Lacan La Troisiecc80me 1974
Lacan La Troisiecc80me 1974
Lacan La Troisiecc80me 1974
Jacques Lacan
2011/3 N° 79 | pages 11 à 33
ISSN 2258-8051
ISBN 9782905040732
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-la-cause-freudienne-2011-3-page-11.htm
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La Troisième
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– fui ne fait pas somme avec sum – sans compter le reste du bric-à-brac. Je vous en
passe. Je vous passe tout ce qui est arrivé quand les sauvages, les Gaulois, ont eu à se
tirer d’affaire avec ça – ils ont fait glisser le est du côté du stat. Ce ne sont d’ailleurs
pas les seuls – en Espagne, je crois que ça a été le même truc. La linguisterie se tire
de tout ça comme elle peut. Je ne m’en vais pas maintenant vous répéter ce qui fait
les dimanches de nos études classiques.
Il n’en reste pas moins qu’on peut se demander quelle chair ces êtres – qui sont
d’ailleurs des êtres de mythe, des mythèmes, on les a inventés exprès – dont j’ai mis
le nom au tableau, les Undeuxropéens, pouvaient mettre dans leur copule. Partout
ailleurs que dans nos langues, c’est n’importe quoi qui sert de copule. Eux, ils y
mettaient quelque chose comme la préfiguration du Verbe incarné, on dira ça – ici !
[La salle de santa Cecilia contient nombre de symboles.]
Ça me fait suer. On a cru me faire plaisir en me faisant venir à Rome, je ne sais
pas pourquoi – il y a trop de locaux pour l’Esprit Saint. Qu’est-ce que l’Être a de
suprême si ce n’est par cette copule ?
Je me suis amusé à y interposer ce qu’on appelle des personnes, et j’ai touché un
machin qui m’a amusé – m’es-tu me, mais tu me tues – ça permet de s’embrouiller –
m’aimes-tu ? me-me ? En réalité, c’est le même truc, c’est l’histoire du message que
chacun reçoit sous sa forme inversée. Je dis ça depuis très longtemps, et ça a fait rigoler.
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L’inouï, c’est que ça ait pris du sens – et pris du sens, rangé comme ça. Dans les
deux cas, c’est à cause de moi, de ce que j’appelle le vent – dont je sens que je ne peux
même plus le prévoir –, le vent dont on gonfle ses voiles à notre époque.
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Il est évident que ça ne manque pas de sens au départ. C’est en cela que consiste
la pensée – des mots introduisent dans le corps quelques représentations imbéciles.
Voilà, vous avez le truc – vous avez là l’imaginaire, et qui en plus nous rend gorge.
Cela ne veut pas dire qu’il nous rengorge, non. Il nous re-dégueule. Quoi ? – comme
par hasard, une vérité, une vérité de plus. C’est un comble.
Que le sens se loge dans l’imaginaire nous donne du même coup les deux autres
comme sens. L’idéalisme, dont tout le monde a répudié l’imputation, est là derrière.
Les gens ne demandent que ça. Ça les intéresse, vu que la pensée, c’est bien ce qu’il
y a de plus crétinisant à agiter le grelot du sens.
Comment vous sortir de la tête l’emploi philosophique de mes termes, c’est-à-dire
leur emploi ordurier ? – quand, d’autre part, il faut bien que ça entre. Mais il vaudrait
mieux que ça entre ailleurs. Vous vous imaginez que la pensée, ça se tient dans la
cervelle. Je ne vois pas pourquoi je vous en dissuaderais. Moi, je suis sûr – je suis sûr
comme ça, c’est mon affaire – que ça se tient dans les peauciers du front, chez l’être
parlant exactement comme chez le hérisson.
J’adore les hérissons. Quand j’en vois un, je le mets dans ma poche, dans mon
mouchoir. Naturellement il pisse – jusqu’à ce que je l’aie ramené sur ma pelouse, à
ma maison de campagne. Et là, j’adore voir se produire ce plissement des peauciers
du front. À la suite de quoi, tout comme nous, il se met en boule.
