Colloque AGER VIII
De la ferme au palais. Les établissements ruraux
antiques de Bourgogne du Nord, iie-ive siècles p.C.
Pierre Nouvel
avec la collaboration de Bernard Poitout, Michel Kasprzyk
Dès le xIxe siècle, la publication des sites de
Chiragan ou d’Athée confirma l’existence de sites
ruraux de très grande richesse, rapidement qualifiés
de villa. Leur renommée, autant qu’un faible intérêt
pour le monde rural, les consacra jusqu’aux années
1960 comme les témoins caractéristiques du réseau
d’habitats des campagnes gallo-romaines. En effet,
les multiples études menées en Gaule du Nord entre
1840 et 1960 ne concernèrent que les établissements
les plus riches, les plus aisément identifiables et les
plus attrayants pour les érudits. Cette sélection
documentaire consacra le modèle de la villa, habitat
rural aristocratique et centre d’un fundus, forme
d’organisation du territoire qui se serait étendue
sans nuance sur l’ensemble des provinces
occidentales. Ce domaine1 était imaginé comme un
modèle récurrent, associant un centre domanial
aristocratique (la villa), aux caractères architecturaux
similaires d’une région à l’autre, à des centres
d’exploitation secondaires et dépendants, où
s’observeraient quelques spécificités régionales.
Cette notion de fundus “à la gauloise” s’était appuyée
sur l’exploitation conjointe des agronomes latins
(décrivant une réalité italienne et méditerranéenne)
et des textes du haut Moyen Âge (décrivant l’unité
territoriale et fiscale de la villa carolingienne). Cette
question restera centrale pour les études rurales
jusqu’au début des années 1970, celles de la variété
1-
Grenier 1934, 884-888.
et de l’évolution des formes architecturales du
peuplement faisant figure de points secondaires. La
faible place laissée par Albert Grenier à cette question
est tout à fait symptomatique du modeste intérêt
alors porté aux formes de l’habitat rural2. Comme le
résume fort bien C. Gandini, “l’attention des
chercheurs était plus centrée sur la romanité que sur
les caractéristiques propres de l’habitat rural galloromain”3.
Le développement de la prospection aérienne, à
partir des années 1960, réorienta rapidement la
réflexion sur les formes du peuplement elles-mêmes.
Dès cette période, une série d’études permit
l’élaboration de corpus régionaux, déterminant des
hiérarchies formelles fondées sur la variété des
formes architecturales repérées. Les travaux menés
en Picardie, en Bretagne, en Charente, en Bourgogne
ou en Berry ont largement complété la documentation
disponible4. Ils ont surtout contribué à dévoiler des
hiérarchies plus complexes que celles qu’a proposées
A. Grenier, autant que l’existence de spécificités
locales. L’exploitation exclusive des données
planimétriques contribua cependant à entériner le
schéma d’une opposition nette entre une catégorie
de sites qualifiés de villas (sous-entendues aristo-
2- Grenier 1934, 813-819.
3- Gandini 2006, 18
4- Picardie : Agache 1978 ; Bretagne : Langouët 1991 ;
Charente : Marsac 1991-1993 ; Bourgogne : Uffler 1981 ; Berry
Holmgren & Leday 1981.
362
LEs foRMEs DE L’HABItAt RURAL GALLo-RoMAIN
cratiques) et la masse des fermes de tradition indigène
(orientées vers la production et supposées
dépendantes des premières5).
Cette vision quelque peu caricaturale,
conséquence de l’exploitation unique de l’analyse
formelle des organisations internes, trouva
naturellement ses limites. Comme le soulignaient
déjà E.-M. Wightman puis A. ferdière, les lacunes
dans les données chronologiques et fonctionnelles
limitaient largement la portée de ces premières
ébauches typologiques6. Il convenait de prendre en
compte d’autres critères, en particulier économiques,
fonctionnels, sociaux et surtout chronologiques
pour mieux appréhender la variété des campagnes
de la Gaule interne. La rationalisation des méthodes
et la mise en place de programmes de prospection
terrestre systématiques leur donnèrent rapidement
raison. L’essentiel des sites identifiés lors de ces
premières tentatives7 correspondait en effet à des
établissements de faible étendue, mais dont le
mobilier ne se distinguait guère de celui des sites
traditionnellement considérés comme des villas.
La question fut largement réévaluée par le
développement de l’archéologie préventive à partir
de la fin des années 1980. touchant aléatoirement
toutes les formes d’occupation du territoire, elle
fournit une masse de d’informations de qualité en
Gaule du Nord. Exploitant le mobilier recueilli et
s’appuyant sur des données stratigraphiques, ces
travaux permirent enfin de croiser les hiérarchies
formelles élaborées à partir des prospections
aériennes aux indices fonctionnels et chronologiques.
Cette démarche profita essentiellement aux périodes
jusque-là sous-documentées, en particulier les
premiers temps de la domination romaine et ceux
de l’Antiquité8. Elle mit en évidence, pour chacune
de ces phases, la complexité des phénomènes
observés, la variété des hiérarchies identifiées et
l’importance des spécificités régionales. Devant ce
constat, tout confirme la nécessité de recourir à des
analyses croisant des facteurs variés, les formes
5- Harmand 1988.
6- Wightman 1975 ; ferdière 1988.
7- ferdière 1982.
8- Premiers temps de la domination romaine : Bayard &
Collart, dir. 1996 ; Marion & Blanquaert 2000 : 12 ; Malrain et
al. 2002, p. 40-55 ; fichtl dir. 2006 ; Antiquité tardive : Van ossel
1992 ; Réchin, dir. 2006 ; Kasprzyk 2005 ; Kuhnen 2003.
– CAtALoGNE, GAULE
architecturales ne constituant pas, dans la plupart
des cas, un caractère hiérarchique évident.
Paradoxalement, cette remise en cause des
critères hiérarchiques traditionnels et la relecture
des données ont été moins importantes sur la
période centrale de l’Antiquité. La publication de
synthèses régionales, les discussions sur les
hiérarchies observées9 et les termes utilisés10 n’ont
connu un débat véritablement dynamique et
constructif qu’en Gaule méditerranéenne.
En Gaule interne, les synthèses manquent encore
largement pour cette période, phénomène déjà
souligné au début des années 199011. Les
monographies de sites restent aujourd’hui peu
nombreuses12, même si les réflexions sur les fonctions
et les activités des établissements ruraux commencent
à profiter largement de l’accroissement des données 13.
face à cette carence, les modèles conceptuels
interprétant les organisations spatiales et les
hiérarchies rurales restent donc largement influencés
par les découvertes et les études méditerranéennes,
mieux abouties, malgré la publication d’études
récentes14.
Dans un tel cadre, il nous a paru intéressant de
présenter l’apport des données recueillies en
Bourgogne du Nord. L’abondant corpus de cette
zone repose, pour une large part, sur les multiples
campagnes de prospections aériennes qui touchèrent
régulièrement et systématiquement le centre et le
sud-est du département de l’Yonne entre 1973 et
2002 (fig. 115). Coordonnés par Jean-Paul Delor, ces
travaux ont accru l’abondante moisson de
découvertes réalisées par les érudits du début du
siècle et des années 1950-196016. Ils se sont
accompagnés d’une série de prospections terrestres
et de campagnes de sondages menées par des
associations locales et de plusieurs fouilles préventives
au cours des années 1990. De nombreux sites ont
ainsi bénéficié de ramassages de mobilier et
9- Leveau et al. 1999.
10- Garmy & Leveau 2002 ; Leveau 2006.
11- Chouquer et al. 1991.
12- Barat 2005 ; Alfonso & Blaizot 2004 ; Quérel & feugère
2000 ; Van ossel & Defgnée 2001.
13- ouzoulias 2005 ; Pannetier 1996 ; Polfer 1999.
14- Bertoncello & Gandini 2005 ; Dousteyssier et al. 2006 ;
ouzoulias 2007.
15- Baray, dir. 2004.
16- Delor, dir. 2002, 55-60.
363
LEs étABLIssEMENts RURAUx ANtIQUEs DE BoURGoGNE DU NoRD, IIe-IVe sIèCLEs P.C.
Capitale de cité au IIIe siècle de notre ère
Melun
Au
be
e
Sein
Limite supposée des cités au
IIIe siècle de notre ère
Troyes
Augustobona
ne
Yon
Ville repère actuelle
Limite départementale
Cité des
Tricasses
Sens
Agedincum
Se
ine
Zone d’étude globale
se
Zone atelier de Noyerssur-Serein
ayeu
e cr
Cité des
Sénons
Joigny
n
pag
ham
C
Cité des Lingons
St-Florentin
Tonnerre
Ou
Chablis
an
Auxerre
Loi
n
g
plate
aux c
e
rgogn
ou
sse B
ne
e Ba
es d
alcair
Noyers-sur
-Serein
Arm
an
e
Cur
çon
ine
n
Yo
re
Loi
Pla
Terre
ne
50 km
Cité des Eduens
in
0
Morvan
Sere
Cité des
Bituriges
Avallon
———
Fig. 1. Localisation de la zone d’étude.
———————
d’inventaires complets qui permettent, grâce à la
mise en place d’une typochronologie céramique
locale, une datation précise de leur fréquentation 17.
L’ensemble de ce dossier a fait l’objet d’une
publication détaillée et d’une étude synthétique18.
Ces différentes sources mettent à disposition,
sur cette zone d’environ 200 km², un corpus de 2780
sites fréquentés entre la fin de l’âge du Bronze et le
haut Moyen Âge, dont 1281 correspondent à des
établissements ruraux gallo-romains (fig. 2). Nous
regroupons sous ce vocable ubiquiste, mis à l’honneur
par P. Van ossel19, l’ensemble des sites d’habitat
intercalaires. Nous mettrons donc de côté les sites
qui peuvent être considérés comme des habitats
groupés (agglomérations de taille et de fonction
diverses), les sanctuaires et les nécropoles. L’exclusion
des habitats groupés, en particulier, pourrait être
discutée, l’importance des activités agricoles dans les
agglomérations du sud de la france ayant été
récemment réévaluée20. toutefois, la recherche peine
encore à conclure à un phénomène similaire en
Gaule interne, bien que l’existence de quelques
villages paysans ait été proposée21. Nous excluons
également de notre étude un certain nombre
d’établissements spécialisés dans l’extraction et la
production du fer, dont la description a déjà été
proposée ailleurs22.
