Livraisons de l'histoire de l'architecture
33 | 2017
Histoire du (des ?) patrimoine(s)
L’œuvre architecturale de Paul Gélis (1885-1975) en
Alsace, la question du régionalisme
“Paul Gélis’s architectural work in Alsace: the issue of regionalism”
„Das architektonische Werk von Paul Gélis (1885-1975) im Elsass und die Frage
des Heimatstils“
Florence Lafourcade
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/lha/730
DOI : 10.4000/lha.730
ISSN : 1960-5994
Éditeur
Association Livraisons d’histoire de l’architecture - LHA
Édition imprimée
Date de publication : 15 juin 2017
Pagination : 45-56
ISSN : 1627-4970
Référence électronique
Florence Lafourcade, « L’œuvre architecturale de Paul Gélis (1885-1975) en Alsace, la question du
régionalisme », Livraisons de l'histoire de l'architecture [En ligne], 33 | 2017, mis en ligne le 16 juin 2019,
consulté le 15 octobre 2019. URL : http://journals.openedition.org/lha/730 ; DOI : 10.4000/lha.730
Tous droits réservés à l'Association LHA
Par Florence LAFOURCADE
L’ŒUVRE ARCHITECTURALE DE PAUL GÉLIS (1885-1975)
EN ALSACE :
LA QUESTION DU RÉGIONALISME
Paul Gélis, parisien d’origine, est architecte en chef des monuments historiques
pour les territoires du Bas-Rhin, du Haut-Rhin, de l’Ain, de la Saône-et-Loire et
du Rhône de 1920 à 1940. Un grand nombre de travaux effectués en Alsace, et
de nature variée, vont l’amener à promouvoir et à diffuser les caractéristiques architecturales de cette région. Un mémoire 1 de master a permis d’interroger la nature
de sa relation à l’Alsace ainsi que son rapport au régionalisme, devenu la doctrine
officielle de la reconstruction. Paul Gélis ne fait l’objet d’aucune publication, néanmoins il est cité dans certains ouvrages concernant l’enseignement de l’architecture 2 ou l’architecture religieuse 3 et quelques-unes de ses réalisations sont publiées
dans des revues d’architecture 4. Le travail de recherche a pu être mené grâce aux
archives de l’architecte, conservées par Bruno Gélis à Paris.
Paul Gélis architecte en chef des Monuments historiques en Alsace
Paul Alfred Henri Gélis est né à Paris, le 3 septembre 1885, son père Edmond
Henri Gélis (1855-1940) était ingénieur des Arts et des Manufactures. Paul Gélis
évolue au sein d’une famille cultivée. Un oncle du côté de son père, Pierre Gélis
Didot (1853-1933) est architecte et construit des villas à Perros-Guirec seul ou en
collaboration avec l’architecte Marcel Lambert (1847-1928) qui deviendra le professeur d’atelier de Paul Gélis à l’École des Beaux-Arts. Paul Gélis partage sa jeunesse
entre Paris, Hemminvillers dans l’Oise et Perros-Guirec où sa famille possède des
propriétés, et s’illustre en tant qu’aquarelliste en dessinant des paysages 5. Dès 1890,
1. Florence Lafourcade, L’Œuvre architecturale de Paul Gélis (1885-1975) en Alsace de 1920 à 1940,
Mémoire de master sous la direction de Anne-Marie Châtelet, École nationale supérieure d’architecture de Strasbourg, soutenu le 15 juin 2016.
2. Anne-Marie Châtelet, Franck Storne avec la collaboration d’Amandine Diener et Bob Fleck, Des
Beaux-Arts à l’université. Enseigner l’architecture à Strasbourg, Strasbourg, Éditions Recherches /
ENSAS, 2013, 2 vol. 368 p. 216 p.
3. Vital Bourgeois, L’Art chrétien moderne en Alsace, Strasbourg, Éditions Imprimerie-libre F.-X. Le Roux
et Cie, 1933, 106 p.