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De l’être au semblant
Il s’agirait que vous y laissiez – je parle des analystes – quelque chose de bien diffé-
rent d’un membre, à savoir cet objet insensé que j’ai spécifié du a.
C’est ce qui s’attrape au coincement du symbolique, de l’imaginaire et du réel
comme nœud. C’est à l’attraper juste que vous pouvez répondre à ce qui est votre
fonction – l’offrir comme cause de son désir à votre analysant.
C’est ce qu’il s’agit d’obtenir. Mais si vous vous y prenez la patte, ce n’est pas
terrible non plus. L’important, c’est que ça se passe à vos frais.
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Après cette répudiation du Je souis, je m’amuserai à vous dire que ce nœud, il faut
l’être. Je rajoute ce que vous savez après ce que j’ai articulé pendant un an des quatre
discours sous le titre de L’Envers de la psychanalyse – il n’en reste pas moins que, de
l’être, il faut que vous n’en fassiez que le semblant. Ça, c’est calé ! C’est d’autant plus
calé qu’il ne suffit pas d’en avoir l’idée pour en faire le semblant.
Ne vous imaginez pas que j’en ai eu, moi, l’idée. J’ai écrit objet a. C’est tout diffé-
rent. Ça l’apparente à la logique, c’est-à-dire que ça le rend opérant dans le réel au
titre de l’objet dont justement il n’y a pas d’idée. Il faut bien le dire, l’objet dont il
n’y a pas d’idée, c’était jusqu’à présent un trou dans toute théorie quelle qu’elle soit.
Cela justifie les réserves que j’ai faites tout à l’heure à l’endroit du présocratisme
de Platon. Ce n’est pas qu’il n’en ait pas eu le sentiment, car le semblant, il y baigne
sans le savoir. Ça l’obsède, même s’il ne le sait pas. Ça ne veut rien dire qu’une chose,
c’est qu’il le sent, mais qu’il ne sait pas pourquoi c’est comme ça. D’où cet insupport,
cet insupportable qu’il propage.
Il n’y a pas un seul discours où le semblant ne mène le jeu. On ne voit pas pour-
quoi le dernier venu, le discours analytique, y échapperait. Ce n’est quand même
pas une raison pour que, dans ce discours, sous prétexte qu’il est le dernier venu,
vous vous sentiez mal à l’aise au point d’en faire, selon l’usage où s’engoncent vos
collègues de l’Internationale, un semblant plus semblant que nature, affiché.
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Du réel
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Que la femme soit l’objet a de l’homme à l’occasion, ça ne veut pas dire du tout
qu’elle, elle a du goût à l’être. Mais enfin, ça arrive. Ça arrive qu’elle y ressemble
naturellement. Il n’y a rien qui ressemble plus à une chiure de mouche qu’Anna
Freud. Ça doit lui servir.
Soyons sérieux. Revenons à faire ce que j’essaye.
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Maintenant qu’il n’y a plus d’esclaves, nous en sommes réduits à relicher tant que
nous pouvons les comédies de Plaute et de Térence, pour nous faire une idée de ce
qu’ils étaient bien, les esclaves.
Je m’égare. Ce n’est pas pourtant sans ne pas perdre la corde de ce qu’il prouve,
cet égarement.
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Si rigolo que ça puisse paraître quand on parle de l’École freudienne, c’est quelque
chose dans le genre de ce qui a fait les Stoïciens, par exemple. Les stoïciens avaient
comme un pressentiment du lacanisme – ce sont eux qui ont inventé la distinction
du signans et du signatum. Par contre, je leur dois, moi, mon respect pour le suicide
– non pas pour des suicides fondés sur un badinage, mais pour cette forme de suicide
qui est, en somme, l’acte à proprement parler. Il ne faut pas le rater, bien sûr, sinon
ce n’est pas un acte.
