Stabilite F Avant Et Apres La Crise
Stabilite F Avant Et Apres La Crise
Stabilite F Avant Et Apres La Crise
et stabilité financière
Rapport
Jean-Paul Betbèze, Christian Bordes,
Jézabel Couppey-Soubeyran
et Dominique Plihon
Commentaires
Daniel Cohen
Jean-Pierre Vesperini
Compléments
Michel Aglietta, Charles Goodhart
et Tommaso Padoa-Schioppa
À la mémoire de Tommaso Padoa-Schioppa
Introduction....................................................................................7
Christian de Boissieu
RAPPORT
Le « central banking » après la crise :
deux lectures d’une enquête internationale
auprès d’économistes et de banquiers centraux................................. 9
Jean-Paul Betbèze, Christian Bordes,
Jézabel Couppey-Soubeyran et Dominique Plihon
Synthèse introductive...................................................................9
Lecture 1.......................................................................................21
Pour un aménagement du central banking :
à la recherche de l’affectation optimale des instruments
des politiques monétaire et macro-prudentielle
Christian Bordes
Introduction..............................................................................................25
1. Gouvernance.......................................................................................25
1.1. Tendances observées avant la crise.............................................25
1.2. Questions soulevées par la crise.................................................34
1.3. Conclusion..................................................................................45
2. Stabilité monétaire..............................................................................47
2.1. Politique monétaire et inflation avant la crise............................47
2.2. Politique monétaire et menace déflationniste au cours
de la crise....................................................................................51
2.3. Questions relatives à la stabilité monétaire après la crise..........54
2.4. Conclusion..................................................................................64
3. Stabilisation de l’activité économique................................................65
3.1. Questions sur l’efficacité de la politique monétaire
avant la crise...............................................................................65
3.2. Tensions financières, politique monétaire et activité
économique.................................................................................73
3.3. Sortie de crise et après crise : comment renforcer
l’efficacité de la politique monétaire ?.......................................81
3.4. Conclusion..................................................................................87
Annexe. Questionnaire..............................................................189
1. Motivation et objectifs.......................................................................189
2. Destinataires.....................................................................................190
3. Contenu et synthèse des résultats......................................................191
4. Présentation graphique des réponses...............................................205
Personnes auditionnées...........................................................263
COMMENTAIRES
Daniel Cohen...............................................................................265
Jean-Pierre Vesperini..................................................................269
RÉSUMÉ......................................................................................325
SUMMARY..................................................................................335
Christian de Boissieu
Président délégué du Conseil d’analyse économique
Synthèse introductive
1. Après la crise financière mondiale qui commence en août
2007, on s’accorde sur la nécessité d’une réflexion sur un nouveau
central banking. Si le défi pour les travaux académiques est d’en
redessiner les contours théoriques, il s’agit, pour les banquiers centraux,
de redéfinir le nouveau cadre de leur action, ceci sans attendre
l’aboutissement des re- cherches. La difficulté est de taille et sa solution
passe par une coopération renforcée entre économistes et banquiers
centraux. Ce rapport entend y contribuer, en un temps où les évolutions
des analyses et des organisations s’accélèrent. C’est en effet une
caractéristique de ce rapport d’avoir pu mesurer, presque en temps réel,
comment évoluent les conceptions et les structures, et d’essayer de
donner des repères, à la fois pour comprendre, pour mettre en perspective,
pour relier aux fondements des approches théo- riques et pour faire des
propositions.
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 9
2. Pour étayer nos analyses et cerner les positions en présence,
notre rapport s’appuie ainsi sur un questionnaire que nous avons
conçu puis soumis aux banquiers centraux et aux économistes. Ce
questionnaire, inspiré d’une enquête réalisée par des économistes de la
Banque d’Angle- terre en 1999 et de travaux d’enquête plus récents
devenus de plus en plus fréquents, permet notamment d’évaluer l’accueil
réservé à des propositions récentes de réforme du central banking
(relèvement de la cible d’inflation, ciblage du niveau général des prix,
remise en question du principe de sépa- ration, instruments macro-
prudentiels…) et de comparer les réponses des académiques et des
banquiers centraux. Le rapport présente deux exploita- tions différentes
de ce questionnaire :
• la première, réalisée par Christian Bordes, met l’accent sur les
acquis à préserver en matière de gouvernance du central banking et sur
les aména- gements à opérer du côté de la politique monétaire ;
• la seconde, réalisée par Jean-Paul Betbèze, Jézabel Couppey-
Soubeyran et Dominique Plihon, insiste sur l’implication nécessaire de la
Banque cen- trale dans la politique macro-prudentielle et sur les
exigences qui en décou- lent en termes de coopération et de
responsabilité (accountability).
Ces deux lectures se rejoignent sur la nécessaire articulation entre
poli- tique monétaire et politique macro-prudentielle, mais défendent des
moda- lités très différentes.
3. Avant la crise, le central banking reposait sur un modèle de
type
« nouveau keynésien » où les anticipations jouaient un rôle décisif.
La Banque centrale avait un objectif d’inflation, affiché ou pas. Dans les
éco- nomies industrielles avancées, il se situait dans une fourchette
comprise entre 2 et 3 %. Il était calculé de manière à éviter surtout un
risque infla- tionniste, mais aussi déflationniste, même si ce dernier a été
plus tardive- ment pris en compte. Il s’agissait de permettre des
ajustements normaux dans une économie en croissance : c’était, en
quelque sorte, l’huile dans les rouages. La Banque centrale s’engageait
alors à atteindre cet objectif à moyen et à long terme par sa politique de
taux. Cela était supposé compatible, à court terme, avec la stabilisation de
l’activité économique, même si cette préoccupation pouvait varier d’une
Banque centrale à l’autre. Aucune Ban- que centrale n’était en effet, pour
reprendre l’expression de Mervin King, assez « barjot » de l’inflation («
inflation nutter ») pour ne regarder qu’elle. En permanence, elle envoyait
des messages pour piloter les anticipations et obtenir ainsi, en lissant le
cycle de l’activité, le résultat attendu : la stabilité des prix. Sans que le
modèle soit entièrement défini ni précisément le même pour toutes les
banques centrales, il obéissait à la logique énoncée dans les deux points
suivants, dont les fondements théoriques se trouvent dans la courbe de
Phillips de type « nouveau keynésien ».
4. La politique monétaire devait être conduite par une Banque
cen- trale indépendante du pouvoir politique, cela afin d’assurer sa
crédibi- lité. Sa politique de taux d’intérêt devait être globalement
conforme à une règle, du type règle de Taylor, pour faciliter la formation
des anticipations par les agents privés. Les problèmes de coordination
entre politique moné-
10 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
taire et politique budgétaire étaient envisagés dans le cadre d’un « jeu », où
la Banque centrale était dominante, l’autorité budgétaire devant s’ajuster.
Ce modèle, qui s’est généralisé dans les pays développés, a été adopté
lors de la création de l’euro, dont il a sans doute facilité la naissance. Il a
en effet permis sinon d’évacuer, du moins de traiter dans un cadre
préétabli, les délicats problèmes de coordination entre autorités et entre
pays, en s’en remettant au Pacte de stabilité et de croissance. D’un côté,
la Banque cen- trale européenne (BCE) était indépendante et assurait la
stabilité moné- taire, d’un autre, les gouvernements devaient respecter la
discipline budgé- taire dans le cadre d’un Pacte (on sait que cette
discipline n’a pas fonc- tionné dans la durée).
5. Le principe de séparation jouait un rôle primordial dans la con-
duite de l’action de la Banque centrale. Il a été respecté tout au long de
la Grande modération qui a précédé la crise. Conformément au modèle
précé- dent, la logique du central banking était alors la suivante :
parallèlement à la recherche de la stabilité monétaire, la Banque centrale
intervenait dans le maintien de la stabilité financière au sens étroit. Elle
approvisionnait le marché interbancaire en liquidités, afin de maintenir le
taux au jour le jour au plus près du principal taux directeur et d’en limiter
ainsi la volatilité. Dans des circonstances exceptionnelles, du type 11
septembre 2001, elle jouait le rôle de prêteur en dernier ressort.
6. Aujourd’hui se pose la question d’une éventuelle modification
de l’objectif d’inflation dans les économies industrielles avancées.
La fourchette de 2-3 % doit-elle être conservée ? Afin d’éviter les
problèmes posés par la borne zéro pour les taux d’intérêt, ne vaudrait-il
pas mieux relever cette fourchette jusqu’à 4-5 % comme le propose
Olivier Blanchard ? Ou bien remplacer le « ciblage » de l’inflation par
celui du niveau général des prix ? À cet égard, comme le montrent les
réponses au questionnaire, un clivage apparaît entre « théoriciens » et «
praticiens ». Ces propositions ont plus de partisans chez les premiers que
chez les seconds, qui estiment que leur adoption se traduirait par la perte
de leur crédibilité.
7. Surtout, le modèle canonique qui a fonctionné pendant vingt
ans sort affaibli de cette crise. Trois thèses sont ainsi avancées quant
au rôle qu’ont pu jouer les politiques monétaires et, plus généralement,
les banques centrales, dans son déclenchement :
• la première les exonère de toute responsabilité, en imputant la crise
à un défaut de surveillance du système financier ;
• une deuxième leur attribue une forte responsabilité : après avoir bien
suivi les recommandations du modèle canonique dans les années 1980-
1990 (notamment en conduisant leur politique monétaire conformément à
une règle), les banques centrales s’en seraient éloignées, pour ne pas dire
af- franchies, à partir des années 2002-2003 (avec des taux directeurs
durable- ment inférieurs à ceux recommandés par la règle de Taylor) ;
• une troisième met en avant le paradoxe de la crédibilité, crédibilité
héritée de la période antérieure de croissance non inflationniste. Selon
cette thèse, les succès atteints dans la sauvegarde de la stabilité
monétaire, com-
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 11
binés à une moindre volatilité de la hausse des prix et de l’activité
économi-
que, auraient contribué à réduire le coût du risque. Dans ce climat, les ac-
teurs financiers ont été incités à prendre des risques excessifs, ce qui les a
fragilisés. Appliquant le principe de séparation, les banques centrales ont
certes envoyé des signaux d’alerte, mais elles n’ont pas donné à l’objectif
de stabilité financière toute l’importance requise au vu de la dérive du
crédit ou de la baisse des primes de risque et donc n’ont pas agi.
8. Nous ne retiendrons évidemment pas la première de ces trois
thèses, mais les deux qui suivent nous paraissent mériter deux
traite- ments spécifiques, qui seront défendus dans les deux «
lectures » qui constituent ce rapport.
La première lecture du questionnaire, réalisée par Christian Bordes,
pro- pose un aménagement du central banking qui consiste à rechercher
des gains d’efficience du côté de la politique monétaire et à articuler
celle-ci et la politique macro-prudentielle sur la base du principe
d’affectation opti- male des instruments.
Dans cette approche, la stabilité des prix, à moyen et long termes, de-
meure la mission centrale de la politique monétaire même dans une
écono- mie mondialisée. Toutefois, le régime de central banking, qui a
précédé la crise, y est analysé comme une solution de coin où les risques
d’instabilité financière sont par trop négligés. Il faut donc le revoir. Le
recours à la politique macro-prudentielle correspond au besoin d’avoir un
outil supplé- mentaire (principe de Tinbergen). Son articulation avec la
politique moné- taire doit alors être envisagée conformément aux
recommandations du prin- cipe de Mundell. Chaque outil doit être utilisé
en priorité dans le domaine où son efficacité est la plus forte : pour la
politique monétaire, la réalisation de la stabilité des prix, pour la politique
macro-prudentielle, la stabilité finan- cière. Cela ne veut pas dire pour
autant que chaque politique est conduite en ignorant l’autre. En
particulier, la politique monétaire devra prendre en compte l’incidence
des mesures macro-prudentielles sur le crédit et, plus généralement, sur
les mécanismes de transmission des variations de taux directeurs. Elle
pourra être amenée à réagir, et cela de manière systématique, non
seulement à l’évolution des conditions économiques (inflation et acti- vité
économique), mais aussi à celle des conditions financières (crédit et
primes de risque). En outre, l’horizon retenu pour conduire cette politique
(deux à trois ans jusque-là) pourra être repoussé. Cette démarche
constitue une rupture avec l’idée qu’il vaut mieux pour les banques
centrales « guérir que prévenir » (CUA, cleaning up the bust afterwards,
mop up after). Elles pourront désormais être amenées à « naviguer à
contre-courant » (« leaning against the wind ») autrement dit à agir de
manière préventive.
La seconde lecture du questionnaire, réalisée par Jean-Paul Betbèze,
Jézabel Couppey-Soubeyran et Dominique Plihon plaide pour un
renforce- ment de la mission de stabilité financière et pour une
coordination de la politique monétaire et de la politique macro-
prudentielle au sein de la Ban- que centrale. Elle se démarque du principe
de séparation qui consiste à affecter l’objectif de stabilité monétaire à la
Banque centrale, et celui de stabilité financière à des agences de
supervision spécialisées.
12 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
Pour étayer son propos, elle met en avant les changements structurels de
l’économie mondiale et le fait que d’autres facteurs doivent être pris en
compte dans le processus inflationniste, à côté des déterminants monétai-
res. Cette approche fait ainsi une large place à la dynamique du crédit et
aux comportements des agents bancaires et financiers dans la dynamique
économique et dans la naissance éventuelle de déséquilibres, notamment
sectoriels, et de bulles. Elle conduit alors à une double demande :
instaurer d’abord une meilleure surveillance, par la Banque centrale, de la
dynami- que du crédit et de ce qui concourt au risque systémique ;
rééquilibrer en- suite les missions entre stabilité monétaire et
macroéconomique d’une part, et stabilité financière de l’autre, en
renonçant à leur séparation. Dans cette optique, ces deux missions sont
aussi importantes l’une que l’autre, ce qui implique des responsabilités et
des difficultés nouvelles, notamment de coordination, et donc aussi des
pouvoirs accrus.
Comme on le voit, nous n’avons pas recherché, dans ce rapport, une
voie moyenne, additionnant les propositions venant de deux logiques
théo- riques différentes. Au contraire, il nous a paru plus utile, et plus
transpa- rent, d’ouvrir le domaine des choix en montrant, chaque fois,
leur cohé- rence et leurs limites.
Les auteurs de ce rapport se rejoignent sur l’idée d’une évolution
néces- saire du central banking pour réduire l’instabilité financière et sur
la néces- sité d’une articulation entre politique monétaire et politique
macro- prudentielle pour y parvenir. Mais ils se séparent quant aux
modalités de cette articulation.
La première lecture juge trop ambitieuse une coordination qui
consiste- rait à confier à une même autorité/un même comité la
responsabilité de la politique monétaire et celle de la politique macro-
prudentielle. Christian Bordes soutient que cela pourrait réduire
l’efficacité de la politique moné- taire en rendant difficile l’exercice de
l’autonomie de la Banque centrale, en nuisant à la transparence de son
action et en compliquant sérieusement le contrôle de son action. Dans ces
conditions, il soutient que la réponse la plus réaliste consiste à s’en
tenir au principe d’affectation des instruments énoncé
précédemment : chaque instrument doit être affecté à la réalisation de
l’objectif pour lequel il est le plus performant.
La seconde lecture plaide, au contraire, pour une telle coordination, en
pleine connaissance des risques spécifiques et des difficultés qu’elle com-
porte. Jean-Paul Betbèze, Jézabel Couppey-Soubeyran et Dominique
Plihon précisent alors les contreparties nécessaires pour que les banques
centrales soient à même d’assumer leurs nouvelles responsabilités : une
large batterie d’instruments macro-prudentiels (au-delà d’une simple règle
de capital contra- cyclique ou d’un provisionnement dynamique), qui en
sont encore à un stade expérimental, et un devoir accru de responsabilité
(accountability) d’explication et de transparence. En charge de missions
étendues, les ban- ques centrales auront aussi un pouvoir accru. Leur
indépendance devra s’exercer à l’égard de tous les acteurs, non seulement
publics, mais égale- ment privés. Elles devront éclairer l’horizon, rendre
des comptes (au sens
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 13
de la notion anglo-saxonne d’accountability) et expliquer leur politique,
dans un monde plus complexe.
9. Lecture n° 1 : Pour un aménagement du central banking : à la
recherche de l’affectation optimale des instruments des politiques
mo- nétaire et macro-prudentielle
9.1. Le modèle fondé sur le triptyque indépendance-transparence-
responsabilité (ITR) s’est imposé largement comme le modèle de
référence pour la gouvernance des banques centrales : leur autonomie y
va de pair avec des exigences accrues en matière de transparence et de
responsabilité démocratique. Le maintien de la stabilité des prix doit
rester la mission fondamentale de la politique monétaire. La stabilisation
conjoncturelle en est aussi un objectif capital. De manière générale, il
n’est pas incompatible avec la mission précédente. Les autorités
monétaires ne cherchent pas à atteindre la cible d’inflation dans le court
terme, mais à moyen-long terme ce qui revient à lisser l’évolution de
l’activité économique. Là aussi, le modèle du triptyque a fait preuve de
son efficacité.
Avant la crise, le central banking s’est rapproché, de facto, d’une solu-
tion de coin où l’action de la Banque centrale se limite à la conduite
d’une politique monétaire orientée à moyen terme vers la stabilité des
prix ; ne
« navigue pas à contre-courant » si, au cours de la phase d’expansion, des
bulles se développent dans les prix des actifs alors que le crédit s’emballe
; injecte des liquidités en cas de crise et répare les dégâts après (le
cleaning up) en maintenant, pendant une période assez longue, le taux
directeur à un niveau très bas. Cette solution de coin doit être
abandonnée. Ses limites sont clairement apparues. Elle a conduit, après
l’éclatement de la bulle Internet, à maintenir trop longtemps les taux
d’intérêt à un niveau trop bas. Mais il n’est pas question de passer d’une
solution de coin à une autre, à savoir celle mise en place dans les
économies asiatiques après la crise qui les a frappées. La politique
monétaire, la politique prudentielle et, même, dans certains cas extrêmes
comme en Chine, la politique budgétaire, y sont coordonnées. Ce modèle
y a fait preuve de son efficacité en résistant bien à la crise. Mais, il
apparaît difficilement conciliable avec le triptyque indé- pendance-
transparence-responsabilité et ne correspond pas aux caractéris- tiques
des économies industrielles avancées, en particulier à leur dévelop-
pement financier. Pour celles-ci, le régime central banking optimal
d’après crise consiste dans une solution intermédiaire où l’architecture
politique monétaire/politique macro-prudentielle est bâtie sur le principe
d’affecta- tion des instruments. La stabilité monétaire doit rester l’objectif
central de la politique monétaire, mais cela ne doit pas pour autant justifier
une « douce bienveillance » à l’égard de l’instabilité financière. Une
réaction systématique de la politique de taux d’intérêt à l’évolution des
conditions financières peut être souhaitable. Cette réaction doit dépendre
des caractéristiques de la politique macro-prudentielle. Elle pourra se
traduire par une réaction à l’évolution : du crédit pour les économies où le
financement bancaire est dominant (le renforcement de la place accordée
au second pilier – déjà entrepris par la BCE – va dans ce sens) ; des
spreads de taux pour les éco- nomies où le financement par les marchés
n’a plus d’importance. En tout
14 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
cas, les banques centrales ne doivent pas laisser se développer des bulles
financées par le crédit.
9.2. Du côté de la politique monétaire, l’existence de « gisements
d’effi- cience » exploitables à court terme – en particulier le relèvement
de l’ob- jectif d’inflation et le remplacement du ciblage de l’inflation par
celui du niveau général de prix – doit être examinée au cas par cas.
L’adoption d’un ciblage du niveau général des prix pourrait être une
solution pour les éco- nomies où l’on a observé une dérive dans
l’évolution à long terme de cette grandeur (Canada) et pour celles où il
n’y a pas d’ancrage monétaire expli- cite (États-Unis). Pour la zone euro,
si l’on considère qu’à moyen-long terme, la menace déflationniste est
sérieuse, le relèvement de l’objectif d’inflation pourrait aider à y faire
face.
Ces mesures sont également à envisager au regard de la stabilisation
de l’activité économique. La politique monétaire est un instrument qui a
mon- tré son efficacité, en régime normal comme en temps de crise où
elle peut empêcher le déclenchement d’une spirale déflationniste. Une
fois le plan- cher des taux d’intérêt atteint, la politique monétaire ne se
trouve certes pas démunie : l’efficacité des mesures non conventionnelles
semble en effet avérée. Mais elles font courir des risques, notamment
pour la stabilité fi- nancière. Cela peut constituer un argument
supplémentaire à l’appui de l’adoption du ciblage du niveau général des
prix ou d’un relèvement de l’objectif d’inflation. Dans le cas de la zone
euro, ce dernier pourrait facili- ter les ajustements à des chocs et la
convergence réelle des économies.
9.3. Les banques centrales ont déjà amplement investi ces sujets,
mené des travaux en leur sein pour préparer l’évolution du central
banking. Même si les questions soulevées sont techniques, les banques
centrales devraient communiquer les conclusions auxquelles elles sont
arrivées sous une forme accessible à un large public. Elles devraient
notamment mieux préciser comment elles entendent prendre en compte
l’évolution des conditions finan- cières dans la conduite de leur politique
de taux d’intérêt.
10. Lecture n° 2 : Pour un changement de central banking :
la nécessaire coordination de la politique monétaire et de la
politique macro-prudentielle au sein de la Banque centrale
10.1. La mission de stabilité financière doit s’articuler autour de deux
volets à réévaluer, macro-prudentiel et micro-prudentiel. Le premier volet
est celui de la régulation macro-prudentielle, qui va considérablement im-
pliquer les banques centrales. Ce volet reste cependant à mieux préciser.
Outre les effets déstabilisants bien connus des comportements
mimétiques, et ceux, désormais mieux compris, de la titrisation, les
institutions finan- cières ont en général un comportement procyclique,
influencé par les déci- sions de politique monétaire et prudentielle. La
phase ascendante du cycle est celle où les risques pour l’ensemble du
système sont sous-estimés, en même temps que la concurrence
interbancaire réduit les marges, alors que c’est le contraire après le
retournement. Ce volet macroéconomique était auparavant jugé moins
important que son pendant microéconomique, l’idée
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 15
étant que le suivi rapproché des banques, considérées individuellement,
protégeait contre le risque systémique.
Cela n’est plus possible : il faut veiller aux structures de bilan des ban-
ques, tant en fonds propres qu’en liquidité, et à leur taille, et surveiller
beaucoup plus attentivement qu’auparavant l’évolution du crédit et des
prix d’actifs. Inévitablement, la frontière entre le micro-prudentiel et le
macro- prudentiel sera poreuse et fine. Les objectifs de ces deux volets
seront certes différents (prévenir une faillite individuelle d’établissement
dans un cas, prévenir la crise systémique dans l’autre), mais les
instruments seront par- fois de même nature : coussins de capital contra-
cycliques, surcharge en capital, exigences supplémentaires de liquidité…
La surveillance du crédit sera au cœur du volet macro-prudentiel, car les
épisodes d’instabilité les plus dangereux sont le plus souvent associés à
des processus d’emballe- ment du crédit. Cette surveillance sera du
ressort des conseils du risque systémique qui commencent à se mettre en
place, avec des prérogatives différentes de part et d’autre de l’Atlantique.
