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Université de l Azhar Faculté de langues et de traduction Département de français LES TRADUCTIONS ARABES DES ŒUVRES DES ECRIVAINS FRANCOPHONES D’ORIGINE EGYPTIENNE ETUDE SOCIOLINGUISTIQUE DE LA RECEPTION Thèse de doctorat présentée par AHMED MAHMOUD KHALIFA Maître-assistant à la faculté de langues et de traduction Département de français Université de l Azhar Sous la co-direction de Dr. OUSSAMA MOHAMED NABIL (Directeur) Professeur, Université de l Azhar Dr. AHMED MOHAMED HAMED FAHMI (Co-directeur) Professeur, Université de Tanta Dr. RICHARD JACQUEMOND (Co-directeur) Professeur, Université de Provence Aix-Marseille 1 LE CAIRE 2012 Ahmed Khalifa Université de l Azhar Faculté de langues et de traduction Département de français LES TRADUCTIONS ARABES DES ŒUVRES DES ECRIVAINS FRANCOPHONES D’ORIGINE EGYPTIENNE ETUDE SOCIOLINGUISTIQUE DE LA RECEPTION Thèse de doctorat présentée par AHMED MAHMOUD KHALIFA ALI Maître-assistant à la faculté de langues et de traduction Département de français Université de l Azhar Membres du jury Dr. OUSSAMA MOHAMED NABIL (Directeur) Professeur, Université de l Azhar Dr. AHMED MOHAMED HAMED FAHMI (Co-directeur) Professeur, Université de Tanta Dr. RICHARD JACQUEMOND (Co-directeur) Professeur, Université de Provence Aix-Marseille 1 Dr. GOUZINE GAWDATE OTHMANE Professeur, Université du Caire. Dr. SAMI MOHAMED RAGAB MANDOUR Professeur, Université de l Azhar -2Ahmed Khalifa Méthode, méthode, que me veux-tu ne sais-tu pas que j ai mangé des fruits de l inconscient ? JULES LAFFORGUE (1873-1947) -3Ahmed Khalifa -4Ahmed Khalifa A l incognito REMERCIEMENTS )l y a tellement de personnes généreuses qui ont contribué à ce travail… que celles qui ne se retrouveront pas expressément dans cette page me pardonnent et sachent qu elles sont gravées dans mon cœur. Qu on me permette de citer d abord mes trois directeurs de recherche qui m ont fait confiance. Merci de m en avoir assuré même lors de moments o‘, sans votre présence bienveillante, j aurai flanché. Merci Dr Oussama Nabil , merci Dr Ahmed Fahmi et merci Dr Richard Jacquemond. Merci Richard, vous avez su me laisser la liberté de choisir, de chercher, de trouver parfois , de me tromper souvent et d apprendre, tout en me rappelant à chaque instant les exigences de la vie scientifique. Merci à mes chers professeurs qui ont accepté de porter leur regard critique sur ce travail : Gouzine Gawdate et Sami Mandour. Je suis admiratif de chacun d entre vous et fier que des noms comme les vôtres soient associés au mien pour l éternité. Merci mes deux parents pour la vie que vous m avez donnée et celle que vous m avez permis de vivre. Merci mes frères et mes sœurs. Merci mes amis. Merci mes collègues. Merci Ahmed Hazzaa, mon cher ami, tu es un homme intrépide. Et merci à toi Laurent Soulayrol, mon ami marseillais. Merci pour ton soutien et ton support avec lesquels j ai pu aboutir sans avoir « les oreilles coupées en pointe».  AHMED KHALIFA -5Ahmed Khalifa SOMMAIRE Une table des matières détaillée figure à la fin de la thèse )ntroduction……………………………………………………………………………..……..…………….-8Chapitre préliminaire : La littérature égyptienne d expression française : vers une existence littéraire. …………………………………………………………………………..…...-13- 1 L histoire de la littérature francophone d Égypte : entre théories et méthodes sociologiques…………………………………………………………………………………………………………-142 Ecrire en français…………………………………………………………………………………………-293 L identité plurielle……………………………………………………………………………………….-384 La carte intellectuelle…………………………………………………………………………………..-455 Paris : un pari………………………………………………………………………………………………-63- PREMIÈRE PARTIE: LE PARATEXTE : LES ENJEUX DE LA RÉCEPTION DES TRADUCT)ONS…………………………………………………………………………………………….-68Chapitre 1: Le péritextuel et son rôle dans la réception des ouvrages traduits -691 2 3 4 Absence et présence ……………………………………………………………………………………-70Les Titres traduits……………………………………………………………………………………….-92Les préfaces des traductions………………………………………………………………………-105Editions bilingues………………………………………………………………………………………-135- Chapitre 2: L épitextuel et son rôle dans la réception des ouvrages traduits..-1451 2 3 L épitexte éditorial : Publicité de l œuvre traduite……………………………………….-150L allographe officieux…………………………………………………………………………………-160L auctorial public……………………………………………………………………………………….-177- DEUXIEME PARTIE: LE TEXTE : LA TRADUCTION RAPATR)ANTE…………..... -205Chapitre 1: La traduction de la poésie………………………………………………………. -2061 2 3 4 Georges (enein : Maître référent………………………………………………………….……-216Joyce Mansour : la voix multiple…………………………………………………………………-232Mona Latif-Ghattas : Du noir au blanc…………………………………………………………-246Chédid, Jabès et Rassim: les quasi-absents…………………………………………………..-254- Chapitre 2: La traduction de la prose………..………………………………………………. -2611 2 3 4 Fawzia Assaad : De la soumission à l imposition…………………………………………. -269Chédid et Solé : Les revisités………………………………………………………………………-280Albert Cossery : Entre narration et dialogue………………………………………………..-303Out El Kouloub : le texte intermédiaire……………………………………………………….-324- Conclusion………………………………………………………………………………………………. -336Bibliographie………………………………………………………………………………………….. -345- -6Ahmed Khalifa TABLEAU DE TRANSLITTERATION ḍ ṭ ẓ gh f q k i m n h ū ī arabe translittération ’ ā b ‫ظ‬ t ‫ع‬ th j ‫ف‬ ḥ kh d dh r z s ch ṣ -7Ahmed Khalifa ‫ء‬ ‫أ‬ ‫ج‬ INTRODUCTION -8Ahmed Khalifa « L esprit scientifique nous interdit d avoir une opinion sur des questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas formuler clairement. Avant tout, il faut savoir poser des problèmes. Et quoi qu on dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d eux-mêmes. C est précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique […] Rien ne va de soi. Rien n est donné. Tout est construit ». G. Bachelard, La formation de l esprit scientifique, 1938, p.51. La présente thèse est née d une idée dont nous ne nous prétendons pas être le détenteur. )l s agit d une interrogation sur les traductions arabes, et plus spécifiquement, sur celles de la littérature égyptienne d expression française. Une interrogation déjà posée dans les écrits de R. Jacquemond, K.-J. (assan et d autres, intéressés par le domaine de la traduction dans le monde arabe. Nous avons voulu poursuivre cette idée, l isoler et l identifier formellement sur le plan de la recherche académique. Il y a plusieurs écrits originaires qui ont orienté et nourri notre réflexion, des écrits divers et différents mais qui convergent en un point : celui de la réception des œuvres littéraires. Ce point est largement discuté dans les travaux de P. Bourdieu, G. Genette, P. Casanova et particulièrement dans les écrits de J.-L. Calvet et H. Boyer. Ces deux derniers s intéressent peu ou prou à la sociolinguistique, ce qui est bel et bien l objet qui nous a finalement retenu, autant sur le plan théorique que méthodologique :  Théorique, car la sociolinguistique est de plus en plus confrontée à la question de ses corpus d études et de ses descriptions qui exigent représentativité et congruence. Le texte [l œuvre traduite] devient l objet empirique qui constitue un niveau pertinent de la description et qui ne peut être défini qu à partir des contraintes globales qui -9Ahmed Khalifa l entourent et l affectent. Les concepts de Bourdieu viennent donc décrire et identifier ces contraintes et ceux de Genette viennent les classer et les lier spécifiquement aux discours littéraires : une entité plus large, voire même plus complexe à caractériser.  Méthodologique, car une telle étude relève un défi réel : notre corpus, au sens général, n est pas immédiatement abordable. Les œuvres traduites de la littérature égyptienne d expression française s affilient certainement en tant que réalisations exemplaires [œuvres] mais un certain problème réside dans la réalisation de ces œuvres et de l ensemble des discours autour d elles. Cet ensemble de discours littéraires constitue un corpus énorme et pratiquement incernable. D o‘ est venue l idée d actualiser les méthodes de Bourdieu dans un chapitre, celles de Genette dans un autre ou celles de Casanova et Calvet dans un énième chapitre pour le résoudre. En partant du principe que tout texte est linguistiquement normé par son genre et par conséquent par son corpus d appartenance, nous avons tenté de saisir les régulations et les moyens dont dispose la sociolinguistique d aujourd hui pour pouvoir construire un tout cohérent et logique. C'est-à-dire que nous avons réuni les œuvres littéraires en tant que [traductions] mettant à part leur genre spécifique [poèmes, romans, pièces de théâtre, articles, pamphlets, etc.]. De même, nous avons réuni les discours autour de ces traductions dans un autre corpus d appartenance, que nous préférons appeler le corpus analogue, en tant qu éléments de réception. Ergo, c est en corpus que nos réflexions et observations sont objectivées, et que se sont systématiquement élaborés nos choix méthodologique, descriptif et analytique. Nous avons essayé d adopter une perspective empirique qui cherche à dépasser l opposition sociolinguistique [théorique/appliquée] en nous orientant vers une sociolinguistique applicable et objectivée, une sociolinguistique qui s éloigne au maximum possible d une qualification comme sociolinguistique d opinion. Cette étude vise finalement à construire un ensemble cohérent d observations qui concernent les traductions de la littérature francophone égyptienne. Les écrivains francophones égyptiens étant nombreux, c est sur ceux traduits en arabe que s est porté notre choix dans le chapitre préliminaire de cette thèse, dans lequel les théories de Bourdieu et de Casanova dominent de leurs concepts. Nous y admettrons la notion d espace littéraire mondial et nous nous intéresserons aux - 10 Ahmed Khalifa influences qu exercent les mondes économique et politique sur la littérature. Quels sont les rapports que les écrivains francophones égyptiens ont entretenus avec les champs national, périphérique et international ? Quelle est la définition exacte de l activité d écriture en français ? Ecrire en français était-il vraiment un choix pour eux ? Les auteurs avaient-ils de multiples appartenances ? Etaient-ils conscients de l importance d une place meilleure sur la carte intellectuelle mondiale ? Pourquoi Paris attirait-elle leur attention ? Doit-on les appeler « francophones » ou plutôt « pré-francophones » ? C est dans le cadre de ces interrogations que nous avons choisi de débuter cette thèse pour mieux établir les liens entre les théories de la sociologie de la littérature et celles de la sociolinguistique qui les suivent dans la première partie de cette étude : celle de l étude du paratexte des traductions arabes des œuvres de ces écrivains. Outre son intérêt applicatif et descriptif, la présente thèse suggère une réflexion méthodologique sur la réception des œuvres traduites. Après avoir collecté et construit un corpus de centaines d articles et de publications autour de la traduction de cette littérature dans le monde arabe via les revues littéraires, les journaux et l internet, nous avons décidé d opter pour les théories genettiennes qui nous ont servi en tant que classeur dans lequel nous avons pu organiser nos descriptions. Ayant un souci véritable et une envie ardente d interpréter l écart temporel entre les œuvres et leurs traductions, nous débutons notre chapitre premier qui concerne l étude du péritexte avec la recherche des raisons d absence et de présence de cette littérature dans le champ littéraire égyptien et arabe. Constituant la tranche des premiers récepteurs, les éditeurs jouent nolens volens un rôle intéressant dans la réception des traductions. Etaient-ils les véritables responsables de la problématique de diffusion de ces traductions ? Quelles sont leurs techniques de présentation de l œuvre traduite au niveau des titres et au niveau des préfaces de l œuvre traduite ? Après avoir décrit le corpus péritextuel dans le chapitre premier, notre démarche change dans le chapitre deuxième puisque notre corpus change vis-à-vis de sa nature génériquement homogène. Nous nous écartons de notre corpus initial pour toucher un autre secondaire et éphémère : il s agit de l épitexte des traductions. L approche adoptée reste celle de Gérard Genette qui s intéresse en même temps aux affinités et aux contrastes. Ce corpus est donc exploré au niveau de trois composants essentiels : l éditorial, l allographe et l auctorial public. Nos échantillons y sont - 11 Ahmed Khalifa représentatifs et non aléatoires. )l s agit d une sorte d échantillons représentant la tendance générale des discours critiques autour de cette littérature dans le champ littéraire arabe. La deuxième partie de cette thèse concerne l étude de notre corpus limité et initial, il s agit des traductions arabes publiées de la littérature francophone et égyptienne. Encore, cette fois-ci le corpus pose un problème que nous avons décidé de surmonter par la classification en deux genres principaux : poésie et prose. La ligne directrice de nos analyses dans cette partie est l investigation des gestions des doubles destinateurs de cette littérature [auteur et traducteur]. Terminologiquement parlant, il s agit d envisager la gestion in vivo de l auteur et la gestion in vitro de son traducteur. Les interrogations dans les deux chapitres de cette partie tournent autour d une seule problématique majeure, celle de la technique traductive ou autrement dit : l opération traduisante. La traduction de la poésie, titre du chapitre premier, s est-elle libérée de toute soumission à sa société réceptrice ? Et la traduction de la prose, titre de deuxième chapitre, s est-elle montrée conforme au fonctionnement de la communication ? Comment finalement pouvons-nous composer avec des notions telles que la stratégie rapatriante ou l étrangeté du familier ? Enfin, on notera sans doute que nous avons mobilisé les méthodes et les théories appliquées selon les objectifs internes de chaque chapitre dans cette thèse : Les objectifs sociologiques visant à comprendre le phénomène de la littérature égyptienne d expression française en amont et en aval. [chapitre préliminaire].  Les objectifs sociolinguistiques visant à interroger l arrangement des retrouvailles de cette littérature avec son champ d origine ? Autrement dit, comment s est opérée paratextuellement la captation de l héritage littéraire ? [Première partie]  Les objectifs linguistiques visant à découvrir la particularité de la traduction de cette littérature et comment les traducteurs envisagent sa problématique « identitaire » et « biculturelle ». [Deuxième partie] - 12 Ahmed Khalifa CHAPITRE PRELIMINAIRE LA LITTERATURE EGYPTIENNE D’EXPRESSION FRANÇAISE : VERS UNE EXISTENCE LITTERAIRE - 13 Ahmed Khalifa Notre exposé qui se situe dans le cadre de la sociologie de la littérature n a d autre prétention que celle d un débat sur la description du phénomène de la littérature francophone : description qui n arrête pas d évoluer à l intérieur des divers discours critiques. Nous ne prétendons pas non plus faire une histoire des critiques de la littérature francophone mais plutôt une simple exposition de celles-là. 1 L’histoire de la littérature francophone d’Égypte : entre théories et méthodes sociologiques. 1.1 La littérature francophone égyptienne : sous-champ, système ou réseau littéraire ? La théorie littéraire, au sens qu Antoine Compagnon propose dans Le démon de la théorie , est à la base une critique. La distinction, s il en est, est que la critique discute le texte littéraire en l évaluant alors que la théorie rend les présupposés de cette critique plus explicites : « [la théorie est un] point de vue méta-critique visant à interroger, questionner les présupposés de toutes les critiques (au sens large)1 ». Les premières études mettant en avant la notion du champ littéraire ont été proposées au milieu des années soixante par le sociologue Pierre Bourdieu. Ces études visaient à assimiler parmi les positions intellectuelles celles qui prenaient forme d œuvres littéraires à un produit d une classe sociale ou autrement dit, comme un produit pouvant entrer dans une théorie de la société. La structure d un champ se constitue à travers un nombre d invariants de nature formelle ayant un certain rapport de dépendance ou d autonomie entre eux. Cette théorie du champ appliquée par Bourdieu au domaine littéraire dans son livre Les règles d art (1979) est une théorie qui 1 COMPAGNON A., Le démon de la théorie, Ed. du Seuil, coll. « points», Paris, 1998, pp. 20-24 - 14 Ahmed Khalifa pose une cohérence du système qu elle étudie, même si Bourdieu lui-même a récusé la notion du système. Cette théorie semblait quasi parfaite, lorsqu appliquée à la littérature du Second Empire2. « Le champ est un réseau de relations objectives (de domination ou de subordination, de complémentarité ou d antagonisme, etc. entre des positions – par exemple, celle qui correspond à un genre comme le roman ou à une sous-catégorie telle que le roman mondain ou, d un autre point de vue, celle que repère une revue, un salon ou un cénacle comme lieux de ralliement d un groupe de producteurs, chaque position est objectivement définie par sa relation objective aux autres positions ou, en d autres termes, par le système de propriétés pertinentes, c'est-à-dire efficientes, qui permettent de la situer par rapport à toutes les autres dans la structure de distribution globale des propriétés» 3 En avançant la notion décisive de capital symbolique, Bourdieu s inspire de la théorie marxiste du capital. Cette dernière mit en évidence la lutte des classes au sein du système d exploitation capitaliste. Or le capital symbolique, selon Bourdieu, s exprime à travers les productions symboliques qui ont une fonction socialement distinctive. Il écrit : « )l n est rien qui distingue aussi rigoureusement les différentes classes que la disposition objectivement exigée par la consommation légitime des œuvres légitimes, l aptitude à adopter un point de vue proprement esthétique sur des objets déjà constitués esthétiquement […] et, plus rare encore, la capacité de constituer esthétiquement des objets quelconques ou même vulgaires […] en matière de cuisine, de vêtement ou de décoration par exemple » 4 C est donc en s inspirant du modèle critique marxiste que la théorie du champ a fait entrer à l intérieur du domaine culturel l opposition binaire entre dominés et dominants à la façon du modèle des classes sociales. Le Second Empire est une période de prospérité économique. Les infrastructures et l industrie se développent, le système bancaire est en plein essor et une nouvelle forme de commerce fait son apparition : les grands magasins Émile Zola examine d ailleurs ce phénomène dans son roman Au bonheur des dames . Si c est surtout le milieu des affaires qui prospère, le sort des ouvriers n est quand même pas sans s améliorer. Mais le régime est toujours autoritaire et il se heurte, à partir de 1860, à des oppositions croissantes. La guerre franco-allemande et le désastre de Sedan – où Napoléon III, après avoir capitulé, sera fait prisonnier – entraîneront la révolution du septembre et l effondrement du Second Empire. http://www.la-litterature.com 3 BOURDIEU P., Les Règles d art. Genèse et structure du champ littéraire, Ed. du Seuil, Paris, 1992, p. 321. 4 BOURDIEU P., La Distinction. Critique sociale du jugement, Ed. de Minuit, Paris, 1979, p. 41. 2 - 15 Ahmed Khalifa Cette opposition binaire entre dominés et dominants nous amène à la deuxième grande notion bourdieusienne : celle de l autonomie relative de l activité symbolique. A l intérieur de chaque champ, il y a une certaine autonomie incarnée, à titre d exemple, pour le champ littéraire il y a homologie entre les choix esthétiques et les stratégies auctoriales. Ces stratégies auctoriales sont parfois liées à d autres champs politique, social ou économique) qui entraînent à leur tour interférence médiatisée, ou rapport de domination sur les champs intellectuels. Dans une étude parue en 1977 dans la revue Scolies, Bourdieu souligne que le champ littéraire fonctionne à l intérieur du champ politique : « Le champ intellectuel, si grande qui puisse être son autonomie, est déterminé dans sa structure et sa fonction par la position qu il occupe à l intérieur du champ du pouvoir » (p.15). Il précisa plus tard le rapport entre ces deux champs en expliquant que les champs de production culturelle sont à la fois dominants et dominés. Dominant par rapport à leur appartenance au capital culturel qui leur confère certaines privilèges et dominés par rapport à leur relation avec les détenteurs du pouvoir politique ou économique. Après son élaboration de la théorie du champ qui a suscité d emblée des réactions extrêmes, autant positives que négatives, Bourdieu traita l évolution du champ littéraire français et fit une enquête progressive sur son autonomie qui vit son apogée à la fin de 19ème siècle. Une autonomie représentée exemplairement dans l intervention de Zola en dans l Affaire Dreyfus quand l écrivain a imposé les valeurs de son champ au champ politique. Le champ a permis de renouveler l étude du phénomène littéraire en général. )l a aussi réussi à attirer l attention sur les littératures émergentes. Celles-ci ont relancé le débat en raison des problèmes que pose l application de la théorie du champ à l ensemble des littératures de langue française. Bourdieu, en étudiant l évolution progressive du champ français vers l autonomie structurelle a abordé brièvement la problématique de la littérature francophone5. En 1985, il a publié une étude intitulée Le concept de « la francophonie littéraire » est apparue en 1973 dans un ouvrage de G. Tougas intitulé Les écrivains d expression française et la France, puis il a été repris, grâce à son succès, en 1999 par M. Beniamino dans un essai intitulé La francophonie littéraire. Essais pour une théorie. 5 - 16 Ahmed Khalifa « Existe-t-il une littérature belge ?6»pour laquelle il propose le terme de champ francophone. Mais, à ses yeux, la production littéraire francophone est généralement déterminée par les lois du champ littéraire français et dépendante des idées véhiculées à Paris. Dans ce cas, les instances de légitimation (les jugements critiques de Paris, les pratiques du champ littéraire français) exercent leur domination sur ce champ. Le fait même qu il y a en Belgique des institutions littéraires nationales (universités, associations, revues, etc. n interdit pas que l on attend toujours la reconnaissance définitive de Paris, ce qui prouverait l insuffisance des leurs propres instances de consécration. En bref, pour rejoindre l international, il faut passer par la doxa nationale de Paris. Ainsi Bourdieu proposa la notion de sous-champ pour désigner les différents champs francophones (belge, suisse, maghrébin, etc.). De toute évidence, nous faisons le constat d un centre avec ses relations de domination mais, est-il vraiment possible de parler d un champ littéraire francophone regroupant toutes les productions des souschamps africaines, suisses, belges, maghrébines, québécoises ? ou bien vaut-il mieux substituer à la notion de champ la notion de système. ? C est ce que Pierre (alen, chercheur belge, proposa en 2001 en arguant que la notion du champ n est pas apte à décrire la littérature francophone « géographiquement éclatée ». (alen préfère que l on parle de « système littéraire francophone», pour tenir compte de la difficulté résidant dans la multiplicité des zones de production et de légitimation particulières et différentes qui sont loin de former un champ cohérent : « Le système littéraire francophone englobe, négativement, l ensemble des productions de langue française mais qui ne sont pas présentées comme françaises et qui, en même temps, ne relèvent pas seulement du niveau local (extérieur à la France), tout en entretenant un certain nombre de liens, dont il faudra préciser la nature, avec cette zone d origine » 7 Pour lui, l emploi d une langue commune n est pas suffisant pour constituer un ensemble. Même la notion de « sous-champ » n est pas apte à décrire le phénomène, il écrit : « La Belgique […], un pays francophone, même limitrophe, n est pas simplement un sous-champ du champ français, à moins de donner à ce BOURDIEU P., « Existe-t-il une littérature belge ? Limites d un champ et frontières politique », in Etudes des lettres, vol. 3, 1985, pp. 12-16. 7 HALEN P., « Constructions identitaires et stratégies d émergence : notes pour une analyse institutionnelle du système littéraire francophone », Etudes françaises (Montréal), 37-2, 2001, pp. 13-31. 6 - 17 Ahmed Khalifa concept une définition spécifique (pour différencier sous-champ interne et externe, par exemple) » 8 Halen justifie son point de vue en affirmant que les zones francophones extérieures à la France ne sont pas des simples sous-champs du champ français parce que chaque zone passe par une triple organisation de luttes pour obtenir sa légitimité. D abord au niveau local, il y a un champ d attractivité propre à l intérieur duquel interviennent des acteurs (sur place) avec des objectifs « locaux ». Puis, au moment où les producteurs rencontrent leurs homologues français, ils participent, qu ils le veulent ou pas, à la production du champ franco-parisien (domaine satellite). Celui-ci jouit de la force matérielle et symbolique des appareils autochtones. Finalement, au niveau mondial, la lutte de la zone s effectue pour passer à l internationalisation, ou pour paraître sur la carte de la République mondiale des Lettres. En 2006, un groupe de chercheurs belges continua le débat en proposant la notion du réseau qui leur paraissait plus souple et moins compromettante. Ils refusèrent la notion du sous-champ pour analyser le fonctionnement de la littérature belge jugée de la part de Bourdieu comme une « institution faible ». Car, pour eux, Bourdieu condamne cette littérature à la double marginalité puisqu elle se constitue en marge du champ littéraire français ainsi qu en marge du champ politique belge9. A contrario, Gisèle Sapiro, l une des protagonistes de la théorie des réseaux, affirme que la théorie du champ ne s oppose pas aux analyses des réseaux. Le réseau peut servir en tant que méthode « pour explorer le champ littéraire 10». Selon elle, la théorie de Bourdieu néglige les interactions effectives ou les relations interpersonnelles entre les individus dans le cadre des rapports sociaux qu ils développent. La notion du réseau permet de combler cette lacune et cherche à rendre les études de ces rapports sociaux plus objectives en se basant sur le principe que « les individus se définissent les uns par rapport aux autres indépendamment des relations effectives entre eux (qui peuvent bien sûr exister ou se concrétiser à un moment donné, mais qui peuvent aussi masquer les relations objectives […] 11». La théorie des chercheurs belges ne semble HALEN P., « Notes pour une topologie institutionnelle du système littéraire francophone », op.cit., p.9 Voir GAUDREAULT J., "Réseaux littéraires", Acta Fabula, Vol.7 n° 5 Octobre 2006. URL: http://www.fabula.org/revue/document1649.php 10 Sapiro Gisèle in GAUDREAULT J., "Réseaux littéraires", op.cit. 11 Idem. 8 9 - 18 Ahmed Khalifa donc pas une tentative visant une rupture complète avec la théorie de Bourdieu. En , Lise Gauvin a même indiqué qu il y a dans certains cas une « faible diffusion hors de l enceinte initiale » c'est-à-dire des littératures qui n ont pas pu avoir une importance à l échelle mondiale, o‘ intervient l efficacité de la notion réseau : « [leur importance] est inversement proportionnelle à leur impact dans leur société d origine. Dans la mesure o‘ elles [les littératures] ont créé leurs propres instances de consécration et de légitimation, ces littératures existent pour une communauté de lecteurs et bénéficient d une attention particulière de la critique dans leur lieu de production » 12 En dehors de la problématique de la francophonie, la théorie du champ est également entrée en opposition avec la théorie des polysystèmes. Celle-ci prend pour exemple les grands auteurs du théâtre de la Belle Epoque13 qui ont eu une légitimité artistique, celle du spectacle non celle de la littérature à lire. Ce qui nécessite d admettre la coexistence de différents systèmes et de diversités linguistiques et culturelles qui se croisent à l intérieur d une même aire littéraire. A ce stade, et sans prétendre avoir saisi toutes les subtilités de la théorie du champ chez Bourdieu, nous comprenons qu un champ littéraire est associé à un espace géographiquement réel. Ce que nous transmettent les termes de (champ littéraire français, espagnol, égyptien, indien ou autre). Comment donc pourrons-nous décrire les petits espaces de vie culturelle en français dans une partie de la bourgeoisie égyptienne ? Ces espaces sont créés par des circonstances historiques variées selon un certain cadre de relations culturelles. De notre point de vue, une approche entre les trois notions théoriques (champ, système, réseau) parait possible, puisque toutes les trois s intègrent dans la sociologie de la littérature et, chacune comble les lacunes de l autre. La littérature francophone égyptienne est née au milieu d un champ littéraire géographiquement et linguistiquement lointain du champ français. Mutatis mutandis, GAUVIN L., Ecrire pour qui ? L écrivain francophone et ses publics, Karthala, coll. « Lettres du sud », Paris, 2007, p. 9. 13 La « Belle Epoque » est une période historique de progrès social, économique, technologique et politique en Europe, s'étendant de la fin du XIXe siècle au début de la Première Guerre mondiale en 1914. L'expression est née après la Première Guerre mondiale pour évoquer la période antérieure à la Grande Guerre et postérieure à la dépression économique de 1870 à 1895. Dans cette désignation, il y a une part de réalité (expansion, insouciance, foi dans le progrès). 12 - 19 Ahmed Khalifa décrire ce phénomène exige de dégager un groupe d éléments entre les différentes théories sociologiques de la littérature :  Il existe un monde symbolique dont les valeurs littéraires constituent une République littéraire influencée par son interaction avec d autres mondes dominants tel le monde économique o‘ politique. Une République qui n a pas de frontières, c est une « espace littéraire mondiale »  Cette République des Lettres contient des champs littéraires différents dont celui qui arrive à imposer ses valeurs (nous ne parlerons pas ici de ses moyens d imposition mérite d être qualifié de capitale littéraire. Cette capitale influence à son tour tous les autres champs dans un rapport de domination.  A l intérieur du champ littéraire égyptien, il y a des réseaux différents qui cherchent à obtenir la légitimité soit auprès du champ national (égyptien), soit auprès du champ périphérique arabe14 soit enfin auprès du champ international, celui de la capitale littéraire. Parmi donc ces réseaux, il en existe un qui s unifie non seulement culturellement avec la capitale mais aussi linguistiquement. Ce qui est le cas de la littérature francophone égyptienne.  Un réseau littéraire use de systèmes paratextuels et textuels obéissant aux sphères de création, de commentaires qui varient d un champ à l autre. Sociologiquement parlant, la littérature francophone égyptienne est donc un réseau littéraire dont le lien identitaire entre ses œuvres est la langue d expression écrite. (istoriquement, c est un réseau né dans un champ local linguistiquement différent, et qui lui a interdit d avoir une influence significative sur lui. Pendant les premières années de son existence, les acteurs de ce réseau agissaient entre eux mais tout en gardant une relation avec le champ français qui influençait en permanence leurs valeurs esthétiques et littéraires. Cela ne les a pas empêché de s inspirer de leur culture d origine et de créer une littérature métisse qui a pu attirer l attention de la capitale littéraire. Une littérature métisse qui est, dans son esprit, centrée sur l Égypte o‘ l écrivain francophone égyptien surtout le romancier était invité à recueillir des contes ou des légendes, à décrire des coutumes. Après quelques années, il y a eu une immigration de la plupart des figures de cette littérature du fait de l influence du champ Ici, nous pourrions parler de système littéraire arabophone, de la même façon que Halen parle de système littéraire francophone 14 - 20 Ahmed Khalifa politique national. Quelques écrivains, parmi eux, ont choisi Paris comme une ville fortement existante sur la carte intellectuelle du monde littéraire, son centre. Au vu de cet état de faits, notre démarche analytique dans ce chapitre suivra quatre grands axes de recherche qui nous aideront à comprendre le phénomène en amont et en aval. Le fait d écrire en français est le premier axe qui illustre une certaine volonté d exister dans un champ littéraire plus grand et reconnu. Le deuxième est l identité plurielle qui convoque un double acte d unification et de séparation avec le champ littéraire français mais qui renforce son existence littéraire sur la carte intellectuelle internationale à travers sa reconnaissance par ce que l on appelle littérature « exotique et étrange ». Le troisième est la pratique de techniques et de valeurs littéraires et esthétiques propres dont notre but est de savoir jusqu à quel point les écrivains francophones égyptiens en ont usé. Le quatrième est de montrer la raison exacte de l orientation de la majorité de ces écrivains vers Paris. Trouver une méthode sociologique cohérente, apte à décrire l histoire du phénomène littéraire francophone en Égypte, et visant en même temps à mener une étude de sa réception, constitue un problème que nous tenterons d exposer dans les pages suivantes. 1.2 L histoire de la littérature francophone en Égypte : problématique de sa périodisation et de sa réception. « Le développement de la littérature francophone en Égypte n'est pas le fruit d'un simple hasard ou le caprice d'une élite affectée. C'est, au contraire, le résultat d'une longue maturation et d'un choix très conscient qui remontent au milieu du 19e siècle » 15 Deux problématiques se posent pour l histoire de la littérature francophone égyptienne au sein de ses deux champs littéraires, égyptien et français : la première concerne sa périodisation et la deuxième réside dans l analyse de la réception de ses productions soit dans leur version originale, soit dans leur version seconde qui en est la traduction. 15 LUTHI J.-J., Anthologie de la poésie francophone d'Égypte , Harmattan, Paris, 2002, p. 9. - 21 Ahmed Khalifa Abordons la première. Dans quel contexte historique doit-on appréhender son phénomène ? Faut-il le comprendre historiquement par une périodisation de siècle, de mouvement ou de génération ? En préliminaire, nous allons exposer brièvement le débat sur cette question. Si nous traitons le phénomène de la francophonie égyptienne, née dans le champ littéraire arabe, par une périodisation de siècle qui est, selon Vaillant16, le mode le plus simple et le plus injustifiable en même temps, notre étude risquerait d être non précise à cause de certaines divisions séculaires. En effet, interroger cette littérature dans l ensemble des caractéristiques de son champ littéraire égyptien ou français la condamnerait à être définie par des notions abstraites. Par exemple, dire que la littérature égyptienne d expression française est une littérature migrante de son champ d origine vers un autre champ dit « universel » : celui du champ français risque de créer des contradictions logiques vu que le champ littéraire égyptien à cette époque ne vivait pas le même temps littéraire17 que le champ universel. Alors que le phénomène de cette littérature n était qu une tentative de rejoindre le temps réel de la littérature mondiale. Vaillant rajoute que le fait de traiter l histoire littéraire, quel que soit son champ, par une périodisation de siècle pourrait prendre racine dans la mémoire collective du domaine pédagogique universitaire ou scolaire par la suite de prescriptions. Et on finira bien sûr par croire que la chose existe réellement. Quant aux notions de mouvement et d école, qui sont aussi de nature universitaire, elles ont l avantage de prendre en compte la succession historique d esthétiques distinctes. La notion de mouvement concerne à la base un type particulier de la littérature et notre problème réside dans la classification des écrivains francophones égyptiens. Si nous tentons d insérer ces derniers comme représentants de tel mouvement littéraire, pourrions-nous classer Chédid dans le symbolisme, Cossery dans le réalisme, enfin Henein et Joyce Mansour dans le surréalisme ? En tout cas, la littérature francophone n est qu une infime partie de la production littéraire égyptienne et, le fait de la considérer selon ses mouvements n aura aucun impact réel sur son champ littéraire car même après sa traduction vers l arabe, elle n a pu imposer son « mouvement » du fait que la grande masse de la production littéraire est principalement portée par des dynamiques et des politiques culturelles, comme nous le montrerons dans le chapitre premier de cette étude. En ce qui concerne 16 17 VAILLANT A., L histoire littéraire, Armand Colin, Paris, 2010. BAYARD P., Le Plagiat par anticipation, Éditions de Minuit, coll. "Paradoxe", Paris 2009. - 22 Ahmed Khalifa la notion de génération, elle nous paraît la moins contestable des trois. Néanmoins, on devra la considérer comme caduque parce que cette littérature n a pas pu s intensifier et se cristalliser pour créer une activité littéraire qui influençât durablement son champ littéraire jusqu à l émergence d une nouvelle génération. La preuve en est que les écrivains francophones égyptiens d aujourd hui sont beaucoup moins nombreux que ceux de la génération d après-guerre. Cette problématique de périodisation que nous venons de passer en revue, nous a poussé à admettre un nouveau concept importé des sciences historiques et salué par les littéraires : celui de l événement. Ce concept ne se base sur aucune forme esthétique ou sociologique : « Un événement peut être constitué par la publication d une œuvre, la mort d un écrivain, l attribution d un prix ou d une dignité quelconque, par une controverse médiatique, etc. En outre, il entérine le fait que le temps est par nature discontinu : grâce à lui, l histoire littéraire ne consistera plus à plaquer un récit continu et faussement cohérent sur le discontinu du temps, mais à mettre l accent sur des moments de la vie littéraire et à laisser du jeu entre eux, selon le principe que le savoir historique est par nature lacunaire et inductif. Enfin, l événement est une notion double ; d un côté, il renvoie à une réalité objective ; de l autre et de façon indissoluble, il est un fait de représentation et une construction du discours social. Il réunit donc les problématiques complémentaires de l histoire littéraire pensée comme histoire de l art et de l histoire culturelle pensée comme histoire sociale des faits culturels . […] Nous aurions donc grâce à l événement le moyen d une histoire littéraire vraiment nouvelle, concrètement articulée à l analyse fine des réalités socioculturelles.» 18 C est donc dans le cadre des réalités socioculturelles que nous essayerons de saisir le phénomène de littérature francophone et considérer son existence d un côté dans le champ littéraire français, de l autre dans le champ littéraire arabe à travers sa traduction. L événement sera donc, de notre point de vue, le mode de périodisation apte à aborder cette littérature et capable d interroger sa réception. Cet abord n est pas sans difficultés. En effet, raconter l histoire d un phénomène littéraire comme tel par le biais d une sociologie de la littérature, nécessite une grande interaction entre de multiples disciplines qui s ajoute à la difficulté de l éparpillement des notions comme la littérarité, l auteur, le genre, le lecteur ou la mimésis dû au manque 18 VAILLANT A., L histoire littéraire, Armand Colin, Paris, 2010, pp. 123-124. - 23 Ahmed Khalifa de synthèse générale théorique et méthodologique de l histoire littéraire. Autrement dit, une critique contemporaine de la réception des textes doit intégrer des approches politiques, géostratégiques, sociologiques, philosophiques qui devraient permettre de comprendre l idéologie d un œuvre dans les œuvres et dans les discours sur les œuvres. Bien que cette étude concerne la réception de la traduction de cette littérature dans le champ littéraire égyptien aussi bien que les enjeux de son rapatriement et de sa récupération, nous nous sentons obligé de prendre en considération sa première réception, celle du moment de sa parution. Comment est survenue l idée de cette question préliminaire ? En raison de deux axes différents à prendre en compte pour sa réception : du temps et de la langue. Une réception doit en effet considérer les effets temporels incarnés dans ce qu on appelle l attractivité culturelle de l époque, qui est un élément remarquable dans la sociologie des publics. Cette attractivité est liée aux caractéristiques de chaque public afin de lui plaire, lui donner le plaisir qu il attend. Ainsi, la séduction littéraire serait socialement déterminée. Nous ne pouvons pas émouvoir un public d aujourd hui avec les mêmes choses ni les mêmes manières que celles des débuts du siècle précédent. Chaque écrivain adopte donc certains codes culturels correspondant au public qu il vise. D ailleurs la réponse de ce public doit être sans aucun doute porteuse d une idéologie parce que chaque public s oriente naturellement vers la littérature qui rassasie ses préoccupations, ses valeurs et ses croyances. Vu que la littérature francophone égyptienne s est coupée avec le temps littéraire de son champ local et a rejoint un autre champ géographiquement et linguistiquement lointain, son public local est devenu restreint et fixé dans l élite (bourgeoise, aristocrate) polyglotte égyptienne. Cette élite a pu rester unie avec cette littérature à travers l attrait de la langue française écrite qui constitue le deuxième axe d attractivité culturelle. Nous constatons l existence de cette tranche francophone devenue restreinte du public égyptien, qui attendait de consommer des productions littéraires locales outre les productions littéraires universelles, où elle retrouvait des catégories et des esthétiques, inspirées peut-être de la culture arabe ou particulièrement égyptienne, qui leur avait été transmises pendant leur formation scolaire. Tout cela sans que la classe intellectuelle égyptienne arabophone ait pu influencer cette littérature, interagir ou dialoguer avec elle. Dans ces circonstances, le lectorat francophone détenait seul le vrai pouvoir - 24 Ahmed Khalifa culturel et était capable d un « dialogue créateur » avec quelques auteurs au cœur du champ local. Après le départ de ces écrivains, à l exception d Ahmed Rassim, et de leur déplacement vers le centre littéraire de leur époque, la relation d influence entre lecteur et auteur s est élargie du fait de l immersion de ces auteurs avec le temps et l espace de la capitale littéraire. Leur langue d écriture n est plus la langue d un public restreint mais d un public plus grand et « populaire », qui est dorénavant capable de s en tenir à la lettre du dialogue. Sortir de son champ littéraire et appartenir à un autre a bien sûr des motifs justifiables. Mais, ce que ce chapitre espère cerner, ce sont les réactions des deux publics : francophone et français en général d un côté et francophone égyptien en particulier de l autre. )l semble aussi nécessaire de s intéresser aux témoignages et confidences des auteurs afin de pouvoir restituer au réseau textuel sa complexité sémiotique. Nous tenterons ainsi d accéder à la vérité du texte, en reléguant à l arrièreplan les phénomènes de la réception de cette littérature dans son champ local et son champ universel au moment de sa publication. En tout cas personne ne peut nier qu il y ait eu une médiation entre l œuvre littéraire francophone et sa société d origine ou d accueil). Cette médiation suppose que chacun des deux publics avait un rôle à jouer et, cela mènera à connaître les données contextuelles utiles mises en relief grâce à des enquêtes tantôt diachroniques, tantôt synchroniques. Nous allons préciser de temps en temps celles que nous avons pu relever entre producteurs et consommateurs de la littérature francophone. Par ailleurs, les études classiques de la réception nous ont poussé à nous éloigner des données quantitatives et nous ont orienté vers des corpus d écrits critiques qui témoignent d une compréhension plutôt personnelle des œuvres, qui est a fortiori une observation fine du phénomène de la littérature francophone, surtout lorsque cette observation a été écrite au moment de la première publication des textes. De notre point de vue, les plus intéressantes sont celles qui amènent un dialogue avec l auteur qui répond par le biais d une préface ou d une correspondance privée comme le fit Georges Henein dans ses correspondances avec André Breton. Sur le même plan, les commentateurs qui ont recueilli les textes francophones égyptiens étaient souvent des universitaires, parfois des éditeurs privilégiés participant, nolens volens, au processus de la production littéraire ou finalement des amis appartenant à l entourage de l auteur, - 25 Ahmed Khalifa parfois même partageant avec lui le métier d écrivain. Ce dernier cas fait d eux de vrais acteurs de la vie littéraire et l étude de leurs interventions relève d une sociologie des réseaux littéraires, comme le faisait remarquer Sainte-Beuve dès le XIXe siècle. Lire Georges (enein commentant Joyce Mansour ou Andrée Chédid faisant l éloge d Albert Cossery dans un article, dans une préface ou dans un entretien, n a-t-il pas fait des écrivains francophones égyptiens un groupe de commentateurs privilégiés entre eux ? La question se pose à savoir si sur le plan de la description sociologique ou sur celui de l analyse historique, les interventions d un écrivain sur l œuvre de son homologue ontelles influencé le fonctionnement de la vie littéraire ? Etre égyptien(ne) écrivant en français semble-t-il suffisant pour tirer légitimité ou autorité de faire une œuvre d historien ? Cette dernière question nous mènera à exposer en résumé la notion de l esthétique de la réception qui revient à (ans Robert Jauss – l un des chefs du groupe de recherche connu sous le nom d «école de Constance19 ». L esthétique de la réception se base sur l hypothèse que le « public » désigne évidemment des lecteurs cultivés et capables de participer aux échanges d idées. Nous nous basons sur ce public-là qui existe réellement par ses commentaires écrits et non sur le grand public de lecteurs qui est un être purement virtuel. La théorie de l esthétique de la réception est presque la dernière théorie en date qui a essayé de définir le rôle historique du public. A partir des années 1970, Jauss et Wolfgang )ser ont fait une approche sur le rôle du lecteur, ce qui n était pas coutume dans l analyse de l histoire littéraire mais qui a suscité tout de suite un grand intérêt en France. Faire la différence entre public et lecteur est une des difficultés sur lesquelles se base la doctrine de cette école. Ainsi, le fait de « concevoir » l histoire littéraire a pu être autrement pensé parce qu ils ont fondé leur théorie sur la réception de l œuvre littéraire par le public : L École de Constance est un groupe de chercheurs dont (ans Robert Jauss et Wolfgang Iser étaient les principaux tenants, et qui ont développé respectivement les théories de la réception et de la lecture des textes littéraires. Dans Pour une esthétique de la réception (1972), reprenant les enseignements de Hans-Georg Gadamer, Jauss a affiné la théorie herméneutique. Il a proposé l'usage d'une « triade » herméneutique pour l'étude des œuvres. Cette triade herméneutique consiste en - L'interprétation du texte où il faut réfléchir, rétrospectivement et trouver les significations. 2-La reconstruction historique, où l'on cherche à comprendre l'altérité portée par le texte. 3- La compréhension immédiate du texte, de sa valeur esthétique et de l'effet que sa lecture produit sur soi-même. 19 - 26 Ahmed Khalifa « […] la littérature et l art ne s ordonnent en une histoire organisée que si la succession des œuvres n est pas rapportée seulement au sujet consommateur – à l interaction de l auteur et du public » Pour eux, chaque lecteur interprète l œuvre littéraire selon son propre « horizon d attente » qui est l « ensemble d attentes et de règles du jeu avec lesquelles les textes antérieurs l ont familiarisé 20». D ailleurs, une problématique réside dans les cas d «écart esthétique» entre l œuvre littéraire nouvelle et son horizon d attente. Le cas de la littérature francophone représente-t-il, entièrement ou partiellement, cet écart esthétique en s éloignant des normes de son champ d origine et en s approchant des normes esthétiques d un autre champ d accueil plus grand, qui est celui de la langue française ? Et si nous supposons que les horizons d attente influencent l esthétique de l œuvre littéraire, un écrivain francophone vise l horizon de quel lecteur ? Francophone égyptien ou français ? L exotisme et l étrangeté par exemple, satisfont l horizon d attente duquel de ces deux lecteurs ? Ces questions servent aussi à distinguer entre les critiques qui jugent l œuvre au moment de sa parution. En effet, la réception de Breton pour Henein ou de Camus pour Cossery n est pas pareille à celle de Chédid pour Rassim ou de (enein pour Joyce Mansour. De même, dans le champ d origine, la réception de Taha (ussein, un écrivain d expression arabe possédant une connaissance du français, pour Out-el-Kouloub n est pas pareille à celle de tel critique arabophone pour l un des écrivains francophones à travers la traduction arabe de l œuvre. Dans ce dernier cas, la traduction entre en jeu parce qu elle est assez tardive par rapport à la publication de l œuvre originale. Malgré que la réception de la traduction constitue l objectif essentiel de cette étude, nous ne la traiterons pas pour le moment dans ce chapitre parce que l ordre diachronique constitue un obstacle énorme à cause du délai très long qui sépare le texte de sa traduction (30, 40, voire 60 ans). Pour finir, Jauss a défini le rôle du critique, qui est avant tout un lecteur productif : 20 « Même le critique qui juge une publication nouvelle, l écrivain qui conçoit son œuvre en fonction du modèle – positif ou négatif – d une œuvre antérieure, l historien de la littérature qui replace une œuvre dans le temps Ibid., p.51. - 27 Ahmed Khalifa et la tradition dont elle est issue et qui l interprète historiquement : tous sont aussi et d abord des lecteurs, avant d établir avec la littérature un rapport réflexif qui devient à son tour productif»21 A ce propos, notre lecteur pourrait contester certains choix de périodisation ou souligner certaines ellipses. En effet, face à l abondance de la matière brassée par nos problématiques de recherche, nous étions obligés, uniquement dans ce chapitre, d opérer des citations appartenant aux écrivains égyptiens eux-mêmes en nous basant sur les quatre axes de recherche déjà mentionnés. Cela étant dit, notre ambition n est pas seulement de présenter un ensemble de faits, mais aussi de dégager un discours qui « prétend » livrer, ou justifier, une représentation homogène d un ensemble de textes et d auteurs. D ailleurs, toute cette étude est le résultat de ce que notre crayon à nous a osé souligner pendant nos lectures. 21 Ibid., p. 44 - 28 Ahmed Khalifa 2 Ecrire en français Comment écrire alors que ton imaginaire s abreuve, du matin jusqu aux rêves, à des images, des pensées, des valeurs qui ne sont pas les tiennes ? Comment écrire quand ce que tu végète en dehors des élans qui déterminent ta vie ? Comment écrire, dominé ?22 A la fin du 18ème siècle, les Egyptiens se sont réveillés aux coups des canons de Bonaparte. Des coups qui annoncent la fin d'un siècle et le début de leur relation avec la France, le pays de l'autre bout de la mer. Dès ce moment, celle-là ne va cesser de grandir. Nous n'allons pas faire ici un exposé de l'influence de chaque pays sur l'autre, ni une description de ce qui s est passé entre eux du point de vue politique ou économique, mais nous nous focaliserons sur ce qu il va en être de l arrivée de la culture française dans un pays qui possédait déjà une longue tradition littéraire et culturelle. Le fruit de cette rencontre paraît un siècle après, à savoir la littérature égyptienne d'expression française. « A partir de la fin de XIXe siècle, la langue française a été adoptée, pratiquée par une partie bien définie de la société égyptienne qui s est progressivement élargie jusque vers les années cinquante : ce fut d abord l aristocratie puis la haute bourgeoisie. Pour une partie de cette élite, elle est devenue langue exclusive. L expression française étant alors un élément essentiel de distinction. C est ainsi que les premières filles instruites le furent en français, à l intérieur du harem et que s exprimer en français devint rapidement un rituel de convivialité dans les relations mondaines et dans l entourage du Palais royal»23 La plupart des aristocrates et des riches bourgeois du Caire des années 1930 parlait trois langues. La première était leur langue maternelle ; la troisième, l anglais la langue de l occupant . Entre les deux il y avait une deuxième langue « librement choisie » : la langue française qui était dès l école la langue étrangère principale. Une langue « de cœur », « adoptive », « une épousée que l on aimait ». 22 23 CHAMOISEAU P., Ecrire en pays dominé, Gallimard, coll. « folio », Paris, 1997, p. 17. FENOGLIO I., Défense et illustration de l Egyptienne, CEDEJ, Le Caire, dossier n° 2, 1988, p. 44. - 29 Ahmed Khalifa Les circonstances qui ont fait naître cette littérature24 sont l objet de notre recherche, tout en faisant nôtres les interrogations de la citation en épigramme. Pourquoi certains écrivains égyptiens ont-ils choisi d écrire en français ? Une langue qui les coupe de leur public national, tout en leur donnant une existence littéraire internationale. Auraient-ils considéré que l écriture en arabe pouvait les condamner à l obscurité en les mettant dans une aire littéraire extrêmement réduite ? Etaient-ils conscients de ce que l on appelle aujourd hui l existence littéraire ? En écrivant en français, à qui s adressent-ils ? Pourquoi ne sont-ils pas parvenus à exister ouvertement dans le monde arabe qu en devenant des « écrivains traduits » ? Enfin, y a-t-il un parmi eux qui, dans son entreprise littéraire, opposait un refus ou soutenait une défense de ce que l on pourrait appeler « l égyptianisation du français » ? Autant de questions auxquelles nous allons essayer de répondre malgré le peu de ce qu ils laissèrent de confidences, de textes et de dialogues. Selon notre pont de vue, le choix de la langue d écriture n est pas forcément « un choix ». C est-à-dire, et nous le confirmerons ultérieurement, il y avait des écrivains francophones qui, pour des raisons d origine étrangère ou de formation, ne savaient simplement pas écrire en arabe. Il ne faut pas non plus confondre « écrire en arabe » avec « s exprimer en arabe » dialectal égyptien parce que l écriture en arabe exige, elle aussi, une certaine formation. Le fait d écrire en français, question que traitent en profondeur les écrits de Lançon et Luthi, les auteurs ne la posent pas en terme de choix alors qu il y avait, de notre point de vue, une sorte d obligation linguistique [sousjacente]. Le choix est relativement inexistant puisque même, dans la tradition éditoriale ou culturelle de l époque, l écriture en dialectal égyptien n était pas admise comme littéraire. Seul Ahmed Rassim, qui est un cas unique selon les témoignages de plusieurs critiques et chercheurs universitaires, a essayé une écriture poétique de forme libre en arabe et a été durement critiqué par ses contemporains25 pour cela. Il est vrai que la langue française n était pas imposée, elle n était pas non plus la langue de l occupant, mais elle était précisément la langue de formation pour tous les écrivains. Les formules consacrées et figées dans l arabe littéraire ne sont-elles pas la raison pour laquelle on a A voir spécialement les ouvrages de Jean-Jacques Luthi et Daniel Lançon sur la littérature égyptienne d expression française. 25 Nous reviendrons sur cette question ultérieurement dans l étude de l existence sur « La carte intellectuelle », où nous soulignerons nos doutes à propos de la création littéraire de Rassim en langue arabe. 24 - 30 Ahmed Khalifa choisi d écrire en français ? Pourquoi a-t-on réduit le débat à une seule idée, celle qui considère que l écriture en langue étrangère permet d aborder « librement » et plus facilement certains sujets comme la religion, la politique ou la sexualité ?26 Des sujets qui ne nous semblent pas fortement présents dans leurs œuvres et même quasiment inexistants chez certains : « D ailleurs, je n ai pas tellement écrit sur l amour et son évolution, je n en parle pas beaucoup. En tout cas, je ne m exprime jamais en des termes érotiques.».27 Pourquoi ne pourrions dire qu ils écrivaient en français parce que tout simplement ils ne savaient « écrire » qu en français ?28 : « On était très cosmopolite en Egypte, très admiratifs de la vie et de la culture française. C est presque un mythe. En tout cas, chez nous, ça l était. On s exprimait donc en français et en anglais.»29 Si nous nous permettons d étendre un peu le débat, nous ajouterons à propos des origines de ces écrivains que par exemple, la mère de Georges Henein était italienne. De même, Edmond Jabès est issu d une famille de banquiers italiens ou Joyce Mansour Joyce Adès est descendante d une famille de la colonie britannique installée en Egypte depuis plusieurs générations. A la différence de ceux-ci, l environnement familial d autres écrivains tels Albert Cossery, Out El Kouloub, Ahmed Rassim et Fawzia Assaad, était exclusivement « arabophone ». Ces derniers par contre sont plus connus par l effet de « l égyptianité » dans leurs écritures. Ainsi, c est essentiellement la formation qui est la raison de leur écriture en français. Robert Solé par exemple fit ses études au Lycée franco-égyptien d (éliopolis puis au Collège des Pères jésuites du Caire. Il obtint le baccalauréat français au Caire, puis le baccalauréat français à Notre-Dame de Jamhour au Liban. Georges Henein, fit ses études secondaires à Madrid, Rome [o‘ il obtint de nombreux prix d excellence de Par rapport à la question du CHOIX de la langue nous citons par exemple : « Le développement de la littérature francophone en Égypte n'est pas le fruit d'un simple hasard ou le caprice d'une élite affectée. C'est, au contraire, le résultat d'une longue maturation et d'un choix très conscient qui remontent au milieu du 19e siècle » LUTHI J.