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Documents pour l’histoire du français langue

étrangère ou seconde

58-59 | 2017
Innovations pédagogiques dans l'enseignement des
langues étrangères: outils, passeurs, politiques
éducatives (XVIIIe-XXIe siècles)
Ana Clara Santos (dir.)

Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/dhfles/4438
DOI : 10.4000/dhfles.4438
ISSN : 2221-4038

Éditeur
Société Internationale pour l’Histoire du Français Langue Étrangère ou Seconde‎

Édition imprimée
Date de publication : 1 décembre 2017
ISSN : 0992-7654

Référence électronique
Ana Clara Santos (dir.), Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, 58-59 | 2017,
« Innovations pédagogiques dans l'enseignement des langues étrangères: outils, passeurs, politiques
éducatives (XVIIIe-XXIe siècles) » [En ligne], mis en ligne le 02 mai 2018, consulté le 25 mars 2023.
URL : https://journals.openedition.org/dhfles/4438 ; DOI : https://doi.org/10.4000/dhfles.4438

Ce document a été généré automatiquement le 25 mars 2023.

Tous droits réservés


1

SOMMAIRE

Présentation
Ana Clara Santos

La diffusion de l’appareil grammatical français : sources, vecteurs, remaniements


(1860-1965)
Gérard Vigner

La place du français parmi les langues pratiquées par les milieux hellénophones dans la
seconde moitié du XVIIIe siècle : témoignages et données éditoriales
Réa Delveroudi

L’approche « consciente et contrastive » de Fedor Buslaev, une innovation dans


l’enseignement des langues en Russie du XIXe siècle
Nadéjda Kriajeva

La influencia del método de Ahn en España en los siglos XIX y XX a través de una mirada a
la prensa histórica
Alberto Lombardero Caparrós

Innovation et autoapprentissage par voie de presse : Ἡ Γαλλική Ἐφημερίς [Le Journal


français] (1908-1911)
Despina Provata

« La méthode orale » à l’Institut français d’Athènes : innovations pédagogiques dans


l’enseignement du français en Grèce (1946-1961)
Loukia Efthymiou et Nicolas Manitakis

L’enseignement du FLE par les applications en ligne : une didactique novatrice ?


Eléonore Quinaux

Rôle de la technique, comme fin et moyen, en FLE : de l’élaboration de la discipline aux


innovations contemporaines
Isabelle Cros

Lectures

Hans Hulshof, Erik Kwakernaak, Frans Wilhelm. Geschiedenis van het talenonderwijs in
Nederland. Onderwijs in de moderne talen van 1500 tot heden.
Groningen, Uitgereverij Passage, 2015. 468 p. ISBN97890-5452-315-4 / NUR 616
Marie-Christine Kok Escalle

Vladislav Rjéoutski (textes réunis et présentés par). Quand le français gouvernait la Russie.
L’éducation de la noblesse russe 1750-1880.
Paris : L’Harmattan, collection Éducations et Sociétés, 2016, 395 pages. ISBN 978-2-343-08540-1
Gisèle Kahn

Frijhoff Willem, Kok Escalle Marie-Christine, Sanchez-Summerer Karène (eds).


Multilingualism, Nationhood and Cultural identity. Northern Europe 16th-19th Centuries.
Amsterdam, Amsterdam University Press, 2017, 193 p., € 79,00. ISBN 978 94 6298 061 7, e-ISBN 978 90 4853 0007.
Jacqueline Lillo

Madeleine van Strien-Chardonneau & Marie-Christine Kok Escalle eds. French as Language
of Intimacy in the Modern Age / Le français, langue de l’intime à l’époque moderne et
contemporaine.
Amsterdam, Amsterdam University Press B.V., 2017, 210 p. ISBN 978-94-6298-059-4.
Nadia Minerva

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2

Angeliki Kordoni, La Littérature dans les Départements de Langue et de Littérature


françaises en Grèce : enjeux, représentations, méthodes, propositions didactiques.
Thèse de doctorat en Didactique des langues et des cultures sous la direction de Emmanuel Fraisse (Université
Sorbonne Nouvelle - Paris 3), soutenue à l’Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3, le 10 avril 2014 (369 pages &
annexes 284 pages).
Angeliki Kordoni

Clara Ferrão Tavares et Jacques Cortès (coord.). Avec Robert Galisson, réhabiliter la Culture
comme discipline universitaire à part entière, nº 4, Revue Synergies Portugal.
En ligne : http://gerflint.fr/Base/Portugal4/portugal4.html
Serge Borg

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3

Présentation
Ana Clara Santos

1 Ce numéro de la revue Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde


constitue le second volet des textes consacrés à l’étude de l’innovation en matière de
l’enseignement/apprentissage du français langue étrangère. L’innovation, perçue
pendant longtemps comme dangereuse et parfois néfaste à l’équilibre social et
religieux, est néanmoins associée dans le Dictionnaire de l’Académie Française à « quelque
nouveauté dans une coutume, dans un usage déjà reçu ». C’est justement cette idée de
« nouveauté » qui est conservée dans les dictionnaires du XX e siècle consacrés au milieu
éducatif, que ce soit dans un dictionnaire plus généraliste en matière pédagogique
comme celui de Philippe Meirieu (Petit dictionnaire de pédagogie), ou dans un dictionnaire
plus spécifique en matière de didactique du FLE comme celui dirigé par Jean-Pierre Cuq
(Dictionnaire de didactique du français langue étrangère et seconde). Or, s’il est vrai que
l’innovation pédagogique (ou l’innovation en éducation) suppose la transformation des
pratiques par l’avènement d’une nouveauté pédagogique qui rompt avec des pratiques
antérieures, jugées insuffisantes, insatisfaisantes ou inopérantes, il n’est pas moins
judicieux de considérer, comme le font de nombreux chercheurs depuis des décennies,
que l’innovation est surtout caractérisée par son caractère créatif, original,
transférable et durable. Dans un tel processus, celui qui innove (l’innovateur, individuel
ou collectif) est vu comme un passeur qui actionne la diffusion des idées nouvelles et
des nouvelles façons d’envisager l’enseignement/ apprentissage. Du point de vue
historique, il est donc important, dans ces circonstances, de questionner non seulement
les progrès et les expérimentations, mais aussi les lieux, les outils et les méthodes de
leurs opérationnalisations.
2 Gérard Vigner inaugure ce numéro par une étude de longue haleine sur la diffusion de
l’appareil grammatical français sur plus d’un siècle (1860-1965). Mû par une volonté de
situer, du point de vue historique, les choix effectués en matière de descriptions
grammaticales, l’auteur trace les grandes lignes de la matérialisation de la propagation
du français hors de France et interroge les contours de l’édification d’un outil descriptif
de référence spécifique, ses appropriations et remaniements selon les usages et les
publics visés dans le secteur public et privé à l’étranger, ainsi que la légitimité des
moyens institutionnels et matériels instaurés par la nation française.

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3 Aborder la question de la diffusion d’une langue peut aussi signifier tenir compte des
lois du marché des langues à une certaine époque. En partant de cette prérogative, Réa
Delveroudi décide de parcourir le chemin de la conjoncture historique favorable à
l’implantation de la langue française dans certains milieux hellénophones en tant que
langue de culture au XVIIIe siècle. En déplorant l’inexistence d’une étude ancrée sur le
dépouillement des archives locales, elle lance les pistes de réflexion en insistant sur le
besoin d’une prise en compte des données éditoriales et des facteurs sociopolitiques.
4 Parfois les innovations linguistiques et pédagogiques instaurées par des nouvelles
approches dans l’enseignement des langues ont leur point d’attache dans les
questionnements effervescents autour de l’enseignement de la langue maternelle. En
Russie Fédor Buslaev instaura au XIXe siècle une nouvelle méthode d’approche de la
langue maternelle, peu connue aujourd’hui, qu’il baptisa alors de consciente et pratique,
contrastive et comparée. Nadéjda Kriajeva s’attache à démontrer la réception des idées et
des oeuvres innovatrices de Buslaev dans le système éducatif russe de la seconde moitié
du XIXe siècle et leur accueil auprès de la communauté pédagogique nationale.
5 À la même époque, l’espace éducatif européen voit apparaître différentes méthodes qui
vont réformer l’approche de l’enseignement des langues étrangères. L’une des
méthodes les plus connues au XIXe siècle fut sans doute celle de Franz Ahn. Alberto
Lombardero Caparrós s’interroge sur l’influence exercée par cette méthode en
Espagne : véritable influence ou stratégie éditoriale commerciale ?
6 À l’aube du siècle suivant, apparaissent en Europe des objets nouveaux pour
l’apprentissage des langues étrangères : les instruments d’approche de l’autodidaxie
par la presse. En Grèce, Théodore Kyprios est pionnier dans ce secteur. Directeur du
Journal français (1908-1911), il introduit, comme le démontre Despina Provata, un
« système d’apprentissage autodirigé » dans le secteur éditorial voué à l’introduction
des pratiques encore inédites à l’époque dans le pays, notamment en ce qui concerne la
méthode directe.
7 De la méthode directe à la « méthode orale », il n’y a qu’un pas. En prenant assise sur le
rôle joué par Octave Merlier, devenu directeur de l’Institut français d’Athènes en 1945,
Loukia Efthymiou et Nicolas Manitakis illustrent les différentes étapes de la mise sur
pied d’une pratique innovante autour de la méthode orale adaptée aux besoins des
débutants grecs et disséminée vers d’autres institutions pédagogiques françaises à
l’étranger, à l’extérieur de l’espace hellénique.
8 Le développement des nouvelles technologies alliées à l’usage de l’internet n’est pas
sans produire des incidences sur les pratiques éducatives, notamment en ce qui
concerne l’enseignement/apprentissage des langues étrangères. Partant d’une étude
comparative et empirique de quelques applications pour l’apprentissage du français en
ligne – ITooch et Busuu, ainsi qu’une plateforme en ligne, Wallangues –, Eléonore Quinaux
pose la question de la valeur novatrice d’une didactique par le biais de ces technologies
et attire notre attention, à travers les résultats de diverses expérimentations, sur « la
problématique du renouvellement méthodologique que de telles applications pouvaient
livrer à l’enseignement du français langue étrangère et seconde ».
9 Nous fermons ce numéro de Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou
seconde de la même manière que nous l’avons ouvert, c’est-à-dire avec une réflexion sur
la politique éducative de l’État français vers l’extérieur. La réflexion entamée par
Gérard Vigner est ici poursuivie par Isabelle Cros, cette fois-ci autour des enjeux et des

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répercussions de la coopération technique. La boucle est ainsi bouclée par une mise en
avant d’un changement de paradigme, survenu, selon l’auteure, dans les années
d’après-guerre et après la décolonisation, par une « approche épistémique moderne qui
met l’accent sur la science et la technique dans la diffusion du français ». Isabelle Cros
montre, en effet, comment la technisation de l’enseignement des langues a pu changer
le rapport au savoir et sa transmission. Selon elle, l’évolution historique déclenchée à
partir des années 1950 grâce à l’élaboration d’outils pédagogiques suivant des
approches scientifiques est venue questionner la place accordée à la réflexion
pédagogique.
10 Nous invitons de la sorte nos lecteurs à découvrir les réponses apportées par les
auteurs de ce numéro à quelques questions émergentes du point de vue historique, qui
ne manquent pas d’éveiller des résonnances actuelles, à savoir : l’évolution
technologique est-elle synonyme d’évolution pédagogique ? Une invention
pédagogique dans un domaine spécifique ou dans une culture particulière est-elle
transférable ailleurs de façon durable ?

AUTEUR
ANA CLARA SANTOS
Université d’Algarveavsantos@ualg.pt

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6

La diffusion de l’appareil
grammatical français : sources,
vecteurs, remaniements (1860-1965)
Gérard Vigner

1 L’objectif de cette étude est d’examiner comment la France, à partir de la deuxième


moitié du XIXe siècle va mettre en place une offre de français à partir de ses ressources
grammaticales et méthodologiques propres, et selon des réseaux de diffusion
spécifiques, parallèlement aux enseignements du français mis en œuvre dans les pays
étrangers par des enseignants et grammairiens étrangers.
2 Nous nous interrogerons à cette occasion sur les origines et l’évolution de ces
répertoires grammaticaux entre 1860, simple repère sur lequel nous reviendrons, et
1964, au terme de la publication de l’ouvrage de G. Gougenheim et alii à propos du
français fondamental 1er degré.
3 Nulle volonté d’exhaustivité, mais des prises d’échantillons destinées à poser les bases
d’un parcours qui mériterait certainement d’être repris dans le détail ; une tentative
pour situer des choix en matière de descriptions grammaticales qui sont en même
temps des choix institutionnels ou des choix par défaut, nous le verrons.

1. Une volonté nouvelle


4 Nulle date, nul décisionnaire identifié pour situer la naissance de ce vaste mouvement
par lequel la France, comme État-nation, va décider d’entrer plus ou moins
officiellement dans le jeu d’une diffusion de la langue française hors de France. Mais
une période qui s’étale quasiment sur un demi-siècle (de 1850 à 1900) et, à l’origine de
ce mouvement, les acteurs les plus divers, membres du clergé, intellectuels et hommes
politiques de culture juive, universitaires et hommes politiques de sensibilité plus ou
moins laïque, sans concertation particulière entre eux, mais animés par une égale
volonté de se projeter hors de France pour porter les messages les plus variés dont
l’usage et l’enseignement de la langue française seront le commun vecteur, une volonté

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de faire rayonner la France par la diffusion de sa langue et d’un certain nombre de


valeurs associéesi. On se gardera cependant, risque d’une illusion rétrospective, de
mettre dans une même visée idéologique, des instances aussi variées que l’Œuvre des
écoles d’Orient, – soucieuse de porter le message évangélique en Orient (dans les pays
du Levant) par l’ouverture d’écoles1 –, l’Alliance israélite universelle qui vise à
émanciper et « régénérer » les communautés juives d’Orient opprimées – alors que
l’Alliance française, créée une vingtaine d’années plus tard, dans un contexte politique
différent dans lequel la rivalité avec l’Allemagne va occuper une place importante, vise
à diffuser un message et une influence politique fondés sur le principe d’une conquête
morale, constamment affirmée dans les colonies, et la diffusion de valeurs de
civilisation auprès de publics européens ou nord-américains. Quant à la Mission laïque
française, créée en 1902, elle l’est par un certain nombre de personnes et de
mouvements – Ligue française de l’Enseignement, loges franc-maçonniques notamment
– qui considèrent que l’Alliance française fait preuve de beaucoup trop de complaisance
à l’égard des écoles congréganistes2. Ce qui n’empêchera pas d’ailleurs le même Pierre
Foncin de devenir le premier président de la MLF (voir Vigner 2015b), en même temps
qu’il restait secrétaire général de l’AF. Un très large mouvement se dessine donc, dans
la diversité des motivations de ses différents acteurs, mais dont la référence à la langue
française constituera un point d’action partagé. Des institutions privées certes, mais
pour certaines, l’AF ou la MLF, créées à l’initiative de hauts-fonctionnaires et
d’universitaires. L’État français n’est pas loin, il observe d’abord, mais progressivement
par des biais variés va apporter son appui à ces différents organismes.

2. Un outil de référence : la deuxième grammaire


scolaire
5 Pour paradoxal que cela puisse paraître, lorsqu’il fut question de diffuser la langue
française hors de France, les institutions dont nous venons de parler ne disposent
d’aucun outil d’enseignement approprié de la langue, notamment sous la forme d’une
grammaire descriptive du français, adaptée aux besoins de publics non francophones.
Les décideurs, les responsables d’établissement, les enseignants eux-mêmes, devront se
reporter aux manuels de grammaire en usage en France et élaborer, dans des
conditions très empiriques, une pédagogie du français qui tout à la fois s’inspirera de
principes venus de la méthode directe et de descriptions du français proposées dans le
cadre de la deuxième grammaire scolaire, c’est-à-dire d’une grammaire destinée aux
publics scolaires français.
6 Nous devons à André Chervel cette dénomination (1977, 2006) qui sert, selon lui, à
désigner un mouvement grammatical qui entre en rupture avec la grammaire de Noël
et Chapsal, grammaire qui occupera l’essentiel du marché scolaire entre 1815 et 1850,
dérivée de la grammaire générale elle-même mise en œuvre dans les écoles centrales de
la Révolution. Grammaire hautement abstraite qui demandait aux élèves derrière
chaque phrase observée de retrouver par reformulations diverses un certain nombre de
schémas fondamentaux de la langue.
7 L’outil fut cependant très rapidement critiqué par les praticiens, comme par les
inspecteurs qui commençaient à circuler dans les écoles et sans qu’il soit possible
d’assigner ce mouvement à une origine particulière. Les enseignants, auteurs de
manuels, éditeurs, s’orientèrent progressivement vers des choix différents, plus

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proches des besoins des élèves, une grammaire des fonctions, susceptible d’offrir à
l’enseignement de l’orthographe les explications dont ces derniers avaient grandement
besoin. On observe la langue, on l’analyse (analyse grammaticale et analyse logique), on
nomme les constituants de la langue par le moyen d’un métalangage que l’on va
progressivement stabiliser et homogénéiser. La publication de la nomenclature de
19103 constituera le point d’aboutissement d’un mouvement qui sera beaucoup plus le
fait de praticiens de l’enseignement que résultant de propositions issues des travaux
des grammaires savantes.
8 Ce courant grammatical, et pédagogique, coïncidant avec la création de l’école
républicaine dans le début des années 1880, va donner lieu à un mouvement éditorial
d’une ampleur exceptionnelle, production éditoriale qui doit aussi être interprétée sur
un plan politique. Il s’agit de favoriser l’unité du pays à partir de la référence à une
langue commune, grammaire qui en même temps a pour objectif de donner à tous les
petits Français la maîtrise d’une orthographe particulièrement complexe.
9 Mais dans le même temps, ce formidable engagement dans la diffusion de la langue
française à l’étranger ne va pas se traduire par la mise au point d’un outil de référence
approprié. On peut citer cependant l’ouvrage de L. Clédat, son Précis d’orthographe et de
grammaire phonétiques pour l’enseignement du français à l’étranger (Masson 1890), qui
s’inscrit dans le très large mouvement de renouvellement des travaux portant sur la
phonétique et sur l’enseignement de la prononciation.
10 Cette absence est-elle l’expression d’une vision indifférenciée des publics, étrangers
européens, enfants indigènes des colonies, petits français patoisant, ce qui n’est pas
complètement impossible, ou bien la difficulté dans laquelle se trouvent les acteurs de
ce mouvement à concevoir un outillage descriptif spécifique ?
11 Nous examinerons, à partir des sources disponibles, les premiers choix entrepris par les
institutions évoquées plus haut.4

3. L’Alliance israélite universelle


12 Nous ne reviendrons pas ici sur le cadre et les conditions de création de l’Alliance
israélite universelle (voir Kaspi 2010 ; Spaëth 2001). Fondée en 1860 par un groupe
d’intellectuels et d’hommes politiques français de confession juive, l’AIU se donne pour
projet d’apporter son appui aux communautés juives d’Orient, communautés souvent
persécutées et dans tous les cas marginalisées, en ouvrant partout où cela sera possible
des écoles qui apporteront un savoir nouveau et contribueront à la « régénération » de
ces populations. La première école sera ouverte à Tétouan au Maroc en 1862 et de très
nombreuses suivront jusque dans la lointaine Perse.
13 L’AIU va choisir de fonder son action éducative sur la diffusion et l’usage de la langue
française. Choix qui ne sera pas exclusif, puisque l’AIU veillera à ce que, selon les pays,
d’autres langues soient enseignées. Mais dans tous les cas, la langue française y
occupera une place privilégiée. Dans ses Instructions générales pour les professeurs (1903 :
38), l’AIU rappelle en effet :
Le but de l’école primaire n’est pas d’enseigner une langue pour elle-même, […] la
langue est non pas le but, mais l’instrument nécessaire pour atteindre un but qui
est l’éducation générale de l’enfant. Une langue occidentale est indispensable pour
cet objet, puisqu’elle est l’unique moyen de mettre l’enfant en communication et en
contact avec la civilisation occidentale.

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L’enseignement de la langue française a donc uniquement pour but de mettre


l’enfant en possession d’une langue au moyen de laquelle il puisse être instruit,
éclairé, et continuer à son tour son éducation intellectuelle lorsqu’il sera sorti de
l’école.
Cet enseignement sera donc surtout pratique. Il visera avant tout à obtenir ce
résultat : que l’enfant comprenne facilement la langue française parlée ou écrite et
lise aisément les auteurs français.
14 Objectifs clairement posés d’un enseignement fondé non sur des contenus
grammaticaux à assimiler, mais sur des compétences à acquérir, dont l’outil
grammatical sera un des vecteurs privilégiés. Un peu plus loin (p. 39), il est précisé
encore :
Dans aucun cas, l’enseignement de la grammaire française ne doit être un
enseignement mort, un simple exercice de mémoire, il sera surtout un
enseignement oral. Le livre de grammaire peut faciliter à titre d’auxiliaire la tâche
du maître, mais à condition qu’il ne jouera qu’un rôle secondaire et qu’il serve à
faciliter la tâche du maître et non à le remplacer. L’enfant doit s’en servir
principalement pour apprendre les conjugaisons des verbes réguliers et irréguliers,
les adjectifs possessifs et démonstratifs, les pronoms, quelques séries de noms,
d’adjectifs et de verbes irréguliers, et pour les exercices écrits dont la plupart de ces
livres sont accompagnés. Presque tout le reste doit être enseigné de vive voix.
15 On trouve ici un corps de recommandations, qui témoignent d’une défiance
incontestable à l’égard d’un enseignement qui ne serait qu’un enseignement de pur
savoir et sur des objectifs de simple reconnaissance et de dénomination des formes 5.
16 Pour autant, cette volonté incontestable de modernisation de l’enseignement du
français s’appuie sur un descriptif grammatical issu des grammaires en usage dans les
écoles de France :
Classes 4 et 3. – 1 et 2. Nom et article. – 3. Adjectif. – 4. Pronom. – 5. Verbes
auxiliaires. – 6 Verbes réguliers. – 7. Verbes irréguliers. – 8. Prépositions régies par
les verbes. – 9 et 10. Adverbes, conjonctions, interjections. La proposition, signes de
ponctuation.
Classes 2 et 1. – 1 et 2. Noms, noms composés, quelques difficultés simples sur le
genre et le nombre de certains mots. – 3 et 4. Adjectifs, règles élémentaires sur :
même, tout, quelque, etc., adjectifs numéraux. – 5, 6, 7. Pronoms, verbes, participes.
– 8. Prépositions adverbes, conjonctions, interjections. – 9. Proposition,
ponctuation. – 10. Révision.
17 S’il convient donc, selon les auteurs du texte, de se défier des ouvrages de grammaires
dans leur forme littérale, en revanche le répertoire grammatical proposé est des plus
classiques, on y trouve les parties du discours déjà inventoriées par Lhomond en 1784
et tend à privilégier une approche analytique de la langue.
18 L’ouvrage de Moïse Fresco6, publié en 1895, et s’adressant aux élèves des écoles d’Orient
et d’Afrique du nord, s’organise en une suite d’exercices portant sur les accords de
genre et de nombre, sur la conjugaison qui, dans le choix des formes de référence,
serait parfaitement à sa place dans une école française.

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4. L’Alliance française
19 Créée en 1883, l’Alliance française se définit ainsi : « L’association nationale pour la
propagation de la langue française dans les colonies et à l’étranger ». Nous ne
reviendrons pas ici sur les conditions de création de cette nouvelle institution.
Nombreux sont les travaux consacrés à sa création et à son fonctionnement (Chaubet
2006, Cortier 1998, Nishiyama, 2001, 2005). L’Alliance se consacre ainsi à la diffusion de
l’enseignement du français dans les colonies et appuiera les écoles ouvertes dans les
pays du Levant, pour l’essentiel des écoles non-laïques (congréganistes, grecques
orthodoxes, américaines, israélites et laïques). Même si l’AF ne met pas en place de
programme de français spécifique ou un outillage grammatical commun à toutes les
écoles, elle va contribuer cependant par son action à diffuser un appareil grammatical
et une nomenclature issus des usages français. Deux grands vecteurs :
20 les manuels de grammaire diffusés dans les écoles pris dans les listes de manuels
publiés en France7
21 les cours de vacances ouvert à partir de 1894 et que Ferdinand Brunot va rapidement
prendre en charge.

La collection de manuels de grammaire « Larive et Fleury »

22 Deux mots peut-être de cet éditeur scolaire, Armand Colin (1842-1900) qui entre au
conseil d’administration de l’AF dès 18838. Personnage discret, mais homme
d’influence, il se lance en 1871 dans l’édition scolaire à destination de l’enseignement
primaire9. Entre 1872 et 1889, il couvre environ le quart du marché du livre scolaire, 50
millions de volumes vendus environ et la grammaire de Larive et Fleury 10, pour la
même période, correspond à une vente de 12 millions d’exemplaires environ 11. Armand
Colin édite aussi les « instituteurs de la nation »12, Ernest Lavisse (1842-1922) pour
l’histoire, Pierre Foncin (1841-1916), pour la géographie, Paul Vidal de la Blache

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(1845-1918) pour son atlas et Paul Bert (1833-1886) pour les sciences. Un catalogue
riche, soigneusement construit, pour des ouvrages conçus avec le plus grand soin 13.
23 Armand Colin sera aussi l’éditeur de manuels spécifiquement dédiés aux apprentissages
du français dans les colonies avec deux auteurs majeurs, Louis Machuel et Irénée Carré.
24 Un manuel de grammaire comme celui de Larive et Fleury ne pouvait manquer d’être
acheté par les écoles ouvertes notamment dans les pays du Levant. On sait que l’AF,
dans les premières années, s’investit particulièrement dans les écoles, domaine qu’elle
abandonnera progressivement dans les débuts du XXe siècle pour s’orienter plutôt vers
les cours d’adulte.

25 Lors d’une visite dans l’école des Sœurs de Sophia (sic) en Bulgarie, le délégué de
l’Alliance française, Ferdinand Dreyfus, note ceci :
Nous jetons un coup d’œil sur les cahiers et sur les livres. Nous retrouvons les
mêmes manuels que dans nos écoles primaires, Le Tour de la France par deux enfants
et nous saluons nos deux amis, Larive et Fleury.14
26 Remarque significative qui fait clairement apparaître l’importance de l’aire de diffusion
de cette collection et son influence dans l’enseignement du français. Si très nombreux
sont les travaux consacrés aujourd’hui aux écoles françaises dans les pays du Levant,
rares sont ceux qui vont jusqu’à inventorier (mais dispose-t-on des archives à cet
effet ?) les manuels commandés par les écoles et en usage dans les classes 15. Or on sait
combien les manuels ont un effet modélisant sur la façon qu’ont les maîtres et les
maîtresses de penser et d’organiser les apprentissages.

Les cours de vacances

27 Les cours sont créés suite à une décision du Conseil d’administration, prise le 4
décembre 1893 : « cours qui seront réservés aux étrangers désireux de perfectionner

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leurs connaissances littéraires et grammaticales » (BAF 1893 : 47). Ces cours


comprendront une composante grammaticale, que l’on distinguera en cours
élémentaire et cours supérieur. Ferdinand Brunot prendra en charge le cours supérieur
et fera partie du comité de patronage de ces cours qui connaîtront très tôt un grand
succès : une cinquante d’auditeurs pour la première session, celle de l’été 1894, mais
460 environ en 1896 et 510 en 1897. Les cours à Paris seront d’ailleurs dédoublés et
d’autre vont ouvrir à Nancy, puis à Caen.
28 Le programme de ces cours, qui vont d’adresser à un vaste public d’enseignants
étrangers, s’inscrit dans les catégories descriptives d’une grammaire que nous pouvons
qualifier aujourd’hui de traditionnelle, mais qui en ce temps-là s’inscrivait dans les
perspectives tracées par la deuxième grammaire scolaire :

1895 1896 1897

Cours Cours Cours


Cours supérieur Cours supérieur Cours supérieur
élémentaire élémentaire élémentaire

Valeur et
emploi des Étude comparée
auxiliaires des formes et de
Les temps du la syntaxe des
passif temps des verbes Observations
Les divers dans le français générales
temps du Étude des du XVIIe et du
Subjonctif et
passé au mode principales XIXe siècles
conditionnel
indicatif différences
Les auxiliaires
entre la langue Subjonctif et
Le subjonctif Syntaxe de être et avoir
des classiques indicatif dans
Le l’article Temps
du XVIIe siècle les propositions
conditionnel et la langue Syntaxe du périphrastiques complétives
La pronom formés avec
contemporaine Subjonctif et
concordance Explication aller, s’en aller
Exercices indicatif dans
des temps grammaticale Les temps du les propositions
pratiques et
Explication de textes passif français causales,
lectures
Grammaticale grammaticales Le passé simple consécutives,
de textes de textes du et le passé hypothétiques,
empruntés XVIIe siècle composé concessives,
aux auteurs Concordance des comparatives,
du XIXe siècle temps dans les temporelles

Exercices phrases
d’application coordonnées et
sur le cours subordonnées
théorique

29 On peut donc penser que ce très important public des cours de vacances va être
imprégné d’une terminologie – que l’on retrouvera d’ailleurs dans la nomenclature de
1910 –, et qui sera de la sorte très largement diffusée à l’étranger.

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13

5. Dans les colonies


30 Si le ministère de l’Instruction publique pour la France dispose de programmes
nationaux, et, à partir de 1910, propose une nomenclature officielle pour la grammaire,
rien de tel en revanche pour ce qui est du français hors de France. Nulle instance
centralisatrice, nul répertoire plus ou moins officiel. Chacun des acteurs dans son
territoire d’intervention, dans ses réseaux propres, opère les choix qui lui paraissent
les plus appropriés par rapport à un cadre grammatical considéré comme légitime,
chacun cependant s’efforçant de mettre en place des programmes en référence aux
usages français.
31 Une organisation de l’école indigène se met en place dans chacune des grandes aires
territoriales des colonies, dans un environnement institutionnel et politique
différencié. Avant même que des programmes soient mis en place, des auteurs, tels
Louis Machuel ou Irénée Carré diffusent des méthodes de langage pour enseigner le
français dans les colonies.
32 Cette chronologie correspond aux étapes de contrôle des territoires et de mise en
cohérence des politiques éducatives : 1890 pour l’Algérie (Vigner 2015a), pour la
Tunisie, notamment 1909, avec la mise en place d’un programme général, 1920 pour le
Maroc, 1914 pour l’AOF, 1917 pour l’Indochine avec le Règlement général de
l’Instruction publique.
33 Un lien très fort est établi entre la méthode Carré et l’enseignement du français dans
les colonies. Un examen rapide de certains programmes fait clairement apparaître une
certaine homogénéité des choix en matière terminologique, qu’il s’agisse des contenus
de langue devant trouver place dans les activités de langage ou d’un enseignement
explicite d’un certain nombre de catégories grammaticales. Les programmes de 1924
pour l’AOF feront ainsi explicitement références aux 10 catégories du discours 16.

6. L’entre-deux guerres
34 Période paradoxale en ce sens que la réorganisation du monde qui, notamment en
Europe, résulte de l’effondrement des empires centraux et des différents traités de paix
signés entre 1919 et 1922, n’a aucune traduction en matière d’innovation
méthodologique et d’évolution nette dans le choix des références grammaticales. La
France se soucie certes de développer son réseau d’instituts français dans les pays
d’Europe centrale nouvellement créés à l’initiative notamment de Ferdinand Brunot, 4
instituts le sont en 1914, 29 en 1933 (voir Chevalier 2001, 2010), actions relayées sur
place par des universitaires tels L. Tesnière ou A. Meillet. De nombreuses missions
universitaires sont organisées dans les pays d’Europe centrale.
35 De même dans les colonies, sont désormais installées dans tous les territoires, des
écoles indigènes, selon la doctrine du moment en vigueur, de dissociation des réseaux
de formation entre réseaux européens et réseaux indigènes, avec à chaque fois le souci
de proposer un enseignement adapté17. Le Maroc, récemment intégré dans l’empire à
partir de 1912, publie ses premiers programmes en 1920 : Circulaire du 30 août 1920.
Plan d’études et programme de l’enseignement indigène.
36 La France ouvre cependant un institut spécifiquement dédié à la formation des
professeurs de français devant exercer à l’étranger « L’école de préparation des professeurs

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de français à l’étranger », à la Sorbonne en 1920, qui d’une certaine manière est le


pendant institutionnel des cours de vacances de l’AF auxquels Brunot s’était déjà
consacré18.
37 L’Alliance française, avec des professeurs de haut niveau, normaliens, agrégés, va
poursuivre son exploration d’un enseignement du français sans latin, mais ne produira
aucun outil rénové. Le fameux Mauger bleu, ne sera publié qu’en 1952, suivi en 1970
d’une autre méthode, d’inspiration audio-orale, Le Français et la vie.
38 La méthode directe est celle qui est largement recommandée et diffusée, au moins dans
les colonies19, selon des modalités d’organisation interne qui peuvent varier, mais sans
recherche véritable d’autres dispositifs d’apprentissage. Il s’agit d’exposer les élèves à
une représentation du monde que l’on va apprendre à formuler en français.
39 Pour ce qui nous intéresse le plus directement ici, la référence à la nomenclature
grammaticale de 1910 va avoir un effet stabilisateur sur les choix constatés, qu’il
s’agisse des textes des programmes ou des méthodes en usage dans les différents cours
pour adultes notamment20. Certes la linguistique, science encore nouvelle, pratiquée et
diffusée dans un cercle restreint de chercheurs (voir Chevalier 2005), mais portée par
un grand dynamisme créatif, n’exerce cependant aucune influence sur l’organisation
des cours de français. Meillet, Tesnière, Guillaume, Bally, Vendryes, et autres, sont au
travail, mais l’écho de leurs recherches ne s’opérera que bien après la deuxième guerre
mondiale21.
40 Pour autant, dans le cadre de la deuxième grammaire scolaire, on procède à un certain
nombre d’ajustements (voir Chervel 1977 : 184 et 230), autour des compléments d’objet
direct et indirect, aux alentours de 1920, ainsi que du complément d’agent dont le
principe est acquis vers 1930, mais des ajustements de détail, non une réorganisation
du dispositif.
41 En revanche, on relèvera durant cette période la publication de quatre grandes sommes
grammaticales, La pensée et la langue. Méthodes, principes et plan d'une théorie nouvelle du
langage appliquée au français, de Ferdinand Brunot (1922), Des mots à la pensée. Essai de
grammaire de la langue française, en 7 volumes (1911-1940), Le Bon usage, de Maurice
Grévisse (1936), ainsi que La Grammaire Larousse du XXe siècle (1936), ouvrages aux
orientations et aux bases épistémologiques fort différentes, mais qui témoignent d’une
même volonté d’offrir la description la plus complète possible de la langue française,
mais trois grammaires et non trois ouvrages de linguistique. Comme si la grammaire,
par ces différentes sommes, voulait affirmer sa prééminence par rapport à une
linguistique à venir.

7. 1945, un autre monde


42 La Deuxième Guerre mondiale voit surgir un nouvel ordre du monde. Les empires
coloniaux, français et anglais, sont appelés à disparaître, ce qui va conduire à envisager
une autre manière de penser le maintien et la diffusion des langues du colonisateur.

7.1 Dans les colonies

43 L’empire colonial laisse la place à l’Union française qui rassemble la France


métropolitaine, les départements d’outre-mer, les territoires d’outre-mer et les états

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associés (27 septembre 1946). La France lâche du lest, alors que les premiers troubles
éclatent en Indochine, en Algérie et à Madagascar.
44 Les écoles indigènes disparaissent au profit d’une école primaire pour tous (en
principe), placée sous la tutelle, pour la première fois, du ministère de l’Éducation
nationale. Long travail de mise en place qui s’étend jusque dans le début des années 50,
face à une administration coloniale réticente, toujours attachée à ses écoles indigènes
(Gamble 2010).
45 La référence grammaticale sera celle désormais des programmes de français de
métropole (programme de 1938 et nomenclature de la commission Beslais de 1949). A
un enseignement adapté, qui pendant longtemps avait constitué la doctrine des
autorités coloniales en la matière, on veut substituer une politique d’assimilation. On
répondait de la sorte aux vœux de nombreuses élites africaines notamment qui
voulaient depuis longtemps accéder au cursus métropolitain de plein droit, accès
longtemps barré par la logique d’organisation de l’école indigène qui interdisait toute
passerelle en direction de l’école européenne.
46 Mais l’enseignement du français est maintenu comme langue d’enseignement :
« L’enseignement doit être donné en langue française, l’emploi pédagogique des
dialectes locaux étant absolument interdit, aussi bien dans les écoles privées que dans
les écoles publiques » (Conférence de Brazzaville 1945, p. 44).
47 L’UNESCO, créée en 1946, émet le vœu d’une mise en place d’une éducation de base qui
s’adresse à l’ensemble de la population : alphabétisation, hygiène, savoirs techniques,
etc… ceci pour compenser les insuffisances de la scolarisation dans les territoires
d’Outre-mer. La Commission française de l’Unesco va de la sorte mettre en relation un
français simplifié et une aide au développement (même si l’expression d’« aide au
développement » n’avait pas encore cours à l’époque).

7.2. En direction de l’étranger traditionnel

48 En 1945 (13 avril 1945) est créée la Direction générale des relations culturelles qui
prend la place du Service des Œuvres françaises à l’étranger, créé en 1920, lequel faisait
suite à la création du Bureau des écoles et des œuvres françaises à l’étranger en1909. Le
Quai d’Orsay se dote d’un outil d’organisation d’une politique de diffusion et
d’influence culturelles à l’étranger qui se traduira par la création de nombreux postes
d’attachés culturels et progressivement par la diffusion d’outils d’enseignement du
français.
49 Mais ces deux domaines apparemment distincts d’intervention de la France à l’étranger
vont progressivement se rejoindre sous l’effet de l’Histoire et d’une évolution plus
rapide que prévue. La France d’Outre-mer, c’est d’abord une France qui tente
d’interrompre un processus de décolonisation qu’elle sent venir en absorbant l’espace
colonial, désormais partie intégrante de cette France élargie à l’espace du monde.
Tentative vaine qui n’empêchera nullement la décolonisation de s’opérer, mouvement
qui fera apparaître à la grande surprise des acteurs un espace nouveau, la francophonie
et aura pour effet induit d’engager un profond mouvement de rénovation de l’action
culturelle à l’étranger. Deux exigences conjointes, donner à la francophonie un outil
nouveau de diffusion et d’enseignement de la langue, permettre au français, dans
l’étranger traditionnel de disposer d’un outil rénové dont le français élémentaire, puis

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français fondamental, constitueront » un outil de diffusion large et rapide de la langue


française ».

7.3. Vers le français fondamental

50 Si le français fondamental ou français élémentaire voit le jour dans le courant des


années 50, son principe, même si Georges Gougenheim n’y fait jamais allusion, avait été
évoqué bien plus tôt. « Français réduit », sur le plan orthographique, à un moment
évoqué par l’Alliance française, « langue spéciale » rêvée semble-t-il par Paul Bert lors
de son séjour comme Résidant général au Tonkin, ou « français simplifié » en direction
des tirailleurs sénégalais. Georges Gougenheim., peut-être par méconnaissance de ces
tentatives, n’y fera jamais allusion22, préférant se référer au Basic english, comme
exemple, à ne pas suivre d’ailleurs, pour établir une langue de large usage, sur la base
d’un matériel langagier restreint.
51 Une commission française pour l’Unesco est constituée 1947, puis le SUREOM (Service
des relations avec l’étranger et l’outre-mer), 1947-1960, installé au ministère de l’Éducation
nationale
52 Une commission spéciale présidée par Marcel Abraham, inspecteur général de
l’Instruction publique est créée au ministère de l’Éducation nationale en 1951. On y
trouve, notons-le au passage, d’anciens responsables de l’enseignement dans les
colonies, Albert Charton, inspecteur général, André Davesne, inspecteur d’académie de
la Dordogne. La direction scientifique de l’entreprise est confiée à Georges
Gougenheim23.
53 Nous ne développerons pas ici tout ce qui se rapporte à l’élaboration du français
fondamental (voir DHFLES, 36, 2006), opération longue qui en gros va de 1951, date de
l’installation de G. Gougnenheim comme responsable de l’entreprise, à 1964, date de la
publication de l’ouvrage chez Didier, qui rend compte des résultats obtenus et des
recommandations associées.

7.4 La destination du français élémentaire

54 La destination du français fondamental est triple :


55 accélérer la diffusion du français dans l’Union française ;
56 s’adresser aux travailleurs nord-africains qui viennent en France ;
57 à l’étranger, fournir aux auditeurs les éléments solides de connaissance du français.
58 Comme le rappellent les auteurs à différentes reprises, il s’agit de substituer à une
élimination empirique des formes considérées comme trop complexes ou d’un faible
intérêt pratique pour l’apprenant, un inventaire raisonné fondé sur une enquête
statistique.
59 Conçu initialement pour s’adresser d’abord aux populations des colonies, devenues
« Union française », le français élémentaire dans ses usages pour l’enseignement va
s’adresser aussi aux travailleurs nord-africains présents en France, et ils sont à l’époque
de plus en plus nombreux, tant la reconstruction de l’économie française a besoin de
bras, mais aussi aux publics de ce qu’il est convenu d’appeler, dans la terminologie
française, l’étranger traditionnel. C’est d’ailleurs dans ce dernier domaine que l’usage en
sera le plus intense, à la différence des territoires des colonies qui considéreront avec la

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plus grande réserve un outil linguistique considéré comme n’offrant que des ressources
langagières insuffisantes.

7.5 Une grammaire issue du français fondamental

60 Emile Benveniste, linguiste reconnu, en poste au Collège de France, préside la sous-


commission pour l’étude de la grammaire. De l’inventaire des formes du français
élémentaire, on extrait celles qui peuvent éclairer ce que pourrait être une grammaire
de base du français :
La grammaire a été allégée des formes rares ou inexistantes dans la langue parlée :
le passé simple de l’indicatif, le plus-que-parfait du subjonctif. Seuls parmi les
pronoms relatifs, qui et que ont été conservés. On évite ainsi une syntaxe difficile
même pour des personnes de langue française. On a taillé parmi les formes
nombreuses et touffues de l’interrogation. Mais rien n’a été sacrifié de ce qui fait la
structure vivante de la langue. Malgré les difficultés qu’ils présentent à
l’enseignement, on a gardé deux temps essentiels du passé : l’imparfait et le passé
composé. (Gougenheim 1954 : 7)
61 La grammaire du français fondamental n’est donc pas une grammaire au sens classique
du terme, c’est-à-dire le rassemblement d’un certain nombre de règles destinées à
rendre compte de l’organisation et du fonctionnement de la langue française, mais une
liste de prescriptions dégagées à partir de l’inventaire des mots considérés comme les
plus fréquents et les plus utiles. En résulte le choix d’un certain nombre de
constructions, celles considérées comme les plus nécessaires.
62 Sans entrer dans le détail d’une présentation de ces prescriptions, on ne manquera pas
d’être frappé par le caractère traditionnel de la nomenclature retenue. Nulle
révolution, nul bouleversement terminologique, alors même que la sous-commission de
grammaire avait été présidée par Emile Benveniste, grand linguiste, spécialiste reconnu
des langues européennes, l’un des rares linguistes, avec Aurélien Sauvageot à figurer
dans la commission, loin du profil classique d’un grammairien tel Aristide Beslais 24,
directeur général de l’Enseignement primaire au ministère de l’Éducation nationale,
latiniste et auteur de nombreux ouvrages de grammaire. Et pour autant la commission
du FF s’en remet à des choix très traditionnels qui méritent d’être interprétés :
La linguistique, non encore appliquée, n’a pas dans les années 50 fait sa percée dans
l’enseignement du français. Certes les linguistes commencent à être connus, ainsi
que leurs travaux, mais ce sont les grammairiens qui, en la matière, constituent le
groupe de référence et plus des grammairiens qui s’inscrivent dans la mouvance
scolaire traditionnelle (grammaire pour l’orthographe et grammaire pour
apprendre le latin) que les grammairiens « savants ».
63 Georges Gougenheim lui-même n’est pas un linguiste au sens rigoureux du terme 25 et
son équipe est constituée d’enseignants dont les références en matière de langue sont
forcément marquées par les références grammaticales traditionnelles.
64 La grammaire du français fondamental est avant tout un répertoire de
recommandations ou de prescriptions et à ce titre ne vise pas à proposer une autre
représentation grammaticale du français.
65 Ce répertoire, comme l’ensemble du projet du français fondamental, est centré sur les
publics d’adultes et ne prend pas en compte, au moins initialement, les publics
scolaires, enfants et adolescents, qui apprennent le français à la même époque.

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66 Peut-être est-ce à ce moment-là que cesse cet état d’indifférenciation relative entre
grammaire du FLM et grammaire du FLE. Derrière une nomenclature apparemment
partagée s’engagent des logiques descriptives différentes, la grammaire du FF étant une
« grammaire sur corpus » et non une grammaire générale qui embrasse l’ensemble des
propriétés de la langue française. Grammaire qui se fonde sur un répertoire issu du
français parlé, même si cet oral est un oral soutenu, proche très souvent du français
écrit.

Conclusion
67 La question du choix des formes de la langue à laquelle sont exposés les élèves et celle
de leur dénomination est loin d’être secondaire, car elle installe un rapport à la langue
dont il est difficile de se défaire. En dépit des très nombreux travaux engagés pour
appliquer à l’enseignement des langues les apports de la linguistique, à partir des
années 60, ou pour s’inspirer de travaux issus d’autres modèles grammaticaux,
grammaires du sens ou grammaires de l’énonciation dans les années 80, l’étude des
formes de la langue selon une terminologie traditionnelle semble encore l’emporter.
68 Ce conservatisme, souvent dénoncé, doit être recherché, au-delà d’un confort d’usage
fondé sur le maintien d’une tradition à ce point répandue qu’elle finit par relever d’une
évidence que l’on ne veut pas interroger, d’abord dans une situation historique.
Lorsque la France décide de s’engager dans une politique de diffusion du français, elle
le fait avec des moyens institutionnels et matériels qui seront de plus en plus
importants, nous les avons brièvement signalés, à partir d’un centre qui confère ainsi
une pleine légitimité aux choix qui sont les siens26. Faute de disposer d’un outillage
grammatical adapté, la France va s’appuyer sur les fondements de la deuxième
grammaire scolaire et en diffuser les principes et la terminologie dans l’ensemble des
lieux où le français sera enseigné. Certes, dans le même temps, des grammaires sont
élaborées dans des contextes allophones, en Pologne, en Espagne ou au Japon, pour ne
citer ici que quelques pays dans lesquels l’approche de la grammaire du français a
suscité des travaux portés par des enseignants allophones. Mais la France se plaçant
dans une logique de l’offre à partir de ses propres catégories descriptives n’a jamais
voulu, ou pu, s’engager dans de telles voies27.