4. Albert Laprade, « La gare de Mulhouse par MM. Schule, Doll et Gélis, architectes », L’Architecture,
no 12, Paris, 1934, 443 p. ; Pierre Schommer, « Le monument au mort de Donon », L’Architecture,
no 13, Paris, 1924.
5. D’après l’entretien réalisé le 27 août 2015 avec Bruno Gélis, petit-fils de Paul Gélis à Paris.
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sa mère lui donne des cours d’allemand qui serviront certainement sa carrière en
Alsace. Il entre à l’École nationale supérieure des arts décoratifs le 23 septembre
1905 6, et poursuit ses études à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts 7 dans
laquelle il est reçu en 2nde classe le 13 juillet 1907. Il utilise l’aquarelle pour ses
travaux d’école puis d’architecte, notamment pour ses études préalables, afin de
comprendre les régions où il est amené à travailler 8. Après sept années d’études à
l’École nationale supérieure des Beaux-Arts, il sort diplômé le 10 juin 1914 avec
pour sujet de diplôme « Un Cercle de natation sur les bords de la Marne » 9. Le
contexte dans lequel Paul Gélis évolue est probablement à l’origine de plusieurs de
ses traits de caractère et de ses intérêts ; les voyages effectués dans différentes
régions de France et les moments passés en Bretagne lui ont certainement apporté
le goût d’une architecture en lien avec l’espace physique et les caractéristiques architecturales locales. Paul Gélis est nommé architecte en chef des Monuments historiques pour les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin, de l’Ain de la Saôneet-Loire et du Rhône de 1920 à 1940 10. Il poursuit ensuite sa carrière d’architecte
en chef des Monuments historiques pour les départements du Loiret et du Nord
de 1940 à 1959. La carrière de cet architecte est en grande partie consacrée aux
reconstructions d’édifices endommagés par les deux guerres mondiales. Néanmoins,
le panel de travaux de Paul Gélis en Alsace est varié ; il participe à l’Exposition de
1925 où il présente un « Oratoire alsacien », diffuse l’architecture et le mobilier de
cette même région à travers deux recueils de planches de la Collection d’art régional en France et réalise des travaux de reconstruction qui concernent en grande
partie des édifices religieux. À ce titre sont reconstruites les églises de Vieux-Thann
et de Wattwiller (1923-1924) et l’église de Gildwiller (1928-1929), pour lesquelles
l’architecte reconstruit les édifices dans leurs formes d’avant-guerre. Des reconstructions sont effectuées en se détachant de l’architecture de l’édifice préexistant, dans
ce cas Paul Gélis fait office de constructeur. Ainsi, les églises de Leimbach, de
Lautenbach-Zell (1925-1926) et de Burnhaupt-le-Haut (1928-1929) sont édifiées
sur de nouveaux plans. Pour saisir la position de Paul Gélis vis-à-vis du régionalisme, nous avons choisi de confronter la publication concernant l’architecture alsacienne, l’« Oratoire alsacien » présenté pour l’Exposition des arts décoratifs de 1925
et deux chantiers représentatifs de ses constructions d’églises en Alsace ; les églises
6. Certificat de Charles Genuys sous-directeur de l’École des arts décoratifs daté du 22 juillet 1907,
Agorha (INHA) – http://www.purl.org/inha/agorha/002/77437, Notice : Gélis, Paul (1885-09-03 11 novembre 1975).
7. Certificat de Charles Genuys sous-directeur de l’École des arts décoratifs daté du 22 juillet 1907,
Agorha (INHA) – http://www.purl.org/inha/agorha/002/77437, Notice : Gélis, Paul (1885-09-03 11 novembre 1975).
8. D’après l’étude de dessins aquarellés réalisés par Paul Gélis de 1905 à 1940, Archives privées de
l’architecte Paul Gélis, conservées à Paris par Bruno Gélis.
9. Agorha (INHA) – http://www.purl.org/inha/agorha/002/77437, Notice : Gélis, Paul (1885-09-03 11 novembre 1975).
10. Il semblerait que Paul Gélis ait été nommé architecte en chef des Monuments historiques avant le
concours officiel.
