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LES « PETITS » NE VEULENT PLUS ETRE

ESCLAVES (II)
L’auteur Camara Laye n’a pas tenu compte d’une défense des grands, qui l’ont
battu. Il ne veut plus aller à l’école où « les grands ne sont là que pour battre les
plus petits et leur soutirer leur argent ». Mais son père va s’en expliquer avec le
directeur.

Dans l’après-midi, à l’heure de la sortie, mon père vint comme il avait annoncé.
Le directeur était dans la cour, entouré des maitres. Mon père se dirigea vers lui
et, sans seulement prendre la peine de le saluer, lui dit :

- Sais-tu ce qui se passe dans ton école ?


- Rien que de très bien, certainement, dit le directeur.
- Ah ! c’est ce que tu crois ? dit mon père. Tu ne sais donc pas que les
grands battent les petits, leur extorquent leur argent et mangent leurs
repas ? Es-tu aveugle ou le fais-tu exprès ?
- Ne t’occupe pas de ce qui ne te regarde pas ! dit le directeur.
- Cela ne me regarde pas ? dit mon père. Cela ne me regarde pas que l’on
traite chez toi mon fils comme un esclave ?
- Non !
- Voilà un mot que tu n’aurais pas dû prononcer ! dit mon père.

Et il marcha sur le directeur.

- Espères-tu me rosser comme tes apprentis ont rosé un de mes élèves, ce


matin ? cria le directeur.

Et il lança ses poings en avant ; mais bien qu’il fût plus fort, il était gras et plus
embarrassé qu’aidé par sa graisse ; et mon père qui était mince, mais vif, mais
souple, n’eut pas de peine à esquiver ses poings et à tomber durement sur lui. Je
ne sais pas trop comment cela se fut terminé, car mon père avait fini par
terrasser le directeur, si les assistants ne les eussent séparés.

Le directeur à présent tâtait ses joues et ne disait plus mot. Mon père épousseta
ses genoux, puis me prit par la main. Il quitta la cour de l’école sans saluer
personne, et je regagnai fièrement notre concession en sa compagnie. Mais vers
la soirée, quand j’allai faire un tour dans la ville, j’entendis sur mon passage les
gens qui disaient : « regardez ! Voici l’écolier dont le père est allé rosser le
directeur dans son école même ! »

Et je me sentis brusquement beaucoup moins fier…

Je revins en hâte à notre concession et je dis à mon père :

- Pourquoi l’as-tu battu ? Maintenant on ne voudra certainement plus de


moi à l’école.
- Ne m’as-tu pas dit que tu ne voulais plus y aller ? dit mon père. Et il rit
bruyamment.
- Père, il n’y a pas de quoi rire ! dis-je.
- Dors sur tes deux oreilles, nigaud. Si, demain, nous n’attendons pas le
ronflement d’une certaine motobécane devant la porte de la concession, je
porterai plainte à l’administrateur du cercle.

Mais mon père n’eut pas à formuler sa plainte, et je ne fus pas exclu car, le
lendemain, un peu avant la tombée de la nuit, la motobécane du directeur
ronflait devant la porte de la concession. Le directeur entra, et tous, mon père
comme les autres, vinrent au-devant de lui, disant aimablement :

- Bonsoir, monsieur.
On offrit une chaise au directeur, et mon père et lui s’assirent, tandis que,
sur un geste, nous nous retirions et les observions de lion. L’entretien me
parut des plus amicaux et il fut en vérité car, dès lors, ma sœur et moi
fumes dispensés de toutes les corvées…
Et les élèves de dernière année cessèrent de nous brimer.

L’enfant noir,
Plon.

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