”Ici et là dans la cité des Provinces”. Co-construction de
la médiation patrimoniale et revalorisation d’une cité
minière (Lens, France)
Camille Mortelette
To cite this version:
Camille Mortelette. ”Ici et là dans la cité des Provinces”. Co-construction de la médiation patrimoniale et revalorisation d’une cité minière (Lens, France). De la participation à la co-construction des
patrimoines urbains. L’invention du commun, 2018. hal-02473170
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« ICI ET LÀ DANS LA CITE DES PROVINCES ». COCONSTRUCTION DE LA MEDIATION PATRIMONIALE ET REVALORISATION D’UNE CITE MINIERE (LENS, FRANCE).
Camille MORTELETTE
Université d’Artois
Depuis juin 2012, le bassin minier de l’ex région du
Nord-Pas de Calais est officiellement inscrit sur la liste
du patrimoine mondial en tant que paysage né de la
main de l’homme. Cet espace, fortement marqué par
l’héritage de son histoire économique, est confronté à
de véritables difficultés structurelles depuis la fermeture
des mines. Néanmoins de nouvelles perspectives lui
sont aujourd’hui proposées puisqu’il est reconnu
comme faisant partie des biens exceptionnels et universels par l’Unesco. Cette légitimation n’est qu’un des
aboutissements, d’un long processus de patrimonialisation des traces spatiales, mais aussi sociales, de
l’exploitation intensive du charbon.
S’interroger sur l’aspect co-construit du processus de
de patrimonialisation du bassin minier, c’est s’intéresser
d’abord au changement de regard sur des traces industrielles parfois dénigrées, aujourd’hui considérées
comme un héritage social reconnu, dont les traces matérielles (terrils, chevalements, habitat minier, etc.) se-
1
« Ici et là dans la cité des Provinces », co-construction de la médiation patrimoniale et revalorisation d’une cité minière. Lens, France
raient les supports d’une partie de l’identité collective
régionale. Cette prégnance des référentiels liés au
monde de la mine dans la construction d’imaginaires
collectifs durables, voire d’une identité territoriale quasi
immuable, même bien après l’arrêt de l’exploitation, est
incontestable et a déjà été documentée en géographie
comme en sociologie (Rabier, 2002 ; Gay, 2012). Ce
dont il sera davantage question ici, ce sont les valeurs
(et leur évolution) associées à ces images porteuses
d’identifications individuelles et collectives ainsi que le
caractère partagé – ou non – de ce renversement de valeurs.
Notre approche s’inscrit au croisement entre les
questionnements sur les liens entre patrimoine, référencement identitaire et représentations de groupes sociaux
(Di Méo, 1994 ; Bonerandi, 2005 ; Veschambre, 2008)
et sur la (re)valorisation des espaces mis en patrimoine
et la (re)création d’un sentiment d’appartenance par le
patrimoine (Gravari-Barbas, 2005, 2010).
L’inscription à l’Unesco des biens constitutifs du
« paysage culturel évolutif vivant » du bassin minier
symbolise donc la reconnaissance patrimoniale de la
part de l’ICOMOS1 mais aussi des acteurs locaux porteurs du dossier d’inscription. Comme le mot « évolutif » l’indique, ce patrimoine n’est pas figé mais continue
à être soumis aux altérations du temps mais aussi aux
mutations économiques et sociales. Il s’agit également
d’un patrimoine vivant, c’est à dire habité (selon les définitions données par l’Unesco), ce qui permet d’inclure
de nombreux lieux de pratiques sociales (habitat, écoles,
1
Conseil international des monuments et des sites.
2
Camille Mortelette
salle des fêtes, etc.) aux chevalements, terrils et carreaux
de mine.
Cependant, la mise en patrimoine d’objets tels que
l’habitat ouvrier soulève différents problèmes comme le
hiatus entre le paternalisme patronal et les sociabilités
ouvrières qu’elles représentent (Duchêne et al., 2013).
De plus, elles peuvent s’apparenter à des éléments « poreux » qui font le lien entre le matériel et l’immatériel
car si c’est bien le bâti qui est inscrit à l’Unesco, ce sont
davantage les valeurs qui leur sont associées auxquelles
se raccrochent les habitants de ces cités.
De plus, l’inscription à l’Unesco d’un type de logement potentiellement agréable (petites maisons individuelles avec jardin, typiques des cités ouvrières hygiénistes) ne doit pas occulter le fait que ces cités
appartiennent au parc locatif social français comme les
grands ensembles et qu’à ce titre elles peuvent partager
les mêmes problèmes2 : même situation en périphérie
des villes, concentration des inégalités socioéconomiques, dégradation progressive du bâti et des
espaces publics et représentations négatives de ces logements ; de nombreuses cités sont d’ailleurs des quartiers prioritaires en politique de la ville. Les habitants de
ces cités peuvent donc s’avérer hermétiques à la valeur
désormais associée à leur habitat et avoir du mal à la
comprendre. C’est notamment le cas des nouveaux arrivants dans les cités minières non issus de la culture minière selon les dires du bailleur social.
2
On peut se référer pour ces questions au rapport de Jean-Louis
Subileau (2016, pp.13-22) pour la préfiguration d’un contrat
d’intérêt national pour le bassin minier du Nord et du
Pas‐de‐Calais, remis le 9 décembre 2016.
3
« Ici et là dans la cité des Provinces », co-construction de la médiation patrimoniale et revalorisation d’une cité minière. Lens, France
Dans ce contexte, le cas de la cité des Provinces à
Lens a particulièrement retenu notre attention car elle
fait l’objet d’un rapprochement spécifique d’acteurs
avec un objectif global de revalorisation de l’image de la
cité auprès de ses habitants. En outre, la volonté de recréer un lien social décrit comme en délitement3 en faisant du patrimoine un outil opérationnel co-construit
fait partie des intentions explicites des parties prenantes
de ce rapprochement. Cette convergence d’acteurs s’est
matérialisée lors de l’organisation d’un événement culturel4 qui s’est déroulé en mars 2015, à la gouvernance
partagée, qui a mêlé médiation patrimoniale, pratiques
théâtrales et collecte du discours habitant sur la cité des
Provinces.