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L’ŒUVRE ARCHITECTURALE DE PAUL GÉLIS (1885-1975) EN ALSACE
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de Leimbach 11 et de Bunhaupt-le-Haut 12 pour lesquelles l’architecte adopte deux
positionnements différents. Ces interventions, effectuées sur une période restreinte,
apportent des réponses sur la nature des caractéristiques régionales qu’il diffuse et
sur la position qu’il adopte, en tant qu’architecte, lors de constructions en Alsace.
Paul Gélis et la question du régionalisme
La diffusion de l’architecture alsacienne
Le recueil de planches, dans lequel Paul Gélis se fait le porte-voix de l’architecture alsacienne, fait partie de la Collection d’art régional en France. Celle-ci éditée
par Massin, comporte neuf 13 recueils concernant l’architecture, publiés de 1926 à
1934 et douze 14 concernant les objets mobiliers, publiés de 1925 à 1947. Les recueils
de cette collection sont élaborés de manière semblable. Celui concernant l’architecture alsacienne est composé d’une introduction de trois pages qui contient un
relevé d’une maison signé par l’auteur. Suivent 40 planches, non commentées, révélant l’architecture régionale alsacienne selon Paul Gélis. Le corpus peut être divisé
en deux parties, la première est composée de 18 planches et présente des habitations, du XVIe siècle au XVIIIe siècle, la seconde partie est composée de 22 habitations et villas contemporaines des années 1920. Cette division, qui n’est pas
annoncée par Paul Gélis, est expliquée dans le recueil concernant l’habitation normande. Le but de la Collection étant de « montrer par des exemples du passé [...]
ce qu’a été l’ancienne maison [...], et montrer ensuite, toujours par des exemples,
le parti que les architectes modernes peuvent tirer de l’enseignement de l’ancien
pour créer une architecture régionale 15 ». D’après l’architecte, les caractères régionaux sont représentés par « certains caractères particuliers, résultants de l’empreinte
11. L’église Saint-Blaise de Leimbach détruite lors de la première guerre mondiale comporte des restes
de l’église primitive datant du XIIe siècle.
12. L’origine de l’ancienne église de Burnhaupt-le-Haut remonterait en 1302. Après les modifications
des différentes reconstructions les villageois reconstruisent une église entièrement neuve de 1784
à 1789.
13. Collection de l’art régional en France, Éditions Ch. Massin et Cie, de 1926 à 1934 sont parus :
James Bouille, L’Habitation bretonne ; Henri Godbarge, L’Habitation landaise ; Henri Algoud
et René Darde, L’Habitation provençale ; Jacques Bardotin, L’Habitation flamande ; Paul Gélis,
L’Habitation alsacienne ; Victor Valensi, L’Habitation tunisienne ; Louis Colas, L’Habitation basque ;
Henri Defrance, L’Habitation normande ; Joseph Gauthier, Le Chalet alpestre.
14. Collection de l’art régional en France, Éditions Ch. Massin et Cie, de 1925 à 1947 sont parus :
Alphonse Germain, Le Mobilier bressan ; Paul Banéat, Le Mobilier breton ; Victor Champier, Le
Mobilier flamand ; Charles Sadoul, Le Mobilier lorrain ; Joseph Gauthier, Le Mobilier bas-breton ;
Joseph Gauthier, Le Mobilier vendéen et du pays nantais ; Gabriel Jeanton, Le Mobilier bourguignon ;
Henri Defrance, L’Habitation Normande ; Joseph Gauthier, Le Mobilier auvergnat ; Louis Colas, Le
Mobilier basque ; Lucile Olivier, Le Mobilier normand ; Henri Algoud, Le Mobilier provençal ; Paul
Gélis, Le Mobilier alsacien.
15. Henri Defrance, L’Habitation normande, Collection de l’art régional en France, Éditions Ch. Massin
et Cie, 1931, p. 5.
