La Règle Pas de Règles - Reed Hastings
La Règle Pas de Règles - Reed Hastings
La Règle Pas de Règles - Reed Hastings
ERIN MEYER
Page de titre
Présentation
Mentions légales
Introduction
PREMIÈRE PARTIE
Premières étapes pour une culture de liberté et de responsabilité
PUIS, LA FRANCHISE
2 Exprimez le fond de votre pensée, dans une intention positive
DEUXIÈME PARTIE
Prochaines étapes vers une culture de liberté et de responsabilité
RENFORCEZ LA DENSITÉ DE TALENT…
4 Payez au-dessus du marché
TROISIÈME PARTIE
Techniques pour renforcer la culture de liberté
et de responsabilité
MAXIMISEZ LA FRANCHISE…
8 Un cercle de feedbacks
MONDIALISER
10 Répandez la bonne parole partout dans le monde !
Conclusion
Remerciements
Bibliographie sélective
Page de copyright
Achevé de numériser
Publications
Pour la première fois, Reed Hastings le co-fondateur et président
de Netflix nous révèle comment il a bâti la plateforme vidéo dont les
films et les séries sont plébiscités dans le monde entier.
Créé en 1997, Netflix a révolutionné l’industrie de la distribution
et de la production audiovisuelle par sa créativité et sa technologie.
La règle de Netflix, c’est qu’il n’y a pas de règles : maximiser la
densité des talents sans limite de rémunération, prôner la confiance,
la franchise et la transparence, éliminer les contrôles – horaires,
vacances, frais – sont parmi les recommandations qui permettent à
chacun de prendre les meilleures décisions.
Avec Erin Meyer, professeur à l’INSEAD Business School, Reed
Hastings nous raconte l’histoire d’une entreprise au succès fulgurant
– fascinante pour certains, inquiétante pour d’autres – qui n’a pas
hésité à remettre en question les codes classiques du management.
ISBN : 978-2-283-03434-7
INTRODUCTION
+ Plus de franchise
Les employés talentueux ont énormément de choses à apprendre les uns des autres. Mais
les protocoles humains classiques de la politesse empêchent souv ent les collègues
d’apporter les critiques nécessaires pour propulser la performance à un autre niv eau.
Lorsque des éléments brillants adoptent l’habitude d’échanger entre eux, tous
s’améliorent dans leur domaine et en parallèle, ils dev iennent implicitement
responsables les uns des autres, ils ont donc moins besoin d’être encadrés.
Dès lors que ces deux éléments sont en place v ous pouv ez passer à l’étape suiv ante :
– Moins de contrôles
Commencez par déchirer le manuel de l’employé. Prise en charge des v oyages d’affaires,
des frais professionnels, congés – jetez tout. Ensuite, à mesure que les talents se
multiplient, que les retours sont plus fréquents, plus francs, v ous pouv ez v ous
débarrasser des processus de v alidation à tous les niv eaux de l’organisation, incitant
v os managers à s’inspirer de principes tels que : « Le leadership par le contexte, pas le
contrôle » et v os employés à suiv re des directiv es comme « Ne cherchez pas à plaire à
v otre patron. »
Netflix part du principe que v ous êtes doté d’un discernement sans faille […]. Et que c’est
dans le discernement, non le process, que se trouv e la solution à tout problème ambigu
ou presque. […]
Le mauv ais côté ? […] On attend des gens qu’ils trav aillent à un niv eau de
performance extrême ou ils se v erront rapidement mis à la porte (av ec une généreuse
indemnité).
De : Reed Hastings
Date : 31 mai 2015
Objet : Peace Corps et livre
Erin,
J’ai fait partie du Peace Corps au Swaziland (1983-1985). Je suis maintenant le P.-D.G.
de Netflix. J’ai adoré votre livre, nous l’avons fait lire à tous nos cadres.
Je serais ravi de pouvoir prendre un café avec vous. Je passe souvent à Paris.
Reed.
Puis, la franchise
Chapitre 2 Exprimez le fond de votre pensée, dans
une intention positive
Cette partie tend à montrer comment une équipe ou une organisation peut progressivement mettre en
place une culture de liberté et de responsabilité. Ce sont en effet des concepts interdépendants. Même
s’il est possible d’instaurer séparément certains éléments de chaque chapitre, cette approche peut se
révéler risquée. Une fois que vous avez réuni une belle densité de talent, vous pouvez tranquillement
aborder la franchise. Et c’est seulement à ce moment-là que vous pourrez en toute confiance tirer un
trait sur les règlements qui contrôlent votre personnel.
D’ABORD : LA DENSITÉ DE TALENT
CHAPITRE 1
POUR UN LIEU DE TRAVAIL IDÉAL,
IL FAUT DES COLLÈGUES
REMARQUABLES
Sapent l’énergie des managers, qui ont moins de temps à accorder aux plus
performants.
Limitent la qualité des discussions de groupe, réduisant le QI global de l’équipe.
Forcent les autres à dév elopper des manières de les contourner, ce qui a un impact
négatif sur l’efficacité.
Poussent les personnels en quête d’excellence à la démission.
Sont la preuv e, aux yeux de l’équipe, que v ous acceptez la médiocrité, multipliant
ainsi le problème.
LE PREMIER POINT
Le point le plus essentiel pour la fondation de toute l’histoire de
Netflix.
Un lieu de travail réactif et innovant se compose de ce que nous
appelons des « collègues remarquables » – des gens de très grand
talent, exceptionnellement créatifs, qui abattent une somme de
travail considérable et collaborent de façon efficace. De plus, aucun
des autres principes ne fonctionne à moins de s’être assuré que ce
premier point soit bien en place.
À RETENIR DU CHAPITRE 1 :
Les toxiques, les feignants, les gens adorables aux résultats non éblouissants ou les
pessimistes encore présents dans une équipe affaiblissent la performance globale.
57 % des participants disent préférer recev oir un feedback correctif que positif.
72 % ont l’impression que leur performance s’améliorerait s’ils recev aient dav antage de
feedbacks correctifs.
92 % approuv ent cette phrase : « Un feedback négatif, s’il est formulé de façon
appropriée, améliore la performance. »
É
LA RÉTROACTION : CULTIVER LA FRANCHISE
En 2003, les habitants de Garden Grove, en Californie, une
petite communauté située au sud de Los Angeles, étaient
confrontés à un problème. Les accidents impliquant des
voitures et des piétons étaient beaucoup trop fréquents dans les rues où
étaient situées les écoles élémentaires. Les autorités ont mis en place des
panneaux de limitation de vitesse afin d’inciter les conducteurs à
ralentir, la police a distribué des PV aux contrevenants.
Le taux d’accidents a à peine baissé.
Les ingénieurs de la ville ont alors tenté une approche différente,
mettant en place des affichages dynamiques de la vitesse. En d’autres
termes, un « retour pour les conducteurs ». Chaque dispositif incluait un
panneau de limitation de vitesse, un radar et un écran annonçant :
« votre vitesse ». Les conducteurs obtenaient au passage les données en
temps réel les concernant personnellement, ainsi qu’un rappel de la
limite à ne pas dépasser.
Les experts doutaient que cela puisse changer quoi que ce soit. Après
tout, les voitures sont toutes équipées d’un compteur. De plus la doctrine
de la police était depuis longtemps que les gens obéissent aux règles
seulement lorsqu’ils sont confrontés aux conséquences réelles qu’ils
encourent s’ils y contreviennent – pourquoi l’affichage influencerait-il le
comportement des personnes au volant ?
Et pourtant. Des études ont montré qu’elles ralentissaient de 14 % –
devant trois écoles, la vitesse moyenne est même tombée en dessous de
la limite affichée. 14 %, c’est une baisse considérable pour quelque chose
d’aussi simple et peu coûteux qu’un retour.
La rétroaction est un des outils les plus efficaces qui soit pour
améliorer la performance. Nous apprenons plus vite, nous
accomplissons davantage ; la critique fait partie intégrante de notre
manière de travailler, qu’il s’agisse de les émettre ou de les recevoir. Les
feedbacks permettent d’éviter les malentendus, créent un climat de
coresponsabilité et réduisent le besoin de hiérarchie et de règles.
Cependant, encourager des retours francs dans une entreprise se
révèle bien plus compliqué que de mettre en place des panneaux de
circulation routière. Pour susciter une atmosphère de franchise, il faut
obtenir de vos employés qu’ils abandonnent des années de
conditionnement et des croyances fermement ancrées selon lesquelles
« on n’émet des critiques que si quelqu’un vous le demande » ou
« louanges en public, mais critiques en privé ».
Lorsqu’ils réfléchissent pour savoir s’ils doivent ou non donner leur
avis, les gens se sentent souvent partagés entre deux sentiments
contradictoires : ils ne veulent pas blesser la personne, et en même
temps ils veulent l’aider à réussir. Le but, chez Netflix, est de s’aider
mutuellement à réussir, même si cela implique que certains, parfois, se
sentent froissés. Surtout, nous avons découvert que dans un
environnement adéquat, avec l’approche qui convient, nous sommes
capables de formuler des critiques sans vexer qui que ce soit.
Si vous souhaitez développer une culture de la franchise dans votre
organisation ou dans votre équipe, vous pouvez le faire en plusieurs
étapes. La première n’est pas la plus intuitive. On pourrait croire qu’il
faut commencer par le plus simple : il reviendrait au patron de faire un
maximum de feedbacks à son personnel. Je recommande au contraire de
se concentrer d’abord sur quelque chose de beaucoup plus difficile : faire
en sorte que les employés critiquent avec honnêteté leur patron. Cela
peut s’accompagner d’un retour patron-employé. Mais la franchise ne
peut véritablement s’installer que si les employés commencent à se
montrer sincères vis-à-vis de leurs chefs.
L’évaluation à 360 degrés constitue toujours une période de l’année très stimulante. Les critiques les plus
utiles à ma progression sont malheureusement les plus douloureuses. Alors, dans l’esprit des 360 degrés,
merci de m’avoir fait courageusement et honnêtement remarquer ceci, « dans les réunions, il t’arrive de
sauter certains sujets ou de les aborder rapidement, par impatience, voire de décider qu’un point à
l’ordre du jour ne mérite finalement pas d’être traité… Dans la même veine, attention à ne pas laisser
ton point de vue l’emporter. Il t’arrive de fausser le débat ou de représenter une concorde qui n’existe
pas. » C’est tellement vrai, tellement triste, tellement agaçant que j’en sois encore là. Je continuerai à y
travailler. Avec un peu de chance, vous aurez toutes et tous formulé des critiques aussi constructives que
celles-ci.
Reed av ait organisé une réunion av ec quelque v ingt-cinq directeurs, directrices, v ice-
président(e)s et certains membres de l’équipe dirigeante. Patty McCord a dit une chose av ec
laquelle Reed n’était pas d’accord. Sans cacher son agacement v is-à-v is d’elle, il a écarté sa
remarque av ec ironie. Les gens dans la pièce se sont étranglés collectiv ement, mais en
silence. Reed était peut-être trop énerv é pour remarquer la réaction autour de lui, mais j’ai
senti qu’il n’av ait pas brillé par son talent de patron à cet instant précis.
Rochelle a pris au sérieux le principe de Netflix selon lequel ne rien
dire lors de telles circonstances revient à manquer de loyauté vis-à-vis
de l’entreprise. Elle a passé une soirée à rédiger son e-mail à Reed et à le
relire « cent fois parce que certes, c’est Netflix, mais j’avais tout de même
l’impression que c’était un peu risqué ». Le message qu’elle a finalement
envoyé était le suivant :
Salut Reed,
J’étais présente à la réunion d’hier et j’ai trouvé les commentaires que tu as adressés à Patty
méprisants et peu respectueux. Si je choisis de t’en parler c’est parce que lors du séminaire
de l’an dernier, tu as souligné combien il était important de créer un environnement où les gens
ne craignent pas de prendre la parole et de participer (que ce soit en désaccord ou pour
souscrire aux propos exprimés). Hier, dans cette pièce, différentes personnes étaient
présentes – directeurs et vice-présidents – et parmi elles, certaines ne te connaissent pas très
bien. Si j’avais été de celles-là, le ton que tu as utilisé envers Patty m’aurait empêchée
d’exprimer mon opinion publiquement devant toi à l’avenir, de crainte que tu n’écartes mes
idées. J’espère que tu ne m’en veux pas de te le faire savoir.
Rochelle.
Reed.
Rochelle, j’ai beaucoup apprécié ton retour, je t’en prie continue à m’interpeller si tu remarques
quoi que ce soit qui te paraît inapproprié.
Reed.
LES DIRECTIVES 4A
1. AIDER AVANT TOUT : Les critiques doiv ent être formulées dans une intention positiv e. Dire ce
qu’on a sur le cœur, blesser intentionnellement l’autre ou serv ir son propre dessein politique
n’est pas toléré. Il faut clairement expliquer comment un changement de comportement
spécifique pourra aider l’indiv idu ciblé ou l’entreprise, non quel bénéfice v ous pourrez en
tirer. « Ton habitude de te curer les dents pendant les réunions av ec des partenaires
extérieurs est insupportable » n’est pas une bonne critique. Il faudrait dire : « Si tu arrêtais de
te curer les dents lors des réunions av ec les partenaires extérieurs, tu projetterais une image
plus professionnelle, nous aurions plus de chances de construire une relation solide av ec
eux. »
2. APPLICABLE : Votre critique doit se concentrer sur ce que peut changer la personne ciblée. Un
mauv ais feedback v is-à-v is d’Erin à Cuba se serait interrompu après la phrase : « Votre
manière d’animer la discussion depuis la scène sape v otre message. » Le feedback constructif
est celui qui inclut la phrase d’après : « Av ec v otre façon de v ous adresser au public, seuls les
Américains osent participer. » Pour faire encore mieux, il aurait fallu dire : « Si v ous pouv ez
trouv er une manière de solliciter des contributions des autres nationalités présentes dans le
public, alors v otre présentation sera plus puissante. »
4. ACCEPTER OU REJETER : Chez Netflix, v ous recev rez de nombreuses critiques de la part de
div ers collègues. On attend de v ous que v ous écoutiez et considériez toutes les remarques.
Pas que v ous les suiv iez forcément. Remerciez v os critiques av ec sincérité. Mais chacun doit
comprendre qu’il ne tient qu’à v ous de réagir ou non dans le sens de la remarque qui v ous a été
faite.
Dans l’exemple donné au début de ce chapitre, dans lequel
Doug suggérait à Jordan d’adapter son comportement lorsqu’il
se rendait en Inde, les 4A sont parfaitement appliqués. Doug a
senti que la logique transactionnelle de Jordan sabotait ses propres
objectifs. Il a souhaité aider Jordan à s’améliorer et ainsi œuvrer au
succès de la société (Aider avant tout). Le retour qu’il en a fait s’est révélé
si pratique que Jordan affirme désormais opter pour une approche
différente chaque fois qu’il travaille avec l’Inde (Applicable). Jordan l’a
remercié pour cette intervention (Apprécier). Il aurait pu choisir de ne
pas tenir compte des remarques, mais cette fois il les a acceptées en
disant : « Je ne sermonne plus personne avant de partir. Au lieu de ça dès
le début du voyage je préviens mes collègues : Voilà, c’est mon point faible !
Si je jette un œil à ma montre pendant que Nitin nous fait visiter la ville,
donnez-moi un coup de pied ! Je vous en remercierai plus tard » (Accepter ou
rejeter).
La plupart des gens, comme Doug, ont du mal à exprimer une critique
en temps réel. Beaucoup ont été profondément conditionnés à attendre
le bon moment, les circonstances les plus propices avant de dire la
vérité, au point que l’utilité du retour se révèle finalement quasi nulle.
Ce qui nous amène à la troisième priorité, lorsqu’on instaure une
culture du franc-parler dans une équipe.
Chaque main lev ée me semblait un nouv eau défi. Tout le monde av ait l’air de douter de moi :
« Est-ce que tu sais ce que tu fais ?! » À chaque remarque, je m’entendais parler de plus en plus
v ite, la frustration dans la pièce montait en puissance. Plus le groupe me pressait de
questions, plus je m’inquiétais de ne pas arriv er au bout de ma présentation, plus mon débit
de parole s’accélérait.
LE DEUXIÈME POINT
À un groupe de personnes extrêmement talentueuses, réfléchies, bien
intentionnées, on peut demander de faire quelque chose qui n’est pas du
tout naturel et pourtant incroyablement utile pour améliorer la
réactivité et l’efficacité d’une entreprise. Les inciter à échanger en toute
franchise le plus possible entre eux ainsi qu’à défier l’autorité.
À RETENIR DU CHAPITRE 2 :
Préparez le terrain en introduisant un moment réservé aux critiques dans vos réunions.
En tant que leader, sollicitez fréquemment des retours et réagissez par un signe d’appartenance.
À mesure que vous instaurez une culture de la franchise, débarrassez-vous des collaborateurs
toxiques.
Av ec internet, il nous arriv e à tous de trav ailler certains week-ends ou de répondre à nos
e-mails à des heures indues, tout comme il peut nous arriv er de prendre une après-midi
de temps à autre pour des raisons personnelles. Nous ne comptons pas nos heures par
jour ni même par semaine. Pourquoi pointer les jours de congé chaque année ?
Si je prends deux semaines, mes collègues penseront-ils que je suis un feignant ? Puis-je
m’autoriser à prendre plus de v acances que mon patron ? […] Je comprends. Pendant près
de dix ans, mon entreprise a fonctionné av ec un système de congés illimités. Lorsque
nous av ons atteint les quarante employés, ces questions ont commencé à affleurer. Au
printemps dernier, l’équipe de direction a décidé qu’il était temps de réaliser un v ote sur
ce principe, pour laisser les employés choisir. Lorsque finalement il fut décidé de mettre
fin aux congés illimités, en fav eur d’un nombre de jours déterminés et lié à l’ancienneté,
ce serait mentir de dire que j’ai été surpris.
Voilà qui m’étonne, personnellement. Notre politique de congés
illimités est tellement populaire, jamais je n’imaginerais les employés
Netflix revenir en arrière. Je me suis tout de suite posé une première
question : « Le patron prenait-il de grandes vacances ? » J’ai trouvé la
réponse un peu plus loin dans l’article.
Même moi, le P.-D.G., du temps des congés illimités, je ne m’absentais jamais plus de
deux semaines par an. Av ec la nouv elle politique (le nombre de jours limités), je prév ois
d’utiliser la plupart, v oire la totalité des cinq semaines qui nous sont allouées. Pour ma
part, c’est la peur de perdre ces jours que j’ai « gagnés » qui me motiv e à les utiliser
réellement.
J’ai déjà pris sept semaines de v acances cette année et nous ne sommes qu’en octobre.
Mes chefs s’accordent beaucoup de congés, mais je crois que même eux ne sav ent pas
combien j’ai pris. Personne n’a jamais posé de question ni même tiqué sur le sujet. Je fais
du v élo, de la musique et mes filles ont besoin de moi. Je me dis souv ent, av ec tout
l’argent que je gagne… est-ce que je ne dev rais pas trav ailler plus ? Mais j’abats une
quantité de trav ail incroyable, alors je finis par me conv aincre que ce formidable
équilibre qui est le mien ne pose aucun problème…
La philosophie de Netflix s’énonce à peu près en ces termes : une superstar v aut mieux
que deux personnes moyennes. Nous leur av ons emboîté le pas, pour ainsi dire. Il existe
actuellement une très forte demande pour de bons spécialistes de l’expérience utilisateur,
garder son personnel est un v éritable défi (les congés illimités y contribuent). Les
membres de notre équipe sont constamment contactés v ia LinkedIn, de nombreux
professionnels dans notre domaine sont des millennials, qui ont la bougeotte. Les
v acances illimitées sont simples à mettre en place – il suffit de créer un env ironnement
de confiance, le nôtre repose sur trois règles : (1) toujours agir dans l’intérêt de
l’entreprise, (2) ne jamais faire quoi que ce soit qui empêche les autres d’atteindre leurs
objectifs, (3) faire son maximum pour atteindre ses propres objectifs. En dehors de cela,
pour ce qui est de définir ses temps de congés, le personnel est libre de faire ce qu’il v eut.
