Critique Quant À La Réalité Même Du Caractère Existantial de La Précompréhension (Bultmann)
Critique Quant À La Réalité Même Du Caractère Existantial de La Précompréhension (Bultmann)
Critique Quant À La Réalité Même Du Caractère Existantial de La Précompréhension (Bultmann)
En effet, Bultmann déduit l’existence de la précompréhension comme existential en remarquant que chez
Dilthey et Schleiermacher l’interprétation suppose d’accepter la commune nature ou parenté entre
l’interprète et l’interprété, condition sine qua non d’une possible remontée vers les « états d’âme » d’un
auteur.
C’est parce que l’interprète partage une même nature humaine qu’il est en mesure de mimer au-dedans de
lui-même le mouvement d’âme de l’auteur et qu’il peut ainsi espérer comprendre le sens de son propos
(littéraire, artistique, etc…). Bultmann déduit :
1. Il y a donc nécessairement une sorte de précompréhension, c’est-à-dire une forme de savoir
(conscient ou inconscient) antérieure à tout effort de compréhension qui habite en l’homme et qui
porte sur l’homme : c’est parce que l’homme précomprend ce qu’est l’homme qu’il est en mesure
de comprendre objectivement le propos d’un autre homme.
2. Si la précompréhension a été intuitionnée par Dilthey et Schleiermacher (dans la mesure où il s’agit
d’un présupposé tacite de leur herméneutique), il demeure qu’ils en sont restés à questionner
seulement la « vie », la « vie de l’âme », « la vie historico-personnelle » des auteurs. En somme, ils
ont posé une seule et unique question : une question d’ordre psychologique.
3. Or, toute question (et non seulement une question à visée psychologique) que l’on pose à un texte
suppose une précompréhension de la chose sur laquelle on interroge le texte.
a. Ainsi, s’il était évident (pour Dilthey et Schleiermacher) qu’il nous faut précomprendre la
psychologie humaine pour comprendre la psychologie de l’auteur
b. Il en va de même pour toute autre chose à comprendre : il faut nous précomprendre les
mathématiques pour comprendre un texte portant sur les mathématiques. Idem pour tout
autre sujet…
Leur fondement herméneutique, la possibilité même de l’herméneutique s’ancre pour eux dans la nature
humaine :
- Schleiermacher : « l’individualité de l’interprète et celle de l’auteur ne s’opposent pas comme deux
faits incomparables ». Au contraire « elles se sont toutes les deux formées sur le fondement de
l’universelle nature humaine, ce qui rend possible une communauté de discours et de
compréhension entre les hommes »
- Dilthey : le fondement de la compréhension « est que d’aucune manifestation individuelle
étrangère à celui qui comprend ne peut surgir quelque chose qui ne serait pas contenu dans la vie
de ce dernier ».
Mais il ne s’agit là que d’un même appareil compréhensif : celui que constitue l’humanité. La prémisse est
somme toute banale et de sens commun. Schleiermacher et Dilthey posent-ils vraiment une question
psychologique aux œuvres qu’il s’agit de comprendre ? Ne s’agit-il pas plutôt pour eux de ne pas poser de
question précise et de s’attacher seulement à comprendre de manière holistique une œuvre en ayant pour
fondement de l’entreprise le seul dénominateur commun avec l’auteur notre commune nature humaine ?
Autrement dit, ne s’agit-il pas seulement d’accueillir le propos global de l’œuvre plutôt que de questionner,
et par là parcelliser, l’œuvre ?
à cet égard l’exemple de la communication orale est parlant : lorsque je discute avec autrui et
qu’il m’incombe , à un moment donné de l’échange, d’écouter mon interlocuteur. Questionné-
je son propos ? Interrogé-je son propos ? Ne me cantonné-je pas de le recevoir ? Je ne
comprends certainement pas aussi bien le propos que ce qu’il a voulu être dit, ceci en raison de
mon conditionnement, des biais interprétatifs, des multiples sens des mots… Plus encore, le
propos n’a peut-être pas été dit aussi bien que le locuteur aurait aimé le dire., ajoutant ainsi au
hiatus inhérent à toute communication. Mais fondamentalement, je suis en position passive
(d’écoute), à ceci près que cette passivité est active car il en va de ma responsabilité de la
configurer de sorte à recevoir proprement ce qui est dit, c’est-à-dire à recevoir sans déformer.
En somme, il ne me parait pas évident que tout acte de compréhension suppose une nécessaire
précompréhension de la chose à comprendre. Il ne me semble pas évident que la précompréhension soit un
existential.
Bultmann explique que « l’interprétation de la Bible n’est pas soumise à d’autres conditions de
compréhension que celles auxquelles toute autre littérature est soumise ». Ainsi, son concept de
précompréhension trouve à se déployer sans nuance sur les textes bibliques et à Dieu lui-même.
Lorsque Bultmann illustre son propos en citant Augustin il parait déformé son propos (« Tu nos fecisti ad
Te, et cor nostrum inquietum est, donec requiescat in Te » (c’est toi qui pousses l’homme à prendre plaisir
à te louer, parce que tu nous as faits orientés vers toi. Notre cœur est sans repos tant qu’il ne repose pas en
toi) en ne retenant que la dynamique interne, l’aspiration de tout homme à connaître Dieu. Or, Augustin
souligne que cette orientation est le fait de Dieu lui-même : qui est-ce qui pousse l’homme ? « c’est Toi ».