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NOTES
1. L’œuvre des écoles d’Orient est créée à Paris par un groupe de catholiques libéraux regroupés
autour du baron Augustin Cauchy, soucieuse de soutenir l’implantation et l’action des écoles
congréganistes implantées dans l’empire ottoman. Son premier directeur est un jeune abbé,
enseignant à la Sorbonne, qui deviendra rapidement une personnalité essentielle dans le
développement d’un enseignement catholique hors de France, l’abbé Lavigerie (1825-1892).
2. Pierre Foncin secrétaire général de l’AF ne manque pas en effet de rappeler pour ce qui est de
l’année 1889 : « La majeure partie de nos subventions a été accordée, après avis de la section du
Levant, aux écoles françaises du Levant, catholiques pour la plupart, ou grecques, arméniennes,
syriennes, israélites ou laïques. Nous avons servi ainsi la cause de l’Influence française ». (BAF
29bis 1889 : 8). La liste des écoles subventionnées (p. 16) fait apparaître une très large majorité
d’écoles confessionnelles. Armand Colin ne manquera pas non plus de faire don d’un certain
nombre de manuels aux écoles subventionnées par l’Alliance.
3. Voir Vergnaud 1980.
4. Nous ne traiterons pas ici de l’action de la Mission laïque française en la matière, soucieuse
avant tout de proposer une alternative laïque aux écoles des missions.
5. Dans le même document (p. 40), on rappelle de façon très ferme : « L’analyse grammaticale
doit être faite de vive voix, au tableau. Le maître ne fera jamais couvrir à des élèves des pages
entières d’analyse grammaticale, travail fastidieux, à peu près stérile. Les exercices d’analyse
logique sont inutiles et interdits. »

Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, 58-59 | 2017


21

6. Pour une présentation de Moïse Fresco et de ses différents travaux, voir Omer 2007.
7. Ce qui n’empêche nullement l’AF de poser la question de l’élaboration de manuels appropriés.
À l’occasion de son congrès tenu les 5, 6 et 7 août 1889, dans la 4 e section sera abordée la question
suivante : « Livres d’enseignement français pour les écoles indigènes : comment devrait être
composé un livre indiquant les connaissances que le maître français peut enseigner utilement
aux indigènes dans les régions énumérées ci-dessous : Levant, Egypte, Sénégal, Madagascar, Indo-
Chine, Océanie ? » (BAF 1889, 28 : 75). La réponse sera progressivement apportée dans les débuts
du XXe siècle.
8. Il sera un membre particulièrement actif de la commission de propagande du département de
la Seine et son action sera saluée en termes particulièrement élogieux par Pierre Foncin :
« L’honneur du succès revient […] à l’organisateur actif et modeste qui a frappé à la porte de
chaque mairie, converti le maire, dressé la liste des notables de chaque arrondissement, recruté
parmi eux un comité, convoqué ce comité, qui lui a fait connaître l’Alliance, l’a décidé à agir, l’a
entraîné, qui a tout préparé pour les conférences, a répandu les programmes et les feuilles
d’adhésion, qui, en un mot, sans bruit comme sans relâche, a tout mis en mouvement. Celui-là est
bien à sa place à la tête de notre commission de la propagande, c’est M. Armand Colin. » (BAF,
15-18, 24 février 1887).
9. C’est dans le tournant des années 1870, qu’ouvrent à l’initiative de leur créateur un certain
nombre de maisons d’édition : Henry Vuibert, Fernand Nathan, Alexandre Hatier par exemple,
Louis Hachette s’étant déjà engagé sur le marché bien des années auparavant, dès 1826, ainsi que
Charles Delagrave dès 1865. Armand Colin y découvre d’ailleurs le métier d’éditeur.
10. Jeu de mots utilisés par les deux auteurs de la collection, Auguste Merlette (1823-1899) et
André-Casimir Hauvion (mort en 1899), pour se donner un « nom de scène ».
11. Cette collection sera constamment remise à jour en fonction de l’évolution des programmes,
nouveaux programmes de 1882 et publication de la circulaire de 1910 sur la nomenclature
grammaticale.
12. Pour reprendre ici l’expression de Pierre Nora, dans ses Lieux de mémoire, celle d’« instituteur
national » utilisée à propos d’Ernest Lavisse.
13. Pour une approche de la vie d’Armand Colin et du marché des livres scolaires dans les
premiers temps de la IIIe République, voir Mollier 1993 et Bermond 2008.
14. BAF, 13-14, septembre-novembre 1886, p. 133.
15. Nous retrouvons ici la question qu’avait posée A. Chervel : « Les grands succès de la
grammaire du français ont-ils franchi nos frontières pour former des étrangers à la pratique de la
langue française, Restaut, Wailly (et leurs Abrégés), Lhomond, Boniface, Noël et Chapsal, La
Grammaire selon l’Académie, Poitevin, Larive et Fleury sont-ils un jour devenus, dans le texte
français ou en traduction, des manuels de français langue étrangère ? » (2009 : 92). On peut
répondre pour partie à cette question en rappelant que, dans la mesure où l’enseignement du
français, entre 1850 et 1914, dans les pays du Levant __
pour nous limiter ici à cette aire
géographique , prenait place dans un cadre scolaire, l’usage ou la référence à un manuel
__

s’imposait, seuls les manuels français de grammaire étant disponible sur ce marché. Un
inventaire des bons de commande établis par les écoles pourrait apporter un utile éclairage sur
ce point.
16. Voir Vigner 1999.
17. Le Congrès de l’Éducation coloniale qui se tient à Paris en 1931 en même temps que
l’Exposition coloniale, consacre sa rencontre au thème de l’adaptation de l’enseignement dans les
colonies.
18. Voir « De l’École de préparation des professeurs de français à l’étranger à l’UFR DFLE. Histoire
d’une institution (1920-2008) », sous la direction de M. Berré et D. Savatovsky, Documents pour
l’histoire du français langue étrangère ou seconde, 44, 2010.

Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, 58-59 | 2017


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19. Une exception est faite cependant pour les territoires de l’Indochine dans lesquels
l’enseignement des langues telles que le vietnamien est maintenu ou celui de l’arabe dans des
pays tels que la Tunisie, le Maroc ou du malgache à Madagascar.
20. Ainsi de la présentation de la nomenclature grammaticale présente dans la méthode France,
1ère année de français, Camerlinck, 1919, Allyn et Bacon, Boston, qui significativement apporte les
précisions suivantes : « The following terms are taken from the Arrêté du Ministre de
l'Instruction publique et des Beaux- Arts, July 25, 1910 ».
21. Il est difficile de situer le moment précis où la linguistique va exercer sur l’enseignement du
français langue étrangère une influence déterminante (si tant est que cette influence ait été aussi
déterminante que l’on serait tenté de le croire aujourd’hui). Mais l’excellent article de D. Coste
(1998), « Recherche universitaire été enseignement du français langue étrangère. A propos d’une
rencontre de 1961 », rend compte d’une rencontre organisée au CIEP de Sèvres, du 21 au 23
décembre 1961, mettant en relation le BEL (version première du BELC), sous l’auspice de la
direction de la Coopération avec la Communauté et l’étranger au ministère de l’Éducation
nationale. Les linguistes invités sont nombreux (citons notamment A. Culioli, G. Mounin, B.
Pottier, A. Martinet, P. Léon, G. Gougenheim) et un programme est tracé qui doit permettre aux
sciences du langage d’apporter leur contribution à un programme volontariste d’une action
linguistique à l’étranger. Mais la prise en compte des sciences du langage dans l’élaboration des
apprentissages prendra un certain temps et se situera plutôt dans le tournant des années 70.
22. Voir Kahn 1990.
23. Pour une présentation des personnalités qui sont intervenues plus particulièrement dans
l’élaboration du français fondamental, voir Coste 1988.
24. Qui par ailleurs publie en 1949, pour le compte du ministère de l’Éducation nationale, une
nouvelle nomenclature, dite « Nomenclature Beslais » qui réactualise, sans la bouleverser, la
nomenclature de 1910.
25. Georges Gougenheim publie en effet, en 1938, Le système grammatical de la langue française. Il
s’efforce d’y regrouper les faits de syntaxe en système, et peut quelque part annoncer quelque
part une approche structuraliste du français, il le fait malgré tout plus en grammairien qu’en
linguiste de stricte obédience. Voir sur cette question Chiss 1982.
26. Centre qui comprend tout à la fois l’Éducation nationale avec le SUREOM et, plus tard, le
CREDIF, installé à l’école normale supérieure de Saint-Cloud et le ministère des Affaires
étrangères avec la Direction générale des relations culturelles et des œuvres françaises à
l’étranger créée en avril 1945.
27. On notera cependant la création (récente, 2011) d’un groupe de recherche basé à Paris 3
(GRAmmaire et Contextualisation, le GRAC) qui se donne pour projet d’explorer cette voie.

RÉSUMÉS
Le projet colonial dans les débuts de la IIIe République, comme la volonté de certaines élites
françaises de réaffirmer la mission civilisatrice de la France, s’est traduite par une « offre de
langue », pour reprendre l’expression de l’historien François Chaubet, avec le souci de propager
le plus largement possible la langue française. Cette propagation va passer par de multiples
canaux et avoir pour effet induit de diffuser un appareil grammatical alors en pleine
reconstruction dans l’espace scolaire français. Cet appareil, dont nous exposerons rapidement les
sources, sera diffusé aussi bien par des instances privées, mais proches de l’État français, dans

Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, 58-59 | 2017


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tous les secteurs de l’étranger, que par les autorités coloniales désireuses de mettre en place une
école indigène. La grammaire, ossature de la langue, quelles que soient d’ailleurs les situations
d’enseignement et d’usage, se trouve ainsi diffusée en différents endroits du monde, selon des
répertoires métalinguistiques variés. Nous nous proposons de suivre ici, mais sans volonté
d’exhaustivité, les cheminements d’un appareil qui selon les lieux d’usage, les publics et les
époques, fera l’objet d’appropriations variées et de remaniements dont nous tenterons de cerner
le profil

The colonial project in the early days of the Third Republic, as well as the will of certain French
elites to reaffirm the civilizing mission of France, have resulted in a "language offer" in the
words of the historian François Chaubet with the desire to spread as widely as possible the
French language. This spread will go through multiple channels and resulted in particular in the
dissemination of a grammatical framework which was then undergoing reconstruction in the
French school space itself. The framework, whose sources we briefly caracterise, will be spread in
all sectors abroad by both private entities – but close to the French State –, and by the colonial
authorities committed to set up and maintain an indigenous school. Grammar, as backbone of the
language, whatever the contexts of teaching and use, is distributed in different places of the
world, under various metalinguistic directories. We intend to follow here, without pretention for
exhaustiveness, the various paths of this grammatical framework, which, depending on the
users, uses and areas, will undergo, different forms of appropriation and rearrangement, the
profiles of which we shall try to identify

INDEX
Keywords : grammar in school, nomenclature, textbooks, elementary French
Mots-clés : Grammaire, scolaire, nomenclature, manuels, français élémentaire

AUTEUR
GÉRARD VIGNER
Éducation nationale / SIHFLES

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La place du français parmi les


langues pratiquées par les milieux
hellénophones dans la seconde
moitié du XVIIIe siècle :
témoignages et données éditoriales
Réa Delveroudi

Introduction
1 Quand on étudie des questions touchant la diffusion d’une langue, la perspective
historique peut se révéler particulièrement fructueuse dans la mesure où elle met en
relief la dynamique des phénomènes relatifs au « marché des langues » et à la position
de chacune sur l’aire internationale. La seconde moitié du XVIII e siècle est une période
importante pour l’histoire de la francophonie dans les Balkans, puisque c’est à ce
moment que l’intérêt pour cette langue, éveillé au début du siècle par les Phanariotes –
Grecs du quartier du Phanar à Constantinople, hauts fonctionnaires de l’administration
ottomane –, se concrétise par l’amorce d’une activité éditoriale, centrée sur des
grammaires du français écrites en grec et sur des dictionnaires bilingues. C’est à cette
période, en effet, que verront le jour la première grammaire française pour
hellénophones (Vendotis 1786), ainsi que le premier dictionnaire comprenant le grec
moderne et le français (Vlachos 1784).

1. Le contact des Grecs avec la langue française au


temps des Lumières
2 Contrairement à ce qui se passe actuellement en Grèce, les Grecs ne furent jamais très
portés sur les langues étrangères. Comme les Anglais et les Américains actuellement,

Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, 58-59 | 2017


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comme les Français autrefois, les Grecs de l’Antiquité n’avaient pas besoin d’apprendre
d’autres langues, puisque la leur était la lingua franca de l’époque. Plus tard, la division
de l’empire romain et, ensuite, le Schisme des Églises eurent comme répercussion la
méfiance et même l’hostilité des Grecs face à tout ce qui provenait de l’Occident. Après
la chute de l’Empire byzantin, avec l’Église orthodoxe à la tête de l’ethnie grecque,
l’isolement devint encore plus grand1. Il y eut, bien évidemment, des atténuations de
cet isolement, lorsque des Grecs, allant s’installer dans des villes italiennes, telles que
Venise ou Padoue, établirent un contact avec l’Occident ; certains d’entre eux
contribuèrent même activement à l’expansion de ce nouveau mode de communication
que constitua l’imprimerie. En fait, Venise fut, à côté de Vienne un peu plus tard, l’un
des deux grands pôles de production de livres imprimés grecs (Yakovaki 2005 :
198-200). Aux facteurs sociopolitiques liés à l’isolement des Grecs résidant dans
l’Empire ottoman, il faut ajouter le facteur géographique, tout au moins pour ce qui est
de la langue française : contrairement à ce qui s’est passé en Espagne, en Italie ou en
Angleterre, la distance qui sépare la Grèce de la France a empêché durablement les
couches sédentaires de la société grecque d’entrer en contact avec cette langue. Ce
n’est qu’aux débuts des Lumières grecques, c’est-à-dire aux alentours de 1750, que
l’esprit grec, poussé par la curiosité, commence à s’émanciper de la tutelle
ecclésiastique et à s’intéresser à ce qui se passe en Occident 2. Le premier résultat
concret de cette ouverture d’esprit consiste dans des traductions de divers chef-
d’œuvres de la littérature européenne, dont la quasi-totalité est restée inédite 3.
3 L’introduction de la langue française dans les milieux hellénophones, principal moyen
pour la Grèce d’établir le contact avec l’Europe, se produit dans une conjoncture
historique particulièrement favorable, tant du côté français que du côté grec :
4 - Du côté de la langue française, le milieu du XVIII e siècle, marque, peut-on dire,
l’apogée de son rayonnement en tant que langue de culture et de diplomatie en
Europe4. Cette prééminence de la langue française est le fruit d’une longue histoire,
pendant laquelle les efforts des érudits français pour « la défense et illustration de la
langue française » ont été secondés par les œuvres des grands auteurs classiques du
XVIIe siècle ainsi que par le progrès scientifique et philosophique du siècle suivant. Par
ailleurs, après le traité de Rastatt en 1714, qui met fin à la guerre de succession
d’Espagne, premier traité entièrement et uniquement rédigé en français, cette langue
moderne commence à se substituer au latin en tant que langue officielle de la
diplomatie occidentale. En effet, cette innovation linguistique a été suivie par les traités
de Vienne (1735) et d’Aix-la-Chapelle (1748), également rédigés en français (Burke
2004 : 86). Ainsi, tout au long du XVIIIe siècle se forge pour cette langue une fonction
nouvelle, amorcée au siècle précédent, celle de lingua franca des couches sociales
supérieures de l’Europe. Et lorsqu’en 1744 Frédéric II de Prusse (« le Grand ») ordonne
que le français soit substitué au latin comme langue de l’Académie Royale des Sciences
et Belles-Lettres de Prusse, c’est, plus que l’expression d’une préférence personnelle, la
reconnaissance d’une tendance et d’une mode déjà établies (Burke 2004 : 87). Point
culminant de ce parcours, le libellé de la question que cette même Académie met au
concours le 6 juin 1782 : « Qu’est-ce qui a fait la langue française la langue universelle
de l’Europe ? Par où mérite-t-elle cette prérogative ? Peut-on présumer qu’elle la
conserve ? »5.
5 Dans une telle conjoncture, le français ne pouvait pas ne pas toucher les esprits
curieux qui, à cette époque, commencent à se multiplier dans la population grecque.

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6 Du côté des hellénophones, ce sont les Phanariotes qui deviennent le vecteur de


contact. Dès le milieu du XVIIe siècle, certains d’entre eux occupent la fonction du
Grand Drogman6 ou bien sont nommés princes de Valachie et ensuite de Moldavie et, de
même que les despotes éclairés Frédéric II de Prusse (1740-1786) et Catherine II de
Russie (1762-1796), contribuent à l’éclosion des Lumières grecques 7. Ce courant qui,
comme partout en Europe, était fortement influencé par les penseurs français, avait
essentiellement pour but l’instruction du peuple grec, ainsi que son émancipation de la
domination ottomane. Comme les nobles dans tous les pays d’Europe, les Phanariotes
apprennent, parlent et écrivent aisément le français, traduisent des œuvres françaises,
font venir de France des maîtres de langue et des livres français (Brunot 1967a : 3-7,
Dimaras 2002 [1977] : 222-223). Ils essaient d’imiter les manières et le comportement
des Français, bref, ils participent à ce que les Anglais de l’époque désignent, en
introduisant un néologisme, « la gallomanie » (Leclerc s.d., cf. Dimaras 2002
[1977] : 265-266).
7 Trois constatations me semblent ici s’imposer :
8 1) Cette destinée particulière du français, qui va durer environ deux siècles, est un
épisode de son histoire externe qui, comme l’ont maintes fois souligné les linguistes, est
entièrement indépendante de sa structure. En d’autres termes, rien dans la structure
du français ni, d’ailleurs, du grec dans l’Antiquité, ni de l’anglais aujourd’hui, ne
prédispose ces langues à l’essor particulier qui fut ou qui est le leur. En effet,
aujourd’hui, grâce au progrès des sciences du langage, on donnerait sans doute raison
au concurrent d’Antoine Rivarol, Christoph Schwab ; ce dernier soutenait que la
suprématie du français était surtout imputable à des conditions politiques,
économiques et militaires, tandis que, pour Rivarol, le statut de « langue universelle de
l’Europe », qui était reconnu au français, était dû à des causes intrinsèques à la langue
elle-même, telles son « génie » ou sa clarté (Leclerc s.d.) 8.
9 2) Le français est la première langue moderne qui devient une lingua franca généralisée,
couvrant la totalité du territoire européen. La lingua franca originale, en usage dans la
Méditerranée au Moyen Âge et jusqu’au XVIIIe siècle, n’était pas une langue naturelle,
mais un mixte de vénitien, de portugais et d’arabe. Par ailleurs, d’autres langues
européennes étaient utilisées en tant que langues de contact, disons, locales, comme
l’allemand, aux alentours de 1500 en Scandinavie, dans l’Europe du Nord et de l’Est, où
se rencontraient de fortes concentrations de germanophones (Burke 2004 : 127). De
même, pendant la Renaissance, l’italien était la langue des érudits et des artistes
européens, ainsi que la langue du commerce. À partir du XVII e siècle, le latin
commence, dans le monde des savants et des lettrés, à céder la place aux langues
vernaculaires ; le français aura le premier rôle dans cette succession, sans pour autant
atteindre jamais l’acceptation générale dont jouissait auparavant le latin dans la
République des Lettres9.
10 3) Lorsqu’on parle de la diffusion de la langue française en Europe au XVIII e siècle, il ne
faut pas perdre de vue le fait qu’il s’agit d’un phénomène de classe, touchant les
diplomates, les couches sociales les plus hautes, les érudits 10. Quoique, en tant que
langue vivante, le français ait réussi à pénétrer des couches sociales plus diversifiées
que son prédécesseur, le latin11, les couches inférieures ne sont point touchées par cette
pénétration, ni en Europe, ni même en France. En effet, le statut du français en France à
cette époque est assez loin de présenter des caractéristiques couramment attribuées à
une langue nationale. Les résultats de l’enquête menée par l’abbé Grégoire juste après

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la Révolution sont assez éloquents à cet égard : sur 28 millions d’habitants, au moins six
millions, surtout dans les campagnes, ignoraient la langue nationale, un nombre égal
était à peu près incapable de soutenir une conversation suivie en français (Brunot
1977b : 204-214)12.
11 Mais, revenons à la Grèce du XVIIIe siècle et à la connaissance des langues étrangères.
Quand on aborde un tel sujet, on ne doit pas oublier la mise en garde de Dimaras,
éminent spécialiste des Lumières grecques, selon lequel le discours sur la place
privilégiée du français dans la culture grecque repose sur une idée générale, confuse et
passe-partout, qui au demeurant ne concerne pas uniquement l’histoire des lettres
grecques et que nous devons vérifier pour chaque cas étudié. En ce qui concerne la
place du français chez les hellénophones au début du XVIII e siècle, on ne s’appuie,
toujours selon Dimaras, que sur des généralités : sur le fait que depuis l’époque du
traité de Rastatt, le français est consacré comme langue de la diplomatie et que les
jeunes gens destinés à la carrière diplomatique doivent apprendre cette langue, que des
maîtres français enseignent dans les principautés danubiennes, etc. (Dimaras 2002
[1977] : 266 et 285). Et le discours d’aujourd’hui sur le sujet ne semble pas être beaucoup
mieux argumenté qu’en 1977, lorsque Dimaras faisait ces constatations 13. Cependant,
une source importante d’informations précises concernant les langues étrangères, qui
n’a pas été exploitée suffisamment jusqu’à présent14, se trouve dans les essais de Dimitri
Catargi (vers 1730-1807), illustre savant phanariote, connu surtout pour ses idées
d’avant-garde en faveur de la langue grecque moderne. Dans deux de ses textes
(« Σχέδιο τῆς ἀγωγῆς τῶν παιδιῶν… » [Εsquisse de l’éducation des enfants] et
« Συμβουλὴ στοὺς νέους… » [Conseil aux jeunes]), écrits en 1783, mais restés inédits
jusqu’en 1970, nous pouvons observer l’attitude d’un esprit éclairé en matière
d’apprentissage et d’enseignement des langues étrangères (Delveroudi, à paraître).

2. Le français parmi d’autres langues étrangères


12 Si nous voulons restituer une chronologie de l’expansion du français dans les milieux
hellénophones, nous devons retenir les dates suivantes :
13 1714. L’intérêt pour la langue française, qui n’était cependant pas totalement inexistant
auparavant1, est renforcé d’une manière décisive par une nécessité d’ordre
professionnel, depuis que le traité de Rastatt a consacré la langue française comme
langue de la diplomatie occidentale. Cette nécessité touche surtout les jeunes
Phanariotes qui, pour la plupart, sont destinés à la carrière diplomatique.
14 1742. Publication du premier livre français traduit en grec : Les Aventures de Télémaque
de Fénélon2. Cette édition montre que l’intérêt pour les lettres françaises s’est répandu
auprès d’un public désormais élargi à des gens qui ne pouvaient pas lire les textes
français dans l’original3.
15 1743. L’abbé Pierre-François Guyot Desfontaines constate que « la langue Françoise,
regardée comme une langue sçavante, et préférée à toutes les langues modernes, est
cultivée par les Nobles » dans les principautés danubiennes « où tant de langues ont
cours »4.
16 1784 et 1786. Parution du premier dictionnaire comprenant le grec moderne et le
français et de la première grammaire française en grec.

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17 Nous ne pouvons pas ne pas relever ici un paradoxe : étant donné l’image générale de la
diffusion du français au XVIIIe siècle, ces deux éditions sont très tardives par rapport à
ce qui se passe pour d’autres langues, notamment pour l’italien et l’allemand. Voici,
dans le tableau suivant, quelques dates indiquant des publications pour les trois
langues5 :

Manuel/abécédaire/
Grammaire Dictionnaire
dialogues

Anonyme, 1774 Vlachos, 1659


Italien Véniéris, 1799
réed. 1778, 1780 rééd. 1723, 1784, 1801, 1820

Dimitriou, 1779, réed.


Somavera, 1709
1810

Constantinou, 1757
réed. 1786, 1801

Anonyme, 1772,
réed. 1783

Vlandis, 1792
réed. 1806, 1815

Allemand Darvaris, 1785 Papagéorgiou, 1768 Papagéorgiou, 1767

Papagéorgiou, 1768

Papagéorgiou, 1772
rééd. 1792, 1793

Vendotis, 1786 Vlachos, 1784, 1801, 1820


Théocharopoulos,
réed. 1793, 1802, 1806, Vendotis, (trilingue), 1790, 1816, 1827
Français
1809, 1820
Erkoulidis, 18316
1810, 1832 Vendotis-[Doucas] (bilingue) 1804

Caratzas, 1806 Zalicoglou, 1809, 1815, 1823

Partzoullas, 1814, 1815 Comas, 1811

Govdélas, 1816

18 Il est également significatif que le dictionnaire qui comprend pour la première fois le
grec moderne et le français n’est autre que la troisième édition du dictionnaire de
Vlachos, dont les deux premières éditions (1659 et 1723) concernaient le grec ancien, le
grec moderne, le latin et l’italien. Six ans après cette édition, qui ajoute à ces quatre
langues le français, il y aura la publication d’un dictionnaire trilingue (français, grec,
italien), sous l’impulsion du prince A. Mavrocordatos ; le premier dictionnaire bilingue
français-grec ne sera publié qu’en 1804.

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29

19 Les données relatives à l’italien peuvent s’expliquer aisément, la relation des Grecs avec
cette langue étant plus ancienne qu’avec le français. Il est bien connu qu’après la prise
de Constantinople nombre de Grecs se sont réfugiés en Italie, pays qui est devenu,
également, le séjour privilégié des Grecs qui désiraient et pouvaient suivre des études
supérieures7. Par ailleurs, la Crète et les îles ioniennes, restèrent longtemps sous
l’occupation vénitienne. Enfin, la proximité géographique facilite les échanges et, si le
français est la langue préférée des Phanariotes, les commerçants et les marins
s’ouvrent à l’Occident grâce à l’italien (Dimaras 2002 [1977] : 7).
20 En ce qui concerne l’allemand8, nous savons, grâce à l’introduction de Papagéorgiou
(1772) – l’auteur du premier manuel pour une langue étrangère rédigé en grec –, que le
but de son ouvrage était de venir en aide aux Grecs vivant dans des régions
germanophones de l’empire des Habsbourg. Il décrit les difficultés linguistiques
rencontrées par ses compatriotes qui veulent apprendre l’allemand, soit tout seuls, soit
avec l’aide d’un maître qui ne connaît pas le grec, et soutient que son ouvrage les aidera
à surmonter ces difficultés.
21 Si ces constatations expliquent de manière satisfaisante la précocité des publications
consacrées à l’italien et à l’allemand, il n’en reste pas moins que l’apparition tardive du
français dans le domaine éditorial pose question. Sans méconnaître le caractère fortuit
que ces données peuvent toujours revêtir, je crois que cette question ne peut pas
recevoir de réponse satisfaisante, si on écarte la dimension sociale, à savoir le fait que
l’apprentissage des langues étrangères, dans le passé plus qu’aujourd’hui, était un
phénomène de classe. L’italien et l’allemand, langues des voisins de l’empire ottoman,
sont accessibles et utiles à des couches plus vastes que le français. Les commerçants
surtout, mais aussi les marins, se trouvent au contact des populations parlant ces
langues et le besoin de les apprendre est pressant, pour des raisons pratiques. Certains
viennent même vivre dans des régions où elles sont parlées et doivent les apprendre
sur les lieux mêmes ; un dictionnaire, une grammaire apportent des solutions beaucoup
moins coûteuses que le recours à un maître. Papagéorgiou (1722), d’ailleurs, dans son
introduction mentionne explicitement que son livre aidera ceux qui n’ont pas les
moyens d’embaucher un maître9.
22 La situation est toute différente pour le français : c’est par son rayonnement européen
que cette langue arrive aux milieux phanariotes. Les raisons et la façon de l’apprendre
sont tout à fait différentes. Les Phanariotes apprennent le français avec des maîtres de
langue, dès leur jeunesse, dès leur enfance même, auprès de gouvernantes établies à
demeure chez eux et qui ne parlent que le français aux enfants qui leur sont confiés.
Catargi en parle longuement dans ses essais, prônant l’apprentissage précoce d’une ou,
même, de plusieurs langues (Catargi 1999 [1970] : 40). Dans de telles conditions, il est
clair qu’un dictionnaire ou une grammaire, écrits en grec, ne sont pas des outils
indispensables, comme ils le sont pour l’italien ou l’allemand 10. Par ailleurs, l’édition
d’un livre est tout d’abord une opération commerciale qui suppose un marché ; or, tant
que nous restons dans le cercle phanariote, le public est beaucoup plus restreint que
celui visé par les éditions pour les deux autres langues 11.
23 Nous avançons donc ici l’hypothèse que la parution tardive, en 1786, de la première
grammaire française ainsi que celle du premier dictionnaire comprenant le français
(1784), marque le moment où l’apprentissage du français dépasse les limites du milieu
phanariote, le moment où la diffusion de cette langue, faisant tache d’huile, touche
progressivement des cercles de plus en plus larges de la population grecque. Les

Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, 58-59 | 2017


30

diverses traductions grecques d’ouvrages français réalisées antérieurement (depuis


1742) ont probablement préparé le terrain pour le rayonnement de cette langue. Ces
nouveaux produits commerciaux, la grammaire et le dictionnaire, mettent en évidence
de la façon la plus nette le fait que, dorénavant, il y a une masse croissante de Grecs qui
souhaitent apprendre ou comprendre le français, une masse qui forme le groupe visé
par ces produits. L’époque, donc, où le français supplante l’italien se situe, selon nous,
deux décennies plus tard que celle proposée par Dimaras. Autrement dit, nous croyons
que « dans le dernier tiers du XVIIIe siècle » (Dimaras 2002 [1977] : 286), c’est-à-dire à
partir de 1766 déjà, la prédilection des Grecs pour les langues étrangères n’a pas encore
basculé de l’italien vers le français. Deux données que Dimaras lui-même mentionne
témoignent en faveur de cette datation plus tardive : lorsque Choiseul-Gouffier arrive
en 1776 à Patmos, le premier moine qu’il rencontre s’adresse à lui en italien, lui
demandant si Voltaire, ce grand bienfaiteur de l’humanité, était toujours en vie
(Dimaras 1969 : 145). Et Iosipos Moisiodax montre que l’italien n’a pas encore perdu sa
place en 1780, en attestant que « De nos jours, les jeunes nobles les plus en vue de
Constantinople s’intéressent à l’italien ou au français » (Dimaras 2002 [1977] : 286, notre
traduction). La parution du premier dictionnaire (1784) et de la première grammaire du
français (1786) marque le moment où le français commence à remplacer l’italien en
tant que langue étrangère préférée des Grecs, mais ce ne sera qu’au début du XIX e siècle
que ce basculement sera achevé12. Témoignage concret de cet épanouissement, les
nombreuses rééditions qu’a connues la grammaire de Vendotis (Delveroudi 2011), ainsi
que la parution de trois autres grammaires et de dictionnaires du français dans les deux
premières décennies du XIXe siècle.

Conclusion
24 En retraçant l’histoire de l’épanouissement de la langue française dans les milieux
hellénophones dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, nous avons pu vérifier que la
constatation de Dimaras, selon qui la littérature sur ce sujet ne repose que sur des
généralités, garde, dans une large mesure, sa pertinence. Le manque d’imprimés
auxiliaires de l’enseignement du français pendant la plus grande partie du XVIII e siècle
rend difficile la recherche de données précises relatives à la diffusion de cette langue. À
notre connaissance il n’y a pas eu pour la Grèce de dépouillement systématique des
textes et des archives, visant à mettre au jour des informations relatives à ce sujet. Un
tel travail fastidieux est déjà réalisé pour d’autres pays (voir, par exemple, les travaux
de Hammar pour la Suède, de Rjéoutski pour la Russie, etc.) et pourrait servir de
modèle à qui voudrait s’engager sur cette piste.
25 Nous avons jugé nécessaire de situer la connaissance du français par les hellénophones
dans le cadre de deux sujets plus vastes concernant le XVIII e siècle, à savoir celui du
statut du français en Europe – mais aussi en France –, et celui de la connaissance
d’autres langues étrangères par les hellénophones à l’époque des Lumières, en
soulignant la nécessité de la prise en compte des paramètres sociaux pour la
compréhension du phénomène de l’apprentissage des langues à cette époque. La mise
en parallèle de la diffusion du français par rapport à celle de l’italien et de l’allemand,
appuyée sur les données éditoriales concernant les grammaires et les dictionnaires de
ces langues, a fait apparaître un paradoxe : la prétendue suprématie du français dans
les milieux hellénophones n’est pas du tout confirmée par ces données, qui nous

Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, 58-59 | 2017


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incitent plutôt à soutenir que le français conquiert le statut de langue préférée des
Grecs deux décennies plus tard que celle présumée par Dimaras. Nous avons imputé la
parution tardive des ouvrages relatifs à l’apprentissage du français aux caractéristiques
sociales des publics visés : d’une part les Phanariotes (pour le français), d’autre part des
couches plus vastes et populaires (pour l’italien et l’allemand). La parution des
ouvrages en question marque, selon nous, un moment de transition, après lequel la
connaissance du français cesse d’être un privilège des nobles et commence à gagner des
couches plus vastes de la population grecque.

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Appendice

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italien et allemand) publiés avant 1821 (liste non exhaustive).

Anonyme (1783) [1772] . Λεξικὸν ἰταλικὸν καὶ ῥωμαϊκὸν ἁπλοῦν... Venise : Glykys. (L’édition 1772,
F0
2A

chez Bortoli).

Αnonyme (1782) [1774]. Γραμματικὴ ἰταλική…Venise : Glykys. (L’édition 1774 chez le même
éditeur). 3e éd. Venise : Glykys, 1780.

Caratzas, N. (1806). Γραμματικῆς Γαλλικῆς Ἀκριβὴς Διδασκαλία. Vienne : Vendotis.

Comas, D. (1811). Ἑλληνο-Ρωσσικο-Γαλλικὸν Λεξικὸν... Moscou : Vsevolovski.

Constantinou, G. (1757). Λεξικὸν τετράγλωσσον, περιέχον δηλαδὴ, τὰς τέσσαρας ταύτας διαλέκτους,
Ἑλληνικὴν, πεζὴν, ἤτοι ἁπλῆν Ῥωμαιϊκὴν, Λατινικὴν, και Ἰταλικὴν… Venise : Bortoli. 2 e éd.
Vensise : Bortoli, 1786. 3e éd. Venise : Théodosiou, 1801.

Darvaris, D. (1785) Γραμματικὴ γερμανικὴ ἀκριβεστάτη... Vienne : Baumeister.

Dimitriou, Th. (1779). Γραμματικὴ τῆς ἰταλικῆς γλώσσης... Vienne : Kurzböck. 2 e éd. Vienne :
Vendotis, 1810.

Εrkoulidis, A. (1831) Εἰσηγητὴς τῆς Γαλλικῆς Γλώσσης... Égine : Apostolidis.

Govdélas, D. (1816). Δοκίμιον περὶ τῶν γραμμάτων τῆς τῶν Γάλλων φωνῆς καὶ τῆς αὐτῶν
ἀπαγγελίας... Vienne : Zweck.

Papagéorgiou, M. (1767), Eἴσοδος ῥαδία εἰς τὴν Γερμανικὴν γλῶσσαν... Vienne : L. J. Kaliwoda.

Papagéorgiou, M. (1768). Ἀλφαβητάριον Γερμανικὸν…Vienne : Schulz.

Papagéorgiou, M. (1768). Λεξικὸν Ρωμαιικογερμανικὸν. Χάριν τῶν ἀρχαρίων τῆς Γερμανικῆς Γλώσσης.
Vienne : Schulz.

Papagéorgiou, M. (1772). Πρόχειρος καὶ εὐπόριστος διδάσκαλος τῶν πρωτοπείρων Ῥωμελιτῶν τῆς
γερμανικῆς γλώσσης… Vienne : Kurzböck. 2e éd. Peste : Patzkó, 1792. 3e éd. Vienne : Vendotis, 1793.

Partzoullas, M. (1814). Γραμματικὴ Γαλλικὴ Θεωρητικὴ καὶ Πρακτικὴ... Vienne : Zweck. 2 e éd.
Vienne, 1815.

Somavera, A. da (1709). Τesoro della lingua greca-volgare ed italiana cioe ricchissimo dizzionario greco-
volgare et italiano... Paris : Guignard.

Théocharopoulos, G. (1827). Dialogues familiers... Paris : G. Doyen.

Vendotis, G. (1786). Γραμματικὴ τῆς Γαλλικῆς Διαλέκτου... Vienne : Baumeister. 2 e éd. Vienne :
Vendotis, 1793 (parutions suivantes : Venise : 1802, 1810 et 1832 ; Vienne : 1806 et 1809).

Vendotis, G. (1790). Λεξικὸν τρίγλωσσον τῆς Γαλλικῆς, Ἰταλικῆς, καὶ Ῥωμαϊκῆς διαλέκτου, εἰς τόμους
τρεῖς διῃρημένον... Τόμος Α΄. Γαλλο-ῥωμαϊκο-ἰταλικός. François, grec, & italien. Vienne : Baumeister.

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35

Vendotis, G. (1790). Λεξικὸν τρίγλωσσον τῆς Ἰταλικῆς, Γαλλικῆς, καὶ Ῥωμαϊκῆς διαλέκτου, Τόμος Β΄.
Ἰταλο-ῥωμαϊκο-γαλλικὸς. Ιtaliano, Greco, e francese. Vienne : Baumeister.

Vendotis, G. (1790). Λεξικὸν τρίγλωσσον τῆς Ῥωμαϊκῆς, Γαλλικῆς, καὶ Ἰταλικῆς διαλέκτου, Τόμος Γ΄.
Ῥωμαϊκο-γαλλικο-ἰταλικός. Greco, francese, e italiano. Vienne : Baumeister. (éd. suivantes, voir
Vendotis 1816.)

Vendotis, G. & Doucas (1804). Λεξικὸν δίγλωσσον τῆς Γαλλικῆς καὶ Ῥωμαϊκῆς διαλέκτου..., Τόμος Α΄ .
Γαλλικο-Ρωμαϊκός. Vienne : Schraimbl.

Vendotis, G. & Doucas (1804). Λεξικὸν δίγλωσσον τῆς Ρωμαϊκῆς καὶ Γαλλικῆς Διαλέκτου... Τόμος B΄.
Ρωμαϊκo-Γαλλικός. Vienne : Vendotis.

Vendotis, G. (1816). Λεξικὸν τῆς Γραικικῆς Γαλλικῆς τε καὶ Ἰταλικῆς γλώσσης... Venise : Glykys. 2e
éd. 1820.

Véniéris, D. (1799). Ἐπιτομὴ γραμματικῆς ἐξηγηθεῖσα εἰς τὴν ἁπλὴν ῥωμαϊκὴν διάλεκτον μὲ τὴν
μετάφρασιν εἰς τὸ ἰταλικὸν, Καὶ μετὰ τῆς προσθήκης Οἰκιακοῦ τινος Λεξικοῦ, καί τινων πρὸς οἰκείους
Διαλόγων. Trieste : J.B. Speraindio. (Avec un dictionnaire p. 294-360).

Vlachos, G. (1659). Θησαυρὸς τῆς ἐγκυκλοπαιδικῆς βάσεως τετράγλωσσος... Venise : Ducali Pinelliana.
2e éd. Venise : Bortoli, 1723, éd. suivantes, voir Vlachos 1784.

Vlachos, G. (1784). Θησαυρὸς τῆς ἐγκυκλοπαιδικῆς βάσεως τετράγλωσσος... Ἔκδοσις ὡς οἶόν τε


διορθωθεῖσα, ᾟ νῦν Πρῶτον Προσετέθη ἥ, τε Γαλλικὴ ἐν ἑκάστῃ τῶν περιεχομένων ἐν ταύτῃ Λέξεων.
Venise : Glykys. 4e éd. 1801 et 5e éd. 1820 chez le même éditeur.

Vlandis, S. (18062) [1792]. Νέον Λεξικόν Ἰταλικο-Γραικικὸν, Ἐρανισθὲν Ἐκ τοῦ μεγάλου Λεξικοῦ τῶν
Ἀκαδημαϊκῶν τῆς Κρούσκας. 3e éd. Venise : Glykys, 1815.

Zalicoglou, G. (1809). Λεξικὸν τῆς Γαλλικῆς Γλώσσης. Paris : Εberhart. 2 e éd. Venise : Glykys 1815, 3e
éd. Paris 1823.

NOTES
1. Dimaras 2002 [1977] : 68. Sur les réactions hostiles à l’apprentissage des langues étrangères qui
se multiplient tout au long du XVIIIe siècle, voir Caravolas 2000 : 236-237.
2. Sur le tissage de la relation entre la Grèce et l’Europe à l’époque des Lumières et sur le rôle
important des livres imprimés et des traductions des ouvrages européens, voir Yakovaki 2003.
3. Sur les premières traductions, manuscrites dans une grande mesure, voir Dimaras 2002 [1977] :
68-70 et Tabaki 2004 : passim. Pour une étude approfondie des différentes pratiques de traduction
et de ce que nous pouvons en inférer sur la connaissance des langues, voir Athini 2010 : 331 sq.
4. L’influence de l’esprit français sur toute l’Europe en ce milieu du XVIII e siècle est décrite en
détail dans l’ouvrage − au titre significatif : L’Europe française − du marquis de Caraccioli (1776).
Le titre de l’ouvrage de Caraccioli est repris deux siècles plus tard par Réau (1971 [1938]) :
L’Europe française au siècle des Lumières. Cf. Brunot 1967a : passim, Fumaroli 2001. Voir, cependant,
pour un examen critique du discours historique sur le rayonnement français, Beaurepaire 2007,
Markovits 2014 et Bély 2017.
5. Rappelons que le prix est remis en 1784 ex aequo à Antoine de Rivarol et à Johann-Christoph
Schwab (Brunot 1967a : 840 sq).
6. Haut fonctionnaire de l’empire ottoman, chargé des relations diplomatiques.
7. Sur le courant des Lumières grecques, son contour historique, les paramètres idéologiques, les
protagonistes, ainsi que le rôle du livre imprimé, voir Iliou 2003. Sur les Phanariotes, voir entre

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autres Sfiroeras 2003 ; sur l’institution des drogmans et la formation polyglotte des Phanariotes,
voir Pechlivanos 2005 : 71-75 ; sur l’aube des Lumières grecques et sur le rôle des Phanariotes
dans l’éclosion des Lumières, voir Bouchard 2005 ; sur la famille phanariote des Mavrocordatos et
sa place dans la République des Lettres, voir Bouchard 1989.
8. Rappelons que Rivarol, dans sa dissertation présentée au concours de l’Académie des Sciences
de Berlin, énonce le dicton : « Ce qui n’est pas clair n’est pas français ». Pour le côté
« mystérieux » de la vocation de certaines langues à l’« universalité », voir Fumaroli 2001 : 19.
9. Voir Bots & Waquet 1997, plus particulièrement p. 135, où il est cependant question des
« qualités intrinsèques » du français ; voir également Waquet 1998 : 305-310.
10. Voir, par exemple, les constatations faites pour la Russie et la Suède par Rzeutskij (2007) et
Wolff (2007) respectivement. Pour les limites géographiques et sociales de l’expansion du
français, cf. également Réau 1971 [1938] : 60.
11. L’expansion du français au détriment du latin va de pair avec la « démocratisation » du
savoir, qui commence à être diffusé dans des couches beaucoup plus larges que celles des érudits
formant la République des Lettres. En témoigne la prédilection que les femmes lui portent par
rapport au latin (cf. Réau, ibid.).
12. Pour une approche de sociolinguistique historique concernant la situation linguistique en
France et en Suisse romande au XVIIIe siècle, voir Kristol 2007.
13. Cf. supra, n. 5.
14. Voir, cependant, Yakovaki 2003 : 66-77, ainsi qu’une brève mention dans Bouchard 2010 : 7.
1. Comme le souligne Dimaras (2002 [1977] : 266-277), l’ouvrage de forme romancée Φιλοθέου
πάρεργα [Les loisirs de Philothée], écrit en 1718, mais resté inédit jusqu’en 1800, témoigne
nettement de l’influence des lettres françaises sur la culture de son auteur, le prince Nicolas
Mavrocordatos. Son père, Alexandre, connaissait l’œuvre de La Rochefoucauld et en avait subi
l’influence. Cependant, toujours selon Dimaras, la deuxième date à retenir pour l’expansion du
français chez les hellénophones est celle de 1720, date à laquelle la bibliothèque des
Mavrocordatos est, selon lui, « presque vide » de livres français. Or, nous savons aujourd’hui que
cette bibliothèque était suffisamment fournie en livres et revues françaises. Sur ce sujet, voir
Tabaki 2004 : 93-94, Tabaki 2007 : 187-200. Cf. Papacostea-Danielopolu 1974 [ =1980] : 125-136.
Nous remercions Madame Anna Tabaki pour nous avoir fourni ces informations bibliographiques.
Sur ce sujet, voir également Athini 2010 : 120 et 235 sq.
2. S[kiadas] (1742), Τύχαι Τηλεμάχου… [Les aventures de Télémaque], 2 vol. Venise : Βοrtoli. Voir
Αthini 2015, cf. Minerva (dir.) 2003.
3. Huit ans plus tard, en 1750, verra le jour, toujours à Venise, la traduction monumentale (16
volumes) de l’Histoire ancienne de Charles Rollin achevée à Paris en 1738 : Παλαιά Ἱστορία τῶν
Αἰγυπτίων, Καρχηδονίων, Ἀσσυρίων, Βαβυλωνίων, Μήδων, Περσῶν, Μακεδόνων καὶ Ἑλλήνων.
Cf. Yakovaki 2005 : 199.
4. Voir l’épître adressée au prince Constantin Mavrocordato dans la traduction des œuvres de
Virgile (Virgile 1743) ; passage cité par Réau 1971 [1938] : 59 ; cf. Dimaras 2002 [1977] : 266.
5. Le tableau est loin d’être exhaustif. Il est fondé sur les données fournies par Caravolas 2000 :
239-243 ; nous avons aussi consulté les catalogues de la Bibliothèque Nationale de Grèce, de la
Bibliothèque Gennadeios, la bibliographie grecque du XIXe s. (Iliou 1997), ainsi que la base de
données de l’Atelier bibliologique « Philippos Iliou » : http://www.benaki.gr/bibliology/en/
index.htm En appendice nous donnons les références bibliographiques complètes. Cf. également
les données de Dimaras (2002 [1977] : 286), relatives aux traductions du français et d’autres
langues européennes vers le grec pour cette époque.
6. Bien que publiés plus tardivement, nous mentionnons ces ouvrages, comme ils sont les
premiers dans leur genre.
7. L’introduction de Constantinou 1757 (voir Appendice) mentionne explicitement que le
dictionnaire aidera les Grecs allant en Italie pour des études de médecine ou « d’autres sciences

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modernes », ainsi que ceux qui, pour des raisons professionnelles ou autres, entrent en contact
avec des Italiens ou des « Romains » (« Λατίνους », signifiant probablement : ayant comme langue
maternelle une langue romane).
8. Sur la forte activité éditoriale relative à la langue allemande dans la deuxième moitié du XVIII e
siècle, voir Dimaras (2002 [1977] : 287-288).
9. Le début du titre de ce manuel est très éloquent : « Πρόχειρος διδάσκαλος » signifiant
exactement cela : un maître à sa portée. De même, le titre de ce manuel dans son entier, ainsi que
celui du précédent (Papagéorgiou 1767, voir Annexe), renvoie exactement à ce besoin
d’apprendre l’allemand sans le recours à un maître et donne des informations attrayantes pour
l’éventuel client et lecteur de l’ouvrage.
10. Il est d’ailleurs significatif que Papagéorgiou (1772), dans l’« Annonce » faite pour la
Grammaire de l’allemand qu’il a rédigée, exprime son souhait de voir publier des grammaires
d’autres langues étrangères : l’italien, le hongrois, le latin » qui sont également nécessaires pour
la nation » ; le français est absent de cette liste. Certaines explications pour le manque de
grammaires de langues étrangères écrites en grec sont avancées par Dimitriou (1779, 1-3).
11. Sur ce point, j’oserai avancer une hypothèse, portant sur l’image actuelle du français en
Grèce, mise en relation avec ces données historiques : il est très vraisemblable que ce clivage
social, concernant d’une part le français, langue de rayonnement, apprise par les élites, et d’autre
part l’italien et l’allemand, langues des voisins, langues ayant déjà servi comme langues
véhiculaires locales (voir supra), se trouve historiquement à la base de l’image stéréotypée du
français en Grèce. En effet, aux yeux de nombreux Grecs, les différents visages de cette langue,
toutes ses variétés (l’argot, le français populaire, le français créole, le français hors de
l’Hexagone, etc.), sont comme inexistants ; pour eux – c’était au moins le cas jusqu’à récemment –
le français garde l’image d’une langue « aristocratique », normée et littéraire, préférée des élites
de la société. Pour cette image de la langue française, toujours vivante, en France et dans le
monde entier, cf. Fumaroli 2001 : 19-22.
12. Par exemple, les traductions ont comme langue source le français, même si l’original est dans
une autre langue (Dimaras 2002 [1977] : 285). Cf. une constatation analogue pour la Suède de la
même époque faite par Wolff (2007 : 135) : les livres anglais et allemands sont lus, très souvent, en
traduction française.
. Entre crochets, les dates de la première édition attestée de l’ouvrage, que nous n’avons pas
F0
F0 2A
2A

pu consulter.

