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These BONNOT Marie 2020

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Le récit de rêve des surréalistes à nos jours

Marie Bonnot

To cite this version:


Marie Bonnot. Le récit de rêve des surréalistes à nos jours. Littératures. Université de la Sorbonne
nouvelle - Paris III, 2020. Français. �NNT : 2020PA030006�. �tel-03151535�

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teaching and research institutions in France or recherche français ou étrangers, des laboratoires
abroad, or from public or private research centers. publics ou privés.
UNIVERSITÉ SORBONNE NOUVELLE – PARIS 3

École doctorale 120 – Littérature française et comparée

UMR 7172 THALIM (PARIS 3/CNRS/ENS)


Théorie et Histoire des Arts et des Littératures de la Modernité

Thèse de doctorat de Littérature française

Marie BONNOT

LE RÉCIT DE RÊVE
DES SURRÉALISTES À NOS JOURS

Thèse dirigée par Alain Schaffner

Soutenue le 24 janvier 2020

Jury :
Mme Marie-Paule BERRANGER (Professeure à l’Université Sorbonne Nouvelle -Paris 3)
Mme Myriam BOUCHARENC (Professeure à l’Université Paris Nanterre)
Mme Nathalie PIÉGAY (Professeure à l’Université de Genève)
M. Jacques POIRIER (Professeur émérite à l’Université de Bourgogne)
Mme Christelle REGGIANI (Professeure à Sorbonne Université)
M. Alain SCHAFFNER (Professeur à l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3)
2
3
4
Le récit de rêve des surréalistes à nos jours

Le XXe siècle constitue un tournant épistémologique majeur dans l’histoire de la pensée


du rêve. De la Traumdeutung de Freud, qui ouvre le siècle, à la remise en cause des théories
psychanalytiques, notamment par les neurosciences, nombreux sont les discours qui se
développent sur cet objet énigmatique. Héritier d’une tradition savante et dialoguant volontiers
avec les autres disciplines, le récit de rêve littéraire observe, au tout début du XXe siècle, une
mutation profonde qui lui permet de s’affranchir d’un cadre fictionnel plus large et de gagner
son autonomie. Pendant nocturne du journal intime ou miscellanées de textes d’une
« inquiétante étrangeté », ces écrits, explicitement présentés comme issus de rêves authentiques,
se distinguent par leur position volontairement ambiguë, à la frontière de catégories formelles
poreuses, entre pure fiction et témoignage d’expérience, écriture intime et fantaisie débridée.
De Paulhan et des surréalistes (Breton, Desnos, Leiris) à des auteurs contemporains (Marcel
Béalu, Frédérick Tristan) en passant par Yourcenar, Michaux ou encore Queneau et Perec, se
dessine ainsi l’histoire d’un genre, celui du récit de rêve.
Pour examiner les conditions qui permettent l’élaboration de ces productions oniriques
et en assurent la littérarité, l’étude de cette écriture du rêve adopte une double perspective.
D’une part, elle envisage le rapport de la littérature avec les discours de savoir. Elle examine
ainsi la difficile conciliation entre expérience du rêve, théorie du rêve et narration du rêve et
cherche à comprendre quelles réponses la littérature a pu opposer ou proposer aux divers
discours portés sur ce sujet. D’autre part, elle interroge le statut littéraire de ces textes et propose
une analyse esthétique plurielle de ces écrits à la marge de l’élaboration consciente et à la
rencontre des formes et des genres.

Mots clés : Littérature française du XXe siècle ; Récit de rêve ; Littérature et psychanalyse ;
Littérature et sciences ; Écritures du moi ; Surréalisme ; Jean Paulhan ; André Breton ; Robert
Desnos ; Henri Michaux ; Michel Leiris ; Georges Perec ; Marcel Béalu ; Frédérick Tristan.

5
Narrating dreams from surrealism to the present

This dissertation aims to present a history of the literary genre of the dream narrative,
as it unfolded within French writing throughout the 20th century.
The first part of the dissertation is dedicated to epistemology. It shows that in France
theories of dreaming influenced literary theory, and vice versa, from the 1920s onwards. We
first shed light on that dialectics by analysing the attitude of writers as self-proclaimed dream
specialists, as compared with scientists. In doing so, we show the epistemic limitations of these
accounts of dreams, as they struggle to qualify as scientific documents. We also delineate the
ways in which writers try to assert their legitimacy in the face of scientific and psychoanalytic
discourses. Finally, we suggest that literature does contribute to our understanding of dreams
by proposing its own singular, specific approach to them. And in return, we show how writers
focusing on dreams are led to conceive of their own art in a new way.
The second part of the dissertation tackles the aesthetics of dream narratives. It
highlights the wide variety of these texts, from surrealistic recollections of dreams by André
Breton, Paul Eluard or Robert Desnos, to contemporary fictional short stories by Marcel Béalu
or Frédérick Tristan. Conflicted definitions of dream narratives emphasise the non literariness
of the genre while others point to its poetic and literary quality. It then focuses on Michel
Leiris’s work and the formalistic approach developed by Georges Perec and Raymond Queneau
in the 1960s ans 1970s, and eventually identifies Jean Paulhan’s new manner of narrating
dreams, which inspired Henri Michaux, Marcel Béalu and Frédérick Tristan. These later texts
are not only inspired by true dreams but let us read as if they were.
Overall, the thesis emphasises the social and artistic function of the dream, which we
apprehend as a means of understanding the enigmatic state of consciousness that is sleep.

Keywords : French Literature of XXth century ; Acounts of dream ; Literature and


psychoanalysis ; Literature and sciences ; Self-writting ; Surréalisme ; Jean Paulhan ; André
Breton ; Robert Desnos ; Henri Michaux ; Michel Leiris ; Georges Perec ; Marcel Béalu ;
Frédérick Tristan.

6
REMERCIEMENTS

Je souhaite remercier mon directeur de thèse, Alain Schaffner, qui m’a accompagnée
depuis mes débuts de chercheuse. Ses conseils, sa bienveillance et sa confiance m’ont aidée à
parcourir ce chemin.
Ma vive reconnaissance va également à Marie-Paule Berranger, qui m’a toujours prêté
une oreille attentive au sein du laboratoire Thalim, ainsi qu’à Myriam Boucharenc, Nathalie
Piégay, Jacques Poirier et Christelle Reggiani pour avoir accepté de faire partie de ce jury de
thèse.
Je remercie Danièle Leclair et tous les collègues de l’IUT de Paris pour leur accueil
chaleureux, leur enthousiasme et leur compréhension. Ils m’ont permis de terminer cette thèse
dans les meilleures conditions.
J’ai la plus grande gratitude envers mes parents et l’ensemble de ma famille, jusqu’aux
plus petits, pour leur soutien sans faille depuis le début de mes études de lettres.
Mon expérience du doctorat, enfin, n’aurait pas été ce qu’elle fut sans les rencontres,
amicales et scientifiques, et les amis, relecteurs et confidents, qui, depuis tant d’années,
rêvassent avec moi. Un merci tout à fait spécial à Aude Leblond qui a participé, par nos longues
conversations, à l’élaboration de ma pensée, à Marie Sorel pour son énergie et sa clairvoyance,
à Anaëlle Touboul avec qui je partage le goût des sciences de la psyché. Merci encore à Camille
Koskas et Ariane Mayer pour leurs utiles relectures.

7
8
L’encre somnambule va, vient, vibre. Dans ses
tentacules le trait noue son parcours au blanc
du silence. Que raconte-t-elle au-delà du récit,
cette main du rêve, dans l’inachèvement de sa
promesse ?

Frédérick Tristan, Brèves de rêves

9
10
INTRODUCTION

11
12
 

la fin de sa vie, le philosophe Gaston Bachelard, dans une note de

À l’introduction à La Poétique de la rêverie, confie sa gêne à l’égard des récits


de rêves :

Bien souvent, je le confesse, le raconteur de rêve m’ennuie. Son rêve


pourrait peut-être m’intéresser s’il était franchement œuvré. Mais entendre un
récit glorieux de son insanité ! Je n’ai pas encore tiré au clair,
psychanalytiquement, cet ennui durant le récit des rêves des autres. J’ai peut-
être conservé des raideurs de rationaliste. Je ne suis pas docilement un récit
d’une incohérence revendiquée. Je soupçonne toujours qu’une part des sottises
rapportées soient des sottises inventées1.
Pourtant grand gardien de la rêverie, l’auteur du Droit de rêver2 décèle dans les récits de rêves
plus d’une difficulté de lecture et source d’inconfort. Il perçoit d’abord que ceux-ci requièrent
un effort de décentrement de la part du lecteur pour porter son attention sur un objet non
seulement étranger mais encore éminemment trivial ; s’intéresser aux rêves des autres est
toujours moins intéressant que d’ausculter les siens propres. Il y soupçonne ensuite quelque
supercherie : dans un système où l’une des prémisses voudrait que la valeur d’un récit de rêve
soit indexée sur la fiabilité de son témoignage, il récuse le rêve non authentique, et donc
doublement inventé. Il craint enfin de voir sa lecture achopper sur le non-sens : lieu par
excellence de l’incongru, du fragmentaire et l’illogisme, le rêve se prête mal à la narration.
Textes sans intérêt, fallacieux et illisibles, les récits de rêves semblent ainsi promis à l’échec de
l’expression, au ratage de la transmission, à l’ennui. « Que les rêves soient intéressants n’est
pas donné3 », pourrait-on commencer par remarquer, avec Pierre Pachet4.

1
Gaston Bachelard, La Poétique de la rêverie (1960), PUF, coll. « Quadriges », 2016, note p. 10.
2
Gaston Bachelard, Le Droit de rêver (1970), PUF, coll. « Quadriges », 2013.
3
Pierre Pachet, Nuits étroitement surveillées. Études psychologiques, Gallimard, coll. « Le Chemin », 1980, p. 14.
4
Plus récemment, ce constat est encore partagé par Emmanuel Carrère qui, dans sa préface à 82 rêves pendant la
guerre 1939-1945 d’Emil Szittya, écrit : « Il n’empêche qu’en racontant un rêve, dans la vie ou dans un livre, on
est à peu près sûr d’exposer son public à un ennui massif. Henry James, sur ce point, était formel : “Tell a dream,

13
« Si le rêveur avait “du métier”, avec sa rêverie il ferait une œuvre. Et cette œuvre serait
grandiose puisque le monde rêvé est automatiquement grandiose5 », continue Bachelard. On
entend, dans les mots du philosophe, la discordance entre une représentation du rêve comme
phénomène extraordinaire et la réalité médiocre des textes. Le songe, étincelant ou terrifiant,
pourvoyeur de merveilleux, de fantastique ou de romanesque n’avorterait que de récits
inaboutis, absurdes ou ternes, et qui ne renderaient rien de la grandeur de l’expérience. Mais la
rêverie n’est pas le rêve6, et s’il faut « du métier » à l’auteur qui se donnerait pour tâche de faire
œuvre de la première, on ne doute pas qu’il faille plus de travail encore à celui qui s’attacherait
à partager le second.

Le rêve, une notion labile entre savoirs et expérience

Ces quelques lignes de Bachelard font saisir la difficile adéquation entre l’expérience,
le récit et le savoir du rêve, trois aspects particulièrement intriqués dans l’appréhension de la
notion. Le rêve est aujourd’hui défini par les spécialistes de la cognition, comme Jacques
Montangero.

Le rêve est un ensemble de représentations pendant le sommeil donnant lieu


à un phénomène d’hallucination, relevant souvent de la modalité visuelle ou
imagée. Tout en étant conscientes, ces représentations ne sont pas contrôlées
intentionnellement. Elles mettent souvent en scène la personne qui rêve, et
constituent un enchaînement de contenus originaux qui a des aspects narratifs.
Ces représentations peuvent comporter des bizarreries et être accompagnées
d’émotion7.
Plus couramment, le terme désigne aussi bien l’« activité psychique pendant le sommeil8 » que
l’ensemble des représentations (images du rêve) et des souvenirs que le dormeur en garde.
Significativement, Le Grand Robert de la langue française laisse percevoir cette pluralité dans
la définition qu’il en donne : « suite de phénomènes psychiques se produisant pendant le
sommeil (images, représentations ; activité automatique excluant généralement la volonté9) ».
Aussi, le récit de rêve devrait-il avoir pour charge de concentrer dans ses mots ces trois
dimensions (l’activité cognitive, son produit onirique et son souvenir) et le XXe siècle, plus que

lose a reader.” » Emmanuel Carrère, « préface », Emil Szittya, 82 rêves pendant la guerre 1939-1945, Allary
éditions, 2019, p. 7.
5
Gaston Bachelard, La Poétique de la rêverie, op. cit., p. 11.
6
Nous reviendrons plus loin sur cette distinction.
7 Jacques Montangero, Rêve et cognition, Margada, 1999, p. 7.
8
Article « rêve », Le Grand Robert de la langue française : dictionnaire alphabétique et analogique de la langue
française, dir. Alain Rey, Le Robert, 2001.
9
Idem.

14
tout autre, a voulu les saisir ensemble en plaçant l’écriture au plus près du moment du rêve
efficient.
On prendra le terme « rêve » dans son sens le plus strict, laissant de côté les acceptions
métaphoriques ou secondaires du mot : le « rêve » sur lequel on se penchera, et dont les textes
que l’on étudiera sont chargés de faire le récit, sera le rêve-songe. Si parfois ils viendront le
seconder, on ne s’attardera ni sur le rêve-désir, ni sur le rêve comme échappatoire à la réalité.
Le rêve n’est pas non plus à confondre avec des expériences proches de conscience altérée10 :
il n’est ni la rêverie11, ni le fantasme, produits d’une conscience encore éveillée ; il n’est pas
non plus l’hallucination, la folie ou le délire, fonctionnements pathologiques de la psyché. Bien
sûr, ni la littérature ni le réel des expériences psychiques n’étant si hermétiques et tranchés que
la rigueur des études pourrait le souhaiter, nous serons parfois contrainte à envisager ces états
dans un continuum plus que dans le départ de catégories discrètes. Dans les textes, le rêve
voisine avec d’autres états seconds, ce qui nous amènera à examiner les effets de contamination,
de rapprochement, d’analogie mais aussi de distinction.
Le terme « rêver » est un mot récent, qui ne date que de la deuxième moitié du
XVIIe siècle12. Il est précédé, dans l’histoire de la langue française, des verbes « songer » et
« pantaisier13 ». En usage chez Descartes et Pascal, il coïncide avec la naissance du sujet
moderne. D’origine incertaine, l’étymologie du mot renvoie à des sèmes divers selon les
hypothèses : il est pour les uns associé à l’errance (resver aurait voulu dire « aller deçà delà »,
physiquement), pour les autres à la folie (resver viendrait plutôt du sens de « déraisonner »,
« tenir des propos extravagants », dans une acception plus abstraite). L’évolution du mot est en
outre marquée par un mouvement de restriction du sens ; le verbe, puis le nom qui en est issu,
désigne d’abord toute l’expérience du sommeil de façon très large (endormissement et réveil
nébuleux compris), puis une partie seulement de cette période, jusqu’aux débats récents sur

10
Sur ces points de définition, on se reportera à notre ouvrage : Marie Bonnot et Aude Leblond (dir.), Les Contours
du rêve, Hermann, 2017.
11
Sur la distinction entre rêve et rêverie, Bachelard est particulièrement éclairant : « Et voici, entre rêve nocturne
et rêverie, la différence radicale, une différence relevant de la phénoménologie : alors que le rêveur de rêve
nocturne est une ombre qui a perdu son moi, le rêveur de la rêverie, s’il est un peu philosophe, peut, au centre de
son moi rêveur, formuler un cogito. Autrement dit, la rêverie est une activité onirique dans laquelle une lueur de
conscience subsiste. Le rêveur de rêverie est présent à sa rêverie. » Gaston Bachelard, La Poétique de la rêverie,
op. cit., p. 129.
12
Pour l’histoire du mot, on se reportera à l’article de Daniel Fabre, « Rêver. Le mot, la chose, l’histoire », Terrain,
n° 26, 1996, p. 69-82.
13
Songer vient du latin « somniare » : « rêver » ou « voir quelque chose en rêve ». Le verbe signifie « rêver »,
« laisser errer sa penser », puis « penser, réfléchir ». Pantaisier vient de « phantasia » (image) et a donné
« phantasme » et « fantasme ».

15
l’occurrence et la qualité du « sommeil paradoxal14 ».
Dès la fin du XIXe siècle, le récit de rêve est pris dans un débat entre science et
littérature. « Le littérateur et les philosophes-psychologues divergent sur la manière de rendre
compte des rêves15 », explique Jacqueline Carroy. Alors que Jacques Le Lorrain en tire des
récits esthétisés, Marcel Foucault16 ou Victor Egger cherchent à rendre le phénomène de la
façon la plus objective17. Egger réclame ainsi pour la narration des rêves la plus grande
application, distinctes des manières des « psychologues d’occasion » comme de celles des
romanciers :

Un psychologue d’occasion racontera ses rêves comme autant


d’anecdotes ; le récit en sera rapide et vivant, mais trompeur ; lorsqu’un
psychologue exercé raconte les siens, il ressemble au critique d’art expliquant
laborieusement un tableau dont nous saisirions en trois regards et le sens et
l’effet ; il a soin de distinguer ce qui est image, ce qui est idée, ce qui est
sentiment, c’est-à-dire ce que l’on voit ou entend, ce que l’on se dit, sans
paroles, à propos des images, la nuance d’émotion qui accompagne les images
et les pensées ; parmi les images il distingue non seulement les visuelles, les
auditives et les autres, s’il s’en présente, mais encore celles qui sont ou
paraissent pâles et vagues, celles qui simulent des sensations et celles qui sont
interprétées comme des souvenirs, etc., etc. ; bref il s’intéresse bien moins à
l’histoire racontée par le rêve qu’au moi dissocié, déséquilibré, anormal, qui a
été l’auteur et le dupe de cette histoire. À procéder autrement il risquerait de
transformer un fait psychologique en un mauvais conte fantastique. Autre est
l’œuvre du romancier, autre celle du psychologue ; le romancier imite l’histoire
vraie, la vie réelle ; le rêve, que le psychologue doit décrire tel qu’il est, le rêve
a ses lois propres, différentes de celles de la vie réelle18.
Le philosophe souligne l’incompatibilité entre la posture du psychologue et celle du romancier
et, plus largement, de l’homme de lettres. La différence entre le savant et le littérateur se situe
pour lui dans l’approche du fait onirique : le savant note ses rêves au réveil, sans effort de style,
tandis que l’écrivain y voit une source d’inspiration.

14
Michel Jouvet avait cru découvrir, dans les années 1950, que la phase de sommeil paradoxal constituait, au sein
du cycle de sommeil, la période privilégiée de surgissement des rêves. Cette hypothèse est aujourd’hui remise en
cause par les chercheurs qui ont établi que les rêves peuvent survenir dans toutes les phases du cycle, avec une
fréquence tout de même supérieure durant la phase de sommeil paradoxal.
15
Jacqueline Carroy, Nuits savantes. Une histoire des rêves (1800-1945), Éditions EHESS, 2012, p. 265.
16
Marcel Foucault (1865 – 1947) est un philosophe et psychologue français. Il a notamment enseigné à l’université
de Montpellier et fondé un laboratoire de psychologie expérimentale. Il est, entre autres, l’auteur de Le rêve :
études et observations (Alcan, 1906).
17
« Si tous les protagonistes prennent acte, d’une manière ou d’une autre, du caractère presque indicible du rêve,
ils en tirent des conclusions différentes, voire opposées. Faut-il écrire des récits recréant les rêves ou au contraire
mener des narrations critiques ? Faut-il, plus radicalement, renoncer à raconter visions et voix nocturnes à des fins
scientifiques ou se tourner vers des approches censées être plus « objectives » de l’homme qui dort ? Faut-il au
contraire ne pas accorder trop d’importance à ces questions et faire confiance à l’introspection ? Cette polémique
a un grand retentissement aussi bien en France qu’en Europe. Elle prélude et participe à une reconfiguration des
savoirs et des pratiques scientifiques sur le sommeil et les rêves. » Jacqueline Carroy, ibid., p. 265.
18
Victor Egger, « La durée apparente des rêves », Revue philosophique, vol. 40, 1895, p. 45. Cité par Jacqueline
Carroy, op. cit., p. 273.

16
Comme le souligne Florence Dumora, la pensée du rêve et sa narration sont
indissociables. La première informe la seconde, mais celle-ci conditionne aussi celle-là.

Le rêve est lié à une expérience doublement inaccessible : d’abord parce


qu’elle n’est saisissable qu’à travers la conception qu’en ont ou les récits qu’en
font les hommes éveillés, auxquels déjà les onirocrites de l’Antiquité
reconnaissent un caractère pleinement historique, au sens où ils sont déterminés
par une culture et configurés par un savoir particulier […] ; en deçà même de
la question de son identification comme rêve, acquise et culturelle, le
saisissement onirique est déjà inaccessible comme tel au rêveur, représentable
seulement dans l’après-coup et n’ayant d’autre existence sensible qu’en tant
que souvenir conscient. Il échappe a fortiori à l’historien, qui n’atteint que des
représentations au second degré (récits, à la rigueur images) d’une expérience
engloutie19.
Le récit de rêve est tributaire du système de croyance dans lequel il est fait, système auquel le
critique littéraire, comme l’écrivain avant lui, n’échappe pas. Si le rêve est un « fait tout
court20 », comme le revendique Paul Valéry, alors il peut être appréhendé par plusieurs
approches et ce n’est pas la bibliographie récente sur le sujet qui nous démentira. L’organisation
d’événements scientifiques et les publications témoignent de la vivacité de la réflexion dans les
disciplines les plus diverses. Aussi bien en sciences humaines et sociales (sociologie21,
psychologie et psychanalyse22, histoire23, philosophie24) qu’en sciences expérimentales
(neurosciences et psychologie cognitive25), le rêve participe incontestablement de l’actualité
scientifique de ce début de XXIe siècle. Les expositions26, émissions ou événements de

19
Florence Dumora, L’œuvre nocturne. Songe et représentation au XVIIe siècle, Honoré Champion, 2005, p. 8-9.
20
« Le rêve fut d’abord un fait religieux. Le rêve-présage ; le rêve-inspiration ; le rêve-remords. Puis ce fut un fait
philosophique. C’est enfin un fait tout court. » Paul Valéry, Cahiers, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la
Pléiade », vol. 2, 1974, p. 75.
21
Bernard Lahire, L’Interprétation sociologique des rêves, La Découverte, coll. « Laboratoire des sciences sociales
», 2017.
22
Tobie Nathan, La nouvelle interprétation des rêves, Odile Jacob, 2011.
23
Jacqueline Carroy, Nuits savantes, op. cit.
24
Ludwig Crespin, Redécouvrir la conscience par le rêve : le débat entre théories cognitives et théories non
cognitives de la conscience à l’épreuve de la recherche sur le rêve, thèse de doctorat, sous la direction de Sébastien
Gandon, Université Clermont-Ferrand 2, 2016.
25
De nombreux centres de recherche ou associations de recherche consacrent leurs travaux au rêve, en France
comme à l’étranger. Citons par exemple le Centre des Pathologies du sommeil au CHU Pitié-Salpêtrière, l’équipe
DyCog (Centre de Recherche en Neurosciences de Lyon), la société française de recherche et médecine du
sommeil, l’institut national du sommeil et de la vigilance, l’association NeuroPsychoanalysis, l’Internation
Association for the study of Dreams, la Belgian association for sleep research and sleep medicine, la European
sleep research society, l’American Academy of Sleep Medicine, la World association of sleep medicine.
26
Dreams 1900-2000 : science, art, and the unconscious mind, New York, Vienne, 2000 ; From Neurology to
Psychoanalysis : Sigmund Freud’s Neurological Drawings and Diagrams of the Mind, New York, 2006 ;
Trajectoires du rêve, du romantisme au surréalisme, Le Pavillon des arts, Paris, 2003 ; El surrealismo y el sueno,
Musée Thyssen, Madrid, 2013 ; La Renaissance et le rêve, Musée du Luxembourg, Paris, octobre 2013-février
2014 ; La Cime du rêve. Les surréalistes et Victor Hugo, Maison Victor Hugo, Paris, octobre 2013-février 2014 ;
Nocturnes. Le rêve dans la bande dessinée, Festival de la bande dessinée d’Angoulême, 2013. L’Ombilic du rêve,
Centre Wallonie-Bruxelles, Paris, septembre 2014-janvier 2015 ; Le Rêve, Musée Cantini, Marseille, 2016.

17
vulgarisation scientifique27 attirent de nombreux visiteurs, et montrent que le rêve n’est plus
l’apanage d’aucune discipline, même si les neurosciences semblent jouir d’une autorité en la
matière que les approches moins expérimentales n’égalent pas. Il serait à la fois prétentieux et
naïf de croire que le XXe siècle révolutionne tout de son approche et que la critique des périodes
antérieures n’en a rien dit qui vaille la peine qu’on s’y attarde. Ces quinze dernières années ont
vu paraître des synthèses sur le rêve dans toutes les grandes périodes de l’histoire littéraire
française28, et cette thèse espère combler un manque sur le XXe siècle.
Jusqu’à présent, les travaux menés sur le rêve dans la littérature française du XXe siècle
ont adopté des empans chronologiques soit élargis à la première Modernité, soit resserrés sur
un auteur. Jean-Daniel Gollut dans son ouvrage Conter les rêves29, comme Fanny Déchanet-
Platz dans L'Écrivain, le sommeil et les rêves (1800-1945)30, envisagent la question de la
narration du rêve en synchronie, sur une période de cent cinquante ou deux cents ans. Jean-
Daniel Gollut choisit une approche résolument poéticienne et linguistique (empruntant à la
pragmatique du discours et à la stylistique), et porte son attention non tant sur le rêve que sur
« les voies de sa restitution31 ». Il « s’attache au récit, au discours qui le porte, pour la raison
qu’il y va assurément d’un défi : comment ressaisir le contenu onirique ? comment rendre
compte verbalement de cette expérience étrange, et si peu faite apparemment pour être pliée
aux formes du langage clair32 ? » Le critique prend le parti d’évacuer la question de
l’authenticité des rêves racontés et mêle dans ses exemples les rêves de personnages, épisodes
oniriques de fictions plus larges, et les récits de nature plus autobiographique, confessions

27
La 17e édition du forum des sciences cognitives à la Cité des sciences en 2018 s’intitulait « Explorer le cerveau
les yeux fermés : sommeil, rêve, méditation ».
28
Sur le Moyen Âge : Mireille Demaules, La Corne et l’ivoire : étude sur le récit de rêve dans la littérature
romanesque des XIIe et XIIIe siècles, Honoré Champion, 2010 ; sur la Renaissance : Sylviane Bokdam,
Métamorphoses de Morphée : théorie du rêve et songes poétiques à la Renaissance en France, Honoré Champion,
2012 ; sur le XVIIe siècle : Florence Dumora, L’Œuvre nocturne : songe et représentation au XVIIe siècle, Honoré
Champion, 2005. Sur le XVIIIe siècle, deux thèses non publiées proposent de riches synthèses : Françoise
Dervieux, Les Rêves des Lumières : savoir et suggestion, thèse de doctorat sous la direction de Michel Delon,
Université de la Sorbonne, 2007 et Hélène David, Le Songe au XVIIIe siècle, ou la mise à l’épreuve du sujet et de
ses limites : l’exploration des confins, thèse de doctorat sous la direction de Caroline Jacot Grapa, Université
Charles de Gaulle – Lille III, 2016. Le rêve dans la littérature française du XIXe siècle n’a pas fait l’objet, à notre
connaissance, d’ouvrage de synthèse qui adopte la chronologie du siècle. L’ouvrage désormais ancien d’Albert
Béguin L’âme romantique et le rêve, Corti, 1937 (rééd. 1939 et 1960) a été suivi du livre de Jacques Bousquet,
Les Thèmes du rêve dans la littérature romantique, Didier, 1964. Plus récents sont les livres de Tony James, Vies
secondes (Dream, creativity and madness in nineteenth century France, 1995, Gallimard, « Connaissance de
l’inconscient », 1997) et de Fanny Déchanet-Platz, L'Écrivain, le sommeil et les rêves (1800-1945) (Gallimard,
coll. « Idées », 2008). On signalera encore la thèse en préparation de Fanny Audibert, Rêve et rêveurs dans l'œuvre
romanesque de Zola, sous la direction d’Éléonore Reverzy, Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3.
29
Jean-Daniel Gollut, Conter les rêves. La narration de l’expérience onirique dans les œuvres de la modernité,
José Corti, 1993.
30
Fanny Déchanet-Platz, L'Écrivain, le sommeil et les rêves (1800-1945), Gallimard, coll. « Idées », 2008.
31
Jean-Daniel Gollut, Conter les rêves, op. cit., p. 7.
32
Ibid., p. 7.

18
oniriques des auteurs. Il se concentre sur les choix poétiques imposés par ce type de récit :
l’énonciation, l’expression du sujet, le temps, la structure textuelle. Ses analyses ont fourni un
socle précieux à la présente étude.
C’est une « nuit de sommeil littéraire33 » que retrace quant à elle Fanny Déchanet-Platz
en mettant en regard savoirs du rêve et exemples littéraires, classés et analysés par entrées
thématiques, en suivant le cycle du sommeil, rêves traumatiques et insomnie compris. Sans
établir de distinction générique (elle mêle fiction et document, poésie et récit), ni différencier
les périodes, elle mène sa réflexion du début du XIXe siècle – et de la naissance du « romantisme
intérieur » – à la fin de la Seconde Guerre mondiale – dont l’une des conséquences, selon elle,
est de « donner à lire la destruction [du sommeil littéraire34] ». L’ouvrage construit une
anthologie remarquable, qui nous a permis de contextualiser plus précisément quelques-uns des
textes qui seront ici abordés.
Avec Les récits de rêve dans la fiction35, Julie Wolkenstein interroge les rapports du
rêve avec la fiction, aussi bien dans ses dimensions esthétiques ou narratologiques
qu’épistémiques. À travers l’études d’exemples divers, allant de l’Antiquité à la production
contemporaine en passant par les âges baroque (Shakespeare), classique (Corneille, Racine,
Pascal, Descartes), romantique (Novalis, Hugo) ou encore moderne (George Du Maurier,
Kafka, Larbaud, Proust, Schnitzler), elle inscrit son propos dans une démarche comparatiste
qui puise également dans le cinéma36 en réservant une place non négligeable aux analyses des
films de George Méliès, Alfred Hitchcock, Stanley Kubrick, David Lynch ou Arnaud
Desplechin.
Enfin, Susanne Goumegou37, dont le livre n’a pas été traduit en français, se penche sur
trois auteurs : Nerval, Breton et Leiris, entre lesquels elle met au jour une filiation. Pour chacun,

33
Fanny Déchanet-Platz, L’Écrivain, le sommeil et les rêves (1800-1945), op. cit., p. 7. Cette dernière affirmation,
nous le verrons, est assez critiquable. S’il est certain que l’expérience de la guerre mondiale – la Première comme
la Seconde – frappe les consciences et les envahit jusque dans leurs rêves, il nous paraît réducteur de penser que
le rêve littéraire ne survive que difficilement à la guerre 1939-1945. D’une part, on trouve après 1945 des
expressions variées du rêve (dans les œuvres de Michaux, Queneau, Perec, Béalu, Butor, Tristan, pour n’en citer
que quelques-uns), d’autre part, si la part conférée au rêve dans la littérature française est moindre, les raisons en
sont multiples.
34
Ibid, p. 11.
35
Julie Wolkenstein, Les Récits de rêve dans la fiction, Klinksiek, coll. « 50 questions », n° 31, 2006.
36
Voir aussi Patricia-Laure Thivat (dir.), Le Rêve au cinéma. Iconographie, procédés, partitions. L’onirisme
filmique au prisme des autres arts, Ligeia, n° 129-132, janvier-juin 2014.
37
Susanne Goumegou, Traumtext und Traumdiskurs. Nerval, Breton, Leiris, Munich : Fink, 2007. Voir aussi
Susanne Goumegou, « Le récit de rêve surréaliste et ses avatars », dans Christian Vandendorpe (dir.), Le Récit de
rêve, Québec : Nota bene, coll. « Hors collection-lettres », 2005, p. 183-202, et Susanne Goumegou et Marie
Guthmüller (dir.), Traumwissen und Traumpoetik. Onirische Schreibweisen von der literarischen Moderne bis zur
Gegenwart, Munich : Fink, 2011.

19
elle étudie en profondeur l’approche du rêve et ses expressions dans l’ensemble de l’œuvre.
Après Catherine Maubon38, elle s’attache notamment à un travail de cartographie génétique sur
l’ensemble des récits de rêves de Miche Leiris extrêmement précis et précieux. Tous ces
ouvrages, aussi fournis et rigoureux soient-ils, ont tendance à gommer la rupture esthétique et
épistémologique qui succède à la diffusion de la théorie psychanalytique du rêve et des
pratiques thérapeutiques qui en résultent39. Ils traitent l’ensemble des récits de rêves sans
envisager d’évolution formelle ou de divergences esthétiques au cours du XXe siècle. À
l’inverse, Sarane Alexandrian sur le surréalisme40, Romain Verger sur Michaux41 ou Carmen
Ana Pont sur Yourcenar mettent en avant la singularité des auteurs qu’ils abordent. Un
important travail d’anthologie a enfin été mené il y a quelques années outre-Atlantique. À
l’université d’Ottawa, une équipe de chercheurs a tenté de rassembler un très large corpus de
récits de rêves en langue française, couvrant toutes les périodes, de l’Antiquité à la littérature
contemporaine, et de constituer une base de données numérique42.

Les récits de rêves au XXe siècle (corpus)

Les récits de rêves qui composent notre corpus sont parfois écrits à la marge de
l’élaboration consciente et toujours marqués de la rencontre des formes et des genres. Le critère
principal qui a présidé à la constitution du corpus étudié a été de considérer comme récit de
rêve « ce que l’auteur a désigné comme tel43 », pour reprendre les mots de Jean-Daniel Gollut.
L’authenticité d’un récit de rêve, le fait de savoir s’il a été ou non effectivement rêvé, est bien
sûr invérifiable. « Nul moyen de s’assurer qu’un homme a effectivement rêvé telle nuit ce qu’il

38
Catherine Maubon, Michel Leiris en marge de l’autobiographie, Corti, 1994.
39
Déjà la thèse de Nicole Cabassu, Le Récit de rêve dans la littérature française moderne (XIXe et XXe siècle) :
étude thématique et stylistique, thèse d'État, Université Paris IV, 1991, non publiée, embrassait cet empan
chronologique très large. Une thèse est actuellement en préparation par Danbi Chae sur les pathologies du sommeil
dans la littérature française du XXe siècle sous la direction de Nathalie Barberger à l’Université de Lumière – Lyon
2. (titre provisoire : Le sommeil et la rêverie dans la littérature française des XXe-XXIe siècles)
40
Sarane Alexandrian, Le Surréalisme et le rêve, Gallimard, 1974. Le critique aborde chacun des grands auteurs
du mouvement en s’attachant moins au rêve qu’à l’« état de rêve » qui « comprend non seulement le rêve nocturne
et le rêve diurne, mais aussi la remémoration, la distraction, la rêverie d’anticipation, le somnambulisme lucide,
les projets, les fantasmes, les visions hypnagogiques, les phrases de demi-sommeil, les délires spontanés ou
provoqués, l’hallucination, l’extase, les représentations mentales durant l’amour, les jeux mettant l’inconscient à
nu, et toutes les activités irréfléchies faisant prédominer le principe de plaisir. » (p. 10.)
41
Romain Verger, Onirocoscmos, Henri Michaux et le rêve, Presses Sorbonne Nouvelle, 2004.
42
Projet dirigé par Christian Vandendorpe, Professeur émérite de l’Université d’Ottawa. Il a notamment dirigé
l’ouvrage Le récit de rêve. Fonctions, thèmes et symboles, Québec, Éditions Nota bene, 2005. La base de données
de récits de rêves, particulièrement riche et précieuse pour les chercheurs, est disponible en ligne à l’adresse :
https://reves.ca. [adresse vérifiée le 31 octobre 2019] Malheureusement, le projet a été suspendu en 2011.
43
Jean-Daniel Gollut, Conter les rêves, op. cit., p. 11.

20
dit y avoir rêvé… Nul moyen de déceler dans le récit d’un rêve le mensonge ou l’erreur44. » Ce
sont ainsi les déclarations d’intention et le sens donné à leurs productions par les auteurs eux-
mêmes qui ont permis de sélectionner les textes où s’exprime la volonté de restituer un contenu
onirique dans un geste que l’on pourrait rapprocher de l’écriture autobiographique. Une telle
ambition de départ engage un large spectre de réalisations possibles ; la justesse du témoignage
ne se conçoit pas de la même façon et ne donne pas lieu aux mêmes choix esthétiques d’un
auteur à l’autre, et c’est bien là le cœur de notre enquête.
Un deuxième critère résulte naturellement du premier : l’autonomie de sens et de
structure qui permet au récit de rêve de faire œuvre à lui seul. Sont ainsi écartés de cette étude
les récits de rêves inclus dans des fictions (rêves de personnages dans le roman ou au théâtre),
qui ne se laissent pas appréhender de la même manière. Par exemple, les rêves narrés dans La
Recherche, quand bien même ils furent directement inspirés à Proust par ses propres
expériences oniriques45, ne sont pas à considérer, à notre sens, de la même façon que les rêves
présents dans le Journal de Leiris et repris ensuite dans Nuits sans nuit et quelques jours sans
jour. Le rêve de Swann46, parce qu’il est intégré dans l’économie générale de l’œuvre et reprend
les éléments et les personnages d’Un amour de Swann, engage un mode de lecture et
d’induction du sens différent47.

La présente étude adopte une périodisation inédite et s’intéresse aux façons de narrer
l’expérience du rêve des surréalistes48 à nos jours. En effet, elle prend acte de l’apparition d’une
nouvelle forme de narration du rêve au début des années 1920 et cherche à en étudier

44
Michel Butor, Portrait de l’artiste en jeune singe, Gallimard, 1979, p. 60.
45
Mireille Naturel a par exemple montré la genèse onirique des premières pages de Du Côté de chez Swann dans
les articles « La fonction matricielle du rêve », Marcel Proust aujourd’hui, Mille et une nuits dans la Recherche,
Rodopi, Amsterdam, 2004, p. 29-43 ; et « Deux pages d’épreuves corrigées de “Mes réveils”, Bulletin des Amis
de Jacques Rivière et d’Alain-Fournier, 2009, n° 122, p. 76-77.
46
Marcel Proust, Du Côté de chez Swann, À la recherche du temps perdu, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la
Pléiade », t. I, p. 229-232.
47
Le rêve de Swann a fait l’objet d’une « textanalyse » de Jean-Bellemin Noël sur laquelle nous reviendrons. Jean
Bellemin-Noël, « Psychanalyser le rêve de Swann », Poétique, n° 8, octobre 1971, p. 147-169, repris dans Vers
l’inconscient du texte, PUF, 1979.
48
Nous avons préféré employer « surréalistes » plutôt que « surréalisme » car, au moment où paraissent les
premiers récits de rêves que nous analysons, en 1922, le Manifeste du surréalisme (1924) n’est pas encore publié
et le mouvement n’est pas constitué. En dépit de la quête d’homogénéité de pratiques recherchée par André Breton,
ce pluriel reflète mieux la diversité esthétique que recouvre le genre naissant et saisit ce repère de l’histoire
littéraire de façon plus évasive, en y incluant ses prémisses. Par ailleurs, à la même époque, Jean Paulhan publie
Le Pont traversé (1921), qui tient une place importante dans l’histoire du récit de rêve. Paulhan, qui n’appartient
pas au mouvement surréaliste, est tout de même un satellite important des débuts du mouvement. Sur le rôle de
Paulhan dans l’émergence du Surréalisme, voir la thèse de Damiano De Pieri, Aux origines du Surréalisme (1917-
1924). « Un nouveau temps du verbe être », sous la co-direction de Marie-Paule Berranger et de Rossana Gorris
Camos, Université de la Sorbonne Nouvelle – Paris 3 et Université de Vérone, 2018.

21
l’évolution. Ce point de départ chronologique correspond à la fois à la diffusion des idées
psychanalytiques freudiennes en France, au tournant épistémologique qu’elles représentent
pour la conception du rêve et à l’émergence d’une nouvelle façon de narrer le rêve sur le plan
littéraire. Dans les cahiers des écrivains et surtout dans les pages de la revue Littérature
s’invente une procédure d’écriture inédite du récit de rêve littéraire : à la manière de courts
compte rendus, ces récits se présentent comme des textes autonomes, surtitrés de la seule
indication « rêves ». Le dernier exemple retenu est celui de Frédérick Tristan dont le recueil
Brèves de rêves est paru en 2012. À bien des égards, il apparaît comme le dernier surgeon de
cette modalité d’écriture et de publication du rêve. Entre ces deux bornes temporelles, la
répartition chronologique des œuvres est assez inégale : les exemples sont nombreux dans la
première moitié du siècle et se raréfient après les années 1970. Sans doute faut-il y voir la
conséquence des critiques virulentes qui s’attaquent à la psychanalyse mais aussi de
l’affermissement des neurosciences, avec la diffusion des hypothèses de Michel Jouvet sur le
sommeil paradoxal dans les années 196049.
L’annonce de ces limites chronologiques doit s’accompagner de quelques remarques
liminaires. Si l’importance du surréalisme – et plus particulièrement de la procédure de
transcription des rêves inspirée de l’écriture automatique – est indéniable, prenons garde, d’ores
et déjà, de nuancer le propos : les déclarations théoriques de Breton ne recouvrent pas
exactement ses pratiques, les choix poétiques du chef de file ne s’appliquent pas absolument
aux autres membres, et les procédures d’écriture adoptées dans les premiers temps du
mouvement ne s’étendent pas nécessairement à ses suites. Aussi faudra-t-il se garder de faire
du récit de rêve pensé par Breton l’arbre qui cache la forêt.
Le corpus des récits de rêves se distingue par sa nature hybride, tant à l’échelle des
œuvres qu’à celle de l’ensemble considéré. En effet, les récits de rêves sont souvent escortés de
textes qui relèvent de la prose d’idée, celle-ci pouvant aussi bien porter sur le rêve en tant que
phénomène psychique que commenter les textes littéraires, passés ou contemporains, qui se
sont donné pour charge de le restituer. Aussi les œuvres peuvent-elles présenter plusieurs
niveaux de discours : le rêve entraîne son récit, lequel appelle son commentaire, qui implique
une réflexion plus large sur le phénomène cognitif, et suscite des remarques sur les façons d’en
faire littérature, le tout en dialogue constant avec un horizon savant. Cela provoque, comme le
rappelle Jacqueline Carroy, un « entremêlement du théorique et du narratif à du personnel et à

49
Michel Jouvet, médecin neurophysiologiste, est à l’origine de la découverte du sommeil paradoxal. Après
plusieurs articles, il publie, en 1965, Neurophysiologie des états de sommeil, CNRS. Ses hypothèses n’ont que
récemment été revues par les chercheurs.

22
de l’autobiographique. […] C’est même le propre des livres de rêve que de pratiquer un tel
mélange et de brouiller les registres et les genres50. » La proportion de chacun de ces types de
discours est variable selon les auteurs et les œuvres : Valéry dans les Cahiers rapporte peu de
récits de rêves mais noircit des pages entières sur les implications cognitives du phénomène
onirique tandis que Perec dans La Boutique obscure et Frédérick Tristan dans Brèves de rêves
se concentrent sur eux sans les gloser.
L’attention que l’on porte aux récits de rêves requiert que l’on s’intéresse à leurs
alentours, dans le contexte matériel de leur publication ou, plus largement, en traquant leurs
traces dans l’œuvre général des auteurs. Se construit donc autour des rêves un corpus qui ne se
limite pas à leurs récits. On s’appuiera parfois sur des textes qui se trouvent à la marge de la
littérarité, dans les journaux, la correspondance ou les brouillons, écrits intimes qui témoignent
d’une fabrique du rêve. Dans la mesure où les textes que l’on étudie comprennent aussi bien
des récits de rêves que leurs commentaires – les leurs ou ceux des autres –, et procèdent ainsi
en même temps d’un geste critique, nous regrouperons sous la même dénomination de
« littérature » la production littéraire et la « science des textes », pourvue que cette activité
réflexive soit menée par les écrivains.

Avant de constituer des recueils, les récits de rêves émaillent les revues surréalistes et
portent la trace du collectif. De Littérature (deuxième série) à la livraison des Cahiers GLM de
1938, intitulée Trajectoire du rêve, ce sont des dizaines de récits de rêves qui sont publiés,
principalement dans La Révolution surréaliste, mais aussi dans Le Disque vert, Le Surréalisme
au service de la Révolution ou Minotaure.
Le panorama embrassé aborde des auteurs majeurs du XXe siècle, plutôt reconnus pour
leurs œuvres poétiques (André Breton, Paul Éluard, Robert Desnos, Henri Michaux), narratives
ou autobiographique (Marguerite Yourcenar, Michel Leiris, Raymond Queneau, Georges
Perec) ou pour leur prose d’idées (Jean Paulhan, Paul Valéry). Ce parcours nous conduira aussi
à évoquer des écrivains un peu moins connus mais tout aussi intéressants pour notre sujet :
Marcel Béalu, auteur de La Vie en rêve51 et Frédérick Tristan pour Brèves de rêves52. Chez tous
ces auteurs, les récits de rêves ont été considérés comme des œuvres mineures : Le Pont

50
Jacqueline Carroy, Nuits savantes, op. cit., p. 17.
51
Marcel Béalu, La Vie en rêve, Phébus, 1992. Désormais abrégé VR. Une partie importante des textes rassemblés
dans ce recueil avait déjà été publiée dans Le Bien rêver, Robert Morel, 1968.
52
Frédérick Tristan, Brèves de rêves, éd. Pierre-Guillaume de Roux, 2012. Désormais abrégé BR.

23
traversé53, Clair de terre54, Les Dessous d’une vie ou la pyramide humaine55, Les Vases
communicants56, Les Songes et les Sorts57, Nuits sans nuit et quelques jours sans jour58, Façons
d’endormi, façons d’éveillé59, La Boutique obscure60 ou « Des récits de rêves à foison61 » ont
été peu commentés.
Ces recueils de récits de rêves révèlent pourtant un aspect essentiel de la poétique de
leurs auteurs. On ne peut les dissocier de leurs autres productions tant elles entrent en
résonnance avec elles ou en offrent un beau contrepoint. Par exemple, comment parler des
récits de rêves sans les comparer aux écritures automatiques62 ? Comment aborder Nuits sans
nuit et quelques jours sans jour sans revenir au Journal63 de Leiris et à La Règle du jeu64 ?
Comment étudier Façons d’endormi, façons d’éveillé sans connaître La Nuit remue65, Plume66
et les écrits sous drogues de Connaissance par les gouffres67 et Les Grandes Épreuves de
l’esprit68 ? Comment, enfin, lire « Des Récits de rêves à foison » de Queneau sans mentionner

53
Jean Paulhan, Le Pont traversé (C. Bloch, 1921), dans Œuvres complètes, t. I : « Récits » Gallimard, 2006.
Désormais abrégé PT.
54
André Breton, Clair de terre (Presses du Montparnasse, 1923), dans Œuvres complètes, édition établie par
Marguerite Bonnet, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », t. I, 1988. On n’abordera ici que la première
section de l’ouvrage, qui rassemble cinq rêves de l’auteur. Désormais abrégé CT.
55
Paul Éluard, Les Dessous d’une vie ou la pyramide humaine (1926), dans Œuvres complètes, édition établie et
annotée par Marcelle Dumas et Lucien Scheler, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. I, 1968. Désormais
abrégé DV.
56
André Breton, Les Vases communicants (Les Cahiers libres, 1932), dans Œuvres complètes, édition établie par
Marguerite Bonnet, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », t. II, 1992. Désormais abrégé VC.
57
Marguerite Yourcenar, Les Songes et les Sorts (Grasset, 1938), dans Essais et mémoires, Gallimard,
coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1991. Désormais abrégé SS.
58
Michel Leiris, Nuits sans nuit et quelques jours sans jour (1961), Gallimard, coll. « L’Imaginaire », 2002. Une
première édition, intitulée Nuits sans nuit avait été publiée en 1945 aux éditions Fontaine. Désormais abrégé NNJJ.
59
Henri Michaux, Façons d'endormi, façons d'éveillé (Gallimard, coll. « Le point du jour », 1969), Gallimard,
« L’Imaginaire », 2004. Désormais abrégé FEFE.
60
Georges Perec, La Boutique obscure, 124 rêves (Denoël, 1973), Gallimard, coll. « L’Imaginaire », 2010.
Désormais abrégé LBO.
61
Raymond Queneau, « Des récits de rêves à foison » (Les Cahiers du chemin, n° 19, 1973, p. 11-14), repris dans
Contes et propos, Gallimard, 1981. Désormais abrégé RRF.
62
On pense à celles de Soupault (Les Champs magnétiques, 1920), Breton (Les Champs magnétiques, 1920 et
Poisson soluble, 1924), Éluard (certains textes repris dans Donner à voir), ou encore Queneau (dans la section
Textes surréalistes, dans Œuvres complètes, t. I : « Poésie », édition de Claude Debon, Gallimard,
coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1989).
63
Michel Leiris, Journal (1922-1989), éd. Jean Janin, Gallimard, 1992.
64
Michel Leiris, La Règle du jeu, édition publiée sous la direction de Denis Hollier, Gallimard, coll. « Bibliothèque
de la Pléiade », 2003.
65
Henri Michaux, La Nuit remue (1935, 1967), éd. Raymond Bellour, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la
Pléiade », t. I, 1998.
66
Henri Michaux, Plume précédé de Lointain intérieur (1938, 1963), éd. Raymond Bellour, Gallimard,
coll. « Bibliothèque de la Pléiade », t. I, 1998.
67
Henri Michaux, Connaissance par les gouffre (1961, 1967), éd. Raymond Bellour, Gallimard,
coll. « Bibliothèque de la Pléiade », t. II, 2004
68
Henri Michaux, Les Grandes Épreuves de l’esprit et les innombrables petites (1966), éd. Raymond Bellour,
Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », t. II, 2004.

24
l’importance du thème dans son œuvre romanesque et surtout revenir à son Journal69 des années
1928-1931, Une campagne de rêves ? Plus largement, les récits de rêves dialoguent aussi avec
la pensée du rêve qui se donne à lire dans les œuvres d’autres écrivains, Paul Valéry70, Roger
Caillois71, Jean-Paul Sartre72, sans qu’ils aient nécessairement produit d’importants récits de
rêves. Louis Aragon73 et Tristan Tzara74 participent eux aussi à la réflexion commune sans trop
se prêter à l’exercice.
Les Récits en rêves75 d’Yves Bonnefoy, tout comme La Scène capitale76 de Pierre Jean
Jouve et Matières de rêve77 de Michel Butor, en revanche, ont été laissés à la marge du corpus.
Récits issus plutôt de rêveries pour les premiers78, inspirés par le rêve mais largement réécrits
pour les deuxièmes79 ou savamment échafaudés à partir des rêves des autres pour les
troisièmes80, ils explorent d’autres chemins de l’écriture du rêve que celui qui constitue le socle

69
Raymond Queneau, Une campagne de rêves. 1928-1931, dans Journaux. 1914-1965, Gallimard, 1996.
70
Paul Valéry, « Rêve », Cahiers, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. II, 1974.
71
Roger Caillois, L’Incertitude qui vient des rêves, Gallimard, coll. « Idées », 1956.
72
Jean-Paul Sartre, L’Imaginaire : psychologie phénoménologique de l'imagination (1940), Gallimard,
coll. « folio/essai », 1992.
73
Louis Aragon, Une vague de rêves (1924), dans Œuvres poétiques complètes, éd. Olivier Barbarant, Gallimard,
coll. « Bibliothèque de la Pléiade », t. I, 2007. Traité du style (1928), Gallimard, « L’Imaginaire », 1991.
74
Tristan Tzara, Grains et issues (1935), dans Œuvres complètes, éd. Henri Béhar, Flammarion, t. IV, 1975-1981.
75
Yves Bonnefoy, Récits en rêves, Mercure de France, 1987.
76
Pierre Jean Jouve, Histoires sanglantes, Gallimard, 1932.
77
Michel Butor, Matière de rêves (Gallimard, 1975-1985), dans Œuvres complètes, éd. Mireille Calle-Gruber, La
Différence, t. VIII, 2006.
78
Comme il l’explicite dans Rue Traversière, les récits d’Yves Bonnefoy puisent bien plus à la source de la rêverie
vagabonde qu’à celle du rêve endormi. « Aussi fidèlement que possible, les moments d’une de ces rêveries qui se
forment en nous parfois comme prend et se défait l’autre rêve, celui des nuits. De brèves proses que j’en suis venu
à écrire, récemment, ressemblent aussi à des rêves, et elles ont sûrement quelque peu de leur rapport intime à un
vouloir inconscient, car j’essaie de ne pas laisser ma réflexion contrôler ce qui s’y montre d’emblée de surprenant,
d’incompréhensible. » (« Les découvertes de Prague », Rue Traversière, dans Récits en rêve, op. cit., p. 106.) Un
rêve fait à Mantoue ferait ainsi figure d’exception dans cet œuvre inspiré par la rêverie. « Je m’endormis puis je
fis un de ces beaux rêves qui se détachent parfois, avec une netteté de poème, des griffonnages aveugles de
l’inconscient. » (L’Improbable et autres essais, Mercure de France, 1980, p. 202.) Sur l’écriture du rêve chez Yves
Bonnefoy, on renvoie au livre d’Arnaud Buchs, Yves Bonnefoy à l’horizon du surréalisme, Galilée, 2005, p. 83
sqq.
79
La Scène capitale constitue davantage un recueil de nouvelles (à situer plutôt du côté du pôle fictionnel) dont
l’auteur ne cache pas leur inspiration onirique. « Plus directement que ne l’a fait Vagadu, certains récits se sont
nourris de ma substance onirique personnelle. Naturellement, la frontière entre l’éprouvé et l’imaginé en cette
matière est assez vague. » (En miroir. Journal sans date, dans Œuvres, éd. Jean Starobinski, Mercure de France,
1987, t. II, p. 1153.) Jouve explicite ailleurs son rejet d’une écriture du rêve qui se voudrait mimétique du
phénomène psychique : « Il faut exiger que le rêve soit vrai. Le procédé littéraire s’inspirant des réalités oniriques
n’a aucune valeur. Rien de plus bête que le rêve en simili. Le rêve, facile à imiter, est inimitable. Le rêve d’un
personnage est si essentiellement lui-même que nul ne doit s’y tromper. Le rêve sera vrai quand il concordera dans
le sentiment le plus profond de l’auteur, donc aussi du lecteur, avec le possible du personnage et le déroulement
de sa nécessité. » (Commentaires, La Baconnière, 1950, p. 61.)
80
L’épigraphe de l’ensemble formé par les cinq tomes de Matières de rêve, « pour les psychanalystes, entre
autres », ne doit pas tromper le lecteur sur le contenu de cette œuvre. Il s’agit d’une architecture extrêmement
complexe dans laquelle les rêves de l’auteur sont bientôt suivis de ceux d’autres artistes et repris sur le mode
citationnel. Le prière d’insérer met ainsi en garde : « Non point les notes au réveil, mais la forme du récit de rêve
travaillée pour exploiter de nouveaux gisements. La vie quotidienne y passe bouleversée parmi ses revers de

25
de notre réflexion. De même, les œuvres narratives de René Crevel81, Jean Cocteau82 ou Maurice
Blanchot83, pour oniriques qu’elles soient, ne peuvent être qualifiées de récits de rêves au sens
où nous l’entendons. Si elles portent la trace, dans leur écriture, des oscillations de consciences
imaginatives ou rêveuses, elles se classent aussi clairement du côté de la fiction.

Comment parler des rêves qu’on n’a pas faits ? Questions de méthodologie

La multiplication des discours de savoirs au cours du XXe siècle fait aujourd’hui du rêve
une notion à la croisée des disciplines. Objet des médecins, des psychologues, des
neuroscientifiques, mais aussi des philosophes, des historiens, des sociologues ou des
anthropologues84, il semble réclamer des méthodologies empruntes d’interdisciplinarité, à la
croisée des études littéraires et des sciences. Ce constat commande que l’on procède, à partir
des textes, à une contextualisation dynamique des approches du rêve reflétées par les œuvres.
J’ai choisi d’historiciser l’approche psychanalytique, de loin dominante parmi les discours de
savoirs allogènes cités par les textes, plutôt que de me livrer à la psychanalyse des textes85.
Chacun sait que le rêve en France au XXe siècle est marqué par l’approche psychanalytique. La
référence freudienne est partout présente, dans les textes comme dans la bibliographie critique.
Comme ces théories ont cherché leur confirmation dans le texte littéraire, nous pouvons, en
retour, chercher la trace de ces discours de savoirs dans les œuvres et voir non seulement
comment elles en témoignent mais aussi comment elles leur répondent.
Sur le rêve, la question du positionnement par rapport à la psychanalyse se pose au
moins deux fois : pour les auteurs et pour la critique. Jean-Bellemin Noël, dans un article de

hantises. Cinq descentes dans le premier niveau de cette mine dont les galeries s’entrecroisent. À suivre. » (Matière
de rêves, op. cit., p. 437.)
81
René Crevel est l’auteur du XXe siècle référencé sur Frantext pour lequel le nombre d’occurrences du mot
« rêve » est le plus important. Significativement, si le mot est très souvent employé, Crevel rapporte très peu de
récits de rêves, dans ses œuvres de fiction comme de non-fiction. Il est ainsi un des rares surréalistes à n’avoir
publié aucun récit de rêve en revue.
82
Jean Cocteau, Les Enfants terribles, Grasset, 1929. L’esthétique onirique est plus encore perceptible encore dans
ses films, par exemple La Belle et la Bête (1946), Orphée (1950) ou Les Enfants terribles adapté par Jean-Pierre
Melville (1950).
83
Maurice Blanchot, Gallimard, Aminadab, 1942 ; Thomas l’obscur, Gallimard, 1941 et 1950.
84
Pour les publications dans ces disciplines, nous renvoyons à notre bibliographie « Dans la bibliothèque du rêve »,
dans Marie Bonnot et Aude Leblond (dir.), Les Contours du rêve, op. cit., p. 291-306.
85
Nous reprenons sur ce point les positions de Jean-Daniel Gollut : « Point de décryptage symbolique, donc,
psychanalytique ou autre. Au demeurant, les grandes thèses de la psychanalyse interviendront souvent dans la
réflexion. Non pour permettre une explication des rêves racontés, mais pour figurer un ensemble de savoirs (ou de
« croyances », peu importe ici) garants de la conception dominante aujourd’hui en ce qui concerne la place du rêve
dans l’économie psychique de la personne. » Jean-Daniel Gollut, Conter les rêves, op. cit., p. 11.

26
1971 resté célèbre, propose de « “Psychanalyser” le rêve de Swann86 ». Cet exemple inaugure
la textanalyse, qui fait suite à d’autres approches psychologiques de la littérature telles que la
psychanalyse appliquée à la littérature et la psychocritique de Charles Mauron87. Cette méthode
considère que le texte littéraire est travaillé par un inconscient tout en refusant de psychanalyser
l’auteur88. « L’activité littéraire y gagne un régime de sens supplémentaire, et d’être reconnue
subversive en tant que travail de l’Autre89. » Max Milner, pour sa part, remarquait en 1980
combien la psychanalyse, « longtemps tenue en suspicion par la critique littéraire90 », apporte à
la connaissance du langage et de l’imaginaire. Elle procède selon lui d’une « écoute
respectueuse de la spécificité du texte littéraire, extraordinairement subtile dans la découverte
des rapports qu’entretiennent entre eux les signifiants textuels, nullement totalitaire dans les
déchiffrements qu’elle propose, mais favorisant au contraire une ouverture, une disponibilité et
une agilité qui exercent leur séduction et leur influence sur des critiques parfois assez éloignés
de la théorie psychanalytique91. » Il ne s’agira pas ici d’appliquer la psychanalyse à la
littérature ; la psychanalyse ne sera pas pour nous une clef des songes moderne mais bien plutôt
une matière à rêve92.

86
Jean Bellemin-Noël, « “Psychanalyser” le rêve de Swann ? », Vers l’inconscient du texte, PUF, 1996, p. 31-74
(première édition dans la revue Poétique en 1971)
87
Sur ces points, l’ouvrage de Jean-Bellemin Noël, Psychanalyse et littérature (PUF, 2002) propose une très
éclairante synthèse. On pourra aussi lire avec profit l’essai de Pierre Bayard, Peut-on appliquer la littérature à la
psychanalyse ?, éditions de Minuit, coll. « Paradoxe », 2004. L’auteur y propose un renversement inspirant des
perspectives.
88
« Ayant une formation littéraire, j’ai mis mes recherches personnelles au service de la question : en quoi la
psychanalyse peut-elle aider à apprécier les œuvres d’art, surtout la littérature, en dehors de tout souci de
psychanalyser les artistes (opération inutile et aventurée) ? J’ai toujours estimé que l’activité critique passe par un
travail d’écriture, sans lequel on ne peut espérer que le public accède vraiment aux effets de l’inconscient que l’on
met en valeur. » Jean-Bellemin Noël, Psychanalyse et littérature, PUF, coll. « Quadrige », 2012.
89
Jean-Bellemin Noël, Psychanalyse et littérature, PUF, coll. « Quadrige », 2012, p. 238.
90
Max Milner, Freud et l’interprétation de la littérature (1980), SEDES, 1997, p. 5.
91
Idem.
92
Par ailleurs, l’application de la psychanalyse au texte littéraire me semble occulter un élément pourtant capital,
le transfert. Impossible avec un texte, son adaptation à la lecture d’une œuvre obligerait à renverser les rôles
d’analyste et d’analysé, comme le souligne Max Milner : « L’analyse ne consiste pas à expliquer au patient
l’origine de son trouble et à l’en délivrer en le lui montrant. L’analyse consiste à établir avec lui, au niveau du
langage et de ce qui est signifié par le langage, une relation qui permet une redistribution de ses investissements
pulsionnels, cette relation s’opérant par l’intermédiaire du transfert. Or, il est évident que cette relation ne peut
exister entre un analyste ou un interprète et un texte qui ne peut entrer en relation vivante et dialectique avec lui.
S’il y a dans ce dialogue quelqu’un qui est susceptible de changer dans la relation, c’est plutôt l’analyste,
l’interprète. Lui seul, en effet, étant vivant, peut, au contact avec le texte, distribuer autrement ses investissements,
et il n’est pas impossible en effet que la lecture puisse avoir, dans certains cas, des effets qui seraient comparables
aux effets d’une cure analytique. On pourrait esquisser très prudemment et très provisoirement le parallèle, en
insistant toutefois sur le fait que la situation analytique débusque tous les aspects gratifiants de l’usage que le
patient fait de son imaginaire, alors que le lecteur cherche dans la lecture un plaisir que l’épreuve de la réalité lui
refuse. En tout cas, ce n’est pas la relation contraire qui se produit. Le texte ne permet pas un contact vivant avec
l’auteur, pour la bonne raison que c’est un texte. » (Max Milner, Freud et l’interprétation de la littérature, op. cit.,
p. 198.) Dans la textanalyse de Jean Bellemin-Noël, le transfert est remplacé par la notion de « relance », qui n’est
bien sûr pas strictement son équivalent mais qui insiste sur l’aspect dynamique de l’approche critique : « Le lecteur
à qui je m’adresse, si j’ai réussi mon pari d’“ouvrir” le texte à un autre rayonnement de sens, il faudra qu’à son

27
Il arrive que les manuscrits des récits de rêves révèlent de secrètes associations d’idées,
des pistes interprétatives ou plus simplement qu’ils informent, au détour d’une rature ou d’un
signe de ponctuation, sur la représentation du rêve que se forge leur auteur. Cet examen n’est
malheureusement pas possible pour tous93. Sans être une étude génétique, ce travail présente
quelques exemples d’analyses sur les manuscrits dont nous pouvions disposer94. On s’est
toutefois gardée d’en faire un usage systématique : à trop vouloir surprendre les rêves dans les
manuscrits, on court le risque d’une lecture myope qui, occupée à chercher la trace de
l’authenticité absolue, en oublierait de lire entre les lignes, ou de s’autoriser à rêver les
interprétations95.

tour il laisse son propre inconscient s’engager en toute liberté dans une relecture qui devienne véritablement sienne.
J’appelle ce phénomène la relance du travail textanalytique. » (Jean Bellemin-Noël, Vers l’inconscient du texte,
PUF, 1979, p. 221-222.)
93
Les manuscrits originaux des récits de rêves de Marguerite Yourcenar ont vraisemblablement été détruits par
l’auteure (cf. Colette Gaudin, « archives », dans Bruno Blanckeman (dir), Dictionnaire Marguerite Yourcenar,
Honoré Champion, 2017, p. 51-53). Les archives personnelles de Marguerite Yourcenar, comprenant le dossier de
travail pour une réédition du recueil sont conservées à la Houghton Library de Harvard (États-Unis). Aujourd’hui
publié dans le volume Essais et mémoires de la collection de la Pléiade, il contient essentiellement de la
documentation rassemblée par l’écrivaine et des notes de réflexion mais très peu de manuscrits des rêves
proprement dits. Le manuscrits de Michaux sont très lacunaires et dispersés dans plusieurs fonds d’archives et
collections privées (voir à ce sujet la « note sur la présente édition » de Raymond Bellour, OC I, p. CXXXVII-CXLVI
ainsi que la « note sur le texte » de Façons d’endormi, façons d’éveillé, OC III, p. 1594-1599) ; ceux de Paul
Éluard sont conservés au Musée d’art et d’histoire de Saint-Denis Paul Éluard.
94
J’ai pu consulter les manuscrits de La Boutique obscure de Georges Perec, conservés dans le Fonds Georges
Perec, hébergé par l’Association Georges Perec, à la Bibliothèque de l’Arsenal (Paris) et dont certains feuillets
sont reproduits en annexe. Les manuscrits de Robert Desnos sont désormais numérisés et mis en ligne par la
Bibliothèque Jacques Doucet. Ils sont disponibles sur le site de la bibliothèque en ligne Almé :
http://bljd.sorbonne.fr/Bibliotheques-numeriques/p1/ALMe [adresse vérifiée le 31 octobre 2019]. Cette étude
aborde quelques-uns des rares récits de rêves qui y figurent. Le site André Breton met à disposition une
numérisation des manuscrits d’André Breton dans lesquels on trouve également quelques récits de rêves :
https://www.andrebreton.fr/ [adresse vérifiée le 31 octobre 2019].
95
Pour certains auteurs, nous nous sommes appuyée sur des travaux faisant autorité sans consulter personnellement
les manuscrits. Les manuscrits d’André Breton – notamment les écritures automatiques – ont été bien décrits par
Marguerite Bonnet dans son édition des œuvres complètes dans la collection de la Pléiade (voir notamment la
« notice » des Champs magnétiques, OC I, p. 1130 sqq ; la « notice » de Clair de terre, OC I, p. 1181-1189 et la
« notice » de Poisson soluble, OC I, p. 1365-1377 ainsi que André Breton, naissance de l’aventure surréaliste,
Corti, 1975). Les manuscrits de Michel Leiris, conservés à la bibliothèque littéraire Jacques Doucet (Paris), ont
été analysés par Catherine Maubon (dans Michel Leiris en marge de l’autobiographie, Corti, 1994, ainsi que dans
des articles) et Susanne Goumegou (Traumtext und Traumdiskurs. Nerval, Breton, Leiris, Munich, Fink, 2007),
pour ce qui concerne Nuits sans nuit et quelques jours sans jour. Claude Debon a fourni, dans les notices et notes
de son édition des Œuvres poétiques de Queneau dans la Bibliothèque de la Pléiade, des descriptions
précieuses. Les manuscrits de Raymond Queneau sont désormais conservés à la Bibliothèque municipale du
Havre et au Centre de documentation Raymond Queneau (CDRQ) de Verviers (Belgique) ; on en trouve des
photocopies au fonds Queneau de la Bibliothèque de l'Université de Bourgogne. Un inventaire approximatif est
disponible sur le site : http://www.queneau.fr/ [adresse vérifiée le 31 octobre 2019]. Les manuscrits de Jean
Paulhan et de Frédérick Tristan sont conservés l’Institut Mémoire de l’Édition Contemporaine de Caen (IMEC).
Le fonds Paulhan fait actuellement l’objet d’une numérisation et d’un travail de valorisation exceptionnel dans le
cadre du projet HyperPaulhan financé par l’Observatoire de la vie littéraire (OBVIL, Sorbonne université). On en
trouvera le détail sur le site : http://obvil.sorbonne-universite.site/projets/hyperpaulhan [adresse vérifiée le 31
octobre 2019].

28
Le récit de rêve, entre authenticité et auctorialité

« Quiconque envisage l’étude du rêve doit se garder de deux écueils : d’une part
l’exaltation et le verbalisme du poète, de l’autre l’extrême scepticisme du savant96 »,
recommande Franz Hellens. Pour écrire l’histoire de ce genre littéraire qu’est le récit de rêve,
je solliciterai l’histoire des idées et l’étude esthétique. En tâchant de se prémunir de l’illusion
téléologique, cette thèse interroge le statut littéraire du récit de rêve au XXe siècle, pris entre
souci de l’authenticité et préservation de l’auctorialité, ces deux pôles entre lesquels les textes
sont tendus.
Avec l’apparition de la psychanalyse et des nouvelles nomenclatures du rêve, mais
également des méthodes herméneutiques qui les accompagnent, le contexte épistémologique
du début du XXe siècle fait du récit de rêve une gageure. Impossible à écrire tant il s’accommode
mal des carcans de la narration, rendu oiseux par la concurrence des discours de savoirs, il
menace l’idée même de littérature en se donnant comme exemple d’œuvre sans auteur, car sans
travail du langage. S’éprouve dans ces textes la difficile conciliation entre expérience du rêve,
théorie du rêve et narration du rêve. Tente de s’y braver l’insuffisance du langage à transmettre
le vécu psychique : la temporalité non linéaire, l’espace instable, l’hybridité et la mouvance des
objets sont autant de défis lancés à l’écrivain, et auxquels chacun apporte une réponse
singulière.
En effet, l’idée freudienne de « travail du rêve » et l’expérimentation surréaliste de
l’écriture automatique bouleversent la temporalité de la création en la situant soit en amont de
la transcription, soit en coïncidence avec elle. Si le récit de rêve se fixe désormais pour but
d’être fidèle à l’expérience, il interroge à la fois le geste de l’écrivain et la notion de littérarité.
Les postures des auteurs face à leurs productions sont diverses. À travers la réflexion que les
écrivains mènent sur le rêve, ce sont des idées nouvelles de la littérature (de son champ, de sa
définition, de ses productions et des gestes qui la constituent) qui se forment et se développent
au cours du XXe siècle. Certains prétendent s’abstenir de toute retouche lorsque d’autres
fournissent des récits « franchement œuvrés », pour reprendre le mot de Bachelard cité plus
haut.
La première partie de cette étude confronte pensées du rêve et pensées de la littérature.
Prenant appui sur les discours périphériques aux récits de rêves (déclarations d’intention, essais,
préfaces), elle vise à établir et à analyser le contexte épistémologique dans lequel ils sont
produits et à évaluer la manière dont les pensées du rêve et de la littérature se nourrissent l’une

96
Franz Hellens, La Vie seconde, Albin Michel, 1963, p. 122.

29
l’autre. La perspective littéraire s’inspire des approches scientifiques mais est à l’origine de
discours sur le rêve (dans les formules employées, les méthodes et les approches) sensiblement
différents de ceux des discours de savoirs. Chambre d’écho de ces discours sur le rêve (et
notamment de la psychanalyse), la littérature doit se situer par rapport aux discours allogènes,
alors que les discours des sciences de la psyché gagnent en autorité. Mais le rêve donne aussi
l’occasion à la littérature de se redéfinir en s’appuyant sur lui comme concept ou comme
ensemble conceptuel.
La manière de théoriser le rêve influence immanquablement la manière de le représenter
et conduit à des réalisations variées. Aussi, l’étude esthétique proposée en deuxième partie
s’arrête-t-elle sur les options formelles choisies par les auteurs pour rendre compte de leurs
rêves. Elle émet l’hypothèse de constitution d’un genre puis cherche à en suivre l’évolution,
jusque dans ses impasses et ses renouvellements. L’ambition de reproduire et de transmettre
l’expérience du rêve engage des choix parfois opposés, lesquels donnent lieu à des débats sur
la façon de procéder. Deux tendances distinctes se laissent ainsi appréhender : l’une prenant la
suite de Breton et des manières surréalistes, l’autre s’inspirant de la posture et des idées de
Paulhan, rêveur moins définitif mais tout aussi déterminant pour l’histoire du genre.

30
PREMIÈRE PARTIE

SCIENCE DES RÊVES


ET SAVOIR DE LA LITTÉRATURE

31
CHAPITRE I
LE RÉCIT DE RÊVE,
UN OBJET SCIENTIFIQUE ?

1.1.   DES SAVANTS RÊVEURS AUX ÉCRIVAINS


SACHANT RÊVER

À ceux qui lui demandaient « comment devenir psychoanalystes », Freud répondait « de


chercher à noter dès leur réveil leur propres rêves, à y songer sans contrainte en les prolongeant
par la rêverie, et d’arriver ainsi à lire dans les ténèbres de l’inconscient1. » Le rêve, avec lui,
devenait méthode. Si la psychanalyse freudienne marque sans conteste un tournant majeur dans
l’histoire de la pensée du rêve, on a parfois tendance à minimiser les discours de savoir qui l’ont
précédée et à considérer que le rêve a été cantonné, avant 1900 et la parution de la
Traumdeutung, à des approches divinatoires et peu rigoureuses qui ne prenaient pas le soin de
l’envisager pour lui-même. Or, les travaux des historiens nous permettent aujourd’hui de
reconsidérer ce que nous serions tentée d’appeler la « révolution psychanalytique », celle qui
ferait surgir la théorie freudienne du rêve ex nihilo, et de saisir de quels travaux antérieurs elle
se nourrit. En effet, il apparaît que le discours psychanalytique se construit et se diffuse dans
un contexte où, pour reprendre le mot de Valéry, le rêve a peu à peu gagné sa place de « fait tout

1
Emmanuel Régis et Angelo Hesnard, « La doctrine de Freud et son école », L’Encéphale, mai 1913, p. 447-448.

33
court2 ». Cette conception positiviste du rêve, pris comme fait de pensée, se construit peu à peu
à partir du XIXe siècle, sous la plume d’hommes de sciences qui entendent faire du sommeil
« un thème d’investigation […], hors de toute approche religieuse ou merveilleuse3. » Oubliés
pour la plupart aujourd’hui, Antoine Charma, Alfred Maury, Hervey de Saint-Denys, Marcel
Foucault et bien d’autres contribuent à fonder un discours de savoir sur le rêve qui prend le récit
de rêve au sérieux et lui confère le statut d’objet scientifique.
C’est dans cette perspective exploratoire et phénoménologique qu’apparaît la nouvelle
pratique des « livres de rêves », bien décrite par Jacqueline Carroy et Sonu Shamdasani4 : on
« note ses rêves pour faire science5 ». Il s’agit là de fonder une connaissance de la psyché, entre
autres à partir de récits de rêves qui fonctionneraient comme autant de relevés objectifs d’un
esprit toujours en mouvement. Médecins, philosophes et psychologues s’évertuent ainsi à se
déprendre de la tradition oniromantique transmise par les clefs des songes6, en appliquant au
rêve une méthode scientifique expérimentale et inductive.
Nombre des écrivains de la première moitié du XXe siècle qui s’intéressent au
phénomène onirique s’inscrivent, épistémologiquement, dans la lignée de ces savants rêveurs
du XIXe siècle qui, bien avant Freud, fondent l’espoir que le rêve est un phénomène observable,
analysable et porteur de révélations sur le fonctionnement plus général de l’esprit. Ils gagent de
faire de ces notations immédiates des enregistrements rigoureux et exemplaires de l’activité
psychique de la nuit. Non seulement ces écrivains partagent avec les hommes de sciences un
même fantasme de captation du fonctionnement de l’esprit, mais ils vont également jusqu’à
leur emprunter des méthodes d’exploration similaires et, dans une certaine mesure, reprennent
à leur compte un vocabulaire et une appréhension scientifique du rêve dont ils se font les
héritiers. Ainsi s’opère, dans les années 1920 et 1930, un glissement subtil, pour l’étude du rêve
et son exploitation, du domaine scientifique au domaine littéraire, dans lequel écriture et
compréhension du rêve se superposent.

2
« Le rêve fut d’abord un fait religieux. Le rêve-présage ; le rêve-inspiration ; le rêve-remords. Puis ce fut un fait
philosophique. C’est enfin un fait tout court. » Paul Valéry, Cahiers, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la
Pléiade », vol. 2, 1974, p. 75. [abrégé C]
3
Jacqueline Carroy, Nuits savantes, Une histoire des rêves (1800-1945), Éditions EHESS, 2012, p. 13.
4
Sonu Shamdasani, « Preface : Of Dreams Books », dans David Holt, Eventful Responsibility : Fifty Years of
Dreaming Remembered, Oxford, Validthod Press, p. 3-7.
5
Jacqueline Carroy, Nuits savantes, op. cit., p. 21.
6
À ce sujet, voir Jacqueline Carroy et Juliette Lancel (dir.), Clés des songes et sciences des rêves. De l’Antiquité
à Freud, Les Belles Lettres, 2016.

34
1.1.1. OBSERVATION ET NOTATION

Pour les savants du XIXe siècle qui s’intéressent à la question, dont le plus connu est
Alfred Maury, le recours à l’écrit est une façon de traiter le fait onirique selon la méthode
positiviste. La tenue de carnets de rêves, dans lesquels se mêlent récits et remarques, est un
soutien méthodologique à une étude rigoureuse et suivie. Sans visée esthétique, ces recueils de
récits de rêves considérés comme authentiques sont des sortes de carnets de laboratoire,
ensembles de notes et de relevés pris dans une visée de pure observation expérimentale. Objet
par essence abstrait et évanescent, le rêve, une fois transcrit, se fait, en quelque sorte, matière
sur laquelle pourront être effectuées des opérations de mesure. En 1861, Maury présente dans
Le Sommeil et les rêves une méthode que mettront en pratique à sa suite bien des savants, mais
aussi des écrivains :

Je m’observe tantôt dans mon lit, tantôt dans mon fauteuil, au moment où
le sommeil me gagne ; je note exactement dans quelles dispositions je me
trouvais avant de m’endormir, et je prie la personne qui est près de moi de
m’éveiller, à des instants plus ou moins éloignés du moment où je me suis
assoupi. Réveillé en sursaut, la mémoire du rêve auquel on m’a soudainement
arraché est encore présente à mon esprit, dans la fraîcheur même de
l’impression. Il m’est alors facile de rapprocher les détails de ce rêve des
circonstances où je m’étais placé pour m’endormir. Je consigne sur un cahier
ces observations, comme le fait un médecin dans son journal pour les cas qu’il
observe. Et en relisant le répertoire que je me suis ainsi dressé, j’ai saisi, entre
des rêves qui s’étaient produits à diverses époques de ma vie, des coïncidences,
des analogies dont la similitude des circonstances qui les avaient pour ainsi dire
provoquées m’ont bien souvent donné la clef7.
L’opération de notation, à la base de cette méthode, fonctionne comme une sauvegarde
autonome et une mise à distance. Elle est avant tout établie sur l’auto-observation, là où les
savoirs du rêve précédemment forgés faisaient peu de place à l’attention portée par le savant à
ses propres productions et états psychiques ou physiologiques. Le savant, en tâchant toujours
de dissocier en lui conscience observante et objet observé, se prend lui-même pour « cas », cas
premier à partir duquel il s’agira de généraliser le propos ultérieurement. C’est bien à partir de
l’observation de ses propres rêves – et non en plaquant une grille d’analyse prête à l’emploi –
qu’il vise à tirer des lois qui permettront d’élaborer une science des rêves applicable à tous.
C’est donc essentiellement sur une écriture du moi que repose cet édifice scientifique.
Adoptant la forme du journal, cette pratique diariste est celle du médecin ou du scientifique,
attentif à l’évolution et au détail, mais elle ne se prête à aucun épanchement lyrique. Le support

7
Alfred Maury, Le Sommeil et les rêves. Études psychologiques sur ces phénomènes et les divers états qui s’y
rattachent, Didier, 1861. Je souligne.

35
écrit est ici le terrain d’un travail de fine analyse qui se construit selon une méthode précise :
on note d’abord ce qui est, puis on opère des rapprochements, on repère des « coïncidences »,
et on élabore des « analogies ». La part de recherche ne réside donc ni dans le rêve en lui-même,
ni dans sa notation ou sa rédaction, mais dans sa relecture. Ce n’est que dans ce dernier moment
de (re)considération que se joue une opération de liaison et de création du sens qui est là pour
tisser des liens explicatifs et repérer des lois de récurrence qui vont pouvoir « donner la clef »
d’un fonctionnement psychique.
C’est dans cette dynamique d’observation, aussi neutre que possible, de consignation
puis d’analyse, que s’inscrit le jeune Paulhan, lorsque, encore étudiant, il se lance dans le projet
d’écrire un essai sur le rêve en 1903. Fils du philosophe et psychologue Frédéric Paulhan8, Jean
Paulhan a alors une vingtaine d’années et fait des études de philosophie à la Sorbonne tout en
collaborant, certainement par l’entremise de son père, à diverses publications d’ordre
psychologique : le Journal de psychologie normale et pathologique dirigé par Pierre Janet et
Georges Dumas et, plus tard, la revue Demain du Dr Toulouse. Son essai, désigné dans la
bibliographie que Paulhan établit lui-même pour l’édition de ses œuvres complètes chez Tchou
en 1966-70 sous le titre Variation du temps dans les rêves, fait étonnamment figure de fantôme
dans son œuvre. Pourtant situé en tête de plusieurs bibliographies, le texte demeure aujourd’hui
introuvable, comme un rêve évanoui. Il semble qu’il ait été refusé par Ribot pour une parution
dans La Revue philosophique de la France et de l’étranger en juillet 1903 et n’ait été, par la
suite, jamais publié.
Mais si ce projet d’essai semble tourner court, l’écriture du rêve, elle, reste une des
préoccupations majeures du jeune écrivain. On sait, grâce à Bernard Baillaud9, que l’intérêt de
Paulhan pour le rêve ne s’arrête pas là. Dans des notes de 190410, il poursuit ses investigations
en alternant, à la manière des travaux des scientifiques, récits de rêves scrupuleusement notés,
considérations sur des « images visuelles » et paragraphes de « raisonnement » dans lesquels il
essaie de tirer de son expérience et des récits qu’il enregistre des considérations plus générales
sur le phénomène onirique. Son souci se porte sur une transparence du récit vis-à-vis de
l’expérience. Aussi clair sera le récit, aussi précises pourront être les analyses, comme en
témoigne cette note :

8
Frédéric Paulhan (1856-1931), philosophe de formation, contribue à la Revue philosophique de la France et de
l’étranger de Théodule Ribot.
9
Jean Paulhan, Œuvres complètes, t. I « Récits », éd. Bernard Baillaud, Gallimard, 2006. Voir les préface (p. 9-
24), chronologie (p. 24-43), notes et notice sur Le Pont traversé (p. 483-488).
10
Les notes et carnets de l’auteur sont conservés au fonds Paulhan, à l’Institut Mémoire de l’Édition
Contemporaine.

36
Ici le cas est bien net. Le point de départ du rêve se trouve dans une
préoccupation réellement éprouvée, à l’état de veille. Et cette préoccupation se
trouve très nettement corrigée par le rêve. Le raisonnement d’autre part est juste
(sans doute personne ne songera plus à m’écouter). Les éléments du rêve sont
bien harmonisés entre eux. (PT, 483)
Au contraire de Maury et d’autres savants qui se prennent comme premier sujet
d’observation, Paulhan, lui, ménage encore à cette période la distance entre sujet observé et
regard observant en s’attachant non seulement à ses propres rêves mais encore à ceux de ses
amis, et notamment ceux d’un peintre, Alfred Saurel, sur lesquels il exerce également son
analyse. Pétri de la lecture de Hervey de Saint-Denys, Alfred Maury ou Moreau de Tours,
Paulhan ambitionne de découvrir par l’étude du rêve des vérités sur le fonctionnement de la
conscience. Aussi écrit-il, en conclusion de l’analyse de l’un des rêves de son ami : « Loin
d’être livré à une association d’idées mécanique et fatale le rêve réalise donc une finalité bien
plus grande que l’état de veille : mieux qu’elles [sic], il exprime la véritable nature de l’esprit. »
(PT, 484)
La notation des rêves, en ce tout début de XXe siècle, quand bien même elle est prise en
charge par les écrivains, s’inscrit donc largement dans une démarche plus phénoménologique
que littéraire : il s’agit de comprendre non seulement les mécanismes du rêve mais encore, à
travers eux, ceux de l’esprit. Ce ne sont plus tant les produits du rêves en tant que contenus qui
suscitent l’intérêt que ce qu’ils pourraient faire émerger d’une mécanique mentale plus
profonde. « Philosophes et littérateurs ont étudié le rêve dans ses fabrications et non dans son
fonctionnement. » (C II, 149), écrit Valéry pour mieux se démarquer de ses prédécesseurs.
L’auteur de Monsieur Teste exprime très clairement la motivation scientifique qui est la sienne,
lorsque, dans ses Cahiers, il s’intéresse au phénomène onirique :

Le grand attrait de l’étude du rêve, gît dans le sentiment plus ou moins net
que cette étude nous conduira à pouvoir enfin considérer les formations
mentales, le jeu des représentations comme aveugle, comme un système
matériel ou plutôt sous cette figure et avec cette objectivité-là. (C II, 57)
Le rêve fonctionne chez lui comme un négatif de la conscience à l’état vigile. Parvenir, à force
d’observation, à le modéliser permettrait de construire, en creux, un discours de vérité sur la
conscience. Comme les savants du XIXe siècle qui considéraient dans le rêve une sorte de
saillance incontrôlée d’un esprit certes endormi mais toujours actif, Valéry voit dans le rêve
l’occasion d’une exploration du fonctionnement mental. Il parie sur la capacité du rêve à faire
percevoir le travail de l’esprit, c’est-à-dire à rendre intelligibles et formulables les règles qui
régissent les associations d’idées, la naissance et l’enchainement des contenus mentaux.
L’auteur des Cahiers adopte une perspective positiviste : s’il emploie l’adjectif « aveugle »

37
pour parler du « jeu des représentations », c’est pour faire taire l’idée d’une visée mystérieuse
(inaccessible à l’entendement) et ne conserver que celle d’une physiologie de l’esprit, réductible
à des causes identifiables.
Valéry est certainement l’auteur qui s’est le plus approprié la méthode scientifique pour
tenter d’approcher le rêve. Dans sa volonté d’élaborer ce qu’il nomme son « Système », le rêve
lui apparaît avant tout comme un des états de la conscience, état certes négatif mais qu’il
faudrait pourtant réussir à intégrer pour rendre compte d’un ensemble cohérent.

On a cherché pour les rêves


leur signification
puis, leurs conditions de production
leur valeur comme indices.
Je les ai considérés quant à moi, comme états, et modes d’existence de la
conscience – Cherchant à y trouver cette conscience dans une modalité
incomplète –, à moins de conditions. (C II, 106)
Adoptant une position scientifique qu’il sait originale, il se donne pour ambition de modéliser
le rêve en le réduisant à des équations valables pour tous. En quelque sorte, l’écriture des
Cahiers, dans sa profusion fragmentaire, retrace l’itinéraire intellectuel d’une pensée qui ne
vise pas tant à développer une théorie organisée et touffue du rêve qu’à le réduire dans la
synthèse condensée d’une formule irréfutable. « Le monde des rêves est une géométrie — Le
monde de l’esprit est une géométrie. Trouver les axiomes et les éq[uations] de condition —
Voilà toute la « psychologie » ou presque toute. » (C II, 109) Loin de tout épanchement, la
psychologie dont il se met en quête n’est pas une façon d’aborder les singularités de l’individu
mais au contraire une méthode qui permettra de mettre au jour les règles universelles du
fonctionnement mental.
« Géométrie », « calculs », « variables », « équations », « axiomes », « valeurs »,
« inconnues », « fractions », « coefficients » sont des termes que l’on retrouve souvent sous sa
plume et qui placent résolument le rêve dans un paradigme scientifique, animé de vecteurs,
d’opérations, de signes = ou ∞.

Faire une théorie du rêve, ce serait selon moi le représenter au moyen de


phénomènes de la veille auxquels on applique des règles particulières, une sorte
de règles particulières de calcul.
Comprendre le rêve, pour moi, ce serait trouver ces règles. Du moins cette
position en pleine lumière, une capitale et délicate difficulté. Elle montre
naïvement et nettement que nous ne pouvons spéculer que sur ce que nous
pouvons rendre suffisamment objectif. (C II, 52)
On trouve ainsi, au fil des pages des Cahiers, nombre de tentatives de réductions mathématiques
pour transcrire le rêve et face auxquelles on ne sait plus trop à quelle logique se vouer.

38
Le rêve est le royaume des décimales, des valeurs approchées – On y
remplace les entiers par des fractions continues.
(…)
On peut assimiler la situation qui aboutit au rêve à un système d’inconnues,
de demandes enchevêtrées – dont les coefficients sont pressions physiques,
sensations.
La solution juste est réveil, compatibilité ou bien séparation nette et
définitive des équations que l’on croyait simultanées. On n’élimine plus entre
elles des variables qui ne sont pas les mêmes. On ne fait plus A = B ; B’ = C,
d’où A = C (faux) – on ne croit plus B = B’. (C II, 34)
La symbolisation mathématique permet à Valéry d’échapper au solipsisme de l’expérience
singulière. Le cas particulier que représente chaque occurrence de rêve, avec ses contenus et
ses circonstances propres, ne se rapportant qui plus est qu’à une personnalité unique, peut ainsi
être dépassé dans une essentialisation conceptuelle.
En témoigne ce récit de 1902. Précédé d’un paragraphe théorique, articulant les notions
abstraites, il laisse entrevoir, pour un court instant, une expression plus incarnée et triviale de
la matière onirique du poète.

Quelquefois une notion A dont nous possédons pendant la veille les formes
B, revient sous une forme B’ différente de B quelquefois – pour les paroles –
celles dites n’ont aucun sens pour la veille mais dans le songe nous croyons
qu’elles ont un sens.
Il faut voir dans le rêve un fonctionnement des fonctions suivant des liaisons
– une phase.
Je suis arrivé rêvant que j’entrais pour le visiter au Collège de Cette et
causant avec le principal à lui dire que je n’étais pas venu à ce Collège depuis
1876. Mais lui incrédule – c’était moi – je suis arrivé à trouver la vraie date de
1884. (Puis j’ai vu une plage de pierres pures, rondes dans une mer lumineuse
verte avec un très grand vent. Des gens et moi qui allais.)
La disposition générale du collège est la vraie, en terrasse – sur une pente –
les détails à demi faux – avec quelques incidents fantastiques.
Ce caractère mixte de vrai/faux est la grosse difficulté du rêve. On dirait
qu’il commence dans le vrai par un mélange de réflexions et de souvenirs
comme la veille en contient tant. Puis les réflexions se colorent et prennent une
réalité qui les mêle intimement aux souvenirs – puis les conditions fixes
s’altèrent. (C II, 12-13)
La rupture stylistique entre amorce et clôture théoriques d’une part et passage narratif de l’autre
est pour le moins marquée. D’un côté, énonciation englobante avec les pronoms « nous » et
« on », de l’autre utilisation du « je » ; mais surtout, la syntaxe claire dans les énoncés
théoriques abstraits cède la place à un ordre des mots surprenant, voire chaotique, dans le récit
de rêve et qui rend son intelligibilité plus ardue. Les souvenirs, éléments biographiques que
constituent la ville de Sète (orthographié Cette à l’époque) et la géographie des lieux se mêlent
à la scène fantasmée de rencontre avec le principal mais ne donne lieu à aucune herméneutique
singulière. L’ensemble est entièrement mis au service d’un raisonnement plus large, qui

39
implique non pas le sujet-Valéry, mais ce que ses rêves peuvent avoir de représentatif d’une
organisation générale de l’esprit.

Cette idée, bien que largement complexifiée par l’ambition avant-gardiste de redéfinir
le champ et la nature du territoire littéraire, est tout à fait prégnante dans le discours surréaliste
élaboré par Breton. En prenant appui sur le rêve et d’autres états de conscience altérée (écriture
automatique prenant sa source dans l’endophasie, phrases de demi-sommeil et sommeils
hypnotiques), les membres du groupe cherchent certes à bousculer et enrichir la production
poétique (matériaux et conception), mais ils en passent aussi par une exploration de type plus
scientifique. Le récit de rêve n’est pas seulement un outil pour faire bouger les lignes de la
chose littéraire, il est aussi un support d’étude et de connaissance de la chose psychique.
Ce nouage intime d’un souci d’exploration scientifique et de nouvelles manières
d’écrire, au point même de présenter les secondes comme subordonnées au premier, est
particulièrement sensible dans les textes où Breton fait retour sur l’aventure surréaliste.
Lorsqu’il revient sur les premières années du groupe ou qu’il retrace l’élan qui fut le sien, avec
tout ce que ce geste peut comporter de reconstitution arrangée et de réécriture de l’histoire, il
prend soin de remettre à l’origine du dessein surréaliste l’extension du champ de la
connaissance. En 1942, dans « Situation du surréalisme », il conclut sa conférence devant les
étudiants de Yale en rappelant les cinq principales « propositions surréalistes » au premier rang
desquelles il place « l’exploration de la vie inconsciente » à laquelle participe l’écriture
automatique :
Le surréalisme n’a cessé de faire valoir l’automatisme, non seulement comme méthode
d’expression sur le plan littéraire et artistique, mais encore comme première instance en vue
d’une révision générale des modes de connaissance11.
Déjà en 1934 dans Qu’est-ce que le surréalisme ? il faisait du « problème de la
connaissance » le principe structurant de l’histoire du groupe puisqu’il la résumait en deux
questions – qui n’en sont qu’une :

Comment l’activité surréaliste a dû cesser de se contenter des résultats


(textes automatiques, récits de rêves, discours improvisés, poèmes, dessins ou
actes spontanés) qu’elle s’était proposés initialement. Comment elle en est
venue à ne considérer ces premiers résultats que comme des matériaux à partir
desquels tendait inéluctablement à se reposer, sous une forme toute nouvelle,
le problème de la connaissance12.

11
André Breton, « Situation du surréalisme » (1942), La Clé des champs, OC III, Gallimard, coll. « Bibliothèque
de la Pléiade », p. 722. Je souligne.
12
André Breton, Qu’est-ce que le surréalisme ? , OC II, p. 233.

40
La question de la compréhension du rêve est certainement moins explicitement abordée dans
les écrits de l’« époque intuitive » (1919-1925), où l’on s’en tient principalement à amasser de
la matière rêvée sans chercher à l’analyser précisément, que dans ceux de l’« époque
raisonnante », dans laquelle le discours de commentaire se fait plus affirmé. C’est pourtant bien
une dynamique heuristique qui anime les recherches des hommes de Littérature dans les
premières années du surréalisme. Le Manifeste du surréalisme l’annonce très clairement : grâce
aux récentes exploitations du rêve menées par Freud, « l’explorateur humain pourra pousser
plus loin ses investigations13 ». L’« explorateur », on l’aura compris, n’est autre que l’écrivain
lui-même puisque, prend soin de préciser Breton un peu plus loin, « il importe d’observer
qu’aucun moyen n’est désigné a priori pour la conduite de cette entreprise [d’investigation] »
et « que jusqu’à nouvel ordre elle peut passer pour être aussi bien du ressort des poètes que des
savants14. »
Si poètes et savants semblent à ce point établis dans des rôles interchangeables ou en
tout cas dans une configuration du partage du savoir qui donnerait autant de légitimité à l’un et
à l’autre, c’est qu’ils participent en fait à la même entreprise de transcription de l’activité
psychique dans son expression la plus brute. Le poète, comme le savant, doit en passer par une
première phase de simple consignation acritique ; tous doivent se résoudre à n’être, d’abord,
que « sourds réceptacles de tant d’échos », voire « modestes appareils enregistreurs15 ». Le
rêve, à cet égard, fait figure de pensée à la fois non corrompue et encore saisissable dans sa
densité. Lorsque Aragon, dans Une vague de rêves, écrit qu’« André Breton en 1919
[s’applique] à saisir le mécanisme du rêve16 », le verbe est moins à entendre dans le sens de
compréhension – nous n’y sommes pas encore – que dans celui de captation. Le verbe « capter »
se retrouve souvent sous la plume du chef de file du surréalisme17. En mêlant les métaphores
électromagnétique (capter une fréquence) et aquatique (capter une source), il considère toujours
le produit de l’esprit comme une onde, qu’il s’agirait de canaliser dans la plume pour ensuite
l’enregistrer et l’observer sur le papier dans sa pureté la plus nette possible. Le mot « rêve »,
ici, fonctionne comme un nom générique qui engloberait tous les états cognitifs de conscience
altérée. Il ne se réduit pas à un sens strict, qui ne prendrait en compte que le seul contexte du

13
André Breton, Manifeste du surréalisme, OC I, p. 316.
14
Ibid., p. 316.
15
Ibid., p. 330.
16
Louis Aragon, Une vague de rêves (1924), Seghers, coll. « Poésie d’abord », 2006, p. 13.
17
« Si les profondeurs de notre esprit recèlent d’étranges forces capables d’augmenter celles de la surface, ou de
lutter victorieusement contre elles, il y a tout intérêt à les capter, à les capter d’abord, pour les soumettre ensuite,
s’il y a lieu, au contrôle de notre raison » André Breton, Manifeste du surréalisme, OC I, op. cit., p. 316.

41
sommeil, mais englobe une acception plus étendue que l’on retrouvera dans la notion
d’automatisme18. Il est, en quelque sorte, l’activité prototypique, exemplaire de l’esprit lorsqu’il
n’est focalisé sur aucun objet d’attention particulier, l’esprit « au naturel ». Il désigne, plus
largement, la pensée non contrainte, le « penser non dirigé19 » pour le dire avec les mots de
Tzara, à l’œuvre aussi bien dans le récit de rêve que dans toutes les modalités d’écriture
soumises au régime de l’automatisme psychique : phrases de demi-sommeil, écriture
automatique suivie et sommeils hypnotiques.

18
Comme le montre Jacqueline Carroy, les explorations du phénomène onirique, au XIXe siècle, se mêlent souvent
à des considérations sur les hallucinations, la folie, le somnambulisme et autres états de conscience altérée. Toutes
ces approches ont pour point commun de considérer ces activités cognitives comme inférieures à la conscience
vigile. La notion d’automatisme mental ou psychologique, développée par Baillarger puis par Janet, influence
Breton sans que l’on puisse toutefois établir une analogie parfaite avec l’automatisme psychique des surréalistes.
19
Tristan Tzara, Grains et issues (1935), Garnier-Flammarion, 1981.

42
1.1.2. RÊVE, AUTOMATISME ET SURRÉALISME

On se souvient de la célèbre définition du surréalisme énoncée par le Manifeste de


1924 :

SURRÉALISME, n. m. Automatisme psychique pur par lequel on se


propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière,
le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout
contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou
morale20.
Plus que comme une procédure – celle-ci est exposée quelques pages plus loin, non sans ironie,
dans les « secrets de l’art magique surréaliste » –, le surréalisme est désigné comme un état
psychique sans pour autant que la définition donne plus d’indications sur les circonstances dans
lesquelles l’esprit peut accéder à un tel état de vacance de « tout contrôle ». Deux ans plus tôt,
à l’époque même où Breton s’essaie à ses premiers récits de rêves stricto sensu et les publie
dans Littérature, il avait donné, dans « Entrée des médiums21 », une première définition de la
notion en la rapprochant du rêve en tant qu’état cognitif :

On sait, jusqu’à un certain point, ce que, mes amis et moi, nous entendons
par surréalisme. Ce mot, qui n’est pas de notre invention et que nous aurions si
bien pu abandonner au vocabulaire critique le plus vague, est employé par nous
dans un sens précis. Par lui, nous avons convenu de désigner un certain
automatisme psychique qui correspond assez bien à l’état de rêve, état qu’il est
aujourd’hui fort difficile de délimiter.22
Tout en restant une notion imprécise, le rêve a cet avantage d’être un état a priori connu de
tous. On peut donc s’y référer sans prendre le soin de le définir davantage et sans prendre le
risque de diluer la cohérence du propos dans une approximation trop douteuse. Chacun en a fait
l’expérience et, en termes de référence, l’expérience prime sur la définition !
Les deux notions de rêve et de surréalisme tendent donc, en 1922, à se confondre tant la
seconde est basée sur la première : l’exploitation de l’automatisme psychique est subordonnée
à l’exploration des zones liminales de la conscience. Le rêve, ici, n’est pas convoqué comme
référent exact mais par analogie, et encore, avec les précautions modalisantes qui s’imposent.
Le surréalisme n’est pas le rêve à strictement parler mais « un certain automatisme psychique
qui correspond assez bien à l’état de rêve ». La précision du terme « surréalisme » est ainsi
neutralisée non seulement par la part de flottement qu’implique l’analogie, mais encore par

20
André Breton, Manifeste du surréalisme, OC I, p. 328.
21
André Breton, « Entrée des mediums », Littérature, nouvelle série, n° 6, 1er novembre 1922, repris dans Les Pas
perdus, OC I, op. cit., p. 273-279.
22
Ibid., p. 274. Je souligne.

43
l’imprécision même de la définition du rêve, état psychique instable et insaisissable. Le
surréalisme, à ses débuts, se donne ainsi comme une « entreprise de prospection continue de
l’état de rêve pour en découvrir les véritables limites, trop floue à travers la littérature et trop
restreintes à travers la psychologie23. » C’est encore dans le discours des origines que se
construit le mouvement, la source même de toute la suite :

Ainsi le concept de surréalité pendant deux ans revint sur lui-même


entrainant avec soi un univers de déterminations. Et dans ce repliement il
retrouve d’abord les images qui présidèrent à sa genèse, comme un fils ses
parents […]. Il retrouve à son point de départ le rêve d’où il est sorti […]24.
Le mot « rêve », dans le discours surréaliste plus qu’ailleurs peut-être, ne possède pas une
définition rigoureuse et figée mais témoigne, dans son évolution et sa polysémie, d’une
acception en construction. Désignant, au cours de l’histoire du groupe et de la pensée qu’il
forge, tour à tour un état psychique, une méthode d’exploration, un contenu d’imagination, une
qualité de perception, voire un monde – celui de la surréalité –, le concept sert surtout d’outil
pour élaborer la notion même de surréalisme.

Le récit de rêve, entre phrases de demi-sommeil et sommeil hypnotique


« Entrée des médiums », en 1922, revient sur trois pratiques d’écriture présentées dans
une continuité, car répondant à la même ambition : « faire sourdre le murmure de notre
inconscience », « recueillir quelques mots qui tombaient de la “bouche d’ombre” ». Les phrases
de demi-sommeil – particulièrement développées par Breton et Soupault dans Les Champs
magnétiques puis par Breton seul dans Poisson soluble –, les récits de rêves – initiés par Breton
puis pratiqués par l’ensemble du groupe –, et les sommeils hypnotiques – dans lesquels
s’illustrent Crevel et Desnos – s’inscrivent ainsi dans une visée similaire : « exprimer le
fonctionnement réel de la pensée » ; chaque pratique venant compenser les lacunes de la
précédente dans la fidélité de sa transcription. Ces pratiques sont expérimentées de façon
rapprochée mais successivement. L’écriture automatique naît en 1919, le premier récit de rêve
est publié en mars 1922 et les séances de sommeil hypnotique ont cours à l’automne-hiver
1922-1923. En quatre ans sont donc essayées trois techniques différentes, avec chacune ses
protocoles et ses résultats, mais qui toutes prennent le sommeil, au sens large, pour terrain et
moyen d’expérience. Dans leurs dénominations mêmes, toutes trois se situent dans le champ

23
Sarane Alexandrian, Le Surréalisme et le rêve, Gallimard, coll. « Connaissance de l’inconscient », 1974, p. 7.
24
Louis Aragon, Une vague de rêves, Seghers, 2006.

44
sémantique du sommeil. Breton, dans les Entretiens, revient sur l’unité de ces trois types
d’expérimentation :

Il importe, au départ, de bien saisir l’unité de la démarche qui préside à la


pratique de l’écriture automatique et à l’étude des manifestations auxquelles
donne lieu le sommeil provoqué. Dans les deux cas, ce qu’il s’agit d’atteindre
et d’explorer n’est autre chose que ce que l’on appelle les états seconds. Vous
me demandez d’où vient la prédilection que nous avons pu marquer à ces états.
C’est bien simple. Ce qui nous a passionnément intéressé en eux, c’est la
possibilité qu’ils nous donnaient d’échapper aux contraintes qui pèsent sur la
pensée surveillée25.
Au-delà d’une réalité expérientielle dont chacun a pu faire l’épreuve, le sommeil est, pour les
surréalistes, la façon générique de nommer cette disposition naturelle au relâchement de la
conscience, sans que l’état d’endormissement soit nécessairement effectif.
Le rêve, en ce sens, se situe dans un continuum. Il n’est qu’un des degrés d’abandon de
la conscience raisonnante, disposition médiane entre la rêverie qu’impliquent les phrases de
demi-sommeil, où le sujet est encore conscient de ce qu’il produit, et l’état d’hypnose des
séances de « sommeils » dans lequel il ne maîtrise plus grand-chose de son discours. C’est donc
un cheminement expérimental dans la recherche d’une écriture qui voudrait se faire de plus en
plus transparente à la pensée incontrôlée, avec ses réussites et ses limites, que nous donne à lire
Breton en 1922. Dans l’histoire que le surréalisme écrit de lui-même, les trois types d’écritures
sont rassemblées et subsumées sous ce qui relève de l’écriture automatique. Ainsi, dans les
moments de retour critique, Breton assimile souvent les activités d’écriture automatique, de
récits de rêve et de sommeils hypnotiques. Cependant, si l’un des trois doit ne pas être cité, ce
seront les récits de rêves, peut-être moins « fascinants », moins extraordinaires, moins
dangereux et moins fiables, plus accessibles à tous, plus communément partagés aussi, que les
deux autres.
Au cœur de la recherche d’une écriture purement enregistreuse, encéphalographique, se
trouve la question de la distance. Alors que les premières approches formulaient le vœu d’une
écriture qui collerait au plus près de la pensée et sans intermédiaire d’aucune sorte (ni humain,
ni technique, ni temporel…), le recours à des dispositifs de mise à distance se fait peu à peu
sentir, dans un but d’objectivation. Pour garantir une proximité maximale entre l’activité de
l’esprit, qui se manifeste primordialement sous une forme sonore (une voix, une phrase, un
dialogue, une parole), et sa transcription écrite mais non corrompue, l’activité d’écriture donne
une place de plus en plus importante à l’intervention d’un tiers. D’une procédure à l’autre,

25
André Breton, Entretiens, OC III, p. 473.

45
apparaît un scripteur extérieur qui s’intègre peu à peu au protocole et fait office de garde-fou.
Ce tiers est là pour parer un double risque : il est en quelque sorte garant d’une neutralité
maximale (refusant l’expression d’une subjectivité) et freine la tentation d’une reprise de
contrôle, aussi bien esthétique que morale, qui viendrait brouiller le message ; mais il endosse
aussi un rôle protecteur contre les risques de dérive qui égareraient les auteurs sur les bords de
la folie.

Phrases de demi-sommeil et écriture automatique

L’écriture automatique, en tant que telle, ne fait pas nécessairement intervenir un tiers
mais s’organise tout de même, à son origine, autour d’un compagnonnage entre Breton et
Soupault26. Qualifié de « livre dangereux27 » parce qu’il explore des zones encore non exploitées
du psychisme et place les auteurs, de leur aveu même, dans une sorte de transe qu’il serait risqué
d’affronter seul, le livre « par quoi tout commence28 », Les Champs magnétiques, est une
aventure à deux.

Il est certain que jamais André seul n’aurait écrit Les Champs magnétiques,
n’aurait eu le courage d’affronter alors l’inconnu. Le livre est né de l’écriture
simultanée, de la confrontation immédiate, de l’émulation par les lectures
réciproques de ces textes, à chacun des deux auteurs étrangers. C’est une
exploration de la nuit des abîmes où un homme seul n’aurait pu se risquer, où
les épouvantes et les merveilles auraient tourné la tête d’un solitaire, l’auraient
fait vaciller dans le gouffre. […] Les Champs magnétiques sont devenus
l’œuvre d’un seul auteur à deux têtes, et le regard double a permis à Philippe
Soupault et André Breton d’avancer sur la voie où nul ne les avait précédés,
dans ces ténèbres où ils parlaient tous les deux à voix haute29.
À côté de ce danger de l’inconnu, l’autre risque, et Breton y revient plus longuement, est celui
de perdre le flux de cette « pensée parlée30 » par l’intervention parasite d’une raison jugeante et
mutilante qui peu à peu reprendrait ses droits, en dépit des efforts et des dispositions prises.

Nous n’en risquions pas moins, en prêtant même malicieusement l’oreille à


une autre voix que celle de notre inconscience, de compromettre dans son
essence ce murmure qui se suffit à lui-même, et je pense que c’est ce qui arriva.

26
Michel Murat note que la configuration de collaboration permet de mettre en place un « système du dialogue
qui revivifie la pratique d’écriture surréaliste ». « Très souvent, on retrouve un schéma triangulaire avec deux
scripteurs qui s’adressent à un destinataire absent. » Il remarque ainsi que Breton et Soupault composent les
Champs magnétiques en l’absence d’Aragon mais en ayant toujours le souci de sa lecture. Viendront ensuite les
trios formés par Éluard, Breton et Dali, puis pour Ralentir travaux, Éluard, Breton et Char. Michel Murat, « Jeux
de l’automatisme », dans Michel Murat et Marie-Paule Berranger (dir.), Une pelle au vent dans les sables du rêve.
Les écritures automatiques, Presses universitaires de Lyon, 1992, p. 13.
27
André Breton, Les Champs magnétiques, ex R.G, page de garde, reproduit dans « Notice », OC I, op. cit.,
p. 1128.
28
Louis Aragon, « L’Homme coupé en deux », Écrits sur la poésie, dans Œuvres Poétiques Complètes, Gallimard,
coll. « Bibliothèque de la Pléiade », t. II, p. 1376.
29
Ibid., p. 1375.
30
André Breton, Manifeste du surréalisme, OC I, p. 326.

46
Jamais plus par la suite, où nous le fîmes sourdre avec le souci de le capter à
des fins précises, il ne nous entraîna bien loin31.
Le processus de familiarisation que Breton décrit et regrette est en fait fatal. À l’enthousiasme
de la découverte et l’exceptionnelle acuité de cette nouvelle attention portée au discours
intérieur ne pouvait manquer de succéder une étape dans laquelle l’intérêt serait plus émoussé.
L’exaltation de cet élan est teintée d’un radicalisme idéaliste qui n’accepte pas la demi-mesure.
Au nom d’une certaine mythification d’une transparence totale de l’écriture à l’expression de
l’esprit, on a tendance à rejeter l’écriture du côté de la mystification, dès que celle-ci montre
des signes de faiblesse. Ce rejet, amorcé par une exigence assez tyrannique, se nourrit d’un
fantasme de pureté, du désir de transparence d’une expression directe et non stylisée.
Même si le rêve, stricto sensu, n’est convoqué que dans la pratique du récit de rêve, les
deux exercices qui l’encadrent dans la période de fondation du mouvement n’en sont pas si
éloignés, dans la mesure où il s’agit toujours d’en appeler à un état de conscience altérée plus
ou moins proche de celui du sommeil. Ainsi, l’idée de l’écriture automatique s’impose à Breton
par la survenue d’une phrase de demi-sommeil, épisode fondateur qu’il se plait à nous rappeler
dans « Entrée des médiums » et sur lequel il revient à plusieurs reprises, notamment dans le
Manifeste et dans « Le Message automatique ».

En 1919, mon attention s’était fixée sur les phrases plus ou moins partielles
qui, en pleine solitude, à l’approche du sommeil, deviennent perceptibles pour
l’esprit, sans qu’il soit possible de leur découvrir une détermination préalable.
[…] Je me bornai tout d’abord à les retenir. C’est plus tard que Soupault et moi
nous songeâmes à reproduire volontairement en nous l’état où elles se
formaient. Il suffisait pour cela de faire abstraction du monde extérieur et c’est
ainsi qu’elles nous parvinrent, deux mois durant, de plus en plus nombreuses,
se succédant bientôt à intervalle avec une rapidité telle que nous dûmes recourir
à des abréviations pour les noter32.
Les phrases de demi-sommeil pourraient être rapprochées d’hallucinations
hypnagogiques auditives qui surviennent lors de la phase d’endormissement, phase aujourd’hui
considérée comme pleinement intégrée au cycle du sommeil (stade 1)33 et non comme une zone
grise à l’interface de la veille. L’exemple choisi par Breton dans le Manifeste – « Il y a un
homme coupé en deux par la fenêtre. » – mêle habilement l’ouïe et la vue : c’est une « bizarre
phrase » que l’écrivain dit percevoir mais celle-ci se présente à bien des égards comme une
vision. Malgré l’insistance avec laquelle le poète souligne le caractère éminemment sonore de
ce surgissement « nettement articulé au point qu’il était impossible d’en changer un mot »,

31
André Breton, « Entrée des médiums », OC I, p. 275.
32
Ibid., p. 274.
33
À ce sujet, voir l’article de Perrine Ruby « Que nous apprend la recherche expérimentale sur la fréquence des
rapports de rêves ? », dans Marie Bonnot et Aude Leblond (dir.), Les Contours du rêve, Hermann, 2017.

47
l’exactitude formelle du message n’est pas garantie, et, paradoxalement, c’est bien plutôt
l’aspect visuel de cette apparition que met en avant l’auteur : « peintre, cette représentation
visuelle eût sans doute pour moi primé l’autre34. »
Le défaut de rigueur peut surprendre, surtout lorsque l’on sait que d’autres phrases
surgies lors de l’écriture des Champs Magnétiques ne souffraient pas de la même approximation
syntaxique35. L’image de cet homme qui met littéralement la tête à la fenêtre, au point de se
faire couper en deux, n’est pas sans rappeler un récit de rêve particulièrement célèbre du
XIXe siècle : le rêve de la guillotine d’Alfred Maury36. Maury se rêve, en pleine Terreur,
condamné à la décapitation et s’éveille de son cauchemar au moment où la lame allait lui
trancher la tête, surpris par la chute d’un morceau de son lit qui venait de lui tomber sur les
cervicales ! Abondamment repris et commenté37, il sert d’exemple à l’auteur du célèbre ouvrage
Le Sommeil et les Rêves pour s’interroger sur la vitesse et le moment auxquels se forment les
rêves : au cours du sommeil ou bien au seul moment du réveil ?
Fasciné par les hallucinations hypnagogiques dont il s’attache à retrouver les origines
physiologiques par telle ou telle observation sur la température ou sur la position de son corps,
Maury étend ses conclusions à ce rêve pour en établir l’origine kinesthésique et l’extrême
rapidité de composition, au moment du réveil :

[…] je m’éveille en proie à la plus vive angoisse, je me trouve sur le col la


flèche de mon lit qui s’était détachée et qui était tombée sur mes vertèbres
cervicales à la façon du couteau de la guillotine. Cela avait eu lieu à l’instant,
ainsi que ma mère me le confirma, et cependant c’était cette sensation externe

34
André Breton, Manifeste du surréalisme, OC I, op. cit, p. 325.
35
Dans la notice des Champs magnétiques de l’édition de la Pléiade, Marguerite Bonnet cite l’exemplaire annoté
en 1930 pour le collectionneur René Gaffé : « Je me souviens que le premier essai auquel je me livrai dans ce sens
aboutit à la formation d’un certain nombre de phrases de l’authenticité desquelles j’étais, quant à moi, assez peu
sûr, à l’exception de ces quelques mots jetés sur le papier les premiers : « “Fleur de laque jésuite dans la tempête
blonde…” ». (OC I, p. 1128)
36
« J’étais un peu malade et je me trouvais couché dans ma chambre, ayant ma mère à mon chevet. Je rêve de la
terreur. J’assiste à des scènes de massacre. Je comparais devant le tribunal révolutionnaire, je vois Robespierre,
Marat, Fouquier-Tinville, toutes les plus vilaines figures de cette époque terrible : je discute avec eux ; enfin, après
bien des événements, que je ne me rappelle qu’imparfaitement [...] je suis jugé, condamné à mort et conduit en
charrette au milieu d’un concours immense, sur la place de la Révolution ; je monte sur l’échafaud ; l’exécuteur
me lie sur la planche fatale, il la fait basculer, le couperet tombe, je sens ma tête se séparer de mon front ; je
m’éveille en proie à la plus vive angoisse, je me trouve sur le col la flèche de mon lit qui s’était détachée et qui
était tombée sur mes vertèbres cervicales à la façon du couteau de la guillotine. Cela avait eu lieu à l’instant, ainsi
que ma mère me le confirma et cependant c’était cette sensation externe que j’avais prise, comme dans le cas que
j’ai cité plus haut, pour le point de départ d’un rêve où tant de faits s’étaient succédé. » Alfred Maury, « Nouvelles
observations sur les analogies des phénomènes du rêve et de l’aliénation mentale », Annales médico-
psychologiques, vol. I, 1853, p. 418. Le récit à quelques détails près est repris dans Le Sommeil et les rêves, Didier,
1861, p. 161-162.
37
Sur le sujet, voir Jacqueline Carroy, « Écrire et analyser les rêves avec Maury et Freud », dans Jacqueline Carroy
et Nathalie Richard (dir.), Alfred Maury, érudit et rêveur. Les sciences de l’homme au milieu du XIXe siècle, PUR,
coll. « Carnot », 2007, p. 105-130.

48
que j’avais prise, comme dans le cas que j’ai cité plus haut, pour le point de
départ d’un rêve où tant de faits s’étaient succédés38.
Or, à l’époque où Breton expérimente avec Soupault l’écriture automatique à partir de ces
phrases de demi-sommeil, il accorde une importance extrême à la vitesse d’écriture à la fois
comme support et comme gage d’authenticité.

Il s’agissait en effet, dans le corps du livre, de pouvoir varier, d’un de ces


chapitres à l’autre, la vitesse de la plume, de manière à obtenir des étincelles
différentes. Car, s’il paraît prouvé que, dans cette sorte d’écriture automatique,
il est tout à fait exceptionnel que la syntaxe perde ses droits […], il est
indéniable que les dispositions prises pour aller très vite ou un peu plus
lentement sont de nature à influencer le caractère de ce qui se dit39.
À travers cette image qui « qui cogn[e] à la vitre40 », c’est ainsi toute une interrogation sur la
vitesse qui semble traverser deux esprits rêveurs : la vitesse d’écriture qui doit se laisser
transcrire dans l’instant de sa fulgurance, pour l’écrivain, et la vitesse de composition du rêve
qui paraît répondre aux stimulations extérieures en les intégrant de façon vertigineuse au
fantascope intérieur, pour le savant41. Dans les deux cas, c’est la question de la validité de la
trace écrite ou mémorielle par rapport à la voix intime qui est en jeu. Ce rêve de guillotine, a-t-
il bien été rêvé ou n’a-t-il été que recréé pour coller à l’expérience sensorielle dans l’instant du
choc ? Cette phrase entendue dans le for intérieur de l’écrivain mais qui n’était pas sa voix,
peut-elle être retranscrite dans sa pureté ?

Les récits de rêves

Contrairement à ces phrases de demi-sommeil peu à peu corrompues par une


préoccupation esthétique les rendant impures, le récit de rêve présente pour Breton l’avantage
de ne pouvoir être soumis à « l’incursion d’éléments conscients le plaçant sous une volonté
humaine, littéraire, bien déterminée42 ». Avec le récit de rêve, l’auteur espère tirer profit de deux
mises à distance : un décalage temporel et un décalage personnel.

38
Alfred Maury, « Nouvelles observations sur les analogies des phénomènes du rêve et de l’aliénation mentale »,
art. cit., p. 418.
39
André Breton, exemplaire annoté en 1930 des Champs magnétiques, cité par Marguerite Bonnet, notice des
Champs magnétiques, OC I, op. cit., p. 1129.
40
André Breton, Manifeste du surréalisme, OC I, op. cit., p. 324.
41
Breton n’ignore pas cette réflexion de Maury à partir du rêve de la guillotine, auquel il consacre quelques mots
dans Les Vases communicants : « Une réplique modérée à Hervey a pu cependant venir de Maury qui, par la
relation de son célèbre rêve de la guillotine, a cru mettre en évidence le caractère illusoire du souvenir de rêve, a
prétendu prouver que toute la construction en cause s’échafaude dans les quelques secondes que dure le réveil,
l’esprit se hâtant d’interpréter d’une manière rétrospective la cause extérieure qui a mis fin au sommeil. » (OC II,
p. 112).
42
André Breton, « Entrée des médiums », OC I, p. 275.

49
La transcription du rêve, nécessairement postérieure au moment de sa formation
intrapsychique, garantirait une certaine intégrité du discours onirique. Le rêve, cette fois-ci en
tant que produit psychique, est envisagé comme une production orale au même titre que les
phrases de demi-sommeil, à ceci près que le cadre du sommeil effectif le préserverait de toute
interruption et permettrait donc au récit onirique de se dérouler jusqu’au bout, sans danger
d’être muselé en pleine élocution. Contrairement au flux de pensée qui se développe de façon
simultanée à l’écriture, s’exposant ainsi à toutes les perturbations, le rêve prend davantage les
allures d’un discours déjà fini, clos sur lui-même, achevé et protégé dans ce temps et cet espace
autres qu’est le sommeil. Paradoxalement, c’est parce qu’il émane d’une instance
fondamentalement autre et distante (espace, temps, voix) que le rêve acquiert sa légitimité de
production non corrompue et singulière.
À cette époque, jamais Breton n’évoque la possibilité d’une censure intrinsèque au
rêve43, notion pourtant au cœur de la théorie freudienne, et dont il se saisira – bien que
partiellement – dans les Vases communicants44. Le rêve est considéré comme un espace protégé
dans lequel aucun trouble, extérieur ou intérieur, ne viendrait perturber l’expression de la
pensée pure. Aragon lui-même, dans le Traité du style, vante ses mérites et son exploitation par
les surréalistes comme l’état où « rien, comme dans l’état éveillé on nomme censure, raison,
etc., ne peut s’interposer entre la réalité et le dormeur45 ». Il y aurait ainsi, le terme est peu
commun dans cet emploi, une réalité du rêve, plus accessible de surcroît, alors même que le
sommeil est précisément ce qui sépare le dormeur de la réalité…
La censure, pour ces hommes, est à ranger davantage du côté de l’opération de sape ou
de « caviardage » qui interdit la libre expression de l’esprit que du côté du processus de

43
« Breton, se reportant dans son approche du rêve à l’histoire des lapsus et des méprises de toutes sortes dont le
secret commence à nous être livré », se réfère ostensiblement à la Psychoanalyse de la vie quotidienne – parue en
français en 1923 – et ne peut manquer de rencontrer l’idée d’un cryptage et décryptage du symptôme. Le
renversement est pourtant manifeste, dès lors que le poète ramène les « désorientations » de l’état de veille aux
« suggestions […] de cette nuit profonde » (I, 318) du rêve, comprise comme un état originel, et non comme le
produit imaginaire du travestissement du désir. Le terme de suggestion est lui-même révélateur d’une imprégnation
pré-freudienne. » Emmanuel Rubio, Les Philosophies d’André Breton (1924-1941), Lausanne, L’Âge d’homme,
2009, p. 43.
44
Une hypothèse avancée par Marguerite Bonnet pour expliquer cette absence de préoccupation pour la censure
dans le rêve alors même qu’elle fait l’objet de bien des inquiétudes dans le cas des phrases de demi-sommeil est
le retard avec lequel paraissent en traduction française les ouvrages de Freud. La Sciences des rêves n’est publiée
en français qu’en 1926 et Breton ne la lit qu’à l’été 1931. Il n’en demeure pas moins que les textes de seconde
main par lesquels Breton a accès à la pensée freudienne et notamment le célèbre manuel de Régis et Hesnard, La
Psychanalyse des névroses et des psychoses, ses applications médicales et extra-médicales (1914) mentionnaient
déjà cet aspect.
45
Louis Aragon, Traité du style (1928), Gallimard, coll. « L’Imaginaire », 1991, p. 183.

50
travestissement du discours décrit dans La Science des rêves46. Dans le Manifeste, les quelques
pages consacrées spécifiquement au phénomène onirique, si elles font mention de Freud et de
ses récentes découvertes, ne portent que très peu la trace de l’approche psychanalytique, fondée
sur la distinction entre contenu manifeste et contenu latent et toutes les opérations qui régissent
ce travail du rêve, travail de figuration et de déformation.

Breton retient essentiellement de la théorie freudienne l’interrogation sur le


rêve. Mais tout son développement sur le phénomène se situe ailleurs que dans
les perspectives freudiennes (distinction entre contenu manifeste et contenu
latent, explication du rêve comme réalisation d’un désir, mise en lumière des
mécanismes de condensation et de déplacement)47.
L’auteur du Manifeste cherche moins à comprendre les mécanismes du rêve qu’à redonner à ce
dernier une importance qui lui paraît sous-estimée. À cette époque, le contenu des rêves et leur
traitement lui importent peu ; c’est davantage l’activité et la part qu’elle représente dans la vie
humaine qui compte à ses yeux. Position étonnante de la part de celui qui accordait pourtant
tant d’importance au contenu des phrases de demi-sommeil. Alors que celles-ci avaient été
déconsidérées pour l’altération qu’elles subissaient au contact d’une raison trop contemptrice,
Breton ne remet jamais en cause la validité du contenu des rêves et passe même la question
sous silence. Il déplore sans ménagement le cloisonnement entre veille et sommeil mais il n’en
est pas encore à le dépasser et reste, à bien des égards, sur le seuil de la réconciliation de ces
deux états qu’il recherche tant et dont il fera son credo. Ce pas, encore non franchi, se remarque
d’ailleurs par une sorte de lapsus48 ou de maladresse de ponctuation. Alors qu’il dit regretter
que « le rêve se trouve ainsi ramené à une parenthèse, comme la nuit49 », il encadre lui-même
le développement qu’il consacre à la continuité entre veille et sommeil de parenthèses.

(puisque, au moins de la naissance de l’homme à sa mort, la pensée ne


présente aucune solution de continuité, la somme des moments de rêve, au point
de vue du temps, à ne considérer même que le rêve pur, celui du sommeil, n’est
pas inférieure à la somme des moments de réalité, bornons-nous à dire : des
moments de veille50)
La digression, qui voulait insister sur l’extension « considérable de [cette] activité psychique »,
en gonflant la phrase d’une démonstration enchâssée, enclôt visuellement le rêve dans les
bornes de cet excursus secondaire.

46
Voir en particulier le chapitre IV « La déformation dans le rêve ». Sigmund Freud, L’Interprétation des rêves
(8e édition allemande, 1929), PUF, trad. I. Meyerson, 1996, p. 123-148.
47
Marguerite Bonnet, notes sur le Manifeste du surréalisme, OC I, p. 1347.
48
La notion de lapsus est d’ailleurs, ironie de cette analyse, mentionnée à la page suivante.
49
André Breton, Manifeste du surréalisme, OC I, p. 317
50
Idem.

51
Dans l’entreprise de revalorisation du sommeil qu’il mène, Breton souligne son
étonnement devant « l’extrême différence d’importance, de gravité, que présentent pour
l’observateur ordinaire les événements de la veille et ceux du sommeil51 ». Toute son
argumentation repose sur l’hypothèse d’une influence des rêves sur la vie éveillée, comme le
souligne Marguerite Bonnet :

Encore […] Breton paraît-il plus soucieux de justifier son intérêt pour le
phénomène, de rétablir sa valeur par rapport à l’état de veille que d’en
considérer la production et les mécanismes sous l’éclairage apporté par Freud,
sans doute parce qu’il n’a encore de La Science des rêves qu’une connaissance
indirecte et insuffisante. L’importance du rêve dans la vie psychique, ses
caractères de continuité et d’organisation, le retentissement qu’il a peut-être sur
notre comportement diurne, son rapport général avec le flux le plus secret de la
subjectivité (où l’on s’étonne de ne pas voir mentionné la relation avec le désir),
autant de constatations et de problèmes qui exigent qu’on s’en soucie52.
Le rêve, saisi en tant que production brute, dans cet après-coup qui garantirait son intégrité, fait
ainsi figure de manifestation idéale de l’automatisme psychique. Mais, rappelle Breton, de la
même manière que les phrases de demi-sommeil avaient fini par être discréditées, l’absolu
théorique du rêve, lui aussi, se heurte à un obstacle qui menace sa complétude : le problème de
la mémoire.

Le malheur était que cette nouvelle épreuve réclamât le secours de la


mémoire, celle-ci profondément défaillante et d’une façon générale, sujette à
caution53.
Le constat de cette fragilité du souvenir onirique peut paraître évident à quiconque a déjà essayé
de raconter l’un de ses rêves. Mais la position surréaliste distingue, d’une certaine façon, l’idéal
de l’expérience : si, dans les faits, le récit de rêve est fatalement lacunaire, c’est que, dans une
représentation idéale, le rêve s’est d’abord présenté dans une unité fantasmée que le récit ne
parviendrait pas à reconstituer.

Dans la limite où il s’exerce (passe pour s’exercer), selon toute apparence le


rêve est continu et porte trace d’organisation. Seule la mémoire s’arroge le droit
d’y faire des coupures, de ne pas tenir compte des transitions et de nous
représenter le rêve plutôt une série de rêves que le rêve.54
Aussi la conception surréaliste du rêve reconnaît-elle, tout en la mettant aussitôt à
distance comme l’une de ses failles, la nature fragmentaire du récit de rêve. L’obstacle de la

51
Ibid., p. 317.
52
Marguerite Bonnet, André Breton et la naissance de l’aventure surréaliste (1975), édition revue et augmentée,
José Corti, 1988, p. 342.
53
André Breton, « Entrée des médiums », OC I, p. 275.
54
André Breton, Manifeste du surréalisme, p. 317.

52
mémoire, rapidement identifié, appelle un dépassement par un supplément d’attention de la part
des écrivains.

La faute en est à la très grande négligence de la plupart de leurs auteurs qui


se satisfirent généralement de laisser courir la plume sur le papier sans observer
le moins du monde ce qui se passait alors en eux – ce dédoublement étant
pourtant facile à saisir et plus intéressant à considérer que l’écriture réfléchie –
, ou de rassembler d’une manière plus ou moins arbitraire des éléments
oniriques destinés davantage à faire valoir leur pittoresque qu’à permettre
d’apercevoir ultimement leur jeu55.
D’une certaine façon, ce que Breton reproche à ses pairs, c’est de ne pas avoir assez joué le jeu
de la démarche scientifique et de s’être laissés aller à des facilités de plume, qui participent
pourtant pleinement de leur activité d’écrivain. Il réprouve un égarement de la part de ses
compagnons quant à l’objet d’attention qui aurait dû primer dans la démarche : le scrupule
esthétique, déplore-t-il, a peu à peu pris le pas sur le souci phénoménologique. L’écriture
littéraire résiste aux béances laissées par l’exploration scientifique. Au-delà de la tentation du
pittoresque et de la reconstitution arbitraire – mais artificielle – d’une unité onirique, c’est le
refus du dédoublement entre raison observante et conscience observée, attitude qui fonde
l’observation scientifique et gage d’une certaine objectivité, que blâme Breton.
La mise en place effective d’une dissociation entre rêveur et scripteur semble éviter cet
écueil. Breton prend soin d’introduire, dans le processus d’écriture, l’intervention d’un tiers,
chargé de prendre en notes le récit de rêve de façon sténographique. En témoigne la mention,
en tête des trois récits de rêves publiés dans le numéro de Littérature du 1er mars 1922,
« sténographie de Mlle Olla ». La délégation du geste scriptural à une personne extérieure pour
« épargner semblable stylisation » passe alors pour un geste de protection contre la déformation
professionnelle de l’écrivain, qui ne pourrait s’empêcher de se relire, d’invalider ou de porter
un regard critique immédiat sur sa production.
La confrontation de ce récit de rêve modèle avec le premier des rêves publiés de Breton
a de quoi étonner, tant il contredit les exigences formulées par le chef de file du surréalisme.
En effet, en comparaison d’autres publications, ce récit frappe par sa cohérence, tant sur le plan
narratif que sur celui de l’effort patent qui y est ménagé pour ne jamais perdre le lecteur au
milieu du gué. Ce texte, d’un peu plus d’une page, bien loin de la fragmentation et des coq-à-
l’âne arbitraires, ne porte aucune marque d’oubli. Animé par un mouvement continu de
descente et de découverte, qui lui confère son unité, il ne présente aucune rupture thématique
et aurait même pu être coiffé d’un titre, comme le fait Paulhan à la même époque dans Le Pont

55
André Breton, Second manifeste du surréalisme, OC I, p. 806.

53
traversé : « Catabase », dans une version épique, « Lumière » dans une perspective plus
téléologique ou goethéenne.
Ce soutien est d’ailleurs thématisé dans le rêve par une série de figures tutélaires,
compagnons et guides qui accompagnent la progression de Breton. L’écrivain se trouve ainsi
escorté par un « génie » initiateur, derrière lequel on peut reconnaître Paul Valéry56, il croise
ensuite Georges Gabory et Pierre Reverdy et s’arrête un instant sur les figures de Baudelaire,
Germain Nouveau et Barbey d’Aurevilly, dont les moustaches sont accrochées aux murs, tels
les portraits des « Présidents de la République du rêve57 » chers à Aragon. Le rêveur, Breton
lui-même, se met ainsi en scène dans un moment de filiation qui donne à ce premier rêve des
airs de parcours initiatique. Les rencontres recoupent en partie l’anthologie des surréalistes par
anticipation dressée dans le Manifeste quelques années plus tard : « Baudelaire surréaliste dans
la morale », « Nouveau surréaliste dans le baiser » et « Reverdy surréaliste chez lui58 » cèdent
la place à Breton en marche vers le bureau final.
Une analyse de détail montre combien, stylistiquement, la distribution de l’information
obéit à des règles de communication qui permettent au lecteur de suivre facilement. Sans
charger son texte de marqueurs logiques, Breton prend soin d’y placer des chevilles qui assurent
les liens de causalité et permettent de passer sans heurt d’une étape à la suivante de cet itinéraire
onirique. Ainsi, alors que le rêve se caractérise par une suspension des affects et du jugement,
l’auteur précise, à l’initiale de la troisième phrase, qu’il est « intrigué » par l’écriteau « ABRI »
ou « À LOUER », émotion qui justifie l’exploration de cet espace vacant et le passage au
paragraphe suivant.
De façon surprenante, une certaine rigueur est observée dans l’emploi des anaphoriques.
Très classiquement, un nouvel élément est introduit dans le récit par l’usage de l’article indéfini
et précisé ensuite, quand il serait beaucoup plus percutant d’employer directement l’article
défini pour faire surgir, sans autre forme de procès, tel ou tel personnage. Le génie est ainsi
d’abord désigné comme « un personnage », l’écrivain de la première pièce, bien que connu du
rêveur (« Ce jeune homme ne m’est pas inconnu, c’est M. Georges Gabory. ») est présenté au
lecteur comme « un jeune homme […] assis à une table et compos[ant] des poèmes ».

56
Cette hypothèse est proposée par Marguerite Bonnet, notice de Clair de terre, OC I, n. 2, p. 1192.
57
Dans Une vague de rêves, Aragon cite les « président de la République du rêve », dont les « portraits sont
accrochés aux parois de la chambre du rêve » : « Saint-Pol Roux, Raymond Roussel, Philippe Daudet, Germaine
Berton, Saint-John Perse, Pablo Picasso, Georges De Chirico, Pierre Reverdy, Jacques Vaché, Léon-Paul Fargue,
Sigmund Freud. » Une vague de rêves (1924), Seghers, coll. « Poésie d’abord », 2006, p. 26.
58
André Breton, Manifeste du surréalisme, OC I, p. 329.

54
Sarane Alexandrian propose de lire ces rêves inauguraux de Breton comme des « rêves-
programmes59 ». À bien des égards, celui-ci figure en effet l’intronisation de Breton en poète,
prenant de manière solennelle place dans le fauteuil qui lui est désigné. Entreprise de
légitimation, donc, que ce rêve qui inscrit le surréaliste dans la lignée d’une dynastie de poètes
aussi fameux que Baudelaire, Reverdy ou Valéry. Pourtant, si le rêve fonde en quelque sorte
une généalogie mythifiante de l’auteur de Clair de terre, il ne le sacre pas encore « rêveur
définitif ». Tandis que l’écrivain appelait à faire du rêve l’instrument d’une écriture, sinon
automatique, du moins reflet d’un certain automatisme psychique, la situation d’inhibition dans
laquelle il se trouve à la fin de ce rêve n’est pas pour ressembler à la « coulée verbale60 » des
précédentes expériences de demi-sommeil.
Paradoxalement, la fin du récit met en avant l’incompétence du poète qui déchire ses
feuilles, ne se satisfait pas du premier jet et ne parvient d’ailleurs qu’à répéter trois fois le même
mot. Ce n’est pas tant la mémoire, si longuement vilipendée dans les textes théoriques, qui fait
défaut ici que la spontanéité.

Celle-ci [la troisième pièce] est de beaucoup la plus grande, et les objets s’y
trouvent un peu mieux mis en valeur : un fauteuil inoccupé devant la table paraît
m’être destiné ; je prends place devant le papier immaculé.
J’obéis à la suggestion et me mets en devoir de composer des poèmes. Mais,
tout en m’abandonnant à la spontanéité la plus grande, je n’arrive à écrire sur
le premier feuillet que ces mots : La lumière…
Celui-ci aussitôt déchiré, sur le second feuillet : La lumière… et sur le
troisième feuillet : La lumière… (CT, 150)
L’abandon ardemment souhaité est donc largement retenu, jusqu’à faire l’objet du rêve
lui-même. Sur le plan du contenu, il y a ainsi une certaine contradiction entre la représentation
du rêve, exposée dans les écrits théoriques (« Entrée des médiums », Le Manifeste du
surréalisme), et celle de l’écriture dans le rêve, plus laborieuse. Celle-ci se double d’une
discordance, perceptible dans l’analyse stylistique du texte, entre son esthétique, largement
retenue, conduite, et le lâcher-prise qui était fantasmé.

Les sommeils hypnotiques

Selon Georges Sebbag, les écrivains surréalistes ne distingueraient pas, du point de vue
de la qualité du produit écrit, la transcription d’un rêve ensommeillé (récit de rêve) ou d’un
sommeil éveillé (séance de sommeil hypnotique)61. Dans les deux cas, il ne s’agirait toujours

59
Sarane Alexandrian, Le Surréalisme et le rêve, op. cit., p. 243 sqq.
60
André Breton, « Le Message automatique », OC II, p. 380.
61
Georges Sebbag, Sommeils et rêves surréalistes, op. cit.

55
que de recueillir le produit d’une dictée magique de la pensée ou, pour reprendre les mots de
Breton, de pousser le « souci d’explorer le subconscient » sur un nouveau terrain : « Ce terrain
sera celui du sommeil provoqué ou hypnotique, à l’expérimentation duquel nous allons nous
livrer chaque soir durant des mois62. » Breton lui-même rassemble souvent dans un même
mouvement de retour réflexif ces diverses productions :

Les « expériences de sommeil », bien qu’antérieures à la publication du


Premier manifeste, font partie intégrante de l’histoire du mouvement
surréaliste. Les déclarations théoriques du Manifeste reposent non moins sur
elles que sur les spéculations auxquelles a conduit le recours de plus en plus
étendu à l’écriture automatique. Il se passe de toute autre base de soutènement63.
C’est oublier une différence fondamentale entre ces deux activités : l’un (le récit de rêve) est le
récit reconstitué d’une expérience vécue sans témoin et pris en charge par le dormeur seul,
lorsque l’autre (le sommeil hypnotique) est la transcription, par une personne extérieure, des
dires du sujet hypnotisé lors d’une séance de sommeil collective. Les sommeils hypnotiques
permettent de concilier le souci de préserver l’authenticité du discours (transcription en direct,
sans médiation de la mémoire comme dans les récits de rêves) et l’absence de censure de la part
du locuteur (déplorée dans l’expérience des phrases de demi-sommeil). Les sommeils, ainsi, se
présentent dans « Entrée des médiums », comme la « troisième solution » qui va permettre de
capter le fonctionnement de la pensée, « solution où interviennent un nombre infiniment moins
considérable de causes d’erreur, solution par suite des plus palpitantes64. » Ils fournissent, selon
Breton, des « documents irrécusables », présentés sous forme de procès-verbaux, dont la
fiabilité est digne des « premiers cahiers de textes automatiques65 », ceux d’avant la corruption
par l’esprit critique littéraire de leurs auteurs.
La procédure, suggérée par Crevel, renforce, au sein du groupe, le sentiment de faire
œuvre collective. Incontestablement, ces séances font forte impression sur l’ensemble des
participants : Simone Breton les relate à sa cousine Denise Lévy66, Aragon y consacre plusieurs
pages dans Une vague de rêves, Breton revient dessus à de multiples reprises dans « Entrée des
médiums » mais aussi dans « Le Message automatique », Nadja et les Entretiens, René Crevel,
enfin, en donne aussi sa propre version dans « La période des sommeils67 » (1932).

62
André Breton, Entretiens, OC III, p. 473.
63
Idem.
64
André Breton, « Entrée des médiums », OC I, p. 275.
65
André Breton, Entretiens, OC III, p. 473.
66
Simone Breton, Lettres à Denise Lévy (1919-1929) et autres textes (1924-1975), édition de Georgiana M.M.
Colvile, Gallimard, coll. « Littérature française/Joëlle Losfeld », 2005.
67
René Crevel, « La période des sommeils » (1932), L’Esprit contre la raison, Pauvert, 1986.

56
[…] il [Crevel] nous apprit qu’il parvenait rapidement à s’endormir et à
proférer des paroles s’organisant en discours plus ou moins cohérent auquel
venaient mettre fin en temps voulu les passes du réveil68.

Cela eut lieu au bord de la mer, où René Crevel rencontra une dame qui lui
apprit à dormir d’un sommeil hypnotique particulier, qui ressemble plutôt à
l’état somnambulique. Il tenait alors des discours de toute beauté. Une épidémie
de sommeil s’abattit sur les surréalistes. Un grand nombre d’entre eux, suivant
avec exactitude le protocole inventé, se découvrirent une faculté semblable, et
vers la fin de l’année 1922 – avez-vous remarqué comme la fin de l’année est
propice aux grandes lueurs ? – ils sont sept ou huit qui ne viennent plus que
pour ces instants d’oubli où, les lumières éteintes, ils parlent, sans conscience,
comme des noyés en plein air. Ces instants se font plus nombreux chaque jour.
Chaque jour ils veulent dormir davantage. Ils sont enivrés de leurs paroles si on
les leur rapporte. Partout ils s’endorment. Il s’agit bien maintenant de suivre le
rite initial69.
Cette période d’expérimentation, largement inspirée de pratiques spirites sans pourtant qu’il y
ait véritable adhésion au principe d’une communication avec un au-delà70, s’étend sur six mois,
de septembre 1922 à mars 1923. Dans une lettre à Breton datée d’octobre 1922, Francis Picabia
met en exergue toute la puissance d’investigation qu’il pressent dans cette nouvelle
expérimentation collective :

Je crois que l’on pourrait aller très loin dans le spiritisme, certainement pas
du côté de la mort, mais dans l’autre sens, début de la matière, il faudrait
insister, rejeter les séances et employer peut-être plusieurs méthodes71.
Les phrases de demi-sommeil, l’écriture automatique et les récits de rêves étaient des
pratiques individuelles et partagées ; chacun était invité à en faire l’expérience pour lui-même
et à transmettre les produits de ses essais aux autres membres du groupe mais elles restaient, si
j’ose dire, juxtaposées. Les sommeils, eux, impliquent la participation simultanée et
collaborative, à des rôles distincts, d’un nombre conséquent de membres du groupe : Desnos,
Crevel puis Péret se prêteront au jeu des « dormeurs » quand Breton, Max Morise, Éluard,
Ernst, Simone Breton, incapables de s’endormir, s’en tiendront aux rôles de témoins,
observateurs stupéfaits – voire apeurés –, interrogateurs et scripteurs de ces séances.

68
André Breton, « Entrée des médiums », OC I, p. 275.
69
Louis Aragon, Une vague de rêves, op. cit., p. 20.
70
Témoignent de cette prise de distance des déclarations d’André Breton, dès 1922, dans « Entrée des médiums » :
« Il va sans dire qu’à aucun moment, du jour où nous avons consenti à nous prêter à ces expériences, nous n’avons
adopté le point de vue spirite. En ce qui me concerne je me refuse formellement à admettre qu’une communication
quelconque existe entre les vivants et les morts. » (André Breton, « Entrée des médiums », OC I, p. 275)
71
Lettre de Francis Picabia à André Breton, octobre 1922, citée dans Michel Senouillet, Dada à Paris, pièce n°
141, Jean-Jacques Pauvert, 1965, p. 525. Citée par Marguerite Bonnet, André Breton ou naissance de l’aventure
surréaliste, op. cit., p. 263.

57
Si les rôles sont ainsi distribués, la technique utilisée pour mener la séance diffère assez
peu de celle de l’interrogatoire psychologique. Le sujet endormi se laisse aller à une coulée
verbale qui peut prendre la forme d’un récit (Péret), de jeux de mots (Desnos), ou de prophéties
en réponse à des questions comme c’est le cas dans l’exemple de la séance du mercredi 27
septembre 1924 citée dans « Entrée des médiums ». « […] Les techniques hypnagogiques
d’origine spirite étaient plus adaptées aux exigences d’un groupe que celles jadis appliquées,
au front, à des individus. Cette dimension collective semble […] avoir été déterminante pour
les surréalistes72. »

Rêve et endophasie : capter la voix intérieure


Le rêve, en tant produit incontrôlé de l’esprit, est ainsi considéré par les surréalistes
comme une voix. À leurs yeux – ou plutôt à leurs oreilles ! –, elle serait de même source que
celle qui peut se faire entendre lors des exercices d’écriture automatique et que l’on cherche
d’abord à faire résonner avant de la comprendre. Alors que la dimension sonore,
particulièrement prégnante dans le cas des phrases de demi-sommeil et des sommeils
hypnotiques, est soulignée à grand renfort de déclarations qui ne cessent de décliner le champ
sémantique de la vocalité (« Desnos parle surréaliste73 » dans son sommeil, on transcrit, par
l’écriture automatique, la « dictée magique74 »), celle-ci peut néanmoins sembler moins
évidente dans le cas du rêve, dont la vocalisation ne peut être que secondaire. Pour intégrer lui-
aussi cet aspect, le récit de rêve doit en passer par une représentation du rêve comme discours
intérieur, non pas amas inorganisé d’images abstraites mais produit d’une pensée
essentiellement parlante. Considéré comme la manifestation d’une endophasie fondamentale,
dont l’idée se forge à la fin du XIXe siècle dans les cercles psychologique et philosophique avec
Baillarger et Victor Egger, il se situe ainsi, scientifiquement, dans un contexte qui fait une large
place à la notion de parole et, esthétiquement, dans la continuité des innovations stylistiques
amorcées avec le monologue intérieur, dont la théorisation et la reconnaissance critique lui sont
contemporaines.
En 1922, année de la parution du roman de Joyce, Ulysse, est diffusée la technique du
monologue intérieur. C’est aussi l’année durant laquelle se voit significativement souligné dans
les discours surréalistes le caractère phonique de l’activité de l’esprit devenu audible, et qu’il

72
Paolo Scopelliti, L’Influence du surréalisme sur la psychanalyse, Lausanne, L’Âge d’homme,
coll. « Bibliothèque Mélusine », 2002, p. 50.
73
André Breton, Manifeste du surréalisme, OC I, p. 331.
74
André Breton, « Entrée de médiums », OC I, p. 275.

58
s’agirait d’enregistrer et de transcrire. Dans les comptes rendus qu’il donne des séances de
sommeil hypnotique, avant d’en venir au contenu strict des paroles de Desnos, c’est bien à la
description de sa voix que Breton consacre ses premières impressions :

Diction déclamatoire, entrecoupée de soupirs, allant parfois jusqu’au chant,


insistance sur certains mots, passage rapide sur d’autres, prolongement infini
de quelques finales, débit dramatique75.
A posteriori, ces précisions pourraient passer pour des didascalies qui règleraient ce
psychodrame, quand on sait combien le soupçon de simulation pèsera ensuite sur ses séances76.
Aussi stupéfiantes que paraissent les tirades de Desnos et Crevel, il va sans dire que l’intensité
émotionnelle palpable durant ces séances est aussi le fait d’un jeu parfois affecté de leurs
acteurs. À cet égard, Desnos fait figure d’exemple :

Aujourd’hui Desnos parle surréaliste à volonté. La prodigieuse agilité qu’il


met à suivre oralement sa pensée nous vaut autant qu’il nous plaît de discours
splendides et qui se perdent, Desnos ayant mieux à faire qu’à les fixer. Il lit en
lui à livre ouvert et ne fait rien pour retenir les feuillets qui s’envolent au vent
de sa vie77.
La quintessence du surréalisme, pourrait-on dire, n’est pas d’écrire mais de « parler surréaliste »
comme on respire. La même expression se retrouve sous la plume d’Aragon qui salue, dans
Une vague de rêves, la capacité qu’a l’auteur de Nouvelles Hébrides de « rêver sans
dormir » : « Il parvient à parler ses rêves à volonté. Rêves, rêves, rêves, le domaine des rêves à
chaque pas s’étend78. » La performance sonore est telle que Breton nourrit le projet d’un
enregistrement phonographique des séances qu’il expose à Man Ray du 2 octobre 192279. Cette
captation sonore ne se fait pas, mais il reste de cette idée la photographie de Desnos endormi
dans Nadja80.
En un sens, le recours à la dictée, notion si présente dans les textes de Breton, qu’il
s’agisse d’un emploi métaphorique ou d’une utilisation plus effective, n’est que le pas qui
précède cette entreprise d’enregistrement phonographique. Passage direct du canal oral au
support écrit, la dictée n’est jamais que transcription d’une voix. « L’année des chapeaux

75
André Breton, « Entrée des médiums », OC I, p. 276.
76
Voir en particulier ce qu’en dit Aragon dans Une vague de rêves (1924), Seghers, 2006, p. 22 : « Alors l’esprit
critique reprend ses droits. On se demande s’ils dormaient vraiment. Il se trouve au cœur de quelques-uns une
négation de cette aventure. L’idée de la simulation est remise en jeu. Pour moi, je n’ai jamais pu me faire une idée
claire de cette idée. Simuler une chose, est-ce autre chose que la penser ? Et ce qui est pensé est. Vous ne me ferez
pas sortir de là. Qu’on m’explique, d’ailleurs, par la simulation, le caractère génial des rêves parlés qui se
déroulaient devant moi ! »
77
André Breton, Manifeste du surréalisme, OC I, p. 331
78
Louis Aragon, Une vague de rêves, op. cit., p. 24.
79
Marguerite Bonnet, notice de Nadja, OC I, n. 2, p. 1532.
80
André Breton, Nadja, OC I, p. 662.

59
rouges81 », à cet égard, passe pour la tentative d’insuffler un automatisme oral dans
l’automatisme écrit. Alors que, jusqu’à présent, les textes automatiques étaient mis par écrit par
leur auteur, quand bien même ils se défendaient de n’obéir à autre chose qu’à leur voix
intérieure, sans chercher à en travailler le rendu esthétique plus avant, Breton inaugure là la
dictée au sens propre. Le texte est en effet, pour partie, produit oralement et pris en notes, en
direct, par sa femme Simone. La même année, Breton inaugure la publication de ses récits de
rêves en recourant à une technique similaire : ceux-ci, nous dit-il, sont dictés oralement à Mlle
Olla, chargée de les mettre par écrit de façon sténographique. Si la dictée est ici effective, et
relève d’une opération qui sépare dans la pratique l’instance d’énonciation et le scripteur en
incarnant ces rôles dans deux personnes distinctes, le terme existe ailleurs dans un sens plus
métaphorique. La définition du surréalisme dans le Manifeste de 1924 évoque la « dictée de la
pensée » et déjà, dans « Entrée des médiums », Breton parlait de « dictée magique ».

Je n’ai jamais cessé d’être persuadé que rien de ce qui se dit ou se fait ne
vaut hors de l’obéissance à cette dictée magique. Il y a là le secret de l’attraction
irrésistible qu’exercent certains êtres dont le seul intérêt est de s’être un jour
fait l’écho de ce qu’on est tenté de prendre pour la conscience universelle, ou,
si l’on préfère, d’avoir recueilli sans en pénétrer le sens à la rigueur, quelques
mots qui tombaient de la « bouche d’ombre ». (« Entrée des médiums », OC I,
275)
Dans tous les cas, il s’agit de faire coïncider aussi exactement que possible un contenu
pensé, parlé et écrit. Selon Marguerite Bonnet, cet automatisme verbo-auditif, à la base de
toutes les expériences d’écriture automatique et préféré par Breton à l’automatisme visuel82,
relève d’une impulsion primordiale dans tout le travail du poète. Soulignant « les pouvoirs
protéiformes dont est dotée la matière verbale quand elle s’incarne dans une parole », elle
rappelle combien « l’impulsion verbo-auditive joue incontestablement […] un rôle de tout
premier plan dans le constant travail qui brasse les mots (et avec eux les choses), même si des
élans d’autre nature viennent la relancer83. »

81
André Breton, « L’année des chapeaux rouges », Littérature nouvelle série, n° 3, 1er mai 1922, p. 8-14, repris
dans Poisson soluble (1924), 32, OC I, p. 392-399.
82
« Toujours est-il que je tiens, et c’est là l’essentiel, les inspirations verbales pour infiniment plus riches de sens
visuel, pour infiniment plus résistantes à l’œil, que les images visuelles proprement dites. […] Toujours en poésie
l’automatisme verbo-auditif m’a paru créateur à la lecture des images visuelles les plus exaltantes, jamais
l’automatisme verbo-visuel ne m’a paru créateur à la lecture d’images visuelles qui puissent, de loin, leur être
comparées. C’est assez dire qu’aujourd’hui comme il y a dix ans, je suis entièrement acquis, je continue à croire
aveuglément (aveugle… d’une cécité qui couvre à la fois toutes les choses visibles) au triomphe, par l’auditif, du
visuel invérifiable. » (André Breton, « Le message automatique », OC II, 389-390)
83
Marguerite Bonnet, André Breton. Naissance de l’aventure surréaliste, op. cit, p. 393.

60
Le modèle de cette triple correspondance (pensée, parole, texte) a été transmis à Breton
par son expérience médicale, dans les centres de psychiatrie qu’il a fréquentés en tant que jeune
interne. « De l’instruction de la Salpêtrière, Freud et Babinski retinrent cette merveilleuse
méthode expérimentale qui consiste à essayer tout ce qui vous passe par la tête, à se défaire des
prévisions et à se tenir à l’abri de la pudeur84 », note-t-il dans ses Carnets en 1920.
L’interrogatoire psychanalytique que l’analyste prend en note lui inspire cette effusion interne
de la pensée vers la parole.

Je résolus d’obtenir de moi ce qu’on cherche à obtenir d’eux (les malades


mentaux), soit un monologue de débit aussi rapide que possible, sur lequel
l’esprit critique du sujet ne fasse porter aucun jugement, qui ne s’embarrasse,
par suite, d’une réticence, et qui soit aussi exactement que possible la pensée
parlée85.
Le recours, plus ou moins pressant, à un tiers scripteur, autour de 1922, traduit ainsi une
oscillation entre deux mises en pratique de l’automatisme : l’une dans laquelle les deux
instances de locution et de notation sont séparées et incarnées par des individus spécifiques,
l’autre qui tend vers une configuration où elles seraient rassemblées en un seul être sans
toutefois renoncer à leur indépendance. Comme le souligne Michel Murat, le mot « dictée »
met en relief l’« extériorité par rapport au sujet d’une instance énonciative que l’on appelle la
“pensée” ou la “voix” sans qu’il y ait pour autant clivage du sujet lui-même. Contrairement à
la topique freudienne, le sujet n’est pas clivé mais “dédoublé”. L’instance observatrice
(“l’appareil enregistreur”) reste stable, indépendante du phénomène observé86. »
Loin d’être une invention freudienne, cette représentation de la pensée comme parole
est tout droit héritée des psychologues du XIXe siècle. Jules Baillarger prenait ainsi en exemple
les paroles prononcées en rêve, expression vocale involontaire qui étaient selon lui la meilleure
manifestation d’un fonctionnement continu (« automatique ») de l’esprit.

[dans le repos] nos idées continuent à former des associations d’idées


bizarres, auxquelles nous assistons en quelque sorte en simples spectateurs.
C’est l’exercice involontaire des facultés, l’automatisme de l’intelligence. Si je
rappelle ces faits, c’est que la parole est si étroitement liée par l’habitude à
l’exercice de la pensée qu’elle fait souvent partie de ces capacités de notre
nature qui marchent d’elles-mêmes quand nous cessons d’en prendre la
direction. On parle souvent tout haut dans les rêves87.

84
André Breton, Carnet 1920-1921, OC I, p. 618.
85
André Breton, Manifeste du surréalisme, OC I, p. 326.
86
Michel Murat, « Jeux de l’automatisme », dans Michel Murat et Marie-Paule Berranger (dir.), Une pelle au vent
dans les sables du rêve. Les écritures automatiques, Presses universitaires de Lyon, 1992, p. 8.
87
Jules Baillarger, cité par Hécaen et Dubois, dans La Naissance de la neuropsychologie du langage (1825-1865),
Flammarion, 1969.

61
Les paroles échappées des rêves seraient, pour le psychologue, non seulement la manifestation
d’un fonctionnement continu de l’esprit, mais encore la preuve que, même dans ses moments
de plus faible vigilance, celui-ci adopterait les procédures du langage. Autrement dit, l’esprit
serait essentiellement parole, et le rêve, en tant produit de l’esprit, discours. De là à confondre
paroles prononcées en rêve et rêve lui-même, puis parole intérieure et pensée il n’y a qu’un pas,
que franchit Victor Egger88 en posant, dans La Parole intérieure, en 1881, une équivalence entre
exercice silencieux de la parole et fonctionnement psychique ordinaire.

À tout instant, l’âme parle intérieurement sa pensée. Ce fait, méconnu par la


plupart des psychologues, est un des éléments les plus importants de notre
existence : il accompagne la presque totalité de nos actes ; la série des mots
intérieurs forme une succession presque continue, parallèle à la succession des
autres faits psychiques ; à elle seule, elle retient donc une partie considérable
de la conscience de chacun de nous89.
Ainsi, à partir de 1850 se construit peu à peu l’idée, largement démentie depuis, que la
verbalisation n’est pas seulement le produit consécutif d’une pensée élaborée et moulée dans
les contraintes de la langue, mais la forme même de toute activité psychique.
L’apparition du monologue intérieur en 1887, avec Les Lauriers sont coupés90
d’Édouard Dujardin, peut être considérée comme la manifestation littéraire d’une telle
représentation de la pensée, en même temps que la préfiguration des ambitions surréalistes. Il
n’est qu’à reprendre les déclarations d’intention des écrivains qui l’adoptent et celles des
critiques qui le commentent pour se convaincre de la convergence épistémologique qui
embrasse ces deux pratiques littéraires. « Monologue sans voix de la conscience91 » pour
Valéry Larbaud, le monologue intérieur constitue « un procédé qui permet d’atteindre (…)
profondément dans le Moi le jaillissement de la pensée et de la saisir si près de sa conception92. »
Employant des mots parfois très proches de ceux de Breton lui-même, nombre de critiques des
années 1920, à la lecture d’Ulysse de Joyce ou de Amants, heureux amants… de Larbaud,
s’enthousiasment pour cette innovation qui semble capable de rendre compte du
fonctionnement de l’esprit tout en produisant une littérature nouvelle. Edmond Jaloux loue ainsi
les mérites de cette technique qui « représente, non seulement la parole intérieure, mais la

88
À ce sujet, voir Christine Pouzoulet, « À propos de l’essai de Victor Egger (1881) : « parole intérieure » et
formes littéraires du monologue intérieur », publié en ligne sur le site Fabula / Les colloques, « L’anatomie du
cœur humain n’est pas encore faite » : Littérature, psychologie, psychanalyse, URL :
http://www.fabula.org/colloques/document1641.php, page consultée le 12 avril 2017.
89
Victor Egger, La Parole intérieure. Essai de psychologie descriptive, Paris, éd. Germer Baillière, 1881, p. 1.
90
Édouard Dujardin, Les Lauriers sont coupés suivi de Le Monologue intérieur (1887), Rome, Bulzoni editore,
1977.
91
Lettre de Valéry Larbaud à René Lalou du 29 février 1924, cité par Édouard Dujardin dans Le Monologue
intérieur, dans Les Lauriers sont coupés suivi de Le Monologue intérieur, Rome : Bulzoni Editore, 1977, p. 217.
92
Valéry Larbaud, préface à Les Lauriers sont coupés, op. cit., p. 133.

62
pensée intime en formation93 » et nous fait assister au « déroulement cinématique de notre
esprit94 ». Stuart Gilbert y voit la « reproduction exacte et quasi-photographique des pensées95 »,
et Paul Dubois le compare à « la sténographie de la pensée à un stade particulièrement larvée »,
« la représentation immédiate du moi intérieur […] telle que la donnerait un ciné-micro
enregistreur96 ».
Dans la définition qu’il propose du monologue intérieur, en 1930, Dujardin rappelle
plusieurs fois que c’est « un discours antérieur à toute organisation logique », un texte duquel
est absent toute rationalisation et toute explication, et composé de « phrases directes réduites
au minimum syntaxial, de façon à donner l’impression ‘tout venant’97 ». Revenant sur le
contexte historique dans lequel est née cette conception de « la poésie comme l’expression de
la vie intérieure98 », il opère lui-même un lien direct avec les expérimentations menées par
Breton et Soupault :

Une étude complète du mouvement né en 1885 aboutirait au surréalisme qui


l’a poussé à ses extrêmes conséquences en essayant d’exprimer directement et
sans aucune mise au point rationnelle les données de l’inconscient. Lorsqu’en
1921 ils ont publié les Champs magnétiques, André Breton et Philippe Soupault
n’avaient pas lu Les Lauriers sont coupés et ne connaissaient pas les fragments
d’Ulysse qui venaient de paraître à New-York ; les caractéristiques du
monologue intérieur ne s’y trouvent pas moins, ainsi que dans les poèmes qui
suivirent et dans les tentatives d’écriture automatique. L’écriture automatique,
qu’est-ce, en effet, sinon précisément le tout-venant (mais un tout-venant sans
correctif) des pensées qui montent de l’inconscient indépendamment de tout
classement et de toute élaboration intellectualiste99 ?
Bien sûr, il s’agit de distinguer, comme le fait Michel Raimond, fiction et document et de ne
pas plaquer sur les innovations romanesques de ce tournant du siècle les ambitions scientifiques
ou exploratoires des écrivains-rêveurs.

[…] c’est de façon abusive que la critique conférait au monologue intérieur


le pouvoir d’investigation auquel prétendait l’écriture automatique. Car, dans
un cas, il s’agit d’un homme réel, pour qui l’entreprise d’étudier le
fonctionnement de la pensée, même si elle se solde par un échec, n’est pas
absurde ; au lieu que, dans l’autre, ce flot de conscience ininterrompu est tout
entier forgé par l’auteur et prêté par lui à un personnage imaginaire100.

93
Cité par Édouard Dujardin, Le Monologue intérieur (1930), op. cit., p. 217.
94
Edmond Jaloux, « Valéry Larbaud », Nouvelle Revue Française, 1er février 1924, p. 136. Cité par Michel
Raimond dans La Crise du roman, Corti, 1966, p. 267.
95
Stuart Gilbert, rubrique « Lettres étrangères », NRF, 1er avril 1929, p. 571. Cité par Michel Raimond dans La
Crise du roman, op. cit., p. 267.
96
Paul Dubois, « James Joyce irlandais », Revue Universelle, 15 juin 1935, p. 668. Cité par Michel Raimond dans
La Crise du roman, op. cit., p. 268.
97
Édouard Dujardin, Le Monologue intérieur, op. cit., p. 230.
98
Ibid., p. 255.
99
Ibid., p. 260.
100
Michel Raimond, La Crise du roman, op. cit., p. 268.

63
Il n’empêche : cette lecture de la fiction comme possible encéphalographe rend compte d’une
conception de la pensée bien ancrée dans son époque, celle d’une pensée qui se formerait et se
déroulerait comme un discours ; bref d’une confusion entre fonctionnement de l’esprit et
endophasie.
« Point d’aboutissement extrême du principe du monologue intérieur », l’écriture
automatique, et avec elle toutes les procédures d’écriture expérimentale dont le récit de rêve,
trouve dans le contexte scientifique et idéologique des années 1920 le terreau de sa pleine
expression « contre tout formalisme », « contre l’esprit critique » et « contre le
rationalisme101 ».

Surtout, la conception de la libre association des idées, dans la cure


psychanalytique, le sentiment que le contenu psychologique doit finir par se
manifester dans le flux des paroles, à l’insu même du patient, et que le sens de
certains éléments doit apparaître à la conscience du psychanalyste constituait
évidemment les données psychologiques et scientifiques dont le monologue
intérieur se proposait d’être l’expression littéraire102.
C’est bien sur cette adhésion à l’idée que la pensée – y compris la plus ténue, la plus
privée ou la moins avouable – se manifesterait sous la forme d’un discours que se construit la
confiance en la littérature pour rendre compte des productions de l’esprit. Alors que la
psychanalyse choisit d’explorer l’inconscient dans et par la parole (jusqu’à renverser l’analogie
en conférant plus tard à l’inconscient la structure d’un langage), le texte littéraire, dès lors qu’il
prétend n’être que la transcription fidèle d’un discours oral qui lui serait préalable
(chronologiquement ou représentativement) ne peut manquer de faire figure de document. Le
rêve, considéré comme discours intérieur, est alors endophasie103.

101
Idem.
102
Ibid., p. 268-69.
103
André Breton revient sur cette proximité entre écriture automatique et monologue intérieur pour mieux en
distinguer les démarches dans « Du surréalisme en ses œuvres vives » (1955) : « Bien qu’elles traduisent une
commune volonté d’insurrection contre la tyrannie d’un langage totalement avili, des démarches comme celles
auxquelles répondent l’“écriture automatique” à l’origine du surréalisme et le “monologue intérieur” dans le
système joycien diffèrent radicalement par le fond. Autrement dit elles sont sous-tendues par deux modes
d’appréhension du monde qui diffèrent du tout au tout. Au courant illusoire des associations conscientes, Joyce
opposera un flux qui fait saillir de toutes parts et qui tend, en fin de compte, à l’imitation la plus approchante de la
vie (moyennant quoi il se maintient dans le cadre de l’art, retombe dans l’illusion romanesque, n’évite pas de
prendre rang dans la longue lignée des naturalistes et des expressionnistes). À ce même courant – beaucoup plus
modestement à première vue – l’“automatisme psychique pur” qui commande le surréalisme opposera le débit
d’une source qu’il ne s’agit que d’aller prospecter en soi-même assez loin et dont on ne saurait prétendre diriger
le cours sans être assuré de la voir aussitôt se tarir. Cette source, avant le surréalisme, seules eussent pu donner
notion de son intensité lumineuse certaines infiltrations auxquelles on ne prenait pas garde, telles les phrases dites
“de demi-sommeil” ou “de réveil”. L’acte décisif du surréalisme a été de manifester leur déroulement continu.
[…] On est là, comme on voit, dans un tout autre projet que celui qu’a pu nourrir Joyce, par exemple. Plus question
de faire servir la libre association des idées à l’élaboration d’une œuvre littéraire tendant à surclasser par ses
audaces les précédentes, mais dont l’appel aux ressorts polyphonique, polysémantique et autres suppose un

64
Le rêve comme méthode d’exploration
La notion d’automatisme

« Symbole absolu du terme “surréalisme104” » d’après Henri Béhar, l’automatisme, tel


qu’il est présenté dans la définition de 1924, se donne comme méthode-clé de l’investigation
scientifique poursuivie par le groupe. « L’ambition scientifique est clairement posée. Il s’agit
d’explorer la pensée dans sa totalité, du conscient vers l’inconscient, et d’en soumettre le
produit à l’analyse rationnelle105. » Après avoir été confondu avec le rêve, le surréalisme est
ainsi subsumé dans la notion d’automatisme, autre façon, plus scientifique et rigoureuse, de
nommer ce lâcher-prise de la conscience. L’automatisme partage en effet avec le rêve l’idée
d’un fonctionnement non volontaire ou non guidé de l’esprit et, par-là, d’un produit non
anticipé, non travaillé. Certes, le rêve n’est pas l’automatisme et les textes automatiques ne sont
pas à confondre avec les récits de rêves (les deux catégories de textes sont par ailleurs bien
distinguées dans les publications), mais ils participent du même élan prospectif dans l’histoire
du mouvement. Au-delà de ce cadre, ce sont aussi deux notions qui, dans l’histoire de la
psychologie, se trouvent souvent mêlées dans les écrits des savants, philosophes, psychologues
ou physiologistes du XIXe siècle.
Ni le terme d’automatisme, ni son idée ne sont des inventions de Breton. Probablement
en a-t-il fait plutôt l’expérience clinique en tant qu’interne qu’il n’en a une connaissance
théorique approfondie. Dans ses Carnets106, Breton évoque Babinski et Freud, tous deux élèves
de Charcot, et leur application à la Salpêtrière de cette « merveilleuse méthode expérimentale
qui consiste à essayer tout ce qui vous passe par la tête107 » ; mais sans doute l’expression lui
est-elle inspirée par les travaux de Pierre Janet, qui consacre sa thèse de lettres à L’Automatisme
psychologique (1889). Le sujet, avant lui, avait déjà été discuté chez bien d’autres : Jean-
Etienne Esquirol, Jules Baillarger, Georges Petit ou encore Alfred Maury108. Aussi, pour qui
s’intéresse au rêve en cet après-guerre, la question de l’automatisme et, avec elle, de l’origine
d’un contenu involontaire de la pensée, est-elle un passage obligé de la réflexion.

constant retour à l’arbitraire. Le tout, pour le surréalisme, a été de se convaincre qu’on avait la main sur la “matière
première” (au sens alchimique) du langage. » (« Du surréalisme en ses œuvres vives » (1955), OC IV, p. 20.)
104
Henri Béhar, article « Automatisme », Dictionnaire André Breton, Classiques Garnier, coll. « Dictionnaires et
synthèses », 2012, p. 99.
105
Ibid., p. 100.
106
André Breton, Carnets 1920-1921, OC I, p. 618-620.
107
Ibid., p. 618.
108
Voir l’article de Jacqueline Carroy et Régine Plas, « La volonté et l’involontaire : l’exemple de l’automatisme »,
dans Jean-Louis Cabanès, Didier Philippot et Paolo Tortonese (dir.), Paradigmes de l’âme. Littérature et aliénisme
au XIXe siècle, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2012.