« Ici et là dans la cité des Provinces » s’est tenu pendant dix jours dans cette ancienne cité minière de Lens,
riveraine de Culture Commune, association intercommunale de développement culturel et artistique depuis
1990 et Scène Nationale du bassin minier. Initialement
conçue comme un temps fort dans la programmation
de Culture Commune, cette action culturelle aux enjeux
sociaux somme toute assez classique (Auclair, 2006) a
progressivement laissé de plus en plus de place à
l’aspect patrimonial. Notre approche méthodologique a
associé différentes postures du/de la chercheur/se. Des
moments d’entretien semi-directifs et directifs avec les
organisateurs de l’événement, de l’observation particiEntretien avec Yann Cussey, chargé de l’animation du label Pays
d’Art et d’Histoire de l’agglomération Lens-Liévin, février 2015.
4
Nous nous sommes intéressés à cet événement dans le cadre de
nos travaux de thèse portant sur les projets de reconversion culturelle dans le bassin minier qui participent aux recompositions opérées en termes d’image et d’identité territoriale.
3
4
Camille Mortelette
pante et non-participante pendant la résidence artistique
et les parcours patrimoniaux ainsi que des enquêtes auprès de la population. L’événement sera analysé ici sous
l’angle de la co-construction de la médiation autour du
patrimoine. Nous nous efforcerons de mettre en avant
les relations entre acteurs dans les dispositifs, la place
réservée aux habitants dans la co-construction et les
éventuelles limites qui en résultent en termes de valorisation de la cité par la patrimonialisation.
Dans ce chapitre nous nous attacherons d’abord à
montrer comment des acteurs aux objectifs distincts,
aux manières de travailler très différentes et possédant
une expertise inégale du patrimoine minier ont su se retrouver autour d’un enjeu commun. Nous reviendrons
également sur les dispositifs mis en place par les différents acteurs (balades patrimoniales et artistiques, collecte du discours habitant) afin d’apprécier ce que révèle
la production de la parole experte et de la parole
d’usage du rapport à la cité comme objet patrimonial
mais aussi les limites de ces dispositifs. Enfin, nous reviendrons sur la réception sociale ambivalente de
l’inscription à l’Unesco dans le discours des experts du
patrimoine et dans le discours des habitants de la cité,
ce qui nous permettra de nous interroger sur les liens
(ou l’absence de lien) entre valorisation institutionnelle
et valorisation personnelle et affective du patrimoine.
De la co-construction d’un événement à la co-construction
du discours sur ce qui fait patrimoine
« Ici et là dans la cité » est un événement culturel inclus dans la saison 2015-2016 de Culture Commune, la
scène nationale du bassin minier. Cette association, incluant une fabrique théâtrale sans lieu de représentation
5
« Ici et là dans la cité des Provinces », co-construction de la médiation patrimoniale et revalorisation d’une cité minière. Lens, France
fixe, a déjà suscité l’intérêt de plusieurs chercheurs en
sociologie, sciences politiques, géographie et urbanisme
(Melin, 2005 ; Rautenberg, 2009 ; Henry, 2010 ; Lucchini, 2016) à cause de son statut particulier de friche culturelle située sur un ancien carreau de mine. Ici, c’est
comme partie prenante et initiatrice d’un réseau partenarial intercommunal que nous nous proposons de
l’étudier.
La cité des Provinces, un objet patrimonial en déshérence ?
La cité des Provinces a originellement été construite
en 1894, puis reconstruite et agrandie en 1920 après la
première guerre mondiale. Elle compte aujourd’hui 600
logements presque tous gérés par le bailleur social SIA
Habitat, qui est un des bailleurs principaux dans le bassin minier avec Maisons et cités (ex-SOGINORPA qui
appartenait à Charbonnages de France). La cité des
Provinces se distingue par ses rues à angle droit et ses
pavillons qui fonctionnent par sous-ensembles de 2 ou
3, entourés de jardins assez grands. Elle se démarque
également grâce à la richesse architecturale de ces maisons qui, sous une harmonie globale, possèdent toutes
un détail qui les différencie les unes des autres (au niveau de la forme du toit par exemple). La plupart de ces
petites maisons sont en briques avec parfois quelques
détails en pierre meulière. Le caractère prestigieux de
certaines de ces maisons - comme celles de l’ingénieur
ou de la directrice de l’ancienne école de fille – ou des
équipements est souligné par une plus forte présence de
ce type de pierre5.
5
Typique des constructions de la compagnie de Lens (cf. livret Balades dans le bassin minier patrimoine mondial, « Autour de la fosse
11/19 »
édité
par
la
mission
Bassin
minier
http://www.bassinminier-patrimoinemondial.org).
6
Camille Mortelette
Exemple d’une maison partiellement rénovée, Camille Mortelette, mars 2016
Située en périphérie du centre-ville de Lens, la cité fonctionnait autrefois en relative autonomie grâce aux nombreux commerces et services qui étaient censés répondre aux besoins principaux des habitants6.
Aujourd’hui, on peut encore compter quelques équipements publics (une école, les locaux de l’inspection nationale, une amicale des aînés). On y trouve également
un collège et un lycée professionnel à proximité, sans
oublier la base du 11/197 qui accueille Culture Commune, le Centre Permanent d’Initiatives pour
l’Environnement (CPIE) « Chaîne des Terrils » et des
entreprises liées au développement durable. Mais l’église
D’après les propos du chargé du label pendant la balade « patrimoniale ».
7
Le carreau du 11/19 de Loos-en-Gohelle, est un des cinq grands
sites de la mémoire minière dans le dossier à destination de
l’Unesco et est protégé au titre des Monuments Historiques.
