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Colloque AGER VIII De la ferme au palais. Les établissements ruraux antiques de Bourgogne du Nord, iie-ive siècles p.C. Pierre Nouvel avec la collaboration de Bernard Poitout, Michel Kasprzyk Dès le xIxe siècle, la publication des sites de Chiragan ou d’Athée confirma l’existence de sites ruraux de très grande richesse, rapidement qualifiés de villa. Leur renommée, autant qu’un faible intérêt pour le monde rural, les consacra jusqu’aux années 1960 comme les témoins caractéristiques du réseau d’habitats des campagnes gallo-romaines. En effet, les multiples études menées en Gaule du Nord entre 1840 et 1960 ne concernèrent que les établissements les plus riches, les plus aisément identifiables et les plus attrayants pour les érudits. Cette sélection documentaire consacra le modèle de la villa, habitat rural aristocratique et centre d’un fundus, forme d’organisation du territoire qui se serait étendue sans nuance sur l’ensemble des provinces occidentales. Ce domaine1 était imaginé comme un modèle récurrent, associant un centre domanial aristocratique (la villa), aux caractères architecturaux similaires d’une région à l’autre, à des centres d’exploitation secondaires et dépendants, où s’observeraient quelques spécificités régionales. Cette notion de fundus “à la gauloise” s’était appuyée sur l’exploitation conjointe des agronomes latins (décrivant une réalité italienne et méditerranéenne) et des textes du haut Moyen Âge (décrivant l’unité territoriale et fiscale de la villa carolingienne). Cette question restera centrale pour les études rurales jusqu’au début des années 1970, celles de la variété 1- Grenier 1934, 884-888. et de l’évolution des formes architecturales du peuplement faisant figure de points secondaires. La faible place laissée par Albert Grenier à cette question est tout à fait symptomatique du modeste intérêt alors porté aux formes de l’habitat rural2. Comme le résume fort bien C. Gandini, “l’attention des chercheurs était plus centrée sur la romanité que sur les caractéristiques propres de l’habitat rural galloromain”3. Le développement de la prospection aérienne, à partir des années 1960, réorienta rapidement la réflexion sur les formes du peuplement elles-mêmes. Dès cette période, une série d’études permit l’élaboration de corpus régionaux, déterminant des hiérarchies formelles fondées sur la variété des formes architecturales repérées. Les travaux menés en Picardie, en Bretagne, en Charente, en Bourgogne ou en Berry ont largement complété la documentation disponible4. Ils ont surtout contribué à dévoiler des hiérarchies plus complexes que celles qu’a proposées A. Grenier, autant que l’existence de spécificités locales. L’exploitation exclusive des données planimétriques contribua cependant à entériner le schéma d’une opposition nette entre une catégorie de sites qualifiés de villas (sous-entendues aristo- 2- Grenier 1934, 813-819. 3- Gandini 2006, 18 4- Picardie : Agache 1978 ; Bretagne : Langouët 1991 ; Charente : Marsac 1991-1993 ; Bourgogne : Uffler 1981 ; Berry Holmgren & Leday 1981. 362 LEs foRMEs DE L’HABItAt RURAL GALLo-RoMAIN cratiques) et la masse des fermes de tradition indigène (orientées vers la production et supposées dépendantes des premières5). Cette vision quelque peu caricaturale, conséquence de l’exploitation unique de l’analyse formelle des organisations internes, trouva naturellement ses limites. Comme le soulignaient déjà E.-M. Wightman puis A. ferdière, les lacunes dans les données chronologiques et fonctionnelles limitaient largement la portée de ces premières ébauches typologiques6. Il convenait de prendre en compte d’autres critères, en particulier économiques, fonctionnels, sociaux et surtout chronologiques pour mieux appréhender la variété des campagnes de la Gaule interne. La rationalisation des méthodes et la mise en place de programmes de prospection terrestre systématiques leur donnèrent rapidement raison. L’essentiel des sites identifiés lors de ces premières tentatives7 correspondait en effet à des établissements de faible étendue, mais dont le mobilier ne se distinguait guère de celui des sites traditionnellement considérés comme des villas. La question fut largement réévaluée par le développement de l’archéologie préventive à partir de la fin des années 1980. touchant aléatoirement toutes les formes d’occupation du territoire, elle fournit une masse de d’informations de qualité en Gaule du Nord. Exploitant le mobilier recueilli et s’appuyant sur des données stratigraphiques, ces travaux permirent enfin de croiser les hiérarchies formelles élaborées à partir des prospections aériennes aux indices fonctionnels et chronologiques. Cette démarche profita essentiellement aux périodes jusque-là sous-documentées, en particulier les premiers temps de la domination romaine et ceux de l’Antiquité8. Elle mit en évidence, pour chacune de ces phases, la complexité des phénomènes observés, la variété des hiérarchies identifiées et l’importance des spécificités régionales. Devant ce constat, tout confirme la nécessité de recourir à des analyses croisant des facteurs variés, les formes 5- Harmand 1988. 6- Wightman 1975 ; ferdière 1988. 7- ferdière 1982. 8- Premiers temps de la domination romaine : Bayard & Collart, dir. 1996 ; Marion & Blanquaert 2000 : 12 ; Malrain et al. 2002, p. 40-55 ; fichtl dir. 2006 ; Antiquité tardive : Van ossel 1992 ; Réchin, dir. 2006 ; Kasprzyk 2005 ; Kuhnen 2003. – CAtALoGNE, GAULE architecturales ne constituant pas, dans la plupart des cas, un caractère hiérarchique évident. Paradoxalement, cette remise en cause des critères hiérarchiques traditionnels et la relecture des données ont été moins importantes sur la période centrale de l’Antiquité. La publication de synthèses régionales, les discussions sur les hiérarchies observées9 et les termes utilisés10 n’ont connu un débat véritablement dynamique et constructif qu’en Gaule méditerranéenne. En Gaule interne, les synthèses manquent encore largement pour cette période, phénomène déjà souligné au début des années 199011. Les monographies de sites restent aujourd’hui peu nombreuses12, même si les réflexions sur les fonctions et les activités des établissements ruraux commencent à profiter largement de l’accroissement des données 13. face à cette carence, les modèles conceptuels interprétant les organisations spatiales et les hiérarchies rurales restent donc largement influencés par les découvertes et les études méditerranéennes, mieux abouties, malgré la publication d’études récentes14. Dans un tel cadre, il nous a paru intéressant de présenter l’apport des données recueillies en Bourgogne du Nord. L’abondant corpus de cette zone repose, pour une large part, sur les multiples campagnes de prospections aériennes qui touchèrent régulièrement et systématiquement le centre et le sud-est du département de l’Yonne entre 1973 et 2002 (fig. 115). Coordonnés par Jean-Paul Delor, ces travaux ont accru l’abondante moisson de découvertes réalisées par les érudits du début du siècle et des années 1950-196016. Ils se sont accompagnés d’une série de prospections terrestres et de campagnes de sondages menées par des associations locales et de plusieurs fouilles préventives au cours des années 1990. De nombreux sites ont ainsi bénéficié de ramassages de mobilier et 9- Leveau et al. 1999. 10- Garmy & Leveau 2002 ; Leveau 2006. 11- Chouquer et al. 1991. 12- Barat 2005 ; Alfonso & Blaizot 2004 ; Quérel & feugère 2000 ; Van ossel & Defgnée 2001. 13- ouzoulias 2005 ; Pannetier 1996 ; Polfer 1999. 14- Bertoncello & Gandini 2005 ; Dousteyssier et al. 2006 ; ouzoulias 2007. 15- Baray, dir. 2004. 16- Delor, dir. 2002, 55-60. 363 LEs étABLIssEMENts RURAUx ANtIQUEs DE BoURGoGNE DU NoRD, IIe-IVe sIèCLEs P.C. Capitale de cité au IIIe siècle de notre ère Melun Au be e Sein Limite supposée des cités au IIIe siècle de notre ère Troyes Augustobona ne Yon Ville repère actuelle Limite départementale Cité des Tricasses Sens Agedincum Se ine Zone d’étude globale se Zone atelier de Noyerssur-Serein ayeu e cr Cité des Sénons Joigny n pag ham C Cité des Lingons St-Florentin Tonnerre Ou Chablis an Auxerre Loi n g plate aux c e rgogn ou sse B ne e Ba es d alcair Noyers-sur -Serein Arm an e Cur çon ine n Yo re Loi Pla Terre ne 50 km Cité des Eduens in 0 Morvan Sere Cité des Bituriges Avallon ——— Fig. 1. Localisation de la zone d’étude. ——————— d’inventaires complets qui permettent, grâce à la mise en place d’une typochronologie céramique locale, une datation précise de leur fréquentation 17. L’ensemble de ce dossier a fait l’objet d’une publication détaillée et d’une étude synthétique18. Ces différentes sources mettent à disposition, sur cette zone d’environ 200 km², un corpus de 2780 sites fréquentés entre la fin de l’âge du Bronze et le haut Moyen Âge, dont 1281 correspondent à des établissements ruraux gallo-romains (fig. 2). Nous regroupons sous ce vocable ubiquiste, mis à l’honneur par P. Van ossel19, l’ensemble des sites d’habitat intercalaires. Nous mettrons donc de côté les sites qui peuvent être considérés comme des habitats groupés (agglomérations de taille et de fonction diverses), les sanctuaires et les nécropoles. L’exclusion des habitats groupés, en particulier, pourrait être discutée, l’importance des activités agricoles dans les agglomérations du sud de la france ayant été récemment réévaluée20. toutefois, la recherche peine encore à conclure à un phénomène similaire en Gaule interne, bien que l’existence de quelques villages paysans ait été proposée21. Nous excluons également de notre étude un certain nombre d’établissements spécialisés dans l’extraction et la production du fer, dont la description a déjà été proposée ailleurs22. Les sites concernés par cet article développent donc, d’après les résultats des prospections et les multiples fouilles et sondages réalisés, une activité essentiellement agricole, au moins durant les trois premiers siècles de notre ère. Ils forment l’essentiel des points de peuplement de ces régions, les habitats groupés, quoique nombreux et dynamiques, restant 17- Nouvel 2004, 107-122. 