Les sites concernés par cet article développent
donc, d’après les résultats des prospections et les
multiples fouilles et sondages réalisés, une activité
essentiellement agricole, au moins durant les trois
premiers siècles de notre ère. Ils forment l’essentiel
des points de peuplement de ces régions, les habitats
groupés, quoique nombreux et dynamiques, restant
17- Nouvel 2004, 107-122.
18- Delor, dir. 2002 et Nouvel 2004.
19- Van ossel 1992.
20- Garmy & Leveau 2002.
21- Mangin et al. 2000.
22- Nouvel soumis.
364
LEs foRMEs DE L’HABItAt RURAL GALLo-RoMAIN
– CAtALoGNE, GAULE
Ensemble des établissements ruraux antiques
identifiés dans la zone d'étude (n=1281)
Établissement ruraux fréquentés au IIIe siècle
et sur lesquels nous disposons d'informations suffisantes pour être retenus dans cette étude (n=456)
0
10km
St-Florentin
Joigny
Tonnerre
Auxerre
Noyers-sur-S.
Avallon
———
Fig. 2. Localisation et densité des établissements ruraux antiques sélectionnés pour l’étude.
———————
LEs étABLIssEMENts RURAUx ANtIQUEs DE BoURGoGNE DU NoRD, IIe-IVe sIèCLEs P.C.
largement minoritaires dans le paysage. Ces
établissements ruraux atteignent d’ailleurs des
densités relativement importantes, de l’ordre d’un
site pour 200 hectares dans les régions les moins
densément mises en valeur (comme la Champagne
crayeuse) et jusqu’à un site pour 25 hectares dans
certaines portions de vallées des plateaux de Basse
Bourgogne23. Il apparaît d’autre part que l’occupation
est maximale dans cette région au cours du IIIe siècle
de notre ère24. Nous nous contenterons donc de
confronter les organisations internes et les indices
hiérarchiques des établissements bien documentés
fréquentés à cette période.
Parmi les 1281 établissements ruraux antiques
identifiés, 456 (fig. 2) répondent aux critères énoncés
ci-dessus. Grâce au croisement des données de
prospections terrestres et aériennes et aux
informations livrées par les fouilles, nous disposons
d’informations précises sur leur localisation et leur
assiette, leur période de fréquentation et leurs
caractères hiérarchiques (inventaire de différents
types de mobiliers par présence / absence).
on remarque au centre de la figure 2, localisant
l’ensemble de
ces sites, une concentration
d’informations de qualité dans la région de Noyerssur-serein. Elle est le fruit d’un programme de
recherche spécifique, mené au cours des dix dernières
années. Il a mis à disposition un corpus homogène,
s’appuyant sur les résultats de prospections terrestres,
corroborés par une série de fouilles et de sondages
ponctuels. Dirigé par B. Poitout, M. Kasprzyk et
P. Nouvel, il s’est étendu sur une dizaine de
communes entre 1997 et 2002. La région concernée,
située à l’époque antique aux confins des territoires
des cités des éduens, des Lingons et des sénons,
présente des contraintes naturelles variées,
caractéristiques du Bassin Parisien, que l’on peut
résumer à une opposition entre des étendues de
plateaux calcaires (partiellement recouverts de
placages limoneux et plus ou moins arides) et de
vallée profondes, étroites et tortueuses.
Les travaux de terrain se sont essentiellement
appuyés sur des prospections terrestres qui se sont
voulues systématiques. Au cours de ces six années,
près de 63 % de la superficie totale ont été parcourus
23- Nouvel 2004, 404, fig. 249.
24- Nouvel 2006b.
avec les méthodes maintenant acceptées partout25.
Cela nous permet de disposer de données
homogènes, présentant une certaine continuité
territoriale. Le mobilier relativement abondant
recueilli sur les sites de l’Antiquité, permet de
proposer pour chacun des fourchettes d’occupation
relativement précises. De plus, les prospections
aériennes et une série de fouilles et de sondages
éclairent, pour un certain nombre d’entre eux, leur
organisation interne. sur les 273 établissements
ruraux qui y ont été reconnus, 193, occupés au IIIe
siècle, présentent des informations de qualité
concernant leur superficie (et parfois leur
organisation interne), leur durée de fréquentation et
la nature du mobilier et des aménagements réalisés
(inventaire systématique du mobilier recueilli). Nous
avons donc là à disposition une zone atelier de
bonne qualité pour préciser ou nuancer les
observations tirées de l’étude générale du corpus du
sud-est du département de l’Yonne.
Comme dans les autres régions de Gaule du
Nord, un survol rapide de cette documentation
permet d’opposer des établissements de grande
taille, luxueusement équipés et largement pourvus
en matériaux exogènes, à d’autres, plus modestes
d’après leur superficie et leurs modes de construction
et de décoration. Ce constat, déjà souligné ici depuis
bientôt trente ans26, se devait d’être confirmé et, si
nécessaire, nuancé par une approche systématique
fondée sur un échantillon statistique adéquat.
Nous reprendrons pour cela une approche
typologique. Elle visera à croiser, plus
particulièrement, les critères architecturaux
(superficie, organisation internes) fonctionnels
(équipement interne) et sociaux (matériaux utilisés
et richesse de la décoration). La notion même
d’habitat implique en effet la prise en compte
simultanée
des
caractères
architecturaux,
fonctionnels et sociaux, dans un environnement aux
potentialités variables. C’est dans cette direction
que se sont depuis plusieurs décennies orientées les
synthèses régionales. Les plus récentes27 cherchent
avant tout à systématiser cette approche, en utilisant
parfois, à la suite des expériences méridionales, des
25- ferdière & Zadora-Rio, dir. 2001, fig. 3.
26- Uffler 1981.
27- Bertoncello & Gandini 2005 ; Dousteyssier et al. 2006 ;
ouzoulias 2007.
365
366
LEs foRMEs DE L’HABItAt RURAL GALLo-RoMAIN
analyses factorielles croisées28. Au sein de cet article,
nous nous limiterons à une démarche traditionnelle,
le traitement factoriel des données présentées ici
étant en cours au sein du programme Archaedyn.
L’ExIstENCE D’UNE HIéRARCHIE
foNCtIoNNELLE, foNDéE sUR LA sUPERfICIE
Et LEs foRMEs ARCHItECtURALEs
Les différences les plus aisément observables, au
sein de ce corpus, concernent les superficies occupées
par ces établissements.
Les données observées sur les 193 établissements
documentés dans la région de Noyers-sur-serein,
élaborées selon des critères fiables et homogènes,
sont représentatives de cette variété. Leurs différentes
– CAtALoGNE, GAULE
assiettes (en hectares), classées de la plus retreinte à
la plus étendue, sont présentées sur la figure 4. on
note que ces sites s’étendent sur une superficie
comprise entre 10 m² et un peu moins de 3 hectares.
Ces mesures correspondent à l’extension maximale
des épandages de mobiliers observés au sol et ne se
limitent donc pas à la seule emprise des
constructions.
trois populations distinctes peuvent être
identifiées à partir de ce document.
— La première, représentant moins de 5 % des
établissements concernés, comprend des épandages
inférieurs à 1000 m².
— La majorité correspond à des établissements
de taille moyenne, dont l’assiette maximum s’étend
sur 300 à 10 000 m², le plus souvent entre 3000 et
8000 m².
Établissement rural occupé au
IIIe siècle de notre ère
Parcelles prospectées
systématiquement
Le Serein (rivière)
Noyers
0
28- Gandini 2006.
5km
———
Fig. 3. Les établissements ruraux occupés au milieu
du IIIe siècle de notre ère dans la région de Noyerssur-Serein.
———————
367
LEs étABLIssEMENts RURAUx ANtIQUEs DE BoURGoGNE DU NoRD, IIe-IVe sIèCLEs P.C.
3ha
2ha
1ha
0
———
Fig. 4. Ventilation des sites selon leur assiette dans la région de Noyers-sur-Serein.
———————
— Une minorité de sites, de l’ordre de 20 %,
dépasse cette superficie, pour certains très
largement.
Ces catégories ne sauraient, cependant, être
considérées comme représentatives d’une hiérarchie
fonctionnelle sans un croisement avec d’autres
critères. Comme dans les autres régions de la Gaule
du Nord disposant de campagnes de prospection
aérienne intensives, il apparaît rapidement possible
d’identifier plusieurs groupes de sites, se différenciant
par la complexité plus ou moins grande de leur
organisation interne. Grâce aux prospections
aériennes, parfois complétées par des fouilles ou des
sondages, nous disposons ici d’environ 150 plans
d’établissements ruraux antiques plus ou moins
complets, dont près de 30 concernent les sites
repérés dans la zone d’étude de Noyers-sur-serein.
Cette documentation permet d’ébaucher une
typologie régionale des formes architecturales
observables au cours de l’époque gallo-romaine. Le
croisement de cette typologie avec les données
concernant les superficies occupées révèle des
oppositions marquées, entre des établissements de
très grande taille, bien structurés, et d’autres de plus
petite taille et moins organisés.
Les établissements de petite superficie
correspondent à des occupations spécifiques ou
marginales. Dans la région de Noyers-sur-serein, il
s’agit pour moitié d’occupation de grotte, pour
l’autre de petits bâtiments en matière périssable,
plus rarement en pierre, isolés et de très faible
étendue. Ils correspondent peut-être à des bâtiments
techniques, qui pourraient être nommés, comme
cela a été proposé en Languedoc, annexes agraires 29.
Nous ne disposons cependant pas d’informations
suffisantes garantissant qu’ils n’abritaient pas
d’habitats permanents. Ils seront nommés ici ER1
(fig. 7). La carte (fig. 5 ci-contre) montre qu’ils restent
marginaux (5 %, fig. 6) et ne représentent pas, au
sein de ce corpus livré par la prospection aérienne,
un pourcentage plus important que celui qui a été
observé, au sol, dans la région de Noyers-sur-serein.
400
337
300
200
100
57
25
0
ER1
ER2
ER3
37
ER3a
———
Fig. 6. Population des différents types d’établissements ruraux
antiques d’après leur superficie.
———————
29- favory & fiches, dir. 1994.
368
LEs foRMEs DE L’HABItAt RURAL GALLo-RoMAIN
– CAtALoGNE, GAULE
Ensemble des établissements ruraux identifiés dans
la zone d'étude (n=1281)
Établissement ruraux retenus pour l'étude (n=456) :
Établissement type ER1 (n=25)
Établissement type ER2 (n=337)
Établissement type ER3 (n=57)
Établissement type ER3a (n=37)
St-Florentin
Joigny
Tonnerre
0
10km
Auxerre
Noyers-sur-S.