Nous sommes une petite entreprise et nous av ons été séduits par cette idée qui est à la
fois une marque de confiance v is-à-v is de nos employés et un allègement des formalités
administrativ es. Nous av ons décidé d’essayer pendant une année puis de réév aluer à ce
moment-là. En un an, c’est dev enu l’un des av antages les plus appréciés de notre
personnel. Dans une étude que nous av ons réalisée juste av ant la date butoir d’un an, nos
employés ont placé les v acances illimitées en troisième position parmi les av antages que
nous leur proposons, juste derrière l’assurance santé et notre plan de retraite. Elles
étaient citées av ant les assurances optiques, dentaires et même formation
professionnelle, qui toutes restaient très bien notées.
J’ai été élev é dans une ferme en Virginie. Notre maison était située en dehors des
sentiers battus, il fallait rouler pendant plus d’un kilomètre sur une route de terre pour
arriv er chez nous. Av ec mon chien Starr, je passais mes journées à chasser les insectes
et à lancer des bâtons dans les 80 hectares de bois autour de la maison.
Je ne suis pas né av ec une cuillère en argent dans la bouche, je n’ai pas besoin de luxe.
Quand Reed m’a donné pour consigne de v oyager comme je le ferais av ec mon propre
argent, pour moi il était clair qu’il s’agirait de v ols en classe éco et de séjours en hôtels
modestes. Étant du serv ice financier, cela me semblait fiscalement responsable.
Peu de temps après la mise en place de la nouv elle directiv e, une réunion des
dirigeants a été conv oquée au Mexique. À bord de l’av ion, j’ai rejoint mon siège en classe
éco. Et c’est à ce moment-là que j’ai découv ert la totalité de l’équipe contenu de Netflix
tranquillement installée en première classe av ec leurs chaussons offerts par la
compagnie. Ce sont des places qui coûtent cher et le v ol entre Los Angeles et Mexico ne
dure que quelques heures. Je suis allé les saluer, certains d’entre eux paraissaient gênés.
Voici le plus crucial dans cette histoire. Ils n’étaient pas gênés de se trouv er en première.
Ils étaient gênés pour moi – un cadre clé de la société v oyageant en classe éco !
Nous avons rapidement compris que Dépensez l’argent comme si
c’était le vôtre n’était pas tout à fait le comportement que nous
attendions de nos employés. Un des vice-présidents, un certain Lars
qui gagnait un salaire substantiel, avait pour habitude de dire, par
plaisanterie, qu’à cause de son amour du luxe, il vivait un chèque
après l’autre. Nous ne souhaitions pas les dépenses associées à ce
style de vie.
Nous avons donc changé la directive concernant les frais
professionnels et opté pour quelque chose de plus simple.
Aujourd’hui le règlement intérieur concernant les sorties d’argent se
résume encore à ces quelques mots :
La règle est plus adaptée. Il n’est pas dans l’intérêt de Netflix que
l’ensemble de l’équipe contenu vole en business entre L.A. et Mexico.
Mais si vous n’arrivez pas à fermer l’œil entre L.A. et New York alors
que vous faites une présentation le lendemain matin, il serait
certainement dans l’intérêt de l’entreprise de voyager en business,
pour ne pas avoir des cernes sous les yeux et une élocution pâteuse à
l’instant T.
Av ant d’engager toute dépense, imaginez que v otre patron direct et moi-même v ous
demandons des comptes : debout face à nous, v ous dev rez justifier pourquoi v ous av ez
préféré tel av ion, tel hôtel, tel modèle de téléphone. Si v ous pouv ez expliquer sans
problème pourquoi cet achat est dans l’intérêt de la société, alors inutile de nous poser la
question, allez-y, achetez. Mais si v ous av ez l’impression que v ous v ous sentiriez un
peu mal à l’aise pour motiv er v otre choix, laissez tomber, v érifiez auprès de v otre n+1
ou achetez moins cher.
Un v endredi après-midi, je m’apprêtais à rentrer chez moi quand je croise deux types du
serv ice produits v enus chercher Jaime pour aller chez Dio Deka, le restaurant grec une
étoile au Michelin de la Silicon Valley. Je leur demande s’ils sortent boire un v erre, mais
Jaime me répond qu’il s’agit d’un dîner de trav ail.
Le mois suiv ant, dans la liste des dépenses de mon équipe, j’ai trouv é un reçu de
Jaime pour 400 dollars chez Dio Deka. Ça ne m’a pas paru correct. J’ai interrogé Jaime :
« Hé, est-ce que c’est la note de la soirée passée av ec l’équipe produits il y a quelques
semaines ? » C’était le cas ! Elle m’a expliqué que John av ait commandé une bonne
bouteille : « John et Greg aiment le bon v in. » J’ai pété un plomb ! J’ai dit : « Si ces deux-là
v eulent boire des bouteilles à cent dollars, pas de problème ! Vu le salaire qu’on leur
v erse, ils peuv ent se les payer eux-mêmes ! »
Une nuit que je n’arriv ais pas à dormir, j’ai cliqué sur le lien env oyé par e-mail intitulé
« Dépenses du serv ice détaillées par employé ». J’en ai passé en rev ue un certain nombre
quand soudain quelque chose d’inhabituel m’a sauté aux yeux. Michelle av ait une
dépense liée à un v oyage professionnel marquée Boisson et nourriture au casino Wynn à
Las Vegas dont le montant était 1 200 dollars. Cela faisait beaucoup de frais de bouche
pour un v oyage de deux jours ! Cela a piqué ma curiosité et j’ai commencé à scruter ses
dépenses des mois précédents. J’ai repéré beaucoup de petites choses qui ne m’ont pas
paru très normales. Elle s’était rendue à Boston pour une conférence un jeudi et y av ait
passé le week-end av ec sa famille. Le v endredi soir, elle av ait facturé une dépense de
180 dollars dans un restaurant. S’agissait-il d’un dîner en famille ?
J’ai attendu que Michelle et moi soyons tous les deux au bureau pour lui demander de
quoi il retournait. À ce moment-là, elle s’est figée. Elle n’av ait pas d’explication. Elle n’a
pas présenté ses excuses, n’a apporté aucune justification, elle n’av ait rien à dire. La
semaine suiv ante, elle était remerciée. Elle a préparé ses cartons sans cesser de répéter
que tout ça n’était qu’une erreur monumentale. Je me sentais mal, je ne comprends
toujours pas v raiment ce qui s’est passé. Elle est partie poursuiv re sa carrière ailleurs.
La liberté que nous proposons ne lui conv enait pas.
LE TROISIÈME POINT
Quand votre main-d’œuvre se compose quasi
exclusivement de personnes ultra-performantes, vous
pouvez compter sur leur comportement responsable. Une
fois que vous avez développé la culture de la franchise, les employés
vont garder un œil les uns sur les autres et ainsi s’assurer que les
actes de leurs collègues restent bien dans l’intérêt de l’entreprise.
Ensuite, il ne reste plus qu’à supprimer les contrôles et offrir plus de
liberté à votre personnel. Commencez par les congés illimités, la
suppression des politiques de frais professionnels et de voyages
d’affaires. Ces éléments permettent aux salariés de mieux contrôler
leur vie, c’est une manière de signifier clairement que vous leur faites
confiance pour agir au mieux. Cette confiance suscitera en retour
chez vos salariés un sentiment de responsabilité, ainsi tout le monde
se sentira davantage partie prenante dans l’entreprise.
À RETENIR DU CHAPITRE 3A :
Au moment de la mise en place des congés illimités, expliquez qu’il est inutile de demander
une autorisation préalable et que ni les employés ni les managers ne sont censés pointer les
jours hors du bureau.
La disparition des limites des congés laisse un vide. Ce qui le remplit, c’est le contexte fourni
par le patron à son équipe. De longues discussions doivent avoir lieu, plantant le décor pour
aider les employés à envisager leurs décisions pour leurs vacances.
L’exemple que montre le patron sera déterminant pour guider son personnel en matière de
comportement approprié. Si la société pratique les congés illimités et que le patron n’en
prend jamais, personne dans l’entreprise n’osera jamais s’accorder de vacances.
À RETENIR DU CHAPITRE 3B :
Sans contrôle des dépenses, votre service financier doit procéder annuellement à un audit
d’une partie des reçus.
Certaines dépenses vont peut-être augmenter à cause de la liberté que vous accordez. Mais
les coûts de ces excès sont loin d’être aussi élevés que les avantages qu’apporte la liberté.
Avec la liberté des dépenses, les salariés seront capables de prendre des décisions plus
rapidement s’il s’agit d’aider l’entreprise.
1. Nous allions trouver de nouvelles manières d’augmenter la densité de talent. Afin d’attirer et de
garder avec nous les meilleurs, nous allions offrir les méthodes de compensation les plus
attractives qui soient.
Ces deux points sont les sujets de nos deux prochains chapitres.
P.-S. : Tristan m’a battu à plates coutures à la course.
DEUXIÈME PARTIE
Dans la partie à venir, nous aborderons le processus de mise en place de la culture de liberté et
responsabilité. Dans notre chapitre sur la densité de talent, nous évoquerons les systèmes de
compensation pour attirer et garder les personnes les plus performantes. Dans notre chapitre sur la
franchise, nous passerons de la discussion sur l’indispensable honnêteté dans les feedbacks individuels
(tels qu’expliqués au chapitre 2) à la transparence organisationnelle.
RENFORCEZ LA DENSITÉ DE TALENT…
CHAPITRE 4
PAYEZ AU-DESSUS DU MARCHÉ
Nous av ons réussi à produire Stranger Things car les membres de cette équipe étaient
tous extraordinairement compétents. Rob était un négociateur hors pair. Aussi
lorsqu’une des stars de la série a refusé de signer un contrat sur plusieurs années, il a
tout de suite su ce qu’il fallait faire. Laurence, aux finances, était censé surv eiller
l’argent. Mais tout en gérant en professionnel sa mission d’origine, il a endossé le rôle de
producteur exécutif, y consacrant la totalité de son temps libre – il a par exemple trouv é
des espaces où les auteurs pouv aient trav ailler. Laurence et Rob ont abattu à eux seuls le
boulot d’une v ingtaine de personnes.
Dans la plupart des organisations, il existe des employés formidables et d’autres, plus
moyens. Ces derniers ont besoin d’être dirigés et on compte sur les stars pour se donner
à fond. Chez Netflix, c’est différent. Nous v iv ons dans une bulle d’excellence dans
laquelle tout le monde est ultra-performant. En réunion, on a l’impression qu’av ec tout le
talent et la puissance des cerv eaux rassemblés dans la pièce on pourrait générer
suffisamment d’électricité pour tout le bureau. Les gens se remettent en question les uns
les autres, ils construisent des arguments et chacun pris séparément est presque plus
intelligent que Stephen Hawking. Voilà pourquoi on parv ient à en faire autant à une telle
v itesse ici. À cause de la densité de talent complètement dingue.
Nous av ons présenté à quatre-v ingt-sept participants une v ariété de tâches exigeant de
l’attention, de la mémoire, de la concentration et de la créativ ité. Nous leur av ons
demandé, par exemple, de faire entrer des pièces de puzzle métalliques dans un cadre
plastique et de lancer des balles de tennis sur une cible. Nous leur av ons promis de
l’argent en cas de réussite exceptionnelle. Env iron un tiers de sujets a été informé qu’ils
recev raient un petit bonus, un autre tiers un bonus moyen et le dernier tiers était
susceptible de toucher un haut bonus, selon leur performance.
Nous av ons mené la première étude en Inde où le coût de la v ie est si bas que nous
pouv ions rémunérer les gens de manière très substantielle pour eux, tout en restant dans
notre budget. Le bonus le moins élev é était à 50 cents – l’équiv alent de ce que les
participants recev aient en une journée de trav ail. Le plus haut à 50 dollars, soit cinq
mois de salaire.
Les résultats se sont rév élés inattendus. Celles et ceux à qui l’on av ait proposé un
bonus moyen n’ont réussi ni mieux ni moins bien que le groupe au bonus faible. Mais
v oici le plus intéressant, dans cette expérience : les personnes à qui l’on av ait offert de
gros bonus ont obtenu des résultats moins bons que les deux autres groupes sur
l’ensemble des tâches.
Nous av ons répliqué ces résultats dans une étude au Massachusetts Institute of
Technology, où des étudiants en première année se v oyaient offrir la chance de recev oir
un gros bonus (600 dollars) ou un plus faible (60 dollars) en réalisant une tâche
impliquant des compétences cognitiv es (ajouter des nombres) et une autre qui
nécessitait seulement une compétence mécanique (taper une touche le plus v ite
possible). Nous av ons découv ert la chose suiv ante : tant que la tâche se limitait à une
compétence mécanique, les bonus fonctionnaient comme on av ait pu s’y attendre (plus
haute était la rémunération, meilleure était la performance). Mais si l’on incluait une
tâche basée sur une compétence cognitiv e, même rudimentaire, l’issue était la même que
dans l’étude conduite en Inde : la proposition d’un bonus supérieur entraînait une moins
bonne performance.
Ce résultat est parfaitement cohérent. Pour effectuer un travail
créatif, votre esprit doit ressentir un certain niveau de liberté. Si
vous êtes en partie focalisé sur l’issue de votre performance (vous
vaudrait-elle ou non ce gros chèque ?), vous n’êtes pas dans cet
espace cognitif ouvert où résident les meilleures idées et les
possibilités innovantes. Vous réussissez moins bien.
Chez Netflix, en tout cas, c’est une réalité. Les gens sont
plus créatifs lorsqu’ils reçoivent un salaire assez
important pour supprimer une partie du stress lié à leur
vie en général. Et ils le sont moins lorsqu’ils ignorent si oui ou non ils
recevront une prime. Les gros salaires sont bons pour l’innovation,
pas les primes au mérite.
Notre décision de ne pas fonctionner par bonus nous a permis, à
notre grande surprise, d’attirer un nombre croissant de talents
exceptionnels. Beaucoup imaginent perdre leur compétitivité en
n’offrant pas de prime. Or c’est tout le contraire : nous avons gagné en
compétitivité en attirant les meilleurs, tout simplement parce que
nous mettons l’argent dans le salaire, rien que dans le salaire.
Imaginez que vous cherchez du travail et que vous recevez deux
propositions. Un poste offre 200 000 dollars plus un bonus de 15 % et
un autre un salaire de 230 000 dollars. Lequel choisiriez-vous ? Bien
sûr, vous opteriez pour la proie et pas pour l’ombre, donc pour les
230 000 dollars. Vous connaissez d’avance votre rémunération – pas
d’entourloupe.
En évitant les bonus au mérite, l’entreprise peut offrir un
meilleur salaire de base et ne garder que les employés les plus
motivés. Tout ceci accroît la densité de talent. Mais pour l’accroître
davantage, rien ne vaut les très hauts salaires et l’assurance
d’augmentations au fil du temps afin de faire en sorte qu’ils restent
tout en haut du marché.
1. Parmi son équipe actuelle, y av ait-il un programmeur assez fort pour prendre le poste
chez Apple que Dev in v enait de quitter ? Non.
2. Trois des employés actuels de Han seraient-ils collectiv ement capables d’apporter la
même contribution que Dev in ? Non.
3. Siune fée lui proposait d’échanger, en douceur et en silence, quelques-uns de ses
programmeurs contre Dev in, cela serait-il bon pour l’entreprise ? Oui.
RESTER AU TOP
Au départ, toute personne nouvellement arrivée dans l’entreprise se
sentira motivée par son haut salaire. Mais très vite, à mesure que ses
compétences vont se développer, des concurrents vont commencer à
la contacter pour lui offrir mieux. Si elle le mérite, sa valeur sur le
marché va s’envoler et le risque sera plus grand de la voir s’en aller. Il
est donc paradoxal de voir, en matière d’ajustement des salaires, à
peu près toutes les entreprises de la planète suivre un système
susceptible de faire baisser la densité de talent en encourageant les
gens à trouver une place ailleurs. Voici un e-mail du directeur des
relations publiques João décrivant le problème rencontré avec son
précédent employeur :
Avant Netflix, je travaillais pour une agence de publicité américaine à São Paulo. C’était
mon premier poste après mes études, j’y ai mis tout mon cœur. Il m’est même arrivé de
dormir dans la salle des photocopieuses pour ne pas perdre une seule minute dans les
transports. J’ai eu la chance incroyable de faire signer quatre très gros clients, et en
douze mois je ramenais déjà plus d’argent que ceux qui étaient dans l’entreprise depuis
des années et des années. J’étais tellement enthousiaste à l’idée de construire ma
carrière dans cette société que j’adorais. Je savais que mes collègues seniors gagnaient
très bien leur vie – deux voire trois fois mon salaire – et je ne doutais pas qu’à la révision
annuelle, j’obtiendrais une belle augmentation, à la hauteur de ma contribution.
Le jour de l’entretien, j’étais tellement surexcité que j’ai chanté à tue-tête tout ce qui
passait à la radio en allant au boulot. Imaginez ma déception quand mon patron m’a
proposé une augmentation de 5 %. Pour être tout à fait honnête, j’ai failli fondre en larmes.
Le pire, c’était que mon manager me l’a annoncé en lançant un « félicitations ! »
enthousiaste, ajoutant que c’était la meilleure augmentation qu’il ait accordée cette année.
Mentalement, je hurlais « Tu me prends pour un con ? »
Après ça, ma relation avec mon patron est allée de mal en pis. Je plaidais en
permanence pour une meilleure augmentation. Lui, tout en pleurnichant qu’il ne voulait
pas me perdre, m’a accordé 7 % au lieu de 5. Ensuite, il m’a expliqué que mes attentes
étaient « inconsidérées » et « naïves » et qu’aucune entreprise ne proposait
d’augmentation supérieure à celle-là. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à
chercher un autre boulot.
João était extrêmement précieux à son entreprise. Son patron
l’avait embauché à un salaire qui le motivait. Mais en l’espace d’une
seule année, ses réussites non démenties ont encore accru sa valeur
pour ses employeurs et son attractivité pour leurs concurrents.
Pourquoi son patron lui proposait-il cette augmentation qui,
clairement, n’était pas à la hauteur de sa valeur sur le marché ?
La réponse à cette question est la suivante : quand vient le temps
des évaluations, au lieu d’estimer ce que vaut l’employé sur le
marché, la plupart des entreprises utilisent des « enveloppes
d’augmentation » et des « échelles salariales ». Imaginez que le Père
Noël a huit elfes à son service, payés 50 000 dollars chacun et que
chaque année, le 26 décembre, il augmente leurs salaires. Mme Noël
et lui mettent de côté une grosse quantité d’argent pour ces
augmentations, disons 3 % des coûts salariaux totaux (la moyenne
pour les entreprises américaines se situe entre 2 et 5 %). 3 % de
400 000 dollars = 12 000 dollars.