-J., Anthologie de la poésie francophone d'Égypte , Harmattan, Paris, 2002, p. 9. 27 Andrée Chedid , Entre Nil et Seine, entretien avec Birgitte Kernel, op.cit., p.56. 28 Nous constatons aussi que la formation de quelques écrivains était plurilingue, comme celle d Andrée Chédid par exemple qui a écrit en anglais au début de sa carrière. 29 Ibid., p.48. 26 - 31 Ahmed Khalifa français et d histoire décerné par son lycée français Chateaubriand] et Paris, et obtint une licence à la faculté de droit de Paris. La Seconde Guerre Mondiale interrompit sa deuxième licence ès lettres. Il reconnaît lui-même que : « Les maîtres qui ont contribué à ma formation sont parmi les contemporains, André Breton, André Malraux, et dans une certaine mesure, André Gide. Parmi les écrivains du passé, Laclos, Chateaubriand, Constant, Flaubert, Lautréamont. »30 Edmond Jabès, quant à lui, entra au collège Saint-Jean Baptiste des Frères des Ecoles chrétiens puis, à partir de 1924, fréquenta le lycée français de la Mission Laïque. Il écrit sur ses débuts : « En fait, j ai commencé à écrire relativement jeune, à l âge de ans, des choses sans intérêt. J ai publié un livre de poèmes à l âge de ans, en France en outre, lequel eut dans les cercles très officiels, très académiques, un certain succès. C était Illusions sentimentales, c était très baudelairien. »31 Il a même animé en 1929 à Paris avec son frère Henri Jabès une revue littéraire intitulée « L anthologie mensuelle » dont on changea le nom en 1930 pour « Alliance universelle32». Les cas de Jabès, de Henein ou de Joyce Mansour ne sont pas loin de ceux de Out El Kouloub, de Rassim, ou de Cossery. Ceux-ci appartenaient à des familles de propriétaires terriens de l aristocratie égyptienne. Grosso modo, cette appartenance à un environnement purement « arabophone » a fortement influencé leur création littéraire. Les familles aristocratiques égyptiennes à l époque instruisaient leurs filles en français, celles-ci pouvaient ensuite l enseigner à leurs filles. Chédid, n a-t-elle pas déclaré à propos de son choix de langue d écriture : « Je parlais, et je parle encore assez mal l arabe alors que mes parents le maîtrisent parfaitement. Comme je passais la plupart du temps au pensionnat et que celui-ci était francophone, il est certain que je vivais déjà à la française.»33 Pour Chédid, la préférence de la langue française pourrait être interprétée autrement. Tout d abord, ce n est pas parce que l anglais était la langue de l occupant (ENE)N G., Questionnaire littéraire avec Jean-Jacques Luthi », Entre Nil et sable : Ecrivains d Egypte d expression française -1960), Centre national de documentation pédagogique, Paris, 1999, p. 314. 31 )n LANCON D., Edmond Jabès, l Egyptien , Entre Nil et sable…, op.cit, p. 175. 32 LUTHI J.-J., Anthologie de la poésie francophone d'Égypte: vingt-huit poètes d'Égypte, L (armattan, Paris, 2002, p. 173. 33 Ibid., p.48. 30 - 32 Ahmed Khalifa que l on luttait nécessairement contre. N est-ce pas plutôt parce que l anglais est la langue des Chrétiens protestants alors que Chédid est issue d une famille chrétienne maronite du Liban o‘ la langue française est celle de l éducation et du soutien religieux ? Par ailleurs, le cas d Ahmed Rassim, instruit à l intérieur du harem pendant son enfance, ne contredit pas ce que l on prétendait alors à savoir que l arabe ne concerne que le « masculin ». C est évidemment grâce à cette double formation que Rassim a pu s imposer comme la véritable incarnation de la formation bilingue en Egypte. )l est entré à l âge de ans à l Ecole française de droit du Caire, puis il a représenté l Egypte au ministère des Affaires étrangères à Rome, Madrid et Prague. Ses écrits en arabe sont très peu nombreux par rapport à l ensemble de sa production littéraire. D ailleurs, nous remarquons une contradiction entre les informations qui circulent autour de sa création en arabe. I. Fenoglio a écrit : « Pourtant, c est en arabe qu il commence à écrire, d abord un ouvrage très sérieux, d ordre philosophique, Ad-Dīn w-al)nsān La religion de l homme , en deux tomes et c est en arabe qu il forge ses premiers vers Le Jardin abandonné publiés en . )l s agissait de poèmes en prose d une facture tout à fait originale. […] )l lui fut impossible de trouver un public, on ne le comprit pas, il s irrita. )l renonça à écrire sa poésie en arabe et s exprima dès lors en français ; son public, du coup, fut restreint, plus circonscrit, mais il y trouva un espace de résonance »34 Donc, selon ). Fenoglio, l expérience poétique de Rassim fut d abord en langue arabe puis, à force de n y pouvoir réussir, ou de ne pas être compris, il recourut à la langue française. Selon ce point de vue, le choix de la langue serait à interpréter comme une envie de « trouver un espace de résonance ». Ce point de vue ne contredit-il pas celui l écrivain égyptien Nicolas Youssef ? : ‫ل بي ل ن ي‬ ‫شغ ف ب ل ل ب أ بي ل ي ل ي في ل غ‬ ‫ك م ع ل‬ ‫ه في ن‬ 1 ‫ه ب إس ي ع‬ ‫ع بي‬ ‫في ك‬ ‫ ي أث ه ل ل‬، ‫إن ي ي‬ ‫جع) ج ه في ق لب ح‬ ‫س " ل ين إن " ( ضع ب ل ن ي ثم ت جم‬ ‫ل ين من ل‬ 35 . ‫لب ح ني م من‬ ‫أ ص ف ف بين في ف م م‬ ‫ص‬ ‫ت‬ ‫يأ م‬ ‫ق‬ Il était, dès le temps de ses études, passionné par la lecture de livres littéraires, philosophiques et scientifiques en langues arabe, française et FENOGLIO I., « Ahmed Rassim, figure exemplaire d un Egyptien francophone », in », Entre Nil et sable …, op.cit., p. 252. 35 YOUSSEF N., Aʻlām min al askandariya, Al hay a al āmma li Qu ”r Ath-Thaqāfa, Tom , ème éd., Nov. 2001. in http://www.amwague.net . 34 - 33 Ahmed Khalifa anglaise. Les impacts de ces lectures sont remarquables dans un livre arabe imprimé en Alexandrie en 1916, quand il avait 20 ans, et intitulé « La religion et l homme » (écrit en français puis traduit et révisé). Il y composa un cadre de dialogue narratif ou de débat, entrecoupé par des images et des descriptions comiques, entre un philosophe athée matérialiste et un étudiant croyant spirituel. )ci, la chose change puisque selon N. Youssef, le livre a été écrit d abord en français puis traduit en arabe. Donc, pour lui, Rassim n a pas écrit directement en arabe. Ce qui nous invite à poser la question : Pourquoi N. Youssef n a-t-il pas cité le nom du traducteur ? Ou pourquoi Fenoglio n a-t-elle pas cité les livres arabes dans sa bibliographie pour que nous puissions, en tant que chercheur, trancher dans ces contradictions36 ? Bachīr al- Sibā ī, le traducteur et écrivain égyptien, confirme que Rassim avait écrit en arabe. Mais l information reste toujours, de notre point de vue, incertaine. Le traducteur déclare dans un article intitulé Ahmed Rassim: : ‫س ب ل بي‬ . ‫ل‬ 37 ‫ي أ ل س أخي‬ ‫ل‬ ‫عه ل‬ ‫ م‬،‫ت قيع‬ ‫ من‬، ‫سم‬ ‫أح‬ ‫ن‬، ‫في ع‬ En 1922, Ahmed Rassim a publié, sans signature, son premier recueil – et le dernier – en langue arabe : Le Jardin abandonné. Ici, as-Sibā ī confirme l existence d un seul recueil de Rassim en arabe « son premier et dernier », mais toujours la chose manque de preuve puisque le traducteur rajoute entre deux virgules « sans signature » ; ces informations lacunaires ou contradictoires nous laissent perplexe. Ce que nous avons fortement remarqué chez les écrivains francophones d Egypte, c est l envie ardente d exister littérairement et l écriture en français est un premier pas sur ce long chemin. La non distinction dans les études entre l arabe et l égyptien, et qui nous a personnellement perturbé, nous a poussé à réactualiser le point de vue qui différencie entre arabe littéraire (dit aussi arabe classique) et parler égyptien. Plus généralement, l Egypte n est qu une civilisation parmi les civilisations qui composent la Nous avons cherché ces livres mais nous n avons pas pu les trouver. As-Siba i B., « Ahmed Rassim », consultable sur le blog du traducteur : http://mabda-alamal.blogspot.com/2010/04/blog-post_15.html 36 37 - 34 Ahmed Khalifa culture arabe38. Cela devient évident, à suivre P. Gazio, que le ton, la verve et les rythmes restitués dans le français de Cossery par exemple appartiennent au dialecte égyptien, à la culture égyptienne, à la façon égyptienne de voir les choses . L Egypte est la matrice de ses œuvres, la source de son style. P. Gazio, dans cette enquête sur l œuvre de Cossery intitulée « Le savoir vivre égyptien d Albert Cossery », n aborde pas cette différence entre les référents identitaires (arabité et égyptianité), et laisse entendre que les deux termes signifient la même chose : « Contrairement à une légende complaisamment entretenue en Égypte même, l arabe est la langue maternelle de Cossery. Ecrire en français, geste si naturel à toute une génération qu il se passait de justification, est devenu avec le temps le signe d une trahison, le reniement de sa patrie littéraire et, pis que tout, de son arabité. » 39 Cossery lui-même a essayé d expliquer les rythmes inhabituels de son écriture et comment l arabe entendre l égyptien avait influencé sa technique : « Je pense en arabe, c est-à-dire que je donne un tour à ma phrase qui n est pas un tour parisien ou, disons, occidental. Pour les conversations ou les répliques, je pense en arabe. Mais, en même temps, tout mon style prend une toute autre forme que si j écrivais sur Paris ou autre chose. Pour ne pas donner l impression que c est un Français qui écrit sur l Egypte…[…] )l y a toujours dans mon esprit l atmosphère arabe, la façon de parler. Vous savez, même un personnage qui vous dit : BONJOUR, il y a quelque chose derrière. Selon l'UNESCO, la définition de la culture est la suivante : « La culture, dans son sens le plus large, est considérée comme l'ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l'être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances. ». Nous avons recourt à cette définition de l UNESCO parce qu elle nous paraît la plus cohérente. D ailleurs, il existe beaucoup de définitions pour ce mot, nous mentionnons par exemple que l on a différentes définitions de la culture seulement dans un livre d Alfred Koeber et Clyde Kluckhohn intitulé Culture (1952). Définitions qui reflètent des différentes théories pour évaluer et comprendre les activités humaines. Pour bien montrer notre perception personnelle de la notion, nous admettons le fait que chaque culture comprend trois grands groupes de manifestations : l art, le langage et la technique. Bien que la langue française désigne la culture comme un ensemble des connaissances générales d un individu, elle insiste aussi sur deux acceptions différentes pour le mot. Ces deux acceptions sont : 1- La culture individuelle : construction individuelle de chacun à travers ses propres connaissances. 2- La culture collective : l identité culturelle d un peuple auquel on appartient. A partir de la définition de l UNESCO, nous pouvons constater que l Egypte rejoint la culture arabe dans quelques perspectives comme les modes de vie, les systèmes de valeurs, les croyances, les traditions, etc. qui se réfèrent à une identité linguistique commune : la langue arabe (qui représente un des trois groupes de manifestions culturelles : le langage). Dans un autre sens, il ne faut pas oublier que dans le domaine des arts et des Lettres, la culture individuelle constitue un enjeu remarquable dû à la double influence de la connaissance personnelle et l environnement social. Pour résumer, la culture arabe est composée de plusieurs « civilisations » arabes dont l Egypte en fait partie. 39 GAZIO P., « Le savoir vivre égyptien d Albert Cossery », in Entre Nil et sable…, op.cit., p.106. 38 - 35 Ahmed Khalifa Ce n est jamais un bonjour à l européenne, c est-à-dire qui ne signifie rien. Et cela je dois le rendre.» 40 Nous remarquons ici que le mot « arabe » utilisé par Cossery signifie « égyptien ». L atmosphère, la façon de parler, et même le BONJOUR est un bonjour à l égyptienne. De ce point de vue, la réponse à la question de J.-L. Joubert« Pourquoi se tourner vers une langue étrangère alors que l arabe de vieille et haute tradition littéraire, déborde largement (comme le français !) un cadre étroitement national ?41 » semble possible. Egyptiens de culture collective et français de culture individuelle, les écrivains francophones de l Egypte ne représentent qu un cas de bi-culturalité ou parfois de multi- culturalité. Ecrire « en français » pour eux pourrait être envisagé autrement, c est-à-dire que la question de « Pourquoi écrire en français ? » que l on pose habituellement pourrait se décomposer et devenir simplement un « Pourquoi écrire ? ». Sinon la réponse se résumerait à l envie d exister sur la carte littéraire et l enjeu de cette existence résiderait à son tour dans un autre choix qui n est pas celui de la langue, mais plutôt celui de la carte jouée : Faut-il exister en jouant la carte de différence ou celle d assimilation avec le centre littéraire42? Le français était leur moyen d expression, le chemin de communication écrite. )ls ont réussi à avoir cette singulière performance des auteurs qui écrivent directement en français. Parmi eux, on trouve celui qui a repris la technique des contours orientaux pour peut-être retrouver son identité de naissance comme le faisait Jabès dans ses poèmes. On trouve celle qui voulait dépasser les obstacles de la créativité, lutter contre « les cerveaux systématisés » comme Out El Kouloub. Enfin, n y a-t-il pas de meilleure réponse à cette question que celle-ci : « J écris parce que j ai quelque chose à dire contre ce monde, contre sa pourriture, contre les imbéciles. » [Cossery]43 MITRANI M., Conversation avec Albert Cossery, Ed. Joëlle Losfeld, Paris, 1995, p. 9. JOUBERT J.-L., « Ecritures arabes en français », Les cahiers de l Orient, n° 4, Paris, SFEIR, 4e trimestre 1986, p.172. 42 PORRA V., Langue française, langue d adoption . Discours et positionnements des romanciers d expression française originaires d espaces non francophones dans le champ littéraires français (1945-2000), Thèse de doctorat, Université de Beyrouth, 2000. 274p. 43 « La rage et l épicurisme d Albert Cossery », Le monde, 1er juin 1984. 40 41 - 36 Ahmed Khalifa )l ne faut plus parler d une « adoption » d une langue étrangère parce que cette langue faisait déjà partie de leur substance, elle est à la source de leur culture individuelle. Dans leurs écritures, on n a jamais eu l impression qu ils se détournent de leur identité de naissance ; on ressent plutôt qu ils la retrouvent à travers un autre chemin. Cette particularité a attiré le centre littéraire qui avait été déjà charmé par les écritures de Lamartine, Nerval, Volney, Chateaubriand et Flaubert. Ceux-ci ont écrit et publié leurs récits de voyage en Orient. Les écrivains « orientaux » furent invités à enrichir cet Orient des voyageurs qui fut devenu un genre littéraire : « )l [l écrivain francophone] était inévitablement conduit à se situer par rapport à leur vision exotique pour l affiner, la nuancer, voire la corriger ou la contester véhémentement. Il donnait donc à son œuvre une portée documentaire, son ancrage dans sa société de naissance tenant lieu de certificat d origine44 ». Cela a mené - peut-être - certains d entre eux de jouer cette différence dans un cadre plus proche du réalisme comme Out El Kouloub, Cossery, Fawzia Assaad qui ont choisi d obéir aux besoins de la capitale en satisfaisant les amateurs de charme exotique et les curieux de pittoresque et de mœurs en vue de réapprendre à l Occident les richesses de l Orient. Enfin, si le centre avait accepté l exotisme comme raison pour publier quelques écrivains, l assimilation, elle aussi, était logiquement dans l envie de « faire exister » d autres écrivains. 44 JOUBERT J.-L., « Ecritures arabes en français », Les cahiers de l Orient, op.cit., pp. 173-174. - 37 Ahmed Khalifa 3 L’identité plurielle « Je viens de vous le dire ! l Egypte est toujours pour moi dans mon imagination. Je n ai jamais oublié l Egypte. Pour cette raison, d ailleurs, je suis toujours Egyptien ! Je n ai pas demandé un passeport français, parce que je voulais rester Egyptien. Je n ai jamais trahi mon pays !... Ce n est pas parce que j écris en français et que j habite à Paris que je ne suis plus Egyptien… Je vous ai dit que je n ai pas quitté l Egypte » [Cossery]45 Une identité est faite de multiples appartenances qui font qu aucun individu ne peut être défini de manière univoque et par conséquence n est identique à un autre. On a souvent utilisé le concept « d identité plurielle46 » pour décrire la plupart des écrivains francophones Egyptiens. Le fait d être chrétien ou juif et d avoir pour langue maternelle « l arabe », qui est la langue sacrée de l )slam, est l un des paradoxes fondamentaux qui ont forgé leur identité. Etre à la fois Arabe et chrétien [ou juif] leur confère une spécificité, une situation minoritaire ainsi que celle d être à la fois égyptien et libanais, syrien, italien ou anglais d origine. Leur incapacité de s exprimer en arabe, comme nous l avons montré aux pages précédentes, a fait que le choix du français fut un drame linguistique et en même temps un espace de « liberté » partielle. Bien que quelques uns parmi eux se soient déclarés détachés de la religion, leurs écrits47 empreints de pudeur et colorés témoignent que leur expression refusait les désinvoltures et les excentricités dont la source provenait d une formation religieuse que presque tous ont eue pendant MITRANI M., Conversation avec Albert Cossery, éd. Joëlle Losfeld, 1995, p. 88. Le concept d'identité a plusieurs définitions en sciences sociales et nous en tirons celle qui appartient en particulier à la sociologie : "un fait de conscience qui différencie les individus entre eux et, ensuite, les attributs d'un groupe qui lui confère une spécificité.» Dictionnaire de sociologie. Pendant les années 50, Erikson a parlé du concept de « l identité culturelle » o‘ il affirme l existence de plusieurs identités « "ensemble des stratégies" que l'individu et les groupes mettent en place selon leurs désirs et intérêts et les contraintes de la situation où ils se trouvent ». Lexique des sciences sociales. Nous ne pouvons pas établir ici une définition exhaustive du mot mais nous suggérons aux intéressés la lecture de quelques articles importants : « Evolution de la thématique de l'identité chez les sociologues », Dictionnaire de sociologie, Hatier, pp. 231-236 ; « Identité et cycle de vie », Francesca Hernandez et « Délimiter l identité », Francesca Mercade, sur le site internet : Enquêtes.revues.org ; « Identité », Le dictionnaire des sciences humaines , Sylvie Mesure et Patrick Savidan, PUF, Paris, 2006, p. 585-587. A voir finalement un article de Patrick Charaudeau intitulé « Identité linguistique, identité culturelle : une relation paradoxale » [consultable sur le site : http://www.patrick-charaudeau.com ]. Aujourd hui, en sociologie, on a du mal à répondre à la question Qui juge l identité de quelqu un ? Les réponses varient avec des différents soucis, Charaudeau s interroge : « Est-ce le regard de l autre sur soi, de l autre qui me juge de telle ou telle façon ? Est-ce le regard de soi sur soi, comme quand je me juge devant la glace ou quand je fais, parfois, l aveu de ce que je crois être ? Est-ce le regard de soi sur l autre, quand je me mets à le juger ? ». D o‘ notre intérêt de baser notre étude sur des citations appartenant aux écrivains eux-mêmes. 47 A l exception de quelques écrits surréalistes de Joyce Mansour et Georges (enein. 45 46 - 38 Ahmed Khalifa leur années de formation. La problématique du choix d écriture a fortement marqué leur entreprise littéraire, ce dans son entièreté et leur rapport comme écrivains dominés à leur langue nationale est devenu au fur et à mesure plus difficile, déchirant et passionnel. Appartenir au monde arabe et à sa langue qui a une grande diffusion et une grande tradition littéraire « interne », peu connue et reconnue sur le marché international, leur était obligation pour devenir dominés au sein du « centre ». La notion d « identité plurielle » évoquée dans de nombreuses études sur la littérature francophone égyptienne, ne tomberait-elle pas en contradiction avec celle de « l égyptianité48 », notion aussi convoquée par les mêmes chercheurs ?Ainsi, dans le champ littéraire français, pourquoi la plupart des discours critiques parle d une « identification conservatrice » remarquée surtout dans l œuvre de Chédid, Cossery, Rassim, Out El Kouloub ou Jabès ? Pourrions-nous considérer cette « identification conservatrice » comme l un des inconvénients d être né en Egypte ? Le fait d accepter d être sous dépendance linguistique étrangère, ou bien « trahir » la cause nationale en rejetant sa langue pour en adopter une autre signifiait-il nier son « identité » ? Ou simplement échapper au sort des écrivains des « petits » pays. Dans tous les cas, l expérience fut une épreuve terrible, du simple fait que le passage à une autre langue ne puisse se réaliser qu au prix d un renoncement à sa propre langue, comme en témoignèrent nos écrivains francophones eux-mêmes. Par ailleurs, malgré qu ils parlassent français avec accent, les instances consacrantes du centre les acceptèrent en raison de leur éloignement, c est-à-dire ce qu il y avait chez eux d étrange, d exotique et de nouveau. Au bout de quelques années, Paris a largement accueilli ceux d entre eux qui la choisirent pour résidence. Dès qu ils commencèrent leur processus d unification avec l univers littéraire mondial, les écrivains francophones égyptiens réactualisèrent presque toute leur histoire littéraire nationale, c est-à-dire linguistique, et transportèrent avec eux, peutêtre sans même en être conscients, leur « temps littéraire ». C est-à-dire ce que le réseau Caractéristiques spécifiques de l identité égyptienne. « La notion de l égyptianité est montée sur la surface avec le Khédive Ismaïl (1860-1879). Ce dernier est le premier des Khédives ottomans qui s exprimait en tant qu « égyptien » [mais entend intégrer une influence européenne à la définition de l égyptianité]. Plus tard, les rois recherchent une confluence Méditerranée/Levant/Orient sémite (comprenant la composante juive). A contrario, la révolution de entreprend d axer l identité sur l arabité linguistique et ethnique réelle ou rêvée. » in LANCON D., « Edmond Jabès, l égyptien », op.cit., p. 183. 48 - 39 Ahmed Khalifa francophone égyptien littéraire vivait : courants, mouvements, thèmes littéraires, etc. La plupart de leurs écrits en témoigne. Ce qui montre bien qu ils ne renièrent pas leur héritage et ne choisirent pas de le dissoudre pour s intégrer à un univers plus riche en ressources littéraires. A contrario, ils luttèrent pour transformer et autonomiser leur patrimoine en refusant les normes esthétiques nationales et en cherchant à fonder une littérature égyptienne libérée du fonctionnalisme national. Et s il y eut parmi eux certain qui opta pour la nationalité française, ce ne fut pas pour obtenir le « salut » littéraire mais plutôt pour soigner et protéger la « fleur » de son art qui ne s « épanouit » que sur un « humus épais ». Par exemple, selon Chedid, avoir beaucoup d histoires nous permet de reproduire un peu de littérature : « …, j ai vécu la plus grande partie de mon enfance au Caire. Aussi, ma famille et moi nous considérons-nous comme égyptiennes. Je n ai d ailleurs jamais eu de passeport libanais. » 49 « J ai beaucoup pensé à toute cette terre d Egypte, ces silhouettes. Il y a chez ces gens une sorte d humour malgré tout, et une faculté de rire d euxmêmes, surtout les enfants, bien qu ils soient en lambeaux. Et puis toutes ces cultures ensembles, juifs, musulmans, Grecs, tout cela donne une ouverture sur le monde. C est cette texture qui m a bâtie ».50 Leurs sources de création furent pleinement égyptiennes, comme le sont toujours les œuvres d un Rassim ou d un Cossery. L Egypte pour ce dernier était : « […]lieu d habitation si intériorisé qu il peut la transporter à chacun de ses pas dans Paris, la poser sur une table de café parisien ; il la fantasme au jardin du Luxembourg 51». Cossery le confirme : « Les années que j ai passées en Egypte m ont nourri. J ai su tout capter pour après l écrire dans mes livres, mais sans prendre de notes, sans rien » 52 Mona Latif-Ghattas dans ses écritures évoque une vision totale, le Nil, les bavardages des femmes, les monuments, le désert, le barrage d Assouan. Alors qu après 30 ans passés au Canada, les thèmes et les images dans ses œuvres restent les mêmes, Entre Nil et Seine, entretien avec Birgitte Kernel, Belfond, Paris, 2006, p.21. Entre Nil et Seine, entretien avec Birgitte Kernel, Op.cit., p.159 51 Fenoglio I., « L égyptianité d Albert Cossery », Entre Nil et sable : Ecrivains d Egypte d expression française (1920-1960), op.cit., p. 127. 52 Idem. 49 50 - 40 Ahmed Khalifa les personnages orientaux sont les héros de ses romans. Si Montréal existe dans ses œuvres, ce n est qu un espace : « Quand je parle de Montréal, ce n'est encore qu'un décor. Les êtres d'ici n'ont pas encore habité mon imaginaire. Cependant, parmi ceux que j'ai le plus aimés de toute ma vie, il y en a qui sont d'ici ! Ils ne sont pas encore descendus dans mon écriture. » 53 Dans le cas de Jabès, qui dut quitter son pays, de manière « forcée » en 1956 lors de la crise du canal de Suez en raison de ses origines juives, l Egypte restait au centre de la plupart de ses préoccupations : « A quelque parti qu on appartient, quelque opinion qu on ait sur la question de l indépendance absolue ou relative de notre pays, il ne fait pas de doute qu on ne saurait être Egyptien de race ou d adoption sans vouloir la grandeur de l Egypte » 54 Ce départ non volontaire marqua l écrivain et influença aussi sa création poétique jusqu à la fin de sa vie. )l confie en vingt-cinq ans après son départ : « J étais si intimement attaché à ce pays que l idée même de devoir le quitter me paraissait d avance intolérable. […] l Egypte est un pays si prenant que l on ne peut s en arracher qu en sacrifiant une grande part de soi-même » 55 Malgré le fait que sa création poétique ne témoigne pas d une « égyptianisation du français », l Egypte était essentiellement présente dans sa mémoire, son être, si nous nous permettons d utiliser ces termes. )l écrit dans Le livre des questions (1988) : « Je suis sûr d être lu en de nombreux pays arabes, d être connu dans ma terre, c est obligé. On m a invité à diverses occasions, mais je n ai jamais voulu y revenir, j ai déjà tourné la page. Je ne veux pas y revenir en tant que touriste parce que j aime trop mon pays. )l a changé, et si j y retourne je le perdrai. Pour moi, l Egypte est un pays mythique, un autre monde. »56 GREGOIRE M., « Mona Latif-Ghattas : de l exil à l appartenance », Nuit blanche, le magazine du livre, n° 55, 1994, p. 30-34. 54 L Anthologie mensuelle, n° 7, mai 1930, in « Edmond Jabès, l égyptien », Entre Nil et sable : Ecrivains d Egypte d expression française (1920-1960), op.cit., p. 183. 55 Entretien avec Maurice Partouche (2 août1981) ; in Entretien avec Le Monde. E. Littérature. Introduction de Bertrand Poirot-Delpech, Paris, La Découverte/Le Monde, 1981, p. 100. 56 In « Edmond Jabès, l égyptien », Daniel Lançon, Entre Nil et sable : Ecrivains d Egypte d expression française (1920-1960). Nous signalons aussi que Lançon déclare à propos de cette citation, [qui n existe pas dans la version qu on a pu avoir du livre de Jabès], que Jabès l avait effacée de sa préface à cause de la 53 - 41 Ahmed Khalifa Les citations précédentes, faites des confidences des écrivains francophones sur eux-mêmes nous livrent la question de leur identité. Parmi ces gens, on retrouve ceux qui sont plutôt connus comme « universels », au sens littéraire, comme Chédid et Jabès. Ces citations montrent leur [perception d eux-mêmes] qui ne s exprime pas en terme d identité plurielle, à notre sens, mais insiste sur leur égyptianité. Ce regard de soi sur soi pourrait-il être plus objectif qui celui de l autre sur soi ? Autrement dit, vaut-il mieux juger l identité à partir de ce que nous croyons être ou plutôt à partir de ce que l autre croit de nous ? Peu importerait sa façon de juger. Egyptiens et « Parisiens », arabophones, francophones et parfois même anglophones, les écrivains francophones ont-ils vraiment revendiqué plusieurs identités dans leurs écritures ? Si oui, nous aurions intérêt à mieux définir ce que le mot « identité » désigne dans les recherches universitaires. Identités et altérités disent-elles la même chose dans la littérature francophone en général ? Est-il évident de conclure « qui dit multiculturel dit multiidentitaire » ? Les réponses pourraient être bien instructives mais nous serions alors dans le domaine de la philosophie57, et nous ne souhaitons pas entrer ici dans un débat ontologique. Mais ce qu il est important de relever, c est que le problème de l identité n a jamais été soulevé par les écrivains eux-mêmes, ce sont les recherches et les discours critiques autour d eux qui l ont « inventé ». Lisons la réponse de Cossery à une question dérangeante : « Je ne suis pas copte, je suis de religion russe orthodoxe, euh… Je suis grec orthodoxe, euh… Je suis orthodoxe… Je suis… Je suis rien de tout ! »58 Revenons à l égyptianité que nous avons rencontrée dans les confidences des écrivains. Cette égyptianité est tout aussi bien présente dans leurs œuvres littéraires. L histoire des écrivains francophones égyptiens n est pas non plus l histoire de ceux qui se sont entièrement identifiés aux valeurs littéraires françaises. L œuvre romanesque d Out El Kouloub témoigne d un certain métissage culturel : « - Vous vous êtes nourrie des Désenchantées, lui dit-il enfin. mort de son frère Henri Jabès ! A voir la note en bas de page concernant cette citation dans l article de Lançon. 57 A voir Thierry Ménissier , « Culture et identité. », Le Portique [En ligne] , 5-2007 | Recherches , mis en ligne le 07 décembre 2007, Consulté le 15 mai 2010. URL : http://leportique.revues.org. 58 FENOGLIO I., Entretien avec Albert Cossery, in Entre Nil et sable…, op.cit., p. . - 42 Ahmed Khalifa - J ai lu en effet les Désenchantées quand j avais seize ans. […]. J espère que vous me jugez assez intelligente pour n en être pas restée à ce féminisme à l eau de rose. Connaissez-vous Kassem Amin ? »59 Si Out El Kouloub et Ahmed Rassim n ont pas connu une véritable expérience d identification avec le centre littéraire, les autres écrivains francophones, qui se sont installés à Paris par exemple, témoignent aussi dans leurs œuvres littéraire d une impossible identification « totale », même après la coupure « historique » et géographique avec l Egypte. Certains d entre eux incarnent la douleur d un double exil. Le fait d être éloignés de l Egypte les a rendus au fil du temps incapables de retourner à la tradition culturelle égyptienne, mais encore étaient-ils de même très éloignés des usages intellectuels et littéraires de Paris en raison de leurs origines, de la couleur de leur peau et de leur accent. Cette position d éloignement et d altérité leur a octroyé, malgré tout, le bénéfice de « L Etrangeté Reconnue ». En amenant les douleurs de l Egypte en France, qui ne soupçonnait même pas sa pauvreté, son retard et sa marginalité, Andrée Chédid par exemple a imprimé cette marque qui a donné sa forme à toute son œuvre littéraire. Aussi chez Cossery, les personnages évoluent dans un espace restreint, qui ne changera guère, celui des villes égyptiennes du Caire, d Alexandrie et de Damiette. Leur « oisiveté » et leur fainéantise rejoignent celles de l écrivain lui-même pour nous annoncer la philosophie d une certaine « vertu cardinale ». Jabès dans ses poèmes fait des retours vers l Egypte de la parole, l Egypte des histoires en rompant avec la nouvelle Egypte, celle qui, à cause du mouvement de l (istoire, n avait pas d autre choix que d être anti-britannique, antifrançaise, anti-sioniste et anti-communiste. Par ailleurs, Joyce Mansour, une autre juive, témoigne : « L Arabe en moi grelotte sur chaque marche de chair […] 60». Rassim, à son tour, et à travers la sensibilité connue de sa poésie, nous fait vivre au fond du harem, auprès de sa grand-mère et de sa servante Zoumboul, un prénom que l on trouve dans plusieurs de ses poèmes. Jean Moscatelli écrit à propos de ce dernier en 1955 : « C est le plus égyptien des poètes de langue française, le plus populaire aussi. Dans son œuvre abondante on découvre le tréfonds de cette Egypte dont jusqu ici on ne disait que l éclat. » (Poètes en Egypte, Le Caire, . Rassim, comme nous l avons déjà dit, est la vraie incarnation de ce qu on appelle « un francophone Egyptien » : 59 60 OUT EL KOULOUB, Le coffret hindou, Gallimard, Paris, 1951, p. 143. MANSOUR J., Prose et Poésie : Œuvre complète, Actes Sud, Arles, 1991, p. 446. - 43 Ahmed Khalifa « )l allait être l un des plus brillants représentants de cette littérature à la fois régionale et internationale, à la fois arabe et française. Il allait être aussi […] un éducateur du public en langue arabe, à qui ses critiques d art ouvraient de nombreux horizons sur les tendances esthétiques contemporaines.» 61 Disons ce constat frappant suite à la lecture de quelques entretiens avec deux écrivains : Cossery et Chédid. Après qu ils furent consacrés et reconnus, ils déclarèrent leur répugnance à livrer des faits biographiques. Cette situation ne ressemble-t-elle pas à celle des écrivains exilés et assimilés à un milieu littéraire qui réussirent à faire oublier leurs origines et refusent de rappeler les étapes de leur métamorphose ? Pourquoi vouloir ne dépendre que de l esprit de leur œuvre pour recouvrir leur égyptianité ? Pourquoi ne plus parler d eux-mêmes ? N est-ce pas parce qu ils voulaient avoir le droit de participer au patrimoine littéraire et intellectuel français ? N est-ce pas parce qu ils voulaient jouir de la reconnaissance sans être entachés de la marque d « infamie » égyptienne ? Refuser l autobiographie était le seul garant de garder leur « génie » loin d une contamination d appartenance nationale. A l inverse, l effet égyptien dans leur œuvre n a-t-il pas mis fin aux soupçons d appartenance occidentale, et donc, universelle ? La réponse de Cossery pourrait mettre fin à toutes ces questions « théoriques » ou ad hominem, les mettre au point : « Je n ai pas de biographie. Je n ai rien fait dans la vie. Je n ai fait que m amuser. »62 PAPADOPOULO A., « La vie et l œuvre » in La Revue du Caire, p. 224-225 (numéro spécial Ahmed Rassim, 1959), Entre Nil et Sable…, op.cit. p 245 62 FENOGLIO I., Entretien avec Albert Cossery, in Entre Nil et sable…, op.cit., p. . 61 - 44 Ahmed Khalifa 4 La carte intellectuelle « Ce qui n est pas clair n est pas français ; ce qui n est pas clair est encore anglais, italien, grec ou latin » 63 Il est nécessaire de montrer la différence entre la carte politique et la carte intellectuelle du monde. La première se modifie presque chaque cinquante ans selon des divisions arbitraires incertaines, ses centres sont instables. En revanche, la deuxième a des frontières stables qui changent très lentement. Ainsi, le pouvoir intellectuel n a rien à voir avec celui de l économie. Or, l œuvre égyptienne d expression française, considérée comme une œuvre venue d une contrée moins riche littérairement risquait d être jugée improbable et être difficile à imposer. Chacun de nos auteurs avait besoin presque d un miracle pour émerger et se faire reconnaître. Ajoutant à son talent une notion nommée « esprit » qui vaut pour jugement d importance ou d appréciation, chacun essayait d attirer, à sa façon, l attention des hommes de la « bourse 64». « )l y aurait donc des territoires et des frontières littéraires indépendantes des tracés politiques, un monde secret et pourtant perceptible par tous et surtout par les plus démunis. Des contrées où la seule valeur et la seule ressource seraient la littérature ; un espace régi par des rapports de force tacites, mais qui commanderaient la forme des textes qui s écrivent et circulent partout dans le monde ; un univers centralisé qui aurait constitué sa propre capitale, ses provinces et ses confins, et dans lequel les langues deviendraient des instruments de pouvoir. En ces lieux, chacun lutterait pour être consacré écrivain ; on y aurait inventé des lois spécifiques, libérant ainsi la littérature, au moins dans les lieux les plus indépendants, des arbitraires politiques et nationaux. »65 Le recours à la langue française comme langue d écriture réside sans doute dans le fait que l écrivain cherche, dans sa croyance et dans sa conscience d une littérature contemporaine, à entrer dans le temps littéraire universel qui est la seule promesse de salut artistique. Durant leur recherche pour être « modernes », les écrivains francophones égyptiens ont accepté les règles, aussi bien que l enjeu, de s exprimer en français, ce qui les a amené à l internationalité. En effet, cette temporalité littéraire n est RIVAROL , De l universalité de la langue française, Obsidiane, paris, 1797, Cité dans CASANOVA P., La république mondiale des lettres, Editions du Seuil, Paris, 1999, Ed. de Poche 2008. p.113. » 64 (Les hommes de la « bourse ») est une expression signifiant les instances critiques. 65 CASANOVA P., La république mondiale des lettres, op.cit., p. 20. 63 - 45 Ahmed Khalifa perceptible que pour les écrivains ouverts à la vie littéraire internationale. Bien évidemment, les grands écrivains de la littérature n apparaissent qu au travers d une relation avec la puissance spécifique du capital littéraire international. Mais essentiellement, un « grand » écrivain est celui qui est lu par l élite intellectuelle de son pays ainsi que par l élite des autres pays. Sans prétendre donner des qualités comme « grand », « célèbre », voire « génie » à nos écrivains francophones, nous nous demandons s ils représentent un certain degré de rupture avec leur espace littéraire d origine et une certaine familiarité avec les normes littéraires du centre ? Celles-ci leur ont certainement permis d exister relativement en dehors de leur univers national. Ecrire en français selon les normes littéraires reconnues au « méridien de Greenwich »66et inconnues de l Egypte qui subissait une « violente » censure politique et religieuse, est la chose qui les aurait condamnés à rester méconnus dans le champ littéraire de leur Alma mater : l Egypte. Paris, la capitale littéraire, est-elle vraiment le lieu où les livres et les écrivains égyptiens francophones se sont dénationalisés pour devenir universels ? Ou encore, comme l affirme Casanova, est-ce « la banque centrale 67» qui peut « donner du crédit » littéraire ? L exemple d Andrée Chédid illustre ce postulat. En quête de « crédit », l écrivaine a envoyé ses poèmes à René Char et à Pierre Seghers qui se sont intéressés à son talent. Char l a envoyé à son tour chez GLM Guy Lévis Mano , un éditeur de poésie qui était le premier éditeur de Michaux et d Aragon. GLM l a publiée tout de suite. Michaux et Aragon étaient pour elle des références très puissantes : « J étais aux anges. Etre publiée en français me paraissait encore plus incroyable qu être publiée en anglais en Egypte.68 ». Mais un accident central, au début de sa vie et de son existence littéraires en France, est venu mettre son rêve en péril : « Vous a-t-on déjà refusé un manuscrit ? Oui, Le Seuil ma refusé Le sixième jour. Paul Flamand, le directeur m a dit : « Voilà, c est à moitié poétique et à moitié réaliste, vous savez, il faut choisir entre l un et l autre. » Moi, c était ce que je voulais faire, et j y tenais. Mais c était Le Seuil tout de même. Paul Flamand a été très gentil et il m a délivrée de mon contrat. Ce jour-là, je me souviens, j étais triste en quittant CASANOV P., La république mondiale des lettres, Editions de Seuil, Paris, 1999, Ed. de Poche 2008. Ces expressions économiques reviennent à Pascal Casanova dans son livre : La république mondiale des lettres, op.cit. 68 Entre Nil et Seine, entretien avec Birgitte Kernel, Op.cit., 2006, p.51. 66 67 - 46 Ahmed Khalifa la maison d édition. Une fois dans la rue, le texte sous les bras et perdue dans mes pensées, j ai rencontré par hasard Maurice Nadeau. Et je lui ai raconté que Le Seuil venait de refuser mon manuscrit. )l m a dit qu il aimerait bien le lire, je le lui ai donné, et deux jours après, Julliard m a téléphoné pour me dire : « On le prend » J ai eu six voix au prix Fémina pour ce roman. Cette rencontre avec Nadeau a vraiment été une chance. Je crois beaucoup aux rencontres. »69 Il est vrai que Chédid avait ajouté à son talent cette valeur nommée « esprit » qui a pu avoir un jugement d importance ou d appréciation. Elle essayait d attirer l attention des hommes de la « bourse »70 en diversifiant sa création littéraire entre poésie, roman, nouvelles et pièces de théâtre dans une période où le monde littéraire était très divisé entre la poésie et le roman. A l exception de Loïs Masson et deux ou trois autres, il y avait peu d auteurs qui écrivaient dans les deux registres. Ainsi, à l époque, écrire des romans était dégradant selon le point de vue de plusieurs poètes. Guillevic n a-t-il pas lancé dans une émission à la radio consacrée à l œuvre romanesque d Andrée Chédid : « Ce n est pas un roman, c est un poème ». Une telle réaction pour la réception de l art de Chédid, n a-t-elle pas élevé son niveau de ses « fluctuations » dans la cote de l opinion du monde littéraire ? L exemple de Chédid n est pas le seul qui montre les tentatives d attirer le centre vers les créations littéraires des écrivains égyptiens. Cette attirance a été exercée par tous les écrivains. Pour mieux cerner cette question, nous allons diviser les écrivains francophones selon leurs stratégies d existence littéraire. S assimiler au centre ou se différencier de lui sont les deux possibilités pour exister. Du fait de la domination linguistique française et faute de maitriser la langue de leurs ancêtres, ces écrivains se sont évidemment traduits eux-mêmes pour entrer dans l univers littéraire. Sachant qu ils ne sont que des usufruitiers et non pas des propriétaires légitimes de la langue française, ils ont pu s abreuver aux grandes œuvres de la littérature française, non pas comme les « héritiers choyés » mais comme les « voleurs de feu71 ». Ces écrivains dominés utilisaient d une façon illégitime le bienfait de la langue et de la civilisation dominante dont ils ne sont pas les héritiers légitimes. Alors, un voleur de feu ne peut pas Entre Nil et Seine, entretien avec Birgitte Kernel, Op.cit., 2006, p.128. (Les hommes de la « bourse ») est une expression signifiant les instances critiques. voir note 42 ! 71 Les deux expressions appartiennent à l écrivain algérien d expression française Jean Amrouche à propos de son expérience littéraire, in la république mondiale de Lettres, op. cit. 69 70 - 47 Ahmed Khalifa se cacher, le feu va le rendre visible à tout le monde, il n a qu à se défendre et à chercher des nouveaux alliés qui lui assureront sa place sur la carte intellectuelle.  Les voleurs de feu A la différence des écrivains francophones issus des colonies françaises, qui restèrent longtemps méprisés et maltraités à cause de leur double position de rapprochement linguistique et d éloignement culturels, insérant une querelle d identité très remarquable dans leur création littéraire, les écrivains égyptiens d expression française ont été l objet de plusieurs consécrations littéraires qui ressortissent souvent à des normes commerciales. En effet, il est très difficile de distinguer si la nature de leurs consécrations repose sur des normes purement esthétiques ou bien si elles sont liées indirectement aux intérêts des éditeurs. La question devient plus profonde si nous pensons que les prix littéraires français décernés aux écrivains francophones égyptiens puissent être soumis à des considérations néocoloniales évidentes visant à ressusciter l ex-empire français selon d autres normes intellectuelles. Le prix littéraire est-il vraiment le moyen prépondérant pour nommer un écrivain francophone ? Et si oui, quelles sont les normes ? Et qui est l écrivain ? Est-il un « converti » à la culture française ? ou bien un « étrange » qui étonne les instances critiques françaises ? Nous allons évoquer à ce stade ce que Jean Cassou a écrit à propos de l Espagnol Ramón Gomez de la Serna dans un article de la NRF : « Nous demandons aux étrangers de nous étonner, mais d une manière que nous serions presque disposés à leur indiquer, comme si leur rôle était de servir, au lieu de leur race, notre plaisir. »72 Sans hésiter, nous constatons que la plupart des écrivains égyptiens insistait sur le fait qu ils n appartiennent pas aux assimilés de la littérature française bien que l assimilation soit « le degré zéro » de la révolte littéraire. Bien qu ils soient venus d un pays démuni politiquement et presque littérairement, ils ont essayé comme tout autre écrivain dominé à utiliser les ressources spécifiques de leur culture égyptienne. Donc, ils n avaient pas cette volonté assimilatrice par laquelle le dominé cherche à faire oublier son origine. Nous pouvons apparemment considérer leur cas comme une Identification Cassou J., NRF n° 131, Juillet/Décembre,1924,t.23,p.144. Cité dans «Casanova P., La république mondiale des lettres », op.cit. 72 - 48 Ahmed Khalifa conservatrice. )l s agit de s identifier aux valeurs littéraires françaises à cause d une absence de la tradition littéraire arabe. )ls n avaient d autre choix que demeurer dans un entre-deux puisqu ils ne sont pas tout à fait Français de culture ni tout à fait Egyptiens. « Au fond je cherche l originalité en essayant de ne pas ressembler à d autres. C est tout. Chacun a sa propre personnalité et chacun existe différemment. »73 Nous allons tout d abord exposer dans ces pages les assimilations puis les différences qu ont utilisés les écrivains francophones égyptiens afin d acquérir la légitimité littéraire. 4.1 Les universels : convertis ou dissidents Nous nous contredirons pas si nous avançons qu au début, certains écrivains égyptiens se sont assimilés pour être connus puis ont changé de stratégie pour se montrer différemment. Georges (enein par exemple, lorsqu il fit ses études à Paris, se porta vers le mouvement d avant-garde des surréalistes. Considérant ce mouvement comme un nouvel appel à la liberté intellectuelle, politique et sociale, il s y inscrivit. Les protagonistes du mouvement ont bien accueilli le « fils d un pacha copte, aristocrate aux cultures multiples 74». En 1938, il publie à Paris chez José Corti un recueil de poésie intitulé Déraisons d être. Recueil salué par André Breton dans son intégrité lyrique mais aussi critiqué dans son outrance d utilisation des images surréalistes [simulatrices]. Dix ans plus tard, il a rompu avec le mouvement après avoir signé avec d autres écrivains le tract « Rupture inaugurale ». Il écrit à Breton : « Lorsqu on arrive au « mieux que rien », vous conviendrez que tous les découragements sont permis. En réalité, l état du groupe, cet état si singulier et si inquiétant auquel vous pensez remédier en sacrifiant quelques hommes qui ne courbent pas trop la tête, n est que l effet ou le reflet des initiatives malheureuses qu il vous plaît de provoquer ou d entériner. »75 En 1950 il crée une revue littéraire intitulée Rixes avec Bonnefoy, Matta et Dotremont dans laquelle il écrit : Ibid., p. 65. LACOUTURE J., « Un gentilhomme surréaliste » in Le Nouvel Observateur, n° 26, mars 1977. Repris in Georges Henein : Hommage et étude, Le Pont de l Epée, n° -72., Paris, 1981. 75 HENEIN G., « lettre de rupture à Breton le 26 juillet 1948 », in ALEXANDRIAN S., Georges Henein, Seghers, Paris, « Poètes d Aujourd hui », 1981, p. 54. 73 74 - 49 Ahmed Khalifa « Une revue doit être aujourd hui une saine entreprise de démangeaison mentale. Les concepts qui ont servi de leviers (ou de levain) aux récoltes successives de notre âge – qui passera plus tard pour avoir été l âge du tact – sont pis qu à bout de souffle : à bout d homme […] La véritable subversion consisterait à dégager, à susciter de nouveaux sujets de plaisir »76 Entièrement intégré dans le mouvement surréaliste international, pris par ses événements, (enein n était pas coupé de son pays. )l essayait d y faire entrer le mouvement, comme nous le verrons ultérieurement. Ainsi, faut-il signaler que les activités de Henein en Egypte furent jugées comme dangereuses ? L Egypte était en train d appliquer certaines perspectives socio-nationalistes alors que Henein présentait une autre perspective correspondant à « la rencontre des cultures ». Agissant à l intérieur de son champ intellectuel muni d une culture « occidentale » et sans avoir presque aucun appui de sa culture littéraire nationale, Henein fut négligé. Les réponses de Henein aux questions de Jean-Jacques Luthi font part de cette rupture avec la vie littéraire égyptienne : « Quels étaient en Egypte les grands maîtres de la littérature de votre époque ? Je ne vois pas qu il y ait eu, en Egypte, de grands maitres de la littérature. Je portai pour ma part une estime personnelle particulière au poète Ahmed Rassim, et, parmi les jeunes, Albert Cossery. Croyez-vous qu’on puisse distinguer en Egypte des écoles littéraires ? lesquelles ? Non, je ne pense pas qu il y ait à mentionner des écoles littéraires. Tout au plus pourrait-on distinguer entre les écrivains qui s attachaient à transposer des scènes et des paysages locaux en termes pittoresques et ceux qui puisaient dans leur propre personnalité. La vraie ligne de démarcation passe entre la description folklorique et l invention personnelle. »77 N a-t-il pas « rétréci » tout le champ littéraire égyptien de son époque dans un « petit » réseau littéraire francophone ? Henein, est-il vraiment l exemple d un écrivain francophone égyptien multiculturel ? Dans ces réponses à Luthi, nous remarquons cette négligence ou méconnaissance de la production en langue arabe de la littérature égyptienne ? En effet, pour lui, tous les écrivains égyptiens d expression arabe de son ALEXANDRIAN S., Georges Henein, op.cit., p. 59. (ENE)N G., Questionnaire littéraire avec Jean-Jacques Luthi », Entre Nil et sable : Ecrivains d Egypte d expression française -1960), op.cit., p. 315. 76 77 - 50 Ahmed Khalifa époque sont des soumis à la dictature. Le peuple égyptien, selon lui, a besoin d aspirer à l émancipation. Pour mieux comprendre la place de Henein sur la carte intellectuelle égyptienne, nous nous sentons obligé d exposer en quelques lignes ses engagements politiques qui avaient pour but de promouvoir la liberté à travers la littérature. En décidant d adopter les postulats du surréalisme, il avait ressenti le besoin de dépasser la zone d influence de la littérature francophone pour atteindre d autres sphères sociales. )l réalisa beaucoup de conférences et de publications pour « ouvrir les yeux » des Egyptiens. Il lutta pour la victoire de la liberté en supportant un candidat trotskiste [Fat ī El Ramlī] au Parlement en 1943. Cette tentative échoua mais Henein ne perdit pas la motivation de lutter contre le conformisme. )l décida d abandonner l action politique et se concentra à ses activités littéraires. En Masses. , il acheta une maison d édition pour faciliter sa tâche : les éditions « Grand, froid, intimidant, excessivement mesuré et cynique, il intègre un groupe local de conférenciers volontiers potaches, les essayistes. Il en profite pour publier dans la presse francophone de l époque, mièvre à souhait, de petites bravades socialisantes en parfaite inadéquation avec son train de vie de gosse de riche et avec le conservatisme littéraire tout provincial du pays. »78 Seul, il fit de grands efforts visant à introduire le modernisme européen, et l art abstrait. Avec l aide de quelques intellectuels [appartenant souvent à l élite francophone égyptienne], il prononça ses discours au Caire. Après la révolution de 1952, Henein fut surveillé par les autorités et considéré comme un traître par la plupart des membres de sa classe sociale. Les difficultés financières vinrent menacer l écrivain qui participait à la création de revues pittoresques et impertinentes. Au même moment, il garda une relation avec le centre littéraire parisien en collaborant avec l organe frontiste de Maurice Wallen qui publia sa nouvelle revue Les Humbles. Dorénavant les discours de Henein furent prononcés au sein des cercles très confidentiels. Le régime de Nasser vint mettre le projet de Henein en danger, il dut prendre « le maquis pour sortir la jeunesse égyptienne coincée dans ses équivoques 79». Il écrit deux mois après la révolution : NICOLAS F., « Les mots contre soit », in Entre Nil et sable : Ecrivains d Egypte d expression française (1920-1960), op.cit., p.155. 79 FARHI B., « Un très grand écrivain égyptien », Georges Henein : Hommage et études, op.cit., p.20 78 - 51 Ahmed Khalifa « Le nouveau régime me paraît devoir obéir à une injonction morale première qui est de forger des citoyens, c est-à-dire des êtres éveillés et ayant une vision claire (et non plus simplement impulsive ou hallucinatoire) de la société qu ils désirent, des moyens d en assurer la marche de la part qui leur incombe dans le mouvement de son devenir. […] Entre l idée et l action, il n y a plus désormais le long intermède de sieste orientale avec ses digestions laborieuses. Un régime qui évalue le temps non plus en terme de patience mais en terme de travail et d intensité, a de sérieuses chances d inscrire ses ambitions dans la réalité.»80 La position de Henein devint de plus en plus difficile, son projet culturel de plus en plus rejeté surtout après l agression tripartite de la France, l Angleterre et )sraël en 1956 suite à la nationalisation du canal de Suez. Henein fut mis rudement à la question et interrogé sur l Occident et son modernisme. En , il écrit : « Mais surtout qu ai-je à répondre à ceux qui m interrogent maintenant sur l Occident ? D anciennes et amères questions se posent avec une acuité charnelle. Y a-t-il un lien entre la culture et les bombes ? L intelligence occidentale va-t-elle se reconnaître dans cette caricature sanglante de la vaillance de l Europe, va-t-elle envelopper d alibis cette entreprise toute nue ? Il y a, dans la vie moderne, un moment où la balistique devient une affaire personnelle. On n a rien choisi, rien voulu de ce qui se passe, mais on est placé quand même à l extrémité d une certaine trajectoire. Ce que l on a aimé, ce que l on a cru être, se résorbe alors en un néant aveuglant, ou – au contraire – rend possible l avenir.» 81 Après avoir mis brièvement la présence de Georges Henein dans son contexte socio-historique, nous remarquons que son projet culturel « idéologique » fut « écrasé » par un autre projet détenu par le pouvoir égyptien, celui du socialisme national. En 1960, il quitte « l'Égypte de Nasser » pour Athènes, Rome, puis Paris. Il est réduit à vivre de sa plume pendant les dernières années de sa vie. Il écrit deux ans avant sa mort : « S il fallait définir moralement notre temps, on serait tenté de dire : c est celui o‘ les hommes au cœur pur passent le plus facilement de l utopie au nihilisme. Certains deviennent ainsi des traîtres, d autres des héros. Mais ce sont souvent les mêmes »82 Le désaccord de Henein avec le régime nassérien était inéluctable. Mona LatifGhattas, qui fut, elle aussi, obligée de quitter le pays à dix-neuf ans pour les mêmes HENEIN G., « De l accélération de l (istoire », La Bourse égyptienne, 15 septembre 1952. HENEIN G., « Inventaire contre le désespoir », Etudes méditerranéennes, n° 1, été 1957. 82 HENEIN G., « Nietzsche contre Descartes », L Express, 29 novembre 1971. 80 81 - 52 Ahmed Khalifa raisons, écrit dans son roman Nicolas le fils de Nil (1988), que Nasser était un juste qui voulait tout donner à son peuple éternel duquel il était issu. Cela l obligeait à faire taire une « société » pour en déterrer une autre. Elle l explique : « Oui, il y eut les événements Nasser, les nationalisations et, subitement, nous sommes devenus des gens à rejeter complètement. Comme d'autres jeunes l'ont fait alors, je me suis mariée et nous avons quitté définitivement le pays. J'avais dix-neuf ans. J'ai emmené mon pays avec moi, mais c'est un pays perdu, un pays unique qui n'existe plus. »83 Alors que Henein subit des ennuis politiques, un autre écrivain, Edmond Jabès souffrit, selon nous, de « punitions » politico-ethniques. L engagement politique de ce dernier se centrait vers la lutte contre l « inexorable » antisémitisme au Proche-Orient. Il témoigna avoir vécu le sionisme comme un traumatisme comme pouvait le ressentir toute la génération des Juifs orientaux. Bien que ses poèmes ne relatent que l humour, la sensibilité à l humain et au tragique, il était considéré comme ayant des activités, politiques au sens large84, comme par exemple la réception de Pierre Seghers, l éditeur français, au Caire. Sa collaboration avec Henein restait dans un cadre purement littéraire comme l hommage au poète français Paul Eluard, préparé et prononcé au Caire le 18 décembre 1952 devant le public des Amitiés françaises. A la différence de (enein, Jabès s inscrivit dans une sociabilité plutôt littéraire [limitée] entre 1946 et 1956. Ses participations étaient intégrées dans les actualités littéraires et mondaines des années de l après-guerre. Il était présent par exemple à la réception de Stavro Stavrinos à l occasion du vingtième anniversaire de la revue La Semaine égyptienne. Celui-ci soutenait les poètes francophones égyptiens comme l a écrit Arsène Yergath : « Nous tous, poètes d Egypte d expression française, lui devons beaucoup. )l a été pour chacun un frère à l accueil chaleureux et doux. La porte de sa demeure est encore ouverte devant ceux qui croient comme lui au triomphe du rêve » La Semaine égyptienne, Février 1946. 