6
7
« Ici et là dans la cité des Provinces », co-construction de la médiation patrimoniale et revalorisation d’une cité minière. Lens, France
a disparu et le nombre de commerces de proximité a
considérablement diminué.
La cité des Provinces fait donc partie des biens inscrits à l’Unesco depuis 2012 en raison de ses qualités
architecturales et urbaines d’une part, mais aussi parce
qu’elle est représentative du paternalisme patronal8 tel
qu’il s’exprimait au moment de l’exploitation houillère.
Située à une vingtaine de minutes à pieds du musée du
Louvre-Lens, elle fait partie d’un circuit patrimonial et
touristique, mis au point par le label Pays d’Art et
d’Histoire de Lens-Liévin (PAHLL), « De la mine au
Louvre-Lens » qui passe par les hauts lieux liés à la mine
du territoire lensois et liévinois9. Ce circuit, balisé par
plusieurs panneaux édités par la municipalité de Lens,
est emprunté à la fois par des guides de l’office du tourisme de Lens et par des animateurs du label PAHLL.
Ce qui peut étonner le visiteur attentif ce sont aussi
les maisons vides et scellées en attente d’une rénovation, les espaces communs délaissés, voire encombrés
de divers déchets. Les différents acteurs interrogés10
soulignent également le contexte économique et social
difficile des habitants et les conditions parfois délicates
de cohabitation (absence de dialogue, incivilités, conflits
de voisinage, etc.). Enfin, malgré le classement de la cité
comme quartier prioritaire de la politique de la ville, la
mairie semble préférer investir prioritairement dans
d’autres cités un peu plus proches du musée du Louvre
Site internet de l’office du tourisme de Lens-Liévin.
Avec les grands bureaux de la Compagnie de Lens, la base 11/19,
le site de Saint-Amé à Liévin et le Louvre-Lens pour finir la visite.
10
Le bailleur, le chargé de l’animation du label Art et Histoire ainsi
que le directeur de Culture Commune.
8
9
8
Camille Mortelette
ou bénéficiant de certains programmes d’aide à la rénovation comme l’ANRU211.
Un rapprochement d’acteurs divers autour d’un objectif commun : la revalorisation globale de la cité
Le point de départ du projet autour de la cité des
Provinces semble être issu de la volonté du directeur de
Culture Commune de « revenir aux fondamentaux12 » et
de renouer un lien de proximité entre l’équipement culturel et les habitants de la cité, ainsi que de repositionner Culture Commune comme un lieu central pour le
quartier. De plus, l’événement « Ici et là dans la cité »
s’inscrit dans un projet global et voulu pérenne, né de la
rencontre entre le directeur de Culture Commune et la
secrétaire générale de SIA Habitat – également présidente du fonds social – et d’une interrogation commune sur le devenir de la cité et le bien-être des habitants.
« Pourquoi on le propose ? Parce que ces cités sont à valoriser
et pas que dans leur patrimoine mais aussi dans leur quotidien,
dans la relation à leur population. (…) La cité minière est un creuset de la rencontre entre différentes altérités et l’identité du territoire mais aussi dans son évolution et dans son futur »13.
Ce besoin de revalorisation de la cité par et pour les
habitants n’est pas toujours aussi explicitement invoqué
par les acteurs à l’origine du projet. Néanmoins, il est
11
Le second volet du plan national de rénovation urbaine initié en
2015.
12
L’ancienne directrice et créatrice de Culture Commune a laissé sa
place lors de la rentrée culturelle de septembre 2015 à Laurent
Coutouly.
13
Entretien avec Laurent Coutouly, directeur de Culture Commune, mai 2016.
9
« Ici et là dans la cité des Provinces », co-construction de la médiation patrimoniale et revalorisation d’une cité minière. Lens, France
toujours sous-jacent dans leurs discours invoquant ce
besoin du mieux vivre ensemble et de prise de conscience de la valeur du cadre de vie. Ici, plus que la coconstruction, c’est surtout la transmission d’une mémoire et le changement de regard sur les espaces du
quotidien qui sont érigés en dispositif clé ; la coconstruction est surtout née des protocoles et dispositifs mis en place par la compagnie artistique.
Enfin, d’autres acteurs sont venus progressivement
s’ajouter à l’organisation grâce à des liens anciens qui
peuvent exister entre eux et leurs participations à
d’autres projets en commun. En effet, la coconstruction semble être une manière de faire relativement ancienne dans cette partie du bassin minier grâce
à l’action de Culture Commune notamment, qui maille
le territoire depuis la fin des années 1990 en occupant
divers lieux de représentation dans les intercommunalités de Lens-Liévin et Artois Comm14. L’équipe comprend également la compagnie théâtrale Hendrick Van
Der Zee, plus communément appelée HVDZ, compagnie implantée depuis 1998 sur la base du 11/19, décrite
comme un « vieux compagnon de route »15 de Culture
Commune, qui a fait de la participation des habitants et
des publics défavorisés ou en difficulté16 une de ses
priorités. Se sont également joints à l’aventure les médiateurs de la CPIE Chaîne des Terrils qui s’attachent à
valoriser le patrimoine naturel et culturel des vestiges de
14
Désormais « Artois Lys Romane » depuis la fusion de trois intercommunalités au 1er janvier 2017.
15
Entretien avec le directeur de Culture Commune, février 2016.
16
La compagnie travaille régulièrement avec les prisonniers de la
prison de Fleury Mérogis, les ouvrières licenciées de la Redoute,
etc.
10
Camille Mortelette
l’exploitation minière ainsi que le label PAHLL qui accompagne Culture Commune sur d’autres projets qui
concernent également la cité des Provinces.
Le patrimoine n’a pas été d’emblée l’enjeu principal
de l’événement ; néanmoins, l’ajout progressif d’acteurs
experts en la matière, la grande place laissée à la parole
habitante sur leur cité conjuguée à l’actualité que constituent l’inscription à l’Unesco et la rénovation de la cité
ont fait que l’événement « Ici et là dans la cité » a donné
de l’importance aux discours sur le patrimoine dans ses
dimensions matérielles et immatérielles.