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du pays, du tempérament et des habitudes des habitants 16 ». Il pointe les éléments
d’architecture qui ont su persister à travers les époques pour devenir des caractéristiques essentielles de l’architecture alsacienne ; les tuiles écaillées et les constructions
à pan de bois apparent sont, d’après lui, propres à la région. L’organisation des
corps de ferme se fait autour d’une cour, qui elle-même est séparée de la route
par un mur haut percé d’une porte charretière et d’une porte pour piétons. Enfin
l’organisation spatiale des habitations se fait autour d’une pièce commune appelée
la « Stube ».
D’après Marie-Noële Denis et Marie-Claude Groshens, l’habitation alsacienne
peut se décliner selon deux genres différents : l’habitat de la plaine et l’habitat de
montagne et des vallées. Le premier genre est caractérisé par des maisons avec
pignons sur rue, à colombages et donnant sur une cour intérieure, l’accès s’y fait
par un portail. Le second genre est caractérisé par des maisons rectangulaires ou
carrées, « austères et trapues 17 », construites en moellons recouverts d’un enduit blanc
ou rosé. Ces maisons, avec mur gouttereau sur rue, ont pour seule ornementation
les arcs surbaissés de la porte cochère et les encadrements de pierre des portes et
fenêtres. Paul Gélis présente dans la première partie seulement des habitats de la
plaine. Dans la deuxième partie du corpus, regroupant des constructions des années
1920, les caractères des deux genres soulevés par les auteurs se mélangent sensiblement et il est plus difficile de reconnaître le type d’habitat mis en avant par Paul
Gélis. Louis Colas architecte et écrivain du recueil concernant l’architecture basque
justifie son attardement sur un seul des trois types d’habitations qui composent le
Pays basque ; la maison labourdine « est la plus pittoresque, la plus caractéristique,
c’est elle qui frappe le plus l’attention des étrangers » 18. Paul Gélis, sans se justifier,
a effectivement suivi la même démarche pour ne retenir que les habitats de la
plaine, qui représentent certainement pour lui l’image caractéristique de l’Alsace.
L’architecte basque souligne également le mélange entre les caractères des différents
genres d’habitat qui aboutit au style régional des années 1920. L’objectif étant de
créer un nouveau style propre à chaque région qui comprendrait différents éléments spécifiques et caractérisant la région. Ces constructions contemporaines
semblent vouloir répondre à des façons de vivre modernes et s’adaptent de ce fait
aux nouvelles techniques de construction, ceci les éloignant des typologies traditionnelles (ill. 1).
À l’Exposition internationale des Arts décoratifs de 1925 à Paris, Paul Gélis
présente un « Oratoire alsacien » dédié à Sainte Odile et situé dans le jardin du
16. Paul Gélis, Le Mobilier alsacien, Collection de l’art régional en France, Paris, Éditions Ch. Massin
et Cie, 1947, p. 6.
17. Marie-Noële Denis, Marie-Claude Groshens, L’Alsace – L’architecture rurale française, Corpus des
genres, des types et des variantes, Éd. Berger-Levrault, 1978, p. 34.
18. Louis Colas, L’Habitation Basque, Collection de l’art régional en France, Éditions Ch. Massin et
Cie, 1930, p. 5.
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Ill. 1 : L’« Oratoire alsacien » dédié à sainte Odile reconstruit à l’entrée du Mont Sainte-Odile après
l’Exposition internationale des arts décoratifs de 1925, photographie, archives privées de l’architecte
Paul Gélis conservées par Bruno Gélis à Paris, auteur inconnu.
Grand Palais 19. Alors que des éléments d’architecture font référence aux constructions régionales et peuvent être qualifiés d’alsaciens, d’autres éléments, appartenant
au registre décoratif, évoquent l’histoire contée de Sainte Odile ; la patronne de
l’Alsace. Lors de cette exposition, Paul Gélis se fait à la fois porte-parole en présentant l’Alsace et architecte en concevant le projet.