85 GREGOIRE M., « Mona Latif-Ghattas : de l exil à l appartenance », Nuit blanche, le magazine du livre, n° 55, 1994, p. 30-34. 84 LANCON D., « Edmond Jabès, l égyptien », in Entre Nil et sable : Ecrivains d Egypte d expression française (1920-1960), op.cit. p. 179. 85 Ibid. p. 177 83 - 53 Ahmed Khalifa A causes des tensions cairotes, Jabès chercha à s inscrire dans le champ poétique français contemporain. Le réseau francophone égyptien ne lui paraissait pas suffisant pour acquérir la reconnaissance littéraire. Profitant de son amitié avec Max Jacob, il a entamé en 1933 avec lui une correspondance, sollicitant de ce dernier son opinion sur trois recueils qu il avait déjà écrits. Nous remarquons dans cette correspondance son désir de s enraciner dans les milieux littéraires français86. Cela est peut-être dû au « malaise étrange » que ressentaient les poètes égyptiens d expression française causée par le fait que le lectorat francophone en Egypte se souciait peu de leur création poétique. La chose n était pas si différente à Paris. J. Moscatelli ne s est-il pas plaint de cette négligence ? : « Parente pauvre et ignorée, la poésie égyptienne de langue française n a pas encore connu l accueil réservé à Paris à la poésie belge ou canadienne. Elle illustre cependant – à sa façon qui n est pas négligeable – une culture devenue commune »87 En 1946, Jabès est édité chez Seghers puis chez GLM dans la même année mais il reçoit des critiques sévères, souvent de perspectives gauchistes, surtout de la part du poète Pierre Oster : « On voudrait louer cette poésie : le lecteur attentif y pressent parfois comme une simplicité et une pureté qui, même en puissance, ne sont pas si communes. Mais il apparaît également que l auteur subit trop d influence divergentes ou contradictoires » 88 Après son départ forcé en 1, Jabès s installe à Paris auprès des instances critiques. Son recueil Je bâtis ma demeure (1959), édité chez Gallimard, reçoit des critiques jugeant le livre d inspiration surréaliste. La réponse de l écrivain arrive ans plus tard dans la préface de la réédition du même recueil en 1975. D. Lançon décrit cette défense : « Parvenu trop loin dans la déstructuration d un certain Occident rationnel, à contre-courant d une demande réformiste, Edmond Jabès oscilla entre un surréalisme, signe de modernité européenne et un monde de valeurs universalistes plus traditionnelles qu à côté du compagnonnage avec le JABES E., Du désert au livre, entretiens avec Marcel Cohen, 2ème éd., Pierre Belfond, Paris, 1991, pp. 28-31. 87 MOSCATELLI J., Poètes en Egypte, éditions de l Atelier, Le Caire , p. 1. 88 OSTER P., La Nouvelle Revue française, juin 1955, p. 115. 86 - 54 Ahmed Khalifa surréalisme, émergeait la relation constante de l angoisse et de la force créatrice, la reconnaissance de l altérité ainsi qu une méfiance passionnée pour le mot en tant quel tel. »89 Si Jabès refusa de considérer sa poésie comme uniquement d inspiration surréaliste, le cas d une autre écrivaine égyptienne comme Joyce Mansour incarne un engagement surréaliste entier. Dès son installation à Paris en , elle s initie à la culture française et commence à écrire en français. En 1953, les éditions Seghers publient son premier recueil de poèmes Cris. André Breton a manifesté un profond intérêt à sa création poétique et la compare à celle « que le conte oriental nomme la tubéreuse enfant ». Par l intermédiaire de Breton, elle rencontre Pierre Alechinsky, WifredoLam, Matta, Henri Michaux, André Pieyre de Mandiargues et participe aux activités des surréalistes. Sans entrer dans les détails, la présence de Joyce Mansour au sein du mouvement surréaliste ne satisfait-il pas le besoin du mouvement à intégrer des figures féminines internationales ? En effet, le milieu surréaliste à Paris était particulièrement à la recherche des figures féminines (pensons à Leonora Carrington, Peggy Guggenheim et Valentine (ugo parmi d autres pour échapper aux critiques féministes visant à le décrire comme mouvement masculin90. Tandis que les trois écrivains, que nous venons de passer en revue représentent une assimilation presque entière aux valeurs esthétiques du centre littéraire, d autres écrivains présentent, au contraire, une identification conservatrice comme le cas de Out El Kouloub, Rassim, Chédid et Cossery. 4.2 Les étranges : révolutionnaires ou réfugiés Nous avons parlé plus haut des processus d unification des « assimilés » avec le centre littéraire mondial. La quasi-absence d une esthétique littéraire nationale dans les œuvres de (enein, Jabès, Joyce Mansour et Mona Latif-Ghattas est due à la nature de leur création littéraire, la poésie. Une poésie surréaliste principalement et symbolique de manière moindre. Loin des préoccupations esthétiques ou morales, cette poésie est une forme dictée de la pensée comparable à celle de la puissance du rêve. Les poésies de nos écrivains contiennent souvent des images non définies, nous y trouvons beaucoup LANCON D., « Edmond Jabès, l égyptien », op.cit., p. 181. La croyance était que le mouvement adoptait des attitudes typiques des hommes envers les femmes comme l'adoration symbolique par des stéréotypes dits sexistes. Les femmes y étaient souvent représentatives de valeurs plus élevées et donc transformées en objets de désir et de mystère. 89 90 - 55 Ahmed Khalifa d allusions à la nature, à la sérénité, aux ombres etc. Leurs thèmes sont des thèmes universels. Le seul poète égyptien qui a pu donner un « esprit » national à sa création poétique est Ahmed Rassim. A contrario, les romanciers francophones égyptiens, tels Cossery, Chédid, Assaad, Solé et Out El Kouloub, se servaient, voire réactualisaient, des histoires littéraires nationales. L intégration avec l univers littéraire s est faite à travers leur différence. En effet, leur création littéraire s est vite inscrite dans le champ français, avide de découvrir des histoires nouvelles et étranges. Les romanciers comme Cossery ou Out El Kouloub n ont pas du tout, de notre point de vue, dissous leurs histoires nationales pour s intégrer à univers plus doté et riche en ressources littéraires. )ls sont plutôt des révolutionnaires qui ont voulu transformer et autonomiser leur patrimoine littéraire en la libérant des normes esthétiques linguistiques, et même nationales. Georges (enein n a-t-il pas critiqué cet épuisement de la matière première des histoires exercé par les écrivains d Egypte qui ne font que présenter des pages orientales souvent limitées dans une « optique touristique » ? : « Aucun folklore ne conduit au secret des êtres […]. On a quelque raison de se demander pourquoi un romancier français parvient avec Les Conquérants et La Condition humaine à la fois à se situer en Chine et à transcender la Chine, tandis que, à la seule exception de Cossery, les écrivains d Egypte qui puisent leur matière première à même leur pays se contentent de nous offrir des pages orientales plus ou moins réussies mais dont l intérêt dépasse rarement l optique touristique.»91 Rejoindre l universel par le biais d une inscription dans le champ franco-parisien est fortement due à l esprit « révolutionnaire » de leurs œuvres qui rejettent le pittoresque folklorique et se concentrent sur l humain. A propos de Cossery, (enein affirme : « Il a rejeté le pittoresque pour ne garder que l humain. A travers son souci d exprimer ce qui est spécifiquement égyptien, sa sensibilité suraig“e lui permet de rejoindre l universel. »92 La valeur suprême dans l œuvre de Cossery, même dans ses premiers textes de jeune écrivain cairote, surgit de son intérêt à présenter des thèmes comme la misère, la « l apport d Albert Cossery ». Calligrammes, revue des arts et des lettres en Egypte, 1956, in Entre Nil et sable : Ecrivains d Egypte d expression française -1960), op.cit. p. 110. 92 (ENE)N G., Questionnaire littéraire avec Jean-Jacques Luthi », ibid., p. 315. 91 - 56 Ahmed Khalifa douleur, la paresse, le néant lamentable : des thèmes qui concernent le monde entier mais vêtus d une sphère orientale : « Mes livres se situaient au Caire, à Alexandrie, à Damiette ou dans un émirat du désert. Mais ce que j écris concerne tout le monde : d ailleurs, rue de Seine, des lecteurs me saluent, m abordent, m expliquent combien ils se sentent concernés et émus par mes livres. Les gens sont les mêmes en Égypte et à Saint-Germain-des-Prés, la différence c est la langue, mais aussi l attitude profondément orientale de mes personnages ; ils partagent ma façon de penser. En Orient, chacun élabore sa propre philosophie de la vie, sa propre sagesse, parce qu on prend le temps de regarder le monde passer.»93 Les thèmes de Cossery sont les mêmes chez les écrivains francophones contemporains comme Solé, Assaad ou Mona Latif. Nous ne constatons plus aujourd hui d accès difficile à leurs textes pour les lecteurs occidentaux, Mona Latif le confirme à propos des lecteurs québécois : « Je suis loin d'être sûre qu'ils n'ont aucun problème avec mes livres! Mais ils ont toujours reçu mes textes à deux niveaux. D'abord, au niveau d'un lieu rêvé, parce que les Québécois aiment l'Egypte. Il y a quelque chose, je ne sais pas quoi ni de quel ordre, mais il y a quelque chose entre l'Egypte et les Québécois. Ceux que j'ai rencontrés m'ont tous dit qu'un jour, ils ont rêvé d'aller en Egypte. C'est incroyable! Ce n'est pas le Liban, ni la Grèce, c'est l'Egypte. Ils disent : quand j'étais enfant, j'ai rêvé d'un voyage en Egypte. »94 D ailleurs, l inscription dans le champ franco-parisien nécessite-t-elle de se trouver dans la capitale littéraire même ? Id est, faut-il être sur place et agir à l intérieur du champ littéraire français pour escorter les évolutions et les changements ? Le réseau francophone, situé au sein du champ littéraire égyptien linguistiquement différent, a-t-il réussi à tenir un rapport d influence alternatif avec la capitale ? Deux écrivains nous semblent exemplaires pour répondre à ces questions, il s agit d Out El Kouloub et Ahmed Rassim. Après avoir publié son premier roman Au hasard de la pensée (1934), édité chez Dār al Ma ārif au Caire, Out El Kouloub intéressa l éditeur français Gallimard qui publie son deuxième roman Harem en . Ce roman fit écho et attira l attention des hommes « Albert Cossery, l'Egyptien de Saint-Germain », propos recueillis par Aliette Armel, consultable sur Internet, site : http://www.magazine-litteraire.com 94 GREGOIRE M., « Mona Latif-Ghattas : de l exil à l appartenance », Nuit blanche, le magazine du livre, n° 55, 1994, p. 30-34. 93 - 57 Ahmed Khalifa littéraires en France. Les romans d Out El Kouloub les enseignaient sur l Orient à un moment où le roman était un genre rare en Egypte. Un paragraphe tiré de la préface de Zannouba révèle leur désir d en savoir plus sur l Orient : « Oui, comment être informés ? Pour nous connaître, les Orientaux disposent de notre immense littérature romanesque qui leur dévoile (et même souvent de la plus ridicule façon !) comment en Occident, hommes et femmes nous vivons. Mais en Orient, rien de pareil. […] En Egypte, les romans sont encore très rares, et l on n y a pas encore, que je sache, une géniale, une indiscrète George Sand. »95 Le fait de la réussite d Out el Kouloub dans le centre n est donc pas seulement dû à l esthétique littéraire de son œuvre. La curiosité de savoir dans le champ français en participe. Ainsi, la riche aristocrate, ouvrit les portes de son palais aux écrivains et journalistes français (passagers ou résidents) qui « se faisaient un devoir d aller rendre visite à cette grande dame qui les étonnait par sa parfaite connaissance du français, l ampleur de ses lectures et son éclectisme96». Elle entamait avec eux des discussions littéraires et artistiques : « Son salon ouvert aux écrivains a vu passer aussi bien des Egyptiens que des Français comme Jules Romains ou Georges Duhamel. Son œuvre littéraire est assez variée, puisqu elle va d un recueil de pensées aux contes et aux romans, la plupart publiés à Paris avec des préfaces d écrivains illustres. »97. Le cas d Out El Kouloub est un cas unique parce que l écrivaine ne sollicita pas les hommes du centre. Au contraire, c est le centre qui appuya son œuvre, la protégea et la défendit. Sous les propos prononcés au moment de la parution de ses œuvres qui consistaient à relever « l exotisme et l étrange », sous la surface de ces discours critiques français, y avait-il une idéologie que l on nomme « francodoxie 98» visant à servir la Jérôme et Jean Tharaud, préface de Zannouba, Gallimard, Paris, 1947, pp. 7-8. LUTHI J.J., )ntroduction à la littérature d expression française en Egypte, Editions de l Ecole, Paris, 1974, p. 38. 97 LUTHI J.-J., Le Français en Egypte, Naaman, Beyrouth, 1981, p.117. 98 « Par francodoxie, nous désignons ainsi l ensemble des topoï et autres procédés rhétoriques auxquels puise [l]e discours métalittéraire. […] La francodoxie s appuie sur le postulat général que toute littérature doit une part de son existence sociale au métadiscours qui la prend en charge. Autrement dit, un corpus d œuvres, une population d auteurs, ne deviennent visibles, et donc lisibles, socialement que lorsque est produit à leur endroit un discours qui les classe, les oriente et leur accorde une pertinence, voir un statut d évidence, dans un ensemble censé représenter davantage que la somme de ses parties et que le sens commun désigne sous le terme de « tradition (littéraire) » », PROVENZANO F.., Vies et mort de la 95 96 - 58 Ahmed Khalifa France néocolonialiste ? Nous faisons allusion, avec cette question, au mot d ordre de « francophonie », lancé pour appuyer les nouvelles politiques culturelles françaises. N est-il pas important de se demander pourquoi les recherches universitaires sur cette littérature et les prix littéraires décernés à ses figures se sont multipliés à partir des années 1970 ? Pourrions-nous considérer les écrivains égyptiens écrivant en français avant même l apparition de la notion de « francophonie » comme des écrivains préfrancophones ? Les études des discours (sociocritiques et sociopolitiques) autour de la francophonie littéraire pourraient répondre aux questions précédentes99. Revenons à l interférence d Out El Kouloub avec le champ français alors qu elle demeure en Egypte et pratique quelques activités intellectuelles restreintes à l intérieur de son champ. Le lectorat égyptien ne remarque l existence de l écrivaine qu un an après sa mort en 1968, grâce à la plume du célèbre écrivain égyptien Taha Hussein : « II est de mon devoir de présenter aux Égyptiens ce phénomène francoégyptien, afin qu'ils apprécient son talent qui afflige autant qu'il réjouit. La réjouissance provient du fait que son œuvre invite à la connaissance des Égyptiens et de leurs revendications. Aussi est-ce un honneur pour nous, que nos poètes et écrivains soient l'objet d'estime d'éminents milieux littéraires étrangers. Toutefois, il est déplorable que les œuvres d'Out-ElKouloub parviennent [aux Égyptiens] par le moyen de la traduction, car c'est à la langue arabe que revient le monopole des œuvres de ses citoyens. »100 Déplorable qu Out El Kouloub ne soit reçue dans son pays que par le biais des traductions. Taha Hussein le déclare à propos de la romancière qui fut obligée de quitter son pays en 1 et n y revint jamais à cause du régime nassérien qui exerçait des persécutions, pour motifs idéologiques, politiques ou religieux, sur presque tous les écrivains francophones de son époque. Personne n a survécu à ces persécutions à l exception d Ahmed Rassim, le haut fonctionnaire qui occupait les postes de sousgouverneur du Caire, gouverneur de Suez, directeur du Bureau de la Presse et francophonie : une politique française de la langue et de la littérature, Les Impressions Nouvelles, Liège, 2011, pp. 55-56. 99 La plus récente des études est celle de François Provenzano intitulée : Vies et mort de la francophonie : une politique française de la langue et de la littérature, parue en février 2011 où l'auteur analyse les enjeux de la notion de francophonie, qui n est qu un moyen d'autre chose. L étude vise essentiellement à analyser la position de la France dans l'ère de la mondialisation où l'usage de la langue française ne va plus de soi. 100 HUSSEIN T., Fu ”l fi-l- adab wa-n-naqd, Dār al ma arif, Le Caire, 1969, p. 61, traduction de Sonia Rezk Ghattas in Visages de femmes égyptiennes, Université de Californie, 1979, p. 57. Consultable sur internet, site : http://ema.revues.org . - 59 Ahmed Khalifa finalement Directeur général de l administration du Tourisme o‘ il demeura jusqu à sa retraite deux ans après la Révolution de 1952. Jean-Jacques Luthi mentionne que Rassim subit aussi ces situations dérangeantes après sa retraite : « A la suite d une légère attaque, il se retire chez sa sœur à Alexandrie o‘ il meurt à quelque temps de là 101». Quoique sa position de haut fonctionnaire lui garantît une certaine protection « sociale », il resta en Egypte jusqu à sa mort en . Sans entrer dans les détails sociaux qui auraient sans doute influencé sa création poétique, nous nous intéresserons à son « agir » à l intérieur de son champ, particulièrement à l intérieur du réseau francophone. N ayant pas réussi de s imposer [ou d être imposé] au centre littéraire, comme Out El Kouloub, Ahmed Rassim fut donc limité au réseau francophone littéraire égyptien. Ses interactions littéraires étaient plutôt internes. A l exception de sa première publication à Paris en 1926102, toutes ses publications furent éditées en Egypte. Sa réception au sein du centre littéraire était sans doute moins importante que celle de Out El Kouloub. Celleci ne fut éditée que chez Gallimard. Après dix-huit ouvrages publiés en Egypte, son 19ème ouvrage Pages choisies(tome 1) 1954, [son avant dernier ouvrage], fut couronné la même année par le prix Capdeville prix décerné par l Académie française , faisant exception à ce qu un ouvrage littéraire, publié au sein d un réseau francophone en basde-casse, puisse obtenir un prix décerné par la France. Ahmed Rassim fait figure littéraire typique de la situation du français en Egypte. Ainsi, pourrions-nous dire qu à travers sa personnalité littéraire, nous retrouvons les caractéristiques essentielles du phénomène francophone égyptien. Beaucoup de ses contemporains ont fait l éloge de son œuvre aussi bien que de sa personne. Elégant dans ses sentiments, empreint de spiritualité, curieux de savoir, de lire et suivant pas à pas le mouvement intellectuel. A l intérieur du réseau littéraire, nous appréhendons le fait de sa réception dans les préfaces allographes de ses recueils, dans lesquelles Rassim n est pas décrit comme un francophone étrange, bizarre ou idéologique. On le présente comme le poète égyptien qui a su trouver la façon magique pour nous enchanter en français. Tous ses homologues francophones de son époque lui portèrent une grande LUTHI J.-J., La littérature d expression française en Egypte (1798-1998), L (armattan, Paris, , p. 256. 102 RASSIM A., Le Livre de Nysane (poèmes), Les Messages d Orient, Paris, n° V), préface d Elian J. Finbert, 1926, 119 p. 101 - 60 Ahmed Khalifa estime personnelle et littéraire. Lisette Enokian103 n a-t-elle pas écrit un livre parlant de lui et de sa création, durant sa vie, intitulé Ahmed Rassim, poète antique et tendre 1953, édité à Alexandrie ? Les commentaires sur Rassim abondaient dans les revues et les journaux francophones de son époque, preuve qu il fut l un des poètes francophones qui influença directement le milieu intellectuel franco-égyptien, s il ne fut pas le plus influent. Dans la profusion des citations témoignant de sa réception au sein du réseau littéraire franco-égyptien aussi bien que dans le champ franco-parisien, nous nous contenterons de citer deux avis. L un est tiré de La Semaine égyptienne en 1928 lors de ses débuts au cœur de son milieu franco-égyptien et l autre est donné par (enri Peyre, le critique français, écrit presque 2 ans après l existence littéraire [locale] du poète. Dans La Semaine égyptienne nous lisons : « Ahmed Rassim est un charmeur ; son charme dérive d une sorte de magnétisme, d une radiation émotive ; il est peu expansif, plein de réserve, mais on sent son âme vibrante affleurer ; et cette âme est de son siècle et de son pays. » Après l arrivée de la poésie de Rassim dans les mains du « lectorat » français, nous lisons cette impression : « )l n est pas beaucoup de poètes aujourd hui en France, dont l œuvre exhale ce parfum de simplicité rustique et vigoureuse, cette amertume à la Henri Heine et cette grâce qui nous attire vers Ahmed Rassim. »104 Aujourd hui, en ce qui concerne les œuvres francophones, l épuisement des thèmes exotiques et étranges et la multiplicité des horizons d attentes, les écrivains doivent surmonter de nouveaux obstacles dans leur métier d écrivain. Mona Latif décrit la situation : « Ici, au Québec, il arrive que des gens essaient de m'écarter ; j'ai été l'objet de grandes méchancetés parce que je prenais trop de place. En réalité, c'est Spécialiste de théâtre d origine libanaise, « elle s est aussi occupée de critique littéraire, dans les revues locales. A part son livre sur Rassim, on signale aussi ses causeries, notamment une sur le poète Raoul Parme. Depuis 1956, elle est établie au Liban. » in J.-J., La littérature d expression française en Egypte (1798-1998), op.cit., p. 247. 104 PEYRE H. in ENOKIAN L., Ahmed Rassim, poète antique et tendre, éd. Du commerce, Alexandrie, 1953, p. 150. Citation reprise par Irène Fenoglio in « Ahmed Rassim : figure exemplaire d un égyptien francophone », Entre Nil et sable, écrivains d Egypte d expression française -1960), op.cit., p. 248 103 - 61 Ahmed Khalifa la même chose pour tout le monde, et en littérature comme partout ailleurs. »105 Après avoir exposé certains extraits des discours littéraires autour de la littérature égyptienne d expression française, émis au moment de la publication de ses œuvres, nous souhaitons pouvoir donner une simple idée de ce que veut dire « une existence littéraire ». Ce point de la recherche a essayé de montrer, aussi brièvement que possible, comment certains écrivains francophones égyptiens avaient pu obtenir de l autre la reconnaissance, comment ils avaient pu continuer d écrire tout en cherchant qu on les approuve, qu on les soutienne, qu on adhère complètement, ou partiellement, à leurs démarches énonciatives. Sans prétendre avoir fait une anthologie complète et cohérente des meilleurs morceaux, notre conviction dans cette recherche, est que l écriture littéraire n est pas une simple production de mots mais plus encore une production de la pensée que l on a envie de partager avec l autre, d o‘ la nécessité de vouloir exister littérairement. Chacun de nos écrivains a dû passer par une période de lutte et a vécu ses « moments de reconnaissances ». Laissons Andrée Chédid les décrire : « Maintenant, les gens me connaissent, mais j ai plus de quatre-vingts ans. Il a fallu du temps. Ma poésie a longtemps été ignorée, ce sont mes romans qui m ont aidée à me faire connaître. La reconnaissance est venue au bout de quarante ans, peu à peu. »106. « Mais c est un sentiment assez ambigu parce qu on a quand même du plaisir à être reconnu. » 107 GREGOIRE M., « Mona Latif-Ghattas : de l exil à l appartenance », Nuit blanche, le magazine du livre, n° 55, 1994, p. 30-34. 106 Entre Nil et Seine, entretien avec Birgitte Kernel, Op.cit., p.129. 107 Ibid., p.119 105 - 62 Ahmed Khalifa 5 Paris : un pari La France c était le rêve, Paris était le rêve 108 Paris est devenu littérature quand elle est entrée dans la littérature elle-même à travers les évocations romanesques ou poétiques des écrivains comme Hugo, Balzac ou Eugène Sue. Elle avait une représentation fabuleuse qui la métamorphosait parfois en quasi personnage ou en lieu des actions par excellence. De ses multiples et nombreuses descriptions, figurations et reproductions, Paris s est transformée en littérature en fondant son crédit de son unicité : « La ville de cent mille romans ». C est la ville qui incarne littérairement la littérature. Cette représentation littéraire construite par les Français eux-mêmes était renforcée par les littératures étrangères. Les étrangers l ont importée dans leurs pays en diffusant la croyance à la toute-puissance littéraire de la ville. Dans le cœur des francophones, il y avait cette nostalgie, ces rêves, ce plaisir de se prosterner devant elle comme devant une icône. A leur arrivée, ils avaient l air de ceux qui se rendent en pèlerinage dans les paysages intimes de leurs propres rêves, dans leur « Terranostalgia 109». Avant qu ils posent le pied sur le sol de Paris, s agitaient dans leur tête les passages des Misérables de Hugo, les révolutions, les barricades, le bruit de l histoire, la poésie, la musique et le cinéma. « Paris me surprend toujours. Y compris le ciel gris que tout le monde déteste et que j aime 110» Entre et 1 , Paris attira l attention des créateurs et des étudiants du monde entier. Elle était déjà considérée comme la capitale de la république mondiale des lettres, sans frontières ni limites. C était le royaume de la littérature qui s était bâti contre les lois communes des Etats, le lieu transnational o‘ l art et la littérature sont les seuls dominateurs « […], une nouvelle « Babel », un « cosmopolis », un carrefour mondial de l univers artistique111 ». Le plus grand attrait qu exerça la ville était que l artiste y retrouvait les aspects familiers de sa vie, c est-à-dire la pauvreté élégante et privilégiée. On y voyait la revendication des nationalismes politiques côtoyer les inaugurations littéraires et artistiques. On avait tous cette « foi » qui nous a poussé, dans certains pays du monde dont l Egypte fait partie, à écrire en français. CHEDID A., Entre Nil et Seine, entretien avec Birgitte Kernel, Op.cit., p.48. CASANOVA P., La république mondiale des lettres, Op.cit., p. 54. 110 Entre Nil et Seine, entretien avec Birgitte Kernel, Op.cit., p.121. 111 CASANOVA P., La république mondiale des lettres, Op.cit., p. 56. 108 109 - 63 Ahmed Khalifa Ecrire en français loin du centre créait aussi un éloignement temporel. Presque tous les écrivains francophones égyptiens comprenaient qu ils vivaient un temps fictif tandis que le temps réel de la littérature était vécu par les autres (les Anglais, les Français, les Allemands . Ce temps réel n habitait pas le Caire ou l Alexandrie mais Paris et Londres. Ils découvrirent par leur formation francophone leur propre décentrement, c'est-à-dire leur « excentricité négative ». Poussés par une envie ardente de s unifier littérairement avec le centre, ils fuirent [forcés ou volontaires] leur « exil » linguistique. La plupart ont choisi Paris pour s aliéner à l exterritorialité parisienne, la seule garantie pour développer et mener leur propre entreprise littéraire. Cette ville au caractère hostile est capable d exclure ceux qui n y appartiennent pas s ils ne font pas attention à leurs gestes, leurs mimiques et leurs intonations, s ils ne règlent pas leur allure. S approprier la vie parisienne, entrer dans la temporalité littéraire était le seul et véritable garant pour les écrivains francophones de s assurer le crédit de cette « Banque universelle des échanges littéraires », qui en avait le plus grand prestige et le plus grand poids. A cela s ajoutait la facilité de la vie : « C est en fait facile de dire qu ici, la vie vaut la peine d être vécue. On est dans un pays privilégié »112 A ce point de notre recherche nous essayons de découvrir pourquoi certains écrivains francophones choisirent Paris comme destination après leur départ : départ forcé pour certains et volontaire pour d autres. Nous sommes partis d une simple supposition que Paris, la capitale littéraire, représentât la dernière étape de l unification avec le centre littéraire. C est aussi l étape de l unification « physique ». Les écrivains francophones égyptiens, pendant leur existence en Egypte, étaient déjà unifiés avec le centre à plusieurs niveaux : linguistique, culturelle, littéraire. La question se pose : pourquoi certains d entre eux ne sont parvenus à devenir visibles littérairement sur la carte intellectuelle internationale qu après leur arrivée à Paris ? Le sol de nos pères, on s en fout, c est notre sol à nous qui vaut et notre sol c est l univers [Don Quichotte] La première génération des écrivains francophones égyptiens, ou les « préfrancophones » si nous nous permettons de les appeler comme tels, avaient foi en 112 Entre Nil et Seine, entretien avec Birgitte Kernel, Op.cit., p.159. - 64 Ahmed Khalifa l universalisme littéraire. Ce sont les écrits qui forment le territorium qui englobe tous les auteurs. Georges (enein l affirme : « L art n a pas de patrie, pas de terroir. Chirico n est pas plus un italien que Delvaux n est belge, que Diego Rivera n est mexicain, que Tanguy n est français […] que Telmissany n est égyptien. »113 Cossery, par exemple, conçoit dans ses écritures, une certaine vie simple, une joie de vivre partagée avec un groupe d amis à l instar des « frères réunis autour d un maître qui leur transmet son savoir ». )mages qui circulent dans ses œuvres que l écrivain lui-même avait retrouvées à Paris de l après-guerre : « Je peux vivre à Paris comme si je vivais dans une oasis. Je vais au jardin du Luxembourg et il y a des palmiers et donc je suis assis à l ombre du palmier et je reçois des amis égyptiens, en plein Paris, sous un palmier ! »114 Le fait d élire cette ville comme domicile soit parce que c est le lieu o‘ l on peut écrire : « Moi je me disais, si je ne suis pas écrivain et si je ne vis pas à Paris, à faire la noce, ma vie ne vaut pas la peine d être vécue. Et disons que j ai réussi ça, j ai réussi à venir à Paris, à l âge de ans et j y ai fait la noce. »115 Paris était donc pour Cossery et Chédid l espace rêvé. Pour d autres écrivains tels (enein, Jabès et Joyce Mansour, il était le lieu d une interaction réelle au sein du centre littéraire. Pendant son installation provisoire avec sa mère à Paris, Henein découvrit les cafés parisiens, les conférences, les librairies et les réunions des partis de gauche. La ville française acceptait l existence de plusieurs tendances littéraires et idéologiques. Pour lui, ce fut le terrain exemplaire pour échanger et partager ses idées avec les autres. Il quitta la ville en 1939 pour regagner le Caire et y resta, annonçant sa lutte contre le conformisme et rassemblant autour de lui sculpteurs, jeunes peintres, photographes et poètes égyptiens d avant-garde. Jugé dangereux par le régime nassérien, il se trouva obligé de quitter définitivement son pays en 1962 après 23 ans de lutte. Il fréquenta plusieurs villes comme Athènes, Rome, Casablanca avant sa réinstallation à Paris en 1965 où il travailla à L Express. Il écrit : HENEIN G. in GAZIO P., « Le savoir vivre égyptien d Albert Cossery », in Entre Nil et sable…, op.cit., p.107. 114 MITRANI M., conversation avec Albert Cossery, éd. Joëlle Losfeld, 1995. 115 FENOGLIO I., Entretien avec Albert Cossery, in Entre Nil et sable…, op.cit., p. . 113 - 65 Ahmed Khalifa « On n aime pas un pays, on ne se lie pas avec lui pour son pittoresque ou pour sa singularité, mais parce qu il vous apporte un complément d horizon, parce qu à travers lui votre personnalité propre s amplifie sans se démentir, en un mot parce qu il vous aide à vivre.» 116 Quant à Joyce Mansour, Paris était le lieu o‘ l on partage les tréfonds de soi- même. Vu le mélange de cultures dans lequel elle a été élevée, elle fut attirée par cette ville où elle le retrouvait. Le milieu surréaliste parisien, international, incarna ce mélange pour la poétesse essentiellement dans la diversité de ses composantes féministes. Concernant Jabès, il se retrouva pendant son séjour au Caire être le représentant d une certaine universalité mais Paris était au centre de sa pensée. Ce qui le mit mal à l aise, en raison d un décalage avec les intellectuels égyptiens arabophones de son époque. Ceux-ci étaient concentrés sur la nation et le réalisme sociologique alors que Jabès vivait le moment de la révolution moderniste. Aussi la poésie francophone en Egypte fut par lui soumise aux influences stylistiques. Son désir de s associer aux poètes et personnalités littéraires de la capitale dès son arrivée à Paris se dévoile dans ce que Steven Jaron écrit : « Pour le Jabès d Egypte, la condition de déraciné a été refoulée ; il lui fallait être plus français que les Français eux-mêmes. Une citation d un écrivain français était pour lui une façon d exprimer sa gratitude envers la culture française. » 117 Laconique Les études autour du phénomène de la littérature égyptienne d expression française sont multiples. Les théories de la sociologie de la littérature encadrent certaines de ces études. La nôtre n est qu une description du phénomène réactualisant certains concepts sociologiques appartenant à différentes théories telles celles du champ, réseau, système etc. Nos échantillons ne sont ni aléatoires ni tirés au sort, mais plutôt choisis avec le souci de ne présenter que les témoignages des écrivains euxmêmes. Nous avons essayé, le plus possible, de ne pas rejeter non plus les nouvelles interprétations sur le phénomène. Que cette étude soit jugée subjective ou objective, notre prétention était de ne pas s appuyer que sur de seules confidences surtout quand 116 117 HENEIN G., « Vers une conscience universelle », Le Progrès égyptien, 16 juin 1957. JARON S., « Edmond Jabès ou le fonctionnement du palimpseste », in Entre Nil et sable…, op.cit., p. - 66 Ahmed Khalifa . nous avons hésité à répondre aux questions Qui juge l identité de quiconque ? ou celle de Pourquoi choisir une langue d écriture ? Que le dominé choisisse d être dominé, que le dominant impose et renforce sa domination ou plutôt qu il soit dominé par sa domination, tous les deux interfèrent et, notre but était de décrire cette interférence relative. - 67 Ahmed Khalifa PREMIERE PARTIE LE PARATEXTE : LES ENJEUX DE LA RECEPTION DES TRADUCTIONS - 68 Ahmed Khalifa CHAPITRE PREMIER LE PERITEXTUEL ET SON ROLE DANS LA RECEPTION DES OUVRAGES TRADUITS - 69 Ahmed Khalifa Depuis que Gérard Genette, dans son livre Seuils, a souligné l importance du péritexte118, la place des éditeurs est devenue un sujet majeur dans l analyse des œuvres traduites. Ce sont eux qui s occupent de l ensemble des pratiques autour du texte, c est à travers leur effort qu un texte devient un livre. Mais ces éditeurs agissent au milieu d une ambiance socioculturelle qui affecte relativement leurs politiques éditoriales. Dans les pages suivantes, nous allons tracer les changements idéologiques qui ont agité le mouvement de la traduction de la littérature francophone en Égypte . 1 Absence et présence La présence de la littérature francophone égyptienne dans le champ littéraire égyptien est attachée plutôt au mouvement de la traduction dans le monde arabe. L absence de traductions entre -1988 est liée à des conditions spécifiques (basées entre autres sur une rupture menée par les écrivains francophones eux-mêmes). Sans trop entrer dans la polémique sur la rationalité ou l absurdité de l histoire ou même sur la personnalité de ses protagonistes, nous allons montrer qu elle fut, dans le monde arabe et plus particulièrement en Égypte affectée, surtout après la révolution de 1952, par une série d idéologies politiques, sociales et culturelles. Si la recherche des raisons d absence et de présence des traductions dans le champ littéraire égyptien est un des points essentiels pour notre sujet, c est parce que ces raisons nous permettront de nous faire une idée de son impact sur les mouvements Le péritexte éditorial est la zone du livre où l'éditeur règne en maître souverain (en principe, du moins): format, couverture et annexes (par exemple bande de lancement), page de titre et annexes, choix de caractères et de papier. 118 - 70 Ahmed Khalifa littéraires en Égypte . Ce que nous traiterons en détail dans les 3e, 4e chapitres de cette étude. L ignorance de cette littérature est la première raison invoquée pour son absence. Nous ne pouvons pas la réduire à celle-là sans donner un certain poids à une « négligence préméditée » causée par les idéologies socialistes ou conservatrices dominantes en Égypte entre que sa présence après et . Et nous ne pouvons pas à l inverse affirmer fut tout aussi directement le résultat d une nouvelle idéologie sans pointer la présence de certaines traductions antérieures à cette date. Ainsi, les raisons d absence qu elles soient d ignorance ou d idéologie ne peuvent être les seules invoquées. En conséquence, une analyse plus profonde nous paraît indispensable pour l étude de ses raisons : car, de plus, affirmer que l ignorance en serait la seule raison dénierait les quelques traductions qui parurent en ce temps d absence ou les taxerait de bizarrerie au vu de cette absence-même et affirmer que la négligence préméditée en serait la seule raison condamne tout autant son domaine à la passivité et à la dépendance absolue vis-à-vis des idéologies politiques dominantes. En tout état de cause, le mouvement de la traduction en Égypte entre 1952 et 1990 fut traversé par des questions politiques importantes qui l ont poussé à d autres directions que celles de l intérêt esthétique littéraire. On peut même penser que, si un traducteur avait eu en mains pendant ces années une œuvre d un écrivain francophone, il ne l aurait probablement pas traduite. C est parce que dans l ambiance idéologique de l époque, ces écrivains étaient honnis. Nous répèterons ici les accusations répandues sur eux : dits « royalistes » à l époque du socialisme et du nationalisme, ils étaient dits «chrétiens et juifs» à l époque du conservatisme. Ce qui préjuge bien de la forte interaction entre le politique et le littéraire de cette époque. Nous allons tenter d exposer brièvement cette interaction constatée tout au long de l histoire littéraire égyptienne depuis jusqu aujourd hui. « Parfois cette interaction du politique et du littéraire s explique parce que les écrivains s engagent explicitement auprès d un parti, parce qu ils s opposent au pouvoir ou sont soutenus par lui. Mais, dans tous les cas, on n écrit pas la même chose ni de la même manière car on n a ni les mêmes - 71 Ahmed Khalifa désirs, ni les mêmes possibilités d écrire sous un régime autoritaire ou dans une république parlementaire, en période de guerre ou d apaisement international. » 119 Ce que tout le monde sait du champ littéraire égyptien à l époque nassérienne, c est qu on y traduisait les œuvres connues du centre littéraire mondial. Donc, l une des raisons la plus fortement invoquée de l absence de la littérature égyptienne d expression française dans le champ local était que ces ouvrages n avaient pas atteint un succès suffisant dans le centre littéraire mondial d autant que ces écrivains de la « première génération 120» n étaient pas intéressés par leur position dans le monde arabe et leur satisfaction se bornait à écrire dans une des langues du centre. Ce désintéressement était dû peut-être déjà aux convictions politiques qui les avaient poussées à quitter leur pays natal. Cette rupture de leur côté a éventuellement entraîné l ignorance de l autre côté de leur production littéraire dans le champ égyptien. Or, ce n est pas le cas de la « deuxième génération 121» qui a un rapport décomplexé avec le pays parce que la relation entre eux et le pays se développe maintenant dans un nouveau contexte de recul du "nationalisme littéraire". Mais ici nous ne pouvons pas considérer seulement cette raison parce que :  d abord, entre et dans le champ littéraire mondial, ces écrivains ont acquis une certaine réputation et obtenu plusieurs consécrations littéraires : Ahmed Rassim, prix Capdeville – l Académie Française , Chédid, prix de l Académie Française 1960, Louise Labé 1966, le Goncourt de la nouvelle 1975, le prix Mallarmé 1976, Cossery, le SGDL 1965 , Jabès le prix des Critiques 1970. Il paraît sans conteste que ces écrivains furent reconnus dans la capitale littéraire de leur époque, sans évidemment, atteindre toutefois cette réputation internationale dont jouissaient Sartre, Camus, Beckett, Aragon, etc.,  par ailleurs, le champ littéraire égyptien n étais pas tout à fait ignorant de leur production littéraire puisqu en 1 on a traduit Le Sixième jour 1 d Andrée Chédid et, dans la même année, le roman de Cossery La maison de la Mort certaine VAILLANT A., L histoire littéraire, op.cit., p. 126. La génération des auteurs nés dans les années 1910-20 qui ont quitté l'Égypte entre 1945 et 1956 et ont été à la fois acteurs et victimes de cette mise à distance entre eux et leur pays d'origine. Comme Albert Cossery, Andrée Chédid, Joyce Mansour, George Henein, Edmond Jabès. 121 La génération des auteurs nés dans les années 1940-50 comme Fawzia Assaad, Robert Solé, Mona LatifGhattas. 119 120 - 72 Ahmed Khalifa qui a été adapté au cinéma par Galāl Ash-Sharqāwī dans le film intitulé « En-nās illī guwwa » dont le scénario a été écrit par Y”suf Fransīs. Nous constatons aussi qu en 1954 la revue Al-)thnīn a publié un article sur l œuvre d Ahmed Rassim à l occasion de sa consécration littéraire par l Académie Française : ‫سم‬ ‫ا أح‬ ‫ك‬ ‫ل‬ ‫سم هي ت ي م ج‬ ‫ع أ بي ل ن ي أح‬ ‫ل‬ ‫ليم‬ ‫» ل ئ‬ . ‫ح‬ ‫ل‬ ‫سم ق ف في ن ل ب ض م ل ته أ ت يف أح أص ق ئه ب‬ ‫أح‬ ‫ل ي سف له أا ي‬ ، ‫ ل تب ل ق في أ س ل ن ي ك‬،‫ ت يم ل ي ل ع ل م‬. ‫ ف ي ه ت ل ئ‬. ‫ل بي‬ ‫م ن أ ب ين س آليء‬ ‫سم ل ي‬ ‫ي ل ل ي عن م ه أح‬ ‫ل‬ ‫حيث ل‬ 122 « ‫أحي ن‬ ‫ل ب ب ألم حي ب ل‬ ‫ع ه حيث ي‬ « Le prix accordé par la communauté littéraire française à Ahmed Rassim est un salut adressé à toute l'Égypte non pas à Ahmed Rassim lui seul. )l est dommage que Rassim n ait pas pensé à transmettre certains de ses ouvrages ni à confier à l un de ses amis le soin de les traduire en arabe. Dans cela, il y aurait une réalisation de l'intérêt, une augmentation d'estime vers le poète inspiré, l écrivain éloquent reconnu dans toute la communauté française. Le lecteur égyptien ignore beaucoup de choses de son compatriote qui exprime depuis quarante ans les perles de ses sentiments où se mêlent l amour, la douleur et la joie » Mais l intérêt porté à Ahmed Rassim est tout singulier ici puisqu il était le seul à ne pas avoir immigré et être resté en Égypte. Les autres écrivains francophones n inspiraient aucun intérêt pour leur production comme nous l avons montré. Au début des années quatre-vingt-dix, les traductions de cette littérature ont commencé à paraître et nous remarquons dans quelques unes des préfaces une interrogation répétitive sur la raison de l absence de cette littérature pendant toutes ces années. Nous tombons alors sur quelques expressions comme « la main discrète », « la complicité » ou « la censure ». C est Ma m”d Qāsim qui, dans son étude sur la littérature arabe écrite en français, proclame qu il y avait une « main discrète123 » derrière l absence de cette littérature. La même idée est exprimée plus clairement encore par Richard Jacquemond dans son étude sur le champ littéraire dans l Égypte contemporaine où il remarque aussi que ces écrivains étaient complètement ignorés dans leurs pays natal : « Sous Nasser, cette censure des exilés contraste avec le développement sans précédent de la La revue Al-)thnīn, Août , in Ma m”d Qāsim, Al-adab Al-ʻarabī Al-makt”b bil-firinsiyya, La GEBO, Le Caire, 1996, p.55. 123QĀSIM M., Al-adab Al-ʻarabī Al-makt”b bil-firinsiyya, La GEBO, Le Caire, 1996, p.9. 122 - 73 Ahmed Khalifa traduction littéraire vers l arabe... 124». Bachīr As Sibā ī, le traducteur égyptien, expose quant à lui les raisons pour lesquelles il y ait deux générations d intellectuels égyptiens qui ne connaissent presque rien de George Henein. Il désigne une complicité entre les démagogues nationalistes, libéraux, nassériens, islamistes ou stalinistes pour négliger la création de cet écrivain125. Nous faisons nôtre ce constat d une certaine complicité discrète qui opérait la censure. Nous ne parlons pas ici d une censure directe menée par les hommes politiques mais plutôt d une autocensure concernant les traducteurs eux- mêmes selon l ambiance politico-idéologique du moment. Ces derniers sont comme tout être humain, le produit de leur époque car ils vivent dans un contexte historique, social et idéologique : ils partagent avec leurs contemporains une façon de voir le monde, une sensibilité, une langue, une religion... Qu ils soient de leur temps ou en réaction contre leur temps, les traducteurs s inscrivent dans la société qui les entoure. )ls sont généralement influencés par le goût du public, les canons esthétiques, la pensée philosophique du moment, les problèmes politiques, sociaux, éthiques et religieux de leur époque, l état de la science et de la civilisation en cours, etc. Le choix de leurs traductions, traduit (parfois sans le savoir) les préoccupations de leurs contemporains. A l époque de Nasser, l ambiance politico-idéologique avait une relation complexe avec le champ littéraire parce qu il y avait des circonstances particulières qui ont entouré le domaine de la traduction considéré comme l un des composants de la formation du goût du public. L homme politique avait besoin d un véritable support auprès des intellectuels et nous pouvons dire que ce rapport d osmose entre les deux était devenu une tradition qui n eut sa rupture qu au début des années quatre-vingt-dix. Cela ne signifie pas qu il y eut un contrôle absolu de la part du pouvoir sur la production des intellectuels mais c était plutôt une expression orientée et limitée par les appareils idéologiques de l Etat : les intellectuels étaient libres dans leurs activités et dans leurs choix de références ou de modèles esthétiques mais « l instrumentalisation sociale de leur production était strictement soumise à la raison d Etat. 126» JACQUEMOND R., Entre scribes et écrivains : le champ littéraire dans l Égypte contemporaine, Actes Sud, Arles, 2003, p. 148. 125 Al-Jarād, N° , le Caire, . p.173. 126 ROUSSILLON A., « )ntellectuels en crise dans l Égypte contemporaine », in JACQUEMOND R., Entre scribes et écrivains : le champ littéraire dans l Égypte contemporaine, Actes Sud, Arles, 2003, p. 34. 124 - 74 Ahmed Khalifa Cette « instrumentalisation » sociale de la production des intellectuels est due aussi à la possession par l Etat de la majorité des maisons d éditions de l époque. Une possession bâtie par une série de nationalisations des maisons d éditions publiques. Nous allons exposer plus avant ces deux composantes d influence de l ambiance politico-idéologique de l Égypte entre la littérature francophone. et dans la parution des traductions de 1.1 L absence : les éditeurs et les enjeux des politiques culturelles. « Dans le monde de la traduction, la position des éditeurs est centrale : ils sont le lien fonctionnel entre les auteurs, les traducteurs et le public. C est grâce à eux, à leur choix éditoriaux, que d un pays à un autre les écrits circulent. » 127 Les éditeurs Egyptiens sont de trois types : étatiques, publics ou auto-éditeurs. Nous choisissons ce classement qui nous permettra de montrer que la politique éditoriale en Égypte a une relation plus ou moins marquée avec la politique de l Etat. Le type étatique désigne en général les maisons d édition financées, supportées et entièrement contrôlées par l Etat. )l s agit de deux grandes maisons : l Organisation Egyptienne Générale du Livre et le Conseil Suprême de la Culture 128 (Centre National de Traduction129). Les éditeurs publics ont un but lucratif. Les auto-éditeurs sont souvent des intellectuels intéressés par le mouvement littéraire égyptien. Leur production prend habituellement la forme de revues qui expriment le plus souvent des tendances CONSTANTIN J.-P., « Les éditeurs » in Barret-Ducroq, F. (éd), Traduire l Europe,Payot, Paris, 1992, p. 125. 127 Le Conseil suprême de la Culture en Égypte est fondé en comme remplaçant de l ancien Conseil suprême des Arts et des Littératures (1956). Il contient trois divisions : division des arts, des littératures et des sciences sociales. )l s occupe de tous les domaines de la culture en Égypte . Chaque année, il organise plusieurs conférences et séminaires locaux, régionaux et internationaux, pour discuter des questions de la pensée, de la culture, de l'art et de la littérature : aussi de communications entre les intellectuels égyptiens et les étrangers. Il célèbre également les symboles de la littérature et de la pensée arabe tels que: Ibn Rushd, Al-Tahtawi, Jamal al-Afghani, Tawfiq al-Hakim, Naguib Mahfouz, aussi bien que les symboles de la littérature mondiale tels que Alexandre Pouchkine, Bertold Brecht, Sophocle, Federico Garcia Lorca, et d'autres 128 Le Conseil suprême de la Culture en Égypte a adopté un projet de traduction dont l objectif est de transmettre à la culture arabe les livres modernes dans les domaines des sciences sociales, la critique littéraire, les arts et les sciences humaines ainsi que quelques œuvres de création romanesque ou poétique traduits directement de leur langue originale. En 1, Dr. Gābir A f”r a obtenu l accord de l Etat égyptien pour transformer le Projet National de Traduction en Centre National de Traduction indépendant du Conseil Suprême de la Culture. 129 - 75 Ahmed Khalifa littéraires, parfois politiques. Mensuelles ou non-périodiques, les revues (Al-Jarād, AlKitāba As-Sawdā , Al-Kitāba Al- Ukhrā) se distinguent des autres revues « officielles » par une forte présence de nouvelles pensées littéraires, par leur soutien aux nouveaux talents et par le souci du renouvellement de la littérature. En dehors de ce classement, il existe un autre type d éditeur, il s agit d éditeurs commerciaux qui, pour des raisons financières et pour d autres politiques, eurent leur maison nationalisée par l Etat. Nous mentionnons ici deux grandes maisons : Dār Al-Ma ārif et Dār Al-(ilāl. Nous analyserons la dernière en détail ultérieurement. Nous avons établi le graphique ci-dessous basé sur notre corpus pour déterminer l évolution du nombre d ouvrages traduits par année depuis les années 1 jusqu au nos jours dans le monde arabe 130 : Traductions arabes 6 5 4 3 2 1 0 1968 1975 1984 1987 1988 1990 1991 1992 1993 1994 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2004 2005 2008 2009 nombre d'ouvrages par an. Nous réalisons à partir de ce graphique le fait que les traductions arabes de la littérature égyptienne d expression française sont parues très tardivement par rapport aux originaux. Malgré la parution de quelques traductions en 1968, 1975 et 1984, il apparaît que les écrivains égyptiens francophones n ont gagné l attention de leurs cocitoyens qu au début de l année . Cette année là, les traductions de deux romans d Albert Cossery et d Andrée Chédid furent éditées chez Dār Al-(ilāl puis quelques articles de George (enein traduits par Bachīr As Sibā ī dans une revue privée (Al-Kitāba 130 Le graphique compte en détail (romans, poèmes, numéros spéciaux et articles des revues) - 76 Ahmed Khalifa As-Sawdā ) dirigée et financée par le poète égyptien de la génération des années soixante-dix131 Ahmed Tāha. Après , les traductions se produisirent selon une ligne quasiment stable qui allait entre 1 et 5 ouvrages traduits par an. Mais nous pouvons nous demander quelle part les éditeurs ont joué dans cette absence d une quarantaine d années des écrivains francophones d origine égyptienne dans le champ culturel arabe en général et égyptien en particulier ? La question la plus courante dans le domaine de la traduction est celle du choix. Pourquoi choisir telle œuvre étrangère pour l introduire dans une culture cible ? Mais, nous allons cette fois-ci changer la nature de la question, le « Pourquoi traduire ? » deviendra « Pourquoi ne pas traduire ? ». Pourquoi en effet, avec toute la reconnaissance qu a acquise la littérature égyptienne d expression française en Europe pendant les années cinquante et les années soixante, n a-t-elle été rapatriée qu au début des années quatre-vingt-dix ? Autrement dit, si nous prenons en compte que les idéologies politiques et sociales de l Égypte depuis ont influencé sa présence dans le champ littéraire local, que visait cette « négligence» pendant ces 40 ans ? Pour répondre à cette question, il fallut nous pencher sur les politiques culturelles adoptées en général dans le monde arabe de jusqu en , leurs applications particulières au domaine de la traduction et à la récupération des œuvres francophones d origine égyptienne. En Égypte l édition dans son rapport avec l Etat joue un rôle particulier. Le domaine de la traduction est un domaine sensible. La plupart des intellectuels égyptiens pensaient qu il est le lieu o‘ l esprit national pourrait être « menacé », modifié par d autres cultures et d autres valeurs étrangères. Cette question est devenue un thème prisé pour des polémiques encore actuelles. Faut-il traduire ? Sur quels critères ? Ne risquons-nous pas en traduisant d autres valeurs culturelles et même morales de détruire notre volonté à développer nos propres valeurs « authentiques » ? Ces interrogations, qui étaient posées au début par des courants progressistes basés sur des idéologies socialistes, reviennent et se manifestent aujourd hui sous la plume des intellectuels plus proches de courants religieux. Ceux-ci dénoncent le danger de Les critiques ont appelé les nouveaux poètes, qui se révoltent contre la tradition poétique et contre la forme du poème arabe, « la génération des années 1970 ». 131 - 77 Ahmed Khalifa « l invasion culturelle ». Ainsi le choix éditorial des ouvrages à traduire est souvent interprété comme guidé par les idéologies dominantes de l Etat, source de l orientation des politiques culturelles. Les traducteurs, faisant partie de l intelligentsia égyptienne, sont passés par les mêmes problèmes culturels que ceux des intellectuels égyptiens. En Égypte , la révolution de juillet a donné naissance à ce que l on appelle aujourd hui les politiques culturelles, filles de la pensée socialiste que Nasser voulait appliquer dans tous les domaines. Il est donc nécessaire de retracer ici les politiques culturelles en Égypte qui ont influencé les maisons d édition qui, à leur tour, ont influencé le choix des traductions à introduire dans le monde arabe. Nous allons classer ces politiques culturelles par rapport aux politiques de l Etat selon leurs idéologies en montrant les raisons pour lesquelles les éditions égyptiennes se sont « abstenues » de traduire la littérature égyptienne d expression française. 1.1.1 Le socialisme : un projet idéologique A la fin des années 1 , une politique culturelle planifiée a été lancée par l Etat égyptien, concrétisée par le projet de traduction de mille livres. Ses intentions étaient de nature pédagogique scolaire ou plutôt universitaire mais à un moment donné elles ont été détournées à des fins idéologiques. L Égypte était désormais engagée sur la voie du socialisme et, aux yeux des responsables de l action culturelle, il fallait diffuser certaines valeurs et par conséquent, orienter le choix des lecteurs de la société égyptienne. C est à ce moment que l Etat pensa aux possibilités de « saines interventions » dans le domaine de la production intellectuelle dans le choix des ouvrages à traduire. Mais, contrôler la production intellectuelle ne pouvait se réaliser qu à travers un contrôle concret ; celui des appareils de la culture : les maisons d éditions. L idée de l intervention de l Etat dans la production culturelle appartenait tout au début aux intellectuels eux même qui, face à « l obscurantisme dans lequel était plongée la masse de la population égyptienne », ont évoqué la question éducative et la nécessité d une intervention étatique pour assurer la diffusion des « Lumières ». Mais les intellectuels n avaient pas les moyens pour réaliser ces buts. C était donc au gouvernement et aux responsables politiques d imposer les critères et les mesures capables d assurer la diffusion de la culture. En contre partie, l Etat assigna un rôle aux - 78 Ahmed Khalifa intellectuels : ils ne devaient pas seulement [coopérer] avec la Révolution mais aussi agir avec elle, s unir avec ses principes, utiliser leur pensée pour construire une « théorie nationale » et pour former une [doctrine révolutionnaire]. Autrement dit « une voie qui mène à une transformation fondamentale et radicale de la société égyptienne 132». C est à la fin des années soixante que toute l édition et même toute l impression fut entièrement contrôlée par l Etat qui, dorénavant, agissait dans les productions et les ventes du livre. Les années 1961 et 1962 voient la nationalisation des cinq grandes imprimeries, liées à des organismes de presse le plus souvent, qui constituaient la base culturelle nationale. Cette entreprise se renforça par une chaîne de décisions de nationalisation des maisons d éditions privées. Les décisions ministérielles s égrenaient l une après l autre : « l Etat doit posséder un appareil de production dont la tâche sera de participer à l orientation nationale, d élever le niveau du peuple culturellement, socialement et politiquement, et d éclairer l opinion publique par la diffusion de l information intérieure et extérieure […] dans la République Arabe d Égypte , dans le monde arabe et dans les pays étrangers. Et cela, par l impression, l édition et la traduction d ouvrages nationalistes, politique et [appartenant à la culture] mondiale et par leur diffusion dans les pays arabes et partout dans le monde. » 133 Telles furent les lois socialistes qui touchèrent les secteurs de la production du livre et qui résultaient de la nationalisation, déjà réalisée, de facto dans la presse égyptienne en 1961. L idée de rapatriement des textes français écrits par des écrivains égyptiens, immigrés entre 1945 et 1956 semblait bien loin pour deux raisons :  d abord, parce que la plupart de ces écrivains appartenaient au mouvement surréaliste qui avait le soutien de la masse intellectuelle de la gauche toujours en schisme avec l Etat.  puis, le fait que ces écrivains soient à l étranger, ayant quitté leur pays natal par choix libre ou forcé, allait à l encontre des principes nationalistes dont les objectifs Haykal M. H., Azmat Al-Muthaqqafīn, Ash-Sharika Al- arabiyya Al-Mutta ida lil-Tawzī , Le Caire, 1961, p.50 133 Décision ministérielle 8/1964 du 10 février 1964, citée par KHALIFA Cha bān in, arakat nashr alkitāb fi Masr, Dār Al-Thaqāfa, le Caire, , traduction de GONZALES-QUIJANO Yves in Les gens du livre : édition et champ intellectuel dans l Égypte Républicaine, CNRS, Paris, 1998, p. 62. 