10.2. Aucun modèle de coordination entre politique monétaire et politi-
que prudentielle n’a donné totale satisfaction dans les économies
industriel- les avancées, mais la crise a révélé que la proximité entre
Banque centrale et superviseur est décisive. Le macro-prudentiel
constituera ainsi le princi- pal nouveau maillon entre politique monétaire
et politique prudentielle. La plupart des pays s’orientent en effet vers la
mise en place d’un dispositif macro-prudentiel qui va fortement reposer
sur les banques centrales. En revanche, les banques centrales sont
diversement impliquées dans la super- vision micro-prudentielle.
Tous les pays n’organisent pas leur supervision de la même manière :
les trois modèles types (modèle intégré, modèle sectoriel et modèle twin
peaks) font chacun une place plus ou moins grande à la Banque centrale.
Le mo- dèle sectoriel est généralement celui dans lequel la Banque
centrale est le plus directement impliquée. En revanche, l’implication de
la Banque cen- trale est souvent plus rare ou plus indirecte dans les
modèles intégrés ou twin peaks (ce dernier étant encore assez peu
répandu).
La nouvelle mission macro-prudentielle des banques centrales n’impli-
quera pas nécessairement qu’elles endossent, là où elles ne l’ont pas, le
rôle de superviseur micro-prudentiel. Confier les surveillances à la fois
micro- et macro-prudentielles aux banques centrales pourrait même
présenter plu- sieurs inconvénients : concentration excessive de pouvoir,
risque de bu- reaucratie, moindre efficacité dans la masse des
informations à traiter… Cela risquerait aussi d’augmenter le poids des
dispositifs prudentiels secto- riels, pourtant moins bien adaptés à
l’intégration des activités bancaires et financières. La raison en est que si
la Banque centrale peut apparaître comme un superviseur naturel pour les
banques, il n’en va pas de même pour les autres intermédiaires
financiers : la Banque centrale est très rarement un superviseur unique
lorsqu’elle est superviseur.
Quoi qu’il en soit, la question importante n’est pas tant de savoir si la
Banque centrale doit ou non être un superviseur micro-prudentiel.
L’impor-
16 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
tant est que, lorsque ce n’est pas le cas, la Banque centrale soit en relation
étroite et permanente avec le(s) superviseur(s). C’est ce défaut de relation
qui a, par exemple, rendu beaucoup plus difficile la gestion de la crise
finan- cière au Royaume-Uni. Plusieurs dispositions sont ainsi
envisageables pour concrétiser cette proximité au sein de chaque pays
entre la Banque centrale et le(s) superviseur(s) micro-prudentiel(s) : une
plateforme d’informations communes, une gouvernance partagée
(présence croisée de représentants de la Banque centrale et du(des)
superviseur(s) dans les comités de pilo- tage), des réunions régulières
entre un observateur représentant des intérêts des consommateurs de
services financiers, la Banque centrale et la(les) autorité(s) de
supervision.
10.3. La nouvelle architecture proposée passe aussi par une nouvelle
organisation des objectifs, des instruments et de leur affectation.
L’objectif de stabilité des prix doit être mieux cerné, et celui de stabilité
financière mieux paramétré, d’autant qu’il fait manier des informations
complexes et évidemment privées. L’objectif de stabilité financière doit
constituer une mission à part entière des banques centrales, même si
l’instabilité finan- cière est un processus polymorphe, en général plus
difficile à repérer et à mesurer que l’instabilité monétaire. Le taux
d’intérêt doit rester en général l’instrument privilégié affecté à l’objectif
de stabilité monétaire (défini sur un horizon temporel allongé), des
instruments nouveaux – tel le ratio contra- cyclique de capital –
intervenant pour la stabilité financière.
La crise a donné lieu à des propositions dans le domaine des
instruments de régulation prudentielle dont la plus significative à ce jour
est constituée par les nouvelles exigences de fonds propres (Bâle III).
Elles entraîneront une augmentation progressive des fonds propres, une
surveillance renfor- cée de la liquidité et un plafonnement des leviers
d’actifs. Mais il faut qu’elles se mettent en œuvre selon un rythme
compatible avec la sortie de crise et dans un contexte (G20) qui ne
distorde pas la concurrence bancaire et fi- nancière mondiale, au risque
alors d’accroître l’instabilité financière. Ces mesures devront être
complétées par des dispositifs tels que le provision- nement dynamique,
permettant de réduire le comportement procyclique des banques et un
traitement spécifique des établissements systémiques. Enfin, dans la
mesure où le canal du crédit joue un rôle central dans le processus
d’instabilité financière, un renforcement de la régulation du crédit
apparaît souhaitable. Ce qui implique la mise en œuvre d’instruments tels
que des ratios « loan to value » généralisés et/ou des systèmes de réserves
obliga- toires progressives sur les crédits, éventuellement modulés selon
les secteurs et les entités systémiques dont un suivi individualisé apparaît
souhai- table, pour lutter contre les emballements du crédit.
11. Quels que soient les choix théoriques et organisationnels, la
question demeure du fonctionnement de la nouvelle organisation
qui se met en place en zone euro. D’un côté, au niveau de chaque
pays, le suivi sera meilleur, puisque les banques centrales nationales
auront une connaissance plus complète et plus précise du système
financier. Mais il faudra veiller aux échanges d’informations entre
entités spécialisées de
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 17
surveillance. D’un autre côté, des structures se mettent en place à
l’échelle
européenne pour gérer les entités systémiques, ce qui implique une néces-
saire fluidité de l’information depuis les entités nationales et dans des co-
mités de la zone euro.
D’où un défi majeur : au niveau national, il faudra savoir traiter
l’infor- mation et lutter contre sa fragmentation par type d’industrie
financière ; au niveau européen, il faudra encourager l’échange rapide, en
même temps que la confidentialité. Le bon fonctionnement de cette
nouvelle organisa- tion se vérifiera surtout par temps de crise, et les
conditions actuelles mon- trent bien les efforts à faire. En temps normal,
la vérification des modes de travail sera essentielle et l’utilisation des
stress tests plus fréquente. Il faut s’attendre à ce que la gestion des
comités, souvent de grande taille, soit délicate et souhaiter que des
questions de méthode et de prises de décision rapides soient mises au plus
tôt en débat.
12. La complexité des problèmes de coordination dans la zone
euro rend plus difficile l’action de la BCE. Les situations budgétaires
des États vont faire peser sur elle des pressions fortes, d’autant que la
BCE a été, est et pourrait être encore amenée à assurer la liquidité du
marché de la dette publique. Des problèmes de coordination se posent
aussi dans le domaine des changes, en l’absence de mission confiée à la
Banque centrale dans ce domaine. Ce qui est aussi le résultat d’une
définition étroite de l’objectif de stabilité monétaire, exclusivement
interne, contrairement à ce qui est ob- servé dans d’autres régions (pays
émergents). La question de la politique de change et de l’implication des
banques centrales en la matière, qui est un sujet à part entière, n’est
toutefois pas abordée dans ce rapport.
13. Au total, le principal défi est d’arriver à une meilleure
coordination entre politique monétaire, politique prudentielle et
politique budgé- taire. Il importe de maintenir l’indépendance de la
Banque centrale à l’égard des acteurs publics mais aussi privés, afin de
contribuer conjointement à la stabilité des prix et à la stabilité financière et
de minimiser les effets négatifs de l’instabilité sur l’activité et l’emploi.
L’élargissement des missions des banques centrales implique qu’elles
rendent davantage de comptes (au sens d’accountability) et expliquent
davantage leur démarche non seulement dans les différentes instances et
comités, mais également auprès du public. Mais il faut reconnaître que le
risque est alors que l’on attende trop d’elles et qu’une pression croissante
s’exerce sur elles. L’art du central banking se complique donc. Il est
crucial d’en comprendre les enjeux et les risques, pour permettre aux
banques centrales de les aborder dans les meilleures conditions. Il en va
de l’intérêt de tous.
3. Stabilité financière
Les questions relatives à l’implication des banques centrales en matière
de stabilité financière et aux évolutions attendues dans ce domaine font
l’objet de la troisième partie.
5. Dimension internationale
La cinquième partie traite des problèmes de coordination à l’échelle
inter- nationale entre les grandes banques centrales.
Christian Bordes
Introduction
La crise soulève des interrogations fondamentales sur l’action des ban-
ques centrales (central banking) et le cadre dans lequel elles l’exercent.
Trois séries de questions sont posées :
• Qu’est-ce qui a bien fonctionné et doit être conservé ?
• Des erreurs ont-elles été commises ?
• Quelles sont les améliorations possibles ?
(1) Gerry Corrigan, ancien Président de la Banque fédérale de réserve de New York, cité
par Davies et Green (2010) p. 19.
(2) Il est mesuré par l’indicateur mis au point par Grilli, Masciandaro et Tabellini (1991).
28 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
retenue par la Corée du Sud) et 6,5 % (Turquie), voire au-dessus (8,5 % en
Inde). Comme les mesures de politique monétaire mettent du temps avant
d’influencer l’activité économique et les prix, l’objectif quantifié de
hausse des prix est établi sur le moyen terme.
S’agissant de la transparence, sa portée et sa teneur dépendent du ré-
gime de politique monétaire et de la stratégie retenue. Si c’est le « ciblage
» de l’inflation, l’exigence de transparence est particulièrement forte :
pour asseoir sa crédibilité, la Banque centrale doit donner des
informations et des analyses détaillées sur la cible visée et les
performances. Si c’est un ancrage du taux de change, la diffusion de
certaines informations peut être restreinte pour limiter le risque de
perturbation des marchés. Une plus grande transparence de la politique
monétaire favorise des conditions propices aux meilleurs résultats
économiques de sorte que les banques centrales gagnent en crédibilité.
Celle-ci peut être acquise plus rapidement si le public dis- pose
d’informations suffisantes lui permettant d’évaluer la cohérence des
politiques et leur mise en œuvre ainsi que le lien entre les mesures
adoptées et les objectifs.
Au cours des dix années qui ont précédé la crise, les banques centrales
ont fait des efforts dans ce domaine et elles sont devenues, dans
l’ensemble, assez ouvertes (BRI, Rapport annuel, 2004). On observe une
grande homo- généité dans certains critères de transparence, tels
qu’objectifs explicites et annonces des décisions (par communiqué de
presse, par exemple). En outre, la plupart des banques centrales publient
désormais régulièrement des ana- lyses détaillées de la situation et des
perspectives de l’économie. Il y a cependant une moindre homogénéité
quant au niveau de détail et au délai de présentation des motivations de
leurs décisions ; cela s’applique notam- ment aux procès-verbaux des
réunions, que certaines banques centrales ne publient d’ailleurs pas.
Tout comme l’autonomie, la transparence reste difficile à mesurer. Un
indice a été mis au point auquel on fait habituellement référence
aujourd’hui (Eijffinger et Geraats, 2006). Il est construit en fonction de la
disponibilité de l’information pertinente pour la conduite de la politique
monétaire et prend en compte les dimensions politique, économique,
procédurale et opéra- tionnelles de la transparence(3) ; il peut prendre des
valeurs allant de 0 à 15. Il est disponible pour 37 pays, à la fin des années
quatre-vingt-dix en 2006. Si on examine son évolution dans les différentes
régions du monde (graphique 1), un mouvement généralisé vers une plus
grande transparence de la politique
(3) Transparence économique : publication des données statistiques, des modèles et des
prévisions utilisées par la Banque centrale pour prendre ses décisions ; Transparence
procédurale : communication d’une stratégie de politique monétaire explicite ainsi que de
l’information sur la prise de décision ; Transparence politique : annonce et explication
régu- lières des décisions de politique monétaire et indications sur les actions probables
dans le futur ; Transparence opérationnelle : discussion portant sur les chocs économiques
et les erreurs de politique susceptibles d’affecter sa transmission.
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 29
monétaire semble se dessiner au cours de la période précédant la crise(4) .
Cette évolution d’ensemble masque toutefois des différences
importantes : si les progrès réalisés ont été significatifs dans les
économies développées, il n’y a pas eu de changement notable dans les
économies émergentes et en développement. S’agissant de la Banque
centrale européenne (BCE), on note que sa transparence est meilleure que
celles des banques centrales des douze premiers pays membres de la zone
euro mais qu’elle reste en deçà de la moyenne des économies ayant un
objectif chiffré de hausse des prix.
En 2005, la situation était la suivante : la Reserve Bank of New
Zealand, la Swedish Riksbank et la Bank of England étaient les plus
transparentes ; venaient ensuite la Bank of Canada, la Banque centrale
européenne et la Federal Reserve ; la Reserve Bank of Australia, la Bank
of Japan et la Swiss National Bank étaient les « mauvais élèves ».
12
0
1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005
(4) Mais Crowe et Meade (2008) trouvent que, globalement, la transparence n’a pas aug-
menté de manière significative depuis la fin des années quatre-vingt-dix.
30
rence est bénéfique quand les asymétries d’information sont une source
d’inefficiences ; en revanche, elle peut être coûteuse si la Banque centrale
peut les compenser en utilisant l’avantage dont elle dispose en matière
d’in- formation. La théorie ne permet donc pas de dire quel est le niveau
optimal de transparence (Blinder et al., 2008) et seule l’analyse empirique
permet aujourd’hui d’en avoir une idée.
Le dernier élément du triptyque – la responsabilité – a été moins
étudié que les deux autres. Il n’existe pas d’indicateur global, analogue
aux deux précédemment utilisés, permettant de dire quelle est la situation
de chaque Banque centrale en la matière et de les comparer. C’est sans
doute parce que l’on estime généralement que transparence et
responsabilité vont de pair et que la première est le meilleur moyen de
garantir la seconde. Par ailleurs, si, au vu de tous les éléments précédents,
il n’est pas exagéré de dire que la gouvernance de la politique monétaire
s’est partout rapprochée du modèle ITR, cela ne veut pas dire que sa
généralisation ne s’est pas accompagnée de la prise en compte des
spécificités nationales ou régionales. En particulier, l’évolution n’a pas été
la même dans les économies indus- trielles développées et dans les
économies émergentes et en développement. Cela s’explique en
particulier par la différence de développement du sys- tème bancaire et
financier et le caractère plus fragile des canaux de trans- mission de la
politique monétaire dans celles-ci (Kempf et Lantieri, 2008).
des économies
développées
Économies
Ensemble
Autres
Ayant une responsabilité de jure 3 9 2
Responsabilité de facto déduite 34 89 18
des objectifs de politique monétaire 10 26 5
des fonctions relatives au système de paiement 8 20 4
de la fonction de supervision du système bancaire 12 26 8
autre interprétation 5 17 1
Paiements extérieurs 100 100 100
Supervision des banques 47 34 51
Supervision de l’ensemble des institutions financières 16 11 18
Publication d’un rapport sur la stabilité financière 29 77 15
Existence d’un service distinct de stabilité financière 32 83 17
Responsabilité générale clairement précisée 45 63 40
Respons. en matière de stabilité financière clairement précisée 2 6 1
20
10
– 10
– 20
– 30
– 40
0,0 0,1 0,2 0,3 0,4 0,5 0,6 0,7 0,8 0,9
Indépendance de la banque centrale (en différence première)
Lecture : Le graphique met en évidence une relation décroissante entre l’indépendance de
la Bnaque centrale et l’instabilité financière. En ordonnées figure la variation de
l’instabilité financière : celle-ci diminue quand l’indépendance augmente.
Source : Klomp et de Haan (2009).
(6) Pour parer au biais déclaratif des réponses au questionnaire, on ne cite pas, tout au long
de cette partie, de pourcentage précis, mais on utilise des qualificatifs à caractère général :
< 33 % : « peu/quelques uns » ; > 33 % : « beaucoup » ; > 50 % : « la plupart/la majorité » ;
> 66 % : « une majorité sensible » ; > 85 % : « presque tous ». Ces seuils correspondent à la
pratique courante (voir, par exemple, FMI, 2000, note 13).
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 35
Extrait du questionnaire (question 4.2.1) :
Suite à la crise, les stratégies de ciblage d’inflation, la stratégie
de la BCE et celle de la Fed doivent-elles être révisées ?
Oui
Non
NSPP
3%
55%
42%
100%
8%
21%
80%
60%
83%
40% 79%
20%
8%
0%
Banquiers centraux Economistes
NGP
NGPt*
PT
IT
Temps
Lecture : PT = price targeting ; IT = inflation targeting ; NGP = niveau général des prix.
Source : Auteur.
Oui
Non
NSPP
65%
19%
16%
100%
15% 17%
80%
60%
54%
85%
40%
20%
29%
0%
Banquiers centraux
Economistes
Oui
Non
NSPP
78%
16%
6%
100%
10%
27% 10%
80%
60%
80%
40% 73%
20%
0%
Banquiers centraux Economistes
(8) « Objectif principal n° 1 ‘stabilité monétaire’ : la stabilité monétaire signifie des prix
stables et la confiance dans la monnaie. Les prix stables sont définis par une cible
officielle d’inflation que la Banque centrale cherche à atteindre via les décisions
déléguées au Conseil de politique monétaire, en expliquant ses décisions de manière
transparente et en les mettant en œuvre sur le marché monétaire. Objectif principal n° 2
‘stabilité financière’ : la stabilité financière implique de détecter et de réduire les menaces
sur le système financier dans son ensemble. De telles menaces sont détectées par les
services de surveillance de la Banque. Elles sont réduites en renforçant les infrastructures
et par d’autres interventions financières ou autres, sur le marché domestique ou à
l’étranger, en incluant, dans des circonstances exceptionnelles, la fonction de prêteur en
dernier ressort », (Banque d’Angleterre, 2010).
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 41
• quels indicateurs ? Pour la BRI, la variable idéale constituerait à la
fois un indicateur avancé des tensions financières en phase d’expansion et
un indicateur courant des tensions lorsqu’elles se matérialisent(8) ;
• quels principes ? Il serait souhaitable que la politique macro-
prudentielle soit transparente et prévisible tout en conservant une certaine
flexibilité. La proposition la plus courante consiste dans l’application
d’un ratio de capital « anticyclique ».
Les grandes lignes de la politique macro-prudentielle pourraient être
les suivantes(9) :
• au niveau macroéconomique : construction d’indicateurs macro-financiers
du risque systémique, par exemple, la croissance du crédit ou celle de
l’ac- tif des banques ou encore une mesure du levier (en abscisses sur le
graphi- que 4) ; définition du niveau souhaitable de cet indicateur (X*),
avec une marge reflétant l’incertitude (d) ;
• au niveau microéconomique : si une banque dépasse la limite supé-
rieure correspondant à X + d, son ratio portant sur les encours pondérés
(RWA) est porté au-dessus de la valeur réglementaire retenue dans les ac-
cords de Bâle et augmente régulièrement avec X(10).
Capital (en %)
RWA
K0
0
X* X* + d Croissance de l’actif ou du crédit (en
%) Mesure du levier
Source : Auteur.
(8) BRI (2010, p. 105). La BRI ajoute qu’« il se pourrait qu’une telle variable n’existe pas
». ;
(9) En reprenant les propositions avancées par Goodhart et Persaud (2008) ou Persaud
(2009) à ce sujet, voir Andreopoulos (2010).
(10) Par exemple, avec k0 = 8 %, X* = 10 %, d = 2 % et k = 0,5 * X, une banque dont la
croissance des crédits atteint 12 % voit son RWA porté à 9 %.
(11) Un instrument dont on a bien vu les limites dans le cas des banques européennes en
2010.
(12) Voir, par exemple, le séminaire organisé conjointement par le FMI et la Banque fédé-
rale de réserve de Chicago ‘Macroprudential Regulatory Policies: The New Road to
Financial Stability?’, 23-24 septembre 2010, cf.
http://www.imf.org/external/np/seminars/eng/2010/fed/ index.htm
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 43
44
Coordination
Politique
monétaire Gestion Politique Politique Politiques
de la liquidité macro-prudentielle micro-prudentielle fiscale et budgétaire
Modèle du tryptique
Comité de politique
Comité de politique macro-prudentielle
monétaire
Principe Stabilité financière
Stabilité des prix de
Mundell Contribution
Contribution à la stabilité des prix
à la stabilisation et à la stabilistation
de l’activité conjoncturelle
économique
et à la stabilité
financière
Source : Auteur.
la réalisation de l’objectif pour lequel il est le plus performant. Conçu au
départ pour traiter les interactions entre politique monétaire et politique
budgétaire en vue d’atteindre simultanément l’équilibre interne et l’équi-
libre externe (Mundell, 1962), il suffit d’élargir le champ d’application de
ce principe à la combinaison politique monétaire-politique macro-
prudentielle : si l’on veut assurer à la fois la stabilité des prix et la stabilité
financière, il est préférable d’assigner le premier objectif à celle-là et le
second à celle- ci. Cela ne veut pas dire qu’il y a une séparation entre les
deux. La conduite de la politique monétaire doit tenir compte des
conséquences, dans son propre domaine, de la politique macro-
prudentielle – par exemple, de ses effets sur l’offre de crédit et, plus
généralement, sur l’ensemble des méca- nismes de transmission – et vice
versa (Banque d’Angleterre, 2009 et Yellen, 2010). Par ailleurs, dans les
situations où les deux objectifs sont complé- mentaires, la politique
monétaire, en cherchant à assurer la stabilité moné- taire, est amenée à
apporter aussi sa contribution à la stabilité financière.
1.3. Conclusion
Les principales conclusions de cette section sont les suivantes (graphi-
que 5) :
• la gouvernance de l’action des banques centrales doit rester
organisée autour du triptyque indépendance-responsabilité-transparence ;
• la politique monétaire ne peut se voir confier d’assurer à elle seule,
outre ses deux objectifs traditionnels – la stabilité monétaire et la stabili-
sation de l’activité économique –, la stabilité financière ;
• la politique macro-prudentielle est donc une nécessité (application
du principe de Tinbergen) ;
• on s’accorde aujourd’hui sur ses grandes lignes, notamment son arti-
culation autour d’un ratio de capital contra-cyclique ;
• mais, les nombreux problèmes posés par sa mise en œuvre sont loin
d’être résolus ;
• plutôt que d’envisager une coordination totale entre politique moné-
taire et politique macro-prudentielle, il vaut mieux s’en tenir à un pis-aller
consistant à affecter à chaque politique la réalisation de l’objectif pour le-
quel elle est la mieux adaptée (application du principe de Mundell) ;
• la politique monétaire doit rester orientée en priorité vers la stabilité
des prix et contribuer à la stabilisation de l’activité économique ainsi qu’à
la stabilité financière ;
• la politique macro-prudentielle doit s’attacher à la stabilité financière ;
• chacune doit prendre en compte l’impact de l’autre sur l’objectif
dont elle est chargée.
Oui
Non
5%
95%
100%
7% 4%
80%
60%
93% 96%
40%
20%
0%
Banquiers centraux Economistes
4 Zone euro
États-Unis
3
Japon
–1
–2
1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006 2007
Source : Auteur, d’après données OCDE.
(13) La technique de filtrage « passe bande » de Christiano et Fitzgerald (2003) est utilisée.
(14) Pour une analyse approfondie de cette question, se reporter à l’ouvrage sur l’analyse
monétaire publié par la Banque centrale européenne (2010).