Le mode constructif à ossature bois, les pans de bois apparents sur le fronton
et les tuiles écaillées, sont des références à l’architecture alsacienne qui font écho à
la publication de Paul Gélis. Composé de troncs de bois de sapin naturels, le
rythme donné à la structure de l’oratoire évoque les forêts vosgiennes et tend à
rapprocher le mode constructif d’une architecture primitive. D’autres caractères
appartenant au registre décoratif diffusent l’histoire de la région à travers celle de
Sainte Odile. Celle-ci se fait tant dans la représentation du paysage alsacien sur le
pourtour extérieur de l’oratoire, que dans le récit de la vie de la Sainte, cette fois
à l’intérieur où aux vitraux imagés s’ajoute un plafond dessiné qui a pour objectif
19. L’emplacement de l’« Oratoire Alsacien » est visible sur le dessin aquarellé de J.-H. Lambert illustration de l’article de Paul Géraldy, « L’Architecture vivante », L’Illustration, 85e année, no 4286,
5 avril 1925.
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de conter la légende alsacienne 20. La structure à pans de bois situe le visiteur en
Alsace, en s’approchant de l’oratoire il découvre les paysages. Une fois qu’il y
pénètre, il découvre les croyances du peuple et d’une région. L’architecte réalise un
réel travail de mise en scène. Il façonne un cheminement pour les visiteurs leur
permettant de découvrir progressivement la région représentée à la fois par des éléments d’architecture identifiés comme alsaciens et par des éléments appartenant au
registre décoratif qui illustrent la légende régionale. D’autres éléments tels que le
lanterneau, la forme circulaire ou le porche d’entrée ne semblent pas être des évocations de l’Alsace, mais une architecture fabriquée par Paul Gélis.
Deux constructions d’églises en Alsace
Les églises de Leimbach et de Burnhaupt-le-Haut, construites par l’architecte
Paul Gélis respectivement de 1924 à 1925 et de 1928 à 1929, comportent un certain nombre d’éléments décoratifs et de dispositions particulières. Dans le cas de
ces constructions qui n’ont pas pour vocation de diffuser l’architecture alsacienne,
mais de s’intégrer dans cette région, Paul Gélis combine deux démarches pour édifier ses projets. La première est une démarche régionale ; en s’appuyant sur l’histoire, les ressources, les apports artistiques régionaux, il crée des projets en lien avec
la région et ses savoir-faire pré-existants. Des éléments d’architecture sont repris des
églises primitives ou ont pour but de rappeler leur existence et par conséquent le
traumatisme subi par la région et ses habitants. La seconde démarche qu’utilise
Paul Gélis est personnelle. Celle-ci met en œuvre des éléments d’architecture ou
de décoration contemporains, des façonnages que l’on peut retrouver à travers ses
réalisations et tout au long de sa carrière. Elle devient une sorte de signature pour
l’architecte 21 (ill. 2-3).
Paul Gélis pour la construction de l’église de Leimbach s’affranchit de l’architecture et de la morphologie de l’église primitive. Néanmoins les colonnes doriques
soutenant le porche d’entrée dans le projet rappellent deux colonnes intérieures
situées dans le chœur de l’église primitive sur lesquelles s’appuie la tour. Passage
obligé pour se rendre dans l’église et positionnées dans l’alignement du chœur, les
colonnes redonnent une vue primitive et connue des paroissiens. Bien que ces
colonnes n’aient rien de spécifique à la région, Paul Gélis s’appuie sur l’histoire de
l’édifice disparu pour l’élaboration du projet architectural. Le porche est quant à
lui un élément d’architecture créé, il rappelle nettement le porche mis en place
pour l’« Oratoire alsacien ». Bien que la toiture de ce dernier semble plus abrupte,
les proportions sont très similaires, le porche dans les deux cas est surélevé de
quelques marches et malgré la stylisation des colonnes géminées de l’oratoire, leur
rapport voisin est à relever. Contrairement au détachement pris par rapport à la
20. D’après l’étude des photographies et cartons de présentation de l’« Oratoire Alsacien », Arch. privées
de Paul Gélis.