RÉSUMÉS
La mise en parallèle de la diffusion du français par rapport à celle de l’italien et de l’allemand
chez les hellénophones dans la seconde moitié du XVIII e siècle, appuyée sur les données
éditoriales concernant les grammaires et les dictionnaires de ces langues, bouleverse l’idée reçue
de la suprématie du français et nous incite à soutenir que cette langue ne conquiert le statut de
langue préférée des Grecs que vers la fin du siècle. Nous avançons que la parution relativement
tardive des ouvrages pour l’apprentissage du français est imputable aux caractéristiques sociales
des publics visés : d’une part les Phanariotes (pour le français), d’autre part des couches plus
vastes et populaires (pour l’italien et l’allemand). La parution des ouvrages en question marque

Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, 58-59 | 2017


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un moment de transition, après lequel la connaissance du français cesse d’être un privilège des
nobles et commence à gagner des couches plus vastes de la population grecque

The purpose of the present article is to examine the diffusion of French among Greeks, in
comparison with Italian and German during the second half of the 18 th century. Based on the
evidence provided by the publication activity concerning grammars and dictionaries of those
languages, we assume that it is only at the end of 18 th century that French acquires the status of
the preferred language for Greeks. We claim that the relatively late publication of both the first
French grammar in Greek and the first dictionary containing Greek and French should be
correlated to the social characteristics of their targeted public. For a long period, the public
related to French is limited to the Phanariotes’ circle, namely the noble Greeks living in
Constantinople, whereas the public aimed by Italian or German books is a larger and more
popular one. The publication of both the first French grammar and the first dictionary
containing Greek and French marks a moment of transition after which, the knowledge of the
French language ceases to be a “noble” privilege and begins to be spread constantly to larger
layers of the Greek society

INDEX
Keywords : Greece, 18th century, Lumières, Phanariotes, grammars, dictionaries, french,
german, Italian
Mots-clés : Grèce, XVIIIe siècle, Lumières, Phanariotes, grammaires, dictionnaires, français,
allemand, italien

AUTEUR
RÉA DELVEROUDI
Université nationale et
capodistrienne d’Athènes

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L’approche « consciente et
contrastive » de Fedor Buslaev, une
innovation dans l’enseignement des
langues en Russie du XIXe siècle
Nadéjda Kriajeva

Les langues dans l’instruction publique : place


honorable, gestion difficile
1 Le système de l’instruction publique en Russie, forgé de toutes pièces au début du XIX e
siècle, de l’école primaire aux universités, se dote en même temps du Ministère qui va
gérer dorénavant cet ensemble complexe dont l’importance pour la société russe
augmentera de manière spectaculaire tout au long du XIXe siècle1. Les trois gymnases
déjà existants (auprès des universités de Moscou, de Kazan et de l’Académie des
sciences de Saint Pétersbourg), et quelques-uns nouvellement créés, obtiennent tous le
statut d’établissements d’enseignement secondaire principaux, accessibles dans un
premier temps à toutes les conditions sociales (excepté les serfs). De même le Ministère
prenait sous sa tutelle les établissements fermés de la noblesse : corps des cadets et
instituts de jeunes filles nobles, ainsi que de nombreux pensionnats privés, tenus en principe
par les pédagogues étrangers. Les gymnases de filles, créés au milieu du siècle et gérés
par le Cabinet de l’impératrice Marie, les séminaires du Saint-Synode, des écoles
techniques et militaires complètent le paysage assez bigarré de l’enseignement
secondaire au XIXe siècle.
2 Ce système a subi plusieurs réformes (1828 ; 1849 ; 1864 ; 1872 ; 1890) qui modifiaient les
objectifs de l’instruction, la structure, les noms des établissements et le contenu des
programmes. Elles limitaient ou élargissaient à plusieurs reprises l’accès à l’éducation
de différents groupes sociaux, dans le contexte politique et social instable de ce siècle :
les années libérales alternaient avec les périodes d’endurcissement et de

Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, 58-59 | 2017


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conservatisme. Malgré les aléas des réformes, les gymnases représentaient le noyau dur
du système de l’enseignement secondaire ayant le triple objectif de préparer la
jeunesse aux études universitaires, aux fonctions administratives étatiques et à
l’enseignement dans les écoles inférieures.
3 Entre 1804 et 1828, le contenu de l’enseignement dans les gymnases est
« encyclopédique »2 ; il inclut de nombreuses matières étudiées en espace de quatre
ans. Les gymnases font suite aux écoles de premier degré en remplaçant ainsi celles de
deuxième degré mises en place dans les années 70 du XVIII e siècle.
4 Depuis la réforme de 1828 et jusqu’à 1864, les gymnases ont sept classes au lieu de
quatre, ils deviennent ainsi indépendants de l’enseignement des écoles de premier
degré qui sont destinées désormais aux classes populaires. En même temps, se
manifeste la volonté de variation des contenus : classique (deux langues anciennes),
semi-classique (une langue ancienne et deux modernes) et enfin, réel (pas de langues
anciennes, une langue moderne). Les distinctions établies au départ comme options (à
partir de la quatrième année d’études) au sein du même établissement, donnent assez
vite lieu à la création des gymnases de trois types : classique, général et réal 3. L’accès à
l’université et aux études supérieures, en général, est ouvert en principe aux sortants
de tous les gymnases.
5 Dès 1872, la bifurcation classique/réel devient définitive, elle est très stricte. Plusieurs
historiens y voient une décision politique (Alešincev 1912 ; Ganelin 1950 ; Puškarev
1956). Imposée par la volonté du ministre Dimitri Tolstoï (1823-1889), contrairement à
l’opinion de la majorité des décideurs, pour contenir l’implication des jeunes à des
mouvements révolutionnaires et les séparer. Désormais, les études universitaires ne
sont accessibles qu’aux élèves ayant appris l’une des langues anciennes (le latin ou le
grec) et non aux sortants d’établissements secondaires de type moderne : « écoles
réales »4.
6 Le résultat est au premier abord paradoxal par rapport aux tendances de la même
époque dans les pays occidentaux. En effet, les humanités importées de l’Europe
occidentale à l’école secondaire russe en guise de « fondement de la connaissance et de
la culture générale » ont fait le chemin du « classicisme doux et réservé » des réformes
(1828 ; 1864) à celui qu’on appelait « dur » ou même « enragé » 5 du dernier tiers du XIXe
siècle. Pourtant cela n’a pas entravé le développement du réalisme dans l’instruction
publique : le réseau de type réel s’élargit et accumule de nombreux progrès.
7 Or, le trait commun de toutes les réformes de l’école secondaire dans la Russie du XIX e
siècle est l’importance qu’elle attribuait à l’enseignement des langues étrangères :
anciennes (latin et le grec), et modernes (français et allemand). C’est aussi son trait
particulier par rapport aux pays occidentaux de la même époque. La place des langues
fut honorable en tout type de gymnases, elles y occupaient entre quarante et soixante
pour cent de la totalité des cours dispensés. Les langues modernes étant prioritaires
dans l’enseignement encyclopédique du début du XIXe siècle ont progressivement fait
la place à la langue maternelle d’abord, et ensuite ont cédé la priorité aux langues
anciennes (mais seulement dans le contenu désigné comme classique). En effet, la
langue russe en tant que matière d’enseignement ne commence à renforcer
radicalement ses positions dans les gymnases que vers le milieu du siècle sur le fond du
nationalisme grandissant6. Elle se voit attribuer de quatre à deux leçons hebdomadaires
comme chacune des langues vivantes d’ailleurs7. Le grec ancien introduit et le latin

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renforcé par la réforme de 1828 obtiendront en 1872 jusqu’à deux tiers du temps prévu
pour les langues dans les gymnases classiques avec les deux langues anciennes.
8 Néanmoins, le « poids » de chacune des langues et leur rôle en tant que moyen
d’instruction de jeunes esprits, la répartition des leçons, les méthodes d’enseignement
préoccupent fortement les milieux engagés de façon différente dans le processus
d’organisation et le fonctionnement des gymnases : décideurs et concepteurs de
programmes, universitaires et enseignants mêmes de ces établissements. En effet, la
question des langues dans les gymnases fait partie des discussions fondamentales
portant sur la nature de l’enseignement à privilégier par l’école secondaire :
« classique » (humaniste) ou « réaliste ». Or, parmi les conditions préalables qui ont
rendu possibles ces débats, nous mentionnons en premier lieu les activités du Comité
Scientifique fonctionnant dès la création du Ministère de l’Instruction publique. Il a été
chargé de la rédaction des programmes et de l’examen de différents outils didactiques
conçus à l’usage dans les établissements éducatifs8. L’édition périodique du Ministère
de l’Instruction publique existant depuis 1804 et transformée en 1834 en un mensuel
officiel, devient la scène la plus importante de débats pédagogiques en Russie. De
même, plusieurs périodiques créés à des moments différents du XIX e siècle suivaient les
activités bouillonnantes du domaine de l’instruction publique et la polémique des
partis opposés, confrontant ainsi les idées de différents acteurs de l’instruction
publique sur l’éducation de la jeunesse9. Ils publient les différentes réactions aux
projets de 1857, 1861, 1863 et de 1871 soumis pour discussion au niveau national ; ainsi
que les opinions des savants et pédagogues allemands et français sollicités par le comité
scientifique10. Remarquables sont les publications de la section des langues auprès du
Musée pédagogique militaire (1885-1915) sur la méthodologie directe et son application
aux conditions de l’école secondaire en Russie11.
9 À l’aide de ces sources, dont plusieurs sont numérisées assez récemment 12, on arrive
dans un premier temps à une constatation bien banale d’ailleurs : jusqu’au milieu du
XIXe siècle dans les gymnases russes règne la méthodologie grammaire/traduction 13, les
cours systématiques de grammaire et les dictionnaires étant utilisés dans toutes les
classes en guise d’outils didactiques principaux14. Ainsi, les élèves se trouvaient
confrontés depuis le début de leur scolarité à l’apprentissage simultané de plusieurs
langues : le russe avec le slavon d’église ; deux langues anciennes et deux modernes
(français et allemand), ayant en tout six grammaires différentes en main.
10 Mentionnons quand même que les enfants qui entraient dans des gymnases
appartenaient aux familles nobles ayant des précepteurs ; donc, à l’âge de dix ans ils
savaient lire et écrire en russe et en français (Ihnatovicz 1887 : IX). Cela rendait possible
l’usage des manuels de grammaire en principe dès la première année d’études, mais ne
facilitait guère l’apprentissage linguistique représentant une espèce de « torture
grammaticale » permanente et peu efficace.
11 Cet état des choses déplorable dans l’enseignement des langues à l’école publique
donne lieu à une critique virulente de plus en plus intense surtout à partir des années
trente. Les slavophiles partisans d’un courant de pensée russe radical accusaient les
savants russes de « décrire la langue maternelle à travers les lunettes étrangères »,
suivant le modèle des grammaires latines15. Même les auteurs reconnus pour
l’originalité de leurs travaux sur la langue russe, comme Nikolaï Greč (1787-1867) et
Alexandre Vostokov (1781-1864), n’ont pas été épargnés de ces reproches, parce que
leurs adaptations de grammaire russe à l’usage scolaire gardaient en principe la

Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, 58-59 | 2017


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structure de description traditionnelle : lettres/sons, syllabes, parties du discours ;


déclinaison, conjugaison16, etc.). Les discussions plus généralistes, sur le contenu
« réaliste » et/ou « classique » (humaniste) de l’enseignement à dispenser dans les
gymnases, amplifient la problématique de l’enseignement des langues durant la
seconde moitié du XIXe siècle (Grot 1871 ; Feoktistov 1872 : 1-33 ; Hippeau 1878 ;
Alešincev 1912).
12 Or, l’enseignement/apprentissage du russe a été pris pour cible en premier lieu, celui
des autres langues n’étant pas été touché de la même façon : on lui reprochait la
mauvaise répartition du temps entre les langues et le rôle exagéré /insuffisant dans
l’éducation.

Réflexions d'un « éclaireur » sur l’essence de


l’enseignement linguistique à l’école et la
complémentarité des langues
13 C’est dans ce contexte difficile qu’apparaît l’ouvrage de Fedor Buslaev intitulé
modestement « À propos de l'enseignement de la langue maternelle » (1844) 17. Le jeune
auteur (il a 26 ans à l’époque) le présente comme un bilan de réflexions issu de ses
lectures sur le sujet qu’il confronte aux problèmes d’enseignement de la langue russe
rencontrés par lui-même.
14 Buslaev Fedor Ivanovič ( 1818-1897). Linguiste, historien, pédagogue, professeur de
l’Université de Moscou, membre de l'Académie Impériale des sciences de Russie (1860),
vice-président en 1889. Après avoir terminé le gymnase dans une ville provinciale
(Penza), il entre à l’université de Moscou pour une formation en philosophie et
philologie (1834-1838). Entre 1838-1841, il séjourne dans plusieurs pays (Allemagne,
Suisse, France, Italie) en tant que précepteur des enfants du comte Stroganov S.G.
(1794-1882), directeur du district éducatif de Moscou. Pendant cette période Buslaev
découvre et s’inspire des idées linguistiques de Wilhelm von Humboldt et de Jacob
Grimm, de même il étudie la pédagogie suisse et allemande (Johann Pestalozzi, Adolphe
Diesterweg, Karl Mager, Johann Deinhardt, Friedrich Günther, etc.) Peu après son
retour à Moscou, enrichi de nouvelles connaissances, Buslaev débute sa carrière
universitaire (1842), en se consacrant à l’étude historique des langues. En parallèle, le
jeune savant enseigne la langue russe dans des établissements secondaires de Moscou
(1841-1849) et, enfin, il est choisi comme enseignant de langue et littérature russes
pour les enfants de la famille impériale (1859-1861). Comparatiste remarquable et
historien de la langue russe, il a toujours cherché à rapprocher l’école et la science,
ayant jeté les bases de la didactique moderne de la langue maternelle. Ses principaux
ouvrages dans ce domaine, À propos de l’enseignement de la langue maternelle (1844), Essai
de grammaire historique de la langue russe (1858), Manuel de la grammaire russe comparée à la
grammaire du slavon d’église (1870), « …ont ouvert une nouvelle époque dans
l’enseignement de la langue maternelle » jetant les bases scientifiques de sa didactique
(Grot 1876 : 195).
15 La première partie du livre incluant plusieurs chapitres commence par une
constatation de nombreuses insuffisances de l’enseignement des langues : maternelle et
étrangères à l’école et l’analyse des théories en matière de l’éducation de plusieurs
savants et pédagogues allemands et suisses. L’auteur passe en revue les arguments des

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deux « parties pédagogiques » opposées : humanistes et réalistes, en insistant sur le


caractère intransigeant et inflexible de leur argumentation. Pourtant, selon lui, un
compromis entre ces partis est possible s’ils arrivent à trouver un accord sur le vrai
rôle que la langue maternelle doit jouer dans l’éducation (Buslaev 1844 : 34-42).
16 Dans le chapitre « Méthode de l’enseignement de la langue russe », Buslaev expose des
fondements de sa nouvelle approche qu’il baptise de consciente et pratique, contrastive et
comparée. Les bases de ses innovations sont linguistiques, psychologiques et
pédagogiques. Avant tout, dit-il ; il ne faut pas confondre les objectifs scientifiques et
scolaires de l’étude de la langue maternelle, ils sont différents et ne peuvent pas être
atteints par les mêmes moyens. À l’appui de la pensée de Grégoire Girard (1765-1850),
pédagogue suisse affirmant que « tout manuel et toute matière enseignée doivent être
adaptés aux objectifs éducatifs, à l’âge et aux capacités intellectuelles des élèves »
(Girard, 1827), Buslaev essaie de démontrer que les manuels de langue russe de son
temps, « bourrés de terminologies » incompréhensibles aux jeunes enfants, ne
correspondent point à ces exigences :
Dès le plus jeune âge chaque Russe sait déjà décliner et conjuguer, il ne se trompera
pas en accords et en régime des mots, à l’exception de quelques cas particuliers,
d’ailleurs c’est seulement ces derniers qui devraient figurer dans le manuel. Il est
inutile que les enfants sachent les termes d’étymologie, de syntaxe, d’orthographe
dont les manuels sont remplis avant qu’ils n’aient compris ce qui est la proposition
(phrase) et ses parties, ou la signifiance des différentes espèces de mots, avant qu’ils
n’apprennent à saisir avec facilité le sens de ce qu’ils lisent et à le relater par écrit.
(Buslaev 1844 : 30)18
17 Buslaev précise le sens spécifique qu’il donne aux termes de langue et de grammaire.
Influencé par la philosophie du langage de Wilhelm von Humbold (1767-1835) il fait la
distinction entre langue produit et langue activité, et respectivement entre les approches
philologique et linguistique. De ce point de vue, avec le terme de grammaire on peut
désigner l’arsenal de tous les éléments constituant une langue mais aussi son mécanisme
en action, en construction permanente des sens.
18 Par conséquent, dit-il, deux manières d’enseigner la grammaire sont possibles. La
première, très répandue, dresse l’inventaire des divers éléments dont la langue est
constituée : sons/lettres, syllabes, parties du discours avec leurs accidents, c’est une
approche philologique. Tout ouvrage de grammaire systématique en incarne l’exemple.
Cette façon d’enseigner ne peut être que difficile et inefficace à l’école.
19 La seconde, approche linguistique, encore très rare à l’école, s’appuie sur l’activité
langagière de l’enfant en cherchant à développer son « don inné » de la parole. C’est en
cours de conversation et de lecture, à travers la phrase, unité principale de la parole,
que les élèves guidés intelligemment par le maître, découvrent la grammaire de leur
langue maternelle et la richesse de son vocabulaire.
20 Pour pouvoir appliquer l’approche linguistique à l’enseignement du russe il est
nécessaire dit-il, de tenir compte de plusieurs évidences pédagogiques :
Vers l’âge de dix ans la grammaire de la langue maternelle (en tant que mécanisme)
est acquise : tout enfant russe sait s’exprimer en russe sans se tromper dans le choix
des formes grammaticales, mais cette maîtrise est inconsciente. Pour qu’elle
devienne consciente, il faut aider l’enfant à observer et à analyser son propre usage
et celui des autres.
Développer les capacités d’expression orale et enrichir le vocabulaire des élèves est
l’objectif principal de l’enseignant à ce stade. Cela permettra la progression dans la
lecture qui nécessite comme pré- requis une bonne pratique du langage à l’oral.

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Il est logique de partir d’une maîtrise inconsciente du langage vers sa maîtrise


consciente par plusieurs étapes : développer l’activité langagière des élèves en
conversant et en lisant avec eux, leur expliquant peu à peu le fonctionnement de
phénomènes linguistiques, et les faire progresser sur ces bases dans l’expression
orale et écrite. C’est seulement après cette étape fondamentale d’apprentissage que
l’étude de la langue maternelle sera accompagnée et complétée par l’usage de
manuels de grammaire, adaptés aux objectifs de chaque année.
Dans ces conditions, tout ouvrage de grammaire théorique (systématique) doit être
proscrit pour les trois premières années (sur sept) des gymnases ; il est inutile,
voire nuisible au processus de l’apprentissage (Buslaev 1844 : 64-70).
21 Dans la deuxième partie du livre, Buslaev décrit le déroulement d’une série de leçons de
russe (niveau élémentaire) selon sa méthode. Il utilise les extraits d’un conte
d’Alexandre Pouchkine, des petites histoires de la vie quotidienne, des fables, etc. De
même, on y trouve des divers matériaux historiques, stylistiques, dialectaux destinés à
l’usage des enseignants (Buslaev 1844 : 192-371).
22 Le chapitre intitulé « Les liens du russe avec les autres matières d’enseignement » contient
plusieurs pages consacrées à l’enseignement des langues étrangères : anciennes et
vivantes (Buslaev 1844 : 43-48 ; 57-64).
23 D’une part, Buslaev y cherche à démontrer que la pédagogie de la langue maternelle
diffère fondamentalement de celle des langues étrangères :
La méthode de l’enseignement de la langue maternelle se distingue de celle qui
s’applique aux langues étrangères, car elle est définie par nature même de l’objet et
le développement psychologique progressif de l’enfant. La grammaire de la langue
maternelle représente la logique la plus simple, avec laquelle l’enfant peut être
mené, sans l’apercevoir, des choses bien simples à celles qu’on ne découvre qu’à
l’aide de méthodes scientifiques… […] Les langues étrangères s’apprennent sans cet
avantage, car elles ont toujours la langue maternelle comme intermédiaire. C’est
pourquoi l’analyse de la phrase russe doit précéder celle de la langue latine. Pour
les avantages de cette dernière même, un certain fond du savoir grammatical doit
être créé préalablement, à l’analyse des phrases de la langue maternelle. La
grammaire russe servira ainsi d’intermédiaire pour la maîtrise de la grammaire
latine. L’apprentissage de la grammaire d’une langue étrangère en effet est un
passage au stade supérieur, théorique dans l’étude des langues. (Buslaev 1844 : 57)
24 De l’autre, il souligne que la différence des approches n’empêche pas la création de
liens coopératifs, la complémentarité entre les langues enseignées :
C’est pour leur propre intérêt que les professeurs des langues modernes doivent
soutenir l’enseignement solide des langues anciennes ainsi que l’existence des
gymnases classiques, seuls garants de l’instruction dans l’esprit véritablement
européen. En effet, d’une part, l’étude élémentaire comparée rapproche des langues
vivantes (russe, française, allemande) à leurs « ancêtres » : le latin, le grec ancien et
le slavon. D’autre part, elle met en relief les différences entre les langues vivantes
mêmes par le biais de comparaison avec la langue maternelle (russe en
l’occurrence). Tout cela peut et doit créer des fondements solides du savoir
permettant la distinction de ce qui est commun à toute l’humanité, et du national,
propre à une nation. (Buslaev 1867 : 60)
25 Or, selon Buslaev, la démarche similaire serait possible dans l’apprentissage des langues
vivantes à condition que les élèves aient le minimum d’expérience de communication
orale dans ces langues19. Il donnera le détail de cette idée plus tard, en 1866, dans son
plan d’enseignement des langues dans les établissements secondaires des filles. Il y dira
que la moitié de la première année de l’apprentissage du français ou de l’allemand doit
se faire sans appui à aucun texte, ni manuel de grammaire : les éléments grammaticaux

Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, 58-59 | 2017


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et le vocabulaire de base seront appris en communication orale. La seconde moitié de la


première année verra l’introduction de l’écriture et de la lecture de petits textes fondés
sur le vocabulaire et la grammaire acquis (Buslaev 1866 : 435).
26 Buslaev souligne qu’au stade où les élèves commencent à maîtriser consciemment la
langue maternelle, ils sont capables à manier avec facilité le métalangage grammatical
afin d’analyser les phénomènes de nature similaire dans d’autres langues. Pour que ce
métalangage soit utile, il doit constituer un ensemble cohérent et simple. Par
conséquent une concertation des enseignants de toutes les langues est nécessaire. Ils
doivent s’appuyer sur le métalangage grammatical acquis en cours d’apprentissage de
la langue russe20. Or, Buslaev est manifestement pour l’étude des langues étrangères
assez tardive : elle doit attendre que les bases conscientes de la langue maternelle
soient raffermies (Buslaev 1844 : 60-65, 118-119).
27 Cet ouvrage, sûrement trop iconoclaste pour l’époque, n’a pas eu d’impact immédiat
sur les esprits et les opinions dans les milieux éducatifs russes, étant l’objet de vives
critiques à sa parution. Pourtant selon les historiens de la didactique des langues, et
certains contemporains de l’auteur, ce livre avait jeté les bases de la réflexion sur le
rôle fondamental de la langue maternelle dans l’éducation des enfants. Ses idées ont
conquis peu à peu de nombreux partisans, parmi lesquels les acteurs influents des
mouvances pédagogiques de la seconde moitié du XIXe siècle : Konstantin Ušinski
(1823-1871), Vladimir Stounin (1826-1888), Vasilij Vodovozov (1825-1886), mais aussi
Léon Tolstoï (1828-1910). Les collègues de Buslaev, Jakob Grot (1812-1893) et Izmail
Sreznevskij (1812-1880), académiciens et universitaires, ont adhéré à ses idées en les
promulguant par la suite depuis leurs universités respectives de Saint-Pétersbourg et
de Kharkov (Grot 1876 ; Šaxmatov 1898 : 7-12 ; Protčenko 1992).
28 En fin de compte l’approche buslavienne de l’enseignement de la langue maternelle et
des langues étrangères est largement reconnue dans les années soixante : elle sera
officialisée dans les documents de réformes des gymnases de 1863 et 1872. Buslaev, se
chargera lui-même à la demande des institutions de la rédaction de plusieurs plans et
programmes d’enseignement des langues et des littératures dans les établissements
secondaires (Buslaev 1866 ; 1870 ; 1886).
29 En 1867 paraît la deuxième édition de l’ouvrage de Buslaev. Vingt-trois ans après la
première, elle devient un vade-mecum pour les professeurs du russe, langue maternelle
des élèves.

L'impact de l’approche buslavienne sur l'apprentissage


des langues étrangères dans les établissements
d’enseignement secondaire
30 La réforme de 1872 divisant définitivement les établissements secondaires en classiques
(gymnases de garçons) et modernes (écoles réales ayant trois options, écoles militaires,
gymnases de filles) sera à l’origine d’une bifurcation méthodologique dans l’application
de la méthode consciente et contrastive aux langues étrangères. Elle est définie par les
objectifs différents de l’apprentissage des langues étrangères dans ces établissements :
(Orbinskij 1868 ; Radonežskij 1872 : 249-269 ; Vejsmann 1890 : 1-7 ; Varon 1874 : 58-95 ;
Hippeau 1878). Dans les gymnases classiques les langues vivantes (français et
l’allemand) sont reléguées dans le groupe de matières secondaires, elles sont

Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, 58-59 | 2017


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considérées comme complémentaires pour la formation linguistique, « n’ayant pas le


même potentiel que la langue maternelle et les langues anciennes » ce qui chagrine
d’ailleurs des enseignants aguerris (Smirnovskij 1871 ; Margot 1896 : V-VI). Dans les
établissements non classiques, où les langues vivantes ont une place importante et ne
sont pas en concurrence avec les anciennes, assumant seules la charge « contrastive »
de la méthode, elles peuvent se permettre le luxe de créer le « fondement pratique
initial » pour passer à l’étude consciente de la grammaire française et/ou allemande
dans les classes supérieures (Varon 1874 ; 1882 ; Veismann 1890).
31 Les concepteurs de manuels de langues vivantes cherchent à suivre les exigences des
plans ministériels d’études. D’un côté, l’effort d’adaptation des « cours traditionnels à
objectifs pratiques » créés auparavant pour l’enseignement dans les gymnases. Les titres
de cours « concentriques », « gradués », « progressifs », « avec les textes suivis » vont être
complétés par « comparé » au russe, au latin, au grec (Fleury 1872 ; 1876 ; 1892 ; Fenou
1871 ; Challandes 1876 ; Varon 1872 ; 1882 ; Ihnatovicz 1899 ; Raievsky 1890). De l’autre,
une progression rapide de méthodes rédigées (ou adaptées à l’usage des russophones)
dans l’esprit de la méthodologie directe : « Berlitz/ Robertson » ; « américaine »,
« intuitive » (Constantin 1905; Silina 1895; Feuillye & Martin 1904; Chabaline & Maslof
1907).
32 Pourtant, ces méthodes auront un emploi spécifique et bien délimité : les premières
sont en usage dans toutes les classes des gymnases classiques et les classes supérieures
d’autres établissements. Les secondes sont utilisées de préférence dans les classes
inférieures et moyennes des établissements non classiques. Cette règle sera de rigueur
permanente : la méthodologie directe n’aura qu’une place restreinte au sein de
l’approche « consciente et pratique, contrastive et comparée » dans l’enseignement
secondaire en Russie vers la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle.
33 André Lirondelle (1879-1952), universitaire français et fonctionnaire du Ministère de
l’Éducation, qui s’est intéressé en 1909 à l’enseignement du français dans les gymnases
russes, le caractérisait avec justesse ainsi :
[…] Entre le système dit « Berlitz » et le système « philologique » un compromis est
possible. Ce système « mixte » est employé dans les meilleurs établissements
d’enseignement secondaire, à Moscou, par exemple, où j’ai été heureux de le voir
fonctionner dans les gymnases VIII et IX. […] La tendance actuelle est de ne pas
appliquer intégralement la méthode naturelle tout en sauvegardant l’esprit ; les
moyens fondamentaux resteront : l’enseignement par la vue, la conversation, la
lecture. L’enseignement par la vue dominera dans les classes inferieures, puis des
tableaux muraux, on passera aux livres. La conversation en langue étrangère est le
lien qui unira toutes les classes, et sous ce nom de conversation on comprendra la
conversation orale, la paraphrase, et les reproductions de récits par écrit. La
traduction ne restera que comme moyen de contrôle. À partir de la VI e classe
l’enseignement de la littérature s’ajoutera à celui de la langue (Lirondelle 1909 :
8-10).

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BIBLIOGRAPHIE
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allemande dans les gymnases]. Žurnal Ministerstva Narodnogo Prosveščenija, Partie 269 /3, 1-7.

NOTES
1. Le manifeste de l’empereur Alexandre I er de 1802 sur la création du Ministère la division du
territoire de l’empire en six districts (okrugi) éducatifs sous tutelle des universités nouvellement
créées. Celle de Moscou existait depuis 1755, en 1802-1804 sont fondées les universités de
Kharkov, de Kazan, de Dorpat (Tartu) et de Vilna (Vilnius). Le district de Saint-Pétersbourg a été
géré par l’Institut pédagogique, transformé en université dès 1819.
2. Certains historiens suggèrent plusieurs modèles occidentaux qui ont contribué à
l’ « encyclopédisme », au « luxe de polymathie » des premiers programmes de gymnases russes
(1804), évoquant par exemple le projet de l’éducation nationale de Nicolas de Condorcet
(1743-1794) débattu en 1792 à la Convention (Alešincev 1912 : 21-22 ; Bulič 1902 : 42-43).

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3. Ainsi, l’appellation de gymnase en russe : gimnazija dès le début de son usage avait le sens plus
étendu qu’ailleurs, en désignant un établissement éducatif d’enseignement secondaire,
intermédiaire entre l’école inférieure et supérieure (université, écoles supérieure spécialisées) ce
qui explique la tentative d’en marquer la pré-spécialisation vis-à-vis des études supérieures :
gimnazija klassičeskaja (classique), g. obščaja (commun), g. realnaja ( réal/réel ). Le dernier nom
gimnazia realnaja avait été traduit en français à l’époque de deux façons : « gymnase-s réel-s »
(Hippeau 1878 : 217), « gymnase-s réal/ réaux » ( Lirondelle 1909 : 3-5). C’est après la réforme de
1871-1872, qu’au sein du secondaire s’installe une opposition : entre les gymnases (donnant
accès à l’université) et les écoles réales (realnye učilišča, en russe) qui n’étaient autre chose que des
anciens gymnases réaux et communs fusionnés et transformés) avec accès aux hautes études assez
limité : écoles supérieures techniques spécialisées, faculté de physique et chimie, de médecine
(sous réserve).
4. Voir la note précédente.
5. On trouve souvent cette dernière « étiquette » chez les historiens à l’époque soviétique. Voir,
par exemple, Ganelin 1950. La désapprobation de la réforme « tolstovienne » chez les historiens
du début du XXe siècle est plus nuancée, elle se limite aux transformations des gymnases, sans
contester son essence et l’utilité générale. Voir Alešincev 1912 : 281-318.
6. Sergei Uvarov, le nouveau ministre de l’Instruction nationale (1833–1849), formulait l’idée
directrice du fonctionnement du système éducatif en trois mots « pravoslavie, samoderžavie,
narodnost » [foi orthodoxe, autocratie, authenticité nationale] qui caractérisent en général le
règne (1825-1855) de Nicolas Ier.
7. La langue russe en tant que matière d’enseignement figure dans les programmes de gymnases
à partir de 1811. La leçon a une durée variable : 1h30 jusqu’à 1828, 1h15 en 1864 et une heure à
partir de 1872.
8. L’histoire de ce Comité Savant (ou Scientifique) se divise en deux périodes d’existence
(1817-1831 ; 1856-1917) ; entre 1831 et 1856, ses activités étant suspendues, la lecture critique des
ouvrages pour l’école faisait partie des charges d’enseignants universitaires. Voir Georgievskij
1902.
9. Les périodiques de la seconde moitié du XIX e siècle les plus lus : Vestnik vospitanija (1890-1917),
Gimnazia (1888-1900), Pedagogičeskij sbornik (1864-1918), etc.
10. 43 avis des savants et pédagogues étrangers furent réunis et publiés par le Ministère dans l’un
des six volumes des remarques et avis sur les projets de réformes : Zamečanija inostrannyx
pedagogov na proekty ustavov [Remarques des pédagogues étrangers sur les projets des statuts et
des programmes d’études], Saint-Pétersbourg, 1863.
11. Voir par exemple le recueil annuel des travaux de cette section Pedagogičeskij Muzej voenno-
učebnyx zavedenij. Trudy cobranij prepodavatelea jazykov russkogo i inostrannyx. Année scolaire
1886-1887 [Musée pédagogique des établissements éducatifs militaires. Travaux d’enseignants des
langues : russe et étrangères. Année scolaire 1886-1887], Saint-Pétersbourg, 1888.
12. C’est le cas de la revue officielle du Ministère de l’éducation « Žurnal Ministerstva
NarodnogoPprosveščenia (ŽMNP), dont tous les numéros entre 1834 et 1908 sont actuellement mis
en ligne.
13. Les méthodes d’apprentissage des langues modernes dans les établissements éducatifs fermés
en font l’exception. Voir à ce sujet Kouzmina 2005.
14. Voir par exemple Perelogov Timothée. Etimologija, ili podrobnye nastavlenia o izmenenii slov
francuzskoj reči. Izdanie dla upotreblenia v etimologičeskix klassax v gimnaziax pri imperatorskom
Moskovskom universitete. [L’Étymologie, ou commentaires sur les modifications des parties du
discours de la langue française. À l’usage des classes étymologiques du gymnase de l’université de
Moscou]. Moscou, 1797 ; Vrais principes de la langue française, Moscou, 1804 ; Cours complet de langue
française à l’usage de la jeunesse russe par Théodore Courtener. Seconde partie. Conjugaison, traduction et
orthographe, Moscou, 1853.

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15. Cette expression « langue maternelle à travers les lunettes étrangères » lancée par Vladimir
Dal (1801-1872) lexicographe éminent et slavophile, a été reprise et reproduite dans les articles
polémiques de l’époque pour désigner tous les ouvrages de grammaire systématiques.
16. Greč N. Praktičeskaja grammatika [La grammaire pratique] Saint-Pétersbourg, 1827 ; 1834 ;
Načalnye pravila russkoj grammatiki [Principes élémentaires de la grammaire russe] Saint-
Pétersbourg, 2eéd. 1830 ; Vostokov A. Sokraščennaja russkaja grammatika [Abrégé de la grammaire
russe] Saint-Pétersbourg, 1828 ; Russkaja grammatika [Grammaire russe], Saint-Pétersbourg, 1831.
17. Buslaev F. I. O prepodavanii otečestvennogo jazyka, Mosсou, 1844. Nous avons consulté cet
ouvrage dans le livre réunissant plusieurs des travaux du savant y compris ses programmes
d’études pour les différents établissements secondaires. Ayant le même titre, ce recueil a été
publié en 1992 à Moscou, par les enseignants chercheurs de l’Université Lomonossov, Protčenko
Ivan et Xodakova Ludmila : Buslaev F.I. O prepodavanii otečestvennogo jazyka. Učebnoe posobiedla
pedagogičeskix universitetov. [Buslaev F.I. À propos de l’enseignement de la langue maternelle.
Recueil des travaux en didactique. Pour les universités pédagogiques] Moscou : Prosveščenije,
1992. Les références aux autres écrits de Buslaev dans cet article renvoient aux pages de ce même
recueil.
18. Les citations tirées de l’ouvrage de Buslaev sont traduites du russe par nos soins.
19. À son époque, ce n’est pas improbable car le recours aux services de précepteurs étrangers
dans l’éducation des enfants est toujours de règle dans les milieux nobles et aisés. Au sein des
gymnases le relai est souvent assuré par les natifs de français et d’allemand recrutés à ses fins
(surveillants, maîtres/maîtresses de classes) ; c’est valable aussi pour les pensionnaires des
établissements fermés de filles nobles ; des corps des cadets. Pourtant ce ne sont pas les
préalables garantis, surtout avec une démocratisation du public d’apprenants croissante dans la
seconde moitié du XIXe siècle.
20. Cette idée de Buslaev trouve son incarnation officialisée dans les années 1870 :
l’enseignement du russe et du latin au niveau élémentaire sera principalement confié à la même
personne.

RÉSUMÉS
L’apport de Fedor Buslaev (1818-1897), linguiste et pédagogue dans l’enseignement de la langue
maternelle et des langues étrangères à l’école secondaire. L’essence de la nouvelle approche,
mettant au centre le développement de l’activité langagière des élèves, fondement nécessaire
pour la maîtrise consciente de tout idiome ainsi que la réception par la communauté
pédagogique et savante russe au XIXe siècle.

Contribution of Fedor Buslaev (1818-1897), linguist and pedagogue in the teaching of the mother
tongue and foreign languages in secondary school. The essence of new approach, focusing on the
development of students' language activity, a necessary foundation for the conscious mastery of
any idiom as well as reception by the Russian educational and scholarly community in the 19th
century.

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INDEX
Keywords : Fedor Buslaev, linguist, Russia, 19th century, grammar, conscious, contrastive
approach
Mots-clés : Fedor Buslaev, linguiste, Russie, XIXe siècle, grammaire, approche consciente,
contrastive

AUTEUR
NADÉJDA KRIAJEVA
Université Clermont-Auvergne

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La influencia del método de Ahn en


España en los siglos XIX y XX a
través de una mirada a la prensa
histórica
Alberto Lombardero Caparrós

1. Introducción
1 El profesor y pedagogo alemán Johann Franz Ahn (1797-1865) innovó y triunfó en el
ámbito de la enseñanza de idiomas con la publicación de su Praktischer Lehrgang zur
schnellen und leichten Erlennung der Französischen Sprache (1834). Dicho éxito está avalado
por el inusual número de ediciones que cosechó su primer curso de francés, unas 221 en
el siglo XIX, llegando hasta la edición número 237 en 1921. En 1840 Ahn publica su
segundo curso de francés al que le seguirían, en años posteriores, obras similares en los
idiomas Inglés, Italiano, Alemán, Holandés, Griego moderno y Ruso. Ninguno de estos
manuales conseguiría un éxito tan rotundo como su primer curso de francés.
2 A diferencia de Ahn, que nunca utilizó la palabra ‘método’ en sus manuales, sus
adaptadores europeos, primero, y americanos, después, si la incluyeron en los títulos de
sus manuales (ver apéndice).
3 España no quedó al margen de la influencia de Franz Ahn. Los autores que incluyeron el
título genérico de ‘Método de Ahn’ en el título de sus manuales para aprender diversas
lenguas extranjeras en España fueron, por orden de aparición, Henry Mac Veigh para
los cursos de francés (1ª ed. 1857) e inglés (1ª ed. 1859) ; Camilo Vallés para el alemán (1ª
ed. 1873) ; Francisco María Rivero para el italiano (1ª ed. 1873) y Paula Hidalgo para el
portugués (1ª ed. 1876). Salvo la primera edición del curso de francés e inglés, todas las
restantes fueron publicadas por la editorial Bailly-Baillière fundada en 1848 en Madrid
por Carlos Bailly-Baillière.

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2. La prensa histórica1
4 Nuestra investigación se ciñe a la consulta de dos hemerotecas digitales de prensa
histórica, la HDBNE y la BVPH2. En ambos catálogos se utilizaron los mismos
parámetros de búsqueda : para la entrada de búsqueda se usó la expresión ‘Método de
Ahn’ y para el período temporal se escogió entre el 1 de enero de 1850 y el 31 de
diciembre de 1950. El primer parámetro coincide con el epígrafe que aparece en la
parte superior central de todos los manuales de los adaptadores de Ahn en España. El
segundo amplía el período en sus dos extremos para obtener una mayor visión histórica
de la influencia de Franz Ahn. En realidad, el período queda acotado entre 1857 y 1937
si nos atenemos a los resultados de la primera y última referencia al ‘Método de Ahn’
encontradas en sendas hemerotecas.
5 El número de resultados fue de 608 en la HDBNE y de 437 en la BVPH. Del millar de
resultados en total, alrededor de un tercio de ellos no arrojó ninguna información
relevante a nuestra búsqueda mientras que el restante setenta por ciento representa la
constatación de una significativa presencia del ‘Método de Ahn’ en la prensa histórica
española. Estos resultados pueden clasificarse en cuatro tipos (organizados de mayor a
menor aparición) :
6 Anuncios de los diferentes manuales editados en la prensa española.
7 Anuncios de clases privadas en Academias donde se enseñaba según el método de Ahn.
8 Extractos de prensa en forma de artículos, recomendaciones bibliográficas, cartas al
director.
9 La entrada de la expresión ‘Método de Ahn’ en la cultura popular con tintes de parodia.

2.1. Anuncios de manuales

10 El primer anuncio encontrado data de 1857 y aparece en la página tres del Diario Oficial
de Avisos de Madrid fechado un 28 de octubre. En él se anuncia la publicación de un
manual titulado Tratado elemental para aprender el francés, compuesto por el profesor H. M.
Veigh, con arreglo al METODO NATURAL Y ATRACTIVO DEL DOCTOR AHN. No se menciona
qué edición es pero creemos que se trata de la primera por el hecho que no se han
encontrado anuncios anteriores a 1857. El anuncio acaba mencionando el precio y los
diversos puntos de venta : Véndese a 8 rs. En rústica y 10 encuadernado á la inglesa en las
librerías de Bailly Bailliere, Duran, Cuesta y Villaverde y en casa del autor ACADEMIA DE
LENGUA INGLESA, calle de la Salud, núm. 8 principal. Este anuncio vuelve a aparecer en el
mismo diario el 2 de noviembre y en tres periódicos más : en La Época el 2 de
noviembre ; en El Clamor Público y en La Discusión un 6 de noviembre. Dos meses más
tarde, un 26 de enero de 1858, aparece en el Diario Oficial de Avisos de Madrid un nuevo
anuncio de un manual para aprender francés titulado EL PRIMER CURSO DE FRANCÉS, con
arreglo al método atractivo y sencillísimo del doctor Ahn, escrito por H. Mac Veigh. De nuevo
no aparecen ni el número de edición ni el editor, sólo el precio y los puntos de venta.
Este mismo anuncio vuelve a aparecer en otro periódico llamado La Esperanza los días 18
y 25 de febrero. En el mismo rotativo aparece un nuevo anuncio, fechado los días 26 y
29 de junio del mismo año, anunciando la aparición de la primera edición de El Segundo
curso de francés, escrito por Henry Mac-Veigh. Tres meses más tarde, en el 4 y 5 de
septiembre, aparece en La Iberia un anuncio en el que se oferta El primero y segundo curso

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de francés, con arreglo al método sencillo y natural del Dr. Ahn junto a la Clave de temas de
ambos cursos, por separado. Este anuncio es el único de todos los encontrados que
incluye una sección, bastante larga, llamada ‘Extractos de Opinión’ y que recoge
diversos comentarios muy favorables al método de Ahn de diversos periódicos.
11 En 1859 el espectro de lenguas se amplía al inglés como así lo confirma un anuncio
aparecido en el Diario Oficial de Anuncios de Madrid (ejemplares del 3, 4 y 5 de octubre). El
escueto título de la obra, Método de Ahn. Primer curso de inglés, será homogéneo a partir
de entonces para todos los manuales, sobre todo a partir de 1862 cuando la casa
editorial madrileña Bailly-Baillière adquiere los derechos de la obra de Ahn en España.
A partir de 1862, todos los anuncios de manuales según el método de Ahn correrán a
cargo de la empresa editorial Bailly-Baillière, regentada por Carlos Bailly-Baillière. Así
lo atestigua la aparición de un mismo anuncio en cuatro diarios de la época (La Época, La
Discusión y La Iberia entre el 25 de septiembre y el 4 de octubre y en El Monitor de la Salud
el 15 de diciembre de 1862).
12 La presencia de anuncios en la prensa aumenta exponencialmente tal como avanza el
siglo XIX. La campaña editorial da sus frutos y en pocos años el número de ediciones va
en aumento, sobre todo las del idioma francés. Un ejemplo de ello lo pone de manifiesto
un anuncio aparecido al unísono en La Esperanza, La Regeneración, La Época, el Diario
Oficial de Avisos de Madrid, La España y en El Pensamiento Español entre el cinco y el
dieciocho de septiembre de 1866. En dichos diarios se anuncia la salida de la sexta
edición del Método de Ahn. Primer curso de francés acompañado de un texto promocional
de la editorial Bailly-Baillière, en el cual se puede leer :
El Método de Ahn para aprender la lengua francesa está reconocido en toda Europa
por el más sencillo y el más adecuado á la enseñanza (puede decirse que es el
método de Ollendorff simplificado) ; así es que hoy se halla adoptado en casi todos
los establecimientos.
13 La mención al ‘método de Ollendorff’, muy popular también en la época, puede
interpretarse como una estrategia editorial, especialmente en una década, la del 60 del
siglo XIX en que se publicaron más de una treintena de nuevos manuales para aprender
francés (Fischer et al. 2004 : 247-249).
14 La década de los 70 del siglo XIX testimonió una creciente presencia de anuncios en la
prensa con nuevos manuales y nuevas ediciones que se añadían a los ya publicados
anteriormente por Bailly-Baillière. Un ejemplo de ello aparece en el Diario Oficial de
Avisos de Madrid del 1 y 2 de octubre de 1874 y repetido en La Igualdad, La Iberia, La Época,
y El imparcial entre el 2 y el 21 de octubre de ese mismo año. En vez de concentrar la
atención en un solo idioma, este anuncio, como ya será habitual, incluye las diferentes
ediciones nuevas del método de Ahn para el francés y el inglés con la novedosa
aparición de un primer y segundo curso de italiano :
15 Método de Ahn. Primer curso de francés. 13ª ed. 1874
16 Segundo curso de francés con clave. 7ª ed. 1874
17 Curso de Inglés. 3ª ed. 1873
18 Clave de temas del curso de inglés. 3ª ed. 1873
19 Primer y segundo curso de italiano. 1873
20 En el mismo anuncio aparece una nota escrita por la editorial en la que se subraya la
popularidad del método de Ahn, por ser de todos conocido como el más sencillo y práctico de
todos los demás publicados.

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21 Sin lugar a dudas, la popularidad del método de Ahn iba in crescendo de la mano de una
de las casas editoriales más importantes de España en aquel tiempo aunque, por
cuestiones de espacio, no podemos hacernos eco del ingente número de anuncios
encontrados entre las décadas de los 70 y 80 del siglo XIX. No obstante, hemos
seleccionado un anuncio de finales de la década de los 80 para dejar constancia del
impacto que causaba el método de Ahn en la sociedad española. El anuncio en cuestión
apareció en el Anuario del comercio, de la industria, de la magistratura y de la administración
en 1888. Ocupa casi una página convirtiéndose en uno de los de mayor tamaño de todos
los consultados, siendo un claro ejemplo de la exitosa producción editorial de manuales
basados en el método de Ahn. En resumen, el contenido es el siguiente :
22 Primer curso de francés. 30ª ed.
23 Segundo curso de francés. 20ª ed.
24 Clave de los temas del primer y segundo curso de francés. 17ª ed.
25 Primer libro de traducción del francés. 1885
26 Primer curso de alemán. 3ª ed.,1888
27 Segundo curso de alemán. 3ª ed., 1888
28 Tercer curso de alemán. 2ª ed. 1888
29 Clave de los tres cursos de alemán. 2ª ed. 1888
30 Curso de inglés. 10ª ed. 1888
31 Clave de los temas del curso de inglés. 7ª ed. 1888
32 Primer curso de italiano. 5ª ed., 1887
33 Segundo curso de italiano. 5ª ed., 1887
34 Primer y segundo curso de portugués. 1876
35 El último anuncio que incluye el número de ediciones de los manuales del método de
Ahn lo encontramos en El Heraldo de Madrid publicado el 3 y 5 de octubre
respectivamente del año 1892. Esta vez, sólo incluye los idiomas francés e inglés y,
aunque sólo lo separan cuatro años del anuncio anteriormente expuesto, sorprende ver
el gran éxito de ventas que supusieron los cursos de francés e inglés tal como
demuestran las diferentes ediciones anunciadas :
36 Primer curso de francés. 36ª ed., 1891
37 Segundo curso de francés. 31ª ed., 1892
38 Clave francés. 24ª ed., 1892
39 Curso de inglés. 13ª ed., 1891
40 Clave inglés. 14ª ed. 1892
41 Así mismo, al final de este mismo anuncio aparece un texto promocional sobre el
método de Ahn haciendo referencia a su universalidad : Los métodos de Ahn,
universalmente reconocidos como los más sencillos para aprender un idioma con facilidad y en
poco tiempo, están adoptados de texto en el mundo entero por todos los establecimientos de
enseñanza.
42 El último anuncio encontrado relativo al período entre 1850 y 1950 data del 5 de
octubre de 1894. Sólo se encontró en un diario, El Imparcial, y su diseño no se repite en

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ningún otro anuncio previo ni posterior. Finalmente, la singularidad de este anuncio se


hace también palpable por el hecho de ir dirigido tanto a profesores como a alumnos :
43 ENSEÑAD Y APRENDED por el metodo Sencillo de AHN de texto en todos los colegios :
44 El Francés
45 El Alemán
46 El Inglés
47 El Italiano
48 El Portugués
49 De venta en la librería de Bailly-Baillièreé Hijos, Madrid, y en todas las librerías y
centros de suscrición de España y Ultramar.