Dans tout ça, donc, il n’y a pas de problème de pensée. Un psychanalyste sait
que la pensée est aberrante de nature, ce qui ne l’empêche pas d’être responsable
d’un discours qui soude l’analysant à quoi ? – non pas à l’analyste, mais au couple
analysant-analyste.
Quelqu’un l’a très bien dit ce matin, je l’exprime autrement, mais c’est exactement
le même truc, je suis heureux que ça converge.
Le piquant de tout ça, c’est que ce soit le réel dont dépende l’analyste dans les
années qui viennent, et non pas le contraire.
Ce n’est pas du tout de l’analyste que dépend l’avènement du réel. L’analyste, lui,
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toujours si cet article vous a fait ni chaud ni froid – il y a juste un petit type qui s’est
escrimé dessus, et ça n’a pas donné grand-chose.
Plus je mange mon Dasein, comme j’ai écrit à la fin d’un de mes Séminaires,
moins j’en sais dans le genre de l’effet qu’il vous fait.
Cette Troisième, je la lis, quand vous pouvez vous souvenir peut-être que La
Première qui y revient, j’avais cru devoir y mettre ma parlance, puisqu’on l’a imprimée
depuis, sous prétexte que vous en aviez tous le texte distribué. Si aujourd’hui je ne
fais qu’ourdrome, j’espère que ça ne vous fait pas trop obstacle à entendre ce que je
lis. Si cette lecture est de trop, je m’excuse.
La Première donc, celle qui revient pour qu’elle ne cesse pas de s’écrire, nécessaire,
Fonction et champ…, j’y ai dit ce qu’il fallait dire. L’interprétation, ai-je émis, n’est
pas interprétation de sens, mais jeu sur l’équivoque, ce pourquoi j’ai mis l’accent sur
le signifiant dans la langue. Je l’ai désigné de l’instance de la lettre, ce pour me faire
entendre de votre peu de stoïcisme.
Il en résulte, ai-je ajouté depuis, sans plus d’effet, que c’est lalangue dont s’opère
l’interprétation – ce qui n’empêche pas que l’inconscient soit structuré comme un
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Il est l’abîme moins remarqué de ce que ce soit lalangue qui, cette jouissance, la
civilise, si j’ose dire. J’entends par là qu’elle la porte à son effet développé, celui par
lequel le corps jouit d’objets.
Le premier d’entre eux, celui que j’écris du a, est, je le disais, l’objet même dont
il n’y a pas d’idée, d’idée comme telle, j’entends, sauf à le briser, cet objet – auquel
cas, ses morceaux sont identifiables corporellement et, comme éclats du corps, iden-
tifiés, et c’est seulement par la psychanalyse. C’est en cela que cet objet fait le noyau
élaborable de la jouissance. Mais il ne tient qu’à l’existence du nœud, aux trois consis-
tances de tores, de ronds de ficelle qui le constituent.
L’étrange est ce lien qui fait qu’une jouissance, quelle qu’elle soit, le suppose, cet
objet, et qu’ainsi, le plus-de-jouir, puisque c’est ainsi que j’ai cru pouvoir désigner sa
place, soit, au regard d’aucune jouissance, sa condition.
Si c’est le cas pour ce qu’il en est de la jouissance du corps en tant qu’elle est jouis-
sance de la vie, la chose la plus étonnante, c’est que l’objet a sépare cette jouissance
du corps de la jouissance phallique.
Pour le saisir, il faut que vous voyiez comment c’est fait, le nœud borroméen. J’ai
fait un petit schéma.
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Que la jouissance phallique devienne anomalique à la jouissance du corps, s’est © L'École de la Cause freudienne | Téléchargé le 29/04/2021 sur www.cairn.info (IP: 109.208.117.73)
déjà aperçu trente-six fois. Je ne sais pas combien de types ici sont un peu à la page
de ces histoires à la mords-moi le doigt qui nous viennent de l’Inde – Kundalini,
qu’ils appellent ça. Ils désignent par là cette chose à faire grimpette tout le long de
leur moelle, qu’ils disent. Ils expliquent ça d’une façon qui concerne l’arête du corps
– ils s’imaginent que c’est la moelle, et que ça monte dans la cervelle. Depuis, on a
fait quelques progrès en anatomie.