21. D’après l’étude des pièces graphiques et écrites concernant l’église de Burnhaupt-le-Haut ; Arch. dép.
du Haut-Rhin, Cartons nos AL 54630, 54631 et 55493 et l’église de Leimbach ; Archives départementales du Haut-Rhin, Carton no AL 55522.
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Ill. 2 : Vue de l’église Saint-Blaise de Leimbach, portail d’entrée est, 26 février 2016, photographie.
© Florence Lafourcade.
morphologie de l’ancienne église de Leimbach, pour l’église Saint-Boniface de
Burnhaupt-le-Haut une similitude est présente entre les dimensions et la morphologie de l’église primitive et celles de la nouvelle église 22. L’implantation initiale
22. D’après l’étude de vues photographiques de l’ancienne église après 1918, Archives de la conservation régionale des Monuments historiques, Denkmalarchiv Colmar, Burnhaupt-le-Haut.
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Ill. 3 : Vue des ruines de l’ancienne église de Leimbach, nef vers le chœur avec colonnes qui soutiennent
la tour, 26 février 2016, photographie. © Florence Lafourcade.
étant conservée, cette similitude est certainement due à la récupération d’une partie
de la dalle et au souhait de préserver la vue originelle de l’église depuis le cœur du
village. Seuls les deux appentis ont été ajoutés au pied du clocher pour signifier le
narthex. Les baies de la nouvelle église diffèrent de celles de l’ancienne, les fenêtres
verticales et étroites à arcs en plein cintre sont remplacées par des baies plus larges
composées de trois fenêtres à arcs brisés. Leurs cadres sont en pierre, l’arc brisé est
obtenu par les embrasures en plein cintre qui montent et se recoupent en des courbes.
Ceci donne un aspect très sobre et moderne à l’ensemble, et rappelle les baies
romanes de l’ancienne église. De la même façon que pour les colonnes doriques de
l’église de Leimbach, le travail des baies est un rappel historique stylisé de l’architecture primitive endommagée par la guerre. Paul Gélis s’appuie une nouvelle fois
sur l’histoire et l’architecture locale pour édifier le nouvel édifice. Cette attention
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Ill. 4 : Vue de l’église Saint-Boniface de Burnhaupt-le-Haut, façade nord, 9 octobre 2015, photographie.
© Florence Lafourcade.
particulière donnée au dessin des ouvertures se retrouve dans le façonnage des baies
romanes de l’église de Leimbach. Grâce à un meneau en pierre, chaque baie est composée de deux ouvertures avec arc en plein cintre et surmontée d’un oculi (ill. 4-5).
Bien que la morphologie extérieure de l’église de Burnhaupt-le-Haut ait été conservée pour la construction de la nouvelle église, le décor intérieur est entièrement
différent. Contrairement à la décoration de l’ancienne église, composée de lustres
et de retables imposants, celle de la nouvelle église est épurée. Ce sont les décors
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Ill. 5 : Vue de l’église Saint-Boniface de Burnhaupt-le-Haut, nef et chœur, 9 octobre 2015, photographie. © Florence Lafourcade.
des vitraux illuminés qui semblent habiller l’espace. Ils ont été conçus par la maison
Ott de Strasbourg, d’après les dessins et les choix de couleurs de Paul Gélis 23. Un
dégradé est ainsi réalisé par l’architecte : de l’orange, dans le narthex au bleu intense
dans le chœur. Celui-ci souligne la sainteté du lieu et permet de faire entrer une
23. Échange de lettres entre l’architecte Paul Gélis à Paris et la maison Ott à Strasbourg concernant
les dessins et la fabrication des vitraux, Arch. dép. du Haut-Rhin, Carton no AL 55493.