Des dispositifs qui révèlent une dualité dans le rapport à
la cité des Provinces
L’événement a duré une semaine entière du 6 au 13
mars 2016 et s’est articulé autour de différents moments : la résidence artistique d’HVDZ dans la cité
pendant la semaine entière, la tenue des parcours artistico-patrimoniaux et la restitution du film-spectacle le
week-end. À travers ces trois temps majeurs, nous interrogerons systématiquement les discours portés sur la
cité à la fois comme objet patrimonial mais aussi
comme cadre de vie et nous envisagerons ce discours
en tant que co-construction entre experts et habitants.
Un projet entre horizontalité et verticalité
Ce projet co-construit entre acteurs publics d’une
part, et avec les habitants d’autre part, se veut avant
tout horizontal – cette horizontalité fait d’ailleurs partie
du cœur de métier et des convictions personnelles de la
plupart des protagonistes, presque tous issus ou formés
des/aux principes de l’éducation populaire. La compagnie HVDZ a, par exemple, pour habitude de mettre en
11
« Ici et là dans la cité des Provinces », co-construction de la médiation patrimoniale et revalorisation d’une cité minière. Lens, France
avant les récits de vie, les personnalités ou l’intimité
dans ses protocoles artistiques. Une de leur spécificité
est également de se rendre chez les habitants pour s’y
produire lors de leurs veillées. En se déplaçant de la
sorte dans des lieux non dédiés à la représentation artistique, la compagnie semble rechercher plus que la
proximité avec le public. C’est aussi la recherche de la
confrontation entre des formes d’art et un public souvent non averti, doublée d’une réflexion sur la position
de l’artiste dans la société et la volonté de remettre
l’habitant au centre des dispositifs17.
Le rôle confié à la compagnie a été de réaliser le
portrait de la cité des Provinces à travers la parole, les
gestes et les objets de ses habitants. Pourtant installée
sur la base 11/19 depuis la fin des années 1990, la compagnie a symboliquement décidé, pour la semaine de résidence, « d’emménager » au cœur de la cité, dans une
maison en rénovation prêtée par SIA Habitat (voir la
carte). Pendant la résidence, les membres de la compagnie se sont donc employés à aller à la rencontre des
habitants chez eux, à la sortie de l’école, dans un supermarché à quelques centaines de mètres de là, etc., et
ils ont recueilli les témoignages et réflexions de ces derniers, qu’ils aient toujours vécu dans la cité ou non.
L’idée est ici de donner la parole à chacun et de donner
à chaque témoignage la même importance, la même valeur. Une grande place est laissée à la poésie et à
l’abstraction dans les protocoles de la compagnie artistique. En effet, les témoignages ne sont pas demandés
de manière directe : « Racontez-nous un souvenir lié à la
17
Guy Alloucherie décrit le principe de ses veillées sur le blog de la
compagnie (http://www.hvdz.org/projets/residences/les-veilleesles-portraits).
12
Camille Mortelette
cité des Provinces » mais de manière plus détournée et
sans réelle explicitation de la part de la compagnie.
Choisir une citation imprimée sur format A4 parmi plusieurs et poser avec face caméra, danser avec les comédiens, toujours devant la caméra, montrer un objet qui
leur appartient et qui pourrait représenter la cité, etc. Ici
ce sont moins les protocoles artistiques mis en place qui
comptent que le résultat final : ces petits moments
montés les uns à la suite des autres, dans un ordre et
une logique choisis par la compagnie, afin d’en faire un
film qui constitue le support du spectacle de restitution
de la résidence à la fin de la semaine. Ainsi, si les habitants interrogés sont les acteurs principaux de ce film
(et du discours plus ou moins élaboré sur ce qui fait patrimoine), ils n’en sont pas les acteurs conscients et
l’ensemble ne peut prendre sens pour eux que s’ils sont
présents lors de la projection du film.
Lors de cette résidence, la compagnie a sillonné la cité, support principal de leur création artistique, afin de
récolter suffisamment de matériaux pour la préparation
des circuits artistiques et patrimoniaux. Ces parcours
représentent un autre moment clé de cet événement. Ce
sont eux qui ont réunis les différentes parties prenantes
de la manière la plus forte. Cependant si le design de ces
parcours est construit de manière commune, cette coconstruction n’apparaît que très peu dans la réalisation.
En effet, les petites formes artistiques sont laissées à
l’entière charge de la compagnie HVDZ mais le discours patrimonial est porté par les médiateurs du label
PAHLL et la CPIE, les médiateurs de Culture Commune accompagnant les groupes d’habitants. Malgré ce
panachage des dispositifs et bien que le montage des
parcours ait fait l’objet de diverses réunions communes,
13
« Ici et là dans la cité des Provinces », co-construction de la médiation patrimoniale et revalorisation d’une cité minière. Lens, France
ces derniers paraissent relativement fragmentés. En effet, les liens entre les différentes étapes du parcours
sont plus que ténus et les différentes parties prenantes
de l’événement deviennent spectatrices des unes des
autres sans que leurs interventions ne viennent à se mêler. Le public est donc amené à quadriller les rues de la
cité des Provinces entre lieux emblématiques comme la
base du 11/19 et les locaux de Culture Commune et
lieux du quotidien comme l’école élémentaire ou le récent centre social.
