sont envisageables
aujourd’hui :
• le premier (R1) consiste à se contenter de l’application de la règle de
Taylor dans la conduite de la politique monétaire ;
• le deuxième (R2) revient à « augmenter » la règle de Taylor par la
prise en compte des conditions financières, ce qui équivaut à conduire la
politique de taux d’intérêt en fonction des écarts d’inflation et de produc-
tion, mais aussi de l’évolution du crédit (taux de croissance ou primes de
risque) ;
• le troisième (R3) complète le premier par une politique macro-
prudentielle avec, par exemple, l’adoption d’un ratio de capital contra-
cyclique ;
• le quatrième (R4) fait la même chose avec le deuxième.

7. Politique macro-prudentielle
Règle de Taylor
Ratio de capital contra-cyclique Simple Augmentée
Non R1 R2
Oui R3 R4

Source : Auteur.

Pourrait-on se contenter d’un retour à la politique de taux d’intérêt qui


a bien marché au cours des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix ? Cette
solution, consistant à suivre purement et simplement les
recommandations de la règle de Taylor, pourrait être la meilleure si l’on
estime que les erreurs de politique monétaire du début des années 2000
ont largement contribué au développement des déséquilibres qui ont précédé
la crise (Taylor, 2007 et 2008). Cette règle simple suppose que l’on est
dans un monde à la Modigliani- Miller où il n’y a pas d’imperfections
dans la sphère financière. À l’évi- dence, ce n’est pas réaliste et tenir
compte de cet état de fait dans la con- duite de la politique de taux
apparaît a priori souhaitable. Les travaux em- piriques n’arrivent pas à
une conclusion aussi tranchée. D’un côté, il res- sort par exemple d’une
analyse historique, menée sur une longue période (140 ans) pour 14
économies développées, qu’une meilleure prise en compte du crédit serait,
souhaitable : sa croissance y apparaît comme le meilleur indicateur
avancé de l’instabilité financière (Jorda, Schularick et Taylor 2010). D’un
autre côté, sur la période 1986-2008, dans 18 économies déve- loppées,
les « écarts de crédit » apparaissent bien corrélés positivement avec les
prix immobiliers mais pas avec les cours boursiers ; en outre, leur corré-
104
lation avec l’activité économique et les prix reste très faible et il en est de
même pour les écarts mesurés sur les prix d’actifs ; les indicateurs des dé-
séquilibres financiers ainsi calculés – dont l’utilisation est souvent recom-
mandée (Borio et Lowe, 2002) – ne serviraient donc pas à grand-chose
pour prévoir l’évolution des conditions économiques (Assenmacher-
Wesche et Gerlach, 2010 et Gerlach, 2009).
Des travaux portant sur la politique monétaire optimale qui font abs-
traction de la politique macro-prudentielle, il ressort généralement qu’elle
devrait accorder plus d’attention aux spreads observés sur le marché du
crédit (Curdia et Woodford, 2010) : à travers leurs effets sur le coût
margi- nal des entreprises ainsi que sur la consommation, ils influencent
la pro- duction et les prix. Une conclusion différente semble se dégager
des autres travaux : si, par exemple, les banques se voient imposer un
ratio de capital contra-cyclique, il vaudrait mieux s’en tenir à une
politique de taux d’intérêt obéissant aux principes de la règle de Taylor
simple (Beau, Clerc et Mojon, 2011). La robustesse de cette dernière
conclusion doit toutefois être confir- mée car les travaux portant sur la
détermination de la politique monétaire optimale en présence d’une
politique macro-prudentielle sont encore peu nombreux.

4.3. Conclusion
Deux conclusions principales se dégagent de cette section :
• avant la crise, une réponse négative était donnée – par presque tous
les banquiers centraux et par une grande majorité d’économistes – à cha-
cune de trois questions suivantes : La présence d’une bulle peut-elle être
détectée ? L’éclatement d’une bulle peut-il avoir des conséquences
macro- économiques difficiles à traiter ? La politique monétaire est-elle
un bon instrument pour faire éclater une bulle ? Les réponses ne sont plus
les mê- mes aujourd’hui. Par exemple, l’idée qu’une politique monétaire
du type LAW peut être appropriée en cas de développement d’une bulle
alimentée par une explosion du crédit a fait son chemin ;
• l’articulation entre la politique monétaire et la politique macro-
prudentielle conformément au principe d’affectation des instruments de
Mundell devrait permettre, sinon d’éviter, du moins de limiter de tels excès
: la conduite de la politique monétaire doit être dirigée en priorité vers le
main- tien de la stabilité des prix et être conduite conformément aux
principes d’une règle de Taylor simple ; la politique macro-prudentielle
doit assurer la stabilité financière et reposer principalement, elle aussi, sur
l’appli- cation d’une règle, comme l’imposition d’un ratio de capital contra-
cyclique.

BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 105


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116 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


Lecture 2

Pour un changement de central banking


: la nécessaire coordination de la politique
monétaire et de la politique macro-
prudentielle au sein de la Banque centrale

Jean-Paul Betbèze, Jézabel Couppey-


Soubeyran et Dominique Plihon

Introduction
Le rôle et le fonctionnement des banques centrales n’ont cessé d’évo-
luer depuis leur création(1). Cette évolution découle très largement du con-
texte économique dans lequel elles sont amenées à agir. Si l’on se limite à
la période de l’après-guerre, on constate ainsi qu’il y a eu deux
générations successives de banquiers centraux. Dans les années soixante,
le banquier central « keynésien » avait pour objectif de réaliser un
arbitrage entre infla- tion et plein emploi, favorisant souvent le second.
Les années quatre-vingt ont vu apparaître le banquier central «
conservateur ». Ce dernier a donné la priorité à la lutte contre l’inflation,
au moment où l’inflation à deux chif- fres avait fait son apparition. On
doit se demander s’il n’est pas souhaitable qu’émerge aujourd’hui une
troisième génération de banquiers centraux, dans le contexte de la
globalisation économique et financière : il ajouterait de manière explicite
l’objectif de stabilité financière à celui de stabilité moné- taire (Boyer,
Dehove et Plihon, 2004).
Le régime macroéconomique des années soixante-dix et quatre-vingt,
caractérisé par de fortes tensions inflationnistes et qui avait fondé la doc-
trine et les modalités d’intervention, d’inspiration monétariste, des ban-

(1) Rappelons que la Banque d’Angleterre a été créée en 1694 pour faciliter le
financement de la dette publique occasionnée par la guerre menée par Guillaume III
contre Jacques II et Louis XIV.

BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 117


quiers centraux « conservateurs » s’est en effet transformé au cours des
années 1990-2000 pour donner naissance à un nouveau régime macroéco-
nomique d’inflation basse et stable (Aglietta, Berrebi et Cohen, 2009). La
volatilité de l’inflation étant remontée avec la crise amorcée en 2007, il
est trop tôt pour dire si ce régime d’inflation basse se maintiendra
durable- ment. Mais, d’ores et déjà, deux constats s’imposent :
• la politique monétaire ne constitue pas à, elle seule, l’explication de
l’inflation basse de cette période de grande modération des années 1990-
2000 : cela nous incite à penser que les déterminants de l’inflation ne sont
plus exclusivement monétaires, des facteurs réels et structurels ont gagné
en importance : surproduction, concurrence, marchés d’acheteurs…
autant d’éléments liés à la globalisation de l’économie interviennent ;
• cette Grande modération n’a pas été sans incidence sur le compor-
tement face aux risques des acteurs de la finance, au premier rang
desquels les banques qui, au cours des années 1990-2000, ont
significativement accru leur prise de risque ainsi qu’en atteste un nombre
croissant d’études empiriques. Si l’on accepte l’idée que cette prise de
risque accrue porte une lourde responsabilité dans le déclenchement de la
crise financière, on admet alors aussi que la stabilité monétaire des années
1990-2000 a para- doxalement été préjudiciable à la stabilité financière.
La relation simple et univoque qui consistait à faire de la stabilité
moné- taire une condition nécessaire et suffisante de la stabilité financière
ne tient donc plus. Or, c’est bien cette relation qui justifiait que les
banques centrales recherchent, en priorité, la stabilité monétaire et
qu’elles ne contribuent qu’indirectement ou après coup (en cas de crise
mobilisant une interven- tion des banques centrales en tant que prêteurs
en dernier ressort) à la stabi- lité financière. Dans cette optique, la
stabilité financière ne peut plus être tenue comme un objectif de second
rang. Certes la stabilité financière ap- paraît plus délicate à définir et à
quantifier que ne l’est la stabilité moné- taire. Mais n’est-ce pas au fond
parce que les banquiers centraux, comme les économistes, se sont
appliqués à définir de façon étroite la stabilité monétaire, en excluant les
prix d’actifs de la définition de l’inflation et en évacuant sa dimension
externe (taux de change) ? En outre, même en s’ap- puyant sur une
définition étroite de la stabilité monétaire, les stratégies de ciblage
d’inflation n’ont pas l’avantage de la simplicité, ni conceptuellement, ni
quantitativement. Au contraire, elles exigent des banques centrales qu’elles
soient capables de déterminer le sentier de politique monétaire prévu sur
la base de prévisions d’inflation et d’écarts de production qui ne sont
pas
« simples » à établir, puisqu’inobservables. Le fait que la stabilité finan-
cière exige une définition à plusieurs tiroirs et puisse donner lieu à une
pluralité de mesures ne la disqualifie donc pas en tant que mission, ni
même en tant qu’objectif que les banques centrales ont à poursuivre. Les
coûts pour l’économie réelle des crises financières sont en effet trop
importants pour que les banques centrales ne s’impliquent pas davantage
dans leur prévention.
118 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
Le problème auquel est aujourd’hui confrontée l’économie mondiale
est triple :
• à moins d’une reprise vigoureuse aux États-Unis et en Europe, ce
que met en doute de manière unanime (une fois n’est pas coutume !) la
commu- nauté des économistes, les économies occidentales ont
aujourd’hui plus à craindre du côté de la déflation que de celui de
l’inflation ;
• à l’échelle internationale demeure toutefois une ample liquidité, por-
tée par les économies émergentes, qui fait peser des risques élevés
d’insta- bilité financière sous les formes de bulles de prix d’actifs et
d’une fragilité des acteurs bancaires et financiers ;
• les déséquilibres macroéconomiques et financiers qui n’auront pas
été résorbés à l’issue de la crise risquent alors de se reporter sur les taux
de change des principales monnaies.
Si ce constat est exact, le cadre opérationnel actuel des banques
centrales (objectifs, instruments…) va devoir évoluer. Sans renoncer au
contrôle de la stabilité monétaire, les banquiers centraux doivent inclure la
stabilité finan- cière dans leurs objectifs prioritaires, à côté de la
croissance et de l’emploi. Sinon, les déséquilibres monétaires internationaux
deviendront insurmontables.
Cela implique notamment, selon la règle de Tinbergen, que les
autorités monétaires recourent à une gamme plus large d’instruments
(provision- nement dynamique, exigences de capital procycliques, réserves
obligatoires, refinancement sélectif…) dont la plupart relèvent de la
politique macro- prudentielle. De même, les banques centrales auront
besoin de rechercher une articulation étroite de leur action avec les
autorités prudentielles et les autres banques centrales nationales (Rapport
Larosière, 2009). Les banques centrales apparaissent en effet, du fait de
leur indépendance, comme les autori- tés les mieux placées pour prendre en
charge la politique macro-prudentielle. Celle-ci constituera le chaînon
manquant entre la politique monétaire et la surveillance micro-
prudentielle des établissements bancaires. L’implication des banques
centrales en matière macro-prudentielle n’impliquera pas né-
cessairement qu’elles endossent aussi le rôle de superviseur micro-
prudentiel. En revanche, partout, il faudra une proximité étroite entre ban-
ques centrales et superviseurs pour prévenir le risque de crise systémique.

Points clés et propositions de la lecture 2


1. L’inflation résulte d’un ensemble complexe de facteurs, d’ordre
monétaire et structurel, liés à la mondialisation, comme l’illustre la Grande
modération.
2. Stabilité monétaire et stabilité financière entretiennent des relations
com- plexes, à double sens, parfois opposées, pouvant conduire à des conflits
d’ob- jectifs. La stabilité financière a en effet, paradoxalement, pâti de la
crédibilité des banques centrales.
3. Les missions des banques centrales doivent inclure la stabilité finan-
cière, ce qui implique de mettre fin au principe de séparation entre les deux
objectifs. La stricte application de ce principe a nui, dans la crise récente, à
l’efficacité de l’action des banques centrales.
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 119
4. L’instabilité financière revêt des formes différentes selon les périodes
et les pays, ce qui rend sa définition et sa mesure complexes. Mais ceci n’est
pas une raison pour ne pas faire de la lutte contre l’instabilité financière une
mis- sion des banques centrales.
5. Les canaux de transmission bancaire et financier de la politique moné-
taire ont été sous-estimés, à la fois par les économistes et par les banquiers
centraux. Le canal de la prise de risque a été tardivement reconnu.
6. Le crédit continue de jouer un rôle majeur, que la titrisation a
contribué à sous-estimer, dans le financement de l’économie et dans la
genèse des crises financières.
7. La politique macro-prudentielle doit devenir l’arme principale de lutte
contre l’instabilité financière ; et la Banque centrale un acteur majeur de
cette politique. Le macro-prudentiel devient ainsi le chaînon qui manquait
jusqu’ici entre politique monétaire et supervision micro-prudentielle.
8. Un élargissement de la gamme des instruments à la disposition des
ban- ques centrales et des autorités prudentielles devient nécessaire pour
atteindre simultanément les objectifs de stabilité monétaire et de stabilité
financière.
9. Parmi les instruments macro-prudentiels, nous proposons de mettre
l’ac- cent sur les instruments de régulation du crédit tels que le ratio « loan to
value » qu’il conviendrait de généraliser et de renforcer, ainsi qu’un système
progressif de réserves obligatoires sur les crédits dont l’objectif serait de
contrer les em- ballements du crédit.
10. L’expérience de la crise récente a montré les limites des solutions
ap- portées aux défaillances des entités systémiques. Un repérage et une
surveillance de ces entités s’imposent. Une politique d’action préventive
pourra être envisa- gée. Ces actions spéciales relèveront des banques
centrales dans le cadre de leur surveillance macro-prudentielle.
11. L’implication macro-prudentielle des banques centrales n’obligera
pas ces dernières à endosser le rôle de superviseur micro-prudentiel là où
elles ne l’ont pas. Il n’y a pas de modèle unique pour organiser la
supervision. En re- vanche, partout, la proximité devra être forte entre la
Banque centrale et les autorités de supervision. De ce point de vue, le choix
français d’une autorité de contrôle prudentiel qui demeure proche de la
Banque centrale est satisfaisant.
12. Plusieurs dispositions peuvent être envisagées pour assurer cette
proxi- mité entre banques centrales et superviseurs prudentiels : un réseau
d’informa- tions commun (proche de celui prévu aux États-Unis par la loi
Dodd-Frank), une gouvernance partagée, la consultation d’une autorité
indépendante de pro- tection des consommateurs de services financiers ou
encore sa participation aux réunions des comités de pilotages des autorités en
charge de la stabilité financière.
13. Compte tenu de l’élargissement de leurs missions et de leurs
pouvoirs en matière de stabilité financière, les banques centrales devront,
pour préserver voire adapter leur indépendance vis-à-vis des pouvoirs
politiques et écono- miques, rendre davantage de comptes (accountability) et
développer une cul- ture plus grande du partage d’informations, de la
coopération avec les autres autorités et la société civile.
120 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
1. La Grande modération : ses causes
et ses conséquences pour le central banking
La Grande modération est l’expression popularisée par les travaux de
Claudio Borio à la Banque des règlements internationaux (BRI) pour
dési- gner l’environnement macroéconomique de la fin des années quatre-
vingt- dix et des années 2000 jusqu’au déclenchement de la crise
financière en 2007. En rupture avec celui des deux décennies précédentes,
ce dernier se caractérise par une inflation mondiale basse et stable, proche
de 2 %, jus- qu’aux premières turbulences de la crise financière à l’été
2007. Les causes de la Grande modération sont débattues. L’existence
même de ces débats, dont la teneur se reflète dans les réponses obtenues à
notre questionnaire, démontre que les banques centrales ne portent pas
l’entière responsabilité du régime d’inflation des années 1990-2000. Cela
revient à dire que l’infla- tion n’est pas réductible à un phénomène en tout
lieu et partout d’origine monétaire. Le fait est, toutefois, que la crédibilité
acquise par les banques centrales dans la lutte contre l’inflation a
contribué à la Grande modération et, au vu des conséquences
déstabilisatrices de cet environnement macroé- conomique trop «
tranquille », les banques centrales doivent s’interroger sur les
conséquences mêmes de leurs actions pour la stabilité financière.

1.1. L’évolution de l’inflation pendant la Grande modération


Pour illustrer la Grande modération du tournant des années quatre-
vingt- dix et des années 2000, on met généralement en avant pour les
pays du G7 :
• le niveau bas de l’inflation entre 1995 et 2007 (cf. graphique 1) ;
• la diminution de la volatilité de l’inflation entre 1994 et 2007
(cf. graphique 2) ;
• une déconnexion entre l’inflation totale et l’inflation structurelle
(cf. graphiques 3 et 4).
Après avoir atteint des sommets voisins de 15 % au mois d’octobre
1974 et au mois d’avril 1980, l’inflation n’a cessé de baisser jusqu’en
1987, où elle est tombée à 1,3 %, avant de remonter jusqu’au début des
années quatre-vingt-dix dans une fourchette de 4 à 6 %. Par la suite, entre
le milieu des années quatre-vingt-dix et l’été 2007, elle est restée très
proche de 2 %.
La volatilité de l’inflation (mesurée par l’écart-type du taux précédent
calculé sur cinq ans), représentée sur le graphique 2, s’est maintenue, au
cours d’une période allant début de l’année 1996 à la fin de l’année 2007,
à un niveau historiquement bas.
Un autre élément de rupture associé à la Grande modération, mais plus
débattu que les deux faits stylisés précédents, réside dans la déconnexion
entre l’inflation totale et l’inflation sous-jacente (ou structurelle). Présen-
tée à partir de données annuelles (cf. graphique 3 repris de Aglietta,
Berrebi, Cohen, 2009), la corrélation entre inflation totale et inflation
sous-jacente s’effondre au début des années 2000 : les hausses des prix
énergétiques et
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 121
1. Évolution de l’inflation totale dans les pays du G7 depuis 1971

Pourcentages de variation par rapport à l’année précédente


16

12

–4
1971 1975 1979 1983 1987 1991 1995 1999 2003 2007

Sources : Crédit agricole SA et OCDE.

2. Évolution de la volatilité de l’inflation depuis 1974

Écart-type glissant du taux d’inflation calculé sur 5 ans


4

0
1974 1978 1982 1986 1990 1994 1998 2002 2006 2010

Sources : Crédit agricole SA et OCDE.

122 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


3. Évolution de la corrélation entre l’inflation totale
et l’inflation sous-jacente dans les pays de l’OCDE
0,9

0,8

0,7

0,6

0,5

0,4

0,3

0,2

0,1

0,0
1978 1982 1986 1990 1994 1998 2002 2006

Source : Aglietta, Berrebi et Cohen (2009).

4. Évolution de la corrélation entre l’inflation


totale et l’inflation structurelle dans les économies
du G7

Coefficient de corrélation glissant calculé sur 5 ans


1,0

0,8

0,6

0,4

0,2

0,0

– 0,2

– 0,4

– 0,6

– 0,8
1974 1979 1984 1989 1994 1999 2004 2009

Sources : Données OCDE et calculs des auteurs.

BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 123


des matières premières ne se répercutent plus sur les prix des biens et
services.
Présentée à partir de données mensuelles pour les pays du G7 (cf. graphi-
que 4), cette corrélation présente un profil un peu différent : quasi parfaite
au cours des périodes 1974-1996 et 1997-1998, elle s’effondre à partir de
1999, mais apparaît ensuite très variable. En outre, la littérature suggère
(Cavallo, 2008) que la répercussion des chocs de prix de matières
premières varie sensiblement selon les zones géographiques : les hausses
de prix du pétrole ont, par exemple, un impact beaucoup plus fort sur
l’inflation sous- jacente aux États-Unis qu’en Europe. On se contentera
donc ici de dire, dans le cadre de notre démarche, que la connexion entre
inflation totale et inflation sous-jacente n’est, globalement, plus aussi
forte et stable qu’elle pouvait l’être jusque dans les années quatre-vingt-
dix.
Se pose bien sûr la question de la pérennité de ces évolutions. La crise
les a mises entre parenthèses, voire y aurait mis un terme comme le
suggè- rent plus de la moitié des réponses au questionnaire (cf. annexe)
selon les- quelles la Grande modération aurait pris fin. On peut en effet
constater qu’au cours de la première phase de la crise, entre le mois de
juillet 2007 et le mois de juillet 2008, l’inflation des pays de l’OCDE est
remontée de 1,5 à 4,6 % avant de chuter brutalement jusqu’à devenir
négative (une situa- tion jamais rencontrée jusque-là sur la période
retenue) du mois de mars au mois de novembre 2009 (avec un point bas à
– 1,5 % en juillet). La volati- lité de l’inflation remonte au cours de la
crise à un niveau comparable à celui observé au début des années quatre-
vingt. Quant à la corrélation entre inflation totale et inflation structurelle
(prix hors énergie et matières pre- mières, indicateur proche de l’inflation
sous-jacente), elle présente une va- riabilité accrue au cours de la crise qui
ne permet pas de conclure qu’elle a complètement disparu.
Cela étant, si l’on s’en tient à la période de stabilité de l’inflation qui a
précédé la crise, l’analyse des facteurs mis en avant pour expliquer cette
Grande modération est riche d’enseignements. Attribuer la Grande modé-
ration tout entière aux politiques monétaires menées à partir des années
quatre-vingt (fin des années soixante-dix aux États-Unis), revient en effet
à faire une lecture exclusivement monétaire de l’inflation.
Symétriquement, attribuer la Grande modération tout entière à des
facteurs structurels liés à la mondialisation des échanges et au décollage
de grands pays émergents tels que la Chine, l’Inde et le Brésil revient à
exclure toute détermination monétaire de l’inflation. La réalité telle que
notre questionnaire nous per- met de l’appréhender (cf. ci-après) se situe
entre les deux explications : elle traduit non pas la prudence des experts
mais la prise en compte d’une réa- lité complexe et nouvelle.

1.2. La politique monétaire : un facteur parmi d’autres


pour expliquer la Grande modération
Trois séries de facteurs sont généralement invoquées pour expliquer la
;
grande modération des années 1990-2000 :
• la conduite de politiques monétaires plus efficaces contre l’inflation
124
• un concours de circonstances favorables, résumé dans la littérature
sous l’expression « good luck » ;
• des facteurs structurels liés à la mondialisation et au décollage de
grands pays émergents.
À la question : « La Grande modération est-elle due à l’amélioration
de la conduite de la politique monétaire ? À des facteurs structurels ? Ni
l’un ni l’autre, la Grande modération était une illusion », nous recueillons
une majorité de suffrages : 69 % des économistes et 57 % des banquiers
cen- traux répondent en faveur de la coexistence de ces deux facteurs.
Même parmi les banquiers centraux, seuls 14 % tiennent la politique
monétaire pour unique facteur explicatif de la Grande modération, contre
3 % des économistes. Les banquiers centraux sont même
proportionnellement plus nombreux (21 %) que les économistes (10 %) à
considérer que cette Grande modération est uniquement due à des
facteurs structurels. Quant au facteur
« good luck » qui en ferait une illusion, 7 % des banquiers centraux ayant
répondu à notre questionnaire l’envisagent, contre 14 % des économistes.
On pourra toujours, bien entendu, évoquer un décalage entre la
percep- tion des acteurs et la réalité, mais si l’on s’en tient à cette réalité
perçue par des acteurs fortement impliqués, plusieurs facteurs ont donc
contribué con- jointement à la Grande modération. Citons les principaux.
D’abord, les politiques économiques ont combattu avec succès l’infla-
tion à partir de la fin des années soixante-dix. Ce sont bien sûr d’abord les
politiques monétaires d’inspiration monétariste, qui ont fait de la lutte
con- tre l’inflation leur priorité. En deuxième lieu, les politiques de
réforme du marché du travail et de la détermination des salaires. On peut
ainsi considé- rer qu’en Europe continentale, en France et surtout en
Allemagne, les poli- tiques de remise en cause de l’indexation des
salaires sur l’inflation et les gains de productivité, ont été l’instrument
principal de la désinflation des prix. Ces deux nouvelles régulations –
monétaire et salariale – ont créé un rapport de force défavorable aux
salariés conduisant d’une manière déci- sive à la modération salariale et
des prix.
La libéralisation des échanges commerciaux et financiers et le proces-
sus de globalisation qui en a résulté ont constitué le troisième vecteur du
basculement vers un régime macroéconomique à basse inflation. Il en est
résulté un changement fondamental des mécanismes de formation des
prix. On est passé d’un régime de prix gouverné par les vendeurs à un
régime de prix dominé par les acheteurs (Aglietta, Berrebi, Cohen, 2009).
Des années soixante-dix aux années quatre-vingt-dix, le pouvoir de
négociation appar- tenait aux vendeurs parce que le monde était en
insuffisance d’offre. Les entreprises étaient en mesure de répercuter toute
hausse exogène de coût sur les prix de vente. Les hausses de prix des
matières premières et de l’énergie risquaient d’entraîner un emballement
inflationniste, ce qui justi- fiait l’action de la politique monétaire et
l’accent mis sur la lutte contre l’inflation.
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 125
Extrait du questionnaire (question 1.1) :
La Grande modération est-elle due à l’amélioration de la conduite
de la politique monétaire ? À des facteurs structurels ?
Ni l’un, ni l’autre, la Grande modération était une illusion ?

Les deux
Uniquement la politique monétaire
Uniquement les facteurs structurels
Une illusion
NSPP

14%

7%

2%

12% 65%

100%
7% 3%
14%
80% 21%
10%
3%
14%
60%

40%

57% 69%
20%

0%
Banquiers centraux Economistes

126 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


Aujourd’hui, du fait de la concurrence internationale, le pouvoir de
marché est du côté des acheteurs. Cette pression sur les vendeurs, qui
joue dans le sens d’une basse inflation, est amplifiée par le caractère
durable de la situation de surproduction (suroffre) à l’échelle mondiale liée
au processus de globalisation. Par ailleurs, la concurrence des travailleurs,
nombreux et de plus en plus qualifiés, des nouveaux pays émergents à
forte population (Chine, Inde en particulier), conduit à un processus de
dépression salariale dans les pays avancés, ce qui renforce les pressions à
la baisse des prix.
Pour conclure sur ce point, les politiques monétaires ne peuvent pas
s’attribuer la seule responsabilité de la grande modération du milieu des
années quatre-vingt-dix jusqu’à la crise. La cause de ce changement est
aussi structurelle. Toutefois, ce changement n’est pas seulement structurel :
en ayant, pour leur part, contribué à la Grande modération les banques
cen- trales ont paradoxalement fait les frais de la crédibilité qu’elles ont
acquise dans la lutte contre l’inflation.

1.3. Le paradoxe de la crédibilité illustre la complexité


des liens entre stabilité monétaire et stabilité financière
Jusqu’à la crise, les banques centrales avaient construit leurs stratégies
sur l’hypothèse que la stabilité monétaire conduirait nécessairement à la
stabilité financière et à une croissance économique durable. Longtemps,
la Grande modération avait semblé leur donner raison. Mais la crise a
remis en cause cette vision, montrant, au contraire, qu’une politique de
stabilité monétaire pouvait favoriser les bulles et les déséquilibres
financiers (voir le complément B de Charles Goodhart).
Ainsi, à la question « la Grande modération a-t-elle conduit à sous-
estimer les risques », les banquiers centraux et les économistes qui ont
répondu à notre questionnaire sont unanimes : 91 % répondent par
l’affirmative.
Rétrospectivement, il se dégage un large consensus autour de l’idée
que la stabilité monétaire des années 1990-2000 s’est révélée
préjudiciable à la stabilité financière puisqu’elle a incité les acteurs
économiques, et tout par- ticulièrement les banques, à prendre davantage
de risques. Dans ce con- texte, ainsi que l’explique Claudio Borio, la
crédibilité des banques centrales a été une « épée à double tranchant » :
elle explique à la fois leur succès passé et leur infortune actuelle. Les
banques centrales sont parvenues dans les années quatre-vingt-dix à
ancrer les anticipations des agents écono- miques à un niveau bas
d’inflation. Mais, ce faisant, elles ont aussi contri- bué à nourrir un
sentiment exagéré de sécurité et de confiance favorisant une prise de
risque et un endettement excessif (voir Borio et Lowe, 2002). Ce «
paradoxe de la crédibilité » en rejoint un autre, développé par Hyman
Minsky dans les années soixante-dix : le « paradoxe de la tranquillité ».
Selon cette analyse, les crises de surendettement se préparent lorsque tout
va bien et que les agents économiques (ménages, entreprises) profitent de
la croissance et des taux d’intérêt bas non seulement pour emprunter, ce
qui
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 127
Extrait du questionnaire (question 1.2) :
La Grande modération a-t-elle conduit à sous-estimer les risques ?

Oui
Non

9%

91%

100%
9% 9%

80%

60%

91% 91%
40%

20%

0%
Banquiers centraux
Economistes

128 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


serait individuellement rationnel, mais pour emprunter trop, et d’une ma-
nière contagieuse. Lorsque les taux d’intérêt se retournent, en particulier
du fait du resserrement de la politique monétaire, l’endettement qui
parais- sait soutenable compte tenu du niveau modéré des taux d’intérêt,
devient insupportable et vire au surendettement. La séquence ainsi décrite
corres- pond bien aux étapes qui ont conduit à la crise des subprimes de
2007.
La crédibilité des banques centrales peut également favoriser l’instabi-
lité en retardant la réaction de ces dernières. Marvin Goodfriend (2001)
fut le premier à expliquer que la Banque centrale peut se laisser leurrer
par sa crédibilité et ne pas réagir suffisamment vite à une contraction de
l’activité et favoriser ainsi un contexte de déflation et de stagnation. Cette
idée est reprise par Borio et White (2003) : lorsque la Banque centrale est
crédible, les anticipations d’inflation sont ancrées sur l’objectif de long
terme de celle-ci. Une liquidité abondante mettra alors beaucoup de
temps à se trans- former en inflation : les banques centrales tarderont trop
à relever leur taux d’intérêt pour empêcher la formation de déséquilibres
financiers.
Les liens entre stabilité monétaire et stabilité financière sont donc
autre- ment plus complexes que ne le supposait la stratégie des banques
centrales avant la crise. La causalité entre ces deux missions est à double
sens : tantôt la stabilité monétaire « cause » la stabilité financière, tantôt
c’est la stabi- lité financière qui influence la stabilité monétaire. Cette
influence bilaté- rale peut en outre s’exercer positivement ou
négativement : dans certaines situations la stabilité monétaire favorise la
stabilité financière, dans d’autres elle la défavorise. Et le processus est
réciproque pour ce qui concerne l’in- fluence de la stabilité financière sur
la stabilité monétaire. Cela signifie que ces deux missions peuvent être
convergentes et ainsi se renforcer mutuel- lement. C’est le cas face à un
choc de demande positif, face à un choc inflationniste, ou encore, face à
une poussée des prix d’actifs : dans ces trois cas, rétablir la stabilité
monétaire comme la stabilité financière néces- site une seule et même
action, une hausse des taux d’intérêt (Artus, 2010b). Mais les deux
missions peuvent aussi entrer en conflit. Comme cela a été montré dans la
lecture 1, le risque de conflit existe dès que le rétablis- sement de la
stabilité monétaire nécessite une action correctrice qui va à l’encontre de
la stabilité financière ou, inversement, qui aide à rétablir la stabilité
financière au détriment de la stabilité monétaire. Artus (2010b) fournit
plusieurs exemples :
• choc sur le partage profits/salaires : la part des salaires baisse, les
prix des actifs (actions) augmentent, mais la demande de biens et
l’inflation diminuent ; il faudrait alors freiner les prix des actifs (et
probablement le crédit) et soutenir la demande ;
• fort effet négatif de l’inflation sur la demande de biens, dû, par
exem- ple, à la perte de richesse réelle ou à la compétitivité-prix, ou au
fait que l’inflation vient du prix des matières premières, et qui l’emporte
sur l’effet positif lié à la baisse des taux d’intérêt réels ;
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 129
• myopie nominale dans la formation des prix des actifs : si les prix
des
actifs dépendent non pas des taux d’intérêt réels mais des taux d’intérêt
nominaux, un choc inflationniste fait baisser les prix des actifs dès que les
taux d’intérêt y réagissent.
Et ces conflits sont avivés dans des situations caractérisées par des
mo- difications importantes de la productivité et/ou dans changements
profonds dans les comportements des agents économiques comme le
montre Papademos (2009).
Ces conflits peuvent être vus comme l’impossibilité de confier ces
deux missions en même temps aux banques centrales. Nous les
interprétons plutôt ici comme l’impossibilité de hiérarchiser ces deux
missions et d’attendre que l’une entraîne la réalisation de l’autre.
En bref, stabilité monétaire et stabilité financière entretiennent des
rela- tions d’interdépendance tantôt convergentes, tantôt conflictuelles,
qui em- pêchent de subordonner ces deux missions l’une à l’autre. Elles
doivent être menées ensemble, au moyen d’une panoplie d’instruments
suffisam- ment étendue pour faire face aux situations éventuelles de
conflits. Or, tout au long des années 1990-2000, la stabilité financière a
été largement subor- donnée à la mission prioritaire de stabilité
monétaire.

1.4. Les dangers du principe de séparation


La Grande modération a favorisé des tensions financières que les ban-
ques centrales étaient d’autant moins armées pour les combattre qu’elles
s’en tenaient à un strict principe de séparation. Conformément à ce prin-
cipe exposé dans la lecture 1, les banques centrales ne réagissent aux ten-
sions financières que si celles-ci constituent une menace avérée pour la
stabilité des prix, l’hypothèse sous-jacente étant que si la stabilité moné-
taire n’est pas compromise, la stabilité financière se résorbera d’elle-
même. Les trois conditions énoncées par Rudebusch (2005) pour que
l’évolution des prix des actifs affecte la conduite de la politique monétaire
résument bien ce principe :
• l’existence d’une bulle doit être démontrée ;
• l’éclatement éventuel de cette bulle pourrait avoir des conséquences
macroéconomiques importantes ;
• les effets d’une variation – c’est-à-dire d’une hausse – des taux
d’inté- rêt sur la bulle sont certains et peu coûteux.
Extrêmement difficiles à vérifier, ces trois conditions ont rarement
con- duit les banques centrales à contrer la formation de bulles de prix
d’actifs ou à tenter plus généralement de lutter contre des tensions
financières. L’évo- lution des prix dans le secteur de l’immobilier, au
cours de la phase de boom qui a précédé la crise, en fournit une
excellente illustration.
Hormis le Japon et l’Allemagne, les pays du G7 ont tous été
confrontés à une bulle immobilière qui s’est formée à partir des années
1996-1997
130 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
jusqu’au milieu de l’année 2007 (voir lecture 1), au cours de laquelle les
prix réels des logements ont augmenté en moyenne de 84 %. Cette bulle a
bien été identifiée par les banques centrales. Les comptes-rendus (publiés
en 2010 par la Fed) des réunions mensuelles de Federal Open Market
Committee qui se sont déroulées à l’époque ainsi que des études de banques
centrales d’autres pays (en France, notamment) permettent de s’en con-
vaincre. Le scénario d’un effondrement des prix de l’immobilier était
envi- sagé, mais il ressort des déclarations faites à l’époque par les
banquiers centraux, et en particulier par Alan Greenspan, que cela ne
nécessitait pas une action « préemptive » de leur part. Les banques
centrales se sont con- tentées d’« avertir » et n’ont pas réagi à la situation
en augmentant leurs taux directeurs. Leur politique monétaire apparaît
avoir été trop expansion- niste à partir de 2003, non seulement aux États-
Unis mais aussi dans les autres économies. En comparant les taux à 3
mois observés aux États-Unis, dans la zone euro, au Canada, au
Royaume-Uni entre 2000 et 2007, à ce qu’aurait prescrit une règle de
Taylor standard (cf. lecture 1), il apparaît dans le cas des États-Unis et de
la zone euro, mais également pour le Ca- nada entre 2002 et 2006 et dans
une moindre mesure ou plus irrégulière- ment pour le Royaume-Uni, que
les taux d’intérêt à court terme ont été maintenus trop bas, trop
longtemps. En outre, l’écart entre les deux semble bien être positivement
lié à l’augmentation des prix des logements.
La question posée dans notre questionnaire à ce sujet : « Le bas niveau
des taux d’intérêt a-t-il favorisé la formation de la bulle immobilière, et
par la suite son explosion » ne divise pas les banquiers centraux et les
écono- mistes. 85 % des premiers et 88 % des seconds répondent par
l’affirmative. Cela incite à conclure qu’en ne réagissant pas à la bulle
immobilière, les politiques monétaires des années 2000 ont contribué à
l’amplifier.
En se conformant au principe de séparation, les banques centrales ont
également sous-estimé la menace que fait porter l’instabilité financière
sur la situation macroéconomique d’ensemble. Elles étaient probablement
con- vaincues qu’il leur serait possible de nettoyer les dégâts après coup
(Clean Up Afterwards – CUA). La complémentarité attendue par les
banques cen- trales portait sur l’incidence positive de la stabilité
monétaire sur la stabi- lité financière, mais finalement pas tant sur
l’incidence réciproque de la(l’) (in)stabilité financière sur la(l’)
(in)stabilité macroéconomique. Or, la soli- dité et l’efficacité du système
financier contribuent à la croissance de l’éco- nomie et renforcent sa
résistance aux chocs. Inversement, les crises ban- caires et financières se
traduisent par un ralentissement de l’activité écono- mique qui peut
rendre difficile la réalisation de l’objectif d’inflation ; dans les cas
extrêmes, une spirale déflationniste peut même se déclencher. La crise a
fait craindre cette spirale dans laquelle la crise de 1929 avait em- porté les
économies des États-Unis et des pays d’Europe. Autrement dit, les
banques centrales attendaient de la convergence là où stabilité monétaire
et stabilité financière sont entrées en conflit : la stabilité monétaire des
années 2000 a favorisé l’instabilité financière. Et elles ont été surprises
par la convergence là où elles ne l’attendaient pas : l’instabilité financière
de 2007-2010 a causé une crise économique et sociale.
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 131
Extrait du questionnaire (question 1.5) :
Le bas niveau des taux d’intérêt a-t-il favorisé la
formation de la bulle immobilière et, par la suite, son
explosion ?

Oui
Non

13%

87%

100%
15% 12%

80%

60%

40% 85% 88%

20%

0%
Banquiers centraux Economistes

132 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


1.5. La diversité des formes d’instabilité
Les banques centrales doivent donc faire face à plusieurs formes
d’ins- tabilité – monétaire et financière – qui interagissent entre elles
d’une ma- nière parfois complexe et changeante. Pour cette raison, le
principe de sé- paration des politiques de stabilité monétaire et de stabilité
financière ne nous apparaît pas pouvoir fonder le central banking. Il
semble y avoir un large consensus à ce sujet, à l’issue de la crise
financière récente. Interro- gés sur le principe de séparation à partir de la
question : « Pensez-vous que l’objectif de stabilité financière relève de la
supervision prudentielle uni- quement, ou à la fois de la supervision
prudentielle et de la politique moné- taire ? », les banquiers centraux
comme les économistes considèrent pour la majorité d’entre eux que la
stabilité financière engage les deux.
Va dans le même sens le pourcentage élevé de réponses positives re-
cueillies par notre questionnaire, tant parmi les banquiers centraux que les
économistes, à la question de savoir si l’objectif de stabilité des prix doit
être complété par un objectif de stabilité financière.
La stabilité financière apparaît toutefois plus difficile à définir et à
quan- tifier que la stabilité monétaire. Pour certains économistes, cela
établirait une hiérarchie de fait entre les deux, la stabilité monétaire
pouvant consti- tuer un « objectif » pendant que la stabilité financière
serait nécessai- rement reléguée au rang de « mission » à laquelle les
banques centrales contribueraient, sans se fixer de priorité en la matière.
Il n’est cependant pas inutile de rappeler que la stabilité monétaire fait
l’objet d’une définition simple et quantifiable parce que les banques
centrales des pays avancés ont décidé qu’il en soit ainsi. Elles ont choisi
de retenir dans leurs politiques de ciblage d’inflation, une définition
restrictive de la stabilité monétaire, ré- duisant celle-ci à la stabilité
monétaire interne. Le fait de ne pas prendre en considération
explicitement la stabilité monétaire externe, c’est-à-dire les taux de
change, simplifie leur tâche. Pourtant, cela apparaît étonnant dans le
contexte de la mondialisation, et constitue certainement une limite à l’ef-
ficacité de la politique monétaire. Notons en outre que cette vision étroite
de la stabilité monétaire n’est pas celle de la plupart des pays dits émer-
gents, dont les banques centrales poursuivent un objectif de taux de
change en cherchant à s’ancrer d’une manière plus ou moins rigide sur
une ou plusieurs monnaies de référence.
La stabilité financière pose, il est vrai, de plus amples problèmes de
définitions présentés dans la première approche du rapport. Elle ne fait
pas l’objet d’une définition unique, admise par tous les économistes et
ban- quiers centraux. Cela provient de ce que son contraire – l’instabilité
finan- cière – est un phénomène polymorphe et complexe, et reconnu
comme tel par les banquiers centraux (cf. définition de l’instabilité
financière par la Banque de France, section 1 de la lecture 1).
L’instabilité financière se caractérise, en effet, par une série de
dysfonc- tionnements (bulles, emballements ou, à l’inverse,
rationnements excessifs
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 133
Extrait du questionnaire (question 3.1.1) :
Pensez-vous que l’objectif de stabilité financière relève
de la supervision prudentielle uniquement, ou à la fois
de la supervision prudentielle et de la politique monétaire ?

Les deux
Uniquement supervision prudentielle
NSPP

61%
2%

37%

100% 4%

80% 36% 37%

60%

40%
64%
59%

20%

0%
Banquiers centraux Economistes

134 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


Extrait du questionnaire (question 2.2) :
L’objectif de stabilité des prix doit-il être complété par un
objectif de stabilité financière ?

Oui
Non
NSPP

77%

3%

20%

100%
4%
14%
80% 23%

60%

40% 86%
73%

20%

0%
Banquiers centraux
Economistes

BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ 135


FINANCIÈRE
Extrait du questionnaire (question 1.4) :
Entrons-nous dans une ère de plus forte instabilité financière ?

Oui
Non
NSPP

3%

38%
59%

100%
8%

30%
80%

54%
60%

40%
70%

20% 38%

0%
Banquiers centraux Economistes

136 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


du crédit, volatilité excessive des prix d’actifs, des taux de change, faillites
bancaires, etc.) dont la liste n’est pas exhaustive et qu’il est plus ou moins
facile de diagnostiquer.
Les réponses à notre questionnaire illustrent la difficulté qu’il peut y
avoir à diagnostiquer l’instabilité financière. À la question : « Entrons-
nous dans une ère de plus grande instabilité financière ? », banquiers
centraux et économistes apparaissent pour le moins partagés. Plus
optimistes à ce sujet que les économistes, les banquiers centraux sont
seulement 38 % à donner une réponse positive, contre 70 % parmi les
économistes, qui ont aussi une opinion beaucoup plus réservée quant à la
possibilité de réduire l’instabi- lité financière dans le futur.
Et le fait qu’un consensus se dégage sur la nécessité d’un objectif de
stabilité financière en plus de l’objectif de stabilité monétaire confié aux
banques centrales mais, qu’en même temps, banquiers centraux et écono-
mistes n’aient finalement pas la même vision de l’instabilité financière
tra- duit bien, aussi, le caractère protéiforme de l’instabilité financière.
L’histoire financière montre également que les crises financières pren-
nent des formes très différentes en fonction des marchés et des
institutions qu’elles frappent (Kindelberger, 1978 et Reinhardt et Rogoff,
2009). Les économistes distinguent traditionnellement trois types de
crises : les crises boursières, les crises de change et les crises bancaires,
celles-ci pouvant intervenir conjointement. Cette liste doit être complétée
par les crises obli- gataires, les crises de la dette souveraine et les crises
immobilières qui ont joué important au cours des dernières décennies.
Toutes ces crises ne revêtent pas le même degré de gravité, en ce qui
concerne leur dimension systémique, d’une part, et leur coût économique
et social, d’autre part. Les travaux récents suggèrent que les crises finan-
cières sont d’autant plus graves que la procyclicité du crédit entre en réso-
nance avec celle des autres actifs (Boyer et al., 2004). Dans leur quasi-
totalité, les marchés d’actifs sont sujets à des déséquilibres cumulatifs dé-
bouchant sur des fragilités, susceptibles d’induire une crise financière. La
dynamique du crédit joue un rôle déterminant dans l’émergence d’un em-
ballement spéculatif de grande ampleur sur ces différents marchés,
pouvant conduire à une crise systémique. Plusieurs épisodes de crise
observés au cours des dernières décennies illustrent cette conclusion. Un
cas exemplaire est fourni par les « crises jumelles », bancaire et de
change, qui ont frappé dans les années quatre-vingt-dix un grand nombre
de pays dit « émergents », récemment ouverts à la finance internationale.
La profondeur de ces crises s’explique, en effet, par l’entrée en résonance
des craintes de dévaluation de la monnaie nationale et de la perte de
valeur des actifs nets bancaires et non bancaires dans les économies en
question.
A contrario, les krachs boursiers de 1987 et de 2000, pourtant
spectacu- laires, n’ont pas dégénéré en crises systémiques dans la plupart
des pays avancés, parce que ces épisodes d’instabilité ont été circonscrits
aux mar-
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 137
chés boursiers et n’ont pas affecté d’une manière significative la stabilité
des systèmes bancaires. En revanche, le Japon a connu une crise profonde
et systémique, conduisant à un épisode déflationniste au cours des années
quatre-vingt-dix, du fait de l’emballement simultané des marchés d’actifs
(Bourse et immobilier) et du marché du crédit.
Une double conclusion ressort de cette analyse :
• l’instabilité financière est un processus polymorphe, susceptible de
prendre des formes très différentes selon les périodes et les pays ;
• la procyclicité du crédit, et ses effets de résonance avec les
différents marchés d’actifs, est un facteur aggravant majeur des crises
financières.
Une recommandation découle de ces conclusions : le crédit – puisque
son emballement est au cœur des crises financières les plus graves – doit
faire l’objet d’une surveillance accrue, de même que l’évolution du bilan
des banques dont l’importance a été largement sous-estimée comme canal
de transmission des chocs lors des crises financières récentes, qu’il.
s’agisse de la crise japonaise des années quatre-vingt-dix, ou de celle des
subprimes

2. Le crédit et la prise de risque des établissements


bancaires : deux canaux de transmission des
chocs monétaires à placer sous étroite surveillance
Ben Bernanke (2007) le reconnaissait dans une conférence (2), un mois
avant que la crise n’éclate : « les économistes n’ont pas toujours pleinement
apprécié l’importance d’un système financier en bonne santé pour la
crois- sance économique ainsi que le rôle des conditions financières dans
les dy- namiques économiques de court terme ». Il poursuivait en
expliquant que la théorie économique d’après-guerre s’était construite,
jusqu’aux années soixante-dix et quatre-vingt, dans le cadre des modèles
d’équilibre général, en supposant l’existence d’un système complet de
marchés et en faisant abstraction de leurs imperfections. « Mais sans de
telles frictions les mar- chés financiers ont peu de raisons d’exister ».

(2) Le 24 septembre 2010, dans une autre conférence, il ajoute : « Il est encourageant de
voir un grand nombre d’études récentes qui cherchent à intégrer la banque et l’offre de
crédit dans les modèles macroéconomiques standards, même si la majeure partie de ce
travail est encore assez loin de capturer les liens complexes entre prise de risque, liquidité
et capital dans notre système financier et les implications de ces facteurs pour la
croissance et la stabilité » (Bernanke, 2010).

138
2.1. Accélérateur financier et canal du crédit
Or, pour cerner l’influence des facteurs financiers sur l’économie
réelle, il faut nécessairement prendre en compte ces imperfections de
marché, tout particulièrement les problèmes d’asymétrie d’information et
d’agence. La nouvelle microéconomie issue des travaux de Joseph
Stiglitz ou George Akerlof (asymétries d’information) et de Michael Jensen
et William Meckling (relations d’agence) ont largement renouvelé l’étude
des banques, du finan- cement des entreprises et, plus largement, de
l’influence de la finance sur l’économie réelle.
Dans les travaux académiques qu’il a menés avant d’être nommé à la
tête de la Réserve fédérale américaine, Ben Bernanke a ainsi cherché à
éclairer cette influence, d’abord en essayant de comprendre par quels ca-
naux, les problèmes financiers des années trente avaient aggravé la
grande dépression. Son article de 1983 en distingue deux :
• un premier canal passe par le capital informationnel des banques.
Celles-ci développent, conservent et entretiennent en effet des
informations sur leurs clients, à la fois sur leurs conditions d’activité et de
management (qualité des comptes, des clients et des dirigeants
notamment) et sur leur engagement (en large part moral) à s’acquitter de
leurs dettes bancaires. Selon cette approche, les faillites et paniques
bancaires dans la crise de 1930 ont provoqué une destruction massive de
capital informationnel. La capacité des banques encore en activité à faire
des crédits en a été profon- dément affectée, ce qui prolongé d’autant les
difficultés ;
• un second canal passe par les contreparties bancaires
(creditworthiness of borrowers). Les garanties offertes par les
emprunteurs permettent en effet la mise en place de crédits nouveaux.
Pendant la crise de 1930, la dépréciation de valeur des actifs, donc des
collatéraux, a réduit la capacité des emprunteurs à emprunter et provoqué
des problèmes de liquidité. Obli- gés de vendre en catastrophe (fire
sales), les débiteurs à court de liquidité ont alimenté les pressions
déflationnistes qui n’ont fait qu’accroître le poids réel de leur dette : c’est
la spirale de debt-deflation à la Fisher.
Par la suite, Ben Bernanke, comme la plupart des théoriciens de ces
questions, s’est efforcé de dissocier les effets financiers de propagation
selon la nature (réelle ou monétaire ou financière) du choc qui donne
l’im- pulsion.
L’étude de la transmission des chocs réels a ainsi conduit Bernanke et
Gertler (1989) à mettre en évidence le mécanisme de l’accélérateur finan-
cier. Ce mécanisme puise sa source dans les problèmes d’asymétries d’in-
formation entre prêteurs et emprunteurs. L’asymétrie d’information dont
pâtit le prêteur l’oblige à effectuer une sélection et un contrôle qui élèvent
le coût du financement externe. Ce surcoût, ou prime de financement
externe (External Financial Premium), supporté par l’emprunteur,
dépend de la situation financière de ce dernier. Tout choc réel (tel qu’un
choc de produc- tivité) qui améliore la situation financière (richesse
nette, liquidité) des
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 139
emprunteurs réduit leur prime de financement externe et facilite la
réalisa-
tion de leurs projets d’investissement. Cet accélérateur financier fait per-
sister l’effet initial. À l’inverse, un choc réel dégradant la situation finan-
cière des entreprises élève leur prime de financement externe et réduit du-
rablement leur capacité à se financer et donc à investir.
Empiriquement, la prime de financement externe est de l’ordre de
130 points de base en moyenne dans le cas américain au cours de la
période 1950-2008 et de 200 points de base en moyenne en Europe entre
1980 et 2008. Elle est en général proche de la différence entre les
rendements des actifs corporate notés BBB entreprises et ceux notés
AAA. Dans les cas américains et européens, cette prime augmente dans la
montée du cycle en accompagnant les spreads obligataires, annonçant
une récession.
L’étude de la transmission de la politique monétaire (choc monétaire)
a orienté les recherches académiques vers le canal du crédit. Ce canal
con- cerne l’ensemble des répercussions que les variations de taux
directeurs peuvent avoir sur l’offre de crédit. La littérature économique
opère une distinction entre :
• le canal strict du crédit bancaire : les changements de taux directeurs
modifient les conditions de refinancement des banques sur les marchés
monétaires et financiers. Ce faisant, elles influencent leur capacité à créer
de la monnaie, c’est-à-dire leur production de crédit à l’économie, donc
l’investissement des entreprises et la consommation des ménages. Le mo-
dèle de Bernanke et Blinder (1988) montre qu’en réduisant l’accès des
ban- ques aux fonds prêtables, les opérations d’open market limitent
l’offre de prêts bancaires ;
• le canal large du crédit ou canal du bilan : la qualité de la structure
du bilan des agents économiques entre ici en jeu, comme dans la théorie
de l’accélérateur financier, mais en considérant non l’impact d’un choc
réel mais celui de la politique monétaire sur la prime de financement
externe. Une variation des taux d’intérêt affecte ainsi la structure des
bilans, donc la prime de financement externe. Une hausse des taux aura
alors des effets dépressifs sensiblement plus importants si les agents
privés sont aupara- vant déjà très endettés et peu solvables.
Depuis son introduction dans la littérature au milieu des années
quatre- vingt, le canal du crédit a fait l’objet de vives controverses(3). De
nombreu- ses études empiriques ont cherché à évaluer son importance
relativement aux autres canaux de transmission de la politique monétaire
(canal du taux d’intérêt, canal du taux de change).