18- Delor, dir. 2002 et Nouvel 2004. 19- Van ossel 1992. 20- Garmy & Leveau 2002. 21- Mangin et al. 2000. 22- Nouvel soumis. 364 LEs foRMEs DE L’HABItAt RURAL GALLo-RoMAIN – CAtALoGNE, GAULE Ensemble des établissements ruraux antiques identifiés dans la zone d'étude (n=1281) Établissement ruraux fréquentés au IIIe siècle et sur lesquels nous disposons d'informations suffisantes pour être retenus dans cette étude (n=456) 0 10km St-Florentin Joigny Tonnerre Auxerre Noyers-sur-S. Avallon ——— Fig. 2. Localisation et densité des établissements ruraux antiques sélectionnés pour l’étude. ——————— LEs étABLIssEMENts RURAUx ANtIQUEs DE BoURGoGNE DU NoRD, IIe-IVe sIèCLEs P.C. largement minoritaires dans le paysage. Ces établissements ruraux atteignent d’ailleurs des densités relativement importantes, de l’ordre d’un site pour 200 hectares dans les régions les moins densément mises en valeur (comme la Champagne crayeuse) et jusqu’à un site pour 25 hectares dans certaines portions de vallées des plateaux de Basse Bourgogne23. Il apparaît d’autre part que l’occupation est maximale dans cette région au cours du IIIe siècle de notre ère24. Nous nous contenterons donc de confronter les organisations internes et les indices hiérarchiques des établissements bien documentés fréquentés à cette période. Parmi les 1281 établissements ruraux antiques identifiés, 456 (fig. 2) répondent aux critères énoncés ci-dessus. Grâce au croisement des données de prospections terrestres et aériennes et aux informations livrées par les fouilles, nous disposons d’informations précises sur leur localisation et leur assiette, leur période de fréquentation et leurs caractères hiérarchiques (inventaire de différents types de mobiliers par présence / absence). on remarque au centre de la figure 2, localisant l’ensemble de ces sites, une concentration d’informations de qualité dans la région de Noyerssur-serein. Elle est le fruit d’un programme de recherche spécifique, mené au cours des dix dernières années. Il a mis à disposition un corpus homogène, s’appuyant sur les résultats de prospections terrestres, corroborés par une série de fouilles et de sondages ponctuels. Dirigé par B. Poitout, M. Kasprzyk et P. Nouvel, il s’est étendu sur une dizaine de communes entre 1997 et 2002. La région concernée, située à l’époque antique aux confins des territoires des cités des éduens, des Lingons et des sénons, présente des contraintes naturelles variées, caractéristiques du Bassin Parisien, que l’on peut résumer à une opposition entre des étendues de plateaux calcaires (partiellement recouverts de placages limoneux et plus ou moins arides) et de vallée profondes, étroites et tortueuses. Les travaux de terrain se sont essentiellement appuyés sur des prospections terrestres qui se sont voulues systématiques. Au cours de ces six années, près de 63 % de la superficie totale ont été parcourus 23- Nouvel 2004, 404, fig. 249. 24- Nouvel 2006b. avec les méthodes maintenant acceptées partout25. Cela nous permet de disposer de données homogènes, présentant une certaine continuité territoriale. Le mobilier relativement abondant recueilli sur les sites de l’Antiquité, permet de proposer pour chacun des fourchettes d’occupation relativement précises. De plus, les prospections aériennes et une série de fouilles et de sondages éclairent, pour un certain nombre d’entre eux, leur organisation interne. sur les 273 établissements ruraux qui y ont été reconnus, 193, occupés au IIIe siècle, présentent des informations de qualité concernant leur superficie (et parfois leur organisation interne), leur durée de fréquentation et la nature du mobilier et des aménagements réalisés (inventaire systématique du mobilier recueilli). Nous avons donc là à disposition une zone atelier de bonne qualité pour préciser ou nuancer les observations tirées de l’étude générale du corpus du sud-est du département de l’Yonne. Comme dans les autres régions de Gaule du Nord, un survol rapide de cette documentation permet d’opposer des établissements de grande taille, luxueusement équipés et largement pourvus en matériaux exogènes, à d’autres, plus modestes d’après leur superficie et leurs modes de construction et de décoration. Ce constat, déjà souligné ici depuis bientôt trente ans26, se devait d’être confirmé et, si nécessaire, nuancé par une approche systématique fondée sur un échantillon statistique adéquat. Nous reprendrons pour cela une approche typologique. Elle visera à croiser, plus particulièrement, les critères architecturaux (superficie, organisation internes) fonctionnels (équipement interne) et sociaux (matériaux utilisés et richesse de la décoration). La notion même d’habitat implique en effet la prise en compte simultanée des caractères architecturaux, fonctionnels et sociaux, dans un environnement aux potentialités variables. C’est dans cette direction que se sont depuis plusieurs décennies orientées les synthèses régionales. Les plus récentes27 cherchent avant tout à systématiser cette approche, en utilisant parfois, à la suite des expériences méridionales, des 25- ferdière & Zadora-Rio, dir. 2001, fig. 3. 26- Uffler 1981. 27- Bertoncello & Gandini 2005 ; Dousteyssier et al. 2006 ; ouzoulias 2007. 365 366 LEs foRMEs DE L’HABItAt RURAL GALLo-RoMAIN analyses factorielles croisées28. Au sein de cet article, nous nous limiterons à une démarche traditionnelle, le traitement factoriel des données présentées ici étant en cours au sein du programme Archaedyn. L’ExIstENCE D’UNE HIéRARCHIE foNCtIoNNELLE, foNDéE sUR LA sUPERfICIE Et LEs foRMEs ARCHItECtURALEs Les différences les plus aisément observables, au sein de ce corpus, concernent les superficies occupées par ces établissements. Les données observées sur les 193 établissements documentés dans la région de Noyers-sur-serein, élaborées selon des critères fiables et homogènes, sont représentatives de cette variété. Leurs différentes – CAtALoGNE, GAULE assiettes (en hectares), classées de la plus retreinte à la plus étendue, sont présentées sur la figure 4. on note que ces sites s’étendent sur une superficie comprise entre 10 m² et un peu moins de 3 hectares. Ces mesures correspondent à l’extension maximale des épandages de mobiliers observés au sol et ne se limitent donc pas à la seule emprise des constructions. trois populations distinctes peuvent être identifiées à partir de ce document. — La première, représentant moins de 5 % des établissements concernés, comprend des épandages inférieurs à 1000 m². — La majorité correspond à des établissements de taille moyenne, dont l’assiette maximum s’étend sur 300 à 10 000 m², le plus souvent entre 3000 et 8000 m². Établissement rural occupé au IIIe siècle de notre ère Parcelles prospectées systématiquement Le Serein (rivière) Noyers 0 28- Gandini 2006. 5km ——— Fig. 3. Les établissements ruraux occupés au milieu du IIIe siècle de notre ère dans la région de Noyerssur-Serein. ——————— 367 LEs étABLIssEMENts RURAUx ANtIQUEs DE BoURGoGNE DU NoRD, IIe-IVe sIèCLEs P.C. 3ha 2ha 1ha 0 ——— Fig. 4. Ventilation des sites selon leur assiette dans la région de Noyers-sur-Serein. ——————— — Une minorité de sites, de l’ordre de 20 %, dépasse cette superficie, pour certains très largement. Ces catégories ne sauraient, cependant, être considérées comme représentatives d’une hiérarchie fonctionnelle sans un croisement avec d’autres critères. Comme dans les autres régions de la Gaule du Nord disposant de campagnes de prospection aérienne intensives, il apparaît rapidement possible d’identifier plusieurs groupes de sites, se différenciant par la complexité plus ou moins grande de leur organisation interne. Grâce aux prospections aériennes, parfois complétées par des fouilles ou des sondages, nous disposons ici d’environ 150 plans d’établissements ruraux antiques plus ou moins complets, dont près de 30 concernent les sites repérés dans la zone d’étude de Noyers-sur-serein. Cette documentation permet d’ébaucher une typologie régionale des formes architecturales observables au cours de l’époque gallo-romaine. Le croisement de cette typologie avec les données concernant les superficies occupées révèle des oppositions marquées, entre des établissements de très grande taille, bien structurés, et d’autres de plus petite taille et moins organisés. Les établissements de petite superficie correspondent à des occupations spécifiques ou marginales. Dans la région de Noyers-sur-serein, il s’agit pour moitié d’occupation de grotte, pour l’autre de petits bâtiments en matière périssable, plus rarement en pierre, isolés et de très faible étendue. Ils correspondent peut-être à des bâtiments techniques, qui pourraient être nommés, comme cela a été proposé en Languedoc, annexes agraires 29. Nous ne disposons cependant pas d’informations suffisantes garantissant qu’ils n’abritaient pas d’habitats permanents. Ils seront nommés ici ER1 (fig. 7). La carte (fig. 5 ci-contre) montre qu’ils restent marginaux (5 %, fig. 6) et ne représentent pas, au sein de ce corpus livré par la prospection aérienne, un pourcentage plus important que celui qui a été observé, au sol, dans la région de Noyers-sur-serein. 