65
Le choix de l’adjectif « psychique » permet toutefois à Breton de se démarquer de la
sphère « psychologique » investie par Janet. Dans le contexte de la psychologie du XIXe siècle,
l’automatisme s’oppose à la pensée et fait référence à un état primitif de l’esprit. Pour Pierre
Janet, le terme qualifie « une forme déchue de la pensée, où seuls subsistent des fragments
stéréotypés du langage109 ». Marguerite Bonnet rappelle que le psychologue considère
l’automatisme psychologique comme une activité dégradée de la conscience ; il en fait le reflet
d’un clivage morbide du sujet malade :

[Pour Janet], l’automatisme est hétérogène par rapport à la personnalité,


alors que chez Breton il la constitue au même titre que les autres modes du
psychisme. En outre, loin de reconnaître dans les phénomènes automatiques,
quels qu’ils soient, la manifestation d’une activité psychique qui, pour être
autre que celle de la conscience, n’en possède pas moins son propre pouvoir
créateur, Janet en donne toujours une appréciation dépréciative […] ; il insiste
sur l’impuissance créatrice de l’automatisme, qu’il considère comme la
dégradation d’une activité psychique passée, une sorte de fonction résiduelle
uniquement capable de conserver et de répéter, comme le témoignage d’une
faiblesse qu’il appelle la ‘misère psychologique’ et qui entraine une baisse de
l’activité de synthèse de l’esprit110.
De l’automatisme de Janet, Breton ne retient pour ainsi dire que le nom. À cette conception
pathologique, l’écrivain oppose l’intuition d’une ressource infiniment créative, non seulement
gage de l’unité du sujet mais encore piste de sa connaissance plus intime.

De même que deux mots placés spontanément l’un près de l’autre ne


peuvent être incohérents puisqu’ils ont au moins pour rapport l’esprit qui les
conçut, de même cet esprit en s’abandonnant complètement à sa pente ne peut
que demeurer identique à lui-même. Tout le reste, les adresses, les retouches,
les prétendues victoires sur l’absurde, l’étrange, le vulgaire, ne sont à mon sens
qu’illusion. […]
Je pense qu’on ira très loin dans cette exploration de l’inconscient. Le propre
de la nouvelle méthode n’est-il pas de promettre découverte sur découverte111 ?
L’automatisme surréaliste n’est pas non plus à confondre avec celui des médiums. Là
encore, il convient de faire la part des choses entre l’air du temps, qui influence les discours et
les représentations, et ce qui interfère réellement avec les pratiques et les ambitions. Le Traité
de métapsychique de Charles Richet paraît en 1922, au moment même où le groupe surréaliste
se forme en se désolidarisant de Dada et où sont expérimentés récits de rêves et sommeils – ces
derniers sont d’ailleurs très explicitement inspirés de pratiques médiumniques112. L’hypothèse

109
Michel Murat, Le Surréalisme, Le Livre de Poche, coll. « Références Inédit », 2013, p. 65.
110
Marguerite Bonnet, André Breton : naissance de l’aventure surréaliste, op. cit., p. 107.
111
André Breton, Carnets 1920-21, OC I, p. 620.
112
Dans les entretiens radiophoniques qu’il accorde à André Parinaud, André Breton revient d’ailleurs sur cet
intérêt qu’il porte à la parapsychologie : « Bien que j’aie été autrefois l’élève de Babinsky, soit du pire détracteur
des thèses de Charcot et de l’école dite de Nancy, je garde alors pour ma part un intérêt très vif, quoique défiant,
pour une partie de la littérature psychologique axée ou articulée sur cet enseignement ; je pense en particulier au

66
d’une influence de Myers sur le développement de l’automatisme, lancée par Jean Starobinski113
dans les années 1970, a été depuis remise en cause par Marguerite Bonnet qui précise que ces
lectures n’ont de toute façon pu être faites qu’après les premières expériences d’écriture
automatique et souligne combien Breton lui-même prend soin de distinguer sa démarche de
celle des médiums (même s’il éprouve une certaine fascination pour ces pratiques)114.

Il y a lieu d’établir une distinction précise entre l’écriture et le dessin


automatique, au sens où ce mot est entendu dans le surréalisme, et l’écriture et
le dessin automatiques, tels qu’ils sont pratiqués couramment par les médiums.
Ceux-ci, au moins lorsqu’ils jouissent de dons particulièrement remarquables,
se comportent en posant les lettres et le trait d’une manière toute mécanique :
ils ignorent absolument ce qu’ils écrivent ou dessinent et leur main, anesthésiée,
est comme conduite par une autre main115.
« Distinction capitale, qui rapproche la méthode surréaliste, plus que du phénomène
médianimique, de la méthode analytique où le patient parle sans préméditer ce qu’il dit et sans
savoir pourquoi il le dit mais en ayant toute conscience du propos lui-même116 ». Marguerite
Bonnet joue ainsi Freud comme les médiums et ne cesse de rappeler combien la référence au
psychanalyste est partout revendiquée dans les déclarations de Breton, quand bien même – les
dates de traduction française et les développements plus ou moins assurés du poète à ce sujet
en attestent – la connaissance de sa théorie ne serait que lacunaire. Nous aurions d’un côté, un
terme hérité des psychologues du XIXe siècle mais qui ne correspondrait pas à leur conception
de l’automatisme et, d’un autre côté, la mise en avant d’une autorité freudienne qui, elle,
n’emploie que peu le terme, et qui, surtout, l’associe à la notion cruciale de refoulement,
longtemps totalement absente de l’approche surréaliste117. « En fait, le concept d’automatisme

bel ouvrage de Myers : La Personnalité humaine, aux passionnantes communications de Théodore Flournoy à
propos du médium Hélène Smith : Des Indes à la planète Mars, etc., voire à certains chapitres du Traité de
métapsychique de Claude Richet. » André Breton, Entretiens 1913-1952, OC III, 474.
113
Voir Jean Starobinski, « Freud, Breton, Myers », L’Arc, n° 34, 1968, repris dans La Relation critique,
Gallimard, 1970, p. 320-341. Les arguments avancés par Marguerite Bonnet contre cette proposition n’invalident
pas pour autant une certaine convergence de vues. Si Breton a bien découvert Myers assez tardivement (après
avoir ouvert le chantier de l’écriture automatique), l’article « Le Message automatique » (décembre 1933), tous
les rapprochements et distinctions qu’il opère avec les procédures médiumniques n’en sont pas moins éclairantes,
tant sur le geste surréaliste que sur le contexte dans lequel il est élaboré.
114
On retiendra en particulier, à ce titre, dans « Le message automatique » : « […] l’écriture automatique ou mieux
mécanique, comme eût voulu Flournoy, ou inconsciente comme voudrait M. René Sudre, m’a toujours paru la
limite à laquelle le poète surréaliste doit tendre sans toutefois perdre de vue que, contrairement à ce que se propose
le spiritisme : dissocier la personnalité psychologique du medium, le surréalisme ne se propose rien moins que
d’unifier cette personnalité. » (André Breton, OC II, 386)
115
André Breton, « Le message automatique », OC II, p. 381.
116
Marguerite Bonnet, André Breton : naissance de l’aventure surréaliste, op. cit., p. 106.
117
« Or ces références permanentes à la psychologie pré-freudienne mettent finalement en valeur une divergence
fondamentale entre automatisme surréaliste et psychanalyse, quant au statut même accordé au discours du sujet
délirant. La notion d’automatisme, historiquement, suppose en effet une certaine naturalité de l’activité en cause,
au sens où celle-ci se présente indépendamment et comme en amont de la systématisation consciente. Le
psychanalyste, placé quant à lui face à un discours différent de celui maitrisé par la rationalité consciente, ne se

67
qui vient caractériser l’apport freudien à la pratique surréaliste, relativise dans le même temps
le caractère strictement freudien de cet apport, tant il se réfère à un champ conceptuel différent,
qu’il n’est pas difficile d’associer à la psychiatrie classique118. » « Dans une sorte de
contemporanéité entre science et poésie dans la découverte de ce langage intérieur119 », Breton
en reste à une conception du rêve comme relevant bien d’un automatisme mais dans un autre
sens que celui de Freud, un sens bien plus proche de celui que lui donnait Hesnard.
Angelo Hesnard, psychiatre d’abord intéressé par la question de la simulation, se
rapproche du groupe surréaliste et participe, parallèlement, à la diffusion des théories
freudiennes par la publication de plusieurs articles. Il publie notamment, dès 1913, avec le Dr
Régis, un important article dans L’Encéphale, « La doctrine de Freud et son école »120 dans
lequel il donne la liste exhaustive des méthodes utilisées en psychanalyse et au nombre
desquelles comptent les « manœuvres hypnotiques […], cure de bavardage (talking cure) […],
rêves […], associations d’idées […] petits faits de l’existence journalière121 ». Passeur, en
quelque sorte, d’une approche psychiatrique classique à un freudisme éclairé, il définit
l’automatisme comme « l’activité psychique vulgaire dépouillée de tout effort mental et
d’attention122 » et assure que « le rêve manifeste une pensée élémentaire, symbolique123 ». Rêve
et automatisme sont ainsi chez lui aussi tout à fait liés sans toutefois que le raisonnement ne
fasse encore mention d’une quelconque activité de refoulement.
C’est pourtant le seul nom de Freud que l’on retrouve dans les lignes de Breton. C’est
plus avec la définition exacte du mot « automatisme » que par rapport à l’ambition de cette
méthode que diverge le plus Breton.

Aux yeux des psychanalystes, l’écriture automatique ne valait que comme


un moyen d’exploration de l’inconscient. Il n’est pas question pour eux de
considérer le produit automatique en lui-même, de le soumettre aux critères
d’intérêt qui s’appliquent aux différentes catégories de textes élaborés124.

reporte pas à une instance autonome. Grâce au procédé de refoulement, il aborde au contraire la production même
de ce discours à partir de ce que ce discours conscient n’a pu intégrer. La disparition de l’automatisme dans la
psychanalyse, de ce point de vue, ne reflète pas une simple mutation terminologique, mais marque le remplacement
d’un principe d’autonomie par une histoire des phénomènes psychologiques et leur réintégration dans une
évolution biographique. » Emmanuel Rubio, Les philosophies d’André Breton, op. cit., p. 42.
118
Ibid., p. 38.
119
Ibid., p. 36.
120
Emmanuel Régis et Angelo Hesnard, « La doctrine de Freud et son école », L’Encéphale, avril 1913, p. 356-
378 ; mai 1913, p. 446-481 ; juin 1913, p. 537-555.
121
Rapporté par Paolo Scopelliti, L’Influence du surréalisme sur la psychanalyse, op. cit., p. 20.
122
Cité par Paolo Scopelliti, ibid., p. 40.
123
Cité par Emmanuel Rubio, Les philosophies d’André Breton, op. cit., p. 47.
124
André Breton, Entretiens, OC III, p. 236.

68
D’une certaine façon, il y a une méthode (celle de l’automatisme) pour deux ambitions, l’une
scientifique, l’autre esthétique ; et c’est sur cette divergence que s’éprouve la limite des rapports
entre sciences et littérature. La préoccupation scientifique, loin d’être mise de côté par Breton,
ne peut à ses yeux se suffire à elle-même et doit aboutir à une sublimation esthétique. Au fond,
ce qui prime pour lui n’est pas tant la compréhension du fonctionnement de l’esprit (ce qui
fermerait le dossier) que l’interrogation de la parole poétique surprise en son point de
jaillissement. Breton reprend moins à la psychanalyse naissante sa méthode de prédilection –
les associations mentales – que la matrice qu’elle représente pour lui, pour faire émerger un
discours littéralement inouï. En ce sens, l’intérêt qu’il porte au rêve comme manifestation de ce
flux psychique (manifestation bien fantasmée tant il est en fait impossible à recueillir) est le
fruit d’un certain malentendu, dont témoignera avec acuité les Vases communicants. Le rêve,
dans la démarche psychanalytique, n’est jamais qu’un point de départ pour se livrer au jeu des
associations, comme l’a été aussi l’interrogatoire chez Jung. Moins qu’un produit de
l’inconscient, c’est une matière à déplier ; et s’il est reconnu comme discours et manifestation
d’un désir, c’est aussitôt pour préciser que c’est le discours au second degré d’un désir déguisé.
Pour le dire autrement, la psychanalyse prend le rêve au sérieux mais elle ne le prend pas à la
lettre. Le surréalisme, lui, envisage le rêve comme le produit d’un automatisme qu’il voudrait
exposer aussitôt dans les galeries. S’opère ainsi, selon Michel Murat, un « glissement du
théorique au poétique : il s’agit d’un modèle analogique ancré dans la tradition littéraire plus
que dans une réflexion scientifique125. »

Rêve, logique et imagination

L’approche bretonienne du rêve, en perpétuelle réélaboration, repose sur une ambiguïté


sémantique. Sous ce mot, se mêlent inextricablement un discours, une procédure d’exploration
et un objet. Le discours du rêve est considéré comme une production prototypique et
enregistrable de l’esprit, génératrice de matériaux esthétiques inouïs. En tant que produit, il est
envisagé comme une forme mais « une forme comme anonyme de l’imagination et de la pensée,
peut-être de la connaissance, forme de toute façon peu saisissable par nature126 ». La procédure
d’exploration, inspirée des sciences de la psyché et, après elles, de la pratique psychanalytique,
fonctionne comme une opération. Elle s’appuie sur un état cognitif de passivité dont il s’agit de
faire émerger et de développer la puissance, non comme un affaiblissement pathologique de la

125
Michel Murat, « Jeux de l’automatisme », art. cit, p. 8.
126
J.-B. Pontalis, préface au livre de Sarane Alexandrian, Le Surréalisme et le rêve, op. cit., p. II.

69
volonté mais comme un potentiel heuristique, proche de l’imagination. Considéré à la suite des
psychologues et psychanalystes comme un objet, le rêve participe du « grand Mystère127 ».
Alternativement compris dans une acception étroite, où il est souvent confondu avec le désir –
ce qui ne fera qu’alimenter le malentendu avec Freud –, ou, dans une acception plus large,
entendu comme un monde à part entière, le rêve est alors ce que le surréalisme se donne pour
charge de connaître et de faire advenir. Si, bien sûr, ces trois aspects ne sont pas étanches, ils
ne sont pas pris en considération dans une saisie synthétique et synchronique par l’auteur.
Au rang des méthodes d’exploration psychique, le rêve s’intègre à « ce qu’il est convenu
d’appeler les égarements de l’esprit humain128 » comme plus tard les simulations de délire de
L’Immaculée Conception129 et la technique paranoïaque-critique de Dali130. Cette analogie entre
rêve, hallucination, folie et somnambulisme était déjà présente chez bien des savants du
XIXe siècle131 et Breton, en ce sens, ne fait que poursuivre une tradition scientifique qui peinait

127
André Breton, Manifeste du surréalisme, OC I, p. 319.
128
André Breton, Entretiens, OC III, p. 442.
129
André Breton et Paul Éluard, L’Immaculée Conception (1930), dans André Breton, OC I, p. 839-884. Le prière
d’insérer de l’ouvrage recourt d’ailleurs métaphoriquement à la distinction freudienne entre contenu manifeste et
contenu latent du rêve pour inscrire L’Immaculée Conception dans l’ensemble plus large des réalisations
surréalistes. Comme les ouvrages qui l’ont précédé, celui-ci est présenté comme le produit d’une investigation
scientifique au profit d’un élargissement de la connaissance.
« Si le Premier et le Second Manifeste étaient l’exposé du contenu manifeste du rêve surréaliste, L’IMMACULÉE
CONCEPTION est l’exposé de son contenu latent. […] L’IMMACULÉE CONCEPTION demeurera la source
expérimentale à laquelle il faudra remonter pour reconnaître le pouvoir qu’a la pensée d’adopter successivement
toutes les modalités de la folie […] L’IMMACULÉE CONCEPTION est le livre par lequel, au mépris de toute
généalogie, nous entrons dans la « vie de la connaissance » et poursuivons l’adaptation de la connaissance aux
désirs grâce aux possessions et aux médiations, opposées grossièrement les unes aux autres du point de vue social
mais dialectiquement conciliables. » (prière d’insérer, cité par Marguerite Bonnet et Étienne-Alain Hubert, notice
de L’Immaculée Conception, OC I, 1632.) La deuxième partie de l’ouvrage, « Les Possessions », rassemble les
simulations verbales de cinq maladies mentales : « essai de débilité mentale », « essai de simulation de la manie
aiguë », « essai de simulation de la paralysie générale », « essai de simulation du délire d’interprétation » et « essai
de simulation de la démence précoce ». Ces cinq essais sont précédés d’une présentation des auteurs qui
revendiquent « la loyauté absolue de l’entreprise qui consiste pour eux à soumettre, tant aux spécialistes qu’aux
profanes, les cinq essais suivants, auxquels la moindre possibilité d’emprunt à des textes cliniques ou de pastiche
plus ou moins habile de ces mêmes textes suffirait évidemment à faire perdre toute raison d’être, à priver de toute
efficacité. » (OC I, p. 848)
130
Dali présente cette méthode dans son article « L’Âne pourri » (Le Surréalisme au service de la révolution, n° 1 :
« La femme invisible », juillet 1930) comme « une méthode spontanée de connaissance irrationnelle basée sur
l'association interprétative-critique des phénomènes délirants ».
131
Sur l’analogie entre ces notions, voir Jacqueline Carroy, Nuits savantes, op. cit., chapitre 2 « Rêve, folie et
somnambulisme », p. 53-78. Moreau de Tours, Alfred Maury et Jules Baillarger, notamment, ne cessent de penser
le rêve en le comparant à ces autres états seconds, pour en dégager les spécificités comme pour en pointer les
analogies. Breton poursuit cette ligne dans Les Vases communicants en notant « l’analogie que présente la fuite
des idées dans le rêve et dans la manie aiguë, l’utilisation des moindres excitations extérieures dans le rêve et dans
le délire d’interprétation, les réactions affectives paradoxales dans le rêve et dans la démence précoce » (André
Breton, OC II, 115).

70
à isoler le phénomène onirique dans ses spécificités et l’inscrivait plutôt dans une sorte de
continuum entre normalité et état pathologique132.
La sensibilisation de Breton avec ces questionnements et méthodes s’accomplit en effet
dans l’univers médical de la psychiatrie de guerre où sont relayées peu à peu, et souvent de
manière incomplète ou édulcorée, les récentes idées freudiennes. Étudiant en médecine, il
découvre cette discipline au centre neuro-psychiatrique de la IIe armée de Saint-Dizier dans le
service du Docteur Raoul Leroy, où il travaille de fin juillet à fin novembre 1916. L’année
suivante, il prépare le concours de médecin auxiliaire au Val-de-Grâce tout en étant externe
auprès du docteur Babinski à l’hôpital de la Pitié. De cette première confrontation au désordre
mental qui fut aussi, pour lui, une certaine familiarisation avec l’expression des marges de la
conscience – y compris non pathologiques –, Breton retient essentiellement une méthode, aussi
bien thérapeutique, pour les patients qu’il est amené à rencontrer, que d’exploration, pour ce
jeune étudiant en médecine et futur poète avide de participer à l’approfondissement de la
connaissance de l’inconscient :

Le séjour que j’ai fait en ce lieu et l’attention soutenue que j’ai portée à ce
qui s’y passait ont compté grandement dans ma vie et ont eu sans doute une
influence décisive sur le déroulement de ma pensée. C’est là – bien que ce fût
encore très loin d’avoir cours – que j’ai pu expérimenter sur les malades les
procédés d’investigation de la psychanalyse, en particulier l’enregistrement,
aux fins d’interprétation, des rêves et des associations d’idées incontrôlées. On
peut déjà observer en passant que ces rêves, ces catégories d’associations
constitueront, au départ, presque tout le matériel surréaliste. Il y aura eu
seulement amplification des fins en raison desquelles ces rêves, ces associations
doivent être recueillis ; interprétation, oui, toujours, mais avant tout libération
des contraintes – logiques, morales et autres – en vue de la récupération des
pouvoirs originels de l’esprit133…
La procédure apprise dans le contexte asilaire sert en quelque sorte de point de départ pour
l’établissement du programme scientifique du surréalisme que le Manifeste annonce, c’est-à-
dire rien de moins que la compréhension et la reconstitution du rêve, cette fois-ci entendu dans
sa dimension la plus expérientielle :

De l’instant où il sera soumis à un examen méthodique, où, par des moyens


à déterminer, on parviendra à nous rendre compte du rêve dans son intégrité (et
cela suppose une discipline de la mémoire qui porte sur des générations ;
commençons tout de même par enregistrer les faits saillants), où sa courbe se
développera avec une régularité et une ampleur sans pareilles, on peut espérer
que les mystères qui n’en sont pas feront place au grand Mystère134.

132
Voir l’article de Jacqueline Carroy et Régine Plas, « La volonté et l’involontaire : l’exemple de l’automatisme »,
art. cit., p. 23-37.
133
André Breton, Entretiens 1913-1952, OC III, p. 442.
134
André Breton, Manifeste du surréalisme, OC I, p. 319.

71
La méthodologie précise de l’étude reste, en 1924, encore floue mais déjà trois aspects
déterminants de la démonstration qui sera menée en 1932 dans les Vases communicants sont
posés : s’appuyant sur un enregistrement qu’elle considère fiable, elle s’inscrira dans une
rigueur scientifique certaine en suivant un protocole et aura une visée apocalyptique (au sens
où elle se donne pour but de dévoiler une part de « mystère »). Les premiers récits de rêves
consignés par Breton ne sont donc pas les siens mais ceux de patients qu’il interroge. « Mon
service entier revient à un interrogatoire continu : avec qui la France est-elle en guerre ? et à
quoi rêvez-vous la nuit135 ? », écrit-il à Paul Valéry dans une lettre du 7 août 1916. À la première
question, une réponse en forme de déni de réalité et de délire paranoïaque d’un « fou qui ne
croyait pas à la guerre136 » marque profondément Breton. Il en tire le texte de « Sujet137 »
dédicacé à Paulhan et que Valéry et Reverdy saluent138. Quant à la seconde question, elle donne
lieu à des écrits d’ordre médical, qui participent d’une recherche thérapeutique, encore
expérimentale à bien des égards, plus que poétique.
La correspondance de Breton montre que parmi les motivations qui l’y poussent, se
mêlent « la volonté de mettre à distance ‘l’obsession poétique’ », le désir d’acquérir une
méthode de connaissance de soi-même, une curiosité pour les désordres de l’esprit139. » Il avoue
ainsi à Valéry son admiration pour « certaines intelligences : Charcot, Freud, Kraepelin140 ».
Dans une lettre adressée à son ami Théodore Fraenkel, écrivain et médecin, datée du 25
septembre 1916, c’est davantage son admiration esthétique qu’il exprime pour ces productions :
« Démence précoce, paranoïa, états crépusculaires. / O poésie allemande, Freud et Kraepelin ! »
Cette exclamation enthousiaste tend à confondre dans un même élan d’exaltation le discours de
ces égarements de l’esprit et celui des savoirs naissants, notamment les premiers travaux de la
psychanalyse qui les prennent alors pour objet. Alors même que l’écrivain se veut, dans cette
pratique, plus médecin que poète, on ne sait plus, à lire Breton, si la poésie réside dans les
productions de ces psychés débridées ou dans les commentaires qui tentent de les circonscrire…

135
André Breton, lettre à Paul Valéry, 7 août 1916. Cité par Marguerite Bonnet, André Breton : naissance de
l’aventure surréaliste, op. cit, p. 108.
136
André Breton, « Exposition X…, Y… » (avril 1929), Point du jour (1934), repris dans OC II, p. 299-301.
137
André Breton, « Sujet », Nord-Sud, n° 14, avril 1918 repris dans Alentours I, OC I, p. 24-25. Cette rencontre
avec « un fou qui ne croyait pas à la guerre » est à nouveau racontée dans « Introduction au discours sur le peu de
réalité » (1927), repris dans Point du jour (1934), OC II, p. 265-280, dans « Exposition X…, Y… » (avril 1929),
Point du jour (1934), OC II, p. 299-301, et dans Entretiens 1913-1952, repris dans OC III, p. 443.
138
Voir les notes de Marguerite Bonnet sur « Sujet », OC I, p. 1104-1105.
139
Marguerite Bonnet, André Breton : naissance de l’aventure surréaliste, op. cit., p. 98.
140
André Breton, lettre à Paul Valéry, automne 1916. Cité par Marguerite Bonnet, André Breton : naissance de
l’aventure surréaliste, op. cit., p. 98. Emil Kraepelin (1856-1926), est un psychiatre allemand, qui a proposé une
classification nosologique des maladies mentales, fondée sur des critères essentiellement évolutifs. Il est, entres
autres, l’auteur de Introduction à la psychiatrie clinique (1883, trad. 1907) et Leçons cliniques sur la démence
précoce et la psychose maniaco-dépressive (1900, trad. 1970).

72
Or, c’est de cette distinction entre le discours du rêve, fondamentalement irraisonné, et
le discours de savoir scientifique, essentiellement rationnalisant en ce qu’il tend à l’enclore dans
des principes, que Breton entend tirer sa singularité. À ses yeux, le rêve constitue un contre-
modèle dynamique des discours de savoir qui, pour être ajusté à son objet, ne peut se laisser
engoncer dans les carcans de la logique. Le Manifeste du surréalisme se présente en effet, à
bien des égards, comme un réquisitoire contre la logique, moyen de construction de la
connaissance jugé trop restrictif, à laquelle est opposée la « chère imagination », établie, elle,
comme méthode d’investigation à la fois plus profonde et plus large ou, pour le dire avec les
mots de Breton, comme un « mode de recherche de la vérité qui n’est pas conforme à
l’usage141 ». De l’imagination au rêve, il n’y a qu’un pas, que Breton saute sans retenue. Ce
dernier, d’état cognitif, est promu en processus heuristique modèle, prototypique, dans la quête
de cet approfondissement de la connaissance. Dire, pour Breton, qu’il ne relève pas de la
logique mais de l’imagination revient à le penser sur le mode de l’association libre.
Contrairement à la logique, dont les parties s’enchainent selon des lois connues, la mécanique
dont relève l’imagination lie les segments de façon non prédictible. C’est, en quelque sorte, un
discours sans prémisses. Cette conception d’une imagination plus puissante que la raison pour
comprendre le monde n’est pas le seul apanage de Breton. On la retrouve ainsi chez Aragon,
notamment dans Le Paysan de Paris142, mais aussi chez Crevel, dont l’essai L’Esprit contre la
raison143, et les romans avec lui, ne cesse de remettre en cause la logique illusoire et réductrice.
Mais la volonté de transgression s’arrête là, et Breton ne peut mener plus loin son
ambition de refonder totalement la méthode d’exploration et le discours de savoir qui rendra
compte de ses résultats. Formé à la rigueur et au raisonnement scientifique logique, il est « un

141
André Breton, Manifeste du surréalisme, OC I, p. 312.
142
Dans Le Paysan de Paris, Aragon fustige lui aussi raison et logique qu’il range sous « cet esprit d’analyse, cet
esprit et ce besoin. » On retrouve la même métaphore, à ceci près qu’il utilise ici l’image du sommeil et non du
rêve pour opposer les deux processus de réflexion. « Comme l’homme qui s’arrache au sommeil, il me faut un
effort douloureux pour m’arracher à cette coutume mentale » « […] Et pourtant c’est toujours l’imagination seule
qui agit. Rien ne peut m’assurer de la réalité, rien ne peut m’assurer que je ne la fonde sur un délire d’interprétation,
ni la rigueur d’une logique, ni la force d’une sensation. Mais dans ce dernier cas l’homme qui en a passé par
diverses écoles séculaires s’est pris à douter de soi-même : par quel jeu de miroirs, fût-ce au profit de l’autre
processus de pensée, on l’imagine. Et voilà l’homme en proie aux mathématiques. C’est ainsi que, pour se dégager
de la matière, il est devenu le prisonnier des propriétés de la matière. » Louis Aragon, Le Paysan de Paris (1926),
Gallimard, coll. « folio », 2008, p. 14.
143
Plus que la logique, c’est la raison qui est attaquée par Crevel. « Cette vieille pimbêche de raison, elle avait fini
par prendre des formes si restrictives que l’esprit, au cours de ces dernières années, a dû se déclarer contre elle.
Paralysée, paralysante, elle mettait son opacité entre le penseur assis pour penser et la matière en marche, la matière
en voie de métamorphoses, comme si cette matière n’était point matière à penser. La raison, cette pionne, elle
salissait tout de prudence réaliste. » René Crevel, L’Esprit contre la raison (Marseille : Les Cahiers du Sud, 1927),
Tchou, 1969, p. 83.

73
scientifique qui a choisi la poésie, et non un poète scientifique144 ». Aussi, ce n’est qu’en tant
que méthode que le rêve s’oppose à la logique, car, lorsqu’il s’agit de construire un propos sur
le rêve en tant qu’objet ou en tant que discours, Breton, à l’exemple de Valéry, n’hésite pas à
recourir lui aussi au vocabulaire et à la rhétorique scientifique logique. Pour autant, la
spécificité, pointée par l’auteur, de la saisie singulière du rêve par une méthode littéraire –
l’imagination, qui ne relève pas de la logique des scientifiques –, ne fait qu’ajouter à la valeur
et l’exceptionnalité de l’objet ainsi mis au jour. « […] les procédés logiques, de nos jours, ne
s’appliquent plus qu’à la résolution de problèmes d’intérêt secondaire145 » déplore Breton dans
le Manifeste de 1924, laissant ainsi sous-entendre que le rêve serait à considérer comme un
problème de premier ordre. Renoncer aux procédés logiques, c’est bouleverser la hiérarchie des
problèmes scientifiques, hiérarchie imposée par les hommes de sciences et élargir le champ de
prospection146.

La grande valeur qu’elles [i.e. « ces opérations » : l’écriture automatique et


les récits de rêves] présentent pour le surréalisme tient, en effet, à ce qu’elles
sont susceptibles de nous livrer des étendues logiques particulières, très
précisément celles où jusqu’ici la faculté logique, exercée en tout et pour tout
dans le conscient, n’agit pas. (Second manifeste, OC II, 807)
Mais, comme le remarque Marguerite Bonnet, « il s’agit non pas d’exalter un abandon
aveugle à l’irrationnel, comme on l’a trop souvent dit, mais, en explorant cet irrationnel, de
lutter contre une raison étroite et mutilante.147 » Dès le Manifeste, Breton cherche à rationaliser
le rêve, à en réduire la part de mystère en lui cherchant des principes organisationnels. Même
si ce n’est que dans Les Vases communicants que ce matérialisme dialectique est poussé de
façon systématique, l’essai de 1924 annonce déjà que cet enregistrement de l’esprit pourra être
ensuite soumis à examen.

Si les profondeurs de notre esprit recèlent d’étranges forces capables


d’augmenter celles de la surface, ou de lutter victorieusement contre elles, il y
a tout intérêt à les capter, à les capter d’abord, pour les soumettre ensuite, s’il y
a lieu, au contrôle de notre raison148.
Dans ces pages, Breton met ainsi en place une rhétorique apparemment rigoureuse, qui
recourt volontiers à une forme rationnelle, tout en mettant la logique à distance, sur le plan du
contenu. Les quelques pages consacrées au rêve se donnent ainsi à lire sous la forme d’une série

144
Henri Béhar, article « Science », Dictionnaire André Breton, op. cit., p. 920.
145
André Breton, Manifeste du surréalisme, OC I, p. 312.
146
« Le rationalisme absolu qui reste de mode ne permet de considérer que des faits relevant étroitement de notre
expérience. » André Breton, Manifeste du surréalisme, OC I, p. 312.
147
Marguerite Bonnet, notes sur Manifeste du surréalisme, OC I, p. 1347.
148
André Breton, Manifeste du surréalisme, OC I, p. 316.

74
de quatre points de réflexion, comme autant de problèmes que l’auteur aurait pris soin de lister
et de numéroter. Après avoir posé la nécessité de penser une continuité et une organisation du
rêve de la même façon que nous abordons la réalité (1°), il propose d’inverser la hiérarchie
classiquement établie entre veille et rêve et de considérer que les « effets » inexpliqués qui
touchent l’homme pendant la veille sont en quelque sorte des restes diurnes de son activité
onirique (2°). Il poursuit en évoquant le paradoxe de la suspension du jugement et de la pleine
adhésion au vécu onirique (3°) et conclut ce bref passage sur une sorte de péroraison, en
appelant à la résolution des contraires, résolution qui en passera par « l’examen méthodique du
rêve », et le mènera à la surréalité. Ce discours, éminemment construit, s’appuie sur des figures
stylistiques classiques comme l’utilisation du présent, la formulation d’énoncés péremptoires
ou l’emploi de questions rhétoriques en fin de paragraphe, qui ajoutent à la force du propos et
confère à l’ensemble une impression de maîtrise. Paradoxalement, Breton utilise aussi
massivement un lexique scientifique au moment même où il en dénonce la méthode. Il en
appelle à « induire », à procéder à un « examen méthodique » et met en garde par des formules
telles que « comme il n’est aucunement prouvé que ». Il termine en annonçant, avec une
humilité feinte : « Il y aurait encore beaucoup à dire mais, chemin faisant, je n’ai voulu
qu’effleurer un sujet qui nécessiterait à lui seul un exposé très long et une toute autre rigueur :
j’y reviendrai149. »
Cette démonstration formelle, extrêmement rigoureuse, confère ainsi au poète sa
légitimité à prendre la parole sur un sujet qui, à l’époque, est davantage dominé par les
approches scientifiques. Elle affirme avec force que le rêve, en tant qu’objet, n’appartient pas
au seul champ scientifique et que la littérature, avec son approche singulière, peut, elle aussi,
participer à sa connaissance et compléter les avancées acquises par les démarches scientifiques.
Mais il semble contradictoire de revendiquer une approche scientifique du rêve comme objet,
et d’en faire en même temps l’instrument d’une méthode d’investigation de la psyché qui récuse
l’approche logique. Entre poésie et investigation, élargissement du champ de l’expression et
extension de celui de la connaissance, le rêve ne peut être placé à la fois en position objet et
d’outil de compréhension150.

149
Ibid, p. 319.
150
La délicate tenue des ambitions poétique et scientifique est d’ailleurs à la source de bien des désaccords
exprimés par les membres du groupe, notamment Roger Caillois et Benjamin Fondane. Voir Henri Béhar et Michel
Carassou, Le Surréalisme par les textes, Classiques Garnier, coll. « Dictionnaires et synthèses », 2014, p. 99-106.

75
Les Vases communicants : traité de la raison pratique du rêve

Breton avouait volontiers qu’il avait un « faible particulier151 » pour Les Vases
communicants. Prenant pour centre de gravité le sujet du rêve, l’ouvrage fonde à ses yeux un
genre nouveau, entre narration, écriture de soi, essai et poésie. Le prière d’insérer, après avoir
énuméré quelques-unes des interrogations sur le phénomène onirique – qu’elles relèvent du
domaine épistémologique (« Que penser des recherches actuelles sur le rêve ? »), philosophique
(« L’étude du rêve met-elle en péril la conception matérialiste du monde ? ») ou psychologique
(« Dans quelle mesure [un homme isolé ou traumatisé affectivement] admet-il alors la réalité
du monde extérieur ? ») –, annonce une résolution dialectique de l’opposition entre veille et
sommeil qui, pour s’énoncer, en passe par une innovation esthétique.

Telles sont quelques-unes des questions auxquelles M. André Breton s’est


efforcé de répondre en s’aidant d’exemples concrets pris exclusivement dans sa
propre vie et qui contribuent à faire des Vases communicants un ouvrage d’un
genre nouveau, situé aux confins du roman d’analyse et de la monographie
psycho-pathologique, sans que pour cela l’auteur y témoigne d’un détachement
appréciable de la poésie152.
On peut être étonné de voir employée l’expression « roman d’analyse » ici, tant le rejet radical
de Breton pour le roman est connu et tant cet ouvrage correspond peu au genre narratif
fictionnel. Avec ce syntagme, c’est plutôt au récit auto-analytique que Breton renvoie, genre
qui relèverait davantage d’une écriture autobiographique telle que la pratiquent, à la même
époque, Michel Leiris ou Raymond Queneau, qui tous deux ont quitté le groupe surréaliste en
1928. Dans leurs Journaux, Leiris et Queneau consignent leurs rêves puis en dissèquent le
matériau, selon la méthode psychanalytique, afin d’en tirer des interprétations et, surtout, une
meilleure connaissance de soi. L’autre pôle vers lequel Breton oriente l’ouvrage, la
« monographie psycho-pathologique », se situe dans le domaine clinique. L’expérience de
Breton, ses lectures de carabin, mais aussi la récente lecture de La Science des rêves ont dû lui
en donner le ton.
Cette hybridité générique entre écrits d’ordre littéraire et médical, récit
autobiographique et essai scientifique, n’est pas une pure trouvaille de l’auteur de Nadja. La
pratique de la mise par écrit de ses rêves à des fins de connaissance et de compréhension du
phénomène onirique est d’abord l’apanage d’hommes de sciences qui s’intéressent au
fonctionnement de la psyché. Avant les surréalistes, des savants du XIXe siècle, comme Antoine

151
André Breton, Entretiens, OC III, p. 538.
152
André Breton, Les Vases communicants, « prière d’insérer », cité par Marguerite Bonnet et Etienne-Alain
Hubert, notice des Vases communicants, OC II, p. 1351.

76
Charma, Gabriel Tarde ou Marcel Foucault, avaient créé des précédents en faisant de leurs
carnets de laboratoire des recueils de récits de rêves. Cahiers d’observations et de notes prises
non à des fins esthétiques mais dans une visée de pure observation expérimentale, leurs écrits
de travail offrent bien des ressemblances avec l’ouvrage de Breton.
Antoine Charma, philosophe à Caen, accumule ainsi dans son nocturnal la matière
onirique à partir de laquelle s’élabore ensuite sa réflexion sur le processus onirique.

Il y a douze ans et plus, qu’après quelques leçons où j’avais, en passant,


effleuré le problème, je conçus le projet d’en sonder, autant qu’il serait en moi,
toutes les profondeurs. Je compris dès lors qu’il me fallait parcourir pas à pas
le pays que je voulais décrire, et y recueillir, avec une scrupuleuse exactitude,
les documents les plus circonstanciés, les plus minutieux détails. À partir de ce
moment, je me mis à rédiger, nuit après nuit et quelquefois heure après heure,
les mémoires de mon sommeil. Ce journal nocturne, ce nocturnal, comme il
conviendrait de l’appeler, écrit en quelque sorte sous la dictée du rêve,
comprend une longue série d’observations, dont la première remonte au 7 mars
1836 et dont la dernière porte la date du 6 janvier 1849153.
Vu du début du XXIe siècle, les expressions employées par ce savant ne manquent pas de faire
songer aux geste et discours surréalistes qui poindront quelques soixante-dix ans plus tard. La
« dictée du rêve » et la description du territoire onirique comme un « pays » à « parcourir » et
à « décrire » font penser aux mots de Breton ou de Leiris dans l’article « Le Pays de mes
rêves154 ». Mais c’est sûrement Marcel Foucault155 qui, dans la procédure et les résultats obtenus,
annonce le plus ce que feront Breton et ses ouailles. Il publie, en 1906, Le Rêve. Études et
observations156. L’originalité de l’ouvrage ne réside pas tant dans la notation fidèle des rêves
que dans un style télégraphique inédit jusqu’alors. Marcel Foucault, professeur de philosophie,
recueille et fait recueillir par ses élèves des notations de rêves immédiates, sans se préoccuper
de correction syntaxique, qu’il complète ensuite d’éléments de contexte. Attaché à la notion de
« scène » ou de « tableau » plus qu’à celle d’une narration construite ou ordonnée, il ne
s’embarrasse pas d’un aspect décousu : sous sa plume, les récits de rêves sont bien souvent
fragmentaires, triviaux et rédigés au présent. En témoigne ce rêve qui ne recule pas devant
l’exposé d’une certaine approximation :

Pêche et jeu. Très grande confusion. – M. B… est mêlé à l’affaire ; il dit


quelques mots, je ne sais plus quoi. Au jeu, je gagne, mais je ne sais pas de quel

153
Antoine Charma, Du Sommeil, Hachette, 1851, p. 377-378.
154
Michel Leiris, « Le Pays de mes rêves », La Révolution surréaliste, n° 2, Gallimard, 15 janvier 1925, p. 27-29.
Le texte sera ensuite repris dans Haut mal, Gallimard, 1969.
155
Voir Jacqueline Carroy, Nuits savantes, op. cit., p. 279-283.
156
Marcel Foucault, Le Rêve. Études et observations, Alcan, coll. « Bibliothèque de philosophie contemporaine »,
1906.

77
jeu il s’agit. Enfin il s’agit de pêche de façon encore plus indéterminée que du
reste157.
Phrases courtes, parfois nominales, composition paratactique, blancs ou suspensions
sémantiques : nombreux sont les traits stylistiques que l’on peut déjà noter ici et que nous
retrouverons dans les récits de rêves des écrivains du XXe siècle.
La mise en lumière de ces points communs fait ressortir la porosité des sphères
scientifique et littéraire. Le mimétisme scientifique auquel s’emploie Breton s’affiche certes
comme un gage de crédibilité, mais il témoigne aussi d’un croisement de deux paradigmes qui
dépasse le cas de cet interne devenu poète. Déjà Charma employait un lexique littéraire pour
souligner sa fascination devant le caractère irrationnel du rêve : « Quoi de plus attrayant que ce
roman bizarre, où le merveilleux n’est plus l’exception mais la règle158 », écrivait-il. Avec
Gabriel Tarde159, auteur de Sur le sommeil. Ou plutôt sur les rêves160 que l’on classerait
volontiers dans la catégorie des nocturnaux, le curseur entre paradigme scientifique et littéraire
se déplace d’un cran. Alors que ses prédécesseurs s’étaient servis de leurs recueils de notes pour
étayer leurs analyses scientifiques, Tarde choisit de publier le journal de ses rêves lui-même,
en prenant soin de laisser apparentes les dates. Il y mêle récits circonstanciés, analyses directes
et déductions théoriques à valeur plus générale. L’ouvrage de Tarde ménage ainsi une place
non négligeable au travail de composition : parmi la multiplicité de rêves notés, il opère une
sélection pour la publication et constitue une véritable anthologie à partir de critères esthétiques.

Tarde affirme son plaisir à noter des songes qu’il qualifie de beaux, de
pittoresques, d’étranges, de spirituels, de poétiques ou d’affreux. Pour lui, il n’y
a pas de ligne de rupture franche entre narration onirique, scientifique et
fictionnelle. Il invente, dans le nocturnal, des rêveries théoriques sur un monde
sans sommeil161.
Dans cet ouvrage, comme dans de nombreux autres du siècle suivant, appartenant eux au champ
littéraire, « la frontière entre récit authentique et fiction, analyse et réécriture est donc ténue.
On pourrait parler d’autofiction autant que d’autoanalyse : les rêves ont été rerêvés pour être
réécrits162. » Tarde y déploie une conception du rêve éminemment fictionnelle et romanesque.
Pour lui, la mémoire du rêve n’est jamais fiable, seule l’imagination peut en saisir quelques

157
Ibid., p. 114. Cité par Jacqueline Carroy, Nuits savantes, op. cit., p. 282.
158
Antoine Charma, Du Sommeil, op. cit., p. 376.
159
Magistrat de formation, originaire de Sarlat, Tarde s’intéresse au rêve en autodidacte et développe une approche
éminemment esthétique ou littéraire. Voir le chapitre que lui consacre Jacqueline Carroy : chap. 5 « Les rêves
romanesques de Gabriel Tarde », Nuits savantes, op. cit., p. 155-182.
160
Gabriel Tarde, Sur le sommeil ou plutôt sur les rêves. Et autres textes inédits, Jacqueline Carroy et Louise
Salmon (éds.), Lausanne : BHMS, coll. « Sources en perspectives », 2009.
161
Jacqueline Carroy, Nuits savantes, op. cit., p. 174.
162
Ibid., p. 155.

78
vérités. Ces interférences entre les méthodes témoignent d’une séparation des champs
disciplinaires qui n’est pas encore bien nette. Deux paradigmes se recouvrent : le paradigme
scientifique expérimental, empreint de la volonté de créer un document d’observation fiable, à
même ensuite de donner lieu à des prolongements théoriques solides et vérifiés, et le paradigme
littéraire, qui accorde quant à lui une place non négligeable à la qualité esthétique de la
rédaction, à la transmission d’une émotion composée de surprise et de fascination, quand bien
même elle ne relèverait que d’une ambition testimoniale.
Jusqu’aux Vases communicants, il s’agit d’aller puiser dans le réservoir de l’inconscient
une matière poétique inouïe, dont la difficulté de compréhension ne fait qu’ajouter au charme
mystérieux. L’intérêt est plus esthétique que scientifique. Si la nouvelle modalité d’écriture que
représente l’écriture automatique relève de l’expérience, c’est bien davantage par son côté
novateur que par l’exploration scientifique raisonnablement et rigoureusement menée qu’elle
recouvre. En 1932, après dix ans de notation brute des rêves, Les Vases communicants constitue
le saut de Breton dans la pratique interprétative et adopte, pour ce faire, les procédés de la
psychanalyse freudienne. Là où il se contentait auparavant d’amasser une matière sans lui
donner de sens, il s’autorise l’interprétation, en prenant soin - de donner à celle-ci les gages de
scientificité acquis par la démarche analytique. Si l’ouvrage prend valeur de vérification
expérimentale, il ne s’agit pourtant pas de démontrer la validité de la théorie freudienne ; cette
dernière est mise au service du raisonnement de Breton, et non l’inverse. L’hypothèse à vérifier
n’est pas celle d’un inconscient, mais celle d’une possible résolution dialectique entre les
contraires que sont le rêve et l’action.

J’adopterai pour ma part, mais seulement à titre d’hypothèse – autrement dit


jusqu’à preuve du contraire ou de la possibilité de le concilier dialectiquement
avec ce contraire –, le jugement selon lequel l’activité psychique s’exercerait
dans le sommeil d’une façon continue. (VC, OC II, 114)
Breton adopte une démarche scientifique qui procède en trois temps : formulation d’une
hypothèse, vérification par l’expérience et affirmation d’un résultat. En annonçant la nécessité
pour lui de passer ces théories au « criterium de la pratique » et d’« expérimenter sur [lui]-
même la méthode en cause » (VC, 116), il s’offre comme cobaye. Mais, de même que les
savants du siècle précédant jouaient simultanément les rôles de sujet et d’objet de l’expérience,
il se promet également « d’être cet observateur imprudent et sans tache » (VC, 118) qui pourra,
au terme de l’expérimentation, en tirer les conclusions. D’une certaine façon, Breton répond à
son propre appel, lancé dans le Manifeste, et se fait, pour l’occasion « logicien dormant163 ». Il

163
André Breton, Manifeste du surréalisme, OC I, p. 317.

79
reprend la méthode d’interprétation des rêves freudienne : « c’est de beaucoup la trouvaille la
plus originale que cet auteur ait faite, les théories scientifiques du rêve n’ayant laissé, avant lui,
aucune place au problème de cette interprétation […] » (VC, 116), justifie-t-il. Comme tout
écrit scientifique, Les Vases communicants s’appuie sur une revue de la littérature sur le rêve
qui fait montre du sérieux de son auteur. Le ton dédaigneux employé par Breton à l’égard des
philosophes, psychologues et autres savants tendent à lui forger un ethos de « rêveur
supérieur », seul capable de « réduire à néant les diverses allégations qui ont pu être portées sur
le caractère ‘inconnaissable’ (incohérent) de celui-ci… » (VC, OC II, 134).

Nul mystère en fin de compte, rien qui soit susceptible de faire croire, dans
la pensée de l’homme, à une intervention transcendante qui se produirait au
cours de la nuit. Je ne vois rien dans tout l’accomplissement de la fonction
onirique qui n’emprunte clairement, pour peu qu’on veuille se donner la peine
de l’examiner, aux seules données de la vie vécue, rien qui, je ne saurais y
revenir trop de fois, soustraction faite de ces données sur lesquelles s’exerce
poétiquement l’imagination, puisse constituer un résidu appréciable qu’on
tenterait de faire passer pour irréductible. (VC, OC II, 134)
Le tour de force de Breton, dans Les Vases communicants, est en effet de conclure à une
compréhension non seulement possible mais effective du rêve. Rappelant l’importance de
« tenir compte de l’épaisseur des rêves164 », qu’appelait de ses vœux une note du Manifeste, il
propose une nouvelle représentation du fonctionnement, non seulement onirique, mais mental.

Il m’a paru et il me paraît encore, c’est même tout ce dont ce livre fait foi,
qu’en examinant de près le contenu de l’activité la plus irréfléchie de l’esprit,
si l’on passe outre à l’extraordinaire et peu rassurant bouillonnement qui se
produit à la surface, il est possible de mettre à jour un tissu capillaire dans
l’ignorance duquel on s’ingénierait en vain à vouloir se figurer la circulation
mentale. Le rôle de ce tissu est, on l’a vu, d’assurer l’échange constant qui doit
se produire dans la pensée entre le monde extérieur et le monde intérieur,
échange qui nécessite l’interpénétration continue de l’activité de veille et de
l’activité de sommeil. Toute mon ambition a été de donner ici un aperçu de sa
structure. (VC, OC II, 202)
Cette démonstration rigoureusement parfaite a tout de même exigé un tour de passe-passe. On
est passé du rêve comme méthode d’investigation de l’esprit à la démonstration, via la méthode
freudienne d’interprétation du rêve, d’une continuité entre veille et sommeil.

***

164
« Il faut tenir compte de l’épaisseur du rêve. Je ne retiens, en général, que ce qui me vient de ses couches les
plus superficielles. Ce qu’en lui j’aime le mieux envisager, c’est tout ce qui sombre à l’éveil, tout ce qui ne me
reste pas de l’emploi de cette précédente journée, feuillages sombres, branches idiotes. Dans la réalité, de même,
je préfère tomber. » (André Breton, Manifeste du surréalisme, OC I, p. 317)

80
Le rêve, à bien des égards, ne représente ainsi qu’une étape, limitée mais essentielle,
dans le long cheminement théorique du surréalisme. De 1922, date de publication des premiers
récits de rêves de Breton dans Littérature, à 1938, parution de Trajectoire du rêve, dernière
publication collective de cet ordre dans les Cahiers GLM, le rêve a fait l’objet d’un nombre
certain de productions, d’expérimentations et de croyances. De même qu’elle est loin de
recouvrir toute l’histoire du surréalisme, la réflexion sur le rêve et son récit ne sollicite pas non
plus le même investissement de la part de tous les membres du mouvement. Le récit de rêve, à
strictement parler, est surtout pratiqué entre 1921 et 1927, soit à l’époque de Littérature (2e
série) et de La Révolution surréaliste, mais aussi et surtout par les hommes du premier
manifeste, en 1924 et 1925. Après 1929 et les séparations qui amènent le groupe à se
recomposer, le rêve ne fait plus l’objet de recherches collectives. Le Surréalisme au service de
la révolution et Minotaure comptent nettement moins de textes sur le rêve. Aussi, la publication
des récits de rêves en revues inscrit certes cette pratique dans un cadre collectif, mais
l’investigation théorique qui le prend comme objet, elle, demeure une question privilégiée par
le seul Breton.
Sur le plan conceptuel, la notion, convoquée de 1922 (« Entrée des médiums ») à 1932
(Les Vases communicants), évolue dans ses emplois avec celle de surréalisme même. État
psychique, contenu de pensée, moyen de connaissance, voire méthode exploratoire, le rêve se
situe entre métaphysique et psychologie. Il n’est finalement que peu étudié pour lui-même et
est bien plutôt mis au service de démonstrations supérieures : celles d’une activité
ininterrompue de l’esprit, d’une continuité entre veille et sommeil et d’une résolution possible
des contraires. En prônant comme il le fait la méthode freudienne, seule valable à ses yeux,
Breton entend inscrire sa pensée dans le nouveau siècle et participer, avec le savant viennois, à
une révolution épistémologique qui ferait table rase des vieilles approches. La pensée surréaliste
du rêve est pourtant largement l’héritière d’une pensée du XIXe siècle. Breton a beau discréditer
les psychologues et philosophes du siècle précédent, il leur reprend ce qui fonde toute son
approche : l’espoir de capter une pensée bavarde et de la transcrire fidèlement. Avant de s’en
remettre aux théories de Freud – sans pour autant se risquer à appliquer à son propre cas la
notion d’inconscient –, il reprend à Victor Egger l’idée d’une pensée qui se manifesterait
comme une « parole intérieure », à Baillarger et Janet celle d’une activité continue de l’esprit,
qui laisserait voir dans le sommeil – et plus encore dans le rêve – l’une de ses formes les plus
pures ; à Hervey de Saint-Denys, il emprunte l’hypothèse d’une correspondance entre

81
sensations et contenus oniriques, à Maury la procédure d’observation scientifique et, dans une
certaine mesure, les réflexions sur la vitesse de formation des contenus oniriques.
En pariant sur une transparence totale de l’esprit à l’écriture et en participant grandement
à diffuser en France les théories psychanalytiques, la conception surréaliste du rêve, lestée de
son automatisme, marque durablement les imaginaires littéraires. Elle qui voulait, en théorie,
faire du rêve une expérience, de son récit un document et de l’écriture une procédure, ne
parvient, dans la pratique, que très peu à faire progresser la science du rêve. En revanche, elle
ne manque pas de susciter les réactions des écrivains qui lui succèdent et marque de façon
durable l’approche littéraire de la question.

1.1.3. COLLECTE, COLLECTIONS ET BANQUE DE RÊVES : LE GRAND NOMBRE AU


SERVICE DE LA CONNAISSANCE

« Il est presque toujours trop tôt pour théoriser. » « Je crois qu’avant de faire des
théories, il importerait de multiplier les enquêtes sur le rêve165 », répondait Marguerite
Yourcenar à Matthieu Galey, qui lui demandait si Les Songes et les sorts avait été influencé par
un savoir du rêve particulier ou personnel. En 1980, l’auteure de L’Œuvre au noir se considère
moins comme le témoin d’une connaissance figée que comme l’investigatrice d’une vaste
recherche à laquelle la littérature pourrait prendre une part active, en revendiquant la même
légitimité que d’autres approches. L’enquête, à ses yeux, aurait le pouvoir de révéler la diversité
bigarrée des rêves, là où la théorie ne viendrait qu’affadir cette variété et l’enfermer dans des
modèles réducteurs. En plaidant pour cette posture d’enquêtrice, Yourcenar suggère que
l’écrivain jouit d’une certaine polyvalence, que le scientifique n’aurait pas, dans la réflexion
sur le rêve. Non seulement producteur de récits de rêves mais aussi collectionneur des rêves des
autres et enquêteur, l’écrivain recueille une matière onirique plurielle avant d’en construire le
savoir.
Si Yourcenar n’a pas elle-même participé à des enquêtes sur le rêve, préférant la
recherche personnelle aux réalisations collectives, d’autres auteurs en ont menées, à commencer
par les proches du groupe surréaliste. Les revues, lieux de publication de ces productions
collectives et hétérogènes, parfois sans ambition littéraire, se donnent comme des organes de
réflexion, de débat et de construction du savoir optimaux, permettant de toucher une audience

165
Marguerite Yourcenar, « Du rêve et des drogues », Les Yeux ouverts (1980), entretiens avec Matthieu Galey,
Bayard, coll. « Littérature », 1996, p. 107 et 111.

82
plus large et diversifiée. Les Nouvelles littéraires relaie plusieurs appels à témoignages ; La
Révolution surréaliste, Le Disque vert ou encore les Cahiers GLM réservent une rubrique
régulière ou un numéro spécial à ces textes. Ces revues, dirigées et animées par des hommes de
lettres (respectivement Naville et Péret puis Breton seul ; Michaux et Hellens, et enfin Breton
en collaboration avec Guy Lévis-Mano), se démarquent néanmoins des publications
scientifiques : il ne s’agit pas de publier des articles savants comme dans Les Annales médico-
psychologiques, L’Encéphale, Le Journal de psychologie ou Les Archives de psychologie, mais
de laisser entendre plus directement la voix du rêve, en amont de toute modélisation théorique.
Au lecteur, spécialiste ou non, d’en faire s’il le souhaite le terreau d’une démarche scientifique.
Ces mélanges se situent à mi-chemin entre les miscellanées à valeur esthétique, qui viseraient
à exposer la beauté des textes, et l’enquête sociologique, qui voudrait recueillir et observer des
données166. Au fond, l’ambition scientifique qui fonde en creux toutes ces publications est
toujours la même : faire la preuve, par l’exemple et non par le discours de glose, de points de
convergence identifiables au sein de la diversité exposée.

  Centrale des songes et Trajectoire du rêve : passer le rêve en revues


Au-delà de la dimension singulière d’auto-observation à but scientifique, le groupe
surréaliste développe l’idée que le grand nombre va permettre de dégager des constantes dans
la compréhension du rêve. Cette décision d’élargir la base observée est une étape de la démarche
expérimentale déjà éprouvée dans d’autres contextes exploratoires. Freud lui-même, après avoir
auto-analysé ses propres rêves, et avoir dégagé de cette auto-observation une ébauche théorique
dans les premières éditions de La Science des rêves, avait souhaité donner à sa démarche une
dimension plus collective en encourageant la fondation par Wilhelm Stekel, Karl Abraham et
Alphonse Maeder, dans les années 1910, d’un « bureau central des rêves167 ». L’ambition que
se donne la Société psychanalytique internationale (Internationale psychoanalytische
Vereinigung, 1909-1918) est d’élargir les recherches sur le rêve amorcées par Freud par une
vaste entreprise de collecte. En ouvrant le répertoire des rêves à des productions oniriques de
patients, d’anonymes, mais aussi issues de la culture populaire (mythe, littérature, etc.), ces

166
Le modèle de l’enquête sociologique comme investigation du rêve apparaît au XIXe siècle avec Mary Whiton
Calkins, « Statistic of Dreams », American Journal of Psychology, V, 3, 1893, p. 311-343 ; Sante de Sanctis, I
sogni. Studi psicologici e clinici di un alienista, Torino, Bocca, 1899. En France, l’étude de Marcel Foucault, Le
Rêve. Études et observations, (Paris : Alcan, 1906) réalisée au collège de Mâcon semble inaugurale.
167
Sur ce point, voir Lydia Marinelli et Andreas Mayer, Rêver avec Freud. L’histoire collective de L’Interprétation
du rêve, Aubier, coll. « Psychanalyse », 2009, et plus particulièrement chap. 4, « Un “bureau central des rêves” :
la collecte des symboles », p. 85-98.

83
psychanalystes entendaient « élucider des exemples probants de symboles oniriques inconnus
jusque là168 ». Il s’agissait aussi de sortir de la perspective monodiscursive freudienne pour
donner à ces avancées le gage de l’objectivité collégiale.
À partir de 1924, un « Bureau de Recherches Surréalistes », aussi appelé la « Centrale »,
prend place chez Pierre Naville, au 15 rue de Grenelle. « Son but initial est de recueillir toutes
les communications possibles touchant les formes qu’est susceptible de prendre l’activité
inconsciente de l’esprit169. » Lieu d’expérimentations et d’actions collectives, il se veut ouvert
en vertu du principe selon lequel « le surréalisme est à la portée de tous les inconscients170 ».
Dans « Entrée des mediums », Breton justifiait sa préférence pour les sommeils par rapport aux
rêves « faute surtout de documents nombreux et caractéristiques171 » ; là, les membres du groupe
se partagent leurs rêves, ils reçoivent aussi les récits d’inconnus, qui adressent leurs textes à
cette adresse. Une note signée par Breton et Aragon, de permanence à la centrale surréaliste le
1er décembre 1924, demande à tous les membres du groupe de collaborer en alimentant de leurs
rêves La Révolution surréaliste :

En prévision du n° 3 de la R. S. consacré au rêve, nous prions instamment


tous les collaborateurs de la revue de rédiger avec la plus grande exactitude et
le plus grand soin les récits de leurs rêves, au fur et à mesure qu’ils se produisent
et de les verser à la Centrale172.
À la production créative s’ajoute ainsi un geste de collecte, qui permet au groupe de constituer
un corpus large. « Le surréalisme ouvre les portes du rêve à tous ceux pour qui la nuit est
avare173 », annonçait le premier numéro de La Révolution surréaliste ; en retour, la Centrale se
fait aussi salle des coffres pour qui souhaite y déposer ses rêves en sûreté. Le groupe publie en
novembre 1924 dans Les Nouvelles littéraires un « Communiqué sur le Bureau de Recherches
Surréalistes » qui sonne comme un appel à récits de rêves et autres témoignages en vue de la
« création de véritables archives surréalistes ».

Ce bureau s’emploie à recueillir par tous les moyens appropriés les


communications relatives aux diverses formes qu’est susceptible de prendre
l’activité inconsciente de l’esprit. Aucun domaine n’est spécifié a priori pour

168
« Varia », Zentralblatt für Psychoanalyse, 1, 1910-1911, p. 135 ; cité par Lydia Marinelli et Andreas Mayer,
Rêver avec Freud. L’histoire collective de L’Interprétation du rêve, op. cit., p. 89.
169
André Breton, Entretiens 1913-1952, OC III, p. 495-496.
170
Papillon surréaliste, 1924. Cette déclaration est complétée par « On le trouve au Bureau de Recherches
Surréalistes, au 15 rue de Grenelle, de 4h ½ à 6h ½. »
171
André Breton, « Entrée des mediums », OC I, p. 275.
172
Archives du surréalisme, présenté et annoté par Paule Thévenin, tome 1, Bureau de recherches surréalistes,
Cahier de la permanence, octobre 1924 – avril 1925, Gallimard, 1988, p. 65.
173
Jacques-André Boiffard, Paul Éluard et René Vitrac, La Révolution surréaliste, « préface », art. cit.

84
cette entreprise et le surréalisme se propose de rassembler le plus grand nombre
possible de données expérimentales, à une fin qui ne peut encore apparaître174.
Parmi les contributions sollicitées, le Bureau demande aux particuliers de bien vouloir proposer
eux aussi « un système d’investigation psychique inédit » et de « faire confidence de leurs rêves
les plus curieux et de ce que ces rêves leurs suggèrent ». Comme dans une enquête ou une
expérimentation de validation à grande échelle, l’activité du groupe semble ainsi s’ouvrir à la
masse des anonymes ; elle fait voler en éclats la notion même de spécialisation, en permettant
à tous de prendre part à une recherche jusque-là réservée aux hommes de lettres. Toutefois, le
bénéfice tiré de cet appel reste à déterminer. On ne sait si le groupe reçut beaucoup de récits de
rêves de lecteurs anonymes ; ceux-ci, en tout cas, restèrent dans les archives et ne furent pas
publiés dans la revue officielle. En effet, mis à part trois rêves d’enfants, transmis par Jean
Baucomont et publiés dans la livraison d’avril 1925 de La Révolution surréaliste, les textes de
cette section sont toujours signés de membres du groupe bien identifiés : Leiris et Morise en
tête.
Comme en réponse à la position plus timorée et corporatiste qu’annoncée de La
Révolution surréaliste, Le Disque vert, revue d’avant-garde belge dirigée par Franz Hellens et
Henri Michaux, lance à son tour une enquête et publie l’année suivante un numéro mêlant
témoignages et récits de rêves175.

LA PROCHAINE ENQUÊTE DU « DISQUE VERT »

Il est des rêves fidèles.


Des semaines et des mois durant, et jusqu’à des années, ils viennent toutes
les nuits. Sans eux peut-être nous ne pourrions vivre.
Chacun possède les siens, chaque âge aussi.
Les vôtres, Madame, quels sont-ils ? Et les vôtres, Monsieur ? Et quand vous
étiez petit garçon ou petite fille ?
Ils ont changé, ils changent.
Rappelez-vous donc leur physionomie, comme ils vivent dans le sommeil,
et dites-le nous176.
On y lit des textes d’auteurs belges et français, écrivains, journalistes, universitaires ou
anonymes, hommes et femmes. Sous le patronage de Baudelaire, dont est publié un rêve tiré de
sa correspondance, y figurent les signatures de quelques membres du groupe parisien : Antonin
Artaud, René Crevel, Michel Leiris, Max Jacob ; mais la plupart des contributeurs sont belges.
L’originalité de la démarche est de donner un aperçu assez nuancé de l’activité onirique. À côté
des récits de rêves attendus, on trouve de nombreux témoignages qui, souvent, relatent plutôt

174
« Communiqué sur le Bureau de recherches surréalistes », Les Nouvelles littéraires, 8 novembre 1924, p. 2.
175
Le Disque vert, « Des rêves », 3e année, 4e série, Paris-Bruxelles, n° 2, mars 1925.
176
Le Disque vert, « Sur le suicide », 3e année, 4e série, Paris-Breuxelles, n° 1, 1925, p. 113.

85
l’absence de rêves, la difficulté à rêver ou à raconter le rêve177. Ainsi, la collaboration d’Albert
Cohen s’arrête au constat lapidaire : « Je ne rêve pas. Croyez que je le regrette. », Antonin
Artaud signe un texte intitulé « Le mauvais rêveur », René Crevel avoue qu’il « rêve sans mots,
sans image ». Joseph Delteil, quant à lui, adopte une attitude extrêmement critique, qui lui
vaudra d’être mis à l’écart du groupe parisien par Breton178 : « Je ne rêve jamais. Je reproche au
rêve de se substituer trop souvent à l’action. Le plus petit acte du monde me paraît plus beau
qu’un rêve. La vie n’est pas un rêve. Je ne rêve jamais. » La revue rapporte encore ce
commentaire de Maeterlinck, lancé dans un élan de réaction franche vis-à-vis de la diffusion
des théories freudiennes : « Du reste, depuis que Freud a voulu établir par “raison
démonstrative” trop de choses qui n’ont rien de commun avec la raison, je n’attache plus aucune
importance à mes rêves nocturnes. » Le Disque vert adopte une démarche sensiblement
différente de la revue du groupe parisien. Il s’agit moins de mettre au jour un échantillon large
ou représentatif des rêves que de refléter le réel de l’expérience onirique, avec ce qu’elle peut
contenir de décevant En publiant ce numéro, Michaux et Hellens font entendre une diversité de
positions et une voix critique portée par les hommes de lettres sur l’engouement collectif des
tenants d’une approche scientifique.
Après la crise que connaît le groupe à la fin des années 1920, la reprise des récits de
rêves, cette fois-ci doublés d’une analyse collective, se présente à la fois comme un moyen de
ressouder le mouvement surréaliste et de légitimer son activité. Cette nouvelle pratique
collective s’inscrit dans le cadre idéologique de la lutte anti-religieuse mais elle se donne aussi,
plus largement, comme une forme de mise en œuvre pratique du matérialisme philosophique.
Le sens des rêves, aux yeux des surréalistes, ne vient ni d’une transcendance ni de l’écoute
recueillie d’un « milieu intérieur idéal » (conception spiritualiste) mais d’éléments matériels,
vécus dans la veille. Reprenant la procédure de compréhension par l’observation et la
comparaison, l’enjeu est moins de comprendre les mécanismes du rêve que d’en faire, par
l’analyse, la matière d’un partage qui se veut scientifiquement approuvé en ce qu’il participe
de la validation d’une théorie. Dans le rapport de la réunion du 4 mai 1931, on inscrit donc deux
nouvelles activités au programme des séances à venir :

177
Dans sa correspondance avec Franz Hellens, Henri Michaux note en janvier 1925 : « … Reçu réponses assez
négatives et spirituelles. […] MAX JACOB, PIERRE MORHANGE, ALBERT COHEN (Dr. Revue juive),
FERN. DIVOIRE, NORBERT GUTERMAN (Philosophes) ». Sitôt lus. Lettres à Franz Hellens 1922-1952,
Fayard, 1999, p. 104.
178
Suite à cette contribution, Breton écrit à Delteil : « Votre goût maniaque de la vie en ce qu’elle a de plus moche
– vous ne rêvez jamais – finit par me taper sur le système. » cité par Sarane Alexandrian, Les Surréalistes et le
rêve, op. cit., p. 158.

86
1. Reprendre l’étude du rêve, de son interprétation ; critique des
interprétations proposées (chacun sera tenu d’apporter, à intervalles réguliers,
un récit de rêve commenté ; ces récits seront examinés par l’ensemble des
participants) ;
2. Transcription des fantaisies diurnes ; il est bien évident que ces fantaisies
ne doivent pas être consciemment provoquées, mais apparaître à la façon de
rêves ; ces fantaisies devront être commentées et critiquées. Noter les gestes,
l’atmosphère, les circonstances et leurs rapports avec la vie onirique179.
L’analogie entre rêve et fantaisie diurne annonce la démonstration des Vases communicants,
rédigé par Breton l’été suivant. Il s’agit en fait de traiter les deux phénomènes selon la même
procédure et d’étendre aux seconds les principes d’analyse forgés pour les premiers. Même si
la réflexion collective est mise au service de la production individuelle du chef de file, le groupe
reste la structure qui soutient l’activité herméneutique de chacun. Ce n’est plus, comme dans la
période précédente, la production du matériau onirique mais son analyse qui est confiée à
l’instance collective. En endossant un rôle critique, le collectif agit aussi comme un cadre
méthodologique qui préserve d’une dispersion possible des pratiques, aussi bien dans la
démarche que dans le système de références à privilégier. Cet exercice collectif d’interprétation
a certainement permis de diffuser au cœur du groupe une approche commune du fait onirique
et de développer, chez chacun des participants, des réflexes d’analyse.
Toutefois, les années 1930 sont nettement moins marquées du sceau du rêve que ne
l’avaient été les années 1920. Excepté les Vases communicants de Breton, peu de témoignages
de cette activité interprétative paraissent ; il semble que le groupe soit passé à autre chose. Peut-
être faut-il y voir la concurrence de la méthode paranoïaque-critique de Dali, dans laquelle le
moment interprétatif au sens strict est évincé au profit du discours délirant, lequel est considéré
en lui-même comme une projection interprétative. Encore faut-il garder en mémoire la
nécessaire réorganisation du groupe après le manifeste de 1929 : celui-ci connaît non seulement
un changement d’hommes mais il s’engage aussi vers une révision de ses priorités, dans laquelle
l’automatisme le cède à l’action et à la question politique. Les rêves, qui procédaient du même
élan que l’automatisme psychique, sont ainsi délaissés.
Ils sont pourtant au centre d’une publication collective qui manifeste, sept ans après la
décision de faire de l’interprétation onirique une des activités fédératrices du groupe, le sérieux
avec lequel on considère cette herméneutique. En 1938, paraît la dernière publication collective
significative du groupe surréaliste sur le rêve. Trajectoire du rêve180, publié dans les Cahiers
GLM, propose une anthologie rassemblée par Breton, comprenant des textes anciens et

179
André Breton, rapport de la réunion du 4 mai présenté au groupe le 12 mai 1931, archives d’André Breton, cité
par Marguerite Bonnet et Étienne-Alain Hubert dans la notice des Vases communicants, OC II, op. cit, p. 1355.
180
Trajectoire du rêve : documents recueillis par André Breton, Cahiers GLM, n° 7, 1938.

87
contemporains. La justification de cette collection de rêves, qui arrive un peu tard après les
expériences du groupe, pourrait se trouver dans l’article qu’y publie Pierre Mabille. Dans son
texte « Sur la scène du rêve », il évoque la possibilité d’étendre la « valeur symbolique
personnelle » des rêves, établie par la psychanalyse freudienne, en lui donnant une dimension
collective :

Si du point de vue émotionnel, le rêve ne comporte pour moi aucun avantage


spécial au moment où il se déroule, par contre le souvenir de mes rêves, le récit
de ceux des autres m’importent beaucoup. Suis-je tenté en fidèle disciple de la
psychanalyse, d’interroger le développement nocturne des images pour y
percevoir l’orientation et le contenu de l’inconscient ? Ce souci après avoir été
très vif tend à devenir secondaire. […] En comparant rêves et délires de
différentes personnes, on note une sorte de répertoire collectif. Langage, vie
sociale, communications orales, écrites ou peintes, sont à la fois une explication
et un résultat de ce contenu commun. Mais par delà ces langues et ces habitudes,
le témoignage des peuples éloignés dans le temps et dans l’espace prouve que
la signification symbolique des objets est demeurée très stable. Cette constance
domine l’espèce entière181.
Pour l’anthropologue, cet intérêt porté aux rêves des autres et la propension à les
analyser ne relève pas tant d’une allégeance à la psychanalyse que d’une volonté de dégager
une symbolique commune à l’ensemble des hommes. À partir d’un fonds d’études nourri par
des productions de l’esprit en états seconds (délires et rêves), il souhaite faire la démonstration
d’une homogénéité de fonctionnement symbolique entre les peuples, les époques et les cultures.
La collection des exemples permet ainsi la comparaison et la sortie d’une extension strictement
individuelle, dans une perspective qui ne manque pas d’accents jungiens.
Le volume réunit quarante-quatre contributions aussi bien textuelles que visuelles :
vingt-cinq textes et vingt illustrations (peinture, collage, dessin, photographie, couverture de
livre). Si le spectre couvert paraît large, allant du XVIe siècle de Paracelse à la fin des années
1930 et de la Russie de Pouchkine à l’Allemagne romantique de Lichtenberg ou Moritz, il
adopte pour point focal la question de l’interprétation. L’ambition du volume paraît moins de
faire état de la diversité des contenus oniriques que de la permanence à travers les siècles d’une
activité herméneutique, voire divinatoire, prenant appui sur eux. C’est bien au singulier que
s’accorde cette trajectoire, par laquelle Breton relie diverses traditions dans une même approche
et à laquelle il rattache surtout la pratique surréaliste. Comme pour L’Anthologie de l’humour
noir182 que Breton prépare à la même époque, le geste anthologique se double d’un geste

181
Pierre Mabille, « Sur la scène du rêve », Trajectoire du rêve, p. 81-82.
182
André Breton, Anthologie de l’humour noir, Le Sagittaire, 1940 (rééd. Le Sagittaire, 1950 ; Pauvert, 1966). Sur
la genèse de l’ouvrage, voir la notice rédigée par Étienne-Alain Hubert, OC II, p. 1745-1770.

88
généalogique, lequel vise à asseoir la proposition sur une base déjà éprouvée. Ce spicilège
ajoute à l’argument du nombre celui de la tradition.
Le crédit accordé à cette dimension herméneutique s’appuie sur la caution de figures de
savoir, tant littéraires que scientifiques ou parascientifiques. La présence de la référence
psychanalytique est massive, mais elle n’est pas unique. De façon symbolique, la figure
freudienne encadre le recueil : d’un côté par un prière d’insérer en forme d’hommage à
« l’illustre maître, l’esprit en lequel s’est véritablement incarné le ‘Plus de lumière’ réclamé par
Goethe183 » et de l’autre par la reproduction d’une lettre du savant viennois. Et c’est encore à la
psychanalyse que renvoient Ferdinand Alquié en citant les analyses du Dr Allendy184, Breton
lui-même dans l’interprétation qu’il tire de son rêve ou Georges Mouton dans la démonstration
qu’il entreprend de faire sur la pertinence de l’hypothèse de la sexualité infantile à l’œuvre dans
les rêves de nutrition qu’il expose185. Mais d’autres voix y sont portées, antérieures ou venues
d’autres horizons disciplinaires. Ainsi, le recueil s’ouvre sur une caution d’érudition littéraire,
reconnue par l’institution universitaire, en la personne d’Albert Béguin, qui vient de publier
L’Âme romantique et le rêve aux Cahiers du Sud186. Sont citées également des figures plus
anciennes de savants telles que Paracelse ou Lucas, mathématicien du XIXe siècle.
Contrairement aux publications collectives précédentes, la plupart des récits de rêves
sont ici livrés avec interprétations ou commentaires. De façon moins systématique que dans les
deux rêves analysés dans Les Vases communicants, André Breton s’attache tout de même à
dégager un sens dans l’« Accomplissement onirique et genèse d’un tableau animé187 ». Surtout,
la méthode des associations libres, dont l’efficacité avait été démontrée dans l’ouvrage de 1932,
est reprise avec une grande rigueur par Bellaval dans son « Essai de reconstruction d’un
message automatique188 ». Plus qu’à Freud, c’est à Breton qu’Henri Pastoureau exprime une
puissante reconnaissance dans sa contribution :

La nécessité des rêves ne m’a semblé la plus aveugle que parce qu’elle fut
la plus difficile à connaître. Aujourd'hui qu’un effort immense a été fait dans le

183
André Breton, « Prière d’insérer sur l’arrestation de Freud », Trajectoire du rêve, Cahier GLM, 1938, p. 4. La
référence à Goethe entre en résonnance avec la fin du premier récit de rêve publié par Breton dans Littérature, qui
s’achevait sur le mot « Lumière… ».
184
René Allendy, psychanalyste de René Crevel (en 1926) et d’Antonin Artaud (en 1927), participe à la diffusion
des idées freudiennes par la publication de Les Rêves et leur interprétation psychanalytique, Alcan, 1926. En 1938,
il publie Rêves expliqués, Gallimard, 1938.
185
Georges Mouton, « Les rêves de nutrition », Trajectoire du rêve, Cahiers GLM, 1938, p. 106-110.
186
Albert Béguin, L’Âme romantique et le rêve, Cahiers du Sud, 1937. L’ouvrage, issu d’une thèse de doctorat
soutenue à l’université de Genève, connaît un grand succès et est réédité dès 1939 aux éditions José Corti, puis en
1946 au Livre de Poche, coll. « Biblio essais ».
187
André Breton, « Accomplissement onirique et genèse d’un tableau animé », Trajectoire du rêve, Cahiers GLM,
1938, p. 53-59.
188
Henri Bellaval, « Essai de reconstruction d’un message automatique », Trajectoire du rêve, op. cit., p. 121.

89
sens de l’explication du rêve, il apparaît de plus en plus clairement que loin de
nous égarer dans les steppes et la brume le phénomène onirique doit être un
précieux guide sur la route sans fin qui mène à la conciliation de l’antinomie la
plus grave [i.e. « la contradiction de l’extérieur et de l’intérieur »] au cœur de
l’homme, celle qui contient toutes les autres comme une mère-gigogne189.
En reprenant les expressions mêmes de Breton190, et plus loin ses exemples (Hildebrandt et
Lénine191), Pastoureau érige le chef de file surréaliste en autorité scientifique. La citation de
l’ouvrage de Hildebrandt est à cet égard assez significative.

« On peut dire que, quoi que présente le rêve, il prend ses éléments dans la
réalité et dans la vie de l’esprit qui se développe à partir de cette réalité… Si
singulière que soit son œuvre, il ne peut cependant jamais échapper au monde
réel et ses créations les plus sublimes comme les plus grotesques doivent
toujours tirer leurs éléments de ce que le monde sensible offre à nos yeux ou de
ce qui s’est trouvé d’une quelconque manière dans la pensée de la veille. »
Déjà cité par Breton dans Les Vases communicants (VC, 111), les mots de l’auteur allemand
sont en fait recopiés du premier chapitre de La Science des rêves, qui cite le même extrait192.
Dans ce jeu de circulation des références et des discours, la figure freudienne s’estompe peu à
peu et les champs de spécialité et d’érudition tendent à se confondre ; Breton devient une
référence scientifique, mentionné au même titre qu’un autre savant.

Radio rêves
À ce versant savant de l’étude du rêve, qui entre en concurrence et débat avec les
éminences de disciplines reconnues, répond un doublet populaire, dans lequel la création
littéraire trouve à se forger une autre légitimité. Tandis que Breton assoit son autorité sur une
généalogie scientifique, Desnos, lui aussi, prône les potentialités interprétatives et
prémonitoires du rêve mais en faisant ressurgir une tradition qui avait été discréditée par
l’auteur du Manifeste du surréalisme : celle des clefs des songes antiques. Sans procéder à une
enquête dans le sens scientifique du terme, Robert Desnos et Jérôme Arnaud, avec leur émission
« La Clef des songes193 » diffusée à partir de 1938 sur les ondes du Poste Parisien, font œuvre
de collecte et visent une certaine représentativité.

Colette Paule — Et voici la Clef des Songes du Poste Parisien.

189
Henri Pastoureau, « le rossignol ne se laisse pas nourrir de fables », Trajectoire du rêve, op. cit., p. 118-120.
190
« Réconciliable » (sous la forme de son contraire « irréconciliable ») et « antinomie » sont des mots souvent
employés par André Breton.
191
Dans Les Vases communicants, Breton cite Matérialisme et empiriocriticisme tandis que l’article de Pastoureau
prend pour titre une citation de Lénine, donnée à la fin du texte : « Le rossignol ne se laisse pas nourrir de fables. ».
La référence à Hildebrandt concerne Der Traum und seine Verwertung furs Leben (Leipzig, 1875), cité par Breton
dans Les Vases communicants
192
Sigmund Freud, La Science des rêves, chap. I, p. 9.
193
La Clef des songes est diffusée du 11 février 1938 au 17 juin 1939.

90
Robert Desnos — Vos rêves sont reconstitués par Jérôme Arnaud.
Jérôme Arnaud – Et expliqués selon l’antique Clef des songes par Robert
Desnos.
peut-on entendre tous les vendredis soirs à 20h10, de février 1938 à juin 1939.
Desnos et ses compagnons prennent explicitement leurs distances avec les discours des
savoirs en vogue et affichent dès le lancement du programme une ambition qui n’est pas tant
scientifique que poétique. « Nous ne faisons, bien entendu, ni psychanalyse, ni psychiatrie, ni
science au véritable sens du mot. Nous nous contentons de recevoir chaque semaine un
abondant courrier194 », prévient-il. Cela n’empêche pas le poète de demander conseil à René
Allendy sur la symbolique de tel ou tel élément ou d’entretenir sur le sujet des échanges nourris
avec le Dr Gaston Ferdière, psychiatre195.
L’appel, lancé dans Radio-Magazine en février 1938, adopte résolument des accents
populaires qui pourraient faire passer Desnos pour un bonimenteur. Il ne s’adresse pas, comme
son ainé Breton, au lectorat intellectuel des Nouvelles littéraires mais aux auditeurs – et surtout
auditrices – d’une station de grande écoute, que l’on écoute pour ses jeux et ses émissions de
divertissement.

Rêvez donc, chers lecteurs. Ainsi vous ne perdrez pas votre temps en
dormant. Vous vous reposerez et, en même temps, vous accumulerez des trésors
de poésie et, qui sait ? si vous voulez bien nous écrire, peut-être apprendrez-
vous des choses précieuses sur votre avenir. Selon la parole du poète, un rêve
vaut mieux qu’un conseil. Le proverbe l’affirme… le proverbe a raison.
Si la nuit porte conseil, n’est-ce pas grâce au rêve ? Écoutez donc « La Clé
des songes », sans trop y croire, mais en y croyant tout de même un peu, et
plongez ensuite sans crainte dans les vastes océans du rêve, dans les
profondeurs de la nuit196.
Desnos est un familier des réclames et de la radio. Grâce à Paul Deharme197, créateur de
l’agence « Information et publicité », il a déjà mis son art de la formule au service de
nombreuses publicités pour des produits aussi divers que le Vin de Frileuse, les chaussures FF,
la Marie-Rose ou encore les pilules Dupuis. Pour eux, il a créé non seulement des slogans mais
encore de petites saynètes mises en musique qui font de lui « le poète le plus écouté

194
Robert Desnos, « La Clé des songes au Poste-Parisien », Radio-Magazine, février 1938, cité dans Œuvres,
éd. établie et présentée par Marie-Claire Dumas, Gallimard, coll. « Quarto », p. 846-848.
195
À ce sujet, voir l’ouvrage de Anne Egger, Robert Desnos, Fayard, 2007, p. 687-694. Desnos avait pour projet
de publier un essai sur l’interprétation des rêves qui aurait témoigné de ses échanges de vues avec le psychiatre
sur la question.
196
Robert Desnos, « La Clé des songes au Poste-Parisien », art. cit.
197
Marie-Claire Barnet, « L’Art radiophonique : Deharme et Desnos », dans Katharine Conley et Marie-Claire
Dumas (dir.), Desnos pour l’an 2000., Gallimard, p. 25-36.

91
d’Europe198 ». Il est aussi l’auteur de plusieurs productions radiophoniques, réalisées grâce aux
studios Foniric comme le feuilleton La Grande complainte de Fantômas (1933, Radio-Paris)
ou l’émission Les Éphémérides radiophoniques (1933-1935, Radio-Paris).
Le chantre des aphorismes de Rrose Scélavy et héraut des sommeils hypnotiques
délaisse l’approche rigoureuse et positiviste de ses pairs scientifiques pour renouer avec les
marges divinatoires et parapsychologiques qui avaient fait la fortune du rêve prophétique depuis
l’Antiquité. Le rêve qui, sous l’éclairage de la psychanalyse freudienne, est devenu une
émanation du moi singulier, pris dans son histoire personnelle et ses désirs individuels, est ici
envisagé comme un produit collectif, révélateur d’un air du temps, d’une époque, voire d’une
mode qui dilue les individualités dans le grand bain de la société.

Et cependant, nous n’avons pas tardé à constater qu’à côté du songe


individuel qui diffère de celui du voisin par ce que nous pourrions appeler ses
vêtements ou son déguisement, il existe un véritable songe collectif. En effet,
il y a dans l’ensemble des rêves que nous recevons chaque semaine de très
nombreux points de concordance199.
Le vocabulaire rappelle le travestissement freudien et les archétypes jungiens ; mais la méthode
utilisée et le ton volontiers enjoué et rassurant étiquettent rapidement l’écrivain médium du côté
de la voyance populaire qui détourne l’oniromancie vers la fable du hâbleur.

À qui nous sommes-nous adressés pour trouver les éléments de cette science
divinatoire ? Après avoir beaucoup cherché, c’est aux écrivains anciens que
nous avons fait appel, et nous tenons notamment à rendre hommage à M. Henri
Vidal, qui a édité en 1921 une excellente traduction du Traité des songes
d’Artémidore d’Éphèse. Ce personnage vivait en Grèce à une époque mal
déterminée. Mais ce qui est certain, c’est que sa clé des songes est subtile,
adroite, intelligente et qu’elle a été remarquée par des savants aussi difficiles
que le professeur Freud lui-même.
Desnos joue les camelots, prompt à faire passer l’antique clef des songes d’Artémidore pour un
document des plus sérieux. Une lecture ironique de ces séances d’interprétation à grande écoute
y décèlerait une dérision touchant deux cibles à la fois : les hommes de sciences de l’entre-
deux-guerres – Freud le premier – qui prétendent avoir construit sur le rêve des discours et des
théories fiables sont renvoyés à l’autorité apparemment indépassable des écrivains – antiques
qui plus est ; les ménagères avides de donner un sens à leurs rêves voient leurs interprétations
réduites au rang de commérages. Le trait est outré et Desnos, avec un optimisme systématique,

198
Expression par laquelle Desnos lui-même aimait à se présenter, selon ses proches. Voir Youki Desnos, « Desnos
poète populaire », dans Simoun, n° 22-23, « Robert Desnos », Alger, 1956, cité par Marie-Claire Dumas dans
Robert Desnos, Œuvres, op. cit., p. 792.
199
Robert Desnos, « La Clé des songes au Poste-Parisien », art. cit., p. 846-848.

92
transforme les pires visions en heureux présages200. Par exemple, à une auditrice de Lyon qui a
rêvé de « musique militaire sans voir les soldats », d’un pont, d’une rivière, d’une voie de
chemin de fer et d’un « passage à niveau fermé par une grosse corde qu’elle essayait de
dénouer », Desnos recommande :

Ce rêve en apparence compliqué est fort simple : que Mademoiselle J. D. ne


s’attarde pas à dénouer les situations compliquées. Qu’elle imite Alexandre et
qu’elle tranche les nœuds. Son bonheur dépend de sa volonté d’être heureuse201.
Le chroniqueur coupe court au foisonnement des détails par un conseil pratique de bon sens ;
les réponses sont univoques, efficaces, immédiatement applicables. Desnos fait en quelque
sorte de « l’anti-Freud » : des rêves ne sont donnés que des éléments de contenus, sans contexte
ni aucun renseignement sur les rêveurs. Les interprétations se succèdent rapidement et sont
toujours synthétiques là où, décidément, le rêve est bavard. Desnos, en choisissant Artémidore
contre Freud, fait aussi un geste de bravade envers Breton qui avait condamné, dans Les Vases
communicants les ouvrages auxquels il se réfère :

Rien de plus choquant, je tiens à le déclarer sans autre ambage, rien de plus
choquant pour l’esprit que de voir à quelles vicissitudes a été condamné
l’examen du problème du rêve, de l’Antiquité à nos jours. De piètres « clés des
songes » persistent à circuler, indésirables comme des jetons, à la devanture des
librairies vaguement populaires. (VC, 106)
Le crédit des discours produits par l’émission n’est pour autant pas à réduire à néant. Le
dénigrement scientifique paraît inversement proportionnel à l’émerveillement poétique et, si
Desnos ne semble pas trouver là matière sérieuse à sonder les esprits de ses contemporains, du
moins fait-il de leurs rêves des petites pièces propres à éveiller en eux le désir de rêver. Ses
saynètes radiophoniques sont conçues comme des « rêves suggérés et dirigés202 ».
On ne peut toutefois exclure que, derrière ces apparences d’oniromancie vulgarisée, une
réelle ambition heuristique anime le projet. Desnos adhère à l’hypothèse d’un sens collectif des
rêves et à une circulation significative de leurs contenus comme autant d’indices des
préoccupations et aspirations qui parcourent la société. Il pense ainsi pouvoir dégager, chaque
semaine, des contenus oniriques communs aux rêves qu’il reçoit pour en exposer la valeur
collective et dessiner ainsi une ébauche de l’avenir que se prépare la nation.

200
Desnos incarne avec une certaine dérision la figure mantique du surréalisme. Tout au long de son œuvre, il ne
cesse de s’amuser avec les énoncés prophétiques. Déjà dans les années 1922-1923, on l’interrogeait lors des
séances de sommeils hypnotiques sur l’avenir des autres membres du groupe. Il est aussi l’auteur de Trois livres
de prophéties (1925), publié pour la première fois dans Pleine marge, n° 2, décembre 1985, reproduit dans Œuvres,
op. cit., p. 263-275.
201
Robert Desnos, La Clef des songes, dans Œuvres, op. cit, p. 851.
202
Paul Deharme, Pour un art radiophonique, Le Rouge et le Noir, 1930, p. 40.

93
Lorsqu’on étudie les rêves qui parviennent dans le même courrier, on
s’aperçoit avec surprise que, dans la même nuit, plus de la moitié des rêveurs
ont fait le même rêve. Cette semaine, la plupart de mes correspondants, et
surtout correspondantes, ont rêvé de chat. Le chat est en général un signe de
troubles, débauche, ennuis, changements, etc. Pour le rêve collectif, il annonce
bouleversements, découvertes d’escrocs, punitions de coupables, freins mis aux
agissements de voleurs203 […]
Après l’émission de radio vient la tenue d’une rubrique dans le magazine féminin Pour
Elle, de novembre 1940 à juin 1941. Desnos y publie moins l’interprétation spécifique de tel
ou tel rêve envoyé par les lectrices qu’il ne propose, à chaque parution, une sorte de synthèse
des rêves reçus. Comme dans l’émission radiophonique, le poète fait l’hypothèse d’une
influence historique et sociale sur le contenu des rêves de ses compatriotes. En ces temps
troublés, la dimension divinatoire prend des accents de prédiction d’un avenir davantage
collectif.

Il s’agit ici d’un rêve collectif qui permet d’obtenir des indications sur
l’avenir de la nation à laquelle appartiennent les dormeurs. J’ai pu,
personnellement, prévoir des tremblements de terre, des éruptions de volcan,
des inondations, des guerres, des événements heureux à une époque où un
nombreux courrier m’apportait chaque semaine et presque jour par jour la
relation des rêves français204.
L’émission – puis la rubrique – de Desnos parie certes sur une réactualisation de
l’antique tradition oniromantique, allant jusqu’à en reprendre la clef des songes la plus
traditionnelle, mais cette dimension anachronique est aussi mêlée, dans l’esprit du poète, à une
recherche plus ambitieuse de compréhension et de renouvellement du savoir. Alors que cette
reprise, à contretemps quand on songe aux discours en vogue dans les années 1940, pouvait
sembler figer la représentation du rêve dans un système de double équivalence obsolète, ou la
diluer dans une saisie ironique, voire absurde, elle témoigne pourtant d’un réel souci
d’élucidation, non seulement du rêve, mais de l’époque.

En définitive, la science des rêves ne pourra être perfectionnée que si rêveurs


et interprétateurs collaborent. C’est-à-dire si les premiers envoient une très
grande quantité de récits de rêves aux seconds et si ces derniers établissent
statistiques précises sur la saisie, la situation, les circonstances politiques et
sociales pendant que les rêves ont été faits205.
Les « interprétateurs » ont remplacé, sous la plume de Desnos, les hommes de science mais la
méthode qu’il préconise n’en reste pas moins rigoureuse : il s’agit toujours d’être attentif aux
faits, de noter les observations et de ne fonder la généralisation que sur la loi du nombre. Quand

203
Robert Desnos, « La Clef des songes », Pour Elle, 15 janvier 1941.
204
Robert Desnos, « J’ai fait un rêve, un joli rêve… », Pour Elle, 23 avril 1941.
205
Idem.

94
bien même le rêve serait ici pris davantage dans le spectre des sciences sociales plutôt que des
sciences cognitives (ou ce qu’elles deviendront), il demeure l’objet d’une réflexion scientifique.

La Banque des rêves


Dans les années 1970, c’est encore par l’intermédiaire des Nouvelles littéraires que Jean
Duvignaud, Françoise Duvignaud et Jean-Pierre Corbeau lancent une grande enquête sur le
rêve206, ouvertement sociologique cette fois, qui donne lieu ensuite à la publication du livre La
Banque des rêves207. « Pendant l’été, écrivez-nous vos rêves208 », invite la première page de
l’hebdomadaire en juillet 1976 pour préciser plus loin :

[…] Si nous rassemblions une grande quantité de songes de toute origine et


de toute culture, il nous serait enfin peut-être possible de définir, à travers ce
discours infini, des tendances et des besoins – des désirs – selon la diversité des
classes, des sociétés et des civilisations différentes.
Si les auteurs de l’enquête s’inscrivent dans une démarche avant tout sociologique, le spectre
des surréalistes et de leurs propres investigations est bien présent dans leur esprit et c’est à
Breton qu’il est fait explicitement référence :

Qu’un nombre de plus en plus grand d’hommes et de femmes nous adressent


ces figures insolites auxquelles l’écriture, comme disait Breton, donne une
force insoupçonnée, qu’ils nous indiquent simplement leur sexe, leur lieu
d’origine, leur situation sociale, et de l’ensemble de cette expérience étalée, là,
devant nous, peut surgir une connaissance nouvelle.
La mention de cette figure d’autorité, prise en dehors du champ disciplinaire sociologique et
même scientifique, fonctionne en fait dans un double sens. Elle atteste, plus de cinquante ans
après, combien l’ambition de Breton dépassait le cadre de la stricte recherche esthétique et
valide ainsi ses ambitions phénoménologiques. En même temps, elle aide Duvignaud à se situer
dans le sillage d’une voie épistémologiquement originale, à distance de la psychanalyse et de
la psychiatrie des années 1970.

C’est en effet la première injonction de l’appel que de proposer aux


épistoliers estivaux de ne pas être des rêveurs freudiens communs, mais de
livrer directement leurs récits nocturnes à l’état brut, sans y distinguer un
manifeste et un latent, sans en fournir d’exégèse. Le medium éditorial choisi,
un journal littéraire, et la référence aux surréalistes orientent les lecteurs vers

206
À ce sujet, voir l’article de Jacqueline Carroy, « Les rêves entre littérature, psychanalyse et sociologie. À propos
d’une enquête et d’un livre (1976-1979) », dans Les Contours du rêve, Marie Bonnot et Aude Leblond (dir.),
Hermann, 2017.
207
Jean Duvignaud, Françoise Duvignaud et Jean-Pierre Corbeau, La Banque des rêves : essai d’anthropologie
du rêveur contemporain, Payot, coll. « Bibliothèque scientifique », 1979.
208
Les Nouvelles littéraires, 1er juillet 1976, p. 1.

95
une forme d’écriture des rêves valorisant la surprise, l’incongruité et le
fantastique plus que le banal209.
Un autre écrivain, pourtant bien loin du cercle surréaliste, est présent dans l’horizon des
sociologues : Georges Perec. Celui-ci a en effet accepté de laisser à Roger Bastide, maître de
Duvignaud, le soin de rédiger une postface pour son recueil de récits de rêves La Boutique
obscure210. Bastide avait déjà tenté de tirer quelques analyses de cet échantillon monographique
mais ses élèves amplifient largement l’étude en s’appuyant sur le regroupement de 2000 rêves.
La quatrième de couverture souligne cette diversité représentative, loin de la portion congrue
des seuls témoignages d’écrivains :

C’est au rêve vulgaire, au rêveur trivial qu’on s’attache ici au terme d’une
enquête dans toutes les stratifications sociales et toutes les classes d’âge. On a
examiné deux mille rêves ou trames de rêves, recueillis non par sondage mais
par libres conversations enregistrées ou écrites211.
Pour Duvignaud, il s’agit de sortir de deux restrictions de champ dans lesquelles l’étude du rêve
se trouve enfermée : d’une part, celle de la littérature, qui produit, recueille et diffuse largement
les rêves ; d’autre part, celle engendrée par la domination de la théorie psychanalytique sur la
pensée du rêve. Surtout, les auteurs essaient de se dégager de toute théorie préexistante pour
édifier une anthropologie et une sociologie générale des rêves, dont la large base d’étude est
garante.

Informations fragmentaires ou scénarios complets, indications furtives ou


complaisantes, un matériel à la fois divers et disséminé – cette accumulation
peut nous placer en deçà ou en dehors de toute idéologie.
Le principe même de l’accumulation des rêves n’est-il pas, « en soi »,
fertile ? De même que l’accumulation involontaire de l’argent, détourné de la
jouissance immédiate et du troc, a placé voici quatre siècles l’humanité
occidentale devant un défi qu’elle n’a pas encore relevé, l’accumulation des
songes pourrait nous situer à l’écart de toute pratique oniromancienne, voire de
toute interprétation clinique ou thérapeutique.
[…] l’extrême diversité des rêves et des informations multiples que nous
avons recueillies paraît interdire, pour les comprendre, de les subsumer sous la
même logique, surtout si cette logique est dans son essence clinique. Au-delà
des concepts de « normalité » et d’« a-normalité » fixés et définis par une élite
de la science ou du pouvoir, il existe une trivialité onirique — la seule qui nous
concerne ici212…
L’enquête repose ainsi sur l’idée d’une nécessaire refonte des domaines du savoir. Elle laisse à
penser que, pour faire avancer sa compréhension, le rêve doit être sorti de tout champ de

209
Jacqueline Carroy, « Les rêves entre littérature, psychanalyse et sociologie. À propos d’une enquête et d’un
livre (1976-1979) », art. cit., p. 274.
210
Georges Perec, La Boutique obscure (Denoël, 1973), Gallimard, coll. « L’Imaginaire », 2010.
211
Jean Duvignaud, Françoise Duvignaud et Jean-Pierre Corbeau, La Banque des rêves, op. cit., 4e de couverture.
212
Jean Duvignaud, « Aujourd’hui le rêveur », La Banque des rêves, op. cit., p. 15-16.

96
spécialité et reconsidéré d’un regard neuf. En somme, un approfondissement disciplinaire à son
endroit ne serait pas possible. Le rêve, par sa pluralité, ne pourrait jamais que faire échec à la
théorie, quelle qu’elle soit, et serait, avant tout, un instrument de subversion pour briser les
catégories du savoir.

Les collections de rêves ont ainsi la capacité de mettre le grand nombre au service de la
formulation théorique en fournissant la base numérique d’un mouvement inductif. Elles sont
aussi un outil de discussion et de diffusion d’instruments théoriques forgés ailleurs. Ces
compilations de rêves, aux qualités et aux ambitions esthétiques et littéraires variables, prennent
part à une opération d’élucidation du phénomène onirique. Dans la mesure où elles revêtent
également un statut d’enquêtes, elles peuvent intervenir à deux niveaux du processus
expérimental. En amont de la théorisation, elles sont un outil puissant d’observation et de
fondation du savoir ; elles proposent un aperçu des contenus oniriques et permettent ainsi
d’établir des points de convergence. En aval de la proposition théorique, elles sont l’illustration
déductive d’un savoir du rêve qu’elles ne se chargeraient que de confirmer.
Ces publications, largement polyphoniques, affichent une variété étonnante, mêlant à
loisir l’art (dessins, peintures), la science (citations de discours de savoir, interventions de
savants) et les témoignages (récits de rêves ou remarques personnelles). Cependant, de l’appel
lancé par le Bureau de Recherches surréalistes à celui qui permettra de constituer la Banque des
rêves, sciences et littérature tendent à se démarquer l’une de l’autre avec plus de netteté.
L’enquête fait peu à peu glisser d’une recherche de nature psycho-cognitive (connaissance de
l’esprit) à une préoccupation de nature sociologique, particulièrement marquée dans La Banque
des rêves.

97
1.2.   LES LIMITES DU RÉCIT DE RÊVE

L’utopie d’une littérature qui tendrait à rivaliser avec la science s’estompe peu à peu au
profit d’une séparation plus nette des champs, des méthodes et des objets littéraires et
scientifiques. Non que la littérature ignore la science et ses avancées, ni qu’elle se refuse à
émettre sur ce sujet un quelconque énoncé de savoir, mais le récit de rêve tel qu’il était entendu
par les surréalistes ne jouit pas chez tous du même prestige. Parallèlement aux tentatives
surréalistes de capter et de figurer la pensée rêvante pour mieux unifier le monde du rêve et le
monde réel, d’autres auteurs critiquent la pertinence du récit de rêve en tant qu’outil
d’observation. En effet, alors que l’automatisme est bientôt discrédité par Michaux pour rendre
compte avec justesse du rêve, c’est sur le récit même comme instrument d’exploration fiable
de la pensée onirique que Valéry fonde sa critique. Tout en s’inscrivant dans une démarche
clairement scientifique – tant dans les procédures que dans les termes employés –, ces écrivains,
plus critiques, décèlent, dans l’incompatibilité fondamentale entre rêve et écriture, une limite
heuristique de la littérature. Dès lors, se dessinent sous leurs plumes d’autres approches
littéraires du rêve, moins représentatives mais plus réflexives. Le récit du rêve, du statut de
document brut, passe à celui de simple exemple, enchâssé dans un cadre discursif plus large,
celui de l’essai.

1.2.1. VALÉRY OU LE RÊVE EN CRISE

À l’époque où, dans les cercles scientifiques, on s’attache à élaborer une psychologie
positive et à construire un savoir du rêve à partir de son observation, Valéry, lui, aborde la
question à contre-courant. Ses réflexions matinales l’amènent à élaborer une critique radicale
du récit de rêve et à proposer une approche toute différente, qui pose ce phénomène cognitif en
horizon inatteignable de la connaissance de la psyché. Le rêve, pour Valéry, est un phénomène
inobservable ; et son récit, loin d’être un moyen de l’approcher, n’est qu’un leurre qui,
incommensurable à son objet, égarerait un peu plus son observateur.
Posant d’emblée que le rêve est inaccessible par les conditions de l’observation directe
et, par-là, par la démarche scientifique, le poète le conçoit comme un objet résolument fuyant.
« Le rêve est le phénomène que nous n’observons que pendant son absence. Le verbe rêver n’a
presque pas de ‘présent’ ». (C II, 75) Les limites de l’observation du rêve sont connues :

98
l’impossible communication des consciences alliée à la temporalité de son récit, toujours
secondaire, en font une expression du for privé, doublement hors d’atteinte.
Si on pose la question précise : que peut-on vouloir savoir sur le rêve – que peut-on
penser à pouvoir sur lui – ou par lui ? on voit bien que ce qui tient ces questions essentielles en
état, c’est l’absence essentielle du phénomène lui-même, qu’on ne peut considérer qu’absent.
Le rêve se définit par cette absence, cette non-existence avec l’observateur. (C II, 142)
Comme tous les auteurs et hommes de sciences qui se sont attachés à la question, Valéry
envisage la non-coïncidence du rêve et de son récit, en premier lieu du simple fait d’une
imperfection de la mémoire. Cependant, celle-ci est chez lui non seulement lacunaire et
déformante, mais elle est aussi chargée du soupçon du mensonge, suspectée d’inventer du rêve
sur le rêve. « Le souvenir est un relais et n[ou]s ignorons ce que le souvenir adjoint à la
représentation. » (C II, 143) En prétendant rendre compte d’un événement avec lequel il se
confond mais dont il est incapable de reproduire les caractères essentiels, le récit de rêve serait
finalement, aux yeux de Valéry, le pire moyen de connaître le rêve.

Tout ce que nous savons du rêve vient de trois sources :


1.   ce que nous en retrouvons ou trouvons au réveil
2.   ce que nous observons d’une personne qui dort — attitudes, actes,
paroles
3.   ce que nous tenons de son récit, une fois réveillée.
Cette dernière source est plus que suspecte. (C II, 143)
La critique de Valéry à l’égard de récit de rêve va encore plus loin : sorte de faux papier,
ce serait le document d’un fait non-observé et pauvrement reconstitué, qui plus est avec des
outils inadaptés. Au-delà des défaillances de la mémoire, ou d’une inaptitude cognitive à
transmettre fidèlement le rêve, elle met en lumière une incompatibilité essentielle du langage
et du rêve. Ouvriers mal outillés, les prosateurs de rêve sont encore pour lui des savants peu
rigoureux, et c’est par la comparaison scientifique qu’il exprime ce désajustement.
Le rêve probable et le langage sont incompatibles. Tout récit de rêve est faux – ne peut
pas représenter ce qui doit être l’essence du rêve – s’il existe.

Ceux qui se fient à ces récits et en tirent des conclusions agissent comme les
mécaniciens qui, traitant des fluides, sont obligés de solidifier les liquides en
petits prismes sur lesquels ils raisonnent, ou d’en faire des quantités de petites
sphères dures. Mais ceux-ci peuvent annuler cette falsification car ils disposent
du continu et des infiniment petits, cependant que décrire le rêve en appliquant
à des souvenirs immédiats des noms d’objets et d’actes que le réveil excite
aussitôt, transforme lesdits souvenirs en altérant ce qui peut subsister en eux de
spécifique. (C II, 192)
L’image des fluides fait penser aux métaphores aquatiques, sources et autres ondes chères à
Breton et dont le titre des Vases communicants est encore une occurrence. La comparaison

99
scientifique, ici, loin de valider la procédure littéraire, la falsifie en pointant justement les
limites de l’analogie. Le rêve n’est pas une matière, faite de molécules qui, comme l’eau,
pourraient changer d’état pour mieux se prêter aux expériences. Au contraire, il paraît
intouchable : le manipuler, ce serait lui enlever de sa pureté, de son essence. Ne pouvant jamais
que déformer son objet, le recours au récit pour observer le rêve invaliderait toute conclusion
que l’on pourrait tirer d’une telle expérience puisque celui-ci déforme inéluctablement l’objet
qu’il est censé reproduire. « L’intervention du langage lui est fatale. (…) Le rêve n’est possible
que hors des conditions qui seraient nécessaires p[ou]r l’exprimer — (c’est-à-dire p[ou]r le
reproduire). » (C II, 165).
Valéry trouve là la faille qui lui permet de démonter toute approche du rêve qui
procéderait par l’analyse de son récit, dont bien sûr la théorie freudienne, mais aussi les
ambitions surréalistes.

Ce qui me prouve que les théories du rêve à la Freud sont vaines, c’est que
l’analyse s’y porte sur des choses descriptibles en termes ordinaires — tandis
que le rêve devrait être indescriptible — ou descriptible par des contradictions
ou des partitions (comme — il y avait un cheval, mais je savais que ce n’était
pas un cheval — —) (C II, 177)
En somme, la seule tentative de représentation du rêve devrait signer la mise à mort du langage,
qui ne serait réduit qu’à corrections, gaucheries et aveu d’impuissance. Dans ce régime de
terreur, toute velléité de mise en mots du rêve, qu’elle soit immédiate ou plus précautionneuse,
est discréditée par avance. Dès lors que le langage, dans son lexique (jamais exact) comme dans
sa syntaxe (toujours forcée), est incommensurable avec le rêve, tout modalisateur ou toute
épanorthose fait figure de paravent bien fin pour masquer cette défaillance profonde.

Plus le récit fidèle, plus le souvenir précis, plus l’observateur scrupuleux, —


plus il y aura de mais et de corrections.
Plus le récit sera simple, racontable, — plus faux sera-t-il, moins on saisira
le rêve même, qui est transcendant au langage. Toutes ces corrections montrent
que l’observateur a le sentiment que son récit est une interprétation. (C II, 64)
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la mise en évidence de l’insuffisance du
langage et de la non-pertinence du récit de rêve à des fins d’analyse n’empêche pas Valéry de
se prêter lui aussi à l’exercice et d’en tirer, même, quelques commentaires. On trouve ainsi,
dans les Cahiers, parmi les nombreuses notes réflexives, une petite quinzaine de ces récits213.
L’un d’entre eux, daté de 1918-1919, souligne tout particulièrement le conflit ressenti par
l’auteur à vouloir raconter un rêve dont il sait le récit insuffisant.

213
Dans l’édition de la Pléiade, on les trouve dans les Cahiers, t. II, p. 6, 13, 35, 37, 58, 66, 72, 99, 140, 151, 175,
191, 195 et 197. Voir aussi Cahiers Paul Valéry, n° 3 « Questions du rêve », 1979, p. 27-78.

100
Rêve — Je rêve qu’un éditeur me donne cinq mille francs pour quelques
pages – Il me donne une enveloppe non rabattue où se voient des billets. Je
trouve la somme énorme, j’en suis gêné. En y pensant, je m’éveille à demi, je
revois l’enveloppe et je m’avise que ces billets n’ont pas le bleu des billets de
mille, mais le gros bleu des billets de 10 francs.
Observations : a) Pourquoi n’ai-je rêvé du bleu des billets de mille, et vu des
billets de 10 quand il s’agissait de b[illets] de 1000 ? Voilà une erreur.
b) Ce rêve est du type commun : j’avais pensé en me couchant à publier
divers petits écrits – ceci + une gêne quelconque = mon rêve.
c) En notant ce rêve je l’écris comme une histoire, en résumant, en donnant
le sommaire d’une histoire par le souvenir. Tel[le] est l’erreur fondamentale en
matière de notation de rêve. Malheureusement, on ne peut s’en tirer autrement.
Il faudrait pour avoir la synthèse d’un rêve l’exprimer dans ses constituants
« atomiques ». Car l’histoire —, dont on se souvient, n’est qu’une fabrication
secondaire sur un état primitif non chronologique, NON RÉSUMABLE, non
intégrableA.
Et il entre dans les rêves, une part de fragments de réalité (souvenirs) entiers
et des atomes actuels.
En somme on pourrait le définir par cette composition de parties à échelles
diverses et de provenances diverses et de résistance différente : tableau où
figurent une tête à côté de l’agrandissement d’un détail, un coup d’œil au
télescope, et un au microscope, juxtaposés — monument toujours croulant où
des dés de granit sont posés sur un sol de beurre ; univers travaillé, comme par
le remord, par des impossibilités cachées au moi dormeur, mais qui agissent,
nient sourdement — protestent dans la masse, empoisonnent cette forme de vie.
A
. Aj. : c’est le fait qu’on résume les rêves qui empêche leur analyse. (C II,
99-100)
Ce récit peut passer pour une escroquerie à double titre : d’une part, il repose sur une confusion
de valeur – les pages, d’abord surestimées, voient leur prix divisé par cent –, d’autre part, les
commentaires de l’auteur, après avoir retiré de cette occurrence deux remarques riches
d’enseignements, viennent les démonétiser en en invalidant la source même. C’est à se
demander qui, du poète-rêveur ou de l’éditeur dupe l’autre…
La troisième observation marque une aporie du récit de rêve : « erreur fondamentale »
mais dont « on ne peut se tirer autrement », il serait, à l’endroit du rêve, un instrument contre-
nature. Le lexique de l’observation (« télescope », « microscope », « atomes », « état
primitif ») va de pair avec celui de l’hétérogénéité (« échelles diverses », « provenances
diverses », « résistance différente », solidité du granit, mollesse du beurre), comme si, par son
contre-emploi, la narration ne pouvait laisser advenir que du monstrueux. Elle ne saurait
présenter que comme un tout « intégré » une collection d’éléments épars. Le récit de rêve
voudrait servir l’analyse du rêve (sa dissection en atomes), alors qu’il en aurait fait avant, et
bien malgré lui, la synthèse (le résumé).
Pourtant, si cette dernière remarque semble porter un coup fatal à toute étude du rêve,
elle n’en invalide pas pour autant la pertinence des deux premiers commentaires qui, eux,
parviennent à tirer des leçons du récit de rêve. Le premier pointe un cas d’incohérence, et

101
souligne ainsi une caractéristique de ce régime cognitif qui procède par déformation
(fonctionnement largement commenté par ailleurs). Le deuxième, en allant puiser dans le passé
proche du rêveur, rationalise l’origine du rêve et rejoint un certain nombre de théories sur le
réinvestissement des souvenirs dans le sommeil. Il est intéressant de remarquer que, pour ces
deux observations qui touchent au contenu du rêve, la forme prise par l’expression importe
finalement assez peu. En mettant le doigt sur les limites du récit de rêve comme moyen
d’observation, Valéry n’en tire pas moins des éléments de théorie, ne serait-ce que la non-
congruence, capitale pour l’écrivain, du langage et du rêve.
La position prise par Valéry (d)étonne dans ce premier demi-siècle. Tout aussi curieux
que ses contemporains de « découvrir [les] conditions d’existence de la conscience214 » dont le
rêve lui semble une manifestation à la fois exceptionnelle et propice aux observations, il est le
seul, pourtant, à émettre une telle critique à l’endroit du récit comme instrument d’investigation
et mode opératoire. Les autres, ayant posé une équation entre pensée, rêve et discours, voient
essentiellement dans le rêve une histoire qui innove dans sa façon de se saisir du langage : elle
raconterait les mystères de la psyché autant qu’elle informerait sur les formes d’une parole
intérieure. Valéry, lui, pousse la rigueur du raisonnement jusqu’à remettre en cause la
pertinence de la procédure. Quand bien même on ne pourrait faire l’économie du langage pour
en témoigner, le rêve serait avec lui sans commune mesure. Les réserves de l’écrivain ne sont
pas aveu de faiblesse : il ne renonce pas à faire du rêve un terrain d’investigation, ou même un
objet de science, mais il refuse d’en passer systématiquement par le récit. Avec lui, la science
du rêve progresse tout autant que celle du langage – et de la littérature –, même si c’est pour les
dissocier.

214
Paul Valéry, Question du rêve, op. cit., p. 81.

102
1.2.2. L’ « INTRORÉALISME » DE MICHAUX

En 1925, alors que Michaux publie, avec Franz Hellens, le numéro du Disque vert
consacré au rêve, le recueil d’André Breton Poisson soluble vient de paraître. Le poète en
profite pour glisser dans la revue un article intitulé « Surréalisme » dans lequel il revient sur ce
qui relève pour lui d’un réalisme non pas « devant soi » mais « en soi ».

Il y a deux réalités : la réalité, le panorama autour de votre tête, le panorama


dans votre tête. Et deux réalismes : la description du panorama autour de la tête
(Théophile Gautier : Le Capitaine Fracasse, la Flore de G. Boissier) et la
description du panorama dans la tête (Franz Hellens : Mélusine, Réalités
fantastiques, André Breton : Poisson soluble). Extraréalisme, le premier ;
introréalisme, le second.215
« La description du panorama dans la tête », véritable reproduction d’un paysage intérieur, non
dans un sens psychologique mais dans une acception purement visuelle, voilà bien ce qu’entend
Michaux par le terme d’« introréalisme ». Les rêves, et avec eux tous les états seconds
(démence et hallucinations sous drogues), paraissent alors les objets tout désignés de cette quête
d’une transcription des « spectacles intérieurs216 ». Du petit essai de jeunesse Les Rêves et la
jambe (1923) jusqu’à Façons d’endormi, façons d’éveillé (1969) qui réalise la promesse faite
quarante-quatre ans plus tôt d’un ouvrage qui démontrerait « l’autre partie, la grosse partie217 »
que n’a pas vue Freud, les expériences oniriques personnelles de l’écrivain lui donnent
l’occasion de forger une modalité d’écriture originale entre poésie, essai et écriture du moi, à
la frontière des domaines scientifique et esthétique. Mais le fantasme de captation de l’activité
de l’esprit semble plus opérant encore dans les œuvres d’écriture sous drogue, Misérable
miracle, Connaissance par les gouffres et Les Grandes Épreuves de l’esprit notamment. C’est
en fait une alternative à la fois à l’écriture surréaliste et au freudisme qui se dessine sous la
plume de Michaux : en se faisant observateur de lui-même, il entend concurrencer non
seulement la science, mais encore les surréalistes.

Les Rêves et la jambe, essai parodique


La posture de Michaux à l’égard d’une ambition phénoménologique de la littérature est
paradoxale. En effet, s’il s’est très tôt intéressé au phénomène onirique en en faisant, dès 1923,
le sujet de son « essai philosophique et littéraire » Les Rêves et la jambe, il s’est aussi

215
Henri Michaux, « Surréalisme », Le Disque vert, 3e année, 4e série, n° I, (janvier) 1925, rééd. Œuvres complètes,
édition dirigée par Raymond Bellour, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », t. I, 1998, p. 61.
216
Henri Michaux, Connaissance par les gouffres (1961), dans Œuvres complètes, op. cit., 2004, p. 6.
217
Henri Michaux, Réflexions qui ne sont pas étrangères à Freud, OC I, op. cit., p. 50.

103
précocement démarqué des tentatives de ses contemporains avant-gardistes. Ce texte de cinq
pages, composé de vingt-six fragments, adopte le discours surplombant de l’aphorisme. Le rêve
y est peu à peu défini par des énoncés péremptoires au présent de vérité générale, placés en fin
de paragraphes et mis en exergue par l’usage de l’italique ou des caractères gras. Ajoutés les
uns aux autres, ils dressent la liste des qualités essentielles du rêve. Si certaines clausules
reprennent des éléments connus des théories les plus diffusées (« Caractère du rêve : le rêve est
absurde. », « Caractère du rêve : Insensibilité ! Anaffectivité. », « Le rêve est fantastique. »,
« Rêve : Coq-à-l’âne. Les rêves sont mouvementés. »), d’autres observations relèvent d’une
expression plus originale, propre à Michaux :

Rêve : conscience partielle fragmentaire, et intermittente des membres,


d’organes internes ou de la peau. […]
Rêve : Un grand morceau d’homme qui dort et un petit morceau qui est
éveillé. […]
Caractère des rêves : Les rêves sont disloqués, entrecoupés, chevauchant les
uns sur les autres. […]
Le rêve est l’apparition du morceau d’homme sacrifié. […]
Dans une approche nettement physiologiste, il fait des membres – et de la jambe plus
particulièrement – l’instance initiatrice, voire motrice, des rêves. En choisissant d’inscrire sa
contribution réflexive dans le genre de l’essai – au détriment du récit d’expérience brute à la
première personne – et d’y forger ce que l’on pourrait appeler une « science métaphorique », il
contourne soigneusement l’épreuve du récit de rêve authentique tel qu’il pouvait être pratiqué
dans le cercle surréaliste parisien. Si quelques contenus de rêves y sont rapportés, ce ne sont
jamais ceux de l’auteur lui-même, mais ceux de rêveurs hypothétiques dont il imagine à gros
traits les rêves pour mieux servir son argumentation.

Mourly Vold empaquette des dormeurs. […]


Sommeil.
Puis Vold habille la jambe. La jambe s’éveille : Les images mentales les
plus proches, ou les plus familières de la jambe s’éveillent.
Rêve.
Le dormeur rêve foule ou pèlerinages, expositions, boulevards d’une
capitale. Puis Vold habille les bras : il en sort de la boxe, des usines en activités.
Le dormeur est ligoté. Rêve : un troupeau d’éléphants, en train de marchandises
l’écrasent. 218
Michaux ne cherche pas à saisir les rêves par les mots de façon détaillée et précise ; dans cet
essai, ceux-ci ne sont qu’esquissés ou croqués sur le vif, par de simples groupes nominaux à

218
Henri Michaux, Les Rêves et la jambe (Anvers : Ça ira, 1923), dans Œuvres complètes, Gallimard,
coll. « Bibliothèque de la Pléiade », t. I, 1988, p. 19.

104
valeur thématique, employés sans article, preuve grammaticale s’il en fallait qu’ils ne renvoient
à aucun référent effectivement éprouvé ou rêvé.

Un étudiant endormi, dont la main est gantée, voit (en rêve) soudain sortir
une main d’un ventre ouvert.
Voici : Soudainement, la main s’était éveillée, avait agrippé l’image mentale
la plus proche (dans le cas présent, une réminiscence de la journée) ; c’était un
ventre ; la main l’ouvre et en sort. C’est la situation d’un écolier à qui le
pédagogue fait faire des exercices de style : « — Le père ivrogne battait ses
enfants tous les soirs. — Débrouillez-vous, vous avez une minute et demie, pas
une seconde de plus, arrangez-vous de manière à introduire dans cette phrase
le mot « daguerréotype » 219.
Autant de figures anonymes et fictionnelles qui permettent de parsemer le discours théorique
d’exemples, mais qui ne relèvent en aucun cas d’une expérience singulière et effective. Pour
fantaisistes qu’ils paraissent, ces instantanés oniriques n’en sont pas moins révélateurs d’un
savoir du rêve en fiction dont seule la littérature peut rendre compte. Cette fable très courte
permet certes au poète de se moquer des incongruités oniriques en les assimilant à la prouesse
scolaire de quelque élève zélé et obéissant aux consignes arbitraires d’un maître intérieur, mais
elle laisse surtout voir la rédaction comme exercice malicieux, propre à engendrer du rêve.
Ces ébauches de rêves, pour imprécises qu’elles soient, ne sont pour autant pas exemptes
de toute valeur expérientielle. Par le truchement du pronom de deuxième personne, c’est bientôt
le lecteur qui se trouve en position de rêveur, malgré lui.

Vous désirez faire une promenade dans les bois, mais, vous donnez une
réception… Il vous faut rester à la maison.
Vous vous figurez (tout en parlant d’autre chose) battant les buissons,
enfonçant le bout de votre canne à travers les feuilles, jouant au football avec
les branches mortes. Vous ébauchez ces mouvements. Mais vous êtes au salon.
Vous êtes civilisé. Les convenances… Une tasse de thé qu’il ne faut pas
renverser sur votre pantalon… Vous faites agir les muscles antagonistes.
Inhibition cérébrale.
La nuit, l’inhibition disparaît. Les mouvements se reproduisent en petit.
Le rêve est la réalisation déguisée d’un désir réprimé. (Freud.)220
Certes, le texte ne prend pas en charge le rapport circonstancié d’expériences oniriques passées,
mais il n’en est pas moins partie prenante. Ici, il intervient davantage comme l’élément
déclencheur du rêve, alors conçu comme une expérience de pensée, qui aura lieu, par un jeu de
figuration et de projection, au moment même de la lecture, et, encore après elle, lorsque le
souvenir de cette fiction intime aura rejoint les autres restes diurnes et sera reconvoqué en rêve.
Ainsi le lecteur se retrouve-t-il impliqué dans la démonstration.

219
Ibid., p. 20.
220
Ibid., p. 22.

105
Avec la tonalité ludique, voire parodique, qui caractérise cet essai de jeunesse, c’est
toute la logique qui préside à la démonstration scientifique qui se trouve renversée. Alors que
l’observation devait fonder l’hypothèse, ensuite vérifiée par l’expérience, et validée par la
formulation d’une loi, la confrontation au réel est ici éludée – dissoute dans ce dispositif de
projection – et le raisonnement se trouve vidé de toute vérification expérimentale par ce savant
montage. Le texte, au lieu de faire état d’un contenu de pensée qui l’aurait précédé, le
commande, et le retient doublement. De la même façon que le cobaye supposé est freiné dans
ses élans sylvestres par ce que le savoir-vivre lui ordonne de réprimer, le lecteur est lui aussi
forcé de juguler les amorces de mouvements stimulées par le texte.
Essai burlesque, qui fait de la jambe le siège de l’instance rêvante – pour le moins plus
incarnée qu’un inconscient impossible à localiser –, Les Rêves et la jambe donne à lire une
critique scientifique décalée. S’il s’appuie sur des cautions scientifiques qu’il prend soin de
nommer (Mourly Vold, Ribot, Freud), Michaux n’en garde souvent que les conclusions,
morceaux de raisonnements qui, sortis de leur propos d’ensemble, sont collés les uns aux autres
dans un assemblage polyphonique. En témoigne cette étude du cas Armand de Villeneuve,
fragment qui accumule sans les nommer les éléments constitutifs d’un syllogisme (prémisses
et conclusion) mais en accentue le caractère abrupt et mécanique – jusqu’à donner l’impression
d’un certain arbitraire – en passant sous silence toutes les liaisons consécutives qui en assuraient
la lisibilité et la compréhension.

[…] Une maladie, une lésion, un malaise, une couverture qui glisse
découvrant le dormeur, depuis toujours se sont entendus à cette besogne.
Armand de Villeneuve (cité par Ribot). Sa jambe était travaillée par un mal
qu’il ignorait.
Armand de Villeneuve s’endort et rêve.
Son rêve : Un chien vient le mordre à la jambe.
La jambe d’Armand de Villeneuve était en fait malade et fut envahie
quelques jours après par un ulcère cancéreux221.
Comme dans un jeu de construction, l’ensemble peut être assemblé dans différents ordres selon
que l’on veuille aboutir en conclusion au diagnostic de la jambe malade dont le rêve aurait été
le symptôme discret ou que l’on en fasse au contraire de ce cas singulier la prémisse d’un
raisonnement inductif visant à prouver le caractère symptomatique (et organique) de tout rêve.
Les liens logiques sont évincés au profit du marquage typographique qui, par les fréquents
retours à la ligne, évoque la présentation de notes prises sur un carnet d’observation ou la
sténographique que d’autres brandissaient en gage d’authenticité.

221
Ibid., p. 19.

106
Plus largement, le même principe de juxtaposition régit l’ensemble du texte et le collage
des fragments. Ainsi trouée, la démonstration progresse, à l’instar du rêve, par coq-à-l’âne, mais
elle y perd sa cohérence et sa rigueur. D’un côté, la parataxe outrée tend à donner au texte le
style heurté – et provisoire – de l’observation confuse, de l’autre, l’énonciation de formules
conclusives et savantes lui confère le caractère définitif des démonstrations assurées. Une fois
n’est pas coutume, et peut-être est-ce la raison pour laquelle il dénigrera plus tard cet écrit222,
Michaux théorise – ou glose la théorie – avant de l’expérimenter personnellement.

L’impossible récit de rêve


Cette approche du rêve qui semble éviter, dans un premier temps, toute narration
personnelle, provient, chez Michaux, de la conviction intime d’une incompatibilité
fondamentale entre l’égarement inévitablement induit par les états seconds et la lucidité requise
par le travail d’écriture. Pour lui, le rêve, plus que toute autre expérience de conscience altérée,
demeure insaisissable.

La littérature connaît les fous, les névrosés, les maniaques, les ivrognes. On
possède des récits de fous. Les fous parlent. Des fous se sont racontés pendant
qu’ils étaient fous. On les a entendus. Mais la jambe ne parle pas. […]
Le rêve est muet.
Celui qui a rêvé se raconte après son rêve.
Réveillé, homme total, il costume la jambe en homme.
Poe écrivit d’authentiques cauchemars, mais en style d’homme éveillé223.
Cette défiance quant à la capacité de l’écriture à témoigner des expériences de
conscience altérée explique également la distance prise par Michaux à l’égard des pratiques
d’écriture surréalistes, et surtout de l’automatisme. Reprenant la continuité établie par les
surréalistes224 entre automatisme et états seconds, Michaux condamne l’ambition du cercle
parisien de vouloir rendre compte avec justesse de ces états qui, pour lui, demeurent aphasiques,
alors que l’automatisme, à ses yeux, n’est qu’incontinence225.

Un écrivain qui a 42° de fièvre est dans un état général bien intéressant, mais
que nous dira-t-il ? À peu près rien.

222
Henri Michaux, « Entretien avec Robert Bréchon », OC III, p. 1461. « Mes premiers livres sont vraiment d’un
amateur. Ecuador, c’est étonnant d’absence de savoir-faire. Et Qui je fus ! Et Les Rêves et la jambe ! »
223
Henri Michaux, Les Rêves et la jambe, OC I, p. 24.
224
Cette continuité est déjà largement présente dans les écrits des aliénistes du XIXe siècle qui voient dans les états
seconds tels que la folie, l’hallucination, le somnambulisme, le rêve, ou ceux générés par la prise de drogues,
l’expression-même d’un automatisme autrement recouvert par la raison et les conventions.
225
« L’automatisme est de l’incontinence. […] Breton fait de l’incontinence graphique. Il a vu le nez de
l’automatisme ; il y a encore derrière tout un corps. On n’y arrivera pas de sitôt à ce relâchement complet. » Henri
Michaux, « Surréalisme », Le Disque vert, 3e année, 4e série, n° I, (janvier) 1925, rééd. OC I, Gallimard, coll. «
Bibliothèque de la pléiade », p. 61.

107
Sous l’action de l’éther, il se sent transporté, il fait un bond soudain. Ah ! ce
bond mirifique ! Mais l’écrire, impossible.
Opiomane, il assiste à l’inouï. Il ne l’écrira pas, il ne le peut. Ivre, il n’écrit
pas. Fou ? Le langage qui lui échappe va dégrader l’état qu’il aurait fallu rendre.
Au-delà d’une certaine bizarrerie, les mots ne rapportent pas.
En rêve, on n’écrit pas. Le mystique en transe n’écrit pas. Ravi, on n’écrit
pas. Si on écrit après, après c’est tout sauf ça226.
Il y aurait ainsi une impossibilité à capter et transcrire les mouvements de l’esprit en temps réel.
Même dans les expériences d’écriture sous drogue, Michaux souligne encore combien l’auto-
observation demeure pour lui un obstacle à l’expérimentation et un leurre à l’écriture.

On oublie trop combien est peu naturelle une auto-observation à voix haute,
non pas dans ce cas seulement. Commenter sur le champ et définir en mots une
situation émouvante ou un état cénesthésique complexe, c’est se mettre en
travers de ce qu’on ressent. C’est s’en éloigner227.
Réflexions théoriques sur le rêve et expérience de rêveur semblent ainsi, pour le jeune
Michaux, tout à fait cloisonnées. Dans Les Rêves et la jambe (1923) et « Réflexions qui ne sont
pas étrangères à Freud » (1924) s’exprime ouvertement la volonté de prendre part au débat
scientifique sans que les rêves personnels de l’auteur ne soient évoqués. Avec « Mes rêves
d’enfant », publié en 1925 dans Le Disque vert, c’est comme l’inverse qui se joue : Michaux
livre des cauchemars d’enfance – dont il n’assure aucunement l’exactitude – mais ne les relie à
aucune théorie, ni ne cherche à en éclairer le fonctionnement. Il s’agit bien plutôt pour lui de
s’appuyer sur un canevas pour nous livrer de très courtes historiettes non réalistes (procédé
qu’il reprendra fréquemment dans sa poésie).
Comme l’indique le titre, un écart temporel important sépare l’expérience effective des
rêves et leur mise par écrit. Loin d’être des rêves mis en mots au saut du lit, ce sont plutôt des
reconstitutions de rêves, d’après des souvenirs d’enfance, aussi marquants – voire traumatisants
– que fantaisistes. Le décalage entre le rêveur enfant et l’écrivain adulte se laisse saisir à l’usage
de mots (appels à « Papa » ou « Maman ») et de thèmes enfantins (réveil en sursaut pour aller
à l’école, course-poursuite après le chat).

7. Doigt engourdi. – Quatre fourmis jaunes me sortent du doigt, tandis que


sous le toit blanc de la peau, une à l’intérieur s’occupe des œufs. On la voit fort
bien. C’est un peu comme une véranda.228

226
Henri Michaux, « Alfredo Gangotena. Chez l’auteur à Quito, Équateur », Cahiers du Sud, n° 159, février 1934,
p. 158-161, repris sous le titre « Absence », dans Henri Michaux, L’Herne, coll. « Cahiers de l’Herne », 1966, p.
340-342, repris dans OC I, p. 960. À propos du recueil Absence du poète Alfred Gangotena, ami de Michaux.
227
Henri Michaux, Connaissance par les gouffres, OC III, p. 35.
228
Henri Michaux, « Mes rêves d’enfants », OC I, p. 63.

108
Vision avant l’heure d’un plan bien connu du film Un chien andalou229, ce rêve, par un jeu de
paronomases successives, transforme le « doigt » en « toit » à travers lequel on « voit », jusqu’à
former, comme par conglomération des sons, une « véranda ». Les quelques lignes, qui
semblent se développer selon un principe essentiellement phonique, ne s’attachent qu’à raviver
une image, sans chercher ni à la dater, ni à la placer dans un contexte onirique plus large, ni à
l’expliquer. Ces rêves d’enfants, surgis d’une mémoire pour le moins sélective, font ainsi
exception à la règle du mutisme général des rêves. Vestiges de nuits anciennes, ils ne se
constituent pas en documents et ne cherchent pas à reconstituer l’expérience onirique
authentique.

Détour par les drogues

L’ambition de comprendre le fonctionnement de l’esprit est pourtant loin d’être absente


dans l’œuvre de Michaux ; c’est même, selon ses propres déclarations, l’un des ressorts de la
création poétique contemporaine.

Cependant il est bien vrai qu’aidés par les études actuelles sur la
psychopathologie, les poètes sont tentés par la recherche et l’introspection et ce
que j’appelle le maniement de l’âme ou plutôt du monde intérieur : états
seconds, dépersonnalisation, pseudo-hallucination ou hallucination proprement
dite, troubles infinis de la synesthésie, tout cela des poètes ont essayé de le
connaître de l’intérieur, par leur expérience personnelle.
La poésie dans ce cas n’est pas, comme on le dit trop fréquemment, un
instrument de connaissance, mais plutôt l’œil, le témoin de cette recherche230.
« Témoin de cette recherche », l’écriture le sera davantage dans les expériences
d’écriture sous drogue, menées principalement entre 1956 (Misérable miracle) et 1966 (Les
Grandes Épreuves de l’esprit et les innombrables petites)231, que dans les tentatives de coucher
ses rêves par écrit. Placé dans cette sorte d’état second, à la limite de la conscience mais dans
un état de lucidité supérieure à celui du rêve, l’esprit paraît encore sondable au poète. Michaux,
à qui ses rêves paraissent non seulement peu fiables mais encore bien ternes, préfère ainsi, pour
pénétrer le mystère de la psyché, passer par la porte de la drogue et des hallucinations qu’elles
produisent. On retrouve chez l’auteur de Connaissance par les gouffres la même ambition
heuristique que chez un Breton ou un Valéry, mais déplacée sur une autre expérience de
conscience altérée. La préférence pour les états de démence artificielle peut laisser croire, au

229
Luis Buñuel et Salvador Dalí, Un chien andalou, 1929.
230
Henri Michaux, « Recherches dans la poésie contemporaine », OC I, p. 978.
231
Cinq livres seront consacrés à cette question : Misérable miracle (1956), L’Infini turbulent (1957), Paix dans
les brisements (1959), Connaissance par les gouffres (1961) et Les Grandes Épreuves de l’esprit (1966), suite à
laquelle Façons d’endormi, façons d’éveillé (1969) vient en quelque sorte offrir un contrepoint onirique.

109
premier abord, à une relégation du rêve dans le champ de l’insaisissable ou de
l’incompréhensible. Pourtant, c’est bien à cette dernière question que l’itinéraire reviendra en
dernière instance, dans Façons d’endormi, façons d’éveillé.
Michaux cède à la drogue le pouvoir de médiatisation vers la connaissance que les
surréalistes pensaient trouver dans le rêve. Dans la préface de La Révolution surréaliste,
Bouffard, Éluard et Vitrac faisaient du rêve un stupéfiant bien supérieur à toutes les drogues
connues :

Le surréalisme est le carrefour des enchantements du sommeil, de l’alcool,


du tabac, de l’éther, de l’opium, de la cocaïne, de la morphine ; mais il est aussi
le briseur de chaînes, nous ne dormons pas, nous ne buvons pas, nous ne fumons
pas, nous ne prisons pas, nous ne nous piquons pas et nous rêvons, et la rapidité
des aiguilles des lampes introduit dans nos cerveaux la merveilleuse éponge
défleurie de l’or232.
Michaux, comme en réponse, procède à l’expérimentation systématique et détaillée de diverses
drogues : opium, mescaline, chanvre, haschich. L’idée est pourtant la même : révéler, sous une
forme amplifiée, les opérations mentales habituellement trop sourdes pour être captées.
« Espionner le chanvre. Avec le chanvre espionner l’esprit. Avec le chanvre s’espionner soi-
même233. » : telle est la tactique qui permettra d’accéder, par la bande, à une vérité psychique
autrement inaccessible et illisible. De la même façon que Misérable miracle est placé sous le
signe de l’« exploration234 » dès l’avant-propos, Connaissance par les gouffres, annonce par son
titre et ses intertitres235 son l’ambition scientifique, dimension encore soulignée par l’épigraphe :

Les drogues nous ennuient avec leur paradis.


Qu’elles nous donnent plutôt un peu de savoir.
Nous ne sommes pas un siècle de paradis236.
En utilisant sur lui les drogues à des fins de connaissance (connaissance du
fonctionnement de l’esprit normal comme de l’esprit aliéné237), Michaux s’inscrit dans la
continuité des positivistes et plus particulièrement des travaux menés par Moreau de Tours avec

232
Jacques-André Boiffard, Paul Éluard, Roger Vitrac, La Révolution surréaliste, « préface », n° I, 01/12/1924.
233
Henri Michaux, Connaissance par les gouffres, OC III, p 46.
234
Henri Michaux, Misérable miracle, OC II, p. 619. « Ceci est une exploration. Par les mots, les signes, les
dessins. La Mescaline est l’explorée. »
235
Par exemple, « I. Comment agissent les drogues ? », « II. La Psylocybine (expérience et autocritique) », « VI.
Au sujet des dissociations et de la conscience seconde (Hystérie, mythomanie) »
236
Henri Michaux, Connaissance par les gouffres, OC III, p. 3.
237
« Je voudrais dévoiler ici le “normal”, le méconnu, l’insoupçonné, l’incroyable, l’énorme normal. L’anormal
me l’a fait connaître. Ce qui se passe, le nombre prodigieux d’opérations que dans l’heure la plus détendue, le plus
ordinaire des hommes accomplit, ne s’en doutant guère, n’y prêtant attention aucune, travail de routine, dont le
rendement seul l’intéresse et non ses mécanismes pourtant merveilleux, bien plus que ses idées, à quoi il tient tant,
si médiocres souvent, communes, indignes de l’appareil hors ligne qui les découvre et les manie. Je voudrais
dévoiler les mécanismes complexes, qui font de l’homme avant tout un opérateur. » (Les Grandes épreuves de
l’esprit, OC III, 313)

110
le haschich. Pour le savant du XIXe siècle, la drogue avait cet avantage sur le rêve de « laisse(r)
subsister au milieu des troubles les plus alarmants […] la conscience de soi-même et le
sentiment intime de son individualité238 » et devait servir, dans le cadre strict d’une auto-
observation, à éclairer les états de démence, légère ou plus profonde, auxquels le rêve avait été
assimilé par le biais de l’automatisme. C’est bien sur ce reste de vigilance que compte Michaux,
lui aussi, « pour violer le cerveau, pour donner ses secrets et le secret des états rares. Pour
démystifier239. » La mescaline, comme le rêve pour Breton, laisse ainsi espérer d’accéder au
« grand Mystère240 ».
À bien des égards, l’entreprise d’exploration minutieuse mise en place pour percer les
mystères de l’esprit drogué, particulièrement dans Connaissance par les gouffres, rappelle les
procédures scientifiques des savants rêveurs du siècle précédent. Alors qu’il se donne à voir
comme un piètre rêveur, Michaux se présente, dans les écrits sous drogue, en expérimentateur
averti.

L’auteur du présent écrit a, depuis cinq ans, expérimenté la plupart des


démolisseurs de l’esprit et de la personne que sont les drogues hallucinogènes,
l’acide lysergique, la psilocybine, une vingtaine de fois la mescaline, le
haschisch quelques dizaines de fois, seul ou en mélange, à des doses variées,
non spécialement pour en jouir, surtout pour les surprendre, pour surprendre
des mystères ailleurs cachés241.
Là où d’autres datent leurs rêves et précisent l’heure de leur réveil, Michaux situe précisément
ses expériences de prises de drogues242. Comme Maury, qui demandait qu’on l’observe en train
de dormir ou qu’on le réveille à des heures spécifiques, il fait mention des notations consignées
par des témoins extérieurs et experts qui viennent corroborer ses impressions personnelles243.
Définition du protocole, objectivité de l’observation, traitement des données recueillies et
déploiement explicatif : les étapes de l’expérience scientifique sont scrupuleusement
respectées. Michaux fait tout pour s’assurer un ethos scientifique et donne à son texte des allures

238
Moreau de Tours, Du Haschich et de l’aliénation mentale. Recherche sur les aliénés en Orient, Yverdon-les-
bains, Kesselving [1ère éd. 1845], 1973, p. 45 et suiv. cité par Jacqueline Carroy, Nuits savantes, p. 54-55.
239
Henri Michaux, Connaissance par les gouffres, OC III, p. 4.
240
André Breton, Manifeste du surréalisme, OC I, p. 319.
241
Henri Michaux, Connaissance par les gouffres, OC III, p. 96.
242
Dans Connaissance par les gouffres, il prend soin de préciser en note : « Récit d’une expérience faite en 1958
à l’hôpital Sainte-Anne. […] La deuxième expérience, je l’ai faite seul, chez moi, avec une dose moindre : 4 mg
au lieu de la normale qui est de 10 mg, et le matin au lieu de l’après-midi. »
243
L’appendice de Connaissance par les gouffres (OC III, p. 153-161) reproduit le protocole de l’expérience
menée le 11 avril 1959 à l’hôpital Sainte-Anne, transcrit par les médecins, dont Michaux donne le récit en
focalisation interne dans le chapitre II « La Psilocybine (expérience et autocritique) p. 16-26. À ce sujet, voir
l’analyse comparative que propose Max Milner dans L’Imaginaire des drogues. De Thomas de Quincey à Henri
Michaux, Gallimard, coll. « Connaissance de l’inconscient », 2000, p. 397-398.

111
d’exposé savant, vocabulaire spécialisé, notes de bas de pages et références bibliographiques à
l’appui.
Ce cadre étant posé, l’écriture se mue en instrument d’enregistrement. Mais, alors que
d’autres visent tout de suite à retenir sur le papier les contenus les plus fugaces et fantaisistes,
ceux qui risqueraient le plus d’échapper ensuite à la mémoire, lui, porte d’abord son attention
sur l’aspect proprement graphique d’une telle saisie. Au sens le plus formel, il s’attache à capter
« les ondes cérébrales » et à faire de la pointe du stylo sur la feuille un véritable oscilloscope,
capable de transcrire en direct l’activité du cerveau.

Ainsi, de cette façon, je les reportais [les oscillations], parfois


machinalement, sur des feuilles de papier sans y accorder grande importance,
mais qui n’en suivaient pas moins les changements oscillatoires des phases
diverses du trouble mescalinien. De cette façon, l’écriture, quoique occupée à
prendre des notes tant bien que mal, « rend » aussi l’onde, sinusoïde hérissée244.
Électroencéphalographe naturel, l’écriture est employée comme instrument de relevé, non d’un
contenu mais, plus fondamentalement, d’un état psychique. Tandis que Perec établit dans La
Boutique obscure une différence entre transcription et rédaction, Michaux, lui, distingue la
scription (première notation, sans intention autre que l’enregistrement, qui constitue le
« manuscrit primordial » et recouvre une valeur éminemment visuelle) et la description (texte
qui résulte d’un travail de développement ultérieur, faisant intervenir la rédaction).

Dans la seule scription des trente-deux pages reproduites ici sur les cent
cinquante écrites en pleine perturbation intérieure, ceux qui savent lire une
écriture en apprendront plus que par n’importe quelle description. (…)
Aux yeux du poète, ce manuscrit primordial revêt une valeur bien supérieure à celle conférée à
la version plus rédigée de la description. « Plus sensible que lisible », son exploitation relèverait
finalement davantage de la graphologie, et livrerait surtout une matière plus riche que le seul
contenu des pensées.

Faute de pouvoir donner intégralement le manuscrit, lequel traduisait


directement à la fois le sujet, les rythmes, les formes, les chaos ainsi que les
défenses intérieures et leurs déchirures, on s’est trouvé en grandes difficultés
devant le mur de la typographie. Tout a dû être réécrit245.
Comme les surréalistes, qui avaient fait de la vitesse un des paramètres majeurs de l’écriture
automatique, Michaux, en voulant transcrire la profusion de pensées qui viennent à lui lorsqu’il
est drogué, se trouve confronté à une densité cognitive qui le dépasse et qu’il n’arrive pas à
enserrer dans les rais de l’écriture.

244
Henri Michaux, Connaissance par les gouffres, OC III, p. 7.
245
Henri Michaux, Misérable miracle, OC II, p. 619.

112
Un phénomène assez spécial s’y rencontre que j’appellerais bien la pensée
néoténique. Avant qu’une pensée ne soit accomplie, venue à maturité, elle
accouche d’une nouvelle, et celle-ci à peine née, incomplètement formée, en
met au monde une autre, une nichée d’autres qui semblablement se répondent
en renvois inattendus et irrattrapables et que jusqu’à présent je n’ai pas réussi à
rendre246.

Gloser sans psychologiser

Faute de pouvoir capter tous les mots qui se présentent à son esprit en pareilles
circonstances, Michaux tente d’y rattacher après coup, dans une section intitulée « Derrière les
mots », « quelques tentatives d’explication247 » censées compléter les bribes de notes prises lors
de l’épisode hallucinatoire. Mais ne nous y trompons pas : cette « tentative d’analyse de
quelques séquences », ne relève en rien d’une recherche psychologique. « N’oublions pas qu’on
a avalé un toxique. Trop tentantes les explications psychologiques. Mettre de la psychologie
partout, c’est manquer de psychologie248. » Michaux s’attache en fait, à partir des fragments de
phrases notées, à retranscrire les sensations provoquées par la drogue. De façon presque
clinique, il s’en tient aux ressentis qui ont pu justifier qu’il relève telle ou telle impression, sans
du tout essayer de les associer à des significations plus larges. Par exemple, la première
séquence « Je vais de l’avant, vite/ Des pelles volent/ puis des cris/ je me dégage/ l’instant
d’après, Naples. » donne lieu à un retour sur son aspect saccadé sans faire aucune hypothèse
sur le surgissement de la capitale de la Campanie.

En même temps que le chanvre augmente l’intensité de l’évocation, il en


augmente la vitesse d’apparition et de disparition. Tout au long de ces pages,
j’aurais pu répéter l’instant d’après. Chaque instant, en effet, ou petit peloton
de micro-instants, exceptionnellement indépendant, apparaît net, sans coulée,
sans liaison ni avec le précédent, ni avec le suivant. À l’état brut absolument.
La ligne en coq-à-l’âne sera donc sa ligne, sera son style, qui est l’absence de
stylisation, d’accommodation. Aucun ne s’incline sur ses voisins. Séries qui
s’arrêtent par chute, par annulation pure et simple. Surtout par hiatus, sauf dans
la phase de paix, de béatitude.249
En soulignant l’autonomie de chaque élément, Michaux fait exactement le contraire de ce
qu’une analyse psychanalytique chercherait à établir. Une comparaison avec l’analyse du rêve
du 26 août 1931 auquel se livre Breton dans Les Vases communicants est à cet égard assez
éclairante. Les deux auteurs progressent en suivant linéairement le texte du rêve ou de
l’hallucination, séquence par séquence. Mais, alors que Breton s’empresse aussitôt de rebondir
sur chaque élément par associations libres, jusqu’à reconstituer un fil continu qui tisse le lien

246
Henri Michaux, Connaissance par les gouffres, OC III, p. 47.
247
Idem.
248
Ibid., p. 6.
249
Ibid., p. 64.

113
entre contenu manifeste, contenu latent et réalité, Michaux, lui, concentre sa glose sur l’aspect
proprement fragmentaire du texte source. Le premier résorbe finalement la discontinuité
formelle en se concentrant sur le fond, le second l’exacerbe en ne commentant que la forme.
Michaux, en en restant au constat observable sans aller chercher de système explicatif, échappe
au cadre d’une science psychologique établie dont les grilles et les modus operandi risqueraient
d’étouffer la puissance suggestive de ses hallucinations déréglées.
Après les explorations d’écriture sous drogue, Façons d’endormi, façons d’éveillé
s’écarte d’une modalité d’écriture immédiate pour en revenir, avec les récits de rêves, à une
écriture plus personnelle, davantage centrée sur l’histoire de l’individu et moins sur le
fonctionnement général de l’esprit. Le paradigme scientifique n’y transparaît que peu : les
approches neuroscientifiques, pourtant en pleine expansion dans les années 1960, n’y
apparaissent pas250 ; quant à Freud, il est certes évoqué mais les idées psychanalytiques restent
à la marge des propositions théoriques formulées par le poète. Le chapitre « Quelques rêves.
Quelques remarques » reprend certes la structure d’exposition traditionnelle du récit de rêve
suivi de ses remarques, en allant largement puiser dans les restes diurnes de l’écrivain, mais les
explications s’en tiennent à une approche assez superficielle de réinvestissement des souvenirs
proches, sans du tout se risquer à sonder les profondeurs de l’inconscient. Souvent, les récits de
rêves trouvent davantage chez Michaux leur explication dans le langage, dans l’interprétation
métaphorique d’une expérience réelle ou dans le choix d’une expression particulièrement
efficace pour décrire une sensation éprouvée. « (Un rêve, ça prend tout à la lettre) » (FEFE,
451), prend-il soin de préciser, et c’est encore le procédé matriciel d’un récit comme « La
Marche sous l’eau ». Évoquant d’abord un rêve d’immersion, Michaux décrit une lente marche
sous l’eau :

[…] J’en ai jusqu’au cou ; jusqu’au menton. Et moi de marcher, et elle de


monter. Elle m’atteint au-delà de la bouche. Elle me vient par-dessus la tête.
Elle recouvre tout.
Et je continue toujours à avancer sous l’eau sans m’arrêter.
Il semble, oui, j’ai tout l’air de pouvoir me passer d’atmosphère, de cette
fameuse atmosphère, dont Dieu sait qu’on nous a rebattu les oreilles sur la
prétendue nécessité, absolument indispensable à la vie. (FEFE, 478)
Les « remarques » qui constituent le paragraphe suivant relient ce rêve à une expérience
d’ennui profond vécue la veille lors de la conférence d’un psychiatre de renom.

Qu’est-ce que l’ennui ? C’est étouffer, ne plus pouvoir respirer, manquer de


stimulation, c’est, dirait-on, manquer d’air, c’est donc être sous l’eau. Petit à
petit, par moments alternants, on va perdant conscience de l’environnement.

250
Voir la notice de Façons d’endormi, façons d’éveillé, OC III, p. 1586.

114
Ainsi, hier soir, envahi par les vagues de la somnolence, quantité de fois j’étais
sur le point de perdre contact avec le bavardage prétentieux du pédant
discoureur qui, à un bout de la salle et à la limite de ma conscience, continuait
toujours. (FEFE, 479)
Et Michaux de parachever l’explication : « En somme, j’étais sous l’eau, voilà ma soirée
présumée intellectuelle. » (FEFE, 480). Dans son contenu (la dégradation de la figure du
psychiatre) comme dans son élucidation (qui tient davantage du jeu avec la langue que de
l’examen attentif de l’inconscient) et dans l’image utilisée (le poète pourrait-il se noyer dans
une psychologie des profondeurs ? en tout cas, le parcours en eaux profondes en reste
finalement à la surface de l’expérience, sans aller sonder nulle histoire personnelle ni nul désir),
ce récit est en quelque sorte une contre-proposition, à la fois plus simple et plus triviale, face
aux élaborations psychanalytiques.
Pourtant, le substrat scientifique est encore ce qui touche un lecteur tel que Jean
Starobinski. Paradoxalement, c’est dans l’affranchissement par rapport à tout discours de savoir
préétabli que le poète gagne ses titres de noblesse aux yeux du critique.

Merci de m’avoir envoyé ce livre merveilleux, qui reprend tout à partir de


la plus sobre expérience. Comme cela change de ces ‘écoles’ où les
commentateurs ne font plus que s’entregloser, sans plus y aller voir. Vous allez
à la source, et vous avez le courage de ne rien rajouter à ce que votre vigilance
saisit sur le fait. Nous voici hors des mythes intellectuels – avec la fine anatomie
des rapports de la veille et du sommeil dessinée dans ses dernières ramilles.
C’est, dans sa poésie, un livre plus véridique que toute une bibliothèque de
‘travaux scientifiques’251.
L’auteur de La Relation critique n’hésite pas à formuler explicitement une concurrence entre
poésie et science au profit de la littérature. Porteuse d’une approche plus sincère et moins
superficielle, celle-ci ne se laisserait pas aller à des grilles ou des procédures toute faites,
artificielles et mystificatrices.
Dans le premier chapitre de l’ouvrage, « le rideau des rêves », les récits de rêves,
intégrés seulement comme exemples à un discours de soi englobant, ne sont là que pour soutenir
l’argumentation ou la narration raisonnée de soi. La section dans laquelle Michaux exploite
davantage ses rêves pour en faire des documents est « Transformations » (chapitre 4). Dix cas,
portant titres thématiques, tels que « les dents qui tombent » ou « l’envol », sont répertoriés et
numérotés de a) à j). Le registre scientifique se retrouve à la fois dans la présentation et dans le
style employé. Chaque cas est organisé de façon méthodique, en deux temps : les faits, qui
renvoient à la réalité de la vie diurne, et le rêve, qui cherche à faire coïncider un contenu

251
Lettre de Jean Starobinski à Henri Michaux, 31 décembre 1969. Cité dans notice de Façons d’endormi, façons
d’éveillé, OC III, p. 1597.

115
onirique avec un élément vécu. Suit un passage interprétatif dans lequel sont explicités les
rapports d’équivalence ou de transformation entre les deux types de contenus. Ainsi, reprenant
le cas d’un des rêves typiques répertoriés par Freud, celui de la chute de dents, associé par le
psychanalyste viennois à la peur de la castration ou aux pulsions masturbatoires252, Michaux
tente d’en saisir un sens plus personnel et plus proche de son vécu immédiat. Remarquant que
le rêve a eu lieu juste après l’inondation de son atelier, il associe le contenu onirique à cet
accident touchant directement son activité créatrice.

Rien à voir avec mes dents dont l’état n’est pas mauvais, ni avec ma santé :
c’est cet atelier maintenant indisponible, cet atelier, comme s’il n’existait plus,
mes pinceaux et panneaux, tubes de couleurs et papiers hors d’état de servir,
inutilisables. Mes moyens d’expression, c’est-à-dire mes armes, ces outils et
signes de ma puissance, qui me donnent capacité d’intervention, d’expression,
du moins la plus immédiate (dents de devant) réduits à rien, annulés. […]
Certains, c’est leur puissance sexuelle qui s’en va, ce qui n’est pas le moindre des
abandons. (FEFE, 498)
L’hypothèse freudienne, loin d’être totalement rejetée, est au contraire intégrée dans le
raisonnement personnel du poète. La puissance sexuelle du discours psychanalytique est
actualisée en puissance d’expression, autre forme de libido, dans le discours poétique mais
l’idée d’impuissance ou d’empêchement demeure.
À l’inverse de Jean Starobinski, ce sont les lacunes de Michaux en termes de savoir
psychanalytique et le relatif mépris que celui-ci affiche dans quelques passages de Façons
d’endormi, façons d’éveillé que Roger Dadoun souligne.

Il y vient tard, singulièrement tard pour un écrivain soucieux de prospecter


ses territoires intérieurs. Serait-ce que la position est trop solidement occupée
par la psychanalyse – ce qui ne manque pas d’agacer Michaux, qui voit en Freud
« un remarquable analyste et interprétateur qui, avec astuce, s’ingénia à
prouver etc. » Parler d’astuce à propos de Freud et de la Traumdeutung, –
laquelle soixante-dix ans après sa parution, n’a apparemment guère perdu de
son pouvoir d’analyse et d’interprétation et se révèle être autre chose qu’une
« astuce » – c’est avouer la presque irréductible allergie qui sépare Michaux
d’une psychanalyse du rêve identifiée à une psychologie des profondeurs.253
En réponse, Michaux ne peut que marquer son indépendance, à l’égard d’une école freudienne
dont il ne se sent pas disciple et plus encore d’un discours trop figé auquel il lui appartient, en
tant que poète, de proposer une alternative.

Bien reçu l’article du disciple mécontent. Il a raison de l’être.

252
Voir Sigmund Freud, L’Interprétation des rêves, op. cit., p. 332-337 et Conférences d’introduction à la
psychanalyse (1916-1917), trad. Fernand Cambon, Gallimard, coll. « folio essai », 2010, p. 201 : « Un symbole
de rêve particulièrement étrange est la chute ou l’arrachage de dents. Il signifie sans doute d’abord la castration
comme punition de la masturbation. »
253
Roger Dadoun, « Petite onirologie d’Henri Michaux », La Quinzaine littéraire, n° 86, Ier janvier 1970, p. 15.

116
Par ce petit livre, une bonne part est retirée au domaine freudien.
En m’abandonnant les rêves correspondant à un certain niveau de
subconscience, il doit bien s’apercevoir qu’il m’en abandonne énormément,
qu’ils ne pourront plus réclamer, du moins sans gêne – (et les rêves au niveau
inconscient quoi qu’il pense, ne sont pas à l’abri). La hargne et les attaques de
ce Dadoun prouvent assez qu’il sent le péril.
Merci de m’avoir communiqué ce papier. (9 janvier 1970)254
Si Michaux paraît si éloigné de la démarche psychanalytique, c’est qu’il n’en partage
que partiellement l’ambition. Bien moins intéressé par le fait de comprendre le fonctionnement
de la conscience que par celui de représenter le monde intérieur, il ne recourt aux procédures et
méthodes scientifiques que pour servir la poésie, et non pour accroître le champ de la
connaissance. L’expérimentation d’états de conscience altérée sert l’auscultation de l’esprit et
le recueil de documents bruts, comme dans le cas des séances d’hallucination sous mescaline,
témoigne d’une volonté de mettre l’écriture au service de l’exploration scientifique. Mais la
phase explicative, celle qui viserait à concevoir un sous-bassement causal à l’ensemble des
phénomènes observés, ne semble que peu retenir l’attention du poète. Michaux préfère toujours
s’attacher au visible : les explications physiologiques de Mourly Vold plutôt que les
élaborations psychiques de Freud, les visions immédiatement observables des expériences sous
drogue plutôt que les pâles souvenirs incertains des rêves. On comprend dès lors qu’il ait été
plus séduit par l’idée de subconscient, enfoui mais retrouvable, que par celle d’un inconscient,
résolument inaccessible.
Aussi, le rêve n’est-il abordé chez lui que par le détour : celui de l’essai parodique – qui
lui évite le récit –, celui de la drogue – qui lui permet de revenir à la question –, ou encore celui
de la glose – qui lui permet de combler les imperfections d’un récit fatalement décevant. Au-
delà de l’introspection personnelle, le traitement éminemment métaphorique, non seulement
des contenus de rêves (renvoyant toujours à des éléments de réalité) mais également du
fonctionnement de l’esprit rêvant (prenant tour à tour les contours d’une jambe ou la figure de
Sancho Pança) révèle un discours phénoménologique original et plus sérieux qu’il n’y paraît.
Avec Michaux, le savoir scientifique adopte le tour de la référence littéraire.

254
Notice de Façons d’endormi, façons d’éveillé, OC III, p. 1598.

117
1.2.3. LE RÊVE À L’ESSAI

Avec Valéry et Michaux, le récit de rêve brut n’est plus considéré comme un instrument
digne de confiance. Alors que Breton avait pu nourrir le vœu de parvenir à une connaissance
supérieure de l’esprit par une exploitation du récit de rêve, l’illusion d’une écriture
phonographique de la pensée (ou encéphalographique) s’évanouit peu à peu. L’expérience peut
sembler ratée, mais elle n’en est pas moins porteuse d’enseignements. Mettre le rêve à l’épreuve
de la littérature aura tout de même permis d’identifier quelques caractéristiques formelles et de
faire progresser la connaissance de l’objet, certes par la négative. Dans cette période où la prose
d’idées veut concurrencer la science pour figurer la pensée255, Valéry et Michaux renoncent à
une clinique littéraire du rêve, en posant une hétérogénéité fondamentale entre celui-ci et son
récit.
La raison première, pourrait-on dire, est technique ; elle tient aux conditions mêmes de
l’expérience, que ces deux hommes imprégnés de culture scientifique ne manquent pas de
souligner. L’impossible captation directe du rêve conduit les auteurs à la résignation. Ils
acceptent que le récit de rêve, toujours second, reconstruit par le souvenir et donc lacunaire,
soit absolument incapable de rendre compte de l’expérience cognitive. « Le réveil fait aux rêves
une réputation qu’ils ne méritent pas. », écrit Valéry, allant ainsi jusqu’à discréditer l’objet avec
l’outil qui aurait dû lui permettre de mieux le cerner. Les réserves de Michaux quant au récit de
rêve trouvent, quant à elles, une partie de leur solution dans l’écriture sous drogue où le sujet,
s’il perd sa lucidité, ne perd ni sa conscience ni sa capacité d’écrire. Mais il ne s’agit, dans ces
écrits hallucinés, ni de rêve ni de récit. La juxtaposition des images, comme une succession de
flashs, imprime à l’expression une vitalité saccadée, particulièrement perceptible dans le rythme
des vers.
La deuxième raison de cette aporie est plus profonde encore pour les littérateurs ; elle
relève d’une inadéquation majeure du langage et du rêve. Tâchant d’écrire le rêve et de le
décrire, Michaux et Valéry montrent à quel point les catégories du récit sont des obstacles pour
le représenter et proposent finalement de le penser en dehors de la narration. On se souvient en
effet de la « question fondamentale256 » de Breton qui se demandait ce que devenaient le temps,
l’espace et le principe de causalité dans le rêve. Tandis que les efforts des surréalistes tendaient
à intégrer ces trois dimensions, qui sont aussi celles de tout récit, dans une conception du rêve

255
À ce sujet, voir l’ouvrage de Marielle Macé, Le Temps de l’essai. Histoire d’un genre en France au XXe siècle,
Belin, coll. « L’extrême contemporain », 2006.
256
André Breton, Manifeste du surréalisme, OC I, p. 317.

118
sans rupture avec le réel, les analyses de Valéry et de Michaux, au contraire, ne font que creuser
plus irrémédiablement l’écart qui empêche de rendre compte des aventures de la nuit avec les
mots du jour. La discontinuité constitutive du rêve, due à l’extrême mobilité de ses objets, ne
s’accorde pas avec la stabilité nécessairement induite par le récit. L’expression fragmentaire,
les coq-à-l’âne, la progression illogique ne sauraient s’accommoder de la narration synthétique
qui tend à hiérarchiser les contenus.
La démonstration est donc faite avec Valéry et Michaux que, pour maintenir la
littérature dans la construction du savoir, la science du rêve doit se déprendre de la narration du
rêve. Impuissante à transcrire la pensée du rêve, la littérature n’en abandonne pas pour autant
l’espoir de produire et d’exprimer une pensée sur le rêve ; pensée qui trouverait davantage sa
place, à les lire, dans l’essai ou la poésie. Ainsi Michaux décide-t-il d’en passer par un discours
plus lointain, moins mimétique et peut-être plus métaphorique, qui transmettrait moins une
réalité qu’une sensation ou une intuition.

Les [i.e. les rêves] relater, les écrire, inconvénient nouveau, les faussait en
les précisant trop. Il fallait aussi des pages pour « comprendre » les moindres
choses – à cause du phénomène de surdétermination des images, et aussi du
déplacement des sujets.
On n’en finissait pas d’entrevoir des explications, à propos des moindres
faits personnels rêvant ici un nouvel aspect, entrés dans de nouvelles scènes.
C’était vraiment se donner beaucoup de mal. On ne vivait plus qu’en arrière.
(FEFE, 448)
Les métaphores de Sancho Pança ou de la jambe, au-delà d’une expression stylisée que le
discours savant ne saurait se permettre, esquissent une idée du rêve par l’analogie. « Là, il est
à son affaire, mon Sancho Pança, qui s’en tient aux images prosaïques, aux images qu’il connaît
bien et depuis longtemps et sur lesquelles seules il fera fond. » (FEFE, 462) Qu’elle soit
contenue dans le poème ou qu’elle se fasse « concrétion de savoir et de style257 » dans l’essai,
l’image, celle de ce valet nocturne comme celle qu’il peut produire à son tour, pour suggestive
et subjective qu’elle soit, sait mieux dire le rêve, pour Michaux, que toute équation.
De tonalité et de longueur certes très différentes, Le Rêve et la jambe et les Cahiers
recourent à la même forme fragmentaire propre à la littérature d’idée. Sans en passer par le récit
(ou en l’incluant dans le fil de la démonstration, mais sans lui conférer de valeur mimétique),
ces textes font ainsi primer la réflexion sur la représentation. L’expérience du rêve sous-tend
l’ensemble du discours mais elle n’est que très peu narrée ; elle se fait ainsi le support de
remarques plus générales, qui peuvent se permettre le recul réflexif que le compte-rendu,

257
Marielle Macé, « La haine de l’essai, ou les mœurs du genre intellectuel au XXe siècle », dans Littérature, n° 133
« Dante, l'art et la mémoire », 2004, p. 113-127.

119
myope, n’avait pas. Sans être mimétique, cette forme d’écriture reprend pourtant quelques-uns
des traits stylistiques caractéristiques du rêve, et que l’exploration narrative ne rendait que
difficilement exploitable. Le fragmentaire et la parataxe, peu conciliables avec le récit, sont
réinvestis dans une forme qui peut se permettre ces excentricités. Plus, celles-ci dessinent dans
le texte des espaces de réflexion, grâce à la ponctuation.

Le rêve — quel trou pour le psychologue ! Quel renversement


d’attributions ! C’est l’anarchie intérieure.
L’incohérence n’est rien — c’est la création d’une certaine cohérence —
c’est la déformation légère de ce qui est le mieux connu — qui est inexplicable.
Le choix spécial de ce connu est le rejet d’autres choses – puis une cohésion
– – ? Des surprises se fabriquant sous nos yeux et nous surprenant ! » (C II, 10)
Ainsi, les tirets qui viennent sans cesse interrompre la phrase de Valéry sont autant des marques
de correction que des tremplins qui impriment au texte les saccades et les hésitations du rêve.
Les éléments désaccordés d’une scène, les impressions fugitives, les idées fugaces et encore
mal formulées trouvent dans le discours mobile de l’essai le lieu de leur expression. Finalement,
cette prose essayiste transmet mieux les sauts de la pensée propres au rêve en les déplaçant sur
une autre temporalité, dont la secondarité est clairement assumée.

***

Breton, Michaux258 et Valéry, dans la première moitié du XXe siècle, inscrivent ainsi le
récit de rêve dans une réflexion plus générale sur l’esprit et la conscience. Formellement, cette
orientation scientifique donne lieu à des œuvres qui sont à classer dans le vaste genre de l’essai,
seul à pouvoir accueillir des textes aussi variés, mêlant imaginaire, écriture de soi et réflexion
conceptuelle. Le récit de rêve, qui se donne alors comme témoignage authentique d’une
expérience de la nuit, y est largement encadré par des discours de glose, qui cherchent à
reconnaître les mécanismes à l’œuvre dans ces récits si étranges, et révélateurs d’un
fonctionnement psycho-cognitif. Réduire ces œuvres à de simples documents serait bien sûr
trop simpliste, tant elles servent pour leurs auteurs à mener une réflexion conjointe sur la nature

258
Bien sûr, dans ce regroupement chronologique, Façons d’endormi, façons d’éveillé fait alors figure de surgeon,
comme un essai après l’heure, alors que les autres recueils qui lui sont contemporains auraient fait disparaître
l’appareil de commentaires. Ce décalage formel peut s’expliquer de diverses façons. D’une part, le projet du livre,
rappelons-le, date des années 1920 et était déjà annoncé dans Les Rêves et la jambe. D’autre part, le ton quelque
peu ludique et qui laisse une grande place à la fantaisie permettrait de le rapprocher d’autres textes de cette veine,
comme ceux de Béalu, écrits à la même époque (fin des années 1960).

120
et les pouvoirs de la littérature et la capacité de représentation du langage. Elles s’inscrivent
aussi dans une recherche esthétique inédite, qui annonce bien des audaces formelles qui
suivront.
Comme en contrepoint, Marguerite Yourcenar, qui publie elle aussi dans l’entre-deux
guerres son recueil Les Songes et les sorts, prend une option assez différente. Si elle revendique
« les transcriptions très authentiques de [ses] rêves » et les qualifie de « compte-rendu[s]
d’aventures nocturnes authentifiées » (SS, 1611), l’auteur ne fait figurer aucune glose en marge
de ses récits. Celles-ci resteront dans un dossier personnel, qui comporte un important volume
de notes et de remarques, accumulées sur un mode fragmentaire (vraisemblablement
constituées pour la plupart après la publication de 1938) mais non agencées en un propos
organisé, et qu’elle prendra soin de ne pas publier, comme pour définitivement séparer le
discours de savoir du discours poétique. Les récits de rêves, publiés eux, font, au contraire de
ceux des surréalistes, l’objet d’un travail de complétion et de reformulation secondaire.
Si l’écrivain dialogue avec diverses traditions herméneutiques et n’hésite pas à remonter
pour cela à l’Antiquité égyptienne, ce n’est pas dans l’objectif de produire du document
nouveau ou de mettre l’écriture au service d’une analyse cognitive. « Mon but est de présenter
un certain nombre de textes dont je puis garantir l’exactitude, et non de proposer un nouveau
système du rêve, ce que je ne suis nullement qualifiée pour faire » (SS, 1535), écrit-elle dans la
préface de Les Songes et les sorts. Par cette déclaration, Yourcenar établit en fait des champs
de compétences, pour elle mais aussi pour l’ensemble plus large des littérateurs qui
s’essaieraient à la mise en récit de leurs rêves. Elle dessine les contours de son propre exercice
en excluant, par extension et a priori, l’écrivain de celui de l’interprétation onirique ; il n’est, à
ses yeux, ni psychologue ni oniromancien. Cette préface lui permet de se présenter dans une
posture d’humilité et d’établir avec le lecteur une sorte de contrat qui l’engage à exposer le
contenu des rêves, tout en légitimant sa prévention vis-à-vis de l’exploration de leur mécanisme
de formation.
Dans les « notes destinées à s’ajouter à la préface », rédigées autour de 1970259, soit plus
de trente ans après la première parution du volume, elle explique :

À l’époque où je mettais par écrit la série de rêves qui constitue ce livre,


j’hésitais encore à mêler trop ouvertement (la) réflexion scientifique, ou

259
L’édition de la Bibliothèque de la Pléiade présente dans le dossier des documents de travail inédits qui montrent
que Yourcenar projetait une édition largement augmentée du recueil de 1938. Tous les documents ne sont pas
datés. On sait que « De la nature du rêve », qui devait certainement s’ajouter à la préface, a été rédigé en 1969 puis
repris en 1973. D’autres notes sont datées de 1970 ; enfin les « Dernières notes » sont rédigées en 1983.

