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Floraison 2

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Biologie végétale

François Parcy

Les plantes ne fleurissent qu’après avoir été soumises


à une période de froid et quand le jour a une durée adaptée.
Les mécanismes du contrôle de la floraison sont désormais
élucidés à l’échelle moléculaire.

haque année, les mêmes plantes nerons le rôle essentiel que jouent le froid

L’ E S S E N T I E L
4 Pour fleurir, la plupart
C fleurissent à peu près au même
moment. Dans les pays tempérés,
les crocus et les primevères s’épanouis-
sent en février- m a r s, les champs de colza
et la longueur du jour sur l’apparition – ou
non – des fleurs.
Les plantes à fleurs, ou angiospermes
(du grecangeion, capsule, sperma, semence),
des plantes ont besoin dessinent des damiers jaunes au prin- représentent la majorité des espèces végé-
d’une exposition temps ; en été les coquelicots parsèment tales sauvages et cultiv é e s, avec plus de
de plusieurs semaines les champs de taches rouges, et les col- 260 000 espèces connues. Apparu au Juras-
au froid et d’une longueur chiques marquent l’arrivée de l’automne. sique supérieur, il y a 150 millions d’an-
de jour adaptée. Si les plantes à fleurs accompagnent ainsi nées, ce groupe végétal doit son succès
4 On dispose désormais les saisons, c’est qu’elles sont adaptées é volutif à l’« invention » de la fleur.
d’une description précise à leur environnement : chaque espèce
fleurit, donc se reproduit, lors de la
des mécanismes
période la plus favorable à la dispersion
Fleurir au bon moment
moléculaires qui font
fleurir les plantes. des graines, qui assureront la naissance Cet organe, constitué de feuilles modifiées,
d’une nouvelle génération. abrite et protège les organes reproduc-
4 Le froid déclenche Cette adaptation sous-entend que les teurs (les étamines, mâles, et les carpelles,
la synthèse de protéines plantes sont capables de capter des femelles), attire les insectes pollinisateurs
qui inhibent un gène clé signaux de l’environnement spécifiques (par ses parfums, ses couleurs et son
dans le bourgeon floral. d’une période de l’année. Ces signaux nectar) et donne naissance à un fruit, struc-
ont été identifiés à partir des années 1920 : ture adaptée à la survie et à la dispersion
4 Dans les feuilles, ce sont principalement la température et des graines qu’il contient. Grâce à leurs
la lumière active la durée du jour. Mais les mécanismes fleurs et à leurs fruits, les angiospermes
la synthèse du florigène, moléculaires qui permettent à la plante ont colonisé tous les milieux, y compris
une protéine qui migre d’interpréter ces messages env i r o n n e- aquatiques, en supplantant les plantes aux
dans la sève jusqu’au mentaux, et de fleurir ont été découve r t s graines non protégées et dépourvues de
bouton floral. récemment. Après avoir rappelé quelques fleurs, les gymnospermes (les conifères
généralités sur la floraison,nous exami- par exemple).

2] Biologie végétale © Pour la Science - n° 381 - juillet 2009


© Pour la Science - n° 381 - Juillet 2009 Biologie végétale [3
Cellule du méristème VERNALISATION FLORAISON
d
VRN1

VIN3
VRN2

Hampe florale

Gène FLC inactif

TRANSITION FLORALE

e 2
c A près une période végétative, des cellules
souches (d) du méristème apical (e) com-
mencent à produire des fleurs ; c’est la tran-
s ition flora le. Tou tef oi s, cel le- ci ne peu t
s’accomplir que si le gène FLC, inhibiteur
Méristème apical des gènes de la flora i son, est à son tou r
inhibé da ns ces cel l u les. C ’est le rôle
du froid : c’est la phase de vernalisation.
b Le froid d é clen che la sy nth è se d’u ne
protéine, VIN3, qui inhibe transitoirement
l’epression de FLC. Deux autres protéines,
VRN1 et VRN2, prolongent cet effet.