400 337 300 200 100 57 25 0 ER1 ER2 ER3 37 ER3a ——— Fig. 6. Population des différents types d’établissements ruraux antiques d’après leur superficie. ——————— 29- favory & fiches, dir. 1994. 368 LEs foRMEs DE L’HABItAt RURAL GALLo-RoMAIN – CAtALoGNE, GAULE Ensemble des établissements ruraux identifiés dans la zone d'étude (n=1281) Établissement ruraux retenus pour l'étude (n=456) : Établissement type ER1 (n=25) Établissement type ER2 (n=337) Établissement type ER3 (n=57) Établissement type ER3a (n=37) St-Florentin Joigny Tonnerre 0 10km Auxerre Noyers-sur-S. Avallon ——— Fig. 5. Localisation des différents types d’établissements ruraux observés dans la zone d’étude. ——————— 369 LEs étABLIssEMENts RURAUx ANtIQUEs DE BoURGoGNE DU NoRD, IIe-IVe sIèCLEs P.C. ER1 a: Établissement rural de faible statut (ER1) ER2 B ER3 P.R. T b : Établissement rural de statut moyen (ER2), à plan centré et partie résidentielle à plan longiligne P.E. Mur de clôture entre pars urbana et rustica longiligne mur d'enceinte c : Établissement rural de statut supérieur (ER3), plan linéaire, pars urbana à plan linéaire. P.R. B ER3a P.R. cour centrale T P.E. Partie résidentielle B Bâtiment d'habitation (B = balnéaires) Fa Sanctuaire domanial P.E. Partie exploitation Fa Bâtiment d'exploitation d : Établissement rural de très fort statut (ER3a), plan linéaire, pars urbana à plan centré. T Tour porche ——— Fig. 7. Typologie des établissements ruraux de la période gallo-romaine d’après leur organisation interne. ——————— L’essentiel des occupations rurales (74 %, fig. 5 et 6) correspondent à des établissements de taille moyenne, dont l’organisation interne, récurrente, est révélée par de nombreux clichés aériens. Nous les nommerons ici ER2. Les quelques exemples et le schéma présentés sur la fig. 7 possèdent des caractères communs. Ils adoptent des plans centrés, que l’on pourrait qualifier de traditionnels ou de fonctionnels et s’étendent sur une superficie moyenne (1000 à 10 000 m²). Le regroupement des bâtiments d’habitation et des communs se fait autour de la même cour, à l’image des fermes briardes ou de Basse-Bourgogne (fig. 8). Leur plan stéréotypé tend vers le carré (plus rarement vers le rectangle sur les plus importants), reprenant ainsi l’organisation traditionnelle de nombreux établissements de La tène finale30. Ils associent plusieurs constructions, l’habitation étant cette fois-ci nettement différenciée 30- Nouvel 2006a ; Nouvel, dir. à paraître. des bâtiments d’exploitation par son mobilier et ses matériaux. Les quinze établissements de ce type fouillés ou sondés correspondent à des établissements agricoles, associant, d’après le matériel métallique et osseux recueilli, polyculture et élevage31. Cette activité laisse une faible place à la chasse, pourtant mise en évidence sur le site de Civry-sur-serein La 31- Ils se situent essentiellement dans les vallées alluviales de l’Yonne au nord d’Auxerre (sites de Néron et des Grands Champs à Gurgy, Delor et al. 2002, 4*, 408, fig. 531, des Ormeaux à Champlay, Delor et al. 2002, 19*, 276, fig. 275) et dans la région de Noyers-sur-serein (Châtel-Gérard Cul de Vausse, Delor et al. 2002, 4*, 300, fig. 318 ; Civry-sur-serein Côme Lauthereau, Delor et al. 2002, 2*, 313, fig. 336 et 337 ; Girolles L’Épaule Gauche, Nouvel 2005b; Joux-la-Ville Les Fousseaux et Les Bouchies, Delor et al. 2002, 6*, p. 434, fig. 589 et 11*, 435, fig. 591 ; Môlay Pré des Vernes, Delor et al. 2002, 3*, 489-490, fig. 673 ; Nitry Brienne, Delor et al. 2002, 4*, 507-508, fig. 709 ; Noyers-sur-serein Puitsde-Bon, Chaumigny, Les Choumains et Les Pargues Delor et al. 2002, 14*, 512, 23*, 514, fig. 720 et 20*, 513-514, fig. 718-719). seul le site de Crain Les Corbiers (Delor et al. 2002, 3*, fig. 361-362) a été fouillé dans le sud du département. 370 LEs foRMEs DE L’HABItAt RURAL GALLo-RoMAIN Étaule Les Arpanas [89159-19] Grimault La Garenne [89194-18] Joux-la-Ville Le Fonceau [89208-07] voie ferr ée Châtel-Gérard Cul de Vausse [89092-03] – CAtALoGNE, GAULE fouille 1979 (TGV) Angely Bourg sud [89008-12] Sarry Les Hâtes [89376-19] Sarry Les Buttes [89376-13] Annoux Le Poumois [89012-02] maçonneries 0 100m ——— Fig. 8. Exemple d’établissements ruraux antiques présentant des plans de type ER2. ——————— Côme Lauthereau32. La présence résiduelle de scories de forge, probablement liée à la réparation des outils, à l’exclusion de tout autre vestige artisanal, souligne leur spécialisation agricole33. La dernière classe est composée de sites qui s’étendent sur des superficies importantes. Ils seront nommés ER3. Leur organisation interne se distingue nettement de celle des établissements ruraux de taille moyenne. Révélée par les prospections aériennes et quelques fouilles ou sondages 34, elle montre des spécificités, reposant en particulier sur une séparation claire entre zone résidentielle et communs. Elle est matérialisée par un mur percé d’une tour porche, observable sur l’ensemble des plans disponibles (fig. 9). Ce caractère peut cependant apparaître sur les établissements ER2 les plus importants35. La partie exploitation s’organise toujours en deux lignes parallèles, dégageant une longue cour qui fait face à la tour porche. Un mur de clôture 32- Poitout et al. 1998. 33- Nouvel 2006b. 34- Ancy-le-franc La Lame, Delor et al. 2002, 3*, 145, fig. 53 ; Annay-sur-serein Le Beugnon, Nouvel 2005b ; Auxerre sainteNitasse, Delor et al. 2002, 129*, 196-197, fig. 141-142 ; Arcy-surCure Les Meurgers de Girelles, Delor et al. 2002, 10*, 154-155, fig. 62 à 65 ; Brienon Thury, Delor et al. 2002, 21*, 252, fig. 236 ; La Chapelle-Vaupelteigne Les Roches, Delor et al. 2002, 4*, 289291, fig. 299 à 303b ; Escolives-sainte-Camille Pré du Creusot, Delor et al. 2002, 1*, 345-351, fig. 389 à 408 ; Grimault La Tête de Fer, Delor et al. 2002, 8* 391-393 ; Guerchy La Prière, Delor et al. 2002, 5* et 6*, 395-396, fig. 498 et 499 ; Héry La Prière, Delor et al. 2002, 18* et 19*, 422 ; Mailly-la-Ville Coutaule, Delor et al. 2002, 4*, 455 et Nouvel 2005b ; Migennes Champ de l’Église, Delor et al. 2002, 1*, 485-487, fig. 666 à 669 ; saint-André-en-terre-Plain, Les Mazières, Delor et al. 2002, 1*, 561-562, fig. 796 ; saint-Germaindes-Champs Les Grands Châgnats, Delor et al. 2002, 14*, 580-581 ; saint-Père-sous-Vézelay, Crovée-Saint-Jean, Delor et al. 2002, 12*, 608, fig. 897 ; tonnerre, Les Petits Jumeriaux et Soulangy, Delor et al. 2002, 19* et 20*, 736 et 35*, 740-741, fig. 1137-1138, Nouvel 2007b. 35- Lichères-près-Aigremont Les Champs Bontemps Delor et al. 2002, 1* p. 447, fig. 6007 ; Ravières La Malassise Delor et al. 2002, 4* p. 554, fig. 586 par exemple. 371 LEs étABLIssEMENts RURAUx ANtIQUEs DE BoURGoGNE DU NoRD, IIe-IVe sIèCLEs P.C. Temple Partie résidentielle Nécropole Temple C A Partie exploitation Partie exploitation Nécropole Balnéaires Balnéaires B Partie résidentielle Structures fossoyées ou murs récupérés Partie exploitation Maçonnerie Épandages de matériaux Partie résidentielle 0 Temple 100m Balnéaires Partie exploitation Partie résidentielle D Balnéaires Partie résidentielle Partie exploitation Partie exploitation Partie résidentielle Balnéaires E F G H 89098-06 Partie exploitation Partie résidentielle Partie résidentielle Partie exploitation Temple ——— Fig. 9. Les établissements ruraux de type ER3a de Sceaux-en-Terre-Plaine Les Craies (A), de Prégilbert Crisenon/Savigny (B), de Cravant Bréviandes (C), Gigny Gercey (D), Blannay Les Quartiers (E), La Chapelle-Vaupelteigne Les Roches (F), Vézannes La Molosme (G) et Guerchy La Prière (H) d’après le redressement des clichés aériens et les prospections terrestres. ——————— 372 LEs foRMEs DE L’HABItAt RURAL GALLo-RoMAIN 0 – CAtALoGNE, GAULE 50m Balnéaires Mur fouillé Mur visibles sur les clichés aériens Balnéaires nord-est B Balnéaires nord-ouest Cour intérieure Fossé "Aula" "Aula" Cour Intérieure Pont A A : La Chapelle-Vaupelteigne Les Roches (d'après les rapports de fouilles de J. Duchâtel et les clichés aériens de l'équipe auxerroise). B : Lucy-sur-Cure La Quincie (d'après les clichés aériens de l'équipe auxerroise et es prospections au sol). ——— Fig. 10 : Quelques exemples de parties résidentielles d’établissements ruraux de type ER3a. ——————— enserre généralement l’ensemble. Cette organisation n’est pas sans rappeler celle des établissements les plus vastes de l’indépendance gauloise36, soulignant, ici encore, la filiation entre les uns et les autres. La partie résidentielle elle-même s’organise autour d’une cour simple quadrangulaire, voire de deux cours successives, visibles sur les deux exemples présentés sur la figure 10. Parmi ces sites mêmes, deux types peuvent être individualisés, selon leur degré de rationalisation. La comparaison du plan de l’établissement de la Tête de Fer à Grimault et celui d’Asquins Vergigny-sur-Cure permet de les distinguer au premier coup d’œil (fig. 11)37. Dans le premier cas, que nous appellerons ER3, la partie résidentielle est formée d’un corps de bâtiment simple (ici une aile ouverte sur une galerie et accostée de deux constructions d’angle encadrant un bassin) et les communs sont formés de bâtiments 36- Malrain et al. 2002 ; Nouvel 2006a ; Nouvel 2006b ; Nouvel et al. à paraître 37- Delor et al. 2002, 8*, 391-393 et 3*, 161-163, fig. 77-78). disparates. si on observe bien ici la séparation entre partie résidentielle et partie exploitation, les différences sont notables avec les établissements les plus imposants. sans parler de la superficie, relativement réduite (1,3 ha), on doit noter le plan de la partie résidentielle, moins développée et sans cour centrale, et l’organisation empirique des deux ailes des communs. La fouille38 a montré que cet état de fait résidait dans la transformation lente d’un site de statut