L’hors-corps de la jouissance phallique, comment l’entendre ?
Nous l’avons entendu ce matin grâce à mon cher Paul Mathis, qui est aussi celui
à qui je faisais grand compliment de ce que j’ai lu de lui sur l’écriture et la psycha-
nalyse. Il nous en a donné ce matin un formidable exemple. Ce n’est pas une lumière,
ce Mishima. Et pour nous dire que c’est saint Sébastien qui lui a donné l’occasion
d’éjaculer pour la première fois, il faut vraiment que ça l’ait épaté, cette éjaculation.
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Nous voyons ça tous les jours, des types qui vous racontent que leur première
masturbation, ils s’en souviendront toujours, que ça crève l’écran.
On comprend bien pourquoi ça crève l’écran, parce que ça ne vient pas du dedans
de l’écran.
S’il y a quelque chose qui nous donne l’idée du se jouir, c’est l’animal. On ne peut
en donner aucune preuve, mais cela semble bien être impliqué par ce qu’on appelle
le corps animal.
La question devient intéressante à partir du moment où on l’étend, et où, au nom
de la vie, on se demande si la plante jouit.
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La question a bien un sens, parce que c’est quand même là qu’on nous a fait le coup
du lys des champs. Ils ne tissent ni ne filent, a-t-on ajouté. Il est sûr que, maintenant, nous
ne pouvons pas nous contenter de ça, pour la bonne raison que, justement, c’est leur cas,
de tisser et de filer. Pour nous qui voyons ça au microscope, il n’y a pas d’exemple plus
manifeste que c’est du filé. Alors, c’est peut-être de ça qu’ils jouissent, de tisser et de filer.
Mais ça laisse quand même l’ensemble de la chose tout à fait flottant.
La question reste à trancher de savoir si vie implique jouissance. Si la réponse
reste douteuse pour le végétal, ça ne met que plus en valeur qu’elle ne le soit pas pour
la parole. Lalangue où la jouissance fait dépôt, comme je l’ai dit, non sans la morti-
fier, non sans qu’elle ne se présente comme du bois mort, témoigne quand même que
la vie, dont un langage fait rejet, nous donne bien l’idée qu’elle est quelque chose de
l’ordre du végétal.
Il faut regarder cela de près.
Il y a un linguiste qui a beaucoup insisté sur le fait que le phonème, ça ne fait jamais
sens. L’embêtant, c’est que le mot ne fait pas sens non plus, malgré le dictionnaire. Moi,
je me fais fort de faire dire dans une phrase, à n’importe quel mot, n’importe quel sens.
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fantasme. L’Église est là qui veille. Et une rationalisation délirante comme celle de
Kant, c’est quand même ce qu’elle tamponne.
J’ai pris cet exemple pour ne pas m’empêtrer dans ce que j’avais commencé
d’abord par vous donner comme exemple de ce qu’il faut pour traiter un symptôme.
L’interprétation, ça doit toujours être – comme l’a dit ici, Dieu merci, et pas plus
tard qu’hier, Tostain – le ready-made, de Marcel Duchamp. Qu’au moins vous en
entendiez quelque chose. L’essentiel qu’il y a dans le jeu de mots, c’est là que doit viser
notre interprétation, pour n’être pas celle qui nourrit le symptôme de sens.
Je vais tout vous avouer, pourquoi pas ? Ce truc-là, le glissement de la foi, l’espé-
rance et la charité, vers la foire – je dis ça parce qu’il y a eu quelqu’un à la conférence
de presse à trouver que j’allais un peu fort sur ce sujet de la foi et de la foire –, c’est
un de mes rêves à moi. J’ai quand même le droit, tout comme Freud, de vous faire
part de mes rêves. Contrairement à ceux de Freud, ils ne sont pas inspirés par le désir
de dormir. C’est plutôt le désir de réveil qui m’agite. Mais enfin, c’est particulier.