Plantule

GERMINATION

Gène FLC actif

a Plant d’arabette

1
Da ns la gra i ne (a) de l’arabe tte des Da mes
Cellule (Arabidopsis thaliana), le gène FLC (Flowering
Locus C) est déjà actif. La protéine FLC corres-
pondante bloque l’expression de gènes néces-
sa i r es à la f lora i son. La pla ntu le (b) qui na î t
Graine de la germination, comme la plante adulte (c)
sont de ce fait incapables de fleurir .

4] Biologie végétale © Pour la Science - n° 381 - Juillet 2009


FLORAISON PAS DE FLORAISON Toutefois, la structure florale est fra- souvent, elles ont besoin à la fois d’une
gile. Un déclenchement de la floraison qui exposition au froid puis d’une photopé-
serait suivi d’une période trop froide ou riode adéquate (voir l’encadré page XX).
t rop sèche compromettrait à coup sûr L’importance de ces deux facteurs pour
la descendance. La floraison doit donc la reproduction des plantes résulte de leur
se pro d u i re à un moment favorable de constance d’une année sur l’autre, contrai-
l’année. C’est particulièrement vrai pour rement aux facteurs environnementaux
f g les plantes dites monocarpiques, qui ne sujets à des fluctuations, tels l’ensoleille-
produisent des graines qu’une seule fois ment et la température ambiante.
dans leur vie, bien qu’elles vivent parfois Comment le froid agit-il sur la flo-
plusieurs années. Par ailleurs, le cro i s e- raison ? Son importance dans les pays
ment entre individus est facilité lorsque tempérés a été mise en évidence sur le blé
la floraison des plantes de la même aux États-Unis à la fin du XIXe siècle, puis
espèce est synchronisée, surtout pour par l’Allemand Gustav Gassner peu avant
les nombreuses plantes, dites allo- 1920. Par exemple, les blés d’hiver sont
games, qui ne peuvent s’autoféconder. semés à l’automne et ont besoin, pour fleu-
Les mécanismes de la floraison ont rir au printemps, de passer la saison froide
Gène FLC actif été compris grâce à l’étude de plantes sous forme de plantules de quelques cen-
modèles annuelles ou bisannuelles. Leur t i m è t res de haut . La récolte est souvent
Gène FLC inactif
vie est caractérisée par deux phases. abondante à condition que l’hiver ne
Histone Durant la pre m i è re, la phase végétative, soit pas trop rude, car les jeunes plants
les parties aériennes produites sont essen- gèleraient. Les blés de printemps, eux,
tiellement des tiges et des feuilles. Elles sont semés à la fin de l’hiver : ils ne ris-
sont engendrées par des cellules quent pas de subir les gelées, mais ont des
souches rassemblées en une stru c t u re, rendements inférieurs car leur période de
le méristème apical, le bourgeon par- croissance est plus courte que celle des
fois visible au bout des tiges, parfois blés d’hiver.
ADN Groupe
méthyle caché, comme au cœur d’une salade.
La phase végétative peut durer de
quelques jours à quelques mois. Puis ce
La mémoire de l’hiver
Histone méristème commence à pro d u i re des En URSS, à la fin des années 1920, un hor-
ADN
fleurs ; c’est la transition florale. La plante ticulteur, Trofim Lyssenko, affirma que
CONFORMATION COMPACTE e n t re alors en phase re p ro d u c t i v e . l’humidité rendait la graine plus sen-
DE LA CHROMATINE Elle mourra lorsqu’une grande partie de sible à l’action du froid et que des blés
CONFORMATION LÂCHE ses fleurs auront donné des graines. d’hiver pouvaient être semés au prin-
DE LA CHROMATINE
L’exemple type de ces plantes modèles est temps, ce qui permettrait de ne pas expo-
l’arabette des Dames, Arabidopsis tha- ser les jeunes plantules aux hivers
liana (voir l’encadré page XX). r i g o u reux. Le nom qu’il donna à ce trai-
En fonction des conditions de l’envi- tement fut traduit en français par verna-
ronnement, une même plante annuelle ou lisation (du latin vernalis : printanier).
bisannuelle peut fleurir au bout de quelques Mais, généralisé à l’ensemble du territoire
semaines ou de plusieurs mois. Sur ce point, russe, ce traitement fut un échec. En
les plantes diffèrent fondamentalement de revanche, l’effet positif du froid sur la flo-
la plupart des animaux, chez lesquels la raison a été confirmé par des re c h e rc h e s
3 maturité sexuelle n’est acquise qu’à un cer- plus récentes. Il concerne par exemple les
La floraison a lieu quand le gène FLC est inhibé. tain âge et est beaucoup moins influencée plantes bisannuelles, telles la carotte et
E l len’a pas lieu lor squ’il s’expr i meet que la pro- par l’environnement. Toutefois, les plantes la betterave sucrière : elles germent et
t é i ne FLC est pro du ite. C’est l’arra ngement de présentent souvent, comme les animaux, grandissent la première année, accumu-
la ch romatine, cons tituée par l’en rou lement de
l ’ A DN au tour de pro t é i nes, les histones, qu i
une période juvénile pendant laquelle elles lent des réserves, passent l’hiver enfouies
est le facteur clé. Les protéines VIN3 et VRN sont ne peuvent pas se reproduire, même si les dans le sol sous forme de tuberc u l e s ,
responsables des changements de conforma- conditions sont favorables. re p rennent leur croissance et fleurissent
tion de la ch romati ne. La pr em i è r e, pro du ite Deux facteurs clés conditionnent le au cours de leur second printemps, avant
sous l’action du froid, se lie à la chromatine au déclenchement de la floraison. Le premier de pro d u i re des graines et de mourir.
n i veau du gène FLC. Là, el leprovoque l’addition est l’exposition à une période prolongée Outre son importance pratique pour
de groupes méthyle sur certa i nes histones ( f ). de froid ; le deuxième est la durée du jour, l ’ a g r i c u l t u re, la vernalisation, entendue
Cela inhibe tempora i r ement l’ex pr ess ion du
gène FLC. La plante peut alors fleurir. Inverse- ou photopériode. Les comportements a u j o u rd’hui comme l’effet du froid pro-
ment, la con f ormation ou verte de la ch roma- varient alors : certaines espèces fleurissent longé sur la capacité à fleurir, intére s s e
ti ne (g) emp ê che l’inhibition de l’expression du sans période de froid, tels l’endive, l’épi- les scientifiques. Elle montre que les plantes
gène FLC et, par suite, la floraison. n a rd, le pois ou le blé de printemps ; le plus ont, apparemment, une « mémoire » de