132 - 79 Ahmed Khalifa visaient à promouvoir la personnalité de la nation Umma par l étude de ses grands hommes, ses villes et son histoire. Dès lors ces écrivains étaient considérés comme des [traîtres] et furent attaqués par certains puissants écrivains qui considéraient que l écriture en français représentait une diversité et un risque à l opposé de ce que la gauche intellectuelle dénonce comme « dépersonnalisation des individus et uniformisation des cultures ». Au fil des années le secteur nationalisé devint de plus en plus important en raison de la faiblesse ou bien de l affaiblissement croissant du secteur public de l édition. Vers le début des années soixante-dix ce secteur assumait moins du quart de la production égyptienne. Et quand apparaissaient de nouvelles maisons d édition arabe en Égypte , l Etat s imposaient dans des alliances de coédition avec ces maisons afin, quand nécessaire, de les [étouffer] et de les contrôler ou, plus précisément, de les dévier de leur objectif véritable. L Etat à l époque de Nasser, s acharnait contre tout ce qui pouvait entacher son concept ultime du progrès : le socialisme. Pour le maintien de ce concept, la gauche intellectuelle134 fut politiquement réprimée et mise à l écart des instances culturelles officielles. Cette disparition de la gauche intellectuelle était l enjeu réel du contrôle de l intelligentsia égyptienne. Le slogan répandu était que les intellectuels au sens « d avant » devaient laisser la place aux intellectuels « d après ». 1.1.2 Le Conservatisme : vers les valeurs authentiques Après la mort de Nasser, la politique culturelle changea. Pour certains intellectuels égyptiens, l époque de la présidence de Sadate représente la véritable décadence de la culture déjà entamée par l autoritarisme et le dirigisme nassériens. Avec l ouverture économique, qui produisit la montée de certaines classes sociales courtiers, intermédiaires, commerçants), les intellectuels se sentirent dépréciés économiquement et socialement. La politique culturelle à cette époque se caractérise par une rupture délibérée d avec l expérience précédente. )l ne s agit plus de promettre à la population, conformément à l idéologie socialiste des lendemains meilleurs, mais de promouvoir une nouvelle idéologie propre à satisfaire les besoins matériels les plus immédiats. Le A laquelle appartenaient quelques écrivains d expression française comme George Henein et Joyce Mansour avant leur départ en France. 134 - 80 Ahmed Khalifa discours de Sadate se concentra désormais sur les valeurs « authentiques » comme la vertu, la pureté, la religion, le patriotisme et la famille. Aucun de ces termes n était considéré ou employé de façon primordiale dans le discours nassérien mais on savait les défendre chacun à sa manière. Par ces termes, il fallait simplement chercher des antidotes aux idées répandues à l époque précédente. Les valeurs authentiques s opposaient aux idées progressistes des années soixante, l appartenance et la pureté à l universalisme, la religion et la vertu à la laïcité et très remarquablement, le patriotisme à l arabisme. Les intellectuels se retrouvèrent donc non seulement face aux difficultés économiques et sociales mais aussi face à un changement total des idéologies culturelles de l Etat notamment promu par la renommée de Tharwat Abāẓa (intellectuel de conviction ouvertement conservatrice . Ce dernier s acharna dans ses écrits contre la gauche intellectuelle, contre les nassériens et « même contre les frères musulmans ». Des attaques bénites par le pouvoir qui voulait détruire à tout prix le modèle nassérien. Sur le plan de l édition, l ère de Sadate aggrava la situation déjà difficile à la fin des années soixante. Après l an de l inquiétude135, la position du livre égyptien devint très faible à cause de la montée en puissance de quelques maisons d éditions au sein du monde arabe, notamment au Liban. Pendant cette décennie, la production éditoriale est passée par un phénomène très vigoureux : la montée du livre islamique qui atteint presque 60% de la production. Ce phénomène naquit de l autorisation donnée aux Frères Musulmans aux côtés de l autre grande institution religieuse (Al Azhar) pour diffuser la pensée religieuse. L Égypte voulait revivifier le patrimoine islamique tout en appuyant le modèle de Sadate [le président croyant]. A ce moment, les événements intérieurs augmentèrent et se multiplièrent autour de petits conflits entre les Musulmans et les Chrétiens. Ces conflits aboutirent à une décision présidentielle136 à propos du Primat, le Pape et Patriarche de l Eglise copte orthodoxe d Égypte , Chenouda ))) qui dorénavant fut assigné à résidence au monastère Saint-Bichoy. L an de l inquiétude ( ām Al-Qalaq désigne l année 1 . Une expression qui appartient au journaliste et historien égyptien Mohammed asanīn (aykal décrivant les problèmes de la vie politique, sociale et intellectuelle en Égypte en 1969 136 Décision présidentielle numéro 491/1981 le 02/09/1981. 135 - 81 Ahmed Khalifa L absence de la littérature égyptienne francophone persista durant les onze ans du gouvernement de Sadate. Outre les raisons socialistes qui avaient causé leur interdiction à l époque de Nasser, s ajoutaient les raisons religieuses. On s aperçoit rapidement que tous les écrivains francophones égyptiens d alors sont chrétiens ou juifs à l exception de deux ou trois Musulmans. Est-il impossible de penser que les traducteurs de cette époque n osèrent pas traduire des écrivains [chrétiens] égyptiens lorsque la société s inquiétait d éventuels conflits religieux ? Est-il impossible de penser qu il y eut un refus de nature idéologique dans cette société à la recherche d une identité islamique ? Non, et sa désignation est « l autocensure ». De plus la littérature francophone égyptienne eut toujours à subir un changement d identité qui devait varier selon les données sociopolitiques :  à l époque de Nasser les politiques culturelles étaient à la recherche d une identité nationale alors que les écrivains francophones prétendaient à l universalisme,  par contre, les idéologies de Sadate visaient à bâtir l identité islamique alors que la plupart de ces francophones étaient des Chrétiens. Ces raisons, dont nous ne refusons pas la relativité, tentent d expliquer, par quelle manière indirecte cette littérature n a pas été traduite entre et 1.1.3 La démocratisation : la mobilisation des intellectuels . Avec la venue du président Mubarak au pouvoir, la politique culturelle de l Égypte renouvelle encore ses idéologies. Cette fois on entend parler d une [ouverture démocratique], d un nécessaire [dialogue national] et plus important encore d une [véritable mobilisation des élites intellectuelles]. Désormais, la possibilité de s exprimer plus librement remplacera la censure rigoureuse des époques précédentes. Un vrai relâchement des autorités donne l occasion de proposer des projets intellectuels plus valeureux. Le nouveau président se plaçait entre les deux idéologies de ses prédécesseurs et y ajoutait une troisième basée sur le principe de la liberté intellectuelle. Son idéologie reposait sur trois axes : la perspective nassérienne qui trace les cercles essentiels du livre égyptien la nation arabe, l Afrique, le tiers-monde) ; la perspective Sadatienne qui fait rappel aux conditions économiques et à la nécessité - 82 Ahmed Khalifa d une ouverture sur les marchés extérieurs ; et l application d une démocratie saine au sein de la société égyptienne. Le domaine de l édition devint le centre de l attention de l Etat. Après ces longues années d agitation politique entre socialisme, communisme ou extrémisme religieux, un nouveau projet culturel se lance sous un terme lourd de connotation : aḥwa « éveil ». Une appellation qui suggérait que la nouvelle politique culturelle allait contrer des menaces ou allumer des contre-feux contre le fanatisme dominant : « La pensée et la création contre l ignorance ; l ouverture, le dialogue et le respect des libertés contre le puritanisme, la fermeture et le terrorisme ; la démocratie et le pluralisme contre la violence aveugle. 137». Des conférences ministérielles, rapports officiels et congrès internationaux nombreux soulignaient les lignes directrices d un nouveau plan d action culturelle. Certains intellectuels changèrent leur vision : au lieu de revendiquer leur place aux côtés du président lui-même, ils demandèrent un rôle auprès des décideurs politiques en tant qu experts grâce à leur maîtrise scientifique. En conséquence, les revues culturelles comme Fu ūl, )bdā et Al-Qāhira étaient livrées à des intellectuels de conviction laïque, arabiste, marxiste comme le poète ijāzī et les critiques Chukrī et Jābir A f”r. Ces hommes étaient chargés de [récupérer la figure de l intellectuel égyptien] qui avait déjà beaucoup perdu de son prestige. En effet, la gauche intellectuelle dans les années , s est réveillée au milieu d une réalité choquante : ils ont réalisé qu ils étaient coupés du réel pendant toute l époque de Nasser et celle de Sadate, ce qui a fait d eux « des intellectuels de profession, ayant perdu leur vocation première, celle de s opposer 138». Il fallut attendre encore un moment après le lancement de la aḥwa culturelle pour que les maisons d édition privées ou nationalisées pussent diffuser les traductions arabes de la littérature francophone égyptienne. On dut les premières tentatives de diffusion de ces traductions en Égypte aux efforts personnels de quelques intellectuels égyptiens comme Bachīr As Sibā ī et Anwar Kāmil poètes et traducteurs égyptiens GONZALES-QUIJANO Yves, Les gens du livre : édition et champ intellectuel dans l Égypte Républicaine, CNRS, Paris, 1998, p. 79. 138 alā Īsā, Muthaqqaf”n wa ʻaskar, Madb”lī, le Caire, 1. Traduction par GONZALES-QUIJANO Yves in Les gens du livre, Op.cit., p. 113 137 - 83 Ahmed Khalifa pour leur traduction du recueil de George Henein Déraisons d être (1938) en 1987. L année vit l apparition de trois traductions dont deux furent éditées chez Dār Al- (ilāl : première maison d édition de type nationalisé intéressée par cette littérature. Mais, nous remarquons que l attention portée à l édition de ces traductions est souvent liée à certains hommes qui ont pu, par leur influence administrative ou par leur réseau de connaissance personnelle, présenter cette littérature à la société égyptienne. 1.2 La présence en pointillés. « Dès sa naissance, l édition égyptienne fut marquée aussi bien par la puissance publique que par l initiative privée. C est à la première qu on doit l introduction des techniques imprimées, mais celle-ci ne connurent un développement significatif qu avec l apparition d ateliers particulier.» 139 Les maisons d édition dont nous analyserons les stratégies appartiennent en principe à trois pays : l Égypte , la Syrie et le Liban, qui partagent à trois près de la production littéraire arabe. % de Le graphique suivant donne le pourcentage et la répartition des traductions : Traductions 7% 5% Egypte 2% 7% Syrie Oman 7% 10% 62% Liban France Kowait Maroc Selon ce graphique, nous remarquons que la plupart des traductions sont effectuées en Égypte ( 62% en ce qui concerne notre corpus). L édition égyptienne a toujours joui des divisions spatiales du marché du livre. Ces divisions sont dues à des données sociopolitiques très remarquables. Outre les GONZALES-QUIJANO Yves, Les gens du livre : édition et champ intellectuel dans l Égypte Républicaine, CNRS, Paris, 1998, p. 124. 139 - 84 Ahmed Khalifa éditions nationales, les publicistes imprimeurs étaient à leur tour répartis en deux catégories : ceux de Faggāla140, majoritairement d origine libanaise et de confession chrétienne J”rjī Zīdān141 en est l exemple , et ceux du quartier d El Azhar, un monde de libraires-imprimeurs tout à fait différent du premier et qui s occupaient de la diffusion des livres islamiques. Au moment de la révolution de , l édition égyptienne garda encore sa suprématie écrasante et couvrait à elle seule presque 75% de la production arabe totale. Cette suprématie résista jusqu aux débuts des années 1 . Comme nous l avons déjà dit, les éditeurs, après l ouverture économique, considérèrent que l intervention financière de l Etat était un devoir parce qu il s agissait d une nécessité économique. C était une demande qui rencontrait celle des intellectuels pour sauver une culture et renouveler un secteur en difficulté. Mais rien n était gratuit, il fallait se soumettre aux nouveaux critères imposés. Nous mentionnons les contrôles stricts de l Etat en l occurrence vis-à-vis des acteurs du secteur auto-éditeur ; ceux-ci ne pouvant pas par exemple rapatrier les devises acquises par la vente à l étranger de leur production. Nous ne pouvons pas nier la croissance immense des éditeurs égyptiens entre et . D une trentaine d éditeurs en millier d éditeur en à une centaine en , puis à un selon )brāhīm Al-Mu allim.142 Cette croissance a influencé à son tour le mouvement de la traduction qui subit en conséquence les exigences des éditeurs comme nous le montrerons dans les pages suivantes. Avec la multiplicité des maisons d éditions et le feu vert donné par l Etat à suivre les nouvelles idéologies culturelles, le mouvement de la traduction en Égypte s est développé. Nous l avons remarqué quand à partir des années s affirme un intérêt particulier donné à la littérature francophone égyptienne dans les trois secteurs de l édition : étatique, public et auto-éditeur. Nous pouvons distinguer aussi, trois types de raisons à cet intérêt : récupérateur, idéologique 143 et éditorial Un quartier au Caire Fondateur de la revue Al-(ilāl en . 142 Directeur de la maison d édition égyptienne Dār Ash-shur”q. Entretien avec GONZALES-QUIJANO Yves, in Les gens du livre, Op.cit., 141 143 Ensemble plus ou moins cohérent des idées, des croyances et des doctrines philosophiques, religieuses, politiques, économiques, sociales, propre à une époque, une société, une classe et qui oriente l'action. 140 141 - 85 Ahmed Khalifa 1.2.1 Récupérateur Nous voulons ici désigner les choix servant l intérêt personnel de l éditeur et qui souvent visent à découvrir cette littérature par la traduction de ses grands ouvrages. Derrière ces choix se découvre une véritable détermination pour enlever toute identité et appartenance par la considération de ces écrivains francophones comme de vrais Egyptiens et par le rejet de toute idée de multiplicité identitaire. Leur présentation à la société égyptienne eut pour but de les faire reconnaître en tant qu Egyptiens des lecteurs. L idéologie nationale qui a longtemps éclipsé cette littérature en Égypte devint après l une des motivations pour ces traductions. Le cas de Dār Al-(ilāl144 est l incarnation de cette question de nationalisation des écrivains francophones. Cette maison d édition a concentré son intérêt sur la production romanesque des écrivains francophones et plus particulièrement les œuvres « les plus égyptiennes » dans leurs écritures comme celles d Albert Cossery, Out El Kouloub et d Andrée Chédid. Le rôle le plus important dans cette entreprise revient à Ma m”d Qāsim145, le préfacier de presque tous les romans édités à Dār Al-(ilāl et le traducteur de quatre romans d Albert Cossery. Grâce à sa position de secrétaire de rédaction Ma m”d Qāsim fut le premier à présenter Albert Cossery dans le monde arabe, en 1988, par la traduction du roman Mendiants et orgueilleux de (1951). Il écrit à propos du choix de ce roman : « j étais invité chez Asmā Al-Bakrī, la réalisatrice égyptienne, et en regardant sa bibliothèque, je suis tombé sur ce roman d Albert Cossery. Je fus attiré par le titre et voulus en continuer la lecture mais comme je savais que la réalisatrice refusait toujours de prêter ses livres aux autres, je me suis permis de le prendre sans sa permission. Sur la route j en commençais la lecture mais le bruit du train m empêcha de me concentrer. Dès que je fus Dar Al-Hilal est la plus ancienne institution culturelle de la presse égyptienne arabe. Cette maison d édition a été fondée en par Georgi Zidan en Égypte. Al (ilal Magazine est le plus ancien des magazines arabes intéressés à la culture. Georgi Zidan exposait son plan et son but de cette revue dans la première publication en 1892 dans laquelle il commençais a publier ses écritures sous la forme des chapitres distinctes. Au bout de cinq ans le magazine est devenu le plus célèbre et le plus populaire dans lequel on lisait les géants de la littérature arabe en Égypte et dans tout le monde arabe. On multiplie ensuite les versions de Dar Al-Hilal entre les magazines, des romans et des livres de médecine. Toutefois, le magazine d Al-Mu awwar a été l'un des magazines les plus anciennes émis par la maison, où la publication de son premier numéro en 1924 s'est accompagnée d'une série d'événements en Égypte enregistrée, poursuivie par le mot et l'image. Grâce à cette nouvelle technologie imagière, le magazine a gagné une grande confiances chez ses lecteurs. Le poste de rédacteur en chef de, Fikri Abaza, Ali Amin, Ahmed Bahā El Din, Amina Saïd et Makram Mohamed Ahmed. 144 145 Ecrivain, traducteur et journaliste égyptien. - 86 Ahmed Khalifa arrivé chez moi, j en commençais la traduction, non pas pour le donner à lire au lecteur arabe mais pour y trouver mon propre plaisir en écrivant ce que je lisais »146 Le choix de ce roman est donc le fruit du hasard mais cela n interdit pas que le traducteur avait une certaine conception de cette littérature puisqu il considérait que ces écrivains devaient être lus en arabe parce qu ils conservaient la mentalité égyptienne et que leur création littéraire n était pas destinée aux Français mais aux Egyptiens francophones. La GEBO147 refusa d éditer la première traduction de Ma m”d Qāsim en raison du titre148. Mais le traducteur réussit de le publier chez un éditeur privé parce qu il sentait l importance de changer la carte littéraire en Égypte en introduisant Cossery et en l imposant à l intelligentsia arabe. Pour ces raisons, il invita Cossery, durant sa visite au Caire, à rencontrer Najīb Ma f”ẓ dans son bureau à Al-Ahrām : « )l fut d accord, quand je le lui proposa, de rendre visite à Ma f”ẓ pour le féliciter d avoir obtenu le prix Nobel. Je pris des photos de lui avec Ma f”ẓ. Ce dernier était très courtois parce qu il ne connaissait pas Cossery et ce fut peut-être pour cette raison que Cossery me reprocha plus tard de l avoir entraîné dans cette rencontre sans demander sa permission mais cela ne m a pas gêné parce que j étais persuadé que les deux hommes devaient se rencontrer même si c était pour une seconde.»149 L intérêt particulier de Ma m”d Qāsim à donner à lire ses compatriotes francophones et à leur redonner le droit d être présents sur le champ littéraire égyptien se déclare dans son ouvrage intitulé « La littérature arabe écrite en français » (1997) où il défend leur identité arabe et accuse la « main discrète » derrière leur absence pendant des années. Pour lui, il fallait enrichir le champ littéraire arabe par ces écrits à travers leur traduction. Face aux attaques et aux critiques qu il subit à propos de ses traductions « non satisfaisantes », il déclara : « Comme cela je l ai traduit vers l arabe… et je m excuse », article publié dans le journal Al- ayā le 25/06/2008. Site internet : http://international.daralhayat.com/archivearticle/206865 147 General Egyptian Book Organization : L Organisation Egyptienne Générale du Livre 148 Nous allons exposer les débats autour de cette traduction dans une étude ultérieure consacrée aux traduction des titres. 149 « Comme cela je l ai traduit vers l arabe… et je m excuse », Al- ayā, Op.cit. 146 - 87 Ahmed Khalifa « Je sais que je n ai peut-être pas un bon niveau de français et c est vrai que les autres traducteurs qui m attaquent maitrisent mieux la langue française mais moi…, je possède la culture !! ».150 Ainsi, posséder la culture151 est une particularité et l enrichir est une priorité : «Albert Cossery a vraiment besoin d être traduit surtout par des traducteurs plus compétents que moi »152 1.2.2 Idéologique Le rôle de Dār Al-(ilāl dans la publication des traductions de la littérature égyptienne francophone est le plus remarquable de par sa position puissante dans l édition égyptienne. Mais avant l intervention de Dār Al-(ilāl, il y avait plusieurs tentatives personnelles menées par les fondateurs des revues littéraires autoéditées. Ces revues avaient souvent la forme de brochures photocopiées éditées dans un nombre très limité. C est un phénomène qui a prospéré en Égypte vers les années soixante-dix aussi bien que dans tous les pays arabes. Nous ne pouvons pas citer les revues de Iḍā a, Kitābāt, Al-Kitāba Al- Ukhra, Al-Kitāba As-Sawdā ou Al-Jarād sans mentionner Ra īf au Liban, Kalimāt à Bahrayn ou )srāf au Maroc. La plupart des animateurs de ces revues appartenaient à la gauche intellectuelle. Ils furent les promoteurs de nouvelles expériences poétiques visant à changer les caractères de la poésie arabe. Dans leurs écrits, nous remarquons le ton rigoureux qui souligne leur particularité et nous admirons leur enthousiasme et leur dégoût face à la timidité de vie qui touche le politique, le social et même le littéraire dans le monde arabe. Al Jarād est une revue indépendante parue au Caire sous la direction du poète Ahmed āha, un poète appartenant à la génération des années 70. Le nom de la revue signifie en arabe : « Les Sauterelles » soit les criquets pèlerins qui attaquent toutes les récoltes (vertes, ou sèches) du « patrimoine de la poésie arabe » afin de faire advenir de nouvelles expériences poétiques. Dans la préface de la revue numéro 3 nous trouvons cette idée : Entretien avec Ma m”d Qāsim à Dār al-(ilāl au Caire le / / . Posseder la culture désigne en égyptien une personne très cultivée. Et nous pensons que Ma m”d Qāsim voulait faire allusion à une différence particulière entre « maitriser une langue et maitriser une culture » toujours en donnant préférence à la deuxième. Donc pour lui, les fautes « culturelles » sont impardonnables alors que les fautes « linguistiques » sont « à négocier » !. 152 « Comme cela je l ai traduit vers l arabe… et je m excuse », Al- ayā, Op.cit. 150 151 - 88 Ahmed Khalifa « Nous sommes une revue qui exprime les points de vue des jeunes écrivains, qui ne veulent pas être célèbres ni riches. Ils veulent simplement nous exposer des états d âmes effluentes que l on peut appeler poésie quand les autres les appellent prose, ou d autres traduction. L appellation n est pas importante puisque nous sommes dans une époque où la différence entre les genres littéraires est devenu presque invisible, dans une époque où les branches du savoir se mêlent et s accordent »153 C est donc une nouvelle révolution contre toute idéologie littéraire ou même politique, contre les formes et contre les tendances. Mais le fait de se révolter contre les idéologies précédentes ne peut-il pas être une autre idéologie ? En effet, ces écrivains voulaient attirer l attention de l intelligentsia arabe pour leurs nouvelles conceptions littéraires mais ils rencontrèrent beaucoup de problèmes dont le plus important fut celui du financement et de la distribution : « Nous aurons peut-être tort si nous pensons que cette revue sera distribuée, lue ou achetée. Mais nous avons l honneur d avoir essayé de transmettre nos idées et nos sentiments aux gens. Il suffit à nos lecteurs malheureux de regarder dans cette revue pour essayer de savoir ce qui se cache derrière ce nom étrange et ce slogan ambigu»154 Sur la voie de cette nouvelle idéologie, ils eurent recours à des traductions de Georges (enein qu ils considéraient comme l un des fondateurs du mouvement surréaliste en Égypte . Dans un article intitulé « le recours à Georges Henein 155», Bachīr As Sibā ī affirme qu il y deux générations d intellectuels égyptiens qui ne connaissent presque rien de Henein et accuse les démagogues nationalistes, libéraux, nassériens, islamistes ou stalinistes d avoir négligé la création de cet écrivain. Cette négligence est due, selon lui, à l impossibilité d une incrustation de l œuvre de (enein dans une idéologie spécifique. (enein fut donc le partenaire d une nouvelle idéologie pour laquelle les poètes des années soixante-dix cherchaient à trouver un support. L influence de (enein sur l expérience des poètes de la nouvelle poésie égyptienne est frappante. Leur révolte contre toute démagogie en insistant sur la libération humaine de toutes les images de soutiens idéologiques antérieurs ou postérieurs avait été déjà proclamée par Henein quarante ans plus tôt. Al-Jarād, N° , le Caire, , p. Ibid, p.2 155 Al-Jarād, N° , le Caire, 1994. p.173. 153 154 - 89 Ahmed Khalifa Donner à lire (enein à la culture égyptienne n est pas un choix dû au hasard mais le résultat d une réflexion idéologique de certains intellectuels égyptiens et tout particulièrement de son « unique » traducteur Bachīr As Sibā ī. La revue Al-Kitāba AlUkhra est l avatar de cette défense des idéologies. (ichām Qich a le rédacteur en chef de cette revue affirme que les autres revues officielles ne représentent pas une idéologie spécifique alors que sa revue fournit une certaine idéologie et exprime un point de vue sur lequel on peut fonder un mouvement littéraire156. Les revues officielles, affirme Qich a, ont un plafond ou plutôt des conditions de créativité mais les auto-éditeurs essayent de développer l esprit intellectuel en réactivant tous les textes, accumulant toutes les visions et en ouvrant tous les chemins pour le lancement de tous les concepts. Son idéologie consiste quant à elle à lancer un dialogue entre les intellectuels indépendants sans imposer le point de vue d un individu ou d un groupe : il s agit donc d une politique éditoriale bien établie par avance. Dans ce cadre, Al-Kitāba Al- Ukhra consacra sa troisième publication à la réédition d un ancien numéro de la revue AtTaṭawur : une revue fondée par le groupe Art et Liberté en 1939. 1.2.3 Editorial La déclaration de Qich a concernant les revues officielles qu il accuse d avoir contrôlé la créativité littéraire, nous a poussé à chercher d o‘ provenait leur intérêt à traduire les écrivains francophones égyptiens. Les revues officielles en Égypte ont la même nature que les revues privées sauf qu elles sont financées par l Etat. Etre financé par l Etat exige donc, comme nous l avons montré dans les pages précédentes, un arrangement avec les politiques de l Etat. Vers les années , la liberté d expression était l un des thèmes dominants qui occupait l intelligentsia égyptienne. L Etat qui se déclarait être sur la voie de la démocratie avait besoin de prouver sa bonne volonté. Pour cela, on fit venir quelques figures de la gauche intellectuelle à la tête des revues officielles les plus importantes comme Al-Qāhira, )bdā et Fu ūl. La revue )bdā consacra en 1996 un numéro spécial à la littérature égyptienne d expression française. A mad abd El-Mu tī ijāzī, rédacteur en chef de cette revue, est connu non seulement pour ses convictions marxistes mais aussi pour ses débats polémiques avec le courant religieux. Il a demeuré un temps en France où il enseignait la Entretien avec (ichām Qich a, Journal de R”z Al-Y”sif, N° http://www.rosaonline.net/Daily/News.asp?id=45192 156 - 90 Ahmed Khalifa , le / / , Le Caire. Site internet : littérature et la poésie arabe à l université. Considéré comme francophone, il écrivit la préface de cette publication et y reposa cette question récurrente sur l identité de cette littérature mais en la considérant dans son phénomène égyptien différent de celui d Algérie ou du Liban. Ce jugement, pour lui, était plutôt basé sur les raisons extérieures du phénomène et non pas sur des études critiques ou des lectures approfondies qui en découvrent les éléments et les sources d inspiration157. La position de ijāzī, comme rédacteur en chef, lui a permis d incarner l idée de la présentation de cette littérature à travers cette publication spéciale mais le choix de la matière publiée ne révèle aucune idéologie. Ce qui laisse comme impression que le but en était seulement l édition. Le but officiellement annoncé était par ailleurs celui de la « célébration du bicentenaire de l expédition d Égypte ». La revue s occupait aussi de la question du choix mais elle se déclarait en même temps irresponsable de la matière publiée : « La matière publiée reflète l'opinion de son propriétaire seul. La revue n est pas engagée à fournir une explication de pourquoi ne pas publier ». Cette absence d idéologie spécifique démontre que le but essentiel de la publication était d « enrichir » la culture littéraire et de « présenter » de la créativité au public. Aujourd hui, les rédacteurs en chef de ces revues sont accusés d avoir corrompu le goût littéraire en imprimant « n importe quoi » et de faire perdre le rôle essentiel de ces revues qui consiste à la diffusion du « vrai » savoir. )ls s en défendent en se plaignant du contrôle de la GEBO et le manque de ressources financières d alors. En guise de conclusion, nous pouvons constater que les éditeurs égyptiens représentent un cas particulier dans le monde des éditeurs. L édition égyptienne a un rapport de concordance/discordance avec l Etat. A cause de ce rapport non stable, la littérature égyptienne d expression française n a pas pu avoir une vraie chance d exister sur le champ littéraire égyptien. Les projets idéologiques de l Etat entre et étaient cause de son « absence » et l ouverture démocratique a réalisé une présence indécise marquée souvent par « la carence » d une politique éditoriale. Nous pouvons avancer, en nous basant sur nos propres observations, que la traduction de cette littérature, longtemps considérée comme « phénomène particulier », exprime une « expérience personnelle » de ses traducteurs. 157 (ijāzī, « Adab mi rī bil firinsiyya ? am adab firinsī fī mi r, )bdā », N° 12, Le Caire, 1996, p. 5. - 91 Ahmed Khalifa 2 Les titres traduits Le fait de placer un livre dans une collection spécifique peut affecter directement sa réception. Il en sera de même pour le choix des dédicaces, des épigraphes, des préfaces et des notes. C est pour cela que l analyse péritextuelle d une œuvre traduite compte au tout premier plan pour établir le profil de l éditeur. Chaque éditeur est responsable de la diffusion d une œuvre mais sa responsabilité dépasse les limites du texte parce qu il est censé prendre soin de sa marchandise en appliquant sa stratégie de vente qui attire son lecteur par l exploitation maximale des topoï 158 culturels. Gérard Genette fut le premier à mettre l accent sur l habitude courante de modifier le titre lors d une traduction et il proposa de lancer une étude sur cette pratique qui n est pas sans effets paratextuels. L analyse du titre est une étape importante dans l étude d une œuvre traduite. Cette analyse nous permet d explorer les stratégies des introducteurs de la littérature étrangère. C est pourquoi les théoriciens du Skopos159 (en grec, celui qui observe de haut ou de loin, dictionnaire Bailly) se sont intéressés à la traduction du titre en général. La théorie du Skopos fait partie des approches fonctionnelles de la communication. Pour ses partisans, le processus de la traduction est déterminé par la fonction du titre traduit et non par son équivalence avec le titre source. Cette théorie vise à construire une réflexion sur la traduction des titres concernant l inter culturalité qui nous oblige parfois à changer le but premier du contexte source en raison des déviations impliquées par son transfert ; elle définit simplement les problèmes imposés par la translation dans la culture cible et par la fidélité à l œuvre originale. Cette théorie de Skopos peut aider à reconstituer les choix effectués par les éditeurs dans la traduction de certains titres, en prenant en compte ses effets d acculturation afin de mieux adapter sa stratégie 158 les topoï sont les mots-clefs, les sujets caractéristiques d'un groupe sociologique ou d'une spécialité Un mot grec signifie « le but, l objectif ». Cette théorie a été éclipsée par d autres théories plus connues et plus diffusées comme la théorie du Sens, la théorie Interprétative ou celle du Polysystème. En général c est une théorie fonctionnaliste dont la préoccupation majeure est le Skopos. Elle détruit en quelques sorte l artistique et le littéraire d une traduction pour mettre l accent sur le pragmatique ou plus précisément le commercial de l utilisation du texte traduit. Dans ce cas le traducteur est dorénavant le producteur, le lecteur est le consommateur et le troisième intervenant appelé le commanditaire qui est souvent l éditeur. De ce point de vue la fidélité existe mais pas au sens ni à l auteur, la fidélité est au Skopos et plus précisément au cahier des charges établi par le commanditaire. Nous avons choisi cette théorie parce qu elle semble la meilleure à servir notre but d une étude fondée sur les activités intervenantes des traducteurs et des éditeurs. 159 - 92 Ahmed Khalifa d implantation tout en gardant un regard plus ou moins respectueux vis-à-vis de l original. Le titre traduit représente d une manière très remarquable les problèmes de la translation du texte littéraire puisqu il doit attirer le lecteur étranger : c est pourquoi il est le grand préambule au débat sur les transactions interculturelles entre éditeurs, traducteurs et auteurs (quand ces derniers sont vivants et consultés). En tant que représentant de l identité d un livre, le titre fonctionne comme un nom propre que la traduction tente d assimiler. )l doit suivre les conventions d une culture cible donnée et exploiter les finesses de la langue d un public d arrivée particulièrement attentif. Un titre traduit présente des points communs avec le titre en langue originale, ou s en distingue par divers critères que la typologie examine, c est-à-dire la science du rapport entre le titre de la traduction avec l original. Ainsi, dans les titres composés de certaines catégories de mots comme les anthroponymes et les toponymes, identifiables par le lecteur récepteur ceux-ci sont souvent conservés dans le titre traduit. Par contre, le cas de la littérature égyptienne d expression française est unique dans le cas de traductions des titres. L identification de la culture ne constitue pas l enjeu de la traduction. Tous les quatre appartiennent à la même culture (auteur, traducteur, éditeur et lecteur . L enjeu réside avant tout dans le rapatriement et la récupération du texte. Certes, la plupart des titres perdraient leur exotisme et même leur fonction lors de leur translation vers leur culture maternelle mais nous constaterons dans les pages suivantes que quelques titres ont gardé leurs qualités d exotisation. Nous allons tout d abord classer les titres selon les critères de la typologie qui nous permettra de cerner le type de rapatriement par rapport à l original : titre littéral, modifié ou transformé. Nous essayerons de rapporter le débat sur les traductions de certains titres au sein de l élite intellectuelle égyptienne. Nous dégagerons aussi la hiérarchie de ces titres : surtitres, double titres ou sous-titres. Pendant l analyse nous définirons le type des titres par rapport à l original dans une analyse duelle de la - 93 Ahmed Khalifa thématique et de la rhématique160 (métaphorique, métonymique, ambigu, symbolique) en faisant une analyse sémantique ou syntaxique pour tenir compte des termes en langue originale. Cette méthode prendra en compte aussi l éditeur, la collection et tout indice sur l horizon d attente supposé ou orienté du lecteur d un texte traduit. Enfin nous nous permettrons de faire une évaluation éventuelle de la traduction de chaque titre. L esprit du titre nous mène à faire un classement dû aux différentes méthodes de traduction. On distingue ainsi un titre littéral, modifié, transformé ou retraduit. 2.1 Le titre littéral La plupart des titres qui font l objet de cette étude ont été littéralement traduits et pour lesquels les traducteurs ne se sont pas intéressés à chercher l esprit du titre et son rapport avec le texte. Cela revient peut-être à la nature de ces titres qui ne supportent pas beaucoup d interprétations. Ce sont des titres souvent composés d un seul mot où il fallait simplement chercher son juste équivalent, ou bien des titres composés de noms propres ou de segments nominaux. Mais nous constatons que la traduction littérale de certains titres a abouti à des faux-sens et même à des non-sens. Par contre, les traductions calquées ont bien réussi à transmettre la fonction de quelques titres en leur donnant une nature différente de celle de l original qui , lors de son passage en traduction, perd son exotisme dû aux termes arabes transcrits en caractères latins comme par exemple Mazag [2000] de Robert Solé. Mazag signifie en arabe égyptien plaisir, caprice, goût, tempérament. Ce plaisir est celui de Basile, le personnage principal du roman, qu il retire à rendre service à ses proches et même aux inconnus gratuitement et sans arrière-pensées. Sa satisfaction réside à donner des coups de main et à mettre en contact ses relations ; c est son activité à mi-temps. Les liens qu il construit volontairement entre les gens sont des liens de cœur, de sang et d amitié. Donc, nous pouvons ajouter que Mazag pour lui est une liberté assumée. Tous les sens que le titre porte dans sa version originale sont presque ignorés par le lecteur premier pour lequel le mot Mazag donne seulement un effet exotique. A « Le rhème est par définition l'élément sur lequel porte l'interrogation et le thème ce que cette interrogation présuppose acquis ». (Maingueneau D., Éléments de linguistique pour le texte littéraire, Bordas, 1990, p. 147). 160 - 94 Ahmed Khalifa son tour, le lecteur second perd cet effet d exotisme parce qu il assimile le sens du titre dégagé. Dans ce cas, la traduction n a pas donc produit le même effet sur les deux lecteurs et par conséquence l objet ultime161 de la traduction est perdu : la recréation de l effet. Le lecteur second a réussi à restituer le sens ayant exercé sur le lecteur premier un effet particulier. Donc, une analyse interprétative de ce genre des traductions nous semble impossible puisque le vouloir dire et le vouloir émouvoir sont partagés entre deux lecteurs séparés de distance géographique et de culture. La traduction de la nouvelle L étroite peau ‫ل‬ 1984 par (‫يق‬ 1 d Andrée Chédid traduit en ‫ ) ل‬dans une édition bilingue montre que le traducteur peut créer des effets différents à ceux du titre original. La nouvelle illustre l effort courageux, obstiné et mené par tous les personnages principaux pour tenter d échapper à leurs limites ou, pour reprendre l expression qui a donné son titre à l ouvrage, de sortir de leur « étroite peau ». L étroite peau métaphorise donc les habitudes et les coutumes villageois et la romancière a essayé de décrire les petits actes précis et concrets par lesquels se traduit le besoin profond des personnages d aimer et d être aimés, la volonté de montrer leurs meilleures qualités à leur semblables et d établir des vrais liens de fraternité. Le titre français amène à une représentation symbolique, l adjectif étroit n est pas une description appropriée à la peau mais qui fait allusion aussi à des expressions courantes comme « mentalité étroite » ou « il est étroit d esprit » qui désignent des personnes fermées. Par contre, « la peau » dans la culture égyptienne est parfois utilisée pour désigner les coutumes et l entourage social de la personne ; l expression ‫من ج‬ ‫ « )خ‬sortir de sa peau » décrit la personne qui change ses attitudes sociales et plus particulièrement la personne qui renie ses origines. Donc, on est devant un titre rassemblant deux expressions, une française et autre égyptienne, pour désigner « un milieu social « peau » fermé « étroit » ». Dans sa version arabe, le titre donne un effet différent, voir étrange. L utilisation de l adjectif ‫يق‬ ‫ )م‬comme traduction à étroite ne convient pas en arabe puisque ce n est pas courant de l utiliser comme description à la peau. Le vouloir dire du titre est incompréhensible pour un lecteur arabe. Le but symbolique du titre ou bien son Skopos a disparu à cause d une traduction non-satisfaisante. Voir ISRAEL F., « Pour une nouvelle conception de la traduction littéraire, le modèle interprétatif » in Traduire, n° 190, Décembre 2001, pp. 9-20. 161 - 95 Ahmed Khalifa Le but d un titre ou son vouloir émouvoir était l objet de plusieurs discussions entre traducteurs dans le monde arabe. Nous mentionnons que la traduction de ( ‫ش‬ ‫ ) م‬parue en 1988 par Ma m”d Qāsim, un journaliste égyptien, du roman d Albert Cossery Mendiants et orgueilleux (1951) a été considérée comme non satisfaisante par les traducteurs égyptiens. Ce titre a été jugé mal traduit parce que le traducteur l a rapatrié en arabe littéral alors qu il fallait donner un effet dialectal que l écriture de Cossery possède très remarquablement. Richard Jacquemond le confirme : « Il est certain qu un lecteur de Cossery qui connait l arabe égyptien parlé,… il l entend dans l écriture de Cossery pas seulement dans les dialogues mais même dans la narration… 162». Bachīr As Sibā ī, un traducteur égyptien, a proposé une traduction plus adéquate qui correspond à un proverbe égyptien courant ( orgueil 163» ou (‫ين‬ ‫ع‬ ‫ « )ف‬Pauvreté et ‫ « )ف ء م‬Pauvres et orgueilleux ». Ce proverbe n est pas le seul à correspondre au sens du titre français puisque le parlé égyptien contient un vaste usage proverbiale ; nous trouvons d autres proverbes comme se croit prince ! » et (‫ن هي‬ ‫بي م‬ ‫ « )ش‬un mendiant qui ‫ « )أق‬Chauve et promeneur ». Le premier proverbe proposé par As Sibā ī rend bien le sens mais les pauvres, en général, ne sont pas forcément des mendiants. Donc, traduire mendiants par « pauvres » met le titre dans un contexte plus large alors que le deuxième proverbe que nous proposons concerne restrictivement les mendiants qui se comportent comme des princes (orgueilleux). La troisième proposition donne le même sens mais il est loin du but essentiel du titre qui met l accent sur les mendiants. Cette traduction du titre inspirée de l arabe égyptien a été précédée de plusieurs traductions en arabe littéral comme ( ‫م ف‬ ‫ « )ش‬Mendiants Sourcilleux » et ( ‫ش‬ ‫ « )ن اء‬Mendiants nobles »164. Nous remarquons que ces deux traductions ont évité de traduire la particule de conjonction « et » qui exprime en français l'adjonction, la succession, l'opposition, la conséquence, l'insistance alors que la lettre ( ), son équivalent en arabe, est souvent utilisé en arabe littéral pour réunir deux termes Entretien autour d Albert Cossery, Radio France culture, Mardi février , Mardi des auteurs, de 15h à 16h, par Matthieu Garrigou-Lagrange. Site: http://sites.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/vie_oeuvre/fiche.php?diffusion_id=80315, 27e minute 163 Entretien avec Bechir El-Sebaï autour des traductions arabes de la littérature égyptienne d expression française, le / / , dans l Atelier des écrivains, le Caire 164 On trouve ces deux différents traductions du titre parues dans la revue Adab wa Naqd, n°99, le Caire, 1999. Mais la revue ne mentionne pas les noms des traducteurs qui ont proposé ces deux traductions. 162 - 96 Ahmed Khalifa différents, parfois même opposés. Cela veut dire que la première traduction ( ‫م‬ ‫ش‬ donne l impression que ce sont des personnes différentes : les mendiants ne sont pas les orgueilleux. Ma m”d Qāsim a reproduit avec sa traduction la structure et l information d un énoncé de départ, qui a été jugée maladroite ou encombrée d informations superflues qui l alourdissent, parce qu elles font partie de l énoncé source et qu il ne se sentait pas le droit de dévier par rapport à ce que l auteur avait choisi. Mais nous avons une objection : l auteur d un texte francophone connaît la langue d arrivée et s il écrivait directement dans cette langue, utiliserait-il les mêmes structures et les mêmes informations pour formuler son message ? La question n est pas très difficile si nous en prenons le contre-pied : si nous suivons la logique de défense de l intérêt et des intentions de l auteur, nous serions amené à réécrire complètement le texte en choisissant d autres informations et un autre cheminement que celui de l auteur pour chercher l impact maximum sur les lecteurs du texte d arrivée, ce qu on appelle « adaptation » ou plus précisément « rapatriement ». Si les constructions linguistiques habituelles dans la langue de départ sont maladroites dans la langue d arrivée, l auteur ne les choisirait certainement pas s il écrivait directement dans celle-ci ? Traduire littéralement est toujours possible et souvent acceptable, mais dans certains cas, cette façon n est pas retenue parce que la traduction littérale d un titre, d un message codé qui joue sur la connotation, le double sens, les figures du style, devient un piège dans lequel tombera le traducteur désireux de respecter les intentions de l auteur. Berman a défendu la traduction littérale en arguant de la capacité de chaque langue d entrer en contact authentique avec une autre langue, on peut trouver selon lui toujours une phrase de la même construction dans les deux langues. Le rejet des traductions littérales, qui ne sont pas parfois suffisantes pour faire sonner une plaisanterie à l oreille du lecteur, se base sur de simples raisons phonétiques des systèmes de métrique, d accentuation, différents . Mais la question se pose : la traduction littérale du titre d un texte francophone est-elle un problème de traduction ou une solution à un problème de traduction ? C est en cela que nous la considérons comme l un des enjeux de la traduction. Elle devient un problème quand elle réunit les défauts du mot à mot, ceux du calque et de l emprunt à plusieurs niveaux : syntaxique (structure de la phrase), stylistique (agencement de mots), lexical (calque des mots), - 97 Ahmed Khalifa etc., elle devient une solution quand le traducteur affronte des grands obstacles culturels qui l obligent à calquer où à emprunter un tel terme à une longue tradition culturelle. Mais la modification d un titre est aussi une solution respectable si nous comprenons les raisons pour lesquelles un traducteur ose trahir. 2.2 Le titre modifié « Certains titres, pour rester fidèles à l esprit de l original, exigent des détours subtils ou résultent d illuminations heureuses» 165 Le titre modifié connait trois types de modifications par rapport à l original. Chaque traducteur dans son acte de modification du titre peut ajouter, supprimer ou substituer un élément. 2.2.1 L’ajout En 1993, la première traduction du roman Le Tarbouche (1992) de Robert Solé est parue au Liban avec un titre attirant et spécialement interprétatif : ( ‫ح ي‬ ‫ئع‬ ‫ب‬ ‫ل‬ ‫ « ) ان ء ل‬Le Tarbouche : l histoire de l appartenance perdue ». Le roman raconte l histoire de la famille Batrakani, une famille syrienne, chrétienne profondément francophile et représentante d une minorité divisée entre deux mondes. C est dans cette extraordinaire et cosmopolite Égypte de 1916 que George Batrakani décide de fabriquer des tarbouches : une coiffure masculine dont la forme est comparée à celle d un pot de fleurs. A cette époque, le tarbouche était un emblème national, symbole d une société heureuse confrontée à sa perte devant les tourments du siècle. Ce tarbouche tombera avec la prise du pouvoir par les nouveaux officiers, la fin de leur monde est devenue proche et ces Syriens d Égypte devront entreprendre des nouvelles migrations douloureuses. Le traducteur ou l éditeur devant cette histoire d identités divisées, s est permis d ajouter toute une phrase pour désigner la présence troublée des Syriens en Égypte . Mais, cet ajout, n a-t-il pas changé le contrat de lecture et l horizon d attente du lecteur arabe ? En ajoutant cette interprétation, le traducteur a mis l accent sur le problème d identité en négligeant celui du texte original qui fait du tarbouche un symbole du siècle. Autrement dit, le lecteur arabe fut orienté vers une autre dimension RISTRERUCCI-ROUDINCKY D., )ntroduction à l analyse des œuvres traduites, Armand Colin, Paris, 2008, p. 34. 165 - 98 Ahmed Khalifa problématique du roman à cause d un ajout qui enlève l importance symbolique d une coiffure masculine en donnant intérêt au problème d identité inscrit dans la phase de réception du pays d accueil Le Liban centrée notamment sur les récits de ce genre vers les années 1990166. 2.2.2 La suppression Elle concerne plutôt les ouvrages de doubles titres. La traduction du texte monographique de Fawzia Assaad Hatshepsout, femme pharaon : biographie mythique (2000), est parue en 2002 sous le titre ( ‫ ل أ ل ع‬، ‫ « )ح‬Hatshepsout, la femme pharaon ». Une traduction jugée très satisfaisante par les intellectuels égyptiens comme par l écrivaine elle-même. Nous remarquons que le titre traduit manque une information importante : celle qui identifie la nature du texte et son genre. Le traducteur a choisi de ne pas traduire « biographie mythique » qui donne une impression légendaire et fabuleuse à l histoire. Le mot « mythique », que l écrivaine a choisi de mentionner dans le titre original, avait pour but de faire sortir l œuvre de tout classement d authenticité historique pour laisser un petit espace à l imagination ; ou bien pour donner naissance à une histoire vraisemblable. C est une enquête à la recherche d une esthétique du passé. Le traducteur Māhir G”waygātī, connu par ses études approfondies en égyptologie, disait : « Avant de commencer la traduction de mon premier livre en égyptologie, j ai étudié dix ans dans ce domaine dans les deux langues : arabe et française. J ai visité les sites pharaoniques les plus importants du nord jusqu au sud de l Égypte , aussi bien que ses musées, ses mosquées et ses églises. Hatshepsout, la femme pharaon de Fawzia Assaad est avant tout pour moi un texte scientifique. 167». Ainsi, le traducteur en Le Liban est un pays connu pour sa diversité culturelle, il est le pays arabe o‘ le problème de l identité et de l appartenance a une profonde spécificité. Les divisions s étagent sur deux niveaux, l un est religieux (chiites, sunnites, chrétiens, druzes), l autre est culturel arabe, français, anglais . Parmi les chrétiens: les maronites, gréco-orthodoxes, gréco-catholiques (melkites), apostolique arméniens, catholiques arméniens, syriaques-orthodoxes, syriaques-catholiques, protestants, coptes, assyriens, chaldéens, catholiques de rite latin. Parmi les musulmans: les communautés sunnite, chiite, druze, alaouite et ismaélienne. Il existe aussi une petite communauté juive. A la fin de la guerre civile en 1990, la plupart des écrits se sont orientés vers la question de l identité, thème presque dominant dans la littérature libanaise de cette période. « La littérature libanaise est à l image de son pays : contrastée, plurielle, habitée de conflits et de rêves. Elle reflète le pluralisme culturel, religieux, linguistique de ses habitants. Les écrivains du Liban, francophones ou arabophones sont porteurs de multiples sensibilités ». Voir Najīb Man ”r Zakkā, Littérature Libanaise contemporaine: aspects thématiques, Université Saint-Esprit de Kaslik, 2000. 166 Débat autour de la traduction du livre : Hatshepsout, femme pharaon : biographie mythique de Fawzia Assaad, Café culturel de la foire du livre, le Caire, 2003. En présence de Bahā Tāhir, Māhir Gowaygātī, Dr. Amānī Amīn et Dr. Anwar Moghīth, dirigée par l écrivaine Nagwā Cha bān. 167 - 99 Ahmed Khalifa supprimant « biographie mythique » a voulu éviter le moindre changement du contrat de lecture qui aurait pu amener à une autre réception littéraire de ce texte historique.168 2.2.3 La substitution La traduction de l œuvre de Mona Latif-Ghattas Momo et Loulou (2004) est parue la même année, dans la même maison d édition, sous le titre de ‫)مي ي ل ل‬. Un texte sur une correspondance fiévreuse entre deux cousines, l une en Égypte et l autre au Canada. Nous remarquons que le mot « Momo » est remplacé dans la version arabe par « Mimi ». Les traducteurs ont fait cette substitution acceptable parce que « Momo », désignant un pseudonyme d enfant, n est pas très connu dans la culture arabe. Ils ont choisi de le remplacer par « Mimi » : un équivalent approprié et souvent utilisé pour les filles. 2.3 Le titre transformé « Mais on voit des ouvrages traduits notamment d œuvres romanesques porter souvent un autre titre que celui du texte original. Une idéologie du marché, un choix propre au traducteur qui en aurait intériorisé les consignes et la volonté de séduire le lecteur pressé sont le plus souvent à l origine d une telle distorsion. Les traducteurs devraient se montrer, eux aussi, rebelles à ladite idéologie, suffisamment fidèles à l intégrité de l œuvre, pour que cesse cette pratique que tout rapproche d une mutilation.» 169 La traduction peut transformer un titre par alchimie culturelle par laquelle le traducteur cherche à s approprier l allégeance de son public d accueil. Par exemple, le roman de Fawzia Assaad : Ahlam et les éboueurs du Caire (2004) qui a été traduit en ‫ل ه‬ par Dīmā Al- usīnī sous le titre ‫ق م‬ ‫)أحا‬. Nous remarquons que « éboueurs » a été traduit par ( ‫ « )ق م‬ordures » au lieu de ( ‫ « )ج مع ل م‬ramasseur de balayures (poubelles) » en arabe littéral ou ( ‫ « ) ب‬éboueur » en arabe dialectal égyptien. Le dernier terme contient la même charge affective connotée dans l original : celle du sentiment de dégoût et de mépris. Remplacer « éboueurs » par « ordures » revient donc à un choix de la traductrice qui a avoué dans son étude traductologique à Changer le contrat de lecture de cet ouvrage ressortit à des raisons purement scientifiques. Les égyptologues (égyptiens) au moment de la parution de cette traduction étaient en train de se lancer dans la recherche de la momie d (atshepsout et donc, rassembler toutes les informations nécessaires sur la femme pharaon devenaient une étape importante dans la découverte de cette momie ; même si ces informations provenaient d un texte de nature historico-fictive. La découverte de la momie d (atshepsout fut annoncée par Zāhi (awwās Secrétaire général du Conseil suprême des Antiquités égyptiennes) en juin 2007. 168 169 HASSAN K.-J., La part de l étranger, Actes Sud, Sindbad, Arles, 2007, pp. 112-113. - 100 Ahmed Khalifa propos de cette traduction « l emploi du vocable ‫ «( ب‬éboueur ») dans la traduction exerce un effet plus fort que si l on avait choisi ‫ «( ج مع ل م‬celui qui ramasse les poubelles » , […]. Ce choix est orienté non seulement par notre bagage cognitif, mais aussi par la connotation du vocable dans le sens global du roman et la réalité à laquelle il renvoie en Égypte .170 ». Le deuxième terme ( ‫ ) ب‬était donc le choix de la traductrice elle-même mais au moment de la publication, l éditeur s est immiscé en marquant son objection et son refus pour ce terme qui pouvait choquer les lecteurs arabes. El (usseini l a mentionné dans une note en bas de page dans son étude : « Le Centre national (égyptien) de la Traduction a estimé que l emploi du mot « zabbāl » dans le titre pourrait choquer les lecteurs en raison de sa fâcheuse connotation et a publié le texte sous le titre de ‫أحا ق م ل ه‬ « Ahlam et la poubelle du Caire » pour atténuer la réalité décrite dans le roman.» 171 2.4 Le titre retraduit La première traduction du roman d Andrée Chédid Le sommeil délivré (1951) est parue en 1990 sous le titre de (‫لغ في‬ ‫ « )ص‬le réveil du somnolent ». Une traduction qui donne un sens tout à fait différent à celui de l original et qui montre de première vue le processus accordé par le traducteur dans son projet littéral tout au long de sa traduction. « Le sommeil » est devenu « Le réveil » dans un contre-sens accepté si nous pensons à l histoire du roman o‘ l héroïne décide de tuer son mari à cause de ses iniquités. La femme soumise s est réveillée enfin et réagit en vue de sa liberté. Cependant, Na īm Atallāh, en croyant signifier, a anéanti la signifiance originale du titre et c est sans doute le résultat d un parcours mené de sa part pour quitter le texte de surface et aller à la découverte du sens du texte dissimulé. Mais, chercher le sens dissimulé a aboutit à une autre conception du texte. Pour cela, la réalisation d une deuxième traduction est faite un an après en le titre de (‫ف‬ ‫ل‬ au Caire sous ‫ « ) ل‬le sommeil tourmenté ». Nous remarquons que la traduction de ce titre soulève un vrai problème puisque le préfacier, lui même, propose une autre traduction ( 170 171 ‫ل ا‬ ‫ « )ن‬le sommeil de la délivrance ». Il écrit : « ‫جم‬ ‫ف) ك ش ء ل‬ El HUSSEINI D., « retour aux sources et recréation de l effet », in Traduire, 2010, p. 151. Op.cit. - 101 Ahmed Khalifa ‫ل‬ ‫(ل‬ ‫ن نأ ن ج‬ ‫)ك ن‬ ‫ل ا‬ ‫أ (ن‬ ‫ «( » أ ي‬An-nawm Al-khā if » comme le traducteur a voulu le traduire ou « Nawm Al-khalā » comme nous voulons nous le traduire). Le titre traduit cette fois est inspiré de la situation centrale du roman quand l héroïne, après avoir tué son mari, attend que la police vienne l emmener au commissariat puis la présenter à la justice pour être condamnée à mort. Dans cette attente, l héroïne plonge dans un sommeil agité et troublé. La deuxième traduction ( ‫ل ا‬ ‫ « )ن‬le sommeil de la délivrance » ressortit à la même situation mais en respectant le titre original et en interprétant le sens sous-jacent du sommeil. Bien qu il soit agité et troublé, il représente « la délivrance » que l héroïne cherchait, pour mettre fin à ses afflictions en espérant trouver le soulagement dans un sommeil désiré et attendu. Parmi toutes les traductions pour ce seul titre, nous préférons celle dont le sens a la même réception que celui du titre original : « Le sommeil de la délivrance » signifie en arabe le sommeil aisé et profond. L essentiel est que les deux traductions ont un rapport avec le texte. Suivant en cela l idéologie dominante de la Titrologie en traduction qui exige qu un titre soit un simple reflet du texte, lié à lui par un accord de transparence172. Quand une œuvre acquiert une reconnaissance sous un certain titre, il est parfois difficile de le modifier et il peut arriver qu une œuvre retraduite porte deux titres. Ce ne fut pas le cas de la deuxième traduction du roman de Robert Solé Le Tarbouche qui fut publiée en Syrie sept ans après la parution de la première traduction : celle du Liban. Nous avons montré dans les pages précédentes que la première traduction avait subi un ajout visant à changer le contrat de lecture et l horizon d attente en mettant l accent sur le problème de l identité. La deuxième traduction parue en Syrie garda simplement le titre sans ajout en respectant la symbolique du titre et en évitant la recréation d un effet hors-thème. 