Le couple Noël doit maintenant décider comment procéder au
partage. Mary Bonbon est leur employée la plus performante, ils
aimeraient lui offrir une augmentation de 6 % – il ne resterait alors
plus que 6 000 dollars à distribuer entre ses collègues. Mais elle
insiste pour avoir 15 %, sans quoi elle quittera son poste, il ne reste
alors plus que 4 500 dollars pour sept elfes qui ont tous de grandes
familles et des tas de bouches d’elfes à nourrir. Le Père Noël se
trouve contraint de punir tous ses autres assistants pour payer
Mlle Bonbon à sa juste valeur sur le marché. C’est probablement ce
qui est arrivé à João. Imaginons que son patron ait tablé sur une
hausse de 3 % : les 5 % qu’il a offerts étaient déjà extrêmement
généreux. En passant à 7 %, cela signifiait que le reste de l’équipe en
pâtirait largement. Quant à offrir à João les 15 % supplémentaires
qu’il pourrait obtenir sur le marché ouvert ? Impossible.
Le même problème survient avec les échelles salariales.
Imaginons que dans l’atelier du Père Noël, l’échelle des salaires pour
un elfe va de 50 000 à 60 000 dollars. Mlle Bonbon est embauchée à
50 000, et les trois premières années le Père Noël augmente son
salaire entre 5 et 6 %, ce qui la place à 53 000, 56 000 puis
58 800 dollars. Mais à la quatrième année, même si Mary Bonbon est
désormais plus expérimentée, plus performante que jamais, elle ne
pourra obtenir que 2 % de plus. Car elle a atteint le haut de l’échelle
salariale ! Il est temps de partir en quête d’un nouvel atelier,
mademoiselle Bonbon.
Les recherches confirment ce que João et Mary avaient déjà
compris instinctivement. On obtient davantage d’argent en
changeant d’entreprise. En 2018, l’augmentation de salaire moyenne
par employé aux États-Unis était d’environ 3 % (5 % pour les plus
performants d’entre eux). Une personne qui quitterait son emploi
pour rejoindre une autre société aurait droit en revanche à une
augmentation située entre 10 et 20 % en moyenne. Autrement dit,
rester à son poste est mauvais pour son portefeuille.
Voici ce qui est arrivé à João :
Netflix m’a engagé à près de trois fois mon salaire et je suis parti v iv re à Hollywood.
Neuf mois plus tard, les réév aluations salariales étaient loin d’occuper mon esprit. Je me
suis rendu à mon entretien hebdomadaire av ec mon patron Matias, entretien qui
consistait en un tour du pâté de maisons où se situe le bâtiment de Netflix à Hollywood.
À peu près au milieu du parcours, on passe dev ant une fresque sur le mur d’un restaurant
qui représente un gros dim sum av ec des yeux bleus et une langue rouge. À cet endroit
précis, Matias m’a annoncé qu’il m’accordait une augmentation de 23 % afin de maintenir
mon salaire au-dessus de ma v aleur sur le marché. La nouv elle m’a tellement secoué que
j’ai dû m’asseoir par terre à côté du dim sum.
J’ai continué à rencontrer beaucoup de succès, je me sentais très bien payé. Un an
après, réév aluation annuelle, je me demandais si je bénéficierais à nouv eau d’une
augmentation conséquente. Matias, là encore, m’a étonné. Cette fois il a dit : « Tu as
d’excellentes performances, je suis rav i de t’av oir dans cette équipe. Le marché,
concernant ton poste, n’a pas tellement év olué, alors je ne te prév ois pas de hausse cette
année. » Ça m’a paru juste. Matias a précisé que si je n’étais pas d’accord, je pouv ais
v enir lui présenter des données à propos de l’état du marché actuel sur mon poste.
Je repense souv ent à ce que m’a dit mon premier patron sur ma naïv eté. En sachant
comment fonctionne le monde de l’entreprise, je v ois bien qu’il av ait raison. J’ai été naïf
dans ma compréhension des processus des affaires. Mais d’un autre côté, n’est-il pas naïf
pour tant d’entreprises d’utiliser des process d’augmentation qui finissent par pousser
leurs meilleurs talents à prendre la porte ?
João défend bien son point de vue. Alors pourquoi les entreprises
continuent-elles d’adopter les méthodes classiques en matière de
rémunération ? La théorie de Reed est que les enveloppes
d’augmentation et les échelles salariales qu’utilisent la plupart des
sociétés fonctionnaient bien du temps où les emplois étaient souvent
à vie et que la valeur individuelle sur le marché n’était pas
susceptible de varier sensiblement en quelques mois ni d’atteindre
des sommets. Mais de toute évidence, ces conditions ne s’appliquent
plus aujourd’hui, au rythme où les gens changent de poste et étant
donné la nature fluctuante de notre économie moderne.
Cela dit, le modèle qui a cours chez Netflix, le salaire supérieur à
la valeur du marché, est si inhabituel qu’il est difficile à comprendre.
Comment un manager peut-il savoir, constamment, quelle est la
fourchette haute en matière de salaire pour chacun de ses employés ?
Il lui faudrait consacrer des dizaines d’heures chaque année à passer
des coups de fil à des gens qu’il connaît à peine pour savoir combien il
ou elle gagne, ainsi que les membres de leurs équipes. Imaginez
comme ces conversations peuvent être gênantes. Russel, directeur
juridique de Netflix, trouvait tout cela très irritant.
La collaboratrice la plus précieuse parmi mon équipe en 2017 s’appelait Rani. Elle a
quitté l’Inde pour la Californie à l’adolescence. Sa mère était professeure de
mathématiques à Stanford et son père un chef bien connu pour sa cuisine indienne
innov ante. Rani, elle-même juriste, était un parfait mélange entre cette mathématicienne
brillante et ce cuisinier de génie. Elle était capable de manipuler des idées précises et
imbriquées av ec une dextérité que je n’av ais jamais v ue. Elle av ait une sorte de sixième
sens que j’appellerais « finesse », faute de mieux, qui faisait d’elle une juriste hors pair.
J’ai embauché Rani à un haut salaire – qui m’av ait paru au-dessus de ce qu’elle v alait
sur le marché – et sa première année chez nous s’est formidablement bien déroulée.
Quand est arriv é le moment des augmentations, j’ai été confronté à un problème.
Contrairement aux autres juristes de mon équipe, Rani av ait un poste unique en son
genre, il était donc difficile de trouv er des comparaisons sur le marché. Cette année-là,
certains ont bénéficié d’une hausse conséquente – jusqu’à 25 % –, résultat de gros
changements sur le marché.
J’ai passé des heures et des heures à essayer de me renseigner sur Rani. Après
beaucoup de recherches, j’ai appelé quatorze personnes, dans différentes sociétés, mais
aucun n’a accepté de partager les chiffres des salaires av ec moi. Alors j’ai commencé à
contacter des chasseurs de têtes. J’ai fini par recev oir trois chiffres, de la part des
recruteurs. Ils partaient dans tous les sens, mais le plus haut était 5 % supérieur à ce que
gagnait Rani. Si j’en croyais ces données, une augmentation de 5 % plaçait Rani au-
dessus du marché. C’est donc ce que j’ai appliqué.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que ça n’a pas été une bonne journée ! Quand j’ai
annoncé à Rani son augmentation, elle a serré les dents et a refusé de croiser mon regard.
Quand je lui ai expliqué comment j’en étais arriv é à ce chiffre, j’ai v u ses yeux filer v ers
la fenêtre. C’était comme si elle était déjà en train de calculer dans quelle entreprise elle
continuerait sa carrière. À la fin de l’entretien, elle est restée assise sans un mot pendant
un long moment et puis elle a dit : « Je suis déçue. » Je lui ai proposé, si l’augmentation ne
lui conv enait pas, de v enir me montrer des données allant dans son sens. Elle ne l’a pas
fait.
L’année suiv ante, lors de la rév ision des salaires, j’ai supplié les ressources
humaines de m’aider. Les chiffres fournis par les RH étaient près de 30 % supérieurs à
ceux que j’av ais trouv és par moi-même. Rani elle-même av ait cette fois pris les dev ants
et appelé ses propres contacts. Elle m’a transmis le nom de quatre personnes dans
d’autres sociétés av ec des postes similaires et des salaires comparables à ceux que
m’av aient présentés les RH. Je l’av ais sous-payée l’année précédente parce que les
données en ma possession n’étaient pas un reflet exact de l’échelle de salaires la
concernant.
Obtenir des comparaisons salariales, que ce soit pour vous ou
pour les personnes de votre équipe, est chronophage et pesant.
Imaginez appeler des gens parmi votre réseau et leur poser cette
embarrassante question : « Combien tu gagnes ? »
Non seulement ça, mais que dire du coût de toute cette affaire ?
Matias a accordé à João une augmentation de 23 % qu’il n’avait pas
demandée et qu’il était loin d’envisager. Russell a offert à Rani 30 %
d’augmentation lors de sa deuxième année. Combien d’entreprises
ont les reins assez solides pour proposer à leurs employés ce type de
promotion ? Votre marge bénéficiaire ne doit-elle pas être
absolument énorme pour ça ? Sans quoi, ces réévaluations annuelles
auront tôt fait de vous mettre sur la paille.
À chaque embauche, je demande à notre nouv elle recrue de lire Rites of Passage at
$100 000 to $1Million+ qui dans les années 1980 et 1990 était le manuel de référence
pour les recruteurs de cadres. Il permet de connaître sa v aleur sur le marché et d’élaborer
les meilleures façons de s’adresser aux recruteurs pour obtenir cette donnée.
Je dis à tous mes collaborateurs et collaboratrices : « Comprenez v otre marché,
comprenez ce liv re puis rencontrez les chasseurs de têtes – et je leur donne une liste de
noms de personnes spécialisées dans leur domaine. J’attends de tous mes employés
qu’ils fassent le choix actif de rester. Je ne v eux pas qu’ils soient là par manque
d’options. Si v ous êtes assez forts pour trav ailler chez Netflix, alors, immanquablement
v ous aurez d’autres possibilités. Si v ous av ez l’impression d’av oir le choix, v ous
pouv ez prendre la bonne décision. Trav ailler chez Netflix doit être un choix, pas un
piège.
LE QUATRIÈME POINT
Afin de renforcer la densité de talent parmi votre main-d’œuvre, pour
tous les postes créatifs, embauchez un ou une employé(e) d’exception
au lieu d’une dizaine de gens moyens. Rémunérez cette personne
extraordinaire au plus haut de la fourchette salariale correspondant
à sa valeur sur le marché. Ajustez ce salaire au moins annuellement
pour continuer à lui offrir davantage que ne le feraient vos
concurrents. Si vous ne pouvez pas payer vos meilleurs éléments au-
dessus de leur valeur sur le marché, alors, pour y parvenir, séparez-
vous des individus les moins éblouissants. Ainsi, la densité de talent
augmente.
À RETENIR DU CHAPITRE 4 :
Les méthodes utilisées par la plupart des sociétés pour rémunérer leurs salariés ne sont pas
idéales pour une main-d’œuvre créative à haute densité de talent.
Divisez votre main-d’œuvre selon qu’elle est créative ou opérationnelle. Payez les créatifs
au-dessus de leur tarif sur le marché. Cela implique d’embaucher un individu exceptionnel
plutôt que dix personnes adéquates.
Ne proposez pas de bonus à la performance. Au lieu de quoi, investissez ces ressources dans
les salaires.
En 1989, après les Peace Corps, mais avant Pure Software, j’étais
un ingénieur logiciel de vingt-neuf ans dans une start-up en
difficulté du nom de Coherent Thought. Un vendredi matin, à
mon arrivée au bureau, j’ai vu derrière la paroi vitrée qui me séparait de la
salle de conférences, les dirigeants tous regroupés debout près de la
fenêtre, porte close. Ce qui m’a frappé, c’était leur immobilité. Lors d’un
récent voyage, j’ai observé un gecko sur le point d’être dévoré par une
grosse aigrette blanche. Il était figé par la peur, une patte en l’air. C’était
exactement à ça que ressemblaient ces patrons. Leurs lèvres s’agitaient
avec frénésie, mais leur corps était parfaitement statique. Pourquoi ne
s’asseyaient-ils pas ? Cette image m’a mis mal à l’aise et j’ai commencé à
m’inquiéter.
Le lendemain matin, les patrons étaient déjà de retour en salle de
conférences avant même que je m’installe à mon poste. Ce jour-là, ils
étaient bel et bien assis autour de la table, mais chaque fois que quelqu’un
ouvrait la porte pour aller se chercher un café, je percevais la peur qui
émanait de cette pièce. L’entreprise avait-elle des ennuis ? De quoi
discutaient-ils ?
À ce jour, je n’en sais toujours rien. J’aurais peut-être été terrorisé si je
l’avais découvert. Mais à l’époque, je leur en ai énormément voulu – ils ne
me faisaient pas assez confiance pour me dire de quoi il retournait, alors
que je travaillais dur et que je me consacrais au succès de cette société. Ils
partageaient un gros secret, mais le cachaient à tout le personnel.
Évidemment, nous avons tous des secrets. Nous sommes, pour
beaucoup d’entre nous, fondamentalement persuadés que les secrets nous
préservent. Quand j’étais jeune, mon instinct était de garder pour moi
n’importe quelle information risquée ou gênante. En 1979, à l’âge de dix-
neuf ans, j’étais étudiant à Bowdoin College, dans le Maine, un petit
établissement confortable. Mon colocataire, en première année, était un
certain Peter, qui venait de Californie. Peu après la rentrée, nous étions en
train de plier notre linge dans notre chambre sur le campus, quand il a
mentionné, en passant, qu’il était puceau. Il a partagé cette information
comme s’il s’agissait de la plus banale qui soit, aussi facilement que s’il
allait se servir une tasse de café. Et moi j’étais là, aussi puceau que lui,
totalement mortifié à l’idée que quelqu’un d’autre puisse découvrir cette
vérité.
Lorsqu’il me l’a dit, je n’ai pas été capable de lui avouer mon secret en
retour. J’étais trop gêné, même face à son honnêteté. À cause de mon
silence, je l’ai appris plus tard, Peter a eu du mal à me faire confiance au
départ. Comment faire confiance à quelqu’un dont on sent qu’il nous cache
des choses ? Peter, à l’inverse, s’épanchait avec franchise sur ses émotions,
ses craintes, ses erreurs et moi j’étais épaté par son aisance à parler de
tous ces sujets ouvertement. J’ai éprouvé pour lui une confiance que je
n’avais jusque-là jamais accordée aussi rapidement. Cette amitié m’a
transformé, car j’ai compris les incroyables avantages liés à l’abandon des
secrets et à la transparence.
Je ne suis pas en train de dire qu’il est conseillé ni même approprié
d’évoquer sa vie sexuelle avec ses collègues. Peter, bien entendu, n’était
pas un ami de travail. Mais il est beaucoup plus répandu et encore plus
dommageable de garder un secret au travail que dans une résidence
universitaire.
UN SECRET EN PUISSANCE
Nous parlerons de « secret en puissance » (l’expression n’est pas tirée
du jargon Netflix) pour désigner les informations que vous choisiriez
largement de ne pas partager car leur divulgation vous semble
dangereuse. Le risque encouru pourrait être un jugement négatif, blesser
des personnes, provoquer le chaos ou rompre une relation. Sans quoi
nous ne ressentirions pas le besoin de les garder pour nous.
Les secrets en puissance, dans le cadre professionnel, pourraient
ressembler à ceux-ci :
Vous env isagez une réorganisation et des gens risquent de perdre leur trav ail.
Vous av ez licencié un ou une employé(e) et expliquer pourquoi pourrait nuire à sa
réputation.
Vous av ez une « recette secrète » : une information que v ous ne v oulez pas v oir fuiter à la
concurrence.
Vous av ez commis une erreur qui pourrait écorner v otre réputation, v oire ruiner v otre
carrière.
Deux patrons sont en conflit et si leur équipe l’apprenait, cela prov oquerait une certaine
agitation.
Des employés risqueraient la prison s’ils partageaient certaines informations financières
autour d’eux.
SCÉNARIO 1 :
DES INFORMATIONS QU’IL SERAIT ILLÉGAL DE FAIRE FUITER
Vous êtes le fondateur d’une start-up qui compte cent salariés. Vous avez toujours cru à la
transparence organisationnelle, vous enseignez à votre personnel comment comprendre les
comptes de résultat, vous tenez d’ailleurs à leur disposition toutes les informations financières et
stratégiques. Mais la semaine prochaine, votre société va entrer en Bourse, la donne va changer.
Après ça, si vous annoncez les revenus trimestriels à votre personnel avant Wall Street et qu’un
employé en parle à un ami, le cours de la société pourrait chuter et la personne responsable de la
fuite finir en prison pour délit d’initié. Que ferez-vous ?
a- Vous continuez à partager les résultats trimestriels, mais seulement APRÈS les avoir annoncés à Wall
Street.
b- Vous continuez à transmettre tous les chiffres à votre personnel avant que tout le monde les connaisse
tout en les avertissant que la moindre fuite à ce sujet pourrait les conduire en prison.
1. Créer une culture d’entreprise basée sur la transparence financière, rendant chaque aspect des
affaires v isible à l’ensemble des employés.
2. Consacrer beaucoup de temps et d’efforts à la formation de tous les membres du personnel afin
que ceux-ci soient capables de lire et comprendre en détail les rapports hebdomadaires
opérationnels et financiers.
Le problème le plus handicapant dans le monde des affaires est l’ignorance sur le
fonctionnement de l’entreprise. En gros, c’est un peu comme si une foule de gens se rendaient à
un match de base-ball sans que personne ne leur ait expliqué les règles. Ce match, ce sont les
affaires. Les gens essaient de foncer de la première à la deuxième base, sans même sav oir
comment cela s’articule globalement.
Netflix, bien sûr, fonctionne à partir des abonnements donc pour déduire nos recettes il suffit
de multiplier le prix moyen d’un abonnement (que tout le monde connaît) par le nombre
d’abonnés. Celui-ci est top secret jusqu’à sa publication une fois par trimestre. N’importe quel
inv estisseur qui mettrait la main dessus en av ance pourrait s’en serv ir illégalement pour
v endre ou acheter des actions Netflix et ainsi gagner beaucoup d’argent. Si cette fuite v ient d’un
employé Netflix, il ou elle pourrait finir en prison.
Il était 8 heures en ce lundi matin du mois de mars. Tout nouv eau dans l’entreprise, j’étais
encore un peu sur la réserv e, je cherchais à comprendre comment les choses fonctionnaient. J’ai
pris un café, je me suis installé à mon bureau, j’ai allumé l’ordinateur. Et v oilà, parmi mes e-
mails, un message intitulé « Mise à jour quotidienne du nombre d’abonnés, 19 mars 2015 ». On y
trouv ait, détaillés à l’aide de graphiques et de tableaux, le nombre de nouv eaux abonnés que
nous av ions signés la v eille, répartis par pays.
Mon cœur a fait un bond. Était-il normal que des données aussi sensibles soient ainsi
transmises par e-mail ? J’ai tourné l’ordinateur et je me suis installé dos au mur pour que
personne n’y jette un coup d’œil par-dessus mon épaule.