(15) Notamment à celles du FMI sur la relation inflation-croissance : Ghosh et Phillips
(1998) et Khan et Senhadji (2001). En se fondant sur l’estimation de la relation entre
crois- sance et développement financier, Barnes et Duquette (2006) trouvent un seuil plus
élevé (14 %) pour les économies en développement.
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 49
7. Relation entre les valeurs filtrées de la croissance monétaire
et de l’inflation
a. Zone euro
En %
2,0
Taux de croissance trimestriel (moins moyenne)
1,5
1,0
0,5
M3 (retardé de 3 ans)
0,0
– 0,5
Inflation totale
– 1,0
– 1,5
1970 1973 1976 1979 1982 1985 1988 1991 1994 1997 2000 2003 2006 2009
b. États-Unis
En %
8 Taux de croissance (moins moyenne)
6 Inflation
–2
–4
–6
M2 (retardé de 3 ans)
–8
1968 1973 1978 1983 1988 1993 1998 2003 2008
2,5 États-Unis
2,0
Zone euro
1,5
1,0
0,5
Japon
0,0
1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007
Source : Auteur, d’après données OCDE.
0,5
0,4
0,3
Indicateur de
0,2 vulnérabilité
Risque faible
du FMI
0,1
0,0
1995 1997 1999 2001 2003 2005 2007 2009
b. À l’intérieur du G4
1,0
Japon
Risque élevé
0,8
États-Unis
0,6
Risque faible Risque modéré
0,4
Royaume-Uni
0,2 Zone euro
0,0
1995 1997 1999 2001 2003 2005 2007 2009
(16) Les séries utilisées ont été communiquées par Shahin Kamalodin (Rabobank) et Zak
Kandl (Nomura).
(17) Automne 2010.
(18) Cela explique sans doute les décisions prises par la Fed à l’automne 2010 (cf. section 3).
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 53
2.3. Questions relatives à la stabilité monétaire après la crise
2.3.1. La menace inflationniste a-t-elle disparu ?
D’après l’explication non monétaire de l’inflation évoquée au début de
cette section, sa dynamique s’explique par des facteurs structurels totale-
ment indépendants du cadre de gouvernance et de l’action des banques
centrales, principalement par la « globalisation » (Aglietta, Berrebi et
Cohen, 2009). La pression à la baisse exercée par l’offre de biens produits
dans les économies émergentes assurerait à elle seule la stabilité des prix.
La fai- blesse des taux d’inflation observée partout dans le monde depuis
les an- nées quatre-vingt-dix ne serait pas à porter au crédit des banques
centrales et celles-ci devraient donc revoir complètement la logique de
leur action et la réorienter vers d’autres objectifs (en particulier la stabilité
financière). Pour l’ensemble du G7, l’évolution du prix relatif des biens
de consom- mation dits « non structurels » (énergie ; alimentation) par
rapport aux biens dits « structurels » (tous les autres) – mesuré par le
rapport Indice des prix à la consommation couvrant l’ensemble des biens et
services/Indice des prix à la consommation excluant les prix de
l’énergie et des biens alimentaires (cf. OCDE) – est représentée sur le
graphique 10.
104
102
100
98
96
94
92
1971 1975 1979 1983 1987 1991 1995 1999 2004 2009
Lecture : IPCTOT = indice des prix à la consommation totale ; IPCSTRUCT = indice des prix
à la consommation structurelle excluant les biens énergétiques et alimentaires.
Source : Auteur, d’après données OCDE.
a. Zone euro
3,0
2,5
y = 0,0613 + 1,6443
2,0 R2 = 0,0146
1,5
1,0
0,5
0,0
– 3,0 – 2,5 – 2,0 – 1,5 – 1,0 – 0,5 0,0 0,5 1,0 1,5 2,0 2,5
b. États-Unis
6
4
y = 1,0296x + 2,1768
3 R2 = 0,9105
–1
–2
–3
–4 –3 –2 –1 0 1 2 3 4
Source : Auteur.
Oui
Non
32%
68%
100%
80%
55%
60%
86%
40%
45%
20%
14%
0%
Banquiers centraux
Economistes
(19) C’est la date généralement retenue dans ce type d’exercice pour deux raisons : elle
correspond à une rupture dans la dynamique de l’inflation et elle coïncide avec l’adoption
officieuse d’un objectif de hausse des prix de 2 %.
(20) Dans ce dernier cas, pour des raisons faciles à comprendre, le taux d’inflation retenu
pour le sentier de référence est fixé à 1 %.
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 61
12. Niveau général des prix :
évolution observée et correspondant à une hausse annuelle de 2 %
100
105
100
95
90
85
80
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010
100
105
100
95
90
85
80
75
1996 1998 2000 2002 2004 2006 2008 2010
115
110
105
100
95
90
85
80
1993 1995 1997 1999 2001 2003 2005 2007 2009
2.4. Conclusion
Les principales conclusions qui se dégagent de cette section sont les
suivantes :
• les caractéristiques de la gouvernance de la Banque centrale et son
action constituent un déterminant essentiel de la dynamique de la hausse
des prix même si celle-ci est influencée par d’autres facteurs ; la stabilité
monétaire doit continuer à être pour elle un objectif central ;
• au cours de la période qui a précédé la crise, les banques centrales
ont généralement bien rempli cette tâche ; l’affichage d’un objectif chiffré de
hausse des prix a contribué à assurer l’ancrage des anticipations
inflationnistes ;
• il en a été de même au cours de la crise même si cela a été beaucoup
plus difficile ; les banques centrales ont tout fait pour empêcher le déclen-
chement d’une spirale déflationniste et y sont parvenues ;
• il faut s’attendre à ce qu’elles restent confrontées au
renchérissement des prix des matières premières et des produits de
base induit par la
« globalisation » ; face à ce défi, pour assurer la stabilité des prix, il est
préférable que l’action des autorités soit conduite en fonction de
l’inflation totale plutôt qu’en réaction à l’inflation structurelle ;
• en sens inverse, certaines évolutions structurelles pourraient faire
pla- ner une menace déflationniste ce qui nécessitera une vigilance accrue
de la part des autorités ;
• repousser l’horizon retenu pour atteindre l’objectif chiffré de hausse
des prix devrait permettre de mieux prendre en compte la stabilité finan-
cière, ce qui ne veut pas dire que ce sera facile à faire ;
• en se limitant exclusivement à des considérations relatives à l’évolu-
tion tendancielle et à la variabilité de la hausse des prix, le relèvement de
l’objectif chiffré d’inflation des prix à 4 % dans les économies dévelop-
pées ne semble pas être justifié ; ce sont donc ses incidences sur la stabili-
sation de l’activité économique (cf. section 3) et sur la stabilité financière
(cf. section 4) qui permettront de se prononcer sur cette proposition ;
• la situation de la zone euro est telle que les coûts liés au
remplacement de la stratégie actuelle de la BCE par un « ciblage » du
niveau général des prix seraient beaucoup plus élevés que ses avantages ;
• la situation aux États-Unis est différente : il n’y existe pas d’ancrage
nominal explicite, ce qui est préjudiciable ; l’adoption du PT éliminerait
cet inconvénient sans que cela se traduise par un changement notable
dans la conduite de la politique monétaire ; en assurant un meilleur
ancrage des anticipations, le PT pourrait même en faciliter la conduite.
64 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
3. Stabilisation de l’activité économique
Cette section porte sur l’utilisation de la politique monétaire pour la
stabilisation de l’activité économique. Cette question est examinée en
rete- nant un découpage identique à celui de la section précédente : avant,
pen- dant et après la crise.
Oui
Non
17%
83%
100%
8%
22%
80%
60%
92%
40% 78%
20%
0%
Banquiers centraux Economistes
1,5 2
1,0 0
0,5 –2
0,0 –4
1981 1983 1985 1987 1989 1991 1993 1995 1997 1999 2001 2003 2005 2007
Source : Auteur, d’après données OCDE.
(21) Cf. Mankiw (2001). Dans la formule, la hausse des prix est mesurée en glissement
annuel et le taux de chômage est corrigé des variations saisonnières.
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 67
conforme non seulement au caractère dual de son mandat, mais aussi aux
enseignements de l’analyse économique (le chômage est un indicateur
avancé de l’inflation future). Les valeurs du taux des fonds fédéraux cor-
respondant à la formule ci-dessus ainsi que leurs valeurs observées sur la
période 1990-2007 sont représentées sur le graphique 15. Jusqu’à
l’automne 2000, les deux séries restent très proches l’une de l’autre et
leurs points de retournement coïncident à peu près ; au total la formule
explique 85 % des variations constatées du taux directeur. Par la suite, la
réaction de la Fed à l’éclatement de la bulle Internet et sur les nouvelles
technologies a été con- forme dans ses grandes lignes à son
comportement passé, mais elle a été plus marquée et plus durable qu’on
ne pouvait s’y attendre au vu de celui- ci (cf. section 4.1).
Il est habituel de dire que la BCE accorde moins d’importance à la
stabi- lisation de l’activité économique que ne le fait la Fed. Un manque
d’acti- visme en la matière lui est même souvent reproché. Mais, les
différences observées entre la politique de taux de la BCE et celle de la
Fed s’expli- quent essentiellement par des différences de nature, de taille
et de persis- tance des chocs qui frappent les deux économies (Sahuc et
Smets, 2008). Ils ne peuvent être imputés à des gouvernances ou des
préférences différen- tes, en particulier à une moindre importance
accordée par la BCE à la stabi- lisation conjoncturelle. Il ressort d’une
expérience « contrefactuelle » que, placée dans l’environnement
européen, la Fed aurait adopté une politique de taux analogue à celle qu’a
suivie la BCE (graphique 16).
Zone euro
1,0 Japon (échelle de droite) 2,5
(échelle de gauche)
États-Unis
0,5 (échelle de gauche) 2,0
0,0 1,5
– 0,5 1,0
– 1,0 0,5
– 1,5 0,0
1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006 2007
Note : Le taux de variation des prix des produits alimentaires et de l’énergie est obtenu en
faisant la différence entre l’inflation totale et l’inflation structurelle calculées en
glissement annuel.
Source : Données OCDE.
68 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
15. Évolutions observée et hypothétique du taux des fonds fédéraux
aux États-Unis
9
6
5 Taux « hypothétique »
des Fed funds
4
2
Taux « observé »
1 des Fed funds
0
1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006
5
Taux directeur de la BCE
avec la fonction de réaction de la Fed
4
2
Taux directeur de la BCE
0
1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005
8 Taux à 10 ans
2
Taux des Fed funds
0
1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006
Source : Auteur.
32
28
24
20
16
12
1986 1988 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006
Grandes économies
0,3
0,2
0,0
1972 1975 1978 1981 1984 1987 1990 1990 1993 1996
1,0
Japon
0,0
– 1,0
États-Unis
– 2,0
–2
–4 Taux hypothétique
–6
2008 2009 2010
Source : Auteur.
(22) Hooper, Mayer et Slok (2008). Allusion au titre du livre de John Gray (1999). Au
cours de cet épisode, les deux banques centrales ont réagi comme si elles venaient de deux
planètes différentes : chez les dieux de Rome, la réaction frontale de la BCE contre
l’inflation aurait satisfait Mars, tandis que Vénus aurait préféré la prudence et la patience
de la Fed.
Oui
Non
NSPP
20%
49%
31%
100%
14%
29%
80%
24%
60%
43%
40%
62%
20%
29%
0%
Banquiers centraux
Economistes
5. Variations des taux d’intérêt à la suite des annonces des opérations d’achats de titres par la Fed
En points de base
25 novembre 2009 1-2 décembre 2009 16-17 décembre 2009 28-29 janvier 2010 18-19 mars 2010
achats achats achats achats achats
Taux à 10 ans obligations d’État – 24 – 27 – 33 30 – 40
Swap à 10 ans – 32 – 23 – 53 5 – 37
Taux à 10 ans obligations privées – 16 – 27 – 57 23 – 29
Source : Gagnon (2009).
« économiquement significatives et durables » (Gagnon, Raskin, Remache
et Sack, 2010) des taux d’intérêt sur tout un ensemble de titres, y compris
certains n’ayant pas fait l’objet de ces achats (tableau 5) ; des baisses
reflé- tant principalement des diminutions de prime de risque plutôt
qu’une révi- sion à la baisse des anticipations concernant les taux courts.
Dans une si- tuation où le taux court a atteint la borne zéro, en achetant
pour 400 mil- liards de dollars d’obligations d’État à long terme, la Fed
ferait baisser le taux long de 14 points de base (pb) environ (Hamilton et
Wu, 2010).
Début 2010, au moment de notre enquête, la sortie des mesures de
poli- tique monétaire non conventionnelles semblait proche. Les banques
cen- trales avaient commencé à faire des annonces en ce sens à partir de
l’été 2009. La perspective d’une sortie de crise et d’une reprise franche de
l’acti- vité économique au cours de l’année 2010 s’est très vite dissipée.
En Eu- rope, la crise des dettes souveraines est venue justifier le maintien
de mesu- res exceptionnelles d’approvisionnement en liquidité ainsi que
la décision d’acheter des obligations d’État des pays concernés. Aux
États-Unis, avec un taux d’inflation nettement au-dessous du niveau
souhaité et une valeur élevée du taux de chômage, la valeur appropriée du
taux des fonds fédé- raux, au regard du comportement habituel de la Fed,
restait fortement néga- tive (graphique 22). Là aussi, la prolongation –
décision prise au mois d’août d’utiliser les revenus procurés par le
remboursement des titres hypothécaires précédemment acquis pour
acheter des obligations publiques – et même l’extension des politiques
non conventionnelles – décision d’ouvrir une deuxième phase dans la
politique d’assouplissement quantitatif (désignée habituellement comme
le QE2, quantitative easing 2) consistant dans l’achat de 600 milliards de
titres d’État – apparaissent tout à fait justifiées (25). En effet, la valeur
hypothétique du taux des fonds fédéraux calculée avec la formule de
Mankiw restait fortement négative. Elle a même baissé entre le printemps
et le début de l’automne 2010. Si l’on se réfère au « gros » mo- dèle
économétrique utilisé par la Fed, une baisse de 25 pb du taux des fonds
fédéraux et une diminution de 15 pb du taux long (taux à 10 ans) ont des
effets équivalents sur la demande globale ; au vu des études mentionnées
ci-dessus, l’achat de 200 milliards de titres d’État devrait faire baisser le
taux long d’environ 15 pb ; par conséquent, le programme de QE2
équivau- drait à une baisse du taux court de 75 pb. Sur la base du même
modèle, les effets attendus étaient ceux figurant dans le tableau 6.
L’annonce de ces décisions ayant été suivie d’une augmentation des
taux longs (graphiques 23a et b), on a pu dire que les effets obtenus
seront bien en deçà de ceux espérés. Mais on peut voir là un signe de
l’efficacité du QE2 : les anticipations d’inflation et de croissance ont été
revues à la hausse alors que, simultanément, la forte reprise des cours
boursiers signalerait une baisse de l’aversion pour le risque (Siegel,
2010).
(25) D’après le gros modèle économétrique de la Fed, une baisse de 25 points de base (pb)
du taux des fonds fédéraux et une diminution de 15 pb du taux long (taux à 10 ans) ont
des effets équivalents sur la demande globale. Au vu des études mentionnées dans le
texte, l’achat de 200 milliards de titres d’État fait baisser le taux long d’environ 15 pb. Par
consé- quent, le programme de QE2 équivaudrait à une baisse du taux court de 75 pb.
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 79
Il est encore trop tôt pour faire un bilan de l’efficacité des mesures ex-
ceptionnelles de politique monétaire prises par les banques centrales pour
stopper l’effet de rétroaction négatif entre l’évolution du secteur financier
et l’économie réelle. Mais, déjà, certaines conclusions claires ressortent
des premiers travaux qui leur ont été consacrés :
• lorsque l’économie peut passer d’un régime de tensions financières
à un autre, la politique monétaire peut influer sur la probabilité de
change- ment de régime ;
• la politique monétaire a un retentissement plus marqué en période de
fortes tensions financières ;
• son resserrement semble avoir davantage d’incidences que son
assou- plissement (Li et St-Amant, 2010).
5
Taux à 30 ans
3 Taux à 10 ans
1
Taux des Fed funds
0
2008 2009 2010 2011
Source : Auteur, d’après données du FRB Saint-Louis.
Oui
Non
NSPP
37%
5%
58%
100%
8% 4%
80%
42%
65%
60%
40%
50%
20%
31%
0%
Banquiers centraux Economistes
Oui
Non
NSPP
34%
3%
63%
100%
5%
80%
50%
68%
60%
40%
50%
20%
27%
0%
Banquiers centraux
Economistes
a. États-Unis
120
118
p*
116
114
112
110
108
p
106
104
102
100
2008 2009 2010 2011 2012 2013
b. Zone euro
118
116
114 p*
112
110
108 p
106
104
102
100
2008 2009 2010 2011 2012 2013
(26) Pour des raisons de simplicité, l’analyse ne tient pas compte de la possibilité qu’aurait
la Banque centrale de réagir au rééquilibrage au moyen d’outils monétaires non
conventionnels.
(27) On le trouve, par exemple, chez Krugman (2010).
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 85
24. Effets sur l’activité économique d’un rééquilibrage budgétaire
selon que le plancher de taux d’intérêt à zéro est atteint ou pas
a. PIB réel
En %
0,2
0,0
– 0,2
Plancher de taux d’intérêt à zéro
– 0,4 non atteint
– 0,6
– 0,8
– 1,2
0 1 2 3 4 5
0,0
– 0,1
Plancher de taux d’intérêt à zéro
non atteint
– 0,2
– 0,3
– 0,4
Plancher de taux d’intérêt à zéro
atteint
– 0,5
– 0,6
0 1 2 3 4 5
Note : Effets d’une réduction du déficit budgétaire, équivalant à 1 point du PIB, composée
entièrement de baisses des dépenses.
Source : FMI (2010).
110
105
Allemagne
100 Portugal
95
Espagne
90
85 Grèce
Irlande
80
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010
3.4. Conclusion
Au cours des années quatre-vingt-dix, la conduite de la politique
moné- taire a été facilitée par la relative stabilité des conditions de
l’offre ; cette chance explique en grande partie la baisse de la volatilité de
la croissance observée au cours de cette période ; l’amélioration des
politiques moné- taires y a aussi contribué. Au fil du temps, le contexte
est devenu moins favorable : le début des années 2000 a été marqué par
un retour des chocs d’offre et l’amplification des effets de débordement
résultant de la globali- sation. La conduite de la politique monétaire est
alors devenue plus délicate. Elle est restée malgré tout un levier d’action
efficace dans les « grandes » économies où les mouvements de capitaux
n’ont pas éliminé la transmis- sion de l’action des autorités le long de la
courbe des rendements. En re- vanche, cette efficacité semble avoir baissé
dans les « petites » économies.
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 87
En 2007-2008, face à la simultanéité du déclenchement de la crise fi-
nancière et d’un renchérissement des prix des matières premières, la
politi- que monétaire des grandes économies a été confrontée à un
dilemme. Cela a donné lieu à un « jeu de poules mouillées ». Dans
chaque économie, les autorités ont reculé avant de prendre les mesures
nécessaires, attendant que les autres agissent et supportent le poids de
l’ajustement. Ce type de com- portement, rationnel quand on considère
chaque pays individuellement, conduit à un équilibre sous-optimal si on
les prend dans leur ensemble. Plus précisément, cela a pu laisser croire
que l’engagement des banques centrales à maintenir la stabilité des prix
était moins ferme qu’auparavant. Dans de telles circonstances, il aurait
mieux valu qu’elles coordonnent les variations de leurs taux directeurs.
C’est une leçon importante à retenir au moment (début 2011) où les
économies sont confrontées à nouveau à un renchérissement des prix des
matières premières et des produits de base.
Par la suite, les mesures non conventionnelles sont parvenues à
stopper l’effet de rétroaction négatif entre l’évolution du secteur financier
et l’éco- nomie réelle sans toutefois parvenir à bien assurer la sortie de
crise et la reprise de l’activité économique. Pour les faciliter, l’adoption
transitoire d’un ciblage du niveau général des prix pourrait être une
solution. En pra- tique, elle paraît difficile à retenir là où, comme dans la
zone euro, il existe déjà un objectif chiffré d’inflation officiel ; y
renoncer, même si c’est de manière transitoire, aurait sans doute plus de
coûts – la crédibilité de la BCE pourrait en souffrir – que d’avantages.
Cela est moins vrai dans le cas contraire, comme aux États-Unis. Enfin,
un relèvement de l’objectif chiffré d’inflation en vue de faciliter la
stabilisation de l’activité économique est une proposition qui mérite
d’être examinée de près, notamment pour une union monétaire. Son
principal avantage serait d’y faciliter les ajustements rendus nécessaires
par des chocs asymétriques et, plus généralement, par la convergence des
économies. Il doit être mis en parallèle avec le coût que ferait supporter la
modification de l’objectif chiffré de hausse des prix ac- tuellement en
vigueur.
4. Stabilité financière
Essayer de contribuer à la stabilité financière tout en assurant la
stabilité monétaire, tel est le principal défi auquel est confronté
aujourd’hui le central banking. Cette section lui est consacrée. La section
4.1 revient sur la conduite, en temps réel, de la politique monétaire avant
la crise face au développement de la bulle immobilière. À la question «
Entrons-nous dans une ère de plus forte instabilité financière ? »,
beaucoup de banquiers cen- traux (40 %) et la plupart des universitaires
répondent oui. La section 4.2 se demande comment la politique monétaire
pourrait contribuer à limiter cette instabilité.
88 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
Extrait du questionnaire (question 1.4) :
Entrons-nous dans une ère de plus forte instabilité financière ?
Oui
Non
NSPP
3%
38%
59%
100%
8%
30%
80%
54%
60%
40%
70%
20%
38%
0%
Banquiers centraux
Economistes
(28) Par exemple, pour le point de vue de la Banque d’Angleterre sur la question, voir
Vickers (2000).
90
4.1.2. La bulle immobilière a-t-elle été détectée « en temps réel » ?
Les évolutions des prix immobiliers aux États-Unis et dans la zone
euro sont représentées sur le graphique 26. Après une phase de croissance
assez forte à la fin des années quatre-vingt, une correction, plus marquée
aux États- Unis que dans la zone euro, est intervenue au début des années
quatre- vingt-dix. Elle a été suivie d’une période où les prix ont fortement
pro- gressé jusqu’au retournement observé fin 2006 aux États-Unis et
quelques mois plus tard dans la zone euro.
26. Évolution des prix immobiliers aux États-Unis et dans la zone euro
Base 100 = 1er trimestre 1990
160 États-Unis
140
120
Zone euro
100
80
1991 1993 1995 1997 1999 2001 2003 2005 2007 2009
Lecture : Prix immobiliers/Indice des prix à la consommation.