2.5 Le titre en poésie « Dans les cas de recueils, de poésie ou de nouvelles, il existe plusieurs variations aux implications herméneutiques déterminantes. Le glissement ADA M. Vilar de Kerkhoff « Echos et Narcisse : réflexions et réfractions. Du rapport titre-texte sur l espace de la traduction », in Hassan K.J., La part de l étranger, Actes Sud, Sindbad, Arles, 2007, p.112. 172 - 102 Ahmed Khalifa du titre, d une nouvelle vers une autre du même recueil, modifie la hiérarchie des textes et impose un autre parcours de lecture…»173 Traduire un titre en poésie ne répond pas aux mêmes exigences que celles de traduction d un titre d un autre genre littéraire. La plupart des traductions de poésie dans notre corpus portent des titres traduits littéralement pour garder les mêmes images poétiques. Les changements que l on peut noter résident habituellement dans le choix des recueils ou autrement dit, dans la suppression de passages, souvent non justifiée. La poésie traduite des écrivains francophones d origine égyptienne se restreint à celle de George Henein, Mona Latif, Edmond Jabès, Joyce Mansour et Andrée Chédid. Nous analyserons deux traductions de titre qui nous semblent les plus importants. La traduction du recueil Chansons pour le repas de l ogre (1943-1945) est parue en 1996 dans la revue )bdā sous le titre de ( ‫أغ ي‬ ‫ « )ع‬dix chansons ». Le titre traduit exprime le nombre des chansons traduites parmi les cinquante-sept chansons de l original. La question du choix des chansons sera analysée ultérieurement dans une étude consacrée aux traducteurs de la littérature égyptienne d expression française. Mais, nous nous demandons : le traducteur a-t-il choisi ce titre en raison du nombre des chansons traduites ? Ou bien parce que « le repas de l ogre » n a pas d équivalent en arabe ? En effet, la création poétique d Edmond Jabès est furtivement présente dans les traductions arabes malgré sa large réputation en France. Elle ne se retrouve traduite, avec celle d autres écrivains francophones égyptiens, que dans une publication de la revue )bdā consacrée à la francophonie égyptienne en 1. Bachīr El-Sibā ī, son traducteur, confirmait qu il n avait pas l intention première de le traduire : « Je ne pensais pas traduire Jabès, sinon après la lecture d un livre de Daniel Lançon o‘ il se demandait pourquoi malgré d une part sa renommée, et d autre part mon vif intérêt pour la littérature égyptienne d expression française, je ne l avais toujours pas traduit? J ai donc décidé ainsi de me focaliser sur la traduction de seulement quelques poèmes RISTRERUCCI-ROUDINCKY D., )ntroduction à l analyse des œuvres traduites, Armand Colin, Paris, 2008, pp. 37-38. 173 - 103 Ahmed Khalifa 174». De notre point de vue, nous pensons que la question posée par Lançon contient des allusions ou sous-entend des réflexions ethnico-politiques175 ? Le deuxième cas de traduction des titres en poésie est celui du recueil de Mona Latif, Les Chants modernes au bien-aimé (2008), parue sous le titre de ( ‫)اب ا‬ « suppliques » en 2009. Le mot ( ‫ )اب ا‬en arabe désigne aussi les cantiques religieux islamiques. Le titre traduit semble de première vue loin de l original mais le Skopos (la fonction du titre traduit) est presque équivalent à celui du titre original. « Les chants au bien-aimé » a une dimension aussi religieuse si l on prend en considération que « le bien-aimé » fait allusion à l être au-delà et « les chants » fait référence à la place de l invocation dans la religion. L effet créé par le titre original est donc reproduit de la même façon en arabe mais avec une adaptation à la culture réceptrice sans aucun risque de changement du contrat de lecture. Entretien avec Bichīr El-Sibā ī autour des traductions arabes de la littérature égyptienne d expression française, le / / , dans l Atelier des écrivains, le Caire 174 Edmond Jabès a été amené à quitter l Égypte en 1 lors de la crise du canal de Suez, en raison de ses origines juives. Il a écrit « Nasser s en prend aux juifs, je n ai plus rien à faire dans ce pays, dans mon pays ». Cette expérience douloureuse du déracinement devient fondamentale pour son œuvre, marquée par une méditation personnelle sur l'exil, le silence de Dieu et l identité juive, qu il dit n avoir découvert qu à l occasion de son départ forcé. )l s installe alors à Paris, o‘ il demeure jusqu à sa mort. Donc, l identité juive a empêché les traducteurs et surtout en Égypte de le traduire à cause de l orientation égyptienne vers le nationalisme arabe. Une interdiction demeure tout au long du conflit arabo-israélien. 175 - 104 Ahmed Khalifa 3 Les préfaces des traductions Dans l analyse de la réception des œuvres traduites les préfaces occupent, de notre point de vue, un rôle très important étant donné qu elles sont le témoignage d une première réception, celle du préfacier. Jusque là, l étude des préfaces a été effectuée par les critiques dans le domaine général de la littérature mais ici dans cette étude, l enjeu va résider dans l analyse des préfaces de l une des variantes des œuvres littéraires, celle de « la traduction ». Les préfaces ne sont pas obligatoires, cela ne nous interdit pas de les étudier. Lorsqu elles sont présentes, on est en droit de s interroger : De quoi sont-elles faites ? Quel statut pouvons-nous accorder à cette pièce ajoutée au texte [la préface] et se référant à lui ? Et plus précisément, quelles sont les particularités des préfaces de la traduction ? Pour répondre à ces questions, il nous fallait revenir aux théories des critiques qui, chacun selon sa méthode, en a défini les paramètres essentiels (lieu, moment, but, destinataire, mode énonciatif, etc.). Définir le lieu, le temps et, surtout l identité du préfacier, nous aidera à comprendre comment les éléments de la préface s organisent pour construire un dialogue original. Il existe plusieurs études concernant la signification et le fonctionnement des préfaces par rapport au texte qu elles introduisent. )l s agit de chercher les modalités langagières, critiques ou historiques de ce rapport. Ces études visent à poser le problème de la fonction des préfaces. Mais avant d expliquer notre méthode d analyse des préfaces, nous exposons d abord ces théories autour de la fonction des préfaces dans la réception des œuvres littéraires pour que le lecteur puisse avoir une idée de ce sujet. Avant cette présentation théorique, nous allons défendre ici une opinion basée sur les principes suivants :  Une préface est un espace de dialogue dont la fonction essentielle est de construire le meilleur système communicationnel entre le texte et son lecteur.  Ce système communicationnel comprend, dans un sens plus large, une interaction entre les différentes instances du texte préfaciel. - 105 Ahmed Khalifa  Reconnaître ces instances est le but pour lequel ont été construites les théories sur l analyse des préfaces.  Cette analyse des préfaces est bien menée si elle est appuyée par une méthode thématique et descriptive. Nous résumons dans les pages suivantes la façon dont cette fonction des préfaces a été perçue par certains critiques dans leurs théories littéraires. Nous nous baserons sur trois approches fortement diverses : « Hors-livre176» de Jacques Derrida, « Trois chapitres connexes177 » dans Seuils, de Gérard Genette, et « préfaces et postfaces178» de Danielle Ristrerucci-Roudincky. Cette dernière approche s intéresse spécialement aux enjeux des préfaces en traduction. La préface chez Derrida est à la fois nécessaire et inutile : « transitoire et indépassable ». Le problème central qu il pose dans son analyse, bien qu elle concerne le texte littéraire, est la question de l appartenance ou de la non-appartenance de la préface à l œuvre. Sous un autre aspect, il veut examiner les préfaces en termes d intériorité ou d extériorité par rapport au texte : c'est-à-dire sémantiques, narratives, diégétiques ou autres. Il donne enfin une grande importance à une idée spécifique : toute préface est en vérité une postface, toujours rédigée après-coup. Chez Genette, après avoir répertorié avec méthode les différents éléments du « hors-texte » et insister sur ce terme de « hors-texte », qu il différencie de celui de « hors-livre » de Derrida , la préface se trouve classée parmi les éléments du péritexte avec les autres éléments qui entourent le texte : le titre, le nom de l auteur sur la couverture, la prière d insérer, les épîtres, les éventuelles dédicaces, les extraits toujours élogieux d articles critiques placés par l éditeur en guise de publicité. Par contre, l épitexte – ce qui correspond à la notion de « hors-livre » – est tout ce qui se rapporte au texte : les entretiens sur l œuvre, la correspondance, le journal intime, voire les carnets de travail et autres brouillons de l écrivain. Genette fait une différence entre trois genres de préfaces : la préface originale qui apparaît avec l œuvre , la préface ultérieure occasionnée par la réédition de l œuvre et la préface tardive composée souvent pour une édition d œuvres complètes ou choisies . Mais la préface, qu elle soit originale, Derrida J., La dissémination, Editions du Seuil, Paris, 1972. « L instance préfacielles », « Les fonctions de la préface originale » et « Autres préfaces, autres fonctions », in Genette G., Seuils, Editions du Seuil, Paris, 1987. 178 Ristrerucci-Roudincky D., )ntroduction à l analyse des œuvres traduites, Armand Colin, Paris, 2008. 176 177 - 106 Ahmed Khalifa ultérieure ou tardive, répond à des besoins différents précisés par Genette dans l étude des fonctions. Ces besoins comportent des qualités auctoriale179, actoriale180 ou allographe181 authentique182, apocryphe183 ou fictive184 - assomptive185 ou dénégative186. Ce dernier classement prend en compte les différents types de destinataires, c'est-à-dire les préfaciers. En définitive, ces classements sont basés sur deux thèmes : « pourquoi » et « comment ». Le thème du « pourquoi » a pour but de valoriser le sujet de l œuvre o‘ le préfacier souligne l importance de l œuvre ou sa nouveauté ; il insiste sur son unicité ou sa véridicité. Au cas o‘ le préfacier est l auteur de l œuvre, la préface peut-être considérée comme une sorte d autocritique préventive. Le thème du « comment » est souvent lié à des informations qui assurent la bonne lecture. Nous remarquons aussi que les liens entre les classements sont très étroits puisque la pensée genettienne de tradition structuraliste se construit toujours sur des oppositions binaires : préfaces sérieuse/fictionnelle, assomptive/dénégative, auctoriale/allographe ou plus généralement péritexte/épitexte. Parmi ces oppositions nous préférons celle de (auctoriale/allographe) qui porte sur l identité du préfacier parce qu elle nous paraît la plus adéquate dans le cas des préfaces des œuvres traduites ; parce que la relation de la préface à son œuvre , qu elle soit d influence, de parodie, de commentaire ou d autre, porte plutôt l accent sur l identité textuelle. Genette termine enfin son analyse en s efforçant de répondre à la question : Comment une préface parvient-elle à capter l attention du lecteur ? Ristrerucci-Roudincky qui centre son étude sur les préfaces en traduction reprend les oppositions genettiennes pour y ajouter la particularité propre à celles des traducteurs. En général, les préfaces des œuvres traduites ont pour but essentiel de préparer le lecteur étranger à un univers éloigné du sien, de lui donner des La préface rédigée par l auteur même du texte qui suit. La préface rédigée au besoin fictivement par l un des personnages de l action. 181 La préface rédigée par une autre personne que l auteur. 182 La préface attribuée à une personne réelle. 183 La préface qui a plusieurs indices, notamment paratextuels, qui viennent faire douter de la réalité. 184 La préface attribuée à une personne fictive. 185 La préface est assomptive lorsque son auteur assume sa paternité, 186 La préface est dénégative lorsque son auteur, à tort ou à raison, avec ou sans l espoir d être vraiment cru, nie cette paternité. 179 180 - 107 Ahmed Khalifa éclaircissements, des informations ou des commentaires linguistiques, littéraires et culturels. Préfacer une œuvre traduite est souvent fait pour éviter des malentendus, corriger des perspectives ou fournir des repères187. Mais une problématique se pose : pourquoi Ristrerucci-Roudincky a-t-elle ajouté cette variante des « préfaces des traducteurs » ? Puisque le traducteur est avant tout l autrui qui préface l œuvre et donc, toute préface du traducteur pourrait être considérée comme une préface allographe. A contrario, ce traducteur qui préface l œuvre traduite ne pourrait-il pas être considéré aussi comme une personne qui préface son propre travail ? De ce point de vue, pouvons- nous dire que sa préface porte une qualité (auctoriale) ? Or, chaque préface de traducteur est une préface allographe/auctoriale. C est donc un cas spécial des préfaces en traduction : le traducteur préfacier est celui qui présente un travail qui n est pas le sien mais qui lui appartient ! D ordinaire, le péritexte préfaces, postfaces, avertissement, ou notes préliminaires de l éditeur ou du traducteur joue un rôle de médiation linguistique et interculturelle. Mais dans le contexte de notre étude qui concerne les écrivains francophones égyptiens, cette médiation prend une autre perspective : la fonction n est plus d introduire le destinataire étranger dans à une culture différente. Au contraire, il s agit d un « retour » assuré d une culture que partagent tous les agissants du texte traduit : auteur, traducteur, éditeur et lecteur. Notre analyse dépendra en effet sur une typologie qui prend en compte un critère fondamental : le rapport culturel du préfacier à l œuvre traduite ou autrement dit : l identité du préfacier auteur, traducteur ou critique). Ce rapport culturel du préfacier est divisé selon trois grandes catégories : les préfaces auctoriales, les préfaces allographes et les préfaces des traducteurs. Cette typologie nous permettra de savoir o‘ s était orientée la lecture des préfaces concernant leurs fonctions et leurs enjeux dans le champ culturel. L intérêt de la typologie précédente permet donc d orienter la lecture des préfaces vers leur enjeu et leur fonction dans le champ interculturel. A ce, s ajoutent des 187 RISTRERUCCI-ROUDINCKY D., op. cit., p. 48. - 108 Ahmed Khalifa thématiques dominantes – la traduction et les distorsions188 culturelles – qui concernent directement notre propos. Le graphique suivant montrera le pourcentage des préfaces par rapport aux identités des préfaciers. Presque la moitié des préfaces est faite par les traducteurs, c est-à-dire qu ils ont pris en charge d assumer et d assurer l intégration de leur travail de traduction dans la culture cible. Alors que les préfaces allographes, qui partage à peu près le même pourcentage avec les préfaces des traducteurs, donne un effet de valeur à la traduction, voire même un effet de prestige comme nous le montrerons dans les pages suivantes. La présence rare des préfaces auctoriales prouve ce que nous avons déjà dit auparavant : les écrivains francophones égyptiens étaient presque dans une relation quasi coupée avec leur culture d origine et ne s intéressaient pas à apparaître dans le champ littéraire égyptien. Préfaces189 Allographes (éditeurs- critiques) Œuvres originales Auctoriales (auteurs) % % Œuvres traduites Préfaces de traducteurs 46% Une dernière question s est posée par de nombreux critiques : Ya-t-il vraiment une différence entre les termes suivants : préface, avant propos, prologue, introduction, etc. ? La même question pourrait se poser dans la culture arabe à propos de la différence Nous désignons ici l état de la présentation des œuvres traduites dans le monde arabe, ce que nous exposerons ultérieurement. 189 Nous tenons à signaler que dans ce graphique, nous n avons pris en compte que les œuvres traduites parues sous la forme d un livre sans contenir les petites traductions parues dans les revues et les journaux littéraires. Par contre les numéros de quelques revues qui sont entièrement consacrées à la littérature égyptienne d expression française comme )bdā ou Al-Kitāba Al-Ukhrā sont prises en compte. D ailleurs ce graphique concerne le nombre de préfaces et non pas le nombre de livres, c'est-à-dire que notre corpus contient livres préfacés, mais il contient préfaces parce qu il y a des traductions qui contiennent deux ou, parfois trois préfaces. Donc, c est un graphique qui est fait à partir du nombre des préfaces. 188 - 109 Ahmed Khalifa entre (‫ لخ‬، ‫ي‬ ‫ت‬، ‫ت‬،‫م خل‬،‫ت يم‬، ‫ س ا‬، ‫ت ي‬، ‫ )م م‬Ces appellations ne nous informent pas précisément le contenu du texte, mais elles soulignent le rapport de la préface avec l œuvre. Un cas particulier nous intéressera : c est l absence de tout titrage ou dénomination. C est un cas rare mais qu illustrent notamment deux textes dans notre corpus. C est donc l usage seul, qui fait qu'un texte soit qualifié d'être préface. 3.1 Les préfaces auctoriales Dans la tradition des préfaces des œuvres traduites, il n est pas fréquent que l auteur d une œuvre s adresse à un lecteur étranger mais le cas mérite d être signalé. En général, un auteur du pays récepteur est souvent convoqué comme préfacier lorsque l œuvre étrangère oppose des résistances particulières à la réception culturelle. Cependant, dans notre étude, le contexte change puisque l auteur qui préface son œuvre ne s adresse pas aux lecteurs étrangers mais à ses compatriotes et par conséquence, l œuvre francophone traduite vers l arabe ne devrait pas subir les mêmes problèmes socioculturels. Dans ce sens, la fonction de la préface prendrait une autre dimension, il ne s agit plus de préparer le lecteur arabe à un univers éloigné, o‘ de lui donner des éclaircissements ; mais il s agit simplement de lui présenter une œuvre irradiée de sa culture. Pour mener une étude [transparente] des préfaces auctoriales, il fallait nous éloigner des débats polémiques autour du contexte existentiel de l identité du préfacier qui réside dans le fait que chaque auteur-préfacier n est autre que le traducteur qui traduit une préface déjà écrite en langue étrangère. Nulle préface auctoriale dans notre corpus n a été écrite directement en arabe, et dans ce sens, ne rejoint-elle pas le corps du texte traduit ? Les quatre préfaces auctoriales que contient notre corpus sont réparties entre deux écrivaines égyptiennes d expression française qui se sont intéressées au rapatriement de leurs œuvres littéraires : Andrée Chédid et Fawzia Assaad. Mais chaque écrivaine possédait sa propre technique, son propre thème, ses propres buts et plus particulièrement, sa vision personnelle de l instance préfacielle. Et nous en tirerons les idées principales. - 110 Ahmed Khalifa Les deux préfaces auctoriales d Andrée Chédid pour L étroite peau [trad.1984190] et Le sommeil délivré [trad.1990191] soulignent la première présentation d une littérature francophone au lecteur arabe par son propre auteur, surtout quand cet auteur fait partie de la première génération qui a choisi de rompre avec son pays natal. Deux préfaces (chacune ne dépasse pas une page) désignent une certaine importance à la réception dans le monde arabe dont l une porte un titre très identifiant : « ‫ل بي‬ ‫يق ل‬ ‫ل‬ ‫ل ل ت‬ ‫» ل‬. Chédid a insisté dans ses deux préfaces sur le fait que le monde arabe n a jamais été absent dans ses écritures et que le lecteur arabe aurait du être le premier récepteur de ses ouvrages ! Mais ces deux succinctes préfaces n étayent pas beaucoup de thèmes à discuter et nous en soulignons le thème dominant qui concerne « l éloge » : ، ‫ل‬ ‫(ص و‬ ‫ب‬ ‫ع ل‬ ‫ أعي‬، ‫ ن ت ل ع لغ‬، ‫ع‬ ‫ب ع في ل ج‬ ‫ل م أ تيه ن يم ع ه من ث في ل‬ ‫ه هي ي ي أ ل ل ي ص‬ ‫ ب‬، ‫ل في ح ع بي‬ ‫ت‬ 192 .)‫الغ في‬ Voici mon premier roman publié en 1952, transféré à plusieurs langues et réédité maintes fois. Il voit la lumière dans son costume arabe grâce à la solidité du propos et l'habileté de la traduction que lui a conférés Naïm Attallah. Nous observons que Chédid y fait l éloge d une traduction écrite dans une langue qu elle ne maîtrise pas mais c est plutôt l influence de l éditeur ou du traducteur qui s est introduit pour donner une valeur marchande à l œuvre qui, à la base, n est qu une marchandise). Mais ce qui nous intéresse dans ce thème est que Chédid est consciente de l importance de la réception de ses écritures. Elle s adresse au lecteur arabe : ‫ل لم ل بي م تغيب أب عن ك ي‬ ‫أ‬. ‫ل‬ ‫ه‬ ‫ع‬ ‫ني أ أت جه ليك لي‬ ‫ ي‬،‫ي يب لي‬ ‫ل ب (ال‬ ‫من‬ ‫ س‬، ‫ب غ آب ء أج‬ ‫من ي ك ب ته م‬ ‫ء لك؟ ن أ ا س‬ ‫ف هي م ع‬ 194 .)‫لغ في‬ ‫ت ق أم ي غ لي ع يه (ص‬ Il me fait du bien et me plaît de m'adresser à vous aujourd'hui sur ces pages, car le monde arabe ne s'est jamais absenté de mes livres précédents. 193 .)‫يق‬ ‫ال‬ CHEDID A., L étroite peau, Al Jild Al Mus a īq, trad. de Na īm Butān”s, Dar Al Arab, éd. bilingue, Paris, 1984. 191 CHEDID A., An Nawm Al Khā if, trad. de ādiq Sulaymān, Dar Al (ilāl, le Caire, . 192 CHEDID A., a wat Al-Ghāfī, trad. de Naïm Atallah, Dar Al-ARAB, Paris, 1990, p. 3. 193 CHEDID A., L étroite peau, Al Jild Al Mus a īq, op.cit., p. 4. 194 CHEDID A., a wat Al-Ghāfī, op.cit., p. 3. 190 - 111 Ahmed Khalifa Alors, quels sont mes sentiments à cet égard? C'est d'abord le bonheur de celui qui voit ses écrits publiés en langue des parents et des grands-parents, le bonheur de celui qui voit un vœu qui lui est cher se réaliser. Ainsi, la présentation de l œuvre littéraire n occupe pas une grande place dans ces deux préfaces sauf une seule présentation dans une ligne de l idéologie de l écrivaine concernant « l existence humaine » : ‫ي‬ ‫ل‬ ‫ت ف‬ ‫ أي‬، ‫ ك هي ح ل ج ي‬،‫ته‬ ‫يهن‬ .)‫يق‬ ‫في‬ 195 ‫ال‬ ‫ كل ن‬،‫ه أق صيص‬ ، ‫ت‬ ‫ك ئ م ك م م ت ت ل س (ال‬ Vous voyez, tout au long de ces historiettes, chacun suit chemin vers son essence, comme c'est notre condition à tous, où que nous jette le destin et quelle que soit notre place sous le soleil. Il reste à signaler que la traduction de L étroite peau [trad.1984] est parue en édition bilingue. Ce qui a poussé l éditeur à recourir à un préfacier français, il s agit de Françoise Courtot qui écrit : « Avec cette édition bilingue de l Etroite Peau d Andrée Chédid, la Maison d Edition DAR AL ARAB à Paris caresse une telle ambition. Elle se propose d abolir « le mur des langues » sur la voie de la communication entre les cultures. »196 Soulignons ce point de discussion, une préface discutant un thème d interculturalité ou plus précisément selon l expression du préfacier « la communication entre les cultures ». Ici, est clairement vu comment Chédid est reçue en France ou plutôt comment elle est considérée d une appartenance à la culture française. Et nous nous demandons dans quel cadre d échange culturel Françoise Courtot a-t-elle abordé l œuvre romanesque d Andrée Chédid ? Autrement dit, est-ce que vraiment l œuvre romanesque d Andrée Chédid avait-elle besoin d une nouvelle inscription dans sa culture source ? Autrement, les deux préfaces de Fawzia Assaad investissent l actualité comme thème dominant. Faisant partie de la deuxième génération, elle a montré un rapport décomplexé avec l Égypte . En cela, le thème de l actualité constitue un grand pilier dans le développement du contexte de recul du « nationalisme littéraire » chez les écrivains de cette deuxième génération. Fawzia Assaad a mentionné par exemple dans sa préface le problème de l excision de la femme en Égypte : 195 196 CHEDID A., L étroite peau, Al Jild Al Mus a īq, op.cit., p. 4. Ibid., p. 5. - 112 Ahmed Khalifa ‫صي غ ق ن ع‬ ‫ أع‬، ‫ ف س ي ت ل م‬، ‫ل ن‬ ‫ل س أع ل ل أم م ه‬ ‫ ت‬،‫ه ل ح‬ ‫ع ل لم ب ك ه ه‬ ‫ح ش ع أش عت ج ئ‬ ‫ لم أف أن ي‬: ‫أس ت في‬ ‫ل‬ ‫هي ل ت بي ب‬ 197.) ‫ال ه‬ ‫من ع ه ن ي‬ ‫ت فيت ب ت في ل ل ع‬ ‫ أض فت ليه ع ب ل ن ي‬، 1 ‫ب ل‬ ‫ل يع ج‬ ‫ ص‬، ‫ل‬ ‫ ت‬، ‫تي‬ ‫ ص حت ج ي ني ي‬، ‫ل‬ ‫ (أحا ق م‬. ‫ك ت س عيش أش ه لي‬ Une fille de 13 ans est décédée des suites d'une excision; du coup, le gouvernement s'est réveillé et il a reformulé la loi de 1996 en ajoutant des sanctions à ceux qui pratiquent cette chirurgie. Le Conseil supérieur de l'enfance et de la maternité a pris ce conflit en charge, le Mufti Alī Gum a a déclaré que la circoncision est interdite par la loi religieuse et les journaux et les radios du monde entier ont répandu cette opinion révolutionnaire. Le New York Times, et par la suite le Herald Tribune, ont publié une déclaration de Marie Assaad où elle dit : "Je ne pensais pas que je vivrais jusqu'à voir ce jour." Cette actualité fonctionne tout au long de la préface. De ce point de vue, l écrivaine s est réinvestie dans la société égyptienne à travers l interaction de ses causes et ses problèmes : ‫ألم في‬ ‫س‬، ‫ فا أح ي‬، ‫ تل ت م‬. ‫م‬ ‫ج ه في ت‬ ‫ ق ي أ م‬، ‫س ء ك ل أ أ جا‬ ‫م ي ت يش في ل‬ ‫أص ت م‬ ‫ن ح كل م‬ ‫ أش ب ل‬، ‫ج‬ .198) ‫ (م ي‬. ‫ع ل ل بي لي ي ع ي‬ Je suis devenue une simple Egyptienne vivant à l'étranger et dont les racines sont plantées dans le sol égyptien. Si l'Égypte souffre, la douleur se répand dans mes racines. Je ressens le succès quand un Égyptien réussit, que ce soit un homme ou une femme, un chrétien ou un musulman. Personne n'ose nous séparer pour nous dominer. Dans un style narratif, les préfaces de Fawzia Assaad s approchent plutôt d un contexte épitextuel où le lecteur se trouve confronté à des problèmes entre auteur/éditeur concernant l identification littéraire, scientifique, anthropologique ou historique) non seulement de l œuvre originale mais aussi de l œuvre traduite199 : ‫؟ ج ل ش‬ ‫ج عي أ ن ب ل جي أ ت ي ي أ م ي بل ع‬ ‫ه ل ل ي أ ب‬ ‫هل ي‬ ‫ ا ج أ ت كيب‬. ‫ بل ع ه أي‬، ‫ك ه اخ ي ي ت ي‬ ‫ل ن ي ع ا أ بي ل ه ي‬ 200 . ) ‫ (أحا ق م ال ه‬. ‫ق‬ ‫ في ح ل قع م‬،‫ي ل قع‬ ‫ي‬ ‫ل‬ ASSAAD F., A lām wa qimāmat Al Qāhira, trad. de Dīma Al (usīnī, CNT, Le Caire, , p. 1. ASSAAD F., Mi riyya, trad. d Ahmed Othmān, Dar Al (ilāl, Le Caire, , p. . 199 Nous remarquons que l œuvre traduite a gardé la même classification que l œuvre originale concernant son genre littéraire. 200 ASSAAD F. A lām wa qimāmat Al Qāhira, op.cit., p. 5. 197 198 - 113 Ahmed Khalifa Cette œuvre est-elle considérée comme un roman, une étude sociologique, anthropologique, historique ou un mélange [de tout cela] ? L'éditeur français l'a qualifiée d'œuvre littéraire et il l'a appelée roman même si ce choix semble arbitraire, voire même le contraire. Sans doute l'assemblage des mots déforme la vision de la réalité, de sorte qu'elle devient une simple histoire. Fawzia Assaad a entrepris une démarche inhabituelle en exposant à ces lecteurs la question du choix de l éditeur en signalant son refus d être publiée par un éditeur de confession juive comme Calmann-Lévy en raison de sa politique éditoriale sélective: ‫لي ي ح ا أك م ي في‬ ‫مل كل‬ ‫ش ي أا أت ق مع ن ش ي‬ ) ‫ ه ك ات (م ي‬، ‫ي‬ ‫ع ح ي ي ب لم أ ب‬ ‫أ سط ف‬ ‫ل‬ ‫في ل‬ ‫فت ع‬ ‫ل‬ ‫ت ي ع ي‬ 201. J'ai approuvé ce projet à condition de ne pas signer avec un éditeur juif comme Calmann Lévy pour ne pas être limitée dans mon expression de ce qui se déroule au Moyen- Orient, et pouvoir raconter en toute liberté, avec douleur ou ironie. Ainsi l'accord était-il. En conclusion, il reste à indiquer un point : il semblerait que la préface auctoriale de F. Assaad représente un cas particulier puisqu elle est la seule préface à fournir des éléments biographiques et même bibliographiques écrite par l écrivaine elle-même. De plus, elle s est permis de sous-entendre qu elle est l une des meilleurs représentants de la culture arabe et égyptienne en occident: ‫ل‬ ‫يين‬ ‫م لم ل ك ء‬ ‫ل‬ ‫ج‬ ‫م‬ ‫ع‬ ‫ل يه ص‬ ‫ تغي‬، ‫ك ت ك ت ثت ل ش ص أ م ع أش‬ ‫ لن ت‬.‫ن م ي‬ ‫ ع‬:‫ل ن ه ق ئا‬ ‫ ك ني به ي‬، ‫ع م‬ .202) ‫(م ي‬ Chaque fois je parlais à une ou plusieurs personnes, l'image de l'Égypte, des Égyptiens et des Arabes en général changeait, comme si la personne devant moi se disait: tiens! C est une Egyptienne mais elle a l air intelligente . La présence des préfaces auctoriales dans notre corpus indique, en général, que l auteur est intéressé par la publication de ses ouvrages dans sa culture cible. Parmi les écrivains que contient notre corpus nous remarquons qu il n y a que deux qui ont pris la décision d introduire leurs œuvres dans le monde arabe. Si nous effectuons une comparaison entre les deux écrivaines précédentes, nous remarquons que Chédid n était 201 202 ASSAAD F., Mi riyya, op.cit., p. 7. Ibid., p. 5. - 114 Ahmed Khalifa pas si assidue comme l était Assaad ; en effet, Chédid n a présenté que les ouvrages publiés en France et, c est peut-être parce qu elle était de rupture quasi complète avec le champ littéraire égyptien. Alors qu Assaad s efforçait à garder un rapport dynamique avec son pays. 3.2 Les préfaces allographes « Les préfaces allographes constituent le corpus le plus vaste des préfaces aux œuvres étrangères. Les grands auteurs du répertoire universel sont en général préfacés par les spécialistes du pays récepteur. C est pourquoi souvent, la préface fait office d état des lieux de la critique réceptrice et sert de jalon à l histoire des traductions littéraires : lieu d informations linguistiques et culturelles. »203 De quoi parle-t-on dans une préface allographe d une œuvre traduite ? S agit-il de donner des éléments biographiques et bibliographiques sur l auteur ou sur le traducteur, ou sur les deux ? Le préfacier allographe, doit-il nous livrer son impression personnelle sur l œuvre ? Faut-il qu il soit écrivain célèbre ou éditeur entreprenant ? Qui introduit qui pour qui ? Comment et pourquoi ? Tant de questions survenues lors de notre analyse des préfaces allographes. Représentant 42% de la totalité des préfaces dans notre corpus, les préfaces allographes discutent souvent la problématique de l identité de la littérature francophone égyptienne, de sa multi-appartenance et de son interculturalité. Aussi nous intéresserons-nous à un phénomène assez particulier : c est l absence de toute signature à la fin de la préface, ce que nous nous permettrons d appeler « les préfaces allographesanonymes ». Définir l identité culturelle d un écrivain francophone restera, de notre point de vue, à jamais le sujet de débats fiévreux entre les intéressés par ce phénomène. Egyptien, Français ou ni l un ni l autre, l Egyptien francophone, écrivant en français, a choisi de se mettre dans une position de neutralité entre deux cultures que chacune essaye, de temps en temps, de l attirer, de le connaître et de le reconnaître, mais aussi, très bizarrement, de le méconnaître et de le prendre pour un traître ! La réception de ces 203 RISTRERUCCI-ROUDINCKY D., op. cit., p. 51. - 115 Ahmed Khalifa écrivains francophones égyptiens dépend en tous cas de leur perception par leur présentateur dans le monde arabe. Que ces présentateurs soient positifs (éditeurs, traducteurs, préfaciers allographes connus ou inconnus) ou négatifs (critiques nationalistes souvent publiés dans des éléments d épitexte204), ils se préoccupent à définir l identité de l écrivain francophone lui-même et non pas sa création littéraire. Peu de critiques ont pu dresser un regard plus profond en traitant la question du point de vue objectif, celui qui permettrait de laisser l œuvre littéraire parler de son auteur. Dans ce cas, nous pourrons admettre l égyptianité à un écrivain francophone, le cadrer dans l universel ou le reconnaître en tant qu enfant légitime d un métissage culturelle. Ce qui est sûr, c est que nous ne pouvons pas mettre tous les auteurs égyptiens d expression française dans le même jalon. Le numéro spécial de la revue )bdā a été préfacé par A mad abd El Mu tī ijāzī, dans lequel il pose la question dominante de presque toutes les préfaces allographes : littérature égyptienne en français ou bien littérature française en Égypte ? Une question occupant le titre de la préface montre à quel point l identité est une problématique première de cette littérature. Mais ijāzī a considéré les Egyptiens francophones et les Français vivant en Égypte comme formant une seule catégorie. Il a essayé de répondre à cette question en reliant la création littéraire soit avec son environnement social et culturel d origine, soit avec sa langue d expression. Dans une comparaison entre poésie et prose, il a affirmé que le problème de l identité de la littérature francophone égyptienne réside dans son « propre langage interne ! ». De son point de vue, nous ne pouvons pas assimiler « le langage » d un poème de Jabès avec celui d un roman de Cossery qui s inspire du populaire. )l écrit : ‫ه‬ ‫ه‬ ‫ب ل غ ل ن ي ؟ هل ن‬ ‫ع ؟أ ن‬ ‫ليع‬ ‫في م‬ ‫أج نب ل ي‬ ‫ي‬ ‫ل‬ ‫أ بي ل ي ك‬ ‫أين ن ع أع‬ ‫ف أف‬ ‫ل‬ ‫في‬ ‫ي ب م لي لي‬ ‫ج ء من ل ف ل‬ 205 ‫ج ء من ل ف ل ن ي ب م ل غ ل ي ك ت ب ه أع ؟‬ O‘ placer les œuvres littéraires écrites en français par les Égyptiens ou les étrangers résidant en Égypte? Les considère-t-on comme une partie de la culture égyptienne en vertu du milieu où elles ont apparu et des sentiments et des idées qu'elles ont exprimé, ou bien les considère-t-on comme une partie de la culture française du fait de la langue dans laquelle elles sont écrites? 204 205 Nous étudierons les éléments épitextuels dans la chapitre suivante (ijāzī, « Adab mi rī bil firinsiyya ? am adab firinsī fī mi r », )bdā , N° 12, Le Caire, 1996, p. 4. - 116 Ahmed Khalifa Mais, qu elle soit égyptienne ou française, la littérature francophone, ijāzī signale, doit sa reconnaissance dans le champ littéraire égyptien à un certain nombre de chercheurs, critiques, traducteurs et historiens comme Rajā Yāq”t et Bachīr As Sibā ī. Par contre, les études concernant cette littérature ne sont pas toujours assez suffisantes pour répondre à la question : ‫من‬ ‫في‬ ‫ل أس‬ ‫ي‬ ‫أج نب ل ي‬ ‫ غي أ ه ح م ن‬. ‫ه م ي‬ ‫ل ن ني في م‬ ‫ي بأ ن‬ ‫أ بي ل ي ك ه اء ل‬ ‫ ا ي ع ق ء أع‬، ‫ل ه‬ ‫خ‬ 206 .‫ه‬ ‫س ن ي ت ف عن ع ص ه ت م‬ ‫س‬ ‫بلغ ل ن ي‬ ‫م‬ ‫ي‬ Il est difficile de considérer la francophonie en Égypte comme un phénomène égyptien. Pourtant, c'est un jugement théorique qui se base sur des raisons hors du phénomène, et qui ne repose ni sur la lecture des œuvres littéraires écrites par ces Egyptiens et ces étrangers résidant en Égypte, ni sur une étude critique qui révèle les éléments de ces œuvres et en détermine les sources. Ainsi, ijāzī, rédacteur en chef de la revue et préfacier allographe de nature critique , s est-il senti obligé d expliquer pourquoi présenter cette littérature à ce moment précis. Comme nous voyons dans la citation précédente, il affirme qu il est difficile de considérer la littérature francophone en Égypte comme un phénomène égyptien. Ne sous-entend-il pas à son lecteur qu il vaut mieux la considérer comme un phénomène français ? )l s agit ici, non seulement d un préfacier allographe critique mais aussi d un « Lecteur guide » qui nous livre sa réception et qui nous déclare que la traduction de cette littérature n est qu une incarnation du besoin de la restauration des relations culturelles de l Égypte avec la France ! Pour lui, ces relations sont plus présentes dans la littérature arabe que dans la littérature francophone : ‫ه‬ ‫ب ف‬ ‫ل ل ل في ل‬ ‫لي ت‬ ‫ب‬ ‫ل ص ب ل حي ي‬ ‫ف عاق ت ل في ب ن‬ ‫في ل ب ب غ ل مي ك‬ ‫بل ن ي ب م ت‬ 207 . ‫تي‬ ‫ح ين هي ل م‬ ‫يم م‬ ‫ن‬ ‫ي ن بع من ش‬ ‫ف ح ل ب ل ن ني ل‬ ‫ من ح ج اس‬، ‫ت ي ته أس سي ل عي‬ ‫في ل ب‬ ‫ل ب ت ع ل ا ل لم ي‬ ‫ن في أع أح ش قي ه ح ين ت فيق ل‬ Célébrer la francophonie égyptienne provient de notre responsabilité envers le travail culturel égyptien sous tous ses aspects et toutes ses manifestations principales et secondaires, de notre besoin de rétablir nos relations culturelles avec la France et de les ramener à leur vitalité précédente et à l'interaction créative qui ne s'est pas tant incarnée dans l'écriture en 206 207 Ibid., p. 5. Ibid., p. 6. - 117 Ahmed Khalifa français que dans l'écriture en notre langue nationale, comme nous voyons dans les œuvres d'Ahmed Shawqi, Taha (ussein, Tawfiq al (akim, Mohammed Hussein Haykal et Mahmoud Taymour. Donc, appartenir aux deux cultures en même temps semble difficile pour quelques préfaciers allographes qui sont souvent des écrivains et critiques du pays récepteur de la traduction. L idée d une interculturalité ou plutôt d un métissage légitime et reconnu sur la carte intellectuelle égyptienne n occupe que deux préfaces allographes dans notre corpus, il s agit de la préface rédigée par Mu afā Māhir pour la traduction de Zannouba [trad. 2000208]. Ce dernier a considéré que la littérature francophone égyptien n est qu un cas de métissage culturel et que sa transmission vers la langue arabe n est qu une métamorphose d une interculturalité déjà existante dans sa version originale. C est-à-dire que le lecteur arabophone se trouvera devant un texte métisse comme l était déjà le lecteur francophone : ‫ب ل خل ل في‬ ‫ل في ل ي ت ل في ي‬ ‫ل ك ل‬ ‫ل ج ه أن ن‬ .209) ‫ ( نوب‬... ‫أهم م ت مه ل ه‬ ‫ل في ل‬ ‫بين ل ي‬ Le plus important que nous offre cette traduction, c'est qu'elle est un modèle de ce cycle culturel représenté par ce qui est appelé l'interférence culturelle entre les différents environnements culturels. La deuxième préface allographe acceptant la multiplicité culturelle est celle de Gamāl ammād pour Les chants modernes au bien aimé [trad.2009210]. Pour ce préfacier, écrivain et poète, il n y a presque aucun problème d identité chez les écrivains francophones, ils sont des Egyptiens et le phénomène pour lui ne dépasse pas la notion d une création littéraire de l « élite polyglotte ». Or, cette élite ne contient pas seulement les écrivains francophones mais aussi leurs traducteurs qui ne manquent pas, eux aussi, de multiplicité culturelle. Est-ce peut-être parce que les deux traducteurs du recueil de Mona Latif sont deux académiques : Oussama Nabil et Mahā Al Sigīnī. )l écrit : ، ‫ ه ع شق س ه آخ س من ن خ‬،‫أس م ن يل‬ ‫إب أتت ت ج أ يب ل ك‬ ‫في‬ ‫ ل ل ه ل ج ت ج م ع أح سيس لغ ي ن ب‬. ‫ ف ن ي‬/ ‫ ع بي‬: ‫ي ق من خا ث ف م ج‬ OUT EL KOULOUB, Zann”ba, trad. de Dis”qī Sa īd, Dar Al (ilāl, le Caire, , Ibid., p. 6. 210 Latif-Ghattas M., )btihālāt, trad. de Oussama Nabil et Mahā Al Sigīnī, Dar ur”f, Le Caire, 208 209 - 118 Ahmed Khalifa . ‫ل بي ) في‬ ‫ل ن ي‬ ‫(بغي‬ ‫ل‬ ‫ حيث تغ‬، ‫ي عن أس م ني ل ب إن ني‬ .) ‫ (اب ا‬. ‫ه ب ق ص في ج يل ج ي‬ ‫ أ قل س ي ء ق‬، 211 ‫ل‬ ‫من م‬ Dans le cadre de la créativité, est venue la traduction du littérateur le professeur Oussama Nabil. Il est, lui-aussi, un amant de type particulier, qui part d'une double culture arabe et française. Cette traduction est, peut-être, une traduction d'émotions et de sensations linguistiques jaillissant d'un sens qui exprime les sens les plus nobles de l'amour humain, où les textes (en français et en arabe plongent au plus profond de l âme, ou disons, dans le tréfonds des cœurs purifiés par un nouveau et bel amour soufis. Cette situation confuse de la plupart des préfaciers allographes concernant l identité des écrivains francophones ; admettre ou méconnaitre leur appartenance à la culture égyptienne montre que ce thème était une vraie problématique et une pierre d achoppement que chaque préface essaye de surmonter. Par exemple, dans la préface du Sommeil délivré [trad. 1991212], nous voyons le préfacier admettre l identité égyptienne à Andrée Chédid en refusant qu elle soit considérée comme une personne de double appartenance, même si ce double provient de la combinaison de deux cultures arabes (égyptienne/libanaise) : .213)‫(ص ب‬ ‫ب م أصل أس‬ ‫ه ل‬ ‫ أ‬.‫ل ب ين ع بيين‬ ‫أش‬ .214)‫ل ف (ال و ال ف‬ ‫ت ي (أن يه ش ي ) ك‬ ‫ب م ل ل ل‬ ‫م‬ André Chédid appartient, comme elle l'a indiqué, à deux pays arabes. Le premier est le Liban d'après l'origine de la famille (difficile [à croire]). Et l'Égypte d'après la naissance, l'éducation et la culture. Dans cet exemple nous remarquons qu il a ajouté le mot « difficile » entre parenthèses pour sous-entendre son refus de la question de l appartenance d Andrée Chédid à la culture libanaise : difficile de croire ou d admettre peut-être mais l Égypte pour lui est le pays de la naissance, de l enfance et de la culture. En tout cas, pour notre préfacier anonyme, la traduction de son œuvre se résout en l acte de transmettre une littérature vers sa langue maternelle, nous citons l excipit de la même préface précédente : ‫ هي ت س ب‬... ‫ح من ي أ ل‬ ‫ال ع ب ض من ع لم ن يه ش ي ل ي ن ل‬ 215 . )‫ ل غ ل بي (ال و ال ف‬.. ‫م أه ي ت ج م ل ه ل ي ل ل غ أ‬ ‫تك‬ ‫إم‬ Ibid., p. 8. Op.cit. 213 Nous signalons aussi que le mot « ‫ » ص ب‬pourrait signifier dans la citation le nom d une famille maronite libanaise. 214 Ibid., p.5 211 212 - 119 Ahmed Khalifa C'est un aperçu de quelques traits de l'univers d'André Chédid dont nous présentons l'un des premiers romans… )l reflète autant que possible l'importance de traduire ce genre de romans vers la langue maternelle, l'arabe. Si le problème de l identité occupe une grande place dans les préfaces allographes, un certain nombre des préfaces non signées nous a poussé à chercher si leur rédacteur en était un éditeur, traducteur ou autre ? Et surtout pourquoi une telle préface est-elle non signée ? Est-ce à cause de son contenu ? Ou plutôt est-ce parce que quand le traducteur ne fournit pas une préface accompagnant sa traduction, la maison d édition appose une préface quelconque pour respecter la tradition éditoriale qui nécessite une Introduction à l œuvre traduite ? Est-ce qu une préface non signée mérite d être qualifiée comme une préface ? Peut-elle encore remplir ses fonctions et atteindre ses buts ? Trois romans contiennent des préfaces allographes non signées. Si nous nous permettions, nous les appellerions : « les préfaces allographes anonymes ». Néanmoins, analyser le discours et le style de chacune, nous permettra facilement d identifier le rédacteur. Les trois romans ont une relation (directe ou indirecte) avec Ma m”d Qāsim, le journaliste égyptien, et presque unique traducteur d Albert Cossery. Les trois préfaces non signées appartiennent à trois romans édités chez Dar Al-(ilāl à une époque o‘ ce journaliste occupait le poste de rédacteur en chef de la série de Riwāyāt Al-(ilāl. Le fait qu il soit le responsable de la publication n est pas seulement le fait pour lequel nous avons avancé une telle hypothèse, mais c est aussi le style d écriture et la technique de présentation que l on retrouve dans ses les préfaces des romans traduits d Albert Cossery. )l possède en effet une certaine technique pour préfacer une œuvre traduite : d abord la présentation détaillée de la création romanesque ou poétique de l écrivain, puis l insistance sur l égyptianité de l écrivain216 et plus particulièrement la mention d un événement actuel concernant l écrivain : par exemple l obtention d un prix littéraire, l arrivée à l âge de ans ou même le décès de l écrivain peuvent faire l objet de l incipit de la préface. Ce qui renforce notre idée, c est avant tout la comparaison qu il Ibid., p. 13. Ma m”d Qāsim est l un des traducteurs qui défendent le principe d une « littérature arabe écrite en français » comme nous l avons vu concernant le problème de l identité et nous le verrons aussi dans l analyse des préfaces des traducteurs. 215 216 - 120 Ahmed Khalifa a faite dans la préface du Sommeil délivré [trad.1991217] entre la création romanesque d Andrée Chédid et celle d Albert Cossery. Sinon, pourquoi choisir un tel écrivain pour le comparer avec Chédid ? Cependant, son intervention à propos du titre traduit de ce roman reflète une connaissance de la langue de départ, ce qui lui a permis de critiquer la traduction du titre218. La nuit de la destinée [trad.2009219] de Out El Kouloub a été traduite sous sa supervision. Dans la traduction de ce roman, le préfacier, que nous ne considérons plus « anonyme », a recours aux informations et aux analyses sur l œuvre de l écrivaine déjà présentées dans les préfaces de ses deux précédentes traductions publiées chez Dar Al-(ilāl. Un dernier cas à signaler dans les préfaces allographes des traductions, est celui o‘ il y a absence de toute présentation de l écrivain et de toute analyse ou résumé de son œuvre. Nous trouvons ceci dans la préface de Bahā āhir, l écrivain égyptien, qui a pris en charge la présentation de Hatshepsout : Femme Pharaon : Biographie mythique [trad.2002220] de Fawzia Assaad. Māhir G”waygātī le traducteur a recours à Bahā āhir221 pour préfacer cette œuvre pour une raison bien définie : ‫ف‬ ‫ل ن ي من ه ل س ق ك ب م م (مي يل ب ت ) أ يب ل ن ي ل‬ ‫ي ل ي لي ب‬ ‫ل‬ ‫يين ل ين ب ل‬ ‫أ بء ل‬ ‫ي ي أ أس يف أح ك‬ ‫ ال أ ال عو‬: ‫و‬ ‫ل بي ني أش أس ب ء ه أنه ق ل ه ل ع (ح‬ .222) ‫جم‬ ‫ل ك نت ل‬ ‫ك من ل‬ ‫م م ل ج‬ ‫سم م ل‬ Puisque le préambule de l'édition française de cette étude a été écrit par le célèbre homme de lettres français Michel Butor, il était normal que j'invite l'un des grands écrivains égyptiens intéressés par la civilisation égyptienne ancienne à écrire la préface de la traduction arabe. Je remercie monsieur Baha' Taher d'avoir accepté cette invitation. Donc, recourir à un grand écrivain égyptien équivalent à Michel Butor, le préfacier de l œuvre originale, était l objectif du traducteur. Est-ce une connotation au fait que la traduction équivaut à son tour à son original ? Nous le constatons, puisque même la Op.cit. Nous avons discuté la traduction de ce titre précédemment dans l étude des titres : in Le titre retraduit. 219 OUT EL KOULOUB, Laylat Al Qadr, trad. de Mirvat Chaykh”n, Dar Al (ilāl, Le Caire, . 220 ASSAAD F. atchibs”t : Al mar āt Al firʻawn, trad. de Māhir G”aygā ī, CSC, Le Caire, . 221 « Même si c est le traducteur qui proclame avoir fait appel à Bahā āhir, il est plus probable que celuici a rédigé cette préface à la demande de l auteur » R. Jacquemond . Considérant aussi le fait que Bahā āhir a occupé le post d un traducteur entre à l ONU à Genève. Ce qui affirme une certaine connaissance entre l écrivaine et le préfacier. )nsister sur l importance du nom du préfacier/écrivain, Jacquemond continue, indique que le recours à celui-ci est un moyen de légitimer l œuvre et son auteur. 222 ASSAAD F. atchibs”t : Al mar āt Al firʻawn, op.cit., p. 11. 217 218 - 121 Ahmed Khalifa préface de āhir est sortie de la tradition arabe de la présentation des œuvres traduite et a rejoint le style même de Butor dans sa préface qui est une réflexion (poétique) sur le sujet de l œuvre. La préface de l œuvre traduite n est-elle qu une parodie de la préface de l œuvre originale ? āhir le revendique : ‫نه س‬ ‫س ا في ن س ل م‬ : ‫ش ي عن ب ه ل‬ ‫ف ي أس‬ ‫ل ء عل لك‬ ‫ات‬ ‫يي ه ه ل‬ ‫ل ي ل لي هي ب ض خ‬ ‫ل‬ ‫ هي ب أح خ‬، ‫أ ي ف ع يه ب ه‬ ‫ل أ ث أ أت ل‬ ‫ ق ت ك ي ل ي في ق ل أ ت‬، ‫ عن حي ت ل ي‬، ‫ح‬ 223 ) ‫ ال أ ال عو س م م ب ء ه‬: ‫و‬ ‫(ح‬ Les quelques mots suivants présentent certaines pensées que suscite ce livre et qui ne s'attachent que rarement à son contenu, que je préfère laisser le lecteur le découvrir par lui-même. Ce sont plutôt des réflexions personnelles sur l'héroïne de ce livre, Hatchepsout, et sa vie passionnante. Peut-être les partagerez-vous avec moi avant d'entreprendre la lecture de l'œuvre du madame le professeur Fawzia Assaad. 3.3 Les préfaces des traducteurs Les préfaces des œuvres traduites ont, en général, pour but essentiel de préparer le lecteur étranger à un univers éloigné du sien. Cependant, quand cet univers appartient au lecteur, les obstacles dits « culturels » ne doivent pas exister et la tâche d une préface se limitera à des informations biographiques, bibliographiques, linguistiques ou littéraires. Que ces informations soient présentées au lecteur sous forme de commentaire ou de parodie, elles sont considérées comme la clé de voûte de notre analyse des préfaces et surtout celles des traducteurs. La préface des traducteurs prendra une importance spéciale dans cette étude parce qu elle est, de notre point de vue, le lieu o‘ s inscrit la prise en compte par le traducteur d une certaine rétroaction exercée par les lecteurs sur sa traduction. Nous avons déjà parlé des classements genettiens basés sur les deux thèmes de pourquoi et comment. Le comment, dans les préfaces des traducteurs, n occupe pas la même place que celui du pourquoi. Car pour un traducteur il s agit plutôt de dire pourquoi il a traduit une telle œuvre que de dire comment il l a traduite. En cas de présence du thème comment dans la préface, on aura intérêt à l analyser parce que ce n est pas une simple réflexion littéraire d un écrivain sur son œuvre mais c est la réflexion de la traduction sur elle-même, ce que l on appelle les réflexions traductologiques. 223 Idem. - 122 Ahmed Khalifa Nous commençons par le thème de pourquoi qui a pour but essentiel de valoriser le choix de l œuvre traduite, d en souligner l importance et la nouveauté ou d insister, selon Genette, sur son « unicité ou véridicité ». Cependant, le pourquoi traduire surgit d un acte impensé ou d une envie de dire quelque chose de nouveau, d introduire quelqu un d inconnu. Parfois cet acte absurde acquiert la reconnaissance des autres et commence à attirer l attention du champ intellectuel dans un pays. Ma m”d Qāsim explique qu il est tombé purement par hasard sur un roman de Cossery intitulé « Mendiants et Orgueilleux » et, s est rendu compte que cet écrivain pourrait être une « nouvelle/ancienne224 » découverte : ‫ ي م ي م ئ في ل ئ‬.. ‫أ أت ج‬ ‫لغ يب أني م ن يت من ق ء ل ل أ ح ق‬ ‫ي ل بي ل ب‬ ‫من ل ي ل ه أ ه ل تب غي م ف ع خ ي ل ك أ بي ل‬ .225) ‫م‬ ‫ب يط ه أ أح لم ي جم له أ من ي ته ل ع (ش‬ L'étrange est que j'ai décidé de le traduire dès que j'ai fini la lecture du premier chapitre. Le roman est égyptien à cent pour cent et il est étonnant que cet écrivain soit inconnu sur la carte du mouvement littéraire égyptien et arabe pour une simple raison: personne n'a traduit aucun de ses sept romans. Normalement le thème du pourquoi occupe l incipit de la préface. Dans notre corpus, nous apprécions que les traducteurs aient une tradition de présentation, et en particulier Qāsim, qui s appuie sur la mention d un événement contemporain qui assure la nouveauté ou la valeur de la traduction et permet en même temps de « débuter la préface226 », que cet événement soit aussi important que le décès de l auteur de l œuvre originale: ‫ ن ت ح ل ع لم آخ ق‬، ‫ج‬ ‫ل ن‬ ‫حي ته ل ي م‬ ‫ي ه‬ ‫أل ي ق ي‬ ‫لق ي‬ ‫ن ل‬ ‫ غ‬،‫في ل ني ل ين من ي ني ل ضي‬ ‫ح من ع لم ل قع ل‬ ‫أك ح ب‬ ‫ي‬ 227 . ) ‫ع م (م ال و اأكي‬ Le vingt-deux juin dernier, l'âme d'Albert Cossery s'est séparée de son corps et s'est élancée libre vers un autre monde qui peut être plus vaste et plus clément que le rude monde réel que Cossery, tout au long des 95 années de sa vie, n'a cessé d'exécrer. L expression appartient au traducteur lui-même qui a déclaré dans sa préface : « ‫ك ف ج ي ق يم‬ ‫أل ي ق ي‬ ‫ي ته‬ ‫ل بي ن مل أ ت ل ص ل ج ب ي‬ ‫ن مه ل‬. » 225 COSSERY A., Cha ādh”n wa muʻtazz”n, trad. de Ma m”d Qāsim, La GEBO, Le Caire, , p. . 226 L acte de choisir une telle information pour commencer une préface. 227 COSSERY A., Manzil Al Mawt Al Akīd, trad. de Ma m”d Qāsim, La GEBO, Le Caire, 2008, p. 7. 224 - 123 Ahmed Khalifa ou qu il ne soit pas si intéressant mais mérite d être signalé ! : ‫هي ب ع ف‬ ‫ح ا ب غه ل نين من ل‬ ‫ح من أهم ي أل ي ق ي‬ ‫م ن به أ ن‬ .228) ‫ي‬ ‫أ س ه ل ل جم ي ه أك أه ي في ك ب (ال ف ال‬ ‫ل تب في خ‬ Nous sommes fier de présenter l'un des romans les plus importants d'Albert Cossery pour célébrer son quatre-vingtième anniversaire. Il est, de l'aveu de l'auteur lui-même dans une lettre envoyée au traducteur, le roman le plus important de ce qu'il a écrit. Finalement, le pourquoi peut être posé directement dans la préface et le traducteur s occupe de nous énumérer plusieurs motifs comme la nouveauté de l œuvre, la célébrité et l égyptianité de l auteur, comme ādiq Sulaymān dans Néfertiti et le rêve d Akhenaton [trad.1988229] d Andrée Chédid. Vu que cette traduction est apparue sortie de l œuvre originale en nouveauté pour le traducteur ? ans après la , nous nous demandons que désigne le terme Une autre tradition dans les préfaces des traducteurs attire l attention, celle de donner un titre à la préface. Des titres qui ont des fonctions plutôt communicationnelles et qui visent à orienter la lecture de la traduction selon la vision du traducteur « le tuteur de son lecteur », comme l a fait Ma m”d Qāsim dans la préface de La maison de la mort certaine [trad. 1992230] où le titre était « ‫ي‬ Sa īd dans la préface de Ramza [trad.1999231] : « ‫قض‬ de Zannouba [trad. 2000232] : « ‫أ ب ين‬ ‫سن ل م‬ ‫ل‬ ‫ل ل ء ه‬ ‫ل‬ ‫ب‬ ‫ل‬ ‫شي ك ت‬ ‫» م‬, ou comme Dis”qī ‫ » ع لم ق‬et dans la préface ‫لم‬ ‫ل‬ ‫» ق‬, ou plus généralement dans les préfaces des romans édités chez Dār Al-(ilāl , souvent surtitrés par « ‫»ق ل أ ت أ‬. Donc le rôle du traducteur ne s arrête pas aux limites de la traduction mais il devance les enjeux de la réception. Un traducteur a donc le droit d orienter notre lecture, de nous conseiller comment lire sa traduction. Parfois, la préoccupation du traducteur influence sa façon de préfacer sa traduction et nous l avons clairement vu dans les préfaces de Ma m”d Qāsim qui est un critique de cinéma. Ainsi, amāda )brāhīm, universitaire spécialiste du théâtre, a-t-il suivi les mêmes étapes que celles de la présentation du théâtre dans sa préface du Sixième Jour [trad.1968233] d Andrée COSSERY A., Al ʻunf was sukhriya, trad. de Ma m”d Qāsim, Dar Al (ilāl, Le Caire, CHEDID A., Nifirtītī wa ulm )khnāt”n, trad. de ādiq Sulaymān, La GEBO, Le Caire, 230 Réedité chez La GEBO en 2008 avec une préface plus longue que la première. 231 OUT EL KOULOUB, Rāmza, trad. de Dis”qī Sa īd, Dar Al (ilāl, Le Caire, . 232 OUT EL KOULOUB, Zann”ba, trad. de Dis”qī Sa īd, Dar Al (ilāl, Le Caire, . 233 Rééditée en 2002 sous les publications du Projet national de la traduction. 228 229 - 124 Ahmed Khalifa , p. . . Chédid. En effet, les noms des personnages sont mentionnés au début de l œuvre traduite, ce qui fait penser aux présentations théâtrales. Mais amāda )brāhīm, après une courte présentation biographique et bibliographique de l auteur livre, lui aussi, à son lecteur comment interpréter le symbolisme qui circule dans le roman : ‫ ل ل ل يض ح ن ي ل‬، ‫ ف ل لي في ت ل ل ء ل في أب ع ص ه‬، ‫ي‬ ‫أمل في‬ ‫في ل ي‬ ‫ إي‬، ‫فيه من ض ف أم ج ته أ ح ن ف ي ت ي ل ب‬ ‫ل م ث‬ ‫ ت ف ل في ه ل‬، ‫يه ش ي ل ي س ق أ ع ف ه ش ع ع ي‬ . 234) ‫ل ن ي من ك ت ع بي (اليو ال‬ ‫هي ي م‬ ‫بلم‬ ‫إن‬ ‫ أن‬. ‫ل‬ ‫ل‬ ‫ت ي لأ‬ ‫ي‬ C'est un roman symbolique. Le choléra y représente le destin et la fatalité dans leur image la plus hideuse. L'enfant malade Hassan représente l'homme avec toutes ses faiblesses; quant à sa grand-mère Oumm Hassan, elle incarne l'amour, la foi dans la vie et l'espoir dans l'avenir. André Chédid, que nous avons déjà connue comme grande poétesse, joue dans ces pages une mélodie émouvante considérée comme honorant pour la littérature française de la part d'une femme écrivain arabe. Cette mise au point de lecture est-elle nécessaire à la bonne réception du roman ? Sertelle à répondre à une demande du lectorat ou tout simplement pour lui signifier le bien fondé du choix effectué ? Donc, une préface de traducteur pourrait avoir ce rôle d établir une communication entre le traducteur et son lectorat ou, de relancer, recadrer ou enrichir un sujet sans lequel elle n aurait pas lieu d être. Dans ce contexte d interactions, une préface de traducteur peut-elle être jugée capable de remplir sa fonction et de satisfaire les besoins de son lecteur ? Que la préface du traducteur soit communicationnelle ou interactionnelle, elle n exprime qu une manière de dire. Et que cette manière de dire soit influencée par les préoccupations des traducteurs, elle ne présente que des informations auxquelles le lecteur recourt avant, pendant ou après sa lecture de l œuvre traduite. Or, exige-t-on qu une préface de traducteur soit un lieu ou s inscrit la prise en compte par le traducteur d une certaine rétroaction exercée par le lecteur de son œuvre ? L exemple d une préface écrite par Charbal Dāghir montrera jusqu à quel point une préface de traducteur pourrait être à la fois un lieu de communication, d interaction, de rétroaction et de réflexions traductologiques. Mais avant d analyser cette préface nous signalons que les préfaces ayant soulevé (en passant) des problèmes de traduction ne sont que deux : la première appartient à 234 CHEDID A., Al yawm As Sādis, trad. de amāda )brāhīm, (CC, Le Caire, - 125 Ahmed Khalifa . Ma m”d Qāsim o‘ il mentionne le problème du rapatriement de quelques noms propres dans la deuxième édition de La maison de la mort certaine [trad.2008235] : ‫ف م ف‬ ‫ في‬Kawa ‫من ن حي‬ ‫ل عي أ‬ .236) ‫يب سم ي ن ب ي ا ي ن م‬ ‫ك لك سم ل‬ ‫م‬ ‫ف ش ئع في ت ك ل‬ ‫سم ع‬ ‫أخ س ق أ ل تب ب ي‬ ‫ (م ال و اأكي‬.