Le signifiant-unité, c’est capital. Le matérialisme moderne, on peut être sûr qu’il
ne serait pas né, si depuis longtemps ça ne tracassait les hommes. Dans ce tracas, la
seule chose qui se montrait être à leur portée, c’était toujours la lettre.
Quand Aristote, comme n’importe qui, exactement comme nous, se met à donner
une idée de l’élément, il faut toujours une série de lettres, RSI.
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L’insistance du « ça se jouit »
Je vais vous montrer sur mes petits dessins que le symptôme ne se réduit pas à la
jouissance phallique.
Mon Se jouit d’introduction, ce qui pour vous en est le témoin, c’est que votre
analysant présumé se confirme d’être tel à ceci, qu’il revienne. Pourquoi, je vous le
demande, reviendrait-il, vu la tâche où vous le mettez, si ça ne lui faisait pas un plaisir
fou ? – outre qu’en plus, souvent, il en remet, à savoir qu’il faut qu’il fasse encore
d’autres tâches pour satisfaire à votre analyse.
Il se jouit de quelque chose, et non pas du tout Je souis, parce que tout indique,
tout doit vous indiquer, que vous ne lui demandez pas du tout, simplement, de
daseiner, d’être là, comme moi je le suis maintenant – mais plutôt, et tout à l’opposé,
de mettre à l’épreuve cette liberté de la fiction de dire n’importe quoi. En retour,
celle-ci va s’avérer être impossible.
Autrement dit, ce que vous lui demandez, c’est tout à fait de quitter cette posi-
tion que je viens de qualifier de Dasein. Pour le dire plus simplement, cette position
est celle dont il se contente, et justement de s’en plaindre, à savoir de ne pas être
conforme à l’être social. Il se plaint qu’il y ait quelque chose qui se mette en travers.
Et justement, de ce que quelque chose se mette en travers, c’est ça qu’il aperçoit
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La voie du nœud
Pour qu’il y ait nœud borroméen, il n’est pas nécessaire que mes trois consistances
fondamentales soient toutes toriques.
Comme c’est peut-être venu à vos oreilles, vous savez qu’une droite peut être
censée se mordre la queue à l’infini.
Alors, de l’imaginaire, du symbolique et du réel, il peut y avoir un des trois, le réel
sûrement, qui soit une droite infinie. En effet, comme je l’ai dit, lui se caractérise de
ne pas faire tout, c’est-à-dire de ne pas se boucler.
Supposez même que ce soit la même chose pour le symbolique. Il suffit que l’ima-
ginaire, à savoir un de mes trois tores, se manifeste bien comme l’endroit où assuré-
ment on tourne en rond, pour que, avec deux droites, ça fasse nœud borroméen.
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Ce que vous voyez là, ce n’est peut-être pas par hasard que ça se présente comme
l’entrecroisement de deux caractères de l’écriture grecque. Peut-être bien est-ce tout
à fait digne d’entrer dans le cas du nœud borroméen. Faites sauter aussi bien la conti-
nuité de la droite que la continuité du rond. Ce qu’il y a de reste, que ce soit une
droite et un rond ou que ce soit deux droites, est tout à fait libre, ce qui est bien la
définition du nœud borroméen.
En vous disant tout ça, j’ai le sentiment – je l’ai même noté dans mon texte – que
le langage ne peut vraiment avancer qu’à se tordre et à s’enrouler, à se contourner,
d’une façon dont, après tout, je ne peux pas dire que je ne donne pas ici l’exemple.