Source : Auteur, d’après données BRI et OCDE.
a. États-Unis
8
4
Taux de Taylor
1
Taux à court terme
0
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007
b. Zone euro
6
5
Taux de Taylor
2
Taux à court terme
(euribor 3 mois)
0
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007
Oui
Non
13%
87%
100%
15% 12%
80%
60%
20%
0%
Banquiers centraux
Economistes
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 95
28. Écart de taux d’intérêt et variations des prix réels des
logements
(1996-T1/2007-T2)
a. Zone euro
7
2
y = – 0,4974x + 3,0529
1 R2 = 0,4259
T stat = 5,713
0
–5 –4 –3 –2 –1 0 1 2 3 4
b. États-Unis
4,5
4,0
3,5
3,0
2,5
2,0 y = – 0,4965x + 2,3604
R2 = 0,5027
1,5 T stat = 6,669
1,0
0,5
0,0
– 0,5
– 1,0
–3 –2 –1 0 1 2 3 4 5 6
Note : L’écart de taux d’intérêt correspond à la différence entre le taux à 3 mois et le taux
de Taylor correspondant. Il apparaît une relation significative entre la variation en
pourcentage des prix immobiliers déflatés par l’indice des prix à la consommation.
Source : Auteur, d’après données OCDE.
–1
Ratio d’endettement
–2
1980 1983 1986 1989 1992 1995 1998 2001 2004 2007
Oui
Non
67%
33%
100%
25%
80%
50%
60%
40%
75%
50%
20%
0%
Banquiers centraux
Economistes
FINANC
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ
101
Extrait du questionnaire (question 4.4.2) :
La Banque centrale doit-elle choisir le plus bas taux d’intérêt
compatible avec son objectif de stabilité des prix ? Ou choisir
un taux plus élevé en cas de bulle ? Ou choisir un autre instrument
?
55%
45%
100%
20%
80%
58%
60%
40% 80%
20% 42%
0%
Banquiers centraux Economistes
7. Politique macro-prudentielle
Règle de Taylor
Ratio de capital contra-cyclique Simple Augmentée
Non R1 R2
Oui R3 R4
Source : Auteur.
4.3. Conclusion
Deux conclusions principales se dégagent de cette section :
• avant la crise, une réponse négative était donnée – par presque tous
les banquiers centraux et par une grande majorité d’économistes – à cha-
cune de trois questions suivantes : La présence d’une bulle peut-elle être
détectée ? L’éclatement d’une bulle peut-il avoir des conséquences
macro- économiques difficiles à traiter ? La politique monétaire est-elle
un bon instrument pour faire éclater une bulle ? Les réponses ne sont plus
les mê- mes aujourd’hui. Par exemple, l’idée qu’une politique monétaire
du type LAW peut être appropriée en cas de développement d’une bulle
alimentée par une explosion du crédit a fait son chemin ;
• l’articulation entre la politique monétaire et la politique macro-
prudentielle conformément au principe d’affectation des instruments de
Mundell devrait permettre, sinon d’éviter, du moins de limiter de tels excès
: la conduite de la politique monétaire doit être dirigée en priorité vers le
main- tien de la stabilité des prix et être conduite conformément aux
principes d’une règle de Taylor simple ; la politique macro-prudentielle
doit assurer la stabilité financière et reposer principalement, elle aussi, sur
l’appli- cation d’une règle, comme l’imposition d’un ratio de capital contra-
cyclique.
Introduction
Le rôle et le fonctionnement des banques centrales n’ont cessé d’évo-
luer depuis leur création(1). Cette évolution découle très largement du con-
texte économique dans lequel elles sont amenées à agir. Si l’on se limite à
la période de l’après-guerre, on constate ainsi qu’il y a eu deux
générations successives de banquiers centraux. Dans les années soixante,
le banquier central « keynésien » avait pour objectif de réaliser un
arbitrage entre infla- tion et plein emploi, favorisant souvent le second.
Les années quatre-vingt ont vu apparaître le banquier central «
conservateur ». Ce dernier a donné la priorité à la lutte contre l’inflation,
au moment où l’inflation à deux chif- fres avait fait son apparition. On
doit se demander s’il n’est pas souhaitable qu’émerge aujourd’hui une
troisième génération de banquiers centraux, dans le contexte de la
globalisation économique et financière : il ajouterait de manière explicite
l’objectif de stabilité financière à celui de stabilité moné- taire (Boyer,
Dehove et Plihon, 2004).
Le régime macroéconomique des années soixante-dix et quatre-vingt,
caractérisé par de fortes tensions inflationnistes et qui avait fondé la doc-
trine et les modalités d’intervention, d’inspiration monétariste, des ban-
(1) Rappelons que la Banque d’Angleterre a été créée en 1694 pour faciliter le
financement de la dette publique occasionnée par la guerre menée par Guillaume III
contre Jacques II et Louis XIV.
12
–4
1971 1975 1979 1983 1987 1991 1995 1999 2003 2007
0
1974 1978 1982 1986 1990 1994 1998 2002 2006 2010
0,8
0,7
0,6
0,5
0,4
0,3
0,2
0,1
0,0
1978 1982 1986 1990 1994 1998 2002 2006
0,8
0,6
0,4
0,2
0,0
– 0,2
– 0,4
– 0,6
– 0,8
1974 1979 1984 1989 1994 1999 2004 2009
Les deux
Uniquement la politique monétaire
Uniquement les facteurs structurels
Une illusion
NSPP
14%
7%
2%
12% 65%
100%
7% 3%
14%
80% 21%
10%
3%
14%
60%
40%
57% 69%
20%
0%
Banquiers centraux Economistes
Oui
Non
9%
91%
100%
9% 9%
80%
60%
91% 91%
40%
20%
0%
Banquiers centraux
Economistes
Oui
Non
13%
87%
100%
15% 12%
80%
60%
20%
0%
Banquiers centraux Economistes
Les deux
Uniquement supervision prudentielle
NSPP
61%
2%
37%
100% 4%
60%
40%
64%
59%
20%
0%
Banquiers centraux Economistes
Oui
Non
NSPP
77%
3%
20%
100%
4%
14%
80% 23%
60%
40% 86%
73%
20%
0%
Banquiers centraux
Economistes
Oui
Non
NSPP
3%
38%
59%
100%
8%
30%
80%
54%
60%
40%
70%
20% 38%
0%
Banquiers centraux Economistes
(2) Le 24 septembre 2010, dans une autre conférence, il ajoute : « Il est encourageant de
voir un grand nombre d’études récentes qui cherchent à intégrer la banque et l’offre de
crédit dans les modèles macroéconomiques standards, même si la majeure partie de ce
travail est encore assez loin de capturer les liens complexes entre prise de risque, liquidité
et capital dans notre système financier et les implications de ces facteurs pour la
croissance et la stabilité » (Bernanke, 2010).
138
2.1. Accélérateur financier et canal du crédit
Or, pour cerner l’influence des facteurs financiers sur l’économie
réelle, il faut nécessairement prendre en compte ces imperfections de
marché, tout particulièrement les problèmes d’asymétrie d’information et
d’agence. La nouvelle microéconomie issue des travaux de Joseph
Stiglitz ou George Akerlof (asymétries d’information) et de Michael Jensen
et William Meckling (relations d’agence) ont largement renouvelé l’étude
des banques, du finan- cement des entreprises et, plus largement, de
l’influence de la finance sur l’économie réelle.
Dans les travaux académiques qu’il a menés avant d’être nommé à la
tête de la Réserve fédérale américaine, Ben Bernanke a ainsi cherché à
éclairer cette influence, d’abord en essayant de comprendre par quels ca-
naux, les problèmes financiers des années trente avaient aggravé la
grande dépression. Son article de 1983 en distingue deux :
• un premier canal passe par le capital informationnel des banques.
Celles-ci développent, conservent et entretiennent en effet des
informations sur leurs clients, à la fois sur leurs conditions d’activité et de
management (qualité des comptes, des clients et des dirigeants
notamment) et sur leur engagement (en large part moral) à s’acquitter de
leurs dettes bancaires. Selon cette approche, les faillites et paniques
bancaires dans la crise de 1930 ont provoqué une destruction massive de
capital informationnel. La capacité des banques encore en activité à faire
des crédits en a été profon- dément affectée, ce qui prolongé d’autant les
difficultés ;
• un second canal passe par les contreparties bancaires
(creditworthiness of borrowers). Les garanties offertes par les
emprunteurs permettent en effet la mise en place de crédits nouveaux.
Pendant la crise de 1930, la dépréciation de valeur des actifs, donc des
collatéraux, a réduit la capacité des emprunteurs à emprunter et provoqué
des problèmes de liquidité. Obli- gés de vendre en catastrophe (fire
sales), les débiteurs à court de liquidité ont alimenté les pressions
déflationnistes qui n’ont fait qu’accroître le poids réel de leur dette : c’est
la spirale de debt-deflation à la Fisher.
Par la suite, Ben Bernanke, comme la plupart des théoriciens de ces
questions, s’est efforcé de dissocier les effets financiers de propagation
selon la nature (réelle ou monétaire ou financière) du choc qui donne
l’im- pulsion.
L’étude de la transmission des chocs réels a ainsi conduit Bernanke et
Gertler (1989) à mettre en évidence le mécanisme de l’accélérateur finan-
cier. Ce mécanisme puise sa source dans les problèmes d’asymétries d’in-
formation entre prêteurs et emprunteurs. L’asymétrie d’information dont
pâtit le prêteur l’oblige à effectuer une sélection et un contrôle qui élèvent
le coût du financement externe. Ce surcoût, ou prime de financement
externe (External Financial Premium), supporté par l’emprunteur,
dépend de la situation financière de ce dernier. Tout choc réel (tel qu’un
choc de produc- tivité) qui améliore la situation financière (richesse
nette, liquidité) des
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 139
emprunteurs réduit leur prime de financement externe et facilite la
réalisa-
tion de leurs projets d’investissement. Cet accélérateur financier fait per-
sister l’effet initial. À l’inverse, un choc réel dégradant la situation finan-
cière des entreprises élève leur prime de financement externe et réduit du-
rablement leur capacité à se financer et donc à investir.
Empiriquement, la prime de financement externe est de l’ordre de
130 points de base en moyenne dans le cas américain au cours de la
période 1950-2008 et de 200 points de base en moyenne en Europe entre
1980 et 2008. Elle est en général proche de la différence entre les
rendements des actifs corporate notés BBB entreprises et ceux notés
AAA. Dans les cas américains et européens, cette prime augmente dans la
montée du cycle en accompagnant les spreads obligataires, annonçant
une récession.
L’étude de la transmission de la politique monétaire (choc monétaire)
a orienté les recherches académiques vers le canal du crédit. Ce canal
con- cerne l’ensemble des répercussions que les variations de taux
directeurs peuvent avoir sur l’offre de crédit. La littérature économique
opère une distinction entre :
• le canal strict du crédit bancaire : les changements de taux directeurs
modifient les conditions de refinancement des banques sur les marchés
monétaires et financiers. Ce faisant, elles influencent leur capacité à créer
de la monnaie, c’est-à-dire leur production de crédit à l’économie, donc
l’investissement des entreprises et la consommation des ménages. Le mo-
dèle de Bernanke et Blinder (1988) montre qu’en réduisant l’accès des
ban- ques aux fonds prêtables, les opérations d’open market limitent
l’offre de prêts bancaires ;
• le canal large du crédit ou canal du bilan : la qualité de la structure
du bilan des agents économiques entre ici en jeu, comme dans la théorie
de l’accélérateur financier, mais en considérant non l’impact d’un choc
réel mais celui de la politique monétaire sur la prime de financement
externe. Une variation des taux d’intérêt affecte ainsi la structure des
bilans, donc la prime de financement externe. Une hausse des taux aura
alors des effets dépressifs sensiblement plus importants si les agents
privés sont aupara- vant déjà très endettés et peu solvables.
Depuis son introduction dans la littérature au milieu des années
quatre- vingt, le canal du crédit a fait l’objet de vives controverses(3). De
nombreu- ses études empiriques ont cherché à évaluer son importance
relativement aux autres canaux de transmission de la politique monétaire
(canal du taux d’intérêt, canal du taux de change).
(3) Pour une revue de cette littérature, voir Clerc (2001), Beaudu et Keckel (2001), Pollin
et Bellando (1996) et Barran, Coudert et Mojon (1995).
140 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
L’existence du canal du crédit fait intervenir plusieurs conditions
(Woodford, 2010) :
• il faut prouver une dépendance des entreprises au crédit (dans le cas
du canal large) et plus particulièrement au crédit bancaire (dans le cas du
canal étroit). Cela suppose une imparfaite substituabilité entre titres et
crédits ;
• il faut que les banques soient sensibles à leurs conditions de
refinancement auprès de la Banque centrale et qu’elles n’aient guère de
possibilités alternatives de refinancement sur les marchés ;
• il faut que l’essentiel de l’activité des banques soit orienté vers le
crédit et qu’elles contribuent peu au financement de l’économie par
d’autres types de créances.
Or l’accélération des innovations financières et le développement con-
comitant des marchés de capitaux, à partir du milieu des années quatre-
vingt, ont laissé penser à de nombreux auteurs que s’opérait un
mouvement de désintermédiation bancaire des financements. Ont alors
suivi de nom- breuses tentatives de remises en cause du canal du crédit
(voir, par exemple, Smant, 2002).
Certes, l’essor des marchés de capitaux a offert aux entreprises un
éven- tail plus large de financements, permettant aux plus grandes d’entre
elles de substituer des financements de marché au crédit bancaire. De leur
côté, les banques ont dû s’adapter à cet essor et ont même su tirer leur
épingle du jeu. Elles ont, à la fois, diversifié leurs sources de financement
(dépôts et ressources de marché) et leurs actifs (crédits et titres). Pour
autant, le poids du crédit et, plus largement, celui des banques dans le
financement de l’éco- nomie est demeuré important, ainsi que nous allons
le montrer dans la sec- tion suivante.
1998 En % du 2007
PIB, fin d’année
En % du total des financements obtenus par les agents non financiers résidents
80
Au sens large
75
70
65
60
55
50
45
Au sens strict
40
35
1995 1997 1999 2001 2003 2005 2007 2009
a. Zone euro
En milliards d’euros
550
500 Financement total
Prêts des IFM
450 Prêts des non-IFM
Autres dettes à court terme(1)
400
350
300
250
200
150
100
50
0
– 50
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008
1 000
800
600
400
200
0
Prêts des IFM(2)
– 200 Prêts des agences fédérales émettrices d’ABS (3)
100
Zone euro
80
60
États-Unis
40
20
0
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010
Les effets d’une hausse des taux directeurs faisant intervenir les banques
Source : Auteurs.
2. Les mesures du canal de la prise de risque
Ratio de solvabilité
• le tier 1 (capital + réserves + intérêts minoritaires + goodwill) passe de
4 à 6 % (à partir de 2013) ;
• au sein du tier 1, le core tier 1 (capital + réserves) passe de 2 à 4,5 %
(à partir de 2013) ;
• viendra s’ajouter un matelas de protection de 2,5 % (à partir de 2019) ;
• est envisagé un matelas contracyclique de 0 à 2,5 % selon les
circonstan- ces nationales (date non fixée).
Soit au total un ratio tier 1 d’au moins 8,5 % (ratio tier 1 + tier 2 > 8 %
+ matelas 2,5 %).
(7) Le dispositif préconisé par Michel Aglietta (cf. complément A) propose de répartir au
niveau des « entités systémiques » la surcharge en capital liée au « volant contra-cyclique
», ce qui accroît la complexité du dispositif.
162 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
la banque par le régulateur. De nouvelles approches, fondées sur des modèles
incorporant les risques endogènes liés aux spill-over, telles que les CoVar
pourraient être également mises en application (Voir la contribution de
Brunnermeier et al. dans le Geneva Report de 2009). Les
rebondissements de la crise bancaire et financière en Europe au cours de
l’année 2010 ont montré l’importance des stress tests, mais aussi les
exigences nouvelles qui pèsent sur eux, notamment pour expliquer les
conditions même du test. En effet, lors de la présentation fin juillet 2010
des résultats pour les banques européennes, 7 banques avaient échoué et
32 affichaient à l’issue de l’exer- cice un ratio Tier 1 entre 6 et 8 %. On
savait en outre que la pression sur ces établissements allait s’accroître, en
liaison avec les exigences sur le ratio de fonds propres réglementaires
Tier one (de 4 à 6 %) et sur les conditions de liquidité. Les ratios prévus
par Bâle n’avaient pas encore été définis sur ce dernier point, tandis que
la dépendance des banques des pays méditer- ranéens, plus Irlande, restait
très élevée. En outre, 32 banques parmi les 91 testées bénéficiaient
d’aides d’État, et leur devenir restait problématique (la nationalisation des
banques irlandaises se poursuivait ainsi en fin d’an- née 2010).
La validité de ces tests a été souvent mise en cause, sachant qu’ils trai-
taient seulement des grandes banques européennes. Des questions
portaient ainsi sur la santé des caisses d’épargne espagnoles et plus
encore sur des banques régionales allemandes. D’autres critiques notaient
que le risque d’un défaut d’un pays européen n’avait pas été testé, mais la
réponse a été que les pouvoirs publics européens venaient de mettre en
place le Fonds européen de stabilité financière, destiné à le contrer. Il faut
noter que des critiques voisines avaient accueilli les résultats des tests
américains, souli- gnant le caractère « faible stressé » (mais peu vérifié
après coup), sachant en outre que la Fed était très présente dans le
financement bancaire et fi- nancier.
De manière générale, les conditions d’élaboration de tels stress se po-
sent, puisqu’il faut qu’ils soient à la fois plausibles, sévères et utiles,
selon les requêtes de la BRI. Il y a interdépendance entre ces trois aspects
(Breuer, Jandacka, Rheinberger et Summer, 2009) : le choc ne doit pas
être trop extrême, au risque de ne pas être pris au sérieux, ni trop
macroéconomique (par exemple, une baisse de 3 % du PIB) qui pourrait
donner in fine, du fait de relations économiques croisées, l’idée qu’il est
gérable, donc que la crise n’est pas, au fond, si sévère ou que le système
est assez résistant. Les mé- thodes doivent devenir d’un côté plus
systématiques et, d’un autre, plus délimitées, mettant, par exemple,
l’accent sur des portefeuilles de crédit ou d’activités spécifiques
(logement ou changes), de façon à mesurer les effets en chaîne et à
prendre des mesures adaptées, à côté d’approches plus globales ;
• taxer les banques : plusieurs gouvernements, ainsi que le Fonds mo-
nétaire international, mandaté par le G20, ont proposé de taxer les ban-
ques : taxes sur les bonus en France et au Royaume-Uni ; projet de
prélève- ment exceptionnel sur les banques aux États-Unis ; suggestion
par le Fonds monétaire international (FMI) d’une taxe sur les activités
financières. Les
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 163
objectifs visés par ces différentes taxes sont divers. On peut en distinguer
quatre : faire payer aux banques le coût de leur sauvetage, c’est le but
pour- suivi par la taxe proposée par l’administration américaine ;
préfinancer le coût des futurs sauvetages ; réduire la taille du secteur
financier, comme l’indique l’acronyme (FAT, Financial Ativities Tax) de
la taxe proposée par le FMI ; enfin, modifier le comportement des
banques en les incitant à une plus grande prudence. L’efficacité des
mesures de taxation des banques apparaît discutable. S’agissant de
l’objectif de collecte de ressources, et notamment le deuxième objectif, il
apparaît que l’objectif poursuivi est très proche des systèmes d’assurance
des dépôts existant dans la plupart des pays pour maintenir la confiance
des déposants et dissuader les paniques bancaires. On peut dès lors se
demander s’il ne serait pas plutôt souhaitable d’accroître les ressources
des fonds de garantie des dépôts. En France, les réserves du Fonds de
garantie des dépôts sont faibles : elles ne représentent que 1,7 milliard
d’euros pour assurer 1 200 milliards de dépôts, soit 0,14 % du montant.
La cotisation annuelle est faible : 80 millions d’euros, soit un prélèvement
de 0,007 %. Une revalorisation de ces primes nous apparaît préférable à
une nouvelle taxe.
Oui
Non
NSPP
7% 70%
23%
100%
20% 25%
80%
20%
60%
40% 75%
60%
20%
0%
Banquiers centraux Economistes
Oui
Non
NSPP
10%
50%
40%
100% 5%
18%
80%
27% 63%
60%
40%
55%
20%
32%
0%
Banquiers centraux Economistes
3.2.5. Pas de solution unique mais une proximité dans tous les cas
indispensables entre Banque centrale et superviseur(s)
Les réflexions qui précèdent montrent que la Banque centrale ne
s’impose pas nécessairement partout en tant que superviseur micro-
prudentiel des banques. Vont également dans ce sens la prise en compte de
l’environnement institutionnel et politique du pays et, plus simplement
encore, de son déve- loppement économique. Ces éléments justifient que
l’organisation de la supervision puisse différer d’un pays à l’autre. Dans
quelque pays que ce soit, l’administration de la supervision n’est pas
simple à organiser. En par- ticulier, le capital humain dont elle doit se
doter est hautement spécifique. Disperser ce capital entre une Banque
centrale et plusieurs autres instances de supervision est contre-productif,
plus encore lorsque celui-ci existe en quantité limitée. Dans les pays les
moins développés, la dotation nécessaire en moyens humains et financiers,
indispensable à la qualité de la supervision mise en œuvre, plaide ainsi en
faveur d’une concentration de ces moyens au sein de la Banque centrale.
Cette contrainte ne se pose pas avec la même force dans les pays plus
richement dotés en moyens financiers et humains, sauf peut-être celle que
pose leur rémunération très inférieure à celle des supervisés.
La capacité de résistance aux lobbies financiers et aux pressions poli-
tiques constitue un autre facteur de choix de l’organisation du dispositif
de supervision ; la Banque centrale a pour elle son indépendance qui
constitue, en principe, une protection solide, tout au moins à l’égard du
pouvoir poli- tique. Elle risque, là où l’environnement institutionnel ne
permet pas l’émer- gence de contre-pouvoirs suffisants, de devenir une
institution non démo-
178 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
cratique concentrant un trop large pouvoir, sans offrir assez de transpa-
rence et donner assez d’explications sur sa démarche.
Bref, il n’existe pas de solution unique quant à l’implication de la
Banque centrale dans le dispositif de supervision. Mais il est un principe
a minima dont la crise a révélé que le non-respect était fort dommageable.
Il s’agit du maintien d’une forte proximité entre surveillance prudentielle et
Banque cen- trale. C’est d’ailleurs, comme le souligne aussi le rapport
Deletré, un principe fondamental de l’ancien dispositif français que les
réformes n’ont pas remis en question. À cet égard on peut noter qu’à la
question : « Quand la supervision micro-prudentielle ne fait pas partie du
mandat de la Banque centrale, cette dernière doit-elle être en relation
directe avec le superviseur bancaire ? », un très large consensus, se dégage
des réponses que nous avons recueillies : 100 % des banquiers centraux et
95 % des économistes répondent par l’affirmative.