2.2. Anuncios de clases privadas

50 Otro indicador de la implantación del método de Ahn en territorio español está


constituido por un subtipo de anuncios como son las clases privadas o particulares de
idiomas en la España de aquel período.
51 En total nuestra búsqueda arrojó cinco resultados que incluimos a continuación. El
primero de ellos apareció en el Diario Oficial de Avisos de Madrid el 9 de mayo de 1862. Se
trata de un anuncio anónimo en el que se ofrecen clases de inglés y de español para
extranjeros. Otro hecho singular sobre este anuncio es que está incluido en una sección
del periódico llamada Sección Científica cuya única entrada la constituye el anuncio en
cuestión : Lecciones de inglés, por el3 breve método de Ahn. Calle de Pontejos, núm. 10, cuarto
cuarto derecha. Se enseña el español á los estranjeros.
52 El segundo anuncio desvela, por casualidad, quién era el profesor anónimo del primer
anuncio como veremos a continuación. Se trata de un anuncio con una doble finalidad :
ofrecer clases privadas de inglés y francés e incluir algunos manuales escritos por el
mismo profesor. Este anuncio resulta ser muy significativo desde un punto de vista
historiográfico por evidenciar que algunos autores de manuales para la enseñanza de
idiomas también trabajaron como profesores de idiomas privados probablemente
debido a que los emolumentos que recibían de las editoriales para las que trabajaban
eran bastante exiguos. El anuncio en cuestión es el siguiente :
53 EL PROFESOR DE INGLES H. MAC VEIGH, dá principio á sus clases desde hoy. F0 2D Calle de

Pontejos, núm. 10, piso cuarto. F0 2D Sus obras son : primer libro de traducción del francés, con

notas y vocabulario ; su precio, 7 reales : muy recomendable como obra elemental.


54 Primer curso de inglés (método de Ahn), á 10 rs. F0
2D Clave, 4 rs.
55 Primer curso de francés (2ª edicion), á 8 rs. F0
2D Segundo curso del mismo, á 8 rs. F0
2D Clave, á 2 rs.
56 British Class Book ó Lecciones de literatura inglesa, sacadas de los mejores prosistas y poetas, con
una reseña gramatical y vocabulario. Precio, 30 reales. Se hallan de venta en las
principales librerías de Madrid.
57 Pocos días después de la fecha del anterior anuncio aparece otro anónimo en La
Correspondencia de España del 7 de octubre de 1862, donde una academia privada ofrece
clases de francés siguiendo el método de Ahn : ACADEMIA DE FRANCÉS, POR EL breve y
sencillo método de Ahn. Montera, 40, segundo. Lecciones particulares.

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58 El siguiente anuncio es uno de los más exhaustivos en información de esta sección.


Incluye una breve presentación del profesor-anunciante, la oferta de clases de francés,
honorarios, opciones de trabajar a domicilio y en Colegios y, finalmente, un objetivo de
aprendizaje un tanto ambicioso. Dicho anuncio apareció en el Diario de Córdoba del 20 de
febrero de 1880 y, aunque un poco extenso, merece la pena recuperarlo del olvido por
su valor intrínseco a nuestro estudio :
59 Academia de francés.
60 Don Gerardo Perillan Diez, Bachiller en Artes, Filosofia, y Letras y Profesor de Francés,
abre clases de Francés, tanto generales como especiales, en la forma siguiente :
61 Clase de Francés, de una hora por el escelente método de Ahn, el cual suple con ventaja
á todas las gramáticas y métodos conocidos hasta hoy. Otra idem de una hora y solo
para aquellos que ya tengan algún conocimiento de dicho idioma, por el susodicho
método de Ahn.
62 Nuestro último anuncio comparte presencia con otro similar en la misma página de
anuncios de El Eco Toledano, aparecido entre el 19 y el 30 de octubre de 1912, en una
época en la que, como hemos visto, el método de Ahn competía con otros métodos en el
mercado editorial de la enseñanza de idiomas. La mayor oferta de métodos en la España
de inicios del siglo XX queda reflejada en ambos anuncios que ofrecen clases privadas o
particulares según los métodos de Berlitz, Ahn y Ollendorff :
63 FRANCÉS-INGLÉS
64 D. Antonio Calzadilla ; intérprete de la casa Thos. Cook & Son, de Londres y exdiscípulo
del Lycée Louis-le-Grand, de París, por el método Berlitz ; procedimiento el más rápido
conocido para el estudio á viva voz de los idiomas, pudiendo el alumno conseguir,
merced á una labor asidua de seis meses, el saber necesario para la clara comprensión y
acertado empleo de cualquiera de las expresadas lenguas. F0 2D Razón : Dos Codos, 10, de

ocho á doce de la mañana, y de seis á nueve de la noche.


65 LECCIONES DE FRANCÉS
66 á cargo de la Srta. Estrella Martín, por los métodos de Ahn y Ollendorff, se ofrece en su
casa yá domicilio, para señoritas y alumnos de la Normal é Instituto ; de diez de la
mañana á dos de la tarde darán razón en la calle de Santa Isabel, núm. 26.

2.3. Otros extractos de prensa

67 Las referencias al método de Ahn en la prensa histórica consultada han traído a luz una
serie de textos, heterogéneos en su naturaleza aunque homogéneos en su temática
como veremos a continuación. Incluimos en esta sección dos artículos de una revista
cultural, una carta al director y recomendaciones bibliográficas de diversos diarios.
68 Los dos artículos comparten la peculiaridad de haber aparecido en la misma
publicación, Revista Contemporánea, con dieciséis años de diferencia. El primero de ellos
data de 1888 y lleva por título Método que debiera emplearse en la enseñanza de las lenguas
vivas señaladamente del alemán. Fue escrito por Cándido Ríos y Rial, Catedrático de
Historia natural en el Instituto de segunda enseñanza de Guipúzcoa. En su artículo, Ríos
(1888 : 261) se refiere a los métodos de Ollendorff y de Ahn como unos ‘métodos que
revisten cierta originalidad’ por ser ‘adaptables á diversas lenguas imprimiéndoles más o menos

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novedad’ y por producir unas ‘gramáticas que acostumbran á dividir en dos partes : una
práctica y otra teórica, en la cual se trata el idioma bajo el punto de vista filológico.
69 El segundo artículo, aparecido en 1904 también en la Revista Contemporánea, es la
transcripción del Discurso inaugural del Centro Asturiano hecho por el académico,
escritor y periodista Antonio Balbín de Unquera (1842-1919). Lleva por título Enseñanza
de las lenguas vivas y principalmente de la lengua inglesa. En él su autor hace una referencia
implícita a los métodos prácticos de Ahn y Ollendorff, entre otros, poniendo de relieve
su importancia en un pasado pero que entonces, a inicios del siglo XX, ya habían
perdido su vigor ante la aparición de nuevos métodos. Según Balbín (1904 : 265), Los
métodos prácticos de composiciones y de temas y de claves tienen su razón de ser, y que ha
debido mirarse como un progreso, pero únicamente cuando se trate de aprender las lenguas
extranjeras en cualquier concepto que no sea el literario.
70 Balbín, pues, acepta los métodos prácticos como válidos para la enseñanza de lenguas
extranjeras aunque personalmente se considera partidario de un método ecléctico que
define así :
… nosotros respecto al método de enseñar las lenguas extranjeras somos eclécticos ;
para los propósitos literarios no vemos otro mejor que el teórico y gramatical
antiguo ; para los fines prácticos de la conversación, escritura sin pretensiones
literarias y comunicación, consideramos admisibles los métodos prácticos. Aún así,
entendemos que debe descargarse, en gracia de la utilidad, el método teórico
gramatical de muchos pormenores… y que los métodos prácticos deben tomar una
forma algo más científica, si queremos que los alumnos se den cuenta de lo que son
y valen los idiomas que estudian.
71 Nuestro siguiente documento histórico nos devuelve a finales del siglo XIX cuando la
influencia del método de Ahn aún era palpable como lo demuestra una carta escrita en
la sección de Cartas al Director aparecida en El Correo Militar un 5 de marzo de 1895. Fue
escrita por A. U. (no se dan más señas) y llevaba por título Más sobre Segunda Enseñanza.
Su autor anónimo contrapone la enseñanza de idiomas en los institutos de segunda
enseñanza con la de la Escuela Superior de Guerra y no duda en recomendar el método
de Ahn, utilizado en la segunda, para mejorar el aprendizaje de lenguas en los
institutos :
[…] En la Escuela Superior de Guerra, en que amplían sus estudios los oficiales más
brillantes de nuestro ejército, conténtase el ilustradísimo profesor de francés con el
sencillo método de Ahn y obtiene grandes resultados ; en cambio los textos que
obligan á estudiar á los futuros bachilleres, son de extensión y dificultad tal, que
embarullando al alumno, se consigue que en dos cursos completos tan sólo aprenda
á mal leer ; pero en compensación, cuesta el método de Ahn cinco pesetas y quince
el que se da en los institutos, y váyase lo uno por lo otro.
72 Ya vimos anteriormente cómo el método de Ahn compartía protagonismo con otros
métodos a partir de finales del siglo XIX, extremo también confirmado por esta carta al
director. Ésta será la tónica durante las primeras décadas del siglo XX como muestra el
último extracto de prensa hallado en la sección de recomendaciones bibliográficas.
73 La Unión Ilustrada del 28 de abril de 1929 dedica la página cuarenta y dos a dar
información bibliográfica sobre diversas gramáticas y métodos para aprender idiomas.
Observamos cómo la oferta editorial de manuales para la enseñanza de idiomas ha
crecido extensamente. De hecho, ya no se mencionan los métodos de Ahn para el
francés e inglés y tan sólo se recomiendan para el italiano, el alemán y el portugués. Por
ejemplo, para el francés existen otros métodos como los de Henry Meyer, T. Grübert,

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René H. Thierry, José Meca Tudela y Luis Besses y para el idioma inglés los métodos de
Lewis Girau, José Garrón Ruiz, José Casadesús y R. Seaber.
74 Ciertamente, la amplia oferta de manuales para aprender francés e inglés a finales del
primer tercio del siglo XX relegó al olvido los métodos de Ahn, al menos para cierta
prensa, aunque los cursos de italiano y alemán tuvieron una vida algo más larga.

2.4. El método de Ahn como parodia

75 Llegamos al final de nuestra investigación con una serie de textos periodísticos muy
singulares. En ellos se acuña la expresión ‘método de Ahn’ para indicar que algo o
alguien es cómico, incongruente o inservible. Se usa con sarcasmo, para ridiculizar algo
o a alguien. A veces, la expresión va acompañada de algún ejemplo extraído del mismo
manual de Ahn como ocurre en el primer extracto encontrado en La Época (ejemplar
número 15.933 del 28 de septiembre de 1894). Se trata de una noticia, no firmada, sobre
reformas de enseñanza y, en concreto, del cambio de asignaturas. Uno de estos
cambios, el diario lo considera ‘á todas luces cómico, y recuerda aquellas preguntas y
respuestas del método de Ahn : ‘¿Tiene usted un cortaplumas ?- No, pero tengo un par de botas’
76 El resto de alusiones cómicas al método de Ahn en la prensa histórica aparecen en el
siglo XX, y particularmente, entre 1909 y 1932. La primera de ellas apareció en El Orden
un 13 de marzo de 1909. En la página tres una noticia llamada Dimes y Diretes alude al
método de Ahn para criticar a otra publicación llamada La Iberia. No reproducimos la
noticia entera por su extensión pero sí los tres primeros párrafos para captar mejor la
irónica alusión al método de Ahn :
77 ¿Conocen Vs. El método de Ahn precioso libro para aprender francés ? Pues los temas
allí escritos son una palmaria muestra de lo que á nosotros nos ocurre con “La Iberia”.
78 ¿Ha visto V. mi sombrrero ? Dice uno de los temas del citado libro.- No señor aquí tengo
su paraguas-.
79 Es decir, que la mayor incongruencia se observa, entre las preguntas y respuestas.
80 Unos años más tarde aparece otra alusión cómica al método de Ahn en el diario satírico
y humorístico Buen Humor (el 7 de enero de 1923) en una historia sobre préstamos.
Hacia el final de la historia leemos :
81 En diferentes ocasiones me han preguntado algunas dichosas personas si es posible
empeñar una cosa tan íntima como la anteriormente nombrada.
82 ¡Que si es posible !...No es difícil oir en cualquier calle a dos individuos que se
encuentran de improviso lo siguiente, digno del método de Ahn : -¡Hola, querido !
¿Tienes ahí diez reales ?- No ; pero tengo cinco camisetas.
83 Y esa respuesta no es más ni menos que la salvación. ¿Comprenden ustedes ?...
84 Dos años después, en la portada del diario de información gráfica y literaria Región (15
de abril de 1925) aparece una noticia titulada Un juramento comunista dentro de la
sección llamada De aquí y de alla. De nuevo, el método de Ahn sale a la palestra, esta vez
como una ‘adorable incongruencia’ :
85 Si la renovación del mundo ha de ser efectuada por comunistas como el señor Raffin-
Dugens, diputado francés, el mundo quedará como está. Todo lo más que lograrán los
renovadores será ponerle una máscara.

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86 Ese diputado debía comparecer ante la Comisión de investigación sobre los fondos
electorales. Y como es uso corriente en nuestro mundo, aun sin renovar, se le pidió
juramento de decir verdad.
87 Yo no juro, porque soy comunista- dijo recordando la adorable incongruencia de los
ejercicios del método Ahn…
88 Finalmente, en la sección llamada Teatros del diario El Sol (18 de noviembre de 1932) se
realiza una reseña de la obra Café con leche representada en el teatro Martin. La obra es
descrita como un ‘juguete cómico-lírico en varios cuadros, letra de D. Modesto Moyrón y
música de D. Luis Espinosa’. Al final del primer párrafo asistimos a una nueva mofa del
método de Ahn : El diálogo, para ejemplaridad de esta clase de producciones, ha de limitarse á
insinuar las cosas, a no concretar nada ; de tal suerte, que todo sea simple divagación, cándida
eutrapelia, puro método Ahn.
89 Tal suerte corrió el método de Ahn en su ocaso a principios del siglo XX. No obstante,
como objeto de mofa revela, por otro lado, que fue un método popular y con calado en
el panorama de la enseñanza de lenguas en España desde su primera aparición a finales
de la década de los 50 del siglo XIX hasta su tragicómico final en la década de los años
30 del siglo XX.

3. Conclusión
90 Gracias al acceso digital de la prensa histórica española llevado a cabo en este estudio se
rompe una lanza a favor de una herramienta muy útil para los especialistas en la
historiografía de la didáctica de lenguas segundas o extranjeras. En nuestro caso, tal
herramienta ha demostrado ser altamente reveladora de una realidad olvidada en los
anales de la prensa histórica. El resultado de nuestra investigación arroja nuevos datos,
hasta ahora desconocidos, sobre el alcance de la verdadera influencia del método de
Ahn en España para así situarlo más convenientemente en su tiempo.
91 Según los resultados obtenidos, todo parece señalar que el método de Ahn se convirtió
en uno de los métodos de enseñanza de lenguas extranjeras más utilizados en España
entre 1860 y 1900. En ese período, el Curso de francés alcanzó treinta y seis ediciones
mientras que el Curso de inglés se reeditó veinte veces, convirtiéndose ambos en los
manuales más (re)editados en el siglo XIX español para aprender francés e inglés
respectivamente. Además, los resultados de la prensa histórica referidos a ese período
ascienden al ochenta por ciento del global obtenido. Todo lo cual nos lleva a concluir
que el innovador método de Ahn fue el más dominante, por encima del de Ollendorff,
durante las últimas cuatro décadas del siglo XIX español.
92 En España la publicación de los cursos según el método de Ahn corrió a cargo de una
sola casa editorial, la de Carlos Bailly-Baillière. Su librería y editorial de Madrid jugaron
un papel primordial en la difusión de manuales para el aprendizaje de lenguas
extranjeras desde la segunda mitad del siglo XIX hasta los primeros lustros del XX.
93 Precisamente es a inicios del siglo XX cuando el método de Ahn comenzó a perder su
plaza de honor. La hora de los manuales de Ahn llegaba a su fin como herramienta
pedagógica y didáctica. La aparición de nuevos métodos innovadores como los de
Berlitz, Gouin, Gaspey-Otto-Sauer, Luigi Pavia, entre otros, empezaron a copar el
mercado editorial español relegando el método de Ahn al baúl de los recuerdos hacia
finales de la primera mitad del siglo XX.

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Apéndice
Muestra de algunos de los adaptadores del método de Ahn en Europa y América, con especial
atención a España :

Adaptador Título Año País y editor

Giuseppe A new… method of learning the Italian language, after


1852 London, Franz Thimm
Marchetti the system of Franz Ahn

Nouvelle méthode pratique et facile pour apprendre la


Francisco de
langue portugaise, composé d’après les principes de 1883 Leipzig, F. A. Brockhaus
Lencastre
Franz Ahn

José Carlos Methodo de Ahn para aprender facilmente a Rio de Janeiro,


1876
Mariani linguaAllemã vertido do Francez. Laemmert

DrAhn’s first french course: being a new, practical,


J.J.B. Poclet 1877 London, T.J. Allman
and easy method of learning the French language

Michal Ahn’apraktyczneprawidlanauczeniasię w Warszawa, Jana


1887
Amszejewicz krótkimczasiejęzykaruskieg Breslauera

Stéphane
Dr Ahn’s first French course 1876 London, W. Tegg& Co
Barlet

Heinrich A german grammar: a companion to Dr Ahn’s German Boston, Sever, Francis &
1869
Wofgang Just method Co

Praktischer Lehrgang zur schnellen und leichten


Budapest, Robert
I. Dallos Erlennung der ungarischen Sprache: nach der F. 1880 ?
Lampel
Ahn’s Lernmethode

Carl Theodor Ahn’s Lehrgang der Englischen Sprache für Deutsche Philadelphia, Kohler
1891
Eben in Amerika Publishing Co

Giuseppe Nuovo metodo pratico-teorico per imparare la lengua


1869 Milano, Gnocchi
Arnaud inglese: secondo il sistema di F. Ahn

Nuovo metodo pratico e facile per imparare la lingua


Enrico Wild 1896 Leipzig, Brockhaus
tedesca : proposto alla gioventù del Dr F. Ahn

Ahn’s new practical and easy German method applied Constantinople,


P. Condigiorgi 1871
on the English language Christian Roth

P. Henn Ahn’s first French reader; with notes and vocabulary 1875 New York, E. Steiger

Henrique
Methodo de Ahn. Curso de linguahespanhola 1888 Porto, E. Chardron
Brunswick

Henry Mac Método de Ahn. Primer curso de francés, arreglado al Madrid, G. Hernández y
1857
Veigh castellano por el Profesor H. Mac-Veigh Artés

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63

Madrid, Librería Durán,


Henry Mac Método de Ahn. Segundo curso de francés arreglado al
1858 Imprenta de A. Gómez
Veigh castellano y revisado por H. Mac-Veigh
Fuentenebro

Madrid, Librería Durán,


Henry Mac Método de Ahn. Curso de inglés, arreglado al
1859 Imprenta de A. Gómez
Veigh castellano por el Profesor H. Mac-Veigh
Fuentenebro

Francisco
Método de Ahn. Primero y segundo curso de italiano 1873 Madrid, Bailly-Baillière
María Rivero

Nuevo método para aprender alemán según el sistema


Camilo Vallés 1873 Madrid, Bailly-Baillière
de Franz Ahn. Primer curso

Nuevo método para aprender alemán según el sistema


Camilo Vallés 1875 Madrid, Bailly-Baillière
de Franz Ahn. Segundo y tercer curso

Método de Ahn. Primero y segundo curso de portugués


Paula Hidalgo 1876 Madrid, Bailly-Baillière
con la clave de temas

BIBLIOGRAFÍA

Fuentes primarias1

Anuario del comercio, de la industria, de la magistratura y de la administración.

Buen Humor.

El Clamor Público.

El Correo Militar.

La Correspondencia de España.

Diario de Córdoba.

Diario Oficial de Avisos de Madrid.

La Discusión.

El Eco Toledano.

La Época.

La España.

La Esperanza.

El Heraldo de Madrid.

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64

La Iberia.

La Igualdad.

El Imparcial.

El Orden.

El Pensamiento Español.

La Regeneración.

Región.

Revista Contemporánea.

El Sol.

La Unión Ilustrada.

Fuentes secundarias

FISCHER, Denise, GARCÍA BASCUÑANA, Juan F. & GÓMEZ, María Trinidad (2004). Repertorio de gramáticas y
manuales para la enseñanza del francés en España (1565-1940). Barcelona : PPU.

HAMMAR, Elisabeth (1993). « Des méthodes Ahn/Ploetz aux méthodes directes. Pratiques
d’enseignement des langues en Suède de 1850 à 1905 ». Documents pour l’histoire du français langue
étrangère ou seconde, 12, 11-15.

HERBERT, Christ (1993). « De Meidinger à Ploetz en passant par Seidenstücker, Ahn, et Ollendorff,
ou le cheminement de la méthodologie synthétique ». Documents pour l’histoire du français langue
étrangère ou seconde, 12, 5-10.

RIUS DALMAU, María Inmaculada (2010). Aprender francés en España entre 1876 y 1939. Barcelona: PPU.

WILLEMS, Aline (2013). « Französischlehrwerke im Deutschland des 19. Jahrhunderts ».


Romanische Sprachen und ihre Didaktik, Band 46. Stuttgart: ibidem-Verlag.

LOMBARDERO CAPARRÓS, Alberto (2015). The historiography of English Language Teaching in Spain: A
Corpus of Grammars and Dictionaries (1769-1900). Tesis Doctoral, Universitat Rovira i Virgili. (308 p.).
Em ligne : http://hdl.handle.net/10803/318808

PONCE DE LEÓN ROME, Rogelio (2009). « Los inicios de la enseñanza-aprendizaje del portugués en
España : breves consideraciones sobre el Primero y segundo curso de portugués (Madrid 1876) ».
Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde. 42 | 2009 [Maria Eugenia Fernandez
Fraile et Javier Suso López (dir.). Approches contrastives et multilinguisme dans l’enseignement des
langues en Europe (XVIe-XXe siècles)]. En ligne : http://dhfles.revues.org/154 (06 mai 2016).

NOTAS
1. Todos los extractos de prensa incluidos en esta sección se reproducen en su original
manteniendo la ortografía del castellano de la época que no difiere mucho de la actual y que, por
lo tanto, no supondrá ninguna traba para su comprensión.
2. Hemeroteca Digital de la Biblioteca Nacional de España (HDBNE) y la Biblioteca Virtual del
Patrimonio Histórico (BVPH).
3. Negrita en su original.

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1. Con el fin de no sobrecargar la bibliografía, se han excluido las obras que ya aparecen
completamente referenciadas en el texto y en el apéndice 1. Respecto a la prensa histórica
incluimos sólo el título del periódico o revista.

RESÚMENES
El presente estudio tiene como objetivo principal analizar la verdadera influencia del innovador
método de Ahn en España durante la segunda mitad del siglo XIX y principios del siglo XX. Para
ello hemos consultado los dos repertorios digitales de prensa histórica más significativos a nivel
español : la Hemeroteca Digital de la Biblioteca Nacional de España (en adelante, HDBNE) y la
Biblioteca Virtual de Prensa Histórica (en adelante, BVPH) del Ministerio de Educación, Cultura y
Deportes. El ‘método de Ahn’ ha sido ampliamente estudiado por la historiografía de la didáctica
de lenguas segundas o extranjeras (cf. Herbert 1993 ; Hammar 1993 ; Rius 2010 y Willems 2013,
entre otros). No obstante, poco o nada se sabe de su influencia socio-cultural en una determinada
tradición nacional. Para llenar parcialmente esa laguna, nos centramos en la tradición española y
recurrimos a la prensa histórica de la época para calibrar la influencia del método de Ahn en su
verdadero contexto histórico, social y cultural.

This article aims at gauging the real influence exerted by the innovative ‘Ahn’s method’ in Spain
throughout the second half of the XIX century and the first decades of the XX by a thorough
perusal of two of the most significant online repositories of historical press in Spain: the
Hemeroteca Digital de la Biblioteca Nacional de España (henceforth, HDBNE) and the Biblioteca Virtual
de PrensaHistórica (henceforth, BVPH) from the Ministry of Education, Culture and Sports.
Ahn’sactual method of teaching and learning languages has been widely studied by the
historiography of second or foreign language teaching and learning (cf. Herbert 1993; Hammar
1993; Rius 2010; Willems 2013, among others). However, there is no background research into its
socio-cultural influenceon a specific national tradition. To partly fill this gap, this study focuses
on the Spanish tradition and on the press of the time so as to reconstruct the influence of Ahn’s
method in its due social, historical and cultural context.

ÍNDICE
Palabras claves: Franz Ahn, método de Ahn, prensa histórica, España, siglos XIX y XX
Keywords: Franz Ahn, Ahn’s method, historical press, Spain, 19th and 20th centuries

AUTOR
ALBERTO LOMBARDERO CAPARRÓS
Centro de Estudios Superiores Alberta Giménez (CESAG). Palma de Mallorca (Espagne)

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Innovation et autoapprentissage par


voie de presse : Ἡ Γαλλική
Ἐφημερίς [Le Journal français]
(1908-1911)
Despina Provata

1 Parmi les titres des journaux et revues figurant dans le catalogue de la bibliothèque du
Parlement hellénique, qui possède la collection la plus complète de la presse en langue
française publiée dans le pays, figure Ἡ Γαλλική Ἐφημερίς [Le Journal français] 1. Ce
périodique de prime abord aurait été à juste titre inclus dans cette collection. On aurait
en effet aisément pu le compter parmi la centaine de titres de journaux et revues en
langue française qui ont vu le jour au cours du XIXe et des premières décennies du XX e
siècles et qui, destinées à un public francophone, grec ou étranger, constituent une
preuve éloquente de la place de choix que réservait la société néohellénique à la langue
et la culture françaises. Or, Ἡ Γαλλική Ἐφημερίς, qui paraît de 1908 à 1911 à Athènes, se
distingue nettement du reste des publications périodiques recensées car, comme
l’indique son sous-titre, il s’agit d’une publication hebdomadaire destinée à
l’apprentissage de la langue française.
2 Par la spécificité didactique de sa nature, cette parution particulière vient confirmer,
d’une part l’existence en Grèce d’une francophonie vivante qui s’exprime aussi par voie
de presse, et d’autre part, le souci des pédagogues grecs de suivre les tendances
éducatives européennes et d’introduire chez eux des méthodes innovatrices dans le
domaine de l’enseignement des langues étrangères. De surcroît, la date de naissance de
cette feuille particulière n’est pas anodine. Γαλλική Ἐφημερίς fait son apparition à un
moment où culmine la polémique entre les traditionnalistes et les réformistes dans le
domaine de l’enseignement des langues. En effet, de plus en plus de voix s’élèvent en
Grèce contre la méthode traditionnelle, qui avait d’ailleurs donné de très faibles
résultats dans le pays, et revendiquent l’introduction de la méthode directe dans les
établissements scolaires2. Par ailleurs, le public des apprenants ne cesse de se
différencier en s’élargissant. À côté des élèves qui suivent le parcours traditionnel et

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apprennent le français à l’école, on trouve des jeunes gens destinés aux métiers du
commerce ou de l’administration, ou encore à la carrière militaire, sans compter les
adultes qui pour des raisons multiples se mettent à l’apprentissage du français. C’est
donc pendant la période transitoire qui marque le passage de la méthode traditionnelle
à la méthode directe, qu’apparaît Γαλλική Ἐφημερίς. Dans la présente étude, je
m’efforcerai d’abord d’examiner les contenus choisis et la méthode adoptée par
l’auteur, avant de tenter de mesurer son impact immédiat dans le pays ainsi que sa
postérité.

Théodore Kyprios : éditeur, auteur et professeur de


français
3 Nous disposons de peu de renseignements sur la vie et les activités professionnelles de
l’éditeur, et unique rédacteur, de Γαλλική Ἐφημερίς. Qui donc est-il, qui signale
fièrement dans la manchette être « diplômé de l’université de Paris et du
gouvernement grec, auteur du grand dictionnaire grec-français et français-grec, ainsi
que de nombreux autres ouvrages1 ». Selon David Antoniou, Théodore Kyprios ou
Kyriakopoulos de son vrai nom, serait né à Constantinople en 1887, où il avait été
scolarisé dans la célèbre école de Chalki, et poursuit ses études à Paris (Antoniou 2012 :
231-232). Du reste, nous arrivons à compléter son parcours professionnel en nous
basant sur les réclames publicitaires insérées dans Γαλλική Ἐφημερίς ou d’autres
indications présentes dans les préfaces de ses ouvrages. Installé à Athènes, Kyprios
fonde un institut privé de langues vivantes où il dispense des cours de français,
individuels ou en groupe. S’activant en dehors des parcours institutionnels, il vise
notamment un public adulte demandeur d’une connaissance plus pratique de la langue.
C’est à son intention qu’il organise des cours de soir où il initie ses élèves à la langue
vivante à partir de documents authentiques tirés des journaux parisiens. La pratique de
la langue écrite est par la suite assurée par des exercices écrits d’expression française et
de grammaire (Γαλλική Ἐφημερίς [dorénavant ΓΕ], 2e année, no 28, 26-9-1909 : 112). Dans
le même souci, Kyprios organise aussi des cours de conversation à partir des images de
Hölzel (ΓΕ, no 23, 23-8-1908 : 4) une approche de la langue qui est officiellement
introduite dans les manuels scolaires à partir de 1907 en Grèce (Journal officiel, 139/A,
12-7-1907 : 570). Il adopte donc des pratiques encore inédites dans l’enseignement des
langues dans un pays où persiste toujours la méthode traditionnelle. Répondant aux
nouveaux besoins d’une société hellénique en mutation, il donne également des cours
de correspondance commerciale destinés aux employés de bureau et aux candidats des
différents concours administratifs, notamment ceux des banques (ΓΕ, 3 e année, n o 12,
27-6-1910 : 48). Il se vante, enfin, d’avoir fondé le seul – à ses dires – bureau de
traduction à Athènes, capable de faire des traductions de tout genre et en trois langues,
français, anglais et allemand (ΓΕ, no 2, 30-3-1908 : 4).
4 Mais l’essentiel de son activité professionnelle réside dans la rédaction d’ouvrages pour
l’enseignement de la langue française. Dans la bibliographie hellénique, on recense une
cinquantaine d’entrées, faisant sans doute de lui, l’auteur de manuels le plus
polygraphe de son temps. Il est aussi l’auteur d’un recueil de dialogues grecs-anglais,
publiés en 1900. Convaincu que l’enseignement théorique n’est pas efficace pour
l’enseignement des langues vivantes, il réclame, dans la Préface de cet ouvrage, une
approche plus pratique de l’enseignement et reconnaît avoir suivi, dans ce sens, les

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principes de la méthode de Robertson. Dans cette même Préface, il avoue avoir


composé deux autres recueils de dialogues bilingues pour le français et l’italien,
toujours sur les pas de Robertson, projet dont il ne subsiste aucune trace (Kyprios 1900 :
γ΄-δ΄).
5 Durant une quarantaine d’années Kyprios publie une multitude d’ouvrages :
dictionnaires, grammaires, manuels, alphabets, anthologies et chrestomathies sans
oublier la première – sans doute, car la recherche reste ouverte – collection de livres de
français spécialement conçus pour les classes enfantines. Pour compléter, enfin, sa
biographie, signalons qu’il est le traducteur de Ἡ Κάρμεν καί ἄλλα διηγήματα [Carmen et
autres nouvelles] de Prosper Merimée et l’auteur d’une biographie de Lord Byron, dont
on sait l’impact sur la mémoire collective grecque. Cette homme polygraphe décide
donc d’étendre son champ d’action et d’atteindre son public par le plus rapide et
moderne des moyens du temps : la presse.

Ἡ Γαλλική Ἐφημερίς (1908-1911)


6 Ἡ Γαλλική Ἐφημερίς était un hebdomadaire vendu par souscription mais il était aussi
possible de se le procurer sous forme reliée à la fin de chaque année de publication,
pratique courante pour les publications périodiques qui paraissaient en Grèce 1. Un total
de 104 fascicules in 4o, échelonnés sur 3 ans, ont ainsi vu le jour, du 23 mars 1908 au 8
mai 1911, sans connaître d’interruption et à raison d’un fascicule de 4 pages par
semaine. Au bout de trois ans, le 8 mai 1911, Kyprios annonce l’interruption de la
publication estimant que son objectif avait été atteint :
Les trois tomes [de ΓΕ] constituent une encyclopédie riche et unique pour l’étude de
la langue française ; il n’est plus nécessaire de poursuivre sa publication, car à elle
seule elle peut perfectionner à merveille tout apprenant de la langue française dans
tous ses aspects. (ΓΕ, no 50, 8-5-1911 : 1)

Méthode ou périodique ?
7 Comme on peut le constater, l’auteur se garde donc bien de caractériser son œuvre de
« méthode ». De fait, l’on ne trouve pas dans Γαλλική Ἐφημερίς l’une des principales
caractéristiques des méthodes d’enseignement, à savoir l’approche graduée, la
progression du facile au difficile (Puren 1988 : 39). Ce n’est qu’à partir de la deuxième
année de sa parution que Γαλλική Ἐφημερίς commence à proposer des lectures pour
débutants, une pratique qui se concrétise progressivement, lorsque commence la
publication régulière d’une page de textes entièrement conçus pour les besoins
spécifiques des débutants. Par ailleurs, l’enseignement progressif de la grammaire en
est également absent, ce qui accentue davantage ses distances d’avec les manuels
traditionnels pour l’enseignement du français en usage dans le pays.
8 Cependant, Kyprios ne laisse pas son entreprise sans lui donner un nom. Il opte pour le
terme « encyclopédie » qu’on devrait entendre dans le sens (d’ailleurs étymologique) le
plus large : un ensemble de textes variés, visant à synthétiser des connaissances et à les
rendre accessibles au public, dans un double but d’éducation et d’information. Même si
cela n’est nulle part explicitement déclaré, Γαλλική Ἐφημερίς est une revue qui vise à
l’autoapprentissage et ce n’est qu’à la troisième année de sa parution que son éditeur
Kyprios la caractérise ainsi (ΓΕ, 3e année, n o 24, 24-10-1910). Elle s’adresse à un public

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adulte préalablement scolarisé, susceptible donc de pouvoir lire dans les deux langues.
Par sa nature de « journal intéressant et amusant », pour reprendre l’expression de
Kyprios, Γαλλική Ἐφημερίς ambitionne aussi de toucher le plus grand public des lecteurs
de la presse francophone grecque. C’est bien pour cette raison que l’un de ses objectifs
principaux est de pouvoir combiner dans ses pages l’utile à l’agréable, en offrant aux
lecteurs le plaisir d’accéder à des textes variés tout y adjoignant le profit du
perfectionnement de la langue, ainsi que se plaît à souligner son éditeur.

Quel modèle pour Γαλλική Ἐφημερίς ?


9 Si Γαλλική Ἐφημερίς est l’unique feuille qui circule en Grèce à des fins pédagogiques, elle
n’est sûrement pas la seule en Europe. À Milan, par exemple, Il Poliglotta Moderno paraît
entre 1905 et 1907. Il s’agit d’une méthode d’autoapprentissage des langues publiée sous
forme de fascicules hebdomadaires qui venait combler les besoins d’autoformation
linguistique en Italie au début du XXe siècle (Maroger 2002). Kyprios n’invente donc
certainement pas. D’ailleurs il avoue lui-même être au courant d’autres publications
similaires qui circulaient en Europe. Mais, s’il a un modèle, ce qu’il ne m’a pas été
possible d’identifier à ce jour, il déclare ne pas le suivre servilement. La fréquence de
publication de ces feuilles, précise-il, est différente : Γαλλική Ἐφημερίς est un
hebdomadaire alors que les publications similaires étaient en principe bimensuelles (ΓΕ,
1ère année, no 21, 9-8-1908 : 4). Mais Γαλλική Ἐφημερίς se différencie aussi par rapport au
modèle des méthodes d’autoapprentissage qui circulaient déjà dans le pays sous forme
de livres publiés.
10 En effet, comme on l’a dit, cette feuille s’inscrit dans le cadre d’une demande croissante
de la part du public grec de mise à disposition de manuels spécialement conçus pour
l’autoapprentissage des langues. Il convient ici de souligner que la question de

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l’autodidaxie, que Frijhoff définit comme une variante éducative à celle que fournit
l’école (Frijhoff 1996 :6), n’a pas encore été explorée en Grèce ; il n’existe aucune étude
sur cette pratique ou sur les formes particulières qu’elle a pu revêtir dans le pays. Si
l’on laisse de côté les recueils de dialogues grec-français ou même polyglottes publiés
au cours du XIXe siècle qui souvent servaient à l’autoapprentissage, le premier manuel
explicitement destiné à cet enseignement par soi-même de la langue française est une
adaptation du manuel de M. Fournier Διδασκαλία Γαλλικῆς διαλέκτου καί ὀρθογραφίας διά
κανόνων [La langue française et l’orthographe enseignées par principes et en vingt-
quatre leçons], publié par des Grecs de la diaspora à Vienne en 1823 (Fourniéris 1823).
Selon les catalogues de bibliographie et de bibliothèques consultés, ce manuel par
lequel « on s’instruit seul et sans l’aide d’un maître à parler et écrire ce langage » serait
le seul à avoir paru tout au long du XIXe siècle pour la langue française alors que nous
trouvons des méthodes d’autoapprentissage pour l’anglais dès 1842, pour l’italien en
1871, 1874, 1885 (adaptation de la méthode de Robertson), pour le roumain en 1873 et
pour le russe en 1894).
11 Des recherches complémentaires, qui touchent à la sociologie de l’apprentissage,
permettront sans doute de mieux comprendre les motifs de cet apparent retard, auquel
la prolifération des professeurs de français, officiels ou autoproclamés, n’est sans doute
pas étrangère. En attendant, nous pouvons constater qu’il faudra attendre le début du
XXe siècle pour voir se manifester un intérêt croissant pour les méthodes
d’autoapprentissage. Elles vont se populariser en Grèce grâce à la politique éditoriale
résolument orientée vers les classes populaires que mènent les deux grandes maisons
d’édition de Georges Féxis et de Michaïl Salivéros. Ainsi, en 1900, Georges Féxis publie
simultanément des adaptations grecques de la méthode d’autoapprentissage de Xavier
de Bouge pour l’anglais, l’allemand, l’italien et le français.

Les contenus et la méthodologie adoptée


12 Pour ce qui est des contenus et de la méthodologie, Γαλλική Ἐφημερίς vient combler une
double demande sociale : celle d’abord d’une connaissance plus pratique de la langue ;
celle ensuite d’un accès à une instruction donnée en dehors des parcours
institutionnalisés. En un mot, Γαλλική Ἐφημερίς pressent un stade de démocratisation et
d’autonomisation du lectorat auquel il entend apporter sa réponse.
13 Publication bilingue, Γαλλική Ἐφημερίς propose des activités variées qui couvrent
pratiquement tous les domaines. Du point de vue méthodologique, elle reste près de la
tradition et propose une approche contrastive des deux langues : pour chaque texte ou
phrase qui y est publié, une traduction grecque est fournie en regard du texte français
et, si nécessaire, des notes explicatives en bas de page. Selon les estimations de son
éditeur, chaque numéro devait contenir, 200 mots nouveaux à peu près (ΓΕ, 2e année, no
1, 21-3-1909 : 1).
14 La disposition des textes dans chaque fascicule reste à peu près identique tout au long
des trois années de parution. Seules apparaissent quelques légères modifications tant
sur la disposition typographique des textes que sur leur physionomie, notamment à
partir de la deuxième année. Le lecteur avait à sa disposition des textes authentiques ou
fabriqués. À la une, il pouvait lire des extraits de journaux parisiens, qui consistaient
surtout en des faits divers ou des nouvelles de la vie sociale de la ville. Les questions
d’actualité politique ne sont pas exclues, surtout lorsqu’elles présentent un intérêt

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particulier pour la Grèce, par exemple la crise orientale (ΓΕ, n o 29, 4-10-1908 : 1). Mis à
part un texte tiré de La libre parole1, la/les source(s) françaises de Γαλλική Ἐφημερίς ne
sont jamais mentionnées. La littérature, largement représentée, occupe une place
régulière dans ses pages et sert de support pédagogique à l’apprentissage de la langue.
Le lecteur pouvait lire des poèmes ou des récits publiés en feuilleton écrits par des
auteurs consacrés, comme Victor Hugo, Alphonse de Lamartine, Alfred de Musset ou
Alexandre Dumas, mais aussi par des auteurs moins connus. On trouve également
plusieurs récits anonymes.
15 Mais la littérature ne suffit plus. On l’a vu, l’évolution des besoins d’apprentissage des
langues vivantes étrangères provoque l’apparition d’un nouvel objectif « pratique » qui
vise une maîtrise effective de la langue comme instrument de communication. Il fallait
alors aider les lecteurs à acquérir la langue courante et leur donner en même temps des
connaissances qui leur serviraient dans les relations sociales et commerciales du jour.
Dans un effort de présenter les Français dans leur milieu et leurs habitudes
quotidiennes, Kyprios insère dans chaque numéro des dialogues faciles, des phrases
simples de la conversation courante (rubrique « Nouvelles à la main ») ainsi que des
anecdotes que l’on pouvait repérer dans les journaux français. À travers ces passages
mais aussi à travers les nombreux dialogues à l’usage des voyageurs, par les pensées et
maximes, les proverbes, voire la correspondance familière qui y est également
présente, se profilent les traits particuliers d’une nouvelle identité française, celle de la
modernité naissante. La présence de la civilisation actuelle française se fait encore plus
nette dans les portraits de personnalités historiques, relus à partir du présent, ou ceux
des grands écrivains français. D’ailleurs, dès le premier numéro de cette revue
particulière, le lecteur pouvait lire une série d’articles sur la physionomie de Paris,
capitale par excellence de la société nouvelle du temps. La langue vivante que Kyprios
veut présenter dans sa revue est à l’image d’une société et d’une civilisation en pleine
mutation.
16 C’est ainsi que nous pouvons noter, parmi les rubriques régulières de Γαλλική Ἐφημερίς,
la « correspondance commerciale » et les « expressions commerciales », preuve
tangible de l’ouverture du pays aux échanges commerciaux de l’important monde
francophone et du besoin subséquent de maîtriser la phraséologie mercantile française.
17 On l’a dit, la grammaire est quasiment absente, à savoir son enseignement explicite et
de l’application raisonnée de ses règles, ce qui accentue davantage les écarts de Γαλλική
Ἐφημερίς avec les manuels pour l’enseignement du français qui étaient en usage dans le
pays. Seule l’approche contrastive de la langue permet à l’apprenant de dégager des
particularités du français. Des exemples grammaticaux plus précis ne seront fournis
qu’à l’intention des débutants, avec, bien sûr, l’apport de la langue maternelle.
18 La disposition des textes était la même pour l’ensemble des rubriques, les deux langues
étant toujours placées en regard. Mais lorsque Γαλλική Ἐφημερίς élargit son public pour
y inclure aussi les débutants (ΓΕ, 2e année, n o 4, 11 avril 1909 :14), elle adopte la
traduction interlinéaire. En effet, la disposition adoptée ici est celle proposée par
Robertson, où la langue maternelle figure en caractères d’un corps plus petit au-
dessous du texte français. Entre guillemets sont signalés les mots français qui n’ont pas
d’équivalent stricte ou absolu ou nécessaire en grec. Or, comme le signale Henri Besse,
cette pratique de la traduction interlinéaire était susceptible de conduire à des
agrammaticalités ou à des calques néologiques peu compréhensibles (Besse, 1996 :
293-312). C’est sans doute pour éviter ce piège que les passages où est pratiquée la

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traduction interlinéaire consistent en des textes simplifiés et construits par l’auteur à


cette fin.
19 Il est donc évident que même s’il nous est à ce jour impossible d’identifier l’éventuel
modèle de Kyprios ou même de trouver un équivalent de Γαλλική Ἐφημερίς, on peut
reconnaître sa dette aux multiples « cours traditionnels à objectif pratique » (COTP),
comme les appellera Christian Puren (1988 : 62-75). Plusieurs indices permettent ce
rapprochement : Γαλλική Ἐφημερίς répond à la même demande de connaissance
pratique des langues vivantes, s’adresse à public potentiel très hétéroclite, adopte la
mise systématique en parallèle du français et du grec, élimine pratiquement les
contenus grammaticaux et maintient la traduction comme noyau dur méthodologique.
20 Mais comment devait procéder le lecteur/apprenant afin de pouvoir atteindre son but ?
Comme on l’a vu, Γαλλική Ἐφημερίς n’est ni une méthode ni ne requiert aucun support
extérieur. C’est donc bien un système d’apprentissage autodirigé que nous avons sous
les yeux, où l’apprenant est appelé à faire ses choix personnels suivant les indications
données sporadiquement par l’auteur. En effet, Kyprios ne se prononce sur ce sujet
qu’au début de la deuxième année de sa publication et fournit à ses lecteurs quelques
indications méthodologiques pour les guider dans leur apprentissage.
21 Pour profiter des enseignements de Γαλλική Ἐφημερίς, chaque lecteur était appelé,
d’abord à évaluer ses propres compétences langagières et à choisir l’extrait à étudier en
fonction de ses connaissances. Kyprios propose à ses lecteurs le schéma suivant :
Faire plusieurs lectures à haute voix afin d’arriver à une récitation parfaite.
Commencer ensuite l’explication du texte français en le comparant avec sa
traduction grecque et puis recouvrir la traduction grecque. […] Puis recouvrir la
traduction grecque et essayer de rapidement traduire le texte français en grec. En
même temps, noter dans un répertoire, les mots inconnus ». […] Quand vous aurez
bien appris le texte français, recouvrez-le et, tout en ayant sous les yeux le texte
grec, essayez de le traduire par écrit en français. (ΓΕ, 2 e année, no 1, 21-3-1909 : 1)
22 À ce stade, après le passage de l’oral à l’écrit, la consolidation des connaissances se fait,
souligne Kyprios, par la répétition. Il faut apprendre le texte français par cœur, dit-il,
précisant : « c’est le meilleur exercice pour que les mots et les phrases s’imprègnent
profondément dans votre mémoire et pour que vous réussissiez à vous exprimer
couramment en français. Cet exercice équivaut au cours fait avec un maître », conclue-
t-il (ibid.). C’est donc par l’usage de la langue, par la routine quotidienne prônée par la
méthodologie pratique que l’on apprend la langue.
23 Kyprios ne manque pas de prendre en compte les débutants qui n’auraient aucune
notion de grammaire. Il leur conseille d’utiliser comme support de base ‒ « faute de
mieux » ‒, la méthode Ahn qui circulait en Grèce dans des adaptations depuis 1867.
« Elle vous permettra en quelques jours », précise-t-il, de « pouvoir suivre notre
matière, d’abord les dialogues et les anecdotes, puis les morceaux plus difficiles ». Le
rythme d’apprentissage reste aussi à la discrétion de l’utilisateur, mais Kyprios note
qu’une seule page par semaine suffit pour faire des progrès à condition d’effectuer un
travail approfondi.
24 Mais il y a aussi l’aspect commercial de cette publication et Kyprios ne manque pas d’en
faire la publicité et de vanter Γαλλική Ἐφημερίς pour la facilité qu’il offre aux
apprenants car, argumente-t-il, « on peut toujours l’avoir sous la main […] nul besoin
donc de travailler dans un bureau ». À une époque où le prix des livres scolaires se
trouve souvent au cœur des débats des pédagogues grecs, Kyprios souligne l’avantage

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économique de sa publication puisqu’aucun autre ouvrage complémentaire n’est exigé.