(3) Pour une revue de cette littérature, voir Clerc (2001), Beaudu et Keckel (2001), Pollin
et Bellando (1996) et Barran, Coudert et Mojon (1995).
140 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
L’existence du canal du crédit fait intervenir plusieurs conditions
(Woodford, 2010) :
• il faut prouver une dépendance des entreprises au crédit (dans le cas
du canal large) et plus particulièrement au crédit bancaire (dans le cas du
canal étroit). Cela suppose une imparfaite substituabilité entre titres et
crédits ;
• il faut que les banques soient sensibles à leurs conditions de
refinancement auprès de la Banque centrale et qu’elles n’aient guère de
possibilités alternatives de refinancement sur les marchés ;
• il faut que l’essentiel de l’activité des banques soit orienté vers le
crédit et qu’elles contribuent peu au financement de l’économie par
d’autres types de créances.
Or l’accélération des innovations financières et le développement con-
comitant des marchés de capitaux, à partir du milieu des années quatre-
vingt, ont laissé penser à de nombreux auteurs que s’opérait un
mouvement de désintermédiation bancaire des financements. Ont alors
suivi de nom- breuses tentatives de remises en cause du canal du crédit
(voir, par exemple, Smant, 2002).
Certes, l’essor des marchés de capitaux a offert aux entreprises un
éven- tail plus large de financements, permettant aux plus grandes d’entre
elles de substituer des financements de marché au crédit bancaire. De leur
côté, les banques ont dû s’adapter à cet essor et ont même su tirer leur
épingle du jeu. Elles ont, à la fois, diversifié leurs sources de financement
(dépôts et ressources de marché) et leurs actifs (crédits et titres). Pour
autant, le poids du crédit et, plus largement, celui des banques dans le
financement de l’éco- nomie est demeuré important, ainsi que nous allons
le montrer dans la sec- tion suivante.

2.2. Le vrai poids des banques dans le financement de l’économie


Évaluer le poids du crédit dans le financement d’une économie
suppose d’examiner la structure des financements externes de cette
économie. Celle- ci peut être décomposée en deux catégories de
financements : les finance- ments accordés par les intermédiaires
financiers (banques, assurances, fonds d’investissement…) – dits
financements intermédiés – et les financements obtenus directement sur
le marché en émettant des titres – dits finance- ments de marché. L’essor
des marchés de capitaux a réduit l’étanchéité entre ces deux catégories de
financement. La contribution des banques au financement de l’économie
ne se réduit plus au crédit : les intermédiaires financiers bancaires et non
bancaires, dont l’essor a suivi celui des marchés de titres, participent au
financement de l’économie en achetant des titres. Autrement dit, une
partie des financements intermédiés correspond à des achats de titres par
les intermédiaires financiers, y compris les banques. Ce qui revient à dire
qu’une partie des financements de marché sont intermédiés. En bref, il
existe aujourd’hui un recouvrement non négligeable entre finan- cements
intermédiés et financements de marché.
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 141
Cependant, les statistiques auxquelles on se réfère généralement pour
rendre compte de l’importance relative des banques et des marchés au
sein du financement masquent cette porosité. Elles sont le plus souvent
produi- tes à partir de données en flux de financements et rapportent les
types de financement (actions, titres de créances, prêts bancaires…) au
PIB. Dans son bulletin d’avril 2009, la BCE fournit ainsi une
décomposition des flux de financement externe pour étudier l’évolution
de la structure des finance- ments dans la zone euro et aux États-Unis
entre 1998 et 2007.

Les marchés de capitaux privés en zone euro et aux États-Unis

1998 En % du 2007
PIB, fin d’année

Zone euro États-Unis Zone euro États-Unis


Marché de capitaux 200 300 311 375
Actions 63 145 85 144
Obligations 45 105 81 168
Crédits bancaires 92 47 145 63

Source : BCE, Bulletin mensuel, avril 2009.

Deux principaux résultats en ressortent :


• les marchés de capitaux liés au secteur privé sont un peu plus impor-
tants aux États-Unis que dans la zone euro (375 % du PIB en 2007, contre
311 % dans la zone euro) ;
• le système financier de la zone euro repose plus largement sur les
banques, les concours au secteur privé conservés au bilan des banques re-
présentant 145 % du PIB en 2007 (contre 63 % aux États-Unis).
Cependant, les données utilisées et les résultats qui s’y rapportent pré-
sentent au moins trois inconvénients :
• le premier est bien souligné dans l’étude de la BCE : le recours à la
titrisation réduit statistiquement le flux de prêts bancaires enregistrés au
bilan, puisqu’il permet justement aux banques de faire sortir (avec plus ou
moins de facilité selon les règles comptables en vigueur) les prêts du
bilan. Plus important aux États-Unis qu’en zone euro, le recours à la
titrisation réduit donc artificiellement le poids relatif des crédits dans le
financement. Nous y reviendrons ;
• le deuxième inconvénient est que le poids des banques dans le finan-
cement n’est ici appréhendé qu’à partir des prêts qu’elles accordent (et
qu’elles ne titrisent pas). Les achats de titres qu’elles effectuent, qui de-
vraient faire augmenter leur poids dans le financement, ne font ici
qu’aug- menter le poids relatif des financements de marché ;
• le troisième est qu’en rapportant les flux de financements au PIB, on
est renseigné sur le poids relatif des types de financements, mais pas sur
leur part absolue dans la composition globale des financements externes.
142 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
Autrement dit, on ne mesure pas vraiment la structure des financements
externes à partir de ces données. Seul le calcul de taux d’intermédiation
des financements, consistant à rapporter les financements intermédiés (au
sens strict les crédits, au sens large les crédits et les titres achetés par les
intermé- diaires financiers), permet d’examiner la structure des
financements externes.
Les taux d’intermédiation des financements, qui constituent pourtant
une bonne façon d’examiner la composition des financements externes et
son évolution, sont des données moins facilement disponibles. Ils peuvent
être calculés à partir des encours de financements recensés dans les
comp- tes financiers de la comptabilité nationale de chaque pays.
Toutefois, ces encours nécessitent des traitements statistiques, d’une part,
pour corriger les effets de la valorisation boursière(4) (il faut estimer les
volumes corres- pondants de ces encours) et, d’autre part, pour
approximer de la part des titres émis par les agents non financiers et
détenus par les intermédiaires financiers(5). Ces traitements ne facilitent
évidemment pas un usage com- mode des taux d’intermédiation… et
pourtant. Ce n’est d’ailleurs que de- puis peu que la Banque de France a
repris la publication du taux d’intermédiation pour la France (cf.
graphique 5). Les comparaisons inter- nationales disponibles dans
quelques études fournissent ainsi des éclaira- ges importants :
• en moyenne, dans la plupart des pays européens, le taux d’inter-
médiation des financements a peu décliné au cours des années 1990-
2000. Si l’on raisonne en moyenne pour un assez large ensemble de pays
européens(6),

(4) Le risque, sinon, est de confondre la désintermédiation avec l’impact mécanique


baissier d’une augmentation de la valorisation boursière sur le ratio d’intermédiation ou, à
l’inverse, la réintermédiation avec l’impact mécanique haussier d’une dévalorisation
boursière. On peut facilement illustrer ce problème avec le ratio d’intermédiation au sens
strict [crédits/ (crédits + titres)]. Supposons qu’entre deux années le recours au crédit n’ait
pas varié et que le montant des émissions de titres soit resté le même mais que la valeur
des titres ait aug- menté en période de hausse de la bourse, un calcul du ratio en valeur
indiquerait à tort une désintermédiation. Le calcul du ratio en volume en revanche
indiquerait que la structure des financements externes n’a pas changé. On peut à cet égard
se demander si la désintermédiation qu’un grand nombre d’analyses ont présentée comme
la conséquence de la mutation finan- cière des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix
n’était pas due à ce genre de confusion : la progression des financements de marché
relativement à celle des crédits a été perçue en
« valeur de marché », alors qu’il aurait fallu l’apprécier en volume. Plusieurs méthodes
existent pour calculer les volumes d’encours de titres : on peut déflater les encours de
titres par un indice de prix des actifs boursiers (indice boursier ou indice théorique) ou
bien, à partir d’un encours de départ, on peut cumuler les flux enregistrés en valeur
d’émission. Ces méthodes ne donnent pas un chiffre identique et peuvent même aboutir à
des différences significatives.
(5) Les comptes financiers de la comptabilité nationale ne fournissent pas de « qui à qui ».
Cela signifie qu’on ne lit pas directement dans les comptes la valeur des obligations, par
exemple, que les banques détiennent par type de secteur émetteur (institutions financières,
entreprises, administrations publiques). Il faut se donner des clés de répartition permettant
de calculer la répartition des titres détenus par les banques par type de secteurs émetteurs
et celle des crédits par type de secteurs bénéficiaires.
(6) Dans l’étude de Capelle-Blancard et Couppey-Soubeyran (2003), l’évaluation du taux
d’intermédiation est réalisée pour treize pays européens (Allemagne, Autriche, Belgique,
Danemark, Espagne, Finlande, France, Italie, Norvège, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni
et Suède) à partir des comptes financiers nationaux fournis par Eurostat. Les résultats
chif- frés donnés ici proviennent de cette étude.
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 143
le taux d’intermédiation au sens strict (part des crédits dans le total des
financements externes des agents non financiers) est resté voisin de 43 %
et le taux au sens large (part des crédits et des titres détenus par les
institu- tions financières dans le total des financements externes des
agents non financiers) proche de 67 % ;
• cette moyenne masque des disparités importantes entre pays. Le
taux au sens strict a fortement baissé dans certains pays (en France, par
exem- ple, de 10 points environ entre 1994 et 2001, ou en Allemagne, de
6 points au cours de la même période) et augmenté parfois beaucoup dans
d’autres (de 15 points au Portugal, de 10 points au Royaume-Uni, de 3
points en Espagne). L’étude de Boutillier et Bricongne (2006) affiche
également une tendance à la hausse des financements intermédiés pour le
Royaume-Uni, l’Espagne et les États-Unis mais une baisse très marquée
dans le cas de la France que les commentaires des auteurs tendent
toutefois à relativiser ;
• là où la part des crédits a diminué pour l’ensemble des agents non
financiers (ANF), la plupart du temps la part des titres achetés par les
inter- médiaires financiers s’est accrue, ce qui limite la baisse du taux au
sens large. À cet égard, il apparaît que ce qui différencie le plus la
structure du financement des pays tient moins à la part des financements
intermédiés (au sens large) qu’à celle des financements de marchés
intermédiés (titres détenus par les intermédiaires financiers) au sein de
l’ensemble des finan- cements intermédiés. L’exemple le plus
emblématique est fourni par la com- paraison entre l’Allemagne et le
Royaume-Uni qu’on tend facilement à con- sidérer comme deux
archétypes de systèmes financiers (l’Allemagne serait dominée par les
banques et le Royaume-Uni par les marchés de titres). Dans les deux cas,
le taux d’intermédiation au sens large avoisinait 74 % en 2001. Mais en
Allemagne, le taux au sens strict était de 56 % contre 43 % au Royaume-
Uni. Cela signifie que la contribution des intermédiaires finan- ciers au
financement de l’économie passait davantage au Royaume-Uni qu’en
Allemagne par des achats de titres ;
• on gagne à calculer le taux d’intermédiation par secteur bénéficiaire
de financement plutôt que pour l’ensemble des agents non financiers. On
se rend compte alors que la baisse de la part des crédits dans les
financements externes des agents non financiers concerne essentiellement
les adminis- trations publiques (Capelle-Blancard et Couppey-Soubeyran,
2003) et nulle part en Europe, hormis en Autriche, les entreprises (secteur
des sociétés non financières dans les comptes nationaux). Les résultats de
la Banque de France pour la France (Boutillier et Bricongne, 2006) sont
différents en valeur absolue (en raison de choix méthodologiques
différents – méthode de cumul des flux), mais il reste que la tendance à la
baisse du taux d’intermédiation y est aussi beaucoup plus marquée pour
les administra- tions publiques que pour les entreprises.

144 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


5. Taux d’intermédiation des financements en France

En % du total des financements obtenus par les agents non financiers résidents
80
Au sens large
75

70

65

60

55

50

45
Au sens strict
40

35
1995 1997 1999 2001 2003 2005 2007 2009

Sources : Comptes nationaux financiers, Balance des paiements et calculs DSMF-SESOF.

Au final, le calcul de taux d’intermédiation permet de relativiser l’idée


selon laquelle l’essor des marchés de capitaux aurait favorisé la
désintermédiation, ainsi que le clivage supposé entre des systèmes finan-
ciers où prédomineraient les banques et d’autres où prédomineraient les
marchés de titres. Partout, le financement des économies fait intervenir
les banques et les autres intermédiaires financiers. Les différences au
niveau de la structure des financements concernent moins, de ce point de
vue, le poids relatif des banques que la façon dont elles interviennent dans
le fi- nancement, soit en accordant des crédits, soit en achetant des titres.
En cela, on peut considérer que le canal du crédit appréhende trop
étroitement l’influence des banques à travers le crédit, sans faire
intervenir les ventes et achats de titres auxquels elles ont procédé de
manière croissante avec le développement des marchés de capitaux. S’y
ajoute l’essor d’intermédiaires non bancaires réalisant aussi des
financements intermédiés de marché. La frontière entre financements
intermédiés et financements de marché est, il est vrai, de plus en plus
floue. La titrisation l’a brouillée davantage, masquant, là encore,
l’importance du crédit.

2.3. Titrisation et shadow banking


Comme le relevait la Banque centrale européenne dans son bulletin
men- suel d’avril 2009, la différence statistique forte entre le poids relatif
des prêts bancaires entre les États-Unis et la zone euro s’explique pour
une part
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 145
6. Répartition des financements

a. Zone euro
En milliards d’euros
550
500 Financement total
Prêts des IFM
450 Prêts des non-IFM
Autres dettes à court terme(1)
400
350
300
250
200
150
100
50
0
– 50
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

b. États-Unis En milliards de dollars


1 400
Financement total
1 200

1 000

800

600

400

200

0
Prêts des IFM(2)
– 200 Prêts des agences fédérales émettrices d’ABS (3)

Prêts des émetteurs d’ABS du secteur privé(4)


– Autres financements
400
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

Lecture : Transactions cumulées sur quatre trimestres.


Notes : (1) Y compris les crédits commerciaux et les engagements nets au titre des
produits dérivés financiers ; (2) Institutions financières monétaires : banques
commerciales, caisses d’épargne et coopératives de crédit ; (3) Prêts des agences fédérales
de refinancement hypo- thécaire et des groupements d’agences et pools de créances
hypothécaires garanties par les agences fédérales (ABS, assets backed securities) ; (4)
Prêts des émetteurs privés de titres adossés à des actifs.
Sources : BCE, Conseil des gouverneurs du Système fédéral de réserve et calculs de la
BCE.

146 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


non négligeable par un recours à la titrisation plus important aux États-
Unis. Le poids des établissements non bancaires dans le système financier
américain indique d’ailleurs le rôle prépondérant de la titrisation et de
l’ac- tivité de prêts consortiaux par rapport à la zone euro. Ce poids se lit
aisé- ment dans la structure d’endettement des ménages américains,
comparée à celle des ménages de la zone euro. Les graphiques 6a et b
montrent la pré- pondérance des institutions financières monétaires (en
bref, les banques) dans le financement des ménages européens et, au
contraire, leur poids affaibli et supplanté par les émetteurs d’assets
backed securities (ABS, titres adossés des créances bancaires, hors prêts
hypothécaires) dans le finan- cement des ménages américains.
La titrisation a largement contribué à entretenir l’illusion d’une
diminu- tion du poids du crédit dans le financement de l’économie.
Difficile, par exemple, de déceler l’émergence de la bulle du crédit aux
États-Unis, qui est pourtant bien à l’origine de la crise des subprimes, en
se contentant d’observer le ratio crédit bancaire/PIB comme reproduit sur
le graphique 7.

7. Crédit au secteur privé/PIB


En %
120

100
Zone euro

80

60
États-Unis
40

20

0
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010

Sources : Datastream et Crédit agricole SA.

La titrisation opère en effet un transfert du crédit du bilan des banques


vers celui d’institutions non bancaires, qui néanmoins restent liées aux ban-
ques. Les banques se sont en effet éloignées du modèle traditionnel, celui
du originate and hold, où elles originent (font) le crédit et le gardent dans
leur bilan en le suivant (monitoring), c’est-à-dire en suivant le comporte-
ment et les résultats de l’emprunteur. La titrisation a favorisé l’adoption
d’un modèle nouveau, celui du « originate, repackage and sell », où les
FINANC
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ
147
crédits sont certes décidés par la banque, mais avec l’idée de les
restructurer
et de les vendre au plus vite. Dans cette optique, la titrisation réduit (au
moins, sinon supprime) le suivi du crédit bancaire et diminue (largement)
le rôle de transformateur de liquidité. Les banques analysent, décident et
vendent, plus exactement analysent et décident pour vendre. Elles ne dé-
tiennent dès lors plus d’actifs peu ou pas liquides.
Quatre principaux facteurs expliquent cet essor de la titrisation :
• la titrisation répond à une demande croissante des investisseurs
d’une nouvelle classe d’actifs : des actifs de crédit. Ces investisseurs ont
la capa- cité supposée, en liaison avec le système de titrisation, d’en
mesurer le risque, sachant qu’ils recherchent évidemment un rendement
supérieur aux obligations publiques. Le « yield appetite » leur fait
assumer le risque de crédit et le risque de montage de l’opération, sans
oublier qu’avant la crise le risque de liquidité – à savoir la capacité de
céder rapidement et sans perte significative l’actif détenu – n’est pas
perçu et donc pas pris en compte ;
• ce processus vient aussi d’innovations dans la capacité de coter et de
combiner des crédits, alias des risques élémentaires, dans des conditions
de coût plus favorables que celles qu’offre le système bancaire
traditionnel. Cette industrialisation permet ainsi une offre plus large de
couples rendement- risque. Le marché s’étend alors à diverses
contreparties (maisons, locaux commerciaux, crédits) et se lie au
développement d’autres produits de trans- fert et de mesure du risque, tels
les dérivés de crédit (BCE, 2009a) ;
• la création de l’euro a favorisé cette tendance, à la fois en
augmentant la taille du marché, puisque le risque de change disparaît
entre pays, et en ménageant des logiques de plus en plus proches des
marchés financiers ;
• la titrisation se développe enfin en réaction aux exigences réglemen-
taires de fonds propres. On peut en effet interpréter l’essor de la titrisation
comme la volonté des banques de contourner les exigences de capital
mises en place à partir de la fin des années quatre-vingt.
Au total, la titrisation distend la chaîne de l’intermédiation, les crédits
étant « originés » au début de la chaîne dans le secteur bancaire tradition-
nel, pour être « distribués » dans un secteur bancaire parallèle non régle-
menté (shadow banking). Les crédits sortis des bilans des banques et que
l’on retrouve sous forme de produits structurés au bilan d’institutions non
bancaires échappent aux statistiques du crédit bancaire, entretenant l’idée
que le crédit a perdu en importance alors même qu’il nourrit une bulle
impor- tante aux conséquences très négatives pour l’économie réelle.
L’effet pervers de la titrisation n’est pas seulement d’avoir entretenu
l’illusion que le crédit bancaire avait perdu en importance, mais surtout
d’avoir permis de l’accroître sans en faire supporter les coûts aux banques
originatrices des crédits. La titrisation a réduit l’incitation des banques à
opérer une sélection et un contrôle rigoureux des emprunteurs, dans la
me- sure où il leur était désormais possible de transférer rapidement le
risque de crédit. La titrisation a ainsi nourri une croissance excessive du
crédit sans que cela ne se voie directement au niveau des statistiques du
crédit.
148 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
2.4. Le canal de la prise de risque des banques
Tout en attirant l’attention sur les variations de la prime de
financement externe, le mécanisme de l’accélérateur financier n’accorde
pas un rôle spécifique aux banques. Le canal strict du crédit se concentre
quant à lui sur les banques, mais en appréhendant de façon étroite leur
rôle dans la transmission et la propagation des chocs. De plus, l’essor des
marchés de capitaux et des nouvelles techniques financières qui l’ont
accompagné, tout particulièrement la titrisation, ont entretenu l’illusion
que le crédit ne comp- tait plus guère dans le financement de l’économie
et qu’il ne pouvait de toute façon plus constituer un canal important de
transmission des chocs, y compris de la politique monétaire. Il n’est donc
pas étonnant que les poli- tiques monétaires aient été conduites dans les
pays dotés de systèmes finan- ciers développés en tenant finalement pour
négligeable le canal du crédit.
Certains économistes, notamment à la Banque des règlements interna-
tionaux (BRI), ont néanmoins décelé dans l’environnement macroécono-
mique du début des années 2000, la source de profonds déséquilibres
finan- ciers, propagés par les banques incitées dans ce contexte à prendre
des risques excessifs, à travers ce qu’ils ont appelé le canal de la prise de
risque (Risk Taking Channel – RTC, cf. encadré 1). À mesure que les
conditions économiques et financières deviennent accommodantes,
comme l’explique Shirakawa (2009), la perception du risque et la
tolérance des agents à l’égard du risque se modifient graduellement mais
sûrement, ce qui les conduit à une prise de risque accrue. La diminution
de l’aversion à l’égard du risque qui accompagne les périodes de stabilité
macroéconomique est à la base du paradoxe de la tranquillité mis en
évidence par Minsky (1982 et 1986).
Il s’ensuit une expansion du crédit et du levier d’actifs des institutions
financières conduisant à une accumulation de déséquilibres financiers. Au-
delà d’un point critique, ces déséquilibres se manifestent brutalement
sous la forme d’un choc. Le système financier devient instable et
l’activité éco- nomique se détériore fortement.
La question que soulèvent les théoriciens du RTC est donc celle de sa-
voir si de bas taux d’intérêt ne se traduisent pas par une prise de risque
accrue de la part des banques, mettant directement en cause la politique
monétaire accommodante du début des années 2000. Dans l’un de ses dis-
cours Christian Noyer en 2009 résumait le RTC, auparavant ignoré par
les banquiers centraux, de la façon suivante : lorsque l’inflation est
contenue et que dans ces conditions les taux d’intérêt sont maintenus à un
bas niveau, que la liquidité est ainsi peu onéreuse et aisément accessible à
un large ensemble d’intermédiaires financiers, l’appétit pour le risque
s’aiguise con- duisant les banques à accroître leur levier d’endettement et
à pousser très loin les écarts de maturité entre leurs passifs et leurs actifs
(c’est-à-dire la transformation d’échéances).
Plusieurs contributions, toutes issues des travaux des économistes de
la BRI, ont posé les bases du RTC, prolongeant les analyses de Minsky :
Borio
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 149
1. La logique du canal de la prise de risque

Quatre effets interdépendants sont à l’œuvre dans le canal de la prise de


risque (Risk Taking Channel – RTC) :
• l’effet yield appetite : si les taux d’intérêt (à court et long termes) sont
bas, et surtout si les opérateurs pensent qu’ils vont le rester assez longtemps,
les investisseurs (et les banques) recherchent des actifs plus risqués pour
leurs placements. L’aversion au risque diminue, à la fois parce que les
compor- tements de prise supplémentaire de risque sont intégrés par les
marchés (offre et demande) – et parce qu’ils sont validés par la montée des
valorisations bour- sières et des revenus ;
• l’effet concurrence : dans un contexte de liquidité abondante et de con-
currence croissante, les banques sont incitées, soit à prêter de plus en plus,
donc à réduire leurs marges d’intérêt, à diminuer leurs demandes de collaté-
raux et autres covenants, soit à racheter les actions. Mais elles iront plutôt
dans la voie de crédits supplémentaires, pour des raisons, disent-elles, de
clientèle, de parts de marché, de maximisation de profit sur longue période.
Elles juge- ront que renvoyer des fonds propres à leurs actionnaires serait un
choix diffici- lement réversible par rapport au marché. Il pourrait
l’interpréter comme un manque d’idées ou de goût du risque, tandis que le
régulateur pourrait le regar- der avec suspicion, car il réduit les garanties en
cas de pertes. Ajoutons que cette préférence pour la croissance (et le crédit)
par rapport à un retour des fonds propres aux actionnaires est plus
importante en zone euro qu’aux États- Unis, où les marchés financiers sont
plus profonds ;
• l’effet accoutumance au risque : en phase d’activité ascendante,
compte tenu du fait que les sinistres ne se manifestent pas (encore),
l’aversion au risque diminue ;
• l’effet « financiarisation des comportements bancaires » (banque de
finan- cement et d’investissement) : la phase de taux bas lie les besoins de
financement de la banque à la situation des marchés. L’horizon temporel de
la banque se réduit au fur et à mesure qu’elle obtient une part croissante de
son funding et de ses revenus par les marchés (proprietary trading et banque
d’investissement). Cette évolution est caractéristique de la bulle Internet où
le financement des banques par les réseaux (brick and mortar) est critiqué,
les marchés financiers et certains experts mettant en cause le modèle intégré
de banque commerciale.
Cette double tendance, à la montée des crédits au moment où les taux
d’in- térêt sont faibles et à la financiarisation des comportements de la
banque se poursuit d’autant que :
• les agents pensent que cette situation de taux bas va se prolonger,
autre- ment dit que le risque inflationniste est sous contrôle ;
• les mesures de risque ne prennent pas réellement en compte les effets
potentiels de ces nouveaux crédits. Les valorisations des actifs se trouvent en
effet plutôt accrues, ce qui diminue leurs probabilités anticipées de défaut
(Expected Default Frequencies – EDF), de pertes sur crédits (Loss Given
Default – LGD) ;
• le comportement de la banque se met à changer. Elle passe d’une
logique de transformation, qui consiste à suivre sa liquidité, à mesurer et
escorter le risque de contrepartie dans la durée, à une logique de
refinancement par les marchés qui est, à la fois, plus globale, plus à court
terme, et plus rentable (du moins dans l’immédiat).
150 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
et Lowe (2002), Rajan (2005), Borio et Zhu (2008) et Adrian et Shin (2008a
et b). Toutes cherchent à mettre en évidence ce lien entre politique moné-
taire, perception du risque, et prise de risque des banques. Il s’agit donc
de montrer un nouveau canal de transmission de la politique monétaire,
grave- ment sous-estimé avant la crise ainsi que le déploraient Borio et
Zhu (2008) et probablement accru par les transformations des systèmes
financiers (inno- vations financières, essor d’intermédiaires financiers
non bancaires…) et les conditions de leur régulation.
Borio et Lowe (2002), en plus de montrer comment les déséquilibres
financiers peuvent émerger dans un contexte macroéconomique stable
d’in- flation faible et de bas taux d’intérêt, insistent sur l’idée qu’il n’est
pas impossible de déceler l’émergence de ces déséquilibres financiers. Une
crois- sance rapide du crédit, combinée à la montée des prix d’actifs,
constitue en effet un bon indicateur d’une crise financière à venir. Adrian
et Shin (2008) mettent en avant le rôle des intermédiaires financiers et
l’influence qu’ils exercent sur le cycle d’affaire en ce qu’ils déterminent
le prix du risque. Les grandeurs de bilans des intermédiaires financiers
constituent, pour eux, un indicateur clé de leur appétit pour le risque,
donc du canal de la prise de risque. Ils montrent que les taux à court
terme influencent considérable- ment la taille du bilan des intermédiaires
financiers et le niveau de leur levier d’actif. À cet égard, ils soutiennent
que la partie la plus dangereuse d’une bulle n’est pas la montée des prix
d’actifs en elle-même, mais le niveau de dette au bilan des institutions
financières qui alimente cette bulle.
Au total, le canal de la prise de risque vient s’ajouter aux canaux de
transmission plus traditionnels de la politique monétaire qui font
intervenir les banques (cf. schéma ci-après) :
• le canal des taux d’intérêt, le plus connu et traditionnel : la hausse
des taux monétaires conduit les banques non seulement à revoir leurs
tarifica- tions, mais plus encore à réexaminer leurs conditions de crédit
(demande d’informations plus précises, de garanties supplémentaires,
durées plus ré- duites pour des montants de crédits plus faibles, voir
Maddaloni, Peydró et Scopel, 2009) ;
• le canal du crédit bancaire intègre le fait que la banque interprète la
hausse des taux directeurs comme un indicateur avancé d’un ralentis-
sement, en tout état de cause d’une remontée des risques et de leur
réappréciation ;
• le canal des fonds propres bancaires : avec la hausse des taux, les
conditions de financement des banques elles-mêmes se renchérissent à la
fois du côté des actions, puisque le rendement anticipé du capital bancaire
baisse, du côté des obligations et des dépôts à terme, puisque la courbe
des taux monte, et du côté des dépôts à vue puisque leur progression
ralentit, sachant qu’ils sont des actifs « spéciaux », sans substitut facile à
trouver ;
• le canal du capital bancaire prend en compte la difficulté pour les
banques en période de ralentissement économique de lever des fonds
propres supplémentaires pour satisfaire aux exigences réglementaires ;
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 151
152
CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE

Ralentissement de la croissance (investissement et consommation) et de


l’inflation

Les effets d’une hausse des taux directeurs faisant intervenir les banques

Canal 1. Canal des taux d’intérêt


Canal 2. Canal du crédit Canal 3. Canal de la prise de risque
Les banques répercutent la hausse
des taux directeurs sur les taux La hausse des taux renforce les asymétries La remontée des taux réhausse
débiteurs d’information ce qui augmente les primes de l’appréciation des risques et accroît
des entreprises et des ménages financement externe et restreint les l’aversion au risque (fin du « surprêt » et
financements tensions sur la liquidité)

Canal 2.1. Canal strict du crédit


Le coût du financement bancaire
augmente d’autant plus que le coût de
refinancement bancaire lui-même
augmente (accélérateur financier). La
valeur des actifs bancaires baisse :
anticipation d’une montée Canal 2.3. Canal large du crédit ou
des risques canal du bilan des entreprises et des
ménages
La hausse des taux réduit la
rentabilité anticipée des projets et la
Canal 2.2. Canal des fonds propres valeur
bancaires des garanties. La prime de financement
Le financement des nouveaux crédits externe augmente, ce qui anticipe
est compromis par les fonds propres l’effet initial de la hausse
supplémentaires que les banques
doivent lever

La rigidité de certains prix et


salaires fait monter les taux Les banques revoient leurs Les critères d’octroi de crédit
réels conditions de crédit (taux, se tendent
garanties)

Ralentissement de la croissance (investissement et consommation) et de l’inflation

Source : Auteurs.
2. Les mesures du canal de la prise de risque

Des travaux empiriques ont permis de vérifier ces hypothèses. L’étude de


Jiménez et al. (2009) appliquée à l’Espagne entre 1984 et 2006 montre que
les taux bas réduisent à court terme le risque de défaut en diminuant le poids
des frais financiers et, à moyen terme, accroissent la valeur des collatéraux,
pous- sant les banques à relâcher leurs conditions de crédit : « elles prêtent
davantage à des emprunteurs qui ont un mauvais track record et qui ont des
perspectives plus incertaines ». Surtout, phénomène plus inquiétant, établi
cette fois sur des données boliviennes, cette réduction relative du spread sur
les risques plus importants se manifeste d’autant plus nettement dans les
banques ont un ratio de capital faible et relativement plus de mauvais crédits.
Au-delà des cas espagnol et bolivien, Gambarcota (2009) étudie 600
banques cotées œuvrant en zone euro et aux États-Unis. Cette étude montre
que les risques bancaires, approchés par la variable EDF (expected default
frequency), au cours de la période mi 2007 à fin 2008, sont positivement
corrélés à la variable Lowint correspondant au nombre de trimestres
consécutifs pendant lesquels le taux d’intérêt s’est inscrit au-dessous du
benchmark. Si les taux d’intérêt sont maintenus au-dessous du benchmark
pendant dix trimestres con- sécutifs, la probabilité de défaut d’une banque
moyenne augmente de 3,3 %.
Altunbas, Gambacorta et Marqués-Ibáñez (2010) mènent une étude
portant sur 1 100 banques dans 16 pays au cours de la période 1998-2008. Il
en ressort qu’une politique monétaire accommodante, calculée par différence
soit entre les taux courts et une règle de Taylor (avec ou non lissage des taux
courts), soit entre les taux courts et un taux naturel, réduit à court terme les
risques des crédits en portefeuille et pousse les banques à en prendre
davantage. « Si le taux d’intérêt se trouve à 100 points de base au-dessous de
la valeur donnée par la règle de Taylor, la probabilité moyenne de tomber en
défaut augmente de 0,6 % après un trimestre et de 0,8 % à long terme. C’est
une estimation très grossière… qui représente la limite supérieure de l’effet
».
Ces travaux montrent que le risque bancaire s’est accru dans les pays où
une bulle immobilière s’est formée et aussi que les banques de grande taille
n’ont pas été particulièrement perçues comme les plus risquées par le
marché. Ce qui importe, à côté de la taille, c’est la liquidité, la capitalisation
et la pro- gression des crédits. On constate que les banques les plus risquées
sont à la fois celles qui font plus de crédits (13,5 % de croissance annuelle
sur la période retenue par les mêmes auteurs, 1999-2009, contre plus 11,3 %
par an pour celles qui sont jugées de moindre risque), qui sont les moins
liquides (respecti- vement 21,3 % des actifs contre 26 %) et dont la
capitalisation est la plus faible (respectivement 8,9 % contre 10,9 % des
fonds propres). La politique moné- taire influence certes les comportements
du secteur bancaire dans son ensemble, mais pas de manière homogène : car
elle affecte, d’un côté, les banques qui ont une très faible croissance et, de
l’autre, celles qui ont une forte croissance (soit qu’elles aient une politique
de prix agressive, soit qu’elles servent un segment particulièrement risqué).

BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 153


• le canal de la prise de risque vient de la prise en compte des condi-
tions générales de taux et d’activité dans les politiques bancaires. Si les
taux d’intérêt sont bas, l’aversion au risque des investisseurs diminue, soit
qu’ils pensent que le risque a effectivement diminué, soit que les condi-
tions de la concurrence ne leur laissent pas vraiment le choix. Les condi-
tions de prêt deviennent alors plus faciles : quantités accordées plus
impor- tantes, spreads plus bas, garanties diminuées… La prise de risque
est plus grande sans que le prix du risque ne soit le bon. Et
symétriquement ensuite.
La politique monétaire n’agit donc pas seulement par les taux d’intérêt
et les anticipations, selon le canal classique, mais aussi par les canaux qui
sont, directement ou indirectement, liés aux banques et à leurs relations,
plus ou moins fortes à l’économie, aux marchés et à leurs clients déposi-
taires de ressources. Le RTC remet donc les banques au cœur de la trans-
mission des effets de la politique monétaire, alors qu’on les avait crues de
moins en moins importantes. Il constitue, pour les banquiers centraux,
une forte incitation à se doter d’indicateurs permettant de déceler les
déséqui- libres financiers en formation, que leur action même influence.
En mettant en évidence les incidences financières de la politique
monétaire, le RTC confirme la force du lien entre stabilité monétaire et
stabilité financière. Il exhorte aussi les banquiers centraux à mener de
front ces deux missions. Montrer que la politique monétaire peut
contribuer aux déséquilibres fi- nanciers signifie aussi qu’elle peut être
orientée pour favoriser la stabilité financière. Dans ce cas, la stabilité
monétaire et la stabilité financière cons- tituent deux missions jointes.
Cela implique une coordination entre politique monétaire et politique
prudentielle qui, toutes deux, doivent œuvrer à la stabilité macroécono-
mique. Chacune doit aussi évoluer pour converger vers la stabilité
financière globale. Dans ce cadre, la politique monétaire ne se limite pas
au contrôle de l’inflation. Elle prend aussi en compte, notamment, la
croissance du crédit ainsi que les évolutions des prix d’actifs, afin de
contribuer à la sta- bilité financière. La politique prudentielle, quant à
elle, ne se limite pas à la maîtrise des risques individuels des
établissements bancaires et financiers (supervision micro-prudentielle).
Elle s’étend à la stabilité globale du sys- tème financier, au moyen d’une
supervision macro-prudentielle. La coordi- nation entre politique
monétaire et politique prudentielle implique alors, pour la Banque
centrale, de trouver l’intersection optimale et de déterminer son degré
d’implication dans la politique prudentielle. La politique macro-
prudentielle constitue cette zone d’intersection.

3. Banques centrales et politique prudentielle


Une implication forte des banques centrales dans le macro-prudentiel
semble aujourd’hui faire consensus : 86 % des banquiers centraux et 89
% des économistes qui ont participé à notre questionnaire ont ainsi
répondu
« oui » à la question de savoir si la Banque centrale devait jouer un rôle
important dans la supervision macro-prudentielle. La supervision macro-
154 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
prudentielle constitue en effet le chaînon manquant entre politique moné-
taire et politique prudentielle et permet de les articuler. Mais quels seront
précisément les instruments macro-prudentiels des banques centrales ?
Où commence et où finit l’implication de la Banque centrale dans la
politique prudentielle ? Son implication macro-prudentielle suppose-t-elle,
aussi, une implication dans le micro-prudentiel, poussée ou non ?

3.1. La mission macro-prudentielle des banques centrales


Les superviseurs ont longtemps privilégié la régulation micro-
prudentielle et prêté peu d’attention au risque systémique. Ils considéraient
en effet qu’une maîtrise des risques individuels était suffisante pour
préserver la stabilité du système financier. Cette attitude était, et demeure,
liée en grande partie au paradigme de l’efficience des marchés,
paradigme qui privilégie le com- portement des agents individuels à partir
d’une vision essentiellement microéconomique de la finance. Selon cette
conception, le risque systé- mique serait ainsi le résultat d’une agrégation
de risques individuels. C’est ainsi que la régulation macro-prudentielle,
qui concerne la stabilité globale du système bancaire et financier, était le
maillon faible, si ce n’est man- quant, du dispositif prudentiel à la veille
de la crise des subprimes.
Plus précisément, la politique macro-prudentielle peut être vue comme
se situant sur un spectre, avec la politique monétaire d’un côté, et la poli-
tique micro-prudentielle de l’autre. Ses objectifs de nature globale se
rappro- chent de ceux de la politique monétaire. En revanche, elle est plus
proche de la politique micro-prudentielle au niveau des instruments – tels
les ratios de capital – qu’elle doit chercher à adapter et manier, pour
réduire le risque systémique (Banque d’Angleterre, 2009).
Inévitablement, la frontière entre le macro-prudentiel et le micro-
prudentiel sera poreuse et fine. Ce qui obli- gera les banques centrales et
les autorités de supervision à se coordonner étroitement.

3.1.1. Les objectifs macro-prudentiels


Le rôle principal des politiques micro et macro prudentielles peut
s’ex- primer simplement : promouvoir la résilience du système financier,
de ma- nière à assurer une offre de services financiers adaptée aux besoins
de l’éco- nomie dans son ensemble. La fonction spécifique de la politique
macro- prudentielle consiste à prévenir et gérer le risque systémique.
Selon la défi- nition donnée par Lepetit (2010) : « La crise systémique est
une rupture dans le fonctionnement des services financiers causée par la
dégradation de tout ou partie du système financier et ayant un impact
négatif généralisé sur l’économie réelle ».
La crise des subprimes fournit une illustration du risque systémique
con- duisant à une crise systémique, dans la mesure où elle a brutalement
désta- bilisé le système financier international et s’est propagée à
l’ensemble de l’économie mondiale. Bien sûr, le risque de système n’est
pas un phéno-
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 155
mène nouveau. Les crises systémiques jalonnent en effet l’histoire des
systè-
mes financiers et la crise de 1929 fut l’une des plus mémorables. Ce
risque de système s’est cependant intensifié à partir des années soixante-
dix avec la globalisation financière. Cette dernière a interconnecté les
marchés et vu se développer de grands groupes financiers transnationaux
et multi- spécialisés.
Selon l’analyse la plus répandue, le risque systémique trouve sa source
dans les échecs du marché, d’une part, et dans l’existence de mécanismes
de propagation et d’amplification des risques, d’autre part (Banque d’An-
gleterre, 2009).
Trois types d’échecs du marché peuvent ainsi conduire au risque de
système :
• problème d’incitation : certaines politiques (assurance des dépôts et
bonus) et surtout certaines innovations (titrisation) ont des effets négatifs
non désirés, poussant à des prises de risque d’autant plus fortes qu’elles
ne sont pas perçues ;
• problème d’information : les marchés échouent en situation
d’asymé- tries d’information conduisant les créanciers à douter de la
qualité des titres (sélection adverse) ou lorsque les créanciers sont dans
l’incapacité d’observer l’action des banques dans le cadre de la relation
principal-agent (aléa moral), ce qui peut conduire à des paniques
bancaires ;
• problème de coordination : les acteurs financiers jugent la
performance d’un acteur individuel à partir des benchmarks du marché.
Cette forme de coordination favorise des comportements mimétiques qui
conduisent à des emballements pouvant donner lieu à des bulles
financières.
Deux mécanismes contribuent à la propagation et à l’amplification des
risques systémiques :
• le phénomène de procyclicité : les institutions financières, ainsi que
des entreprises industrielles et des ménages ont collectivement tendance à
sous-estimer les risques et à se surexposer aux risques pendant la phase
ascendante des cycles du crédit, et, symétriquement, à surestimer les
risques et à faire preuve d’une aversion excessive au risque dans la phase
descen- dante du cycle ;
• la présence d’externalités : les banques individuelles sont dans
l’inca- pacité de prendre en compte les effets de leurs comportements sur
le reste du système financier (spill over effects).
L’ensemble de ces comportements et de ces imperfections conduit à
une transmission des tensions au sein du système financier et à la sphère
réelle de l’économie à travers deux canaux principaux : les effets de
levier et les déséquilibres au sein des bilans (maturity mismatch).
La politique macro-prudentielle doit donc chercher à :
• réduire les imperfections de marché ;
• réduire la procyclicité spontanée des acteurs financiers en favorisant
156 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
une modération du crédit en phase ascendante du cycle, et son maintien en
phase descendante ;
• amener les acteurs financiers à internaliser les effets externes (spill
over effects) découlant de leurs comportements individuels.
Hyman Minsky a été l’un des premiers à proposer un cadre d’analyse
cohérent – « l’hypothèse d’instabilité financière » (1986) – permettant de
comprendre les comportements et les mécanismes qui sous-tendent les
crises financières systémiques : le système financier est caractérisé par un
mouvement alterné de phases de stabilité et d’instabilité du fait des
interac- tions entre les différents types de comportements financiers. Ces
basculements sont à l’origine des cycles économiques, c’est-à-dire des
phases successives d’expansion et de récession. Dans la phase ascendante
du cycle, le financement couvert l’emporte. Mais l’activité se
développant, la vigilance privée et publique se relâche, l’endettement
s’accélère, finançant des projets de plus en plus spéculatifs. La montée de
la spéculation et de l’endettement engendre des risques de hausses de prix
importantes, ce qui amène les autorités monétaires à lutter contre
l’inflation par une politique restrictive. C’est alors que les unités
spéculatives sont fragilisées et devien- nent « Ponzi ». Celles-ci sont
amenées à emprunter pour rembourser leur dette passée et pour payer leur
charge d’intérêt. Puis elles commencent à vendre leurs actifs pour se
financer, ce qui engendre une baisse des prix de ces actifs. Une défiance
généralisée s’installe alors sur la valeur des actifs, ce qui entraîne un
risque d’effondrement des marchés. La seule solution est alors une
intervention en urgence de la Banque centrale, agissant en tant que
prêteur en ressort, pour apporter au marché la liquidité dont il a besoin.
Le cadre théorique de Minsky s’applique particulièrement bien à la
crise récente, car il montre le caractère endogène du risque systémique,
idée ab- sente de la plupart des approches théoriques contemporaines.
L’accumu- lation de la dette joue en effet un rôle central dans le
processus d’instabilité et de crises financières. C’est parce que de plus en
plus de ménages amé- ricains ont contracté une dette excessive et sont
devenus insolvables que la crise financière a éclaté en 2007. En second
lieu, conformément au schéma d’analyse de Minsky, la Banque centrale
américaine, en voulant préserver la stabilité monétaire et en ne cherchant
pas à désamorcer précocement les tensions financières, a effectivement
contribué au déclenchement la crise financière. Enfin, la crise de 2007
illustre le fameux « paradoxe de tran- quillité » de Minsky, selon lequel
les déséquilibres et les prises de risque excessives s’accumulent au
moment où l’économie semble aller le mieux. Minsky (1964) avait
développé une deuxième version de l’hypothèse d’insta- bilité financière,
selon laquelle les crises financières sont d’autant plus pro- fondes
qu’elles sont précédées par des périodes longues d’expansion conti- nue,
propices à l’accumulation de déséquilibres importants. Cette hypo- thèse
est cohérente avec l’analyse selon laquelle la Grande modération aurait
conduit à la montée des déséquilibres et à la crise financière qui s’est dé-
clenchée en 2007.
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 157
3. Principales mesures recommandées
dans le cadre des accords de Bâle
III(*)
(annoncées le 13 septembre 2010)

Ratio de solvabilité
• le tier 1 (capital + réserves + intérêts minoritaires + goodwill) passe de
4 à 6 % (à partir de 2013) ;
• au sein du tier 1, le core tier 1 (capital + réserves) passe de 2 à 4,5 %
(à partir de 2013) ;
• viendra s’ajouter un matelas de protection de 2,5 % (à partir de 2019) ;
• est envisagé un matelas contracyclique de 0 à 2,5 % selon les
circonstan- ces nationales (date non fixée).
Soit au total un ratio tier 1 d’au moins 8,5 % (ratio tier 1 + tier 2 > 8 %
+ matelas 2,5 %).

Ratios de liquidité (à partir de 2018) :


• actifs liquides haute qualité/engagements à 30 jours > 100 % ;
• ressources stables à 1 an/engagements à 1 an > 100 %.

Ratio de levier (en test de 2013 à 2017) :


• tier 1/actifs > 3 %.
Les derniers travaux et notes concernant Bâle III publiés par la BRI
renfor- cent les exigences de ressources et précisent certaines définitions. Il
s’agit no- tamment de la qualité (nature et déductions) et quantité des fonds
propres, avec un core tier 1 minimum de 7 % au 1er janvier 2019 : 4,5 %
(2013-2015), 2,5 %
de coussin de conservation (2016-2019), déductions (2014-2018), + 0 à 2,5
% de coussin contra-cyclique (selon décision des autorités nationales, face à
une surchauffe du crédit), ceci avec une éventuelle surcharge en capital pour
les établissements systémiques. Certains risques, notamment liés aux
marchés, devraient être mieux couverts et les deux ratios de liquidité sont
encore à préci- ser, tout comme le leverage ratio (2017, intégration au pilier
1 en 2018).
Dans ce contexte, les experts bancaires ont estimé que ces nouveaux
ratios conduiraient à un doublement des besoins de capitaux (plus de 600
milliards d’euros selon la BRI) et à ces besoins de liquidités compris entre
1 300 et 2 300 milliards d’euros (McKinsey, 2010). Toutes choses égales par
ailleurs, ces nouvelles règles devraient fortement diminuer la rentabilité du
secteur et renchérir les conditions de crédit. Mais, d’ores et déjà, les banques
prennent en compte ce nouveau cadre réglementaire en revoyant leurs business
models (taille des réseaux, sélection des clients, gestion plus active des
participations minori- taires). Pour l’heure, la grande majorité d’entre elles a
annoncé qu’elles rem- pliraient à temps les nouvelles exigences, ceci sans
augmentation de capital. Reste à voir, en pratique, comment se feront les
adaptations, sachant que les ratios de liquidité n’ont pas, pour l’heure, été
précisés.

(*) Cf. Site Internet http://www.bis.org/bcbs/basel3.htm


158 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
3.1.2. Les instruments macro-prudentiels
La crise financière systémique de 2007-2009 a suscité un grand
nombre d’analyses et de propositions destinées à améliorer le dispositif
prudentiel. Le contenu de ces dernières a été différent en Europe et aux
États-Unis, ce qui s’explique en partie par le fait que les systèmes
financiers ne sont pas identiques, l’intermédiation de marché étant plus
étendue aux États-Unis qu’en Europe. Les propositions européennes ont
plutôt mis l’accent sur les dispositifs contra-cycliques mis en œuvre par
les autorités de tutelle des banques, alors que les réflexions américaines
se sont surtout tournées vers des mesures de marché destinées à traiter les
problèmes découlant de l’aléa moral et de la taille des banques (« too big
to fail ») (voir le complément B de Charles Goodhart).
En Europe, les discussions se sont largement centrées sur la mise en
place d’un nouveau dispositif d’exigences en fonds propres sous forme
d’une surcharge « systémique » en capital, dans le prolongement de la
logique de travaux du Comité de Bâle. Cette première série de mesures
cherche en particulier à maîtriser les effets de levier. Toutefois, la crise en
cours a révélé l’insuffisante prise en compte des risques de liquidité, ce
qui montre la nécessité d’inciter les banques à recourir à des
financements plus longs, de manière à réduire la transformation
d’échéances (maturity mismatch). Des mesures complémentaires et/ou
alternatives à la surcharge en capital ont également été proposées dans le
cadre des accords de Bâle III (cf. enca- dré 3).

3.1.2.1. La surcharge en capital


En apparence, l’instrument macro-prudentiel le plus simple pour
réduire le risque systémique global est de soumettre l’ensemble des
acteurs finan- ciers « systémiques » à une surcharge en capital en plus des
exigences en capital micro-prudentielles existantes (voir complément A
de Michel Aglietta). Chaque pays doit alors définir une liste d’«
institutions systémi- ques » en fonction de trois critères : taille,
connectivité et complexité. Cette surcharge entend accroître le coût
marginal des activités de prêt et réduire les effets de levier. Par ailleurs,
elle doit varier de manière contra-cyclique pour atténuer les cycles du
crédit.
La fixation de la surcharge en capital devrait être effectuée sous la res-
ponsabilité des banques centrales nationales. Celles-ci auraient, dans cette
fonction, la possibilité de superviser les « institutions systémiques » de
leur ressort. La fixation de la surcharge en capital se ferait ainsi en deux
étapes dans un processus top down (Aglietta et al., 2009). La Banque
centrale détermine d’abord les objectifs opérationnels de sa politique
contra-cyclique à partir d’une mesure de l’excès d’offre de crédit par
rapport à une norme de long terme. Elle détermine alors le capital
réglementaire pour l’ensem- ble des banques systémiques nécessaire pour
endiguer l’excès de crédit pouvant conduire au risque systémique. La
surcharge globale en capital est
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 159
ensuite répartie entre les entités systémiques. La surcharge est ainsi
calcu-
lée en fonction de la contribution spécifique de chaque banque au risque
systémique global en fonction de trois critères : effet de levier, taux de
trans- formation (maturity mismatch) et taux de croissance des crédits.
La structure du système bancaire et la situation économique diffèrent
d’un pays à l’autre. Si les règles définissant le système de surcharge en
capital doivent être identiques pour tous les pays, en revanche, leur mise
en application peut évidemment varier selon les pays d’accueil des entités
sys- témiques et de leurs filiales.

3.1.2.2. La maîtrise du risque de liquidité


La crise de 2007-2009 a montré que le risque d’illiquidité avait été
sous- estimé par les dispositifs prudentiels (Borio, 2009). La crise des
subprimes s’est en effet traduite par une crise de liquidité, c’est-à-dire une
évaporation brutale des liquidités sur les marchés monétaires qui a
menacé la stabilité des systèmes bancaires et amené les banques centrales
à effectuer des in- jections massives de liquidités en urgence, dans le
cadre de leur fonction de prêteur en dernier ressort. Plusieurs propositions
ont été faites pour mieux assurer la protection des acteurs et des marchés
contre ce risque :
• une première est d’instituer des surcharges de liquidité pour réduire
le risque systémique, selon une procédure semblable à celle établissant la
sur- charge en capital. L’objectif principal étant de réduire les
déséquilibres de bilan en allongeant la maturité des ressources bancaires
(maturity mismatch). Celles-ci seraient fixées à partir des deux ratios de
liquidité recommandés dans les accords de Bâle III et qui sont en cours de
« calibrage » ;
• une seconde approche pourrait consister en la mise en œuvre par la
Banque centrale d’une politique de refinancement individualisée pour
chaque groupe bancaire présent dans sa zone monétaire (Castel et Plihon,
2009). Les banques centrales seraient alors amenées à superviser les
entités systé- miques avec des objectifs macro-prudentiels. Dans la
mesure où, comme on vient de le voir, les crises de liquidité sont un des
mécanismes des crises systémiques, les banques centrales pourraient
également avoir une approche systémique de leur offre de liquidité
bancaire, c’est-à-dire de leur refinancement des groupes bancaires et
financiers, en particulier des « entités systémiques ». Une telle politique
impliquerait un changement stratégique par rapport aux politiques
actuelles d’intervention des banques centrales sur le marché monétaire qui
sont globales, et non individualisées par banque. Une politique
individualisée de refinancement permettrait d’agir direc- tement sur les
comportements des banques et, en particulier, de freiner un emballement
du crédit et, symétriquement, de stimuler le financement d’acti- vités
stratégiques et créatrices d’emploi. Cette approche individualisée du
refinancement par les banques centrales apparaît conforme à la décision
du G20 de Londres (avril 2009) d’effectuer un suivi particulier des «
entités systémiques ».
160 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
3.1.2.3. La régulation du crédit bancaire
On a vu que l’emballement du crédit, dans certains secteurs et dans
cer- tains pays, a joué un rôle décisif dans la crise récente. Ainsi, la
croissance excessive du crédit a-t-elle largement alimenté la bulle
immobilière aux États-Unis, en Espagne et en Irlande. L’adoption de
mesures destinées à réguler le crédit en général, ou dans certains secteurs,
peut ainsi se révéler souhaitable, en complément de la politique monétaire
et de l’action géné- rale sur la liquidité bancaire (Larosière, 2009).
Plusieurs instruments peu- vent être utilisés pour réguler le crédit
bancaire, tels que le renforcement des ratios « loan to value » (rapport
entre le prêt et la valeur de marché de l’actif qu’il finance) ou la mise en
place de réserves obligatoires sur les crédits, parallèlement aux réserves
sur les dépôts. Ces réserves permettraient d’agir sur la liquidité des
banques, mais également sur leur capacité à déve- lopper leurs crédits. Il
y aurait donc un double impact de ces réserves obli- gatoires sur la
liquidité et sur l’effet de levier. Alors que les réserves obliga- toires sur
les dépôts existent actuellement dans la zone euro et sont rémuné- rées,
les réserves obligatoires sur les crédits à mettre en place ne le seraient
pas. Ces réserves devraient être, en toute hypothèse, progressives selon le
rythme de croissance des crédits et différentes selon les activités (crédits
à la consommation, à l’équipement, à l’immobilier, aux hedge funds et
fonds de private equity). Leur objectif serait de contrer les emballements
des ac- tivités de crédit et de marché.
Dans le cadre de la zone euro, ces instruments de régulation du crédit
devraient en outre être modulés selon les secteurs d’activité, mais égale-
ment en fonction de la conjoncture prévalant dans chaque pays. Il
s’agirait donc de revenir sur la politique uniforme menée par la BCE dans
la zone euro, menée dans un esprit de neutralité – avec le souci de la
convergence des économies. Les développements récents de la crise dans
la zone euro ont, en effet, montré que les économies de la zone ont
divergé et que la politique monétaire uniforme a contribué à favoriser
cette divergence entre pays, à l’origine de la crise de la zone euro en 2009
et 2010. Cette proposi- tion pourrait être un élément important de la
réforme de la politique écono- mique et monétaire au sein de la zone euro
(Gréau, 2010). Il pourra être objecté que ces politiques différenciées
remettent en cause l’uniformité de la politique monétaire au sein de la
zone et peuvent favoriser les arbitrages. La proposition serait d’appliquer
ces politiques en priorité aux secteurs, tel l’immobilier, qui restent
largement nationaux.