Oui
NSPP
97%
3%
100%
5%
90%
80%
70%
60%
30%
20%
10%
0%
Banquiers centraux Economistes
Questionnaire
Banques centrales et stabilité financière(*)
1. Motivation et objectifs
Les travaux d’enquête sont devenus fréquents au sein des banques
cen- trales. La Réserve fédérale américiane (Fed) depuis longtemps, la
Banque centrale européenne (BCE), la Banque d’Angleterre, la Banque
du Japon ou encore la Banque du Canada(1) depuis les années 2000 y ont
recours pour sonder, par exemple, les conditions du crédit. Les résultats
que les banques centrales obtiennent ainsi et qu’elles publient jouent un
rôle plus ou moins important dans la conduite de la politique monétaire,
mais témoignent quoi qu’il en soit du rôle croissant de ces données pour
évaluer les conditions monétaires et financières. En 1998, en préparation
du sixième colloque annuel des gouverneurs des banques centrales
qu’elle était chargée d’orga- niser pour 1999, la Banque d’Angleterre
avait commandé un travail d’en- quête réalisé par Lavan Mahadeva et
Gabriel Sterne. L’objectif était de sonder plus d’une centaine de
banquiers centraux à propos de l’évolution des stratégies de politique
monétaire dans le contexte de la globalisation et de discuter les résultats
obtenus lors de leur rencontre annuelle. Cette en- quête, dont la méthode
et les résultats sont présentés en détail dans le rap- port auquel a donné
lieu cette conférence « Monetary Frameworks in a Global Context »(2),
nous a inspirés dans le cadre de notre questionnaire.
(*) Cette annexe a été réalisée grâce à la collaboration active et efficace de Marc Pourroy
(doctorant à l’Université de Paris I), au cours d’un stage au CAE entièrement consacré à
l’exploitation des réponses au questionnaire. Les auteurs tiennent à lui exprimer leurs vifs
remerciements.
(1) Voir, par exemple, la note d’information sur les questions de l’enquête sur les perspec-
tives des entreprises concernant la croissance passée des ventes et les conditions du crédit,
14 janvier 2008, dans le site web de la Banque, à l’adresse http://www.banqueducanada.ca/fr/bos/
2008/hiver/bos_doc0108.pdf
2. Destinataires
Le questionnaire a été adressé à environ 200 destinataires,
économistes de tous pays reconnus pour leurs travaux consacrés à la
politique monétaire et/ou à la stabilité financière, banques centrales et
autorités de supervision. Le taux de réponse que nous avons obtenu est
d’environ 25 %, ce qui n’est pas élevé dans l’absolu mais habituel pour ce
type de questionnaire. Alors que trois catégories de participants étaient
envisagées au départ (banquiers centraux, superviseurs prudentiels
indépendants de la Banque centrale, éco- nomistes), nous avons dû
exclure la catégorie « superviseurs prudentiels indépendants de la Banque
centrale » en raison d’un nombre de réponses insuffisant pour constituer
une catégorie représentative.
Note : Les totaux des colonnes (%) ne font pas exactement 100, en raison des arrondis.
Économistes
Banquiers
centraux
Tous
1. Grande modération et instabilité financière
1.1. La Grande modération est-elle due à l'amélioration de la conduite Uniquement à la politique monétaire 7 14 3
de la politique monétaire ? À des facteurs structurels ? Uniquement aux facteurs structurels 14 21 10
Ni l'un ni l'autre, la Grande modération était une illusion ? Les deux 65 57 69
Une illusion 12 7 14
NSPP 2 0 3
Participation 43 14 29
Nombre de citations : Le hasard 6 4 2
1.2. La Grande modération a-t-elle conduit à sous-estimer les risques ? Oui 91 91 91
Non 9 9 9
NSPP 0 0 0
Participation 33 11 22
1.3. La Grande modération a-t-elle pris fin ? Oui 56 54 57
Non 39 38 39
NSPP 6 8 4
Participation 36 13 23
1.4. Entrons-nous dans une ère de plus forte instabilité financière ? Oui 60 38 70
Non 38 54 30
NSPP 3 8 0
Participation 40 13 27
1.5. Le bas niveau des taux d'intérêt a-t-il favorisé la formation Oui 87 85 88
de la bulle immobilière et, par la suite, son explosion ? Non 13 15 12
NSPP 0 0 0
Participation 38 13 25
Lecture : NSPP = ne se prononce pas.
2. Design institutionnel du central banking
2.1. Est-ce que la crise a changé à la fois les objectifs et les instruments Oui 92 92 91
des banques centrales ? Non 8 8 9
NSPP 0 0 0
Participation 36 13 23
2.2. L'objectif de stabilité des prix doit-il être complété par un objectif Oui 78 86 73
de stabilité financière ? Non 20 14 23
NSPP 3 0 4
Participation 40 14 26
2.3. Pensez-vous que la capacité des banques centrales à assurer Oui 83 92 78
la stabilité des prix tout en apportant leur soutien à la croissance Non 17 8 22
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE
Économistes
Banquiers
centraux
Tous
3. Stabilité financière
3.1. L’objectif de stabilité financière
3.1.1. Pensez-vous que l'objectif de stabilité financière relève de la Des deux 61 64 59
supervision prudentielle uniquement, ou à la fois de la supervision Uniquement de la supervision prudentielle 37 36 37
prudentielle et de la politique monétaire ? NSPP 2 0 4
Participation 41 14 27
3.1.2. Les mesures à prendre pour stabiliser les marchés financiers sont- Principalement des mesures de supervision 18 4 14
elles principalement des mesures de supervision prudentielle ? Ou prudentielle
principalement des mesures de politique monétaire ? Les deux à la fois ? Principalement des mesures de pol. monétaire 9 2 7
Doivent-elles être coordonnées ? Les deux 20 9 11
Être coordonnées 10 4 6
NSPP 7 1 6
Participation 39 13 26
3.2. Banques centrales et supervision micro-prudentielle
3.2.1. Afin d'assurer la stabilité financière, la Banque centrale doit-elle Oui 64 62 66
aller au-delà de la gestion de la liquidité (au jour le jour et comme Non 29 31 28
prêteur en dernier ressort) et être impliquée dans la supervision micro- NSPP 7 8 7
prudentielle des banques ? Participation 42 13 29
3.2.2. Quand la supervision micro-prudentielle ne fait pas partie du Oui 97 100 95
mandat de la Banque centrale, cette dernière doit-elle être en relation Non 0 0 0
directe avec le superviseur bancaire ? NSPP 3 0 5
Participation 33 11 22
Si oui, comment ? Solutions citées :
Réunions périodiques 7 2 5
Gouvernance jointe 6 3 3
Bases de données partagées 3 1 2
Coopération scientifique (séminaires 2 0 2
et recherches en commun)
Avis consultatif de la Banque centrale 1 0 1
Partage d'information 9 8 1
Autres propositions 5 2 3
3.2.3. Les pays où la Banque centrale est impliquée dans la supervision Oui 40 55 32
prudentielle ont-ils mieux résisté à la crise ? Non 50 27 63
NSPP 10 18 5
Participation 30 11 19
3.3. Banques centrales et supervision macro-prudentielle
3.3.1. La Banque centrale doit-elle jouer un rôle important Oui 88 86 89
dans la supervision macro-prudentielle ? Non 7 0 11
NSPP 5 14 0
Participation 41 14 27
3.3.2. Si oui, êtes-vous favorable à un Conseil du risque systémique, Oui 70 60 75
présidé par la Banque centrale européenne, pour la zone euro, Non 23 20 25
comme décrit dans le rapport Larosière ? NSPP 7 20 0
Participation 30 10 20
3.4. Articulation micro-/macro-prudentiel
3.4.1. Les « stress tests » bancaires sont-ils la méthode la plus La meilleure solution 29 38 24
appropriée pour faire converger les perspectives macro- et micro- Une assez bonne solution 59 54 62
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE
Économistes
CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
Banquiers
centraux
Tous
3.5.2. Si les banques centrales sont appelées à jouer un rôle clef Oui 81 86 77
dans la gestion du risque systémique, pensez-vous qu'elles doivent Non 19 14 23
également mener une surveillance plus poussée des institutions NSPP 0 0 0
systémiques ? Participation 36 14 22
3.5.3. Inversement, les banques centrales ont-elles créé de l'aléa moral Oui 52 38 60
en portant une trop grande attention aux institutions systémiques ? Non 48 62 40
NSPP 0 0 0
Participation 33 13 20
3.5.4. Les gouvernements doivent-ils jouer un rôle central Oui 77 77 77
dans la résolution des crises ? Non 23 23 23
NSPP 0 0 0
Participation 35 13 22
Si oui, comment ? Solutions citées :
Mettre en faillite les entreprises dont le capital 12 4 8
est devenu trop faible
Remplacer les gestionnaires 8 2 6
Nettoyer les bilans 6 2 4
Exiger des actionnaires d'assumer les pertes 10 3 7
Les gouvernements doivent conseiller, 2 0 2
ne pas prendre les manettes directement
3.6. Le cas européen
3.6.1. Est-ce que le « risque systémique » révélé par la crise financière Oui 83 70 89
souligne le besoin d'une nouvelle approche de la supervision Non 14 20 11
en Europe ? NSPP 3 10 0
Participation 29 10 19
3.6.2 Est-ce une bonne chose d'avoir doté la Banque centrale Oui 77 73 80
européenne de prérogatives macro-prudentielles ? Non 6 0 10
NSPP 16 27 10
Participation 31 11 20
3.6.3. Le nouveau système européen (une entité en charge du risque Oui 41 40 41
systémique et trois autres régulateurs pour la banque, l'assurance, Non 50 50 50
et les titres, pour examiner le risque individuel) est-il une bonne NSPP 9 10 9
solution ? Participation 32 10 22
4. Politique monétaire : canaux de transmission/statégie/instruments
4.1. Canaux de transmission
4.1.1. L'engagement des banques centrales à assurer la stabilité des prix Oui 95 93 96
à moyen terme est-elle un déterminant important de la confiance ? Non 5 7 4
NSPP 0 0 0
Participation 37 14 23
Doit-on envisager de modifier la définition quantitative de la stabilité Oui 32 14 45
des prix ? Non 68 86 55
NSPP 0 0 0
Participation 34 14 20
4.1.2. La politique monétaire et le risque pris par les intermédiaires Oui 59 54 63
financiers sont liés : il s'agit du « risque taking chanel » (RTC). Ce canal Non 28 38 21
du risque est-il devenu l'un des principaux canaux de transmission NSPP 13 8 16
de la politique monétaire ? Participation 32 13 19
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE
4.2. Stratégie
4.2.1. Suite à la crise, les stratégies de ciblage d'inflation, la stratégie Oui 56 8 79
de la Banque centrale européenne et celle de la Fed doivent-elles être Non 42 83 21
révisées ? NSPP 3 8 0
Participation 36 12 24
Si oui, comment ? Solutions citées :
Cibler le prix des actifs 9 0 9
Cibler le prix des actifs immobiliers 5 1 4
Ciblage plus souple, prendre en compte 3 0 3
la production
Cible d'inflation plus élevée (proposition 3 0 3
Blanchard d'une cible à 4 %)
Prendre en compte la croissance du crédit 3 0 3
Assurer la solvabilité des États 1 0 1
Prise en compte des déséquilibres au niveau 1 0 1
national et mondial
199
200
CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
Économistes
Banquiers
centraux
Tous
4.2.2. Le ciblage du niveau des prix est-il préférable au ciblage Oui 19 0 29
de l'inflation ? Non 65 85 54
NSPP 16 15 17
Participation 37 13 24
4.3. « Plancher zéro » des taux d’intérêt et stratégies de sortie de crise
4.3.1. Les politiques monétaires non conventionnelles ont-elles résolu Oui 49 29 62
le problème du plancher zéro des taux d'intérêt ? Non 31 43 24
NSPP 20 29 14
Participation 35 14 21
4.3.2. Le bas niveau des taux d'intérêt contribue-t-il à une croissance Oui 63 54 68
excessive du prix de certaines classes d'actifs ? Non 34 38 32
NSPP 0 0 0
Participation 35 13 22
4.3.3. Les politiques non conventionnelles font-elles courir un risque Oui 37 50 31
à moyen-long terme sur la stabilité des prix à la consommation ? Non 58 42 65
NSPP 5 8 4
Participation 38 12 26
Les politiques non conventionnelles font-elles courir un risque Oui 34 50 27
à moyen-long terme sur la stabilité des prix d'actifs ? Non 63 50 68
NSPP 3 0 5
Participation 32 10 22
4.3.4. Une augmentation temporaire de la cible d'inflation facilite-t-elle Oui 29 8 39
les sorties de crise ? Non 63 83 52
NSPP 9 8 9
Participation 35 12 23
4.4. Bulles de prix d’actifs, cycle du crédit, nouveaux instruments
4.4.1. Les taux directeurs doivent-ils réagir aux bulles de crédit et Oui 63 77 57
d'actifs ? Non 34 23 39
NSPP 2 0 4
Participation 41 13 28
Nombre de citations : 5 2 3
Le taux directeur est un instrument inapproprié
(a blunt tool)
4.4.2. La Banque centrale doit-elle choisir le plus bas taux d'intérêt Choisir le plus bas taux d'intérêt 55 80 42
compatible avec son objectif de stabilité des prix ? Ou choisir un taux Non 45 20 58
plus élevé en cas de bulle ? Ou choisir un autre instrument ? NSPP 0 0 0
Participation 29 10 19
Choisir, un taux plus élevé en cas de bulle 57 80 44
Non 39 10 56
NSPP 4 10 0
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE
Participation 28 10 18
Nombre de citations :
Oui aux deux (!) 6 6 0
D'autres instruments 11 3 8
– mesures réglementaires 4 1 3
4.4.3. La politique monétaire peut-elle contrer les cycles du crédit ? Oui 67 50 75
D'autres instruments sont-ils plus efficaces ? Non 33 50 25
NSPP 0 0 0
Participation 30 10 20
D'autres instruments sont-ils plus efficaces que la politique monétaire Oui 61 75 53
pour contrer les cycles du crédit ? Non 35 25 40
NSPP 4 0 7
Participation 23 8 15
Nombre de citations : 5 4 1
Politique monétaire accompagnée par des
mesures réglementaires
201
202
CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
Économistes
Banquiers
centraux
Tous
5. Dimension internationale
5.1. Les politiques monétaires vont-elles devenir plus hétérogènes Oui 49 42 52
d'un pays à l'autre ? Non 49 58 44
NSPP 3 0 4
Participation 37 12 25
Faut-il craindre des problèmes d'incohérence entre les stratégies Oui 41 17 52
nationales de politique monétaire ? Non 57 83 44
NSPP 3 0 4
Participation 37 12 25
Faut-il craindre un désordre monétaire ? Oui 42 17 54
Non 53 75 42
NSPP 5 8 4
Participation 38 12 26
5.2. Les principales banques centrales doivent-elles prendre en compte Oui 69 82 62
l'impact de leurs politiques sur la liquidité mondiale ? Non 25 18 29
NSPP 6 0 10
Participation 32 11 21
5.3. Dans quelles circonstances l'intervention coordonnée des banques Jamais 22 22 22
centrales sur le marché des changes est-elle souhaitable ? Régulièrement 11 0 17
En cas de circonstances exceptionnelles 67 78 61
(volatilité extrême, bulle, crise…)
Participation 27 9 18
Nombre de citations :
Seulement en cas de consensus 3 1 2
5.4. Faut-il coordonner les interventions des banques centrales contre Oui, une action coordonnée est plus efficace 56 50 60
les bulles financières (en supposant une tendance commune des prix et moins coûteuse
d'actifs) ? Non, pas nécessairement 34 42 30
NSPP 9 8 10
Participation 32 12 20
5.5. Faut-il coordonner les interventions des banques centrales Oui 84 92 80
en tant que prêteur en dernier ressort ? Non 16 8 20
Participation 32 12 20
Nombre de citations :
Obstacles politiques 5 0 5
Obstacles institutionnels 3 0 3
6. Science économique/Science et art du central banking
6.1. Macroéconomie
6.1.1. Partagez-vous le point de vue suivant de Paul Volcker : D'accord 31 17 40
« I’m not aware of any large contribution that economic science Pas d'accord 69 83 60
has made to central banking in the last 50 years or so » ? NSPP 0 0 0
Participation 32 12 20
6.1.2. La crise financière signe-t-elle l'échec de la macroéconomie Oui 36 0 55
moderne ? Non 61 100 41
NSPP 3 0 5
Participation 33 11 22
La crise économique est-elle aussi celle de la théorie économique ? Oui 34 0 56
Non 66 100 44
NSPP 0 0 0
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE
Participation 29 11 18
6.2. DGSE et modèles économiques
6.2.1. Les modèles DSGE (Dynamic Stochastic General Equilibrium) Oui 45 18 59
utilisés par les banques centrales et les économistes ont-ils des défauts Non, ils sont utiles 52 82 36
tels qu'il faudrait les rejeter ? NSPP 3 0 5
Participation 33 11 22
6.2.2. Les modèles de prévision utilisés par les banques Oui, inutiles 31 17 38
centrales sont-ils inutiles du fait de leur incapacité à prendre en Non, utiles 64 75 58
compte NSPP 6 8 4
les crises financières et les bulles ? Participation 36 12 24
Les banques centrales doivent-elles accompagner leurs modèles Oui 89 92 87
de prévision d'une analyse des conditions monétaires et financières ? Non 6 0 9
NSPP 6 8 4
Participation 35 12 23
203
204
CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
Économistes
Banquiers
centraux
Tous
6.3. Anticipations rationnelles/efficience des marchés
6.3.1. L'hypothèse des « animal spirits » doit-elle remplacer Oui 33 18 41
celle des anticipations rationnelles ? Non 55 55 55
NSPP 12 27 5
Participation 33 11 22
6.3.2. Doit-on rejeter le paradigme de l'efficience des marchés ? Oui 48 40 52
Non, en dépit de ses limites 48 50 48
NSPP 3 10 0
Participation 31 10 21
6.4. Art vs science de la politique monétaire
6.4.2. La conduite de la politique monétaire à venir relèvera-t-elle Un art 50 30 60
davantage de l'art ou de la science ? Une science 3 0 5
Un art épaulé par la science 47 70 35
NSPP 0 0 0
Participation 30 10 20
4. Présentation graphique des réponses
Les deux
14%
Uniquement la politique monétaire
Uniquement les facteurs structurels
Une illusion 7%
NSPP
2%
12% 65%
100%
7% 3%
14%
80% 21%
10%
3%
14%
60%
40%
57% 69%
20%
0%
Banquiers centraux Economistes
9%
Oui
Non
91%
100%
9% 9%
80%
60%
91% 91%
40%
20%
0%
Banquiers centraux
Economistes
6%
Oui
Non
NSPP
55%
39%
100%
8% 4%
80%
38% 39%
60%
40%
54% 57%
20%
0%
Banquiers centraux Economistes
Pour plus de la moitié des participants (54 % des banquiers centraux et 57 % des
économistes), cette Grande modération a pris fin.
3%
Oui
Non
NSPP
38%
59%
100%
8%
30%
80%
54%
60%
40%
70%
20% 38%
0%
Banquiers centraux Economistes
Les banquiers centraux et les économistes se différencient nettement dans leurs réponses. Les
banquiers centraux se révélent beaucoup plus optimistes que les éco- nomistes et ne sont que 38 %
à répondre que nous entrons dans une ère de plus forte instabilité financière. Les économistes
répondent le contraire à 70 %.
13%
Oui
Non
87%
100%
15% 12%
80%
60%
20%
0%
Banquiers centraux Economistes
Les participants considèrent à une large majorité (85 % des banquiers centraux,
88 % des économistes) que la politique monétaire accomodante des années 2000
a favorisé la bulle immobilière.
Oui
Non
92%
8%
100%
8% 9%
80%
60%
92% 91%
40%
20%
0%
Banquiers centraux
Economistes
Oui 77%
Non
NSPP
3%
20%
100% 4%
14%
23%
80%
60%
40% 86%
73%
20%
0%
Banquiers centraux Economistes
Pour une large majorité des participants (86 % des banquiers centraux et 73 %
des économistes), l’objectif de stabilité des prix poursuivi par les banques
centrales doit être complété par un objectif de stabilité financière.
Oui
17%
Non
83%
100%
8%
22%
80%
60%
92%
40% 78%
20%
0%
Banquiers centraux
Economistes
Pour 78 % des économistes participants et, sans surprise, une plus forte
proportion encore des banquiers centraux, une forte indépendance est nécessaire
aux banques centrales pour satisfaire les objectifs qui leur sont confiés.
79%
Oui
Non
NSPP
3%
18%
100%
8%
8% 25%
80%
60%
85%
40% 75%
20%
0%
Banquiers centraux Economistes
Séparation
28%
Coopération
NSPP
64%
8%
100% 4%
15%
80%
60%
69%
54%
40%
20%
31%
27%
0%
Banquiers centraux
Economistes
B
215
3. Stabilité financière
3.1. L’objectif de stabilité financière
Les deux
37%
100% 4%
60%
40%
64%
59%
20%
0%
Banquiers centraux Economistes
Oui
Non 64%
7%
NSPP
29%
100%
8% 7%
80%
28%
31%
60%
40%
66%
62%
20%
0%
Banquiers centraux
Economistes
B
217
3.2.2. Quand la supervision micro-prudentielle ne fait pas partie du mandat
de la Banque centrale, cette dernière doit-elle être en relation directe
avec le superviseur bancaire ?
Oui
NSPP
97%
3%
100%
5%
90%
80%
70%
60%
30%
20%
10%
0%
Banquiers centraux Economistes
10%
Oui
Non
NSPP
50%
40%
100%
5%
18%
80%
27% 63%
60%
40%
55%
20%
32%
0%
Banquiers centraux
Economistes
Le clivage est marqué entre banquiers centraux et économistes dans les réponses
à cette question. 55 % des banquiers centraux répondent en effet que les pays où
la Banque centrale est impliquée dans la supervision prudentielle ont mieux
résisté à la crise. 63 % des économistes répondent le contraire. Il est intéressant
de mettre en parallèle cette question et la précédente (3.2.2). Cela suggère que
c’est moins l’im- plication directe de la Banque centrale dans la supervision
(micro-prudentielle) que la proximité entre elle et le superviseur bancaire qui est
appréciée comme facteur de résilience du système financier.
Oui
Non
5%
NSPP
7%
88%
100%
14% 11%
90%
80%
70%
60%
50%
86% 89%
40%
30%
20%
10%
0%
Banquiers centraux Economistes
Oui
Non
NSPP 7% 70%
23%
100%
20% 25%
80%
20%
60%
40%
75%
60%
20%
0%
Banquiers centraux
Economistes
F
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ
221
3.4.Articulation micro-/macro- prudentiel
La meilleure solution
Une assez bonne solution 30%
Une mauvaise solution
61%
9%
100%
8% 10%
80%
54%
60% 62%
40%
20% 38%
24%
0%
Banquiers centraux Economistes
L’utilisation des stress tests est assez largement perçue par les participants
comme une assez bonne solution (pour 54 % des banquiers centraux et 62 % des
économis- tes). Les résultats obtenus laissent entrevoir une plus grande confiance
chez les banquiers centraux (ils sont 38 % à considérer que les stress tests sont la
meilleure solution pour faire converger les perspectives macro- et micro-
prudentielles) que chez les économistes.
44%
Séparation entre micro et macro prudentiel
Pas de séparation, une seule agence
NSPP
38%
18%
100%
14%
25%
80%
39%
60% 33%
40%
0%
Banquiers centraux
Economistes
Non 41%
Oui
NSPP
45%
14%
100%
12%
17%
80%
44%
60%
50%
40%
20% 44%
33%
0%
Banquiers centraux Economistes
13%
Oui
Non
NSPP
32% 55%
100%
12%
15%
80%
31% 32%
60%
40%
54% 56%
20%
0%
Banquiers centraux
Economistes
B
225
Question subsidiaire à la question 3.5.1. De tels pouvoirs peuvent-ils avoir
un impact négatif sur la conduite de la politique monétaire ?