121
philosophique, sur le phénomène du rêve à la transcription littéraire de
l’expérience onirique. (SS, 1611)
La correction de l’adjectif « scientifique » par « philosophique » est assez éloquente. En effet,
le champ de savoir de référence, pour Yourcenar, n’est pas tant celui de la science
expérimentale (comme la psychologie matérialiste ou même une certaine lecture de Freud) que
celui des humanités érudites (histoire, philosophie, anthropologie et littérature). Yourcenar se
plaît à comparer les époques et leurs méthodes d’interprétation : la psychanalyse est mise en
perspective avec les pratiques des prêtres égyptiens et romains ou avec l’alchimie de la
Renaissance. Le rêve devient, en quelque sorte, l’instrument d’un relativisme scientifique, à
travers le temps et les savoirs.
Les textes de la deuxième moitié du siècle qui font intervenir des discours de savoir
opèrent un glissement vers les sciences de l’interprétation (la psychanalyse) ou les sciences de
l’homme (l’anthropologie pour Leiris, la sociologie pour Perec). Toutefois, bien souvent, les
analyses tirées de ces rêves sont prises en charge par d’autres (Pontalis pour Perec) ou dans
d’autres publications (L’Afrique fantôme, le Journal ou La Règle du jeu de Leiris). La plupart,
cependant, font le choix de séparer plus nettement littérature et sciences, récit et théorie du rêve.
Queneau, Butor, Béalu et Tristan ne font pas mention d’autres disciplines, si ce n’est pour s’en
démarquer. La refondation de la psychanalyse par Lacan dans les années 1960-70 puis sa
critique entamée dans les années 1980, l’établissement d’un discours plus ferme des
neurosciences, notamment grâce aux travaux de Michel Jouvet260 dans les années 1960, et
l’affirmation des sciences humaines y concourent. Ce contexte contribue à orienter le récit de
rêve dans une recherche plus poétique que scientifique, et à donner à l’écrivain une posture bien
distincte de celle de l’homme de science

260
Michel Jouvet, Neurophysiologie des états de sommeil, CNRS, 1965.

122
CHAPITRE II

LITTÉRATURE
ET SAVOIRS DU RÊVE :
ÉRUDITION ET CONCURRENCE

« Il importe que nous soyons à la page », écrivait Michaux à Franz Hellens, lors de la
préparation du numéro du Disque vert sur les rêves en 1924. Alors que les discours théoriques
et les approches interprétatives se multiplient avec le développement d’une psychologie
positiviste, l’écrivain ressent la nécessité, avant de se risquer à une contribution originale, de
prendre la mesure des discours allogènes contemporains, plus attendus que celui de la
littérature. À l’occasion d’un passage en revue rapide des principales théories en cours, il
recommande à son ami de se documenter aussi bien sur « la théorie de la signification des
songes prophétiques » que sur « la théorie psychophysiologique » des « jeunes antifreud » ou
la « théorie spirite1 ». Un tel sujet, « gardé par des techniciens », ne « tolère plus l’innocence,
qui lui allait si bien, ni le naturel, qu’on ne saurait d’ailleurs retrouver » (FEFE, 448), déplore-
t-il encore. Oniromancie, psychologie, psychanalyse, spiritisme : tels sont les voies qui
cherchent à circonscrire un objet qui résiste à se laisser entièrement saisir par la science.

1
Henri Michaux, Sitôt lus. Lettres à Franz Hellens (1922-1952), Fayard, 1999, p. 106.
Pour légitimer sa prise de parole, laquelle peut devenir prise de position, l’écrivain doit
se forger un ethos d’homme de sciences, érudit tant en matière de croyances que de savoirs du
rêve. Philosophie, psychologie ou psychanalyse sont autant de discours de spécialistes que
l’écrivain ne peut ignorer s’il veut légitimer son discours et proposer à son tour quelque
approche originale. Pour prendre part au dialogue, encore faut-il faire montre de connaissances
sur la question. Loin de se cantonner aux découvertes récentes de sciences autorisées et
légitimes, telles que les neurosciences ou la psychologie cognitive, cette maîtrise s’étend aussi
à des discours relevant de pratiques populaires, plus anciennes ou plus lointaines. C’est surtout
face à l’approche psychanalytique, de loin celle qui connaît l’essor le plus important, que les
écrivains doivent se situer.

124
2.1. SAVOIRS POPULAIRES : CLEFS DES SONGES,
TRADITION ET OUVERTURE

Héritée de l’Antiquité, la pratique oniromantique connaît un infléchissement populaire


au XIXe siècle face à la constitution de savoirs de plus en plus positivistes ; on voit alors fleurir
un nombre remarquable de clefs des songes2. De nombreux répertoires proposent ainsi de
dévoiler le sens des rêves, dans une approche prédictive, en attribuant aux contenus oniriques
une valeur positive ou négative. Souvent vendues par colportage, mais pas exclusivement, ces
publications connaissent encore, au XXe siècle, une diffusion non négligeable qui atteste d’une
certaine vivacité de ces guides de prêt-à-rêver et, surtout, à interpréter. Le Grand Interprète des
songes3 est réédité pendant plus d’un siècle, de 1863 à 1980 ; La Dernière Clé des songes4 paraît
en 1917 ; Henry Vidal publie une nouvelle traduction, actualisée, de L’Onirocritique
d’Artémidore d’Ephèse en 19215 et on ne compte plus les Dictionnaires des rêves6 de tous
ordres parus depuis les années 1970. Il ne faudrait donc pas reléguer trop vite les croyances
oniromantiques à un âge du rêve tombé en désuétude devant les discours rationnels des sciences
modernes. Les approches scientifiques, pourvoyeuses d’explications causales – qu’elles soient
d’ordre physiologique, neurobiologique ou psychique –, et les pratiques populaires qui
envisagent le rêve comme un instrument de divination cohabitent.
Il n’est qu’à lire le Journal de Leiris pour mesurer combien les systèmes herméneutiques
se mêlent sans entrer en contradiction. Sous la figure commune du médecin sont rassemblés
des praticiens du rêve de diverses origines : psychanalyste, physiologiste (comme Villeneuve,
déjà cité par Michaux), onirocrite.

Les onirocrites de l’Antiquité étaient sans doute plus des directeurs de


conscience, des médecins d’âme que des devins. Le rapprochement que l’on a
fait entre Freud et eux me semble assez fondé (à condition, évidemment, que
l’on ne s’en serve pas en vue de dénigrer Freud.)

2
Le terme « clé des songes » n’est accrédité que tard en français, au cours du XIXe siècle. Cf. Jacqueline Carroy et
Juliette Lancel, Clés des songes et sciences des rêves. De l’Antiquité à Freud, Les Belles Lettres, 2016.
3
Le Grand Interprète des songes. Guide infaillible pour l’explication des songes, rêves et visions avec l’indication
des numéros de loterie pour chaque songe et un choix très intéressant d’anecdotes relatives aux songes, aux rêves
et aux apparitions par le dernier descendant de Cagliostro, Paris, chez les marchands de nouveautés, 1863. Le
Grand interprète des songes, Garnier, 1942, rééd. 1949, 1980.
4
La Dernière Clé des songes. Explication de tous les songes et visions ainsi que des rêves concernant la guerre,
Paris, Librairie des romans choisis, 1917. La Dernière Clé des songes par Mme Athéna, Paris, Édition Prima,
1925, rééd. 1927, 1948.
5
Artémidore, La Clé des songes, ou les cinq livres de l’interprétation des songes, rêves et visions traduits du Grec
et commentés par Henry Vidal, Éditions de la Sirène, 1921.
6
Une recherche sur le catalogue général de la Bibliothèque Nationale de France, BN-Opale plus, indique plus de
vingt titres d’ouvrages Dictionnaire des rêves, dont la plupart sont parus depuis 1980.

125
Certains médecins reconnaissent la possibilité de faire intervenir les rêves
dans les diagnostics. En effet, certaines douleurs sourdes, précédant l’apparition
d’une maladie, et insensible à l’état de veille, peuvent la nuit être
inconsciemment perçues et provoquer des rêves appropriés (ex. : un homme
plusieurs jours avant d’avoir un abcès à la jambe, rêve qu’il reçoit une blessure
à cette jambe7.)
Alors que l’auteur de La Règle du jeu entame une psychanalyse avec le Dr Borel à la
fin de l’année 1929, les pages de son Journal comptent de très nombreux rêves dès 1923. Ceux-
ci figurent d’abord sans interprétation, mais l’écrivain esquisse fin 1924 une tentative de
déchiffrage en suivant les règles d’Artémidore d’Ephèse. Il procède par relevé et interprétation
de contenus. Ainsi, sur la première phrase du rêve noté le 14 octobre 1924,

[…] Limbour et moi, dans une ville de province, parcourons avec une bande
de voyageurs fraîchement débarqués comme nous, un hôtel que nous savons
être une maison de passe […]
Leiris s’applique, à la date du 28 octobre 1924, à associer aux éléments essentiels une valeur
« faste » ou « néfaste » :

Villes étrangères et inconnues : néfaste.


Hôtelleries : la mort qui accueille et reçoit quiconque se présente, – tracas
et difficultés.
Murailles : apportent aux songeurs la sérénité et les apaisent, – ceux qui
songeront être enfermés dedans connaîtront la crainte et seront frappés de
stérilité.
Lui qui avait inauguré la notation de ses rêves par un rêve de mort8 voit partout des signes
funestes. Le ruisseau bourbeux, la boue, le vieillard et jusqu’au soleil, annonciateur de fièvre,
l’ensemble du rêve est placé sous le signe de la dysphorie.
Face aux savoirs traditionnels, venus d’autres temps ou d’autres espaces, les attitudes
des auteurs, toujours soucieux d’affirmer leur légitimité, vont du mépris à l’amusement, en
passant par la compréhension humaniste. S’inscrivant pleinement dans une démarche d’avant-
garde, qui entend rompre avec la tradition pour se placer du côté des découvreurs scientifiques
et ouvrir avec eux une nouvelle ère, Breton fait la démonstration d’une érudition qui le distingue
du vulgum pecus, ignorant ou naïf, pour le ranger définitivement du côté des hommes de savoir.
Lui qui, séduit par le tarot divinatoire de Marseille9, fera plus tard du rêve une couleur du jeu,
rejette pourtant avec virulence les « indésirables » clefs des songes (VC, 106), faisant ainsi écho
aux déclarations d’Aragon qui, dans Traité du style, raillait déjà ces habitudes populaires :

7
Michel Leiris, Journal (1922-1989), éd. Jean Janin, Paris, Gallimard, 1992, p. 78.
8
« La nuit dernière, j’ai rêvé que j’étais mort. » Michel Leiris, Journal, vendredi 16 mars 1923, op. cit., p. 32.
9
Jeu de tarot de Marseille dans lequel la carte du « Mage de Rêve » représente Freud. Carte réalisée par Oscar
Dominguez, 1941, conservée au Musée Cantini, Marseille. Le Rêve, catalogue de l’exposition du Musée Catini,
Musée de Marseille et Réunion des musées nationaux, 2016, p. 50.

126
Un journal du soir récemment demandait : Quelle est la couleur de vos
rêves ? Question zouave, qui montre bien l’absurde analphabétisme public en
la matière. Il y eut même une dame qui vint dire qu’elle faisait des rêves bleus.
Il faut dire qu’à l’école de toutes les forfondantes sornettes (La France, notre
bopéyi, s’apeulait ja 10 l’Agaule) qu’on enseigne, pas une ne concerne le rêve
jusqu’à présent. […] Chaque soir, ils dormiront sans étonnement, et
s’éveilleront chaque matin tout au plus avec des plaisanteries de caserne sur
certains phénomènes oniriques. Dans ces conditions comment l’empirisme ne
serait-il pas le maître dans les idées que se font plus tard les gens du rêve, tant
bien que mal10 ?
Les termes péjoratifs, les néologismes et l’orthographe outrageusement fautive affichent une
condescendance sans nuance à l’égard de ces vulgaires rêveurs sans éducation. Le rêve,
simulacre et piège de la pensée, passe ainsi pour une matière que seule l’élite, capable de
prendre ses distances par rapport aux apparences et impressions empiriques, serait à même de
saisir.
Au rebours de cette attitude dédaigneuse, Yourcenar et Michaux, pour leur part,
n’hésitent pas à élargir le spectre des connaissances et à intégrer dans leurs réflexions des
éléments tirés d’autres traditions. Loin de céder à quelques approximations douteuses ou
fantaisistes, comme certaines clefs des songes donnent à en lire, tous deux s’emparent de ces
références moins connues pour resituer le rêve dans l’histoire d’une sagesse pluriséculaire. Ils
ancrent ainsi leur propos dans une démarche relativiste qui tente d’échapper au dogmatisme
moderne de la lecture psychanalytique :

Une certaine psychologie des profondeurs veut que tous les rêves soient
profonds, d’une certaine profondeur particulière, que des médecins ont trouvée
et qui dans chacun, malade ou pas, serait à retrouver, et qu’ils vous enjoignent
avec intimidation de retrouver, fixés qu’ils sont comme autrefois les
théologiens, au point de ne plus pouvoir revenir en arrière et d’être devenus
parmi les cerveaux les plus conditionnés de notre époque, qui n’en manque
pas. (FEFE, 505)
Pour faire contrepoids à la psychanalyse freudienne, Michaux fait référence à la
tradition onirocritique de l’Islam et cite, sur les sujets les plus triviaux, les travaux
d’orientalistes reconnus : Gustav E. von Grunebaum11, Toufy Fahd12, Marcel Leibovici13.

Il est inscrit dans les archives royales d’Asourbanipal au sujet de la


divination des songes, que « si l’urine de celui qui rêve, en coulant, s’étend

10
Louis Aragon, Traité du style (1928), Gallimard, coll. « L’Imaginaire », 1983, p. 184-186.
11
Spécialiste de la culture islamique, auteur notamment de L’Identitié culturelle de l’Islam (Gallimard, 1989),
Gustav E. von Grunebaum a co-dirigé avec Roger Caillois Le Rêve et les sociétés humaines (The Dream and
human societies, University of California Press, 1966, trad. 1967).
12
Islamologue, professeur à l’université de Strasbourg, Toufic Fahd s’est entre autres intéressé au religieux, par
exemple dans La Divination arabe (1987).
13
Voir Façons d’endormi, façons d’éveillé, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », t. III, note 2, p. 1603.
Michaux s’appuie sur sa lecture de Grunebaum, « A Note on Arabic Dream Inspiration », Psychoanalytic Review,
n° 30, 1943, p. 146-47 ainsi que Les Songes et leur interprétation, Seuil, coll. « Sources orientales », 1959.

127
devant sa verge et se répand dans la rue, il aura des enfants. Si son urine se
répandant, il se prosterne devant elle, il aura un fils qui deviendra roi (ou
‘‘chef’’). S’il pisse sur les roseaux, il n’aura pas de descendants ». (FEFE, 507)
L’exemple peut faire sourire ; il n’est pourtant pas convoqué pour discréditer des discours de
savoir qui pourraient paraître dépassés. Au contraire, cette crudité vient affadir, par
comparaison, les propositions freudiennes taxées de pansexualisme en montrant combien les
traditions antérieures avaient pu, déjà, repérer des éléments sexuels dans les rêves. La
comparaison de diverses traditions d’interprétation des rêves, issues de civilisations aussi
éloignées dans l’espace (Cambodge, États-Unis) que dans le temps (Égypte pharaonique, Islam
antique), lui permet alors d’asseoir ses propres propositions sur la base d’une expérience
universelle.

Les livres de songes des peuples les plus anciens, unanimement montrent
qu’ils furent surtout fascinés par le phénomène, fréquent en effet, de l’inversion
pure et simple, le rêve montrant le contraire du réel, ou du prochain
réel. (FEFE, 509)
De la même façon, Yourcenar fait elle aussi appel aux théories antiques (Égypte, Grèce
et oniromancie latine) pour modérer l’importance accordée au seul discours freudien et sortir
ainsi d’une monodiscursivité stérile.

L’hypothèse freudienne donne une équation à peu près satisfaisante du


mystère des songes ; par des voies différentes, les théories des occultistes
parvenaient au même résultat, ainsi que les mages de Pharaon. Sous des
appellations diverses c’est toujours la même somme qu’on retrouve au fond du
trébuchet. Les problèmes de l’esprit sont naturellement sans limites, et celui du
rêve possède sans doute un nombre infini de solutions. (SS, 1539)
Le débat est ainsi rouvert par l’écrivain qui, en exhibant sa maîtrise non seulement des théories
de son temps mais encore d’un savoir plus ancien, impose sa contribution par une saisie
surplombante. Garant d’un savoir qui dépasse le strict cadre du contemporain, il se pose en
mémoire des connaissances humanistes.

Sans les condamner ni les intégrer pleinement à leurs discours, c’est de manière
résolument ludique que Desnos et Béalu abordent la question de ces savoirs populaires. Les
clefs des songes sont, pour eux, matière à création poétique. Dans son émission La Clef des
songes, Desnos s’appuie une nouvelle traduction d’Artémidore d’Ephèse par Henry Vidal qui
paraît en 1921 aux éditions de la Sirène, dans une collection littéraire14. Loin d’être une

14
À ce sujet, voir Alain Chevrier, La « Clé des songes » de Robert Desnos, une émission radiophonique sur les
rêves en 1938, Lausanne, L’Âge d’homme, coll. « Bibliothèque Mélusine », 2016, p. 143-147.

128
traduction rigoureuse, c’est une sorte de transposition moderne du texte antique, avec laquelle
Desnos s’autorise encore beaucoup de liberté.

Mais, pour être utilisé, un tel livre doit être interprété. Car là où, par
exemple, nous rêvons d’une automobile, Artémidore écrit naturellement char.
Mais comme ils sont amusants ces rêves ! Comme nous sommes heureux de les
lire et comme, j’espère, nos auditeurs sont heureux d’entendre leur récit !
Quelle variété d’aventures15 !
Cette alternative au discours freudien, encore peu recevable dans la France populaire de 1938,
propose un discours plus facilement acceptable qu’une interprétation trop connotée
sexuellement. Les auditeurs, habitués à des discours plus manichéens, organisés
essentiellement autour d’une distinction entre bons et mauvais présages, y retrouvent un
fonctionnement rassurant, et qui, la plupart du temps, leur annonce des lendemains qui chantent.

On comprendra aisément, nous l’espérons, qu’il n’y a rien d’absurde à tenter


de prévoir le futur par les rêves. Qu’est-ce qu’un rêve, en effet ? C’est une
reconstitution symbolique des événements réellement vécus, une allégorie
mouvementée de l’état d’âme et de l’état corporel. Comme dans la plupart des
cas le futur est la conséquence quasi mathématique du passé, il s’ensuit qu’avec
beaucoup de prudence et un peu de subtilité on peut déduire du rêve un présage
pour les jours à venir16.
Les rêves envoyés par les auditeurs sont interprétés avec d’autant plus de zèle qu’ils offrent des
narrations à la fantaisie savoureuse et font naître des images cocasses.

C.P. — Mais alors un rêve amusant, c’est celui de Madame E. Monet à


Perpignan.
G.C. — Ah oui, ce rêve extravagant où elle nageait avec un chameau qui a
des moustaches.
R.D. — Et où elle s’envole dans les nuages.
C.P. — Et où elle redescend en parachute dans un potiron.
R.D. — Nuage : signe de prospérité.
Chameau : signe d’endurance et de bonne santé.
Voler : signe encore de prospérité.
En somme, c’est un très bon rêve et un rêve très drôle, ce qui n’est pas
désagréable17.
On sent le plaisir des animateurs de l’émission à jouer d’une surenchère de détails, tous plus
délirants les uns que les autres. Le polyptote en « Et où » donne à ce passage l’air d’un jeu
d’imagination entre enfants qui s’amusent à élaborer le rêve le plus fantaisiste qui soit. Si les
éléments énumérés sont loin de l’esthétique impressionniste à laquelle pouvait faire penser le

15
Robert Desnos, Œuvres, op. cit., p. 847.
16
Robert Desnos, Œuvres, op. cit., p. 847.
17
Alain Chevrier, La « Clé des songes » de Robert Desnos, une émission radiophonique sur les rêves en 1938,
op. cit., première émission, p. 151.

129
nom de la rêveuse (« Madame E. Monet »), cette évocation collective par petites touches semble
bien indiquer qu’un jeu s’opère entre le rêve et ses interprètes.
De façon originale, Béalu présente, après les récits qui composent La Vie en rêve, un
répertoire de contenus oniriques pour lesquels il propose une interprétation. Cette clef des
songes moderne est précédée d’un texte explicatif qui alterne les références à des traditions
oniromantiques populaires diverses, anciennes aussi bien que récentes. Se croisent ainsi des
allusions à la tradition chinoise ou à Artémidore d’Ephèse et des voix plus modernes comme
celles de René Allendy18, Ernest Aeppli19 ou Raymond de Becker20. « Nous n’avons guère tenu
compte, pour l’établissement du répertoire qui suit, de l’interprétation scientifique. » (VR, 137),
prend soin de préciser ironiquement Béalu à l’ouverture de son relevé. Il distingue ce qui, selon
lui, relève de la science positive et ce qui doit demeurer dans le mystère dont se saisit la
littérature. La position de Béalu quant à la signification des contenus de rêve demeure pourtant
ambiguë. Reprenant les mots de Jung, il met en garde contre la tentation d’une lecture
universelle des rêves :

Il est tout à fait stupide, écrit encore très justement Jung, dans L’Homme et
ses Symboles, de croire qu’il existe des guides préfabriqués et systématiques
pour interpréter les rêves, comme si l’on pouvait acheter tout simplement un
ouvrage à consulter et y trouver la traduction d’un symbole donné. Aucun
symbole apparaissant dans un rêve ne peut être abstrait de l’esprit qui le rêve,
et il n’y a pas d’interprétation déterminée et directe des rêves. (VR, 140)
La caution du psychiatre suisse lui permet de rejeter fermement l’ensemble des écoles
de pensée qui se proposaient d’isoler des contenus pour les traduire in absentia. Toutefois, cela
n’empêche pas Béalu de constituer une grille de lecture qui serait valable pour tous ses lecteurs.
Ce « répertoire alphabétique des rêves » recense ainsi, depuis « abattoir » jusqu’à « vol », plus
de deux cents termes pour lesquels il indique une signification.

Nous ne prétendons pas que notre répertoire fournira au rêveur le moyen


d’obtenir immédiatement la signification de son rêve. Mais au moins aura-t-il
sous les yeux, dans un rangement méthodique, quelques-uns des éléments qu’il
se doit d’assembler pour y parvenir. (VR, 141)
Railler l’approche populaire pour mieux la reprendre à son compte, et en faire ainsi une matière
poétique, telle pourrait être la manœuvre de l’écrivain. Une lecture plus précise de cette clef
des songes nous apprend que son auteur ne fait, en réalité, pas grand cas du contexte onirique

18
René Allendy, Rêves expliqués, Gallimard, 1938 ; La Psychanalyse. Doctrines et Applications, Denoël et
Steele, 1931.
19
Ernest Aeppli, Les Rêves et leur interprétation. Avec 500 symboles de rêve et leur interprétation, trad. Jean
Heyum Payot, coll. « Bibliothèque scientifique », 1951.
20
Raymond de Becker, Les Songes, Grasset, coll. « Bilan du mystère », 1958.

130
dans lequel apparaissent ces symboles. La plupart des contenus énumérés revêtent ainsi en rêve
une signification proche de celle qu’ils auraient dans la vie éveillée. Par exemple, rêver de
bateau « sur eau calme » serait signe de bonheur, quand la même scène « sur eau agitée » (VR,
157) annoncerait des tourments ; prémonition métaphorique que ne contesterait pas le premier
marin d’eau douce venu ! Le ressort comique de cette table se révèle d’autant plus lorsque
l’écrivain fait entrer dans le jeu des significations ou des connotations populaires.
L’accouchement serait présage de « réjouissance et prospérité pour les femmes » mais de
« soucis pour les hommes » (VR, 155) …
Finalement, les références aux clefs des songes populaires, loin de cantonner le débat à
des savoirs dépassés, permettent plutôt aux écrivains d’ouvrir l’horizon réflexif grâce à une
connaissance élargie. Cette position de surplomb confère à la parole littéraire une hauteur de
vue ; elle fait montre à la fois d’une écoute compréhensive du vulgaire et d’une ouverture dont
la science ne paraît pas être capable.

131
2.2. ACTUALITÉ DU RÊVE ET REGARD SCIENTIFIQUE

Si les références aux herméneutiques traditionnelles peuvent parfois prêter à sourire, la


maîtrise des savoirs du rêve récents, en revanche, revêt plus d’enjeux et convoque une approche
plus sérieuse de la part des écrivains. Dans un siècle qui voit naître et s’affirmer les discours
les plus rationnels, la littérature ne doit pas être en reste. On se souvient de l’état de l’art pour
le moins mélancolique établi par Breton dans les premières pages des Vases communicants.

C’est sans espoir qu’on cherche à découvrir, dans les œuvres des
philosophes les moins tarés des temps modernes, quelque chose qui ressemble
à une appréciation critique, morale, de l’activité psychique telle qu’elle s’exerce
sans la directive de la raison. On en est quitte pour… la peur de se contenter de
penser, avec Kant, que le rêve a « sans doute » pour fonction de nous découvrir
nos dispositions secrètes et de nous révéler, non point ce que nous sommes mais
ce que nous serions devenus, si nous avions reçu une autre éducation (?) – avec
Hegel, que le rêve ne présente aucune cohérence intelligible, etc. À pareil sujet,
il faut avouer que les écrivains sociaux, marxistes en tête, si l’on en juge par ce
qu’on peut actuellement connaître d’eux en France, se sont montrés encore
moins explicites. Les littérateurs, intéressés du reste au non-éclaircissement de
la question, qui leur permet, bon an mal an, d’exploiter un filon de récits sur
lesquels ils font valoir assez abusivement leur propriété (la faculté de fabulation
étant à tout le monde) se sont, en général, bornés à exalter les ressources du
rêve aux dépens de celles de l’action, ceci à l’avantage des puissances de
conservation sociale qui y découvrent à juste titre un puissant dérivatif aux
idées de révolte. Les psychologues professionnels, à qui se trouvait échoir en
dernier ressort la responsabilité du parti à prendre en face du problème rêve,
n’ont plus eu dans ces conditions qu’à avancer vers la nouvelle côte, avec des
gestes de scarabée, la boule d’opinions assez peu pertinentes qu’ils roulent
devant eux depuis le fond des âges. Il peut ne pas paraître exagéré de dire, en
présence des louvoyages et des piétinements auxquels nous a accoutumés la
dernière des sciences que ces messieurs professent, que « l’énigme du rêve »,
privée comme à l’ordinaire par ces spécialistes de toute signification vitale,
menaçait de tourner au plus crétinisant mystère religieux. (VC, 106-107)
Le passage en revue est sans appel. Philosophes, littérateurs, psychologues : personne, parmi
ceux qui pourtant sembleraient les plus en capacité de le faire, ne semble, aux yeux de Breton,
pouvoir se hisser au niveau qui lui permettrait de prendre légitimement la parole sur une telle
question.
Au-delà d’une entreprise de dépréciation générale – et ici pour le moins radicale,
l’ensemble des discours précédents étant réduits à pur excrément, « boule d’opinions » trainée
par des « scarabées » –, propre à mieux souligner la nouveauté et la qualité de ses propres
propositions, on peut reconnaître dans ces lignes les précautions préliminaires à un discours qui
se veut scientifique. Breton prend soin, en ouverture, de dresser un état des lieux des
connaissances acquises pour mieux situer sa propre contribution. Ne s’agirait-il là que d’un pur

132
lieu rhétorique, sans véritable apport ? La bibliographie critique reconstituée dans ces pages fait
montre d’un intérêt des plus diligents, mais elle témoigne d’une érudition qui est loin d’être
originale : toutes les références se retrouvent dans le premier chapitre de La Science des rêves
de Freud21 et plusieurs auteurs ne sont en fait cités que de seconde main. À côté des philosophes
comme Kant, Hegel, Nietzsche22 et Schopenhauer23, Breton nomme les savants de la psyché du
XIXe siècle qui, avant Freud, avaient défriché aussi scientifiquement que possible les terres
méconnues du rêve. Aux études germaniques – Haffner24, Hildebrandt25, Stekel26, Scherner27 –,
il ajoute l’anglais Havelock Ellis28 et les noms français de Maury29, Hervey de Saint-Denys30,
Marcel Foucault31 ou Yves Delage32. Ces noms, aujourd’hui assez méconnus, reflètent les
travaux en circulation à l’époque dans les milieux intellectuels. Paulhan, sensibilisé à la
psychanalyse par le courant suisse de Maeder33, a lui aussi lu Havelock Ellis, Moreau de Tours34
et Hervey de Saint-Denys. Michaux, qui convoque plus volontiers les tenants d’une
psychophysiologie – Mourly Vold, Ribot –, avant de pouvoir lire Freud en traduction française,
a pu se nourrir aux mêmes sources que Breton : celles de Delage, de Maeder ou de Régis et
Hesnard35. Pour Breton, tout l’enjeu de cette démonstration d’érudition, qui couvre plusieurs
aires linguistiques, est d’infiltrer un domaine de savoir récent (celui de la psychologie
positiviste), a priori éloigné du sien et pour lequel il doit donner des gages.

21
Voir le précieux travail de notes effectué par Marguerite Bonnet et Etienne-Alain Hubert dans l’édition de la
Pléiade, OC II, p. 1376 sqq.
22
Voir l’important appareil de notes fourni par Marguerite Bonnet et Etienne-Alain Hubert dans l’édition de la
Pléiade des Vases communicants, en particulier OC II, n. 3 et suivantes, p. 1376.
23
Arthur Schopenhauer, Essai sur les apparitions et les faits qui s’y rattachent. Parerga et Paralipomena (Über
das Geistersehn und was damit zusammenhängt. Parerga und Paralipomena, 1857), Alcan, 1912.
24
Paul Leopold Haffner, Schlafen und Traümen, 1884.
25
F. W. Hildebrandt, Der Traum und seine Verwertung fürs Leben, Leipzig, 1875.
26
Wilhelm Stekel, Die Sprache des Traumes, Wiesbaden, 1911, et Die Traüme des Dichter, Wiesbaden, 1912.
27
Karl Albert Scherner, Das Leben des Traumes, Berlin, 1861.
28
Havelock Ellis, Le Monde des rêves, Mercure de France, 1912. L’ouvrage présente déjà des thèses de la
Traumdeutung.
29
Alfred Maury, Le Sommeil et les rêves, Didier, 1865.
30
Hervey de Saint-Denys, Les Rêves et les moyens de les diriger, Paris, Amyot, 1867.
31
Marcel Foucault, Le rêve. Études et observations, Alcan, 1906.
32
Delage Yves, La Psychoanalyse. Le système de Freud et de son école, Bull. Gén. Psychol., n° 1, 3, 1916.
33
Maeder publie divers articles dans les journaux français pour faire connaître les avancées de la psychanalyse.
Notamment : « Contribution à la psychopathologie de la vie quotidienne », Archives de psychologie, vol. VI, avril
1907, p. 149-152 ; « Essai d’interprétation de quelques rêves », Archives de psychologie, vol. VI, avril 1907,
p. 354-375 ; « Nouvelles contributions à la psychopathologie de la vie quotidienne », Archives de psychologie,
vol. VIII, février 1908, p. 283-299 ; « À propos des symboles », Journal de psychologie normale et pathologique,
n° 1, janvier-février 1909, p. 46-51 ; « Sur le mouvement psychanalytique. Un point de vue nouveau en
psychologie », L'Année psychologique, vol. 18, n° 1, 1911, p. 389-418 ; « Psychopathologie et pathologie
générale », L'Encéphale, XIX, mars 1924, p. 163-177 ; « De la Psychanalyse à la Psychosynthèse », L'Encéphale,
n° 8, septembre–octobre 1926, p. 577-589.
34
Jacques-Joseph Moreau de Tours, De l’identité de l’état de rêve et de la folie, dans Annales médico-
psychologiques, 3ème série, vol. I, 1855, p. 361-408.
35
Emmanuel Régis et Angelo Hesnard, « La Psychoanalyse », dans L’Encéphale, 1913.

133
Il s’agit, pour le poète, non seulement de s’autoriser à prendre part au débat scientifique,
mais encore d’oser disqualifier le discours de savants qui, avant lui, ont pu faire progresser la
science des rêves. Selon Jean Guillaumin,

s’est instituée pour Breton une sorte de concurrence avec Freud, envisagé
comme le père de l’analyse. Sans doute Breton craint-il, pour lui avoir à son
sens ravi les découvertes de La Science des rêves qu’il aurait aimé faire le
premier, afin de les ajuster à sa manière, le « retour » et le jugement de Freud,
dont il voudrait détenir le pouvoir sans lui être soumis36.
À cet égard, la publication des « Trois lettres de Sigmund Freud à André Breton37 » –
où Breton fait état publiquement d’un manquement grave à l’éthique du chercheur de la part de
Freud – est significative des enjeux d’un tel affichage pour l’ethos que cherche à se construire
l’écrivain. S’arrogeant la place de censeur de son maître, Breton profite des pages liminaires de
bilan bibliographique pour reprocher à Freud de « n’avoir fait que reprendre à son compte les
idées de Volkelt, auteur sur qui la bibliographie établie à la fin de son livre reste assez
significativement muette » (VC, 109). Pire, il prend la liberté de publier la réponse (privée) de
l’intéressé mis en cause et de la commenter dans une réplique (publique) ultime. L’enjeu du
débat se trouve ainsi déplacé d’une réflexion de fond sur la symbolique des rêves – celle de
Volkelt – à une querelle de forme sur le respect des règles déontologiques qui régissent les
publications scientifiques. En affrontant Freud de la sorte, Breton ne fait rien de moins que de
mettre en cause la valeur de sa parole. La réplique va plus loin encore : Breton s’y montre
particulièrement virulent en reprenant les propos de son interlocuteur dans La
Psychopathologie de la vie quotidienne contre ce dernier : « dans tous les cas l’oubli [est]
motivé par un sentiment désagréable38 » (VC, 214). Il retourne ainsi les analyses du
psychanalyste contre lui-même.

À mon sens il ne pouvait s’agir là que d’un acte symptomatique et je dois


dire que l’agitation manifestée à ce sujet par Freud (il m’écrit deux lettres à
quelques heures d’intervalle, se disculpe vivement, rejette son tort apparent sur
quelqu’un qui n’est plus de ses amis… pour finir par plaider en faveur de celui-
ci l’oubli immotivé !) n’est pas pour me faire revenir sur mon impression. (VC,
214)

36
Jean Guillaumin, « Rêve, réalité et surréalité dans la cure psychanalytique et ailleurs. Rêve et poésie, avec une
étude sur un rêve d’André Breton. », dans Le Rêve et le moi. Rupture, continuité, création dans la vie psychique :
sept études psychanalytiques sur le sens et la fonction de l'expérience onirique, PUF, 1979, p. 192.
37
Ces lettres et la « Réplique » qui les accompagne ont été publiées d’abord sous le titre « Correspondance » dans
le n° 5 du Surréalisme au service de la Révolution, 15 mai 1933, p. 10-11 ; puis en appendice des Vases
communicants, OC II, op. cit., p. 210-215.
38
Sigmund Freud, La Psychologie de la vie quotidienne (1922), trad. S. Jankélévitch, chap. VII « Oubli
d’impressions et de projets », Payot, 1989, p. 155.

134
Et Breton de se faire l’analyste de Freud : le poète souligne encore par son commentaire la gêne
de son correspondant, déjà perceptible par le lecteur dans les lettres qui précèdent, et en profite
pour adopter son vocabulaire en parlant à son sujet d’« acte symptomatique ». Les rôles sont
inversés, et les légitimités rebattues au bon vouloir d’un lecteur élevé au rang de juge – toutefois
très orienté par Breton.
Au fil du siècle, les références scientifiques affichées par les écrivains et leur regard sur
les découvertes évoluent, mais la démarche de légitimation reste la même. Plus proche de nous,
Béalu prend soin lui aussi de situer sa réflexion dans le dialogue scientifique, pour mieux
justifier sa voix de littérateur. Dès le premier récit de rêve, « Le chef-d’œuvre inconnu », sont
énumérés les noms de quelques autorités en la matière, aussitôt discréditées, non pour leurs
apports singuliers, mais pour la visée de leurs travaux.

Hervey de Saint-Denys, Freud, J.A. Hadfield, John W. Dunne, Jung, André


Breton, Caillois et tant d’autres, ont largement écrit sur les rêves. Pourtant tout
ne sera jamais dit dans ce domaine. Les leçons que chaque auteur tire de ses
incursions au royaume du sommeil n’est jamais la même. La vie nocturne,
comme la vie diurne, est loin d’être identique pour chaque individu. On peut
même se demander si, à notre époque de vulgarisation à outrance, de
conformisme et de nivellement de l’esprit, l’individuel, je veux dire ce qui, dans
chaque homme, reste toujours avide de se différencier, ne se réfugie pas dans
les rêves. (VR, 16)
Sans qu’il soit fait aucun cas des distinctions disciplinaires, sont cités successivement
scientifiques et écrivains, experts et amateurs, spécialistes de sociologie, de psychologie ou de
littérature. De façon attendue, on retrouve le nom de Freud, figure tutélaire, et plus souvent
encore celui de Jung, largement convoqué dans les pages de La Vie en rêve sur la délicate
question des interprétations symboliques personnelles. Des savants du XIXe siècle, Béalu ne
retient que le nom de Hervey de Saint-Denys, certainement parce qu’il incarne, plus que tout
autre, un merveilleux scientifique qui ne peut que séduire cet auteur de littérature fantastique.
Plus surprenantes sont les mentions de Hadfield39 et de Dunne40, deux savants britanniques
moins couramment cités. Quant à Breton et Caillois41, aînés ayant ouvert la voie d’une réflexion
plus littéraire, ils se retrouvent ainsi érigés en références.
Cependant, la position de Béalu diffère largement de celle de ses prédécesseurs : si ces
derniers aspiraient à construire un discours de vérité universelle, lui s’engage contre cet élan de
généralisation. C’est précisément de cette revendication d’humilité – la volonté de ne donner à

39
James A. Hadfield, Dream and Nightmares, 1954.
40
John W. Dunne, Le Temps et le rêve (An experiment with time, 1927), Le Seuil, 1948.
41
Roger Caillois, L'Incertitude qui vient des rêves, Gallimard, 1956. Roger Caillois et. Gustave E. von Grunebaum
(dir.), Le Rêve et les sociétés humaines, Gallimard, coll. « Bibliothèque des sciences humaines », 1967.

135
entendre qu’une réflexion individuelle, qui ne cherche pas à écraser, par extrapolation, ce que
d’autres expériences peuvent avoir de tout aussi singulier – qu’il tire sa légitimité.

Rien de plus « personnel » que les rêves. Nous n’en connaissons que ce que
nous éprouvons : Qu’est-ce que le rêve ? Personne n’en sait rien. […] Parler
scientifiquement des rêves est aussi stupide que parler de la « mécanique de
l’amour », par exemple. Ils sont le lieu de la différence. Le chimiste et le
neurologue peuvent seulement nous apprendre que le cerveau est composé
d’environ 10 milliards de cellules contrôlant toutes les pensées et toutes les
actions humaines ainsi que les réponses aux problèmes de l’existence. (VR,
131-132)
L’approche scientifique est critiquée pour deux raisons : son matérialisme dénué, aux yeux du
poète, de sens profond, et son universalisme à la fois réducteur et parfaitement vain. Après avoir
passé en revue les théories les plus récentes, Béalu note la difficulté, voire l’impossibilité d’en
tirer un quelconque discours de savoir fiable : « Voilà qui est embarrassant car toutes les
hypothèses possibles semblent éliminées. Plus on cherche la source matérielle des rêves, plus
elle se dérobe. » (VR, 138) Aussi finit-il par se démarquer très clairement des sciences en posant
une distinction d’ordre épistémologique :

Loin de nous l’idée de crier haro sur la science, qui nous apprend que
l’homme rêve par périodes identiques chaque fois qu’il s’endort, qui nous
apprend que s’il ne rêvait plus l’homme ne pourrait plus vivre, qui nous certifie
(et nous ne cherchons pas à dire autre chose ici) qu’au-delà du rêve profond
l’intelligence peut atteindre à une nouvelle conscience. Mais que le chef
d’orchestre des rêves soit « un petit noyau de neurones situé en dessous et en
arrière du cerveau, sur le tronc cérébral », nous importe autant que d’apprendre
dans Buffon, comme nous le faisions à quinze ans, que les hommes sont seuls
à posséder des fesses. Les anciens n’étaient-ils pas plus près de la vérité qui
disaient les songes messagers des Dieux ? (VR, 139)
Le discours scientifique, réduit à l’anecdotique et au trivial, est ainsi mis à distance quand
l’auteur, en quête de « réalités secrètes », situe sa démarche dans une recherche métaphysique
qui ne saurait se contenter de descriptions biologiques, pour lui vides de sens.
Afficher un savoir érudit entre dans une stratégie visant à donner plus de crédit et
d’actualité à son propre discours. Breton, comme Béalu, s’engage dans un travail de sape : faire
remarquer la faiblesse des discours allogènes permet de souligner la valeur de la contribution
littéraire. Néanmoins, de l’auteur des Vases communicants à celui des Contes du demi-
sommeil42, le positionnement diffère. Tandis que le premier parie sur une annexion des
territoires scientifiques par la littérature, grande gagnante de ce rapprochement des disciplines,
le second, au contraire, mise sur une distinction des méthodes et des discours et sur une
reconnaissance claire des frontières disciplinaires.

42
Marcel Béalu, Contes du demi-sommeil, Phébus, 1991.

136
2.3. LE DISCOURS PSYCHANALYTIQUE,
ENTRE CAUTION ET REPOUSSOIR

Entre les savoirs populaires des clefs des songes et les approches scientifiques43, la
théorie freudienne du rêve se démarque nettement des autres discours par la domination qu’elle
exerce sur les productions littéraires. « Je gage que beaucoup de ceux que vous interrogerez au
sujet des rêves trouveront le moyen de vous répondre en citant de quelque manière Freud44 »,
répond Pierre Daye, en 1925, à la grande enquête lancée par Le Disque vert pour son numéro
sur les rêves. Anticipant la référence massive au savant viennois, pourtant alors peu traduit en
langue française, cette déclaration du journaliste belge pointe la façon dont la psychanalyse
s’impose très rapidement comme passage obligé de la réflexion. Que ce soit pour s’en écarter
immédiatement ou pour lui reconnaître une certaine pertinence, les écrivains font paraître cette
référence dans les textes de façon incontestablement dominante. De Paulhan, soucieux
« d’écarter l’interprétation psychanalytique45 », à Perec, dont les rêves sont devenus « gerbes
de textes déposés en offrande aux portes de cette “voix royale”46 », en passant par les
surréalistes qui eurent un temps la tentation de faire de Freud leur « saint patron47 », la figure
freudienne est incontournable. « Baromètre du XXe siècle48 », le discours psychanalytique
devient un outil de mesure à l’aune duquel s’apprécie toute pensée du rêve et demeure, pour
ces écrivains, un point de repère à partir duquel il convient de se situer. Toutefois, si cet horizon
théorique et pratique fournit aux écrivains une ligne par rapport à laquelle articuler leur propos,
il est aussi, pour certains, un repoussoir. Face à l’imposante figure freudienne et aux notions de
symbolisme et de pansexualisme, la littérature ne tarde pas à se construire un discours propre.

43
Freud ne rejette d’ailleurs pas les approches populaires mais tâche de proposer une théorie qui allie cette pratique
ancestrale avec la rigueur de l’approche scientifique. Voir Andreas Mayer, « La Traumdeutung, clé des songes du
XXe siècle ? Freud, Artémidore et les avatars de la symbolique onirique. », dans Jacqueline Carroy et Juliette
Lancel (dir.), Clé des songes et sciences des rêves de l’Antiquité à Freud, Les Belles Lettres, 2016, p. 157-181.
44
Pierre Daye, dans Le Disque vert, 3e année, 4e série, « Des rêves », Paris-Bruxelles, 1925, p. 22.
45
Lettre de Jean Paulhan à Marcel Béalu, cité dans les notes de Le Pont traversé, Œuvres, t. I « Récits », Gallimard,
p. 484.
46
Georges Perec, La Boutique obscure (1973), Gallimard, coll. « L’Imaginaire », 2010, prière d’insérer.
47
Lettre de Sigmund Freud à Stefan Zweig, 26 juillet 1937.
48
John Forrester, « Freud, baromètre du XXe siècle », trad. Jonathan Chalier, Esprit, n° 309 (11), novembre 2004,
p. 86-107.

137
2.3.1. FREUDOMANES49 ET PSYCHOPHILES

Affinités théoriques
Même si un bon nombre d’éléments de l’appareil théorique proposé par Freud ne sont
pas nouveaux – beaucoup de choses sont déjà présentes dans les écrits des psychologues et
philosophes du XIXe siècle50 –, l’histoire des idées a eu tendance à ériger l’inventeur de la
psychanalyse en point de bascule révolutionnaire, en génial inventeur d’une pensée du rêve
totalement inédite. Ce mythe freudien, en partie construit par l’auteur lui-même51 et largement
repris ensuite par toute une tradition d’historiens de la psychanalyse52, n’épargne pas le domaine
littéraire. En effet, la figure freudienne tend à concentrer sur elle toutes les réflexions et à
évincer ou minorer les autres discours. Plus encore, en relayant massivement cette domination,
les écrivains contemporains renforcent l’idée selon laquelle eux-mêmes s’inscrivent dans une
époque de pensée nouvelle, à laquelle doit correspondre, naturellement, une nouvelle façon de
narrer le rêve53.
C’est la démarche de Breton, qui accorde, à côté des nombreux autres hommes de
science cités, une place de premier plan à Freud. Dans le Manifeste et plus encore, après sa
lecture de La Science des rêves, dans Les Vases communicants, il lui confère volontiers cette
place de pionnier, en rupture avec une science dépassée.

49
L’expression est de Paul Valéry : « Freudomanes. Leur demander si les chiens qui rêvent — — etc. » (1934),
Cahiers, op. cit., vol. 2, p. 159.
50
À ce sujet, voir les travaux de Jaqueline Carroy. En particulier « Freud as Reader of French Dream Literature »,
Science in context, n° 19, 2006, p. 15-25.
51
Dans sa correspondance avec Fliess, Freud se plaisait à se présenter sous les traits d’un génie sans père. Dans
une lettre du 12 juin 1900, il écrit : « Crois-tu vraiment qu’il y aura un jour sur cette maison une plaque de marbre
où l’on pourra lire : ?
Ici se dévoila le 24 juillet 1895
au Dr Sigmund Freud
le mystère du rêve.
Les chances en sont jusqu’à présent bien minces. Mais lorsque je lis, dans les ouvrages psychologiques assez
récents (Mach, Analyse des sensations, Kroell, Structure de l’âme, etc.) qui vont tous dans le même sens que mes
travaux, ce qu’ils ont à dire du rêve, je me réjouis quand même, comme le nain dans le conte, “que la princesse
n’en sache rien”. » Sigmund Freud, Lettres à Wilhelm Fliess. 1887-1904, PUF, 2006, p. 527.
52
À ce sujet, voir Lydia Marinelli et Andreas Mayer (dir.), Forgetting Freud ? For a New Historiography of
Psychoanalysis, Science in context, n° 19 (1), 2006. Parmi les ouvrages qui ont véhiculé cette image de génie
révolutionnaire, citons Ernest Jones, La vie et l'œuvre de Sigmund Freud (1953-1957), 3 vol., PUF,
coll. « Quadriges », 2006 ; Didier Anzieu, L’Auto-analyse de Freud et la découverte de la psychanalyse, PUF,
1976.
53
Pour Jacqueline Carroy, Freud n’invente pas une nouvelle façon de narrer les rêves ex nihilo mais est lui-même
pris dans un courant de pensée qui l’y amène naturellement : « À la différence de Jean-Daniel Gollut, qui
caractérise les changements affectant les récits de rêves dans les œuvres de la modernité comme un contrecoup du
freudisme, j’aurais tendance à dire que Freud lui-même capte et aiguise un tournant critique qui lui est
contemporain, tout autant qu’il le crée de toute pièces. » (Nuits savantes, op. cit., p. 319) Il nous semble important
de souligner qu’il incarne cette évolution plus qu’il ne la produit.

138
C’est par le plus grand hasard, en apparence, qu’a été récemment rendu à la
lumière une partie du monde intellectuel, et à mon sens de beaucoup la plus
importante, dont on affectait de ne plus se soucier. Il faut en rendre grâce aux
découvertes de Freud. Sur la foi de ces découvertes, un courant d’opinion se
dessine enfin, à la faveur duquel l’explorateur humain pourra pousser plus loin
ses investigations, autorisé qu’il sera à ne plus seulement tenir compte des
réalités sommaires54.
Ouvrant une nouvelle voie de pensée, l’auteur de L’Interprétation des rêves passerait presque
pour un guide au flambeau, élu par le groupe au titre des « présidents de la République du
rêve55 ». Breton force le ralliement à ce qu’il désigne comme « la théorie de moins en moins
controversée56 » et érige ainsi la parution de La Science des rêves en point de bascule dans
l’histoire de la conception du rêve.

En l’absence volontaire de tout contrôle exercé par les savants dignes de ce


nom sur les origines et les fins de l’activité onirique, les réductions et les
amplifications outrancières de cette activité pouvaient librement suivre leur
cours. Jusqu’en 1900, date de la publication de La Science des rêves, de Freud,
les thèses les moins convaincantes et les plus contradictoires se succèdent,
tendant à la faire passer du côté du négligeable, de l’inconnaissable ou du
surnaturel. (VC, 107)
L’enthousiasme de Breton repose sur une lecture assez fine de l’œuvre de Freud. Dans
une lettre datée du 5 avril 1919, il écrit à Tzara : « J’ai peu fait de philosophie : une classe de
collège et quelques lectures mais la psychiatrie m’est très familière (je suis étudiant en
médecine, quoique de moins en moins.) Kraepelin et Freud m’ont donné des émotions très
fortes57. » Si, à cette date, sa connaissance de la doctrine freudienne du rêve ne lui vient en fait
que de lectures de seconde main, ouvrages, articles58 ou manuels à destination des étudiants en
médecine59, cette déclaration témoigne d’un intérêt pour la bibliographie freudienne qui ne sera
jamais démenti. Breton est certainement, parmi les écrivains ayant écrit sur le rêve, l’un de ceux
qui ont lu l’œuvre de Freud de la manière la plus complète et la plus attentive. Comme Michaux
ou Leiris60, son itinéraire bibliographique est balisé par la lecture des ouvrages publiés en

54
André Breton, Manifeste du surréalisme [1924], OC I, p. 316.
55
Louis Aragon, Une vague de rêves (1928), Seghers, 2006, p. 22.
56
André Breton, Les Vases communicants, OC II, p. 104 : « (…) la théorie la moins controversée selon laquelle le
rêve serait la réalisation d’un désir ».
57
Correspondance Tzara-Breton, publiée en annexe de la thèse de Michel Sanouillet, Dada à Paris, Pauvert, 1965.
58
Emmanuel Régis et Angelo Hesnard, « La doctrine de Freud et son école », L’Encéphale, avril 1913, p. 356-
378 ; mai 1913, p. 446-481 ; juin 1913, p. 537-555 ; Pierre Janet, « La Psycho-analyse », conférence au congrès
de Londres en 1913, Journal de Psychologie Normale et Pathologique, n° 11, 1914, p. 1-36 et 97-130. ; Karl
Gustav Jung, « L’analyse des rêves » (1909), L’Année psychologique, n° 15, p. 160-167.
59
Emmanuel Régis et Angelo Hesnard, La Psychoanalyse des névroses et des psychoses, Alcan, 1914 ; Emmanuel
Régis, Précis de psychiatrie, O. Doin, 3e édition, 1906 ; Emil Kraepelin, Introduction à la psychiatrie clinique,
traduite en français en 1907.
60
Sur les connaissances et l’expérience de la psychanalyse que pouvait avoir Leiris, voir Philippe Lejeune, « Post-
scriptum à Lire Leiris », Moi aussi, Seuil, 1986, p. 164-177 et Anne Roche, « “Ta vie gribouillée à ta griffe”, Notes

139
français dans les années 1922 et 1923 : Psychopathologie de la vie quotidienne (1922),
Introduction à la psychanalyse (1922), Trois essais sur la théorie de la sexualité (1923), Cinq
leçons sur la psychanalyse (1923), Totem et tabou (1924). Mais Breton compte, dans sa
bibliothèque, bien d’autres ouvrages du psychanalyste viennois qui témoignent d’un intérêt
continu pour son œuvre : La Science des rêves61, mais aussi Le Rêve et son interprétation
(1925), Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci (1927), Le Mot d’esprit et ses rapports
avec l’inconscient (1930), Nouvelles conférences sur la psychanalyse (1936) et
Métapsychologie (1940) 62. Grâce à ce corpus, il peut approfondir la pensée de Freud sur les
rapports entre inconscient et création.
Guidé par le même intérêt pour la psychanalyse et l’éclairage qu’elle porte sur l’art,
Queneau acquiert lui aussi très tôt une vaste culture dans le champ des « choses de l’esprit63 ».
Contrairement à Breton, l’auteur de Chêne et chien ne mentionne que rarement ses références,
laissant seulement affleurer discrètement, ici ou là, tel ou tel concept. Nous savons, grâce aux
notes de lecture qu’il consigne dans ses Journaux 64, qu’il a lu la plupart des œuvres de Freud,
mais sa culture va bien au-delà. Ses lectures brassent non seulement les ouvrages diffusés dans
le milieu intellectuel, mais encore des livres plus rares ou plus ardus ; les auteurs de
psychanalyse (Régis et Hesnard, Allendy, Freud, Jung, Lacan) et de psychologie (Havellock
Ellis, Flournoy, Jones) côtoient ceux d’ethnopsychiatrie (Devereux) ou de psychocritique

sur la relation à la psychanalyse dans le Journal de Michel Leiris », texte en ligne sur le site http://www.michel-
leiris.fr, disponible à l’adresse :
http://www.michel-leiris.fr/spip/imprimersans.php3?id_article=12. [Consulté le 8 décembre 2017.]
61
Il s’agit de la traduction de la 8e édition (1930) établie par Meyerson aux éditions Alcan.
62
Le site André Breton fait état de la présence, dans les rayonnages de la bibliothèque personnelle d’André Breton
des ouvrages suivants : Essais de psychanalyse, Payot, 1920 ; Introduction à la psychanalyse, 1922 ;
Psychopathologie de la vie quotidienne, Payot, 1922 ; Trois essais sur la sexualité, Gallimard, coll. « documents
bleus », 1923 ; Psychologie collective et analyse du moi, Payot, 1924 ; Totem et tabou, Payot, 1924 ; Le Rêve et
son interprétation, Gallimard, 1925 ; La Science des rêves, Alcan, 1926 ; Un souvenir d’enfance de Léonard de
Vinci, Gallimard, coll. « Documents bleus », 1927 ; Ma Vie et la psychanalyse, NRF, 1928 ; Le Mot d’esprit et ses
rapports avec l’inconscient, Gallimard, coll. « Les documents bleus », 1930 ; Nouvelles conférences sur la
psychanalyse, Gallimard, 1936 ; Métapsychologie, Gallimard, coll. « Psychologie », 1940.
63
Raymond Queneau, note de jeunesse inédite cité dans Chêne et chien, Œuvres complètes, t. I, Gallimard,
coll. « Bibliothèque de la Pléiade », éd. Claude Debon, n. 2, 1989, p. 1132.
64
Octobre 1921, novembre 1924 et octobre 1931 : Introduction à la psychanalyse ; janvier 1924, octobre 1927 et
octobre 1931 : Trois essais sur la sexualité ; septembre 1927 : Essais sur la psychanalyse ; novembre 1927 et
octobre 1931 : La Science des rêves ; janvier 1928 et octobre 1931 : Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci ;
août 1928 et octobre 1931 : Ma Vie et la psychanalyse ; avril 1930 : Le Mot d’esprit ; mars 1931 : Le Délire et les
rêves dans la Gradiva de Jensen ; juillet 1931 : Essais de psychanalyse ; décembre 1931 : Totem et tabou ;
décembre 1931 : Cinq leçons sur la psychanalyse ; avril 1932 : L’Avenir d’une illusion ; août 1934 : Le Moi et le
soi, Au-delà du principe de plaisir ; mai 1936 : Nouvelles conférences sur la psychanalyse, Malaise dans la
civilisation. À ce sujet, voir aussi Florence Géhéniau, Queneau analphabète. Répertoire alphabétique de ses
lectures, préface d’André Blavier, 2 t., Bruxelles, 1992.

140
(Marie Bonaparte, Charles Mauron, Marthe Robert)65. Contrairement à Breton, Michaux ou
Béalu, Queneau ne cherche pas à construire un nouveau discours sur le rêve ; les quelques
références citées sont ainsi toujours sollicitées pour étayer une analyse personnelle. La lecture
d’un article d’Allendy l’encourage à revenir sur ses propres analyses de rêve pour y déceler ici
un lien fusionnel avec sa mère, là une identification de Breton à la figure paternelle66.
Outre les connaissances qu’il croit « nécessaires pour faire [sa] psychanalyse67 », ces
ouvrages lui inspirent aussi une pratique herméneutique face au discours du rêve. De la
psychanalyse freudienne, Queneau retient essentiellement la méthode des associations d’idées,
qui lui fait parfois reprendre longuement, élément par élément, l’analyse de ses rêves. On voit
aussi surgir de ses notes intimes des listes de mots sur lesquels il se laisse aller aux associations,
comme les pratiquait Jung à la clinique du Burghölzli à Zurich auprès du Dr Bleuler68 : « frère
– montagne », « montagne – analyse », « vache – à lait », « sang – de bœuf », « plat – de
langouste », « touche – à-tout », « œuf – ornement », « note – ardeur », entre autres exemples.
Intéressé par les sciences de la psyché mais aussi par la linguistique et jouant volontiers avec
les mots, c’est en grammairien qu’il les commente d’abord : « Je suis étonné du nombre
d’associations prédicatives : onze plates, quatre absurdes et une illégitime (plat de
langouste)69 », remarque-t-il. Cependant, ces exercices tournent parfois à la ratiocination et
l’auto-analyse rigoureuse laisse l’élève appliqué sur sa faim : « Après des pages et des pages
d’associations, pas grand’chose de découvert. C’est bien décourageant70. »
Queneau suit en outre les leçons de psychiatrie du Pr Claude et les cours des
psychanalystes Adrien Borel et Jacques Lacan à Sainte-Anne. Comme pour Leiris avant lui et
Perec après lui, cette connaissance érudite s’accompagne d’une expérience de la cure, menée

65
Anne Clancier, Raymond Queneau et la psychanalyse, Éditions du Limon, 1994, p. 16-21. L’intérêt de Queneau
pour les sciences de la psyché est manifeste dès 1921, puisqu’il écrit dans son Journal, au mois d’octobre :
« Calme. Période d’euphorie intellectuelle. Élaboration de Grands Projets : 1. Réapprendre l’anglais, le latin, le
grec, apprendre l’italien, l’allemand. 2. Logique, psychologie. 3. Linguistique, Saussure (à fond). Meillet, Bréal,
Grammont. 4. Psychanalyse, Relire Freud, Régis et Hesnard. 5. Psychiatrie. 6. Arriver enfin à ranger et organiser
mes notes. » (Journaux, p. 92) Son projet sur les fous littéraires donnera également lieu à de nombreuses lectures
dans les années 1929-1932. Sur ce sujet, voir Anouck Cape, Les Frontières du délire : écrivains et fous au temps
des avant-gardes, Honoré Champion, 2014, p. 127 sqq.
66
« Ce matin j’ai lu dans le n° 3 (1927) de la Revue Française de Psychanalyse l’article d’Allendy : Infériorité,
homosexualité, complexe de castration. » « Lorsque Breton me paraît rajeuni, je dois donc interpréter comme pour
le sujet d’Allendy. […] Breton pour moi symbolise le père ». Journaux, 18 septembre 1931, op. cit., p. 233.
67
Ibid., p. 248.
68
Voir Lydia Marinelli et Andréas Mayer, chap. 2 « Écritures inconscientes ; analyse de rêves par lettres », Rêver
avec Freud. L’histoire collective de L’Interprétation du rêve, Aubier, « Psychanalyse », 2009, p. 41-61.
69
Raymond Queneau, Journaux, 5 septembre 1931, op. cit., p. 226.
70
Ibid., p. 257.

141
pour Queneau sur le divan de Fanny Lowtsky dans les années 1933-193971, dont témoignent
quelques vers de Chêne et chien :

Je me couchai sur le divan


Et me mis à raconter ma vie,
Ce que je croyais être ma vie.
Ma vie, qu’est-ce que j’en connaissais ?
Et ta vie, toi, qu’est-ce que tu en connais ?
Et lui, là, est-ce qu’il la connaît,
sa vie ?
[…]
Enfin me voilà donc couché
Sur un divan près de Passy.
Je raconte tout ce qu’il me plaît :
Je suis dans le psychanalysis.
Plus largement, les auteurs se forgent une culture de la psychanalyse par la fréquentation
de médecins et d’analystes. On connaît l’amitié de Breton pour Théodore Fraenkel, médecin et
co-auteur avec Artaud et Desnos de la Lettre aux médecins-chefs des asiles de fous72, mais aussi
la proximité du Dr René Allendy avec les surréalistes. Fondateur de la société psychanalytique
de Paris (SPP), auteur de plusieurs ouvrages dont Les Rêves et leur interprétation
psychanalytique, manuel destiné à diffuser la pratique psychanalytique, et Rêves expliqués73,
répertoire d’exemples pratiques, il fut le psychiatre et psychanalyste d’Artaud et de Crevel.
Leiris, pour sa part, fréquente le Dr Adrien Borel, psychanalyste, co-fondateur de L’Évolution
psychiatrique et co-auteur, avec Gilbert Robin, de publications sur le rêve74 qui ne manquent
pas de favoriser ce rapprochement. Dans les années 1930, à l’époque où Lacan est introduit
dans le cercle parisien, Ernst, Crevel et Man Ray rencontrent Lucien Bonnafé, psychiatre à
Toulouse. Enfin, Perec passe trois ans sur le divan de Pontalis, qui dirige, en 1972, L’espace du
rêve75, numéro de la Nouvelle Revue de psychanalyse. Quatre ans après la fin de la cure de
Perec, Pontalis publie Entre le rêve et la douleur (1977) puis divers ouvrages littéraires dans
lequel le rêve tient une place non négligeable : Le Dormeur éveillé, Le Songe de Monomotapa,

71
« Sur les conseils de ma femme qui se faisait alors psychanalyser depuis un an, j’allais consulter le Dr O. qui
me renvoya au Dr B[orel] lequel me confia à Mme Lowtski, émigrée russo-allemande, c’est-à-dire de Russie en
17, de Berlin en 33, et qui était non médecin. J’allais la voir square Alboni, où elle logeait provisoirement chez
des amis puis rue, de même, enfin square Henri-Paté où elle demeura jusqu’en 1939 date à laquelle elle partit pour
la Palestine. Je découvris très vite qu’elle était la sœur du philosophe Chestov, ce qui ne facilita pas les choses, ce
qui est aisé à comprendre. Lorsqu’elle était arrivée, elle parlait à peine le français, ce qui ne facilita pas les choses
non plus. » Raymond Queneau, cité dans Chêne et Chien, OC I, op. cit., n. 2, p. 1133.
72
« Lettres aux médecins-chefs des asiles de fous », La Révolution surréaliste, n° 3, 15 avril 1925, p. 29.
73
René Allendy, Les Rêves et leur interprétation psychanalytique, Alcan, 1926 ; Rêves expliqués, Gallimard, 1938.
René Allendy et René Laforgue, La Psychanalyse et les névroses (Préface de Henri Claude), Payot, 1924.
74
Adrien Borel et Gilbert Robin, « Les rêveurs. Considérations sur les mondes imaginaires », L’Évolution
psychiatrique, vol. 1, 1925, p. 155-192 et Les Rêveurs éveillés, Paris, Gallimard, coll. « Les documents bleus »,
n° 20, 1925.
75
Nouvelle revue de Psychanalyse, Jean-Bertrand Pontalis (dir.), n° 5 « L’espace du rêve », Printemps 1972.

142
En marge des nuits76. Cette socialité, faite de collaborations ou de relations thérapeutiques,
contribue à développer entre sciences de la psyché et écriture une pensée du rêve et de la
création poétique qui infuse bien au-delà d’une stricte érudition77.

Proximités pratiques
Perec, dans « Les lieux d’une ruse », revient sur son expérience de la cure analytique
avec Jean-Bertrand Pontalis. Si la fin du texte est plus lumineuse, l’ensemble témoigne plutôt
des difficultés et des résistances auxquelles il doit faire face.

Je parcourais allègrement les chemins trop bien balisés de mes labyrinthes.


Tout voulait dire quelque chose, tout s'enchaînait, tout était clair, tout se laissait
décortiquer à loisir, grande valse des signifiants déroulant leurs angoisses
aimables. Sous le miroitement fugace des collisions verbales, sous les
titillements mesurés du petit Œdipe illustré, ma voix ne rencontrait que son
vide : ni le frêle écho de mon histoire ni le tumulte trouble de mes ennemis
affrontables, mais la rengaine usée du papa-maman, zizi-panpan ; ni mon
émotion, ni mon corps, mais des réponses toutes prêtes, de la quincaillerie
anonyme, des exaltations de scenic-railway.
Les ivresses verbeuses de ces petits vertiges pansémiques ne tardait jamais
à s’estomper, il suffisait pour cela de quelques secondes, quelques secondes de
silence où je guettais de l’analyste un acquiescement qui ne venait jamais, et je
retournais alors à une morosité amère, plus loin que jamais de ma parole, de ma
voix78. (LR, 67-68)
Pour l’homme de lettres, les scénarios tout prêts que propose la doxa psychanalytique sont ainsi
plus source d’empêtrement qu’aide salvatrice. Formidables embrayeurs de discours, ils
conduisent l’auteur de La Boutique obscure sur le chemin d’une logorrhée trompeuse. Ce n’est
pourtant pas contre la psychanalyse que se retourne ce discours critique, mais contre l’auteur
lui-même, trop empêtrés dans ses illusions pour savoir se saisir des outils offerts par la
psychanalyse.
Mis à part Breton et Queneau, peu d’écrivains reprennent à leur compte, dans les récits
qu’ils publient, la méthode psychanalytique freudienne d’interprétation des rêves. Les deux font

76
Jean-Bertrand Pontalis, Le Dormeur éveillé, Mercure de France, 2004 ; Le Songe de Monomotapa, Gallimard,
2009 ; En marge des nuits, Gallimard, 2010.
77
L’érudition de Marguerite Yourcenar sur le rêve diffère sensiblement de celles des écrivains de son temps. On
trouve, dans l’inventaire de sa bibliothèque, peu d’ouvrages de psychanalyse : deux essais de Freud – Un souvenir
d’enfance de Léonard de Vinci et Totem et Tabou –, deux de Jung – Alchemial studies et Présent et avenir –, mais
rien, dans cette discipline, qui porte sur le rêve. C’est plutôt du côté de l’anthropologie et de l’histoire que se tourne
l’auteure pour se documenter sur le sujet. Figurent sur ses rayonnages des ouvrages de Mircea Eliade (dont Mythes,
rêves et mystères) et de Roger Caillois (Le Rêve et les sociétés humaines, L’incertitude qui vient des rêves) mais
aussi de Joseph Campbell (Myths, Dreams and Religion). Nulle trace de Maury ou d’Hervey de Saint-Denys, mais
un livre de Nicolas Vaschide dont Le Sommeil et les rêves (1926) constitue un répertoire important de récits de
rêves, tant sur le plan historique qu’ethnologique. Malgré l’intérêt marqué de Yourcenar pour l’occultisme, le
chamanisme et la divination, l’inventaire ne compte pas de clef des songes.
78
Georges Perec, « Les Lieux d’une ruse », Penser/Classer (1985), Hachette, 1992, p. 67-68.

143
toutefois le choix, au moins dans un premier temps, de s’inscrire dans cette démarche
particulière d’élucidation du sens.

Tout ce qu’à cet effet il me paraît nécessaire de retenir de l’œuvre de Freud


est la méthode d’interprétation des rêves, et ceci pour les raisons suivantes :
c’est de beaucoup la trouvaille la plus originale que cet auteur ait faite, les
théories scientifiques du rêve n’ayant laissé, avant lui, aucune place au
problème de cette interprétation ; c’est là par excellence ce qu’il a rapporté de
son exploration quotidienne dans le domaine des troubles mentaux, je veux dire
ce qu’il doit avant tout à l’observation minutieuse des manifestations
extérieures de ces troubles ; enfin c’est là de sa part une proposition de caractère
exclusivement pratique, à la faveur de laquelle il est impossible de faire passer
sans contrôle telle ou telle opinion suspecte ou mal vérifiée. (VC, 116)
Contrairement à Valéry qui, à l’instar des scientifiques de l’époque, envisage le rêve comme
un fait essentiellement physiologique ou cognitif mais non porteur de sens, ils reconnaissent
l’action d’un inconscient signifiant à l’origine de la formation des contenus oniriques. Ainsi,
tous les deux tentent d’appliquer avec scrupule la méthode exposée par le père de la
psychanalyse79.
Cette application attentive passe, chez Breton, non seulement par la reprise d’une même
structure d’ensemble pour l’exposé de l’interprétation, mais encore par l’emploi d’un code
typographique identique. Comme Freud, il prend soin, dans les Vases communicants, de
distinguer trois temps dans sa démonstration, clairement indiqués par des intertitres (VC, 118-
137). Le « récit du rêve » en lui-même, transcrit en « notation immédiate » et désigné par sa
date (26 août 1931), est exposé en italique par des phrases brèves, parfois nominales et dans un
style concis. Au récit proprement dit succèdent quelques remarques et impressions qui servent
surtout à mettre en avant l’incongruité de certains éléments et l’incompréhension du rêveur lui-

79
Cette méthode est exposée dès le chapitre II (« La méthode d’interprétation des rêves ») de L’Interprétation des
rêves, op. cit., p. 90-112. Freud y défend une position d’entre-deux, qui s’appuie sur une méthode rigoureuse
d’analyse du rêve sans pour autant sacrifier la tradition herméneutique par laquelle il est marqué : « En admettant
que les rêves peuvent être interprétés, je vais à l’encontre de la théorie régnante […]. En effet, “interpréter un rêve”
signifie indiquer son sens, le remplacer par quelque chose qui peut s’insérer dans la chaîne de nos actions
psychiques, chaînon important, semblable à d’autres, et de valeur égale. Ainsi que nous avons pu le constater, les
théories scientifiques du rêve ne laissent nulle place au problème de l’interprétation, puisque, pour elles, le rêve
n’est pas un acte mental, mais un processus somatique révélé seulement par certains signes psychiques. Le point
de vue du sens commun a toujours été autre. Fort de son droit à l’inconséquence, il accorde que le rêve est
incompréhensible et absurde, mais n’ose lui refuser une signification. Guidé par un pressentiment obscur, il semble
admettre que le rêve a un sens, mais un sens caché, qu’il se substitue à un autre processus de pensée, et qu’il n’est,
pour comprendre ce sens caché, que de savoir exactement comment s’est faite la substitution. Les deux procédés
populaires d’analyse du rêve sont évidemment tout à fait inutilisables pour la recherche scientifique. La méthode
symbolique est d’une application limitée, on ne peut en faire un système général. La méthode de déchiffrage
dépend tout entière de la clef, « clef des songes », et rien ne garantit celle-ci. On serait tenté de donner raison aux
philosophes et aux psychiatres et d’écarter le problème de l’interprétation des rêves comme faux problème. Mais
j’ai pu faire un pas en avant. J’ai été amené à constater qu’il s’agissait une fois de plus d’un de ces cas, assez
fréquents, où la vieille et tenace croyance populaire serrait la vérité de plus près que nos doctrines actuelles. Je
prétends que le rêve a une signification et qu’il existe une méthode scientifique pour l’interpréter. » (Ibid., p. 91-
93)

144
même. Une « note explicative », située juste après le rêve, vient remplir dans le texte de Breton
le rôle qu’occupe chez Freud le « récit préliminaire », placé avant le rêve dans les écrits du
psychanalyste. En quelques lignes, l’auteur présente le contexte historique, sentimental et
littéraire du rêve et les enjeux de la situation : 1931 fait coïncider pour lui le deuil d’une histoire
d’amour80 et une période de difficultés pour l’action surréaliste, qui « avait à [ses] yeux, il faut
le dire, perdu ses meilleures raisons d’être. » (VC, 122). Le choix d’inverser les places du récit
et de la contextualisation n’est pas sans effet sur la réception de l’ensemble. Cette entrée dans
le rêve sans ménagement entretient l’effet d’incompréhension, tandis que la précision des
circonstances du rêve invite déjà le lecteur, dans l’ouvrage de psychanalyse, à élaborer quelques
rapprochements.
Le troisième temps de la démarche consiste en l’« analyse » à proprement parler.
« Morceau par morceau », le rêveur associe à « chaque fragment, une série d’idées, que l’on
pourrait appeler les “arrière-pensées” de cette partie du rêve81 ». Les citations du récit de rêve,
toujours en italique, amorcent des paragraphes, imprimés eux en caractères romains, et
appellent des souvenirs plus ou moins lointains, connotations ou expressions. « C’est une
analyse “en détail” et non “en masse” ; […] elle considère le rêve dès le début comme un
composé, un ‘conglomérat’ de faits psychiques82. » Par exemple, le fragment « l’arrivée et le
départ de X en taxi » est associé à l’habitude de Nadja de circuler par ce moyen de transport
mais aussi à l’expression « garée des voitures » ; tandis que la mention d’« une assez grande
table rectangulaire recouverte d’une nappe blanche » appelle le souvenir d’une scène
beaucoup plus récente, sur le lieu de villégiature de Breton au moment du rêve.
« Accomplissement onirique et genèse d’un tableau parisien », article publié dans Trajectoire
du rêve (1938), s’il n’use plus d’intertitres pour séparer chaque étape de l’élucidation
interprétative, reprend néanmoins une progression similaire : circonstances – récit – analyse.
La même procédure est adoptée par Queneau qui, à la même époque, dans les années
qui précèdent sa psychanalyse avec Fanny Lowtsky, s’applique à consigner ses rêves pour
s’adonner, grâce à eux, à l’auto-analyse. Si les pages de son Journal sont émaillées de récits de
rêves dès 192183, l’année 1931 se distingue des autres par le développement de commentaires

80
« Cette femme, il fallait me résigner à ne plus en rien savoir ce qu’elle devenait, ce qu’elle deviendrait : c’était
atroce, c’était fou. » (VC, 121)
81
Sigmund Freud, L’Interprétation des rêves, op. cit., p. 97.
82
Idem.
83
Le premier récit de rêve noté par Queneau dans son Journal date de juillet 1921. Avant la période de
foisonnement onirique consigné dans « Une campagne de rêves » qui concerne les années 1928-1931, on en
dénombre quinze pour l’année 1921, dont la plupart sont indiqués sans date et sont probablement des souvenirs de
rêves plus anciens, un seul pour l’année 1922, trois en 1924, dix-neuf en 1925 et dix en 1927.

145
interprétatifs aux côtés des narrations, laissées sans glose jusque-là. De fin août à fin octobre,
l’auteur prend en note 125 rêves sur lesquels il exerce ses facultés analytiques en reprenant à
son compte et de façon très consciencieuse la méthode freudienne. La notation quasi-
quotidienne des contenus oniriques permet à l’auteur de repérer des récurrences de motifs ou
d’associations. De cette manière, la construction de réseaux sémantiques se fait page après page
jusqu’à forger un système symbolique propre. Grâce à un système de numérotation qui lui
permet de naviguer facilement d’un récit à l’autre et de se repérer dans ses diverses tentatives
d’explication, Queneau peut revenir plusieurs fois sur un même rêve s’il lui apparaît que celui-
ci n’a pas été entièrement élucidé. L’analyse d’un rêve daté du 8 septembre 1931 nous en fournit
un parfait exemple.
Le rêve fait l’objet d’un premier récit, d’abord divisé en deux unités numérotées 38 et
39 dans les cahiers de l’écrivain.

38 - Ça se passe dans la rue Thérèse ou une rue avoisinante aboutissant dans


l’avenue de l’Opéra. Je marche. Une femme derrière moi parle de telle façon
que je suis obligée d’entrer en conversation avec elle. C’est une femme de
quarante à cinquante ans, avec un grand chapeau à plumes. Elle va acheter des ?
chez un spécialiste. Je me trouve dans une banque avec elle et un monsieur qui
doit être son mari qui me demande si je veux un chèque ; je refuse
dédaigneusement. Là-dessus je vois les trois employés du Crédit Lyonnais de
La Ciotat qui travaillent maintenant à Paris ; je leur demande comment il se fait
qu’ils aient tous changé ensemble ; ils me répondent qu’ils sont les trois
Mousquetaires. (CR, 229)
39 – Autres rêves confus : de Breton, habillé en vagabond, qui saute un mur ;
je décolle des papiers mis pour cacher des noms sur un de ses manifestes. Il y
a des vers sur Janine. Série de photos de Surréalistes : d’après Simone, Éluard
n’a jamais été si beau.
Les analyses de Queneau s’échelonnent ensuite en quatre temps, le jour-même (à deux reprises),
puis dix jours plus tard, les 18 et 19 septembre. On y voit l’analysant, fort d’une première série
d’associations, établir les liens entre les deux épisodes oniriques, suivant en cela Freud qui
invitait à interpréter ensemble les rêves de la même nuit84, puis identifier les premiers fils
sémantiques : sa sexualité, son attitude vis-à-vis des femmes et sa relation avec Breton.

38 – Dans mon rêve, c’est tout à fait à contrecœur que je suivais la dame en
question et que je faisais le gigolo. Je n’allais d’ailleurs pas jusqu’au
maquerellage. Il y a d’ailleurs là toute une suite d’idées : épouser une femme
riche – Simone et Breton – mon propre cas – comment il peut être interprété –

84
Breton, lui aussi, est attentif à traiter ensemble les deux épisodes oniriques de la nuit du 26 août 1931 : « Je n’ai
rien dit de la ligne de points qui précède l’apparition de cet enfant et qui, au moment où j’ai noté ce rêve, ne m’a
pas paru témoigner d’une lacune, mais bien plutôt mettre fin, ici, à ce que Freud appelle le rêve-prologue, celui-ci
paraissant d’une part destiné à justifier ce qui se passe ensuite, en application du principe : telle chose étant, telle
autre devait arriver ; d’autre part à permettre au rêve principal, tenant la place de la proposition principale dans le
raisonnement éveillé, de se centrer clairement sur la préoccupation dominante du dormeur. » (VC, 127)

146
comment je me suis séparé de Breton – la répugnance que j’ai mise à me séparer
de lui – le Cadavre et mes remarques sur la mort du père (= Breton).
39 – Le second rêve est aussi une manifestation de ces associations. Pour
maquerellage je pense : 1° à une danseuse des Folies-Bergères, etc. 2° à une
Américaine à qui j’ai donné des leçons et avec laquelle Marcette (sic ! Marcel)
coucha 3° Reydinck et les cadeaux qu’il me faisait. Dans tous ces rêves Breton
apparaît toujours comme très jeune. (CR, 230)
Au-delà des hypothèses interprétatives de l’auteur, le choix de mettre en avant cette rencontre
par hasard dans la rue avec une inconnue n’est pas sans rappeler à la fois Nadja et le début du
rêve du 26 août 1931 analysé par Breton. Bien sûr, le motif de la rencontre avec une inconnue
n’a, en soi, rien d’exceptionnel ; au contraire, c’est l’une des facultés du rêve que de pouvoir
faire surgir ce genre de situation. Mais ce qui peut alerter le lecteur, c’est justement l’attention
qu’y porte Queneau et le lien qu’il fait explicitement avec l’auteur de L’Amour fou, comme si
ce motif n’était en fait là que pour provoquer l’association, aussi évidente pour le rêveur que
pour un lecteur averti.
Plus loin, la série des associations est enrichie : les plumes du chapeau de la femme
rencontrée au début du rêve sont rapprochées de celles des mousquetaires qui apparaissent à la
fin par Queneau, le chiffre 3 est bientôt associé à l’appareil génital masculin et le souvenir d’un
rêve ancien, élucidé avec l’aide de Bataille, vient justifier la présence de la banque et révéler
un désir latent de sodomie, et, partant, la peur d’une homosexualité. « Ce rêve me paraît
maintenant susceptible d’une explication fort claire. Explication, je veux dire interprétation. »
(CR, 230), souligne Queneau dans une dernière correction qui dit tout ce qu’elle doit aux
lectures psychanalytiques.
Quant à la valeur à accorder à la présence de Breton, c’est en passant par le détour de
rêves antérieurs et la lecture d’Allendy que Queneau parvient à lui conférer un sens satisfaisant.

Allendy interprète : « Si un vieillard peut être rajeuni, à plus forte raison


pourrai-je moi qui suis jeune encore, retrouver ma virilité. » Or, dans des rêves
récents, Breton m’apparaît toujours rajeuni. Breton pour moi symbolise le père.
D’autre part, je ne suis pas satisfait de mes capacités sexuelles, j’attribue leur
affaiblissement à de longues périodes de masturbation. Lorsque Breton me
paraît rajeuni, je dois donc interpréter comme pour le sujet d’Allendy.
D’autre part les rêves de lettres reçues : Breton en recevait des quantités ;
Janine récemment me racontait qu’à Thorenc il avait un courrier volumineux.
Dans un rêve, mon père envoie de nombreuses cartes postales. Toujours le
doublet : mon père-Breton.
Je continue : recevoir beaucoup de lettres, c’est dépasser son père. Mais dans
Freud (Introduction), j’ai lu récemment que livre et papier sont des symboles
féminins, symbolisme que j’ignorais ou avais oublié. Enveloppe est donc très
nettement (je voulais écrire Lettre) un symbole féminin (et non anal). Recevoir
beaucoup de lettres signifie avoir beaucoup de femmes. (CR, 234)

147
Si les analyses sont parfois confuses ou contradictoires, l’essentiel réside dans la confiance
accordée à la méthode psychanalytique. « « L’interprétation des rêves est une chose à laquelle
j’adhère complètement, sauf une réserve : moi-même, donnant ainsi toute sa valeur à la
psychanalyse85 », écrit-il à l’époque où faisait partie du groupe surréaliste. À aucun moment,
dans ces années d’investigation psychique, Queneau ne remet en cause l’efficacité ni la
pertinence de l’interprétation freudienne ; et, s’il peine parfois à aboutir à un résultat
satisfaisant, c’est toujours à lui ou à ses compétences et non à cette approche qu’il adresse ses
reproches.
La démonstration de Breton s’appuie fermement, elle aussi, sur l’arsenal conceptuel
freudien, dont le poète se plaît à égrener les noms comme en quête d’une caution scientifique.
Là, il repère chez lui un mouvement de « défense 86 », ici un « acte manqué 87 », plus loin il
identifie une structure en « rêve-prologue » et « rêve principal », ou s’empare des notions de
« condensation » et de « dramatisation » (VC, 136) pour mieux justifier que « le monde réel et
le monde du rêve ne font qu’un, autrement dit […] le second ne fait, pour se constituer, que
puiser dans le “torrent du donné” » (VC, 142).88
Il examine un à un les éléments du contenu manifeste de ses rêves, en commençant par
des associations personnelles. Le scrupule le pousse à citer les passages de La Science des rêves
sur lesquels il s’appuie lorsqu’il doit recourir à l’interprétation de ce qu’il reconnaît comme des
symboles universels. Ainsi, il complète ses associations libres par le recours à la symbolique
universelle freudienne au sujet de la table (« Sexuellement, on sait que la table mise symbolise
la femme ; il est à remarquer que dans le rêve on se prépare seulement à servir. » [VC, 124]),
d’une machine à sous (qui « symbolise sexuellement – la disparition des jetons par la fente – et

85
Raymond Queneau, Textes surréalistes, OC I, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1989, p. 1047.
86
« (défense contre l’éventualité d’un retour de Nadja, saine d’esprit ou non, qui pourrait avoir lu mon livre la
concernant et s’en être offensée, défense contre la responsabilité involontaire que j’ai pu avoir dans l’élaboration
de son délire et par suite dans son internement, responsabilité que X m’a souvent jetée à la tête, dans des moments
de colère, en m’accusant de vouloir la rendre folle à son tour) » (VC, 122)
87
« Toujours est-il qu’au dîner, […] je posai par mégarde sur la partie non recouvrante du papier la carafe d’eau
qui se brisa à grand fracas, éclaboussant à mes pieds les cahiers sur lesquels j’avais pris quelques notes générales
sur les rêves. Cet acte manqué était déjà par lui-même révélateur du désir de m’asseoir dehors à la table
rectangulaire, en compagnie de la jeune femme. » (VC, 124)
88
À ce sujet, Emmanuel Rubio remarque : « Nul doute que Breton, qui se réfère chaque fois explicitement à Freud,
ne cherche par ses choix à amplifier l’effet scabreux de certains développements psychanalytiques, et à combattre
par-là la censure sociale dont il reproche au psychanalyste d’avoir fait trop de cas. L’enveloppe-silence, centrée
sur l’analité, en témoigne encore. Il est pourtant tout aussi clair qu’il respecte à la lettre les outils de décryptage
mis au point par La Science des rêves. » (Les Philosophies d’André Breton, Lausanne, éd. L’Âge d’homme, coll.
« Bibliothèque Mélusine », 2009, p. 238)

148
métonymiquement – la partie pour le tout – la femme » [VC, 128]), ou encore de cravates89,
représentation du sexe masculin.
Sur sa lancée, Breton en vient également, comme le suggérait Freud, à considérer que
la symbolique excède largement le strict cadre du rêve et se retrouve dans toutes les productions
imaginatives et fantasmatiques, y compris les productions littéraires90. Aussi se risque-t-il à
suggérer une analyse de la célèbre phrase de Lautréamont : « Beau… comme la rencontre
fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie », en
rappelant que : « […] si l’on veut bien se reporter à la clé des symboles sexuels les plus simples,
on ne mettra pas longtemps à convenir que cette force tient à ce que le parapluie ne peut ici
représenter que l’homme, la machine à coudre que la femme […] et la table de dissection que
le lit […]. » (VC, 140) Le saut opéré, de la stricte interprétation par soi-même de contenus
produits en rêve, à celle d’énoncés poétiques produits par d’autres, a de quoi déconcerter. Là
où l’application d’une symbolique universelle ne devait intervenir qu’en dernier recours, après
épuisement des associations personnelles, Breton la pose en prémisse de l’opération
herméneutique. Dans une opération de passe-passe, faisant fi de la logique expérimentale, il
enferme finalement sa démonstration dans une interprétation finaliste, qui n’a d’autre but que
de valider, non pas l’hypothèse d’un fonctionnement symbolique du rêve, ni même l’hypothèse
d’un sens second du rêve, mais la pertinence de la grille herméneutique forgée avant lui et
plaquée sur lui.
Les pratiques interprétatives de Queneau et Breton ont donc pour point commun de
chercher à arrêter le sens lorsqu’un équilibre satisfaisant a été trouvé. Alors qu’il a terminé le
travail d’association et qu’une certaine cohérence se dessine dans l’interprétation à donner à
son rêve autour de la question du « saut vital », Breton assure :

Une telle interprétation, dont on peut dire qu’elle n’est jamais finie, me
paraît de nature à éclairer de manière suffisante la pensée du rêve, que je ne
crois pas avoir cherché le moins du monde à dérober derrière ma vie intime.
J’insiste très vivement sur le fait qu’elle épuise, selon moi, le contenu du rêve.
(VC, 134).
Queneau, quant à lui, se félicite d’avoir passé un cap décisif dans ce sport psychique que serait
l’analyse de ses rêves :

89
« […] la cravate, et ceci ne serait-ce que d’après Freud, figure le pénis, “non seulement parce qu’elle pend et
parce qu’elle est particulière à l’homme, mais parce qu’on peut choisir à son gré, choix que la nature interdit
malheureusement à l’homme” (La Science des rêves) ». (VC, p. 128)
90
Cette extension du cadre interprétatif psychanalytique au champ littéraire est particulièrement saillante dans Le
Délire et les rêves dans La Gradiva de W. Jensen [1907], trad. Jean Bellemin-Noël, Paris, Gallimard,
coll. « Folio », 1991.

149
Grand progrès dans ma psychanalyse. Hier j’ai fait le tour du rocher
entièrement en crawl alors que la veille encore, je n’arrivais qu’au quart du
trajet. Je devrais faire autant de progrès dans ma psychanalyse que dans ma
nage. Montagne : je grimpe bien sans trop m’essouffler. Je ferai ma
psychanalyse comme je grimperai une montagne91.
Défi du sens, l’interprétation en devient une épreuve mentale contre soi-même.
Cependant, une différence majeure sépare les deux auteurs quant à la portée donnée à
cette interprétation : Queneau reste dans une pratique intime dans laquelle l’interprétation des
rêves est mise au service d’une élucidation du moi, tandis que, chez Breton, elle sert une
démonstration intellectuelle au profit de son propre appareil théorique et dépasse largement son
propre cas. Comme l’a montré Emmanuel Rubio92, Breton met en fait cette méthodologie au
service d’une démonstration idéologique. Il croit y saisir l’opportunité d’établir
scientifiquement un matérialisme du rêve, d’en retirer toute la charge de mystère en le
ramenant, élément par élément, à un prolongement de la « vie vécue93 ». Nulle autre ambition,
ici, que celle de défaire, finalement, la sempiternelle distinction entre réalité matérielle et réalité
psychique, pourtant au cœur de la notion d’inconscient freudien. En voulant « réduire à néant
les diverses allégations qui ont pu être portées sur le caractère ‘inconnaissable’ (incohérent) de
celui-ci » (VC, 134), Breton subvertit l’esprit de la doctrine freudienne.

91
Raymond Queneau, Journaux, op. cit., p. 235.
92
Emmanuel Rubio, Les Philosophies d’André Breton (1924-1941), op. cit., p. 215 sqq.
93
« Nul mystère en fin de compte, rien qui soit susceptible de faire croire, dans la pensée de l’homme, à une
intervention transcendante qui se produirait au cours de la nuit. Je ne vois rien dans tout l’accomplissement de la
fonction onirique, qui n’emprunte clairement, pour peu qu’on veuille se donner la peine de l’examiner, aux seules
données de la vie vécue, rien qui, je ne saurais y revenir trop de fois, soustraction faite de ces données sur lesquelles
s’exercent poétiquement l’imagination, puisse constituer un résidu appréciable qu’on tenterait de faire passer pour
irréductible. » André Breton, Les Vases communicants, OC II, p. 134.

150
2.3.2. CRITIQUES ET RÉSISTANCES

Obscur objet du désir


Cependant, face au discours freudien, l’enthousiasme n’est ni unanime, ni absolu. La
figure du psychanalyste cristallise bien des discours de rejet allant jusqu’à la caricature. Au-
delà de cette levée de boucliers contre la personne de Freud, le projet de la psychanalyse est
souvent mal compris par les auteurs et donne lieu, dès ces années d’entre-deux-guerres, à un
dialogue de sourds.
L’attitude du groupe surréaliste demeure ambivalente. Indéniablement, le mouvement a
joué un rôle capital dans la diffusion de la psychanalyse en France. Breton ne cesse de vanter
les mérites de cette nouvelle science dans ses écrits. Il tente même de convaincre en dehors de
son groupe94, dont les revues publient des textes de Freud95. Cette affinité du surréalisme avec
le freudisme, au-delà de l’intérêt que prête le mouvement à la connaissance de territoires
psychiques jusque-là insondés, se noue sur une position marginale commune : la mise au ban
de la psychanalyse, qui voit sur elle fondre l’opposition du milieu scientifique96, ne peut
qu’attirer la sympathie des successeurs de Dada, qui entendent rompre avec toute sorte de
normes. Le freudisme semble faire entrer la pensée du rêve dans une modernité à la fois
esthétique et politique dans laquelle peuvent se reconnaître ces hommes d’avant-garde.
Alors que le contexte semblait propice à un commun enrichissement, surréalisme et
freudisme font pourtant l’expérience de « vases non-communicants97 », pour reprendre
l’expression de Jean-Bertrand Pontalis. Malgré les dettes réciproques que le freudisme et le
surréalisme se doivent – puissance d’inspiration pour le premier, puissance de diffusion pour le
second –, les relations entre Freud et Breton sont marquées du sceau de la méfiance. Le premier,
craignant sûrement de voir sa théorie dévoyée sur des territoires littéraires qu’il ne maîtriserait

94
« J’avais vingt ans quand, au cours d’une permission à Paris, je tentai successivement de représenter à
Apollinaire, à Valéry, à Gide ce qui, à travers Freud – dont le nom n’était connu en France que de rares psychiatres
– m’était apparu de force à bouleverser de fond en comble le monde mental. J’étais alors porté à l’enthousiasme
et aussi on ne peut plus anxieux de faire partager à ceux qui m’importaient mes convictions – le bruit court que je
ne suis pas entièrement guéri de ce travers – et je me rappelle que je tendis à chacune de mes victimes l’appât
auquel elle me paraissait devoir le moins résister : à Apollinaire, le « pansexualisme », à Valéry la clé des lapsus,
à Gide le complexe d’Œdipe. » André Breton, « Situation du surréalisme entre les deux guerres », La Clé des
champs, OC III, p. 718.
95
Sigmund Freud, « La question de l’analyse par les non médecins », La Révolution surréaliste, n° 9-10, 1er octobre
1927, p. 25.
96
À ce sujet, voir Elisabeth Roudinesco, Histoire de la psychanalyse en France, 2 vol., Ramsay, 1982.
97
Jean-Bertrand Pontalis, « Des vases non-communicants », La Nouvelle Revue Française, n° 302, mars 1978,
repris dans Perdre de vue, Gallimard, 1988, p. 133-150.

151
plus, se tient étonnement à distance de toute collaboration ; le second, avide de valider ses
propres hypothèses, tente de s’assurer un certain ascendant sur l’autre.
En dépit de la grande reconnaissance qu’il voue toute sa vie à la pensée freudienne,
Breton manifeste à plusieurs reprises une certaine animosité à l’égard du père de la
psychanalyse. Pris dans le discours critique que les hommes du mouvement Dada nourrissent
envers le « mage Freudanalytikus », il se laisse aller à la caricature lorsqu’il rapporte son
entrevue de 1921 à Vienne. Portrait à charge, l’article qu’il publie dans Littérature montre à
quel point la figure freudienne pouvait être le support de fantasmes, générateurs en retour
d’agressivité98. Loin d’être peint en grand homme impressionnant, Freud y est décrit comme
« un petit vieillard sans allure qui reçoit dans son pauvre cabinet de médecin de quartier99 ».

Aux jeunes gens et aux esprits romanesques qui, parce que la mode est cet
hiver à la psycho-analyse, ont besoin de se figurer une des agences les plus
prospères du rastaquouèrisme moderne, le cabinet du Professeur Freud avec des
appareils à transformer les lapins en chapeaux et le déterminisme bleu pour tout
buvard, je ne suis pas fâché d’apprendre que le plus grand psychologue de ce
temps habite une maison de médiocre apparence dans un quartier perdu de
Vienne100…
Le commentaire témoigne d’un enthousiasme déçu, où l’élan suscité par un imaginaire exalté,
nourri d’exotisme et de toute-puissance, retombe sur le constat amère d’une existence banale.
L’effet de burlesque provoqué par ce portrait est doublement ravageur : non seulement le
psychanalyste passe pour un illusionniste de pacotille, mais l’identification est tout de suite
désamorcée au profit d’un morne désenchantement.

Alors que, littérairement, les membres du mouvement ont largement tiré parti des
méthodes de la psychanalyse, Freud, de son côté, reste assez indifférent aux applications
poétiques menées par ceux qu’il prend pour « des fous intégraux (disons à quatre-vingt-quinze
pour cent, comme pour l’alcool absolu101 ). » Il manifeste, face à eux, une réserve que d’aucuns,
à l’instar de Jean Starobinski102, identifient comme la défense d’un territoire qu’il estime réservé

98
On retrouve cette dimension dans Traité du style où Aragon peint Freud « fardé outrageusement, dans une
toilette suggestive, arpentant le bitume de la surprise, fai[san]t la retape des écrivains sur le retour. » (Traité du
style, op. cit, p. 144)
99
André Breton, « Interview du professeur Freud à Vienne », Littérature, nouvelle série, n° 1, 1er mars 1922, repris
dans Les Pas perdus, OC I, p. 255.
100
Idem.
101
Sigmund Freud, lettre à Zweig, 26 juillet 1937.
102
Jean Starobinski, « Freud, Breton, Myers », La Relation critique, Gallimard, 1970, p. 320-34 : « Les artistes,
rêveurs supérieurs, ne peuvent qu’éprouver et manifester avec force ce qu’il appartiendra à la science d’interpréter
dans son langage spécifique. »

152
à la seule rigueur scientifique103. Avec une fausse humilité flagrante, il répond ainsi à Breton ne
pas saisir le sens du geste surréaliste :

Bien que je reçoive tant de témoignages de l’intérêt que vous et vos amis
portez à mes recherches, moi-même je ne suis pas en état de me rendre clair ce
qu’est et ce que veut le surréalisme. Peut-être ne suis-je en rien fait pour le
comprendre, moi qui suis si éloigné de l’art. (VC, 213)
Lui qui s’essaye volontiers à la psychanalyse appliquée à l’art, par exemple dans Un souvenir
d’enfance de Léonard de Vinci 104, il refuse de rédiger la préface du numéro Trajectoire du rêve
que Breton prépare en 1937 :

Je regrette vivement qu’il ne me soit pas possible d’accomplir votre souhait


d’une contribution originale à votre collection de rêves. Il me faut tout d’abord
confesser que je n’ai plus rien de neuf à dire sur le rêve. Mais je vous prie en
outre de prendre connaissance de ceci : l’énoncé des rêves, ce que j’appelle le
rêve « manifeste », n’a pour moi aucun intérêt. Je me suis occupé à trouver le
« contenu de rêve latent », que l’on peut obtenir à partir du rêve manifeste par
l’interprétation psychanalytique. Une collection de rêves sans associations
jointes, sans connaissance des circonstances dans lesquelles on a rêvé, ne me
dit rien, et je ne puis guère me représenter ce qu’il peut dire à d’autres.
Il est compréhensible que les rêves manifestes fassent apparaître toute la
multiplicité de nos productions intellectuelles. Car, selon l’avis jamais dépassé
d’Aristote, rêver n’est rien d’autre que la continuation de notre penser dans
l’état de sommeil.
Je n’ai qu’à ajouter : modifié par les particularités psychologiques de cet
état105.
Cette défection, qui manifeste une incompréhension flagrante entre l’inventeur de la méthode
psychanalytique et le chef de file du surréalisme, témoigne d’un décalage profond de visée, peu
compatible avec le transfert espéré du champ thérapeutique au domaine artistique. Là où le
poète, sensible aux innovations esthétiques que le récit de rêve permet de mettre au jour, compte
sur la psychanalyse pour faire la démonstration d’une puissance suggestive remarquable, le
thérapeute, lui, semble balayer d’un revers de la main les qualités formelles de ces productions
originales pour porter toute son attention vers l’élucidation d’une construction sémantique
seconde.

103
« Plaçons-nous dans le cas où, en vos heures de loisir, vous prenez un roman, allemand, anglais ou américain,
dans lequel vous vous attendez à trouver une description des hommes et des situations d’aujourd’hui. Au bout de
quelques pages, vous vous heurtez à un premier énoncé sur la psychanalyse et bientôt après à un autre, même si le
contexte ne semble pas l’exiger… ce sont la plupart du temps des remarques railleuses, au moyen desquelles
l’auteur du roman veut faire état de ses lectures et de sa supériorité intellectuelle. Vous n’avez pas non plus toujours
l’impression qu’il connaît véritablement ce sur quoi il s’exprime. » Sigmund Freud, Nouvelles conférences
d’introduction à la psychanalyse, VIe conférence, « Éclaircissements, applications, orientations », trad. Anne
Berman, Gallimard, coll. « Idées », 1978, p. 179.
104
Sigmund Freud, Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci (1910), trad. J. Altounian, A. et O. Bourguignon,
préf. de J.-B. Pontalis, Gallimard, coll. « Connaissance de l’inconscient », 1997.
105
Sigmund Freud, lettre à André Breton du 8 décembre 1937, cité dans Freud et la création littéraire, textes
choisis par Pierre Cotet et François Robert, PUF, coll. « Quadrige », 2010, p. 185-186.

153
L’incompréhension est réciproque et, venant des contemporains de Breton, les discours
de réserve sont nombreux. « La psychanalyse est une maladie dangereuse, endort les penchants
anti-réels de l’homme et systématise la bourgeoisie », écrit Tzara dans son Manifeste de 1918.
À sa suite, les critiques s’expriment, et l’accusation pansexualiste, topos des discours anti-
freudiens, figure en tête des arguments. « Pour comprendre Freud, chaussez des testicules en
guise de lunettes106 », recommande Émile Malespine dans Manomètre, tandis que la Révolution
surréaliste appelle aux récits de rêves. On craint les interprétations figées et les discours
plaqués.
Aussi les « Freudomanes107 », comme les appelle Valéry, sont-ils bien souvent
caricaturés. En témoigne l’introduction du Disque vert consacré au rêve dans laquelle le
discours psychanalytique est tout de suite mis à distance dans une parodie d’interprétation.
« L’écrivain qui publie ses rêves s’expose à certains inconvénients », ironise le texte avant de
donner voix à trois discours de glose qui se veulent tous plus arbitraires qu’absurdes les uns
que les autres. Au malheureux rêveur qui a pris le risque de lever le voile sur l’un de ses
fantasmes oniriques, un premier répondant prédit une mort prématurée à 37 ans, un autre une
faillite imminente, et un troisième se targue de lui dévoiler « la nature exacte des rapports qui
depuis [son] enfance ont existé entre [lui] et [sa] nourrice ». L’interprétation psychanalytique
est ainsi moquée, présentée comme réductrice et potentiellement dangereuse au regard de la
richesse de sens que peut recouvrir un texte littéraire.

C’est à peu près l’appréhension d’accidents de cette sorte qui a fait que si
beaucoup d’artistes depuis notre enquête ont écrit leurs rêves, très peu ont osé
nous les envoyer. C’est regrettable.
L’homme n’aime pas se mettre en chemise, et au balcon108.
L’idée d’un dévoilement d’une part intime de l’individu ou d’une pénétration de ses secrets de
création par un lecteur psychanalyste qui lirait la personne à travers son texte, si elle est ici
raillée, n’en est pas moins esquissée. Qui se risquerait à laisser la psychanalyse lire entre ses
lignes s’exposerait à une mise à nu bien involontaire.
Pour bien des auteurs, la Traumdeutung passe ainsi pour une clé des songes moderne,
dont les équivalences seraient figées et systématiques. René Crevel, qui effectue pourtant une

106
Émile Malespine, « Côté doublure », Manomètre, n° 5, février 1924, p. 77.
107
Paul Valéry, « Rêve », Cahiers, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », t. II, 1974, p. 159.
108
Le Disque vert, 3e année, 4e série, « Des rêves », Paris-Bruxelles, 1925, p. 14.

154
cure sur le divan de René Allendy, porte sur cette pratique un regard souvent ironique, sinon
critique, qui n’est pourtant pas non plus dénué d’une certaine fascination109.

On l’a parfois comparée [la psychanalyse] à la clef des songes, pour moi, je
serais plutôt tenté de la croire pince-monseigneur, capable d’ouvrir toutes les
portes ; mais tel est le besoin de se contredire soi-même, qu’il me semble déjà
ne lui reconnaître une puissance si générale que pour en mieux douter ; je me
rappelle, en effet, que les sectes les plus archaïques, les religions les plus
improbables ont toujours cru entrer partout de plain-pied.
Freud, suis-je donc bien en état de grâce psychanalytique ? Souvent, j’en
veux à votre dogme, car une voix me parle qui n’est ni de la raison ni du cœur :
une conviction quasi physique m’engage à douter de toute intelligence et même
de la vôtre, à penser que toute méthode d’investigation ne saurait donner de
résultats que de provisoires et très relatifs ; si l’homme en effet, parvenait à
s’expliquer un jour soi-même à soi-même, il ne serait plus capable d’aucun
sentiment, d’aucun désir. […]
Psychanalyse, alchimie nouvelle, mais qui répugne aux décors des alambics
– et des cornues. Freud désigne, revêtant les murs, le plafond, le plancher d’une
pièce parfaitement carrée, les miroirs qui précisent ce dont si longtemps
l’existence demeura insoupçonnée. Telle quelle, sa pièce d’alchimiste me tente
et m’effraie110.
C’est en quelque sorte le risque d’omniscience d’une nouvelle science qui serait capable de
percer à jour celui qu’elle se donne pour sujet, de faire céder tous les cadenas et de le mettre à
« plus que nu111 » que redoute Crevel. On sent là poindre le fantasme de toute-puissance prêtée
à une pratique encore mal saisie, entre alchimie divinatoire et rigueur positiviste. L’échec des
psychologues à comprendre l’esprit viendrait en effet, selon Crevel, de la volonté d’appliquer
à la psyché des méthodes d’exploration impropres, construites pour d’autres objets.

Les géologues ne doutent de rien et trouvent la vie toute simple car du globe
dont ils s’occupent, ils ont réussi à faire une petite boule de mosaïques
apprivoisées et démontables. Ils coupent la terre en deux et après cette opération
nous offrent un moka idéal et saugrenu d’ères successives. Et le tour est joué,
le tour d’ailleurs a semblé si facile que nos psychologues durant des siècles s’y
sont essayés. Peine perdue. Les éléments demeurent en fusion. La tranche de
vie est un lambeau de brouillard tristement sanglant et il nous faut encore
compter avec les douloureuses surprises du rêve112.
Le rêve offre alors à l’écrivain un parfait exemple de cette application aveugle, qui ne
prend pas en compte la singularité du sujet. Dans « À l’heure où l’écriture se dénoue », il raille

109
Sur ce sujet, voir les articles de Michel Carassou, « Crevel sur le divan », dans Mélusine, « Le surréaliste et son
psy », n° 13, 1992, p. 89-98 et de Jean-Michel Devesa, « Crevel : révolte poétique et psychanalyse », dans
Mélusine, « Le surréaliste et son psy », n° 13, 1992, p. 99-109.
110
René Crevel, « Freud, de l’alchimiste à l’hygiéniste », Le Disque vert, deuxième année, troisième série, numéro
spécial « Freud », 1924, p. 88-90.
111
Ibid, p. 92.
112
René Crevel, « Je ne sais pas découper », La Révolution surréaliste, chronique « Le sommeil », n° 2, 15 janvier
1925, p. 25-26.

155
un dialogue entre un analyste et son patient dans lequel un rêve de fuite d’eau est
immédiatement rattaché par l’analyste à la petite enfance de son patient.

L’idée la plus neuve, le succès, la vogue la métamorphosent en idée toute


faite.
Ex : Je rencontre un psychanalyste.
Il m’interroge : De quoi avez-vous rêvé la nuit dernière ?
Moi : J’ai rêvé d’une fuite d’eau.
Lui : Savez-vous pourquoi ?
Moi : J’avais loué un appartement. La première nuit que j’y ai couché, par
suite de la rupture d’un tuyau de gouttière, j’ai été inondé dans mon lit. Comme
je venais de passer plusieurs mois à la campagne, pour ma santé, j’ai gardé de
cet accident une impression doublement désagréable. Et voilà pourquoi, depuis
lors, je rêve de fuite.
Lui : Erreur. Vous rêvez de fuite, parce que vous faisiez pipi au lit quand
vous étiez enfant…
Et de me développer les propositions de son pansexualisme. Impérialisme
qui ressemble à tous les autres.
Je laisse le bonhomme parler.
Et je pense :
Si carpettes et moquettes, ces sœurs de laine à prénoms de manucures, ne se
troublent en rien tant que des baisers du Vacuum Cleaner, et doivent en rêver,
comme au siècle dernier, de Jack l’Éventreur les transparentes et laiteuses
petites putains des bords de la Tamise, toi, homme, attends l’heure où l’écriture
enfin se dénoue, et, abattue la barrière des mots, ferme les yeux, flotte sur le
silence, non moins léger que si un mystérieux appareil à nettoyer le tapis avait,
de ses poussières, remords et souvenirs, à jamais libéré ton vieux tapis de
conscience113.
Comme dans Êtes-vous fous ? 114
, Crevel moque l’application sourde d’une théorie
psychanalytique dont il remet en cause l’efficacité thérapeutique. L’échange tourne à vide et
l’interprétation fait rapidement place à l’invention, chez le psychanalyste comme chez
l’analysant. Le premier contraint l’autre à un discours tout prêt et mensonger, qui nie sa réalité
singulière pour lui imposer une histoire commune et triviale. Le second s’évade de ce discours
crispé par la création d’un imaginaire burlesque où les éléments ménagers prennent les rôles de
ce qui s’apparente à une saynète de la vie domestique. L’absence d’écoute de l’analyste

113
René Crevel, « À l’heure où l’écriture se dénoue », Variétés, n° spécial « Le Surréalisme en 1929 », juin 1929.
114
René Crevel, Êtes-vous fous ? (1929), Gallimard, coll. « L’Imaginaire », 1991. Voir en particulier l’épisode de
la visite de Vagualame chez le psychanalyste, p. 116 sqq. « Vous pouvez y aller de votre symbole phallique, mais
comme tout, à se diffuser, devient confus, panthéisme, par exemple, ne faisant plus qu’un, au bout du compte,
avec athéisme, ainsi l’interprétation pansexuelle des créatures les met toutes dans le même sac, puéril uniforme
très ajusté, en peau de couille, qui écrase le sexe de l’homme, tandis que celui de la femme est cousu à petits points
du fil même qui tient assemblées les pièces du costume. À la fin des fins cette matière apparaît aussi peu érotique,
aussi peu érogène, aussi peu érophile, et certes moins subtile de veine et de grain que le marbre d’où la
IIIe République a fait jaillir les statues de ses squares. / Or, Docteur, je vous le demande, l’esprit révolutionnaire,
la force libératrice d’une science que vous prétendez servir, mais dont, en réalité, vous vous servez, en quelle
infecte boulette vont la métamorphoser vos mains, dont l’une est paresse et l’autre imbécillité ? Et pourquoi faut-
il que, la très haute parole, un nain prétende s’en saisir, se croie plus grand qu’elle ? / – Monsieur, interrompit le
médecin, une science ne vaut que par qui l’applique. Si donc vous blâmez ma manière, continuez à vous passer de
la psychanalyse. Empêtrez-vous dans vos complexes jusqu’au jour où… » (p. 119-120)

156
déclenche ainsi en réaction chez son interlocuteur une période où la fantaisie et l’humour
réduisent le discours interprétatif au rang de déchet de la pensée.

Finalement, que reste-il du rêve freudien une fois passé au bain du surréalisme ? En
dépit des déclarations de reconnaissance, le mouvement littéraire reste assez peu fidèle aux
ambitions du psychanalyste. Breton a beau répéter, dans le Second Manifeste, l’estime profonde
qu’il lui porte – « Certes le surréalisme […] n’entend pas faire bon marché de la critique
freudienne des idées : tout au contraire, il tient cette critique pour la première et pour la seule
vraiment fondée115. » –, l’emploi qu’il en fait ne cesse de trahir et de tordre la théorie. Le
surréalisme emprunte beaucoup à la pensée de Freud, « cet enseignement, tout erroné qu’il fût
sous bien des rapports, [qui] devait, en favorisant certains sondages de l’âme humaine,
inévitablement dévoiler la couche souterraine où l’art plonge ses racines116 ». Le texte freudien
s’offre comme caution scientifique117 qui autorise, par le lâcher-prise et le principe de
l’association d’idées, l’audace de nouvelles procédures d’écriture et d’un nouveau langage.
« Voie royale qui mène à l’inconscient » pour Freud, le rêve se donne, pour les surréalistes
aussi, comme la clef d’une nouvelle voie,

une voie qu’avaient rendue particulièrement attrayante la mise en


application de certains procédés d’investigation psychanalytique, voie qui, au
e
XX siècle, dans les années qui ont suivi la guerre, devait nécessairement passer
par le petit groupe de poètes que nous formions et qui, lorsque nous avons
commencé à la suivre, nous est apparue bruissante à l’infini derrière et devant
nous118.
Comme le remarque Michel Murat, le surréalisme emprunte à un certain nombre de
concepts, procédures et images sans toutefois en reprendre la finalité : ni l’origine infantile des
complexes, ni le principe de la cure ne sont conservés119. Les surréalistes sont en fait fascinés

115
André Breton, Second manifeste, OC II, p. 808.
116
André Breton, Entretiens avec André Parinaud, OC III, p. 634.
117
Dans « Position politique de l’art d’aujourd’hui » (1935), Breton s’en réfère encore à Freud, « spécialiste dont
l’autorité peut passer pour la moins récusable en cette matière », pour faire de la poésie le produit de l’inconscient.
« Or, ces représentations verbales, que Freud nous donne pour des “traces mnésiques provenant principalement
des perceptions acoustiques”, sont précisément ce qui constitue la matière première de la poésie. “La vieillerie
poétique, confia Rimbaud, avait une grande part dans mon alchimie du verbe.” En particulier, tout l’effort du
surréalisme, depuis quinze ans, a consisté à obtenir du poétique la révélation instantanée de ces traces verbales
dont les charges psychiques sont propageables aux éléments du système perception-conscience (comme à obtenir
du peintre la projection aussi rapide que possible des gestes mnémiques d’ordre optique). Je ne me lasserai pas de
répéter que l’automatisme seul est dispensateur des éléments sur lesquels le travail secondaire d’amalgame
émotionnel et de passage de l’inconscient au préconscient peut valablement s’exercer. » André Breton, Position
politique du surréalisme, OC II, op. cit., p. 435-436.
118
André Breton, « Le message automatique », Point du jour, OC II, p. 386-387.
119
« De Freud, il [Breton] retient l’anthropologie, c’est à dire la conception globale de l’inconscient humain et de
sa structure, le rôle du désir et de la censure, le caractère primordial de la sexualité. Mais il n’en adopte pas
l’épistémologie, et par conséquent la conception de l’analyse : l’automatisme surréaliste n’est pas une

157
par la notion de désir120, et retiennent de la psychanalyse qu’elle en serait une méthode de
dévoilement et de mise en œuvre. Le rêve, pour eux, est un pur concentré libidinal et son
interprétation, grâce aux méthodes freudiennes, une opération de libération et une promesse de
concrétisation121. Là réside la méprise : alors que la psychanalyse cherche à formuler ce désir
dans le champ du symbolique pour le sublimer et ainsi s’en défaire, le surréalisme, lui, voudrait
le faire passer dans le réel pour le transmuer en action122. Aussi faut-il concéder, avec Jean-
Bertrand Pontalis, que, si le rêve surréaliste est bien inspiré du freudisme, il en est un double
dévoyé.

Le rêve n’est donc pas pour Freud un autre monde qui, dans son
foisonnement de représentations, viendrait doubler et enrichir celui-ci, par trop
désolé. Il n’est surréalité ni sous-réalité, ni fantôme vague, ni visitation de
l’Esprit (le rêve n’est pas le songe). Il est lui-même produit d’un travail, et c’est
ce travail seul qui retient l’attention de Freud. « On a longtemps confondu les
rêves avec le contenu manifeste. N’allons pas maintenant le confondre avec un
mystérieux inconscient. », écrit-il à l’intention de Jung mais cela aurait pu être
une mise en garde adressée au futur auteur d’Arcane 17. Non décidément,
Freud et Breton n’ont pas partagé le même rêve123.

herméneutique, mais un procédé de collecte de discours et d’images issues de l’inconscient. Il n’en adopte pas non
plus le principe de la cure, qui est destiné à adapter le patient à la vie normale. Bref, le surréalisme procède de la
santé freudienne mais il se situe en dehors de la psychanalyse. » Michel Murat, Le Surréalisme, Le Livre de poche,
coll. « Références Inédits », 2013, p. 65.
120
Le Grand Dictionnaire Universel du XIXe siècle de Larousse donne pour définition de désir « Acte de l’âme qui
aspire à la réalisation ou à la possession d’une chose. Particulièrement, appétit des sens qui pousse les sexes l’un
vers l’autre ». Il précise plus loin dans une section philosophique : « Le désir est une inclination de l’âme vers un
but déterminé. Il est difficile d’en fournir une analyse exacte. » Dans la théorie freudienne, le mot a une acception
sensiblement différente : le nom « désir » traduit l’allemand Wunsch, nom qui ne possède par le sème de
[concupiscence], présente en revanche dans Lust ou Begierde. Le terme ne doit pas être confondu avec « besoin »,
qui trouve sa satisfaction dans le réel en réponse à un manque précis et conscient. Le désir, lui, correspond à une
« poussée psychique visant à obtenir une satisfaction refoulée dont la trace est inconsciemment fixée ».
Inconscient, il trouve l’origine de sa construction dans la période infantile. Employé au singulier, le désir du sujet
désigne le projet inconscient que chacun nourrit au plus profond de lui-même et qui unifie les poussées psychiques.
A ce sujet, voir Gérard Bonnet, article « désir », Dictionnaire Freud, Sarah Contou-Terquem (dir.), Robert Laffont,
coll. « Bouquins », p. 244-247 et Jean Laplanche et Jean-Bertrand Pontalis, « désir », Vocabulaire de
psychanalyse, PUF, coll. « Quadrige », 1997, p. 120-122. Voir aussi Solal Rabinovitch, « Le Wunsch dans le délire
onirique », Journal français de psychiatrie, vol. 22, no 2, 2004, p. 22-26.
121
« Le rêve est accomplissement de désir, oui. Et tout l’effort de Breton et de ses amis a été de généraliser la
formule, de ne pas laisser au rêve, comme produit du sommeil, ce monopole de faire passer la nuit dans le jour, de
susciter un merveilleux du quotidien où se rejoignent l’homme couché et l’homme debout, l’homme qui dort et
l’homme qui veille. » (Jean-Bertrand Pontalis, « Des vases non communicants, art cit., p. 147)
122
« L’un et l’autre reconnaissent la puissance du désir, mais le premier vise sa sublimation, le second sa
réalisation. » Henri Béhar et Michel Carassou, Le Surréalisme par les textes, Classiques Garnier,
coll. « Dictionnaires et synthèses », 2013, p. 126. « Une psychanalyse vise toujours à faciliter l’émergence des
désirs, leur unification progressive autour de tel ou tel idéal qui leur sert de vecteur principal, et leur investissement
dans la réalité grâce à la sublimation. C’est un travail qui laisse toujours plus ou moins insatisfait, mais il ouvre le
sujet au surgissement des forces les plus actives qui sont en lui. L’analyse des rêves demeure le lieu par excellence
de son repérage et de son analyse, mais c’est dans la vie ordinaire qu’il trouve sa place. » Gérard Bonnet, « désir »,
Dictionnaire Freud, Sarah Contou-Terquem (dir.), Robert Laffont, coll. « Bouquins », p. 247.
123
Jean-Bertrand Pontalis, « Des vases non communicants », art. cit., p. 144.

158
Les surréalistes font du rêve un espace, non pas interne comme l’avait envisagé la
psychologie des profondeurs, mais externe et, de ce fait, à conquérir. Ils sont en réalité à
l’origine d’une topique sensiblement différente de celles élaborées par Freud. Dans la leur, il
ne s’agirait plus de cartographier la psyché pour accroître la connaissance de soi, mais de faire
advenir, à partir d’elle, un monde nouveau, par projection des désirs. Du rêve doit naître la
révolution.

Symbolisme et pansexualisme, les cauchemars de l’écrivain


Comme Théodule Ribot124, Pierre Janet125 ou Yves Delage126dans le cercle des hommes
de science, les écrivains concentrent leurs critiques de l’appareil interprétatif freudien sur deux
points : le pansexualisme et l’universalité des symboles. Ils font référence à la théorie
freudienne pour mieux en pointer les limites, les failles ou les abus, et s’en distancier. Michaux,
dans Affrontements, parle de la psychanalyse comme d’un « traquenard pour appliqués127 » et,
dans Façons d’endormi, façons d’éveillé, écrit sa méfiance à l’égard des symboles canoniques
: « Toujours suspects pour moi, les grands symboles, comme les idées toutes faites, comme les
principes, les généralités évidentes (!) vers quoi dès l’enfance on vous a conduit. […] Dire
symbole, c’est s’illusionner. » (FEFE, 489) Il ne s’agit pas tant de s’opposer à Freud en
particulier que de tourner en ridicule une lecture à clé des rêves, systématique et mécanique,
qui ne prendrait pas en compte la singularité du sujet.
Sans adopter un ton aussi méprisant, Yourcenar, elle aussi, note sur ses carnets que « le
freudisme a trop cru à l’inamovibilité et à l’unité du symbole » (SS, 1619) et regrette les
interprétations de Freud qui lui paraissent « toujours erronées » (SS, 1534). Si elle ne se livre
que très peu à l’interprétation de ses rêves, donnés au lecteur comme des tableaux sans aucune

124
Théodule Ribot, « La pensée symbolique », Revue philosophique, 1915, p. 385-401. « En ces dernières années,
les psycho-analystes ont repris la question du symbole sous une forme nouvelle, et en s’appuyant surtout sur la
pathologie. On sait qu’ils ont une tendance malheureuse à généraliser jusqu’à l’extravagance. Ils soutiennent une
théorie du pansexualisme qui explique toute l’activité humaine par la libido. Une théorie du panpsychisme
conscient ou inconscient, surtout affectif ; enfin, mais sous une forme moins radicale, la théorie de la symbolisation
universelle. »
125
L’aliéniste français fait part de ses réserves quant à la psychanalyse freudienne dans la conférence qu’il donne
à Londres en août 1913. Pierre Janet, « La Psycho-analyse », Journal de psychologie normale et pathologique,
vol. 11, 1914, p. 1-36 et p. 97-130.
126
« Voilà à quoi se réduit le prétendu symbolisme onirique : aussi je considère comme parfaitement inexact tout
ce symbolisme fixe, auquel Freud et son école voudraient nous faire croire et qui ne mérite guère plus de confiance
que les Clefs des songes qui s’adressent aux gens de la plus basse condition intellectuelle. » Yves Delage, « La
psycho-analyse. Le système de Freud et de son école », Bulletin de l’institut général psychologique, 1916, p. 94.
Il qualifie ailleurs la notion freudienne de sexualité d’« obsession d’un cerveau atteint d’érotomanie ». Yves
Delage, « La théorie du rêve de Freud », Bulletin de l’Institut de psychologie, 1915, p. 117-135. Voir aussi « Une
psychose nouvelle : la psychanalyse », Mercure de France, 1916, p. 27-41.
127
Henri Michaux, Une voie pour l’insubordination, in Affrontements, Paris, Gallimard, 1986, p. 231.

159
glose, le paratexte des Songes et des sorts, en revanche, fait largement mention de Freud. Ainsi,
Yourcenar anticipe, dans la préface de son essai, une lecture freudienne de ses rêves, pour
aussitôt la mettre à distance.

Dans les pages qui vont suivre, le disciple de Freud rencontrera presque à
chaque ligne des images aisées à traduire selon son système de symboles, trop
aisées peut-être. Si ces textes servent à la confirmer dans ses théories, je ne
m’en plaindrai pas, mais ce n’est pas dans ce dessein que je les ai réunis, non
plus que dans le dessein contraire. (SS, 1538)
À de multiples reprises, les interprétations freudiennes – qui « nous contente[nt] sans
nous combler tout à fait » (SS, 1539) – sont mises en concurrence avec d’autres types
d’interprétations, souvent inspirées des cultures antiques. Cherchant toujours à ouvrir l’éventail
des signifiés, elle s’attache, dans ses notes personnelles, à sortir le rêve d’un monologisme
freudien et à relever plusieurs lectures symboliques d’un même élément. Aucune n’est écartée
ni dégradée ; elle souligne plusieurs fois que les différentes interprétations ne sont pas
forcément exclusives les unes des autres, que c’est la pluralité des significations qui l’intéresse.
Elle note ainsi, au sujet du chat :

On peut penser au chat, symbole de la nuit, sans penser au chat symbole de


l’organe féminin et plus particulièrement du pelage de celui-ci. Le félin peut
devenir aussi symbole de souplesse, de confort domestique, de méchanceté, de
férocité. Le symbole jouera différemment si le rêveur est amateur de bêtes ou
les méprise, collectionne les chats abandonnés ou élève des oiseaux.
L’auteur remarque encore, sur le serpent : « Que le serpent soit susceptible d’être un symbole
phallique, nul n’en doute, comme aussi de symbole de vigilance, de sagesse, de contact divin
avec la terre mère, par sa reptation, d’éternité, par ses anneaux. » (SS, 1619) L’auteure parvient
à échapper à ces antagonismes en mettant au jour le dénominateur commun à toutes ces
tentatives herméneutiques :

Quelque théorie qu’on choisisse, on aboutit toujours à constater


l’importance d’un système d’images qui, s’il ne présage peut-être pas de
l’avenir du dormeur, révèle en tout cas son présent et son passé, et c’est
d’ailleurs dans la mesure où il avoue ce présent qu’il risque le plus de prédire
cet avenir. (SS, 1539)
En revenir aux images comme monades du rêve est aussi une manière de réintégrer de
façon pleinement légitime cet objet dans le champ de compétence des poètes : « Le freudisme
n’a pas assez vu dans le symbole son élément de métaphore, de pur jeu esthétique. Il tend à lui
attribuer une intensité obsessionnelle qu’il n’a pas toujours. » (SS, 1619)
C’est peut-être sous la plume de Michaux, cependant, que l’on peut lire les analyses les
plus développées. S’il concède, dans Les Rêves et la jambe, que « Le rêve est la réalisation

160
déguisée d’un désir réprimé128 » et admet que « les rêves sont des représentations sexuelles
symboliques129 », il lance aussi, à la fin de « Réflexions qui ne sont pas étrangères à Freud »,
comme dans un geste de bravade : « Freud n’a vu qu’une petite partie. J’espère démontrer
l’autre partie, la grosse partie, dans mon prochain ouvrage : Rêves, jeux, littérature et folie130. »
Avec lui, la psychanalyse perd de son aura révolutionnaire et paraît presque anodine, à la portée
du premier rêveur venu :

Les sciences, par ce qu’elles exigent des appareils et des connaissances


encyclopédiques, restent loin du public. La psychanalyse au rebours est
populaire, car sans appareils ni bagage scientifique, vous et moi, tout le monde,
nous pouvons faire de la psychanalyse, et nous en avons fait, comme
M. Jourdain faisait de la prose131.
Fort du recul temporel permis par la publication plus tardive de Façons d’endormi,
façons d’éveillé, le poète adopte un regard plus réflexif et prend de la hauteur par rapport aux
polémiques qui ont accompagné les interprétations sexuelles fournies par la psychanalyse.

Lorsque le docteur Sigmund Freud fit connaître combien souvent le rêveur,


par des images de choses communes et quelconques, montrait des
préoccupations sexuelles (en fait comme un crayon ou un marteau peut venir à
la place d’un sexe, le sexuel même peut venir à la place d’un sentiment ou en
être la traduction, traduction simplifiée avec la faiblesse et le rétrécissement des
traductions), quand donc Sigmund Freud étala ses éclaircissements, ce fut de
par le monde une vraie rage.
Ce qui pourtant scandalisa le plus n’était pas tant l’avilissement de l’homme,
qu’on sait capable de tout, mais la grossièreté du rêveur, assez générale, et dans
la tête de l’Occidental de l’époque des manufactures, particulièrement
prosaïque et dépourvue de poésie. (FEFE, 506-507)
En pointant cette révélation d’un inconscient « dépourvu de poésie », Michaux met l’accent sur
un point essentiel pour comprendre la réticence avec laquelle les écrivains ont pu lire les
symboles, toujours sexuels132, de Freud. C’est que le rêve et le récit de rêve – surtout lorsque
ce dernier est pris en charge par des littérateurs – ne programment ni la même réception, ni la
même lecture, ni la même interprétation. Il y aurait finalement un conflit de représentations
entre, d’une part, le rêve réel – volontiers prosaïque – et d’autre part, le thème onirique tel que

128
Henri Michaux, Les Rêves et la jambe, in Œuvres complètes, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la
Pléiade », t. I, p. 22.
129
Ibid., p. 23.
130
Henri Michaux, « Réflexions qui ne sont pas étrangères à Freud », in Œuvres complètes, Paris, Gallimard,
coll. « Bibliothèque de la Pléiade », t. I, p. 50.
131
Henri Michaux, Réflexions qui ne sont pas étrangères à Freud, OC I, op. cit., p. 48-50.
132
« La plupart des symboles du rêve servent à figurer des personnes, des parties du corps et des activités marquées
d’un intérêt érotique ; les parties génitales, en particulier, peuvent être figurées par un grand nombre de symboles
souvent très surprenants, et les objets les plus divers se trouvent utilisés pour les désigner symboliquement. »
Sigmund Freud, Sur le rêve [1901], trad. Cornélius Heim, Paris, Gallimard, coll. « folio plus philosophie », 2006,
p. 70.

161
peut le travailler la production poétique – de laquelle on semble attendre une visée plus élevée.
Deux lectures entrent ainsi en concurrence : l’interprétation (psychanalytique) du rêve, qui
participe à reconnaître une certaine bassesse corporelle de l’homme, surpris dans ses désirs les
moins avouables, et la lecture du récit de rêve, qui, parce qu’il demeure objet poétique avant
d’être document humain, laisse escompter un niveau supérieur de sens, un supplément d’âme.
L’ambition du poète, en utilisant la matière du rêve à des fins littéraires, serait de réinsuffler de
la poésie non pas dans le rêve mais dans sa lecture.

162
2.3.3. FAIRE « AUTRE
CHOSE QUE DU FREUD133 » : CARICATURE,
DÉTOURNEMENT ET SUBVERSION

Comment peut-on ? La crainte d’une psychanalyse appliquée à la


littérature
Au-delà du débat sur la pertinence d’une théorie, qui ramènerait toute invention au
sexuel, ou sur l’efficacité de la méthode qui, craint-on, réduirait les singularités à un modèle
unique de complexes, c’est au fond l’idée d’une application de la psychanalyse à la littérature
qui divise. Ivan Goll, dès 1924, s’alarme :

Ils affirment la « toute-puissance du rêve » et font de Freud une nouvelle


muse. Que le docteur Freud se serve du rêve pour guérir des troubles trop
terrestres, fort bien ! Mais de là à faire de sa doctrine une application dans le
monde poétique, n’est-ce pas confondre art et psychiatrie ?
Leur « mécanisme psychique basé sur le rêve et le jeu désintéressé de la
pensée » ne sera jamais assez puissant pour ruiner notre organisme physique
qui nous enseigne que la réalité a toujours raison, que la vie est plus vraie que
la pensée134.
L’usage des guillemets, qui mettent en valeur la doxa surréaliste pour mieux la mettre à
distance, est révélateur d’une confusion des discours littéraire et psychanalytique dont Goll
redoute la tyrannie. Il craint une fermeture de la suggestion poétique sous la pression d’une
lecture trop analytique. Traquant le pathologique, celle-ci traiterait le texte onirique comme un
symptôme, nécessairement significatif de quelque désordre. En revendiquant la filiation
freudienne, en choisissant, comme le fait la psychanalyse, le rêve comme origine et voie d’accès
à une nouvelle conception de la création poétique, et en prônant l’authenticité de leurs
transcriptions, les surréalistes courent le risque de dissoudre la valeur littéraire de leurs
productions. Cette analogie de genèse et de méthode entre surréalisme et psychanalyse
compromet finalement la nature et l’exploitation de leurs réalisations135.
La défiance de Goll n’est pas infondée. Après les tentatives de Freud lui-même136,
Breton nous fournit, dans Les Vases communicants, un bel exemple de psychanalyse appliquée

133
« et au réveil, je pense à mes innombrables heures et notes sur le Rêve — de quoi je ne ferai rien — Et pourtant…
Il me semble que ces essais sans nombre — c’était autre chose que du “Freud”. » (1932), Paul Valéry, Cahiers,
op. cit., vol. 2, p. 151.
134
Ivan Goll, Surréalisme, octobre 1924, repris dans Œuvres, I, Émile-Paul, 1968, p. 88.
135
Voir Guy Rosolato, Encrages psychiques et psychanalytiques du surréalisme, éd. Jacqueline Chénieux-
Gendron, Honoré Champion, coll. « Poétiques et esthétiques XX-XXIe siècles », 2016.
136
L’art et la littérature sont pour Freud à la fois fournisseurs d’exemples ou de cas à partir desquels il peut étayer
ou vérifier sa théorie, et inspirateurs de modèles qui lui permettent de faire naître de nouveaux concepts. Entre
autres, on peut citer Le Délire et les rêves dans la Gradiva de Jensen (1907) et Un souvenir d’enfance de Léonard
de Vinci (1910), mais aussi des articles comme « Le poète et l’activité de fantaisie » (1908), « Le choix des
coffrets » (1913) (sur Shakespeare), « Un souvenir d’enfance de “Poésie et Vérité” » (1917) (sur Goethe),
« L’Inquiétante étrangeté » (1919) (sur Hoffman). Voir supra, chap. 3.

163
à l’art. Au sujet de l’« enveloppe silence137 », il se demande si « pour indifférente et toute
capricieuse qu’elle se donne, [elle] ne dissimule pas certaines préoccupations foncières, ne
témoigne pas, en d’autres termes, d’une activité psychique moins désintéressée. » (VC, 140-41)
Sa justification fait apparaître on ne peut plus clairement l’analogie qu’il pose entre création
poétique et rêve :

Il me paraît, en effet, démontré que le contenu manifeste d’une création


poétique, tout comme d’un rêve, ne doit pas nous faire augurer de son contenu
latent, tel rêve innocent ou gracieux […] pouvant nécessiter, à l’analyse, toute
sorte de gloses moins séduisantes, alors que tel rêve d’aspect « choquant » […]
est susceptible d’une interprétation qui n’exclut pas toute élégance. (VC, 141)
Sur le modèle de l’interprétation onirique, si révélatrice des mécanismes psychiques, les œuvres
d’art « innocentes » en apparence recèleraient, elles aussi, des mystères dont une analyse menée
avec soin et méthode pourrait venir à bout.
Cette compréhension de l’œuvre d’art comme lieu d’expression et d’étude de
l’inconscient ne résiste toutefois pas longtemps à la diffusion massive des discours
psychanalytiques et au détournement qu’artistes et littérateurs ne tardent pas à en faire. Comme
les « malades au parfum138 » qui, connaissant par avance la théorie freudienne et les principes
de la symbolique des rêves, ne parviennent plus à rêver naïvement et produisent des rêves de
complaisance, écrivains et artistes se mettent, eux aussi, à reprendre les éléments les plus
diffusés de ce discours de savoir. On surprend ainsi Breton, qui vantait dans les années 1920 et
1930 la puissance de l’art comme nouvelle voie d’exploration des profondeurs intérieures, à
brocarder, vingt ans plus tard, le Dr Held139, psychiatre qui avait osé émettre quelques
hypothèses à partir des œuvres plastiques de membres du groupe.

Encore une fois, la psychanalyse n’avait plus de secret pour les peintres et
les poètes surréalistes dès leur départ, de sorte qu’à mainte occasion, ils ont
joué consciemment de la symbolique sexuelle qui s’y rattache. Ceci suffirait à

137
Voici la description que donne Breton de l’objet : « une enveloppe vide, blanche ou très claire, sans adresse,
fermée et cachetée de rouge, le cachet rond sans gravure particulière, pouvant fort bien être un cachet avant la
gravure, les bords piqués de cils, portant une anse latérale pouvant servir à la tenir. » (VC, 140) Voir également le
dessin reproduit sous le titre « L’objet fantôme » dans Le SASDLR, n° 3, décembre 1931, p. 20-22.
138
« La lecture de L’Interprétation du rêve de Freud avait initié un processus qui modifiait les rêves des lecteurs :
les pensées du rêve s’en trouvaient encore plus déformées et la censure psychique renforcée. Les publications
concernant l’interprétation du rêve produisaient inévitablement un effet de feed-back épistémique, qui non
seulement privait le médecin de son matériel le plus significatif, mais compliquait aussi le déroulement de la cure.
Dès lors qu’on maintenait qu’il existe des rêves permettant un accès plus direct aux pensées latentes, de sorte que
leur contenu manifeste a plus de valeur que leur dans d’autres, la diffusion publique de la psychanalyse par les
livres devenait un problème pour la pratique analytique et l’entrainait dans des apories insurmontables. Aux
malades imaginaires succédèrent les malades au parfum. » Lydia Marinelli et Andreas Mayer, Rêver avec Freud.
L’histoire collective de L’Interprétation du rêve, Aubier, coll. « Psychanalyse », 2009, p. 71.
139
Nous reprenons ici l’identification du Dr René R. Held, proposée par Marguerite Bonnet dans les notes de
l’édition de la Pléiade. OC III, n. 1, p. 1332. Voir également René Held, L’Œil du psychanalyste. Surréalisme et
surréalité, Payot, 1973.

164
couvrir de ridicule l’entreprise de ce psychiatre qui, récemment, dans des
conférences publiques à la Sorbonne, prétendait remettre les œuvres de Max
Ernst, de Dali, de Brauner aux mêmes investigations, et porter sur leurs auteurs
les mêmes conclusions, que s’ils n’eussent jamais entendu parler de Freud avant
de les exécuter140.
Le thème onirique devient en effet rapidement l’occasion pour les écrivains et les artistes
de se laisser aller à l’expression de leurs fantasmes, comme Dali dans sa « Rêverie141 ». En art,
des artistes comme Max Ernst (Rêve de la petite fille qui voulut entrer au carmel, 1930) ou
Jindrich Štyrský (Émilie vient me voir en rêve, 1933) réalisent des collages érotiques dont les
scénarios s’inspirent des discours sur la sexualité infantile ou mettent en exergue un désir alors
jugé scandaleux. Bien sûr, le freudisme n’est pas le sexuel et le réduire à cette seule dimension
serait pécher par pansexualisme ignare. On ne saurait confondre la figuration du désir,
travestissement des forces libidinales par des objets usuels ou anodins, avec sa représentation
explicite et sans détour. Il n’empêche que les œuvres oniriques se prêtent volontiers à la
représentation de contenus sexuels et à la levée d’une certaine inhibition.
Roger Bastide, dans la postface qu’il écrit pour La Boutique obscure de Perec, perçoit
ainsi un « changement opéré dans le déchiffrement du symbolisme, avec l’entrée, sur la scène
nocturne, de l’érotisme ».

Non point certes que l’érotisme n’existait pas avant, au contraire ; Freud a
insisté sur le caractère sexuel du rêve, mais la sexualité se trouvait alors soumise
au refoulement, par la censure, ne passait la ligne qu’en se masquant et la
psychanalyse devenait le soulèvement des masques. Non point certes non plus
que n’étaient nombreux les rêves où, dans le contenu manifeste maintenant et
non plus dans les idées latentes, se célébrait tout le rituel de la liturgie
amoureuse…, mais au moment où l’acte sexuel allait avoir lieu, le dormeur se
réveillait, avec éjaculation142.
Le sociologue esquisse une explication historique, résultant d’une évolution des mentalités
après mai 1968 :

– est-ce l’influence du changement de registre de la sexualité dans notre


civilisation contemporaine, qui est passé du mode « Désir » (il n’y a désir que
s’il y a opposition de la Loi) au mode de la satisfaction immédiate, les scènes
d’étreinte accomplies sont fréquentes143.
Il propose ensuite de renverser la clef de lecture : « si la possession charnelle de la femme n’a
plus à se déguiser, il va se passer cette chose étonnante, qu’au lieu d’être symbolisée par autre

140
André Breton, « Entretien avec André Parinaud II » (Arts, 7 mars 1952), Entretiens 1913-1952, OC III, p. 639.
141
Salvador Dali, « Rêverie », Le Surréalisme au service de la révolution, n° 4, décembre 1931, p. 31-36.
142
Roger Bastide, « postface », dans Georges Perec, La Boutique obscure, op. cit., n.p.
143
Idem.

165
chose, c’est elle qui devient symbolique d’une autre réalité sous-jacente144. » Ce commentaire
met en lumière deux évolutions quant à la place accordée au sexuel dans le rêve. La première,
c’est bien sûr son changement de niveau : les éléments de sexualité, à force d’être pointés et
amplifiés dans les interprétations freudiennes, sont passés du contenu latent au contenu
manifeste. La deuxième, c’est l’influence des discours interprétatifs sur le contenu même des
rêves et leur puissance de banalisation. Le sexuel, si décrié dans les interprétations
psychanalytiques, est devenu un élément attendu du contenu du rêve et même un indice
d’oniricité145.
Les récits de rêves publiés dans La Révolution surréaliste ne sont pas en reste de
scénarios œdipiens ou de scènes à la sexualité outrageuse. Giorgio de Chirico rapporte ainsi un
rêve dans lequel il est en lutte contre son père :

En vain je lutte avec l'homme aux yeux louches et très doux. Chaque fois
que je l'étreins il se dégage en écartant doucement les bras et ces bras ont une
force inouïe, une puissance incalculable ; ils sont comme des leviers
irrésistibles, comme ces machines toutes-puissantes, ces grues gigantesques qui
soulèvent sur le fourmillement des chantiers des quartiers de forteresses
flottantes aux tourelles lourdes comme les mamelles de mammifères
antédiluviens. En vain je lutte avec l'homme au regard très doux et louche ; de
chaque étreinte, pour furieuse qu'elle soit, il se dégage doucement en souriant
et en écartant à peine les bras... C'est mon père qui m'apparaît ainsi en rêve et
pourtant quand je le regarde il n'est pas tout à fait comme je le voyais de son
vivant, au temps de mon enfance146.
La tendresse de l’étreinte paternelle vire à la lutte jusqu’à éveiller à la fin du récit de
l’agressivité chez le rêveur qui cherche « un poignard ou une dague ». Dans le même numéro,
le rêve de Renée Gauthier, seul rêve de femme publié dans ce cadre, affiche des contenus
explicitement sexuels ou dont la figuration métaphorique est transparente : la cueillette des
fruits dans un champ puis les jeux avec un oiseau147.

Je suis dans un champ avec Jim. Il veut me cueillir un fruit dans la haie
bordant le champ, un fruit qui me semble être une noix. Elle n'est pas assez
mûre, je n'en veux pas. Pour qu'elle mûrisse il cherche à la recoller à la branche
d'où il l'a détachée. […] Cela m'intrigue, mais je n'ai pas le temps de m'en
occuper, mon compagnon est tellement amoureux que ses caresses me font tout
oublier. Je ne songe qu'à chercher un endroit propice pour faire l'amour. Nous

144
Roger Bastide, « postface », dans Georges Perec, La Boutique obscure (1973), Gallimard,
coll. « L’Imaginaire », 2010, n. p.
145
Voir la notion d’« effet de boucle » chez Ian Hacking, Entre science et réalité : la construction sociale de quoi ?
(The Social Construction of What ?, Harvard University Press, 1999), La Découverte, coll. « Textes à l’appui »,
2001.
146
Georgio de Chirico, « Rêve », La Révolution surréaliste, n° 1, 1er décembre 1924, p. 3.
147
« Tout à coup je me sens allongée près de lui, la tête sur sa poitrine. Mon cœur et mes tempes battent très fort.
Je viens d'être sa maîtresse. Avec le bout d'un de ses grands pieds il me relève le menton, me forçant à détourner
la tête. »

166
nous étendons au creux d'un sillon ; mais tout mon plaisir est gâté, car je
m'aperçois que la terre humide salit la belle pelisse de lapin blanc qui le
recouvre148.
Vite associé au religieux, par la mention du tabernacle, le sexuel allie l’impudeur au blasphème.

Mais tout à coup je m'aperçois que Jim qui est devant moi a sa braguette
ouverte à la façon d'un tabernacle. J'essaie de repousser les deux petites portes
car j'aperçois le jeune homme qui nous avait parlé tout à l'heure de l'autre côté
de la haie (il glane tout près de là) mais les gonds sont rouillés et je suis sûre à
cette minute qu'il faut, qu'il nous faut absolument trouver un endroit sec entre
deux sillons. Tout à coup j'entends des cris, des appels. Je regarde dans cette
direction, et tout au bout du champ, par un passage que j'ai connu dans ma
jeunesse, je vois se faufiler le jeune homme que j'ai déjà vu tout à l'heure.
Le récit de rêve est ainsi l’occasion de libérer des fantasmes sexuels ou de se laisser aller à des
narrations érotiques en illustrant explicitement les forces révélées par les débuts des sciences
de la psyché.

Se jouer des codes


Si, dans les derniers exemples donnés, l’aspect libidinal du rêve est on ne peut plus
manifeste, il peut donner lieu, ailleurs, à des réflexions davantage orientées vers le
fonctionnement du rêve comme mode d’expression codé ou à un jeu avec les éléments du
vocabulaire symbolique vulgarisé par la diffusion de cette théorie. À force d’être l’objet
privilégié de la psychanalyse, le discours sexuel plaqué sur le rêve finit par devenir un cliché
avec lequel les auteurs s’amusent.

Le rêve ça n’est plus du tout du sexe – était autrefois. Ça a beaucoup changé


durant ces dernières années. Comme tant d’autres choses, faut bien le
reconnaître. La cause ? Eh bien, primo, la vulgarisation de la psychanalyse (la
psychologie qui fait pschtt) : on est prévenu149.
Réfléchi et remâché par le discours littéraire, aussi bien dans sa forme que dans son
fonctionnement, le discours de savoir devient une matière à subvertir. Grâce à sa capacité de
traitement au deuxième degré, le texte littéraire s’empare de ces propositions et s’en amuse
dans un geste de recréation, plus particulièrement parodique et irrévérencieux sous les plumes
de Perec et Béalu.
Parmi les rêves de La Boutique obscure, certains peuvent être rapprochés de ce que
Freud appelle les « rêves typiques »150. Aux côtés des rêves de mort de personnes chères (« Sur
mes vieux jours » n° 7, « La mort d’Helmlé » n° 11, « L’épidémie » n° 28), ou d’angoisse (« Le

148
Renée Gauthier, « Rêve », La Révolution surréaliste, n° 1, 1er décembre 1924, p. 5.
149
Raymond Queneau, Monument pour un rêve (1948), OC I, op. cit., p. 192.
150
Sigmund Freud, L’interprétation des rêves, op. cit., p. 300-347.

167
Voyage » n° 78, « La Condamnation » n° 110), les rêves de nudité, d’exhibition et de sexualité
ont une place privilégiée dans le recueil. Ces « rêves de complaisance », présentés comme « des
rêves pour faire plaisir au psychanalyste151 » donnent surtout l’occasion à l’écrivain de jouer
avec les topoï des rêves typiques, pour en faire un matériau d’écriture, en forcer le trait, et par
là-même, en détourner le message.
Si la nudité est traitée de façon assez classique et attendue dans « L’esplanade » (n° 33)
avec, comme le décrivait Freud152, hésitation sur le degré de nudité et sentiment d’étrangeté
sans pour autant que ne soit mentionné explicitement un sentiment de honte, elle donne matière
à beaucoup plus d’emphase dans les rêves n° 35 « Au café » et n° 108 « La pièce de théâtre »

Je suis dans un lit avec P. En fait, c’est un café, avec pas mal de monde,
mais personne n’est étonné de nous voir au lit et nous ne nous sentons pas
gênés. Je me dis quand même que c’est curieux de faire l’amour dans un café,
même si nous nous enfouissons le plus possible sous les draps, on va quand
même voir le tressautement des couvertures. Nous commençons d’ailleurs une
difficile gymnastique pour nous déshabiller. Pour moi, c’est encore assez
simple mais pour P., c’est beaucoup plus compliqué. (LBO, n° 35)

Plus tard, je suis étendu sur un lit avec une femme en qui je finis (bouleversé
et stupéfait comme si j’avais longtemps espéré cette rencontre impossible) par
reconnaître C. Nous sommes tous les deux envahis par une même jouissance
indicible (dont le mot « extase » même ne donne qu’une image lointaine et
dégénérée). Je suis sur le dos. C. vient s’empaler sur moi, mais elle fait un
mouvement brusque qui me fait sortir d’elle. Elle commence à nous plaindre
très gentiment, ce qui me réexcite très vite. Elle s’agenouille et, prenant appui
derrière elle, je la pénètre de nouveau. Ainsi accouplés, nous nous mettons à
ramper sur la moquette.
Il y a dans la pièce voisine deux hommes (dont l’un est F.). Ils nous voient
mais cela ne nous dérange pas. Cela fait partie de la pièce jouée. (LBO, n° 108)
Au fur et mesure de l’avancée dans le recueil, la narration se fait de plus en plus crue, détaillée,
travaillée aussi. Comme le souligne Roger Bastide dans la postface de l’œuvre, les rêves de
Perec peuvent surprendre par une certaine levée de l’inhibition et une apparente absence de
pudeur153 qui confinent à un véritable plaisir à jouer des éléments érigés en symboles par les
psychanalystes. Ainsi, le rêve n° 108 se poursuit par cette remarque :

151
Georges Perec, « L’écriture des rêves », entretien avec Germaine Rouvre, op. cit. Annexe A.
152
Sigmund Freud, « Les rêves de confusion à cause de la nudité », in L’Interprétation des rêves,
chap. V, op. cit., p. 211 sqq.
153
Roger Bastide commente cette inversion des rapports d’importance et des valeurs dans le choix des éléments
mentionnés (particulièrement liés à la sexualité) : « À ma connaissance, [...] les rêves avec accomplissement de
l’acte sexuel sont très rares, quasi nuls ; plus exactement l’acte de chair ne peut dérouter la censure qu’en se cachant
sous des symboles, dont l’inventaire a souvent été fait : entrée dans une chambre, pénétration d’un lieu, marche
dans un wagon secoué, descente dans le métro... Or, avec Perec, [...] les scènes d’étreinte sont fréquentes ; mais
alors, si la possession charnelle de la femme n’a plus à se déguiser, il va se passer cette chose étonnante, qu’au
lieu d’être symbolisée par autre chose, c’est elle qui devient symbolique d’une autre réalité sous-jacente. Mais

168
Entre chaque acte, les personnages entrent en scène, porteurs de chapeaux caricaturaux.
Je fais à P. cette remarque que, plus les chapeaux sont gros, plus l’acteur les ballade longtemps,
exemple typique de la démagogie de la mise en scène.
Il est assez connu que le chapeau fait partie des symboles des organes génitaux masculins
identifiés par Freud154 et faire figurer cet élément dans ce rêve précisément n’est certainement
pas innocent. L’ironie de l’auteur, qui tourne ici en dérision le discours interprétatif
psychanalytique, perce à travers l’emploi de mots savamment choisis : les chapeaux sont dits
« caricaturaux » et vus comme « exemple typique de la démagogie de la mise en scène ». Si
« cela fait partie de la pièce jouée », c’est peut-être tout le discours qui est feint.
Comme pour mieux en ruiner le commentaire systématique, s’associent de façon insolite
deux thèmes typiques, la sexualité et de la représentation de l’ordre, dans « L’arrestation »
(n° 16) :

Le lendemain, la police vient m’arrêter. J’ai commis, jadis, une peccadille.


[...]
Trois types entrent dans le café (ce sont des flics, évidemment !) ; ils font
très négligemment le tour de la salle. Peut-être ne m’ont-ils pas vu ? Je respire
presque, mais l’un d’eux vient s’asseoir à ma table.
– Je n’ai pas de papiers sur moi, dis-je.
Il est presque sur le point de se lever et de partir (cela voudrait dire que je
suis sauvé), mais il me dit à voix basse :
– Copulez !
Je ne comprends pas.
Il écrit le mot dans la marge d’un journal, en grosses lettres creuses :
COPULEZ
puis il repasse sur les trois premières lettres en en noircissant l’intérieur :
COPULEZ
Je finis par comprendre. C’est extrêmement compliqué : il faut que je rentre
chez moi et que « je copule avec ma femme » ; ainsi, lorsque la police viendra
me chercher, le fait d’avoir « copulé un samedi », alors que je suis juif,
constituera une circonstance atténuante. (LBO, n° 16)
Toutes les représentations se trouvent inversées et annulées les unes par les autres : le
représentant de l’ordre pousse ici au désordre, la dimension érotique est ruinée par l’injonction
policière et la figure du policier, ce « cop », se fait, par le détour de l’anglais, un complice
décidément bien dégradé. Par l’exagération caricaturale, la reprise dévoyée de ses symboles et
de ses thèmes les plus représentatifs, le texte perecquien s’amuse à neutraliser l’arrière-plan
psychanalytique en le vidant de toute valeur.

laquelle ? Ne serait-ce pas, par un renversement total des signifiants-signifiés : de l’enfermement, de la chambre
sécurisante ou du camp de concentration angoissant, bref de l’isolement, de la ségrégation, de l’interdiction par la
société de l’aventure du dehors pour nous obliger à la complémentarité des sexes et au statu quo de chacun à sa
place [...] » (LBO, postface)
154
Sigmund Freud, L’Interprétation des rêves, op. cit., p. 309.

169
Claude Burgelin155, et Jacques Lecarme156 ont montré combien l’expérience de la cure
psychanalytique et les discours plus théoriques avaient eu une influence sur l’œuvre de Perec.
La Boutique obscure, au-delà des thèmes qu’elle aborde, reprend également le style d’un certain
discours psychanalytique pour le parodier. L’exemple le plus frappant se situe certainement
dans le fragment intitulé « L'Œdipe-express » de « La coupure » (n° 83) :

Plusieurs mois auparavant, j’ai « en effet » trouvé un entrefilet de l’Express


consacré à Œdipe – ou, plus précisément, à l’Œdipe – et j’ai décidé d’écrire un
article en me servant de cette coupure comme point de départ. D’une part, j’ai
aussitôt expliqué qu’il ne s’agissait pas d’un véritable article sur la
psychanalyse, mais davantage de la « prise de position d’un écrivain
contemporain » parlant en son nom personnel. D’autre part, j’ai trouvé
plusieurs titres plaisants, généralement des jeux de mots que j’ai trouvés très
subtils et dont je me suis étonné que personne ne les ait jamais faits.
Il semble qu’il soit très compliqué de publier un article dans l’Express, ou
même ailleurs. J’en parle à un ami de François Maspéro qui, un peu plus tard,
me dit, ou me fait dire que François Maspéro est intéressé, mais qu’il veut
soumettre cet article à un spécialiste (ce qui, évidemment, me fait bien marrer).
Perec se fait là auteur de psychanalyse à la place des psychanalystes. On ne doute pas que c’est
une façon de liquider la voix des experts en faisant là des raccourcis « express ». « L’Œdipe »,
avec son article défini, ajouté dans un mouvement d’épanorthose, devient objet d’une création
littéraire qui semble prendre pour contrainte le déplacement ludique des expressions entrant
habituellement dans le champ sémantique du concept. La « coupure », aboutissement théorique
de la phase infantile du « complexe d’Œdipe » qui doit amorcer chez l’enfant le choix d’objet
par étayage en le faisant rompre avec l’identification aux parents, est ici prise dans son sens
plus pratique d’extrait de journal. Si « l’écrivain contemporain » « prend position » ici, c’est
donc d’abord d’une position discursive qu’il s’agit. Position discursive qui lui permet d’une
part de se distinguer en faisant de cette matière la source de « jeux de mots [...] très subtils » et,
d’autre part, de « bien [se] marrer », aux dépens des discours sérieux de la psychanalyse.

Le classement et l’ordonnancement d’une diversité décousue au moyen d’une table


récapitulative était déjà présente, sur le mode sérieux, chez l’autre oulipien qu’était Raymond
Queneau. En effet, celui-ci suspend régulièrement la tenue de ses notes, dans ses Journaux,
pour tenir à jour des tables des matières oniriques grâce auxquelles il peut se repérer dans ses
notes : les rêves, numérotés, sont indexés dans une table calendaire (CR, 284-287), qui stipule

155
Claude Burgelin, Les Parties de dominos chez Monsieur Lefèvre. Perec avec Freud – Perec contre Freud.,
Circé, 1996.
156
Jacques Lecarme, « Perec et Freud ou le mode d'emploi », Cahiers Georges Perec, n° 4, « Mélanges », 1990,
p. 121-141.

170
également les pages auxquelles figurent les diverses hypothèses interprétatives élaborées. Le
rythme aléatoire des souvenirs et des hypothèses interprétatives est, de cette manière, dompté
par l’organisation rigoureuse du relevé.
Perec, lui aussi, reprend dans La Boutique obscure cette pratique de l’index mais pour
la détourner et donner à son recueil de faux airs d’ouvrage scientifique. Alors qu’il s’est
toujours bien gardé de donner une quelconque interprétation à ses rêves, il accompagne le
recueil d’un index final, « Repères et repaires », qui n’est pas sans rappeler, sur le ton de la
parodie, les tables de concordances qui clôturent les ouvrages scientifiques et les clefs des
songes.
Le lecteur de L’Interprétation des rêves ne manque de faire le lien entre cet appendice
et le quadruple index qui clôt l’ouvrage daté de 1900 : « l’index des œuvres de Freud auxquelles
l’auteur se réfère dans cet ouvrage157 », « l’index des principaux rêves158 », « l’index des
auteurs et matières159 » et « l’index des citations et références de personnes célèbres ou
d’œuvres artistiques160 ». Certaines entrées proposées par Freud se retrouvent ainsi, plus ou
moins déformées, dans l’ouvrage de Perec : le rêve « de chimpanzé161 » freudien devient « Le
singe » (n° 116) perecquien, celui « de dents162 » prend les contours de « La dentiste » (n° 5),
le rêve « d’Œdipe déguisé163 » devient « L’Œdipe express » (n° 83, 2). La liste des symboles
relevés par Freud dans « l’index des auteurs et des matières » n’est pas sans rappeler ce que
Perec fait ici : « animaux », « bâtons », « chapeau », « chat », « escaliers », « vêtements » sont
des entrées que l’on retrouve dans les deux cas.
Pourtant, ce classement méthodique voue à l’échec toute tentative d’exégèse onirique.
Le titre de cette pièce conclusive livre d’emblée la force et la vanité de ce qu’il introduit : un
index à la fois dévoilant, structurant, mais aussi impuissant à donner au lecteur des clés de
lecture. Sans jamais renvoyer à aucun discours explicatif ou théorisant, il reprend néanmoins
des éléments de la théorie freudienne, tantôt pour les tourner en dérision – c’est ainsi que les
nombres cités ne correspondent pas à une numérologie signifiante mais bien plutôt à un
indéchiffrable du rêve –, tantôt pour faire remarquer une multiplicité de sens abyssale fondée
sur la richesse intrinsèque du signifiant onirique. Il n’en demeure pas moins que la pratique de

157
Sigmund Freud, L’Interprétation des rêves, op. cit., p. 553.
158
Ibid., p. 555.
159
Ibid., p. 559.
160
Ibid., p. 567.
161
Ibid., p. 358.
162
Ibid., p. 331 sqq.
163
Ibid., p. 342.

171
l’index reste fondée sur une recherche des éléments saillants du rêve, ces points d’accroche
manifestes destinés à dévoiler un contenu latent. Pour autant, tous ces « repères » ne sont bien
que des « repaires » et ne font que marquer avec plus de force le caractère autotélique du recueil.
Choisir d’extraire de la pâte des rêves des signifiants particuliers n’est pas sans rappeler
la pratique de la cure. La mise en réseau du vaste discours que constitue La Boutique obscure
en une « réécriture tabulaire164 » ludique repose effectivement sur des procédés de manipulation
et d’ordonnancement du signifiant qui vont du simple prélèvement d’occurrences au classement
sémantique. De cette « jonglerie verbale165 » sort une arborescence thématique et sémantique
infinie. Polysémie et synonymie sont exploitées abondamment dans ce dédale de
transformations, de glissements de sens et de déplacements. Le mot « lettre » est notamment
décliné à tous les sens possibles : du « court billet d’adieu » que l’on trouvera au rêve n° 82 à
la « lettre d’excuses » (n° 87) et la « lettre volée » (n° 67), de l’unité graphique des « initiales »
du rêve n° 22 aux « gothiques » des rêve n° 15 et 94 ou encore aux lettres « E », « I », « S et
Z » des rêves n° 95, 68 et 21, c’est tout l’éventail polysémique du mot qui est déployé.
Dans ce réseau thématique aux apparences rigoureuses, on trouve pourtant des entrées
surprenantes. Parfois, la machine à classer les rêves s’emballe et se met à intégrer des éléments
à première vue insignifiants sous des entrées énigmatiques. On trouvera ainsi des nombres et
des morceaux de discours, souvent des locutions adverbiales (« "à un certain moment" », « "au
premier abord" », « "effectivement" ») qui ne sont que des prélèvements effectués sur les récits.
Mentionner tels quels ces outils de liaison narratifs dans un index majoritairement thématique
surprend naturellement le lecteur qui voit là une liberté de plus prise par rapport aux contraintes
imposées par le genre. Cependant, si l’on repense au modèle freudien et aux parallèles possibles
avec sa théorie du rêve, ces éléments prennent un autre sens et une justification bien différente
que la simple désinvolture.
Béalu est certainement celui qui adopte la position la plus distanciée vis-à-vis des
discours de savoir. On retrouve dans le « répertoire alphabétiques des rêves166 » quelques-uns
des symboles identifiés par Freud, tels que le chapeau, la clé, l’épée, les escaliers, le parapluie,
ou encore l’obélisque. Souvent, ces entrées intègrent, dans les sens qu’elles proposent, les
significations sexuelles données par Freud, mais c’est alors pour mieux les mettre à distance
par la non correspondance avec les récits.

164
Françoise Rouffiat, « Le rêve et le texte dans La Boutique obscure de Georges Perec », Recherches et travaux,
Université de Grenoble, UFR de lettres, Grenoble, n° 63, 2003, p. 112.
165
Idem.
166
Marcel Béalu, La Vie en rêve, op. cit., p. 155-177.

172
CHAPEAU : Ce qui recouvre. Symbole masculin. Sa signification dépend de
la couleur, de l’état, de la forme.
CLEF : Le but de la clef n’est pas de pénétrer dans la serrure (comme le
croyait Freud) mais d’ouvrir la porte. Image phallique.
ÉPÉE : Passion sans pitié. Brillante : rencontre décisive. Tuer, blesser avec :
discussions graves. Être blessé par : chagrins passionnels.
ESCALIERS : Échelles. En monter : réussite sexuelle. Descendre : faillite,
impuissance. Tomber d’un : naissance prématurée.
OBÉLISQUE : Vous allez rencontrer un ami puissant.
PARAPLUIE : Ouvert : se méfier des mauvais conseils. (VR, 155-177)
Les équivalences donnent lieu chez lui à de véritables matrices de scénarios oniriques.
Contrairement aux autres, il ne prétend pas donner à lire des récits de rêves authentiques et
avoue que « s’amalgament » bien volontiers dans ses textes « la vie, le rêve et l’invention »
(VR, 32). Béalu se place dans une position extrêmement ludique à l’égard du rêve, lieu de
trouvailles fantaisistes où il s’appuie parfois sur les équivalences symboliques, qu’elles
proviennent du discours psychanalytique ou non, pour laisser aller son imagination narrative.
Croisant l’image des yeux crevés (symbole de castration depuis la lecture que fit Freud du
mythe d’Œdipe) et celle du passage de la frontière comme découverte de la sexualité, il poétise
dans « Voyager à l’étranger », la défloration d’une jeune fille.

Je devais aller dans un autre pays. Mais on me dit que pour passer la
frontière, il faut me percer un œil. C’est drôle ! Je n’avais pas peur du tout, moi
qui suis habituellement si douillette. « Eh bien, s’il le faut, allons-y » !
D’ailleurs ça ne me fit presque pas mal. Il sortait de mon œil une sorte de liquide
blanchâtre. J’en avais partout. Toi, maman, tu étais inquiète, mais quand papa
l’a su, il a dit : « Bien sûr, il faut toujours se percer un œil… » Ensuite, j’étais
bien contente parce que je me disais : « À présent, je pourrai aller dans tous les
pays. »
Chez une enfant ignorante de l’acte sexuel, les rêves de cette sorte, au
symbolisme clair (qui ne connaît pas la signification de l’œil !), rendent
évidente la prédominance en nous de forces instinctives. (VR, 33)
Affranchi de la règle d’authenticité qui enfermait les autres dans le double carcan d’une
écriture de soi sincère et d’une analyse de ses rêves appliquée, l’auteur de Mémoires de l’ombre
peut ainsi s’amuser d’un discours herméneutique qu’il met au service de la narration dans de
petites histoires souvent comiques, où le double sens nourrit le texte et sa portée
irrévérencieuse, comme dans cette scène d’interprétation :

Une jalouse se fâche parce que son mari lui dit qu’il a l’intention de
remplacer sa voiture par une autre, plus petite. « Qu’est-ce qu’une voiture ? lui
expliquera le psychanalyste. Un endroit dans lequel on entre ? Vous avez
interprété sa phrase ainsi : Mon mari veut me remplacer par une femme plus
jeune. D’où votre colère. » (VR, 34)
À partir d’un double topos, tiré des scènes de la vie conjugale aussi bien que d’un discours figé
émanant d’une glose psychanalytique de niveau élémentaire, Béalu élabore en quelques mots

173
une historiette à la fois mordante et drôle par son simplisme ravageur. L’interprétation
caricaturée devient un ferment créatif et les discours du prêt-à-penser des matrices d’histoires.

Au-delà d’un certain lexique symbolique ou de l’application stricte d’une méthode


éprouvée, L’Interprétation des rêves fournit aux écrivains un rêve exemplaire à double titre. Le
rêve de « l’injection faite à Irma », exposé au chapitre II, revêt en effet la double fonction de
rêve inaugural (c’est le premier rêve interprété publié par Freud, et la méthode qui y est exposée
doit servir de modèle) et de rêve de légitimation. Le psychanalyste s’y présente dans une
situation délicate où son traitement pourrait bien être remis en cause par l’état dégradé de la
patiente. Mais les traitements proposés par les autres médecins (M. et Otto) sont ridiculisés.
Dans l’analyse qu’il en tire, Freud souligne son désir latent de rejeter la potentielle erreur
médicale sur ses collègues et ainsi d’affirmer l’efficacité et la supériorité de la psychanalyse
sur les autres traitements.

En effet, à ce moment de sa vie, Freud tient à se démarquer des scientifiques


de son époque qui prétendent que le rêve n’est que l’expression de la
fragmentation de l’activité cérébrale pendant le sommeil. Il veut traiter le rêve
comme une pensée véritable, au risque de choquer aussi bien la science que le
bon sens qui s’accordaient pour le rejeter dans le domaine de l’absurde ou de
l’insignifiant. Pour lui, le rêve est un accomplissement de désir. Et son désir,
ici, est notamment de faire porter à un autre que lui la responsabilité d’une faute
thérapeutique dont il se sent coupable167.
Le rêve de l’injection faite à Irma est ainsi le désir de voir la psychanalyse reconnue et saluée.
Il vient valider la proposition théorique non seulement par l’illustration d’une interprétation
qu’il réussit à donner, mais encore par le désir qu’il met au jour.
Or, il est troublant de remarquer combien les exemples de rêves analysés par les
écrivains peuvent recouvrir le même enjeu de légitimation. Il n’est pas rare en effet de trouver
des rêves dans lesquels l’auteur se figure entouré d’autres écrivains pour mieux se singulariser.
Ainsi du premier rêve de Breton publié dans Littérature168 ou du seul rêve de Béalu analysé
avec sérieux et intitulé « La Toupie littéraire » (VR, 147-152), dans lesquels les écrivains
s’interrogent sur leur posture littéraire.
Marcel Béalu y revient sur les années quarante, moment de doute dans sa carrière, et se
figure en toupie. Jouet d’une fillette, il oscille, au cœur de Saint-Germain-des-Prés, entre d’une
part, un trio où il reconnaît ensuite Marcel Jouhandeau, André Gide et Jean Cocteau, et d’autre

167
Jean- Paul Tassin et Serge Tisseron, Les 100 mots du rêve, n° 63 « L’injection faite à Irma », PUF, coll. « Que
sais-je ? », 2014, p. 85.
168
Voir infra, chapitre I.

174
part, un couple formé par Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir. Dans la suite du rêve,
l’écrivain se réfugie rue Jacob (qu’il ne tarde pas à rapprocher de l’auteur du Cornet à dés)
avant d’entrer dans un restaurant où est attablé un homme rougeaud, bientôt identifié à Henry
de Montherlant.
Ce rêve présente donc une galerie de figures tutélaires que le scénario onirique se plait
à mettre une à une à distance. Gide, Jouhandeau et Cocteau sont représentés sous les traits peu
engageants de « trois vieux, assis sur un banc, devant le clocher de l’hospice » ; « représentants
de la littérature arrivée », appartenant à la génération précédant celle de Béalu, ils semblent
condamner les espoirs du poète à l’orée de sa carrière en « roulant des yeux réprobateurs »
(VR, 147). Sartre et Beauvoir, eux, forment un « couple de mendiants », de « loqueteux », qui
incarnent, aux yeux de Béalu, « la littérature nouvelle, […] la littérature de ceux qui mendient
le succès » (VR, 149). Quant à Montherlant, il est peint en « bateleur » : « un gros homme rouge,
torse nu, […] en train de façonner son propre buste avec de la mie de pain qu’il roule
industrieusement entre ses doigts épais, avec des gestes de lutteur » (VR, 148). Ce portrait
pittoresque, s’il est ensuite confirmé par les souvenirs réels de l’auteur, n’en confine pas moins
à la caricature. En effet, l’auteur des Olympiques, surnommé « buste sur pattes » par Céline, est
connu pour son goût pour le sport et l’Antiquité169 : le réduire à la sculpture sur mie de pain
dégrade pour le moins la figure de cet écrivain aristocratique. Mais jouer avec son nom jusqu’à
y faire entendre à la fois sa collaboration170 avec l’Allemagne (rappelons que le rêve date de
1943-44) tout en rappelant son nationalisme (Herr Land en allemand pourrait se traduire par
« Monsieur Pays »), c’est pousser le sarcasme plus loin encore.
Seule la figure de Max Jacob est sauvée. « Ce nom m’apparaît comme une approbation
à ce que je venais de crier », « j’étais sûr de son amitié et de sa compréhension. » (VR, 148)
Ami et soutien de Béalu171, Max Jacob apparaît à diverses reprises dans La Vie en rêve,
notamment à l’occasion de rêves obsessionnels comme « Mort incertain » (VR, 28) et « Mort
muet » (VR, 29), dans lesquels le spectre du poète disparu hante les rêves de son ami, l’amenant

169
À ce sujet, voir Marie Sorel, Le Jeu dans l’œuvre d’Henry de Montherlant, Champion, 2015.
170
Le dossier a été classé sans suite en 1945.
171
La correspondance de Max Jacob à Marcel Béalu offre de nombreux exemples d’encouragements à persévérer
en se dégageant des modèles antérieurs : « Tu as le don. Le plus précieux de tous les dons — oh ! presque le seul
qui compte, et assez rare : le volume de la voix. Avec cela on va loin, très loin. C’était le don de Victor Hugo. Un
don, le plus précieux des dons ; or qu’en faire ? Vas-tu continuer à admirer notre tradition française du XIXe siècle.
Et c’est ton droit. Ou bien penseras-tu comme moi qu’il n’est pour acquérir la gloire que d’apporter dans l’art un
accent tout nouveau, une personnalité, une méthode nouvelles ? » Max Jacob, Lettres à Marcel Béalu, Lyon,
Éditions Emmanuel Vitte, 1959, p. 95.