3.1.2.4. Les réserves obligatoires plus simples et efficaces que


le « volant contra-cyclique » de Bâle III
Le système des réserves obligatoires évite plusieurs inconvénients du
dispositif préconisé par Bâle III. Il dispense en premier lieu les banques
de lever des capitaux supplémentaires sur les marchés financiers, limitant
ainsi la dépendance de ces dernières par rapport aux exigences de
rentabilité des investisseurs, facteur de prise de risque excessive de la
part des banques
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 161
(Artus, 2010c). Le système de réserves obligatoires constitue par ailleurs
une règle plus simple à mettre en œuvre par les banques centrales que le
« volant contra-cyclique » bâlois qui nécessite une organisation plus com-
plexe (voir le complément A de Michel Aglietta). De plus, les seuils de
déclenchement et la progressivité des réserves seraient rendus publics à
l’avance. Les banques seraient ainsi incitées à plus de modération avant
même d’être assujetties aux réserves. Le système de réserves obligatoires
sera aussi plus efficace car il permettra de cibler directement les établisse-
ments à l’origine de dérapages, tandis que le ratio contra-cyclique recom-
mandé par Bâle III, défini au niveau national(7) , touchera de manière
indif- férenciée tous les acteurs du pays considéré, y compris les plus
vertueux. Enfin, le suivi du dispositif bâlois sera plus difficile en Europe
où la sur- veillance prudentielle est assurée par les pays d’origine et non
par le pays d’accueil concerné (Castel, 2010).

3.1.2.5. Autres instruments macro-prudentiels


Plusieurs séries d’instruments macro-prudentiels, le plus souvent
complé- mentaires à ceux qui viennent d’être présentés, ont également été
proposées :
• introduire le provisionnement dynamique, afin de réduire l’un des
rouages de la procyclicité des banques. Le système traditionnel de
provision- nement ex post est fortement procyclique car les résultats et les
risques bancaires sont directement influencés par le cycle économique. Le
but du provisionnement dynamique calculé ex ante sur l’ensemble du
cycle est de lisser les provisions, et donc l’impact de ces dernières sur les
résultats, ce qui doit atténuer la procyclicité des comportements
bancaires. Plusieurs pays, dont l’Espagne et le Portugal ont introduit le
provisionnement dyna- mique dans leurs systèmes bancaires. Il est
difficile d’évaluer l’impact de cette mesure. D’un côté, celle-ci ne semble
pas avoir réduit les prises de risque excessives des banques dans la
période du boom immobilier en Espagne. Mais de l’autre, elle semble
avoir accru la résilience du secteur bancaire pendant la crise. Ce qui
revient à dire qu’elles ont été insuffisantes. Selon certains auteurs,
l’efficacité des mesures anti-cycliques – qu’il s’agisse des ratios de capital
ou du provisionnement dynamique – reste ainsi à dé- montrer (Caprio,
2010). Les récents accords de Bâle III prévoient un mate- las contra-
cyclique de fonds propres compris entre 0 à 2,5 % selon les cir-
constances nationales, mais le calendrier n’est pas encore fixé ;
• développer l’utilisation des stress tests, pour examiner la réaction
des banques aux chocs exogènes. Cette mesure a l’inconvénient de ne pas
prendre en compte les facteurs de risque endogènes qui sont au cœur des
crises systémiques, mais elle a l’avantage de développer une culture du
risque au sein des institutions et une meilleure connaissance des profils de
risque de

(7) Le dispositif préconisé par Michel Aglietta (cf. complément A) propose de répartir au
niveau des « entités systémiques » la surcharge en capital liée au « volant contra-cyclique
», ce qui accroît la complexité du dispositif.
162 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
la banque par le régulateur. De nouvelles approches, fondées sur des modèles
incorporant les risques endogènes liés aux spill-over, telles que les CoVar
pourraient être également mises en application (Voir la contribution de
Brunnermeier et al. dans le Geneva Report de 2009). Les
rebondissements de la crise bancaire et financière en Europe au cours de
l’année 2010 ont montré l’importance des stress tests, mais aussi les
exigences nouvelles qui pèsent sur eux, notamment pour expliquer les
conditions même du test. En effet, lors de la présentation fin juillet 2010
des résultats pour les banques européennes, 7 banques avaient échoué et
32 affichaient à l’issue de l’exer- cice un ratio Tier 1 entre 6 et 8 %. On
savait en outre que la pression sur ces établissements allait s’accroître, en
liaison avec les exigences sur le ratio de fonds propres réglementaires
Tier one (de 4 à 6 %) et sur les conditions de liquidité. Les ratios prévus
par Bâle n’avaient pas encore été définis sur ce dernier point, tandis que
la dépendance des banques des pays méditer- ranéens, plus Irlande, restait
très élevée. En outre, 32 banques parmi les 91 testées bénéficiaient
d’aides d’État, et leur devenir restait problématique (la nationalisation des
banques irlandaises se poursuivait ainsi en fin d’an- née 2010).
La validité de ces tests a été souvent mise en cause, sachant qu’ils trai-
taient seulement des grandes banques européennes. Des questions
portaient ainsi sur la santé des caisses d’épargne espagnoles et plus
encore sur des banques régionales allemandes. D’autres critiques notaient
que le risque d’un défaut d’un pays européen n’avait pas été testé, mais la
réponse a été que les pouvoirs publics européens venaient de mettre en
place le Fonds européen de stabilité financière, destiné à le contrer. Il faut
noter que des critiques voisines avaient accueilli les résultats des tests
américains, souli- gnant le caractère « faible stressé » (mais peu vérifié
après coup), sachant en outre que la Fed était très présente dans le
financement bancaire et fi- nancier.
De manière générale, les conditions d’élaboration de tels stress se po-
sent, puisqu’il faut qu’ils soient à la fois plausibles, sévères et utiles,
selon les requêtes de la BRI. Il y a interdépendance entre ces trois aspects
(Breuer, Jandacka, Rheinberger et Summer, 2009) : le choc ne doit pas
être trop extrême, au risque de ne pas être pris au sérieux, ni trop
macroéconomique (par exemple, une baisse de 3 % du PIB) qui pourrait
donner in fine, du fait de relations économiques croisées, l’idée qu’il est
gérable, donc que la crise n’est pas, au fond, si sévère ou que le système
est assez résistant. Les mé- thodes doivent devenir d’un côté plus
systématiques et, d’un autre, plus délimitées, mettant, par exemple,
l’accent sur des portefeuilles de crédit ou d’activités spécifiques
(logement ou changes), de façon à mesurer les effets en chaîne et à
prendre des mesures adaptées, à côté d’approches plus globales ;
• taxer les banques : plusieurs gouvernements, ainsi que le Fonds mo-
nétaire international, mandaté par le G20, ont proposé de taxer les ban-
ques : taxes sur les bonus en France et au Royaume-Uni ; projet de
prélève- ment exceptionnel sur les banques aux États-Unis ; suggestion
par le Fonds monétaire international (FMI) d’une taxe sur les activités
financières. Les
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 163
objectifs visés par ces différentes taxes sont divers. On peut en distinguer
quatre : faire payer aux banques le coût de leur sauvetage, c’est le but
pour- suivi par la taxe proposée par l’administration américaine ;
préfinancer le coût des futurs sauvetages ; réduire la taille du secteur
financier, comme l’indique l’acronyme (FAT, Financial Ativities Tax) de
la taxe proposée par le FMI ; enfin, modifier le comportement des
banques en les incitant à une plus grande prudence. L’efficacité des
mesures de taxation des banques apparaît discutable. S’agissant de
l’objectif de collecte de ressources, et notamment le deuxième objectif, il
apparaît que l’objectif poursuivi est très proche des systèmes d’assurance
des dépôts existant dans la plupart des pays pour maintenir la confiance
des déposants et dissuader les paniques bancaires. On peut dès lors se
demander s’il ne serait pas plutôt souhaitable d’accroître les ressources
des fonds de garantie des dépôts. En France, les réserves du Fonds de
garantie des dépôts sont faibles : elles ne représentent que 1,7 milliard
d’euros pour assurer 1 200 milliards de dépôts, soit 0,14 % du montant.
La cotisation annuelle est faible : 80 millions d’euros, soit un prélèvement
de 0,007 %. Une revalorisation de ces primes nous apparaît préférable à
une nouvelle taxe.

3.1.2.6. Règles versus discrétion


En raison de ses multiples dimensions, la stabilité financière se prête
moins bien que la stabilité monétaire à l’établissement d’un objectif quan-
tifié. Est-ce à dire que la politique macro-prudentielle est condamnée à la
navigation à vue, avec toute la flexibilité que cela peut offrir mais aussi
tout le risque d’incohérence temporelle qu’une politique purement
discrétion- naire peut entraîner ? Il semble que non, dans la mesure où la
politique macro-prudentielle peut reposer sur un ensemble d’instruments
aidant à la définition de seuils d’alerte. Les autorités en charge de la
politique macro- prudentielle peuvent annoncer à l’avance leur cadre
d’action, les indica- teurs suivis, se fixer des objectifs au moins
qualitatifs, prévenir ex ante des décisions qu’elles prendront en cas
d’alerte, et rendre des comptes ex post en expliquant les décisions qui ont
été prises. La Banque d’Angleterre pro- posait en 2009 que la politique
macro-prudentielle soit menée dans le cadre d’une « discrétion contrainte
», dans l’esprit de certains régimes de politi- que monétaire, défendus
comme plus robustes et plus cohérents dans le temps que ne le sont les
régimes extrêmes de règle stricte ou de pure discré- tion. Les autorités
auront, en effet, inévitablement besoin d’adapter leurs règles et leurs
instruments en tenant compte de l’influence que ceux-ci exer- ceront
fatalement sur les comportements économiques (effet connu sous le nom
de « loi de Goodhart »), tout en définissant le plus clairement possible
leur objectif et leur cadre d’action et en s’obligeant à rendre des comptes.
Deux économistes de la Banque d’Italie, Libertucci et Quagliariello
(2010) admettent la viabilité de cette discrétion contrainte et considèrent
qu’il est même possible de pousser plus loin l’adoption de règles : une
règle prédéfinie (coussin de capital contra-cyclique, par exemple)
déterminerait alors les décisions des autorités en charge de la politique
macro-prudentielle mais
164 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
celles-ci pourraient, de manière exceptionnelle et en le justifiant, ajuster
l’exigence en fonction des conditions économiques. L’idée n’est plus tant
de contraindre la discrétion mais d’établir un partage entre règle et discré-
tion selon les circonstances : le suivi d’une règle quand les circonstances
sont jugées normales et le recours à la discrétion en cas de circonstances
exceptionnelles.

3.1.3. La gouvernance du macro-prudentiel


La crise financière de 2007-2009 appelle d’importantes réformes de
l’ar- chitecture des institutions en charge de la régulation prudentielle.
Dans l’Union européenne, sur la base des recommandations du groupe
Larosière (2009), sont créés, d’une part, le Conseil européen du risque
systémique (CERS), nouvelle autorité en charge de la supervision macro-
prudentielle, et, d’autre part, un système européen de supervision
financière qui rassemble les autorités nationales chargées de la
supervision micro-prudentielle au sein de trois comités européens
réformant ceux issus du processus Lamfalussy : le Comité européen des
contrôleurs bancaires (Committee of European Banking Supervisors,
CEBS), le Comité européen des régula- teurs de marchés de valeurs
mobilières (Committee of European Securities Regulators, CESR) et le
Comité européen des contrôleurs d’assurance (Committee of European
Insurance and Occupational Pension Supervisors, CEIOPS). Aux États-
Unis, le Dodd-Frank Act voté en juillet 2010 prévoit également une
réforme institutionnelle conduisant à la création d’un con- seil du risque
systémique.
Dans la zone euro, le CERS est étroitement relié à la Banque centrale
européenne qui va en assurer le secrétariat. Au-delà du Président et du
Vice- président de la BCE, le CERS va rassembler tous les gouverneurs
des ban- ques centrales nationales des États membres, un représentant de
la Com- mission européenne, les présidents des trois autorités de
surveillance euro- péennes, les autorités de surveillance nationales et le
Président du Comité économique et financier : près d’une soixantaine
d’institutions (soit une centaine de membres). Toutefois, les autorités de
surveillance nationales et le Président du Comité économique et financier
n’auront pas le droit de vote au sein du Conseil d’administration général,
principal organe de déci- sion du CERS, en grande partie pour que la
perspective micro-prudentielle des autorités de surveillance nationales
n’interfère pas avec la perspective macro-prudentielle qui présidera aux
décisions du CERS. Le CERS se verra en outre doté d’un comité
technique consultatif (où pourront intervenir des académiques) chargé
d’apporter une expertise technique sur certains points. Du côté américain,
le Conseil du risque systémique devrait avoir un périmètre encore plus
large allant au-delà des autorités monétaires et financières et être présidé
par le secrétaire d’État au Trésor. Il est également prévu de donner des
pouvoirs plus importants au conseil du risque systémique américain.
Le CERS aura pour fonction d’évaluer les risques systémiques et
pourra faire des recommandations destinées à les réduire en s’adressant
aux ac-
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 165
Extrait du questionnaire (question 3.3.2) :
[...] êtes-vous favorable à un conseil du risque systémique, présidé
par la Banque centrale européenne, pour la zone euro,
comme décrit dans le rapport Larosière ?

Oui
Non
NSPP

7% 70%

23%

100%

20% 25%
80%
20%

60%

40% 75%
60%

20%

0%
Banquiers centraux Economistes

166 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


teurs publics et privés concernés. L’analyse des risques sera conduite pour
l’ensemble de la zone euro, mais aussi par pays. Les deux grandes
approches du risque systémique (voir à ce sujet le complément A de
Michel Aglietta), ascendante (bottom-up) et descendante (top-down),
seront mobilisées. La création de ce conseil a été bien accueillie. En
témoigne d’ailleurs, dans les réponses à notre questionnaire, la majorité
de « oui » à la question « Êtes- vous favorable à un conseil du risque
systémique présidé par la BCE pour la zone euro, comme décrit dans le
rapport Larosière ? ». Celle-ci suit la question de savoir si la Banque
centrale doit jouer un rôle important dans la supervision macro-
prudentielle, laquelle recueille un score très élevé, et d’ailleurs identique
auprès des banquiers centraux et des économistes.
Toutefois, comme l’indiquait clairement la Commission européenne
en annonçant la création du CERS en 2009, ce dernier n’aura aucun
pouvoir de coercition, à la différence de son homologue américain. Son
autorité sera essentiellement d’ordre moral, ce qui constitue une
importante limite à sa capacité d’action (Schinasi, 2009). Surtout, la
gouvernance de cette nou- velle instance, en zone euro comme outre-
Atlantique, ne s’annonce à l’évi- dence pas facile vu le nombre de
membres qu’il s’agira de coordonner. En outre, si indéniablement la mise
en place de cette nouvelle instance permet- tra de coordonner la politique
monétaire du ressort de la BCE, la politique micro-prudentielle du ressort
des autorités de surveillance, et la politique macro-prudentielle conduite
par le CERS, il serait naïf de penser que le partage des tâches entre ces
instances ne butera pas de temps à autre sur des recouvrements de
responsabilités. La division du travail au sein et entre les instances en
charge de la stabilité financière reste largement à organiser.

3.1.3.1. Progrès modestes de la coopération internationale


Pour être efficace, la régulation macro-prudentielle doit également
s’or- ganiser et faire l’objet d’une coopération à l’échelle internationale,
au-delà de l’Union européenne. C’est dans ce but que fut créé le Conseil
de stabi- lité financière (CSF) lors du G20 de Londres, en avril 2009. Le
CSF, qui succède au Forum de stabilité financière, créé dix ans plus tôt à
la suite de la crise asiatique, est présenté comme « l’organe de supervision
mondiale ». Les missions et les pouvoirs du CSF sont plus étendus que
ceux du Forum. Selon les termes de sa charte, le CSF coordonne les
activités des supervi- seurs nationaux et chapeaute les instances qui font
la réglementation à l’échelle internationale. Il joue par ailleurs un rôle de
prévention des crises systémiques, mission qu’il conduit en coordination
avec le Fonds moné- taire international, en charge quant à lui de la
stabilité macroéconomique.
Le nouvel organe regroupe les instances de régulation et de
supervision de ses pays membres dans les domaines de la banque,
l’assurance et des marchés, les institutions internationales, dont
l’Organisation de coopéra- tion et de développement économique
(OCDE), la Banque des règlements internationaux (BRI) et le FMI, ainsi
que « standards setters » (Comité de Bâle pour les normes prudentielles
bancaires, l’IASB (International Accounting
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 167
Standards Board) pour les normes comptables, IOSCO (International
Organi-
zation of Securities Commissions) pour les marchés, IAIS (International
Association of Insurance Supervisor) pour les assurances…).
Les principaux objectifs assignés au CSF concernent notamment le
ren- forcement de normes de fonds propres et de liquidité bancaires, la
réforme et l’harmonisation des normes comptables internationales,
l’amélioration des pratiques de rémunération, le renforcement de la
solidité des marchés de produits dérivés de gré à gré, la réduction de
l’aléa moral posé par les institutions d’importance systémique,
l’extension du périmètre de la régu- lation du système financier aux fonds
spéculatifs (hedge funds).
Près de deux après la création du CSF, la principale avancée en
matière de régulation macro-prudentielle à l’échelle internationale est
constituée par les nouvelles normes, qualifiées de Bâle III, présentées par le
Comité de Bâle le 12 septembre 2010 (cf. section 3.1.2.). Corrigeant les
normes Bâle II, de nature essentiellement micro-prudentielle, le nouveau
référentiel Bâle III innove en introduisant des instruments macro-
prudentiels dans les nouveaux ratios de fonds propres. En revanche, si de
nouvelles réglementations se mettent en place en Europe et aux États-Unis
(loi Dodd-Frank, juillet 2010), peu de progrès ont été réalisés au niveau
international en ce qui concerne les autres objectifs affichés par le CSF,
qu’il s’agisse des marchés de gré à gré, des hedge funds, des normes
comptables ou du contrôle des entités systémiques.
Or l’un des défis majeurs auquel doivent faire face les autorités en
charge de la gestion des risques systémiques concerne la question de la
résolution des défaillances des institutions financières, ce qui requiert de
donner aux autorités en charge de la supervision macro-prudentielle le
pouvoir d’agir d’une manière précoce et de sanctionner.

3.1.4. La surveillance des « entités systémiques »


La crise des subprimes a montré que la défaillance des institutions fi-
nancières systémiques est au cœur de la question de la stabilité financière.
Au cours de cette crise, deux options ont été mobilisées face à la
défaillance des institutions systémiques :
• le renflouement total des créanciers et des contreparties, comme
dans les cas différents de Bear Sterns et d’AIG, qui peut prendre la forme
d’un soutien massif du gouvernement ou la reprise de l’acteur défaillant
par une institution tiers ;
• la mise en faillite, avec l’objectif de rompre le cercle vicieux de
l’aléa moral comme ce fut le cas pour Lehman Brothers.
Ces deux approches se sont révélées être des échecs. La première
option alimente l’aléa moral puisque les créanciers et actionnaires privés
n’assu- ment pas les risques. La seconde option a eu des conséquences
désastreuses sur le système financier, car elle a conduit à une paralysie
totale du marché
168 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
monétaire mondial et à un krach boursier. Les autorités publiques doivent
faire face au problème bien connu d’incohérence temporelle (Scialom,
2010). Ex ante, elles affirment qu’elles ne sauveront pas les banques,
mais cet engagement manque de crédibilité car l’expérience montre qu’ex
post les autorités – banques centrales et États – interviennent face à des
institutions financières jugées « too big to fail ». Pour rompre avec le
risque d’incohé- rence temporelle, trois séries de mesures ont été
proposées :
• la modification de la taille et du périmètre des entités systémiques ;
• l’imposition de « living wills » aux entités systémiques ;
• la mise en place d’une procédure d’intervention précoce et de réso-
lution des défaillances sous l’autorité du régulateur responsable du risque
systémique.
Il est essentiel que toutes les institutions financières puissent faire
faillite, mais pas les fonctions essentielles assumées par ces institutions :
• modification du périmètre et de la taille des grands groupes bancaires :
de même que le Glass-Steagall Act avait imposé aux États-Unis en 1934
une séparation des banques de dépôts et des banques d’investissement, un
certain nombre de responsables (Mervyn King, Gouverneur de la Banque
d’Angleterre et Paul Volker, ancien Président de la Fed américaine et
Con- seiller du président Obama) ou d’économistes (Pollin, 2007) ont
proposé d’isoler, selon des modalités diverses, les activités de banque de
détail des autres activités bancaires à caractère plus spéculatif. Plusieurs
approches sont possibles :
– imposer par la loi un démantèlement des groupes bancaires, pour
séparer les banques de dépôts et les banques d’investissement, dans
l’esprit du Glass-Steagall Act (Pollin, 2007) ;
– interdire aux banques collectant l’épargne des particuliers d’effec-
tuer du trading pour compte propre et de détenir des fonds spécula-
tifs (hedge funds). Cette proposition a été faite par Paul Volker et a
été reprise dans la loi Dodd-Frank.
L’un des problèmes majeurs posés par ces mesures est qu’elles
risquent d’entraîner la création d’un système bancaire financier dual : un
système bancaire étroitement régulé, et un système bancaire peu régulé,
proche du shadow banking system existant actuellement aux États-Unis et
qui a été au cœur de la crise des subprimes. Ce qui pose la question du
périmètre d’ap- plication de ces nouvelles règles. Sans compter qu’elles
peuvent pousser les banques à installer leurs sièges dans des pays où ces
règles n’existe- raient pas ;
• les living wills, ou testaments bancaires, feraient obligation aux
insti- tutions financières systémiques de fournir au régulateur un plan
détaillé de rétablissement et de résolution de leur propre défaillance,
c’est-à-dire un ensemble d’informations précisant comment l’institution
pourrait être lé- galement démantelée (Scialom, 2010). La banque devrait
ainsi développer des scenarii dans lesquels certains composants du
groupe financier seraient
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 169
mis en vente ou en liquidation, les parties « systémiques » devant être
pré-
servées. L’objectif de ces testaments bancaires serait de mettre en place
ex ante les dispositions devant permettre d’activer un éventail d’options
autres que le renflouement pur et simple. Selon Avgouleas, Goodhart et
Schoenmaker (2010), le principal intérêt des living wills réside précisé-
ment dans leurs effets ex ante. Ceux-ci devraient discipliner et inciter les
institutions systémiques à mettre en place des politiques et des structures
moins opaques ;
• la troisième proposition est de doter le régulateur responsable du ris-
que systémique de pouvoirs et d’instruments lui permettant d’agir ex ante
pour prévenir les défaillances, ou ex post une fois la défaillance constatée.
Il pourrait être envisagé de mettre en place un système de sanctions pro-
gressives et graduées (automatiques et non discrétionnaires), notamment
en cas de non-respect des ratios et règles prudentielles. Un seuil pourrait
être défini au-delà duquel le non-respect des règles déclencherait une ac-
tion corrective précoce (prompt corrective action), pouvant conduire à la
cessation d’activité de la banque. Aux États-Unis, le FDIC (Federal
Deposit Insurance Corporation) est en mesure de mener cette politique
préventive. En France, le Fonds de garantie des dépôts dispose aussi, en
principe, de cette prérogative, mais il ne peut l’exercer qu’à la demande
de l’Autorité de contrôle prudentiel. Pour exercer ce pouvoir, le régulateur
doit pouvoir dis- poser d’instruments et d’un cadre juridique lui
permettant d’organiser le démantèlement ordonné des institutions
systémiques lorsque celles-ci sont défaillantes. L’objectif doit être de
préserver la stabilité financière, ainsi que les intérêts des contribuables,
tout en imposant aux actionnaires de supporter les pertes. À la différence
de la procédure de défaillance d’entre- prises non financières, qui
cherchent en priorité à préserver les intérêts des multiples créditeurs, il est
important – dans le cas des institutions financières – de donner priorité à
l’objectif de préservation de la stabilité du système financier dans son
ensemble.
La réalité est évidemment plus complexe, puisque toutes les
institutions financières systémiques sont des groupes financiers
transfrontières. Ceci nécessite une coordination entre pays et une
harmonisation des cadres ré- glementaires nationaux. De ce point de vue,
la Directive européenne sur la réorganisation et la liquidation des
établissements de crédit, qui vise à traiter le cas des établissements
transfrontières apparaît insuffisante pour organiser une gestion ordonnée
des défaillances des entités systémiques, au nombre de 35 à 40 dans
l’Union européenne. Ainsi, cette Directive ne se prononce- t-elle pas sur
la forme légale de résolution des faillites bancaires à privilé- gier dans
l’Union. Les autorités européennes envisagent de légiférer en 2011 afin
de renforcer les pouvoirs des autorités de supervision, de créer des «
autorités de résolution » qui prendraient le relais pour organiser la faillite
des banques si nécessaire. Les banques « transfrontières » pourraient être
contraintes de préparer à l’avance des plans de redressement et de réso-
lution.
170 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
Au total, dans le cadre européen, les textes existants et les réformes en
cours, notamment en ce qui concerne le rôle du CERS, n’apportent pas de
réponses assez claires, ni ne donnent de pouvoirs suffisants aux nouvelles
autorités, pour traiter d’une manière satisfaisante la question cruciale du
traitement de la défaillance des entités systémiques. Une surcharge en
capi- tal spécifique, outre ses effets pervers, ne saurait évidemment
suffire.

3.2. La nouvelle mission macro-prudentielle des banques


centrales les engage-t-elle au niveau micro-prudentiel ?
La prise en compte de la dimension systémique des établissements va
vraisemblablement désormais constituer un déterminant important de
l’or- ganisation et du périmètre de la supervision. Sans attendre des
réformes de grande ampleur de l’organisation des dispositifs prudentiels,
on peut avan- cer que le rôle des banques centrales, dont nous avons
montré la nécessité pour elles de prendre en charge la supervision macro-
prudentielle, va s’af- firmer. Mais il ne s’agira pas nécessairement pour
les banques centrales d’endosser dans chaque pays le rôle du micro-
superviseur. Leur degré d’im- plication varie déjà beaucoup d’un pays à
l’autre. Et le choix d’organiser la supervision micro-prudentielle des
banques autour de la Banque centrale ne présente pas que des avantages.
En revanche, la crise a clairement dé- montré la nécessité d’une proximité
forte entre Banque centrale et superviseur(s).

3.2.1. Tour d’horizon des modèles de supervision micro-prudentielle


Deux rapports récents se sont concentrés sur l’organisation des
disposi- tifs de supervision à travers le monde et fourni des
recommandations en la matière. Il s’agit, en France, du rapport Deletré
remis en janvier 2009 au ministre de l’Économie, de l’Industrie et de
l’Emploi ; l’avait précédé en octobre 2008 un rapport du Groupe des
trente. Notre objectif, dans le présent rapport, n’est pas de rajouter à ces
propositions mais d’examiner la place des banques centrales dans les
dispositifs et de nous prononcer sur la question de savoir s’il serait
opportun pour elles de s’y impliquer davan- tage.
En simplifiant les typologies présentées dans ces deux rapports, les
dis- positifs nationaux de supervision de par le monde peuvent être
répartis en- tre trois grands types d’organisation :
• le modèle sectoriel est une organisation qui consiste à confier la su-
pervision micro-prudentielle de chaque grand secteur de la finance
(banque, assurance, titre) à un superviseur spécialisé ;
• le modèle intégré se situe aux antipodes du précédent en confiant la
supervision de l’ensemble des institutions financières et des bourses à une
seule et même autorité ;
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 171
• le modèle « twin peaks » est à mi-chemin. Il fait reposer la super-
vision sur deux piliers : le premier concerne la supervision des
institutions financières ; le second le bon fonctionnement des marchés
boursiers, les règles de transparence et la protection des consommateurs,
ce que l’on peut regrouper sous le vocable retenu dans le rapport Deletré
de « bon déroule- ment des activités financières » (ou « conduct of
business »).
Le Royaume-Uni, l’Allemagne et le Japon figuraient parmi les
modèles les plus typés de supervision intégrée. La mise en place d’un
superviseur unique s’est faite au tournant des années 1990-2000, pour
répondre à des motivations qui n’étaient pas nécessairement les mêmes.
Au Royaume-Uni, il s’agissait d’opter pour un dispositif moins coûteux
que l’ancien dispo- sitif fonctionnel et de répondre à l’affaire Barings
(1995). Au Japon, il s’agis- sait avant tout de se doter d’une autorité de
supervision indépendante du ministère des Finances qui, avant 1998, était
en charge de la supervision des banques. La création de la BaFin
allemande s’est inspirée de la FSA britannique et il s’agissait de
rassembler les trois autorités (banques, assu- rances et bourses) qui
prévalaient auparavant, affaiblies face à l’intégration des activités de
banque d’assurance et de gestion de titres.
La France, l’Espagne et l’Italie incarnent un modèle essentiellement
sectoriel. L’Espagne et l’Italie ont en commun de confier la supervision
des banques à la Banque centrale. Ce n’est pas tout à fait le cas en France,
même si l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP), issue de la fusion(8)
entre la Commission bancaire (initialement en charge du contrôle
prudentiel des banques) et l’Autorité de contrôle des assurances et des
mutuelles (ACAM), est adossée à la Banque centrale auprès de laquelle
elle puise l’intégralité de ses moyens humains. La mise en place de l’ACP
tend en outre à éloigner la France du modèle sectoriel. Désormais
organisé autour de deux grandes instances (l’ACP pour les intermédiaires.
financiers et l’Autorité des mar- chés financiers – AMF – pour les
marchés de valeurs mobilières), le mo- dèle français de supervision tend à
se rapprocher d’un système twin peaks
L’Australie et les Pays-Bas sont les seuls pays à disposer d’un modèle
de supervision par objectifs, tandis que les États-Unis ne sont classables
dans aucune des catégories précitées. Le modèle de supervision par objec-
tifs (« twin peaks ») présente, selon le rapport Deletré, l’avantage de sépa-
rer le contrôle prudentiel et ce qu’il appelle la « conduite des affaires »
(veiller au respect des obligations professionnelles à l’égard de la
clientèle, dans une optique de protection de l’utilisateur de services
financiers) qui, lorsqu’il n’y a pas cette séparation, peut aisément passer
au second plan. Dans un second rapport présenté en juillet 2009, Bruno
Deletré préconisait d’ailleurs cette séparation, quel que soit le modèle
institutionnel.
Les deux systèmes twin peaks et le dispositif américain à superviseurs
multiples mis à part, la trentaine de pays restants recensés dans le rapport
Deletré se répartissent quasiment à part égale entre les systèmes intégrés
et les systèmes sectoriels. Toutefois, si on élargit le nombre de pays
couverts, en intégrant davantage de pays émergents et en développement,
on constate
que les dispositifs sectoriels à superviseurs multiples dominent encore
assez largement. Si l’on se réfère à la répartition opérée par Barth,
Caprio, Levine (2006), à partir de leur « Regulation Survey »(9), 105 pays
sur les 152 qu’ils observent sont dotés de dispositifs à superviseurs
multiples, c’est- à-dire de dispositifs sectoriels. 46 sont dotés d’un
dispositif à superviseur unique, donc nécessairement intégré.
Cette répartition fait aussi apparaître un clivage assez net entre d’un
côté les pays en développement ou émergents des cinq continents, qui
pour la grande majorité d’entre eux ont opté pour des dispositifs
sectoriels, et de l’autre des pays parmi les plus développés de ces mêmes
continents qui se sont dotés de dispositifs intégrés. Les États-Unis
constituent la plus notable des exceptions, puisque dotés d’un dispositif à
superviseurs multiples.

3.2.2. Les modèles intégrés remis en cause par la crise ?


Les débats théoriques ne permettent guère d’affirmer la supériorité de
telle ou telle structure prudentielle. Néanmoins, la tendance des dix
dernières années précédant la crise était clairement à l’intégration des
dispositifs de supervision. Cette tendance n’est pas du tout surprenante
puisqu’elle a accompagné le mouvement d’intégration des activités
bancaires et finan- cières. La crise l’a toutefois infléchie, en pointant la
nécessité de ne pas négliger au sein des modèles intégrés les points de
contact entre la Banque centrale et le(s) superviseur(s).
Différents arguments plaident en faveur des systèmes intégrés au sein
d’un superviseur unique, que ce superviseur soit la Banque centrale ou
une autorité indépendante (Barth, Nolle, Phumiwasana et Yago, 2002) :
• la plus grande capacité d’une autorité unique à encadrer des institu-
tions financières dont la gamme d’activités est devenue très large
(banque, assurance, titres…) ;
• de moindres possibilités d’arbitrages réglementaires pour les établis-
sements faisant face à un interlocuteur unique ;
• une capacité accrue de l’autorité unique à s’exprimer d’une seule et
même voix dans les réunions de concertation internationale ;
• une meilleure capacité d’adaptation aux changements de la sphère
finan- cière (il est moins difficile de faire évoluer une autorité que plusieurs
ensembles) ;
• de moindres conflits d’intérêts au sein d’une même entité qu’entre
plusieurs ;
• des économies d’échelle ;
• un plus large ensemble d’informations traitées ;
• une meilleure allocation des ressources humaines spécialisées dans
la supervision ;
• un point unique de contact facilitant la communication avec les
super- visés mais aussi avec les consommateurs de services financiers ;
(9) « Regulation Survey » est une base de données, couvrant le plus large ensemble de carac-
téristiques en matière de réglementation et de supervision bancaire et financière
disponible à ce jour. Cette base a été réalisée pour la Banque mondiale.
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 173
• une exigence de transparence et de comptes à rendre accrue du fait
de
la taille et du pouvoir d’une autorité de contrôle unique.
Les arguments « contre » sont en moindre nombre, mais non sans
force.
Il en ressort :
• le danger d’une concentration excessive de pouvoir, dont il n’est pas
sûr qu’elle ne favorise pas, davantage encore que les modèles sectoriels,
les problèmes de capture réglementaire ;
• les déséconomies d’échelle qui, au-delà d’une certaine taille,
peuvent rendre une telle administration bureaucratique et inefficace ;
• l’intérêt qu’il peut y avoir de maintenir plusieurs autorités de
supervi- sion dans une sorte de compétition pour favoriser une émulation
qui per- mettrait de faire émerger les meilleures pratiques réglementaires.
Les études empiriques réalisées à partir de la base « bank survey » de
la Banque mondiale ne permettent pas de trancher pour l’instant.
Lorsqu’ils testent l’influence de la structure de supervision sur le
développement de l’intermédiation bancaire, Barth, Caprio et Levine
(2006) ne trouvent pas de corrélation significative. Barth, Nolle,
Phumiwasana et Yago (2002) n’ob- tiennent guère plus de résultats
significatifs lorsqu’ils testent l’incidence de l’organisation de la
supervision sur la profitabilité des banques. À ce niveau, l’influence de la
structure de la supervision apparaît faible, avec un très léger avantage
pour le dispositif à autorité unique. Il est toutefois inté- ressant de relever
qu’aucune des structures de supervision étudiées ne sem- ble affecter
négativement la profitabilité des banques.
Les leçons de la crise aident-elles la théorie à trancher ? À première
vue, les critiques essuyées par la Financial Services Authority (FSA) au
Royaume- Uni et la BaFin en Allemagne dans leur gestion de la crise
bancaire peuvent laisser penser que les dispositifs intégrés se sont révélés
inefficaces. Mais tous les dispositifs intégrés n’ont pas fait face aux
mêmes difficultés et il existe en leur sein un point de distinction
important : l’adossement ou non du dispositif à la Banque centrale. Cet
adossement crée une proximité de fait entre la Banque centrale et le
superviseur. Au sein des modèles intégrés, les moins résilients ont ceux
dans lesquels ce point de contact manquait.

3.2.3. L’implication micro-prudentielle des banques centrales


varie selon les pays
L’implication de la Banque centrale diffère sensiblement selon le
dispo- sitif considéré. Elle tend à occuper un rôle plus important en
matière de supervision dans les modèles sectoriels. La plupart des pays
retenant ce type de dispositif confient, en effet, la supervision des
banques à la Banque centrale et celles des assurances, des entreprises
d’investissement, des mar- chés de titres à autant d’autres autorités
spécialisées. Seuls cinq (Chine, France, HongKong, Luxembourg et
Mexique) des treize pays répertoriés par le rapport Deletré dans la
catégorie « systèmes sectoriels » confient la supervision des banques à
une autorité autre que la Banque centrale, et qui le plus souvent reste en
étroite collaboration avec cette dernière ou bien même adossée à elle.
174 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
Cet adossement du superviseur bancaire à la Banque centrale est pré-
senté par le rapport Deletré comme l’un des atouts du dispositif français.
Il est noté à cet égard que les pays disposant d’organisations différentes,
im- pliquant moins la Banque centrale, ont été « confrontés à des
difficultés dans la crise récente qui pourraient les amener à faire évoluer
leur sys- tème ». Cette réflexion vaut tout particulièrement pour les pays
dotés de dispositifs intégrés avec un superviseur unique distinct de la
Banque cen- trale, parmi lesquels l’Allemagne, le Japon et le Royaume-
Uni. En raison de la crise, ces pays se sont engagés dans une réforme
visant à rétablir la proximité entre le superviseur et la Banque centrale.
Le maintien d’une forte proximité entre surveillance prudentielle et
Banque centrale peut se justifier aisément, comme cela est fait dans le
rap- port Deletré, par la proximité culturelle et opérationnelle forte que
les ban- ques centrales ont avec le secteur bancaire. Les opérations
régulières de refinancement placent les banques centrales aux premières
loges pour ob- server les mouvements de la liquidité bancaire. Cela leur
confère une infor- mation privilégiée pour détecter une situation de
fragilité. L’intervention curative de la Banque centrale en période de crise
en tant que prêteur en dernier ressort plaide également en faveur d’un
droit de regard sur les dispo- sitions prudentielles mises en œuvre par le
superviseur. En période de crise, le manque de lien suffisamment fort entre
Banque centrale et superviseur s’est révélé critique, retardant l’intervention
de la Banque centrale. À l’inverse, la coordination étroite entre les deux
semble avoir facilité la gestion de la crise dans les pays disposant d’une
telle organisation. En France, cette proxi- mité a également facilité la
gestion de graves problèmes, tels que l’affaire Kerviel de la Société
générale. Cette proximité du superviseur avec une Ban- que centrale
indépendante le met, en outre, à l’abri des pressions politiques.
Un autre argument, plus général, est avancé par Goodhart (2000) pour
justifier la nécessité d’un lien étroit entre Banque centrale et superviseur.
La capacité de la Banque centrale à atteindre son objectif macroécono-
mique de stabilité monétaire dépend étroitement de la stabilité financière
des établissements bancaires à un niveau microéconomique, de même que
la santé et la profitabilité des établissements bancaires dépendent de la
con- joncture macroéconomique, directement influencée par l’action des
ban- ques centrales. Stabilité monétaire et stabilité financière étant liées,
les auto- rités qui en ont la charge doivent travailler en étroite
collaboration.
Au-delà d’un lien étroit entre Banque centrale et superviseur, il existe
un autre argument, en faveur de la Banque centrale pour endosser le rôle
de superviseur prudentiel. Il peut sembler assez évident, il est pourtant
décisif : pour réussir dans sa mission, le superviseur doit être l’autorité. Il
doit être craint et respecté par les supervisés. La Banque centrale jouit par
construc- tion de cette autorité. Ce n’est pas forcément le cas d’une
autorité même indépendante, a fortiori lorsqu’elle est nouvelle et doit
construire sa crédi- bilité, ou lorsqu’elle est de petite envergure et
spécialisée dans un secteur d’activité donné.
Pour autant, les modèles de supervisions organisés autour de la
Banque centrale n’ont pas été perçus comme plus résilients que les autres.
Les éco-
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 175
Extrait du questionnaire (question 3.2.3) :
Les pays où la Banque centrale est impliquée dans la supervision
prudentielle ont-ils mieux résisté à la crise ?

Oui
Non
NSPP

10%

50%

40%

100% 5%
18%

80%

27% 63%
60%

40%

55%
20%
32%

0%
Banquiers centraux Economistes

176 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


nomistes et les banquiers centraux que nous avons interrogés dans le cadre
de notre questionnaire restent partagés sur cette question : les banquiers
centraux sont, sans surprise, proportionnellement plus nombreux (55 %)
que les économistes (32 %) à estimer que ce type de modèle a aidé à
mieux traverser la crise financière. Une majorité d’économistes
considèrent, en revanche, que cela n’a pas été le cas.

3.2.4. Confier la supervision micro-prudentielle à la Banque


centrale ne présente pas que des avantages
Il existe un contre-argument bien connu à l’élargissement des missions
des banques centrales à la surveillance prudentielle : le risque de conflit
d’intérêt entre politique monétaire et politique prudentielle. Les décisions
de politique monétaire ont, en effet, un impact sur les bilans des banques.
La Banque centrale peut se retrouver en porte-à-faux, dans des situations
où la recherche de la stabilité monétaire compromet la stabilité financière
(ce peut être le cas si les craintes d’inflation soumettent à une forte hausse
du taux directeur qui fragilise les agents ayant recours à l’endettement)
ou, inversement, dans des situations où la recherche de la stabilité
financière (en intervenant, par exemple, quand la situation l’impose en
tant que prêteur en dernier ressort) compromet la stabilité monétaire (les
liquidités injec- tées par le prêteur en dernier ressort pouvant être source
de tensions infla- tionnistes). Mais il convient de remarquer que, même
dans les dispositifs de supervision qui impliquent le moins possible la
Banque centrale, celle-ci demeure en cas de crise, le sauveur ultime. Elle
peut agir par le biais d’une intervention traditionnelle en tant que prêteur
en dernier ressort ou bien, ainsi que la crise récente a permis de
l’expérimenter, par le biais de mesures non conventionnelles (extension
de la gamme des actifs éligibles aux prises en pension, allongement de la
durée des prêts, remplacement des adjudi- cations par des prêts à taux
fixe sans limite de montant, acquisition de titres obligataires…). Or, dans
ce cas, il n’y a plus de principe de séparation qui résiste longtemps entre
la mission de stabilité financière (même réduite à la gestion de la
liquidité) et la mission de stabilité monétaire. La Banque cen- trale se
trouve contrainte de mettre en avant la stabilité financière à court terme, en
indiquant que le fonctionnement normal des marchés est en péril. Elle peut
certes souligner qu’elle ne renonce pas à son objectif de stabilité des prix
à moyen terme en faveur d’un objectif de stabilité financière à très court
terme, pour preuve son souci affiché de stérilisation pour des montants
qui seront, de ce fait, limités. Il n’empêche que le conflit entre la
recherche de la stabi- lité financière et celle de la stabilité monétaire ne
peut jamais être évacué.
L’argument qui pousse à ne pas recommander que la Banque centrale
soit systématiquement le superviseur prudentiel nous semble se situer
ailleurs. L’organisation des dispositifs de supervision et, plus
précisément, la nature de l’implication de la Banque centrale, ne sont pas
neutres, en effet, quant au périmètre de la supervision. Si la Banque
centrale exerce la surveillance prudentielle, cette surveillance peut-elle
s’étendre sans diffi- culté aux assurances, aux sociétés de gestion et à
d’autres entités (SPV, SIV, courtiers, hedge funds…) qui n’étaient pas
réglementées avant la crise,
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 177
mais qui ont vocation à l’être ? On est tenté de répondre non. Le
périmètre
naturel de supervision de la Banque centrale se réduit, en effet, aux
banques. À peu d’exceptions près, ainsi que nous l’avons indiqué, les
pays dans les- quels la Banque centrale exerce une mission de
surveillance prudentielle sont ceux dotés de modèles de supervision
sectoriels, où le champ de com- pétence de la Banque centrale est
restreint aux banques. Seuls les Pays-Bas et la République tchèque font
exception : la Banque centrale exerce sa surveillance sur l’ensemble des
intermédiaires financiers et l’Autorité des marchés financiers supervise
les marchés financiers et la « conduite des affaires » dans le cadre d’un
modèle twin peaks. L’étude de Masciandaro et Freytag (2005) met en
évidence cette corrélation négative entre le degré d’unification de la
surveillance et le rôle de la Banque centrale (notion de
« central bank fragmentation effect ») : moins la Banque centrale est
impli- quée dans la supervision bancaire, plus la probabilité d’avoir un
dispositif de supervision intégré est élevée. Inversement, plus la Banque
centrale est impliquée et plus on a de chance d’avoir un dispositif de
supervision spé- cialisé, donc fragmenté. En confiant la supervision
micro-prudentielle à la Banque centrale, on risque donc de contraindre
l’organisation de la super- vision à demeurer sectorielle, alors même que
cette forme d’organisation paraît moins en phase avec la globalisation et
l’intégration observée des activités financières. Et la marge de manœuvre
qu’il convient de conserver pour l’extension du périmètre de la
supervision ne plaide pas en faveur d’une supervision confiée à la Banque
centrale.

3.2.5. Pas de solution unique mais une proximité dans tous les cas
indispensables entre Banque centrale et superviseur(s)
Les réflexions qui précèdent montrent que la Banque centrale ne
s’impose pas nécessairement partout en tant que superviseur micro-
prudentiel des banques. Vont également dans ce sens la prise en compte de
l’environnement institutionnel et politique du pays et, plus simplement
encore, de son déve- loppement économique. Ces éléments justifient que
l’organisation de la supervision puisse différer d’un pays à l’autre. Dans
quelque pays que ce soit, l’administration de la supervision n’est pas
simple à organiser. En par- ticulier, le capital humain dont elle doit se
doter est hautement spécifique. Disperser ce capital entre une Banque
centrale et plusieurs autres instances de supervision est contre-productif,
plus encore lorsque celui-ci existe en quantité limitée. Dans les pays les
moins développés, la dotation nécessaire en moyens humains et financiers,
indispensable à la qualité de la supervision mise en œuvre, plaide ainsi en
faveur d’une concentration de ces moyens au sein de la Banque centrale.
Cette contrainte ne se pose pas avec la même force dans les pays plus
richement dotés en moyens financiers et humains, sauf peut-être celle que
pose leur rémunération très inférieure à celle des supervisés.
La capacité de résistance aux lobbies financiers et aux pressions poli-
tiques constitue un autre facteur de choix de l’organisation du dispositif
de supervision ; la Banque centrale a pour elle son indépendance qui
constitue, en principe, une protection solide, tout au moins à l’égard du
pouvoir poli- tique. Elle risque, là où l’environnement institutionnel ne
permet pas l’émer- gence de contre-pouvoirs suffisants, de devenir une
institution non démo-
178 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
cratique concentrant un trop large pouvoir, sans offrir assez de transpa-
rence et donner assez d’explications sur sa démarche.
Bref, il n’existe pas de solution unique quant à l’implication de la
Banque centrale dans le dispositif de supervision. Mais il est un principe
a minima dont la crise a révélé que le non-respect était fort dommageable.
Il s’agit du maintien d’une forte proximité entre surveillance prudentielle et
Banque cen- trale. C’est d’ailleurs, comme le souligne aussi le rapport
Deletré, un principe fondamental de l’ancien dispositif français que les
réformes n’ont pas remis en question. À cet égard on peut noter qu’à la
question : « Quand la supervision micro-prudentielle ne fait pas partie du
mandat de la Banque centrale, cette dernière doit-elle être en relation
directe avec le superviseur bancaire ? », un très large consensus, se dégage
des réponses que nous avons recueillies : 100 % des banquiers centraux et
95 % des économistes répondent par l’affirmative.

3.2.6. Les « instruments » de la proximité entre Banque centrale


et superviseur(s)
Reste à organiser ce lien fort entre Banque centrale et superviseurs. La
concertation périodique est une condition nécessaire, mais non suffisante,
de cette proximité. La construction et la mise à disposition d’un réseau
d’informations commun, communiquant tout un ensemble d’indicateurs
de l’activité bancaire et financière constitueraient une base plus
prometteuse. Aux États-Unis, la création de l’Office of Financial
Research prévue par la loi Dodd-Frank devrait ainsi permettre la
constitution d’une telle base de données, que les établissements bancaires
et financiers auront l’obligation de renseigner. Ces données pourront être
utilisées par les autorités moné- taires et financières, mais aussi par le
gouvernement, voire les citoyens. L’objectif est, en effet, avec la création
de cette nouvelle instance, de promou- voir une large diffusion des
informations financières et de les rendre acces- sibles au-delà des
autorités directement en charge de la stabilité financière. En d’autres
termes, la finalité non dissimulée est d’établir un contre-pou- voir par
rapport à la Fed. Le projet américain est vaste et ambitieux et porté par
l’idée que la transparence aidera à promouvoir la stabilité financière.
Il n’existe pas à ce jour de projet similaire en Europe. Sans aller
jusqu’à recommander une base de données ouverte à tous (la transparence
pouvant susciter des effets de sur-réaction amplificateurs de tensions,
notamment dans une région aussi complexe que la zone euro), une base
de données commune à l’ensemble des autorités impliquées dans la
stabilité financière constituerait, selon nous, une avancée majeure.
Plus largement, le partage d’informations devrait constituer l’assise
prin- cipale de cette proximité requise entre banques centrales et
superviseurs. L’avantage informationnel dont disposent les banques
centrales à l’égard de la position de liquidité des banques est souvent mis
en avant pour justi- fier de confier la supervision micro-prudentielle aux
banques centrales. Comme cela a été montré plus haut, il n’existe pas que
des avantages à confier la supervision micro-prudentielle à la Banque
centrale. Cependant, cet avantage informationnel est essentiel et devrait à
ce titre être partagé par les banques centrales avec les superviseurs.
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 179
Extrait du questionnaire (question 3.2.2) :
Quand la supervision micro-prudentielle ne fait pas partie
du mandat de la Banque centrale, cette dernière doit-elle être
en relation directe avec le superviseur bancaire ?

Oui

NSPP

97%

3%

100%
5%
90%

80%

70%

60%

50% 100% 95%


40%

30%

20%

10%

0%
Banquiers centraux Economistes

180 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


D’autres dispositions sont envisageables pour renforcer la proximité entre
banques centrales et superviseurs, comme la présence d’une tierce
autorité, représentante des intérêts des consommateurs de services
financiers (voire d’une association représentant ces mêmes intérêts) à des
comités de pilo- tage des banques centrales et/ou des superviseurs. L’idée
étant de soumet- tre les autorités en charge de la stabilité financière à la
présence d’un obser- vateur. Pourrait aussi être envisagée la présence
croisée d’un représentant de la Banque centrale dans le comité de pilotage
du superviseur bancaire et réciproquement dans le comité de pilotage de
la Banque centrale. Quoi qu’il en soit, des dispositions institutionnelles
seront nécessaires pour con- crétiser cette proximité nécessaire entre
banques centrales et superviseurs.
La nécessité de ces dispositions peut également être invoquée pour
cons- tituer une juste contrepartie à l’indépendance des banques centrales.
En charge de missions élargies et incontestablement plus complexes, elles
de- vront à l’avenir, pour préserver et légitimer leur indépendance, rendre
da- vantage de comptes, développer une culture de la coopération et du
partage d’informations, et accepter la mise en place de contre-pouvoirs,
incluant notamment les parlements et la société civile.