8%
Oui
Non
NSPP
39%
53%
100%
8% 9%
80% 31%
43%
60%
40%
62%
48%
20%
0%
Banquiers centraux Economistes
Oui
Non
81%
19%
100%
14%
23%
80%
60%
86%
77%
40%
20%
0%
Banquiers centraux
Economistes
Une forte majorité des banquiers centraux (86 %) et des économistes (77 %)
estiment que les banques centrales, puisqu’elles sont amenées à gérer le risque
sys- témique, doivent exercer une surveillance rapprochée des institutions
systémiques.
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ 227
FINANCIÈRE
3.5.3. Inversement, les banques centrales ont-elles créé de l’aléa moral
en portant une trop grande attention aux institutions systémiques ?
Oui
Non
48%
52%
100%
80% 40%
62%
60%
40%
60%
20% 38%
0%
Banquiers centraux Economistes
Oui
Non
77%
23%
100%
23% 23%
80%
60%
40%
77% 77%
20%
0%
Banquiers centraux
Economistes
Oui
Non
NSPP 83%
3%
14%
100%
10% 11%
80% 20%
60%
89%
40% 70%
20%
0%
Banquiers centraux Economistes
Oui
Non 78%
NSPP
16%
6%
100%
10%
27% 10%
80%
60%
40% 80%
73%
20%
0%
Banquiers centraux
Economistes
Oui
Non
NSPP 41%
50%
9%
100%
10% 9%
80%
50% 50%
60%
40%
0%
Banquiers centraux Economistes
Oui
Non
5%
95%
100%
7% 4%
80%
60%
93% 96%
40%
20%
0%
Banquiers centraux
Economistes
Oui
Non
32%
68%
100%
80%
55%
60% 86%
40%
45%
20%
14%
0%
Banquiers centraux Economistes
Oui
Non
NSPP 13%
59%
28%
100%
8%
16%
80%
38% 21%
60%
40%
63%
54%
20%
0%
Banquiers centraux
Economistes
B
235
4.2.Stratégie
Oui 3%
Non 55%
NSPP
42%
100%
8%
21%
80%
60%
83%
40% 79%
20%
8%
0%
Banquiers centraux Economistes
Les banquiers centraux sont très peu enclins (8 % seulement) à envisager une
révi- sion de la stratégie de politique monétaire des banques centrales (ou tout au
moins à l’annoncer dans le cadre de ce type d’enquête !). 79 % des économistes
estiment au contraire que cela est nécessaire.
Oui
Non
NSPP
65%
19%
16%
100%
15% 17%
80%
60%
54%
85%
40%
20%
29%
0%
Banquiers centraux
Economistes
B
237
4.3.« Plancher 0 » des taux d’intérêt et stratégies de sortie de crise
Oui
Non
NSPP 20%
49%
31%
100%
14%
29%
80%
24%
60%
43%
40%
62%
20%
29%
0%
Banquiers centraux Economistes
Oui
Non 65%
35%
100%
32%
80% 38%
60%
40%
68%
54%
20%
0%
Banquiers centraux
Economistes
F
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ
239
4.3.3. Les politiques non conventionnelles font-elles courir un
risque à moyen-long terme sur la stabilité des prix à la
consommation ?
Oui
Non 37%
NSPP
5%
58%
100%
8% 4%
80%
42%
65%
60%
40%
50%
20%
31%
0%
Banquiers centraux Economistes
Les économistes sont moins inquiets que les banquiers centraux quant aux consé-
quences à moyen-long terme des politiques non conventionnelles sur la stabilité
des prix à la consommation : 50 % des banquiers centraux estiment que ce risque
existe contre 31 % des économistes. Ceci renvoie à la question 4.3.1.
Oui
Non 34%
NSPP
3%
63%
100%
5%
80%
50%
68%
60%
40%
50%
20%
27%
0%
Banquiers centraux
Economistes
B
241
4.3.4. Une augmentation temporaire de la cible d’inflation facilite-t-
elle les sorties de crise ?
Oui
Non
29%
NSPP
62%
9%
100%
8% 9%
80%
52%
60%
83%
40%
20% 39%
8%
0%
Banquiers centraux Economistes
4.4.1. Les taux directeurs doivent-ils réagir aux bulles de crédit et d’actifs ?
2%
Oui
64%
Non
NSPP
34%
100%
4%
23%
80%
39%
60%
40%
77%
57%
20%
0%
Banquiers centraux
Economistes
45%
100%
20%
80%
58%
60%
40% 80%
20% 42%
0%
Banquiers centraux Economistes
Alors qu’ils estiment nécessaire que les taux d’intérêt directeurs réagissent aux
bulles (cf. question 4.4.1), les banquiers centraux répondent à 80 % qu’il leur faut
choisir le plus bas taux d’intérêt compatible avec leur objectif de stabilité des
prix contre 42 % seulement des économistes.
Oui
Non
67%
33%
100%
25%
80%
50%
60%
40%
75%
50%
20%
0%
Banquiers centraux
Economistes
Les banquiers centraux sont très partagés (50/50) quant à l’idée que la politique
monétaire puisse contrer les cycles du crédit. 75 % des économistes en sont con-
vaincus.
Oui 4%
61%
Non
NSPP
35%
100%
7%
25%
80%
40%
60%
40% 75%
53%
20%
0%
Banquiers centraux Economistes
Les banquiers sont largement convaincus (75 %) qu’il faut mobiliser d’autres
ins- truments que la politique monétaire pour contrer les cycles du crédit. Les
écono- mistes sont plus partagés sur la question.
Oui
48%
Non
NSPP
3%
49%
100%
4%
80%
58% 44%
60%
40%
52%
20% 42%
0%
Banquiers centraux
Economistes
Oui
Non 41%
NSPP
3%
56%
100% 4%
80%
44%
60% 83%
40%
52%
20%
17%
0%
Banquiers centraux Economistes
Les banquiers centraux se refusent pour une très large majorité d’entre eux (83
%) à envisager des problèmes d’incohérence entre les stratégies nationales de
poli- tique monétaire, en dépit de stratégies de sortie de crise assez éloignées les
unes des autres. En revanche, 52 % des économistes déclarent craindre un tel
problème.
Oui
Non 42%
NSPP
5%
53%
100% 4%
8%
80%
42%
60%
75%
40%
54%
20%
17%
0%
Banquiers centraux
Economistes
F
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ
249
5.2. Les principales banques centrales doivent-elles prendre en compte
l’impact de leurs politiques sur la liquidité mondiale ?
Oui
Non
NSPP 6%
69%
25%
100%
10%
18%
80%
29%
60%
40% 82%
62%
20%
0%
Banquiers centraux Economistes
Les banquiers centraux répondent en majorité (82 %) que les principales banques
centrales doivent prendre en compte l’impact de leurs politique sur la liquidité
mondiale, alors qu’elles ne redoutent ni problème d’incohérence, ni un désordre
monétaire mondial (cf. questions susbsidiaires à 5.1). Ce qui peut apparaître con-
tradictoire. La question dégage une majorité aussi mais un peu moins large (62
%) chez les économistes.
11%
Jamais 67%
Régulièrement
En cas de circonstances exceptionnelles
(volatilité extrême, bulle, crise…) 22%
100%
80%
61%
60% 78%
40%
17%
20%
22% 22%
0%
9%
Oui, une action coordonnée est 57%
plus efficace et moins couteuse
Non, pas nécessairement
NSPP
34%
100%
8% 10%
80%
30%
42%
60%
40%
60%
20% 50%
0%
Banquiers centraux Economistes
Oui
84%
Non
16%
100%
8%
20%
80%
60%
92%
40%
80%
20%
0%
Banquiers centraux
Economistes
D'accord
Pas d'accord 31%
69%
100%
80%
60%
60% 83%
40%
20%
40%
17%
0%
Banquiers centraux Economistes
(*) Je n’ai à l’esprit aucune contribution majeure que la science économique aurait pu
faire au central banking au cours des cinquante dernières années !
Oui
Non
36%
NSPP
3%
61%
100%
5%
80%
41%
60%
100%
40%
55%
20%
0%
Banquiers centraux
Economistes
Oui
Non 34%
66%
100%
80%
44%
60%
100%
40%
56%
20%
0%
Banquiers centraux Economistes
6.2.1. Les modèles DSGE utilisés par les banques centrales et les
économistes ont-ils des défauts tels qu’il faudrait les rejeter ?
Oui
45%
Non, ils sont utiles
NSPP
3%
52%
100% 5%
80%
36%
60%
82%
40%
59%
20%
18%
0%
Banquiers centraux Economistes
Oui, inutile
Non, utile
31%
NSPP
6% 63%
100% 4%
8%
80%
58%
60%
75%
40%
20%
38%
17%
0%
Banquiers centraux Economistes
Les limites des modèles de prévisions utilisés par les banquiers centraux font da-
vantage douter les économistes que les banquiers centraux mais majoritairement
tous (75 % des banquiers centraux et 58 % des économistes) estiment ces
modèles utiles.
Oui
Non 88%
NSPP
6%
6%
100%
4%
8%
9%
80%
60%
92%
40% 87%
20%
0%
Banquiers centraux
Economistes
Compléter ces modèles de prévision par une analyse des conditions monétaires et
financières recueille l’assentiment de tous : 92 % des banquiers centraux et 87 %
des économistes y sont favorables.
Oui
Non 33%
NSPP
55%
12%
100%
5%
27%
80%
55%
60%
55%
40%
20%
41%
18%
0%
Banquiers centraux Economistes
Oui
Non, en dépit de ses limites 49%
NSPP
3%
48%
100%
10%
80%
48%
60% 50%
40%
52%
20% 40%
0%
Banquiers centraux Economistes
Un banquier central sur deux estime qu’il ne faut pas rejeter le paradigme de
l’effi- cience des marché contre 48 % des économistes. En revanche, les
économistes sont proportionnellement plus enclins que les banquiers centraux à
envisager la néces- sité de ce changement (52 % répondent oui contre 40 % des
banquiers centraux).
Un art
50%
Une science
Un art épaulé par la science
3%
47%
100%
35%
80%
70%
5%
60%
40%
60%
20%
30%
0%
Banquiers centraux Economistes
Alors que 70 % des banquiers centraux continuent de voir dans la science écono-
mique un support utile pour la conduite de la politique monétaire, 60 % des
écono- mistes pensent au contraire que cette dernière relèvera exclusivement de
l’art !
Banque de France
Laurent Clerc.........................Directeur des études monétaires et financières
Pierre Jaillet .. Directeur des études économiques et des relations internationales
Sylvie Mathérat........................................Directeur de la stabilité financière
Ivan Odonnat........................................Directeur des risques des opérations
Banque mondiale
Asli Demirgüc-Kunt.............................................Senior Research Manager
Parlement européen
Pervenche Bères..............................................................................Députée
Jean-Paul Gauzès..............................................................................Député
Autres experts
Michel Aglietta...............Conseiller, CEPII et Professeur, Université Paris
X
Alan Blinder...........................................Professeur, Université de
Princeton
Mike Carey..........................Économiste, Crédit agricole CA CIB New
York
Bruno Deletré.................Directeur général, BPCE international et outre-
mer
Christophe Destais.....Conseiller financier, Ambassade de France à
Washington
et Directeur adjoint, CEPII (depuis septembre
2010)
Gregory Ip........................................................Éditorialiste, The Economist
Jacques de Larosière........................Conseiller du Président, BNP Paribas
et Président, EUROFI
Frederic Mishkin....................................Professeur, Université de
Columbia
Tommaso Padoa-Schioppa †..................................Président, Notre
Europe/
Conseiller personnel du Premier ministre grec (G.
Papandreou)
George Pauget.........................Directeur général, groupe Crédit agricole
SA
Thomas Philippon..................................Professeur, Université de New
York
Jean-Paul Pollin.........................................Professeur, Université
d’Orléans
Adam Posen................................................Senior Fellow, Peterson
Institute
Joshua Rosner......................................Directeur, Graham Fisher & Co.,
Inc
Christopher Sims....................................Professeur, Université de
Princeton
Michael Woodford.................................Professeur, Université de
Columbia
264 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
Commentaire
Daniel Cohen
Professeur à l’École normale supérieure
1. Genèse
La crise a remis en question le consensus sur la politique monétaire
qui avait progressivement émergé après la crise des années soixante-dix,
laquelle ayant elle-même remis en cause le consensus qui avait prévalu
après-guerre.
Dans les années qui ont suivi le choc pétrolier, la Nouvelle école
classique de Lucas et Sargent avait imputé la crise aux politiques
d’inspiration keyné- sienne, et leur recherche vaine du plein-emploi. À la
manière d’un François Quesnay expliquant au roi que pour gouverner le
royaume « il ne ferait rien », la Nouvelle école classique, sous l’influence
notamment des travaux de Kydland et Prescott, avait préconisé un
interventionnisme a minima, né- cessitant la poursuite de « règles plutôt
que de mesures discrétion- naires ». L’indépendance des banques
centrales face au pouvoir politique avait été érigée en dogme intangible
et, un temps, le refus de toute tentative de stabilisation macroéconomique
semblait la meilleure option possible (c’était notamment la conclusion de
l’article célèbre de Barro et Gordon).
Une solution plus pragmatique, mais profondément influencée par ces
débats avait finalement émergé : celle proposée par John Taylor, d’une
rè- gle de politique monétaire qui arbitre entre les deux maux que sont
l’infla- tion et le chômage, mais d’une manière prévisible, comprise par
tous, con- forme à l’idée de Kydland et Prescott selon laquelle le pouvoir
discrétion- naire des Banques Centrales devait être solidement encadré.
2. La crise
La crise des subprimes a donné lieu à un grand nombre de
controverses, mettant en cause les agences de notation, l’indigence des
régulateurs, l’épar- gne chinoise et la montée des inégalités américaines…
Eu égard à la con- duite de la politique monétaire, deux interprétations
majeures ont été pro- posées, qui forment le point de départ partagé des
deux rapports présentés.
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 265
La première vient de John Taylor lui-même, dans un article écrit à
chaud,
sitôt après avoir quitté l’administration pour retourner à l’Université. La
cause de la crise tient à l’écart qu’Alan Greenspan a laissé se creuser
entre la politique de taux et la règle de Taylor. Inquiet par les
conséquences de l’éclatement de la bulle Internet et des effets du 11
septembre, Alan Greenspan a créé une bulle de crédit en menant une
politique monétaire beaucoup trop laxiste. S’il s’en était tenu à la règle de
Taylor, la crise aurait été évitée. Selon cette interprétation, il n’y aurait
rien à changer à la con- duite de la politique monétaire : il suffit de
respecter la bonne règle.
À cette explication s’en est ajoutée une autre, reprise dans les deux ap-
proches présentées, qui critique non le principe de la règle mais la spécifi-
cation retenue en pratique. Cette interprétation, proposée par Olivier
Blan- chard, tient que la cible d’inflation retenue par les autorités (autour
de 2 %) s’est révélée trop basse pour remédier à la crise, après qu’elle
s’est déclen- chée. Très vite, les taux ont en effet atteint leur plancher,
zéro ou presque, privant la politique monétaire de son efficacité directe.
Au lendemain de la crise, la règle de Taylor aurait ainsi prescrit des taux
de – 3 %, impossible à atteindre du fait de la non-négativité des taux ! Ce
faisant, la politique bud- gétaire a été sollicitée plus qu’il n’eût été
nécessaire, provoquant au pas- sage une crise des finances publiques des
États les plus fragiles.
3. Nouveaux problèmes
Comme dans le roman de Sherlock Holmes, l’essentiel tient toutefois
à ce qui ne s’est pas passé : l’inflation. La politique laxiste de Greenspan
n’a pas déclenché l’inflation prévue (par les modèles de Taylor ou de
Barro et Gordon), celle des salaires ou des biens et services mais une
autre : l’infla- tion du prix des actifs. Ce point est la nouveauté radicale
de la période récente. Les liquidités n’ayant pas déclenché d’inflation
salariale, elles se sont investies ailleurs : dans les actifs financiers.
Tel est le point de départ du débat sur le nouveau central banking qui
fixe le socle des deux approches proposées : comment régler la politique
monétaire, avant et après la crise, lorsque l’inflation tout court n’est plus
une statistique suffisante des déséquilibres à gérer, et qu’il faut intégrer
l’inflation du prix des actifs. Le débat proposé par les auteurs s’inscrit
dans ce cadre, et je le redéfinirais simplement : quels sont les nouveaux
compro- mis devenus nécessaires entre la régulation macroéconomique,
l’inflation tout court et celle du prix des actifs. Faut-il des règles stables,
sur le modèle de la règle de Taylor, faut-il donner aux Banques Centrales
un certain pou- voir discrétionnaire, et si oui lequel ?
Une première manière d’aborder le problème consiste à considérer
qu’il faut utiliser l’instrument classique du taux d’intérêt, pour combattre
un nouvel objectif, le risque financier. Au dilemme inflation-chômage se
subs- titue donc un trilemme : inflation des biens et des actifs-chômage.
Si l’in-
266 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
flation salariale est maîtrisée, le trilemme redevient un dilemme classique,
et on est ramené au problème habituel. Reste évidemment à bien
compren- dre ce qui fait que l’inflation salariale est neutralisée. Si elle
doit à la crédi- bilité de la politique monétaire, il n’est pas sûr qu’elle
survive à l’objectif de stabilisation financière. On le voit aujourd’hui : la
politique ultra-laxiste de Bernanke pour faire monter le prix des actifs
obligataires ne conduira-t- elle pas à un renouveau de l’inflation ? En
toute hypothèse, l’approche 1 argue en faveur d’une action préventive, qui
n’était pas de mise avant l’écla- tement des subprimes. À l’époque, on
expliquait que l’objectif d’inflation tout court devait seul primer, à
charger de nettoyer ensuite les pertes, le fameux : CUA, clean up
afterwards… Le nouveau central banking devra manifestement sortir de
cette doctrine.
Les deux approches proposées dans le rapport plaident pour un nouvel
usage des politiques macro-et micro-prudentielles. Selon la première ap-
proche proposée dans le rapport, chaque acteur doit rester dans son rôle.
La politique monétaire doit continuer de gérer le dilemme inflation-
chômage, tandis que la politique prudentielle doit viser à gérer les risques
financiers. Dans la seconde approche, sans faire nécessairement de la
Banque Centrale le superviseur en chef des risques financiers, il est
recommandé de coor- donner étroitement sa politique avec celui-ci, de
manière à caler sa politi- que de crédit à des objectifs macro-financiers.
L’analogie avec le débat sur la règle de Taylor rejaillit ici directement.
S’il s’agit de fixer des règles immuables, le mieux est sans doute de les
inscrire dans les règles prudentielles qui gouvernent les établissements
financiers. Les provisions dynamiques qui seront nécessaires dans le
cadre de Bâle III, et dont les modalités seront laissées aux autorités
nationales, s’inscrivent dans ce ca- dre. Notons toutefois que les banques
espagnoles étaient déjà soumises à ce régime, ce qui n’a pas empêché la
bulle immobilière dont les conséquences ont été ensuite brutales pour les
banques elles-mêmes. Il semble clair qu’un certain pouvoir
d’appréciation doive être laissé aux banques centrales. De quels leviers
doivent-elles disposer ?
Le seul taux d’intérêt n’est approprié que dans les cas où le risque de
bulles et le risque d’emballement macroéconomique sont concomitants.
Mais cette « coïncidence divine », pour reprendre une formule de
Blanchard et Gali, n’est pas assurée. D’autres instruments sont
souhaitables. D’une cer- taine façon, les Banques Centrales ont montré
qu’elles en disposaient déjà : elles peuvent réviser la classe d’actifs
qu’elles acceptent en Repos. Elles peuvent ainsi agir sur le prix relatif des
classes d’actifs, ce qui leur donne un degré de liberté additionnel, par
rapport au choix du taux directeur, qui fixe le prix de l’actif sans risque.
Comme le montre l’exemple de l’immobilier, toutefois, il est tout à
fait possible qu’au sein d’une catégorie d’actifs, l’un d’entre eux
s’échappe et forme une bulle. Que faire en ce cas, sachant qu’on n’est
évidemment ja- mais sûr qu’il s’agisse d’une bulle (l’immobilier français,
par exemple, qui a doublé comme les autres au cours des années 2000,
est-il victime d’une
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 267
bulle) ? En fait, l’exemple de l’immobilier, qui revient si souvent dans les
crises financières, mérite vraisemblablement un traitement à part.
Lorsque les prix explosent, il n’est pas sûr que ce soit aux seules autorités
monétai- res d’agir. La politique fiscale peut être mise à contribution
aussi (en in- fluençant le taux d’apport personnel, par exemple).
Au final, le point central est sans doute le suivant : quelle que soit la
politique suivie, il est indispensable qu’elle ne soit pas biaisée à la hausse
ou à la baisse, mais qu’elle soit dynamiquement soutenable, pour
stabiliser les évolutions autour d’un point d’équilibre raisonnable. Le
grand progrès accompli par la règle de Taylor, par rapport aux prédictions
naïves des modèles antérieurs, a été de montrer qu’il n’y a pas de mal à,
intervenir pourvu que ce soit autour d’objectifs mutuellement compatibles
entre eux. Dans les débats récents, on peut dire que le « Greenspan put » a
remplacé le biais inflationniste des modèles habituels. De même qu’une
banque cen- trale dédiée à accroître l’emploi perd sa crédibilité et accroît
l’inflation, une politique comme celle qui fut menée par Greenspan, de
lutte contre les krachs, perd sa crédibilité et déclenche une inflation du
prix des actifs. Tel est le défi que le nouveau central banking devra
relever.
Jean-Pierre Vesperini
Professeur à l’Université de Rouen
Dans les circonstances actuelles, le rapport qui vient d’être rédigé sur
la politique monétaire des banques centrales présente évidemment un très
grand intérêt. Son objet est double. D’abord, il se propose d’analyser les
causes de la crise financière que le monde a connue au cours des
années 2007 et 2008 et dont les conséquences sont aujourd’hui encore
dramatiques aux États-Unis comme en Europe. Ensuite, il vise à dégager
de cette analyse un certain nombre de recommandations en matière de
politique monétaire qui devraient permettre d’éviter qu’une crise
financière semblable puisse se produire à nouveau.
Pour le rapport, la crise financière qui a éclaté en août 2007 est le
résul- tat d’un énorme accroissement du crédit. Cet accroissement du
crédit a en effet nourri une augmentation excessive du prix des actifs, et
notamment une bulle sur les actifs immobiliers aux États-Unis comme
dans plusieurs pays d’Europe. Et l’explosion de cette bulle a directement
provoqué la crise financière.
Le rapport voit deux causes dans l’énorme accroissement du crédit qui
a précédé la crise. La première réside dans la fixation des taux directeurs
des
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 269
banques centrales à des niveaux beaucoup trop faibles. Le rapport trouve
une preuve objective de ce que les taux d’intervention des banques
centra- les ont été fixés à des niveaux beaucoup trop faibles dans le fait
que ces taux ont été très inférieurs aux valeurs que recommandait
l’application de la règle de Taylor dans laquelle le taux d’intérêt est une
fonction linéaire de l’écart à la croissance potentielle et de l’écart à
l’inflation désirée.