175
à confondre rêve et réalité. Mort en 1944, soit à l’époque du rêve de « La Toupie littéraire »,
Max Jacob n’est plus qu’un nom et un lieu.
En répondant « JE SUIS L’AUTODIDACTE ! » à l’interrogation existentielle « Qui êtes-
vous ? » posée par Sartre, le rêve de Béalu manifeste le désir de se déprendre des modèles et
des influences pour s’autoriser à écrire selon son propre style, modelé sur le principe du rêve.
La formule fait aussi écho au personnage d’Antoine Roquentin dans La Nausée, ridiculisé par
Sartre pour sa crainte de proposer une idée neuve. De façon moins évidente, cet exemple entre
en résonance avec le rêve de l’autodidasker de Freud172. Formé sur un néologisme à partir des
mot Autor, Autodidakt et Lasker, cet autre rêve de légitimité se joue des syllabes pour mieux
faire paraître le désir d’être l’auteur original d’une théorie sans autre père.
Un rêve de Desnos inédit, retrouvé dans les archives de l’écrivain, offre un beau cas de
rêve de vocation dans lequel l’émancipation vis-à-vis des pères prend une expression
inattendue.

Le samedi 9 septembre 1922 vers 4 ½ - 5 heures du matin


J’étais au café des Innocents (cours des halles ou au square) avec Lévy
(Duhamel) et Malkine. À la table voisine 3 jeunes gens et un personnage
ressemblant un peu à Rochefort. Lévy « un peu bu » ne voulant pas boire un
verre de fine qu’on venait de lui servir l’offre à un des jeunes hommes. Malkine
lui reproche ce geste. Je m’interpose. À ce moment le pseudo Rochefort prend
la parole « Vous vous destinez sans J’admire le geste que vous venez de faire,
Monsieur, dit-il à Lévy, vous ne voulez pas obscurcir votre esprit… Vous êtes
des jeunes gens intellectuels. Vous avez des têtes de gens qui deviendront
quelqu’un. Vous [vous] destinez certainement sans doute à autre chose qu’à
l’épicerie… (me désignant) vous surtout je serais fort étonné que vous ne
réussissiez point. Vous avez tout pour cela et ce sourire (je souriais) là aussi
(maintenant Lévy). Il y a du sourire mais ce n’est pas le même. Vous vous
destinez sans doute à la peinture ou au théâtre mais je suis persuadé que vous
réussirez. » Malkine de mauvaise humeur nous entrainant. Je serrai la main à
cet homme qui me dit encore « J’ai lutté ! Je n’ai pas réussi, j’ai 65 ans, mais je
lutte encore173. »
Alors qu’il commence tout juste à approcher le groupe surréaliste, Desnos intègre dans son rêve
ce nouveau cercle amical en faisant résonner la phrase refoulée de Jacques Vaché, qui disait
volontiers viser la « réussite dans l’épicerie ». Mais l’évocation du soldat suicidé sert en fait de
repoussoir ; le modèle de l’écrivain provocateur, admiré par Breton, est ici mis à distance et
Desnos est plutôt sommé d’assumer son ambition poétique. Le retardement énonciatif (« vous

172
Voir Sigmund Freud, L’interprétation des rêves, op. cit., p. 259 sqq.
173
Robert Desnos, rêve du 9 septembre 1922, transcription réalisée à partir des manuscrits en ligne sur ALMé,
Cote [DSN 210], disponible à l’adresse : http://bljd.sorbonne.fr/ark:/naan/a011447158007nsT6cu/57bf915876.
Texte repris dans Œuvres, éd. Marie-Claire Dumas, Gallimard, coll. « Quarto », 1999, p. 126. Voir supra,
Annexe D.

176
vous destinez sans doute » est biffé avant de pouvoir trouver sa place) vient ainsi dire avec plus
de force la volonté du poète de se distinguer dans une carrière artistique.
Ces rêves prennent ainsi une fonction inaugurale : antérieurs aux autres, ils endossent
des valeurs de rêve de vocation et explicitent pour les auteurs non seulement la volonté de
devenir des spécialistes reconnus dans leur cercle, mais encore celle de fonder leur légitimité
sur le rêve. Ils prennent, chez les écrivains, une valeur métalittéraire qui, tout en les distinguant
de leur pairs (et pères), cautionne l’usage du rêve en littérature comme source d’un style
original. C’est l’occasion de se forger une personnalité littéraire et, finalement, un lieu de
dissociation.

L’interprétation : un enjeu créatif


Qu’elle fasse partie intégrante de l’œuvre publiée (comme chez Paulhan, Michaux ou
Leiris) ou qu’elle reste cantonnée dans les documents préparatoires ou les déclarations
paratextuelles (comme chez Perec ou Yourcenar), la question interprétative demeure un horizon
essentiel de la réception et de l’appréciation des récits de rêves. C’est ainsi que Valery Larbaud
félicite Paulhan sur les passages de glose qui concluent chacun des rêves du Pont traversé :

Vous apportez un élément nouveau ; vous acceptez et vous tirez parti de


l’incohérence apparente du rêve, et ainsi vous vous rapprochez davantage de la
réalité — on peut dire — du rêve. Et dans le commentaire vous tirez parti des
données de la théorie freudienne d’une manière digne de la poésie174.
Edmond Jaloux écrit des Vases communicants qu’il est « un ouvrage capital sur le rêve, un des
plus hardis et des plus importants que nous connaissions, un de ceux qui apportent vraiment un
témoignage de valeur à l’analyse de ces visions étranges et grandioses175 ». Léon Pierre-Quint,
pour sa part, conclut que « l’explication que donne Breton de ses rêves dépasse Freud176. » Les
œuvres sont ainsi jaugées et jugées au moins autant sur les formes que peut prendre la narration
des rêves que sur la pertinence et l’originalité dont peut manifester la part discursive du
commentaire.
Le traitement interprétatif est certainement le lieu de différenciation où se joue le plus
nettement la distinction entre le récit de rêve à vocation purement psychanalytique et son
correspondant littéraire. En effet, alors que le décryptage psychanalytique impose de s’inscrire
dans un paradigme théorique et méthodologique clairement établi, le commentaire littéraire,

174
Valéry Larbaud, Lettre à Jean Paulhan, 7 mars 1922, cité par Bernard Baillaud dans la notice du Pont traversé,
op. cit., p. 484-485.
175
Edmond Jaloux, rubrique « L’Esprit des livres », Les Nouvelles littéraires, 28 janvier 1933.
176
Léon Pierre-Quint, Revue de France, 1er mars 1933.

177
dès lors qu’il est pris en charge par l’auteur lui-même, laisse place à une liberté de manœuvre
bien supérieure. Paulhan, Michaux ou encore Béalu, en entremêlant, au sein de l’œuvre-même,
les récits de rêves et leurs commentaires, tiennent simultanément le rôle de rêveur et d’interprète
et, ce faisant, s’arrogent l’autorité de l’onirocrite. Mais, au-delà d’un déplacement de
l’opération critique, qui passe d’un en-dehors du texte à un à-côté sinon à un en-dedans du texte,
cette appropriation engage une requalification des éléments constitutifs des œuvres. Le
commentaire devient le lieu d’une créativité additionnelle, qui peut certes en passer par des
opérations d’association semblables à celles que requiert l’interprétation psychanalytique mais
qui, enrichie d’une valeur poétique, la déborde largement. Sans y être nécessairement et
farouchement hostiles, les auteurs se jouent des codes de la psychanalyse et de son orthodoxie
pour proposer, dans un pas de côté souvent ludique, une approche de l’interprétation des rêves
plus littéraire.

Le langage secret du rêve (Paulhan)

Paulhan, dans Le Pont traversé, en 1921, propose de prendre le discours


psychanalytique à revers pour en faire un matériau dont l’inconscient créateur pourrait se
nourrir.

[…] elle [la psychanalyse] consiste, dans le principe, à décrypter un langage


secret : le langage dont nous usons pour nous parler à nous-mêmes – et tout
particulièrement dans les rêves – de ces choses que les convenances, les tabous
sociaux, la simple réserve peut-être nous retiennent d’exprimer ouvertement.
Or, il va de soi qu’un langage secret, que l’on a déchiffré, cesse d’être secret.
Que si les parapluies, ballons, échelles, fuseaux et autres accessoires de nos
rêves portent bien le sens que leur attribue la psychanalyse, voici donc notre
inconscient réduit, pour maintenir le secret, à former de nouveaux signes et
construire un nouvel alphabet : contraint à la plus vive liberté d’expression.
(PT, 158)
Pour l’auteur des Fleurs de Tarbes, la lecture psychanalytique, sans être récusée,
demande à être dépassée pour que s’ajoute à elle une nouvelle strate de sens. Si l’inconscient
symbolisant du rêve est reconnu, alors l’inconscient créateur doit faire avec les matériaux du
premier, et de sans cesse rivaliser d’ingéniosité. Sans renoncer ni à la logique du déguisement
/ dévoilement psychanalytique, ni au mystère d’une instance créatrice insondable, Paulhan en
vient à façonner une figure de poète inconsciemment pervers, qui reprendrait à son compte le
travail du rêve (opérations de figuration, déplacement et condensation à l’œuvre pour créer les
symboles), mais pour mieux le détourner dans un travail de création supérieurement inventif.
À rusé, rusé et demi.

178
Il n’y a, dans Le Pont traversé, ni parapluie, ni ballon, ni fuseau ; à peine quelques
échelles, un panier rempli de champignons puis de singes, un « lac en forme d’œuf, et d’eau
assez noire » (PT, 155), des sentiers qui semblent ne mener nulle part. Ces éléments, répertoriés
dans la symbolique freudienne comme des symboles sexuels – l’échelle renvoyant à l’acte
sexuel, le panier à la femme ou au sexe féminin, l’eau à l’utérus, les champignons au phallus et
les singes étant classiquement rangés du côté de l’obscène –, sont traités par Paulhan avec une
certaine neutralité. Quand bien même chacun, pris isolément, pourrait faire signe vers un
contenu sexuel latent, les éléments assemblés dans les micro-diégèses que constituent ces rêves
perdent leur charge sémantique. Aussi, aucun réseau de significations de cet ordre ne peut se
former et le lecteur ne peut accommoder l’horizon de sens sur une image nette.
De plus, le commentaire du narrateur en italique, voix surplombante qui encadre les
passages narratifs, coupe court à toute tentative de lecture freudienne en diluant un peu plus les
hypothèses interprétatives. En témoigne cet extrait du « village obscur », troisième rêve de la
première nuit où la voix narrative semble se jouer d’un lecteur qui aurait trop vite fait de repérer
çà et là des symboles sexuels. Le rêve décrit une errance nocturne dans un village et la
contemplation, au petit matin, de ce même paysage dans les premières lueurs du jour.

Trois pignons, vers le centre du village, étaient bien vivement éclairés par
une lumière blanche, et qui ne bougeait pas. Le reste abondait en cheminées,
toits, massifs sombres, comme s’il y eût là, au sortir des champs, plus de vie, et
non pas seulement humaine. […]
J’entendis alors le bruit que font les allumettes d’une boîte que l’on secoue.
Deux hommes : « Et les femmes ? dit l’un. – Vieux, c’est la ceinture. » […]
(PT, 148)
Les pignons et les cheminées, potentiellement interprétables comme des signes phalliques, puis
la discussion des hommes sur leur activité sexuelle pourraient mettre le lecteur sur la piste d’un
sens érotique. Mais, dans une remarque ultime, l’autorité narrative souligne en même temps
qu’elle la désamorce la charge symbolique des éléments qu’elle avait pourtant pris soin de
mettre en place :

Je découvris, sur ce dernier événement du rêve, un contraste entre la


délicatesse des impressions que je recevais et la vulgarité de leur objet. […]
Quant au village lui-même, à ses arbres, ses pignons… il est étrange que l’on
prenne, étant seul, autant de précautions et d’images pour se parler. (PT, 149)
Sans arrêter de sens définitif, cette glose laisse entendre que l’interprétation freudienne serait à
la fois évidente et, inutile, dans la mesure où elle court-circuiterait une dynamique d’accession
au sens qui se devait justement, pour être efficace, d’être longue et laborieuse. Aussi, le sens
caché, s’il doit être inscrit dans le rêve, ne peut se contenter des symboles déjà dévoilés et trop

179
identifiables. Il doit, au contraire, pour être efficient, mettre le langage au travail et, avec lui, le
lecteur qui voudrait se faire interprète.

Si notre inconscient est aussi malin que le suppose Freud, comment ne


s’occuperait-il pas à changer de langue : par exemple, à inventer de nouveaux
signes, à changer le sens des anciens ? C’est une entreprise de cet ordre que
j’avais pensé saisir sur le fait177.
Alors que les textes freudiens sont encore peu diffusés en France, les récits de rêves de
Paulhan illustrent donc le fonctionnement de cette théorie autant qu’ils en dénoncent le contenu.
En refusant de la réduire à une simple clé des songes dont les éléments, trop connus, ne
fonctionneraient plus que comme des allégories, universelles et univoques, il rend justice à un
système interprétatif plus complexe que la caricature qu’on a bien voulu en faire178. Mais un jeu
s’instaure aussi avec ce vocabulaire connoté dont l’auteur ne peut ignorer le sens
psychanalytique : les termes sont repris, mais déchargés de leur sens ou mêlés à d’autres dont
la signification échappe au lecteur trop bon élève à l’école de la symbolique freudienne.

La singularité des réseaux métaphoriques (Michaux, Béalu)

L’écriture poétique contre l’uniformisation psychanalytique, c’est aussi, en quelques


sorte, ce que revendiquent Michaux et Béalu. À une époque où Michel Jouvet défend l’idée
selon laquelle le rêve aurait pour fonction d’être le gardien de l’individuation du cerveau179,
tous deux font valoir le rêve comme le refuge de l’individuel.

La vie nocturne, comme la vie diurne, est loin d’être identique pour chaque
individu. On peut même se demander si, à notre époque de vulgarisation à
outrance, de conformisme et de nivellement de l’esprit, l’individuel, je veux
dire ce qui dans chaque homme, reste toujours avide de se différencier, ne se
réfugie pas dans les rêves. (VR, 16-17)

177
Jean Paulhan, Entretiens à la radio avec Robert Mallet, Gallimard, coll. « Arcades », 2002, p. 81.
178
Paulhan est particulièrement en avance sur son temps en proposant cette compréhension de la démarche
psychanalytique et de la dynamique de l’inconscient. Max Milner, au sujet de l’interprétation psychanalytique
d’un texte littéraire, explique en quoi elle diffère fondamentalement d’une lecture à clé. « Rien ne serait plus faux
et plus néfaste que de considérer cette démarche interprétative comme un décryptage consistant à dire : ceci, cet
élément du texte représente cela, qui est hors du texte, dans l’inconscient de l’auteur ou dans son histoire infantile ;
ceci représente la mère de l’écrivain, ceci représente l’acte sexuel ou tel traumatisme de son enfance. C’est
malheureusement ainsi que la critique psychanalytique a souvent été pratiquée et c’est presque toujours ainsi
qu’elle a été vue par le grand public. Or c’est là une déviation de la critique psychanalytique. / C’est une erreur de
considérer l’interprétation, qu’elle soit appliquée au rêve ou à la littérature, comme l’utilisation d’un dictionnaire,
d’une clef des songes qui serait une sorte de passe-partout qui pourrait s’appliquer indifféremment à tout œuvre et
à toute personnalité. » Max Milner, Freud et l’interprétation de la littérature (1980), SEDES, 1997, p. 49.
179
Michel Jouvet, Le sommeil et les rêves, Paris, Odile Jacob, 1992. On lira aussi avec profit Claude Debru,
Neurophilosophie du rêve, Hermann éditeurs, coll. « savoir sciences », 2006.

180
Le rêve, singulier et personnel, exige chez eux, pour être pleinement apprécié, une lecture
herméneutique soutenue par la présence d’un discours de glose, mais dont les principes
interprétatifs ne seraient qu’individuels.
Faire autre chose que du Freud, ce serait, pour Michaux, non pas renoncer à analyser
ses rêves, mais s’en servir pour constituer un réseau métaphorique personnel. Lorsqu’il entend
« débrouiller le rêve, aller à la chasse aux explications » (FEFE, 455), il inscrit très clairement
la lecture du rêve dans un paradigme de la traduction180. Le rêve pour lui est une langue
étrangère et personnelle, dont le locuteur, son « envers de moi » (FEFE, 463), reprend les
expressions de la langue du jour, sous forme d’images, pour leur donner un autre sens. Ainsi
du train qui métaphorise, chez lui, l’état dans lequel il se trouve vis-à-vis de son travail. Ce
détour par le moyen de transport se donne comme une image beaucoup plus plastique, adaptable
et plurivoque qu’un symbole.

Si je suis, de jour, engagé avec ardeur dans une recherche aux grandes
perspectives avec déjà quelques épreuves à corriger d’urgence, à cette urgence
ressentie en moi, il me voit (me revoit) me rendant à une gare, me pressant en
direction d’un train que j’attraperai de justesse. Si des obstacles se présentent
dans la création, qui « refroidissent » mon premier enthousiasme, eh bien lui,
continuant à me suivre à sa façon, me voit à nouveau entrant dans un
compartiment, où il y a des courants d’air, la portière s’étant ouverte ou la porte
du couloir. (Ce sera peut-être pareille image si pendant mon sommeil le
chauffage s’est éteint.)
Ai-je des problèmes avec un traducteur ? Lui, à nouveau me voit « en
train », occupé cette fois à me chercher une place difficile à trouver, et une autre
plus petite dans le filet pour mes pesantes valises, qui « n’entrent » pas.
Lorsque je reviens, tout excité d’une journée qui m’a exalté, après avoir fait
une découverte ou au moins une trouvaille, ou au moins l’avoir cru, eh bien, la
nuit venue, pour lui je serai encore dans le train, c’est ainsi qu’il voit mes
« progrès » : dans un train, mais cette fois à l’aise, de la place libre devant et à
côté de moi, et le convoi roulant à vive allure.
Avec le train, par le train, dans le train, il me comprend, me suivant comme
il peut ! Mais le faire sortir de son maudit vulgaire matériel d’expression, pas
question. (FEFE, 463)
Le rêve, chez Michaux, littéralise et littérarise la vie psychique. Il traduit les émotions
sous la forme des scénarios les plus simples et les plus proches de leur expression : « Pouvoir
se déplacer ! Symbole de tant de choses ! Signe réconfortant de tout ce qui est en voie de
déplacement, de changement. Avenir. Image de ma vie, progression plus souvent qu’en progrès,
etc., etc. » (FEFE, 464) Paradoxalement, l’usage de l’image qui y est fait, en prenant le contenu
« à la lettre181 », vient contrer à la fois la lecture symbolisante, trop pauvre, et la lecture poétique,

180
Dans Intelligence du rêve (Payot, 2012), Anne Dufourmantel propose elle aussi d’envisager le rêve par le
prisme de la traduction.
181
« (un rêve ça prend tout à la lettre) », (FEFE, 451)

181
trop riche pour ce « contrariant nocturne » (FEFE, 460). Ce qui prime, c’est finalement la
singularité de l’idiolecte, qui trouve, dans cet usage métaphorique privé, son correspondant en
langage onirique.
Alors que, chez Michaux, l’interprétation du rêve fait surgir des images, souvent
fantaisistes, qui ouvrent le rêve vers un ailleurs imaginaire, ce même principe matriciel permet
au texte leirisien de se déployer, mais en tissant en son sein des liens qui tiennent ensemble ses
diverses ramifications et donnent à cet ensemble une certaine cohérence. Générateur de
propositions nouvelles, aussi bien dans le rapport qui unit le texte du rêve à sa glose que dans
le traitement de cette glose elle-même (fables, réflexions métapsychiques ou métapoétiques),
le traitement interprétatif fait surgir, au sein du texte, un régime discursif secondaire mais non
moins poétique.

Le rêve : un tangram ? (Leiris)

Alors que, dans les revues surréalistes et dans son recueil Nuits sans nuit et quelques
jours sans jour, Leiris se garde bien d’accompagner ses récits de rêves de quelque commentaire
que ce soit, la démarche interprétative est au contraire au cœur de l’écriture qui se déploie dans
la somme autobiographique que constituent les quatre tomes de La Règle du jeu. Aussi confie-
t-il à Claude Sarraute, lors de la parution de son recueil de rêves :

Si je suis venu à lui [Freud], si ses découvertes m'ont à ce point intéressé,


c'est toujours dans le même esprit surréaliste de réhabilitation, avec ce souci de
prendre parti pour des choses communément rejetées. Me plaisait l'importance
qu'il attachait à des faits considérés avant lui comme insignifiants : lapsus, actes
manqués, etc182.
Celui qui s’est confronté à la cure sur le divan d’Adrien Borel, d’abord d’octobre 1929 à janvier
1931 (départ pour la mission Dakar-Djibouti), puis de juin 1934 à mars 1935, cultive dans son
œuvre un rapport fait tantôt d’attraction, tantôt de résistance à l’égard de la psychanalyse. Cette
pratique thérapeutique, qu’il se plaisait à définir comme un « lapsus canalisé au moyen d’un
canapé-lit183 », ne le laisse pourtant pas indifférent. Elle lui offre un arsenal de procédures sans
pour autant qu’il adhère aux concepts sur lesquels elle repose, à commencer par le complexe
d’Œdipe. Alors qu’il se dit particulièrement intéressé par les essais anthropologiques de Freud
– La Psychopathologie de la vie quotidienne ou Totem et tabou –, l’auteur de L’Afrique fantôme

182
Michel Leiris, entretien avec Claude Sarraute, « Un collectionneur de rêves : Michel Leiris », entretien avec
Claude Sarraute, Le Monde, 28 janvier 1961.
183
Michel Leiris, Glossaire j’y serre mes gloses, dans Mots sans mémoire, Gallimard, coll. « L’Imaginaire », 2007,
p. 105.

182
n’a, semble-t-il, pas lu les ouvrages du maître viennois sur le rêve184. Cela ne l’empêche pas,
bien au contraire, de ponctuer L’Âge d’homme de récits de rêves auxquels il donne une place et
une fonction stratégique185, et de se livrer, dans La Règle du jeu, à quelques interprétations
extrêmement fécondes, et que n’ont pas manqué pas de relever ses lecteurs (professionnels ou
initiés à la science freudienne), à l’instar de Jean-Bertrand Pontalis, qui souligne ainsi la
convergence des méthodes :

La méthode cherche à rejoindre celle de la psychanalyse : association libre,


et partant bien contraignante puisqu’elle s’interdit le choix et le système, sur
des images emblématiques, des souvenirs enkystés, des mots entendus ou
prononcés de travers ; ressassement qui est aussi une élaboration de l’intention
qui à la fois se masque et se trahit dans les thèmes mis au jour ; « capricieuse
course au clocher », « cheminement hors des sentiers battus », progrès
discontinu d’une parole qui constitue sa vérité. C’est bien là l’héritage de Freud
poursuivant le sens dans ses déviations – rébus du rêve, jeux de langage –, le
sujet dans ses marges – méprises de l’acte et de la parole –, l’inconscient dans
ses détours186.
Le vœu de se donner pour technique d’exploration une « multiplication de la
conscience187 », l’attention portée à la forme des énoncés – notamment aux sonorités de la
langue – aussi bien qu’à leur agencement et aux connotations personnelles qu’ils charrient
poussent Leiris à rechercher le sens dans les recoins du langage et de la mémoire.

Je me bornais à miser sur la manipulation du langage et sur mes rêves de la


nuit pour obtenir je ne sais quelle révélation métaphysique qui,
momentanément du moins, m’aurait arraché à mes tourments188.
Comme le remarque Catherine Maubon189, le rêve est soumis, dans La Règle du jeu, à
un traitement interprétatif qui, s’il fait la part belle aux élaborations de tous ordres, se refuse à
la résolution du sens en un message définitif. Le mouvement d’expansion herméneutique
engendré par l’association sans fin de nouveaux éléments et l’énoncé de multiples hypothèses
relancent sans cesse la dynamique de recherche au moment où une réduction de l’équation

184
« Il semble qu’après 1923 aucun texte de Freud n’ait spécialement arrêté son attention. Il n’a pas lu les livres
de Freud sur le rêve (traduit en 1926 et 1927), ni son livre sur le mot d’esprit (traduit en 1930), ni les Cinq
psychanalyses (traduites en 1936) dont il semble ignorer jusqu’à l’existence. » Philippe Lejeune, « Post scriptum
à Lire Leiris », art. cit., p. 170.
185
Dans L’Âge d’homme, les récits de rêves sont situés en début ou en fin de chapitre, conférant ainsi « le rôle
d’un embrayeur dont l’effet propulseur est à peine amorcé. » Catherine Maubon, Michel Leiris en marge de
l’autobiographie, Corti, 1994, p. 38.
186
Jean-Bertrand Pontalis, Après Freud, Gallimard, coll. « tel », 1993, p. 321.
187
Michel Leiris, Journal, Gallimard, 1992, p. 138.
188
Michel Leiris, « 45 rue Blomet », Zébrage, Gallimard, coll. « folio essais », 1992, p. 227.
189
« Le rêve reste une enclave privilégiée à la force de laquelle ne résiste aucun réseau associatif. On parlera à ce
propos de blocage, de résistance ou de censure. Ceci sera d’autant moins notre propos que jamais Leiris ne reconnut
au langage discursif le pouvoir de dominer la puissance du rêve. Orphée plutôt qu’Œdipe, c’est vers le monde
énigmatique des ombres qu’à travers les mailles de l’interprétation il ne cessa de porter son regard. » Catherine
Maubon, Michel Leiris en marge de l’autobiographie, op. cit., p. 35.

183
onirique est approchée : « très vite, le rêve est soumis à l’épreuve du sens. L’activité onirique
est privée de son univocité, de sa plénitude190. » Ce mouvement de démultiplication, engendré
par le traitement littéraire du rêve, va ainsi à l’encontre de la synthèse visée par la psychologie
qui, aux yeux du poète, « piste l’homme et, close et figée, lui inflige une autopsie191. » Si le
rêve est fécond, c’est donc d’abord sur le plan littéraire, tant il est pourvoyeur de fils
interprétatifs qui tissent la matière même de l’ouvrage192.
L’intérêt porté au rêve, tout en étant profondément ancré dans un contexte
épistémologique qui lui attribue une valeur heuristique dans la connaissance intime du sujet,
demeure essentiellement motivé, chez Leiris, par la recherche poétique. La démarche
psychanalytique est en fait mise au service de l’élaboration littéraire, seul contexte dans lequel
le rêve trouve une valeur. Philippe Lejeune témoigne de ce réinvestissement poétique :

De quoi parlait-on ? de rêves ? […] Je l’interroge sur ce qu’il faisait de ses


rêves. Il me confirme qu’il n’a noté par écrit que ceux qui d’emblée lui
paraissaient avoir une valeur poétique. Jamais il ne notait ses « rêves
psychanalytiques ». Et sur aucun rêve il n’a même esquissé un travail d’analyse
par la méthode d’associations. Cela lui semblait n’avoir guère de pertinence.
La seule chose qu’il ait faite, dit-il, c’est d’avoir utilisé ses rêves dans son
autobiographie, les rêves trouvant leur explication dans le contexte193.

Pour Leiris, la psychanalyse semble avoir été essentiellement acceptée


comme méthode poétique (elle instaure un système d’analogies et de renvois
entre les différentes images, elle permet d’établir des cohérences, des
circulations), refusée comme système d’interprétation (elle ramènerait tout
maniaquement à la sexualité), et pour tout le reste complètement méconnue194.
Ce réemploi partiel et paradoxal des outils de la psychanalyse (rejet ou mise à distance des
concepts mais reprise de certains procédés d’analyse) fait dire à Jean Bellemin-Noël que La
Règle du jeu opère un traitement du rêve bien particulier, dans lequel l’interprétation n’est pas
seulement transmise par les mots mais rendue possible par le travail du texte.

Non seulement nous avons un texte de rêve et un essai d’explicitation


utilisant le matériel directement rapporté par le rêve, au fil d’un balayage plus
ou moins systématique, mais nous bénéficions également des matériaux surgis
dans et de l’écriture, — du travail de mise en récit littéraire et non plus de
« l’anamnèse-pour-interpréter ». Ou disons mieux : des apports textuels plutôt

190
Catherine Maubon, op. cit., p. 42.
191
Michel Leiris, « Souple mantique et simples tics de glotte en supplément », Langage tangage, Gallimard, 1985,
p. 51.
192
« Le gain du rêve est essentiellement textuel : au fur et à mesure du cycle, l’impact du rêve se mesure moins au
“sentir” de son expérience qu’à la diversification et à l’extension de ses ramifications à l’intérieur de l’espace
ouvert par son exploration192. » Catherine Maubon, op. cit., p. 44.
193
Philippe Lejeune, « Poste scriptum à Lire Leiris », art. cit., p. 172.
194
Ibid., p. 173.

184
que factuels, qui élargissent le champ des associations en ajoutant à la
« réalité » qui cernait le rêve tout un environnement rédactionnel instauré par
la tentative même de l’expliciter195.
Dans Fibrilles, troisième tome de La Règle du jeu, la narration puis l’interprétation
minutieuse d’un rêve daté du 2 décembre 1956 occupe près de vingt pages196. Celui-ci débute
par une scène de promenade en montagne. Leiris promène sa chienne le long d’une falaise
lorsque celle-ci s’élance à la poursuite d’un oiseau, disparaît un moment, laissant son maître
dans une grande inquiétude, puis réapparaît. La suite du récit nous convie chez Leiris lui-même,
lequel héberge chez lui Aimé Césaire. Une foule venue voir l’écrivain martiniquais envahit
bientôt l’espace et met à mal le foyer, forçant Leiris à se réfugier dans un box. À force de
protestations, Leiris parvient à évacuer la foule pour ranger ses affaires, avec l’aide d’une jeune
femme.
L’analyse, qui se développe sur une vingtaine de pages, convoque en fait deux autres
rêves197 dont le souvenir est « raccordé » au premier, « partage[ant] avec lui comme avec les
autres maillons de cette chaîne un curieux air de famille198 ». Rapprochés par la présence
commune d’escarpements rocheux (« falaise abrupte199 » dans le rêve du 2 décembre 1956,
« paysage montagneux200 » dans celui du 16 avril 1955, « bloc rocheux de la montagne201 » dans
l’épisode rêvé le 27 septembre 1942), ces trois rêves finissent par former ensemble un réseau
de signes que Leiris se plaît à manipuler.
Le rêve se présente d’abord comme une énigme ou un casse-tête qu’il s’agit de
reconstituer.

Mais […] il y a, cette nuit-même, un rêve qui s’est glissé et qui se propose
à la façon d’un idéogramme que, d’urgence, il me faut décrypter. Un rêve
(comme il en est souvent) cassé dès mon réveil en morceaux disparates et pas
toujours immédiatement identifiables, mais dont je sais qu’à l’origine ils
constituaient un même ensemble202.
La métaphore de l’objet cassé qu’il s’agirait de reconstruire, alliée à celle de l’énigme pourrait
assez vite nous faire aller vers celle du tangram, sorte de puzzle et casse-tête dans lequel le

195
Jean Bellemin-Noël, « Acharnement herméneutique sur un fragment de ‘fibrilles’ », Littérature, Larousse,
n° 79, octobre 1990, p. 46-62, repris dans Interlignes 3. Lectures textanalytiques, Villeneuve d’Ascq : Presses
universitaires du Septentrion, coll. « Objet », 1996, p. 177-199. (48 / 181 dans Interlignes 3)
196
Michel Leiris, Fibrilles, dans La Règle du jeu, édition publiée sous la direction de Denis Hollier, Gallimard,
coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 560-578.
197
Michel Leiris, Fibrilles, op. cit., p. 1275-1277.
198
Ibid., p. 560.
199
Ibid., p. 1274.
200
Ibid., p. 1275.
201
Ibid., p. 1277.
202
Ibid., p. 560.

185
joueur doit reconstituer des silhouettes en employant le maximum de pièces mises à sa
disposition. En effet, cet exemple fournit à Leiris l’occasion d’un jeu d’interprétation dans
lequel le plaisir de la manipulation mentale des divers éléments oniriques semble l’emporter
sur le désir d’arrêter un sens définitif. Aussi le poète se livre-t-il à trois interprétations
successives, établies selon trois principes différents, comme autant de règles du jeu
herméneutique.
D’abord réagencés selon « la logique d’un apologue », les segments de rêve fournissent
au poète une interprétation morale :

Noblement commencé dans l’aridité d’un paysage de montagne, et


poursuivi dans le remue-ménage d’une maison surpeuplée, le rêve, bientôt
kermesse électorale après le bond vertigineux d’un animal soûlé d’air et de
liberté, s’achève sur un rafistolage pour lequel est employé sans vergogne
comme un objet délicat, dont risque d’être annihilé ce qui faisait sa dignité :
l’équilibre, grâce à quoi la balance est un symbole de rectitude et de justice.
Ainsi résumée la succession intermittente des phantasmes acquiert la logique
d’un apologue, auquel je serais tenté d’assigner le sens suivant si j’oubliais dans
quelle ambiance de malaise ces événements se déroulent : notre aspiration toute
pure et comme animale à une vie non claquemurée est reléguée à l’arrière-plan
par l’action politique ; mais cette antinomie entre exigences naturelles et
rigueur d’une idée peut être résolue pratiquement – d’une façon qui, certes, frise
l’acrobatie – avec un peu de bon vouloir et d’ingéniosité203.
Toutefois, cette première hypothèse est aussitôt discréditée, tenue en étau par l’énoncé d’une
tournure conditionnelle irréalisante et le soupçon jeté sur elle par la mention d’une « acrobatie »
intellectuelle à laquelle serait contraint qui voudrait la suivre jusqu’au bout.
Si cette première option ne satisfait pas Leiris, c’est surtout parce qu’elle n’est
finalement pas assez intégrative.

Ce schéma serait-il différemment orienté […] qu’il serait en tout cas bien
pauvre, et par définition mensonger comme tout ce qui, en se faisant trop clair,
s’est dépouillé de détails hâtivement jugés superfétatoires ou comme ce qu’un
simple parti pris nous a induits à dégager, vaille que vaille, de son incohérence
radicale204.
La construction mentale devient ici « schéma », avec tout ce que ce terme recouvre
d’abstraction et de manipulation. Un second scénario interprétatif, cette fois-ci élaboré sur la
base de concepts psychanalytiques, permet à l’auteur d’inclure davantage d’éléments et de
donner à l’ensemble une unité peut-être plus solide.

Nulle raison, assurément, de le tenir pour plus suspect a priori que celui qui
m’aurait semblé s’imposer si, prenant appui sur l’épisode du fléau de balance
(cette tige éminemment mobile aux deux bouts de laquelle je suspends tant bien

203
Ibid., p. 566-567.
204
Ibid., p. 567.

186
que mal un tiroir), je m’étais engagé dans la voie trouble dont cet objet bizarre
peut passer pour le poteau indicateur et avais interprété le tout en termes de
sexualité : la chienne et son plongeon de casse-cou comme image du prurit
amoureux, l’ami glorieux comme substitut du père ou frère aîné dont je n’ai
cessé d’envier la virilité, le travail de bricoleur que j’accomplis non sans peine
avec l’aide d’une aimable assistante comme expression du tour de force que
vient un jour à représenter le bon usage de la balance à double globe fibreux
qu’est l’engin de la procréation205.
De « symbole de rectitude et de justice », la balance devient symbole phallique, entraînant dans
cette reconfiguration sémantique tout son cortège d’imagos parentales et de représentations
sexuelles. Leiris s’amuse à retrouver, dans cet inventaire hétéroclite, tout ce qui, de près ou de
loin, pourrait trouver une valeur dans ce qu’il connaît de la symbolique freudienne. Pourtant,
cette configuration est encore insuffisante.

Mais nulle raison non plus de tenir ce schéma pour plus valable que celui
que j’obtiendrais si je mettais en avant des données d’ordre linguistique206.
Et le poète de brasser à nouveaux les éléments et de leur attribuer de nouvelles valeurs. La
chienne, d’abord associée à la liberté, puis à la fougue sexuelle, est cette fois liée à la chasse
par relation syntagmatique ; la campagne, de bucolique, devient « électorale », et la balance
suggère en troisième ressort un trapèze qui, par un détour étymologique, revient vers l’équilibre
du budget.
La succession des scénarios interprétatifs, l’apparente facilité avec laquelle le poète les
élabore, la vitesse avec laquelle il les enchaîne, tout cela finit par instaurer entre les diverses
propositions une certaine équivalence qui les réduit à zéro. Si tout est possible, alors rien n’est
pertinent et les valeurs s’annulent les unes les autres.

Au cas même où je saurais montrer que ces diverses analyses se complètent


au lieu de s’exclure, et finalement, qu’elles s’étayent en se recoupant sur bien
des points, je les estimerais trop mécaniques pour avoir la chance de toucher à
l’essentiel et je n’accorderais qu’un faible prix à des aperçus dont presque à
volonté je peux prolonger la série207.
Serait-ce une manière, pour Leiris, de faire de l’interprétation un jeu d’écriture ? ou de renvoyer
dos à dos les divers systèmes interprétatifs pour mieux les ruiner ? Quoi qu’il en soit, le rêve
est prétexte à la création de discours qui paraissent pouvoir s’enchaîner et se superposer sans
fin. Selon le vertigineux principe des poupées gigognes, le rêve appelle l’interprétation, qui
engendre la contre-interprétation, qui produit le commentaire, non seulement du rêveur lui-
même mais encore de ses critiques.

205
Ibid., p. 567.
206
Ibid., p. 567.
207
Ibid., p. 568.

187
***

Témoins d’un savoir du rêve en construction, les auteurs font bien volontiers de leurs
recueils les minutes scientifiques de leurs délires nocturnes. Les engouements comme les
résistances suscités par les diverses théories qui parcourent le siècle trouvent à se coucher sur
les pages208 de ces chambres d’écho. C’est, sans conteste, le discours psychanalytique qui hante
le plus les textes littéraires. Présent dès le début du siècle dans les productions de Paulhan, il
suscite des réactions particulièrement vives dans les années 1920 et 1930, notamment au sein
de Dada et du cercle surréaliste. Dans la deuxième moitié du siècle, la critique, moins virulente,
apprend à le (dé)jouer : Leiris en tire des procédures d’écriture, Michaux continue à y faire
allusion sur un mode parodique et Béalu s’en amuse autant que des clefs des songes populaires.
De façon surprenante, la place réservée à la discussion des théories psychanalytiques
occulte la réception des autres approches. Les discours de savoirs élaborés avant le XXe siècle
ne se retrouvent que chez Yourcenar et Michaux. Les écrivains ne parlent guère, ou très peu
(Perec, Béalu), des avancées neuroscientifiques. Il s’avère difficile d’établir une périodisation
des discours véhiculés : aucune tendance critique, sinon celle de la psychanalyse, ne se dégage
de l’examen chronologique. On trouve des détracteurs (Valéry, Paulhan, Michaux, comme des
partisans (Breton, Queneau Leiris, Perec) à toutes les époques. Peut-être les écrivains
contemporains sont-ils moins critiques, mais c’est alors surtout parce qu’ils gardent le silence
sur ce point.

Finalement, la littérature se distingue par sa capacité à entrer dans le débat de façon


moins frontale que les sciences. Par le second degré, la citation distanciée ou les images
ludiques, elle intègre les discours de savoirs et les considère moins comme des concurrents que
comme des pourvoyeurs de matière poétique. Si certains auteurs se laissent aller à la caricature,
la plupart reconnaissent volontiers qu’ils trouvent là des motifs et des procédures à reprendre
ou à déformer.

208
Nous reprenons ici le jeu de mot formulé par Perec dans Espèces d’espaces : « On utilise généralement la page
dans le sens de sa plus grande dimension. Il en va de même pour le lit. Le lit (ou, si l’on préfère, le page) est un
espace rectangulaire, plus long que large, dans lequel, ou sur lequel, on se couche communément dans le sens de
la longueur. » Georges Perec, Espèces d’espaces, Galilée, 1974, p. 33.

188
Les réticences se cristallisent sur la crainte de voir se développer une lecture
symptomatique des récits de rêve littéraires. Alors que les écrivains puisent dans les discours
allogènes pour nourrir leur réflexion et leurs représentations, ils refusent de voir leurs textes
réduits à de simples illustrations. Rêveurs impudiques, ils craignent surtout d’être ramenés eux-
mêmes à de purs cas, que de savants lecteurs se permettraient d’analyser au nom d’une science
jugée supérieure.
Qu’ils en reprennent le principe symbolique, comme Breton, qu’ils la relativisent et
l’enrichissent d’autres apports culturels, comme Yourcenar, ou qu’ils la tournent en dérision,
comme Michaux et Béalu, l’essentiel, pour eux, n’est pas tant de valider ou de contrer une
interprétation que de la déplacer sur le terrain poétique, celui de l’ouverture du sens. Quand la
formule scientifique se doit, en toute rigueur, de viser l’univocité, l’image poétique, elle,
embrasse l’équivocité.
Par rapport à l’homme de science, l’écrivain occupe donc une position particulière sur
le terrain de la connaissance du rêve. En effet, là où les spécialistes des autres disciplines
adoptent le regard distancié du savant, observant son objet, le littérateur, lui, est à la fois rêveur
et interprète, garant surtout de la part du rêve irréductible à toute explication.

189
CHAPITRE III

APPROCHES LITTÉRAIRES DU RÊVE

3.1.   L’ÉCRIVAIN, UN RÊVEUR AUTODIDACTE ?

Les premiers temps de la psychanalyse participent activement à faire de l’écrivain une sorte
de savant inné de la psyché. L’écrivain, érigé en grand connaisseur de l’âme humaine, y est
saisi dans une conception romantique de l’artiste, qui lui fait volontiers don d’une intuition
géniale de la science. Ainsi, lorsqu’il écrit à Schnitzler, Freud fait de son correspondant une
sorte d’alter ego, capable de percer à jour des vérités de l’âme humaine : « Je pense que je vous
ai évité une sorte de crainte de rencontrer mon double. J’ai ainsi eu l’impression que vous saviez
intuitivement… tout ce que j’ai découvert d’un laborieux travail appliqué1. » L’écrivain en
deviendrait presque supérieur au psychanalyste par sa connaissance infuse et subtile, innée, des
tréfonds de la psychologie. Il saurait sans apprendre, sans étudier, par simple observation ; bref,
par génie.
Sur le sujet particulier du rêve, sa compétence est comme redoublée. Détenteur, comme
malgré lui, d’un savoir sur les secrets de l’âme, il aurait cette supériorité d’être, de plus, un
rêveur exemplaire.

1
Lettre de Freud à Schnitzler du 14 mai 1922, citée par Paul-Laurent Assoun, Littérature et psychanalyse, Ellipses,
coll. « Thèmes et études », 1996, p. 6.
Les écrivains sont de précieux alliés et il faut placer bien haut leur
témoignage car ils connaissent d’ordinaire une foule de choses entre le ciel et
la terre dont notre sagesse d’école n’a pas encore la moindre idée. Ils nous
devancent de beaucoup, nous autres hommes ordinaires, notamment en matière
de psychologie, parce qu’ils puisent là à des sources que nous n’avons pas
encore explorées pour la science2.
L’homme de lettres est présenté comme un homme à la sensibilité exacerbée, capable de
percevoir finement et de mettre en mots des aspects de la conscience humaine qui échappent
aux hommes de science. Plus tard, l’artiste, par le prisme de sa production, sera passé au peigne
fin de l’étude psychanalytique3 mais, « avant même d’être l’objet de son investigation, c’est
bien un allié et un témoin4. » Témoin, l’écrivain l’est par sa capacité à saisir et décrire les états
de l’âme ; allié, il l’est par la légitimité qu’il concède à des approches de dévoilement du sens
non spécifiquement scientifiques.
Cette conception de l’artiste, à la fois plus sensible et finalement meilleur savant, ne
peut que séduire Breton, qui, emboîtant le pas de la Gradiva, cite à l’entrée « rêve » du
Dictionnaire abrégé du surréalisme (1938), cette exhortation issue des premières lignes de
l’essai que Freud consacre à la nouvelle de Jensen : « Que le poète ne s’est-il prononcé plus
nettement encore en faveur de la nature, pleine de sens, des rêves5 ! » Réinterprétable en
expression satisfaite d’un vœu exaucé par la publication des Vases communicants6, cette
exclamation sonne comme un cri de ralliement des surréalistes à la cause du rêve.
Cependant, si le savant et l’écrivain semblent s’accorder sur les qualités d’observateur
et d’analyste du littérateur, chacun sert, sous ce constat commun, des objectifs contraires. Alors
que les surréalistes visent à faire du poète l’égal du savant dans la marche herméneutique à
laquelle les convie le rêve, Freud, lui, cherche plutôt à s’arroger le droit de coloniser la
littérature comme nouveau domaine d’expertise.
Sous couvert de se faire de l’écrivain un allié, lancé comme lui dans l’examen de
l’intériorité, il légitime son annexion du texte littéraire, lequel devient nouveau terrain
d’exploration, d’exploitation et de démonstration de la pertinence de concepts d’analyse
pourtant forgés loin de lui. Dans L’Écrivain et le fantasmer (1908), Freud, en disant de

2
Sigmund Freud, Le Délire et les rêves dans la Gradiva de Jensen, Gallimard, coll. « folio essai », 1991, p. 141.
3
On peut penser par exemple aux analyses de Freud sur Hoffman ou Dostoïevski.
4
Paul-Laurent Assoun, Littérature et psychanalyse, op. cit., p. 3.
5
Dans la traduction de Paule Arbex et Rose-Marie Zeitlin : « Si seulement cette prise de position des écrivains en
faveur de la nature signifiante des rêves était moins ambiguë ! » Sigmund Freud, Le désir et les rêves dans la
Gradiva de Jensen, op. cit., p. 141.
6
La référence à Jensen était déjà présente en épigraphe de la première partie des Vases communicants : « … Et
retroussant légèrement sa robe de la main gauche, Gradiva Rediviva Zoé Bertgang, enveloppée des regards rêveurs
de Hanold, de sa démarche souple et tranquille, en plein soleil sur les dalles, passa de l’autre côté de la rue. »,
OC II, p. 103.

192
l’écrivain qu’il est un « rêveur de plein jour7 », pose une analogie entre la rêverie diurne et la
création littéraire – ainsi considérée comme un acte fantasmatique. Comme le rappelle Paul-
Laurent Assoun, « ce n’est pas un hasard si c’est en ce moment précis – 1906-1908 – où il a
exploré les grandes “formations inconscientes” (rêves, actes manqués, mots d’esprit) et posé
les grands principes de la théorie de la libido (1905) que Freud en vient à la création littéraire. »

La Dichtung [production littéraire] peut – dans une certaine mesure – être


considérée comme ce nouveau chapitre de la « grammaire de l’inconscient » :
c’est pourquoi on gagnera à la confronter à ces formations parentes : l’œuvre
littéraire n’aurait-elle pas des caractéristiques voisines de celles du rêve, du
symptôme, voire du « mot d’esprit » ? C’est d’autre part une illustration de la
théorie des conflits inconscients et de la théorie psychosexuelle8.
Le mérite reconnu à l’écrivain psychologue permet ainsi de mettre en place un transfert de
concepts qui autorise le psychanalyste, en retour, à se mêler de littérature : puisque le littérateur
se distingue par sa finesse d’analyse et qu’il brille par la justesse de ses portraits « plus vrais
que nature », pourquoi ne pas prendre la littérature comme pourvoyeur de cas inédits ? Rôdés
depuis quelques temps déjà, les outils d’analyse du rêve (condensation, déplacement,
figuration) sont sollicités, dans le commentaire de la Gradiva, pour éclairer des rêves non plus
authentiques, mais conctruits et fictionnels.

Dans un cercle d’hommes […], s’est éveillée un jour la curiosité de


s’occuper de rêves qui n’ont jamais été rêvés, qui ont été créés par des écrivains
et attribués à des personnages imaginaires dans le cadre d’un récit9.
Le bénéfice est double : confirmer, par un raisonnement qu’elle ignorait, une fiction qui passe
alors pour une intuition littéraire géniale et lui donner ainsi un certain crédit scientifique, mais
surtout, étendre l’empire de la psychanalyse, nouvelle science à laquelle, décidément, rien ne
résiste. À la fin de l’étude, Freud se félicite du succès de son entreprise et répète encore sa
satisfaction des années plus tard :

Sur une petite nouvelle, sans valeur particulière en soi, la Gradiva de W.


Jensen, je pus démontrer que des rêves poétisés permettent les mêmes
interprétations que des rêves réels, qu’en conséquence agissent dans la
production de l’écrivain les mécanismes connus de nous à partir du travail du
rêve10.
Cependant, à la suite de Pierre Bayard, on pourrait reprocher à Freud une certaine myopie :
« Ce n’est pas, en effet, entre l’œuvre de Jensen et la théorie freudienne qu’il y a concordance,

7
Sigmund Freud, « L’Écrivain et le fantasmer » (Der Dichter und das Phantasieren), dans Freud et la création
littéraire, choix de textes par Pierre Cotet et François Robert, PUF, 2010, p. 11-21.
8
Paul-Laurent Assoun, Littérature et Psychanalyse, op. cit., p. 27.
9
Sigmund Freud, Le Délire et les rêves dans la Gradiva de W. Jensen, op. cit., p. 139-140.
10
Sigmund Freud, Autoprésentation, 1925, GW XIV, p. 91.

193
mais, ce qui n’est pas du tout la même chose, entre la théorie freudienne et l’œuvre de Jensen
relue au prisme de la théorie freudienne11. » Dès lors, le commentaire qu’il propose est moins à
lire comme une interprétation psychanalytique des rêves de Norbert Hanold, héros de la
Gradiva, que comme une défense et illustration de la psychanalyse.
Les réticences qu’un certain nombre d’auteurs se sont forgées quant à l’exploitation
psychanalytique de la littérature trouvent ici leur fondement12. En confondant rêve rêvé et récit
de rêve, Freud perd de vue la spécificité littéraire de son objet et « dépouille le discours de sa
chair rhétorique13 ». Non seulement il traite le personnage comme un individu réel et, à ce titre,
analyse son rêve comme un rêve authentique, mais, par extension, il assimile le fonctionnement
de tout texte littéraire à celui d’une expression d’un inconscient, qu’il place très clairement du
côté de l’auteur. S’intéressant non pas au texte mais aux conditions de sa création, il en vient à
confondre les règles de composition littéraire et celles qu’il a identifiées comme présidant à
l’élaboration du rêve14.
Alors qu’il met en garde contre le risque de faire une « caricature d’interprétation »
consistant à « déplacer » dans une « œuvre d’art innocente » des « tendances dont le créateur
(Schöpfer) n’avait aucune idée15 », Freud soulève l’épineux problème de la place de l’auteur16
dans la construction de l’interprétation des textes. En effet, à l’en croire, cette dernière n’est pas
autre chose qu’une opération de dévoilement qui, pour restituer son sens au texte, devrait
reconstituer l’histoire d’un sujet à chercher, derrière le personnage, du côté de l’auteur17. Cette
démarche, qui « n’enrichit pas la lecture de l’œuvre » mais « enquête sur l’âme secrète du

11
Pierre Bayard, Peut-on appliquer la littérature à la psychanalyse ?, Éditions de Minuit, « Paradoxe », 2004,
p. 31.
12
Cf. infra, chap. II « Comment peut-on ? La crainte d’une psychanalyse appliquée à la littérature ».
13
Jean Bellemin-Noël, Psychanalyse et littérature (1978), édition revue et corrigée, PUF, 2012.
14
Paul-Laurent Assoun remarque, à propos de L’Écrivain et le fantasmer, publié un an après Le Délire et les rêves
dans la Gradiva de Jensen : « L’écrit de 1908 appartient, il faut s’en souvenir, au premier état de la
métapsychologie, celle qui s’est développée sur le modèle du rêve. La notion de “rêverie” ou “rêve éveillé” –
Tagtraum, littéralement : “rêve de jour” – est donc déterminante dans l’explication du fantasme. Ce n’est que
progressivement que la notion de fantasmer prendra de la densité dans l’élaboration théorique, en sorte que l’on
peut en tirer parti pour rééclairer les premières formules de Freud sur cette variante de formation fantasmatique
qu’est la “création littéraire” ». Littérature et psychanalyse, op. cit., p. 36.
15
Sigmund Freud, Le Délire et les rêves dans la Gradiva de W. Jensen, op. cit, p. 243.
16
De la psychocritique de Charles Mauron à la textanalyse de Jean Bellemin-Noël, les questions de la biographie
et de l’intention de l’auteur sont au cœur des croisements entre psychanalyse et littérature. Sur le sujet, voir
l’ouvrage de Jean Bellemin-Noël, Psychanalyse et littérature (1978), édition revue et corrigée, PUF,
coll. « Quadrige », 2012 et la thèse de Pierre Bayard, Les lectures freudiennes du texte littéraire en France.
Problèmes de méthode, Université Paris 8, 1991.
17
Dans sa correspondance avec Jensen, Freud ne fait rien d’autre qu’interroger l’histoire de l’auteur afin de
confirmer les hypothèses qu’il a formulées à partir du texte sur la construction psychique de l’auteur.

194
créateur18 », laisse donc à penser qu’il y aurait une transparence de l’auteur dans son œuvre et
que l’on pourrait pratiquer la psychanalyse in absentia, par livre interposé.
Breton se laisse aller, lui aussi, à l’interprétation psychanalytique de la poésie, comme
son commentaire du poème « Tournesol19 » en donne un parfait exemple, mais il entend surtout
collaborer à l’élaboration d’un savoir sur lequel le révéré domaine de la science n’aurait plus la
prérogative.

Les analystes eux-mêmes n’ont qu’à y gagner. Mais il importe d’observer


qu’aucun moyen n’est désigné a priori pour la conduite de cette entreprise, que
jusqu’à nouvel ordre elle peut passer pour être aussi bien du ressort des poètes
que des savants et que son succès ne dépend que des voies plus ou moins
capricieuses qui seront suivies20.
L’équivalence des méthodes mise en avant par Breton cache, implicitement, une primauté
accordée aux lettres. En effet, si le poète peut se saisir des procédures mises en place par la
psychanalyse, l’inverse n’est pas vrai : là réside la supériorité de la littérature. Ainsi, la « lune
de miel » souhaitée « entre l’art et la science21 » ne peut être réalisée que par le poète. « Un jour
viendra où les sciences, à leur tour, seront abordées dans cet esprit poétique qui semble à
première vue leur être si contraire22 », prédisait-il, dès 1922.
Frédérick Tristan, avec près de quatre-vingts ans de recul, retourne habilement la
perspective. À Freud, défendant que les écrivains sont de fins psychologues qui ont su devancer
la théorie psychanalytique, il présente un miroir inversé.

Pour moi, Freud est un écrivain qui s’est pris pour un psychologue. Sa
psychologie est totalement inventée, mythifiée, profondément mystifiée par son
époque, Vienne, le Romantisme allemand, le Talmud. Il est vraiment le
contemporain de Schiele, Klimt ou Kokoschka. Ses patients sont devenus ses
personnages, et Moïse tout aussi bien. On comprend qu’il ait fasciné André
Breton : une fiction sans roman, n’était-ce pas l’un des objectifs du
surréalisme23 ?

18
Jean Bellemin-Noël, La psychanalyse de l’œuvre littéraire, Nathan, « 128 », 1996, p. 68.
19
André Breton, L’Amour fou, chap. IV, OC II, p. 724-735. Le poème avait d’abord été publié dans Clair de terre,
OC I, p. 187.
20
André Breton, Manifeste du surréalisme, OC I, p. 316.
21
« Freud, avec tout le génie que je ne cesse de lui accorder, œuvrait sur le terrain le mieux préparé pour qu’il put
se faire entendre à la fois des artistes et des analystes. Entre l’art et la science comme il l’entendait, on eût pu
croire, n’est-ce pas à la lune de miel. Mais vous savez qu’il n’en fut rien et que Freud fut le premier à se dérober
au dialogue. » André Breton, Entretiens avec André Parinaud, OC III, p. 634.
22
André Breton, « Caractères de l’évolution moderne et ce qui en participe », Les Pas perdus, OC I, p. 293.
23
Frédérick Tristan, Le Retournement du gant. Entretiens avec Jean-Luc Moreau, I et II, Fayard, 2000, p. 223. Il
convient de replacer cette déclaration dans son contexte. Tristan tire cette idée d’un travail mené par son ami le
philosophe Jean-Jacques Wunenburger dans son ouvrage Freud (Balland, 1985) dans lequel Wunenburger
s’attache à analyser précisément le contexte dans lequel s’énonce la parole du père de la psychanalyse.

195
Ce point de vue, qui est lui-même une sorte de réécriture et de fictionalisation de l’histoire (une
histoire-fiction), a le mérite de montrer combien, chaque partie envisage l’autre avec ses propres
lunettes et s’exprime toujours d’après son propre domaine de spécialité mais aussi de confort.
Le constat d’une collaboration pour le moins difficile entre science et littérature, et la
mise en concurrence assez stérile des disciplines, font naître l’idée que les récits de rêve, et
toute la réflexion qui pourrait les accompagner ou les sous-tendre, seront de meilleure qualité
s’ils se tiennent à l’écart des discours de la science. Béalu, comme Yourcenar et Paulhan,
reconnaît l’impéritie de la science à résoudre définitivement le problème du rêve et propose
d’envisager le regard de la littérature comme une alternative, non plus complémentaire mais
radicalement différente :

Nous pouvons le répéter : Tout a été dit sur les rêves. Chacun de nos rêves
n’en reste pas moins une énigme, comme le monde aux yeux de l’enfant qui
sort seul de la maison pour la première fois. Devant l’extraordinaire fabrique
d’images où notre sommeil se ravitaille nous gardons la spontanéité, l’immense
étonnement de l’enfant. (VR, 145)
La comparaison enfantine et l’insistance mise sur la nature visuelle du rêve plaident ensemble
pour condamner une culture du rêve « hors lit », coupée des racines de l’expérience authentique.
Pour décrire au mieux ce qui demeure inexpliqué, mieux vaudrait ne pas se sentir contraint par
des discours allogènes, et retrouver un œil neuf. Ce retour à une appréhension naïve, vierge de
tout a priori épistémologique, fait, paradoxalement, la force de la saisie littéraire du phénomène.
« Le mérite des Songes et les sorts, c’est que je n’étais dominée par aucune des théories
courantes à l’époque, en 1938. Elles me paraissaient très insuffisantes, et elles me le paraissent
toujours24 », argumente Yourcenar. Valéry, lui aussi, réprouve l’inutile complexité de discours
scientifiques finalement déconnectés de leur objet, et qui pécheraient par excès d’abstraction et
de théorisation :

Le rêve — quel trou pour le psychologue ! Quel renversement


d’attributions ! C’est l’anarchie intérieure. L’incohérence n’est rien — c’est la
création d’une certaine cohérence — c’est la déformation légère de ce qui est
le mieux connu — qui est inexplicable. […] Des surprises se fabriquant sous
nos yeux et nous surprenant ! (C II, 10)
Vu depuis le poste d’observation du littérateur, le rêve échappe aux saisies scientifiques par
l’incompatibilité fondamentale qui sépare la nature du rêve et la forme du discours explicatif.
C’est paradoxalement en expliquant ici ce qui met sa démarche en échec que Valéry dessine les
contours d’une appréhension non scientifique du phénomène. État instable, le rêve se présente

24
Marguerite Yourcenar, « Du rêve et des drogues », Les Yeux ouverts (1980), entretiens avec Matthieu Galey,
Bayard, coll. « Littérature », 1996, p. 107.

196
au psychologue non comme une matière, susceptible d’être décrite, mais irréductiblement
comme un « trou » : renversement, anarchie, incohérence, inexplicabilité et finalement surprise
sont autant de qualités de l’impermanence, qui semblent contrecarrer toute tentative de discours
prédictif, élaboré sur le repérage de constantes.
Pour saisir ce phénomène si fuyant, restent alors le régime descriptif, la focalisation du
regard singulier, et le point de vue du récit d’expérience.

Les psychanalystes, les psychologues, les chercheurs de matériel biologique


s’accrochent au rêve : pour eux, quelle aubaine. Et qui contredira leurs
interprétations ? La personne qui a rêvé, elle, sait que presque tout rêve est
inexplicable. (SS, 1629)
À la multiplicité des regards savants mais extérieurs, Yourcenar oppose la singularité, unique
et remarquable, de l’expérience vécue. Elle met en exergue le primat de l’expérience sur
l’observation distanciée et met en échec les discours surplombants face au savoir du praticien
des rêves. Le témoignage, valorisé comme seule parole de vérité, légitime la saisie subjective
de l’écrivain qui ne prétend pas à la généralisation mais s’en tient à l’individualité d’un propos,
finalement plus concluante.
C’est donc dans une humilité toute socratique que le discours littéraire acquiert sa
puissance :

Il va sans dire que je ne prétends pas guider le lecteur vers les vérités
dernières de l’aventure onirique, mais vers quelques voies d’accès peu connues
ou tout au moins peu fréquentées dans cette jungle du rêve que personne n’a
explorée tout entière. (SS, 1626)
Non seulement l’auteure ne prétend à aucune généralisation à partir de son expérience
singulière, mais elle ne vise même pas à se hisser au niveau de l’explication, préférant s’en tenir
à la simple description. Ces deux garde-fous, l’individuel plutôt que le collectif et le fait plutôt
que la cause, en lui faisant faire un pas de côté par rapport aux tentatives plus englobantes, la
prémunissent des attaques et la tiennent en dehors du cadre scientifique et des lois générales.

Ce qui m’importe au contraire ici, c’est la frappe d’un destin individuel


imposée au métal du songe, l’alliage inimitable que constituent ces mêmes
éléments psychologiques ou sensuels quand un rêveur les associe selon les lois
d’une chimie qui lui est propre, les charge des significations d’un destin qui ne
sera qu’une fois. (SS, 1534-35)
L’auteure de L’Œuvre au noir, férue de sciences occultes, choisit, pour parler du rêve, de
recourir à la métaphore alchimique plutôt que de faire référence à des sciences plus modernes.
Si, bien sûr, ce choix métaphorique entretient la représentation d’un savoir encore mal construit,
il dit aussi toute la force de la suggestion, propre au discours littéraire, pour le circonscrire.

197
3.2. POUR UNE APPROCHE ESTHÉTIQUE DU RÊVE

Si les scientifiques peinent à donner une définition précise du rêve (comme processus
et comme produit de pensée), cela n’empêche pas les écrivains d’en avoir une idée
suffisamment solide et stable pour reconnaître le phénomène et le nommer. Michaux, bien que
déçu par ses rêves, peut se figurer un rêve modèle, archétypique, qu’il distingue de ses propres
émanations nocturnes, « pâles » et « sans couleurs » (FEFE, 447).

Il est pourtant quelques beaux rêves, qui correspondent à l’aura du mot


« rêve », à beauté, étendue, grandeur, dépassement, et qui une fois racontés font
rêver avec nostalgie ceux qui n’en ont jamais eu de pareils. (FEFE, 515)
Le poète inventorie à regret les associations sémantiques « naturelles » attachées au rêve, toutes
chargées de connotations positives et esthétiques, qu’il ne retrouve pas dans les siens. Tout
fonctionne comme si ces attributs culturels, partagés, devaient servir non plus à décrire les
visions créées par la conscience endormie mais à les identifier ou à les disqualifier. Yourcenar,
de la même façon, énumère leurs caractéristiques poétiques :

C’est à peine un rêve : cette vision tout d’une pièce, tout d’une couleur,
échappe aux conventions nocturnes : pas d’affabulation, pas de changements à
vue, pas de personnages, pas de péripéties, aucun des trucs de coulisses du
songe. (SS, 1559)
La métaphore théâtrale dit combien le rêve – avant même qu’il soit question de récit – semble
régi par des règles de composition qui lui confèrent une allure identifiable. L’analogie avec le
spectacle dramatique – dans ce qu’il comprend de simulacre et ce qu’il génère de fascination –
souligne aussi combien le rêve est, avant toute chose, histoire de représentations, et ce dans le
double sens du terme. D’une part, il projette des images et donne à voir des contenus animés
fictifs, produits de la représentation ; d’autre part, en tant que dispositif cette fois, il peut être
assimilé à une scène de théâtre – lieu de représentation –, ou à d’autres dispositifs scopiques
comme la lanterne magique ou, plus tard, le cinéma25.
Selon Pierre Pachet, l’approche de cet objet énigmatique est prise dans un paradigme
culturel qui l’assimile à une altérité fictionnelle.

[…] nous ne vivons pas dans une culture où le terme de « rêve » ait un sens
bien précis. Aucune orthodoxie religieuse ou littéraire ne nous éclaire, ne nous
contraint. Ce qui se passe est souvent plus insidieux : chacun est invité et
s’invite soi-même à considérer comme « rêve » ce qui, dans les souvenirs des

25
Sur l’analogie entre le rêve et le dispositif cinématographique, voir Marie Martin, Poétique du rêve : l’exemple
de l’avant-garde cinématographique en France (1919-1934), thèse de doctorat soutenue sous la direction de
Laurence Schifano, Université Paris 10, 2008 et Marie Martin et Laurence Schifano (dir.), Rêve et cinéma.
Mouvances théoriques autour d'un champ créatif, Nanterre, PUPO, 2012.

198
illusions du sommeil, peut donner lieu à un récit circonstancié, riche en détails,
situés dans un espace temporellement ou spatialement « autre » : un objet
curieux, rapporté d’ailleurs, clos sur lui-même. Ce rétrécissement sémantique
s’accorde bien avec la paresse naturelle : on ne se sent autorisé à parler de son
sommeil, de sa « nuit », que quand on dispose au réveil du souvenir d’images
brillantes, différenciées, un tant soit peu organisées26.
L’hypothèse formulée par le critique littéraire complexifie le rapport de dépendance entre le
rêve et son récit. On a coutume d’admettre que le rêve n’est pas pensable en dehors de son récit
pour la simple raison que ce dernier en est la seule trace ; mais on s’est peu avisé du fait que le
modèle fictionnel était aussi ce qui correspond le mieux à la représentation que nous avons du
rêve en tant que phénomène psychique : une petite histoire, dont nous serions tout à la fois
l’auteur et le héros, et qui nous serait jouée dans l’intimité de la conscience endormie.
Si donc le mot même de rêve a une « aura », et que le concept peut être pensé par
analogie avec les expériences de fiction ou de création, on ne s’étonnera pas de voir les écrivains
caractériser ce phénomène psychique avec des termes que l’on réserve habituellement à
l’analyse littéraire, poétique ou esthétique. Mué en objet textuel, le rêve se plie formidablement
bien à la narration, mais aussi, puisqu’il est aussi un fait de langage, aux commentaires
stylistiques et poétiques. Fort de ces outils, l’écrivain peut finalement approcher une vérité du
phénomène par l’analyse fine des textes qui en témoignent. Ce retour sur expérience contribue
à construire un savoir poétique du rêve qui, par des voies bien singulières, dit aussi quelque
chose de l’acte de création et, plus largement, d’un rapport à la littérature largement inspiré des
mystères d’inspiration et d’interprétation auxquels nous confrontent nos nuits.

26
Pierre Pachet, Nuits étroitement surveillées, Gallimard, coll. « Le chemin », 1980, p. 14-15.

199
3.2.1. ALLÉGORIE ONIRIQUE ET FICTION SCIENTIFIQUE (OU L’INVERSE)
« Mirage qui scintille au fond des ténèbres27 », comme le définit Leiris, le rêve est bien
plus spontanément considéré comme une suite d’images que comme une suite de mots. Cette
primauté du visuel sur le verbal28 s’est en outre très tôt accompagnée d’une affinité avec un
mode de lecture allégorique. Le rêve, comme l’allégorie29, pense-t-on, « parle autrement » et ne
délivre son message qu’au prix d’une élévation à un niveau de signification secondaire. Pour
faire sens, tous deux doivent ainsi soutenir un mouvement dialectique passant d’un niveau de
lecture fictionnel – qui, dans le cas du rêve, émerveille ou épouvante par les scénarios qu’il
impose au rêveur –, à un niveau de lecture théorique – qui, une fois éclairci, correspondrait au
sens profond et véritable du rêve.
Comme l’ont déjà montré Florence Dumora30 ou Mireille Demaules31, cette
représentation du rêve comme discours allégorique, qui choisirait d’encoder les éléments qui le
constituent, ne naît bien sûr ni au XXe siècle, ni avec la psychanalyse. Certes, Freud assimile le
rêve à un rébus – analogie qui a fait fortune –, mais ce mode de lecture indirect domine depuis
l’Antiquité. Au sens littéral de l’allégorie correspondrait ainsi le contenu manifeste du rêve,
quand le sens spirituel serait lui à mettre en correspondance avec le contenu latent qu’une bonne
analyse se donne pour charge de dévoiler.
Le passage par un discours de fiction, dans le cas de l’allégorie, permet d’aborder sous
les traits d’une représentation concrète des questions qui relèvent de la morale, de la philosophie
ou encore de la psychologie. Dans le rêve, l’idée d’une traduction en images de préoccupations
personnelles ou de missions divines ne répond pas à un autre mécanisme32. L’image se donne

27
Michel Leiris, Nuits sans nuit et quelques jours sans jour, op. cit., 4e de couverture.
28
« Le rêve est un ensemble de représentations pendant le sommeil donnant lieu à un phénomène d’hallucination,
relevant souvent de la modalité visuelle ou imagée. Tout en étant conscientes, ces représentations ne sont pas
contrôlées intentionnellement. Elles mettent souvent en scène la personne qui rêve, et constituent un enchaînement
de contenus originaux qui a des aspects narratifs. Ces représentations peuvent comporter des bizarreries et être
accompagnées d’émotion. » Jacques Montangéro, Rêve et cognition, Margada, 1999, p. 7. Je souligne.
29
Du grec allègoreïn, « parler autrement », l’allégorie désigne « une image filée et animée qui, grâce à une isotopie
cohérente dans un contexte narratif de portée symbolique, renvoie terme à terme, de manière le plus souvent
métaphorique, à un univers référentiel d’une autre nature (abstractions philosophiques, morales, etc.) » Michel
Jarrety (dir), Lexique des termes littéraires, Le Livre de poche, 2001, p. 23-24.
30
Florence Dumora, « Allégorie et onirocritique », dans La Lecture littéraire, n° 4 « L’Allégorie », Klincksieck,
février 2000, p. 69-89.
31
Mireille Demaules, La Corne et l’ivoire : étude sur le récit de rêve dans la littérature romanesque des XIIe et
XIIIe siècles, Honoré Champion, 2010, p. 115 sqq et 522 sqq.
32
« L’écriture allégorique s’apparente au travail du rêve qui condense des chaînes de pensée très longues en un
unique signifiant imagé ou verbal. » Mireille Demaules, La Corne et l’ivoire, op. cit., p. 524.

200
comme une médiation facilitant la réception de réflexions complexes et abstraites, grâce au
charme d’un langage universel et concret33.
Le recours à l’allégorie revêt une « fécondité heuristique ou interprétative34 ». L’image
et la narration ne sont pas de simples traductions simplificatrices, elles constituent aussi,
souvent, un foyer puissant de mise en branle de l’imagination comme force de compréhension.
Michel Zink rappelle ainsi que « l’allégorie est depuis toujours un moyen de description, et
même d’investigation, privilégié des mouvements de l’âme et de la vie intérieure35. » Prenant
pour point de départ de sa réflexion Le Roman de la rose, psychomachie dans laquelle le récit
de songe semble justifier le recours massif à l’allégorie, il retrace la généalogie de ce procédé
littéraire et cognitif. Depuis les fables homériques jusqu’aux paraboles du Nouveau Testament
en passant par les mythes platoniciens et néo-platoniciens de saint Augustin, le lecteur est
habitué à voir les passions et, plus largement, toute l’activité psychique, représentées de façon
imagée, et à chercher l’esprit au-delà de la lettre. Notons que, dans bien des cas, l’artifice
narratif du songe permet en outre d’introduire plus efficacement ce lecteur dans un régime de
lecture allégorique.
Prenant elle aussi pour exemple le Roman de la Rose, Mireille Demaules montre
combien le rêve donne lieu à une écriture particulièrement séduisante et pourtant extrêmement
exigeante.

L’écriture allégorique transfigure la banalité des signifiés par une


symbolisation énigmatique qui contredit les lois naturelles et la réalité pour
imposer un spectacle visuel, animé et coloré dont l’étrangeté fascinante est
légitimée par le procédé du songe36.
Le rêve se donne ainsi comme la manifestation naturelle et familière de la force des images
mais aussi d’une certaine duplicité du langage. Transposé en littérature, le contexte onirique,
même lorsqu’il est artificiel, autorise le développement d’un discours opaque, plus ou moins
hermétique, quitte parfois à requérir une lecture coûteuse et difficile.
Sur un corpus tout autre, plus récent et non littéraire, les linguistes Lakoff et Johnson,
après avoir conduit une analyse sur les usages de la métaphore dans le langage courant,

33
« Ainsi, l’écriture allégorique confère aux idées abstraites une matérialité si riche en éléments sensoriels qu’elle
sort la diégèse de la platitude anecdotique et lui confère la netteté hallucinatoire que peuvent avoir certains rêves. »
Mireille Demaules, La Corne et l’ivoire, op. cit., p. 525.
34
Jean-Jacques Wunenburger, « Métaphore, poiétique et pensée scientifique », Revue européenne des sciences
sociales, n° XXXVIII-117 : « Métaphores et analogies. Schèmes argumentatifs des sciences sociales », Droz,
février 2000, p. 35-47. [Disponible en ligne à l’adresse : http://ress.revues.org/707. Consulté le 1er juin 2018.]
35
Michel Zink, La Subjectivité littéraire, PUF, 1985, p. 136.
36
Mireille Demaules, La Corne et l’ivoire, op. cit., p. 524.

201
concluent eux aussi sur la fausse opposition entre raison et imagination. La métaphore,
montrent-ils, est à l’intersection de ces deux fonctionnements cognitifs.

La métaphore est un des outils les plus importants pour essayer de


comprendre partiellement ce qui ne peut être compris totalement : nos
sentiments, nos expériences esthétiques, nos pratiques morales et notre
conscience spirituelle. Les efforts de l’imagination ne sont pas dénués de
rationalité : puisqu’ils utilisent la métaphore, ils emploient une rationalité
imaginative37.
Le langage imagé, par l’appréhension différente des problèmes qu’il engage, implique une
créativité cognitive et langagière et recèle une grande puissance de compréhension. On
comprend alors combien le rêve, en tant que procédé allégorique, a pu être considéré comme
un outil efficace de compréhension du psychisme : en fournissant des fables représentant nos
conflits internes, il pouvait aider à les observer, à les apprivoiser, à les comprendre.

Générateur d’allégories, le rêve peut devenir aussi l’objet même d’une modélisation
allégorique, dans ce que l’on pourrait qualifier de fables étiologiques du rêve. En voulant
témoigner de leurs aventures de la nuit, les écrivains sont amenés, presque malgré eux, à mettre
des mots sur les mécanismes oniriques qu’ils peuvent percevoir, sans pour autant toujours les
comprendre parfaitement. Contrairement aux scientifiques, ils ont la possibilité de situer leur
discours dans un registre qui n’est pas celui de l’expression objective et rigoureuse mais qui
tient plutôt de l’évocation, de la description impressionniste ou de la dramatisation fantaisiste.
Proust, dans Sodome et Gomorrhe, fait ainsi du sommeil « un second appartement que
nous aurions et où, délaissant le nôtre, nous serions allés dormir38 ». Proche de la célèbre
« seconde vie39 », développée par Nerval dans Aurélia, le rêve est ici représenté comme le lieu-

37
George Lakoff et Mark Johnson, Les Métaphores dans la vie quotidienne [Metaphors we live by, 1980],
trad. Michel de Fornel, éd. de Minuit, 1985, p. 204.
38
Marcel Proust, Sodome et Gomorrhe, RTP III, p. 370. La métaphore de la chambre pour faire référence au
sommeil ou au rêve est reprise dans Le Côté de Guermantes : « Aux parois obscures de cette chambre qui s’ouvre
sur les rêves, et où travaille sans cesse cet oubli des chagrins amoureux duquel est parfois interrompue et défaite
par un cauchemar plein de réminiscences la tâche vite recommencée, pendent, même après qu’on est réveillé, les
souvenirs des songes, mais si enténébrés que souvent nous ne les apercevons pour la première fois qu’en pleine
après-midi quand le rayon d’une idée similaire vient fortuitement les frapper ; quelques-uns déjà, harmonieusement
clairs pendant qu’on dormait, mais devenus si méconnaissables que, ne les ayant pas reconnus, nous ne pouvons
que nous hâter de les rendre à la terre, ainsi que des morts trop vite décomposés ou que des objets si gravement
atteints et près de la poussière que le restaurateur le plus habile ne pourrait leur rendre une forme, et rien en tirer. »
À la Recherche du temps perdu, t. II, p. 386.
39
« Le Rêve est une seconde vie. Je n'ai pu percer sans frémir ces portes d'ivoire ou de corne qui nous séparent du
monde invisible. Les premiers instants du sommeil sont l'image de la mort ; un engourdissement nébuleux saisit
notre pensée, et nous ne pouvons déterminer l'instant précis où le moi, sous une autre forme, continue l’œuvre de
l'existence. C’est un souterrain vague qui s’éclaire peu à peu, et où se dégagent de l'ombre et de la nuit les pâles
figures gravement immobiles qui habitent le séjour des limbes. Puis le tableau se forme, une clarté nouvelle

202
cadre d’une existence alternative, sorte de monde possible quoique parfaitement intime40. Sans
que cette approche renoue avec la tradition du songe littéraire, développée au Moyen Âge et à
la Renaissance et dans lequel le rêve n’était que prétexte à la narration allégorique41, le détour
par l’image permet à l’auteur de proposer une représentation concrète d’un état psychique et de
souligner l’étrange proximité des mondes de la veille et du sommeil42. Dans Le Côté de
Guermantes, le narrateur fait surgir un « jardin où croissent comme des fleurs inconnues les
sommeils si différents les uns des autres, sommeil du datura, du chanvre indien, des multiples
extraits de l’éther, sommeil de la belladone, de l’opium, de la valériane43 ». La métaphore
végétale laisse imaginer un herbier des sommeils, comme si l’on pouvait opérer sur ce type
d’objet des classifications telles qu’en élaborent les botanistes et auteurs d’histoires naturelles.
Tous ces détours rhétoriques font appel à l’image, métaphore ponctuelle ou plus suivie,
pour donner forme à un objet de pensée doublement abstrait. Ils se distinguent en cela des
conventions scientifiques, qui font un usage plus littéral du langage. Ce mode d’expression, qui
fait davantage appel à l’imagination qu’à la confrontation au réel, pourrait être assigné à une
pure méconnaissance de la part des écrivains. Ceux-ci combleraient, par des facilités de plume,
des lacunes scientifiques peu avouables, qu’ils tenteraient de masquer sous des analogies
séductrices44. Cependant, ce premier jugement, peu amène à l’endroit des littérateurs, est aussi
quelque peu simpliste et fait fi des représentations culturelles qui, au-delà des connaissances
objectives que nous pouvons avoir, conditionnent encore notre façon de parler du rêve, et de le
penser.
La fonction heuristique de la fiction sert ainsi la compréhension du phénomène onirique
de deux manières. Vu comme une construction fictionnelle, œuvrant sur le modèle de
l’allégorie, le rêve se présente d’une part comme un objet familier aux écrivains, en ce qu’il use

illumine et fait jouer ces apparitions bizarres : — le monde des Esprits s’ouvre pour nous. » Gérard de Nerval,
Aurélia (1855), Gallimard, coll. « folio classique », 2010, p. 123.
40
Sur l’analogie entre rêve et monde possible, voir Alain Schaffner, « Rêve et fiction », dans Marie Bonnot et
Aude Leblond (dir.), Les Contours du rêve, Hermann, 2017, p. 111-122.
41
Sur le sujet, voir Mireille Demaules, La Corne et l’ivoire : étude sur le récit de rêve dans la littérature
romanesque des XIIe et XIIIe siècles, Honoré Champion, 2010 et Sylviane Bokdam, Métamorphoses de Morphée :
théorie du rêve et songes poétiques à la Renaissance en France, Honoré Champion, 2012, en particulier chap. 11
« L’héritage du songe-cadre médiéval : fantasme, erreur, allégorie », p. 493-590.
42
En cela, la métaphore serait à rapprocher de la notion d’Unheimlich (inquiétante étrangeté).
43
« Non loin de là est le jardin réservé où croissent comme des fleurs inconnues les sommeils si différents les uns
des autres, sommeil du datura, du chanvre indien, des multiples extraits de l’éther, sommeil de la belladone, de
l’opium, de la valériane, fleurs qui restent closes jusqu’au jour où l’inconnu prédestiné viendra les toucher, les
épanouir, et pour de longues heures dégager l’arôme de leurs rêves particuliers en un être émerveillé et surpris. »
Marcel Proust, Le Côté de Guermantes, RTP II, p. 385.
44
Sur l’usage des métaphores dans les discours scientifiques et littéraires, voir Jacques Bouveresse, Prodiges et
vertiges de l’analogie. De l’abus des belles-lettres dans la pensée, éd. Raisons d’agir, 1999.

203
de la même duplicité du langage et agence les images avec un art qui n’est pas sans
ressemblance avec la poésie. D’autre part, à un niveau supérieur, la modélisation fictionnelle
peut à son tour s’emparer du phénomène onirique pour forger une fable étiologique du rêve.
Cet usage de l’image, aussi fantaisiste soit-elle, fera saisir une certaine altérité du rêve (dans
son fonctionnement, ses productions, les états émotionnels qu’il fait vivre) et qui ne saurait se
faire mieux sentir dans un discours explicatif et argumenté. Dans les deux cas, l’image est là
pour manifester un fonctionnement qui dépasse l’entendement.

Topographies du rêve
L’allégorisation ou la métaphorisation du processus onirique, avant de faire du rêve un
personnage, en fait un espace45. La topologie des songes est ainsi exposée par Pénélope au
chant XIX de l’Odyssée. Elle distingue les songes sortis de la porte d’ivoire, mensongers, et ceux
passés par la porte de corne, prémonitoires.

Les songes, étrangers, sont confus et parlent peu clair, ils sont bien loin de
tous se réaliser pour les hommes. Car, pour les songes vacillants, il est deux
portes : l’une est faite de corne et l’autre l’est d’ivoire ; les rêves arrivant par
l’ivoire scié sont rêves dérisoires, n’apportent que paroles vaines ; mais ceux
qui entrent par la corne bien polie cornent la vérité au mortel qui les voit46.
Si cette classification a disparu dans les récits du vingtième siècle, le souvenir de cette topologie
y perdure, tout en étant largement désémantisé. Reverdy, dans « Le rêveur parmi les
murailles », est confronté lui aussi à une porte des rêves, mais qui ouvre cette fois « sur le
vide » :

[…] entre les deux montants inégaux de cette porte ouverte sur le vide, je
peux fuir, gagner l’autre côté du mur, pour exploiter les champs illimités du
rêve qui est la forme particulière que mon esprit donne à la réalité47.
Les éléments repris à la fable antique sont détachés de leur contexte et de leur fonction première.
La porte d’entrée des rêves devient porte de sortie, issue de secours vers un imaginaire illimité.

45
Reconnaissant que « [la] connivence génétique entre pensée et espace est en un sens un des acquis majeurs de
la philosophie contemporaine », Jean-Jacques Wunenburger avance que « la topologie constitue la modalité
première à travers laquelle la pensée se met en scène, se met en images ». Jean-Jacques Wunenburger,
« Métaphore, poiétique et pensée scientifique », art. cit.
46
Homère, Odyssée, trad. Philippe Jaccottet, chant XIX, éd. La Découverte, v. 560-567, 2000, p. 322 : « Les songes,
étrangers, sont confus et parlent peu clair, ils sont bien loin de tous se réaliser pour les hommes. Car, pour les
songes vacillants, il est deux portes : l’une est faite de corne et l’autre l’est d’ivoire ; les rêves arrivant par l’ivoire
scié sont rêves dérisoires, n’apportent que paroles vaines ; mais ceux qui entrent par la corne bien polie cornent la
vérité au mortel qui les voit. »
47
Pierre Reverdy, « Le rêveur parmi les murailles », La Révolution surréaliste, n° 1, 1924, p. 19.

204
Représenter le sommeil ou le rêve comme une déambulation dans un « paysage
intérieur » est une modélisation assez commune. Qu’il s’agisse d’un jardin, d’une ville
souterraine ou d’un « Léthé intérieur48 », cette terra incognita est à mi-chemin, pour le double-
rêvé du narrateur endormi chargé de l’explorer, entre l’intimité la plus proche et l’exotisme le
plus lointain. « Une géographie du sommeil se met ainsi en place, d’abord à partir de la carte
du corps, puis elle s’émancipe de cet ancrage pour devenir purement mythologique ou
imaginaire49. »
Perec, dans l’un des premiers rêves de La Boutique obscure, narre une impression
d’avancée dans un décor étrangement familier :

Itinéraire
: dédale secret connu, portes de coffres (rondes, blindées), couloirs, très long
périple vers la rencontre
Puis ce même chemin maintenant connu de tous ». (LBO, n° 3)
Le rêve entier se résume ainsi à une suite d’éléments architecturaux dont l’énumération rend
sensible la progression erratique du rêveur. Interrogé sur ce rêve, Perec explique :

C'est ce qui a été écrit au réveil avec cette idée. L'image dont je me souviens,
c'était, en me réveillant, d'avoir refait encore une fois le même rêve. Dans ce
rêve, il y a un boyau, un peu comme un couloir de métro, en plus étroit, avec
de temps en temps des portes, comme on voit dans les films policiers, des portes
de banque, d'énormes portes rondes blindées. C'était à peu près tout. Il y avait
cette image avec cette sensation d'aller à la rencontre de quelqu'un et puis ce
chemin qu'on reparcourt, qu'on connaît, et cætera. À la fois un dédale qui est
un dédale secret et à la fois un secret qui est connu, ce qui donne « dédale secret
connu », sans virgule et sans ponctuation. Il n’y a pas de point à la fin des
phrases mais par contre le texte commence avec deux points50.
Les portes blindées et autres couloirs de métro ont remplacé, dans l’imaginaire de l’auteur
cinéphile des années soixante-dix, les portes de corne ou d’ivoire et les labyrinthes, mais ce
sont pourtant toujours les mêmes éléments qui sont convoqués pour former le décor du rêve,
simplement réactualisé.

48
Marcel Proust, Sodome et Gomorrhe, À la recherche du temps perdu, t. III, p. 156.
49
Fanny Déchanet-Platz, L’Écrivain, le sommeil et les rêves, Gallimard, coll. « Idées », 2008, p. 183.
50
Georges Perec, « L’écriture des rêves », entretien avec Germaine Rouvre, radiodiffusé le 20 avril 1976 sur
France Culture sous le titre original « Le rêve et le langage », transcription Marie Bonnot. Voir Annexe A.

205
L’errance dans des cités désertes ou des ruines antiques est un des topoï de la
métaphorisation du rêve. Après Nerval51 ou Proust52, entre autres, Leiris, pour examiner ses
rêves, en passe par la peinture d’un paysage de ville abandonnée :

Le monde de mes rêves est un monde minéral, dallé de pierres et bordés


d’édifices sur le fronton desquels je lis parfois des sentences mystérieuses.
C’est une longue suite d’esplanades, de galeries et de perspectives à travers
lesquelles je me promène, comme dans un espace entièrement abstrait dépouillé
de toute réalité terrestre. Le fil à plomb, le compas, la balance y sont maîtres,
— car ce monde nocturne est pour moi beaucoup mieux organisé que celui de
mes veilles. La poursuite d’une pensée, son élucidation par la dissection
minutieuse des mots qui la formulent, la recherche des axes de l’esprit, toute
tentative de défi au vertige, cela je ne puis guère l’effectuer que dans mes rêves,
quand je ne suis plus qu’un point mathématique se déplaçant le long d’une
ligne, dans le désert de la cité pavée des mots53.

51
Le premier rêve rapporté dans Aurélia conduit le narrateur dans une vaste maison qui peut facilement être
interprétée comme le lieu d’une initiation onirique, où la transmission d’un certain savoir du rêve est métaphorisée
par la traversée de plusieurs pièces qui sont autant de lieux de connaissances et de traditions savantes (savoir
antique latin et grec, philosophique et renaissant). L’ange déchu qui conclut le passage peut être vu comme une
allégorie du rêve, qui ne parvient pas à s’épanouir.
« Cette nuit-là, je fis un rêve qui me confirma dans ma pensée. — j’errais dans un vaste édifice composé de
plusieurs salles, dont les unes étaient consacrées à l’étude, d’autres à la conversation ou aux discussions
philosophiques. Je m’arrêtai avec intérêt dans une des premières où je crus reconnaître mes anciens maîtres et mes
anciens condisciples. Les leçons continuaient sur les auteurs grecs et latins, avec ce bourdonnement monotone qui
semble une prière à la déesse Mnémosyne. — Je passai dans une autre salle, où avaient lieu des conférences
philosophiques. J’y pris part quelques temps, puis j’en sortis pour chercher ma chambre dans une sorte d’hôtellerie
aux escaliers immenses, pleine de voyageurs affairés. / Je me perdis plusieurs fois dans les longs corridors, et en
traversant une des galeries centrales, je fus frappé d’un spectacle étrange. Un être d’une grandeur démesurée, —
homme ou femme, je ne sais, — voltigeait péniblement au-dessus de l’espace et semblait se débattre parmi des
nuages épais. Manquant d’haleine et de force, il tomba enfin au milieu de la cour obscure, accrochant et froissant
ses ailes le long des toits et des balustres. Je pus le contempler un instant. Il était coloré de teintes vermeilles, et
ses ailes brillaient de mille reflets changeants. Vêtu d’une robe longue à plis antiques, il ressemblait à l’ange de la
Mélancolie, d’Albrecht Dürer. — Je ne pus m’empêcher de pousser des cris d’effroi, qui me réveillèrent en
sursaut. » Gérard de Nerval, Aurélia (1855), Gallimard, coll. « folio classique », 2010, p. 126-127.
52
Proust, dans Le Côté de Guermantes notamment – mais aussi dans Le Temps retrouvé –, souligne la puissance
de remémoration du rêve. Faisant de son texte un palimpseste des diverses traditions de représentation du rêve, il
mêle plusieurs topoï en peignant le monde onirique comme un ensemble de ruines, tout en laissant sensible
l’origine organique d’une telle sensation. « Les lieux fixes, contemporains d’années différentes, c’est en nous-
mêmes qu’il vaut mieux les trouver. C’est à quoi peuvent, dans une certaine mesure, nous servir une grande fatigue
que suit une bonne nuit. Celles-là du moins, pour nous faire descendre dans les galeries les plus souterraines du
sommeil, où aucun reflet de la veille, aucune lueur de mémoire n’éclairent plus le monologue intérieur, si tant est
que lui-même n’y cesse pas, retournent si bien le sol et le tuf de notre corps qu’elles nous font retrouver, là où nos
muscles plongent et tordent leurs ramifications et aspirent la vie nouvelle, le jardin où nous avons été enfant. Il
n’y a pas besoin de voyager pour le revoir, il faut descendre pour le retrouver. Ce qui a couvert la terre n’est plus
sur elle, mais dessous ; l’excursion ne suffit pas pour visiter la ville morte, les fouilles sont nécessaires. Mais on
verra combien certaines impressions fugitives et fortuites ramènent bien mieux encore vers le passé, avec une
précision plus fine, d’un vol plus léger, plus immatériel, plus vertigineux, plus infaillible, plus immortel, que ces
dislocations organiques. » Marcel Proust, Le Côté de Guermantes, dans À la recherche du temps perdu, vol. II,
p. 84-85.
53
Michel Leiris, « Le monde de mes rêves », Le Disque Vert, 1925, p. 34.

206
Cette description du monde des rêves en « cité pavée des mots » rappelle les vestiges antiques
découverts par Poliphile endormi54 qui « contempl[e] […] à loisir si grande insolence
d’architecture qui estoit à demy demolie, composée de quartiers de marbre blanc assemblez
sans cyment55. »

Là il y a avoit de toute sorte de colonnes, partie tumbées et rompues, parties


entieres ; et en leurs lieux, avec leur chapiteaux, architraves, frizes, cornices et
soubassemens avec plusieurs autres pieces de noble sculpture, totalement hors
de cognoissance quelle en avoit esté la taille et quasi reduictz à leur premiere
forme, dissipez çà et là, par la campagne ; emmy laquelle et entre ces fragmens
estoient sorties plusieurs plantes sauvages56 […]
Le rêve, chez Leiris comme dans nombre de textes de la Renaissance57, est conçu comme un
espace à découvrir et à parcourir. Les « esplanades, galeries et perspectives » suggèrent à la fois
l’avancée herméneutique dans un monde de significations étrangères et la réminiscence de
savoirs antiques et de traditions oubliés. État psychique troublé, le rêve est peint comme un
univers où l’expression, nécessairement entravée, nécessite des opérations de déchiffrage et de
traduction. Les « sentences mystérieuses » font écho aux énigmes et autres hiéroglyphes que
Poliphile doit patiemment élucider.
Traité comme un espace d’errance dans les songes allégoriques, le rêve avait l’avantage
de fournir un cadre diégétique et spatial qui justifiait les événements extraordinaires et les
descriptions peu réalistes tout en les rejetant dans une abstraction symbolique et donc coupée
de toute expérience. Leiris, pour sa part, s’il fait mémoire des représentations anciennes,
cherche aussi à transmettre une expérience à la fois physique, spatiale et géométrique. Les
instruments de mesure (« le fil à plomb, le compas, la balance ») rappelant les attributs de l’ange
de Dürer, construisent une géométrie mélancolique58 du rêve, et suggèrent qu’un examen
minutieux est peut-être vain. Ces éléments ne fonctionnent plus comme des symboles
allégoriques renvoyant à des entités abstraites et lointaines mais sont associés à des sensations
corporelles. En quelque sorte, le souvenir des songes allégoriques est ici désémantisé au profit
d’une représentation plus immanente.

54
Sur ce sujet, voir Sylviane Bokdam, Métamorphoses de Morphée, op. cit., particulièrement chap. 16 : « Entre
deux cultures : de L’Hypnerotomachia aux Poliphiles français », p. 753-806.
55
Francesco Colonna, Hypnerotomachie, ou Discours du songe de Poliphile, déduisant comme amour le combat
à l'occasion de Polia, trad. Jean Martin, Payot, 1926. Éd. accessible en ligne sur gallica à l’adresse :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54425079/f22.image.r=.langFR [consulté le 22 mai 2018]
56
Idem.
57
Par exemple dans Du Bellay, Les Antiquités de Rome.
58
On remarque que nombre des éléments énumérés par Leiris sont présents sur la gravure de Dürer, Melencolia.

207
Un ensemble de fragments contemporains, publiés sous le titre « Le Pays de mes rêves »
dans la rubrique « Rêves » de La Révolution surréaliste reprend les mêmes éléments
architecturaux pour les intégrer à un récit aux accents psychédéliques :

Sur les marches qui conduisent aux perspectives du vide, je me tiens debout,
les mains appuyées sur une lame d’acier. Mon corps est traversé par un faisceau
de lignes invisibles qui relient chacun des points d’intersection des arêtes de
l’édifice avec le centre du soleil. Je me promène sans blessures parmi tous ces
fils qui me transpercent et chaque lieu de l’espace m’insuffle une âme nouvelle.
Car mon esprit n’accompagne pas mon corps dans ses révolutions ; machine
puisant l’énergie motrice dans le fil tendu le long de son parcours, ma chair
s’anime au contact des lignes de perspectives qui, au passage, abreuvent ses
plus secrètes cellules de l’air du monument, âme fixe de la structure, reflet de
la courbure des voûtes, de l’ordonnance des vasques et des murs qui se coupent
à angle droit.
Si je trace autour de moi un cercle avec la pointe de mon épée, les fils qui
me nourrissent seront tranchés et je ne pourrai sortir du cachot circulaire,
m’étant à jamais séparé de ma pâture spatiale et confiné dans une petite colonne
d’esprit immuable, plus étroite que les citernes du palais.
La pierre et l’acier sont les deux pôles de ma captivité, les vases
communicants de l’esclavage : je ne peux fuir l’un qu’en m’enfermant dans
l’autre, – jusqu’au jour où ma lame abattra les murailles, à grands coups
d’étincelles59.
Ce récit hallucinatoire60 se démarque des rêves habituels par l’absence d’action du personnage
central. Dans ce premier fragment, la diégèse ne progresse guère et l’ensemble du texte est
dédié à la description de l’état du rêveur (de son corps comme de son âme). Celui-ci ne fait que
« se tenir debout », le corps transpercé de lignes qui le relient aux bâtiments et au cosmos.
L’espace est ainsi doté d’une importance qu’il n’avait pas dans les exemples précédents. Tous
les éléments d’architecture, voûtes et colonnes, deviennent projections du corps du rêveur. On
ne sait plus très bien, finalement, si cette architecture est le produit du rêve ou sa
métaphorisation.
À la même époque, Artaud, lui, balaie d’un revers de plume les éléments de cette
topologie onirique. Les citadelles et villes rêvées ne sont reprises que pour être mieux niées et
« le mauvais rêveur » liquide toute trace tangible d’une cité du rêve.

Mes rêves sont avant tout une liqueur, une sorte d’eau de nausée où je plonge
et qui roule de sanglants micas. Ni dans la vie de mes rêves, ni la vie de ma vie
je n’atteins à la hauteur de certaines images, je ne m’installe dans ma continuité.
Tous mes rêves sont sans issue, sans château-fort, sans plan de ville. Un vrai
remugle de membres coupés.

59
Michel Leiris, « Le Pays de mes rêves », La Révolution surréaliste, n° 2, 15 janvier 1925, repris dans Haut Mal
(1943), Gallimard, coll. « Poésie », 1990, p. 21.
60
Joëlle de Sermet propose une analyse très détaillée de ce rêve dans le chapitre « Icare au “Pays de mes rêves” »
de son ouvrage Michel Leiris, poète surréaliste, PUF, coll. « Écriture », 1997, p. 111-121.

208
Je suis, d’ailleurs, trop renseigné sur ma pensée pour que rien de ce qui s’y
passe m’intéresse : je ne demande qu’une chose, c’est qu’on m’enferme
définitivement dans ma pensée.
Et quant à l’apparence physique de mes rêves, je vous l’ai dit : une liqueur61.
La solidité de la pierre est emportée par la liquidité des humeurs. L’auteur de L’Ombilic des
limbes et du Pèse-nerf rejette les conventions pour inventer une représentation du rêve plus
organique. Bien loin des images apollinariennes et des concentrés poétiques, les liqueurs de
rêves sont ramenées vers la trivialité nauséeuse et le bas corporel.

La comédie du rêve
L’analogie de l’activité onirique avec le dispositif fictionnel – et même celle du récit
de rêve avec l’œuvre de fiction – a souvent été soulignée62. La mise en fiction du processus
onirique, moins souvent commentée, n’est pourtant pas chose récente. Déjà Aristote et les
médecins de l’Antiquité, Galien ou Macrobe, avec la théorie des humeurs, représentaient le
rêve comme une mécanique faite de circulations d’images et de vapeurs. Du Moyen Âge au
XVIIIe siècle, plusieurs modélisations psychosomatiques adoptent le détour de la fiction pour
« donner corps à ce sujet obscur63 ». L’âme, personnifiée ou animalisée, occupe le centre de ces
fables étiologiques64. Charles Sorel, dans L’Histoire comique de Francion65, évoque, après
Marsile Ficin66, le voyage de l’âme hors du corps pendant le sommeil. Béroalde de Verville,
dans Le Palais des curieux, file la métaphore de la « vêture de l’âme67 », la représentant en train
de se parer de tel ou tel rêve comme d’un manteau. Descartes68, reprenant Galien et les médecins
du Moyen Âge, convoque la théorie des esprits animaux, dans laquelle les images des rêves
sont transportées au cerveau par des corpuscules, et développe la théorie des traces, vestiges
laissés le jour et que ces esprits reparcourent la nuit, théorie qui perdure encore au XVIIIe siècle69,
notamment chez Malebranche.

61
Antonin Artaud, « Le mauvais rêveur », Le Disque vert, 3e année, 4e série, « Des rêves », Paris-Bruxelles, 1925,
p. 15.
62
Voir en particulier Jean-Marie Schaeffer, Pourquoi la fiction, p. 173.
63
Florence Dumora, L’Œuvre nocturne : songe et représentation au XVIIe siècle, Honoré Champion, 2005,
chap. 2, p. 39 sqq.
64
Sur le sujet, voir Florence Dumora, L’Œuvre nocturne, op. cit., chap. 2 : « L’atelier onirique », p. 39 sqq.
65
Charles Sorel, L’Histoire comique de Francion (éd. de 1633), Gallimard, Coll. « Folio Classique », 1996.
66
Marsile Ficin, Théologie platonicienne de l’immortalité des âmes, livre XIII : « Sept vacances de l’âme »,
trad. Raymond Marcel, Les Belles Lettres, 1965.
67
Béroalde de Verville, Le Palais des curieux (1612), éd. Véronique Luzel, Droz, 2012. Cette image est déjà
présente chez Synésius de Cyrène.
68
René Descartes, Les Passions de l’âme (1649), Vrin, 1991.
69
Voir la thèse de Hélène David, Le Songe au XVIIIe siècle, ou la mise à l’épreuve du sujet et de ses limites :
l’exploration des confins, sous la direction de Caroline Jacot Grapa, Université Charles de Gaulle – Lille III, 2016.

209
Ces allégories fictionnelles perdurent au vingtième siècle, même si elles adoptent des
scenarii bien différents et n’accordent pas tant de crédit à leurs inventions. Là où les explications
du savant demeurent insatisfaisantes ou opaques, cette étiologie fictionnelle comble un désir de
savoir et construit de la connaissance par l’imagination – quitte à y ajouter une dose de
fantasme. Le « rêveur » en est le personnage principal ; et les jeux d’anamorphose qui tissent
la trame de ces allégories illustrent la complexe réflexion sur l’identité du moi au sein du rêve.
En effet, ces textes peuvent être interprétés à plusieurs niveaux : le rêveur peut être assimilé au
double fantasmé du veilleur et serait alors à prendre comme un personnage qui vit dans les
rêves, comme il peut être considéré comme une personnification de l’instance rêvante au sein
du psychisme, dans une sorte de dramatisation de la psyché.
Il arrive ainsi à Valéry de quitter la rigueur des modélisations mathématiques pour
recourir plutôt à l’analogie fictionnelle et faire du rêveur un personnage type.

Le rêveur est comme un menteur qui trouve toujours plus à dire, jusqu’à ce
qu’enfin il s’éloigne indéfiniment du vrai ; sorte du vraisemblable et du
possible.
Le menteur tire les conséquences de son dire initial, poussé de plus en plus
loin, dans la perfection et la fragilité, soit par les interrogateurs, soit par son
zèle.
Le rêveur satisfait aux conditions de son état par quoi que ce soit ; par des
réponses et des solutions de fortune, comme on répond à une embarrassante
question par un jeu de mots. Un calembour perpétuel, un quiproquo.
Il faut un nom à ce fantôme — Il s’y met le premier venu. Mais je veux le
voir de plus près et il prend une figure quelconque. Je sais que c’est vous, mais
ce n’est pas là votre figure.
Si j’ai trop chaud, il faut de suite que ce soit dans un four. Ce qui serait une
comparaison, se détend ici jusqu’à une image réelle. De même qu’un gaz
occupe tout le volume — l’impression du rêveur occupe toute la forme et toutes
les fonctions libres — elle intègre brutalement au moyen de souvenirs les
variations données — Et comme procédé, il vit, il fait monde dans des
intervalles qui sont dans la veille existants, mais infiniment brefs et
corrigés. (C II, 45 [1911])
La comparaison entre rêveur et menteur rappelle les mises en garde contre la confusion facile
du songe et du mensonge, souvent rapprochés par la rime dans les textes médiévaux70. Entre
illusion et simulacre, le rêve inspire la méfiance car il éloigne du réel. La personnification
permet à Valéry de faire porter l’examen plutôt sur l’origine de ces discours trompeurs que sur
les images illusoires qu’ils engendrent. Le rêveur, instance d’énonciation, est ici un générateur
de discours fallacieux, dont le poète se plait à décliner les principes discursifs. Les exemples
développés dans les deux derniers paragraphes instaurent une instabilité généralisée : les
pronoms, les personnes, les locuteurs mais aussi les niveaux de réalité sont brouillés dès lors

70
Voir Mireille Demaules, La Corne et l’ivoire, op. cit.

210
que l’essayiste tente de se mettre dans la peau du rêveur. Très vite, les questionnements sur la
multiplicité du moi sont ramenés à une réflexion littéraire plus profonde sur le langage. C’est
la polysémie du jeu de mots et la concomitance des niveaux de sens qui autorisent le rêveur à
faire des mondes à partir d’un usage décomplexé du langage. Ailleurs, une interrogation
similaire sur l’altérité du moi dans le rêve pourra donner lieu à un discours bien différent,
autrement plus conceptuel.

Équation de l’éveil
Éveil — Il ne faut pas dire : Je m’éveille — mais : Il y a éveil — car le JE
est le résultat, la fin, le c.q.f.d final de la congruence — superposition de ce que
l’on trouve à ce que l’on devait s’attendre à trouver.
L’objet a [(alpha)] connu, perçu par une seule voie, se perçoit par d’autres
voies aussi et devient MON bras.
Passage du non-moi au moi — une combinaison de (Non-Moi)s est Moi. (C
II, 127 [1926])
Un extrait théorise la « combinaison de (Non)-moi(s) » (sic), un autre l’illustre.

Le grand champion de l’allégorie étiologique du rêve est Michaux. L’instance rêvante


prend dans son œuvre plusieurs incarnations qui se complètent sans s’opposer : elle est parfois
« la jambe » mais aussi « l’infirme », ou encore une grand-mère.
L’image de la jambe71 est employée dans l’essai de 1925 pour représenter une sorte
d’inconscient organique à l’origine des rêves. C’est à la fois une personnification et une
synecdoque puisque, dans cette corporéisation du psychisme, le membre inférieur vaut pour
l’ensemble du corps rêvant. La jambe, « point nodal d’une théorie originale du rêve72 », croise
chez Michaux les théories freudiennes et les expérimentations de Mourly Vold73, rétablissant
ainsi le lien entre soma et psyché. Incarnation du « mouvement-désir », la jambe est à la fois un
substitut phallique et la réponse motrice aux stimuli externes, synthèse et réconciliation des
théories psychiques et organicistes du rêve.
La jambe fait référence, chez Michaux, à une certaine conception du rêve, mais elle est
également à rattacher à une pensée stylistique. L’élaboration de cette pensée imagée est en effet
initiée par la lecture du roman de Franz Hellens Mélusine, comme en atteste la correspondance
des deux écrivains.

71
Comme le souligne Romain Verger, la jambe est une des image fréquemment employée par Michaux pour
représenter le mouvement. On la retrouve ainsi dans divers poèmes comme « Prêcher » (Plume) ; « Le Sportif au
lit », « Emme et le vieux médecin » (La Nuit remue) ; « Adieu d’Anhimaharua » (Face aux verrous) ; « Ici
Poddema » (Ailleurs).
72
Romain Verger, Onirocosmos. Henri Michaux et le rêve, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2005, p. 53-61.
73
Voir Romain Verger, Onirocosmos, op. cit., p. 53 sqq. et Anne-Élisabeth Halpern, Le Laboratoire du poète :
Henri Michaux et les savoirs scientifiques, Arslan, 1998, p. 73-74.

211
Permettez-moi de vous dédier cet essai que je viens de terminer sur le Rêve.
C’est « Mélusine » qui a provoqué cette étude. Et ceci fini je pourrai
commencer directement et d’un point de vue plus littéraire l’étude de
« Mélusine ».
Je ne sais rien faire à demi, je ne sais pas accepter les idées des autres sur
quoique que [sic] ce soit. Je suis, de force inventeur, et de l’étude des ouvrages
scientifiques sur le Rêve, j’ai tiré ceci, qui est scientifique et mûrement réfléchi
(j’ai fait 80 pages de brouillon et voici 1 mois et demi que je dors avec cette
réflexion) et, je pense, littéraire nouveau style.
[…]
C’est à ce qu’il me paraît une innovation littéraire dans le domaine
« Philosophie scientifique », et tout simplement c’est de la littérature74.
L’innovation perçue est d’abord littéraire : son étude du rêve aboutit non seulement à l’énoncé
de quelques remarques qu’il juge d’une pertinence scientifique louable, mais encore à
l’invention d’une manière de dire convenable à son sujet. De la même façon que le rêve se
caractérise par la fragmentation ou l’incomplétude, le rêveur ne peut être, selon lui, un homme
entier mais un « morceau d’homme » et, par suite, l’inconscient à l’œuvre formera « le morceau
d’homme sexuel », ou les « morceaux d’homme sacrifiés75 ». À partir de cette représentation
physique peut alors s’énoncer un précepte stylistique qui veut un « rêve écrit en style morceau
d’homme, en style rêve. » (RJ, 24) « J’ai dit que les rêves étaient pour l’homme ceci : morceau
d’homme, absurdité, insensibilité, mouvement-chaos. » (RJ, 25) Michaux construit une
« théorie à [lui] sur le rêve76 » sur le mode fragmentaire. « Mimant la logique qu’elle cherche à
décrire – celle de la jambe, de la sensation, du rêve –, elle s’évertue à élaguer le discours
encombré de l’essayiste, tant par une rhétorique de la disjonction et du morcellement que par
l’économie des références scientifiques77. » Elle se hisse au rang d’équivalent poétique des plus
sérieuses propositions scientifiques sans en être la simple traduction.

[…] je songe qu’au fond toute cette philosophie que j’échafaude en est la
poësie plus que l’algèbre et ce serait aussi peu une farce de présenter ça aussi
comme poësie ! dans une revue d’avant-garde littéraire que de présenter ÇA
comme science dans une revue de science78.

74
Henri Michaux, lettre du 11 décembre 1922, Sitôt lus. Lettres à Franz Hellens (1922-1952), édition établie par
Leonardo Clerici, Fayard, 1999, p. 38.
75
Henri Michaux, Les Rêves et la jambe, op. cit., p. 23.
76
« Veux-tu m’envoyer d’urgence par la poste les « Edgard Poë » que tu possèdes avec ça je pourrai terminer sur
“Mélusine” de Franz Hellens une interprétation analytique et déductive de sa personnalité dont ni toi ni personne
n’a le soupçon, contenant une théorie à moi sur le rêve, l’émotion et le romantisme qui prendra non pas une idée
mais 20. Maintenant j’ai une poëlle je fabrique du bouillon avec des tas de recettes improvisées. Rappel délicieux
de ma chimie organique. Je cuis des pommes, du pain, des poivrons en boîte, je mélange des pickels et des
tomates… » Henri Michaux, À la minute que j’éclate. Quarante-trois lettres à Herman Closson, présentées et
annotées par Jacques Carion, Bruxelles, Didier Devillez, 1999, p. 52-53.
77
Jean-Pierre Martin, Henri Michaux, Gallimard, coll. « NRF Biographie », 2003, p. 136.
78
Henri Michaux, Sitôt lus. Lettres à Franz Hellens (1922-1952), op. cit., p. 55.

212
Une quarantaine d’années plus tard, le rêveur de Michaux n’est plus une jambe sans
corps mais un infirme, un corps sans vue et peut-être sans intelligence. On y retrouve bien sûr
l’idée d’incomplétude mais aussi une certaine désinhibition motrice qui donne au corps un rôle
prépondérant.

Pensant au rêveur de nuit, il ne faut pas oublier qu’il est infirme, un infirme
qui, par sa vue absente, est coupé des spectacles, des avertissements nuancés,
coupé des sens nobles, infirme par son impuissance à se déplacer, à pouvoir
vérifier ; infirme au tableau de bord réduit, pour qui la réplétion de la vessie, le
ballonnement du ventre, la congestion d’un membre ou la circulation empêchée
dans un bras, ou dans une jambe repliée qui s’engourdit sont ses principales et
imprécises informations. Phénomènes intempestifs qui vont se mêler trop
souvent, et assez malheureusement, à ce qui n’a rien à voir avec tout ça. (FEFE,
511)
Loin des abstractions psychiques et des métaphores idéalisantes, Michaux puise dans un fonds
iconique familier, voire trivial. Il fait du rêveur une vielle femme, grand-mère acariâtre. Là
encore, l’image choisie prend le contre-pied des représentations générées par les théories
freudiennes qui font une large place à l’enfance comme origine des complexes et désirs. Le
poète répond trait pour trait en choisissant l’opposé de ce qui est attendu.

Ce surveillant de vous (alors que vous vous croyez surtout son surveillant à
lui), votre envers a bien des allures. Ailleurs infantile, il est ici, dirait-on plutôt,
cul-terreux ou grand-mère, grand-mère radoteuse, de celle qu’on ne peut
réduire, qui sans jamais être sorties de leur village, croient connaître la vie et
pouvoir la juger, ramenant les grandes actions, les grandes affaires du monde
aux petites qu’elles connaissent. Grand-mère qui est vous-même cependant,
grâce à une scission que vous avez faite en votre personne à partir du jour où,
contestataire, vous avez décidé de rejeter ce qui de loin ou de près pouvait
ressembler à une grand-mère arriérée. (FEFE, 510)
Cet « envers » fonctionne comme une image dégradée de soi, mais aussi de la fonction rêvante
plus souvent idéalisée, en particulier depuis l’époque romantique. Rompant avec le rêve qui fait
voyager, qui rend tout possible, qui soustrait ses héros aux lois de la nature comme de la civilité,
ce portrait à charge contraste avec les représentations romanesques. Casanier, rustre, mal
dégrossi, le rêve de Michaux se caractérise, encore plus que par une « façon » d’être, par une
façon de dire.

Elle est en vous… puisque vous avez dû chasser ses attributs. Il y en a une
en chacun de nous. Grand-mère toujours là pour maintenir la permanence de la
médiocrité, qui a toujours à sa disposition quelque dicton affligeant du genre
« Aujourd’hui princesse, demain ruinée » – « Après les rires, les pleurs » ou
autre proverbe, pour jeter de l’eau froide sur les enthousiasmes.
C’est cette tendance qui de nuit, en tant de cerveaux, en tant de civilisations,
a fait ces rêves inversants. Ainsi la mort d’un frère aimé signifie « délivrance
des ennemis », deuil, en rêve, c’est pour annoncer richesse (par l’intermédiaire
sans doute de l’héritage), tandis qu’un trésor trouvé en rêve annonce

213
appauvrissement (car trésor sans doute suscite convoitise, calomnie, vols,
attaque).
Ce bon sens terre à terre correspond à une expérience primaire du genre
« Rien ne dure », « Tout n’a qu’un temps », etc. évangile de la voie moyenne,
plutôt qu’à une connaissance de la loi de balance et alternance ou celle des
retours à l’infini des un temps cyclique. (FEFE, 510-511)
De même que le rêveur-menteur de Valéry était la personnification d’une modalité discursive,
la grand-mère endormie de Michaux se définit par un certain usage de la langue. Matrice
d’histoires, de discours et de jugements, elle est essentiellement acte de parole, incarnation
d’une petite voix intérieure aux accents pour le moins désagréables. Démodé voire
anachronique, cynique, désabusé, pessimiste et répétitif, tels sont les attributs dont l’accable le
poète.
Michaux propose une étiologie du rêve sous forme de fable et développe ainsi une
théorie du rêve originale, dans une version animée, narrativisée et dramatisée. Loin d’ignorer
les discours théoriques ambiants en délirant librement, le poète s’inscrit dans le cadre
épistémologique de son temps, mais en faisant preuve d’une grande liberté créative.
Sur le fond, il prend le contre-pied des représentations dominantes. Là où le psychisme
seul prévalait, il redonne toute sa place au corps. Alors que le rêve semblait dominé par un
inconscient venu de l’enfance, le poète donne à cette voix intérieure un timbre de vieillarde.
Dans la forme, il casse les codes de la modernité scientiste en mêlant le récit d’imagination à la
théorie. Il lâche le ton et la rigueur démonstrative pour jouer de la fable. Si celle-ci ne se veut
aucunement édifiante, elle recouvre tout de même une ambition didactique. La personnification,
la dramatisation, l’exagération, frappent l’imaginaire du lecteur qui peut se représenter
concrètement un ensemble de concepts et de savoirs abstraits.
Michaux, comme Valéry, renoue donc avec le discours allégorique si familier de
l’univers onirique ; mais pour le mettre au service d’une explication des mécanismes du rêve.
Il ne s’agit plus de l’allégorie « à clefs », déployée comme un discours codé qui ne se laisserait
percer que par ceux qui en auraient le secret, la patience ou la curiosité. Cette allégorie-là est la
simple concrétisation d’une mécanique autrement invisible. Elle fait du rêve une comédie pour
mieux la comprendre. Le rêveur, s’il y joue bien sûr le rôle principal, est pourtant plus un
archétype qu’un personnage, caractérisé par une expression bien singulière et dominé par son
corps.
La délivrance de ce savoir, si elle peut paraître fantaisiste, s’appuie pourtant plus qu’il
n’y paraît sur un socle de connaissances attestées. En effet, les mécanismes à l’œuvre dans la
formation des rêves sont mis à profit pour générer un pseudo discours étiologique : la mise en

214
allégorie du rêve, comme le fait Michaux, ne repose pas sur d’autres principes poétiques que
ceux mis en avant par Freud – et d’autres avant lui. La dramatisation en est le trait le plus
saillant et le plus facilement repérable, mais la condensation et le déplacement sont eux aussi
utilisés. Plus qu’une illustration des discours théoriques, ces fables étiologiques sont la
manifestation d’une autre tentative de penser le rêve, moins académique, moins rigoureuse,
mais pourtant tout aussi productive. Il s’opère un glissement des procédés du discours onirique
sur le discours explicatif ; comme si le discours du rêve venait contaminer le discours sur le
rêve, lequel se mettait alors à employer les mêmes tours.

215
3.3.2. ABORDER LE RÊVE EN LITTÉRAIRE

Les rêves et les mots


Aborder la question du rêve en littéraire ne se limite pas à broder sur un savoir austère
des histoires amusantes – fussent-elles à dormir debout. L’approche littéraire du fait onirique
tient à la conviction intime, entretenue par les poètes, que le rêve est d’abord un fait de langage
et qu’ils peuvent ainsi s’appuyer, pour explorer ce phénomène, sur le savoir poétique et la
sensibilité à la langue qu’ils ont développés. Scientifiques et littéraires se distinguent par des
usages du langage bien distincts : l’un s’attache à nommer les faits, et à trouver pour cela le
mot juste dans une ambition dénotative, lorsque l’autre se permet d’exploiter les possibilités
évocatoires offertes par la connotation, qui lui permettent d’aller au-delà du réel pour accéder
à l’imaginaire. Michaux souligne tout particulièrement cette différence dans la façon de
nommer le monde aux premiers paragraphes de son essai Les Rêves et la jambe.

Chimistes, financiers, marins, industriels, chanoines, critiques d’art,


philosophes, ont chacun leur argot.
Charabia !
Il n’y a plus que les va-nu-pieds pour se faire entendre de tout le monde.
« Rio de la Plata », « Tartane », « Épissure carrée », choses pour un marin.
Mots pour tous les autres.
« Crédence », « Style Louis XV », choses pour quelques-uns, mots pour les
autres, ou dessins, photos, vues en plan, images à deux dimensions pour les
visuels.
Mais « œuf » c’est un œuf pour tout le monde ; une corde c’est une corde.
Un bateau, une mare d’eau, un arbre, pour personne ne sont des mots ; ce sont
pour tout le monde des CHOSES. Des choses touchées, des choses à trois
dimensions.
J’ai essayé de dire quelques choses79.
En homme de mots, le poète se démarque par sa capacité à traduire le langage du spécialiste,
souvent hermétique pour les simples amateurs, en une langue plus accessible à tous. Il redonne
chair et volume à ces « choses pour le savant » mais « mots pour tous les autres », de façon à
raccrocher, à ces îlots de pure signifiance, un référent partagé. Sans trahir la complexité ou la
précision de concepts et de raisonnements parfois abrupts, il s’agit pour lui non seulement de
sortir du lexique spécialisé, apanage du savant, mais aussi de faire percevoir la sensorialité et
la matérialité de ces objets.
Le rôle du poète serait ainsi de restituer sa fonction communicative au langage
scientifique et d’en agrandir le champ de réception. Passeur de rêves, il adopte une posture
profondément différente du scientifique. Alors que le savant ne chercherait à comprendre le

79
Henri Michaux, Les Rêves et la jambe, op. cit., p. 18.

216
monde que pour lui-même, le poète, généreux, offrirait le rêve et sa langue à tous. Cette
différence de posture est aussi une différence de régime discursif. Là où le scientifique s’en
tient au constat et aux explications vérifiées de faits, le littéraire, lui, s’autorise à dépasser le
stade de la pure description, pour pénétrer les territoires de l’imagination.
Dans le compte-rendu qu’il publie au sujet de l’essai de Michaux, Camille Goemans
s’appuie sur cet écart pour établir une hiérarchie assez surprenante entre science et littérature,
dans laquelle la seconde supplanterait la première.

Il y a ici un tour de force.


La science parle un argot, une langue spéciale muette pour le profane. Le
savant a l’air de se payer de mots.
Mais la littérature parle le langage de tout le monde. L’écrivain montre des
choses, « des choses à trois dimensions », qui existent pour l’intellectuel,
comme pour le chauffeur ou le concierge. Dans « Les Rêves et la Jambe »,
Henri Michaux a mué les mots en choses.
La science est un stade pré-littéraire. Elle présente des faits non digérés, des
documents. Ainsi fait Marcel Proust. Son œuvre est une mine de documents.
Au stade premier, nous aurions eu une théorie sur les rêves, à la manière de
Freud ou d’un autre. Au stade littéraire, nous avons une théorie critique sur
certains ouvrages de Franz Hellens et de Jean Paulhan. Mais parler d’un
écrivain n’est pas nécessairement faire œuvre littéraire. Aussi H. M. parle de
« morceaux d’homme » et de style « morceau d’homme ». Ce « morceau
d’homme » est une fiction et comme tel ne relève que de la littérature.
Qu’aurions-nous gagné à de la science, sinon de ne plus comprendre ?
Les choses auraient fait place aux mots.
« Les Rêves et la Jambe », œuvre d’imagination.
Mais le style algébrique de cet Essai (a+b=c) n’est peut-être qu’une
revanche inattendue de la rigueur scientifique80.
En posant la compréhension et la communicabilité comme critères fondamentaux, Camille
Goemans dénonce l’élitisme de la langue scientifique, devenue une sorte de sociolecte pour
initiés, et l’oppose à l’universalité de la poésie. Il adopte une vision progressiste pour le moins
originale, fait de la littérature un aboutissement de la réflexion et de la communication
scientifique, et prend ainsi le contrepied des discours qui avaient tôt fait de ne voir dans les
approches littéraires qu’approximation ou intuition heureuse – mais hasardeuse – des théories
ensuite démontrées par la science de façon plus rigoureuse.
Cette hiérarchisation des discours repose sur une évaluation du travail de création et de
stylisation, c’est-à-dire d’éloignement par rapport au constat simple du réel (le relevé
scientifique) ou à une parole brute (l’enregistrement de documents). Vingt-six ans après la
reconnaissance d’un « double état de la parole, brut ou immédiat ici, là essentiel » et la

80
Camille Goemans, compte rendu sur « Les rêves et la jambe », Le Disque vert, octobre 1923, 2e année, n° 1,
p. 28.

217
condamnation de l’« universel reportage81 » par Mallarmé, Goemans place l’opération littéraire
au-dessus de l’expérimentation scientifique.
Alors que Michaux valorise le langage poétique dans sa capacité à rendre le mystère du
rêve sensible à tous, Leiris, lui, perçoit dans la langue du rêve une puissance de dérivation et
d’exploration éminemment poétique. L’auteur de Mots sans mémoire y voit une confrontation
au non-sens, qui prend chez lui une orientation proprement lexicale. L’expérience déstabilisante
de la nuit se double d’un nouvel usage du langage et l’errance ressentie figure une
déterritorialité sémantique.

Les syllabes, les lettres, sitôt le jour tombé et les yeux clos, s’enrichissent
de significations nouvelles. La forme d’une lettre, le son d’une syllabe lancent
l’esprit sur une piste insoupçonnée et lui révèlent des rapports ignorés entre les
divers éléments du langage. Combien de mots, dont le sens intime ne m’était
jamais clairement apparu, me furent ainsi traduits en rêve…
Je ne m’intéresse pas plus aux événements qui se produisent d’ordinaire
dans le rêve qu’à ceux de la vie réelle. Seule me semble importante cette
merveilleuse libération de l’esprit, qui permet d’aborder les spéculations les
plus graves au moyen de l’analyse des mots, cette logique spéciale moins
rigoureuse sans doute que la logique habituelle, mais combien plus suggestive
dans ses révélations d’oracle…
C’est ce monde particulier de pensée qui toujours constitue la trame secrète
de mes rêves, le signe permanent que je retrouve dans toutes les aventures de
mon sommeil, qu’il s’agisse de voyages à travers les dédales souterrains, ou de
courses suivant les sinuosités d’une rivière fangeuse qui me conduit au Pôle, au
sexe d’une femme ou à la vérité82.
Pour Leiris, la recherche à l’œuvre dans le rêve est donc une philologie ; mais c’est une
philologie à l’envers qui, au lieu de procéder par décomposition des éléments de sens comme
le ferait une notice de dictionnaire, se fait par enrichissement, association et dérivation, jusqu’à
former autour de chaque mot une constellation sémantique qui rend compte de la richesse et de
la complexité des images et des vocables. La mise au jour du sens se fait aussi bien à partir de

81
« Un désir indéniable à mon temps est de séparer comme en vue d’attributions différentes le double état de la
parole, brut ou immédiat ici, là essentiel./ Narrer, enseigner, même décrire, cela va et encore qu’à chacun suffirait
peut-être pour échanger la pensée humaine, de prendre ou de mettre dans la main d’autrui en silence une pièce de
monnaie, l’emploi élémentaire du discours dessert l’universel reportage dont, la littérature exceptée, participe tout
entre les genres d’écrits contemporains./ À quoi bon la merveille de transposer un fait de nature en sa presque
disparition vibratoire selon le jeu de la parole, cependant ; si ce n’est pour qu’en émane, sans la gêne d’un proche
ou concret rappel, la notion pure./ Je dis : une fleur ! et, hors de l’oubli où ma voix relègue aucun contour, en tant
que quelque chose d’autre que les calices sus, musicalement se lève, idée même et suave, l’absente de tous
bouquets./ Au contraire d’une fonction de numéraire facile et représentatif, comme le traite d’abord la foule, le
dire, avant tout, rêve et chant, retrouve chez le Poète, par nécessité constitutive d’un art consacré aux fictions, sa
virtualité./ Le vers qui de plusieurs vocables refait un mot total, neuf, étranger à la langue et comme incantatoire,
achève cet isolement de la parole : niant, d’un trait souverain, le hasard demeuré aux termes malgré l’artifice de
leur retrempe alternée en le sens et la sonorité, et vous cause cette surprise de n’avoir ouï jamais tel fragment
ordinaire d’élocution, en même temps que la réminiscence de l’objet nommé baigne dans une neuve atmosphère. »
Stéphane Mallarmé « Crise de vers », Divagations (Fasquelles, 1897), éd. Bertrand Marchal, Gallimard,
coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2003, p. 212.
82
Michel Leiris, « Le monde de mes rêves », Le Disque Vert, 1925, p. 34.

218
suggestions sonores (paronomase, rime, étymologies véritables ou fantasmées) que visuelles
(paragramme, anagramme, à partir du dessin formé par lettres et accents). Comme le remarque
Marie-Paule Berranger, « pour Leiris […] la parole qui donne à voir, l’allégorie qui met en
image, sont les facteurs dynamiques : elles assurent le déplacement du sens, le cheminement
des mots83. » Si « dépouillés de leur signification usuelle, les mots redeviennent choses84 », c’est
néanmoins dans un sens bien différent de celui suggéré par Michaux : c’est ici la matérialité
sonore et sensuelle du signifiant (et non du signifié) qui inspire Leiris.
Ce n’est pas un hasard si La Révolution surréaliste accueille aussi bien les récits de
rêves que les premières définitions du Glossaire de Leiris. Ces rêveries cratyliennes trouvent
dans les rêves un terrain d’expression des plus favorables, comme le montre la fin de ce rêve
publié dans le numéro 2 de la revue :

[…] Des galets couverts de mots – mots eux-mêmes bousculés, délavés et


polis – s’incrustent dans le sable parmi les rameaux et coquilles d’algues,
lorsque toute vie terrestre se rétracte et se cache dans son domicile obscur : les
orifices des minéraux.
Zénith, Porphyre, Péage,
sont les trois vocables que je lis le plus souvent.
Ils ne m’apparurent d’abord que partiellement : le Z en zébrure ou zigzag de
conflit, fuite oblique vers les incidences persévérance vers la voie parallèle, —
l’Y de l’outre-terre (Ailleurs, qu’Y a-t-il ? Y serons-nous sibYlles ? Qu’Y
pourrai-je faire si je n’ai plus mes Yeux ?), — l’A écartant de plus en plus son
angle rapace sous-tendu par un horizon fictif, tandis que le P poussait la Porte
des Passions.
Puis les trois mots se formèrent et je pus les faire sauter dans mes mains
avec d’autres mots que je possédais déjà, lisant au passage la phrase qu’ils
composèrent :
Payes-tu, ô Zénith, le péage du porphyre ?
À quoi je répondis, lançant mes cailloux en ricochets :
Le porphyre du Zénith n’est pas un péage85.
Les mots sont ici pure matière, solide et sonore, jusqu’à devenir galets ou même fossiles que
l’on désensable peu à peu. Dans cette archéologie rêvante, on assiste à une redécouverte du
signifiant, à l’échelle fondamentale de la lettre, forme et son. Le rêve permet ainsi de remonter
le temps, jusqu’à l’origine sémantique des mots.
Dans un mouvement de récursivité, la dynamique d’exploration née dans la rêverie peut
prendre à son tour le mot « rêve » comme objet de divagation. C’est à l’occasion d’un « jour

83
Marie-Paule Berranger, Dépaysement de l’aphorisme, Corti, 1988, p. 183.
84
Idem. Marie-Paule Berranger analyse, à partir d’exemple principalement pris dans Glossaire, j’y serre mes
gloses, les procédés utilisés par Leiris pour produire des aphorismes, et plus généralement les rêveries sémantiques
qui émaillent toute son œuvre.
85
Michel Leiris, « Le Pays de mes rêves », Le Révolution surréaliste, n° 2, 15 janvier 1925, repris dans Haut mal,
op. cit., p. 26.

219
sans jour », événement réel marqué du sceau de l’onirisme et narré à ce titre à la manière d’un
rêve, que Leiris s’engage dans l’exploration de ce signifiant pour en dégager les sèmes
principiels. Éveillé en pleine nuit, alors qu’il partage sa chambre avec Georges Limbour, Leiris
découvre son ami en proie à la terreur après qu’il a rêvé « qu’on avait entouré son divan de
draperies, pour l’enfermer ».

Le mot « rêve » participe de la toile d’araignée, ainsi que du voile ténu qui
obture la gorge des personnes atteintes du croup. Cela, en raison de sa sonorité
et de certains rapports de forme entre le v et l’accent circonflexe qui le précède
(cet accent n’étant pas autre chose qu’un v plus petit et renversé), d’où l’idée
d’entrelacs, de voile finement tissé. Le rêve est arachnéen, à cause de ce qu’il
a, d’une part, d’instable et, d’autre part, de voilé. S’il touche au croup, c’est
probablement parce qu’il est lié à l’idée des malaises nocturnes (telles ces crises
de « faux croup » qui me prenaient la nuit quand j’étais très enfant). (NNJJ, 19)
Le lien établi entre « rêve » et « croup » est le fruit d’une triple congruence : sonore, visuelle,
et sémantique. Un signifiant intermédiaire, la « toile » d’araignée très vite rapprochée du
« voile » par un effet de paronomase, permet à l’ensemble de former un système sémantique
assez ferme. Ces deux images fonctionnent comme des chaînons qui thématisent en outre
l’association elle-même : le sème de tissus renvoie facilement au réseau de fils sémantiques et
celui du voilement / dévoilement à la dynamique herméneutique.
Si les développements forgés à partir du dessin formé par les éléments graphiques du
mot sont assez explicites, le rapprochement sonore est en revanche laissé à la libre appréciation
du lecteur. L’allusion au jeu des sonorités met en valeur le [R] qui, dans ce contexte de sommeil
et de maladie infantile, renvoie à la fois au ronflement tranquille, au grésillement de la gorge
encombrée et au déchirement de la toux. Ce dernier point confère au rêve une dimension
morbide et menaçante qui fait écho aux nombreux cauchemars de Leiris, infailliblement conclus
dans un cri d’effroi. Comme le piège de la toile d’araignée qui, d’apparence inoffensive, est
signe de mort pour les insectes, le rêve paisible peut virer au pire des drames en une seconde.
Ce n’est qu’à la fin de cette élaboration que l’écrivain en vient à des aspects plus
abstraits (l’instabilité et l’opacité des rêves), mais aussi plus subjectifs. Dans une ultime
parenthèse, il donne la clé du mouvement qui l’avait fait spontanément associer le rêve au
croup : le souvenir des nuits de faux croup, durant lesquelles la douleur causée par la sensation
d’étouffement était compensée par la tendresse de sa mère86. La symétrie des configurations

86
Ces scènes sont racontées au chapitre III « Antiquités » de L’Âge d’homme, justement ouvert par un rêve qui ne
figure pas Nuits sans nuit et quelques jours sans jour. « Quand je pense à ma mère, l’image d’elle qui me vient le
plus fréquemment, c’est telle que je la voyais alors, en chemise de nuit – une longue chemise de nuit blanche – et
natte dans le dos. Ainsi m’apparaissait-elle en effet quand j’étais malade du « faux croup », affection à laquelle
j’étais alors sujet. / Au milieu de la nuit, soudain, je m’éveillais, la poitrine ravagée par une toux violente qui
déchirait ma gorge et ma trachée, semblant s’enfoncer de plus en plus profondément en moi, comme un coin ou

220
entre Leiris et son ami d’une part, et la mère et son enfant d’autre part, est manifeste. Les draps
qui engonçaient Limbour et les sécrétions qui encombraient sa gorge d’enfant sont même
chose : le rêve est profondément associé à l’entravement mais aussi à la séparation, un autre
« drame du coucher ».
Leiris, dans cette exploration, « cède l’initiative aux mots87 », pour reprendre
l’expression de Mallarmé. La démarche n’est pas sans rapport avec celle de l’association libre
pratiquée en psychanalyse. En laissant ricocher les signifiants, de proche en proche, au gré des
rebonds de sonorité, des reflets de formes ou des ondes de sens, c’est un sillage de significations
personnelles qui se dessine. Le langage est envisagé comme un outil de recherche, propre à
porter le nécessaire mouvement de l’esprit.
Toutefois, si, pour Leiris, le rapport au mystère du monde doit en passer par une
confrontation au langage avant de faire retour sur soi, la comparaison avec la démarche
psychanalytique s’arrête là. En effet, il n’y a pas chez Leiris de tentation d’arriver, par le
truchement du langage, à l’exploration de l’inconscient au sens où l’entend la psychanalyse. Le
rêve, comme la rêverie poétique, peut bien charrier des souvenirs enfouis ou des associations
aussi riches et éclairantes qu’inattendues, l’auteur de Frêle Bruit préfère demeurer dans
« l’attente jamais détendue de la trouvaille88 ». D’association en association, il ne s’agit pas tant
de résoudre ou de compléter l’énigme du sens que de broder autour d’elle une dentelle de mots ;
laquelle n’existe que par la conservation d’espaces vides, autant de « jours » que les nuits
peuvent venir encercler, et préserver89.

Images du rêve
À Matthieu Galey qui lui demande « quel était le propos d’un essai comme Les Songes
et les sorts », Marguerite Yourcenar répond :

C’était une étude de l’esthétique du rêve. Pourquoi le rêve se construit-il


d’une certaine manière ? J’avais essayé d’apporter à cette question le
témoignage d’une série de rêves longuement racontés, pour tâcher de tout
donner, et pas seulement de dire : « J’ai rêvé ce matin que je me promenais dans

une cognée. Cela me faisait mal, mais j’y trouvais aussi un certain plaisir, épiant cette toux qui, à chaque accès,
devenait plus profonde et me vibrait presque jusqu’aux entrailles. Je savais également ce qui suivait, l’inquiétude
et la pitié que ma mère manifesterait, les soins qu’on me dispenserait, et j’étais confusément heureux que quelque
chose me rendit intéressant. » Michel Leiris, L’Âge d’homme, op. cit., p. 63-64.
87
Stéphane Mallarmé, « Crise de vers », art. cit.
88
Michel Leiris, Frêle Bruit, dans La Règle du jeu, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2003, p. 987.
89
Voir Nathalie Barberger, Michel Leiris : l’écriture du deuil, Villeneuve-d’Ascq : Presses universitaires du
Septentrion, coll. « Objet », 1998, p. 122.

221
une ville. », ce qui ne prouve rien, mais tâcher de décrire à quoi ressemblait
cette ville et cette promenade90.
Cette réponse, qui semble confondre narration, analyse esthétique et discours étiologique, a du
moins le mérite de poser très clairement le rêve comme une expérience esthétique, laissant les
aspects cognitifs en arrière-plan. Penser le rêve comme un texte – ou mieux, comme un poème –
, permet à l’écrivain d’aborder cet objet avec des outils qu’il maîtrise et d’en réduire ainsi
l’étrangeté. Yourcenar, dans la préface des Songes et les sorts, aborde cette analogie par le biais
de l’expérience créative.

À mes yeux […] l’expérience du rêveur n’est pas sans analogie avec celle
du poète et l’on peut comparer les éléments oniriques à l’état brut, avec leurs
résonnances symboliques multipliables à l’infini, aux rimes vulgaires ou
sublimes alignées sur les colonnes d’un dictionnaire. (SS, 1535)
Le rêveur est face à ses rêves comme l’écrivain face aux pages du dictionnaire, confronté au
tout-venant d’une matière riche et dense qui contient en elle les virtualités des œuvres possibles,
à la condition qu’il les assemble avec art.
Dans ses romans, c’est toujours à partir de son expérience d’écrivaine que l’auteure des
Mémoires d’Hadrien appréhende le rêve, et ce même lorsqu’elle décrit le phénomène onirique
en empruntant le regard de ses personnages, par la médiation de la focalisation interne. Zénon,
dans L’Œuvre au noir, lui reconnaît des caractéristiques dont certaines pourraient aussi bien
qualifier les textes des Songes et les sorts : « l’incohérence, la liberté totale à l’égard du temps,
la mobilité des formes de la personne, qui fait que chacun est plusieurs et que plusieurs se
réduisent à un91 ». De même, dans Sous bénéfice d’inventaire, la description des Prisons de
Piranèse fournit à l’auteure le vocabulaire esthétique et poétique dans lequel elle trouve les mots
les plus justes pour rendre compte du rêve : « la négation du temps, le décalage de l’espace, la
lévitation suggérée, l’ivresse de l’impossible réconcilié ou surmonté, une terreur plus voisine
de l’extase […], l’absence de lien ou de contact visible entre le parties ou les personnages du
rêve, et enfin la fatale et nécessaire beauté92 ». Labilité du temps et de l’espace, rupture logique,
mobilité des identités, acuité des émotions esthétiques : les caractéristiques attribuées au rêve
proviennent de l’analyse littéraire ou esthétique.

90
Marguerite Yourcenar, « Du rêve et des drogues », art. cit., p. 107.
91
Marguerite Yourcenar, L’Œuvre au noir, dans Œuvres romanesques, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la
Pléiade », éd. établie par Yvon Bernier, 1982, p. 794, cité en exergue de Les Songes et les sorts, op. cit., p. 1530-
31.
92
Marguerite Yourcenar, « Le Cerveau noir de Piranèse », Sous bénéfice d’inventaire, dans Mémoires et essais,
Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1991, p. 93, cité dans Les Songes et les sorts, op. cit., p. 1606.

222
Partout, dans les discours explicatifs élaborés par les écrivains, le rêve est abordé avec
des concepts esthétiques. Les notions freudiennes de déplacement (Verschiebung),
condensation (Verdichtung) et figuration (Darstellung) sont largement reprises par les
écrivains, qui n’hésitent pas à pousser plus loin la réflexion sur la formation et le
fonctionnement des rêves. Michaux approfondit ainsi le concept de « déplacement » non à partir
des discours psychanalytiques mais de sa pratique du langage, et de sa réflexion sur la pensée
et la poésie.

Toutefois, le phénomène du « contraire » pour signifier un fait n’est qu’un


cas particulier du phénomène de déplacement : une image en appelant une
autre, puis une autre, une autre encore et surtout, par l’intermédiaire d’un mot
non remarqué, une image beaucoup plus inattendue, nouvellement déviatrice,
génératrice d’une, deux, trois déviations qui le rendront définitivement insensé.
(FEFE, 509)
Reprenant l’historique des traditions interprétatives des rêves, il recourt partout au lexique
rhétorique :

De ces associations ou rebondissements, l’association par analogie n’est pas


nécessairement la prépondérante.
De même qu’étant éveillé, une idée fait songer à son opposé, s’y trouvera
tôt ou tard associée parfois de façon inséparable et contraignante comme
l’antithèse collant à la thèse, de même, en rêve, des images venues non par
analogie mais par contraste, abondent. (FEFE, 510)93
Cet usage d’un vocabulaire conceptuel bien spécifique permet de cultiver un effet de familiarité
qui restaure une certaine proximité non seulement expérientielle mais aussi conceptuelle. Le
rêve, une fois abordé avec les outils de la littérature, se met à parler une langue connue, et à
dévoiler des points de similitude d’abord masqués par son étrangeté manifeste. Tel est aussi le
dessein de Breton lorsqu’il entend convoquer les outils de la poésie pour mieux comprendre la
nature des images oniriques :

Rien ne serait, à cet égard, plus nécessaire que de faire porter un examen
approfondi sur le processus de formation des images dans le rêve, en s’aidant
de ce qu’on peut savoir, par ailleurs de l’élaboration poétique. D’où vient que
de telles images ont été retenues de préférence à telles autres, entre toutes les
autres ? (VC, 203)
Avec Valéry, l’usage du vocabulaire et des notions littéraires pour circonscrire le rêve
allait plus loin encore. L’auteur des Cahiers ne sollicite pas seulement le lexique littéraire pour
décrire le rêve et ses mécanismes, comme dans une traduction en un langage intelligible, mais
il met à profit ces concepts pour opérer sur l’objet onirique des opérations de conceptualisation
nouvelles qui doivent pousser plus loin et de manière inédite son appréhension et sa

93
Je souligne.

223
représentation. Ainsi, la notion de métaphore lui permet de penser le fonctionnement des images
oniriques en dehors de la figuration, plus souvent convoquée par les penseurs du rêve :

Une métaphore prise au pied de la lettre, sans négliger les termes inutiles de
part et d’autre, ou au contraire sans le sentiment de l’invariant commun à
dégager. Mais comme un fait et non comme un moyen. Comme un fait et non
comme un usage ; ou comme devant, (cette liaison), s’adapter à un système
complet général, du monde, — être sacrifiée à l’ESPRIT — du texte entier, et
ne pas être par soi seule… Cela est rêve.
Considère métaph[ore] etc. comme combinaison [P(s, t, v, —)] de
plusieurs choses pour exprimer I seule, et qu’au lieu de lire de la sorte cette
expression, tu la regardes comme une mixture, monstre, chimère ou griffon —
tu la signifies pour un être hybride et équivoque.
Le monstre non viable, incohérent et étant — est comme l’opposite, le
contraire de la loi, de l’abstraction — du sens résultant. Et l’un est marque du
rêve, comme l’autre de la réflexion ; mais l’un et l’autre sont possibles dans la
veille ; le second, jamais dans le rêve. (C II, 58, [1911])
Employée comme concept opératoire, la métaphore permet de faire progresser une science
littéraire du rêve : avec elle, se formule une nouvelle définition, laquelle met en valeur
l’hybridation, qui jusqu’à présent n’avait pas été saisie dans la charge esthétique qu’elle recèle.
Mais la science de la littérature y gagne aussi : employée dans le domaine du rêve, la métaphore
s’enrichit d’une profondeur nouvelle, ses modalités d’emploi et ses effets varient. L’essayiste,
dans une expression complexe, dévoile ainsi la puissance des concepts littéraires pour penser
le monde psychique.

À l’instar de Valéry avec la métaphore, d’autres auteurs identifient les images comme
le plus petit commun dénominateur entre rêve et poésie. Béalu voit dans ses rêves des
« caisse[s] à images » (VR, 47) et Yourcenar pense que « le dormeur assemble des images
comme le poète assemble des mots » (SS, 1535). Michaux, s’il partage ce constat, s’en sert
néanmoins comme d’un tremplin pour mieux distinguer leurs qualités et leurs usages respectifs.

En littérature, et avec une particulière évidence, dans la poésie traditionnelle


de tout temps et de tout pays, les images de comparaison sont là, de façon à
faire valoir. Elles satisfont l’inclination à faire admirable et tendent à rendre
présent un sentiment irradiant qui sans apparemment ramener à soi fait
participer la nature entière à l’œuvre de séduction et de complaisance.
Atmosphère de flatterie où est entraîné l’auditeur.
Le style engageant et ses images insinuantes, transmuant les faits, les objets
et les situations, ont l’air de faire la cour. Et, en vérité, ils la font.
Si les images en poésie paraissent faites pour faire valoir, celles du rêve de
nuit couramment semblent faites pour faire dévaloir.
Opération de sape.
Atmosphère de dévalorisation. (FEFE, 514)

224
L’auteur renvoie dos à dos la condescendance mièvre d’une certaine poésie, habituée aux
images faciles et certainement prise dans une mécanique du cliché valorisant, et l’avilissement
coutumier du rêve, toujours prompt, selon lui, à travestir les contenus de la manière la plus
triviale. Le rêve est ainsi pensé par opposition à la poésie mais sans que ni l’un ni l’autre n’en
sorte valorisé. Le poète frôle la caricature en présentant un système binaire – image au rabais
ou rabaissement par l’image –, dans lequel les parties s’opposent terme à terme. Le rêve y gagne
tout de même en définition. La comparaison avec la poésie permet à Michaux de déceler dans
les affres du rêve une puissante dynamique de renversement qui lui donne quelque chose de
foncièrement carnavalesque.

De plus, menées ou dirigées par le « moi » social, réduites à une ou à un


petit nombre, les images de l’écrivain d’imagination élaguent, réduisent,
simplifient, afin de convenir à d’autres, au moins à quelques autres, à être
lisibles.
Images sous surveillance. Préoccupation d’être suivies, appréciées.
Dans le rêve, ce sont deux, trois, quatre, cinq comparaisons qui, fixées sur
un sujet ou sur une personne, se sont substituées à ses particularités, carrément,
lui donnant le chapeau d’un autre, la barbe d’un autre, le sourire d’un autre
encore ou sa démarche ou son âge, et cependant on sait qu’il s’agit bien de cette
personne là quand même. Et pareillement, le lieu est (sans l’être) le lieu qu’on
connaît, affublé d’une des particularités d’un autre, ou d’un troisième, par
l’effet d’un placage bizarre mais qui souvent paraît aller de soi ; et pareillement
les situations, faites de plusieurs, qui n’ont pas grand-chose à y voir, qui n’ont
chacune qu’un point commun mais qui s’y est fixé comme définitivement,
rendant la situation composite comme un sphinx, qu’on ne pourra écarter, et
qui en effet n’est plus lisible, du moins immédiatement, mais est rébus, un ou
plusieurs rébus. (FEFE, 515)
En fin observateur du rêve, Michaux identifie deux dynamiques contraires pour en venir à faire
du rêve une sorte d’anti-poésie : l’épure de la poésie s’oppose à la surenchère du rêve, lequel
œuvre par une condensation qui, ici, ne dit pas son nom.

Le rêve, en tant que langage, pourvoyeur d’images et d’associations inédites, pourrait


concurrencer la poésie. Il est donc primordial, pour les poètes, d’en repérer les tics et les tours,
tout ce qui pourrait faire sombrer la création dans une mécanique aveugle et insensible. Aussi
Michaux s’attache-t-il à démystifier cette figure de poète que les romantiques avaient pu ériger
en génie suprême. Déjà grand-mère désagréable, le rêve est dans son œuvre un piètre poète dont
les œuvres ne souffrent pas la comparaison avec les « beaux poèmes ».

[…] le rêveur, l’évocateur de nuit a volontiers un vocabulaire pauvre, à quoi


il ramène tout, ou presque tout.
On sait qu’il en est ainsi de certains beaux poèmes, leur auteur n’employant
qu’un nombre restreint de mots : mots évocateurs, les seuls qui soient
« chargés », qui, parmi les milliers qu’il connaît, lui reviennent lorsqu’il est

225
touché en profondeur, étant seuls porteurs de charges multiples, mots à
dédoublement, à recouvrement, à reports.
Toutefois, le vocabulaire de mon « rêveur nocturne » est pauvre autrement.
C’est un choix fait ordinairement dans les minables choses de la triste prose des
humbles et difficiles conditions de l’existence, chargées sans doute, mais du
plus vulgaire, de ce qui est macéré le plus longtemps dans la médiocrité et
l’indigence, à quoi, nuit après nuit, il revient. (FEFE, 461)
La comparaison avec le poème accroît encore le dénigrement. La puissance évocatoire de la
poésie, qui procède par économie de mots, ne fait que renforcer, par contraste, la faiblesse des
productions oniriques. L’accumulation des termes dépréciatifs (« pauvre », « minable »,
« triste », « vulgaire », « médiocrité », « indigence ») dénonce l’expression la plus gauche qui,
non contente de puiser dans de vils matériaux, s’en empare encore de la pire des façons.
Michaux emploie, pour figurer l’arrière-plan de souvenirs que peut charrier le rêve, la
métaphore du grenier, qui n’est pas sans rappeler les écrits de Bachelard sur la topo-analyse94.

[…] Une sorte de grenier est derrière lui, de grenier, de grenier d’impulsions
amassées, d’impulsions-retard.
En communication avec ce trop-plein, le rêve est réponse, réponse qui est
justification, qui est défense, qui est redressement ou désir ou dégoût ou mise
en rang ou mise au pas ou refus. Et derrière la réponse, il y a d’autres réponses
se poussant pour placer une image, un fait, une apparence. Réponse abondante,
mais disloquée. Abondante comme la nature qui fait anarchiquement des
millions d’œufs. Abondance où il y a chevauchement, cumul, désordre,
déplacement, où dans tel élément s’est fourré un autre élément d’un autre
problème irritant qui n’a rien à voir, qui sort en même temps, l’incident d’hier,
jumelé à un d’il y a vingt ans, ou à ceux qui se préparent pour demain, avec des
images de substitution, des images pas pour les revoir, mais pour s’en
débarrasser, pour les envoyer au diable ; aussi des images-rébus, faites de
pièces qui se sont prises ensemble.
Rêve : amas de faits divers, de petits faits divers de la personne répétés en
vrac en vitesse, faits divers qui renvoient à d’autres de toute date, de faits passés
où l’on trouva à redire, par quoi on fut attaqué, troublé. Rêve-réponse qui
renvoie la balle. Alors pourquoi vouloir à tout prix interpréter ? (FEFE, 505-
506)
En quelques paragraphes, se trouvent rassemblés nombre de lieux communs et autres
formulations attendues : les images rébus, le désordre, le déplacement trouvent dans ce lieu
imaginaire du grenier une valeur concrète et une nouvelle justification. Topographie onirique
et poétisation du rêve se rejoignent ici. Dans ce grenier à images, le désordre et l’amoncellement
des souvenirs viennent justifier le déplacement comme une sorte d’accident de parcours. La
prise au sérieux de l’image et de son pouvoir évocatoire achève d’invalider les discours trop
théoriques et abstraits de la psychanalyse. L’interrogation finale (« Alors pourquoi vouloir à

94
Gaston Bachelard, Poétique de l’espace, PUF, 1957. Voir en particulier le chapitre premier : « La Maison. De
la cave au grenier. Le sens de la hutte. » Le philosophe y fait du grenier, non seulement un espace propice à la
rêverie mais encore un espace fantasmatique investi par la rêverie.

226
tout prix interpréter ? ») dénonce l’absurdité d’une démarche qui avait elle-même initié le
recours à l’allégorie.

Attentifs aux mots, aux expressions, aux images, les écrivains prennent garde de n’être
dupes ni du rêve, ni des discours de savoirs portés sur lui. Avec les outils qui sont les leurs,
ceux de l’analyse esthétique et de la description poétique, ils parviennent à donner forme à un
discours original, profondément ancré dans l’expérience et l’écoute de leurs songes. C’est en
posant en premier lieu l’analogie entre rêve et poème que le poète peut ensuite faire la part de
leurs points communs et de leurs différences et identifier les singularités du rêve avec des
concepts qu’il maîtrise. Cette démarche de comparaison s’avère un puissant moyen
d’appréhension et de définition.

227
3.3.3. ÉCRIRE LA VIE COMME UN SONGE : EXTENSIONS DU DOMAINE ONIRIQUE

Doute, incertitude, et renversement


La remise en question, par le rêve, de la validité de notre expérience sensible du monde
réel est un lieu commun de la tradition philosophique depuis l’Antiquité. Déjà, Platon, dans le
Théétète, exprime une certaine défiance à l’égard de ces images trompeuses. Si les images
oniriques sont condamnées par l’auteur de La République, la sagesse taoïste, elle, développe
une approche plus conciliante des mondes de la veille et du sommeil, que ne manque pas
d’exploiter Queneau dans Les Fleurs bleues.

On connaît le célèbre apologue chinois : Tchouang-tseu rêve qu’il est un


papillon, mais n’est-ce pas le papillon qui rêve qu’il est Tchouang-tseu ? De
même dans ce roman, est-ce le duc d’Auge qui rêve qu’il est Cidrolin ou
Cidrolin qui rêve qu’il est le duc d’Auge95 ?
Cascade d’interrogations, renversement des perspectives, chiasmes vertigineux : le rêve,
pourvoyeur de doute et de dédoublement, fait plonger le lecteur dans des abîmes de perplexité
et se révèle comme une ressource précieuse au romancier oulipien prompt à trouver là structure
et matière à contraintes.
Breton, Sartre ou encore Caillois, quant à eux, se situent davantage dans le sillage des
raisonnements exposés par les philosophes du XVIIe siècle, Pascal et Descartes. La littérature du
Grand Siècle – plus particulièrement, le théâtre baroque – avait déjà tiré parti des potentialités
d’illusion et de simulacres offertes par le rêve96. Dans L’Incertitude qui vient des rêves, Caillois
reprend à son compte le doute et la sensation de vertige exprimés par ses prédécesseurs.

Le rêve, assurément, est vif, intense. Il ne comporte ni creux ni temps faible.


Il donne sans défaillance cette impression de réalité qu’on imagine que la réalité
seule est capable de donner toujours. Il faut peu de chose en effet pour qu’elle
révèle sa carence. Il suffit qu’on soit distrait, indifférent, sur le point de céder à
la fatigue ou au sommeil. Paradoxalement, c’est parfois une certaine impression
d’irréalité, le manque de détails remarquables, le fait que tout m’échappe, qui
pourrait m’amener à conclure que je n’ai pas rêvé97.
Cette observation qui, de façon surprenante, table sur la netteté du rêve plutôt que sur son
indistinction pour l’identifier, ne fait que pousser plus loin les raisonnements classiques.
Descartes, dans les Méditations métaphysiques, met en avant l’illusion dont est victime le
rêveur, jusqu’à le faire douter du réel, une fois éveillé.

95
Raymond Queneau, Les Fleurs bleues, Gallimard, 1965, 4e de couverture.
96
On pense notamment au théâtre de Calderón ou de Shakespeare.
97
Roger Caillois, L’Incertitude qui vient des rêves, Gallimard, 1956, p. 27-28.

228
Toutefois j’ai ici à considérer que je suis homme, et par conséquent que j’ai
coutume de dormir, et de me représenter en mes songes les mêmes choses, ou
quelquefois de moins vraisemblables que ces insensés, lorsqu’ils veillent.
Combien de fois m’est-il arrivé de songer, la nuit, que j’étais en ce lieu, que
j’étais habillé, que j’étais auprès du feu, quoique je fusse tout nu dedans mon
lit ? Il me semble bien à présent que ce n’est point avec des yeux endormis que
je regarde ce papier ; que cette tête que je remue n’est point assoupie ; que c’est
avec dessein et de propos délibéré que j’étends cette main, et que je la sens : ce
qui arrive dans le sommeil ne semble point si clair ni si distinct que tout ceci.
Mais en y pensant soigneusement, je me ressouviens d’avoir été trompé,
lorsque je dormais, par de semblables illusions. Et m’arrêtant sur cette pensée,
je vois si manifestement qu’il n’y a point d’indices concluants, ni de marques
assez certaines par où l’on puisse distinguer nettement la veille d’avec le
sommeil, que j’en suis tout étonné ; et mon étonnement est tel, qu’il est presque
capable de me persuader que je dors98.
L’expérience de pensée présentée par Descartes trouve, sous la plume de Caillois, une réécriture
d’autant plus savoureuse qu’elle s’appuie, peut-être pour se montrer plus convaincante, sur
quelques clichés littéraires habilement marqués. L’auteur de Lolita nous y est décrit comme un
homme distrait, et le doute qui saisit ses deux amis écrivains parvient à contaminer jusqu’au
lecteur, que Caillois embarque malicieusement dans la spirale du vertige.

Un soir de juillet 1952, je rencontrai, à l’improviste, à Strasbourg, Denis de


Rougemont dans la salle à manger d’un hôtel de la place Kléber, où, isolé à une
table, j’étais l’un des rares clients. Cette rencontre n’était pas extraordinaire,
car nous devions participer la semaine suivante à une même réunion dans une
petite ville des environs. Il me raconta qu’il venait de voir à Paris notre ami
Nicolas Nabokov, revenu de Londres le jour même en avion et à qui il était
arrivé l’aventure suivante. Nabokov s’était trouvé assis, dans l’appareil, à côté
d’un Chinois inconnu, qui n’avais pas tardé à s’endormir. Se réveillant soudain,
le Chinois avait demandé en anglais à Nabokov : « Vendez-vous de la
quincaillerie ? » Puis, sur la réponse négative de celui-ci, il s’était rendormi et
ne lui avait plus adressé la parole, même à l’arrivée. Rougemont essayait de
trouver une explication plausible à la conduite du Chinois. Fatigué de la
chercher en vain, il conclut que des histoires pareilles arrivaient constamment
à Nabokov et d’ailleurs n’arrivaient qu’à lui. Une des hypothèses mises en avant
était que le Chinois, mal réveillé, s’adressant si bizarrement à son voisin, n’avait
fait que continuer un rêve.
Le soir, dans ma chambre, je repensai à l’épisode et il me vint à l’esprit que
ce n’était peut-être pas le Chinois qui avait dormi et rêvé, mais bel et bien
Nabokov lui-même. Cette nouvelle version me parut beaucoup plus
vraisemblable que la première. Nabokov s’était assoupi un instant, pendant
lequel il avait rêvé que le Chinois lui avait demandé s’il vendait de la
quincaillerie. Réveillé, il ne s’était pas rendu compte qu’il avait dormi, encore
moins qu’il avait rêvé, de sorte que le souvenir de son rêve lui apparaissait
comme le souvenir d’un épisode réellement vécu. Satisfait de cette explication,
je n’y pensais plus et négligeai le lendemain de la proposer à Rougemont.
Quelques semaines plus tard, au cours d’une discussion, j’eus l’occasion de
citer à titre d’exemple cette histoire et la solution que j’avais imaginée. Je me
rendis compte alors que j’étais resté en chemin, car je pouvais également

98
René Descartes, Méditations métaphysiques (1641), Première méditation, Garnier-Flammarion, 2011, p. 61

229
supposer que Nabokov n’avait rien raconté du tout à Rougemont et que celui-
ci, dans le train qui l’emmenait à Strasbourg, s’était endormi et avait rêvé que
Nabokov lui avait fait semblable récit. Je compris qu’à mon tour, je n’avais pas
de preuve que Rougemont m’eût réellement rapporté quoi que ce fût au sujet
de Nabokov et que je pouvais moi-même être victime de la même confusion
que je venais de lui attribuer. Certainement, je ne pouvais être sûr que le soir, à
Strasbourg, après l’avoir quitté pour aller dormir, je n’avais pas rêvé qu’il
m’avait conté, en s’en étonnant, l’étrange aventure prétendument arrivée à
Nabokov. J’entrevis aussi que, si jamais j’écrivais cette argumentation, chacun
des lecteurs sous les yeux de qui elle serait tombée, pourrait quelque jour se
demander s’il avait réellement lu ces pages ou s’il n’avait pas plutôt rêvé qu’il
avait eu inexplicablement dans les mains une revue contenant, sous la signature
d’un certain Roger Caillois, cette dialectique à la fois rigoureuse et démente,
comme sont précisément celles des rêves99.
De proche en proche, ce n’est pas seulement la perception du monde et le crédit accordé à
l’expérience éveillée qui se trouvent menacés de dilution dans le grand bain du rêve, mais
encore le discours, et, au-delà, la narration. Le rêve mine le terrain du monde réel, le creuse
partout de doubles – voire triples – fonds, en fait vaciller les murs. Mais cette entreprise de
destruction radicale érige, en même temps, au sein de l’univers de fiction, de nouveaux édifices,
enchâssés les uns dans les autres, et dévoilés comme des poupées russes, à l’infini. Le doute
porte la menace d’un rêve qui pourrait s’étendre à l’infini et devient ainsi un remarquable ressort
narratif et un pourvoyeur de tension. Je puis douter de tout, même de ma lecture, mais pas du
plaisir de me faire peur en tournant simplement les pages.

La cohérence des rêves me troubla désormais beaucoup plus. Je ne


m’explique pas encore comment la cohue d’images qui fait irruption dans la
conscience du dormeur réussit à s’y composer en enchaînements acceptables,
en histoires qui se suivent, en aventures ordonnées. Il me semble que les rêves
ne devraient comporter que des images folles et anarchiques, sans le moindre
lien entre elles. Or les miens devenaient de plus en plus rigoureux et, pour ainsi
dire, merveilleux d’horlogerie, ou plutôt ils savaient m’en donner
l’impression100.
Là est la grande puissance des rêves, pour Caillois : ils donnent à penser le contraire de ce qu’ils
sont. Eux qui devraient donner une impression de chaos et de désordre, ils s’agencent comme
par miracle en narrations fascinantes dont on a du mal à se déprendre.
Les récits de rêves mettant en scène cette confusion entre veille et sommeil, avec son
lot de faux réveils et de rêves dans le rêve, ne sont pas rares. Éluard, dans un récit intitulé « Je
rêve que je ne dors pas », daté du 18 juin 1937, raconte :

Je rêve que je suis dans mon lit et qu’il est tard. Impossible de dormir. Je
souffre de partout. J’essaie d’allumer. N’y parvenant pas, je me lève et, dans le
noir, je me dirige à tâtons vers la chambre de ma femme. Dans le corridor, je

99
Roger Caillois, L’Incertitude qui vient des rêves, op. cit., p. 30-33.
100
Ibid., p. 19-20.

230
tombe. Incapable de me relever, j’avance lentement en rampant. À l’entrée de
la chambre de ma femme, je m’endors (je rêve que je m’endors).
Soudain, je m’éveille (je rêve que je m’éveille) en sursaut. Ma femme a
toussé et j’ai eu très peur. Je m’aperçois alors qu’il m’est impossible de bouger.
[…] les douleurs diminuent progressivement. Jusqu’au moment où j’ai l’idée
de contrôler du bout des doigts si je suis vraiment sur le parquet. Je pince
légèrement des draps, je suis sauvé, je suis dans mon lit. (DV, 60-61)
Les épanorthoses ajoutées entre parenthèses attirent typographiquement l’attention sur le cadre
onirique de tous ces rebondissements (« je rêve que … »). Elles témoignent d’une volonté de
précision de la part de l’auteur, mais aussi de sa difficulté à rapporter l’illusion provoquée par
le rêve, sans la déflorer, ni tromper le lecteur.
Les Causes célèbres qui, à l’origine, devait s’intituler, Contes à dormir debout101, est,
dès le prière s’insérer, placé sous le signe d’une pensée de Tchouang-tseu102. Paulhan y joue de
cette frontière poreuse entre rêve et vie éveillée, à cette nuance près que, cette fois, les récits
sont clairement fictionnels. Dans « Un rêve dans le réveil », le narrateur joue de ces niveaux de
conscience et d’illusion pour égarer le lecteur et ménager une tension narrative.

Mardi, je devais commencer mon travail à six heures. J’aurais pu dormir


tranquille jusque-là ? Non. Je me réveillai trois fois pour regarder la montre.
J’avais tort de m’inquiéter : à cinq heures et demie précises, mon réveil sonna.
Enfin rassuré, je me rendormis. Mais je revins à moi l’instant d’après, et me
levai d’un bond. Puis je commençai de monter l’escalier qui mène au bureau.
Parvenu au palier du premier étage, je jetai un coup d’œil en arrière. Ce que je
vis m’étonna.
À mi-hauteur, couchée de travers sur l’une des marches, une forme obscure
ressemblait à une personne. […] Là-dessus, la lumière s’éteint.
Je presse le bouton de la minuterie. Rien. Il faut donc que le courant soit
coupé. S’il est coupé, pas de travail. Il ne reste qu’à retourner au lit, quelle
histoire. Je redescends deux marches et du coup me rappelle la femme que je
viens de piétiner.
[…] Il arriva que je me réveillai. J’étais dans mon lit, quelle honte. Je me
dressai. Ce fut pour tomber dans un nouveau trouble. Car enfin, puisque je
rêvais, la femme venait de moi103.
Même fausses impressions de réveil et d’endormissement, même usage du présent de
l’indicatif, même style paratactique, prenant soin de ne lier aucune des phrases entre elles pour
seulement les juxtaposer. Mais cette fois, l’auteur se garde bien de rétablir l’état de conscience
du personnage : la nouvelle de Paulhan joue des codes du récit de rêve pour mieux provoquer
l’effroi et la surprise du lecteur.

101
Voir la notice de Bernard Baillaud dans Jean Paulhan, Œuvres complètes, t. I « Récits » , Gallimard, 2006,
p. 510. Bernard Baillaud y rapporte les paroles de Paulhan dans un entretien accordé à Claude Elsen : « J’avais la
préoccupation des Causes depuis l’âge de 18 ans. Dans ce temps-là, ça s’appelait Contes à dormir debout, et il me
semble que cela devenait – à mesure qu’on avançait dans le livre – assez effrayant. »
102
Jean Paulhan, Les Causes célèbres, Gallimard, 1950. Voir le prière d’insérer, daté de février 1950.
103
Jean Paulhan, « Un rêve dans le réveil », Les Causes célèbres, op. cit., p. 309-310.

231
On pourrait faire les mêmes remarques à propos de certaines Brèves de rêves de
Frédérick Tristan, qui, à l’instar de celle numérotée 154, dévoilent des « rêves gigognes ».

Quelques instants plus tard, une énorme explosion m’oblige à me retourner.


La maison que je viens de quitter n’est plus qu’une ruine fumante. Ma
stupéfaction est telle que je m’éveille. Alors, je m’aperçois que les rideaux de
ma chambre sont en feu. Je me lève pour tenter d’éteindre les flammes. Le
plancher se dérobe sous moi. Je tombe dans un puits sans fond. C’est pendant
une descente vertigineuse qu’enfin, vraiment, je me retrouve dans mon lit, me
libérant de ces rêves gigognes. (BR, 175)
Le rêve, dans ces trois textes, vient creuser le récit d’une dimension fictionnelle supplémentaire,
que celle-ci s’inscrive dans un cadre de fiction déjà établie – comme Les Causes célèbres – ou
non – comme les récits de rêves d’Éluard qui se donnent pour authentiques. Maîtrisée par la
plume d’un auteur qui s’amuse des rebondissements d’un fantastique du quotidien, ou subie par
un rêveur sincèrement en proie à l’épouvante de l’oreiller, l’échappée dans le monde onirique
met de toute façon le désordre dans les niveaux de réalités et les régimes de lecture. Au jeu du
sens dessus-dessous, le texte littéraire se trouve toujours densifié par la puissance d’un
battement de paupière.
Mais au-delà de ce bénéfice narratologique, qui tire profit de la puissance
déstabilisatrice du rêve pour la sublimer dans le récit, la littérature s’empare également du rêve
pour en faire un lieu de réflexion. Le rêve devient un accident de la pensée qui conduit les
surréalistes à formuler de façon inédite la visée heuristique de la littérature.

La puissance de la rêverie (Breton, Leiris)


Volontiers critique envers la philosophie cartésienne, Breton n’en partage pas moins la
première étape du raisonnement cher à l’auteur des Méditations métaphysiques pour remettre
en cause la validité du monde réel. « Tant va la croyance à la vie, à ce que la vie a de plus
précaire, la vie réelle s’entend, qu’à la fin cette croyance se perd104. », annonce l’incipit du
Manifeste du surréalisme, pour mieux valider et louer ensuite les fruits de l’imagination. De la
difficulté à distinguer le rêve du réel, Breton en vient à poser l’impossibilité de les différencier
puis à défendre le primat de l’illusion sur la réalité. Georges Sebbag, après Ferdinand Alquié105,

104
André Breton, Manifeste du surréalisme, dans Œuvres complètes, t. I, p. 311.
105
« La déréalisation métaphysique et la déréalisation surréaliste du monde présentent cependant une différence
essentielle. Certes, Descartes est bien près du rêve surréaliste, et de son entrée dans la vie de la veille, lorsqu’il
écrit à Guez de Balzac : “Après que le sommeil a longtemps promené mon esprit dans des buis, des jardins, et des
palais enchantés, où j’éprouve tous les plaisirs qui sont imaginés dans les fables, je mêle insensiblement mes
rêveries du jour avec celles de la nuit : et quand je m’aperçois d’être éveillé, c’est seulement afin que mon
contentement soit plus parfait, et que mes sens y participent.” Mais il demeure que la démarche essentielle de
Descartes consiste, non à déréaliser les choses, mais à reconquérir par raison un réel donc, précisément, il sent dès

232
montre combien le doute de Breton prend son origine dans un questionnement identique à celui
du doute cartésien mais aboutit à des conséquences contraires :

Breton s’accorde avec Descartes au moins sur un point, celui de l’étendue


ravageuse du doute et de la tromperie. Les Méditations métaphysiques en
particulier démarrent sur cette mise en garde : les sens nous trompent ;
l’imagination, n’en parlons pas ; le rêve est indiscernable de la veille ; nous ne
sommes pas à l’abri de l’hallucination ou du délire ; quant aux vérités
mathématiques elles vacillent si je fais l’hypothèse de l’existence d’un malin
génie ou d’un dieu trompeur. […] André Breton […] compte instruire un procès
permanent du monde réaliste dont il sera le témoin à charge106.

