Hélène Déom
© février 2015
D’après le travail de master de Hélène Déom, Maïlys Orban et
Delphine Bolly sur les graffeurs (2011)
Complément de l’exposition « Sur les trains, j’écris mon nom ! »
présenté à Habay-la-Neuve en février 2015
Hélène Déom
Graffs & graffeurs © 2015
Introduction
Le phénomène du tag et du graff dans la rue est né il y a une quarantaine d’années, aux
États-Unis avant de se développer dans le monde entier. Leurs auteurs étant méconnus et mal
compris, de nombreux stéréotypes et préjugés à leur égard sont véhiculés dans la société. Qui
sont vraiment les graffeurs ? Pourquoi agissent-ils ? Quel est l’intérêt de laisser une trace de
leur passage ? Où agissent-ils ? Comment est perçue cette pratique ? D’où cela vient-il ? Ce
sont les questions considérées dans cet article. Celui-ci a été remanié pour les besoins de
l’exposition Sur les trains, j’écris mon nom ! présentée en février 2015 à Habay-la-Neuve par
la bibliothèque et la Maison de Jeunes. Ceci ne constitue pas le catalogue de l’exposition mais
plutôt un complément composé de façon inédite (dans l’intérêt d’un approfondissement de
l’exposition réalisée par la bibliothèque de Wellin et le graffeur-bloggeur de Graffiti Art On
Trains). Les informations fournies viennent en majeure partie du travail de réflexion réalisé
par Maïlys Orban, Delphine Bolly et moi-même sur les graffeurs effectué sur base principale
d’interviews dans le cadre du cours d’Études Culturelles en 2011 à l’Université Catholique de
Louvain, Louvain-la-Neuve.
Les spécialistes en études culturelles, anthropologie et sociologie considèrent les
graffeurs comme une sous-culture présentant quelques traits typiques de contre-culture. En
effet, unis par une même passion ils se regroupent en crews ‘égalitaires’ sans classes sociales
ni territoires définis, seulement mus par des compétitions internes (caractéristiques de sousculture) tout en présentant l’expression d’une identité visuelle traduite comme un acte de
rébellion de forme excentrique/anormale (caractéristiques de contre-culture). En effet, le
milieu des graffeurs est un milieu très fermé. Les clashs, défis et duels se font plutôt de façon
interne à leur « sous-culture » même si, à diverses occasions, des manifestations publiques
légales sont organisées, comme des concours de graff ou festival (par exemple, le
Kosmopolite Art Tour ; cfr Association Kosmopolite 2011). Parallèlement à l’attrait artistique
croissant qu’ils suscitent, est constaté un développement important des dispositifs de
répression de la version clandestine de la pratique de la part des autorités : une brigade antitag est constituée dans chaque pays, l’internet et les forums sont passés au crible. La réaction
principale du reste de la société est l’incompréhension et/ou l’ignorance. En matière
bibliographique, il existe peu d’ouvrages sur le sujet. La plupart porte sur la criminalité et
d’autres sur la sociologie ; seuls quelques rares cas portent sur le graff en tant que forme
d’expression artistique. Par ailleurs, des reportages vidéos (tels que Bomb it), des sites
internet, des forums tenus par des graffeurs eux-mêmes et, plus simplement, des magazines
(comme GraffitiArt) permettent de compléter la documentation.
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Les graffeurs usent d’un vocabulaire particulier qui apparaît important à l’œil intéressé
et l’esprit curieux. Il n’y a pas nécessairement de consensus quant à la terminologie exacte de
chaque élément-clé pour eux mais voici en résumé l’acceptation la plus répandue (Art Crimes
2011). Le tag est une simple signature. Assez semblable, le graffiti est davantage répandu :
c’est celui que l’on grave sur des bancs d’école, du parc ou sur les portes de toilettes
publiques. Un graff est essentiellement composé de lettres dessinées stylisées. Le flop, ou
throw up, est une signature en lettrage gonflé, réalisée en un seul trait ; celui-ci révèle une
certaine prouesse technique. Le blaze, c’est le pseudonyme que les graffeurs/tagueurs
peignent partout. Un sketch est un tag ou graff réalisé sur papier qui représente souvent le
brouillon d’une performance.
Le Street Art, ou l’art de rue, est principalement composé de figures. Les techniques
utilisées y sont alors variées, allant de l’usage de la bombe au sticker en passant par le
pochoir. Il y a un jeu de confusion qui apparaît de temps en temps entre graffs et street art
lorsque certains graffs sont accompagnés d’une figure. Les frontières de ces typologies ne
sont donc pas rigides !