‫ل س ل تب‬ ‫ل ل من أس ء ل ي ك ق ي في ي ته ب ل غ‬ ‫ في ي ش‬Yeghen ‫ل بي ب ل ف ي ت ب ه‬ ‫به ه‬ ‫أكي أغ ب ل ن أ ل‬ ‫ل‬ ‫ي م‬ ‫بين أ س ل ي ي م ع ل تب في أع له من ن حي‬ ‫في أق ص س عي ل ي‬ ‫به سم ل ء ل‬ ‫ل‬ Peut-être, parmi les prénoms que Cossery a écrits étrangement dans ses romans, celui de Yéghen dans Mendiants et orgueilleux, ainsi écrit d une façon qui rend difficile de trouver son synonyme arabe. De même le nom du vieil homme Kawa dans le roman La maison de la mort certaine, dont on pourrait penser fort qu'il signifie Akawy qui est à la fois un prénom courant pendant cette période et largement répandu au sein des classes dont l'écrivain nous parle dans ses œuvres. L'écrivain Bachīr As Sibā ī vit que ce prénom-ci désigne celui du repasseur déjà mentionné dans la nouvelle "Le facteur", du même écrivain. La deuxième appartient à Walīd Al-Khachāb dans l édition bilingue du recueil Les chants du Karawan [trad. 1994237] de Mona Latif o‘ il parle de l étrangeté de l écriture de la poétesse et la difficulté de la livrer facilement à la traduction : ‫ ا ت م قي ه ل‬، ‫ق ي‬ ‫ هي ل لك س ي‬. ‫ ك ن ع بي م ب ب ل ن ي‬، ‫ل لك ف غ م ع ي‬ ‫ بل‬، ‫اس‬ ‫ ليس ف ب ل‬، ‫ت كيب أصي غ ي‬ ‫ ت ك يج من ص‬، ‫ل ج ب ل‬ ‫ي ؟س‬ ‫ ثم هل ص غت ه ل غ ش أ‬. ‫ ك ن ء ل ع ل ج ني‬، ‫أن ت م ث ف ع ي‬ 238 . ‫ل‬ ‫أل‬ ‫ح ي ش‬ ‫ ي ك ل ث فيه ك ت‬، ‫ع ي اج ب‬ Ainsi, la langue de Mona est étrange : comme si elle écrivait de l arabe en français. Cependant, cette langue est correcte, soutenue et se livre difficilement à la traduction. Elle apparaît comme un tissu d images et de structures originales, qui s inspire de cultures aussi nombreuses que les appartenances émotives de la poétesse. A-t-elle investi cette langue dans une forme poétique ou narrative ? la réponse semble d accès difficile. Mais l étude de la question procure un plaisir pareil à celui que procurent les contes de Chéhrazade et les airs de Karawane. 239 [traduction du préfacier lui-même] COSSERY A., Manzil Al Mawt Al Akīd, trad. de Ma m”d Qāsim, La GEBO, Le Caire, . Ibid., p. 4. 237 LATIF-GHATTAS M., Les Chants du Karawan, Tarānīm Al Karawān, trad. de Walīd Al Khachāb, éd. bilingue, Dar Elias, Le Caire, 1994. 238 Ibid., p. 4 239 Ibid., p. 5 235 236 - 126 Ahmed Khalifa A part ces deux problèmes de traduction, nous n avons presque aucun commentaire sur la traduction dans le péritexte des œuvres traduites dans notre corpus. Revenons à la préface de Charbal Dāghir pour quelques poèmes choisis et intitulés « ‫ش ل‬ ‫ » ت به ض ئع‬dont la traduction du titre pourrait être « collection d une ressemblance perdue ». Le livre commence par un avant-propos dans lequel l éditeur explique la politique éditoriale de la maison d édition qui vise à renforcer la relation entre la littérature mondiale et le lecteur arabe. Dans cet avant-propos, l éditeur justifie pourquoi il a joint un élément d épitexte dans la préface du traducteur, il s agit d une interview faite entre l auteur et son traducteur. L éditeur souligne que cette interview est même niveau d importance que la poésie traduite de Chédid : ‫أ ت م ع ش ي م ج عن ل غ ل ن ي ل ع أن يه‬ ‫أ هي ت ي ل‬ ‫ع من خا ل ء م ش‬ ‫ل‬ ‫ ش بل غ ل ع ل ضع ت يم ل‬. ‫ل تب‬ ‫ت ج‬ ‫ي في ت يط ل ء ع‬ ‫ أه ي ه ل‬، ‫ع ل ي‬ ‫ ه ل ء ا ي ن ف ه عن ل‬، 240 . ‫في ل ب ل ي‬ ‫ع ع ل إب عي ف‬ ‫ل‬ ‫في ه‬ ‫ ق‬، ‫شي‬ ‫مع ل ع‬ ‫ل‬ ‫أس‬ Dans ce numéro, le conseil de la rédaction de la série a choisi de représenter un ensemble de poèmes d'André Chédid traduits du français. Ils sont traduits par l'écrivain Dr. Charbal Dāghir qui a préfacé cet ensemble de poèmes à travers un entretien direct avec la poétesse. Cet entretien est inséparable de cet ensemble de poèmes de par son importance cruciale dans la lumière qu'il projette sur le style de la poète, son univers de création et sa philosophie de l écriture et de la vie. Cette interview avec Chédid aborde le sujet de son identité culturelle par le fait de lui demander si elle a le sentiment d être plus française que d être arabe241 ou l inverse. Puis, une discussion autour de sa création littéraire en lui posant des questions sur différents sujets comme la consécration littéraire, le symbolisme et, finalement, sur la présence d une certaine idéologie dans ses œuvres. Ensuite, en choisissant « L avantage de la multiplicité » comme titre pour la deuxième partie de la préface le traducteur joue le rôle d un critique littéraire en essayant d aborder la création d Andrée Chédid par CHEDID A., Chaml tachābuh ā iʻ, trad. de Charbal Dāghir, Minstère de la Culture, Kuwait, , p. 7. Dans les traductions parues dans les pays arabes, nous remarquons que la question de l identité est discutée d un point de vue basée sur une opposition entre français/arabe, alors que dans les traductions parues en Égypte , l opposition est souvent français/égyptien. Le cas touche plutôt les écrivains égyptiens qui ont des origines syriennes ou libanaises. Par exemple, nous remarquons que les traductions parues dans les pays arabes, et surtout au Liban, concernent l œuvre d Andrée Chédid, alors que celles parues en Syrie concernent l œuvre de Robert Solé. Ce dernier est considéré en Syrie comme un syrien d Égypte et pareil pour Chédid. Nous approuvons aussi que cette question d identité a pris une autre dimension plus étroite allant jusqu à différencier entre l identité arabe égyptienne, libanaise, syrienne ou autre. Chacun de ces champs culturel disputait l appartenance de ces écrivains francophones dans une sorte de fierté littéraire nationale. 240 241 - 127 Ahmed Khalifa l énumération des traits de la philosophie dans son œuvre romanesque, poétique et théâtrale. Cette préface interactionnelle contient donc plusieurs réflexions ; réflexion de l auteur sur son œuvre ; réflexion du traducteur en tant que critique sur l œuvre originale ou plus généralement sur toute la création littéraire de l auteur ; et finalement la réflexion du traducteur sur sa propre traduction dans une sorte d autocritique préventive. Charbal Dāghir est un universitaire possédant une connaissance littéraire et linguistique certaine, ce qui lui a permis d étayer sa préface en exprimant son expérience vécue pendant l acte de traduire dans une troisième partie intitulée elle aussi «La traduction et l avantage de la médiation et de multiplicité ». Pourrons-nous appeler de telles préfaces « les préfaces traductologiques » ? En s adressant plutôt à une certaine classe de lectorat, le traducteur a choisi de parler de son point de vue sur la traduction en général et sur les problèmes qu il a rencontrés dans sa traduction en particulier. La traduction, pour lui, est une branche de la linguistique n ayant pas assez d études parce qu elle est toujours considérée comme une « servante du texte » et non pas « originale et originaire ». Alors que la traduction, à travers l expérience qu il a vécue en traduisant Chédid, avait pour ambition d enrichir le sens et, bien qu elle soit basée sur un acte de transmission, elle pourrait par surcroit renouveler l esprit du texte : son rôle ne se limite donc pas seulement à ramener un texte d une langue vers une autre. )l s est appuyé sur l existence des traductions plus « fortes » que leurs originales et, sur le fait que ce phénomène n arrêtera pas de se reproduire même si les traductions deviennent plus « fidèles » parce que la stipulation ne réside que dans le moral : ‫ أت ق س ع ض ي ه ل م س من أن ي ع ي ت أ ع فت أم عي ه‬، ‫أن يه ش ي‬ ‫مه ل ل بق‬ ‫ ا في ن‬، ‫في (ت ي ) ل ي‬ ‫ل ج ن‬ ‫ أ ك‬، ‫ل ج ك لك‬ ، ‫ل ت ي ل‬ ‫أحي ن من غي ق‬ ‫ ف ل ج ت ع ن ل ا أنه ي‬. ‫ص بل‬ ‫ ف يف لك؟‬. ‫ح ب من لغ ل أخ‬ ‫ه في ب ض‬ ‫ل ه تي‬ ‫أق عن أ‬ ‫في م ي‬ ‫ل هم ل‬ ‫ا ل ج ه‬ ‫ه ) ت ي ل أ ل ص ل جم ي س في ك ه أ في ب‬ ‫(ه‬ ‫ع س يل ل‬ ‫مل ه‬ ‫ ا ي ف من ت‬.)‫أحي س أق ت ي ع ه ع يه في أس سه ( أصيل‬ 242 ...‫ل ج ل ي في أس سه أخاقي‬ ‫ل جم (ب أم ن ) ش‬ Je parle de la littérature d'André Chédid et je suis sûr – en écrivant cette préface – d'avoir vécu ou d'avoir connu la même expérience au cours de la traduction, c'est-à-dire que celle-ci est une grâce pour (la multiplication) du 242 CHEDID A., Chaml tachābuh ā iʻ, trad. de Charbal Dāghir, op.cit., p. 12. - 128 Ahmed Khalifa sens, non pour une correspondance illusoire et nécessairement incomplète. La traduction se base sur un acte de transformation qui mène pourtant quelquefois et involontairement à renouveler le sens, et non seulement à le transporter d'une langue à l'autre. Comment? Par exemple (il y a un phénomène) qui indique que le texte traduit semble – entièrement ou parfois partiellement – plus expressif que le texte original. La répétition de ce genre de phénomènes ne diminue pas la fidélité du traducteur, celle-ci est plutôt la condition technique de son fondement moral. La plupart des études linguistiques, continue Dāghir, n admet pas la concomitance des langues mais plutôt la différence, alors comment pourrions-nous réaliser cette concomitance dans la traduction ? : ‫ل بي س أن في‬ ‫)سك ت‬ ‫بق ( مع ل ص ل ت ل ع‬ ‫ل س ل ني ا ت في غ ل ب ل بق بين ل غ بل ( ل‬ ‫ل ج أن ت ح ل ت يق ل‬ ‫ل ين أ لغ ف يف ت‬ ‫أس‬ 243‫لك‬ ‫ل ي ل ني غي‬ ‫ في ت‬،) ‫ت ج ه‬ Les études linguistiques n'admettent pas dans leur majorité la conformité entre les langues mais elles admettent (les différences) – comme le dit la langue arabe – et [ces différences] sont à l'origine de la formation de n'importe quelle langue. Comment la traduction dit-elle alors qu'elle espère atteindre la conformité (avec le texte qu'elle est en train de traduire) si la théorie linguistique dit le contraire? Pour lui, une traduction, ne serait-elle pas plus correcte si le traducteur ne respectait pas le principe de la « fidélité » en essayant de (re)produire un autre texte ayant sa propre construction et spécificité ? Mais, dans ce cas, peut-on considérer le traducteur comme traducteur ou comme un (re)producteur ? Dans ce sens, on aura intérêt à parler de l intertextualité et non de la traduction : ‫ س ك س يل ن نص آخ له م ي‬، ‫ل ج ( أ ل ل) أس م ل أخل ل جم ب أ أم ن‬ ‫أا ت‬ ‫ل ص آخ ن اق من نص‬ ‫ل جم م ج في ل ل ه أ م‬ ‫ص ل ن أي‬ ‫في ن ئي ه ل‬ 244‫ل ل ؟‬ ‫ا ل ج في ه‬ ‫ ه م ي خل في ح ب ل‬، ‫أ‬ La traduction (ou le transfert) ne serait-elle plus correcte si le traducteur avait manqué au principe de fidélité et s'il avait entrepris la production d'un autre texte ayant la justification de sa composition particulière? Mais le traducteur serait-il, dans ce cas, traducteur ou producteur d'un autre texte inspiré du premier texte, ce qui relève alors plus de l'intertextualité que de la traduction? 243 244 Ibid., p. 15. Ibid., p. 18. - 129 Ahmed Khalifa Cette expérience exposée par Dāghir dans sa préface nous enjoint à méditer sur le besoin de communiquer autant d informations à un lecteur qui n est pas censé entrer dans les détails de la composition d une œuvre littéraire quelle que soit sa version (originale/traduction). Se sentait-il l obligation de justifier sa traduction à la manière de « j avoue que j ai trahi » ? En effet, selon Dāghir, traduire la poésie restera à jamais un acte de suppression/ajout ou plutôt un acte d « infidélité » : ‫ أن ي‬، ‫ ب لي أن ي أ ي ع يه‬، ‫ ا سي في ت ج ش ش ي ن ه‬، ‫ه م خ ته في ل ج ع م‬ ‫ل م غ ي في‬ ‫ل أ ل كيب في ش ه ي‬ ‫ ه ي‬.‫لك‬ ‫أ أق‬ ‫ من‬، ‫أت ف م ه‬ ‫ أش ه‬، ‫ق ي ل ال‬ ‫ل‬ ‫ل ي م‬ ‫ م ي ل ل‬، ‫ ش ي ل ف في ح ص‬، ‫م‬ 245 . ‫ع ي م ع‬، ‫ح ا ت كيب ت يين في ل‬ ‫قي‬ ‫بح‬ C'est ce que j'ai expérimenté dans la traduction en général, surtout dans la traduction de la poésie de Chedid, car il me semblait que j'y ajoutais et que j'en supprimais sans le vouloir. C'est dû à la composition de sa poésie qui se base sur des substances abondantes dans leur origine mais très concises dans leur ensemble, ce qui rend l'expression poétique limitée mais fort signifiante, comme des pierres peu nombreuses mais qui offrent des possibilités de composition et de mise en place innombrables et variées. Si nous considérions la préface de Dāghir comme une préface « interactionnelle » qui a pu contenir des éléments épitextuels, critiques et traductologiques, nous exposerons dans les pages suivantes une préface où se dévoile un autre type qui mérite attention dans notre analyse des préfaces des traducteurs. )l s agit de la préface du traducteur marocain, Rachīd Wa tī qui nous prouve, à travers les données qu il a fournies dans sa préface, que cette dernière pourrait être « une boucle de rétroaction » à laquelle le lecteur recourra pour se procurer les informations dites « nécessaires ». Bien que nous soyons assez sceptique par rapport au fait de nommer de telles préfaces, « préfaces rétroactionnelles », cette mention désignera plutôt dans cette étude les préfaces ayant englobé le maximum d informations nécessaires autour d un écrivain et avant tout si cet écrivain appartient à un mouvement littéraire, ainsi de Joyce Mansour, l une des écrivains égyptiens, appartenant au mouvement surréaliste de son époque. Dans ce cas, une préface rétroactionnelle est celle qui dépasse la présentation simple de l écrivain et de ses œuvres pour une présentation plus « large ». C est-à-dire présenter l environnement, les activités, les engagements et les questions littéraires. Donc, la 245 CHEDID A., Chaml tachābuh ā iʻ, trad. de Charbal Dāghir, op.cit., p. 27. - 130 Ahmed Khalifa rétroaction aidera le lecteur, si le besoin s en fait sentir, à inscrire l œuvre dans son champ littéraire. L exemple type d une préface rétroactionnelle pourrait être celui de la préface de Rachīd Wa ti, écrite pour quelques extraits de deux recueils de la poétesse Joyce Mansour : Cris (1953) et Déchirures (1955), réunis dans une traduction intitulée « ‫ » أمس أحامك غ‬et publiée en ‫غ ت‬ chez Dar Āfāq au Caire. Cette préface commence par des citations de quatre célèbres écrivains, le Marquis de Sade, Georges Bataille, André Breton et Paul Eluard. Le lien entre ces citations est l érotisme, ce qui correspond au caractère le plus remarquable dans la poésie de Joyce Mansour. Ainsi, le traducteur a joint quelques petits articles écrits sur l œuvre de Mansour dont l un appartient à son compatriote francophone Georges Henein. Ces articles témoignent de la réception de Joyce Mansour à l intérieur de la communauté surréaliste française et arabe – d ailleurs nous pourrions considérer Georges Henein comme le représentant du mouvement surréaliste égyptien !246. Puis, le traducteur fait un résumé de l histoire du groupe Art et Liberté en essayant d expliquer les divergences politiques entre le nassérisme et ce groupe par les tendances trotskistes de ce dernier : ‫ج ت قع س سي سي س‬ ‫أ ت جيه ح بي س ء من‬ ‫ ت‬، ‫بع ء ل ع‬ 247 . ‫ل ع‬ ‫ م‬، ‫مي ت ت ي‬ ‫ل ي‬ ‫ س ف ي س ض‬، ‫ف مع أم ي‬ ‫م ج ل ل ص ي ت يق ع‬ ‫س يب ل‬ ‫ع ص ق‬، ‫ ك نت ج ع ل ن‬، ‫ل ي ل‬ ‫بل‬ ‫ ب ئ ل ل مي ق مي ت‬، ‫ل ص ي‬ ‫ي‬ ، ‫أ أ ج في ل ل‬ ‫م س قي ل‬ ‫ي‬ ‫س‬ ‫ت ت‬ ‫م ات م‬ Quant au contexte égyptien, le groupe Art et Liberté avait des tendances trotskistes, ce qui le fait se placer politiquement à gauche du nassérisme, à cause de son hostilité à toute tendance nationaliste incompatible avec son internationalisme, et, artistiquement, contre toute orientation partisane, qu'elle soit celle du Conseil de commandants de la Révolution ou de tout autre organe de l'Etat, d'où l'attitude hostile à l'égard des membres du groupe du nassérisme, qui fit confisquer leurs périodiques et leurs publications et les empêcha de continuer en prenant un décret officiel de dissolution du groupe. Les données biographiques et bibliographiques occupent la deuxième partie de la préface de Wa tī et sont traitées d un point de vue critique par rapport aux expressions « le mouvement surréaliste en Égypte in marge non-frontières », Cahier du Centre de Recherches sur le Surréalisme, Mélusine Lausanne, 1982, vol. 3, pp. 18-35. 247 MANSOUR J., Raghabātuna ams a lamuka ghadan, trad. de Rachīd Wa tī, Dar Afāq, Le Caire, , p. 9 246 - 131 Ahmed Khalifa poétiques chez Mansour. La troisième partie discute le projet littéraire de l auteur et expose sa conception du méta-poème. La quatrième partie concerne le thème, qui est toujours traité dans les préfaces de notre corpus, de l identité de la poétesse dont les sources d inspiration sont tirées de la rencontre entre son judaïsme et son arabisme qui influencent, tous deux, ses sources d inspiration ! Le traducteur a aussi signalé l impact poétique de Joyce Mansour sur quelques poétesses arabes du mouvement féministe et la question se pose si l origine de cet impact revient au texte français ou arabe ? Autrement dit, est-elle la traduction arabe de la poésie de Mansour qui a influencé ces poétesses ou bien est-ce la version française ? Le traducteur ne le précise pas : ‫ت م ك‬، ‫ي‬ ‫ك ل‬ ‫ل‬ ‫ف ب ض شع‬ ‫ل خ ع بي من‬ ‫ج يس لان‬ ‫ت ضت ن‬ ‫ل ض أ ي ل س أ ني ي أ ل‬ ‫ي‬ 248‫في‬ Les textes de Joyce ont été l'objet de plagiat et de dépossession en arabe de la part de certaines poétesses du féminisme, tout comme il est arrivé à certains d imiter le souffle d Adonis ou celui du soufisme. A la dernière partie de la préface, le traducteur a joint la traduction de deux préfaces qui furent écrites à la base pour les deux recueils originaux de Mansour, la première par Michel Butor et la deuxième par Georges Henein. La préface de ce dernier a attiré notre attention puisqu il fait partie, lui aussi, des écrivains francophones d origine égyptienne. Considéré comme un témoignage écrit de la réception de Henein sur l œuvre de Mansour, cette préface – intitulée « ‫ج يس م‬ ‫ص خ‬ ‫ – » ق أ‬est un vrai préambule dont la nature déjà pose problème. Dans quel paratexte sommes-nous ? ou plus précisément, dans quel champ littéraire sommes-nous? Traduire la préface de l œuvre originale et la joindre à la traduction ne fait-il pas d elle une partie du corps du texte ? Une préface traduite, mérite-t-elle plus qu on la désigne comme « la membrane d une cellule » ou « la peau d un corps » ? En tout cas, la tradition préfacielle de chaque culture en sera la réponse décisive. En effet, nous avons remarqué que les préfaces des textes sources sont plutôt de nature littéraire, c est-à-dire basée sur une certaine créativité d un autre écrivain, alors que les préfaces des traducteurs sont souvent de nature informative basée sur des données bio/bibliographiques. Revenons au préambule de (enein qui nous montrera qu une préface traduite pourrait se souder, dans un sens ou dans l autre, avec le corps de son texte : 248 Ibid., p. 35 - 132 Ahmed Khalifa ‫ح س‬ ‫ ت ي ج يس م‬، ‫ع ءه أ ع ل يي ل ي‬ ‫ ق ي ب‬، ‫أ ني ع أ بي‬ ‫أ م ني‬ ‫ت‬ ‫ل‬ ‫م‬ ‫فيه ل ا لي ل‬ ‫ ن ن ه ف ا أم مي ي‬. ‫ص ت‬ ‫ كل‬، ‫ل ب ل ح‬ ‫ في ه ل‬. ‫ ك ك‬، ‫ك ه ك فق ل غ‬ ‫ ل ل ع‬. ‫ل ص ه في ب‬ 249 ‫ع تي ع ف حي ج ي م ه أم خ ب ل تي‬ ‫ل ل‬ ‫ ت‬. ‫ت ي ت يل‬ Sans aucune formation littéraire, forte de son indifférence aux critères poétiques, Joyce Mansour donne une voix à ses intuitions. Nous sommes vraiment ici devant un espace où la parole naît de l'instant, est une extension du corps, sans lui laisser aucune possibilité de continuer plus tard. A chaque organe son mot comme un afflux de piqûres, comme une mare de sang. Dans ces textes doux et sauvages, chaque nudité est une tuerie. Les images s'articulent autours de la répétition de la violence d'une vie corporelle étonnée devant son autodestruction. Sans négliger l effort du traducteur pour donner de l effet littéraire à sa traduction, nous voyons que (enein exprime sa réception d une façon littéraire en faisant de la combinaison des contradictions comme ( ‫ )ع ب س م ح‬ou en utilisant des images métaphoriques assez compliquées comme (‫ ) فق ل غ‬ou en activant des notions comme (‫ل تي‬ ‫) ل‬250. C est dans ce style oratoire qu il a choisi d introduire Joyce Mansour au lecteur français et/ou francophone. Style oratoire que la poétesse ellemême n a pas choisi en vue de l employer à ses poèmes, (enein l affirme : ‫ ا‬،‫ف‬ ‫ل‬ ‫ء ل ي ت يل‬ ‫ ا ث‬، ‫أ س ت في ه ل ب‬ ‫من ل‬ ‫في أ ل‬ ‫ل يس م‬ ‫لم ي‬ ‫ ض ن م ع ل ع ب ل‬، ‫ بل ت خ ل م ن ب اس م ب‬. ‫ل‬ ‫ح ل ين ل‬ 251 .‫ص م أف ته‬ ‫ل ي ب‬ Il n'arrive à Joyce Mansour à aucun moment de tomber dans le travers de la déclamation, de l incitation des émotions ou même de l'entraînement poétique sérieux. Mais elle prend place, avec une aisance troublante, au sein de la communauté de l'humour noir qui rend joyeusement à la vie la peine de ce qu'elle a gâté. Wa tī, avec tant d informations sur le mouvement surréaliste, a transformé sa préface en un document riche en détails qui sustente le lecteur arabe. Bien que presque la totalité des informations soit tirée du livre de Marie-Laure Missir Joyce Mansour, Une étrange demoiselle (2005)252, comme il a avoué, le choix très « sélectif » des informations donne l impression qu on est plutôt devant une préface « idéologique ». Cela se confirme en examinant les annexes de la même traduction. Deux annexes dont la première MANSOUR J., Raghabātuna ams a lamuka ghadan, trad. de Rachīd Wa tī, op.cit., p. 19. Nous n avons pas pu avoir accès à l original de la préface de Georges (enein. 251 Ibid., p. 40. 252 MISSIR M.-L., , Joyce Mansour, une étrange demoiselle, Paris, Jean-Michel Place, 2005, rééd. en 2009. 249 250 - 133 Ahmed Khalifa concerne une lettre de George Henein adressée à André Breton dans laquelle le premier annonce sa rupture avec le mouvement surréaliste. La deuxième annexe est un poème d Andrée Breton, traduit en arabe, intitulé « l union libre » et extrait de son recueil Claire de terre (1966). Mais ce qui nous intéresse dans cette annexe, est qu elle est préfacée par le traducteur, ce qui présente un cas unique et inouï dans la tradition arabe. Préfacer un poème d un autre écrivain, qui appartient au même mouvement de l écrivaine et qui partage presque les mêmes idéologies, dans la traduction de l œuvre de Joyce Mansour, ne signifie-t-il pas que le traducteur a choisi de traiter sa préface d un point de vue idéologique ? Sinon, pourquoi Breton ? est-ce parce c était l ami de Joyce ? Est-ce parce que c était l un des dirigeants du mouvement surréaliste en France? Pourrons-nous considérer cette préface annexée comme postface ? la réponse nous semble possible si nous prenons en compte que cette préface discute l écriture automatique chez les surréalistes et qu elle vise à présenter au lecteur ce style d écriture. Le poème de Breton, n est-il pas pour notre traducteur (fortement passionné par le surréalisme) le meilleur modèle de ce que l on appelle L écriture automatique. Au terme de cette étude sur les préfaces des traductions, nous récapitulons qu une préface d une œuvre traduite – qu elle soit auctoriale, allographe ou faite par le traducteur – présente une problématique dans le domaine des études sur la réception. Nous avons essayé de faire une étude thématique et descriptive, dans sa majorité, mais qui mesure les pouls d une première réception de la traduction, incarnée dans cette pièce jointe au texte mais séparée de lui, que l on appelle préface. Que les préfaces des traducteurs soient des « chambres » selon B.Cournut, ou qu elles soient des « laboratoires » selon A. Berman, elles sont aussi le lieu o‘ l on fait advenir des nouvelles formes. Chaque traducteur choisit sa technique de présentation qui pourra servir, selon son point de vue, à une meilleure intégration de l œuvre traduite dans la culture d accueil. Que son but soit de faire de sa préface un lieu d interaction ou de rétroaction, le traducteur est un lecteur/auteur de tout premier plan, le récepteur/instructeur. Nous ne pourrons pas avancer des préjugés sur les préfaces des traductions dans le monde arabe en général à partir de notre étude qui se limite à un corpus assez restreint, mais elles sont un champ riche pour des futures études. - 134 Ahmed Khalifa 4 Editions bilingues « [Une des] variations de la présentation : les éditions bilingues ou plurilingues, en plaçant le texte original face à une ou plusieurs de ses variantes, en une ou plusieurs langues étrangères, font voir le palimpseste non dans la verticalité de la superposition, mais dans l éclatement de ses possibles, avec effets de symétrie et d asymétrie, de glissement et décentrement. »253 Les traductions des œuvres littéraires sont souvent lues en l absence du texte original. Un lecteur peut s apercevoir d un écart entre le texte original et celui traduit au cours d une lecture d une traduction non-bilingue lorsqu il tombe sur une formulation déroutante dans la langue d arrivée. A contrario, les modifications, les additions ou les suppressions peuvent simplement passer inaperçues parce que le texte est présenté comme document singulier et fini. Les éditions bilingues représentent le seul cas qui permettent de repérer ce dernier cas parce qu elles font coexister original et traduction, l une en face de l autre. )l s agit donc d envisager une autre typologie spécifique aux éditions bilingues prenant en compte ses diverses occurrences. Par exemple, celle où le texte original est dans une langue étrangère o‘ l alphabet n est pas accessible au lecteur : ne serait-il là pas que pour satisfaire l aspect « décoratif »? Mais au cas où le lecteur possède une certaine connaissance de la langue de départ et celle de son écriture, les opérations telles que l omission, l addition ou d autres types de modifications permettent de causer chez lui un repérage immédiat. Dans les pages suivantes nous essaierons de montrer que la présentation sous la forme bilingue mène à des modalités de lecture particulières différentes que celles dans les traductions non-bilingues, dévoilées dans notre analyse de l influence du rapport entre le lecteur et le traducteur sur le statut du texte et de ses éléments. C'est-à-dire, que les éditions bilingues révèlent toujours la direction qui est soit d unification du texte avec sa traduction, soit de sa séparation. Ainsi, une édition bilingue, nous le montrerons, va causer un double impact sur les modes de lecture influencés par trois grands éléments : la mise en page, les aspects visuels et les notes des traducteurs. Nous limiterons notre étude au cas le plus général, celui o‘ le lecteur de l édition bilingue a connaissance des deux langues.. 253 RISTRERUCCI-ROUDINCKY D., op. cit., p. 17. - 135 Ahmed Khalifa 4.1 Mise en page et lecture Le fait de choisir la mise en page comme sujet d analyse ici est le fruit de notre intérêt à montrer qu elle puisse indiquer, ou même encourager, différents modes de lecture. )l n ya pas assez d études sur la mise en page car restée longtemps considérée comme une branche d une pseudo-science : la graphologie254. Nous tâcherons de la décrire en nous appuyant sur le principe que la présentation des deux textes en vis-à-vis, dans les éditions bilingues, impose une modification de la mise en page courante, et se distingue de celle d autres éditions « normales », telles celles présentant des traductions seules, annotées ou non. 4.1.1 Orientation de la lecture. La mise en page des éditions bilingues consiste d habitude à mettre le texte original sur la page de gauche et la traduction sur la page de droite. Le parallélisme des débuts de chapitres et de paragraphes est respecté dans les deux textes. Cette présentation invite à parcourir en parallèle les deux côtés de la double page. Le fait que l original occupe la page gauche signale généralement une antériorité chronologique et reflète un certain ordre de lecture. Mais dans notre corpus, cas des éditions bilingues français-arabe, on trouve plutôt une disposition o‘ s indique particulièrement les orientations différentes des deux langues ; le français qui se lit de gauche à droite alors que l arabe de droite à gauche. Ce qui remet le texte dans une position de lecture « régulière » dans les deux sens : arabe et français. C'est-à-dire que chacun des deux textes aura sa disposition conventionnelle. D ailleurs la problématique réside dans l orientation de la lecture, doit-on lire de gauche à droite ou l inverse ? Vu que l orientation n est pas la même dans les deux langues, lequel des deux textes mérite la priorité ? ou plus précisément, l édition bilingue, vise l aisance de quel lecteur ? La pseudo science est une démarche vraisemblablement scientifique qui utilise le langage de la science mais qui ne respecte pas les canons de la méthode scientifique, dont celui de réfutabilité. La graphologie est une discipline qui s'efforce à établir une certaine classification des écritures. La plupart de ses défenseurs se réfèrent à la psychologie mais ils n ont pas arrivé à établir des relations statistiques, aptes d être qualifiées scientifiques, entre le style d écriture et la personnalité. Vu que les anciennes typologies sur lesquelles ils s appuient ne sont plus reconnues par la psychologie universitaire. 254 - 136 Ahmed Khalifa Par exemple, l édition bilingue de la nouvelle d Andrée Chédid L étroite peau [trad. 1984255] présente un cas particulier ; la disposition est renversée : le texte original est à droite et la traduction est à gauche. Une disposition qui signale peut-être que la traduction est plus importante que le texte en mettant le lecteur arabe en priorité par rapport à son habitude de lecture. D ailleurs, le livre s ouvre de droite à gauche comme tous les livres arabes. Dans ce cas, bien que l orientation de la lecture arabe soit respectée, le texte français, posé à droite, garde aussi son antériorité chronologique mais il perd son orientation habituelle de lecture. Donc, à partir de ce modèle, il est impossible de garder les mêmes orientations dans les éditions bilingues français/arabe. Le choix de l éditeur en est donc l enjeu. L éditeur est-il celui qui choisit de sacrifier l un des deux textes selon les priorités, souvent justifiées par les besoins du public qu il vise ? Dans ce cas cité, l orientation de lecture respecte plutôt la tradition de l édition de la culture arabe cible. Les trois éditions bilingues que contient notre corpus manifestent trois cas différents de disposition des deux textes. L édition bilingue du recueil de Mona LatifGhattas Les chants du Karawan [trad. 1994256] met l original à gauche en respectant non seulement l ordre chronologique mais aussi l orientation latine de la lecture [de gauche à droite]. L éditeur a donc choisi de garder la nature première du texte original en conservant à la traduction sa nature de texte second. Avec cette position de deux textes, s affirme le concept de l éditeur visant ce secteur de lectorat appelé « l élite polyglotte » qui est habitué à cette orientation de lecture, alors qu un lecteur arabophone la trouvera irrégulière et dérangeante. Le troisième cas et qui parait, peut-être, plus adéquat, est celle de l édition bilingue du recueil de Mona Latif-Ghattas, Les chants modernes au bien-aimé [trad.2009257] o‘ l éditeur a respecté la disposition chronologique et l orientation de la lecture de l arabe, en mettant l original à gauche et la traduction à droite. Il a annulé la quatrième de couverture en posant à sa place le titre en français ; l orientation de la lecture cette fois est de droite à gauche. Ce qui met le lecteur à l aise par rapport à ces CHEDID A., L étroite peau, Al Jild Al Mus a īq, trad. de Na īm Butān”s, Dar Al Arab, éd. bilingue, Paris, 1984. 256 LATIF-GHATTAS M., Les Chants du Karawan, Tarānīm Al Karawān, trad. de Walīd Al Khachāb, éd. bilingue, Dar Elias, Le Caire, 1994. 257 LATIF-GHATTAS M., )btihālāt, trad. de Oussama Nabil et Mahā Al Sigīnī, Dar ur”f, Le Caire, . 255 - 137 Ahmed Khalifa habitudes de lectures. Cette disposition place le texte traduit au premier degré. Ce qui est absolument signalé dans le placement du titre traduit au dessus du titre original. 4.1.2 Numérotation Quant à la numérotation des fragments au niveau des chapitres, des paragraphes et des lignes, elle apparaît viser un grand public ; bien évidemment l étudiant ou tout autre lecteur intéressé. Dans notre corpus il serait logique que l absence de numération soit due soit au désintérêt des éditeurs à viser une grande phase de lecteurs, soit à leur indifférence par rapport à l importance de la mise en page ou, soit finalement due à la médiocrité des impressions et l absence des technologies éditoriales nécessaires. Tout autant la numérotation des pages est importante si nous prenons en considération qu elle permet d identifier le rapport entre le texte et sa traduction du point de vue de l éditeur. Dans deux des trois éditions bilingues de notre corpus, nous trouvons que la numérotation se succède entre le texte et sa traduction (ex : texte p. 11 – trad. p. 12), ce qui donne l impression que c est un seul livre dont les pages se succèdent. Alors que dans l édition bilingue du poème de Mona Latif-Ghattas Les chants modernes au bienaimé [trad. 2009258], nous trouvons que le texte et sa traduction portent la même numérotation (ex : texte p. 11 – trad. p. 11) pour séparer les deux textes et donner une impression qu on est devant deux livres se faisant face. 4.2 Les aspects visuels Dans une édition bilingue, les composantes littéraires et stylistiques du texte original et qui disparaissent dans la traduction sans laisser de traces apologétiques constituent une vraie problématique. Mais nous nous intéresserons ici aux aspects visuels qui occupent une place considérable dans la poésie, et pour exemple dans celle de Mona Latif-Ghattas. La création poétique de cette dernière, constituant une partie majeure de notre corpus bilingue, se caractérise par sa dépendance aux espaces blancs, aux espacements entre les paragraphes, aux majuscules, aux enchaînements et aux styles de police. Avec l absence de la ponctuation, ces traits formels font partie de ce que nous communique d émotion sa poésie. 258 LATIF-GHATTAS M., )btihālāt, op.cit. - 138 Ahmed Khalifa Le lecteur d une édition bilingue aura donc un accès direct à ces traits en vérifiant [peut-être] s ils sont reportés dans la page opposée : celle de la traduction. D ailleurs les opérations de traduction telles que l effacement ou l ajout peuvent être justifiées par le fait que la lecture [imagée] n est pas censée comparer les deux textes mais compléter la lecture du texte cible avec l aide du texte source. En effet, les aspects littéraires comme la versification ou la prosodie restent accessibles grâce à la présence de l original. Donc, l idiome de départ ne risque pas d être envahi par celui de la traduction parce que le mode d emploi ou de lecture autorise la complémentarité entre les deux textes. Cette particularité est bel et bien propre aux éditions bilingues. Celles-ci sont en général de nature savante et, ont souvent pour but de viser un public académique. Les traducteurs des textes publiés en éditions bilingues, dans notre corpus, sont des universitaires ayant un statut universitaire. D une manière ou d une autre, leur statut [rassurant] les poussent à manifester un grand respect du texte source en le mettant directement à la portée du public. Leurs traductions constituent un texte souvent cohérent et stable grâce à l harmonisation linguistique et l élimination des points obscurs. Mais dans la traduction de la poésie moderne comme celle de Mona Latif-Ghattas, l objectif est plutôt de déchiffrer la valeur esthétique, de recréer l émotionnel chez le lecteur arabe à travers un effet d optique. Celle-ci découle, comme nous l avons déjà dit, sur ce modèle de lecture compatible, qui permet la comparaison et la complémentarité entre les deux versions. Dans les pages suivantes nous exposons quelques exemples des efforts des traducteurs à transmettre les effets visuels. Mona Latif-Ghattas en variant l écriture de ses mots entre caractères normaux et caractères en italique, partage avec son lecteur un cas d accentuation bien voulu. Cette accentuation vise un certain effet ou parfois bien évidemment marque simplement une citation ou un nom propre. L effet de l italique s est malheureusement perdu dans les traductions de ses poèmes mais c est peut-être parce que la valeur de l italique n est pas encore reconnue dans l écriture arabe. Aussi, l espacement n est pas souvent respecté pour les mêmes raisons : - 139 Ahmed Khalifa ‫ه ه ت ت أ‬ ‫ع لا ل‬ ‫ت ب لي‬ ‫س في أ‬ ‫ل‬ ‫ت‬ ‫م ع ت ت ل ء‬ ‫ل ح‬ ‫ب ل نت‬ ‫ان ا س ي‬ ‫ي‬ ‫ء م ت يح ل ني‬ ‫م لين ع ل م‬ Hanna Hanna la terre a tremblé du côté des vieux pays les maisons basculent tête au sol et les racines flottent ahuries sous le ciel Bienheureux ceux qui ont appris à nager. ils peuvent se lancer à la poursuite de leurs passe-ports emportés par les flots.259 Nous avons gardé les fautes de frappe de la version arabe dans l exemple précédent parce que notre but n est que la transmission de l image de la présentation de la traduction. Nous nous sommes permis juste de les souligner. Nous remarquons que la poésie de Mona Latif joue sur le blanc et l italique pour influencer le visuel du lecteur alors que la traduction n en tient pas compte. L un des cas des usages codifiés de l italique c est de signaler une citation ou un emprunt. L'italique signale aussi l'amphibologie260 et la double entente. Dans la poésie de Mona Latif, il joue des rôles multiples dont le plus remarquable est celui du double sens. Selon le code typographique, le caractère penché pourrait acquérir une étrange valeur mais il peut désigner aussi un sens de singularité ou de souplesse. D après G. Blanchard l italique vise à établir une certaine connivence avec le lecteur. Ce que nous remarquons aussi dans la poésie ambiguë de Mona Latif, c est que l italique sert parfois à isoler les mots261 mais quand il marque des passages entiers agités et coupés avec le silence du blanc, comme dans l exemple précédent, sa valeur réside dans l émotionnel. Traduire l italique avec toutes ces significations [individuelles] vers l arabe n est pas censé être problématique. Sachant que ses significations n existent pas dans la tradition arabe de l écriture, les traducteurs en usent parfois pour souligner des mots [souvent transcrits du français]. LATIF-GHATTAS M., Les Chants du Karawan, Tarānīm Al Karawān, op.cit., pp. 68-69 Une construction grammaticale qui permet à une phrase d'avoir deux sens différents. Elle peut être aussi une figure de style qui désigne une ambigüité grammaticale. 261 Le poète ironiste espagnole Miguel de Unamuno (1864-1936) a écrit à propos des usages abusifs de l italique comme signe d insistance : « Les mots soulignés et en italique m'ennuient et me mettent de mauvaise humeur. C'est une façon d'insulter le lecteur, de l'accuser de maladresse, de lui dire : fais attention, mon ami, ici, il y a une intention. », in « L italique » par Catherine Ballestero, L aventure des écriture, site internet : http://classes.bnf.fr/ecritures/index.htm 259 260 - 140 Ahmed Khalifa D ailleurs, dans la même traduction, et très bizarrement, nous découvrons que le texte traduit exerce un aspect visuel inexistant dans le texte original : ‫فين‬ je fouillerai les vieux connus ‫خ‬ ce cris ? mot dit ce cri mot tu ce mot redit redit…. ‫ل‬ ‫ل‬ ‫سفش ل‬ ‫ه ل خ ل ظت ه‬ ... ‫ل ظ أنت ه ل ظ ي ي‬ ... ‫ي ي‬ je cherche un nom éparpillé? voilé? je cherche un nom épars pillé ?262 ‫ب؟‬ ‫؟‬ ‫؟م‬ ‫م‬ ‫أأب ث عن سم م‬ ‫أأب ث عن سم م‬ A la manière de Mallarmé, Mona Latif introduit souvent le blanc pour marquer les coupes, les incises, les inversions, pour établir la frontière entre les phrases et, peut-être est-ce pour que la langue soit à la fois parole et silence263. Parfois, ce silence est fortement marqué quand il encadre l écriture d une seule phrase au milieu d une page entière comme dans « Tant de méditation la Méditerranée 264». Dans l exemple précédent, nous voyons que le poème traduit use de blanc inexistant dans le poème original. L explication de l ajout de l alinéa de la troisième ligne ne peut que ressortir à l influence de la poésie de Latif sur le traducteur lui-même. Nous ne pouvons pas affirmer que la réalisation de ces effets visuels [blanc, italique] dans le texte cible revienne à l éditeur puisque ce dernier est chargé plutôt de la mise en œuvre [format des pages, couverture, quatrième de couverture, etc.] en laissant la mise en page, surtout quand il s agit de la poésie, au traducteur. Cela n empêche pas que l éditeur puisse intervenir, sous prétexte de la fonction des techniques d impression, pour séduire le public visé. L enjeu de l orientation de la lecture en fait preuve dans les éditions bilingues de notre corpus, ce qui nous mènera peut-être à appréhender l influence indirecte du public sur la mise en œuvre. Ibid., pp. 86-87. Michel Butor a écrit à propos de ce que nous dit le blanc dans la poésie : « Le blanc n'est pas en effet seulement pour le poème une nécessité matérielle imposée du dehors. Il est la condition même de son existence, de sa vie, de sa respiration. Le vers est une ligne qui s'arrête, non parce qu'elle est arrivée à une frontière matérielle et que l'espace lui manque, mais parce que son chiffre intérieur est accompli et que sa vertu est consommée. », in « Le Blanc » par Catherine Ballestero, L aventure des écriture, site internet : http://classes.bnf.fr/ecritures/index.htm 264 Ibid., pp. 90-91. 262 263 - 141 Ahmed Khalifa La problématique de l édition bilingue en langues étrangères, surtout quand elles ne sont pas proches comme le français et l arabe, se résume donc dans la mise en page et les aspects visuels parce qu « à chaque public sa page265 ». Par contre, de notre point de vue, le statut paratextuel de la traduction est particulièrement visible sans oublier l enjeu, en général, qui réside dans le fait de considérer lequel des deux textes est un paratexte pour l autre. Ce statut des éditions bilingues fait partie, selon Genette, des trois pratiques indéniables de « la pertinence paratextuelle » 4.3 Notes du traducteur. Quant aux notes linguistiques ou historico-culturelles qui sont bien sûr l un des éléments du péritexte, elles justifient, dans une édition bilingue ou normale, les modifications que le texte a subies, ou plus précisément les difficultés stylistiques, linguistiques et culturelles. Mais nous allons nous intéresser ici aux aspects visuels des notes, c'est-à-dire l ouvrage en tant qu entité virtuelle. Dans une traduction, les notes du traducteur renvoient souvent à l acte de la traduction les différents types d opérations traductives comme le choix traductif ou les explications pour les omissions ; qu elles soient présentées en bas des pages ou à la fin, parfois elles se confondent avec celles de l auteur. Mais dans une édition bilingue, le lecteur [maîtrisant les deux langues « d arrivée et de départ »] en face des notes, pourrait mentalement valider ou non les commentaires linguistiques et culturelles qui accompagnent la traduction. Donc, à ce stade, la traduction se voit plutôt comme une interprétation particulière du traducteur. Il est véridique que chaque traduction est une interprétation quel que soit le mode de présentation du texte traduit mais l édition bilingue manifeste et même revendique ce statut d interprétation. L exemple suivant le montre : « A chaque public sa page : l exemple de Quatre fils Aymon » par Lucile Trunel, L aventure des écritures, site internet : http://classes.bnf.fr/ecritures/index.htm 265 - 142 Ahmed Khalifa - Quinze heures de voyage ! Il a fait quinze heures de voyage juste pour venir m embrasser. Mais entre, Mansourah. 266 ‫ أ خ ي ي‬،‫ أ خ ي‬. ‫س ع ل ي ي ل في س ي ي هب‬ .)‫جم‬ ‫(ل‬ ‫ل‬ ‫ح‬ ‫ سف خ س ع‬. ‫حيث ت‬ ‫ح ل‬ ‫ل‬ ‫ن‬ ‫سع س‬ ‫ل‬ ‫ل‬ ‫خس ع‬ ) (. ‫م‬ ————— ‫أق‬ ‫( ) ست س ع‬ Nous remarquons dans cet exemple que le traducteur a joint une note en bas de page pour nous donner son impression personnelle à propos de l information concernant la durée du voyage (15 heures). Disant que la surface du Liban ne permet pas de voyage de plus de six heures, il nous déclare son refus sans changer l information du texte original. Le lecteur donc se retrouve devant le choix de valider l information qui lui paraît la plus logique. C est une particularité de la traduction en édition bilingue parce que l information n est qu une remarque sur la logique du texte et si la traduction avait été éditée dans une version normale, le traducteur n aurait probablement pas introduit cette note ou l aurait remplacée directement dans la traduction. D ailleurs, ce qui distingue une traduction dans une édition bilingue d une traduction normale, c est que la première est formulée comme une réactualisation de l original et non comme méta-texte. De ce point de vue les notes sont les traces qui témoignent un travail effectué d une lecture personnelle du texte de départ : celle du traducteur. Pourtant, quand la traduction remplace son texte de départ, elle possède un autre statut outre celui du texte dérivé : celui de statut de texte indépendant. Dans ce cas, les interventions du traducteur se présentent sous une forme décisive puisque ses interprétations argumentées forcent le lecteur à les accepter. Alors que dans la version bilingue, le traducteur et son texte sont mis en cause et contrôlés par le lecteur. L exemple suivant montre que le traducteur a changé l information afin de rendre le texte plus logique, il a transformé les « cinq piastres » en « vingt-cinq piastres », ce qui lui parait le prix approprié à acheter un journal puis rendre la monnaie : - (ier, Par exemple, je te donne cinq piastres. Tu m achètes le journal et tu ne me rends même pas la monnaie. Où est-elle cette monnaie ? ‫ ف ين هي ه ل ؟‬. ‫ل ي‬ ‫ م‬، ‫ ش يت لي ج ي‬. ‫ ع ي ك بع لي‬، ‫ م ا‬، ‫ ل ح‬————— 267)‫جم‬ ‫(ل‬ ‫ل‬ ‫ل‬ ‫أق‬ ‫ق‬ ‫ق ش ب ا من خ‬ ‫ع‬ ‫أ خ‬، ‫بع لي‬ CHEDID A., L étroite peau, Al jild al musta īq, trad. de Na īm B” ān”s, éd. Bilingue, Dar AL Arab, Paris, 1984, pp. 150-151. 266 - 143 Ahmed Khalifa Enfin, la mise en page et les notes de bas de pages participent de l influence du traducteur qui a le privilège d effectuer par là la façon dont le texte traduit sera compris et cela précisément à l aide des notes. Toute existence d une note est donc significative et aussi, à la base, une justification masquée. De même, nous constatons dans notre corpus des cas où la non-addition d une note justificative par o‘ s indique la nonintervention ni de la part du traducteur, ni de l éditeur, exprime que le texte ne nécessite aucune forme d éclaircissement. Le cas est fortement marqué dans les traductions de la poésie. L exemple suivant le montre : ‫ه ل جه‬ ‫ع ك ن حي تي‬ ‫ع صفي‬ ‫ع أفق ل ق ئق ل‬ ‫في أح ه س ي‬ Ce visage Sur le suaire de ma vie Sueur saphique A l horizon des minutes suspendues Aux codes de l abysse ...‫غي بك‬ Ton absence 268 L adjectif saphique qualifie l homosexualité féminine. Tiré du nom Sapho ou Sappho, seule femme poète et réputée dans toute l Antiquité grecque et romaine. Que l on n ait d elle aucune biographie exacte, ni de portrait connu, cela n entrave rien à la force de sa légende. Quoique cette épithète contienne, malgré tout, une note libertine équivoque et plus défavorable aux amours féminines que le terme de lesbienne, saphique qualifie aussi une certaine forme de vers dans la poésie latine dont l invention est attribuée à Sapho. Ce qui nous intéresse ici, c est qu au niveau de la lecture, le sens de l adjectif, bien qu il soit porteur de plusieurs connotations, est connu en français. Alors que la translittération en arabe crée et fait exister un nouveau mot sans aucune mention d explication. Les traducteurs effectuant cette technique visuelle sur l écriture, inexistante dans le texte source, nous rappellent des enjeux de la traduction de [ Ce que le texte ne nous dit pas en mots]. CHEDID A., L étroite peau, Al jild al musta īq, trad. de Na īm B” ān”s, éd. Bilingue, Dar AL Arab, Paris, 1984, pp. 58-59. 268 LATIF-GHATTAS M., Les chants modernes au bien aimé, )btihālāt, op.cit., p.74 267 - 144 Ahmed Khalifa CHAPITRE II L’EPITEXTUEL ET SON ROLE DANS LA RECEPTION DES OUVRAGES TRADUITS - 145 Ahmed Khalifa Dans le chapitre précédent, nous avons montré que toute traduction n est pas un simple fait du seul traducteur. Elle est, avant toute autre chose, la production d une institution qui influence son résultat ou plutôt sa réception. Nous avons souligné les effets de plusieurs métiers qui interviennent dans la production tels celui du réviseur, de l éditeur et du préfacier dont les rôles sont de relever [ce qui ne va pas] et le signaler. Le but final en est bien sûr de présenter un ouvrage consommable par le public. Nous avons aussi essayé de situer les traductions de la littérature égyptienne d expression française dans leur contexte socio-historique. Ce contexte est bien notifié dans les préfaces, les titres modifiés, les mises en pages etc. En bref, toute œuvre littéraire l original ou la traduction doit tout d abord être acceptée dans ce que l on appelle « l économie politique de la littérature» de son pays et de son temps. En appliquant le concept de champ pour la traduction littéraire, nous avons interrogé les rapports de forces entre les différents agents du champ littéraire égyptien. Autrement dit, nous avons essayé de déterminer les enjeux spécifiques du péritexte par lequel se dit la légitimation de l œuvre traduite, liée à tel moment spécifique de parution. Nous avons aussi montré comment s opérait cette légitimation, qui étaient ses agents, o‘ ils se situaient dans l espace socioculturel et quel était leur « habitus269 ».Nous avons également montré que le péritexte d une traduction pouvait exprimer un sens, instaurer et témoigner un lien social. Après avoir exploré ces relations transtextuelles, au sens de Gérard Genette, nous nous autorisons à présent dans l étude qui suit à parcourir le deuxième élément du paratexte, l épitexte : « Un élément de paratexte, si du moins il consiste en un message matérialisé, a nécessairement un emplacement, que l on peut situer par rapport à celui du texte lui-même : autour du texte dans l espace du même volume, comme Expression bourdieusienne désignant le "système de dispositions réglées" pratiqué habituellement par les membres d une catégorie sociale à laquelle ils appartiennent. 269 - 146 Ahmed Khalifa le titre ou la préface, et parfois inséré dans les interstices du texte, comme les titres de chapitres ou certaines notes : j appellerai péritexte cette première catégorie spatiale, certainement la plus typique, et dont traiteront nos onze premiers chapitres. Autour du texte encore, mais à distance plus respectueuse (ou plus prudente), tous les messages qui se situent, au moins à l origine, à l extérieur du livre : généralement sur un support médiatique interviews, entretiens , ou sous le couvert d une communication privée (correspondance, journaux intimes, et autre . C est cette deuxième catégorie que je baptise, faute de mieux, épitexte, et qui occupera les deux derniers chapitres. Comme il doit désormais aller de soi, péritexte et épitexte se partagent exhaustivement et sans reste le champ spatial du paratexte ; autrement dit, pour les amateurs de formules, paratexte = péritexte + épitexte. »270 La pensée genettienne permet donc d aborder la théorie du champ de Pierre Bourdieu en ce qu elle peut être considérée comme un classeur dans lequel nous pouvons non seulement organiser la description des dispositions réglées au sein d un champ intellectuel, c'est-à-dire les arrangements reconnus et habituels entres ses acteurs, mais aussi celles qui sont éparpillées partout en dehors du texte. « Est épitexte tout élément qui ne se trouve pas matériellement annexé au texte dans le même volume, mais qui circule en quelque sorte à l air libre, dans un espace physique et social virtuellement illimité. Le lieu de l épitexte est donc anywhere out of the book, n importe o‘ hors du livre – sans préjudice bien sûr d une inscription ultérieure au péritexte »271 De ce fait, le public touché par l épitexte est plus large et plus vaste que celui touché par le péritexte. Le second s adresse aux premiers lecteurs alors que le premier s adresse à un public de deuxième degré par des messages éphémères et censés disparaître au moment où leurs fonctions « monitoires » se terminent. N importe où hors du livre se rencontre dans les journaux et les revues, dans les conférences et les colloques, dans les interviews et les entretiens, dans les autocommentaires et les autocompte rendus et arbitrairement dans la correspondance et le journal des auteurs [et ou traducteurs] éventuellement publiés dans un moment « anthume » ou « posthume ». Genette, passionné par les principes de typologie fonctionnelle, distingue essentiellement les épitextes éditorial, allographe, auctorial public et auctorial privé. 270 271 GENETTE G., Seuils, Editions de Seuil, coll. « Points », Paris, 1987, p.11. Ibid. p. 346 - 147 Ahmed Khalifa Est-il possible d appliquer cette pensée théorique sur un corpus donné ? La réponse est positive si l on tente l application sur un champ littéraire possédant une longue tradition éditoriale. Application possible si nous partons de l idée que tout livre est une marchandise. Mais est-ce aussi applicable sur la traduction ? La réponse est également positive puisque chaque traduction est un livre et, bien que ce livre soit « poétiquement » appartenant à une autre culture, il doit céder économiquement aux politiques éditoriales du pays récepteur ; plus généralement, il doit être déterminé par ce que Richard Jacquemond appelle « l économie politique de la traduction ». Posonsnous des questions encore plus profondes et qui remettraient peut-être toute cette étude en question. Les nombreuses études sociologiques du champ littéraire égyptien ont pu cerner les traditions éditoriales ou généralement culturelles de l Égypte. Aussi, de nouvelles études visant à établir une sociologie ou sociolinguistique de la traduction ont examiné avec précision le mouvement de la traduction. Est-il possible d étendre ces études à celle de l épitexte dans les traductions du monde arabe ? La réponse est positive si nous nous tenons juste aux deux premières typologies de Genette : l éditorial et l allographe officieux. En est-il de même pour l auctorial public et l auctorial privé ? Ces typologies sont-elles ad hoc pour la traduction ? Si oui, reposons-nous la question déjà débattue au chapitre précédent : les écrits du traducteur sur sa propre traduction, sontils allographes ou auctoriaux ? Pour mener une étude cohérente de l épitexte en traduction, il faut partir de deux principes :  Est allographe tout ce qui est écrit par une autre personne que le traducteur, présentant, commentant ou critiquant en arabe l œuvre ou sa traduction.  Est auctorial, ou ce que nous préférons appeler semi-auctorial, tout ce qui est écrit par le traducteur lui-même. )l faut aussi signaler que tout épitexte n est pas forcément un ensemble des discours fonctionnellement paratextuels. Les entretiens avec les auteurs des œuvres originales par exemple portent peu sur les œuvres elles-mêmes. Elles sont plutôt concentrées sur leur vie, leurs habitudes, leurs origines, leurs fréquentations, leurs opinions politiques, ainsi que leur correspondance ou leur journal et sont souvent très - 148 Ahmed Khalifa avares par rapport aux commentaires sur leur création. Les thèmes des entretiens ont généralement pour but de satisfaire le public de lecteurs curieux d en savoir plus de la vie personnelle de l écrivain « célèbre ». A contrario, et à partir de nos propres observations, les entretiens avec les traducteurs sont souvent concentrés sur leurs traductions, leurs réflexions traductologiques, leurs techniques, leurs points de vue concernant l avenir de la traduction etc. C est parce que le traducteur dans le fonctionnement d un champ littéraire ne jouit pas de cette légitimité, ou simplement dit, de cette « célébrité », qui lui assure une place assez importante pour attirer l attention ou la curiosité du public. Donc, les intérêts portés aux traducteurs sont, à l origine, des intérêts portés au mouvement de la traduction elle-même. Faut-il aussi s interroger de l existence de « grands » traducteurs, et si oui, pourquoi les grands traducteurs sont, dans leur majorité, de grands écrivains ? Autrement dit, le métier de traduction, est-il capable de hisser son serviteur jusqu à la surface du champ littéraire et le propulser au centre des intérêts intellectuels ? Sans se perdre dans les polémiques autour du regard de dévalorisation que l on adresse aux traducteurs, nous préférons relever ce fait, à savoir que l épitexte allographe ou auctorial remplit des fonctions paratextuelles sans limites. C est-à-dire que les commentaires sur l œuvre traduite, surtout en ce moment avec la nouvelle technologie informatique d internet, ne sont plus éphémères et deviennent de plus en plus larges et prépondérants. L épitextuel est maintenant presque « permanent » et pratiquement indiscernable à cause de [ou grâce à] l intervention écrite d une masse incommensurable de lecteurs sur des sites variés. Pour illustrer le phénomène, sur le moteur de recherche Google, il suffit juste de taper le nom d un auteur comme Albert Cossery en arabe entre guillemets pour avoir 10 000 résultats. Articles copiés et collés partout. Un seul article est consultable au moins sur 200 sites. Les commentateurs sont anonymes et les critiques inconnus. Nous constatons aussi un certain « agir » sur les textes, consistant à les manipuler ou les intégrer à d autres. Les chercheurs en sociologie de la littérature, souhaitant mesurer le pouls d une réception épitextuelle à la Genette d une œuvre littéraire auprès du public de lecteurs, sont invités à présent à se perdre dans le dédale des services informatiques : travail de fouilles des données disposées sur internet. - 149 Ahmed Khalifa 1 L’épitexte éditorial : Publicité de l’œuvre traduite. « Tous les moyens sont bons, pourvu que la marchandise s écoule. Tous les petits scandales sont utiles. On use des pires procédés pour pousser à la vente. Ici, on annonce — faussement — des tirages fantastiques ; ailleurs, on raccroche l attention avec des formules […]. Vous voyez le truc. Cela s appelle de la publicité, d aucuns disent : de la tromperie sur la qualité de la marchandise. 