La seconde tient à ce que les autorités monétaires se sont préoccupées
uniquement de la stabilité conjoncturelle, c’est-à-dire de la stabilité de
l’em- ploi et des prix à la consommation, mais pas de la stabilité
financière, c’est- à-dire de la stabilité du prix des actifs.
Il convient alors de préciser et de nuancer l’analyse du rapport sur ces
différents points.
Sur le fait que la crise financière trouve son origine dans un accroisse-
ment excessif du crédit, donc de l’endettement comme du prix des actifs,
il y a consensus et l’on ne peut qu’être d’accord avec le rapport sur ce
point. En revanche, sur le fait que l’accroissement excessif du crédit soit
le résul- tat de la fixation des taux directeurs des banques centrales à des
niveaux trop faibles, les choses sont beaucoup moins claires.
Tout d’abord, affirmer que les taux directeurs ont été fixés à des
niveaux trop faibles parce qu’ils étaient très inférieurs à ce qu’indiquait la
règle de Taylor n’emporte pas vraiment la conviction. La règle de Taylor
peut don- ner des indications utiles au cours de certaines périodes mais
elle est loin d’être valable en toutes circonstances. En particulier, si nous
prenons une vue plus étendue, c’est-à-dire en regardant l’évolution des
taux d’intérêt, non pas à partir de 2000, comme le fait le rapport, mais à
partir de 1990, nous constatons qu’entre 1990 et 2000, les taux résultant
de l’application de la règle de Taylor ont été parfois très inférieurs aux
taux directeurs de la Réserve fédérale. En particulier, au cours de la
période allant de 1994 à 2000, caractérisée par une très forte expansion
aux États-Unis, si les auto- rités monétaires avaient appliqué la règle de
Taylor, elles auraient déclen- ché une surchauffe de l’économie et une
très forte hausse de l’inflation. Pour se persuader enfin que la règle de
Taylor n’est pas inscrite dans les Tables de la Loi, il suffit d’observer la
période actuelle où cette règle n’est tout simplement pas applicable parce
qu’elle aboutit à recommander des taux d’intérêt nominaux négatifs.
Cela étant, indépendamment de ce qu’indique la règle de Taylor, il est
hors de doute que les taux d’intérêt se sont situés à des niveaux trop
faibles au cours des années 2002 à 2004. Une observation permet de s’en
rendre compte : il s’agit de l’écart entre le taux de croissance nominal du
PIB (4,9 % par an en moyenne au cours de cette période) et les taux
d’intérêt à court terme (1,5 % par an en moyenne).
Si donc l’on ne peut contester que les taux d’intérêt aient été trop
faibles au cours des années 2002 à 2004, peut-on pour autant considérer
que la faiblesse des taux a été la cause essentielle de l’expansion
excessive du crédit qui a conduit à la crise ?
270 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
Il convient pour cela d’observer l’évolution du crédit aux États-Unis
puisque c’est là qu’est née la crise et d’observer cette évolution, non pas
seulement depuis 2000, mais depuis 1990. Nous pouvons alors distinguer
très clairement deux phases dans l’évolution du crédit : la première qui va
de janvier 1990 au mois de mai 2002, la seconde qui va de mai 2002 au
mois d’août 2007. Au cours de la première phase, le crédit a augmenté au
taux de 5,9 % par an, tandis qu’il a augmenté au taux de 9,7 % par an au
cours de la seconde phase. Si l’on compare alors la croissance du crédit à
celle du PIB nominal au cours de chacune de ces périodes, on s’aperçoit
qu’au cours de la première période, le crédit a augmenté à un rythme
voisin de celui du PIB (5,9 % contre 5,1 % pour le PIB), alors qu’au
cours de la seconde période il a augmenté nettement plus vite que le PIB
(9,7 % contre 5,7 % pour le PIB). Par conséquent, nous pouvons dire
qu’au cours de la première période, la croissance du crédit s’est faite à un
rythme raisonnable. C’est seulement au cours de la seconde période,
c’est-à-dire en gros au cours des cinq années qui ont précédé la crise
financière que la croissance du crédit s’est effectivement déroulée à un
rythme tout à fait excessif (cf. tableau).
Niveau des taux et croissance du crédit
En %
moyen du PIB nominal (1)
3 mois
10 ans
Dès lors la question qui se pose est celle de savoir à quoi est due cette
accélération de la croissance du crédit qui se manifeste à partir de 2002.
On peut tout d’abord attribuer cette accélération à la politique de taux de
la Réserve fédérale puisque nous avons constaté qu’au même moment, au
cours des années 2002 à 2004, les taux d’intérêt étaient particulièrement
faibles.
Mais si l’on doit admettre que les autorités monétaires américaines
ont sans doute eu tort de maintenir les taux d’intérêt à des niveaux aussi
faibles - encore qu’elles aient l’excuse de l’incertitude dans laquelle elles
se trouvaient quant aux perspectives de reprise de l’activité qui risquait
F
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ
271
d’être affectée par la hausse des prix du pétrole (15,2 % en 2003, 32,6 %
en
2004) et si cette faiblesse a évidemment favorisé l’accélération de la
crois- sance du crédit (cf. tableau supra ) – , pour autant on ne peut pas
accepter sans réserve l’idée que la politique de taux d’intérêt de la
Réserve fédérale ait été complément erronée et encore moins que cette
politique ait été la principale responsable de la croissance excessive du
crédit.
C’est qu’en effet dès le mois de juin 2004, les autorités monétaires ont
procédé à l’augmentation de leur taux directeur conduisant donc à une
aug- mentation des taux à court terme, qui s’est poursuivie continûment
en 2005 et 2006, si bien qu’à la veille de la crise, en 2006 et au premier
semestre 2007 les taux d’intérêt à court terme étaient voisins des taux de
croissance du PIB nominal, ce qui témoigne que la politique de taux
n’était pas parti- culièrement accommodante. Et si, à la suite du rapport,
l’on juge que la règle de Taylor constitue une norme valable pour la
fixation des taux, on observe aussi qu’à la veille de la crise, les taux
courts avaient aux États- Unis une valeur voisine de celle résultant de
l’application de la règle de Taylor. Les autorités monétaires américaines
ont sans doute tardé à aug- menter leur taux, mais elles les ont augmentés,
et elles les ont augmentés à des niveaux convenables.
Dès lors, si l’on ne peut reprocher aux autorités monétaires
américaines d’avoir eu une politique de taux d’intérêt excessivement
laxiste, si donc l’on ne peut attribuer au seul niveau des taux d’intérêt
l’accélération de la croissance du crédit qui se produit en 2002 et se
poursuit jusqu’au milieu de l’année 2007, à quoi cette accélération peut-
elle être attribuée ?
La réponse à cette question nous est donnée en observant l’évolution
de la base monétaire mondiale qui connaît précisément elle aussi une
disconti- nuité au cours de l’année 2002. Alors qu’entre 1992 et 2002 la
base monétaire mondiale augmentait approximativement au rythme de 7 %
par an, entre 2002 et 2007, elle a augmenté au taux de 13 % par an.
L’accélération de la crois- sance du crédit qui se manifeste aux États-Unis
à partir de 2002 n’est donc qu’un aspect de l’accélération de la croissance
de la liquidité que nous ob- servons partout dans le monde au cours de la
même période. C’est ce mouve- ment que tous les contemporains,
banquiers, gérants de fonds ou trésoriers d’entreprises relevèrent,
conscients de vivre une période tout à fait excep- tionnelle, caractérisée
par une extraordinaire abondance de la liquidité.
Et l’accélération de la croissance de la base monétaire mondiale qui se
produit en 2002 résulte elle-même de l’accélération de la croissance des
réserves de change des banques centrales dans le monde auxquelles la
base monétaire mondiale est étroitement liée entre 2002 et 2007.
Enfin, l’accélération de la croissance des réserves de change des ban-
ques centrales est la conséquence des déséquilibres globaux et plus
particu- lièrement de l’accumulation des réserves de change par la Chine,
due à la politique de sous-évaluation massive de sa monnaie. Ce n’est pas
un hasard si la rupture de tendance dans l’évolution du crédit aux États-
Unis, comme de la base monétaire mondiale et des réserves de change
mondiales, se
272 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
produit en 2002, c’est-à-dire exactement un an après l’entrée de la Chine
dans l’OMC. Par cette entrée, la Chine s’est en effet acquis tous les
avanta- ges de l’adhésion à l’OMC, mais sans en respecter les obligations
puisque bien évidemment la sous-évaluation massive de son taux de
change équi- vaut à un droit de douane sur les importations et à une
subvention à ses exportations, ce qui explique pour une large part les
excédents de sa ba- lance commerciale et l’énorme accumulation de ses
réserves de change.
Un point doit être ici mentionné qui souligne la responsabilité de la
politique monétaire de la Chine dans l’accélération de la croissance du
cré- dit observé aux États-Unis entre 2002 et 2007, et relativise au
contraire celle de la politique de taux adoptée par les autorités monétaires
américai- nes. Il s’agit de l’évolution comparée des taux d’intérêt à court
terme et des taux d’intérêt à long terme entre 2002 et 2007. Le
resserrement de la politi- que de taux par les autorités américaines
commence, comme nous l’avons vu, dans le courant de l’année 2004 et se
poursuivra jusqu’à la veille de la crise financière si bien qu’entre le
premier trimestre 2004 et le deuxième trimestre 2007, les taux courts sont
passés de 1,05 à 5,32 %, soit une hausse de 4,27 points. Normalement,
cette hausse des taux courts aurait dû con- duire à une hausse des taux
longs. Dans les phases précédentes de resserre- ment de la politique des
taux par la Réserve fédérale, on avait effective- ment observé une hausse
des taux longs : entre le troisième trimestre 1993 et le premier trimestre
1995, les taux courts étaient passés de 3 à 6,2 % et les taux longs étaient
passés de 5,6 % au quatrième trimestre 1993 à 7,8 % au quatrième
trimestre 1994. Et de même, les taux longs étaient passés de 4,7 à 6,5 %
entre le quatrième trimestre 1998 et le premier trimestre 2000 quand les
taux courts étaient passés de 5 % au premier trimestre 1999 à 6,6 % au
quatrième trimestre 2000. Or ici, la hausse de 4,27 points des taux courts
entre le premier trimestre 2004 et le deuxième trimestre 2007 ne s’est
accompagnée que d’une hausse de 0,83 point des taux longs qui pas-
sèrent pendant cette période de 4,02 à 4,85 %. Paradoxalement, c’est au
moment où, en 2004, la Réserve fédérale a commencé à durcir sa
politique de taux que l’on a observé un aplatissement de la courbe des
taux qui s’est poursuivi en 2005 pour aboutir à une inversion en 2006 et
2007. Autrement dit, le resserrement considérable de la politique de taux
américaine a été pratiquement sans effet sur les taux à long terme en
grande partie parce que le placement des réserves de change de la Banque
centrale de la Chine en bons du Trésor américains a stabilisé les taux
d’intérêt à long terme. Or il convient de remarquer que ce sont les taux
longs qui sont essentiels dans le financement de l’activité immobilière.
En ce sens, la politique monétaire adoptée par la Chine est directement
responsable de la bulle immobilière qui a conduit à la crise financière.
Est-ce à dire pour autant que les autorités monétaires américaines
n’ont aucune responsabilité dans la formation et l’explosion de cette
bulle, que leur seule faute ait été seulement d’avoir tardé à resserrer leur
politique de taux d’intérêt ?
À l’évidence, non.
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 273
Les autorités monétaires américaines ont commis deux fautes
majeures.
En premier lieu, alors qu’auparavant les crédits destinés à l’immobilier
étaient essentiellement à taux fixes, elles ont laissé se développer des cré-
dits à taux variables, donc liés au taux d’intervention de la Réserve fédé-
rale, et qui de plus étaient accordés sans discernement à des ménages dont
la situation financière était fragile (crédits subprimes). Ce faisant, la Ré-
serve fédérale s’est mise dans une situation de « squeeze » : ou elle
n’aug- mentait pas ses taux et dans ce cas, elle laissait l’économie subir
tous les inconvénients qui s’attachent à des taux trop faibles (surchauffe,
inflation) ou elle les augmentait, ce qu’elle fit, ce qui ne pouvait que
rendre insolva- bles le grand nombre de ménages que l’on n’avait
imprudemment laissé s’endetter, et par conséquent faire exploser la bulle
immobilière et déclen- cher la crise financière.
En second lieu, les autorités monétaires américaines n’ont pas prêté
une attention suffisante aux risques liés au développement des
innovations fi- nancières (SIV, conduits, produits complexes titrisés et
disséminés dans le système financier). Elles ont d’autre part poussé
beaucoup trop loin la dérégulation des institutions financières, comme par
exemple la décision prise en 2004, d’exempter pratiquement les banques
d’investissement de ratios d’endettement. Et le développement des
innovations, comme la dérégulation des institutions financières, a abouti,
dans le contexte d’ac- croissement de la liquidité, lié, comme nous
l’avons indiqué, aux déséqui- libres globaux de l’économie mondiale, à
un développement excessif du crédit, qui a nourri et s’est nourri de la
hausse du prix des actifs, conduisant finalement à la crise financière.
Par conséquent, la leçon que nous devons tirer de la crise, et le rapport
le dit très bien, c’est que les banques centrales ne doivent plus seulement
être atten- tives à l’évolution des prix à la consommation, mais qu’elles
doivent l’être aussi à celle du prix des actifs et par conséquent à
l’expansion du crédit.
Mais si, lorsqu’elles bornaient leur mission au maintien de la stabilité
conjoncturelle (inflation, chômage), les banques centrales pouvaient se
con- tenter de n’utiliser qu’un seul instrument, leurs taux directeurs, dès
lors qu’elles s’assignent une seconde mission, le maintien de la stabilité
finan- cière, c’est-à-dire du prix des actifs, elles doivent se doter pour
cela de nouveaux instruments.
Dans ces conditions, le rapport aboutit à deux recommandations
majeu- res : d’abord, ajouter une nouvelle mission aux banques centrales :
la sur- veillance du prix des actifs. Ensuite, par voie de conséquence,
ajouter de nouveaux instruments à la panoplie des instruments des
banques centrales.
Si ces recommandations sont peu contestables dans leur principe, doit-
on pour autant admettre, comme le rapport semble le penser, que leur
mise en œuvre permettrait d’éviter qu’une nouvelle crise financière,
semblable à celle que nous avons vécue, puisse se produire ?
Il est difficile de l’admettre pour plusieurs raisons.
274 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
Tout d’abord, l’expansion excessive du crédit qui a conduit à la crise
financière ne nous semble pas due essentiellement, comme le pense le
rap- port, à une politique de taux d’intérêt défectueuse de la Réserve
fédérale, ni même à une absence ou une insuffisance d’instruments
macro-prudentiels appliqués aux banques. Comme nous l’avons indiqué,
la cause, non pas unique, mais majeure de la crise financière que nous
avons connue réside dans les déséquilibres globaux de l’économie
mondiale dus eux-mêmes à la sous-évaluation massive de la monnaie de
la Chine. Ce sont ces déséqui- libres qui ont joué un rôle décisif dans
l’abondance de liquidité ayant con- duit à la crise. Et tant que ces
déséquilibres subsisteront, nous serons con- frontés au risque de
l’apparition et de l’explosion de bulles spéculatives. La seule solution
pour réduire ce risque de manière efficace réside dans une nouvelle
organisation monétaire mondiale, autrement dit dans une réforme du
système monétaire international, qui ne peut venir que d’une coopéra-
tion entre les différents gouvernements et banque centrales.
Ainsi, les conditions susceptibles de conduire à une expansion exces-
sive du crédit, et par conséquent du prix des actifs, restent toujours
présen- tes, hors du contrôle des banques centrales, prises une à une.
Cela étant, on peut penser, en suivant le rapport, qu’il appartient juste-
ment aux banques centrales de mettre en place les instruments permettant
d’éviter qu’une abondance de liquidité ne se traduise par une hausse
exces- sive du crédit et du prix des actifs.
Laissant de côté la difficile et quasiment insoluble question de savoir à
quel moment le prix d’un actif devient excessif, et par conséquent à quel
moment la Banque centrale doit intervenir pour en arrêter l’ascension, le
rapport suggère en particulier la mise en place de ratio « prêt sur valeur »
ou de réserves obligatoires progressives sur les crédits. On peut aussi pen-
ser à une utilisation plus active des réserves obligatoires sur les dépôts
comme à l’instauration d’un provisionnement dynamique ou au
renforcement des exigences en fonds propres et en liquidités. Si
l’utilisation de ces instru- ments apparaît a priori justifiée, il faut tout de
même souligner que leur efficacité n’est pas garantie, soit pour des
raisons techniques (les difficul- tés d’application des réserves obligatoires
sur les crédits sont bien connues qui avaient conduit la France à les
abandonner, l’existence d’un provisionnement dynamique n’a pas
empêché les difficultés rencontrées par les banques espagnoles), soit
surtout en raison de l’intégration des mar- chés financiers, qui est
désormais achevée au niveau mondial.
Et de fait la seule réglementation qui serait aujourd’hui efficace est
celle qui résulterait d’une coordination des banques centrales et des
autorités de régulation entre les États-Unis et l’Union européenne. Une
telle coopéra- tion apparaît cependant difficile à établir en raison de la
concurrence qui oppose les places financières de ces deux ensembles.
De sorte que même si des instruments prudentiels peuvent être mis en
place dans chacun de ces ensembles et, au-delà, dans les nations qui les
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 275
composent, on ne doit pas se faire d’illusion sur la capacité du système
financier mondial à empêcher l’apparition d’une nouvelle crise financière.
Et cela, d’autant plus que les mesures de réglementation mises en place
aux États-Unis, comme dans l’Union Européenne, qui visent à empêcher
la for- mation de nouvelles bulles de crédit, s’appliquent essentiellement
aux ban- ques, mais laissent de côté les institutions financières non
bancaires, le shadow banking system, qui a joué un rôle essentiel dans le
développement de la crise.
Le renforcement de la réglementation des banques, comme
l’alourdisse- ment d’obligations de capital ou l’interdiction de certaines
opérations, ris- que d’ailleurs d’être contre-productif et d’aboutir à un
transfert de certai- nes opérations des banques vers le shadow banking
system. Étant donné l’importance de la liquidité qui peut irriguer ce
système et l’intensité des liens qui le lient aux banques, on peut craindre
qu’il ne donne brusquement naissance à un choc systémique.
(2) Jegadeesh et Titman (1993) montraient que les titres qui s’étaient appréciés au cours
des trois à douze derniers mois avaient de fortes chances d’être des titres gagnants lors des
trois à douze mois suivants, et que symétriquement les titres en baisse au cours de la
période avaient de fortes chances d’être perdants dans les trois à douze mois suivants. Le
momentum désigne ainsi une poursuite de tendance anticipée par les investisseurs : ces
derniers achè- tent les titres dont ils anticipent que la hausse va se poursuivre et vendent
ceux dont ils anticipent la poursuite de la baisse.
280
tien de la liquidité bancaire à celui du prix des actifs. Par sa conception
asymétrique du « risk management », il a procuré une assurance gratuite à
l’ensemble du système financier, une sorte de « put » généralisé dont la
prime était nulle, source inépuisable d’aléa moral. Après lui, l’ensemble
des grandes banques centrales occidentales ont prolongé la même
politique à une échelle inconnue dans le temps et dans l’espace à partir du
déclenche- ment de la crise financière en août 2007. C’est bien pourquoi
la prise en compte de la stabilité financière dans la politique monétaire est
à entiè- rement repenser. Pour le faire, il faut d’abord résumer les
transformations de la finance qui ont grandement fragilisé les bilans des
intermédiaires hors de tout contrôle prudentiel et qui ont créé de
nouveaux canaux du risque systémique.
Montant de capital
pour que Montant de capital
la corrélation contra-cyclique
levier/prix actifs
soit < 0
Références bibliographiques
La surveillance macro-prudentielle
Charles A.E. Goodhart
Financial Markets Group, London School of Economics
1977-1991 1992-2009
NYSE 1,255553 4,389932
Prix immobiliers américains 0,838291 0,748006
Cours de change dollar/yen(*) 0,000368 0,000515
Cours de change dollar/livre sterling(*) 0,103489 0,066887
Bon du Trésor américain à 10 ans 0,894748 0,492445
Lecture : (*) Pour les données sur les cours de change, le filtre de Hodrick-Prescott a été
appliqué de 1971 à 2009.
Sources : Federal Reserve de St Louis, Prix immobiliers américains, cours de change et
bon du Trésor à 10 ans, Statistiques financières internationales (FMI) et NYSE S&P 500.
(1) Il est peut-être utile de rappeler la distinction entre la réglementation, qui consiste à fixer
des règles de conduite, et la surveillance, qui consiste à vérifier et assurer le respect de ces
règles.
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 299
auteurs de Bâle II était que cet accord permettait d’aligner beaucoup plus
étroitement les fonds propres réglementaires sur le capital économique
que les banques souhaitaient conserver de leur propre chef.
Il s’agissait cependant d’une stratégie peu judicieuse. Ce qui importe à
une banque commerciale, c’est comment se positionner dans des condi-
tions normales, dans lesquelles elle peut supposer (même s’il s’agit d’une
banque de grande taille) que l’environnement extérieur sera peu affecté
par ses propres actions. En cas de conditions réellement extrêmes, les
autorités devront de toute façon intervenir. Par ailleurs, une banque de ce
type ne se sent pas concernée par les éventuelles externalités que sa
faillite pourrait engendrer. Et c’est dans cette perspective-là que des outils
tels que la VaR ou les tests de résistance sont conçus. Mais les
préoccupations des régula- teurs auraient dû être très différentes et porter
exclusivement sur les externalités puisque les créanciers des banques
doivent normalement assu- mer les pertes « internalisées ». Elles auraient
dû tenir compte de la solidité du système dans son ensemble et pas tant
celle de la banque prise indivi- duellement, des covariances plutôt que des
variances, et des mécanismes interactifs auto-amplifiés plutôt que des
tests de résistance qui partent du principe que le monde reste invariant
aux propres réactions des banques (Brunnermeier et al., 2009).
Pourquoi les choses ont-elles si mal tourné ? D’abord, il y avait
souvent une croyance implicite selon laquelle, si on assure la sécurité des
compo- santes individuelles (banques) d’un système (bancaire), alors le
système dans son ensemble est à l’abri du danger (c’est ce qu’on appelle
une erreur de généralisation). Ensuite, plutôt que de réfléchir aux
questions fonda- mentales, les régulateurs et le CBCB ont eu tendance à
rafistoler le système en réponse aux critiques (et aux événements).
Régulateurs et superviseurs sont plus des pragmatiques que des
théoriciens, et les économistes, dont la plupart des modèles standard font
abstraction de l’intermédiation finan- cière et/ou des faillites, leur ont été
de bien peu d’aide !
En attendant, le lent et douloureux avènement de Bâle II n’a rien fait
pour freiner le cycle d’expansion du crédit et de l’endettement observé
jus- qu’en août 2007, ni pour empêcher sa contraction brutale et
destructrice par la suite. Les défaillances, la volatilité et les primes de
risque ont toutes atteint de faibles niveaux entre 2003 et 2006, et les notes
(attribuées par les agences de notation ou en interne) étaient élevées et sur
une pente ascen- dante. Les bénéfices et les fonds propres étant dopés par
l’application de la comptabilité au prix du marché, tous les modèles de
risque et les puissantes pressions du marché encourageaient les banques
et autres intermédiaires financiers à alourdir encore davantage leur
endettement, jusqu’à ce que les marchés s’effondrent en juillet-août 2007.