Enfin, outre l’aspect purement pédagogique, il souligne que Γαλλική Ἐφημερίς n’est pas
exclusivement adressée au public des apprenants. Par sa nature de publication
périodique et par son contenu varié, qui combine l’utile à l’agréable, elle peut répondre
aux attentes du lectorat francophone du pays et remplacer n’importe quelle autre
lecture.

Diffusion et impact de Γαλλική Ἐφημερίς


25 L’examen attentif des numéros nous permet progressivement de cerner le public visé
par Γαλλική Ἐφημερίς. Grâce à la rubrique « Correspondance », nous pouvons recueillir
des informations autant sur le statut social des lecteurs, sur leur lieu de résidence et
donc la diffusion géographique de la feuille, que sur les besoins spécifiques des usagers.
La feuille, publiée à Athènes, circulait aussi en province (en Thessalie et au
Péloponnèse) mais également dans les parties de l’hellénisme qui faisaient encore
partie de l’empire ottoman (la Crète), dans les centres de l’hellénisme de la diaspora (Le
Caire) ainsi qu’à l’étranger.
26 Parmi les abonnés on trouve un nombre important d’enseignants qui ne manquent pas
d’envoyer des commentaires élogieux. Ils sont certainement nombreux, même si
Kyprios exagère sans doute lorsqu’il prétend avoir reçu des lettres élogieuses de
quelque 300 professeurs !). Ces derniers signalent « la variété du contenu », « la
précision des notes explicatives », « l’originalité » mais aussi son efficacité, tel ce
lecteur anonyme qui exprime son enthousiasme devant cette publication qui lui
apporte – enfin – une réponse satisfaisante dans son parcours autodidactique 1 :
J’étudie depuis quatre ans le français. J’ai acheté jusqu’à présent trois méthodes
sans maître, quatre dictionnaires et une dizaine de livres complémentaires ; j’ai
gaspillé du temps précieux cherchant tantôt dans l’un, tantôt dans l’autre et
trouvant à chaque pas une difficulté insurmontable. […] si j’avais ce journal [ΓΕ]
j’aurais sans exagération fait dix fois plus de progrès en quatre mois que j’en ai fait
seul en quatre ans. (ΓΕ, 1ère année, no 31, 18-8-1908 : 2)
27 Ces commentaires confirment le fait que Γαλλική Ἐφημερίς ne s’adresse pas seulement
aux élèves mais à tous ceux qui désirent apprendre ou perfectionner le français (ΓΕ, 3 e
année, no 1, 28-3-1910 : 1). Hubert Pernot, helléniste réputé et professeur de grec
moderne à l’école des Langues orientales voit de son côté un double usage pour l’œuvre
de Kyprios ; l’approche contrastive des deux langues, appliquée dans l’ensemble des
textes et exercices présents dans Γαλλική Ἐφημερίς, pourrait servir également, selon lui,
les buts éducatifs d’un public français qui s’initie au grec moderne :
L’impression de ce périodique est excellente, le format en est commode et il peut
rendre autant de services aux Français qui apprennent le grec moderne qu’aux
Grecs qui apprennent le français. Je l’ai immédiatement signalé et recommandé à
mes élèves. (ΓΕ, 3e année, no 1, 28-3-1910 : 1)
28 Ainsi encouragé par le succès de son entreprise et ayant acquis une expérience solide,
Kyrpios annonce en octobre 1910 dans les pages de Γαλλική Ἐφημερίς son nouveau
projet pédagogique : la publication par souscription de la « Bibliothèque française »,
une collection d’ouvrages qui ne se limitera pas aux seules « méthodes convenues »
mais qui comporterait des ouvrages de grande utilité qui n’avaient jamais encore été
publiés en Grèce. Composés selon les méthodes européennes récentes, ces ouvrages,
résolument novateurs et fruit de sa longue expérience, seront pour la plupart destinés

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à l’autoapprentissage et répondront aux besoins aussi bien des débutants que des
publics avancés. Il prévoyait d’inclure dans cette collection rien moins qu’une méthode
de Français commercial, une méthode de Français pour tous sans maître, une Grammaire
complète de la langue française, une Correspondance commerciale français-grec selon les
nouvelles méthodes européennes, une Correspondance générale français-grec comportant des
modèles de lettres variées, des Dialogues grec-français, les Verbes français, réguliers et
irréguliers et la Prononciation française. La « Bibliothèque française » devait paraître en
fascicules de 8 pages et serait distribuée à ses abonnés avec Γαλλική Ἐφημερίς (ΓΕ, 3 e
année, no 24, 24-10-1910).
29 De fait, Kyprios s’oriente davantage vers l’autoformation. En 1910, il publie une version
corrigée de Ἡ Γαλλική ἄνευ διδασκάλου εἰς 50 μαθήματα. Ἐκμάθησις πρακτική, ταχεία,
σαφής, ἐπαγωγός, εὐκολωτάτη, διδάσκουσα τήν γνήσιαν καί καθαράν προφοράν [Méthode de
français sans professeur en 50 leçons. Méthode pratique, rapide, claire, inductive, très
facile, enseignant la prononciation pure et authentique] de Xavier de Bouge qui avait
été initialement adaptée pour le public grec par G. Alexandrou2. En 1928, Kyprios publie
sa propre méthode de français sans maître, Γαλλική δι’ ὅλους. Νέα πρακτική μέθοδος διά
τήν σπουδήν τῆς γαλλικῆς γλώσσης ἄνευ διδασκάλου [Le français pour tous. Nouvelle
méthode pratique pour apprendre la langue française sans maître], dans laquelle il
combine la théorie et la pratique selon le modèle de la méthode Gaspay-Otto-Sauer :
selon cette dernière, la grammaire proprement dite est suivie d’exercices de
conversation, anecdotes, idiotismes, extraits de journaux parisiens, correspondance,
extraits d’œuvres littéraires, dialogues et récits.

Conclusion
30 Kyprios fait donc partie de cette génération de professeurs grec formés en France à
l’époque où s’officialise le passage de la méthode traditionnelle à la méthode directe.
C’est l’un des premiers, sinon le premier, à s’efforcer d’introduire dans son propre pays
le savoir qu’il avait acquis durant ses années de formation en France. L’enrichissement
culturel par le texte littéraire qui avait constitué l’objectif des programmes scolaires et
des manuels utilisés tout au long du XIXe siècle, est remplacé au début du XX e par une
visée bien plus concrète : l’apprentissage de la langue doit répondre à une nouvelle
situation où prévaut l’intérêt pratique et Kyprios offre aux lecteurs de Γαλλική Ἐφημερίς
un outil susceptible de combler les besoins spécifiques de ce public adulte, désireux
d’apprendre le français au moyen de l’auto-formation. Cette publication, sans
prétendre être une méthode, mais s’en approchant par moments beaucoup, prend sa
place dans un contexte d’enseignement où le français ne constitue pas une discipline
scolaire. Quand les apprenants jouissent d’une liberté totale dans le rythme
d’apprentissage, quand ils peuvent adapter la progression à leurs besoins, à leurs
rythmes, leurs demandes, leurs difficultés, voire à leurs exigences particulières, quand
cet enseignement d’un type et surtout d’un support nouveaux, affranchi des parcours
réglementés de l’enseignement et des recommandations du ministère, se traduit dans
un enseignement par voie de presse mais aussi au sein de l’institut de langues que
Kyprios dirige, un seul adjectif peut qualifier ce prolifique serviteur de l’enseignement
de la langue française en Grèce, celui de novateur.

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75

BIBLIOGRAPHIE

Sources primaires

Ἡ Γαλλική Ἐφημερίς. Διά τήν σπουδήν τῆς γαλλικῆς γλώσσης. [Le Journal français. Pour
l’apprentissage de la langue française]. Athènes : 1908-1911.

Ἐφημερίς τῆς Κυβερνήσεως [Journal officiel], 139/A, 12-7-1907.

KYPRIOS, Théodore (1900). Νεώτατοι πλήρεις ελληνοαγγλικοί διάλογοι [Nouveaux dialogues


complets grec-anglais]. Athènes : A. Féxis.

KYPRIOS, Théodore (41910). Ἠ Γαλλική ἄνευ διδασκάλου εἰς 50 μαθήματα. Ἐκμάθησις πρακτική,
ταχεία, σαφής, ἐπαγωγός, εὐκολωτάτη, διδάσκουσα τήν γνήσιαν καί καθαράν προφοράν [Méthode
de français sans professeur en 50 leçons. Méthode pratique, rapide, claire, inductive, très facile,
enseignant la prononciation pure et authentique]. Par Xavier de Bouge et G. Alexandrou.
Athènes : Papadimitriou (5e édition en 1913).

KYPRIOS, Théodore (1928). Γαλλική δι’ ὅλους. Νέα πρακτική μέθοδος διά τήν σπουδήν τῆς γαλλικῆς

γλώσσης ἄνευ διδασκάλου [Le français pour tous. Nouvelle méthode pratique pour apprendre la
langue française sans maître]. Athènes : Dim. Tzaka & Stef. Delagrammatika.

Πρῶτον Ἑλληνικόν ἐκπαιδευτικόν συνέδριον : ἐν Αθήναις, 31 Μαρτίου-4 Ἀπριλίου 1904 [Premier


congrès pédagogique : Athènes, 31 mars-4 avril 1904]. Athènes : 1904.

Ζ. Μ. (trad.) (1823). Διδασκαλία Γαλλικῆς διαλέκτου καί ὀρθογραφίας διά κανόνων εἰς
εἰκοσιτέσσαρα μαθήματα· ἤ Γαλλική Γραμματική διά τῆς ὁποίας διδάσκεταί τις μόνος, καί ἄνευ
βοηθείας διδασκάλου, νά ὀμιλῇ καί νά γράφῃ αὐτήν τήν διάλεκτον ὑπό Μ. Φουρνιέρου.[La langue
française et l’orthographe enseignées par principes et en vingt-quatre leçons ou grammaire
française pour apprendre seul et sans l’aide d’un maître à parler et à écrire cette langue] par M.
Fournier. Vienne : Imprimerie Io. Barth. Tzvekiou.

Sources secondaires

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αιώνα. Βιογραφικά και εργογραφικά στοιχεία [Maîtres-professeurs de français dans les écoles
grecques du XIXe siècle. Éléments biographiques et bibliographiques]. Athènes : CIREL.

BESSE, Henri (1996). « Traduction interlinéaire et enseignement des langues (chez Locke, du
Marsais, Radonvilliers, Robertson, et quelques autres) ». Documents pour l’histoire du français langue
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FRIJHOFF, Willem (1996). « Autodidaxies, XVIe-XIXe siècles. Jalons pour la construction d’un objet
historique ». Histoire de l’éducation, 70, 5-27.

MAROGER, Nicole (2002). « Enseignement à distance et autoformation linguistique en Italie au


début du XXe siècle : « Il Poliglotta Moderno ». Documents pour l’histoire du français langue étrangère
ou seconde, 28. En ligne : <http://dhfles.revues.org/2665> (consulté le 28 mai 2016).

PUREN, Christian (1988). Histoire des méthodologies de l’enseignement des langues. Paris : Clé
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VERRIER, Christian (2002). « Éléments pour une approche de l’autodidaxie ». Bulletin des
bibliothèques de France (BBF), n° 3 : 17-21. En ligne : <http://bbf.enssib.fr/consulter/
bbf-2002-03-0017-001> (consulté le 28 mai 2016).

NOTES
1. Je tiens à remercier ici la directrice de la bibliothèque du Parlement hellénique, Madame Elli
Droulia qui m’a facilité l’accès à ce périodique.
2. La question est posée lors du premier congrès pédagogique qui a lieu à Athènes en 1904. Joseph
Corpi, professeur de français en Crète, réclame l’introduction de la méthode directe dans
l’enseignement des langues vivantes en Grèce, à l’exemple des autres pays européens,
notamment de la France et de l’Allemagne (Πρῶτον … συνέδριον [Premier congrès pédagogique]
1904 : 250)
1. Je traduis toutes les citations qui sont en grec moderne dans l’original.
1. Durant la première année de parution, la pagination change à chaque numéro. Par la suite, la
pagination est suivie pour chacune des deux années, sans doute pour faciliter, selon la pratique
de l’époque, la reliure de ΓΕ en volume.
1. La Libre Parole (Paris, 1892-1924) était un journal politique français lancé par le journaliste et
polémiste antisémite Édouard Drumont, ensuite repris par Joseph Denais, député de Paris.
1. Sur l’angoisse et la quête des autodidactes, on peut consulter Verrier (2002 : 17-21)
2. Signalons ici en passant que la méthode de Xavier de Bouge, revue et adaptée en 1992 par un
autre professeur de français, Constantin Charactidis, est toujours en vente dans les librairies
grecques !

RÉSUMÉS
Le début du XXe siècle, est pour la Grèce une période de transition entre la méthode
traditionnelle et la méthode directe. On se préoccupe davantage pour l’enseignement de la
langue vivante et de son aspect plus pratique. Ainsi, de nombreux pédagogues, encouragés par la
multiplication des instituts de langue, écoles commerciales mais aussi par l’intérêt croissant de la
jeunesse hellénique pour les concours administratifs (qui exigeaient une bonne connaissance de
la langue française) proposent des nouvelles méthodes d’apprentissage du français et font
carrière en publiant des ouvrages divers pour l’enseignement de la langue. C’est dans ce cadre
que paraît à Athènes, de 1908 à 1911, Ἡ Γαλλική Ἐφημερίς, une publication hebdomadaire
bilingue. Son éditeur, Théodore Kyprios, professeur de français et auteur par la suite de
nombreux manuels, se vante de mettre à la disposition des apprenants grecs un outil innovant
pour l’apprentissage de la langue française. Il s’agit, en effet, d’une revue destinée à
l’autoapprentissage de la langue. Tout en restant près de la tradition scolaire qui continue à
promouvoir l’usage de la traduction dans l’enseignement des langues, Ἡ Γαλλική Ἐφημερίς vise à
une maîtrise effective de la langue, comme moyen de communication, et à des connaissances
vraiment utiles et indispensables dans les relations sociales quotidiennes. Il s’applique, enfin, à
donner à ses lecteurs le contexte culturel dans lequel évolue le peuple dont on étudie la langue

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The beginning of the twentieth century is a period of transition for Greece, namely between the
traditional and the direct method. There is a greater concern for the teaching of the modern
language and its more practical aspects. Thus, many pedagogues, encouraged by the
multiplication of language institutes and commercial schools, but also by the Hellenic youth’s
growing interest in administrative examinations (which required a good knowledge of the
French language), offer new methods of learning French and build a career on publishing various
works for the teaching of the language. It is in this context that in the period from 1908 to 1911
appeared in Athens Ἡ Γαλλική Ἐφημερίς [The French Journal], a weekly bilingual publication.
Theodore Kyprios, its editor, a French teacher and author of numerous textbooks, boasts of
providing Greek learners with an innovative tool for learning the French language. It is, actually,
a journal intended for self-learning. While remaining close to the school tradition that continues
to promote the use of translation in the teaching of languages, Ἡ Γαλλική Ἐφημερίς aims for an
effective mastery of the language as a means of communication and for acquiring truly useful
and indispensable knowledge for everyday social rapport. Finally, it aims to present its readers
the cultural context, in which the people whose language is the object of study, has evolved

INDEX
Keywords : Greece, 20th century, French language teaching, self-learning, press
Mots-clés : Grèce, XXe siècle, enseignement du français, autoapprentissage, presse

AUTEUR
DESPINA PROVATA
Université nationale et
capodistrienne d’Athènes

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« La méthode orale » à l’Institut


français d’Athènes : innovations
pédagogiques dans l’enseignement
du français en Grèce (1946-1961)
Loukia Efthymiou et Nicolas Manitakis

1 Lors d’une conférence tenue en 1950 au Centre International d’Études Pédagogiques de


Sèvres, l’Inspecteur général Pierre Clarac faisait l’éloge et érigeait au rang d’exemple la
« méthode orale » appliquée par le personnel de l’Institut Français d’Athènes après la
guerre1. Clarac, qui était également membre du jury du Diplôme de professeur de
français à l’étranger de l’École de la Sorbonne, était récemment rentré d’une visite
d’inspection en Grèce. Son témoignage enthousiaste et l’intérêt qu’il suscita parmi une
assistance composée de professeurs de langues vivantes suggère que la méthode mise
en vigueur à Athènes par le directeur de l’établissement culturel français, Octave
Merlier, fit alors figure d’innovation pédagogique (Voutsinas 1951).
2 C’est que, tout d’abord, cette technique d’enseignement déjà vieille de près d’un demi-
siècle en Europe, s’inscrivant dans un vaste projet éducatif admirablement orchestré
par Merlier, donna naissance à des pratiques de classe inédites jusque-là, à notre
connaissance, en Grèce. Qui plus est, remodelée minutieusement et appliquée avec soin
et « rigueur »2, elle apparut également en France – dans un contexte d’initiatives
d’aménagement linguistique et didactique en matière de FLE – comme une stratégie
d’apprentissage intéressante méritant largement une diffusion en dehors de l’espace
grec. Par le biais donc de la reconstitution de l’histoire d’une expérience pédagogique
franco-hellénique qui dura quinze ans (1946-1961), la présente étude se propose de
mettre en valeur un exemple à la fois de transfert d’une méthode enseignante et
d’ajustement de ses procédés et supports pédagogiques au sein de différentes
institutions d’accueil.

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La gestation du projet (1925-1945)


3 Fondé au début du XXe siècle en tant qu’annexe pédagogique de l’École française
d’Athènes, l’Institut supérieur d’Études françaises, renommé après 1945 Institut français
d’Athènes, est vite devenu l’un des principaux centres d’enseignement de la langue
française dans la capitale grecque. Son développement fulgurant à partir de l’entre-
deux-guerres fut nottament l’œuvre d’Octave Merlier, professeur de français et
néohelléniste très attaché à la Grèce.
4 Dès son arrivée à Athènes, Merlier avait constaté non seulement l’inefficacité de la
méthode traditionnelle qui était employée dans la classe de français par des maîtres
grecs recrutés souvent, par surcroît, sans formation initiale 1, mais aussi l’inadéquation
des « méthodes ordinaires de la métropole » utilisées par les professeurs de l’Institut
(instituteurs, licenciés ou agrégés de lettres et de grammaire) pour enseigner le
français à un public d’apprenants étrangers. Centrées en priorité sur l’étude de la
grammaire et de la littérature, ces pratiques méthodologiques délaissaient
l’enseignement oral, de sorte que les élèves grecs, même ceux qui réussissaient à
« acquérir des connaissances théoriques », ne parvenaient point à s’exprimer en
français2.
5 Malgré la gravité de la question, peu d’initiatives furent engagées avant la guerre pour
pallier ces déficiences. On note en particulier, en 1936, la publication aux éditions Le
Progrès d’une Méthode de Prononciation Française à l’usage des élèves grecs, bel exemple
d’ouvrage pédagogique tenant compte des spécificités linguistiques de la population
hellène3. Son auteure : une institutrice française, Mlle Renvoysé, recrutée en 1928 pour
enseigner le français aux élèves débutants – très peu nombreux encore, il est vrai,
parmi les effectifs de l’Institut.
6 C’est sous l’effet des changements opérés au sein de la population étudiante de
l’établissement dès les dernières années de la guerre et accentués à la Libération avec le
rattachement des cours de l’Alliance Française transformés en Écoles Annexes, que la
question de la pertinence des méthodes d’enseignement utilisées dans ses classes
commença à se poser avec acuité. Concrètement, au cours de cette période, non
seulement ses effectifs grimpèrent en flèche mais aussi l’importance du nombre des
débutants de moins de seize ans y progressa considérablement. D’où la nécessité, d’une
part, de privilégier l’aspect oral de l’enseignement afin de satisfaire les besoins
éducatifs de la nouvelle clientèle et, d’autre part, de renforcer l’effectif du personnel
enseignant.
7 Dans un premier temps, l’établissement français ouvrit, en 1943, un Institut annexe,
pour recueillir le trop-plein du bâtiment central. Puis, pour la première fois depuis sa
création, il procéda, en deux phases, au recrutement de professeurs hellènes, diplômés
pour la plupart de son Cours Spécial – structure de formation initiale des francisants
reconnue depuis 1930 par l’État grec.
8 La première tranche d’enseignants grecs fut embauchée en pleine Occupation
allemande. Réunis – essentiellement depuis 1944 – à l’Institut annexe, ils se virent
confier les élèves de moins de 16 ans. Cette assignation devrait s’avérer déterminante
pour l’avenir de la méthode traditionnelle au sein de l’Institut. En effet, elle fut vite
rejetée par ces nouveaux professeurs, car taxée d’inadéquation pour un public de
jeunes apprenants de plus en plus nombreux. Il était désormais question de la

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remplacer au plus vite. L’enjeu était de taille. Faisant preuve d’un esprit
d’expérimentation et d’innovation exceptionnel, cette première équipe, composée
d’Hélène Papanicolaou, Hellé Papastamatiou, Irène Tsouchlou, Hellé Tzanetaki, Georges
et Hélène Mourelos, réussit à transformer l’annexe de la rue Sina en un véritable
laboratoire de pédagogie appliquée par la mise en chantier de pratiques
d’enseignement radicalement nouvelles en Grèce4.
9 À la Libération, l’établissement culturel français fit une seconde fois appel à ses anciens
diplômés pour pourvoir les très nombreux postes vacants dans les Écoles Annexes qu’il
dirigeait depuis peu. Or, pour réussir l’intégration des nouveaux professeurs – de sexe
féminin dans leur écrasante majorité – dans les Écoles annexes, il fallait à brève
échéance les former aux méthodes d’enseignement qu’on s’apprêtait à y mettre en
application. L’équipe dirigeante se trouvait dès lors confrontée à un double défi.

Faire œuvre pédagogique


La « méthode orale »

10 En quoi consistait concrètement la méthode mise au point à Athènes en 1946 ? Certes,


elle était largement inspirée par la méthode directe appliquée, au début du XX e siècle,
en France dans l’enseignement des langues vivantes. Merlier, lui-même, le
reconnaissait d’ailleurs, quand il affirmait que « l’idée [était] ancienne » 1. Il n’empêche
qu’en Grèce, c’est l’Institut qui, selon les sources consultées, fut le seul établissement
éducatif à l’avoir systématiquement mise en œuvre2.
11 Appelée par ses promoteurs athéniens « méthode orale », elle visait à créer dans la
classe de débutants les conditions d’acquisition de la langue maternelle, afin de
déclencher chez des apprenants de tout âge « des automatismes verbaux stables […], et
[de] ne permettre la formation d’automatismes visuels que lorsque les premiers seront
solidement constitués ». Il s’ensuit que la stratégie d’apprentissage en question –
conçue selon un ordre rigoureux dans sa progression (du concret à l’abstrait, du
fréquent au moins fréquent, du simple au complexe) –, préconisait un enseignement
d’un an, puis, à partir de 1947, de deux ans, sans livres. Elle s’appuyait dès lors
essentiellement sur l’usage de l’image, du « jeu » et de la chanson et accordait « une
place très importante à la prononciation ». La matière orale devait être toujours
groupée autour de centres d’intérêt (« vie quotidienne », « maison », « école »,
« métiers », etc.) et répartie en exercices de prononciation, de vocabulaire et de
« grammaire concrète »3. À la fin de la deuxième année un bagage d’environ 1 500 mots
et expressions d’usage courant devait être acquis par les enfants.
12 Dans le cadre d’un enseignement ainsi conçu par les promoteurs de la version grecque
de la méthode directe, le matériel d’appoint était censé jouer un rôle crucial. C’est
notamment Hélène Metaxas-Mourelos qui se distingua dans ce domaine : à la tête d’une
équipe, elle mit sur pied, dès 1946, des aides audio-visuelles destinées à l’enseignement
du vocabulaire. Ce matériel iconographique fut par la suite reproduit et diffusé dans les
annexes de l’Institut grâce au service d’édition-imprimerie mis en place en 1949 4.
Comme l’attestent des photos de l’époque, toutes les salles des Écoles Annexes furent
équipées de tableaux muraux et les élèves furent invités à se procurer des cartes
illustrées fabriquées par l’équipe pédagogique grecque.

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13 La « révolution » méthodologique introduite à l’Institut après la guerre ne connut pas


des débuts faciles toutefois. Quand, à l’instigation du directeur, la méthode orale fut
mise à l’essai pendant une année dans une seule classe, elle suscita des réactions
plurielles : le scepticisme des professeurs de l’établissement « que l’idée d’un travail
sans livres et cahiers effrayait », la résistance et les objections des élèves et de leurs
parents qui se méfiaient surtout de son aspect ludique. « Les élèves, se rappelait en
1955 Merlier, croyaient indigne d’eux de ne posséder ni livre ni cahier ; les parents ne
comprenaient pas qu’on pût enseigner sans un livre et un cahier ». Ils n’y « voyaient,
surenchérissaient en 1957 ses collaboratrices les plus proches, qu’un amusement et une
perte de temps pour leurs enfants ». Mais c’est justement le caractère « agréable »
d’une méthode, du reste appuyée sur des principes solides, qui constitua, selon ces
mêmes professeures, l’un de ses principaux avantages : « Tous les ans, signalent-elles,
nous sommes heureux de constater l’atmosphère joyeuse qui transforme nos leçons en
parties de plaisir pour nos élèves. Ainsi le premier contact avec la langue étrangère,
d’ordinaire si ardu et monotone, s’accomplit dans la joie » 5.

Former les professeurs de français à la nouvelle méthode

14 Une fois les oppositions au sein de l’Institut apaisées à la suite des « résultats
remarquables » obtenus « en sept mois de travail »6, la formation pédagogique des
professeurs, futurs et en exercice, à la nouvelle pratique enseignante préoccupa
sérieusement Merlier et ses collaborateurs. Conscients de l’importance de cet enjeu
pour la réussite de la méthode, ils développèrent leur action sur trois plans.
15 En premier lieu, ils initièrent, dès 1946-1947, tous les professeurs des Écoles Annexes au
programme d’enseignement oral par le biais de « congrès » et de séances de
perfectionnement. Parallèlement, ils chargèrent l’équipe pédagogique travaillant sur la
méthode orale d’élaborer des manuels destinés aux maîtres. Dès 1948, un ouvrage
intitulé Livre du professeur pour l’enseignement oral fut préparé par Hélène Papanicolaou
et Irène Tsouchlou avec l’aide d’Hélène Metaxas-Mourelos, chargée du choix des
chansons. Ce matériel, ronéotypé à 300 exemplaires et distribué aux professeurs de
l’Institut, contenait tout un programme détaillé établissant la progression à suivre au
« Cycle oral ». Enfin, la direction de l’Institut s’employa à former à la nouvelle méthode
les futurs francisants dans le cadre du Cours Spécial. Cette préparation fut, d’ailleurs,
ouverte également aux professeurs des annexes de l’Institut et « des lycées
d’Athènes »7.
16 À l’état embryonnaire jusqu’à la guerre, le stage pédagogique des élèves du Cours de
préparation au professorat de français fut doté, en 1948, d’une organisation complète qui,
« inspirée de la tradition universitaire française », comportait une double initiation :
théorique et pratique (Efthymiou 2015 : 97-99). À partir de 1950 notamment, la
formation théorique, confiée à l’un des initiateurs de la méthode orale à l’Institut, le
futur professeur de philosophie Georges Mourelos8, fut illustrée par des « travaux
d’outillage pédagogique » qui visaient à entraîner « les étudiants » du Cours Spécial à la
confection du matériel scolaire (tableaux, dessins, objets de carton, poupées,
marionnettes, etc.) destiné à concrétiser l’enseignement direct de la langue dans les
cours oraux pour jeunes débutants9. Les futurs professeurs apprenaient également
comment insérer « le programme des fêtes scolaires dans l’enseignement de l’année »,
comment diriger les jeux éducatifs et travailler en classe avec la chanson, afin de

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développer les compétences orales de leurs élèves. À cet effet, un cours hebdomadaire
de lecture musicale et de solfège fut introduit dans leur formation à partir de 1948. À
noter, enfin, un « cours de conversation courante par petits groupes » dispensé à partir
de 195610.
17 L’initiation pratique au « métier de professeur » fut par ailleurs organisée de manière
méticuleuse par les responsables de l’Institut. Étalée sur les deux années du cursus, elle
était passive et active à la fois. Le but était de « familiariser [les étudiants] avec
l’application de la ‘méthode orale’«11. Concrètement, après avoir assisté à raison d’une
semaine complète aux classes-modèles de l’Institut Annexe pour prendre contact avec
la méthode pratiquée, les stagiaires donnaient un enseignement de 8 à 18 heures dans
le Cycle Élémentaire. Leurs propres leçons préparées sur les indications des directrices
de stage, puis corrigées, critiquées et commentées, reproduisaient fidèlement les
leçons-modèles élaborées lors de longues séances de travail animées de causeries
techniques12. Enfin, un rapport détaillé sur l’ensemble du stage évaluait la
prononciation, la connaissance de la langue concrète et les dispositions pédagogiques
des futurs professeurs.
18 La mise sur pied de manière coordonnée de cet édifice pédagogique complexe dans les
années 1950 permit au grand projet de Merlier de prendre consistance : créer à
l’Institut un « centre pédagogique » dont la mission se partagerait entre enseignement,
formation et élaboration de méthodes d’apprentissage. Les deux premières assignations
avaient été depuis longtemps reconnues ou réservées à l’établissement français par
l’État hellénique. Il lui restait encore à s’imposer officiellement comme autorité dans le
domaine de la méthodologie des langues vivantes, voire à être reconnu comme une
instance apte à planifier des réformes éducatives et à les mettre en œuvre dans les
établissements publics grecs13.

Faire œuvre de diffusion


19 Or, la réalisation de ce projet de grande envergure, qui se résumait en substance à
l’implantation de la méthode orale dans d’autres structures scolaires, reposait dans une
large mesure sur la planification de stratégies efficaces de diffusion des résultats du
travail fait à l’Institut dans ce domaine. Merlier opéra notamment sur deux fronts. D’un
côté, il mit en place en Grèce des mécanismes de promotion de l’œuvre pédagogique
accomplie. De l’autre, il assigna à ses collaborateurs une mission de médiation : à
savoir, de faire connaître cette expérience non seulement dans les milieux enseignants
grecs mais aussi en dehors de l’espace hellénique.
20 Dès 1946, Merlier conçut à cet effet une institution importante : les « congrès de
l’enseignement du français », destinés aux professeurs en herbe ou en exercice dans
tous les types d’établissements scolaires. Quatre rencontres pédagogiques, vite revêtues
d’un caractère solennel en raison de la présence des autorités helléniques et françaises
(ambassadeurs, ministres, hauts fonctionnaires), furent tenues entre 1947 et 1955 au
bâtiment central d’Athènes lors des vacances de Pâques (1947, 1948, 1950 et 1955). Elles
furent par ailleurs relayées en province par des démonstrations de leçons-modèles
organisées dans les Écoles annexes de l’établissement. Toutes ces manifestations
pédagogiques permirent de présenter à la communauté enseignante, entre autres, les
principes théoriques de l’enseignement oral et de démontrer son efficacité 1 ; de
formuler, aussi, des suggestions et des vœux pour l’avenir dont le plus important fut la

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mise en application de la nouvelle méthode dans les établissements publics et libres


grâce au concours des professeurs de l’Institut.
21 Mais la campagne de Merlier en faveur de l’adoption officielle de la nouvelle pratique
enseignante resta finalement sans fruits, malgré tous les procédés mis en œuvre à cet
effet ; malgré également l’appui que certains hauts fonctionnaires grecs du ministère
de l’Éducation nationale lui avait apporté. La Direction de l’enseignement secondaire
refusa fermement, tout au long des années 1950, d’y donner son aval sous prétexte de
son inapplicabilité en milieu scolaire grec2.
22 Les échecs essuyés sur le front intérieur furent, dans une certaine mesure, compensés
par l’expérience heureuse de l’implantation de la méthode à l’étranger. C’est
notamment par le biais d’un ancien professeur de l’Institut, détaché en Grèce entre
1947 et 1950, qu’un tel transfert put aboutir. Au cours de son séjour athénien, Francis
Baulier, agrégé de grammaire avait été gagné à la méthode orale et s’était
progressivement spécialisé dans l’enseignement de la phonétique. Nommé en 1950
proviseur au lycée français de Vienne, il entreprit, à partir de 1951-1952, de transposer
et d’adapter, « ingénieusement » selon Milliex, cette technique d’enseignement dans un
nouveau cadre institutionnel. Dans la lettre-hommage qu’il envoya à son ancien
directeur en 1952, il fit état du succès de la méthode « préparée en Grèce » dans son
lycée autrichien : résultats pédagogiques très encourageants – sinon brillants –,
augmentation spectaculaire des effectifs – et ceci malgré les heurts produits et les
difficultés rencontrées3.
23 Au-delà de ce cas de « dissémination » réussie, l’équipe pédagogique de l’Institut, sous
l’impulsion de son directeur, essaya de faire connaître à l’échelle européenne la
« méthode orale », voire de l’ériger en exemple. Son travail fut d’abord présenté en
1953 au Congrès International des Professeurs de Langues vivantes organisé par le
Centre International d’Études Pédagogiques à Sèvres (Voutsinas 1953). L’intérêt que
cette intervention suscita, poussa probablement les responsables des Cahiers
Pédagogiques à solliciter, en 1956, sa contribution à un numéro consacré au « français
langue étrangère »4. Déjà, l’invitation de la part d’une revue spécialisée dans la
recherche pédagogique atteste l’infiltration de l’équipe grecque dans des réseaux
producteurs de réflexion méthodologique innovante5 ; le poids, toutefois,de sa présence
dans ce numéro spécial par le biais de la publication de trois articles rédigés par six
professeurs est, en outre, une belle preuve de reconnaissance de sa compétence
scientifique en la matière (Papanicolaou, Papastamatiou, Tsouchlou, Tzanetaki 1957 :
28-30 ; Burney 1957 : 31-32 ; Efthymiatou 1957 : 61-62).
24 Enfin, Merlier chercha à promouvoir l’œuvre enseignante effectuée par ses professeurs
en l’associant aux recherches menées à l’École normale supérieure de Saint-Cloud en
vue de l’élaboration du Français élémentaire. Selon le directeur, le succès de la méthode
orale appliquée à l’Institut athénien pratiquement depuis la Libération ne pouvait
qu’avoir servi d’inspiration à ce vaste projet de politique linguistique française lancé en
1951 par le ministre de l’Éducation nationale André Marie sous l’impulsion de
l’UNESCO6.
25 Un grand nombre d’indices corroborent cette assertion de Merlier. Si, à l’exemple du
Basic English, le « centre d’étude du Français élémentaire » remit en 1954 les listes
retenues pour constituer un « français réduit » (1 475 « mots lexicaux et
grammaticaux ») employé de façon usuelle en toutes circonstances et fit paraître, en
1956, une première édition du français élémentaire7, les « Rapports sur l’activité de

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l’Institut » révèlent que les promoteurs de l’enseignement oral travaillaient depuis 1947
déjà avec l’idée d’un français de base : « Nos débutants, écrivait Merlier, […] manient, à
la fin d’une deuxième année de Cours Oral, près d’un millier de mots d’usage
quotidien »8. En 1948, au congrès d’avril, le théoricien de la méthode, Georges
Mourelos, présentait la liste détaillée des mots enseignés au Cours Oral : en tout « 750
termes » au moins. Ce « vocabulaire type » de la première année du Cours Oral était
composé de noms et d’adjectifs (366), de noms composés (41), de verbes (91), de mots-
outils (73), d’expressions usuelles (90), du vocabulaire des parties du corps et du
vocabulaire des chansons9. Tout cela laisse ainsi penser que des pratiques pédagogiques
innovantes, telle la constitution d’un vocabulaire limité de mots courants en français,
avaient déjà été expérimentées par les enseignants de l’Institut athénien bien avant
qu’elles ne soient mises en œuvre en France. De fait, en 1950, l’inspecteur général
Clarac découvrait tout le travail méthodologique accompli à l’Institut et s’en félicitait.
En décembre 1951, enfin, ce fut au tour du ministre André Marie de s’en informer lors
de sa visite officielle en Grèce. Il était accompagné du président de la Commission
chargée de suivre de près les enquêtes menées sur la version française du Basic English,
Marcel Abraham, directeur également du Service Universitaire des Relations avec
l’Étranger et ami de longue date de Merlier.
26 Quel bilan tirer, de la campagne de diffusion de la « méthode orale » réalisée entre 1946
et 1961 par les responsables de l’Institut français d’Athènes ? Par le biais de
l’organisation de rencontres pédagogiques et de leçons-modèles, l’Institut réussit, sans
aucun doute, à faire connaître la nouvelle méthode non seulement parmi ses
professeurs, mais aussi dans d’autres milieux d’enseignants grecs de la langue
française, et cela tant dans la région de la capitale grecque, qu’en province. Fait
inespére, dépassant largement les prévisions de ses promoteurs, l’innovation
méthodologique de l’institution athénienne fut « exportée » en Autriche et, par
ricochet, atteignit même la France, d’où elle tenait son origine.

En guise de conclusion : le poids d’un héritage


27 Tout compte fait, la « méthode orale » minutieusement mise au point à l’Institut
français d’Athènes fut considérée dans l’après-guerre en Grèce comme une innovation
intéressante dans la mesure où elle y introduisit, selon le témoignage des professeurs
impliqués, de nouvelles pratiques d’enseignement des langues vivantes. Elle bénéficia
également en France d’une certaine reconnaissance pédagogique à une époque
d’ailleurs marquée par une expérimentation intense en didactique des langues
étrangères. Elle servit à son tour de source d’inspiration à d’autres institutions
culturelles françaises en Europe.
28 Toutefois, malgré son succès indéniable, la méthode orale fut abandonnée en Grèce
après l’éloignement, en 1961, de Merlier et de son équipe enseignante de l’Institut.
Optant pour un programme d’études « plus concentré » et pour une méthode,
« susceptible de rendre [l’] enseignement [du français] plus rapidement efficace » 1, la
nouvelle direction traça sa propre politique enseignante et initia progressivement à
l’Institut la méthode audio-visuelle. Mais même si, après quinze années de
prédominance pédagogique incontestable, cette méthode d’enseignement disparut du
paysage éducatif hellénique, elle réussit à relancer en Grèce un débat méthodologique

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et didactique sur le FLE qui devrait se poursuivre de manière beaucoup plus


systématique au cours des décennies suivantes.

BIBLIOGRAPHIE

Sources primaires

Archives Diplomatiques de Nantes (ADN), archives de l’Institut français d’Athènes (AIFA),


dossiers : 1058, 1068, 1070, 1071, 1072, 1074, 1090.

Centre d’Études d’Asie Mineure (CÉAM, Athènes), archives O. Merlier, dossier D5.

Sources imprimées

BURNEY, Pierre (1957). « La classe de conversation ». Les Cahiers pédagogiques pour


l’enseignement du Second degré. Le Français Langue étrangère, 7, 31-32.

EFTHIMIATOU-ALLISANDRATOU, Tassia (1957). « Enseignement oral intensif ». Les Cahiers


pédagogiques pour l’enseignement du Second degré. Le Français Langue étrangère, 7, 61-62.

GOUGENHEIM, Georges (1954). « Le Français Élémentaire ». The French Review, 27, 217-220.

GOUGENHEIM, Georges (1955). « Le Français élémentaire. Étude sur une langue de base ».
International Review of Education Internationale Zeitschrift für Erziehungswissenschaft / Revue
Internationale de l’Éducation, 1, 401-412.

GOUGENHEIM, Georges (1957). « Efficacité et limitation dans l’enseignement ». Les Cahiers


pédagogiques pour l’enseignement du Second degré, 7, 45-49.

GOUGENHEIM, Georges, MICHEA Réné, RIVENC Paul, SAUVAGEOT Aurélien. (1956). L’élaboration du français
élémentaire : étude sur l'établissement d'un vocabulaire et d'une grammaire de base. Paris :
Didier.

PAPANICOLAOU, Hélène, PAPASTAMATIOU, Hellé, TSOUCHLOU Irène, TZANETAKI Hellé (1957).


« Enseignement oral à l’Institut français d’Athènes ». Cahiers Pédagogiques pour l’enseignement
du second degré, 7, 28-30.

VOUTSINAS, Dimitri (1951). « Une méthode de travail vivante à l’Institut français d’Athènes ».
Extrait des Amis de Sèvres, 9 et des Cahiers Pédagogiques, 1, sans pagination.

VOUTSINAS, Dimitri (1953). « La méthode Octave Merlier pour l’enseignement du français ».


Communication au 5e Congrès international des professeurs de langues vivantes, Sèvres, 7-10
avril 1953, sans pagination.

Sources secondaires

« Bibliographie concernant l’enseignement des langues vivantes – Unesco », Bibliographie


préparée conjointement par la Fédération internationale des professeurs de langues vivantes, la

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86

Modern Language Association of America et l’Unesco http://unesdoc.unesco.org/images/


0013/001337/133775fo.pdf [consulté le 14-05-2016].

CHEVALIER, Jean-Claude (2010). « Ferdinand Brunot et les débuts de l’École de préparation des
professeurs de français à l’étranger ». Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou
seconde, 44, 15-27.

EFTHYMIOU, Loukia (2015). La formation des francisants en Grèce : 1836-1982. Paris : Publibook.

PUREN, Christian (1988). Histoire des méthodologies de l’enseignement des langues. Paris : Nathan.

RIONDET, Xavier (2013). « Les origines des Cahiers pédagogiques en 1945 ». Les Sciences de l'éducation -
Pour l'Ère nouvelle, 46 : 113-136.

VÉRONIQUE, Georges Daniel (2010). « De l’ESPPPFE à l’UER EFPE : l’émergence d’un acteur
universitaire de la didactique du FLE (1945-1980) ». Documents pour l’histoire du français langue
étrangère ou seconde, 44, 89-102.

NOTES
1. Conférence présentée lors d’un stage portant sur la culture par les langues étrangères,
organisée à Sèvres par l’École supérieure de préparation et de perfectionnement des professeurs
de français à l’étranger (ESPPPFE). Cf. « Bibliographie concernant l'enseignement des langues
vivantes – Unesco ». Sur Pierre Clarac, voir Véronique (2010 : 90).
2. Sur la méthode directe et les difficultés de son applicaton en France, notamment en second
cycle, voir Puren (1988 : 128-131).
1. ADN, AIFA, 1090 : Rapporteur Smyrnaki, « Exposé sur l’enseignement du cycle élémentaire »,
Institut Français d’Athènes, 5e Congrès de l’enseignement du français, Pâques 1955 (19-21 avril) :
14, 15. Sur la méthodologie traditionnelle, voir Puren (1988 : 22-89) ; cf. « Allocution inaugurale
de M. Merlier », Institut Français d’Athènes, 5e Congrès de l’enseignement du français, Pâques
1955 (19-21 avril) : 5-6.
2. ADN, AIFA, 1072 : Rapport sur l’activité de l’Institut français d’Athènes pendant l’année
1959-1960, fasc. I : 50.Sur les débuts de la constitution d’un « champ » du français langue
étrangère en France, voir Chevalier (2010 : 15-27).
3. ADN, AIFA, 1090 : R. Milliex, « L’activité de l’Institut dans le passé, aujourd’hui et à l’avenir »,
Institut Français d’Athènes, Congrès de l’enseignement du français, Pâques 1948 (23-27 avril) : 4.
4. Cf. CÉAM, archives O. Merlier, dossier D5 : « Institut français d’Athènes de 1907 à 1952 » : 14.
1. ADN, AIFA, 1070 : Rapport sur l’activité de l’Institut français d’Athènes pour l’année 1946-1947 :
9.
2. Le versant grec de l’histoire de la méthode directe reste encore à écrire.
3. Cf. ADN, AIFA, 1070 : Rapport sur l’activité de l’Institut français d’Athènes pour l’année
1951-1952 : 32.
4. ADN, AIFA, 1072 : fasc. II : Rapport sur l’activité de l’Institut français d’Athènes pour l’année
1959-1960 : 58.
5. ADN, AIFA, 1055, « Note sur l’enseignement du français aux enfants de moins de 10 ans, et sur
le rajeunissement des méthodes d’enseignement du français », 25 mai 1955.
6. ADN, AIFA, 1070 : Rapport sur l’activité de l’Institut français d’Athènes pour l’année 1946-1947 :
9. En 1948, les réponses des professeurs de l’Institut au questionnaire préparé par G. Mourelos
révèlent leur adhésion à la méthode orale. Ibid., 1090 : Georges Mourelos, « Rapport sur
l’enseignement oral », IFA, Congrès de l’enseignement du français, Pâques 1948 (23-27 avril) :
51-56.

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7. ADN, AIFA, 1072 : « Rapport de Madame Papastamatiou sur les stages pédagogiques au Cours
Spécial pendant l’année universitaire 1958-1959 », Rapport sur l’activité de l’Institut français
d’Athènes pour l’année 1958-1959, fasc. II : 17.
8. ADN, AIFA, 1070 : Rapport sur l’activité de l’Institut français d’Athènes pour l’année 1949-1950 :
36.
9. ADN, AIFA, 1068 : « La préparation au professorat à l’Institut français d’Athènes. Note établie
par M. Milliex », 18-02-1956 : 17.
10. ADN, AIFA, 1090 : Agathonos, Capella, Pappa, Theodoridou, « Le Cours Spécial et notre
préparation au métier de professeur de français », Institut Français d’Athènes, Congrès de
l’enseignement du français, Pâques 1950 (1-4 avril) : 142 ; ibid.,1072 : « Rapport de Mlle Leroux,
conversation », Rapport sur l’activité de l’Institut français d’Athènes pour l’année 1958-1959 :
11-12.
11. ADN, AIFA, 1068 : Roger Milliex, « Note sur le Cours Spécial de Préparation au Professorat de
Français », juillet 1952 ; ibid, 1074 : Rapport de commission sur l’Institut français d’Athènes, signé
Descotes, 30-06-1961 :48 ; cf. ibid., 1072, fasc. II : « Rapport de Madame Papastamatiou sur la
formation et les stages pédagogiques au Cours Spécial pendant l’année universitaire 1959-1960 »,
Rapport sur l’activité de l’Institut français d’Athènes pour l’année 1959-1960 : 56.
12. ADN, AIFA, 1071 : Rapport sur l’activité de l’Institut français d’Athènes pour l’année
1956-1957, fasc. II : 36.
13. ADN, AIFA, 1072 : Rapport sur l’activité de l’Institut français d’Athènes pendant l’année
1959-1960, doc. cité : 50 ; ibid., dossier 1090 : R. Milliex, « L’activité de l’Institut dans le passé,
aujourd’hui et à l’avenir », doc. cité : 11.
1. ADN, AIFA, 1090 : G. Mourelos : « Rapport sur l’enseignement oral », I. Tsouchlou,
« L’enseignement au cours Préparatoire », H. Papanicolaou, « L’enseignement au cours
élémentaire », H. Mourelou, « L’enseignement par la chanson », IFA, Congrès de l’enseignement
du français, Pâques 1948 (23-27 avril) ; Mlle Mavromati, « Présentation d’une leçon au Cours
Oral », Madame Sangrioti, « Présentation d’une leçon au Cours Préparatoire », I. Tsouchlou,
« Présentation d’une leçon au Cours Élémentaire », H. Papastamatiou, « Présentation d’une leçon
au Cours Élémentaire », G. Mourelos, « Les principes de l’éducation nouvelle et notre
enseignement », IFA, Congrès de l’enseignement du français, Pâques 1950 (1-4 avril) ; Madame
Smyrnaki, « Exposé sur l’enseignement du cycle élémentaire », IFA, 5e Congrès de l’enseignement
du français, Pâques 1955 (19-21 avril).
2. ADN, AIFA, 1070 : Rapport sur l’activité de l’Institut français d’Athènes pour l’année 1948-1949 :
41-43 ; ibid.1090 : O. Merlier, « L’étude du français dans l’Enseignement Secondaire en Grèce » et
« Allocution de Monsieur Zobanakis, Secrétaire Général du Ministère de l’Instruction Publique »,
IFA, Congrès de l’enseignement du français, Pâques 1950 (1-4 avril), p. 150-166, 185.
3. Ibid., 1058, Baulier : lettre n° 10 857, 15 décembre 1952 signée Baulier ; lettre n° 10 744,
20-01-1953, signée Milliex.
4. ADN, AIFA, 1063, H. Papanicolaou, I. Tsouchlou, H. Tzanetaki, « Considérations Générales sur le
travail des Écoles annexes d’Athènes et de province pendant l’année scolaire 1957-1958 »,
Rapport général d’Activité, IFA, 1958 : 118.
5. Autour de Sèvres se constituèrent plusieurs réseaux qui prolongeaient les rencontres entre
enseignants français et étrangers. Les « Amis de Sèvres » en fut un, l’Association Nationale des
Éducateurs des Classes Nouvelles de l’Enseignement du Second degré en lien direct avec les
Cahiers pédagogiques en fut un autre. Sur l’histoire de la revue, voir Riondet 2013 : 113-136.
6. ADN, AIFA, 1048, « Note sur l’enseignement du français aux enfants de moins de 10 ans, et sur
le rajeunissement des méthodes d’enseignement du français », 25 mai 1955.
7. Sur le français élémentaire, voir Gougenheim, Michéa, Rivenc, Sauvageot 1956 ; Gougenheim
1954 : 217-220 ; Gougenheim 1955 : 401-412 ; Gougenheim 1957 :45-49.