272» La fonction essentielle de tout épitexte éditorial est de promouvoir le livre en tant que marchandise. Cette fonction publicitaire est souvent de la responsabilité de l éditeur. L auteur [ou traducteur] ferme le plus souvent les yeux sur les « hyperboles valorisantes liées aux nécessités du commerce 273». « Entre l œuvre et les lecteurs, une médiation est, a toujours été indispensable : propagande de bouche à oreille, conseils du libraire ou du bibliothécaire, articles de presse, publicité sous diverses formes, les réseaux de médiation sont nombreux. […]On peut simplement se demander dans quelle mesure la contradiction inévitable entre l effacement de l écrivain et sa réapparition publique comme auteur se trouve aggravée par ce développement. » 274 L apport historique à ce point de la recherche remonte au ème siècle où nous trouvions Balzac et Maupassant s adressant à leur éditeur ou particulièrement Zola qui a écrit un article fameux sur les rapports entre la littérature et l argent. Ces références témoignent d une certaine pudeur par rapport au système éditorial et aux aspects économiques de la littérature. D o‘ s inspirent les nouveaux concepts théoriques de la sociologie de la traduction comme celui de l « économie politique de la traduction ». Y a-t-il des stratégies commerciales éditoriales propres à l œuvre traduite ? Et si oui, quels sont leurs traits ? Faut-il aussi admettre le fait qu une traduction littéraire devrait rejoindre les autres ouvrages locaux et, obéiraient alors tous deux aux stratégies éditoriales de leur réseau qu elles soient de production large ou restreinte. Dans les MERIC V., « Publicité littéraire », in L (umanité , n° 6754, 22 septembre 1922, article proposé par JeanPaul Morel in « Pierre Benoît et la publicité littéraire, par Victor Méric (1922) » consultable sur le site : http://www.lekti-ecriture.com 273 GENETTE G., Seuils, op.cit., p.349. 274 BERNARD P., in Le Débat, Gallimard, Paris, 1982, p. 79. 272 - 150 Ahmed Khalifa réseaux de large production, l enjeu réside aujourd hui dans la conviction du public, mal ou peu informé, par des moyens empruntés majoritairement au domaine du marketing : livre-prime, livre-dividende, livre-cadeau etc. Mais dans les réseaux de production restreinte, comme celle du champ égyptien, l accrochage du public potentiel se fait à travers les critiques journalistiques ou rarement à travers l annonce-presse dans les journaux spécialisés en littérature comme Akhbār al-adab à titre d exemple. Maintenant, nous remarquons une évolution dans les rôles du service commercial mais incomparable avec celle des pays européens. La littérature en France par exemple se soumet progressivement à l influence des médias si nous accréditons la thèse que Régis Debray a évoquée dans son ouvrage Le Pouvoir intellectuel (1979) : il s agit du transfert du pouvoir de l Université à l édition, puis de l édition aux médias. Au terme de notre analyse, nous avions ressenti un malaise à définir une véritable évolution de la représentation sociale du livre traduit en Egypte et plus particulièrement celle des traductions de la littérature égyptienne d expression française. Celles-ci étaient presque inexistantes entre 1952 et 1987 à cause des idéologies socialistes et conservatrices dominantes mais certes, pendant cette période, on a vu apparaître des stratégies éditoriales cherchant à situer les livres traduits sur le plan de la consommation. Notre analyse à présent concernera les textes publicitaires parus après 1987 et pour donner une représentation de l ensemble nous partirons d exemples issus de notre corpus. Les éditeurs en général préfèrent faire de la publicité pour « informer » plus que pour vendre. Ce qui nous pousse à distinguer entre deux sortes de publicités :  Une publicité informative qui décrit le livre, en tant que « produit », sur un mode objectif.  Une publicité de séduction qui fait souvent appel aux émotions pour déclencher l envie de lire. Avant d aborder nos exemples, nous signalons que l application de techniques publicitaires a commencé tardivement en Egypte. Qui plus est, les écrivains francophones égyptiens de la deuxième génération comme Solé, Assaad, et Mona Latif- 151 Ahmed Khalifa Ghattas profitent actuellement des changements idéologiques du pays et se présentent eux-mêmes sur le terrain pour promouvoir leurs œuvres. Nous constatons même quelque publicité faite par ces écrivains pour faire connaître leur produit dans sa version arabe. Publicité souvent lancée par les éditeurs qui ont des objectifs « ambitieux » de vente et qui insistent sur la présentation de l auteur « célèbre » et/ou « prometteur » selon les estimations de son éditeur. Certaines maisons d édition égyptiennes font de la publicité pour communiquer non pas sur le « produit » mais plutôt sur la « marque », c est à dire l éditeur et sa collection. Par exemple, l objectif d une publicité sur un roman traduit n est pas forcément la promotion de ce roman mais plutôt de montrer que tel éditeur a une collection de littérature traduite ou, au moins, édite des traductions. 1.1 Les annonces dans la presse Les publicités des dernières traductions de la littérature égyptienne d expression française sont beaucoup plus nombreuses que celles des premières traductions grâce à l évolution de la presse qui rentre de plus en plus en jeu dans la vie littéraire. Les éditeurs recourent à la presse quotidienne qui consacre des pages à la vie intellectuelle et littéraire pour annoncer la publication d un roman ou d un recueil de poésie. L exemple des romans de Fawzia Assaad, l écrivaine la plus active actuellement et la plus intéressée par son existence dans le champ littéraire égyptien, témoigne d une communication continue. Le contenu des publicités répandues dans la presse nous semble réduit à deux modes : la citation d un extrait ou la présentation d un résumé de l ouvrage. Le résumé n est en effet qu une simple évocation de la problématique du livre en des phrases lapidaires. Comme le montre l exemple suivant : ‫ ت ج ع بي ل ي ''أحا ق م ل ه '' ل ي أس عن‬، ‫ل ج‬ ‫ل مي ل‬ ‫عن م ع ل ب لين ج م ي ل م في ل ه إ ل ي‬ ‫ي م ي ت‬ ‫هي أ‬ ‫أح ث ل م ع ج م ي ل م‬ ‫ ت‬، ‫ف ي أس‬ ‫ي ل ي في س ي‬ ‫ئي ل‬ ‫ ج ي اات س‬. ‫ي ت م اج عي م ا ض م ض ن ب مج ت ي ل ي أه ي‬ 4002 ‫ اب يل‬42 ‫س اإم ا س‬ ‫أص ل ك‬ ، ‫لغ ل ن ي‬ ‫ل‬ ‫ليك‬ ‫في ل ه خ‬ ‫ال‬ ‫ال‬ Le Centre national égyptien de traduction a publié une traduction du français en arabe du roman de Fawzia Assaad Ahlam et les éboueurs du Caire. C'est le premier roman égyptien qui parle de la communauté des éboueurs du Caire. Les événements du roman écrit par la romancière égyptienne résidant en Suisse, Fawzia Assaad, touchent à la communauté des éboueurs du Caire, à leur milieu social et aux tentatives de les mettre - 152 Ahmed Khalifa dans des programmes de développement organisés par les associations de la société civile. Al Ittihad - pages spécialisées - EAU - 24 avril 2009 Cet exemple est paradigmatique de toute représentation publicitaire d une traduction arabe. Nous en soulignons les informations essentielles qui concernent l œuvre traduite selon l ordre suivant : éditeur, genre littéraire, titre de l œuvre, auteur, langue d origine, résumé, etc. Tout sauf le traducteur ! Récemment, nous constatons le rôle publicitaire des sites internet appartenant à de nouveaux journaux comme al-Yawm as-sābi , al-Masrī al-yawm, al-Shurūq, etc. Ceux-ci, durant les trois dernières années, ont acquis un certain pouvoir publicitaire sur internet outre celui du texte imprimé. 275 Dar al (ilāl a publié le roman "La nuit de la destinée" de l'écrivaine Out El Kouloub al Dimerdachiyya , une traduction de Mervat Chaykhoun. Ce roman fut publié en français en avant qu il fusse publié en arabe. Out El Kouloub l'a écrit pour les Arabes qui écrivaient et lisaient en français, une minorité fortement présente dans la culture égyptienne tout au long de la première moitié du XXe siècle, et dont la présence diminua à la suite de l'agression tripartite contre l'Égypte en 1956. Cet exemple montre le nouveau pouvoir publicitaire d internet qui dorénavant ne peut plus être négligé dans les recherches universitaires. Nous y remarquons tous les éléments nécessaires : information, image et « séduction ». Séduction correspondant à l horizon d attente de l œuvre traduite. L enjeu cette fois réside dans le retour de l œuvre à sa culture d origine. Le lecteur arabe dans cet exemple est séduit par l information 275 http://www.youm7.com/News.asp?NewsID=138764 - 153 Ahmed Khalifa donnée sur l œuvre « roman publié en français en 1954 avant sa publication en arabe, écrit par Out-el-Kouloub pour les Arabes qui écrivaient et lisaient en français et formaient une petite minorité fortement présente dans la culture égyptienne durant la première moitié du XXème siècle,[…]». L illustration decouverture du livre [femme voilée, oiseaux, deux enfants] est utilisée dans la publicité pour renforcer l atmosphère religieuse déjà présente dans le titre La nuit de la destinée. Illustration qui correspond relativement au thème de l œuvre, qui ne l isole pas de son horizon d attente et qui oriente bien sa réception. 1.2 Rhétorique de la séduction L habitude éditoriale en Egypte est l utilisation d images visuelles qui jouent sur le registre de la séduction. Les couvertures de livres portent majoritairement des illustrations que les publicitaires accolent aux contenus textuels qui sont souvent adaptés au champ sémantique de la culture d accueil. Les traductions de la littérature égyptienne d expression française ont presque tous connu le même type d annonce qui se rencontre de manière à peu près égale dans toute la presse égyptienne, spécialisée ou non. )l faut signaler que les œuvres originales subissent aussi certaines dérivations dans le champ français en ce qui concerne leur présentation visuelle, c'est-à-dire les illustrations de couvertures alors que les traductions accèdent directement à la culture égyptienne [retour aux sources] sans recourir à cette « rhétorique de la séduction 276» plutôt pratiquée par les maisons françaises d édition. L exemple suivant, bien qu il concerne le péritexte, montre ce changement : L., La publicité des éditeurs de livres de poche : un art du roman. DESS en technique de l information et de la communication : Marketing et communication, Paris , . 276BRUNET - 154 Ahmed Khalifa A B Les deux images précédentes sont les couvertures de l œuvre de Fawzia Assaad La grande maison de Louxor 1992 [trad. 2004]. Nous avons choisi de les analyser ici parce que les couvertures des livres ont un usage premier de publicité. A première vue nous remarquons une grande différence entre les deux images. La couverture de la version originale [A] présente une tête d une statue pharaonique alors que celle de la version traduite [B] présente un entrecroisement de caractères arabes et coptes, ainsi qu une croix et un premier croissant de lune. Le roman raconte l histoire d une famille copte depuis l époque de Muhammad Ali [1769- ] jusqu à nos jours en décrivant spécialement les changements sociaux après la révolution de 1952. La tête de Hatshepsout277 dans l image [A] n a presque aucun lien avec l histoire ni le temps du roman. Cette illustration fut sûrement choisie par l éditeur et la première réception souhaitée en est sans doute la liaison de Louxor, célèbre ville riche en monuments pharaoniques dont le temple d (atchepsout, la femme-pharaon. L atmosphère supposée par l illustration est donc historique, ce qui correspond sans doute à l horizon d attente du lecteur français. L illustration [B], celle de la traduction de l œuvre, est plus proche de l histoire du roman et plus appropriée à la culture source de l œuvre. Cette présentation à la manière des arts plastiques montre un chevauchement entre les caractères arabes et coptes, deux symboles religieux : la croix du christianisme et le croissant de lune de l )slam. Les mots arabes disent « Au nom de Dieu le Miséricordieux » et évoquent donc une atmosphère religieuse de l œuvre ou plutôt une histoire d interaction entre les deux 277 Reine d Egypte au début de la XV)))e dynastie de l époque pharaonique. - 155 Ahmed Khalifa composantes de la société égyptienne. Chacun de deux éditeurs semble donc vouloir séduire son lecteur par la promesse d une expérience unique de lecture même si c est avec une tromperie sur le sujet de l œuvre. Signalons enfin que l auteur a publié en un autre roman intitulé Hatshepsout : femme pharaon [trad. pas la fameuse tête de la reine égyptienne : ] et nous n y voyons Les exemples précédents ne sont qu une illustration de ce qu une image sert à transmettre d idées correspondantes à l horizon d attente du futur lecteur. La publicité littéraire use de ce que la société attend de lire et de savoir. Notre corpus révèle que l image de l œuvre traduite est plus expressive et plus « vraie » que celle de l œuvre originale. Cela est dû au fait du rapatriement et du retour du texte à sa culture source. Un dernier exemple représentatif de cette modalité de choix des images de couvertures montre la rhétorique de séduction dans chaque culture : A B - 156 Ahmed Khalifa Une montre gousset contre un homme assis apparemment à l aise. Deux visions différentes de la fainéantise. Pression [ou perte] du temps contre aucun sens [ou négligence] du temps. Chaque illustration joue donc aussi sur ses significations. Cossery n est-il pas appelé « le roi des fainéants »? La montre, nous transmet-elle la fainéantise par opposition ? Ce qui est bien évident, c est que les héros de Cossery dans ce roman ne sont pas des hommes actifs. Ils sont plutôt des hommes qui ne veulent pas travailler, des hommes qui préfèrent ne rien faire. 1.3 La publicité interne: Dār Al-(ilāl La publicité interne est une des stratégies publicitaires de certaines maisons d édition égyptiennes comme Dār Al-(ilāl qui, sur presque tous les quatrièmes de couverture de la collection Ruwāyāt Al-(ilāl, fait publicité pour d autres collections. Ce n est pas le cas pour les éditions du Centre National de la Traduction qui respecte les normes générales de l édition en mettant un résumé du roman ou une présentation de l écrivain. Dār Al-(ilāl jusqu à aujourd hui profite des quatrièmes des livres traduits : Out-el-Kouloub, Zannouba, Dar Al-(ilāl, coll. Ruwāyāt Al-(ilāl. [trad. ] Nous voyons que la quatrième de couverture est parsemée de première de couverture de livres d une pub pour une collection d un autre éditeur : romans égyptiens de poche, collection de romans policiers, de science-fiction, fantastiques, etc. Nous désignons par publicité interne toute présence d une publicité d une œuvre à l intérieur d une autre œuvre. L exemple suivant montre que les traductions de la littérature égyptienne d expression française publiées chez Dār Al-(ilāl recevaient le même traitement que l ensemble du système publicitaire de cette - 157 Ahmed Khalifa maison d édition. Les romans de Cossery, Chédid, Out-el-Kouloub et Assaad ont été montrés au public « restreint » de cette collection par deux fois selon ce système publicitaire interne de Dār Al-(ilāl, un mois avant et un mois après la publication de l œuvre : La dernière page du roman Layl wa nahār, Salwa Bakr, Riwāyāt Al (ilāl, février . Un dernier cas, à ce stade, mérite d être signalé, il s agit de la présence d un autre type de publicité rarement utilisé mais qui fait preuve, selon notre point de vue, d une certaine violation des lois éditoriales : Albert Cossery, Al- unf was-Sukhrīa, Dār Al-(ilāl, La quatrième de couverture de la traduction du roman d Albert Cossery La violence et la dérision 1 porte une publicité d un point de vente pour appareils photographiques et services Konica ! La présence de ce type de publicité vaut, outre les gains matériels qu elle apporte, abus quant aux droits de l auteur et outrage aux lois de la vie culturelle. Enfin, la publicité des œuvres traduites s inscrit dans l ensemble des pratiques éditoriales du pays récepteur. Les annonces de presse et les présentations visuelles des œuvres des écrivains francophones égyptiens sont plus justes et propices à l esprit de - 158 Ahmed Khalifa l œuvre, comme nous l avons dit. L économie politique de la traduction ne se trouvait pas à contre-courant comme pouvait l être parfois celle du champ français. Cela est dû à la nature des œuvres francophones qui s est assurée, au moins sur le plan publicitaire, d une meilleure « récupération de culture ». - 159 Ahmed Khalifa 2 L’allographe officieux. On sait que Stendhal rédigea lui-même et publia, dans les Débats, sous le couvert de l anonymat, un article élogieux sur l (istoire de la peinture en Italie, et dans le Paris Monthly Review, sur De l amour, elliptiquement signé S.278 L allographe officieux est, de notre point de vue, le mode le plus important de la paratextualité. Sociologiquement parlant, c est le lieu o‘ s inscrit la réception d une œuvre littéraire sur un support, ou un environnement, situé dans un cercle plus éloigné. C est la première fréquence d une réception intelligente de l œuvre, localisée loin du texte au sein d un espace social « illimité ». Pourrions-nous dire que l allographe officieux permet la coprésence de plusieurs transcendances textuelles ? En effet, tout allographe officieux, outre sa fonction paratextuelle, peut remplir d autres fonctions intertextuelles, métatextuelles et architextuelles. Notre recherche prendra une autre dimension sur ce point puisque dans l analyse sociologique de la traduction, nous avons constaté qu en raison de l écart temporel entre les œuvres littéraires et leurs traductions, le sens des œuvres n était pas bien protégé contre les risques de surinterprétation, de mésinterprétation menées par les critiques du monde arabe. L allographe officieux prend souvent la forme d un article critique plus ou moins influencé par un double label éditorial et auctorial que le public n est pas censé connaître. L idée est très simple si nous prenons en considération qu une traduction est une production d un éditeur [et/ou traducteur] et, si l un des deux possède assez de connaissances dans son réseau intellectuel, l apparition d une étude ou article critique sur l œuvre traduite « assure » dès lors son existence en général et, peut-être sa « vente » en particulier. Dit à la manière de Genette : « Je ne veux rien dire, mais il faut quand même que « cela se sache ». A quoi servent les amis ? »279 Examiner l allographe officieux, c'est-à-dire les articles et les études critiques publiés en arabe sur la littérature francophone égyptienne, nous a amené à distinguer trois types différents : 278 279 GENETTE G., Seuils, op.cit., p.350. Ibid., p.351. - 160 Ahmed Khalifa  D abord, les études rédigées en français puis traduites en arabes. Dans ce cas, les études sont basées sur la lecture des textes dans leur version originale et ne rentrent logiquement pas dans les enjeux de la réception de la traduction puisqu elles ne sont que des textes antérieurs à ceux-là. Les articles et les études critiques des chercheurs français tels D. Lançon et S. Jaron, traduits en arabe et publiés dans les deux revues littéraires égyptiennes : al-Qāhira en 1995 et Ibdā en 1996, en sont des exemples représentatifs. Ce type d allographe, nous l appellerons l allographe traduit.  Deuxièmement, les études critiques rédigées directement en arabe mais aussi basées sur une lecture en français des œuvres. Celles-ci sont faites le plus souvent par des universitaires spécialistes de littérature française tels R. Yaq”t, ). Al-(usseini et Walīd Al-Khashshāb. Cette fois les chercheurs, francophones eux aussi, ne font que s auto-traduire en arabe et nous livrer leur réception de l œuvre dans sa version originale. Dans ce cas, sommes-nous toujours devant une réception en arabe des œuvres des écrivains francophones ? La réponse est négative puisque le chercheur n a fait que traduire sa réception de la langue originale et donc nous sommes toujours devant une traduction, non devant une réception de la traduction. Nous appellerons celui-ci l allographe auto-traduit.  Enfin, les articles et les études basées sur la lecture des textes en arabe qui sont très rares mais qui, de notre point de vue, sont les plus intéressants pour notre étude. Existe-t-il un chercheur ou journaliste arabe, qui ne maîtriserait pas la langue française, et aurait mené une étude critique sur les œuvres des écrivains francophones égyptiens ? Et si oui, juger la poétique d une telle œuvre par exemple ne serait-il pas à la base un jugement de la poétique de la traduction ? Ce dernier type sera appelé l allographe récepteur. Nous allons étudier dans les pages suivantes des exemples représentatifs des trois types. Notre choix prendra toujours en considération le rôle des traducteurs comme à la fois thème et acteur de la réception des œuvres traduites. - 161 Ahmed Khalifa 2.1 L allographe traduit Est allographe traduit toute réception critique de la littérature égyptienne d expression française dans le champ littéraire français, rédigé par un chercheur ou un journaliste [et/ou francophone non arabe] puis traduit en arabe. Dans ce cas, nous sommes devant une réception du premier degré : celle de la langue originale du texte. Le fait de traduire ces articles a pour but de présenter un point de vue critique au lecteur arabe qui lui permettra de se construire une idée d ensemble sur l œuvre de tel écrivain ou tel poète. Nous pouvons dire que la plupart des éléments biobibliographiques de ces écrivains nous est arrivée par les études de Lançon, Luthi, Jaron et d autres. Ce qui nous paraît tout à fait normal puisque la société égyptienne n était pas intéressée par cette littérature pour les raisons que nous avons déjà expliquées au premier chapitre. La recherche académique en France, elle, s était intéressée à cette littérature depuis . Citons la thèse de Marguerite Lichtenberger intitulée Les écrivains français en Egypte contemporaine (de 1870 à nos jours) soutenue à l université de Lyon et publiée la même année par les éditions PUF. Dans cette thèse, nous trouvons la première mention aux jeunes poètes égyptiens qui écrivent en français tel Jabès, Henein et Muscatelli. La critique française avait donc connaissance de cette littérature dès ses débuts. Nous ne détaillerons pas notre analyse de l allographe traduit parce qu il est, avant toute autre chose, composé des textes traduits et concernent plutôt la réception de cette littérature dans le champ français. Nous poserons juste la question du choix des articles à traduire. )l faut aussi souligner que la réception des œuvres francophones égyptiennes dans la société française a fortement influencé leur réception dans leur culture d origine par le biais de la traduction des articles critiques. Est-ce du fait du hasard que la question de l existence de cette littérature dans la culture française devint celle au sein de la culture égyptienne ? Autrement dit, l allographe français n a-t-il pas influencé l allographe francophone et arabe ? Comme nous l avons montré au chapitre préliminaire, les écrivains francophones égyptiens ont reçu beaucoup de critiques dans le champ littéraire français. Certaines étaient centrées sur la langue « étrange » de ces textes. Mais le problème central resta toujours celui de l identité. Les recherches universitaires ont essayé d aller en amont du phénomène pour l interroger dans ses conditions socio-historiques comme le faisait - 162 Ahmed Khalifa spécialement D. Lançon. Cette problématique a occupé les instances critiques dans le monde arabe et nous nous demandons toujours si les discours autour de cette littérature en France ont pu vraiment influencer les discours littéraires dans le monde arabe, par la traduction des articles et des études critiques en français. La traduction de Jabès en arabe par exemple, ne fait-elle pas suite à la demande lancée dans l article de Steven Jaron sur l œuvre de l écrivain ? Bachīr As Sibā ī nous a confirmé lui-même avoir répondu à la demande de Jaron par la traduction de quelques poèmes de Jabès dans la revue )bdā [déc.1996]. Celle-ci contient aussi l article o‘ Jaron formule sa demande. Jabès, poète égyptien traduit en arabe sur la demande du chercheur français, restera cependant l un des poètes les moins traduits jusqu à nos jours : ‫ي م ل إ مو ج بس ب ص ه ك ت م ي ؟ ب ك نت إج ب ب إي‬ ‫ل‬ ‫أ ي‬ ‫ف ل من ل‬ ‫أ ك ب ف ن نيين آخ ين س خ ص جو ج ح ين أل ي ق ي‬ ‫م أخ ن ب ين اع‬ ‫خص‬ ‫ ه ق‬، ‫ل ه‬ ‫من م‬ ‫ن ي من ج نب ب ي ال عي في ع ف ي‬ ‫كن م ض ع ل‬ ‫ا ع فين‬ ‫يين من ج نب أس ت‬ ‫ل ن نيين ل‬ ‫ك ي من ل س ل ي ت ج ع ل‬ ‫ل ين ل يل ل‬ ‫ل ن نيين ليس ل‬ ‫بل‬ ‫ي‬ ‫ ه اء ل‬. ‫ك ي ين آخ ين ب ل ف ل ي‬ ‫ ب‬. ‫ل ص‬ ‫ف مل‬ ‫ن ي‬ ‫ه اء ل‬ ‫ بل أن م ي ك أ ت ي ن‬، ‫ع لم م‬ 280.‫به ق ح نت‬ ‫اه‬ ‫ل‬ ‫ ف ب ت‬، ‫ن أ ب ين ع م من حيل إ مو ج بس عن م‬ ، ‫س‬ Est-il possible qu'on considère, un jour, Edmond Jabès comme un écrivain égyptien? La réponse serait affirmative, surtout si on prend en considération que d'autres écrivains francophones – notamment Georges Henein et Albert Cossery – ont été l'objet d'un regard critique de la part de Bachīr As Sibā ī dans le numéro de février de la revue Al Qāhira. )l y a beaucoup d'enthousiasme affectueux envers le groupe d'auteurs égyptiens francophones du côté des professeurs, des étudiants et beaucoup d'autres connaisseurs de la culture moderne. Ces gens s'intéressent aux auteurs francophones non seulement par une belle nostalgie d'un monde passé, mais parce qu'ils comprennent que l'estimation de ce qu'ont accompli ces écrivains enrichit leur compréhension de l'Égypte contemporaine. Près de quarante ans après le départ d'Edmond Jabès de l'Égypte, le moment de s'intéresser à lui est peut être venu. Traduire Jabès, pour Jaron, devait aider à mieux comprendre l Egypte contemporaine. Ce que nous intéresse dans cet exemple, c est cette interaction effective ou autrement dit, ces relations interpersonnelles entre le chercheur français et le traducteur égyptien dans le cadre de rapports « sociaux » qu ils développent dans leurs 280 JARON S., « Dhikrā firāch », trad. de Bachīr As-Sibā ī, la revue )bdā , N° 12, Le Caire, 1996, p. 67. - 163 Ahmed Khalifa études. Pourrions-nous dire que si Jaron n avait pas sollicité As Sibā ī pour traduire Jabès, ce dernier n aurait probablement pas été traduit ? C est dans ce genre d exemple que nous pourrions concrétiser ces rapports effectifs [et ou objectifs] puisque traduire Jabès, comme nous le voyons, n était pas une réponse à un besoin du public mais plutôt résultat d une interaction à l intérieur d un réseau limité. Ce « traduire » pour « faire plaisir » devient quelquefois un « traduire » pour « contredire » comme le faisait le traducteur égyptien Ahmed Uthmān comme il le déclara, à la fin de sa traduction d un article de Jean-Jacques Luthi sur la poésie surréaliste égyptienne, exprimant son désaccord avec le chercheur français. Luthi, dans la version traduite de son article, dit à propos de Georges Henein : ‫ف ن من‬ ‫ ل ن هل م ك ب ش ؟ ا حيث ن‬، ‫ج ب ي ي‬ ‫ت به ق ئ ق ئ ن يه ب ت‬ ‫ل ي ا عاق ل‬ ‫ ف ا عن اس‬، ‫ل ع‬ ‫ك ل‬ ‫خ ل م‬ ‫لغ ي ل‬ ‫ل‬ 281 .‫ليك‬ ‫ع ثل ه‬ ‫ ص ت ت ي ع أخ ل‬: ‫ب ل ض ع‬ Ses poèmes ressemblent à ceux d'André Breton et Jacques Prévert, mais estce que ce qu'il a écrit est de la poésie? Non, puisque nous trouvons un déluge d'images étranges, criantes et ardentes comme un feu illusoire, outre les métaphores qui n ont aucun rapport avec les thèmes: une image se jette sur l'autre pour faire émerger une troisième, et ainsi de suite. Luthi considère donc que l écriture de (enein n est pas de la poésie et cela pousse le traducteur égyptien à écrire dans une note finale : ‫ح ين « ب م ت ي‬ ‫ في ي ص ج ن ك ت عن ش ع ن »ج‬، ‫ب م ن ف مع ت ك ل س‬ ‫ أس‬:DETOURNEMENT ‫ل ي لي في اخ ف‬ ‫ ن ت‬،‫ل ء ع آخ ين‬ ‫ء‬ ‫ ه اء ل‬.. ‫ ع ن ج ت م ل ي‬،‫ل ي ل اق ع ل يع‬ ‫أجل ف ح أب‬ ‫ان ضي ل‬ 282 ) ‫ل ي ل‬ ‫أ ب ل (ل‬ ‫ ب‬، ‫ل ين م م أقا ل ل ل ئ‬ Autant nous sommes en désaccord avec cette étude, concernant le point de vue de son auteur sur notre poète Georges Henein, autant elle jette la lumière sur d autres. L'esprit du surréalisme s'est reflété dans le détournement : le style révolutionnaire innovant pour ouvrir les portes de la spontanéité créative chez tout le monde sur leurs productions poétiques... Ces poètes que les plumes des ignorants prédominants ont effacés, délibérément ou par paresse (pour ceux qui sont de bonne foi) A première vue, la critique de Luthi sur la création de Henein est issue des critiques circulant autour de toute la création poétique des surréalistes. En même temps 281 282 LUTHI J.-J., « Al qa īda as s”rialiya fi mi r », trad. d Ahmed uthmān, Akhbār al-adab, 12-07-1996, p.26. Ibid, p.27. - 164 Ahmed Khalifa la poésie dite de détournement mentionnée par Uthmān est un autre « surnom » de la poésie surréaliste en général et non pas une spécificité de la création de Henein. Les grands poètes du détournement sont aussi Jacques Prévert et André Breton, ceux avec qui Luthi compare la création de Henein. Donc, de notre point de vue, le chercheur français et le traducteur égyptien disent presque la même chose sauf que le premier délivre sa propre réception. Dans tous les cas, personne ne peut nier l importance des études de Luthi en tant que référence riche d informations et tout aussi « solide » méthodologiquement sur la littérature égyptienne d expression française malgré quelques fausses informations que les traducteurs corrigent de temps en temps dans la version traduite de l étude. As Sibā ī par exemple rectifie en note de bas de page les informations mentionnées par Luthi dans son étude sur le mouvement surréaliste en Egypte : ‫ ك في ب يس آن‬، ‫ح ين ل ي ل ك في م ي‬ ‫لم ي قع ج‬  . ‫بي ت س ت ل ع في ي ي‬ ‫ص ل ي ل ك في ي‬  283 .‫ل ين ح ي ن صف‬ ‫م ا اب ه ع‬ ‫ بل ن‬،‫ل ي ن صف‬ ‫أي ن‬ ‫ل‬ ‫لم ت‬  Georges Henein n'a pas signé le manifeste mentionné au Mexique, parce qu il était en ce moment à Paris. Ledit manifeste fut publié en décembre 1938 alors que le groupe fut fondé en janvier 1939. Al Ta awur n'a publié aucun texte de ifnī Nā if, mais il a publié des articles de son fils, ) ām ed Din ifnī Nā if. .    Nous pouvons constater que le peu de ce qui est traduit de l allographe officieux français est choisi pour les informations qu il donne sur une seule particularité du phénomène de la littérature francophone en Egypte, celle du surréalisme égyptien. Mouvement dont les premiers efforts de propagation dans le monde arabe reviennent à deux personnes : Anwar Kāmil et Bachīr As Sibā ī qui, entre et , ont traduit la création littéraire et critique du patriarche des surréalistes égyptiens : Georges Henein. 2.2 L allographe auto-traduit Est allographe auto-traduit toute réception critique de la littérature égyptienne d expression française rédigée directement en arabe par des francophones arabes [écrivains, chercheurs, journalistes]. La spécificité de cette catégorie réside dans le fait que le critique a lu l œuvre dans sa version française puis rédige son étude en arabe. Une LUTHI J.-J., « Al araka al s”rialiya fi Mi r », trad. de Bachīr As Sibā ī, Al Kitāba al ukhrā, n° 1998, pp. 121-139. 283 - 165 Ahmed Khalifa , -02- fois encore, la traduction ne rentre pas dans le jeu de la réception. En revanche, son intérêt réside dans ce que nous pourrions appeler l auto-traduction de la réception en langue étrangère. On peut se demander si, ayant un accès direct au texte original, les francophones arabes ont su véritablement interroger le propre des écritures francophones égyptiennes. Dans son article intitulé Georges Henein284, Adil ub ī 285 discute en profondeur le problème de l émancipation de l homme chez (enein. )l compare (enein avec beaucoup de poètes français comme Lamartine, Calet, Baudelaire, Rimbaud, etc. Nous allons prendre un petit paragraphe dans lequel ub ī montre la différence entre (enein et Lamartine concernant la notion du temps : ‫ل ف اب من‬ ‫ل‬ ‫به ت‬ ‫أم ش ع ا‬ ‫يع أ ي‬ ‫(ل ي ) ل‬ ‫ت ع ص‬ ‫ ل يق ه‬. ‫من قي‬ ‫ح ين ل ي ي ت ك في م ل ه ت ي إن‬ ‫ج‬ ‫م‬ ‫اب من ت ي ه من ل ق ل ي‬ ‫م‬ ‫في ع‬ ‫لغ ء ل من ل ي ن إن‬ ‫لا من ه ف ن ن أن‬ ‫ل من ل ص ل م‬ ‫عن يق خ جه من ح‬ ‫ت ح ي‬ ‫ي ب من ل من أ ي قف عن ل ي من ل ع ل ي أ ت قف‬ ‫حيق ل ب مع ل ي ك ق ل ع ل م ن ي أل نس ام تين في ق ي ته ل ي‬ ‫ل‬ ‫ح ي ح ج ء ً من ل‬ ‫أم ك تب ي م ب لغ ء ل من ك ي ات مع ل‬ 286 .‫كا م ن ا ي ن ف ل ل ء فيه عن ل ل‬ ‫ت سق ل‬ Le vrai problème de Georges Henein se concentre dans sa tentative à libérer l'homme de ses restrictions. Et pour atteindre cet objectif, il faut abolir le temps qui emprisonne l'homme à une époque déterminée, il faut le délivrer de l'angoisse qu'il ressent vis-à-vis de la mort en le dégageant du siège de temps pour parvenir à la zone de l'intemporalité. Nous nous trouvons ainsi devant un poète qui ne demande ni au temps de cesser de s'écouler ni aux horloges rapides de cesser de tourner afin qu'il puisse goûter le nectar de l'amour avec l'être aimé, comme l'a dit le poète romantique Alphonse de Lamartine dans son célèbre poème « Le lac » mais, nous sommes devant un écrivain qui rêve d'annuler totalement le temps et de s'unir avec le lieu jusqu'à ce qu'il devienne une partie de l'univers dont les éléments s'unissent et se coordonnent pour former un tout homogène o‘ chaque partie n est pas séparable du tout. La mesure du temps, selon ub ī, est donc différente chez les deux écrivains. Comparant deux poètes appartenant à deux mouvements différents, voire même opposés, ub ī a su présenter brièvement la notion subjective du temps chez les deux. La comparaison domine presque tout l allographe auto-traduit de notre corpus et c est UB Ī A., « Georges (enein, )bdā , N° 12, Le Caire, 1996, pp. 35-43. Professeur de littérature française à la faculté de Lettres – Benha, Université de Zagazig, Egypte. 286 UB Ī A., « Georges (enein, )bdā , op.cit., p. 38. 284 285 - 166 Ahmed Khalifa sans doute parce qu il est, dans sa majorité, la réalisation d universitaires égyptiens francophones. Walīd Al khachāb, traducteur et chercheur égyptien, a fait, lui aussi, une comparaison entre le roman d Albert Cossery Mendiants et orgueilleux (1951) et sa version cinématographique d Asmā El Bakrī : le film Chaḥḥāzūn wa nubalā (1991). Pointant la différence pertinente entre la réception du roman en France et celle du film dans le monde arabe, Al Khachāb déclare que le film parut à un moment de la société égyptienne o‘ elle n était pas prête à le recevoir ! et malgré tous les efforts possibles de la réalisatrice pour être fidèle au texte. Par ailleurs, le fiasco du film semble être aussi dû à sa réalisation peu conforme à l esthétique dominante du cinéma égyptien : ‫ن اء) ا كا من ل ين س‬ ‫) في م (ش‬ ‫م‬ ‫غم اخ اف بين ي (ش‬ ، ‫ غم أ ه أم ن ن ي‬، ‫ل ي‬ ‫ ك ج ء ل ي م أمي ب ل‬. ‫ل سيط ب يث ج ء ل ي ع ي‬ ‫أ‬ ،‫ف غي م ي ل له‬ ‫ ل ن ي أ ل ي م ص ع في‬.‫ل ي م‬ ‫ميس ل‬ ‫غم أن لي ت ب ل‬ ‫ه في‬ ‫ب‬ ‫ بي ل ي ت‬،‫ل ن ي أصا‬ ‫ ل ج ء ك نه م جه ل‬، ‫غم م ي ه ل ق‬ 287 . ‫ت‬ ‫أ‬ Malgré les différences entre le roman Mendiants et Orgueilleux et le film Mendiants et nobles, les deux œuvres ont utilisé les outils d un médiateur de sorte que le résultat est venu génial. Le film est fidèle au roman, même si cette fidélité est relative et même si elle n'est pas nécessairement une mesure de la qualité du film. Cependant, il reste que le film ait été fait dans des conditions peu propices à son acceptation, en dépit de son identité égyptienne, c'est pourquoi il semble davantage être adressé au public français, tandis que le roman s'enracine dans un sol qui l'accepte. Le film n aurait pas réussi, selon Al-Khachāb, à rendre le roman de Cossery. L une des raisons les plus fortes de cet échec, Al-Khachāb continue, est que le roman discute de thèmes inexistants dans la société égyptienne comme la terreur nucléaire et la question de Hiroshima dont les sociétés capitalistes européennes sont traversées. Le public égyptien quant à lui attendait qu un film traitant de la période des années , dans un quartier rouge , soit « rempli » de scènes érotiques comme d autres films traitant de cette période tels Darb al hawā (1983), Khamsa bāb (1983), etc., ce qui était totalement absent du film d Asmaa al Bakry. Cet échec paraît inévitable à Al-Khachāb puisque le cinéma ne pouvait traduire certaines spécificités de l œuvre de Cossery, même si ce dernier écrivait directement en arabe. L abondance des monologues intérieurs et le style philosophique et satirique chez le narrateur sont en effet les caractéristiques 287 53. Al Khachāb W., Albert Cossery yadkhul as sinimā , Adab wa naqd, n° - 167 Ahmed Khalifa , Le Caire, Novembre , p. essentielles du roman. Deux caractéristiques de nature « linguistique » alors que le cinéma dépend de l image « matérielle ». Le reste des allographes francophones est plutôt de nature informative que critique. De jusqu à aujourd hui, on dit presque la même chose sur cette littérature. Vingt ans de discours autour de l identité des écrivains francophones, le rôle de certains écrivains comme Henein et Mansour dans le mouvement surréaliste, l inspiration égyptienne d Ahmed Rassim, la présentation biographique de Chédid et Cossery, le poétique chez Mona Latif et l actualité chez Fawzia Assaad. Phénomène de discours critiques répété que la littérature francophone en général subit depuis plus de 50 ans. Ce type de discours avec ces questions dominantes, toujours mis en avant et accompagné d un certains nombre d idées admises inspirées des discours du champ français, caractérisent les débats autour du phénomène. Répétitions que le champ français luimême a pris en considération depuis 1987 à travers les propos de Jean-Marc Léger, l un des promoteurs de la francophonie : « On n en finit plus de faire les mêmes constats, de concevoir des mesures de redressement et des plans d action, de réfléchir mille fois sur les mêmes thèmes, de rééditer les mêmes enquêtes, les mêmes groupes de travail, les mêmes séminaires et colloques. D o‘ une constante inadéquation entre l immense effort de réflexion et de propositions consenti depuis un quart de siècle et la minceur des résultats enregistrés. »288 De ce point de vue, nous pourrions donc expliquer ces répétitions dans le champ arabe par son rapport de dépendance vis-à-vis du champ français. Parfois, l allographe francophone s inspire de l allographe français et, dans ce cas, nous sommes plutôt devant une réception de la réception de l œuvre. Ce qui paraît peutêtre légitime puisque, comme nous l avons dit, les références critiques sur la littérature égyptienne d expression française sont « françaises ». L exemple suivant montre ce cas de « para-critique » autant que nous pourrions l appeler comme telle : ‫ي‬ ، 288 ‫ل لك س ش‬ 1 ‫ل ب يس ع‬ ‫ في ح أض‬. ‫ل ي لي‬ ‫لي ف‬ ‫ص ل‬ ‫خل ل ك ل ي لي ف‬ ‫ً ب يع ل‬ ‫ل ش ج يس م‬ ‫ ا ن ب أم س ع ن‬، ‫لغ ي‬ LEGER J.-M., La francophonie : grand dessein, grande ambiguïté, Nathan, Paris, 1987, p. 192. - 168 Ahmed Khalifa ‫ من ه‬. ‫ن س ج ي‬ ‫ع‬ ‫ل‬ ‫ت‬ ‫ي مي ي‬ ‫خ ص ً أ ه ل ك ك نت ت غب آن في ث‬ 289 ‫ي لي‬ ‫ ن ف م ق م ه ج يس ل ك ل‬، ‫ل ا‬ La poésie de Joyce est née armée de toutes les caractéristiques déclarées par les surréalistes. Si l'on ajoute à cela le charme de sa personnalité exotique, on ne s'émerveillera pas de la rapidité de son engagement dans le mouvement surréaliste dès qu'elle est arrivée à Paris en 1956, surtout que ce mouvement voulait alors prouver son dynamisme et s'efforçait à trouver un nouveau souffle. De cet exposé, nous découvrons ce qu a offert Joyce Mansour au mouvement surréaliste ! Dans cet exemple, voyons comment l allographe francophone égyptien est influencé par l allographe français. N est-ce pas parce que ces critiques francophones sont logiquement biculturels ? Et le fait qu ils soient influencés par les critiques du champ français est tout à fait normal. Antoine Jockey, l auteur de la citation précédente, n hésite pas à dire ce qui a déjà été dit au centre littéraire à propos de Joyce Mansour : « le charme de sa personnalité étrange lui a facilité son accès rapide au mouvement surréaliste dès son arrivée à Paris en 1956. », phrase répétée presque à chaque fois que l on mentionne le nom de l auteur. 2.3 L allographe récepteur Est allographe récepteur toute réception critique de la littérature égyptienne d expression française rédigée directement en arabe par des Arabes [souvent] non francophones [écrivains, chercheurs, journalistes]. Dans ce cas, la traduction rentre dans le jeu de la réception parce que le critique est censé ne pas avoir lu le livre dans sa version originale. Mais est-il possible de juger la poétique d une œuvre littéraire dans sa version traduite ? Cette question a fait débat et suscité plusieurs analyses centrées sur le rapport poétique entre texte et traduction. La critique d une œuvre traduite rencontre systématiquement cette problématique au risque d être « injuste » en raison de ce que Meschonnic indique dans son livre Pour la poétique II (1973) : « Le rapport poétique entre texte et traduction implique un travail idéologique concret contre la domination esthétisante l « élégance » littéraire) qui se marque par une pratique subjective des suppressions (de répétitions par exemple), ajout, déplacements, transformations, en fonction d une idée toute faite de la langue et de la littérature – qui caractérise la production des traducteurs comme production idéologique alors que la 289 http://egyptianpoetry.jeeran.com/Gewis%20Mansour%20-%20Antwan%20Jouky.htm - 169 Ahmed Khalifa production textuelle est toujours au moins partiellement anti-idéologique. La poétisation ou littérarisation , choix d éléments décoratifs selon l écriture collective d une société donnée à un moment donné, est une des pratiques les plus courantes de cette domination esthétisante. De même la réécriture : première traduction « mot à mot » par un qui sait la langue de départ mais qui ne parle pas texte, puis rajoute de la « poésie » par un qui parle texte mais pas la langue. »290 Les opérations traduisantes pourraient, grosso modo, changer le « littéraire » d un texte selon Meschonnic. Peu d allographes récepteurs arabes se sont concentrés sur la critique littéraire des textes traduits. Nous allons essayer d analyser des exemples représentatifs qui donnent une idée d ensemble de l opération de l allographe arabe sur la littérature égyptienne d expression française. Le plus souvent, les critiques sur cette littérature se sont inspirées des critiques originales, c'est-à-dire faites à partir de la lecture des œuvres originales. C est ainsi très difficile de savoir si un critique arabe a mené son étude en se basant sur la lecture seule du texte traduit. De plus, si nous nous permettons de décrire le lieu de l allographe récepteur concernant cette littérature, disons qu y circule nombre de fausses informations sans entraves. Mu ammad al ujīrī, écrivain libanais, a écrit dans le journal al-Jarīda en 2008 que le poète juif égyptien Edmond Jabès n était traduit que par échantillons et que jusqu à aujourd hui, l on n avait pas traduit l entièreté de ses œuvres. )l s est demandé pourquoi Jabès et Rassim n avaient pas reçu l attention accordée à (enein et Mansour. Commençant son article par « en lisant les traductions éparses du poète juif égyptien… » il enchaîne sur une biographie de l auteur puis, procède à une analyse de la poétique chez Jabès. Bien qu il fasse une présentation générale de l auteur, il focalise son analyse sur le vocabulaire du Jabès traduit : ‫ ق‬،ً ‫دص ءد ع ح‬ ‫ء ل ء‬ ‫ل‬ ‫ ت‬.‫س ه‬ .291 ‫ه في ق ه‬ ‫ ا ت ل م‬،‫ج بيس‬ ‫دك د ح ض ب في ن‬ ‫لنب م‬ ‫ل‬ ‫أخ ت ي ل ح م ل ل مل لغ‬ ‫ت عي م‬ ‫ع ج ه ع ل ت ل ت‬ ‫ت‬ ‫ حيث ل‬،ً ‫غي ل غ ق ب‬ Si le mot «livre» semble fortement présent dans les textes de Jabès, le mot «désert» n'est pas moins présent lui-aussi. D'autres termes appartenant au même champ peuvent désigner celui-ci comme le sable, la poussière, le MESCHONNIC H., Pour la poétique II, Gallimard, Paris, 1973, p. 315. Al jarīda, Kuwait, -09-2008. Consultable sur le site : http://www.aljarida.com/aljarida/Article.aspx?id=77238 290 291 - 170 Ahmed Khalifa mirage et autres. Le désert incarne l'espace non-clos à jamais, où la parole se lance sur ses racines et sur le silence qu'il porte au fond. La répétition du mot « livre », al ujīrī écrit, est fortement marquée dans la poésie de Jabès aussi bien que le mot « désert » qui se décline sous d autres mots tels sable, poussière, mirage, etc. Cela pousse à questionner l effet de la traduction vis-à-vis de la qualité poétique de Jabès puisque le vocabulaire analysé n est autre que celui de son traducteur. Pour illustrer cette pensée, supposons que le traducteur de Jabès ait pu avoir le choix entre plusieurs synonymes en arabe correspondants aux mots français à traduire «، ‫ م‬،‫ ه ء‬، ‫ غ‬،‫بي ء‬،‫ء‬ ‫ص‬، ‫ت‬،‫ مل‬etc. » et que parmi ces mots il y en ait qui puissent donner un effet plus littéraire ou plus « classique » que les autres et que la préférence d un mot sur l autre revienne au choix du traducteur. De ce point de vue, la théorie de la poétique du traduire semble s imposer pour les critiques de ces sortes de traductions. Si les quelques traductions de Jabès ont pu fournir une idée de son art pour Al ujīrī, en revanche, la quasi-absence des traductions de Rassim292nous font supposer que l écrivain égyptien N. Yûsuf ait pu recourir aux allographes [français ou francophones] pour nous délivrer l impression suivante : ‫ل‬ ‫ فيه س ي أق‬، ‫ف إب‬ ، ‫ ص ش ي ل‬، ‫ي من ح ل‬ ، ‫ ث ف ع لي‬، ‫لغ‬ ‫ص من ل‬ 293 ‫أ ضي‬ ‫ م ا يغ‬،‫ا ي ط ي ح‬ ‫ي‬ ‫خي ي‬ ‫ف ش‬ ‫ م‬، ‫ ص في من ح ل‬،‫قيق ا ي جن‬ ‫ غ‬، ‫ل عب‬ ،‫ء ل قي ل يل‬ ‫ل‬ ‫ل‬ ‫ ك ل‬، ‫ل‬ ‫ح له كل ه ل ح‬ ‫ل ت‬ ‫ه ل‬ ‫لن ل ب ل‬ Il y a dans sa poésie une imagination qui invente et innove sans excès ni déviation; un symbolisme qui ne plonge pas dans l'ambiguïté; une ironie plus proche de l'humour; une flatterie douce sans impudeur; un soufisme d'inspiration spirituelle; un matérialisme inspiré du corps humain; des images populaires des gens, de la rue, du magasin de l'épicier, de la mer, du désert, de la noria et des palmiers; des images de l'est et de l'ouest; une haute culture, mais le cœur humain est le centre autour duquel tournent toutes ces superficies terrestres. Nous y voyons que la présentation de la poétique de Rassim dans ce qu écrit N. Y”suf, n est qu un filigrane entre les mots dans une sorte de ce que nous pourrions appeler [mots passe-partout] et témoigne d une certaine [réception de réception], c està-dire une lecture inspirée par une autre lecture : celle des critiques français par On n a pas traduit que quelques extraits du journal du poète [qui ne dépassent pas une page écrite] plus une courte nouvelle de trois pages parues dans la revue )bdā en 1996. 293 YŪSUF N., Aʻlām min al-Iskandariya, Al hay a al āmma li Qu ”r Ath-Thaqāfa, Tom 2, 2ème éd., Nov. 2001. in http://www.amwague.net . 292 - 171 Ahmed Khalifa exemple. Les mots de Y”suf sont logiquement et fréquemment liés : « imagination – innovation, symbolisme – ambigüité, ironie – humour, matériel – corps, palmiers – image de l Orient, etc. ». Mu ammad Abd al-Ra īm, le journaliste syrien, a utilisé le même procédé pour son système de présentation de l art poétique d Andrée Chédid. )l écrit : ‫في ل ج‬ ‫ ف ب ث ئم عن إن‬،‫ج ه ج ه إن ني‬ ‫ ت‬، ‫ت بشي ل‬ ‫ب ل‬ ‫ح ه لي ين ل ئف ل ف‬ ‫ ت ء هل س ك‬، ‫م من عن ل ي ج ه‬ ‫ ت‬،‫ق ق‬ ‫في‬ ‫قي إن‬ ‫ ا جغ في ل ي ت‬، ‫مام‬ ‫م ً خ ف ج ه ل ي لم ن‬ ‫ ل‬، ‫أ ح‬ 294 ‫لي‬ ‫م ل ل ص‬ ‫ل‬ Dans cet esprit, Chedid écrit sa poésie qu elle considère l'essence de son existence humaine. Elle (la poésie) est recherche constante de l'homme à l'ombre d'une présence inquiète, questionnement permanent sur la vie et son utilité. Elle (la poésie) se demande si nous aurons, tout au long de notre voyage, cette fausse certitude de la connaissance de nos âmes toujours cachées derrière nos visages dont nous n'avons choisi ni les traits ni la géographie qui manifeste la valeur de l'homme en y voyageant et essayant d'y arriver. Dans cet exemple qui discute la question de l existence humaine dans la poésie de Chédid, Abd al-Ra īm fait sienne les préoccupations « existentialistes » de la poétesse : interroger l utilité de la vie, la fausse certitude de la connaissance de nos âmes, etc. Interrogations qui dominent non seulement la poésie de Chédid mais aussi sa création romanesque et théâtrale. Tout personnage chez Chédid, est considéré comme être unique et maître de ses actes et de son destin. Le nombre des poèmes et des proses de Chédid qui ont été traduits permet de mener cette réflexion critique sur son art. Mais nous constatons que l allographe récepteur n a pas discuté en profondeur l œuvre de Chédid, l écrivaine la plus traduite dans notre corpus, et n a rien ajouté aux informations déjà données dans l allographe traduit, dans l allographe auto-traduit ou dans les préfaces des traductions des œuvres de l écrivaine. La part restante chez l allographe arabe sur la production traduite romanesque, poétique et théâtrale des écrivains francophones égyptiens discute souvent le hors-texte que le texte lui-même. C est-à-dire la vie des écrivains et leur « habitus » dans le champ français, les consécrations littéraires françaises et internationales, etc. L allographe arabe n est toujours pas sorti depuis 294 d un cercle de présentation des écrivains et http://www.taleea.com/newsdetails.php?id=14632&ISSUENO=1887 - 172 Ahmed Khalifa de plainte du manque de traductions. Même la tentative d Anīs Mans”r, écrivain égyptien connu, à présenter Joyce Mansour au public arabe a échoué malgré la légitimité « locale » du présentateur. Dans un article intitulé « Je connais Joyce Mansour », publié le 27-05- dans le journal d Ach Charq al Awsa , nous lisons ceci : ‫ من‬:‫أح ل ماء‬ ‫ ً ع ت‬. ‫من ل ن ي ل ل بي‬ ‫ ت ج‬، ‫ أن أ من ك ب ع‬. ‫أن أع ف‬ ‫ ق أ‬.‫ش ع نه دص خ د‬ ‫ ف ف ج ت ب ي‬،) 1( ‫ل ي ف ج يس م‬ ً ً ‫ ن ن ي ح‬.‫ل ع ع لغاف‬ ‫ل ص‬ ‫ ن‬. ‫ل ء ج شي ع ي‬ ‫ق ت أع‬ ‫ا‬ ‫ ن ا ت‬.‫ من ه ؟ م ه ل ت ؟ نه ش ج ء‬. ‫ل ق ل‬ ‫ أنف ل‬:‫ل امح‬ . ‫ني ه‬ ‫ف ك م‬. ‫أح‬ ‫م ل ح ل يل ل ا‬ ‫عن ل‬ ً .‫في ص ي دج ن جيتد‬ ‫ت ج ف ن ي ل ل‬ . ‫ك ت م ا عن ه ل ج أ بي‬ ‫ل ئا‬ ‫ ع فت أن من ك‬.‫ف ج ت ب ت ي ت ني ت ع ني ل ع ء في بي ع ل يل‬ ‫ ع فت‬. ‫ ج ي ب ي ني ت ب ب ل ن ي‬. ‫ ا ت م ل بي‬. ‫ع‬ ‫ ف ب ه‬، ‫لي ي في م‬ ‫ح ين أح‬ ‫ ثم ح ث ي ع ج‬. […]. ‫ل ف ه س ي‬ ‫ع أك من ل ين ل ي ب م كل ي في م‬ ‫ء أح‬ ‫ل اي ي ح ي أمي ل‬ ‫ل ي ق‬ ‫ل‬ ‫ ص يق ح‬، ‫يين أق‬ ‫ين ل‬ ‫ل‬ 295 .‫ش قي‬ Je la connais et je suis le premier à écrire sur elle. Je l ai traduit du français vers l'arabe. Ce fut ma réponse à une question d'un collègue: qui connaît Joyce Mansour (1928 1 ? J ai été surpris par un recueil de poésie intitulé «Cris». Je lisais, feuilletais, relisais et je trouvais quelque chose d'étrange. Je regardais la photo de la poétesse sur la couverture. Elle était mince avec des traits anguleux: le nez, les lèvres, le cou et le regard. Qui était-ce? Que disait-elle? C est une poésie osée. Elle ne parle que de la sueur, du goût du sel, de la nuit, des baisers et des étreintes. Tous ces éléments constituaient le lexique de son monde. J écrivis un article sur cette surprise littéraire. Une traduction française de cet article parut dans «Le Journal d'Égypte». Et voilà qu'elle me téléphona pour me remercier et m'inviter à dîner dans son domicile qui donne sur le Nil. J appris qu'elle appartient à l une des plus grandes familles juives en Egypte, son père est David Adès. Elle ne parlait pas l'arabe, elle avait la nationalité britannique et elle écrivait en français. J'en appris davantage sur elle des personnes que je rencontrais chaque jour à la bibliothèque de Lu fAllah Sulaymān.[…]. Puis c'est George Henein, un intellectuel égyptien chrétien et l ami jusqu'à la mort de Mme )qbāl al Alaylī, la petite-fille du prince des poètes Ahmed Chawqī, qui me parla d'elle Mentionnant qu il fut le premier à écrire un article sur Joyce Mansour, Anīs Mansour confirme avoir connu « de près » la poétesse. Malgré le titre « attirant », l article n a pas réussi à obtenir une réponse publique assez positive au moment de sa publication. Après la parution de la traduction de Rachīd Wa tī, à la fin de l année 2005, saluée par de nombreux articles de presse, l écrivain égyptien écrivit un autre article intitulé « Joyce Mansour : écrivaine d Egypte » dans le même journal le 17-02-2006 : 295 http://www.aawsat.com/leader.asp?section=3&article=301844&issueno=9677 - 173 Ahmed Khalifa ‫ي أن م ه ج ني س‬ ‫ل‬ ‫ل ا‬ ‫ل بي‬ […] . ‫ ك ت أ‬.‫من ي ن دص خ د‬ ‫ج يس م‬ ‫عن غ‬ ‫ في ل ي ك ت ع‬.. ‫لي ك ي‬ ‫ عن ي دص خ د ل يس‬..‫ك ب دأن أحي د‬ ‫ف‬ ‫ه أس في ل‬ ‫]…[ ق ن ي ل ين ن‬ ‫ي لي ي ج يس م‬ ‫م ك ت عن أ ي ل‬ ‫ل ا عن ل ج ل ي ل ئ‬ ‫لي ت‬ ‫أ من أش ب أش‬ ‫من ك ب ع س‬ ‫ك ب دعي ق د عن لي ي ب ي‬ ‫ل‬ . ‫م‬ ‫ ك نت ل ج‬. ‫أ ل هي ل ن ي‬ ‫ لغ‬، ‫م ي أصل ب ي ني ل ي‬ ‫ج يس م‬ ‫ج ه ب ا ل اي ي ح ي‬ ‫ح ين‬ ‫ ج‬:‫في لك ل قت‬ ‫مع ش م ين في م‬ ‫م ق‬ ‫ن‬ 296 ‫ ه من ع ل ي عي‬،‫ء ش قي ل ف ه س ي ب ي تي‬ ‫أمي ل‬ […] et ceux qui ont publié cette semaine dans les journaux arabes et les magazines égyptiens ont oublié qu'ils m'avaient attaqué et qu'ils avaient condamné ce que j'ai écrit sur la femme de lettres juive égyptienne Joyce Mansour.[…]. Aujourd'hui, les magazines parlent de la nouvelle traduction des poèmes de Joyce Mansour de son recueil «Cris». J'étais le premier à écrire sur elle en 1949 et le premier à la saluer et à la désigner maintes fois. Dans les années cinquante, j'ai écrit sur elle et son recueil «Cris» , sur Ghāda as-Sammān et son livre Vos yeux sont mon destin et sur Laïla Ba labaki et son livre Je vis. Joyce Mansour est une anglaise d'origine égyptienne, et sa première langue est le français. Nous avons eu des séances, des séminaires et des discussions avec des jeunes intellectuels en Egypte à cette époque: Georges (enein et son épouse Paula al Alaylī, petite-fille du prince des poètes Chawqī, et Lu f-Allah Sulaymān, mon concitoyen, un avocat du communisme. Nous nous sentions obligé de fournir ces deux longues citations parce qu elles nous paraissent exemplaires et très représentatives de ce que signifie l interaction à l intérieur d un réseau littéraire. Reprochant à ceux qui ont critiqué son premier article et viennent à présent à parler de la nouvelle traduction de l œuvre de Joyce Mansour, Anīs Mansour rappelle son antériorité dans la « découverte » de la poétesse. Si nous comparons les deux articles, nous constatons que le grand écrivain égyptien, dénommé dernièrement « la vivante encyclopédie égyptienne 297» a commis quelques fausses informations, comme par exemple celle o‘ son article sur l œuvre de Joyce Mansour est dit avoir été publié en 1949 alors que le premier ouvrage de la poétesse, Cris, fut édité pour la première fois à Paris en 1953 chez Pierre Seghers. Anis Mansour dans le premier article mentionne encore que le mari de Joyce s appelle Anis Mansour, le même nom et prénom que le sien, au point qu il se trompa de chaise à porte-nom lorsqu il fut invité http://aawsat.com/leader.asp?section=3&issueno=9943&article=348793 A voir l article de (anaa Khachaba sur l écrivain intitulé « Anis Mansour est une encyclopédie égyptienne vivante » publié le 5 juillet 2010 dans le journal francophone Le progrès égyptien. Consultable sur le site internet du journal : http://213.158.162.45/~progres/index.php?action=news&id=1210&title=Anis%20Mansour%20est%20 une%20vivante%20encyclop%C3%A9die%20%C3%A9gyptienne 296 297 - 174 Ahmed Khalifa chez la poétesse alors que nous savons que le prénom du mari de la poétesse est Samīr. Encore, la première langue de Joyce serait pour lui le français alors qu elle est anglophone à l origine. De même à propos de Georges Henein, Anis Mansour le présente, dans son premier article, comme « ami jusqu à la mort » d )qbāl al Alaylī, la petite-fille du prince des poètes égyptiens Ahmed Chawqī, alors que celle-là est sa femme. Anis Mansour en fit rectification dans son deuxième article. Nous rappelons que le mariage de (enein [le chrétien] avec )qbāl [la musulmane] fit scandale à l époque et fut largement rejeté dans le milieu social des deux mariés. L inexactitude des informations est un des traits dominants de l allographe récepteur. Malgré cela, nous constatons la publication d articles « sérieux » qui témoignent d une analyse textuelle intelligente des œuvres. A contrario, la manipulation des textes traduits est un phénomène prépondérant sur Internet aussi bien que la fabrication d informations qui circulent dans la presse de certains pays arabes. Nous avons pu découvrir une partie de ces excès grâce au stockage informatique des archives des journaux sur )nternet. Ces excès font montre d un certain conflit entre les « petits réseaux de production restreinte » dans les pays arabes concernant l appartenance des écrivains francophones égyptiens. Chédid est une libanaise dans la presse libanaise, égyptienne dans la presse égyptienne. Solé est syrien en Syrie, égyptien en Egypte. Cela est dû bien sûr aux origines levantines des familles ces écrivains.Nous lisons par exemple que Cossery est affirmativement écrivain syrien que l on doit rapatrier à la culture syrienne et l intégrer dans « le monde du roman syrien ! » : ‫م ن ي (أل ي ق ي )؟‬ ‫ ب ت ل ل ح ل ل ه‬، ‫ل ي م أس‬ ‫س أ ميه لي‬ ‫ لم ت ل أع له‬، ‫ ا ي فه أح‬، ‫قي عن ن يب م‬ ‫ل‬ ‫ج‬ ‫ ل ي ت ض‬،‫ أ ت ل أع له‬، ‫ل ف‬ ‫ضي ه ل‬ ‫أس‬. […] ‫أع له ل م‬ ‫ ب‬، ‫لي‬ ‫ أ ل أن ب أصل ن مل ب ه‬، ‫ م‬، ‫ل ف ل بي‬ ‫ من م ا ق‬، ‫ل‬ ‫ أك أه ي ب ج ا ح‬، ‫م‬ ً ‫ ف غي م ف ع بي غي م‬، ‫ب ب لغ‬ ‫ب‬، ‫ه‬ ‫ ف ب ن ن من س ته ل ع لم ل ي ل ي‬،‫ع يه‬ .298 ‫ت ي‬ Quand récupérons-nous (Albert Cossery)? ‫ايل‬، ‫م ج‬ ‫ أل ي ق ي ! ئي س‬. ‫ع ب‬ ‫ لم ي‬، ‫ل ن ق أ ق‬ ‫ لي ت ل‬، ‫ح‬ ‫(ل ي ي ) ب ل ت ي‬ ‫ عن خ ي‬،‫ ك ب لي‬، ‫ئي ل بي ل‬ ‫ ع م ف أ م ا‬، ‫ع ت ي ل عي‬ ‫من ه‬ ‫ ه م م ج‬. […] ‫ن ي‬ ‫ ا غ ي لي ا أ أن ب ض ل ء‬.