Plan de la cité des Provinces et des parcours, réalisation Camille Mortelette,
données Géoportail
Les moments du parcours consacrés à la médiation
du patrimoine servent à relater l’histoire du quartier et à
la replacer dans une histoire globale, celle du bassin minier et de l’exploitation du charbon, et dans des dynamiques communes à toutes les cités minières en faisant
le lien avec l’exploitation houillère et son besoin de ra-
14
Camille Mortelette
tionalisation : une vie rythmée par le travail à la mine, le
poids du patronat, l’immigration, les loisirs et la vie de
quartier. Le rôle de l’exploitation sur la localisation géographique de la cité minière, l’organisation spatiale du
quartier et la qualité architecturale des maisons sont
également expliquées au public. Ces différents éléments
qui sont vécus et intégrés par les habitants par le biais
de l’habitude, de la routine, de l’usage, sont décryptés de
manière théorique et scientifique. La volonté affichée
est clairement de donner des clés d’analyse aux participants sur leur espace de vie, sur les causes qui ont présidé à sa forme et à son organisation spatiale et aux raisons même de son existence. Il semble donc que c’est
davantage la transmission d’un savoir patrimonial
qu’une co-construction du discours sur le patrimoine
qui est envisagée ici. Le chargé d’animation du label
PAHLL s’aide de supports relativement sommaires –
un simple classeur qui compile quelques images
d’archives – afin de faciliter cette transmission et donner corps à son discours qui évoque de nombreux éléments disparus18. Outre l’armature globale de la cité, ce
sont aussi de petits détails en apparence anodins qui
sont évoqués grâce au discours du chargé de l’animation
du label : les rajouts de matériaux pour palier
l’affaissement du sous-sol, la richesse du patrimoine arboré… Ainsi, ce discours, qui se veut simple et accessible pour un public hétérogène, est enrichi de moments plus techniques, relatés sous la forme de
18
Soit des bâtiments qui ont disparu (démolis pendant la Première
Guerre Mondiale ou démolis parce que liés à l’exploitation du
charbon et considérés comme inutiles), soit des modes de vie également disparus puisqu’également liés à la période de l’exploitation
houillère.
15
« Ici et là dans la cité des Provinces », co-construction de la médiation patrimoniale et revalorisation d’une cité minière. Lens, France
l’anecdote ou de la « petite histoire » afin d’être compris
par tous.
Le passage par la rue Saint-Esprit (point 7) qui concentre les maisons des anciens notables de la cité est
l’occasion d’une lecture sociale du patrimoine et de revenir sur les logiques de domination mais aussi de surveillance qui prévalaient dans les cités minières. En
fournissant de cette manière de nouvelles clés de compréhension du quartier, la volonté du chargé de
l’animation du label est de permettre aux habitants une
appropriation différente, voire plus forte, de leur espace
vécu grâce à la dimension patrimoniale de ce dernier.
En démontrant la valeur historique et patrimoniale de la
cité, l’intention est de favoriser un sentiment
d’appartenance et d’identification à la cité dans le but
d’endiguer, entre autre, les problématiques de dégradation du cadre de vie. Nous pouvons relever deux obstacles majeurs à cette tentative. D’abord, la nature du
public présent qui a davantage le profil des personnes
actives dans les dispositifs participatifs De l’aveu des
parties prenantes de l’événement, la plupart des personnes présentes sont également celles qui sont dans
des associations ou se rendent aux réunions de quartier.
Puis la figure même du chargé de l’animation du label
qui, se positionnant dans le rôle du sachant – et les habitants dans celui des apprenants – s’éloigne de son objectif par défaut de réelle méthode collaborative.
De manière générale, le discours porté par
l’animateur valorise la patrimonialisation du bassin minier, remettant en cause la logique de démolition qui
avait présidé dans les années 1980 et 1990. La prise de
conscience patrimoniale s’est faite de manière ascendante, via la DRAC et l’inventaire de 1992 ou la créa-
16
Camille Mortelette
tion du centre historique minier de Lewarde par les
Houillères ; mais aussi descendante grâce aux différentes associations. Une partie du discours est également consacrée aux transformations récentes du bassin
minier et notamment celles visant à changer son image
grâce aux actions emblématiques comme le Louvre –
Lens19. Il s’agit ici de mettre en évidence le lien entre ces
différents événements, comme fruits d’une politique
stratégique cohérente de la part des pouvoirs locaux,
quitte à réécrire ou à simplifier l’histoire20.
Parallèlement à ces moments de médiation patrimoniale, les étapes du parcours pris en charge par HVDZ
sont plus diversifiées sur leur forme : extraits vidéos ou
audio où l’on entend et voit certains habitants, danse,
monologue, lectures d’œuvres littéraires, retour introspectif en images sur la relation qu’a l’artiste avec la cité.
Ici, l’intention est quelque peu différente sans pour autant être dépourvue de discours savant : les références
littéraires et philosophiques sont nombreuses (Barthes,
Duras) et les réflexions sur le temps ou ce qui fait quartier font appel à des concepts surtout exploités en
sciences humaines et sociales comme l’uchronie ou les
communs. Néanmoins, les membres de la compagnie
cherchent également à rendre leur discours accessible
grâce la diversité des supports et les expérimentations
permises par la dimension sensible et avant tout artistique de leurs interventions. En effet, certains dispositifs mis en place recherchent de manière évidente cette
Si tous connaissent l’existence du musée, peu s’y sont rendus.
En effet, l’inscription du bassin minier à l’Unesco et l’ouverture
du Musée du Louvre à Lens sont certes concomitantes (respectivement juin 2012 et décembre 2012), mais ne sont pas corrélées et
sont issues de deux dynamiques différentes.
19
20
17
« Ici et là dans la cité des Provinces », co-construction de la médiation patrimoniale et revalorisation d’une cité minière. Lens, France
proximité : on demande au public de fermer les yeux
pendant la lecture ou on l’accueille dans une salle à la
lumière tamisée, on le tutoie, etc.