4. À qui confier la protection des consommateurs ?


Le rapport Deletré (2009) a insisté sur la nécessité de conserver de
l’ancien dispositif français de supervision la séparation qui prévalait entre
contrôle prudentiel et supervision des marchés financiers. Le but étant de
s’assurer que ce qui a trait au contrôle de la protection des consommateurs
de services finan- ciers et des obligations professionnelles qui s’y rapportent
demeure un objectif de même ordre que le contrôle prudentiel des
intermédiaires financiers. Ainsi, l’Autorité de contrôle prudentiel (issue de la
fusion entre Commission bancaire et l’Autorité de contrôle des assurances et
des mutuelles – ACAM) aura pour mission de veiller à la solidité et à la
solvabilité des institutions financières dans tous les secteurs. L’Autorité des
marchés financiers exercera, au-delà de ses compétences actuelles en matière
de surveillance des marchés financiers et de protection de l’épargne, le
contrôle du respect des obligations profession- nelles à l’égard de la clientèle
des services financiers pour l’ensemble du sec- teur financier. Au final, c’est
donc vers un système par objectifs (ou twin peaks) que la France aurait
intérêt à évoluer d’après le rapport Deletré.
Plus généralement, la crise a montré la nécessité de faire de la protection
des consommateurs de services financiers une mission à part entière qui ne
soit plus reléguée au second plan par les institutions qui en ont la charge.
Cette mission serait donc d’autant mieux remplie que l’institution qui en a la
charge puisse entièrement s’y consacrer. De plus, cette mission requiert une
culture du « client » que les banques centrales n’ont pas. Pour ces deux
raisons, la Banque centrale n’a pas vocation à endosser la mission de
protection des consommateurs de services financiers, même si, bien entendu,
son action y contribue fondamentalement.
Preuve que les choix institutionnels sont variés, aux États-Unis, le
Bureau de protection des consommateurs, créé dans le cadre de la réforme
Dodd-Frank, sera hébergé par la Fed mais dirigé par une personnalité
désignée par le Prési- dent américain.
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 181
Conclusion
Au final, la leçon majeure de la crise est celle d’un nécessaire rééquili-
brage des missions des banques centrales, la stabilité financière devant
être aussi importante que la stabilité monétaire. Ce rééquilibrage implique
que la Banque centrale dispose de plus de moyens humains et techniques
pour mener à bien cette mission qui est, elle aussi, très complexe. Ce
renfor- cement est indispensable, pour que des questions de compétences
techniques ne réduisent ses capacités d’analyse par rapport à l’industrie
et, in fine, son indépendance. Bien sûr, ce rééquilibrage des missions
implique que des travaux soient faits pour mesurer et suivre cette stabilité
(n’oublions pas les difficultés qui demeurent sur les questions de
définition et de mesure de la stabilité financière, bien au-delà d’une
simple règle). Il implique aussi, à la fois, une logique de proximité,
d’échange d’informations au niveau des agents financiers, la Banque
centrale étudiant, par ailleurs, dans leur en- semble, la formation et la
dynamique des agrégats de crédit.
Ce rééquilibrage des missions, ne nous le cachons pas, va rendre plus
complexe l’action des banques centrales en leur posant des problèmes
nou- veaux de coordination au sein des économies et entre économies. Il
appa- raîtra sans doute de plus en plus important que les banques,
centrales s’ex- priment sur ce qui freine leurs missions, tant à l’intérieur
qu’à l’extérieur et fassent des propositions générales dans ce sens. Leur
structure interne va devenir plus lourde, celle de la BCE n’échappant pas
à cette difficulté. Le succès de leurs missions passe ainsi, sans doute, par
des méthodes nouvelles de management interne et de communication, où il
s’agira, de mieux en mieux, de savoir d’abord ce qui se passe dans le
financement des économies, de mieux en mieux l’exprimer, l’expliquer et
en convaincre les décideurs et le public. La culture de la stabilité est bien
sûr historique et sociale, elle vient d’une adhésion générale aux règles qui
stabilisent la croissance écono- mique. Les crises récentes, et les
difficultés de l’Europe montrent assez le prix qu’il faut payer pour ne pas
les avoir comprises ou acceptées.
Enfin, l’élargissement du rôle et des pouvoirs des banques centrales
implique que, pour préserver et légitimer leur indépendance, elles devront
rendre davantage de comptes sur leur action et leurs décisions, et
dévelop- per une culture plus grande de la coopération avec l’ensemble
des autorités prudentielles, politiques et des représentants des usagers et
de la société civile. C’est, au fond, la « mission des missions » des
banques centrales de développer partout cette culture de la stabilité, de
l’expliquer, de la défendre, et de la faire partager.

182 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


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BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 187


Annexe

Questionnaire
Banques centrales et stabilité financière(*)

1. Motivation et objectifs
Les travaux d’enquête sont devenus fréquents au sein des banques
cen- trales. La Réserve fédérale américiane (Fed) depuis longtemps, la
Banque centrale européenne (BCE), la Banque d’Angleterre, la Banque
du Japon ou encore la Banque du Canada(1) depuis les années 2000 y ont
recours pour sonder, par exemple, les conditions du crédit. Les résultats
que les banques centrales obtiennent ainsi et qu’elles publient jouent un
rôle plus ou moins important dans la conduite de la politique monétaire,
mais témoignent quoi qu’il en soit du rôle croissant de ces données pour
évaluer les conditions monétaires et financières. En 1998, en préparation
du sixième colloque annuel des gouverneurs des banques centrales
qu’elle était chargée d’orga- niser pour 1999, la Banque d’Angleterre
avait commandé un travail d’en- quête réalisé par Lavan Mahadeva et
Gabriel Sterne. L’objectif était de sonder plus d’une centaine de
banquiers centraux à propos de l’évolution des stratégies de politique
monétaire dans le contexte de la globalisation et de discuter les résultats
obtenus lors de leur rencontre annuelle. Cette en- quête, dont la méthode
et les résultats sont présentés en détail dans le rap- port auquel a donné
lieu cette conférence « Monetary Frameworks in a Global Context »(2),
nous a inspirés dans le cadre de notre questionnaire.

(*) Cette annexe a été réalisée grâce à la collaboration active et efficace de Marc Pourroy
(doctorant à l’Université de Paris I), au cours d’un stage au CAE entièrement consacré à
l’exploitation des réponses au questionnaire. Les auteurs tiennent à lui exprimer leurs vifs
remerciements.
(1) Voir, par exemple, la note d’information sur les questions de l’enquête sur les perspec-
tives des entreprises concernant la croissance passée des ventes et les conditions du crédit,
14 janvier 2008, dans le site web de la Banque, à l’adresse http://www.banqueducanada.ca/fr/bos/
2008/hiver/bos_doc0108.pdf

(2) Disponible à l’adresse suivante : http://www.bankofengland.co.uk/education/ccbs/publications/


mpfagc.htm

BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 189


Pour éclairer les questions posées dans ce rapport et cerner les opinions
qu’elles suscitent, il nous a semblé particulièrement intéressant de cons-
truire un questionnaire et de le soumettre à deux catégories de répondants
spécialistes de ces questions : les « praticiens » aux commandes du
central banking et les « théoriciens » (économistes universitaires et
économistes de banques) qui réfléchissent à ces questions.

2. Destinataires
Le questionnaire a été adressé à environ 200 destinataires,
économistes de tous pays reconnus pour leurs travaux consacrés à la
politique monétaire et/ou à la stabilité financière, banques centrales et
autorités de supervision. Le taux de réponse que nous avons obtenu est
d’environ 25 %, ce qui n’est pas élevé dans l’absolu mais habituel pour ce
type de questionnaire. Alors que trois catégories de participants étaient
envisagées au départ (banquiers centraux, superviseurs prudentiels
indépendants de la Banque centrale, éco- nomistes), nous avons dû
exclure la catégorie « superviseurs prudentiels indépendants de la Banque
centrale » en raison d’un nombre de réponses insuffisant pour constituer
une catégorie représentative.

Répartition des participants


Ensemble Banquiers centraux Économistes
Nombre % Nombre % Nombre %
Allemagne 1 2 1 7 0 0
Australie 2 4 1 7 1 3
Canada 1 2 0 0 1 3
Chine 1 2 1 7 0 0
Corée 1 2 1 7 0 0
États-Unis 10 22 0 0 10 32
France 13 28 1 7 12 39
Inde 1 2 1 7 0 0
Israël 1 2 0 0 1 3
Italie 2 4 1 7 1 3
Japon 2 4 2 13 0 0
Mexique 2 4 1 7 1 3
Rép. tchèque 1 2 1 7 0 0
Royaume-Uni 5 11 1 7 4 13
Suède 1 2 1 7 0 0
Turquie 1 2 1 7 0 0
Zone euro 1 2 1 7 0 0
Total 46 100 15 100 31 100

Note : Les totaux des colonnes (%) ne font pas exactement 100, en raison des arrondis.

Nos 46 participants se répartissent donc en deux catégories, banquiers


centraux (15) et économistes (31), dans 16 pays (plus la « zone euro »
représentée par la BCE). La France, les États-Unis et le Royaume-Uni ap-
portent 28 des 46 réponses. Les banquiers centraux sont naturellement
bien
190 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
répartis entre les 16 pays : généralement une personne a répondu au nom de
l’institution, exceptionnellement deux au Japon. Les économistes français
(12), américains (10) et britanniques (4) sont les plus représentés parmi
les parti- cipants.
Il nous a semblé utile de préciser la répartition des répondants en
fonction du modèle de supervision de leur pays d’appartenance. Les trois
modèles types de supervision (modèle sectoriel, modèle intégré, modèle
twin peaks, cf. lecture 2, section 3 du rapport) impliquent plus ou moins
la Banque centrale. Or un certain nombre de nos questions portent
spécifiquement sur la séparation entre politique monétaire et politique
prudentielle et sur l’im- plication de la Banque centrale dans la
supervision. Et le degré d’impli- cation de la banque centrale dans la
supervision prudentielle du pays d’appar- tenance est de nature à
influencer la réponse à ces questions.
19 de nos répondants appartiennent à un pays dans lequel la Banque
centrale est impliquée directement ou indirectement dans la supervision
(dispositifs 1, 3 et 4), 14 à un pays dont le dispositif de supervision
n’impli- que pas la Banque centrale (dispositifs 2 et 5). La catégorie
« autre » (10 répondants) correspond au modèle de supervision
américain, inclas- sable dans les catégories « modèle sectoriel » ou «
modèle intégré ». Le dispositif américain fait intervenir un grand nombre
d’autorités dont la Banque centrale.
Parmi les banquiers centraux participants, 57 % ne sont pas impliqués
dans la supervision prudentielle, 36 % sont impliqués directement ou
indi- rectement, et enfin 7 % sont dans un pays dont la supervision repose
sur un modèle twin peaks. Parmi les économistes qui nous ont répondu,
45 % sont dans un pays dont le dispositif prudentiel implique la
Banque centrale, 19 % dans un pays dont le dispositif prudentiel
n’implique pas la Banque centrale, et 32 % aux États-Unis où la Banque
centrale intervient parmi d’autres autorités dans la supervision.

3. Contenu et synthèse des résultats


Le questionnaire a été organisé en six grandes parties permettant
d’aborder les différentes dimensions (organisationnelle, instrumentale,
stratégique, soubassement théorique…) du central banking :
• avant crise/Grande modération et instabilité financière : les
questions de la première partie portent sur le contexte macroéconomique
dans lequel s’opérait la politique monétaire avant la crise et les
déséquilibres financiers que ce contexte a pu susciter ;
• design institutionnel du central banking : cette deuxième partie s’in-
téresse au cadre institutionnel du et tente de cerner les évolutions provo-
quées par la crise (opportunité des réformes, remise en cause du principe
de séparation…) ;
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 191
192
CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE

Répartition des participants selon le modèle de supervision de leur pays


d’appartenance

Ensemble Banquiers centraux Économistes


Nombre % Nombre % Nombre %
Système intégré avec la Banque centrale superviseur [1] 1 2 1 7 0 0
Système intégré avec un superviseur unique distinct de la Banque centrale [2] 11 24 6 43 5 16
Système sectoriel avec la Banque centrale superviseur bancaire [3] 5 11 3 21 2 6
Système sectoriel avec superviseur bancaire différent mais proche de la Banque centrale [4] 13 29 1 7 12 39
Système sectoriel avec superviseur bancaire sans lien avec la Banque centrale [5] 3 7 2 14 1 3
Système twin peaks [6] 2 4 1 7 1 3
Autre [7] 10 22 0 0 10 32
Total 45 100 14 100 31 100
Implication directe ou indirecte de la Banque centrale dans la supervision [1] + [3] + [4] 19 42 5 35 14 45
Supervision n'impliquant pas la Banque centrale [2] + (5] 14 31 8 57 6 19
• stabilité financière : les questions de la troisième partie sont relatives
à l’implication des banques centrales en matière de stabilité financière et
aux évolutions attendues en ce domaine ;
• politique monétaire (canaux de transmission/stratégie/instruments) :
la quatrième partie rentre dans les arcannes de la politique monétaire et
soumet aux participants les principales propositions qui ont animé les dé-
bats récents (relèvement de la cible d’inflation, ciblage d’inflation ou
ciblage du niveau général des prix, seuil zéro du taux d’intérêt…) ;
• dimension internationale : la cinquième partie traite des problèmes
de coordination à l’échelle internationale entre les grandes banques
centrales ;
• sciences économiques/science et art du central banking : la sixième
partie clôt sur les soubassements théoriques du central banking et
interroge sur ce que peut encore apporter la science économique à cet art
de plus en plus difficile qu’est le central banking.
Ces six parties posent en tout cinquante-cinq questions. Le tableau
suivant les récapitule en indiquant la répartition des réponses obtenues.

BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 193


194
CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE

Tableau de synthèse (réponses en


%)

Économistes
Banquiers
centraux
Tous
1. Grande modération et instabilité financière
1.1. La Grande modération est-elle due à l'amélioration de la conduite  Uniquement à la politique monétaire 7 14 3
de la politique monétaire ? À des facteurs structurels ?  Uniquement aux facteurs structurels 14 21 10
Ni l'un ni l'autre, la Grande modération était une illusion ?  Les deux 65 57 69
 Une illusion 12 7 14
 NSPP 2 0 3
Participation 43 14 29
Nombre de citations : Le hasard 6 4 2
1.2. La Grande modération a-t-elle conduit à sous-estimer les risques ?  Oui 91 91 91
 Non 9 9 9
 NSPP 0 0 0
Participation 33 11 22
1.3. La Grande modération a-t-elle pris fin ?  Oui 56 54 57
 Non 39 38 39
 NSPP 6 8 4
Participation 36 13 23
1.4. Entrons-nous dans une ère de plus forte instabilité financière ?  Oui 60 38 70
 Non 38 54 30
 NSPP 3 8 0
Participation 40 13 27
1.5. Le bas niveau des taux d'intérêt a-t-il favorisé la formation  Oui 87 85 88
de la bulle immobilière et, par la suite, son explosion ?  Non 13 15 12
 NSPP 0 0 0
Participation 38 13 25
Lecture : NSPP = ne se prononce pas.
2. Design institutionnel du central banking
2.1. Est-ce que la crise a changé à la fois les objectifs et les instruments  Oui 92 92 91
des banques centrales ?  Non 8 8 9
 NSPP 0 0 0
Participation 36 13 23
2.2. L'objectif de stabilité des prix doit-il être complété par un objectif Oui 78 86 73
de stabilité financière ?  Non 20 14 23
 NSPP 3 0 4
Participation 40 14 26
2.3. Pensez-vous que la capacité des banques centrales à assurer  Oui 83 92 78
la stabilité des prix tout en apportant leur soutien à la croissance  Non 17 8 22
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE

économique nécessite une forte indépendance ?  NSPP 0 0 0


Participation 36 13 23
Pensez-vous que cette indépendance soit aussi importante  Oui 79 85 75
pour les banques centrales ayant un objectif de stabilité financière ?  Non 18 8 25
 NSPP 3 8 0
Participation 33 13 20
Nombre de citations :
Besoin d'indépendance vis-à-vis des marchés 6 0 6
2.4. L'autorité monétaire et le superviseur prudentiel doivent-ils être  Séparation 28 31 27
séparés ou, au contraire, leur coopération est-elle génératrice  Coopération 64 54 69
de synergies ?  NSPP 8 15 4
Participation 39 13 26
195
196
CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE

Économistes
Banquiers
centraux
Tous
3. Stabilité financière
3.1. L’objectif de stabilité financière
3.1.1. Pensez-vous que l'objectif de stabilité financière relève de la  Des deux 61 64 59
supervision prudentielle uniquement, ou à la fois de la supervision  Uniquement de la supervision prudentielle 37 36 37
prudentielle et de la politique monétaire ?  NSPP 2 0 4
Participation 41 14 27
3.1.2. Les mesures à prendre pour stabiliser les marchés financiers sont-  Principalement des mesures de supervision 18 4 14
elles principalement des mesures de supervision prudentielle ? Ou prudentielle
principalement des mesures de politique monétaire ? Les deux à la fois ?  Principalement des mesures de pol. monétaire 9 2 7
Doivent-elles être coordonnées ?  Les deux 20 9 11
 Être coordonnées 10 4 6
 NSPP 7 1 6
Participation 39 13 26
3.2. Banques centrales et supervision micro-prudentielle
3.2.1. Afin d'assurer la stabilité financière, la Banque centrale doit-elle  Oui 64 62 66
aller au-delà de la gestion de la liquidité (au jour le jour et comme  Non 29 31 28
prêteur en dernier ressort) et être impliquée dans la supervision micro-  NSPP 7 8 7
prudentielle des banques ? Participation 42 13 29
3.2.2. Quand la supervision micro-prudentielle ne fait pas partie du  Oui 97 100 95
mandat de la Banque centrale, cette dernière doit-elle être en relation  Non 0 0 0
directe avec le superviseur bancaire ?  NSPP 3 0 5
Participation 33 11 22
Si oui, comment ? Solutions citées :
 Réunions périodiques 7 2 5
 Gouvernance jointe 6 3 3
 Bases de données partagées 3 1 2
 Coopération scientifique (séminaires 2 0 2
et recherches en commun)
 Avis consultatif de la Banque centrale 1 0 1
 Partage d'information 9 8 1
 Autres propositions 5 2 3
3.2.3. Les pays où la Banque centrale est impliquée dans la supervision  Oui 40 55 32
prudentielle ont-ils mieux résisté à la crise ?  Non 50 27 63
 NSPP 10 18 5
Participation 30 11 19
3.3. Banques centrales et supervision macro-prudentielle
3.3.1. La Banque centrale doit-elle jouer un rôle important  Oui 88 86 89
dans la supervision macro-prudentielle ?  Non 7 0 11
 NSPP 5 14 0
Participation 41 14 27
3.3.2. Si oui, êtes-vous favorable à un Conseil du risque systémique,  Oui 70 60 75
présidé par la Banque centrale européenne, pour la zone euro,  Non 23 20 25
comme décrit dans le rapport Larosière ?  NSPP 7 20 0
Participation 30 10 20
3.4. Articulation micro-/macro-prudentiel
3.4.1. Les « stress tests » bancaires sont-ils la méthode la plus  La meilleure solution 29 38 24
appropriée pour faire converger les perspectives macro- et micro-  Une assez bonne solution 59 54 62
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE

prudentielles ?  Une mauvaise solution 9 8 10


 NSPP 3 0 5
Participation 34 13 21
3.4.2. La supervision macro-prudentielle et la supervision micro-  Séparation entre micro- et macro-prudentiel 45 42 46
prudentielle doivent-elles être confiées à des agences distinctes ?  Pas de séparation, une seule agence 38 33 39
 NSPP 18 25 14
Participation 40 12 28
3.5. Risque systémique, aléa moral, « too big to fail »
3.5.1. Pour assurer à la fois la stabilité monétaire et la stabilité  Oui 55 54 56
financière, les banques centrales ont-elles besoin de plus de pouvoirs ?  Non 32 31 32
 NSPP 13 15 12
Participation 38 13 25
De tels pouvoirs peuvent-ils avoir un impact négatif sur la conduite  Oui 53 62 48
de la politique monétaire ?  Non 39 31 43
 NSPP 8 8 9
Participation 36 13 23
197
198

Économistes
CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE

Banquiers
centraux
Tous
3.5.2. Si les banques centrales sont appelées à jouer un rôle clef  Oui 81 86 77
dans la gestion du risque systémique, pensez-vous qu'elles doivent  Non 19 14 23
également mener une surveillance plus poussée des institutions  NSPP 0 0 0
systémiques ? Participation 36 14 22
3.5.3. Inversement, les banques centrales ont-elles créé de l'aléa moral  Oui 52 38 60
en portant une trop grande attention aux institutions systémiques ?  Non 48 62 40
 NSPP 0 0 0
Participation 33 13 20
3.5.4. Les gouvernements doivent-ils jouer un rôle central  Oui 77 77 77
dans la résolution des crises ?  Non 23 23 23
 NSPP 0 0 0
Participation 35 13 22
Si oui, comment ? Solutions citées :
 Mettre en faillite les entreprises dont le capital 12 4 8
est devenu trop faible
 Remplacer les gestionnaires 8 2 6
 Nettoyer les bilans 6 2 4
 Exiger des actionnaires d'assumer les pertes 10 3 7
 Les gouvernements doivent conseiller, 2 0 2
ne pas prendre les manettes directement
3.6. Le cas européen
3.6.1. Est-ce que le « risque systémique » révélé par la crise financière  Oui 83 70 89
souligne le besoin d'une nouvelle approche de la supervision  Non 14 20 11
en Europe ?  NSPP 3 10 0
Participation 29 10 19
3.6.2 Est-ce une bonne chose d'avoir doté la Banque centrale  Oui 77 73 80
européenne de prérogatives macro-prudentielles ?  Non 6 0 10
 NSPP 16 27 10
Participation 31 11 20
3.6.3. Le nouveau système européen (une entité en charge du risque  Oui 41 40 41
systémique et trois autres régulateurs pour la banque, l'assurance,  Non 50 50 50
et les titres, pour examiner le risque individuel) est-il une bonne  NSPP 9 10 9
solution ? Participation 32 10 22
4. Politique monétaire : canaux de transmission/statégie/instruments
4.1. Canaux de transmission
4.1.1. L'engagement des banques centrales à assurer la stabilité des prix  Oui 95 93 96
à moyen terme est-elle un déterminant important de la confiance ?  Non 5 7 4
 NSPP 0 0 0
Participation 37 14 23
Doit-on envisager de modifier la définition quantitative de la stabilité  Oui 32 14 45
des prix ?  Non 68 86 55
 NSPP 0 0 0
Participation 34 14 20
4.1.2. La politique monétaire et le risque pris par les intermédiaires  Oui 59 54 63
financiers sont liés : il s'agit du « risque taking chanel » (RTC). Ce canal  Non 28 38 21
du risque est-il devenu l'un des principaux canaux de transmission  NSPP 13 8 16
de la politique monétaire ? Participation 32 13 19
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE

4.2. Stratégie
4.2.1. Suite à la crise, les stratégies de ciblage d'inflation, la stratégie  Oui 56 8 79
de la Banque centrale européenne et celle de la Fed doivent-elles être  Non 42 83 21
révisées ?  NSPP 3 8 0
Participation 36 12 24
Si oui, comment ? Solutions citées :
 Cibler le prix des actifs 9 0 9
 Cibler le prix des actifs immobiliers 5 1 4
 Ciblage plus souple, prendre en compte 3 0 3
la production
 Cible d'inflation plus élevée (proposition 3 0 3
Blanchard d'une cible à 4 %)
 Prendre en compte la croissance du crédit 3 0 3
 Assurer la solvabilité des États 1 0 1
 Prise en compte des déséquilibres au niveau 1 0 1
national et mondial
199
200
CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE

Économistes
Banquiers
centraux
Tous
4.2.2. Le ciblage du niveau des prix est-il préférable au ciblage  Oui 19 0 29
de l'inflation ?  Non 65 85 54
 NSPP 16 15 17
Participation 37 13 24
4.3. « Plancher zéro » des taux d’intérêt et stratégies de sortie de crise
4.3.1. Les politiques monétaires non conventionnelles ont-elles résolu  Oui 49 29 62
le problème du plancher zéro des taux d'intérêt ?  Non 31 43 24
 NSPP 20 29 14
Participation 35 14 21
4.3.2. Le bas niveau des taux d'intérêt contribue-t-il à une croissance  Oui 63 54 68
excessive du prix de certaines classes d'actifs ?  Non 34 38 32
 NSPP 0 0 0
Participation 35 13 22
4.3.3. Les politiques non conventionnelles font-elles courir un risque  Oui 37 50 31
à moyen-long terme sur la stabilité des prix à la consommation ?  Non 58 42 65
 NSPP 5 8 4
Participation 38 12 26
Les politiques non conventionnelles font-elles courir un risque  Oui 34 50 27
à moyen-long terme sur la stabilité des prix d'actifs ?  Non 63 50 68
 NSPP 3 0 5
Participation 32 10 22
4.3.4. Une augmentation temporaire de la cible d'inflation facilite-t-elle  Oui 29 8 39
les sorties de crise ?  Non 63 83 52
 NSPP 9 8 9
Participation 35 12 23
4.4. Bulles de prix d’actifs, cycle du crédit, nouveaux instruments
4.4.1. Les taux directeurs doivent-ils réagir aux bulles de crédit et  Oui 63 77 57
d'actifs ?  Non 34 23 39
 NSPP 2 0 4
Participation 41 13 28
Nombre de citations : 5 2 3
 Le taux directeur est un instrument inapproprié
(a blunt tool)
4.4.2. La Banque centrale doit-elle choisir le plus bas taux d'intérêt  Choisir le plus bas taux d'intérêt 55 80 42
compatible avec son objectif de stabilité des prix ? Ou choisir un taux  Non 45 20 58
plus élevé en cas de bulle ? Ou choisir un autre instrument ?  NSPP 0 0 0
Participation 29 10 19
 Choisir, un taux plus élevé en cas de bulle 57 80 44
 Non 39 10 56
 NSPP 4 10 0
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE

Participation 28 10 18
Nombre de citations :
 Oui aux deux (!) 6 6 0
 D'autres instruments 11 3 8
– mesures réglementaires 4 1 3
4.4.3. La politique monétaire peut-elle contrer les cycles du crédit ?  Oui 67 50 75
D'autres instruments sont-ils plus efficaces ?  Non 33 50 25
 NSPP 0 0 0
Participation 30 10 20
D'autres instruments sont-ils plus efficaces que la politique monétaire  Oui 61 75 53
pour contrer les cycles du crédit ?  Non 35 25 40
 NSPP 4 0 7
Participation 23 8 15
Nombre de citations : 5 4 1
 Politique monétaire accompagnée par des
mesures réglementaires
201
202
CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE

Économistes
Banquiers
centraux
Tous
5. Dimension internationale
5.1. Les politiques monétaires vont-elles devenir plus hétérogènes  Oui 49 42 52
d'un pays à l'autre ?  Non 49 58 44
 NSPP 3 0 4
Participation 37 12 25
Faut-il craindre des problèmes d'incohérence entre les stratégies  Oui 41 17 52
nationales de politique monétaire ?  Non 57 83 44
 NSPP 3 0 4
Participation 37 12 25
Faut-il craindre un désordre monétaire ?  Oui 42 17 54
 Non 53 75 42
 NSPP 5 8 4
Participation 38 12 26
5.2. Les principales banques centrales doivent-elles prendre en compte  Oui 69 82 62
l'impact de leurs politiques sur la liquidité mondiale ?  Non 25 18 29
 NSPP 6 0 10
Participation 32 11 21
5.3. Dans quelles circonstances l'intervention coordonnée des banques  Jamais 22 22 22
centrales sur le marché des changes est-elle souhaitable ?  Régulièrement 11 0 17
 En cas de circonstances exceptionnelles 67 78 61
(volatilité extrême, bulle, crise…)
Participation 27 9 18
Nombre de citations :
 Seulement en cas de consensus 3 1 2
5.4. Faut-il coordonner les interventions des banques centrales contre  Oui, une action coordonnée est plus efficace 56 50 60
les bulles financières (en supposant une tendance commune des prix et moins coûteuse
d'actifs) ?  Non, pas nécessairement 34 42 30
 NSPP 9 8 10
Participation 32 12 20
5.5. Faut-il coordonner les interventions des banques centrales  Oui 84 92 80
en tant que prêteur en dernier ressort ?  Non 16 8 20
Participation 32 12 20
Nombre de citations :
 Obstacles politiques 5 0 5
 Obstacles institutionnels 3 0 3
6. Science économique/Science et art du central banking

6.1. Macroéconomie
6.1.1. Partagez-vous le point de vue suivant de Paul Volcker :  D'accord 31 17 40
« I’m not aware of any large contribution that economic science  Pas d'accord 69 83 60
has made to central banking in the last 50 years or so » ?  NSPP 0 0 0
Participation 32 12 20
6.1.2. La crise financière signe-t-elle l'échec de la macroéconomie  Oui 36 0 55
moderne ?  Non 61 100 41
 NSPP 3 0 5
Participation 33 11 22
La crise économique est-elle aussi celle de la théorie économique ?  Oui 34 0 56
 Non 66 100 44
 NSPP 0 0 0
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE

Participation 29 11 18
6.2. DGSE et modèles économiques
6.2.1. Les modèles DSGE (Dynamic Stochastic General Equilibrium)  Oui 45 18 59
utilisés par les banques centrales et les économistes ont-ils des défauts  Non, ils sont utiles 52 82 36
tels qu'il faudrait les rejeter ?  NSPP 3 0 5
Participation 33 11 22
6.2.2. Les modèles de prévision utilisés par les banques  Oui, inutiles 31 17 38
centrales sont-ils inutiles du fait de leur incapacité à prendre en  Non, utiles 64 75 58
compte  NSPP 6 8 4
les crises financières et les bulles ? Participation 36 12 24
Les banques centrales doivent-elles accompagner leurs modèles  Oui 89 92 87
de prévision d'une analyse des conditions monétaires et financières ?  Non 6 0 9
 NSPP 6 8 4
Participation 35 12 23
203
204
CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE

Économistes
Banquiers
centraux
Tous
6.3. Anticipations rationnelles/efficience des marchés
6.3.1. L'hypothèse des « animal spirits » doit-elle remplacer  Oui 33 18 41
celle des anticipations rationnelles ?  Non 55 55 55
 NSPP 12 27 5
Participation 33 11 22
6.3.2. Doit-on rejeter le paradigme de l'efficience des marchés ?  Oui 48 40 52
 Non, en dépit de ses limites 48 50 48
 NSPP 3 10 0
Participation 31 10 21
6.4. Art vs science de la politique monétaire
6.4.2. La conduite de la politique monétaire à venir relèvera-t-elle  Un art 50 30 60
davantage de l'art ou de la science ?  Une science 3 0 5
 Un art épaulé par la science 47 70 35
 NSPP 0 0 0
Participation 30 10 20
4. Présentation graphique des réponses

1. Avant crise/Grande modération et instabilité financière..................206


2. Design institutionnel du central banking..........................................211
3. Stabilité financière............................................................................216
3.1. L’objectif de stabilité financière...............................................216
3.2. Banque centrales et supervision micro-prudentielle.................217
3.3. Banques centrales et supervision macro-prudentielle...............218
3.4. Articulation micro/macro- prudentiel.......................................222
3.5. Risque systémique, aléa moral, « too big to fail »....................225
3.6. Le cas européen.........................................................................230
4. Politique monétaire : canaux de transmission/stratégie/instruments. .233
4.1. Canaux de transmissions...........................................................233
4.2. Stratégie....................................................................................236
4.3. « Plancher 0 » des taux d’intérêt et stratégies
de sortie de crise........................................................................238
4.4. Bulles de prix d’actifs, cycles du crédit,
nouveaux instruments...............................................................243
5. Dimension internationale..................................................................247
6. Science économique/science et art du central banking.....................254
6.1. Macroéconomie.........................................................................254
6.2. DGSE et modèles économiques................................................257
6.3. Anticipations rationnelles/efficience des marchés....................260
6.4. Art vs science de la politique monétaire...................................262

BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 205


1. Avant crise/Grande modération et instabilité financière

1.1.La Grande modération est-elle due à l’amélioration


de la conduite de la politique monétaire ? À des facteurs structurels ?
Ni l’un ni l’autre, la Grande modération était une illusion?

Les deux
14%
Uniquement la politique monétaire
Uniquement les facteurs structurels
Une illusion 7%
NSPP

2%

12% 65%

100%
7% 3%
14%
80% 21%
10%
3%
14%
60%

40%

57% 69%
20%

0%
Banquiers centraux Economistes

Pour la majorité des participants, les causes de la Grande modération sont


multiples. 69 % des économistes et 57 % des banquiers centraux répondent
qu’elle est due à la fois à la politique monétaire et à des facteurs structurels
(mondialisation, essor des grands émergents). 14 % des banquiers centraux
contre 3 % des économistes attri- buent entièrement la Grande modération à la
politique monétaire. Pour 14 % des économistes contre 7 % des banquiers
centraux, il s’agissait juste d’une illusion.
parti
206 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
1.2. La Grande modération a-t-elle conduit à sous-estimer les risques ?

9%
Oui
Non

91%

100%
9% 9%

80%

60%

91% 91%
40%

20%

0%
Banquiers centraux
Economistes

Pour 91 % des participants, en proportion identique chez les économistes et chez


les banquiers centraux, la Grande modération a conduit à sous-estimer les
risques. On retrouve ici le paradoxe de la tranquillité développé par Hyman
Minsky dans les années 1970-1980 (voir rapport lecture 2).

pants BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ 207


FINANCIÈRE
1.3. La Grande modération a-t-elle pris fin ?

6%
Oui
Non
NSPP

55%
39%

100%
8% 4%

80%
38% 39%

60%

40%

54% 57%
20%

0%
Banquiers centraux Economistes

Pour plus de la moitié des participants (54 % des banquiers centraux et 57 % des
économistes), cette Grande modération a pris fin.

208 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


1.4. Entrons-nous dans une ère de plus forte instabilité financière ?

3%
Oui
Non
NSPP

38%
59%

100%
8%

30%
80%

54%
60%

40%
70%

20% 38%

0%
Banquiers centraux Economistes

Les banquiers centraux et les économistes se différencient nettement dans leurs réponses. Les
banquiers centraux se révélent beaucoup plus optimistes que les éco- nomistes et ne sont que 38 %
à répondre que nous entrons dans une ère de plus forte instabilité financière. Les économistes
répondent le contraire à 70 %.

BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ 209


FINANCIÈRE
1.5. Le bas niveau des taux d’intérêt a-t-il favorisé la
formation de la bulle immobilière et, par la suite, son
explosion ?

13%
Oui
Non

87%

100%
15% 12%

80%

60%

40% 85% 88%

20%

0%
Banquiers centraux Economistes

Les participants considèrent à une large majorité (85 % des banquiers centraux,
88 % des économistes) que la politique monétaire accomodante des années 2000
a favorisé la bulle immobilière.

210 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


2. Design institutionnel du central banking

2.1.Est-ce que la crise a changé à la fois les objectifs et les


instruments des banques centrales ?

Oui
Non
92%

8%

100%
8% 9%

80%

60%

92% 91%
40%

20%

0%
Banquiers centraux
Economistes

Pour plus de 90 % des économistes et des banquiers centraux répondants, la crise


a changé à la fois les objectifs et les instruments des banques centrales.

BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ 211


FINANCIÈRE
2.2. L’objectif de stabilité des prix doit-il être complété par un
objectif de stabilité financière ?

Oui 77%
Non
NSPP

3%

20%

100% 4%
14%
23%
80%

60%

40% 86%
73%

20%

0%
Banquiers centraux Economistes

Pour une large majorité des participants (86 % des banquiers centraux et 73 %
des économistes), l’objectif de stabilité des prix poursuivi par les banques
centrales doit être complété par un objectif de stabilité financière.

212 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


2.3.Pensez-vous que la capacité des banques centrales à assurer la
stabilité des prix tout en apportant leur soutien à la croissance
économique
nécessite une forte indépendance ?

Oui
17%
Non

83%

100%
8%
22%
80%

60%

92%
40% 78%

20%

0%
Banquiers centraux
Economistes

Pour 78 % des économistes participants et, sans surprise, une plus forte
proportion encore des banquiers centraux, une forte indépendance est nécessaire
aux banques centrales pour satisfaire les objectifs qui leur sont confiés.

BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ


213
Question subsidiaire à la question 2.3. Pensez-vous que cette
indépendance soit aussi importante pour les banques centrales ayant un
objectif
de stabilité financière ?

79%
Oui
Non
NSPP

3%

18%

100%
8%
8% 25%
80%

60%

85%
40% 75%

20%

0%
Banquiers centraux Economistes

Banquiers centraux et économistes sont proportionnellement un peu moins nom-


breux que précedemment à répondre que l’indépendance est importante pour les
banques centrales ayant un objectif de stabilité financière. Toutefois, le faible
écart de résultat avec la question précédente ne traduit pas une remise en cause
de l’indé- pendance des banques centrales, même si celles-ci voient leur mission
s’élargir.

214 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


2.4.L’autorité monétaire et le superviseur prudentiel doivent-ils être
séparés ou, au contraire, leur coopération est-elle génératrice de
synergies ?

Séparation
28%
Coopération
NSPP

64%
8%

100% 4%
15%

80%

60%
69%
54%

40%

20%
31%
27%

0%
Banquiers centraux
Economistes

Il se dégage une majorité de réponses en faveur de la coopération entre l’autorité


monétaire et le superviseur prudentiel, toutefois plus large chez les économistes
que chez les banquiers centraux. 31 % des banquiers centraux restent fermement
attachés à une séparation, contre 27 % des économistes.

B
215
3. Stabilité financière
3.1. L’objectif de stabilité financière

3.1.1. Pensez-vous que l’objectif de stabilité financière relève de la


super- vision prudentielle uniquement ou, à la fois, de la supervision
prudentielle
et de la polique économique

Les deux

Uniquement supervision prudentielle 61%


2%
NSPP

37%

100% 4%

80% 36% 37%

60%

40%
64%
59%

20%

0%
Banquiers centraux Economistes

En majorité, banquiers centraux (64 %) et économistes (59 %) répondent que


l’ob- jectif de stabilité financière relève à la fois de la supervision prudentielle et
de la politique monétaire. Un peu plus du tiers des participants (36 % des
banquiers centraux et 37 % des économistes) révèle toutefois leur attachement au
principe de séparation en considérant que la stabilité financière relève
uniquement de la super- vision prudentielle.

216 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


3.2.Banque centrales et supervision micro-prudentielle

3.2.1. Afin d’assurer la stabilité financière, la Banque centrale doit-elle


aller au-delà de la gestion de la liquidité (au jour le jour et comme
prêteur
en dernier ressort) et être impliquée dans la supervision des banques ?

Oui
Non 64%
7%
NSPP

29%

100%
8% 7%

80%
28%
31%

60%

40%
66%
62%

20%

0%
Banquiers centraux
Economistes

62 % des banquiers centraux et 66 % des économistes répondent que la Banque


centrale doit, au-delà de la gestion de la liquidité au jour le jour et de la liquidité
d’urgence, être impliquée dans la supervision des banques, sans que nous ne
préci- sions ici s’il s’agit de supervision micro- ou macro-prudentielle.

B
217
3.2.2. Quand la supervision micro-prudentielle ne fait pas partie du mandat
de la Banque centrale, cette dernière doit-elle être en relation directe
avec le superviseur bancaire ?

Oui

NSPP

97%

3%

100%
5%
90%

80%

70%

60%

50% 100% 95%


40%

30%

20%

10%

0%
Banquiers centraux Economistes

Pour 100 % des banquiers centraux et 95 % des économistes, quand la Banque


centrale n’est pas le superviseur bancaire, elle doit être en relation directe avec
lui. Ce résultat plaide en faveur d’une proximité forte entre la Banque centrale et
le superviseur bancaire.

218 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


3.2.3. Les pays où la Banque centrale est impliquée dans la surpervision
prudentielle ont-ils mieux résisté à la crise ?

10%
Oui
Non
NSPP

50%

40%

100%
5%
18%

80%

27% 63%
60%

40%

55%
20%
32%

0%
Banquiers centraux
Economistes

Le clivage est marqué entre banquiers centraux et économistes dans les réponses
à cette question. 55 % des banquiers centraux répondent en effet que les pays où
la Banque centrale est impliquée dans la supervision prudentielle ont mieux
résisté à la crise. 63 % des économistes répondent le contraire. Il est intéressant
de mettre en parallèle cette question et la précédente (3.2.2). Cela suggère que
c’est moins l’im- plication directe de la Banque centrale dans la supervision
(micro-prudentielle) que la proximité entre elle et le superviseur bancaire qui est
appréciée comme facteur de résilience du système financier.

BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ 219


FINANCIÈRE
3.3.Banques centrales et supervision macro-prudentielle

3.3.1. La Banque centrale doit-elle jouer un rôle


important dans la supervision macro-
prudentielle ?

Oui
Non
5%
NSPP
7%

88%

100%
14% 11%
90%

80%

70%

60%

50%
86% 89%
40%

30%

20%

10%

0%
Banquiers centraux Economistes

L’implication macro-prudentielle des banques centrales fait consensus : 86 % des


banquiers centraux et 89 % des économistes estiment que la Banque centrale a un
rôle important à jouer dans la supervision macro-prudentielle.

220 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


3.3.2. Si oui, êtes-vous favorable à un Conseil du risque systémique,
présidé par la Banque centrale européenne, pour la zone euro,
comme décrit dans le rapport Larosière ?

Oui
Non
NSPP 7% 70%

23%

100%

20% 25%
80%

20%

60%

40%
75%
60%

20%

0%
Banquiers centraux
Economistes

Les économistes et banquiers centraux favorables à l’implication macro-


prudentielle des banques centrales se retrouvent respectivement 60 et 75 % à être
également favorables à un Conseil du risque systémique présidé par la Banque
centrale, à l’instar de la recommandation du rapport Larosière suivie par la
Commission euro- péenne.

F
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ
221
3.4.Articulation micro-/macro- prudentiel

3.4.1. Les « stress tests » bancaires sont-ils la méthode la plus


appropriée pour faire converger les perspectives macro- et micro-
prudentielles ?

La meilleure solution
Une assez bonne solution 30%
Une mauvaise solution

61%

9%

100%
8% 10%

80%

54%
60% 62%

40%

20% 38%
24%

0%
Banquiers centraux Economistes

L’utilisation des stress tests est assez largement perçue par les participants
comme une assez bonne solution (pour 54 % des banquiers centraux et 62 % des
économis- tes). Les résultats obtenus laissent entrevoir une plus grande confiance
chez les banquiers centraux (ils sont 38 % à considérer que les stress tests sont la
meilleure solution pour faire converger les perspectives macro- et micro-
prudentielles) que chez les économistes.

222 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


3.4.2. La supervision macro-prudentielle et la supervision micro-
prudentielle doivent-elles être confiées à des agences distinctes
?

44%
Séparation entre micro et macro prudentiel
Pas de séparation, une seule agence
NSPP

38%
18%

100%
14%
25%
80%

39%
60% 33%

40%

20% 42% 46%

0%
Banquiers centraux
Economistes

La question de savoir s’il vaut mieux confier la supervision macro-prudentielle et


la supervision micro-prudentielle à des agences distinctes ou à une même autorité
ne dégage pas de majorité, ni parmi les banquiers centraux, ni parmi les
économistes. 42 % des banquiers centraux et 46 % des économistes se
prononcent en faveur d’une séparation entre l’agence en charge du micro-
prudentiel et celle en charge du macro-prudentiel. Les économistes sont
proportionnellement plus nombreux que les banquiers centraux à s’exprimer à la
fois pour et contre cette séparation.
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ 223
FINANCIÈRE
Question subsidiaire à la question 3.4.2. La Banque centrale doit-elle être
chargée de la surveillance systémique alors qu’un autre organisme
s’occupe des questions spécifiques à chaque institution ?

Non 41%
Oui
NSPP

45%

14%

100%
12%
17%

80%

44%
60%
50%

40%

20% 44%
33%

0%
Banquiers centraux Economistes

50 % des banquiers centraux participants considèrent que la surveillance des éta-


blissements systémiques relève des prérogatives des banques centrales, contre
44 % des économistes.

224 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


3.5.Risque systémique, aléa moral, « too big to fail »

3.5.1.Pour assurer à la fois la stabilité monétaire et la stabilité


financière, les banques centrales ont-elles besoin de plus de
pouvoirs ?

13%
Oui
Non
NSPP

32% 55%

100%
12%
15%

80%

31% 32%
60%

40%

54% 56%
20%

0%
Banquiers centraux
Economistes

54 % des banquiers centraux et 56 % des économistes participants considèrent


que charger les banques centrales d’une double mission de stabilité monétaire et
de stabilité financière implique de leur conférer plus de pouvoir.

B
225
Question subsidiaire à la question 3.5.1. De tels pouvoirs peuvent-ils avoir
un impact négatif sur la conduite de la politique monétaire ?

8%
Oui
Non
NSPP

39%

53%

100%
8% 9%

80% 31%
43%

60%

40%
62%
48%
20%

0%
Banquiers centraux Economistes

62 % des banquiers centraux, contre 48 % des économistes, voient dans le


renfor- cement des pouvoirs des banques centrales induit par l’élargissement de
leurs mis- sions une source de difficultés pour la conduite de la politique
monétaire.

226 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


3.5.2. Si les banques centrales sont appelées à jouer un rôle
clef dans la gestion du risque systémique, pensez-vous qu’elles doivent
également
mener une surveillance plus poussée des institutions systémiques ?

Oui

Non

81%

19%

100%

14%
23%
80%

60%

86%
77%
40%

20%

0%
Banquiers centraux
Economistes

Une forte majorité des banquiers centraux (86 %) et des économistes (77 %)
estiment que les banques centrales, puisqu’elles sont amenées à gérer le risque
sys- témique, doivent exercer une surveillance rapprochée des institutions
systémiques.
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ 227
FINANCIÈRE
3.5.3. Inversement, les banques centrales ont-elles créé de l’aléa moral
en portant une trop grande attention aux institutions systémiques ?

Oui
Non

48%

52%

100%

80% 40%

62%

60%

40%
60%

20% 38%

0%
Banquiers centraux Economistes

Toutefois, 60 % des économistes contre 38 % des banquiers centraux considérent


que les banques centrales créent de l’aléa moral en portant une trop grande
attention aux institutions systémiques.

228 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


3.5.4. Les gouvernements doivent-ils jouer un rôle central dans la
résolution des crises ?

Oui
Non
77%

23%

100%

23% 23%
80%

60%

40%
77% 77%

20%

0%
Banquiers centraux
Economistes

77 % des banquiers centraux et des économistes approuvent le rôle central des


gouvernements dans la résolution des crises. Parmi les sanctions suggérées
figurent notamment la mise en faillite des institutions insolvables et le révocation
des ges- tionnaires.

BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ


229
3.6.Le cas européen

3.6.1. Est-ce que le « risque systémique » révélé par la crise financière


souligne le besoin d’une nouvelle approche de la supervision en Europe
?

Oui
Non
NSPP 83%

3%

14%

100%
10% 11%

80% 20%

60%

89%
40% 70%

20%

0%
Banquiers centraux Economistes

Une forte majorité de banquiers centraux (70 %) et d’économistes (89 %) sont


favorables à une nouvelle approche de la supervision en Europe.

230 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


3.6.2. Est-ce une bonne chose d’avoir doté la Banque centrale européenne
de prérogatives macro-prudentielles ?

Oui
Non 78%
NSPP

16%

6%

100%
10%
27% 10%
80%

60%

40% 80%
73%

20%

0%
Banquiers centraux
Economistes

Doter la Banque centrale européenne de préogatives macro-prudentielles est ap-


prouvé par 73 % des banquiers centraux et 80 % des économistes.

BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ 231


FINANCIÈRE
3.6.3. Le nouveau système européen (une entité en charge du risque
systémique et trois autres régulateurs pour la banque, l’assurance et
les titres,
pour examiner le risque individuel) est-il une bonne solution ?

Oui
Non
NSPP 41%

50%
9%

100%
10% 9%

80%

50% 50%
60%

40%

20% 40% 41%

0%
Banquiers centraux Economistes

La nouvelle architecture prudentielle européenne (une entité – la Banque centrale


européenne – en charge du risque systémique et trois autres régulateurs pour la
ban- que, l’assurance et les titres chargés de surveiller les risques individuels des
établis- sements) n’est toutefois approuvée que par 40 % des banquiers centraux :
et 41 % des économistes. Les scores diffèrent quand on isole les participants «
zone euro » 100 % des banquiers centraux de la zone euro y sont favorables
tandis que 50 % des économistes expriment une réserve.

232 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


4. Politique monétaire : canaux de transmission/stratégie/instruments
4.1.Canaux de transmissions

4.1.1. L’engagement des Banques centrales à assurer la stabilité des


prix à moyen terme est-elle un déterminant important de la
confiance ?

Oui
Non

5%
95%

100%
7% 4%

80%

60%

93% 96%
40%

20%

0%
Banquiers centraux
Economistes

Banquiers centraux et économistes considérent de manière unanime (à 93 % pour


les premiers et à 96 % pour les seconds) l’objectif de la stabilité monétaire à
moyen terme comme un déterminant important de la confiance.

BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ 233


FINANCIÈRE
Question subsidiaire à la question 4.2. Doit-on envisager de
modifier la définition quantitative de la stabilité des prix ?

Oui
Non
32%

68%

100%

80%
55%

60% 86%

40%

45%
20%

14%
0%
Banquiers centraux Economistes

La majorité des banquiers centraux (86 %) se refusent à envisager une


modification de la définition quantitative de la stabilité des prix. Les économistes
sont moins réservés et 45 % sont prêts à envisager un tel changement comme
nécessaire.

234 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


4.1.2. La politique monétaire et le risque pris par les intermédiaires
financiers sont liés : il s’agit du « risque taking chanel » (RTC). Ce canal du
risque est-il devenu l’un des principaux canaux de transmission de la
politique monétaire ?

Oui
Non
NSPP 13%

59%

28%

100%
8%
16%

80%

38% 21%

60%

40%
63%
54%
20%

0%
Banquiers centraux
Economistes

L’importance du « canal de la prise de risque » est reconnue par 54 % des banquiers


centraux et davantage encore par les économistes (63 %).

B
235
4.2.Stratégie

4.2.1. Suite à la crise, les stratégies de ciblage d’inflation, la


stratégie
de la Banque centrale européenne et celle de la Fed doivent-elles être
révisées ?

Oui 3%
Non 55%
NSPP

42%

100%
8%
21%
80%

60%
83%

40% 79%

20%

8%
0%
Banquiers centraux Economistes

Les banquiers centraux sont très peu enclins (8 % seulement) à envisager une
révi- sion de la stratégie de politique monétaire des banques centrales (ou tout au
moins à l’annoncer dans le cadre de ce type d’enquête !). 79 % des économistes
estiment au contraire que cela est nécessaire.

236 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


4.2.2. Le ciblage du niveau des prix est-il préférable au ciblage de l’inflation ?

Oui
Non
NSPP
65%

19%

16%

100%

15% 17%

80%

60%
54%
85%
40%

20%
29%

0%
Banquiers centraux
Economistes

Les banquiers centraux sont à 85 % non favorables à l’idée que le ciblage du


niveau des prix serait préférable au ciblage d’inflation. 29 % des économistes se
déclarent au contraire favorables à ce changement.

B
237
4.3.« Plancher 0 » des taux d’intérêt et stratégies de sortie de crise

4.3.1. Les politiques monétaires non conventionnelles ont-elles


résolu le problème du « plancher zéro» des taux d’intérêt ?

Oui
Non
NSPP 20%

49%

31%

100%
14%
29%
80%
24%

60%

43%
40%
62%

20%
29%

0%
Banquiers centraux Economistes

62 % des économistes contre 29 % seulement des banquiers centraux estiment


que les politiques monétaires non conventionnelles résolvent le problème du «
plancher zéro » des taux d’intérêt (trappe à liquidité). Le débat sur la question
n’est donc pas tranché, et traduit la perplexité – ou la prudence – des banquiers
centraux.

238 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


4.3.2. Le bas niveau des taux d’intérêt contribue-t-il à une croissance
excessive du prix de certaines classes d’actifs ?

Oui
Non 65%

35%

100%

32%
80% 38%

60%

40%
68%
54%
20%

0%
Banquiers centraux
Economistes

En majorité, banquiers centraux (54 %) et plus encore économistes (68 %)


estiment que de bas taux d’intérêt favorisent la formation de bulles de prix
d’actifs.

F
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ
239
4.3.3. Les politiques non conventionnelles font-elles courir un
risque à moyen-long terme sur la stabilité des prix à la
consommation ?

Oui
Non 37%
NSPP

5%
58%

100%
8% 4%

80%
42%
65%
60%

40%

50%
20%
31%

0%
Banquiers centraux Economistes

Les économistes sont moins inquiets que les banquiers centraux quant aux consé-
quences à moyen-long terme des politiques non conventionnelles sur la stabilité
des prix à la consommation : 50 % des banquiers centraux estiment que ce risque
existe contre 31 % des économistes. Ceci renvoie à la question 4.3.1.

240 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


Question subsidiaire à la question 4.3.3. Les politiques non
conventionnelles font-elles courir un risque à moyen-long terme sur la
stabilité
des prix d’actifs ?