Un peu plus tard, notre DAF, mon n+1, s’est arrêté près de mon bureau. Je lui ai montré l’e-
mail. « C’est super utile, mais très dangereux si ça sort d’ici. Combien de personnes l’ont reçu ? »
j’ai demandé. J’ai cru qu’il allait me répondre : Reed, toi et moi, point à la ligne. Mais il m’a
répondu un truc dingue : « N’importe qui peut le demander. C’est ouv ert à tous ceux que cela
intéresse dans l’entreprise. »
SCÉNARIO 2 :
POSSIBLE RESTRUCTURATION ORGANISATIONNELLE
Vous êtes en discussion avec votre patron, au siège, à propos d’une éventuelle
restructuration qui entraînerait le licenciement de plusieurs chefs de projets parmi
votre équipe. Vous n’en êtes qu’aux premiers arbitrages à ce moment-là, et il y a
50 % de chances pour que cela n’arrive pas. Allez-vous en parler à vos chefs de projets
dès à présent ou attendre d’être sûr ?
a- Vous laissez le temps au temps. Il est inutile de causer du stress dès maintenant. De plus, si vous
l’annoncez, vos chefs de projets vont probablement commencer à chercher un nouveau poste et vous
risquez de perdre d’excellents éléments.
b- Vous optez pour un compromis. Vous craignez que vos employés ne soient pris en traîtres si vous les
licenciez sans les prévenir. Pourtant vous ne voulez pas non plus qu’ils paniquent inutilement. Vous faites
allusion à des changements dans l’air, sans décrire précisément ce dont il retourne. Quand vous entendez
parler d’une autre société qui recherche des chefs de projets, vous laissez discrètement l’annonce sur leur
bureau pour qu’ils ou elles puissent commencer à envisager d’autres options.
c- Vous leur dites la vérité. Vous vous asseyez avec eux et vous expliquez qu’il y a 50 % de risques que
leur place soit supprimée d’ici six mois. Vous leur dites combien vous les appréciez, que vous espérez qu’ils
ou elles resteront – mais vous préférez être transparent, pour que les informations soient entre leurs mains,
ce qui leur permettra de mieux anticiper leur avenir.
VOUS IREZ EN PRISON SI VOUS UTILISEZ CES DONNÉES POUR JOUER EN BOURSE… VOUS OU VOS
AMIS.
CONFIDENTIEL. NE PAS DIFFUSER.
Le v ice-président des finances Mark Yurechko est apparu sur scène, tout sourire. Il nous a
exposé le détail des finances du trimestre, la tendance du cours de la Bourse ainsi que l’impact
des chiffres du jour sur le prix de l’action. Voilà plusieurs dizaines d’années que je trav aillais
pour d’autres sociétés et je n’av ais jamais rien v u de tel. En général, une poignée des plus hauts
cadres détiennent ces informations confidentielles et personne d’autre.
Durant les v ingt-quatre heures qui ont suiv i, les tenants et les aboutissants des dilemmes de
la stratégie actuelle – y compris les réorganisations et autres grands changements env isagés
par Reed et sa garde rapprochée – étaient mis sur la table et débattus par petits groupes. Moi je
me disais : « Je n’en rev iens pas, une telle ouv erture ! »
Netflix traite ses employés en adultes capables de gérer des informations difficiles et j’adore
ça. Cela crée un grand sentiment d’implication et de concertation chez les employés. Pour le
scénario 2 du quiz, je choisis la réponse c : partager. Il faut dire la v érité aux employés. Ils v ont
peut-être paniquer, mais au moins ils sauront que v ous v ous montrez honnête av ec eux. Et ça,
c’est énorme.
Je me suis senti très fier de voir Rob sur la même ligne que moi. Mais
la deuxième réaction, de la part d’Isabella, cheffe de projet des contenus
originaux, est en réalité plus intéressante parce qu’elle illustre bien toute
la difficulté des décisions transparentes : aucune réponse n’est parfaite.
Voici ce qu’elle a dit :
Je me suis trouv ée dans une situation quasi identique à celle qui est décrite dans le scénario 2
du quiz. Et j’ai découv ert une chose : si la transparence peut sembler une bonne chose, dans les
faits souv ent il v aut mieux ne pas sav oir.
Pour v ous planter le décor, mon mari et moi étions à la recherche depuis quatorze mois
d’une nouv elle maison à proximité du bureau Netflix à Los Angeles pour réduire mon temps de
trajet quotidien. Un jour, après en av oir v isité env iron une centaine qui ne nous conv enaient
pas, j’ai trouv é ma maison de rêv e – largement ouv erte, dans laquelle on peut parler à quelqu’un
dans la chambre en haut depuis la cuisine du rez-de-chaussée, parce que aucun mur ne v ient
bloquer la communication. Je pouv ais chanter une chanson à ma fille au lit tout en débarrassant
la table.
J’adorais mon trav ail, je le faisais bien. Je trav aillais sur le talk-show de Chelsea Handler.
En général, nous mettons en ligne les saisons entières d’une série Netflix d’un coup. Mais
Chelsea était diffusé trois fois par semaine et nous av ions v ingt-quatre heures après chaque
tournage pour faire traduire l’émission dans tout un tas de langues et la mettre à disposition des
abonnés. J’étais chargée de coordonner tout ça. Puis un jour, mon patron, Aaron, a ajouté une
réunion à mon agenda, intitulée « L’av enir ».
Nous étions installés dans la salle de conférences Out of Africa. C’est une pièce toute jaune –
les murs, la moquette, les chaises sont jaunes. Aaron a placé sa chaise face à la mienne et il a
annoncé : « Rien n’est décidé. Mais il y a 50 % de chances pour que ton poste de gestion de projet
soit supprimé. Nous sommes en pleine discussion pour une réorganisation, ton emploi pourrait
disparaître. Cependant, nous ne le saurons pas av ant six ou douze mois. » J’ai senti la tête me
tourner. La moquette jaune s’est mélangée au plafond jaune, j’av ais du mal à me concentrer sur
son v isage.
Après ça, j’ai complètement sombré. Nous av ons laissé filer la maison, qui a été achetée par
quelqu’un d’autre. Comment aurais-je pu inv estir dans l’immobilier alors que je risquais de
perdre mon trav ail ? Ensuite j’ai été en colère. Quel besoin Aaron av ait-il eu de m’angoisser
alors que rien n’était joué ? Je regardais la télé, le soir, av ec mes deux garçons. Quand le logo
Netflix apparaissait, au lieu du sentiment de fierté qui m’animait auparav ant, j’étais env ahie par
l’anxiété et la contrariété. Le plus bête, c’est que mon poste n’a PAS disparu. Il s’est simplement
transformé en autre chose. J’ai tiré un trait sur la maison et v écu des mois dans le stress pour
rien.
C’est pourquoi je v ote a – pourquoi gâcher la v ie de v os employés sans raison ?
Vous avez décidé de vous séparer d’un membre senior de l’équipe marketing, un
certain Kurt. Il est travailleur, gentil et, de façon générale, efficace. Mais il peut lui
arriver de temps en temps d’être maladroit verbalement, de parler sans réfléchir, ce
qui met l’entreprise dans l’embarras tant en interne qu’en externe. Le risque est
devenu trop grand.
Lorsque vous lui annoncez qu’il a perdu son emploi, il est effondré. Il vous explique combien il est
attaché à la société, à ses collègues et à son service. Il vous demande de dire à tout le monde qu’il a
décidé de partir de lui-même. Comment allez-vous communiquer vis-à-vis de votre personnel à
propos de ce licenciement ?
a- Vous dites toute la vérité à ceux qui y auront intérêt. Vous envoyez un e-mail aux collègues de Kurt
chez Netflix pour expliquer que malgré tout son travail, sa gentillesse, son efficacité, Kurt a tendance à faire
des gaffes et à mettre l’entreprise dans l’embarras. Le risque étant trop grand, vous avez décidé de vous
séparer de lui.
b- Vous dites une partie de la vérité. Vous informez l’équipe du départ de Kurt, en précisant que vous
n’êtes pas libre d’en discuter les détails. Il est parti. Les raisons de son départ sont-elles importantes ? Il est
inutile d’en rajouter et de nuire à sa réputation.
c- Vous annoncez que Kurt a décidé de partir de lui-même parce qu’il voulait consacrer davantage de
temps à sa famille. Kurt a travaillé dur pour vous. Vous l’avez déjà viré. Inutile de l’humilier pour couronner
le tout.
« Après av oir joué un rôle clé dans le serv ice de Ramon, Carol cherche une occasion de
tirer parti de ses talents administratifs dans un autre domaine. »
Traduction : « Ramon ne v eut plus de Carol dans son équipe. Quelqu’un d’autre serait
d’accord pour l’accueillir pour qu’on ne soit pas obligés de la v irer ? »
« Afin de créer des synergies dans l’entreprise, Douglas v a peu à peu seconder Kathleen.
Leurs talentueux collaborateurs ne formeront désormais qu’une seule et même équipe,
qui s’attaquera à ce projet motiv ant : booster les v entes organisationnelles. »
Traduction : « Douglas est rétrogradé, il v a trav ailler sous les ordres de Kathleen. Tous
les collaborateurs directs de Douglas seront désormais incorporés dans le serv ice de
Kathleen. »
Chers tous,
C’est avec des sentiments partagés que j’ai décidé de renvoyer Jake.
Jake était candidat en interne pour une promotion qui aurait fait de lui un cadre exécutif senior.
Alors que je procédais à l’audit préalable pour cette promotion, certaines informations me sont
parvenues qui laissaient entendre qu’il ne faisait pas toujours montre des qualités que nous
attendons expressément chez nos leaders. En particulier, il nous est apparu clairement que
Jake a manqué d’honnêteté vis-à-vis de nous concernant un gros problème avec un employé qui
impactait l’entreprise, même lorsque nous l’avons interrogé directement.
Jake a eu un impact énorme sur la société au fil de ses nombreuses années chez Netflix et pour
certains, la nouvelle pourrait être un choc. Il a accompli beaucoup de choses ici. Mais je ne
doute pas que les retours que j’ai reçus le concernant sont exacts, ce qui nous oblige à opérer
ce changement.
Bien sûr il est possible d’en dire trop lorsqu’on révèle que quelqu’un a
été licencié. Il est important de respecter la dignité de la personne qui s’en
va, ainsi que de prendre en considération les différences culturelles à
l’étranger le cas échéant. Je recommande à nos managers de se montrer le
plus transparents possible tout en s’assurant de pouvoir répondre par
l’affirmative à la question suivante : « Ne verrais-je aucun inconvénient à
montrer cet e-mail à la personne que je viens de renvoyer ? »
Dans le cas qui nous occupe, les actions de Jake se sont produites au
sein du bureau. Mais quand il s’agit d’évoquer publiquement les
problèmes personnels d’un ou une employé(e), les choses se compliquent
encore davantage. Je recommande alors une approche différente.
À l’automne 2017, un de nos leaders, qui à notre insu souffrait d’un
problème d’addiction à l’alcool, s’est remis à boire pendant un voyage
d’affaires. Il est aussitôt parti en cure de désintoxication. Que devions-
nous dire à ses collaborateurs ? Son chef estimait que, fidèles aux
principes de la culture Netflix, nous leur devions à tous la vérité. Les
ressources humaines insistaient qu’il devrait avoir le droit de choisir ce
qu’il voulait dévoiler de sa vie. Dans ce cas, j’étais d’accord avec les RH. En
matière de problèmes personnels, le droit d’un individu à sa vie privée
l’emporte sur le désir de transparence de l’organisation. Nous n’avons
donc pas opté pour la voie de la plus grande franchise. Sans pour autant
raconter de belles histoires. Nous avons dit à tout le monde qu’il avait pris
deux semaines de congé pour raisons personnelles. À lui de leur donner
plus de détails s’il le souhaitait.
De manière générale, je crois que si le dilemme est lié à un incident au
travail, tout le monde devrait être informé. Mais s’il s’agit d’une situation
personnelle, il revient à la personne d’en dire plus si elle le veut.
SCÉNARIO 4 :
QUAND ON FOIRE
Vous êtes toujours ce fondateur d’une start-up qui compte cent employés. C’est un
boulot difficile et malgré tous vos efforts, vous enchaînez une série d’erreurs graves.
La plus remarquable étant l’embauche puis le licenciement successif de cinq
directeurs commerciaux en cinq ans. Chaque fois vous êtes persuadé d’avoir trouvé
un bon candidat. Mais systématiquement, quand vous commencez à travailler ensemble, vous
prenez conscience que la nouvelle recrue n’a pas ce qu’il faut pour ce poste. Et que toutes ces
embauches ratées sont entièrement dues à vos manques de discernement. Le reconnaissez-vous
devant votre personnel ?
a- Non ! Vous ne voulez pas que le groupe perde confiance dans vos capacités de meneur. Certains de
vos meilleurs éléments risqueraient même de partir, en quête d’un patron plus compétent. D’un autre côté,
tout le monde voit bien que le cinquième directeur commercial vient de quitter la société. Vous êtes obligé
de prendre la parole – mais vous vous contentez de dire combien il est compliqué de recruter le candidat
idéal. Vous mettez toute votre énergie à en trouver un qui convienne parfaitement.
b- Oui ! Vous tenez à encourager votre personnel à prendre des risques et à voir les erreurs comme des
étapes inévitables de ce processus. De plus, quand vous vous exprimez ouvertement sur vos erreurs, les
autres vous font davantage confiance. Lors de la prochaine réunion, expliquez combien vous êtes gêné
d’avoir échoué à recruter et gérer le directeur commercial cinq fois de suite.
LE CINQUIÈME POINT
Si vous avez les meilleurs employés sur le marché et que vous avez
instauré une culture du feedback ouvert, le dévoilement des secrets de la
société augmente le sentiment d’appartenance et d’engagement parmi
votre personnel. Si vous faites confiance aux gens pour gérer de façon
appropriée les informations sensibles, alors naîtra un sentiment de
responsabilité, et vos salariés vous montreront à quel point ils sont
fiables.
À RETENIR DU CHAPITRE 5 :
Pour une culture de la transparence, réfléchissez aux messages symboliques que vous transmettez.
Finis les bureaux fermés, les assistants qui montent la garde et les espaces clos.
Ouvrez les livres de comptes pour vos employés. Enseignez-leur comment lire les profits et les
pertes. Partagez avec tous les membres de l’entreprise des informations financières sensibles et
stratégiques.
Lorsque vous prenez des décisions qui impacteront le bien-être du personnel, telles que les
réorganisations ou les licenciements, parlez-en en amont avec les employés, avant que les choses
soient gravées dans le marbre. Cela créera une certaine anxiété, de l’affolement peut-être, mais la
confiance ainsi bâtie sera supérieure aux désagréments.
Quand la transparence interfère avec la vie privée d’un individu, suivez ces principes : si l’information
porte sur un événement qui s’est produit au travail, optez pour la transparence, exprimez-vous avec
franchise sur l’incident. Si cela engage la vie personnelle d’un employé, expliquez qu’il ne vous
revient pas d’en dire davantage et que les gens peuvent interroger directement la personne
concernée s’ils le souhaitent.
Si vous avez déjà fait vos preuves, parlez ouvertement et longuement de vos erreurs – encouragez
tous vos cadres à faire de même – car cela augmentera la confiance, la bonne volonté et
l’innovation à tous les niveaux de l’entreprise.
Jerret v enait à Amsterdam. J’av ais consacré plusieurs semaines à trav ailler sur cette
proposition, un av is négatif de sa part et tout serait réduit à néant. Lundi, mardi,
mercredi, jour et nuit, je peaufinais les arguments les plus conv aincants que je pouv ais
coucher sur le papier. Le jeudi midi, j’ai transmis le tout par e-mail à Jerret. Av ant
d’appuyer sur env oi, j’ai murmuré dev ant mon ordinateur : « Pourv u que Jerret
approuv e. »
Le jour de la réunion, j’étais tellement nerv eux que j’ai été obligé de garder les mains
dans mes poches pour les empêcher de trembler. Mais Jerret a surtout parlé du défi que
posaient les nouv elles embauches. J’étais si stressé que j’étais quasiment incapable
d’écouter. J’ai pris mon courage à deux mains et je me suis lancé. « Jerret, je v oudrais
être sûr qu’on aura le temps de discuter de ma proposition pour Narcos. »
« As-tu des éléments que tu v oulais débattre en particulier ? Sinon, c’est ta décision,
Paolo. Tu as besoin de mon aide sur un point précis ? » Ça m’a fait l’effet d’une
rév élation : J’ai compris ! Chez Netflix, si tu partages tout le contexte autour de ton
choix, tu as posé les bases. Tu n’as pas à attendre d’approbation. C’est à toi de v oir. À toi
que rev ient la décision.
Nous étions à la fin 2014 et à l’époque Netflix n’était pas v raiment connu au Mexique.
J’av ais un plan pour y remédier. J’av ais env ie de présenter Netflix comme le champion
du contenu local, alors même que nous n’av ions encore aucune série originale mexicaine.
L’idée était de mettre en av ant dix gros films mexicains de cette année-là – réalisés
par des Mexicains av ec des acteurs locaux. Nous v oulions également sélectionner un
jury composé de dix personnes, toutes mexicaines, comme Ana de la Reguera (une
v edette de telenov ela qui s’apprêtait à tourner dans Narcos) et Manolo Caro (un
réalisateur hyper-connu ayant récemment fait la couv erture de Vanity Fair dans un
smoking froissé allongé entre deux magnifiques actrices), le tout dans l’idée de rendre
notre marque plus pertinente aux yeux du public que ces célébrités influençaient.
Ces stars du cinéma et membres du jury feraient campagne v ia les réseaux sociaux
pour soutenir leurs films préférés, encourageant tout le monde à participer au v ote sur
Twitter, Facebook et LinkedIn. Les deux films ayant recueilli le plus de v oix
remporteraient un contrat de distribution d’un an av ec Netflix. Je prév oyais de conclure
cette opération par une grande fête à laquelle serait inv ité tout le who’s who local.
Mais mon patron, Jack, a détesté cette idée. Pourquoi consacrer tout ce temps, tout
cet argent sur des films que Netflix n’av ait même pas produits ? Pire, nous av ions tenté
quelque chose de similaire au Brésil, en partenariat av ec des festiv als de cinéma, mais
cela n’av ait pas v raiment pris. Jack n’arrêtait pas d’affirmer publiquement, en réunion,
que si ça ne tenait qu’à lui, cette opération ne se ferait jamais.
Mais moi, j’y croyais dur comme fer. J’étais prête à prendre le pari et, en cas d’échec, à
en assumer les responsabilités. J’ai écouté attentiv ement les inquiétudes de Jack et j’ai
décidé de trav ailler av ec des influenceurs et influenceuses locaux plutôt qu’av ec des
festiv als, pour év iter de reproduire le fiasco du Brésil. Bien sûr, c’est effrayant de suiv re
son idée tout en sachant que son chef la trouv e mauv aise.
Je me suis fait du souci pour rien. Les conférences de presse pour le lancement et la
clôture du concours ont été prises d’assaut et Twitter a explosé av ec le concours durant
les semaines ayant précédé l’év énement. Le jury de célébrités a bombardé le message v ia
Facebook et Twitter. Les producteurs, les réalisateurs, les acteurs ont à leur tour lancé
leur propre campagne, faisant du Premio Netflix une plateforme essentielle pour
l’industrie du cinéma mexicain indépendant.
Des milliers de personnes ont v oté. Ça a été un moment piv ot pour nous. Soudain, tout le
monde connaissait la marque Netflix. J’ai su que nous av ions réussi quand, lors de la
cérémonie de remise des trophées, sont apparus sur le tapis rouge des influenceurs de
haute v olée tels que la fille du président mexicain Enrique Peña Nieto et celle qui était la
plus célèbre des actrices mexicaines encore en v ie, Kate Del Castillo – emmenées jusque-
là en jet priv é réserv é par nul autre que mon manager (ayant oublié toutes ses
réticences !).