Malgré la présence plus prononcée de certains habitants dans ces dispositifs artistiques, il est encore difficile de parler de véritable co-construction du discours
patrimonial. En effet, le dispositif ne permet pas de
rendre les habitants acteurs et énonciateurs de ce qu’est
pour eux le patrimoine et de ce qu’il représente. De
manière globale, si l’on considère ces parcours dans leur
entièreté, les habitants présents, même s’ils écoutent
avec attention le discours du chargé de l’animation du
label, ne prennent quasiment jamais la parole et ne posent pas forcément de questions ou très peu. De même,
les éléments avancés par le chargé d’animation ne semblent pas être appropriés par le public. En effet, peu
d’interactions par ricochet entre habitants ont été constatées. Pourtant, les circonstances auraient pu favoriser
ce genre d’échanges : la formation d’un petit groupe
peu intimidant, la présence d’enfants ainsi que la longueur du parcours (deux heures). Il est possible que la
faible mobilisation habitante pour ces parcours21 a induit cette pratique relativement classique de la transmission et que la position du savant de l’un a induit la timidité des autres, et inversement. De même, lors des
« petites formes » artistiques, la parole des habitants
nous est donnée à entendre via des enregistrements audio et/ou vidéo et des lectures mais les interactions
avec le public effectivement présent sont minces. Le
film spectacle qui a servi de restitution à la semaine de
résidence artistique a constitué le moment clé de la co21
Le nombre de participants était en deçà des espérances des organisateurs, le nombre exact n’a pas été porté à notre connaissance.
18
Camille Mortelette
construction du discours patrimonial. Il a permis de révéler le caractère instable, ambivalent de la patrimonialisation, en tant que construction socialement différenciée (Veschambre, 2008) : ce qui fait patrimoine pour
les uns peut faire sens différemment pour les autres.
Un rapport dual à la cité comme patrimoine habité
Le film spectacle22 est un mélange de plusieurs dispositifs qui se succèdent ou se déroulent en parallèle : à
l’écran, le film, sur scène les comédiens et danseurs qui
interviennent pendant ou entre différentes séquences et
sur le côté de la scène une dessinatrice qui réalise en direct une grande fresque en relation avec les souvenirs
évoqués par les habitants interrogés.
Le film commence avec le témoignage d’une habitante qui vit dans la cité des Provinces depuis toujours,
puis se succèdent les habitants interviewés ou simplement filmés pendant la résidence. Ils comparent leur cité à un plat, à une chanson, nous présentent l’objet qui
selon eux représente le mieux les Provinces. Sont donnés à voir des enfants qui s’essayent à une forme simplifiée de cartographie mentale en répondant à des questions simples « où est-ce que tu habites ? », « où se
trouve ton école ? », des ouvriers qui racontent les travaux de rénovation, des anciens qui se souviennent, des
gens qui prennent la pose devant la porte de leur chezeux, des lycéens qui improvisent ou donnent la réplique
22
Les membres de la compagnie ont filmé leurs interactions avec
les habitants pendant la semaine de résidence. Ce film a été réalisé
et monté collectivement par HVDZ et les artistes associés.
19
« Ici et là dans la cité des Provinces », co-construction de la médiation patrimoniale et revalorisation d’une cité minière. Lens, France
à un comédien avec du Beckett23 et une multitude
d’anecdotes sur la cité. Ici, la cité en tant que bâti devient un support à l’évocation d’un patrimoine immatériel et le quotidien, voire l’intime, sont hissés au rang de
patrimoine à conserver et à protéger tout autant que les
murs.
Extrait du spectacle de restitution. ©Antoine Repessé
Le discours habitant, et pas uniquement à cause du
cadre imposé par la narration de souvenirs, est empreint
d’une certaine nostalgie et évoque régulièrement un
« c’était mieux avant » assez étonnant pour qui connaît
l’histoire sociale du bassin minier.
« Ici c’était une petite ville dans la ville (…) tout le monde
se connaissait »
Ce sont surtout les valeurs liées à la solidarité, à
l’interconnaissance et au respect qui sont regrettées
Les dialogues extraits d’En attendant Godot peuvent constituer un
clin d’œil à la situation des habitants qui en attendant les rénovations continuent à vivre
23
20
Camille Mortelette
dont l’existence serait liée à l’époque de l’exploitation
du charbon selon les participants. Ce discours qui peut
d’une certaine manière être qualifié de « mémoire amnésique », qui déforme et sélectionne les éléments du passé, est nuancé par les réflexions mises en avant par les
comédiens qui semblent davantage projeter la cité vers
l’avenir grâce à la présence de jeunes générations dans le
film, bien sûr, mais aussi avec la présence d’un discours
militant qui se veut porteur d’espoir. À la question de la
nostalgie, la compagnie HVDZ répond avec une réflexion nourrie des idéaux de l’éducation populaire – ils
citent d’ailleurs Christiane Faure24 pendant le spectacle
– et clament qu’il faut « faire retrouver leur place aux
gens ».
Ce sont ensuite moins les éléments bâtis qui sont
mis en avant par les habitants que les valeurs immatérielles précédemment évoquées. Le caractère habité de
ce patrimoine implique donc nécessairement une pluralité des discours à son sujet, notamment sur ce qui peut
faire sa valeur savante et sa valeur affective. De fait, à
l’instar de Maria Gravari-Barbas qui questionne la possibilité d’une patrimonialisation sans appropriation à
propos du Havre (Gravari-Barbas, 2010), nous pouvons
à notre tour nous interroger sur la possibilité d’un (non)
effet Unesco sur la cité des Provinces et ses habitants.
Une patrimonialisation par le haut ? La réception ambivalente de l’inscription à l’Unesco
En 1944, Christiane Faure entre au ministère de l’éducation nationale et devient la première directrice de l’éducation populaire et
des mouvements de jeunesse.
24
21
« Ici et là dans la cité des Provinces », co-construction de la médiation patrimoniale et revalorisation d’une cité minière. Lens, France
Le processus d’inscription du bassin minier au Patrimoine mondial a été marqué par une forte mobilisation de certains habitants du bassin minier25 via, notamment, le travail de médiation de l’association Bassin
Minier Unesco26. En effet, des clubs BMU ont été créés
par des bénévoles dans différentes communes afin de
susciter un engouement auprès du plus grand nombre
en faisant des habitants, des ambassadeurs de leur territoire. De même, la célébration de cette inscription tous
les ans depuis 2012 en différents points du bassin minier connaît un certain succès populaire, notamment
lors de l’embrasement des terrils en 2015. Aussi, parler
de patrimonialisation par le haut peut-il être surprenant
et peut-être provocateur dans ce cas de figure où
l’horizontalité
semble
prévaloir.