Oui
Non 34%
NSPP

3%
63%

100%
5%

80%
50%

68%
60%

40%

50%
20%
27%

0%
Banquiers centraux
Economistes

On retrouve à peu près les mêmes écarts d’appréciation qu’à la question


précédente entre banquiers centraux et économistes quant au risque que feraient
courir les po- litiques non conventionnelles pour la stabilité des prix d’actifs : 50
% des banquiers centraux expriment cette inquiétude contre 27 % des
économistes.

B
241
4.3.4. Une augmentation temporaire de la cible d’inflation facilite-t-
elle les sorties de crise ?

Oui
Non
29%
NSPP

62%

9%

100%
8% 9%

80%

52%
60%
83%

40%

20% 39%

8%
0%
Banquiers centraux Economistes

La majorité de banquiers centraux (83 %) ne voient pas dans l’augmentation


tempo- raire de la cible d’inlation une stratégie efficace de sortie de crise. Les
économistes sont plus partagés, mais 52 % d’entre eux partagent l’avis
majoritaire des banquiers centraux.

242 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


4.4.Bulles de prix d’actifs, cycles du crédit, nouveaux instruments

4.4.1. Les taux directeurs doivent-ils réagir aux bulles de crédit et d’actifs ?

2%

Oui
64%
Non
NSPP
34%

100%
4%
23%
80%
39%

60%

40%
77%

57%
20%

0%
Banquiers centraux
Economistes

77 % des banquiers centraux et 57 % des économistes considèrent que les taux


directeurs doivent réagir aux bulles de crédit et de prix d’actifs. Cette réponse est
assez cohérente avec celles concernant le principe de séparation entre stabilité
monétaire et stabilité financière (seulement un tiers des banquiers centraux, parfois
un peu plus, exprime son attachement à la séparation aux questions 2.4, 3.1.1 et
3.4.2). En revanche, elle tend à contredire la volonté exprimée par les banquiers
centraux de ne pas modifier la stratégie de ciblage d’inflation (cf. questions 4.2.1,
4.2.2 et 4.3.4).
F
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ
243
4.4.2. La Banque centrale doit-elle choisir le plus bas taux d’intérêt
compatible avec son objectif de stabilité des prix ? Ou choisir un taux
plus élevé en cas de bulle ? Ou choisir un autre instrument ?

Choisir le plus bas taux d'intérêt


Non
55%

45%

100%

20%

80%
58%

60%

40% 80%

20% 42%

0%
Banquiers centraux Economistes

Alors qu’ils estiment nécessaire que les taux d’intérêt directeurs réagissent aux
bulles (cf. question 4.4.1), les banquiers centraux répondent à 80 % qu’il leur faut
choisir le plus bas taux d’intérêt compatible avec leur objectif de stabilité des
prix contre 42 % seulement des économistes.

244 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


4.4.3. La politique monétaire peut-elle contrer les cycles du crédit ?
D’autres instruments sont-ils plus efficaces ?

Oui
Non
67%

33%

100%

25%
80%
50%

60%

40%
75%

50%
20%

0%
Banquiers centraux
Economistes

Les banquiers centraux sont très partagés (50/50) quant à l’idée que la politique
monétaire puisse contrer les cycles du crédit. 75 % des économistes en sont con-
vaincus.

BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ


245
Question subsidiaire à la question 4.4.3. D’autres instruments sont-ils plus
efficaces que la politique monétaire pour contrer les cycles du crédit ?

Oui 4%
61%
Non
NSPP

35%

100%
7%
25%
80%
40%

60%

40% 75%

53%
20%

0%
Banquiers centraux Economistes

Les banquiers sont largement convaincus (75 %) qu’il faut mobiliser d’autres
ins- truments que la politique monétaire pour contrer les cycles du crédit. Les
écono- mistes sont plus partagés sur la question.

246 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


5. Dimension internationale

5.1.Les politiques monétaires vont-elles devenir plus


hétérogènes d’un pays à l’autre ?

Oui
48%
Non
NSPP

3%

49%

100%
4%

80%

58% 44%

60%

40%

52%
20% 42%

0%
Banquiers centraux
Economistes

Le risque d’une plus grande hétérogénité des politiques monétaires au sortir de la


crise divise chaque catégorie de participants. Toutefois, les économistes (52 %)
sont proportionnellement plus nombreux que les banquiers centraux (44 %) à re-
douter ce problème.

BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ 247


FINANCIÈRE
Question subsidiaire à la question 5.1. Faut-il craindre des problèmes
d’incohérence entre les stratégies nationales de politique monétaire ?

Oui
Non 41%

NSPP

3%

56%

100% 4%

80%
44%

60% 83%

40%

52%
20%

17%
0%
Banquiers centraux Economistes

Les banquiers centraux se refusent pour une très large majorité d’entre eux (83
%) à envisager des problèmes d’incohérence entre les stratégies nationales de
poli- tique monétaire, en dépit de stratégies de sortie de crise assez éloignées les
unes des autres. En revanche, 52 % des économistes déclarent craindre un tel
problème.

248 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


Question subsidiaire à la question 5.1. Faut-il craindre un désordre monétaire
?

Oui
Non 42%
NSPP

5%

53%

100% 4%
8%

80%
42%

60%
75%

40%

54%
20%

17%
0%
Banquiers centraux
Economistes

Pour 54 % des économistes un désordre monétaire est à craindre. 75 % des ban-


quiers centraux se refusent à envisager cette éventualité.

F
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ
249
5.2. Les principales banques centrales doivent-elles prendre en compte
l’impact de leurs politiques sur la liquidité mondiale ?

Oui

Non
NSPP 6%

69%
25%

100%
10%
18%

80%
29%

60%

40% 82%

62%
20%

0%
Banquiers centraux Economistes

Les banquiers centraux répondent en majorité (82 %) que les principales banques
centrales doivent prendre en compte l’impact de leurs politique sur la liquidité
mondiale, alors qu’elles ne redoutent ni problème d’incohérence, ni un désordre
monétaire mondial (cf. questions susbsidiaires à 5.1). Ce qui peut apparaître con-
tradictoire. La question dégage une majorité aussi mais un peu moins large (62
%) chez les économistes.

250 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


5.3. Dans quelles circonstances l’intervention coordonnée des banques
centrales sur le marché des changes est-elle souhaitable ?

11%
Jamais 67%

Régulièrement
En cas de circonstances exceptionnelles
(volatilité extrême, bulle, crise…) 22%

100%

80%

61%
60% 78%

40%

17%
20%

22% 22%
0%

Banquiers centraux Economistes

78 % des banquiers centraux et 61 % des économistes estiment que c’est en cas


de circonstances exceptionnelles (volatilité extrême, bulle, crise…) qu’une
interven- tion coordonnée des banques centrales est nécessaire sur le marché des
changes. Dans chaque catégorie de participants, 22 % estiment que cette
coordination ne s’impose jamais.

BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ 251


FINANCIÈRE
5.4. Faut-il coordonner les interventions des banques centrales contre les
bulles financières (en supposant une tendance commune des prix d’actifs)
?

9%
Oui, une action coordonnée est 57%
plus efficace et moins couteuse
Non, pas nécessairement

NSPP
34%

100%
8% 10%

80%
30%
42%

60%

40%

60%
20% 50%

0%
Banquiers centraux Economistes

50 % des banquiers centraux et 60 % des économistes considérent qu’une action


coordonnée des banques centrales pour lutter contre les bulles financières est
plus efficace et moins coûteuse. Ils sont 42 % chez les banquiers centraux et 30
% chez les économistes à considérer au contraire que cette coordination ne
s’impose pas.

252 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


5.5. Faut-il coordonner les interventions des banques centrales
en tant que prêteur en dernier ressort ?

Oui
84%
Non

16%

100%
8%
20%

80%

60%

92%
40%
80%

20%

0%
Banquiers centraux
Economistes

La nécessité d’une coordination fait en revanche l’unanimité chez les banquiers


centraux (92 %) et chez les économistes (80 %) quand on évoque l’intervention
des banques centrales en tant que prêteur en dernier ressort.

BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ 253


FINANCIÈRE
6. Sciences économiques/science et art du central banking
6.1.Macroéconomie

6.1.1. Partagez-vous le point de vue suivant de Paul Volcker :


« I’m not aware of any large contribution that economic science
has made to central banking in the last 50 years or so(*) » ?

D'accord
Pas d'accord 31%

69%

100%

80%

60%
60% 83%

40%

20%
40%
17%
0%
Banquiers centraux Economistes

Face au désaveu exprimé par Paul Volcker à l’égard de la science économique,


les économistes se défendent (60 % d’entre eux ne partagent pas son point de
vue) et les banquiers centraux expriment un désaccord plus large encore (83 %
ne sont pas d’accord avec lui !).

(*) Je n’ai à l’esprit aucune contribution majeure que la science économique aurait pu
faire au central banking au cours des cinquante dernières années !

254 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


6.1.2. La crise financière signe-t-elle l’échec de la macroéconomie moderne ?

Oui
Non
36%
NSPP

3%
61%

100%
5%

80%
41%

60%
100%

40%

55%
20%

0%
Banquiers centraux
Economistes

Manifestement plus enclins à l’examen de conscience, les économistes sont 55 %


à penser que la crise financière signe l’échec de la macroéconomie moderne
contre… 0 % des banquiers centraux !

BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ 255


FINANCIÈRE
Question subsidiaire à la question 6.1.2. La crise économique est-elle
aussi celle de la théorie économique ?

Oui
Non 34%

66%

100%

80%
44%

60%

100%
40%

56%
20%

0%
Banquiers centraux Economistes

Les banquiers centraux se refusent catégoriquement à envisager que la crise


écono- mique puisse être, aussi, celle de la théorie économique dont il font
largement usage. Les économistes sont au contraire très divisés sur la question :
56 % considèrent que la crise est aussi celle de la théorie économique.

256 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


6.2.DGSE et modèles économiques

6.2.1. Les modèles DSGE utilisés par les banques centrales et les
économistes ont-ils des défauts tels qu’il faudrait les rejeter ?

Oui
45%
Non, ils sont utiles
NSPP

3%

52%

100% 5%

80%
36%

60%
82%

40%

59%
20%

18%
0%
Banquiers centraux Economistes

82 % des banquiers centraux estiment que les modèles d’équilibre général


dynami- ques et stochastiques (dits DSGE, dynamic stochastic general
equilibrium) , qui sont un de leurs principaux outils de prévision, restent utiles.
Les économistes sont en revanche plus réservés : 59 % d’entre eux préconisent
de rejeter ces modèles.

BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ


257
6.2.2. Les modèles de prévision utilisés par les banques centrales
sont-ils inutiles du fait de leur incapacité à prendre en compte les
crises
financières et les bulles ?

Oui, inutile
Non, utile
31%
NSPP

6% 63%

100% 4%
8%

80%

58%
60%
75%

40%

20%
38%
17%
0%
Banquiers centraux Economistes

Les limites des modèles de prévisions utilisés par les banquiers centraux font da-
vantage douter les économistes que les banquiers centraux mais majoritairement
tous (75 % des banquiers centraux et 58 % des économistes) estiment ces
modèles utiles.

258 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


Question subsidiaire à la question 6.2.2. Les banques centrales doivent-
elles accompagner leurs modèles de prévision d’une analyse des
conditions monétaires et financières ?

Oui
Non 88%
NSPP

6%

6%

100%
4%
8%
9%

80%

60%

92%
40% 87%

20%

0%
Banquiers centraux
Economistes

Compléter ces modèles de prévision par une analyse des conditions monétaires et
financières recueille l’assentiment de tous : 92 % des banquiers centraux et 87 %
des économistes y sont favorables.

BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ 259


FINANCIÈRE
6.3.Anticipations rationnelles/efficience des marchés

6.3.1. L’hypothèse des « animal spirits » doit-elle


remplacer celle des anticipations rationnelles
?

Oui
Non 33%
NSPP

55%

12%

100%
5%

27%
80%

55%
60%

55%
40%

20%
41%
18%
0%
Banquiers centraux Economistes

Bien que la question d’un remplacement de l’hypothèse des anticipations


rationnelles par celle des « animal spirits » divise chaque catégorie de
participants, les ban- quiers centraux se révèlent beaucoup plus réticents que les
économistes à envisager un changement d’hypothèse (18 % l’envisagent contre
41 % des économistes). 55 % de chaque catégorie affirment leur attachement à
l’hypothèse des anticipations rationnelles.

260 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


6.3.2. Doit-on rejeter le paradigme de l’efficience des marchés ?

Oui
Non, en dépit de ses limites 49%

NSPP

3%

48%

100%
10%

80%
48%

60% 50%

40%

52%
20% 40%

0%
Banquiers centraux Economistes

Un banquier central sur deux estime qu’il ne faut pas rejeter le paradigme de
l’effi- cience des marché contre 48 % des économistes. En revanche, les
économistes sont proportionnellement plus enclins que les banquiers centraux à
envisager la néces- sité de ce changement (52 % répondent oui contre 40 % des
banquiers centraux).

BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ 261


FINANCIÈRE
6.4. Art vs science de la politique monétaire

6.4.2. La conduite de la politique monétaire à venir relèvera-t-elle davantage


de l’art ou de la science ?

Un art
50%
Une science
Un art épaulé par la science
3%

47%

100%

35%
80%

70%
5%
60%

40%

60%
20%
30%

0%
Banquiers centraux Economistes

Alors que 70 % des banquiers centraux continuent de voir dans la science écono-
mique un support utile pour la conduite de la politique monétaire, 60 % des
écono- mistes pensent au contraire que cette dernière relèvera exclusivement de
l’art !

262 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


Personnes auditionnées

Autorité de contrôle prudentiel (France)


Danièle Nouy....................................................................Secrétaire général

Banque de France
Laurent Clerc.........................Directeur des études monétaires et financières
Pierre Jaillet .. Directeur des études économiques et des relations internationales
Sylvie Mathérat........................................Directeur de la stabilité financière
Ivan Odonnat........................................Directeur des risques des opérations

Banque centrale européenne (BCE)


Jean-Claude Trichet........................................................................Président
Philippine Cour-Thimann...................................................Senior Economist
Matthieu Darracq-Paries....Économiste, Direction de la politique monétaire
Francesco Drudi..................Économiste, Direction de la politique monétaire
John Fell...............................Économiste, Direction de la stabilité financière
Philippe Moutot..................Économiste, Direction de la politique monétaire
Étienne Port..................................................................................Conseiller
Diego Rodriguez Palenzuela.....Économiste,Direction de la politique monétaire
Christian Thimann....................................Conseiller de Jean-Claude Trichet
Jean-Pierre Vidal.................Économiste, Direction de la politique monétaire

Banque mondiale
Asli Demirgüc-Kunt.............................................Senior Research Manager

Fonds monétaire international (FMI)


Dominique Strauss-Kahn...................................................Directeur général
Olivier Blanchard..................................Directeur et Conseiller économique
Jan Brockmeijer.....................................................Directeur général adjoint
Hervé Ferhani........................................................Directeur général adjoint
Karl Habermeier . Directeur, Département des marchés monétaires et financiers
Ranjit Teja............Deputy Director, Strategy Policy and Review Department

BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 263


Réserve fédérale américaine (Fed)
Donald Kohn.........................................................................Vice Chairman

Parlement européen
Pervenche Bères..............................................................................Députée
Jean-Paul Gauzès..............................................................................Député

Autres experts
Michel Aglietta...............Conseiller, CEPII et Professeur, Université Paris
X
Alan Blinder...........................................Professeur, Université de
Princeton
Mike Carey..........................Économiste, Crédit agricole CA CIB New
York
Bruno Deletré.................Directeur général, BPCE international et outre-
mer
Christophe Destais.....Conseiller financier, Ambassade de France à
Washington
et Directeur adjoint, CEPII (depuis septembre
2010)
Gregory Ip........................................................Éditorialiste, The Economist
Jacques de Larosière........................Conseiller du Président, BNP Paribas
et Président, EUROFI
Frederic Mishkin....................................Professeur, Université de
Columbia
Tommaso Padoa-Schioppa †..................................Président, Notre
Europe/
Conseiller personnel du Premier ministre grec (G.
Papandreou)
George Pauget.........................Directeur général, groupe Crédit agricole
SA
Thomas Philippon..................................Professeur, Université de New
York
Jean-Paul Pollin.........................................Professeur, Université
d’Orléans
Adam Posen................................................Senior Fellow, Peterson
Institute
Joshua Rosner......................................Directeur, Graham Fisher & Co.,
Inc
Christopher Sims....................................Professeur, Université de
Princeton
Michael Woodford.................................Professeur, Université de
Columbia
264 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
Commentaire

Daniel Cohen
Professeur à l’École normale supérieure

1. Genèse
La crise a remis en question le consensus sur la politique monétaire
qui avait progressivement émergé après la crise des années soixante-dix,
laquelle ayant elle-même remis en cause le consensus qui avait prévalu
après-guerre.
Dans les années qui ont suivi le choc pétrolier, la Nouvelle école
classique de Lucas et Sargent avait imputé la crise aux politiques
d’inspiration keyné- sienne, et leur recherche vaine du plein-emploi. À la
manière d’un François Quesnay expliquant au roi que pour gouverner le
royaume « il ne ferait rien », la Nouvelle école classique, sous l’influence
notamment des travaux de Kydland et Prescott, avait préconisé un
interventionnisme a minima, né- cessitant la poursuite de « règles plutôt
que de mesures discrétion- naires ». L’indépendance des banques
centrales face au pouvoir politique avait été érigée en dogme intangible
et, un temps, le refus de toute tentative de stabilisation macroéconomique
semblait la meilleure option possible (c’était notamment la conclusion de
l’article célèbre de Barro et Gordon).
Une solution plus pragmatique, mais profondément influencée par ces
débats avait finalement émergé : celle proposée par John Taylor, d’une
rè- gle de politique monétaire qui arbitre entre les deux maux que sont
l’infla- tion et le chômage, mais d’une manière prévisible, comprise par
tous, con- forme à l’idée de Kydland et Prescott selon laquelle le pouvoir
discrétion- naire des Banques Centrales devait être solidement encadré.

2. La crise
La crise des subprimes a donné lieu à un grand nombre de
controverses, mettant en cause les agences de notation, l’indigence des
régulateurs, l’épar- gne chinoise et la montée des inégalités américaines…
Eu égard à la con- duite de la politique monétaire, deux interprétations
majeures ont été pro- posées, qui forment le point de départ partagé des
deux rapports présentés.
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 265
La première vient de John Taylor lui-même, dans un article écrit à
chaud,
sitôt après avoir quitté l’administration pour retourner à l’Université. La
cause de la crise tient à l’écart qu’Alan Greenspan a laissé se creuser
entre la politique de taux et la règle de Taylor. Inquiet par les
conséquences de l’éclatement de la bulle Internet et des effets du 11
septembre, Alan Greenspan a créé une bulle de crédit en menant une
politique monétaire beaucoup trop laxiste. S’il s’en était tenu à la règle de
Taylor, la crise aurait été évitée. Selon cette interprétation, il n’y aurait
rien à changer à la con- duite de la politique monétaire : il suffit de
respecter la bonne règle.
À cette explication s’en est ajoutée une autre, reprise dans les deux ap-
proches présentées, qui critique non le principe de la règle mais la spécifi-
cation retenue en pratique. Cette interprétation, proposée par Olivier
Blan- chard, tient que la cible d’inflation retenue par les autorités (autour
de 2 %) s’est révélée trop basse pour remédier à la crise, après qu’elle
s’est déclen- chée. Très vite, les taux ont en effet atteint leur plancher,
zéro ou presque, privant la politique monétaire de son efficacité directe.
Au lendemain de la crise, la règle de Taylor aurait ainsi prescrit des taux
de – 3 %, impossible à atteindre du fait de la non-négativité des taux ! Ce
faisant, la politique bud- gétaire a été sollicitée plus qu’il n’eût été
nécessaire, provoquant au pas- sage une crise des finances publiques des
États les plus fragiles.

3. Nouveaux problèmes
Comme dans le roman de Sherlock Holmes, l’essentiel tient toutefois
à ce qui ne s’est pas passé : l’inflation. La politique laxiste de Greenspan
n’a pas déclenché l’inflation prévue (par les modèles de Taylor ou de
Barro et Gordon), celle des salaires ou des biens et services mais une
autre : l’infla- tion du prix des actifs. Ce point est la nouveauté radicale
de la période récente. Les liquidités n’ayant pas déclenché d’inflation
salariale, elles se sont investies ailleurs : dans les actifs financiers.
Tel est le point de départ du débat sur le nouveau central banking qui
fixe le socle des deux approches proposées : comment régler la politique
monétaire, avant et après la crise, lorsque l’inflation tout court n’est plus
une statistique suffisante des déséquilibres à gérer, et qu’il faut intégrer
l’inflation du prix des actifs. Le débat proposé par les auteurs s’inscrit
dans ce cadre, et je le redéfinirais simplement : quels sont les nouveaux
compro- mis devenus nécessaires entre la régulation macroéconomique,
l’inflation tout court et celle du prix des actifs. Faut-il des règles stables,
sur le modèle de la règle de Taylor, faut-il donner aux Banques Centrales
un certain pou- voir discrétionnaire, et si oui lequel ?
Une première manière d’aborder le problème consiste à considérer
qu’il faut utiliser l’instrument classique du taux d’intérêt, pour combattre
un nouvel objectif, le risque financier. Au dilemme inflation-chômage se
subs- titue donc un trilemme : inflation des biens et des actifs-chômage.
Si l’in-
266 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
flation salariale est maîtrisée, le trilemme redevient un dilemme classique,
et on est ramené au problème habituel. Reste évidemment à bien
compren- dre ce qui fait que l’inflation salariale est neutralisée. Si elle
doit à la crédi- bilité de la politique monétaire, il n’est pas sûr qu’elle
survive à l’objectif de stabilisation financière. On le voit aujourd’hui : la
politique ultra-laxiste de Bernanke pour faire monter le prix des actifs
obligataires ne conduira-t- elle pas à un renouveau de l’inflation ? En
toute hypothèse, l’approche 1 argue en faveur d’une action préventive, qui
n’était pas de mise avant l’écla- tement des subprimes. À l’époque, on
expliquait que l’objectif d’inflation tout court devait seul primer, à
charger de nettoyer ensuite les pertes, le fameux : CUA, clean up
afterwards… Le nouveau central banking devra manifestement sortir de
cette doctrine.
Les deux approches proposées dans le rapport plaident pour un nouvel
usage des politiques macro-et micro-prudentielles. Selon la première ap-
proche proposée dans le rapport, chaque acteur doit rester dans son rôle.
La politique monétaire doit continuer de gérer le dilemme inflation-
chômage, tandis que la politique prudentielle doit viser à gérer les risques
financiers. Dans la seconde approche, sans faire nécessairement de la
Banque Centrale le superviseur en chef des risques financiers, il est
recommandé de coor- donner étroitement sa politique avec celui-ci, de
manière à caler sa politi- que de crédit à des objectifs macro-financiers.
L’analogie avec le débat sur la règle de Taylor rejaillit ici directement.
S’il s’agit de fixer des règles immuables, le mieux est sans doute de les
inscrire dans les règles prudentielles qui gouvernent les établissements
financiers. Les provisions dynamiques qui seront nécessaires dans le
cadre de Bâle III, et dont les modalités seront laissées aux autorités
nationales, s’inscrivent dans ce ca- dre. Notons toutefois que les banques
espagnoles étaient déjà soumises à ce régime, ce qui n’a pas empêché la
bulle immobilière dont les conséquences ont été ensuite brutales pour les
banques elles-mêmes. Il semble clair qu’un certain pouvoir
d’appréciation doive être laissé aux banques centrales. De quels leviers
doivent-elles disposer ?
Le seul taux d’intérêt n’est approprié que dans les cas où le risque de
bulles et le risque d’emballement macroéconomique sont concomitants.
Mais cette « coïncidence divine », pour reprendre une formule de
Blanchard et Gali, n’est pas assurée. D’autres instruments sont
souhaitables. D’une cer- taine façon, les Banques Centrales ont montré
qu’elles en disposaient déjà : elles peuvent réviser la classe d’actifs
qu’elles acceptent en Repos. Elles peuvent ainsi agir sur le prix relatif des
classes d’actifs, ce qui leur donne un degré de liberté additionnel, par
rapport au choix du taux directeur, qui fixe le prix de l’actif sans risque.
Comme le montre l’exemple de l’immobilier, toutefois, il est tout à
fait possible qu’au sein d’une catégorie d’actifs, l’un d’entre eux
s’échappe et forme une bulle. Que faire en ce cas, sachant qu’on n’est
évidemment ja- mais sûr qu’il s’agisse d’une bulle (l’immobilier français,
par exemple, qui a doublé comme les autres au cours des années 2000,
est-il victime d’une
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 267
bulle) ? En fait, l’exemple de l’immobilier, qui revient si souvent dans les
crises financières, mérite vraisemblablement un traitement à part.
Lorsque les prix explosent, il n’est pas sûr que ce soit aux seules autorités
monétai- res d’agir. La politique fiscale peut être mise à contribution
aussi (en in- fluençant le taux d’apport personnel, par exemple).
Au final, le point central est sans doute le suivant : quelle que soit la
politique suivie, il est indispensable qu’elle ne soit pas biaisée à la hausse
ou à la baisse, mais qu’elle soit dynamiquement soutenable, pour
stabiliser les évolutions autour d’un point d’équilibre raisonnable. Le
grand progrès accompli par la règle de Taylor, par rapport aux prédictions
naïves des modèles antérieurs, a été de montrer qu’il n’y a pas de mal à,
intervenir pourvu que ce soit autour d’objectifs mutuellement compatibles
entre eux. Dans les débats récents, on peut dire que le « Greenspan put » a
remplacé le biais inflationniste des modèles habituels. De même qu’une
banque cen- trale dédiée à accroître l’emploi perd sa crédibilité et accroît
l’inflation, une politique comme celle qui fut menée par Greenspan, de
lutte contre les krachs, perd sa crédibilité et déclenche une inflation du
prix des actifs. Tel est le défi que le nouveau central banking devra
relever.

268 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


Commentaire

Jean-Pierre Vesperini
Professeur à l’Université de Rouen

« Yet history cautions that people experiencing


long periods of relative stability are prone to
excess ».
Alan Greenspan, 17 février 2005

« If making monetary policy is like driving a car,


then the car is one that has an unreliable
speedo- meter, a foggy windshield and a tendency
to respond unpredictably and with a delay to the
accelerator or the brake ».
Ben Bernanke, 2 décembre 2004

Dans les circonstances actuelles, le rapport qui vient d’être rédigé sur
la politique monétaire des banques centrales présente évidemment un très
grand intérêt. Son objet est double. D’abord, il se propose d’analyser les
causes de la crise financière que le monde a connue au cours des
années 2007 et 2008 et dont les conséquences sont aujourd’hui encore
dramatiques aux États-Unis comme en Europe. Ensuite, il vise à dégager
de cette analyse un certain nombre de recommandations en matière de
politique monétaire qui devraient permettre d’éviter qu’une crise
financière semblable puisse se produire à nouveau.
Pour le rapport, la crise financière qui a éclaté en août 2007 est le
résul- tat d’un énorme accroissement du crédit. Cet accroissement du
crédit a en effet nourri une augmentation excessive du prix des actifs, et
notamment une bulle sur les actifs immobiliers aux États-Unis comme
dans plusieurs pays d’Europe. Et l’explosion de cette bulle a directement
provoqué la crise financière.
Le rapport voit deux causes dans l’énorme accroissement du crédit qui
a précédé la crise. La première réside dans la fixation des taux directeurs
des
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 269
banques centrales à des niveaux beaucoup trop faibles. Le rapport trouve
une preuve objective de ce que les taux d’intervention des banques
centra- les ont été fixés à des niveaux beaucoup trop faibles dans le fait
que ces taux ont été très inférieurs aux valeurs que recommandait
l’application de la règle de Taylor dans laquelle le taux d’intérêt est une
fonction linéaire de l’écart à la croissance potentielle et de l’écart à
l’inflation désirée.
La seconde tient à ce que les autorités monétaires se sont préoccupées
uniquement de la stabilité conjoncturelle, c’est-à-dire de la stabilité de
l’em- ploi et des prix à la consommation, mais pas de la stabilité
financière, c’est- à-dire de la stabilité du prix des actifs.
Il convient alors de préciser et de nuancer l’analyse du rapport sur ces
différents points.
Sur le fait que la crise financière trouve son origine dans un accroisse-
ment excessif du crédit, donc de l’endettement comme du prix des actifs,
il y a consensus et l’on ne peut qu’être d’accord avec le rapport sur ce
point. En revanche, sur le fait que l’accroissement excessif du crédit soit
le résul- tat de la fixation des taux directeurs des banques centrales à des
niveaux trop faibles, les choses sont beaucoup moins claires.
Tout d’abord, affirmer que les taux directeurs ont été fixés à des
niveaux trop faibles parce qu’ils étaient très inférieurs à ce qu’indiquait la
règle de Taylor n’emporte pas vraiment la conviction. La règle de Taylor
peut don- ner des indications utiles au cours de certaines périodes mais
elle est loin d’être valable en toutes circonstances. En particulier, si nous
prenons une vue plus étendue, c’est-à-dire en regardant l’évolution des
taux d’intérêt, non pas à partir de 2000, comme le fait le rapport, mais à
partir de 1990, nous constatons qu’entre 1990 et 2000, les taux résultant
de l’application de la règle de Taylor ont été parfois très inférieurs aux
taux directeurs de la Réserve fédérale. En particulier, au cours de la
période allant de 1994 à 2000, caractérisée par une très forte expansion
aux États-Unis, si les auto- rités monétaires avaient appliqué la règle de
Taylor, elles auraient déclen- ché une surchauffe de l’économie et une
très forte hausse de l’inflation. Pour se persuader enfin que la règle de
Taylor n’est pas inscrite dans les Tables de la Loi, il suffit d’observer la
période actuelle où cette règle n’est tout simplement pas applicable parce
qu’elle aboutit à recommander des taux d’intérêt nominaux négatifs.
Cela étant, indépendamment de ce qu’indique la règle de Taylor, il est
hors de doute que les taux d’intérêt se sont situés à des niveaux trop
faibles au cours des années 2002 à 2004. Une observation permet de s’en
rendre compte : il s’agit de l’écart entre le taux de croissance nominal du
PIB (4,9 % par an en moyenne au cours de cette période) et les taux
d’intérêt à court terme (1,5 % par an en moyenne).
Si donc l’on ne peut contester que les taux d’intérêt aient été trop
faibles au cours des années 2002 à 2004, peut-on pour autant considérer
que la faiblesse des taux a été la cause essentielle de l’expansion
excessive du crédit qui a conduit à la crise ?
270 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
Il convient pour cela d’observer l’évolution du crédit aux États-Unis
puisque c’est là qu’est née la crise et d’observer cette évolution, non pas
seulement depuis 2000, mais depuis 1990. Nous pouvons alors distinguer
très clairement deux phases dans l’évolution du crédit : la première qui va
de janvier 1990 au mois de mai 2002, la seconde qui va de mai 2002 au
mois d’août 2007. Au cours de la première phase, le crédit a augmenté au
taux de 5,9 % par an, tandis qu’il a augmenté au taux de 9,7 % par an au
cours de la seconde phase. Si l’on compare alors la croissance du crédit à
celle du PIB nominal au cours de chacune de ces périodes, on s’aperçoit
qu’au cours de la première période, le crédit a augmenté à un rythme
voisin de celui du PIB (5,9 % contre 5,1 % pour le PIB), alors qu’au
cours de la seconde période il a augmenté nettement plus vite que le PIB
(9,7 % contre 5,7 % pour le PIB). Par conséquent, nous pouvons dire
qu’au cours de la première période, la croissance du crédit s’est faite à un
rythme raisonnable. C’est seulement au cours de la seconde période,
c’est-à-dire en gros au cours des cinq années qui ont précédé la crise
financière que la croissance du crédit s’est effectivement déroulée à un
rythme tout à fait excessif (cf. tableau).
Niveau des taux et croissance du crédit
En %
moyen du PIB nominal (1)

Taux de croissance annuel


Taux de croissance annuel

Taux court réel moyen


Taux long réel moyen
moyen du crédit (2)

Taux court moyen


Taux long moyen
(3) = (2) / (1)

3 mois
10 ans

1er trimestre 1990


5,1 5,9 1,1 6,4 5,1 3,5 2,2
2e trimestre 2002
3e trimestre 2002
5,7 9,7 1,7 4,4 3,1 1,6 0,3
3e trimestre 2007
Sources : Base de données OCDE et Federal Reserve System et calculs de l’auteur.

Dès lors la question qui se pose est celle de savoir à quoi est due cette
accélération de la croissance du crédit qui se manifeste à partir de 2002.
On peut tout d’abord attribuer cette accélération à la politique de taux de
la Réserve fédérale puisque nous avons constaté qu’au même moment, au
cours des années 2002 à 2004, les taux d’intérêt étaient particulièrement
faibles.
Mais si l’on doit admettre que les autorités monétaires américaines
ont sans doute eu tort de maintenir les taux d’intérêt à des niveaux aussi
faibles - encore qu’elles aient l’excuse de l’incertitude dans laquelle elles
se trouvaient quant aux perspectives de reprise de l’activité qui risquait
F
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ
271
d’être affectée par la hausse des prix du pétrole (15,2 % en 2003, 32,6 %
en
2004) et si cette faiblesse a évidemment favorisé l’accélération de la
crois- sance du crédit (cf. tableau supra ) – , pour autant on ne peut pas
accepter sans réserve l’idée que la politique de taux d’intérêt de la
Réserve fédérale ait été complément erronée et encore moins que cette
politique ait été la principale responsable de la croissance excessive du
crédit.
C’est qu’en effet dès le mois de juin 2004, les autorités monétaires ont
procédé à l’augmentation de leur taux directeur conduisant donc à une
aug- mentation des taux à court terme, qui s’est poursuivie continûment
en 2005 et 2006, si bien qu’à la veille de la crise, en 2006 et au premier
semestre 2007 les taux d’intérêt à court terme étaient voisins des taux de
croissance du PIB nominal, ce qui témoigne que la politique de taux
n’était pas parti- culièrement accommodante. Et si, à la suite du rapport,
l’on juge que la règle de Taylor constitue une norme valable pour la
fixation des taux, on observe aussi qu’à la veille de la crise, les taux
courts avaient aux États- Unis une valeur voisine de celle résultant de
l’application de la règle de Taylor. Les autorités monétaires américaines
ont sans doute tardé à aug- menter leur taux, mais elles les ont augmentés,
et elles les ont augmentés à des niveaux convenables.
Dès lors, si l’on ne peut reprocher aux autorités monétaires
américaines d’avoir eu une politique de taux d’intérêt excessivement
laxiste, si donc l’on ne peut attribuer au seul niveau des taux d’intérêt
l’accélération de la croissance du crédit qui se produit en 2002 et se
poursuit jusqu’au milieu de l’année 2007, à quoi cette accélération peut-
elle être attribuée ?
La réponse à cette question nous est donnée en observant l’évolution
de la base monétaire mondiale qui connaît précisément elle aussi une
disconti- nuité au cours de l’année 2002. Alors qu’entre 1992 et 2002 la
base monétaire mondiale augmentait approximativement au rythme de 7 %
par an, entre 2002 et 2007, elle a augmenté au taux de 13 % par an.
L’accélération de la crois- sance du crédit qui se manifeste aux États-Unis
à partir de 2002 n’est donc qu’un aspect de l’accélération de la croissance
de la liquidité que nous ob- servons partout dans le monde au cours de la
même période. C’est ce mouve- ment que tous les contemporains,
banquiers, gérants de fonds ou trésoriers d’entreprises relevèrent,
conscients de vivre une période tout à fait excep- tionnelle, caractérisée
par une extraordinaire abondance de la liquidité.
Et l’accélération de la croissance de la base monétaire mondiale qui se
produit en 2002 résulte elle-même de l’accélération de la croissance des
réserves de change des banques centrales dans le monde auxquelles la
base monétaire mondiale est étroitement liée entre 2002 et 2007.
Enfin, l’accélération de la croissance des réserves de change des ban-
ques centrales est la conséquence des déséquilibres globaux et plus
particu- lièrement de l’accumulation des réserves de change par la Chine,
due à la politique de sous-évaluation massive de sa monnaie. Ce n’est pas
un hasard si la rupture de tendance dans l’évolution du crédit aux États-
Unis, comme de la base monétaire mondiale et des réserves de change
mondiales, se
272 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
produit en 2002, c’est-à-dire exactement un an après l’entrée de la Chine
dans l’OMC. Par cette entrée, la Chine s’est en effet acquis tous les
avanta- ges de l’adhésion à l’OMC, mais sans en respecter les obligations
puisque bien évidemment la sous-évaluation massive de son taux de
change équi- vaut à un droit de douane sur les importations et à une
subvention à ses exportations, ce qui explique pour une large part les
excédents de sa ba- lance commerciale et l’énorme accumulation de ses
réserves de change.
Un point doit être ici mentionné qui souligne la responsabilité de la
politique monétaire de la Chine dans l’accélération de la croissance du
cré- dit observé aux États-Unis entre 2002 et 2007, et relativise au
contraire celle de la politique de taux adoptée par les autorités monétaires
américai- nes. Il s’agit de l’évolution comparée des taux d’intérêt à court
terme et des taux d’intérêt à long terme entre 2002 et 2007. Le
resserrement de la politi- que de taux par les autorités américaines
commence, comme nous l’avons vu, dans le courant de l’année 2004 et se
poursuivra jusqu’à la veille de la crise financière si bien qu’entre le
premier trimestre 2004 et le deuxième trimestre 2007, les taux courts sont
passés de 1,05 à 5,32 %, soit une hausse de 4,27 points. Normalement,
cette hausse des taux courts aurait dû con- duire à une hausse des taux
longs. Dans les phases précédentes de resserre- ment de la politique des
taux par la Réserve fédérale, on avait effective- ment observé une hausse
des taux longs : entre le troisième trimestre 1993 et le premier trimestre
1995, les taux courts étaient passés de 3 à 6,2 % et les taux longs étaient
passés de 5,6 % au quatrième trimestre 1993 à 7,8 % au quatrième
trimestre 1994. Et de même, les taux longs étaient passés de 4,7 à 6,5 %
entre le quatrième trimestre 1998 et le premier trimestre 2000 quand les
taux courts étaient passés de 5 % au premier trimestre 1999 à 6,6 % au
quatrième trimestre 2000. Or ici, la hausse de 4,27 points des taux courts
entre le premier trimestre 2004 et le deuxième trimestre 2007 ne s’est
accompagnée que d’une hausse de 0,83 point des taux longs qui pas-
sèrent pendant cette période de 4,02 à 4,85 %. Paradoxalement, c’est au
moment où, en 2004, la Réserve fédérale a commencé à durcir sa
politique de taux que l’on a observé un aplatissement de la courbe des
taux qui s’est poursuivi en 2005 pour aboutir à une inversion en 2006 et
2007. Autrement dit, le resserrement considérable de la politique de taux
américaine a été pratiquement sans effet sur les taux à long terme en
grande partie parce que le placement des réserves de change de la Banque
centrale de la Chine en bons du Trésor américains a stabilisé les taux
d’intérêt à long terme. Or il convient de remarquer que ce sont les taux
longs qui sont essentiels dans le financement de l’activité immobilière.
En ce sens, la politique monétaire adoptée par la Chine est directement
responsable de la bulle immobilière qui a conduit à la crise financière.
Est-ce à dire pour autant que les autorités monétaires américaines
n’ont aucune responsabilité dans la formation et l’explosion de cette
bulle, que leur seule faute ait été seulement d’avoir tardé à resserrer leur
politique de taux d’intérêt ?
À l’évidence, non.
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 273
Les autorités monétaires américaines ont commis deux fautes
majeures.
En premier lieu, alors qu’auparavant les crédits destinés à l’immobilier
étaient essentiellement à taux fixes, elles ont laissé se développer des cré-
dits à taux variables, donc liés au taux d’intervention de la Réserve fédé-
rale, et qui de plus étaient accordés sans discernement à des ménages dont
la situation financière était fragile (crédits subprimes). Ce faisant, la Ré-
serve fédérale s’est mise dans une situation de « squeeze » : ou elle
n’aug- mentait pas ses taux et dans ce cas, elle laissait l’économie subir
tous les inconvénients qui s’attachent à des taux trop faibles (surchauffe,
inflation) ou elle les augmentait, ce qu’elle fit, ce qui ne pouvait que
rendre insolva- bles le grand nombre de ménages que l’on n’avait
imprudemment laissé s’endetter, et par conséquent faire exploser la bulle
immobilière et déclen- cher la crise financière.
En second lieu, les autorités monétaires américaines n’ont pas prêté
une attention suffisante aux risques liés au développement des
innovations fi- nancières (SIV, conduits, produits complexes titrisés et
disséminés dans le système financier). Elles ont d’autre part poussé
beaucoup trop loin la dérégulation des institutions financières, comme par
exemple la décision prise en 2004, d’exempter pratiquement les banques
d’investissement de ratios d’endettement. Et le développement des
innovations, comme la dérégulation des institutions financières, a abouti,
dans le contexte d’ac- croissement de la liquidité, lié, comme nous
l’avons indiqué, aux déséqui- libres globaux de l’économie mondiale, à
un développement excessif du crédit, qui a nourri et s’est nourri de la
hausse du prix des actifs, conduisant finalement à la crise financière.
Par conséquent, la leçon que nous devons tirer de la crise, et le rapport
le dit très bien, c’est que les banques centrales ne doivent plus seulement
être atten- tives à l’évolution des prix à la consommation, mais qu’elles
doivent l’être aussi à celle du prix des actifs et par conséquent à
l’expansion du crédit.
Mais si, lorsqu’elles bornaient leur mission au maintien de la stabilité
conjoncturelle (inflation, chômage), les banques centrales pouvaient se
con- tenter de n’utiliser qu’un seul instrument, leurs taux directeurs, dès
lors qu’elles s’assignent une seconde mission, le maintien de la stabilité
finan- cière, c’est-à-dire du prix des actifs, elles doivent se doter pour
cela de nouveaux instruments.
Dans ces conditions, le rapport aboutit à deux recommandations
majeu- res : d’abord, ajouter une nouvelle mission aux banques centrales :
la sur- veillance du prix des actifs. Ensuite, par voie de conséquence,
ajouter de nouveaux instruments à la panoplie des instruments des
banques centrales.
Si ces recommandations sont peu contestables dans leur principe, doit-
on pour autant admettre, comme le rapport semble le penser, que leur
mise en œuvre permettrait d’éviter qu’une nouvelle crise financière,
semblable à celle que nous avons vécue, puisse se produire ?
Il est difficile de l’admettre pour plusieurs raisons.
274 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
Tout d’abord, l’expansion excessive du crédit qui a conduit à la crise
financière ne nous semble pas due essentiellement, comme le pense le
rap- port, à une politique de taux d’intérêt défectueuse de la Réserve
fédérale, ni même à une absence ou une insuffisance d’instruments
macro-prudentiels appliqués aux banques. Comme nous l’avons indiqué,
la cause, non pas unique, mais majeure de la crise financière que nous
avons connue réside dans les déséquilibres globaux de l’économie
mondiale dus eux-mêmes à la sous-évaluation massive de la monnaie de
la Chine. Ce sont ces déséqui- libres qui ont joué un rôle décisif dans
l’abondance de liquidité ayant con- duit à la crise. Et tant que ces
déséquilibres subsisteront, nous serons con- frontés au risque de
l’apparition et de l’explosion de bulles spéculatives. La seule solution
pour réduire ce risque de manière efficace réside dans une nouvelle
organisation monétaire mondiale, autrement dit dans une réforme du
système monétaire international, qui ne peut venir que d’une coopéra-
tion entre les différents gouvernements et banque centrales.
Ainsi, les conditions susceptibles de conduire à une expansion exces-
sive du crédit, et par conséquent du prix des actifs, restent toujours
présen- tes, hors du contrôle des banques centrales, prises une à une.
Cela étant, on peut penser, en suivant le rapport, qu’il appartient juste-
ment aux banques centrales de mettre en place les instruments permettant
d’éviter qu’une abondance de liquidité ne se traduise par une hausse
exces- sive du crédit et du prix des actifs.
Laissant de côté la difficile et quasiment insoluble question de savoir à
quel moment le prix d’un actif devient excessif, et par conséquent à quel
moment la Banque centrale doit intervenir pour en arrêter l’ascension, le
rapport suggère en particulier la mise en place de ratio « prêt sur valeur »
ou de réserves obligatoires progressives sur les crédits. On peut aussi pen-
ser à une utilisation plus active des réserves obligatoires sur les dépôts
comme à l’instauration d’un provisionnement dynamique ou au
renforcement des exigences en fonds propres et en liquidités. Si
l’utilisation de ces instru- ments apparaît a priori justifiée, il faut tout de
même souligner que leur efficacité n’est pas garantie, soit pour des
raisons techniques (les difficul- tés d’application des réserves obligatoires
sur les crédits sont bien connues qui avaient conduit la France à les
abandonner, l’existence d’un provisionnement dynamique n’a pas
empêché les difficultés rencontrées par les banques espagnoles), soit
surtout en raison de l’intégration des mar- chés financiers, qui est
désormais achevée au niveau mondial.
Et de fait la seule réglementation qui serait aujourd’hui efficace est
celle qui résulterait d’une coordination des banques centrales et des
autorités de régulation entre les États-Unis et l’Union européenne. Une
telle coopéra- tion apparaît cependant difficile à établir en raison de la
concurrence qui oppose les places financières de ces deux ensembles.
De sorte que même si des instruments prudentiels peuvent être mis en
place dans chacun de ces ensembles et, au-delà, dans les nations qui les
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 275
composent, on ne doit pas se faire d’illusion sur la capacité du système
financier mondial à empêcher l’apparition d’une nouvelle crise financière.
Et cela, d’autant plus que les mesures de réglementation mises en place
aux États-Unis, comme dans l’Union Européenne, qui visent à empêcher
la for- mation de nouvelles bulles de crédit, s’appliquent essentiellement
aux ban- ques, mais laissent de côté les institutions financières non
bancaires, le shadow banking system, qui a joué un rôle essentiel dans le
développement de la crise.
Le renforcement de la réglementation des banques, comme
l’alourdisse- ment d’obligations de capital ou l’interdiction de certaines
opérations, ris- que d’ailleurs d’être contre-productif et d’aboutir à un
transfert de certai- nes opérations des banques vers le shadow banking
system. Étant donné l’importance de la liquidité qui peut irriguer ce
système et l’intensité des liens qui le lient aux banques, on peut craindre
qu’il ne donne brusquement naissance à un choc systémique.

276 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


Complément A

La rénovation des politiques monétaires


Michel Aglietta
Université Paris Ouest, CEPII et Groupama Asset Management

La crise financière met en question bien des idées reçues. La politique


monétaire n’y échappe pas. Parmi les voix qui font autorité rien moins
que l’économiste en chef du FMI, Olivier Blanchard (Blanchard et al.,
2010), et l’ancien gouverneur de la Banque de France, Jacques de
Larosière (2010), ont récemment émis des vues convergentes. La doctrine
d’obédience monétariste qui a prévalu depuis trente ans doit être
sérieusement réaménagée.
Que les banques centrales n’aient pas réagi à l’orgie de crédits qui a
fait mûrir la crise est une évidence. Qu’elles aient subi la globalisation
finan- cière sans pouvoir mettre en place les coopérations nécessaires
pour en maîtriser les effets s’est vu bien avant la crise. Alan Greenspan a
fait part de son « conundrum », c’est-à-dire l’insensibilité des taux
obligataires améri- cains à la remontée du taux des fed funds, à partir de
mai 2004. Quant à l’inondation de liquidités avant la crise, quiconque
observait la base moné- taire mondiale pouvait voir son étroite corrélation
avec l’accumulation des réserves de change.
Il faut donc bien comprendre en quoi et pourquoi la doctrine dite du
ciblage de l’inflation est mise en porte-à-faux par les transformations de
la finance. Puis il faut redéfinir les principes et déterminer les moyens de
la politique monétaire en relation avec la régulation financière pour viser
à la fois la stabilité financière et la stabilité des prix(1).
(1) Les analyses et propositions présentées ici sont inspirées d’une étude plus détaillée de
Aglietta, Berrebi et Cohen (2009).

BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 277


1. La conception de la monnaie et la doctrine
de la politique monétaire
Les controverses sur la nature de la monnaie se poursuivent indéfini-
ment entre deux conceptions polaires. Pour les uns, la monnaie est
externe au monde de la production, car elle n’exerce pas d’effet durable
sur les prix relatifs des biens et des actifs ; son offre est exogène. Tout
objectif la con- cernant peut être tenu pour indépendant de tout autre
choix social. Il est donc légitime que la Banque centrale soit indépendante
des autres institu- tions publiques. En tant que garante de l’intégrité du
bien public qu’est la monnaie, elle énonce une norme d’inflation et utilise
un instrument, le prix auquel elle met la liquidité ultime, c’est-à-dire son
passif, à disposition des banques pour la faire respecter. « Un instrument,
un objectif » est le slogan qui résume la doctrine de la monnaie externe.
Pour les autres, elle est la contrepartie du crédit qui est indispensable à
la production., elle est donc interne ; son offre est endogène. La monnaie
est donc intrinsèquement liée à la finance. Une économie marchande est
donc avant tout un réseau de liens de dettes. C’est un commerce de
promes- ses sur des biens futurs, avant d’être un échange de biens
présents. Dans les économies monétaires, le pouvoir de commander la
création de monnaie permet à la dépense d’être le moteur de l’économie.
Ce pouvoir est aux mains d’agents privés, essentiellement les banques,
dans des processus de plus en plus complexes au fur et à mesure que se
développent les marchés financiers. C’est le pouvoir de commander la
création monétaire qui fait des banques des acteurs spéciaux de la finance
parce que leurs dettes sont postulées liquides. La contrainte de la liquidité
garantit que ce pouvoir n’est pas illimité. Cette contrainte se reflète dans
leur bilan, dans la relation entre leur actif et leur passif. À l’actif, les
banques font des crédits en tant qu’en- treprises privées cherchant à
maximiser leurs profits ; au passif, chaque banque fait partie du système
monétaire et doit donc assurer l’équivalence de la monnaie qu’elle crée en
monnaie centrale. Il s’ensuit que les banques supportent des risques
qu’elles ne peuvent assumer individuellement au même titre qu’une autre
entreprise. Dans la conception de la monnaie en- dogène, la Banque
centrale a la responsabilité de préserver la liquidité du système bancaire,
condition sine qua non de la stabilité financière. Mais, comme les
banques ont le pouvoir de la création monétaire, la préservation de la
liquidité ne va pas sans contraintes de réglementation et de supervision.
On voit donc que les idées théoriques sur la monnaie et les principes
de la politique monétaire s’influencent réciproquement. Dans la
conception de la monnaie exogène, dite monétariste, la Banque centrale
n’a pas à se préoccuper de ce qui se passe dans la finance. Assurer la
stabilité des prix, c’est-à-dire celle de la valeur de l’unité de monnaie sur
un panier conven- tionnel de biens et services, est sa seule mission. Les
bilans des intermé- diaires financiers ne la concernent pas. Dans la
conception de la monnaie endogène, la stabilité financière est un objectif
majeur des banques centra- les. C’est d’ailleurs celui qui les a constituées
comme banques des banques
278 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
(Aglietta et Mojon, 2010). Cet objectif n’est en aucun cas contenu dans la
stabilité des prix telle qu’elle est définie dans la perspective du monétarisme.
On comprend l’alternance historique des doctrines. Lorsqu’une
doctrine de politique monétaire inspirée d’une des deux conceptions de la
monnaie rencontre des difficultés persistantes d’application, le besoin de
changer de doctrine finit par ramener au premier plan la conception
opposée. Mais ce n’est pas sans drame. Ainsi a-t-il fallu le
développement de la crise infla- tionniste dans les années soixante-dix
pour que le monétarisme triomphe à la suite du coup de force de Paul
Volcker en octobre 1979 qui a ouvert la voie à la longue phase de reflux
de l’inflation. La stabilité des prix a fait avancer la globalisation
financière, a ouvert la voie aux innovations finan- cières et a facilité les
prises de risque agressives. Une série de crises finan- cières a émaillé
cette époque depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, jusqu’à la crise
globale de 2007-2008. L’explosion de l’endettement dans les années qui
ont précédé celle-ci, alors que les prix étaient remarquable- ment stables
et que les banques centrales louaient l’excellence de leur poli- tique qui
avait permis la « grande modération », montrent à quel point la doctrine
dite du ciblage de l’inflation était en porte-à-faux avec la dyna- mique
financière.
Il est vrai que, dans cette période de trente ans, la doctrine monétaire a
connu des aménagements. Dès les années quatre-vingt, la demande de
mon- naie devint instable lorsque les innovations financières se mirent à
propo- ser de proches substituts aux composantes de l’agrégat monétaire
suivi par les banques centrales. C’est la notion même de quantité de
monnaie qui devient floue lorsqu’en concurrence avec la liquidité
bancaire (les dépôts) se développe une liquidité financière (des titres
capables de donner un ac- cès immédiat aux moyens de paiement et des
contrats dérivés transférant les facteurs de risque incorporés dans ces
titres) (Goodhart, 1993). L’exclu- sivité de l’objectif de stabilité des prix
est demeurée, mais l’instrument de la quantité de monnaie est devenu
inopérant.
Sous l’impulsion d’Alan Greenspan, la Fed a mis en œuvre une appro-
che pragmatique qui a été rationalisée par la théorie au cours des années
quatre-vingt-dix. Le problème de la formation des anticipations
d’inflation, c’est-à-dire de la confiance dans la valeur de la monnaie, est
un jeu de coordination qui a des équilibres multiples. Il revient à la
politique moné- taire de fixer le point focal sur lequel les agents se
coordonnent implicite- ment en leur donnant un cadre institutionnel qui
permette d’éliminer tous les équilibres sauf une plage étroite. Ce cadre se
recommande d’une doc- trine monétaire renouvelée : le ciblage flexible
de l’inflation (Bernanke et Mishkin, 1997). Le cadre institutionnel peut
être défini comme un domaine d’action de la Banque centrale qui est une
discrétion contrainte. La stabilité des prix est définie comme une plage de
viabilité des taux d’inflation fu- turs, annoncés ou non par la Banque
centrale, à l’intérieur de laquelle ses actions bénéficient de la confiance
des agents privés, quel que soit l’objec- tif qui les motive. L’annonce,
c’est-à-dire le fameux ancrage nominal, n’est
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 279
pas nécessaire. Un degré satisfaisant de stabilité des prix s’observe sur un
cycle entier si les agents économiques ne manifestent aucun
comportement de protection contre l’inflation, sans qu’il y ait besoin
d’annoncer une cible quantifiée.
Ce cadre permet une diversité considérable des politiques monétaires
dans la pratique. La préoccupation de Greenspan pour le « risk mana-
gement », devenue célèbre, louée puis décriée, s’y est glissée sans diffi-
culté. Car Greenspan était convaincu que la politique monétaire peut
avoir des effets réels durables, parce que l’économie est constamment
soumise à des changements structurels, dont la détection est incertaine de
sorte que les anticipations d’inflation ne s’ajustent que lentement à la
perception de ces changements. Parmi ces changements il y a les
innovations qui n’ont évidemment pas de précédent historique pour y
appliquer des modèles stan- dard de valorisation. Les marchés financiers
sont saisis par une « exubé- rance irrationnelle » contre laquelle il est bien
difficile de lutter.
Cette incertitude est aussi l’environnement de la Banque centrale. La
Banque centrale doit donc gérer le risque macroéconomique en
envisageant un spectre de scénarios. Après avoir examiné la balance des
risques, il faut choisir une politique qui donne une assurance contre des
événements à proba- bilité basse, lorsque leur réalisation est susceptible
de provoquer des pertes économiques sévères.
Cette attitude conduit à prendre en compte la stabilité financière dans
les objectifs de la politique monétaire (Greenspan, 2004). Pourtant, après
avoir dénoncé l’exubérance irrationnelle, Greenspan s’est converti à
l’opti- misme ambiant selon lequel les innovations financières rendaient
les mar- chés plus efficients et plus complets. Comme les autres
banquiers centraux, il est demeuré insensible à toutes les alertes,
notamment les mises en garde de la Banque des règements internationaux
(BRI) (Borio, Furfine et Lowe, 2001) qui pointaient la fragilité croissante
des bilans des intermédiaires financiers : rythme d’expansion du crédit
divergeant de celui de la crois- sance économique, augmentation suspecte
du levier d’endettement des in- termédiaires financiers de marché,.
écrasement des spreads de crédit, spé- culation à sens unique sur les prix
des actifs emportés par un « momentum »(2) Finalement le « risk
management » a pris l’allure d’une action énergique et à sens unique de
prêteur en dernier ressort pour éviter les répercussions récessives de la
chute des prix des actifs sur l’ensemble de l’économie. Alan Greenspan a
généralisé le rôle du prêteur en dernier ressort, du sou-

(2) Jegadeesh et Titman (1993) montraient que les titres qui s’étaient appréciés au cours
des trois à douze derniers mois avaient de fortes chances d’être des titres gagnants lors des
trois à douze mois suivants, et que symétriquement les titres en baisse au cours de la
période avaient de fortes chances d’être perdants dans les trois à douze mois suivants. Le
momentum désigne ainsi une poursuite de tendance anticipée par les investisseurs : ces
derniers achè- tent les titres dont ils anticipent que la hausse va se poursuivre et vendent
ceux dont ils anticipent la poursuite de la baisse.