Jack a fait son mea culpa dev ant tout le monde lors de la réunion d’équipe suiv ante : il
s’était trompé de bout en bout, la campagne av ait été formidable.
É É É
LES ÉTAPES PRÉALABLES ET ULTÉRIEURES
AU PARI
La notion de pari est liée à l’entrepreneuriat depuis bien
longtemps. En 1962, Frederick Smith, en cours d’économie
à Yale, a écrit un essai qui suggérait un service de livraison
en un jour. L’idée était la suivante : on pourrait poster un colis dans le
Missouri le mardi et, selon le tarif payé par l’expéditeur, celui-ci
pouvait voir son paquet arriver en Californie le mercredi. À en croire
la légende, Smith a reçu un C pour ce devoir et le professeur lui a dit
que pour avoir une meilleure note, il aurait fallu que son idée soit
faisable. Si le professeur de Smith avait été son patron, il aurait
sûrement mis le holà sur l’innovation.
Mais Smith était un entrepreneur et cet essai rédigé dans le cadre
de ses études est devenu la base de FedEx, qu’il a fondé en 1971.
C’était aussi un parieur : un jour, au tout début de FedEx, alors qu’une
banque venait de lui refuser un prêt crucial, il est parti jouer les
5 000 derniers dollars de la société à Las Vegas, où il a gagné
27 000 dollars au blackjack, ce qui lui a permis de couvrir la facture
d’essence de l’entreprise, qui s’élevait à 24 000 dollars. Bien sûr,
Netflix n’encourage pas son personnel à jouer au casino, simplement
à instiller un peu de l’esprit de Frederick Smith. Kari se souvient :
Quand j’ai commencé chez Netflix, Jack m’a expliqué ceci : je dev ais imaginer qu’on
v enait de me confier une pile de jetons. Je pouv ais les placer sur tous les paris auxquels
je croyais. Je dev rais trav ailler dur et bien réfléchir pour m’assurer de faire les meilleurs
paris possible, il me montrerait comment procéder. Certains échoueraient, d’autres
réussiraient. Ma performance serait finalement jugée, non sur les paris indiv iduels
perdus, mais sur ma capacité globale à utiliser ces jetons pour faire progresser
l’entreprise. Jack a été très clair : on ne perd pas son poste chez Netflix parce qu’on a
parié sur quelque chose qui n’a pas abouti. On le perd si on n’utilise pas ses jetons pour
faire adv enir de grandes choses ou si l’on fait constamment de mauv ais choix.
J’ai pensé : « Si Neil et Reed sont contre cette idée, est-ce qu’on peut se permettre de la
tester ? » Chez n’importe lequel de mes précédents employeurs, ça n’aurait pas été très
malin. Mais chez Netflix, la coutume v eut que les employés subalternes accomplissent de
grandes choses parfois en dépit de l’opposition hiérarchique. Ayant cela à l’esprit, je me
suis lancé.
YouTube n’était pas disponible en téléchargement aux États- Unis, mais il l’était dans
certains endroits comme l’Inde ou l’Asie du Sud-Est. C’était intéressant parce que
Netflix se préparait à une expansion massiv e à l’international en janv ier 2016 et ces pays
seraient importants pour nous. Nous av ons décidé de conduire des entretiens en Inde et
en Allemagne pour établir quel pourcentage de clients utilisaient la fonction
« télécharger ». En Inde, nous allions cibler des utilisateurs YouTube, en Allemagne des
utilisateurs Watchev er (une plateforme allemande assez similaire) et aux États- Unis
nous v oulions interroger des clients d’Amazon Prime (qui propose les téléchargements).
À en croire nos résultats, aux États- Unis, entre 15 et 20 % de ces derniers se serv ent de
la fonction téléchargement. Beaucoup plus que le 1 % estimé par Reed, même si cela reste
une minorité.
En Inde, notre étude a montré que 70 % des utilisateurs YouTube téléchargeaient leur
contenu. Un chiffre énorme ! Les réponses les plus fréquentes étaient les suiv antes :
« Mes trajets entre la maison et le trav ail durent 90 minutes, en cov oiturage, je passe
donc une heure et demie par jour dans les transports. Le streaming sur les portables n’est
pas assez rapide à Hyderabad, alors je télécharge tout ce que je regarde. » Autre cas,
jamais mentionné aux États- Unis : « L’internet du bureau est assez rapide pour le
streaming, mais pas celui de la maison. Alors je télécharge toutes mes séries au trav ail
pour pouv oir les regarder le soir chez moi. »
Les Allemands n’ont pas forcément les mêmes problèmes que les Indiens. Mais
internet y est aussi moins fiable qu’aux États- Unis. « Quand je regarde une série dans ma
cuisine, elle s’arrête toutes les cinq minutes pour charger, a expliqué un Allemand. Alors
je télécharge dans mon salon, où le débit est meilleur, pour pouv oir regarder pendant que
je cuisine. » L’Allemagne terminait entre les États- Unis et l’Inde en termes de
pourcentage.
La personne qui v it et respire ce contrat doit être la personne qui le signe et l’assume et
pas un chef de serv ice ou un v ice-président. C’est une manière d’enlev er la
responsabilité du projet à la personne qui dev rait en être responsable. Év idemment, je
garde un œil sur ces contrats, moi aussi. Mais Camille est fière de ce qu’elle a accompli.
C’est son dossier, pas le mien. Elle est inv estie psychologiquement et je v eux que ça
continue ainsi. Je ne v ais pas m’approprier son trav ail en mettant mon nom au bas d’un
document.
Je trav aillais chez Netflix depuis quelques semaines à peine quand j’ai reçu un e-mail du
serv ice juridique. Le message disait « Omarson, tu as l’autorité pour signer des contrats
et des accords pour Netflix au Brésil. »
J’ai cru qu’il manquait une partie du message. J’ai répondu immédiatement : « Jusqu’à
quel montant ? Et si je dois le dépasser, auprès de qui dois-je faire v alider ma
demande ? »
La réponse a été : « À toi de jauger la limite. Fais preuv e de discernement. »
Je n’ai pas compris. J’étais v raiment autorisé à signer des contrats de plusieurs
millions de dollars ? Comment pouv ait-on accorder un tel pouv oir à un employé en
Amérique latine, qui il y a quelques semaines à peine était encore inconnu ?
Je n’en rev enais pas, j’étais terrifié ! On me faisait confiance, je me dev ais donc
d’affûter mon jugement et de motiv er impeccablement mes décisions. J’allais décider
pour mon n+1, mon n+2, n+3 et pour tout Netflix finalement, seul, sans qu’aucune
v alidation ne soit nécessaire. Jamais dans ma v ie je n’av ais ressenti un tel mélange de
responsabilité et de peur ! Cette sensation m’a poussé à trav ailler plus dur, pour
m’assurer que chaque contrat signé bénéficierait à l’entreprise dans son ensemble.
É
CYCLE D’INNOVATION, ÉTAPE 4 : SI C’EST
UN SUCCÈS, CÉLÉBREZ-LE. SI C’EST UN ÉCHEC,
PARLEZ-EN.
Si l’initiative de Sheila se passe bien, faites-lui savoir que
vous êtes ravi. Vous pouvez lui taper dans le dos, lui offrir
une coupe de champagne ou inviter l’ensemble de l’équipe
à dîner. Marquez le coup comme vous l’entendez. L’essentiel est de
montrer, idéalement en public, que vous êtes content qu’elle ait
poursuivi son idée malgré vos doutes. Dites clairement « Tu avais
raison ! J’avais tort ! » pour prouver à tous les employés qu’il ne faut
pas hésiter à remettre en question le patron.
Si l’initiative de Sheila échoue, votre réaction, à vous, son chef, est
encore plus cruciale. Après un échec, vos faits et gestes seront
scrutés à la loupe par le personnel. Une voie possible serait de punir,
réprimander ou humilier Sheila. En 800 av. J.-C., les marchands
grecs qui avaient fait banqueroute étaient contraints de rester assis
sur la place du marché avec un panier sur la tête. En France au
e
XVII siècle, les commerçants en faillite étaient dénoncés en place
Dans Black Mirror, il existe un personnage animé du nom de Waldo, un ours bleu. Le
lancement de la quatrième saison était prév u pour le 29 décembre 2017, j’ai donc préparé
une campagne publicitaire spéciale fêtes de fin d’année.
Nous allions env oyer un message promotionnel mystérieux prov enant de
« iamwaldo » à des centaines d’abonnés à l’équiv alent turc de Reddit. Le contenu,
énigmatique, était censé appâter les gens : « Nous sav ons ce que v ous manigancez.
Regardez bien, v ous v errez. » J’espérais, en réaction, des tweets du genre : « Waldo est
de retour ? » « Black Mirror saison 4 est sorti ? » J’av ais hâte de v oir quel buzz positif
cela générerait.
Grosse erreur de ma part : je n’ai partagé l’idée av ec personne. J’étais très occupée à
préparer ma semaine de v acances en famille. Je n’ai pas informé mes collègues des
relations publiques des autres pays. Je n’ai pas cultiv é les désaccords en soumettant le
projet aux communicants Netflix. J’ai lancé le truc et je suis partie en v acances en Grèce
av ec mon père.
Le 29 décembre, nous étions en train de v isiter un musée à Athènes, casque
d’audioguide sur les oreilles, quand mon téléphone s’est mis à v ibrer comme jamais. Mes
collègues partout dans le monde étaient affolés par le message « iamwaldo » v enu de
Turquie et la tempête médiatique qu’il suscitait. « C’est nous ? » me demandait un SMS.
Je me suis dépêchée de faire une recherche sur mon téléphone : les médias turcs étaient
en folie.
J’ai senti mon cœur s’emballer, mon v entre se retourner. Cette erreur était à 100 % la
mienne. J’av ais monté cette campagne sans en parler à personne. Mes collègues étaient
en colère, mon chef n’en rev enait pas.
J’ai expliqué à mon père ce qui s’était passé, quasiment en larmes. « Tu crois que tu
v as te faire renv oyer ? » s’est-il étranglé. Ça m’a fait rire. « Non, papa, chez Netflix, on ne
se fait pas v irer pour ce genre de bourde. On se fait v irer quand on ne prend pas de
risques, pas quand on se lance dans un truc osé. » On peut aussi se faire renv oyer si on ne
parle pas ouv ertement de ses erreurs.
Bien sûr, plus jamais je ne commettrai cette erreur de ne pas partager une campagne
média à l’av enir. Là, je risque de me faire licencier.
J’ai passé le reste de ma semaine à expliquer à tout le monde l’erreur que j’av ais faite,
les enseignements que j’en av ais tirés. J’ai rédigé des mémos, passé des dizaines de
coups de fil. Bref, j’ai passé toutes mes v acances au boulot.
Yasemin a par la suite connu une belle carrière chez Netflix. Cinq
mois après cette boulette « iamwaldo », elle se voyait proposer une
place de manager marketing, soit une augmentation de 150 % de ses
responsabilités et, dix-huit mois plus tard, elle était promue
directrice du marketing.
L’essentiel tient aux enseignements qu’a tirés de son erreur non
seulement Yasemin, mais toute l’équipe marketing. « Quand nous
recrutons de nouveaux membres dans l’équipe, nous avons une série
de cas historiques que nous passons en revue avec eux pour leur
éviter de retomber dans les mêmes travers. La campagne turque pour
Black Mirror est une des préférées, tout le monde en parle, explique
Yasemin. C’est l’exemple parfait pour montrer l’importance de
partager l’idée, et les conséquences lorsqu’on ne le fait pas. Mais ça
nous a tous permis, nous, au marketing, de garder à l’esprit que le
but, chez Netflix, c’est de créer des moments de joie. Alors évitons les
campagnes un peu flippantes. N’essayez pas de faire peur au public
pour leur donner envie de regarder nos séries. Une bonne campagne
doit être enthousiasmante, joyeuse, amusante tout simplement. »
LE SIXIÈME POINT
Si la haute densité de talent et la transparence organisationnelle sont
bien en place, un processus de prise de décision plus rapide, plus
innovant est possible. Vos employés peuvent voir grand, tester leurs
idées et faire des paris auxquels ils croient, même si la hiérarchie ne
les cautionne pas.
À RETENIR DU CHAPITRE 6 :
Dans une entreprise vive et innovante, les responsabilités des décisions critiques, qui peuvent
rapporter gros, doivent être dispersées entre les salariés à tous les niveaux et non allouées en
fonction du statut hiérarchique.
Pour que cela fonctionne, le patron doit enseigner à son personnel de « ne pas chercher à
plaire au patron ».
Quand un nouvel employé est embauché, annoncez-lui qu’il part équipé d’une poignée de
jetons métaphoriques qui lui serviront à parier. Certains paris réussiront, d’autres non. La
performance d’un travailleur sera jugée sur l’issue collective de ses paris, non sur les résultats
d’une unique occasion.
Pour aider votre personnel à faire des paris gagnants, encouragez-le à cultiver les
désaccords, à partager l’idée et, s’il s’agit d’un projet d’envergure, à le tester.
Maximisez la franchise…
Chapitre 8 Un cercle de feedbacks
Mondialiser
Chapitre 10 Répandez la bonne parole partout dans
le monde !
Cette partie se concentre sur les techniques concrètes que vous pouvez mettre en place au sein de
votre équipe ou de votre entreprise pour renforcer les concepts évoqués dans les deux premières
parties. Dans le chapitre 7, nous explorerons le « keeper test », premier outil utilisé chez Netflix pour
encourager les managers à maintenir une haute densité de talent. Dans le chapitre 8, nous passerons en
revue deux exercices qui encouragent un retour fourni et continu entre les patrons, les employés, les
collègues. Dans le chapitre 9, nous regarderons comment précisément ajuster votre style de
management pour permettre une plus grande liberté dans la prise de décision pour vos employés.
MAXIMISEZ LA DENSITÉ DE TALENT…
CHAPITRE 7
LE « KEEPER TEST »
Quand j’ai commencé à la NPR fin 1999, j’étais le premier ingénieur logiciel à plein temps
engagé par internet. À mon arriv ée, j’étais gonflé à bloc. Les personnes qui ont env ie de
trav ailler à la NPR croient en leur mission, ils chérissent le dév ouement de la radio aux
informations. En conséquence, ce but commun a donné naissance à une culture qui
parfois év oquait plus une famille qu’un lieu de trav ail. C’était très agréable, il m’en est
resté de nombreux amis.
NPR a une culture tellement familiale que beaucoup en font même leur v éritable
famille. Une des « mères fondatrices » de la radio nationale, Susan Stamberg, tenait à jour
une liste des employés qui s’étaient « rencontrés et mariés » grâce à la NPR. La radio n’est
pas bien grande, pourtant la liste des couples nés entre ses murs était très longue.
La culture NPR a beaucoup d’av antages, elle fonctionne bien chez eux. Mais au bout d’un
moment, j’ai commencé à v oir les inconv énients de cette philosophie familiale appliquée
au trav ail. Il y av ait dans mon équipe un ingénieur logiciel, Patrick, qui était
expérimenté, mais n’av ait pas les compétences pour fournir un résultat parfait. Il av ait
continuellement besoin de temps supplémentaire pour terminer ses projets et on trouv ait
souv ent des bugs ou des problèmes significatifs dans son code. Parfois il fallait inclure
d’autres ingénieurs sur ses projets pour s’assurer d’obtenir un résultat correct.
Pour compliquer un peu plus la situation, Patrick av ait une attitude exemplaire. Il
av ait à cœur de bien faire les choses et tenait à prouv er qu’il pouv ait opérer de façon
indépendante. Nous av ions tous très env ie qu’il réussisse et nous lui confiions tout ce
qui pouv ait conv enir à ses capacités limitées. Mais celles-ci n’étaient pas au niv eau de
celles de ses collègues. Chaque jour je dev ais m’occuper de lui et jamais je n’av ais à me
préoccuper de ses collègues. C’était une personne formidable, mais incapable de liv rer
les résultats attendus.
Patrick accaparait tellement mon temps – et celui de mon équipe, qui dev ait corriger
ses erreurs – que cela a fini par dev enir un réel problème. Les meilleurs ingénieurs de
l’équipe s’agaçaient fréquemment et espéraient une interv ention de ma part. Je craignais
que certains soient exaspérés au point de démissionner.
Je v oyais bien que l’équipe serait bien plus efficace sans Patrick. Même dans le cas où
je ne parv iendrais pas à lui trouv er de remplaçant.
J’en ai parlé à mon chef, qui m’a encouragé à chercher différentes tâches susceptibles
de conv enir aux forces de Patrick tout en protégeant les autres de ses faiblesses. Le
licenciement n’a même pas été env isagé lors de cette discussion. Nous n’av ions pas de
motif. Il n’av ait rien fait de mal. C’était comme si la famille de la radio av ait dit : « Il est
un des nôtres. Nous sommes tous dans le même bateau. Nous allons nous adapter et faire
av ec. »
À É
DE LA FAMILLE À L’ÉQUIPE
Au début de Netflix, nos managers aussi travaillaient pour
créer un environnement de type familial. Mais après les
licenciements de 2001, quand nous avons vu l’amélioration
radicale de la performance, nous avons compris que la famille n’est
pas une bonne métaphore pour un environnement de travail à haute
densité de talent.
Nous voulons que les employés se sentent investis, liés, qu’ils
aient la sensation d’appartenir à un grand tout. Mais ils ne doivent
pas s’imaginer avoir un poste à vie. Un travail devrait être une
activité limitée à la période de temps magique durant laquelle on est
la personne la plus qualifiée et où ce poste nous convient. Dès lors
que l’on n’apprend plus rien ou que l’on n’excelle plus, le moment est
venu de laisser sa place à quelqu’un de plus adapté et de passer à
autre chose.
Mais si Netflix n’était pas une famille, alors, qu’étions-nous ? Un
groupe d’individus se débrouillant tout seuls, chacun pour soi ? Ça
n’était pas du tout ce que nous envisagions. Après de nombreuses
discussions, Patty a suggéré que l’on considère Netflix comme une
équipe de sport professionnel.
Au départ, cela ne nous a pas paru très profond. La métaphore de
l’équipe pour une entreprise est à peu près aussi éculée que celle de
la famille. Mais tandis qu’elle développait son propos, j’ai commencé à
voir ce qu’elle entendait par là.
Je v iens de regarder Duo à trois av ec mes enfants. Ça parle d’une équipe de baseball
professionnel, les joueurs ont des super relations entre eux. Ils sont très proches. Ils se
soutiennent. Ils font la fête ensemble, ils se consolent et connaissent tellement bien leurs
jeux respectifs qu’ils sont capables de se déplacer comme un seul homme sans même
communiquer. Mais ils ne forment pas une famille. Le coach échange les joueurs, il les
déplace au fil de l’année pour s’assurer de toujours av oir le meilleur joueur au meilleur
poste.
exigent l’excellence, comptent sur le coach pour s’assurer que chaque poste est
tenu par la meilleure personne à l’instant T.
sont entraînés pour gagner, s’attendent à recev oir en permanence des retours
francs afin d’améliorer leur jeu, non seulement de la part du coach, mais aussi de
leurs coéquipiers.
sav ent que l’effort ne suffit pas et sont conscients que s’ils fournissent une
performance de niv eau B, malgré un effort noté A, ils seront remerciés et
remplacés, dans le respect, par un autre joueur.