Un clash est une confrontation relativement plus « violente » qu’un simple défi ; c’est
une sorte de combat pacifique entre deux graffeurs où les armes sont les graffs (comme les
battles pour les danseurs de rue). Le terme graffeur désigne les personnes réalisant les graffs,
mais ils peuvent aussi être appelés graff’writer ou graff’artistes. Parallèlement, les auteurs de
tags sont nommés les tagueurs. Un toy est un tagueur inexpérimenté, incompétent qui ne tient
pas compte des règles implicites.
Historique du graff
Le graff est généralement considéré comme l’évolution du tag mais en réalité l’origine
et l’évolution, tant du graff que du tag, sont sujettes à débat. Il existe en effet beaucoup de
versions différentes quant à l’historique du graff, et elles tiennent parfois plus de la légende
que de données avérées. Il est délicat de déterminer ces faits du point de vue historique car il
s’agit de deux types de pratiques expressives inofficielles qui coexistent et dont l’évolution
n’a pas eu lieu partout dans le même sens.
La pratique du graff s’insérerait dans une tradition remontant à la Préhistoire, du moins
si l’on considère que les peintures rupestres paléolithiques sont les premières traces (connues)
de graff(iti)s. C’est surtout durant l’Antiquité gréco-romaine que les graffitis sont monnaie
courante. On les retrouve gravés sur des objets de la vie quotidienne (poterie cassée
remployée comme support à expression écrite et/ou visuelle), ou encore sur les murs de
bâtiments publics comme à Pompéi (par exemple représentant des gladiateurs dans les
couloirs de l’amphithéâtre). Cette pratique s’est poursuivie à travers les siècles et à travers les
régions jusqu’à nos jours (Reiss 2007).
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Graffs & graffeurs © 2015
Néanmoins, il semblerait que le phénomène du tag réalisé à l’aide de marqueurs ou de
bombes aérosols soit apparu à la fin des années 1960 en Amérique. Certaines sources citent
Cornbread et Cool Earl à Philadelphie en 1967 (Reiss 2007) comme pionnier en la matière.
D’autres désignent New York avec Taki 183 ou Julio 204 (Lani-Bayle 1993 : 34 ; Maton
1994 : 9). Quoiqu’il en soit, ils ont rapidement été imités par d’autres jeunes de
banlieues/ghettos. Généralement pratiqué par des étrangers, souvent de couleur (Adam 1995 :
27 ; Reiss 2007), le phénomène paraît avoir un but identitaire, incluant une recherche de
reconnaissance par les « siens » en appliquant sa « trace » dans toute la ville. La cible
privilégiée s’avère être principalement le métro et le train car ils permettent de faire voyager
les tags (Adam 1995 : 28), mais toute surface bien visible constitue également un très bon
support. Des bandes de tagueurs se sont formées progressivement, s’attribuant des noms aux
sens variés. Les relations entre ces crews (gangs si vous voulez un terme à caractère négatif)
se sont organisées, impliquant compétitions et défis (Lani-Bayle 1993 : 34-35). En matière
d’évolution graphique, que le graff soit né parallèlement au tag ou qu’il en soit une évolution,
le fait est là : les lettres prennent du volume, de la couleur, se complexifient et
s’accompagnent même parfois d’une figuration. Différents styles de lettrage apparaissent
d’une région à l’autre ; seuls les initiés savent les distinguer (Lani-Bayle 1993 : 35-36). Le
Street Art, aux supports variés, apparaît comme l’évolution plus figurative des graffs. Des
artistes tels que Jean-Michel Basquiat et Keith Haring se sont appropriés le phénomène. Mais
tout le monde n’a pas une telle réaction ouverte à cet égard. Les autorités, qui se sentent
visées et, par conséquent, obligées de réagir, définissent le tag (y compris le graff) comme un
acte illicite. Des brigades anti-graffiti sont ainsi créées dans le but d’effacer et de réprimer les
auteurs considérés comme des voyous.
