Rémy GUERINEL

La figure de Marcel Jousse (1886-1961) est quasi absente des histoires disciplinaires comme des ouvrages de son époque. Au déficit d’éléments de contexte du chercheur s’ajoute un déficit de confrontation de son œuvre avec des pensées récentes. Son œuvre est semblable à un iceberg avec deux pointes émergées que sont la trilogie posthume de L’Anthropologie du geste (1968) et son premier ouvrage Le Style oral (1925). La majeure partie reste immergée, ce sont ses mille cours non édités en livre mais maintenant numérisés et explorables. Dans ses traces, il se raconte, ce qui permet de reconstituer son réseau de relations, faisant apparaître des maillons manquants éclipsés ou célèbres. Cet article tente de relier la vision révolutionnaire de Marcel Jousse sur l’éducation telle qu’il la présente dans ses cours avec celle du penseur critique de la société industrielle Ivan Illich (1926-2002) par le biais d’un maillon manquant, Milman Parry (1902-1935), le spécialiste américain des formules ...

Lorsque l'on s'intéresse à la vie et aux recherches du professeur Marcel Jousse (1886-1961), s.j., professeur d'anthropologie linguistique à l'Ecole d'anthropologie de Paris de 1933 à 1951, le chemin apparaît vite d'accès difficile, d'autant plus si la rigueur est de mise.. Tout se passe comme dans une ascension d'un haut sommet où l'on serait toujours confronté à des parois lisses, empêchant toute prise et donc toute montée réelle. Certes de loin le sommet est admirable, mais pour le voir d'un peu plus près la montée s'avère redoutable. Dans cette perspective, Jousse apparaît plus comme un bel aérolithe qui vient d'on ne sait où et dont on se sait trop que faire que comme un chercheur dans l'histoire. Un travail de mise en perspective est pourtant incontournable si nous voulons parler de lui intelligiblement ailleurs que dans un petit cercle d'initiés.

Un homme que j'aime plus que moi-même : Péguy. S26/02/1942
Combien de professeurs m'ont dit : « quel dommage que notre pauvre Péguy ne soit plus là ! comme il vous aurait aimé ! » S08/03/1934
On a dit que Péguy faisait du Jousse sans le savoir et c'est juste. HE11/04/1945
La meilleure réalisation de tout ce que je tente d'expliquer, je la vois en Péguy. HE04/06/1940

L'abbé Rousselot, malgré sa profonde conviction que l'étude de la parole doit nécessairement passer par un appareillage technique-ce qui le conduira à expérimenter toute sorte de méthodes scientifiques-exclut cependant toute utilisation de l'image animée pour ce type d'investigation. Nous aurions pu avancer comme argument à ce refus, ses fonctions ecclésiastiques, qui culturellement auraient empêché l'utilisation d'un moyen trop « spectaculaire » et « vulgaire ». Cette hypothèse n'est pas très convaincante, car les travaux de l'abbé Rousselot vont inspirer un de ses élèves, le jésuite Marcel Jousse qui voyait dans le cinéma « un outil scientifique de toute première valeur » 1. Nous venons grâce à Rémy Guérinel de découvrir ses écrits ; le texte qui suit ne constitue qu'une toute première étape documentaire d'une recherche en cours. Il nous semble important, malgré tout, de donner un aperçu de ses travaux, car non seulement ils sont inédits, mais de surcroît leur contenu interdisciplinaire est susceptible d'intéresser tant les historiens de la physiologie du mouvement, que les ethnologues et anthropologues. G. P.

Le dossier biographique de Pierre Janet est lacunaire. Par ailleurs, quand il a été exploré, il l'a été en rapport avec l'histoire de la psychopathologie. Par contre, il a encore été peu étudié avec minutie dans une perspective principalement biographique. Nous proposons dans cette intervention d'ouvrir à nouveau le dossier et d'explorer des sources de première main mais en changeant le point de vue habituel. Nous prendrons une perspective originale, celle que suggère Marcel Jousse (1886-1961), cet auditeur et « disciple fidèle » du Professeur, qui rapprochait Pierre Janet des paysans. Nous nous intéresserons tout d'abord à ce que Pierre Janet lui-même considère comme premier par rapport à la pensée à savoir les actions, et donc à ses propres actions. Nous recueillerons et classerons finement des témoignages biographiques en lien avec la botanique et le jardinage. Jardinage et herborisation apparaîtront comme des actes caractéristiques et, d'une certaine façon, automatiques de Pierre Janet. Enfin nous proposerons quelques traces de ces actes repérés dans ses propres écrits. Une cohérence cachée, qui pourrait bien être centrale, émergera ainsi dans la vie de Pierre Janet. Elle ira du jardinage de son enfance aux débuts de l'intelligence, thème des ouvrages finaux pour lesquels, avoua-t-il, il conserva « une sympathie particulière ».

Cet exposé propose de faire le point d'un travail encore en cours sur les liens entre Pierre Janet et Marcel Jousse (1886-1961), professeur d'anthropologie linguistique, qui est présenté en 1927 par Frédéric Lefèvre dans les Nouvelles Littéraires comme « un de ses plus célèbres et de ses plus fidèles disciples (…) qui a su appliquer avec une jeune maîtrise et sur un terrain encore inexploré les idées fondamentales de la psychologie de Pierre Janet ». Des extraits du corpus inédit d'interventions orales de Marcel Jousse nous donneront la matière d'un éclairage singulier sur Pierre Janet, écouté, interprété et prolongé par un chercheur original. Le rapport maître/disciple entre les deux hommes fait apparaître une façon commune d'épouser les sinuosités du réel, finement observées. Les deux hommes partagent une pratique exercée de mémorisation sur laquelle vient se greffer une grande rigueur d'observation. Ils partagent dans leur expérience et dans leur conception une approche globale de la pensée humaine replaçant le cerveau dans l'ensemble du corps humain. Leur expérience, longue et décantée, est formalisée, dans leur enseignement, dans des exemples simples mais porteurs d'une réalité bien plus large, ce qui en fait des professeurs clairs.