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l’hiver. Durant les mois s’écoulant entre non mutantes ont déjà fleuri. Les équipes
le moment où la plante est exposée au froid de Caroline Dean, à Norwich, au Royaume-
et celui où elle fleurit, les cellules souches Uni, et de Richard Amasino ont découvert
du méristème apical effectuent de mul- que les mutants insensibles se rangent dans
tiples divisions. Les cellules qui pro d u i- deux classes. Dans la pre m i è re, les basses
sent les fleurs ne sont donc pas celles qui températures ne font pas baisser la quan-
ont connu le froid, mais les descendantes tité de la protéine FLC ; dans la seconde,
de leurs descendantes. En apparence, les elles réduisent bien la quantité de protéine
tissus se souviennent de l’exposition au produite, mais de façon transitoire : la pro-
froid que la plante a subie dans le passé. téine reste peu abondante tant que le
Comment une plante peut-elle avoir de la froid est présent, puis sa concentration croît
BOUTON FLORAL d’arabette des Dames m é m o i re ? C’est ce que des découvertes avec la température. Ces mutants sont en
observé au microscope électronique
à balayage. Le méristème apical
récentes ont révélé. quelque sorte « amnésiques » : ils oublient
d’où proviennent les structures Les scientifiques ont exploité le fait qu’ils ont eu froid dès qu’il refait chaud.
de la fleur est au centre. qu’il existe des arabettes ayant besoin de Les chercheurs ont identifié les défauts
vernalisation (celles du Nord de l’Euro p e ) m o l é c u l a i res des deux types de mutants.
et d’autres qui fleurissent sans ce traite- Chez les mutants de la première classe, un
ment, à condition que les jours soient longs facteur nommé VIN3 (Vernalization Insen-
(aux Îles du Cap Vert par exemple). En étu- sitive 3) est en cause. Normalement, VIN3
diant les différences entre ces souches, le agit en empêchant l’expression du
g roupe de Richard Amasino, de l’Uni- gène FLC, autrement dit la synthèse de la
versité du Wisconsin, a mis en évidence protéine FLC. Or ce facteur présente la par-
le rôle du gène FLC (Flowering Locus C, Locus ticularité d’être synthétisé sous l’effet du
de floraison C). La protéine FLC se lie à froid, ce qui provoque la baisse de la quan-
l’ADN et bloque la transcription des gènes tité de FLC et, par suite, la floraison. Mais
nécessaires à la floraison. En revanche, le cela se produit seulement si l’exposition
froid fait baisser la quantité de FLC dans au froid est assez longue, soit plusieurs
LE MODÈLE ARABET TE les cellules. Ainsi, le froid, en inhibant l’in- semaines, un temps nécessaire pour que