Avallon
———
Fig. 5. Localisation des différents types d’établissements ruraux observés dans la zone d’étude.
———————
369
LEs étABLIssEMENts RURAUx ANtIQUEs DE BoURGoGNE DU NoRD, IIe-IVe sIèCLEs P.C.
ER1
a: Établissement rural
de faible statut (ER1)
ER2
B
ER3
P.R.
T
b : Établissement rural de statut moyen (ER2),
à plan centré et partie résidentielle à plan
longiligne
P.E.
Mur de clôture entre
pars urbana et rustica
longiligne
mur d'enceinte
c : Établissement rural de statut supérieur (ER3), plan linéaire, pars urbana à plan linéaire.
P.R.
B
ER3a
P.R.
cour
centrale
T
P.E.
Partie résidentielle
B
Bâtiment d'habitation
(B = balnéaires)
Fa
Sanctuaire domanial
P.E.
Partie exploitation
Fa
Bâtiment d'exploitation
d : Établissement rural de très fort statut (ER3a), plan linéaire, pars urbana à plan centré.
T
Tour porche
———
Fig. 7. Typologie des établissements ruraux de la période gallo-romaine d’après leur organisation interne.
———————
L’essentiel des occupations rurales (74 %, fig. 5 et
6) correspondent à des établissements de taille
moyenne, dont l’organisation interne, récurrente,
est révélée par de nombreux clichés aériens. Nous les
nommerons ici ER2. Les quelques exemples et le
schéma présentés sur la fig. 7 possèdent des caractères
communs. Ils adoptent des plans centrés, que l’on
pourrait qualifier de traditionnels ou de fonctionnels
et s’étendent sur une superficie moyenne (1000 à
10 000 m²). Le regroupement des bâtiments
d’habitation et des communs se fait autour de la
même cour, à l’image des fermes briardes ou de
Basse-Bourgogne (fig. 8). Leur plan stéréotypé tend
vers le carré (plus rarement vers le rectangle sur les
plus importants), reprenant ainsi l’organisation
traditionnelle de nombreux établissements de La
tène finale30. Ils associent plusieurs constructions,
l’habitation étant cette fois-ci nettement différenciée
30- Nouvel 2006a ; Nouvel, dir. à paraître.
des bâtiments d’exploitation par son mobilier et ses
matériaux. Les quinze établissements de ce type
fouillés ou sondés correspondent à des établissements
agricoles, associant, d’après le matériel métallique et
osseux recueilli, polyculture et élevage31. Cette
activité laisse une faible place à la chasse, pourtant
mise en évidence sur le site de Civry-sur-serein La
31- Ils se situent essentiellement dans les vallées alluviales de
l’Yonne au nord d’Auxerre (sites de Néron et des Grands Champs
à Gurgy, Delor et al. 2002, 4*, 408, fig. 531, des Ormeaux à
Champlay, Delor et al. 2002, 19*, 276, fig. 275) et dans la région
de Noyers-sur-serein (Châtel-Gérard Cul de Vausse, Delor et al.
2002, 4*, 300, fig. 318 ; Civry-sur-serein Côme Lauthereau, Delor
et al. 2002, 2*, 313, fig. 336 et 337 ; Girolles L’Épaule Gauche,
Nouvel 2005b; Joux-la-Ville Les Fousseaux et Les Bouchies, Delor
et al. 2002, 6*, p. 434, fig. 589 et 11*, 435, fig. 591 ; Môlay Pré
des Vernes, Delor et al. 2002, 3*, 489-490, fig. 673 ; Nitry Brienne,
Delor et al. 2002, 4*, 507-508, fig. 709 ; Noyers-sur-serein Puitsde-Bon, Chaumigny, Les Choumains et Les Pargues Delor et al. 2002,
14*, 512, 23*, 514, fig. 720 et 20*, 513-514, fig. 718-719). seul le
site de Crain Les Corbiers (Delor et al. 2002, 3*, fig. 361-362) a été
fouillé dans le sud du département.
370
LEs foRMEs DE L’HABItAt RURAL GALLo-RoMAIN
Étaule Les Arpanas
[89159-19]
Grimault La Garenne
[89194-18]
Joux-la-Ville Le Fonceau
[89208-07]
voie ferr
ée
Châtel-Gérard Cul de Vausse
[89092-03]
– CAtALoGNE, GAULE
fouille 1979
(TGV)
Angely Bourg sud
[89008-12]
Sarry Les Hâtes
[89376-19]
Sarry Les Buttes
[89376-13]
Annoux Le Poumois
[89012-02]
maçonneries
0
100m
———
Fig. 8. Exemple d’établissements ruraux antiques présentant des plans de type ER2.
———————
Côme Lauthereau32. La présence résiduelle de scories
de forge, probablement liée à la réparation des outils,
à l’exclusion de tout autre vestige artisanal, souligne
leur spécialisation agricole33.
La dernière classe est composée de sites qui
s’étendent sur des superficies importantes. Ils
seront nommés ER3. Leur organisation interne se
distingue nettement de celle des établissements
ruraux de taille moyenne. Révélée par les prospections
aériennes et quelques fouilles ou sondages 34, elle
montre des spécificités, reposant en particulier sur
une séparation claire entre zone résidentielle et
communs. Elle est matérialisée par un mur percé
d’une tour porche, observable sur l’ensemble des
plans disponibles (fig. 9). Ce caractère peut cependant
apparaître sur les établissements ER2 les plus
importants35.
La partie exploitation s’organise toujours en
deux lignes parallèles, dégageant une longue cour
qui fait face à la tour porche. Un mur de clôture
32- Poitout et al. 1998.
33- Nouvel 2006b.
34- Ancy-le-franc La Lame, Delor et al. 2002, 3*, 145, fig. 53 ;
Annay-sur-serein Le Beugnon, Nouvel 2005b ; Auxerre sainteNitasse, Delor et al. 2002, 129*, 196-197, fig. 141-142 ; Arcy-surCure Les Meurgers de Girelles, Delor et al. 2002, 10*, 154-155,
fig. 62 à 65 ; Brienon Thury, Delor et al. 2002, 21*, 252, fig. 236 ;
La Chapelle-Vaupelteigne Les Roches, Delor et al. 2002, 4*, 289291, fig. 299 à 303b ; Escolives-sainte-Camille Pré du Creusot,
Delor et al. 2002, 1*, 345-351, fig. 389 à 408 ; Grimault La Tête de
Fer, Delor et al. 2002, 8* 391-393 ; Guerchy La Prière, Delor et al.
2002, 5* et 6*, 395-396, fig. 498 et 499 ; Héry La Prière, Delor et al.
2002, 18* et 19*, 422 ; Mailly-la-Ville Coutaule, Delor et al. 2002,
4*, 455 et Nouvel 2005b ; Migennes Champ de l’Église, Delor et al.
2002, 1*, 485-487, fig. 666 à 669 ; saint-André-en-terre-Plain, Les
Mazières, Delor et al. 2002, 1*, 561-562, fig. 796 ; saint-Germaindes-Champs Les Grands Châgnats, Delor et al. 2002, 14*, 580-581 ;
saint-Père-sous-Vézelay, Crovée-Saint-Jean, Delor et al. 2002, 12*,
608, fig. 897 ; tonnerre, Les Petits Jumeriaux et Soulangy, Delor et
al. 2002, 19* et 20*, 736 et 35*, 740-741, fig. 1137-1138, Nouvel
2007b.
35- Lichères-près-Aigremont Les Champs Bontemps Delor et al.
2002, 1* p. 447, fig. 6007 ; Ravières La Malassise Delor et al.
2002, 4* p. 554, fig. 586 par exemple.
371
LEs étABLIssEMENts RURAUx ANtIQUEs DE BoURGoGNE DU NoRD, IIe-IVe sIèCLEs P.C.
Temple
Partie
résidentielle
Nécropole
Temple
C
A
Partie
exploitation
Partie
exploitation
Nécropole
Balnéaires
Balnéaires
B
Partie
résidentielle
Structures fossoyées
ou murs récupérés
Partie
exploitation
Maçonnerie
Épandages de
matériaux
Partie
résidentielle
0
Temple
100m
Balnéaires
Partie
exploitation
Partie
résidentielle
D
Balnéaires
Partie
résidentielle
Partie
exploitation
Partie
exploitation
Partie
résidentielle
Balnéaires
E
F
G
H
89098-06
Partie
exploitation
Partie
résidentielle
Partie
résidentielle
Partie
exploitation
Temple
———
Fig. 9. Les établissements ruraux de type ER3a de Sceaux-en-Terre-Plaine Les Craies (A), de Prégilbert Crisenon/Savigny (B), de
Cravant Bréviandes (C), Gigny Gercey (D), Blannay Les Quartiers (E), La Chapelle-Vaupelteigne Les Roches (F), Vézannes La Molosme
(G) et Guerchy La Prière (H) d’après le redressement des clichés aériens et les prospections terrestres.
———————
372
LEs foRMEs DE L’HABItAt RURAL GALLo-RoMAIN
0
– CAtALoGNE, GAULE
50m
Balnéaires
Mur fouillé
Mur visibles sur les
clichés aériens
Balnéaires
nord-est
B
Balnéaires
nord-ouest
Cour intérieure
Fossé
"Aula"
"Aula"
Cour Intérieure
Pont
A
A : La Chapelle-Vaupelteigne Les Roches
(d'après les rapports de fouilles de J. Duchâtel et les clichés aériens de l'équipe
auxerroise).
B : Lucy-sur-Cure La Quincie (d'après les
clichés aériens de l'équipe auxerroise et
es prospections au sol).
———
Fig. 10 : Quelques exemples de parties résidentielles d’établissements ruraux de type ER3a.
———————
enserre généralement l’ensemble. Cette organisation
n’est pas sans rappeler celle des établissements les
plus vastes de l’indépendance gauloise36, soulignant,
ici encore, la filiation entre les uns et les autres. La
partie résidentielle elle-même s’organise autour
d’une cour simple quadrangulaire, voire de deux
cours successives, visibles sur les deux exemples
présentés sur la figure 10.
Parmi ces sites mêmes, deux types peuvent être
individualisés, selon leur degré de rationalisation.