280
tien de la liquidité bancaire à celui du prix des actifs. Par sa conception
asymétrique du « risk management », il a procuré une assurance gratuite à
l’ensemble du système financier, une sorte de « put » généralisé dont la
prime était nulle, source inépuisable d’aléa moral. Après lui, l’ensemble
des grandes banques centrales occidentales ont prolongé la même
politique à une échelle inconnue dans le temps et dans l’espace à partir du
déclenche- ment de la crise financière en août 2007. C’est bien pourquoi
la prise en compte de la stabilité financière dans la politique monétaire est
à entiè- rement repenser. Pour le faire, il faut d’abord résumer les
transformations de la finance qui ont grandement fragilisé les bilans des
intermédiaires hors de tout contrôle prudentiel et qui ont créé de
nouveaux canaux du risque systémique.

2. L’instabilité financière : une préoccupation inévitable


Dans les dernières années du XXe siècle, la finance a assimilé une
inno- vation radicale qui a combiné trois ingrédients permettant de
dissocier le risque de crédit, de l’évaluer selon une méthode statistique et
de le transfé- rer. Ce sont les dérivés de crédit (credit default swaps ou
CDS), les modèles de value-at-risk et la comptabilité en valeur de
marché. Cette innovation a donné un essor extraordinaire à la titrisation
des crédits sous l’égide des banques d’investissement. Un énorme
élargissement de la gamme des ac- tifs financiers de marché s’est ainsi
ouvert, n’importe quel type de crédit pouvant désormais être titrisé. Il a
été postulé sans examen par tous les régulateurs financiers et par les
banques centrales que ces véhicules ren- daient les marchés plus complets
et disséminaient les risques, conduisant ainsi à une finance plus robuste
en même temps que plus efficiente (Frye, 2003). Les banques centrales se
sentaient confortées dans leur doctrine de n’avoir à s’occuper que de
l’inflation.
Or, la stabilité de l’inflation est propice à l’instabilité financière. La
sta- bilité des prix, couplée à la libéralisation financière, entraîne un bas
coût du crédit qui favorise un boom de la consommation et des prix des
actifs. La crédibilité acquise par la politique monétaire, du fait de la
croyance dans le discours monétariste, même lorsqu’elle n’est pour rien
dans les raisons qui maintiennent une inflation basse, influence les
anticipations d’inflation qui deviennent peu sensibles aux fluctuations
cycliques de la demande. Une des grandes caractéristiques du régime des
prix issu de la globalisation est que les variations de l’inflation sont, non
seulement d’ampleur réduite, mais retardées dans le cycle des affaires.
Seules les hausses entretenues de ma- tières premières, donc une
modification des prix relatifs, peuvent entraîner un relèvement limité du
taux d’inflation. Hormis cette circonstance, vis-à-vis de laquelle elles ne
peuvent pas grand-chose puisqu’il ne s’agit pas d’une inflation d’origine
monétaire, les banques centrales n’ont pas de raison de durcir la politique
monétaire si leur objectif épouse la règle de Taylor : maîtriser l’inflation
tout en facilitant la croissance au voisinage du potentiel.
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 281
Dans ces conditions, l’aversion pour le risque dans les marchés du
cré-
dit baisse à la fois chez les demandeurs et les offreurs de crédit. Les mar-
chés du crédit deviennent fragiles dans la méconnaissance des acteurs qui
pensent, au contraire, que le risque est minimal puisque les profits sont
hauts, l’inflation basse et le coût du crédit bon marché. Ce qu’il faut com-
prendre, c’est pourquoi les marchés du crédit sont incapables de s’ajuster
aux distorsions latentes qui mûrissent dans l’indifférence générale des
indi- cateurs objectifs de la détérioration des bilans, où le poids des dettes
monte inexorablement.
Rappelons que la titrisation permet de convertir les crédits en actifs
qui sont acquis par des investisseurs dans une logique de portefeuille sans
aucune connexion avec les emprunteurs. Cela permet aux offreurs de
crédit de ne pas se préoccuper du risque des emprunteurs puisqu’ils sont
rémunérés au volume par les commissions de la revente des crédits aux
banques d’inves- tissement qui constituent les pools à titriser. De leur
côté, en accord avec les agences de notation, ces banques considèrent que
le risque du pool est très faible par rapport à celui des crédits constituants.
Même si elles conser- vent un montant de titres émis dans les tranches
subordonnées, elles sont protégées, pensent-elles, par la valeur du
collatéral.
Dans ces conditions les déterminants de l’offre de crédit n’ont plus
grand- chose à voir avec ceux des crédits individuels que des banques
font à des emprunteurs pour financer leur activité et qu’ils portent jusqu’à
l’échéance. Dans ce cas, l’évaluation individuelle du risque de crédit,
c’est-à-dire le flux actualisé des revenus futurs de l’emprunteur,
détermine la qualité du crédit. Le crédit contre collatéral, au contraire,
dépend de l’anticipation du prix d’un actif, donc de l’anticipation des
autres offreurs de crédit qui vont collectivement pousser le prix à la hausse.
C’est un processus auto-référentiel.
L’offre et la demande de crédit sont donc étroitement corrélées
positive- ment, puisqu’elles dépendent toutes deux d’un même
déterminant : l’anti- cipation de la hausse du prix des actifs financés par
le crédit. L’expansion du crédit valide la hausse du prix des actifs. Celle-
ci entraîne l’économie dans un cercle où toutes les interactions se
renforcent. Le déplacement vers la droite de la fonction de demande de
crédit se répercute sur l’offre dans le même sens. L’offre de crédit
progressant en étroite corrélation avec la de- mande, le taux d’intérêt reste
stable, ce qui empêche l’ajustement par le coût du crédit. L’offre et la
demande de crédit ne cessent de se déplacer vers la droite et de valider
l’anticipation de la hausse du prix des actifs. Ce cercle a une apparence
vertueuse, mais il devient subrepticement vicieux au fur et à mesure que
la bulle spéculative se renforce et que la fragilité s’insinue dans les bilans
des emprunteurs. Le dérapage n’a pas de contre- poids endogènes dans la
phase euphorique du cycle financier puisque tous les enchaînements
dynamiques se renforcent mutuellement.
La phase d’essor engendre donc des comportements qui fragilisent le
système financier. La détérioration des conditions du crédit est dissimulée
aux acteurs par l’euphorie des marchés d’actifs du fait de son expansion.
282 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
La fragilité s’insinue parce que les emprunteurs, qui perçoivent des oppor-
tunités de gains en capital sur les actifs, tout en sous-estimant les risques,
recourent au levier de l’endettement pour maximiser leurs gains. Il
s’ensuit que la marge de sécurité des emprunteurs en cas de retournement
brutal des prix d’actifs, ou de revers dans l’évolution de leurs propres
revenus, s’ame- nuise au point de disparaître (Kregel, 2008). De leur côté,
les prêteurs sont aisément mystifiés par la solidité apparente d’une
convention haussière dans les marchés d’actifs, lorsque ceux-ci sont dans
une phase de hausses en chaîne des prix. Ils pensent que la valeur des
actifs qui constituent le colla- téral de leurs prêts va s’apprécier et
garantir leurs créances. Ils sont confor- tés par la caution « scientifique »
de leurs modèles de value-at-risk. Ces modèles, fondés sur la
comptabilité en valeur de marché déterminent la probabilité de défaut des
portefeuilles de crédit en fonction inverse de la distance au défaut,
laquelle baisse avec l’appréciation des prix d’actifs. Comme toutes les
banques utilisent les mêmes modèles qui dépendent de la même variable
déterminante, la hausse du prix de l’actif en collatéral, la concurrence des
prêteurs pour démarcher les emprunteurs potentiels pousse le crédit de
plus en plus à la hausse.
Au paroxysme de la phase euphorique, le cercle vicieux ne se soutient
plus que par la persistance de la bulle sur au moins un marché d’actifs.
Remarquons que l’accélération du crédit fait monter les ratios
dette/revenu et service de la dette/revenu des emprunteurs. Le niveau
élevé des prix d’actifs ne suffit pas à dissimuler la fragilité financière.
Seule la poursuite d’une hausse rapide le peut. Or une bulle est une
valorisation qui n’est pas justifiée par la promesse des revenus futurs
qu’un actif est censé réaliser. Elle va certainement éclater, mais à une
date inconnue. Lorsque l’ascen- sion des prix se retourne, la situation
précaire du crédit est révélée de ma- nières différentes selon les marchés.
Dans les marchés boursiers, c’est l’ac- croissement de la volatilité qui est
souvent le signe avant-coureur d’une inquiétude sur la solvabilité des
dettes accumulées. Dans les marchés im- mobiliers un ralentissement des
hausses de prix suivi d’un plafonnement suffit à augmenter les taux de
pertes sur les crédits. Lorsque le reflux des prix d’actifs commence, soit
sous la forme de l’amorce d’une longue baisse, soit sous la forme d’un
krach, le ratio dette/valeur du collatéral s’élève progressivement ou
violemment. La fragilité apparaît sous la forme du surendettement, du
surinvestissement dans les actifs spéculatifs et de la concentration des
risques dans les bilans des banques prêteuses.
La dynamique pro-cyclique résulte donc d’un levier qui est fonction
croissante de l’appréciation des prix d’actifs, alors qu’une régulation
prudentielle efficace devrait rendre cette corrélation négative (Minsky,
1986).
Lorsque le prix de l’actif qui a polarisé la spéculation à crédit se re-
tourne, ce qui est inévitable puisque le dérapage du crédit a nourri la bulle
spéculative sur le prix de l’actif, la boucle d’interactions fonctionne à
l’en- vers. La baisse du prix des actifs accroît les pertes extrêmes non
anticipées sur les crédits qui les ont financées. Le levier désiré baisse,
alors que le
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 283
levier effectif augmente fortement parce que la dégringolade des prix
d’ac-
tifs élève le ratio dettes/valeur de marché des collatéraux. La détérioration
des situations financières déclenche les ventes de détresse d’actifs, le re-
trait des lignes de contreparties entre les banques et la recherche de liqui-
dité à tout prix. Ce sont les symptômes du risque systémique. C’est une
situation dans laquelle les réponses rationnelles des agents individuels au
stress financier qu’ils subissent, bien loin de conduire à un ajustement des
marchés, sont étroitement corrélées et font empirer les pertes de tous
(Aglietta et Moutot, 1993). C’est donc un défaut de coordination massive
des marchés en incertitude sévère qui provoque cette transformation dra-
matique des interdépendances par rapport à ce qu’elles sont dans un envi-
ronnement calme.
Une crise systémique implique donc de fortes externalités entre les en-
treprises financières qui sont individuellement importantes par leurs con-
nexions dans les relations qui nourrissent le risque de contrepartie, ou qui
sont importantes par leur participation à un groupe mimétique fuyant vers
la liquidité ou suivant un marché baissier. La crise systémique sécrète une
atmosphère étrange où chacun perd ses repères, où toute évaluation est
fu- gace et ne parvient pas à se fixer dans une convention communément
acceptée. Parce que la myopie au désastre entraîne une cascade de
défaillances, le coût social d’une crise est beaucoup plus élevé que le coût
privé de la faillite des entreprises qui déclenchent la contagion.
Dans ces conditions, l’intervention de l’État est non seulement
légitime, elle est impérative pour modérer l’impact dévastateur de la
déflation de la dette du secteur privé sur toute l’économie. Une meilleure
politique est celle qui reconstruit la régulation financière pour rendre la
finance plus robuste au risque systémique. C’est l’enjeu de la politique
macro prudentielle qui implique la prise en compte de la stabilité
financière dans la politique monétaire. Toutefois le problème est
compliqué par la globalisation finan- cière qui crée de fortes interactions
entre les marchés d’actifs.

3. Une politique monétaire élargie


L’expérience de la crise financière va conduire les banques centrales à
accepter ce qu’elles ont écarté jusqu’ici, à savoir que la stabilité
financière est un objectif à part entière de la politique monétaire. Elles
doivent éla- borer et conduire une politique monétaire élargie. Il en
résulte plusieurs problèmes à résoudre. Il faut d’abord définir un objectif
opérationnel. Or la fragilité financière vient d’une détérioration
progressive des bilans dans l’ensemble du secteur privé, mais masquée
par la hausse du prix des actifs, sous l’impact d’une dérive du crédit.
L’objectif doit donc être de modérer l’expansion du crédit, lorsque les
incitations microéconomiques condui- sent les banques à le pousser au
maximum. C’est une action délibérément contra-cyclique. Il faut ensuite
déterminer quel instrument de politique
284 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
économique peut efficacement permettre d’atteindre l’objectif. Le taux d’in-
térêt est l’instrument usuel des banques centrales. Mais l’expansion du
cré- dit dans une vague haussière des marchés financiers est peu sensible
au taux d’intérêt. De plus, il n’est pas optimal, voire contre-indiqué,
d’essayer d’atteindre deux objectifs, à savoir la stabilité financière et la
stabilité des prix, avec un seul instrument. Il arrive des situations
conjoncturelles où un conflit d’objectifs se produit dans l’orientation qu’il
faut donner au mouve- ment du taux d’intérêt. Il faut donc se doter d’un
instrument qui influence le volume du crédit. Mais, dans la finance des
marchés libéralisés, il est hors de question de recourir à l’encadrement
direct du crédit. Il serait con- tourné par la titrisation. Il faut un
instrument, certes contraignant, mais qui agisse comme une incitation
pour les banques à limiter leur offre de crédit. On a vu que la capacité à
développer le crédit a été énormément amplifiée par les innovations qui
ont permis aux banques de réduire leur capital. Il faut donc un instrument
qui les en empêche, c’est-à-dire un capital régle- mentaire contra-
cyclique, dépendant du niveau agrégé de crédit que toutes les banques
contribuent à gonfler ; d’où l’appellation « macro-prudentiel » de ce
montant de capital. Il implique de mettre en place une procédure « top
down », du niveau agrégé de la politique monétaire au niveau décentralisé
de la régulation prudentielle (Brunnermeier, Crocket, Goodhart, Persaud
et Shin, 2009). En outre, la crise a montré que la distorsion entre les
échéances d’actifs illiquides et d’un passif à très court terme a été le
facteur prépondé- rant dans la contagion fulgurante qui a généralisé la
crise. Il faut donc éta- blir un mécanisme qui incite les banques à gérer
leur liquidité en fonction de la maturité de leur actif, sans postuler que le
marché monétaire est per- pétuellement et parfaitement liquide. Les
banques doivent être contraintes à constituer des coussins de liquidité
d’autant plus que leurs actifs sont plus illiquides et que le « mismatch »
d’échéance entre actif et passif est grand. C’est pourquoi il faut renforcer
sensiblement le lien entre les banques cen- trales et les superviseurs des
banques.
S’engager dans cette voie modifierait profondément la position des
banques centrales vis-à-vis du système financier global. Leurs liens avec
les superviseurs bancaires, dans les pays où elles avaient abandonné toute
implication dans la supervision pour ne pas contaminer leur
indépendance, devraient être considérablement renforcés. En outre, le
périmètre des en- tités financières potentiellement susceptibles de
provoquer le risque systé- mique ne coïncide pas avec celui des banques
de dépôts, qui sont les seules actuellement à supporter un capital
réglementaire. Ce sont les entités finan- cières à importance systémique
qui doivent faire l’objet d’un contrôle ren- forcé et articulé à la politique
monétaire, que cette importance provienne de la taille, du réseau
d’interconnexions ou de réactions polarisées d’une meute mimétique à
des perturbations de marché. Le système bancaire pa- rallèle (banques
d’investissement, hedge funds, fonds de private equity et structures ad
hoc opérant dans les marchés de crédit structuré) doit être englobé dans la
politique macro-prudentielle et donc soumis à la surveillance de la Banque
centrale.
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 285
Pour définir le périmètre des entités systémiques, les banques
centrales
doivent coopérer avec toutes les catégories de superviseurs, utilement ras-
semblées dans un Conseil du risque systémique. Parce que les structures
de marchés varient, que des événements de crédit changent les
interconnexions et que les stratégies des acteurs financiers les conduisent
à des fusions et acquisitions, ce périmètre n’est pas fixe. Il doit être révisé
chaque année et la contribution de chaque entité au risque systémique doit
être mesurée en utilisant différentes techniques (FMI, 2009) (modèles
structurels d’interdé- pendances de bilans, tests de stress,
macroéconomiques, mesures statis- tiques des risques endogènes de type
CoVaR, cf. Adrian et Brunnermeier 2009).
Les obstacles à l’établissement de cette réforme profonde sont
considé- rables pour plusieurs raisons :
• la régulation macro-prudentielle replace les banques centrales au
cœur d’un jeu politique dont la doctrine du ciblage de l’inflation avait
cherché à les soustraire ;
• une politique contra-cyclique, visant délibérément à freiner la dérive
du crédit dans une phase euphorique d’expansion financière, heurte de
nom- breux intérêts privés et liés à la hausse du prix des actifs qui est
alimentée par le crédit ;
• l’efficacité de la maîtrise du crédit dépend d’un accord international
très large pour éviter que les entités financières à levier ne déplacent leurs
activités dans les places offshore.

3.1. La mise en place d’une politique macro-prudentielle


La politique macro-prudentielle est une approche top down selon la-
quelle la Banque centrale détermine un montant agrégé de capital requis,
lequel devra être distribué sur les banques en fonction de leur aptitude à
contribuer au risque systémique. Dans cette perspective, l’objectif est
d’empêcher que la dynamique financière conduise à une crise. Il s’agit de
moduler un montant de capital à imposer aux institutions financières à
im- portance systémique en fonction de l’écart cumulé du crédit au-
dessus du montant que l’on aurait obtenu si l’offre de crédit avait suivi la
tendance de long terme (Borio et Shim, 2007). Il faut donc déterminer
une évolution tendancielle du crédit au secteur privé compatible avec la
croissance poten- tielle de l’économie, calculer l’excès de crédit comme
un écart cumulé à ce benchmark et calibrer le capital réglementaire
agrégé contra-cyclique à imposer à l’ensemble des entités financières
systémiques en fonction crois- sante de l’excès de crédit. Ce capital
requis doit être distribué sur les entités financières systémiques en
fonction de leur contribution au risque systé- mique. C’est donc une
approche « top down » qui abolit l’indépendance de la régulation
prudentielle des banques vis-à-vis de la politique monétaire (cf. figure).

286 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


Procédure top down de la politique macro-prudentielle

Au niveau de la Banque centrale

Mesure de la croissance agrégée Estimation de la relation


du crédit de long terme entre crédit
et croissance potentielle

Indice de la dérive du crédit dans le cycle financier

dans le portefeuille titrisé dans le portefeuille bancaire

Montant de capital
pour que Montant de capital
la corrélation contra-cyclique
levier/prix actifs
soit < 0

Au niveau du superviseur bancaire

Estimation de la contribution Estimation de la maturité


au risque systémique effective

Capital contra-cyclique Réserve marginale individuelle


individuel

Cet excès d’offre de crédit est distingué entre le portefeuille bancaire


et le portefeuille titrisé qui ne sont pas comptabilisés selon les mêmes
normes comptables. Bien entendu, le portefeuille titrisé doit être calculé
sur une base consolidée pour empêcher les arbitrages réglementaires. Les
banques d’investissement doivent rapatrier les véhicules hors bilan
qu’elles ont créés pour échapper à la réglementation Bâle II.

BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ 287


FINANCIÈRE
Le capital pour risque systémique imposé par la nouvelle régulation
macro-prudentielle est un coût supporté par l’ensemble des banques à
inci- dences systémiques, élargi aux entités du système bancaire parallèle,
en contrepartie de la protection que leur accorde la Banque centrale parce
qu’elles sont trop systémiques pour faire faillite. C’est pourquoi d’aucuns
voudraient le déterminer comme une prime d’assurance plutôt qu’un
capital réglemen- taire. C’est une proposition parente. L’essentiel est
qu’elle soit calculée de la même manière. Chaque institution financière
subit une part d’un mon- tant agrégé, fonction de l’excès cumulé du crédit
au secteur privé, cette part étant dépendante elle-même de sa contribution
au risque systémique.
Toutefois cette avancée de la régulation prudentielle, étroitement liée
au contrôle du crédit par la politique monétaire, est préventive. L’objectif
est de lisser le cycle financier pour que les retournements déclenchent
moins de crises et pour en limiter la gravité si elles se produisent quand
même. Ce dispositif ne suffit pas à mettre les banques en état de résister à
un stress de marché provoqué par le retournement des prix des actifs
lorsqu’il se pro- duit. Si les banques ne gèrent pas prudemment le
financement de leurs ac- tifs, elles subissent le paradoxe de la liquidité.
En effet, la crise financière a mis en pleine lumière ce paradoxe. On a
répété à satiété que la liquidité macroéconomique était abondante avant la
crise. Elle l’est restée pendant la crise puisqu’il n’y a pas eu de faillites
massives en chaîne de banques détruisant la base de dépôts. D’ailleurs la
garantie non seulement des dépôts, mais des passifs des fonds communs
de placement monétaire, plus les interventions massives des banques
centrales en dernier ressort, ont préservé les avoirs liquides de tous les
agents non financiers. Pourtant, la liquidité des marchés monétaires s’est
grippée à plusieurs reprises depuis le mois d’août 2007. Elle s’est
complètement éva- nouie en septembre-octobre 2008. Cet assèchement de
la liquidité des mar- chés s’est répercuté de manière dramatique sur les «
shadow banks » qui avaient recours au marché monétaire de gros pour
financer des positions d’actifs illiquides. Cet énorme « maturity mismatch
», auquel les supervi- seurs n’ont rien trouvé à redire avant la crise, est
venu de l’illusion collec- tive que les marchés de capitaux étaient
efficients, donc toujours parfai- tement liquides. Cette illusion a été
d’autant plus dommageable qu’elle a justifié les leviers déraisonnables et
les distorsions d’échéance. Les banques ont considéré qu’il n’y avait
aucun besoin de gérer leur liquidité,
« les marchés », ces entités mythiques, s’en chargeaient pour eux. Or la
liquidité de marché n’est rien d’autre qu’une croyance de chacun des
parti- cipants qu’il va toujours trouver une contrepartie à tout moment
pour ven- dre des actifs contre du cash sans pertes en capital. Dans les
circonstances où cette croyance collective est mise en doute, elle peut se
retourner com- plètement, personne ne voulant plus acheter des actifs
dont il ne peut esti- mer la valeur future (Adrian et Shin, 2008).
La préservation de la stabilité financière a donc une dimension
liquidité de marché qui est essentielle. La Banque centrale doit se donner
les moyens d’inciter les banques à gérer le financement de leurs actifs
avec prudence.
288 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
Pour ce qui concerne les banques de dépôts, la solution américaine adoptée par
la loi Federal Deposit Insurance Coorporation Improvement Act
(FDICIA) de 1991, qui consiste à donner à l’organisme d’assurance des
dépôts mis- sion et autorité de surveiller étroitement les banques par une
action correc- tive précoce, s’est avérée efficace. Le problème principal
concerne les banques de marché, donc le portefeuille d’actifs « marked-
to-market ».
La distorsion d’échéances (maturity mismatch), consistant à financer
des actifs illiquides avec des engagements très courts et renouvelés sur le
marché monétaire, est encouragée par les évaluations en « mark-to-market
». Car les actifs et les passifs au bilan d’une banque de marché sont
évalués indépen- damment les uns des autres. Ainsi un pool d’actifs est-il
évalué au même prix, qu’il soit adossé à des dettes obligataires de T
années ou à des dettes à court terme (moins d’une année). Or il est
évident que le risque de liquidité pour la banque est très différent dans les
deux cas. On ne peut prétendre promouvoir une comptabilité « en juste
valeur », si on ne corrige pas cette anomalie. La juste valeur doit prendre
en compte le risque de liquidité subi par les entités financières qui
détiennent les actifs. Ce n’est pas toujours le prix de marché d’un actif
lorsque celui-ci n’est pas liquide.
Pour résoudre ce problème, il faut modifier les normes comptables,
c’est- à-dire appareiller les pools d’actifs et le passif qui les finance. Un
pool d’actifs financé par des dettes à court terme qu’il faut renouveler, ce
qui crée un risque de liquidité maximum serait « marked-to-market ». Le
même pool d’actifs, adossé à des obligations de T années, serait valorisé
selon la valeur actualisée des prix futurs anticipés sur T années. C’est le «
mark-to- funding ». Dans une crise la perte de valeur, due à la
détérioration de la liquidité de marché, de l’actif de l’institution
financière qui gère prudem- ment son financement serait amortie, voire
annulée ; ce qui rendrait son bilan plus robuste (Goodhart, 2008).
Pour séparer le risque de crédit et le risque de liquidité, les banques
centrales peuvent donc instaurer le « mark-to-funding ». Bien sûr, il ne
faut pas laisser les banques le déterminer elles-mêmes. On serait sûr de
manipu- lations destinées à camoufler le risque de liquidité. C’est le
superviseur qui devrait faire ce travail après s’être fait communiquer les
positions détaillées des portefeuilles de trading et les passifs
correspondants. L’écart entre le
« mark-to-funding » et le « mark-to-market » d’un actif déterminerait sa
maturité effective. Les banques centrales devraient imposer des réserves
marginales sur les pools d’actifs les plus sensibles au risque de liquidité.
Plus le mismatch de liquidité est grand, plus le taux de réserve marginale
devrait être élevé.

3.2. Politiques monétaires et interdépendances internationales


L’économie mondiale est loin d’être un ensemble parfaitement
intégré. Les économies nationales sont certes ouvertes à leurs influences
réci- proques par de multiples canaux. Leurs interdépendances se
répercutent du haut en bas de leurs balances de paiements. Mais les
modes d’insertion par
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 289
le change et les marchés de capitaux sont très différents entre les pays
déve-
loppés et les pays émergents. Les préférences nationales sont hétéroclites
et induisent des politiques économiques discordantes. Aussi la
globalisation est-elle assortie d’un sérieux problème de cohérence.
Le consensus de Washington, forgé après l’effondrement de l’URSS,
croyait avoir résolu le problème par une victoire sans partage de la
conception anglo-saxonne de la finance. Le néo-libéralisme était censé
s’implanter partout. Les pays émergents étaient sommés d’importer non
seulement les capitaux, mais aussi les institutions du néo-libéralisme
occidental. Libéra- liser les prix, privatiser, faire maigrir les budgets
publics étaient devenus des impératifs catégoriques au début des années
quatre-vingt-dix. Cette folle aventure a brutalement pris fin avec la crise
asiatique et ses répliques russe et latino-américaine. Les pays qui ont subi
ces désastres ont recouvré l’auto- nomie de leur politique économique, en
répudiant la flexibilité intégrale des changes, en devenant très compétitifs
et en accumulant des réserves de change. La Chine a affirmé sa voie
capitaliste distinctive. Le manque de cohérence économique s’est
manifesté dans les déséquilibres de balances de paiements sous la
prépondérance du dollar tout au long de années 2000. La crise financière
a exacerbé les dysfonctionnements du Système moné- taire international
(SMI), tout en mettant un terme à l’excès d’endettement qui les ont
suscités. Quel peut donc être le dénouement de cette crise du point de vue
de la transformation du SMI et de son incidence sur les politiques
monétaires ?
Dans l’époque qui s’ouvre, c’est le triangle États-Unis-zone euro-
Chine qui va déterminer les relations monétaires dominantes. La capacité
à établir un leadership politique, non seulement pour sortir de la crise
mais aussi pour construire les bases de la croissance future, va jouer le
rôle décisif.
À cet égard, l’Europe est le ventre mou dans la confrontation des
monnaies. Non seulement l’absence de politique unifiée dans la crise va
entraîner un retard supplémentaire de l’Europe dans la reprise de la
croissance, comme cela a toujours été le cas dans toutes les récessions
depuis le début des années quatre-vingt, mais elle n’a tout simplement pas
de représentation politique de sa monnaie. Aucun dirigeant européen n’a
l’autorité légitime, ni la doctrine pour énoncer une politique monétaire
extérieure de l’euro. Ajoutons que les gouvernements de l’Europe ne
semblent pas avoir le cou- rage politique d’entreprendre les coopérations
budgétaires pour redresser la croissance potentielle.
Il s’ensuit que la relation stratégique entre les États-Unis et la Chine
va dominer la géopolitique dans la prochaine décennie. Ces deux énormes
puissances sont celles qui développent les moyens budgétaires les plus
im- portants pour sortir de la crise. Ce sont aussi celles qui ont des
gouverne- ments capables de mener des politiques économiques pour
transformer le régime de croissance. Ces deux pays ont d’ailleurs des
objectifs communs : d’une part, maîtriser les coûts de la santé et établir
une couverture univer- selle et, d’autre part, réduire l’intensité
énergétique, faire évoluer la com-
290 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
position des sources d’énergie primaire et renverser la dégradation de l’en-
vironnement.
Le gouvernement des États Unis espère ainsi régénérer les bases du
leadership du pays. Car la primauté du dollar dépend de l’attractivité à
long terme des marchés financiers américains et celle-ci des perspectives de
ren- dement élevé d’entreprises dynamiques. Dans la nouvelle phase de sa
ré- forme, la Chine a intérêt à faire évoluer le système monétaire
international. Elle développe pour cela une stratégie à trois facettes pour
protéger la va- leur de ses énormes avoirs à l’étranger. La première
consiste à prendre date. Le gouvernement chinois engage le débat pour la
réforme du SMI en po- sant le problème d’un actif de réserve grâce
auquel la Chine pourrait subs- tituer hors marché une partie de ses
réserves en dollars. La deuxième con- siste à diversifier les avoirs à
l’étranger entre classes d’actifs pour accéder à des rendements capables
de compenser une éventuelle faiblesse de lon- gue durée du dollar. Cela
passe par la dotation de montants de réserves de change aux fonds
souverains et par les participations capitalistiques des entreprises
chinoises dans des entreprises étrangères. La troisième dimen- sion, la
plus significative du point de vue de la configuration des relations
monétaires internationales, est la convertibilité progressive du yuan dans
le cadre de la formation d’une zone de coopération monétaire en Asie. Au
fur et à mesure que cette transformation s’opérera, le monde s’éloignera
du semi-étalon dollar.
Dans le semi-étalon dollar qui a fonctionné tant bien que mal jusqu’à
la crise, les pays émergents importaient la politique monétaire américaine
via leur ancrage plus ou moins souple sur le dollar, d’où l’explosion des
réser- ves de change. Dans un monde à interdépendances plus
symétriques, les discordances de politique monétaire ont toutes les
chances de se répercuter sur les taux de change. Si un pays mène une
politique de taux bas pour relancer la demande interne et sortir de la
croissance molle, l’arbitrage des banques d’investissement, des hedge
funds et autres fonds spéculatifs con- duit au « carry trade » :
endettement dans le pays à bas coût du crédit pour investir dans les pays
où les rendements des actifs sont élevés et pression haussière sur les taux
de change de ces pays. Cela y stimule la consom- mation et peut y
provoquer soit de l’instabilité financière, soit des tensions inflationnistes
selon la nature des actifs sur lesquels se polarise la spécu- lation.
Dans tous ces cas, dans la mesure où la politique monétaire ne prend
pas en compte les conséquences sur les autres pays, les mouvements de
capi- taux nourrissent un processus auto-réalisateur. Celui-ci ne s’arrête
que par la formation de bulles sur les actifs et leur éclatement qui
renverse les flux de capitaux. C’est pour le moins une régulation
internationale peu satisfai- sante. Deux phénomènes liés à la globalisation
sont particulièrement perturbateurs pour l’action des banques centrales :
les violentes pressions sur les prix des matières premières et la
transmission rapide des chocs financiers.
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 291
Les banques centrales doivent comprendre comment les canaux de
trans-
mission de la politique monétaire sont altérés par les interdépendances
glo- bales entre les marchés financiers. Il faut que la préoccupation
macro- prudentielle soit partagée entre les banques centrales. Le Conseil
de stabi- lité financière de Bâle semble l’instance adéquate pour organiser
cette coo- pération. L’échange intensif d’informations permet à la
politique moné- taire de continuer à être conduite au niveau national, tout
en incorporant les actions anticipées des autres banques centrales. La
prise en compte d’une préoccupation macro-prudentielle incite à
développer des analyses sur les structures financières de manière à
comprendre la propagation des chocs qui, par politiques inadaptées,
deviennent globaux. Des tests de stress macro- économiques conduits par
le FMI avec collaboration des banques centrales nationales seraient très
utiles pour élaborer une véritable gestion des risques macroéconomiques
qui soit anticipatrice (forward-looking) et sen- sible aux canaux
internationaux de propagation des booms du crédit et des bulles sur les
prix des actifs. Les banques centrales attentives à des scéna- rios de risque
macroéconomique seraient mieux armées pour éviter de con- tribuer
passivement au développement des déséquilibres et facilitant l’ex-
pansion excessive du crédit.
Dans les conditions de la sortie de crise, la position extérieure très
négative des États-Unis, gonflée par une énorme augmentation de la dette
publique, devrait fragiliser le dollar. Le danger est alors dans une hausse
des taux obligataires américains qui en découlerait et qui entretiendrait
une spirale baissière du dollar. La meilleure manière de le conjurer est de
raviver l’idée du compte de substitution au FMI qui concrétiserait la
suggestion du gouverneur de la Banque centrale de Chine de doter le SMI
d’un actif supranational de réserve. Il réaliserait une diversification des
réserves in- ternationales hors marché, donc sans la perturbation
catastrophique provo- quée par la vente massive de dollars sur les
marchés de change. Les déten- teurs officiels de dollars en excès par
rapport à leurs montants désirés les déposeraient dans un compte séparé
au FMI en contrepartie d’une alloca- tion de DTS (droits de tirage
spéciaux), réalisant une diversification des réserves de change. Ce serait
un jeu coopératif gagnant. La Chine et d’autres pays, dont les réserves de
change ne sont pas bien diversifiées, pourraient le faire sans subir de
conséquences malencontreuses sur les prix des devi- ses. Les États-Unis
éviteraient une chute du dollar. L’euro et le yen seraient protégés des
effets malencontreux de cette chute. Ce serait un acte majeur de
gouvernance internationale. En contrepartie, la Chine serait invitée à
contribuer plus au renforcement des ressources du Fonds, un pré-requis
pour réguler un système pluri-devises.

292 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


Conclusion
La politique monétaire menée sur la dernière décennie, uniquement
orien- tée vers la stabilité des prix ou vers le ciblage de l’inflation, a
facilité, si ce n’est alimenté, la bulle du crédit. La croyance selon laquelle
la stabilité de l’inflation à bas niveau, donc la stabilité monétaire, assurait
la stabilité fi- nancière a permis d’entretenir cette bulle pendant des
années. Ainsi, la po- litique monétaire de ciblage de l’inflation au sens le
plus strict du terme qui a fermé les yeux sur la capacité du crédit à
provoquer de l’instabilité finan- cière est-elle révolue. Elle doit
radicalement changer afin d’assurer la sta- bilité financière qui n’est plus
un corollaire de la stabilité monétaire.
La politique menée sur les taux directeurs doit être infléchie pour être
plus sensible aux dérapages du crédit et à l’essor du prix des actifs. Cette
politique doit être complétée par une politique macro-prudentielle, qui est
fondée sur deux piliers : un capital réglementaire contra-cyclique pour
pré- venir le risque systémique et des réserves obligatoires pour mettre les
banques en situation de mieux supporter d’éventuels assèchements de la
liquidités dans les marchés monétaires.
La coopération des politiques monétaires est indispensable dans une
finance globalisée et intrinsèquement instable. Elle implique que le
Conseil de stabilité financière créé par le G20 et le FMI travaillent de
concert pour alerter sur les risques globaux et pour inciter les banques
centrales à adopter les mêmes principes de politique macro-prudentielle.
En outre, la probable transformation du SMI vers un système
polycentrique va trans- férer les déséquilibres sur les taux de change. Les
échanges de vues entre les banques centrales devront faire revenir le
change au premier plan d’une régulation viable de la finance globalisée.

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294 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


Complément B

La surveillance macro-prudentielle
Charles A.E. Goodhart
Financial Markets Group, London School of Economics

1. Pourquoi la surveillance macro-


prudentielle est-elle nécessaire ?
L’expérience de ces dernières années démontre sans ambiguïté que la
stabilité des prix (illustrée entre autres par le respect d’objectifs d’infla-
tion) ne garantit pas la stabilité financière. Certains ont d’abord craint que
la quête de stabilité des prix n’alimente la volatilité de la production
réelle (Rogoff, 1985) mais c’est l’inverse qui s’est produit, du moins
durant la période de Grande modération (qui pour l’Europe peut être
datée de 1992 à 2007). Ainsi, jusqu’à la débâcle survenue au quatrième
trimestre 2008, la production a crû de manière beaucoup plus stable qu’au
cours des précé- dentes décennies.
Certains dirigeants, économistes et observateurs ont probablement
pensé qu’une telle stabilité macroéconomique de l’inflation et de la
production (et aussi des taux d’intérêt nominaux et du chômage) se
traduirait par une stabilité accrue des prix des actifs. Si les fondamentaux
macroéconomiques étaient plus stables, alors, à coup sûr, les prix des
actifs le seraient aussi. Pourtant, même en excluant les dernières années
de crise, peu d’éléments confirment que les prix des actifs étaient plus
stables de 1992 à 2006 qu’au cours de la précédente période équivalente
(1977 à 1991), à l’exception des emprunts d’État.
Dans le tableau suivant, nous prenons l’écart-type par rapport à la
tendance mesurée de 1970 à fin 2009, pour un ensemble de variables
amé- ricaines.

BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 295


Écart type par rapport à la tendance

1977-1991 1992-2009
NYSE 1,255553 4,389932
Prix immobiliers américains 0,838291 0,748006
Cours de change dollar/yen(*) 0,000368 0,000515
Cours de change dollar/livre sterling(*) 0,103489 0,066887
Bon du Trésor américain à 10 ans 0,894748 0,492445
Lecture : (*) Pour les données sur les cours de change, le filtre de Hodrick-Prescott a été
appliqué de 1971 à 2009.
Sources : Federal Reserve de St Louis, Prix immobiliers américains, cours de change et
bon du Trésor à 10 ans, Statistiques financières internationales (FMI) et NYSE S&P 500.

Plusieurs raisons expliquent le comportement divergent des fondamen-


taux macroéconomiques et de la variabilité des prix des actifs. D’une part,
on peut évoquer la relation entre l’aversion au risque variable des agents
intervenant sur les marchés financiers et les fondamentaux macroécono-
miques (concept développé principalement par Hyman Minsky, 1977, 1982
et 1986). Lorsque les fondamentaux macroéconomiques semblent au beau
fixe, l’aversion au risque diminue. Les intermédiaires financiers
accroissent leur levier d’endettement et se déplacent le long de la courbe
de risques, et ce d’autant plus que les taux d’intérêt relativement sans
risque sur la dette publique reculent. Pour reprendre la terminologie de
Minsky, les agents économiques passent de financements sans risque à
des financements spé- culatifs et, dans certains cas, à des financements «
Ponzi ». Ainsi, un choc défavorable survenant au terme d’une période
d’expansion à un rythme stable est susceptible d’avoir un impact
nettement plus dévastateur sur la stabilité financière que s’il se produisait
au cours d’une phase de plus gran- des perturbations macroéconomiques
(Bhattacharya et al., 2011). Et l’effet renforcé d’un tel choc à l’issue
d’une période de croissance stable peut être d’autant plus fort que les
acteurs du marché ont une foi démesurée dans la capacité des pouvoirs
publics à les protéger de tels événements, une notion qui est désormais
bien connue sous le nom de « Greenspan put ».
Quoi qu’il en soit, il apparaît aujourd’hui clairement que la stabilité
des prix ne garantit pas la stabilité financière. De plus, l’instabilité
financière peut mettre en péril le revenu global. Bien que l’objectif de
stabilité finan- cière ait été relégué au second plan au cours des années
précédant 2007 (en partie parce que dans de nombreux pays comme le
Japon ou le Royaume- Uni, la mission de supervision des institutions
financières a été confiée à une autorité de supervision indépendante de la
Banque centrale), la stabilité financière est historiquement et
traditionnellement la seconde mission prin- cipale de la plupart des
banques centrales. Le cas de la zone euro est d’ailleurs compliqué par le
fait que, bien que la gestion de la politique monétaire ait été transférée à
la Banque centrale européenne (BCE), la surveillance
296 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
prudentielle est demeurée organisée sur une base nationale. Aujourd’hui, la
nécessité d’atteindre cet objectif est réaffirmée.
Les banques centrales auront donc deux objectifs distincts à atteindre.
Mais elles ne disposent généralement que d’un instrument : la capacité de
contrôler et modifier le taux d’intérêt officiel à court terme. Cela a
conduit bon nombre d’observateurs, après Cecchetti et al. (2000), à
affirmer que la fixation des cibles d’inflation devrait être modifiée pour
permettre aux taux d’intérêt de contrer les fluctuations des prix des actifs
(politique de « leaning against the wind »).
Cette proposition connaît plusieurs déclinaisons. Au minimum, il
existe un besoin permanent de reconsidérer la meilleure manière
d’intégrer les prix immobiliers aux principaux indices d’inflation, puisque
les périodes d’expansion et d’effondrement dans ce secteur ont été la
caractéristique la plus courante des épisodes d’instabilité financière. Les
fluctuations des prix immobiliers ont (jusqu’à présent) été exclues de
l’indice des prix à la con- sommation harmonisé, indice de référence en
Europe, et la controverse per- siste quant à la manière dont elles devraient
être mesurées pour évaluer les tensions inflationnistes.
L’utilisation par la Banque centrale européenne (BCE) d’un second
pilier monétaire pourrait également être vue comme une tentative
d’incorporer cette notion de résistance aux fluctuations des prix des
actifs. Les phases d’expansion et de contraction des marchés financiers
sont d’ordinaire accompagnées de fluctuations substantielles de
l’expansion de l’endet- tement et du crédit, qui sont susceptibles (et non
pas certaines malheureu- sement) d’apparaître dans les données d’agrégats
monétaires, à moins d’être éclipsées dans le « système bancaire parallèle
ou parabancaire » (shadow banking). Par ailleurs, du point de vue de la
Banque centrale, un second pilier a le mérite d’établir une corrélation
entre politique et agrégats moné- taires qui, contrairement aux prix
immobiliers et cours des actions, sont plus clairement dans la ligne de
mire de la politique monétaire. Pourtant, et c’est surtout le cas à court
terme, les variables monétaires sont tellement difficiles à interpréter que
bien loin de ce que l’on aurait tendance à consi- dérer, la BCE a jusqu’à
présent fait assez peu usage de ce « second pilier » pour fixer les taux
d’intérêt officiels.
Cela s’explique en partie par la difficulté à déterminer si les marchés
financiers et les prix des actifs se sont sensiblement écartés de leur niveau
d’équilibre. Il y a toujours le chant des sirènes émis par d’éminents
écono- mistes qui affirment qu’un indice Dow Jones à 15 000 points ou
des ratios prix immobiliers/revenu de 4 ou 5 sont parfaitement cohérents
avec les niveaux d’équilibre (compte tenu des perspectives d’une
croissance plus rapide et de taux d’intérêt réels inférieurs aux niveaux
passés). Face à une telle incertitude, il faut un banquier central courageux
et déterminé (et sou- tenu par une base politique solide) pour chercher
délibérément à déprimer l’économie réelle afin d’atténuer une envolée
perçue, mais néanmoins in- certaine, des prix des actifs.
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 297
Par ailleurs, l’un des aspects essentiels d’une stratégie de ciblage d’in-
flation réside dans la capacité d’une Banque centrale crédible, qui fait le
choix de ce régime de politique monétaire, à stabiliser les anticipations
inflationnistes. Le taux d’intérêt est un instrument puissant pour stabiliser
les prix à moyen terme. Le fait de brouiller la mission d’ajustement du
taux d’intérêt en lui assignant deux objectifs affaiblirait la responsabilité
de la Banque centrale autant que sa capacité à ancrer les anticipations
d’infla- tion. À une époque où bon nombre d’agents craignent une
accélération de l’inflation ou une déflation persistante, voire la succession
des deux situa- tions, il serait plutôt nécessaire de réaffirmer que
l’objectif des banques centrales dans la conduite de la politique macro-
monétaire, c’est-à-dire quand elles modifient les taux d’intérêt (et
l’assouplissement quantitatif lorsque le plancher zéro est atteint), est
d’atteindre un objectif d’inflation, plutôt que de diluer cette mission en y
ajoutant un deuxième objectif.
Cependant, si l’ajustement des taux d’intérêt officiels est voué à
demeu- rer l’instrument dédié à l’objectif de stabilité des prix, alors il y a
lieu de se demander comment les banques centrales procéderont pour
maintenir la discipline financière nécessaire au maintien de la stabilité des
prix, mainte- nant que cette mission revêt une telle importance. À présent,
les pouvoirs de la plupart des banques centrales dans ce domaine se
limitent à « faire des sermons et organiser des funérailles » (King, 2009).
La réflexion porte dé- sormais (au moins dans les centres de recherche)
sur un second (éventail d’) instrument(s) contra-cyclique(s) macro-
prudentiel(s) susceptible(s) d’être utilisé(s) par les banques centrales en
plus et indépendamment des taux d’intérêt officiels. Cela permettrait
d’appliquer le principe de Tinbergen, selon lequel il doit y avoir autant.
d’instruments que d’objectifs. Reste à déterminer quelle forme ces
instruments macro-prudentiels peuvent revêtir

2. Quels instruments macro-prudentiels ?


2.1. Instruments contra-cycliques
Comme plusieurs études le font remarquer (voir, par exemple,
Brunnermeier et al., 2009), au cours des décennies précédant l’année
2007, la réglementation/surveillance était focalisée sur l’établissement
bancaire individuel ou l’intermédiaire financier, avec une attention
insuffisante ac- cordée aux effets, répercussions et externalités
systémiques. Voilà un as- pect qui est actuellement corrigé. Il convient en
effet de mettre en place une approche plus systémique. La création du
Comité européen du risque systé- mique (CERS) en est un bon exemple.
Bien que le pouvoir (juridique) de faire respecter et de modifier la
réglementation incombe encore à chaque État membre de l’Union
européenne, la capacité du CERS à émettre des avertissements, à
proposer des modifications de la réglementation, à exiger que les autorités
nationales compétentes respectent ces propositions ou ex- pliquent
pourquoi elles ne le doivent pas, pourrait (en fonction de la ma-
nière dont le CERS fonctionne en pratique) s’avérer être un mécanisme
puissant pour initier la surveillance et le contrôle macro-prudentiels(1).
Cela dit, le CERS prévoit un mécanisme de procédure dans le cadre
duquel il est possible de déployer des instruments macro-prudentiels. En
ce qui concerne les instruments eux-mêmes, il en existe deux principaux,
et en second plan, il y a d’autres possibilités moins conventionnelles mais
peut- être plus fondamentales.
Les deux principaux instruments sont les ratios de fonds propres et les
ratios de liquidité. Voyons d’abord les premiers.