L ’arabette des Dames, Arabidopsis tha -


l i a n a, est une petite mauvaise herbe de
la famille du colza ou de la moutarde (bras-
hibiteur FLC, stimule la floraison.
À l’automne, lorsque la plante n’a
le facteur VIN3 disparaisse. Ce mécanisme
évite à la plante de fleurir « hors saison »,
pas encore été exposée aux température s par exemple en septembre après seule-
sicacées). Son génome (séquencé en 2001) hivernales, la quantité de la protéine FLC ment une semaine de froid inhabituel.
est court, tout comme son cycle de vie est importante, ce qui empêche la transi- Ainsi, le froid n’agit pas directement
(environ six semaines), si bien qu’elle est tion florale. Puis, au cours de l’hiver, les sur la quantité de la protéine FLC, mais
aujourd’hui la plus utilisée des plantes pour basses températures font décro î t re sa indirectement, via la synthèse de la pro-
les recherches sur les végétaux ; en outre,
concentration, jusqu’au moment où la téine VIN3. Comment ? On l’ignore encore.
elle produit des milliers de graines. Les bio-
floraison est possible, c’est-à-dire au prin- Chez les animaux, le froid agit parfois en
logistes manipulent facilement son génome.
temps. L’étude de dizaines de souches modifiant la conformation spatiale des
Connaissant les perturbations provoquées
d’arabette venant de multiples régions molécules d’ARN ou des protéines, ou en
par les mutations, ils identifient les gènes
du globe montre que le besoin en verna- modifiant la fluidité des membranes cel-
mutés et en déduisent leur fonction normale.
Par exemple, ils isolent des mutants dont la lisation est toujours lié à l’abondance ou l u l a i res. Mais rien de tel n’a encore été
floraison est précoce ou, au contraire, tar- à l’activité de la protéine FLC : les arabettes décrit chez les plantes.
dive, ou qui sont insensibles à la durée du qui fleurissent sans exposition au fro i d Chez les mutants « amnésiques » de
jour ou au froid hivernal. en produisent peu de façon permanente, la deuxième classe, c’est l’anomalie de pro-
ou synthétisent une protéine FLC inactive téines nommées V R N1 et V R N2 q u i
à cause de mutations présentes soit dans déclenche la synthèse de la protéine FLC,
le gène FLC lui-même, soit dans un gène et donc qui inhibe la floraison. L’action
activateur de ce dernier, nommé FRIGIDA. de la protéine VIN3 et des protéines VRN
i l l u s t re comment l’expression des gènes
Des mutants peut varier indépendamment d’une action
directe sur leur transcription, par un méca-
amnésiques nisme épigénétique (où l’expression des
À ce stade, on peut se demander comment gènes est soumise à l’influence de l’envi-
le froid peut jouer sur la quantité d’une ronnement) qui agit sur l’enveloppe de
protéine. La question a été étudiée sur l’ADN, la chromatine. Dans le noyau des
des mutants d’arabette qui ne fleurissent cellules, l’ADN s’enroule autour de pro-
pas, même si on les soumet au froid : insen- téines, les histones, formant une longue
sibles à la vernalisation, ils continuent à fibre compactée et repliée sur elle-même,
produire des feuilles alors que les plantes la chromatine. Or les protéines VIN3 et VRN