La comparaison du plan de l’établissement de la Tête
de Fer à Grimault et celui d’Asquins Vergigny-sur-Cure
permet de les distinguer au premier coup d’œil
(fig. 11)37. Dans le premier cas, que nous appellerons
ER3, la partie résidentielle est formée d’un corps de
bâtiment simple (ici une aile ouverte sur une galerie
et accostée de deux constructions d’angle encadrant
un bassin) et les communs sont formés de bâtiments
36- Malrain et al. 2002 ; Nouvel 2006a ; Nouvel 2006b ; Nouvel
et al. à paraître
37- Delor et al. 2002, 8*, 391-393 et 3*, 161-163, fig. 77-78).
disparates. si on observe bien ici la séparation entre
partie résidentielle et partie exploitation, les
différences sont notables avec les établissements les
plus imposants. sans parler de la superficie,
relativement réduite (1,3 ha), on doit noter le plan
de la partie résidentielle, moins développée et sans
cour centrale, et l’organisation empirique des deux
ailes des communs. La fouille38 a montré que cet état
de fait résidait dans la transformation lente d’un site
de statut moyen (dont les bâtiments sur cour centrale
ont été repérés) en un plan d’établissement de type
ER3 (fig. 11A). Cette volonté s’observe tout
particulièrement dans les thermes, qui ont pris
place, au milieu du IIe s., dans une ancienne grange
située à l’est de l’habitation (fig. 12, bâtiment II).
Dans le second, ER3a, la métrique des bâtiments est
beaucoup plus régulière, formée, semble-t-il, à partir
de cartons précis, développant des symétries
récurrentes (fig. 11B). La séparation entre partie
38- J. Duchâtel, 1955-1964, Nouvel 2006b.
373
LEs étABLIssEMENts RURAUx ANtIQUEs DE BoURGoGNE DU NoRD, IIe-IVe sIèCLEs P.C.
1er état
(Ier siècle)
Balnéaire
2nd état
(IIe-IIIe siècles)
Partie
résidentielle
0
Tour
porche
100 m
Mur de
clôture
A : Grimault (d'après les
relevés de fouilles de
J. Duchâtel et les prospections aériennes).
Partie exploitation
Tour
porche
Voie d'accès
Aqueduc
Partie résidentielle
Temple
sur podium
Seconde cour des
communs
Première cour des
communs
B : Asquins (d'après les
prospections aériennes
de l'équipe auxerroise).
Tour
porche
Bassin
Tour
porche
Fossés et bassins
Pavements
et mosaïques
Balnéaire
———
Fig. 11. Comparaison entre les établissements ruraux d’Asquins Vergigny-sur-Cure (ER3a) et de Grimault La Tête de Fer (ER3).
———————
résidentielle et communs est beaucoup plus élaborée,
comme le montrent les redressements des
photographies aériennes réalisées sur les sites d’Arcysur-Cure Les Girelles39, les multiples exemples
présentés sur la figure 9 ou encore le cas d’Asquins
présenté sur la figure 11.
Qu’ils appartiennent à la catégorie ER3 ou ER3a,
ces établissements restent relativement nombreux
dans le corpus global (respectivement 13 % et 8 %
des sites ruraux gallo-romains, fig. 5 et 6), proportion
rappelant celles des sites de grandes superficie
repérés au sol dans la région de Noyers-sur-serein.
Les activités qui s’y observent sont essentiellement
39- Delor et al. 2002, 10*, 154-155, fig. 62-65.
agricoles. La fouille de la Tête de Fer a d’ailleurs
démontré la variété des productions40. Elles associent
élevage (présence de bergeries, d’étables identifiées
grâce au matériel métallique), cultures (présence
d’un séchoir à blé, granges, greniers) et viticulture
(fosse à moût). toutes ces activités nécessitent des
constructions multiples liées à la réparation des
outils (forge, atelier de charronnage), à l’habitat et à
l’horticulture. Contrairement à ce qui s’observe
parfois ailleurs41, aucun n’a cependant montré
l’association d’activités de production agricole et de
production artisanale à vocation commerciale.
40- Delor et al. 2002, 8*, 391-393, fig. 12.
41- Polfer dir. 1999.
374
LEs foRMEs DE L’HABItAt RURAL GALLo-RoMAIN
– CAtALoGNE, GAULE
Empierrements
Maçonneries
Fosses, fossés et bassins
Bâtiment
des bains
II
T2
0
20m
Bâtiment VII
Cave
Bâtiment XIII
Citerne
Bâtiment XI
Jardin potager
Bassin
T1
Bâtiment I
Partie résidentielle
Dépotoir
à moût Bâtiment XIV
porche
atelier
pressoir ?
Bâtiment IX
habitation
"Cour des dépendances"
Bâtiment VIII
Étable
Atelier
Étable
Bâtiment V
Bâtiment III
Habitation
Bâtiment IV
Bâtiment VI
Bâtiment X
séchoir ?
———
Fig. 12. Grimault La Tête de Fer au IIIe siècle, d’après les fouilles de J. Duchâtel (plan P. Nouvel).
———————
Le croisement entre les données de prospections
au sol et les données fournies par la prospection
aérienne et par les fouilles permet donc de
différencier trois groupes d’établissements ruraux
aux caractères nettement déterminés, caractérisés
par une superficie et une complexité interne
croissantes.
Les sites de très petite taille semblent très
marginaux et représentent environ 5 % du corpus
(fig. 6). Ils correspondent, d’après les plans
disponibles, à des bâtiments isolés (ER1). Les sites
de taille moyenne, caractérisés par un plan centré
(ER2) et par un certain empirisme, forment les trois
quarts du corpus. seuls 20 % de ce dernier
correspondent à des sites de grande étendue,
organisés selon un plan linéaire et fortement
structurés (type ER3).
Ces observations concordent, en grande partie,
avec ce qui a pu être mis en évidence plus à l’ouest
en Berry ou plus anciennement en Picardie. on
notera cependant, comme le proposait déjà
A.-M. Uffler, l’importance, dans la zone d’étude, du
plan centré, ou encore “à péristyle” tel que le
nommait A. Grenier42. Les mêmes distinctions entre
ER3a et ER3 peuvent être mises en évidence en
42- Uffler 1981 ; Grenier 1934, 116.
LEs étABLIssEMENts RURAUx ANtIQUEs DE BoURGoGNE DU NoRD, IIe-IVe sIèCLEs P.C.
Berry, où le type 2 de C. Gandini s’oppose au type 1
par une improvisation plus importante et une
organisation moins rigoureuse43. Ce phénomène,
qui semble concerner l’ensemble de l’ouest, du
centre et de l’est de la france n’est pas aussi visible
en Gaule Belgique ou en Germanie, où le plan à
“galerie façade”, défini par A. Grenier, semble
généralisé même sur les établissements les plus
étendus44. Cette particularité conduit d’ailleurs
certains auteurs à douter de l’existence, dans ces
régions, d’aristocraties rurales supérieures45.
Cependant, le plan des établissements de taille
inférieure se rapproche nettement de ce qui s’observe
en Val de saône et en franche-Comté et se distingue
des observations réalisées en Berry et Val de
Loire46.
RICHEssE DE L’oRNEMENtAtIoN,
AMéNAGEMENt LUxUEUx Et HIéRARCHIEs
foNCtIoNNELLEs
Cette première hiérarchisation, fondée sur la
superficie et l’organisation interne de l’établissement,
confirmerait l’opposition théorique entre les “villas”,
aux plans stéréotypés et une multitude de “fermes”,
présentant quelques particularismes régionaux. Ce
constat doit cependant être croisé avec les indices
fournis par les prospections terrestres, qui permettent
de déterminer plus finement les fonctions et le statut
social des occupants. on serait naturellement tenté
de penser que les plus modestes ne possèdent que le
strict nécessaire au fonctionnement de l’exploitation,
l’ajout d’équipements et d’une ornementation de
qualité n’intervenant que sur les sites les plus
importants.
Cette observation serait tout particulièrement
visible dans la taille des parties résidentielles ellesmêmes et dans leur complexité. Alors que celles des
ER2 disposent d’habitations oblongues parfois
précédées d’une galerie accostée de tours d’angle,
celles des ER3 s’étendent beaucoup plus largement,
43- Gandini 2005, 294.
44- ouest, centre et est de la france :Goguey 2006 ; Gandini
2006) ; Gaule Belgique et Germanie : Grenier 1934, 114 ; Agache
1978.
45- ouzoulias 2007.
46- Val de saône et en franche-Comté : Goguey 2006 ;
établissement à “halles” en Berry et Val de Loire : Holmgren &
Leday 1981.
occupant jusqu’à plus d’un tiers de la superficie
totale. La présence d’une pièce en hémicycle,
généralement disposée au centre de l’aile principale,
est l’un des caractères distinctifs de cette catégorie
supérieure. sa décoration soignée et luxueuse
(mosaïques, stuc, blocs taillés), observée sur plusieurs
sites fouillés ou photographiés (par exemple LaChapelle-Vaupelteigne ou Lucy-sur-Cure fig. 10,
sceaux-en-terre-Plaine, fig. 9b), souligne leur
caractère indispensable au sein de l’établissement.
Elles peuvent être considérées comme des pièces de
réception, témoignant de l’importance sociale de
leur possesseur et de sa volonté de représentation.
Dépassant ce constat visuel, le corpus disponible
et l’enregistrement des mobiliers sur les sites
permettent de discuter la réalité de la hiérarchie
mise en évidence ci-dessus en la confrontant, d’une
part, avec le degré d’équipement de l’établissement
et, d’autre part, avec la richesse des modes décoratifs
employés.
Cette enquête s’est appuyée sur la réalisation
d’un tableau synthétique présentant ces diverses
données (fig. 13). Elle enregistre la présence (O) ou
l’absence (N) certaines d’aménagements et de
matériaux qui nous ont semblé représentatifs des
hiérarchies
supposées
du
monde
rural.
Malheureusement, l’ensemble des informations
croisées ici n’est pas disponible sur tous les sites.
Dans ce cas, la case “non renseigné” (NR) a été
sélectionnée.
Les aménagements et les modes de
construction
Débutons cette enquête par l’analyse du degré
d’équipement des différentes catégories de sites. Il
transparaît dans le ou les modes de couverture
employés, la présence de pièces chauffées (révélées
par des tubulures et des pilettes), de balnéaires (ainsi
que l’adduction d’eau), de bassins ornementaux ou
par l’existence d’un lieu de culte associé à
l’établissement.