La vague de tag et graff s’étend dans le monde entier : en Europe, mais aussi en Asie et
en Afrique. Dans chaque pays, ce mode d’expression se voit approprié et adapté au paysage
urbain local (et au-delà). Il lui est éventuellement accordé une dimension identitaire, selon
l’histoire nationale, régionale ou locale (Reiss 2007). En France et en Belgique, l’évolution est
dite inversée. Les graffs arrivent dans les galeries de Paris et Bruxelles dans les années 1980,
adoptés par une élite d’artistes « mûrs » (comme Blek-le-Rat) avant d’être repris par la masse
populaire juvénile (Lani-Bayle 1993 : 37-38 ; Reiss 2007) vers 1985. Les graff’artistes du
début sont donc rapidement suivis par des graffeurs clandestins peignant dans les rues, sur les
trains et métros dans un but davantage identitaire (Adam 1995 : 33-39).
Metallic serait l’un des premiers graffeurs belges de rue (Adam 1995 : 39). D’autres
grands noms valent également la peine d’être nommés, comme Bonom, Sozyone Gonzalez ou
Jean-Luc Moerman (Grimmeau 2011). Même quand ils ont commencé à agir illégalement, les
graffeurs de ces premières années ont obtenu une reconnaissance artistique et exposent
régulièrement dans des galeries et musées des œuvres appelées « post-graffiti »
(Hubert 1995 : 99).
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Image du graffeur
Selon les stéréotypes, les graffeurs (généralement confondus avec les tagueurs) sont
tous des jeunes voyous irrespectueux issus des banlieues et autres quartiers pauvres. Souvent
d’origine étrangère, ils auraient abandonné l’école et parleraient donc mal. Leur appartenance
au mouvement hip hop ferait qu’ils s’habillent tous avec un training ou un vieux jeans et se
cacheraient sous une casquette ou un pull à capuche. Ils se déplaceraient en skateboard,
écouteraient de la musique hip hop ou du rap et danseraient même le breakdance (ou autres
danses dites ‘de rue’). Enfin, ils tagueraient la nuit avec sa bande pour le plaisir de dégrader
les espaces publics et seraient tous susceptibles et agressifs, voire violents. Cette image
bourrée de clichés souligne l’importance des origines américaines du graff et de la
propagande politique entretenue par les médias.
Les articles d’actualités ont tendance à dénoncer le délit graphique que les tags et graffs
représentent et signaler à quel point les auteurs paient cher pour cela (amende de centaines
d’euros et/ou prison). L’internet, en revanche, peut montrer une vision des graffs et de leurs
auteurs sous un angle plus proche de la réalité.
Malgré le lien indéniable entre graff et art, les avis divergent parmi les artistes et
graffeurs. La présence du graff dans les galeries et musées témoigne de sa reconnaissance de
plus en plus étendue comme œuvre d’art ; Futura 2000 et Jean-Michel Basquiat en sont
d’autres exemples. Pourtant, beaucoup n’apprécie guère cela. Ça ne correspond pas à la nature
‘de rue’ du graff « véritable ».
Graffeurs clandestins, graffeurs légaux et autorités
La menace de répression en Belgique est toujours croissante. La Brigade Anti-Tag à
laquelle fait appel la SNCB pénalise les graffeurs clandestins pris en flagrant délit par le
paiement du nettoyage. La STIB, elle, fait payer des amendes supplémentaires aux frais
d’effacement. Peu de graffeurs se risquent donc à peindre les métros belges.
En matière de législation, le code pénal (art. 534bis) spécifie que tout type de graffiti
sans autorisation (donc illégal) est puni d’emprisonnement d’un à six mois (un an en cas de
récidive dans les 5 ans après le jugement) et/ou d’une amende de 26 à 200€… sans compter
les frais de nettoyage éventuellement imposés par les propriétaires (Fifty One Graffiti’z
2015).
Par contre, lorsque des gens payent des graffeurs pour embellir légalement certaines
palissades de chantier, murs de quartier, bâtiments d’entreprise, etc., ces actes sont valorisés ;
B-aero (2011) en est un exemple. Après tout, la sphère privée n’est pas envahie vu que le
graffeur a été « invité » à réaliser une œuvre.
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Identités et pratiques du graffeur
Malgré les stéréotypes, il n’y a pas de graffeur type. Ils ne sont pas tous dans la vague
‘hip hop’. Des femmes graffent aussi. Certains sont des jeunes issus d’un milieu plus élevé,
des étudiants du supérieur, parfois ce sont des artistes reconnus, mariés, qui ont des enfants
mais continuent à graffer. En plus, c’est une pratique coûteuse. Dans cette hétérogénéité de
genres, d’âges et de classes sociales, il est compréhensible que les graffeurs ne se
reconnaissent pas d’un même mouvement communautaire, même s’ils se savent unis par une
même passion.