6] Biologie végétale © Pour la Science - n° 381 - Juillet 2009


modifient la compaction et l’ouverture de é p i n a rd, blé de printemps) ; d’autres ne L’ A U T E U R
la chromatine et, par là, l’expression des p roduisent des fleurs que lorsque les jours
gènes (voir l’encadré pages XX et XX). d é c roissent (chrysanthèmes, riz, soja,
En effet, les histones peuvent être chi- chénopode rouge, azalées). Parmi ces
miquement modifiées par des groupes d e r n i è res, des espèces, dites de jour court
méthyle, phosphate ou acétyle, qui consti- o b l i g a t o i re, ne fleurissent jamais que si
tuent des milliers de « balises » placées à les nuits ont plus de huit heures et pour
des endroits précis du génome. Ces mar- certaines, telle l’ipomée nil (Pharbitis nil)
queurs indiquent les sites de l’ADN, où une plante volubile originaire d’Afrique,
la chromatine est plus ou moins lâche et une seule longue nuit suffit à provoquer
où les gènes sont plus ou moins acces- la floraison. D’autres espèces sont indif- François PARCY est
sibles aux facteurs responsables de leur férentes à la photopériode : tomate, tour- directeur de recherches
au CNRS et professeur à l’École
transcription, prélude à la synthèse des nesol, concombre, haricot, maïs, etc. polytechnique, à Palaiseau.
p rotéines correspondantes. En étudiant des plantes au compor- Il dirige l’équipe Étude
Ainsi, VIN3 se lie à la chromatine au tement obligatoire, une propriété aussi des régulateurs floraux
niveau du gène FLC. Là, elle interagit avec essentielle que mystérieuse est apparu e : au Laboratoire de physiologie
cellulaire végétale (UMR
un complexe enzymatique qui catalyse c o n t r a i rement au froid, la photopériode CNRS 5168-CEA-INRA 1200,
l’élimination de groupes acétyle et l’ajout est perçue non pas par le méristème api- Université Joseph Fourier),
de groupes méthyle sur certaines histones. cal, mais par les feuilles. On peut pro v o- à Grenoble.
Cela bloque transitoirement l’expression quer la floraison d’une plante de jour court
du gène FLC. Quant aux facteurs VRN (des en exposant une seule de ses feuilles à une
enzymes), ils prolongent l’action de VIN3. longue nuit (en l’enveloppant pour cacher
Ils stabilisent la conformation localement
fermée de la chromatine, de sorte que le
blocage de l’expression du gène F L C , Plantes de jours courts et
a m o rcé par l’action de VIN3 se prolonge. vernalisation indispensable : Plantes indifférentes
à la photopériode et Plantes de jours longs et
C’est dans ce mécanisme épigénétique Primevères vernalisation indispensable :
Gentianes vernalisation indispensable :
que se trouve l’explication de la mémoire Carotte, haricot Beaucoup de plantes
Fraisiers bisannuelles et vivaces
de l’hiver. En effet, lorsque la cellule se Rosiers Œillets
divise, les « balises » sont remises en place
sur les mêmes sites chromosomiques dans Plantes de jours courts et
les cellules filles. Ainsi de divisions en divi- vernalisation préférentielle : Plantes indifférentes
à la photopériode et Plantes de jours longs et
sions, le gène FLC reste inactif, y compris Chrysanthème vernalisation préférentielle : vernalisation préférentielle :
dans les cellules du méristème nées au prin- Cyclamen Pomme de terre
Blé d’hiver Orge d’hiver
temps et qui n’ont jamais connu l’hiver.
Lors des divisions nécessaires à la forma-
tion des cellules sexuelles (cellules mâles Plantes de jours courts et Plantes indifférentes
besoin nul de vernalisation : à la photopériode Plantes de jours longs et
du grain de pollen et ovules), les balises Tabac et à la vernalisation : besoin nul de vernalisation :
chimiques présentes sur la chromatine sont Dahlia Tomates Céréales de printemps
retirées par d’autres enzymes, de sorte que Muflier, pélargonium
les plantes de la génération suivante ont, Besoins croissants de lumière
à leur tour, besoin d’une vernalisation.