moyen (dont les bâtiments sur cour centrale ont été repérés) en un plan d’établissement de type ER3 (fig. 11A). Cette volonté s’observe tout particulièrement dans les thermes, qui ont pris place, au milieu du IIe s., dans une ancienne grange située à l’est de l’habitation (fig. 12, bâtiment II). Dans le second, ER3a, la métrique des bâtiments est beaucoup plus régulière, formée, semble-t-il, à partir de cartons précis, développant des symétries récurrentes (fig. 11B). La séparation entre partie 38- J. Duchâtel, 1955-1964, Nouvel 2006b. 373 LEs étABLIssEMENts RURAUx ANtIQUEs DE BoURGoGNE DU NoRD, IIe-IVe sIèCLEs P.C. 1er état (Ier siècle) Balnéaire 2nd état (IIe-IIIe siècles) Partie résidentielle 0 Tour porche 100 m Mur de clôture A : Grimault (d'après les relevés de fouilles de J. Duchâtel et les prospections aériennes). Partie exploitation Tour porche Voie d'accès Aqueduc Partie résidentielle Temple sur podium Seconde cour des communs Première cour des communs B : Asquins (d'après les prospections aériennes de l'équipe auxerroise). Tour porche Bassin Tour porche Fossés et bassins Pavements et mosaïques Balnéaire ——— Fig. 11. Comparaison entre les établissements ruraux d’Asquins Vergigny-sur-Cure (ER3a) et de Grimault La Tête de Fer (ER3). ——————— résidentielle et communs est beaucoup plus élaborée, comme le montrent les redressements des photographies aériennes réalisées sur les sites d’Arcysur-Cure Les Girelles39, les multiples exemples présentés sur la figure 9 ou encore le cas d’Asquins présenté sur la figure 11. Qu’ils appartiennent à la catégorie ER3 ou ER3a, ces établissements restent relativement nombreux dans le corpus global (respectivement 13 % et 8 % des sites ruraux gallo-romains, fig. 5 et 6), proportion rappelant celles des sites de grandes superficie repérés au sol dans la région de Noyers-sur-serein. Les activités qui s’y observent sont essentiellement 39- Delor et al. 2002, 10*, 154-155, fig. 62-65. agricoles. La fouille de la Tête de Fer a d’ailleurs démontré la variété des productions40. Elles associent élevage (présence de bergeries, d’étables identifiées grâce au matériel métallique), cultures (présence d’un séchoir à blé, granges, greniers) et viticulture (fosse à moût). toutes ces activités nécessitent des constructions multiples liées à la réparation des outils (forge, atelier de charronnage), à l’habitat et à l’horticulture. Contrairement à ce qui s’observe parfois ailleurs41, aucun n’a cependant montré l’association d’activités de production agricole et de production artisanale à vocation commerciale. 40- Delor et al. 2002, 8*, 391-393, fig. 12. 41- Polfer dir. 1999. 374 LEs foRMEs DE L’HABItAt RURAL GALLo-RoMAIN – CAtALoGNE, GAULE Empierrements Maçonneries Fosses, fossés et bassins Bâtiment des bains II T2 0 20m Bâtiment VII Cave Bâtiment XIII Citerne Bâtiment XI Jardin potager Bassin T1 Bâtiment I Partie résidentielle Dépotoir à moût Bâtiment XIV porche atelier pressoir ? Bâtiment IX habitation "Cour des dépendances" Bâtiment VIII Étable Atelier Étable Bâtiment V Bâtiment III Habitation Bâtiment IV Bâtiment VI Bâtiment X séchoir ? ——— Fig. 12. Grimault La Tête de Fer au IIIe siècle, d’après les fouilles de J. Duchâtel (plan P. Nouvel). ——————— Le croisement entre les données de prospections au sol et les données fournies par la prospection aérienne et par les fouilles permet donc de différencier trois groupes d’établissements ruraux aux caractères nettement déterminés, caractérisés par une superficie et une complexité interne croissantes. Les sites de très petite taille semblent très marginaux et représentent environ 5 % du corpus (fig. 6). Ils correspondent, d’après les plans disponibles, à des bâtiments isolés (ER1). Les sites de taille moyenne, caractérisés par un plan centré (ER2) et par un certain empirisme, forment les trois quarts du corpus. seuls 20 % de ce dernier correspondent à des sites de grande étendue, organisés selon un plan linéaire et fortement structurés (type ER3). Ces observations concordent, en grande partie, avec ce qui a pu être mis en évidence plus à l’ouest en Berry ou plus anciennement en Picardie. on notera cependant, comme le proposait déjà A.-M. Uffler, l’importance, dans la zone d’étude, du plan centré, ou encore “à péristyle” tel que le nommait A. Grenier42. Les mêmes distinctions entre ER3a et ER3 peuvent être mises en évidence en 42- Uffler 1981 ; Grenier 1934, 116. LEs étABLIssEMENts RURAUx ANtIQUEs DE BoURGoGNE DU NoRD, IIe-IVe sIèCLEs P.C. Berry, où le type 2 de C. Gandini s’oppose au type 1 par une improvisation plus importante et une organisation moins rigoureuse43. Ce phénomène, qui semble concerner l’ensemble de l’ouest, du centre et de l’est de la france n’est pas aussi visible en Gaule Belgique ou en Germanie, où le plan à “galerie façade”, défini par A. Grenier, semble généralisé même sur les établissements les plus étendus44. Cette particularité conduit d’ailleurs certains auteurs à douter de l’existence, dans ces régions, d’aristocraties rurales supérieures45. Cependant, le plan des établissements de taille inférieure se rapproche nettement de ce qui s’observe en Val de saône et en franche-Comté et se distingue des observations réalisées en Berry et Val de Loire46. RICHEssE DE L’oRNEMENtAtIoN, AMéNAGEMENt LUxUEUx Et HIéRARCHIEs foNCtIoNNELLEs Cette première hiérarchisation, fondée sur la superficie et l’organisation interne de l’établissement, confirmerait l’opposition théorique entre les “villas”, aux plans stéréotypés et une multitude de “fermes”, présentant quelques particularismes régionaux. Ce constat doit cependant être croisé avec les indices fournis par les prospections terrestres, qui permettent de déterminer plus finement les fonctions et le statut social des occupants. on serait naturellement tenté de penser que les plus modestes ne possèdent que le strict nécessaire au fonctionnement de l’exploitation, l’ajout d’équipements et d’une ornementation de qualité n’intervenant que sur les sites les plus importants. Cette observation serait tout particulièrement visible dans la taille des parties résidentielles ellesmêmes et dans leur complexité. Alors que celles des ER2 disposent d’habitations oblongues parfois précédées d’une galerie accostée de tours d’angle, celles des ER3 s’étendent beaucoup plus largement, 43- Gandini 2005, 294. 44- ouest, centre et est de la france :Goguey 2006 ; Gandini 2006) ; Gaule Belgique et Germanie : Grenier 1934, 114 ; Agache 1978. 45- ouzoulias 2007. 46- Val de saône et en franche-Comté : Goguey 2006 ; établissement à “halles” en Berry et Val de Loire : Holmgren & Leday 1981. occupant jusqu’à plus d’un tiers de la superficie totale. La présence d’une pièce en hémicycle, généralement disposée au centre de l’aile principale, est l’un des caractères distinctifs de cette catégorie supérieure. sa décoration soignée et luxueuse (mosaïques, stuc, blocs taillés), observée sur plusieurs sites fouillés ou photographiés (par exemple LaChapelle-Vaupelteigne ou Lucy-sur-Cure fig. 10, sceaux-en-terre-Plaine, fig. 9b), souligne leur caractère indispensable au sein de l’établissement. Elles peuvent être considérées comme des pièces de réception, témoignant de l’importance sociale de leur possesseur et de sa volonté de représentation. Dépassant ce constat visuel, le corpus disponible et l’enregistrement des mobiliers sur les sites permettent de discuter la réalité de la hiérarchie mise en évidence ci-dessus en la confrontant, d’une part, avec le degré d’équipement de l’établissement et, d’autre part, avec la richesse des modes décoratifs employés. Cette enquête s’est appuyée sur la réalisation d’un tableau synthétique présentant ces diverses données (fig. 13). Elle enregistre la présence (O) ou l’absence (N) certaines d’aménagements et de matériaux qui nous ont semblé représentatifs des hiérarchies supposées du monde rural. Malheureusement, l’ensemble des informations croisées ici n’est pas disponible sur tous les sites. Dans ce cas, la case “non renseigné” (NR) a été sélectionnée. Les aménagements et les modes de construction Débutons cette enquête par l’analyse du degré d’équipement des différentes catégories de sites. Il transparaît dans le ou les modes de couverture employés, la présence de pièces chauffées (révélées par des tubulures et des pilettes), de balnéaires (ainsi que l’adduction d’eau), de bassins ornementaux ou par l’existence d’un lieu de culte associé à l’établissement. Le tableau fig. 13 et les graphiques fig. 14a et 14b présentent les proportions de sites des différentes catégories ayant fourni des tuiles ou des dalles sciées. on observe que toutes ces catégories présentent ces éléments. Néanmoins, ils sont rares sur les sites de type ER1 (12 % disposent de dalles sciées, 20 % de tegulae, aucun ne présente les deux modes de couverture associés) alors que la totalité des 375 376 LEs foRMEs DE L’HABItAt RURAL GALLo-RoMAIN – CAtALoGNE, GAULE O ER1 ER2 ER3 ER3a N NR O N NR O N NR O N NR O N NR O N NR dalles sciées tegulae tubulures balnéaire adduction eau temple 3 22 0 5 20 0 0 25 0 0 25 0 0 18 8 0 25 0 133 196 8 266 4 116 201 20 67 187 3 21 259 67 83 0 282 55 21 3 0 56 0 1 50 0 11 0 39 33 57 0 7 2 17 38 35 2 0 37 0 0 37 0 0 36 0 1 11 0 26 14 0 23 ER1 ER2 ER3 ER3a O N NR O N NR O N NR O N NR O N NR O N NR architectoniques enduits peints marbre statuaire mosaïque bassin 0 23 2 0 23 2 0 25 0 0 21 4 0 25 0 0 24 1 38 107 192 52 133 152 28 32 241 64 4 236 97 1 304 32 76 233 38 0 19 8 16 33 19 54 0 3 16 0 41 41 4 12 38 0 33 0 4 17 4 16 31 0 6 37 0 0 15 0 22 33 0 4 ——— Fig. 13. Croisement des données architecturales et décoratives sur les 456 établissements retenus pour l’étude. O : présence confirmée ; N : absence confirmée ; NR : absence d’information. ——————— établissements ER3 et ER3a documentés en possèdent. La présence ou l’absence de ces matériaux ne semblent donc pas réservées à certains types de site, même si la proportion de sites utilisateurs augmente en fonction de la taille de l’établissement. L’utilisation des dalles sciées en couverture paraît réservée à certaines zones géographiques, proches des ressources (le tonnerrois et les plateaux calcaires de Basse Bourgogne en général) plutôt qu’à certains types d’établissements. Dans ces régions, on observe souvent l’association des deux modes de couverture et ce même sur des établissements ER2 de taille réduite. Ces deux matériaux ne doivent donc pas être considérés comme des éléments discriminants. La présence de balnéaires, leur complexité ainsi que l’utilisation d’hypocaustes sont variables en fonction de l’étendue du site et de son degré d’organisation (fig. 14c, 14d et 14e, présence de tubulures, de balnéaires et d’une adduction d’eau). tous les établissements de statut supérieur (ER3 et ER3a) sur lesquels cette information est disponible disposent de ces aménagements, toujours plus complexes si l’établissement est vaste. si certains ER2 en sont équipés, ils restent relativement modestes, la taille des balnéaires des ER3 simples restant dans une petite moyenne (fig. 11a et 12, Grimault La Tête de Fer) comparée à ceux d’Escolives- sainte-Camille Pré du Creusot47 ou d’Asquins (fig. 11b). Ce n’est donc ni la présence de balnéaires (fig. 14d) encore moins de pièces chauffées par hypocauste (révélée par la présence de tubulures en terre cuite, fig. 13c) qui permettent une identification des sites les plus importants, mais la taille et la multiplication des uns ou des autres. Les volumes d’eau nécessaires à leur fonctionnement ont d’ailleurs souvent nécessité la construction d’aqueducs comme celui qui aboutissait au site de saint-Moré En Gaudrée et utilisait les sources de Saint-Moré48. Ils sont donc généralement associés aux établissements les plus importants (fig. 14e). Ce n’est que sur ces sites (ER3a) que l’on observe la présence de constructions adoptant le plan caractéristique des temples à plan centré galloromain. Ils apparaissent sous la forme d’une pièce centrale entourée d’une galerie, le tout souvent clôturé par un péribole (fig. 14f). Les rares comparaisons disponibles, par exemple l’établissement de Richebourg49, permettent d’y voir autant un temple domanial qu’un mausolée. L’absence de fouille sur ce type de structure dans notre région ne permet d’ailleurs pas de trancher avec certitude, même si la similitude entre ces constructions et les temples voisins nous fait pencher 47- Delor et al. 2002, 1*, 345-351. 48- Nouvel 2004, t.2, fig. A546 ; Delor et al. 2002, 8*, 595. 49- Barat 1999 ; Barat, dir. 2007, fig. 453. 377 LEs étABLIssEMENts RURAUx ANtIQUEs DE BoURGoGNE DU NoRD, IIe-IVe sIèCLEs P.C. a : Utilisation de dalles en calcaire scié b : Utilisation de tegula et d’imbrex 100% 100% 80% 80% 60% 60% 40% 40% 20% 20% 0% 0% ER1 ER2 ER3 ER3a c : Utilisation des tubulures et des pilettes d’hypocauste ER1 ER3 ER3a ER3 ER3a ER3 ER3a d : Présence de Balnéaires 100% 100% 80% 80% 60% 60% 40% 40% 20% 20% 0% ER2 0% ER1 ER2 ER3 ER1 ER3a e : Présence de conduit d’adduction d’eau ER2 f : Présence d’un temple 100% 100% 80% 80% 60% 60% 40% 40% 20% 20% 0% 0% ER1 ER2 ER3 ER3a ER1 ER2 g : Présence d’un bassin 100% absence 80% présence 60% non renseigné 40% 20% 0% ER1 ER2 ER3 ER3a ——— Proportion de sites de chacun des types utilisant des matériaux ou des aménagements architecturaux spécifiques (voir le tableau fig. 13). ——————— 378 LEs foRMEs DE L’HABItAt RURAL GALLo-RoMAIN pour la première des hypothèses. Leur mise en scène varie en fonction de l’importance des établissements. À Prégilbert Plaine de Crisenon (fig. 9c), la construction, à déambulatoire reposant sur des dés de pierre, est disposée dans l’aile sud des communs, à proximité de la partie résidentielle. À Cravant Val Suzon et à sceaux-en-terre-Plaine Les Craies, elle est située à l’extrémité opposée des communs et adopte un plan centré (fig. 9a et 9b). À Asquins Champs des Églises (fig. 11b), une construction monumentale, reposant sur un podium à caisson est visible au centre de la première cour, répondant à une volonté évidente de monumentalisation. Il serait tentant d’y voir, non pas un temple de type gallo-romain, mais un véritable édifice cultuel de modèle italique. Dans les établissements de statut inférieur, ce genre de construction n’existe pas. on y rencontre par contre des lieux de culte moins structurés, prenant la forme de niches pourvues de statues de facture locale. Elles ont été observées dans les caves (Joux-la-Ville Les Bouchies) ou dans une pièce annexe de la partie résidentielle (Grimault La Tête de Fer)50. Enfin, la présence de bassins semble un caractère réservé aux établissements les plus vastes et les plus complexes (fig. 14f). tous les aménagements de ce type apparaissent sur les sites de statut supérieur. Encore certains ER3 en sont-ils dépourvus, alors que tous les ER3a dont nous possédons le plan complet en disposent. La fonction de ces aménagements, parfois de grande taille, nous échappe partiellement. si certains consistent probablement en des aménagements piscicoles, comme à Molesme en Côte d’or51, l’utilité de la plupart semble se limiter à l’ornementation. Les exemples, plus ou moins développés, visibles sur les sites de Cravant Bréviandes (fig. 9c), d’Asquins Vergigny (fig. 11B) ou encore de Grimault La Tête de Fer (fig. 11A), montrent leur implantation au cœur de la partie résidentielle et leur participation à un effet de perspective généralisé. La superposition des critères hiérarchiques visibles dans les plans mis en œuvre, les superficies bâties et les équipements présents confirment donc partiellement l’existence de différences de statut marquées au sein de l’habitat rural de cette région. 50- Delor et al. 2002, 11*, 435, fig. 591 et 8*, 393, fig. 12. 51- Petit et al. 2006. – CAtALoGNE, GAULE Elles recoupent, en partie seulement, l’importance de la mise en œuvre de matières nobles et onéreuses dans leur élévation et leur ornementation. Les matériaux et les choix décoratifs L’opposition entre une maison en pierre de taille et une chaumière symbolise, pour nos contemporains, celle qui existe entre un site de statut élevé et un autre de statut inférieur. Pourtant, cette opposition est souvent artificielle, les choix de matériaux dépendant essentiellement des disponibilités locales. Ainsi, l’utilisation de maçonneries ne semble pas, à la lumière de la documentation disponible ici, réservée aux établissements de statut supérieur. À l’inverse, certaines zones, en particulier les fonds de vallée alluviale, n’offrent aucune ressource dans ce domaine. Les établissements gallo-romains y sont aménagés en matières périssables et apparaissent sous la forme de nébuleuses de trous de poteaux et de fossés52. Ces sites présentent pourtant parfois des superficies et des éléments mobiliers qui peuvent les faire comparer, pour la plupart, aux multiples ER2 de Basse Bourgogne, qui voient la généralisation de la pierre à une période relativement précoce53, et, pour d’autres, aux établissements de statut supérieur. À l’inverse, les établissements les plus modestes des plateaux calcaires mettent en œuvre la pierre de façon récurrente54. La présence de blocs de construction en grand appareil et d’ornements architecturaux dépend elle aussi largement des potentialités locales (fig. 15a). Les sites les plus modestes de plateau calcaire (ChâtelGérard Le Cul de Vausse55) ont ainsi livré des bases de pilastres qui manquent cruellement sur les établissements les plus riches de Champagne crayeuse, où les carences en pierre de construction ont conduit à une récupération généralisée de ce genre de matériaux. si une partie de cette parure monumentale a parfois été conservée (Migennes Champ de l’Église / La Côte Mitière56), les vestiges qui 52- Ainsi à Néron à Gurgy (Delor et al. 2002, 1*, 415, fig. 548550) ou aux Prés Carillon/Guerchy à seignelay (Delor et al. 2002, 2*, 625, fig. 923. 53- Nouvel 2004, t. 1, 166 ; Nouvel 2005. 54- Civry-sur-serein Côme Lauthereau, Annoux Les Poumois : Nouvel 2004, 2, fig. A236 et A35. 55- Delor et al. 2002, 4*, 300, fig. 318. 56- Delor et al. 2002, 1*, 485-487, fig. 666 à 669. 379 LEs étABLIssEMENts RURAUx ANtIQUEs DE BoURGoGNE DU NoRD, IIe-IVe sIèCLEs P.C. 100% a : présence de blocs architectoniques 100% 80% 80% 60% 60% 40% 40% 20% 20% 0% 0% ER1 100% ER2 ER3 ER1 ER3a c : présence d'élément de statuaire en pierre 100% 80% 80% 60% 60% 40% 40% 20% 20% 0% ER2 ER3 ER3a d : Présence de marbre (placage) 0% ER1 100% b : présence d'enduits peints ER2 ER3 ER3a ER1 ER2 ER3 ER3a e : présence de mosaïque absence 80% présence 60% non renseigné 40% 20% 0% ER1 ER2 ER3 ER3a en subsistent ne permettent pas d’en mesurer l’ampleur initiale. D’autre part, les choix architecturaux dépendent largement des évolutions chronologiques. si l’emploi de la pierre est confirmé sur de nombreux sites dès l’époque augustéenne, il semble au départ limité aux établissements les plus importants57. Un phénomène similaire peut être observé à partir du IVe s. À cette période, les établissements de statut supérieur mettent largement en œuvre la maçonnerie alors que les plus modestes n’utilisent plus que le bois, comme celui de Censy Senailly58. 57- Annay-sur-serein Le Beugnon Nouvel 2005. 