2.1.1 Ratios de fonds propres


La gestion des risques est une mission complexe à divers titres. Connu
sous le nom de Bâle I, l’accord du Comité de Bâle sur le contrôle
bancaire (CBCB) sur les fonds propres de 1988 ne portait que sur le
risque de crédit. Il a par la suite été étendu au risque de marché, qui
comprend le risque de taux d’intérêt, de liquidité, etc., dans les
portefeuilles de négociation des banques. Lorsque le Comité a diffusé ses
premiers documents de travail, son approche heuristique et empirique de
l’évaluation de ces risques s’est rapidement avérée (sur le plan technique)
loin derrière l’approche de ges- tion des risques des grandes banques
internationales, qui avaient élaboré des modèles internes fondés sur la
théorie financière, en particulier le mo- dèle de la VaR (value-at-risk). Le
CBCB a reconnu son inaptitude à modé- liser le risque par rapport aux
banques commerciales, et a de fait adopté les techniques de ces dernières
pour l’Amendement à l’accord de Bâle sur les fonds propres pour son
extension aux risques de marché (1996) et surtout, pour servir de base à
l’accord de Bâle II. Dans un sens, le CBCB a été intellectuellement «
capturé ».
Bâle I n’a pas tardé à être critiqué pour ses catégories de risques trop
générales. Ainsi, un prêt accordé à une entreprise privée était assorti de la
même pondération (100 %), que celle-ci soit la plus grande et la plus
sûre, ou qu’il s’agisse d’une start-up véreuse. Les régulateurs exigeaient
trop de fonds propres réglementaires pour des prêts jugés « sûrs », et pas
assez pour des prêts considérés comme « risqués ». Cela a conduit les
banques à brader leurs prêts « sûrs » (titrisation) à des entités hors du filet
de sécurité réglementaire (y compris au sein du shadow banking) et à
conserver leurs prêts « risqués ». De ce fait, alors qu’elle était destinée à
rendre les banques plus sûres, la réglementation contribuait au contraire à
accroître leur ris- que. La réponse consistait apparemment à se fier
davantage à l’évaluation du risque par le marché, que ce soit par le biais
des agences de notation, ou mieux encore, par les banques elles-mêmes
dans le cadre des approches de notation interne de type Fondation ou
Avancée. L’idée de base était de per- mettre aux régulateurs de prendre
en charge les meilleures techniques de gestion des risques des entités
qu’elles régissent, et l’une des fiertés des

(1) Il est peut-être utile de rappeler la distinction entre la réglementation, qui consiste à fixer
des règles de conduite, et la surveillance, qui consiste à vérifier et assurer le respect de ces
règles.
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 299
auteurs de Bâle II était que cet accord permettait d’aligner beaucoup plus
étroitement les fonds propres réglementaires sur le capital économique
que les banques souhaitaient conserver de leur propre chef.
Il s’agissait cependant d’une stratégie peu judicieuse. Ce qui importe à
une banque commerciale, c’est comment se positionner dans des condi-
tions normales, dans lesquelles elle peut supposer (même s’il s’agit d’une
banque de grande taille) que l’environnement extérieur sera peu affecté
par ses propres actions. En cas de conditions réellement extrêmes, les
autorités devront de toute façon intervenir. Par ailleurs, une banque de ce
type ne se sent pas concernée par les éventuelles externalités que sa
faillite pourrait engendrer. Et c’est dans cette perspective-là que des outils
tels que la VaR ou les tests de résistance sont conçus. Mais les
préoccupations des régula- teurs auraient dû être très différentes et porter
exclusivement sur les externalités puisque les créanciers des banques
doivent normalement assu- mer les pertes « internalisées ». Elles auraient
dû tenir compte de la solidité du système dans son ensemble et pas tant
celle de la banque prise indivi- duellement, des covariances plutôt que des
variances, et des mécanismes interactifs auto-amplifiés plutôt que des
tests de résistance qui partent du principe que le monde reste invariant
aux propres réactions des banques (Brunnermeier et al., 2009).
Pourquoi les choses ont-elles si mal tourné ? D’abord, il y avait
souvent une croyance implicite selon laquelle, si on assure la sécurité des
compo- santes individuelles (banques) d’un système (bancaire), alors le
système dans son ensemble est à l’abri du danger (c’est ce qu’on appelle
une erreur de généralisation). Ensuite, plutôt que de réfléchir aux
questions fonda- mentales, les régulateurs et le CBCB ont eu tendance à
rafistoler le système en réponse aux critiques (et aux événements).
Régulateurs et superviseurs sont plus des pragmatiques que des
théoriciens, et les économistes, dont la plupart des modèles standard font
abstraction de l’intermédiation finan- cière et/ou des faillites, leur ont été
de bien peu d’aide !
En attendant, le lent et douloureux avènement de Bâle II n’a rien fait
pour freiner le cycle d’expansion du crédit et de l’endettement observé
jus- qu’en août 2007, ni pour empêcher sa contraction brutale et
destructrice par la suite. Les défaillances, la volatilité et les primes de
risque ont toutes atteint de faibles niveaux entre 2003 et 2006, et les notes
(attribuées par les agences de notation ou en interne) étaient élevées et sur
une pente ascen- dante. Les bénéfices et les fonds propres étant dopés par
l’application de la comptabilité au prix du marché, tous les modèles de
risque et les puissantes pressions du marché encourageaient les banques
et autres intermédiaires financiers à alourdir encore davantage leur
endettement, jusqu’à ce que les marchés s’effondrent en juillet-août 2007.
Il est désormais nécessaire de repenser l’application des ratios de
fonds propres, avec au moins cinq aspects à prendre en compte :
• la base sur laquelle le ratio doit s’appliquer, notamment s’il doit
s’agir d’un simple ratio de levier et/ou d’un ratio pondéré par les risques,
et son
300 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
application à des engagements particuliers, au hors bilan et à des lignes de
crédits inutilisées, aussi bien qu’aux éléments du bilan ;
• la définition de fonds propres applicables à cette fin ;
• dans quelle mesure le ratio doit-il être constant ou varier dans le
temps et en fonction de l’état de l’économie, auquel cas faut-il déterminer
la va- riation de façon discrétionnaire ou à partir d’une règle/formule
précise ;
• le niveau « normal » de ces ratios ;
• les sanctions applicables en cas de non-respect de ces niveaux.
Il y a désormais des réponses à certaines de ces questions. Compte
tenu de la facilité avec laquelle un ratio de fonds propres, pondéré ou non,
peut être manipulé (dans le premier cas en misant sur des actifs dont le
poids du risque est « optimiste » et, dans le second, en détenant des actifs
plus risqués au bilan tout en titrisant/vendant des actifs plus sûrs), la
dernière proposition du CBCB présentée en septembre 2010 par son
Président Nout Wellink, familièrement appelée Bâle III, doit tenir
simultanément compte de ces deux aspects. De nouveau, le traitement des
créances condi- tionnelles et des éléments hors bilan est durci mais,
compte tenu de la na- ture quelque peu confuse des engagements
conditionnels d’extension des prêts (contrats incomplets) à l’avenir, cet
aspect pourrait rester flou.
De la même manière, la définition des fonds propres applicables a été
restreinte. Plusieurs formes de dette hybride ou subordonnée qui étaient
de rang inférieur à ceux des dépôts et qui fournissaient donc une
protection en cas de défaillance sans pour autant l’empêcher, ne joueront
plus le rôle qu’elles avaient dans les fonds propres complémentaires (Tier
2), voire aussi dans les fonds propres de base (Tier 1). L’attention est
désormais focalisée sur les fonds propres de base et, à l’intérieur de ceux-
ci, le noyau dur (core- Tier 1) des fonds propres (capital + réserves).
Ensuite, les prochains ratios potentiels de Tier 1 et core-Tier 1,
pondéré et non pondéré (ratio de levier) seront plus exigeants, mais la
période de transition sera longue (jusqu’à la fin de 2018) pour tenir
compte de la ré- cession en cours, de l’affaiblissement du système
bancaire et de la lente croissance (voir du recul) des prêts bancaires au
secteur privé.
Les aspects les moins consensuels portent sur la question de savoir si
ces ratios doivent être constants ou variables dans le temps, et s’il faut
prévoir un barème de sanctions en cas de non-respect de ceux-ci. Sur
cette question, de nombreux banquiers centraux estiment que les autorités
de surveillance avaient déjà la possibilité de moduler de façon
discrétionnaire les exigences de fonds propres dans le cadre du second pilier
de Bâle II, que cette option demeure et répond à tous les souhaits dans ce
domaine. Face à cela, remarquons que le pilier 2 de Bâle II n’a que
rarement, voire jamais été activé, qu’il sera toujours soumis à la critique
du principe d’égalité, et que son activation sera quasiment toujours en
opposition directe avec les forces et les pressions du marché, ce qui en
fait une option (politiquement)
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 301
très impopulaire. À ce sujet, on peut affirmer qu’un mécanisme fondé sur
une « règle » ou une « formule » est nécessaire pour donner aux autorités
de surveillance la base et l’appui nécessaires pour introduire des ratios va-
riables. En réponse à la critique pertinente selon laquelle aucun éventail
de règles et formules ne pourra jamais englober correctement et
totalement la gamme infinie de possibilités futures, le principe « comply
or explain » pourrait s’appliquer, en vertu duquel si l’entité renonce à
respecter ces rè- gles et formules, elle doit le justifier.
La principale préoccupation systémique de bon nombre de chercheurs
est celle d’une expansion/contraction généralisée des prix des actifs au
sein de leurs systèmes financiers (nationaux/régionaux/sectoriels), qui
serait représentée par une expansion générale du crédit au secteur privé,
de l’en- dettement et de la hausse des prix des actifs, notamment dans le
secteur immobilier. Cela dit, la principale préoccupation d’un nombre
encore supé- rieur de politiciens et observateurs est la contribution
possible de chaque établissement financier (banque) à l’instabilité
potentielle de l’ensemble du système. Il conviendrait donc d’identifier les
intermédiaires financiers
« systémiques » à partir peut-être d’une combinaison (à ce jour, non déci-
dée) de critères de taille, activités et interconnexions, et de les
réglementer/ superviser différemment des autres. Et dans ce groupe
d’intermédiaires fi- nanciers « systémiques », le ratio de fonds propres
requis pourrait peut-être varier selon l’ampleur systémique mesurée
(d’après une méthode qui reste à déterminer) de l’intermédiaire en
question. Bien que cette évaluation soit nettement moins avancée que
celle des cycles d’expansion de l’endet- tement et du crédit, etc.,
l’application de ratios variables à chaque établis- sement « systémique » a
rencontré un écho largement plus favorable.
Compte tenu des difficultés liées à tout mécanisme de ratios de fonds
propres variables, d’autres méthodes destinées à avoir des effets contra-
cycliques sont également à l’étude. Citons notamment la procédure espa-
gnole de provisionnement dynamique, une formule qui se heurte
cependant aux réticences des autorités comptables et fiscales, qui
craignent qu’elle ne soit utilisée pour retarder le paiement des impôts. Les
comptables criti- quent en particulier le fait de fonder les provisions sur
des probabilités générales plutôt que sur des données spécifiques. Ils sont
toutefois soumis actuellement à de fortes pressions pour accepter ces
provisions générales, du moins pour la catégorie des actifs détenus
jusqu’à leur échéance, les- quelles provisions pourraient varier selon le
pays qui l’applique. Cette ap- proche comporte bien entendu de
nombreuses caractéristiques communes avec le ratio de fonds propres
variable, et il est probable que le choix de l’un ou l’autre soit déterminé
par des critères d’acceptabilité et de faisabi- lité. Les variations cycliques
des pertes attendues sont toutefois nettement inférieures à celles des
pertes inattendues, de sorte qu’il est nettement plus important d’ajuster les
fonds propres que les provisions(2). L’idéal serait d’avoir à la fois des
ratios de fonds propres variables et du provisionnement dynamique.

(2) C’est Rafael Repullo qui m’a fait remarquer cet aspect.
302 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
Par le passé, l’approche du CBCB a comporté une faiblesse majeure, à
savoir la réticence à appliquer des sanctions. Comme la loi et les
sanctions sont une prérogative nationale, et puisque le CBCB n’a aucun
fondement formel et qu’il agit en qualité d’organe consultatif, il s’est
toujours abstenu de préconiser toute sanction en cas de non-respect de ses
propositions de ratios. La conséquence fâcheuse de cela est que
pratiquement tous les opé- rateurs du marché, agences de notation,
investisseurs et observateurs, et les régulateurs nationaux eux-mêmes
considèrent les ratios proposés par le comité de Bâle comme des minima
absolus dont le non-respect exposerait à de sérieux problèmes de
réputation. Le CBCB a depuis entrepris de recom- mander des sanctions
lorsque les fonds propres de base tombent à moins de 7 % des actifs
pondérés des risques.
Le fait de considérer les ratios requis comme des minima anéantit bien
sûr le rôle de tampon potentiel que devraient jouer les fonds propres
régle- mentaires, et cela a transformé le tampon utile en une marge
nettement plus exiguë au-dessus du ratio de fonds propres requis. C’est
sans doute le plus grand inconvénient de l’approche du CBCB jusqu’à
aujourd’hui. Malgré l’exemple de la loi américaine FDIC Improvement
Act (1991) qui a mis en place un barème judicieux de sanctions, le CBCB
s’abstient encore de prendre le taureau par les cornes.

2.1.2 Ratios de liquidité


Le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire a échoué dans sa première
tentative d’accord sur la liquidité dans les années quatre-vingt. En partie
en conséquence de cela, la liquidité des actifs s’est détériorée.
L’hypothèse générale partagée par la plupart des banquiers et des
régulateurs était que tant que les banques disposaient de fonds propres «
en quantité suffisante », elles pourraient toujours accéder à des marchés
interbancaires efficaces et remplacer la liquidité d’actif par de la liquidité
de financement. Bien que les financements obtenus sur le marché
monétaire soient à court terme, et les actifs des banques à plus long
terme, les risques de taux d’intérêt et de crédit issus d’une telle asymétrie
d’échéances pourraient être maîtrisés par le recours à la titrisation et à des
couvertures sur les marchés dérivés. Au final, il était supposé que le
respect de Bâle II garantirait un niveau « suffisant » de fonds propres.
Ces plaisantes hypothèses se sont effondrées à l’été 2007. Avec les pertes
réelles et potentielles subies sur les titres adossés à des créances hypo-
thécaires, notamment ceux qualifiés de subprimes, et le contournement de
Bâle II, notamment par les banques européennes, le respect des
conditions de Bâle II était dans de nombreux cas insuffisant pour garantir
la solvabilité future. Avec l’opacité des CDO (collateralized debt
obligations), les mar- chés de la titrisation se sont asséchés, tout comme
les marchés interbancaires à court terme (par exemple, papier commercial
adossé à des actifs) et les marchés des prêts interbancaires à long terme
non garantis. Cela a conduit à crise de liquidité.
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 303
À en juger par la série d’hypothèses susmentionnées, cette crise
n’aurait
jamais dû se produire et a largement surpris tous les opérateurs, y compris
les banques centrales. L’une des réactions a consisté à attribuer cette fâ-
cheuse situation aux stratégies des banques commerciales (trop peu d’actifs
du secteur public de qualité, dépendance excessive aux fonds
interbancaires d’échéance courte et à la titrisation, écarts de maturité trop
importants au bilan des banques, etc.), de sorte que tirer les banques de
cette ornière en- traînerait un problème d’aléa moral. C’est peut-être le
cas, mais cet effon- drement s’est avéré si brutal que toutes les banques
centrales ont été con- traintes d’accroître leurs injections de liquidité sur
un éventail à plusieurs reprises élargi d’échéances, de garanties et
d’établissements.
Pour ce qui est de déterminer des ratios de liquidité spécifiques, la
plu- part des mêmes considérations que pour les ratios de fonds propres
s’appli- quent, comme :
• la base : par exemple, faut-il un ratio de levier simple ou évalué au
moyen de l’asymétrie d’échéances (ou une combinaison des deux ?) ?
Com- ment traiter les créances conditionnelles par rapport aux besoins de
finan- cement ?
• la définition d’actifs liquides applicables à cette fin ;
• le ratio doit-il être constant ou variable, auquel cas la variation doit-
elle être décidée au cas par cas ou suivre une règle/formule précise ;
• le niveau « normal » de ces ratios ;
• les éventuelles sanctions imposées en cas de non-respect du niveau
normal.
La plupart de ces aspects sont semblables à ceux concernant l’applica-
tion des ratios de fonds propres, et il n’est pas nécessaire de les répéter
ici. Cela dit, alors que quasiment tous les opérateurs acceptent la nécessité
d’im- poser un ratio de fonds propres, il n’en va pas de même pour la
mise en place de ratios de liquidité. C’est par exemple le cas de Buiter
(2008). Ce désaccord porte en partie sur la définition des actifs liquides et
à partir de là, sur l’analyse approfondie du rôle des ratios de liquidité.
La pomme de la discorde réside dans le fait qu’une banque centrale
peut, à partir du moment où on le décide, acheter ou plus généralement
prêter en échange d’un collatéral, quasiment tous types d’actifs. Au cours
de la récente crise, les banques centrales ont prêté en garantie d’une
gamme élargie d’actifs ou, lorsqu’elles souhaitaient maintenir la nature
stricte de leurs conditions de prêt, ont consenti à l’échange, en vertu d’un
accord de prêt spécifique, d’actifs non acceptables (par exemple,
différents types de crédits hypothécaires) contre des actifs acceptables
(par exemple, dette publique). Willem Buiter a simplement porté cette
logique à son extrême. Une banque centrale peut en principe rendre tout
actif liquide, même si elle hésite à le faire quand son prix n’est pas stable
puisque cela fait peser un risque excessif sur son bilan. N’importe quel
actif peut donc être rendu liquide par le biais d’emprunts à la Banque
centrale. Par conséquent, tous
304 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
les actifs sont en principe liquides, toutes les banques commerciales béné-
ficient donc en permanence d’une pleine liquidité, et il n’est pas
nécessaire d’exiger que les banques détiennent un sous-ensemble d’actifs
spécifiques (généralement peu rentables et issus du secteur public). Ce
n’est qu’un im- pôt sur les banques et une subvention pour le
gouvernement.
Quel est le problème avec cet argument ? Je vois au moins deux
contre- arguments liés l’un à l’autre. Le premier concerne la durée. Si une
banque possède uniquement des dettes relativement illiquides du secteur
privé, elle aura des difficultés à se procurer rapidement des liquidités en
revendant ces actifs sur le marché privé, du moins elle n’y parviendra pas
sans engendrer une baisse substantielle de leur prix, ce qui contribuera à
amplifier la crise (c’est là une externalité). Cette banque serait alors
contrainte de se tourner vers la banque centrale pour obtenir des liquidités
à un stade très précoce de la crise. Le problème avec cette option en cas
de crise, c’est que le temps est limité et précieux. On a toujours besoin de
temps mais on en manque souvent pour identifier les faits et évaluer le
meilleur moyen de surmonter la difficulté. Par ailleurs, reste à résoudre la
question de l’embarras dans lequel se retrouve une banque qui demande
de l’aide à la banque centrale, puisqu’elle est alors automatiquement
perçue comme moins solvable. Une plus grande dépendance à l’égard de
la banque centrale pour obtenir des liquidités renforce le conflit potentiel
entre transparence et efficacité des politiques (se rappeler par exemple la
discorde politique sur les prêts accor- dés secrètement par la Banque
d’Angleterre à la Royal Bank of Scotland et à la Lloyds Bank à l’automne
2008).
Un second problème concerne la décote, à savoir les conditions aux-
quelles la Banque centrale prête aux banques commerciales. Cette
question a été brouillée par l’affirmation courante mais pourtant erronée
selon la- quelle la banque centrale ne devrait prêter qu’à un taux
exorbitant par rap- port à celui du marché. L’erreur fondamentale de cette
affirmation devient claire si l’on considère qu’en ne prêtant qu’à des
conditions moins favora- bles que celles du marché, alors plus aucune
banque ne se tournera vers la banque centrale ! Ce qui est vrai en
revanche, c’est que les actifs qu’une banque commerciale peut apporter
en garantie ou vendre sont suffisam- ment illiquides pour que cette action
réduise sensiblement leur valeur. Et si ces actifs sont les seuls dont la
banque commerciale dispose, alors la Banque centrale est face à un
sérieux problème. Soit elle est disposée à prêter en appliquant une décote
tellement importante qu’elle protège sa propre position mais apporte en
parallèle une aide limitée à la banque emprun- teuse, et peut donc
provoquer une nouvelle chute (au prix du marché) du cours des actifs,
soit elle prête à des conditions relativement généreuses et soutient alors la
banque emprunteuse et le marché, ce qui, en parallèle, mettra en péril son
bilan, et par voie de conséquence, celui des contribuables. C’est cette
même énigme qui a mis le plan Paulson (TARP) en porte-à-faux : prêter à
un taux excessivement bas n’aide pas les banques, mais à un taux trop
élevé, ce sont in fine les contribuables qui doivent renflouer les banques.
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 305
Ainsi, même si une Banque centrale se retrouve finalement contrainte
de
prêter en garantie d’actifs détenus par une banque commerciale, l’existence
d’un ratio de liquidité applicable à ces derniers peut lui éviter de devoir le
faire. Cela laisse du temps aux autorités pour résoudre la crise, et cela
per- met en outre de faciliter considérablement le choix des moyens
appropriés pour le faire. Cependant, à partir du moment où l’on reconnaît
que le rôle d’un ratio de liquidité des actifs consiste essentiellement à
empêcher que la Banque centrale soit contrainte de renflouer
précipitamment les banques, le premier point de réflexion porte alors sur
la composition et le ratio nor- mal à imposer sur ces actifs. En particulier,
les marchés privés, notamment des actifs adossés à des crédits
hypothécaires, peuvent rapidement devenir illiquides et les marchés
interbancaires s’assécher. Cela suggère qu’à ce titre, les actifs liquides
devraient consister principalement en dette publi- que et représenter un
montant suffisant pour satisfaire les besoins en liqui- dités pendant une
période assez longue (disons dix semaines) et permettre à la banque
centrale de réagir à une crise généralisée de liquidité(3).

2.1.3. Autres propositions moins conventionnelles


Le noyau dur de la plupart des propositions de surveillance macro-
prudentielle consiste à renforcer les ratios de fonds propres et de liquidité.
Or il est possible de développer ou d’ajuster ces propositions de diverses
manières :
• taxes pigouviennes ;
• application à une base élargie d’intermédiaires systémiques ;
• développement du nantissement.

2.1.3.1. Taxes pigouviennes


Dans la mesure où les ratios de fonds propres et de liquidité contrai-
gnent les banques à réorienter leurs portefeuilles d’une manière selon la-
quelle elles ne procéderaient pas délibérément (auquel cas la réglemen-
tation serait superflue), ils représentent pour elles un coût supplémentaire.
Un autre moyen d’inciter les banques à se comporter de manière plus res-

(3) Ce point soulève une question secondaire : faut-il limiter l’échéance de la dette
publique à des niveaux que l’on peut considérer comme liquides ? J’estime que c’est
inutile, pour les raisons suivantes :
• toute dette est liquide au sens où elle est (quasiment toujours) négociable en grand
volume à de faibles écarts cours vendeur/acheteur, sans que cela modifie grandement les
prix pour le négociateur ;
• si le risque de taux d’intérêt n’augmente pas avec la duration, il peut être couvert de;
manière spécifique au moyen de swaps. C’est le risque de taux d’intérêt de l’ensemble du
portefeuille de la banque qui importe, et pas celui de chaque élément composant ce derniere
• dès lors que l’on a confiance en la stabilité future des prix, comme au XIX e siècle, les
rendements longs ont tendance à fluctuer très peu lorsque les taux courts changent. Au
XIX siècle au Royaume-Uni, les consols étaient largement considérés comme les actifs les
plus liquides qu’une banque puisse détenir après les espèces ;
• tout seuil au-delà duquel une telle dette ne serait pas jugée liquide serait non
seulement arbitraire, mais il provoquerait également une distorsion des marchés.

306 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


ponsable sur le plan systémique est de taxer les aspects de leur comporte-
ment susceptibles d’entraîner une crise systémique et l’utilisation de l’ar-
gent du contribuable(4), comme l’imposition de taxes croissantes avec la
taille, l’intensité des interconnexions et certaines activités jugées plus ris-
quées (par exemple, négociation pour compte propre). L’avantage évident
d’une telle pratique est qu’elle ferait payer les banques à l’avance pour les
coûts systémiques que le contribuable devra peut-être supporter par la
suite. À cet égard, elle présente de nombreuses caractéristiques
communes avec les différents programmes d’assurance américains (un
point sur lequel nous reviendrons plus loin).
Il serait toutefois très difficile d’estimer de manière équitable et
efficace ces taxes pigouviennes. La plupart des propositions de taxation
ex ante impliquent un simple prélèvement progressif ou au prorata d’une
grille de tailles, sans tentative sérieuse d’évaluer le risque systémique. Il
est évidem- ment fort probable que ces taxes soient dénaturées et
deviennent un moyen populiste de générer des recettes aux dépens des
banques. À moins de les appliquer à l’échelle mondiale, comme dans le
cas de la taxe Tobin, les opérateurs les éviteraient massivement en
migrant.
Alors que ceux qui sont soumis aux ratios de fonds propres et de liqui-
dité peuvent apprécier (et ils le font) la justification de telles obligations,
une taxe qui a été nécessairement généralisée plutôt que d’être
personnali- sée en fonction d’externalités systémiques serait simplement
perçue par les banques (et autres établissements) assujetties comme une
attaque exorbi- tante. Ainsi, elle ferait d’autant plus l’objet d’une vaste
évasion fiscale, que ce soit par le transfert géographique des activités
d’intermédiation finan- cière ou en restant dans le même pays, par le
transfert des activités vers des intermédiaires non concernés par cette
taxe.
Cela dit, vu le climat anti-banque actuel et après l’appel lancé par le
Président Obama en janvier 2010 pour la mise en place d’une taxe ex post
sur les banques américaines qui ont largement dépendu des marchés
interbancaires, l’introduction (à l’échelle mondiale) d’une telle taxe sem-
ble quasi assurée. À une époque où le secteur public se finance plus
diffici- lement et où les banques sont très impopulaires, une taxe qui
pourrait aussi être justifiée comme un remboursement des crises
précédentes financées par le contribuable, ou comme une protection
contre la nécessité de recou- rir à nouveau à l’argent du contribuable à
l’avenir, semble irrésistible. À part les États-Unis, la Suède a déjà
introduit une telle taxe, l’Allemagne et le Royaume-Uni prévoient de le
faire, et le FMI proposera en avril des manières de procéder. La question
désormais n’est plus de savoir si une telle taxe sera mise en place,
puisqu’elle le sera, mais plutôt quelle forme elle prendra et quelles seront
les conséquences de son introduction.

(4) Remarquons que l’imposition de taxes ex post, c’est-à-dire une fois la crise passée, sur
les banques survivantes n’aura pas un effet aussi bénéfique et présentera d’ailleurs
d’autres inconvénients.
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 307
2.1.3.2. Une base élargie ?
L’objectif de l’introduction de ratios renforcés de fonds propres et de
liquidité sur les banques est de réduire le type de risque systémique dont
les économies ont déjà souffert. Mais la faillite d’intermédiaires financiers
autres que des banques peut aussi avoir des implications systémiques.
Aux États- Unis en effet, les problèmes ont concerné principalement les
établissements non bancaires, comme les maisons de courtage/négociation
tels que Lehman Brothers et Bear Stearns (bien que les deux sociétés
survivantes de cette catégorie soient aujourd’hui devenues des banques),
les compagnies d’as- surance telles qu’AIG, les rehausseurs de crédit, les
institutions financières spécialisées d’intérêt public Fannie Mae et Freddie
Mac, ou encore les fonds monétaires (comme le Reserve Primary Fund
après la faillite de Lehman Brothers).
Une approche qui sera peut-être plus explicite aux États-Unis qu’en
Europe avec la loi Dodd-Frank Act de juillet 2010, consiste à désigner un
groupe d’intermédiaires financiers comme étant systémiques, et de leur
appliquer la réglementation macro-prudentielle. Mais comment définir ou
calibrer les établissements entrant dans cette catégorie ? Et celle-ci ne se-
rait-elle pas soumise à un changement constant en fonction des
conditions, de l’innovation, etc. ? Au moins la ligne d’analyse aux États-
Unis est-elle rationnelle, tandis qu’en Europe, les propositions
d’expansion de la régle- mentation (macro-prudentielle) au-delà du
système bancaire semblent être davantage liées à la popularité politique
des établissements concernés qu’à leur capacité de déclencher une crise
systémique. Ainsi, la principale idée en Europe est d’étendre les contrôles
réglementaires aux fonds spéculatifs et au fonds de capital-investissement,
dont la capacité à engendrer une faillite systémique est limitée (malgré le
cas LTCM), tandis que l’intérêt pour les compagnies d’assurance (et
réassureurs) et les fonds communs de place- ment est nettement moindre.

2.1.3.3. Développement du nantissement


D’une certaine manière, les ratios de fonds propres et de liquidité sont
une sorte de nantissement. Plus la banque accroît la taille de son porte-
feuille, plus elle doit posséder une marge de garantie supplémentaire sous
forme de fonds propres et de liquidités. Ce concept de nantissement peut
être étendu à d’autres secteurs financiers. Par exemple et en particulier,
sur le marché immobilier, on pourrait appliquer des ratios maximums ou
varia- bles de prêt/valeur ou de prêt/revenu. La même approche peut aussi
être appliquée au financement de positions sur actions et en principe, à un
vaste éventail de marchés financiers.
Le problème général lié à l’exigence de garanties supplémentaires est
que l’argent et les finances sont fongibles, tant et si bien qu’il y a
générale- ment plusieurs moyens de parvenir à une position financière
souhaitée, par exemple en s’adressant à un prêteur non contrôlé (et peut-
être étranger). Bien sûr, si le principal objectif est d’empêcher que le
prêteur (et non l’em-
308 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
prunteur) à dimension nationale s’engage dans une position soi-disant dan-
gereuse, la capacité de l’emprunteur à se refinancer auprès d’une source
incontrôlée peut ne pas être si préoccupante. En revanche, si le but est
d’em- pêcher que l’emprunteur ne prenne des engagements financiers
impossi- bles à tenir, alors le mécanisme habituel de soutien consiste à
supprimer toute protection juridique contre le défaut pour un prêteur qui
n’aurait pas respecté les garanties exigées.
Outre les propositions d’étendre les ratios de fonds propres et
liquidité, plusieurs idées plus radicales ont été avancées pour modifier la
structure de fonctionnement des banques et peut-être d’autres
intermédiaires financiers, d’une manière qui les rendraient moins exposés
à un effondrement systémi- que. Parmi ces propositions, citons :
• la suppression ou la réduction de l’abattement fiscal (le coin fiscal)
sur les taux d’intérêt, comme pour le paiement des intérêts sur les crédits
hypothécaires souscrits par les particuliers au Royaume-Uni. Cette propo-
sition aurait reçu un accueil favorable du chancelier de l’Échiquier britan-
nique George Osborne, mais serait difficile à mettre en place
unilatéralement sans engendrer de problèmes de compétitivité
internationale. Pour autant que je sache, elle n’a pas été largement
promue hors du Royaume-Uni ;
• la modification ou l’ajustement de la limite de responsabilité sur
certai- nes opérations financières ou certains agents financiers. Par
exemple, cer- taines activités d’intermédiation comme les fonds
spéculatifs ou la négo- ciation pour compte propre pourraient n’être
réalisées que dans le cadre d’un partenariat. Il peut aussi être envisagé
que certaines catégories de diri- geants financiers, comme les
administrateurs ou hauts dirigeants de ban- ques par exemple, endossent
une responsabilité supplémentaire correspon- dant à n fois la valeur
nominale d’une action de leur propre société, respon- sabilité qui serait
maintenue x années après avoir quitté la banque. Dans les pages
d’opinion du Financial Times du 6 janvier 2010, Neil Record propo- sait
de soumettre les primes versées aux banquiers les mieux rémunérés à une
clause de reprise. Parallèlement à d’autres difficultés, la complexité
(juridique) d’une telle pratique est toutefois telle qu’elle a reçu peu de
sou- tien malgré l’existence d’arguments en sa faveur ;
• plusieurs méthodes de contrôle et de limitation de la rémunération
des hauts dirigeants (par exemple, le rapport Walker, 2009). Cette
question se retrouve cependant enchevêtrée dans bien d’autres questions
politiques et populistes, et même peut-être tellement sans rapport avec le
sujet de la réglementation macro-prudentielle que nous ne
l’approfondirons pas ici.

2.2. Problèmes génériques liés à la réglementation macro-


prudentielle
La mesure (du risque systémique principalement) et le calibrage (des
instruments macro-prudentiels) présentent des problèmes majeurs car il
est toujours extrêmement difficile d’évaluer le risque systémique. La
plupart des systèmes d’alerte en amont s’avèrent relativement inutiles
dès qu’ils
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 309
sont appliqués hors échantillon, car dans la mesure où un problème systé-
mique peut être prédit, les agents prendront des mesures pour compenser
et donc prévenir son occurrence. Quasiment par définition, seule une
petite minorité d’observateurs est en mesure de prédire les crises
financières. À mon avis, Claudio Borio et ses collègues (2002, 2004 et
2009) sont ceux qui ont produit à la BRI les meilleurs travaux sur les
conditions préalables à une crise financière, en se focalisant sur deux
principaux facteurs : l’ex- pansion exceptionnelle du crédit (bancaire) et
des niveaux et taux de crois- sance exceptionnellement élevés des prix de
l’immobilier.
Maintenant que l’on a une vague idée de la probabilité de défaillance
individuelle ou de crise systémique, quelle est la capacité (marginale) des
ratios de fonds propres ou de liquidité supérieurs d’empêcher un tel
événe- ment ? Des travaux ont déjà été lancés sur le sujet des fonds
propres et s’attachent à examiner l’incidence ces événements extrêmes de
queue de distribution, et la « perte marginale » en résultant, comme ceux
développés par Acharya et al., (2009) de l’Université de New York, mais
ils n’en sont qu’à leurs prémices. Comme Hellwig le rappelle (en 2008 et
avec Blum, 1995), aucune analyse véritable n’a été menée sur les
exigences adéquates de fonds propres sur le plan quantitatif, et l’analyse
du besoin de liquidité (voir la section précédente) est probablement
encore plus rudimentaire.
Dans de telles circonstances, les ratios requis sont généralement
choisis à partir d’une règle générale, par exemple pour s’aligner sur les
ratios déjà appliqués en moyenne ou sur ceux des banques dont les
performances ont paru les meilleures. Par ailleurs, on accorde une
attention très limitée, voire nulle, au fait que l’impact du ratio
réglementaire exigé dépende des sanc- tions imposées (du moins de leur
barème) en cas de non-respect. Compte tenu du chiffre (généralement)
arbitraire choisi, l’exercice probablement le plus important de la
définition de cette réglementation consiste à définir la structure de
sanctions de la manière la plus juste possible, et c’est une ten- tative qui
se produit trop rarement.
En attendant, suite à la pire crise financière depuis 75 ans, et compte
tenu de l’aide limitée des économistes, les régulateurs en appellent à rele-
ver considérablement les ratios de fonds propres et de liquidité,.
notamment dans certains domaines comme les portefeuilles de
négociation.
En conséquence, les coûts de l’intermédiation bancaire vont
augmenter La prétendue compensation (Modigliani-Miller) liée aux coûts
d’endette- ment inférieurs (du fait du recul du risque de crédit) ne
fonctionnera pas dans la mesure où les déposants étaient déjà
intégralement assurés. Et dans les cas où ils ne l’étaient pas, cet effet
pourrait bien être annulé par la rééva- luation des risques inhérents aux
banques. Il est à mon avis improbable que le durcissement de la
réglementation contribue à réduire sensiblement les primes de risque sur
le financement interbancaire dans un avenir prochain. Bien sûr, ces
nouvelles exigences réglementaires vont être introduites après une
période de transition mais les banquiers étant tournés vers l’avenir, ces
La conséquence quasi inévitable sera un élargissement des spreads en-
tre les taux de dépôt et les taux de prêt (ce spread étant une mesure du
coût d’intermédiation), et une réduction sensible de la part de
l’intermédiation bancaire dans l’intermédiation financière globale. Après
tout, l’une des ambitions du durcissement de la réglementation est de
réduire l’ampleur d’un système bancaire hypertrophié, et de rendre la
partie restante plus sûre (et plus ennuyeuse) et plus petite.
Est-ce une bonne ou une mauvaise chose de réduire le secteur bancaire
par rapport au système financier global ? En réalité, nous ne le savons
pas, et nous venons à peine de nous poser la question. Il est peu probable
que cela ait une grande incidence sur le secteur public ou pour les grandes
so- ciétés privées, puisqu’ils peuvent tous deux accéder directement au
marché des capitaux. Et cela aura peut-être un impact moins marqué sur
les pays anglo-saxons, dont les marchés de capitaux sont plus
sophistiqués que dans la zone euro où les opérateurs s’appuient davantage
sur des services ban- caires sur mesure. Il est ironique de constater que la
plupart des pressions exercées pour durcir la réglementation viennent des
pays de la zone euro alors que ce sont justement leurs propres systèmes
qui en pâtiront le plus. La forte contraction des prêts et dépôts bancaires
en zone euro observée début 2010 est peut-être le signe avant-coureur de
cette évolution.
La principale préoccupation porte sur l’opportunité d’emprunt des mé-
nages et PME. La plupart des financements immobiliers et des prêts
accor- dés aux PME ont émané des banques, et la majorité demeurait
dans les portefeuilles de ces dernières (actifs détenus jusqu’à leur
échéance). Pour les ménages, l’accélération de l’expansion du crédit et de
la croissance des dépôts ces dernières années a engendré l’augmentation
des financements interbancaires (y compris les structures ad hoc hors
bilan) et de la titrisa- tion (modèle « originate to distribute »). La
tendance s’est récemment in- versée dans les deux canaux. Si ces
activités (notamment la titrisation) ne peuvent être ravivées, la
disponibilité des financements aux ménages et PME dépendra de ce que
la croissance naturelle des dépôts peut fournir (sachant que les taux des
dépôts seront bas pour maintenir la rentabilité des banques), ce qui sera
sans doute assez problématique. En tout cas, il est impossible de prédire la
manière donc cette situation évoluera et sera résolue.
Le renforcement de la réglementation pourra également provenir
des majorations contra-cycliques en période d’expansion. Le but est
qu’elles soient modérées au cours des phases baissières, mais de nom-
breux banquiers sont sceptiques sur le fait que les ratios effectifs puissent
être sensiblement revus à la baisse lors d’une crise. Une phase
descendante contribue à alimenter l’aversion au risque et la perception des
risques. Même si les régulateurs réduisaient les ratios requis à un tel
moment, est-ce que le marché, les agences de notation, etc., seraient prêts
à admettre que les ban- ques en profitent pour réduire leurs ratios réels ?
Nombreux sont les ban- quiers qui doutent que les réglementations soi-
disant contra-cycliques et variables dans le temps et en fonction de
l’état de l’économie fonction-
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 311
neraient réellement comme cela en pratique. Ils considèrent ces proposi-
tions comme un moyen d’augmenter ces ratios en période de vaches gras-
ses, tandis que les forces du marché maintiendront les ratios réels à un
niveau élevé lorsque les choses iront mal. Ils soupçonnent donc qu’en
pra- tique, les mesures soi-disant contra-cycliques ne soient qu’un moyen
sup- plémentaire pour relever les ratios de fonds propres et de liquidité
tout au long du cycle.
Un tel durcissement généralisé de la réglementation contribuera bien
sûr à exacerber le problème de la frontière entre réglementé et non régle-
menté. Plus les contraintes seront rigoureuses sur les activités réglemen-
tées, plus la motivation de s’engager dans des activités non réglementées
sera forte. Et plus l’attention sera canalisée sur les banques, plus leurs
acti- vités seront limitées (par exemple, narrow banking), plus cela
encouragera l’intermédiation ailleurs et plus il sera probable que la
prochaine crise tou- che le secteur non réglementé, qui aura été
artificiellement promu.
La tentation existe bien sûr d’étendre la réglementation à encore plus
de domaines du système financier, mais où fixer la limite ? Comme le
princi- pal objectif est d’empêcher un effondrement systémique, la
réponse con- siste sans doute à inclure dans cette réglementation tous les
établissements financiers (y compris les établissements d’infrastructure des
marchés comme les chambres de compensation centralisées) dont la
faillite pourrait avoir des conséquences systémiques. Ainsi, l’idée
générale actuelle est d’avoir un système réglementaire distinct pour les
établissements systémiques et un régime allégé pour les établissements
non systémiques.
Mais si ces propositions sont largement mises en avant et approuvées,
il y a bien peu d’analyses sur la manière de déterminer l’ampleur de la
nature systémique d’un établissement. Le mieux serait encore d’évaluer à
quel point le changement de positionnement d’une banque sur le marché
peut avoir un effet sur les positions des autres banques (un domaine qui a
été étudié par Brunnermeier et Pedersen, 2009, Adrian et Brunnermeier,
2009, ‘CoVaR’, Acharya et al., ‘Measuring Systemic Risk’, 2010, ‘Systemic
Expected Shortfall’, Segoviano, 2006 et Segoviano et Goodhart, 2009,
‘CIMDO’. Voir également le Rapport sur la stabilité financière dans le
monde du FMI, avril 2009, chapitre 3).
De plus, la mesure dans laquelle un établissement a un effet
systémique n’est pas constante et varie dans le temps et selon les pays.
Peut-être que l’une des plus grandes faiblesses des propositions actuelles
est qu’elles dépendent souvent de la capacité à distinguer une catégorie
d’« établis- sements financiers systémiques ». Pourtant, rien ne permet
actuellement de définir une telle catégorie, voire de tracer les contours
des (facteurs) carac- téristiques qui formeraient la base d’une telle
définition. De la même ma- nière, rien ne permet de garantir que la
catégorie des établissements finan- ciers systémiques sera constante dans
le temps ou qu’elle ne sera pas affec- tée par la conjoncture.
312 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
Il est bien entendu possible d’identifier raisonnablement les extrêmes,
c’est-à-dire les établissements qui sont tellement grands, centraux et
inter- connectés que leur faillite pourrait faire des ravages autour d’eux,
et ceux qui sont tout aussi petits, singuliers et spéciaux que leur faillite
passerait inaperçue. Entre les deux cas cependant, il y a une zone
d’ombre vaste (et changeante). Comment tracer une ligne au milieu ? Et
avec une démarca- tion aussi arbitraire, comme justifier les différents
régimes réglementaires qui dépendent du hasard dans le tracé de cette
ligne ? Par ailleurs, la publi- cation de la division entre les établissements
systémiques et non systémi- ques et des critères choisis pour procéder à
cette division pourrait inciter les agents à transférer leur activité d’un côté
ou de l’autre de la ligne (en fonction de là où les intérêts sont
préférables). Et si le traitement réservé aux établissements de chaque côté
de la ligne de démarcation devait être différent, les autorités pourraient-
elles tenir secret la liste et les critères choisis ? Compte tenu des bienfaits
généraux de la transparence, et de la nécessité de responsabiliser,
pourront-elles choisir ou être autorisées à gar- der le secret dans tous les
cas ?
Par ailleurs, tous les aspects réglementaires mentionnés plus haut
repo- sent implicitement sur l’hypothèse d’une économie fermée avec un
seul gouvernement et une structure juridique unique, voire au mieux avec
quel- ques organismes régulateurs et de surveillance soumis à certains
mécanis- mes de coordination. Cela dit, le problème de réglementation le
plus inso- luble est que quasiment tous les établissements systémiques ont
une pré- sence internationale significative. Ils sont « internationaux dans
leurs acti- vités, mais nationaux dans leur disparition ». Les systèmes
juridiques, no- tamment les procédures en cas d’insolvabilité et la loi sur
les faillites, diffè- rent d’un pays à l’autre, ce qui complique
considérablement la résolution des crises. La faillite de Lehman Brothers
est un bon exemple. Il s’agit toutefois d’un sujet vaste, et Richard Herring
et moi-même avons récem- ment écrit un article pour suggérer une voie à
suivre (Avgouleas, Goodhart et Schoenmaker, 2010 et Herring, 2010), si
bien que je ne m’étendrai pas sur ce point ici.
Même si nous esquivons la question du franchissement des frontières,
le vaste éventail de problèmes soulevés par les propositions de
réglementa- tion macro-prudentielle n’en demeure pas moins formidable.
Et c’est sans parler de l’aversion générale de nombreux cercles
(américains) à l’égard de l’intervention publique. « La réglementation est
statique, tandis que les marchés sont dynamiques ». Il faut énormément
de temps pour se mettre d’accord et introduire une réglementation. Et le
temps qu’elle soit mise en œuvre, les établissements réglementés auront
trouvé des moyens de la con- tourner. Comparés aux agents du marché,
les régulateurs et autres autorités de surveillance sont des bureaucrates
relativement mal payés, qui n’ont pas de contacts directs avec les
pratiques et les réalités du marché. Enfin, toute tentative d’imposer une
réglementation différente d’un pays à l’autre, à des fins contra-cycliques
par exemple, pourrait aller à l’encontre du principe
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 313
d’égalité, de sorte que l’intermédiation sera transférée à l’étranger, bien
qu’il existe des moyens d’atténuer cet effet.

Conclusion
Il est nécessaire d’introduire des instruments macro-prudentiels
contra- cycliques. Cela dit, cet exercice sera difficile et son succès loin
d’être ga- ranti. Au moins le Comité de Bâle, et dans une moindre mesure
la Commis- sion européenne, se dirigent désormais dans la bonne
direction. Espérons qu’avec le CERS, ils parviendront à améliorer
sensiblement les conditions pour parvenir à la stabilité financière.

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316 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


Complément C

La coopération : un mode de gouvernance


adapté pour améliorer la stabilité financière
?
Interview de Tommaso Padoa-Schioppa
par Jézabel Couppey-Soubeyran

La crise a-t-elle révélé des problèmes de coordination entre banques


centrales ainsi qu’entre banques centrales et autorités de supervision
ban- caire et financière ?
De mon expérience passée, par exemple à la Banque centrale
européenne (BCE), j’ai pu constater que la perception que l’on a à
l’extérieur ne corres- pond pas souvent à la réalité et elle peut apparaître
meilleure ou moins bonne selon les cas. En général, la coordination-
coopération entre banques centrales dans le monde a été jusqu’à
récemment une question de coopéra- tion entre la Federal Reserve, la
BCE, la Banque d’Angleterre et la Banque du Japon. Je ne connais pas de
cas dans lesquels il y a eu des conflits ouverts. À l’intérieur de la zone
euro, où une coopération entre banques centrales est nécessaire dans
plusieurs domaines autres que la politique monétaire, c’est surtout à
propos de la stabilité et de la situation individuelle des ban- ques « ce qui
rejoint le problème de coopération entre autorités de supervi- sion », que
la crise a révélé une coopération insuffisante entre pays et même entre les
différentes autorités à l’intérieur d’un pays. Les autorités de super- vision
et même les banques centrales n’ont pas été mutuellement transpa- rentes.
Si une Banque centrale avait des difficultés avec un de « ses » éta-
blissements bancaires, elle était très réticente à partager l’information
avec d’autres autorités ou banques centrales d’autres pays, même à
l’intérieur de la zone euro. Et là où l’autorité de supervision n’est pas la
Banque centrale, comme au Royaume-Uni, la coopération entre la
Banque centrale et le su- perviseur n’est jamais aussi poussée qu’elle
devrait l’être ! La preuve en est la remise en question, au Royaume-Uni
même, de la formule « FSA » (Financial Services Authority, autorité de
supervision unique pour l’en- semble du secteur financier).
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 317
Juste un point sur le plan de la politique monétaire, avez-vous le
senti-
ment que, avant la crise, l’action de la BCE, de la FED, de la BoJ et de la
Banque d’Angleterre était un peu coordonnée ou bien n’y avait-il aucune
raison pour qu’elle le soit ?
Sous un régime de taux de change flottants, on croit que c’est le
marché qui fait la coordination en fixant ce taux ; malgré l’existence
d’une commu- nication entre les gouverneurs, on ne croit pas devoir
coordonner les mou- vements des taux. J’ai des fortes réserves sur la
validité de cette doctrine, mais c’est bien là la doctrine qui régit le
système actuel.
C’est donc en période de crise que cette coordination s’impose tant
que le choc est commun ?
Oui, c’est en période de crise. Face à une chute rapide de l’activité
éco- nomique, les banques centrales réagissent plus ou moins toutes de la
même manière, sans avoir besoin de se coordonner explicitement.
Concernant la remise en question du modèle FSA au Royaume-Uni,
pen- sez-vous que ce soit la nature intégrée du dispositif qui est remise en
ques- tion ou bien s’agit-il exclusivement d’un problème de coordination
entre la FSA et la Banque d’Angleterre ?
Il y a deux aspects à considérer dans le choix d’un modèle de supervi-
sion : d’une part la question de savoir si l’on confie la supervision à une
autorité unique plutôt qu’à des autorités séparées et, d’autre part, le choix
de confier la supervision à la Banque centrale ou à une autorité autre que
la Banque centrale. Avec la création de la FSA, le Royaume-Uni a opté
pour une autorité unique et indépendante de la Banque centrale. Une
seule auto- rité hors de la Banque centrale. Personnellement, je n’ai
jamais partagé ce double choix (et j’ai expliqué pourquoi dans mes
écrits), pour deux rai- sons : parce qu’une seule autorité signifie que la
même autorité prend en charge à la fois la stabilité et la transparence. Or,
la stabilité et la transpa- rence n’impliquent pas toujours les mêmes
orientations. Quand il y a un problème de stabilité, les autorités de
supervision souhaitent très souvent le résoudre dans l’opacité, pour éviter
que le marché s’alarme. C’est la raison pour laquelle j’ai – dès les années
quatre-vingt – proposé une formule (qui a été ensuite appelée twin peaks),
qui prévoit une autorité pour la stabilité et une autre pour la transparence.
Cette distinction est encore plus néces- saire quand cette autorité unique
est en charge de la protection des consom- mateurs, qui est une tâche «
micro-micro » prudentielle dévolue au soutien de l’épargnant individuel,
évidemment très sensible électoralement. Si on a cette tâche en liste, on
s’y consacre en priorité. C’est ce que la FSA a fait.
Vous pensez que la tâche de la protection des consommateurs tendait
à prendre le dessus au Royaume-Uni ?
Oui et ils le disent eux-mêmes.
Bruno Deletré, inspecteur des Finances, à qui le Président Sarkozy
avait commandé un rapport qui, en partie, est à l’origine du
rapprochement entre la Commission bancaire et l’Autorité de contrôle
des assurances et des
318 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
mutuelles en France, donnant naissance à l’ACP, soutenait plutôt l’inverse :
lorsqu’on confie la transparence, qu’il appelle aussi le conduct of
business, à l’autorité en charge de la supervision prudentielle, alors le
conduct of business, passe nécessairement au second plan.
On peut dire ceci aujourd’hui parce qu’il y a eu une crise énorme qui a
remis la stabilité au centre des préoccupations de toutes les autorités
publi- ques. Je ne sais pas si on aurait dit la même chose avant la crise.
De toute manière, les opinons ne coïncident pas toutes forcément. Je peux
vous dire que j’étais en relation étroite avec certains présidents de la FSA,
qui, eux- mêmes, disaient que trop de ressources étaient allouées à la
transparence et à la protection des consommateurs. C’est la première
chose. La deuxième, c’est le choix qui a été fait de mettre tout ceci hors
de la Banque d’Angle- terre. Là aussi, je ne suis pas convaincu de ce
choix parce que, lorsque le contrôle des banques est confié à la Banque
centrale, il y a le grand avan- tage que le superviseur est lui-même une
banque ; il connaît donc les ban- ques en tant que telles : il travaille avec
elles, il a une relation de business avec elles, il fait fonctionner le système
des paiements ; il a une vision de la situation réelle et les banques
s’expriment vis-à-vis de lui comme dans un dialogue entre collègues, ce
qui n’est pas possible lorsque le superviseur est une agence extérieure.

***

La crise a-t-elle renforcé ou, au contraire, rendu plus difficile la


coopé- ration internationale des États ?
À mon avis, elle a réduit la coopération internationale et, en même
temps, elle a montré que cette dernière aurait dû se renforcer. On assiste,
en effet, à deux tendances opposées : l’une est la re-nationalisation de
plusieurs as- pects de la supervision qui étaient auparavant devenus
internationaux ; l’autre est l’effort de renforcement de la coopération, très
fortement exhibé dans les médias, avec les réunions internationales et le
G20. Laquelle des deux tendances va prévaloir ? Après la vague de
réformes, encore en prépa- ration, le système d’après-crise sera-t-il plus ou
moins convergent sur le plan international ? C’est une question qui reste
ouverte.
Pensez-vous que ces réformes soient véritablement conduites à une
échelle internationale ou que celles-ci devraient plutôt venir d’initiatives
nationales, notamment au plan institutionnel ?
Il y a deux facteurs qui poussent vers la fragmentation : l’un est que
les autorités de contrôle essaient de soigner leurs malades sans en parler
aux autres hôpitaux ; l’autre est que les pressions de l’opinion publique et
même de la classe politique à la réforme sont nationales, selon des
calendriers nationaux, et n’attendent pas que soit conclu un accord
international, comme on l’a vu aux États-Unis ou au Royaume-Uni.

***
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 319
Venons-en à la coopération en tant que mode de gouvernance. La
coo-
pération constitue-t-elle un mode de gouvernance viable ? Est-ce que
cela ne conduit pas, finalement, à la mise en place de règles extrêmement
limi- tées parce qu’il faut mettre tout le monde d’accord ?
Pour avoir une gouvernance, il faut évidemment une coopération. Il
n’y aurait pas une Constitution française, s’il n’y avait pas eu une
coopération entre les Français pour avoir une Constitution commune. Donc,
la coopération
– c’est-à-dire la volonté de vivre ensemble et de régler ses problèmes par
d’autres moyens que par la force et l’armée – est indispensable. C’est un
concept qui fait partie de la notion même de la gouvernance. Mais, au-
delà de cette base, on peut avoir une gouvernance fondée sur le principe de
la coopé- ration, ou bien une gouvernance fondée sur le principe de
décisions com- munes prises à la majorité si nécessaire et qui s’imposent
à tout le monde :
• la première voie est une voie dans laquelle une action commune ne
se fait que lorsque tout le monde est d’accord. C’est en effet une
coordination car il n’y a pas un seul acteur de gouvernance mais plusieurs
qui essaient de se concerter. C’est le cas dans beaucoup de domaines,
mais ce n’est pas le cas de la BCE, sauf en matière de supervision
financière ;
• l’alternative est d’avoir une autorité avec un organe collégial, au
sein duquel il y aura bien sûr des désaccords et des débats, mais qui
prendra à la fin des décisions par un vote.
Pour moi, la première formule, que l’on appelle coordination, est
ineffi- cace ou vouée à l’inefficacité chaque fois qu’il y aura désaccord,
ce qui est bien souvent le cas. La deuxième formule est une formule forte,
efficace, mais qui suppose que les pays acceptent de se conformer à une
décision commune, même quand ils ont été minorisés dans un vote, ce qui
toutefois est refusé par la plupart.
Mais ce n’est pas non plus une solution complètement utopique : elle
existe, par exemple, au Fonds monétaire international, où les décisions
sont prises ainsi. C’est vrai que les États-Unis ont un quota qui leur assure
de facto un droit de veto dont ils n’ont toutefois jamais vraiment fait
usage. Quand on sait que, à la fin, il y aura un vote, on finit par trouver
l’accord ; mais quand on sait que, à la fin, il y aura un veto, on ne le
cherche même pas. La coopération, quant à elle, n’est qu’un préalable.