Relever le gant pour le langage, marquer dans tout ce qui nous concerne à quel
point nous en dépendons, il ne faut pas croire que je fasse ça tellement de gaieté de
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Sur le nœud, les mathématiques les plus modernes elles-mêmes perdent la corde,
c’est le cas de le dire. On ne sait pas comment formaliser ce qu’il en est du nœud. Il
y a un tas de cas où on perd les pédales.
Ce n’est d’ailleurs pas le cas du nœud borroméen – le mathématicien s’est aperçu
que c’est une tresse, et le type de tresse du genre le plus simple.
Le nœud que je vous ai dessiné en dernier nous montre de façon saisissante que
nous n’avons pas à faire dépendre toutes les choses de la consistance torique. Il en faut
seulement au moins une. Cette au-moins-une, si vous la rapetissez indéfiniment, peut
vous donner l’idée sensible du point.
En effet, si nous ne supposons pas le nœud se manifester du fait que le tore imagi-
naire que j’ai posé là se rapetisse, se rapetasse à l’infini, nous n’avons aucune espèce
d’idée du point.
Les deux droites, telles que je viens de vous les inscrire, et que j’affecte des termes
du symbolique et du réel, glissent l’une sur l’autre, si je puis dire, à perte de vue.
Pourquoi est-ce que deux droites sur une surface, sur un plan, se croiseraient, s’in-
tercepteraient ? On se le demande. Où a-t-on jamais vu quoi que ce soit qui y
ressemble ? – sauf à manier la scie, et à imaginer que ce qui fait arête dans un volume
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Vous voyez maintenant une figure à gauche. C’est évidemment en faisant glisser
d’une certaine façon ces trois rectangles – qui font d’ailleurs parfaitement nœud à soi
tout seul – que vous obtenez la figure d’où part tout ce qu’il en est de ce que je vous
ai montré tout à l’heure de ce qui constitue un nœud borroméen, tel qu’on se croit
obligé de le dessiner.
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Tâchons quand même de voir de quoi il s’agit. Dans ce réel, se produisent des
corps organisés, et qui se maintiennent dans leur forme. C’est ce qui explique que
des corps imaginent l’univers.
Nous n’avons aucune preuve que, hors du parlêtre, les animaux pensent au-delà
de quelques formes à quoi nous les supposons être sensibles, de ce qu’ils y répondent
de façon privilégiée. Ce n’est pas une raison pour que nous imaginions nous-mêmes
que le monde est monde, pour tous animaux le même, si je puis dire. Voilà ce que
nous ne voyons pas, et que, chose très curieuse, mettent entre parenthèses les étho-
logistes, les gens qui étudient les mœurs et coutumes des animaux.
En revanche, nous ne manquons pas de preuves que le monde, même si l’unité
de notre corps nous force à le penser comme univers, ce n’est évidemment pas monde
qu’il est, c’est im-monde.
C’est quand même du malaise que quelque part Freud note comme le malaise
dans la civilisation, que procède toute notre expérience.
Ce qu’il y a de frappant, c’est que, à ce malaise, le corps contribue, et d’une façon
dont nous savons très bien animer les animaux, si je puis dire, quand nous
les animons de notre peur. De quoi avons-nous peur ? Cela ne veut pas simplement
dire – à partir de quoi avons-nous peur ? De quoi avons-nous peur ? – de notre corps.
C’est ce que manifeste ce phénomène curieux sur quoi j’ai fait un Séminaire toute
une année, et que j’ai dénommé de l’angoisse.
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L’angoisse, justement, se situe ailleurs que la peur dans notre corps. C’est le senti-
ment qui surgit de ce soupçon qui nous vient de nous réduire à notre corps. Il est très
curieux que la débilité du parlêtre ait réussi à aller jusque-là – jusqu’à s’apercevoir que
l’angoisse n’est pas la peur de quoi que ce soit dont le corps puisse se motiver. C’est
une peur de la peur.
Cela se situe très bien par rapport à ce que je voudrais aujourd’hui pouvoir quand
même vous dire. Il y a soixante-six pages que j’ai eu la connerie de pondre pour vous.