Le tableau fig. 13 et les graphiques fig. 14a et 14b
présentent les proportions de sites des différentes
catégories ayant fourni des tuiles ou des dalles sciées.
on observe que toutes ces catégories présentent ces
éléments. Néanmoins, ils sont rares sur les sites de
type ER1 (12 % disposent de dalles sciées, 20 % de
tegulae, aucun ne présente les deux modes de
couverture associés) alors que la totalité des
375
376
LEs foRMEs DE L’HABItAt RURAL GALLo-RoMAIN
– CAtALoGNE, GAULE
O
ER1
ER2
ER3
ER3a
N
NR O
N
NR O
N
NR O
N
NR O
N
NR O
N
NR
dalles sciées
tegulae
tubulures
balnéaire
adduction eau
temple
3
22
0
5
20
0
0
25
0
0
25
0
0
18
8
0
25
0
133 196
8 266
4 116 201
20
67 187
3
21 259
67
83
0 282
55
21
3
0
56
0
1
50
0
11
0
39
33
57
0
7
2
17
38
35
2
0
37
0
0
37
0
0
36
0
1
11
0
26
14
0
23
ER1
ER2
ER3
ER3a
O
N
NR O
N
NR O
N
NR O
N
NR O
N
NR O
N
NR
architectoniques enduits peints
marbre
statuaire
mosaïque
bassin
0
23
2
0
23
2
0
25
0
0
21
4
0
25
0
0
24
1
38 107 192
52 133 152 28
32 241
64
4 236
97
1 304
32
76 233
38
0
19
8
16
33
19
54
0
3
16
0
41
41
4
12
38
0
33
0
4
17
4
16
31
0
6
37
0
0
15
0
22
33
0
4
———
Fig. 13. Croisement des données architecturales et décoratives sur les 456 établissements retenus pour l’étude. O :
présence confirmée ; N : absence confirmée ; NR : absence d’information.
———————
établissements ER3 et ER3a documentés en
possèdent. La présence ou l’absence de ces matériaux
ne semblent donc pas réservées à certains types de
site, même si la proportion de sites utilisateurs
augmente en fonction de la taille de l’établissement.
L’utilisation des dalles sciées en couverture paraît
réservée à certaines zones géographiques, proches
des ressources (le tonnerrois et les plateaux calcaires
de Basse Bourgogne en général) plutôt qu’à certains
types d’établissements. Dans ces régions, on observe
souvent l’association des deux modes de couverture
et ce même sur des établissements ER2 de taille
réduite. Ces deux matériaux ne doivent donc pas
être considérés comme des éléments discriminants.
La présence de balnéaires, leur complexité ainsi
que l’utilisation d’hypocaustes sont variables en
fonction de l’étendue du site et de son degré
d’organisation (fig. 14c, 14d et 14e, présence de
tubulures, de balnéaires et d’une adduction d’eau).
tous les établissements de statut supérieur (ER3 et
ER3a) sur lesquels cette information est disponible
disposent de ces aménagements, toujours plus
complexes si l’établissement est vaste. si certains
ER2 en sont équipés, ils restent relativement
modestes, la taille des balnéaires des ER3 simples
restant dans une petite moyenne (fig. 11a et 12,
Grimault La Tête de Fer) comparée à ceux d’Escolives-
sainte-Camille Pré du Creusot47 ou d’Asquins
(fig. 11b). Ce n’est donc ni la présence de balnéaires
(fig. 14d) encore moins de pièces chauffées par
hypocauste (révélée par la présence de tubulures en
terre cuite, fig. 13c) qui permettent une identification
des sites les plus importants, mais la taille et la
multiplication des uns ou des autres. Les volumes
d’eau nécessaires à leur fonctionnement ont
d’ailleurs souvent nécessité la construction
d’aqueducs comme celui qui aboutissait au site de
saint-Moré En Gaudrée et utilisait les sources de
Saint-Moré48. Ils sont donc généralement associés aux
établissements les plus importants (fig. 14e).
Ce n’est que sur ces sites (ER3a) que l’on observe
la présence de constructions adoptant le plan
caractéristique des temples à plan centré galloromain. Ils apparaissent sous la forme d’une pièce
centrale entourée d’une galerie, le tout souvent
clôturé par un péribole (fig. 14f). Les rares
comparaisons
disponibles,
par
exemple
l’établissement de Richebourg49, permettent d’y voir
autant un temple domanial qu’un mausolée.
L’absence de fouille sur ce type de structure dans
notre région ne permet d’ailleurs pas de trancher
avec certitude, même si la similitude entre ces
constructions et les temples voisins nous fait pencher
47- Delor et al. 2002, 1*, 345-351.
48- Nouvel 2004, t.2, fig. A546 ; Delor et al. 2002, 8*, 595.
49- Barat 1999 ; Barat, dir. 2007, fig. 453.
377
LEs étABLIssEMENts RURAUx ANtIQUEs DE BoURGoGNE DU NoRD, IIe-IVe sIèCLEs P.C.
a : Utilisation de dalles en calcaire scié
b : Utilisation de tegula et d’imbrex
100%
100%
80%
80%
60%
60%
40%
40%
20%
20%
0%
0%
ER1
ER2
ER3
ER3a
c : Utilisation des tubulures et des pilettes d’hypocauste
ER1
ER3
ER3a
ER3
ER3a
ER3
ER3a
d : Présence de Balnéaires
100%
100%
80%
80%
60%
60%
40%
40%
20%
20%
0%
ER2
0%
ER1
ER2
ER3
ER1
ER3a
e : Présence de conduit d’adduction d’eau
ER2
f : Présence d’un temple
100%
100%
80%
80%
60%
60%
40%
40%
20%
20%
0%
0%
ER1
ER2
ER3
ER3a
ER1
ER2
g : Présence d’un bassin
100%
absence
80%
présence
60%
non renseigné
40%
20%
0%
ER1
ER2
ER3
ER3a
———
Proportion de sites de chacun des types utilisant des matériaux
ou des aménagements architecturaux spécifiques (voir le
tableau fig. 13).
———————
378
LEs foRMEs DE L’HABItAt RURAL GALLo-RoMAIN
pour la première des hypothèses. Leur mise en scène
varie en fonction de l’importance des établissements.
À Prégilbert Plaine de Crisenon (fig. 9c), la construction,
à déambulatoire reposant sur des dés de pierre, est
disposée dans l’aile sud des communs, à proximité
de la partie résidentielle. À Cravant Val Suzon et à
sceaux-en-terre-Plaine Les Craies, elle est située à
l’extrémité opposée des communs et adopte un plan
centré (fig. 9a et 9b). À Asquins Champs des Églises
(fig. 11b), une construction monumentale, reposant
sur un podium à caisson est visible au centre de la
première cour, répondant à une volonté évidente de
monumentalisation. Il serait tentant d’y voir, non
pas un temple de type gallo-romain, mais un véritable
édifice cultuel de modèle italique. Dans les
établissements de statut inférieur, ce genre de
construction n’existe pas. on y rencontre par contre
des lieux de culte moins structurés, prenant la forme
de niches pourvues de statues de facture locale. Elles
ont été observées dans les caves (Joux-la-Ville Les
Bouchies) ou dans une pièce annexe de la partie
résidentielle (Grimault La Tête de Fer)50.
Enfin, la présence de bassins semble un caractère
réservé aux établissements les plus vastes et les plus
complexes (fig. 14f). tous les aménagements de ce
type apparaissent sur les sites de statut supérieur.
Encore certains ER3 en sont-ils dépourvus, alors
que tous les ER3a dont nous possédons le plan
complet en disposent. La fonction de ces
aménagements, parfois de grande taille, nous
échappe partiellement. si certains consistent
probablement en des aménagements piscicoles,
comme à Molesme en Côte d’or51, l’utilité de la
plupart semble se limiter à l’ornementation. Les
exemples, plus ou moins développés, visibles sur les
sites de Cravant Bréviandes (fig. 9c), d’Asquins
Vergigny (fig. 11B) ou encore de Grimault La Tête de
Fer (fig. 11A), montrent leur implantation au cœur
de la partie résidentielle et leur participation à un
effet de perspective généralisé.
La superposition des critères hiérarchiques
visibles dans les plans mis en œuvre, les superficies
bâties et les équipements présents confirment donc
partiellement l’existence de différences de statut
marquées au sein de l’habitat rural de cette région.
50- Delor et al. 2002, 11*, 435, fig. 591 et 8*, 393, fig. 12.
51- Petit et al. 2006.
– CAtALoGNE, GAULE
Elles recoupent, en partie seulement, l’importance
de la mise en œuvre de matières nobles et onéreuses
dans leur élévation et leur ornementation.
Les matériaux et les choix décoratifs
L’opposition entre une maison en pierre de taille
et une chaumière symbolise, pour nos contemporains,
celle qui existe entre un site de statut élevé et un
autre de statut inférieur. Pourtant, cette opposition
est souvent artificielle, les choix de matériaux
dépendant essentiellement des disponibilités locales.
Ainsi, l’utilisation de maçonneries ne semble pas, à
la lumière de la documentation disponible ici,
réservée aux établissements de statut supérieur. À
l’inverse, certaines zones, en particulier les fonds de
vallée alluviale, n’offrent aucune ressource dans ce
domaine. Les établissements gallo-romains y sont
aménagés en matières périssables et apparaissent
sous la forme de nébuleuses de trous de poteaux et
de fossés52. Ces sites présentent pourtant parfois des
superficies et des éléments mobiliers qui peuvent les
faire comparer, pour la plupart, aux multiples ER2
de Basse Bourgogne, qui voient la généralisation de
la pierre à une période relativement précoce53, et,
pour d’autres, aux établissements de statut supérieur.
À l’inverse, les établissements les plus modestes des
plateaux calcaires mettent en œuvre la pierre de
façon récurrente54.
La présence de blocs de construction en grand
appareil et d’ornements architecturaux dépend elle
aussi largement des potentialités locales (fig. 15a).
Les sites les plus modestes de plateau calcaire (ChâtelGérard Le Cul de Vausse55) ont ainsi livré des bases de
pilastres qui manquent cruellement sur les
établissements les plus riches de Champagne
crayeuse, où les carences en pierre de construction
ont conduit à une récupération généralisée de ce
genre de matériaux. si une partie de cette parure
monumentale a parfois été conservée (Migennes
Champ de l’Église / La Côte Mitière56), les vestiges qui
52- Ainsi à Néron à Gurgy (Delor et al. 2002, 1*, 415, fig. 548550) ou aux Prés Carillon/Guerchy à seignelay (Delor et al. 2002,
2*, 625, fig. 923.
53- Nouvel 2004, t. 1, 166 ; Nouvel 2005.