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8. ADN, AIFA, 1070 : Rapport sur l’activité de l’Institut français d’Athènes pendant l’année
1947-1948 : 27.
9. ADN, AIFA, 1090 : Georges Mourelos, « Rapport sur l’enseignement oral », doc. cité : 44, 57-58.
1. ADN, AIFA, 1074 : Rapport de commission sur l’Institut français d’Athènes, doc. cité : 18, 21, 27,
44.

RÉSUMÉS
En 1946, des enseignants de l’Institut français d’Athènes, saisis par l’inefficacité de la
méthodologie traditionnelle employée en Grèce pour l’enseignement du français, mirent au
point, avec l’appui du directeur de l’établissement, une stratégie d’apprentissage « adaptée » aux
besoins des débutants : la « méthode orale » inspirée de la méthodologie directe. L’application de
la nouvelle méthode nécessita la préparation d’un matériel d’appoint, ainsi que l’organisation de
stages pédagogiques et de perfectionnement à l’intention des maîtres de français en herbe et en
exercice. Grâce à des stratégies efficaces de diffusion, la « méthode orale » bénéficia en Grèce et
en France d’une reconnaissance pédagogique certaine et servit à son tour de source d’inspiration
à d’autres institutions culturelles françaises en Europe. Bel exemple à la fois de transfert d’une
pratique enseignante et d’ajustement de ses procédés et supports pédagogiques au sein de
différentes institutions d’accueil, elle finit par disparaître du paysage éducatif hellénique en
1961.

In reaction to the ineffectiveness of the traditional methodology used in Greece for the teaching
of the French language, a group of teachers of the French Institute of Athens developed in 1946 a
new learning strategy more suitable for the needs of the beginners : the so called “oral method”
had been inspired from the direct method. The implementation of the new method required the
development/production of materials, as well as the organization of pedagogical courses for
aspiring and confirmed teachers of French. Thanks to the use of effective strategies of diffusion,
the “oral method” was acknowledged as a valid pedagogical method and became a source of
inspiration for other cultural institutions in Europe. It ceased to be used in Greece in 1961.

INDEX
Mots-clés : méthode orale, méthode directe, enseignement du français, Institut français
d’Athènes, lycée français de Vienne, Octave Merlier, Grèce, France
Keywords : oral method, direct method, teaching French, French Institute of Athens, French
Lycee of Vienna, Octave Merlier, Greece, France

AUTEURS
LOUKIA EFTHYMIOU
Université nationale et
capodistrienne d’Athènes

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NICOLAS MANITAKIS
Université nationale et
capodistrienne d’Athènes

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L’enseignement du FLE par les


applications en ligne : une
didactique novatrice ?
Eléonore Quinaux

1 L’omniprésence d’Internet dans notre environnement et le développement


d’applications en ligne pour nos smartphones et autres tablettes ont donné lieu à la
création de nouveaux procédés d’apprentissage d’une langue étrangère. Depuis
quelques années nombreuses sont les applications qui proposent à tout allophone
d’apprendre la langue française. Il existe d’ailleurs quelques ouvrages qui répertorient
ces nouveautés (Boiron, Thapliyal & Zimmert 2014) et servent de guide aux apprenants
désireux de discerner l’application susceptible de répondre de manière optimale à leur
processus et à leur rythme d’intégration langagière. Progressivement, ces applications
s’imposent par leur facilité de téléchargement et de maniement, leur permettant de
supplanter des méthodes d’apprentissage d’une langue étrangère célèbres telles
qu’Assimil qui, certes, propose un accès en ligne mais demeure bien plus coûteuse que la
plupart des méthodes sélectionnables. Enseignant dans une Haute École pédagogique,
nous avons pu mener une étude avec la collaboration de nos étudiants de bachelier en
français et français langue étrangère. Après une sélection précise de deux applications,
ITooch et Busuu, ainsi que d’une plateforme en ligne, Wallangues, nous nous sommes
intéressée au facteur innovant apporté par ces apprentissages connectés.
2 Après un état des lieux sur l’étude des applications citées, nous nous interrogerons sur
le caractère pertinent et novateur de ces applications. L’apprenant entrerait-il dans un
processus pédagogique révolutionnaire, misant sur l’autonomie et l’interactivité de
tout être connecté ou, a contrario, le recours aux nouvelles technologies serait-il un
leurre ?

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1. Une recherche initiale sur les applications


1.1 Un cadre de travail

3 Chaque année, nos étudiants de deuxième année de bachelier en français et français


langue étrangère doivent accomplir des stages pratiques dans des instituts ou
Associations sans but lucratif (ASBL) regroupant des apprenants allophones 1. En
septembre 2015, notre Haute École a initié une recherche consacrée à l’usage des
technologies en ligne, la connectivité figurant parmi les projets pédagogiques de notre
institution. Cette recherche permet une collaboration entre réseaux et niveaux
d’enseignement et est testée par nos étudiants dans divers établissements. Notre
première approche de l’usage des nouvelles technologies s’est développée, par
conséquent, dans un cadre purement empirique. Collectivement, 26 étudiants ont
construit une grille d’analyse des applications en ligne pour sélectionner celles qui leur
semblaient pertinentes selon les critères suivants : leur gratuité, leur facilité
d’utilisation, leur conformité au CECR, les axes langagiers mobilisés 2.
4 Après avoir parcouru et testé plusieurs applications, nous avons retenu ITooch, Busuu et
Wallangues. L’objectif de cette recherche est double : d’une part, disposer d’applications
fiables directement utilisables en stage, dans des ASBL ou instituts disposant de faibles
moyens et, d’autre part, s’interroger sur le réel apport de ces mêmes applications pour
les apprenants allophones. L’application ITooch (niveaux A2 à B1) a été retenue pour sa
maniabilité, pour l’identité de ses créateurs appartenant au milieu de l’enseignement
français et pour la faible dépense que son accès engendre (4,99 euros). Busuu (niveaux
A1 à B2) est une application qui a été testée grâce à la richesse des séquences qu’elle
propose, ses illustrations, son référencement élevé sur les moteurs de recherche et la
gratuité qu’elle annonce. Wallangues (niveaux A1 à C2) n’est pas une application mais
une plateforme en ligne que nous avons conservée pour sa gratuité, la richesse des
documents authentiques et des textes mis à la disposition des apprenants, les
interactions entre apprenants et avec un tuteur, sa réactualisation constante.

1.2 Synthèse critique de l’expérimentation

5 Les deux applications et la plateforme retenues ont d’abord été testées par nos
étudiants placés en binômes, puis par ces mêmes étudiants au cours de leur stage
pratique. Si ITooch a été fortement apprécié pour la qualité de ses exercices strictement
conformes aux niveaux d’apprentissage retenus et pour la présence de tests
obligatoires validant le passage au niveau supérieur de connaissance de la langue
française, cette application n’a guère convaincu les apprenants allophones qui l’ont
parcourue. En effet, si la présentation épurée avait été considérée par les étudiants
comme un atout favorisant l’attention sur les exercices et facilitant les manipulations,
son appréciation par les apprenants allophones s’est avérée moins enthousiaste. Le
manque de symboles, de schémas, d’explications ne permet pas à un allophone de
comprendre la manière dont l’application s’emploie. Ce dernier doit perdre de
nombreuses minutes à procéder par essais/erreurs sur son écran pour comprendre
l’usage de l’application en elle-même. Ensuite, les intitulés des séquences annoncées ne
correspondent pas systématiquement à la matière effective. Le titre « prononciation »
ne développe à aucun moment la prononciation de l’allophone mais répertorie des
phrases avec des diphtongues récurrentes. C’est un procédé formel de reconnaissance

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qui est mis en place et non un procédé oral. L’apprenant est induit en erreur sur le
contenu de l’exercice. Les compétences orales sont d’ailleurs totalement inexistantes
sur ITooch. Les stagiaires ont également repéré quelques problèmes liés à la
terminologie : certains déterminants deviennent, dans le déroulement de la séquence,
des adjectifs. Signalons encore la lassitude ressentie par les apprenants au bout du
deuxième usage de l’application : le caractère répétitif de cette dernière leur fait
préférer les échanges avec le stagiaire et les autres apprenants de leur groupe au
rapport solitaire entre leur écran et leur propre assimilation. Enfin, notons encore que
quelques adultes non francophones ont émis des regrets sur la présence d’une mascotte
orange qui encourage l’apprenant dans sa progression, mais est jugée trop
infantilisante et peu porteuse d’un quelconque facteur motivationnel.
6 Busuu a davantage été décrié par nos étudiants que par ses utilisateurs non
francophones. De nombreuses erreurs orthographiques et grammaticales ont pu être
dénombrées. Bien qu’elles ne frappent pas directement l’esprit de l’allophone, nous ne
pouvons pas croire qu’elles soient sans conséquence : l’œil de l’élève se familiarise avec
une graphie erronée. L’apprenant peut assimiler une orthographe déficiente qu’il sera
peut-être amené à reproduire. Nous ne pouvons pas laisser une production fautive
s’ancrer dans la mémoire de l’apprenant. Les illustrations de Busuu, censées aider à la
compréhension du vocabulaire préalable à la lecture et l’écoute de dialogues sont
souvent imprécises et parfois totalement inadéquates : comment un apprenant peut-il
associer le mot « journée » à deux personnes faisant du vélo à la campagne ? De plus,
Busuu présente un réel aspect mercantile : si les premières séquences sont
effectivement gratuites, il est impossible d’accéder sans paiement préalable aux tests de
niveaux. De même, plus la progression de l’apprenant est importante, moins il peut
s’améliorer : les niveaux B nécessitant également l’achat de crédits en ligne qui
déverrouilleront les activités inaccessibles.
7 Quant à Wallangues, nos stagiaires ainsi que leurs apprenants se montrent pleinement
satisfaits. Cette plateforme est la seule à proposer un test diagnostique précis et dont le
résultat détaillé en fonction des axes d’apprentissage permet à chacun de progresser à
son rythme, sans fourvoiement. Le CECR est respecté et est mentionné dans les grilles
d’analyse des résultats. Tous les documents présentés sont en contexte avec le monde
de l’emploi, l’actualité ou l’administration belge. Ils sont régulièrement renouvelés. De
plus, un forum de discussion a été créé et permet d’échanger avec des professionnels de
l’enseignement du français. L’apprenant n’est pas livré à lui-même. Si cet échange en
ligne ne lui suffit pas, il peut également rencontrer des formateurs lors de sessions
organisées dans toute la Wallonie, à échéance régulière. Toutefois, la création de la
plateforme Wallangues étant liée à la politique d’intégration voulue par le
gouvernement belge et surtout par la région wallonne, il nous faut préciser qu’il est
regrettable qu’elle ne soit accessible qu’aux apprenants majeurs et résidant en
Wallonie. Si Wallangues va prochainement être étendu à la région bruxelloise, nous
déplorons son manque de visibilité à échelle européenne, voire mondiale.

2. Un renouveau méthodologique ?
8 Mise à part la plateforme wallonne, l’expérimentation des deux applications retenues
ne s’est pas montrée fructueuse. Pourtant, depuis quelques années, nous constatons
que nombreuses sont les campagnes de sensibilisation et les formations destinées au

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monde enseignant qui prônent les bienfaits du recours aux nouvelles technologies dans
l’enseignement du français. Du TBI aux tablettes, nous ne dénombrons plus les projets
et subsides liés à ce domaine de recherche. L’édition 2017 du Printemps des sciences est
d’ailleurs consacrée à la thématique de la connectivité1. Cependant, si le test n’a pas été
concluant, ce n’est pas pour autant que nous pouvons affirmer que les applications
n’apportent aucun renouveau aux méthodes d’apprentissage du français par des
allophones. Aussi avons-nous choisi de poursuivre l’investigation sur la problématique
du renouvellement méthodologique que de telles applications pouvaient livrer à
l’enseignement du français langue étrangère et seconde.
9 Nous constatons que ces deux applications et cette plateforme reflètent, dans un cadre
informatisé, l’évolution méthodologique de l’enseignement du français langue
étrangère. Nous affirmons que ces applications contractent les mêmes « maladies »,
attestent des mêmes défauts que les méthodes traditionnellement utilisées en cours de
FLE. L’application ITooch affiche quelques similitudes avec la vision traditionnelle de cet
enseignement. Busuu se situe à la croisée des chemins entre la méthode audiovisuelle et
la méthode communicative. La plateforme Wallangues développe une méthodologie
proche de la vision actionnelle de l’apprentissage du français.
10 Ce qui nous permet de considérer ITooch comme étant apparentée à la méthode
traditionnelle, c’est avant tout le recours systématique aux règles grammaticales, à
l’illustration de la règle et à la traduction, sous forme d’exercices, de la règle en une
application qui demeure artificielle. En effet, les exercices s’apparentent davantage au
drill qu’à la mise en contexte. Le manque d’explications sur l’utilisation même de
l’application conduit à entendre des apprenants allophones disposant de la même
langue-source s’entraider dans leur langue d’origine, se sentant aussi perdus que
démunis. L’expérimentation en stage démontre que cette application ne facilite pas
l’autonomie et ne contribue pas à l’immersion dans la langue française mais, par survie,
incite les apprenants à passer par leur propre langue avant de se lancer dans un
exercice pour s’assurer de sa bonne compréhension. L’apprenant est positionné
davantage en traducteur qu’en locuteur actif d’une nouvelle langue, en l’occurrence, du
français. De même, quand l’apprenant est perdu dans la résolution d’un exercice, une
icône représentant une ampoule lui donne accès à une aide, mais cette aide est à
nouveau purement grammaticale, rappelant la règle mais ne livrant aucun exemple
contextualisé. De plus, cette page d’aide utilise un métalangage que l’apprenant non
francophone ne maîtrise certainement pas. La démarche est déductive, répétitive et
nécessite souvent un niveau de connaissance de la langue sur un pan linguistique qui
empêche l’apprenant d’étudier le français de manière autonome. Or, la méthode dite
traditionnelle a recours à ce genre de dispositif. L’enseignement déductif, l’utilisation
d’un métalangage, la traduction autour d’un thème de la langue-source vers la langue-
cible sont autant de facteurs dénoncés que nous retrouvons dans les analyses de cette
ancienne méthode (Stoean 2006 : 8). Il ne faut pas croire pour autant qu’ITooch soit une
copie informatisée de la visée traditionnelle. Notre propos doit être nuancé. Les
apprenants n’ont pas d’exercices de traduction pure à réaliser au sein même de
l’application. Les exercices s’éloignent considérablement de la production de thèmes à
la manière classique. De même, les illustrations textuelles retenues ne sont pas d’ordre
littéraire. Les créateurs d’ITooch ont certes complexifié la compréhension
grammaticale, mais ont tout de même repris des phrases d’un langage courant. C’est
essentiellement dans son maniement, sa présentation et ses exposés grammaticaux

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qu’ITooch reflète la vision traditionnaliste de l’apprentissage du français par des


allophones2.
11 Busuu se situe davantage à la frontière entre la méthode audiovisuelle et la méthode
communicative. Quelques traits de la méthode audiovisuelle sont esquissés dans l’usage
conjoint que cette application fait de l’image et du son dans l’apprentissage du
vocabulaire. Les concepteurs de Busuu n’émettent pas le souhait que l’apprenant
comprenne et retienne tout ce qui lui est soumis, mais qu’il conceptualise, grâce au
support acoustico-visuel, une perception globale de la langue. Certes, même si quelques
théoriciens l’ont réduite à ce modèle, la méthode audiovisuelle n’est pas définie
uniquement par cet aspect, mais l’emploi récurrent de cette conception de la langue
nous y fait immanquablement penser. De même, Busuu, contrairement à ITooch, regorge
d’enregistrements sonores que l’apprenant est amené à reconstituer, car les
concepteurs désirent que le locuteur allophone acquière des automatismes, qu’il ait à sa
disposition une espèce de catalogue d’expressions qu’il pourra, à force de répétition,
formuler à bon escient. C’est grâce à ces critères que nous ne pouvons pas classer
intégralement Busuu dans une visée purement communicative. Ajoutons que la
reproduction des dialogues par les apprenants au moyen d’étiquettes à déplacer, partie
par partie, nous plonge dans une visée structuraliste de l’apprentissage du français.
Cependant, ces mêmes dialogues ne sont pas dénués de contexte. La langue est mise en
scène dans une perspective de communication. Les énoncés font sens pour l’apprenant.
Par les thématiques annoncées en début de séquence, l’apprenant comprend qu’on lui
propose des situations correspondant à son quotidien. De plus, des leçons présentées
comme des bonus sont en lien avec le cadre culturel évoquant tantôt des monuments
de France, des plats typiques que l’apprenant pourrait lire sur le menu d’un restaurant
ou encore des aspects du paysage artistique français. La grammaire est certes présente,
mais n’existe pas sur l’application de manière isolée. L’apprentissage ne se focalise pas
sur elle. L’essentiel réside en la pratique de l’apprenant : ce dernier doit parvenir à
s’exprimer et à se sortir de situation concrète. L’erreur est dès lors permise et
n’empêchera nullement sa progression d’une séquence à l’autre. Notons encore que la
langue-source n’est pas proscrite de l’application : lors de son inscription en ligne,
l’apprenant doit cocher sa langue d’apprentissage, mais aussi sa langue d’origine. De
cette manière, il est possible, sporadiquement, de disposer d’explications
supplémentaires en langue-source. Ce recours à la langue-source intervient
principalement quand les explications linguistiques rejoignent des coutumes ou des
traits de bienséance typiques de la culture francophone.
12 La plateforme Wallangues se situe dans une perspective actionnelle. Nées d’une
politique d’intégration du locuteur non francophone dans le paysage wallon, mais
également des échanges professionnels et linguistiques entre les parties francophone,
néerlandophone et germanophone de la Belgique, les séquences proposées par
Wallangues sont avant tout liées au contexte sociétal3. Si l’apprenant se familiarise avec
la langue française, c’est avant tout pour devenir un acteur engagé dans la société
belge. Le test diagnostique accompli, l’apprenant est confronté à un panorama de
tâches-problèmes à résoudre en fonction de ses propres compétences et d’ateliers
formatifs qui visent l’amélioration de son niveau d’expression et de sa compréhension
du français. Dès lors, les textes proposés sont aussi bien généralistes qu’inhérents à
divers secteurs d’activités. Le monde politique, le secteur culturel, les procédures
administratives pour trouver un emploi, réussir un entretien ou encore s’inscrire à des
cours sont abordés. Les situations sont toutes concrètes. De plus, quelques exercices

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exposent non seulement des procédés linguistiques mais évoquent également les
savoir-être et savoir-faire requis pour progresser dans son intégration dans la société
belge francophone. L’inclusion des exercices particuliers dans un cadre plus large, celui
de la résolution de la tâche, plonge les apprenants dans la réalité et leur permet de
devenir progressivement des locuteurs expérimentés. Rien n’est décontextualisé.
Toutes les compétences et les axes d’apprentissage sont mobilisés. L’apprenant n’est
jamais passif. Il collabore même au fonctionnement et à l’amélioration de la plateforme
sur le forum où les échanges sont multiples et coordonnés par un véritable enseignant.
Le Wallangues Tour permet de sortir du cadre isolé de la plateforme pour se confronter
aux personnes, à la présence d’autres locuteurs – qu’ils soient francophones ou non –
lors des séances de rencontre organisées partout en Wallonie. L’apprenant n’est pas
passif. La motivation est réelle et la contextualisation omniprésente.
13 Cette première analyse de deux applications et d’une plateforme en ligne dans un
contexte professionnalisant – la formation enseignante dans laquelle s’inscrivent nos
étudiants – et dans un contexte actif – celui des stages – nous permet d’émettre des
réserves quant au caractère novateur qu’elles développeraient. En effet, nous avons pu
constater que ces modes d’apprentissage en ligne reproduisent considérablement
l’histoire des méthodes d’apprentissage du français langue étrangère dans un groupe-
classe traditionnel. Il nous faut noter que l’ordre de développement de ces applications
respecte la chronologie des méthodes mises en place dans l’apprentissage d’une langue
étrangère. Certes, le faible échantillonnage et la seule année durant laquelle ces
applications ont été testées ne nous permettent pas d’émettre un avis définitif. Peut-
être n’est-ce pas l’application en elle-même qui ne suscite pas l’innovation, mais les
concepteurs qui restent prisonniers des méthodes qu’ils ont eux-mêmes connues lors
de leur propre apprentissage d’une langue étrangère. Nous sommes effectivement
amenée à reproduire le modèle que nous avons-nous-mêmes subi. Il serait, par
conséquent, plus intéressant et pertinent d’analyser des applications qui associeraient,
dans leur création même, des pédagogues, des enseignants et des informaticiens. Cette
collaboration favoriserait certainement l’amoindrissement de l’aspect mimétique dans
lequel s’engluent les concepteurs. Nous pourrions étudier l’application et son apport
propre et non la projection que l’humain fixe de son expérience personnelle
d’apprentissage linguistique.
14 Toutefois, malgré cette projection presque inéluctable, nous ne pouvons pas nier
l’apport de telles applications ou plateformes dans l’apprentissage. Si la méthode en
elle-même n’est guère novatrice, le support, lui, l’est. Dès lors, ces nouvelles
technologies s’avèrent bénéfiques en tant qu’artéfacts. Ce sont des supports qui, par
leur aspect inhabituel, génèrent de la motivation chez les apprenants à condition qu’ils
ne soient pas employés de manière systématique. C’est pourquoi il nous faut ajouter
que l’application ne remplace pas l’enseignant : l’homme et l’outil doivent toujours
s’envisager de manière conjointe. La relation entre apprenants et enseignant demeure
le moteur d’un apprentissage réussi. Le caractère novateur de l’application peut
s’envisager hors de la phase de transmission du triangle pédagogique. Il se
comprendrait dans l’appui que toute application constitue lors de la remédiation ou
pour toute approche différenciée de l’immersion dans une langue-cible. Les
applications sont, de ce fait, des outils innovants si l’apprenant ne s’y accoutume pas au
risque de sombrer dans la lassitude. Cependant, elles ne comprennent pas en elles,
jusqu’à présent, de méthodologie nouvelle. La didactique propre au français langue
étrangère ne s’en trouve pas modifiée, mais elle dispose d’un appui, d’une ressource

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supplémentaire qui propose une rupture du rythme d’apprentissage et de l’assimilation


de la langue par un dispositif différent. Seul l’usage que l’enseignant fait des
applications peut être novateur ; l’application, elle, demeure un outil qui n’est pas
systématiquement employé de manière correcte. L’art de l’innovation se situe
davantage dans l’usage spécifique auquel chaque enseignant doit procéder quand il
introduit des plateformes et des applications en ligne au sein de son cours et qui réside
dans le dosage minutieux, celui qui permet à l’inédit de conserver son pouvoir
motivationnel.

BIBLIOGRAPHIE
Anaïtis. Centre de Formation. Grille d’évaluation d’une application. Liège, <http://edumobile.be/
APD/files/Grille_eval_app.pdf> (26 septembre 2016).

BESSE, Henri (2005). Méthodes et pratiques des manuels de langue. Paris : Didier, « Crédif ».

BOIRON, Michel, THAPLIYAL, Bhushan & ZIMMERT, Emmanuel (2014). Guide des applications pour
tablettes en cours de français. Grenoble : PUG.

BUSUU. Apprendre les langues – Un entraînement quotidien <https://www.busuu.com/fr/> (26


septembre 2016)

CÔTÉ, France (2014). Construire des grilles d’évaluation descriptives au collégial : guide d’élaboration et
exemples de grilles. Québec : Presses de l’Université du Québec.

GERMAIN, Claude (1993). Evolution de l’enseignement des langues : 5000 ans d’histoire. Paris : Clé
International.

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LOPEZ LORCA, Hortensia (2012). « L’enseignement du français par compétences : la culture de


l’effort ». Le Langage et l’homme. Quelle place pour les TICe en classe de FLE ? L’heure des bilans : Ouvrage
de référence sur l’informatique appliquée à l’enseignement. Liège : E.M.E., 159-166.

PUREN, Christian (2002). « De la méthodologie audiovisuelle première génération à la didactique


complexe des langues-cultures ». ELA. Études de linguistique appliquée, 321-337.

STOEAN, Carmen-Stefania (2006). « La méthode traditionnelle ». Dialogos, 6-9.

Wallangues. Apprendre les langues gratuitement <http://www.wallangues.be/>, (26 septembre


2016).

NOTES
1. En Belgique, les Hautes Écoles pédagogiques forment les futurs enseignants qui se destinent à
l’enseignement en écoles fondamentales et en écoles secondaires de niveau inférieur, c’est-à-dire

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pour des apprenants ayant entre 11 et 16 ans. Les enseignants donnant cours aux années
supérieures doivent avoir une formation universitaire. La Haute École Paul Henri Spaak sise à
Nivelles dispense une formation supérieure de type court.
2. Cette grille a été construite sur la base des critères mentionnés par Anaïtis, un centre de
recherche liégeois chargé d’analyser la qualité des applications et dépendant des services Apple.
1. Le Printemps des sciences est l’intitulé donné à une semaine de sensibilisation annuelle aux
sciences organisées par les universités francophones de Belgique en collaboration avec la
Fédération Wallonie-Bruxelles. Se déroulant autour d’un thème, chaque établissement scolaire
est invité à participer à des activités scientifiques dans les Universités et Hautes Écoles
participantes. Le but est de rendre le goût des sciences aux plus jeunes par des applications
concrètes.
2. Nous mentionnons que depuis le mois d’août 2016, nous avons eu un échange avec une
représentante de l’application ITooch qui, sensible à nos remarques, a prévu d’en référer aux
concepteurs et promet une révision complète de l’application.
3. La plateforme Wallangues a été créée en 2011 par le gouvernement wallon pour aider à l’emploi
des personnes ayant une méconnaissance des langues. Cette politique d’amélioration des
compétences linguistiques en vue d’augmenter les chances de trouver un emploi a été baptisée
Plan Marshall 2. Vert puis, avec la future intégration du contexte bruxellois, Plan Marshall 4.0. Le
but de la région wallonne est la relance de l’emploi et l’intégration progressive des migrants.

RÉSUMÉS
À l’heure des tableaux interactifs et des plateformes en ligne, nous nous questionnons sur la
pertinence des applications dans l’apprentissage du FLE et sur leur caractère novateur. Dans le
cadre de nos cours de didactique du FLES, nos étudiants ont testé deux applications courantes :
iTooch et Busuu. Si la première s’affiche comme spécialisée en langue française pour des
apprenants de niveaux A2 et B1, Busuu reste une méthode d’apprentissage classique. Cette
expérimentation a mis en avant quelques manquements. Wallangues présente une mise en
contexte plus remarquable. Cependant, de l’expérimentation de nos propres étudiants et de la
nôtre, découlent quelques interrogations : toutes les nuances et compétences propres à la langue
peuvent-elles être exploitées par une même application ? N’y aurait-il pas des failles que la
technologie seule ne pourrait amoindrir ? Partant d’une étude comparative et empirique, nous
nous interrogeons finalement sur la valeur novatrice d’une didactique par ces technologies. Ne
serait-ce pas finalement un réinvestissement par effet de mode de la méthode audiovisuelle et
des appariements scriptovisuels sous une forme attrayante ? Si le schéma s’étendant du facteur
motivationnel, par le recours à une interface ludique, à un vecteur de progression est bien
présent, quel serait l’avantage d’un recours à l’application ?

At the time of the interactive whiteboards and online platforms, we questioned the relevance of
applications in learning FLE and their innovative character. As part of our course of FLES
teaching, our students have tested two popular applications : iTooch and Busuu. Although the
first is displayed as specializing in French for A2 and B1 levels of learners, Busuu remains a
classic learning method. This experiment has highlighted some shortcomings. Wallangues has a
remarkable setting context. However, according to the experiment of our own students and ours,
some questions arise : do the nuances and the skills required in the language may be operated by

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a single application ? Is there no flaws that technology alone cannot diminish ? Based on a
comparative and empirical study, we finally question the innovative value of teaching by these
technologies. Would it not ultimately be a fad by reinvestment of audiovisual method and
scripto-visuals pairings in an attractive way ? If the scheme extending the motivational factor by
using a playful interface, a vector of progress is present, what would be the advantage of using
the application ?

INDEX
Keywords : applications, platform, innovation, methods, didactics, autonomy
Mots-clés : applications, plateforme, innovation, méthodes, didactique, autonomie

AUTEUR
ELÉONORE QUINAUX
Haute École Paul Henri SpaakDépartement pédagogique de Nivelles

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Rôle de la technique, comme fin et


moyen, en FLE : de l’élaboration de
la discipline aux innovations
contemporaines
Isabelle Cros

Introduction
1 Direction générale des Relations culturelles (1945) ; des Affaires culturelles et
techniques1 (1956) ; des Relations culturelles, scientifiques et techniques (1969) : la
dilatation du champ lexical scientifique dans la dénomination de l’actuelle Direction
générale de la Mondialisation, de la culture, de l’enseignement et du développement
international, chargée de la diffusion du français à l’extérieur, est à l’image de l’essor
du domaine lui-même entre 1950 et 1970. C’est même sur ce terreau scientifico-
technique que s’est élaborée à l’époque la discipline FLE, les nouveaux outils techniques
infléchissant l’enseignement traditionnel du français langue de culture. Dès sa
(recon)naissance institutionnelle, le champ du FLE a ainsi fait de la technique non
seulement la fin, avec le développement de la coopération technique, mais aussi le
moyen de la diffusion du français à l’étranger, grâce aux outils audiovisuels. Compte
tenu du caractère pluriel du champ, qui dépasse la simple dimension didactique à
laquelle il est pourtant encore trop souvent cantonné, l’historien du FLE doit prendre
en considération cette donnée technique qui a participé à rénover la politique
d’expansion du français à l’étranger, tant d’un point de vue culturel que pédagogique,
en érigeant la langue enseignée en langue-outil, médium permettant d’acquérir des
connaissances spécialisées non linguistiques. À l’heure de la mondialisation
économique et des humanités numériques, cette part croissante de la technique – et
des démarches scientifiques qui lui sont associées – figure un enjeu plus que jamais
d’actualité. Néanmoins, si la méthodologie audiovisuelle a bel et bien répondu à un
véritable besoin d’innovation pédagogique et sociétale, le recours contemporain

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croissant à la science appliquée en didactique des langues peut soulever quelques


inquiétudes.

La coopération technique, extension moderne de la


politique éducative à l’extérieur
2 Dans le champ du FLE, irréductible à un ensemble de techniques pédagogiques,
s’entrecroisent plusieurs sous-champs et disciplines connexes ayant pour objet la
langue mais aussi la culture et le rayonnement de la France hors de ses frontières. Ce
caractère pluriel impose un décloisonnement disciplinaire : outre la linguistique et la
didactique, le champ du FLE englobe l’histoire, l’économie, la sociologie, la politique,
l’idéologie (Puren 1988 : 20) mais aussi la psychologie, l’ethnologie, la biologie et la
logique (Porcher 1984 : 252). À cette liste non close, il convient d’ajouter la technique,
en tant que science appliquée. Bien avant que la (r)évolution numérique n’agite la
didactique des langues, la technique a profondément modifié la diffusion et
l’enseignement du français à l’étranger.

1.1. Un changement de paradigme idéologique : de la culture au


pragmatisme

3 Toute langue est assortie dans la conscience collective d’un certain nombre d’attributs
subjectifs mais naturalisés par des strates de discours : ainsi, en dépit des réalités
historiques (Siouffi 2010), le français est longtemps resté une construction idéologique
l’érigeant en langue de culture (Cros 2016 : 156-257). De cette représentation ont
découlé une diffusion et un enseignement de la langue fondés sur la prééminence de
l’écrit, de la littérature et de la culture dite cultivée. Mais les représentations ont
changé après la Seconde Guerre mondiale, donnant à voir l’émergence d’une nouvelle
noosphère, empreinte de saint-simonisme et de positivisme, associant le progrès
scientifique et industriel au progrès social. Le pragmatisme qui touchait alors tous les
phénomènes sociaux n’épargna pas la » formation et la dissémination des langues »
(Teilhard de Chardin 1956 : 246). Les acteurs du champ s’alarmèrent ainsi de l’intérêt
croissant pour la science appliquée dans un monde qui « laiss[ait] moins de place à la
culture désintéressée » (DGACT 1959 b : 4), apanage traditionnel du français. De fait, le
modèle civilisationnel en passe de s’imposer correspondait mal à l’idéologie dominante
du français langue de culture.
Nous savons assez que [la science] devient conquérante et que le peuple l’interprète
surtout comme un moyen de progrès matériel. Quand on parle de progrès, l’opinion
comprend progrès technique, et quand on parle de civilisation l’opinion comprend
niveau de vie […] La civilisation sous forme de culture recule dangereusement
devant la civilisation sous forme technique. Et c’est de cela que la France souffre car
son influence était liée à une conception tout autre de la vie et de la société.
(Siegfried 1952 : 195)
4 D’où une crise didactique du français dans le monde (Chiss 2006 ; Cros 2016 : 157-161),
qui exige une modernisation de la politique de diffusion de la langue. Pour maintenir
son rayonnement dans cette conjoncture internationale moins favorable, la France
cherche, à l’instar des États-Unis, à promouvoir sa puissance matérielle, économique et

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sa force d’invention en fondant sa politique culturelle sur la promotion de ses succès


techniques.
Il est aujourd’hui absolument nécessaire d’assurer à l’étranger, par tous les moyens,
comme le font avec un grand succès d’autres pays, l’information générale sur la
France : distincte de l’actualité politique, mais non exactement culturelle ou
technique, c’est cette information de base sur la vie française, sur les réalisations de
notre pays et de la Communauté dans les domaines social, économique, technique,
intellectuel, qui peut seule préparer les publics étrangers, en particulier les jeunes
générations, à s’intéresser à la langue et à la culture françaises. (DGACT 1960 : 34).
5 Dans les revues culturelles d’après-guerre publiées par les acteurs de la diffusion du
français (comme Les Dialogues de la Mission laïque française, la revue culturelle de
l’Alliance française de Paris, la revue Tendances du Centre de recherche pour
l’enseignement de la civilisation, Le Français dans le monde), les articles thématiques
portant sur la science pratique se multiplient, vantant les réalisations de la France au
même titre que celles des génies littéraires. Dans une perspective similaire, l’AF de
Paris ouvre en 1955 un service d’information technique pour « découvrir le vrai visage
d’une France moderne, au fait des techniques les plus récentes » (Bouton 1955 : 3). Le
changement de paradigme dans la politique culturelle extérieure française est
prégnant.
L’argumentaire a bien changé. Certes, le littéraire, y compris les sciences humaines,
n’est pas oublié après 1945 […] Mais l’image à la mode, c’est désormais celle de la
France scientifique, technique, communicante. (Reboullet 2010 : 126)
6 L’accent sur la science et la technique dans la diffusion de la langue est le propre d’une
approche épistémique moderne, qui privilégie un nouveau type de public : les
scientifiques, les techniciens, les hauts responsables du monde de l’industrie (Coste
1998 : 80). Toutefois, à l’origine, elle reste associée à une aire géolinguistique spécifique,
à savoir les pays issus de la décolonisation française.

1.2. Diversification de la politique culturelle postcoloniale

7 Si le ministère des Affaires étrangères (MAE) assume sa volonté de moderniser sa


politique à l’extérieur en diversifiant son action à l’étranger, diffusant
concomitamment la culture cultivée, la langue et la technique françaises 1, il le fait
suivant une répartition géographique et économique nette : d’un côté les pays de
l’étranger dit traditionnel, de développement égal à celui de la France, où la diffusion
de la langue reste majoritairement classique ; de l’autre côté les pays en voie de
développement où prime la coopération technique. Si la DGACT n’a de cesse de rappeler
la nécessité d’entretenir une diffusion traditionnelle, elle indique bien que sa
reconversion passe par l’augmentation du nombre d’activités d’ordre technique dans
ces pays.
Il serait imprudent et coupable de laisser se ternir une image traditionnelle de la
France qui est souvent plus vivante encore à l’étranger que nous ne le soupçonnons
couramment […] Mais il demeure, d’une part, que nous n’avons pas toujours donné
une place suffisante aux sciences et aux techniques, d’autre part, que ce dont les
peuples insuffisamment développés ont le plus besoin c’est d’une aide en vue de la
solution de leurs problèmes concrets […] Notre influence constitue un tout. (DGACT
1959a : 5-12)
8 À partir de la décolonisation, la politique culturelle témoigne ainsi d’un « effort accru
de coopération technique […] en accordant naturellement une place privilégiée aux

Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, 58-59 | 2017


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pays naguère dépendants de la France, où [son] action peut s’exercer avec le plus
d’efficacité » (DGACT 1959a : 3). Dans ce nouveau contexte qui interdit désormais toute
planification prescriptive, la diplomatie de la langue ou language policy, selon
l’expression de Fishman (1970), doit être privilégiée, en particulier via l’aide au
développement2 dans les anciens pays colonisés, où la transition vers l’autonomie
devait être accompagnée. « Les progrès rapides de la scolarisation et la relève partielle
des cadres français par des cadres nationaux exig[aient] la formation rapide d’un
personnel qualifié » (DGACT 1959a : 9). Aux antipodes de l’enseignement de la langue et
de la diffusion de la culture traditionnels, ce nouveau mode d’action impliquait une
« rénovation de l’esprit et des méthodes » (DGACT 1961 : 11), faisant du français une
langue pratique et médium d’enseignement (Cros 2016 : 287-290).

1.3. La coopération technique en français, avatar modernisé du


messianisme français

9 En sus de l’action culturelle traditionnelle, la DGACT fait de la coopération technique


une des grandes priorités de l’action extérieure française dès le premier Plan
quinquennal d’expansion et de reconversion de l’action culturelle de la France à l’étranger
(1958-1962). Alors que les États-Unis privilégient une aide au développement sous la
forme d’octroi de subventions, la France, s’érigeant en « nation guide », conserve une
approche empreinte du messianisme sur lequel elle a fondé son action à l’extérieur
(Salon 1983 : 31). Elle se targue ce faisant d’apporter les lumières progressistes de la
civilisation française, et plus largement occidentale, dans des pays jugés en retard dans
leur développement non plus intellectuel mais économique, grâce à une politique de
formation des locaux aux techniques françaises. Elle suit de ce fait les préconisations de
La Déclaration universelle des Droits de l’homme de l’Unesco, stipulant que
« l’enseignement technique et professionnel doit être généralisé » (1948, article 26).
Cette formation a lieu soit en France grâce à l’augmentation exponentielle des bourses
destinées à la réalisation de stages de spécialisation, soit sur place par le soutien aux
établissements étrangers voire par la création de centres franco-étrangers (dans des
domaines aussi variés que l’agriculture, la santé, l’administration, l’industrie,
l’économie, etc.).
La vocation propre du Service de l’Enseignement est, en ce domaine, d’envoyer à
l’étranger, soit de manière permanente, soit sous la forme de missions temporaires,
des enseignants français de toute spécialité, qui s’attachent avant tout à donner à
leurs auditeurs la formation technique indispensable. (DGACT 1959a : 9)
10 Or, cette formation technique exige un médium linguistique commun : le français
s’impose avec évidence dans les pays déjà partiellement francophones. Pour développer
en peu de temps des compétences linguistiques souvent insuffisantes, et face à
l’inadéquation des méthodologies existantes, il a fallu recourir à d’autres outils et
approches : c’est à cette exigence qu’a répondu la méthodologie structuro-globale
audio-visuelle (désormais MAV), appliquée dans les laboratoires de langue grâce aux
moyens audio-visuels. Cette méthode accélérée, reposant sur une idéologie d’un
français instrumental, à fonction non plus poétique comme pour le français langue de
culture mais référentielle (Jakobson 1960), à savoir le français fondamental, était
initialement cantonnée au contexte spécifique de la coopération technique.
[Il faut] former, par des méthodes accélérées, à la pratique de notre langue, des
techniciens étrangers destinés à travailler en contact avec des entreprises

Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, 58-59 | 2017


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françaises. Chaque fois que la chose est possible, l’enseignement du français se


double d’un enseignement technique en français. Les tâches d’enseignement
s’apparentent donc ici très étroitement à la mission de formation d’experts locaux
qui est celle de la coopération technique […] Un effort d’enseignement rapide de
notre langue doit donc être fait en utilisant, dans le pays étranger considéré ou, si
c’est impossible, à l’arrivée en France des stagiaires, les méthodes les plus
modernes, en particulier les méthodes dites « audio-visuelles ». C’est d’ailleurs là
une remarque qui montre l’interpénétration de notre action culturelle et de notre
action de coopération technique. (DGACT 1960 : 6-22)
11 Or, le succès de la MAV a largement dépassé ce public cible initial à tel point que c’est
sur ses bases que s’est institutionnalisée, dans les années 1960, la didactique du FLE,
pour tout type d’apprenant. Cette généralisation est notable à travers une seconde
forme de coopération technique, dans son versant éducatif, qui repose sur la formation
pédagogique des enseignants étrangers à cette nouvelle méthodologie.

1.4. L’outil technique : un levier d’innovation en didactique des


langues ?

12 Nouvel objectif de la politique d’expansion du français à l’extérieur, la technique s’est


en effet surtout immiscée au sein même de la didactique du FLE, dans sa réalité
matérielle. Bien que l’intégration d’outils modernes (du livre au numérique en passant
par le tableau sous toutes ses formes) soit propice aux innovations pédagogiques, cette
tendance à la « technicisation de la didactique du FLE » (Castellotti 2013) soulève
certains questionnements, plus que jamais d’actualité avec l’essor des technologies
numériques.

1.4.1. La coopération éducative ou la standardisation du FLE autour de la MAV

13 Le choix du français comme médium de la formation technique mais surtout comme


langue de scolarisation dans plusieurs pays indépendants, principalement en Afrique
de l’Ouest et au Maghreb, démultiplie le nombre d’apprenants, excédant les capacités
humaines et financières du MAE. Afin d’enseigner à ce public scolaire élargi, il faut
trouver un expédient : des relais « à effet multiplicateur » (DGACT 1959a : 20), en
investissant le système éducatif local par une action menée « de l’intérieur » (Capelle
1984, 100), par les centres de recherche étatiques (CREDIF et BEL), par opposition à
l’action « menée de l’extérieur » (Capelle ibid.) du réseau culturel français (lycées et
instituts français). Cette « politique des langues scolaires » (Christ 1998 : 69-70) donne à
voir la mutation d’une politique linguistique « active » reposant sur la propagation
directe de la langue et de la culture à une politique « passive » fondée sur l’action
indirecte de la France sur l’ouverture ou la fermeture des pays partenaires 3. Ce faisant,
la France ne fait d’ailleurs que répondre à une demande d’expertise pédagogique
provenant des jeunes pays indépendants, officialisée en 1960 par la Conférence des
ministres de l’Éducation des pays africains et malgache d’expression française (la
Confémen).
14 La proportion des enseignants français par rapport aux étrangers étant environ d’un
pour dix4, la formation de ce bataillon d’enseignants étrangers, pour le système local
des 1er et 2 nd degrés et l’enseignement professionnel, « présente un grand intérêt
d’avenir ; les enseignements nationaux sont ceux qui, dans l’ensemble des pays,
regroupent le plus d’élèves et que les États attachent le plus d’importance à

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développer » (DGACT 1959a : 41). Les agents principaux de la diffusion du français dans
le monde changent donc de visage durant la décolonisation : « il est certain qu’à partir
de 1960 on a renversé l’ordre des priorités et ces derniers [les professeurs étrangers]
sont devenus progressivement les premiers » (Reboullet 1984 : 118). Les directives du
Plan d’expansion invitent ainsi :
15 à préparer une évolution destinée à nous permettre de diminuer notre gestion directe
tout en conservant notre influence culturelle ;
16 à nous attacher, par contre, à former et à aider les enseignants et moniteurs étrangers
de façon que ceux-ci puissent donner un enseignement inspiré de nos méthodes à un
beaucoup plus grand nombre d’élèves que nous ne pourrions le faire nous-mêmes ;
17 à aider les enseignants nationaux et à nous efforcer de faire élargir et améliorer
l’enseignement du français. (DGACT 1959a : 20)
18 Cette formation pédagogique des enseignants (et non plus culturelle et linguistique
comme le faisait auparavant par exemple l’École de préparation des professeurs de
français à l’étranger) est ainsi reconnue comme un des axes prioritaires du programme
d’assistance technique. « L’action du Service de l’enseignement et des œuvres, sous cet
angle, tend à se rapprocher, dans son esprit et dans ses méthodes de la coopération
technique » (DGACT 1960 : 4), « forme d’assistance technique originale », d’ailleurs
considérée comme la collaboration technique « la plus poussée » (DGACT 1959a : 9) de
la France avec les pays en voie de développement. Or, cette formation des enseignants
nécessite l’harmonisation de pratiques encore très disparates, souvent héritées de la
méthodologie des langues classiques grammaire-traduction quand elles ne répondaient
pas simplement à l’empirisme. D’où l’impératif d’établir « une sorte de doctrine
pédagogique adaptée aux besoins de l’étranger » (DGACT 1961 : 8) et exploitant les
potentialités offertes par les nouvelles techniques audiovisuelles. La méthodologie
structuro-globale audio-visuelle « arrive sur le marché didactique […] avec l’appui
décisif d’une nouvelle didactique qui va très vite s’imposer comme la didactique
d’avant-garde, celle du français langue étrangère » (Puren 2005 : 2).
19 Par son caractère innovant, la MAV s’érige en quelques années comme une
méthodologie universaliste, diffusée partout dans le monde grâce à une intense
politique de formation de formateurs. Assurée par les organes étatiques spécialisés
dans l’étude et la recherche en matière de diffusion du français – le CREDIF et la revue
Le Français dans le Monde, qui consacre une rubrique spécifique aux moyens
audiovisuels–, elle est soutenue dans les réseaux scolaires et surtout culturels à
l’étranger, Alliances françaises et Instituts culturels5. « À bien des égards, c’est cette
dynamique de formation qui contribua à l’institutionalisation de ce secteur nouveau
que constitue en France le ‘français langue étrangère’« (Coste 1998 : 84). La MAV
répondant en effet à un réel besoin : la formation linguistique rapide des techniciens et
des enseignants dans les pays francophones et pédagogique à cette méthodologie. Au-
delà de cette standardisation, la méthodologie a été cependant parallèlement adaptée
et contextualisée, en particulier grâce aux entreprises du Bureau d’étude et de liaison
pour l’enseignement du français dans le monde (BEL).