En bref, Descartes est un philosophe rationaliste qui nie d’abord le réel pour
mieux le gager ensuite ; Breton est un penseur idéaliste et immatérialiste qui
dans un même mouvement déréalise le réel et réalise l’imagination107.
À Descartes, qui pourtant stimule sa pensée, Breton préfère Pascal, lequel
reconnaît comme lui une certaine liaison entre les rêves108 et, surtout, une
continuité de fonctionnement entre veille et sommeil, contrairement à l’auteur
du Discours de la Méthode109.
Personne n’a d’assurance hors la foi s’il veille ou s’il dort ; vu que durant le
sommeil on ne croit pas moins fermement veiller qu’en veillant
effectivement… De sorte que la moitié de la vie se passant en sommeil par notre
aveu… qui sait si cette autre moitié de la vie où nous pensons veiller n’est pas
un sommeil un peu différent du premier, dont nous nous éveillons quand nous
pensons dormir ? (Comme on rêve souvent qu’on rêve, entassant un songe sur
l’autre, il se peut bien faire que cette moitié de la vie où nous pensons veiller
n’est elle-même qu’un songe, sur lequel les autres sont entés, dont nous nous
éveillons à la mort, pendant laquelle nous avons aussi peu les principes du vrai
et du bien que pendant le sommeil naturel, tout cet écoulement du temps de la
vie et ces divers corps que nous sentons, ces différentes pensées qui nous y

le départ qu’il n’est pas l’Être. » Ferdinand Alquié, Philosophie du surréalisme, Flammarion, 1977, p. 77. [Il s’agit
d’une Lettre à Balzac du 15 avril 1631.]
106
Georges Sebbag, Potence avec paratonnerre. Surréalisme et philosophie, Hermann, coll. « Philosophie », 2012,
p. 183.
107
Ibid., p. 184.
108
Cf. André Breton, Manifeste du surréalisme, op. cit., p. 317-318 : « Dans les limites où il s’exerce (passe pour
s’exercer), selon toute apparence le rêve est continu et porte trace d’organisation. Seule la mémoire s’arroge le
droit d’y faire des coupures, de ne pas tenir compte des transitions et de nous représenter le rêve plutôt une série
de rêves que le rêve. […] Mon rêve de cette dernière nuit, peut-être poursuit-il celui de la nuit précédente, et sera-
t-il poursuivi la nuit prochaine, avec une rigueur méritoire. C’est bien possible, comme on dit. »
109
« Et je dois rejeter tous les doutes de ces jours passés comme hyperboliques et ridicules ; particulièrement cette
incertitude si générale touchant le sommeil, que je ne pouvais distinguer de la veille. Car à présent j’y rencontre
une très notable différence, en ce que notre mémoire ne peut jamais lier et joindre nos songes les uns aux autres,
et avec toute la suite de notre vie, ainsi qu’elle a coutume de joindre les choses qui nous arrivent étant éveillés : Et
en effet si quelqu’un lorsque je veille m’apparaissait tout soudain, et disparaissait de même, comme font les images
que je vois en dormant, en sorte que je ne pusse remarquer ni d’où il viendrait ni où il irait, ce ne serait pas sans
raison que je l’estimerais un spectre ou un fantôme formé dans mon cerveau, et semblable à ceux qui s’y forment
quand je dors, plutôt qu’un vrai homme. Mais lorsque j’aperçois des choses dont je connais distinctement et le
lieu d’où elles viennent, et celui où elles sont et le temps auquel elles m’apparaissent et que sans aucune
interruption je puis lier le sentiment que j’en ai avec la suite du reste de ma vie, je suis entièrement assuré que je
les aperçois en veillant et non point dans le sommeil. » René Descartes, Méditations métaphysiques, Sixième
méditation, Garnier-Flammarion, 2011, p. 211.

233
agitent n’étant peut-être que des illusions pareilles à l’écoulement du temps et
aux vains fantômes de nos songes110.)
À propos de ce fragment des Pensées, qui aurait aussi bien servir de quatrième de couverture
aux Fleurs bleues de Queneau, Breton commente :

Ce raisonnement, pour être valable, exigerait tout d’abord dans son


balancement que si durant le sommeil on croit veiller, durant la veille on crût
dormir, et cette dernière illusion est des plus exceptionnelles. Cette seconde
conjecture ne serait encore pas de force à justifier le second membre de la
phrase : puisqu’il n’en serait pas moins établi que le sommeil et la veille se
partagent la vie, pourquoi cette tricherie au bénéfice du sommeil ? Et qu’est-ce,
de plus, que ce sommeil qui n’est pas défini par rapport à une veille, si ce n’est,
comme je crois devoir le penser, connaissant un peu l’auteur, à une veille
éternelle, dont il serait à plus forte raison impossible d’avoir d’assurance hors
la foi ? Qu’est-ce que ce procès intenté à la vie réelle sous prétexte que le
sommeil donne l’illusion de cette vie, illusion découverte à l’éveil, alors que
dans le sommeil la vie réelle, à supposer qu’elle soit illusion, n’est en rien
critiquée, tenue pour illusoire ? Ne serait-on pas aussi fondé, parce que les
ivrognes voient double, à décréter que pour l’œil d’un homme sobre, la
répétition d’un objet est la conséquence d’une ivresse un peu différente ?
Comme cette différence résulterait du fait matériel d’avoir bu ou de ne pas
avoir bu, j’estime qu’il n’y a pas lieu d’insister. (VC, 179-180)
Breton ne partage pas la foi chrétienne de Pascal, et si ces réflexions sur un sommeil « un peu
différent » aboutissent chez le second à penser une forme de vie au-delà de la vie, elles mènent
le premier à adhérer à une autre croyance, exempte de spiritualité, en un réel au-delà du réel.
Le surréalisme est, sur un plan théorique, le fruit d’un retour du balancier lancé par Pascal, une
justification à l’hypothèse que « durant la veille, on crût dormir ». Il est ce mode de voir, ce
point conceptuel qui permet de combler le vide entre veille et sommeil et de penser, non
seulement leur extrême liaison mais, plus encore, leur possible renversement, au-delà de
l’illusion.

Je souhaite qu’il passe [le surréalisme] pour n’avoir tenté rien de mieux que
de jeter un fil conducteur entre les mondes par trop dissociés de la veille et du
sommeil, de la réalité extérieure et intérieure, de la raison et de la folie, du
calme de la connaissance et de l’amour, de la vie pour la vie et de la révolution,
etc. (VC, 164)
Comme Nadja, la deuxième partie des Vases communicants est consacrée à l’un de ces
« faits glissades » ou « faits précipices111 » de la vie, « dans la mesure où elle est livrée aux
hasards, au plus petit comme au plus grand, où […] elle introduit dans un monde comme
défendu qui est celui des rapprochements soudains, des pétrifiantes coïncidences, des réflexes
primant sur tout autre essor du mental, des accords plaqués comme au piano, des éclairs qui

110
Blaise Pascal, Pensées, éd. Ph. Sellier, Garnier, 1999, p. 209-210.
111
André Breton, Nadja, OC I, op. cit., p. 652.

234
feraient voir, mais alors voir, s’ils n’étaient encore plus rapides que les autres112. » : la rencontre
de Breton, le 12 avril 1931, avec une jeune fille, aperçue « vers six heures du soir, sur les
boulevard extérieurs, à la hauteur de la Gaîté-Rochechouart » (VC, 155). La narration de cet
épisode donne lieu à une réflexion sur la rêverie, fantasmatique et amoureuse, et, plus
généralement, sur le regard désirant que le poète pose, en le transformant, sur le monde. Dans
cette démonstration, le rêve devient le point de comparaison de l’expérience réelle :

Il doit être impossible, en considérant ce qui précède, de ne pas être frappé


de l’analogie qui existe entre l’état que je viens de décrire pour avoir été le
mien à cette époque et l’état de rêve, tel qu’on le conçoit généralement. La
différence fondamentale qui tient au fait qu’ici je suis couché, je dors, et que là
je me déplace réellement dans Paris, ne réussit pas à entraîner pour moi de part
et d’autre des représentations bien distinctes. (VC, 177113)
Avec la rêverie, Breton établit un continuum entre expérience éveillée du monde réel et rêve
endormi, là où la tradition philosophique raisonnait davantage en termes de rupture, de
renversement ou d’opposition. Dès lors, ce qu’il requalifie de « rêve éveillé, traînant sur
plusieurs jours » peut, à ses yeux, être analysé avec les mêmes outils que le rêve, et permettre
de révéler l’expression de son désir, par l’examen d’un « contenu manifeste, à première vue à
peine plus explicite que celui d’un rêve endormi. » (VC, 180)

Que ce soit dans la réalité ou dans le rêve, il [le désir] est contraint, en effet,
de la faire passer par la même filière : condensation, déplacement, substitutions,
retouches. (VC, 181)
De même qu’il n’y a, pour Breton, qu’un seul désir à l’œuvre dans le rêve comme dans la vie
éveillée, de même, il n’y a qu’une seule méthode de dévoilement et d’interprétation, celle de la
psychanalyse freudienne qui doit donc être étendue à l’ensemble de la vie psychique.
Telle n’est pas la position de Leiris, qui note, dans son Journal, à la date du 24 avril
1933 :

Fini Les Vases communicants. Il [André Breton] se propose de démontrer


que le contenu du monde des rêves est réductible au contenu du monde réel. Il
admet bien que, dans ce passage d’un monde à l’autre, il reste un résidu, pas
d’ordre religieux, mais poétique. Bien que défendant coûte que coûte la valeur
de la position poétique, il ne semble pas croire que l’existence d’un tel résidu
infirme toute la démonstration. Pourtant de deux choses l’une : ou bien ce
résidu est négligeable, et alors la poésie est elle-même une chose négligeable ;
ou il ne l’est pas et alors le monde du rêve n’est pas réductible au monde réel,
la poésie tirant toute sa force de l’irréductibilité des deux.

112
Ibid., p. 651.
113
Je souligne.

235
Il semble toutefois que la question est ainsi mal posée car la poésie
n’appartient pas plus spécialement au monde du rêve qu’au monde réel, non
plus qu’à l’équation qu’on peut établir entre les deux114.
La rêverie, pour Leiris, ne consiste donc pas à superposer, pour finalement les dissoudre
ensemble, le monde réel et le monde des rêves. « Monde de la veille, monde du sommeil :
entités bien distinctes qui, telles deux parallèles, sont faites pour se côtoyer mais sans jamais se
rencontrer115. », écrit-il dans Fourbis. C’est le passage de l’un à l’autre, et l’espace de
dissonance qu’il crée, qui est pour lui essentiel, dans la mesure où il fait émerger un substrat
poétique.

Pour Leiris, il n’est pas question de défaire mais au contraire de tendre les
liens avec la réalité circonstancielle, de prolonger la révélation d’une plénitude
à d’autres occasions péniblement manquées. […] Du jour et de la nuit mais sans
pour autant que l’un doive être le prolongement de l’autre, il s’agit
essentiellement de récupérer la sensation de présence à soi et aux autres qui,
dans ces moments de rupture, les apparentent à l’expérience poétique116.
La surréalité est moins à chercher dans un troisième lieu, fruit de l’interpénétration du monde
réel et du monde onirique, que dans le délicat seuil qui juxtapose ces deux derniers. Aussi Leiris
est-il en quête de ces « sortes de nœuds ou points critiques que l’on pourrait géométriquement
représenter comme les lieux où l’on se sent tangent au monde et à soi-même117 ». Ces « jours
sans jour », fragments vécus et non rêvés, dévoilent la face sacrée de la réalité. Ce sont ces
choses vues, ces scènes surprenantes voire absurdes qui portent en elle une part d’étrangeté
propre aux rêves et qui tirent leur force de la capacité « de nous mettre en contact avec ce qu’il
y a au fond de nous de plus intime, en temps ordinaire de plus trouble sinon de plus
impénétrablement caché118 ».

Oniriser le monde : regarder le monde les yeux fermés


« Elle emprunte souvent, la réalité la plus courante, une telle figure de bouffonnerie ou
de fantaisie qu’il faut bien se demander si l’on ne dort pas. » (VR, 116-117) Pour Béalu, le poète
est celui qui a le don de saisir, dans une sorte d’émerveillement toujours latent, les instants de
poésie offerts par le monde et d’en révéler le spectacle fascinant. Plus que le scientifique, il est

114
Michel Leiris, Journal (1922-1989), éd. établie, présentée et annotée par Jean Jamin, Gallimard, 1992, p. 214-
215.
115
Michel Leiris, Fourbis, dans La Règle du jeu, op. cit., p. 309.
116
Catherine Maubon, Michel Leiris en marge de l’autobiographie, Corti, 1994, p. 55-56.
117
Michel Leiris, Miroir de la tauromachie, dans L’Âge d’homme, éd. Denis Hollier, Gallimard,
coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2014, p. 957.
118
Idem.

236
celui qui peut montrer que la frontière entre rêve et réalité n’est pas si étanche qu’elle pouvait
le sembler.
En référence à la pancarte naguère affichée dans les cinémas « LE SPECTACLE ÉTANT
PERMANENT, TOUTE SORTIE EST DÉFINITIVE. », l’auteur des Contes du demi-sommeil explique
combien le regard du poète est celui qui sait relever les bribes de rêve – ou d’imaginaire – dans
le réel :

J’ouvre les yeux et le monde entre en moi. Je ferme les yeux et c’est la nuit.
Mais d’où part le regard, cela qui transperce le verre fluide de la pupille pour
s’arrêter aux limites de perception de la vue, cela qui englobe, à tout instant,
ma vision du monde ? Comment la réalité ne dépasserait-elle pas la fiction
puisque l’imaginaire ne saurait être que le reflet du réel ? Mais un reflet quelque
fois plus coloré, plus éclatant que sa source. Aussi est-il nécessaire de
confronter le réel avec l’imaginaire. (VR, 116-117)
Plus que son habileté à en tirer profit comme ferment d’histoires étrangement inquiétantes – et
séduisantes –, c’est sa naturelle disposition à oniriser le monde qui le définit.
De Leiris et Michaux à Caillois, les auteurs ne manquent pas une occasion de puiser
dans les ressources de la rêverie pour nourrir leur écriture, jusqu’à en faire même une
disposition d’esprit idéale à la création. Michaux conclut ainsi le recueil Façons d’endormi,
façon d’éveillé par un chapitre intitulé « Les rêves vigiles », comme s’il plaçait cette catégorie
au-dessus des rêves endormis. Il y expose une approche de la rêverie comprise comme un jeu
littéraire particulièrement fécond.

Jouer ! Jouer ! Celui qui ne profite pas des possibilités de la rêverie pour
jouer, qu’est-ce qu’il attend ? où donc le jeu se présentera-t-il jamais plus varié,
plus naturel, plus nuancé, plus à tout moment, plus fougueux, plus inattendu,
plus cocasse, plus infatigable, plus expressif, plus excessif, plus flou, plus
insolemment libre et libérateur ?
Rêverie, qui constamment fait, défait, refait, redéfait, partant de nouveaux
recommencements, qui va partout, qui ne se propose pas de terminer, d’aboutir,
d’arriver, de construire, composée autant de bonds que de faits, qui ne
s’interrompt pour aucune contradiction et plutôt s’en repaît avec ravissement.
(FEFE, 520)
L’accumulation des superlatifs dit la supériorité accordée par le poète à cet état de disponibilité
créative et son impatience à voir enfin la rêverie placée au sommet de l’échelle des aptitudes
poétiques (au sens étymologique) et artistiques, avant le travail, le talent ou le génie. Si la
rêverie a quelque chose d’enfantin, elle n’est pas moins digne de considération.

Art pourtant, le premier de tous, à la racine des autres, que le malade mieux
que le bien portant, et le démuni plus que l’homme comblé peut pratiquer et
d’autant mieux qu’il est inadapté. (FEFE, 520)

237
La rêverie est, pour Michaux, la poésie du pauvre. Universelle mais non moins précieuse, elle
est l’œuvre de ceux qui ne savent pas écrire. Par le petit pas de côté qu’elle implique, entre
saisie vigile du monde et emprise du songe, elle est encore un outil de définition esthétique du
rêve particulièrement puissant.
Leiris et Caillois, en mêlant, dans leurs recueil et essai respectifs, récits de rêves et
« récits d’événements vécus », déplacent le point d’attention du contenu dont ces textes sont
porteurs à l’expérience dont ils sont le témoignage. La juxtaposition de ces textes conduit assez
naturellement le lecteur à en comparer les modes d’expression ; et ce qui pourrait passer pour
un abâtardissement du récit de rêve dévoyé en phantasme ou demi-sommeil mène surtout à une
redéfinition stylistique du rêve. Si, dans notre expérience, le rêve peut être confondu avec la
veille, qu’est-ce qui permet de distinguer un récit de rêve et un récit d’événement vécu ? C’est
bien dans l’écriture de ces expériences entre rêve et veille ce que d’aucuns nommeront une
« stylistique précisément onirique119 ».
Dans l’édition de Nuits sans nuit et quelques jours sans jour de 1961, Leiris choisit
d’ajouter aux 90 récits de rêves proprement dits déjà présents dans l’édition de 1945, neuf
scènes de la vie éveillées120. Ces « jours sans jour », qu’il indique par la simple mention « vécu »
entre parenthèses, viennent ainsi compléter le panorama des « nuits sans nuit » aux côtés des
six textes de demi-sommeils121, d’une impression de seconde vue122 et d’un phantasme diurne123.
Les débuts de l’Occupation et l’exode qui en résulte fournissent à Leiris l’occasion de narrer
une de ces aventures aux accents de cauchemar éveillé.

Juin 1940
(vécu)

La veille au soir nous avions, d’autres militaires et moi, quitté à l’improviste


le Palais de la Mutualité, dépôt de notre compagnie qui tant bien que mal y
campait. Embarqués en autocar pour une direction inconnue, comme on peut
s’en aller – la nuit sans sortir de son lit – vers le rêve (avec un grand R exprimant
sa majesté royale et tout le romantisme de René) ou le cauchemar (qui grogne
comme un porc ou ronfle comme un dormeur).
Au retour de notre mission (dans un vague pays de la grande banlieue sud-
est, magasinage de munitions toxiques évacuées de Laon, ville sur laquelle les
motorisés allemands sont en train de se ruer), une alerte aérienne bloque le train
en gare de Melun. Il faut aller s’abriter dans les caves de la Brasserie Grüber,

119
Georges Perec, « Le rêve et le texte », Je suis né, Seuil, coll. « La librairie du XXe siècle », 1990, p. 78.
120
Il s’agit des récits rapportés aux dates suivantes : 27-28 juillet 1924 (p. 18), 18 juillet 1929 (p. 75), été 1939 (p.
126), juin 1940 (p. 128), 12 juillet 1940 (p. 130), 3 mars 1942 (p. 136), 4 mai 1943 (p. 160-61), 20 mai 1944 (p.
164-165), 13-14 juillet 1952 (p. 177-78), septembre 1957 (p. 187), 6 janvier 1958 (p. 191-92).
121
Les six demi-sommeils sont datés des 20-21 janvier 1925 (p. 38), sans date 1925 (p. 41), avril 1926 (p. 52),
sans date 1926 (p. 56 et 57), 14-15 juillet 1929 (p. 74).
122
8-9 décembre 1924 (p. 27).
123
Un phantasme diurne : sans date 1926, p. 59.

238
dont le décor métallique évoque une vieille fonderie ou galerie de machines
bien plutôt qu’un endroit où fermente un breuvage à base de houblon. La
menace passée, l’on remonte à la gare où nombre de civils attendent parmi les
valises et tous leurs colis de repliés.
Un chat noir sur ses genoux, une dame d’âge mûr échange des doléances
avec une autre dame. Lors du départ, un problème s’est posé quant aux deux
animaux de la maison : emmener le chat était facile, mais que faire du poisson
rouge ? Ne voulant ni s’encombrer d’un bocal ni abandonner son habitant, la
dame a résolu la question en donnant le poisson au chat en guise de collation.
À voir le félin bien gras et le poil bien lustré, je crois deviner qu’à l’inverse
de sa maîtresse qui s’est pliée en rechignant aux dures nécessités de la guerre,
il pense, lui, avoir atteint ce qui depuis longtemps était le rêve de sa vie et ce
pour quoi – l’air en hypnose – il prenait quotidiennement sa faction. (NNJJ,
128-129)
Le contexte de guerre aurait pu donner lieu à un rêve traumatique mais c’est finalement une
parenthèse cocasse qu’évoque ce récit. Le premier paragraphe, qui devrait avoir pour fonction
de mettre en place le cadre spatio-temporel nécessaire à la compréhension de cette courte
narration, le bouscule aussitôt, ne laissant ainsi le lecteur s’installer dans aucune certitude. Le
repère (ou repaire) du Palais de la Mutualité est ainsi abandonné pour une destination inconnue,
et l’échappée physique se teinte rapidement – mais uniquement sur le régime de l’analogie –
d’une échappée psychique « vers le rêve avec un grand R ». Cette façon de souligner l’analogie
avec le régime onirique, et de convoquer à l’occasion les souvenirs du Romantisme, n’est, on
l’aura compris, qu’un trompe l’œil, ou plutôt un trompe l’oreille tant l’allitération en [r] est
présente dans cette fin de paragraphe : rêve, royale, romantisme, Renée, cauchemar, grogne,
porc, ronfle, dormeur. L’impression de rêve contamine ainsi le texte par l’ouïe d’abord, comme
l’ambiance sonore assez indistincte pourrait faire croire à ceux qui vivent pourtant la scène qu’il
ne s’agit que d’un cauchemar : retour, motorisé, ruer, alerte, aérienne ; autant de grondements
qui troublent les esprits. La métamorphose visuelle, qui ferait prendre les caves à bière pour des
galeries des glaces, intervient dans le deuxième paragraphe. Là encore, si le décor se brouille,
ce n’est que sur le régime de l’évocation et il n’est pas question, sous prétexte
d’endormissement, de faire s’ouvrir de nouveaux espaces, au cœur des bombardements.
C’est cependant bien assez pour avoir instauré une atmosphère d’inquiétante étrangeté
et préparé ainsi l’arrivée du véritable élément onirique de la scène. En effet, l’élément insolite
surgit au troisième paragraphe, sous les traits d’un chat noir, symbole des clefs des songes
depuis l’Antiquité. L’utilisation du discours indirect libre permet au narrateur de tirer profit de
l’atmosphère installée dans les deux premiers paragraphes sans imposer de rupture avec la prise
en charge des paroles rapportées. Un jeu de regards décalés se met en place. Le chat, « l’air en
hypnose », semble pouvoir s’extraire du monde, jusqu’à se délecter de la situation sans voir
l’horreur qui l’entoure, de même que le poète est capable de saisir cet instant burlesque. « Le

239
rêve de sa vie » est pour finir celui du chat, bien sûr, mais la narration parvient, pour un temps,
à faire partager au lecteur cette légère incertitude. L’effet de brouillage est encore renforcé par
l’utilisation du vocabulaire militaire pour décrire la position du chat qui « prend sa faction ». Il
y a ainsi contamination des univers – quotidien et militaire –, comme des règnes – humain et
animal – et des niveaux de réalité – réel et onirique. L’instabilité spatio-temporelle, les
métamorphose et personnification, l’usage d’un présent de l’indicatif indistinct et le climat
menaçant qui pèse sur l’ensemble de la narration fonctionnent comme autant d’indices
d’oniricité. L’expérience extrême de la guerre, qui a marqué les nuits de toute une génération
d’hommes, qu’ils soient civils soldats ou prisonniers124, plonge ainsi l’auteur dans une
incertitude qui lui permet d’exacerber les caractéristiques stylistiques du récit de rêve en les
plaquant sur un texte qui n’en est pas.
À la même époque, mais sans qu’il soit ici question des traumatismes de la guerre, Roger
Caillois, explorant d’abord les potentialités de simulacre portées par le rêve, en vient lui aussi
à examiner son envers : la tromperie du réel. Les expériences de dépaysement sont sous plume
d’occasion de montrer combien la réalité peut facilement se laisser prendre pour une fiction
onirique.

Je me suis égaré dans le bazar d’Ispahan. J’errai sans fin dans les galeries.
Je traversai à la croisée des voûtes le cercle de soleil qui d’en haut éclaire les
carrefours. Je cherchais l’issue du labyrinthe, effrayé de me retrouver plusieurs
fois au même point et plus inquiet encore, quand il s’était passé trop de temps
sans que je reconnusse la moindre échoppe déjà vue. Chaque portail que
j’ouvrais donnait sur un lieu de culte, et je me retirais précipitamment devant le
courroux immobile d’hommes en prières. J’ai pensé ensuite que je ne
connaissais pas de cauchemar plus caractéristique que celui-là, qui n’en est pas
un125.
Ce récit rassemble nombre de topoï du récit de rêve : l’égarement, associé à la perte des repères
spatio-temporels, va de pair avec la présence d’éléments architecturaux (« galerie », « voûtes »,
« carrefours », « labyrinthe », « portail »), comme dans les rêves de cité perdue ou d’errance126.
L’omniprésence de la première personne (neuf occurrences en sept lignes) et le champ lexical
des sentiments, plus particulièrement de la peur et de la colère (« effrayé », « inquiet »,
« courroux »), achèvent de donner à ce court passage la tonalité du cauchemar. Un élément
vient toutefois lézarder ce tableau trop parfait : l’usage des temps verbaux. En effet, alors que
le récit de rêve tend habituellement à écraser toute profondeur temporelle en plaçant tous les

124
Jean Cayrol, « Les rêves concentrationnaires », Les temps modernes, n° 36, septembre 1948.
125
Roger Caillois, L’Incertitude qui vient des rêves, op. cit., p. 23-24.
126
Voir infra, chap. III : « Topographies du rêve ».

240
événements sur le même plan127, énoncés soit au présent, soit à l’imparfait de l’indicatif, le récit
use ici de quatre temps différents : le passé composé et le passé simple laissant place, dans la
deuxième moitié du texte, à l’imparfait et au plus-que-parfait de l’indicatif.
Dans cet exemple comme dans le précédent, les indices de réalités se muent en signes
d’oniricité. De la même façon qu’un simple baromètre pouvait donner des gages de réalisme128,
l’encombrement des paquets ou le dédale des rues plongent la narration dans une atmosphère
onirique qui se renforce peu à peu. Le trouble instauré par une lecture onirique mais trompeuse
de ces scènes de la vie éveillée amène le lecteur, ou l’essayiste, à s’interroger non seulement
sur les mécanismes en cause dans cette erreur d’interprétation, mais encore sur l’essence du
rêve. En effet, de le même façon qu’un rêve n’existe que par le récit qu’on peut en tirer, en
l’absence de toute autre preuve, ces expériences de méprise nous incitent à pousser plus loin
encore ce rapport de dépendance, et à penser que le rêve pourrait n’être qu’un fait de langage.
Le rêve ne serait ainsi pas ce qui est vécu dans le secret de la nuit, mais ce qui est énoncé comme
tel. Il n’y a pas de rêve, il n’y a que des récits de rêve.

127
Sur ce point, voir Jean-Daniel Gollut, Conter les rêves, la narration de l'expérience onirique dans les œuvres
de la modernité, José Corti, 1993.
128
Cf. les analyses de Roland Barthes, « L’Effet de réel », Communications, n° 11, 1968, p. 84-89.

241
3.3. RÊVER LA LITTÉRATURE : LE PARADIGME ONIRIQUE

À bien des égards, le rêve se donne comme un concept efficace pour penser la littérature.
Pour Florence Dumora, « la comparaison avec le songe donne un modèle intuitif au rapport
complexe du sujet à l’œuvre129. »

Envoûtement de la représentation, paradoxes du vrai et du vraisemblable,


particularité de la temporalité, de l’énonciation, de la référence, vertiges de
l’intention, de l’authenticité, presque tous les démons de la poétique sont
présents dans la réflexion sur le songe : cette position d’exception lui donne en
retour une efficacité inattendue dans l’observation de la littérature130.
L’indéfinition du rêve, alliée à son caractère universel et à sa plasticité, en fait un concept
particulièrement mobile, qui entretient avec la littérature – et, plus largement, la création
artistique – une certaine affinité. Dès lors, le renversement de l’analogie entre rêve et poésie,
qui autorisait à considérer le rêve comme un poème et à lui attribuer des caractéristiques
esthétiques, permet en retour de concevoir une littérature aux contours oniriques, de l’acte
créateur au travail d’écriture.

L’analogie entre rêve et art se renverse aisément : soit c’est le rêve dont on
appréhende les mécanismes illusionnistes d’après le modèle de la fiction ou de
l’œuvre plastique, soit la représentation esthétique qu’on confronte au rêve,
apte à jouer le rôle de modèle de la conception aussi bien que de la réception
de l’œuvre131.
L’expérience du rêve offre ainsi aux écrivains un arsenal de points de comparaison avec
lesquels penser l’activité littéraire. L’analogie n’est pas nouvelle ; les auteurs de l’Antiquité
considéraient le récit de rêve comme un exercice particulièrement formateur132 et ceux du
XVIIe siècle rapprochaient déjà étiologie du rêve et inventio, interprétation et herméneia,
expérience et enargeia133. Toutefois, le rapprochement prend, au XXe siècle, une autre tournure.
L’analogie entre rêve et création poétique se charge d’une signification résolument différente
de ce qu’elle pouvait suggérer avant la découverte de l’inconscient et la diffusion des idées
psychanalytiques. Le développement de cette approche, qui déplace la source des rêves à
l’intérieur du psychisme et met fin aux croyances sur l’origine divine des songes, coïncide avec

129
Florence Dumora, L’Œuvre nocturne, op. cit., p. 255.
130
Ibid., p. 282.
131
Ibid., p. 247.
132
Synésius de Cyrène, dans l’épitre 154, donne en exemple le récit de rêve comme un exercice de formulation
tellement difficile qu’il ne peut être que formateur. Voir Florence Dumora, L’Œuvre nocturne, op. cit., p. 252.
Cet aspect propédeutique du récit de rêve peut être rapproché, dans une certaine mesure, de son utilisation par les
surréalistes où, outre le pouvoir de connaissance de l’esprit qu’on lui prête, il est aussi un échauffement pour les
meilleures trouvailles poétiques.
133
Voir Florence Dumora, L’Œuvre nocturne, op. cit., chap. 8 : « Du songe à l’œuvre : poïétique », p. 247-282.

242
une nouvelle acception de l’inspiration onirique, mais aussi du « travail » qu’imprime le rêve
aux signifiants et, par suite, de la lecture que l’on peut faire de ces récits.

3.3.1. ACCEPTIONS ET CONFUSION


« L’identité entre le rêve et la poésie est une des simplifications auxquelles souvent on
a recours pour caractériser cette dernière en l’absence d’une vérification rigoureuse de leurs
rapports134. », avertit Tzara dans Grains et issues, en 1935. Soucieux de faire progresser la
réflexion littéraire, Tzara se méfie des raccourcis abusifs et des simplifications séduisantes,
uniquement basées sur une analogie impressionniste, et enjoint ses contemporains à faire
montre d’une rigueur accrue dans l’appréhension de ces deux expériences : le rêve et la création
poétique.
Pour mieux comprendre l’origine de cette analogie, que l’on retrouve aussi bien sous la
plume de nombreux poètes que de rédacteurs moins prestigieux et plus contemporains, il
convient de s’interroger sur les sèmes communs aux deux entités. Pour expliquer les
remarquables étendue et plasticité des usages du mot « poétique », Anne Reverseau et Nadja
Cohen135 remarquent combien l’adjectif excède aujourd’hui les strictes frontières d’un genre ou
d’une forme littéraire. Or, à bien y réfléchir, il en est de même des mots « rêve » et « onirique »
qui dépassent largement la frontière des paupières baissées et du sommeil. On pourrait dire,
pour parodier Valéry, que, de la même façon que le terme « poésie » a deux sens, celui de
« rêve » en a aussi au moins deux. Dans une conférence de 1937, intitulée « Nécessités de la
poésie », l’auteur de La Jeune Parque explique :

Vous savez que ce nom : Poésie, a deux sens. Vous savez qu’on comprend
sous le nom de poésie deux choses très différentes qui, cependant, se lient en
un certain point. Poésie, c’est le premier sens du mot, c’est un art particulier
fondé sur le langage. Poésie porte aussi un sens plus général, plus répandu,
difficile à définir, parce qu’il est plus vague ; il désigne un certain état, état qui
est à la fois réceptif et productif136.
De la même façon, au rêve réel, que l’on fait les yeux fermés, s’ajoute « l’état de rêve » qui
peut être rapproché de « l’état de poésie » dont parlait le critique. Il n’est d’ailleurs pas rare de

134
Tristan Tzara, Grains et issues (1935), Garnier-Flammarion, 1981, p. 197.
135
Nadja Cohen et Anne Reverseau, « Un je ne sais quoi de « poétique » : questions d’usages », Fabula-LhT,
n° 18, « Un je-ne-sais-quoi de « poétique » », avril 2017, URL : http://www.fabula.org/lht/18/cohen-amp-
reverseau.html, page consultée le 20 août 2018.
136
Paul Valéry, « Nécessité de la poésie » (1937), dans Œuvres, t. I, éd. Jean Hytier, Gallimard,
coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1387.

243
voir, dans les articles de presse actuels, les adjectifs « poétique » et « onirique » utilisés en
collocation, ou l’un pour l’autre, comme s’ils entretenaient une relation de quasi-synonymie.
Selon Anne Reverseau et Nadja Cohen, en dehors de ses usages littéraires, l’adjectif
« poétique » s’inscrit aujourd’hui dans trois emplois principaux : pour renvoyer à l’idée de
création (suivant en cela son étymologie), pour qualifier une tonalité et pour référer à une
émotion. De façon parallèle, on retrouve des connotations très proches dans les sens
contemporains de l’adjectif « onirique » et du nom « rêve ». La créativité du rêve est ainsi
souvent soulignée par les écrivains qui louent la fulgurance onirique, à l’instar de Marguerite
Yourcenar pour laquelle le processus créatif est comme une « sorte de vision provoquée
analogue à celle du rêve en ce qu’elle est dépourvue d’efforts, relativement dépourvue de
contrôles critiques (l’auteur ayant volontairement éliminé ceux-ci) » et qui « se déroule, comme
le rêve, à l’intérieur d’un temps imaginaire. » (SS, 1613) L’adjectif « onirique » est aussi
aisément associé à une tonalité qui permet souvent de désigner une atmosphère floue, incertaine
ou encore étrange, dont l’Unheimlich freudien pourrait être la meilleure expression. En atteste
l’usage qu’en fait Franz Hellens, pour qui le rêve, plus que matière, est un climat, une modalité
du voir, empreint de « cette sorte d’éclairage au magnésium, où les objets, pendant cette
seconde longue comme l’éternité, apparaissent sous une forme étrangement définie137 ». Enfin,
ces termes peuvent référer à un sentiment profond mais difficile à exprimer, teinté de terreur,
d’effroi ou d’émerveillement – largement utilisé par les auteurs de littérature fantastique –
comme on peut en connaître au sortir des cauchemars. Là encore, pensons à l’étonnement
« exempt de réflexion, instantané, impression de l’être entier qui succède immédiatement au
sortir du rêve, éveillé ou endormi »138 qu’évoque Hellens, lorsqu’il tente de définir ce que
pourrait être un fantastique onirique ; ou au moment d’« émerveillement et de joie égaux à ceux
que dispensent les plus beaux des rêves » (SS, 1613) que décrit Yourcenar pour définir l’extase.
Anne Reverseau et Nadja Cohen concluent en dégageant « trois constantes principales »
dans « la multiplicité des emplois du terme [« poétique »] :
1.   Qualifier telle ou telle œuvre de « poétique » vise souvent à souligner sa
propension particulière à exploiter pleinement les caractéristiques de son
medium, dans une logique essentialiste correspondant à l’idéal moderniste
de réalisation d’un art « pur » par élimination de tout élément qui ne serait
pas spécifiquement sien. [...] Dans ces usages, « poétique » implique donc
également souvent une forme de réflexivité, de retour critique sur une
pratique. [...]

137
Franz Hellens, Documents secrets (1905-1956), Paris : Albin Michel, 1958, p. 94
138
Franz Hellens, Le Fantastique réel, éd. Labor, coll. « Poteau d’angle », 1991, p. 61.

244
2.   Une œuvre est souvent aussi désignée comme poétique lorsqu’elle manifeste une
forme d’écart [...]
3.   Enfin, de manière plus subtile, le poétique serait du côté du résidu, du surplus voire
du débordement, commun à de nombreux usages du terme de « poétique ». C’est,
dans l’esprit de Balzac, ce qui fait qu’un scientifique peut se voir gratifié du titre de
poète lorsqu’il excède sa posture de scientifique [...] « Poétique » est un « je ne sais
quoi », certes parce qu’il sert souvent à dissimuler un flou, mais aussi parce qu’il
désigne littéralement ce qui reste lorsqu’on a mis des mots sur tout le reste139.
Les trois traits sémantiques repérés dans les usages de l’adjectif « poétique » (l’essentialité,
l’écart par rapport à une norme et le surplus) ne sont pas non plus étrangers à la notion de rêve140
et viennent encore nourrir l’affinité sémantique des deux notions. L’essentialité connotée par
le rêve apparaît dans des expressions à fonction adjectivale, comme lorsque l’on dit, dans un
enthousiasme qui confine parfois à l’idéalisation : « C’est une occasion rêvée ! », ou encore :
« Ce sont des vacances de rêve ! ». Ces deux exemples activent le sème de perfection contenu
la notion de rêve, alors plus proche du désir, pour mieux en accentuer encore la sublimité de la
réalisation. Mais le paradigme onirique peut aussi, à l’inverse, renvoyer à l’écart par rapport à
la norme. L’adjectif « onirique », lorsqu’il qualifie une œuvre, peut ainsi facilement qualifier
une bizarrerie de construction (avec son lot de coq-à-l’âne, d’incongruités ou autres originalités
frisant parfois l’anarchie), de la même façon que « poétique » soulignait le non-respect des
règles. Poussée à l’extrême, cette acception du terme renvoie à un désordre incompréhensible
dont on se refuse pourtant à penser qu’il soit gratuit. « Onirique » laisse entendre que l’œuvre
recèlerait une part d’inexprimable ou d’irrationnel, un supplément de sens qui ne serait pas
accessible immédiatement et qui nécessiterait un effort d’interprétation particulier.
Sémantiquement, la notion de rêve se trouve donc au carrefour de bien des connotations
esthétiques, allant de l’inspiration à l’interprétation, en passant par la composition et l’émotion.
Cette proximité des usages, parfois abusifs, entre « poétique » et « onirique » peut apparaître
comme symptomatique d’une confusion largement entretenue par bien des poètes ; mais elle
s’avère aussi particulièrement féconde pour renouveler l’approche d’autant de points essentiels
de la pensée littéraire.

139
Nadja Cohen et Anne Reverseau, « Un je ne sais quoi de “poétique” : questions d’usages », art. cit.
140
Si nous nous inspirons ici du travail mené par Anne Reverseau et Nadja Cohen sur l’adjectif « poétique », nous
reconnaissons de pas nous astreindre à la même rigueur méthodologique dans l’analyse des emplois des termes
« rêve », « rêvé » et « onirique ». C’est en effet l’idée de rêve, véhiculée par ces trois mots, et les connotations qui
lui sont associées, plus que les usages précis de chacun des termes qui nous intéresse ici.

245
3.3.2.  L’INSPIRATION ET L’AUCTORIALITÉ EN QUESTION

Le rêve : un comble poétique


À quarante ans de distance, Breton et Béalu font tous deux référence à deux aphorismes
romantiques presque identiques : dans le Dictionnaire abrégé du surréalisme, Breton cite
Ludwig Heinrich von Jakob141 : « Le rêve n’est rien autre que poésie involontaire142. », tandis
que Béalu s’en réfère, dans La Vie en rêve, à une réflexion de Jean Paul : « Le rêve est un art
poétique involontaire. » (VR, 104) Pour l’un comme pour l’autre, il s’agit, sous la caution de
leurs aînés, d’affirmer une certaine équivalence de puissance et d’expressivité entre rêve et
poésie, comme deux émanations d’une même imagination créative.
L’héritage romantique du surréalisme est bien connu. « Queue tellement préhensile [du
romantisme]143 », le surréalisme loue le frayage entamé par les romantiques dans une
reconfiguration des rapports entre les mondes de la veille et de la nuit144. Mais l’expression de
« poésie involontaire » prend, chez les surréalistes, un tout autre sens que celui que lui
donnaient les contemporains de Goethe. Les poètes allemands de la fin du XVIIIe siècle s’en
remettaient à une Nature toute-puissante pour ne faire du poète que son bras armé d’une plume.
Au contraire, les surréalistes s’éloignent radicalement de cette conception d’une inspiration
transcendante. Chez eux, point de génie qui utiliserait la voix du poète élu pour s’exprimer,
mais une force créative latente, inconsciente et universelle à laquelle il s’agirait simplement de
s’ouvrir. En somme, les uns conçoivent le mouvement poétique comme venu d’en haut et
extérieur au poète, lorsque les autres en font un flux interne qu’il s’agirait plutôt de laisser
sourdre.
De façon assez paradoxale, suivre les romantiques en confirmant l’analogie entre rêve
et poésie permet en fait aux surréalistes de rompre avec la notion d’inspiration. Loin des Novalis
ou des Schelling recevant la matière de leur œuvre poétique en songe, ils insistent sur la nature
profondément immanente de leur geste de transcription :

Le rêve passe de toute antiquité pour une forme de l’inspiration. C’est en


rêve que les dieux parlent à leur victime, etc. Il est à observer cependant que
pour ceux qui ont pris à noter leurs rêves un soin, pur de préoccupations
littéraires ou médicales, jusqu’à ces derniers temps absolument sans égal, ne

141
Ludwig Heinrich von Jakob (1759-1827) est un philosophe allemand.
142
André Breton, Dictionnaire abrégé du surréalisme (1938), dans Œuvres complètes, op. cit., t. III, p. 838.
143
André Breton, Second manifeste du surréalisme, OC I, p. 803.
144
À ce sujet, voir Marie-Paule Berranger, « Le Romantisme vu par Breton », dans Marie Blaise (dir.), Réévaluer
le Romantisme. Mutations des idées de littérature – 1, Presses universitaires de la Méditerranée, « collection des
littératures », 2014, p. 185-198.

246
l’ont pas fait pour établir des relations avec un au-delà quelconque. On peut
dire qu’en rêvant, ils se sont sentis moins inspirés que jamais145.
Si le mot n’était pas connoté négativement par ailleurs, on pourrait dire que les poètes
surréalistes font du rêve une sorte d’« expiration » poétique, dans la mesure où il s’agit pour
eux de faire naître la poésie d’un mouvement d’extériorisation et de rompre avec l’idée
d’inspiration transcendante.
Reste toutefois le caractère involontaire, qui évoque chez tous une certaine mise à
distance de l’effort poétique. Chez Jean Paul, c’est la fluidité et la passivité du rêveur – lequel
voit devant lui se mettre en place les éléments de composition sans avoir à agir d’aucune façon
– qui conduisent à concevoir le rêve comme un état psychique idéal pour la création poétique :

Le véritable poète n’est, en écrivant, que l’auditeur, non pas le maître, de


ses caractères ; c’est-à-dire qu’il ne compose pas le dialogue en cousant bout à
bout les répliques, selon une stylistique de l’âme qu’il aurait péniblement
apprise ; mais, comme dans le rêve, il les regarde agir, tout vivants, et il les
écoute… Que les comparses de nos rêves nous surprennent par des réponses
que pourtant nous leur avons inspirées, c’est naturel ; dans la veille aussi,
chaque idée jaillit comme une étincelle, et pourtant nous l’attribuons à notre
effort. Mais dans le rêve, la conscience de l’effort nous fait défaut ; il nous faut
reporter l’idée à la personne qui nous apparaît et à qui nous attribuons cet
effort146.
Pour beaucoup, le rêve représenterait ainsi le summum de la perfection poétique. Non
seulement on lui reconnaît des qualités esthétiques mais on en fait encore un modèle de
perfection, idéal donné et intouchable qu’aucun poème ne pourra jamais atteindre. Franz
Hellens n’hésite pas à en faire « l’œuvre d’art par excellence, la plus haute expression
poétique147 », le « chef-d’œuvre absolu148 », qui rendrait toute (autre) tentative poétique vaine
et ridicule.

Aucune construction de la pensée éveillée n’atteint à la perfection et à la


solidité du moindre de nos songes. Aucune invention poétique n’atteint à la
beauté d’un simple rêve d’enfant149.
Le rêve est ainsi érigé en comble poétique, à la fois horizon asymptotique et point de réalisation
contradictoire d’une poésie purement spirituelle, qui pourrait se passer de mots.

145
Louis Aragon, Traité du style (1928), Gallimard, coll. « L’Imaginaire », 1991, p. 182-183.
146
Jean Paul, La Magie naturelle de l’imagination (1795), cité par Albert Béguin, L’Âme romantique et le rêve,
op. cit., p. 189. Trois essais de Jean Paul : La Magie naturelle de l’imagination (1795), Sur le rêve (1798) et Coup
d’œil sur le monde des rêves (1813).
147
« Le rêve, fidèlement transcrit, serait par lui-même œuvre d’art. Il n’y avait rien à ajouter. Le modifier serait le
détruire. Le rêve est absolument plastique. Il est l’œuvre d’art par excellence, la plus haute expression poétique. »
Franz Hellens, Documents secrets, op. cit., p. 92.
148
« Le rêve étant par lui-même œuvre d’art, chef-d’œuvre absolu, il est vain d’essayer de le transcrire, de le
reconstituer dans son intégrité. Il faudrait le réinventer, pour qu’il soit ressemblant, par un autre rêve148. » Franz
Hellens, La Vie seconde (1963), op. cit., p. 92.
149
Ibid., p. 43.

247
Le rêve ne saurait pas plus s’étudier que la poésie. Rêve et poésie sont d’une
même essence, d’une texture pareille, découlent de la même source et
conduisent aux mêmes océans. À cette différence que le rêve ne souffre pas les
mots. Mais il existe une poésie dont les mots ne fixent point les limites, qui ne
s’accommode d’aucun symbole, c’est celle de l’âme qui sent. Dans cette
sensibilité élargie se confondent rêve et poésie. Impossible d’aller plus loin150.
Alliant la nécessité aristotélicienne de la composition à l’évidence du donné psychique, le rêve
passe donc pour l’œuvre d’art par excellence.

Une œuvre sans artiste


Comme l’illustre abondamment Deirdre Barrett151, le rêve a toujours représenté un site
d’inspiration – réel ou mythologique – pour les poètes, et les auteurs du XXe siècle ne sont, sur
ce point comme sur d’autres, pas en reste. Au-delà des récits qui constituent la base de cette
étude, les revendications d’inspiration onirique sont chose courante lorsqu’il s’agit de revenir
sur la genèse d’œuvres teintées de fantaisie. Après Robert Walpole, Mary Shelley ou Robert
Louis Stevenson152, le facteur Cheval affirme que « toutes [ses] idées [lui] viennent en rêve et
[que], quand [il] travaille, [il a] toujours [ses] rêves présents à l’esprit. » Franz Hellens déclare
que « les chapitres de Mélusine furent écrits sous [la] mystérieuse dictée [du rêve] » : « Un
matin, je m’étais réveillé la tête pleine d’un songe fabuleux, que je me hâtai de transcrire d’une
main agitée, partagé entre l’enthousiasme de ma découverte et la crainte d’en perdre la moindre
parcelle précieuse153. » Cette innovation est encore reprise par Perec pour les textes de La
Boutique obscure.

Là, c'était des rêves pour faire plaisir à l'écrivain. C'était des rêves qui se
présentaient à moi avec leurs titres, avec leurs paragraphes, pratiquement, avec
leur ponctuation, avec leur système particulier de présentation. C'était des rêves
qui, disons, à la limite, sortaient tout écrits154.

150
Ibid., p. 169.
151
Deirdre Barrett, The Committee of Sleep, New York : Crown/Random House, 2001.
152
Robert Walpole raconte que Le Chateau d’Otrante lui a été inspiré par un cauchemar, tout comme Mary
Shelley, auteure de Frankenstein. Quant à Stevenson, il se serait vu souffler Le Cas étrange du Dr Jeckyll et de
Mr Hyde par des « brownies » nocturnes, ces « petites créatures qui dirigent le théâtre intérieur de l’homme ».
(Robert Stevenson, « Un chapitre sur les rêves », [Scribner’s Magazine, janvier 1888], repris dans Essais sur l’art
de la fiction, M. Le Bris (éd.), trad. de F.-M. Watkins et M. Le Bris, Paris : Payot, coll. « Petite Bibliothèque
Payot / Documents », 1992, p. 358.)
153
Franz Hellens, Documents secrets, op. cit., p. 90.
154
Georges Perec, « L'écriture des rêves », entretien avec Germaine Rouvre, radiodiffusé le 20 avril 1976 sur
France Culture sous le titre original « Le rêve et le langage », transcription Marie Bonnot. On trouvera
l’enregistrement radiophonique de cet entretien sur le CD n° 2, plage n° 3 du coffret édité par Bernard Noël,
Georges Perec, INA, André Dimanche éd., 1997. Voir annexe A.

248
À l’époque où plane la menace de la mort de l’auteur, la procédure, qui ne remet pas en cause
le statut de celui qui signe et dit publier ses rêves sans retouche, ne cesse pourtant de troubler
Béalu :

Presque tout ce que j’ai écrit m’a été inspiré par des rêves que j’ai faits ; et
quand je me relis j’ai peine à me convaincre que cette prose ou cette poésie sont
sorties de cette source. Pourtant leur réalité, étrange aux yeux des autres, m’est
familière. Je me demande : « Est-ce moi qui ai écrit cela ? » tout en me
reconnaissant dans un mot, un tour de phrase, une façon de m’échapper, de me
dépister moi-même, de me mettre en présence du hasard. (VR, 102)
Le rêve, modèle de l’œuvre sans artiste, ébranle immanquablement l’édifice auctorial. Il
parvient à mettre l’auteur dans une configuration particulière où son autorité lui serait retirée
pour être conférée à son double rêveur. Si la notion de sujet est évidemment bousculée par cette
expérience de duplicité imaginative, il est beaucoup plus fréquent de voir les auteurs
s’interroger sur la consubstantialité du narrateur (je narrant ou je rêvant ?) et du personnage (je
rêvé) que de lire cette mise à distance d’un je rêveur et pourtant écrivain. En témoignent les
questionnements de Blanchot qui, à l’occasion de la lecture du recueil de son ami Leiris, Nuits
sans nuit et quelques jours sans jour, s’interroge :

Dans le rêve, qui rêve ? quel est le « Je » du rêve ? quelle est la personne à
qui l’on attribue ce « Je », en admettant qu’il y en ait une ? Entre celui qui dort
et celui qui est le sujet de l’intrigue rêveuse, il y a une fissure, le soupçon d’un
intervalle et une différence de structure ; certes, ce n’est pas vraiment un autre,
une autre personne, mais qu’est-ce que c’est ? Et si, au réveil, nous prenons
hâtivement et avidement possession des aventures de la nuit, comme si elles
nous appartenaient, n’est-ce pas avec un certain sentiment d’usurpation (de
reconnaissance aussi), en conservant le souvenir d’une distance irréductible,
distance d’une sorte particulière, distance entre moi et moi [...] Intrigue et
interrogation qui nous renvoient à l’expérience, depuis quelques temps souvent
décrite, celle de l’écrivain, lorsque, dans une œuvre narrative, poétique ou
dramatique, il écrit « Je », ne sachant qui le dit ni quel rapport il garde avec lui-
même155.
L’hésitation qui fait trembler la main de Blanchot concerne la coïncidence difficile à établir
entre Je rêvé, personnage des aventures oniriques, et Je rêvant, protagoniste bien réel de la vie
éveillée. Valéry déjà, dans ses Cahiers, posait la même question – « J’ai rêvé. Qui Je ? » – mais
il la poussait plus loin encore en s’étonnant de notre capacité à toujours retrouver, au réveil, le
même Moi, pourtant bien abandonné pendant nos épopées oniriques, et en dépit de la
complexité de notre identité, dont nous avons par ailleurs toute facilité à reconnaître les
multiples facettes.

Réveil –

155
Maurice Blanchot, « Rêver, écrire », L’Amitié, Gallimard, 1971, p. 164.

249
Le Je, le Moi, est [engendré, provoqué] par une sorte de secouement, de
remuement d’une certaine diversité ou hétérogénéité elle-même amenée par je
ne sais quoi.
Cela fait penser à la production d’un certain coup favorable, remarquable,
par des objets jetés simultanément sur la table, dés ou figures, ou encore la
cristallisation brusque par introduction d’un germe cristallin dans un milieu
saturé.
Le milieu nerveux est saturé d’énergies instables. Rien ne ressemble plus
que le réveil, – le retour au réel du distrait absorbé – l’apparition d’une idée-
solution ou volition – celle d’un souvenir. Événements.
Mais ne pourrait-il arriver que le je ainsi formé, obtenu soit autre que le Je
connu ? pourquoi est-ce le Même ? et en quoi le Même et comment le définir ?
Le réveil aboutit toujours au même moi. Ce Moi gagne toujours et non un
autre. Le cristal formé est toujours de la même famille. Comment se fait-il qu’il
y ait uniformité du résultat du réveil ? – c’est-à-dire reconnaissance finale,
congruence, superposition finale avec la personnalité – comme si toute cette
personnalité complexe et variable était réponse uniforme réflexe ? Ce retour à
« soi » donne à chaque perception sa signification uniforme – et le « monde »
correspondant est celui des uniformes.
Il semblerait qu’il dût suffire qu’un moi quelconque soit institué. C’est ce
qui doit se passer dans le rêve – – lequel est un réveil dans un état où p solutions
sont possibles.
Reprendre pied – revenir. (C, 124 [1926])
Ce détour par les Cahiers aide à comprendre le « sentiment d’usurpation » venu saisir Béalu.
Le dédoublement expérimenté par l’écrivain entre Je auteur (nécessairement stable) et Je rêveur
(fatalement labile et étranger) recouvre en fait une non-correspondance entre expérience du
rêve, radicalement dépaysante, et expérience de l’écriture, dans laquelle se forge et
s’approfondit une certaine connaissance de soi. Plus largement, le questionnement sur le rêve,
qui touche immanquablement les questions d’identité, amène les écrivains et les penseurs à
distinguer inspiration et auctorialité, jusqu’à envisager des œuvres sans auteur ou dont le je
auteur serait celui d’un autre.

Rêver, penser, écrire ? Réflexions sur la création


Après Breton qui entendait, grâce au rêve, « remonter aux sources de l’imagination
poétique et, qui plus est, […] s’y tenir156 », Tzara, Yourcenar ou Béalu se saisissent de
l’expérience onirique pour penser à nouveaux frais la création littéraire. Sans faire de leurs
écrits des transcriptions aussi parfaites de leurs visions nocturnes, cette tentative les incite au
moins à élaborer une réflexion sur les procédures engagées, qui les conduit à renouveler les
termes dans lesquels ils pensent la création. Tzara dépasse ainsi le strict stade de l’inspiration
onirique pour y mêler, dans Grains et issues, des prolongements théoriques.

156
André Breton, Manifeste du surréalisme, op. cit., p. 323.

250
Je n’ai pas un souvenir très exact de mes rêves d’enfant. J’ai des souvenirs
d’autres rêves qui se sont continués, pour ainsi dire – mais là, il y a une question
d’entrainement, – à l’état de veille et qui m’ont servi à écrire certains contes,
certaines productions artistiques et poétiques, notamment dans Grains et issues.
Et dans Grains et issues justement, j’ai essayé de l’observer moi-même et
d’écrire en même temps que je concevais l’œuvre, d’écrire mes observations
critiques comme si c’était en dehors de moi157.
Dans le sillage des surréalistes, et encouragé par sa lecture de C. G. Jung158 et de Lévy-Bruhl159,
il enrichit la notion de poésie en l’ouvrant à une dimension nouvelle, et ce à partir d’une
réflexion sur le rêve.

Tout en sachant rêver et depuis bien longtemps je n’ai pas encore su, jusqu’à
présent, ce qu’est exactement le rêve. Je me le demande toujours. Cependant,
pour moi, le rêve est une forme du penser, un mode de pensée. C’est-à-dire qu’il
me semble qu’en chaque individu coexistent deux modes de pensée. C’est le
penser dirigé, le penser qui est dirigé vers un but donné qui est par conséquent
logique, qui est cohérent, et une autre forme de pensée qui est une forme
statique de pensée qui est le penser non dirigé. C’est une sorte de juxtaposition
par plaques d’images ou de quelque chose de semblable. Ce penser non dirigé
a plusieurs formes. Il est aussi bien à l’état de veille et la forme extrême est
celle du rêve. Par conséquent, le rêve pour moi est une des formes de pensée.
Ce penser non dirigé est une forme archaïque de pensée et existait chez les
peuples primitifs, très probablement. Et c’est une sorte de refuge, si vous
voulez, c’est une sorte de retranchement, c’est encore une des survivances de
ce penser non dirigé primitif qui existe chez l’homme moderne. Ceci a été assez
important pour moi parce que de cette distinction j’ai pu tirer certaines
conséquences sur la création de l’œuvre d’art, sur la poésie, et ce n’est pas pour
rien que les surréalistes ont associé le rêve à toute une série de principes qui
caractérisent la création poétique160.
De la même façon que Jung distingue le penser dirigé du penser non-dirigé161 – et leurs
différentes productions –, le poète suggère de considérer deux types de poésie : la « poésie –
moyen d’expression » et la « poésie – activité de l’esprit ». « La première, traditionnelle, veut

157
Tristan Tzara, « Le Bureau des rêves perdus », Œuvres complètes, éd. Henri Béhar, Flammarion, t. V, 1992,
p. 422.
158
Carl Gustav Jung, Métamorphoses et Symboles de la Libido (Wandlungen und Symbole des Libido, 1912),
Aubier-Montaigne, 1931.
159
Lucien Lévy-Bruhl, La Mentalité primitive (1922), Flammarion, 2010.
160
Tristan Tzara, « Le Bureau des rêves perdus », art. cit., p. 422.
161
Jung distingue deux régimes de pensée : « le penser dirigé » qui n’est autre pour lui que la pensée articulée et
verbalisée dans le langage, y compris dans le cas de pensées internes qui nous servent à élaborer une réflexion, et
« le penser non-dirigé » qui procède par association d’images et de symboles. À cette différence de fonctionnement
se superpose une certaine hiérarchie puisque le « penser non-dirigé » est aussi assimilé à une forme moins évoluée
et moins élaborée de l’activité psychique et cognitive, aussi bien dans l’ontogenèse (cette forme serait à mettre du
côté de l’enfant) que dans l’anthropogenèse (Antiquité). Pour expliquer le fonctionnement du penser non dirigé,
Jung prend l’exemple du rêve qui représente pour lui un substrat de cette forme du penser, dans laquelle nous
régresserions tous, la nuit venue. « Il y a donc deux formes de penser : le penser dirigé et le rêve ou fantaisie. La
première nous sert à communiquer avec le dehors au moyen des éléments de la langue ; elle est pénible et
épuisante ; la seconde, au contraire, ne nécessite aucun effort ; elle fonctionne spontanément pour ainsi dire au
moyen des réminiscences. La première acquiert, adapte, imite la réalité et cherche à agir sur elle ; la seconde, au
contraire, s’en détourne, libère des désirs subjectifs et reste absolument improductive, réfractaire à toute
adaptation. » Carl Gustav Jung, Métamorphoses et Symboles de la Libido, op. cit., p. 16.

251
signifier une idée en respectant un code immuable, la seconde émane directement des
profondeurs de l’être, elle est une projection du rêve à l’état diurne162. »
L’état mental du rêve conduit moins chez lui à une production poétique en tant que telle
(comme chez les surréalistes, avec leurs récits de rêves), qu’à un élargissement conceptuel. Le
« rêve expérimental » auquel il se prête dans Grains et issues prend place dans une œuvre pour
le moins hétéroclite dans laquelle le poète dit « [essayer] […] sous une forme poétique,
narrative et théorique, de dégager les données de quelques problèmes tels qu’ils se posent
aujourd’hui à l’ensemble de la jeune génération163. ». Tzara y lie ensemble les divagations de
l’esprit et une activité plus raisonnante – quoiqu’assez lâche – sur les mécanismes à l’œuvre
dans l’instant même de cette création en état second. Il ne s’agit pas tant de penser le rêve
comme une œuvre poétique que d’assimiler l’état de rêve à une disposition de création nouvelle
et légitime.
Les Écluses de la poésie permet à Tzara d’approfondir encore cette réflexion et
d’esquisser une histoire de la poésie largement influencée par la pensée de Marx et Engels, mais
aussi solidement appuyée sur la pensée jungienne. Le poète veut « dénoncer le malentendu qui
prétendait classer la poésie sous la rubrique des moyens d’expression164. » Pour Tzara, la poésie
ne peut se cantonner au champ du penser dirigé ; il doit aussi être possible de concevoir une
poésie en dehors de la production littéraire et émanant d’une activité créatrice et psychique qui
relèverait davantage du penser non dirigé. « Il est parfaitement admis aujourd’hui qu’on peut
être poète sans jamais avoir écrit un vers, qu’il existe une qualité de poésie dans la rue, dans un
spectacle, n’importe où.165 » Mieux encore, il s’emploie à montrer comment, dans l’Histoire,
pensée et poésie évoluent dans des directions contraires :

En parcourant l’histoire de la pensée, il sera aisé de faire correspondre la


part du penser dirigé à la poésie–moyen d’expression et celle du penser non
dirigé à la poésie–activité de l’esprit. On remarquera d’un côté la
prépondérance du langage systématiquement discursif se servant de paroles,
instrument de ce penser au sein duquel il s’est perfectionné, et de l’autre côté
les caractéristiques du penser qui consiste en une succession d’images plus ou
moins abruptes et superposées sans liaison apparente.
La poésie suit, sur un plan tout différent, une direction en sens inverse de
celle des formes du penser. Mais le cheminement de ces dernières se
reproduisant individuellement dans chacun d’entre nous, – ne va-t-il pas de
l’inconscient au conscient, de la pensée infantile à la pensée logique ? – il y
aura lieu de constater la position oppositionnelle, ou même contradictoire, que

162
Henri Béhar, « Introduction », dans Tristan Tzara, Grains et issues, op. cit., p. 21.
163
Tristan Tzara, Grains et issues.
164
Tristan Tzara, « Essai sur la situation de la poésie », Les Écluses de la poésie, dans Œuvres complètes, texte
établi, présenté et annoté par Henri Béhar, t. V, Flammarion, 1982, p. 9.
165
Idem.

252
les deux développements des modes du penser et de la poésie-rêve s’assignent
mutuellement dans la sphère généralisée de la pensée humaine166.
Envisagé à la croisée des discours psychologiques, sociologiques et anthropologiques, le rêve
révèle ici toute sa puissance notionnelle. De simple, et somme toute triviale, expérience
individuelle, Tzara en fait la base d’un raisonnement élargi à l’échelle de la vie et de l’histoire,
et le pôle vers lequel faire tendre l’évolution de la poésie. État archaïque du penser en même
temps qu’avenir de la poésie, le rêve est aussi assez universel et souple pour se prêter à ce jeu
de manipulation mentale si fécond.
Sans se prêter à des expérimentations de la même sorte, Yourcenar, elle aussi, part de
son expérience d’écriture du rêve pour établir un parallèle avec le processus de création
littéraire. Lorsque l’écrivain laisse aller son imagination pour échafauder la trame de la fiction
à venir, il n’est selon elle pas si loin du rêve éveillé.

Et pourtant, la manière dont un récit se forme en nous, le choix des épisodes


ou des détails, qui ne donne jamais l’impression d’être un choix, mais une
trouvaille dont nous sentons qu’elle n’a rien de fortuit mais [qui] correspond à
la découverte d’un objet précieux par l’archéologue qui a longtemps prospecté
un champ de fouilles, bien plus, le rythme même du mouvement, certaines
dimensions ou certaines couleurs assumées par les choses nous montrent dans
ce travail si attentif de la création imaginative l’équivalent des démarches du
sommeil. Il n’y a pas entre elles échanges, mais analogies. (SS, 1623)
C’est bien plus d’épiphanie que de travail littéraire qu’il s’agit ici. La fulgurance du rêve
imprime à l’écriture une dynamique d’imposition loin de celle, plus habituelle et attendue de la
part d’une auteure aussi méticuleuse167, du travail de recherche, de tâtonnement et de correction
lent et laborieux auquel on associe plus souvent le processus d’écriture. Aussi le travail de
l’écriture poétique serait-il ici compensé par le travail du rêve, mené en amont et malgré le
poète lui-même.
C’est précisément ce surgissement qui caractérise, selon Béalu, l’œuvre même du rêve,
lui conférant à la fois sa supériorité, son exceptionnalité et son caractère poétique.

Le rêve est définitif comme les ouvrages de l’imagination pure. Ce que


l’inspiration poétique a fixé une fois ne saurait être changé. Le rêve est la
fatalité même, comme le génie dans ses manifestations immédiates. […] Le
rêve ne souffre aucune retouche. Il n’a que faire du temps qui n’a eu aucune
part à sa création. Il est jailli d’un éclair, il est rentré dans la nuit dont rien ne
peut plus sortir. Comme l’œuvre d’art, il a atteint son but en naissant. On peut
changer un mot dans un poème mais les images, le langage du rêve, essayez de
les remplacer ou de les modifier. Le photographe peut retoucher un négatif,

166
Ibid., p.17.
167
En témoignent les carnets de notes dont elle accompagne ses romans Les Mémoires d’Hadrien et L’Œuvre au
noir. Si les manuscrits ont été détruits par l’auteure, ces carnets portent la trace des hésitations et nombreuses
réflexions qui ont accompagné la rédaction.

253
substituer une image à une autre par superposition. Le rêve n’admet pas le
moindre changement. Un raisonnement peut corriger un autre raisonnement,
mais un rêve ne saurait faire subir la plus petite modification à un autre rêve. Il
est définitif, ne fût-il qu’ébauché. (VR, 66-67)
Si le rêve ne peut en aucun cas être repris et corrigé, il n’en est évidemment pas de même des
œuvres littéraires, lesquelles imposent bien plus souvent que cent fois le poète se remette à
l’ouvrage. Insister de la sorte sur la fulgurance du rêve pour en faire le point commun qui
autorise la comparaison avec la démarche artistique est certes séduisant, mais pourrait aussi
s’avérer dangereux. À qualifier les rêves de géniaux sous prétexte qu’ils surgissent en un instant
dans l’éclat de leur perfection, on en oublierait les nombreuses tentatives avortées et les
souvenirs minés par l’oubli, le doute ou l’incertitude. Surtout, cette conception de la création
littéraire, effectuée avec la facilité d’un battement de paupière, aurait tôt fait de discréditer
l’important travail de formulation et de recherche rythmique et sonore que nécessite la
production poétique.

254
3.3.3.  TRAVAIL DU RÊVE, TRAVAIL DU TEXTE

Le rêve comme art poétique


Adopter le rêve comme « art poétique168 » a quelque chose de paradoxal. En effet, faire
entrer le rêve dans le jeu de l’écriture reviendrait à faire imploser toute règle, tant il apparaît
partout comme une force de désordre et une invitation perpétuelle à la transgression. La
surprise, l’imprévisible, l’incomplétude y deviennent la norme. Michaux fait ainsi de la rêverie
une puissance de libération, déconstruction irrévérencieuse de l’œuvre mais propre à faire vivre
le texte.

Quant aux écrits, aux nobles écrits, si le regard dans la chambre s’égare sur
un livre ouvert, que la veille encore on suivait phrase après phrase et d’idée en
idée, cette fois on ne se laisse plus faire, les mots dans les phrases, les phrases
dans la page, on les bouscule, on les retourne, on les retire, on les échange, on
les recompose, non pour refaire le livre mais pour le défaire, pour le faire sauter
et se dévergonder ailleurs, pour le plaisir pur de la non-obéissance, de la non-
soumission. Pendant que ce parleur confiant dans l’imprimé qu’est l’écrivain
va son petit bonhomme de chemin, l’attelage laborieux de ses propositions se
détache. On est libre ! On est libre ! (FEFE, 522)
Si l’écriture rêvante fait place ici à la lecture rêveuse, c’est pour le même plaisir du jeu et de la
recomposition qui autorise à sortir des sentiers battus. Comme le rêve qui réagence durant la
nuit les restes diurnes, cette relecture les yeux fermés se fait réécriture.
Béalu propose une autre configuration pour allier rêve et inspiration, qui cette fois ne
fait plus appel au souvenir du rêve et de ses aventures merveilleuses, mais cherche plutôt à
adopter, dans l’attitude vigile que requiert l’écriture, la souplesse et le lâcher-prise propres à
cette disposition psychique. L’écriture, en tant qu’activité littéraire, devient le double du rêve
dans la vie éveillée.

Il m’est arrivé parfois une chose singulière : les mots que je rassemblais ne
correspondaient plus à ce que je voulais dire et que je sentais au plus profond
de moi et à quoi je ne pouvais pas me dérober. Il n’y avait pourtant que le
langage qui put m’en délivrer, mais un langage ayant perdu tout souci de lui-
même. Comme le rêve, la pensée délivrée du contrôle de la raison procède par
allégorie facile. Il m’arriva ainsi, peut-être par jeu, d’écrire des textes dont je
n’avais pas entièrement à l’avance élucidé le sujet, me laissant aller à un
automatisme de l’inspiration (et non de l’écriture, comme le préconisaient les
surréalistes). Parti sans savoir où j’aboutirais, il se produisait ceci — comme il
se produit effectivement dans les rêves — qu’un symbolisme plus ou moins
transparent apparût après coup dans ces proses dénuées de sens. Ainsi ces
textes, qu’ils restent du domaine de la divagation pure ou du récit parfaitement

168
Nous reprenons l’expression de Jean Paul citée plus haut (Chap. III : « Le rêve : un comble poétique ») sans lui
donner la définition rigoureuse qui désigne un texte ou un ouvrage exprimant les règles de composition qui
président à l’écriture d’une œuvre poétique. Notre emploi est ici plus abstrait.

255
agencé, finissaient par se découvrir, avec des résonances que je n’avais pas du
tout imaginées, une raison d’être. (VR, 146)
La nuance entre inspiration et écriture n’est pas sans importance. Béalu ne s’interdit nullement
de retoucher le texte pour trouver le mot juste, ajouter des circonstances, ou modifier l’ordre
des paragraphes. Il n’y a pas là recherche d’une levée du jugement esthétique mais volonté
d’accéder à des images, des associations, des formules que l’application trop vigile n’aurait pas
laissé exprimer. Ce que cherche à retrouver Béalu, dans cette attitude d’écriture onirique, c’est
plutôt la capacité à ne pas anticiper, à se laisser surprendre par une production spontanée, en
mettant sa volonté en retrait. Pour le dire autrement, il s’agit de mettre sa conscience créative
en conditions oniriques et d’exploiter les ressources éminemment poétiques du rêve, cette fois-
ci entendues dans le sens aristotélicien de principes de création.
Désordre et lâcher-prise étaient bien sûr également au cœur de l’entreprise des
surréalistes. En prenant Saint-Pol-Roux pour exemple, ils s’ingénient à confondre travail du
rêve et travail de l’écriture.

On raconte que chaque jour, au moment de s’endormir, Saint-Pol-Roux


faisait naguère placer sur la porte de son manoir de Camaret, un écriteau sur
lequel on pouvait lire : LE POÈTE TRAVAILLE169.
La référence à Saint-Pol-Roux, à qui est dédicacé Clair de terre170, revêt évidemment une
dimension subversive, puisque le poète feint de s’en remettre non plus aux forces du labeur
esthétique mais à celles du travail psychique. Peu à peu, se développe, chez les psychanalystes
comme chez les écrivains, un parallèle entre travail du rêve, tel que l’envisage la psychanalyse,
et travail de l’écriture, comme mise en forme signifiante à partir d’un matériau donné mais
chaotique. Tous désignent par ces deux expressions une même dynamique de métamorphose
appliquée à une matière langagière, qu’elle soit faite de mots, comme dans l’expression
littéraire, ou qu’elle soit constituée d’images psychiques, comme dans le cas du rêve ; mais ce
rapprochement ne s’entend pas exactement de la même manière de part et d’autre.
Les psychanalystes, lorsqu’ils pensent le travail du rêve par analogie avec celui de
l’écriture, cherchent à expliciter une mise en ordre apparente de la matière psychique, produit
d’effets de composition et de transformations imprimées au contenu onirique dans le moment
de ce qu’ils nomment « l’élaboration secondaire ». Les écrivains, pour leur part, lorsqu’ils se
réfèrent au travail du rêve pour qualifier l’activité littéraire, cherchent plutôt à occulter le travail
poétique en déplaçant la force laborieuse, attribut des artistes les plus appliqués, vers une non-

169
André Breton, Manifeste du surréalisme, op. cit., p. 319.
170
« Au grand poète Saint-Pol-Roux. À ceux qui comme lui s’offrent le magnifique plaisir de se faire oublier. »
André Breton, Clair de terre, op. cit., p. 148.

256
conscience involontaire, et à mettre en avant une désorganisation apparente qui paraît bien
éloignée des préceptes de composition académiques. Le rêve prend, lorsqu’il investit le champ
littéraire, une dimension autrement transgressive par la force de désordre qu’il imprime à toutes
les catégories du récit : cohérence, temporalité, spatialité et personnages171. Dès lors, le « travail
du rêve », quand il s’applique à l’objet littéraire, recouvre une tentative de rationalisation et de
systématisation des opérations de désordre. Invoquer cette perlaboration, c’est tenter de
comprendre, en l’intégrant dans un système, une énergie chaotique qui vient justement mettre
à mal les règles de l’écriture.

Lecture et interprétation
Il est frappant de constater combien l’analyse des rêves proposée par la psychanalyse
est en fait une analyse des récits de rêve, tant elle repose sur une approche linguistico-littéraire
(voire stylistique) et s’attache à la lettre de ces derniers. Déjà, les analyses de Freud reposaient
en grande partie sur le commentaire des signifiants choisis par le locuteur. Dans le rêve de
l’autodidasker, c’est bien la dissection minutieuse de ce néologisme qui amène le psychanalyste
à mettre au jour les multiples éléments impliqués dans la construction du scénario onirique pour
ensuite proposer une interprétation de ses enjeux172.
Cette tendance est poussée plus loin par la psychanalyste anglaise Ella Sharpe, qui, dans
son ouvrage Dream Analysis (1937) présente explicitement sa méthode d’interprétation des
rêves comme procédant directement de l’analyse poétique :

Les lois du langage poétique que les critiques ont établies à partir de la
grande poésie et les lois de la formation du rêve découvertes par Freud,
proviennent des mêmes sources inconscientes et ont en commun de nombreux
mécanismes173.
Reprenant un à un les tropes et les principales figures de rhétorique, la psychanalyste ne fait
finalement rien d’autre que de repérer et analyser les mêmes écarts langagiers dans les
productions de ses patients. Comparaison, métaphore, métonymie, synecdoque, onomatopée,
parallélisme de construction, antithèse, répétition : elle décèle partout des sens secondaires –

171
Sur ces points, nous ne pouvons que renvoyer à l’incontournable ouvrage de Jean-Daniel Gollut, Conter les
rêves, op. cit..
172
Sur ce rêve et sur l’analyse linguistique des mots dans le récit de rêve, voir Michel Arrivé, Le Linguiste et
l’inconscient, PUF, coll. « Formes sémiotiques », 2015. En particulier, chap. III « Les mots dans l’inconscient, ou
comment faire d’un mot une chose ? », p. 53-68.
173
Ella Sharpe, « Mécanismes du rêve et procédés poétiques », Nouvelle Revue de Psychanalyse, n° 5 : « L’espace
du rêve », printemps 1972, p. 101. Le texte est extrait de Dream analysis. A practical handbook for psycho-
analysts, Londres, Karnac, 1937.

257
mais primordiaux dans le cadre d’une analyse –, dans les expressions choisies par les
analysants.

[Cette méthode] fournit à l’analyste l’occasion de donner une interprétation


plus complète des rêves à partir des mots effectivement choisis par le patient.
Sur les voies de la pensée se croisent et s’entrecroisent les noms, et les noms
subissent diverses mutations. Nous devons nous souvenir que le rêve évoque
des mots qui connotent et comportent de nombreuses significations à l’inverse
des mots scientifiques, lesquels sont les plus exclusifs. [...] Nous devons
atteindre la signification primaire des mots sous-jacente à la signification
secondaire174.
On voit combien le rêve est ici considéré dans sa dimension verbale et textuelle, jusqu’à en
suggérer une méthode d’interprétation poéticienne. Suivant l’exemple de la linguistique
structurale, qui propose un modèle d’organisation économique de la langue, et dans lequel
chaque unité signifiante tire sa valeur de sa relation avec les autres unités du système, Lacan
proclame, dans L’instance de la lettre dans l’inconscient, que « le travail du rêve suit les lois
du signifiant175 ». Il achève ainsi de rapprocher le travail psychique du travail poétique.
L’inconscient se fait poète interne ; comme lui, il emploie des figures des styles et utilise un
mot pour un autre ; la condensation devient métaphore et le déplacement, métonymie.

La Verdichtung, condensation, c’est la structure de surimposition des


signifiants où prend son champ la métaphore, et dont le nom pour condenser en
lui-même la Dichtung indique la connaturalité du mécanisme à la poésie,
jusqu’au point où il enveloppe la fonction proprement traditionnelle de celle-
ci. La Verschiebung ou déplacement, c’est plus près du terme allemand ce
virement de la signification que la métonymie démontre et qui, dès son
apparition dans Freud, est présenté comme le moyen de l’inconscient le plus
propre à déjouer la censure. Qu’est-ce qui distingue ces deux mécanismes, qui
jouent dans le travail du rêve, Traumarbeit, un rôle privilégié, de leur
homologue fonction dans le discours ? – Rien176.
La condensation, dans le rêve, serait semblable à la métaphore en ceci qu’elle manifeste une
rare densité de l’expression ; comme elle, elle signifie (de façon manifeste, par le signe auquel
elle recourt) autre chose que ce qu’elle veut dire de façon latente. Mais, alors que dans la poésie,
cette polysémie est agissante et implicite, le récit de rêve en laisse percevoir plus directement
les rouages, l’expose et la déplie pour l’interroger. C’est ainsi que, pour Pierre Jean Jouve, par
ailleurs ami de Jacques Lacan :

La Poésie est une pensée – un état psychique – d’agglutination ; c’est-à-dire


que des tendances, des images, des échos de souvenir vague, des nostalgies, des
espérances, y apparaissent en même temps et comme collés ensemble,

174
Ella Sharpe, art. cit., p. 108.
175
Jacques Lacan, « L’instance de la lettre dans l’inconscient ou la raison depuis Freud », Écrits I (1966), Seuil,
coll. « Points essais », 2014, p. 509.
176
Ibid., p. 508.

258
provenant de hauteurs tout à fait différentes. Ou encore la Poésie ressemble à
certains rêves, parfaitement absurdes d’apparence, et qui s’éclairent
brusquement si on les déroule à l’envers177.
Une fois encore, l’analogie est renversée : c’est désormais la référence onirique, avec à
l’arrière-plan le discours de théorie psychanalytique, opaque et exigeant, qui sert de caution
valorisante à la poésie et indique, en creux, la démarche de lecture à suivre : dérouler à l’envers,
qu’est-ce d’autre que de démonter, par l’interprétation, le travail du rêve comme le fait le
psychanalyste écoutant son patient ? Si le rêve programmait déjà une réception difficile, son
interprétation rejoint ici l’exigence de la lecture poétique178. Devenu texte, il implique de saisir
par le langage des référents non partagés dans le monde de l’expérience réelle, et engage aussi
des innovations formelles, nécessaires par rapport aux normes de la narration, et plus largement
de l’expression.
Rêve et littérature, comme deux vases communicants, semblent donc se jouer de leurs
méthodes critiques respectives. Lire, interpréter et commenter sont des opérations qui, sur ce
type de texte, se nourrissent les unes les autres. Comme le souligne Florence Dumora, ce
rapprochement n’est pas sans conséquence sur le sens du geste critique et la valeur du littéraire.

Interpréter le rêve, ce serait comme fabriquer des métaphores, ce serait saisir


les analogies les plus cachées entre les choses, les rapprocher, faire de leur
rapprochement un sens nouveau, créateur, capable d’énoncer une vérité inouïe
sur le monde. L’onirocrite produit ce sens à partir du chaos des images
oniriques, qui le contiennent en puissance, comme le poète invente la
métaphore poétique à partir du langage obscur éparpillé ou enfoui dans les
choses179.
Florence Dumora propose de considérer l’interprétation des rêves, non plus comme une activité
seulement critique, mais comme une création à part entière qui viendrait se surajouter au
discours onirique premier. Écrire ses rêves, c’est rêver encore ; interpréter, c’est toujours rêver.
En déplaçant les termes de l’équation, elle réconcilie une communauté de rêveurs qui tous,
écrivains, psychanalystes et onirocrites de toutes plumes, participent à la même œuvre, infinie.

***

177
Pierre Jean Jouve, Apologie du poète, suivi de Six lectures, Fata Morgana, coll. « Le Temps qu’il fait », 1987,
p. 10-11.
178
« L’idée d’une réception exigeante sous-tend en effet les usages de « poétique » au cinéma ou dans les arts
visuels. Une œuvre « poétique » appelle un niveau de lecture élaboré, quelque chose de l’ordre du déchiffrement. »
Nadja Cohen et Anne Reverseau, « Un je ne sais quoi de “poétique” : questions d’usages », Fabula-LhT, n° 18,
« Un je-ne-sais-quoi de “poétique” », avril 2017, URL : http://www.fabula.org/lht/18/cohen-amp-reverseau.html,
page consultée le 20 août 2018.
179
Florence Dumora, L’Œuvre nocturne, op. cit., p. 251.

259
Alors qu’il pouvait sembler bien éloigné de ces questions – aujourd’hui apanage de la
psychologie et des sciences expérimentales –, l’écrivain se révèle plus habile qu’il n’y paraît à
se saisir du rêve pour en démonter les rouages et en proposer un modèle de compréhension
original. Fin observateur des comportements et des psychologies, à l’écoute de ses propres
mouvements d’âmes, doté d’une palette de termes pour révéler les nuances de cette expérience
de dépaysement radical, il est sans doute mieux placé que d’autres pour l’envisager dans toute
son ampleur sans l’enfermer dans un modèle trop étroit. En marge des récits de rêves
proprement dits, se laisse lire un discours proprement littéraire sur le rêve qui, tout en se
nourrissant d’elles, n’a rien à envier à la psychanalyse, la psychologie, la philosophie ou
l’anthropologie. Si la littérature n’est pas une science, elle est tout de même porteuse d’une
culture et d’une histoire, d’outils et de méthodes, d’une sensibilité qui font des écrivains des
« chercheurs es rêve » aussi perspicaces.
D’expérience de pensée, le rêve est devenu un concept heuristique qui permet
d’élaborer une nouvelle approche de la création littéraire et de l’interprétation. Au miroir du
rêve, c’est finalement la littérature qui se réfléchit elle-même. Elle trouve, par la médiation de
cette expérience, l’occasion d’une reconsidération de ses principaux questionnements : l’image
et la puissance allégorique, la fiction et son pouvoir cognitif, l’auctorialité et la permanence du
moi, la création, prise entre fulgurance inspirée et labeur, l’interprétation enfin. Dans cet aller-
retour incessant entre pensée du rêve et pensée de la littérature, par ce jeu d’analogies, qui pèse
et évalue les similitudes et les différences, les possibilités de rapprochements et les nécessaires
mises à distance, pensée du rêve et pensée de la littérature se nourrissent l’une l’autre.
Plus que d’autres types de textes, le rêve appelle naturellement le commentaire, et rassemble
ainsi une communauté d’interprétateurs, exégètes de l’oreiller, oniromanciens des petits matins
et analystes des cauchemars. Dans la civilisation occidentale post-freudienne qui est la nôtre
comme dans la plupart des autres cultures180, il va de soi pour la plupart d’entre nous qu’un
autre sens est à chercher derrière le récit premier et que celui-ci est à élucider par un réseau de
symboles, de rapprochements et de résonnances aussi diverses que personnelles. Ce sens
profond, nul ne doute qu’il est difficile à élaborer, fruit d’une longue et coûteuse quête, sujet
aux fausses pistes aussi bien qu’aux fulgurantes trouvailles. Le rêve est ainsi une formidable

180
On se reportera aux nombreux ouvrages d’anthropologie cités dans la bibliographie du collectif Les Contours
du rêve, Hermann, 2017, p. 302-304.Voir également Bernard Lahire, L’Interprétation sociologique des rêves, La
découverte, 2018.

260
machine à créer du texte par-dessus lui : à l’expérience même du rêve succède sa mise en récit,
lequel sera objet de commentaires et interprétations infinies, toujours discutées, réévaluées,
amendées et corrigées.
Rêve générateur, mais aussi rêve initiateur. Parmi les nombreuses hypothèses proposées à
l’heure actuelle sur la fonction du rêve, celle de l’apprentissage de la fiction nous intéresse au
premier chef181. On sait que les enfants de moins de 4 ans ont du mal à distinguer la réalité de
la fiction et que, à ce titre, l’expérience du rêve peut être pour eux source de trouble ou
d’angoisse182. À l’âge des histoires du soir, l’immersion fictionnelle forcée qu’est le rêve, vécue
malgré eux, représente en quelque sorte une occasion d’apprivoisement du symbolique, par
ailleurs expérimentée dans le jeu. Ils y apprennent à se distancier de l’imaginaire et y trouvent
l’occasion, chaque matin, de reprendre pied dans le réel. Cette initiation à la fiction, se double
plus tard d’une initiation à l’interprétation, par laquelle s’acquiert le sens du symbole. En ce
sens, le rêve est une école de littérature, pour les écrivains mais aussi pour chacun d’entre nous.

181
Sur ce point, voir Jacques Montangéro, Rêve et cognition, op. cit.. et 40 questions et réponses sur le rêve, Odile
Jacob, 2013, p. 43-49.
182
Voir Jean Piaget, La formation du symbole chez l'enfant : imitation, jeu et rêve, image et représentation,
Neuchâtel ; Delachaux et Niestlé, 1945.

261
DEUXIÈME PARTIE

UN RÊVE, DES RÉCITS :


ESTHÉTIQUES DU RÉCIT DE RÊVE
CHAPITRE IV

LE RÉCIT DE RÊVE EST-IL UN


GENRE ?

(BRETON, ARAGON, ÉLUARD, YOURCENAR)

4.1. « ILS NE RACONTENT PLUS UN RÊVE, ILS FONT DE LA


LITTÉRATURE » : LE RÊVE, UN TEXTE ANTI-LITTÉRAIRE ?

4.1.1. LITTÉRARITÉ ET POÉTICITÉ DU RÉCIT DE RÊVE


Le récit de rêve ne se donne pas d’emblée comme un objet littéraire, encore moins comme
un genre littéraire constitué. Après le Manifeste du surréalisme, le Traité du style (1928)
d’Aragon puis les Notes sur la poésie (1929) signées par Breton et Éluard achèvent de
proclamer ce qui était déjà bien amorcé par les pratiques du groupe : la réorganisation et la
réévaluation de la production « littéraire », mettant à distance l’idée même de littérarité telle
qu’elle avait été conçue jusque-là. Si le rejet du roman est certainement l’aspect qui a le plus
été mis en avant dans l’histoire du mouvement, la réévaluation de ce que l’on aurait tendance à
classer dans le genre poétique n’est pas de moindre envergure : « la poésie est le contraire de la
littérature1 », clame-t-on pour protester contre Valéry. Depuis Dada, la posture de rejet des
autorités va de pair avec celle d’un refus des critères de littérarité et d’un mépris des catégories

1
André Breton et Paul Éluard, Notes sur la poésie (1936), dans Paul Éluard, Œuvres complètes, édition établie et
annoté par Marcelle Dumas et Lucien Scheler, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. I, 1990, p. 475.
génériques entérinées par la tradition. La poésie n’est plus tant conditionnée par un travail sur
le texte que par une attitude, face au monde et face à la page d’écriture, qui fait une large place
à l’imprévu, qu’il se trouve dans la rencontre fortuite de réalités éloignées ou dans le lâcher-
prise des procédures automatiques. Comme le résume Tzara dans Essai sur la situation de la
poésie, la poésie est désormais aussi bien contenue dans les textes que hors d’eux :

Il est parfaitement admis aujourd’hui qu’on peut être poète sans jamais avoir
écrit un vers, qu’il existe une qualité de poésie dans la rue, dans un spectacle
commercial, n’importe où, la confusion est grande, elle est « poétique2 ».
Aussi, le lien fort autrefois posé entre littérarité et travail formel, comme celui qui unissait
littérarité et généricité, se trouve-t-il considérablement affaibli, sinon nié. Plus encore,
l’inscription littéraire n’étant plus à la source du geste d’écriture, les opérations de
catégorisation esthétique se trouvent déplacées d’un amont projectif vers un aval évaluatif.
Comme l’écrit Marie-Paule Berranger, « si la poésie tombe chaque matin des affiches et des
prospectus, comme le proclame “Zone” [ …], la littérarité ne peut plus être que le fruit d’un
décret, d’une évaluation a posteriori qui exhibe la part idéologique que la visibilité formelle du
genre dissimulait3. »
Pour autant, et même si les critères et catégories sont entièrement revus, la
reconfiguration du champ littéraire par la doctrine surréaliste n’est pas une anarchie sans ordre
ni loi. Il subsiste une forme de jugement de qualité auquel sont soumises les productions ;
lesquelles, pour être valables, ne doivent pas tant s’inscrire dans le régime du littéraire que dans
celui du « poétique », dont l’expression la plus pure est sans conteste celle de l’automatisme.
La pureté poétique des surréalistes est une « pureté anti-esthétique4 » ; c’est l’émanation brute
– ou l’enregistrement sans retouche – de la « dictée de la pensée », mais, précision importante
du Manifeste, « en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute
préoccupation esthétique ou morale5 ». La question du pur et de l’impur se trouve ainsi déplacée
d’une catégorisation générique et formelle à l’identification et l’attestation d’une procédure
d’écriture, dont le seul garant n’est autre que l’écrivain lui-même. Pour Marie-Paule Berranger,
c’est finalement le « poétique » qui englobe les distinctions de genres :

La critique de la notion de genre dans le surréalisme relève du refus de


l’écriture préméditée, contrôlée, au nom d’une pratique vivante, expérimentale
de l’écriture ; d’autre part, elle s’accomplit au profit d’une catégorie

2
Tristan Tzara, « Essai sur la situation de la poésie » (1931), dans Grains et issues, Flammarion, 2010, p. 261.
3
Marie-Paule Berranger, « Le surréalisme fait-il du genre ? », dans Marc Dambre et Monique Gosselin-Noat (dir.),
L’éclatement des genres au XXe siècle, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2001, p. 145.
4
Laurent Jenny, La Fin de l’intériorité, PUF, 2002, p. 146.
5
André Breton, Manifeste du surréalisme, OC I, p. 317.

266
englobante : la Poésie ou plutôt le Poétique qui devient la pierre de touche du
récit comme du poème, en vers ou en prose6.
Dans ce contexte, le récit de rêve est donc, comme le texte surréaliste, un objet à la fois
poétique et anti-littéraire. Dans la mesure où il s’inscrit dans la même ambition
« encéphalographique » que ses cousins d’écriture automatique, il revêt, au sens des
surréalistes, une valeur poétique indéniable. Mais surtout, comme eux, eu égard à leur mode de
production, les récits de rêves peuvent être regroupés en un ensemble homogène au nom d’un
mode de scription commun : remémoration immédiate et notation sans correction. Se forme
ainsi, sans qu’elle ait encore statut de genre et sans surtout qu’elle soit marquée par des
invariants formels érigés en normes, une catégorie de textes, sinon semblables, du moins à la
genèse commune. De cette confection commune à un « air de famille », pour parler comme
Wittgenstein, la nuance est faible, d’autant que, comme nous le verrons, un certain nombre
d’éléments poétiques communs se mettent en place. Mais, dans une sorte d’injonction
contradictoire, le récit de rêve doit rester un texte au style indéfini.

6
Marie-Paule Berranger, « Le surréalisme fait-il du genre ? », art. cit., p. 147.

267
4.1.2. LE RÉCIT DE RÊVE : UN TEXTE SANS STYLE ? (ARAGON)
L’impératif « anti-rhétorique7 » posé sur les productions surréalistes vaut également
pour les récits de rêves, lesquels n’ont de valeur poétique, aux yeux de leurs premiers créateurs,
qu’à la condition de n’être entachés par aucun travail ou effet de style. Le rejet du style tient en
fait à deux raisons, clairement exposées par Aragon dans Traité du style. La première,
épistémologique, y voit un écran qui ne pourrait que brouiller l’enregistrement d’un objet de
pensée tel que le rêve, lui retirant par là même la netteté de sa représentation8. Aragon insiste
sur « l’objectivité » « pur[e] de préoccupations littéraires ou médicales », avec laquelle
l’écrivain doit transcrire ses rêves : « on peut dire même que nulle part une objectivité plus
grande ne peut être atteinte, que dans le récit d’un rêve. Car ici rien, comme dans l’état éveillé
on nomme censure, raison, etc., ne peut s’interposer entre la réalité et le dormeur9. » La notation
brute des rêves, vierge de toute scorie ou joliesse stylistique, doit conférer au texte une sorte
d’autonomie. Si l’auteur d’Une vague de rêves reprend le discours porté par Breton dans le
Manifeste, c’est pour en tirer des conséquences esthétiques qui n’avaient pas été énoncées aussi
explicitement auparavant. Aussi, ce premier argument est-il suivi d’un développement plus
idéologique qui considère que le travail stylistique ferait immanquablement tomber ces textes
dans le tombeau de la « littérature », si décriée.

Supposez qu’à transcrire cette réalité ils apportent les sottises d’un style
imparfait, les voilà traîtres. Ils ne racontent plus un rêve, ils font de la
littérature10.
Par cette dernière formule, éminemment cinglante et efficace, Aragon trace une ligne de partage
qui, en séparant rêve et littérature, accorde la primauté à l’authenticité sur le travail du style,
fait le choix du littéral contre le figural, et oppose finalement littéralité et littérarité11.

7
Ce point a été particulièrement exposé par Laurent Jenny dans son article « Les aventures de l’automatisme »,
Littérature, n° 72, décembre 1988.
8
« Les critiques ont souvent considéré […] que la perfection du style rendait suspect le contenu du récit, et faisait
écran entre la vérité du passé et le présent de la situation narrative. » Jean Starobinski, « Le style de
l’autobiographie », La relation critique. L’œil vivant II, Gallimard, 1970, p. 85.
9
Louis Aragon, Traité du style, op. cit., p. 182-183.
10
Idem.
11
Mais pour être juste, encore devons-nous ajouter, avec Michel Murat combien la littérature entendue ici est
l’envers de la Poésie, et du surréalisme. « À l’emboîtement hiérarchique des classes : littérature > poésie > poésie
surréaliste, se substitue une opération non moins complexe, mais d’un autre ordre. Elle consiste en un partage :
d’un côté la poésie, de l’autre la littérature, suivie d’un recouvrement qui identifie surréalisme et poésie
(moderne) ; et elle débouche sur une expansion — qui est aussi une virtualisation déspécifiante — par laquelle la
poésie absorbe les autres moyens d’expression, à commencer par la peinture, mais aussi « la conduite de la vie »,
la morale, la politique, bref tout ce en quoi d’aucuns ont pu et peuvent « être surréalistes ». Michel Murat,
« Comment les genres font de la résistance. Quelques réflexions, suivies de remarques sur la configuration
générique du surréalisme », dans Marc Dambre et Monique Gosselin-Noat (dir.), L’éclatement des genres au
XXe siècle, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2001, p. 24.

268
Entendons-nous bien : sortir le rêve de la littérature, n’est pas, pour Aragon, renoncer à son
écriture, c’est au contraire mieux s’en saisir en l’arrachant à la tradition et à l’histoire. Poser le
principe d’une non-conciliation entre rêve et littérature lui permet de démarquer très nettement
la démarche de ses contemporains de celle de leurs ainés. La revendication a quelque chose de
révolutionnaire et d’utopique : en faisant table rase de toute tradition, il s’agit de sortir le rêve
de toute époque et de faire accéder ces textes à une atemporalité esthétique, pour lui gage
d’authenticité et de vérité.

C’est ainsi qu’avec les années, les époques, les caractéristiques des rêves
racontés changent, comme s’il y avait une mode qui les bouleversait. Quoi qu’il
en soit, le précaire des notions touchant le rêve nous force à une sévérité très
grande envers les rapports qu’on en fait. Pas de fausses subtilités ! Les rêves ne
sont pas l’occasion d’étaler vos goûts leptologiques12, de faire montre de
quelques connaissances rhétoriques péniblement acquises. Ils ne sont pas non
plus une permission de noircir le papier pour ceux qui n’ont rien à dire, qui
voudraient écrire tout de même. Un rêve ça n’est pas toujours ça. La pureté du
rêve, l’inemployable, l’inutile du rêve, voilà ce qu’il s’agit de défendre contre
une nouvelle rage de ronds de cuir qui va se déchaîner13.
L’essentialité du rêve serait en complète contradiction avec les marques trop appuyées d’un
savoir-faire rhétorique dont il s’agirait, somme toute, de le dépouiller. Si la rupture est ainsi
consommée avec un passé par trop styliste, le discours porté par Aragon est en revanche
pleinement en prise avec son époque qui, partout, est en quête de « pureté ». In fine, il ne s’agit
pas de donner à un texte les allures d’un rêve, en singeant ce doux délire, mais de chercher, par
sa transcription transparente, à capter l’essentialité de cette inventivité débridée.
La fondation14 du récit de rêve lui interdit donc toute littérarité en rejetant ce qui, d’après
Gérard Genette, en constitue les deux régimes : la fiction et la diction15. En effet, les récits de
rêves surréalistes s’érigent contre la fiction, en se donnant comme des proses référentielles. À
l’inverse des nouvelles fantastiques du XIXe siècle, dans lesquelles les rêves étaient souvent
convoqués comme embrayeurs de fictionnalité, ces récits de nuits ne sont pas à lire comme des
inventions mais plutôt à intégrer dans la vaste famille des proses non fictionnelles. En se
concentrant sur un type d’événements particuliers, les rêves comme événements psychiques
quotidiens, les recueils de récits de rêves entretiennent une parenté avec le nocturnal, comme
journal intime des nuits.

12
« Leptologique » : en rhétorique, relatif à un style affecté, d'une grande subtilité. (Encyclopédia Universalis en
ligne : https://www.universalis.fr/dictionnaire/leptologique/) Nous ajoutons.
13
Louis Aragon, Traité du style, op. cit., p. 186-187.
14
L’emploi du terme est ici anachronique car, en systématisant le geste de notation des rêves, les surréalistes
n’avaient pas pour ambition de fonder un genre, encore moins littéraire. Seule la perspective historique et
rétrospective que nous employons ici nous autorise cet emploi.
15
Gérard Genette, Fiction et diction, Seuil, coll. « Poétique », 1991.

269
Mais ces textes se dressent également contre l’autre régime de littérarité identifié par
Genette : la diction, et réclament à ce titre une absence totale de travail stylistique, lequel ne
pourrait que trahir l’objet. De ce côté du spectre formel, ils seraient à comparer avec le compte-
rendu, le document médical ou encore l’enregistrement onirographique. En toute rigueur, le
récit de rêve tel que le conçoivent les surréalistes serait donc à la fois constitutivement et
conditionnellement anti-littéraire.

Si la manifestation d’une littérarité travaillée semble rejetée par une telle conception du
récit de rêve, toute réflexion sur le style, n’est pourtant pas absente du discours surréaliste.
Breton aura beau achever de jeter le discrédit sur l’élaboration formelle en assénant, dans Signe
ascendant (1942), que « les figures que persiste à énumérer la rhétorique sont absolument
dépourvues d’intérêt16 », Aragon défend pour sa part, en 1928, que « le surréalisme n’est pas
un refuge contre le style17 », sans pour autant préciser ce qu’il entend par cette notion. Sans
doute faut-il y lire plus qu’une prétention à l’élégance de l’expression, sans incorrection ni
heurt, et qui se limiterait à « exige[r] que les rêves […] soient écrits en bon français18 », comme
l’auteur lui-même s’est ingénié à le faire croire. En effet, si le terme n’a, sous sa plume, ni un
sens rhétorique catégoriel (l’ensemble des indices formels qui permettent de classer une
production dans un ensemble reconnaissable et collectif, qu’il corresponde à un genre, une
époque, ou même à un groupe), ni un sens singularisant (les marques particulières qui
permettent de rattacher une production à un auteur en lui reconnaissant des traits propres à une
signature, un style d’auteur)19, il recouvre tout de même son acception la plus fondamentale : le
style comme critère de distinction par rapport à un ensemble plus large, quelle qu’en soit
l’échelle. « Il faut bien comprendre qu’on écrit toujours […] en violente réaction contre ce qui
s’écrit20 », confiait-il à Dominique Arban en 1968. Le style, pour Aragon, est ainsi à
comprendre comme une marque profonde d’originalité imposée au texte, le « moyen de se
réapproprier le langage, par la quête d’une expression singulière purgeant le dire de tous les

16
André Breton, Signe ascendant, Gallimard, coll. « Poésie », 1999.
17
Louis Aragon, Traité du style, op. cit., p. 189.
18
« J’exige que les rêves qu’on me fait lire soient écrits en bon français. », Louis Aragon, Traité du style, op. cit.,
p. 183.
19
« La notion de style n’a cessé d’osciller entre un objet individuel et collectif. […] Tantôt le style est considéré
en tant que manifestation de la culture comme totalité, et il vaut surtout en tant qu’il est typique d’un ensemble, et
susceptible d’une multitude d’applications. C’est le « style d’époque ». Tantôt le style est la marque de
l’idiosyncrasie d’un artiste et il renvoie surtout à des valeurs d’exception et de singularité. » Laurent Jenny,
« L’objet singulier de la stylistique », Littérature, n° 89, 1993, p. 114.
20
Louis Aragon, Aragon parle avec Dominique Arban, Seghers, 1968, p. 38.

270
déjà-dits21 ». Il ne se réduit à aucune règle formelle préalable, qu’elle émane d’une époque ou
d’un genre, ou soit la signature d’un auteur. Le style, pour lui, est en fait anti-littéraire, car il
échappe à toute tradition.

La littérature, aux divers sens du mot, se nomme recette. Le style, qu’ici je


défends, est ce qui ne peut se réduire en recettes. Et puis je ne veux pas, tu
m’entends multitude, que le texte surréaliste, non plus que le rêve, passe dans
le compartiment des formes fixes, comme un perfectionnement de liberté
payant patente, avec l’assentiment enregistreur des morveux qui trouvent déjà
le vers libre bassinant22.
Aussi pourrait-on poser, avec Laurent Jenny, que le terme pour Aragon « équivaut à
“expression pure” », en ce qu’il ne se laisse encadrer ou régenter par aucun code préétabli :
« échappant à toute codification, il est anti-rhétorique ; mais il est aussi étranger à tout langage
puisque c’est une forme rigoureusement singulière, non reçue, non répétable, bref, un idiotisme
absolu23. » S’il se doit de respecter une certaine norme linguistique, il excède toute autre
contrainte formelle édictée par une quelconque tradition. C’est là, aussi, une façon de récupérer
l’exigence esthétique qui avait été rejetée avec l’idée de littérature. Si le récit de rêve doit
demeurer sans style, ce n’est pas pour tomber dans la médiocrité d’un n’importe-quoi ou dans
l’indistinction d’un tout-venant, mais pour se placer au-delà de tout style, dans l’originalité
pure.

Dans La Part du feu, Blanchot ne manque pas de relever les contradictions inhérentes à
cette position pour le moins radicale :

Le propre de Breton est d’avoir toujours maintenu solidement ensemble des


tendances inconciliables. Plus de littérature, et pourtant un effort de recherche
littéraire, un souci d’alchimie figurée, une attention constante donnée aux
procédés et aux images, à la critique et à la technique24.
Appliquées au récit de rêve, ces positions esthétiques ne sont pas non plus dénuées de
paradoxes. Le premier d’entre eux tient à un certain refus de la subjectivité dans une forme
relevant pourtant de l’intime absolu. Si une dimension subjective est bien reconnue au rêve, en
tant qu’il est le fait d’un individu pris dans une histoire, elle est interdite à son récit, lequel ne
doit laisser paraître aucune marque de l’ordre d’une signature esthétique, d’un style d’auteur.
Alors que l’écriture automatique semblait relever de la subjectivité la plus poussée et que le

21
Emmanuelle Cordenod-Roiron, article « Style », dans Nathalie Piégay et Josette Pintueles (dir.), Dictionnaire
Aragon, Honoré Champion, 2019, p. 912.
22
Louis Aragon, Traité du style, op. cit., p. 193.
23
Laurent Jenny, « Les aventures de l’automatisme », Littérature, n° 72, décembre 1988, p. 7.
24
Maurice Blanchot, La Part du feu (1949), Gallimard, 1987, p. 95.

271
récit de rêve paraissait à classer sous l’égide d’une écriture du moi spontanée, situer l’origine
de cette production dans un en-deçà du moi en fait une parole désubjectivée. Autrement dit,
dans ce fantasme de style pur – pur de toute subjectivité –, l’écrivain doit absolument s’effacer
derrière le rêveur, et la singularité de la signature se trouve annihilée par et dans une procédure
commune à tous. C’est là ce que Laurent Jenny nomme le « mythe rhétorique de
l’automatisme », et qui peut s’élargir au récit de rêve, même s’il ne relève pas, en propre, de
l’automatisme.

Poussant le subjectivisme à son comble, l’écriture automatique ouvre à une


désubjectivation radicale. Se proposant de faire apparaître « ce qui se trame à
l’insu de l’homme dans les profondeurs de son esprit », l’écriture automatique
atteint en fait des entités absolument impersonnelles telles que « le
fonctionnement réel de la pensée », ou « la conscience universelle ». D’où chez
Breton l’insoluble contradiction entre la reconnaissance d’une « voix »
parfaitement indifférente à l’avènement du sujet, à son histoire, parfois même
hostile à ses désirs, et le souci de rapporter cette voix « sans ambiguïté possible
au Moi ». Cette contradiction scelle tout à la fois l’incohérence théorique du
surréalisme et le succès de sa pratique. Le mythe de l’automatisme inaugure
dans le champ littéraire l’ère d’une productivité infinie. Effectivement, ce qui
« libère » la parole, c’est qu’elle ne rencontre nulle part le frein d’un
engagement subjectif25.
Le deuxième paradoxe réside dans le maintien, conjointement, d’un rejet du style – et
donc de la reproduction consciente de traits formels –, et de la systématisation de procédures
d’écriture aboutissant, avec le partage et l’évaluation collective des productions, à une grande
homogénéité stylistique et thématique. Aussi, à force de rejeter ensemble littérarité et
subjectivité, le récit de rêve se constitue en genre presque malgré lui.

25
Laurent Jenny, La Parole singulière, Belin, 1990, p. 177.

272
4.2. AUTONOMISATION ET DIFFÉRENTIATION : LE RÉCIT DE
RÊVE À L’ÉPREUVE DU GENRE

Toute classification n’est pas absente des discours et des pratiques surréalistes. Comme
le remarque Michel Murat, La Révolution surréaliste met en place un « cadre générique »,
fondé non plus sur la structure textuelle ou l’observation de règles rhétoriques mais sur la
reconnaissance d’une certaine genèse et d’un statut énonciatif qui « favorise l’établissement
d’un corpus de référence et la cristallisation d’une topique26 ». Dans les revues des années 1920
– La Révolution surréaliste, surtout, mais aussi Littérature ou les Cahiers du sud –, les récits
de rêve proprement dits cohabitent avec d’autres types de textes : les textes surréalistes, produits
de l’écriture automatique, et les poèmes qui, en toute rigueur, devraient seuls autoriser les
corrections et reformulations. Aussi, en dépit des déclarations s’érigeant contre l’idée de
catégorisation de la production, à la faveur d’un grand tout poétique où l’on ne ferait plus ni
distinction ni hiérarchie, on retrouve bien une logique classante dans laquelle le récit de rêve se
voit bordé et délimité.

4.2.1. ÉLÉMENTS D’UNE LITTÉRARITÉ CONTRARIÉE

Critères formels
Malgré les défiances exprimées par les auteurs surréalistes, force est de reconnaître
qu’un genre se constitue par répétition, et que celui-ci acquiert peu à peu la littérarité contrariée
qui lui avait pourtant été déniée avec force. Un double processus de littérarisation (le faisant
passer du document au texte littéraire) et de générisation (dont témoigne la possibilité de mise
en recueils) nourrit la production des récits de rêve. En un peu plus d’une quinzaine d’années,
de 1922 (Littérature) à 1938 (Trajectoire du rêve), ce ne sont pas loin de 80 récits de rêves et
rêveries, tous calibrés sur le même modèle, qui sont publiés dans les revues littéraires du
groupe27 – et ceci sans compter les productions qui restent dans les tiroirs et les archives des
uns et des autres – mais aussi quelques recueils28 dans lesquels ces textes se mêlent aux poèmes.
Comme les textes surréalistes, par un effet de circulation et de groupe, les récits de rêves

26
Michel Murat, « Comment les genres font de la résistance. Quelques réflexions, suivies de remarques sur la
configuration générique du surréalisme. », art. cit., p. 21-34.
27
Nous renvoyons sur ce point à la bibliographie présente en fin de volume.
28
Clair de terre de Breton, Les Dessous d’une vie ou la pyramide intérieure d’Éluard.

273
présentent un certain nombre de traits caractéristiques et de poncifs, aussi bien thématiques que
rhétoriques ou syntaxiques, bien repérés par Marie-Paule Berranger29.
Les thèmes récurrents des rêves publiés par les membres du groupe sont ceux de la
sociabilité et de l’imaginaire surréaliste : retrouvailles et fâcheries entre amis, déambulations
dans la ville, mais aussi mises à mort et exécutions diverses. Le rêve surréaliste ne manque pas
de violence. Breton et Queneau rêvent tous les deux d’un urinoir, l’un à Paris, l’autre à
Londres30, dans un bel hommage à Duchamp. Jacques-André Boiffard et Marcel Noll songent
à Sade, l’un « roul[ant] [avec] L.A. [Louis Aragon] et M. M. [Max Morise] à bicyclette vers le
château du Marquis de Sade31 », l’autre en pleine révolution, alors qu’il se voit en conseiller du
roi, « le matin [où le Marquis] a été conduit en prison par un détachement de chevaux-légers32. »
Naville et Morise, eux, sont encore hantés par des souvenirs de la Première Guerre mondiale :
Naville rejoue en le déplaçant rue de Grenelle l’attentat de Sarajevo33 tandis que dans le rêve de
Morise, un banquet surréaliste se transforme en séance d’entrainement militaire34.
Sur le plan rhétorique, ces textes se caractérisent par une « écriture économe,
minimaliste du récit sans effet de pittoresque ni complaisance ornementale35 », lui donnant
l’apparence d’un certain inachèvement formel propre à le rapprocher du document. Les images
y sont nombreuses en ce que le sens de la vue y est particulièrement sollicité mais on ne peut
guère parler de tropes au sens rhétorique du terme : on ne trouve, dans les textes surréalistes, ni
comparaison (puisque les objets sont donnés comme tels), ni métaphores (puisqu’il n’y a pas à
chercher dans ces textes d’horizon sémantique).
Même si les premiers récits de rêves de Breton sont rédigés aux temps du passé (passé
simple et imparfait), les suivants font systématiquement emploi du présent de l’indicatif, temps
que Jean-Daniel Gollut nomme un « présent continu36 », et dont il donne une définition « “en
creux” et toute négative : pas de contenu temporel, pas de valeur aspectuelle, pas de fonction
stylistiquement contrastive37. ». On y retrouve l’emploi de la première personne du singulier,

29
Marie-Paule Berranger, « Le surréalisme fait-il du genre ? », dans Marc Dambre et Monique Gosselin-
Noat (dir), L’éclatement des genres au XXe siècle, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2001, p. 153.
30
André Breton, La Révolution surréaliste, n° 1 1er décembre 1924, p. 4 et Raymond Queneau, La Révolution
surréaliste, n° 3, 15 avril 1925, p. 5.
31
Jacques-André Boiffard, « Rêve », La Révolution surréaliste, n° 3, 15 avril 1925, p. 5.
32
Marcel Noll, « Rêve », La Révolution surréaliste, n° 7, 15 juin 1926, p. 6-8.
33
Pierre Naville, La Révolution surréaliste, n° 9-10, 1er octobre 1927, p. 8.
34
Max Morise, La Révolution surréaliste, n° 3, 15 avril 1925, p. 2.
35
Idem.
36
Jean-Daniel Gollut distingue l’emploi du « présent continu » du « présent historique », en ce qu’il « s’émancipe
complètement du système contrastif dans lequel [la narration] est censée fonder sa valeur expressive, et s’applique
de manière uniforme à toute la surface du récit. » Il note par ailleurs la spécificité des récits de rêves surréalistes
« conduits d’emblée et intégralement au présent » Jean-Daniel Gollut, Conter les rêves, op. cit., p. 316.
37
Jean-Daniel Gollut, Conter les rêves, op. cit., p. 321.

274
censée rassembler sous un même « Je » auteur, narrateur et personnage, avec tout ce que cette
situation d’énonciation particulière peut apporter de complication dans la reconnaissance d’une
identité en proie aux métamorphoses les plus diverses38. La temporalité est celle de la scène,
dans une concomitance parfaite de l’énonciation et de la diégèse, accentuant les effets de
surgissement.
Le style paratactique de ces textes est remarquable : les phrases courtes et l’absence de
tout lien logique (particulièrement causal) ou conjonction de subordination donne parfois à ces
courtes narrations des éclairages au stroboscope. On passe d’un élément au suivant, d’un lieu à
un autre sans explication. « Le récit au présent juxtapose, comme figées sous le flash, des
scènes, des images qui ont la netteté des choses vues ; ce qui est flou, incertain, lacunaire, c’est
le passage, le changement de décor, de personnage, souvent inexplicables, escamotés. » Si ces
textes présentent bien une identité stylistique commune et reconnaissable, qui empêche de les
confondre avec les textes qu’ils avoisinent dans les revues, il importe pourtant à Breton de ne
pas mettre en place de hiérarchie entre les genres, au risque de reproduire les différences de
considération honnies dans le modèle de la littérature classique.

Le rêve au bas de la pyramide : débats et hiérarchie (Éluard)


Éluard, dans le prière d’insérer des Dessous d’une vie ou La Pyramide humaine revenant
sur cette distinction de genre, essentielle à ses yeux, en tire une hiérarchie dans laquelle il place
le poème au-dessus du récit de rêve.

Il est extrêmement souhaitable que l’on n’établisse pas une confusion entre
les différents textes de ce livre : rêves, textes surréalistes et poèmes.
Des rêves, nul ne peut les prendre pour des poèmes. Ils sont, pour un esprit
préoccupé du merveilleux, la réalité vivante. Mais des poèmes, par lesquels
l’esprit tente de désensibiliser le monde, de susciter l’aventure et de subir des
enchantements, il est indispensable de savoir qu’ils sont la conséquence d’une
volonté assez bien définie, l’écho d’un espoir ou d’un désespoir formulé39.

38
« Rien de plus équivoque que cette élémentaire relation à soi. Car, sous l’identité formelle de la première
personne, se rencontrent pour le moins trois hypostases du sujet : je raconte que j’ai rêvé que j’étais… Chacun de
ces je possède un statut particulier, connaît un régime de conscience ou d’activité différent. On sait que l’analyse
narratologique du récit personnel commande de distinguer le sujet de l’énonciation (« je racontant ») du sujet de
l’énoncé (« je raconté ») ; un tel partage s’avère ici d’autant plus nécessaire que l’opposition fonctionnelle des
sujets sanctionne, dans le récit de rêve, une appartenance à des “mondes” différents. Mais cette première
discrimination ignore encore le double niveau de l’énoncé : j’ai rêvé que j’étais… Dans le théâtre onirique, le moi
occupe aussi bien la position du spectateur que celle de l’acteur. Témoin du rêve et protagoniste de la scène
nocturne, il se divise donc à son tour en un “je rêvant” et un “je rêvé” ; cela d’ailleurs sans préjudice d’un partage
supplémentaire, opérable dans la définition du “je rêvant”, le rêveur cumulant les fonctions de spectateur et de
créateur du rêve, consommant d’un côté ce qu’il produit de l’autre. » Jean-Daniel Gollut, Conter les rêves, op. cit.,
p. 206.
39
Paul Éluard, Œuvres complètes, op. cit., t. I, p. 1387. Le texte est repris dans Le Poète et son ombre, Seghers,
1989, p. 102.

275
La différence posée par Éluard réside dans l’implication du poète, laquelle se manifesterait
essentiellement dans « l’effort de formulation40 », pour reprendre les termes de Nicole
Boulestreau. Alors que, selon Éluard, le récit de rêve laisse l’écrivain dans une posture passive,
de simple réception, le poème le contraint à intervenir de manière plus précise sur le matériau
verbal, et à accomplir un projet esthétique, guidé par une « volonté » à la fois antérieure et
surplombante. Nicole Boulestreau, explicitant la pensée d’Éluard, oppose « le[s] rêve[s] […]
transposé[s] tel[s] quel[s] non finalisé[s], non réfléchi[s] », « matériau[x] non travaillé[s] par
la spéculation théorique ou mystique [qui] contiennent l’insensé et doivent ensuite être
analysés » à « l’écriture du poème [qui] tendra, elle, toujours à la réflexivité41. » Au-delà des
différences formelles, c’est ainsi un projet esthétique qui trouve dans le poème le lieu de sa
pleine éclosion.
Or, c’est bien l’expression de ce point de vue dissident au sein du groupe qui vaut à
Éluard des reproches de la part de Breton. Dans les entretiens qu’il accorde à André Parinaud,
le chef de file revient, des années plus tard, sur cet écart de l’auteur de Capitale de la douleur.

La participation d’Éluard à l’activité commune, si constante soit-elle, ne va


sans doute pas sans réticence : entre le surréalisme et la poésie au sens
traditionnel du terme, c’est très vraisemblablement cette dernière qui lui
apparaît comme une fin, ce qui – du point de vue surréaliste – constitue l’hérésie
majeure (il va sans dire, en effet, que l’esthétique, que nous entendions
proscrire, rentre comme chez elle par cette porte). Que les intentions d’Éluard
restent en deçà des objectifs du Manifeste, c’est ce que montrera avec évidence
le « prière d’insérer » de son livre Les Dessous d’une vie ou la Pyramide
humaine, publié en 1926, où il s’efforce d’établir une distinction formelle entre
le rêve, le texte automatique et le poème, qui tourne pour lui à l’avantage de ce
dernier. Cette division par genres, avec prédilection marquée pour le poème
« comme conséquence d’une volonté bien définie », m’a paru d’emblée ultra-
rétrograde et en contradiction formelle avec l’esprit surréaliste. Bien entendu,
cela n’enlève rien aux qualité sensibles par lesquelles s’est imposée la
personnalité d’Éluard42.
En revenant aux classements formels et aux hiérarchies, Éluard a failli à l’éthique surréaliste.
« Hérésie majeure », attitude « ultra rétrograde », « contradiction formelle », les mots de Breton
sont durs et sans appel.
Si Éluard se corrige lui-même quelques années plus tard dans Donner à voir, il ne remet
pourtant pas en cause les distinctions revendiquées à l’époque des Dessous d’une vie. Le recueil
de 1939 reprend tous les textes de 1926, rassemblés dans la première section, et complète la

40
Nicole Boulestreau, La Poésie de Paul Éluard. La rupture et le partage (1913-1936), Klincksieck,
coll. « Bibliothèque du XXe siècle », 1985, p. 209.
41
Idem.
42
André Breton, « Entretien radiophonique, VIII », Entretiens 1913-1952, dans OC III, op. cit., p. 493.

276
thématique du sommeil par d’autres sections aux titres évocateurs : « Nuits partagées » – long
poème en prose de six pages, faisant mémoire d’une passion achevée –, et « Les songes toujours
immobiles » – ensemble de proses diverses, narratives, descriptives ou plus réflexives
auxquelles s’ajoute un récit de rêve43. « Premières vues anciennes » permet au poète d’exposer
sa vision de la poésie sur le mode du collage. Aux citations de ses pairs (Lautrémont,
Baudelaire, Apollinaire, William Blake, entre autres), il ajoute ses propres pensées, entamant
ainsi une sorte de dialogue avec les autorités du passé. Les quelques pages consacrées au rêve,
qui mêlent aussi bien des aphorismes de Jean-Paul ou de Reverdy que des considérations du
psychologue Jean Piaget sur les rêves d’enfant, s’ouvrent sur ces trois paragraphes qui
reviennent sur le prière d’insérer de 1926 :

Je n’écrirais plus aujourd’hui l’introduction que j’écrivis en 1926 aux


Dessous d’une vie. J’ai varié. Mais le désir me reste d’établir les différences
entre rêves, poèmes et textes automatiques.
On ne prend pas le récit d’un rêve pour un poème. Tous deux réalité vivante,
mais le premier est souvenir, tout de suite usé, transformé, une aventure, et du
deuxième rien ne se perd, ni ne change. Le poème désensibilise l’univers au
seul profit des facultés humaines, permet à l’homme de voir autrement, d’autres
choses. Son ancienne vision est morte, ou fausse. Il découvre un nouveau
monde, il devient un nouvel homme.
On a pu penser que l’écriture automatique rendait les poèmes inutiles. Non :
elle augmente, développe seulement le champ de l’examen de conscience
poétique, en l’enrichissant. Si la conscience est parfaite, les éléments que
l’écriture automatique extrait du monde intérieur et les éléments du monde
extérieur s’équilibrent. Réduits alors à égalité, ils s’entremêlent, se confondent
pour former l’unité poétique44.
Comme Breton, Éluard déplore la perte inhérente aux défauts de la mémoire, qui condamne le
rêve à n’être jamais qu’un souvenir imparfait, parce qu’incomplet. L’intégrité du matériau
poétique, menacée par le rêve, est à ses yeux au contraire, restaurée ou sauvée dans le poème.
Chaque mot y étant choisi, y compris pour ses qualités évocatoires, il ne peut se dérober aux
lacunes de la conscience ou de la mémoire. Aussi, Éluard, comme Desnos, considère-t-il
finalement les pratiques du récit de rêve ou de l’écriture automatique comme des exercices
préparatoires, élargissements de la conscience et de la sensibilité qui vont lui permettre de faire
émerger des éléments qu’il pourra ensuite réinvestir dans une activité poétique plus consciente
et orientée45.

43
« Je rêve que je ne dors pas »
44
Paul Éluard, Donner à voir, OC I, op. cit., p. 980.
45
« Éluard ressentira toujours l’abandon au flux de l’inconscient comme une amputation de la part consciente du
poète, une plongée narcissique loin des sens et de la vie présente, une menace contre l’échange. S’il ne nie pas ses
ressources comme moyen d’exploration et de trouvaille des images, il doute qu’il exprime l’être véritable, puisqu’à
ses yeux celui-ci n’existe qu’en rapport actuel avec le monde. » Jean-Charles Gateau, « Éluard et le “texte

277
Souvent rêve varie… : recatégorisations et réévaluation des substrats
oniriques
Toutefois, en dépit de ces pétitions de principe, le classement des textes dans des genres
bien distincts n’est pas si étanche chez Éluard. La tripartition qu’il expose dans le prière
d’insérer46 de Les Dessous d’une vie ne correspond pas systématiquement à l’étiquetage
précédemment affiché dans les revues ou les recueils dont sont issus les textes. Erreur de
pagination, modification de la structure du recueil ou critères changeants, il n’est pas aisé
d’expliquer ces recatégorisations. Deux récits de rêves, initialement publiés dans Les Cahiers
du Sud, sont repris dans Les Dessous d’une vie et à cette occasion requalifiés en poèmes : « Je
tourne sans cesse… » et « Je vois ces mains… ». À l’inverse, trois poèmes, ainsi étiquetés lors
de leur publication dans La Révolution surréaliste47, se voient dans le recueil classés dans la
catégorie des rêves : « la Dame de carreau », « L’Aube impossible » et « Les Cendres
vivantes ». « En société », pourtant paru avec les deux précédents dans la livraison de la revue
en décembre 1926, est, quant à lui, qualifié de texte surréaliste.
Si la distinction entre texte surréaliste et poème en prose peut être parfois délicate à poser,
certains indices permettent pourtant de reconnaître les récits de rêves sans trop de difficultés48.
Le plus souvent sans titre, situés dans l’espace (même de façon très absurde) mais rarement
dans le temps, ils progressent souvent selon une logique descriptive, qui a tendance à écraser la
profondeur temporelle et la successivité au profit de la simultanéité. Enfin, ils sont marqués du
sceau du fragmentaire (incomplétude finale ou lacunes internes) et de l’incongruité qui peut se
manifester par des effets de rupture (coq-à-l’âne) ou des métamorphoses.
Dans Les Dessous d’une vie, « Je feuillette Le Journal littéraire49 », bien identifié comme
récit de rêve, nous en fournit un exemple assez net.

Je feuillette Le Journal littéraire, d’ordinaire sans intérêt. Le numéro que


j’ai dans les mains contient de nombreuses photographies de généraux et de
camps d’Afrique. À la dernière page, une grande photographie intitulée
« L’Armée Française » représente trois soldats, l’un derrière l’autre ; mais,
entre le premier et le second se trouve ma femme habillée à la mode excentrique

surréaliste” », dans Marie-Paule Berranger et Michel Murat, Une pelle au vent dans les sables du rêve, op. cit.,
p. 70.
46
Le texte cité est suivi de l’indication précise des genres auxquels le poète rattache chacun de ses textes, suivi
des numéros de pages où ils se trouvent dans le recueil de 1926.
47
La Révolution surréaliste, 1er décembre 1926, n° 8, p. 20-21.
48
Jean-Charles Gateau, prenant acte des distinctions posées par Éluard et des étiquetages affichés dans le prière
d’insérer, concède « ne voi[r] guère de traits stylistiques, thématiques ou rhétoriques qui distinguent [les textes
surréalistes] de certains récits de rêves, comme “Les cendres vivantes”, ou de certains poèmes, comme “Je tourne
sans cesse dans un souterrain” voire, dans Mourir de ne pas mourir, “Dans le cylindre des tribulations”. » « Éluard
et le “texte surréaliste” », art. cit.
49
Le texte a d’abord été publié dans la rubrique « rêves » de La Révolution surréaliste, n ° 3 avril 1925, p. 3.

278
de 1900 et qui tient à la main une ombrelle ; sur le côté un général Boer avec
une longue barbe, une redingote et un chapeau haut de forme. J’apprécie
vraiment. (DV, 208)
Le texte, en se donnant pour la description d’une photographie, accorde la primauté aux
éléments visuels et thématise le régime descriptif. L’absence de lien logique ou temporel,
l’économie de mots et l’élision des compléments, notamment à la dernière phrase (on ne sait
finalement pas ce que le rêveur apprécie tant) concourent à instaurer un climat de fausse
évidence, qui confine ainsi à la bizarrerie, caractéristique du rêve. L’incongruité de la tenue
vestimentaire de la femme du rêveur, son intrusion dans un contexte militaire qui lui est
parfaitement étranger et le contraste qu’offre enfin son accoutrement à côté de celui du général,
non moins surprenant dans cet environnement africain, achèvent de nimber le texte d’une
atmosphère pour le moins étrange. Le jugement final, qui voit la surprise attendue remplacée
par un contentement satisfait, clôt ce récit de rêve sur une note particulièrement saugrenue.
En comparaison, « La Dame de carreau » (DV, 202) et « L’Aube impossible » (DV, 205)
paraissent difficiles à classer sous la même bannière générique, pourtant revendiquée par le
prière d’insérer : les traits stylistiques précédemment identifiés ne s’y retrouvent guère.
La Dame de Carreau

Tout jeune, j’ai ouvert mes bras à la pureté. Ce ne fut qu’un battement d’ailes
au ciel de mon éternité, qu’un battement de cœur amoureux, qui bat dans les
poitrines conquises. Je ne pouvais plus tomber.
Aimant l’amour. En vérité, la lumière m’éblouit. J’en garde assez en moi
pour regarder la nuit, toute la nuit, toutes les nuits.
Toutes les vierges sont différentes. Je rêve toujours d’une vierge.
À l’école, elle est au banc devant moi, en tablier noir. Quand elle se retourne
pour me demander la solution d’un problème, l’innocence de ses yeux me
confond à un tel point que, prenant mon trouble en pitié, elle passe ses bras
autour de mon cou.
Ailleurs, elle me quitte. Elle monte sur un bateau. Nous sommes presque
étrangers l’un à l’autre, mais sa jeunesse est si grande que son baiser ne me
surprend point.
Ou bien, quand elle est malade, c’est sa main que je garde dans les miennes,
jusqu’à en mourir, jusqu’à m’éveiller.
Je cours d’autant plus vite à ses rendez-vous que j’ai peur de n’avoir pas le
temps d’arriver avant que d’autres pensées me dérobent à moi-même.
Une fois, le monde allait finir et nous ignorions tout de notre amour. Elle a
cherché mes lèvres avec des mouvements de tête lents et caressants. J’ai bien
cru, cette nuit-là, que je la ramènerais au jour.
Et c’est toujours le même aveu, la même jeunesse, les mêmes yeux purs, le
même geste ingénu de ses bras autour de mon cou, la même caresse, la même
révélation.
Mais ce n’est jamais la même femme.
Les cartes ont dit que je la rencontrerai dans la vie, mais sans la reconnaître.
Aimant l’amour.

279
« La Dame de carreau » n’est pas sans rappeler les Nuits de Musset. On y trouve la même
puissance de la vision nocturne, muse obsédante de la Nuit de mai ou spectre fascinant de la
Nuit de décembre, qui accompagne le rêveur-poète dans ses songes, de la jeunesse à l’âge
adulte. Le texte est ici particulièrement structuré, et de façon beaucoup plus marquée que ne
saurait l’être un récit de rêve, au déroulement nettement plus chaotique. L’usage des indications
spatio-temporelles en début de paragraphe organise la narration de façon chronologique : « tout
jeune », « à l’école », « ailleurs », « quand elle est malade », « une fois » sont autant d’amorces
qui relancent la narration de ces épisodes amoureux, étape par étape. Si le présent de narration
pouvait entretenir l’illusion d’une apparition surgissant sous les paupières du rêveur (« elle est
au banc devant moi », « elle monte sur un bateau », « je cours d’autant plus vite »), l’emploi
des temps du passé (passé composé : « Tout jeune, j’ai ouvert mes bras à la pureté », « elle a
cherché mes lèvres », « j’ai bien cru » ; passé simple : « ce ne fut qu’un battement de cœur
amoureux » ; imparfait : « le monde allait finir et nous ignorions tout de notre amour »)
concourt à situer le récit dans un passé achevé et résolument inaccessible. À moins que les
marques itératives (« toujours », « même ») ne signent la répétition stérile d’un rêve récurent,
aux accents verlainiens50.
Les répétitions, enfin, qu’elles suggèrent le redoublement sonore dans une harmonie
imitative unissant la nature et le sentiment (« qu’un battement d’ailes au ciel de mon éternité,
qu’un battement de cœur amoureux qui bat dans les poitrines conquises »), qu’elles produisent
un effet d’insistance et d’élargissement (« la nuit, toute la nuit, toutes les nuits. ») ou qu’elles
achèvent un effet de clôture par la reprise du syntagme « Aimant l’amour » en début et fin de
poème, terminent de marquer le texte d’un travail stylistique dont on est en droit de douter qu’il
soit le fruit de la pure transcription d’un rêve ou d’une dictée psychique.

Précédé d’une épigraphe du poète romantique anglais Young, qui en oriente l’interprétation
vers une vision mélancolique du rêve conduisant vers la mort, « L’Aube impossible » évoque
un sommeil agité et sans réveil dans une prose largement travaillée.
L’aube impossible

« Le grand enchanteur est mort, et ce pays d’illusion s’est effacé. »


Young

50
Cf. Paul Verlaine, « Mon rêve familier », Poèmes saturniens, 1866. On peut aussi penser au poème de Desnos,
« J’ai tant rêvé de toi », Corps et bien, 1930.

280
C’est par une nuit comme celle-ci que je me suis privé du langage pour
prouver mon amour et que j’ai eu affaire à une sourde.
C’est par une nuit comme celle-ci que j’ai cueilli sur la verdure
perpendiculaire de framboises blanches comme du lait, du dessert pour cette
amoureuse de mauvaise volonté.
C’est par une nuit comme celle-ci que j’ai régné sur des rois et des reines
alignés dans un couloir de craie ! Ils ne devaient leur taille qu’à la perspective
et si les premiers étaient gigantesques, les derniers, au loin, étaient si petits que
d’avoir un corps invisible, ils semblaient taillés à facettes.
C’est par une nuit comme celle-ci que je les ai laissés mourir, ne pouvant
leur donner une ration nécessaire de lumière et de raison.
C’est par une nuit comme celle-ci que, beau joueur, j’ai trainé dans les airs
un filet fait de tous mes nerfs. Et quand je le relevais, il n’y avait jamais une
ombre, jamais un pli. Rien n’était pris. Le vent aigre grinçait des dents, le ciel
rongé s’abaissait et quand je suis tombé, avec un corps épouvantable, un corps
pesant d’amour, me tête avait perdu sa raison d’être.
C’est par une nuit comme celle-ci que naquit de mon sang une herbe noire
redoutable à tous les prisonniers.
Comme l’exemple précédent, ce texte est particulièrement structuré : l’anaphore « C’est par
une nuit comme celle-ci que… » qui ouvre chacun des six paragraphes impose un rythme et
organise la progression du récit en une sorte d’errance du poète-rêveur, à travers une « verdure
perpendiculaire » et un « couloir de craie », dans un univers menaçant et mortifère. La lyrique
amoureuse y prend des accents macabres et désespérés, qui font du rêve le jumeau de la mort,
ainsi que le veut la mythologie grecque51. Comme dans le texte intitulé « Je tourne sans
cesse… », le rêveur s’y trouve confronté à une femme sourde et face à laquelle il est « privé du
langage pour prouver [s]on amour ». La privation du sens de l’ouïe met en exergue celui de la
vue. Les éléments insolites (« framboises blanches comme du lait ») et les illusions d’optique
(rois et reines de tailles inégales à cause d’un effet de perspective) concourent à créer une
atmosphère merveilleuse et menaçante à la Lewis Carroll.
Si le texte semble inspiré par un rêve, il est loin d’adopter les traits stylistiques du récit de
rêve transcrit au saut du lit. L’indice le plus probant du travail d’esthétisation appliqué à cette
matière onirique est sûrement la répétition insistante, comme l’écho d’un fantôme resté hanter
les lieux, de la tournure emphatique rappelant le contexte nocturne. En effet, dans le récit de
rêve, le narrateur ne prend pas la peine d’identifier son texte en tant que rêve mais recourt le
plus souvent à des attaques in medias res, sans installer le cadre onirique. « Il suffit de
commencer par ces mots : « J’ai rêvé que… » pour enlever tout intérêt au récit52. », met en garde
Franz Hellens. Aussi la précaution, six fois répétée, de le situer dans une nuit qu’on imagine

51
Dans la mythologie grecque, Hypnos, le sommeil, est le frère jumeau de Thanatos, la mort.
52
Franz Hellens, La Vie seconde, Albin Michel, 1963, p. 106.

281
exceptionnelle rompt instantanément l’immersion onirique et l’illusion propre au genre.
Identifier le rêve, c’est avouer ne plus y être.
D’autres textes du recueil, comme « Je vois ses mains », à la lecture, sont plus complexes à
classer dans l’un ou l’autre genre, notamment en raison de la densité des images. L’isotopie de
la nature et la métaphore du feu se mêlent pour évoquer les mains de l’être aimé qui réaniment
le monde et le cœur de celui qui les contemple.

Je vois ses mains retrouver leur lumière et se soulever comme des fleurs
après la pluie. Les flammes de ses doigts cherchent celles des cieux et l’amour
qu’elles engendrent sous les feuilles, sous la terre, dans le bec des oiseaux, me
rend à moi-même, à ce que j’ai été.
Ce mouvement de renaissance est cependant très vite interrompu par un moment réflexif dans
lequel le poète s’interroge sur son geste :

Quel est ce portrait que je compose ? La vie dont je l’anime, n’est-ce pas ma
mémoire reconquise, tous mes désirs anciens, mes rêves inconnus, toute une
véritable force blanche que j’ignorais, que j’avais oubliée ?
Cet instant d’abandon aux pouvoirs du sommeil et de ses images insolites est aussitôt ressaisi
par la conscience du poète. Les questionnements métapoétiques (sur le processus créatif) et
métapsychiques (sur la réminiscence à l’œuvre) suspendent le charme de la vision pour laisser
place à l’introspection, peu inconciliable avec l’immersion onirique.
Des trois exemples analysés, nous pouvons tirer des procédés d’écriture incompatibles
avec le récit de rêve tel que le revendiquent les surréalistes. Les effets de structure, notamment
appuyés sur des répétitions (systématique comme les anaphores ou plus locales et produisant
des effets de boucles) viennent contrecarrer le déroulement arbitraire et le plus souvent
chaotique attendu dans un récit de rêve ; l’utilisation des temps du passé à l’aspect accompli
(passé composé) ou itératif (imparfait) là où le récit de rêve privilégie les aspects inaccompli et
du présent, l’identification explicite du contexte onirique contraire au doute entretenu par le
rêve et la prise de recul réflexive – en particulier métapoétique – sont autant d’indices
stylistiques qui conduisent à écarter l’hypothèse de lire un récit de rêve.
Éluard, en cherchant à sauver le poème d’une indifférenciation avec les textes
automatiques, nous permet d’affermir notre définition du récit de rêve. Si l’idée d’une
supériorité du poème, acquise par le travail du langage qu’il requiert, est scandaleuse pour
Breton, ce travail est pourtant bien sensible à la lecture et permet de discerner les textes. Alors
que travail formel et récit de rêve semblent incompatibles pour Éluard, Yourcenar invente une
modalité dans le travail formel la travail stylistique s’impose sans dénaturer l’essence du récit
de rêve, en se mettant au service de l’authenticité.

282
4.2.2. LES RÊVES-TABLEAUX DE YOURCENAR

Un problème de dénomination
On trouve chez Marguerite Yourcenar une difficulté similaire à celle pointée par Éluard
dans la désignation générique de ses textes. Pour nommer les narrations oniriques recueillies
dans Les Songes et les sorts (1938), à la fois authentiques et pourtant bien marquées par un
effort stylistique, l’auteure ne semble s’accommoder ni de l’expression « récits de rêves »,
qu’on ne retrouve d’ailleurs pas sous sa plume car certainement trop marquée par la visée
surréaliste, ni de l’appellation « poèmes en prose », résolument tournée vers l’invention pure.

Il s’en est suivi que pour le lecteur non averti les transcriptions très
authentiques de rêves que contiennent Les Songes purent paraître à première
vue de simples récits ou poèmes en prose imitant les procédés du rêve, plutôt
que ce qu’ils sont, le compte-rendu d’aventures nocturnes authentifiées. (SS,
1611)
Les affiliations génériques, voulues par l’auteure d’une part, et reconnues par le lecteur d’autre
part, ne paraissent pas pouvoir converger. Si l’intention est la même que celle dont était chargé
le récit de rêve surréaliste – restituer un vécu onirique authentique par « un compte rendu
d’aventures nocturnes authentifiées », tout en faisant l’effort de donner à voir au lecteur une
expérience éprouvée dans sa justesse –, la différence formelle évidente entre les textes
yourcenariens et les productions surréalistes entretient un écart qu’une nomination commune
ne paraît pas pouvoir résorber. Le terme de « poème en prose » – que l’auteure prend soin de
faire aussitôt précéder de l’adjectif simple, comme pour mieux le discréditer – est aussitôt écarté
à cause du contre-sens auquel il conduirait infailliblement. Faisant primer le travail stylistique,
formel, sur le souci de véridicité, l’authenticité des contenus narrés, il conduirait à considérer
les textes comme de pâles et laborieuses copies de rêves, arrachées au prix d’un travail de
mimesis grossier, quand ils revendiqueraient l’originalité de ces œuvres uniques.
La recherche de l’authenticité, pour Yourcenar, ne passe résolument pas par les mêmes
choix poétiques que pour les surréalistes. Alors qu’elle impliquait, théoriquement, chez Breton,
l’absence de retouches et l’emploi du style le plus dépouillé, elle commande, chez Yourcenar,
un souci de précision maximale pour restituer une vérité du rêve, aussi bien dans son intensité
que dans sa complexité.

Le fait que chacun de ces récits pourrait aussi bien constituer un poème en
prose ne doit pas faire illusion. Il ne s’agit en aucun façon d’un effort de poétiser
ou d’embellir la brute réalité du rêve mais au contraire de cette tentative presque
désespérée, que tout grand rêveur connaît bien, pour arriver à rendre dans les
mots quelque chose de l’intensité de la couleur, de la complexité des émotions,

283
de la variété des actions du songe. À la limite, tous les mots du langage ne
seraient pas de trop pour serrer de plus près la réalité d’un seul rêve. (SS, 1626)
L’incompatibilité de la matière onirique – imprévisible et incongrue – et de l’outil langagier –
aux ressources limitées –, déjà déplorée par tous les écrivains qui se sont essayés à mettre leurs
rêves en mots, trouve dans ces lignes une nouvelle expression. Si le travail sur le langage est
ici reconnu comme nécessaire pour faire passer le rêve le plus justement possible, il se trouve
pris en étau entre deux périls : d’une part, le risque de trahir la vérité du songe par une
poétisation excessive et quelque peu gratuite, d’autre part, l’écueil d’une narration trop sèche
ou lapidaire qui, pour être plus brute, ne rendrait rien de la richesse des visions oniriques. Aussi,
la recherche de l’expansion expressive la plus complète n’est pas, pour Yourcenar, à
comprendre comme un luxe de détails insignifiants mais comme un outil au service d’une
représentation et d’une transmission, voire d’une immersion, plus justes.

Mais dès qu’on veut décrire les couleurs du rêve, on est forcé de faire plus
qu’une phrase linéaire : je me promenais dans un jardin. Il faut décrire le jardin
avec toutes les couleurs parues en songe ; c’est par manque de capacité à
ramener à la vie tous les détails que la plupart des rêves racontés sont très nuls.
Il y a des rêves médiocres, certes, mais il y a de très beaux rêves, qui sont de
même nature que les visions. Il y a des rêves stupides, sottement littéraires, dans
lesquels on se raconte toute une histoire qui ne vaut pas mieux qu’un roman
policier : on rêve, mettons, qu’on a perdu son passeport, qu’on a rencontré un
monsieur obligeant qui vous a prêté le sien ; qu’il a fallu ensuite changer les
timbres officiels ou la photographie, trouver une boutique de photographe. Le
photographe se révèle être aussi vétérinaire ou cordonnier ; d’ailleurs ce n’est
pas un passeport qu’on avait perdu, c’est un catalogue d’exposition…
Ces rêves-là sont très verbaux ; on s’entend parler et même bavarder53.
L’opposition entre la vision, statique, et l’action, exemplifiée par le genre du roman policier,
n’est pas anodine : Yourcenar propose ainsi de faire passer le récit de rêve d’un régime proche
de celui de l’anecdote, dans lequel l’accent était mis sur la succession des actions, à un régime
beaucoup plus descriptif. La description « frappée d’inanité dans le Manifeste du
surréalisme54 », pour reprendre l’expression même de Breton, s’impose ici comme régime
privilégié de la restitution du rêve, seule apte à rendre la précision nécessaire à l’immersion.

53
Marguerite Yourcenar, « Des rêves et des drogues », Les Yeux ouverts (1980), entretiens avec Matthieu Galey,
Bayard, coll. « Littérature », 1996, p. 112.
54
André Breton, Nadja, OC I, op. cit., p. 646. L’argument était déjà développé dans le Manifeste de 1924 : « Et
les descriptions ! Rien de comparable au néant de celles-ci […]. Cette description de chambre, permettez-moi de
la passer, avec beaucoup d’autres. » Manifeste du surréalisme, OC I, p. 314-15.

284
Une expérience sensible totale : synesthésies et analogies
L’esthétique adoptée par Yourcenar dans ses récits de rêve est ainsi marquée, plus que
toute autre, par l’expansion, laquelle, en donnant plus d’importance et de volume aux groupes
nominaux, et moins aux verbes, a tendance à ralentir la progression du récit, voire à le réduire
à pure description. L’incipit de « L’eau bleue » donne à entendre les éléments de ce pas de côté.
En énonçant, par la négative, les éléments habituels du récit de rêve, Yourcenar ne fait
qu’affirmer combien ses textes se distinguent d’un archétype plus narratif :

C’est à peine un rêve : cette vision tout d’une pièce, tout d’une couleur,
échappe aux conventions nocturnes : pas d’affabulation, pas de changements à
vue, pas de personnages, pas de péripéties, aucun des trucs de coulisses du
songe. (SS, 1559)
Si ce récit de rêve ne présente en effet nulle action mais une simple sensation de flottaison puis
de remontée à la surface qui procure à la rêveuse une joie intense, il fait une large place à la
description, et ce en faisant appel aux différents sens, et à la synesthésie. La rêveuse y évoque
une « joie physique limpide », décrit une sensation de « froideur immaculée », mais c’est
surtout lorsqu’il s’agit de commenter la mise en mots de ce souvenir onirique que les
synesthésies se font les plus riches : « […] les mots d’aigue-marine et de saphir sont opaques
et lourds comparés à ces précieuses couches liquides », « Je respire sans suffoquer cette eau
transparente comme le vide et comme le ciel, et ce bonheur qui ne peut s’exprimer par des
paroles devrait se traduire ici par une série d’arpèges bleus. » (SS, 1559)
L’immersion du lecteur dans le rêve, doublement visée dans le cas de ce rêve de
baignade, en passe ainsi par la convocation de tous les sens, point sur lequel elle revient dans
ses dernières notes personnelles :

Un rêve pour conserver sa saveur doit être raconté longuement, sans rien
omettre des couleurs, des formes, plus rarement des sons et des odeurs qui en
font ce rêve particulier, unique. La plupart des récits que nous font à l’heure du
déjeuner du matin des gens de notre entourage encore à demi ensommeillés
distillent un mortel ennui parce qu’on ne nous offre du rêve qu’un résumé
insipide. Dans ce monde fou et sage, futile et dramatique du rêve, tout compte,
et le rêveur se doit non seulement de tout dire, mais de faire parvenir jusqu’à
nous l’atmosphère dont son rêve l’a enveloppé. Il ne doit pas renoncer même à
une feuille morte qui en rêve lui a collé à la plante du pied et qu’il s’est étonné
de ne pas retrouver entre ses draps au réveil. C’est ce que j’ai essayé de faire,
même si ces rêves ainsi méticuleusement racontés prennent un air de conte ou
de poème, qu’ils avaient en réalité durant le songe. (SS, 1628-29)
Pour donner forme et consistance au rêve, sont associés le goût, la vue, l’ouïe et l’odorat. Si le
toucher n’est pas mentionné dans ces dernières lignes, les exemples précédents ont assez montré
sa présence dans les textes pour faire du songe yourcenarien une expérience sensible totale. Les

285
rêves du recueil font ainsi mention de « nuance fugitive » ou de « pâleur acide » pour qualifier
des collines, ou expriment « la suavité silencieuse » d’un paysage.
C’est dans « Les Chevaux sauvages » que l’auteure s’explique davantage sur les raisons
profondes de ses choix esthétiques :

Les rêves les plus compliqués sont courts ; ou plutôt, ils ne sont ni longs ni
brefs, ils se déroulent loin du temps. Par contre, toute description fidèle d’un
rêve ne peut être que minutieuse et lente, puisqu’il s’agit d’accumuler les mots
qui permettront au lecteur de soupeser l’impondérable, de s’introduire par le
détour d’analogies souvent bien lointaines au sein même d’un monde étranger,
de s’acclimater enfin chaque fois à l’atmosphère, à l’odeur neuve et bizarre du
songe. (SS, 1575)
Puisqu’il se donne pour ambition première de transmettre au lecteur une atmosphère complète,
plutôt qu’un contenu rigoureux, le récit de rêve yourcenarien peut se nourrir d’éléments qui lui
sont étrangers. Soit par rapprochement, soit par opposition, ils permettent de faire approcher au
lecteur une expérience qui toujours lui restera inaccessible (car éminemment personnelle et
forclose dans l’intimité d’un psychisme) mais qui pourtant aura quelques points communs avec
des instants déjà vécus. C’est là un point qui le distingue radicalement des récits de rêves
surréalistes qui, totalement centrés sur le contenu du rêve, et rien que sur lui, ne tolèrent
absolument pas qu’on y mentionne quelque analogie extérieure que ce soit.
Un parfait exemple de cet emploi massif de l’analogie nous est donné par le récit le plus
court du recueil, « La Lépreuse » (SS, 1594). Comme dans l’exemple précédent, l’action cède
la place à la sensation, et le rêve est entièrement consacré à la décomposition (ressentie) d’un
bras55, nécrosé par la lèpre. Aussi, la caractérisation du rêve par sa couleur, à la première phrase
du récit, est aussitôt contrebalancée par une longue description, dans laquelle le membre se
trouve comparé à divers matériaux et êtres vivants.
La Lépreuse

C’est un cauchemar blanc. Je rêve que mon bras gauche est couvert de lèpre,
une lèpre épaisse et scintillante comme une croûte de sel. Mon bras gonflé ne
me fait pas mal, mais il me répugne comme un animal malade auprès de qui je
devrais coucher. Et ce bras monstrueux, devenu gigantesque, s’effrite comme
du marbre, fond comme de la neige, se décompose comme une pâte molle, et
me laisse enfin pareille à une de ces statues des parcs royaux de France ou de
Bavière, moisies par la pluie, amputées par les émeutes, qui continuent
d’esquisser courageusement un geste inefficace, avec à côté d’elles, dans
l’herbe, leurs mains pourries oubliées comme une paire de gants. Et je
ressemble aussi à ces mendiants terribles des bazars du Levant qui sortent tout
à coup d’un veston européen une épaule nue d’où pend un bout de chair morte,
pour bien montrer qu’ils sont plus pauvres que les pauvres, et que Dieu a mis
entre le travail et leur bonne volonté le malheur, comme une interdiction. Mon

55
Les rêves de perte de membre (bras ou jambe) comptent parmi les rêves typiques, bien identifiés par la littérature.

286
bras détruit s’écroule sur le sol et forme une marre où le pus goutte à intervalles
réguliers, comme l’eau d’une clepsydre. Je sens que cette pourriture est sacrée,
qu’elle est à la fois un châtiment et un signe. Et, comme les enfants qui se sont
coupé le doigt, et qui sucent le sang pour que rien ne se perde, je tire de la poche
de mon manteau de voyage une cuillère d’aluminium, et je bois l’eau de cette
mare, comme si je communiais avec ma corruption. (SS, 1594)
En un seul paragraphe, ce texte ne compte pas moins d’une douzaine de comparaisons,
introduites par « comme », « pareille à » ou par la locution verbale « je ressemble à », et qui
convoquent aussi bien le règne animal que minéral, la jeunesse des enfants que la vieillesse des
mendiants, et puisent dans les références culturelles de l’Europe occidentale aussi bien que de
l’Orient. Pour dire la perte, les nombreuses analogies concourent à transformer ce rêve
d’amputation, somme toute assez banal, en un cauchemar saisissant par l’assemblage
monstrueux qu’il effectue.
Ailleurs, la synesthésie est déplacée pour suggérer au lecteur de faire appel, non plus à
des sensations éprouvées dans son expérience sensible du monde mais partagées par des
souvenirs de lecture :

Cette lande qui aurait pu n’être qu’un coin de parc public en Angleterre,
consacré aux évolutions des soldats en manœuvre et au sommeil amoureux des
couples du dimanche, rappelait par une nuance de gris sinistre la plaine déserte
où rôde le vieux roi Lear avant que l’orage éclate, et que la lueur des éclairs ne
vienne illuminer brusquement pour lui le paysage de son malheur. Cette
allusion, qui ne paraît à première vue qu’un embellissement littéraire, peut seule
m’aider à évoquer l’impression de solitude et de fuyante majesté que me
donnaient ces espaces tout horizontaux et tapissés de bruyères ; elle ajoute une
couche à leur couleur d’automne. (SS, 1576)
Yourcenar use, dans un savant tissage, des ressources et références littéraires et picturales pour
mieux entrainer son lecteur dans les profondeurs abyssales d’un rêve à plusieurs fonds. Alors
que la remarque sur la couleur grise était déjà un détour par l’esthétique picturale pour rendre
plus vive au lecteur l’image de cette lande, elle engendre une référence littéraire à la pièce de
Shakespeare, laquelle n’est en fait là que pour transmettre un sentiment que la dénotation de la
couleur seule ne semblait pas pouvoir porter.

Le musée des rêves retrouvés : tableaux, ekphrasis et chromatisme


Les paysages oniriques sont ainsi particulièrement travaillés. Ils font l’objet de longues
descriptions, remarquablement riches en notations chromatiques. Dans « Les clefs de l’église »,
la quête d’un trousseau s’interrompt pour laisser place à un paragraphe descriptif consacré à la
vue qui s’offre aux trois personnages.

287
Le ciel, grisâtre jusqu’ici, s’est peu à peu imprégné à notre insu d’une
miraculeuse couleur de rose. Tout l’horizon rappelle la nuance défaillante et
pourtant intense du vin rosé, ou d’une hostie miraculeuse qui se préparerait à
saigner. La terne rivière a adopté cette même teinte de rose, et la différence
entre le ciel et l’eau n’est pas une différence de nuance, mais de substance
plutôt, comme celle qui existe entre la moire et le velours. De l’autre côté du
fleuve, là où ne s’élevait tout à l’heure qu’un amas de constructions grises, l’œil
aperçoit maintenant une rive infinie, touchée du même rose prestigieux, et cette
étendue presque plate monte en modulations insensibles jusqu’à une colline qui
domine la rivière, et que hérisse un étrange entassement d’édifices aériens aussi
roses que le ciel. Des remparts, des palais, des églises, des galeries ajourées,
des tours, et des remparts encore se dessinent sur l’espace sans bornes et, dans
cette ville automnale qui faisait plutôt penser à un Bruges, à un Harlem
brumeux, ces palais doucement étagés se dressent soudains comme une sorte
de Hraschin ou de Kremlin sublime et tendre, et tels qu’on n’en voit qu’en rêve,
ou dans les tableaux hallucinés des anciens peintres. (SS, 1557)
La métamorphose du paysage qui, en lieu et place d’un « amas de constructions grises » laisse
surgir un palais d’Europe de l’est, à la faveur d’un coucher de soleil flamboyant, permet surtout
à la narratrice de poser l’analogie entre rêves et tableaux, et de s’inscrire par là-même dans une
esthétique picturale.
En effet, le récit de rêve adopte volontiers, sous la plume de Marguerite Yourcenar,
l’esthétique du tableau. Le terme, bien sûr emprunté à la peinture, cherche à rendre
« l’esthétique picturale et la stase qu’elle suppose56 » pour qualifier une « description vive et
animée57 ». Fontanier, dans Les Figures du discours, l’emploie lorsque la vie qui se dégage
d’une description dépasse pour lui la puissance de figuration mimétique du langage pour
atteindre à la précision de la peinture : « l’exposition de l’objet y est si vive, si énergique, qu’il
en résulte dans le style une image, un tableau58 ». Le tableau confère à son objet non seulement
une unité visuelle et sensible mais encore une impression de vie qui explique son emploi
privilégié dans le domaine dramatique et qui faisait dire à Diderot : « une disposition des
personnages sur la scène, si naturelle et si vraie que, rendue fidèlement par un peintre, elle me
plairait sur la toile, est un tableau59 ».
Le terme est d’autant plus évocateur, pour qualifier les textes de Marguerite Yourcenar,
que le référent pictural est souvent convoqué par l’auteure. Dans Le Temps, ce grand sculpteur,
après avoir évoqué les rêves de Léonard de Vinci, de Dante et de Jérôme Cardan, elle s’attarde

56
Emmanuel Bury, « Tableau », Lexique des termes littéraires, Michel Jarrety (dir.), Le Livre de poche, 2001,
p. 435
57
Bernard Vouilloux, La Peinture dans le texte. XVIIIe – XXe siècles, CNRS, coll. « Langage », 1995, p. 49.
58
Pierre Fontanier, Les Figures du discours, Flammarion, coll. « Champs », 1977.
59
Denis Diderot, Entretiens sur le fils naturel (1757), dans Œuvres, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade »,
1952.

288
sur le manuscrit d’un récit de rêve laissé par Dürer60. C’est non seulement le texte mais encore
et surtout le lavis qui l’accompagne qui retient son attention :

Le paysage semble écrasé d’avance sous les coulées bleu sale qui tombent
verticalement du ciel ; la terre et l’eau déjà déversée se mélangent en un brun
boueux et un glauque trouble ; s’il fallait absolument identifier ce lieu à un
endroit quelconque du monde, on penserait à la plaine lombarde, que Dürer a
plus d’une fois traversée, à cause de ces quelques arbres clairsemés, vaguement
présents dans une atmosphère de catastrophe, mais qu’on sent plantés et peut-
être taillés de main d’homme. Très loin, rapetissés par la distance, à peine
visible au premier regard, quelques bâtisses brunâtres se pressent au bord d’un
golfe, prêtes, à ce qu’il semble, à retourner à l’argile. Ce qui va être détruit n’est
pas particulièrement beau. (SS, 319-320)
La description s’attarde sur les couleurs et les matières avec une précision qui n’étonne
nullement dans ce contexte artistique. Cependant, si la description littéraire du paysage onirique
est ici médiatisée par le croquis du peintre, elle n’en ressemble pas moins à celles qui figurent
dans Les Songes et les sorts, où sont décrits les paysages parcourus en rêve par l’auteure elle-
même.
Aussi, les récits de rêve de Yourcenar sont-ils marqués par le recours massif à la figure
de l’ekphrasis, et ce dans son double sens : les rêves peuvent explicitement contenir des
tableaux, et leur récit se muer ainsi en description d’œuvres d’art, mais cette esthétique peut
aussi déborder largement ce cadre strict pour contaminer l’ensemble des textes du recueil,
lesquels proposent des descriptions détaillées dont la précision tend à faire croire au lecteur
qu’ils sont sous ses yeux. « Si nous avions à notre disposition des recueils, des musées du rêve,
nous pourrions sans doute constater l’existence de Delacroix, de Léonard de Vinci, de Watteau
du monde des yeux fermés. » (SS, 1535), précise-t-elle dans la préface pour illustrer ce qu’elle
entend par des « dormeurs de génie qui rêvent chaque nuit avec sublimité ». C’est dire combien
la peinture tient pour elle une place essentielle au sein de l’ensemble des arts.
Le rêve inaugural du recueil, qui endosse par cette position la double fonction
d’ouverture et de guide de lecture, est à cet égard particulièrement éloquent. La rêveuse y visite
une cathédrale où elle rencontre une chaisière qui lui présente une à une des toiles contenues
dans un carton. « Les visions dans la cathédrale » constitue ainsi une habile mise en abyme de
ce que sera tout le recueil : une exposition de tableaux oniriques.

Les peintures qu’il contient se succèdent sous mes yeux sans que je sache
comment elle les fait défiler devant moi. […] J’ai l’impression que l’image du
dessous, le moment venu, émerge à la surface et se superpose d’elle-même à
l’image précédente, sans confusion, sans secousse, un peu à la façon des larges

60
Marguerite Yourcenar, « Sur un rêve de Dürer » dans Le Temps, ce grand sculpteur, dans Essais et Mémoires,
op. cit., p. 317.

289
vues qui couvrent l’écran au cours d’une séance de projection, et c’est comme
si des coins de campagne, de chambres ou d’espace céleste s’étaient subitement
insérés dans la cathédrale crépusculaire. (SS, 1544)
La succession des tableaux annonce la composition même du recueil, constitué d’une
succession de scènes plus ou moins arrêtées, comme autant d’œuvres picturales que l’auteure
passerait en revue dans son musée onirique personnel. La cathédrale se mue ici en salle de
projection onirique, dans laquelle un rétroprojecteur ou une lanterne magique ferait se succéder
les paysages et les portraits.
Cette primauté accordée au visuel est finalement assez commune, si l’on pense à la
fortune de la métaphore photographique, puis cinématographique pour désigner le processus
onirique au cours du XXe siècle. Ce n’est pas tant par le choix du paradigme visuel que
Yourcenar se distingue que par celui du mode descriptif, qui relègue l’action au second plan.

L’insistance sur les couleurs participe largement de cette esthétique de l’ekphrasis.


Quelques rêves sont caractérisés par leur couleur, qu’elle relève d’une impression dominante
ou qu’il s’en dégage un sentiment ensuite associé à cette nuance chromatique : « Les chevaux
sauvages » est qualifié de « rêve beige » (SS, ), « L’eau bleue » est un rêve bleu (SS, ), « La
Lépreuse » un « cauchemar blanc » (SS, ). Sans doute s’agit-il là de ce que Yourcenar nomme
des « rêves lyriques, ou hallucinés » dont se dégage selon elle « une certaine intensité des
couleurs, une impression de solennité et de raréfaction mystérieuses, où il entre presque de la
terreur, et quelque peu d’extase, et que seul le mot anglais awe traduit de la façon la plus
appropriée possible » (SS, 1539-40). Mais plus largement, les nuances font l’objet de notations
très précises : telle prairie « n’est pas verte ; elle est mauve, ou plutôt violette, car l’herbe a été
envahie et remplacée par les colchiques de l’automne. » (SS, 1544), une autre est « une vaste
plaine vert pâle, du vert attendrissant de l’herbe en croissance » (SS, 1545), quand une pierre
est « indéfinissablement blanche, de ce blanc qui hésite entre le jaune et le gris, et qui
n’appartient qu’aux marbres souvent exposés à la pluie et quelquefois au soleil, et aux visages
décolorés des malades à leur déclin. » (SS, 1545)
L’incomplétude ou la mention brute des éléments du rêve sans autre étayage pour porter
l’imaginaire du lecteur paraît si inconcevable à Marguerite Yourcenar qu’elle peut pousser le
souci du détail jusqu’à l’énumération de points qui sont pourtant absents de la scène à se
représenter, comme dans le premier paragraphe des « Visions dans la cathédrale » (SS, 1543).

Je suis debout dans le transept d’une église. Quelle église ? Une cathédrale
gothique de moellons gris, Chartres, Lausanne, Canterbury peut-être, une haute
futaie de pierre dénudée de statues, de vol d’oiseaux, de vol d’anges, sans

290
broussailles ornementales givrées d’argent ou roussies de fils d’or, sans
retombées de tapisseries flottantes, sans rien des somptuosités étouffées de
Saint-Etienne de Vienne, sans rien non plus de l’encombrement de cadavres
sculptés dans du marbre poli comme le plus pur ivoire, qui fait de Westminster
un hangar construit sur le Léthé. Une cathédrale nue. […] Une cathédrale où on
ne célèbre pour le moment aucun office, une cathédrale sans musique, sans
encens, sans cierges mais aussi sans ténèbres asphyxiantes, une cathédrale
baignée d’une claire pénombre qui semble suinter des pierres, et qui s’aggrave
doucement dans le lointain des perspectives. (SS, 1543)
Cette description par le négatif dit plutôt ce que cette cathédrale n’est pas que ce qu’elle est.
L’imprécision du début, qui hésite à situer l’édifice religieux, fait suite à une succession de
mentions d’absence. La description ne s’arrête donc pas sur ce qui apparaît là et compose le
décor de cette cathédrale, dans une version fantasmée de l’édifice. Aussi, la description onirique
forgée par Yourcenar semble-t-elle être en lutte contre les représentations toutes faites et
partagées par une communauté de lecteurs, mais qui, loin de coïncider avec les contenus
oniriques que l’auteure cherche à transmettre, s’interposent en fait comme autant d’écrans.

Marguerite Yourcenar propose une façon de narrer les rêves en tout point contraire à
celle qu’avaient systématisée les surréalistes, et dans laquelle elle percevait les signes d’un
figement dans un genre littéraire naissant. Dans ses notes personnelles, ses mots sont assez durs
à l’égard de ses contemporains :

Le surréalisme s’est beaucoup occupé du rêve. Peu utilement, du moins


selon moi. C’est qu’un poète comme Breton a choisi d’aimer le rêve presque
superstitieusement, presque mystiquement si l’on veut, de l’honorer pour ses
confusions, ses mystères, sa nuit noire, son absurdité encore plus profonde que
celle de la vie elle-même, d’être son dévot et non son explorateur, ce Vasco de
Gama ou ce Colomb du songe qui manque encore, et qui un jour dressera la
carte des régions nocturnes. Le rêve pour le surréalisme est devenu (horresco
referens !) un genre littéraire, et les symboles oniriques une partie de l’attirail
de l’école, tout comme les chiens dévorants pour les imitateurs de Racine. (SS,
1611-12)
L’auteure voit dans ces pratiques d’écriture soumises à des règles contraignantes une école du
rêve, dispensant une certaine approche, nourrie des théories freudiennes, avec son maître et ses
disciples convertis, et dans laquelle il n’y aurait finalement pas de voix dissonante qui tienne.
Faire du rêve un genre littéraire, c’est pour elle aller contre la dynamique de découverte qui lui
avait été assignée ; c’est refaire toujours le même là on l’on s’était promis, justement, de faire
du différent, c’est enfermer l’imprévu et l’inédit dans les rouages écrasants d’une mécanique
onirique purement formelle, coupée de son expérience fondatrice. À l’automatisme irréfléchi,
elle oppose la minutie mûrement pesée ; au hasard, la force du destin ; aux sommeils provoqués
(et peut-être simulés), les rêves naturels ; aux anecdotes parfois triviales, les grands rêves

291
lyriques ; à l’aventure collective, la retraite solitaire. Aussi, le refus, formulé par Yourcenar,
d’assigner le rêve à un genre littéraire, de concevoir que son récit pourrait adopter des
caractéristiques formelles fixes, est-il à comprendre, non seulement comme la crainte d’en faire
le prétexte d’une création poétique et de perdre ainsi de vue son intention première
d’authenticité, mais encore de détourner le dynamisme propre au caractère imprévisible du rêve
et, par-là, de le trahir.
Marguerite Yourcenar construit avec Les Songes et les sorts un modèle de représentation
littéraire du rêve qui constitue une sorte d’hapax du récit de rêve, tant l’esthétique qui est la
sienne tranche radicalement avec celle de ses contemporains et, plus généralement, avec
l’ensemble des propositions offertes par le XXe siècle. Paradoxalement, et alors qu’elle insiste
pour faire primer l’objectif d’authenticité sur la poéticité de ses textes, le choix de l’ut pictura
poesis lui permet de proposer une réponse originale, mais anachronique, à quelques-uns des
problèmes posés par la représentation littéraire du rêve. Face aux récits troués, fragmentés ou
incohérents, elle expose la complétude du tableau et donne à lire des œuvres achevées et closes
sur elles-mêmes. Elle donne ainsi à percevoir, dans la progressivité inhérente à la lecture,
l’instantanéité de la perception onirique, que la simultanéité frénétique et agitée des narrations
saturées d’actions ne pouvaient que singer maladroitement. Plus qu’ailleurs, le narrateur (et
rêveur) y est mis en situation de spectateur.

Récit de rêve et poème en prose


Cependant, derrière ces déclarations d’intention, et quoi qu’en disent leur auteure,
s’esquissent tout de même des textes qui présentent de nombreux points communs avec le
poème en prose. Le choix de la modalité descriptive, le soin avec lequel sont déployées les
analogies, la précision dans les termes employés pour décrire les scènes et jusqu’au traitement
pictural des souvenirs oniriques, tout, dans ces courtes narrations, exhibe la littérarité et le
travail maîtrisé du texte. Plus encore, le cadre de l’ekphrasis les inscrit dans une émulation du
discours, où le littéraire doit se hisser à la vivacité du pictural61.
Plus largement, la question d’une possible analogie entre récit de rêve et poème en prose
n’est pas due qu’à une lacune de la taxinomie littéraire bien en mal de nommer ce genre inédit.
Éluard a beau instaurer une distinction nette entre les deux formes, Yourcenar se défendre
farouchement de faire de ses rêves des poèmes, c’est toutefois de ce modèle que le récit de rêve

61
Sur ce point, voir Bernard Vouilloux, La Peinture dans le texte. XVIIIe - XXe siècles, CNRS, 1994, (rééd. 2005).

292
est le plus souvent rapproché. Même Perec doit se résigner à accepter une certaine duplicité de
ses textes, à la fois rêves et poèmes :

Finalement, ils sont devenus pour moi des poèmes, c'est-à-dire des textes
littéraires qui ont une grande sobriété, qui, avec une grande économie de
moyens, donnent l'idée de quelque chose qui appartient au domaine du rêve et
derrière lequel je suis finalement62.
L’histoire du poème en prose montre combien ce dernier a pu se nourrir du rêve. Thème
propice à l’expression de « l’expérience intérieure63 », il est présent dès la naissance du genre
dans le Gaspard de la nuit d’Aloysius Bertrand64. Suzanne Bernard65 caractérise le poème en
prose selon trois critères : la brièveté, l’unité et la gratuité. Si les deux premiers sont sans
conteste également partagés par le récit de rêve, le troisième est celui qui pourrait le plus
nettement distinguer les deux formes. Le récit de rêve, lorsqu’il est mis au service de la
connaissance ou de l’introspection, c’est-à-dire tant qu’on lui prête une certaine référentialité
dans un monde psychique, n’est pas totalement gratuit.
Pour compléter la comparaison et achever de montrer ce qui unit ces deux genres si voisins,
nous pourrions ajouter quelques-unes des caractéristiques du poème en prose mises en avant
par Yves Vadé66 : les effets de structure et de métamorphoses et sa capacité à accueillir les jeux
de langage. Dans ces deux formes, une grande importance est donnée à la découpe et aux effets
qui y participent : si la strophe est sûrement moins travaillée dans le cas du récit de rêve, les
effets de clôture et de bouclage y sont très fréquents. Nombreux sont ceux qui s’achèvent sur
la mention du réveil, notamment chez Leiris, où ce moment s’accompagne d’un cri, comme si
la seule échappatoire du rêve n’était jamais que la parole67. Cette clôture par le réveil peut
donner ailleurs des effet de suspension du sens comme dans un rêve d’Antonin Artaud68 qui

62
Georges Perec, « L'écriture des rêves », entretien avec Germaine Rouvre, Annexe A.
63
« Cet état fournit le point de départ de l’écriture et l’énergie qui soutient son mouvement. Le texte s’achève
lorsque cet état particulier cesse d’être appréhendé par l’esprit, en même temps qu’il est capté ou recréé par le
langage. » Yves Vadé, Le Poème en prose et ses territoires, Belin Sup, « Lettres », 1996, p. 307.
64
Dans le recueil d’Aloysius Bertrand, le rêve se retrouve encore non seulement dans le titre du 3e livre, « La Nuit
et ses prestiges », mais encore à la source d’un des poèmes : « Un rêve » dont Florence Dumora a montré tout ce
qu’il devait aux savoirs du rêve en cours au milieu du XIXe siècle dans son article « Aloysius Bertrand, Un rêve :
l’ordinaire fantastique », dans Marie Bonnot et Émilie Frémond, Rêve et fantastique, Otrante , n° 37, p. 57-70. Sur
ce poème, voir aussi les articles de Laurent Zimmermann, « Lecture d’Un rêve », dans Steve Murphy (dir.),
Lectures de Gaspard de la Nuit de Louis (« Aloysius ») Bertrand, P.U.R., 2010, pp. 311-318 et l’ouvrage dirigé
par Sylvain Ledda et Aurélie Loiseleur, Aloysius Bertrand, poétique d’un crieur de nuit, PUF, coll. « Le
XIXe siècle français », pp. 110-113.
65
« Il s'agit d'un texte en prose bref, formant une unité et caractérisé par sa “gratuité”, c'est-à-dire ne visant pas à
raconter une histoire ni à transmettre une information mais recherchant un effet poétique » Suzanne Bernard, Le
Poème en prose, de Baudelaire jusqu’à nos jours, Grenoble : Nizet, 1959.
66
Yves Vadé, Le Poème en prose et ses territoires, op. cit.
67
Dans Nuits sans nuit et quelques jours sans jour, voir les rêves des 12-13 avril 1923, 16-17 décembre 1924, 19-
20 mars 1943.
68
Antonin Artaud, « Rêve », n° 1, La Révolution surréaliste, n° 3, 15 avril 1925, p. 2.