58- Kasprzyk & Nouvel 2001 ; Nouvel 2006b. ——— Fig. 15 : Proportion de sites de chacun des types utilisant des modes décoratifs spécifiques (voir le tableau fig. 13). ——————— La détermination du statut des établissements à travers les matériaux employés s’avère donc moins aisée qu’à travers l’analyse de leur plan même. toutefois, la mise en œuvre de matériaux nobles et onéreux recoupe en partie ces observations : bien que la présence de ces éléments (marbre, mosaïque, peintures murales, stucs, sculpture en ronde-bosse et éléments architectoniques, fig. 13 et 15a à 15e) dépende en grande partie de l’importance des recherches menées sur les sites, quelques spécificités peuvent être identifiées. La présence de sols mosaïqués semble la plus caractéristique (fig. 15e). Ces éléments, les plus luxueux sans doute, n’apparaissent, à quelques très rares exceptions près, que sur les établissements ER3 ou ER3a. Cette parure monumentale est complétée 380 LEs foRMEs DE L’HABItAt RURAL GALLo-RoMAIN par l’ensemble des éléments architecturaux sculptés, les occurrences de sculpture en ronde-bosse de qualité (fig. 15c, par exemple Lucy-sur-Cure Quincie, Arcy-sur-Cure Les Girelles, Asquins Champs des Églises) et a fortiori d’épigraphie (Migennes Champ de la l’Église) n’ayant été observées que sur les ER3. Enfin, l’utilisation du marbre, révélée par la présence de placages, semble réservée à cette catégorie supérieure (fig. 15d) et peut être considérée comme un bon descripteur des établissements de statut supérieur. La présence d’enduits peints et de stucs paraît moins déterminante, car ils apparaissent également sur un certain nombre d’ER2, pas spécialement les plus étendus (fig. 15b). Ainsi, si certains éléments semblent réservés aux établissements ruraux les plus étendus et les plus organisés (en particulier la présence de mosaïques et de placages de marbre), la diffusion des éléments architectoniques, des peintures murales et des stucs s’observe sur les établissements plus modestes. Ce constat souligne à la fois l’importance de la romanisation autant que la volonté des propriétaires ou des exploitants les plus modestes d’imiter les catégories les plus élevées à travers des aménagements onéreux. Au terme de ce tour d’horizon, il convient donc de nuancer la réalité de catégories de sites hiérarchisées et imperméables les unes aux autres, fondées sur une opposition nette entre de vastes établissements concentrant tous les témoins de richesses et une multitude de sites modestes. Certes, trois groupes de sites ruraux, présentant des caractères communs, peuvent se dégager de notre étude. Le premier, nommé ER1, se caractérise par un bâtiment unique mais aussi par l’absence de toute ostentation. Une minorité seulement porte une couverture en tuiles, en dalles sciées ou en laves. Il convient donc d’interpréter cette catégorie de faible superficie et sans aménagement comme des annexes agraires. on ne saurait cependant rejeter d’emblée la possibilité d’unités d’exploitations modestes, animées par des propriétaires tout particulièrement modestes ou par une catégorie d’exploitants dépendants. La catégorie ER2 semble nettement plus hétérogène. tous les sites présentant un plan caractéristique de ce type, ou presque, sont couverts – CAtALoGNE, GAULE avec des matériaux transformés, fabriqués à proximité ou à moyenne distance (dalles sciées sur les plateaux de basse Bourgogne, tuiles ailleurs). Nombreux sont ceux qui disposent d’aménagements de qualité, tels que des pièces sur hypocauste ou des balnéaires, bien que d’autres se révèlent d’une pauvreté navrante. tous présentent une partie résidentielle, soulignant qu’il s’agit bien d’un cadre de vie permanent, mais dont les aménagements sont très variables. son ornementation plus ou moins luxueuse laisse ici entrevoir la possibilité, sur certains, d’investissements personnels, fruits d’un labeur indépendant et des nombreux excédents livrés par une période faste de production. Il n’est cependant pas impossible que d’autres soient le lieu de vie d’exploitants dépendants, disposant de fonds propres. Quand la documentation disponible est suffisante, on note que les établissements présentant des plans de type ER3 possèdent la totalité des critères d’ornementation. Ils sont d’ailleurs les seuls à être dotés de mosaïques et, lorsque les informations sont suffisamment fines, d’adduction d’eau sous la forme d’aqueducs parfois conséquents. toutefois, entre les ER3 et ER3a, on voit clairement que les seconds disposent de tous les ornements, contrairement aux ER3 qui sont parfois privés de mosaïque. tout concourt à voir dans ces sites le cadre de vie d’exploitants indépendants. Le luxe et l’organisation même des parties résidentielles indiquent des similitudes d’ostentation et d’ornementation qui contribuent à des objectifs similaires. La mise en œuvre de plans audacieux, s’appuyant sur de vastes perspectives, laisse supposer la circulation de plans d’architecte et une volonté d’ostentation évidente, mettant en scène la partie résidentielle par rapport aux communs. Les matériaux autant que l’organisation générale des lieux d’habitation font écho aux domus aristocratiques qui s’édifient au même moment dans les capitales de cités. Il serait tentant de voir, derrière ces établissements, une seule et même catégorie sociale, celle des aristocrates dont la puissance repose sur leurs possessions foncières. Les caractères propres aux ER3 (qui semblent, pour certains, être l’aboutissement de l’évolution d’établissements de statut inférieur), montrent une certaine émulation autant que des possibilités de LEs étABLIssEMENts RURAUx ANtIQUEs DE BoURGoGNE DU NoRD, IIe-IVe sIèCLEs P.C. fluctuations au cours du temps entre ces diverses catégories. Cependant, la présence d’éléments qui pourraient être considérés comme luxueux sur des établissements modestes confirme également la communauté de pratique et de mode de vie parmi les populations rurales, qu’elles vivent dans de vastes demeures ou dans des fermes plus modestes. Les efforts, observables sur les sites intermédiaires, pour disposer d’équipements de qualité (balnéaires, peintures murales, stucs) et consommer des produits similaires à ceux des propriétaires les plus favorisés, soulignent cette acculturation et ce mimétisme qui caractérisent le monde rural de cette région durant l’Antiquité gallo-romaine. L’ensemble de ces constatations repose sur des critères qui restent bien évidemment discutables. si le croisement des données mobilières et immobilières corrobore partiellement les hiérarchies livrées par l’observation des plans et des différences de superficie, elle ne permet cependant pas d’individualiser des cas ou des parcours particuliers. Il faudrait, nous en sommes conscients, encore affiner cette démarche, en prenant en compte le mobilier de ces sites et tenter de tracer des évolutions types de la période laténienne à la tardo-antiquité. La présence d’éléments en ivoire, d’ornements ou de statuaire en bronze sur des sites de taille moyenne souligne par ailleurs que les matières les plus onéreuses peuvent apparaître sur des sites relativement modestes59. face à un tel constat, seule une analyse proportionnelle des corpus de mobilier permettrait d’affiner les hiérarchies proposées ici à partir des organisations internes, des équipements et des matériaux utilisés. Cela nécessiterait la mise à disposition de corpus exhaustifs et comparables. Leur nature même, issue de contextes variables (découvertes anciennes, fouilles récentes partielles ou exhaustives, prospections), empêche encore cette approche en Bourgogne. Enfin, il est impossible de mesurer l’importance des récupérations et des atteintes postérieures qui peuvent avoir réduit par la suite, artificiellement, leur potentiel mobilier. sans parler de pillages anciens, les activités de récupération n’ont pas manqué de s’attaquer en priorité aux matières les plus nobles, en particulier le métal 59- Nouvel 2007a. et le marbre exploité dans les fours à chaux. si certains établissements en livrent en proportion importante, la pauvreté de certains autres (Migennes Champ des Églises par exemple, dans une moindre mesure Escolives-sainte-Camille), comparée à l’investis-sement architectural consenti par leur propriétaire, permet de mesurer le fossé entre la réalité de leur richesse et la documentation archéologique effectivement exploitable. RéPARtItIoN Et éVoLUtIoN DEs HIéRARCHIEs RURALEs EN BoURGoGNE DU NoRD. Évolution des hiérarchies rurales au cours du Haut-Empire. Le croisement des données structurelles (surface et organisation interne) et fonctionnelles (équipement, luxe des aménagements) confirme donc, dans ses grandes lignes, l’existence de hiérarchies bien affirmées dans cette région au cours du Haut-Empire. Il permet, en particulier, d’observer l’émergence, comme dans les autres régions de la Gaule intérieure, de vastes établissements à l’organisation interne rigoureuse et présentant tous les caractères du luxe. Reste à déterminer l’origine de ces formes caractéristiques. Des différences de taille et d’organisation interne similaires sont déjà lisibles au sein des établissements laténiens. L’accroissement des données au cours des dernières années permet d’opposer quelques rares établissements sur deux cours comme ceux d’Herblay (95) ou de Batilly (45) à une multitude d’établissements formés de bâtiments ouvrant sur une cour centrale et entourés d’un fossé périphérique, Cependant, généralement quadrangulaire60. contrairement à la période qui suit, le mobilier récolté sur ces sites ne permet pas d’opposer clairement ces deux populations61. Ce sont essentiellement la nécropole, dans laquelle sont déposées les richesses du propriétaire, et la matérialisation des monuments funéraires plus ou moins nombreux et imposants qui permettent de mesurer la richesse d’une communauté62. Les deux grands types d’établissement observés en Bourgogne 60- Marion & Blancquaert 2000 ; Malrain et al. 2002. 