***

Est-ce que cela implique d’évoluer vers de nouvelles règles de


décision ou vers la mise en place de nouvelles institutions ?
Au Comité de Bâle, Monsieur McDonough, un de ses présidents qui a
été l’un de mes successeurs, avait proposé de décider à la majorité car il
avait du mal à trouver un accord. Cela fait des milliers d’années que l’on
a découvert que la seule méthode est de décider à la majorité. Ce n’est
pas une découverte de la technologie moderne !
320 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
Est-ce à dire que changer les règles de décision au sein des institutions
existantes serait suffisant pour aboutir à des règles communes ?
Non, pas suffisant, mais, selon moi, indispensable. Il faut une base de
droit. La coopération du G20 est largement illusoire parce qu’elle est lais-
sée au hasard de la bonne volonté. Je ne dis pas que cela ne marche
jamais, mais je peux vous citer nombre de cas (comme, par exemple, le
CEBS, le Comité européen des superviseurs bancaires) où des positions
communes ont été préalablement adoptées, sans être ensuite exposées
comme telles au G20, où chaque pays européen « qui avait pourtant
souscrit à la position commune – a parlé, finalement en son propre nom,
entraînant la cacopho- nie habituelle. D’ailleurs, le G20 n’a ni base
juridique, ni secrétariat. Le FMI fonctionne tout autrement. Il y a un
traité, un bilan ainsi qu’un corps de fonctionnaires dévoués à la mission
du Fonds.

***

Pour réaliser ce changement institutionnel ou constitutionnel que vous


défendez, faudra-t-il créer de nouvelles instances de supervision ou sim-
plement transformer celles qui existent ?
Il faut essayer de transformer celles qui existent. On peut imaginer une
approche évolutive. Mais il faut que l’on fasse le saut qui se fait quand le
droit de veto disparaît, comme on l’a dit précédemment. Parce que le
secret d’une décision commune, c’est d’être une décision qui peut se
prendre même en cas de désaccord.

***

Il y a un obstacle majeur à tout cela, c’est la souveraineté des États et


leur opiniâtreté à n’en abandonner aucune part. Les États-nation
doivent- ils se résoudre à renoncer à une partie de leurs pouvoirs ?
Le pouvoir auquel on demande aux États-nation de renoncer est en
réa- lité un pouvoir qu’ils ont déjà perdu. Il s’agit de le récupérer. Parce
que, par définition, les questions communes qui appellent une décision de
gouvernance mondiale, continentale, sont des décisions qui concernent
des matières qui excèdent le pouvoir de contrôle d’un État-nation. Par
exem- ple, on ne peut pas contrôler la pollution mondiale à partir d’un
seul État, la stabilité financière globale non plus, ni la navigation
aérienne. Donc, il ne s’agit pas de renoncer à une souveraineté nationale
mais il s’agit de recon- naître que l’État-nation est devenu trop petit pour
résoudre certains problè- mes. Il y a sur la planète presque deux cents
États qui se disent souverains, mais il y a un seul problème de
changement climatique, de stabilité finan- cière, de navigation aérienne,
etc. Si souveraineté signifie maîtrise d’un problème, alors il s’agit de
regagner la maîtrise du problème au niveau où cette maîtrise est possible.

BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 321


Quoi qu’il en soit, les États vont devoir composer entre eux et avec de
grandes instances de coopération dans différents domaines « en
particulier dans celui de la supervision financière », qui vont avoir une
certaine indépen- dance à leur égard. Cette indépendance est-elle
problématique pour les États ?
Avant la crise, on pensait que la supervision était la mission d’une
agence qui devait garder un degré élevé d’indépendance ; mais la crise a
changé cela. Je crois qu’elle a remis les Parlements et les pouvoirs
exécutifs dans le circuit de la poursuite de la stabilité financière. D’abord,
parce qu’il faut bien dire que les autorités de supervision n’ont pas
supervisé. En outre, parce qu’il est bien nécessaire, de temps en temps,
que les pouvoirs publics regardent si l’agence indépendante a bien rempli
sa mission. Cela ne signi- fie pas lui donner des ordres mais lui demander
de rendre des comptes.
Et j’ajouterais un autre facteur. Si, quand il s’agit d’intervenir avec la
liquidité, c’est encore le domaine de la Banque centrale qui agit en toute
indépendance, quand on intervient pour faire du sauvetage, c’est l’argent
du contribuable qui est en cause, donc ce sont les pouvoirs exécutifs et
législatifs qui entrent en jeu. Certaines institutions passent de la propriété
privée à la propriété publique. L’État « propriétaire » élargit alors son
péri- mètre. Tout cela ne signifie pas du tout, à mon avis, que le principe
de l’indépendance des banques centrales et des autorités de supervision
soit un principe erroné à abandonner. Je peux imaginer que certains
quartiers ministériels ou politiques le souhaitent et saisissent l’occasion
pour essayer de le faire. Mais, à mon avis, ce serait tirer une conclusion
erronée de la crise. C’est comme lorsque l’on dit que la guerre est une
chose trop sé- rieuse pour être confiée aux généraux, alors que les
opérations sur le terrain doivent être guidées par des militaires car ce
n’est pas un député qui va descendre dans les champs de bataille pour
organiser le mouvement des troupes. Faire la guerre est une décision
politique. Dans aucun pays au monde, même ceux où le pouvoir exécutif
est le plus fort, les civils ne sont chargés de la conduite des opérations
militaires de guerre à la place des capitaines, colonels ou généraux. En
somme, il y a toujours un domaine où l’indépendance est indispensable.
Parce qu’est c’est là où la tâche, en gros politique, s’est traduite en
opérations techniques et la technique doit être maîtrisée par des
spécialistes qui ont une mission et qui doivent être libres de décider du
meilleur moment pour un changement de taux.
En matière de supervision, vous venez de le dire, le droit de regard
des Parlements, des pouvoirs exécutifs et législatifs s’est accentué sur les
auto- rités de surveillance qui, dans une certaine mesure, ont un peu failli
dans leur tâche. Mais en matière de finances publiques, n’a-t-on pas le
senti- ment qu’à l’inverse les banques centrales essaient d’influencer
l’action des États, sinon de leur faire des recommandations ?
Oui. J’ai été banquier central pendant un long moment. Les banques
centrales aiment « prêcher » et l’ont toujours fait, de manière plus ou
moins explicite selon les cas. Les plus indépendantes prêchaient à haute
voix, les autres chuchotaient leur prêche.
322 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
Est-ce de la communication simplement ?
C’est aussi le désir des banques centrales de défendre la stabilité de la
monnaie au-delà de leurs frontières, et non pas seulement par le mouve-
ment des taux mais aussi par la modération salariale et budgétaire. Donc,
ils prêchent ces choses-là. À mon avis, si elles le font trop souvent, elles
finiront par déclencher une réaction d’irritation qui, tôt au tard, portera
atteinte à leur indépendance.

***
Dans plusieurs de vos écrits, vous défendez l’idée que si les banques
centrales ont gagné leur indépendance vis-à-vis du pouvoir politique, il
est beaucoup moins évident, en revanche, qu’elles aient gagné leur
indépen- dance vis-à-vis du marché et des économistes.
Effectivement. La politique économique de régulation s’est battue
pour gagner son indépendance vis-à-vis du pouvoir politique mais, à
certains égards, elle est tombée entre les bras du marché et des intérêts
privés. La fascination du marché a contaminé l’action publique.
Et vous pensez que les économistes ont une responsabilité en la matière ?
Oui, ils ont une responsabilité. Ils ont construit cette fascination. Ils
ont eux-mêmes perdu leur indépendance. Les économistes qui se
contentent de faire de la science sont de plus en plus rares.

***
La crise amènera-t-elle selon vous à un élargissement du périmètre
d’ac- tion des banques centrales ? Si oui, vers quel nouveau cadre
opérationnel les banques centrales vont-elles aller ?
Il n’y a jamais un seul futur. La Banque centrale doit être la gardienne
de la monnaie dans ses trois fonctions : numéraire, moyen de paiement et
réserve de valeur. L’interprétation de la fonction des banques centrales
dans les derniers vingt-cinq ans s’est focalisée presque exclusivement sur
la fonc- tion du numéraire, celle de la stabilité des prix. La question du
système des paiements est devenue importante. Elle a été reconnue, mais
c’est une fonc- tion d’ingénieur plutôt que d’économiste, ce qu’on appelle
le plan B du système. La fonction de réserve de valeur est quant à elle
confiée à l’auto- rité de supervision financière. À mon avis, il faut
renouer avec une notion unitaire de la monnaie et comprendre que la
Banque centrale est gardienne de la monnaie dans toutes ses fonctions, ce
que la crise a exactement mon- tré en le réimposant aux banques
centrales. Par exemple, quand il y a une paralysie des paiements, la
Banque centrale fournit la liquidité pour que la vitesse de circulation,
tombée à quasi-zéro, soit compensée par une quan- tité de monnaie
accrue. Et la stabilité s’est imposée comme une responsabi- lité majeure
des banques centrales, même quand elles ne sont pas en charge de la
supervision. Ce périmètre élargi ou cette récupération de la totalité de la
responsabilité monétaire des banques centrales va, à mon avis, remettre
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 323
en perspective la fonction de politique monétaire, fonction qui
jusqu’alors
concentrait toute l’attention des banques centrales. Il faut dire aussi que
les banques centrales sont nées il y a deux cents ans et que l’on a
commencé à parler de politique monétaire seulement depuis cinquante
ans à peu près.
Autrement dit, vous envisagez un élargissement des prérogatives des
banques centrales, afin qu’elles soient chargées à la fois de la stabilité
monétaire et de la stabilité financière, au-delà de ce qu’elles font déjà en
matière de stabilité financière ?
Oui, j’envisage un tel élargissement et surtout une reconnaissance con-
crète. En situation de crise difficile, la Banque centrale se redécouvre
char- gée de ces trois fonctions et non pas d’une seule. Il ne s’agit pas de
les lui rendre mais de reconnaître qu’elles sont là.
Un nouveau cadre opérationnel sera-t-il nécessaire, selon vous, pour
permettre cet élargissement ?
Je pense que oui. Chaque Banque centrale fera son examen de cons-
cience, son analyse de la crise. Les chercheurs et l’Académie vont aussi
probablement remettre en question quelques-uns des éléments de
consensus. À la veille de cette crise, le monde académique était, « aligné et
couvert », comme on dit en termes militaires, derrière un paradigme «
prévisibilité
– stabilité des prix ». Quelle était l’attention portée à la fonction de paie-
ment « on la cherche en vain •ainsi que l’importance de la monnaie, dans
un sens plus général ? À mon avis, ces questions-là sont de nouveau d’ac-
tualité en raison de l’expérience de la crise qu’il faudra savoir lire.

***

Dans votre ouvrage Contre la courte vue, vous mettez en avant la part
de responsabilité du régime monétaire international dans la crise
actuelle. Vers quel autre régime monétaire faudrait-il aller ?
Parmi les déterminants profonds de cette crise, on trouve la politique
du dollar et plus généralement, le régime monétaire en vigueur à l’échelle
mondiale depuis presque 40 ans. À l’opposé de celui de Bretton Woods,
ce régime n’est pas en mesure de garantir une discipline
macroéconomique, car en l’absence d’une ancre monétaire acceptée par
tous, il favorise la persistance de dynamiques insoutenables, qui
conduisent à des crises de plus en plus graves.
La critique de Robert Triffin portant sur un système monétaire interna-
tional fondé sur une politique monétaire exclusivement nationale est tou-
jours valable, même si elle nécessite aujourd’hui une formulation plus gé-
nérale qui tienne compte de l’anarchie des changes et d’une pluralité de
politiques monétaires influentes. La question de l’ordre monétaire ne
reçoit pas l’attention qu’elle mérite et l’on doit s’en préoccuper
davantage.

Padoa-Schioppa T. et B. Romano (2009) : Contre la courte vue. Entretien sur le Grand


Krach, Odile Jacob, 206 p.

324 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


Résumé

Ce rapport traite de l’évolution nécessaire des missions des banques


centrales en réponse à la crise financière que nous venons de traverser.
Les banques centrales doivent tirer les leçons de la crise. La plus
importante d’entre toutes est qu’elles n’ont pas été suffisamment
attentives à la stabi- lité financière. Les auteurs de ce rapport sont tous
d’accord sur ce point. Le rapport se présente toutefois sous la forme de
deux approches (la première défendue par Christian Bordes, la seconde
par Jean-Paul Betbèze, Jézabel Couppey-Soubeyran et Dominique
Plihon) qui divergent quant à la façon d’articuler la politique monétaire et
la politique de stabilité financière. Les clivages se situent principalement
à deux niveaux. Au niveau tout d’abord du principe de séparation que la
première approche maintient entre ces deux politiques et que la seconde
approche recommande au contraire d’aban- donner. Au niveau ensuite de
la gouvernance fondée sur l’indépendance, la transparence et la
responsabilité que la première approche entend préserver au maximum
alors que la seconde approche perçoit des changements né- cessaires à ce
niveau aussi. Le rapport s’appuie sur un travail d’enquête à l’aide d’un
questionnaire soumis à des économistes et à des banquiers cen- traux.
Chaque approche débouche sur un ensemble de recommandations.

1. Les banques centrales face à la crise


La crise financière récente, dont les retombées sur l’économie réelle
ont été graves, a rendu incontournable une réflexion sur la régulation
d’ensem- ble de la sphère bancaire et financière. Les banques centrales
sont au cœur de cette régulation, à travers la politique monétaire qu’elles
conduisent et la politique de stabilité financière à laquelle elles
contribuent. Si leurs in- terventions d’urgence et le déploiement d’une
batterie de mesures non con- ventionnelles ont, de l’avis d’une majorité
d’économistes, permis d’enrayer la spirale déflationniste dans laquelle la
crise menaçait d’emporter les éco- nomies du monde occidental,
l’insuffisance de leur action préventive, voire leur responsabilité dans le
déclenchement de la crise, demeurent débattues. Trois thèses se
confrontent en la matière. La première les exonère de toute responsabilité,
en imputant la crise à un défaut de surveillance du système financier. Une
deuxième leur attribue une forte responsabilité : après avoir bien suivi
les recommandations du modèle canonique dans les années
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 325
quatre-vingt et quatre-vingt-dix (notamment en conduisant leur politique
monétaire conformément à une règle), les banques centrales s’en seraient
éloignées, pour ne pas dire affranchies, à partir des années 2002-2003
(avec des taux directeurs durablement inférieurs à ceux recommandés par la
règle de Taylor). Une troisième met en avant le paradoxe de la crédibilité,
crédi- bilité héritée de la période antérieure de croissance non
inflationniste. Se- lon cette thèse, les succès atteints dans la sauvegarde de
la stabilité moné- taire, combinés à une moindre volatilité de la hausse
des prix et de l’activité économique, auraient contribué à réduire le coût
du risque. Dans ce climat, les acteurs financiers ont été incités à prendre
des risques excessifs, ce qui les a fragilisés. Les banques centrales ont
certes envoyé des signaux d’alerte, mais elles n’ont pas agi pour
désamorcer les tensions financières. Tout en reconnaissant la pluralité de
facteurs à l’origine de la crise, les auteurs du rapport pointent parmi ceux-
ci l’attention insuffisante des banques centrales portée à la stabilité
financière et soutiennent l’idée qu’il faut faire évoluer en conséquence le
central banking. Ils se rejoignent sur la nécessité d’une articulation entre
la politique monétaire et la politique de stabilité finan- cière globale dite
macro-prudentielle pour y parvenir. Mais ils divergent quant aux
modalités de cette articulation.

2. La remise en cause du principe de séparation


Christian Bordes reconnaît que la crise a fait voler en éclat la
séparation entre la politique monétaire orientée uniquement vers le
maintien de la sta- bilité des prix à moyen terme et la gestion de la
liquidité destinée à garantir la stabilité financière stricto sensu, du moins
le bon fonctionnement du marché monétaire. Cependant, il défend le
maintien de la séparation entre la politique monétaire et la politique de
stabilité financière globale, c’est-à- dire la politique macro-prudentielle.
L’articulation des deux doit, selon lui, reposer sur un principe bien connu
de politique économique qui consiste à affecter chaque instrument dont
on dispose à l’objectif pour lequel il est le plus efficace (principe
d’affectation optimale des instruments de l’écono- miste américain Robert
Mundell) : la réalisation de la stabilité des prix pour la politique
monétaire, la stabilité financière pour la politique macro- prudentielle,
confiées à deux autorités distinctes, la Banque centrale, bien entendu,
pour la stabilité monétaire et une autre autorité indépendante pour la
stabilité financière.
Jean-Paul Betbèze, Jézabel Couppey-Soubeyran et Dominique Plihon
défendent une autre forme d’articulation. Selon eux, la coordination ne
doit pas se limiter à la politique monétaire et à la gestion de la liquidité
mais doit être étendue à la politique macro-prudentielle. Ils soulignent les
dan- gers du principe de séparation entre stabilité monétaire et stabilité
finan- cière au sens large. La politique monétaire des années 1990-2000
s’est con- formée scrupuleusement à ce principe de séparation. Les
grandes banques centrales se sont concentrées sur leur objectif de stabilité
monétaire et en-
326 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
tendaient ainsi contribuer à la stabilité financière. Les liens entre stabilité
monétaire et stabilité financière se sont révélés autrement plus complexes
qu’elles ne le supposaient. Ainsi que l’illustre le paradoxe de la crédibilité
popularisé par les travaux de Claudio Borio à la Banque des règlements
internationaux (BRI), la stabilité monétaire renforcée par la crédibilité des
banques centrales peut se révéler le ferment de l’instabilité financière. La
période de grande modération des années 2000, caractérisée par une infla-
tion basse et stable, dont les banques centrales ne sont pas les seuls
artisans mais à laquelle elles ont indéniablement contribué, a favorisé une
moindre aversion à l’égard du risque et, ce faisant, incité un grand
nombre d’agents économiques, au premier rang desquels les banques, à
prendre des risques excessifs. Les canaux par lesquels transitaient les
effets correspondants de la politique monétaire étaient alors largement
ignorés ou sous-estimés. Le canal du crédit était supposé faible, voire
désuet. Le canal de la prise de risque des banques a, quant à lui, fait son
apparition plus récemment dans la littérature académique. Or, c’est par
ces deux canaux que les bas taux d’intérêt du début des années 2000 ont
favorisé l’instabilité financière. Ces canaux devront désormais faire
l’objet d’une surveillance renforcée. Parce que la stabilité monétaire ne
garantit pas la stabilité financière, les banques centrales doivent conférer
à ces deux objectifs une importance égale. Et parce que ces deux objectifs
peuvent entrer en conflits, elles ne sauraient y parvenir à l’aide du taux
d’intérêt pour seul instrument. Le taux d’intérêt ne peut pas tout. Ici, ce
n’est pas une règle de Taylor augmentée qui est défen- due mais une large
batterie d’instruments macro-prudentiels mobilisables par la Banque
centrale qui apparaît comme l’autorité la mieux placée pour endosser la
responsabilité de la politique macro-prudentielle.
Dans les deux approches défendues dans le rapport, les auteurs sont
d’accord sur le principe qu’il n’existe pas de modèle de coordination uni-
que entre politique monétaire et politique prudentielle. La politique
micro- prudentielle n’est pas nécessairement du ressort des banques
centrales. Et même lorsqu’il est préconisé dans la lecture 2 qu’elles
endossent la respon- sabilité de la politique macro-prudentielle, cela
n’implique pas nécessairement qu’elles endossent aussi elle de la
politique micro-prudentielle. Confier les surveillances à la fois micro- et
macro-prudentielles aux banques cen- trales pourrait, en effet, présenter
plusieurs inconvénients : concentration excessive de pouvoir, risque de
bureaucratie, moindre efficacité dans la masse des informations à traiter…
Cela risquerait aussi d’augmenter le poids des dispositifs prudentiels
sectoriels, pourtant moins bien adaptés à l’inté- gration des activités
bancaires et financières. La raison en est que si la Banque centrale peut
apparaître comme un superviseur naturel pour les banques, il n’en va pas
de même pour les autres intermédiaires financiers : la Banque centrale est
très rarement un superviseur unique lorsqu’elle est impliquée dans la
supervision prudentielle. L’important est que, lorsque la Banque centrale
n’est pas micro-superviseur, elle soit en relation étroite et permanente
avec le(s) superviseur(s). C’est ce défaut de relation qui a, par exemple,
rendu beaucoup plus difficile la gestion de la crise financière au
Royaume-Uni.
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 327
3. La gouvernance des banques centrales
Si le central banking ne peut rester inchangé après la crise, il n’en de-
meure pas moins que certains de ces principes sont à conserver, en
particu- lier ceux qui caractérisent sa gouvernance. Christian Bordes
soutient, à cet égard, la nécessité de préserver le modèle de Banque
centrale « indépen- dante, transparente et responsable ». C’est pour cette
raison qu’il juge trop ambitieuse une coordination qui consisterait à
confier à une même autorité, ou comité, la responsabilité de la politique
monétaire et celle de la politique macro-prudentielle. Il considère, en
effet, que cela pourrait réduire l’effica- cité de la politique monétaire en
rendant difficile l’exercice de l’autonomie de la Banque centrale, en
nuisant à la transparence de son action et en com- pliquant sérieusement
le contrôle de son action. Dans ces conditions, il soutient que la
réponse la plus réaliste consiste à s’en tenir au principe d’affectation des
instruments énoncé précédemment : chaque instrument doit être affecté à
la réalisation de l’objectif pour lequel il est le plus per- formant.
Lorsqu’ils plaident pour une coordination de la politique monétaire et
de la politique macro-prudentielle au sein de la Banque centrale, Jean-
Paul Betbèze, Jézabel Couppey-Soubeyran et Dominique Plihon
soulignent les risques et les difficultés que cela comporte au niveau de la
gouvernance. En charge de missions étendues, les banques centrales
auront aussi un pouvoir accru. À pouvoir accru, devoir accru ! Un devoir
accru de responsabilité (accountability), d’explication et de transparence.
Un devoir accru de coo- pération et de partage d’information avec les
autres autorités en charge de la stabilité financière. Cela tout en se
protégeant du risque de capture tant par les acteurs publics que privés, ce
qui implique que les banques centra- les exercent leur indépendance, à
l’égard de tous les acteurs, non seulement publics, mais également privés.

4. Une enquête internationale auprès


d’économistes et de banquiers centraux
Pour sonder l’état du débat autour de l’évolution des missions des
banques centrales, les auteurs du rapport ont élaboré un questionnaire. Ce
type d’en- quête est devenu fréquent en particulier, d’ailleurs, au sein des
banques centrales.
Réparties en six grands thèmes, cinquante-cinq questions sont posées
pour aborder les différentes dimensions (organisationnelle, instrumentale,
stratégique, soubassement théorique…) du central banking :
• dans le premier thème Grande modération et instabilité financière,
les questions portent sur l’environnement macroéconomique de la politi-
que monétaire avant la crise ainsi que sur les origines possibles des désé-
quilibres financiers observés au cours de cette période ;
• dans Design institutionnel du central banking, les questions portent
sur le cadre institutionnel du central banking et tentent de cerner les
évolu-
328 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
tions provoquées par la crise (opportunité des réformes, remise en cause du
principe de séparation…) ;
• dans Stabilité financière, les questions sont relatives à l’implication
des banques centrales en matière de stabilité financière et aux évolutions
attendues dans ce domaine ;
• dans Politique monétaire : canaux de transmission/stratégie/instru-
ments, les questions concernent les aménagements possibles de la
politique monétaire actuellement débattus (relèvement de la cible
d’inflation, ciblage du niveau général des prix…) ;
• dans Dimension internationale, sont abordés les problèmes de coor-
dination à l’échelle internationale entre les grandes banques centrales ;
• le dernier thème, Sciences économiques/science et art du central
banking, regroupe des questions sur les rôles respectifs de l’art et de la
science dans le central banking avant et après la crise.
Le questionnaire a été adressé à environ 200 destinataires (universi-
taires, banquiers centraux, superviseurs) parmi lesquels 46 ont répondu :
15 banquiers centraux (les superviseurs ont été trop peu nombreux à
répondre pour constituer une catégorie à part entière de participants) et 31
universi- taires, du monde entier (au total 16 pays plus la « zone euro »
représentée par la Banque centrale européenne). Les banquiers centraux
sont naturel- lement bien répartis entre les 16 pays puisque généralement
une personne a répondu au nom de son institution (exceptionnellement
deux au Japon). Les économistes français (12), américains (10) et
britanniques (4) sont les plus représentés parmi les participants au
questionnaire. Les réponses sont présentées à l’aide d’illustrations
graphiques, à chaque fois pour l’ensemble des participants et par
catégorie (banquiers centraux et économistes) et ac- compagnées d’un
commentaire explicatif. Un certain nombre de ces illus- trations sont
reprises dans le corps du rapport. Les deux lectures proposées se
présentent comme deux exploitations différentes du questionnaire.
Le questionnaire est riche d’enseignements quant aux questions qui
réu- nissent les banquiers centraux et les économistes et quant à celles qui
les séparent. Du large avis de tous (91 %), la « Grande modération » des
années 1990-2000 a conduit à sous-estimer les risques. L’importance du
canal de la prise de risque n’est cependant reconnue que par 54 % des
banquiers centraux (contre 63 % des économistes). La moitié environ des
participants (économistes comme banquiers centraux) estime que la
Grande modéra- tion a pris fin. Les deux catégories de participants sont,
en revanche, nette- ment plus divisées autour de la question de savoir si
nous entrons dans une ère de plus forte instabilité financière. Optimistes,
les banquiers centraux sont seulement 38 % à répondre par l’affirmative
contre 70 % des économistes.
90 % des économistes et des banquiers centraux estiment que la crise
a changé à la fois les objectifs et les instruments des banques centrales.
Une large majorité des deux catégories estime également que l’objectif de
stabilité monétaire doit être complété par un objectif de stabilité
financière.
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 329
Même réponse largement consensuelle autour de l’implication des
banques
centrales dans la supervision macro-prudentielle. En revanche, quand il
s’agit d’envisager plus concrètement de nouveaux instruments ou une
modifica- tion des objectifs, des divisions se font jour : les banquiers
centraux sont, par exemple, très peu enclins à envisager une révision de
leur stratégie de ciblage d’inflation (8 % seulement) contre 79 % des
économistes. 85 % des banquiers centraux se déclarent non favorables au
remplacement du ciblage d’inflation par le ciblage du niveau général des
prix, alors que 29 % des économistes y seraient favorables. Les banquiers
centraux se révèlent également fortement hostiles à un relèvement de la
cible d’inflation pour faciliter la sortie de crise (8 % d’entre eux y sont
favorables contre 39 % des économistes), du fait sans doute des risques
qu’une telle stratégie ferait courir à leur crédibilité. Les banquiers
centraux estiment nécessaire, pour 77 % d’entre eux (contre 57 % des
économistes), que les taux d’intérêt réagissent aux bulles de crédit et
d’actifs. Pourtant, ils sont paradoxalement moins convaincus que les
économistes que la politique monétaire puisse contrer les cycles du crédit
(50 % le pensent contre 75 % des économistes). Autre paradoxe, alors
qu’elles ne redoutent ni problème d’incohérence entre les stratégies
nationales de politique monétaire, ni un désordre monétaire mondial, les
banques centrales répondent par un large oui (82 %) qu’elles doivent
prendre en compte l’impact de leur politique sur la liquidité mondiale, et
qu’ils leur faut coordonner leurs interventions sur le marché des changes
(78 % contre 61 % des économistes), et en tant que prêteur en dernier
ressort (92 % contre 80 % des économistes). La fin du questionnaire est
également instructive quant au support que peut encore constituer la
science économique pour la conduite de la politique monétaire :
confiants, les banquiers centraux continuent pour 70 % d’entre eux à
assimiler leur mission à un « art épaulé par la science » ; plus circonspects,
les économistes considèrent à 60 % que la conduite de la politique
monétaire ne relèvera plus que de l’art !

5. Les principales recommandations du rapport


Le rapport est riche de recommandations tant pour analyser le central
banking que pour contribuer à son évolution.

5.1. Les recommandations de la lecture 1


La première partie du rapport, qui soutient l’idée d’un aménagement
du central banking autour du principe d’affectation optimale des
instruments des politiques monétaires et macro-prudentielles, défend les
propositions suivantes :
• la gouvernance de l’action des banques centrales doit rester
organisée autour du triptyque indépendance-responsabilité-transparence ;
• l’architecture politique monétaire/politique macro-prudentielle doit
être bâtie sur le principe d’affectation des instruments (principe de
Mundell) :
330 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
chaque politique se voit assigner la réalisation de l’objectif pour lequel elle
est la mieux adaptée ;
• la politique monétaire doit rester orientée en priorité vers la stabilité
des prix tandis que la politique macro-prudentielle doit s’occuper de la
sta- bilité financière ;
• repousser l’horizon retenu pour atteindre l’objectif chiffré de hausse
des prix devrait permettre de mieux prendre en compte la stabilité finan-
cière, ce qui ne veut pas dire que cela serait facile à faire ;
• la politique monétaire reste un levier d’action efficace dans les
grandes économies pour stabiliser l’activité économique ;
• en cas de renchérissement des prix des matières premières et des
pro- duits de base, une coordination de l’action des grandes banques
centrales serait souhaitable ;
• un relèvement de l’objectif chiffré d’inflation en vue de faciliter la
stabilisation de l’activité économique est une proposition qui mérite
d’être examinée de près, notamment pour une union monétaire. Aux
États-Unis, où il n’y a pas d’objectif chiffré officiel, l’adoption du ciblage
du niveau général des prix renforcerait l’ancrage nominal ;
• l’articulation de la politique monétaire et de la politique macro-
prudentielle, conformément au principe de Mundell, devrait permettre,
sinon d’éviter, du moins de limiter le développement d’une bulle
alimentée par une explo- sion du crédit ;
• dans ce cadre, la politique monétaire doit être affectée en priorité au
maintien de la stabilité des prix et conduite conformément aux principes
d’une règle de Taylor simple. La politique macro-prudentielle doit être
des- tinée à assurer la stabilité financière et reposer principalement, elle
aussi, sur l’application d’une règle, par exemple, l’imposition d’un ratio
de capital contra-cyclique ;
• les politiques monétaires menées par les grandes banques centrales
ont des implications sur la liquidité internationale, les mouvements de ca-
pitaux et les marchés internationaux des matières premières et des
produits de base. Cela renforce la nécessité d’une coordination
internationale des politiques monétaires pour éviter le développement de
déséquilibres finan- ciers dans l’économie mondiale.

5.2. Les recommandations de la lecture 2


La seconde partie du rapport, qui plaide pour l’abandon du principe de
séparation et pour une coordination de la politique monétaire et de la
poli- tique macro-prudentielle au sein de la Banque centrale, aboutit à
d’autres propositions :
• l’inflation résulte d’un ensemble complexe de facteurs, d’ordre mo-
nétaire et structurel, liés à la mondialisation, comme l’illustre la Grande
modération ;

BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 331


• stabilité monétaire et stabilité financière entretiennent des relations
complexes, à double sens, parfois opposées, pouvant conduire à des con-
flits d’objectifs. La stabilité financière a, en effet, paradoxalement pâti de
la crédibilité des banques centrales ;
• les missions des banques centrales doivent inclure la stabilité finan-
cière, ce qui implique de mettre fin au principe de séparation entre les
deux objectifs. La stricte application de ce principe a nui, dans la crise
récente, à l’efficacité de l’action des banques centrales ;
• l’instabilité financière revêt des formes différentes selon les périodes
et les pays, ce qui rend sa définition et sa mesure complexes. Mais ceci
n’est pas une raison pour ne pas faire de la lutte contre l’instabilité finan-
cière une mission des banques centrales ;
• les canaux de transmission bancaire et financiers de la politique mo-
nétaire ont été sous-estimés, à la fois par les économistes et par les ban-
quiers centraux. Le canal de la prise de risque a été tardivement reconnu ;
• le crédit continue de jouer un rôle majeur, que la titrisation a contri-
bué à sous-estimer, dans le financement de l’économie et dans la genèse
des crises financières ;
• la politique macro-prudentielle doit devenir l’arme principale de
lutte contre l’instabilité financière, et la Banque centrale un acteur majeur
de cette politique. Le macro-prudentiel devient ainsi le chaînon qui
manquait jusqu’ici entre politique monétaire et supervision micro-
prudentielle ;
• un élargissement de la gamme des instruments à la disposition des
banques centrales et des autorités prudentielles devient nécessaire pour
attein- dre simultanément les objectifs de stabilité monétaire et de stabilité
financière ;
• parmi les instruments macro-prudentiels, l’accent est mis sur les ins-
truments de régulation du crédit tels que le ratio « loan to value » qu’il
conviendrait de généraliser et de renforcer, ainsi que sur un système pro-
gressif de réserves obligatoires sur les crédits dont l’objectif serait de con-
trer les emballements du crédit ;
• l’expérience de la crise récente a montré les limites des solutions ap-
portées aux défaillances des entités systémiques. Un repérage et une sur-
veillance de ces entités s’imposent. Une politique d’action préventive
pourra être envisagée. Ces actions spéciales relèveront des banques
centrales dans le cadre de leur surveillance macro-prudentielle ;
• l’implication macro-prudentielle des banques centrales n’obligera pas
ces dernières à endosser le rôle de superviseur micro-prudentiel là où
elles ne l’ont pas. Il n’y a pas de modèle unique pour organiser la
supervision. En revanche, partout, la proximité devra être forte entre la
Banque centrale et les autorités de supervision. De ce point de vue, le
choix français d’une autorité de contrôle prudentiel qui demeure proche
de la Banque centrale est satisfaisant ;
• plusieurs dispositions peuvent être envisagées pour assurer cette
proxi- mité entre banques centrales et superviseurs prudentiels : un
réseau d’in-
332 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
formations commun (proche de celui prévu aux États-Unis par la loi Dodd-
Frank), une gouvernance partagée, la consultation d’une autorité indépen-
dante de protection des consommateurs de services financiers ou encore
sa participation aux réunions des comités de pilotage des autorités en
charge de la stabilité financière ;
• compte tenu de l’élargissement de leurs missions et de leurs
pouvoirs en matière de stabilité financière, les banques centrales devront,
pour pré- server voire adapter leur indépendance vis-à-vis des pouvoirs
politiques et économiques, rendre davantage de comptes (accountability)
et développer une culture plus grande du partage d’informations, de la
coopération avec les autres autorités et la société civile.

6. Compléments
Trois compléments ont été réalisés pour ce rapport. Le premier de
Michel Aglietta remet fermement en question la doctrine du ciblage d’in-
flation et défend une politique monétaire élargie à l’objectif de stabilité
financière, plus sensible aux dérapages du crédit et à l’essor du prix des
actifs. Le deuxième, réalisé par Charles Goodhart, offre une analyse très
complète des instruments de la politique macro-prudentielle. Le troisième
s’appuie sur un entretien que Tommaso Padoa-Schioppa avait accordé
aux auteurs en juin 2010. Y est notamment abordé un thème qui lui était
cher, celui de la gouvernance des institutions internationales et, tout
particulière- ment, des comités de supervision au sein desquels les
décisions sont prises sur le principe de la coopération exigeant que tout le
monde soit d’accord. Il plaidait pour une autre gouvernance, fondée sur le
principe de décisions communes prises à la majorité si nécessaire et
s’imposant à tous. Tommaso Padoa-Schioppa est décédé brutalement en
décembre 2010. Ce rapport lui est dédié.

7. Commentaires
Jean-Pierre Vesperini situe l’origine de la récente crise financière bien
plus dans les déséquilibres monétaires internationaux et, plus particulière-
ment, dans l’accumulation des réserves de change des pays émergents,
que dans des erreurs de politique monétaire. À cet égard, il doute que des
amé- nagements, voire des changements au seul niveau du central
banking, puis- sent constituer un rempart solide contre de futures crises.
Pour Daniel Cohen, le débat proposé par le rapport est au fond celui
de savoir quels sont les nouveaux compromis devenus nécessaires entre
la régulation macroéconomique, l’inflation tout court et celle du prix des
actifs. Faut-il des règles stables, sur le modèle de la règle de Taylor, faut-
il donner aux banques centrales un certain pouvoir discrétionnaire, et si
oui lequel ? À ces questions, il répond qu’un certain pouvoir
d’appréciation
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 333
devra être laissé aux banques centrales et qu’elles devront utiliser
plusieurs
leviers, le seul taux d’intérêt ne suffisant pas. En cas de bulle, Daniel Co-
hen n’est pas sûr que ce soit aux seules autorités monétaires d’agir. Il pré-
conise un recours à la politique fiscale (en influençant le taux d’apport
personnel, par exemple). Le central banking de demain devra éviter les
biais, tant le biais inflationniste des politiques monétaires d’inspiration
key- nésienne que le « Greenspan put » qui a nourri l’instabilité
financière.

334 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


Summary

Central Banks and Financial Stability

1. Central banks and the crisis


The recent financial crisis, whose impact on the real economy was
severe, inevitably prompted a reflection on the regulation governing the
banking and financial sector as a whole. Central banks are the heart of this
regulation, through monetary policy that they set in motion and financial
stability policy to which they contribute. If their emergency measures and
battery of unorthodox measures, in the opinion of most economists,
helped to curb the deflationary spiral into which the crisis threatened to
pull Western economies, their inadequate preventive action, even their
responsibility in triggering the crisis, remain subjects of debate. There are
three contentions on the matter. The first relieves them of any
responsibility, by attributing the crisis to a lack of supervision of the
financial system. The second holds them strongly accountable; after
closely supporting the recommendations of the canonical model in the
eighties and nineties (notably by conducting monetary policy according
to a rule), central banks drifted away, if not pulled away completely, from
these recommendations starting from 2002- 2003 (with key rates
regularly below those recommended by the Taylor rule). The third
underscores the paradox of credibility, credibility inherited from the
previous period of non-inflationary growth. According to this ar- gument,
the successes achieved in safeguarding monetary stability, combined with
lower volatility of price increases and economic activity, contributed to
reducing the cost of risk. In this environment, financial players were
encouraged to take excessive risks, which weakened them. Central banks
certainly issued warning signs, but they did not act to defuse financial
ten- sions. While recognising the multiple factors at the root of the crisis,
the authors of the report point specifically to the insufficient attention
paid by central banks to financial stability and promote the idea that we
need to change the concept of central banking. To accomplish this, they
agree on the need for coordination between monetary policy and overall
financial stability policy or so-called macro-prudential policy. But they
differ on how this coordination is to be carried out.
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 335
2. Questioning of the principle of separation
Christian Bordes recognises that the crisis has shattered the idea of the
separation between monetary policy geared solely toward maintaining
price stability over the medium term and liquidity management designed to
ensure financial stability strictly speaking, at least the proper functioning
of the money market. However, he supports continued separation
between monetary and overall financial stability policy that is macro-
prudential policy. Linking the two, in his view, must be based on a well-
established economic principle that available instruments should be
paired with the objectives for which they are most effective (Canadian
economist Robert Mundell’s assignment rule): achieving price stability,
for monetary policy financial stability for macro-prudential policy,
assigned to two distinct authorities; the Central Bank, of course, for
monetary stability and another independent authority for financial
stability.
Jean-Paul Betbèze, Jézabel Couppey-Soubeyran and Dominique
Plihon defend another form of coordination. From their perspective, the
coordina- tion must not be limited to monetary policy and liquidity
management, but must be extended to macro-prudential policy. They
highlight the dangers of the principle of separating monetary stability and
financial stability, in a broad sense. Monetary policy in 1990-2000
painstakingly complied with the principle of separation. Major central
banks focused on their goal for monetary stability and accordingly also
sought to contribute to financial stability. The links between monetary
stability and financial stability proved far more complex than they
expected. As illustrated by the paradox of credibility popularised in the
work of Claudio Borio at the Bank for Inter- national Settlements (BIS),
monetary stability reinforced by the credibility of central banks may sow
the seeds of financial instability. The period of great moderation in the
2000s, characterised by low and stable inflation, of which central banks
were not only craftsmen but to which they undeniably contributed,
favoured lesser aversion to risk, accordingly leading a large number of
economic agents, particularly banks, to take excessive risks. The channels
through which flowed the corresponding effects of the monetary policy
were then largely ignored or underestimated. The credit channel was
considered to be weak, even obsolete. Banks’ risk-taking channel,
meanwhile, appeared most recently in the academic literature. Thus, it is
through these two channels that the low interest rates of the early 2000s
contributed to financial instability. From now on, these channels should
be subject to increased monitoring. Because monetary stability does not
guarantee financial stability, central banks must give equal importance to
these two goals. And because these two goals may conflict, they cannot
be achieved using interest rates alone. The interest rate cannot do
everything. Here, it is not an enhanced Taylor rule that is being proposed
but a wide array of macro-prudential instruments available to the Central
Bank which appears as the authority best positioned to undertake
responsibility for macro- prudential policy.
336
The authors of both approaches in the report agree on the principle that
there is no unique model for coordination between monetary and
prudential policy. Micro-prudential policy does not necessarily come
within the purview of central banks. And even when it is recommended in
the second interpretation of the survey that they also accept responsibility
for macro- prudential policy, this does not necessarily imply that they
also take on micro-prudential policy. Entrusting both micro- and macro-
prudential su- pervision to central banks may, in effect, present several
drawbacks: exces- sive concentration of power, risk of red tape, lower
efficiency with respect to the mass of information to process, etc. This
may also increase the weight of sectoral supervisory regimes that are yet
less suited to the integration of banking and financial activities. The reason
is that even if the Central Bank may appear as a natural supervisor for
banks, it is not the same for other financial intermediaries: the Central
Bank is very rarely the sole supervisor when it is involved in prudential
supervision. In the end, it is important that when the Central Bank is not
micro-supervisor, it is in close and permanent contact with the
supervisor(s). It is this lack of relationship that made it much more
difficult to manage the financial crisis in the United Kingdom, for
example.

3. Central bank governance


Although central banking cannot remain unchanged after the crisis,
nevertheless some of these principles must be maintained, particularly
those that characterise its governance. In this regard, Christian Bordes
argues that an «independent, transparent and accountable» central bank
model must be preserved. For this reason he considers too ambitious any
coordination that would involve assigning responsibility for monetary
policy and macro- prudential policy to a single authority or committee. In
effect, he believes that this may reduce the efficiency of monetary policy
by making it difficult for the Central Bank to exercise autonomy, by
undermining the transparency of its actions and seriously impeding their
control. Under these conditions, he argues that the most realistic response
is to hold to the principle of ins- trument allocation set out above: each
instrument must be assigned to achieving the objective for which it is the
most efficient.
When calling for coordination of monetary and macro-prudential
policy within the Central Bank, Jean-Paul Betbèze, Jézabel Couppey-
Soubeyran and Dominique Plihon highlight the risks and difficulties
entailed in terms of governance. Larger roles will mean more powers for
central banks. More powers will mean more accountability, explanations
and transparency. And finally, the latter will mean more cooperation and
sharing of information with other authorities in charge of financial
stability. All of this while fending off regulatory capture risks from both
public and private players, which implies that central banks exercise their
independence with respect to all players, public and private.
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 337
4. An international survey sent to economists and
central bankers
To probe the state of the debate around the evolving roles of central
banks, the authors of the report developed a questionnaire. This type of
survey has become commonplace, particularly within central banks.
Divided into six major themes, fifty-five questions were asked to
address the different dimensions (organisational, instrumental, strategic,
theoretical basis, etc.) of central banking, including:
• First, Great Moderation and financial instability: questions relating
to the macroeconomic environment of monetary policy before the crisis
as well as the possible origins of the financial imbalances observed
during this period;
• Institutional design of central banking: questions relating to the
institutional framework of central banking and seeking to identify
changes caused by the crisis (opportunities for reform, questioning of the
principle of separation, etc.);
• Financial stability: questions relating to the involvement of central
banks in terms of financial stability and expected developments in this
area;
• Monetary policy: transmission channels/strategies/instruments:
ques- tions concerning the possible the accommodation of monetary
policy currently under discussion (raising the inflation target, price level
instead of inflation targeting, etc.);
• International dimension: coordination issues at the international
level between the major central banks are addressed;
• Finally, Economics/science and art of central banking: questions
about the respective roles of art and science in central banking before and
after the crisis.
The questionnaire was sent to around 200 recipients (academics,
central bankers and supervisors) of which 46 responded: 15 central
bankers (responding supervisors were too few to form a separate category
of parti- cipants) and 31 academics from around the world (a total of 16
countries plus the euro zone represented by the European Central Bank).
Central bankers were naturally well distributed among the 16 countries
because a person generally responded on behalf of their institution
(except for two in Japan). French (12), American (10) and British (4)
economists are the most represented among questionnaire participants.
The answers are presented with graphical illustrations, for all participants
and by category (central bankers and academics), accompanied by an
explanatory comment. A number of these illustrations are also included in
the main text of the report. The two proposed interpretations offer two
different uses of the questionnaire.
The questionnaire is instructive on the issues that bring together
central bankers and economists as well as those that separate them.
According to the vast majority (91%), the «Great Moderation» of 1990-,
2000 led to an underestimation of risks. The importance of the risk-taking
channel, however
338
is recognised only by 54% of central bankers (versus 63% of economists).
About half of participants (economists as well as central bankers) said
that the Great Moderation has ended. The two categories of participants
are, however, much more divided on the question of whether we are
entering an era of greater financial instability. Optimists, central bankers
are only 38% in agreement with this assessment versus 70% of
economists.
90% of economists and central bankers believe that the crisis has
changed both the objectives and instruments of central banks. A large
majority of both groups believes that the goal of monetary stability must
be complemented by an objective of financial stability. Involvement of
central banks in the macro-prudential supervision also held broad support.
However, when it comes to considering new instruments or a change in
objectives more concretely, divisions emerge: only 8% of central bankers
are, for example, prepared to revise their strategy for targeting inflation,
versus 79% of economists. 85% of central bankers are not in favour of
replacing the targeting of inflation by the targeting of a general price
level, while 29% of economists would be in favour. Central bankers are
also proving very hostile to an increase in the inflation target to facilitate
the exit from the crisis (8% in favour, versus 39% of economists),
probably because of the risks entailed by this strategy would undermine
their credibility. 77% of central bankers deem it necessary that interest
rates react to credit and asset bubbles (versus 57% of economists). Yet
paradoxically, they are less convinced than economists that monetary
policy can counter credit cycles (50% of central bankers versus 75% of
economists). In another paradox, although they are not worried about the
incoherence between national monetary policy strategies or a global
monetary mess, most central banks (82%) responded that they must
consider the impact of their policy on glo- bal liquidity, and coordinate
their interventions on the foreign exchange market (78% versus 61% of
economists), and as a lender of last resort (92% versus 80% of
economists). The end of the questionnaire is also instructive as to the
supporting role that economics can still play in the conduct of monetary
policy: confident, 70% of central bankers continue to view their task as
an «art backed by science»; more cautious, 60% of economists estimate
that the conduct of monetary policy is a mere art!

5. The report’s main recommendations


The report is filled with recommendations for both analysing central
banking and contributing to its development.

5.1. Recommendations from the first interpretation


The first part of the report, which argues for the idea of
accommodating central banking around the principle of optimal
allocation of monetary and macro-prudential policy instruments, supports
the following proposals:
• governance of central banks’ actions must remain organised around
the independence-accountability-transparency triptych;
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 339
• monetary/macro-prudential policy architecture must be built on the
principle of instrument allocation (the Mundell assignment rule): each
policy is assigned to completing the objective for which it is the most
appropriate; ,
• monetary policy must remain primarily biased towards price
stability while macro-prudential policy must address financial stability;
• pushing the deadline chosen to reach the price increase target should
enable better consideration of financial stability, though this does not
mean it would be easy to do;
• monetary policy remains an effective tool for stabilising economic
activity in major economies;
• in the event of higher commodity and basic good prices,
coordination of major central banks’ actions is desirable;
• a higher inflation target in order to facilitate the stabilisation of
economic activity is a proposal that merits closer attention, especially for
a monetary union. In the United States, where there is no official target,
the adoption of the targeting of a general price level would strengthen the
no- minal anchor;
• coordination of monetary policy and macro-prudential policy, accor-
ding to Mundell’s principle, should at least enable, if not avoid, the
emergence of a bubble fuelled by a credit boom;
• in this framework, monetary policy must give priority to the mainte-
nance of price stability and be conducted in accordance with the
principles of a basic Taylor rule. The macro-prudential policy must be
designed to ensure financial stability and also be based mainly on the
application of a rule, the enforcement of a counter-cyclical capital ratio,
for example;
• the monetary policies pursued by major central banks have implica-
tions for international liquidity, capital flows and international
commodities and basic good markets. This reinforces the need for
international coordi- nation of monetary policies to avoid the development
of financial imbalances in the global economy.

5.2. Recommendations from the second interpretation


The second part of the report, which calls for abandoning the principle
of separation and for coordination of monetary policy and macro-
prudential policy within the Central Bank, supports other proposals:
• inflation is the result of a complex set of monetary and structural
fac- tors related to globalisation, as the Great Moderation illustrated;
• monetary and financial stability are tied by complex relationships,
with two, sometimes conflicting, meanings, which can lead to conflicting
goals. Financial stability has, in effect, paradoxically suffered from the
credibility of central banks;
• the tasks of central banks must include financial stability, which
implies ending the principle of separation between the two objectives.
The strict
application of this principle during the recent crisis hindered the effectiveness
of central banks’ actions;
• financial instability takes on different forms according to the time
period and country, rendering its definition and measurement complex.
But this is not a reason to prevent central banks from tackling financial
instability;
• banking and financial channels for monetary policy were
underestimated, both by economists and central bankers. The risk-taking
channel was acknowledged much later;
• credit continues to play a major role, that securitisation contributed
to underestimating, in the financing of the economy and in the genesis of
financial crises;
• macro-prudential policy must become the main weapon against
financial instability, and the Central Bank a major player in this policy.
Macro-prudential thus represents the link that has been missing up until
now between monetary policy and micro-prudential supervision;
• a broadened range of instruments available to central banks and
supervisory authorities is necessary to simultaneously achieve the objecti-
ves of monetary and financial stability;
• among the macro-prudential instruments, emphasis is placed on
credit regulation instruments, such as the loan to value ratio, that need to
be expanded and strengthened as well as on a progressive system of
reserve requirements on credits whose objective is to prevent excessive
credit;
• the recent crisis revealed the limits of the solutions to systemic
entity failures. Identification and monitoring of these entities are needed.
A policy of preventive action may be considered. These special measures
will fall under the responsibility of central banks, as part of their macro-
prudential supervision;
• the macro-prudential involvement of central banks will not require
them to assume the role of micro-prudential supervisor where they are not
responsible for this. There is no single model for organising supervision.
However, the central bank will work closely with supervisory authorities.
From this perspective, the French choice of a prudential supervisor that
remains close to the Central Bank is satisfactory;
• several provisions may be considered to enable this proximity
between central banks and prudential supervisors: a common information
network (similar to that provided by US Dodd-Frank law), shared
governance, the consultation of an independent financial consumer
protection authority or even participation in meetings of the steering
committees of authorities responsible for financial stability;
• given their expanded powers and responsibilities relating to
financial stability, central banks must be more accountable and develop a
culture of greater information sharing and cooperation with other
authorities and civil society, in order to maintain or even adapt their
independence vis-à-vis political and economic authorities.
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 341
6. Additional findings
Three additional findings were made in this report. The first, by
Michel Aglietta, seriously challenges the doctrine of inflation targeting
and argues for a broadened monetary policy that includes an objective of
financial stability, more sensitive to excess credit and soaring asset prices.
The se- cond, prepared by Charles Goodhart, offers a comprehensive
analysis of macro-prudential policy instruments. The third is based on an
interview that Tommaso Padoa-Schioppa gave to the authors in June 2010.
It addressed a theme that was particular dear to him: the governance of
international institutions and, especially, the oversight committees within
which decisions are made on a principle of cooperation that requires full
consensus. He pleaded for another kind of governance, based on the
principle of joint decisions made by majority if necessary and binding for
everyone. Tom- maso Padoa-Schioppa died suddenly in December 2010.
This report is dedicated to him.

7. Comments
Jean-Pierre Vesperini places the origin of the recent financial crisis
much more on international monetary imbalances and, more particularly,
in the accumulation of foreign exchange reserves of emerging countries,
than in errors of monetary policy. In this regard, he doubts that
accommodations or changes at the central banking level alone can be a
sufficient bulwark against future crises.
According to Daniel Cohen, the argument proposed by the report is
essentially to decide what new and necessary compromises have emerged
between macroeconomic regulation, simply inflation and that of asset
prices. Are stable regulations modelled on the Taylor rule required?
Should central banks be given a certain discretionary power, and if so
which power? To these questions, he answers that some margin of
discretion should be left to central banks and that these banks should use
several instruments as the interest rate alone is insufficient. If there is a
bubble, Daniel Cohen is not sure that monetary authorities should act
alone. He advocates the use of fiscal policy (by influencing the personal
investment rate, for example). The central banking of the future will
avoid the bias of both Keynesian monetary policy and the Greenspan Put
which stoked financial instability.

342 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE


PREMIER MINISTRE

Conseil d’Analyse Économique


113 rue de Grenelle 75007 PARIS
Téléphone : 01 42 75 53 00
Télécopie : 01 42 75 51 27
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Cellule permanente
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Président délégué du Conseil d’analyse économique

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Secrétaire général

Jézabel Couppey-Soubeyran
Conseillère scientifique
Microéconomie
Économie financière

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Économie des migrations
Économie du travail
Économie du développement

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Économie des partenariats public/privé

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Économie de la redistribution

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FINANCIÈRE

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