1.4.2. Les machines, au service de la rénovation de l’enseignement du français

20 La didactique du FLE s’est donc constituée et normalisée grâce à l’intégration des


auxiliaires techniques modernes (la radio, la télévision et surtout les laboratoires

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audio-visuels) et à l’élaboration d’outils pédagogiques établis suivant des approches


scientifiques (comme le français fondamental). Le recours aux moyens audiovisuels
(associant le son et l’image) et aux techniques de reproduction et d’enregistrement du
son (le laboratoire de langue) modifie en profondeur les pratiques de classe ainsi que la
nature de l’objet d’enseignement. L’adoption à bon escient d’un support ou d’un outil
nouveau, quand il est le fruit d’une évolution socio-économique, change le rapport au
savoir et sa transmission. Ainsi, de même que l’imprimerie avait favorisé l’écrit et la
culture littéraire et permis la « révolution du vernaculaire » (Anderson 1996 [1983] :
51), le traitement assisté par ordinateur, passant au crible les conversations collectées
par le Centre d’étude du français élémentaire (CEFE)6 a rendu au français son caractère
usuel et communicatif, et les centres audiovisuels sa dimension orale et sonore. Qu’ils
soient employés pour l’élaboration scientifique du matériel pédagogique ou pour sa
mise en utilisation, ces outils ont permis d’enseigner le français « tel qu’on le parle »
(Gauvenet 1961 : 31) suivant des modalités rénovées, inspirées des sciences et en
premier lieu de la linguistique.
[Ces] machines ont forcé les spécialistes de la linguistique appliquée à un travail
d’analyse qui a été rigoureux et fécond et a suivi des voies bien éloignées de celles
des grammaires traditionnelles. De ce fait, les machines ont contribué à renouveler
l’étude des exigences morphosyntaxiques, tout en aidant celle de la stylistique, en
accélérant celle du vocabulaire, et en précisant les données de la phonétique et de
la phonologie. (Grandjouan 1970 : 15)
21 Depuis la fin du XXe siècle, aux laboratoires audiovisuels archaïques de naguère se sont
substitués des outils de communication et d’information plus sophistiqués, à l’instar du
numérique. Encouragés par les politiques institutionnelles et étatiques (tel le Plan
numérique pour l’éducation du ministère de l’Éducation nationale français, lancé en
2015), les projets en e-learning se multiplient, exploitant tous les dispositifs disponibles :
plateformes de ressources linguistiques, visioconférence, MOOCs, blogs, wikis,
applications mobiles, mondes virtuels, autant de méga-dispositifs constitués de
plusieurs micro-dispositifs répondent à des contextes et des modalités d’enseignement
variés (de l’hybride au 100 % à distance). Comme l’ont fait dans les années 1960 les
techniques audiovisuelles en faveur d’un français usuel, parlé, pratique et
communicatif, nul doute que ces dispositifs dématérialisés et multimodaux pourraient
à leur tour participer à refaçonner la didactique du FLE – et aussi des langues. Les plus
optimistes y voient une chance pour le plurilinguisme et un moyen de favoriser une
progression individualisée non linéaire, ainsi que l’autonomisation des apprenants et la
co-construction du savoir via la télécollaboration des acteurs connectés (Miras et
Narcy-Combe 2017). Grâce à l’intelligence collective ainsi sollicitée, une nouvelle
approche d’apprentissage basée sur le socioconstructivisme et le connectivisme peut
émerger (Simens 2004 ; Downes 2012). Mais encore faut-il que les potentialités de l’outil
soient pleinement exploitées, dans le but de répondre à de véritables exigences
sociales, comme ce fut le cas pour la MAV.

1.4.3. Les limites de la technique en didactique des langues

22 Le développement de la MAV autour du français fondamental et de l’audiovisuel avait


en son temps suscité une levée de boucliers, nombre de détracteurs craignant que
l’enseignement de la langue française ne soit vidé de sa substance culturelle. La
technique avait alors parfaitement joué son rôle de levier d’innovation lors de
l’intégration de l’audiovisuel. Est-ce le tour du numérique ?

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Il est […] légitime de se demander si la course à la nouveauté initiée par le


consumérisme globalisé n’impose pas des outils qui ne répondent pas à des besoins
mais seulement à des envies. (Miras & Narcy-Combe 2017)
23 Davantage soucieux de rentabilité économique que d’efficacité pédagogique, certaines
institutions pensent pouvoir à peu de frais former toujours plus d’apprenants grâce au
e-learning. Or, trop souvent, seul le support change mais non pas les pratiques qui
demeurent identiques aux pratiques antérieures. « L’évolution technologique est bien
présente mais n’apporte pas d’évolution pédagogique. Nous sommes dans un bluff
technologique et markéting et non pas dans une approche pédagogique renouvelée
grâce au numérique » (Springer 2016). L’outil technologique se réduit à un simple
argument de vente : certaines institutions ont ainsi « tendance […] à proposer des
appareils technologiques (tablettes, ordinateurs portables, etc.) dans le but de cacher le
manque de remise en question des méthodes d’enseignement/apprentissage derrière
des symboles de progrès » (Miras & Narcy-Combe 2017). L’adoption de la technique
dans l’enseignement ne doit pas se faire au détriment de la réflexion pédagogique.
L’absence de remise en question reste encore un moindre mal par rapport au risque de
prescriptivité et de normativité qu’une foi trop aveugle en la technique comme outil, et
au-delà comme démarche, peut entraîner. Ainsi, le projet du Conseil de l’Europe
d’extension du CECRL (2016), qui est un symptôme parmi d’autres de cette tendance,
soulève des craintes, justifiées, dues au caractère uniformisant de la description de
concepts échappant à tout calibrage (médiation, plurilinguisme et interculturel)
dans la mesure où ils sont principalement liés aux histoires, aux imaginaires et aux
expériences singulières des personnes et à la variabilité des situations. Par
définition, ces éléments ne se laissent pas enfermer dans des grilles, sauf à vouloir
les contrôler en les technicisant pour en assécher toute la diversité et
l’hétérogénéité […] Cette course folle à toujours plus de standardisation et de
descripteurs ne soulève pas seulement des questions « théoriques » : l’apparente
« objectivité » et « scientificité » du CECR, et le discours d’expertise dont il se
réclame, lui donnent l’allure d’un outil inattaquable […] Amplifier les descripteurs
[…] revient à considérer qu’il suffirait de « plus de technicité » – plus de
descripteurs – pour être plus « juste ». Or, la fiabilité technique ne peut, et n’a
jamais pu, jouer le rôle de garant éthique : le penser relève soit de la croyance
naïve, soit d’une forme de dédouanement à peu de frais des personnes et des
institutions qui produisent et diffusent ces outils. (Acedle, Asdifle & Transit-Lingua
2016)
24 Par conséquent, la technicisation à outrance de la didactique, entamée dès les années
1950 avec l’élaboration du français fondamental et l’harmonisation de la discipline
autour d’outils techniques, risque de :
déshumanis[er] l’appropriation et la transmission des langues, stérilis[er] la
réflexion en encourageant des orientations uniformisantes, déposséd[er] les acteurs
de leur responsabilité et dénature le travail de tous de manière prescriptive.
(Acedle, Asdifle & Transit-Lingua ibid.)
25 L’approche techniciste de la didactique des langues nie la diversité des situations
d’appropriation des langues, des enjeux et des contextes (Huver & Bel 2015) au profit
d’une didactique universaliste et formatée. Or, « l’enjeu de la DLC [didactique des
langues et des cultures] étant la rencontre de l’autre, elle doit avertir que l’autre n’est
pas ‘décodable’« (Castellotti 2013). Malgré ses apports possibles à la didactique des
langues, la confiance en la technique, sous sa forme matérielle ou en tant que
démarche, ne doit pas oblitérer la dimension humaine de l’enseignement.

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Pour conclure
26 Résultant d’une nouvelle épistémè glorifiant la science et la technique dans tous les
domaines, la coopération technique française intègre pleinement l’idéologie
linguistique utilitariste moderne la conciliant toutefois à l’idéologie traditionnelle de la
langue de culture. Restreint à l’origine à un domaine spécifique (les sciences et
techniques), à une aire géolinguistique restreinte (les pays issus de la décolonisation)
voire à un public d’apprenants précis (les ingénieurs et les cadres administratifs), le
français langue pratique de la MAV s’est néanmoins répandu dans l’ensemble du
champ. Ainsi s’est imposée une approche rénovée de l’enseignement en rupture avec la
diffusion traditionnelle du français : le recours aux laboratoires audio-visuels suivant
un enseignement-apprentissage plus expéditif et aux visées pragmatiques. De la
diffusion politique à l’enseignement, la coopération technique, notamment sous sa
forme éducative, a participé à l’élaboration de la discipline FLE, autour d’un français
langue d’enseignement. La technicisation du FLE entamée dès l’élaboration de la
discipline mais qui croît avec le développement des technologies menace la diversité en
didactique des langues. Pour autant, le propos de cet article n’est pas de condamner la
technique ou l’approche scientifique en didactique des langues. Outre son ambition
historique, visant à replacer la science et la technique dans l’histoire du FLES, il invite
plus à une saine prudence à l’égard des technologies auxquelles seraient attribuées
toutes les vertus pédagogiques au simple motif de leur modernité. Recourir à des outils
et méthodes scientifiques pour améliorer l’enseignement et l’apprentissage des langues
est, comme ce bref retour en arrière l’a démontré, une tendance ancienne propre au
FLE qui peut être source de fructueuses innovations pédagogiques. Toutefois, pour que
son adoption se fasse au profit de chacun, elle doit respecter certaines conditions,
comme ce fut le cas pour la MAV. Elle doit bien correspondre à un « besoin » et non à
« une mode » (Miras et Narcy-Combe 2017). Ces innovations pédagogiques, qui exigent
une recherche-action non partisane, doivent en outre se doubler d’un
accompagnement des enseignants, sans quoi elles ne pourraient qu’être vaines. De ce
fait, c’est au niveau de la formation des enseignants en langue qu’il faut agir, en
privilégiant une approche holistique, herméneutique et transversale, liant la pratique à
une formation théorique et historique, afin d’éviter l’écueil de la technicisation tout en
profitant des bénéfices de la technique.

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NOTES
1. Désormais DGACT.
1. La modernisation, mot d’ordre de la politique culturelle à partir des années 1950, passe en
outre par l’effort d’actualisation de la culture littéraire française à l’étranger, ainsi que par
l’élargissement de la notion de culture à la culture anthropologique (Argaud 2001 : 272-284) qui
inscrit l’enseignement-apprentissage du français dans le quotidien.
2. Sur le modèle du Point iv de Truman (1949) d’assistance technique aux pays en voie de
développement.
3. L’action de la DGACT portait en amont sur les décideurs (par un soutien à l’élaboration des
programmes d’études et/ou la formation des conseillers pédagogiques) comme lors de la
Confémen, et en aval sur les enseignants, français détachés ou étrangers (par un
perfectionnement en langue française et surtout en didactique et par l’envoi de matériel
pédagogique adapté).
4. L’estimation de la DGACT dans les années 1960 est d’environ 13 000 enseignants français
détachés (dont 10 000 au Maroc, en Tunisie et dans l’ancienne Indochine) pour 130 000
professeurs de français étrangers.
5. Au détachement d’attachés pédagogiques s’ajoutaient – entre autres – de nombreux stages
pédagogiques, comme ceux de l’AF de Paris ; de l’AF de Buenos Aires ; ainsi que les formations des
enseignants détachés au CIEP et à l’IF de Sarrebruck.
6. Devenu en 1958 le Centre de recherche et d’étude pour la diffusion du français (CREDIF).

RÉSUMÉS
Le champ du FLE, pluriel, ne peut se limiter à la didactique. Dans une perspective transversale et
épistémologique, cet article cherche à restituer à la technique sa juste place dans l’Histoire de la
diffusion du français et de la didactique du FLE.
L’étude des conditions d’émergence de la discipline montre en effet que, dans un monde de plus
en plus fasciné par le Progrès et la Science, la diffusion de la technique française à l’étranger, en
premier lieu dans les pays issus de la colonisation, est devenue une des fins de la politique
française extérieure. Des exigences de la coopération technique est née une nouvelle
méthodologie d’enseignement du français : la méthodologie audiovisuelle, s’appuyant sur des
outils techniques, qui ont modifié l’objet à enseigner lui-même.
L’étude de cette rupture didactique et idéologique des années 1950-1960 pousse à s’interroger sur
les innovations contemporaines liée à la mise en place de dispositifs dématérialisés. Compte tenu
des risques de dérives que présente une telle technicisation de l’enseignement-apprentissage du
FLE (et plus généralement des langues étrangères), la prudence s’impose.

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French as a foreign language is such a diverse field that it cannot be restricted to the only field
of didactics. We also need to consider the cross-sectional and epistemological approaches in
order to ensure that applied science takes its rightful place in the diffusion of History of French
and French as a foreign language didactics.
In a world that is more and more fascinated by Progress and Science, the examinations of the
conditions that brought about the discipline show in fact that the diffusion of French applied
science abroad – primarily in ex-colonial countries – has become one of the main goals of French
foreign policy. The audio-visual methodology was born out of technical cooperation
requirements. It rests upon technical tools which have modified the teaching itself.
The examination of the didactical and ideological break of the 1950-1960’s leads us to wonder
about the contemporary innovations related to the e-learning. We need to be cautious though,
considering the possible drifts emerging from the increasingly technical approaches of teaching/
learning in the field of French as a foreign language (and more generally of foreign languages).

INDEX
Mots-clés : institutionnalisation du FLE, coopération technique, formation des enseignants,
méthodologie audio-visuelle, numérique
Keywords : institutionalization of the French as a foreign language, technical cooperation,
teacher training, audio-visual methodology, digital learning

AUTEUR
ISABELLE CROS
Université de la Sorbonne nouvelle - Paris 3

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Lectures

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Hans Hulshof, Erik Kwakernaak,


Frans Wilhelm. Geschiedenis van
het talenonderwijs in Nederland.
Onderwijs in de moderne talen van
1500 tot heden.
Groningen, Uitgereverij Passage, 2015. 468 p. ISBN97890-5452-315-4 /
NUR 616

Marie-Christine Kok Escalle

1 C’est pour fêter le centenaire de l’association néerlandaise des enseignants de langues


vivantes, Levende Talen, créée en 1911 et toujours très active, que cet ouvrage financé
avec le soutien de Levende Talen a été rédigé par un triumvirat d’enseignants, un
didacticien du néerlandais, un germaniste et un angliciste pour donner une image
cohérente de l’histoire de l’enseignement des langues vivantes (langue maternelle et
langues étrangères) aux Pays-Bas (Pays-Bas septentrionaux pour la période d’avant les
Provinces-Unies) depuis 1500. On peut imaginer qu’une collaboration entre pairs
Néerlandais a été jugée plus facile pour assurer la réalisation de ce travail ; il est
toutefois fort regrettable que n’y ait été associé aucun spécialiste de l’histoire de
l’enseignement de la langue française aux Pays-Bas, alors que l’usage de cette langue a
connu pendant des siècles un statut de langue seconde et de langue d’éducation aux
Pays-Bas avant de devenir langue étrangère d’enseignement à côté de l’anglais et de
l’allemand avec la loi Thorbecke de 1863 sur l’enseignement secondaire moderne, et
alors que d’éminents chercheurs sont incontournables dans le domaine comme Willem
Frijhoff et Pierre Swiggers dont les écrits sont fondamentaux mais aussi Madeleine van
Strien et Marie-Christine Kok Escalle qui ont publié de nombreux articles dans
Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, la revue de la SIHFLES et
ailleurs. Les auteurs reconnaissent, dans leur introduction, ne pas prétendre à une
« exhaustivité scientifique », ni offrir un manuel pour les historiens de l’enseignement,
tout en affirmant avoir consulté nombre de sources et de publications historiques.

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2 Nous avons là un gros volume de 400 pages de textes auxquelles s’ajoutent 35 pages de
bibliographie (425-459) aux lacunes fort regrettables, et un index des noms (460-468)
dont l’objet est d’offrir aux (futurs) enseignants de langues l’histoire de leur discipline,
non l’histoire de la langue qu’ils enseignent.
3 Selon les auteurs, l’histoire de l’enseignement des langues doit faire partie de la
formation des enseignants et devrait recevoir l’attention de la presse liée à cette
branche professionnelle ; formateurs, auteurs de manuels, éditeurs mais aussi
décideurs politiques en matière d’enseignement des langues ont tout à gagner à
connaitre et comprendre l’histoire de l’enseignement des langues. Les partis pris pour
cet ouvrage sont d’une part une inscription dans la longue durée, d’autre part la
volonté d’en finir avec la séparation faite habituellement entre enseignement de la
langue maternelle vs enseignement de langues étrangères ; enfin l’importance du
contexte est considérée comme fondamentale, l’enseignement des langues étant vu
comme un produit de l’évolution sociale. La structure de chaque chapitre construit
autour d’une période (1500-1800 ; 1800-1860 ; 1860-1920 ; 1920-1970 ; 1970-aujourd’hui)
est récurrente, présentant d’abord le contexte social et éducatif, puis l’enseignement de
la langue maternelle avant celui des langues vivantes. Le 6 e chapitre tente de tracer les
grandes lignes de cinq siècles d’enseignement, s’attachant aux points de vue et débats,
aux modèles développés selon les périodes, aux mouvements et contre mouvements, en
lien avec les situations sociales.
4 Considérant l’enseignement des langues comme le reflet de la situation sociale et en
particulier des intérêts économiques dominant, les auteurs plantent pour chaque
période le décor, esquissant les préoccupations sociales, économiques et politiques,
dessinant les mentalités et représentations culturelles.
5 Le public néerlandais d’enseignants de langues étrangères et étudiants en formation,
ciblé par cet ouvrage, dispose ainsi, dans sa langue, d’une somme qui rend des savoirs
facilement accessibles, d’autant plus que, pour chaque partie chronologique (le
contexte) et thématique (enseignement langue maternelle, enseignement langues
étrangères), quelques paragraphes synthétiques résument l’essentiel (les grandes
lignes). L’histoire du métier offre une mise en perspective, incite à la réflexion et
devrait permettre aux décideurs politiques (au niveau national) et disciplinaires (au
niveau des responsables de branche et des éditeurs de manuels) de prendre les bonnes
décisions dans un pays où l’enseignement des langues, qu’il ait été domestique ou
institutionnel, a donné à des générations de bourgeois, marchands, aristocrates des
compétences de locuteur multilingue. Dans la présentation de la situation de la fin du
20e siècle et du début du 21 e, conséquence des réformes de l’enseignement, on croit
comprendre que l’expérience des siècles passés n’a pas été prise en compte et que la
disciplinarisation a conduit jusqu’à l’absurde, en divisant les compétences à acquérir
dans l’enseignement de la langue. Un constat d’échec face à l’anglicisation grandissante
qui fait disparaitre l’enseignement des langues étrangères au profit d’un bilinguisme
(l’anglais devenant presque langue seconde) de plus en plus prononcé. Une réflexion
intéressante est proposée au chapitre 6, tant sur l’évolution de l’enseignement de la
langue maternelle que sur celle de l’enseignement des langues étrangères et pour finir
sur le champ social dans lequel s’inscrit cet enseignement ; pourtant on ne peut que
regretter une grande simplification comme en témoignent les tableaux/schémas très
réducteurs et approximatifs censés visualiser l’évolution de la didactique des langues
étrangères pour l’un (p. 419), les courants individualistes vs collectivistes qui animent

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l’enseignement de la langue maternelle et des langues étrangères pour l’autre (p. 423).
Pour l’enseignement de la langue maternelle, le néerlandais, il est bien fait référence à
l’importance de la Société pour le bien Public (Maatschappij tot Nut van ‘t Algemeen)
créée en 1784, sur la pensée qui a fait évoluer l’enseignement, son objet et ses
pratiques, conformément à l’idéal des Lumières mais sans oublier l’intérêt économique
de l’éducation, intérêt qui se manifeste à travers les siècles. Mais, apprend-on une
langue pour parler ? faire et savoir faire ? être et savoir être ? La question n’est pas
posée. La dimension communicative de l’objet de l’apprentissage des langues,
maternelle et étrangères, apparait bien comme posant question à toutes les époques,
face à la valorisation de la grammaire et/ou traduction, mais il est fait trop peu de place
à la dimension éducative, celle de formation de l’esprit et de la pensée qui est l’apanage
de l’enseignement de la langue française depuis le 16 e siècle aux Pays-Bas, trop peu de
place au rôle de la langue/culture, dans l’enseignement des langues étrangères.

AUTEUR
MARIE-CHRISTINE KOK ESCALLE
Université d’Utrecht, Pays-Bas

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Vladislav Rjéoutski (textes réunis et


présentés par). Quand le français
gouvernait la Russie. L’éducation de
la noblesse russe 1750-1880.
Paris : L’Harmattan, collection Éducations et Sociétés, 2016, 395 pages.
ISBN 978-2-343-08540-1

Gisèle Kahn

1 L’ouvrage rassemble douze contributions qui portent sur l’éducation des enfants de la
noblesse russe par des précepteurs et gouverneurs venus de France ou de Suisse, du
milieu du XVIIIe siècle jusque vers la fin du XIXe. Toutes s’appuient sur une sélection de
témoignages recueillis dans des collections d’archives publiques et privées,
correspondances, mémoires, plans d’étude, rédigés pour l’essentiel par les éducateurs
eux-mêmes. Chacun des chapitres est consacré à une personne en particulier, au total
une femme et onze hommes. L’ensemble se présente sous la forme d’une série de
monographies comportant d’une part la biographie du précepteur ou du gouverneur,
les circonstances qui font qu’il se retrouve comme éducateur en Russie au sein d’une
famille noble, une analyse de sa situation, un aperçu plus ou moins approfondi de ses
activités pédagogiques ou autres, le tout suivi d’une sélection de documents venant
conforter, exemplifier, compléter la biographie. Douze portraits donc pour lesquels l’on
dispose d’une documentation généralement inédite, qui donnent un éclairage sur les
conditions de vie de ces éducateurs, leurs convictions et leurs choix en matière
d’éducation, leurs ambitions, leurs pratiques, le comportement de leurs disciples, de
façon plus générale l’attitude des parents à leur égard, ou encore leur vision de
l’environnement dans lequel ils se trouvent. L’ouvrage est divisé en deux grandes
parties, la première est consacrée pour l’essentiel aux témoignages à caractère éducatif,
la seconde à des aspects plus larges portant sur la fonction elle-même, les familles
d’accueil, la vie sociale ambiante. L’ensemble est précédé d’une longue introduction qui
offre de nombreuses clés pour la lecture des témoignages et analyses présentés. Il

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comporte deux index précieux, un index des noms propres et des œuvres citées, un
index thématique.
2 Nous entrons dans la vie de quelques familles aristocratiques de haut niveau qui
choisissent de confier leurs enfants à des précepteurs ou préceptrices plutôt que de les
livrer à l’enseignement public, fût-il réservé aux jeunes de la noblesse. L’introduction
évoque l’image parfois désastreuse donnée par les chroniqueurs du temps, voire par
certains hommes politiques, des gouverneurs et précepteurs étrangers, français
notamment, considérés parfois à juste titre, souvent à tort, comme des charlatans, des
aventuriers, voire des déserteurs ou des repris de justice en cavale, recyclés en
éducateurs de fortune. Ces critiques ne semblent pas affecter les préférences des
aristocrates fortunés et l’ouvrage, ainsi qu’il est précisé dans l’introduction, permet,
sans prétendre à l’exhaustivité, de redresser les images négatives et de remettre à plat
les réalités qui sont celles des protagonistes de cette histoire. L’accent est mis sur les
décisions prises par les familles nobles de Russie concernant l’éducation de leurs
enfants. Celle-ci est loin d’être monolithique. D’un éducateur à l’autre, les variantes
sont à l’évidence nombreuses, mais, partant de leurs écrits, on dispose d’un corps de
doctrine assez général qui donne une vision relativement homogène de ce que semble
et doit être l’éducation d’un jeune noble dans la Russie de la période considérée.
3 Commençons par le cas de la jeune Catherine Golitsyne, la seule fille du corpus, âgée de
dix ans au moment où commence à son propos la correspondance, en français, de sa
gouvernante, Cécile Olivier, avec sa mère, Natalia Golitsyne. La famille comporte quatre
enfants, deux garçons, Boris et Dimitri, âgés respectivement de onze et neuf ans, et
deux filles, Catherine et Sophie, âgée de cinq ans, la petite dernière, qui reste avec ses
parents. Nous sommes en 1780. Cécile Olivier et son époux, venus de Suisse, sont au
service de la famille, en tant qu’éducateurs. Lors des longs séjours qu’elle effectue sur
ses terres à la campagne, Natalia échange de longues lettres en français avec Cécile et
avec ses enfants à propos de leur éducation. Natalia a la plus grande confiance dans la
pédagogie mise en œuvre par la gouvernante et ne cesse d’exhorter ses enfants à lui
obéir ; cette dernière lui décrit avec force détails ses principes et ses exigences, les
comportements des enfants, leurs progrès comme leurs faiblesses, les réprimandes et
les récompenses. S’agissant de Catherine, on voit se préciser ce qui est considéré tant
par la mère que par la préceptrice comme nécessaire à la bonne éducation d’une petite
fille de la noblesse. L’important, c’est son maintien, son apparence physique. Cécile
déplore souvent l’attitude relâchée de la petite. Elle se tient mal. Elle se ronge les
ongles. Certes, elle ne s’intéresse guère à l’étude, mais point trop n’en faut, elle a une
jolie écriture et elle écrit joliment en français, elle joue du clavecin, elle sait broder,
c’est déjà bien. Elle s’intéresse à l’art, on la mène au théâtre, elle lit, pour autant qu’il
s’agisse d’œuvres qui ne risquent pas de lui donner de mauvaises idées. Quant aux
jeunes frères de Catherine, on apprend peu de choses sur ce qui leur est réellement
inculqué. Outre l’exigence répétée d’une conduite exemplaire, on se préoccupe
beaucoup de leur capacité à écrire correctement en français, apanage indispensable de
tout bon aristocrate russe à l’époque.
4 Au fil des récits et des témoignages, se profilent des jeunes gens d’âges divers. Quelques
exemples. Quand le médecin-précepteur Louis Levade se voit confier le petit Alexandre
Orlov, celui-ci n’a que quatre ans. L’élève de James, précepteur chez le comte Alexis
Kirillovitch Razoumovski, a sept ans. Celui de Jacques Démichel, le jeune Stroganov, en
a quatorze. Dans les extraits de ses « Observations » sur l’éducation du Grand-Duc

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Constantin, l’un des deux petits-fils de l’impératrice Catherine II dont il a eu la charge


pendant environ cinq ans, La Harpe évoque l’âge de son disciple, particulièrement rétif
à l’étude, qui, « à dix ans passés, ne lit pas encore couramment ». Quant aux quatre fils
de la famille Meyendorf, on ne connaît pas leur âge avec précision, mais leur éducateur,
Maréchaux des Entelles, prépare pour eux et à l’intention de leur père un projet détaillé
de Grand Tour européen, dont on ne sait s’il se réalisa, mais qui, à en juger par son
contenu, est nécessairement conçu pour des adolescents.
5 Par-delà les différences personnelles et les particularités des familles d’accueil, on
parvient à déceler chez les gouverneurs et précepteurs retenus ici un certain nombre
de préoccupations communes. Former les jeunes gens de la haute noblesse qui leur sont
confiés, souvent capricieux et guère portés à l’étude, mais devant cependant, pour la
plupart d’entre eux, occuper un jour ou l’autre des fonctions élevées dans la société, ne
va pas de soi. Quelle attitude adopter à leur égard ? Indulgence, sévérité ? Les idées de
Rousseau, celles de Locke sont mises à contribution. On en a un aperçu à la lecture des
principes pédagogiques développés par Nicolas-Gabriel Le Clerc, notamment pour les
plus jeunes. Pour autant qu’ils y adhèrent et qu’ils y parviennent, certains des
précepteurs tentent de mettre ces idées en pratique : faire en sorte de gagner la
confiance voire l’amitié de leur(s) élève(s), éviter les contraintes, choisir des activités
ludiques, bannir les remontrances et les punitions, se fonder sur le goût de
l’observation, pratiquer régulièrement des exercices physiques… Mais les beaux
principes volent parfois en éclat et l’on en revient à des considérations moins
optimistes, afin de parvenir à remplir son « contrat ». Car quelles sont les priorités ? De
façon idéale, il s’agit avant tout de former un « citoyen éclairé », un « honnête
homme », qui saura se montrer digne de sa position dans le monde, son monde.
Démichel dresse une liste des vertus qui feront un citoyen exemplaire : « l’humanité, la
justice, la bienfaisance, les sentiments purs, l’honneur, la conduite, les mœurs douces et
honnêtes, le bon exemple […] la politesse, la décence, l’honnêteté, la bienfaisance ».
Autant d’objectifs qui ne sont pas toujours aisés à atteindre avec des enfants ou des
adolescents plus ou moins disciplinés. Que leur enseigne-t-on par ailleurs ? L’accent est
mis sur la maîtrise du français, de l’allemand aussi souvent. La cohabitation avec des
précepteurs ou maîtres natifs facilite bien évidemment les choses. Quant aux contenus
eux-mêmes, on trouve un peu de tout, de l’arithmétique, de la géographie, de l’histoire,
des sciences naturelles, sans qu’il y ait de priorités particulières, rarement les langues
anciennes… De fait, le précepteur joue un rôle essentiel de passeur de culture, de
culture générale, dirait-on de nos jours. La Harpe, le gouverneur des futurs monarques,
résume l’objectif : le futur dirigeant doit avoir un aperçu de tous les domaines, sans
qu’il lui soit nécessaire de devenir spécialiste d’aucun en particulier. Dans ce dispositif,
le Grand Tour, à l’instar de ce qui se pratique déjà dans d’autres pays européens,
s’institutionnalise pour les plus âgés. Ce voyage éducatif, qui peut durer quatre voire
cinq ans, est considéré comme fondamental pour la formation des jeunes nobles. Le
gouverneur a pour fonction essentielle d’accompagner son disciple, d’organiser son
séjour et les enseignements qu’il reçoit, de veiller sur lui. Démichel, par exemple,
embauche pour son élève des maîtres de mathématiques, de latin, d’allemand,
d’histoire, de dessin, de danse, de musique, d’escrime… Le plan établi par Maréchaux
des Entelles pour les jeunes barons Meyendorf présente de façon détaillée le périple
envisagé : les lieux de séjour, les matières enseignées, le coût de l’opération. On ira dans
différentes villes d’Allemagne, on passera en Suisse, on voyagera en Italie, on
séjournera à Paris, on se fixera à Strasbourg, l’une des villes de prédilection des

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aristocrates russes, retenue pour la qualité du réseau d’accueil qui s’y est constitué,
pour les enseignements qu’on peut y suivre, peut-être également pour son bilinguisme
français et allemand.
6 Parallèlement aux documents présentés et édités dans l’ouvrage, et qui constituent
l’ossature de l’ensemble, il est donné pour chacun des éducateurs retenus une
biographie aussi détaillée que la documentation disponible a pu le permettre. Certains
d’entre eux sont connus, d’autres sortent pour l’occasion de l’anonymat. Leur point
commun : avoir effectué un séjour plus ou moins long en Russie, généralement comme
précepteur au sein d’une famille aristocratique de haut niveau, et avoir laissé à ce
propos des écrits que l’obstination des chercheurs a permis de retrouver et de publier.
Chacun mérite une petite note dans ce bref compte rendu. Dans l’ordre d’apparition.
Les époux Olivier, en fonction chez les princes Golitsyne pendant de nombreuses
années, viennent de Suisse. Cécile s’occupe des enfants. Michel accompagnera les
garçons quand ils seront plus grands dans leur Tour d’Europe. Tous deux ont laissé,
nous dit-on, une correspondance abondante. On nous annonce la publication de celle de
Michel dans un prochain ouvrage. Pierre-Ignace Jaunez-Sponville entre au service de la
famille Kirillovitch Razoumovski. Originaire d’une famille aisée de Metz, cultivé, se
passionnant pour toutes les sciences, il se laisse convaincre par son ami Romme – déjà
croisé dans un ouvrage précédent, célèbre par ailleurs car il deviendra l’un des acteurs
marquants de la Révolution française –, qui exerce lui-même la fonction de précepteur
dans une grande famille, de tenter sa chance en Russie. Les raisons de son départ
restent obscures. Il reste environ cinq ans en Russie. Dans la correspondance qu’il
entretient avec Romme, il parle de son intérêt pour la fonction exercée, de la qualité
des relations qu’il entretient avec le père de l’enfant et l’enfant lui-même, il expose
longuement ses diverses tentatives pour tenter de le faire progresser, il livre des
indications précieuses sur le petit cercle d’amis français qui s’est constitué à Moscou,
gouverneurs comme lui, gouvernantes, mais pas uniquement, tous de bon niveau
intellectuel et social. Jacques Démichel est lui aussi un protégé de Romme. Ils sont de
Riom tous les deux. Il exerce de nombreux métiers qui ne lui conviennent pas jusqu’à ce
que Romme lui trouve un emploi de bibliothécaire chez le comte Alexandre Stroganov
où il est lui-même précepteur. De fil en aiguille, Démichel est engagé comme
gouverneur chez un parent de Stroganov. Il sert de mentor au fils de la famille lors du
Grand Tour évoqué ci-dessus. On retrouve également dans cet ouvrage Nicolas-Gabriel
Le Clerc, personnage connu des historiens de l’éducation en Russie. Médecin, homme de
lettres, traducteur, il séjourne longuement en Russie auprès de la famille impériale,
occupe diverses fonctions officielles et c’est en tant que directeur des études du Corps
des cadets nobles et membre des Académies des sciences et des arts qu’il rédige un
traité d’éducation destiné aux gouverneurs et gouvernantes des Maisons d’éducation
mises en place par Catherine II. Le programme prévoit le contenu des enseignements
pour les jeunes nobles, garçons et filles, de cinq à dix-huit ans. Il est le reflet à bien des
égards des grandes tendances éducatives qui ont cours un peu partout en Europe à
l’époque. Quelques années plus tard, vers la fin du XVIII e siècle, apparaît dans le
paysage Fritz-Charles Maréchaux des Entelles. Après avoir occupé quelques fonctions
dans l’organisation des spectacles à la cour de Versailles avant la Révolution, il parvient
à émigrer en 1790, d’abord en Allemagne puis en Russie où il entre au service des
Meyendorf, déjà cités, une famille noble d’origine balte. Ses états de service sont peu
connus ; il est toutefois retenu pour avoir rédigé un programme détaillé de Grand Tour
à l’intention des quatre fils de la maison (cf. supra). Le parcours de Frédéric-César de la

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Harpe, maître de français auprès des petits-fils de l’impératrice, a déjà fait l’objet de
plusieurs publications. Nous n’y revenons pas ici.
7 Le baron Théodore-Henri de Tschudy, originaire de Metz lui aussi, fait figure à part.
Journaliste, pamphlétaire, franc-maçon, il trouve un temps refuge en Russie, il assure
les fonctions de secrétaire-bibliothécaire chez l’un des frères Stroganov et il participe à
la conception de l’université de Moscou fondée en 1755. Ardent défenseur de l’école
publique en voie de constitution, il fustige le système du préceptorat privé dans un
texte satirique ici reproduit où il dénonce « l’indolence, la dissipation » de nombre de
précepteurs, mais tout autant le manque de considération dont ils font l’objet de la part
des familles, pareillement incompétentes en ce qui concerne l’éducation de leurs
enfants. C’est également le point de vue de Nicolas Fornerod, gouverneur chez les
Golitsyne, qui cherche avec obstination à quitter sa fonction pour une position plus
avantageuse, soit un poste dans l’enseignement public, soit une place plus respectable
dans le domaine privé. Dans sa correspondance avec Formey, le secrétaire perpétuel de
l’Académie de Berlin, il décrit ses vaines et désespérantes tentatives pour y parvenir
malgré toutes les recommandations dont il fait l’objet. Il finit par retourner en Suisse
après quatorze ans passés en Russie sans avoir réussi à y trouver une place jugée digne
de ses ambitions. Vaudois comme le précédent, le jeune médecin Louis Levade, âgé de
vingt-cinq ans, a pour sa part surtout envie de voir du pays. Il entre pour quelque
temps au service du comte Vladimir Orlov, comme précepteur et accessoirement
médecin du petit Alexandre. Milieu agréable, voyages à travers la Russie, rencontres
plaisantes, le séjour semble lui convenir, jusqu’à ce que gagné par l’ennui des soirées
d’hiver à Saint-Pétersbourg, il décide de rentrer au pays natal pour de nouvelles
aventures. Vers la fin du XVIIIe siècle, c’est pour des raisons financières – il n’est
probablement pas le seul – que Paul Bigot de Morogues, jeune noble désargenté, vivant
à Berlin avec sa famille, choisit le préceptorat. Il exerce pendant une dizaine d’années,
d’abord en Prusse puis en Russie. Polyglotte, musicien, cultivé, en mesure d’enseigner
de nombreuses disciplines, dont le latin, il apprécie son métier, mais n’a de cesse de
fustiger – prudemment – les travers du milieu aristocratique dans lequel il évolue.
Originaire d’Uzerche, ancien élève de l’école royale militaire de Sorèze, se destinant à la
carrière ecclésiastique, le jeune Jean-Joseph de Pradal de Lamaze voit ses ambitions
stoppées par la Révolution. Sa famille étant ruinée, il ne trouve d’autre solution que
d’exercer le métier d’éducateur, en Allemagne d’abord, en Russie un peu plus tard où il
passe une vingtaine d’années, successivement dans la famille Golitsyne, chez le
banquier de Rall, puis brièvement dans diverses autres familles, enfin chez la comtesse
Protassov, comme précepteur du jeune Nicolas, dix ans, qu’il suivra jusqu’à son Grand
Tour. Durant toutes ces années il écrit à sa famille. Sa correspondance, fort détaillée,
constitue un témoignage précieux sur sa vie en Russie, ses satisfactions et ses déboires,
et, à travers le sien, sur le sort réservé en général aux précepteurs par les familles, sur
ses choix éducatifs, sur ses relations avec ses élèves, auxquels il est très attaché, et qui,
des années après, continuent de le vénérer. Nous faisons un saut dans le temps. Jules
Montels, le dernier de la série, est un ancien communard. Contraint de quitter la France
pour échapper à la répression, il se réfugie à Genève et à Lausanne. Il y poursuit ses
activités militantes, participe à de nombreux mouvements anarchistes, collabore à
diverses revues. Quelques années plus tard, on le retrouve – hasards de la vie – comme
précepteur chez Léon Tolstoï chez qui il reste près de trois ans. Les enfants Tolstoï
grandissent, dit le texte, « entourés d’une armée de précepteurs, gouvernantes,
éducateurs et professeurs russes et étrangers ». Montels en fait partie et leur enseigne

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le français et la littérature française, un peu de grec et de latin. Il semble apprécié de


tous, enfants comme adultes, y compris le maître des lieux. Il avouera plus tard avoir
passé chez les Tolstoï les trois années les plus calmes de sa vie.
8 L’ouvrage est sans conteste un hommage appuyé à ces éducateurs venus d’horizons
divers qui ont tenté, chacun à sa façon, de former, modeler quelques-uns des jeunes
aristocrates de la Russie des XVIIIe et XIX e siècles, qui deviendront pour la plupart des
gouvernants du pays. Nous y rencontrons des personnages attachants, aux caractères
marqués, aux motivations certes variées mais tous doués d’une haute conscience
professionnelle. Cette plongée dans leur vie quotidienne nous fait dans le même temps
mieux comprendre une des facettes de la vie intellectuelle de certains milieux
privilégiés de la Russie de l’époque, leur désir de s’approprier, via l’éducation privée, un
certain nombre des valeurs du monde occidental.

AUTEUR
GISÈLE KAHN
ENS de Lyon

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Frijhoff Willem, Kok Escalle Marie-


Christine, Sanchez-Summerer
Karène (eds). Multilingualism,
Nationhood and Cultural identity.
Northern Europe 16th-19th
Centuries.
Amsterdam, Amsterdam University Press, 2017, 193 p., € 79,00. ISBN 978
94 6298 061 7, e-ISBN 978 90 4853 0007.

Jacqueline Lillo

1 Ce volume est le premier de la nouvelle collection « Languages and Culture in History ».


Les éditeurs, dans leur introduction, déclarent leur volonté d’étudier le rôle que les
langues étrangères ont joué dans la création de l’héritage linguistique et culturel de
l’Europe au niveau individuel, communautaire, national et transnational.
2 L’ouvrage se compose de deux parties, la première concerne « les approches au
multilinguisme dans le passé » et la seconde « le multilinguisme au début des temps
modernes : trois exemples ». Il est important de définir dès le début la différence entre
multilinguisme et plurilinguisme. Le multilinguisme est un fait social, le plurilinguisme
un fait personnel. Par « multilinguisme » on entend donc la présence et l’utilisation de
plusieurs langues dans un territoire donné, alors que le « plurilinguisme » dénote une
capacité de l’individu à maitriser plusieurs langues.
3 La première contribution, de Willem Frijhoff, a pour titre « Codes, routines et
communication. Formes et signification de la pluralité linguistique dans les sociétés de
l’Europe occidentale du passé ». Il est bien connu que la construction des états nations a
imposé une langue nationale. Mais cela n’a pas toujours été la règle et parfois, dans une
même unité politique, coexistent plusieurs langues (parlées ou écrites et utilisées selon
les besoins d’ordre communicatif, religieux, littéraires, etc…). L’auteur, historien,

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analyse la relation entre les différentes langues dans leur utilisation sociale et le
contexte éducationnel de trois villes : Amsterdam, Leyde et Rome du XVI e au XIXe
siècle. La diversité des langues parlées (latin, français, portugais, espagnol, yiddish,
etc.) dépend du lieu de résidence des différents groupes sociaux ou linguistiques, de la
présence ou non de l’université, de la curie, etc. Le Grand Tour favorise aussi le
multilinguisme et l’apprentissage de la culture de l’autre. Le plurilinguisme se présente
essentiellement sous deux formes, d’une part nous avons la connaissance de plusieurs
langues acquises consciemment par apprentissage linguistique avec une langue
dominante qui sert de référence, d’autre part nous avons des situations contingentes
où aucune langue ne peut prévaloir sur l’autre et où, pour des raisons pressantes de
communication, un multilinguisme pragmatique est le bienvenu (l’auteur commente à
ce sujet l’inventaire de la bibliothèque d’un prêtre hollandais du XVII e, une réunion à
bord d’un bateau hollandais qui transporte des voyageurs de plusieurs nationalités et
une collection d’anecdotes qui introduit huit langues différentes). Il étudie aussi les
formes de la pluralité linguistique dans des situations historiques telles que, par
exemple, celle de la colonie hollandaise, la Nouvelle-Amsterdam, qui met en contact les
indiens autochtones, les colons européens et les noirs. Dans ces situations de
multilinguisme se forme une lingua franca qui permet les échanges et qui a été, selon les
lieux et les époques, le latin, l’espagnol, le français, l’anglais. Il n’en reste pas moins la
nostalgie de trouver une langue universelle, qu’elle soit artificielle ou naturelle. Par le
biais des mythes judéo-chrétiens de la tour de Babel et de la Pentecôte, l’auteur
exprime en conclusion son désir utopique de voir dépassées les divisions entre les
peuples, du point de vue de la langue, de la race, de la nation, du groupe ethnique ou de
la forme de gouvernement.
4 La seconde intervention de cette première partie est de Pierre Swiggers et traite la
« Capitalisation de la compétence multilingue. Apprentissage et enseignement des
langues au début de la période moderne ». L’auteur illustre un cas de « didactologie
historique » aux Pays-Bas en se concentrant sur les pratiques multilingues selon deux
axes précis : les contenus et les contextes. Une étude de cas lui permet de répondre aux
nombreuses questions qu’il s’est posées. Dans le troisième quart du XVI e siècle, des
centaines de précepteurs opèrent dans 150 « écoles modernes » où sont enseignés
notamment le français, l’italien, l’espagnol et l’allemand. Les « écoles françaises »
éduquent les enfants de la classe bourgeoise. Certains maîtres de langues tels que
Peeters Heyns, Noël de Berlaimont et Gabriel Meurier ont une production de manuels,
de grammaires et/ou de dictionnaires particulièrement importante. Cependant très
peu de grammaires sont imprimées dans les deux centres du Brabant du sud (Anvers et
Louvain) et, quand elles le sont, il s’agit le plus souvent d’ouvrages publiés
précédemment à l’étranger. Cette production limitée des grammaires imprimées aux
Pays-Bas pendant cette période contraste avec le nombre impressionnant de
dictionnaires bilingues et multilingues qui y paraissent, notamment ceux de Berlaimont
et de Meurier. Ils répondent tous à une attente sociale : rendre les interlocuteurs
capables de communiquer (et négocier et marchander) en plusieurs langues. En fait, au
XVIe siècle Louvain comme ville universitaire et Anvers comme métropole commerciale
sont des pôles d’attraction. Elles deviennent aussi des centres éditoriaux renommés
pour les publications multilingues, y compris la Bible, sans pour cela éliminer les
parutions en latin ou en langues vernaculaires. Avec la fin de la féodalité cette nouvelle
approche des langues conçues comme instrument politique et socioculturel est
encouragée par le développement de l’imprimerie et enclenche un processus de

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« capitalisation » du multilinguisme inconnu jusqu’alors. Par le biais de cette étude de


cas, Pierre Swiggers illustre la complexité et le riche potentiel de la didactologie
historique.
5 La seconde partie de ce volume nous présente trois études de cas.
6 Le premier exemple, de Konrad Schröder, traite du plurilinguisme à Augsbourg et
Nuremberg de la fin du Moyen-Âge au début du XIXe siècle. Ces deux villes impériales
étaient très développées du point de vue économique et culturel et politiquement
influentes mais on y parlait des dialectes difficiles à comprendre. Il était donc urgent de
résoudre le problème linguistique pour stimuler les rapports avec l’extérieur,
notamment l’Italie, la France, les Pays-bas et les pays de l’Europe centrale et de l’est.
Les jeunes gens étaient donc envoyés dans les principales capitales pour acquérir des
compétences linguistiques et professionnelles. Ils pouvaient aussi faire le Grand Tour,
réservé initialement aux nobles et ensuite pratiqué par la classe marchande, soit
individuellement, soit en groupe sous la direction d’un maitre. La connaissance des
langues était un symbole de statut social et culturel élevé. Ceux qui ne pouvaient pas
voyager ‒ les plus nombreux ‒ prenaient des maîtres essentiellement pour le français et
l’italien. Le statut des nombreux maîtres de langue est identique à celui de tous les
maîtres de l’époque : mal rétribués, parfois même au bord de la misère, souvent peu
qualifiés, extrêmement mobiles… Mais certaines figures surclassent la masse par leurs
qualités et leur production didactique (notamment Matthias Cramer) et leur vie
aventureuse (Johan Matthias et Catharinus Dulcis). Un fait surprenant est
l’apprentissage de l’anglais au XVIIe siècle dans une congrégation religieuse pour jeunes
filles en majorité catholiques, créée par une émigrée anglaise à Munich et à Augsbourg.
L’activité éditoriale à des fins scolaires dans cette dernière ville et à Nuremberg était
particulièrement intense. Les publications avaient les mêmes caractéristiques que
celles des autres villes (contenu des dédicaces, des préfaces, le titre bilingue, etc.) et ne
montraient aucune spécificité régionale. En fait, les caractéristiques de l’édition
scolaire à cette époque semblent être les mêmes dans toute l’Europe. L’auteur nous
communique à ce propos une donnée intéressante : le tirage de la plupart de ces
publications scolaires ne dépasse pas les 300 exemplaires. En conclusion, à partir du
début du XVe siècle, les élites des deux villes étaient plurilingues (notamment français
et italien) et cela permettait de se distinguer socialement.
7 La deuxième étude de cas, de Willem Frjhoff, nous présente une « exploration » du
« multilinguisme dans l’Âge d’or hollandais » (1580-1750). À la fin du XVI e siècle et au
début du XVIIe, dans les provinces des Pays-Bas du nord (celles du sud parlant
majoritairement français) commence à se diffuser l’utilisation du hollandais qui devient
langue nationale standardisée. Cependant les Hollandais des classes élevées semblent
douter de la valeur de leur langue et communiquent en français, reléguant la langue
nationale dans les classes populaires. L’unité linguistique n’est donc qu’une fiction,
comme dans d’autres pays d’ailleurs, car existe dès le début de l’Âge d’or un
multilinguisme diffus, incluant langues anciennes et modernes, acquises par le biais de
la famille, de l’école, de l’église, ou de la communauté locale qui accueille souvent de
nombreux immigrés. Se fait sentir alors le désir d’une langue universelle,
transnationale, qui n’a pas vu le jour à cause de la perte de vitesse du latin, de la
redécouverte des langues anciennes (grec, hébreu, etc.), de la montée des langues
nationales et de la découverte des langues extra-européennes. Le latin comme lingua
franca est réservé aux couches les plus cultivées, mais à partir du milieu du XVII e siècle

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et jusqu’au XXe siècle, il est remplacé par le français qui domine, comme langue de
prestige et de culture, le panorama multilingue des Pays-Bas. En dehors des élites
culturelles au XVIIIe le hollandais est devenu langue maternelle et même dans le monde
académique, normalement trilingue, il a tendance à s’imposer de plus en plus.
Cependant, le multilinguisme se maintient à cause de la très forte immigration, du
manque d’intégration des nombreux groupes étrangers, à l’exception des Allemands, de
la persistance des langues régionales et des différentes formes de lingua franca (l’italien,
le français et la « langue des Francs » sur le pourtour de la Méditerranée). Le français
étant la langue la plus enseignée à côté du hollandais, de nombreux manuels sont édités
et reproposés sur le marché par des noms célèbres : Gabriel Meurier, Noël de
Berlaimont, Nathanael Duez, Pierre Marin. Le français en est arrivé à ne plus être
considéré comme langue étrangère mais comme langue véhiculaire et l’annexion des
provinces hollandaises pendant l’empire napoléonien a permis une plus grande
diffusion du français qui se répand alors même dans les couches les moins favorisées.
Au cours des XVIIe et XVIII e siècles, l’apprentissage du latin continue à diminuer,
l’espagnol disparait et l’allemand et l’anglais sont en hausse d’autant plus qu’ils
représentent les nouvelles langues des sciences, de la culture et de la modernité, grâce
entre autres à la création des premières universités allemandes. De l’autre côté de
l’Atlantique, en Amérique, le multilinguisme est de rigueur à cause de la présence de
colons hollandais, de marins, de missionnaires, d’immigrants, etc. Seule la langue des
indiens autochtones représente un vrai écueil. En conclusion, les Hollandais
considèrent le multilinguisme comme valeur caractéristique de leur identité rejetant le
point de vue des Français ou des Espagnols, par exemple, qui voient dans le
monolinguisme national l’expression de leur identité. De haute valeur scientifique,
l’article est cependant trop long (p. 94-168) et disproportionné par rapport aux autres
textes présents dans le volume.
8 Le troisième cas étudié, de Joep Leerssen, traite d’« Alphabétisation, utilisation et
prestige national, le destin changeant du gaélique en Irlande », où par « gaélique »
l’auteur entend plus communément l’irlandais. La langue locale, le gaélique, et le latin,
introduit au Ve siècle avec le christianisme, sont utilisés dans la littérature médiévale
colportée par les bardes. À partir du XIIe siècle cette tradition décline à cause d’une
progressive « colonisation » anglaise qui devient totale vers 1660. La langue gaélique
n’est alors plus parlée que par les couches les plus pauvres restées catholiques même si
cette religion n’est pas reconnue, (les Britanniques ayant introduit la religion
anglicane). Sous l’occupation anglaise, le gaélique ne circule plus qu’oralement et est
même interdit d’imprimerie ; alors, de nombreux lettrés s’exilent dans des centres
catholiques à l’étranger d’où ils maintiennent vivante la culture gaélique. Pendant la
période romantique (1760-1845), il se produit un clivage notoire entre l’usage social de
la langue et le renouveau culturel. Des études philologiques, en effet, reconnaissent au
gaélique son appartenance aux langues indo-européennes et le donnent comme
descendant du celte (et non de l’anglo-saxon comme l’anglais), ce qui développe un
sentiment d’appartenance nationale et stimule la production littéraire. Mais la grande
famine de 1845-1848, avec tout ce que cela comporte de deuils et d’immigration,
provoque la presque totale disparition de la langue parlée même si les intérêts culturels
se maintiennent. Un gros effort pour redonner de la vitalité à la langue est réalisé à la
fin du XIXe siècle et se maintient au cours du XX e, notamment après l’indépendance. Le
gaélique devient alors langue officielle obligatoire dans les textes législatifs et
administratifs et est enseigné dans toutes les écoles mais n’est cependant plus parlé par

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la majorité des Irlandais qui refusent d’abandonner l’anglais comme langue de


communication. De nos jours, le gaélique jouit d’un statut symbolique et d’un prestige
culturel indéniable. À un moment où les nationalismes (catalan, écossais et autres) font
couler tant d’encre, cet article est particulièrement révélateur du rôle politique de la
construction volontaire de l’identité nationale.
9 Il est regrettable que, dans ce volume, les renseignements bibliographiques provenant
des dépouillements d’archives n’aient pas été donnés et que ne figurent que les
références relatives aux documents imprimés.