LE « KEEPER TEST »
Bien sûr, les managers chez Netflix, comme beaucoup, ont envie
d’éprouver des sentiments positifs en lien avec leurs actions. Pour se
sentir bien lorsqu’on doit licencier une personne qu’on apprécie et
respecte, il faut éprouver un profond désir d’aider l’entreprise et
admettre que tout le monde à Netflix sera plus heureux, plus
performant si chaque poste est occupé par une star. Nous
interrogeons donc le manager : la société s’en tirerait-elle mieux si tu
renvoyais Samuel afin de le remplacer par quelqu’un de plus
efficace ? Si le manager répond oui, c’est très clair, il est temps de
chercher une nouvelle recrue.
Nous encourageons tous les managers à réfléchir régulièrement à
la présence de chacun de leurs employés pour qu’ils soient sûrs
d’avoir la meilleure personne au meilleur poste. Pour les aider à
trancher, nous leur parlons du « keeper test » :
Question 1
En 2002, Reed a organisé une réunion des dirigeants hors les murs à Half Moon Bay,
pour nous inciter à pratiquer régulièrement le même exercice rigoureux auquel Patty et
lui s’étaient liv rés lorsqu’ils préparaient les licenciements. Nous dev ions nous
demander, en permanence, quels employés ne correspondaient plus au meilleur choix
pour leur poste, quitte à se séparer d’eux s’ils ne parv enaient pas à redresser la barre
après av oir reçu un retour à ce propos.
Je n’en rev enais pas. Dev ant le groupe, j’ai év oqué la différence entre les manchots et
les éléphants. Les manchots abandonnent les plus faibles ou en difficulté parmi eux
tandis que les éléphants les entourent et s’occupent d’eux pour les remettre sur pied. « Tu
es en train de me dire que nous allons choisir d’être des manchots ? » ai-je demandé.
Reed, ça ne t’inquiète pas que Netflix puisse avoir cette image du manchot sans cœur, pour
reprendre la métaphore de Neil ? Perdre son boulot, ce n’est pas rien. Cela impacte la
situation financière, la réputation de la personne, la dynamique de sa famille, sa carrière.
Certains, immigrés, risquent d’être expulsés suite à un licenciement. Pour toi qui ne
manques pas de moyens, bien sûr, une perte de salaire ne signifie pas grand-chose. Mais ce
n’est pas le cas de la plupart de tes employés.
Est-ce très éthique de se séparer de celles et ceux qui font de leur mieux, mais ne
parviennent pas à des résultats éblouissants ?
Réponse 1
Nous rémunérons nos salariés au-dessus du marché, ils
sont donc tous très bien payés. Une partie de cet accord
repose sur l’idée qu’ils resteront dans l’équipe tant qu’ils
seront les meilleurs à leur place sur le terrain. Ils comprennent que
les besoins de notre entreprise évoluent rapidement et que nous
attendons d’eux des performances d’exception. Aussi celles et ceux
qui choisissent de rejoindre Netflix adoptent tous cette approche de
la haute densité de talent. Nous sommes très transparents quant à
nos tactiques et beaucoup de salariés sont ravis d’être entourés de
collègues d’une telle qualité, heureux malgré le risque pour leur
poste que cela comporte en retour. D’autres travailleurs préféreront
la sécurité de l’emploi sur le long terme, eux ne choisiront pas de
venir chez nous. Alors oui, je pense que cette vision des choses est
éthique. Elle est aussi excessivement populaire parmi notre
personnel.
Cela dit, la barre de performance est si haut placée qu’il nous
paraît juste, si l’on prive quelqu’un de son travail, de lui offrir
suffisamment d’argent pour se lancer dans de nouveaux projets.
Nous accordons à tous une généreuse indemnité de licenciement –
assez pour prendre soin d’eux-mêmes et de leur famille jusqu’à ce
qu’ils trouvent un autre poste. Chaque fois que nous nous séparons
de quelqu’un, nous offrons l’équivalent de plusieurs mois de salaire
(quatre pour un contributeur individuel jusqu’à neuf pour un vice-
président). C’est pourquoi nous disons :
Si v ous apparteniez à une équipe de dix personnes, dès le premier jour v ous sav iez que,
quel que soit le niv eau des uns et des autres, deux allaient recev oir une excellente
appréciation, sept en auraient des médiocres et un, une atroce. Cela poussait les
employés à se concentrer sur la compétition au sein de l’équipe plutôt qu’à celle v is-à-v is
des autres entreprises.
Étant donné la difficulté d’entrer chez Netflix et d’y garder son poste,
comment parvenez-vous à étouffer toutes velléités de compétitions
intra-entreprise ?
Réponse 2
Question 3
Durant ma première année chez Netflix, tous les jours je me suis demandé si j’allais être
renv oyé. Pendant neuf mois, je n’ai pas déballé mes cartons, persuadé que le jour où je
m’y mettrais serait mon dernier dans l’entreprise. Mais je n’étais pas le seul. Mes
collègues év oquaient sans cesse le « keeper test ». Quand nous partagions un taxi ou un
déjeuner, le sujet de conv ersation numéro un était toujours le licenciement – ceux qui
v enaient de perdre leur trav ail, ceux dont nous pensions qu’ils seraient les suiv ants,
l’év entualité que cela nous arriv e à NOUS. Il a fallu que mon patron décide de me
promouv oir directeur pour que je me rende compte à quel point mes craintes étaient
infondées.
Réponse 3
Quand on fait du kayak en eau vive, on vous apprend à repérer l’eau
claire et tranquille à côté du trou dangereux qu’il vaut
mieux éviter. Les experts ont montré que si vous fixez ce
que vous souhaitez désespérément éviter, vous êtes en
réalité plus susceptible d’arriver pile dedans. De la même
manière, chez Netflix, nous répétons à tous les employés qu’il vaut
mieux se concentrer sur la formation, le travail d’équipe, la réussite.
Ceux qui sont obnubilés par l’idée d’un éventuel licenciement
(comme un athlète pourrait développer une obsession sur le risque
de blessure), ceux-là ne parviendront jamais à paraître légers et
confiants, ce qui pourrait bien précipiter les ennuis qu’ils redoutent
tant.
Quand on interroge son ou sa chef(fe), il y a trois issues possibles. Premier cas, il ou elle
répond qu’il ou elle se battrait de toutes ses forces pour te garder. Alors, toutes les
craintes qu’on a pu ressentir concernant tes performances disparaissent aussitôt. C’est
bien.
Deuxième cas, le ou la n+1 offre une réponse mitigée, mais un feedback clair sur les
points à améliorer. C’est bien aussi parce que tu entends ce que tu dois faire pour exceller
à ton poste.
Troisième, si le ou la n+1 n’a pas forcément env ie de se battre pour te garder, lui
poser la question peut être une manière de lui faire remarquer un aspect négatif de ta
performance qu’il ou elle n’av ait pas forcément identifié jusque-là. C’est là que ça dev ient
un peu effrayant. Mais c’est quand même positif parce que cela permet de déclencher une
discussion franche pour sav oir si ce poste conv ient à tes capacités et donc ça év ite d’être
pris en traître quand un matin tu découv res que tu as perdu ton boulot.
QUESTION-RÉPONSE POST-DÉPART
Il est particulièrement déstabilisant de voir disparaître des
collègues de l’organigramme sans une explication sur ce qui a mené à
cette décision ou sans savoir quels avertissements cette personne
avait reçus. La plus grosse inquiétude des gens dans ce cas est
généralement : cette personne a-t-elle reçu des retours au préalable
ou bien le licenciement a-t-il été soudain ?
Yoka, spécialiste du contenu à notre bureau de Tokyo, raconte
cette histoire. Son anecdote est d’autant plus forte que les sociétés
japonaises proposent en général un emploi à vie. Encore aujourd’hui,
il est très rare au Japon de se faire renvoyer. Beaucoup de nos
salariés là-bas n’ont donc jamais expérimenté le licenciement d’un
collègue.
Ma plus proche collègue, Aika, trav aillait sous les ordres d’un certain Haru, qui n’était
pas du tout un bon chef. Aika et toute son équipe souffraient de ce management défaillant.
J’espérais qu’il se passerait quelque chose, mais lorsque Haru a été finalement licencié,
j’ai été surprise par ma propre réaction.
Un matin, je suis arriv ée au bureau un peu plus tard que d’habitude. C’était en janv ier,
il y av ait de la neige sur la route. Aika s’est précipitée v ers moi, toute rouge. « Tu as su ce
qui s’est passé ? » Le patron d’Haru, Jim, était v enu de Californie pour un entretien tôt le
matin, av ant que tout le monde soit là. Lorsque Aika est arriv ée, Haru av ait été renv oyé,
il préparait ses cartons et s’apprêtait à dire au rev oir à tout le monde. À l’heure où nous
discutions, il était déjà parti et nous ne le rev errions plus jamais. J’ai fondu en larmes. Je
n’étais pas proche de lui, mais je ne pouv ais pas m’empêcher de penser : « Et si moi aussi
un matin, j’arriv ais au trav ail et je trouv ais quelqu’un v enu exprès pour me licencier ? »
Je tenais absolument à sav oir si Haru av ait bien eu des retours, av ant ça. Et si oui, que
lui av ait-on dit ? Av ait-il été informé du risque qui le guettait ?
Les réunions telles que celle organisée par Jim et racontée ici par
Yoka aident celles et ceux qui travaillent directement avec un
employé sur le départ à intégrer ce qui s’est passé et à répondre à
leurs questions.
LE DÉCOMPTE FINAL
La plupart des entreprises font de leur mieux pour limiter
le turnover des employés. Trouver et former de nouveaux
talents coûte de l’argent, la sagesse traditionnelle veut
donc qu’il soit plus économique de garder celles et ceux que l’on a
embauchés plutôt que de trouver de nouvelles recrues. Mais Reed se
préoccupe peu du taux de turnover, jugeant que le coût de
remplacement est moins important que de s’assurer d’avoir la bonne
personne à chaque poste.
Donc, étant donné l’omniprésence des « keeper tests », combien
d’employés quittent bel et bien Netflix chaque année ?
À en croire le rapport de référence sur le capital humain de la
société pour la gestion des ressources humaines, le taux annuel pour
les entreprises américaines s’élève en moyenne à 12 % de turnover
volontaire (ce sont les personnes qui choisissent de quitter la société
de leur propre chef) et 6 % d’involontaire (les personnes renvoyées),
ce qui fait un total, en moyenne, de 18 % à l’année. Pour les
entreprises de la tech, le total annuel moyen se situe plutôt autour de
13 %, dans le domaine des médias/du divertissement, on est à 11 %.
Sur la même période, le turnover volontaire chez Netflix est resté
constant autour de 3 à 4 % (considérablement en dessous de la
moyenne à 12 % – donc rares sont ceux qui choisissent de quitter la
société) et à 8 % d’involontaire (ce qui place le nombre de
licenciements chez Netflix 2 % au-dessus de la moyenne, qui est à
6 %), ce qui donne un total de 11-12 % de turnover annuel… Soit dans
la moyenne pour son secteur. Apparemment, ils ne sont pas si
nombreux chez Netflix, ces employés que les managers ne se
battraient pas pour garder.
LE SEPTIÈME POINT
Le « keeper test » a contribué à augmenter la densité de
talent chez Netflix à un niveau rarement atteint dans les
autres entreprises. Si chaque manager réfléchit
soigneusement, et de façon régulière, pour savoir si ses
collaborateurs constituent le meilleur choix pour le poste et si, le cas
échéant, il procède au remplacement de celles et ceux qui ne le sont
pas, la performance au sein de l’organisation accède à de nouveaux
sommets.
À RETENIR DU CHAPITRE 7 :
Évitez les systèmes de classement, qui créent une compétition interne et découragent la
collaboration.
Quand vous prenez conscience qu’il vous faut renvoyer quelqu’un, au lieu d’appliquer une
sorte de PAP, humiliant et coûteux d’un point de vue organisationnel, consacrez cet argent à
offrir à votre employé une généreuse indemnité de licenciement.
L’inconvénient d’une culture de haute performance, c’est la crainte pour les employés de voir
leur emploi menacé. Pour apaiser ces craintes, encouragez vos salariés à susciter la question
chez leurs managers : « Est-ce que tu te battrais pour me faire changer d’avis si je pensais à
quitter la société ? »
Quand un employé est remercié, expliquez clairement ce qui s’est passé à votre personnel et
répondez avec franchise aux interrogations. Cela réduira leurs craintes d’être le prochain sur
la liste et augmentera leur confiance dans l’organisation et ses dirigeants.
CHEZ LE DENTISTE
Affirmer que l’entreprise attache de l’importance à la franchise est
une chose. Il est plus compliqué de la maintenir en place à
mesure que l’entreprise se développe, que de nouveaux
employés la rejoignent, que les relations se multiplient. Le
problème m’est apparu clairement lors d’une rencontre en
face-à-face avec un directeur présent chez nous depuis près d’un an.
« Quand j’ai été engagé, tout le monde m’a prévenu que je recevrais
des tas de retours en permanence. Mais ça fait un moment que je suis
chez Netflix et je n’en ai jamais reçu », m’a-t-il dit.
Je réfléchissais à cette remarque quand je suis allé chez ma
dentiste pour une visite de routine. En pointant une de mes molaires,
elle m’a dit : « Il faut que tu viennes plus régulièrement faire des
contrôles, Reed. Il y a des endroits au fond que tu n’atteins pas au
brossage. »
La franchise, c’est comme le dentiste. Même si vous encouragez
tout le monde à se brosser les dents au quotidien, certains ne le
feront pas. Ceux qui le font rateront peut-être les endroits les moins
accessibles. Je ne peux pas garantir que la franchise que nous
espérons sera au rendez-vous chaque jour. Mais je peux garantir la
mise en place de mécanismes réguliers pour qu’on ne rate aucun des
feedbacks les plus importants. En 2005, nous avons réfléchi aux
outils sur lesquels les salariés pouvaient s’appuyer pour obtenir et
recevoir les critiques franches qui n’étaient pas formulées
naturellement au quotidien, dans le cadre du travail.
Le choix le plus naturel aurait pu être les évaluations annuelles.
Aujourd’hui, il est devenu à la mode de s’en débarrasser, mais en
2005 quasiment toutes les entreprises y avaient recours. Avec ce
système le patron couche par écrit les points forts et les points faibles
de son employé, ainsi qu’un résumé de performance générale, et
organise un entretien personnel afin de passer en revue avec lui
cette évaluation.
Dès le départ, nous avons été opposés à ce système. Le premier
problème est que le feedback ne va que dans un sens – du haut vers le
bas. Le deuxième est qu’on n’obtient de retour que d’une seule
personne – son patron. C’est en opposition directe à notre devise
« Ne cherchez pas à plaire au patron ». Je tiens à ce que chacun
reçoive des retours non seulement de son n+1, mais aussi de toutes
celles et tous ceux qui ont quelque chose à dire. Troisième problème,
les sociétés basent généralement leurs évaluations de performance
sur les objectifs annuels. Mais chez Netflix on ne fonctionne pas sur
ce modèle. De même, beaucoup d’entreprises utilisent ces
évaluations annuelles pour déterminer les augmentations de salaire,
mais chez nous c’est le marché, pas la performance, qui influe sur les
rémunérations.
Nous avons cherché un mécanisme qui encouragerait tout le
monde à fournir des retours à n’importe quel collègue si tel était leur
souhait, un système qui serait un bon reflet du niveau de franchise et
de transparence que nous essayions de cultiver et cohérent avec
notre culture de liberté et de responsabilité. Après beaucoup
d’expérimentations, nous avons désormais deux processus que nous
utilisons régulièrement.
Tu parais parfois trop confiant – agressif même – quand tu défends ton point de v ue et
dédaigneux des perspectiv es différentes. J’ai eu cette impression lorsque tu plaidais
pour la relocalisation des personnels basés en Corée v ers le Japon ou Singapour. Il est
extrêmement important que tu soulèv es cette question et que tu sois ouv ert aux
changements radicaux, mais dès le début du processus d’étude du cas, tu sembles déjà
déterminé à obtenir une certaine issue et peu attentif aux contre-arguments. – Ov e.
C’est exactement pour cette raison que vous, en tant que leader,
vous devez partager votre évaluation 360 avec vos équipes, surtout
tous ces témoignages francs à propos de tout ce que vous réussissez
mal. Cela montre que proposer et recevoir des feedbacks clairs et
applicables n’est pas si effrayant.
Quand tu ne réponds pas aux e-mails de mon équipe, j’ai toujours l’impression que c’est
un problème de hiérarchie, je trouve ça décourageant, même si je sais bien que ce n’est
pas comme cela que tu fonctionnes, que ce n’est pas non plus ce que tu penses. Peut-être
devrions-nous établir une confiance plus solide, mais j’ai besoin que tu sois plus
généreux de ton temps et de tes avis pour que mon équipe puisse être davantage au
service de ton organisation.
Tes désaccords de « vieux couple marié » avec Cindy ne constituent pas le meilleur
exemple de relations entre cadres. Il devrait y avoir de ta part comme de la sienne plus
d’écoute et de compréhension.
Arrête d’éviter le conflit avec l’équipe ; cela couve ailleurs et réapparaît plus gros plus
tard. Les graines du pétage de plombs de Janet et le drame du rôle de Robert ont été
plantés il y a bien plus d’un an. Il aurait mieux valu affronter l’un et l’autre directement
à l’époque plutôt que laisser tout le monde en pâtir et le moral chuter.
Ted nous faisait la lecture comme s’il passait en rev ue la liste de courses pour le
supermarché. J’ai pensé : « Wow, est-ce que je serai assez courageux pour partager mon
feedback av ec ma propre équipe ? »
Apparemment, Larry a su s’adapter : « Depuis cette réunion, je fais
de mon mieux pour reproduire avec mes collaborateurs ce que Ted a
fait avec nous, pas seulement dans une période d’évaluation 360 mais
chaque fois que quelqu’un me fait un retour sujet à amélioration. Et
j’ai suggéré que les cadres qui travaillent pour moi fassent de même
avec leurs équipes. »
Bien que l’exercice des évaluations 360 par écrit ait permis un
feedback franc et régulier et que beaucoup choisissent de revenir
dessus après coup, cela ne garantit pas pour autant les discussions
ouvertes. Si Chris-Ann écrit à Jean-Paul dans son évaluation 360
qu’il chuchote lors de ses rendez-vous clients, ce qui nuit à ses
ventes, mais si Jean-Paul n’en parle jamais avec Chris-Ann ni qui que
ce soit d’autre, alors cela devient un secret en puissance. Reed a mis
en place un autre processus censé prévenir ce genre de problème.
Méthode : Tous les feedbacks doiv ent être présentés et reçus comme une sorte de
cadeau qui permet de s’améliorer, suiv ant le principe des 4A énoncés au chapitre 2. Le
leader dev ra l’expliquer en av ance et v eiller à ce que cela soit respecté pendant la
séance.
Le feedback positif et applicable (« continue à… ») est adapté, mais à contrôler. 25 %
de positif et 75 % d’améliorable (« commence à… » et « arrête de… ») est un bon mélange.
Tout blabla non applicable (« Je trouv e que tu es un super collègue » ou « J’adore
trav ailler av ec toi ») doit être découragé et étouffé dès le départ.
J’ai appelé Sabina pour m’excuser de n’av oir pas perçu combien la remarque de Ian était
inappropriée. Mais elle m’a répondu que tout était arrangé. Elle av ait déjà discuté av ec
Ian, qui lui av ait présenté des excuses et ils av aient échangé pendant plus d’une heure
afin de percer l’abcès. En conclusion, même s’il y av ait bel et bien eu sortie de route
durant le dîner 360, je crois que leur relation s’en est trouv ée renforcée. Depuis ce jour je
suis beaucoup plus attentif pour pouv oir interv enir chaque fois qu’une remarque me
paraît sortir du cadre.