Sur la piste la lumière). La feuille produit donc un Les plantes à fleurs n’ont pas les mêmes
signal qui se propage dans la plante jus- besoins d’exposition au froid (vernalisation)
du florigène qu’au méristème. et à la lumière (photopériode). On trouve de
Nous avons examiné comment la sortie de Des expériences de gre ffe ont mis en multiples combinaisons entre les plantes
pour lesquelles le froid et la lumière sont
l’hiver coïncide avec la suppression de l’in- évidence que ce signal peut se transmettre indispensables, jusqu’aux plantes qui ne
hibition de la floraison. Cependant, même d’une plante à l’autre et même d’une espèce nécessitent ni l’un ni l’autre.
vernalisées, la plupart des plantes ne à l’autre. En 1937, le Russe Mikhail Chai-
sont pas prêtes à s’épanouir : la floraison lakhyan nomma ce signal universel du nom
n’aura lieu que si le jour n’est pas assez de florigène. Dès lors, les scientifiques du
long. C’est ce qu’ont mis en évidence monde entier n’ont eu de cesse de l’iden-
dans les années 1920 les botanistes améri- tifier. Ces re c h e rches ont abouti en 2007.
cains Wightman Garner et Harry Allard . Pour les comprendre, revenons sur la
Les plantes qui ont besoin de jours longs notion de perception de la photopériode.
(par exemple 14 heures de lumière par Comment la feuille détecte-t-elle les varia-
24 heures) se re p roduisent au printemps tions de la durée du jour ? Ce n’est pas la
(moutarde, campanules, betterave, radis, quantité de lumière qui importe. En effet,

© Pour la Science - n° 381 - Juillet 2009 Biologie végétale [7


un court flash de lumière à un moment stimule la floraison. Effectivement, des enzymatique, le protéasome. Or G. Cou-
particulier d’une longue nuit, qui ne repré- plantes où l’on provoque par génie géné- pland et ses collègues ont découvert que
sente qu’un faible apport énerg é t i q u e , tique une forte synthèse de cette molécule la protéine CO est stabilisée par la lumière
s u ffit pour changer le comportement de fleurissent très vite. L’équipe de George et dégradée par l’obscurité.
la plante : par exemple, il empêche la flo- Coupland, de l’Institut Max Planck de Ainsi, durant les périodes de jours
raison chez une plante de jour court. Cologne, s’est donc penchée sur son mode courts, l’ARN messager de CO est produit
Une fois de plus, c’est avec l’arabette d’action. Elle a découvert deux pro p r i é t é s en faible quantité, ce qui empêche l’accu-
des Dames et la méthode génétique que inattendues. Tout d’abord, la quantité de mulation de la protéine, et la floraison.
l’on a percé le mystère. Arabidopsis n’est l’ARN messager codant la protéine CO suit Au contraire, quand les jours s’allongent,
pourtant pas un modèle idéal. C’est une un rythme circadien : elle est élevée la nuit, il existe un moment, en fin d’après-midi,
plante de jours longs facultative : elle fleu- baisse le matin et remonte en fin d’après- où la quantité d’ARN messagers est suffi-
rit plus vite quand les jours sont longs (par midi. Ces oscillations sont quasiment les sante et où la protéine CO p roduite est
exemple 16 heures de lumière ) : environ mêmes que les jours soient courts ou longs. stabilisée par la lumière. Elle peut alors
q u a t resemaines au lieu de huit ; mais elle Elles se poursuivent pendant quelques s’accumuler et activer la floraison (voir l’en-
n’a pas un besoin absolu de jours longs jours même dans l’obscurité totale : elles cadré ci-dessous).
(elle peut fleurir quand les jours sont ne dépendent donc pas de la lumière, mais C’est donc la coïncidence entre la syn-
courts). Or certains mutants d’arabette, de l’horloge interne de la plante. thèse de l’ARN messager de la protéine CO
dont le mutant constans (CO), ne perçoivent et la stabilité de cette dernière qui explique
pas la photopériode et fleurissent avec L’origine de l ’ e ffet de la photopériode sur la florai-
retard, même si les jours sont longs. Le gène son. La protéine CO était-elle le florigène
constans, altéré chez le mutant CO, a été la floraison : la feuille recherché ? Avant de répondre à la ques-
identifié, ce qui a permis d’analyser la À cette variation de concentration d’ARN tion, il fallait compre n d re comment elle
répartition dans l’espace et dans le temps messagers de CO, se superpose une régu- peut atteindre la pointe de la tige.
de la quantité d’ARN messager et de la pro- lation de la protéine CO elle-même par la Cependant, une autre protéine, FT (Flo-
téine correspondants. l u m i è re. En effet, alors que certaines wering locus T), était aussi un florigène
L’ARN et la protéine CO sont présents protéines restent stables durant des heures potentiel. Elle avait été identifiée en 1999
dans les cellules de la feuille. Puisque les v o i re des jours dans les cellules, d’autre s conjointement par l’équipe de Detlef Wei-
mutants constans fleurissent tardivement, sont dégradées (découpées puis recyclées) gel, à l’Institut Salk de San Diego, et celle
on peut en déduire que la protéine CO en quelques secondes par un complexe de Takashi Araki, de l’Université de Kyoto,