Je ne vais pas me mettre à parler encore indéfiniment, mais je voudrais bien vous
montrer au moins ceci.
La jouissance phallique est hors-corps
J’ai imaginé pour vous d’identifier chacune de ces consistances comme étant celles
de l’imaginaire, du symbolique et du réel. Ce qui y fait lieu et place pour la jouissance
phallique est ce champ qui, de la mise à plat du nœud borroméen, se spécifie de l’in-
tersection que vous voyez ici.
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Ceci ne va pas sans que vous vous aperceviez de la place, dans ces différents
champs, du symptôme. La voici telle qu’elle se présente dans la mise à plat du nœud
borroméen.
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Je dis tout ça parce que, à cause d’une certaine aura de ce que je raconte, on fait
sans doute beaucoup de confusion sur le sujet du langage. Je ne trouve pas du tout
que le langage soit la panacée universelle. Ce n’est pas parce que l’inconscient est
structuré comme un langage – c’est ce qu’il a de mieux – que, pour autant, il ne
dépend pas étroitement de lalangue, c’est-à-dire de ce qui fait que toute lalangue est
une langue morte, même si elle est encore en usage.
Ce n’est qu’à partir du moment où quelque chose s’en décape qu’on peut trouver
un principe d’identité de soi à soi. Ceci ne se produit pas au niveau de l’Autre, mais
de la logique. C’est en tant qu’on arrive à réduire toute espèce de sens qu’on arrive à
cette sublime formule mathématique de l’identité de soi à soi, qui s’écrit x = x.
Pour ce qui est de la jouissance de l’Autre, il n’y a qu’une seule façon de la remplir,
et c’est à proprement parler le champ où naît la science. Comme tout le monde le
sait, comme un petit livre qu’a commis ma fille le montre bien, ce n’est qu’à partir
du moment où Galilée a fait des petits rapports de lettre à lettre avec une barre dans
l’intervalle, et où il a défini la vitesse comme rapport d’espace et de temps, qu’on a
pu sortir de tout ce qu’avait d’intuitif et d’empêtré la notion de l’effort, pour arriver
à ce premier résultat qu’était la gravitation.
Nous avons fait quelques petits progrès depuis, mais qu’est-ce que ça donne, en
fin de compte, la science ? Ça nous donne à nous mettre sous la dent, à la place de
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Ici, la boucle se ferme sur ce que je viens de vous dire tout à l’heure – l’avenir de
la psychanalyse dépend de ce qu’il adviendra de ce réel.
Les gadgets, par exemple, gagneront-ils vraiment à la main ? Arriverons-nous à devenir
nous-mêmes animés vraiment par les gadgets ? Cela me paraît peu probable, je dois le dire.
Nous n’arriverons pas vraiment à faire que le gadget ne soit pas un symptôme. Il
l’est pour l’instant, tout à fait évidemment. Il est bien certain qu’on a une automo-
bile comme une fausse femme. On tient absolument à ce que ce soit un phallus,
mais ça n’a de rapport avec le phallus que du fait que c’est le phallus qui nous
empêche d’avoir un rapport avec quelque chose qui serait notre répondant sexuel, et
qui est notre répondant parasexué.
Le para, chacun le sait, ça consiste à ce que chacun reste de son côté, que chacun
reste à côté de l’autre.
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QUELQUES REMARQUES
– Lacan n’ayant pas livré à la publication le texte de soixante-six pages auquel il fait allusion, son
intervention au Congrès a fait l’objet d’une transcription, anonyme, parue en 1975 dans le
bulletin Lettres de l’École freudienne, no 16, p. 177-203 ; j’en suis parti pour établir cette
version. Les schémas ont été ici refaits par Gilles Chatenay, et la relecture de l’ensemble faite par
Pascale Fari.
– L’intervention proprement dite était précédée de quelques phrases, que voici. Je ne parle cet
après-midi qu’à cause du fait que j’ai entendu hier et ce matin des choses excellentes. Je ne
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