293
thématise l’effet de chute de façon magistrale : alors qu’il est sur les ailes d’un aéroplane-
cinématographe, le narrateur glisse et tombe de son engin, attendant, mais sans certitude que
cela arrive à temps, qu’un lasso vienne le suspendre dans les airs par les jambes. Le récit se clôt
sur cette note, dont l’italique transmet tout le doute : « Je ne sus jamais si c’était arrivé. »,
rappelant ainsi l’éternelle suspension à laquelle est en proie le rêveur.
Les poèmes en prose comme les récits de rêves sont des lieux propices aux métamorphoses ;
ce qui permet, au détour d’un récit de rêve de Leiris, de voir un chat se muer en pélican avant
d’esquisser les contours d’un phénix :

Un minuscule chat gris souris affronté avec une souris (ou autre rongeur ?)
exactement de sa taille. Ces deux bestioles opposées sont en réalité un oiseau à
gros bec presque de pélican (dessiné en silhouette ou armature de fil de fer
légèrement barbu et duveteux), volatile quasi réduit à ses linéaments, et galeux,
occupé à manger son propre plumage qui vient de brûler. Image grotesque d’un
phénix devenu transparent pour s’être nourri de son propre bûcher69.
Grâce à cette propension à accueillir la métamorphose et la fluidité des êtres, la condensation
et la densité des images, caractéristiques du poème en prose, se retrouvent dans certains récits
de rêves, surtout lorsqu’ils reposent sur un jeu sur les mots ou qu’ils illustrent un calembour.
Ce peut être le cas chez Béalu, ou avant lui, chez Leiris où une paronomase peut se donner
comme clé de lecture :

Je lis, j’entends ou j’articule ces mots, comme un titre ou une sentence dont
le sens se suffit et qui n’a besoin de nul complément :
L’œil charnois.

Charnière du regard en tapinois, l’œil charnu, doux comme une peau de


chamois ? (NNJJ, 64)
Reste que ce qui fait l’essence du poème en prose, pour Yves Vadé, à savoir son usage
de la fonction poétique du langage, « la priorité donnée au message en tant que tel », « la marge
qui entoure le texte, l’isolant de tout discours purement référentiel et transitif, et le constituant
en objet autonome70 », est précisément ce qui creuse l’écart avec le récit de rêve. Ce dernier
donne la priorité au référent quand le poème en prose déploierait plutôt la fonction poétique du
langage.

69
Michel Leiris, « rêves », Cahiers GLM, 1938 ; repris dans Nuits sans nuit et quelques jours sans jour, op. cit.,
p. 124.
70
Yves Vadé, Le Poème en prose et ses territoires, Belin Sup, « Lettres », 1996, p. 203. Dans la suite de la phrase,
Yves Vadé fait référence à la notion de « situation » du texte, développée par Max Jacob dans la préface du Cornet
à dés (1916). Max Jacob établit deux critères pour juger d’une œuvre : le style et la situation : « Distinguons le
style d’une œuvre de sa situation. Le style ou volonté crée, c’est-à-dire sépare. La situation éloigne, c’est-à-dire
excite à l’émotion artistique ; on reconnaît qu’une œuvre a du style à ceci qu’elle donne la sensation du fermé ; on
reconnaît qu’elle est située au petit choc qu’on en reçoit ou encore à la marge qui l’entoure, à l’atmosphère spéciale
où elle se meut. » Max Jacob, Le Cornet à dés, « Préface de 1916 », Gallimard, coll. « Poésie », 1992, p. 22.

294
Alors qu’Aragon voulait en faire un genre anhistorique, la relation d’attractivité et de
répulsion entretenue par le récit de rêve avec le poème en prose montre à quel point le rêve est
pris dans une histoire littéraire. Pour Michel Murat71, l’histoire du poème en prose serait à
envisager comme la réélaboration stylistique d’un ensemble de formes ou de genres
préexistants. L’anecdote, le fragment, l’histoire drôle, le haïku ou encore la description sont
pour lui autant de formes auxquelles le poème en prose emprunte et dont il porte la mémoire
générique, dans leurs ressources topiques comme dans leurs schèmes herméneutiques.
Reprenant le mot de Huysmans72, le critique voit dans le poème en prose un genre hybride par
excellence, « l’osmazôme » de la littérature, en tant qu’il se donne comme creuset de
concentration et lieu d’une certaine homogénéisation.
Aussi pourrions-nous ajouter le récit de rêve à la liste et concevoir le rapport du récit de
rêve au poème en prose selon cette même dynamique d’assimilation littérarisante.

Le « poème en prose » […] va de la prose à la prose : d’une prose neutre,


courante – au sens sociologique plus encore qu’esthétique de ce mot – à un
poème en prose, ce qui implique un changement de statut et un déplacement
dans le champ générique : autrement dit, la confection d’un objet littéraire. Le
poème en prose est issu d’un processus de littérarisation de structures
discursives et textuelles déjà répandues sous forme de prose : objets
paralittéraires dans certains cas, infralittéraires dans d’autres, ou formes
littéraires devenues disponibles par leur désuétude. L’instrument essentiel de
cette transformation est le travail du style73.
Dans la mesure où le poème en prose se nourrit de proses hétérogènes dont le récit de rêve
pourrait faire partie, ce n’est pas tant la proximité formelle des deux genres qui doit nous
occuper que la symptomatologie d’un tel rapprochement. Le soupçon d’étiquetage du récit de
rêve sous la bannière du poème en prose, tel que le porte Yourcenar par exemple, peut être
réinterprété comme un indice de littérarisation en cours.
Le simple fait qu’un tel classement générique (ici reposant sur la compétence du lecteur)
puisse être anticipé, et quand bien même l’intention revendiquée par les auteurs serait de faire
primer l’authenticité du contenu sur le travail formel, suffit à diagnostiquer la stylisation à
l’œuvre. Ainsi se dessine l’itinéraire de littérarisation du récit de rêve, passé d’une prose
infralittéraire, d’origine scientifique et documentaire – le compte-rendu – à une prose poétique
par des effets de systématisation et de poétisation. Pragmatiquement, la différence d’intention,

71
Michel Murat, « Le dernier livre de la bibliothèque. Une histoire du poème en prose », dans Marielle Macé et
Raphaël Baroni (dir.), Le Savoir des genres, Rennes : Presses Universitaires de Rennes, « La Licorne », 2007,
article en ligne sur fabula, disponible à l’adresse :
https://www.fabula.org/atelier.php?Histoire_du_poeme_en_prose#_edn7. [Consulté le 24 juin 2019]
72
Joris-Karl Huysmans, A rebours (1884), Gallimard, Folio, 1977, p. 320.
73
Michel Murat, « Le dernier livre de la bibliothèque. Une histoire du poème en prose », art.cit.

295
et le pacte de lecture engagé fait toute la différence, mais formellement, force est de reconnaître
que le récit de rêve affiche les mêmes marques.

296
4.3. LE « PACTE ONIRIQUE »

Les spécificités du récit de rêve ressortissent peut-être moins à son écriture, et aux
procédés formels qu’elle engage, qu’à sa lecture et à la façon dont sont reçus les énoncés qui le
composent. Dans Une vague de rêves, Aragon rejette en bloc la suspicion de simulation qui
aurait pu venir frapper d’inanité les sommeils, et les réduire à pure comédie spirite :

Alors l’esprit critique reprend ses droits. On se demande s’ils dormaient


vraiment. Il se trouve au cœur de quelques-uns une négation de cette aventure.
L’idée de la simulation est remise en jeu. Pour moi, je n’ai jamais pu me faire
une idée claire de cette idée. Simuler une chose, est-ce autre chose que la
penser ? Et ce qui est pensé, est. Vous ne me ferez pas sortir de là. Qu’on
m’explique, d’ailleurs, par la simulation, le caractère génial des rêves parlés qui
se déroulaient devant moi74 !
Hypnose réelle ou singée, cela ne change rien à la valeur de l’expérience, puisque tout ce qui
est énoncé est de toute façon formé par l’esprit, assène avec force l’auteur du Paysan de Paris.
Mais le défi lancé par Aragon aux esprits critiques pour qu’on lui prouve la mystification
montre combien il adhère, envers et contre tout, à l’expérience. Si la question de la contrefaçon
est ainsi rapidement liquidée pour ce qui concerne les sommeils, la méfiance envers les faux-
semblants est autrement problématique lorsqu’elle s’agit des récits de rêves, dont le point de
définition indiscutable reste l’authenticité.
Aussi, il apparaît qu’une définition plus nette du genre ne peut faire l’économie d’une
caractérisation pragmatique. Au-delà des invariants formels, le récit de rêve repose surtout sur
une modalité de réception, laquelle impose une certaine collaboration75 entre auteur et lecteur.
En effet, puisque rien ne peut définitivement attester qu’un contenu est onirique ou qu’il
appartient au monde de la veille (Caillois), et que, par ailleurs, les marques formelles du récit
de rêve peuvent toujours être appliquées à des récits relevant d’autres états de conscience
(Leiris) ou falsifiées au profit de la supercherie ou de la simulation, force est de reconnaître
qu’est récit de rêve ce qui est présenté et donc peut être lu comme tel.
Nous proposons d’appeler « pacte onirique » le rapport conclu, de façon plus ou moins
explicite, entre l’auteur-rêveur et son lecteur. Empruntant au pacte autobiographique76 formulé

74
Louis Aragon, Une vague de rêve, op. cit., p. 22.
75
Le mot n’a pas été choisi au hasard et, s’il ne recouvre pas la notion de « collaboration interprétative » mise en
place par Umberto Eco, il veut toutefois lui reprendre la part de jeu qui lui incombe.
76
Dans sa formulation la plus récente et la plus courte, le pacte autobiographique est « l’engagement que prend un
auteur de raconter sa propre vie en s’interdisant toute fiction ou dissimulation. » Philippe Lejeune, « Pacte
autobiographique », dans Françoise Simonet-Tenant (dir.), Dictionnaire de l’autobiographie. Écritures de soi de
langue française, Honoré Champion, coll. « Champion classiques », 2018, p. 600.

297
par Philippe Lejeune, il en serait le double quelque peu remodelé. Alors que ce dernier posait
une identité ferme entre auteur, narrateur et personnage, le pacte onirique scellerait bien
l’identité entre auteur et narrateur (ici rêveur) mais autoriserait un lien plus lâche entre narrateur
et personnage (je rêvant et je rêvé). Ce réaménagement de la triple identité fondatrice du pacte
autobiographique permet de tenir ensemble véridicité et imagination sans sortir du cadre de
l’authenticité inhérente à cette écriture du moi. Le lecteur peut croire véritablement que l’auteur
a rêvé ce qu’il lui présente comme tel et, par voie de conséquence, croire aussi à une certaine
existence, fût-elle uniquement psychique, de l’univers onirique représenté, mais sans
totalement concéder à la « suspension de l’incrédulité », caractéristique de la fiction selon
Coleridge.
L’assignation d’un texte au genre du récit de rêve réside ainsi, à nos yeux, dans la
revendication, la reconnaissance et l’acceptation d’un rapport au monde complexe du récit.
Comme l’autobiographie, ce type de récit adopte une énonciation référentielle77 mais restreinte
à un champ extrêmement limité, invérifiable et non partageable : une réalité psychique. Du côté
de l’auteur, engagement est pris de garantir l’authenticité des événements rapportés comme des
réalités psychiques. Il s’interdira donc toute invention ou déformation de contenu par rapport à
une expérience onirique véritable, dans laquelle se situe explicitement la genèse de son texte.
Du côté du lecteur, cela engage à l’acceptation d’une lecture à la lettre de ce que le texte lui
propose de se représenter mentalement, sans aller chercher de sens second ou métaphorique tel
qu’il pourrait le faire devant un poème. Autrement dit, le pacte onirique requiert du lecteur qu’il
prenne au sérieux une réalité non matérielle et qu’il lise au premier degré un texte auquel il peut
par ailleurs reconnaître une qualité littéraire.

77
Dans le cas de l’autobiographique, Philippe Lejeune définit la référentialité en ces termes : « Par opposition à
toutes les formes de fiction, la biographie et l’autobiographie sont des textes référentiels : exactement comme le
discours scientifique ou historique, ils prétendent apporter une information sur une “réalité” extérieure au texte, et
donc se soumettre à une épreuve de vérification. […] Tous les textes référentiels comportent ce que j’appellerai
un “pacte référentiel”, implicite ou explicite, dans lequel sont inclus une définition du champ du réel visé et un
énoncé des modalités et du degré de ressemblance auxquels le texte prétend. » Le Pacte autobiographique, Seuil,
1975, p. 36.

298
4.3.1. LA QUESTION RÉFÉRENTIELLE
Aussi, des indices de référentialité sont-ils exhibés, à la fois en dehors du texte (péritexte)
et à l’intérieur du texte, pour attester de cet ancrage « réel ». Bien sûr, dans la mesure où la
référentialité au rêve, toute psychique, n’est ni partageable ni sensible, tout ancrage dans cette
immatérialité est absolument impuissant à prouver au lecteur quelque authenticité que ce soit.
Pour autant, la mise en avant d’indices référentiels appartenant au monde réel n’est pas
totalement dénuée d’effet. Dans la mesure où la théorie freudienne, et notamment ce qu’elle
avance concernant les restes diurnes comme matériaux privilégiés des rêves, imprègne
profondément la production des récits de rêves surréalistes, les mentions d’éléments repérables
et restituables au monde de la veille fonctionnent comme des assises référentielles avec le
monde des référents partagés. Les noms propres renvoient alors aussi bien au monde du rêve
qu’au monde réel.
Les indices de référentialité mis en place par les auteurs de récits de rêves sont les mêmes
que ceux que l’on trouve dans les journaux intimes : dates, lieux et personnages évoqués sont
empruntés à la vie réelle. Ainsi, dans Les Vases communicants, Breton prend-il soin de préciser
la date des rêves qu’il analyse par la suite, comme gage de sérieux et de fiabilité. Nuits sans
nuit et quelques jours sans jour et La Boutique obscure reprennent les codes du nocturnal, avec
mention des dates et des lieux de séjour. Ce cadre factuel, en attestant de la véridicité des
conditions de l’expérience onirique, se donne également comme gage d’authenticité de leur
contenu.
Les rêves font apparaître l’entourage de leurs auteurs, particulièrement les membres du
groupe surréaliste. Desnos rêve de Breton78; Breton rêve d’Aragon79 ; Artaud rêve de Max
Jacob80 ; Max Morise rêve de Crevel81 mais aussi de Desnos, de Braque, de Roland Trual ou de
Molière82, Leiris rêve d’André Masson83, d’André Breton et de Robert Desnos84, de Marcel Noll
et de Georges Limbour85, etc. S’il n’est pas question, pour le lecteur, de croire que les aventures
contées aient réellement eu lieu, ou d’adhérer à quelque théorie ésotérique sur les rêves

78
Littérature, no 5, 1er octobre, 1922.
79
Littérature, n° 7, décembre 1922.
80
La Révolution surréaliste, n° 3, 15 avril 1925, p. 2.
81
La Révolution surréaliste, n° 4, 15 juillet 1925, p. 6.
82
La Révolution surréaliste, n° 5, 15 octobre 1925, p. 11-13.
83
La Révolution surréaliste, n° 4, 15 juillet 1925, p. 7.
84
La Révolution surréaliste, n° 5, 15 octobre 1925, p. 10.
85
La Révolution surréaliste, n° 7, 15 juin 1926 p. 8-9 et Cahiers GLM, 1938.

299
prémonitoires comme pouvait le faire Desnos86, cet affichage d’une sociabilité onirique fait
fonction de caution pour qui voudrait douter de leur authenticité.

4.3.2. AVANT-DIRE POUR BIEN RÊVER : INDICATIONS GÉNÉRIQUES, TEXTES


LIMINAIRES ET APPAREILS PRÉFACIELS

La mise en place du pacte onirique passe par l’affichage d’indicateurs éditoriaux qui
assurent l’identification de ces productions oniriques et ajustent leur réception. La mention
explicite « rêve », placée avant le texte lorsqu’il est publié en revue, est complétée ou remplacée
par d’autres types d’indices dans les publications ultérieures en recueils : le titre ou le sous-titre
du recueil, la mise en page (avec indication de date et parfois de lieu), à quoi s’ajoute la plupart
du temps un propos liminaire (préface, prière d’insérer ou quatrième de couverture), constituent
autant de seuils87, chargés d’assurer la bon établissement du pacte de lecture.
L’indication « rêves » se retrouve ainsi en tête des récits de rêves de Breton dans Clair
de Terre, sur-titrés « Cinq rêves », ou en sous-titre de La Boutique obscure, « 124 rêves », avec
la précision arithmétique que nous connaissons à l’oulipien. De façon assez similaire, la nature
des textes est clairement spécifiée sous forme de mention en amont des textes dans Nuits sans
nuit et quelques jours sans jours88. Le Pont traversé, s’il ne précise pas explicitement qu’il est
un recueil de récits de rêves, trouve quand même dans sa structuration en trois « nuits » de quoi
guider le lecteur sur la piste onirique.

86
Dans les notes personnelles de Desnos, des rapprochements entre rêve et réalité laissent à penser que l’auteur
était séduit par de telles conceptions prémonitoires. Le récit d’un rêve de la nuit du 24 au 25 septembre 1922 est
structuré en deux temps : d’abord un souvenir très lacunaire d’une scène rêvée, dans laquelle Desnos voit Breton
en proie à la colère lors d’une réunion chez lui, puis la confrontation de cette « vision » avec les événements s’étant
effectivement déroulés ce soir-là. Le rêve y semble chargé d’un pouvoir médiumnique, et fait apparaître sous les
paupières du rêveur une scène qui a effectivement lieu en son absence. Mêlant les commentaires vigiles au récit
de rêve, Desnos prend soin de noter les défaillances de sa mémoire comme pour mieux mettre en avant l’exactitude
de la suite du récit.
« Début du cauchemar dont je ne puis absolument pas me rappeler :
“ L’atelier de Breton. Celui-ci marche de long en large du piano à la fenêtre.
“ Il dit des choses d’un tragique absolu, dans une atmosphère d’angoisse absolument inouïe, à Morise assis sur le
canapé contre le mur. Simone Breton ni Vitrac n’étaient là et m’étonnaient même de leur absence ; quant à moi je
n’étais pas là et cette partie du cauchemar était de l’ordre de la voyance à distance ou de la projection
cinématographique.”
Je me suis renseigné le soir du 29.9.22 auprès de Morise et Breton : à 7 heures du soir le 24, Breton avait développé
à Morise ses idées sur la ligne nouvelle à suivre en général et son opinion sur M. Duchamp en particulier.
Conversation d’un tragique réel pour André Breton et ses amis. Ce cauchemar commencé après 22 heures (heure
du coucher) se termine avant 23 heures (heure du réveil en sursaut) pour reprendre vers 24 heures
approximativement et se terminer par une sorte d’inondation de couleurs de la consistance d’un fluide. »
(Manuscrit [Ms 6673], Fonds Robert Desnos). Texte édité par Marie-Claire Dumas dans son édition des Œuvres,
Gallimard, coll. « Quarto », 1999, p. 128. Voir annexe D.
87
Nous reprenons ici la notion déployée par Gérard Genette pour l’étude du paratexte dans Seuils, Seuil, 1987.
88
Dans le recueil de Leiris, les récits de rêves constituent par défaut la nature des textes et ne sont ainsi pas spécifiés
mais les autres types de texte, vision, demi-sommeil, ou événement vécu sont précisés.

300
Plus tard, dans le recueil de Michaux, ce sont davantage les titres de chapitres –
« Quelques rêves. Quelques remarques » –, et le discours enchâssant qui indiquent au lecteur
la nature des textes auxquels il a affaire. Notons que c’est avec Queneau et ses « Récits de rêves
à foison » que l’expression « récit de rêve » vient remplacer le simple « rêve » de ses
prédécesseurs, mettant ainsi le lecteur sur la voie d’un récit contrefait. C’est aussi avec lui et
ses successeurs, Béalu et Tristan, qu’apparaissent un doute amusé quant à la nature véritable
des textes et une distance ludique avec les modèles, marque d’une assimilation du genre dans
les pratiques89.
Ces indications, comme la possibilité même de pouvoir collecter un ensemble de textes
assez homogène pour le publier en recueil et sous un titre commun, attestent d’une
autonomisation du récit de rêve qui, en acquérant un nom, se distingue aussi des formes qui lui
sont proches, dans l’espace de publication (revue ou recueil) comme dans celui des pratiques
d’écriture et des représentations des expériences nocturnes ou de conscience altérée.

Les indications génériques sont fréquemment doublées d’un discours préfaciel : ces avant-
dire constituent des moments stratégiques de définition générique, et où s’énonce et se noue
aussi le pacte de lecture, faisant de ces seuils des avertissements au « bien rêver », pour
reprendre le titre du recueil publié par Béalu en 196890. Comme l’autobiographie, si le récit de
rêve « se définit par quelque chose d’extérieur au texte, ce n’est pas en deçà, par une invérifiable
ressemblance avec une personne réelle, mais au-delà, par le type de lecture qu’elle engendre,
la créance qu’elle sécrète91 », pour reprendre les mots de Philippe Lejeune92. Carole Allamand
complète et glose encore :

Le “pacte” remplace en effet la question de la référentialité du récit par celle


de la lecture référentielle du récit, se demandant non plus en quoi consiste
l’identité de l’auteur, du narrateur et du personnage, mais comment celle-ci

89
Nous reviendrons sur cette assimilation ludique et ce passage du genre au « second degré », autorisant pastiches,
parodies et transgressions au chapitre suivant.
90
Marcel Béalu, Le Bien rêver, R. Morel, 1968.
91
Philippe Lejeune, Le Pacte autobiographique, op. cit., p. 46.
92
Philippe Lejeune prend bien soin de distinguer l’authenticité de la vérité, en la situant dans l’intention de l’auteur
et non dans le texte : « Que dans sa relation à l’histoire (lointaine ou quasi contemporaine) du personnage, le
narrateur se trompe, mente, oublie ou déforme, – et erreur, mensonge, oubli ou déformation prendront simplement,
si on les discerne, valeur d’aspects, parmi d’autres, d’une énonciation qui, elle, reste authentique. Appelons
authenticité ce rapport intérieur propre à l’emploi de la première personne dans le récit personnel ; on ne le
confondra ni avec l’identité, qui renvoie au nom propre, ni avec la ressemblance, qui suppose un jugement de
similitude entre deux images différentes, porté par une tierce personne. » Le Pacte autobiographique, op. cit.,
p. 39-40.

301
s’impose à la conscience du lecteur. Ce qui importe est donc moins la réalité de
cette identité que son intuition par le destinataire du récit autobiographique93.
Absents des premières publications en recueil hétérogène, ces textes liminaires sont un
signe supplémentaire de l’apparition du genre. Si le prière d’insérer des Dessous d’une vie, déjà
évoqué, se contente en quelques lignes de notes d’indiquer les statuts de chacun des textes qui
compose le recueil, la préface de Les Songes et les sorts, en revanche, se présente comme un
seuil beaucoup plus fourni, par lequel le pacte de lecture est aussi mis en place de façon plus
solide. Longue d’une dizaine de pages, elle s’ouvre sur une déclaration on ne peut plus claire :
« Je veux raconter ici quelques rêves qui troublent ou réconfortent particulièrement un être qui
a beaucoup rêvé. » (SS, 1533) La solennité de cette ouverture, complétée par une déclaration
d’intention ferme, prend des accents rousseauistes non dissimulés. « Mon but est de présenter
un certain nombre de textes dont je puis garantir l’exactitude, et non de proposer un nouveau
système du rêve, ce que je ne suis nullement qualifiée pour faire. » (SS, 1535). À la dimension
didactique, qui entend exprimer les spécificités de la forme littéraire naissante, s’ajoute ainsi,
avec Yourcenar, une dimension auctoriale, plus orientée vers la vie et la personnalité de
l’auteure acceptant de livrer ses nuits au lecteur. Ce texte liminaire est pour elle l’occasion de
rappeler comment elle a sélectionné les rêves qu’elle donne à lire, prenant comme critère
l’exceptionnalité pour laisser de côté la typicité de rêves largement partagés et récurrents, mais
aussi comment elle envisage la lecture de ces textes intimes.

Seuls, les conseils d’un ami et le désir d’apporter de nouveaux témoignages


dans ce procès si obscur du rêve me décident à les sortir du silence qui les
recouvrait comme du velours. Je me rassure en pensant que ces quelques pierres
météoriques tombées dans un monde intérieur n’auront naturellement pour
autrui que l’intérêt d’échantillons minéralogiques classés sous une vitrine de
musée, et que leur secrète chaleur de talisman continuera à n’être perceptible
que pour moi seule. (SS, 1540)
Tout en leur accordant la valeur de témoignages, avec ce que cela comporte d’engagement de
véridicité, Yourcenar « se rassure » en mettant en avant l’hermétisme dont elle nimbe par
avance ses textes. En passant sous silence le sens qu’elle donne à ses songes, elle ne donne à
voir qu’une face de ces « météorites », pierres mystérieuses mais inertes, dont elle se garde bien
de rendre visible l’autre face, comme un signe dont on ne dévoilerait que le signifiant pour
préserver le signifié. Finalement, la publication de ces textes, bien que très intimes, ne force
pas la pudeur.

93
Carole Allamand, Le « Pacte » de Philippe Lejeune ou l’autobiographie en théorie, Honoré Champion,
coll. « textes critiques français », 2018, p. 89.

302
Comme tout le monde, j’ai souvent pensé à écrire un jour un volume de
souvenirs intimes : quelques scrupules, trop évidents pour tous les esprits bien
faits, me détournèrent d’avance de ce projet que seule l’âme la mieux affermie,
ou la plus dure peut-être, pourrait exécuter sans mensonge. La publication des
récits qui vont suivre présente des inconvénients moins grossiers, et c’est ce qui
m’autorise vis-à-vis de moi-même à mettre au jour ces quelques épisodes des
Mémoires de ma vie rêvée. (SS, 1541)
Yourcenar ne se livre en somme ici qu’à une « autobiographie oblique94 », pour reprendre le
mot de Philippe Lejeune à propos de la démarche de Perec. À bien des égards, l’auteure ne
s’engage qu’à moitié dans la confession autobiographique : tout en affirmant une forte ambition
d’authenticité, elle n’accède pas encore à la transparence de l’aveu sincère ; sans faillir à son
engagement premier, elle ne se dévoile finalement pas à son lecteur95. Dans un entretien avec
Germaine Rouvre, Perec admettait avec son interlocutrice :

Un rêve c'est un objet un peu magique et, quand on écrit des rêves, je crois
qu'on joue à un jeu où on ne sait pas très bien si on veut donner ou si on ne veut
pas donner. C'est comme quand on joue à cache-cache, on ne veut pas qu'on
vous trouve, puisqu'on se cache, mais si on ne vous trouve pas, il n'y a plus de
jeu. La grande excitation du jeu vient de ce qu'on ne sait pas très bien si on veut
être trouvé ou si on veut être perdu. Je voulais dire quelque chose de ces rêves,
je voulais d'abord me dire quelque chose et d'une certaine manière je l'ai dit96.
L’auteur de La Boutique obscure traduit en des termes ludiques la tension déjà présente dans la
préface de Yourcenar : par ce pacte onirique calculé, elle joue avec la notion d’authenticité en
acceptant de livrer ses nuits mais sans lever le voile qui permettrait d’accéder à un sens plus
personnel.
Perec, lui-aussi, énonce dans le prière d’insérer de son recueil un pacte onirique en demi-
teinte. Il y affirme en même temps l’origine onirique des récits qu’il donne à lire et leur
subversion par l’écriture :

Tout le monde fait des rêves. Quelques-uns s’en souviennent, beaucoup


moins les racontent, et très peu les transcrivent. Pourquoi les transcrirait-on,
d’ailleurs, puisque l’on sait que l’on ne fera que les trahir (et sans doute se
trahira-t-on en même temps ?).
Je croyais noter les rêves que je faisais : je me suis rendu compte que, très
vite, je ne rêvais déjà plus que pour écrire mes rêves.
De ces rêves trop rêvés, trop relus, trop écrits, que pouvais-je désormais
attendre, sinon de les faire devenir textes, gerbe de texte déposée en offrande
aux portes de cette « voie royale » qu’il me reste à parcourir – les yeux ouverts ?
(LBO, prière d’insérer)

94
Philippe Lejeune, La Mémoire et l'oblique : Georges Perec autobiographe, POL, 1991.
95
Marguerite Yourcenar finira tout de même par publier ses textes intimes à partir de 1974 dans Le Labyrinthe du
monde. (Essais et mémoires, op. cit.)
96
George Perec, « L'écriture des rêves » entretien avec Germaine Rouvre, art. cit. Annexe A.

303
Tout en distinguant narration et transcription, Perec place d’emblée ses textes sous le signe du
soupçon. Comme Aragon, il semble éprouver une certaine défiance envers le travail de
l’écriture (sans qu’il ne soit encore ici question de style), vécu comme une trahison à l’endroit
du rêve. Si la probité de l’auteur est d’abord sauvée, elle est très vite mise en cause, mais
seulement dans la mesure où celui-ci pourrait être soumis à un penchant incontrôlé, qui
dépasserait son intention originelle et consciente, et le conduirait à être le faussaire de ses rêves.
La suspicion est double, elle porte sur le langage (la mise en mots) autant que sur l’activité
littéraire (la mise en textes) et l’excès dont est marqué le texte fonctionne comme pièce à
conviction. Aussi, si pacte onirique il y a, il est corrompu par avance, puisque l’auteur y fait
déjà l’aveu qu’il ne tiendra pas la promesse d’authenticité qu’il aurait pourtant voulu
revendiquer.
Leiris, dans un prière d’insérer quelque peu mélancolique, appelle à faire le deuil d’une
certaine représentation du rêve :

Le rêve n’est pas une évasion. Nos pensées de la nuit — jusqu’aux plus
saugrenues — viennent du même creuset que nos pensées du jour. Désirs, peurs
ou simple tour d’esprit qui marquent de leur griffe chaque phase de notre
existence, en vain nous compterions leur échapper dans les illusions du
sommeil.
Le rêve n’est pas une révélation. Qu’un songe apporte au dormeur
quelque clarté sur lui-même, ce n’est pas l’homme aux yeux clos qui fait la
découverte mais l’homme aux yeux ouverts, assez lucide pour enchainer des
réflexions.
Dépouillé de ses faux-semblants, qu’est donc le rêve, dont le prestige
s’en trouve à peine diminué ? Si quelques-uns, sans être dupes, puisent dans
leurs rêves une mythologie et, sans être des savants, prennent soin de
scrupuleusement les noter, c’est que le rêve — mirage qui scintille au fond des
ténèbres — est essentiellement poésie.
Tel est (s’il en faut un) le mot clé de cette suite de récits, tantôt
d’événements rêvés, tantôt d’événements réels, qui semblent au narrateur avoir
projeté par instants sur sa terne silhouette un même éclairage de seconde vie.
(NNJJ, prière d’insérer)
Si le recueil est agrémenté de quelques textes de jours, l’authenticité des rêves n’en est
nullement entamée.
Michaux est peut-être le dernier à revendiquer l’authenticité des rêves qu’il donne à lire
dans Façon d’endormis, façon d’éveillés en 1969. Si le recueil ne présente pas de préface à
proprement parler, on pourrait dire que le propos préfaciel, chargé d’orienter la lecture et
l’interprétation des rêves à proprement parler, est amplifié et disséminé dans l’ensemble d’un
recueil, pour le moins hétérogène, dans lequel la réflexion sur le rêve prend autant de place que
le rêve lui-même. Aussi la mise en place explicite de ce pacte onirique n’intervient-elle qu’à
l’orée du troisième chapitre « Quelques rêves, quelques remarques » :

304
Des rêves récents, d’autres beaucoup moins, mais tous notés au réveil, vaille
que vaille, et ces notes gardées jusqu’à ce que des semaines ou des … années
plus tard, je me décide à les rédiger. Plutôt que mon ordinaire, ceux-ci sortent
de la masse des autres, qui sont plus ternes, plus en tous sens, rattachés à
nombre de vétilles, si décourageants à écrire, à relire… (FEFE, 478)
Queneau, Béalu et Frédérick Tristan, s’ils s’intègrent dans cette filiation de conteurs de
rêves, jouent plus explicitement avec les règles du genre, et particulièrement avec le pacte
d’authenticité promu par leurs prédécesseurs. Ainsi, en dépit d’un titre on ne peut plus
transparent, « Des récits de rêves à foison », le court recueil publié par Queneau en 1975 ne
présente aucune pièce liminaire propre à instaurer un mode de réception particulier, mais il
prend soin, en clôture d’ouvrage, de remplacer ce passage attendu par une note malicieuse :

Naturellement, aucun de ces rêves n’est vrai, non plus qu’inventé. Il s’agit
simplement de menus incidents de la vie éveillée. Un minime effort de
rhétorique m’a semblé suffire pour leur donner un aspect onirique.
C’est tout ce que je voulais dire. (RRF, 278)
Le brouillage générique est ainsi revendiqué. Entre récits de rêves authentiques et jeux
fictionnels, ces micro-récits se détachent de tout ancrage référentiel.
Béalu, dont les propos sont mêlés, dans une préface signée par Jean-Pierre Sicre, à ceux
de son éditeur, met lui aussi l’accent sur l’hétérogénéité de son ouvrage et parle de La Vie en
rêve comme d’une « somme d’allers et retours entre les pôles d’une imagerie obsessionnelle,
de compte rendus de rêves, de confessions involontaires, de réflexions sur la poésie et
l’écriture : bref, la chronique d’une vie indécise qui, par-delà toute analyse, persiste en son
mystère. » Quant à Frédérick Tristan, il ouvre Brèves de rêves en rappelant le caractère édifiant
de la « fable des songes » qui, par cette simple appellation, se rapproche davantage d’un conte
merveilleux :

Initiation au réel, la fable des songes est plus révélatrice que le constat de la
veille. Elle se dévoile dans la chambre noire la moins pédante de nous-mêmes,
et nous dénude, nous rend aux éléments qui nous constituent. Le loup du
Chaperon Rouge ou le King Kong du cinéma des années 30 sont pareils à l’ours
de nos enfances : ils avalent nos terreurs et bercent nos désirs. Ils réunifient nos
complexités éparses. Ils veillent sur nous. (BR, 7)
En allant puiser ses exemples dans la culture populaire des contes de Perrault ou du cinéma
hollywoodien, Frédérick Tristan achève de faire tomber le rêve dans la fiction partagée. Aucune
revendication d’authenticité dans ces lignes, ni même de référence à une expérience
personnelle. Si les textes qu’il proposent sont tout de même placés sous l’autorité du chef de
file surréaliste avec cette épigraphe : « Mai 1957. André Breton me dit : “Fermez les yeux afin
de les ouvrir.” » et qu’ils présentent un certain nombre de traits communs avec ceux du début
du siècle, ils ont pourtant rompu le fil de l’authenticité.

305
Les récits de rêves sont des objets littéraires dont il n’est pas simple de se saisir et qui
demandent qu’on prépare leur lecture. L’étude des discours préfaciels montre à la fois une
constante et une évolution. La constante réside dans la nécessité, pour les auteurs, de ménager
un seuil à l’entrée du recueil qui oriente la lecture et fasse le point sur le crédit à donner aux
rêves racontés. Quelle que soit, pour finir, la facilité de la lecture, c’est toujours l’intention de
l’auteur qui prime et qui guide le mode de lecture. Même en cas d’aveu d’échec (comme dans
le cas de Perec), l’ancrage autobiographique persiste97. Ce parcours révèle toutefois une
évolution majeure : la revendication d’authenticité s’affaiblit au fur et à mesure que l’on
s’avance dans le siècle. D’abord teinté par un certain soupçon porté sur les capacités de
l’écriture à jamais atteindre une quelconque vérité du rêve, ce mouvement oriente les récits de
rêve vers un rapport plus ludique à leur ancrage référentiel, qui peu à peu se laisse détourner
par la rhétorique (Queneau) ou par la fiction (Béalu et Tristan).

97
En témoignent les lectures autobiographiques de ce recueil : Éric Lavallade, « Lieux obscurs. Parcours
biographiques et autobiographiques dans La Boutique obscure entre 1968 et 1972 », Le Cabinet d’amateur. Revue
d’études perecquiennes, avril 2012. Article en ligne à l’adresse :
http://associationgeorgesperec.fr/IMG/pdf/Eric_Lavallade_Lieux_Obscurs.pdf (consulté le 30 juin 2015) ;
Maxime Decout, « Topographie de l’inconscient juif dans La Boutique obscure », Le Cabinet d’amateur. Revue
d’études perecquiennes, juin 2013. Article en ligne à l’adresse :
http://associationgeorgesperec.fr/IMG/pdf/M_Decout.pdf (consulté le 10 juillet 2015) ; Daphné Schnitzler, « Une
écriture oulipojuive : le cas de La Boutique obscure », dans Peter Khon (dir.), Oulipo-Poétique. Actes du colloque
de Salzburg (Avril 1997), « Études littéraires françaises », Günter Naar Verlag, Tübingen, 1998, p. 63-76 ; « Entrer
dans la Boutique obscure (sans se heurter à la table) », Georges Perec et l'histoire, actes du colloque international
Université de Copenhague du 30 avril au 1er mai 1998, Études Romanes, n° 46, Copenhague : Museum
Tusculanum Press, 2000, p. 183-200. Sur des aspects plus esthétiques, voir aussi l’article de Françoise Rouffiat,
« Le rêve et le texte dans La Boutique obscure de Georges Perec », Recherches et travaux, Université de Grenoble,
UFR de Lettres, n° 63, 2003, p. 91-118.

306
CHAPITRE V

LE RÊVE JUSQU’À ÉPUISEMENT

(PEREC, LEIRIS, QUENEAU)

« Ne trouvez-vous pas qu’il serait curieux de se demander pourquoi l’on dit faire un rêve,
plutôt qu’avoir, subir un rêve1 ? », demandait Pierre Daye dans Le Disque vert en 1925. À
l’époque où l’on s’en tient à l’enregistrement de ses contenus oniriques, dans une certaine
passivité et en essayant d’y laisser percevoir le moins possible la présence de l’auteur, Pierre
Daye questionne l’expression figée et avec elle ce que pourrait recouvrir la fabrique des rêves
comme activité littéraire.
C’est précisément ce que vont interroger Leiris, Perec et Queneau en multipliant les récits
de rêves. Breton a pu s’intéresser au rêve toute sa vie mais n’en a finalement publié que très
peu – une dizaine2 – ; quant aux autres surréalistes, passé le temps des récits de rêves publiés
en revue, ils ne s’y adonnent plus guère comme à un exercice mais en gardent, à l’instar

1
Pierre Daye, Le Disque vert, 2, Paris-Bruxelles, n° spécial « Des rêves », 1925, p. 22.
2
Comme l’a indiqué Henri Béhar, le corpus des récits de rêves publiés dans l’œuvre d’André Breton comprend
11 pièces : cinq récits de rêves dans Clair de terre (OC I, p. 149-155), 2 rêves relatés et analysés dans Les Vases
communicants (OC II, p. 118-146). On y ajoutera encore, pour être exhaustif, « Accomplissement onirique et
genèse d’un tableau animé », publié dans les Cahiers GLM de 1938 (OC II, p. 1215) et les 3 rêves publiés dans
Littérature et repris comme Inédits dans la dernière édition de la Bibliothèque de la Pléiade (OC I, p. 887-890).
Le critique y ajoute le « rêve du chat » et « le salut du diable », deux dessins présentés comme issus d’une
apparition dans Nadja, mais qui ne peuvent être rangés aux côté des récits de rêves (OC I, p. 721). Il mentionne
également le rêve d’Élisa qui ouvre Arcane 17 (OC III, p. 37-38), le rêve de Meret Oppenheim reproduit dans
l’article « Magie quotidienne » (OC IV, 928) sans interprétation et le rêve « prophétique » remémoré par Georgina
Dubreuil dans sa lettre du 18 février 1955 (OC IV, 931). Rêve-objet, OC II, 558.
d’Éluard ou de Desnos, un imaginaire qui irriguent leurs œuvres poétiques. Yourcenar, si elle
est la première à publier un recueil de récits de rêves avec Les Songes et les sorts (1938), n’en
propose qu’une vingtaine, précautionneusement choisis. On est loin des collections
pléthoriques de plus de cent pièces exposées par Leiris ou Perec.
Des auteurs du corpus, Leiris, Perec et Queneau sont les trois à avoir mené une psychanalyse
dans laquelle, à n’en pas douter, l’analyse des rêves a pris sa part. Leiris consulte Adrien Borel
de 1929 à 1935, Queneau est suivi par Fanny Lowtsky dans les années 1933-1939, Perec se
rend chez Jean-Bertrand Pontalis de 1971 à 1975. Si, pour tous les trois, l’expérience de la
psychanalyse a été marquante, elle s’est également doublée, sur le plan littéraire, d’une
investigation du champ autobiographique. Leiris avec La Règle du jeu, Queneau avec Chêne et
chien, comme Perec avec W ou le souvenir de l’enfance, témoignent, plus ou moins
explicitement, de ce que cette expérience leur a apporté, non seulement dans la connaissance
de soi mais encore dans le renouvellement d’une écriture qui, pour les trois, se trouvait
empêchée. Pourtant, à lire leurs recueils de récits de rêves respectifs, on ne trouve guère de
trace de cette étape introspective. Nuits sans nuit (1945) puis sa réédition enrichie sous le titre
Nuits sans nuit et quelques jours sans jour (1961), La Boutique obscure (1973) et Récits de
rêves à foison (1975) ne sont pas des recueils tournés vers l’analyse de soi. Cet aspect de
l’écriture, qui a pourtant marqué la genèse des deux premiers ouvrages, paraît évacué au profit
de la seule matière onirique et remisé dans les écrits autobiographiques.
« Mon expérience de rêveur devint donc par la force des choses, seule expérience
d’écriture3 », finit par reconnaître Perec. Reprenant les procédures d’écriture mises en place par
les surréalistes, cherchant comme eux à rester au plus près de l’expérience onirique, Leiris, puis
Perec – bientôt imité par Queneau –, en les systématisant, testent aussi les limites de ce modèle
de narration du rêve. Il ne faudrait pas, emporté par d’audacieux rapprochements, faire de Leiris
un oulipien par anticipation. Assurément, l’auteur d’Aurora ne se situe pas dans la même
démarche « combinatoire » que Perec, pas plus qu’il ne cherche, comme Queneau, à produire
là un « exercice de style » ; mais il offre une ampleur rhétorique à ce type de récit qui ne
manquera pas d’inspirer les deux autres.
Le cadre stylistique du genre mineur que constitue le récit de rêve ayant été fermement posé
dans les années 1924-1925, il est tentant de vouloir en vérifier la résistance et, tout en
conservant la règle de l’authenticité des contenus présentés, de jouer de son élasticité pour le

3
Georges Perec, « Le rêve et le texte », Je suis né, Seuil, 1990, p. 77.

308
remodeler… jusqu’à en épuiser toutes les possibilités. La notion d’épuisement4, ici, est moins
à entendre comme un appel vers l’achèvement et l’extinction, que comme un désir de
multiplication ludique et d’exploration des potentialités rhétoriques offertes par un modèle.
Jacques Roubaud, dans un article qu’il consacre au recueil de son ami oulipen, propose de
d’observer sur lui une conversion du regard :

De ce que les rêves sont offerts à tous dans la « boutique obscure », il nous
importe peut-être moins de déduire ce qu’ils proposent, que le comment :
comment le travail du rêve se change en travail avec le rêve et quel est le jeu de
ce travail5.
De la transformation d’un projet auto-analytique, au remplacement du travail du rêve par un
travail de l’écriture conscient et amusé, l’exploration des potentialités offertes par la forme
laisse place, chez nos deux auteurs à une très forte inscription du rêveur-narrateur, qui se
cherche autant dans ses rêves que dans leur remémoration.

4
Voir Dominique Rabaté, Vers une littérature de l’épuisement, Corti, 1991.
5
Jacques Roubaud, « Les rêves écrivent », La Quinzaine littéraire, n°166, 16-30 juin 1973, p. 19.

309
5.1. DE L’AUTO-ANALYSE À L’AUTOBIOGRAPHIE

Alors que Breton et les surréalistes de la première heure voulaient voir dans leurs rêves,
sinon des poèmes, du moins des objets poétiques, Leiris semble infléchir ce genre vers l’écriture
et la compréhension de soi. Son journal l’atteste, avant de rencontrer les surréalistes et de
s’adonner avec eux à la transcription de ses rêves, il les consignait déjà dans ses cahiers
personnels. « Depuis des années je les note, en règle générale, le matin au réveil, confie-t-il à
Claude Sarraute en 1961. Bien entendu, je me rends compte qu’il est impossible de faire un
récit vraiment fidèle d’un rêve. Le formuler c’est déjà le déformer. Mais je crois qu’avec
beaucoup de soin on peut arriver à une approximation valable6. » Aussi présente-t-il son recueil
Nuits sans nuit et quelques jours sans jour comme une collection de rêves personnels, pépites
oniriques extraites de quarante années de notations dans son Journal et livrées au regard des
lecteurs. Depuis L’Afrique fantôme et jusqu’au Ruban au cou d’Olympia, les rêves de l’écrivain
émaillent toutes ses œuvres et s’intègrent dans une perspective autobiographique qui puise
largement à la source du psychisme. Un pas de côté avec cette démarche d’analyse est pourtant
fait avec Nuits sans nuit :

Pour me libérer, j’ai décidé de réunir mes rêves, tous ceux que je n’ai pas
utilisés dans mes livres et ceux que je n’ai pas l’intention d’utiliser ailleurs. Ils
sont destinés à rester simplement ce qu’ils sont, je ne prétends en tirer aucune
conclusion. Ce ne sont pas des fonds de tiroir. Je les ai collectionnés comme
des objets curieux qui vous séduisent pour une raison quelconque. Si les
psychanalystes veulent les analyser, libre à eux, je n’ai aucune intention de ce
genre. J’ai voulu me libérer, déblayer un peu le terrain7.
Si la question de la psychanalyse n’est pas totalement évacuée – Leiris la mentionne encore et
n’ignore pas la matière à analyse qu’il livre là – la question de l’interprétation semble pourtant,
en 1961, bien loin des préoccupations de l’auteur. En effet, s’ils ont pu receler pour lui un
mystère qui a certainement fait l’objet de quelques séances sur le divan d’Adrien Borel au début
des années 1930, les récits de rêves de Nuits sans nuit et quelques jours sans jours, paraissent
définitivement soustraits à cette grille de lecture. Contrairement à ceux qui figurent dans L’Âge
d’homme ou La Règle du jeu, les rêves publiés dans le recueil de 1961 ne font pas l’objet de
développements analytiques. Certains éléments sont bien rattachés à quelques restes diurnes et
des impressions d’ensemble sont certes livrées, mais les récits demeurent sous une forme

6
Michel Leiris, « Un collectionneur de rêves : Michel Leiris », entretien avec Claude Sarraute, Le Monde, 28
janvier 1961.
7
Michel Leiris, « Un collectionneur de rêves : Michel Leiris », art. cit.

310
particulièrement sobre, sans contexte (sinon la date et parfois le lieu où ils ont été faits) ni
développement de cet ordre.
Maurice Blanchot, qui consacre dans L’Amitié quelques pages au recueil, admet avoir
d’abord lu ces rêves « comme un complément de vie, mieux encore comme un supplément au
projet de se décrire et de se saisir par l’écriture », mais c’est pour ajouter tout de suite que « le
rêveur ne poursuit ici nullement le projet d’introspection auquel il semble de jour attaché8 ».

Pour un homme si profondément soucieux de lui-même et si attentif à sa


propre explication, je trouve remarquable la réserve dont il fait preuve vis-à-vis
de ses rêves. Il les note ou plus précisément il les écrit. Il ne les interroge pas.
Ce n’est pas par prudence ; on sait bien qu’il n’est personne de plus intrépide
dans cette inspection de soi, à laquelle il nous associe avec une franchise sans
précaution. Il connaît, d’autre part, la psychanalyse ; il connaît sa mythologie,
ses ruses, son interminable curiosité ; mieux que tout autre, il pourrait donc
défaire ses rêves et les lire comme des documents. C’est ce que précisément il
s’interdit, et s’il les publie ce n’est pas davantage pour nous laisser le plaisir de
les déchiffrer, mais pour que nous fassions preuve de la même discrétion, les
accueillant tels qu’ils sont, dans la lumière qui leur est propre et apprenant à
ressaisir en eux les traces d’une affirmation littéraire, mais non pas
psychanalytique ou autobiographique. Ce furent des rêves ; ce sont des signes
de poésie9. (164)
Pour Leiris, le recueil s’intègre dans une recherche d’écriture autobiographique d’un
nouvel ordre. À Claude Sarraute, qui lui demande comment qualifier Nuits sans nuit et quelques
jours sans jour, il répond :

– Autobiographique, oui. Depuis L’Âge d’homme, mon œuvre n’est qu’une


longue confession. Je suis convaincu pourtant qu’il faut arriver à un
dépassement de la confession, qui ne suffit à elle seule, qu’elle exige une
esthétisation qui ne soit pas un maquillage, mais une mise en forme10.
Déjà dans une note du Journal datée de mai 1929, il revendique une posture active
d’autocritique, préférée à celle de l’introspection, jugée trop passive.

En somme, ce que je tente en ce moment, c’est une autocritique, aussi


rigoureuse que possible. Je préfère ce terme à celui d’introspection, parce qu’il
comporte quelque chose d’actif, alors que l’introspection se réduit à une
contemplation purement passive de soi-même, pleine d’une détestable
complaisance. Je n’éprouve aucun plaisir particulier à observer tous les rouages
de mon activité. Si je les observe, c’est dans un but tout à fait intéressé et pour
l’accomplissement duquel il faudrait que je ne recule devant aucune sévérité11 !

8
Maurice Blanchot, « Rêver / écrire » », L’Amitié, Gallimard, année, p. 162-63.
9
Ibid, p. 164.
10
Michel Leiris, « Un collectionneur de rêves : Michel Leiris », art.cit.
11
Michel Leiris, Journal, mai 1929, op. cit., p. 144.

311
Au-delà de l’épanchement de soi, Leiris s’inscrit dans une recherche personnelle12, à la fois sur
le plan psychologique et sur le plan esthétique, d’un objet jamais atteint et qui, comme il
l’explique dans le Journal, se confond dans et avec le rêve.

Un type de rêve de mon enfance — je l’ai noté souvent — était le rêve de


recherche d’objets. Je le fais encore souvent, sous la forme de disques
merveilleux de phonographe que je ne parviens pas à retrouver dans un
monceau de disques, parmi lesquels il me semble qu’ils doivent figurer, étant
sûr de les avoir déjà entendu une fois.
C’est cet « objet », cette chose extérieure, tendre et introuvable qu’il faudrait
définir. Et définir, ce serait — bien entendu — le trouver. Toute ma vie se passe
dans cet état d’angoisse et d’oisiveté, de désir qui ne dépasse jamais la vague
rêvasserie. Toute ma peur de la mort est liée au désir angoissé de cet objet
impossible à découvrir13.
On voit combien le rêve est à la fois le mouvement, le véhicule et l’objet d’une quête qui ne
doit pas aboutir, au risque de briser un élan. Aussi ne sera-t-on pas étonné de trouver le rêve en
bonne place et de lire, parmi la liste des troubles qui mène Leiris à entamer une
« pyschanalyse », « pêche dans l’eau trouble de l’inconscient14 », comme il l’écrit en guise
d’analyse de ce beau lapsus dans son journal, entre la « timidité extrême » et « une
extraordinaire lâcheté » : « Pendant longtemps, m’éveiller la nuit en criant15 ». Interrompu
pendant la psychanalyse puis le voyage en Afrique à l’occasion de la mission Dakar-Djibouti à
laquelle il prend part en tant qu’ethnographe, le Journal reprend en avril 1933. En août, alors
qu’il avoue ne rien pouvoir écrire d’autre que de la « littérature “de confession” », Leiris
imagine produire « soit des tranches de vie (par exemple toute ma vie sexuelle depuis mon
enfance jusqu’à la perte de ma virginité avec D[aisy] S…) », « soit des sortes de corpus groupés
en raison d’une identité de nature16 ». Le premier projet trouve sa réalisation dans L’Âge
d’homme, le second dans Nuit sans nuit.
Il est frappant de constater combien la genèse de La Boutique obscure est analogue, par
bien des aspects, à celle de l’ouvrage de Leiris. L’admiration de Perec pour Leiris est bien
connue ; il cite souvent l’auteur de La Règle du jeu parmi ceux qu’il admire, aux côtés de
Malcolm Lowry, Flaubert ou encore Jules Verne, et avec lesquels il se reconnaît cette « parenté
enfin retrouvée ». Il ne fait pas de doute que Perec retrouve chez Leiris des interrogations qui
sont également en jeu dans ses propres œuvres : même recherche de formes d’écriture

12
« L’espoir de trouver ce que je cherche s’est, pour moi, réduit peu à peu à trouver, non pas la chose que je
cherche, mais quelle est exactement la chose que je voudrais trouver. Bref, ce qu’aujourd’hui je cherche c’est ce
qu’est ce que je cherche. » Journal, 26 août 1969, op. cit., p. 640.
13
Michel Leiris, Journal, 18 mai 1939, op. cit., p. 323-324.
14
Journal, 28 octobre 1929, op. cit., p. 203.
15
Journal, 28 octobre 1929, op. cit., p. 203.
16
Journal, 24 août 1933, op. cit., p. 230.

312
autobiographique originales, même jeu avec le signifiant17. Concernant plus spécifiquement
l’écriture du rêve, tous deux doivent composer avec l’expérience de la cure psychanalytique
qui, tout en leur fournissant des clefs d’entrée fructueuses, les amène également à déplacer la
recherche personnelle vers un horizon plus littéraire.
Dans les « notes sur ce que je cherche18 », puis dans « Le rêve et le texte », Perec, qui
confie ailleurs s’être grandement inspiré de Leiris19, parle d’un « projet autobiographique
détourné » comme d’une tentative d’y « cerner sa propre histoire »

non pas en la racontant à la première personne du singulier, mais au travers


de souvenirs organisés thématiquement : par exemple, souvenirs et devenirs de
lieux où j’avais vécu, énumération des chambres dans lesquelles j’avais dormi,
histoire des objets figurant sur ma table de travail, histoire de mes chats et de
leur descendance, etc., comme si, à côté de ces autobiographies limitrophes et
fragmentaires, mes récits de rêves avaient pu constituer ce que j’appelais alors
une autobiographie nocturne20.
Pour Perec aussi, les rêves consignés se donnent comme autant de matériaux pour
nourrir une auto-analyse et se défaire d’angoisses paralysantes. Dans un entretien accordé à
Germaine Rouvre, il reconnaît pourtant que l’auto-analyse n’est qu’une piste illusoire :

Au départ, c’est une préoccupation personnelle qui me poussait à


m’intéresser à mes rêves, d’ordre analytique. Au départ conçue un peu comme
une auto-analyse sauf que chemin faisant, je me suis aperçu que ça ne voulait
rien dire une auto-analyse21.
En effet, les premiers rêves des carnets noirs qui ne le quittent jamais sont très souvent suivis
de notes, soulignant ici quelques allégories de « la mère » ou du « père », faisant émerger là
une angoisse d’homosexualité. Le commentaire noté à propos du rêve intitulé « La coupure »
(n° 83) offre un exemple des exercices auxquels se prête l’auteur de La Boutique obscure. Le
rêve se termine sur la menace d’un serpent prêt à dévorer le rêveur, lequel est sauvé in extremis
par un coup de feu qui le réveille et met ainsi fin au rêve. Après ses impressions au réveil, Perec
note :

17
Sur les liens entre Perec et Leiris, on pourra se reporter à l’article de Virginie Emane, « De Leiris à Perec : la
rhétorique de l’authenticité », dans Francis Marmande (dir.), Michel Leiris. Le siècle à l’envers, éditions Farrago
et Léo Scheer, 2004, p. 275-288.
18
Georges Perec, « Notes sur ce que je cherche », Le Figaro, 8 décembre 1978, p. 28 ; repris dans Penser/Classer,
Hachette, 1998, p. 9.
19
Ainsi, à la question de Gilles Dutreix « Vous avez lu des ouvrages sur les rêves ? », il répond : « Beaucoup.
Notamment ceux de Michaux, de Leiris, et aussi des livres de psychanalyse. » « J’ai cherché des matériaux dans
les rêves pour faire une autobiographie nocturne », propos recueillis par Gilles Dutreix, Nice-Matin, 16 septembre
1973, repris dans Entretiens et conférences, édition établie par Mireille Ribière et Dominique Bertelli, Joseph K.,
2003, vol. I, p. 139.
20
Georges Perec, « Le rêve et le texte », art. cit., p. 76.
21
« L’écriture des rêves », entretien avec Germaine Rouvre, Annexe A.

313
Au moment du réveil et pendant assez longtemps ensuite, le coup de feu
m’apparaît comme totalement irréel : je veux dire sa fonction n’a été que de me
réveiller, me sortir du rêve. Si le rêve avait continué le serpent m’aurait mordu
(et tué).
Pendant les presque deux heures qui ont séparé le rêve et sa rédaction (et
jusqu’au milieu de la rédaction à peu près) le thème d’Œdipe et du serpent
m’ont semblé aller de pair « évidemment » à tel point que je restai persuadé
avoir fait un rêve-modèle (de complaisance) avec un matériel symbolique
entièrement précodé (« obligé » i.e sans portée, « conventionnel »). Je veux dire
qu’il me semblait que le thème du serpent appartenait au mythe d’Œdipe, en
était un des moments (comme l’énigme, comme la cécité). C’est seulement au
milieu de la narration qu’il m’est apparu qu’à ma connaissance il n’y a pas de
serpent dans l’histoire d’Œdipe, mais un sphinx et que le serpent appartient à
l’histoire d’Ève ou à celle d’Hercule.22
Complexe d’Œdipe et réécriture fantasmée d’une mythologie personnelle, les démarches de
l’oulipien et de l’ex-surréaliste sont proches. Tous deux situent d’ailleurs l’origine de leur
notation onirique dans un rêve de mort. « J’ai commencé à écrire mes rêves le jour où j’ai fait
le rêve de m’être réveillé mort23 », dit Perec à Ewa Pawlikowska24, alors que Nuit sans nuit
s’ouvre sur un rêve d’exécution.

Rêve très ancien

Devant une masse de badauds – dont je suis – l’on procède à une série
d’exécutions capitales et cela m’intéresse au plus haut point. Jusqu’au moment
où le bourreau et ses aides viennent à moi parce que c’est à mon tour d’y passer,
ce à quoi je ne l’attendais guère et qui m’horrifie grandement. (NNJJ, 9)
Source de fascination et d’angoisse mêlées, la mort émaille tout le recueil25, ce qui plonge Leiris
dans des états de profonde anxiété et l’éveille en sursaut, comme il le raconte dans L’Âge
d’homme :

rêvant toutes les nuits, notant mes rêves, tenant certains d’entre eux pour des
révélations dont il me fallait découvrir la portée métaphysique, les mettant bout

22
Manuscrit, 116, 5, 89, recto. Fonds privé Georges Perec, Bibliothèque de l’Arsenal, Paris.
23
« Entretien Georges Perec / Ewa Pawlikowska », propos recueillis le 5 avril 1981, à Varsovie (transcription
d’Ewa Pawlikowska), Georges Perec, Entretiens et conférences, volume II (1979-1981), édition critique établie
par Dominique Bertelli et Mireille Ribière, Joseph K., 2003, p. 204.
24
S’il est difficile d’identifier précisément le rêve dont parle Perec – et peut-être ne l’a-t-il pas fait figurer dans La
Boutique obscure –, du moins pouvons-nous remarquer que le rêve inaugural du recueil est un cauchemar dans
lequel Perec se retrouve dans un univers concentrationnaire. « La taille » s’organise en trois séquences, dans
lesquelles il est toujours soumis à une menace ou un supplice, jusqu’à éprouver que « mourir et sortir de la pièce
sont équivalents. »
25
On compte 5 rêves se terminant par un cri dans le recueil : les rêves des 10-11 décembre 1924 (Leiris attaché),
8-9 octobre 1933 (mort du président Lebrun et dernier paragraphe sur une angoisse qui se propage à Leiris lui-
même : « Comme conclusion tirée de tout cela, je suis sur le point d’articuler une phrase définitive concernant
l’angoisse, mais Z… m’éveille, me prévenant que je vais crier. ») ; 19-20 mars 1943 ; 16-17 mai 1944 (attente de
l’exécution avec Z) ; 29-30 septembre 1957 (ML veut se jeter dans les escaliers pour se fracasser le crâne mais Z
se réveille). Le journal en compte bien d’autres : 25 octobre 1924, 31 août 1929, 29 janvier 1946, 4 février 1946
19 décembre 1947.

314
à bout afin de mieux en déchiffrer le sens et en tirant ainsi des sortes de petits
roman, je m’éveillais presque chaque nuit en hurlant26.
Si le réveil s’impose le plus souvent comme la meilleure planche de salut, sommeil et mort se
confondent parfois, comme dans ce rêve de 1943 d’où aucun réveil ne semble pouvoir le tirer.
19-20 mars 1943

Le rêve que je suis en train de faire devient comme un état de veille qui va
cesser : pris d’un irrésistible sommeil dans le rêve même, je sens que celui-ci
est sur le point de s’achever, par une nouvelle plongée dans le néant de
l’inconscience et non par un retour à la réalité. Je m’apprête à crier de peur,
mais Z…intervient et le malaise prend fin.
Mouvement analogue à celui qui, souvent, tend à m’arracher de tels cris à la
limite de l’éveil. Mais, en l’occurrence, ce mouvement était singulièrement plus
angoissant car, au lieu de subir durant un temps qui ne saurait s’évaluer les
affres d’une émersion difficile, je quittais le rêve en quelque sorte par en bas,
pour m’enfoncer dans un sommeil dont je ne sortirais plus et qui serait la mort.
(NNJJ, 156)
Avec cette inversion de la veille et du sommeil, le second se substituant à la première dans un
réveil impossible, ce scénario onirique nous informe sur une des fonctions que peut avoir le
rêve dans le sommeil de Leiris. Pour un homme si angoissé par sa mort, rêver est encore le
signe qu’il est en vie, et qu’une forme d’activité créative transcende le semblant de néant que
peut évoquer le sommeil. L’existence même des récits de rêves de Leiris viennent ainsi infirmer
l’angoisse qu’ils charrient et se donnent pour charge d’exprimer.
Catherine Maubon parle, au sujet de la psychanalyse de Leiris d’un « déplace[ment] du
lieu de la collecte [des rêves] », soustraits aux pages du journal pour mieux s’inscrire dans le
cadre de la cure menée avec Adrien Borel. Pour Perec, le mouvement est double : l’auteur
commence par livrer à son analyste des rêves que l’on pourrait dire « clefs en main », déjà
décortiqués dans ses carnets, avec associations et scénarios interprétatifs parfaits, pour se les
voir en retour refusés par Pontalis27. Le psychanalyste, faisant le constat de cette « recherche

26
Michel Leiris, L’Âge d’homme (1939), Gallimard, coll. « folio », 1991, p. 193.
27
La rencontre de Perec et Pontalis et le travail fait ensemble a fait l’objet de nombreux témoignages, à commencer
par les leurs. On pourra aussi se reporter au livre de Marianne Perruche, J.-B. Pontalis, une œuvre trois rencontre :
Sartre, Lacan, Perec, L’Harmattan, coll. « L’œuvre et la psyché », 2008 et à l’article de Claude Burgelin, « Perec
et Pontalis. Une histoire de lettres, d’enveloppe et de destinataires », Cahier de l’Herne, n° 116, 2016, p. 214-
219. Claude Burgelin y indique les références des 9 textes de témoignages publiés par Pontalis sur le « cas Perec » :
cinq contributions reprises dans Entre le rêve et la douleur, Gallimard, 1977 : « La pénétration du rêve », Nouvelle
Revue de psychanalyse, n° 5, printemps 1972 (Entre le rêve…, p. 30-33) ; « Bornes ou confins », Nouvelle Revue
de psychanalyse, n° 10, automne 1974 (Entre le rêve…, p. 213-214) ; « À partir du contre-transfert, la mort et le
vif entrelacés », Nouvelle Revue de psychanalyse, n° 12, automne 1975 (Entre le rêve…, 234-240) ; « Faiseurs de
rêves » (conférence, 1973) (Entre le rêve…, p. 40-41) ; « Sur la douleur (psychique) » (Entre le rêve…, p. 263-
266) ; une contribution reprise dans L’Amour des commencement, Gallimard, 1986, p. 165-167 ; deux
contributions reprises dans Perdre de vue, Gallimard, 1988 : « Paradoxes de l’effet Winnicott », entretien avec
Anne Clancier (1984), p. 162-164 ; chapitre « Perdre de vue », p. 296-298 ; « La saison de la psychanalyse »
(conférence prononcée en 1992) reprise dans Ce temps qui ne passe pas, Gallimard, 1997, p. 28-30.

315
fébrile de techniques de manipulation de signes28 » et de cet empressement à ne jamais laisser
sommeiller sa conscience classificatrice, le taxe avec une certaine tendresse poétique
d’« insomniaque du jour », en proie à un « travail minutieux de division, de dislocation, à un
processus sans fin de liaison29 », telle une (anti)Pénélope moderne, défaisant le jour en séance
ce qu’il tisse la nuit dans ses rêves. « C’est un travail d’écriture complètement en porte-à-faux,
concède Perec. Dans La Boutique obscure il n’y a plus de travail du rêve, au sens
psychanalytique du terme, il y a une écriture qui empêche d’être ce qu’on appelle “la voie
royale” freudienne30. » Identifiée comme symptôme d’intellectualisation31, résistance tenace à
l’analyse, cette manipulation obsessionnelle des rêves débouche ainsi sur un second
déplacement, du divan à la table d’écriture.

Ça faisait partie du livre, ça intervenait comme refus de l’analyse, c’est-à-


dire que je n’apportais pas mes rêves à l’analyste, je les dérobais pour les
publier. Il y avait une relation agressive à travers ce livre... En revanche, le
travail analytique s’est achevé dans W, je pense que c’est suffisamment
sensible32.
Perec use des règles de l’analyse pour mieux les bafouer. Pris dans la frénésie de ses dissections
maniaques, il empêche tout travail d’ordre introspectif. Aussi, privés de cette profondeur, ses
rêves deviennent-ils de purs objets littéraires, avec leurs trouvailles formelles et leurs contenus
insolites.

J’ai fini par admettre que ces récits n’avaient pas été vécus pour être rêves,
mais rêvés pour être textes, qu’ils n’étaient pas la voie royale que je croyais
qu’ils seraient mais chemins tortueux m’éloignant chaque fois davantage d’une
reconnaissance de moi-même33.

28
Jean-Bertrand Pontalis, « Sur la douleur (psychique) », Entre le rêve et la douleur, op. cit., p. 265.
29
Jean-Bertrand Pontalis, « À partir du contre-transfert : le mort et le vif entrelacé », paru dans Nouvelle revue de
psychanalyse, n°12, « La Psyché », 1975. Repris dans Entre le rêve et la douleur, op. cit., p. 235.
30
« En dialogue avec l’époque », entretien avec Patrice Fardeau, France Nouvelle, n° 1744, 16-22 avril 1979,
repris dans Entretiens et conférences, vol. II, op.cit., p. 66.
31
Dans le Vocabulaire de la psychanalyse, Laplanche et Pontalis le définissent ainsi : « Processus par lequel le
sujet cherche à donner une formulation discursive à ses conflits et à ses émotions de façon à les maîtriser. Le terme
est le plus souvent pris en mauvaise part ; il désigne, notamment dans la cure, la prépondérance donnée à la pensée
à la pensée abstraite sur l’émergence et la reconnaissance des affects et des fantasmes. » Les auteurs reviennent
ensuite sur « une forme plus subtile d’intellectualisation […] à rapprocher de ce que K. Abraham a décrit dès 1919
dans Une forme particulière de résistance névrotique à la méthode psychanalytique : certains patients semblent
faire du ‘bon travail’ analytique et appliquer la règle, rapportant des souvenirs, des rêves, comme des expériences
affectives. Mais tout se passe comme s’ils parlaient selon un programme et cherchaient à se comporter en analysés
modèles, donnant eux-mêmes leurs interprétations et évitant ainsi toute irruption de l’inconscient ou toute
intervention de l’analyste perçues comme de dangereuses intrusions. » Jean Laplanche et Jean-Bertrand Pontalis,
Vocabulaire de psychanalyse (1967), PUF, coll. « Quadrige », 2007, p. 204.
32
« En dialogue avec l’époque » entretien avec Patrice Fardeau, art. cit., p. 66.
33
Georges Perec, « Les Lieux d’une ruse », Je suis né, Seuil, 1990, p. 70.

316
Dans un renversement, mais sans contester leur authenticité, Perec avoue étrangement le défaut
d’oniricité de ces textes.

Perec et Leiris, à quarante années de distance, parcourent des itinéraires proches, entre
préoccupations analytiques, projet autobiographique et fascination pour la matière que
représentent les rêves. Tous deux expriment, à l’égard de la cure analytique, des propos mêlés
de tension, la trouvant tour à tour « “réductrice” si elle prétend prouver, “frustrante” si elle n’y
arrive pas34. » Plus intéressés au départ par une quête personnelle que par l’ambition de proposer
de nouvelles manières d’écrire, ils se retrouvent tous les deux à exploiter la richesse du matériau
onirique dans une voie qu’ils n’avaient pas prévue. Sans doute parce que ce dernier a été investi
ailleurs, et chargé d’une signification toute personnelle, il se retrouve dans les recueils vidé de
cette valeur heuristique, et ainsi plus facile à manipuler.

34
Philippe Lejeune, « Post-scriptum à Lire Leiris », Moi aussi, Seuil, 1986, p. 173.

317
5.2. MANIPULATIONS ET RÉÉCRITURES

5.2.1. « RÊVE OBJECTIVÉ » ET « RÊVE-OBJET »


En 1929, lors de sa rupture avec le mouvement surréaliste, Leiris se montre très critique à
l’égard des méthodes d’écriture mises en place par le groupe, et particulièrement de l’écriture
automatique. Celle-ci lui semble relever davantage d’une « règle de construction qu[e d’]une
technique de l’inspiration » : « On se borne en effet (si l’on admet du moins la véracité des
faits !) à employer une technique hypnotique dans un but littéraire. Cela n’est donc plus une
solution que l’écriture automatique35 », note-t-il.

Le fait de tenir un journal comme celui-ci peut participer d’une telle


technique. En tout cas, il peut mettre sur le chemin de la découverte. Ce qu’il
faut c’est une technique très profonde, analogue aux exercices que s’imposent
les ascètes tibétains. S’habituer à une certaine multiplication de la conscience,
et s’opposer son cœur comme d’ordinaire on s’oppose un arbre ou une maison.
J’ai l’impression, quant à moi, d’une certaine révolution qui se produit en moi,
— de mouvement tournant dans lequel ma pensée semble décrire un demi-
cercle et ainsi se tenir face à face avec elle-même. C’est alors que les mots, au
lieu de s’agencer mécaniquement (psittaciquement), prennent poids et couleur :
ils m’émeuvent moi-même, et ne comptent plus pour moi en tant que mots36.
Toujours à la recherche de techniques plus actives et plus exigeantes, Leiris se distingue des
pratiques du groupe en demandant que les récits de rêves puissent être retravaillés afin
d’atteindre à une communicabilité plus fluide.

Contrairement à ce qu’on peut penser l’écriture automatique rend compte


moins fidèlement de la pensée que l’écriture très élaborée. C’est dans
l’élaboration de l’expression qu’on approfondit sa pensée et qu’on la rend
communicable. Si vous voulez que le « vécu par vous » atteigne les autres, il
faut d’une façon ou d’une autre déboucher sur la littérature. Mais sans
déformer, sans tricher. Si vous trichez, vous ne communiquez pas votre
expérience puisque vous en avez fait autre chose37.
L’auteur de La Règle du jeu ne remet pas tant en question le fond de la démarche surréaliste
(tenir les rêves pour les objets poétiques) que la méthode employée. S’il se refuse à modifier
quoi que ce soit au contenu de ses rêves, il lui importe en revanche que l’expression par laquelle
il les transmet au lecteur soit la plus proche possible de son ressenti, et non la première venue
sous sa plume. Revenant, dans une « note historiographique » datée de 1943, sur ses premiers
récits de rêves publiés en 1924, il reconnaît les avoir retouchés.

35
Michel Leiris, Journal, mai 1929, op. cit., p. 137-138.
36
Idem.
37
Michel Leiris, « Un collectionneur de rêve : Michel Leiris », entretien avec Claude Sarraute, art. cit.

318
Le Pays de mes rêves, publié dans le n° 2 de La Révolution surréaliste et qui
marque le début de ma participation à ce mouvement, représente un
intermédiaire entre le poème en prose voire le texte autobiographique – et le
récit de rêve. Il s’agit de rêves réels, mais « réécrits » et soumis à une certaine
mise en forme destinée à fournir, mieux que si l’on procédait par simple
compte-rendu, une manière d’équivalent de l’atmosphère onirique38.
La reprise dans une « écriture très serrée », apte à « rendre sa réalité et sa qualité d’objet à ce
que vous pensez ou ressentez39 » est au service de l’authenticité. Elle doit permettre de rendre
mieux compte de l’étrangeté du rêve, et en cela lui être plus fidèle.
Mais avant même de les reformuler dans les termes qui lui semblent le mieux cerner la
vérité du rêve vécu, l’auteur de Nuits sans nuit, ne bénéficie pas de la même clarté de vision ou
de souvenir que celle qui permet à ses camarades de noircir des pages dès le réveil. Loin de
s’en tenir à une transcription immédiate, à la manière des sténographies de Breton, Leiris
explique, dans Biffures, quel travail de concentration et de remémoration lui demande la mise
en récits de ses rêves.

Tenter de ressusciter le rêve, de lui faire prendre volume et couleur, de le


tirer de la plate et morte géométrie en laquelle – infidèlement – il se résumait ;
lui injecter, comme un souffle de nouvelle vie, la très vague atmosphère qui, de
ce qui lui avait été essentiel, était tout ce qu’il me restait ; triturer les bribes de
décor, de personnages et d’événements que ma mémoire, avec beaucoup
d’effort, parvenait à faire apparaître un instant, ici ou là ; les sentir se dissoudre
avant même d’avoir pu commencer à les réajuster ; reprendre ce travail un
nombre indéfini de fois et dans des conditions à chaque fois plus mauvaises
(car l’atmosphère peu à peu se diluait, ou se corrompait, et les bribes elles-
mêmes, à force d’être triturées, s’amenuisaient ou se faussaient, et ç’eût été
bientôt un rêve fabriqué de toutes pièces — et dépourvu, d’ailleurs, de tout
contenu sensible – que j’aurais vu se dresser dans ma tête, si j’avais plus
longtemps continué) ; penser à cela au lit avant de me lever, dans le bain (où
j’ai toujours aimé rêvasser), dehors, à mon travail, à table ; remâcher tout cela
sans avoir le courage de le recracher avant que ma certitude de n’aboutir à rien
ne fût manifestée par une impression presque physique de nausée : telles
étaient, parfois, à cause de tels rêves, mes occupations de toute une journée.40
Le rêve se fait ici matière sensible, résistante mais tout de même malléable, à force de travail.
Les verbes employés indiquent tout l’effort de mise en forme, au sens le plus concret qui soit,
que requiert cette résurrection des rêves enfouis dans les limbes confuses des nuits oubliées.
On perçoit, à travers l’emploi de ce vocabulaire concret et plastique, combien le rêve devient,
passé à la mécanique mémorielle de Leiris, un objet presque solide. Et c’est d’ailleurs bien à la
transformation de ses songes intimes en « rêves objectivés », fruits d’un double processus

38
Michel Leiris, « Note historiographique » (1943), dans Miroir de l’Afrique, Gallimard, coll. « Quarto », 1995,
p. 1410
39
Michel Leiris, « Un collectionneur de rêve : Michel Leiris », entretien avec Claude Sarraute, art. cit.
40
Michel Leiris, Biffures [1948], dans La Règle du jeu, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2003, p. 16-
17.

319
d’avènement et de détachement, que l’auteur prétend, en mettant en place cette longue et
laborieuse procédure.

Un rêve objectivé, un rêve que nous regardons, qui nous touche quoique
nous ne soyons pas dedans, qu’est-ce donc que cela peut être sinon un ensemble
d’actions qui nous sont proposées et que nous considérons avec un intérêt
passionné, comme nous ferions si nous pouvions, extraits de la vie mais
demeurés lucides, être détachés de notre propre histoire et la voir se jouer
devant nous, transformés par l’optique inhérente à notre nouveau statut41 ?
Les rêves qui figurent dans Nuits sans nuit et quelques jours sans jour sont façonnés en
plusieurs étapes : le journal fait office de boîte enregistreuse dans laquelle ils sont d’abord
consignés avant de faire l’objet d’un réemploi ultérieur et éventuellement de rédactions
successives. Selon Catherine Maubon, l’écrivain « s’[est] constitu[é] un “fonds onirique” »
dans un ensemble de fiches42 dont il se ressert ensuite, au gré de la progression de son entreprise
autobiographique. Toutefois, et malgré ces notes, la rédaction peut tourner à la création, comme
en témoigne cette réflexion du Journal :

Mille songes divers et leur interprétation, tout cela oublié dès le réveil. Le
mystère percé à coup de combinaisons de mots, de lettres, de chiffres. La
substitution d’une voyelle à une autre, dans le corps d’un mot, ou l’addition
d’une consonne, me donne la clef de l’univers.
Les rêves dont on ne parvient pas à se souvenir sont comme des objets
dont on ne connaîtrait que les angles, sous la forme la plus abstraite : leur
mesure en degrés. Un de ces angles apparaît souvent dans la mémoire, mais
malgré nos efforts il reste dépouillé, et ne peut se revêtir d’aucune matière ;
nous n’avons que la perception de son acuité, comme du coude d’un inconnu
qui nous heurterait le côté, sans que nous ayons le temps ni la possibilité de
dévisager cet inconnu qui se perd dans la foule. Et souvent, lorsque croyant
nous souvenir tout à fait, nous donnons un corps à l’un de nos angles, c’est une
recréation complète de notre rêve que nous effectuons43.
Compréhension et sensation se donnent à Leiris comme deux chemins de remémoration, le
second ne pouvant assurément pas égaler le premier dans la précision et la fiabilité du souvenir.
La quête du sens se voit relayée par l’imagination, à la fois porte de sortie et conclusion
déceptive.
Un rêve daté de janvier 1948 nous donne un bon exemple de cette procédure, dans
laquelle un élément isolé est interrogé. Alors qu’il se trouve en Algérie, à Sidi Madani, Leiris,
préoccupé par la « question musulmane », fait un cauchemar dont le récit n’est en fait rien
d’autre que le développement de sa remémoration :

41
Michel Leiris, Fourbis, dans La Règle du jeu, op. cit., p. 328.
42
Catherine Maubon, Leiris en marge de l’autobiographie, Corti, 1994, p. 75.
43
Michel Leiris, Journal, op.cit., 21 novembre 1924, p. 81-82.

320
Réfléchissant aux problèmes humains qui se posent en Algérie – problèmes
dont au cours de mon séjour j’ai parlé à diverses reprises avec quelques
résidents français qui mesuraient toute la gravité de la situation, dénonçaient
les fautes commises et se montraient inquiets de l’évolution probable des
rapports entre les deux éléments, musulmans et non musulmans, de la
population – je ressens si fortement l’impression du casse-tête que cela tourne
à l’angoisse et que je pousse un cri.
Aussitôt réveillé, je cherche à me rappeler ce que par-dessous cette teneur
générale était concrètement mon cauchemar. Une tuile romaine ou ardoise
luisante et glissante (objet tangible et non terme idéal d’une métaphore), c’est
sous cette forme précise que m’apparaît alors « la question musulmane ».
Sans doute étaient-ils moins névrosés que moi, ces soldats que j’avais vus,
un matin à Médéa, faire irruption en plein marché et manœuvrer sous le
commandement des gradés aux cris rauques, en des évolutions qui forcèrent à
un brusque repli les vendeurs soucieux de soustraire au piétinement les
modestes denrées qu’ils avaient apportées de la campagne, serrées dans des
couffins. (NNJJ, 170-171)
Sur les trois paragraphes qui composent ce texte, très peu de lignes sont en fait consacrées au
contenu du rêve : le premier se concentre sur les circonstances du rêve et ne donne de ce dernier
qu’une impression indistincte – « une impression de casse-tête » dont on sait seulement qu’elle
est assez forte pour le tirer de son sommeil – ; le deuxième l’essentialise en un objet – « une
tuile romaine ou une ardoise luisante et glissante » – dont l’auteur ne nous dit rien des
associations qui ont pu le conduire à une telle figuration ; le troisième quitte le cadre strict du
rêve pour lui raccrocher un jugement personnel – l’ampleur de sa névrose – et un souvenir du
même voyage. Aussi le sujet du texte est-il moins le rêve en lui-même que le récit de son
objectivation (double objectivation ici dans la mesure où la remémoration ne fait rien émerger
d’autre qu’un objet). Si le résultat de l’effort de résurrection mémorielle est bien décevant, la
comparaison du texte publié dans le recueil de 1961 avec les notes du Journal laisse apprécier
le travail de complétion et de réécriture mené par l’auteur afin de rendre son texte plus
intelligible, une fois extrait de tout contexte :

Cauchemar fait l’une de ces dernières nuits à Sidi Madani : je réfléchis à la


question musulmane (dont nous avons si continuellement parlé) ; elle
m’apparaît si grave, si inextricable que je suis pris d’angoisse et pousse un cri.
Une fois éveillé, j’essaie de reconstituer exactement le rêve ; une tuile romaine
ou ardoise luisante et glissante, telle m’apparaît alors la « question
musulmane44 ».
Tout l’effort de l’écrivain se concentre sur l’explicitation du contexte historique et politique,
puis sur l’illustration du climat de violence et d’inégalité dans lequel se trouve la colonie
française à la fin des années 1940. La parenthèse, ajoutée comme une indication de lecture après
la mention de la tuile dans la version publiée, insiste sur la matérialité de l’objet et participe

44
Michel Leiris, Journal, op. cit., p. 459.

321
encore de ce souci de précision et de lisibilité auquel Leiris accorde tant d’importance. Car c’est
bien ce contraste entre l’aspect insolite de l’objet concret, parfaitement décroché de toute
association, et les multiples tentatives d’explication abstraites qui l’encadrent qui font l’intérêt
de ce récit. Comme le personnage de conte fantastique qui se réveille avec dans la main un objet
énigmatique, incapable de savoir d’où il vient, Leiris place au cœur de son récit cette tuile et
l’entoure de tentatives d’élucidation qui n’en réduisent absolument pas le mystère.
Le processus de remémoration est intégré au récit et fait émerger un type de récit de rêve
nouveau, qui se défait peu à peu de l’immersion propre aux premières narrations, lesquelles
s’attachaient à rapporter un rêve clos sur lui-même et n’admettaient pas que l’univers onirique
puisse être perturbé par des éléments d’incertitude ou de rapprochement avec celui de la veille.
Le récit de rêve daté des 3-4 septembre 1933 illustre la façon dont Leiris peut déstructurer le
rêve en soumettant sa narration aux aléas de la remémoration. Sur plus de six pages, il expose
en trois temps la reconstruction progressive et laborieuse du rêve : le récit de rêve tel qu’il
apparaît d’abord à l’auteur est complété dans un deuxième temps par des éléments plus épars
qui lui reviennent, de façon anarchique, après le réveil, et qui sont enfin, dans un troisième
temps, interprétés pour donner plus d’unité à l’ensemble, l’écrivain « rédigeant ce récit d’après
une vieille note de plus de vingt-cinq ans » (NNJJ, 95). Le temps de la narration est sans cesse
parasité par des éléments propres au temps de l’écriture et le récit est interrompu au gré des
remarques, des doutes, des résurgences, des associations avec des événements de la vie éveillée
et des interprétations de l’auteur.

Éveil, et petit déjeuner dans cette chambre d’hôtel que nous devons quitter
le lendemain pour rentrer à Paris. Au cours de ma toilette, je regarde le plateau
à déjeuner que ma femme a posé devant la cheminée, comme elle le fait
d’ordinaire quand nous n’en avons plus besoin. À côté des tasses vides et de la
théière, gisent deux branches de chardon qu’elle a jetées là en faisant un peu
d’ordre. Je me rappelle alors que le jubé se présentait comme une table de
banquet, sur laquelle étaient – probablement – disposés des branches d’épineux.
Quelques instants plus tard, un nouveau coup d’œil sur le plateau me révèle la
présence oubliée d’une enveloppe de lame de rasoir Gillette que j’y ai jetée
moi-même après avoir donné au beau-frère de ma femme, qui se trouvait en
manquer, la dernière lame qu’elle contenait. Je rapproche cette présence (en
rapport direct avec une chose qui peut blesser) de la crainte que, dans le rêve,
j’avais des épineux. (NNJJ, 94-95)
Leiris ne cherche pas à façonner un récit bien ficelé mais expose le travail de recomposition
auquel il se livre. Plus que le rêve en lui-même, c’est le chemin chaotique de sa remémoration
qui est donné à lire.

322
« Leiris est un inventeur comme Aragon, un fabricateur conscient qui se sert des
matériaux du songe45 », écrit Michel Murat. Ce jugement, plus adapté à l’étude des récits
comme Aurora ou Le Point Cardinal, tous deux issus de la recomposition et de l’assemblage
de rêves et de fantasmes, dit pourtant combien l’écrivain ne parvient pas à se satisfaire de
notations brutes. Catherine Maubon a bien détaillé le minutieux travail de reformulation auquel
il soumet ses rêves au fil de leurs publications successives46. Elle montre combien, dans les
premières publications, Leiris s’attache à renforcer les procédés soulignant leur impact :
passage du passé simple au présent de l’indicatif, suppression des modalisateurs, recherche
d’expressions plus frappantes. « Il apparaît ainsi – et l’édition définitive ne fera que le confirmer
– que l’auteur ne republie jamais sans variante un fragment déjà publié. Sans remettre en cause
l’équilibre global, ces ratures n’en modifient pas moins la transcription dont elles postulent du
même coup le caractère inachevé dans sa radicale inadéquation à la réalité onirique dont elle
est censée être l’analogon47. »
L’étude des quatre versions successives du rêve du 15 mars 1925 montre comment Leiris
retravaille son texte dans le sens de la poétisation. Loin de s’en tenir aux premières notes du
journal, il enrichit le récit de rêve, ajoute des circonstants et des analogies, modifie l’ordre des
éléments. Ainsi, du journal à la publication dans La Révolution surréaliste, Leiris amplifie
l’effet du jeu de mot en en modifiant le dernier terme, au bénéfice d’une paronomase plus
accentuée, et en le faisant passer en fin de texte, créant ainsi une pointe spirituelle :

1°) Journal, p. 94.

Nadia, naïade, rougie.48 — Je suis au bord de la mer, avec une amie nommée
Nadia ; pour s’amuser à me faire peur et voir si j’aurais du chagrin de sa mort,
Nadia, qui sait très bien nager, veut faire semblant de se noyer, — mais elle se
noie pour de bon…

2°) La Révolution surréaliste, n° 5, 15 octobre 1925, p. 11.

Je suis au bord de la mer, sur une plage du genre Palm Beach, avec une
amie nommée Nadia. Pour s’amuser à me faire peur et savoir si j’aurais du
chagrin de sa mort, Nadia, qui sait très bien nager, veut faire semblant de se

45
Michel Murat, « Michel Leiris comme anti-automate », dans Marie-Paule Berranger et Michel Murat (dir.), Une
pelle au vent dans les sables du rêve, op. cit., p. 80.
46
Nous renvoyons aussi au très précieux travail de correspondance établi par Susanne Goumegou pour présenter
les versions successives des rêves de Leiris dans les manuscrits de l’auteur, son Journal, les revues, et les deux
éditions de Nuits sans nuit (1945) et Nuits sans nuit et quelques jours sans jour (1961). Susanne Goumegou,
Traumtext und Traumdiskurs. Nerval, Breton, Leiris, Munich : Fink, 2007, p. 489-506.
47
Catherine Maubon, Michel Leiris en marge de l’autobiographie, op. cit., p. 53-54.
48
Nous soulignons les éléments modifiés d’une version sur l’autre.

323
noyer. Mais elle se noie pour de bon, et l’on me rapporte son corps inanimé. Je
commence par pleurer beaucoup, puis je finis par me consoler en faisant ce
petit jeu de mots :
Nadia, naïade noyée.
Alors que la première version s’en tenait strictement aux faits, la seconde ajoute une focalisation
plus personnelle et développe les sentiments du rêveur. Cet aspect est encore enrichi dans la
troisième version, publié dans le recueil de 1945 :

3°) Nuits sans nuit, 1945, p. 20

Je suis au bord de la mer, sur une plage du genre Palm Beach – une plage
de film américain – avec une amie nommée Nadia. Pour s’amuser à me faire
peur et savoir si j’aurais du chagrin de sa mort, Nadia, qui sait très bien nager,
veut faire semblant de se noyer. Mais elle se noie pour de bon et l’on me
rapporte son corps inanimé. Je commence par pleurer beaucoup, jusqu’à ce que
le jeu de mots « Nadia, naïade noyée » – fait au moment du réveil –
m’apparaisse à la fois comme une explication et comme une consolation.
Si le jeu de mots ne bénéficie plus, dans cette nouvelle configuration, de la mise en valeur qui
était la sienne (dernière ligne, centrée au milieu de la page), il est en revanche justifié comme
clé de lecture ou début d’interprétation donnée par un inconscient résolument poète. Dans la
dernière version, Leiris s’attache à atténuer quelque peu les effets de surgissement en
ménageant l’entrée dans le rêve :

4°) Nuits sans nuit et quelques jours sans jour, 1961, p. 43

Aux côtés d’une nommée Nadia – à qui me lie un sentiment très tendre – je
suis au bord de la mer, sur une plage de style Palm Beach, une plage de film
américain. Pour s’amuser à me faire peur et savoir si j’aurais du chagrin de sa
mort, Nadia, qui sait très bien nager, veut faire semblant de se noyer. Mais elle
se noie pour de bon et l’on me rapporte son corps inanimé. Je commence par
pleurer beaucoup, jusqu’à ce que le jeu de mots « Nadia, naïade noyée » – fait
au seuil du réveil – m’apparaisse à la fois comme une explication et comme une
consolation.
Les corrections se font ici plus discrètes : la proposition relative entre tirets et la nouvelle
présentation de Nadia, alliées à la reformulation finale, concourent toutefois à mettre le rêve à
distance en faisant sentir subtilement la présence du poète. De la première à la dernière version,
le rêve subit donc des transformations qui montrent tout le travail du poète, lequel s’attache
plus à rendre un effet du rêve qu’à rester fidèle à une voix.
À partir du Journal, c’est tout un itinéraire de reconquête du rêve par l’écriture qui se
dessine. À l’écriture brute, Leiris oppose un travail de lente remémoration, élaboration et
reformulation. Son rêve ne s’arrête pas au réveil, une fois les yeux ouverts, mais comprend

324
aussi tout le cheminement d’interrogation et de mise en forme qui le conduit jusqu’au récit.
Sans trahir le contenu onirique, les textes leirisiens s’attachent à intégrer dans le récit non
seulement le rêve mais aussi le parcours de sa quête, aussi bien mémorielle qu’herméneutique.
Dans une approche résolument sensible de l’écriture, Leiris fait ainsi de ses rêves des objets, à
la fois très intimes mais aussi supports d’un travail de poétisation.

Rêves trop rêvés (Perec)


L’aisance de Perec à faire revivre ses rêves est tout autre que celle de Leiris.49 Pris d’une
certaine frénésie, Perec est en proie à une sorte d’hypermnésie onirique qui lui confère la
capacité de coucher sur papier les souvenirs de ses nuits avec une facilité déconcertante.

Sauf en de rares occasions où je retrouvais au réveil quelques mots


griffonnés dans un demi-sommeil et dont rien n’émergeait, le rêve entier et
intact resurgissait d’un détail ou d’un mot au moment même où j’entreprenais
de le transcrire, comme une image fulgurante à laquelle venait instantanément
s’associer toute une série de figures familières, de thèmes récurrents, de
sensations étonnamment précises : chaque fois il me semblait que je captais
avec une aisance enchanteresse ce qui avait été la matière même du rêve, ce
quelque chose d’à la fois flou et tenace, impalpable et immédiat, tournoyant et
immobile, ces glissements d’espaces, ces transformations à vue, ces
architectures improbables50.
Alors que Pontalis se demande si ces rêves « ont vraiment [été] vécu[s] ou s’ils ont [été]
d’emblée rêvés comme des rêves et finalement rêvés pour les [être dits]51… », il ne peut
s’empêcher de rapprocher l’activité analyticonirique de Perec d’un travail littéraire. « Les rêves
de Pierre [alias Perec], écrit-il, étaient de ceux qu’on souhaiterait pouvoir inscrire sur une feuille
de papier52. » Perec, pour sa part, présente ses rêves comme les produits d’un inconscient déjà
littéraire ; il exprime son « vertige d’une mise en mots » et sa « fascination » devant « un texte
qui semblait se produire tout seul53 ». Ses rêves, à le lire, subissent ainsi une double
déformation : l’une – onirique – due au travail du rêve, l’autre – professionnelle – due à celui
de l’écrivain : « Quand on prend l’habitude d’écrire ses rêves, que l’on s’oblige à écrire ses
rêves, au bout d’un certain temps, le rêve obéit à cette sorte de travail d’écriture54 », explique-
t-il.

49
La suite de ces pages est une version enrichie de notre article, « La Boutique obscure : une tentative
d’épuisement du récit de rêve ? », Georges Perec : nouvelles approches, actes du colloque de Cerisy 2015, La
Licorne, 2016, p. 271-283.
50
Georges Perec, « Le rêve et le texte », art. cit., p. 77-78.
51
Jean-Bertrand Pontalis, Entre le rêve et la douleur, op.cit., p. 31
52
Jean-Bertrand Pontalis, « Faiseurs de rêves », Entre le rêve et la douleur, op.cit., p. 40.
53
Georges Perec, « Le rêve et le texte », art. cit., p. 77.
54
« L’écriture des rêves », entretien avec Germaine Rouvre, Annexe A.

325
Volonté de rester au plus près de l’expérience onirique authentique, prise en notes, sur
des carnets, des souvenirs de la nuit dès son réveil55, absence de modification du contenu (sinon
par des omissions volontaires), souci d’une rédaction conservant une très grande proximité avec
la transcription initiale : autant d’éléments qui témoignent d’une écriture du rêve tout droit
héritée des « rêveurs définitifs » de La Révolution surréaliste, sans pourtant jamais s’en
revendiquer. Comme eux, il affirme vouloir « faire un recueil brut56 », et enregistre, à la nuit la
nuit, des textes aux allures de compte rendus. Les termes qu’il emploie pour décrire cette
expérience d’écriture sont d’ailleurs troublants de résonances :

C’était des rêves qui se présentaient à moi avec leurs titres, avec leurs
paragraphes, pratiquement, avec leur ponctuation, avec leur système particulier
de présentation. C’était des rêves qui, disons, à la limite, sortaient tout écrits57.
D’ici à la dictée des surréalistes, il n’y a pas loin. Et pourtant, si les textes des hommes de
Littérature se revendiquaient comme anti-littéraires, dénués de tout style, c’est l’impression
inverse qui se dégage des rêves de l’oulipien : « rêves trop rêvés, trop écrits, trop relus » (LBO,
prière d’insérer), « trop soigneusement empaquetés, trop polis, trop au net, trop clairs dans leur
étrangeté même58 », ils sont disqualifiés au motif d’une perfection affichée qui ne peut que faire
naître le soupçon. Mis hors-jeu de l’analyse pour excès de littérarité, les récits de rêves de Perec
se voient ainsi relégués au rang d’objets non plus d’analyse mais de littérature.
L’héritage surréaliste, du moins en ce qui concerne les procédures d’écriture, perceptible
dans ces dernières déclarations est toutefois à nuancer. Perec, en racontant que ses rêves
semblaient s’écrire tout seuls, participe d’une certaine mythologie bien instaurée dans les
années 1920 et qui continue de perdurer cinquante ans plus tard. Cependant, l’étude des carnets
de l’auteur révèle bien autre chose que cette dictée onirique. Nombreux sont les critiques qui, à
l’instar de Jean-Daniel Gollut, ont vu dans « La taille » (n° 1), en raison de sa position
stratégique dans le recueil, « un modèle de la genèse censément suivie par chacun des récits59 »,
un prototype du rêve perecquien et un mode d’emploi du récit de rêve, tant pour le lecteur que
pour l’écrivain,. Le texte publié donne à voir deux états du compte rendu : un premier

55
« C’est un travail qui a duré à peu près cinq ans. Au début, je me réveillais et je notais. Au fur et à mesure que
je continuais, je me rendais compte que, chaque soir, je me préparais à rêver. Quand, le lendemain matin, je ne me
souvenais plus de rien, j’avais le sentiment que ma nuit avait été infructueuse. Alors, j’ai décidé de cesser ces
notes, afin de redonner à mes rêves une sorte de fraicheur personnelle qu’ils avaient perdu au bénéfice de la
littérature. » « J’ai cherché des matériaux dans les rêves pour faire une autobiographie nocturne », dans Entretiens
et conférences, op. cit. p. 137-139.
56
Idem.
57
« L’écriture des rêves », entretien avec Germaine Rouvre, Annexe A.
58
« Le rêve et le texte », art. cit., p. 76.
59
Jean-Daniel Gollut, Conter les rêves, op. cit., p. 350 sqq.

326
paragraphe, fait de phrases nominales séparées par des points, précède la version rédigée du
rêve prise en charge par les cinq paragraphes suivants.

La taille (dont le nom m’échappe : métronome, perche) où devoir rester ad


lib. plusieurs heures. Comme de bien entendu. L’armoire (les deux caches). La
représentation théâtrale. L’humiliation. ?. L’arbitraire.
À la suite du critique, nous pouvons établir une correspondance entre ces annonces et la suite
du texte. Nous aurions alors devant nous une version du rêve résumée à l’extrême, une sorte de
plan ou de table analytique du récit, qui donnerait lieu à un travail d’expansion dans la suite des
paragraphes. En plaçant ce rêve à l’entrée de sa Boutique, Perec dévoilerait déjà un jeu
d’écriture qui oscillerait sans cesse entre authenticité et expansion créatrice. Le premier
paragraphe serait le substrat mémoriel de l’expérience du rêve, la « matière brute » notée au
réveil mais dont il s’agirait ensuite de faire sortir le récit.
Sans totalement contredire cette première lecture, les manuscrits de ce rêve révèlent un
processus de rédaction et de mise en forme plus complexe. La mise en récit définitive de « La
taille » en mars 1972 ne s’est faite que près de quatre ans après la notation des souvenirs de la
nuit, effectuée, elle, sous la forme de quelques mots et impressions transcrites juste après le
rêve en mai 1968. Le contenu du rêve est, sinon réélaboré, du moins considérablement travaillé
et étoffé dans sa formulation lors de cette phase de rédaction. L’écriture, procédant par
associations et numérotation des éléments60, donne lieu à un véritable travail de fouille de la
mémoire et de mise au jour du souvenir. Perec organise son travail en plusieurs étapes, qu’il
nomme lui-même « note au réveil », « note plus tard », « suite inspirée par la note » et
commentaire ». Chaque fragment est disséqué et offre, feuillet après feuillet, de nouvelles
précisions. Le segment inspiré par le seul mot « l’armoire » est ainsi considérablement
développé au fur et à mesure que l’écrivain en interroge le souvenir. Le récit n’est donc pas la
trace brute du souvenir mais il est le fruit de l’effort de remémoration et de reconstitution du
rêve, que Perec assemble à partir d’un contenu disparate.

60
Voir Annexe B.

327
Note au réveil Note plus tard Suite inspiré par la Commentaires ?
note
Comme de bien Il ne s'agit pas Kafka
entendu vraiment
d'un camp
L'armoire 1. les 2 caches Ce mécanisme d'une
des 2
2. lainages caches
argent quelqu'un entre cepdt
l'inutile que
j'actionne ou cherche
la
2nde
La représentation Requiem à Article TM
théâtrale Terezenbourg ou quoi
Treblinka On se sauve [parfois]
en jouant
L'humiliation → J'ai oublié
(12h30)
?
L'arbitraire Mourir ou sortir La chambre
d'une pièce vieux thème
s'équivaut (chambre pleine de
suie)
chez MDM
La taille dont le nom
m'échappe
métronome
perche Toise Ce n'est pas vraiment
ou rester ad lib rapetisser lourd
plusieurs heures mais rien ne retient le
devoir haut de la toise
aussi rapetisse ton
très inconfortable
Manuscrit [80, 34, 3], Fonds privé Georges Perec, Bibliothèque de l'Arsenal, Paris.

Dans les carnets de l’auteur, le contenu du rêve est accompagné du récit de sa


réélaboration :

Dans la nuit du 15 au 16 mai 1968, j’ai fait un rêve dont la longueur et la


clarté n’ont cessé dès lors de m’occuper. Il s’agit plus vraisemblablement d’une
série de rêves ou d’une succession plus frappante qu’à l’ordinaire de scènes
oniriques dont le souvenir et la reconstruction s’est avéré plus tard un peu moins
impossible (flou) qu’à l’accoutumée. Le 1er sentiment fort : la familiarité de ce
rêve, la certitude qu’il s’agit d’un seul rêve que je fais que je sache faire. (sic)
Si le rêve s’organise autour d’un thème central ce thème serait : le camp,
plus précisément Treblinka ou Terezienbourg ou Katowicz référant à un article
des TM je crois61.

61
Manuscrit [f° 80, 34, 2], Fonds privé Georges Perec, Bibliothèque de l’Arsenal.

328
L’écrivain note d’abord les impressions du rêve, semble se raccrocher dans un premier temps
au vécu plutôt qu’au contenu, puis s’attache, avec méthode, à déplier chaque élément.
L’ordre de la narration est réfléchi et modifié. Le paragraphe correspondant à la
première notation laconique « comme de bien entendu », qui reprend le « 1er sentiment fort : la
familiarité de ce rêve », d’abord situé en première position, est finalement précédé d’un autre,
qui semble s’imposer à cette place et qui est consacré à la mise en place de la situation et à la
description de la toise. Il fait ainsi l’objet d’un travail de poétisation particulièrement visible
avec la reprise du refrain bien connu de la chanson de Jean Boyer dont l’exotisme, dans un tel
contexte, semble voué à rendre la cacophonie de ce rêve déroutant et obsédant :

Comme de bien entendu, je rêve et je sais que je rêve comme de bien entendu
que je suis dans un camp. Il ne s’agit pas vraiment d’un camp, bien entendu,
c’est une image de camp, bien entendu, un rêve de camp, un camp-métaphore,
un camp dont je sais qu’il n’est qu’une image familière, comme si je refaisais
inlassablement le même rêve, comme si je ne faisais jamais d’autre rêve,
comme si je ne faisais jamais d’autre que de rêver de ce camp. (LBO, 1)
La rengaine bouffonne jure avec le tragique de la scène rêvée, mais c’est aussi là la trace du
rêve : cette inadéquation maladroite et burlesque rend d’autant plus remarquable ce rêve
concentrationnaire.
Au-delà des discours prônant des rêves prêts à l’emploi, Perec est animé par une même
quête introspective que Leiris. Comme lui, il se donne les moyens d’inspecter et de manipuler
ses rêves comme des objets, pour essayer d’en percer les mystères. Sans doute la question de
l’authenticité est-elle, chez lui aussi centrale, mais elle se trouve étonnamment inversée. En
effet, ce n’est pas tant l’écriture et l’effort de reformulation qui serait à incriminer comme
faisant écran à une vérité du rêve, que le rêve lui-même, dans sa formation, qui ferait écran au
sujet.

L’ouvroir des rêves potentiels (Perec)


« Extraordinaire machine à produire des rêves (non à rêver)62 », comme dit de lui son
psychanalyste, soulignant ainsi l’abondance et le foisonnement de sa production onirique, Perec
paraît porter davantage son intérêt sur la manipulation de ce matériau que sur son élucidation.
Dans un entretien accordé à Nice-Matin, il revient sur le projet d’écriture qui a été le sien dans
La Boutique obscure :

62
Jean-Bertrand Pontalis, « Sur la douleur (psychique) », art. cit., dans Entre le rêve et la douleur, op. cit., p. 263.

329
Je voulais trouver une manière d’écrire : non pas d’essayer d’interpréter, au
sens freudien, ce qui se passe au-dedans de moi-même pendant le sommeil,
mais plus simplement faire un recueil brut63.
Du travail de notation plus ou moins assidu, qui s’est étendu de mai 1968 à août 1972, il dégage
ainsi 124 textes qu’il compare à « [une] espèce de feux d’artifice.64 » : « Je me suis aperçu que
ces rêves n’étaient pas du tout ce que j’attendais d’eux. Ce n’était pas un accès à l’inconscient,
un accès à ce qui vraiment allait me parler, mais des exercices de rhétorique précisément65. »
Dans un autre entretien, Perec déclare :

Là j’ai découvert quelque chose que j’avais envie de faire sans savoir
comment le nommer, c’est-à-dire le système des contraintes, des règles, des
structures, etc. [...] Le travail de l’Oulipo m’a servi à produire des livres aussi
différents entre eux qu’Alphabets, W ou le souvenir d’enfance, La Boutique
obscure (livre sur les rêves). Parfois la contrainte est apparente, parfois ce n’est
plus qu’une idée de contrainte, une tentative de saturation d’un thème à travers
un texte.66
Il existe un paradoxe évident à soutenir la coexistence de deux procédures en apparence
inconciliables : d’une part, s’en tenir à la transcription des rêves, sans les retoucher, et les livrer
à la publication tels qu’ils se sont présentés dans le creux de la nuit. D’autre part, persister à lire
l’organisation de cette matière désordonnée sous le signe de la contrainte.
Rétrospectivement, La Boutique obscure est ainsi la première tentative de ces œuvres
autobiographiques écrites par Perec dans la deuxième moitié des années 1970 et qui trouvent
dans la dynamique de l’énumération et de l’accumulation le principe de leur écriture : Tentative
d’épuisement d’un lieu parisien67, « Tentative d’inventaire des aliments liquides et solides que
j’ai ingurgités au cours de l’année mil neuf cent soixante-quatorze68 », « J’aime, je n’aime
pas69 » ou encore « Notes concernant les objets qui sont sur ma table de travail70 ». Comme l’a
montré Christelle Reggiani, ces « textes-listes71 » cherchent à saturer un thème, à en exploiter
et épuiser toutes les ressources, autant qu’à en tirer la matière d’une esthétique de la copia. La

63
« J’ai cherché des matériaux dans les rêves pour faire une autobiographie nocturne », dans Entretiens et
conférences, op.cit., p. 137-139.
64
« Entretien Georges Perec / Ewa Pawlikowska », art. cit., dans Entretiens et conférences, op.cit., p. 204.
65
Idem.
66
« Ce qui stimule ma racontouze... », propos recueillis par Claudette Oriol-Boyer le 18 février 1981, à Grenoble
(transcription de Claudette Oriol-Boyer), Goerges Perec, entretiens et conférences, vol. II, op. cit., p. 163.
67
Georges Perec, « Tentative d’épuisement d’un lieu parisien », Cause commune, 1975, rééd. Christian Bourgeois,
coll. « Titres », 2008.
68
Georges Perec, « Tentative d’inventaire des aliments liquides et solides que j’ai ingurgité au cours de l’année
mil neuf cent soixante-quatorze », L’Infra-ordinaire, Seuil, 1989, p. 97-106.
69
Georges Perec, « J’aime, je n’aime pas », L’Arc, n° 76, 1979.
70
Georges Perec, « Notes concernant les objets qui sont sur ma table de travail », Les Nouvelles littéraires,
n° 2521, 26 février 1976, p. 17. Repris dans Penser/Classer, op. cit., p. 17-23.
71
Christelle Reggiani, « Poétique de la liste. Inventaire et épuisement dans l’œuvre de Georges Perec », dans
Sophie Milcent-Lawson, Michelle Lecolle et Raymond Michel (dir.), Liste et effet liste en littérature, Classiques
Garnier, p. 506.

330
Boutique obscure, en ce sens, aurait bien troqué son premier objectif d’analyse d’une matière
onirique intime pour celui d’exploration méthodique de toute la diversité offerte par la forme
du récit de rêve :

Je me trouvais au cœur de cette « inquiétante étrangeté » qui façonne et


élabore nos images de la nuit, au cœur d’une rhétorique précisément onirique
qui me faisait parcourir tous les rêves possibles : des rêves cinglants, des rêves
sans os, des rêves longs comme des romans, emplis de péripéties
époustouflantes, des rêves fugaces, des rêves pétrifiés72.
Le recueil se présente comme une entreprise d’exploration de ce que peut être un rêve, comme
une tentative – vaine – d’exposer de manière exhaustive les potentialités offertes par cette
question. Chaque récit de rêve serait ainsi doté d’une spécificité stylistique qui le distinguerait
des autres et le rendrait unique. Cette méthode, qui joue de la diversité imprévisible de
l’expérience onirique, donne également, par l’esthétique, sa justification à chacun des textes
présentés dans le recueil. Puisque aucun ne ressemble à un autre, tous valent la peine d’être
rêvés... et écrits.
Cette façon d’explorer et de saturer les potentialités offertes par le rêve permet à Perec
de s’affranchir du modèle surréaliste, bien arrimé, au contraire, à la répétition d’une procédure
et d’une esthétique immuable. Il explique ainsi à Eva Pawlikowska :

Voilà comment je suis arrivé, par des voies très détournées, à proposer une
rhétorique des rêves, c’est-à-dire comment écrire un rêve, mais pas à la façon
des surréalistes, dont les rêves, très marqués par le surréalisme, se ressemblent
et où l’écriture est parfois identique. C’était, au contraire, des rêves très longs,
très courts, des rêves opaques, des rêves limpides, des rêves comme des romans,
des rêves comme des poèmes73.
Il ne s’agit pas tant de chercher dans le rêve des sources d’inspiration inédites que de faire avec
les données de l’imaginaire nocturne, des objets façonnés et travaillés dans une visée poétique.
Jacques Roubaud porte sur la pratique de l’écriture onirique que propose La Boutique un
jugement assez radical : « Tous ces textes, écrit-il, sont fondamentalement des rêves-écrits, ils
écrivent74. » Selon lui, les rêves, dans La Boutique obscure font surgir une nouvelle matière
« car dans cette méthode axiomatique, c’est indépendamment du contenu (ce qu’il faut dire, ce
qui est vrai) que se fait la déduction (l’écriture) : les mécanismes sont en germe dans les
hypothèses de départ, extérieures et résistantes aux habitudes, aux intentions75. » Ainsi, pour

72
Georges Perec, « Le rêve et le texte », art. cit., p. 78.
73
Entretien Perec / Pawlikowska, Entretiens et conférences, op. cit., p. 205.
74
Jacques Roubaud, « Les rêves écrivent », art. cit., p. 20.
75
Idem

331
lui, il n’y a pas de dimension autobiographique à chercher dans le recueil mais plutôt une
ambition rhétorique :

Pas de mémoire personnelle, parce que le réel anecdotique a été doublement


recouvert : par le travail de dissimilation du rêve et le travail de recouvrement
de l’écriture (l’un mêlé à l’autre), chacun travaillant pour son propre compte en
vue de fins nettement cacophoniques avec les basses voix biographiques.76
C’est un véritable renversement des mécanismes en jeu dans la théorie psychanalytique
freudienne du rêve que La Boutique obscure : non plus se laisser travailler par le rêve mais
travailler avec le rêve, pour reprendre l’expression de Jacques Roubaud, mais travailler sur le
rêve ou même contre lui.

Variations formelles et influences génériques


Sans prétendre à une lecture combinatoire rigoureuse du recueil, on peut identifier, dans
les rêves de Perec, un certain nombre de points de variations formelles par rapport au canon du
récit de rêve moderne. Longueur des textes, degré de rédaction, personnes et temps verbaux
utilisés, influences d’autre médias tels que le cinéma : tout porte à croire que Perec s’essaie ici
à un jeu de variations ludiques et d’écarts par rapport à une norme qui, en modulant les éléments
essentiels de la narration, font de La Boutique un ouvroir d’écriture onirique, une collection des
rêves potentiels.
Roubaud l’avait déjà remarqué, en parlant de « format-durée » : le paramètre de ces
textes qui est le plus soumis à variations n’est autre que leur longueur. Ceux-ci vont d’une ligne
(le rêve n° 9, « Sinusites » se résume à une phrase : « J’ai longtemps parlé à un docteur de mes
sinusites. ») à plus de sept pages pour le rêve n° 57 « Le retour ». Corrélativement à ces
variations de longueur, les rêves présentent des états de rédaction hétérogènes. Aux côtés de
récits assez unifiés, on trouvera des textes beaucoup plus fragmentaires : un maigre souvenir de
rêve, tenant en un ou deux mots (rêves n° 23 et 56), une suite de mots « griffonnés dans la nuit »
(rêve n° 53), une simple phrase nominale (n° 3) ou une suite de courtes séquences, parfois
numérotées, mais dont on peine à reconstituer la cohérence. La publication de ces « cas-
limites » de récits de rêves – pour reprendre le mot de Jean-Daniel Gollut77 – permet à Perec de
tirer parti de la dimension fragmentaire du récit de rêve pour en offrir à son lecteur tous les
degrés d’aboutissement, allant, de façon ironique peut-être, jusqu’à n’en retenir sur la page que
son souvenir le plus fuyant.

76
Idem
77
Jean-Daniel Gollut, Conter les rêves, op. cit., p. ??.

332
Outre ces variations de volume, Perec s’ingénie à faire varier un à un les éléments
formels essentiels du récit de rêve canonique rédigé à la forme déclarative, au présent de
l’indicatif et à la première personne du singulier. Avec un effet de contraste assez puissant,
certains rêves se détachent ainsi de l’ensemble par l’emploi de la forme interrogative (« Les
mots en I », n° 68 ou « Hypothèses », n° 120), de la deuxième personne (« Sur mes vieux
jours », n° 7) ou de la troisième personne (« L’épidémie », n° 28). Cette dernière singularité est
d’ailleurs soulignée par le texte lui-même puisqu’il s’ouvre ainsi :

Le rêveur (car toute cette histoire ressemble à un roman à la troisième


personne) est venu s’attabler dans un petit bistro. (LBO, n° 28)
Tout est fait, donc, pour que le lecteur en remarque la variation stylistique inédite, puisant sa
source dans une perception particulière du rêveur, comme l’explique l’auteur :

C’est un rêve qui est beaucoup plus organisé. Je le trouve significatif parce
que c’était vraiment un rêve à la troisième personne. C’est vraiment un de ces
rêves où on se voit en train d’agir, un peu comme si on était dans une salle de
cinéma et qu’on se voyait sur l’écran. On est à la fois dans une action et en
même temps extérieur à l’action78.
Même quand les récits de rêves adoptent la conventionnelle première personne, Perec
brise encore la litanie des rêves en jouant des écarts entre le Je scripteur, prenant en charge la
mise par écrit du rêve, et le Je rêvant, véritable auteur et acteur du rêve. Il interrompt ainsi sa
logorrhée onirique personnelle pour y adjoindre les rêves de ses proches en recourant pour cela
à des « je » d’emprunt. Les rêves n° 38, 39 et 40 sont annoncés comme étant « trois rêves de
J. L » et le rêve n° 104, quant à lui, est désigné comme étant « un rêve de P. »79. L’expérience
du rêve est donc attribuée à un autre, tandis que seule celle de sa narration est prise en charge
par notre auteur.
La grande majorité des récits de rêves de La Boutique obscure reprend l’usage du
présent bien institué depuis les surréalistes. Néanmoins, comme pour les personnes, les
quelques exceptions qui confirment cette règle viennent encore une fois mettre en avant une
recherche de diversité formelle. L’usage de l’imparfait y est très rare. « Le retour » (n° 57),
dans sa deuxième séquence, y recourt pourtant :

Les souvenirs de ma vie chez le Maharadjah commencent à s’estomper :


j’étais l’homme de confiance, le valet de chambre personnel du Maharadjha. Je
portais sa serviette et je passais mon temps à la ranger bien qu’elle ne contienne
rien d’important. Nous devions partir en déplacement officiel ; le départ était
prévu pour telle heure ; mais le Maharadjah se faisait désespérément attendre.
Le Maharadjah est un homme d’humeur fantasque : il n’est jamais prêt, il n’a

78
« Le rêve et le langage », entretien avec Germaine Rouvre, art. cit.
79
Il s’agit vraisemblablement de Paulette Perec, la femme de Georges Perec.

333
plus l’intention d’y aller, etc. Je passais mon temps à aller et venir entre ma
chambre et les appartements du Maharadjah, et à expliquer ses caprices à un
confident dans des termes presque raciniens.80 (LBO, n° 57)
L’imparfait est réservé à une séquence moins nette du rêve et contribue à l’ancrer dans un passé
mémoriel plus lointain mais aussi plus pittoresque, définitivement coupé de la situation
d’énonciation.
« L’adieu » (n° 6) est le seul cas de rêve écrit au futur dans l’œuvre.

Un jour, je lui dirai que je l’abandonne. Elle appellera presque


immédiatement sa fille au téléphone pour lui dire qu’elle n’ira pas à Dampierre.
Pendant le temps de la conversation téléphonique, son beau visage se
décomposera. (LBO, n° 6)
Ce rêve, placé dans un avenir temporellement indéterminé mais pour néanmoins présenté
comme certain, se livre ainsi sous les aspects d’un rêve prémonitoire de séparation – que la
suite du recueil confirmera – dans lequel l’emploi du futur apporte une charge émotionnelle
rare.
D’autres temps assez inhabituels dans les récits de rêves de la modernité surgissent çà
et là. On relève ainsi un usage parfaitement désordonné du passé simple dans le rêve n° 101
(« Le désordre ») qui alterne passé simple et présent d’après une logique qui semble relever
plutôt de l’arbitraire que de nécessités narratives. Ailleurs, ce sont le conditionnel et l’imparfait
(n° 68), le passé composé (n° 10) ou encore le passé simple (n° 52).
De façon infime mais efficace, l’auteur de La Disparition fait ainsi bouger les lignes
stylistiques du récit de rêve canonique, enfermé, depuis les expérimentations surréalistes des
années 1920, dans la sobriété et la neutralité du compte rendu clinique. Chaque pas de côté,
aussi mesuré soit-il, ne manque pas d’apporter aux pièces de cette collection un reflet unique,
fruit du décalage. Cependant, au-delà de ces variations formelles essentielles, c’est au contact
des autres genres que Perec renouvelle de la façon la plus originale la narration du rêve.
Dans son exploration de « tous les rêves possibles », il fait éclater le cadre du récit de
rêve en allant puiser dans des genres, des formes ou des supports parfois bien éloignés des
habitudes de narration onirique. Aux côtés des rêves « longs comme des romans » (comme « Le
retour », n° 57), on trouve, dans La Boutique obscure, un rêve qui adopte la forme d’un poème
rédigé en versets (« L’illusion », n° 4), mais aussi un tableau (« Le groupe », n° 31), dont la
description forme un carré compact sur la page tandis qu’une sorte de calligramme vient clore
le rêve n° 119, « La rue de l’Assomption », et dessine, à l’inverse, un rectangle vide.

80
C’est nous qui soulignons.

334
Sans recourir à ces effets visuels, nombre de récits de rêves se détachent également du
lot et en renouvellent l’esthétique en empruntant les codes d’autres genres : théâtre, cinéma et
opéra. Si, bien sûr, cette porosité artistique est à rattacher au vécu d’un auteur par ailleurs
dramaturge, co-réalisateur de films81 et grand amateur de cinéma, l’utilisation de ces arts n’est
pas seulement à prendre comme une source de renouvellement thématique. L’influence du
cinéma, déjà très perceptible chez Leiris, mène ici beaucoup plus loin. Rêve-film d’aventure
(« La chasse à Dublin », n° 41), rêve-comédie musicale (« La libération du pain », n° 60), rêve-
western (« Le Vengeur », n° 59 et « Le western urbain », n° 63), rêve-comédie américaine :
l’hybridité générique affichée autorise à modifier la structure habituelle du récit de rêve pour la
renouveler par ces emprunts. Ainsi, « La chasse à ski » (n° 14) ou « La chasse à Dublin »
(n° 41), tout de suite présentés comme des films, intègrent des indications d’ordre
cinématographique, plans de caméra et palette chromatique à l’appui :

C’est un film dont a) je suivrais le montage, b) j’assisterais, une fois monté,


à la projection, c) je serai l’un des acteurs. […]
On ramène, en marche arrière, à ski, les braconniers. Gros plan sur leurs skis
ils sont très curieux, on dirait qu’ils ont des talons. (LBO, n° 14)
C’est un film d’aventures en couleurs ; la couleur est très mate, un camaïeu
dans les tons fauves, très « cinéma américain » (comme « Captain Lightfoot »,
de Douglas Sirk, ou « The world in his arms » de Raoul Walsh). (LBO, n° 41)
Le passage par la référence cinématographique permet non seulement de préciser le contenu du
rêve mais encore de rendre le dispositif scopique par lequel le rêve est représenté – comme
projection onirique – plus évident au lecteur contemporain. Perec, en donnant ainsi à la forme
même du récit de rêve l’extravagance qui semblait jusque-là réservée à son seul contenu, permet
à La Boutique obscure de se distinguer des autres recueils par une hétérogénéité acquise grâce
à la pratique d’exploration oulipienne.
Bien loin de l’écriture aléatoire des surréalistes, qui avait fait du hasard un principe de
composition, nous sommes là, résolument, dans une écriture combinatoire. Pour construire ses
rêves, et organiser le recueil, Perec ne s’en remet pas uniquement à fertilité d’un imaginaire
nocturne surentraîné par la dissection psychanalytique mais canalise la profusion onirique dans
le cadre d’une méthode plus rigoureuse qu’elle n’en a l’air. Cet aspect, non spécifique à La
Boutique, est au cœur de l’œuvre perecquienne, comme le mettent en lumière Claude Berge et
Éric Beaumatin :

Économie, saturation : il s’agit donc ici de rendement ou, plus exactement,


d’optimisation. Il s’agit de déterminer les démarches susceptibles de créer les

81
Georges Perec a co-réalisé Un homme qui dort avec Robert Queysanne en 1974, produit Les jeux de la comtesse
Dolingen de Gratz de Catherine Biner et écrit les dialogues de Série Noire d’Alain Corneau en 1978.

335
meilleures conditions à la création de texte. On aurait tort de ne voir dans cet
intérêt pour les problèmes combinatoires qu’un aspect marginal, séparé,
disjoint, de l’œuvre de Georges Perec [...]
Une telle constance dans les interrogations que l’on retrouve au principe des
projets d’écriture chez Georges Perec fait d’ailleurs de la combinatoire plus
qu’un outil de modélisation, bien autre chose qu’un moyen de mise en forme :
elle en fait une façon de poser les problèmes, et c’est sans doute en cela qu’elle
se révèle productive, jusque dans les cas où elle n’apparaît plus identifiable à
l’analyse des textes qu’elle a suscités82.
À la réduplication à l’identique d’une procédure et d’invariants formels, nécessaires dans les
premiers temps de la construction du genre, Perec répond par l’exploration extrême. La question
pour lui n’est plus de saisir le fonctionnement de l’esprit mais de sonder le fonctionnement du
texte, en explorant toutes ses potentialités créatives, dans un cadre donné.

Leiris, grand rêveur, fait lui aussi preuve d’une certaine diversité au sein de son corpus
personnel. Si le journal témoigne de périodes plus productives que d’autres, il fait surtout
ressortir une hétérogénéité peu commune. « Je me rappelle un temps où j’avais l’impression de
pouvoir rêver quasi à volonté, écrit-il avec regret en 1929. Aujourd’hui je ne rêve pour ainsi
dire plus. Il faudrait que je trouve un moyen d’activer mes nuits83. » Les années 1924 et 1925
sont, sans surprise, particulièrement fécondes en récits de rêves : le Journal en consigne une
quarantaine tandis que l’on compte une vingtaines de textes de Nuits sans nuit et quelques jours
sans jour s’y rapportant. Les observations de Leiris, étendues sur une quarantaine d’années, lui
permettent de prendre du recul par rapport au contenu et à la forme de ses rêves. Il remarque
notamment une grande influence du contexte, en particulier intellectuel, sur son activité
nocturne :

Comment, dans une certaine mesure, nos rêves sont conformes, pour une
époque donnée, à ce qui nous paraît le trait dominant du rêve, à cette époque.
Quand j’étais surréaliste, et avais l’habitude de noter tous mes rêves suivant la
discipline surréaliste, je faisais — en toute bonne foi — des rêves
« surréalistes », au caractère poétique nettement marqué. De même, en cours
d’analyse, je faisais couramment des rêves « psychanalytiques », aisément
démontables et où transparaissaient de suite mes complexes. Il y a quelques
jours, lisant un mauvais petit livre de vulgarisation sur le rêve par le Dr
Lhermitte, je remarquai un passage concernant l’influence qu’ont sur les rêves
les sensations cœnesthésiques84.
Dans une note de 1946, Leiris avoue n’avoir « conservé que très peu de récits » des rêves qu’il
dit « typiquement “psychanalytiques” ». On peut toutefois en trouver quelques-uns dans le

82
Claude Berge et Éric Beaumatin, « Georges Perec et la combinatoire », Cahiers Georges Perec, n° 4,
« Mélanges », éditions du limon, 1990, p. 95-96.
83
Michel Leiris, Journal, 14 mai 1929, p. 163.
84
Michel Leiris, Journal, 2 novembre 1941, p. 343-344.

336
Journal, essentiellement à la fin de la psychanalyse, en 1934-1935, dont certains sont repris
dans L’Âge d’homme85. Un rêve de mars 1934 en donne un aperçu dans Nuits sans nuit et
quelques jours sans jour :

Je suis coiffé d’un casque colonial en acajou massif, que j’ai rapporté
d’Afrique. Il est splendide mais sa jugulaire est presque cassée.
Au réveil, j’en garde une impression pénible, car j’interprète cela comme un
symbole de castration. (NNJJ, 105)
Les rêves surréalistes, au contraire, sont assez remarquables. Largement teintés de
merveilleux, comme celui du 22-23 août 1924 (NNJJ, 20-21), qui fait revivre les héros des
contes de Perrault, ils entretiennent également de troublantes ressemblances avec ceux d’autres
camarades du groupe. Le rêve daté du 8-9 décembre 1924, sur la poésie, rejoint les
interrogations partagées par Breton dans le premier des cinq rêves de Clair de terre ; dix jours
plus tard, un autre rend compte de l’importance de la peinture dans le groupe et celui du 29-30
mai 1929 présente des chiens s’accouplant exactement comme les lions du rêve que Breton
rapportera quelques années plus tard pour le numéro des Cahiers GLM86 qu’il dirige, sous le
titre « Accomplissement onirique et genèse d’un tableau animé ». La typologie leirisienne
s’enrichit, dans la deuxième moitié des années 1940 d’une nouvelle catégorie, celle des rêves à
« couleur “existentialiste87” », dans lesquels l’auteur se voit « réfléchissant » tantôt au thème du
« pour-soi qui “n’est pas ce qu’il est et est ce qu’il n’est pas88” », tantôt à son assujettissement
à la “condition humaine89”.
À côté de cette modulation identifiée par l’auteur, Leiris fait varier les états de
conscience altérée : aux rêves proprement dits, parfois plus précisément qualifiés « du matin »,
s’ajoutent des secondes vues, des demi-sommeils, des phantasmes diurnes, une anesthésie et
même des scènes vécues :

Il me faut reconnaître pourtant que j’ai cru, quelquefois, trouver ces deux
termes unis – et cela en toute lucidité, fort éloigné de « rêver éveillé » – dans
des spectacles que la vie m’offrait et qu’il me suffisait d’accepter tels qu’ils se
présentaient, sans que j’eusse besoin de les soumettre à aucune macération
poétique90.
Le recueil rassemble aussi des récits aux longueurs variées. Si la plupart des textes font environ
une page, ils s’échelonnent de la notation minimaliste de quelques lignes à des narrations plus

85
Voir par exemple, le rêve de « l’ombilic saignant » à la fin de L’Âge d’homme, consigné dans le Journal à la
date du 30 mars 1934, p. 269-270.
86
André Breton (dir.), Trajectoire du rêve, Cahiers GLM, n° 7, 1938, p. 53.
87
Michel Leiris, Journal, 4 février 1946, p. 425.
88
Michel Leiris, Journal, 4 février 1946, p. 425.
89
Michel Leiris, Journal, 29 janvier 1946.
90
Michel Leiris, Biffures, La Règle du jeu, op. cit., p. 146.

337
longues, jusqu’à 6 ou 7 pages91. On trouve, au rang des récits très brefs, une suite de phrases
nominales (NNJJ, 15), une simple perception (NNJJ, p. 32 et 33), un arrêt sur image (NNJJ,
44), ou encore la simple image d’un mot :

8-9 septembre 1942


(Saint-Léonard de Noblat)

Sur une tombe (la mienne ?) on dépose en guise d’épitaphe une pancarte
contenant un résumé, en quelques lignes, de la vie du défunt. Cette pancarte est
intitulée « ARGUMENT ». (NNJJ, 150)
Le contenu des rêves révèle la même hétérogénéité. Bien sûr, les rêves des années 1920
révèlent les attendues scènes de camaraderie ou de voyages, mais la collection est aussi
largement enrichie par l’univers dramatique, que ce soit celui de la commedia dell’arte, du
drame baroque 92, de la comédie musicale93 ou de la tragédie racinienne94. Comme chez Perec,
on reconnaît l’écrivain à l’ouvrage, rêvant d’opéra et de roman noir95, de jeux de mots96, de
bibliothèques et de manuscrits97.
Si la mémoire du geste surréaliste survit à travers les pratiques de Leiris comme de
Perec, c’est pourtant avec un certain détachement : on s’autorise des écarts par rapport aux
règles d’usage, dans la pratique comme dans la forme des textes. La distance acquise avec une
théorie psychanalytique certainement mieux digérée, et dont la pratique, qui a permis de
s’extraire du mythe de la transparence totale de l’esprit à l’écriture, permet de s’affranchir des
modèles pré-établis. Le récit de rêve accède à un processus d’écriture qui se déploie dans le
temps et n’est plus pieds et poings liés à l’immédiateté de la notation. Ce n’est pas pour autant
que le récit en est moins fidèle à l’expérience du rêve. La recherche d’exactitude et de fine
compréhension de Leiris ne va pas contre l’authenticité ; les textes-rêves de Perec, si plaisants
à manipuler, disent tout de même quelque chose de l’extraordinaire malléabilité des rêves. Le
rêve n’est plus jaugé à l’aune du sismogramme mais accède à une nouvelle liberté et laisse voir
en lui-même le récit de son élaboration. Sans doute l’objectif n’est pas exactement le même :
nos deux auteurs ne cherchent pas à reproduire le fonctionnement de l’esprit mais, une fois

91
Voir précisément les textes datés de mai 1925 (NNJJ, p. 46-51), 3-4 septembre 1933 (NNJJ, p. 91-97) et 18-19
mai 1958 (NNJJ, p. 193-199).
92
Rêve du 29-30 septembre 1957, NNJJ, p. 188-190.
93
Septembre 1926, NNJJ, p. 61-62.
94
8-9 septembre 1942, NNJJ, p. 150.
95
Rêve sans date, NNJJ, p. 66-67.
96
« Je lis, j’entends ou j’articule ces mots, comme un titre ou une sentence dont le sens se suffit et qui n’a besoin
de nul complément : L’œil charnois. Charnière du regard en tapinois, l’œil charnu, doux comme une peau de
chamois ? », Rêve sans date, NNJJ, p. 64.
97
Rêve sans date, NNJJ, p. 68-69.

338
réglée ailleurs la question de la connaissance de soi, à rendre compte de la diversité des rêves
qui les émerveille.

Trouvailles expressives d’une « rhétorique précisément onirique »


(Perec)98
Perec et Leiris partagent un goût pour les aphorismes, les jeux de mots et autres
fulgurances verbales qui trouvent dans les rêves une place toute particulière. Discours onirique,
psychanalytique et humoristique se retrouvent en effet sur un dénominateur commun : le
décalage, l’attention prêtée à l’écart entre le Signifiant et le Signifié, la manipulation de la
matérialité du mot. Le Witz désigne à la fois les mots d’esprit et la capacité d’en faire et
témoigne chez le locuteur d’une habileté langagière parfois proche de la prouesse verbale99.
Suivant le rapprochement fait entre rêve et mot d’esprit, Perec n’hésite pas à outrer le trait d’une
pensée oniricomique en introduisant dans ses récits des jeux de mots qu’il attribue le plus
souvent à la pensée du rêve lui-même. On trouvera ainsi dans « La tombe » :

le jeu de mots : c’est pour me donner une contenance, une demi-contenance :


un bock ! (LBO, 103)
ou, dans « La résistance », cette antithèse comique finale :

ce qui, je ne sais pourquoi, évoque en moi ce jeu de mots :


– Qu’est-ce que vous avez, Victoire ? Vous êtes toute défaite ! (LBO, 99)
Les objets insolites qui peuvent se présenter à la conscience du dormeur dépassent bien
souvent le cadre d’un lexique fixe qui ne sert à désigner que la réalité connue. La co-présence,
la simultanéité et la polysémie oniriques semblent incompatibles avec la fixité, la linéarité et la
détermination exigées par le récit. La Boutique propose divers types de créations verbales :
mots composés, néologismes ou, encore plus remarquables, superscriptions100 qui se présentent
au lecteur comme des énoncés polysémiques en faisant apparaître graphiquement deux versions
d’une même phrase et ce de façon synchronique. Le métagramme le plus frappant du recueil
est sans aucun doute celui qui nous est proposé par le rêve intitulé « La neige » :

98
Cette section est un extrait d’un article déjà publié : « Écriture du rêve et jeux de mots dans La Boutique obscure
de Georges Perec», dans Christelle Reggiani et Véronique Montémont (dir.), Perec, artisan de la langue, Presses
Universitaires de Lyon, coll. « Texte et Langue », 2012, p. 121-130.
99
Si, dès ses premiers écrits, Freud érige le jeu de mots au rang d’attribut du récit de rêve, il distingue nettement
les deux pratiques. Alors que le rêve serait asocial, égoïste et devrait se garder d’être compréhensible pour ne pas
disparaître, le mot d’esprit, lui, se caractériserait par son caractère éminemment social, sa destination et sa capacité
à être compris. « Le rêve sert surtout à épargner le déplaisir, l’esprit à acquérir le plaisir. » Mêmes procédés, on
le voit, mais au service de deux desseins opposés.
100
Dans L’Interprétation des rêves, Freud illustre la multiplicité sémantique du rêve et le doute qui l’accompagne
immanquablement en rompant avec l’unicité de la ligne d’écriture et la lecture linéaire.

339
p f
Mais avant d'en arriver là, il faut gravir une ente assez orte. (LBO, 58)
f p
La métaphore érotique est remarquablement enrichie par une contrepèterie qui, grâce à cette
présentation, ne dévoile que davantage son chiasme phonétique. En outre, les deux diagonales
formées par les couples croisés de « f » et de « p » illustrent on ne peut mieux la notion de
pente. La fente, quant à elle, est déjà intrinsèquement présente dans la superscription. C’est
ainsi toute la richesse suggestive du procédé qui trouve son illustration : le calembour s’inscrit
dans le rêve, dans le langage et sur la page.
Si la charge sexuelle du langage est un des lieux communs de la psychanalyse, on ne
peut s’empêcher de voir dans l’usage que fait Perec du procédé scriptural freudien une certaine
caricature de son discours. Ainsi, la paronomase qui superpose « ça » et « chat » dans le rêve
n° 24 n’est pas sans connotation ironique :

Sur le sol, des chats. Au moins trois. Toutes petites boules de fourrures. Je
crie : J’avais bien dit
ça
que je n’aurais jamais de ici !
chat
L’effet de chuintement qui dégrade le signifiant « ça » n’épargne pas, de façon connotative,
l’une des instances de l’inconscient dans la topique freudienne. Dans cette perspective, le jeu
de métathèse aurait valeur de critique dépréciative.
Perec a beau dire, carnet à l’appui, que « tout a été écrit dans la nuit101 » et que ce procédé
n’est que la marque d’une imprécision ressentie au réveil ou la trace d’un défaut de mémoire,
le potentiel de suggestion latente que renferme cette disposition ne fait que trahir un travail qui
s’est fait bien au-delà de l’obscurité onirique. Ainsi, l’ambiguïté notée noir sur blanc dans la
version publiée du rêve « Dans le métro » ne figure aucunement dans le manuscrit. Dans le
recueil, on peut lire :

Je suis effrayé.
Je hurle.
ffray
Ce n'est certainement pas la femme qui a l'air encore plus e ée que moi.
(LBO, 8)
veill
tandis que la version manuscrite, elle, n’envisage qu’une seule possibilité : « la femme [...] a
l’air encore plus éveillée que moi102. » Force est d’en déduire que la rédaction n’est pas

101
« L’écriture des rêves », entretien avec Germaine Rouvre, art. cit., Annexe A.
102
Manuscrit f° 63 bis, 2, Fonds privé Georges Perec, Bibliothèque de l’Arsenal, Paris.

340
totalement fidèle à la transcription et que cette métathèse relève d’un travail de stylisation
consciente.
Les mots d’esprits peuvent se faire plus subtils et chargés d’intertextualité, pariant sur
la complicité avec le lecteur, comme dans « Les mots croisés » :

Je crois trouver une excellente définition de « GRANT » : Ses enfants les


plus célèbres ne portent pas son nom. Mais non, suis-je bête, ce n’est pas pour
« GRANT », mais évidemment, pour « VERNE ». Je trouve, non une autre
définition pour « GRANT », mais une autre définition pour « VERNE » : Un
Jules qui ne l’était pas. (LBO, 89)
La fulgurance surprenante du génie verbicruciste dans un moment où la conscience triturante
est censée sommeiller suppose, pour être comprise, d’inférer la référence au roman de Jules
Verne Les Enfants du capitaine Grant. Mais le jeu sur le signifiant « père », dont la
psychanalyse ne cesse de ressasser la valeur symbolique, est encore plus flagrant dans « Le
réveil à piles ». Relevons donc la syllepse de sens ménagée sur ce mot dans la saynète qu’elle
met en place :

Je cherche le prêtre, qui n’y est pas, mais je le vois soudain, il se cache en
haut de sa chaire. Il vient vers moi et me dit :
– Je veux être père
– Mais vous ne pouvez pas vous êtes curé (LBO, 48)
En effet, tout le ressort comique tient dans la polysémie du nom « père » dont la dimension
respectueuse et spirituelle est dégradée par l’emploi du synonyme « curé », aux connotations
familières. Ici, le père n’est pas celui auquel on pense ; et dans le glissement de sens, le jeu de
mots neutralise les représentations affectives.
Force est de reconnaître qu’il reste quelque chose de l’expérience de la cure avec
Pontalis, ne serait-ce qu’une jouissance d’emprise sur ses dires. Les récits de rêves perecquiens
recyclent donc de façon « oblique » un trait essentiel de l’expression onirique, le jeu de mots,
largement commenté par les psychanalystes. De la grivoiserie assez lourde au trait d’esprit
d’une finesse saisissante, il se fait ainsi la marque d’un travail de déconstruction et de
reconstruction et le témoignage d’une écriture en train de se faire, très consciente de ses enjeux.

341
5.2.2. LE PARADOXE DU RÊVEUR : UN RÊVEUR CONSCIENT DE LUI-MÊME

Précisions et remarques
Les rêves de Leiris et de Perec sont, plus que ceux de leurs prédécesseurs, jalonnés de
parenthèses, remarques entre tirets, et autres propositions incidentes s’attachant ici à préciser
l’origine supposée d’un contenu, là à justifier la présence de tel ou tel personnage incongru,
ailleurs encore à marquer la surprise ou l’incompréhension devant le surgissement d’un
événement, ou à se dédouaner de l’oubli d’un détail. Ces interruptions, qui sont autant de
marques de la présence du narrateur éveillé, et d’allers et retours entre le monde de la veille et
le monde du rêve, sont aussi bien à mettre au compte des habitudes analytiques de rêveurs par
ailleurs rompus à l’exercice des associations, qu’à d’une certaine distance critique, et peut-être
désenchantée, d’auteurs refusant de se livrer au rêve avec la même confiance que leurs ainés
surréalistes.
Si Valéry déjà n’était pas avare de réserves quant à la possibilité de fournir un récit de
rêve fidèle à son expérience, ses critiques restaient en périphéries des récits proprement dits,
d’ailleurs bien rares – et pour cause – chez l’essayiste. C’est avec Leiris et Perec que le soupçon
et les marques de défaillance s’intègrent au récit à proprement parler, comme éléments
constitutifs. Comme leurs ainés qui voulaient faire des compte rendus d’expérience, ils
s’attachent à en rapporter toutes les facettes, y compris avec leur lots d’échecs ou
d’incomplétudes.
Par souci de précision ou par habitude d’association, les récits de rêves de Leiris
comportent souvent des précisions entre parenthèses pour rapprocher des éléments du rêve de
réalités diurnes, et ainsi les justifier. Dans un rêve de 1925, l’apparition de « l’un de [s]es amis
surréalistes » est aussitôt complétée par l’indication de son nom, Marcel Noll103, celle de
« Z… »104 justifiée par la précision, entre parenthèses, qu’elle est désormais « dans la vie
éveillée », sa « fiancée ». Puis, quand il s’agit de décrire un lieu pour le moins hybride, l’auteur
n’hésite pas à convoquer des référents connus ou à faire appel à des souvenirs d’enfance :

Ce lieu tient à la fois du Musée Grévin, du Musée Carnavalet, du parc


d’attractions (tel qu’il y en avait un à l’Exposition des Arts Décoratifs), du
Salon de l’Aéronautique (visité lorsque j’étais enfant) et du jardin aux supplices
imaginé par Octave Mirbeau (NNJJ, 46-47)

103
Pseudonyme de Marcel Priollet (1884-1960).
104
L’initiale désigne « Zette », surnom de Louise Goudon, sa femme.

342
Ces ajouts extra-oniriques, s’ils participent à rendre la représentation du rêve plus nette en
intégrant des analogies avec des réalités connues, concourent aussi à affadir la vivacité de
l’image onirique en lui retirant ce qui, précisément, lui donnait sa tonalité insolite.
Chez Leiris tout particulièrement, le récit de rêve participe du genre autobiographique,
non seulement parce qu’il cherche à retenir la trace de ses nuits, mais encore parce que, à
l’occasion de tel ou tel récit, un souvenir, plus ou moins fragmentaire, peut ressurgir, non pas
dans le rêve en lui-même mais par l’exercice de remémoration qu’il a suscité. Ainsi de ce rêve
de septembre 1957, qui certes raconte une scène comique mais fait surtout revivre, dans le cadre
d’une parenthèse, l’imaginaire d’un voyage florentin :

Z… et moi, nous nous sommes arrêtés pour prendre le thé dans une maison
de belle allure qui est, soit une habitation privée, soit une pension de luxe
(comme celle que nous avons effectivement visitée, il y a quelques jours, dans
les environs de Florence et dont la propriétaire est une dame anglaise un peu
agaçante avec sa distinction trop étudiée). (NNJJ, 188)
Ou de cet autre, daté du 22-23 avril 1933, et qui fait ressurgir, à l’occasion d’un rêve dont le
contenu est liquidé en quelques lignes, un souvenir de grivoiserie adolescente au lycée Janson-
de-Sailly, lui développé sur l’essentiel du texte (NNJJ, 81). C’est encore le cas pour un rêve
survenu en plein cœur de la Seconde Guerre mondiale, et à Boulogne-Billancourt.

Dans une ville au bord de la mer, en même temps port et plage (réminiscence
du Havre, aujourd’hui bombardé fréquemment et dont j’ai parlé hier, au cours
d’une soirée coupée par une alerte), nous faisons un séjour, Z…, quelques amis
et moi.
Vie de plaisir genre avant-guerre. […] Arrive Georges Limbour
(actuellement professeur de philosophie à Dieppe). Il m’annonce que des
bateaux-cercueils viennent d’entrer au port. […]
Nous nous rendons au port, qui est un petit port de pêche, avec un quai de
pierre où l’on descend par quelques degrés. Les bateaux-cercueils sont là, sortes
de pirogues faites d’un tronc d’arbre creusé (réminiscence ethnographique
peut-être suggérée, comme les nègres ? par le fait qu’hier, au moment où nous
dûmes nous en aller à la cave, je buvais du rhum blanc). […]
À partir de ce moment, le rêve se découd. Dernier épisode : un autre ami qui
se trouve là (Jean-Baptiste Piel ? natif du Havre comme Limbour et rentré
récemment de captivité) prend un vélo d’enfant qu’il trouve sur le quai, lui fait
gravir les marches et, l’enfourchant, décrit avec lui plusieurs cercles, devant un
certain nombre de personnes qui admirent son adresse, car il n’est pas très
commode pour un adulte de monter sur une bicyclette aussi petite. (NNJJ, 140-
142)
Avec les parenthèses, ce sont deux narrations contrastées qui se mêlent : le rêve de fête et de
voyage est rattrapé par la réalité de la guerre, avec les bombardements et les arrestations. Aussi
ce fragment de nuit témoigne-t-il peut-être davantage de la réalité du jour qui partout perce le
rêve que des évasions nocturnes.

343
Le même jeu d’interruptions et de commentaires du récit se retrouve chez Perec. Mais
chez lui, les irruptions d’une voix narrative servent moins à charrier des souvenirs de la vie
éveillée, dont le rappel pourrait éclairer les contenus oniriques, qu’à souligner les lacunes d’un
langage bien peu adapté à la description de ces objets insolites. « Le go » voit ainsi percer un
narrateur-correcteur, enclin à pointer les imprécisions du rêve :

Je joue au go (mais c’est plutôt un puzzle dont les pièces finissent par former
une sorte de sphère) […]
[…] Entre un écrivain, dont je m’aperçois que j’ai le livre à la main et que
je joue (m’évente ?) avec. (LBO, 12)
Les interventions extra-oniriques cherchent à préciser les référents sélectionnés par le rêve en
en corrigeant les formulations. Ces épanorthoses trahissent à la fois le langage du rêve, forcé
d’utiliser les mots du monde vigile pour décrire les objets d’un monde rêvé, et la présence d’un
narrateur surplombant.
C’est un récit à deux voix qui se met en place sous la plume de Leiris et Perec : la voix
du rêveur, témoin et acteur des aventures de la nuit, est sans cesse doublée de celle du narrateur,
censeur éveillé et attentif, enclin à compléter ce que le premier aurait omis de préciser.

Oublis et censure
Partout, les récits de rêves de Perec et Leiris disent leurs manquements et leurs failles,
en même temps qu’ils continuent de s’écrire malgré ces défaillances. La première d’entre elles
est certainement l’oubli, la fragmentation du souvenir du rêve, qui peine à se reconstituer dans
un ensemble cohérent. « Le rêve, quand bien même il serait consigné sitôt fait, ne peut pas être
l’objet d’une connaissance immédiate et sans faille, rappelle Jean-Daniel Gollut. Le décalage
des états de conscience, l’allure indécise que prend alors le plus souvent l’image onirique (peu
importe ici que ce flou soit congénital à la vision du rêve ou produit par la censure), imposent
une réserve à l’énonciation et la privent foncièrement d’assurance105. » C’est peu de chose de le
dire lorsque l’on considère certains récits de rêves de Leiris qui, envers et contre tous les oublis,
luttent pourtant pour s’énoncer :

18-19 mai 1958


C’est en touriste que je me trouve dans cette ville qu’à mon réveil je n’ai pu
identifier comme française non plus que la rattacher à tel en particulier des pays
que je connais. J’y suis en compagnie de quelques proches, dont les identités
elles aussi me restent incertaines bien qu’il y eût là ma femme, j’en suis à peu
près sûr, et peut-être ces trois amis avec lesquels – il y a de cela quelques jours

105
Jean-Daniel Gollut, Conter les rêves, op. cit., p. 160.

344
et c’était peu avant la sédition que provoqua en France l’écroulement de la
IVe République – nous flânions au jardin zoologique de Bâle […]
Errance dont l’absence de plan reflète sans doute (dans le souvenir que je
crois en avoir) l’allure à bâtons rompus propre à nombre de rêves, notre
promenade nous amène dans une rue assez étroite et sans trottoirs, analogue
aux vieilles rues de bien des villes méditerranéennes (encore qu’il soit osé de
mettre en jeu ici une comparaison qui est l’amorce d’une localisation, alors que
rien de précis n’incline ce fragment de décor urbain vers le sud plutôt que vers
le nord et du côté du soleil plutôt que de celui des brumes). […]
Ne doutant pas que le bâtiment ainsi profusément décoré est bien celui que
nous sommes curieux de visiter, nous entrons. Mais je ne puis, ici non plus, rien
me rappeler qui – hèlement des habitants supposés, coups frappés au battant de
la porte ou pression sur le bouton déclencheur d’une sonnerie – me permette de
dépasser l’abstraction de ce « nous entrons » aussi vague que le groupe de
proches qui étaient mes compagnons, la situation géographique de la ville et le
style même de la façade malgré l’appel hasardeux à un souvenir vénitien pour
tenter de restituer, à défaut de son faciès exact, l’impression que j’en ressentais.
[…]
Son image (non sur le champ mais alors que je m’essaye à la recomposer)
m’apparaît du même ordre que celle des matrones comme j’en ai rencontrées
plus d’une en Afrique et en Haïti […] (NNJJ, 193-197)
Lieu, personnages, actions, tout semble se dérober à la mémoire du narrateur au fur et à mesure
qu’il cherche à raconter le rêve. Alors que ces défauts pourraient incliner Leiris à renoncer à
faire figurer le récit dans le recueil, lui préférant quelque autre récit plus complet et mieux
ficelé, l’auteur choisit au contraire d’exhiber les manquements de la narration. S’il se risque, çà
et là, à combler les vides par des éléments supposés, ce n’est pourtant pas sur le mode de
l’assertion franche mais de la supputation prudente, voire de la quasi prétérition.
Au contraire du rêve surréaliste de Breton, empli de certitudes, le rêve de Leiris est troué
et affiche ses défectuosités. On se souvient que c’était à cause de ces défauts de la mémoire
que, dès 1924, le récit de rêve avait été disqualifié au profit des « sommeils ». Là, le rêve peut
s’avouer n’être « que confusion » (NNJJ, 71) et ne laisser émerger de cette brume que quelques
formes de personnages. Pour Jean-Daniel Gollut, les aveux d’impuissance d’un narrateur bien
en peine de reconstituer son rêve dans toute son intégrité sont aussi des marques d’authenticité :

Le retour à la conscience, ne se lasse donc pas de répéter le narrateur, met


le rêve en pièces et l’on se saurait dès lors prétendre à une récollection totale.
Cette déclaration de principe vise évidemment à inscrire le récit de rêve dans
un cadre psychologique reconnu, à l’aligner sur un modèle expérimental qui
admet le trou de mémoire comme une donnée typique. En ce sens, l’oubli
déclaré joue bien le rôle d’un connotateur de la vraisemblance et prend place
parmi les constituants du genre narratif particulier : c’est d’abord par l’annonce
de son incomplétude essentielle que le récit de rêve établit sa singularité106.

106
Jean-Daniel Gollut, Conter les rêves, op. cit., p. 172-173.

345
Les insuffisances du récit seraient donc à mettre, selon Gollut, au compte des effets de rêves,
comme d’autres baromètres sont à mettre au compte des effets de réel.
Perec, pour sa part, prévient le lecteur des amputations de ses textes dès l’ouverture du
recueil. Dans La Boutique obscure, la page qui précède immédiatement le premier rêve est
consacrée à l’exposé d’un code typographique et de règles de mise en page. La rigueur de ces
règles de présentation se présente d’abord comme un gage d’authenticité : il s’agit de reproduire
les rêves le plus fidèlement possible, de les donner à lire tels qu’ils ont été vécus, avec leurs
lacunes, leurs sensations, mais aussi leur étrangeté ou leurs effets d’intensité.

Dans la mesure où j’ai cherché une certaine homogénéité dans la


transcription, puis dans la rédaction de ces rêves, il ne me semble pas inutile de
donner ces quelques précisions sur la typographie et la mise en page :
-   l’alinéa correspond à un changement de temps, de lieu, de sensation,
d’humeur, etc., ressenti comme tel dans le rêve ;
-   l’emploi de l’italique, qui ne peut être qu’exceptionnel, signale un élément
du rêve particulièrement marquant ;
-   la plus ou moins grande épaisseur des blancs entre les paragraphes voudrait
correspondre à la plus ou moins grande importance de passages oubliés, ou
indéchiffrable au réveil ;
-   le signe // signale une omission volontaire.
Ce code intègre et poétise les caractéristiques de « l’élaboration secondaire » telles que la
présente la théorie freudienne : l’usage de l’italique, en donnant une importance particulière à
un élément souvent anodin, pourrait correspondre à la notation d’un déplacement, celui des
blancs à celle de la censure et le signe « // » comme le renvoi à une autre élaboration – tertiaire
– pleinement consciente et à l’œuvre dans la rédaction. Avec la stratégie de compensation mise
en place par ce code typographique, Perec semble déjà contourner la difficulté. En faisant porter
l’attention du lecteur sur les vides de l’écriture, il se joue des silences que voudrait lui imposer
le genre.
La Boutique obscure exploite ainsi la poétique du blanc et du fragmentaire en mettant
en avant les manques de la mémoire. Ces derniers, signalés par des blancs laissés entre les
paragraphes et dont la longueur doit être proportionnelle au sentiment que quelque chose du
rêve échappe à l’écrivain, peuvent servir à ménager une attente, parfois déçue. « Le go » (LBO,
12) fait usage de ce ressort pour donner à sa chute une tournure des plus dramatiques. Il se
termine sur une suspension à la fois inattendue et déceptive : « J’ai une scène avec . » Qui ?
On ne le saura pas.

346
Dans ses notes préparatoires, Perec envisageait de signaler par le signe ( ) un « oubli
mineur107 », finalement remplacé par la notation plus explicite « (oublié) ». Dans le rêve intitulé
« Le joint », l’oubli devient un élément primordial du récit de rêve. Le rêve, divisé en trois
paragraphes numérotés, se voit réduit au seul premier paragraphe, dont la rédaction, succincte
(cinq lignes seulement), se clôt de surcroit sur l’indication d’une absence d’action :

Grande manifestation pour le Joint Français. Menace d’accrochages entre


les manifestants et les C.R.S. Je ressens une peur presque panique à l’idée
d’être arrêté, emmené dans un commissariat et frappé.
Ces événements n’ont pas lieu. (LBO, 117)
Double déception pour le lecteur qui se voit privé de toute suite, les deux paragraphes suivants
ayant été « (oublié[s]) ». Si l’auteur affiche au départ une ambition d’authenticité, voulant faire
de cet ouvrage le recueil transparent et non faussé de sa vie onirique, c’est en fait toujours pour
répondre à des objectifs esthétiques et ludiques que sont réemployées les caractéristiques de
l’expérience onirique. Les lacunes, fragments incompréhensibles et passages censurés, qui
semblaient pourtant se présenter comme autant d’obstacles à la rédaction, sont recyclées ;
renouvelant ainsi une écriture qui fait des apories oniriques les atouts de sa création rhétorique.
La place faite à l’oubli dans un rêve comme « Reconstitution d’un choix » est en cela évocatrice.
La note entre parenthèses, qui ouvre le récit, coupe court à toute narration :

(le titre même indique à quel point tout s’est effacé. Cela concernait une
série d’alternatives : de quel côté se tourner pour dormir, quel oreiller choisir,
laquelle des lampes allumer ?) (LBO, 111)
Non seulement les alternatives énoncées paraissent bien triviales mais elles pourraient même
s’équivaloir les unes les autres, jusqu’à finalement annuler tout l’intérêt du rêve rapporté. Par
protection pudique ou désinvolture ludique, « Le vengeur » (n° 59) aussi, s’amuse à mettre en
exergue la coupure, les deux premiers paragraphes ayant été supprimés et remplacés par les
signes « // ». Au lecteur d’imaginer quel a bien pu être le début de ce récit pour qu’« après une
longue absence, le Vengeur revien[ne] au Mexique. » – premier mots du texte publié.
Mais l’oubli peut aller jusqu’à menacer toute forme de récit. Deux « cas-limites » de
récit de rêve, comme les appelle Jean-Daniel Gollut, peuvent être identifiés : « Sperme et
théâtre » (n° 56) et « Le Renshaw » (n° 53). Ces deux exemples déroutent et perturbent le
lecteur en supprimant la narration avec le rêve pour ne laisser place qu’à une simple
énumération de mots dans le premier cas, à un commentaire laconique dans le second. « Le
Renshaw » (n° 53) se conclut par cette parenthèse déceptive :

107
« Le signe ( ) signale un oubli mineur. » Manuscrits, dossier n° 80, carnet 11, feuillet 3. Fonds privé Georges
Perec, Bibliothèque de l’Arsenal, Paris.

347
(J’ai griffonné ces mots dans la nuit ; je les retrouve au réveil ; aucun
n’évoque de souvenir particulier)
(l’inhibition récurrente de Renshaw est, très grosso modo, un système en
boucle contrôlant la contraction musculaire) (LBO, 53)
Double échec de la narration donc qui ne parvient pas à reconstruire le moindre récit, que ce
dernier soit celui d’un rêve ou celui d’un souvenir. Toutefois, le dernier paragraphe peut
justifier ce défaut : « l’inhibition » musculaire dont il est question ici est aussi celle de la
narration elle-même.
Par ces mentions d’oublis, le récit exhibe ses lacunes et se présente comme
intrinsèquement fragmentaire. Si cette dernière caractéristique avait été jusqu’alors
parfaitement reconnue au rêve, elle était pourtant refusée à son récit, car ressentie comme un
obstacle pour cet objet textuel que l’on souhaitait aussi complet que possible108. Dans les
Cahiers, Valéry dit du rêve qu’il n’est qu’une « hypothèse, puisque nous ne le connaissons
jamais que par le souvenir, mais ce souvenir est nécessairement une fabrication. Nous
construisons, nous redessinons notre rêve ; nous nous l’exprimons, nous lui donnons un sens ;
il devient narrable109. » Avec Leiris et Perec, une nouvelle étape est franchie : en renonçant à
la perfection du rêve plein, en lui reconnaissant une part de perte qu’ils ne cherchent plus à
combler, les deux auteurs accèdent à une poétisation du blanc qui, loin d’appauvrir la narration,
l’enrichit d’évocations nouvelles. C’est aussi une façon d’inscrire dans le texte le manque,
l’oubli, et de restaurer toute sa valeur à ce qui, de certains rêves, restera tu.

« La fenêtre » : clinamen de rêve ?


Le comble de ce jeu avec les silences du rêve est atteint dans « La fenêtre », opus n° 96
de La Boutique obscure, dont le texte est dérobé au lecteur, sous le paravent d’un //, signe de
bravade par lequel l’auteur voudrait figurer sa totale maîtrise du texte. Le signe serait à la fois
une barrière à l’aveu transparent, une limite à la confession onirique et un garde-fou à la
confidence totale.
Cependant, le lecteur averti des pratiques oulipiennes verra là, plus qu’une mesure de
protection de l’intimité, un bel exemple de clinamen. Au jeu de tous les récits de rêves possibles,
Perec s’autorise un joker : le rêve sans texte, à moins qu’il ne s’agisse là d’une nuit blanche. La
page blanche à laquelle il nous confronte rappelle celle du Tristram Shandy de Sterne110 ou les

108
« Le rêve n’est jamais qu’un souvenir qui se présente à un homme réveillé — Souvenir. L’être x, impressionné
sous le sommeil, restituant après réveil. Comme ceci est suspect ! » Paul Valéry, Cahiers, op. cit., [1921], p. 103.
109
Paul Valéry, Cahiers, t. I, op. cit., p. 881.
110
Laurence Sterne, La Vie et les opinions de Tristram Shandy, gentilhomme (1667), traduction Guy Jouvet, Auch :
Tristram, 2004.

348
ellipses savamment ménagées par Diderot dans Jacques le fataliste et son maître111 ou encore
la carte de l’océan dans La Chasse au Snark112. Aussi peut-elle être lue comme une invitation
lancée au lecteur pour qu’il inscrive son propre rêve sur les pages de ce livre. Mise en déroute
totale du contrat de lecture, renversement des rôles, mouvance absolue des instances, telles sont
les caractéristiques du récit de rêve qui sont ici superbement illustrées... par l’absence
d’illustration113. Le titre choisi, dans cette première configuration, n’est pas anodin. « La
fenêtre » rappelle la formule usée « le rêve est une fenêtre ouverte sur l’inconscient »114. En
dessinant sur la page un signe pouvant aussi représenter une ouverture, Perec laisse au lecteur
une place pour son propre rêve115.
Dans plusieurs entretiens, Perec se défend de son silence en se donnant pour alibi la
volonté de protéger l’anonymat des personnes mises en scène. À la question posée par Gilles
Dutreix « N’y avez-vous jamais apporté de retouches [aux rêves] ? », il répond : « Le n° 96 ne
comporte qu’un titre, « La fenêtre », suivi d’un signe : celui-ci marque une omission volontaire.
Ce que j’ai supprimé impliquait des gens qui aurait pu se reconnaître, ce que je ne voulais
pas116. » Or, cette excuse paraît bien mince si l’on considère la possibilité pour l’auteur de
masquer les noms sous de fausses initiales ou de censurer seulement certains passages.
La consultation du manuscrit117, peut nous éclairer à ce sujet. Le texte du rêve se
structure autour de deux mouvements principaux : la rupture avec « S. » et une séance chez
Jean-Bertrand Pontalis. Les signifiants qui se dégagent particulièrement sont ceux qui se
rapportent au deuil, à l’« adieu » :

111
Denis Diderot, Jacques le Fataliste et son maître (1786), Pocket, coll. « Classiques », 2001.
112
Lewis Carroll, La Chasse au Snark (1876), Gallimard, coll. Folio », 2010.
113
Dans cette perspective, le numéro attribué au rêve (96), dont le dessin propose à l’œil une figure de symétrie
centrale parfaite, serait encore à considérer comme l’annonce, par un détail très ténu, d’une inversion ludique.
114
Voir le livre d’Andrea Del Lungo, La fenêtre : sémiologie et histoire de la représentation littéraire, Seuil,
coll. « Poétique », 2014.
115
Le titre peut aussi entrer en résonance avec l’œuvre de Jean-Bertrand Pontalis dans la mesure où « fenêtre » est
un signifiant particulièrement présent dans l’œuvre et la pensée du psychanalyste. À propos de son ouvrage
Fenêtre, paru en 2000, Pontalis explique : « Alors, pourquoi ai-je eu recours à l’image de la fenêtre ? D’abord
parce que j’aime les fenêtres et l’idée d’être en permanence, comme le malheureux Bartelby de Melville, face à
un mur aveugle me fait horreur. Ensuite, parce que, justement, la fenêtre nous offre à la fois un cadre et une
ouverture. Par ma fenêtre je vois ou j’entrevois quoi ? La rue, une cour, un arbre, des toits, le ciel et même
l’invisible. Par cette fenêtre-ci, j’ai un certain point de vue ; si je me déplace vers une autre, j’ai un point de vue
différent. L’analyse, c’est cela : changer de point de vue sur soi, sur les autres, sur le monde. » (« Limbes et
passages. Une conversation entre Jean-Bertrand Pontalis et Maurice Olender », Le Magazine littéraire, n° 389,
2000, p. 100.) Certes, cette citation est bien postérieure à l’écriture du rêve et à la publication du recueil de Perec.
Cependant, il est troublant de voir ici cité le personnage de Bartelby, qui inspira aussi Perec pour le Bartlebooth
de La Vie mode d’emploi. Dès lors, on peut faire l’hypothèse que l’expérience de la cure et la rencontre avec
Pontalis ne sont pas pour rien dans l’existence de ce rêve.
116
« J’ai cherché des matériaux dans les rêves pour faire une autobiographie nocturne », dans Entretiens et
conférences, op. cit., p. 137-139.
117
Voir Manuscrit du rêve n° 96 « La fenêtre » en Annexe C.

349
J’essaie d’écrire un message sur un mur, mais je n’y arrive pas car la salle
se remplit de monde (des touristes). [...]
Le lit de la chambre a été refait. On a posé dessus un peu de terreau et des
fleurs que j’ai envie de réarranger pour former le mot « adieu » (c’est déjà ce
que je voulais écrire sur le mur).
et à la « folie » :

Elle me dit qu’elle a fini par comprendre que j’étais fou, que jusqu’à ce
qu’elle parte en Angleterre, elle a continué à penser à moi mais que maintenant
c’est fini. [...]
Pon se met à rire et dit quelque chose comme
— Mon cher pensez-y c’est votre problème !!
(comme s’il s’en lavait les mains et qu’il y avait choix de ma part !) [...]
Je lui dit :
— Tu ne vois pas que je suis en train de devenir fou, tu te dis mon ami, tu
dois comprendre que j’ai besoin de S, qu’il faut me laisser la place !
Mais évidemment, Condo s’en fout.
Il est même possible qu’il éclate de rire en me disant que ce n’est pas mon
problème (?)
De plus, le rêve est marqué par une très forte angoisse d’abandon qui se
transforme à la fin en une pulsion de meurtre, aussitôt recyclée en sentiment de
culpabilité à l’égard de celui qui semble être le nouvel amant de « S. »
Puis il passe avec Pouillon sur un balcon.
Je me glisse derrière eux, je ferme subrepticement la fenêtre et je m’apprête
à renforcer cette fermeture avec une barre de fixation. Je me dis : cette fois-ci,
si on me surprend, comment vais-je faire pour prétendre encor(e) que ce n’est
pas moi qui ai enfermé le petit garçon dans la pension de Lans ?
À ce moment-là Pon entre (en toussant) et je laisse retomber la barre de
fixation, horriblement gêné, pris en faute ...

L’allusion à Lans-en-Vercors est assez transparente pour que l’on puisse rapprocher ce rêve du
souvenir d’un épisode de l’enfance de Perec, raconté dans W :

Je n’ai qu’un seul souvenir de cette pension. Un jour, on trouva une petite
fille enfermée dans un cagibi où l’on rangeait les balais. Elle y était restée
plusieurs heures. Tout le monde affirma que c’était moi le coupable et exigea
que je le reconnaisse : même si je ne l’avais pas fait par méchanceté, ou même
si je l’avais fait sans savoir que c’était méchant de le faire, et à plus forte raison
si je ne l’avais pas fait exprès, mais seulement par inadvertance en fermant à
clé la porte sans savoir que j’étais en train d’enfermer la petite fille dans la
pièce, il fallait que j’avoue : j’étais resté tout l’après-midi dans la salle de jeux
(il me semble que c’était une pièce pas très grande, avec du lino et trois fenêtre
formant véranda) et j’étais par conséquent le seul à avoir pu enfermer la petite
fille. Mais je savais très bien que je ne l’avais pas fait, ni exprès, ni pas exprès,
et refusai d’avouer. Je crois que je fus mis en quarantaine et que pendant
plusieurs jours personne ne me parla118.
Répétition des scènes, procédés de déplacement et de condensation, lien avec le passé, ce rêve
est, à de multiples égards, particulièrement signifiant et doté d’une charge affective

118
Georges Perec, W ou le souvenir d’enfance, op. cit., p. 174.

350
exceptionnelle, assez lointaine des manipulations rhétoriques ou des trivialités des exemples
cités plus hauts.
Alors que le lecteur non informé pouvait y lire instinctivement le signe d’une ouverture sur
l’imaginaire, la consultation du texte finalement censuré nous apprend qu’il s’agit en fait d’une
fermeture. Le rêve procède ici d’un déplacement littéraire puisque l’épisode final fait
directement écho à un autre épisode de la vie et de l’œuvre de Perec, raconté dans un ouvrage
lui aussi fortement imprégné de l’expérience psychanalytique, W ou le souvenir d’enfance. Dès
lors, le signe « // » peut aussi se comprendre comme la marque d’une mise sous silence d’un
épisode raconté ailleurs.

351
5.2.3. « UN MINIME EFFORT DE RHÉTORIQUE » ONIRIQUE : QUENEAU
Alors que Pontalis se plaisait à dire que « la psychanalyse tord le cou à l’éloquence119 »,
il semble bien que, dans le cas de Queneau au moins, elle n’ait pas éteint toute velléité
rhétorique. Après avoir fait son entrée en littérature par le récit de rêve120, du temps où il
participait aux activités surréalistes, et avoir institué le rêve comme l’un des thèmes privilégiés
de son œuvre121, Queneau y revient à la fin de sa vie en en faisant un exercice de style avec Des
récits de rêve à foison.
Déjà, dans les (véritables) Exercices de style, le septième texte se donnait comme une
transposition en style « rêve » du patron initial :

Il me semblait que tout fût brumeux et nacré autour de moi, avec des
présences multiples et indistinctes, parmi lesquelles cependant se dessinait
assez nettement la seule figure d’une homme jeune dont le cou trop long
semblait annoncer déjà par lui-même le caractère à la fois lâche et rouspéteur
du personnage. Le ruban de son chapeau était remplacé par une ficelle tressée.
Il se disputait ensuite avec un individu que je ne voyais pas, puis, comme pris
de peur, il se jetait dans l’ombre d’un couloir.
Une autre partie du rêve me le montre marchant en plein soleil devant la
gare Saint-Lazare. Il est avec un compagnon qui lui dit : « Tu devrais faire
ajouter un bouton à ton pardessus. »
Là-dessus, je m’éveillai122.
Écrit en 1942, ce texte ne s’inscrit pas dans le sillage stylistique des récits de rêves surréalistes ;
l’emploi des temps du passé (imparfait et passé simple), les phrases longues et complexes,
l’usage de connecteurs, l’intégration d’éléments d’interprétation ou de sens, la projection
d’émotions sur les personnages : on est bien loin des récits secs et des notations brutes de La
Révolution surréaliste. Queneau se plait pourtant à relayer un certain nombre de clichés,
appartenant davantage au medium visuel du cinéma et aux récits fantastiques, rendant ainsi la
nature du récit parfaitement reconnaissable. L’atmosphère brumeuse, le flou, l’incertitude, la
déformation des personnages, l’attention portée à des détails, la coupure nette dans
l’enchainement des séquences, l’absurdité des propos échangés, et bien sûr, le réveil concourent
à installer le lecteur dans un réseau de signes oniriques qu’il n’aura pas de mal à reconnaître.

119
Jean-Bertrand Pontalis, « La pénétration du rêve », Nouvelle revue de psychanalyse, n° 5, « L’espace du rêve »,
1972, repris dans Entre le rêve et la douleur, op. cit, p. 32.
120
La Révolution surréaliste, n° 3, 15 avril 1925, p. 5. Claude Debon propose un exemple de récit de rêve inédit
rédigé à la même époque dans les Œuvres complètes, t. I, p. 989. D’autres inédits se trouvent dans les archives
conservées au Centre de Documentation Raymond Queneau fondé par André Blavier à Verviers. L’inventaire du
fonds Queneau est consultable en ligne à l’adresse : http://www.queneau.fr/inventaire/ [consulté le 28 août 2019]
121
« Chaque fois que je puis trouver trace de rêve, dans q[uel]que œuvre que ce soit, je suis prêt à toutes les
concessions. » Raymond Queneau, Textes surréalistes, Œuvres complètes, édition établie par Claude Debon,
Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1989, t. I, p. 1003-1004. Entre autres, pensons à l’usage du rêve
fait dans les romans Le Chiendent, Les Fleurs bleues ou Loin de Rueil.
122
Raymond Queneau, Exercices de style (1947), Gallimard, 1963, p. 16.