54- Civry-sur-serein Côme Lauthereau, Annoux Les Poumois :
Nouvel 2004, 2, fig. A236 et A35.
55- Delor et al. 2002, 4*, 300, fig. 318.
56- Delor et al. 2002, 1*, 485-487, fig. 666 à 669.
379
LEs étABLIssEMENts RURAUx ANtIQUEs DE BoURGoGNE DU NoRD, IIe-IVe sIèCLEs P.C.
100%
a : présence de blocs architectoniques
100%
80%
80%
60%
60%
40%
40%
20%
20%
0%
0%
ER1
100%
ER2
ER3
ER1
ER3a
c : présence d'élément de statuaire en pierre
100%
80%
80%
60%
60%
40%
40%
20%
20%
0%
ER2
ER3
ER3a
d : Présence de marbre (placage)
0%
ER1
100%
b : présence d'enduits peints
ER2
ER3
ER3a
ER1
ER2
ER3
ER3a
e : présence de mosaïque
absence
80%
présence
60%
non renseigné
40%
20%
0%
ER1
ER2
ER3
ER3a
en subsistent ne permettent pas d’en mesurer
l’ampleur initiale.
D’autre part, les choix architecturaux dépendent
largement des évolutions chronologiques. si l’emploi
de la pierre est confirmé sur de nombreux sites dès
l’époque augustéenne, il semble au départ limité aux
établissements les plus importants57. Un phénomène
similaire peut être observé à partir du IVe s. À cette
période, les établissements de statut supérieur
mettent largement en œuvre la maçonnerie alors
que les plus modestes n’utilisent plus que le bois,
comme celui de Censy Senailly58.
57- Annay-sur-serein Le Beugnon Nouvel 2005.
58- Kasprzyk & Nouvel 2001 ; Nouvel 2006b.
———
Fig. 15 : Proportion de sites de chacun des types utilisant des
modes décoratifs spécifiques (voir le tableau fig. 13).
———————
La détermination du statut des établissements à
travers les matériaux employés s’avère donc moins
aisée qu’à travers l’analyse de leur plan même.
toutefois, la mise en œuvre de matériaux nobles et
onéreux recoupe en partie ces observations : bien
que la présence de ces éléments (marbre, mosaïque,
peintures murales, stucs, sculpture en ronde-bosse et
éléments architectoniques, fig. 13 et 15a à 15e)
dépende en grande partie de l’importance des
recherches menées sur les sites, quelques spécificités
peuvent être identifiées.
La présence de sols mosaïqués semble la plus
caractéristique (fig. 15e). Ces éléments, les plus
luxueux sans doute, n’apparaissent, à quelques très
rares exceptions près, que sur les établissements ER3
ou ER3a. Cette parure monumentale est complétée
380
LEs foRMEs DE L’HABItAt RURAL GALLo-RoMAIN
par l’ensemble des éléments architecturaux sculptés,
les occurrences de sculpture en ronde-bosse de
qualité (fig. 15c, par exemple Lucy-sur-Cure Quincie,
Arcy-sur-Cure Les Girelles, Asquins Champs des Églises)
et a fortiori d’épigraphie (Migennes Champ de la
l’Église) n’ayant été observées que sur les ER3. Enfin,
l’utilisation du marbre, révélée par la présence de
placages, semble réservée à cette catégorie supérieure
(fig. 15d) et peut être considérée comme un bon
descripteur des établissements de statut supérieur.
La présence d’enduits peints et de stucs paraît
moins déterminante, car ils apparaissent également
sur un certain nombre d’ER2, pas spécialement les
plus étendus (fig. 15b).
Ainsi, si certains éléments semblent réservés aux
établissements ruraux les plus étendus et les plus
organisés (en particulier la présence de mosaïques et
de placages de marbre), la diffusion des éléments
architectoniques, des peintures murales et des stucs
s’observe sur les établissements plus modestes. Ce
constat souligne à la fois l’importance de la
romanisation autant que la volonté des propriétaires
ou des exploitants les plus modestes d’imiter les
catégories les plus élevées à travers des aménagements
onéreux.
Au terme de ce tour d’horizon, il convient donc
de nuancer la réalité de catégories de sites
hiérarchisées et imperméables les unes aux autres,
fondées sur une opposition nette entre de vastes
établissements concentrant tous les témoins de
richesses et une multitude de sites modestes.
Certes, trois groupes de sites ruraux, présentant
des caractères communs, peuvent se dégager de
notre étude.
Le premier, nommé ER1, se caractérise par un
bâtiment unique mais aussi par l’absence de toute
ostentation. Une minorité seulement porte une
couverture en tuiles, en dalles sciées ou en laves. Il
convient donc d’interpréter cette catégorie de faible
superficie et sans aménagement comme des annexes
agraires. on ne saurait cependant rejeter d’emblée
la possibilité d’unités d’exploitations modestes,
animées par des propriétaires tout particulièrement
modestes ou par une catégorie d’exploitants
dépendants.
La catégorie ER2 semble nettement plus
hétérogène. tous les sites présentant un plan
caractéristique de ce type, ou presque, sont couverts
– CAtALoGNE, GAULE
avec des matériaux transformés, fabriqués à proximité
ou à moyenne distance (dalles sciées sur les plateaux
de basse Bourgogne, tuiles ailleurs). Nombreux sont
ceux qui disposent d’aménagements de qualité, tels
que des pièces sur hypocauste ou des balnéaires,
bien que d’autres se révèlent d’une pauvreté
navrante. tous présentent une partie résidentielle,
soulignant qu’il s’agit bien d’un cadre de vie
permanent, mais dont les aménagements sont très
variables. son ornementation plus ou moins
luxueuse laisse ici entrevoir la possibilité, sur
certains, d’investissements personnels, fruits d’un
labeur indépendant et des nombreux excédents
livrés par une période faste de production. Il n’est
cependant pas impossible que d’autres soient le lieu
de vie d’exploitants dépendants, disposant de fonds
propres.
Quand la documentation disponible est
suffisante, on note que les établissements présentant
des plans de type ER3 possèdent la totalité des
critères d’ornementation. Ils sont d’ailleurs les seuls
à être dotés de mosaïques et, lorsque les informations
sont suffisamment fines, d’adduction d’eau sous la
forme d’aqueducs parfois conséquents. toutefois,
entre les ER3 et ER3a, on voit clairement que les
seconds disposent de tous les ornements,
contrairement aux ER3 qui sont parfois privés de
mosaïque. tout concourt à voir dans ces sites le
cadre de vie d’exploitants indépendants. Le luxe et
l’organisation même des parties résidentielles
indiquent des similitudes d’ostentation et
d’ornementation qui contribuent à des objectifs
similaires. La mise en œuvre de plans audacieux,
s’appuyant sur de vastes perspectives, laisse supposer
la circulation de plans d’architecte et une volonté
d’ostentation évidente, mettant en scène la partie
résidentielle par rapport aux communs. Les
matériaux autant que l’organisation générale des
lieux d’habitation font écho aux domus aristocratiques qui s’édifient au même moment dans les
capitales de cités. Il serait tentant de voir, derrière
ces établissements, une seule et même catégorie
sociale, celle des aristocrates dont la puissance repose
sur leurs possessions foncières.
Les caractères propres aux ER3 (qui semblent,
pour certains, être l’aboutissement de l’évolution
d’établissements de statut inférieur), montrent une
certaine émulation autant que des possibilités de
LEs étABLIssEMENts RURAUx ANtIQUEs DE BoURGoGNE DU NoRD, IIe-IVe sIèCLEs P.C.
fluctuations au cours du temps entre ces diverses
catégories.
Cependant, la présence d’éléments qui pourraient
être considérés comme luxueux sur des établissements
modestes confirme également la communauté de
pratique et de mode de vie parmi les populations
rurales, qu’elles vivent dans de vastes demeures ou
dans des fermes plus modestes. Les efforts,
observables sur les sites intermédiaires, pour disposer
d’équipements de qualité (balnéaires, peintures
murales, stucs) et consommer des produits similaires
à ceux des propriétaires les plus favorisés, soulignent
cette acculturation et ce mimétisme qui caractérisent
le monde rural de cette région durant l’Antiquité
gallo-romaine.
L’ensemble de ces constatations repose sur des
critères qui restent bien évidemment discutables. si
le croisement des données mobilières et immobilières
corrobore partiellement les hiérarchies livrées par
l’observation des plans et des différences de
superficie, elle ne permet cependant pas
d’individualiser des cas ou des parcours particuliers.
Il faudrait, nous en sommes conscients, encore
affiner cette démarche, en prenant en compte le
mobilier de ces sites et tenter de tracer des évolutions
types de la période laténienne à la tardo-antiquité.
La présence d’éléments en ivoire, d’ornements
ou de statuaire en bronze sur des sites de taille
moyenne souligne par ailleurs que les matières les
plus onéreuses peuvent apparaître sur des sites
relativement modestes59. face à un tel constat, seule
une analyse proportionnelle des corpus de mobilier
permettrait d’affiner les hiérarchies proposées ici à
partir des organisations internes, des équipements
et des matériaux utilisés. Cela nécessiterait la mise à
disposition de corpus exhaustifs et comparables.
Leur nature même, issue de contextes variables
(découvertes anciennes, fouilles récentes partielles
ou exhaustives, prospections), empêche encore cette
approche en Bourgogne. Enfin, il est impossible de
mesurer l’importance des récupérations et des
atteintes postérieures qui peuvent avoir réduit par la
suite, artificiellement, leur potentiel mobilier. sans
parler de pillages anciens, les activités de récupération n’ont pas manqué de s’attaquer en priorité
aux matières les plus nobles, en particulier le métal
59- Nouvel 2007a.
et le marbre exploité dans les fours à chaux. si
certains établissements en livrent en proportion
importante, la pauvreté de certains autres (Migennes
Champ des Églises par exemple, dans une moindre
mesure Escolives-sainte-Camille), comparée à
l’investis-sement architectural consenti par leur
propriétaire, permet de mesurer le fossé entre la
réalité de leur richesse et la documentation
archéologique effectivement exploitable.
RéPARtItIoN Et éVoLUtIoN DEs HIéRARCHIEs
RURALEs EN BoURGoGNE DU NoRD.
Évolution des hiérarchies rurales au cours
du Haut-Empire.
Le croisement des données structurelles (surface
et organisation interne) et fonctionnelles
(équipement, luxe des aménagements) confirme
donc, dans ses grandes lignes, l’existence de
hiérarchies bien affirmées dans cette région au cours
du Haut-Empire. Il permet, en particulier, d’observer
l’émergence, comme dans les autres régions de la
Gaule intérieure, de vastes établissements à
l’organisation interne rigoureuse et présentant tous
les caractères du luxe. Reste à déterminer l’origine
de ces formes caractéristiques.