LE ROLE DE L A PHOTOPÉRIODE
Méristème apical

e
f
Protéine FD
a
Concentration
de l’ARN messager
de la protéine CO
b
Protéine CO
Tige

Migration de
la protéine FT

d
Protéine FT
Tube criblé
c
GèneFT

8] Biologie végétale © Pour la Science - n° 381 - Juillet 2009


4 BIBLIOGRAPHIE en tant que stimulateur de la floraison. Une Un arbre a normalement une phase juvé-
plante qui en est privée fleurit tardivement. nile, qui dure 10 à 15 ans : bien que les
F. Parcy, La floraison, Si au contraire, on lui fait produire par trans- conditions soient favorables chaque année
Biologie végétale : croissance genèse une grande quantité de cette pro- au printemps, il croît sans jamais fleurir.
et développement,
sous la direction de téine, elle fleurit quasi instantanément après Après cette phase sans fleurs, la florai-
J.F. Morot-Gaudry et R. Prat, vol. 2, la germination en ne produisant qu’une ou son se produit chaque année. Or si l’on
chap. 6, pp. 157-181,Dunod, 2009. deux feuilles ! La protéine FT est un puis- augmente par transgenèse la quantité de
S.D. Michaels, Flowering time sant inducteur de la floraison. protéine FT dans des plantules de peu-
regulation produces much fruit, D’autres re c h e rches ont montré que pliers, la floraison se produit au bout de
Curr. Opin. Plant Biol., vol. 12, la protéine CO stimule la synthèse de la 4 à 5 semaines ! C’est ce qu’a montré
pp. 75-80, 2009. p rotéine FT dans la feuille, en provoquant en 2006 le groupe d’Ove Nilsson, de l’Uni-
A. Giakountis et G. Coupland, la transcription du gène correspondant. La versité d’Umea, en Suède. De quoi accé-
Phloem transport of flowering grande différence entre les deux molécules, lérer l’étude de l’amélioration des arbres
signals, Curr. Opin. Plant Biol., c’est que la pre m i è re ne provoque la flo- par croisements entre variétés, peu avan-
vol. 11, pp. 687-694, 2008.
raison que si elle est produite dans la feuille. cée en raison du temps très long qui sépare
J.A.D. Zeevaart, Leaf-produced Même si l’on force sa synthèse dans la deux générations. Qui plus est, il n’est pas
floral signals, Curr. Opin. Plant pointe de la tige, la plante ne fleurit pas. n é c e s s a i re d’avoir recours à la transge-
Biol., vol. 11, pp. 541–547, 2008. Au contraire, la seconde, FT, déclenche la n è s e : pour provoquer la floraison, il
Y. Kobayashi et D. Weigel, Move on floraison lorsqu’on active son expression devrait suffire de greffer une branche qui
up, it’s time for change, Genes & dans la feuille aussi bien que dans le méris- produit de grandes quantités de protéine
Dev., vol. 21, pp. 2371-2384, 2007. tème apical de la tige. FT, si l’on extrapole les résultats obtenus
http://genesdev.cshlp.org/content
/21/19/2371.full avec l’arabette des Dames et la tomate.
Le florigène : La deuxième surprise est venue quand
des arbres transgéniques synthétisant
4 SITES WEB un rôle universel ? beaucoup de protéine FT ont été cultivés
L. Taiz et E. Zeiger, A Companion to Des deux molécules, la protéine FT sem- en jours courts. Dans ces conditions, un
Plant Physiology blait donc la meilleure candidate au titre arbre normal se comporte comme à l’au-
http://4e.plantphys.net/index.php
de florigène. Restait à identifier la nature tomne : il perd ses feuilles et arrête de gran-
de la substance qui voyage dans la sève : dir, et des écailles protectrices se forment
est-ce l’ARN messager codant FT, la pro- autour des bourgeons. Les arbres trans-
téine elle-même, ou une autre molécule ? géniques surproduisant FT ont continué à