61- fichtl, dir. 2005. 62- Nouvel 2005a. 381 382 LEs foRMEs DE L’HABItAt RURAL GALLo-RoMAIN du Nord correspondraient donc à la romanisation d’un plan préexistant. Il est toutefois difficile, par manque de documentation, de préciser la période de réaménagement, qui correspond à une “romanisation” du bâti63 de ces établissements de statut supérieur. Par contre, les prospections terrestres sont à même de déterminer les phases d’abandon des différents éléments qui les constituent, en particulier celle de la vaste partie résidentielle qui les différencie des établissements plus modestes. Il est donc plus aisé, à partir de notre corpus, d’examiner précisément la fin du processus que sa genèse. Rares sont les sites de la zone d’étude ayant atteint, à une période ou à une autre, le statut supérieur (ER3) qui ont fait l’objet de fouilles récentes. seuls quelques dossiers (Migennes, Escolives, Auxerre Sainte-Nitasse, Annay-sur-serein, Champlay, Noyers-sur-serein, La ChapelleVaupelteigne, Mailly-la-Ville, Nuits-sur-Armançon) permettent de préciser leurs origines et la datation de leur phase de monumentalisation. Il apparait que les ER3a d’Escolives-sainte-Camille, de La ChapelleVaupelteigne et Annay-sur-serein ont connu une monumentalisation plus ou moins précoce, entre le début du Ier s. p.C. (Annay-sur-serein) et le IIIe siècle (Escolives-sainte-Camille)64. tous se caractérisent toutefois par un projet de grande ampleur réalisé d’un seul jet. Les parties résidentielles ont connu dans tous ces cas des remaniements importants au cours de leur occupation, en particulier durant la tardo-antiquité. À l’inverse, des établissements comme La Tête de Fer à Grimault, du Champ des Églises (Migennes), de Sainte-Nitasse (Auxerre) ou des Berrons (Brienon-surArmançon) semblent le fruit d’une évolution plus longue. À Grimault, les phases les plus anciennes correspondent à un établissement modeste, que la taille et le plan font comparer aux autres occupations rurales de statut moyen de cette région (fig. 12). De même, à Migennes, les états les plus anciens sont sans commune mesure avec la monumentalisation qui prendra place à partir du IIIe s.65. L’aspect éclaté de certains sites ER3, en particulier celui de Brienon- 63- Bayard & Collard, dir. 1996. 64- Nouvel 2005b et Delor et al. 2002, 34. 65- Delor et al. 2002, 1*, 485-487, fig. 666 à 669. – CAtALoGNE, GAULE sur-Armançon Les Berrons66, souligne d’ailleurs leur origine relativement modeste. Certains de ces sites passeront même par tous les stades intermédiaires avant d’atteindre le statut d’ER3a à une période tardive, au IIIe s., par exemple, pour le site de tonnerre Soulangy67. Il semble donc que cette volonté ostentatoire se retrouve dès le premier siècle de notre ère sur certains établissements. Ce seront eux, pour la plupart, qui connaîtront une monumentalisation qui en fera, au cours du Haut-Empire, de véritables palais ruraux, dont le plan d’un seul jet souligne la capacité de leur propriétaire à mobiliser de fortes sommes d’argent en un temps relativement réduit. Parallèlement, d’autres établissements, plus modestes à l’origine, se développeront largement au cours de leur longue occupation pour atteindre la catégorie supérieure. C’est ainsi que le site de La Tête de Fer, de statut médiocre au Ier s. p.C., s’étendra pour donner naissance, au IIIe s., à un ensemble beaucoup plus structuré, opposant partie résidentielle et partie exploitation sur deux lignes, mais dont l’hétérogénéité souligne l’empirisme et les ajouts successifs. L’absence de plan d’ensemble laisse à penser que, contrairement aux sites précédents, le propriétaire n’avait ici pas les moyens de mobiliser une somme d’argent suffisante pour restructurer entièrement son bien-fonds. L’évolution de ces établissements de statut supérieur au cours de l’Antiquité tardive est plus aisée à mettre en évidence. Elle repose essentiellement sur les données offertes par les prospections terrestres qui permettent de mesurer l’importance de l’occupation des parties résidentielles des sites de type ER3 au cours du temps. La figure 16 présente l’évolution du nombre de site de type ER3 par rapport aux autres établissements ruraux sur la période s’étendant de 50 à 800 p.C. on note que ce nombre est maximum au IIIe s. (toutes les parties résidentielles de ce type sont alors occupées). Leur proportion croît entre le Ier et le IIIe s. car des établissements de type ER2 se transforment, au cours de la période, en ER3. 66- Delor et al. 2002, fig. 236. 67- fouille INRAP / Nouvel 2007b. 383 LEs étABLIssEMENts RURAUx ANtIQUEs DE BoURGoGNE DU NoRD, IIe-IVe sIèCLEs P.C. toutefois, à partir du IIIe s., le destin de l’une et de l’autre des catégories (ER2 et ER3) va sensiblement diverger. La plupart des ER3 survivent à la période 275 – 350 sans perdre leur statut, leur vaste partie résidentielle étant toujours occupée. À l’inverse, de nombreux ER2 vont être abandonnés, dans une proportion atteignant parfois plus de 40 % du total (dans la zone de Noyers-sur-serein en particulier, fig. 16). Certes, quelques abandons partiels ont été observés dans les catégories supérieures, comme Grimault La Tête de Fer, qui rétrograde alors, d’après la superficie occupée et l’abandon de nombreux bâtiments, au statut d’ER268. Pourtant, les indices disponibles soulignent la persistance des caractères luxueux mis en place à la période précédente. Les réaménagements nombreux qui ont lieu à la fin du IIIe s. et au début du IVe s. sont l’expression d’un dynamisme certain. Le début du IVe s. voit même certaines promotions (Brienon-sur-Armançon Les Berrons, ER2 précédemment, sur lequel une vaste zone résidentielle à cour centrale se développe) et l’accroissement de l’investissement dans la plupart de ceux déjà au sommet de la hiérarchie (La ChapelleVaupelteigne, Migennes, Escolives-sainte-Camille, etc.). Le cas de Migennes Champ de l’Église, fouillé au cours des années 1980, en est l’expression la plus aboutie et souligne la capacité d’investissement des élites rurales au début du Bas-Empire69. Au cours de la phase suivante (350-400), on observe, sur ces sites favorisé, une tendance à l’abandon des parties résidentielles, aboutissant à une rétractation de l’occupation sur les anciens communs70. Le nombre d’établissements répondant aux critères des ER3 du Haut-Empire diminue donc à cette période, la grande rupture semblant devoir être fixée au milieu du IVe s. on note alors une disparition ou un déclassement des quatre cinquièmes des ER3 existant au début du siècle, les sites répondant encore, postérieurement aux années 360, aux critères caractéristiques des ER3 ne représentant plus qu’une part infime de ceux qui existaient au cours du IIIe s. seules, quelques parties résidentielles luxueuses, localisées essentiellement dans des établissements situés en pays sénon, 68- Kasprzyk & Nouvel 2001, 69- Delor et al. 2002, 1*, 485-487, fig. 666 à 669. 70- Kasprzyk & Nouvel 2001 et 2003. 500 400 300 200 100 0 50 à période 100 100 à 200 200 à 275 275 à 350 350 à 400 400 à 500 500 à 800 ER3 dont la partie résidentielle est occupée Autres types d'établissements ruraux ——— Fig. 16. Évolution comparée du nombre d’ER3 par rapport au total des établissements ruraux. ——————— continuent à être fréquentées et embellies jusqu’à la fin du IVe s., avant d’être, elles aussi, désaffectées avant le milieu du siècle suivant71. Les sites totalement désertés sont cependant très rares, le phénomène se limitant généralement à un abandon de la partie résidentielle72. Les bâtiments d’exploitation donnent généralement naissance, sans hiatus d’occupation, à un habitat plus ou moins modeste du haut Moyen Âge. Il faut donc convenir que le phénomène des établissements de statut supérieur est ici éphémère et fragile et que les conditions générales ne permettent plus leur survie à partir de la seconde moitié du IVe s. et surtout au Ve s. p.C. Cette évolution scelle la fin de l’investissement des élites dans l’habitat rural. Elle ne s’accompagne cependant pas de l’abandon des bâtiments d’exploitation qui, pour la plupart, continuent à être occupés, donnant progressivement naissance à des habitats moins structurés et hiérarchisés, caractéristiques du monde rural au haut Moyen Âge dans ces régions. 71- Nouvel 2004, fig. 124. 72- Nouvel 2004, 249-251, fig. 150. 