Des différences de taille et d’organisation interne
similaires sont déjà lisibles au sein des établissements
laténiens. L’accroissement des données au cours des
dernières années permet d’opposer quelques rares
établissements sur deux cours comme ceux d’Herblay
(95) ou de Batilly (45) à une multitude d’établissements formés de bâtiments ouvrant sur une cour
centrale et entourés d’un fossé périphérique,
Cependant,
généralement
quadrangulaire60.
contrairement à la période qui suit, le mobilier
récolté sur ces sites ne permet pas d’opposer
clairement ces deux populations61. Ce sont
essentiellement la nécropole, dans laquelle sont
déposées les richesses du propriétaire, et la
matérialisation des monuments funéraires plus ou
moins nombreux et imposants qui permettent de
mesurer la richesse d’une communauté62. Les deux
grands types d’établissement observés en Bourgogne
60- Marion & Blancquaert 2000 ; Malrain et al. 2002.
61- fichtl, dir. 2005.
62- Nouvel 2005a.
381
382
LEs foRMEs DE L’HABItAt RURAL GALLo-RoMAIN
du Nord correspondraient donc à la romanisation
d’un plan préexistant.
Il est toutefois difficile, par manque de
documentation, de préciser la période de réaménagement, qui correspond à une “romanisation” du
bâti63 de ces établissements de statut supérieur. Par
contre, les prospections terrestres sont à même de
déterminer les phases d’abandon des différents
éléments qui les constituent, en particulier celle de
la vaste partie résidentielle qui les différencie des
établissements plus modestes. Il est donc plus aisé, à
partir de notre corpus, d’examiner précisément la
fin du processus que sa genèse.
Rares sont les sites de la zone d’étude ayant
atteint, à une période ou à une autre, le statut
supérieur (ER3) qui ont fait l’objet de fouilles
récentes. seuls quelques dossiers (Migennes,
Escolives, Auxerre Sainte-Nitasse, Annay-sur-serein,
Champlay, Noyers-sur-serein, La ChapelleVaupelteigne, Mailly-la-Ville, Nuits-sur-Armançon)
permettent de préciser leurs origines et la datation
de leur phase de monumentalisation. Il apparait que
les ER3a d’Escolives-sainte-Camille, de La ChapelleVaupelteigne et Annay-sur-serein ont connu une
monumentalisation plus ou moins précoce, entre le
début du Ier s. p.C. (Annay-sur-serein) et le IIIe siècle
(Escolives-sainte-Camille)64. tous se caractérisent
toutefois par un projet de grande ampleur réalisé
d’un seul jet. Les parties résidentielles ont connu
dans tous ces cas des remaniements importants au
cours de leur occupation, en particulier durant la
tardo-antiquité.
À l’inverse, des établissements comme La Tête de
Fer à Grimault, du Champ des Églises (Migennes), de
Sainte-Nitasse (Auxerre) ou des Berrons (Brienon-surArmançon) semblent le fruit d’une évolution plus
longue. À Grimault, les phases les plus anciennes
correspondent à un établissement modeste, que la
taille et le plan font comparer aux autres occupations
rurales de statut moyen de cette région (fig. 12). De
même, à Migennes, les états les plus anciens sont
sans commune mesure avec la monumentalisation
qui prendra place à partir du IIIe s.65. L’aspect éclaté
de certains sites ER3, en particulier celui de Brienon-
63- Bayard & Collard, dir. 1996.
64- Nouvel 2005b et Delor et al. 2002, 34.
65- Delor et al. 2002, 1*, 485-487, fig. 666 à 669.
– CAtALoGNE, GAULE
sur-Armançon Les Berrons66, souligne d’ailleurs leur
origine relativement modeste. Certains de ces sites
passeront même par tous les stades intermédiaires
avant d’atteindre le statut d’ER3a à une période
tardive, au IIIe s., par exemple, pour le site de tonnerre
Soulangy67.
Il semble donc que cette volonté ostentatoire se
retrouve dès le premier siècle de notre ère sur certains
établissements. Ce seront eux, pour la plupart, qui
connaîtront une monumentalisation qui en fera, au
cours du Haut-Empire, de véritables palais ruraux,
dont le plan d’un seul jet souligne la capacité de leur
propriétaire à mobiliser de fortes sommes d’argent
en un temps relativement réduit. Parallèlement,
d’autres établissements, plus modestes à l’origine, se
développeront largement au cours de leur longue
occupation pour atteindre la catégorie supérieure.
C’est ainsi que le site de La Tête de Fer, de statut
médiocre au Ier s. p.C., s’étendra pour donner
naissance, au IIIe s., à un ensemble beaucoup plus
structuré, opposant partie résidentielle et partie
exploitation sur deux lignes, mais dont l’hétérogénéité
souligne l’empirisme et les ajouts successifs. L’absence
de plan d’ensemble laisse à penser que, contrairement
aux sites précédents, le propriétaire n’avait ici pas les
moyens de mobiliser une somme d’argent suffisante
pour restructurer entièrement son bien-fonds.
L’évolution de ces établissements de statut
supérieur au cours de l’Antiquité tardive est plus
aisée à mettre en évidence. Elle repose essentiellement
sur les données offertes par les prospections terrestres
qui permettent de mesurer l’importance de
l’occupation des parties résidentielles des sites de
type ER3 au cours du temps. La figure 16 présente
l’évolution du nombre de site de type ER3 par
rapport aux autres établissements ruraux sur la
période s’étendant de 50 à 800 p.C. on note que ce
nombre est maximum au IIIe s. (toutes les parties
résidentielles de ce type sont alors occupées). Leur
proportion croît entre le Ier et le IIIe s. car des
établissements de type ER2 se transforment, au
cours de la période, en ER3.
66- Delor et al. 2002, fig. 236.
67- fouille INRAP / Nouvel 2007b.
383
LEs étABLIssEMENts RURAUx ANtIQUEs DE BoURGoGNE DU NoRD, IIe-IVe sIèCLEs P.C.
toutefois, à partir du IIIe s., le destin de l’une et
de l’autre des catégories (ER2 et ER3) va sensiblement
diverger.
La plupart des ER3 survivent à la période 275 –
350 sans perdre leur statut, leur vaste partie
résidentielle étant toujours occupée. À l’inverse, de
nombreux ER2 vont être abandonnés, dans une
proportion atteignant parfois plus de 40 % du total
(dans la zone de Noyers-sur-serein en particulier,
fig. 16). Certes, quelques abandons partiels ont été
observés dans les catégories supérieures, comme
Grimault La Tête de Fer, qui rétrograde alors, d’après
la superficie occupée et l’abandon de nombreux
bâtiments, au statut d’ER268. Pourtant, les indices
disponibles soulignent la persistance des caractères
luxueux mis en place à la période précédente. Les
réaménagements nombreux qui ont lieu à la fin du
IIIe s. et au début du IVe s. sont l’expression d’un
dynamisme certain. Le début du IVe s. voit même
certaines promotions (Brienon-sur-Armançon Les
Berrons, ER2 précédemment, sur lequel une vaste
zone résidentielle à cour centrale se développe) et
l’accroissement de l’investissement dans la plupart
de ceux déjà au sommet de la hiérarchie (La ChapelleVaupelteigne, Migennes, Escolives-sainte-Camille,
etc.). Le cas de Migennes Champ de l’Église, fouillé au
cours des années 1980, en est l’expression la plus
aboutie et souligne la capacité d’investissement des
élites rurales au début du Bas-Empire69.
Au cours de la phase suivante (350-400), on
observe, sur ces sites favorisé, une tendance à
l’abandon des parties résidentielles, aboutissant à
une rétractation de l’occupation sur les anciens
communs70. Le nombre d’établissements répondant
aux critères des ER3 du Haut-Empire diminue donc
à cette période, la grande rupture semblant devoir
être fixée au milieu du IVe s. on note alors une
disparition ou un déclassement des quatre
cinquièmes des ER3 existant au début du siècle, les
sites répondant encore, postérieurement aux années
360, aux critères caractéristiques des ER3 ne
représentant plus qu’une part infime de ceux qui
existaient au cours du IIIe s. seules, quelques parties
résidentielles luxueuses, localisées essentiellement
dans des établissements situés en pays sénon,
68- Kasprzyk & Nouvel 2001,
69- Delor et al. 2002, 1*, 485-487, fig. 666 à 669.
70- Kasprzyk & Nouvel 2001 et 2003.
500
400
300
200
100
0
50 à
période
100
100 à
200
200 à
275
275 à
350
350 à
400
400 à
500
500 à
800
ER3 dont la partie résidentielle est occupée
Autres types d'établissements ruraux
———
Fig. 16. Évolution comparée du nombre d’ER3 par rapport au
total des établissements ruraux.
———————
continuent à être fréquentées et embellies jusqu’à la
fin du IVe s., avant d’être, elles aussi, désaffectées
avant le milieu du siècle suivant71. Les sites totalement
désertés sont cependant très rares, le phénomène se
limitant généralement à un abandon de la partie
résidentielle72. Les bâtiments d’exploitation donnent
généralement naissance, sans hiatus d’occupation, à
un habitat plus ou moins modeste du haut Moyen
Âge.
Il faut donc convenir que le phénomène des
établissements de statut supérieur est ici éphémère
et fragile et que les conditions générales ne permettent
plus leur survie à partir de la seconde moitié du IVe s.
et surtout au Ve s. p.C. Cette évolution scelle la fin
de l’investissement des élites dans l’habitat rural.
Elle ne s’accompagne cependant pas de l’abandon
des bâtiments d’exploitation qui, pour la plupart,
continuent à être occupés, donnant progressivement
naissance à des habitats moins structurés et
hiérarchisés, caractéristiques du monde rural au
haut Moyen Âge dans ces régions.
71- Nouvel 2004, fig. 124.
72- Nouvel 2004, 249-251, fig. 150.
384
LEs foRMEs DE L’HABItAt RURAL GALLo-RoMAIN
Répartition des établissements de statut
supérieur
Quels que soient leur origine et leur parcours
postérieur, les sites ruraux les plus importants
s’observent au IIIe s. dans des environnements et des
localisations topographiques spécifiques.