Se faire év iscérer en place publique ressemble fort à de la torture. Chaque fois que je me
rends à une év aluation 360 en direct, je me sens nerv eux. Mais une fois lancé, on se rend
compte que tout v a bien se passer. Puisque la séance se déroule en présence de tous, les
gens prennent soin de se montrer généreux et d’un grand soutien dans leur manière
d’exprimer leur feedback – quand on a l’intention d’aider l’autre, on réussit. Personne ne
v eut v ous embarrasser ou v ous attaquer. Tous ceux qui dépasseraient les bornes sont
presque aussitôt recadrés : « Hé, ça n’est pas très utile ! » Si la séance de 360 se passe
bien, tout le monde reçoit son lot de remarques difficiles, alors on n’est pas pris pour
cible spécifiquement. Quand v otre tour arriv e, cela peut être désagréable d’entendre ce
que les gens ont à dire, mais c’est un des plus beaux cadeaux que la v ie puisse v ous faire :
une chance de progresser.
LE HUITIÈME POINT
Si vous êtes sérieux en matière de franchise, vous devrez
forcément mettre en place des mécanismes qui garantissent son
apparition. Deux processus institutionnels suffisent à faire parvenir
à tous des feedbacks francs et utiles à des intervalles réguliers.
À RETENIR DU CHAPITRE 8 :
La franchise, c’est comme un rendez-vous chez le dentiste. Même si vous encouragez tout le
monde à se brosser les dents au quotidien, certains ne le feront pas. D’autres rateront les
zones difficiles. Une séance approfondie tous les six à douze mois assure des dents propres et
un feedback limpide.
Une évaluation 360 par écrit est un bon mécanisme pour un feedback annuel. Mais évitez
l’anonymat et les notes, ne liez pas les résultats aux augmentations ou promotions, ouvrez les
commentaires à tous ceux qui souhaitent en émettre.
Les dîners 360 en direct sont un autre processus tout aussi efficace. Dégagez plusieurs heures
en dehors du temps de travail et hors du bureau. Donnez des instructions claires, suivez le
principe des 4A et appliquez la méthode « Commence – Arrête – Continue », avec environ
25 % de positif et 75 % de progrès à faire – et 100 % applicable, 0 % blabla.
CONTRÔLE VS CONTEXTE
Le leadership par le contrôle est largement connu : le patron
approuve et oriente les initiatives, les actions, les décisions de
l’équipe. Parfois même, le contrôle peut s’imposer par une
supervision directe – le ou la responsable donne des ordres, vérifie
fréquemment et corrige le travail qui n’est pas réalisé selon ses
désirs. D’autres fois, le ou la leader cherchera à responsabiliser ses
employés, évitant donc toute supervision directe, pour préférer la
mise en place de process de contrôle.
Cela permet d’accorder à l’employé une certaine marge de
manœuvre dans l’approche de la tâche, tout en se réservant le droit
de contrôler ce qui est fait et quand. Par exemple, le patron instaure
un processus comme le management par objectifs, définissant au
préalable, avec son salarié, des indicateurs clés de performance ; puis
le patron surveille les progrès à intervalles réguliers, estimant la
performance finale individuelle selon que le salarié a ou non atteint
les objectifs prédéterminés dans le temps et le budget impartis. Autre
manière de faire : contrôler la qualité du travail de son employé en
mettant en place des process visant à la réduction des erreurs comme
la vérification préalable avant livraison au client ou la validation des
achats avant toute commande. Ces processus permettent au manager
d’accorder une certaine liberté tout en exerçant un contrôle assez
strict.
Le leadership par le contexte est plus difficile, mais les salariés
bénéficient alors d’une liberté bien plus grande. Vous fournissez le
maximum d’informations à vos collaborateurs et collaboratrices
pour leur permettre de prendre les meilleures décisions et mener à
bien leurs missions sans supervision. Il revient alors à la personne
d’exercer son muscle de la prise de décision afin d’opérer le meilleur
choix de façon autonome.
Pour se lancer dans un leadership par le contexte, il faut que
l’ensemble des conditions soient réunies. La toute première est la
haute densité de talent. Il suffit d’avoir eu quelqu’un sous ses ordres
une fois, même simplement vos enfants ou un entrepreneur chez
vous, pour comprendre pourquoi.
Imaginez, par exemple, que vous êtes parent d’un garçon de
quinze ans. Il adore dessiner des mangas, résoudre des sudokus
complexes et jouer du saxophone. Ces derniers temps, il a également
commencé à sortir dans des soirées le samedi en compagnie d’amis
plus âgés. Vous l’avez déjà averti que vous ne vouliez pas qu’il boive
de l’alcool avant de prendre le volant ni qu’il monte à bord d’un
véhicule avec un conducteur ivre, mais c’est plus fort que vous, vous
vous inquiétez à chacune de ses sorties. Vous pouvez aborder ce
problème de deux façons différentes :
1. Vous décidez des fêtes auxquelles v otre fils est autorisé à se rendre (ou pas) et
surv eillez ses faits et gestes durant la soirée. S’il v eut sortir le samedi soir, il doit
respecter un certain protocole. D’abord, il doit expliquer qui sera là et pour quoi faire.
Ensuite, v ous dev ez discuter av ec les parents propriétaires de la maison où se tiendra
la fête. Durant cette conv ersation, v ous v érifierez si un chaperon adulte sera présent et
si de l’alcool sera mis à disposition. À partir de ces informations, v ous déciderez si oui
ou non v otre fils peut y assister. Une fois la sortie approuv ée, v ous activ ez la
localisation de son portable pour v ous assurer qu’il n’ira pas dans une autre fête. Voilà
comment on dirige par le contrôle.
2. La deuxième façon de faire consiste à bien poser le contexte pour que v otre fils et v ous
soyez sur la même longueur d’onde. Vous discutez av ec lui des raisons qui poussent les
ados à boire et des dangers associés à la conduite en état d’iv resse. Bien en sécurité
dans v otre cuisine, v ous v ersez différents types d’alcool dans des v erres et v ous
précisez quelle quantité il v ous faudrait pour être pompette, saoul ou pour perdre
connaissance et les conséquences sur v otre efficacité au v olant (ainsi que sur v otre
santé en général). Vous lui montrez un film éducatif sur YouTube à propos de la
conduite alcoolisée et toutes ses conséquences. Une fois que v ous constatez qu’il
comprend clairement la grav ité des dangers associés au problème, v ous le laissez se
rendre à toutes les soirées qu’il souhaite sans jamais surv eiller ou imposer de
restrictions à ses actes. C’est ça, diriger par le contexte.
2. Vous lui expliquez en détail les exigences des différents régimes. Vous précisez les
principes de la faiblesse en glucides, ce qu’un diabétique peut ou ne peut pas manger.
Vous lui indiquez les recettes que v ous av ez utilisées av ec succès par le passé, celles
qui n’ont pas marché et les substituts auxquels v ous av ez recours en général. Vous
spécifiez que chaque repas doit inclure, pour tout le monde, des protéines, une salade et
au moins un légume. Vous êtes sur la même longueur d’onde, en matière de repas réussi.
Puis v ous lui demandez de trouv er des recettes et de choisir elle-même ce qu’elle v a
préparer. Vous aurez dirigé par le contexte.
É É
LA SÉCURITÉ AVANT TOUT ?
Jetez un œil à ces présentations à propos de deux grandes
entreprises. Essayez de déterminer laquelle aurait intérêt à utiliser
le contrôle (supervision et/ou process de réduction d’erreurs) et –
partant du principe qu’une forte densité de talent existe – laquelle
aurait intérêt à utiliser le contexte.
Commençons par ExxonMobil. Voici un court extrait de leur site
web :
Depuis 2000, nous avons réduit de plus de 80 % le taux d’incident avec arrêt de
travail de notre main-d’œuvre. S’il ne cesse de reculer, cela ne signifie pas pour
autant qu’il est à zéro. Nous regrettons profondément les accidents séparés qui
ont coûté la vie à deux sous-traitants liés à des opérations d’ExxonMobil en 2017.
L’un est survenu lors d’un forage à terre, le second sur une raffinerie lors
d’activités de construction. Nous avons mené une enquête rigoureuse afin de
déterminer les causes et les facteurs associés à ces incidents et de prévenir
toute répétition d’événements similaires à l’avenir. Les conclusions seront
diffusées à l’échelle mondiale. Nous avons également participé à des groupes
de travail transsectoriels avec des représentants des industries du gaz, du
pétrole et d’autres, comme le Campbell Institute et le Conseil national de
sûreté, afin de mieux comprendre les signes avant-coureurs des accidents
graves. Nous continuerons de promouvoir la sécurité avant tout parmi nos
employés ExxonMobil et nos sous-traitants jusqu’à ce que nous atteignions notre
but, un lieu de travail où personne ne se blesse.
Mais s’il arriv ait quelque chose d’important, par exemple une modification non
négligeable dans un dialogue, il fallait que cela remonte à un niv eau supérieur de la
pyramide. Le cadre créatif disait : « Oh, je ne suis pas certain de ce que v a en dire ma
cheffe – je l’appelle. »
Le cadre appelait sa cheffe, une des quinze directeurs ou directrices juste au-dessus
de lui. « Qu’est-ce que tu en penses ? On peut changer ce passage ? » Il pouv ait arriv er
que ce soit refusé, mais la plupart du temps, c’était v alidé.
Cependant, lorsque la modification ne se limitait pas à quelques répliques, par
exemple si quelqu’un v oulait couper une scène entière, alors la directrice pouv ait dire :
« Ah. Je ne suis pas sûre que mon n+1 v a accepter. Il faut que je v oie av ec lui. » Et le
problème remontait un cran au-dessus de la pyramide, au niv eau des six v ice-présidents.
La directrice appelait son supérieur pour lui demander : « Qu’est-ce que tu en penses ? On
peut supprimer cette scène ? » Et c’était au tour du v ice-président d’approuv er ou non
cette modification.
Admettons qu’un év énement encore plus gros se produise – un des acteurs abandonne
ou bien tout le script doit être réécrit – là, il fallait contacter l’un des quelques v ice-
présidents au niv eau au-dessus. Et en cas de méga problème – l’auteur tombe malade, un
nouv eau doit être v alidé dans la précipitation – alors il fallait remonter jusqu’au P.-D.G.
installé dans le minuscule triangle au sommet de la pyramide.
La structure de prise de décision en pyramide expérimentée par
Melissa chez son précédent employeur est pratiquée par la majorité
des sociétés, quel que soit leur domaine ou leur localisation. Soit le
patron décide et transmet au cran inférieur de la pyramide, qui
applique, soit les personnes à la base gèrent les décisions
négligeables mais réfèrent toutes les grosses interventions à leurs
supérieurs.
Mais chez Netflix, nous l’avons vu, la décision revient au
capitaine informé, pas au patron. Ce dernier a pour mission d’exposer
le contexte qui permettra à l’équipe de prendre les meilleures
décisions pour l’organisation. Si nous suivons ce système de
leadership depuis le P.-D.G. jusqu’au capitaine informé, nous
constatons qu’il ne fonctionne pas comme une pyramide mais plutôt
comme un arbre, le P.-D.G. installé tout en bas à la racine et le
capitaine informé tout en haut sur les branches, qui prend les
décisions.
Melissa a fourni un exemple en profondeur concernant le
fonctionnement du contexte depuis la racine de l’arbre jusqu’à la
cime. Le schéma ci-dessus présente les différents niveaux de
contexte, fournis au départ par Reed, transmis par Ted Sarandos,
Melissa elle-même, Dominique Bazay (directrice qui travaille pour
Melissa) et comment ce contexte impacte finalement la décision prise
par le capitaine informé Aram Yacoubian. Penchons-nous
maintenant sur la manière dont la contextualisation, à chaque
niveau, a permis de créer un alignement dans toutes les ramifications
de l’entreprise.
J’étais chez Netflix depuis moins d’un mois. La deuxième semaine d’octobre, pour la
première fois je suis conv iée à la réunion de rev ue trimestrielle de l’activ ité à l’hôtel
Langham Huntington à Pasadena. J’essayais encore de comprendre le fonctionnement de
l’entreprise et tout le monde me répétait que tout m’apparaîtrait clairement lors de ces
fameuses réunions. J’ai donc écouté Reed av ec la plus grande attention.
Pendant son discours d’une quinzaine de minutes, il a expliqué : « Durant le trimestre
qui v ient de s’écouler, notre croissance était à 80 % due à l’international, c’est donc ce qui
doit mobiliser notre énergie. Plus de la moitié de nos clients sont désormais issus de
pays autres que les États- Unis et chaque année ce chiffre v a augmenter. C’est là qu’est la
croissance. Le dév eloppement à l’international est notre priorité. »
Voilà, Melissa, nous sommes à un tournant pour Netflix. Nous av ons 44 millions
d’abonnés aux États- Unis. La croissance sera internationale et nous av ons beaucoup à
apprendre. Nous ignorons si l’Arabie saoudite augmente ou non sa consommation
d’écran pendant le ramadan. Ou si les Italiens préfèrent les documentaires ou les
comédies. Si les Indonésiens auront tendance à regarder les films seuls dans leur
chambre ou réunis autour de leur poste de télév ision. Pour réussir, nous allons dev oir
nous transformer en machine à apprendre à l’échelle mondiale.
Quand nos équipes achètent et créent du contenu partout dans le monde, nous dev ons
être absolument concentrés sur ce que nous apprenons. Nous dev rions être prêts à
prendre de plus gros risques dans des pays comme l’Inde ou le Brésil à fort potentiel de
croissance, car cela nous permettra d’en sav oir plus sur ces marchés. On v a cartonner et
puis on v a se planter en beauté parfois, ce qui v a nous permettre de découv rir comment
mieux réussir la prochaine fois. La grande question que l’on doit se poser
systématiquement, c’est : « Si on achète cette série et que c’est un flop, quelle leçon
pourra-t-on en tirer ? » S’il y a quelque chose d’essentiel à apprendre, on y v a, on prend le
pari.
En Espagne, Peppa Pig parle comme une Espagnole, en Turquie comme une Turque et au
Japon, elle maîtrise un japonais absolument parfait. L’animation permet d’ouv rir des
perspectiv es à l’international que ne proposent pas les programmes filmés. Dans les pays
non anglophones, pour v oir Amandine Malabul, sorcière maladroite av ec l’actrice Bella
Ramsey, le spectateur a le choix entre un doublage et un sous-titrage. Les enfants
détestent les sous-titres et Bella a un drôle d’air quand elle parle portugais ou allemand.
Les v oix ne correspondent pas à l’image et cela impacte la qualité de l’expérience de
spectateur. Mais Peppa, comme tous les personnages animés, s’exprime dans la langue
du pays qui le diffuse. Qu’ils soient coréens ou néerlandais, les enfants ressentent le
même lien av ec Peppa.
Si la programmation jeunesse de Netflix v oulait dev enir cette plateforme de la
div ersité dont av ait parlé Melissa, nous allions dev oir v iser haut, j’en étais persuadée.
J’en ai discuté av ec mon équipe : tous les programmes d’animation achetés, quelle que
soit leur origine, dev raient être d’une qualité extrêmement élev ée aux yeux des nations
les plus exigeantes. Si par exemple un dessin animé est produit au Chili, il ne dev ra pas
être seulement d’excellente qualité pour le téléspectateur chilien difficile, mais aussi
suffisamment bon pour faire un tabac parmi les Japonais experts en anime.
Le héros est un petit enfant dans un v illage indien, doté d’une curiosité infinie et d’une
force extraordinaire, ce qui lui v aut toutes sortes d’av entures. Il est une sorte de Popeye
indien v ersion bébé. Il s’inspire de Bheem, un personnage mythique du Mahabharata
connu partout en Inde. Il m’a paru év ident que les Indiens allaient adorer.
Les programmes indiens sont souv ent à petit budget. En l’occurrence, la qualité de
l’animation était suffisante pour être populaire à la télév ision locale. Mais j’ai repensé à
ce que Dominique et moi av ions conv enu. Nous v oulions une qualité qui garantirait le
succès non seulement dans le pays d’origine, mais aussi partout dans le monde. Je sav ais
que si nous décidions d’acheter cette série, nous allions dev oir inv estir deux ou trois
fois ce que l’on dépense généralement pour de l’animation indienne, pour obtenir
l’excellence.
Bheem Bam Boum est destiné aux jeunes enfants et jusqu’à présent aucune série à
destination des moins de 6 ans n’a été réalisée en Inde que ce soit pour le streaming ou la
télév ision. L’explication tient au fait que les agences de mesure d’audience locales ne
tiennent pas compte des programmes dans cette tranche d’âge, donc que ceux-ci ne
peuv ent être monétisés. D’ailleurs existait-il, en Inde, une audience pour de telles séries
jeunesse ? C’était là une question sans réponse.
Tout bien considéré, les choses étaient donc assez mal parties
pour Bheem Bam Boum. « Pour des raisons historiques et
commerciales, tout m’invitait à ne pas accepter cette série », a résumé
Aram. Cependant, il gardait en mémoire le contexte que les leaders
Netflix lui avaient exposé.
Reed a clairement expliqué que l’expansion à l’international est notre av enir et que l’Inde
est un marché clé en puissance. Bheem Bam Boum est une super série de ce point de v ue.
Ted a expliqué que dans les pays comme l’Inde, nous av ons tellement de choses à
apprendre qu’il ne faut pas hésiter à prendre de gros risques, pour en tirer des leçons
essentielles, quelle que soit l’issue. Av ec Bheem Bam Boum, les enseignements seraient
très clairs. La contextualisation de Ted a suffi à me faire dire : « OK, même si cette série
est un flop complet, j’essaie trois nouv elles choses, qui toutes fourniront à Netflix
d’excellentes informations. »
Melissa av ait formellement exprimé le souhait de v oir dans notre catégorie jeunesse
des séries pour enfants issues du monde entier profondément locales tant par leur sujet
que leur univ ers. Bheem Bam Boum, programme indien par excellence, contenait des
éléments pour plaire aux enfants partout sur la planète.
Dominique et moi étions d’accord sur deux points, il fallait donner la priorité à
l’animation concernant nos paris à l’international, et cette animation dev ait être
d’excellente qualité. Bheem Bam Boum était un dessin animé susceptible de dev enir de
très bonne qualité, moyennant un inv estissement financier.
Avec ce contexte à l’esprit, Aram a pris sa décision. Il a acheté
Bheem Bam Boum et donné de l’argent aux créateurs afin qu’ils
améliorent leur produit. La série, lancée à la mi-avril 2019, est
devenue en trois semaines l’une des plus regardées en animation,
quelle que soit leur origine.
Lors de notre entretien, Aram a clarifié l’immense avantage de la
prise de décision dispersée quand le leadership fonctionne par
contexte.
Je suis une des personnes les mieux placées chez Netflix pour sav oir quel contenu
jeunesse acheter en Inde, car je connais comme ma poche le marché local et les modes de
consommation familiale là-bas. Mais c’est grâce à la transparence organisationnelle, à un
contexte abondant et un alignement optimum entre les leaders et moi que j’ai pu prendre
les meilleures décisions au bénéfice de notre entreprise et des spectateurs Netflix
partout dans le monde.
Dix jours après la sortie, nous av ons parcouru les données de v isionnage des nouv eaux
contenus pendant une réunion d’équipe – j’ai été consterné de v oir les chiffres si bas.