Un graffeur peint dans une optique d'art et d'expression. Il cherche avant tout à laisser sa
marque de façon à être visible un peu partout. Les murs le long des rails agrémentent le
voyage. Les trains véhiculent leur signature à travers le pays (voire au-delà).
Beaucoup de graffeurs ont des principes : ils respectent les propriétés privées et
monuments publics car il s’agit du travail d’une personne qui l’a conçu avec cœur. Peindre
ces lieux est la preuve d’un non-respect des belles choses et d’un manque de savoir-vivre
(Hubert 1995 : 96). Par contre, les larges panneaux laids et abandonnés (c’est-à-dire ‘qui ne
dérangent pas trop de monde’) réveillent l’« instinct d’embellir » des graffeurs.
Comme pour tout, il faut se bouger et se faire des connexions pour avancer dans le
milieu. Il n'existe pas d'école de graffs ; le vrai apprentissage se fait dans la rue. Sur des blogs
et forums en ligne, les graffeurs se défient sur sketch. Mais c’est surtout dans la rue que les
graffeurs clandestins peuvent se confronter dans des compétitions, clashs ou défis. Le graff a
un caractère cosmopolite : les contacts n’ont pas de limites de frontières, les auteurs voyagent
d’un pays à l’autre pour laisser leur trace, voire graffer ensemble (Hubert 1995 : 156). Des
liens d’amitié peuvent les regrouper en crews. Ces bandes de copains agissent ensemble
comme une famille. Réaliser une fresque est plus rapide de cette façon.
Un autre but important pour les graffeurs est d’obtenir la reconnaissance par les pairs.
Cela se fait à travers leur production : les critères sont le style, la prise de risques et la
« présence », c’est-à-dire la place, la fréquence qu’ils usent sur la scène du graff (Hubert
1995 : 126). Les espaces de prédilection sont alors les plus difficiles d’accès, les mieux
surveillés, ceux qui requièrent organisation et prouesse technique. Certains groupes sont
tellement reconnus et puissants que leur pairs savent qu’ils ne doivent pas les provoquer au
risque de voir disparaître toute leur production ; la crew PSK en Wallonie en est un bel
exemple.
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Hélène Déom
Graffs & graffeurs © 2015
Bibliographie
ADAM C. (mémorant) et KINABLE J. (promoteur), 1995. Le tag : une délinquance douce ?,
Louvain-la-Neuve : Université catholique de Louvain, Ecole de criminologie (mémoire).
ART CRIMES, The Words: a Graffiti Glossary,
[http://www.graffiti.org/faq/graffiti.glossary .html], (13/10/2011).
ASSOCIATION KOSMOPOLITE, Kosmopolite art tour, [http://www.kosmo-art-tour.com/]
(3/12/2011).
B-AERO, Graffiti Artiste en Déco : Trompe l’œil et graffitis partout en Belgique, Decor Graff
in Belgium, [http://www.b-aero.be] (13/12/11).
REISS J., 2007. Bomb it, New York (film documentaire).
FIFTY ONE GRAFFITI’Z, Législation, [http://www.51graffitiz.sankara.be/legislation-lois.fr.html]
(08/02/2015).
GRIMMEAU A., 2011. DEHORS ! Le graffiti à Bruxelles, Bruxelles : éd. CFC (coll. Lieux de
Mémoire).
HUBERT H.-O. (mémorant) et DASSETTO F. (promoteur), 1995. Le graff à Bruxelles. Sousculture et art délinquant, Louvain-la-Neuve : Université catholique de Louvain, Département
des sciences politiques et sociales (mémoire).
LANI-BAYLE M., 1993. Du tag au graff’art, Marseille (coll. Psychologie et Société).
MATON I. (mémorant) et KINABLE J. (promoteur), 1994. Tag heurt ou tag art ?, Louvain-laNeuve : Université catholique de Louvain, Ecole de criminologie (mémoire).
Pour éviter de jouer aux « balances », j’ai volontairement omis les noms des graffeurs qui ont bien voulu
répondre à nos questions et permis d’écrire d’abord notre travail, ensuite cet article. J’espère être parvenue à
dépeindre la situation de façon à peu près plus objective que la plupart des articles de presse à sensation, ou du
moins, telle que je la vois avec mes yeux de tierse personne.
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