Néanmoins,
l’enthousiasme des habitants – et de certains élus – est
aujourd’hui rattrapé par les obligations et contraintes
imposées par cette inscription à l’Unesco, d’où un effet
top-down dont peu avait initialement cerné les enjeux. En
effet, la catégorie « paysage culturel » de l’Unesco
n’explicite pas de quelle manière est protégé ce paysage.
Il est en réalité constitué d’un ensemble de biens (maisons, terrils, chevalements, églises, salles des fêtes, etc.)
qui ne peuvent désormais plus subir d’altération qui
viendrait « dénaturer » la qualité du paysage inscrit. Aussi les habitants ne peuvent-ils plus apporter de modification à leur espace de vie27, et les élus locaux sont déDes personnes souvent déjà membres d’association à caractère
historique et patrimonial, des enseignants, mais aussi des personnes
hors dispositifs.
26
Voir à ce sujet MELIN (Hélène), 2005.
27
Impossible de repeindre une façade, de faire construire une véranda pour gagner de l’espace, et il est également parfois impossible pour les habitants de choisir jusqu’à la couleur de leur portail
25
22
Camille Mortelette
sormais contraints de faire appel à l’architecte des bâtiments de France pour toute opération urbaine dans le
périmètre désigné par l’Unesco (démarche coûteuse
pour de petites municipalités). En outre, si à l’échelle du
bassin minier on peut décerner des engouements et des
démonstrations d’une certaine appropriation qu’en est-il
à l’échelle d’une cité minière ?
Quelle place pour l’Unesco dans les discours ?
Lorsqu’on interroge les différentes participants sur la
genèse d’« Ici et là », l’inscription à l’Unesco ne figure
pas parmi les raisons principales de la création de cet
événement. L’inscription est davantage évoquée en filigrane dans les entretiens que nous avons menés, notamment à cause des effets collatéraux qu’elle a pu provoquer, notamment pour le bailleur. La promotion de
l’inscription auprès des habitants n’est donc pas centrale
pour les acteurs en charge de l’événement, cependant
tous perçoivent l’intérêt d’expliquer cette inscription et
ses répercussions concrètes sur la vie quotidienne des
habitants. Pour les médiateurs de Culture Commune, la
volonté de faire découvrir cette « réalité culturelle » aux
habitants est en revanche davantage prononcée :
« Nous on sait qu’il y a un intérêt patrimonial à tout ça mais
aujourd’hui ça existe, c’est reconnu officiellement par une
instance donc profitons-en et travaillons là-dessus ! »28.
Lors de l’événement « Ici et là », l’Unesco occupe
tour à tour une position périphérique ou centrale. Pendant les parcours artistiques et patrimoniaux,
comme dans la cité voisine de la fosse de Wallers Arenberg dans le
Nord.
28
Entretien avec deux médiateurs socio-culturels de Culture
Commune, février 2016.
23
« Ici et là dans la cité des Provinces », co-construction de la médiation patrimoniale et revalorisation d’une cité minière. Lens, France
l’inscription du bassin minier au patrimoine mondial
n’est évoquée qu’à la dernière étape quand le médiateur
emmène son groupe face aux terrils jumeaux de Loosen-Gohelle. Le médiateur reprend alors les éléments de
langage proposés par la Mission Bassin Minier29 comme
la comparaison avec les pyramides de Gizeh ou des extraits du discours de Jean-François Caron30 à SaintPétersbourg en juin 2012 :
« Chez nous les paysages ne sont pas faits de granit rose
(…) chez nous l’homme a creusé, a extrait, a construit des
montagnes et l’idée même que l’histoire des mineurs vaut
celle des rois change tout (…) ».
De même, il évoque le caractère exceptionnel et universel du patrimoine inscrit à l’Unesco mais sans aller
plus en avant dans les explications de ces concepts qui,
selon nous, peuvent pourtant paraître relativement
axiomatiques si non explicités ou illustrés de manière
concrète. L’inscription du bassin minier au patrimoine
mondial de l’Unesco est donc présentée comme le point
final d’un long processus de patrimonialisation de
l’héritage minier. Cependant la démarche même de
l’événement « Ici et là dans la cité » montre bien que
l’inscription à l’Unesco n’est en rien une finalité et ne
parachève nullement la reconnaissance patrimoniale du
bassin minier.
Dans les étapes artistiques de ce parcours ou dans le
film-spectacle, la question de l’Unesco apparaît davantage, notamment par la voix des habitants de la cité,
Association qui a porté l’inscription et qui est en charge aujourd’hui du plan de gestion.
30
Maire de Loos-en-Gohelle qui est un des artisans principaux de
l’inscription du bassin minier.
29
24
Camille Mortelette
mais quantitativement assez peu au regard de l’impact
supposé et désiré de l’inscription31.
« En étant reconnu comme un patrimoine digne de valeur,
cet héritage industriel parfois lourd à porter s’est transformé
en motif de fierté pour les habitants du Bassin minier. Vivre
dans un territoire « Patrimoine mondial » contribue à
décomplexer et à rehausser l’estime de soi d’une population
traditionnellement « taiseuse », volontiers encline à
l’autocritique »32.
L’Unesco, facteur de valorisation de la cité ?
Les questionnaires que nous avons récoltés lors du
film-restitution tendent à montrer une réception plutôt
favorable à l’inscription du bassin minier au patrimoine
mondial de l’Unesco. Malgré toutes les précautions de
mise pour évaluer les résultats d’un si petit échantillon
contenant également un grand nombre de non-réponse,
il est possible d’affirmer que l’inscription du bassin minier à l’Unesco est plutôt bien, voire très bien perçue
par les habitants du bassin minier. Ils en semblent fiers
car ils la jugent valorisante. Cependant, certains questionnaires mentionnent des déménagements mal vécus
à cause de cette dernière ou une certaine résistance au
changement.