384 LEs foRMEs DE L’HABItAt RURAL GALLo-RoMAIN Répartition des établissements de statut supérieur Quels que soient leur origine et leur parcours postérieur, les sites ruraux les plus importants s’observent au IIIe s. dans des environnements et des localisations topographiques spécifiques. La zone d’étude de Noyers présente une image caricaturale de cette répartition (fig. 17) : ils sont ici totalement absents des plateaux calcaires et se concentrent dans l’étroite vallée du serein. on 0 1 – CAtALoGNE, GAULE pourrait croire, à une lecture rapide de ce document, qu’il y a là un effet exclusif lié à la topographie. Des critères d’accès à l’eau ou de proximité des axes de fond de vallée pourraient éventuellement être évoqués. La carte figure 18 indique cependant qu’une certaine prudence doit être de mise. sur cette carte à plus grande échelle, la corrélation entre vallées et établissements de statut supérieur semble se limiter aux plateaux calcaires de Basse Bourgogne. En effet, 5km Établissement rural de statut supérieur (ER3) Établissement rural de statut moyen et inférieur (ER1 et 2) 371-18 150 200 250 altitude en m. 300 350 ——— Fig. 17. Répartition des établissements ruraux occupés au IIIe s., localisés dans la zone d’étude de Noyers-sur-Serein. ——————— 385 LEs étABLIssEMENts RURAUx ANtIQUEs DE BoURGoGNE DU NoRD, IIe-IVe sIèCLEs P.C. ER3 sans élément de datation précis ER3 du IIIe siècle ER3a du IIIe siècle Cité des Sénons Cité des Lingons ——— Fig. 18. Carte de la localisation des établissements ruraux fréquentés au IIIe s. en Bourgogne du Nord. ——————— Cité des Éduens 50km les sites de type ER3 sont totalement absents des vastes plaines alluvionnaires de l’Yonne en aval d’Auxerre ou de la confluence Yonne / Armançon, zones pourtant largement documentées. Ils se multiplient pourtant en terre Plaine, au contact de la cuesta Bajocienne, loin des rivières de cette région. Ils sont également nombreux en Châtillonnais, au pied de la cuesta dite Côte des Bars73. Enfin, plusieurs ont été repérés en plein Morvan, isolés sur les croupes granitiques et loin des axes fluviaux encaissés. Il convient donc de rechercher des causes plus complexes à la genèse de ce type de site. La figure 19 (élaborée sur la zone d’étude de Noyers-sur-serein) montre ainsi que plus le statut d’un établissement est élevé, plus le nombre de types 73- Goguey 2006. de sols disponibles à proximité immédiate est important. C’est le cas dans les plateaux de BasseBourgogne, au centre de la carte figure 18, où cette 60 50 nb de sites 0 40 30 20 10 0 plus de 5 types de sols ER2 3à5 2 types 1 seul type ER3 ——— Fig. 19. Établissements ruraux et variété des sols : ventilation des ER2 et des ER3 en fonction du nombre de sols différents disponibles dans un rayon de 300 mètres. ——————— 386 LEs foRMEs DE L’HABItAt RURAL GALLo-RoMAIN – CAtALoGNE, GAULE ——— Fig. 20. Durabilité comparée des différents types d’établissements ruraux (pourcentage de sites de chaque type encore occupé après n siècles). ——————— variété, témoin de ressources variées, ne se rencontre qu’à proximité des vallées entaillant profondément les plateaux. Les établissements situés à ces endroits privilégiés ont accès, dans un rayon de moins de 500 m, aux terres à blé de plateau, aux terres lourdes d’élevage en fond de vallée et au talus viticole. Cette observation laisserait entendre que leur développement n’est pas seulement l’objet d’une volonté ou de capacités financières individuelles, mais trouve son origine dans des facteurs locaux plus favorables, à même de permettre un investissement somptuaire. À l’inverse, les sites de plateaux, entourés de terres de qualité mais monotones, n’auraient pas bénéficié de complémentarités des ressources suffisantes pour dégager les moyens nécessaires à l’édification d’établissements de statut supérieur. Ces potentialités favorables concentrées dans des espaces restreints expliquent, d’une part, la plus forte concentration de sites dans certaines zones, mais aussi en partie la très forte pérennité de cette catégorie de sites par rapport aux autres plus modestes. Le graphique de la figure 20, qui ventile les établissements en fonction de leur durée totale d’occupation et de leur catégorie optimale, montre que la durée moyenne de fréquentation des établissements de type ER1 est de un à trois siècles, celle des sites culminant au statut ER2 de trois à cinq siècles alors qu’une majorité de sites atteignant à l’époque gallo-romaine le statut ER3 sont fréquentés plus de douze siècles. Dans la région de Noyers-sur-serein, tous les sites de ce type donnent ainsi naissance à des habitats médiévaux. À l’image de ce qui a pu être mis en évidence en Picardie ou en Auvergne, les facteurs environnementaux semblent donc fondamentaux dans la mise en place de ces hiérarchies rurales74. Ce ne serait pas leur statut propre qui expliquerait leur occupation longue, mais plutôt l’importance des ressources locales à disposition, permettant de répondre à des crises ponctuelles d’ordre environnemental ou économique. 74- Picardie : fajon 2003 ; Auvergne : Dousteyssier et al. 2006. LEs étABLIssEMENts RURAUx ANtIQUEs DE BoURGoGNE DU NoRD, IIe-IVe sIèCLEs P.C. CoNCLUsIoN Le Haut-Empire et le début du Bas-Empire correspondent, en Bourgogne du Nord, au développement d’une hiérarchie rurale affirmée, couronnée par une série de vastes établissements luxueux. Ils adoptent des caractères communs, fruit de l’investissement des élites locales. Ce phénomène est en tout point comparable à ce qui s’observe ailleurs en Gaule interne, depuis l’Aquitaine jusqu’en Germanie. La mise en œuvre d’éléments architecturaux fastueux est l’expression du rôle important qu’incarnent les établissements ruraux dans l’affirmation de la puissance de ces catégories sociales. Cela confirme, ici comme ailleurs, la présence des élites les plus aisées dans leur domaine campagnard, dans lequel elles investissent des sommes équivalentes ou supérieures aux dépenses de leur domus urbaine. toutefois, contrairement à ce qui avait été observé en Picardie (où les sites les plus importants disposent de résidences linéaires à galerie de façade), le sommet de la hiérarchie est constitué d’un grand nombre d’établissements à résidence centrée sur un péristyle. Ces types de sites semblent tout particulièrement nombreux dans les cités de Gaule centrale, depuis les trévires, les Médiomatriques (Echternach, Luxembourg ; saint-Ulrich et Lihons, 57) ou les Helvètes (orbe et Vallon en pays de Vaud) à l’est, jusqu’aux cités de l’actuelle Bretagne et de l’Aquitaine à l’ouest, en passant par l’Auvergne et le Berry. Ils semblent largement moins courants dans le Bassin Parisien et en Gaule du Nord75. Ce modèle architectural mériterait donc une étude spécifique, permettant de mieux délimiter son aire d’extension, les choix architecturaux récurrents et ses rythmes de diffusion. Il n’en reste pas moins que les éléments mis en évidence en Bourgogne du Nord, aux confins des cités des sénons, des éduens et des Lingons, semble se retrouver, à l’identique, dans les régions précédemment citées. La genèse de ces établissements fastueux paraît s’observer au sein des formes architecturales élaborées à la fin de l’époque laténienne, même si 75- Agache 1978 ; ouzoulias 2005, à quelques rares exceptions près : Vieux Rouen, par exemple, en seine-Maritime. cette question reste encore à approfondir76. De même, le plan type de la ferme à plan centré, sur cour, est l’héritier direct des aménagements de la fin de l’indépendance, caractérisés par un ensemble de bâtiments sur cour centrale inséré dans un enclos fossoyé77. Les grands types d’établissements qui s’observent durant le Haut-Empire (ER2 et ER3), correspondent donc à une adaptation des formes élaborées dès La tène Moyenne en Gaule interne. Il s’agirait donc bien de choix architecturaux locaux, comme le supposait déjà R. Agache dès la fin des années 1970 et non de l’importation de modèles méditerranéens. Ils se distinguent, en particulier, des formes adoptées en Italie par les établissements les plus riches, en Narbonnaise et dans les Espagnes, où l’organisation des communs en deux cours semble, sinon totalement inusité, du moins nettement minoritaire. Dans un tel cadre, l’intégration de modes de construction, d’équipements et de décorations d’origine méditerranéenne ne fera généralement qu’accroître les hiérarchies préexistantes. toutefois, la mise en évidence de parcours particuliers, caractérisés par la promotion ou l’appauvrissement de certains sites au cours du temps, laisse entrevoir des hiérarchies mouvantes, fruits de réussites locales. Les quelques cas fouillés indiquent que le luxe apparent de ces établissements favorisés tend à se renforcer à partir de la fin du IIIe s. et dans la première moitié du IVe, alors que nombre de fermes de statut inférieur périclitent. Cela montre le dynamisme des campagnes du début de l’Antiquité tardive, tout particulièrement des couches supérieures de la société, comme cela a déjà été mis en évidence plus au nord ou dans le sud-ouest78. Contrairement à un grand nombre d’établissements de statut moyen qui disparaissent au cours de cette période difficile, leurs habitats connaissent des phases de reconstruction et d’embellissement qui les transforment en de véritables palais ruraux, toujours plus importants à mesure que le nombre de sites classés dans cette catégorie supérieure diminue79. 76- Bayard & Collard, dir 1996 ; Marion & Blancquaert 2000 ; fichtl, dir. 200(. 77- Nouvel et al. à paraître. 78- Van ossel 1992 ; ouzoulias 2005 ; Réchin éd. 2006. 79- Kasprzyk 2005. 387 388 LEs foRMEs DE L’HABItAt RURAL GALLo-RoMAIN Pourtant, cette évolution n’aura qu’un temps. La seconde moitié du IVe s. verra un désengagement généralisé de la part des élites rurales, matérialisé par l’abandon des parties résidentielles fastueuses. À partir du Ve s., la forte hiérarchisation, évidente jusque-là, tend à disparaître, au profit d’habitats – CAtALoGNE, GAULE homogènes et aux caractères modestes, dont seule la superficie offre des variations importantes. Les anciens établissements de fort statut, perdant leur rôle symbolique et ostentatoire, sont alors fondus dans la masse en redevenant de simples unités d’exploitation. Bibliographie Agache, R. (1978) : La Somme pré-romaine et romaine, Mémoire de la Société des Antiquaires de Picardie, 24, Amiens. Alfonso, G. et Fr. Blaizot (2004) : La villa du Champ Madame à Beaumont (Puy-de-Dôme), habitat et ensemble funéraire de nourrissons, Lyon, DARA, 27. Antoine, A., dir. (1999) : Campagnes de l’Ouest, stratigraphies et relations sociales dans l’histoire, Colloque de Rennes, 24-26 mars 1999, Rennes. Barat, Y. (1999) : “La villa gallo-romaine de Richebourg (Yvelines)”, Revue archéologie du Centre de la France, 38, 117-167. Barat, Y., dir. (2007) : Les Yvelines, 78, CAG, Paris. 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