352
Lorsqu’il publie Des récits de rêve à foison123, trente ans plus tard, inspiré par La
Boutique obscure de son ami Georges Perec, Queneau fait pourtant le choix d’une tout autre
esthétique. Souvent cités dans les ouvrages qui traitent du rêve au XXe siècle, sûrement en
raison de leur titre qui rend le contenu explicite et les inscrit clairement dans un genre, ces récits
ne peuvent pourtant pas être classés parmi les récits de rêves authentiques. Comme la note finale
de l’auteur l’indique, « un minime effort de rhétorique » aura suffi « pour leur donner un aspect
onirique ». (RRF, 278)
Contrairement aux textes de Leiris et Perec, marqués, au moins dans leur genèse, d’une
véritable interrogation sur soi, les textes rassemblés dans le recueil de Queneau ne sont pas à
rattacher à un quelconque projet d’écriture autobiographique124. Ils sont pur jeu formel, simple
amusement avec une recette largement éprouvée. Dans la préface qu’il rédige pour le recueil,
Leiris revient sur l’addendum de Queneau, et le qualifie d’« hommage rendu au pouvoirs de la
rhétorique », « de nature à montrer que le “récit de rêve” abondamment pratiqué par les
surréalistes n’était en fait qu’un nouveau genre littéraire. »

Usage non dissimulé de la rhétorique (ici pour transformer en rêves ce qui


n’en était pas) et d’artifices compositionnels volontiers insolites, tel est l’un des
aspects de l’entreprise de démystification qu’en grand classique non moins
qu’en contestataire aura menée Raymond Queneau, pour qui, si aigu qu’ait été
son sens du burlesque, il ne s’agissait assurément pas de tourner la littérature
en dérision, mais, en toute honnêteté artisanale, de la remettre à sa juste place
– une place au demeurant des plus solides lorsqu’on ne se fait plus sur elle
aucune illusion romantique125.
La réduplication artificielle représente, aux yeux de Leiris, la preuve ultime d’une rémanence
de traits formels et distinctifs du récit de rêve, qui lui permettent à ce titre de l’envisager comme
un genre à part entière. Aussi, on ne sera pas étonné de voir exploitées comme des contraintes

123
Parus pour la première fois dans les Cahiers du chemin, en octobre 1973, « Des récits de rêves à foison » sont
aujourd’hui publiés dans Contes et propos, Gallimard.
124
Un rêve est bien rapporté dans Chêne et chien, roman autobiographique en vers, mais encore une fois les textes
présentés dans Des récits de rêves à foison n’ont rien à voir avec celui-là.
« Je raconte un rêve :
Un homme une femme
Se promènent près d’une rivière,
Un crocodile derrière
Eux
Les suit comme un chien.
Ce crocodile c’est moi-même
Qui suis docile comme un chien
Car quelque étrange magicien
M’a réduit à cette ombre extrême,
Quelque étrange maléfacteur,
Un jeteur de sorts, un damneur,
Un ensemenceur d’anathèmes. » (Chêne et chien, Œuvres Complètes, t. I, p. 22.)
125
Michel Leiris, « préface » de Contes et propos, p. 14-15.

353
les caractéristiques formelles dégagées plus haut : Des récits de rêves à foison se présente
comme une série de quatorze texticules, sans titres, qui adoptent tous un code stylistique assez
strict : emploi de la première personne qui confine à un « “égoïsme” narratif appuyé126 », usage
du présent de l’indicatif, style paratactique, « sous-information narrative127 » et exploitation
outrancière de situations absurdes.
La spécificité de ce petit ensemble ne réside pas dans l’originalité des choix esthétiques
mais dans leur usage systématique et caricatural, la densité des procédés étant encore renforcée
par la taille remarquablement courte des textes. Tous les récits, sans exception, sont rédigés au
présent de l’indicatif, neuf sur quatorze commencent par le pronom de première personne « Je »
suivi d’un verbe (quatre autres font apparaître la marque de première personne dès la première
phrase), et la plupart usent et abusent de l’incongru, en particulier avec des coq-à-l’âne. Ainsi
de cet exemple qui se distingue par son extrême brièveté :

Je suis à la campagne chez un médecin. Il fait griller des aubergines et des


côtelettes qui prennent feu, puis il joue du luth. (RRF, 274)
L’ancrage dans la vision subjective, même quand l’action relatée ne concerne finalement pas le
rêveur, renforce l’impression d’onirisme dégagée par ce récit extrêmement court mais tout de
même marqué par deux hiatus sémantiques. L’incongru, ici renforcé par l’absence totale de
marque de surprise (dans la diégèse du rêve comme dans le temps de l’écriture), est d’autant
plus prononcé que le récit souffre d’une « insuffisance fonctionnelle128 » : il n’a aucune suite,
ni aucune origine. Aucun des quatre fils narratifs amorcés (aventure médicale, déjeuner en plein
air, incendie ou expérience musicale) ne trouve d’issue satisfaisante dans les autres. Ces
interruptions successives empêchent de construire le moindre sens global, tout en conservant
un sens minimal mais inexploitable à chaque unité.
Ici aucune mention d’oubli, d’approximation ou de censure. Si les textes sont bien troués
d’éléments pourtant indispensables à la construction d’une diégèse satisfaisante, le narrateur ne
s’en émeut nullement. Et lorsqu’il bute sur un événement absurde, c’est pour mieux continuer
son chemin.

Je me trouve dans une petite ville dont je ne connais pas la topographie. Je


m’applique à suivre le même itinéraire que la veille. Je me risque cependant à
prendre une ruelle étroite dont les maisons semblent abandonnées. Il y a là une
boutique de coiffeur sans coiffeur ni clients. Je me demande quelle idée il avait
bien eue de s’installer dans un endroit aussi peu « passant ». En sortant de cette

126
Jean-Daniel Gollut, « Un exercice de style ? », dans Études de lettres, n° 2, avril- juin 1982, p. 71.
127
Ibid., p. 70.
128
Ibid., p. 67.

354
ruelle je vois une grosse dame en pantalon qui promène un chat au bout d’une
longue laisse et qu’accompagne un loulou de Sibérie. (RRF, 274-275)

Je demande dans un café où se trouve la chapelle Saint-Baudel. Nul ne la


connaît sauf la patronne qui m’indique le chemin. Je la trouve sans difficulté.
À l’intérieur, je vois deux garçons à peu près nus sur des matelas ; aux murs
des fanions de la Jeune Garde, mais au plafond subsistent bien les peintures du
XVIe siècle que je m’attendais à découvrir. (RRF, 276)

Sans doute faut-il y voir, comme Daiana Dula-Manoury nous y invite, une
« contestation du récit de rêve comme parole des profondeurs129 », mais le propos de Queneau
n’est ni rageur, ni ravageur et tient bien plus de la farce légère et de l’exercice de style onirique
amusé. Il met en place une petite mécanique du rêve, une fabrique de textes qui, moyennant
quelques modifications pourront aisément faire illusion. Aussi, avec Queneau, le récit de rêve
accède-t-il à un second degré, plus franc encore que chez Perec car dénué de tout enjeu.
Qualifiés par Michal Mrozowicki, d’« écrits brefs en prose “anti-surréalistes”130 », ces
récits en reprennent tous les codes, mais en les vidant de leur substrat onirique et en forçant
partout le trait de l’incongru, dont Pierre Jourde a bien montré en quoi il s’accommodait mal de
l’esthétique surréaliste131. Plus qu’une réponse au freudisme, ces textes sont une réponse au
surréalisme. Alors que les récits de rêves des années 1920 en interrogeaient le contenu et le
fonctionnement et voulaient témoigner de son inventivité infinie, ceux de Queneau sont réduits
à pures formes, coquilles oniriques vides de tout rêve. Jean-Daniel Gollut y voit, moins qu’un
ultime pied de nez de la part de ce parjure, le signe d’un déplacement du questionnement sur le
rêve :

Ce qui fait le rêve, ce n’est pas le rêve, vrai ou faux. Queneau en apporte la
démonstration : il ne s’agit pas tant de raconter du rêve que comme rêve, ce
dernier n’étant, au bout du compte, qu’un effet de discours, effet « oniriste » si
on veut l’opposer dans les termes à cet autre « réaliste » largement pris en
compte aujourd’hui. Du coup, toute la problématique du récit de rêve se trouve
déplacée : d’un essai de définition par le contenu, on passe à la reconnaissance
d’une forme132.

129
Daiana Dula-Manoury, Queneau, Perec, Butor, Blanchot. Éminences du rêve en fiction, L’Harmattan, 2004,
p. 105.
130
Michal Mrozowicki, « D’un Récit de rêve à Des Récits de rêve à foison – les écrits brefs en prose de Raymond
Queneau », Quelques études sur le conte et la nouvelle, Katowice, Uniwersytet Slaski, 1989, p. 158.
131
Ce dernier est, pour Pierre Jourde, trop sérieux, trop attaché à la densité de l’image, et encore trop marqué par
une certaine cohérence dans le fonctionnement de ses textes. « Elle amortit les chocs qui susciteraient le rire. La
révolution surréaliste (sans parler du surréalisme au service de la révolution) est une entreprise totalisante. » Pierre
Jourde, Empailler le toréador. L’incongru dans la littérature française de Charles Nodier à Éric Chevillard, Corti,
coll. « Les essais », 1999, p. 296.
132
Jean-Daniel Gollut, « Un exercice de style ? », art. cit., p. 66.

355
Reste, comme le fait remarquer le critique, que des récits aussi maigres, suite de trivialités
engluées dans une banalité crasse, une fois dépouillés d’une caution onirique qui pouvait encore
laisser espérer un horizon interprétatif, paraissent bien insignifiants et sans intérêt. Pierre Jourde
pointe lui-aussi les limites des textes exclusivement construits sur l’incongru et qui, à abuser
des coq-à-l’âne « débouche[nt] naturellement sur ce que l’on pourrait appeler le discours
oiseux : la parole sans nécessité, sur des objets insignifiants133 ».
À force de manipulations et de supercheries rhétoriques, Perec puis Queneau
parviennent non pas à une essentialisation mais à un évidement de la forme. Dans ses formes
les plus extrêmes – simples suites de mots, récits abscons, voire page blanche –, le récit de rêve
en vient à être destitué de toute fonction : il ne vise nulle ambition heuristique, ne sert aucune
démarche herméneutique, n’a plus de visée autobiographique. Sa fonction poétique, même, en
est menacée tant le non-sens et l’indigence des contenus rendent leur saisie scabreuse et laissent
le lecteur perplexe. Bien sûr, ce constat ne peut pas être généralisé et l’on trouvera bien des
exemples pour illustrer les trouvailles expressives que seul le rêve pouvait inspirer. « On se
sauve (parfois) en jouant… » (LBO, 1), glisse Perec à la fin du rêve inaugural de La Boutique
obscure. Face à l’assèchement de l’expression, à l’essoufflement des métamorphoses oniriques
et à l’épuisement des possibilités formelles, reste en effet le rapport ludique à des rêves que
d’autres avaient peut-être pris trop au sérieux.

***

En cinquante ans, des premiers rêves de Breton (1921) aux récits de Queneau (1973), le
récit de rêve est donc passé du statut d’expérimentation anti-littéraire à celui d’objet purement
rhétorique. Curieux dénouement pour une forme qui avait été conçue pour échapper à tout
carcan esthétique. Si tous les auteurs abordés dans ces pages livrent leurs textes comme des
manifestations de l’expérience onirique, première et fondamentale, et souhaiteraient pour
preuve de leur sincérité et de leur bonne volonté, les voir certifiées du cachet de l’authenticité,
cette dernière notion donne lieu à des pratiques et des esthétiques très diverses. Écriture
immédiate et prétendue absence de retouches chez les surréalistes, abondance de détails et
description sensible par Yourcenar, reformulation appliquée et aveu d’une remémoration à

133
Pierre Jourde, Empailler le toréador, op. cit, p. 79.

356
l’œuvre avec Leiris, inscription de l’oubli et de la retenue pour Perec : les stratégies évoluent
avec les conceptions du rêve.
Le genre du récit de rêve se constitue ainsi à la fois par répétition et par rejet. Reprise
d’une procédure, reproduction de traits formels, adoption d’une même stratégie éditoriale,
construction d’une même pragmatique de lecture laissent place aussi aux discours dissidents et
aux expérimentations singulières. D’une certaine façon, le récit de rêve est, pour Éluard, ce qui
n’a pas pu être poème et ce qui ne veut pas l’être ; c’est aussi contre le repoussoir du poème en
prose que s’affirme cette prose référentielle.
Autour de Breton, le groupe surréaliste met en place un modèle de récit de rêve qui allie
une pratique (inspirée de la psychanalyse), une ambition (phénoménologique) et une esthétique
et dont le canon stylistique prend la forme d’un compte rendu d’expérience ou d’un procès-
verbal prétendant livrer une pureté du rêve non entachée des « sottises d’un style imparfait134 ».
Mais le rêve-discours qu’il faudrait transcrire à la lettre fait finalement long feu et, si tous les
membres du groupe surréaliste, à l’exception de quelques-uns comme René Crevel, produisent
des récits de rêves sur le modèle imposé, tous ne tireront pas profit de l’exercice dans leurs
publications personnelles.
Au-delà des premières pratiques, le récit de rêve fait l’objet de recherches esthétiques
diverses mais dont l’exemple surréaliste reste toujours l’origine et le point de comparaison. La
plupart des auteurs délaisse particulièrement l’ambition phénoménologique au profit d’un
enrichissement des formes puisé à la source du rêve. Passées les séances collectives, Desnos et
Éluard lui préfèrent une poétisation franche, tandis que Leiris s’autorise la reformulation. À
l’écart de ce premier foyer, où ses contemporains obéissaient à la voix du rêve, Yourcenar
explore la piste picturale. Un demi-siècle plus tard, Perec et Queneau y ajoutent la distance
critique et ludique qui caractérise l’Oulipo. S’y retrouve la mémoire d’une fertilité poétique,
mais passée au tamis de la contrainte et des manipulations conscientes, et où finalement le rêve
n’est plus qu’un prétexte.

134
Louis Aragon, Le Traité du style, op. cit., p. 183.

357
CHAPITRE VI

L’ONIRISME CONTRE LE RÊVE

(PAULHAN, MICHAUX, BÉALU, TRISTAN)

6.1. LA CRITIQUE DU RÊVE SURRÉALISTE

6.1.1. CONTRE L’AUTOMATISME


On l’a souvent dit et répété, le rêve est une gageure pour le récit. Trop mobile, trop flou,
trop fragmenté par l’oubli, il représente un objet dont la forme narrative ne peut se saisir sans
le trahir. Si l’écriture automatique avait constitué, pour Breton, l’histoire d’une « infortune
continue1 », le récit de rêve, mène à une déception comparable. Dans le Second manifeste, il
reconnaît son échec :

Il est regrettable […] que des efforts plus systématiques et plus suivis,
comme n’a pas encore cessé d’en réclamer le surréalisme, n’aient été fournis
dans la voie de l’écriture automatique, par exemple, et des récits de rêves.
Malgré l’insistance que nous avons mise à introduire des textes de ce caractère
dans les publications surréalistes et la place remarquable qu’ils occupent dans
certains ouvrages, il faut avouer que leur intérêt a quelquefois peine à s’y
soutenir ou qu’ils y font un peu trop l’effet de « morceaux de bravoure2 ».
Excès de formalisme ou propos devenu inepte, la tentative de prendre dans les rets du langage
la volatilité du rêve tourne court.

1
André Breton, « Le message automatique », Point du jour, OC II, p. 380.
2
André Breton, Second Manifeste du surréalisme (1930), OC I, op. cit., p. 806.
Dans un même élan critique, Hellens, Michaux et Béalu dressent le constat similaire d’échec
cuisant et sans appel à l’égard des tentatives surréalistes pour traduire le rêve. Lors d’une
conférence intitulée « Recherche dans la poésie contemporaine », Henri Michaux, dont les
réserves à l’égard de l’écriture automatique ont été largement exprimées dès 19253, estime en
1936 que « les surréalistes [ont] échoué dans leur tentative d’écriture automatique et de notation
poétique de rêve – un autre royaume du merveilleux qui n’a cessé de les tenter4 ». L’évaluation
de ces textes, qu’il formule a posteriori, met en avant leur faiblesse. Une fois sortis de
l’émulation collective qui avait participé à leur création, les textes automatiques, qu’il a
tendance à traiter dans un large ensemble avec les récits de rêves, lui semblent totalement
dénués de valeur esthétique.

Tout l’était [merveilleux], en effet, mais avec seulement quelques miettes


de poésie qui s’asphyxiaient entre elles, et beaucoup d’ennui. Ces textes sont
maintenant illisibles. Ce n’était pas de la poésie mais un étonnant moyen de se
mettre sans effort en relation avec le subconscient, un vaste terrain où jouer
librement, sans rappels à l’ordre, sans rencontrer ni la honte, ni la mesquinerie,
ni même la raison. On était pris dans l’exaltation, dans la jubilation de celui qui
découvre une drogue, ou plutôt de celui qui se croyait pauvre et se découvre
soudain immensément riche. Mais cette sensation inédite de libération que
donnait ce procédé d’écriture ne se communique pas au lecteur… Il faut l’avoir
connue en soi-même. Et ce qu’il y avait de si merveilleux, de si surprenant il y
a encore dix ans, paraît aujourd’hui si vide de poésie que je ne suis pas parvenu
à trouver un seul bon texte pour vous le lire, qui soit purement automatique5.
Fruit d’une époque d’intenses recherches et d’innovations procédurales, les productions
surréalistes seraient donc, dix ans après, passées de mode. Un comble pour qui entendait,
justement, trouver là un remède contre les esthétiques éphémères. Détachées de tout contexte
expérimental, elles demeurent incompréhensibles, ne disant plus rien, ni de l’esprit qui les a
engendrées, ni de son fonctionnement, ni du rêve, ni du rêveur. L’euphorie du moment n’a,
selon Michaux, rien laissé de valable.
Même bilan déceptif pour Franz Hellens qui, s’il reconnaît aux surréalistes la puissance
conceptuelle, s’afflige de ce que cette formidable invention qu’est l’écriture automatique se soit
en fait que retournée contre ses inventeurs.

Sans doute, « certain automatisme psychique, qui correspond assez bien à


l’état de rêve » est tout le secret d’une littérature qui n’existe encore qu’à l’état
de balbutiements, mais où l’on peut trouver enfin la poésie sans le poète. Le
danger d’une pareille méthode serait dans la généralisation, et le parti-pris, ici
plus qu’ailleurs, deviendrait désastreux. L’inconscient ne souffre pas la

3
Henri Michaux, « Surréalisme », Le Disque Vert, 3e année, 4e série, n° 1, 1925, p. 82-86, repris dans OC I, p. 59.
4
Henri Michaux, « Recherche dans la poésie contemporaine », OC I, p. 977. Conférence prononcée le 23
septembre 1936 à Buenos Aires, publiée dans la revue argentine Sur, n° 25, octobre 1936, p. 7-23. Le texte est
repris dans OC I, op. cit., p. 971-983.
5
Ibid., p. 975-976.

360
question ; le temps des images est passé, et il serait vain d’exercer sa souplesse
dans ce domaine et de chercher, de propos délibéré, à reproduire en nous l’état
où certains phénomènes de l’inconscient se sont formés. On ne peut jeter la
sonde dans l’inconscient que lorsque celui-ci s’est déjà de quelque façon
manifesté : c’est toujours d’une manière imprévue. Les spirites assurent que les
esprits ne se laissent pas forcer. On ne force pas non plus le rêve6.
Pour lui, l’écriture automatique, comme le récit de rêve, ne souffre pas la répétition, encore
moins la reproduction systématique. Il commence par user d’un vocabulaire plutôt scientifique
(« la sonde », « le phénomène »), mais c’est finalement la voie moins rationnelle qui emporte
l’analogie. La démarche lui paraît artificielle ; et la concession est tout aussi ravageuse lorsqu’il
s’agit d’en venir au rêve proprement dit :

En général, les surréalistes ont écrit sur le rêve avec beaucoup de


pénétration. Mais je ne puis les suivre quand ils étendent leurs principes et leurs
remarques dans le domaine littéraire ; quand ils prétendent créer du rêve. Tout
poète crée du rêve, sans doute. J’entends parfaitement ces deux lignes de
Breton : « Ce qu’il y a d’admirable dans le fantastique, c’est qu’il n’y a plus de
fantastique ; il n’y a que le réel. » Je crois l’avoir prouvé moi-même bien avant
la publication du Manifeste. Mais ce fantastique dont il parle, et qui est
proprement celui du rêve, éveillé ou non, ne peut s’obtenir par le moyen
artificiel de l’écriture automatique, préconisé par André Breton et dont il nous
offre un exemple dans sa prose intitulée Poisson soluble7.
En quelques lignes, Hellens met à terre l’édifice construit par Breton, défendu par Aragon et
appliqué par le groupe. Là où l’absence de « recette » stylistique exigée par Aragon devait
garantir l’authenticité du témoignage, l’auteur de Mélusine ne voit qu’artificialité. Alors que
Breton visait l’union de la science et de la poésie, Hellens exige que l’on différencie le savoir
du rêve, les moyens mis en place pour son observation et sa représentation littéraire. Il ne
reconnaît aucun effet onirique à ces proses et leur dénie toute valeur de reproduction mimétique.
Sans doute les récits de rêve de Breton ne visent-ils pas l’immersion fictionnelle requise pour
fournir au lecteur un effet fantastique tel que l’envisage Hellens, mais, en tant que documents
psychiques, ils cherchent à en restituer les qualités.

Cette prose, écrite dans les conditions proposées par l’auteur, en un


« monologue de débit aussi rapide que possible, sur lequel l’esprit critique du
sujet ne puisse porter aucun jugement, qui ne s’embarrasse, par suite, d’aucune
réticence, et qui soit aussi exactement que possible la pensée parlée », quand
on la relit aujourd’hui, ne suggère ni le rythme, ni les images, ni la couleur, ni
l’atmosphère du rêve ; bien plus, elle apparaît comme une sorte de devoir
littéraire d’assez mauvais goût, plein de convention, d’artifice ; systématique
au possible sous un faux air de liberté ; une vraie gageure, une farce, tout ce
qu’on veut, sauf l’expression juste de cette émotion nocturne que l’auteur
prétendait saisir par ce procédé baroque. S’il s’y trouve quelques rencontres

6
Franz Hellens, La Vie seconde, Albin Michel, 1945, p. 105. Le chapitre dans lequel se trouvent ces remarques,
intitulé « Les surréalistes ont-ils réussi ? » a été supprimé dans l’édition suivante, de 1963.
7
Idem.

361
curieuses de mots ou d’images, des oppositions d’une résonnances çà et là
étrange, presque tout y semble voulu, concerté ; ce manque de suite même,
l’incohérence des images attrapées au hasard, tout cela trahit l’impression du
rêve au lieu de la servir. Breton avoue que des « brouillons » peuvent se
produire dans une pareille démarche de la pensée sensible. Mais on peut se
demander si ces brouillons, que l’auteur a dû supprimer en relisant son travail,
ne constituaient pas la meilleure partie de son ouvrage8.
En dépit des précautions prises pour n’instaurer aucune règle formelle, c’est donc l’aspect
systématique des récits de rêves qui ressort. La critique est rude, quand on sait avec quelle
véhémence Aragon singeait pour les ridiculiser les discours scolaires dans Traité du style. Le
systématisme avec lequel on retrouve, dans les récits de rêves du groupe, les mêmes traits
formels, tend à en faire un exercice didactique, répété avec la sagesse des élèves appliqués mais
qui ne font qu’affaiblir le rêve en le palissant. Le pas de côté formulé ici par Franz Hellens
réside dans le fait de ne plus revendiquer l’authenticité du contenu des rêves mais la justesse de
leur ton. À l’encontre des surréalistes, il réclame l’émoi plutôt que la sincérité, l’impression
diffuse plutôt que l’assurance arrêtée9.
Michaux fait le même constat face aux productions surréalistes, écritures automatiques
ou récits de rêves : « L’indifférence qui est à la racine est aussi dans le fruit. Poisson soluble
est inémotif, monotone comme un clown10 ». Il leur reproche même une certaine platitude.

Oui, l’autre cause de monotonie dans Poisson soluble est celle-ci : la vitesse
de pensée est constante et la pensée va au pas. Elle ne court pas, elle ne prend
pas le mors aux dents, elle n’a pas d’émotion. Elle manque de tragique.
La faute en est en partie aux doigts de Breton, à son rôle d’accompagnateur.
Ses doigts ne pourraient suivre dans une peur, une émotion tragique, une
noyade, on aperçoit sa vie et son avenir, deux mille images en deux secondes.
Mais le moyen, en deux secondes, d’en écrire deux mille11 ?
S’il n’accorde pas autant d’intérêt que son ami Franz Hellens au fantastique, Michaux est tout
de même soucieux de transmettre au lecteur le contenu de ses rêves – ou autre expériences de
conscience altérée – autant que de le lui faire vivre cette expérience subjective. Il ne s’agit pas
de rendre compte objectivement de cette aventure psychique, mais de plonger le lecteur dedans.

In fine, c’est presque l’excès de zèle, contreproductif, fourni par les


surréalistes que pointe Hellens.
Le rêve est un poème accompli, à la fois imaginé et vécu. À quoi se résume
donc la prétention des surréalistes ? À exprimer un poème par un poème. C’est
bien la pire des littératures. L’impression d’incohérence, d’opacité, devrait
suffire pour démontrer la stérilité de leurs efforts. Tout rêve, quel que soit son

8
Idem.
9
cf. Marie Bonnot, « Franz Hellens : le fantastique sous les yeux du rêve », dans Marie Bonnot et Émilie Frémond,
Rêve et fantastique, Otrante. Art et littérature fantastique, n° 37, Kimé, 2015, p. 89-103.
10
Henri Michaux, « Surréalisme », art. cit., p. 59.
11
Idem.

362
degré d’abstraction, est transparent et lumineux ; si incomplet qu’en soit le
souvenir, celui-ci reste limpide et lumineux dans chacun de ses fragments12.
Franz Hellens met le doigt sur un point qui parcourt la poétique onirique de la modernité,
analysée par Jean-Daniel Gollut13. Pour Hellens, le récit de rêve surréaliste porte toujours trace
de l’ancrage de sa narration vigile. En inscrivant et en formulant les incohérences logiques
attribuées au monde onirique, le récit de rêve produit, aux yeux de l’auteur de Mélusine, un
effet contraire à l’expérience qu’il se donne pour charge de transmettre. En effet, la plupart des
récits de rêve confèrent au rêve des sèmes d’incohérence, d’incomplétude ou encore de
brouillage que, souvent, l’instance énonciatrice se donne pour charge de compenser, soit en les
dénonçant, soit en les réduisant par l’explication. Mais nombreux sont aussi les témoignages
qui insistent plutôt sur la clarté, l’évidence, la fluidité, le donné du rêve, et qui placent le hiatus
non pas dans l’expérience du rêve, mais dans l’imperfection de sa narration. Si manquement il
y a, ce n’est pas au rêve lui-même qu’il faut en faire reproche mais aux lacunes de la mémoire,
et aux limites du langage.
La position de Franz Hellens à l’égard du surréalisme est pour le moins ambiguë et
paradoxale. Hellens condamne l’écriture automatique et préconise simultanément une
technique de notation verbale qui permettrait de « transcrire le rêve tout chaud encore14 ». Il
défend donc les mêmes principes et prête aux rêves les mêmes qualités que les surréalistes,
jusqu’à en faire, comme eux, une expérience intangible. Il ne se reconnaît pourtant pas dans les
écritures sans retouches des surréalistes, ni n’assume entièrement la déformation inéluctable
imposée au rêve par l’écriture. Il accepte encore moins l’idée qu’on puisse utiliser le matériau
langagier pour créer un rêve qui ne soit pas authentique, ou pour reproduire artificiellement
« un style de rêve ». C’est pourtant ce qu’il fait dans Mélusine comme dans nombre de ses
recueils de nouvelles : Nocturnal15, Les Yeux du rêve16.17 Le rêve lui sert de point de départ pour
échafauder des narrations où l’atmosphère trouble aussi bien que le contenu le conduisent à
concevoir un « fantastique onirique », usant des ressources de déstabilisation du rêve pour
produire des fictions.

12
Idem.
13
Jean-Daniel Gollut, Conter les rêves, la narration de l'expérience onirique dans les œuvres de la modernité,
Corti, 1993.
14
Franz Hellens, La Vie seconde, op. cit., p. 90.
15
Franz Hellens, « Nocturnal », Nocturnal, précédé de quinze histoires, Bruxelles : Les Cahiers indépendants,
série 1, n° 2, 1er mai 1919.
16
Franz Hellens, Les Yeux du rêve. Moralités fantastiques, Bruxelles et Paris : Brepols, Coll. « Le Cheval
insolite », 1964.
17
Cf. Marie Bonnot, « Franz Hellens : le fantastique sous les yeux du rêve », Otrante, art. cit.

363
Finalement, Breton, Michaux et Hellens s’accordent tous sur les causes qui ont conduit
à la déconvenue vis-à-vis du récit de rêve tel qu’il était envisagé par les surréalistes : d’une part
l’application aveugle d’une procédure et la reproduction systématique d’une forme qui rend
tous les textes équivalents et crée une certaine monotonie ; d’autre part une sécheresse de style
et un oubli du contexte qui finit par les rendre non seulement arides mais encore
incompréhensibles. D’une certaine façon, c’est un double échec qui s’avoue là : celui de la
quête herméneutique – le mystère du rêve reste entier – comme de la recherche esthétique – le
récit de rêve reste pour une part illisible.

364
6.1.2. PAULHAN, UN AUTRE MODÈLE ?
Tandis que Hellens, Michaux ou Béalu contestent le modèle surréaliste, y voyant une
fausse piste pour transmettre le rêve en littérature, ils trouvent chez Paulhan un contre-modèle
de narration onirique. Le Pont traversé (1921), récit publié en plein moment Dada, est ainsi
souvent cité par eux comme référence. Paulhan témoigne, par ce texte, d’un intérêt pour le rêve
qu’il partage avec ses contemporains et qui lui permet de s’intégrer d’autant plus facilement à
l’avant-garde poétique. S’il est aujourd’hui un peu oublié, le texte frappe indéniablement les
esprits de l’époque. Aussi, malgré les discordes18, Breton s’en souvient au moment de son envoi
de L’Amour fou (1937) à Paulhan, en y glissant cette dédicace :

À Jean Paulhan, en souvenir de sa fenêtre lumineuse à mes yeux durant la


guerre – je n’ai pas oublié malgré la pluie de cendre – drôle d’entente ! souvenir
en forme de pont traversé comme la vie19.
Aragon, de son côté, lorsqu’il publie, dans Les Lettres françaises, un texte d’hommage à la mort
de Paulhan, se souvient de lui comme de « l’auteur du Pont traversé », et dont on était bien en
peine de savoir comment le situer « par rapport à ce groupe […] de l’époque de Nord-Sud aux
jours du surréalisme, en passant par les deux années Dada20 ». C’est donc par cette prose
originale, ce récit enchanté et opaque à la fois d’une quête amoureuse narrée par les rêves, que
Paulhan marque la mémoire de la génération surréaliste.
C’est davantage le style employé par Paulhan que relève Michaux, lorsqu’il mentionne
son nom à la fin de Les Rêves et la jambe. Pour son collaborateur au Disque vert, Franz Hellens,
c’est l’alternance entre le discours du rêve et celui du narrateur éveillé qui retient l’attention :

Il faut attendre les rêves et les attraper au passage. Ceci demande un certain
exercice et de solides filets. Mais la réussite n’apporte nulle déception. Jean
Paulhan a donné dans Le Pont traversé de fort curieuses indications dans le sens
d’une méthode de l’utilisation des rêves en matière littéraire, en introduisant
cette moelle d’inconscient dans la réalité, moins pour interpréter les choses
réelles que pour les nourrir et les fortifier21.

18
Sur ce point, je renvoie à la thèse de Clarisse Barthélémy, La Poésie, clef de la critique de Jean Paulhan, thèse
de doctorat sous la direction de Didier Alexandre, Université de la Sorbonne – Paris 4, 2016. Breton, vexé du
compte-rendu que Paulhan publie au sujet du Manifeste du surréalisme dans la NRF, lui adresse un courrier
d’insultes et met fin à leur relation, pourtant commencée sur le ton de l’amitié. Dans ses carnets personnels,
Paulhan note : « Aussi assidûment, aussi sagement que Breton à devenir fou, je me serai appliqué à cesser de l’être,
toute ma vie. » Jean Paulhan, La Vie est pleine de choses redoutables, fragment daté du 22 octobre 1925, éditions
Claire Paulhan, 1997, p. 224.
19
Cité par Frédéric Badré, Paulhan le juste, Grasset, 1996, p. 77.
20
Louis Aragon, « Le Temps traversé », Les Lettres françaises, 16 octobre 1968. Repris dans Le Temps traversé,
Correspondance 1920-1964, Gallimard, 1994, p. 207-227.
21
Franz Hellens, « Réflexion autour d’un livre : “Les Pas perdus” d’André Breton », Le Disque vert, « Sur le
suicide », troisième année, 4e série, p. 79-80. Ce texte est en partie repris dans la première édition de La Vie
seconde ou les songes sans la clé, Bruxelles, Paris, éditions du Sablon, 1945, p. 107.

365
L’auteur de Mélusine reste frappé par cette glose mystérieuse qui encadre chacun des récits de
rêves, sans pourtant jamais donner le secret de son interprétation. C’est bien cet effet de
colloque concerté entre une conscience et ses rêves, mais dont le secret du langage reste
inaccessible au lecteur qui fait la spécificité de ce texte. « À peine eus-je pris la décision de te
chercher, que je me répondis par une abondance de rêves » (PT, 145), commence le narrateur
pour ouvrir ce dialogue intérieur, avant d’en venir aux images qu’il utilise « pour se parler »
(PT, 149). Plus qu’un examen de conscience, Paulhan esquisse là une conscience qui s’examine
dans le miroir trouble de ses rêves, l’alternance des régimes discursifs permettant de dessiner
une avancée dans la réflexion que seul le rêveur perçoit.
La forme des récits oniriques de Paulhan présente quelques points communs avec les récits
de rêves surréalistes des années 1920. Emploi de la première personne, usage de façon
préférentielle du présent de l’indicatif, bien que les temps du passé alternent avec eux dans un
système pour le moins anarchique, comme dans la réminiscence d’une facture plus classique
du récit, fragmentation de la narration qui s’organise comme une série de choses vues
(personnages, objets ou éléments du paysages) et dont on peine à reconstituer la cohérence
d’ensemble, sont autant de traits communs avec les narrations décousues que nous avons
décrites plus haut. Les personnages surgissent, disparaissent ou se transforment sans autre
explication, des êtres chimériques (singes-mouches) s’ébattent dans un panier, des éléments du
paysage, tours et château, s’effondrent ou apparaissent à vue, comme les clochers et toits des
maisons.
Toutefois, Paulhan fait aussi des choix narratifs qui distinguent nettement son texte des
récits de rêves surréalistes. La focalisation interne, aussi bien dans les passages de récit que de
commentaire, y est beaucoup plus appuyée. En regard de la notation neutre et sans affect des
récits de La Révolution surréaliste, les récits de Paulhan sont nettement teintés par les
sentiments et les émotions du rêveur en proie successivement à l’« inquiétude » (PT, 145), à
l’« étonnement » (PT, 147), au « contentement » (PT, 155), à la « déception » (PT, 157) ou à la
« haine » (PT, 157).
Ces rêves sont en outre adressés, « comme une lettre » (PT, 151), à une destinatrice que le
lecteur devine être la femme aimée du rêveur, sorte de muse inaccessible, Mélusine (?) à
laquelle on ne sait s’il faut prêter une existence plus incarnée tant on ne dispose d’aucun élément
de description. Ce n’est pourtant pas l’histoire d’un amour fou qui s’esquisse entre les lignes,
mais celle d’une séparation ; le pont qu’il s’agit de traverser n’est pas celui qui pourrait enfin
réunir les deux amants mais au contraire celui qui entérinera la distance entre eux nouvellement

366
acceptée22. Car l’ensemble de ces neufs rêves forme bien une suite cohérente, parcourue par un
fil narratif qui donnerait raison à Breton lorsqu’il affirme que « le rêve est continu23 ». « Mon
rêve de cette dernière nuit, peut-être poursuit-il celui de la nuit précédente, et sera-t-il poursuivi la
nuit prochaine, avec une rigueur méritoire24 », suggère-t-il dans Le Manifeste. Dans Le Pont
traversé, le narrateur choisit de « suivre tel rêve plutôt que tout autre, jusque dans les moindres
aventures » (PT, 154), de nuit en nuit, comme pour en trouver l’issue. On lit ici bien plutôt un
rêve qu’une série de rêves. Comme Breton, Paulhan est fasciné par l’idée de pouvoir diriger
ses rêves. Dans un entretien, il explique la continuité narrative du Pont traversé par sa capacité
à avoir des rêves lucides25.

C’est bien curieux, depuis qu’on s’occupe des rêves, qu’on n’ait si peu
cherché à les diriger. À avoir les rêves qu’on veut. Mais ces rêves-là
s’enchainaient d’eux-mêmes. Somme toute, je m’étais borné à les constater.
C’est un des traits les plus curieux du songe – et pourtant je ne crois pas qu’on
l’ait noté – que le choc qui nous avertit parfois, dès le début, que c’est un vieux
rêve qui se poursuit, que nous savons de quoi il s’agit. Bien entendu, dans mon
petit livre je constatais en même temps – ou, du moins, je tâchais de suggérer –
les événements réels dont le rêve était l’autre face : une histoire d’amour pas
très heureux26.
L’unité du recueil est donc assurée par deux types de liens : ceux qui rapprochent événements
du jour et réminiscences de la nuit et ceux qui établissent la liaison d’un rêve à l’autre. Le
commentaire, « force centripète » et « puissance d’agglomération signifiante27 » vient encore
renforcer ce tissage serré en soulignant les rapprochements et filiations, entre le rêve du « panier
de singes » et celui des « paroles transparentes » ou, plus loin, entre « La jeune fille dans forêt »
et « La promenade rapide » : « Ce rêve était une réplique de la promenade. Les arbres et l’eau
du moins, avec moi, y retrouvaient leur liberté. » (PT, 155) Le commentaire imprime ainsi au
récit la lenteur de son développement. Il permet à la fois de repérer dans le rêve les éléments

22
On trouve là un point commun avec La Boutique obscure de Georges Perec, dans lequel s’écrit aussi l’histoire
d’une séparation amoureuse. Le rêve, dans ces deux recueils, est donc à la fois le lieu du deuil et d’une certaine
rémanence de la relation.
23
André Breton, Manifeste du surréalisme, OC I, p. 317.
24
Ibid., p. 317-318.
25
Paulhan revient sur ce don dans un texte intitulé « La conscience dans le rêve » (1951), publié dans la revue
Exils : « Voici pas mal de temps que je m’exerce à prendre mes rêves au sérieux. Je veux dire à les prendre pour
des rêves. je veux dire plus précisément à n’oublier pas un instant, aussi longtemps que je rêve, que c’est bien un
rêve que je fais. / Il s’en suit les divers plaisirs que je prévoyais : le premier de tous, c’est que je demeure libre à
chaque instant de choisir un carrefour entre l’une et l’autre route ; libre aussi de transformer un homme en femme,
une tour en puits, un bœuf en éléphant. Ou l’inverse. C’est un plaisir qui s’épuise assez vite. Ah ! je puis aussi
poursuivre un même rêve à travers cinq six nuits. Il est rare qu’il n’y perde pas une part de son premier agrément ;
et l’ennui de la liberté, c’est qu’on craint à tout moment de la perdre. » « La conscience dans le rêve », Exils, revue
semestrielle de poésie internationale, dirigée par Alain Bosquet et Édouard Roditi, en dépôt à la Librairie Stock,
n° 1, 1952, p. 17-21 ; repris dans Œuvres Complètes, t. V « Critique littéraire, II », éd. Bernard Baillaud, Gallimard,
2018, p. 447.
26
Jean Paulhan, Entretiens à la radio avec Robert Mallet, Gallimard, coll. « Arcades », 2002, p. 80.
27
Julien Dieudonné, Les Récits de Jean Paulhan, Honoré Champion, 2001, p. 277.

367
mystérieux, propres à susciter l’émerveillement, et à « coaguler les fragments narratifs en une
totalité signifiante supérieure28 ».
Des liens unissent discrètement les rêves entre eux : « le Village obscur » décrit dans le
troisième rêve constitue en fait le cadre dans lequel ont lieu tous les rêves du recueil. On
retrouve ainsi les éléments de cette géographie rurale merveilleuse29 disséminés dans les neufs
rêves : la forêt, la ferme, le puits, le sentier, la rivière et, bien sûr, le pont. Les personnages
restent pris dans une indistinction non singularisante : « un homme courbé », « une vieille
femme », « quelqu’un », « une bûcheronne », « cette jeune fille » sont des ombres indistinctes
et interchangeables, évoluant dans un univers opaque où personne ne semble pouvoir acquérir
de véritable identité, sinon celle, unique, d’un nom encore plus énigmatique : Agrèfe.
Même l’identité du narrateur se trouve menacée de dilution ou de confusion. À la
dissociation entre moi rêvé et moi rêvant, attendue et particulièrement soulignée par la structure
du texte, s’ajoute encore, dans le rêve lui-même, une mobilité de l’identité qui voit celle-ci être
parfois amputée (« Je me paraissais n’être qu’une partie de moi. » [PT, 146] ; « le sentiment
par quoi on se paraît à soi-même fondre. » [PT, 150]), parfois élargie jusqu’à embrasser celle
des autres (« Je connais alors ses idées ; je sais à n’en plus douter qu’il n’est pas moi, mais une
sorte de messager que je t’envoie » [PT, 151]). Le récit de Paulhan fait du rêveur un être « plein
de reflets » (PT, 151), dans tous les sens que peut prendre cette expression : à la fois diffracté
dans les autres personnages, et envahi par des images confuses. L’atmosphère qui s’en dégage
est particulièrement trouble, et le « mystère » qui est au cœur de la poétique paulhanienne est
ici thématisé comme lieu et mode de fonctionnement du rêve.

La critique du surréalisme et la mise à distance de l’automatisme – ou plus exactement, pour


le rêve, d’une écriture au réveil et sans correction, au plus près du souvenir onirique –
s’accompagne surtout d’une réévaluation de la notion d’authenticité. On ne cherche pas tant à
raconter un rêve en tant qu’événement singulier, dans la vérité de son unicité et de son
surgissement, qu’à transmettre un climat, une ambiance proprement définitoire de l’expérience
onirique. Dès lors que les contenus qui se sont présentés – ou non – au cœur de la nuit perdent
de leur enjeu, la possibilité de tirer parti de la matière ramenée de la nuit pour la travailler, la

28
Julien Dieudonné, op. cit., p. 277.
29
Camille Koskas montre combien Le Pont traversé emprunte au Grand Meaulnes. Le cadre y est le même et
l’atmosphère onirique ne fait qu’ajouter à la ressemblance. « Traces du Grand Meaulnes dans Le Pont Traversé
de Jean Paulhan (1921) », Tangence, à paraître.

368
modeler et la réorganiser en texte littéraire reparaît. La dictée liquide du rêve prend consistance
en une matière onirique malléable.
Cette modification de perspective s’assortit d’une triple rupture. Dans la pratique, la
temporalité de la création est recentrée sur l’acte d’écriture. Le rêve n’étant plus abordé comme
un auteur autonome ou une création finie, il reprend sa place d’objet et laisse place au travail
conscient du langage. Esthétiquement, la mise en valeur de l’émotion – peur, surprise, colère
ou rire – donne lieu à des textes plus dramatisés, plus construits et plus unifiés. Enfin, l’ambition
qui régit ces textes témoigne d’une perspective profondément différente. Alors que, dans la
conception surréaliste du rêve, le rêve était un discours qu’il s’agissait d’enregistrer, pour en
faire un document, il n’est plus ici réduit au mot à mot de la parole et engage plutôt un travail
sur la tonalité.
Le Pont traversé de Paulhan, s’il précède chronologiquement les récits de rêves surréalistes,
se présente pourtant comme une alternative à ce mode d’écriture du rêve. Celle-ci séduira
particulièrement les écrivains qui publient à partir des années 1960. Michaux, Béalu et
Frédérick Tristan se donnent tous les trois pour tâche, à sa suite, de représenter le rêve plutôt
que de le reproduire. S’affirme dans leurs textes la voix de l’écrivain, sensible à la langue, aussi
bien dans sa dimension sonore et imagée que dans sa profondeur signifiante. Aussi ces œuvres
se distinguent-elles par deux aspects déjà présents chez Paulhan : d’une part la préoccupation
pour le langage lui-même et ses jeux, pour la langue particulière que le récit doit faire résonner
et d’autre part la présence de la voix l’auteur, qui vient doubler celle du rêve, soit dans des
commentaires intégrés au recueil, soit dans une déformation du récit à l’œuvre dans la
métalepse.

369
6.2. LE RÊVE CONTRE LA TERREUR

Combien tout ce qui peut être exprimé par mots est grossièrement saisi —
même par les plus forts !
C’est pourquoi le 1er chapitre de toute étude sur les rêves — devrait porter
sur le langage. Tout ce qui ferait l’important de cette recherche est TUÉ par le
langage.
Et dans cet ordre — on peut même dire que plus le langage est mal manié,
équivoque, ridicule — vague, moins est-il infidèle — — et près de son modèle
— ou, du moins, de la nature de ce modèle. (C, 170 [1935-1936])
Par cette remarque des années 1930, Valéry souligne avec force combien la compréhension et
l’expression du rêve sont intimement liées. Partant de l’idée que la pensée précède le langage
et ne peut se couler dans son moule, il se trouve vite dans une impasse : comment réfléchir sur
le rêve sans la médiation du récit de rêve ?
Les surréalistes, on l’a vu, passent outre ce problème en choisissant le présupposé
contraire : la confiance dans le langage pour reproduire le rêve se double même chez eux d’une
grande attente à l’égard de ce dernier. Le rêve doit pour eux permettre de faire éclater le carcan
des règles, y compris rhétoriques, et de faire du neuf absolu. Aussi l’écriture du rêve paie-t-elle
avec eux le tribut de la Terreur, pour reprendre le terme de Paulhan. En quête de nouveauté
absolue, ils y trouvent des objets inédits et des formules qu’ils souhaiteraient uniques. Mais
l’expérience ne résiste pas à la répétition et à la dimension collective de l’entreprise : on y
trouve certes les images les plus originales, mais aussi un certain nombre de lieux communs,
de scénarios et d’associations typiques qui font de chaque rêveur le plagiaire onirique de son
voisin. Sa récurrence quotidienne en fait aussi le siège de la banalité et de la trivialité. Menacé
d’un côté par les poncifs, de l’autre par la paralysie, conséquence d’une haine du langage
littéraire, il court le risque du mutisme, à force de voir dénigrée toute figure.
Sans le définir parfaitement, Paulhan esquisse dans Les Fleurs de Tarbes un nouvel
usage de la rhétorique, qui permettrait de sortir d’une opposition stérile entre Terreur et
Résistance. Comme le dit Antoine Compagnon, « Paulhan s’élève contre le dogme moderne de
l’originalité et de la pureté, qui croit pouvoir faire sans la rhétorique30. » Les discours
linguistiques de Paulhan, mêlés à son expérimentation du récit de rêve dans Le Pont traversé
conduisent à proposer une écriture du rêve qui procéderait plus par son écoute, que par la
recherche d’un renouvellement de l’expression. La langue commune, partagée, y accède à la

30
Antoine Compagnon, « La réhabilitation de la rhétorique au XXe siècle », Marc Fumaroli (dir.), Histoire de la
rhétorique dans l’Europe moderne, PUF, coll. « Hors collection », 1999, p. 1268.

370
littérarité par des ressources internes et que le rêve rend manifestes, notamment par la force du
calembour.

6.2.1. PAULHAN ET LES RESSOURCES DU LIEU COMMUN


L’aspect le plus saillant de la narration des rêves que propose Paulhan dans Le Pont
traversé est certainement l’interrogation sous-jacente sur les lacunes du langage. « Si loin que
je remonte dans ma vie, je me retrouve préoccupé des mots, de l’expression et des malentendus
continuels auxquels prête cette expression. […] À parler franc, je ne vois pas un de mes petits
livres qui ne soit sorti d’une inquiétude sur le langage31 », confie-t-il. On sait combien, toute sa
vie, Paulhan a été animé par les questionnements linguistiques et stylistiques, dont les essais
comme Les Hain-tenys32, Jacob Cow le pirate ou si les mots sont des signes33 ou Les Fleurs de
Tarbes34 sont les produits les plus évidents. Dès Le Pont traversé, l’écrivain interroge l’opacité
du langage, sa capacité à saisir le monde, et témoigne de son inquiétude quant à la possibilité
d’une communication fluide entre les êtres.
Blanchot, dans L’Amitié, propose une lecture linguistique du Pont traversé. Alors que
le récit de Paulhan se garde bien de théoriser le fonctionnement du rêve ou de la pensée,
Blanchot y voit pourtant une représentation de la pensée poétique au travail.

Par une division violente, Mallarmé a séparé le langage en deux formes


presque sans rapport, l’une la langue brute, l’autre le langage essentiel. Voilà
peut-être le vrai bilinguisme. L’écrivain est en chemin vers une parole qui n’est
jamais déjà donnée : parlant, attendant de parler. Ce cheminement, il
l’accomplit en se rapprochant toujours davantage de la langue qui lui est
historiquement destinée, proximité qui cependant met en cause et parfois
gravement son appartenance à toute langue natale.
Pense-t-on dans plusieurs langues ? On voudrait penser, chaque fois, dans
un langage unique qui serait le langage de la pensée. Mais finalement l’on pense
comme l’on rêve, et il est fréquent de rêver dans une langue étrangère : c’est le
rêve même, cette ruse qui nous fait parler en une langue inconnue, diverse,
multiple, obscure en sa transparence, comme nous le montre, par Le Pont
traversé, Jean Paulhan35.
Le paradigme linguistique, que ce soit à travers l’idée de traduction ou de langage originaire,
n’est pas chose rare pour penser le rêve. On le trouve aussi chez Michaux qui en appelle à « une

31
Jean Paulhan, Entretiens à la radio avec Robert Mallet, op. cit., p. 92.
32
Jean Paulhan, Les Hain-tenys, dans Œuvres complètes, t. II « L’Art de la contradiction », Bernard Baillaud éd.,
Gallimard, 2009, p. 131-166.
33
Jean Paulhan, Jacob Cow le pirate ou si les mots sont des signes, dans Œuvres complètes, t. II, op. cit., p. 205-
222.
34
Jean Paulhan, Les Fleurs de Tarbes, Œuvres complètes, t. III, 2011.
35
Maurice Blanchot, « Rêver, écrire », L’Amitié, Gallimard, 1971, p. 171.

371
langue où tout le monde enfin se comprît vraiment » (FEFE, 457) et qui, à l’occasion d’un rêve,
se prend à imaginer une langue universelle :

Enfant, je ne comprenais pas les autres. Et ils ne me comprenaient pas. Je


les trouvais absurdes. On était étrangers. Depuis, ça s’est amélioré. Néanmoins,
l’impression qu’on ne se comprend pas réellement n’a pas disparu. Ah ! s’il y
avait une langue universelle avec laquelle on se comprît vraiment tous,
hommes, chiens, enfants, et non pas un peu, non pas avec réserve. Le désir,
l’appel et le mirage d’une vraie langue directe subsistent en moi malgré tout.
(FEFE, 459)
Plus que la difficulté à dire le rêve – à trouver les mots pour transmettre son étrangeté – ,
c’est l’énigme de sa compréhension qui est thématisée dans Le Pont traversé. Langue étrangère,
usant d’une autre grammaire, le rêve y est considéré comme un langage à déchiffrer. Si la
logique du rêve reste nimbée de mystère tout au long du récit, jamais le rêve n’est présenté
comme un langage absurde. Les « paroles transparentes », vidées de leur densité, qui s’y
énoncent ne sont que la matérialisation onirique d’un fait de la vie éveillée. « Je sentais qu’il
ne suffisait pas de répéter mes paroles, et que plutôt quelque défaut de leur nature les faisait
transparentes au bruit. » (PT, 146) commente le narrateur. Le problème n’est ainsi pas tant celui
d’une absence de sens que d’une absence de traduction pour le faire advenir.
Comme souvent chez Paulhan, la notion recouvre en même temps son contraire. Langue
mystérieuse et incompréhensible, le rêve se donne également comme un outil de résolution et
de compensation des lacunes du langage éveillé. « Je n’avais donc pas su, tout à l’heure, parler
véritablement » (PT, 146), avoue le narrateur pour s’en remettre immédiatement au rêve. Plus
profondément, le langage onirique semble répondre à un défaut d’expression fondamental : le
rêveur, qui ne parvient pas à exprimer ses difficultés le jour, les voit se présenter à lui la nuit.
« Je ne parlais pas assez, je ne me livrais pas. Il est sûr que je ne parle pas de moi avec plaisir,
je ne me sens pas épais. » (PT, 145). Le discours onirique est ainsi le complément indispensable
pour formuler et dissoudre les obstacles de communication rencontrés dans la vie éveillée.
Aussi le rêve est-il présenté à la fois comme une énigme et comme une clef. Paulhan
pointe un défaut de la communication que le rêve rémunère mais sans le combler tout à fait.
Car il ne s’agit pas pour lui de faire la démonstration du fonctionnement du rêve et de résoudre
ce mystère une fois pour toute. S’il n’est pas un langage transparent, le rêve fonctionne pourtant
selon des lois qui demeurent étrangères au lecteur mais qui paraissent lisibles au rêveur. On
touche là à l’hermétisme du texte paulhanien : le rêveur narrateur semble doué d’un savoir qu’il
ne partage pas au lecteur et, tout en ménageant avec lui une connivence, il le tient à distance
d’une entente transparente.

372
Dans Les Fleurs de Tarbes, Paulhan, d’abord proche du mouvement, classe les
surréalistes dans le camp des terroristes, « misologues » qui voudraient faire disparaître les
usages rebattus d’une langue littéraire trop usée, encombrée de collocations éculées et de
clichés, fleurs fanées d’une rhétorique honnie36. Sans plaider pour un retour en grâce de la
rhétorique37 qui avait fait l’heure de gloire des classiques, l’auteur des Hain-tenys est quant à
lui fasciné par le potentiel poétique du langage courant et des lieux communs. La poésie, pour
lui, réside dans ce réservoir d’images communes et doit naître d’un geste de (re)vivification des
expressions figées38.
Dans Jacob Cow le pirate ou si les mots sont des signes, Paulhan invite son lecteur à
considérer le langage comme une matière concrète, et à faire affleurer les liens très vivants qui
unissent les mots aux choses.

Il n’est pas de différence sensible et de fossé du mot à la phrase, et de la


phrase au récit. Les philosophe remarquent que l’on se peigne et lace ses
souliers suivant l’idée que l’on a du monde ; l’écrivain, faiseur de langage, c’est
en imitant sa première opinion sur le jeu de mots qu’il se prévoit et se
compose39.
Fasciné, depuis son séjour malgache, par l’expérience des hain-tenys, joutes verbales dans
lesquelles les concurrents s’adressent les uns aux autres en recourant à des proverbes, Paulhan
considère que le matériau poétique doit être puisé dans le réservoir que constitue le langage
courant. Débarrassé du préjugé de banalité ou de trivialité qui le recouvre, le lieu commun,
comme l’expression lexicalisée, possède à ses yeux un potentiel poétique à revivifier. C’est
aussi une façon pour lui de prendre ses distances avec d’autres approches tout aussi

36
« Le réalisme, le surréalisme sont ici logés à la même enseigne. Tous deux mettent en code un curieux système
d’alibi. Simplement, l’écrivain s’efface ici devant le document humain, là devant le document surhumain. La
tranche de vie comme la tranche de rêve lui permettent également de dire : “Je n’étais pas là.” À qui ferait grief à
Breton de ses anges pâles, fontaines magiques, vitesses caressantes, seins fleuris : “J’ai suivi, dit-il (d’un ton
quelque peu solennel), une dictée de la pensée, hors de toute considération esthétique” ; ou bien : “Ce sont là les
aveux de l’esprit ; de ce qui s’ensuit en littérature, je ne me soucie guère.” » Jean Paulhan, Les Fleurs de Tarbes,
Œuvres complètes, éd. Bernard Baillaud, Gallimard, t. III, 2011, p. 126.
37
« Il s’agit de mettre un terme à la suspicion développée par la littérature envers le langage ordinaire, comme
cimetière de lieux communs, selon un soupçon largement amplifié par le mépris symboliste pour la langue
quotidienne ; il convient donc, pour Paulhan, de clore la guerre déclarée à la rhétorique par le romantisme et d’en
finir avec le culte conséquent de la nouveauté expressive en littérature. Loin d’être le carcan inlassablement
dénoncé par la modernité, la rhétorique donnerait en effet à la littérature sa vraie part de liberté, en neutralisant
précisément l’obsession de la langue. » Gilles Philippe, La Langue littéraire. Une histoire de la prose en France
de Gustave Flaubert à Claude Simon, Fayard, 2009, p. 453-54.
38
Paulhan note, à juste titre, que nombre des titres des recueils poétiques des « terroristes » ne procèdent pas
autrement : ils reprennent des expressions lexicalisées pour en (de)jouer le sens, par exemple « les champs
magnétiques ».
39
Jean Paulhan, Jacob Cow le pirate ou si les mots sont des signes, OC II, p. 207.

373
« misologues » à ses yeux, comme la psychanalyse qui tient le langage pour suspect et
chercherait à le doubler d’une autre signification40.
Dans Le Pont traversé, le rêve implique un rapport singulier au langage : les paroles, en
se faisant signes, acquièrent une forme de densité et de pouvoir magique. Paulhan voit dans cet
état de conscience altérée une force d’imagination et de figuration, qu’il se garde bien de
théoriser.

Je vous disais tout à l’heure que dans le langage il y avait une part que nous
ne pouvons pas saisir de face, directement […]. Je crois que dans le rêve, nous
avons malgré tout une imagination qui nous permet de nous présenter plus ou
moins exactement cette difficulté essentielle de notre pensée41.
Cette propension du rêve à matérialiser la pensée, à figurer sous forme concrète et animée un
contenu psychique – idée, sentiment ou situation abstraite –, est précisément ce que Paulhan
s’emploie à faire dans ses récits, et notamment dans Les Causes célèbres. Les courtes narrations
(une page) développent ici un mythe à l’interprétation incertaine à partir d’un toponyme
(Orpaillargue), là les sensations contradictoires de la perte et du gain simultanées (La Pensée
infinie). Ces contes, ou nouvelles, paraissent dictés par le titre qui leur est donné, comme
engendrés par la force du seul signifiant ; ce qui fait écrire à Jean-Yves Tadié : « Une aventure
poétique, selon Paulhan, est un jeu de mots que le récit présente comme vécu – un jeu
d’actes42. » Le rêve est chez lui une modalité d’écoute qui peut se saisir de ce frottement des
mots, figés dans le sens commun, auquel l’habitude nous a rendu sourd. Il y trouve une occasion
de revivifier la langue.

40
« Il serait aisé de marquer de cette misologie d’autres effets plus frappants. Les principales découvertes de notre
temps portent contre certaine entente naïve des « grands mots » – ces grands mots que Gourmont tout crûment
propose de « salir ». Marx et Freud, Sorel ou Gobineau (pour ne citer qu’eux) tentent d’abord d’établir que
l’homme qui parle de liberté et d’égalité, de droits, d’amour, voire d’armoire, de vol ou de ballon – le rêve n’étant
ici qu’une autre sorte de langage – ne pense pas tout à fait ce qu’il a l’air de penser. Toute une réaction élémentaire
à l’égard du langage commande les préoccupations d’une époque et jusqu’aux recherches les plus désintéressées. »
Jean Paulhan, Les Fleurs de Tarbes, op. cit., n. 1, p. 146.
41
« Entretien avec Francine Leullier », dans Dhôtel André, Jean Paulhan, Lyon : La Manufacture, « Qui suis-
je ? », 1986, p. 59.
42
Jean-Yves Tadié, Le Récit poétique, Gallimard, « Tel », 1994, p. 136.

374
6.2.2. « UN RÊVE, ÇA PREND TOUT À LA LETTRE » (MICHAUX)
L’humour est indéniablement ce qui relie, dans leur façon de narrer le rêve, Franz
Hellens, Henri Michaux, Marcel Béalu et Frédérick Tristan. Déjà présent chez Perec ou
Queneau, mais davantage sous forme de calembour ponctuel, il devient, sous leurs plumes, un
embrayeur de narration. Il comprend à la fois un regard décalé porté sur le rêve, une distance
amusée par rapport aux règles de la vie éveillée, une sorte d’autodérision que le rêveur instaure
au moment de la narration et une capacité à saisir l’étincelle d’un signifiant pour s’amuser d’un
trait d’esprit. L’éventail créatif du rêve, lorsqu’il s’agit de faire rire, est ainsi très large, comme
le relève Franz Hellens.

On connaît le cas de l’homme nu dans la rue, honteux de sa nudité bien que


nul ne fasse attention à lui. Cette ironie atteint presque toujours au fantastique
burlesque. Le rêve est ironiste à froid. Je ne parle pas de certaines oppositions
ou coïncidences d’images, de certaines caricatures, dont le souvenir éveille le
rire. Il a à sa disposition un kaléidoscope de drôleries, qui fait partie de l’arsenal
des monstres plus ou moins pittoresques qu’il tient en réserve pour notre
étonnement, et dont le comique émane de certaines situations où le rêveur ou
les personnages qui l’entourent, et de la façon dont ceux-ci se révèlent sous un
jour inattendu43.
Le rêve tire ainsi son humour, selon Hellens, de sa capacité à assembler les éléments les plus
hétéroclites, à opérer les raccourcis les moins prévisibles et les hybridités les plus monstrueuses.
Chez Michaux, le rêve peut être ravageur et irrévérencieux. Sans jamais céder à
l’humour gras, il laisse parfois percevoir une certaine grivoiserie. « Anti-éloquent par
excellence » (FEFE, 495), il prend chez cet auteur des accents volontiers triviaux. « Cet homme
de nuit, pas littéraire et point panache pour un sou, ce terre à terre » (FEFE, 470), l’appelle
Michaux. Aussi les images qui s’y présentent sollicitent-elles des comparants volontiers pris
dans le registre du banal ou du bas corporel. S’y joue une démythification, souvent comique,
qui rejoint, par l’aspect ordinaire des comparants sollicités, la dimension commune de la langue
que Paulhan entend revivifier.

Il aime ce qui a servi, les images les plus usées, les plus quotidiennes, ou
plutôt qui furent quotidiennes pendant des années, les assommantes, les
médiocres, les bourgeoises, les miteuses. (FEFE, 462)
Le premier rêve du chapitre « Quelques rêves, quelques remarques » procède par
littéralisation d’une expression tout faite et dont on oublierait presque le sens premier,
expression familière décrivant la situation de surmenage d’un auditeur tenu d’assister à une
conférence qui ne présente pas d’intérêt pour lui et qu’il a du mal à suivre, celle d’« être sous

43
Franz Hellens, La Vie seconde, Albin Michel, 1963, p. 134.

375
l’eau ». Le rêveur s’y voit submergé mais sans que l’eau ne le trempe ou l’empêche de respirer,
avançant inexorablement, s’enfonçant sous le liquide jusqu’à perdre pied. Ce n’est que dans un
second temps, celui du commentaire, que le narrateur peut élucider cette figuration en revenant
sur son ressenti lors de la soirée de la veille, et identifier les restes diurnes qui s’y rattachent :

Observé par les médecins qui m’ont amené là, je ne peux partir.
Ah ! Quel ennui !
Qu’est-ce que l’ennui ? C’est étouffer, ne plus pouvoir respirer, manquer de
stimulation, c’est, dirait-on44, manquer d’air, c’est donc être sous l’eau. Petit à
petit, par moments alternants, on va perdant conscience de l’environnement.
Ainsi hier soir, envahi par les vagues de la somnolence, quantité de fois j’étais
sur le point de perdre contact avec le bavardage prétentieux du pédant
discoureur qui, à un bout de la salle et à la limite de ma conscience, continuait
toujours. (FEFE, 479)
La nuit venue, […] j’ai dû revivre en gros, en simple, la situation fâcheuse
[…]. En somme, j’étais sous l’eau, voilà ma soirée présumée intellectuelle. Je
me la représente ainsi, ainsi je me la fais revenir, et je me loue sans doute
d’avoir persévéré dans une situation sans air. (FEFE, 480)
« La marche sous l’eau » est un récit qui repose entièrement sur la remotivation d’une
métaphore usée et lexicalisée, à la limite de la catachrèse. La discrète insertion de l’incidente
« dirait-on », au milieu des locutions équivalentes énumérées, renforce le mécanisme utilisé par
Michaux : le poète s’appuie sur le langage de tous les jours, celui du locuteur anonyme et non
du poète singulier pour charrier les images. Remarquons de surcroît que la conférence à laquelle
assiste le rêveur est celle d’un « psychiatre étranger » (FEFE, 479) : réponse piquante de la
littérature à la psychanalyse. La poésie préfère prendre ici les images au sérieux et au premier
degré, plutôt que d’y déceler un symbolisme plus obscur.
« Lions en cage », quelques pages plus loin, revient sur la même soirée mais avec une
autre comparaison. Cette fois-ci, ce n’est plus l’ennui provoqué par la soirée qui est métaphorisé
mais la tension qui oppose les divers protagonistes : médecins d’un côté, littérateur de l’autre.

Nous étions (moi, un peu en retrait, pas du même bord, probablement


incompétent, jugé dangereux tout de même), nous étions cinq ou six
dominateurs en cage, tournant en rond, cherchant le coup de patte décisif, le
mot ou le document-massue, nus, c’est-à-dire sans armes, sans armes qu’on pût
utiliser, sans livre et sans pouvoir s’en aller… à cause de la cage de l’Invitation
qui nous avait été faite de passer la soirée ensemble. (FEFE, 490)
La phrase fait sans cesse des allers et retours entre les deux mondes de la comparaison, précisant
dans le langage du comparé ce que l’image a imposé du côté du comparant : le coup de patte
n’est autre que coup de plume et emploi des mots, l’arme est un livre, la cage une situation de
sociabilité contrôlée. En note, le poète revient sur le signifiant « lion » et, dans une sorte

44
Je souligne.

376
d’énumération frénétique, commence à passer en revue non seulement les sèmes qui lui sont
attachés, mais encore les expressions dans lesquelles le signifiant apparaît.
De vrais lions, capables de charger, capables de tuer un buffle d’un coup et même
simplement capables de régner étaient rares [dans les rêves]. Je soupçonnais quelque
chose qui sans être faux voulait nous en faire accroire.

Des lions, il faut voir quel genre de lion, lion de place publique, lion pour
avancer façon lion, lion grâce à la chevelure qui se veut crinière, lion celui qui
simplement veut être servi le premier. Tant qu’on ne sait pas de quel lion il est
question, convenablement situé, décrit, on ne sait rien. Non situé, c’est trop
facile de le relier à ce qu’on veut. […]
M’attendant naïvement à une impression vraiment lion-lion qui n’arrivait
pas, j’attendais toujours, croyant même n’avoir jamais vu de lion en rêve. Or
depuis que j’observe mieux, j’en vois, dont du reste il n’y a pas lieu d’être béat
devant, ce pour quoi sans doute autrefois, passée la nuit, je ne les retenais pas.
(FEFE, note, 489)
Le nom est répété onze fois, chaque énoncé relançant la machine à cerner de plus près les
multiples sens et images recouverts par le mot. Le poète y paraît énumérer les différents clichés
associés au mot ; chaque occurrence réactualisant le sens en mobilisant et en figurant un
nouveau sème. Ce déploiement d’un même signifiant, au lieu de créer une image plus précise
du lion, donne à voir une multiplication des incarnations : c’est une troupe de lions qui se
dessine. De la même façon que Un certain Plume trouve dans les jeux de mots et les locutions
lexicalisées le principe de son écriture, comme l’a magistralement montré Jean-Claude
Mathieu45, certains rêves de Façons d’endormi, façons d’éveillé explorent eux aussi ce langage
commun, ou langage cuit pour reprendre le mot de Desnos. Cette poésie rendue inaudible dans
l’usage d’une langue aux paroles gelées, comme celles avec lesquelles joue Pantagruel dans Le
Tiers Livre, est ici à la source d’une poésie partagée dans l’espace commun du rêve.

45
Jean-Claude Mathieu, « Légère lecture de Plume », Ruptures sur Henri Michaux, éd Payot, coll. « Traces »,
1976, p. 101-157.

377
6.2.3. LA FORCE DE LA SYLLEPSE (BÉALU)
La ressource du calembour est plus exhibée encore chez Béalu : le jeu sur les signifiants
s’y expose. Dans la veine similaire d’une narration onirique en prise avec les jeux de mots,
« Voyage à l’étranger » inaugure, dans La Vie en rêve, une série de trois textes fondés sur le
même principe : les syllepses y ont l’entière initiative sur les contenus narratifs. L’auteur
s’inscrit explicitement dans la lignée de Max Jacob, Robert Desnos, Michel Leiris et Jean
Tardieu, tous connus pour leur goût du calembour et de l’expression resserrée. L’humour, dans
le recueil, prend des formes variées, de la blague potache à la démonstration de haute voltige
lexicale, en passant par la grivoiserie. Une simple homophonie donne ainsi naissance à une
scène absurde :

Décor, une plaine remplie jusqu’à l’horizon de seaux de ménages. Au


milieu, sur un seau beaucoup plus grand que les autres, un gigantesque
personnage est assis. « Qui êtes-vous ? » demande le rêveur. « Mais, reprend
l’homme avec indignation, ne le voyez-vous pas ? Je suis le garde des
sceaux ! » (VR, 35)
Plus, loin, c’est par le biais de l’intertextualité que le rêve se fait potache :

Ce rêve-ci, encore, que me raconte Solange, passionnée de littérature. Elle


dîne chez Drouant, le restaurant des Goncourt. En tête du menu, parmi les hors-
d’œuvre, elle lit : les œufs d’Elsa. (VR, 35)
L’absurdité qui se dégage de ces situations est d’autant plus cocasse qu’elle participe d’un
processus de dégradation de la figure d’autorité, ministre ou écrivain. Le merveilleux du rêve
déploie ainsi son potentiel carnavalesque pour remettre en cause de l’ordre établi.
Dans « Les Points sur les I » (VR, 41) Béalu use du potentiel comique de la coquille,
dont on connaît, dans ce sens, l’histoire grivoise du mot. Suite à une erreur de lecture, l’auteur
y confond les mots « amis » et « anus », donnant ainsi, mais sans l’énoncer, un sens sexuel à
l’ensemble du texte. Béalu joue sans cesse de ces écarts de significations, d’un mot pour un
autre au sous-entendu grivois ou à l’effet de sens cocasses. Une fois franchies les frontières du
monde onirique, l’onirisme se fait licence comique, autorisant toute une virtualité de
significations à prendre corps :

Les à-peu-près de ce calibre sont nombreux dans les rêves, par cette loi dont
je parlais qui veut que le mot ne colle pas toujours exactement sur le sens.
Chaque mot contient plusieurs combinaisons de mots inconnus. Il semble que
l’une ou l’autre de ces combinaisons sorte un peu au hasard, comme les
nombres au jeu de dés. (VR, 35)
L’utilisation littéraire du calembour onirique donne lieu à des narrations qui surenchérissent le
procédé. Là où l’histoire drôle s’arrête sur un effet de décharge qui coïncide avec la chute et le
jeu de mots, Béalu au contraire cherche à aller plus loin. L’auteur ne s’arrête pas au jeu de mots

378
mais pousse la logique jusqu’au bout de l’histoire pour en tirer tout le pouvoir comique et
absurde. Aussi la syllepse est-elle conçue chez lui non comme une chute habile qui précipite le
sens mais comme une ouverture productive.

Freud a écrit sur la signification profonde des lapsus. Mais le calembour


atteint à l’œuvre d’art si, révélant d’autres rapports jusqu’ici insoupçonnés, il
élargit le sens du mot jusqu’à lui donner un ou plusieurs nouveaux sens. (VR,
35-36)
Détachée de la parole spontanée, le calembour est ici investi et multiplié, dans « Ôtez l’auteur
hanté » (VR, 36-40), pour son inventivité et son exceptionnel rendement poétique. Attribué à
un ami, Pierre André Benoit, le texte est moins présenté comme un récit de rêve que comme un
exemple de la puissance poétique dégagée par une logique onirique à l’œuvre. Il ne s’agit pas
pour Béalu de raconter un rêve véritable mais d’en adopter la logique pour l’appliquer aux mots
et à l’écriture. Fondé sur un jeu de mots, le récit se développe sur plus de quatre pages comme
une démonstration d’orfèvrerie poétique. Le point de départ du texte, un changement
orthographique, rappelle le paradigme verbo-auditif des surréalistes dans lequel le rêve était
dicté. Ici aussi, c’est le continuum sonore qui prime.

Le coiffeur coiffe, le professeur professe, le chancelier chancelle. Pour


l’auteur, si nous orthographions ce mot dans le sens du rêve : pour l’ôteur, dis-
je, la spécialité est d’ôter. (VR, 36)
Le poète prend ainsi au sérieux la faute d’orthographe initiale, commise par un rêve tout ouïe.
Une fois acceptée cette dérivation orthographique et sémantique, et mise en branle cette
« culture intensive du mot pris pour un autre » (VR, 40), le reste du texte s’ingénie à justifier la
logique onirique en énumérant les motifs de suppression auxquels s’adonne l’auteur/ôteur. Le
texte prend rapidement des accents métapoétiques, dans un registre humoristique. L’écriture,
habituellement envisagée comme une activité productrice, qui ajoute plus qu’elle retranche, y
est décrite comme une pratique de soustraction, qui procède par arrachage et prélèvement :
arrachage au milieu, pour échapper à la logique du monde, et prélèvement par dissection pour
percer à la jour son secret.
C’est ainsi une cascade de synonymes du verbe « ôter », et de sa forme participiale, qui se
déverse sur la page, figurant l’écrivain sous les traits d’un violeur déshabillant sa proie, d’un
fraudeur ou d’un voleur. Entre autres procédés, le texte progresse par salves d’énumérations
qui lancent chacune une mécanique pour mieux la faire dérailler. Dans son geste maniaque,
l’auteur décide ainsi d’« ôter aux moustachus les moustaches, aux joufflus les joues, aux
biscornus les cornes, ou le bicorne ». Le parallélisme mis en place ne survit pas à la troisième

379
occurrence. La frénésie du texte et de son personnage principal s’emporte, confine au délire et
fait de l’écrivain un démiurge, pêcheur par hubris, voulant se faire maître de la création.

L’ôteur ne se contenta plus d’extirper le songe du mensonge, d’Adam les


dents, Ève du rêve, n’utilisant plus que des mots-mots, il imagina d’enlever aux
déchus leur dèche, il envisagea de ravir au temps l’instant, entreprit d’avoir du
drapeau non seulement le drap, mais la peau. Mort où git le mot, jouir était jouer
et rire. (VR, 38)
Le texte ne construit pas véritablement de diégèse, tant l’histoire racontée est mise à mal et sans
cesse réorientée par le jeu des signifiants. Comme Paulhan, Béalu revendique une préférence
pour le langage commun, qu’il peut réanimer à l’occasion d’un calembour : « Quant aux choses,
c’est leur plus simple expression qui le passionne, réduites à rien pour ainsi dire, à portée de
souffle. » (VR, 37) Ainsi le contenu du récit est-il mis à l’arrière-plan d’une joute verbale dont
l’écrivain est le seul concurrent.

Fureur d’arracher le contenu des mots ! Désarticulées les syllabes tombent,


retombent, loques de clown cachant mal le spasmodique rire intérieur de
l’effritement des choses. Soucoupes, coupes à sous, coupe-choux, soupe aux
choux… Anecdotes pour ânes doctes : le réel ou soi-disant tel. La soif de netteté
de l’ôteur ne peut se satisfaire de ces ruines. Elle achoppe à des débris. La
lumière croule autour de lui, se démantèle. Sans doute cette rage l’eût-elle
conduit jusqu’au dégoût, si, vers la trentième année il n’avait découvert de ce
bagout le bas goût. Atteindre les mots dans leur écaille – le son – ne suffisait
pas. Il fallait insister jusqu’au noyau, jusqu’au pépin, jusqu’à la pulpe du pépin.
Repères oubliés, étiquettes fausses, les mots n’ont un même sens que pour celui
qui les énonce, ils travaillent à l’éparpillement plus qu’à la communion. Ôtons
les mots ! se dit l’ôteur, hôte désormais sans passeport des hottes infernales.
Quelle expression verbale pouvait à présent ne pas trahir sa pensée ? (VR, 38)
À coups de paronomases et d’homonymies, de proche en proche, le texte se vide de sa matière
sémantique pour n’être que pure construction formelle. Ce que l’auteur a définitivement ôté au
récit de rêve, c’est le rêve en lui-même, le contenu des aventures imaginées au creux de la nuit,
pour n’en garder que l’enveloppe rhétorique. Le texte raconte la lutte de l’auteur pour reprendre
ses droits sur le rêveur, et le pouvoir sur les mots. Cette révolte est finalement exprimée avec
brio par l’injonction « des livres et de moi, délivrez-moi ! », comme si la matière verbale se
refermait toujours sur l’écrivain.
D’autres récits du recueil adoptent le même procédé : la logique lexicale y menace
l’ordre du monde ; le rêve, comme le monde derrière le miroir d’Alice, inverse les repères,
déconstruit la rationalité. Ainsi, dans « Rêve rusé » (VR, 123), une phrase entre parenthèse
ouvre la brèche du non-sens, dans lequel le calembour devient la règle :

(Ici apparaît l’implacable logique du rêve.) Je découvre que non seulement


ma vie mais la vie même, le phénomène appelé VIE n’est qu’un calembour
énorme dont la signification diffère de celle adoptée par une convention

380
imbécile. Et tandis que devient de plus en plus confuse en moi la chose appelée
« tour », je ressens une ivresse infinie, cependant qu’une voix s’écrie :
« Réveille-toi ! Réveille-toi ! Cette tour n’est qu’un tour. Il t’en reste encore
plus d’un dans ton sac. »
Dans « Tauromachie » (VR, 129), c’est encore la segmentation fautive du continuum sonore
qui a raison de l’identité du rêveur.

Je suis un morceau de ténèbre animé de fureur. Trapu, musclé, sûr de ma


force et du bouillonnement de ma vie. Quand on ouvre la porte de l’arène, j’ai
comme un éblouissement. Un immense miroir où s’agitent lumières et ombre
me renvoie, là-bas, étincelante, mon image bleue, rose et or. Torre et adore !
Torre et adore ! crient mille voix. Torre Éros ! Torre Éros ! Taureau, taureau !
À cet appel je fonce vers cette image jusqu’alors inconnue, qui est MOI. Mes
cornes à l’avant de mon corps lancé comme un projectile font voler en éclat la
glace et mon image idéale. À jamais, j’ai brisé le miroir. (VR, 129)
Cette écriture onirique est fondée sur le calembour et la malléabilité de la matière verbale.
Détachée du principe d’authenticité, elle ne cherche pas à raconter un souvenir de rêve véritable
ou à redonner forme à un rêve que le réveil a malmené. Elle adopte une logique uniquement
verbale, qui ne procède plus par association d’idées mais par associations de signifiants,
rapprochements sonores et collocations sémantiques. Au lieu d’une expérience singulière, le
récit témoigne d’un usage collectif du langage ; son partage ne fonctionne que par cette
mémoire collective de la langue, et son plaisir réside dans le déraillement de la règle linguistique
commune.

381
6.2.4. TRISTAN, « ENTORTILLÉ DANS LES MOTS »
Comme Paulhan, Frédérick Tristan situe sa réflexion au cœur du langage, dans un
espace qui lui permet de « tricher la langue », expression qu’il reprend à Roland Barthes.

La désintégration du langage m’a fasciné dans les années 60. […] À l’issue
de cette période difficile, j’ai compris que l’exercice de style m’était un garde-
fou nécessaire non seulement pour ne pas sombrer, mais surtout pour situer mon
moi dans le puzzle aléatoire de cette fameuse réalité qui en soi n’existe pas.
[…]
Le langage est inadéquat à nous révéler le réel, mais il nous permet d’y croire
et de croire qu’il nous est révélé. Nous vivons sur cette tricherie, et comment
faire autrement ? Toutes les civilisations ont été fondées sur cette tricherie. La
croyance plus ou moins acceptée en cette tricherie est l’échafaudage d’où toute
œuvre et tout refus sont tirés. […] C’est à la fois par le langage communément
accepté et contre ce langage que s’impose toute création. Elle est alors
fatalement marginalisée – plus ou moins, mais c’est dans cette marginalisation
que réside sa part de séduction la plus sûre46.
Héritier de Paulhan dans cette approche à la fois anthropologique du langage et de la littérature,
Frédérick Tristan redonne aussi vie, dans ses rêves, à toute une génération d’auteurs qui l’a en
partie précédé, allant de Pierre Reverdy à Raymond Queneau. S’il se prend à rêver d’être
« l’Avant-garde à [lui] tout seul ! » (BR, 138), c’est en fait pour mieux souligner son
attachement aux poètes et peintres de la Modernité. Il peut s’imaginer au cœur du Montparnasse
des années folles, faisant la fête avec les grands noms de la poésie de l’époque :

Ce soir, je vais dîner avec Apollinaire. À notre entrée, La Coupole se lève


d’un seul élan. Il y a là Picasso, Braque, Duchamp, Picabia, et des filles, des
filles, des fleurs, du champagne. Demain, ce sera la première des Mamelles de
Tirésias. Debout sur une table, Reverdy lit un poème. Dehors, on entend le bruit
sourd d’un canon qui tonne. Dedans, c’est la fête. La mariée est mise à nu par
les célibataires affamés. Les demoiselles d’Avignon ont trop à faire. Non,
Guillaume n’est pas mort. Tous mes amis d’antan sont toujours vivants à son
chevet. Et déjà voilà la sarabande de Dada et des Surréalistes qui s’annonce !
Gais ! Gais ! Soyons gais ! le bœuf danse allègrement sur le toit. (BR, 142)
La mariée laissée aux célibataires affamés n’est pas sans rappeler Le Grand verre47 de
Duchamp, ou l’histoire d’Orpaillargues, mais l’hommage rendu à l’auteur du Pont traversé est
plus saillant encore dans cet autre récit où il se trouve figuré en personnage de bande dessinée :

Brusquement, par une porte dérobée, les Pieds nickelés surgissent dans la
salle. Ils rigolent, font des grimaces et lancent des quolibets à la ronde. La
stupéfaction passée, je m’aperçois que Jean Paulhan se cache sous le masque
de Ribouldingue, Albert Camus sous celui de Filochard, et Raymond Queneau
sous les traits de Croquignol. « Oh, fait Paul Valéry, ne vous inquiétez pas. Il
faut bien qu’ils se défoulent ces bons frères. » Et il ajoute : « Depuis Charcot,
on appelle ça l’hystérie. Sans hystérie, il n’est pas d’art possible. » (BR, 158)

46
Frédérick Tristan, Le Retournement du gant. Entretiens avec Jean-Luc Moreau, I et II, Fayard, 2000, p. 44-45.
47
Le titre original de cette œuvre d’art est La Mariée mise à nu par ses célibataires même (1915-1923).

382
La famille littéraire de Frédérick Tristan est ainsi des plus recomposées. Si elle emprunte
largement à la poésie moderne, elle est autant à placer dans le sillage du surréalisme48 que de la
fiction la plus inventive49. En effet, les textes présentés dans Brèves de rêves ont beau jeu de
louer les poètes des Avant-gardes du début du siècle ; formellement, ils s’en écartent
sensiblement. Pas d’écriture automatique chez Frédérick Tristan, par ailleurs plus habitué à l’art
du roman qu’aux formes brèves, mais un travail de la structure narrative qui frôle souvent
l’acrobatie spéculaire. L’écriture du rêve qu’il met en œuvre ne cherche pas à livrer une vérité
ou à reproduire des aventures nocturnes véritablement vécues, elle lui permet en revanche
d’interroger la fiction et son rapport au réel.
La matière verbale, dans ses textes aussi, se fait des plus concrètes, donnant lieu à toutes
sortes de calembours ou de quiproquo. « Entortillé dans les mots, je me débats dans le poiein »
(BR, 26), glisse-t-il au détour d’un rêve. L’expression « un cent de poulets » est interprétés avec
l’image cruelle du « sang de poulet » (BR, 14), un « amateur de rébus et de mots croisés »
menace de se faire « avaler au détour d’un mot » (BR, 21). Comme chez Paulhan, mais sur un
ton plus humoristique, le rêve est assimilé à une langue mystérieuse.

Un inconnu entre dans mon sommeil. Il titube et lance d’une voix éraillée :
« Vous voudriez bien savoir ce que je viens faire là. Héhé ! C’est le secret du
petit bonhomme en zinc. Motus et bouche cousue. […] » Il tente de virevolter
et s’écroule. Stupide, je passe le reste de la nuit à me demander ce que sa tirade
signifie. (BR, 121)
Ici ivrogne, l’énonciateur du rêve subit une dégradation comparable à celle que Michaux
pouvait déjà infliger à son indigent de rêveur intime. Le mystère de la langue onirique est ainsi
en même temps source d’émerveillement et de démythification. Le rêve peut aussi se construire
à vue, par simple enchaînement d’expressions lexicalisées et « glissements d’images » :

Attendre. Faire des ronds dans l’eau. Jouer à cache-cache avec un renard.
Tricoter une chaussette longue comme un jour sans pain. D’ailleurs il n’y a plus
de boulanger. Il a tué le dernier renard en le précipitant dans l’étang. (BR, 37)
Les comparaisons se mêlent et, prises au premier degré, engendrent des histoires.
L’un des récits où la logique énumérative et le jeu sur la fécondité lexicale sont les plus
évidemment exploités est celui dans lequel Tristan s’interroge sur sa propre identité et les

48
Frédérick Tristan a plusieurs fois raconté sa rencontre et son amitié lointaine avec Breton. Dans un texte archivé
à l’Imec (Institut Mémoires de l’Edition Contemporaine, Caen), il écrit : « J’avais vingt-cinq ans. Breton était non
seulement le premier grand écrivain que je rencontrais, mais le seul maître à penser que je vénérais depuis près de
dix ans. Me retrouver face à cet homme à la blanche crinière, au regard à la fois bon et dominateur, dans cette
pièce où je reconnaissais des tableaux et des statues qui appartenaient à sa légende, oui, je dois l’avouer : ce fut
l’un des moments les plus intenses de ma jeunesse. » Frédérick Tristan, « André Breton » (1960), Imec, reproduit
dans Une vie au péril de l’écriture. Études et entretiens (1954-2014), L’esprit du Temps, 2015, p. 17.
49
Frédérick Tristan adhère au groupe de la Nouvelle Fiction avec Hubert Haddad, Jean-Luc Moreau, Georges-
Olivier Châteaureynaud.

383
raisons qui l’ont conduit à orthographier avec un K le pseudonyme qu’il s’est choisi50. Le texte
passe en revue tous les noms propres et communs commençant par la lettre K, jusqu’à
épuisement :

Discussion absconse à propos de la lettre K de mon prénom. Est-elle née de


Rachel Karamanée, ou de Kafka, de la revue K, de Krazy Kat, ou plutôt de la
kabbale, du kalpat oriental, ou encore du kaddish, du kakémono calligraphe, de
Gilbert Keith Chesterton, du Ka égyptien, du kaddoch maçonnique, de
Katmandou, du Kathakali, ou peut-être de la Kaaba, du kabuki japonais, des
Kabyles, du kaolin, du kapok, du karakul d’Astrakan, du karma hindou, du
kayak des Inuits, ou pourquoi pas du karaoké ? Pour faire taire l’assemblée des
kakatoès, j’avoue que mon K est issu de tous ces K vraiment, tous unis comme
les kahouannes du marqueteur, et inventifs comme le kaléidoscope de mon
enfance. (BR, 136)
Sans aller jusqu’à la glossolalie, la langue que déploie Frédérick Tristan dans cette
démonstration de haute voltige lexicale relève à la fois de l’idiolecte – en ce qu’il fait la preuve
d’une capacité hors norme à recourir à un même graphème – et de l’universel – en ce qu’il puise
à une diversité culturelle telle qu’il se donne comme point de convergence de toutes les cultures
et de toutes les époques. Le K, signe éminemment littéraire51, se donne ici comme la clé d’une
liste vertigineuse dont on ne saurait épuiser toutes les ressources, et prend des accents
perecquiens52. Surtout, elle est une belle démonstration de culture littéraire par un auteur à
l’identité décidément hybride.

***

Le récit onirique est ainsi pour Paulhan, Michaux, Béalu et Tristan l’occasion d’exposer
un certain maniement du matériau linguistique. Ils y puisent à la source de la rhétorique, plus
particulièrement de la syllepse et du calembour, pour faire du rêve l’occasion d’une farce

50
Le vrai nom de Frédérick Tristan est Jean-Paul Frédéric Tristan Baron. Il est également connu sous le
pseudonyme de Danielle Sarréra et de Mary London.
51
S’il n’est pas cité ici, le K de Kafka a également fortement marqué Frédérick Tristan. Les romans Le Procès
(1925) et Le Château (1926) sont placés sous le signe de l’onirisme.
52
Interrogé sur l’humour par Jean-Luc Moreau, Frédérick Tristan ne cache pas son admiration pour Georges
Perec : « J’ai suivi de près les travaux du collège de Pataphysique dans l’ombre de Jarry et de Queneau, ainsi que
les évolutions de l’Oulipo. Je me sens proche de gens comme Noël Arnaud et François Caradec. Cela dit, le plus
original des écrivains français de ce type me paraît être Georges Perec. Il avait eu la gentillesse de me dire qu’il
s’intéressait à mes travaux alors qu’il publiait Le Cabinet d’amateur. Mais ces recherches qui tiennent de la
contrainte ludique appliquée à l’écriture, de l’énumération en vrac, du cruciverbisme et des bouts rimés
appartiennent-elles à la littérature ? À l’alittérature plutôt. Tenter de dynamiter le roman ne me paraît certes pas
répréhensible, mais à condition que l’on ne prenne pas la dynamite comme un lieu habitable. Et surtout, là encore,
attention au terrorisme intellectuel, cette perversion commune à quelques clans parisiens. Perec n’eût pas admis
que son travail au détour de l’ironie soit utilisé par des trafiquants de sérieux. » Frédérick Tristan, Le Retournement
du gant. Entretiens avec Jean-Luc Moreau, I et II, Fayard, 2000, p. 222.

384
joyeuse, revivifiant la langue et assumant son rôle social. En effet, le rêve renoue chez eux avec
sa dimension d’adresse. Il est une balle envoyée au lecteur, un jeu avec les mots mais aussi avec
son destinataire. Si cette écriture du rêve est fondée sur une écoute de la langue, elle ne trouve
sa pleine réalisation que dans la lecture complice d’un lecteur qui aura saisi avec la même
vivacité les doubles sens et les dérivations d’une langue animée. Sous l’effet stimulant du rêve,
et surtout de sa mise en mots, la langue commune devient ainsi langue littéraire.

385
6.3. « TRICHER LE RÊVE »,
ÉLÉMENTS DE POÉTIQUE ONIRIQUE

Dans un entretien daté de 2001, Frédérick Tristan reconnaît n’avoir pas plus de
souvenirs de rêve que de souvenirs d’enfance. Cet aveu, surprenant de la part d’un auteur dont
l’œuvre est tant marquée par l’onirisme, n’est pas sans faire penser à Perec qui avouait, lui
aussi, dans W ou le souvenir d’enfance, « [ne pas avoir] de souvenirs d’enfance53 ».

La fiction littéraire, c’est un rêve vécu sur le papier et qui peut être répétitif.
C’est ce qui m’intéresse vraiment. Pourtant, je ne rêve pas. Plus exactement, je
n’ai aucun souvenir de mes rêves. Sans doute à cause de l’amnésie de mon
enfance. Par conséquent, je remplace mes rêves absents par mes livres, par mes
récits. J’ai en moi un besoin d’onirisme, peut-être même excessif54.
Preuve, s’il en fallait encore, que les récits oniriques de Brèves de rêves ne se subordonnent pas
à la contrainte de la narration exacte. Pour Frédérick Tristan comme pour Michaux, plus encore
pour Béalu, le rêve est donc une aide à l’inspiration, un prétexte à l’œuvre de création. Le récit
onirique est le produit d’une fabrique, réécriture du rêve ou invention complète, qui redonne
toute sa place à l’auteur.

Écrire ! Naître à ce temps et cet espace particuliers, champ onirique où une


autre réalité va s’accomplir. Eh bien, c’est dans cette chambre de travail en
relation avec la camera obscura de la conscience que le fameux feu va opérer,
vous tenant dans un état à mi-chemin entre coma et révélation. J’ai appelé cet
état « éveil paradoxal » en échos au sommeil paradoxal dans lequel s’élaborent
les rêves55.
La formule dit bien ce que recouvre l’écriture pour Frédérick Tristan : un état de grande liberté
et de transe lucide dans lequel le récit reprend la liberté et la créativité du rêve. Le rêve n’est
pas une expérience singulière dont il faut rendre compte dans l’exactitude du détail mais un
vécu à partager et dont il s’agit de redonner l’esprit, le climat. Le texte onirique chez Michaux,
comme chez Béalu ou Tristan, fait moins du rêve sa source – comme expérience authentique –
que son effet, dans l’émotion qu’il veut transmettre.

53
Georges Perec, W ou le souvenir d’enfance (1975), Œuvres, éd. Christelle Reggiani (dir.), Gallimard,
coll. « Bibliothèque de la Pléiade », t. I, 2017, p. 661. L’enfance de Frédérick Tristan et de Georges Perec sont
toutes les deux frappées d’un traumatisme lié à la Seconde Guerre mondiale. Si Perec est profondément traumatisé
par la mort de ses parents, son père tué au front et sa mère gazée dans le camp d’extermination d’Auschwitz,
Frédérick Tristan, lui, est frappé d’amnésie à la suite de l’exode qui le contraint à fuir avec sa mère en 1940.
54
Frédérick Tristan, « Le silence intérieur », entretiens avec Jules Delvaux, dans Les Amis de l’Ardenne, n° 14,
2001, repris dans Une vie au péril de l’écriture. Études et entretiens (1954-2014), L’esprit du Temps, 2015, p. 17.
55
Frédérick Tristan, Une vie au péril de l’écriture., op. cit., p. 153.

386
Aussi est-il coupé de l’ancrage référentiel au niveau paratextuel. On n’y trouve ni
indication de date, ni mention de lieu, comme c’était le cas, par exemple, dans les recueils de
Leiris ou de Perec. Les récits y sont au contraire exempts des repères spatio-temporels du monde
vigil, détachés de la dimension biographique – explicitée ou reconstituable56 – et se donnent
ainsi d’autant plus à lire comme de petites fictions. Ni documents psychiques, ni journaux
intimes de la nuit, ces récits sont des espaces de création, de fantaisie.
L’essentiel n’est pas de faire croire à un rêve mais de faire rêver. « [L’] écriture est
investie d’un devoir d’effet ; mais plus encore effet sur l’autre, ce lecteur à qui s’adresse le texte
littéraire, et non plus le rêve, et qui magiquement et temporairement, le transforme en rêveur57 »,
écrit Romain Verger à propos des textes oniriques de Michaux. Dans Les Rêves et la jambe,
Michaux esquisse une description du rêve et du « style rêve » qu’il aimerait mettre au point,
écriture travaillée et non purement transcriptive. Son application conserverait les
caractéristiques du rêve mais pour les appliquer au texte de façon consciente et non plus
contrainte par la dictée d’une voix onirique. Aussi, le « style rêve » de Michaux cherche à
opérer la « fusion de l’automatisme et du volontaire58 » et de la « transfiguration » des rêves (en
ce sens qu’il reprend les caractéristiques formelles du récit de rêve pour les grossir).
Comme le souligne Romain Verger, alors que le récit de rêve tente de reproduire une parole
intérieure et un discours courant pour se faire document, le « texte onirique » de Michaux vise
une poéticité plus affirmée et plus travaillée, et cherche à se distinguer d’une prose courante
pour atteindre à la densité de la prose poétique. Peut-être ses textes sont-ils inspirés par des
rêves effectivement vécus mais l’essentiel n’est pas là. « La fiction, la déformation seule
intéresse la littérature59 », écrit Michaux dans Les Rêves et la jambe.
Frédérick Tristan, lui aussi, construit sa poétique sur la notion de déformation qui prend
des aspects plus ludiques sous le terme de « tricherie ».

« Tricher la fiction », c’est la parodier. Surenchérir sur les feuilletons, par


exemple, ou s’immiscer dans la langue d’un auteur afin de copier ses tics, son
rythme, sa musique interne, détournant ainsi sa technique, son style afin de
l’ajuster à un récit étranger à son univers romanesque. Ou encore parodier un
mythe afin de le démystifier, un personnage célèbre afin de le placer dans des
situations contraires à sa psychologie. Installer Sherlock Holmes au paradis
terrestre ou M. Teste dans une maison close.
De telles confrontations à rebours, au creux de l’invraisemblable, font surgir
forcément des situations fictives, mettant la fiction elle-même en déséquilibre

56
Béalu peut parfois faire figurer une date à l’orée d’un texte ou resituer un épisode à l’époque de sa vie rue Saint-
Séverin ou de sa librairie rue de Vaugirard, Michaux s’appuyer sur des expériences de veille ou de rêve véritable,
la fonction référentielle des recueils passe largement au second plan.
57
Romain Verger, Onirocosmos, Henri Michaux et le rêve, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2004, p. 95.
58
Henri Michaux, « Surréalisme », art. cit., p. 61.
59
Henri Michaux, Les Rêves et la jambe, op. cit., OC I, p. 25.

387
excitant pour l’imagination créatrice, lui laissant le champ le plus large hors des
prétentions du réel60.
Par bien des aspects, il s’agit pour nos auteurs de « tricher le rêve » en grossissant ses traits, en
se jouant de ses caractéristiques, de ses limites aussi. « Tricher la fiction », écrit encore
Frédérick Tristan, « c’est aussi mélanger les genres », « c’est tricher le visible et l’invisible »,
« c’est truffer le plus sublime sérieux du plus profond burlesque61 » : autant d’attributs qui
pourraient aussi bien définir la poétique onirique. Dans ce jeu de subversion, l’interstice que le
lecteur devine entre un rêve véritablement rêvé et le récit qu’il a sous les yeux est le lieu dans
lequel trouve à se loger l’auteur et d’où il rappelle sa présence. Car l’enjeu est bien là : faire
entendre sa voix, au sens le plus sonore du terme, par l’inclusion dans le recueil de rêves d’un
système polyphonique de commentaire ou par la mise en valeur d’un travail du texte qui ne
saurait être un simple travail du rêve.

60
Frédérick Tristan, « Tricher la fiction », dans Une vie au péril de l’écriture. Études et entretiens (1954-2014),
op. cit., p. 189.
61
Idem.

388
6.3.1. FAÇONNER LE RÊVE

Spectacles sous les paupières


Dans ses Cahiers, Valéry déplore l’unité et la continuité que le récit imprime au rêve
alors que celui-ci n’est, selon lui, qu’un agrégat d’éléments indépendants :

Le rêve est saisi, quand il se présente au réveil, dans la forme d’aventure —


c’est-à-dire que nous le racontons ou le revivons en y introduisant ce qu’il faut
de conservation — fût-ce le minimum MOI , — pour en faire une suite
représentable, unicursale — donc chronologique. […]
L’étrangeté du rêve est faite de la liaison que n[ou]s y mettons pour le
revivre, et de l’interdépendance introduite alors entre production cohérentes et
hétérogènes sans unité — — (p[ar] ex[emple] paroles, sensations affectives,
etc.). (C, 179 [1937])
Cette pensée, tout à fait pertinente dans le contexte d’une écriture du rêve mimétique de son
fonctionnement, se voit totalement battue en brèche par les écrivains oniristes qui, eux, font
décidément le choix de se laisser aller à l’« aventure » dont se méfie l’auteur de Monsieur Teste.
Détachés de l’ambition de rendre compte d’une réalité psychique, les récits oniriques de
Michaux, Béalu et Tristan se font le lieu des aventures les plus intenses. Aussi ne sera-t-on pas
étonné de voir revenir sous leurs plumes la métaphore du rêve comme théâtre intérieur, scène
de toutes les émotions et des intrigues les plus échevelées. Non que les rêves authentiques
n’aient pu donner lieu à des narrations elles aussi très originales, ou invraisemblables, mais la
distance prise et l’allègement de l’implication personnelle (autobiographique) permet encore
de donner une autre dimension à ces spectacles sous les paupières.
Significativement, Michaux intitule le premier chapitre de Façons d’endormi, façons
d’éveillé « Le rideau des rêves », suggérant ainsi qu’il pénètre sur la scène ou dans les coulisses
d’un spectacle onirique. Même si elle est utilisée pour parler plutôt du réveil, la même
métaphore est utilisée par Leiris quand, dans le chapitre inaugural de Fourbis, il évoque le
« rideau de nuages » : « Rideau de nuages. C’est ainsi que se présente parfois le rideau des
paupières lorsque, dormant encore, on est déjà pour s’éveiller62. » Seuil du rêve, découverte du
décor, ouverture de la représentation : le rêve est encore présenté par Béalu comme un spectacle
pour initiés dans « Théâtre sous la terre ».

Me faufilant derrière mon guide, j’entre dans ce théâtre ouvert au cœur du


vaste entrelacs de galeries. Un immense rideau bouche la scène. […] Je cèderais
finalement au sommeil si les ronflements des voisins ne me mettaient en garde
contre une telle indélicatesse. Je reste donc et finalement me trouve seul, éveillé
devant la scène immense. Alors le rideau se lève. Et d’un seul coup, j’oublie
tout, passe-temps du début, sottes questions, vaines réponses. […]

62
Michel Leiris, Fourbis, dans La Règle du jeu, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2003, p. 289.

389
Je souffre d’être seul à jouir d’un spectacle capable de combler le vide d’une
vie casanière, ce vide qui donne à tous les visages un air égaré. Mais peut-être
ces impressions ne sont-elles dues qu’à mon propre égarement, peut-être suis-
je seul à ressentir cette vacuité, et pour moi seul ce théâtre est-il un réel besoin ?
À l’unique spectateur le désir vient toujours de se mêler aux acteurs. L’idée
de participer à l’élaboration d’une aussi magnifique illusion me tente. Une nuit,
je grimpe sur les planches et sais jouer bientôt, moi aussi, mon bout de rôle.
Tout cela, qu’anéantit le retour du matin, est pour moi si prenant, si captivant,
a si absolument l’air vrai que je ne peux, à tout instant, m’empêcher d’être
surpris de tant d’activité gaspillée devant une salle déserte. (VR, 25-26)
Le récit de Béalu, on peut le constater, rapporte moins le souvenir d’une expérience onirique
qu’il ne propose d’envisager le rêve comme une création dont le rêveur est à la fois le spectateur
émerveillé et l’acteur amusé.

Dès lors que le souvenir du rêve n’est plus un enjeu de l’écriture, dans la mesure où
l’accent est davantage mis sur l’affabulation que sur la remémoration, toujours incertaine et
fragile, les récits contenus dans Façons d’endormi, façons d’éveillé, La Vie en rêve et Brèves
de rêves sont porteurs d’une unité plus marquée que ceux qui s’attachaient à reproduire
fidèlement l’expérience de la nuit. Contrairement aux textes de Leiris ou Perec, ceux-là ne sont
pas troués par les marques de doute, d’inexactitude ou d’oubli. Au contraire, ils affichent une
certaine continuité narrative.
Michaux a beau jeu de constater, dans Façons d’endormi, façon d’éveillé, que le rêve
se présente à lui comme un enchaînement d’images sans lien de continuité ; il reste que les
rêves qu’il donne à lire sont pourtant extrêmement denses et construits.

Les images qui paraissent former une histoire, ou plutôt une suite, seulement
tendent ou paraissent tendre à une suite. Ces images, tels des termes de
comparaison qu’on essaie, me font penser à une rédaction où l’on hésite encore
entre plusieurs expressions, ou plusieurs mots ou images, traductions plus ou
moins bonnes et plus ou moins défectueuses de ce qu’on voudrait rendre ou
dont on ne se décide pas à éliminer une ou même deux moins à propos, mais
tout de même désirées.
Sans s’occuper de la contradiction, le rêve, sans éliminer les versions
inutiles, dit une réalité de plusieurs façons.
Néanmoins, une ou plusieurs, le rêve est une rédaction dont on est dupe.
(FEFE, 491)
Paradoxalement, chez Michaux, les récits de rêves sont moins hachés, porteurs de moins
d’ellipses et autres coupures que d’autres textes, moins explicitement rattachés au rêve comme
ceux de Plume, par exemple. « La nuit des embarras63 », « La nuit des disparitions64 » et

63
Henri Michaux, « La nuit des embarras », dans « Difficultés », Plume précédé de lointains intérieur, OC I,
p. 614-615.
64
Henri Michaux, « La nuit des disparitions », dans « Difficultés », Plume précédé de lointains intérieurs, OC I,
p. 615-616.

390
« L’arrachage des têtes65 » sont rédigés dans un style autrement plus heurté et fragmentaire.
« La nuit des disparitions » se compose ainsi de sept paragraphes dont les propos sont
parfaitement discontinus entre eux, et « La nuit des embarras » est une suite d’aphorismes
délirants ne construisant aucune narration. Comme l’a montré Romain Verger, Michaux
reprend dans La Nuit remue ou Plume les caractéristiques du rêve, bien identifiées dans Les
Rêves et la jambe, pour en exagérer les effets : absurdité, insensibilité, anaffectivité, fantastique,
coq-à-l’âne et instabilité66.

Une écriture de l’emportement


Dans le recueil de 1969, les récits de Michaux retrouvent une certaine unité sans perdre
pour autant le rythme et la narration animée d’Un certain Plume. Non encombrés par l’amnésie
du réveil, ils progressent selon une énergie puisée dans l’invention. « La nouvelle guerre de
Jugurtha » fait la démonstration de cette écriture onirique qui se développe en dépit d’une
mémoire lacunaire. Alors que, dans le commentaire qui suit le récit, l’auteur avoue ne plus se
souvenir de l’histoire romaine, il voit en rêve un épisode fameux de la guerre de Jugurtha.

De Rome, il faut le dire, depuis longtemps je ne sais presque plus rien, ni de


son histoire, ni de ses histoires. Jugurtha, guerre de Jugurtha… qu’est-ce donc ?
D’une façon ou d’une autre, je ne devrais pourtant pas avoir totalement oublié
au point de ne plus savoir que les consuls romains en avaient tremblé. Le
drapeau « Jugurtha », au moins, n’avait pas été retiré de ma mémoire. (FEFE,
485)
Cette lacune n’empêche pas le poète de rapporter un rêve pour le moins fourni et précis sur le
déroulement de cette conquête.

Et voilà que ce génie de la guerre venait de trouver… (ayant gardé pleine


confiance malgré l’événement, il avait son plan, qu’il ne m’avait pas
communiqué. Je n’en crus pas mes yeux, quand je vis ce plan s’exécuter devant
mes yeux, merveille de l’art et de l’ingénieur encore plus que du stratège…). Il
avait donc trouvé le moyen (unique pour l’époque, si l’on y songe, et même
pour n’importe quelle époque), il avait trouvé le moyen d’une façon
particulière, incroyablement précise, de miner certaines rues de la ville que
l’ennemi tenait en sa possession, et d’autres rues, de les faire parcourir par des
roues de feu, et généralement de si bien compartimenter la ville, la divisant en
canaux embrasés sans l’ombre de débordement, que les habitants, lesquels
étaient restés chez eux, n’avaient aucunement à souffrir, tandis que les tentes
des ennemis, leurs charrois et approvisionnements sur les places et dans les
grandes artères étaient balayés par de courtes, puis de sauvages flammes et
étaient brûlés et détruits, cependant que les occupants affolés, désorientés et
(sans issue puisque tous les passages étaient livrés à l’incendie), les occupants,

65
Henri Michaux, « L’arrachage des têtes », dans « Un certain Plume », Plume précédé de lointains intérieurs,
OC I, p. 634-636.
66
Nous reprenons ici les caractéristiques mises en italiques par Michaux lui-même dans Les Rêves et la jambe,
OC I, p. 18-25.

391
brûlés, défigurés avant de pouvoir faire retraite, ne trouvant plus un passage qui
ne fût brûlant, tombaient, périssaient sur place, dans cette ville qui ne
correspondait plus du tout à la ville qu’ils étaient venus occuper. (FEFE, 484)
L’énergie qui caractérise ce paragraphe provient d’un système de relance mis en place autour
des parenthèses, et par lesquelles la phrase est animée par un élan tel qu’elle paraît trébucher.
Comme l’orateur qui doit reprendre son souffle, elle reprend là où elle avait été suspendue.
Alors que la structure syntaxique ne l’exigeait pas, l’auteur trouve nécessaire, à trois reprises,
de répéter l’élément sur lequel il s’était arrêté. Ces répétitions (« trouver », « Il avait donc
trouver le moyen », « Il avait trouvé le moyen » puis « les occupants ») donnent au texte un
tour oral, comme s’il était le fait du chantre d’une épopée romaine. Elles rendent aussi l’énergie
qui se dégage de la scène : dévoration des flammes, panique des populations et jubilation de la
conquête se retrouvent dans cet emportement de l’expression. Comme le feu, la phrase,
particulièrement longue, progresse malgré les obstacles et se nourrit d’elle-même. La
surenchère, la précision et l’ajout de détails sont aussi les marques de l’enthousiasme du
narrateur. Le risque de la fragmentation du texte est ainsi vite réduit par l’ardeur de la narration.
Béalu défend lui aussi une écriture du rêve suffisamment affranchie de l’impératif
d’authenticité pour s’autoriser à combler les lacunes de la mémoire par les fantaisies de
l’imagination :

Un rêve interrompu donne la sensation d’un circuit coupé, d’une


communication qu’il est, hélas, impossible de rétablir. Combien de fois me
suis-je réveillé, cœur battant, au comble de l’effroi, ou, au contraire, ayant
encore aux lèvres le sourire des délices inachevées. Conservant du rêve la
lancée merveilleuse, après en avoir reconstitué, comme d’un puzzle, les
fragments, j’essayais alors, non de rétablir l’impossible contact avec l’autre
monde (comment désigner autrement cet empire voisin et si lointain ?) mais de
poursuivre jusqu’en ses aboutissements, dans une entière liberté de pensée,
toutes les conséquences du message interrompu. (VR, 21)
Dans le récit de rêve qui a précédé ce commentaire, le personnage a croisé « Madame
Bordure », « le fils à Piquet », « les sœurs Lisière » et le « grand-père Borne », autant de
manifestations de limites mais qui ne parviennent pas à canaliser la course du rêve. Plus qu’une
aventure, le rêve est une énergie, une dynamique qui doit animer le texte.
L’analogie posée entre fiction et rêve autorise l’auteur à compléter le rêve, au souvenir
lacunaire, par la fiction.

Longtemps, en guise de journal, j’ai noté en me réveillant des bribes de


rêves, me répétant que cela n’avait aucun sens. Il m’aurait fallu fabuler pour les
achever ou leur trouver un début. Il n’était pas très difficile d’en composer de
vrais récits. Aujourd’hui, plus souvent, la nuit, dans le secret, enfante l’aube
aux doigts de lilas. Le rêve s’est effacé sans qu’il m’ait été possible d’en retenir
une seule bribe. Chaque jour recommence et parfois peut prendre le visage
même du rêve oublié. (VR, 135)

392
L’adjectif épithète « vrais », qui vient ici qualifier le substantif « récits », même s’il active le
sème de réalisation plus que de réalité, révèle combien l’invention et le souvenir se renforcent
l’un l’autre. L’essentiel est plus d’assurer la cohérence que la fidélité de l’expérience. Le
principe est mis en pratique dans « Le parfum dans l’ascenseur » (VR, 30-32). Réminiscence de
Gaston Leroux ou fantasme, le récit rapporte la poursuite par le rêveur d’une « dame en noir »
au parfum envoûtant et qu’il finit par identifier comme sa première épouse.

Ce récit est typique de ceux que j’écrivis durant de longues années et


rassemblai sous le titre Mémoires de l’ombre. La fin seule, on l’aura deviné,
appartient au rêve. J’inventai le parfum (vécu, lui) pour équilibrer le récit,
rassembler des bribes éparses dans mon souvenir, au réveil. Le déclic, qui
permit à l’imagination d’entrer en scène en amalgamant la vie, le rêve et
l’invention. (VR, 31-32)
L’attention de l’auteur est partout portée sur la composition : il lui importe d’avoir un récit
« équilibré », bien construit, et tant pis si l’authenticité doit pour ce faire être négligée. Chez
Frédérick Tristan, un récit pour le moins minimaliste peut se présenter comme une énigme ou
une histoire à continuer par le lecteur.
74

Il se précipite vers moi, les yeux hagards. « Les cerfs, les chevaux et les
taureaux de Lascaux se sont échappés ! » (BR, 88)
Comme le narrateur d’À la recherche du temps perdu qui se réveille en n’ayant plus en tête que
les mots « Francis Jammes, cerf, cerf, fourchette67 », l’auteur ne laisse qu’une phrase,
fulgurante. En deux phrases, il esquisse une amorce d’intrigue. Au lecteur d’imaginer le reste.
Plus structurés, plus denses, les récits oniriques sont aussi rédigés dans un style plus
animé et expressif. Loin de s’en tenir à la neutralité déclarative, ils donnent à lire une prose
vivante, traversée par les affects et rythmée par l’émotion. « Le lac près de l’Opéra » expose la
façon dont Michaux peut tirer parti de l’efficacité narrative du récit de rêve tout en le colorant
d’une nuance affective. L’entrée en matière pose le décor de façon on ne peut plus efficace, par
une simple locution prépositionnelle, comme une didascalie. Le premier paragraphe, voué à
l’installation du cadre narratif, reste assez mesuré avant la survenue d’un sentiment de surprise
vivifiante dans la suite du texte.

En promenade. À partir de la place de l’Opéra, où quelque autobus a dû me


transporter, faisant quelques pas dans une rue médiocre, qui en traverse une
plus large, je me détache progressivement des grandes artères et des boulevards
dont j’entends encore faiblement la rumeur s’amenuisant… Soudain je
débouche sur une vaste étendue d’eau dont je ne fais qu’entr’apercevoir l’autre

67
Marcel Proust, Sodome et Gomorrhe, A la recherche du temps perdu, éd. Jean-Yves Tadié, Gallimard,
coll. « Bibliothèque de la Pléiade », t. III, 1987-89, p. 159.

393
rive dans le lointain, avec ses baies, ses plages, ses criques, ses villas éparses
ou groupées.
Comment ! Un lac ! Si près de l’Opéra ! Je n’en reviens pas.
Il est vrai que je prends souvent les mêmes autobus, sur les mêmes trajets,
un peu en maniaque, qui n’accepte pas d’être longtemps détourné de sa vie
propre. Tout de même ! À ce point ! C’est impardonnable ! Depuis des dizaines
d’années que je vis à Paris… Enfin, je l’ai trouvé. Et cet horizon ! Justement ce
qui manquait à cette capitale un peu usée… et sans chercher détails et
explications, je me laisse envahir et gonfler de la joie inespérée. Quel avenir !
Une existence nouvelle va commencer. (FEFE, 482)
La succession des courtes exclamatives, chargées de transcrire la pensée du rêveur, vient agiter
le rêve à partir du deuxième paragraphe. Cette intrusion du monologue intérieur dans le récit
donne lieu à une prose très rythmée, qui tranche avec les froids compte rendus de la partie
« Transformations », et surtout avec l’anaffectivité pourtant revendiquée dans « Les rêves et la
jambe ». Michaux joue d’une fausse sérénité en soulignant avec humour l’incongruité de ce lac
en plein Paris, peut-être un souvenir de lecture du Fantôme de l’Opéra de Gaston Leroux. Le
rêve ouvre ainsi sur un lieu atopique, en même temps qu’il s’en amuse.
Dans « Les noyés de Venise », la vivacité du récit est assurée par des effets stylistiques
d’insistance.

À perte de vue, des têtes emportées, des têtes à la peau pâle.


Est-ce à ce moment que j’ai fait un signe à l’homme de barre, le signe
« fonçons », ou seulement l’a-t-il ainsi interprété ?
Ce fut un redoublement soudain d’emportement. Une vague énorme comme
un rasoir gigantesque, comme un double rasoir gigantesque, à notre gauche, à
notre droite, écarta d’une tape souveraine, repoussa tout ce qui sur l’eau se
présentait dans notre voisinage.
Haute, brusquement soulevée, cette double vague semblait retirée de la
lagune pour nous suivre, nous faire cortège, nous accompagner et loin encore
derrière nous se produisant théâtralement et s’étalant elle donnait pour personne
et pour n’importe qui un spectacle toujours grandissant et inutile et gratuit, sorte
de manteau impérial démesuré et bruissant, qu’on laissait derrière nous et qui à
mesure qu’on s’éloignait davantage et qu’on l’abandonnait, grandissait encore.
(FEFE, 493)
Comme dans « La nouvelle guerre de Jugurtha », le texte prend des airs épiques. La narration,
au passé simple, multiplie les figures d’insistance : la vague, déjà « énorme », grossit encore
avec l’épanorthose qui la voit comparée à un « double rasoir gigantesque », puis déferle en une
énumération d’infinitifs, rythme ternaire ordonné en gradation. L’emportement de la narration
cède toutefois bien vite devant l’humour macabre du paragraphe suivant :

Les têtes des mourants, quand on passe dessus à toute vitesse, c’est
beaucoup moins impressionnant et gênant que si l’on se déplace lentement
parmi elles. C’est plus sain. Sans doute ce que voulait dire le maître de
l’embarcation, qui, ne le pouvant à cause de l’incessant bruit crépitant du
moteur, néanmoins me le communiqua sans qu’aucun son distinct m’atteignît,

394
par sa bouche largement ouverte aux dents très blanches, qui respirait une
grande satisfaction. (FEFE, 493)
On sent la jubilation de l’auteur à recourir à l’humour noir. Le texte retrouve ainsi l’aspect
fragmentaire caractéristique du rêve, non dans sa structure mais dans le mélange des tons, très
abrupt, et dans le contenu représenté. Le zoom final sur le sourire de Joker ou de chat de
Chesterfield, ajouté au démembrement des corps flottants, opère un grossissement
carnavalesque et un décrochage du réel. Cette pantomime du rêve, où corps et esprit sont
dissociés, rappelle le style « morceaux d’homme » loué par Michaux ou des images de poupées
de Belmer. Les effets de dramatisation et d’insistance impriment au texte la marque de la
présence ostentatoire de l’auteur. Par ce travail du style et du récit, celui-ci reprend la main sur
son texte et transmet au lecteur le plaisir de la narration.

Instabilité et variations énonciatives


Avec la mise à distance de l’impératif d’authenticité, l’énonciation du récit onirique
évolue et l’emploi de la première personne du singulier, si elle reste majoritaire, n’est plus
systématique. La triple identité auteur-narrateur-personnage, gage de sincérité dans le récit
autobiographique, et en usage dans les récits de rêves, se trouve ainsi distendue au profit d’une
narration moins en prise avec les enjeux biographiques.
Dans « Le jaguar endormi », Michaux use de la troisième personne, brisant ainsi
l’identification entre narrateur et personnage.

Un jaguar dans le chemin. On lui tire une balle dans sa gueule ouverte, mais
seulement une balle endormante. On ne veut que passer. Sans plus. On va
passer. Il retombe inanimé, absent mais tout de même là, toujours là, qu’il
faudra surveiller du coin de l’œil, rendu inoffensif mais à condition de veiller.
(FEFE, 490-91)
Dans ses « remarques », le poète commente la préposition « dans le chemin » avec minutie
mais ne relève pas l’usage du pronom indéfini qui dilue subtilement l’identité du narrateur-
personnage dans l’indistinction du groupe. Il passe pourtant progressivement au « nous », puis
au « je » :

Ce n’est pas tout à fait cela. Car tandis que nous poursuivons notre
progression en avant, plus loin je le rencontre à nouveau sur le chemin,
d’ailleurs gisant, pas réveillé, sans que sur le moment cela paraisse anormal ou
bizarre ou matière à réflexion. (FEFE, 491)
Si l’objet de l’attention est tout à fait net, la conscience rêvante, focalisation du récit, l’est
moins, et c’est comme si, gardant l’œil sur le jaguar, elle opérait une sorte de mise au point
progressive sur elle-même. Trop préoccupée par le sentiment de « péril », dont il est question

395
quelques lignes plus loin, la perception de soi est suspendue pour un moment, jusqu’à
s’estomper derrière un « on » généralisant.
Le recueil de Michaux joue de l’alternance et de l’instabilité de la situation
d’énonciation, tantôt située dans le rêve, avançant à tâtons et se laissant surprendre par lui
comme dans « La nouvelle guerre de Jugurtha » (FEFE, 483) ou « Examen en Chine » (FEFE,
487), tantôt placée dans la conscience vigile du réveil, adoptant alors le recul et la vue
surplombante de l’analyse comme dans « Une montagne dans une chambre ». Dernier rêve du
chapitre, rédigé à l’imparfait, ce texte débute par des considérations générales puis
interprétatives avant d’en venir au récit proprement dit.

Une nuit, je fus pris dans un rêve et il était complexe avec quantité
d’éléments différents, d’ordre minéral la plupart. Mais ils avaient tous une
certaine « tonalité », et unique que j’eusse reconnu parmi tous les autres, car à
sa façon à lui ce rêve était contemplatif, venu – ou revenu – aux premières
heures du jour, il grandit en moi quelques temps, probablement sans que j’y
fisse attention, car il allait répétant à sa manière minéralière les heures extasiées
que j’avais vécues cette nuit. Ce qu’il montrait était matière et terre et horizons !
Un étranger qui l’eût pu percevoir directement n’y aurait vu qu’orographie, à
quelques points près. (FEFE, 495-96)
Le contenu du rêve – la vision d’une montagne – ne vient que bien après ces lignes consacrées
au commentaire esthétique et symbolique. Le lecteur ne découvre le contenu du rêve qu’après
avoir été averti de sa signification : « Mais pour moi, que ce fut l’amour, notre amour, c’était
indubitable » (FEFE, 496). Une fois n’est pas coutume, Michaux ne laisse pas le lecteur entrer
dans le rêve sans ménagement et préfère adopter d’abord le point de vue de l’éveillé. Il canalise
la lecture et les pistes interprétatives en imposant au lecteur sa propre clé. Cette organisation du
texte, à rebours du rêve, puisqu’elle en retarde l’énoncé, ne fait que renforcer l’attente, et l’effet
d’émerveillement devant l’objet onirique, alors chargé de toute son épaisseur symbolique.

Tout allait cependant à rendre l’admirable, à rendre ce qui avait fait mon
admiration et m’avait fait connaître les frontières de mon être, l’admirable
douceur, l’admirable finesse, l’admirable beauté, l’admirable tendresse,
l’admirable plénitude, l’admirable union, l’admirable rencontre ni l’admirable
destin qui nous avait fait nous rejoindre. (FEFE, 496)
L’anaphore de l’adjectif « admirable » insiste davantage sur l’émotion esthétique produite par
le rêve, que sur son contenu. En adoptant le point de vue de l’éveillé, Michaux met l’accent sur
l’effet du rêve, qui se prolonge dans le réel, et dans l’écriture.
On trouve, dans La Vie en rêve, beaucoup plus d’exemples de récits rédigés à la
troisième personne. « Noémie nocturne » (VR, 20-21) passe pour un conte fantastique,
« L’étrangleur » (VR, 45) ressemble à une légende urbaine, « Le cœur planté » (VR, 71) prend
des accents de récit d’horreur. « Envers et endroit de l’être » (VR, 73) est une étiologie

396
métaphorique, « Cheval aveugle » (VR, 75-76), rêve rapporté par une amie, est reproduit sous
la forme d’une description et « Torts réciproques » (VR, 82) adopte la forme d’un récit
d’évocation dont la compréhension reste peu assurée. Ces variations forment un recueil
hétéroclite dans lequel les souvenirs sincères se cachent derrière les narrations les plus
fantaisistes, laissant au lecteur une impression de jeu généralisé avec les codes du récit de rêve.
Alors que, dans les exemples étudiés aux chapitres précédents, il est fréquent de voir les
récits s’ouvrir sur le pronom « Je », posant ainsi d’emblée à la fois de point de focalisation,
l’énonciation et le personnage principal du récit, on observe, dans les textes de Frédérick
Tristan, que l’apparition du « je » est différée. Dès le deuxième texte du recueil, la narration
joue de ce retard de l’identification, tant du narrateur que du personnage :

Enfin, il va arriver ! On l’attend depuis si longtemps. Dès les premières


heures du jour, les gens se sont massés sur les trottoirs et discutent entre eux. À
qui ressemblera-t-il ? certains disent que ce sera un beau jeune homme ;
d’autres prétendent qu’il ne peut être qu’un vieillard. On se dispute un peu pour
faire patienter le temps, tout en observant le bout de l’allée où il doit apparaître.
Aura-t-il endossé le costume des dimanches ou, plus simplement, la vareuse de
l’artisan ? Non, non ! Vous n’y pensez pas ! Ce n’est ni un aristocrate, ni un
bourgeois, encore moins un ouvrier ! C’est une espèce d’ange. Il descendra du
ciel en parachute. Vous n’y êtes vraiment pas ! Il sera en voiture découverte,
escorté par des motards, et saluera la foule, enverra des baisers. Bah, quelle
sottise ! Il arrivera à bicyclette. Un vrai maillot jaune. Et moi, envahi par ce
brouhaha, je me tourne et retourne dans le lit. Je l’ai trop attendu. Hier encore,
dans cette gare. Les trains passaient en de longs hurlements, ne s’arrêtaient
jamais. Maintenant, je n’y crois plus. (BR, 10)
Tout le texte est construit sur l’attente d’un personnage énigmatique. Les hypothèses sur son
identité et son allure se succèdent au style indirect libre, faisant ainsi entendre les voix d’une
foule anonyme, mais masquant totalement celle du narrateur. La focalisation est mouvante,
passant de l’un à l’autre des témoins de la scène sans se fixer sur la position du rêveur dans sa
singularité. Ce n’est qu’à la fin du texte que le rêveur apparaît et reprend le dessus sur la
narration, mais il est alors sorti de la scène énonciative interne au rêve. Revenu dans les draps
de son lit, c’est le dormeur sorti de l’illusion onirique, et non le rêveur, qui clôt le texte.
D’autres exemples font entièrement sortir le rêveur de la scène d’énonciation,
transformant par là-même les récits de rêves en saynètes :

71

« Jésus Marie ! » se lamente cette femme en se tordant les mains en signe


de désespoir. « Ce n’est rien, explique sa voisine. Elle perd toujours le Joseph. »
(BR, 85)

397
138

« Écoutez ! Écoutez ! » Le mahatma Gandhi traverse la cour en boitillant et


s’écrie : « Pauvre gens, taisez-vous ! Il n’y a rien à entendre. » (BR, 157)
ou en exposé de sciences naturelles, comme dans l’« extrait de la confession publique du
professeur Farinelli à l’Académie des sciences » (BR, 179) qui est reproduit au rêve n° 158.
Beaucoup de textes commencent de façon très abrupte, mais sans installer de point de
vue particulier ni faire apparaître aucun rêveur. Ainsi du rêve n° 79, qui interroge : « Qui a déjà
vu au fond des eaux le dragon feuillu ? » (BR, 95) et décrit un animal que personne n’a jamais
rencontré, pas même en rêve. Ou du rêve n° 92 dans lequel un « homme sans nom […] parcourt
le monde, mendiant une identité que personne ne pourra jamais lui donner » (BR, 109) et semble
interdire du même coup qu’un narrateur puisse être identifié. Ces rêves portent ainsi en eux leur
propre limite et peuvent prendre pour objet une situation de communication empêchée comme
dans cet exemple où le personnage, muet, reste dans l’anonymat d’un pronom de troisième
personne68 :
62

Il tente de s’exprimer et n’y parvient pas. Ses lèvres ont beau frémir, aucun
son ne sort de sa gorge. Il fait des gestes désespérés. Ce qu’il veut annoncer est
d’une gravité, d’une urgence exceptionnelles. Que comprendre ? De guerre
lasse, il cesse sa pantomime, tire un immense cigare de la poche intérieure de
son manteau, et l’allume avec une visible satisfaction. Sa mission est
accomplie, n’est-ce pas ? (BR, 75)
Les récits oniriques recouvrent donc une variété de situations énonciatives dont ne disposent
pas les récits de rêves. Celle-ci s’accompagne d’une certaine dissipation du point de vue, dans
la mesure où il n’est pas toujours évident de repérer l’identité du rêveur, ni même de savoir si
quelqu’un rêve bel et bien la scène... Autant la focalisation sur un narrateur endormi, fût-il non
conscient de son état, était une condition sine qua non du récit de rêve, autant le récit onirique
se satisfait très bien d’une impression ou d’une fiction de rêve.

68
Le recueil de Frédérick Tristan offre de multiples exemple de récits à la 3e personne, qu’il serait fastidieux
d’analyser dans le détail. Par souci d’exhaustivité, on se contentera donc de renvoyer à leurs numéros : 28, 33,
106, 115, 129, 149, 150, 159, 161, 167, 181, 194, 195, 197, 198.

398
Seuils et composition
Les récits oniriques de Michaux, Béalu et Tristan, s’ils ne cherchent pas tous à
reproduire des rêves véritables, témoignent d’une grande attention portée à la composition des
textes et à leur structure. Si, chez les surréalistes, le rêve est marqué par un aspect fragmentaire,
ne tirant son unité que des limites de la conscience ou de la mémoire, il trouve, avec Paulhan,
un sens interne plus complet.

Un rêve n’a pas de commencement, mais ceux-ci s’arrêtaient lorsqu’ils


étaient près de se résoudre en un sentiment pur, et satisfaisant au point qu’il n’y
avait plus besoin d’images. (PT, 145)
Amorce estompée et fin suspendue, les seuils du rêve y sont aussi escamotés, mais sans que
cela ruine le noyau de sens qui confère sa valeur au rêve.
L’« effort de composition69 » qui porte sur les narrations est particulièrement perceptible
aux seuils des récits, plus circonscrits, plus encadrés que les narrations abruptes du modèle
surréaliste. Le procédé n’est pas systématique mais Michaux, Béalu et Tristan soulignent plus
explicitement l’ancrage nocturne des aventures qu’ils rapportent dans ces recueils. Si, dans ses
romans, Frédérick Tristan estompe davantage les contours des passages de rêves ou de délires,
ses courts récits peuvent, au contraire, les exposer.

Cauchemar. Il paraît qu’un ami trop empressé m’a présenté dans un cénacle
dont je n’ai aucune envie de faire partie. Effervescence sur les bancs de l’illustre
assemblée ! « Votre candidat est franc-maçon, juif, communiste et surtout,
surtout, il n’a jamais écrit une ligne de son œuvrette. C’est un nègre blanc, une
folle, un objet rampant non-identifié ! » Je m’éveille assez satisfait de ce verdict
qui m’honore. (BR, 176)
L’annonce d’entrée de jeu du cauchemar renforce le comique de la suite en exacerbant
l’opposition entre le rêveur et les membres du groupe tout en en désamorçant la violence. Elle
permet de prendre une distance salutaire avec les insultes qui sont proférées dans la suite du
texte et de les lire avec l’ironie qui s’impose. La clôture du texte, sur le réveil, fonctionne
comme la chute d’une histoire drôle. La requalification en termes positifs du flot d’insultes qui
vient d’être déversé sonne comme une pointe.
De même dans le premier récit de La Vie en rêve ; où Béalu délimite clairement les
seuils de l’endormissement et du réveil.
Le chef d’œuvre inconnu

Avant de m’endormir, je lis le petit livre de Léautaud Propos d’un jour. En


rêve, je reprends et continue ma lecture. Et voici qu’une admirable page de
Jouhandeau, à propos des Pincengrain, me remplit d’enthousiasme au point que

69
Henri Michaux, « Recherche dans la poésie contemporaine », OC I, p. 974.

399
je la relis, l’apprends presque par cœur. Là-dessus, je me réveille. Cette page
dont chaque expression fulgure encore dans ma mémoire (et qui, naturellement,
n’est pas de Léautaud) par qui fut-elle écrite ? inutile d’ajouter qu’au matin,
après un second sommeil, il m’est impossible d’en transcrire un seul mot. (VR,
16)
L’intertextualité et la communion des esprits d’écrivains ne se doublent pas d’une confusion
des univers onirique et éveillé. Au contraire, ceux-ci sont nettement délimités, au point que le
texte rêvé ne pénétrera jamais le monde de la veille auquel appartient la véritable écriture, pas
même à la faveur de la prétérition finale.
Nombreux sont les récits de Béalu ou de Tristan qui s’achèvent sur le réveil. Cette issue
est aussi, pour Tristan, l’occasion de dissocier le cadre de la narration et l’univers onirique. Le
rêve n° 67 est ainsi consacré au discours d’un « vieil oiseau de nuit » s’apitoyant sur son sort,
abandonné dans un grand magasin. Alors qu’il déverse sa plainte, le narrateur coupe son
discours logorrhéique en mettant fin au rêve : « Je ne l’entends plus. Je le laisse à ses propos de
vieux rapace. Je quitte le rêve à grand fracas. » (BR, 81) De même, assailli par un personnage
qui « entame l’un de ces monologues qu’[il] ne peut[t] l’empêcher de déverser en moi comme
un poison », le narrateur cherche à reprendre le dessus : « Je tente de me lever afin de chasser
cet ignoble opportun, mais je demeure entortillé dans les draps, si bien que mon seul recours
est de hurler comme un loup – ce qui m’éveille. » (BR, 97) Même scénario pour le rêve n° 103 :
« Un inconnu entre dans le sommeil du narrateur pour déverser son flot d’absurdités. « Il tente
de virevolter et s’écroule. Stupide, je passe le reste de la nuit à me demander ce que sa tirade
signifie. » (BR, 121). La séquence se répète ainsi de la même manière : l’espace narratif du récit
de rêve, envahi par le discours exubérant d’un étranger, contraint le narrateur à sortir du rêve
pour mettre fin à cette intrusion.
Topos du genre, cette fin par le réveil qui pouvait, chez d’autres, être une sorte
d’avortement de l’intrigue, ou au contraire un éclatement de l’angoisse, est fréquemment chez
eux traitée comme une chute, avec la force de décharge qui la caractérise. Les récits oniriques
sont souvent construits comme des histoires drôles ; ils cultivent tout du long une syllepse de
sens pour ne la faire éclater qu’à la dernière ligne. C’est le cas dans cette Brève de rêve, où deux
réseaux interprétatifs progressent parallèlement. La signification évidente glisse vers un
dévoilement du sens inattendu.

Pendant mon sommeil, une délégation de footballeurs vient me rendre visite.


Ils tiennent absolument à ce que je vienne jouer en leur compagnie. Comme je
leur explique mon inaptitude à ce genre d’exercice, ils se précipitent sur moi,
me tirent hors du lit et, bien que je sois entièrement nu, m’obligent à sortir dans
la rue. Un instant plus tard, nous arrivons dans un stade où une foule énorme
s’agite sur les gradins en scandant mon nom. L’arbitre se présente à moi. C’est

400
un vieillard à la poitrine couverte de décorations. Il porte un chapeau haut de
forme. Il me félicite. « Sans vous, que serions-nous devenus ? » J’ai beau tenté
de faire comprendre qu’une erreur a été commise, me voilà au centre du terrain
sans que personne ait songé à me vêtir. Les deux équipes se font face. Au coup
de sifflet, je comprends que c’est moi le ballon. (BR, 187)
Malgré les difficultés rencontrées au fil de la lecture pour assurer la cohérence sémantique de
l’ensemble, le scénario initial parvient à se maintenir jusqu’à la chute. Ni la violence des
joueurs, ni l’accoutrement de l’arbitre, ni la nudité du rêveur, ni surtout son incompétence ne
perturbent l’interprétation première. La décharge de la tension psychique, encore dramatisée
par le coup de sifflet, n’en est que plus forte. La chute arrive ainsi comme un élément de
réévaluation de l’ensemble, qui ajoute au comique qui précède.
Si l’on reconnaît là une composition comparable à celles mises au point par Alphonse
Allais, que Umberto Eco a bien analysées70, la mise en place d’un univers onirique, assurée dès
l’ouverture du récit, ne fait que faciliter encore le subterfuge. En effet, dans ce monde du « tout
est possible », l’incohérence heurte d’autant moins le lecteur. Le seuil de tolérance s’y voit
rehaussé, et l’incrédulité d’autant plus suspendue par cette mise en condition psychique. Le jeu
de la focalisation interne, naturelle dans le récit de rêve, permet de masquer la supercherie et la
fait fonctionner à plein régime.
Ainsi, les textes de Michaux, comme ceux de Béalu ou de Tristan, relèvent bien d’un
« style rêve », mais le débordent constamment, rendant finalement ces productions hybrides
définitivement inassignables bien que nouées à la problématique nocturne. On assiste
simultanément à l’inscription du texte dans le cadre du rêve et à son immédiate infraction : des
éléments extra-oniriques viennent perturber une lecture strictement onirique, d’autre
paramètres, narratologiques ou thématiques, sont détournés.

70
Umberto Eco, Lector in fabula (1979), Grasset, 1985.

401
6.3.2. LA PART DU COMMENTAIRE

Faire entendre la voix de l’auteur : polyphonie du commentaire


Les réflexions des écrivains en témoignent, le rêve, avant même d’être narré, est
considéré comme une langue étrangère. Par des biais de représentation tenaces, le récit de rêve
est perçu comme l’exemple type du texte polysémique, plurivoque, énigmatique, qui fonctionne
comme un appel de sens et requiert donc des opérations d’interprétation, d’exégèse, de glose,
de déchiffrement, bref, de commentaire. Avant d’y être confronté, le lecteur d’un récit de rêve,
authentique ou non, est ainsi disposé à le considérer comme obscur.
Paulhan, Michaux et Béalu accompagnent leurs textes de commentaires et construisent
ainsi leurs recueils, non par la simple juxtaposition de textes oniriques mais par un aller et retour
constant entre récit du rêve et retour à la veille. Les descentes et remontées régulières dans les
eaux du rêve, entre apnée et reprise de respiration, scandent la lecture des recueils. De façon
très significative, ceux-ci ne s’ouvrent pas sur une narration de rêve abrupte ; ils ménagent tous
un seuil d’entrée dans l’univers onirique. Le Pont traversé commence par un texte en italiques,
qui donne à entendre la voix d’un narrateur vite assimilé à l’auteur ; la Vie en rêve débute par
la remémoration du sentiment de vacuité de la vie éveillée face à la plénitude du rêve, Façons
d’endormi, façons d’éveillé par une interrogation sur la nature – audible ou visible – des rêves.
Aussi le commentaire y assume-t-il clairement une fonction d’encadrement qui doit à la fois
accompagner le lecteur dans sa descente vers le rêve et protéger l’objet onirique.
Une première manifestation de cette structure encadrante apparaît dans les titres donnés
aux récits oniriques. Avec le commentaire, ils assument une opération de découpage d’un
continuum onirique, plus perceptible dans les recueils de Paulhan et de Béalu, et confèrent aux
récits une unité à la fois thématique, sémantique et structurale. Surtout, ils préparent un horizon
d’attente. Alors que le lecteur des récits de rêves publiés dans La Révolution surréaliste ou dans
Nuits sans nuit et quelques jours sans jour devait entièrement construire son interprétation, faire
lui-même le tri des informations principales et secondaires, retrouver au besoin la ligne
directrice d’un récit sans horizon, il est ici guidé par un titre qui soutient au moins son attention,
sa mémoire, et organise la saisie des éléments les plus significatifs. Réécriture minimale et
marque de la reprise du texte par son auteur, le titre, en venant remplacer les indications de lieu
et de date, infléchit sensiblement la réception du texte du côté de la fiction et instaure une
attente, propice à ménager une tension narrative.
Dans La Vie en rêve, le titre « L’étrangleur » (VR, 45) accentue la tension narrative et
prépare le faux dénouement du texte – entre fantasme d’intrusion et agression et véritable –,

402
« La sublime mélodie » (VR, 48) joue déjà de l’antithèse entre silence et musique et met en
valeur la chute du récit sur le surgissement de la mélodie russe ; « Le dernier vol » (VR, 66)
annonce dès avant la lecture du rêve son interprétation en adieu au monde. Les titres ont ainsi
une fonction de soutien à la lecture et d’amorce d’interprétation, dans la mesure où ils orientent
déjà la saisie des éléments oniriques. Ils opèrent pour ainsi dire une concentration du contenu
diégétique, et donnent une unité qui, autrement, pouvait échapper complètement au cadre du
rêve.
Michaux, s’il ne fait pas systématiquement précéder ses récits de rêves d’un titre (les
exemples ne sont pas distingués du commentaire dans les chapitres « Le rideau des rêves »,
« Tempérament de nuit » et « Réflexions »), travaille particulièrement ce point dans ses recueils
des années 1930, La Nuit remue et Plume, afin de brouiller les pistes sur la véritable nature des
textes. Alors que « La nuits des assassinats », initialement publié en série avec deux autres
textes sous le titre « Trois nuits » et sous-titre « scénarios de cauchemars », indiquait clairement
la référence nocturne, « L’arrachage des têtes » le sort de ce contexte pour en réorienter la
réception dans une saisie moins teintée de rêve. Les textes conservent l’éclairage onirique mais
se détachent largement de l’esthétique du récit de rêve. De même pour « Les yeux fermés »
renommé « Le sportif au lit » : le texte joue du contexte onirique pour se laisser aller à la
fantaisie mais sans suivre le schéma du récit de rêve. Aussi, malgré le rappel constant du
contexte nocturne et fantasmagorique, il se laisse plutôt lire comme une suite d’hallucinations71
dont le narrateur parvient à s’étonner : « Il est vraiment étrange que, moi qui me moque du
patinage comme de je ne sais quoi, à peine je ferme les yeux, je vois une immense patinoire72 »,
commence le poète pour compléter plus loin : « Comprenez-moi bien, à peine ai-je les yeux
fermés que me voilà en action73 », et surenchérir « à peine ai-je les yeux fermés, voilà qu’un
gros homme est installé devant moi à une table74 ». Paradoxalement, le rappel constant du
contexte nocturne vient contrer l’effet d’adhésion au rêve. Les titres des récits oniriques
s’imposent ainsi comme la marque discrète mais ferme de l’auteur ressaisissant son rêve en un
texte qu’il adresse à un lecteur et dont il dirige, de loin, la lecture.
L’enchevêtrement de récit et de commentaire confère à ces narrations oniriques une
forme inédite et, comme le remarque Michel Murat, difficile à qualifier.

71
Je renvoie sur ce point aux analyses de Fanny Déchanet-Platz, L’Écrivain, le sommeil et les rêves, Gallimard,
coll. « Bibliothèque de l’inconscient », 2008, p. 287-288.
72
Henri Michaux, « Le sportif au lit », La Nuit remue, OC I, p. 426.
73
Idem.
74
Idem.

403
Les récits de Paulhan n’adhèrent à aucune forme canonique. Ce ne sont pas
des romans […] Ce ne sont pas des nouvelles : Paulhan aurait pu renouveler le
genre comme l’a fait Morand, mais il ne s’y attache pas. Ses récits sont trop peu
nombreux pour faire genre, trop longs (le Guerrier) ou trop courts (les Causes
célèbres), trop décalés (L’Aveuglette, ou Le Pont traversé, qui est à la fois
nouvelle et séquence de récits de rêve). Ils ne sont pas fermement ancrés dans
la fiction, mais tiennent plutôt de l’autobiographie transposée ou poursuivie par
d’autres moyens75.
N’entrant dans aucun cadre, ni celui des genres, ni celui des régimes d’énonciation (fictionnel
ou non), les textes de Paulhan semblent ainsi échapper aux grilles de lecture et autres
classements et cartographies de la production littéraire, chers à la critique. Julien Dieudonné,
après Jean-Yves Tadié, reconnaît, dans ces courtes proses, des récits poétiques : « la brièveté,
la maigreur du raconté, à laquelle répond la transparence du personnel paulhanien, et la
dissolution de la durée au profit de l’instant révélateur promeuvent une poétique qui emprunte
au poème ses principes76. » Comme les récits de rêves surréalistes et leurs avatars, ces courts
récits sont aisément comparables à des poèmes en prose mais ce rapprochement demeure tout
aussi insatisfaisant pour le critique. En effet, il reviendrait à amputer le texte paulhanien de sa
partie de commentaire, laquelle le constitue pourtant aussi essentiellement que le récit en lui-
même.
Remarquant la place qu’y prend et qu’y joue le commentaire, Julien Dieudonné propose
d’envisager les récits de Paulhan comme pris en tension entre deux pôles : la poésie d’un côté,
l’essai de l’autre ; « la glose n’est ni explicitation, ni élucidation du mystère du récit, mais son
approfondissement, la face à peine plus claire qui fait sa nuit éclairante77 », analyse-t-il.

Dans cette fusion inédite du narratif et du discursif, que son lieu soit le récit,
pensée d’une aventure, ou l’essai, aventure d’une pensée, l’écrit paulhanien se
révèle sans ascendance générique. […] Un genre qui empêcherait la distinction
nette entre essai et récit, à l’intérieur des frontières d’un seul ouvrage comme
entre ces ouvrages mêmes, promouvant une circulation incessante dont atteste
la « petite aventure nocturne », tour à tour épisode de La Peinture cubiste, du
Clair et l’obscur et de L’Introduction à l’on-ne-sait-quoi, source directe de
Mauvais sujet. Un genre enfin qui rassemble essais et récits dans l’exercice
d’une voix inimitable, d’une écriture, qui est la seule solution (pratique et non
linguistique) au problème du langage autour duquel chacun de ces petits livres
ne cesse de tourner78.
Julien Dieudonné souligne combien, dans l’œuvre de Paulhan, la pensée circule et adopte tour
à tour l’inflexion de la narration ou de la réflexion. Aussi faut-il bien prendre garde de ne pas

75
Michel Murat, « Progrès en roman assez lents », colloque en ligne Paulhan et l’idée de littérature, Clarisse
Barthélémy (dir.), fabula. En ligne à l’adresse : https://www.fabula.org/colloques/document1712.php. [consulté le
14 octobre 2019]
76
Julien Dieudonné, Les Récits de Jean Paulhan, op. cit., p. 402.
77
Ibid., p. 423.
78
Idem.

404
dissocier récit et commentaire mais de les penser dans la continuité l’un de l’autre. Si
l’alternance de ces deux régimes énonciatifs interrompt rythmiquement l’un ou l’autre, et
participe à conférer une unité à chaque segment de rêve ou de commentaire ainsi formé,
l’ensemble se lit également comme une suite continue, qui se développe non seulement dans
l’ensemble du recueil, mais même au-delà, dans l’ensemble de l’œuvre. L’un prend le relais de
l’autre pour poursuivre le rêve dans l’activité réflexive de la veille, et l’autre prend le relais de
l’un pour illustrer par le rêve ce que la pensée éveillée a pu échafauder.
Il en est de même chez Michaux. Façons d’endormi, façons d’éveillé organise
l’alternance entre commentaire et narration de diverses manières. Dans les chapitres « Le rideau
des rêves », « Tempérament de nuit » et « Réflexions », le récit de rêve est intégré comme
exemple à une démonstration qu’il illustre. L’auteur expose le fonctionnement du rêve en
général et, à l’occasion d’exemples particuliers, en décortique la motivation singulière dans une
glose qui tient davantage de la contextualisation que de l’interprétation. Le premier exemple de
rêve est ainsi commenté deux fois dans le premier chapitre. La première fois, il vient
simplement illustrer l’argument qui le précède : l’absence de surprise dans le rêve, où l’on peut
vivre une situation inattendue sans étonnement particulier, « mais [avec] une surprise
acceptable et non pas […] un type de surprise qui serait inadmissible » (FEFE, 448-49).
Michaux se voit alors en rêve vendu comme esclave précepteur pour enfants dans une colonie.
Quelques pages plus loin, il revient sur les raisons qui, dans sa vie éveillée, ont pu le mener à
s’imaginer dans une telle situation.

Dans la journée, je me suis fait avoir par un raseur, revenant à la charge afin
que je laisse mettre mon nom au bas de je ne sais plus quelle liste ou appel
collectif. Je me suis mal défendu. Je m’en veux. J’ai perdu mon indépendance.
Le rêve, reprenant cette indépendance perdue (un rêve, ça prend tout à la lettre),
me fait marcher (ou le rêveur me voit marcher) enchaîné avec d’autres captifs.
Ou bien me fait-il la leçon, me montre-t-il à quoi on arrive lorsqu’on est sans
volonté ? Mais je le sais aussi bien que lui. Le rêve, ou disons plutôt le rêveur,
me continue seulement, traduisant ce mince inconvénient par « esclave », dans
des chaînes réelles, que j’ai aux pieds, et dans le seul pays où sévit encore
l’esclavage, quelque part dans le Mozambique. (FEFE, 451)
Cette explication, oscillant entre affirmations, recontextualisation, doutes et questionnements,
cherche à réduire l’étrangeté du rêve par la restauration d’un ordre logique et la présentation
d’assertions comme des évidences (« Je le sais aussi bien que lui »). L’auteur motive les choix
des éléments opérés par le rêve, mais que lui-même a choisi de rapporter, et oriente le sens
général.
C’est ce type d’analyses que l’on retrouve dans les deux sections « Quelques rêves,
quelques remarques » et « Transformations ». Les commentaires, systématiques, s’attardent sur

405
les liens entre la situation contextuelle dans la vie éveillée et les contenus des rêves, ou
s’appliquent à la « démétaphorisation » et la « démétonymisation79 » des récits exposés.
Michaux, en quelque sorte, confirme là l’hypothèse des « restes diurnes », développée par
Freud, mais en s’en tenant à un niveau assez superficiel, au passé immédiat des événements et
des émotions qu’ils ont fait naître, et sans rien délivrer de son histoire. « Mais pourquoi chercher
si loin et si personnel ? » (FEFE, 481) s’interroge-t-il, à l’occasion de l’interprétation du rêve
« La marche sous l’eau ». Le commentaire ne vise pas l’introspection, et se tient toujours
éloigné d’une exploration du désir, au sens psychanalytique du terme.
Aussi, et malgré le fait que le poète développe une approche du rêve comme traduction
– comme mise en images et en récit d’un substrat psychique non exprimé dans la veille80 –, le
commentaire, lui, n’est pas la traduction au sens interprétatif du récit qui le précède. Le système
de rebonds entre récit et commentaire peut certes prendre parfois des aspects mécaniques, le
poète établissant entre les « faits » et les « rêves » des liaisons d’équivalence sémantique et des
rapports logiques de cause à conséquence, mais il s’agit plutôt, pour l’auteur, de se réapproprier
une matière langagière et poétique qui pourrait lui échapper. En ce sens, le commentaire est
davantage la réécriture sur un mode discursif d’un contenu présenté ailleurs sur un mode
narratif. Il se donne comme un dispositif d’ « anormalisation81 » du récit onirique puisqu’il
nécessite l’intervention d’un commentaire pour en réguler la lecture.
Une première approche consisterait à voir dans ces passages une opération de
« délittérarisation82 » menée sur son texte par l’auteur lui-même. Texte-Janus qui proposerait
alternativement le rêve manifeste et son interprétation, vitrine du poème et atelier de l’artisan-
rêveur, figuration du rêve et « défiguration critique83 ». Attitude retorse de l’auteur qui voudrait
réduire tout en l’exhibant l’anormalité, la spécificité de cette expression et se réapproprier par
le commentaire ce que le rêve, comme procédé créatif subconscient, aurait pu lui voler.
L’ingérence de cette voix commentative redonne en effet de l’épaisseur à l’instance auctoriale,
niée dans l’approche surréaliste qui entendait lui substituer le rêve lui-même. Elle vient

79
Je reprends ici les termes de Florian Pennanech dans Poétique de la critique littéraire. De la critique comme
littérature, Seuil, coll. « Poétique », 2019.
80
« Des faits marquants sont restés en suspens, qu’il n’est pas permis de passer sous silence. Il faut donc les
remettre en rêve. Ce sera dans un deuxième essai de traduction. » (FEFE, 455).
81
Je reprends ici les termes de Florian Pennanech, dans Poétique de la critique littéraire, op. cit.
82
Idem.
83
Dans Poétique de la critique littéraire, Florian Pennanech propose de voir le commentaire critique comme un
ensemble d’opérations de « défiguration » : « Le texte critiqué est réputé parfait, intouchable ; le texte critiquant
est nécessairement second, donc et de moindre valeur ; les mots de l’auteur ont été soigneusement choisis, ils ont
leur raison d’être, tandis que ceux du critique sont communs, interchangeables ; le critique substitue à un énoncé
littéraire un énoncé qui ne l’est pas : la critique est en somme une opération de délittérarisation, qui introduit du
quelconque là où il y a du sacré. » Florian Pennanech, op. cit., p. 334.

406
rappeler, au cœur du texte, qu’il ne s’agit pas d’un pur enregistrement onirique, mais d’une
création, montée par une conscience d’auteur à l’œuvre.
Cette présence imprime doublement la marque de l’auteur sur son texte. Elle procède
comme signature en reprenant la main sur l’origine du texte. En enchâssant le récit dans un
discours qui assume pleinement son autorité énonciative, le Je du commentateur étant
fermement arrimé à celui de l’auteur, l’écrivain reconnaît le texte onirique comme l’œuvre de
sa plume. Aussi peut-on comprendre le geste de commentaire comme une tentative de ressaisie,
non seulement d’un texte qui échappe à son auteur, mais aussi de sa propre identité. Le Je,
toujours flottant et multiple du rêveur recouvre, dans le commentaire, une consistance que le
rêve, évanescent, lui avait retiré. Presque par homophonie, un Je se double de l’épaisseur d’un
autre Je et se reconnaît soi-même rêveur comme autre rêvé. Au fur et à mesure des récits, le
commentaire engage une dynamique de raccommodage, cousant ensemble les fragments
oniriques d’une identité éclatée et procède à la réfection de l’auctorialité.
Pas plus que chez Michaux, les commentaires formulés par Béalu à propos de ses rêves
ne se donnent pour exégèse. Les textes ne sont pas systématiquement construits sur le modèle
récit + commentaire. L’ordre peut aussi s’inverser et voir le commentaire précéder le récit84. Il
arrive que des textes soient uniquement des récit sans commentaire85 ou bien uniquement des
réflexions non accompagnées de récit86. Moins prosaïques, moins attachées à la factualité des
correspondances entre rêve et réalité, les interventions de l’auteur s’appliquent à prolonger la
réflexion entamée les paupières closes par des considérations de nature métaphysique ou
métapoétique. Elles décentrent le propos en le tirant du seul rêve vers l’auteur et son activité
d’écriture.
« Orage dans la débâcle » donne à Béalu l’occasion de se définir comme écrivain
« onirique87 », contre l’autorité des critiques ou des universitaires qui en appelaient au réalisme.
Cette réflexion spirituelle n’est pas sans receler une certaine transcendance :

[La poésie] n’a jamais été pour moi un refuge, mais la seule expression
possible : celle qui s’efforce d’atteindre au plus secret. Activité constante
requérant les forces sensibles et spirituelles de l’être, tentative de libération de
l’âme… oui. Mais la poésie n’est pas cet effort, elle en est le résultat. Disons :
un chant de la vie intérieure. Un chant de l’âme. (VR, 58)

84
C’est le cas dans les textes suivants : « Le Fleuve » (VR, 22), « Terreur dans la vie », (VR, 43) ; « Orage dans la
débâcle », (VR, 56).
85
« Hélicoptère invisible », (VR, 49), « Les Jumelles » (VR, 72) ; « Rêve rusé », (VR, 123), « Cheveux qui
repoussent », (VR, 126) ; « Les exilés », (VR, 127) ; « Récidiviste » (VR, 128) et « Tauromachie » (VR, 129).
86
« Si tout n’est pas dit, rien n’est dit » ; « Le perpétuel miracle » ; « Dictionnaires et grammaires logiques » ; «
Invention et aveu » ; « Réalités secrètes » ; « l’oreille du mystère ».
87
« Il est probable que les titres de mes ouvrages aient contribué à entretenir cette étiquette d’écrivain onirique
avec laquelle je me sens mal à l’aise. » (VR, 58)

407
Plus loin, le recueil laisse de côté le rêve pour donner la place, sur une quinzaine de pages, à
une méditation entre métaphysique et métapoétique dans laquelle l’écrivain se définit par le
rôle qu’il accorde au mystère, et auquel le rêve n’est jamais qu’une première initiation.

L’habilité de plume ne força jamais aucun mystère. Comment parviendrait-


elle à saisir, derrière le monde sensoriel inconsistant, la charpente invisible ?
par contre, la patience, l’isolement et le courage, de tout temps, eurent l’oreille
de cette prodigieuse réalité cachée sous les apparences – réalité secrète qui,
peut-être, doit le rester mais que le poète, en dépit des interdictions, a pour
mission de pressentir. Et nous disons courage quand honnêteté suffirait, car
n’est-ce pas la probité même qui commande de ne communiquer que
l’exceptionnel, au mépris des succès de compétition. (VR, 103)
La narration mène ainsi au commentaire, lieu de définition et d’affirmation de l’écrivain, lequel
implique une prise de distance avec la dictée monologale et prédominante du rêve. Cette
dernière se trouve contrée par d’autres voix, émanant d’autres instances énonciatives : celle de
l’éveillé, qui raconte depuis le site de la veille – et non effacé derrière la voix du rêve en train
de se faire –, celle du commentateur qui contextualise, précise, interprète parfois.

De cette ambiguïté naissait comme un spectacle que je me donnais à moi-


même, spectacle toujours imprévu devant lequel pâlissait celui de la nature.
Comment mieux exprimer cela ? Les démons haussent les épaules devant la
rose : Pff ! c’est facile ! Il est vrai que ce doit être facile pour Dieu de faire une
rose, mais toutes les roses que le diable essaiera de refaire ne seront que des
roses de soufre – et nous, des roses de papier. (VR, 24)
Sous couvert d’une certaine humilité, l’auteur sature la situation d’énonciation en en occupant
tous les lieux – récit, commentaire et même adresse – qui lui sont accessibles. Aussi assiste-t-
on à une fermeture et à une certaine autonomisation du texte.
Un autre enjeu du commentaire est de conférer au texte sa légitimité. Il oriente la lecture
du récit, en guide la réception, lui donne un sens. Comme l’a montré Michel Charles88, c’est le
lecteur, le commentateur qui construit l’autorité du texte. Or, dans la structure auto-
commentative des recueils que nous étudions, l’auteur se fait aussi lecteur de lui-même et la
procédure de légitimation fonctionne en circuit fermé. Le texte prend en charge la narration et
le commentaire de cette narration ; il neutralise ainsi la critique extérieure, et toute
interprétation allogène. Plus encore, il en décrète la valeur. Michaux, dans un mouvement de
balancier bien perceptible, passe ainsi d’un jugement de dépréciation, estimant à la première

88
Voir en particulier Rhétorique de la lecture, Seuil, coll. « Poétique », 1977 et Introduction à l’étude des textes,
Seuil, coll. « Poétique », 1995. « Le texte, c’est ce que l’on commente ; il n’y a pas de texte, mais toujours une
interaction du texte et du commentaire. […] Au lieu de dire que le texte a une autorité ou, plutôt, au lieu de me
comporter constamment comme s’il en avait une, je constate que c’est moi, lecteur ou critique, qui la lui attribue.
Lecteur, je lui donne intuitivement cette autorité ; commentateur, je le lui construis, j’élabore le modèle d’un texte
qui a son existence propre et son identité spécifique. » Introduction à l’étude des textes, Seuil, coll. « Poétique »,
1995, p. 48.

408
page du recueil, qu’il ne fait là que « travail de cancre » (FEFE, 447), à un jugement de
revalorisation, d’abord de ses rêves – « Mes rêves, j’ai trop vite affirmé qu’ils étaient peu de
chose. Certains ont des parties extraordinaires. » (FEFE, 517) –, puis de ses rêveries.

La métalepse : ultime jeu onirique


Le rêve, dans la mesure où il entretient un rapport complexe avec la réalité, se prête
particulièrement bien, dans son traitement littéraire, à la métalepse. En effet, cette figure qui
joue sur le franchissement des seuils, et de « la frontière mouvante mais sacrée entre deux
mondes, celui où l’on raconte, celui que l’on raconte89 », se saisit aussi bien de la délicate
frontière entre rêve et réalité, dont nous avons vu combien elle pouvait donner lieu à des vertiges
perceptifs, qu’à la distinction entre récit et commentaire. En toute rigueur, cette figure macro-
structurale, bien décrite par Gérard Genette90, ne devrait servir qu’à repérer des infractions au
pacte fictionnel et s’en tenir au cadre restrictif du récit et à l’analyse des niveaux énonciatifs au
sein d’un texte fictionnel. Cependant, le décrochage énonciatif déjà présent dans l’alternance
entre récit et commentaire, chez Paulhan, Michaux ou Béalu, même s’il ne se situe pas dans le
cadre d’un récit fictionnel, pourrait être assimilé à une version minimale de métalepse, par la
confusion et les effets d’échos et de « bizarrerie, soit bouffonne, soit fantastique91 » qu’elle
provoque.
Pour Genette, la métalepse est la figure par laquelle la fiction se creuse mais aussi celle
par laquelle la réalité se reconnaît comme fiction92. Aussi, si le recueil de Frédérick Tristan ne
comporte pas de commentaire, les métalepses peuvent-elle y assurer la fonction, a priori
paradoxale, d’affermir le cadre fictionnel des récits qui nous y sont présentés. En effet, la
métalepse construit un rêve qui se reconnaît comme tel et, dans le même mouvement, met à mal
l’illusion onirique transmise au lecteur.
Dans L’Imaginaire, Sartre établit une analogie entre rêve et fiction, analogie fort
convaincante mais guère nouvelle :

[Le rêve] est avant tout une historie et nous y prenons le genre d’intérêt
passionné que le lecteur naïf prend à la lecture d’un roman. Il est vécu comme

89
Gérard Genette, « Discours du récit : essai et méthode », dans Figures III, Seuil, coll. « Poétique », 1972, p. 245.
90
Dans Figures III, Gérard Genette définit ainsi ce procédé : « Toute intrusion du narrateur ou du narrataire
extradiégétique dans l’univers diégétique (ou de personnages diégétiques dans un univers métadiégétique, etc.),
ou inversement. » Gérard Genette, « Discours du récit : essai et méthode », dans Figures III, Seuil,
coll. « Poétique », 1972, p. 244. On se reportera aussi à son essai plus tardif Métalepse : de la figure à la fiction,
Seuil, coll. « Poétique », 2004.
91
Gérard Genette, Figures III, op. cit., p. 244.
92
« Toute fiction est tissée de métalepses. Et toute réalité, quand elle se reconnaît comme fiction en son propre
univers. » Gérard Genette, Métalepse, op. cit., p. 131.

409
fiction […]. Seulement c’est une fiction « envoûtante » : la conscience […]
s’est nouée. Et ce qu’elle vit, en même temps que la fiction appréhendée comme
fiction – c’est l’impossibilité de sortir de la fiction93.
Nombreux sont les exemples de métalepse qui trouvent dans le rêve une source de
désordre propre à instiller du renversement dans les conventions narratives. La nouvelle de
Cortazar « La Nuit face au ciel » dans le recueil Les Armes secrètes a ainsi suscité de nombreux
commentaires, de même que Les Fleurs bleues de Queneau et les textes inspirés de la spiritualité
chinoise ou s’inscrivant dans la veine de ce que l’on nomme le réalisme magique. On ne sera
pas étonné, ainsi, de trouver autant d’occurrences de métalepse dans les récits de Frédérick
Tristan, auteur à la fois très inspiré par les spiritualités orientales94 et s’inscrivant pleinement
dans la « nouvelle fiction ». Marque d’une prise de distance avec le rêve et ses traditions
narratives, la métalepse, dans le recueil de Tristan, prend diverses formes, et montre l’auteur
jouant avec son sommeil, en prise avec ses personnages, ou avec les personnages d’autres
fictions.
Le récit de rêve peut ainsi se creuser de l’intérieur et entraîner ses personnages dans une
fiction interne, comme ce professeur Notasnoozle qui est aspiré dans sa lecture pour y vivre des
aventures doublement fictionnelles.

« Un soir, alors que je me promenais dans un parc riverain du Danube,


j’avisai sur un banc un hebdomadaire pour enfants. Peu habitué à ce genre de
littérature mais attiré par les couleurs criardes des images, je m’arrêtai et
commençai à feuilleter machinalement ce petit journal. Or quelle ne fut pas ma
surprise lorsqu’en page 3 je vis un personnage qui, de sa main gauche, me
faisait signe. Instinctivement, je faillis refermer l’illustré, mais la curiosité
l’emporta. Ce fut ainsi, mesdames et messieurs, qu’enjambant le cadre de
l’image, je pénétrai dans le royaume d’Artaxérès. Vous devinez la suite : la
descente en barque sur le Nil, l’entrée dans les jardins de Babylone, la
chevauchées des preux chevaliers, l’incendie de Moscou, les éléphants du
maharadjah de Kanipour, la soirée chez la Duse, l’éruption du Vésuve, les caves
du Vatican, l’énigme de l’homme cent têtes, la renaissance des Zoulous, les
conseils d’oncle Albert, la petite fiancée du monde, le cheval de Troie, la tour
de Babel, Tintin au Mexique, le labyrinthe de Cnossos, le vaisseau fantôme, et
tant et tant d’aventures plus extraordinaires les unes que les autres, là, dans les
abîmes de ce journal enfantin, sur ce petite banc du jardin qui jouxtait le Danube
ce 11 avril 1915, si bien que, tout vivant, je me retrouvai décoré de l’ordre de
Zulma. » (BR, 90-91)
Le franchissement du seuil diégétique est ici matérialisé par l’enjambement de la case illustrée.
Comme Alice, qui trouvait qu’un livre sans image ne méritait pas d’être lu, le personnage se
trouve pris dans une cascade de fictions, mythes ou œuvres plus récentes. En Monsieur Loyal

93
Jean-Paul Sartre, L’Imaginaire (1940), Gallimard, coll. « folio essais », 2016, p. 338.
94
On peut notamment citer les ouvrages suivants : Le Singe égal du ciel (Bourgois, 1972), La Cendre et la Foudre
(Balland, 1982), La Chevauchée du vent (La Table Ronde, 1991), Les Succulentes Paroles de Maître Chù (Fayard,
2002), Tao, le haut voyage (Fayard, 2003), Le Chaudron chinois (Fayard, 2008).

410
du rêve, avec sa verve de bonimenteur, il grossit encore le trait en procédant à une énumération
vertigineuse, accumulation de péripéties sans fin. La frontière diégétique se trouve une
deuxième fois outrepassée au cœur de cette tirade : le personnage apostrophe le lecteur et crée
une fausse connivence au cœur de ce récit incongru.
Cependant, le mouvement métaleptique inverse est plus courant : le rêve contamine plus
souvent la réalité qu’il n’aspire les protagonistes réels dans ses méandres. Comme dans l’incipit
du roman de Giono Noé ou dans Le Vol d’Icare de Queneau, les personnages du rêve
s’échappent volontiers du récit et s’invitent dans le réel à l’occasion d’un endormissement.

Certains soirs où la fatigue me ferme les yeux, mes personnages viennent


me rendre visite. Ce sont des ombres heureuses. Certains s’assoient autour de
la table et commencent une partie de poker. D’autres préfèrent sur le tapis jouer
aux billes, au croquet ou à la marelle. Les plus rusés montent un petit théâtre
afin d’interpréter à leur fantaisie l’une des histoires que j’écrivis jadis. Assise
dans le fauteuil à cathèdre, madame Berthe les observe avec un sourire
narquois, peut-être de pitié. (BR, 99)
L’auteur s’amuse à faire entrer ses personnages dans son univers de création. Là encore, la
contamination des niveaux de fiction est complexifiée : les personnages ne peuvent s’empêcher
de créer encore de la fiction dans le monde réel, en réinterprétant sur le mode dramatique les
œuvres de l’auteur, et son personnage emblématique, Madame Berthe95, prend une place un peu
à part de spectatrice amusée, sans que l’on sache bien si elle est elle aussi un personnage
transfuge.
Frédérick Tristan laisse ainsi volontiers croire que ses personnages mènent, en dehors
des fictions qu’il écrit pour eux, une vie indépendante et sur laquelle il n’aurait pas prise. Il se
présente comme un auteur dépassé par ses propres œuvres dans le texte n° 172 où un personnage
sort du livre pour le remercier de sa notoriété (un comble pour un auteur qui a pris soin, toute
sa vie, de rester éloigné des critiques et de la presse). Ailleurs, il s’imagine vampirisé par ses
personnages :
133

Je dois me présenter demain chez mon éditeur afin de lui remettre le


manuscrit de mon dernier récit. Durant la nuit, j’apprends que je n’en suis pas
l’auteur. Le véritable écrivain est le personnage principal du roman, un certain
Quentin Gervaise. Il a exercé une multitude de métiers et, en particulier, la
ventriloquie et la prestidigitation. Comment m’étonner qu’il soit passé d’une
réalité (ou d’une fiction) à l’autre ? La seule façon de l’empêcher de spolier
mon œuvre est de la détruire, ce que je fais en la jetant au feu dès mon réveil.
(BR, 151)

95
Ce personnage apparaît notamment dans Dieu, l’univers et madame Berthe (Fayard, 2002) et Dernières
nouvelles de madame Berthe (Dumerchez, 1993).

411
Le récit ne s’en tient pas seulement à la confusion des niveaux fictionnels mais va jusqu’à
imaginer la substitution de l’un par l’autre. Dans cette histoire de supercherie, on ne sait plus si
c’est le personnage qui a acquis une existence auctoriale ou si c’est l’auteur qui s’est perdu dans
sa fiction. Plus perturbant encore, le récit tient dans l’histoire de sa propre destruction. Il prouve
par-là l’inépuisable fertilité et inventivité du rêve.
Frédérick Tristan fait usage du pouvoir transgressif de la métalepse pour créer des
fictions oniriques qui se nourrissent de la tradition littéraire en la subvertissant. Le rêve devient
là un moyen de communication entre les auteurs, ou entre les œuvres, fussent-elle imaginaires.
Le récit n° 110 propose ainsi une réécriture de l’histoire littéraire : Thomas Mann commande à
Tristan de composer les œuvres qu’il n’a pas écrites : la Divine Comédie et Don Quichotte,
ajoutant qu’« on n’écrit jamais que dans les interstices des mots. » (BR, 128) On sait combien
Don Quichotte est le lieu de jeux métaleptiques : comme l’a montré Franck Wagner96, le roman
de Cervantès peut être considéré comme l’un des premiers exemples modernes d’usage de la
figure au niveau métadiégétique. Il est aussi au cœur d’une construction extra-diégétique dans
la nouvelle de Borgès « Pierre Ménard, auteur du Quichotte97 » dans Fictions. L’intervention
de Thomas Mann ajoute encore à cet édifice intertextuel. Dans son ouvrage Traversée avec Don
Quichotte (1956), Thomas Mann ne cesse de commenter le roman et creuse lui-même son récit
de voyage d’une métalepse onirique.