La zone d’étude de Noyers présente une image
caricaturale de cette répartition (fig. 17) : ils sont ici
totalement absents des plateaux calcaires et se
concentrent dans l’étroite vallée du serein. on
0
1
– CAtALoGNE, GAULE
pourrait croire, à une lecture rapide de ce document,
qu’il y a là un effet exclusif lié à la topographie. Des
critères d’accès à l’eau ou de proximité des axes de
fond de vallée pourraient éventuellement être
évoqués.
La carte figure 18 indique cependant qu’une
certaine prudence doit être de mise. sur cette carte
à plus grande échelle, la corrélation entre vallées et
établissements de statut supérieur semble se limiter
aux plateaux calcaires de Basse Bourgogne. En effet,
5km
Établissement rural de statut supérieur (ER3)
Établissement rural de statut moyen et
inférieur (ER1 et 2)
371-18
150
200
250
altitude en m.
300
350
———
Fig. 17. Répartition des établissements ruraux occupés au IIIe s., localisés dans la zone d’étude de Noyers-sur-Serein.
———————
385
LEs étABLIssEMENts RURAUx ANtIQUEs DE BoURGoGNE DU NoRD, IIe-IVe sIèCLEs P.C.
ER3 sans élément de
datation précis
ER3 du IIIe siècle
ER3a du IIIe siècle
Cité des Sénons
Cité des Lingons
———
Fig. 18. Carte de la localisation des établissements
ruraux fréquentés au IIIe s. en Bourgogne du Nord.
———————
Cité des Éduens
50km
les sites de type ER3 sont totalement absents des
vastes plaines alluvionnaires de l’Yonne en aval
d’Auxerre ou de la confluence Yonne / Armançon,
zones pourtant largement documentées. Ils se
multiplient pourtant en terre Plaine, au contact de
la cuesta Bajocienne, loin des rivières de cette région.
Ils sont également nombreux en Châtillonnais, au
pied de la cuesta dite Côte des Bars73. Enfin,
plusieurs ont été repérés en plein Morvan, isolés sur
les croupes granitiques et loin des axes fluviaux
encaissés.
Il convient donc de rechercher des causes plus
complexes à la genèse de ce type de site.
La figure 19 (élaborée sur la zone d’étude de
Noyers-sur-serein) montre ainsi que plus le statut
d’un établissement est élevé, plus le nombre de types
73- Goguey 2006.
de sols disponibles à proximité immédiate est
important. C’est le cas dans les plateaux de BasseBourgogne, au centre de la carte figure 18, où cette
60
50
nb de sites
0
40
30
20
10
0
plus de 5 types de sols
ER2
3à5
2 types
1 seul type
ER3
———
Fig. 19. Établissements ruraux et variété des sols : ventilation
des ER2 et des ER3 en fonction du nombre de sols différents
disponibles dans un rayon de 300 mètres.
———————
386
LEs foRMEs DE L’HABItAt RURAL GALLo-RoMAIN
– CAtALoGNE, GAULE
———
Fig. 20. Durabilité comparée des différents types d’établissements ruraux (pourcentage de sites de chaque type encore occupé
après n siècles).
———————
variété, témoin de ressources variées, ne se rencontre
qu’à proximité des vallées entaillant profondément
les plateaux. Les établissements situés à ces endroits
privilégiés ont accès, dans un rayon de moins de
500 m, aux terres à blé de plateau, aux terres lourdes
d’élevage en fond de vallée et au talus viticole. Cette
observation laisserait entendre que leur
développement n’est pas seulement l’objet d’une
volonté ou de capacités financières individuelles,
mais trouve son origine dans des facteurs locaux
plus favorables, à même de permettre un
investissement somptuaire. À l’inverse, les sites de
plateaux, entourés de terres de qualité mais
monotones, n’auraient pas bénéficié de
complémentarités des ressources suffisantes pour
dégager les moyens nécessaires à l’édification
d’établissements de statut supérieur.
Ces potentialités favorables concentrées dans des
espaces restreints expliquent, d’une part, la plus
forte concentration de sites dans certaines zones,
mais aussi en partie la très forte pérennité de cette
catégorie de sites par rapport aux autres plus
modestes. Le graphique de la figure 20, qui ventile
les établissements en fonction de leur durée totale
d’occupation et de leur catégorie optimale, montre
que la durée moyenne de fréquentation des
établissements de type ER1 est de un à trois siècles,
celle des sites culminant au statut ER2 de trois à
cinq siècles alors qu’une majorité de sites atteignant
à l’époque gallo-romaine le statut ER3 sont
fréquentés plus de douze siècles. Dans la région de
Noyers-sur-serein, tous les sites de ce type donnent
ainsi naissance à des habitats médiévaux. À l’image
de ce qui a pu être mis en évidence en Picardie ou
en Auvergne, les facteurs environnementaux
semblent donc fondamentaux dans la mise en place
de ces hiérarchies rurales74. Ce ne serait pas leur
statut propre qui expliquerait leur occupation
longue, mais plutôt l’importance des ressources
locales à disposition, permettant de répondre à des
crises ponctuelles d’ordre environnemental ou
économique.
74- Picardie : fajon 2003 ; Auvergne : Dousteyssier et al. 2006.
LEs étABLIssEMENts RURAUx ANtIQUEs DE BoURGoGNE DU NoRD, IIe-IVe sIèCLEs P.C.
CoNCLUsIoN
Le Haut-Empire et le début du Bas-Empire
correspondent, en Bourgogne du Nord, au
développement d’une hiérarchie rurale affirmée,
couronnée par une série de vastes établissements
luxueux. Ils adoptent des caractères communs, fruit
de l’investissement des élites locales. Ce phénomène
est en tout point comparable à ce qui s’observe
ailleurs en Gaule interne, depuis l’Aquitaine
jusqu’en Germanie. La mise en œuvre d’éléments
architecturaux fastueux est l’expression du rôle
important qu’incarnent les établissements ruraux
dans l’affirmation de la puissance de ces catégories
sociales. Cela confirme, ici comme ailleurs, la
présence des élites les plus aisées dans leur domaine
campagnard, dans lequel elles investissent des
sommes équivalentes ou supérieures aux dépenses
de leur domus urbaine.
toutefois, contrairement à ce qui avait été
observé en Picardie (où les sites les plus importants
disposent de résidences linéaires à galerie de façade),
le sommet de la hiérarchie est constitué d’un grand
nombre d’établissements à résidence centrée sur un
péristyle. Ces types de sites semblent tout
particulièrement nombreux dans les cités de Gaule
centrale, depuis les trévires, les Médiomatriques
(Echternach, Luxembourg ; saint-Ulrich et Lihons,
57) ou les Helvètes (orbe et Vallon en pays de Vaud)
à l’est, jusqu’aux cités de l’actuelle Bretagne et de
l’Aquitaine à l’ouest, en passant par l’Auvergne et le
Berry. Ils semblent largement moins courants dans
le Bassin Parisien et en Gaule du Nord75. Ce modèle
architectural mériterait donc une étude spécifique,
permettant de mieux délimiter son aire d’extension,
les choix architecturaux récurrents et ses rythmes de
diffusion. Il n’en reste pas moins que les éléments
mis en évidence en Bourgogne du Nord, aux confins
des cités des sénons, des éduens et des Lingons,
semble se retrouver, à l’identique, dans les régions
précédemment citées.
La genèse de ces établissements fastueux paraît
s’observer au sein des formes architecturales
élaborées à la fin de l’époque laténienne, même si
75- Agache 1978 ; ouzoulias 2005, à quelques rares exceptions
près : Vieux Rouen, par exemple, en seine-Maritime.
cette question reste encore à approfondir76. De
même, le plan type de la ferme à plan centré, sur
cour, est l’héritier direct des aménagements de la fin
de l’indépendance, caractérisés par un ensemble de
bâtiments sur cour centrale inséré dans un enclos
fossoyé77. Les grands types d’établissements qui
s’observent durant le Haut-Empire (ER2 et ER3),
correspondent donc à une adaptation des formes
élaborées dès La tène Moyenne en Gaule interne. Il
s’agirait donc bien de choix architecturaux locaux,
comme le supposait déjà R. Agache dès la fin des
années 1970 et non de l’importation de modèles
méditerranéens. Ils se distinguent, en particulier,
des formes adoptées en Italie par les établissements
les plus riches, en Narbonnaise et dans les Espagnes,
où l’organisation des communs en deux cours
semble, sinon totalement inusité, du moins
nettement minoritaire.
Dans un tel cadre, l’intégration de modes de
construction, d’équipements et de décorations
d’origine méditerranéenne ne fera généralement
qu’accroître les hiérarchies préexistantes. toutefois,
la mise en évidence de parcours particuliers,
caractérisés par la promotion ou l’appauvrissement
de certains sites au cours du temps, laisse entrevoir
des hiérarchies mouvantes, fruits de réussites
locales.
Les quelques cas fouillés indiquent que le luxe
apparent de ces établissements favorisés tend à se
renforcer à partir de la fin du IIIe s. et dans la première
moitié du IVe, alors que nombre de fermes de statut
inférieur périclitent. Cela montre le dynamisme des
campagnes du début de l’Antiquité tardive, tout
particulièrement des couches supérieures de la
société, comme cela a déjà été mis en évidence plus
au nord ou dans le sud-ouest78. Contrairement à
un grand nombre d’établissements de statut moyen
qui disparaissent au cours de cette période difficile,
leurs habitats connaissent des phases de
reconstruction et d’embellissement qui les
transforment en de véritables palais ruraux, toujours
plus importants à mesure que le nombre de sites
classés dans cette catégorie supérieure diminue79.
76- Bayard & Collard, dir 1996 ; Marion & Blancquaert 2000 ;
fichtl, dir. 200(.
77- Nouvel et al. à paraître.
78- Van ossel 1992 ; ouzoulias 2005 ; Réchin éd. 2006.
79- Kasprzyk 2005.
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LEs foRMEs DE L’HABItAt RURAL GALLo-RoMAIN
Pourtant, cette évolution n’aura qu’un temps. La
seconde moitié du IVe s. verra un désengagement
généralisé de la part des élites rurales, matérialisé
par l’abandon des parties résidentielles fastueuses. À
partir du Ve s., la forte hiérarchisation, évidente
jusque-là, tend à disparaître, au profit d’habitats
– CAtALoGNE, GAULE
homogènes et aux caractères modestes, dont seule la
superficie offre des variations importantes. Les
anciens établissements de fort statut, perdant leur
rôle symbolique et ostentatoire, sont alors fondus
dans la masse en redevenant de simples unités
d’exploitation.
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