AUTEUR
JACQUELINE LILLO
Université de Palerme

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Madeleine van Strien-Chardonneau


& Marie-Christine Kok Escalle eds.
French as Language of Intimacy in
the Modern Age / Le français,
langue de l’intime à l’époque
moderne et contemporaine.
Amsterdam, Amsterdam University Press B.V., 2017, 210 p. ISBN
978-94-6298-059-4.

Nadia Minerva

1 Le point d’ancrage : la célèbre thèse de Marc Fumaroli (le français avait excellé
notamment dans « les genres intimes, la lettre, le journal, la poésie de circonstance, les
Mémoires… »)1. Le défi original : étendre cette thèse à des non-natifs pratiquant le
français comme langue seconde ou étrangère, et plus précisément explorer l’« écriture
du moi dans une langue autre que la langue maternelle du scripteur » (p 14). Ce volume
le fait avec nombre d’exemples à l’appui – ce qui amplifie considérablement le postulat
du français langue de l’intime – et dans des écrits majoritairement choisis parmi ceux
où Fumaroli voyait la force du français. Un des points forts de ces mélanges est de
porter à l’attention des spécialistes des matériaux presque inconnus, une littérature
« mineure », en partie inédite, qui revêt, en plus de sa valeur documentaire, un intérêt
linguistique : dans ces écrits attirent l’attention la morphosyntaxe de contamination
entre deux langues, le lexique migrant d’une langue-culture à l’autre, d’un univers
culturel à l’autre (au-delà des conventions sociales souvent en conflit), la pratique
spontanée de l’alternance codique entre les langues en contact.
2 Alba amicorum, souvenirs, mémoires, journaux intimes, correspondances, autant
d’écrits interrogés par l’équipe de chercheurs rassemblés par les deux promotrices du
projet autour de l’expression de l’intime en français chez des usagers pour lesquels la
langue de Molière et de Racine n’est pas la langue vernaculaire ni officielle. Elles en

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jettent les bases et en précisent les contours dans deux textes : l’introduction (p. 7-19,
versions anglaise et française) et un article jouant lui aussi le rôle de pièce liminaire :
« Le français langue seconde, langue de la relation intime, de la relation à soi et à
l’autre » (p. 21-44). Après avoir rappelé la situation internationale du français –
notamment sous l’Ancien Régime et au XIXe siècle – et avoir passé en revue les sources
d’où cette réflexion est issue, les deux directrices de la publication analysent finement
les résultats acquis par les collaborateurs de la recherche et expliquent la notion de
« semi-privé » appliquée à la sphère et à la typologie du français ici étudiées : un usage
de la part d’un groupe social restreint, constituant un bien commun à la fois
linguistique et culturel (p. 32). La dilatation de l’emploi du français hors de France, c’est
connu, se ressent du prestige international de l’Hexagone, de l’attrait de la Cour de
Versailles, de l’aimantation de la culture française, de l’engouement pour une langue
devenue d’abord l’outil privilégié de la communication commerciale et diplomatique,
puis la langue de la culture et de l’éducation, le moyen d’expression de la République
des Lettres et des savants. Mais ce volume nous invite à passer de la sphère publique à
la sphère privée : l’intérêt spécifique de ces études est que les textes choisis constituent
un banc d’essai pour montrer comment le français devient aussi la langue de
communication et d’écriture personnelles des élites européennes non-natives dans
l’espace autobiographique, dans l’usage privé ou semi-privé (p. 13). Dans ce contexte,
les auteures distinguent cinq fonctions du français, (1) langue de distinction et
d’appartenance des élites, (2) « langue du cœur inspirée par la littérature », (3) de la
réflexion intérieure, (4) de la formation de la pensée, (5) de la « prise de conscience
identitaire nationale ». C’est sans doute aussi grâce à ce potentiel – pouvons-nous
ajouter – que le français a pu s’assurer une vaste expansion dans l’horizon culturel
partagé par la culture occidentale.
3 Ces mélanges présentent une bonne variété quant aux genres étudiés et à la langue
maternelle des auteurs qui les ont pratiqués. Trois articles concernent des
correspondances et trois des mémoires, une contribution étudie des cahiers d’amitié et
une enfin une pièce théâtrale. Les langues natives de ces scripteurs sont le néerlandais,
l’allemand, l’italien, le russe et le turc. La distribution dans le volume, à savoir l’ordre
chronologique, reflète ce que nous savons – grosso-modo – des habitudes d’écriture et
des modes culturelles : c’est dans la première partie (XVI e-XVIIIe siècles) que nous
rencontrons l’écriture par lettres et dans la deuxième (XIXe-XXe siècles) les journaux
intimes. D’ailleurs, le grammairien Grimarest l’avait bien remarqué, déjà au début du
XVIIIe siècle : le français à l’étranger est la langue privilégiée dans les échanges
épistoliers (cité par Piselli, p. 89). Un des buts de ce volume est de décortiquer les
lettres privées où le moi est souverain et les journaux intimes / souvenirs / mémoires
qui choisissent le français comme langue de l’expression personnelle.
4 La première partie du volume – « From French as a Language of the Bilingual
Netherlands to the ‘Language of Universality’ in a Wider Europe (Sixteenth-Eighteenth
Centuries) » – héberge quatre chapitres : le premier est consacré à un genre très
populaire entre 1570 et 1630 : les alba amicorum, en particulier ceux des dames
hollandaises. Les autres trois concernent les lettres d’épistolières et d’épistoliers
évoluant dans une Europe élargie (comme le dit le titre) allant des Pays-Bas, à l’Italie et
passant, au gré de ces voyageurs infatigables (Grand Tour, déplacements familiaux,
voyages d’affaire etc.), par l’Allemagne, l’Angleterre, les États-Unis et la France bien
sûr : nous sommes introduits dans les correspondances de Gijsbert Karel van
Hogendorp avec sa mère (analysée par Madeleine van Strien-Chardonneau (p. 67-85),

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de la comtesse d’Albany avec des rois, des diplomates, des hommes politiques, des
écrivains, des artistes… (étude de Francesca Piselli, p. 87-105) et de Giustiniana Wynne
avec son amant (contribution de Nancy Isenberg, p. 107-122).
5 Les livres d’amitié – où les dames néerlandaises recueillaient des inscriptions
(chansons, poèmes, prières, adages, images etc.) d’amis ou de familiaux – sont
interrogés par Sophie Reinders (« Vertu versus Deugd. Noble Women and the French
Language in the Eastern Netherlands around 1600 », p. 47-65) pour vérifier la maîtrise
du français des cercles qui les ont produits. En effet, selon l’auteure, les alba amicorum
ne portent pas de témoignage certain sur la connaissance du français de la part des
possesseurs de ces albums (les dames notamment) ; ils attestent que le français est déjà
la langue de prestige aux Pays-Bas à cette époque (sans avoir pourtant la position
dominante qu’il acquerra au XVIIIe siècle), mais sa connaissance n’est pas homogène
dans le pays. Par ailleurs, ils attestent également que le plurilinguisme est un bien
commun à un large secteur de la noblesse. Les alba amicorum sont des cahiers de
communication « semi-intimate » (p. 52) où la présence de plusieurs langues nous dit le
dynamisme de ces communautés qui habitent les provinces agricoles des Pays-Bas
orientaux ; les jeunes font le voyage de France pour apprendre le français mais ils en
ont le plus souvent une connaissance passive. Les albums des femmes fournissent –
avance Reinders – une représentation fidèle des interactions quotidiennes et des
langues de ces interactions de la noblesse dans un décor intime. Puisque ces écrits
jouirent d’une grande popularité, l’auteure de l’article y voit le cœur d’un réseau social
et le miroir de l’horizon culturel de la noblesse féminine de cette partie des Pays-Bas.
Sa connaissance du français est superficielle : dans les albums on ne rencontre que des
textes très courts et on n’y remarque aucun emploi créatif et original de la langue.
Finalement quand ces dames se servent de ces cahiers pour une communication plus
intime, libre des conventions et des règles établies pour la dame noble, l’expression du
moi fait appel à la langue maternelle. Très utile est la table des inscriptions pour
chaque album, ordonnée par langue, qui montre indubitablement le multilinguisme de
ces cahiers d’amitié et dans deux cas sur six la supériorité du français.
6 Madeleine van Strien-Chardonneau situe la correspondance de la famille Van
Hogendorp dans un moment historique particulier (fin XVIII e – début XIX e siècle) qui
voit la construction progressive du sentiment national. Dans ce contexte, les lettres de
Gijsbert Karel à sa mère (1773-1812) tracent un parcours étonnant : pour ce jeune
néerlandais comme pour le milieu patricien dont il fait partie, le français est la langue
d’éducation, celle qui a façonné son identité et c’est en français qu’il correspond avec sa
mère et quelques membres de sa famille. Cependant, il va progressivement se
réapproprier sa langue maternelle, se ‘renationaliser’ (p. 77) et prendre conscience
d’une identité nationale autre, quand il décide de jouer un rôle au service de sa patrie.
Si le français est la langue qui facilite « l’expression de sentiments personnels et une
certaine forme d’introspection » (ibid.), le néerlandais est associé à la sphère publique
et au rôle qu’il va y jouer. Le réapprentissage de sa langue maternelle passe à travers
une distanciation par rapport au français et une critiquer du modèle culturel transmis
par le français. Nous reconnaissons dans la traversée qui s’est opérée dans la jeunesse
de Gijsbert Karel un parcours commun à une bonne partie de l’Europe qui voit émerger,
à partir de la Révolution de 89, le patriotisme et l’exaltation des langues nationales. La
gallomanie s’affaiblit un peu partout avec l’invasion des armées napoléoniennes. La
Révolution, comme dit Fumaroli, a éveillé le « génie » des nations et réveillé en chacune
l’amour jaloux de sa propre langue2. La perte de vitesse du français à cette époque – qui

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voit l’intérêt grandissant pour l’anglais et l’allemand dans toute l’Europe – n’est pas un
véritable déclin mais plutôt la redécouverte d’un plurilinguisme originaire de la culture
occidentale.
7 Avec la comtesse d’Albany – prussienne de naissance, ayant vécue en Italie et ayant été
éduquée en français (1752-1824) – est abordée une de ces correspondances générales
très communes où cependant l’accoutumance à l’épistolarité dans toutes ses cordes
favorise le lyrisme confidentiel (p. 97), en particulier dans les lettres échangées entre
cette dame plurilingue et ceux/celles avec qui elle est en relation suivie et intime : dans
plusieurs lettres l’épistolière donne libre cours à ses sentiments les plus personnels, à
l’épanchement du moi et ces missives hébergent une écriture de l’introspection
atteignant des notes de véritable lyrisme quand Albany laisse couler les confessions et
la rêverie (Rousseau fait fureur). Pour Albany, l’écriture épistolaire est certes le lieu de
la mondanité puisqu’elle prolonge la conversation en français qu’elle animait dans son
salon florentin. Mais la comtesse sait apprécier aussi la solitude qui valorise la vie
intérieure. F. Piselli peut conclure que la correspondance de la comtesse est bien un
témoignage de l’histoire de son temps, de la vie mondaine et de la culture salonnière de
son milieu ; cependant le discours de soi occupe une place centrale, lui permettant de
« façonner » son image, sa perception du monde qui l’entoure et de la vie (p.103).
L’étude de F. Piselli n’oublie pas d’analyser la langue de cette dame cosmopolite et les
marques de l’intimité. Les échantillons qui nous en sont offerts dans l’article restituent
la saveur d’un français écrit bariolé, parsemé de mots ou de morceaux de phrases en
italien quand le discours se fait plus personnel.
8 Le français est la langue des stratégies de séduction, des sondes introspectives et des
instances identitaires pour l’écrivaine anglo-vénitienne Giustiniana Wynne (N.
Isenberg, « Seduction, Introspection, Experimentation. The Epistolary Code Switching
of Giustiniana Wynne », p. 107-122), dans la correspondance (en italien avec de
fréquentes alternances codiques) avec son amant, le noble Vénitien Andrea Memmo.
Dans ces lettres elle fait la chronique de ses pérégrinations à travers l’Italie, la France et
l’Angleterre sans omettre les aventures plus ou moins piquantes où elle est impliquée.
Giustiniana pratique le français aussi dans d’autres écrits pourtant publiés à Venise ou
à Londres. Elle tient entre autres une correspondance française avec les habitués de son
salon et avec des écrivains de la stature de William Beckford. L’usage du français, on le
sait, n’est souvent qu’une astuce stylistique pour afficher le prestige culturel de
l’auteur de la lettre. Pour Giustiniana, s’exprimer en français est un impératif
sentimental et émotionnel. La jeune femme enregistre et analyse ses états d’âme et la
lettre devient une arme pour creuser en elle-même et pour ranimer le souvenir de
l’amant et chez l’amant : la lettre est le lieu de l’expérience d’une intimité nouvelle,
d’un érotisme oblique, « in absentia ». La révélation de ces états d’esprit et de ces
confidences, notamment les aveux de Giustiniana, glisse insensiblement de l’italien au
français. L’alternance codique (le français apparaît dans des mots isolés, des phrases,
toute une lettre) se fait de plus en plus au profit du français. Sont entièrement en
français les lettres de l’oubli, quand Giustiniana parle d’une voix différente, n’épargne
pas à Andrea ses humeurs pleines d’amertume et d’ironie, laisse émerger une nouvelle
conscience de soi.
9 La deuxième partie du volume : « The Use of French as a Second Language : From
Continuity to Geographical Growth (Nineteenth and Twentieth Centuries) », propose
d’abord des documents géographiquement éloignés (la Russie et les Pays-Bas) mais

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chronologiquement et socialement proches : les journaux d’Olga Ivanovna Davydova


(1830-1848) et de Harco Hora Siccama (1854-1858), issus tous les deux de la bonne
société de leur pays. Ces journaux font réfléchir sur la situation du bilinguisme encore
très florissant à l’époque pour la noblesse ou la haute bourgeoisie. Puis, avec deux
autres articles, concernant le journal intime de Tevfik Riza et un pièce théâtrale, Leïla
de İzzet Melih Devrim, nous sommes transportés dans l’empire ottoman au début du
XXe siècle – à ses derniers jours donc – quand le français est encore la langue des classes
cultivées (nous connaissons le rôle joué par l’enseignement francophone dispensé dans
le lycée de Galatasaray).
10 Des vingt cahiers des journaux intimes d’Olga Davydova, cinq sont en français (Michèle
Debrenne, « The French Language in the Diaries of Olga Davydova. An Exemple of
Russian-French Aristocratic Bilingualism », p. 125-142). Écrits entre 1830 et 1848 (les
journaux postérieurs à 1850 sont en russe) ils relatent les voyages, la vie familiale et les
sentiments religieux de cette jeune femme de la haute société. Michèle Debrenne
s’intéresse surtout à la maîtrise du français de cette aristocrate russe, aux erreurs
typiques dues à l’interférence linguistique entre les langues en présence. Ces erreurs –
remarque-t-elle – ne sont pas plus nombreuses que celles qu’on peut rencontrer dans
les écrits des Français de l’époque. Elle peut conclure que le niveau en français – et en
anglais ou en allemand – du milieu social d’Olga est assez élevé, en raison sans doute de
la précocité de son apprentissage et de la pratique assidue qu’elle en fait tout au long de
sa vie. Debrenne fait le point sur la « méthode des gouvernantes », une méthode basée
sur la pédagogie de l’exemple et sur la pratique exclusive de la langue à apprendre avec
des élèves tout jeunes (Olga, dont la langue native est l’allemand, a une gouvernante
suisse à partir de l’âge de quatre ans). L’auteure signale aussi le rôle de la lecture et
l’apprentissage d’autres langues : l’anglais et l’italien dont Olga rend compte dans son
journal, et l’allemand même si Olga est plus avare de nouvelles sur sa connaissance de
cette langue. Dans l’éducation plurilingue des jeunes de la famille ou de leur milieu,
c’est pourtant le français qui est préféré pour les filles et l’anglais pour les garçons.
Dans ce journal intime – hybride parce qu’il est aussi destiné à être lu par d’autres
lecteurs (le mari d’Olga par exemple) – les activités quotidiennes côtoient les notes
introspectives et mystiques. Ce document nous éclaire donc sur certaines particularités
linguistiques et méthodologiques du milieu où évolue Olga et, à la fois, sur le rôle de la
femme russe en cette première moitié du XIXe siècle.
11 Harco, un jeune aristocrate néerlandais, est le protagoniste de l’analyse de Marie-
Christine Kok Escalle : « Les Souvenirs du jeune Harco Hora Siccama (1854-1858). De
l’exercice de style à l’expression de soi » (p. 143-163). Aux Pays-Bas, nous rappelle Kok
Escalle, le français est la langue d’éducation des élites néerlandaises. Harco, qui a
grandi dans une famille où l’on correspond en français, est confronté très jeune à
d’autres langues. Il choisit le français pour ses souvenirs de jeunesse rédigés entre 1854
et 1858. Kok Escalle nous initie à la compétence interlinguistique et interculturelle
d’une famille composée d’individus originaires de différents pays et dont les membres
voyagent beaucoup ; cette famille utilise le français dans la correspondance pour
l’expression personnelle et l’échange sur le quotidien. En revanche, les Souvenirs, un
cahier de 44 pages, sont un récit autobiographique riche de détails sur la formation de
Harco sous la férule de son père, notamment sur l’éducation en langue ; et ce sont un
récit de croissance et de construction progressive de son identité (p. 148), un récit des
passions, de quelques aventures qui se sont fixées dans sa mémoire, un récit des
voyages, des liens familiaux et sociaux. Le français est la langue de l’intime pour dire

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ses souvenirs d’enfance, ses émotions, ses sentiments, au moment où il débute dans
l’existence (Harco se raconte à partir de 1845, lorsqu’il est âgé de trois ans mais il
reconstruit son vécu neuf ans plus tard, entre 1854 et 1858, quand il a onze ans).
Pourtant, le français est aussi la langue de compétences construites par l’éducation
reçue (p. 161). Par la suite le français sera pour Harco la langue professionnelle dans la
marine et le commerce.
12 Dans « ‘Intimate’ Notes from Hell. Gallipoli Diaries by Tevfik Riza Bey (1914-1916) » (p.
165-186), les auteurs – Hanife Güven et Devrim Çetin Güven – présentent un document
qui s’ajoute aux nombreux écrits de tranchées – lettres, cahiers, journaux intimes,
poèmes (ceux d’Apollinaire par exemple, pour ne citer qu’un des nombreux poètes qui
en ont composé sous le feu)… écrits que l’anniversaire de la Grande Guerre a fait sortir
de l’oubli en souvenir de combattants plus ou moins célèbres. Gallipoli Diaries est un
journal intime en français, écrit par Tevfik Riza Bey pour analyser son moi, ses
sentiments, son amour pour sa femme, pour guérir la solitude. En effet, ce journal
intime a un destinataire : celle qui l’a inspiré, Belkis, l’épouse du soldat, ce qui fait de ce
journal un dialogue imaginaire avec sa bien-aimée, prolongement des lettres échangées
entre les deux époux pendant la bataille de Gallipoli. Ce couple de l’élite ottomane
ayant reçu une éducation qui inclue la culture et les valeurs occidentales, choisit le
français parce qu’il permet la libre expression des sentiments, à l’abri de la censure, des
yeux indiscrets, des conventions sociales qui gouvernaient l’écrit dans la langue
maternelle. Le français permet de garder le secret et l’intimité pour les deux époux. Le
journal en français – espace de liberté et de partage exclusif du couple – devient aux
yeux des deux amoureux un talisman qui guérit de la nostalgie, une cure contre
l’angoisse de la séparation, la détresse de la solitude, une thérapie contre un conflit
traumatisant et le drame de la vie au front, la peur de la guerre et de la mort. Dans ce
document, ce qui frappe, c’est le courage de tenir un journal intime dans des conditions
inhumaines. Pour Tevfik le journal devient aussi – en toute liberté – le lieu
d’interrogations métaphysiques sur le vide des croyances religieuses, l’absurde d’une
divinité qui permet que des milliers de jeunes soient ainsi immolés. Les auteurs
peuvent conclure (p. 184) que le journal de Tevfik produit une rupture entre la petite
histoire, histoire individuelle, privée du combattant – où le français permet et protège
l’émergence de l’intime – et la Grande Histoire, histoire d’une souffrance universelle
qui broie des milliers de vies.
13 C’est encore le modèle éducatif français de Galatasaray dont a joui la jeunesse ottomane
qui est au cœur de l’étude : « Writing in French. İzzet Melih Devrim (1887-1966) and his
Leïla (1912) » de Banu Öztürk (p. 187-203). Après avoir rappelé la situation du français
dan l’empire ottoman surtout après son occidentalisation lorsque les nouvelles
générations ont plus de familiarité avec la langue et la littérature françaises, l’auteure
présente İzzet Melih qui a étudié le droit en France avant d’être recruté dans
l’administration, dans la finance et dans l’enseignement du français. Öztürk en trace
une biographie littéraire et précise son rôle dans la formation du théâtre ottoman avec
ses essais et ses traductions. Sa seule pièce est Leïla, un acte en français : le français –
argue-t-il – lui permet de peindre un portrait plus fidèle des femmes turques, par
rapport aux portraits de fantaisie tracés par les opérettes françaises. D’ailleurs, avec
l’occidentalisation, les Ottomans qui peuvent apprécier ce choix sont de plus en plus
nombreux ; mais en même temps Öztürk nous montre une génération en conflit,
partagée entre le nouveau et la tradition, et un monde mal connu en Occident que
Devrim veut présenter aux Français, et il le fait se focalisant sur les différences entre

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les deux cultures surtout quant à la condition des femmes turques qui sont peintes avec
leurs sentiments, leurs idées et leurs valeurs. On peut parler d’autobiographie car,
quand Devrim décrit la vie des femmes musulmanes, il décrit aussi les hommes, le point
de vue sur l’autre, le regard réciproque (p. 200). Ce regard réciproque est aussi souhaité
dans la comparaison des deux cultures, pour apprendre à se questionner en observant
l’autre (p. 202).
14 Ce volume apporte une contribution remarquable au domaine dont la SIHFLES a fait
son champ d’étude : l’histoire du français hors de France. Et il le fait sous un angle qui
permet d’explorer des pans nouveaux de cette francophonie historique européenne
dont nous connaissons l’étendue. Parmi les mérites de ces mélanges signalons la
cohérence des contributions, l’ampleur des références bibliographiques (chaque
chapitre présente sa bibliographie), l’intérêt des documents étudiés et la précision des
analyses. Signalons encore qu’en plus d’un index des noms, le volume inclut un index
des lieux, essentiel pour apprécier l’étendue géographique de la recherche, le
rayonnement du français, le dynamisme et la mobilité de ces scripteurs francophones
des siècles passés. Ceux qui ont étudié la diffusion du français à l’étranger ont sans
doute croisé des documents semblables à ceux qui sont portés ici à notre attention. Je
me permets d’ajouter à ce spicilège – déjà si représentatif –quelques notes italiennes :
les Mémoires de Carlo Goldoni, une bonne partie du journal intime de Vittorio Alfieri,
l’Histoire de ma vie de Giacomo Casanova… sans parler des nombreuses correspondances
en français à l’époque de « l’Europe française ». Tous ces documents de la Péninsule
italienne permettraient sans doute de souscrire aux résultats de ce volume.
15 Pour conclure, il ne nous reste qu’à exprimer notre gratitude à Marie-Christine Kok
Escalle et à Madeleine van Strien-Chardonneau pour nous avoir initiés à cette
littérature parfois touchante, toujours riche de passions et d’affects.

NOTES
1. Marc Fumaroli. Quand l’Europe parlait français. Éditions de Fallois, 2001 : 26.
2. M. Fumaroli, Quand l’Europe parlait français : 18.

AUTEUR
NADIA MINERVA
Université de Catane (Italie)

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Angeliki Kordoni, La Littérature


dans les Départements de Langue et
de Littérature françaises en Grèce :
enjeux, représentations, méthodes,
propositions didactiques.
Thèse de doctorat en Didactique des langues et des cultures sous la
direction de Emmanuel Fraisse (Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3),
soutenue à l’Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3, le 10 avril 2014 (369
pages & annexes 284 pages).

Angeliki Kordoni

1 Cette thèse interroge l’enseignement de la littérature dans les deux Départements de


Langue et de Littérature françaises en Grèce (Athènes et Thessaloniki). Elle s’appuie sur
les résultats des questionnaires remplis par des étudiants et des enseignants de deux
Départements ainsi que sur des entretiens avec eux. Elle tente d’abord d’appréhender
les principales caractéristiques des pratiques et des méthodes de l’enseignement
universitaire de la littérature française mises en place dans le contexte grec.
Parallèlement, elle vise à étudier les représentations et les images que, étudiants et
enseignants se font de la littérature française.
2 L’introduction expose des réflexions théoriques qui se rattachent à la théorie littéraire
et à l’enseignement de la littérature en langue maternelle et en langue étrangère. Elle
définit la question de recherche et présente l’intérêt du sujet et les motifs de son choix.
Elle énonce les problèmes et les hypothèses de la recherche ainsi que les méthodologies
adoptées pour l’obtention et l’analyse des données. Les questions de notre recherche
concernent surtout :
3 La place et le statut de la littérature dans l’ancien et le nouveau cursus d’études
4 Les manuels utilisés, les textes et les auteurs abordés
5 Les méthodologies adoptées et les outils utilisés

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6 La place de l’étudiant dans le processus d’enseignement


7 Les représentations et les images suscitées
8 Les propositions éventuelles susceptibles de contribuer à une rénovation de
l’enseignement de la littérature.
9 La première partie, composée de trois chapitres, s’efforce de situer le lecteur dans le
contexte institutionnel et éducatif grec. Le premier chapitre s’attache à une
présentation de la structure et de la nature du système éducatif en se focalisant surtout
sur les défis de l’enseignement supérieur grec. Partant de quelques repères historiques,
il traite le sujet de la démocratisation et de la massification des études supérieures ainsi
que de leur statut dans la société d’aujourd’hui. Il présente les différents établissements
d’enseignement tertiaire et supérieur tout en décrivant les objectifs de l’enseignement
supérieur, selon la loi grecque. Enfin, il évoque l’impact et les enjeux de la
mondialisation, de l’instabilité politique et de la crise économique dans l’enseignement
supérieur.
10 Le chapitre II présente d’abord la place du français en Grèce en s’intéressant aux liens
historiques et culturels entre les deux pays. Il explique comment et pourquoi le français
en Grèce a connu une histoire riche et diversifiée. En éclairant son statut dans la société
moderne et dans les institutions scolaires, il tente de définir le bagage linguistique et
culturel des apprenants grecs. Puis, le deuxième chapitre s’intéresse à l’organisation
des deux Départements de Langue et de Littérature Françaises au sein de l’Université
nationale et capodistrienne d’Athènes et de l’Université Aristote de Thessaloniki. Il
présente les différentes sections (linguistique, traduction, littérature, civilisation) et les
matières obligatoires enseignées. Il met en lumière les différentes mutations qu’ont
connues les maquettes de formation ces dernières années et tâche ainsi de comparer
l’ancienne et la nouvelle maquette afin d’y identifier la place et le statut de la
littérature.
11 Avant l’élaboration de la nouvelle maquette de formation (2012), un projet de réforme a
été proposé au sein du Département de l’Université d’Athènes, dont les objectifs sont
présentés dans le chapitre III. Le projet visait à l’introduction de nouveaux cours, à la
réalisation de colloques et au renouvellement des corpus d’enseignement. À la fin du
projet, au cours de l’année 2008-2009, une enquête quantitative a été réalisée auprès
des professeurs du département, des étudiants de L3 et de L4 et des étudiants ayant
obtenu leur diplôme. Les résultats de cette enquête ont montré que les étudiants grecs
considèrent les cours de langue, de didactique et de traduction plus utiles que les cours
de littérature. De même, parmi les quatre Section offertes au Département d’Athènes, la
section de littérature est apparue la moins intéressante aux yeux des étudiants. Les
résultats de cette première enquête ont été assez décevants concernant les cours
littéraires et ont constitué une motivation supplémentaire pour la réalisation de notre
propre recherche sous forme d’enquête approfondie auprès des étudiants et des
enseignants concernés.
12 Les terrains et les méthodes d’enquête sont présentés dans la deuxième partie de ce
travail. Le premier chapitre est consacré à la description des différentes étapes de
démarche scientifique qui ont été suivies et respectées pour la conception et la
réalisation de l’enquête. Inspiré du concept de la triangulation, il expose les raisons
favorables à l’utilisation d’instruments différents pour récolter des informations sur un
même phénomène. Il explique ainsi le choix de combiner la recherche quantitative et

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qualitative. Les deux approches ont été complémentaires et elles ont permis d’enrichir
les résultats et les observations de la recherche.
13 Le chapitre II aborde le premier outil de recherche, le questionnaire. Il s’intéresse
d’abord à la présentation de quelques notions de base en statistique nécessaires pour
l’élaboration et l’analyse des données. Par la suite, il élabore les différentes phases
mises en place pour la réalisation de l’enquête quantitative. Le questionnaire élaboré a
comporté trois séries de questions, distribuées sur cinq pages. Il proposait des
questions claires et courtes afin d’être facilement compréhensibles par les étudiants. Il
comprenait des questions dichotomiques et multichotomiques, des questions avec
classement hiérarchique, des questions avec échelle de fréquence mais également des
questions ouvertes. L’approche quantitative a visé à recueillir des données observables
comme par exemple le niveau linguistique des étudiants, leurs préférences en
littérature, la fréquence de certaines approches utilisées en classe etc.
14 L’échantillon constitué est de 126 étudiants, dont 14 hommes et 112 femmes de
l’Université nationale et capodistrienne d’Athènes et de l’Université Aristote de
Thessaloniki. L’absence d’assiduité de nombreux étudiants aux cours universitaires
explique la relative modestie de l’échantillon. Les résultats des questions qui se
focalisent sur la quantité de lecture et sur les objets lus, montrent que les genres de
romans que les étudiants lisent dans leur quotidien ne correspondent pas à ceux qu’ils
étudient dans le cadre de leurs études. Plusieurs étudiants ont manifesté leur intérêt
pour la littérature contemporaine et pour la littérature érotique dont l’étude reste
exclue à l’université. Ils ont également montré leur faible intérêt pour les cours
littéraires contrairement aux cours de traduction et de didactique. Leurs réponses ont
montré que leur niveau linguistique en français varie beaucoup et se limite le plus
souvent, au niveau B2. Pour cette raison, dans bien des cas, les cours de littérature se
concentrent beaucoup sur le développement des compétences langagières. La plupart
des étudiants déclarent que l’étude de la littérature à l’université les aide surtout à
développer leur vocabulaire et à améliorer leurs connaissances en grammaire.
15 Le chapitre II présente les résultats des questions ouvertes qui se focalisaient d’une part
sur les représentations des étudiants et d’autre part sur des propositions
d’enseignement pour les cours de littérature. Les auteurs les plus cités par les étudiants
(Hugo, Baudelaire, Balzac) témoignent des préférences des enseignants et de la grande
importance qu’ils accordent aux auteurs du XIXe siècle. Inversement, les écrivains
francophones ou d’expression française n’apparaissent que peu. Même si plusieurs
étudiants n’ont pas répondu aux questions ouvertes qui portaient sur des améliorations
potentielles de l’enseignement, la grande majorité d’entre eux a déclaré qu’ils
désiraient des cours plus interactifs et que l’introduction des Technologies de
l’information et de la communication pour l’éducation (TICE) pourrait contribuer à
stimuler leur intérêt.
16 Le chapitre III porte sur la recherche qualitative réalisée auprès des étudiants et des
enseignants de littérature. Comme ces deux publics interrogés sont complémentaires et
interdépendants, l’enquête a voulu croiser les deux regards et comprendre s’ils se
rejoignent ou non. Pour cette raison, les deux guides d’entretien ont été presque
identiques. La réalisation de 24 entretiens semi-directifs avec des étudiants ainsi que de
9 entretiens avec les enseignants du département d’Athènes et de Thessaloniki a offert
un vaste corpus de données. Les 24 entretiens avec les étudiants ont été réalisés en grec
et ont été traduits en français, le plus fidèlement possible.

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17 Le guide d’entretien a été élaboré en fonction des thèmes et des objectifs fixés et il
comprend trois axes : l’enseignement et l’apprentissage de la littérature, les
représentations sur la littérature ainsi que les évaluations et les propositions. Ainsi, les
catégories et les sous-catégories pertinentes qui ont été dégagées correspondaient aux
trois axes du guide de l’entretien. Pour chacun des entretiens une fiche-résumé a
d’abord été construite. Puis, les données correspondant aux trois catégories ont été
soulignées avec trois couleurs différentes afin d’être classifiés.
18 La description des pratiques et des méthodologies a souvent été accompagnée de
critiques de la part des étudiants. Leurs réponses et leur position générale durant les
entretiens ont permis de dégager trois profils d’étudiants en fonction de leur degré de
satisfaction. De même, les conceptions des enseignants sur l’enseignement de la
littérature, leurs témoignages concernant les approches et les textes à aborder ont
permis de les distinguer et de construire trois profils différents. Les différents types de
profils proposés ne sont pas exclusifs car plusieurs enquêtés peuvent se retrouver dans
deux types présentés et avoir des caractéristiques d’une deuxième catégorie.
19 Les discours des enseignants et des étudiants ont révélé les représentations qu’ils se
font de la littérature. D’abord, la littérature apparaît comme une des composantes
prépondérantes de la culture française. Elle est directement liée à la culture, elle la
caractérise et elle la définit. La littérature est aussi envisagée comme un voyage qui
dépayse et qui permet la découverte de l’Autre et de l’ailleurs. Les réponses des
étudiants ont également soulevé un paradoxe. Tandis qu’ils affirment que la littérature
est intéressante et indispensable pour leur culture, ils ne considèrent pas que son
enseignement soit utile pour leur vie professionnelle. Finalement, pour les étudiants
grecs interrogés, la lecture et la littérature ont deux visages ; d’un côté c’est la lecture
savante et légitime et de l’autre côté c’est la lecture ordinaire qui offre du plaisir et des
sensations.
20 Le troisième axe de l’entretien a permis aux étudiants d’exprimer leurs propositions et
leurs idées concernant l’enseignement de la littérature. Dans leur majorité ils ont
manifesté leur désir de participer activement au cours et d’interagir avec leurs
camarades. Les étudiants expliquent lors des entretiens que le cours magistral ne
correspond ni à leurs besoins ni à leurs attentes. En outre, ils affirment que le recours
aux Technologies de l’information et de la communication pour l’éducation (TICE) est
capable d’influer de manière favorable sur leur motivation. Les débats en classe sur le
sens caché des textes, l’étude des textes contemporains, la comparaison entre la
littérature et le cinéma et entre la littérature et les autres arts, la mise en place des
activités théâtrales sont des pratiques qui semblent intéressantes aux étudiants.
21 La troisième et dernière partie se penche sur l’élaboration de pistes didactiques
susceptibles de s’adapter au niveau, aux besoins et aux attentes des étudiants grecs.
22 Le chapitre I expose la nécessité de réfléchir sur des pratiques et des pistes
pédagogiques qui pourraient, tout en répondant aux besoins des étudiants, contribuer à
l’amélioration de l’enseignement de la littérature. Il explique notre choix d’articuler
cette partie autour de deux propositions centrales : les pratiques théâtrales et l’écriture
créative. Il souligne également la nécessité du recours aux TICE tout au long de ces
deux propositions.
23 Le chapitre II développe d’abord des éléments de réflexion théoriques et s’interroge sur
l’introduction des pratiques théâtrales dans les cours littéraires. Il élabore un module

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d’enseignement qui s’étale sur un semestre et correspond à douze séances. Les séances
s’intéressent à des approches de comparaison du théâtre avec d’autres arts, comme la
peinture et le cinéma et chacune d’entre elles propose des techniques dramatiques
différentes. Ces techniques visent surtout à permettre aux étudiants de s’identifier aux
héros et de s’impliquer directement dans le processus d’enseignement. Les textes qui
accompagnent les pratiques théâtrales tiennent compte des corpus enseignés
actuellement dans les deux départements mais ils ont été surtout choisis pour leurs
éléments interculturels et leur thématique susceptible de provoquer des débats et des
discussions.
24 Enfin, le chapitre III aborde des champs scientifiques interdisciplinaires comme la
théorie de la réception, la théorie de lecture, ainsi que la didactique de l’écrit. Il tente
d’expliquer les manières de passer de la lecture à l’écriture d’un texte et les facteurs
susceptibles d’influencer ce passage. Il montre les lieux de dialogue et de
communication entre l’acte de lecture et l’acte d’écriture et explique que la lecture
prépare l’écriture et la provoque. Les séances proposées s’accompagnent d’un texte
d’appui, d’une vidéo, d’une image, ayant comme objectif de servir en tant que source
d’inspiration. Le texte source fonctionne comme exemple à suivre, à transformer, à
prolonger ou à rejeter. Ces séances sont divisées en deux parties. La première partie
vise à mettre les étudiants en position de scripteurs en leur offrant un réseau d’images,
d’idées et de mots et à les confronter à un certain nombre de procédés d’écriture. Cette
partie a constitué une étape préparatoire qui conduirait à un projet d’écriture et
aboutirait à la création d’un récit bref – de quatre à huit pages – qui s’adressera soit à
des adolescents soit à des jeunes adultes.
25 La conclusion tente de faire le point et de dégager les lignes directrices de
l’enseignement de la littérature dans le cadre universitaire grec. Elle rappelle les
contraintes et les limites de la recherche réalisée ainsi que les difficultés rencontrées.
Elle explique que cette étude a tenté de surmonter plusieurs problèmes
épistémologiques avec le retour réflexif et avec la prise de recul. La conclusion présente
également les principaux résultats de la recherche en essayant de répondre aux
hypothèses émises dans l’introduction. Pour conclure, elle aborde le sujet de la « crise
des études littéraires » et souligne la nécessité de reconsidérer et de moderniser
l’enseignement de la littérature. Loin d’avoir épuisé la thématique de l’enseignement
de la littérature, ce travail ouvre des perspectives de recherches concernant les
innombrables terrains d’enquête potentiels et il exprime finalement l’intérêt de la mise
en place d’une recherche-action qui permettrait de tester les pistes pédagogiques
élaborées in situ.

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Clara Ferrão Tavares et Jacques


Cortès (coord.). Avec Robert
Galisson, réhabiliter la Culture
comme discipline universitaire à
part entière, nº 4, Revue Synergies
Portugal.
En ligne : http://gerflint.fr/Base/Portugal4/portugal4.html

Serge Borg

1 À l’ère du nécessaire questionnement épistémologique qui interroge les territoires


profonds des disciplines-carrefour en sciences humaines et sociales, telles que la
didactique des langues et des cultures, explorer l’œuvre de celui que d’aucuns
considèrent (à juste titre) comme l’un de ses pères fondateurs, n’est pas une entreprise
aisée. Remettre en perspective l’itinéraire de réflexion qui l’a amené à construire
progressivement ce champ disciplinaire, tout en lui assignant une nouvelle mission
pour ce troisième millénaire, à savoir : celle de réhabiliter la culture comme discipline
universitaire à part entière ; constitue un noble objectif que les auteurs, au travers de
leur(s) article(s) publiés dans ce quatrième numéro de la revue Synergies Portugal, se
sont employés à définir sur le registre de l’essai.
2 Force est de constater qu’ils y sont parvenus, en identifiant de manière tantôt implicite,
tantôt explicite, les multiples disciplines contributoires ayant façonné sa pensée
didacticienne, lesquelles l’auront conduit à les classer rigoureusement en « discipline
d’appoint et discipline d’appui ». Si l’on peut regretter que ce numéro fasse la part trop
belle à la linguistique descriptive, notamment dans sa composante lexicographique, on
ne peut que se réjouir de constater que sous l’égide d’une éclairante historicité, il pose
les fondements mêmes d’une réflexion pertinente qui préfigure non pas la ré-
habilitation de la culture comme discipline universitaire (le préfixe - re - suppose
qu’elle l’aurait déjà été), mais une véritable intégration officielle et académique, dans

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l’offre de formation aux étudiants de licence et de master, autre que sous les
traditionnelles appellations déviantes et circonvoisines que sont l’anthropologie, la
littérature et/ou la civilisation (pour n’en citer que quelques-unes).
3 On soulignera avec intérêt, la confluence des courants de pensée des différents auteurs
qui régit, dans une harmonie constructive, l’identité de ce numéro où la perspective
l’emporte volontairement sur le bilan (historicité nécessaire mais maitrisée), en évitant
ainsi l’écueil de la nécrologie pour se tourner résolument vers un avenir qui place la
culture au cœur des problématiques sociétales contemporaines et à venir. Parce que les
contributions des différents auteurs soulignent, à des degrés divers mais bien réels, que
le dialogue des langues et des cultures, pour éviter toute forme de repli ethnocentrique,
« choc des civilisations » et autres formes de radicalisation auxquelles nous assistons
aujourd’hui, suppose un enseignement de la culture où sa dimension archipélagique se
verrait remembrer, au sein d’une discipline transversale en sciences humaines et
sociales.
4 De même, ce numéro a le mérite de poser, sans tabou, les questions fondamentales liées
au projet et à l’objet de la discipline, et par là, à l’enseignement de la culture qui en
émane. En témoigne le glissement de champ sémantique dans l’intitulé même du
domaine, comme l’attestent les titres de certains dictionnaires allant de « la didactique
des langues » (Robert Galisson/Daniel Coste) à celui de « Français langue étrangère et
seconde » (Jean Pierre Cuq et Isabelle Gruca).
5 Il y a là un changement de paradigme manifeste où le critère de diffusion des langues et
plus particulièrement du français comme langue non-maternelle, inscrit de fait ce
domaine complexe (au sens de la pensée complexe d’Edgar Morin), dans une logique de
politique linguistique – éducative, dont Robert Galisson avait donné les outils de base,
avec son « Appareil conceptuel/matriciel de référence pour la didactologie – didactique
des langues-cultures » (1990).
6 Enfin, ce numéro 4 de Synergies Portugal, remarquablement coordonné par Clara Ferrão
Tavares et Jacques Cortès, consacre définitivement Robert Galisson dans sa dimension
visionnaire et fédératrice qui se traduit, par l’usage ciblé du « trait d’union ». Puisqu’il
s’agit ici d’une entreprise de revalorisation de la culture, c’est bien à Robert Galisson
que nous devons l’attelage « Langue – Culture », un trait d’union dans la pensée
didacticienne, à la charnière entre deux siècles, entre standardisation et
contextualisation, entre enseignement et apprentissage, entre théorie et pratique, et
entre didactique et didactologie. À bien des égards, Robert Galisson restera à jamais
« l’homme du trait d’union », ce que cet ouvrage du GERFLINT, le groupe d’études et de
recherches pour le français langue internationale, présidé par Jacques Cortès, sera
parvenu à démontrer.

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AUTEUR
SERGE BORG
Université de Franche-Comté

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