Me voici en quête de mon rêve suggéré par ma lecture de voyage. Je rêvais


de Don Quichotte. Il était là et je m’entretenais avec lui. Tout comme la réalité
quand elle se présente devant vous est différente de l’idée qu’on s’en est faite,
il était quelque peu différent des images qui le représentent. Il avait une grosse
moustache en broussaille, un haut front fuyant, et sous ces sourcils également
embroussaillés, les yeux gris presque aveugles. Il ne se présenta pas comme le
chevalier au lion, mais comme Zarathoustra98.
Don Quichotte, qui met en scène celui qui rêvait tout éveillé, cristallise ainsi une accumulation
de métalepses à faire tourner à l’envers tous les moulins d’Espagne. Déjà présent chez Michaux,
il est porteur d’une mémoire littéraire dont se ressaisit là un auteur moins dupe de ses rêves
qu’il veut bien le faire croire. Tristan s’amuse à réécrire la fiction, et l’histoire littéraire avec
elle, ménageant par la même occasion un effet de vertige inquiétant, peut-être sentiment le plus
représentatif du rêve.

96
Franck Wagner, « Glissements et déphasages. Notes sur la métalepse narrative », Poétique, Seuil, n° 130, avril
2002, p. 335-253.
97
Jorge Luis Borgès, « Pierre Ménard auteur du Quichotte », Fictions (Ficciones, 1939), traduit de l'espagnol
(Argentine) par Roger Caillois, Nestor Ibarra et Paul Verdevoye ; révisée par Jean Pierre Bernès, Gallimard,
coll. « folio », 2018.
98
Thomas Mann, Traversée avec Don Quichotte (1956), Bruxelles : Éd. Complexe, coll. « Le regard littéraire »,
1986, p. 112-113.

412
Plus loin, les niveaux diégétiques sont à nouveaux confondus et l’Histoire prise à
l’envers à l’occasion d’un rêve dans lequel l’auteur se fait vendre la montre de Gustave
Flaubert :

« Elle lui avait été offert par Emma Bovary peu de temps avant sa fin
tragique. Je tiens cette information d’un observateur très fiable. Il s’agit d’un
monsieur Proust qui tenait une boutique de souvenirs en tous genres, rue de
Médicis. » Peut-on se fier à ces gens-là ? (BR, 145)
Certainement, le vendeur du marché aux puces qui prétend mettre sur le même plan auteurs et
personnages n’est pas un personnage fiable. Mais le narrateur d’un récit de rêve l’est-il
davantage ? Dans le récit n° 25, Frédérick Tristan recourt à une mise en abyme et représente le
conteur de ses rêves sous les traits d’une souris blanche. Entre personnage de comptine et de
conte, cette Shéhérazade inverse une fois de plus les mondes car ses récits doivent garder
l’auditeur endormi et, comme les rêves selon Freud, se faire les gardiens du sommeil.

La souris blanche me tient endormi grâce aux histoires qu’elle ne cesse de


me raconter. […] Sans elle, je sombrerais dans l’insomnie, errant sans but d’une
salle à l’autre de cette demeure aux mille étages où une foule d’inconnus
s’ingénie à me tenir éveillé par d’oiseux propos, d’insidieuses propositions et
surtout d’interminables séances de gymnastique verbale sous la direction d’un
orang-outang volubile. (BR, 38)
Une fois encore, le rêve se donne comme le lieu de rencontre et de réappropriation des
imaginaires. Il s’appuie une complicité avec le lecteur mise en place sur la base d’une culture
partagée et sort ainsi le rêve de l’individuel pour célébrer la mémoire littéraire et la culture
collective. C’est une autre façon pour l’auteur d’affirmer son geste, sa place et sa légitimité.
Dépositaire et héritier d’une tradition, c’est dans le rêve qu’il la fait revivre et la partage.

***

« L’auteur, s’il exista, depuis longtemps est allé se coucher » (BR, 149), veut nous faire
croire Frédérick Tristan à la fin d’un de ses récits. Pourtant, loin d’être absent, l’auteur est
partout perceptible dans les récits oniriques : de l’écoute rêvante de la langue au travail d’un
langage mis au service de la composition en passant par la dissection raisonnante et l’adresse à
un lecteur complice. À côté des récits de rêves produits sur le modèle surréaliste, une autre
façon de narrer le rêve, plus libre, se développe ainsi tout au long du siècle. Suivant le chemin
de Paulhan, et de son Pont traversé, celle-ci se joue du mystère du rêve et ne cherche plus à le
reproduire dans l’exactitude de son expérience singulière, mais dans la fidélité à son esprit.

413
Le plaisir dégagé par ces textes procède d’un jeu à la fois avec les normes du récit et
avec les frontières du rêve. Le lecteur y est sans cesse sollicité par la truculence de quelques
jeux de mots et autres constructions sibyllines, malmené par les illusions et faux-semblants d’un
rêve décidément plein d’incertitudes et ravi par l’exubérance de récits denses. S’y éprouve
surtout la joie de la transgression, et le sentiment du « passage au second degré » par rapport à
un récit de rêve autrement plus sérieux, dans ce « moment où l'observance, nécessairement
consciente, de la convention se nuance d’un auto-pastiche plus ou moins ironique99 ». Ces textes
sont ainsi dans une « tricherie » perpétuelle, dont le lecteur n’est pas longtemps dupe ; ils
reprennent pour mieux la subvertir la mémoire du récit de rêve. C’est peut-être là, dans ce jeu
de formes et de reflet que se laisse saisir toute sa vivacité littéraire, preuve s’il en fallait encore
qu’il constitue bel et bien un genre à part entière.
Cette partie aura permis de montrer toute la diversité formelle des récits de rêves du
XXe siècle. Loin de la représentation aplanissante de textes monotones, ennuyeux, soporifiques
même, elle aura cherché à décrire et analyser les métamorphoses du genre sur la durée un siècle.
Genre éminemment hybride, plus souple qu’il ne pouvait le laisser croire, le récit de rêve
s’avère profondément pluriel. Il suit les évolutions esthétiques, formelles et théoriques de son
temps, s’adapte, se reconfigure sans cesse mais garde toujours la mémoire – fût-ce pour se
penser contre elle – de sa source surréaliste.

99
Gérard Genette, « Des genres et des œuvres », Figures V, Seuil, coll. « Poétique », 2002, p. 85-86.

414
CONCLUSION

415
416
Il ne me reste rien à faire, sinon clore ce
carnet, éteindre la lumière, m’allonger,
dormir, — et faire des rêves…

Michel Leiris, L’Afrique fantôme,


16 février 1933

A
u moment de clore cette étude, souvenons-nous de l’aphorisme de Sénèque
Somnium narrare vigilantis est1 : « Il faut être éveillé pour conter ses songes. » Le
récit de rêve n’est pas le propre du rêveur mais du conteur, c’est-à-dire de celui qui
est en état de veille. À l’heure où des chercheurs en neurosciences voudraient nous faire croire,
à coups de titres sensationnalistes2, que l’imagerie cérébrale est capable de faire apparaître le
contenu de nos rêves, il faut rappeler, avec Valéry, que le rêve n’est qu’une hypothèse :

Le rêve est une hypothèse, puisque nous ne le connaissons jamais que par le
souvenir, mais ce souvenir est nécessairement une fabrication. Nous
construisons, nous redessinons notre rêve ; nous nous l’exprimons, nous lui
donnons un sens ; il devient narrable3.
S’il confond peut-être ici le rêve et son récit, Valéry se distingue décidément des autres auteurs
abordés par l’acuité et l’actualité de sa pensée sur le rêve. Il incarne, au sein du corpus, la
posture la plus sceptique, tant à l’égard des possibilités du récit que face aux discours de la
psychanalyse, et il annonce, sur bien des points, de ce que l’approche cognitiviste démontrera
plus tard4. Trois ambitions animent les écrivains de notre corpus dans la narration de leurs rêves,

1
Sénèque, Lettres à Lucilius LIII, Les Belles Lettres, 2003.
2
Martin Dresler, Stefan P. Koch, Renate Wehrle, Victor I. Spoormaker, Florian Holsboer, Axel Steiger, Philipp
G. Sämann, Hellmuth Obrig,and Michael Czisch, « Dreamed Movement Elicits Activation in the Sensorimotor
Cortex », Current Biology , n° 21, November 8, 2011, p. 1833–1837. La presse s’est fait l’écho de cette avancée
en titrant, par exemple : « Le contenu des rêves accessible à l'imagerie cérébrale », Le Monde, 27 octobre 2011.
Article accessible en ligne à l’adresse : https://www.lemonde.fr/planete/article/2011/10/27/le-contenu-des-reves-
accessible-a-l-imagerie-cerebrale_1595128_3244.html [consulté le 1er novembre 2019]
3
Paul Valéry, Svedenborg, Études philosophiques, Variété, dans Œuvres, éd. Jean Hytier, Gallimard,
coll. « Bibliothèque de la Pléiade », t. I, 1957, p. 881.
4
Par exemple, Valéry modélise avant Allan Hobson (Le Cerveau rêvant, 1985) l’anarchie et l’arbitraire avec
lesquels le cerveau remobilise des souvenirs de la vie éveillée pendant le rêve.

417
l’une prenant le dessus sur les deux autres en fonction des auteurs, des époques et des œuvres :
une ambition phénoménologique et herméneutique – comprendre ce qu’est le rêve et comment
fonctionne notre esprit –, une ambition introspective – se comprendre à travers le rêve et en
faire le moyen d’une exploration de sa propre psyché –, une ambition esthétique – renouveler
la littérature et trouver dans le rêve les ressources de sa juste représentation. À la question,
posée à l’ouverture de cette réflexion, de savoir si le rêve pouvait encore endosser un statut
littéraire au XXe siècle, il est désormais possible de répondre par l’affirmative.
Cette thèse a mis au jour l’héritage des savants-rêveurs du XIXe siècle dans les récits de
rêves du XXe siècle. Leurs méthodes d’observation, de notation et de suspension du jugement
esthétique permettent de nuancer l’importance de Freud, pourtant partout mis en avant par les
écrivains eux-mêmes au premier chef. S’il est vrai que la pensée psychanalytique influence
énormément l’écriture du rêve à partir des années 1920, les méthodes et les procédures
employées ne lui sont pas entièrement redevables. L’entrée dans le champ de la littérature de la
façon de faire expérimentale des savants-rêveurs ne se laisse comprendre qu’en la resituant
dans le contexte plus large de l’automatisme (Janet, Hesnard) qui irrigue d’abord les approches
scientifiques puis littéraires. Le rêve joue en effet un rôle primordial dans la naissance du
surréalisme ; et l’exercice des récits de rêves fait le pont entre les écritures automatiques et les
sommeils hypnotiques. De manière contemporaine à l’invention du monologue intérieur, le rêve
y est considéré comme une voix, puis comme un discours qu’il s’agit de capter. Alors qu’il
donnait auparavant l’image de la divagation anarchique, il sert d’outil à Breton pour une
exploration de la psyché et de ses mécanismes selon des procédures rigoureuses. Mais très vite
sont pointées les limites d’une telle entreprise, notamment par Valéry et Michaux, très
conscients des biais qui faussent cette expérience. Le premier semble renoncer à saisir le rêve
par son récit et le second emprunte le chemin détourné des écritures sous drogues. Ces écrivains
manifestent tous deux une conscience critique à l’égard des discours de savoirs dans lesquels
ils sont pris, et une méfiance particulière envers la psychanalyse.
Les écrits que nous avons analysés témoignent d’une certaine érudition de la part des
écrivains, soucieux de préserver ou de s’assurer une légitimité. Si les savoirs populaires et
antiques des clefs des songes se laissent percevoir chez Yourcenar, Desnos, Leiris et Michaux,
et que les archétypes de Jung trouvent grâce aux yeux de Béalu, la théorie psychanalytique
freudienne est la plus largement convoquée. Celle-ci est reçue en plus ou moins bonne part :
source de fascination pour Breton et Queneau, qui en reprennent les méthodes d’interprétation,
elle fait l’objet d’un rejet catégorique par Valéry, Crevel et Michaux et d’un scepticisme
distancié chez Yourcenar. Chez de nombreux auteurs, on entend la crainte de voir la

418
psychanalyse déchiffrer les secrets des textes, et de leur intimité. Pour déjouer ces grilles de
lecture, ils s’ingénient à en détourner les idées (Perec), en subvertir les symboles (Béalu), en
prévenir les interprétations (Paulhan), en neutraliser les réseaux métaphoriques (Michaux) ou à
saturer eux-mêmes leurs commentaires (Leiris). En revanche, peu de place est laissée aux
approches plus récentes (anthropologie, sociologie, psychologie cognitive) et les neurosciences,
malgré les travaux marquants de Jouvet, ne semblent pas avoir franchi le seuil de la littérature.
L’évolution épistémologique de la notion de rêve n’est donc que partiellement reflétée par les
textes littéraires, qui n’en retiennent souvent qu’un discours doxique.
La littérature du XXe siècle propose tout de même une saisie singulière du phénomène
onirique. S’échafaude l’idée d’une approche proprement littéraire du rêve, par des écrivains
autodidactes, à la science des rêves innée, tout autant que gardiens de son mystère. Écrire ses
rêves conduit à interroger les soubassements de sa conception et à en expliciter les impensés.
Dans des fables étiologiques, on imagine des théories fictionnelles et des topiques alternatives
du rêve. Les métaphores figées employées par les discours de savoirs et les topoï du discours
onirique sont resémantisés à cette occasion par Valéry et Michaux. La philologie et la
métaphore sont autant de démarches et de concepts pour une approche originale du fait onirique,
pensé comme un fait de langage. Parce qu’il est proche de l’expérience fictionnelle, le rêve est
aussi utilisé par Caillois ou Sartre pour penser la fiction. Le recul philosophique permet à Breton
et Béalu d’aborder le geste littéraire comme un moyen de rêver en plein jour et de porter sur le
monde un regard de rêverie propre au littérateur. À travers le rêve, la littérature se laisse penser
à nouveaux frais : l’auctorialité, l’inspiration et la création se voient appréhendées sous un
nouvel angle. Le travail du rêve et le travail du texte en viennent à se confondre, favorisant les
échanges conceptuels entre critique littéraire et psychanalyse. Derrière ces confusions, c’est la
perception du rêve comme un discours sans locuteur qui se laisse envisager et, avec lui,
l’évincement du rêve par son récit, seul attesté d’existence.
Transmettre son rêve ou faire rêver le lecteur impliquent des choix esthétiques divers,
parfois radicalement opposés. Le récit de rêve donne lieu à une littérarité contrariée, et en
éprouve sans cesse les limites. Paradoxalement, cette forme revendique pourtant une poéticité
qui ne passe pas nécessairement par le travail du langage. Avec le surréalisme, naissent des
textes anti-rhétoriques mais qui pourtant sont reconnaissables à leur style économe et
fragmentaire. Pour autant, ces façons de faire font débat : certains, comme Éluard ou Desnos,
refusent de s’en tenir là et réclament qu’on fasse du rêve un poème. Pour Breton, puis pour
Yourcenar, le poème en prose fait figure de repoussoir tant cette étiquette sonne comme un
aveu d’échec à l’ambition d’authenticité. Il est aussi le symptôme d’une littérarisation et d’une

419
générisation à l’œuvre. Reste à constater la grande diversité esthétique des récits de rêves –
semblables, selon les auteurs, à des compte rendus, des tableaux, des poèmes ou des nouvelles –
qui s’unifie sous une définition pragmatique du genre, que nous avons proposée.
Dans les rangs du surréalisme, on assiste ainsi à l’établissement d’un modèle de
narration du rêve que Leiris et Perec exploitent, explorent et épuisent. Avec Queneau, ce sont
les trois auteurs du corpus à s’être prêtés à l’expérience de la cure psychanalytique et l’on
perçoit combien cette dimension introspective est transposée dans leurs autres œuvres. Dans
leurs recueils de récits de rêves, le rêve est comme vidé de sa chair, réduit à une coquille
onirique. Les manipulations et réécritures sont ainsi perceptibles à travers les publications
successives de Leiris et président à la composition du recueil de Perec. Dans son ouvroir des
rêves potentiels se déploient l’éventail des possibles oniriques. Pour autant, Leiris et Perec
n’abandonnent pas le souci de l’authenticité qui avait servi de mot d’ordre aux hommes de La
Révolution surréaliste. À coups de remarques, de précisions, de marques d’oubli et de censure,
leurs récits se donnent comme les témoignages explicites de pérégrinations nocturnes. Et si
Queneau, avec « Des Récits de rêves à foison », suit leur exemple et le détourne en supercherie,
il prouve aussi combien le genre est un exercice de style.
Face à cette première filiation, se dessine un autre lignage esthétique. La critique de
l’automatisme mène à une mise à distance du récit de rêve selon Breton par Hellens, Michaux
et Béalu. Le jugeant artificiel, monotone et incompréhensible, ils réclament un autre modèle.
Paulhan représente pour eux une alternative inspirante par la place réservée au commentaire
dans Le Pont traversé, la liberté et la vitalité stylistique appelée par ses essais et les facéties de
la langue auxquelles il invite. Michaux, Béalu et Tristan proposent des écritures du rêve qui
manifestent une nouvelle écoute et en révèlent l’humour. Ils font le choix d’une distance
salutaire avec l’impératif d’authenticité et composent des textes qui tiennent davantage du récit
onirique que du récit de rêve. Ceux-ci attestent, en même temps qu’ils la dépassent, de
l’existence d’un genre avec les règles duquel on peut tricher. Esthétique de l’emportement, jeux
d’illusions et chute travaillée participent d’un plaisir du récit dans lequel l’auteur partout
imprime sa marque. Les commentaires, notamment chez Paulhan, Michaux et Béalu, signent la
reprise en main d’un texte qui ne lui échappera pas et les jeux de métalepse auxquels se prête
Béalu le ramènent au cœur de son rêve, pour mieux dissoudre ce dernier dans la réalité.
Le rêve est décidément « un discours qui (n’) élucide (pas) le pouvoir qui lui permet de
parler5 », comme le note Perec dans ses carnets, avec un bel effet de double lecture. On pourrait

5 Georges Perec, Manuscrit [117, 2, 52, recto], Fonds Georges Perec, Bibliothèque de l’Arsenal, Paris.

420
ainsi redistribuer le corpus en fonction de la place occupée par le récit de rêve et de celle
accordée aux divers commentaires qui les accompagnent. Breton, Éluard, Leiris, Perec,
Queneau, Yourcenar et Tristan publient des récits de rêves sans glose. Toutefois, la présence
des récits de rêves dans les revues surréalistes est justifiée dans le Manifeste du surréalisme et
Une vague de rêve, Les vases communicants dissèquent deux rêves à loisir sur plusieurs pages,
les textes de Nuits sans nuit et quelques jours sans jour paraissent seuls mais le Journal et La
Règle du jeu offrent bien des exemples d’analyses poussées, La Boutique obscure ne laisse lire
aucune interprétation mais on sait que la cure psychanalytique a été le lieu de bien des ruses de
cet ordre6 et « Des récits de rêves à foison » tourne l’exercice en dérision mais Une campagne
de rêves atteste du sérieux avec lequel Queneau examinait ses batailles oniriques. Quant à
Yourcenar, la préface et l’impressionnant dossier de notes et de documents qui accompagnent
aujourd’hui Les Songes et les Sorts suffisent à faire la preuve du souci de leur auteure pour ses
tableaux nocturnes. Paulhan, Michaux et Béalu, sans oublier Desnos avec son émission La clef
des songes, mêlent récits et réflexions. Le commentaire reste dominant chez Valéry, revenu du
rêve, de ses prestiges et de ses simulacres.
Le poète montre combien il est difficile de faire du rêve un objet d’étude. Le rêve est un
concept qui sert à penser autre chose, particulièrement efficace puisqu’il recouvre de façon
dissolue l’imagination, la création, le désir et la projection. « Infracassable noyau de nuit7 », il
renvoie la littérature à son propre questionnement. Les récits que nous avons étudiés renversent
et réfléchissent les concepts essentiels de la critique littéraire : l’auctorialité, la lecture,
l’interprétation, la fiction, le langage. Ils composent certes un panorama des récits de rêves mais
accompagnent aussi une évolution de la conception de la littérature au cours du XXe siècle. Une
chose au moins est certaine : le rêve fait couler beaucoup d’encre ! Récits de rêves, gloses
interprétatives, propositions théoriques diverses et discussions à n’en plus finir, le rêve donne
à penser. « Le réveil fait aux rêves une réputation qu’ils ne méritent pas » (C, 93 [1916-1917]),
déplore encore Valéry. Peut-être le rêve n’existe-t-il pas et n’y en a-t-il que des récits, lesquels
n’existent que parce que des commentaires leur donnent de l’importance. Vertigineuse mise en
abyme spéculative...
Le rêve est, dans notre société actuelle, spontanément associé à la connaissance de soi
et à l’introspection ; il n’a pas le rôle de régulateur social qu’il recouvre dans d’autres

6
Voir le texte de Georges Perec « Les lieux d’une ruse » (1975) dans Penser/Classer (Hachette, 1985), dans lequel
il revient sur son expérience de la psychanalyse avec Jean-Bertrand Pontalis.
7
André Breton, « Introduction aux “Contes bizarres” d’Achim d’Arnim » (1933), Point du jour, OC II, p. 359.

421
civilisations, dites primitives, quand la nôtre serait « désenchantée »8. Loin d’être un messager
divin, marqué par la transcendance, il se situe de nos jours plus du côté de l’intime que du
collectif, du singulier que de l’universel. La littérature l’inscrit volontiers dans le paradigme de
la quête de sens ou de l’interprétation alors que les sciences du rêve semblent avoir désormais
délaissé ces questionnements pour leur en préférer d’autres sur la fonction. La science achoppe
pour l’instant sur cette question et multiplie les hypothèses. Le rêve ne semble pas être un
mécanisme vital, ni au niveau individuel, ni au niveau de l’espèce ; reste celui de la société,
dans lequel il semble avoir son rôle à jouer en tant que créateur de liens. Si le rêve n’a pas de
légitimité individuelle ou universelle, il peut encore se concevoir comme un facteur d’échanges.
Jacqueline Carroy y voit ainsi un phénomène constitutif de notre humanité.

Les hommes sont les seuls êtres vivants qui ne se contentent pas de voir,
d’entendre, de sentir pendant leur sommeil. Ils se rappellent leurs visions, leurs
voix et leurs sensations nocturnes, en témoignent, les racontent, les écrivent et
parfois les publient. De ce point de vue, le rêve humain est, tout autant qu’un
phénomène biologique, psychologique et strictement privé, un phénomène
social et culturel à part entière9.
La littérature participe incontestablement de cette dimension sociale et culturelle. À l’échelle
plus collective, les écrivains se font aussi historiens ou sociologues et se chargent d’enregistrer
les imaginaires de leurs époques. En filigrane, les récits de rêves parcourus racontent l’Histoire
d’un siècle. Ils en reflètent les cauchemars de la guerre – Paulhan écrit Le Pont traversé au
front, les textes de Leiris, Perec et Béalu sont hantés par la Deuxième Guerre mondiale –, les
avancées aussi – Perec évoque Mai 1968, Michaux le Printemps de Prague. Ils donnent ainsi la
voix à un imaginaire commun dans lequel les écrivains ne se distinguent pas des masses de
rêveurs anonymes et peuvent les partager avec « tous ceux pour qui la nuit est avare10. »

8
Voir Arianna Cecconi, « Les rêves viennent-ils du dedans ou du dehors ? Une exploration ethnographique entre
Pérou et Espagne », dans Marie Bonnot et Aude Leblond, Les Contours du rêve, op. cit., p. 251-267.
9
Jacqueline Carroy, Nuits savantes. Une histoire des rêves (1800-1945), éd. EHESS, 2012, p. 11.
10
Jacques-André Boiffard, Paul Éluard et Roger Vitrac, « Préface », La Révolution surréaliste, Librairie
Gallimard, 1924-1929, p. 1.

422
ANNEXES

423
Annexe A

« L'ÉCRITURE DES RÊVES »

entretien avec Germaine Rouvre,1087


radiodiffusé le 20 avril 1976 sur France Culture
sous le titre original « Le rêve et le langage »

(Transcription de Marie Bonnot)1088

Germaine Rouvre : Georges Perec, vous avez publié un recueil de rêves qui s’appelle « La
Boutique obscure ».
Georges Perec : « Boutique obscure » ... ,« Boutique obscure », est un mot, une expression qui
en français est assez peu connue mais qui en italien résonne d’une façon très particulière. Ça
se dit en italien : « botthege oscure ». Et les « botteghe oscure », c’est une rue de Rome qui
était un ancien souk ; c’est un ancien bazar effectivement et c’était le siège du parti
communiste italien. Et c’est le titre d’une revue culturelle italienne que Pavese a dirigé
pendant de nombreuses années. Et c’est un peu en hommage à Pavese, à un certain travail
qu’il faisait ; c’est une des résonances possibles de ce livre.
Quand on se penche sur ses rêves et qu'on commence à les rédiger, on trouve quelque
chose qui est à la fois très familier, très proche ; très proche de soi et en même temps assez
lointain, assez mystérieux.
G. R. : Mystérieux ?
G. P. : Enfin mystérieux... Oui, si on veut, assez loin. Je pense à la fois proche et lointain. Le

1087 On trouvera l’enregistrement radiophonique de cet entretien sur le CD n° 2, plage n° 3 du coffret édité
par Bernard Noël, Georges Perec, INA, André Dimanche éd., 1997.
1088 La présente transcription essaie de respecter au maximum les propos enregistrés. Toutefois, les marques
d’oralité trop fortes, les répétitions ou les reprises qui gênaient la compréhension des énoncés ont été supprimées.
Les renvois à la ligne, qui ne respectent pas le continuum sonore, ont été faits pour ménager la compréhension du
lecteur et en fonction des unités thématiques des propos tenus.

425
rêve représente un travail lui-même, l'élaboration du rêve, ce qu'on appelle le « travail du
rêve » et l'écriture du rêve est un autre travail, tout à fait différent d'ailleurs.
G. R. : Ce qui m’a frappée, c’est que, parallèlement à cette écriture si sobre, qui est comme un
procès-verbal du rêve, vous parlez de ces rêves « trop écrits ».
G. P. : « Trop écrits », ça veut dire que finalement, dans la dynamique du livre, entre le moment
où j'ai commencé à noter ces rêves et le moment où j'ai achevé le livre, je me suis rendu
compte que ces rêves étaient faits pour être écrits. C'est un peu, par exemple, ce qu’en
psychanalyse on appelle les « rêves de complaisance », des rêves qui sont faits pour faire
plaisir au psychanalyste. Là, c'était des rêves pour faire plaisir à l'écrivain. C'était des rêves
qui se présentaient à moi avec leurs titres, avec leurs paragraphes, pratiquement, avec leur
ponctuation, avec leur système particulier de présentation. C'était des rêves qui, disons, à la
limite, sortaient tout écrits.
G. R. : Alors vous les voyiez écrits, vous les rêviez écrits ?
G. P. : À la limite. Je veux dire : la chose qui se passe en général, c’est : on fait un rêve.
G. R. : ... qui est l’image, qui est une succession d’images...
G. P. : ... qui est une succession d'images, parfois de sons, de couleurs, quelquesfois de bruits,
quelques mots, quelques séquences de situations, enchaînements, renversements,
condensations. Et ce rêve, en général, ou bien on l'oublie, on se souvient d'avoir rêvé ou bien
on ne s'en souvient pas. On le raconte parfois, parfois on l'écrit. Quand on prend l'habitude
d'écrire ses rêves, que l'on s'oblige à écrire ses rêves, au bout d'un certain temps, le rêve obéit
à cette sorte de travail d'écriture.
G. R. : Pas forcément ; c’est parce que vous êtes écrivain.
G. P. : Oui, mais c’est là qu’il y a à la fois un recueil de récits de rêves et puis une sorte de
commentaire sur « qu'est-ce que c'est qu'écrire un rêve ? », « qu'est-ce que c'est que le rêve
comme matériel d'écriture ? » Quand je dis : « Ces rêves sont trop écrits », je veux dire que
pour moi, le fait d'écrire ses rêves, ça a consisté à écrire dans la nuit en général, le plus
brièvement possible, le plus rapidement possible, l'ensemble d'images qui constituent un
rêve, l'impression centrale du rêve, et ensuite de ne pas en bouger. Je veux dire d'introduire
le minimum de modifications à partir de cet espèce d'état initial, de brouillon initial que
j'avais noté. En somme, là, il y a une manière assez classique d’essayer d’écrire. Il y a
beaucoup de manières d’écrire des rêves.
Fellini note ses rêves depuis des années et des années sous forme de dessins. Il fait des
dessins au matin qui représentent le rêve qu’il a fait. Ce dessin-là, c’est le rêve de la nuit.
G. R. : Mais quand il rêve de grandes histoires ?

426
G. P. : Ah, je ne sais pas comment il fait. Peut-être qu’il fait des dessins avec des histoires
dedans, une sorte de bande dessinée ; qui sais ?
Enfin, pour revenir à ce que je disais tout à l’heure, quand j’ai dit que ces rêves étaient écrits,
c’est que très souvent, j'avais l'impression en me réveillant ou dans ce demi-sommeil dans
lequel j'écrivais ces rêves que mes rêves étaient moins des images que des mots. À certains
moments, c'était, on peut dire, des images avec des légendes en dessous.
G. R. : Mais alors là c’est que vous étiez probablement proche du réveil.
G. P. : Oui, ou bien c’était peut-être l’habitude. Le fait de les noter pendant pratiquement un
soir sur trois...
G. R. : Si bien que ce que vous avez surtout recherché en rêvant et en écrivant vos rêves, c’est
vraiment une occupation littéraire.
G. P. : Au départ, c'est une préoccupation personnelle, disons, qui me poussait à m'intéresser à
mes rêves.
G. R. : Il y a eu tout de même une préoccupation d’ordre psychologique ?
G. R. : Oui, d’ordre on peut même dire analytique. Au départ d’ailleurs conçue un peu comme
une auto-analyse ou comme quelque chose qui aurait pu ressembler à une auto-analyse sauf,
que chemin faisant, je me suis aperçu que ça ne voulait rien dire une auto-analyse.
En fait, comme tout livre, il est tendu entre deux demandes, l'une qui est d'ordre personnel,
pratiquement d'ordre intime, et l'autre qui est une préoccupation littéraire. Finalement, ils
sont devenus pour moi des poèmes, c'est-à-dire des textes littéraires qui ont une grande
sobriété, qui, avec une grande économie de moyens, enfin je pense, donnent l'idée de quelque
chose qui appartient au domaine du rêve et derrière lequel je suis finalement. Je suis à la fois
un peu dedans mais beaucoup dehors alors que normalement, ce que devrait être la fonction
d'un rêve, au niveau d'une interrogation psychanalytique, c'est qu'on serait entièrement
dedans. Là où était le leurre, c'était dans une certaine relation entre l'écriture et cette
recherche. Quand je dis « j’ai cru qu’elle serait trop simple », je veux dire que j'ai cru qu'il
suffirait simplement que j'écrive mes rêves pour découvrir ce chemin que je cherchais dans
une interrogation personnelle, alors qu'en fait, ce chemin était beaucoup plus compliqué et,
s'il passait par les rêves, il passait par des rêves autrement que par des rêves qui auraient été
des prétextes d'écriture.
Ce qui ne veut pas dire que ce ne sont pas des rêves, ce sont des rêves qui ont tous les
caractères du rêve mais en même temps il y a dedans quelque chose qui reste obscur et qui
reste quelque chose d'une boutique. Je les mets à l’encan, je les mets en vente, comme ça,
sur le carreau. Je les montre. Dans les mots associés au mot « boutique », il y avait ce qu’on

427
appelle « la montre ». Je les expose d'une certaine manière pour ne plus les prendre en
compte.
Un rêve c'est un objet un peu magique et, quand on écrit des rêves, je crois qu'on joue à un
jeu où on ne sait pas très bien si on veut donner ou si on ne veut pas donner. C'est comme
quand on joue à cache-cache, on ne veut pas qu'on vous trouve, puisqu'on se cache, mais si
on ne vous trouve pas, il n'y a plus de jeu. La grande excitation du jeu vient de ce qu'on ne
sait pas très bien si on veut être trouvé ou si on veut être perdu. Je voulais dire quelque chose
à travers ces rêves, je voulais d'abord me dire quelque chose et d'une certaine manière je l'ai
dit.

[Lecture de « Itinéraire », rêve n° 3 de La Boutique obscure]

G. P. : C'est ce qui a été écrit au réveil avec cette idée. L'image dont je me souviens, c'était, en
me réveillant, d'avoir refait encore une fois le même rêve. Dans ce rêve, il y a un boyau, un
peu comme un couloir de métro, en plus étroit, avec de temps en temps des portes, comme
on voit dans les films policiers, des portes de banque, d'énormes portes rondes blindées.
C'était à peu près tout. Il y avait cette image avec cette sensation d'aller à la rencontre de
quelqu'un et puis ce chemin qu'on reparcourt, qu'on connaît, etcetera. À la fois un dédale qui
est un dédale secret et à la fois un secret qui est connu, ce qui donne « dédale secret connu »,
sans virgule et sans ponctuation. Il n’y a pas de point à la fin des phrases mais par contre le
texte commence avec deux points.

[Lecture de « L'épidémie », rêve n° 28 de La Boutique obscure]

G.P : C'est un rêve qui est beaucoup plus organisé. Je le trouve significatif parce que c'était
vraiment un rêve à la troisième personne. C'est vraiment un de ces rêves où on se voit en
train d'agir, un peu comme si on était dans une salle de cinéma et qu'on se voyait sur l'écran.
On est à la fois dans une action et en même temps extérieur à l'action. L’autre chose qui est
curieuse dans ce rêve, c’est que j’ai eu un incident avec le correcteur d’épreuves parce que
à deux reprises on a barré « le proverbe de Shakespeare » pour le remplacer par « le proverbe
de La Fontaine », évidemment. « Ils n’en mourraient pas tous mais tous étaient frappés. »
Alors, tout le monde corrigeait « La Fontaine » et puis j’ai dit : « Mais non, c’est
"Shakespeare" ». On m’a dit : « Mais ce n’est pas de Shakespeare, c’est de La Fontaine ».
Mais, dans le rêve, c’est de Shakespeare, c’était une phrase de Shakespeare !

428
Annexe B

DOSSIER PRÉPARATOIRE À LA RÉDACTION


DU RÊVE N° 1 « LA TAILLE »1089, LA BOUTIQUE OBSCURE

[80, 34, 1]

Dans la
nuit du
15 au 16 mai
1968
1

La taille (et le nom


m'échappe : métronome
perche toise
où devoir rester ad lib. plusieurs heures
rapetisser

comme de bien entendu


l'armoire (les 2 caches
lainages argent : inutile
la représentation théâtrale
l'humiliation
?
l'arbitraire
mourir ou sortir d'une pièce s'équivaut

1089 Nous reproduisons ici les pages des manuscrits microfilmés pour L'Association Georges Perec avec le
soutien du Centre National des Lettres en fac-similé. Les références des pages sont indiquées entre crochets avant
chaque reproduction.
Pour leur consultation, on pourra s’adresser au Fonds Georges Perec (fonds privé). Les archives
personnelles de Georges Perec sont déposées auprès de l'Association Georges Perec, bibliothèque de l'Arsenal, 1
rue de Sully, 75005 Paris. Elles ne sont consultables que sur autorisation de l’ayant-droits.

429
[80, 34, 2]

Dans la nuit du 15 au 16 mai 1968, j'ai fait un rêve dont la longueur


et la clarté n'ont cessé dès lors de m'occuper.
Il s'agit plus vraisemblablement d'une série de rêves
ou d'une succession plus frappante qu'à l'ordinaire de
scènes oniriques dont le souvenir et la reconstruction
s'est avéré plus tard un peu moins impossible
(flou) qu'à l'accoutumée
le 1er sentiment fort : la familiarité de ce rêve
la certitude qu'il s'agit d'un seul rêve que je
fais que je sache faire.
Si le rêve s'organise autour d'un thème central ce thème serait : le camp
plus précisément Treblinka
ou Terezienbourg ou Katowicz
referant à un article des TM je crois

éléments notés au matin


1. comme de bien entendu
[ → il ne s'agit pas
vraiment d'un camp ]
→ Kafka
l'armoire
plus tard : les 2 caches

430
[80, 34, 3]

Note au réveil Note plus tard Suite inspiré par Commentaires ?


la note
Comme de bien Il ne s'agit pas Kafka
entendu vraiment
d'un camp
L'armoire 1. les 2 caches Ce mécanisme
d'une des 2
2. lainages caches
argent quelqu'un entre
l'inutile cepdt que
j'actionne ou
cherche la
2nde
La représentation Requiem à Article TM
théâtrale Terezenbourg ou quoi
Treblinka On se sauve
[parfois]
en jouant
L'humiliation → J'ai oublié
(12h30)
?
L'arbitraire Mourir ou sortir La chambre
d'une pièce vieux thème
s'équivaut (chambre pleine
de suie)
chez MDM
La taille dont le
nom m'échappe
métronome
perche Toise Ce n'est pas
ou rester ad lib rapetisser vraiment lourd
plusieurs heures mais rien ne
devoir retient le
haut de la toise
aussi rapetisse
ton très
inconfortable

431
[80, 34, 4]

Refus du rêve dans le rêve


Savoir du rêve
impossible d'y échapper
terreur puis pas si terrible

l'armoire 2 personnages dont un je sûr


ouvrant l'armoire y découvrant
des richesses sécurité
lainages (bcp) (couleurs ?)
terne
vieux
mites
argent
sous un mécanisme
à bascule

cachette jugée peu sûre


quête d'une autre

mais qqn (officier) survient

de toute façon inutile

432
[80, 34, 5]

Ordre des scènes ?


D'abord : savoir d'un rêve concentrationnaire
2: pièce avec plusieurs personnes
la toise dans un coin
la menace de m'y mettre
pour plusieurs heures
l'échappée belle de cette menace
(sans raison)
(ou plutôt : indifférence du tortionnaire
qui peut faire ou ne pas faire
3: l'armoire
4: théâtre (oublié)

[80, 34, 6]

6
événements absents du rêve
pas de tenue rayée
(pas de tenue particulière)

[80, 34, 7]

Relu sans souvenirs d'abord


le vendredi 30 août 68

433
[80, 16, 1]

15/16.5.68 [rédigé le 30.3.72]


La taille

[Le matériel de départ, plusieurs fois repris par la suite, consiste en ces seuls mots
restés sans doute au sortir même du rêve : La taille (dont le nom m'échappe : métronome,
perche ) où devrai rester ad lib plusieurs heures. Comme de bien entendu. L'armoire (les deux
caches). La représentation théâtrale. L'humiliation. ? . l'arbitraire. ]

434
Annexe C

MANUSCRIT DU RÊVE N° 96 « LA FENÊTRE »,


LA BOUTIQUE OBSCURE

[117, 5, 25, r°]

23.24/10/71
noté vers 9h

Il est d'abord question d'autobus que je rate ou qui passent bondés. Peut-être me suis-
je trompé d'itinéraire : je crois retrouver le bon chemin en prenant un raccourci, mais je
m'éloigne plus encore.

Ainsi c'est peut-être par pur hasard que je finis par arriver dans les environs
d'Andé. Il y a foule au moulin. J'essaie d'écrire un message sur un mur, mais je n'y arrive
pas car la salle se remplit de monde (des touristes).

Je me retrouve dans mon ancienne chambre, elle est sans doute un peu plus
grande. Elle est vide ; le lit est fait ; je me déshabille et m'y couche. Presque tout de suite
arrivent les trois filles (sic) de S et S elle-même, en larmes. Chacune m'embrasse puis sort, sauf
S qui commence à se déshabiller pour venir se coucher près de moi.

Je remarque avec tristesse que si la douceur de son visage continue de me


bouleverser, son corps m'apparaît comme vieilli et fatigué.

À un certain moment, une petite fille entre et s'installe à côté de nous mais sans faire
attention à nous ni nous à elle.

En fait S s'assied non loin du lit sur un fauteuil et étend ses jambes sur une table
basse. Elle me dit qu'elle a fini par comprendre que j'étais fou, que jusqu'à ce
qu'elle parte en Angleterre, elle a continué à penser à moi mais que maintenant c'est fini.

La chambre se remplit de nouveau de monde. On me présente à un homme à qui je


dis :
« Lorsque dans deux ans vous prétendrez m'avoir rencontré fin octobre 71 au
Moulin d'Andé je vous affirmerai que c'est faux car j'ai cessé pour toujours d'y aller dès
février 71. »

Tout le monde sort, y compris S. ? Je me dis quelque chose comme : voilà ce que c'est
que de ne l'avoir vue pendant 18 semaines et quand même de la revoir.

435
Le lit de la chambre a été refait. On a posé dessus un peu de terreau et des fleurs que
j'ai envie de réarranger pour former le mot « adieu » (c'est déjà ce que je voulais écrire sur le
mur)

Je suis en séance chez Pon. Je commente ce rêve et j'en arrive à la conclusion qu'il
suggère / signale une alternative impossible :
- pour réussir dans ma psychanalyse, il faudrait que j'ai oublié S mais
- pour oublier S il faudrait que j'ai achevé ma psychanalyse
Pon se met à rire et dit quelque chose comme
— Mon cher pensez-y c'est votre problème !
(comme s'il s'en lavait les mains et qu'il y avait choix de ma part !)

A ce moment je vois que Pon a laissé entrer dans la pièce voisine deux de nos amis
communs (précisément concernés) : Pouillon et Condo. (Condo jouant le rôle de Régis)
C. dit quelque chose comme :
— C'est vrai ça
Je lui dit :
— Tu ne vois pas que je suis en train de devenir fou, tu te dis mon ami, tu dois
comprendre que j'ai besoin de S, qu'il faut me laisser la place !
Mais évidemment, Condo s'en fout.
Il est même possible qu'il éclate de rire en me disant que ce n'est pas mon
problème (?)
Puis il passe avec Pouillon sur un balcon.
Je me glisse derrière eux, je ferme subrepticement la fenêtre et je m'apprête à
renforcer cette fermeture avec une barre de fixation. Je me dis : cette fois-ci, si on me
surprend, comment vais-je faire pour prétendre encor(e) que ce n'est pas moi qui ai enfermé le
petit garçon dans la pension de Lans ?
À ce moment-là Pon entre (en toussant) et je laisse retomber la barre de fixation,
horriblement gêné, pris en faute ...

436
Annexe D

MANUSCRITS DES RÊVES DE ROBERT DESNOS1

Forme et cote dans Publications


Date du récit de rêve
ALMé
1907 /
Manuscrit [BRT 130]
1909-1910-1911 /
Fonds André Breton
Hiver 1915-1916 /
1916 /
Hiver 1918-1919 / Littérature, n° 5, 1er octobre 1922
Août 1922 /
Manuscrit [Ms 6673]
Tapuscrit [DSN 277 (9-
11-12 septembre 1922
15)]
Fonds Robert Desnos
Tapuscrit [DSN 277 (9-
Réalités secrètes, n° 11,
16-17 juin 1925 15)]
juin 1960
Fonds Robert Desnos
Tapuscrit [DSN 277 (9-
21-22 mars 1931 15)]
Fonds Robert Desnos Nouvelles Hébrides et
1492. Revue autres textes, éd. Marie-
Manuscrit [DSN 210] internationale des Arts et Claire Dumas
9 septembre 1922
Fonds Robert Desnos des Lettres, n° spécial 3,
mars 1963, p. 2 Et Œuvres, éd. Marie-
Claire Dumas, Quarto
7-8 septembre 1922
Manuscrit [Ms 6673]
24-25 septembre 1925 Fonds Robert Desnos

29 août 1929 /

1
Bibliothèque numérique ALMé, Bibliothèque Jacques Doucet

437
RÊVES DE 1907 À 1916

Manuscrit [BRT 130], Fonds André Breton, Bibliothèque Jacques Doucet, Paris

438
Transcription

Rêves

J’ai fait les rêves suivants :


En 1907 ou 1908 :
« Je suis dans une arène inclinée comme un vélodrome. J’entends soudains le bruit du galop du
d’un taureau qui se précipite sur moi. À ce moment au lieu d’être entourée de gradins l’arène
est entourée par les quatre murs de ma chambre. Celle-ci est devenue aussi grande que l’arène
sans que les meubles aient grandi ni que le rapport entre leurs dimensions et celle des murs ait
varié. L’atmosphère siffle à la façon d’un bec de gaz. »
Quand je me réveille, sans sursaut, il est l’heure habituelle.

En 1908, en 1909, en 1910 (rêve reproduit une vingtaine de fois durant ces trois années à
plusieurs mois d’intervalle chaque fois et sans variation.)
« Je marche dans l’ une allée d’un square qui est celui de la Tour St Jacques. Je ne vois
cependant que le sable de l’allée bordée de petits arceaux que et seulement jusqu’environ deux
mètres devant moi, Il faut sol mais j’ai la sensation de la présence de la Tour à ma droite et de
la couleur vert foncé du gazon, il fait soleil, mon ombre glisse devant moi, j’ai une canne à la
main. Soudain tout le ?? disparaît. J’ai la certitude de la présence à ma droite d’un organe
humain, géant (grand comme une maison) de l’ordre d’un foie ou des reins représentés sur la
réclame de l’urdonal. Je sais que des chirurgiens en blouse blanche se préparent à opérer cet
organe ; qu’un grand malheur me guette. Des sanglots m’étouffent et me réveillent en sursaut. »
, absolument affolé et criant de peur »

Durant l’hiver 1915-1916


« J’ai commis un crime. On vient m’arrêter. Ou me conduire à la guillotine. Quelle est votre
dernière volonté ? me demande-t-on. Je désire être exécuté sur le dos, par bravade. On fait à ma
guise. J’aperçois alors de chaque côté de ma tête les montants de l’appareil terminés par le
couperet qui descend en cahotant. »

439
440
Transcription

En 1907 ou 1908 j’ai fait le rêve suivant


« J’étais au milieu d’une arène de tauromachie inclinée comme un vélodrome.

441
RÊVES DES 7-8 SEPTEMBRE 1922, 11-12 SEPTEMBRE 1922, 24 SEPTEMBRE
1922

Manuscrit [Ms 6673], Fonds Robert Desnos, Bibliothèque Jacques Doucet, Paris

442
Transcription

Rêve nuit du 7 au 8 septembre 1922

Tous mes amis (sans que je puisse en citer un) et moi sommes réunis dans une piscine. Une
galerie fait le tour de la salle. Nous y montons. Quand nous sommes sur le point de
redescendre un défilé d’invertis sort de l’escalier. Ils sont vêtus d’un peignoir de bain et co
blanc et coiffé d’un bonnet de coton blanc. Quelques-uns portent une perruque blonde. Tous
sont fardés, sourient, font des clins d’yeux : leurs expressions sont absolument exaspérantes1.
Je suis très gêné, ma contenance est embarrassée, « Je fais celui qui ne les voit pas » A ce
moment je me rends compte que mes amis ont disparus, Je les cherche, j’apprends qu’ils sont
sortis. Je sors moi-même en hâte.

(1) J’ai à ce moment le sentiment qu’ils viennent de défiler dans une revue de Music-Hall.

Nuit du 11 au 12 septembre 1922


Je suis dans une grande salle au parquet raboteux, bordée de canapés râpés, en
compagnie de plusieurs personnes. Arrive un ouvrier : figure visage énergique, yeux
enfoncés, cheveux noirs crépus comme ceux des bohémiens. Il semble très fatigué et demande
l’autorisation de se reposer. Mes compagnons et moi sommes tourmentés parce que nous
sommes sûrs de connaître cet homme mais ne pouvons retrouver ni son nom, ni son rôle.
Soudain l’un de nous prononce le mot espagnol « naranjas » que je traduis par marchand
d’oranges. Nous continuons à chercher son nom avec anxiété. Lui-même nous le dit :
« Parajoul » ce qui nous transporte de joie.
À ce moment précis je constate que le plancher raboteux n’est autre que la Place de
Grève (sic) vue d’une assez grande hauteur. Pourtant les parois de la salle sont restées les
mêmes. Je note cependant que la fenêtre est celle de ma chambre, que ma table se trouve
devant, et que je suis étendu sur mon lit. Par une rampe invisible de sorte qu’il a l’air de
s’élever lentement dans l’espace un cortège monte de la place jusqu’au niveau du plancher
invisible de la pièce ce cortège est composé d’une princesse vêtue à la mode Louis XIII à côté
de qui marche un personnage qui n’est ni Richelieu ni Mazarin mais participe de ces deux
personnages ministres. Ils sont suivis d’une troupe mal définie. Quand ils arrivent devant moi
je me rends compte que ces gens viennent me chercher pour l’emmener pendre au gibet de
Montfaucon. La princesse exprime alors le désir de manger une pomme. Après une violente
discussion de préséance avec le pseudo Richelieu – Mazarin, je lui offre moi-même en
souriant un de ces fruits sur une soucoupe rose, en souriant. Je suis très orgueilleux de ce mon
sourire qui me semble une belle preuve d’héroïsme. Tandis que la princesse mange assise à
ma table mange la cette pomme en la

443
444
Transcription

découpant avec un couteau et une fourchette la pomme dont je m’étonne que son aspect soit
presque plutôt celui d’une pêche et qu’à vrai dire elle ait plutôt la consistance de la chair
humaine que de la pulpe d’un fruit.
Tournant la tête de côté je vois que Parajoul s’est étendu à côté de moi sur mon lit. La Princesse
tout en mangeant le regarde sens être effrayée.
Quand elle a fini elle se lève et je regarde longtemps le cortège s’éloigner sur une route bordée
de terrains noirs, sous un ciel de lavis à l’en dans la direction d’un gibet qui est caché derrière
l’horizon où ils doivent pendre quelqu’un qui est moi, bien que je ne sois plus avec eux, ou
Enguerrand de Marigny dont l’atmosphère qui entoure son nom est celle de cette partie du rêve.
Je m’applique alors à reconstituer l’épigramme de Marot sur le lieutenant de police Maillard et
me réveille avant d’avoir ou y parvenir.

Nuit du 24-9-22 au 25-9-22


Début de cauchemar dont je ne puis absolument pas me rappeler :
« L’atelier de Breton. Celui-ci marche de long en large du piano à la fenêtre. Il dit des choses
d’un tragique absolu, dans une atmosphère d’angoisse absolument inouïe à Morise assis sur la
canapé contre le mur. Simone Breton ni Vitrac ni moi n’étions là : je me suis inquiété de savoir
si S. et V. étaient là et m’étonnai même de leur absence quant à moi je n’étais pas là et cette
partie du cauchemar était de l’ordre de la voyance à distance ou de la projection
cinématographique. »
Je me suis renseigné le soir du 29.9.22 auprès de Morise et Breton : à 7 heures du soir le 24,
Breton avait développé à Morise ses idées sur la ligne nouvelle à suivre en général et son
opinion sur M. Duchamp en particulier. Conversation d’un tragique réel pour A.B. et ses
amis. Le cauchemar commencé après 19 heures (heure du coucher) se termine avant 23h
(heure du réveil en sursaut) pour reprendre vers 24h approximativ. et se termine par une sorte
d’inondation de couleurs de la consistance d’un fluide.

Soir du 25-9-22. Première séance d’hypnose chez A.B.


1°) Crevel en état d’hypnose. Effroi de Kiki qui sort début de la conversation de Crevel :
« Quelqu’un s’en va, et ce quelqu’un s’en va parce qu’il a quelque chose à se reprocher » la
suite sur le ton emphatique d’un avocat plaidant une cause. Discours enchainé pour la ligue
générale.
Poème. Un homme a été tué. On accuse une femme. Celle-ci a bien tué2

2
La suite du texte est publiée dans Œuvres, éd. Marie-Claire Dumas, Gallimard, Quarto, 1999, p. 129.

445
446
RÊVE DU 11 AU 12 SEPTEMBRE 1922

Tapuscrit [DSN 277 (9-15)], Fonds Robert Desnos, Bibliothèque Jacques Doucet, Paris.

447
RÊVE DU 9 SEPTEMBRE 1922

Manuscrit [DSN 210], Fonds Robert Desnos, Bibliothèque Jacques Doucet, Paris.

448
Transcription

Le samedi 9 septembre 1922 vers 4 ½ - 5 heures du matin

J’étais au café des Innocents (cours des halles ou au square) avec Lévy (Duhamel) et Malkine.
À la table voisine 3 jeunes gens et un personnage ressemblant un peu à Rochefort. Lévy « un
peu bu » ne voulant pas boire un verre de fine qu’on venait de lui servir l’offre à un des jeunes
hommes. Malkine lui reproche ce geste. Je m’interpose. À ce moment le pseudo Rochefort
prend la parole « Vous vous destinez sans J’admire le geste que vous venez de faire,
Monsieur, dit-il à Lévy, vous ne voulez pas obscurcir votre esprit… Vous êtes des jeunes gens
intellectuels. Vous avez des têtes de gens qui deviendront quelqu’un. Vous [vous] destinez
certainement sans doute à autre chose qu’à l’épicerie… (me désignant) vous surtout je serais
fort étonné que vous ne réussissiez point. Vous avez tout pour cela et ce sourire (je souriais) là
aussi (maintenant Lévy). Il y a du sourire mais ce n’est pas le même. Vous vous destinez sans
doute à la peinture ou au théâtre mais je suis persuadé que vous réussirez. » Malkine de
mauvaise humeur nous entrainant. Je serrai la main à cet homme qui me dit encore « J’ai
lutté ! Je n’ai pas réussi, j’ai 65 ans, mais je lutte encore.

449
RÊVE DU 29 AOÛT 1929

Manuscrit [Ms 6673], Fonds Robert Desnos, Bibliothèque Jacques Doucet, Paris.

450
Transcription

29 août 1929. À 2h du matin environ.


Sans pouvoir me rendre compte du moment où je passe su sommeil à l’état de veille je me
trouve, parfaitement éveillé, en présence d’une femme plus grande que nature (2m environ)
très visible malgré l’obscurité et tenant dans ses mains un drapeau à raies rouges sur fond
blanc mais sans hampe identique à celui du Katori Maru (bateau de Youki) (en tête du papier
à lettre). Cette femme tient l’étoffe tendue je vois mal le visage. Je ne sais qui sait. Soudain
métamorphose insensible et je me trouve en présence de la vision de la verrière de mon
atelier : lumineuse grâce au clair de lune.
Depuis 8 jours j’essayais d’entrer en communication nocturne psychique avec le Katori Maru.

451
452
Annexe E

MANUSCRITS D’ANDRÉ BRETON


(EXEMPLES)

453
RÊVE DU 7 FÉVRIER 1937

454
455
RÊVE DU 10 AVRIL 1938

456
457
458
BIBLIOGRAPHIE

459
460
I.   CORPUS

CORPUS PRINCIPAL

Recueils de récits de rêves (par ordre chronologique)

PAULHAN Jean, Le Pont traversé (C. Bloch, 1921), Récits, Œuvres complètes, édition établie
et annotée par Bernard Baillaud, Gallimard, collection Blanche, t. I, 2006.
BRETON André, Clair de terre (Presses du Montparnasse, 1923), Œuvres complètes, édition
établie par Marguerite Bonnet, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », t. I, 1988.
—, Les Vases communicants (Les Cahiers libres, 1932), Œuvres complètes, édition
établie par Marguerite Bonnet, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », t. II,
1992.
DESNOS Robert, La Clef des songes : une émission radiophonique sur les rêves en 1938,
édition établie par Alain Chevrier, Lausanne, L'Âge d'homme, coll. « Bibliothèque
Mélusine », 2016.
ÉLUARD Paul, Les Dessous d’une vie ou la pyramide humaine (1926), dans Œuvres
complètes, édition établie et annotée par Marcelle Dumas et Lucien Scheler, Gallimard,
« Bibliothèque de la Pléiade », t. I, 1968.
YOURCENAR Marguerite, Les Songes et les sorts (Grasset, 1938), repris dans Essais et
mémoires, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1991.
LEIRIS Michel, Nuits sans nuit et quelques jours sans jour (Gallimard, 1961), Gallimard,
« L’Imaginaire », 2002.
MICHAUX Henri, Façons d'endormi, façons d'éveillé (Gallimard, coll. « Le point du jour »,
1969), Gallimard, « L’Imaginaire », 2004.
PEREC Georges, La Boutique obscure, 124 rêves, (Denoël, 1973), Gallimard,
coll. « L’Imaginaire », 2010.
QUENEAU Raymond, « Des récits de rêves à foison » (Les Cahiers du chemin, n° 19, p. 11-
14, 1973), repris dans Contes et propos, Gallimard, 1981.
BÉALU Marcel, La Vie en rêve, Phébus, 1992.
TRISTAN Frédérick, Brèves de rêves, éd. Pierre-Guillaume de Roux, 2012.

461
Récits de rêves publiés en revues (par ordre chronologique)

Littérature, nouvelle série,


no 1, 1er mars 1922
- BRETON André, « Récit de 3 rêves », p. 5-9.
n° 5, 1er octobre 1922
- DESNOS Robert, « Rêves », p. 16.no 7, 1er décembre 1922
- BRETON André, « Rêve », p. 23-24.
Le Disque vert : revue mensuelle de littérature, « Des rêves », Troisième année, 4e série, Paris-
Bruxelles, dir. Franz Hellens et Henri Michaux, 1925.
— « Freud et la psychanalyse », 1924.
La Révolution surréaliste, Librairie Gallimard, 1924-1929.
n° 1, 1er décembre 1924

-   BOIFFARD Jacques-André, ÉLUARD Paul et VITRAC Roger, « Préface »,


p. 1-2.
-   BRETON André, « Rêves », p. 3-5.
-   CHIRICO Giorgio (de), « Rêves », p. 3.
-   GAUTHIER Renée, « Rêves », p. 5-6.
-   REVERDY Pierre, « Le rêveur parmi les murailles », p. 19.
n° 2, 15 janvier 1925
-   LEIRIS Michel, « Le Pays de mes rêves », p. 27-29.
-   CREVEL René, « Je ne sais pas découper », « Chroniques : le sommeil »,
p. 25-26.
n° 3, 15 avril 1925

-   ARTAUD Antonin, « Rêves », p. 2.


-   BECHET Maurice, « Douze phrases du réveil », p. 28.
-   BOIFFARD Jacques-André, « Rêves », p. 5.
-   ÉLUARD Paul, « Rêves », p. 3.
-   MORISE Max, « Rêves », p. 2.
-   NAVILLE Pierre, « Rêves », p. 4.
-   QUENEAU Raymond, « Rêves », p. 5.
-   « Rêves d’enfants », Rêves communiqués par J. Baucomont, p. 2.
n° 4, 15 juillet 1925
-   MORISE Max, « Rêves », p. 6.
-   LEIRIS Michel, « Rêves », p. 7.

462
n° 5, 15 octobre 1925

-   MORISE Max, p. 11-13.


-   LEIRIS Michel, p. 10.
n° 7, 15 juin 1926

-   LEIRIS Michel, p. 8-9.


-   NOLL Marcel, p. 6-8.
n° 9-10, 1er octobre 1927

-   ARAGON Louis, « Rêve », p. 8.


-   ERNST Max, « Vision de demi-sommeil », p. 7.
-   NAVILLE Pierre, « Rêves », p. 8.
-   DESNOS Robert, « Journal d’une apparition ».
Les Nouvelles littéraires, « Communiqué sur le Bureau de recherches surréalistes »,
8 novembre 1924, p. 482.
Le Surréalisme au service de la révolution, dir. André Breton, 1930-1933.
n° 4, décembre 1931

-   DALI Salvador, « Rêverie », p. 31-36.


-   BRETON André, « Réserve quant à la signification historique des investigations sur
le rêve », p. 7-12.
Minotaure : revue artistique et littéraire, dir. Albert Skira, édition Albert Skira, 1933-1939.
n° 3-4, 12 décembre 1933

-   BRETON André, « Le message automatique »


Trajectoire du rêve, documents recueillis par André Breton, Cahiers GLM, n° 7, 1938.

Anthologies de récits de rêve

Sommeils et rêves surréalistes, textes réunis et présentés par Georges Sebbag, J.-M. Place,
2004.
GACHOT François, Les Chefs-d’œuvre du rêve, Anthologie Planète, 1966.

463
Manuscrits consultés

DESNOS Robert :
Bibliothèque en ligne ALMé, Bibliothèque Jacques Doucet, Paris
Fonds André Breton : Manuscrit [BRT 130].
Fonds Robert Desnos : Manuscrit [Ms 6673], [DSN 210], [Ms 6673] ; Tapuscrit
[DSN 277 (9-15)].
PEREC Georges :
Dossier consacré à La Boutique obscure, fonds Georges Perec, Association Georges
Perec, bibliothèque de l'Arsenal, BNF, Paris.
Microfilms n° 63 bis, n° 80, n° 87, n° 116, n° 117.

464
CORPUS SECONDAIRE

Autres œuvres des auteurs du corpus (par ordre alphabétique)

BÉALU Marcel, Mémoires de l’ombre, Gallimard, 1944.


—, L’Expérience de la nuit, Phébus, 1945.
—, Contes du demi-sommeil, Phébus, 1960.
—, Le Bien rêver, Robert Morel, 1968.
—, La Poudre des songes, Belfond, 1977.
BRETON André, Œuvres complètes, édition établie par Marguerite Bonnet, Gallimard,
« Bibliothèque de la Pléiade », 4 tomes, 1988-2008.
—, Les Champs magnétiques (1920), OC I.
—, « Carnets fin 1920-juillet 1921 », OC I.
—, Poisson soluble (1924), OC I.
—, Les Pas perdus (1924) OC I.
—, Manifeste du surréalisme (1924), OC I.
—, Introduction au discours sur le peu de réalité (1925), OC I.
—, Nadja (1928), OC I.
—, Second manifeste du surréalisme (1930), OC I.
—, L’Immaculée conception (1930), OC I. (avec Paul Éluard)
—, L’Amour fou (1937), OC II
—, Qu’est-ce que le surréalisme ? (1934), OC II.
—, Point du jour (1934), OC II.
—, Position politique du surréalisme (1935), OC II.
—, Dictionnaire abrégé du surréalisme, 1938, OC II. (avec Paul Éluard)
—, Anthologie de l’humour noir (1940), OC II.
—, Fata Morgana (1940), OC II.
—, Entretiens 1913-1952, OC III.
—, La Clef des champs (1953), OC III.
—, « Du surréalisme en ses œuvres vives » (1955), OC IV.
DESNOS Robert, Œuvres, édition de Marie-Claire Dumas, Gallimard, « Quarto », 1999.
—, Pénalités de l’enfer ou Nouvelles Hébrides (1922)
—, Sommeils hypnotiques (1922)
—, « Journal d’une apparition » (1927)
—, Corps et biens (1930)
—, Les Nuits blanches (1930-1932)

465
—, Les Rayons et les ombres, cinéma, édition établie et présentée par Marie-Claire
Dumas, Gallimard, 1992.
ÉLUARD Paul, Œuvres complètes, Édition de Marcelle Dumas et Lucien Scheler, 2 tomes,
1968.
—, Les Nécessités de la vie ou les conséquences des rêves (1921), OC I.
—, Dors (1931), OC I.
—, Nuits partagées (1935), OC I.
—, Notes sur la poésie (1936), OC I. (avec André Breton)
—, Premières vues anciennes (1937), OC I.
—, Donner à voir (1939), OC I.
—, Moralité du sommeil (1941), OC I.
—, La Dernière nuit (1942), OC I.
—, Poésie involontaire et poésie intentionnelle (1942), OC I.
—, Le Poète et son ombre, Seghers, 1989.
LEIRIS Michel, Le Point cardinal (1925), V coll. « L’Imaginaire », 2007.
—, L’Afrique fantôme (1934), Gallimard, coll. « tel », 1993.
—, L’Âge d’homme (1939), Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2014.
—, Glossaire j’y serre mes gloses (1939) suivi de Bagatelles végétales, édition établie
par Louis Yvert, Gallimard, « Poésie », 2014.
—, Haut Mal, Gallimard, 1943.
—, Nuits sans nuit, Fontaine, 1945.
—, Aurora (Gallimard, 1946), Gallimard, coll. « L’Imaginaire », 1990.
—, La Règle du jeu (1948-1976), édition publiée sous la direction de Denis Hollier,
Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2003.
-, Biffures, (La Règle du jeu, I), Gallimard, 1948.
-, Fourbis, (La Règle du jeu, II), Gallimard, 1955.
-, Fibrilles, (La Règle du jeu, III), Gallimard, 1966.
-, Frêle bruit, (La Règle du jeu, IV), Gallimard, 1976.
—, Journal (1922-1989), éd. Jean Janin, Gallimard, 1992.
—, Le Ruban au cou d’Olympia, Gallimard, 1981.
—, Langage tangage, Gallimard, 1985.
—, A cor et à cri, Gallimard, 1988.
—, Zébrage, Gallimard, coll. « folio essais », 1992.
—, Miroir de l’Afrique, Gallimard, coll. « Quarto », 1995.

466
MICHAUX Henri, Œuvres complètes, Édition de Raymond Bellour, Gallimard,
coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 3 tomes, 1998-2004.
—, Les Rêves et la Jambe (1923), OC I.
—, « Réflexions qui ne seront pas étrangères à Freud », dans Le Disque vert, 2e
année, 3e série, 1924, p. 149-151, repris dans OC I.
—, « Surréalisme », dans Le Disque vert, 3e année, 4e série, n° 1, janvier 1925,
p. 21-22, repris dans OC I.
—, « Mes rêves d’enfants » dans Le Disque vert, 3e année, 4e série, n° 2, mars
1925, p. 37-39, repris dans OC I.
—, Mes Propriétés (1930), OC I.
—, La Nuit remue (1935, 1967), OC I.
—, Plume précédé de Lointain intérieur (1938), OC I.
—, « L’Avenir de la poésie » (1936), OC I.
—, « Recherche dans la poésie contemporaine » (1936), OC I.
—, Misérable miracle (1956), OC II.
—, Connaissance par les gouffres (1961, 1967), OC III.
—, Les Grandes épreuves de l’esprit et les innombrables petites (1966), OC III.
—, Face à ce qui se dérobe (1975), OC III.
—, Affrontements (1981), OC III.
—, Entretiens avec Robert Bréchon (1959), OC III.
—, À la minute que j’éclate. Quarante-trois lettres à Herman Closson, présentées et
annotées par Jacques Carion, Bruxelles, Didier Devillez, 1999.
—, Sitôt lus. Lettres à Franz Hellens (1922-1952), éd. Leonardo Clerici, Fayard, 1999.
—, En songeant à l’avenir, L’Échoppe et la Maison des Amis des Livres, 1994.
PAULHAN Jean, Œuvres complètes, édition établie et annotée par Bernard Baillaud,
Gallimard, collection Blanche, 5 tomes, 2006-2011.
—, « Un compte rendu sur Freud » pour le Journal de psychologie normale et
pathologique, avril 1907, OC II.
—, Les Hain-Tenys (1913-1956), OC II.
—, Jacob Cow le pirate ou si les mots sont des signes (1920-1921), OC II.
—, L’Expérience du proverbe (1925), OC II.
—, Les Fleurs de Tarbes ou la terreur dans les lettres (1941), OC III.
—, Clefs de la poésie (1944), OC II.
—, À demain, la poésie (1947), OC II.
—, Les Causes célèbres (1950), OC I.
—, « La conscience dans le rêve » (1951), OC V.
—, Le Clair et l’obscur (1958), OC III.

467
—, Lalie (1966), OC I.
—, La Vie est pleine de choses redoutables, éditions Claire Paulhan, 1997.
—, Entretiens à la radio avec Robert Mallet, Gallimard, coll. « Arcades », 2002.
PEREC Georges, Œuvres, édition publiée sous la direction de Christelle Reggiani, Gallimard,
coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2 tomes, 2017.
—, Un homme qui dort (1967), O I.
—, Espèce d’espaces (1974), O I.
—, W ou le souvenir d’enfance (1975), O I.
—, Tentative d’épuisement d’un lieu parisien (1975), O II.
—, Penser/Classer, Hachette, « Textes du XXe siècle », 1985.
—, Vœux, Seuil, « La Librairie du XXe Siècle », 1989.
—, L’Infra-ordinaire, Seuil, 1989.
—, Je suis né, Seuil, « La Librairie du XXe siècle », 1990.
—, Cantatrix sopranica L. et autres écrits scientifiques, Seuil, « La Librairie du
XXe siècle », 1992.
—, Entretiens et conférences, édition critique établie par Dominique Bertelli et Mireille
Ribière, Nantes : Joseph K., 2 tomes, 2003.
QUENEAU Raymond, Œuvres complètes, t. I : « Poésie », édition de Claude Debon,
Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1989.
—, Chêne et chien (1937), OC I.
—, Monuments (1948), OC I.
—, Textes surréalistes (1924-1928), OC I.
—, Œuvres complètes, t. II et III : « Romans », édition d’Henri Godard, Gallimard,
coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2002-2006.
—, Le Chiendent (1933), OC II.
—, Odile (1937), OC II.
—, Les Enfants du limon (1938), OC II.
—, Exercices de style (1947), OC III.
—, Loin de Rueil (1944), OC III.
—, Les Fleurs bleues (1965), OC III.
—, Le Vol d’Icare (1968), OC III.
—, Contes et propos, Gallimard, 1981.
TRISTAN Frédérick, Le Singe égal du ciel, Bourgois, 1972.
—, La Cendre et la Foudre, Balland, 1982.
—, La Chevauchée du vent, La Table Ronde, 1991.
—, Dernières nouvelles de madame Berthe, Dumerchez, 1993.
—, Les Succulentes Paroles de Maître Chù, Fayard, 2002.

468
—, Dieu, l’univers et madame Berthe, Fayard, 2002.
—, Tao, le haut voyage, Fayard, 2003.
—, Le Chaudron chinois, Fayard, 2008.
—, Tarabisco, Fayard, 2010.
—, Réfugié de nulle part : mémoires, Fayard, 2010.
—, Une vie au péril de l’écriture. Études et entretiens (1954-2014), L’Esprit du Temps,
2015.
TRISTAN Frédérick et MOREAU Jean-Luc, Le Retournement du gant : entretiens avec Jean-
Luc Moreau, Fayard, 2000.
YOURCENAR Marguerite, Œuvres romanesques, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la
Pléiade », 1982.
—, Mémoires d’Hadrien (1951)
—, L’Œuvre au noir (1968)
—, Essais et mémoires, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1982.
—, Sous bénéfice d’inventaire (1962, 1978)
—, Le Temps, ce grand sculpteur (1983)
—, Les Yeux ouverts, entretiens avec Marguerite Yourcenar de Matthieu Galey, 1980.
—, Portrait d’une voix, vingt-trois entretiens (1952-1987), textes présentés, réunis et
annotés par Maurice Delcroix, NRF, Gallimard, 2002.

469
Autres œuvres faisant intervenir le rêve

ALEXANDRE Maxime, Mythologie personnelle, 1923.


ARAGON Louis, Œuvres poétiques complètes, édition établie par Olivier Barbarant,
Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2 tomes, 2007.
—, Une vague de rêves (1924), OPC I.
—, Le Paysan de Paris (1926), OPC I.
—, Écritures automatiques (1920-1926), OPC I.
—, Écrits sur la poésie, OPC II.
—, Traité du style (1928), Gallimard, « L’Imaginaire », 1991.
—, Aragon parle avec Dominique Arban, Seghers, 1968.
—, Le Temps traversé, Correspondance 1920-1964, Gallimard, 1994.
—, Chroniques I (1918-1932), éd. Bernard Leuilliot, Stock, 1998.
ARTAUD Antonin, L’Ombilic des limbes, Gallimard, coll. « Poésies », 1977.
BONNEFOY Yves, Récits en rêves, Mercure de France, 1987.
—, L’Arrière-pays (1972).
—, L’Ordalie (1975).
—, Rue Traversière (1977).
BOREL Jacques, Petite Histoire de mes rêves, Luneau Ascot, 1981.
BUTOR Michel, Matière de rêves (Gallimard, 1975-1985), repris dans Œuvres complètes de
Michel Butor, t. VIII, édition établie par Mireille Calle-Gruber, La Différence, 2006.
CAILLOIS Roger, L’Incertitude qui vient des rêves, Gallimard, coll. « Idées », 1956.
CAYROL Jean, « Les rêves concentrationnaires », Les Temps modernes, n° 36, septembre
1948, p. 520-535.
CIXOUS Hélène, Rêve, je te dis, Galilée, 2003.
CREVEL René, Œuvres complètes, édition établie, préfacée et annotée de Maxime Morel,
éditions du Sandre, 2 tomes, 2014.
—, « Freud, de l’alchimiste à l’hygiéniste », Le Disque vert, deuxième année,
troisième série, numéro spécial « Freud », 1924, p. 88-90, repris dans OC I, p.
258.
—, Mon corps et moi (1925), OC II.
—, La Mort difficile (1926), OC II.
—, Babylone (1926), OC II.
—, Êtes-vous fous ? (1929), OC II.
—, « À l’heure où l’écriture se dénoue », Variétés, n° spécial « Le Surréalisme
en 1929 », juin 1929, repris dans L’Esprit contre la raison, OC I, p. 667.
—, Le Clavecin de Diderot (1932), OC I.

470
—, « La période des sommeils », This Quarter, vol. 5, n° 1, septembre 1932,
repris dans OC I, p. 566.
—, Les Pieds dans le plat (1933), OC II.
HELLENS Franz, Nocturnal, précédé de quinze histoires, Bruxelles , Les Cahiers
indépendants, série 1, n° 2, 1er mai 1919.
—, Mélusine (1920), Bruxelles, Les Éperonniers, coll. « Passé Présent », 1987.
—, La Vie seconde ou Les songes sans la clé, Bruxelles-Paris : Éd. du Sablon, 1945.
Seconde édition, revue et corrigée : La Vie seconde, Albin Michel, 1963.
—, Documents secrets (1905-1956), Albin Michel, 1958.
—, Les Yeux du rêve. Moralités fantastiques, Bruxelles et Paris, Brepols, Coll. « Le
Cheval insolite », 1964.
—, Poétique des éléments et des mythes, Albin Michel, 1966.
—, Le Fantastique réel, éd. Labor, coll. « Poteau d’angle », 1991.
JACOB Max, Lettres à Marcel Béalu, Lyon, Éditions Emmanuel Vitte, 1959.
JOUVE Pierre Jean, Œuvres, texte établi et présenté par Jean Starobinski, Mercure de France,
1987, 2 tomes.
—, Paulina 1880 (1925), O II.
—, Hécate (1928), O II.
—, Vagadu (1931), O II.
—, Moments d'une psychanalyse (1933), O II.
—, La Scène capitale (1935), O II.
—, En miroir : journal sans date (1954), O II.
—, Apologie du poète (1947), suivi de Six lectures, Fata Morgana, coll. « Le Temps
qu’il fait », 1987.
—, Commentaires, La Baconnière, 1950.
MALESPINE Émile, « Côté doublure », Manomètre, n° 5, février 1924, p. 77.
OLLIER Claude, Fables sous rêve, journal de 1960 à 1970, Flammarion, 1985.
PROUST Marcel, À la recherche du temps perdu (1913-1927), éd. Jean-Yves Tadié, Gallimard,
« Bibliothèque de la Pléiade », 1992.
REVERDY Pierre, « Le rêveur parmi les murailles », La Révolution surréaliste, n° 1, décembre
1924.
SARTRE Jean-Paul, L’Imaginaire : psychologie phénoménologique de l'imagination (1940),
Gallimard, coll. « folio essais », 1992.
TZARA Tristan, Œuvres complètes, éd. Henri Béhar, Flammarion, 6 tomes, Garnier-
Flammarion, 1975-1981.
—, « Essai sur la situation de la poésie » (1931), OC V
—, Grains et issues (1935), OC IV.
—, Les Écluses de la poésie, OC V.

471
—, « Le Bureau des rêves perdus », OC V.
VALERY Paul, « Rêve », Cahiers, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. II, 1974.
Cahiers Paul Valéry, n° 3 « Questions du rêve », Gallimard, 1979.

472
II.   SUR LES AUTEURS
(par ordre alphabétique )

MARCEL BÉALU

Marcel Béalu, Otrante, n° 6, éd. Kimé, 3ème trimestre 1994.


MELLIER Denis, « Les Mémoires de l’ombre. Le fantastique au fragment », Textes fantômes.
Fantastique et autoréférence., éditions Kimé, coll. « Détours littéraires », 2001.

ANDRÉ BRETON

ALEXANDRIAN Sarane, Breton par lui-même, Seuil, 1971.


BALAKIAN Anna, André Breton. Magnus of surrealism, New York, Oxford University Press,
1971.
BEAUJOUR Michel, « Poétique de l’automatisme chez André Breton », Poétique, n° 25, 1976.
BÉHAR Henri, André Breton le grand indésirable (1990), Fayard, 2005.
—, (dir.), Dictionnaire André Breton, Garnier, 2012.
BELLEMIN-NOËL Jean, « Des Vases trop communicants », Biographies du désir, PUF,
« Écritures », 1986.
BERRANGER Marie-Paule, « Le Romantisme vu par Breton », dans Marie Blaise (dir.),
Réévaluer le Romantisme. Mutations des idées de littérature – 1, Presses universitaires
de la Méditerranée, « Collection des littératures », 2014, p. 185-198.
BONNET Marguerite, André Breton : naissance de l’aventure surréaliste, Corti, 1975.
—, « Note préliminaire au ‘Cahier de la girafe’ », dans Hulak Fabienne (dir.), Folie et
psychanalyse dans l’expérience surréaliste, coll. « Le singleton », Z’édition, 1992,
p. 148-170.
CHEVRIER Alain, « Charcot et l’hystérie dans l’œuvre d’André Breton », in Marianne
Gauchet et Gladys Swain, Le Vrai Charcot, Calmann-Lévy, 1997, p. 239-282.
—, « André Breton et les sources psychiatriques du surréalisme », Le Surréalisme et la
science, Mélusine, n° 27, Cahiers du centre de recherche sur le surréalisme, L’Âge
d’homme, 2007, p. 53-76.
GEBLESCO Nicole, « Breton et Freud », Alain de Mijolla (dir.), Dictionnaire international de
la psychanalyse (2002), Hachette littérature, coll. « Grand Pluriel », 2 vol, 2005.
GRACQ Julien, André Breton. Quelques aspects de l'écrivain, José Corti, 1948.
LEGRAND Gérard, André Breton et son temps, Le Soleil noir, 1976.
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MURAT Michel et DUMAS Marie-Claire (dir.), Cahier de L'Herne André Breton, L’Herne,
1998.
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PLOUVIER Paule, « De l’utilisation de la notion freudienne de sublimation par André
Breton », Pleine Marge, n° 5, juin 1987, p. 41-51.
PONTALIS Jean-Bertrand, « Les Vases non communicants », La Nouvelle Revue Française,
n° 302, 1978, p. 133-150.
SOUPAULT Philippe, « Souvenirs », La Nouvelle Revue française, « André Breton 1896-1966
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ROBERT DESNOS

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CONLEY Katharine, Desnos, the surrealism and the marvellous in everyday life, Lincoln,
University of Nebraska, 2003.
CONLEY Katharine et DUMAS Marie-Claire (dir.), Robert Desnos pour l’an 2000, actes du
colloque de Cerisy-la-Salle, 10-17 juillet 2000. Suivis de Lettres inédites de Robert
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DUMAS Marie-Claire, Robert Desnos ou l’expérience des limites, Klincksieck, 1980.
—, Europe. Desnos, 1991.
—, Robert Desnos, éd. de l’Herne, 1999.
EGGER Anne, Robert Desnos, Fayard, 2007.
FLIEDER Laurent (éd.), Poétiques de Robert Desnos : en hommage à Marie-Claire Dumas,
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LARTIGUE, Pierre, Rrose Sélavy et caetera, le Passage, 2004.
MURAT Michel, Desnos, José Corti, 1988.

PAUL ÉLUARD

Paul Éluard, Europe, 1972.


Éluard a cent ans, L’Harmattan, coll. « Les Mots la vie », 1998.
BOULESTREAU Nicole, La Poésie de Paul Éluard. La rupture et le partage (1913-1936),
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DECAUNES Luc, Paul Éluard : l’amour, la révolte, le rêve, Balland, 1982.
EMMANUEL Pierre, Le Je universel chez Paul Éluard, Guy Lévis Mano, 1948.

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GATEAU Jean-Charles, Paul Éluard ou le Frère voyant : 1895-1952, Robert Laffont,
coll. « Biographies sans masque », 1988.
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HAROCHE Charles, JEAN Raymond et BÉHAR Henri, Paul, Max et les autres : Paul Éluard
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MICHEL LEIRIS

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HENRI MICHAUX

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JEAN PAULHAN

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BADRÉ Frédéric, Paulhan le juste, Grasset, 1996.
BAILLAUD Bernard, La Pensée et la fiction dans les récits de Jean Paulhan (1904-1921),
thèse de doctorat soutenue à Paris IV-Sorbonne, 2000.
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—, La poésie, clef de la critique de Jean Paulhan, thèse de doctorat soutenue sous la
direction de Didier Alexandre, à l’université de la Sorbonne-Paris IV, 2016.
BELAVAL Yvon (dir.), Cahier du centenaire (1884-1984), Cahier Jean Paulhan, n° 3,
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BIENAIMÉ-RIGO Dora, « Deux écritures pour un récit “transparent” [Le Pont traversé] ».
Micromégas, XI, 1-2, juillet-août 1984, p. 73-89.
BLANCHOT Maurice, Comment la littérature est-elle possible ?, Corti, 1942.
BONHOMME Béatrice, Jean Paulhan et les poètes : actes du colloque des 13 et 14 mars 2003,
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BRISSET Laurence, La NRF de Paulhan, Gallimard, 2003.
CRÉMIEUX Benjamin, « [Compte-rendu de Le Pont traversé] », La Nouvelle Revue
Française, n° 102, mars 1922, p. 351-355.
DHÔTEL André, Jean Paulhan, Lyon : La Manufacture, « Qui suis-je ? », 1986.
DIEUDONNÉ Julien, Les Récits de Jean Paulhan, H. Champion, 2001.
JUDRIN Roger, La Vocation transparente de Jean Paulhan, Gallimard, 1961.
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PÉREZ Claude-Pierre (éd.), Jean Paulhan, le clair et l’obscur, Cahiers Jean Paulhan, n° 9 bis,
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499
NEUROSCIENCES

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—, Comprendre ses rêves pour mieux se connaître, Odile Jacob, 2007.
—, 40 questions et réponses sur le rêve, Odile Jacob, 2013.
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de Lausanne, Facultés de Sciences Sociales et Politiques, 1999.
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Jersey, Londres, Lawrence Erlbaum Associate Publishers, 1997.
TASSIN Jean- Paul et TISSERON Serge, Les 100 mots du rêve, PUF, coll. « Que sais-je ? »,
2014.

500
CRITIQUE D’ARTS

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and Wong Kar-Wain Lanham, Md. : Lexington books, 2008.
DELEUZE Gilles, L’Image-Temps, Éditions de Minuit, 1985.
GAGNEBIN Murielle (dir.), Cinéma et inconscient, Seyssel, Champ Vallon, 2001.
GAMWELL Lynn, Dreams 1900-2000 : science, art, and the unconscious mind : [exhibition,
the Equitable gallery, New York, November 4, 1999-February 26, 2000, Historisches
Museum der Stadt Wien, Vienna, March 22, 2000-June 25, 2000, Binghamton
university art museum, Binghamton, New York, July 28, 2000-October 20, 2000...],
Ithaca (N.Y.) : Cornell university press ; Binghamton (N.Y.) : Binghamton university
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Diagrams of the Mind, Binghamton University Art Museum, Binghamton, New York,
September 8 - October 20, 2006.
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coll. « Raccords », 2016.
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Bornemisza, 2013.
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hors série n° 4, Publidix, Paris X Nanterre, 2001.
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(1919-1934), thèse de doctorat sous la direction de Laurence Schifano, Université Paris
10, 2008.
MARTIN Marie et SCHIFANO Laurence (dir.), Rêve et cinéma. Mouvances théoriques autour
d'un champ créatif, Nanterre, PUPO, 2012.
METZ Christian, Le Signifiant imaginaire, UGE, 1977.
POULLAIN Christine (dir.), Le Rêve, catalogue de l’exposition de Marseille, Musée Cantini,
RMN, 2016.
SCHEINFEIGEL Maxime, Rêves et cauchemars au cinéma, Armand Colin, 2012.
SORLIN Pierre (dir.), Rêves, sociétés et représentations, n° 23, ISOR, avril 2007.
THIVAT Patricia-Laure (dir.), Le Rêve au cinéma. Iconographie, procédés, partitions.
L’onirisme filmique au prisme des autres arts, Ligeia, n° 129-132, janvier-juin 2014.
VOUILLOUX Bernard, La Peinture dans le texte. XVIIIe-XXe siècle (1994), CNRS, rééd. 2005.

501
AUTRES APPROCHES

La Dernière Clé des songes, Librairie des romans choisis, 1917.


La Dernière Clé des songes par Mme Athéna, Paris, Édition Prima, 1925, rééd. 1927, 1948.
Le Grand Interprète des songes, Paris, chez les marchands de nouveautés, 1863.
Le Grand interprète des songes, Garnier, 1942, rééd. 1949, 1980.
ARTÉMIDORE, La Clé des songes, ou les cinq livres de l’interprétation des songes, rêves et
visions traduits du Grec et commentés par Henry Vidal, Éditions de la Sirène, 1921.
BECKER Raymond de, Les Songes, Grasset, coll. « Bilan du mystère », 1958.

502
IV.   CRITIQUE LITTÉRAIRE GÉNÉRALE

POÉTIQUE ET ESTHÉTIQUE

Formes et genres

BARONI Raphaël et MACÉ Marielle (dir.), Le Savoir des genres, Rennes : Presses
universitaires de Rennes, coll. « La Licorne », 2007.
COMBE Dominique, Poésie et récit, José Corti, 1989.
DAMBRE Marc et GOSSELIN-NOAT Monique, L’Éclatement des genres au XXe siècle,
Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2001.
GENETTE Gérard, « Des genres et des œuvres », Figures V, coll. « Poétique », Seuil, 2002.
GENETTE Gérard et TODOROV Tzvetan (dir.), Théorie des genres, Point, « essais », 1986.
MACÉ Marielle, « Connaître et reconnaître un genre littéraire », colloque “Compétences,
reconnaissance et pratiques génériques” (resp. R. Baroni et M. Macé), Lausanne, 26 et
27 novembre 2004 et Paris, 21 et 22 avril 2005. En ligne sur :
http://www.fabula.org/atelier. Consulté le 1er juin 2019.
—, Le Genre littéraire, Flammarion, coll. « GF-Corpus », 2004.
SCHAEFFER Jean-Marie, Qu’est-ce qu’un genre littéraire ?, Seuil, « Poétique », 1989.

Récit et formes narratives

BARONI Raphaël, La Tension narrative, Seuil, « Poétique », 2007.


GENETTE Gérard, Figures III, Seuil, coll. « Poétique », 1972.
GODENNE René, La Nouvelle, Honoré Champion, 1995.
HAMON Philippe, La Description littéraire : anthologie de textes théoriques et critiques,
Macula, 1991.
—, Du Descriptif, Hachette supérieur, 1993.
MONTANDON Alain, L’Anecdote, actes du colloque de Clermont-Ferrand, Clermont-
Ferrand : Association des publications de la faculté des lettres de Clermont-Ferrand,
1990.
—, Les Formes brèves, Hachette, 1992.
RAIMOND Michel, La Crise du roman. Des lendemains du Naturalisme aux années vingt, José
Corti, 1966.
RICŒUR Paul, La Narrativité, éd. D. Tiffeneau, CNRS, 1980.
—, Temps et récit, Seuil, 3 tomes, 1983-1985.
—, Soi-même comme un autre, Le Seuil, 1990.
TADIÉ Jean-Yves, Le Récit poétique, Gallimard, coll. « tel », 1994.

503
TESTUD Pierre (dir.), Brièveté et écriture, La Licorne, n° 21, Rennes : Presses Universitaire
de Rennes 1991.
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Formes poétiques

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—, Les Genres mineurs dans la poésie moderne, PUF, coll. « Perspectives littéraires »,
2004.
COHEN Jean, Structures du langage poétique, Flammarion, 1966.
FRIEDRICH Hugo, Structures de la poésie moderne, Le Livre de poche, 1999.
JARRETY Michel, Dictionnaire de la poésie de Baudelaire à nos jours, PUF, 2001.
KRISTEVA Julia, La Révolution du langage poétique, Seuil, 1985.
MURAT Michel, « Le dernier livre de la bibliothèque. Une histoire du poème en prose », dans
Marielle Macé et Raphaël Baroni, Le Savoir des genres, PUR, coll. « La licorne », 2007.
—, La Langue des dieux modernes, Classiques Garnier, 2012.
SANDRAS Michel, Lire le poème en prose, Dunod, 1995.
—, Idées de la poésie, idées de la prose, Classiques Garnier, coll. « Études de littérature
des XXe et XXIe siècles », 2016.
VADÉ Yves, Le Poème en prose et ses territoires, Belin Sup, « Lettres », 1996.

Écriture fragmentaire

CHOLL Isabelle (dir.), Poétique de la discontinuité de 1870 à nos jours, Presses universitaires
Blaise Pascal, coll. « Littératures », Clermont-Ferrand, 2004.
HEYNDELS Ralph, La Pensée fragmentée, Bruxelles, Pierre Marga éditeur, 1985.
LACOUE-LABARTHES Philippe et NANCY Jean-Luc, L’Absolu littéraire. Théorie du
romantisme allemand, Seuil, 1978.
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Bene, 2008.
MICHAUD Ginette, Lire le fragment. Transfert et théorie de la lecture chez Roland Barthes,
Montréal, Hurtubise HMH, 1989.
RIPOLL Ricard, L’Écriture fragmentaire. Théories et pratiques, Actes du 1er Congrès
International du Groupe de Recherches sur les Écritures Subversives (GRES),
Perpignan, Presses Universitaires de Perpignan, 2002.
QUIGNARD Pascal, Une gêne technique à l’égard des fragments, St-Clément-la-Rivière, Fata
Morgana, 1986.
SUSINI-ANASTOPOULOS Françoise, L’Écriture fragmentaire. Définitions et enjeux, Presses
Universitaires de France, 1997.

504
Fantastique et merveilleux

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l’Université d’Aix-en-Provence, coll. « Regards sur le fantastique », 2001.
BOZZETTO Roger et HUFTIER Arnaud, Les Frontières du fantastique : approches de
l’impensable en littérature, Valenciennes, Presses universitaires de Valenciennes, coll.
« Parcours », 2004.
CASTEX Pierre-Georges, Le Conte fantastique en France de Nodier à Maupassant, José Corti,
1951.
CHELEBOURG Christian, Le Surnaturel, Armand Colin, coll. « Cursus », 2012.
GRIVEL Charles, Fantastique fiction, PUF, 1992.
MELLIER Denis, L’Écriture de l’excès : fiction fantastique et poétique de la terreur, Honoré
Champion, 1999.
MILLET Gilbert et LABÉ Denis, Le Fantastique, Belin, 2005.
PONNAU Gwenhaël, La Folie dans la littérature fantastique, PUF, « écriture », 1997.
PRINCE Nathalie, Le Fantastique, Armand Colin, coll. « 128. Série Lettres », 2008.
TODOROV Tzvetan, Introduction à la littérature fantastique, Seuil, 1976.
TROUSSON Raymond, « Du fantastique et du merveilleux au réalisme magique ? », dans Jean
Weisgerber, Le Réalisme magique. Roman, peinture, cinéma, Centre d’étude des avant-
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VAX Louis, La séduction de l’étrange : étude sur la littérature fantastique, PUF, 1965.
VIEGNES Michel, Le Fantastique, Garnier-Flammarion, coll. « Corpus Lettres », 2006.

Écritures du moi

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édition critique et commentaire, Honoré Champion, coll. « Textes critiques français »,
2018.
BEAUJOUR Michel, Miroir d’encre, rhétorique de l’autoportrait, Seuil, coll. « Poétique »,
1980.
BRAUD Michel, La Forme des jours. Pour une poétique du journal personnel, Seuil,
coll. « Poétique », 2006.
CHIANTARETTO Jean-François, CLANCIER Anne et ROCHE Anne (dir.), Autobiographie,
journal intime et psychanalyse, Économica, coll. « Anthropos », 2005.
DIDIER Béatrice, Le Journal intime, PUF, 1976.
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(dir.), Genèse et autofiction, Louvain-la-Neuve, Bruylant Academia, 2007.
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GASPARINI Philippe, De quoi l’autofiction est-elle le nom ?, Conférence prononcée à
l'Université de Lausanne, le 9 octobre 2009, [en ligne]

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http://www.autofiction.org/index.php?post/2010/01/02/De-quoi-lautofiction-est-elle-
le-nom-Par-Philippe-Gasparini.
JEANNELLE Jean-Louis, « Où en est la réflexion sur l’autofiction ? », in Catherine Viollet et
Jean-Louis Jeannelle (dir.), Genèse et autofiction, Louvain-la-Neuve, Bruylant
Academia, 2007.
LEJEUNE Philippe, L’autobiographie en France, Armand Colin, 1971.
—, Le Pacte autobiographique, Seuil, coll. « Poétique », 1975.
—, Les brouillons de soi, Seuil, 1998.
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PACHET Pierre, Les Baromètres de l’âme. Naissance du journal intime, édition revue et
augmentée, Le bruit du temps, 2015.
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et formes littéraires du monologue intérieur », publié en ligne sur le site Fabula / Les
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URL : http://www.fabula.org/colloques/document1641.php
SIMONET-TENANT Françoise (dir.), Dictionnaire de l’autobiographie. Écritures de soi de
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2003.
FERRÉ Vincent, L’Essai fictionnel. Essai et roman chez Proust, Broch, Dos Passos,
Champion, collection « Recherches proustiennes », 2013.
GLAUDES Pierre, L’Essai : métamorphoses d’un genre, Toulouse : Presses Universitaires du
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GLAUDES Pierre et LOUETTE Jean-François, L’Essai (1999), Hachette supérieur,
coll. « Contours littéraires », 2e édition augmentée, 2011.
LANGLET Irène, « L’essai et le discours de savoir, ambiguïté d’une contestation », dans
Barnard Baillaud, Jérôme de Gramont et Denis Hüe (dir.), Censures et interdits, Cahiers
Diderot, n° 9, Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 1997, p. 27-44.
—, « Les réglages du genre. L’essai et le recueil », dans Robert Dion, Frances Fortier et
Elisabeth Haghebaert (dir.), Enjeux des genres dans les écritures contemporaines,
Québec, Nota Bene, coll. « Les Cahiers du CRÉLIQ », 2001, P. 227-268.
— (dir.), Le recueil littéraire. Pratiques et théorie d’une forme, PUR, 2003.
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OBALDIA Claire de, L'Esprit de l'essai. De Montaigne à Borges, Seuil, coll. « Poétique »,
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BEAUJOUR Michel, Terreur et rhétorique. Breton, Bataille, Leiris, Paulhan, Barthes & Cie.
Autour du surréalisme, Jean-Michel Place, coll. « Surfaces », 1999.
COHEN Nadja et REVERSEAU Anne, « Un je ne sais quoi de « poétique » : questions d’usages
», Fabula-LhT, n° 18, « Un je-ne-sais-quoi de « poétique » », avril 2017, URL :
http://www.fabula.org/lht/18/cohen-amp-reverseau.html, page consultée le 20 août
2018.
COMPAGNON Antoine, « La réhabilitation de la rhétorique au XXe siècle », dans Marc
Fumaroli (dir.), Histoire de la rhétorique dans l’Europe moderne, PUF, coll. « Hors
collection », 1999.
JENNY Laurent, « La stratégie de la forme », Poétique, n° 27, 1976, p. 266-267.
—, « L’objet singulier de la stylistique », Littérature, n° 89, 1993, p. 113-124.
—, La Parole singulière, « L'extrême contemporain », Belin, 1990.
—, La Fin de l’intériorité, PUF, 2002.
PHILIPPE Gilles et PIAT Julien (dir.), La Langue littéraire. Une histoire de la prose en France
de Gustave Flaubert à Claude Simon, Fayard, 2009.

Autres

BARTHES Roland, Essais critiques, Seuil, 1964.


—, « L’Effet de réel », Communications, n° 11, 1968, p. 84-89.
—, Le Plaisir du texte, Seuil, 1973.
—, La Préparation du roman. Cours au Collège de France, 1978-1979 et 1979-1980,
texte annoté par Nathalie Léger, Seuil, 2015.
BOUCHARENC Myriam, De l’insolite. Essai sur la littérature du XXe siècle, Hermann,
coll. « Savoir lettres », 2011.
BRUNN Alain, L’Auteur, Garnier-Flammarion, coll. « Corpus », 2012.
DEL LUNGO Andrea, La fenêtre : sémiologie et histoire de la représentation littéraire, Seuil, coll. « Poétique »,
2014.
JOURDE Pierre, Empailler le toréador. L’incongru dans la littérature française de Charles
Nodier à Éric Chevillard, Corti, coll. « Les essais », 1999.
RABATÉ Dominique, Vers une littérature de l'épuisement, Corti, 1991.
— (dir.), Figures du sujet lyrique, PUF, 1996.

507
THÉORIE DE LA LECTURE, RÉCEPTION, INTERPRÉTATION

AUDET René, Des Textes à l’œuvre. La lecture du recueil de nouvelles, Québec, Éditions Nota
bene, 2000.
CHARLES Michel, Rhétorique de la lecture, Seuil, « Poétique », 1977.
—, Introduction à l’étude des textes, Seuil, coll. « Poétique », 1995.
CHARTIER Roger, « Du lire au livre », in Pratiques de la lecture, Payot, 2003, p. 79-113.
ECO Umberto, L’Œuvre ouverte, Seuil, coll. « Points essais », 1965.
—, Lector in fabula (1979), Grasset, 1985.
—, Les Limites de l’interprétation (1990), LGF, 1994.
FISH Stanley Eugene, Quand lire, c’est faire : l’autorité des communautés interprétatives
(1980), Les Prairies ordinaires, 2007.
GENETTE Gérard, L’Œuvre de l’art, Seuil, 1994.
GERVAIS Bertrand, À l’écoute de la lecture, Montréal, VLB éditeur, 1993.
GOUX Jean-Paul, La Fabrique du continu, Seyssel, Champ Vallon, 1999.
ISER Wolfgang, L’Acte de lecture. Théorie de l’effet esthétique (1974), Mardaga, 1985.
JAUSS Hans Robert, Pour une esthétique de la réception, Gallimard, « Tel », 1978.
—, Pour une herméneutique littéraire, présentation de Thomas Pavel, Gallimard,
coll. « Tel », 2017.
JENNY Laurent (dir.), « L’œuvre illimitée », Littérature, n° 125, Larousse, Mars 2002.
JOURDE Pierre, La Lecture, Hachette, 1993.
JOUVE Vincent (dir.), La lecture littéraire, « L’illisible », Klincksieck, n° 3, 1996.
PENNANECH Florian, Poétique de la critique littéraire. De la critique comme littérature,
Seuil, coll. « Poétique », 2019.
PICARD Michel, La Lecture comme jeu, Les éditions de Minuit, 1986.
RICŒUR Paul, De l'interprétation. Essai sur Sigmund Freud, Le Seuil, 1965.
—, La Métaphore vive, Gallimard, 1975.
RIFFATERRE Michael, La Production du texte, Seuil, 1979.
TODOROV Tzvetan, Théories du symbole, Seuil, 1977.
VULTUR Ioana, Comprendre. L'herméneutique et les sciences humaines, Gallimard,
Coll. « Folio essais », 2017.

508
FICTION ET NON FICTION

ANDERSON Chris (éd.), Literary nonfiction : theory, criticism, pedagogy, Carbondale,


Southern Illinois University Press, 1989.
COHN Dorrit, La Transparence intérieure (1978), Seuil, coll. « Poétique », 1981.
—, Le Propre de la fiction (1999), Seuil, « Poétique », 2001.
COLONNA Vincent, Autofiction et autres mythomanies littéraires, Auch, Tristram, 2004.
GENETTE Gérard, Fiction et diction, Seuil, coll. « Poétique », 1991.
—, Métalepse, Seuil, « Poétique », 2004.
HAMBURGER Käte, Logique des genres littéraires (1957), Seuil, « Poétique », 1986.
LAVOCAT Françoise, Fait et fiction. Pour une frontière, Seuil, coll. « Poétique », 2016.
PAVEL Thomas, Les Univers de la fiction, Seuil, 1988.
PIER John et SCHAEFFER Jean-Marie, Métalepses. Entorses au pacte de la représentation,
éd. de l’EHESS, 2005.
RYAN Marie-Laure, Narrative as Virtual Reality. Immersion and Interactivity in Literature
and Electronic Media, The John Hopkins University Press, 2001.
SAINT-GELAIS Richard, Fictions transfuges. La transfictionnalité et ses enjeux, Seuil,
coll. « Poétique », 2011.
SCHAEFFER Jean-Marie, Pourquoi la fiction ?, Seuil, « Poétique », 1999.
WAGNER Franck, « Glissements et déphasages. Notes sur la métalepse narrative », Poétique,
Seuil, n° 130, avril 2002, p. 335-253.
—, « Le récit fictionnel et ses marges : état des lieux », article publié en ligne sur le site
Vox Poetica et consultable à l’adresse suivante, http://www.vox-
poetica.org/t/articles/wagner2006.html#_edn1
ZENETTI Marie-Jeanne, Factographies. L’enregistrement littéraire à l’époque
contemporaine, Classiques Garnier, 2014.

509
APPROCHE INTERDISCIPLINAIRES

Littérature et psychanalyse

Littérature, n° 3, « Littérature et psychanalyse », éditeur, 1971.


Littérature, no 90, « Littérature et psychanalyse : nouvelles perspectives », Armand Colin, mai
1993.
ASSOUN Paul-Laurent, Psychanalyse et littérature : Freud et la création littéraire, Ellipses,
coll. « Thèmes et Études », 1996.
BAYARD Pierre, Les lectures freudiennes du texte littéraire en France. Problèmes de méthode,
thèse de doctorat, sous la direction de Jean Bellemin-Noël, Université Paris 8, 1991.
—, Peut-on appliquer la littérature à la psychanalyse ?, Éditions de Minuit, coll.
« Paradoxe », 2008.
BELLEMIN-NOËL Jean, Le Texte et l’avant-texte, Larousse, 1972.
—, Vers l’inconscient du texte, PUF, 1979.
—, Psychanalyse et littérature (1978), édition revue et corrigée, PUF, 2012.
—, La psychanalyse du texte littéraire : introduction aux lectures critiques inspirées de
Freud, Nathan, 1996.
BLAISE Marie, « Littérature et psychanalyse », dans Anne Tomiche (dir.), La recherche en
Littérature générale et comparée, Presses universitaires de Valenciennes, 2007, p. 155-
164.
CAPE Anouck, Les Frontières du délire : écrivains et fous au temps des avant-gardes, Honoré
Champion, 2014.
COLLOMB Michel, « Freud en débat. Les contributions de René Crevel, Henri Michaux et
Jean Paulhan au n° spécial du Disque Vert (1-1924) », Fabula / Les colloques,
« L’anatomie du cœur humain n’est pas encore faite » : Littérature, psychologie,
psychanalyse, URL : http://www.fabula.org/colloques/document1654.php, page
consultée le 19 mai 2015.
COTET Pierre et ROBERT François (éd.), Freud et la création littéraire, textes choisis par
Pierre Cotet et François Robert, PUF, coll. « Quadrige », 2010.
DANON-BOILEAU Laurent, Le Sujet de l'énonciation. Psychanalyse et linguistique, Ophrys,
« L'Homme Dans la Langue », 1987.
DERRIDA Jacques, « Freud et la scène de l’écriture », L’Écriture et la différence, Seuil, 1967
DEVEREUX Georges, Les Rêves dans la tragédie grecque (1976), traduction de D. Alcorn,
A. Barbin, I. Lecrosnier, J.-C. Olivier, sous la direction de J. Chemouni, Les Belles
Lettres, 2006.
GANTHERET François, Moi, Monde, Mots, Gallimard, coll. « Connaissance de
l’inconscient », 1996.
GREEN André, « Fonctions du rêve dans l’Orestie », dans Les Temps modernes, n° 215, 1963-
1964.

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JACKSON Leonard, Literature, Psychoanalysis and the New Sciences of the Mind, Pearson
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LACAN Jacques, « L’instance de la lettre dans l’inconscient ou la raison depuis Freud »,
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—, On est prié de fermer les yeux, Gallimard, « Connaissance de l’inconscient », 1991.
—, « L’écrivain et le désir de voir », Littérature, « Littérature et psychanalyse :
nouvelles perspectives », n° 90, mai 1993, p. 8-20.
ORLANDO Francesco, « Freud and Literature : Eleven Ways He Did It in Psychopoetics-
Theory », Poetics, vol. 13, « Psychopoetics », n°4-5, p. 361- 380, 1984.
PHLIPS Adam, Promesses de la psychanalyse et de la littérature, trad. Michel Gribinski,
éditions de l’Olivier, coll. « Penser/rêver », 2011.
PINGAUD Bernard, « Omega », Nouvelle Revue de psychanalyse, n° 14, 1976, p. 247-260.
—, « L’écriture et la cure », Les Anneaux du manège, Gallimard, 1965 et 1979,
rééd. Folio-essais, 1992, p. 91-115.
POIRIER Jacques, Littérature et psychanalyse. Les écrivains français face au freudisme (1914-
1944), Éditions universitaires de Dijon, coll. « Figures libres », 1998.
—, Les écrivains français et la psychanalyse 1950-2000 : maux croisés, L’Harmattan,
coll. « L’œuvre et la psyché », 2001.
PONTALIS Jean-Bertrand, « Échange de vues », NRP, n° 16, 1977.
SCHUH Julien, « Symbolistes et décadents lecteurs des psychologues » (article en ligne), dans
Les colloques Fabula, « L’anatomie du cœur humain n’est pas encore faite » :
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STAROBINSKI Jean, La Relation critique, l'œil vivant II, Gallimard, 1970.
TOUBOUL Anaëlle, Histoires de fous. Approches de la folie dans le roman français du
XXe siècle, thèse de doctorat sous la direction d’Alain Schaffner, Université Sorbonne
Nouvelle-Paris 3, 2016.
THIBAUDET Albert, « Réflexions sur la littérature, psychanalyse et critique littéraire », in
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Littérature et sciences

AGAMBEN Giorgio, « Qu’est-ce qu’un paradigme ? », Signatura rerum. Sur la méthode, Vrin,
2009.
—, « Archéologie philosophique », Signatura rerum. Sur la méthode, Vrin, 2009.
BOUVERESSE Jacques, Prodiges et vertiges de l’analogie. De l’abus des Belles Lettres dans
la pensée, Raison d’agir, 1999.
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BRIDET Guillaume, Littérature et sciences humaines : autour de Roger Caillois, Honoré
Champion, 2008.
CABANÈS Jean-­‐‑Louis, PHILIPPOT Didier et TORTONESE Paolo (dir.), Paradigmes de
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GAYON Jean, GENS Jean-Claude et POIRIER Jacques, La Rhétorique : enjeux de ses
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LAKOFF George et JOHNSON Mark, Les Métaphores dans la vie quotidienne (1980),
trad. Michel de Fornel, éd. de Minuit, 1985.
MACHEREY Pierre, Philosopher avec la littérature. Exercices de philosophie littéraire,
Hermann, coll. « Fictions pensantes », 2013.
PIERSSENS Michel, Savoirs à l’œuvre. Essais d’épistémocritique, Presses Universitaires de
Lille, Coll. « Problématiques », 1990.
SCHLANGER Judith, Les Métaphores de l’organisme (Vrin, 1971), L’Harmattan,
coll. « Histoire des Sciences Humaines », 1995.
STENGERS Isabelle et SCHLANGER Judith, Les Concepts scientifiques. Invention et pouvoir
(La Découverte, 1988), Gallimard, 1991.
WEBER Anne-Gaëlle, « Éléments pour une histoire de la séparation des sciences et de la
littérature », dans « Belles lettres, sciences et littérature, » ouvrage électronique mis en
ligne en novembre 2015 sur le site Épistémocritique, URL : www.epistemocritique.org,
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WUNENBURGER Jean-Jacques, « Métaphore, poiétique et pensée scientifique », Revue
européenne des sciences sociales, n° XXXVIII-117 : « Métaphores et analogies.
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[Disponible en ligne à l’adresse : http://ress.revues.org/707. Consulté le 1er juin 2018.

512
V.   AUTRES ŒUVRES

ŒUVRES LITTÉRAIRES

Manifeste Dada, 1918.


ADAMOV Arthur, L’Aveu, éd. Du Sagittaire, 1946.
—, La Parodie (1947), dans Théâtre, Gallimard, vol. I, 1953.
—, Le Professeur Taranne, dans Théâtre, Gallimard, vol. I, 1953.
—, Si l’été revenait, Gallimard, 1970.
ALAIN-FOURNIER, Le Grand Meaulnes (1913), Le livre de poche, LGF, 1983.
ALTHUSSER Louis, Des rêves d’angoisse sans fin, Grasset, 2015.
ANTELME Robert, L’Espèce humaine (1949), Gallimard, « Tel », 1991.
APOLLINAIRE Guillaume, L’Enchanteur pourrissant (1921), dans Œuvres en prose
complètes, éd. Michel Décaudin, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », t. I,
1977.
BALZAC Honoré (de), Séraphîta (1834), L’Harmatthan, coll. « Les introuvables », 1995.
BATAILLE Georges, Documents (1929-1931), réédition intégrale de la revue, deux tomes, éd.
Jean-Michel Place, 1991.
—, Romans et récits, édition de Jean-François Louette, Gallimard, coll. « Bibliothèque
de la Pléiade », 2004.
BENJAMIN Walter, Rêves, Le Promeneur, 2009.
BERTRAND Aloysius, Gaspard de la nuit (1842), Le Livre de poche, coll. « Classiques »,
2002.
BLANCHOT Maurice, Thomas l’obscur, Gallimard, 1941.
—, Aminadab, Gallimard, 1942.
—, La Part du feu, Gallimard, 1949.
—, Thomas l’obscur, seconde version, Gallimard, 1950.
—, L’Espace littéraire (1955), Gallimard, coll. « folio essais », 1995.
—, Le Livre à venir, Gallimard, 1959.
BORGES Jorge Luis, Fictions (1939), Gallimard, coll. « folio », 2018.
BRETON Simone, Lettres à Denise Lévy (1919-1929) et autres textes (1924-1975), édition de
Georgiana M.M. Colvile, Gallimard, coll. « Littérature française/Joëlle Losfeld », 2005.
BROSSE Jacques, L’Expérience du rêve, Grasset, 1969.
BUTOR Michel, Portrait de l’artiste en jeune singe, Gallimard, 1979.
CICÉRON, « Le Songe de Scipion », De Republica, livre VI, t. 2, trad. Esther Bréguet, Les
Belles Lettres, 1991, p. 103-118.

513
COCTEAU Jean, Œuvres romanesques complètes, éd. Serge Linares, Gallimard,
coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2006.
—, Œuvres poétiques complètes, éd. Michel Décaudin, Gallimard, coll. « Bibliothèque
de la Pléiade », 1999.
COLONNA Francesco, Hypnerotomachie, ou Discours du songe de Poliphile, déduisant
comme amour le combat à l'occasion de Polia, trad. Jean Martin, Payot, 1926.
Éd. accessible en ligne sur gallica à l’adresse :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54425079/f22.image.r=.langFR [consulté le 22
mai 2018]
DESCARTES René, Œuvres et Lettres, texte présenté par André Bridoux, Gallimard,
coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1987.
—, Les Passions de l’âme (1649), Vrin, 1991.
—, Méditations métaphysiques (1641), Première méditation, Garnier-Flammarion,
2011.
DIDEROT Denis, Le Rêve de d’Alembert (1769), dans Œuvres philosophique, éd. Michel
Delon, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2010.
—, Jacques le Fataliste et son maître (1786), dans Contes et romans, éd. Michel Delon,
Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2004.
DOUBROVSKY Serge, Fils, Gallimard, 1977.
DU BELLAY Joachim, Les Antiquités de Rome (1558), dans les Regrets, Le Livre de Poche,
coll. « Les classiques de Poche », 2002.
DUJARDIN Édouard, Les Lauriers sont coupés suivi de Le Monologue intérieur, Rome,
Bulzoni editore, 1977.
FICIN Marsile, Théologie platonicienne de l’immortalité des âmes, livre XIII : « Sept vacances
de l’âme », trad. Raymond Marcel, Les Belles Lettres, 1965.
GALLAND Antoine, Les Mille et Une Nuits : contes arabes, trad. Galland, 2 vol, Garnier,
« Classiques Garnier », 1988.
GENET Jean, Le Miracle de la rose, Gallimard, 1946.
—, Un captif amoureux, Gallimard, 1986.
GIDE André, Romans et récits, édition publiée sous la direction de Pierre Masson, Gallimard,
« Bibliothèque de la Pléiade », 2 tomes, 2006.
GIRAUDOUX Jean, Œuvres romanesques complètes, édition de Jacques Body, Gallimard,
« Bibliothèque de la Pléiade », 2 tomes, 1990-1993.
GOLL Ivan, Surréalisme (1924), Œuvres, I, Émile-Paul, 1968.
GONTCHAROV Ivan, Oblomov (1859), trad. Hélène Iswolsky, Gallimard, « folio »,
1982.HARDELLET André, Le Seuil du jardin (Juliard, 1958), Jean-Jaques Pauvert,
1966.
GREEN Julien, Œuvres complètes, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 8 vol.,
1972-1998.
—, Journal (1919-1998), Plon, Le Seuil, Fayard, Flammarion, 1938-2006.
HOMÈRE, Odyssée, trad. Philippe Jaccottet, éd. La Découverte, 2000.

514
HUGO Victor, Le Promontoire du songe, Gallimard, « L’Imaginaire », 2012.
HUYSMANS Joris-Karl, À Rebours (1884), dans Œuvres romanesques, dir. Pierre Brunel,
Laffont, coll. « Bouquins », 2005.
—, En rade (1887), dans Œuvres romanesques, dir. Pierre Brunel, Laffont,
coll. « Bouquins », 2005.
IONESCO Eugène, Jacques ou la soumission (1955), dans Théâtre complet, éd. Emmanuel
Jacquart, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1991.
—, L’Impromptu de l’Alma (1956), dans Théâtre complet, éd. Emmanuel Jacquart,
Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1991.
—, Le Journal en miettes (1967), Gallimard, coll. « Idées », 1973.
JACCOTTET Philippe, La Semaison. Carnets 1954-1979, éd. José-Flore Tappy, Gallimard,
coll. « Bibliothèque de la Pléiade, 2014.
—, La Seconde Semaison. Carnets 1980-1994, éd. José-Flore Tappy, Gallimard,
coll. « Bibliothèque de la Pléiade, 2014.
JACOB Max, Le Cornet à dés (1916), Gallimard, « Poésies », 2012.
JEAN PAUL, La Magie naturelle de l’imagination (1795)
—, Sur le rêve (1798)
—, Coup d’œil sur le monde des rêves (1813).
JESSUA Alain, La Vie à l’envers, éd. Léo Scheer, 2007.
JOUHANDEAU Marcel, Essai sur moi-même, Gallimard, 1947.
KAFKA Franz, Œuvres complètes, édition présentée et annotée par Claude David, Gallimard,
« Bibliothèque de la Pléiade », 1976-1989.
LE LORRAIN Jacques, Evohé !, Louis Westhausser, 1887.
—, Fleurs pâles, Léon Vanier, 1894.
MACROBE, In Somnium Scipionis [composé au 5e s.], Venise, 1472 ; Commentaire au songe
de Scipion, trad. M. Armisen-Marchetti, Les Belles Lettres, 2 tomes, 2001.
MAISTRE Xavier (de), Voyage autour de ma chambre (1794), Laffont, 1959.
MALLARMÉ Stéphane, « Crise de vers », Divagations, dans Œuvres complètes, éd. Bertrand
Marchal, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », t. ,II 2003.
MANN Thomas, Traversée avec Don Quichotte (1956), Bruxelles : Éd. Complexe, coll. « Le
regard littéraire », 1986.
MANDIARGUES André Pieyre, Le Musée noir, Robert Laffont, 1946.
—, Soleils des loups, Robert Laffont, 1951.
MAUPASSANT Guy (de), Contes et nouvelles, 2 tomes, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la
Pléiade », 1974-1978.
McCAY Winsor, Little Nemo in Slumberland (1905-1914), Delcourt, 2 tomes, 2006-2009.
MELVILLE Herman, Bartelby le scribe (1853), traduction française par Michèle Causse avec
une postface de Gilles Deleuze, Flammarion, 1989.
MÉRIMÉE Prosper, Djoumane (1870), Gallimard, 1991.

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MONTAIGNE Michel (de), Les Essais (1588), Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade »,
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MUSSET Alfred, Voyage où il vous plaira (1843), édition de Gilles Castagnès, Classique
Garnier, « Bibliothèque du XIXe siècle », 2012.
NERVAL Gérard, Aurélia (1855), dans Œuvres Complètes, édition critique dirigée par Jean-
Nicolas Illouz, Classique Garnier, « Bibliothèque du XIXe siècle », t. 13, 2013.
NEVEUX Georges, Juliette ou la clé des songes (1930), dans Théâtre, Julliard, 1943.
NODIER Charles, Smarra ou les démons de la nuit (1821), Gallimard, coll. « Folio classique »,
1982.
—, De Quelques phénomènes du sommeil (1830), éd. présentée par Emmanuel Dazin,
le Castor astral, coll. « Les inattendus », 1996.
—, La Fée aux miettes (1832) dans Trilogie écossaise, éditions établies et commentées
par Sébastien Vacelet et Georges Zaragoza, Honoré Champion, 2013.
NOVALIS, Heinrich d’Ofterdingen (1802), dans Romantiques allemands, Gallimard,
coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1963.
NOVARINA Virgile, Écrits et dessins de nuits (Angle Art Contemporain, 2003),
Archimbaud/Ragage, 2004.
NOVARINA Virgile et JAMME Franck André, Good luck for the rest of the night again, Préau
des collines, 2004.
PASCAL Blaise, Pensées (1670), texte établi, présenté et annoté par Jacques Chevalier,
Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1991.
POICTEVIN Francis, Songes, Bruxelles, H. Kistemaeckers, 1884.
—, Derniers songes, A. Lemerre, 1888.
—, Double, A. Lemerre, 1889.
PONTALIS Jean-Bertrand, Fenêtre, Gallimard, 2000.
—, Le Dormeur éveillé, Mercure de France, 2004.
—, Le Songe de Monomotapa, Gallimard, 2009.
—, En marge des nuits, Gallimard, 2010.
RIGAUT Jacques, Écrits, édition intégrale établie et présentée par Martin Kay, Gallimard,
1970.
—, Le Roman d’un jeune homme pauvre, dans Agence Générale du Suicide,
Montélimar, Voix d'encre, 2015.
ROBBE-GRILLET Alain, C’est Gradiva qui vous appelle, Éditions de Minuit, 2002.
ROLIN Olivier, Suite à l’hôtel Crystal, Seuil, 2004.
—, Rooms, Seuil, coll. « La librairie du XXe siècle », 2006.
ROUSSEAU Jean-Jacques, Julie ou La Nouvelle Héloïse (1761), éd. René Pomeau, Garnier,
1988.
—, Les Confessions (1770), dans Œuvres complètes, éd. Bernard Gagnebin et Marcel
Raymond, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », t. I, 2013.

516
—, Les Rêveries du promeneur solitaire (1778), dans Œuvres complètes, éd. Bernard
Gagnebin et Marcel Raymond, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », t. I,
2013.
SAND George, Lettres d’un voyageur (1837), dans Œuvres complètes, Honoré Champion,
2010.
SÉCHÉ Alphonse, Contes des yeux fermés, E. Sansot & Cie, 1905.
SÉGALEN Victor, Les Cliniciens ès lettres (1902), préf. De Jean Starobinski, Fata Morgana,
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SÉNÈQUE, Lettres à Lucilius, Les Belles Lettres, 2003.
SHELLEY Mary, Frankenstein (1823), Le Livre de poche, coll. « Classiques », 2009.
STERNE Laurence, La Vie et les opinions de Tristram Shandy, gentilhomme (1667), traduction
Guy Jouvet, Auch : Tristram, 2004.
SOREL Charles, L’Histoire comique de Francion (éd. de 1633), Gallimard, Coll. « Folio Classique », 1996.
STEVENSON Robert, Le Cas étrange du Dr Jeckyll et de Mr Hyde (1886), Le livre de poche,
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—, « Un chapitre sur les rêves », [Scribner’s Magazine, janvier 1888], repris dans
Essais sur l’art de la fiction, M. Le Bris (éd.), trad. de F.-M. Watkins et M. Le Bris,
Paris : Payot, coll. « Petite Bibliothèque Payot / Documents », 1992.
SZITTYA Emil, 82 rêves pendant la guerre 1939-1945, préfacé par Emmanuel Carrère, Allary
éds., 2019.
SUPERVIELLE Jules, Œuvres poétiques complètes, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la
Pléiade », 1996.
TANTY Etienne, Les Violettes des tranchées. Lettres d’un poilu qui n’aimait pas la guerre,
Annette Becker (préf.), Italiques, 2002.
TARDIEU Jean, Œuvres, éd. Jean-Yves Debreuille, Gallimard, coll. « Quarto », 2003.
TSEPENEAG Dumitru, La Belle Roumaine, trad. Alain Paruit, POL, 2006.
VERLAINE Paul, Poèmes saturniens (1866), Gallimard, coll. « folio », 2010.
VERVILLE Béroalde de, Le Palais des curieux (1612), éd. Véronique Luzel, Droz, 2012.
VITRAC Roger, Théâtre, Gallimard, 4 tomes, 1946-1964.
WALPOLE Robert, Le Château d’Otrante (1764), Corti, 1989.
WOOLF Virginia, Une chambre à soi (1929), traduction Clara Malraux, Bibliothèque 10/18,
2001.

517
ŒUVRES CINÉMATOGRAPHIQUES

ARTAUD Antonin, La Coquille et le clergyman, 1928.


BUNUEL Luis et DALI Salvador, Un chien andalou, 1929.
CARNÉ Marcel, Juliette ou la Clef des songes, 1950.
DESPLECHIN Arnaud, Rois et reine, 2004.
DUPIEU Quentin, Réalité, 2015.
FLEMING Victor, The Wizard of Oz (Le Magicien d’Oz), 1939.
GONDRY Michel, Eternal Sunshine of the Spotless Mind, 2004.
—, La Science des rêves, 2006.
HITCHCOCK Alfred, Rebecca,1940.
—, La Maison du docteur Edwardes, 1945.
—, Vertigo, 1958.
KUBRICK Stanley, Eyes Wide Shut, 1999.
LYNCH David, Mulholland drive, 2001.
MÉLIÈS Georges, Le Voyage dans la lune, 1902.
—, Le Rêve du maître de ballet, 1903.
—, Le Rêve d’un fumeur d’opium, 1908.
MELVILLE Jean-Pierre, Les Enfants terribles, 1950.
NOLAN Christopher, Inception, 2010.
PEREC Georges et QUEYSANNE Robert, Un homme qui dort, 1974.
RAY Man, Emak Bakia, 1927.
—, L’Étoile de mer, 1929.
WIENE Robert, Das Cabinet des Dr. Caligari (Le Cabinet du docteur Caligari), 1920.

VI. USUELS
Le Grand Robert de la langue française : dictionnaire alphabétique et analogique de la langue
française, dir. Alain Rey, Le Robert, 2001.
ASSOUN Paul-Laurent, Dictionnaire des œuvres psychanalytiques, PUF, coll. « Grands
dictionnaires », 2009.
FONTANIER Pierre, Les Figures du discours, Flammarion, coll. « Champs », 1977.
JARRETY Michel (dir), Lexique des termes littéraires, Le Livre de poche, 2001.
LAROUSSE Pierre, Le Grand Dictionnaire Universel du XIXe siècle, 1866-1877.

518
INDEX DES NOMS DE PERSONNE ET DES ŒUVRES

Pour plus de clarté, ne figurent dans cet index que les œuvres du XXe siècle.

A BADRÉ Frédéric, 364

À la minute que j’éclate (Michaux), 212 BAILLAUD Bernard, 36, 177, 231, 366, 370, 372

À la recherche du temps perdu (Proust), 21, 205, BALZAC Guez de, 232

206, 392 BALZAC Honoré (de), 245

ABRAHAM Karl, 83, 316 BARBERGER Nathalie, 20, 221

AEPPLI Ernest, 130 BARONI Raphaël, 295

Affrontements (Michaux), 159 BARRETT Deirdre, 248

ALAIN-FOURNIER, 21 BARTHÉLÉMY Clarisse, 364, 403

ALEXANDRE Maxime, 93, 364 BARTHES Roland, 241, 381

ALEXANDRIAN Sarane, 20, 44, 55, 69, 86 BASTIDE Roger, 96, 165, 166, 168

ALLAMAND Carole, 301, 302 BAYARD Pierre, 27, 82, 193, 194, 196, 284

ALLENDY René, 89, 91, 130, 140, 141, 142, 147, BEALU Marcel, 5, 6, 19, 23, 120, 122, 128, 130,

155 135, 136, 137, 141, 167, 172, 173, 174, 175,

ALQUIÉ Ferdinand, 89, 232, 233 176, 177, 180, 188, 189, 196, 224, 236, 246,

Aminadab (Blanchot), 26 249, 250, 253, 255, 256, 294, 301, 305, 306,

Anthologie de l’humour noir (Breton), 88 358, 359, 364, 368, 374, 377, 378, 379, 383,

ANZIEU Didier, 138 385, 386, 388, 389, 391, 398, 399, 400, 401,

APOLLINAIRE Guillaume, 151, 277, 381 406, 408, 417, 418, 419, 420, 421

Apologie du poète (Jouve), 259 BEAUMATIN Éric, 335, 336

ARAGON Louis, 25, 41, 44, 46, 50, 54, 56, 57, 59, BECKER Raymond (de), 130

73, 84, 126, 127, 139, 152, 247, 265, 268, 269, BÉGUIN Albert, 18, 89, 247

270, 271, 274, 295, 297, 299, 304, 323, 357, BÉHAR Henri, 25, 65, 74, 75, 158, 251, 252, 307

360, 361, 364 BELLEMIN-NOËL Jean, 21, 27, 149, 184, 185,

ARISTOTE, 153, 209 194, 195

ARRIVE Michel, 257 BENJAMIN Walter, 75

ARTAUD Antonin, 85, 89, 142, 208, 209, 293, 299 BERGE Claude, 335, 336

ARTEMIDORE, 92, 93, 125, 126, 128, 129, 130, BERNARD Suzanne, 293

137 BERNIER Yvon, 222

ASSOUN Paul-Laurent, 191, 192, 193, 194 BERRANGER Marie-Paule, 7, 21, 46, 61, 219,

Aurora (Leiris), 308, 323 246, 266, 267, 274, 278, 323
BERTRAND Aloysius, 293
BLAISE Marie, 234, 246
B
BLANCHOT Maurice, 26, 249, 271, 311, 355, 370
Babylone (Crevel), 409
BLANCKEMAN Bruno, 28
BACHELARD Gaston, 13, 14, 15, 29, 226

519
BOIFFARD Jacques-André, 84, 110, 274, 421 C
BOKDAM Sylviane, 18, 203, 207 CABANES Jean-­‐‑Louis, 65
BONNEFOY Yves, 25 CABASSU Nicole, 20
BONNET Marguerite, 24, 28, 48, 49, 50, 51, 52, Cahiers (Valéry), 17, 23, 24, 25, 34, 37, 38, 73, 77,
54, 57, 59, 60, 66, 67, 70, 72, 74, 76, 87, 133, 81, 83, 87, 89, 100, 108, 119, 138, 154, 163,
158, 164 170, 223, 249, 250, 273, 278, 294, 299, 307,
BONNOT Marie, 15, 26, 47, 95, 203, 205, 248, 336, 337, 348, 353, 362, 388
293, 361, 362, 421 CAILLOIS Roger, 25, 75, 127, 135, 143, 228, 229,
BOREL Adrien, 141, 142, 182, 308, 310, 315 230, 237, 238, 240, 297, 411, 418
BORGES Jorge Luis, 411 CAPE Anouck, 141
BOUCHARENC Myriam, 7 CARASSOU Michel, 75, 155, 158
BOULESTREAU Nicole, 276 CARROY Jacqueline, 16, 17, 22, 23, 34, 42, 48,
BOUSQUET Jacques, 18 65, 70, 71, 77, 78, 95, 96, 111, 125, 137, 138,
BOUVERESSE Jacques, 203 421
BRÉCHON Robert, 107 CAYROL Jean, 240
BRETON André, 5, 6, 19, 21, 22, 23, 24, 28, 30, CHARLES Michel, 407
40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, CHARMA Antoine, 34, 77, 78
53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, Chêne et chien (Queneau), 140, 142, 308, 353
66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 76, 77, 78, 79, CHÉNIEUX-GENDRON Jacqueline, 163
80, 81, 83, 84, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 93, 95, 99, CHEVRIER Alain, 128, 129
103, 107, 109, 111, 113, 118, 120, 126, 132, CHIRICO Giorgio (de), 54, 166
134, 135, 136, 138, 139, 140, 141, 142, 143, Clair de terre (Breton), 24, 28, 54, 55, 195, 256,
144, 145, 146, 147, 148, 149, 150, 151, 152, 273, 307, 337
153, 154, 157, 158, 163, 164, 165, 174, 176, CLANCIER Anne, 141, 315
177, 188, 189, 192, 195, 223, 228, 232, 233, COCTEAU Jean, 26, 174, 175
234, 235, 246, 250, 256, 265, 266, 268, 270, COHEN Nadja, 243, 244, 245, 259
271, 272, 273, 274, 275, 276, 277, 282, 283, COLONNA Francesco, 207
284, 291, 299, 300, 305, 307, 310, 319, 323, COMPAGNON Antoine, 369
337, 345, 356, 357, 358, 360, 361, 363, 364, CONLEY Katharine, 91
366, 372, 382, 417, 418, 419, 420 Connaissance par les gouffres (Michaux), 24, 103,
BRETON Simone, 56, 57, 300 108, 109, 110, 111, 112, 113
Brèves de rêves (Tristan), 9, 22, 23, 232, 305, 381, Contes du demi-sommeil (Béalu), 136, 237
382, 383, 385, 389, 392, 396, 397, 398, 399, Contes et propos (Queneau), 24, 353
400, 409, 410, 411, 412 CONTOU-TERQUEM Sarah, 158
BUCHS Arnaud, 25 CORBEAU Jean-Pierre, 95, 96
BUNUEL Luis, 109 COTET Pierre, 153, 193
BURGELIN Claude, 170, 315 CREVEL René, 26, 44, 56, 57, 59, 73, 85, 89, 142,
BUTOR Michel, 19, 21, 25, 122, 355 154, 155, 156, 299, 357, 418

520
D DUMAS Marie-Claire, 24, 36, 91, 92, 176, 265,

DADOUN Roger, 116, 117 300

DALI Salvador, 46, 70, 87, 109, 165 DUMORA Florence, 17, 18, 200, 209, 242, 259,

DAMBRE Marc, 266, 268, 274 293

DAVID Hélène, 18, 19, 209 DUNNE John, 135

DEBON Claude, 24, 28, 140, 352 DUVIGNAUD Françoise, 95, 96

DEBRU Claude, 180 DUVIGNAUD Jean, 95, 96

DÉCHANET-PLATZ Fanny, 18, 19, 205, 402


DECOUT Maxime, 306 E
DEL LUNGO Andrea, 349 ECO Umberto, 297, 400
DELAGE Yves, 133, 159 Écrits sur la poésie (Aragon), 46
DEMAULES Mireille, 18, 200, 201, 203, 210 EGGER Anne, 91
Dernières nouvelles de madame Berthe (Tristan), EGGER Victor, 16, 58, 62, 81
410 ELLIS Havelock, 133, 140
DERVIEUX Françoise, 18 ÉLUARD Paul, 23, 24, 28, 46, 57, 70, 84, 110, 146,
DESCARTES René, 15, 19, 209, 228, 229, 232, 230, 232, 265, 273, 275, 276, 277, 278, 282,
233 283, 292, 308, 357, 418, 420, 421
DESNOS Robert, 5, 6, 23, 28, 44, 57, 58, 59, 90, En marge des nuits (Pontalis), 143
91, 92, 93, 94, 128, 129, 142, 176, 277, 280, Entretiens 1913-1952 (Breton), 67, 71, 72, 84, 165,
299, 300, 308, 357, 376, 377, 417, 418, 420 276
DESPLECHIN Arnaud, 19 Entretiens à la radio avec Robert Mallet (Paulhan),
DEVEREUX Georges, 140 180, 366, 370
DEVESA Jean-Michel, 155 Entretiens et conférences (Perec), 313, 314, 316,
DHÔTEL André, 373 326, 330, 331, 349
Dictionnaire abrégé du surréalisme (Breton), 192, ERNST Max, 57, 142, 165
246 Êtes-vous fous ? (Crevel), 156
DIDEROT Denis, 288, 349 Exercices de style (Queneau), 352
DIDIER Béatrice, 18, 35, 48, 65, 133, 138, 212,
364
F
Dieu, l’univers et madame Berthe (Tristan), 410
FABRE Daniel, 15
DIEUDONNÉ Julien, 366, 367, 403
Façons d'endormi, façons d'éveillé (Michaux), 24,
Documents secrets (Hellens), 244, 247, 248
114, 115, 116, 119, 123, 127, 128, 159, 161,
Donner à voir (Éluard), 24, 276, 277
181, 198, 213, 214, 223, 224, 225, 226, 237,
Dresler, 416
255, 305, 371, 374, 375, 376, 389, 390, 391,
Dresler Martin, 416
393, 394, 395, 404, 405, 408
DU BELLAY Joachim, 207
Fata Morgana (Breton), 259
DUBOIS Jean, 61, 63
Fenêtre (Pontalis), 349
DUFOURMANTEL Anne, 181
FERDIÈRE Gaston, 91
DUJARDIN Édouard, 62, 63
FICIN Marsile, 209
DULA-MANOURY Daiana, 355
FONTANIER Pierre, 288

521
FORRESTER John, 137 HELD René, 164
FOUCAULT Marcel, 16, 34, 77, 83, 133 HELLENS Franz, 29, 83, 85, 86, 103, 123, 211,
FRÉMOND Émilie, 293, 361 212, 217, 244, 247, 248, 281, 359, 360, 361,
FREUD Sigmund, 5, 17, 27, 33, 34, 41, 48, 50, 51, 362, 363, 364, 374, 419
52, 54, 61, 65, 67, 68, 70, 72, 81, 83, 84, 86, 89, HESNARD Angelo, 33, 50, 68, 133, 139, 140, 141,
90, 92, 93, 100, 103, 105, 106, 108, 114, 116, 417
117, 122, 125, 126, 133, 134, 135, 137, 138, HILDEBRANDT Friedrich Wilhelm, 90, 133
139, 140, 141, 143, 144, 145, 146, 147, 148, HITCHCOCK Alfred, 19
149, 151, 152, 153, 154, 155, 157, 158, 159, HOBSON J. Allan, 417
160, 161, 163, 164, 165, 167, 168, 169, 170, HOLLIER Denis, 24, 185, 236
171, 172, 173, 174, 176, 177, 180, 181, 182, HOMÈRE, 204
183, 191, 192, 193, 194, 195, 200, 215, 217, HUGO Victor, 17, 19, 175
257, 258, 339, 373, 378, 405, 412, 417 HUYSMANS Joris-Karl, 295

G I
GATEAU Jean-Charles, 277, 278 Introduction au discours sur le peu de réalité
GAUTHIER Renée, 166, 167 (Breton), 72
GEHENIAU Florence, 140
GENETTE Gérard, 269, 270, 300, 408, 413
J
GIDE André, 151, 174, 175
JACCOTTET Philippe, 204
Glossaire j’y serre mes gloses (Leiris), 182
Jacob Cow le pirate ou si les mots sont des signes
GOLL Ivan, 163
(Paulhan), 370, 372
GOLLUT Jean-Daniel, 18, 20, 26, 138, 241, 257,
JACOB Max, 17, 85, 175, 180, 261, 294, 299, 370,
274, 275, 326, 332, 344, 345, 346, 347, 354,
372, 377
355, 362
JAMES Tony, 18
GOSSELIN-NOAT Monique, 266, 268, 274
JAMIN Jean, 236
GOUMEGOU Susanne, 19, 28, 323
JANET Pierre, 36, 42, 65, 66, 81, 139, 159, 417
Grains et issues (Tzara), 25, 42, 243, 250, 251, 252,
JANKÉLÉVITCH Vladimir, 134
266
JARRETY Michel, 200, 288
GRUNEBAUM Gustave Edmond von, 127, 135
Je suis né (Perec), 238, 308, 316
GUILLAUMIN Jean, 134
JEAN PAUL, 246, 247, 255
GUTHMÜLLER Marie, 19
JENNY Laurent, 266, 268, 270, 271, 272
JOHNSON Mark, 201, 202
H JONES Ernest, 138, 140
HACKING Ian, 166 JOUHANDEAU Marcel, 174, 175, 398
HADFIELD James Arthur, 135 JOURDE Pierre, 355, 356
HAFFNER Paul Leopold, 133 Journal (1922-1989) (Leiris), 21, 24, 25, 122, 125,
HALPERN Anne-Élisabeth, 211 126, 133, 140, 183, 235, 236, 310, 311, 312,
Haut Mal (Leiris), 208 318, 320, 321, 323, 324, 336, 337, 420
HÉCAEN Henri, 61 Journal (Queneau), 25, 141, 145

522
JOUVE Pierre Jean, 25, 258, 259 LAFORGUE René, 142
JOUVET Michel, 16, 22, 122, 180, 348, 418 LAHIRE Bernard, 17, 260
JUNG Carl Gustave, 69, 130, 135, 139, 140, 141, LAKOFF George, 201, 202
143, 158, 251, 417 LANCEL Juliette, 34, 125, 137
Langage tangage (Leiris), 184
K LAPLANCHE Jacques, 158, 316

KAFKA Franz, 19, 328, 383 LAROUSSE Pierre, 158, 185

KOSKAS Camille, 7, 367 LAVALLADE Éric, 306

KRAEPELIN Emil, 72, 139 Le Bien rêver (Béalu), 23, 301

KUBRICK Stanley, 19 Le Chaudron chinois (Tristan), 409


Le Chiendent (Queneau), 352
Le Cornet à dés (Jacob), 294
L
Le Disque vert, 23, 83, 85, 86, 103, 107, 108, 137,
La Boutique obscure (Perec), 23, 24, 28, 96, 112,
154, 155, 209, 217, 307, 364
137, 143, 165, 166, 167, 168, 169, 170, 171,
Le Dormeur éveillé (Pontalis), 142, 143
172, 205, 248, 299, 300, 303, 306, 308, 312,
Le Fantastique réel (Hellens), 244
313, 314, 316, 325, 326, 329, 330, 331, 332,
LE LORRAIN Jacques, 16
333, 334, 335, 339, 340, 341, 344, 346, 347,
Le Paysan de Paris (Aragon), 73
348, 353, 356, 366, 420
Le Poète et son ombre (Éluard), 275
La Cendre et la Foudre (Tristan), 409
Le Pont traversé (Paulhan), 21, 24, 36, 37, 54, 137,
La Chevauchée du vent (Tristan), 409
178, 179, 300, 364, 365, 366, 367, 368, 369,
La Clef des songes (Desnos), 90, 93, 94, 128
370, 371, 373, 398, 401, 403, 419, 421
La Nuit remue (Michaux), 24, 211, 390, 402
Le Retournement du gant : entretiens avec Jean-
La Part du feu (Blanchot), 271
Luc Moreau (Tristan et Moreau), 195, 381, 383
La Règle du jeu (Leiris), 24, 122, 126, 182, 183,
Le Singe égal du ciel (Tristan), 409
184, 185, 221, 236, 308, 310, 312, 318, 319,
Le Songe de Monomotapa (Pontalis), 142, 143
320, 337, 388, 420
Le Surréalisme au service de la révolution, 70, 81,
La Révolution surréaliste, 23, 77, 81, 83, 84, 85,
165
110, 142, 151, 155, 166, 167, 204, 208, 219,
Le Temps traversé, Correspondance 1920-1964
273, 274, 278, 293, 299, 319, 323, 326, 352,
(Aragon), 364
365, 401, 419, 421
Le Temps, ce grand sculpteur (Yourcenar), 288,
La Scène capitale (Jouve), 25
289
La Vie en rêve (Béalu), 23, 130, 131, 135, 136, 172,
Le Vol d’Icare (Queneau), 410
173, 174, 175, 180, 196, 224, 236, 237, 246,
LEBLOND Aude, 7, 15, 26, 47, 95, 203, 421
249, 254, 256, 305, 377, 378, 379, 380, 389,
LECARME Jacques, 170
391, 392, 395, 398, 399, 401, 406, 407
LEDDA Sylvain, 293
La Vie est pleine de choses redoutables (Paulhan),
LEIRIS Michel, 5, 6, 19, 20, 21, 23, 24, 28, 76, 77,
364
85, 122, 125, 126, 139, 141, 142, 177, 182, 183,
La Vie seconde ou Les songes sans la clé (Hellens),
184, 185, 186, 187, 188, 200, 206, 207, 208,
29, 247, 281, 360, 362, 364, 374
218, 219, 220, 221, 232, 235, 236, 237, 238,
LACAN Jacques, 122, 140, 141, 142, 258, 315

523
249, 293, 294, 297, 299, 300, 304, 307, 308, Lettres à Marcel Béalu (Jacob), 175
310, 311, 312, 313, 314, 315, 317, 318, 319, Littérature (revue, nouvelle série), 1, 5, 22, 23, 41,
320, 321, 322, 323, 324, 325, 329, 335, 336, 43, 53, 56, 60, 62, 65, 81, 82, 89, 119, 123, 152,
337, 338, 339, 342, 343, 344, 345, 348, 353, 174, 185, 191, 192, 193, 194, 196, 268, 270,
357, 377, 386, 388, 389, 416, 417, 419, 420, 421 271, 273, 284, 299, 307, 326
LEJEUNE Philippe, 139, 182, 184, 297, 298, 301, Loin de Rueil (Queneau), 352
302, 303, 317 LOISELEUR Aurélie, 293
LEROY Eugène-Bernard, 71 LYNCH David, 19
Les Causes célèbres (Paulhan), 231, 232, 373
Les Champs magnétiques (Breton et Soupault), 24,
M
44, 46
MACÉ Marielle, 118, 119, 295
Les Dessous d’une vie ou la pyramide humaine
MACROBE, 209
(Éluard), 24, 231, 279
MAEDER Alphonse, 83, 133
Les Écluses de la poésie (Tzara), 252
MALCOLM Norman, 312
Les Fleurs bleues (Queneau), 228, 352, 409
MALLARMÉ Stéphane, 218, 221, 370
Les Fleurs de Tarbes ou la terreur dans les lettres
Manifeste du surréalisme (Breton), 21, 41, 43, 46,
(Paulhan), 369, 370, 372, 373
47, 48, 49, 51, 52, 54, 55, 56, 58, 59, 60, 61, 70,
Les Grandes épreuves de l’esprit et les
71, 73, 74, 79, 80, 90, 111, 118, 138, 139, 154,
innombrables petites (Michaux), 110
157, 195, 232, 233, 250, 256, 265, 266, 268,
Les Hain-Tenys (Paulhan), 370, 372
276, 284, 358, 360, 364, 366, 420
Les Lauriers sont coupés (Dujardin), 62, 63
MANN Thomas, 411
Les Nouvelles littéraires, 83, 84, 85, 95, 177, 330
MARINELLI Lydia, 83, 84, 138, 141, 164
Les Pas perdus (Breton), 43, 152, 195, 364
MARMANDE Francis, 313
Les Rêves et la Jambe (Michaux), 103, 104, 106,
MARTIN Jean-Pierre, 212
107, 108, 120, 160, 161, 212, 216, 217, 364,
MARTIN Marie, 198
386, 390
MATHIEU Jean-Claude, 376
Les Songes et les Sorts (Yourcenar), 82, 121, 122,
Matière de rêves (Butor), 25, 26
128, 159, 160, 197, 198, 221, 222, 224, 244,
MAUBON Catherine, 20, 28, 183, 184, 236, 315,
253, 283, 284, 285, 286, 287, 288, 289, 290,
320, 323
291, 292, 302, 303, 308
MAURY Alfred, 34, 35, 37, 48, 49, 65, 70, 82, 111,
Les Succulentes Paroles de Maître Chù (Tristan),
133, 143
409
MAYER Andréas, 7, 83, 84, 137, 138, 141, 164
Les Vases communicants (Breton), 24, 49, 70, 74,
MÉLIÈS Georges, 19
76, 79, 80, 81, 89, 90, 93, 113, 126, 132, 134,
MELVILLE Jean-Pierre, 26
138, 139, 144, 145, 146, 148, 149, 150, 153,
Mémoires d’Hadrien (Yourcenar), 222, 253
164, 223, 234, 235, 299, 307
Mémoires de l’ombre (Béalu), 173, 392
Les Yeux du rêve. Moralités fantastiques (Hellens),
MICHAUX Henri, 5, 6, 19, 20, 23, 24, 28, 83, 85,
362
86, 98, 103, 104, 106, 107, 108, 109, 110, 111,
Les Yeux ouverts (Yourcenar et Galey), 82, 196,
112, 113, 114, 115, 116, 117, 118, 119, 120,
284
123, 125, 127, 133, 139, 141, 159, 160, 161,

524
177, 180, 181, 182, 188, 189, 198, 211, 212, O
213, 214, 215, 216, 217, 218, 219, 223, 224, Odile (Queneau), 17, 180, 261
225, 226, 237, 238, 255, 301, 304, 313, 358,
359, 361, 363, 364, 368, 370, 374, 375, 376,
P
382, 383, 385, 386, 388, 389, 390, 392, 393,
PACHET Pierre, 13, 198, 199
394, 395, 398, 400, 401, 402, 404, 405, 406,
PASCAL Blaise, 228, 233, 234
407, 408, 411, 417, 418, 419, 420, 421
PAULHAN Jean, 5, 6, 21, 23, 24, 28, 30, 36, 37,
MILNER Max, 27, 111, 180
53, 72, 133, 137, 177, 178, 179, 180, 188, 196,
Minotaure, 23, 81
217, 231, 364, 365, 366, 367, 368, 369, 370,
Miroir de l’Afrique (Leiris), 319
371, 372, 373, 374, 379, 381, 382, 383, 398,
Misérable miracle (Michaux), 103, 109, 110, 112
401, 403, 408, 412, 418, 419, 420, 421
MONTAIGNE Michel (de), 251
Pénalités de l’enfer ou Nouvelles Hébrides
MONTANGÉRO Jacques, 200, 261
(Desnos), 59
MONTÉMONT Véronique, 339
PENNANECH Florian, 405
MOREAU DE TOURS Jacques-Joseph, 37, 70,
Penser/Classer (Perec), 143, 313, 330, 420
110, 111, 133
PHILIPPE Gilles, 372
MORISE Max, 57, 85, 274, 299, 300
PHILIPPOT Didier, 65
MURAT Michel, 46, 61, 66, 69, 157, 158, 268,
PIAGET Jean, 261, 277
273, 278, 295, 323, 402, 403
PIEGAY Nathalie, 7, 271
MUSSET Alfred, 280
PINTUELES Josette, 271
Plume précédé de Lointain intérieur (Michaux), 24,
N 211, 376, 389, 390, 402
Nadja (Breton), 56, 59, 76, 145, 147, 148, 234, 243, Point du jour (Breton), 72, 157, 358, 420
244, 245, 259, 284, 307 Poisson soluble (Breton), 24, 28, 44, 60, 103, 360,
NANCY Jean-Luc, 66 361
NATHAN Tobie, 17 PONT Carmen Ana, 20
NATUREL Mireille, 21 PONTALIS Jean-Bertrand, 69, 122, 142, 143, 151,
NAVILLE Pierre, 83, 84, 274 153, 158, 183, 308, 315, 316, 325, 329, 341,
NERVAL Gérard, 19, 28, 202, 203, 206, 323 349, 352, 420
NODIER Charles, 355 Portrait de l’artiste en jeune singe (Butor), 21
NOLL Marcel, 274, 299, 342 Position politique du surréalisme (Breton), 157
Notes sur la poésie (Breton et Éluard), 265 POUZOULET Christine, 62
NOVALIS, 19, 246 Premières vues anciennes (Éluard), 277
Nuits partagées (Éluard), 277 PROUST Marcel, 19, 21, 202, 203, 205, 206, 217,
Nuits sans nuit et quelques jours sans jour (Leiris), 392, 412
21, 24, 28, 182, 200, 220, 238, 239, 249, 293,
294, 299, 300, 304, 308, 310, 311, 314, 315, Q
320, 321, 322, 323, 324, 336, 337, 338, 342, QUENEAU Raymond, 5, 6, 19, 23, 24, 25, 28, 76,
343, 345, 401, 420 122, 140, 141, 142, 143, 145, 146, 147, 148,
149, 150, 167, 170, 188, 228, 234, 274, 301,

525
305, 306, 307, 308, 352, 353, 355, 356, 357, SERMET (de) Joëlle, 208
374, 381, 383, 409, 410, 418, 419, 420 SHAMDASANI Sonu, 34
SHARPE Ella, 257, 258
R SHELLEY Mary, 248

RABATÉ Dominique, 309 SIMONET-TENANT Françoise, 297

RABINOVITCH Solal, 158 Sitôt lus (Michaux et Hellens), 86, 123, 212

RAIMOND Michel, 63 SOREL Charles, 209

RAY Man, 59, 142 SOREL Marie, 7, 175

Récits en rêves (Bonnefoy), 25 SOUPAULT Philippe, 24, 44, 46, 47, 49, 63

REGGIANI Christelle, 330, 339, 385 Sous bénéfice d’inventaire (Yourcenar), 222

RÉGIS Emmanuel, 33, 68, 133, 139 STAROBINSKI Jean, 25, 67, 115, 116, 152, 268

REVERDY Pierre, 54, 55, 72, 204, 277, 381 STEKEL Wilhelm, 83, 133

REVERSEAU Anne, 243, 244, 245, 259 STERNE Laurence, 348

RICHARD Nathalie, 48 STEVENSON Robert, 248

ROBERT François, 153, 193 SZITTYA Emil, 13

ROBERT Marthe, 141


ROBIN Gilbert, 142 T
ROCHE Anne, 139 TADIE Jean-Yves, 373, 392, 403
ROSOLATO Guy, 163 Tao, le haut voyage (Tristan), 409
ROUBAUD Jacques, 309, 331, 332 TARDE Gabriel, 77, 78
ROUDINESCO Élisabeth, 151 TARDIEU Jean, 377
ROUFFIAT Françoise, 172, 306 TASSIN Jean- Paul, 174
RUBIO Emmnuel, 50, 68, 148, 150 Tentative d’épuisement d’un lieu parisien (Perec),
RUBY Perrine, 47 330
THEVENIN Paule, 84
S THIVAT Patricia-Laure, 19

SANCTIS Sante (de), 83 Thomas l’obscur (Blanchot), 26

SANOUILLET Michel, 139 TISSERON Serge, 174

SARRAUTE Claude, 182, 310, 311, 318, 319 TORTONESE Paolo, 65

SARTRE Jean-Paul, 25, 175, 176, 228, 315, 408, TOUBOUL Anaëlle, 7

409, 418 Traité du style (Aragon), 25, 50, 126, 127, 152,

SCHAEFFER Jean-Marie, 209 247, 265, 268, 269, 270, 271, 357, 361

SCHAFFNER Alain, 203 Trajectoire du rêve, 23, 81, 83, 87, 88, 89, 90, 145,

SCHERNER Karl Albert, 133 153, 273, 337

SCHIFANO Laurence, 198 Traversée avec Don Quichotte (Mann), 411

SCHNITZLER Daphné, 19, 191, 306 TRISTAN Frédérick, 5, 6, 9, 19, 22, 23, 25, 28, 42,

SCHOPENHAUER Arthur, 133 122, 195, 232, 243, 251, 252, 266, 301, 305,

SCOPELLITI Paolo, 58, 68 306, 368, 374, 381, 382, 383, 385, 386, 387,

SEBBAG Georges, 55, 232, 233 388, 392, 396, 397, 398, 399, 400, 408, 409,

Second manifeste du surréalisme (Breton), 53, 246 410, 411, 412, 419, 420

526
TZARA Tristan, 25, 42, 139, 154, 243, 250, 251, VOUILLOUX Bernard, 288, 292
252, 253, 266

W
U W ou le souvenir d’enfance (Perec), 330, 350, 351,
Un homme qui dort (Perec), 335 385
Une vague de rêves (Aragon), 25, 41, 44, 54, 56, WAGNER Franck, 411
57, 59, 139, 268, 297 WALPOLE Robert, 248
Une vie au péril de l’écriture (Tristan), 382, 385, WHITON CALKINS Mary, 83
387 WOLKENSTEIN Julie, 19

V Y
VADÉ Yves, 293, 294 YOURCENAR Marguerite, 5, 20, 23, 24, 28, 82,
Vagadu (Jouve), 25 121, 122, 127, 128, 143, 159, 177, 188, 189,
VALERY Paul, 17, 23, 25, 33, 34, 37, 38, 39, 40, 196, 197, 198, 221, 222, 224, 244, 250, 253,
54, 55, 62, 63, 72, 74, 98, 99, 100, 102, 109, 265, 282, 283, 284, 285, 287, 288, 289, 290,
118, 119, 120, 138, 144, 151, 154, 163, 177, 291, 292, 295, 302, 303, 308, 356, 357, 417,
188, 196, 210, 214, 223, 224, 243, 249, 265, 419, 420
342, 348, 369, 381, 388, 416, 417, 418, 420
VANDENDORPE Christian, 19, 20
Z
VASCHIDE Nicolas, 143
Zébrage (Leiris), 183
VERGER Romain, 20, 211, 386, 390
ZIMMERMANN Laurent, 293
VERLAINE Paul, 280
ZINK Michel, 201
VERVILLE Béroalde (de), 209

527
TABLE DES MATIÈRES

Remerciements .........................................................................................................................................7

INTRODUCTION ............................................................................................................................................... 11
Le rêve, une notion labile entre savoirs et expérience ................................................................ 14
Les récits de rêves au XXe siècle (corpus) ................................................................................. 20
Comment parler des rêves qu’on n’a pas faits ? Questions de méthodologie ............................... 26
Le récit de rêve, entre authenticité et auctorialité ....................................................................... 29

PREMIÈRE PARTIE
SCIENCE DES RÊVES ET SAVOIR DE LA LITTÉRATURE

CHAPITRE I. LE RÉCIT DE RÊVE, UN OBJET SCIENTIFIQUE ? .......................................................................... 33


1.1. Des savants rêveurs aux écrivains sachant rêver ...................................................................... 33
1.1.1. Observation et notation............................................................................................................. 35
1.1.2. Rêve, automatisme et surréalisme ............................................................................................. 43
Le récit de rêve, entre phrases de demi-sommeil et sommeil hypnotique......................................... 44
Phrases de demi-sommeil et écriture automatique...................................................................... 46
Les récits de rêves .................................................................................................................... 49
Les sommeils hypnotiques ........................................................................................................ 55
Rêve et endophasie : capter la voix intérieure................................................................................. 58
Le rêve comme méthode d’exploration .......................................................................................... 65
La notion d’automatisme .......................................................................................................... 65
Rêve, logique et imagination..................................................................................................... 69
Les Vases communicants : traité de la raison pratique du rêve .................................................... 76
1.1.3. Collecte, collections et banque de rêves : le grand nombre au service de la connaissance ........... 82
Centrale des songes et Trajectoire du rêve : passer le rêve en revues .............................................. 83
Radio rêves ................................................................................................................................... 90
La Banque des rêves...................................................................................................................... 95
1.2. Les limites du récit de rêve........................................................................................................ 98
1.2.1. Valéry ou le rêve en crise ......................................................................................................... 98
1.2.2. L’ « introréalisme » de Michaux ............................................................................................. 103
Les Rêves et la jambe, essai parodique ......................................................................................... 103
L’impossible récit de rêve ........................................................................................................... 107
Détour par les drogues ............................................................................................................ 109
Gloser sans psychologiser ....................................................................................................... 113
1.2.3. Le rêve à l’essai ..................................................................................................................... 118

528
CHAPITRE II. LITTÉRATURE ET SAVOIRS DU RÊVE: ÉRUDITION ET CONCURRENCE ...................................... 123
2.1. Savoirs populaires : clefs des songes, tradition et ouverture .......................................................... 125
2.2. Actualité du rêve et regard scientifique .......................................................................................... 132
2.3. Le discours psychanalytique, entre caution et repoussoir................................................................ 137
2.3.1. Freudomanes et psychophiles ................................................................................................. 138
Affinités théoriques ..................................................................................................................... 138
Proximités pratiques .................................................................................................................... 143
2.3.2. Critiques et résistances ........................................................................................................... 151
Obscur objet du désir .................................................................................................................. 151
Symbolisme et pansexualisme, les cauchemars de l’écrivain ........................................................ 159
2.3.3. Faire « autre chose que du Freud » : caricature, détournement et subversion ............................ 163
Comment peut-on ? La crainte d’une psychanalyse appliquée à la littérature ................................ 163
Se jouer des codes ....................................................................................................................... 167
L’interprétation : un enjeu créatif................................................................................................. 177
Le langage secret du rêve (Paulhan).................................................................................... 178
La singularité des réseaux métaphoriques (Michaux, Béalu)................................................ 180
Le rêve : un tangram ? (Leiris) ........................................................................................... 182

CHAPITRE III. APPROCHES LITTÉRAIRES DU RÊVE ....................................................................................... 191


3.1. L’écrivain, un rêveur autodidacte ? ........................................................................................ 191
3.2. Pour une approche esthétique du rêve ............................................................................................ 198
3.2.1. Allégorie onirique et fiction scientifique (ou l’inverse)............................................................ 200
Topographies du rêve .................................................................................................................. 204
La comédie du rêve ..................................................................................................................... 209
3.3.2. Aborder le rêve en littéraire .................................................................................................... 216
Les rêves et les mots ................................................................................................................... 216
Images du rêve ............................................................................................................................ 221
3.3.3. Écrire la vie comme un songe : extensions du domaine onirique .............................................. 228
Doute, incertitude, et renversement .............................................................................................. 228
La puissance de la rêverie (Breton, Leiris) ................................................................................... 232
Oniriser le monde : regarder le monde les yeux fermés ................................................................ 236
3.3. Rêver la littérature : le paradigme onirique ................................................................................... 242
3.3.1. Acceptions et confusion ......................................................................................................... 243
3.3.2. L’inspiration et l’auctorialité en question ............................................................................ 246
Le rêve : un comble poétique ....................................................................................................... 246
Une œuvre sans artiste................................................................................................................. 248
Rêver, penser, écrire ? Réflexions sur la création ......................................................................... 250
3.3.3. Travail du rêve, travail du texte .......................................................................................... 255
Le rêve comme art poétique......................................................................................................... 255
Lecture et interprétation .............................................................................................................. 257

529
DEUXIÈME PARTIE
UN RÊVE, DES RÉCITS : ESTHÉTIQUES DU RÉCIT DE RÊVE

CHAPITRE IV. LE RÉCIT DE RÊVE EST-IL UN GENRE ?


(BRETON, ARAGON, ÉLUARD, YOURCENAR) ................................................................................................. 265
4.1. « Ils ne racontent plus un rêve, ils font de la littérature » : le rêve, un texte anti-littéraire ? ............ 265
4.1.1. Littérarité et poéticité du récit de rêve ..................................................................................... 265
4.1.2. Le récit de rêve : un texte sans style ? (Aragon) ...................................................................... 268
4.2. Autonomisation et différentiation : le récit de rêve à l’épreuve du genre ......................................... 273
4.2.1. Éléments d’une littérarité contrariée........................................................................................ 273
Critères formels .......................................................................................................................... 273
Le rêve au bas de la pyramide : débats et hiérarchie (Éluard)........................................................ 275
Souvent rêve varie… : recatégorisations et réévaluation des substrats oniriques............................ 278
4.2.2. Les rêves-tableaux de Yourcenar ............................................................................................ 283
Un problème de dénomination ..................................................................................................... 283
Une expérience sensible totale : synesthésies et analogies ............................................................ 285
Le musée des rêves retrouvés : tableaux, ekphrasis et chromatisme .............................................. 287
Récit de rêve et poème en prose................................................................................................... 292
4.3. Le « pacte onirique » ..................................................................................................................... 297
4.3.1. La question référentielle ......................................................................................................... 299
4.3.2. Avant-dire pour bien rêver : indications génériques, textes liminaires et appareils préfaciels .... 300

CHAPITRE V. LE RÊVE JUSQU’À ÉPUISEMENT (PEREC, LEIRIS, QUENEAU) ................................................... 307


5.1. De l’auto-analyse à l’autobiographie ............................................................................................. 310
5.2. Manipulations et réécritures .......................................................................................................... 318
5.2.1. « Rêve objectivé » et « rêve-objet » ........................................................................................ 318
Rêves trop rêvés (Perec) .............................................................................................................. 325
L’ouvroir des rêves potentiels (Perec) .......................................................................................... 329
Variations formelles et influences génériques .............................................................................. 332
Trouvailles expressives d’une « rhétorique précisément onirique » (Perec) ................................... 339
5.2.2. Le paradoxe du rêveur : un rêveur conscient de lui-même ....................................................... 342
Précisions, remarques .................................................................................................................. 342
Oublis et censure ......................................................................................................................... 344
« La fenêtre » : clinamen de rêve ? .............................................................................................. 348
5.2.3. « Un minime effort de rhétorique » onirique : Queneau ........................................................... 352

530
CHAPITRE VI. L’ONIRISME CONTRE LE RÊVE (PAULHAN, MICHAUX, BÉALU, TRISTAN) ............................... 359
6.1. La critique du rêve surréaliste ....................................................................................................... 359
6.1.1. Contre l’automatisme ............................................................................................................. 359
6.1.2. Paulhan, un autre modèle ? ..................................................................................................... 365
6.2. Le rêve contre la terreur ................................................................................................................ 370
6.2.1. Paulhan et les ressources du lieu commun............................................................................... 371
6.2.2. « Un rêve, ça prend tout à la lettre » (Michaux)....................................................................... 375
6.2.3. La force de la syllepse (Béalu)................................................................................................ 378
6.2.4. Tristan, « entortillé dans les mots »......................................................................................... 382
6.3. « Tricher le rêve », éléments de poétique onirique ......................................................................... 386
6.3.1. Façonner le rêve ..................................................................................................................... 389
Spectacles sous les paupières....................................................................................................... 389
Une écriture de l’emportement .................................................................................................... 391
Instabilité et variations énonciatives ............................................................................................ 395
Seuils et composition .................................................................................................................. 399
6.3.2. La part du commentaire .......................................................................................................... 402
Faire entendre la voix de l’auteur : polyphonie du commentaire ................................................... 402
La métalepse : ultime jeu onirique ............................................................................................... 409

CONCLUSION ................................................................................................................................................ 415

ANNEXES……………………………………...…………………………...……………………………...……..423
BIBLIOGRAPHIE…………………………………………………………………………..................................…459
INDEX DES NOMS DE PERSONNE ET DES ŒUVRES………………......………………………………………..……519

531
TABLE DES ANNEXES

« L'écriture des rêves »......................................................................................................................... 425


Dossier préparatoire à la rédaction du rêve n° 1 « La taille », La Boutique obscure............................. 429
Manuscrit du rêve n° 96 « La fenêtre », La Boutique obscure ............................................................... 435
Manuscrits des rêves de Robert Desnos ................................................................................................ 437
Rêves de 1907 à 1916 ...................................................................................................................... 438
Rêves des 7-8 septembre 1922, 11-12 septembre 1922, 24 septembre 1922 ....................................... 442
Rêve du 11 au 12 septembre 1922 .................................................................................................... 447
Rêve du 9 septembre 1922 ............................................................................................................... 448
Rêve du 29 août 1929 ...................................................................................................................... 450
Manuscrits d’André Breton (exemples) ................................................................................................ 453
Rêve du 7 février 1937..................................................................................................................... 454
Rêve du 10 avril 1938 ...................................................................................................................... 456

532
TABLE DE LA BIBLIOGRAPHIE

I. CORPUS........................................................................................................................... 461

CORPUS PRINCIPAL....................................................................................................................................... 461


Recueils de récits de rêves (par ordre chronologique) ........................................................................... 461
Récits de rêves publiés en revues (par ordre chronologique) ................................................................. 462
Anthologies de récits de rêve ................................................................................................................ 463
Manuscrits consultés ............................................................................................................................ 464
CORPUS SECONDAIRE ................................................................................................................................... 465
Autres œuvres des auteurs du corpus (par ordre alphabétique) ............................................................. 465
Autres œuvres faisant intervenir le rêve ................................................................................................ 470

II. SUR LES AUTEURS ......................................................................................................... 473

MARCEL BÉALU ........................................................................................................................................... 473


ANDRÉ BRETON ............................................................................................................................................ 473
ROBERT DESNOS .......................................................................................................................................... 474
PAUL ÉLUARD .............................................................................................................................................. 474
MICHEL LEIRIS ............................................................................................................................................ 475
HENRI MICHAUX .......................................................................................................................................... 476
JEAN PAULHAN ............................................................................................................................................. 477
GEORGES PEREC .......................................................................................................................................... 478
RAYMOND QUENEAU .................................................................................................................................... 480
FRÉDÉRICK TRISTAN .................................................................................................................................... 480
MARGUERITE YOURCENAR .......................................................................................................................... 481
SUR LE SURRÉALISME ................................................................................................................................... 481
AUTRES AUTEURS ......................................................................................................................................... 484

III. SAVOIRS DU RÊVE ........................................................................................................ 487

CRITIQUE LITTÉRAIRE.................................................................................................................................. 487


PHILOSOPHIE................................................................................................................................................ 489
HISTOIRE...................................................................................................................................................... 490
SOCIOLOGIE, ANTHROPOLOGIE, ETHNOLOGIE ............................................................................................. 491
SCIENCES DE LA PSYCHÉ (PSYCHANALYSE ET PSYCHOLOGIE) ...................................................................... 492
NEUROSCIENCES........................................................................................................................................... 500
CRITIQUE D’ARTS ......................................................................................................................................... 501
AUTRES APPROCHES ..................................................................................................................................... 502

533
IV. CRITIQUE LITTÉRAIRE GÉNÉRALE ............................................................................. 503

POÉTIQUE ET ESTHÉTIQUE ........................................................................................................................... 503


Formes et genres .................................................................................................................................. 503
Récit et formes narratives ..................................................................................................................... 503
Formes poétiques ................................................................................................................................. 504
Écriture fragmentaire ........................................................................................................................... 504
Fantastique et merveilleux .................................................................................................................... 505
Écritures du moi................................................................................................................................... 505
Essai .................................................................................................................................................... 506
Rhétorique et étude de la langue ........................................................................................................... 507
Autres .................................................................................................................................................. 507
THÉORIE DE LA LECTURE, RÉCEPTION, INTERPRÉTATION ............................................................................ 508
FICTION ET NON FICTION .............................................................................................................................. 509
APPROCHE INTERDISCIPLINAIRES ................................................................................................................ 510
Littérature et psychanalyse ................................................................................................................... 510
Littérature et sciences .......................................................................................................................... 512

V. AUTRES ŒUVRES ........................................................................................................... 513

ŒUVRES LITTÉRAIRES .................................................................................................................................. 513


ŒUVRES CINÉMATOGRAPHIQUES ................................................................................................................. 518

VI. USUELS ......................................................................................................................... 518

534
Le récit de rêve des surréalistes à nos jours

Le XXe siècle constitue un tournant épistémologique majeur dans l’histoire de la pensée du rêve.
De la Traumdeutung de Freud, qui ouvre le siècle, à la remise en cause des théories psychanalytiques,
notamment par les neurosciences, nombreux sont les discours qui se développent sur cet objet
énigmatique. Héritier d’une tradition savante et dialoguant volontiers avec les autres disciplines, le récit
de rêve littéraire observe, au tout début du XXe siècle, une mutation profonde qui lui permet de
s’affranchir d’un cadre fictionnel plus large et de gagner son autonomie. Pendant nocturne du journal
intime ou miscellanées de textes d’une « inquiétante étrangeté », ces écrits, explicitement présentés
comme issus de rêves authentiques, se distinguent par leur position volontairement ambiguë, à la
frontière de catégories formelles poreuses, entre pure fiction et témoignage d’expérience, écriture intime
et fantaisie débridée. De Paulhan et des surréalistes (Breton, Desnos, Leiris) à des auteurs contemporains
(Marcel Béalu, Frédérick Tristan) en passant par Yourcenar, Michaux ou encore Queneau et Perec, se
dessine ainsi l’histoire d’un genre, celui du récit de rêve.
Pour examiner les conditions qui permettent l’élaboration de ces productions oniriques et en
assurent la littérarité, l’étude de cette écriture du rêve adopte une double perspective. D’une part, elle
envisage le rapport de la littérature avec les discours de savoir. Elle examine ainsi la difficile conciliation
entre expérience du rêve, théorie du rêve et narration du rêve et cherche à comprendre quelles réponses
la littérature a pu opposer ou proposer aux divers discours portés sur ce sujet. D’autre part, elle interroge
le statut littéraire de ces textes et propose une analyse esthétique plurielle de ces écrits à la marge de
l’élaboration consciente et à la rencontre des formes et des genres.

Mots clés : Littérature française du XXe siècle ; Récit de rêve ; Littérature et psychanalyse ; Littérature
et sciences ; Écritures du moi ; Surréalisme ; Jean Paulhan ; André Breton ; Robert Desnos ; Henri
Michaux ; Michel Leiris ; Georges Perec ; Marcel Béalu ; Frédérick Tristan.

Narrating dreams from surrealism to the present

This dissertation aims to present a history of the literary genre of the dream narrative, as it
unfolded within French writing throughout the 20th century.
The first part of the dissertation is dedicated to epistemology. It shows that in France theories
of dreaming influenced literary theory, and vice versa, from the 1920s onwards. We first shed light on
that dialectics by analysing the attitude of writers as self-proclaimed dream specialists, as compared
with scientists. In doing so, we show the epistemic limitations of these accounts of dreams, as they
struggle to qualify as scientific documents. We also delineate the ways in which writers try to assert
their legitimacy in the face of scientific and psychoanalytic discourses. Finally, we suggest that literature
does contribute to our understanding of dreams by proposing its own singular, specific approach to them.
And in return, we show how writers focusing on dreams are led to conceive of their own art in a new
way.
The second part of the dissertation tackles the aesthetics of dream narratives. It highlights the
wide variety of these texts, from surrealistic recollections of dreams by André Breton, Paul Eluard or
Robert Desnos, to contemporary fictional short stories by Marcel Béalu or Frédérick Tristan. Conflicted
definitions of dream narratives emphasise the non literariness of the genre while others point to its poetic
and literary quality. It then focuses on Michel Leiris’s work and the formalistic approach developed by
Georges Perec and Raymond Queneau in the 1960s ans 1970s, and eventually identifies Jean Paulhan’s
new manner of narrating dreams, which inspired Henri Michaux, Marcel Béalu and Frédérick Tristan.
These later texts are not only inspired by true dreams but let us read as if they were.
Overall, the thesis emphasises the social and artistic function of the dream, which we apprehend
as a means of understanding the enigmatic state of consciousness that is sleep.

Keywords : French Literature of XXth century ; Acounts of dream ; Literature and psychoanalysis ;
Literature and sciences ; Self-writting ; Surréalisme ; Jean Paulhan ; André Breton ; Robert Desnos ;
Henri Michaux ; Michel Leiris ; Georges Perec ; Marcel Béalu ; Frédérick Tristan.

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