Des chercheurs avaient observé, en pousser, insensibles au changement de la
couplant la protéine FT à une pro t é i n e photopériode. Cette expérience montre que
La durée du jour influe sur la floraison. f l u o rescente, qu’elle se déplace dans la la diminution de la quantité de florigène
Diverses protéines sont impliquées, dont sève. En 2007, l’équipe de Markus Schmid, joue un rôle à l’automne quand les bour-
les principales sont la protéine Constans (CO, de l’Institut Max Planck de Tübingen geons entrent en dormance .
en marron), la protéine FT (en rouge)
et la protéine FD (en vert). montre que si l’on inhibe cette migra- Le florigène n’a pas encore livré tous
La quantité de l’ARN messager tion en attachant la protéine F T à une ses secrets. Des études indiquent que le
de la protéine CO dans les cellules des g rosse protéine, on l’empêche d’agir s a c c h a rose ou certaines hormones végé-
feuilles évolue en fonction du rythme depuis la feuille, mais pas depuis le méris- tales sont d’autres facteurs mobiles
circadien : l’ARN est synthétisé durant la nuit, tème. Et dès que l’on fournit à la plante capables de déclencher la floraison. Ils
mais pas dans la journée (courbe a). une enzyme qui détache FT de cette grosse jouent sans doute un rôle complémentaire
Plus il y a d’ARN message, plus la protéine
p rotéine, elle agit de nouveau depuis la de celui de la protéine FT. Quoi qu’il en
correspondante, CO, est synthétisée.
Toutefois, cette protéine est stable à la feuille. C’était la preuve que le florigène soit, les découvertes récentes sur la bio-
lumière, alors qu’elle est dégradée par la est bien la protéine FT . logie de la floraison sont ainsi allées au-
lumière. En fin d’après-midi (b), la quantité On a ensuite décrypté son mode d’ac- delà des espérances. Leurs applications
de protéines CO stables devient suffisante tion : une fois arrivée dans la pointe de la potentielles sont nombreuses. Par
pour activer le gène FT, qui code tige, elle s’associe à un facteur de trans- exemple, en maîtrisant la floraison, on
la protéine FT (c). La protéine passe alors, cription (nommé FD, flowering locus D) et pourrait étendre les territoires de cul-
par de petits canaux présents dans les parois
de déclenche ainsi l’expression de la cas- t u re pour faire face à la demande gran-
cellulaires, dans les tubes criblés
du phloème (d), qui véhiculent la sève. cade des gènes et des protéines qui vont dissante. Toutefois, on ignore à quel point
La protéine FT est alors transportée dans bâtir le bouton floral d’où surgira la fleur. les mécanismes découverts chez les
la tige jusqu'aux cellules du méristème D’après les recherches menées jusqu’à plantes modèles sont généralisables. Il est
apical (e). Là, elle se lie à une autre protéine, présent, le rôle de la protéine FT semble vraisemblable que certains des méca-
nommée FD (f). Ensemble, ces deux universel chez les plantes à fleurs : par nismes moléculaires découverts sont com-
protéines activent une série de gènes codant exemple, celle du tabac fait fleurir la muns à de nombreuses espèces végétales,
des protéines qui construisent le bouton
floral, d'où sortira la fleur. tomate, celle de l’arabette fait fleurir le l’évolution étant souvent plus prompte
peuplier. Ses effets sur la floraison du peu- à ajuster des mécanismes existants qu’à
plier sont doublement spectaculaire s . en inventer de nouveaux.

© Pour la Science - n° 381 - Juillet 2009 Biologie végétale [9

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