Il est désormais nécessaire de repenser l’application des ratios de
fonds propres, avec au moins cinq aspects à prendre en compte :
• la base sur laquelle le ratio doit s’appliquer, notamment s’il doit
s’agir d’un simple ratio de levier et/ou d’un ratio pondéré par les risques,
et son
300 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
application à des engagements particuliers, au hors bilan et à des lignes de
crédits inutilisées, aussi bien qu’aux éléments du bilan ;
• la définition de fonds propres applicables à cette fin ;
• dans quelle mesure le ratio doit-il être constant ou varier dans le
temps et en fonction de l’état de l’économie, auquel cas faut-il déterminer
la va- riation de façon discrétionnaire ou à partir d’une règle/formule
précise ;
• le niveau « normal » de ces ratios ;
• les sanctions applicables en cas de non-respect de ces niveaux.
Il y a désormais des réponses à certaines de ces questions. Compte
tenu de la facilité avec laquelle un ratio de fonds propres, pondéré ou non,
peut être manipulé (dans le premier cas en misant sur des actifs dont le
poids du risque est « optimiste » et, dans le second, en détenant des actifs
plus risqués au bilan tout en titrisant/vendant des actifs plus sûrs), la
dernière proposition du CBCB présentée en septembre 2010 par son
Président Nout Wellink, familièrement appelée Bâle III, doit tenir
simultanément compte de ces deux aspects. De nouveau, le traitement des
créances condi- tionnelles et des éléments hors bilan est durci mais,
compte tenu de la na- ture quelque peu confuse des engagements
conditionnels d’extension des prêts (contrats incomplets) à l’avenir, cet
aspect pourrait rester flou.
De la même manière, la définition des fonds propres applicables a été
restreinte. Plusieurs formes de dette hybride ou subordonnée qui étaient
de rang inférieur à ceux des dépôts et qui fournissaient donc une
protection en cas de défaillance sans pour autant l’empêcher, ne joueront
plus le rôle qu’elles avaient dans les fonds propres complémentaires (Tier
2), voire aussi dans les fonds propres de base (Tier 1). L’attention est
désormais focalisée sur les fonds propres de base et, à l’intérieur de ceux-
ci, le noyau dur (core- Tier 1) des fonds propres (capital + réserves).
Ensuite, les prochains ratios potentiels de Tier 1 et core-Tier 1,
pondéré et non pondéré (ratio de levier) seront plus exigeants, mais la
période de transition sera longue (jusqu’à la fin de 2018) pour tenir
compte de la ré- cession en cours, de l’affaiblissement du système
bancaire et de la lente croissance (voir du recul) des prêts bancaires au
secteur privé.
Les aspects les moins consensuels portent sur la question de savoir si
ces ratios doivent être constants ou variables dans le temps, et s’il faut
prévoir un barème de sanctions en cas de non-respect de ceux-ci. Sur
cette question, de nombreux banquiers centraux estiment que les autorités
de surveillance avaient déjà la possibilité de moduler de façon
discrétionnaire les exigences de fonds propres dans le cadre du second pilier
de Bâle II, que cette option demeure et répond à tous les souhaits dans ce
domaine. Face à cela, remarquons que le pilier 2 de Bâle II n’a que
rarement, voire jamais été activé, qu’il sera toujours soumis à la critique
du principe d’égalité, et que son activation sera quasiment toujours en
opposition directe avec les forces et les pressions du marché, ce qui en
fait une option (politiquement)
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 301
très impopulaire. À ce sujet, on peut affirmer qu’un mécanisme fondé sur
une « règle » ou une « formule » est nécessaire pour donner aux autorités
de surveillance la base et l’appui nécessaires pour introduire des ratios va-
riables. En réponse à la critique pertinente selon laquelle aucun éventail
de règles et formules ne pourra jamais englober correctement et
totalement la gamme infinie de possibilités futures, le principe « comply
or explain » pourrait s’appliquer, en vertu duquel si l’entité renonce à
respecter ces rè- gles et formules, elle doit le justifier.
La principale préoccupation systémique de bon nombre de chercheurs
est celle d’une expansion/contraction généralisée des prix des actifs au
sein de leurs systèmes financiers (nationaux/régionaux/sectoriels), qui
serait représentée par une expansion générale du crédit au secteur privé,
de l’en- dettement et de la hausse des prix des actifs, notamment dans le
secteur immobilier. Cela dit, la principale préoccupation d’un nombre
encore supé- rieur de politiciens et observateurs est la contribution
possible de chaque établissement financier (banque) à l’instabilité
potentielle de l’ensemble du système. Il conviendrait donc d’identifier les
intermédiaires financiers
« systémiques » à partir peut-être d’une combinaison (à ce jour, non déci-
dée) de critères de taille, activités et interconnexions, et de les
réglementer/ superviser différemment des autres. Et dans ce groupe
d’intermédiaires fi- nanciers « systémiques », le ratio de fonds propres
requis pourrait peut-être varier selon l’ampleur systémique mesurée
(d’après une méthode qui reste à déterminer) de l’intermédiaire en
question. Bien que cette évaluation soit nettement moins avancée que
celle des cycles d’expansion de l’endet- tement et du crédit, etc.,
l’application de ratios variables à chaque établis- sement « systémique » a
rencontré un écho largement plus favorable.
Compte tenu des difficultés liées à tout mécanisme de ratios de fonds
propres variables, d’autres méthodes destinées à avoir des effets contra-
cycliques sont également à l’étude. Citons notamment la procédure espa-
gnole de provisionnement dynamique, une formule qui se heurte
cependant aux réticences des autorités comptables et fiscales, qui
craignent qu’elle ne soit utilisée pour retarder le paiement des impôts. Les
comptables criti- quent en particulier le fait de fonder les provisions sur
des probabilités générales plutôt que sur des données spécifiques. Ils sont
toutefois soumis actuellement à de fortes pressions pour accepter ces
provisions générales, du moins pour la catégorie des actifs détenus
jusqu’à leur échéance, les- quelles provisions pourraient varier selon le
pays qui l’applique. Cette ap- proche comporte bien entendu de
nombreuses caractéristiques communes avec le ratio de fonds propres
variable, et il est probable que le choix de l’un ou l’autre soit déterminé
par des critères d’acceptabilité et de faisabi- lité. Les variations cycliques
des pertes attendues sont toutefois nettement inférieures à celles des
pertes inattendues, de sorte qu’il est nettement plus important d’ajuster les
fonds propres que les provisions(2). L’idéal serait d’avoir à la fois des
ratios de fonds propres variables et du provisionnement dynamique.
(2) C’est Rafael Repullo qui m’a fait remarquer cet aspect.
302 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE
Par le passé, l’approche du CBCB a comporté une faiblesse majeure, à
savoir la réticence à appliquer des sanctions. Comme la loi et les
sanctions sont une prérogative nationale, et puisque le CBCB n’a aucun
fondement formel et qu’il agit en qualité d’organe consultatif, il s’est
toujours abstenu de préconiser toute sanction en cas de non-respect de ses
propositions de ratios. La conséquence fâcheuse de cela est que
pratiquement tous les opé- rateurs du marché, agences de notation,
investisseurs et observateurs, et les régulateurs nationaux eux-mêmes
considèrent les ratios proposés par le comité de Bâle comme des minima
absolus dont le non-respect exposerait à de sérieux problèmes de
réputation. Le CBCB a depuis entrepris de recom- mander des sanctions
lorsque les fonds propres de base tombent à moins de 7 % des actifs
pondérés des risques.
Le fait de considérer les ratios requis comme des minima anéantit bien
sûr le rôle de tampon potentiel que devraient jouer les fonds propres
régle- mentaires, et cela a transformé le tampon utile en une marge
nettement plus exiguë au-dessus du ratio de fonds propres requis. C’est
sans doute le plus grand inconvénient de l’approche du CBCB jusqu’à
aujourd’hui. Malgré l’exemple de la loi américaine FDIC Improvement
Act (1991) qui a mis en place un barème judicieux de sanctions, le CBCB
s’abstient encore de prendre le taureau par les cornes.
(3) Ce point soulève une question secondaire : faut-il limiter l’échéance de la dette
publique à des niveaux que l’on peut considérer comme liquides ? J’estime que c’est
inutile, pour les raisons suivantes :
• toute dette est liquide au sens où elle est (quasiment toujours) négociable en grand
volume à de faibles écarts cours vendeur/acheteur, sans que cela modifie grandement les
prix pour le négociateur ;
• si le risque de taux d’intérêt n’augmente pas avec la duration, il peut être couvert de;
manière spécifique au moyen de swaps. C’est le risque de taux d’intérêt de l’ensemble du
portefeuille de la banque qui importe, et pas celui de chaque élément composant ce derniere
• dès lors que l’on a confiance en la stabilité future des prix, comme au XIX e siècle, les
rendements longs ont tendance à fluctuer très peu lorsque les taux courts changent. Au
XIX siècle au Royaume-Uni, les consols étaient largement considérés comme les actifs les
plus liquides qu’une banque puisse détenir après les espèces ;
• tout seuil au-delà duquel une telle dette ne serait pas jugée liquide serait non
seulement arbitraire, mais il provoquerait également une distorsion des marchés.
(4) Remarquons que l’imposition de taxes ex post, c’est-à-dire une fois la crise passée, sur
les banques survivantes n’aura pas un effet aussi bénéfique et présentera d’ailleurs
d’autres inconvénients.
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 307
2.1.3.2. Une base élargie ?
L’objectif de l’introduction de ratios renforcés de fonds propres et de
liquidité sur les banques est de réduire le type de risque systémique dont
les économies ont déjà souffert. Mais la faillite d’intermédiaires financiers
autres que des banques peut aussi avoir des implications systémiques.
Aux États- Unis en effet, les problèmes ont concerné principalement les
établissements non bancaires, comme les maisons de courtage/négociation
tels que Lehman Brothers et Bear Stearns (bien que les deux sociétés
survivantes de cette catégorie soient aujourd’hui devenues des banques),
les compagnies d’as- surance telles qu’AIG, les rehausseurs de crédit, les
institutions financières spécialisées d’intérêt public Fannie Mae et Freddie
Mac, ou encore les fonds monétaires (comme le Reserve Primary Fund
après la faillite de Lehman Brothers).
Une approche qui sera peut-être plus explicite aux États-Unis qu’en
Europe avec la loi Dodd-Frank Act de juillet 2010, consiste à désigner un
groupe d’intermédiaires financiers comme étant systémiques, et de leur
appliquer la réglementation macro-prudentielle. Mais comment définir ou
calibrer les établissements entrant dans cette catégorie ? Et celle-ci ne se-
rait-elle pas soumise à un changement constant en fonction des
conditions, de l’innovation, etc. ? Au moins la ligne d’analyse aux États-
Unis est-elle rationnelle, tandis qu’en Europe, les propositions
d’expansion de la régle- mentation (macro-prudentielle) au-delà du
système bancaire semblent être davantage liées à la popularité politique
des établissements concernés qu’à leur capacité de déclencher une crise
systémique. Ainsi, la principale idée en Europe est d’étendre les contrôles
réglementaires aux fonds spéculatifs et au fonds de capital-investissement,
dont la capacité à engendrer une faillite systémique est limitée (malgré le
cas LTCM), tandis que l’intérêt pour les compagnies d’assurance (et
réassureurs) et les fonds communs de place- ment est nettement moindre.
Conclusion
Il est nécessaire d’introduire des instruments macro-prudentiels
contra- cycliques. Cela dit, cet exercice sera difficile et son succès loin
d’être ga- ranti. Au moins le Comité de Bâle, et dans une moindre mesure
la Commis- sion européenne, se dirigent désormais dans la bonne
direction. Espérons qu’avec le CERS, ils parviendront à améliorer
sensiblement les conditions pour parvenir à la stabilité financière.
Références bibliographiques
***
***
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 319
Venons-en à la coopération en tant que mode de gouvernance. La
coo-
pération constitue-t-elle un mode de gouvernance viable ? Est-ce que
cela ne conduit pas, finalement, à la mise en place de règles extrêmement
limi- tées parce qu’il faut mettre tout le monde d’accord ?
Pour avoir une gouvernance, il faut évidemment une coopération. Il
n’y aurait pas une Constitution française, s’il n’y avait pas eu une
coopération entre les Français pour avoir une Constitution commune. Donc,
la coopération
– c’est-à-dire la volonté de vivre ensemble et de régler ses problèmes par
d’autres moyens que par la force et l’armée – est indispensable. C’est un
concept qui fait partie de la notion même de la gouvernance. Mais, au-
delà de cette base, on peut avoir une gouvernance fondée sur le principe de
la coopé- ration, ou bien une gouvernance fondée sur le principe de
décisions com- munes prises à la majorité si nécessaire et qui s’imposent
à tout le monde :
• la première voie est une voie dans laquelle une action commune ne
se fait que lorsque tout le monde est d’accord. C’est en effet une
coordination car il n’y a pas un seul acteur de gouvernance mais plusieurs
qui essaient de se concerter. C’est le cas dans beaucoup de domaines,
mais ce n’est pas le cas de la BCE, sauf en matière de supervision
financière ;
• l’alternative est d’avoir une autorité avec un organe collégial, au
sein duquel il y aura bien sûr des désaccords et des débats, mais qui
prendra à la fin des décisions par un vote.
Pour moi, la première formule, que l’on appelle coordination, est
ineffi- cace ou vouée à l’inefficacité chaque fois qu’il y aura désaccord,
ce qui est bien souvent le cas. La deuxième formule est une formule forte,
efficace, mais qui suppose que les pays acceptent de se conformer à une
décision commune, même quand ils ont été minorisés dans un vote, ce qui
toutefois est refusé par la plupart.
Mais ce n’est pas non plus une solution complètement utopique : elle
existe, par exemple, au Fonds monétaire international, où les décisions
sont prises ainsi. C’est vrai que les États-Unis ont un quota qui leur assure
de facto un droit de veto dont ils n’ont toutefois jamais vraiment fait
usage. Quand on sait que, à la fin, il y aura un vote, on finit par trouver
l’accord ; mais quand on sait que, à la fin, il y aura un veto, on ne le
cherche même pas. La coopération, quant à elle, n’est qu’un préalable.
***
***
***
***
Dans plusieurs de vos écrits, vous défendez l’idée que si les banques
centrales ont gagné leur indépendance vis-à-vis du pouvoir politique, il
est beaucoup moins évident, en revanche, qu’elles aient gagné leur
indépen- dance vis-à-vis du marché et des économistes.
Effectivement. La politique économique de régulation s’est battue
pour gagner son indépendance vis-à-vis du pouvoir politique mais, à
certains égards, elle est tombée entre les bras du marché et des intérêts
privés. La fascination du marché a contaminé l’action publique.
Et vous pensez que les économistes ont une responsabilité en la matière ?
Oui, ils ont une responsabilité. Ils ont construit cette fascination. Ils
ont eux-mêmes perdu leur indépendance. Les économistes qui se
contentent de faire de la science sont de plus en plus rares.
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La crise amènera-t-elle selon vous à un élargissement du périmètre
d’ac- tion des banques centrales ? Si oui, vers quel nouveau cadre
opérationnel les banques centrales vont-elles aller ?
Il n’y a jamais un seul futur. La Banque centrale doit être la gardienne
de la monnaie dans ses trois fonctions : numéraire, moyen de paiement et
réserve de valeur. L’interprétation de la fonction des banques centrales
dans les derniers vingt-cinq ans s’est focalisée presque exclusivement sur
la fonc- tion du numéraire, celle de la stabilité des prix. La question du
système des paiements est devenue importante. Elle a été reconnue, mais
c’est une fonc- tion d’ingénieur plutôt que d’économiste, ce qu’on appelle
le plan B du système. La fonction de réserve de valeur est quant à elle
confiée à l’auto- rité de supervision financière. À mon avis, il faut
renouer avec une notion unitaire de la monnaie et comprendre que la
Banque centrale est gardienne de la monnaie dans toutes ses fonctions, ce
que la crise a exactement mon- tré en le réimposant aux banques
centrales. Par exemple, quand il y a une paralysie des paiements, la
Banque centrale fournit la liquidité pour que la vitesse de circulation,
tombée à quasi-zéro, soit compensée par une quan- tité de monnaie
accrue. Et la stabilité s’est imposée comme une responsabi- lité majeure
des banques centrales, même quand elles ne sont pas en charge de la
supervision. Ce périmètre élargi ou cette récupération de la totalité de la
responsabilité monétaire des banques centrales va, à mon avis, remettre
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 323
en perspective la fonction de politique monétaire, fonction qui
jusqu’alors
concentrait toute l’attention des banques centrales. Il faut dire aussi que
les banques centrales sont nées il y a deux cents ans et que l’on a
commencé à parler de politique monétaire seulement depuis cinquante
ans à peu près.
Autrement dit, vous envisagez un élargissement des prérogatives des
banques centrales, afin qu’elles soient chargées à la fois de la stabilité
monétaire et de la stabilité financière, au-delà de ce qu’elles font déjà en
matière de stabilité financière ?
Oui, j’envisage un tel élargissement et surtout une reconnaissance con-
crète. En situation de crise difficile, la Banque centrale se redécouvre
char- gée de ces trois fonctions et non pas d’une seule. Il ne s’agit pas de
les lui rendre mais de reconnaître qu’elles sont là.
Un nouveau cadre opérationnel sera-t-il nécessaire, selon vous, pour
permettre cet élargissement ?
Je pense que oui. Chaque Banque centrale fera son examen de cons-
cience, son analyse de la crise. Les chercheurs et l’Académie vont aussi
probablement remettre en question quelques-uns des éléments de
consensus. À la veille de cette crise, le monde académique était, « aligné et
couvert », comme on dit en termes militaires, derrière un paradigme «
prévisibilité
– stabilité des prix ». Quelle était l’attention portée à la fonction de paie-
ment « on la cherche en vain •ainsi que l’importance de la monnaie, dans
un sens plus général ? À mon avis, ces questions-là sont de nouveau d’ac-
tualité en raison de l’expérience de la crise qu’il faudra savoir lire.
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Dans votre ouvrage Contre la courte vue, vous mettez en avant la part
de responsabilité du régime monétaire international dans la crise
actuelle. Vers quel autre régime monétaire faudrait-il aller ?
Parmi les déterminants profonds de cette crise, on trouve la politique
du dollar et plus généralement, le régime monétaire en vigueur à l’échelle
mondiale depuis presque 40 ans. À l’opposé de celui de Bretton Woods,
ce régime n’est pas en mesure de garantir une discipline
macroéconomique, car en l’absence d’une ancre monétaire acceptée par
tous, il favorise la persistance de dynamiques insoutenables, qui
conduisent à des crises de plus en plus graves.
La critique de Robert Triffin portant sur un système monétaire interna-
tional fondé sur une politique monétaire exclusivement nationale est tou-
jours valable, même si elle nécessite aujourd’hui une formulation plus gé-
nérale qui tienne compte de l’anarchie des changes et d’une pluralité de
politiques monétaires influentes. La question de l’ordre monétaire ne
reçoit pas l’attention qu’elle mérite et l’on doit s’en préoccuper
davantage.
6. Compléments
Trois compléments ont été réalisés pour ce rapport. Le premier de
Michel Aglietta remet fermement en question la doctrine du ciblage d’in-
flation et défend une politique monétaire élargie à l’objectif de stabilité
financière, plus sensible aux dérapages du crédit et à l’essor du prix des
actifs. Le deuxième, réalisé par Charles Goodhart, offre une analyse très
complète des instruments de la politique macro-prudentielle. Le troisième
s’appuie sur un entretien que Tommaso Padoa-Schioppa avait accordé
aux auteurs en juin 2010. Y est notamment abordé un thème qui lui était
cher, celui de la gouvernance des institutions internationales et, tout
particulière- ment, des comités de supervision au sein desquels les
décisions sont prises sur le principe de la coopération exigeant que tout le
monde soit d’accord. Il plaidait pour une autre gouvernance, fondée sur le
principe de décisions communes prises à la majorité si nécessaire et
s’imposant à tous. Tommaso Padoa-Schioppa est décédé brutalement en
décembre 2010. Ce rapport lui est dédié.
7. Commentaires
Jean-Pierre Vesperini situe l’origine de la récente crise financière bien
plus dans les déséquilibres monétaires internationaux et, plus particulière-
ment, dans l’accumulation des réserves de change des pays émergents,
que dans des erreurs de politique monétaire. À cet égard, il doute que des
amé- nagements, voire des changements au seul niveau du central
banking, puis- sent constituer un rempart solide contre de futures crises.
Pour Daniel Cohen, le débat proposé par le rapport est au fond celui
de savoir quels sont les nouveaux compromis devenus nécessaires entre
la régulation macroéconomique, l’inflation tout court et celle du prix des
actifs. Faut-il des règles stables, sur le modèle de la règle de Taylor, faut-
il donner aux banques centrales un certain pouvoir discrétionnaire, et si
oui lequel ? À ces questions, il répond qu’un certain pouvoir
d’appréciation
BANQUES CENTRALES ET STABILITÉ FINANCIÈRE 333
devra être laissé aux banques centrales et qu’elles devront utiliser
plusieurs
leviers, le seul taux d’intérêt ne suffisant pas. En cas de bulle, Daniel Co-
hen n’est pas sûr que ce soit aux seules autorités monétaires d’agir. Il pré-
conise un recours à la politique fiscale (en influençant le taux d’apport
personnel, par exemple). Le central banking de demain devra éviter les
biais, tant le biais inflationniste des politiques monétaires d’inspiration
key- nésienne que le « Greenspan put » qui a nourri l’instabilité
financière.
7. Comments
Jean-Pierre Vesperini places the origin of the recent financial crisis
much more on international monetary imbalances and, more particularly,
in the accumulation of foreign exchange reserves of emerging countries,
than in errors of monetary policy. In this regard, he doubts that
accommodations or changes at the central banking level alone can be a
sufficient bulwark against future crises.
According to Daniel Cohen, the argument proposed by the report is
essentially to decide what new and necessary compromises have emerged
between macroeconomic regulation, simply inflation and that of asset
prices. Are stable regulations modelled on the Taylor rule required?
Should central banks be given a certain discretionary power, and if so
which power? To these questions, he answers that some margin of
discretion should be left to central banks and that these banks should use
several instruments as the interest rate alone is insufficient. If there is a
bubble, Daniel Cohen is not sure that monetary authorities should act
alone. He advocates the use of fiscal policy (by influencing the personal
investment rate, for example). The central banking of the future will
avoid the bias of both Keynesian monetary policy and the Greenspan Put
which stoked financial instability.
Cellule permanente
Christian de Boissieu
Président délégué du Conseil d’analyse économique
Pierre Joly
Secrétaire général
Jézabel Couppey-Soubeyran
Conseillère scientifique
Microéconomie
Économie financière
Stéphane Saussier
Conseiller scientifique
Économie des institutions
Économie des partenariats public/privé
Thomas Weitzenblum
Conseiller scientifique
Macroéconomie
Économie de la redistribution