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lumière qui évolue au fur et à mesure que l’on s’approche de l’espace dédié au
divin : le chœur. Le travail de fond dans les vitraux est composé de carreaux de
dimensions hétérogènes. Sur ces fonds sont placés des images de saints de l’entrée
dans la nef jusque dans le chœur de l’église. Les vitraux du narthex ne comportent
pas d’images figuratives bibliques. Cela peut être une volonté de souligner l’espace
intermédiaire entre l’extérieur neutre et l’intérieur dédié au culte. La marche vers
le chœur et vers l’autel se fait progressivement, accompagnée d’une lumière souple
et adaptée. Comme ce travail complet sur l’illumination naturelle de l’église et la
modernité du dessin et des choix artistiques de l’architecte, d’autres éléments d’architecture, de construction ou de décoration mis en place par Paul Gélis relèvent de
sa création. En effet ces éléments ne sont pas repris des caractéristiques locales,
leurs caractères originaux se retrouvent dans plusieurs projets de l’architecte. Ainsi
nous retrouvons les décors extérieurs sous forme de damier de revêtement griffé pour
l’église de Leimbach et sous forme de damier bicolore pour l’église de Burnhauptle-Haut. Les églises primitives de Leimbach et de Burnhaupt-le-haut ne comportaient pas de tels décors extérieurs, ce ne sont donc pas des rappels historiques.
Paul Gélis semble s’inspirer de frises utilisées dans les églises romanes qu’il reprend
en modifiant l’échelle et les matériaux. Enfin, que ce soit pour la construction de
l’« Oratoire alsacien » ou la construction des deux églises étudiées, Paul Gélis emploie
des artistes et artisans locaux. Ces derniers sont parfois recommandés par Paul Gélis,
choisis par la commune ou le curé ou encore sélectionnés sur concours. L’apport
d’entrepreneurs extérieurs reste l’exception et est en permanence lié à une ancienne
collaboration, ou à une spécialisation de l’entrepreneur dans un certain domaine.
Ainsi la maison Fabre, située à Paris effectue les travaux de voûtes des églises et de
l’oratoire et le peintre mosaïste Gaudin orne le mobilier de l’église de Bunhauptle-Haut. Ce dernier crée également une frise dans la nef de l’église de Wattwiller,
reconstruite à l’identique par Paul Gélis de 1923 à 1924.
À travers ces interventions variées, Paul Gélis se positionne de deux manières
différentes au regard de l’architecture régionale alsacienne. D’une part, il utilise des
éléments d’architecture, qu’il repère et présente comme régionaux, afin de diffuser
l’image de l’Alsace à un public large. D’autre part, l’architecte, à travers ses constructions en Alsace, réalise un travail de retranscription de formes et d’éléments de
l’architecture primitive locale ou appartenant à un répertoire d’architecture extérieur à l’Alsace. Il crée des composants qui deviennent à travers ses chantiers des
éléments d’architecture moderne. Ce travail de retranscription peut être mis en
parallèle avec ce que réalisera Paul Gélis entre 1950 et 1954 pour l’église SainteJeanne-d’Arc de Gien dans le Loiret ; la démarche qu’il entreprend pour créer des
éléments de décors est identique. Ces éléments architecturaux sont la preuve, en
prenant compte de leur évolution à travers les projets et les années, d’une création
personnelle. Le lien qui relit l’architecte à l’Alsace n’est donc pas un lien affectif
qui pourrait mener Paul Gélis à promouvoir les caractères de l’architecture locale.
La démarche qu’il entreprend, lui permettant de diffuser les caractères locaux ou
de créer une architecture qui s’intègre à la région, est une démarche construite, une
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technique de travail mise en place qui lie deux architectures, l’une locale et l’autre
moderne. Celle-ci peut-être observée dès sa participation au concours pour la reconstruction des habitations rurales endommagées par la guerre de 1917. Il s’attache
alors à effectuer des recherches et relevés afin de proposer des constructions qui
répondent aux besoins de villageois. L’architecte intègre des éléments de l’architecture régionale tout en apportant une modernité fonctionnelle aux habitations.
Florence LAFOURCADE
architecte diplômée d’État,
doctorante en histoire de l’architecture
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