Mes collègues me font confiance pour sav oir quelle audience pour quel film, les débats
que celui-ci v a prov oquer et son potentiel aux Oscars. Ma réputation repose là-dessus.
J’av ais le sentiment d’av oir fait une énorme erreur qui, immanquablement, allait écorner
la confiance que mes collègues placent en moi.
Je lui ai dit : « Tu te souv iens de notre conv ersation à Sundance, Ted ? » Il m’a répondu
av ec un grand sourire : « Ouais… c’était “LE BON”. »
LE NEUVIÈME POINT
Dans une organisation à couplage lâche, où la densité de
talent est élevée et l’innovation l’objectif premier, une
approche traditionnelle basée sur le contrôle n’est pas le
choix le plus efficace. Au lieu de chercher à minimiser l’erreur grâce à
la supervision ou aux process, mettez l’accent sur la définition d’un
contexte clair, la mise en place d’un alignement sur l’étoile Polaire
entre le patron et son équipe et la liberté accordée au capitaine
informé de trancher.
À RETENIR DU CHAPITRE 9 :
Pour un leadership par le contexte, il faut avoir une haute densité de talent ; votre objectif
doit être l’innovation (pas la prévention des erreurs) ; et vous devez opérer au sein d’un
système à couplage lâche.
Une fois ces éléments mis en place, au lieu de dire aux gens quoi faire, arrangez-vous pour
instaurer un parfait alignement entre eux et vous en fournissant le contexte et en en discutant
avec eux, pour leur permettre de prendre de bonnes décisions.
Quand un de vos employés agit de façon idiote, ne l’accablez pas. Au lieu de ça, demandez-
vous si vous n’avez pas échoué à bien expliquer le contexte quelque part. Avez-vous été
assez précis et inspirant en détaillant vos objectifs et votre stratégie ? Avez-vous clairement
passé en revue toutes les hypothèses et tous les risques afin d’aider votre équipe à prendre
de bonnes décisions ? Vos employés et vous êtes-vous parfaitement alignés en matière de
vision et d’objectifs ?
Une organisation à couplage lâche a davantage l’apparence d’un arbre que d’une pyramide.
Le patron est à la racine, il soutient le tronc des managers seniors qui eux-mêmes portent les
branches extérieures où sont prises les décisions.
Vous savez que votre leadership par le contexte est une réussite quand vos employés
emmènent leurs équipes dans la direction désirée à l’aide des informations qu’ils ont reçues
de votre part et de ceux et celles qui vous entourent et leur permettent de prendre, eux-
mêmes, d’excellentes décisions.
Les congés
La v alidation des prises de décisions
Tout ceci sert à contrôler les gens plus qu’à les inspirer. Éviter le
chaos et l’anarchie n’est pas facile, si on met fin à l’ensemble de ces
garde-fous. Mais si vous promouvez le sens de l’autodiscipline et des
responsabilités de chacun, si vous facilitez l’accès aux connaissances
permettant de prendre de bonnes décisions et développez une
culture du feedback pour stimuler l’apprentissage, vous serez étonné
de voir à quel point l’efficacité de votre organisation peut progresser.
C’est une raison suffisante pour développer une culture de liberté
et de responsabilité. Mais ce ne sont pas les seuls avantages. Au-delà
de ça :
Certains process dans cette liste étouffent l’innov ation. Les politiques de congés,
de v oyages d’affaires, de frais professionnels mènent toutes au genre
d’env ironnement excessiv ement régulé qui décourage la pensée créativ e et effraie
les employés les plus innov ants.
D’autres ralentissent les affaires. Les politiques de v alidation, la prise de décision
par comité, la signature de contrats par la hiérarchie constituent des obstacles sur
le chemin de v os employés, les empêchant d’av ancer rapidement.
La plupart des items de cette liste freinent la société, qui a besoin de s’adapter
rapidement aux év olutions de son env ironnement. Les bonus à la performance, le
management par objectifs et les indicateurs clés de performance motiv ent les
salariés à rester sur une v oie préétablie et rendent difficile l’abandon ou l’adoption
d’un projet au débotté. Pour ce qui concerne les plans d’amélioration des
performances (comme tout processus d’embauche ou de licenciement), ils
compliquent les changements de personnel rapides parfois nécessaires quand les
affaires l’imposent.
É É
DÉCOUVERTE DE LA CARTE DES DIFFÉRENCES
CULTURELLES
À peu près à cette période, un manager de notre service RH m’a
prêté le livre d’Erin La Carte des différences culturelles, qui définit un
système de comparaison entre les cultures nationales à partir d’un
ensemble d’axes comportementaux. Il étudie l’attitude des employés
vis-à-vis de leurs patrons dans différents pays, comment sont prises
les décisions, comment s’établit la confiance dans différentes parties
du monde et, le plus important pour nous, chez Netflix, il observe les
réactions des gens francs et celles des plus diplomates concernant les
remarques critiques.
Je me suis un peu renseigné à propos des axes en question. Leur
élaboration repose sur une quantité impressionnante de données,
pourtant ils paraissent à la fois robustes et simples. J’ai fait lire cet
ouvrage à nos cadres et quelqu’un a suggéré que l’on jette un coup
d’œil aux « cartes » culturelles des différents pays où sont basés nos
bureaux régionaux, qu’on les compare, suivant le diagramme ci-
dessous et qu’on discute des résultats ainsi obtenus.
Cet exercice a fait l’effet d’une révélation pour beaucoup d’entre
nous. Ce schéma proposait une explication convaincante pour un
certain nombre de choses que nous avions déjà rencontrées, par
exemple notre expérience des feedbacks aux Pays-Bas, qui s’était
révélée diamétralement opposée à notre vécu au Japon (niveau 2 sur
le graphique). Nous avons décidé de réunir nos cadres pour tracer
notre culture d’entreprise selon ces mêmes axes. Cela nous
permettrait ensuite de comparer notre culture maison aux cultures
nationales auxquelles nous sommes confrontés.
Comme je l’ai déjà raconté, avant notre revue trimestrielle de
l’activité, nous réunissons le « E-staff », tout le haut de
l’organigramme, jusqu’aux vice-présidents. Lors de notre réunion E-
staff de novembre 2015, nous avons divisé les soixante participants
en dix groupes de six. Durant cette séance de deux heures, nous
avons travaillé, autour de tables rondes, pour tracer les contours de
notre carte Netflix selon les axes de La Carte des différences
culturelles.
Chaque groupe a proposé une carte un peu différente, mais des
récurrences ont émergé de façon très claire, vous allez le voir dans
les trois exemples ci-dessous.
Groupe 1
Groupe 2
Groupe 3
Nous avons ensuite rassemblé et étudié les cartes des dix groupes
pour n’en former qu’une seule, la carte de la culture d’entreprise
Netflix. La voici :
J’étais l’une des premières personnes embauchées à Tokyo et en tant que directrice des
affaires juridiques pour le Japon, mon premier dev oir consistait à recruter une équipe de
juristes. J’ai donc cherché des Japonais bilingues ( japonais/anglais) et qui semblaient
incarner – ou au moins être attirés par – la culture Netflix.
Dans une réunion, lorsqu’on parlait de quelque chose qui s’était mal passé, mon équipe
av ait souv ent recours à la v oix passiv e. Ils disaient par exemple « Les actifs n’ont pas
été créés donc la publicité n’a pas été diffusée » ou « La v alidation n’a pas été donnée, ce
qui a paru étonnant, du coup la facture n’a pas été payée ». De cette façon, ils év itaient
d’embarrasser une personne présente dans la pièce ou de désigner explicitement un ou
une responsable, tout en discutant de façon tout à fait ouv erte.
Cela signifiait aussi que moi – seule non japonaise parmi eux – j’étais obligée de les
interrompre souv ent pour comprendre de quoi il retournait v raiment. « Attendez, qui n’a
pas créé les actifs ? Nous ou bien l’agence ? » Parfois une construction passiv e semblait
sous-entendre que j’av ais oublié de faire quelque chose sans que pour autant quiconque
le mentionne. « Mais, j’étais censée v alider ? C’est ma faute ? Comment je peux rectifier
ça ? »
Miho m’a regardée et des larmes ont commencé à couler sur ses joues. Ce n’était pas de la
peur ou de la colère. Plutôt « Oh mon Dieu, ça y est, ma patronne me demande des
commentaires ! » Elle a dit : « Oh… Je suis désolée, je pleure. J’ai très env ie de le faire.
Mais je ne sais pas du tout comment. Ici au Japon, on ne critique pas. »
J’ai décidé de lancer le processus moi-même, en douceur. « Je commence pour cette
fois. Voici mon commentaire te concernant : quand je t’env oie un ordre du jour à l’av enir,
n’hésite pas à ajouter le sujet que tu as env ie d’aborder av ec moi. » Elle s’est essuyé les
yeux et a dit : « OK, c’est un retour utile. Laisse-moi y réfléchir et je te ferai mes
remarques lors de notre prochain rendez-v ous. »
Év idemment, je sais que les Japonais sont moins directs que les Américains et que faire
un retour à un supérieur pouv ait donc leur paraître encore plus compliqué, mais je n’étais
pas préparée à une telle réaction. Miho s’est entraînée un peu, puis elle a commencé à me
proposer des remarques claires et applicables lors de nos entretiens en face-à-face,
autrement dit cela s’est rév élé un franc succès.
Quatre leaders Netflix sont v enus à Tokyo diriger une formation sur l’émission et la
réception des feedbacks. Ils sont montés sur scène, ils se sont adressé mutuellement des
remarques leur permettant de s’améliorer et ont réagi à celles qu’ils recev aient. Ils ont
raconté des anecdotes à propos de critiques reçues de la part de collègues américains, ce
qu’ils av aient ressenti, l’impact positif que cela av ait eu.
Nous av ons tous applaudi poliment. Mais après coup, nous sommes tombés d’accord
pour dire que cela ne nous aidait pas du tout. Un Américain qui critique un autre
Américain en anglais, ce n’est pas ça le problème. On l’av ait déjà v u et rev u. Ce dont nous
av ions besoin, c’était de v oir un Japonais adresser les mêmes remarques à un autre
Japonais (idéalement en japonais) d’une façon appropriée, respectueuse et sans mettre
en péril la relation de l’un v is-à-v is de l’autre. Voilà ce qu’il nous manquait.
J’étais en poste au Japon depuis env iron six mois et malgré de nombreux
encouragements, il existait peu de remarques ou critiques au débotté parmi nous.
Lorsque le processus 360 a été lancé, je n’en attendais donc pas grand-chose.
Nous av ons réalisé la v ersion écrite. Puis une séance en direct, soit l’une des
activ ités les moins japonaises que l’on puisse imaginer : émettre des critiques franches à
un collègue et supérieur dev ant un groupe. Mais je sav ais que certains aspects de la
culture japonaise permettraient néanmoins ce type de retour. La plupart des Japonais
sont très méticuleux et sérieux dans leur préparation. Si l’on définit des attentes claires,
ils feront tout ce qui est en leur pouv oir pour les atteindre. Si v ous dites : « S’il v ous
plaît, préparez tel exercice et v oici les instructions que nous allons suiv re », ils excellent
presque toujours.
Les résultats ont été remarquables. Durant le processus 360, les Japonais de mon
équipe ont émis des retours d’une qualité bien supérieure à ceux que j’av ais obtenus de la
part de mes collaborateurs américains les années précédentes. Les commentaires étaient
francs et bien construits. Leurs recommandations étaient applicables et ils n’ont pas pris
de gants. Quant à leurs critiques, ils les ont reçues de bonne grâce, et av ec
reconnaissance.
J’en ai discuté av ec certains d’entre eux a posteriori et v oici comment ils av aient v u
les choses : « Tu nous as dit que cela faisait partie de notre boulot. Tu nous as expliqué ce
qu’il fallait faire et comment le faire. Nous nous sommes préparés et certains d’entre
nous ont même répété. Nous tenions à être à la hauteur des attentes de Netflix et des
tiennes. »
Je dis désormais à mes collègues managers d’un bureau où la culture est moins directe
qu’aux États- Unis : « Pratiquez le feedback très tôt, très souv ent. Inscriv ez-le à l’ordre
du jour d’autant de réunions que possible pour ôter toute la stigmatisation qui y est
associée. Les premières fois que v ous émettez des critiques, mentionnez av ec tact des
détails facilement corrigibles. Au lieu de réduire les temps de feedback formel,
multipliez-les, tout en v ous consacrant aux relations humaines. Les feedbacks spontanés
et informels seront probablement rares, mais il est tout aussi bénéfique de prév oir un
temps de retour à l’ordre du jour, permettant ainsi à chacun de s’y préparer, dans le
respect d’une franchise altruiste.
Karlyne – Nous nous sommes levés tôt pour ce coup de fil, mais
les partenaires ne nous ont pas contactés. Nous aurions pu
utiliser ce créneau pour un autre appel. Pourrais-tu s’il te plaît
essayer de vérifier la veille tous les appels notés à l’agenda et les
supprimer du calendrier, le cas échéant ?
Moi qui suis américaine, je ne voyais rien d’impoli ou
d’inapproprié. Afin d’aider l’entreprise, l’émettrice soulignait un
problème et proposait une solution applicable. Elle ne réprimandait
pas Karlyne. Elle expliquait quel changement de comportement elle
espérait et disait même s’il te plaît. Je me suis demandé si la réaction
de Karlyne était culturelle ou si elle faisait preuve d’hypersensibilité.
J’ai donc montré une capture d’écran du texto à plusieurs autres
employés singapouriens de Netflix pour avoir leur avis. Sur les huit à
qui j’ai posé la question, sept étaient d’accord avec Karlyne : ce
message était malpoli. Parmi eux, Christopher Low, programmatic
manager :
Christopher : Pour un Singapourien, ce message est agressif. Il
est très directif : Voilà la situation. Fais ceci. Fais cela. Si je l’avais reçu,
j’aurais eu l’impression que la personne me criait dessus. Le pire
passage c’est quand elle écrit : « On aurait pu utiliser ce créneau pour
un autre appel. » C’est une phrase superflue. La première le sous-
entend déjà. L’affirmer ouvertement paraît inutilement dur. Je me
dirais : « Qu’ai-je fait pour susciter une réaction aussi abrupte ? »
Ne v ous y trompez pas ! En tant qu’employés trav aillant pour une entreprise dont le siège
est situé aux États- Unis, c’est à nous de faire les plus gros efforts pour nous adapter. La
réaction immédiate des Singapouriens serait sûrement de se sentir paralysés ou en
colère. Mais pour réussir chez Netflix, nous dev ons nous adapter. Nous dev ons garder à
l’esprit que dans certains autres pays ce comportement est approprié, donc entamer un
dialogue. Karlyne aurait dû décrocher son téléphone pour en discuter de v iv e v oix av ec
la femme qui a env oyé ce message. Elle dev rait dire : « J’ignore ce qui s’est passé, je
comprends que ce soit agaçant pour v ous. Mais v otre message m’a v exée. » Elle pourrait
également expliquer les différences culturelles : « C’est peut-être une question de culture.
Je sais que nous les Singapouriens, nous sommes souv ent moins directs lorsqu’on fait
des remarques aux autres, et plus sensibles à celles que l’on reçoit. » Grâce à un dialogue
ouv ert et des discussions transparentes, nous pouv ons v iv re la culture Netflix tout en
dev enant de plus en plus compétents en matière d’émission et de réception de critiques
av ec nos collègues autour du monde.
Donald, mon collègue américain qui v enait d’emménager aux Pays-Bas, a organisé une
réunion à Amsterdam. Sept partenaires ne trav aillant pas chez Netflix av aient pris
l’av ion, le train, de partout en Europe pour participer à ces discussions. La réunion s’est
très bien passée. Donald parlait clairement, il a donné des détails, s’est montré persuasif.
Il s’était de toute év idence préparé. Mais à plusieurs reprises, j’ai eu l’impression que les
participants av aient env ie de présenter leurs points de v ue sans en av oir l’occasion, car
Donald mobilisait tout le temps de parole.
Après coup, il m’a dit : « Ça s’est super bien passé, non ? Tu en penses quoi ? » Cela
m’a semblé être le moment idéal pour un retour franc dont sont si friands les leaders
Netflix, j’ai donc sauté sur l’occasion : « Stinne est v enue de Norv ège pour assister à
cette réunion, mais tu as tellement parlé qu’elle n’a pas pu en placer une. Nous av ons fait
v enir les gens de loin et personne n’a eu le temps de dire quoi que ce soit. Nous n’av ons
pas entendu toutes les opinions qui auraient pu nous être utiles. Tu as parlé 80 % du
temps, c’était donc très compliqué pour les autres de s’exprimer. »
Maintenant que je comprends mieux ces tendances culturelles, je ne me réfrène pas pour
autant dans mes critiques, mais je réfléchis soigneusement à la personne qui reçoit le
message et à la meilleure manière de l’adapter pour obtenir les résultats que j’espère.
Pour les cultures plus indirectes, je prépare d’abord le terrain av ec quelques
commentaires positifs. Si le trav ail est globalement bon, je l’affirme haut et fort dès le
départ. Ensuite je passe aux remarques en disant « quelques suggestions ». Et je termine
en ajoutant : « C’est mon opinion, pour ce que ça v aut » et « Tu peux en tenir compte ou
non ». Pour les Néerlandais, tout ce cinéma et ces circonv olutions paraissent très
amusants… mais les résultats sont là !
À RETENIR DU CHAPITRE 10 :
Cartographiez votre culture maison et comparez-la à celles des pays où vous vous
implantez. Pour une culture de liberté et de responsabilité, mettez l’accent sur la franchise.
Dans les pays les moins directs, instaurez des mécanismes de feedbacks plus formels et
ajoutez à l’ordre du jour des moments encadrés plus fréquents, car les échanges informels se
produiront moins souvent.
Dans les cultures plus directes, évoquez librement les différences culturelles, pour que les
critiques soient bien comprises dans le sens voulu.
Introduction
Edmondson, Amy C. The Fearless Organization: Creating Psychological Safety in the
Workplace for Learning, Innovation, and Growth [Une organisation courageuse : créer un
env ironnement de trav ail psychologiquement sûr pour mieux apprendre, innov er,
progresser – non traduit], Hoboken : Wiley, 2019.
« Glassdoor Surv ey Finds Americans Forfeit Half of Their Earned Vacation/Paid Time
Off » [Une étude de Glassdoor montre que les Américains abandonnent la moitié de leurs
congés payés/temps libre rémunéré], Glassdoor, About Us, 24 mai 2017,
www.glassdoor.com/about-us/glassdoor-surv ey-finds-americans-forfeit-earned-
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« Netflix Ranks as #1 in the Reputation Institute 2019 US RepTrak 100 » [Netflix classé
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Stenov ec, Timothy, « One Huge Reason for Netflix’s success » [Une des grandes raisons
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« 370: Ruining It for the Rest of Us » [Gâcheur d’ambiance], This American Life, podcast
(en anglais), 14 décembre 2017, www.thisamericanlife.org/370/transcript.
Zenger, Jack, et Folkman, Joseph. « Your Employees Want the Negativ e Feedback You
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Pour v isualiser les cartes culturelles présentées dans ce chapitre mais aussi créer v os
propres cartes culturelles maison, rendez-v ous sur www.erinmeyer.com/tools.
Titre original : No Rules Rules, Netflix and the Culture of Reinvention
© 2020 by Netflix, Inc.
© 2021 Libella, Paris, pour la présente édition, traduction française par Cécile Leclère.
7, rue des Canettes 75006 Paris
ISBN : 978-2-283-03434-7