L’Unesco n’est d’ailleurs pas toujours évoqué par les
habitants en des termes élogieux dans le filmrestitution. Si l’inscription en général est source de satisfaction, les répercussions concrètes de cette dernière
sont pour la plupart présentées comme contraignantes,
Un des objectifs fixés par l’association BMU était de « rendre
leur fierté aux habitants du bassin minier »
32
http://www.bassinminier-patrimoinemondial.org/lapport-dunlabel-prestigieux
31
25
« Ici et là dans la cité des Provinces », co-construction de la médiation patrimoniale et revalorisation d’une cité minière. Lens, France
notamment l’interdiction de modifier les façades ou la
réfection de certains détails des maisons comme les
portes :
« Au-dessus ils nous mettent des petites fenêtres comme
avant, y’a plus de lumière, on voit plus rien ! On vit pas
dans un musée quand même ! »33.
Au-delà de ces contraintes, on constate un paradoxe
entre la catégorie d’inscription du bassin minier comme
un paysage culturel évolutif vivant – qui semble bien
prendre en compte le caractère habité de ce patrimoine
– et des exigences qui figent le territoire en le conformant à certains critères. L’Unesco est aussi vue alors un
organisme extérieur, dont les contours et prérogatives
sont plutôt flous pour les habitants, qui impose des façons d’être et des modes de vie à la population locale
via la force prescriptive de l’inscription et surtout du
plan de gestion – pourtant mis en place et piloté par
une ingénierie locale34. On retrouve ici le duo acceptance/réactance souligné par Samuel Depraz (2005)
dans ses travaux où la protection d’un espace est globalement vue comme positive, car la plus-value en termes
d’intérêt général et bien perçu, mais comme source de
frustrations ou d’assujettissement à l’échelle de
l’individu.
Si l’Unesco participe donc globalement de la revalorisation de la cité, l’inscription est aussi source de ten33
Entretien avec un habitant lors de la résidence HVDZ, mars
2016
34
La Mission Bassin Minier, équipe pluridisciplinaire de géographes, urbanistes, sociologues, historiens qui peut s’apparenter à
une agence d’urbanisme et d’assistance technique urbanistique
pour les collectivités locales. Elle est en charge de mener à bien le
plan de gestion de l’inscription.
26
Camille Mortelette
sion et de mécontentement que l’événement « Ici et là
dans la cité des Provinces » a permis de partiellement
exorciser en accordant de la place à la parole contestataire. En outre, la faible importance donnée à cette inscription dans les discours sur ce qui fait patrimoine
dans la cité – à la fois dans le discours expert et dans le
discours d’usage – montre bien qu’elle ne participe que
faiblement au sentiment d’appartenance et à
l’attachement affectif des habitants à leur quartier ou à
leur maison.
« Il y a une fierté, un attachement, mais qui est davantage
personnel. Les gens ne se lèvent pas en se disant, je vis dans
une cité qui est considérée comme du patrimoine
exceptionnel et universel. Il y a aussi une grosse partie
d’immatériel dans ce classement du bassin minier, c’est
aussi une histoire humaine et économique particulière, je ne
crois pas que les gens aient jamais considéré vivre à côté des
pyramides de Gizeh quoi. (…) Pour les habitants c’est pas
ça qui fait leur attachement au lieu, ils s’en foutent pas mal,
ils aiment leur histoire et ce que ça représente »35.
La co-construction de l’événement culturel « Ici et là
dans la cité des Provinces », a jeté les bases d’une mise
en commun de ce qui fait patrimoine dans la cité des
Provinces. Certes, chacun est resté dans son domaine
d’expertise mais certains dispositifs étaient partagés par
les médiateurs et chargés de projet du patrimoine et par
les artistes d’une part et tous – ou presque – étaient présents lors du film spectacle de restitution de la résidence
d’HVDZ, facilitant ainsi l’interconnaissance du travail et
des méthodes de chacun. L’événement a également
permis de pérenniser ou d’entériner un rapprochement
35
Entretien avec deux médiateurs socio-culturels de Culture
Commune, février 2016.
27
« Ici et là dans la cité des Provinces », co-construction de la médiation patrimoniale et revalorisation d’une cité minière. Lens, France
entre plusieurs acteurs publics pour une action conjuguée sur un même espace mais aussi un retour sur leurs
pratiques via la tentative d’instauration d’un dialogue de
proximité et en dehors des dispositifs habituels avec les
habitants.
Il faut bien entendu, revenir sur les manquements
des dispositifs mis en place et s’interroger sur les répercussions réelles de l’événement par rapport aux objectifs posés par les organisateurs.
En plus de servir à la revalorisation d’une cité minière, la patrimonialisation a été choisie pour être un
outil de dépassement des conflits en minimisant les effets de sélection et de hiérarchisation de ce qui peut
faire patrimoine. De plus, l’événement a permis une
mise en récit de la cité, de son histoire et surtout des
habitants qui y ont vécu et des habitants qui y vivent actuellement en dehors des discours institutionnels convenus ou prescriptifs comme ceux émanant de
l’Unesco. En effet, remettre des mots grâce aux habitants eux-mêmes sur ce qu’est une cité minière et sur ce
qu’elle peut représenter en termes de traditions, de valeurs et d’usages permet alors de lui redonner davantage
de sens pour ceux qui y vivent et qui auraient perdu de
vue cet héritage immatériel de l’exploitation houillère.
En quelque sorte cet événement a permis une réappropriation du patrimoine en en faisant de nouveau un objet vivant, protéiforme, à la portée de tous, qui peut
s’inscrire dans le quotidien des habitants et dans les
temps de la cité.
28
Camille Mortelette
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