‫جم‬ ‫ م ي ً ث في ً ع أقل‬، ‫خ ي ل ف ل بي‬ Ayman Razz”q, « A ā i Albert Cossery », Jarīdat An nour, Damas, n° 291, 02-05-2007. Consultable sur le site internet du Journal : http://www.an-nour.com/index.php?option=com_content&task=view&id=2525&Itemid=57 298 - 175 Ahmed Khalifa Une question que je vous pose pour qu elle incite d autres questions qui vont peut-être vous faire éprouver un état de stupéfaction. Albert Cossery! romancier syrien émigré, ne vaut pas moins que Naguib Mahfouz, or personne ne le connaît, et ses œuvres ne sont pas arrivées ni à un critique ni à un lecteur arabe. Il n'est pas venu à l'esprit du Ministère de la Culture de transférer ses œuvres que les vitrines des librairies parisiennes exposent en toute estime et respect. Ces librairies fêtent aujourd'hui la publication de ses œuvres complètes […]. Les causes de la disparition de ce romancier arabe syrien, tel qu'il m'apparaît, de la carte culturelle arabe, sont nombreuses. La première c'est que nous traitons, à l'origine, nos auteurs avec négligence, manque d'appréciation et manque de savoir alors que la possession d'un auteur est incomparablement plus important que la possession d'une bombe atomique […].Ce sont des informations que j'ai recueillies très difficilement ici et là, puisqu'il est inconnu sur le plan arabe et n'est pas traduit. Je n'ai d'autre objectif que de jeter un peu de lumière sur lui, peut-être nous pouvons le réintégrer dans l'univers du roman syrien et au plan de la culture arabe syrienne, au moins au niveau de la morale et de la culture. Cette réappropriation syrienne de Cossery semble si dérangeante surtout quand il s agit d un écrivain comme ce dernier insistant toujours dans son œuvre sur son identité égyptienne. Ces réappropriations sont révélateurs d un certain nationalisme littéraire qui pourra être justifié si nous prenons en compte certains écrivains tels Chédid ou Solé qui sont eux-mêmes très peu nationalistes dans leurs œuvres. Cela n interdit pas qu il y ait une façon égyptienne à récupérer ces deux auteurs, une façon qui révèle elle aussi du nationalisme. Ce qui met en interrogation la question de la réalité de cette littérature en général. Pour résumer ce que nous venons de passer en revue, nous pourrions dire que certains allographes officieux perpètrent un « délit de fausses informations », celui-ci est malheureusement mené par des journalistes et des écrivains considérés quelquefois comme « dirigeants de la société littéraire ». Cette diffusion de fausses informations, étendue par la nouvelle technique d information comme )nternet, fait qu un lecteur peut être victime d un délit sans qu il puisse demander réparation des préjudices subis. La plupart des écrivains francophones subissent, eux aussi, ces préjudices. Certains ne sont plus vivants et ceux qui restent parmi nous aujourd hui méritent qu on les lise attentivement, qu on les connaisse mieux et qu on les comprenne bien. Nous ne demandons pas cassation mais plutôt révision du procès : présentation de la littérature francophone « égyptienne » dans le monde arabe. - 176 Ahmed Khalifa 3 L’auctorial public L auteur nous confie son texte un peu comme un parent confie son enfant à la crèche, pas très rassuré ni sur ce qui va lui arriver ni sur la compétence de son interlocuteur. Mais il n est pas toujours en état de juger du résultat.299 Nous avons vu auparavant que l épitexte éditorial et l allographe officieux ne sont pas principalement de la responsabilité de l auteur ni de celle du traducteur. Et même si ces derniers participent, d une manière plus ou moins active, à la production de l œuvre traduite, l éditeur en est le patron. A ce point de notre recherche, nous allons recourir aux divisions fonctionnelles de Gérard Genette en faisant un petit changement : il s agit de remplacer le sujet « auteur » » par « traducteur ». Ce changement est une assimilation évidente puisque nous visons, de prime abord, à établir, comme nous l avons déjà dit, une étude cohérente de « la réception de la traduction ». Quant à l auctorial public, il s adresse en général et par définition au public. Et nous allons voir comment cette adresse est parfois autonome, spontanée. Un épitexte public est disponible quand le traducteur publie, sous forme d article ou d autres formes, un commentaire sur sa propre traduction ou quand il accepte de parler de son expérience traductive en répondant à des initiatives menées par des chercheurs ou par des journalistes [nommés « régimes intermédiaires » par Genette] comme les questionnaires et les entretiens. Genette a résolument classé l épitexte éditorial selon deux axes important : Moment et Régime. Nous empruntons son tableau : Moment Régime Autonome Médiatisé Original Ultérieur Tardif 1 Auto-compte rendu 2 Réponse publique 5 Autocommentaire 3 Interview 4 Entretiens, Colloques 300 Dans ce tableau nous remarquons des différences pertinentes. On appelle interview quand on interroge le traducteur301 au moment de la parution de la traduction Olivier Manoni président de l Association des traducteurs littéraires en France : ATLF), in RENOUNATIVEL C., « Auteur et traducteur, un drôle de couple », site : http://www.la-croix.com/CultureLoisirs/Culture/Livres/Auteur-et-traducteur-un-drole-de-couple-_NP_-2011-04-27-595752 300 GENETTE G., Seuils, op.cit., p.354. 299 - 177 Ahmed Khalifa alors qu un entretien est souvent fait dans un moment ultérieur ou tardif. La chose est identique pour la différence entre auto-compte rendu et autocommentaire. Le temps [le moment] est un élément très significatif qui joue un rôle important dans l analyse genettienne puisque les thèmes et les questions changent de nature. Les interviews par exemple sont souvent de nature publicitaire appuyant sur l importance du livre présenté au public alors que la plupart des entretiens, après la diffusion du livre et sa réception [positive ou négative], apporte des impressions critiques ou admiratives. Nous allons classer notre corpus à ce point de la recherche selon deux axes basés sur ce que Genette appelle le Régime : c est-à-dire la présence ou la non-présence d un médiateur [journaliste ou présentateur.]. D après ce tableau de Genette, nous distinguerons donc entre régime autonome et régime médiatisé. 3.1 Le régime autonome Il s'agit d'une parole non-aléatoire, non-prononcée at random. C est une parole réfléchie et publiée, dans un journal ou dans une revue, par le traducteur lui-même. Ce dernier n est pas tout à fait autonome ni tout à fait dépendant. Il a un double statut d autonomisation et de dépendance puisqu il a deux « voix » : d abord celle de l auteur et en second la sienne. Notre corpus ne nous a pas permis d aborder bien le phénomène dans sa généralité à cause du peu d exemples que nous avons pu avoir sous les mains. C est parce que le champ littéraire arabe ne connaît pas cette habitude de « réfléchir sa traduction » et de la commenter. Dans le champ français par exemple, il est admis qu un traducteur commente ou défende sa traduction. Pratique qui a produit des « théories » chez certains comme Berman, Meschonnic, Mounin et autres. 3.1.1 Les auto-compte rendus Est auto-compte rendu tout épitexte autonome publié au moment de la parution de l œuvre traduite souvent sous une forme ouverte et produit par le traducteur luimême. C est brièvement tout texte assumé par le traducteur sans aucune participation d un médiateur même si le texte est une réponse à une demande non déclarée d un journal ou d une revue. Le traducteur dans ce cas est plutôt invité à présenter l écrivain. Il est même invité quelquefois à en jouer le porte-parole. Chez Genette c est l auteur mais nous avons choisi de le remplacer par le traducteur tout au long de cette étude. 301 - 178 Ahmed Khalifa Ma m”d Qāsim, traducteur, journaliste et critique du cinéma, peu de temps après la publication de la traduction du roman La violence et la dérision en 1993 rédigea un article dans la revue Adab wa naqd sur l œuvre romanesque de Cossery. Ce numéro de la revue consacre tout un dossier sur l œuvre de l auteur dans lequel nous voyons, outre l article de Qāsim, des articles et des traductions de Bachīr As Sibā ī, (udā (ussein et Walīd Al Khachāb. Si nous cherchons un exemple de l interaction entre les différents acteurs à l intérieur d un réseau, nous ne trouvons pas mieux que l exemple suivant qui montre comment cette interaction produit de l épitexte pour promouvoir le texte. En effet, Qāsim fut la personne derrière la réalisation du dossier autour de l œuvre de Cossery et, sans aucun doute pour faire propagande à sa propre traduction qui venait de paraître. Le rédacteur en chef de la revue mentionne dans la préface du numéro : ‫م بل‬ ‫ل‬ ‫س‬ ‫ي بي حين أع ل ي ج في‬ ‫م ت ي ي يق ب ك ع في‬ ‫ل ي ك نت م‬ ‫ل ل‬ ‫أب‬ ‫ق سم ل ت ن ن ل أ عي ميا ل نين ي ل في ه ل‬ ‫م‬ ‫ت حي‬ ‫ أم ب ي ل عي ف حب ب ل‬. ‫ه ل‬ ‫حب م ل ي ن‬ ‫شح ل ش ع م ج ش ب ع س ه ح ين س ل ي س ف ن م ل‬ ‫ ق‬، ‫ل في ه ل‬ ‫لي ت ج‬ ‫ ثم خ ل ب ي ل‬، ‫ع ق‬ 302 . ‫ق ن ت ل ي ع‬ ‫ل‬ Mahmoud Qassem a attiré notre attention sur le fait qu'il va fêter ce mois-ci son quatre-vingtième anniversaire et il s'est montré prêt à coopérer avec nous, avec tout l amour et l affection, afin de réaliser ce numéro. Quant à Bachīr as Sibā i, il a accueilli l'idée avec bienveillance positive, nous a préparé la bibliographie et nous a suggéré une jeune poétesse et traductrice prometteuse, (udā (ussein, dont on fera une présentation digne en tant que poétesse dans un prochain numéro. Bachir a choisi pour elle les textes qu'elle a traduits pour nous dans ce numéro et il nous a présenté la nouvelle de Cossery publiée dans la revue At Ta awur en 1940. Qāsim fait rappel de l anniversaire de Cossery et en parle avec le rédacteur en chef de la revue. Il lui parle de son projet de coopération pour réaliser un dossier sur Cossery. Bachīr As Sibā ī soutient l idée et participe à la préparation mais recommande une jeune poétesse et traductrice qui a traduit des textes [choisis par Bachīr]. La nouvelle traductrice sera effectivement présentée dans le numéro suivant de la revue comme poétesse, selon la promesse du rédacteur en chef. C est donc dans ce cadre d échange d informations et d affects que l interaction entre les agents [ou acteurs], au sein d un système [ou réseau] littéraire, pourrait valoir de la manière dont se produit An Naqqāch F., « Awwal al Kitāba », prologue du numéro p. 5. 302 - 179 Ahmed Khalifa de la revue littéraire Adab wa Naqd, Op.cit., l épitexte. L interaction pourrait être non seulement la source de la production mais aussi le constituant essentiel d un réseau ou d un système littéraire. Le contenu de l épitexte auctorial des traducteurs est souvent de nature informative et loin d être critique. Qāsim par exemple, dans son article sur l œuvre de Cossery, offre une lecture non critique du roman. C est une sorte d avis personnel. Jusque même à penser à la manière d un critique de cinéma. Le dire en est restreint à un simple avis sur l œuvre et qui a pour but de passer une seule idée : Allez lire le roman ! La technique de l unique traducteur de Cossery consiste à présenter les personnages du roman d une manière abrégée qui incite la curiosité du lecteur, l exemple suivant le montre : ‫ ف‬،‫ل فظ‬ ‫س يل ل‬ ‫ي‬ ‫ي ل‬ 303 .‫ي‬ ‫ي من‬ ‫ح ث ئي ي ه م ل ل‬ ‫ي ف غم أ ه‬ ‫ي ل ف ل‬ ‫أم في‬ ‫ع‬ ‫ل ي من ل‬ ‫ ه‬،‫ل لم ل ن يش فيه‬ ‫ خ ص ل م يين ي‬، ‫أش‬ ‫ل فظ ل‬ ‫من ل ك حين ي ص‬ ‫ م ل ل ج ل ين ل ي‬، ‫ل ي‬ ‫في ن‬ ‫م ش م ال ع لغ‬ ‫ب ي ل هم ي ك‬ ‫ين ل ين ي‬ ‫ أي أح ل‬، ‫ف ل ل‬ Quant au roman 'La violence et la dérision', bien qu'il y ait un événement principal qui est la tentative de se moquer du gouverneur, il y a aussi les individus, et surtout les marginaux, qui remplissent l'univers où nous vivons. Il y a de nombreux types, par exemple dans le club de la municipalité, il y a le gros marchand qui meurt de rire quand il voit la photo ridicule du gouverneur au dessus de l'urinoir, et il y a aussi l un des cachés qui rencontrent (eykal en clignant de l'œil en signe de séduction. Loin d analyser ou de synthétiser l œuvre, Qāsim, de notre point de vue, ne fait qu écarter tout ce qui appartient au contenu essentiel du texte et focalise son résumé [ou présentation] sur l accessoire. Pour séduire son lecteur, il mentionne deux scènes dans le roman dont la première concerne le portrait du Gouverneur accroché au mur dans des toilettes publics et la deuxième retient le clin d œil d un homosexuel qui séduit le personnage du roman. Sans dévaloriser l effort de Qāsim, son article manque à nos yeux d une analyse profonde de la philosophie de Cossery et préfère une exposition simple et un vocabulaire accessible, sans complexité, pour le lecteur « moyen ». Ceci est absent par exemple chez Bachīr As Sibā ī, un autre traducteur égyptien, qui impose que son lecteur arabe soit « instruit ». Le vocabulaire lourd de connotations chez As Sibā ī est l un des caractères de son écriture. Ce qui fait que son auto compte rendu sur sa traduction de George (enein risquerait d être incompréhensible pour un lecteur moyen pour cette 303 QĀS)M M., « Cha āz”n, banāt layl, siyāsiy”n wa amīr », Adab wa Naqd, op.cit, p. 44 - 180 Ahmed Khalifa raison. Essentiellement, il justifie l écart temporel entre l œuvre de (enein et sa traduction par l actualité : . ‫ه‬ ‫ ه م جب ل ج ل ي ي ه ل‬، ‫ح ين ا ت ف عن ت كي ن‬ ‫ل ن ح لي ع ل ج‬ ‫ب عء‬ ‫ت ي ن‬ ‫ ل ي ت‬،،‫مع ل قع‬ ‫ك ت ي ي أخا (ا أخا ) ل لح ل يف ان‬ ‫ي‬ ‫ ه ي ب ل ص لي س ل ع في أ س أن‬.‫س ل تغيي ل قع س ل ت ين ي ك ي له‬ ‫ ك أنه ي ك ع س ل ل ص ل‬. ‫ل‬ ‫م ي ت ي ج ي لإب‬ ‫س من حيث ك ن ن‬ 304 . ‫ل‬ ‫ل‬ ‫ان‬ ‫ه ف ن يل ب ل ء ل س ئل ت‬ Mais l'actualité de l'œuvre de Georges (enein ne cesse de s'affirmer, ce qui a imposé la traduction que le lecteur trouve ici. Notre auteur choisit la morale de (l'immoralité) de la réconciliation et de l'adaptation opportunistes avec la réalité, la morale qui essaie de se justifier en prétendant l'impossibilité de changer la réalité et l'impossibilité d'en former une vision complète. Il condamne l'opportunisme, courant dans les milieux de l intelligentsia, en tant que déclin moral et grave menace pour la créativité libre. Il souligne aussi l'impossibilité d'accéder à un noble objectif en recourant à des moyens qui consacrent le déclin moral des êtres humains. Nous voyons ici un certain niveau compliqué de l arabe écrit. Rapportant la philosophie de (enein, le texte arabe d As Sibā ī exige de son lecteur qu il sache distinguer entre « opportunisme » et « arrivisme » et posséder assez de lexique arabe pour comprendre ce que veut dire « ‫ » ل ع‬: adjectif dérivé du verbe « ‫ » عج‬de l arabe « classique » désignant la croissance [de l argent] ou la succession [de la foudre]305. Par ces deux exemples, nous avons choisi d exposer cette différence entre un traducteur au langage courant et un autre au langage soutenu ou « littéraire » pour montrer que le niveau de la langue choisit son lecteur. Pourrions-nous présumer que le langage du texte rétrécit son cercle de réception ? Autrement dit, le lecteur « récepteur » imaginé par chacun des deux traducteurs, qu il soit moyen ou instruit, n influence-t-il pas la réception de la traduction ? C est ce que nous ont montré les auto-compte rendus de nos deux traducteurs qui, chacun selon sa méthode, ont clairement indiqué à qui ils s adressent. Le langage courant de Qāsim est, de notre point de vue, une manière de parler soignée et mieux acceptée alors que celui d As Sibā ī, bien qu il soit soutenu et plein de mots « rares et savants » l éloigne d un public plus vaste. Donc, les écritures « indépendantes » des traducteurs tels les compte rendus et les commentaires publiés dans les journaux et les revues, expliquent bien pourquoi un seul écrivain pourrait avoir 304 305 AS S)BĀ Ī B., « Al āja ilā Georges (enein », Al Jarād, n° , Le Caire, mars 1994, p. 174. Al Qām”s al mu ī . - 181 Ahmed Khalifa plusieurs « voix » [ou niveaux de langues] si nous multiplions ses traducteurs. Par Exemple, un Cossery de Qāsim n est pas celui de Rajā Yaq”t ou celui d Abdel amīd al adīdī. Ce que nous traiterons en détails dans les deux derniers chapitres de cette étude quand nous analyserons le textuel. 3.1.2 Les réponses publiques )l arrive qu un traducteur soit invité à faire une réponse [publique] aux critiques de sa traduction. Dans ce cas, l exercice est assez délicat parce que l acte de traduire n est pas essentiellement destiné à être mal ou bien jugé. C est plutôt l œuvre originale qui devrait recevoir des critiques. Mais dans certains cas, le traducteur est sous le feu des projecteurs surtout quand sa traduction est jugée non satisfaisante. Jugement souvent lancé par d autres traducteurs ou par des écrivains ou intellectuels polyglottes qui ont pu avoir accès au texte original. Les interactions critiques à l intérieur du réseau des traducteurs sont souvent sévères et impitoyables. La plupart du temps, les traducteurs ferment les yeux à ces critiques qui sont souvent concentrées sur les contre, les non et les faux sens, sur la fragilité de la langue, sur l esprit perdu de l œuvre originale etc. Le milieu universitaire déborde des études critiques sur les traductions littéraires mais le fait que les universités [égyptiennes par exemple] ne soient pas encore au centre d intérêt des éditeurs ou des journaux locaux les condamne à rester dans l ombre. L université de son côté participe aussi à cette absence puisque toutes les études linguistiques sur les traductions sont faites dans les départements de langues étrangères où les chercheurs sont amenés à rédiger leurs études en ces langues. Un cas d isolement, justifiable ou non, témoigne que le pouvoir critique des études en langues étrangères en Égypte est publiquement et pratiquement désactivée. Les études critiques sont diffusées dans un réseau très limité et presque invisible : celui des chercheurs en langues étrangères. En tout cas, la réponse publique d un traducteur aux critiques publiées pourra avoir lieu en vertu de ce qui est désigné par « droit de réponse », seulement légitimé, de notre point de vue, à l endroit des critiques diffamatoires souvent fondées sur des lectures fautives. Notre exemple à ce point sera l illustre article de Ma m”d Qāsim « Comme cela je l ai traduit en arabe… et je m excuse » publié en - 182 Ahmed Khalifa dans le journal d Al ayā. Nous l appelons illustre pour maintes raisons que nous citerons en détail dans les paragraphes suivants. En Qāsim décide d écrire un article de nature « confessionnelle » pour répondre aux critiques et aux attaques impitoyables répandues sur sa « fameuse » [trad. traduction de Mendiants et orgueilleux ]. C est presque ans après la publication que Qāsim rédige sa réponse publique à propos de sa traduction [non satisfaisante]. Commençant son article par la raison pour laquelle il choisit tel ou tel roman à traduire 306, Qāsim explique que sa traduction n était pas destinée au lecteur arabe mais plutôt destinée à lui-même et que son plaisir réside dans le fait d « écrire ce qu il lit ! » : ‫ليس‬ ‫ص ت ل بي ي ح ب أ في ت ج‬ ‫ ل ي م‬، ‫في أ أس ع ب ل ء‬ 307 ‫ل بي ف ن أس ع ب أق أ أن أك ه أك م أس ع ب ل ء ح ه‬ ‫ل‬ ‫لم ت ي ض‬ ‫ل ل‬ ‫أب ً أن‬ Le bruit du train ne m'a pas donné la chance d avoir une lecture amusante, mais dès que je suis arrivé chez moi, j'ai commencé à le traduire. Pas du tout pour le transférer au lecteur arabe mais c est parce que je prends plus de plaisir en écrivant ce que je lis qu'à la lecture seule. Il précipite donc une première justification consistant à dire « Je l ai traduit pour moi, non pour vous [lecteurs et critiques]». Deux paragraphes après cette confession, il se contredit en disant qu après avoir fini la traduction, il « a fallu » la publier. Obligation qu il a ressentie peut-être parce que son métier de journaliste lui en a appris l habitude : lire – écrire – et publier. Puis, il discute la problématique du titre traduit qui fut l objet de plusieurs critiques en proposant une autre traduction pour le titre. Mais aucune autre traduction ne serait satisfaisante et équivalente au sens du titre même celle proposée par Asma al Bakrī qui connais le français « dix fois » mieux que lui : ‫ف ي‬ ‫ ف مت ب ل أس‬، ‫ك ا ب من ن ه‬ ‫ ب أ ن يت من ت ج‬، ‫ت ق ت ع ه ل ي‬ ‫ل‬ ‫ت سل ه ب‬ ‫عن هي ل‬ ‫دل ي ل ل ي د ل‬ ‫ل فع س‬ ‫ل‬ ‫ا ت ي ل ي‬ ‫ ل‬،‫ف د‬ ‫م‬ ‫هي دش‬ ‫ فا شك في أ ل ج أق‬، ‫في ل‬ ‫عن‬ ‫ك غي م‬ ‫ ل‬،‫د‬ ‫م‬ ‫ل ل ل ل ي دش‬ ‫ ك أ ل ج أق‬، ‫ل‬ Nous avons discuté l introduction de cette article auparavant dans le chapitre premier de cette étude in « Absence et présence - La présence en pointillés – Récupérateur », pp. 86-87. 307 QĀS)M M., « (ākadha tarjamtuhu ilā al arabiyya… wa a tadhir », article publié dans le journal Al- ayā le 25/06/2008. Site internet : http://international.daralhayat.com/archivearticle/206865. 306 - 183 Ahmed Khalifa ‫مي‬ ‫دن اءد هي ل ي ت ف ل ن ي خي‬ ‫ك‬ ‫خ‬ ‫أس سي ل ج أ أس ء ل‬ 308 ‫ل‬ ‫ل‬ ‫ع‬ Je me suis arrêté devant ce roman, et après avoir fini sa traduction, il fallait la publier, je l'ai alors proposé à Fat ī el Achrī, le directeur de la collection «Al Riwāya al Ālamiyya » Le roman mondial publiée par l'Office du Livre, qui s'est enthousiasmé pour la publication. Mais un problème est apparu avec le titre: nul doute que la traduction la plus proche soit «Mendiants et arrogants», mais elle ne donne pas le sens voulu, ainsi que la traduction la plus proche du dicton populaire [……..]. Mais toutes les traductions n'expriment pas la signification fondamentale à tel point qu'Asmaa El-Bakri, qui connaît le français dix fois mieux que moi, a choisi le mot nubalā' (nobles). )ci, il met les critiques visant son titre traduit en face de l intraduisibilité du titre original du roman et prend la fausse traduction d Asma al Bakrī comme vraie incarnation de la problématique du titre. Comme nous l avons expliqué dans l analyse des titres, la problématique du titre ne réside pas dans le sens du mot « orgueilleux » mais plutôt dans la traduction de la particule « et » par « » qui signifie l unification de deux termes différents, voire même opposés. Donc, toutes les traductions proposées pour ce titre dans les différents épitextes nous semblent confinées dans les différents synonymes du mot « orgueilleux » : [‫ لخ‬،‫ ن اء‬، ‫ م ب‬، ‫ف‬ ‫ م‬، ‫]م‬. Ensuite, Qāsim continue sa défense en avouant qu il fut obligé de changer une seule phrase pour des considérations socioreligieuses : ‫سي‬ ‫ل‬ 309 ‫ل ين ل بط ي‬ ‫ل دأنت ت يد‬ ‫ف‬، ‫ح‬ ‫لي ل ي‬ ‫في ل ج ع‬ ‫ع ف ب ه أع أن ي غي‬ ‫ل لم يغ‬ ‫دأ ي أ أن م كد ق غي ه ل‬ J'avoue, après ces années, que j'ai changé une seule phrase dans la traduction. L'officier Nour El Dine dit au jeune homme, Samir : «Je veux me coucher avec toi». J'ai changé ce sens à: «Tu me plais», ce qui ne m'a pas été pardonné par de nombreux gens. Sachant que la question de l homosexualité est un tabou dans la société égyptienne, Qāsim donne à ses lecteurs une « forte » raison pour son changement de la phrase ! mais ce qui n est pas compréhensible dans la défense de Qāsim, c est la justification du mauvais rapatriement du nom d un personnage du roman « Yegen » vers l arabe. )nénarrable justification mais qui mérite attention parce que Qāsim joue sur une autre « corde » socialement « sensible » : 308 309 Ibid. Ibid. - 184 Ahmed Khalifa ‫في‬ ‫ك م حم بيغن ا ي‬ ‫ في ت ك ل‬Yegen ‫أم ل ا يغ لي ف أ ل تب أس ب ه بـ‬ ‫ ك ت في م ب أ‬، ‫ي صل ل ف لي‬ ‫ق ي ه ك تب ي‬ ‫خ يت أ ي م ل‬ ‫ل‬ ‫لم ي ب ل لف ح ف ل ف في‬ ‫ ا أع ف ل‬،‫ل ل ليس م س ي ه دي ي د ل ن دي ند‬ .310‫اسم‬ Ce qui ne m'a pas été pardonné est que l'écrivain a appelé son héros Yéghen. A ce moment Menahem Begin était encore au pouvoir et j'ai craint que l'on dise que Cossery était un écrivain juif qui enracine l intellectuel juif, et j'ai découvert par la suite que le héros ne s'appelle pas Ya yā comme je l'ai appelé, mais Yakan, et je ne sais pas pourquoi l'auteur ne l'a pas écrit avec un K. Ayant traduit le nom par « ‫» ي ي‬, Qāsim confie que la translitération du nom pourrait créer confusion chez le lecteur arabe avec le nom « Begin » dont la ressemblance avec le nom du premier ministre israélien Menahem Begin (1913-1992). Selon le traducteur, la ressemblance en cas de translittération du nom «‫ » يغن‬avec le nom du premier ministre «‫ » بيغن‬alors au pouvoir pouvait créer un effet négatif et faire supposer que Cossery était un écrivain juif qui enracinait sa culture. C est donc avec ce souci que Qāsim décida de changer le nom, et il mentionne qu il connut plus tard le bon équivalent du nom : « ‫» ي ن‬. De notre point de vue, c est une inadmissible justification parce que Begin quitta le pouvoir en alors que la traduction de Qāsim est parue en . Donc, le premier ministre n était pas au pouvoir au moment de la parution de la traduction et Qāsim aurait dû chercher une autre raison. )l finit son article en faisant allusion au rôle qu ont joué ses traductions sur la carte littéraire arabe en Egypte : ‫ ف م من أ ب ء‬. ‫ل بي في م‬ ‫أ‬ ‫ي س ع في تغيي خ ي‬ ‫أ ي أهم أح في با هم‬ ‫من‬ 311 ‫ا شك في أ ت ج ه ل‬ ‫م يين ت ه في ل غ أخ‬ Il n'y a aucun doute que la traduction de ces romans ait contribué à changer la carte de la littérature arabe en Égypte. Combien d'hommes de lettres égyptiens ont été perdus dans d'autres langues sans que personne ne les lise dans leur pays natal. Nous avons vu que l exercice de rédiger une réponse publique fut assez délicat pour Qāsim. Son article est une espèce rare dans l épitexte auctorial public de la traduction, très représentatif de notre hypothèse qu une traduction est une production qui prend le social en considération. Les justifications de Qāsim, bien qu elles soient 310 311 Ibid. Ibid. - 185 Ahmed Khalifa fausses et inacceptables, témoignent d un certain rapport entre traducteur et société [communauté de lecteurs]. 3.1.3 Les autocommentaires Pratique moderne qui consiste à défendre sa traduction dans un moment tardif. Un autocommentaire prend souvent la voie d un commentaire génétique, ou linguistiquement parlant, d un commentaire traductologique. Ce genre de commentaire s exprime souvent dans un cadre de justifications tantôt théoriques tantôt pratiques. Un traducteur se détache souvent de l esthétique de l œuvre traduite, mais parfois face aux critiques il déclare pourquoi il a choisi cette œuvre pour la traduire, comment il l a traduite et selon quels procédés. Ces autocommentaires dans le domaine de la traduction ne sont-ils pas les noyaux des différentes théories de traduction en Occident ? Chaque théoricien dans ce domaine part en principe de ses réflexions personnelles qui sont le résultat de son acte premier de traduire. Toutes les théories de la traduction essayent de dévoiler ou plutôt de démystifier les secrets de la fabrique traductive ; c est la volonté de reproduire une traduction littéraire convenant au public et échappant aux critiques. Nous aurons deux exemples à analyser à ce point de la recherche : le premier concerne l article de Bachīr As Sibā ī « Le traducteur comme acteur » et le deuxième appartient à Dima Al Husseini « Retour aux sources et recréation de l effet ». Deux exemples différents puisque le premier est écrit en arabe alors que le deuxième est en français et publié en France. Les autocommentaires ne sont pas forcément une réponse aux critiques mais plutôt des réflexions sur soi-même parce que la société n a rien demandé ni à la traduction ni au traducteur. Donc, de notre point de vue, l autocommentaire est une création plus ou moins indépendante. Parler des problèmes de la traduction semble inutile pour Bachīr As Sibā ī qui considère que la chose la plus importante, dans l expérience traductive personnelle, est que le traducteur soit conscient de l aventure créative dans laquelle il « se jette ». Dans son article « Le traducteur comme acteur », il confirme que la problématique de la technique traductive est une composante essentielle de l expérience du traducteur mais, la plus importante est celle de la reconnaissance de l altérité dans son rapport avec l identité. L acte de traduire est donc, selon ce point de vue, un fait humain contre tout - 186 Ahmed Khalifa « nationalisme ». Sous cet angle, nous ne devrions pas être des traducteurs « chauvins312 » : ‫ بل‬، ‫ ت ب ع ف ب آخ ي ت ب ع ف ب م ني‬، ‫ ا ت‬، ‫ ك نت ت ب ت ج ل‬،‫لي‬ ‫بل‬ ‫ ا‬، ‫ه ل ب ف اً ن ني ً ب م ي‬ ‫أس سي اع‬ ‫ ه ل‬، ‫آخ ل تي‬ ‫ك‬ ‫ت‬، ‫ب ج‬ ‫ع ش في يين‬ ‫ ه م ي م مع قع س ل ل‬، ‫ق مي من أ ن‬ ‫ي ن أ ي مح مع أي ت ي‬ 313 ‫س ل م من ه ل ي‬ ‫بين ل ج ين ل ين ي‬ Pour moi, l'expérience de la traduction de la poésie était et est encore une expérience de reconnaissance de l'altérité, de reconnaissance de la possibilité, et même la nécessité de la représenter sous une autre figure du Moi. Voilà la justification principale pour que l on puisse considérer cette expérience comme une expérience humaine par excellence. Aucun parti pris nationaliste de n'importe quelle sorte est tolérable, ce qui est conforme avec le fait qu'il est impossible de trouver des chauvins parmi les traducteurs qui comprennent leur message sous cet angle. L acte de traduire pour As Sibā ī est une « unification » avec l écrivain ou le poète, « possession » de l altérité et « assimilation » à haut degré : le traducteur fait donc le travail d un acteur de théâtre : ‫ي ه‬ ‫لم ي ح مع ه ل‬ ‫حي أ ي ح في أ ء‬ ‫ أ ي ح في ت ج ه‬، ‫ ع م جم ش ع م‬،‫ ب ل ل‬،‫يل‬ ‫ ا غ عه بي‬، ‫ح‬ ‫ل أق‬ ‫ ه ت ح ض‬، ‫ل ج‬ ‫ل جم‬ ‫ص‬ ‫ن‬ ‫ك ه‬، ‫ع ل ج‬، ‫ي لش‬ ‫يل ع ل ل ل‬ ‫ك من ل‬ ‫ ف ن ل‬،‫ خا أ ء ل حي‬،‫م ه‬ ‫ خا ف ل‬،‫لم ي ح م ه‬ ‫ل ع‬ ‫ ي ح ل ع ل أ‬،‫]…[ ك لك‬. ‫ح‬ 314 . ‫ل ته ه‬ S'il est impossible pour un acteur de théâtre de réussir à jouer son rôle sans s unifier et s assimiler avec ce rôle-là lors de la représentation théâtrale, il est, de même, impossible pour traducteur quelconque de réussir la traduction de d un poète sans qu'il s'unifie avec lui lors de l'acte de traduire. C'est une unification nécessaire au plus haut point et tout cas indispensable. […] Ainsi, le poète aspire-t-il à ce que sa poésie, à travers la traduction, soit transférée telle quelle sans que la voix du traducteur viole la sienne. L unification interdit la présence de la voix du traducteur. As Sibā ī nous donne l exemple de ses traductions, de (enein et de Joyce Mansour, dans lesquelles il peut trouver différence entre les voix des deux poètes malgré les communs traits surréalistes dans leur poésie : Appartenant au chauvinisme qui est une manifestation excessive et naïve du patriotisme ou du nationalisme. C est l admiration exagérée ou trop exclusive de son pays 313 AS S)BĀ Ī B., « Al mutarjim mumathilan », article disponible sur le blog du traducteur : http://mabdaalamal.blogspot.com 314 Ibid. 312 - 187 Ahmed Khalifa ‫ء‬ ‫م جم ح ل‬ ‫أم ت ج‬ ‫ج ن أن‬ ‫ م ي ً عن‬،‫ في ت ج ي‬، ‫ح ين ي‬ ‫ج‬ ‫ ف ل ي بين‬، ‫ي لي ل ي ل ي ت ع بي‬ ‫ل ع‬ ‫أ ن ين ل أ ح ي ي ص‬ ‫ي‬ ‫ ي ي أ أج ص‬، ‫ي‬ ‫ في ت ب ي ل‬.‫م ين‬ ‫ ح ب ل غم من ل ش ئج ل‬، ‫ج يس م‬ ‫ص‬ 315 ‫ل تين م ج في أص‬ Nous pouvons discerner à quel point la voix du poète se distingue quand nous nous trouvons devant des traductions de poètes différents faites par un seul traducteur. A partir de mon expérience personnelle, je peux trouver la voix de Georges Henein dans ma traduction, distinguée de celle de Joyce Mansour, même en dépit des liens surréalistes intimes qui les unissent parce que la distinction entre les deux voix existe dans les [textes] originaux. Déclarant enfin son support pour la théorie du traducteur invisible, As Sibā ī définit le traducteur comme « le seul écrivain qui se félicite du succès de sa traduction quand nous lui disons que nous n'avons pas senti sa présence existence » : ‫ت ج ه ق له أن‬ ‫ ه ل تب ل حي ل ي ئ ن ه ع ن‬،‫ ش نه في لك ش ل ل‬،‫ل جم‬ ‫أ ئه ق‬ ‫ في ت ج ك أم ل ع ن ه! م ي يء ل ل ن ه ع ن‬، ‫ ل ك‬: ‫ب ج‬ ‫لم ن‬ !ً ‫ أم ه م ت ش ي‬،‫ ل ك في أ ئك‬، ‫ب ج‬ ‫له ن لم ن‬ ،‫ في أيي‬، ‫ ف‬، ‫ء م ين في ح ض ً ب ته سط كل ه ل‬ ‫أم ل جم ل ح ل ي جم ل‬ 316 .‫ل لي ل ل‬ ‫ل‬ Le traducteur, comme l'acteur, est le seul écrivain qui se félicite du succès de sa traduction quand on lui dit: "Nous n'avons pas senti ta présence. Nous étions, en lisant la traduction, devant le poète lui-même!" De même que l'acteur se félicite de la réussite de sa performance quand on lui dit: "Nous n'avons pas senti ta présence, nous étions, en le regardant la performance, en face d'Hamlet en personne!" Quant au traducteur unique des poètes différents qui se donne voir luimême au sein de toute cette diversité, il est, à mon avis, l'exemple idéal de l'échec. Le mauvais traducteur est donc celui qui est visible dans les différentes traductions. As Sibā ī expose une autre problématique : celle de l actualité ou la contemporanéité du traducteur. Dans ce sens, il n est pas justifiable pour un traducteur d utiliser la langue de nos ancêtres. En effet, « comment parler aux vivants avec la langue des morts ? » et « nous aussi, nous allons mourir ». Et il y aura des nouvelles générations qui auront besoin de nouvelles traductions des textes littéraires convenant à leur temps, ce qui justifiera une future présence de plusieurs traductions d un même texte : 315 316 Ibid. Ibid. - 188 Ahmed Khalifa ‫ ف أجي س ف ت‬. ‫ ليس أجي ق م‬،‫جم ل ص يه‬ ‫اي أ‬، ‫ ب ل‬،‫ ك لك‬.‫ ا ب ن ن ن‬،‫ب ن هي‬ ،‫لي ن ن‬ ‫ نه ي‬: ‫أساف‬ ‫ل‬ ‫ي بي آ أ ي‬ ، ‫ س ف ي تي ب ن أن آخ‬، ‫ س ف ن‬،‫ن ن ب ن‬ ‫جي‬ ‫ ي ج ك لك ل ت ج‬، ‫ل اسي ي‬ ‫حي‬ ‫ل‬ ‫أم ن‬ […]. ‫ق ت ج ت من ق ل أك من م‬ ‫ل‬ ً ‫ أ ن ح‬،‫ك ي ع لك‬ ‫ فا ي ب أ ن ئ أن‬، ‫ل م‬ 317 !‫ س ه ل ين‬،‫ن ني ق يم‬ ‫م‬ ‫ل يء أك ت ي ً ه أ ل جم ن ي‬ ‫ ي‬، ‫ب ج ل م ج ين م ص ين ل‬ ‫أج‬ ‫ل جم ع بي ل‬ ‫ه م ي‬ ‫أم ؟‬ ‫ل أحي ء ب‬ ‫ف يف ي‬ ‫جي‬ ‫ل خ‬ ‫م ي ج‬، ‫م‬ ‫ك نت ه‬ ‫ ح‬، ‫إب عي‬ ‫ل‬ ‫أ م‬ ‫أ ي‬، ‫ ك ج ين ل‬، ‫ل‬ ‫آخ من أع‬ ‫غي ع‬ ‫في لك لن ي‬ La chose la plus distinctive est que le traducteur traduit pour ses contemporains, et non pour les générations à venir. Ces générations auront besoin de leurs traducteurs contemporains, qui parlent leur langage, non pas le nôtre. En ce sens, il ne semble pas justifié pour un traducteur arabe de la poésie étrangère, parmi nous aujourd hui, d'utiliser la langue de nos ancêtres. Il nous parle à nous, et comment parlerait-il alors aux vivants dans une langue de morts? Nous, à notre tour, mourrons, et viendront après nous d'autres personnes, différents, qui auront besoin d'une nouvelle mise en scène des pièces classiques, ils auront besoin même de nouvelles traductions des textes créatifs, même si ces textes ont déjà été traduits plus d'une fois. […] Et si notre travail, en tant que traducteur de poésie, a pu pénétrer dans le temps à venir, nous ne devrions pas nous en féliciter trop, vu que notre succès à cela ne serait qu'un autre symptôme d'une ancienne maladie humaine, la nostalgie! A partir de ces idées tirées de l article d As Sibā ī, nous présumons qu il supporte une certaine réflexion sur le métier du traducteur. De notre point de vue, c est une réflexion commune inspirée de la pensée populaire qu une « bonne » traduction doit être lue comme texte original. Mais, le talent d un traducteur, ne réside pas seulement dans son pouvoir de disparaître mais aussi dans son pouvoir écrire. Aujourd hui, il est bien accepté qu il n est pas possible d éliminer « la voix » du traducteur dans sa traduction parce qu [avant et après] tout, c est lui qui l a écrite. As Sibā ī pourrait déclarer avoir réussi à disparaître dans ses traductions de la poésie de Henein et Mansour, mais ses traductions nous disent quelquefois l inverse. L exemple suivant le montre : 317 Ibid. - 189 Ahmed Khalifa J aime voir leurs visages peureux Ils ne tiennent pas à regarder la morte )ls veulent vite l enfermer loin de leur peur Et encore habillés de leur deuil )ls feront l amour pour mieux enterrer Son souvenir décomposé.318 ‫أحب ي ج ه م ال عو‬ . ‫ي ل‬ ‫ن ماي‬ .‫ف ح ه ب ي ً عن ع م‬ ‫ي ي‬ ‫بي م ي ل م ين ب هم‬ ‫ي س ل ب ل ي ي ف ع خي جه‬ 320 . ‫ك ل‬ instant d alarme et de griffe redoublement de grâce au chevet de la grande forêt où se perd le prix de chaque geste. L horreur du lendemain Suffit à soutenir le rêve.319 ‫ع ص ي‬ ‫ل‬ ‫م ع ل ك‬ ‫لغ ب ل ي‬ ‫ع ف‬ ‫حيث ي يع ث ن كل ي ء‬ ‫عب لغ‬ 321 .‫ي ي ل ص ل م‬ Evitant de parler ici des faux-sens, nous avons mis en caractères gras soulignés deux mots répétés dans les deux traductions d As Sibā ī : il s agit de « ‫ » ع‬et «‫» عب‬. Deux mots qui n existent pas, de prime abord, dans le texte de Joyce Mansour. La « peur » chez Joyce est transmis en arabe par deux autres synonymes qui, de notre point de vue, sont de haut degré « ‫[ » ع‬panique] et « ‫[ » عب‬horreur]. Sans nous absorber dans une affaire de gradation entre les synonymes, tels « peur, terreur, épouvante, horreur, panique, etc. » qui existe parallèlement en arabe « ‫ لخ‬، ‫ ف‬،‫ ه ع‬،‫عب‬ ، ‫ ع‬،‫»خ ف‬, nous nous demandons pourquoi le mot « alarme » est surtout traduit par un faux sens tel « ‫? » ع‬ N est-ce parce que ce faux sens fait partie du choix de notre traducteur ? Ce choix, ne fait-il pas partie de son vocabulaire, et donc, de sa « voix » ? Pourquoi la « peur » de Joyce est-elle devenue « horreur » ? Pourquoi l « instant d alarme » de Henein est-il devenu « panique» ? Autrement dit, dans la traduction du poème de Joyce, pourquoi le lecteur arabe ressent l « horreur » et la « panique » alors que dans le texte original, on ne ressent que la « peur ». ? Certainement, c est à cause de [ou grâce à] la « voix » d As Sibā ī. Si l autocommentaire de Bachīr As Sibā ī sur sa traduction poétique représente une théorie cohérente de la traduction, il ne témoigne pas de la spécificité de la création poétique francophone. Il ne mentionne non plus aucune problématique du retour aux sources, c est-à-dire du retour du texte à sa culture d origine et c est clairement dû à la nature poétique des textes qui, outre qu ils sont de la poésie, sont particulièrement surréalistes. Généralement, la poésie égyptienne francophone contient rarement de la MANSOUR J., Prose et poésie, œuvre complète , Actes Sud, Paris, 1991, p. 323. ALEXANDRIAN S., Georges Henein, Editions Seghers, Paris, 1981, p.145. 320 MANSOUR J., Ifta Abwāb al layl, trad. de Bachīr As Sibā ī, Manch”rat al Jamal, Cologne . p. 321 HENEIN G., Aʻmāl mukhtāra, textes choisis et traduit par Bachīr As Sibā ī, Manch”rat al Jamal, p. 318 319 - 190 Ahmed Khalifa . culture ou des données socioculturelles proprement dites. A part la poésie de Rassim, l égyptianité est un thème rare dans la poésie de (enein, Jabès, Mansour et Mona LatifGhattas. Un autre autocommentaire sur la traduction d un roman de Fawzia Assaad nous a paru très intéressant bien qu il soit écrit en français : il s agit de l étude de Dima El Husseini intitulée « retour aux sources et recréation de l effet ». Une étude exposant la problématique particulière de la traduction littéraire qui ramène l œuvre à sa culture d origine : Lorsqu il s agit de traduire un ouvrage dont la culture de départ est différente de la culture d arrivée, la démarche consiste, entre autres, à transmettre les allusions socioculturelles et l effet qu elles produisent sur le lecteur de l original. D o‘ la conservation de l aspect exotique de l œuvre. Or, le roman dont nous traitons ne concerne pas le passage d un univers culturel à un autre. Il va plutôt consister en un RETOUR aux sources.322 Consciente donc de la problématique [et ou spécificité] de la traduction d un roman égyptien d expression française, Dima El (usseini mène une étude généralement basée sur le modèle interprétatif de la traduction. La traductrice nous déclare dans cette étude que le texte « original » vise un double destinataire : le lecteur francophone et le lecteur « arabophone ». Ce dernier, selon elle, sera donc appelé comme lecteur second. Pourquoi donc un texte en français viserait-il un lecteur arabophone !? parce que : La romancière prévoyait en effet un projet de traduction après la publication française et c est ainsi que son message est doublement envoyé, dans deux directions Occident/Orient . La visée de l auteure, son vouloir dire et son vouloir-émouvoir circulent dans les deux sens.323 Par ailleurs, contrairement à toute réflexion logique qu un exotisme du texte francophone est censé disparaître lorsqu il est traduit vers la langue de sa cultureorigine, El (usseini décida d aller à contre-pied et installer une nouvelle notion inspirée de la théorie interprétative : il s agit de L EXOT)SME DU RETOUR AUX SOURCES : C est ainsi que le thème du roman exerce un effet d exotisme sur les deux récepteurs : le lecteur francophone découvre un monde totalement inconnu et les lecteurs arabes et égyptiens (coptes chrétiens et musulmans) se 322 323 AL HUSSEINI D., « Retour aux sources et recréation de l effet », op.cit., p. 149. Ibid., p. 150 - 191 Ahmed Khalifa découvrent aux yeux d une auteure qui puise ses sources dans leur histoire et ressentent L EXOT)SME DU RETOUR AUX SOURCES. 324 Comment donc l exotisme est-il maintenu dans la traduction d El (usseini ? En effet, c est une sorte d exotisme interne : c'est-à-dire un certain exotisme du passé consistant à rappeler au lecteur arabophone égyptien certaines valeurs pharaoniques, comme par exemple l importance symbolique du bulbe d oignon chez les Anciens Egyptiens. Supposant donc un niveau d ignorance chez son lecteur, la traductrice introduit une note en bas de page pour rappeler l importance de l oignon. De notre point de vue, l exotisme historique que la traductrice croyait transmettre dans le texte traduit n est pas une particularité du RETOUR AUX SOURCES, c est simplement l un des thèmes de l œuvre. 3.2 Le régime médiatisé Est régime médiatisé, selon Genette, tout dialogue entre écrivain et médiateur « chargé de lui poser des questions et de recueillir et de transmettre ses réponses 325». Est-ce à appliquer au domaine de la traduction littéraire ? Autrement dit, est-ce à appliquer au traducteur ? Pourrions-nous aller plus loin dans cette étude et supposer une situation « idéale » o‘ le traducteur fait l objet d une interview ou d un entretien ? soutenant ou non la théorie du « traducteur invisible », le traducteur doit-il effacer sa personne pour tenir son rôle, celui de médiateur entre public et écrivain ? doit-il se montrer autonome ou dépendant ? En l absence d entretiens publiés avec des traducteurs, nous avons choisi d aborder ce point et ses doutes mais qui porte aussi un message plus au moins important car il décrit le statut du traducteur dans le monde arabe. Qu il soit « jugé » mal ou bien formé, visible ou invisible dans sa traduction, le traducteur rentre nolens volens dans un « jeu social » répondant au besoin d information sur le mouvement de la traduction [en général] ou sur sa traduction à lui [en particulier]. Ce besoin d information n est pas forcement un besoin public comme celui porté à la littérature nationale par exemple. Dans un champ littéraire, l intérêt donné à la traduction littéraire est souvent lié à la place de la littérature étrangère dans ce champ. D inspiration genettienne nous dirions : une traduction d une œuvre d un écrivain [célèbre et connu] est parue, il faut le faire savoir et à faire savoir en quoi elle consiste, 324 325 Ibid., p.151. GENETTE G., Seuils, op.cit., p.358. - 192 Ahmed Khalifa l écrivain est un étranger [qui n est pas là], parlons donc avec son traducteur. Roland Barthes, n a-t-il pas répondu à la question « Pour vous, qu est-ce qu une interview ? » : « L interview est une pratique assez complexe sinon à analyser tout au moins à juger.[…]: l interview fait partie, pour le dire de façon désinvolte, d un jeu social auquel on ne peut pas se dérober[…] )l y a des engrenages qu il faut accepter : à partir du moment o‘ l on écrit, c est finalement pour être publié, et à partir du moment o‘ l on publie, il faut accepter ce que la société demande aux livres et ce qu elle en fait […] Votre question relève d une étude générale qui manque et que j ai toujours eu envie de prendre comme objet d un cours : un vaste tableau médité des pratiques de la vie intellectuelle d aujourd hui » 326 Donc, ce type d étude gardera bien sûr à l esprit que les luttes menées par les traducteurs dans un champ cible sont bien différentes de celles engagées par les écrivains du même champ. 3.2.1 Les interviews Pratique sociale récente consistant à engager l interviewé dans un jeu de questions/réponses. L intervieweur est le médiateur chargé de poser les questions qui intéressent le public de lecteurs de l écrivain. Généralement, le traducteur ne rentre pas dans ce jeu social mais dans certains cas, quand l écrivain étranger réussit à s implanter dans notre champ littéraire, le traducteur est invité à jouer le porte-parole. Il faut absolument que la réussite de l écrivain étranger corresponde à un moment original, c est-à-dire au moment de la publication de l œuvre pour que l interview satisfasse à la définition genettienne. Notre sujet de recherche ne témoigne pas d un tel succès de telle ou telle traduction mais le champ littéraire égyptien contient plusieurs exemples illustratifs du phénomène. Nous en tirons un, bien loin de notre sujet mais qui donne une idée en quoi consiste généralement une interview avec un traducteur. )l s agit de l interview avec Bachīr As Sibā ī après la réussite de l œuvre de l historien français (enri Laurens La Question de Palestine327. Notre traducteur était mené à répondre à des questions telles que : « Qui est Henri Laurens ? Quelle est la problématique générale de Roland Barthe, entretien avec Pierre Boncenne in Ecrire, lire et en parler, Robert Laffont, Paris, 1999, p. 366. 327 1- Henry Laurens, La Question de Palestine : Tome 1 - L'invention de la Terre sainte (1799-1922), Fayard, Paris, 1999. 2- Henry Laurens, La Question de Palestine : Tome 2 - Une mission sacrée de civilisation (19221947), Fayard, Paris, 2002. 3- Henry Laurens, La Question de Palestine : Tome 3 - L'accomplissement des prophéties (1947-1967), Fayard, Paris, 2007. 326 - 193 Ahmed Khalifa son œuvre ? Comment envisage-t-il la question de Palestine ? Travaille-t-il au service des objectifs idéologiques ou autres ? Quels sont les caractères qui différencient son livre? etc. 328». Les interviews indépendantes, c est-à-dire non liées à une publication commencent à être prépondérantes dans le monde arabe et nous y constatons un thème dominant : le mouvement de la traduction dans le monde arabe. Vraies préoccupations dont le manque de professionnalisme et du plan culturel pour le choix des textes à traduire en sont les principales. 3.2.2 Les entretiens « Evangélisateurs, bâtisseurs de langues, artisans de littératures nationales, diffuseurs de connaissances, acteurs sur la scène du pouvoir, propagateurs des religions, importateurs de valeurs culturelles, rédacteurs de dictionnaires et témoins privilégiés de l histoire. »329 Bien que ce point de la recherche soit censé viser les entretiens « publiés », nous nous sommes senti obligé de combler le manque de la matière brassée en faisant nousmêmeles entretiens avec les traducteurs. Rencontrer les traducteurs est devenu nécessité dans les études traductologiques qui donnent importance au rôle du traducteur à la fois libre et soumis aux contraintes de l édition dans un champ littéraire donné. « Le traducteur est un repère essentiel pour mesurer, comprendre et analyser les conditions pratiques, sociales et culturelles de la circulation des littératures. Son histoire, sa personnalité et sa conception du traduire s expriment dans toutes les formes de divergences que révèle la confrontation de retraductions. »330 Différentes enquêtes sur le métier du traducteur sont inspirées des théories de la traduction parce que, dans un sens ou dans l autre, le traducteur signifie traduction et vice versa. Nous avons mené une enquête prenant essentiellement en considération la pratique sociale des traducteurs arabes, leur témoignage, leurs confidences et leur Jarīdat Al i)chtrākī, mars , interview avec Bachīr As Sibā ī, disponible sur le blog du traducteur : http://mabda-alamal.blogspot.com/2011/07/blog-post.html et le site du journal : http://www.esocialists.net/node/2555 329 DELISLE J. et WOODSWORTH J., Les traducteurs dans l histoire, Unesco – Presses de l Université, Ottawa, 1995. In RESTERUCCI-ROUDNICKY, )ntroduction à l analyse des œuvres traduites, op.cit., p. 60. 330 RESTERUCCI-ROUDNICKY D., )ntroduction à l analyse des œuvres traduites, op.cit., p. 60. 328 - 194 Ahmed Khalifa réflexion sur la théorie de la traduction. Parmi presque 36 traducteurs dans notre corpus, nous avons pu avoir contact avec 11 dont 4 seulement nous ont permis de pénétrer dans leur atelier. Heureusement, les 4 réponses331 sont représentatives et rassemblent, de notre point de vue, les différents types de traducteurs : l amateur, l universitaire, le professionnel. Leurs paroles à ce stade de la recherche pourraient s inscrire dans un cadre d une historicité des pratiques et des postures traductives dans le monde arabe. Quatre traducteurs ne peuvent pas donner une image complète du mouvement de la traduction mais au moins, ils peuvent nous décrire leur statut dans leur société qui les désigne par une gamme de descriptions : le passeur, le second auteur, le traître, l artisan, l abordeur, le cordonnier, etc. Les repères biographiques aideront à comprendre comment le traducteur, dans n importe quel champ littéraire, pourrait commencer son métier et s inscrire dans un réseau très limité. Les différentes raisons d attirance pour cette activité [la traduction] se résument en deux réponses typiques : expérience personnelle et ou vocation d un « ami ou auteur ou traducteur ». La biographie du traducteur nous permet de construire une idée sur sa formation, son moyen de vivre, son activité professionnelle dans telles associations ou telles entreprises, etc. Ainsi, le traducteur exerce-t-il souvent une autre activité : éditeur, écrivain, enseignant, artiste, etc., ce qui influence sans doute sa traduction. Le traducteur s inscrit aussi dans un cadre d « habitus » qui décrit plus ou moins son réseau. Décrocher et négocier son contrat avec un éditeur est une pratique connue mais les contraintes éditoriales pourraient influencer directement la traduction. Le fait d imposer des modifications de la part de l éditeur est souvent justifié par des conditions sociales « connues et reconnues » à l intérieur de son champ comme la lisibilité, la normativité, la morale, la censure, etc. Le traducteur et ses choix, ses principes et son rapport avec l auteur pourraient décrire exactement sa conception de son métier et de )l s agit des réponses de Dima Al Husseini : Maître de conférence à l université française en Egypte, Randa Ba th : traductrice professionnelle syrienne, Ahmed Uthmān : journaliste et traducteur égyptien et Mirvat Chaykhūn, traductrice égyptienne, licenciée de la faculté de langues et de traduction – Université de L Azhar, nous nous sommes permis de qualifier cette dernière comme « amatrice » parce qu elle n a traduit qu une seule œuvre littéraire d Out El Kouloub. Nous signalons que nous n avons pas malheureusement eu réponse à notre questionnaire de la part des traducteurs suivants : Rachīd Wa tī, Ma m”d Qāsim, Walid Al Khachāb, (udā (ussein, Māhir Gowaygātī, Mona Qa ān et Bachīr As Sibā ī. Ce dernier nous a été d un grand service concernant les données biographiques et nous a précieusement aidé avec M. Qāsim à rassembler notre corpus dispersé. 331 - 195 Ahmed Khalifa son rôle. Autrement dit, Que traduit-il ? une langue, un auteur ou est-il ouvert à toute proposition ? Choisit-il ses œuvres à traduire ? A-t-il refusé une traduction ? Et pourquoi ? Quel est l auteur qu il aurait aimé traduire ? Comment travaille-t-il ? Combien d heures par jour ? A-t-il retraduit une œuvre ? Et pourquoi retraduire ? A-t-il rédigé une préface de sa traduction ? Quelle fonction lui a-t-il assignée ? Entre-t-il en relation avec l auteur ? A-t-il fait des propositions à ce dernier ? A-t-il eu des retours de lui à propos de ses traductions ? Quelle est sa définition du traducteur ? Qui est, selon lui, le « bon » et le « mauvais » traducteur ? Qu est-ce que le « difficile » à traduire ? Qu est-ce que l « intraduisible » ? A-t-il besoin de la « théorie » pour traduire ? Ces questions pourraient dessiner un portrait à travers lequel nous pourrons mener une analyse de la réception des traductions de la littérature égyptienne d expression française dans une perspective sociologique : « Le sujet traduisant, tout comme l écrivain, est porteur des représentations symboliques de sa société. C est pourquoi la connaissance de ce sujet est indispensable à l interprétation et à la compréhension des œuvres traduites. )ndispensable aussi à qui veut cerner la manière dont les œuvres ont été traduites. »332 D après les maigres confidences des traducteurs que nous avons pu recueillir, nous allons réunir les réponses en une forme d exposé laconique en essayant d éviter toute généralisation subjective. Dans tous les cas, cet exposé ne visera pas à tirer une conclusion en allant du particulier au général mais plutôt à présenter une part de la chose dans une opération intellectuelle « légitime ». Nous n allons pas l étendre à un groupe d idées, ou de fait, à une classe d êtres [les traducteurs] mais plutôt décrire dans un cadre sociologique déterminé comment « l esprit » forme ses « idées » et ses « concepts » à partir de sa propre expérience ; c est-à-dire comment le traducteur [acteur social] envisage son domaine de la traduction[fait social]. Nous n allons pas non plus exposer les données biographiques des traducteurs mais mettre l accent juste sur quelques points généraux qui illustrent la définition du « sujet traduisant ». Ayant tous une formation bilingue, nos quatre traducteurs ont mentionné différentes raisons d attirance pour cette activité [la traduction]. Outre la raison 332 DELISLE J., Portraits de traductrices, Presses de l Université, Ottawa, - 196 Ahmed Khalifa , p. rebattue, circulant dans leurs bouches, et qui consiste à mettre en avant de la scène « La décomposition de la pensée arabe contemporaine et la nécessité de communiquer avec le monde développé333.», le traducteur Ahmed Uthmān fait témoignage d un certain cas de transformation : lecteur → traducteur. En raison de débats publiés dans la presse littéraire autour de la publication du livre Le surréalisme en Egypte (1986) dont le principal sujet de dispute en était que le livre n aurait été qu une traduction de certaines études françaises, Uthmān [le lecteur] fut impressionné et intrigué par ce domaine et commença à se demander « Pourquoi et comment traduire ? ». C est donc cette interaction entre les membres d un réseau littéraire qui a poussé notre traducteur à prendre « le risque » : ‫ل ج‬ ‫ م ص ح ه من ض ح‬، ‫" ل ي غ يب‬ ‫" ل ي ي لي في م‬ ‫ك نت ل ي مع ك‬ ‫ ه م ج‬، ‫ل ج ء م ن ش ي ح ت ج آخ ين ل ض ل‬ ‫ ل ل‬، ‫غي‬ ‫عن م هي ل ج‬ ‫ ك نت ج ي م ل ي هي ل‬... ‫أي مع ك ك م ج عن ت ج أ نيس‬ ‫ل س‬ ‫عن م ن جم‬ ‫ي‬ ‫ كيف ن جم ؟ في ل قت ل ك آخ‬، ‫ ل ن جم‬... ‫ك‬ ‫ ل‬... ‫ ف ض أي ي ل جي‬، ‫ل س ل ي‬ ‫ كا ي ي ك م ل م‬، ‫خ ط ل ج‬ ‫لغ‬ ‫م س لم ي ن ك م س ا ي ي‬ ‫ م‬، ‫أ ه اء آخ ين ل ين ي ث عن ه ل ا ل ي‬ ‫ل ج ب ء‬ ‫ ثم خ ت ل م‬... ‫ ك نت ج ي م ل ي م في خ ل‬، ‫ ب‬... ‫أج ي ح‬ 334 ... ‫ش ي‬ Tout a commencé avec le bruit fait autour du livre de Samīr Gharīb "Le surréalisme en Égypte", sur la traduction et sur d'autres choses. C'est pourquoi j'ai procédé à des comparaisons personnelles sur les traductions de certains textes déjà traduits par d autres traducteurs. )l s'est produit la même chose avec le livre de Kadhim Jihad sur la traduction d'Adonis. Mon propos était, dès le début, de m interroger sur la nature de la traduction: pourquoi et comment traduire? Au moment où les autres parlaient de Quoi traduire, du rôle des institutions et des plans de la traduction: un discours qui vous ramène toujours vers la notion d institution dominante et l imposition de ses idéologies. Le plus drôle est que la plupart, sinon tous ces autres qui discutent ces grandes notions ne maitrisent pas une seule langue étrangère. Simplement, mon propos était purement la recherche du savoir… Puis j ai pénétré très calmement le domaine de la traduction. Commençant à comparer quelques traductions des textes, Ahmed Uthmān décida d entrer dans un domaine « non rentable ». Rappelons à titre d exemple que la traductrice Mervat Chaykh”n gagnât livres335 égyptiennes comme prix de sa traduction du roman d Out El Kouloub la nuit de la destinée [trad.2009]. Le roman Dima Al Husseini, réponse à la question Quelles sont les raisons qui expliquent votre attirance pour la traduction ? Réponses au questionnement envoyées par mail le 20-05-2010. 334 Ahmed Uthmān, réponses au questionnement envoyées par mail le -03-2010. 335 Environs 60 euros. 40 centimes pour une page traduite. 333 - 197 Ahmed Khalifa compte 150 pages, ce qui fait 3,5 livres pour une page traduite du français malgré le fait que le prix le plus bas autorisé en Egypte soit de 15 livres par page. Ce prix peut atteindre jusqu à livres336 non seulement selon [les connaissances et] la reconnaissance du traducteur mais aussi selon la maison d édition. Sans entrer dans les détails politico-éditoriaux des maisons d édition égyptiennes, la situation financière du traducteur est presque la même dans tous les pays arabes. La réponse négative de la part des traducteurs égyptiens à la question « Peut-on vivre de la traduction ? » confirme cette position délicate. Même en Syrie, l un des pays arabes les plus actifs dans ce domaine, la situation financière dépend du poids du « nom » du traducteur, Randa Ba th la traductrice syrienne le confirme : ‫ ف ج ل ج ين غي ل ين أ غي‬.‫ل س ف ط‬ ‫ بل أج ل ج ين ل يين‬، ‫ ف ل‬،‫آخ ين‬ ‫ ل ن ب ث‬، ‫ ن يع أ ن يش من ل ج‬،‫ن م‬ ‫ أم أج‬.‫فين ض ي ب يث ا ت ي ل يش‬ ‫ل‬ 337 ً . ‫جي ج‬ Oui, nous pouvons vivre de la traduction, mais seulement après s'être fait un nom. La rémunération des traducteurs non éminents ou inconnus est trop faible pour qu'on puisse en vivre. Celle des autres est raisonnable, et celle des interprètes de conférences est même très bonne. Cette situation fait que la traduction reste un domaine second dans la vie de la plupart des traducteurs. Pharmacien338, professeur d université, journaliste, le traducteur arabe est presque absent dans les activités de son champ littéraire. Son refus de faire partie d une association des traducteurs, « si il en existe », revient souvent à des raisons personnelles. En effet, les associations des traducteurs en Syrie et au Maroc par exemple, subissent un contrôle de l Etat : . ‫م ي ب‬ ‫ أ ت‬،‫ل سي‬ ‫ ف س ت‬، ‫في س ي‬ ‫ل‬ ‫عن ل‬ ‫م‬ ‫ ش أ ت‬،‫ن ء ج ي ل ج ين‬ ‫أ ي ف‬ ‫ل‬ ‫غي م ف في ج ي ل ج ل ب ات‬ ‫ب أ ه ل‬ 339 .‫قي‬ ‫ لم أس ل أ‬،‫لي غم ق لي‬ ‫عن ان‬ Je soutiens l'idée de créer une association pour les traducteurs, à condition qu'elle soit indépendante des autorités officielles, et qu'elle soit purement professionnelle. Et comme cette condition n'est pas remplie dans la Société de la Traduction qui dépend de l'Union des Ecrivains Arabes en Syrie, je me suis abstenu de m'y affilier; j'y ai été accepté, mais je n'ai pas mené la procédure à son terme. Environs 4,20 euros. Randa Ba th, réponses au questionnement envoyées par mail le 09-05-2010. 338 La traductrice syrienne travaillait comme pharmacienne avant d être traductrice de métier. 339 Randa Ba th. réponses au questionnement envoyées par mail le 09-05-2010. 336 337 - 198 Ahmed Khalifa Accusant « le système » des prix littéraires dans le monde arabe, nos quatre traducteurs ne portent pas intérêt aux prix de traductions. )ls n ont pas l impression non plus que le statut du traducteur dans le monde arabe pourrait être valorisé un jour dans le discours critique et social de leur temps : ‫ي أخي‬ ‫ هل ت‬... ‫ل سع ا ي ان‬ ‫ ح أ ل ف ب‬، ‫ل جم ي ان‬ ‫م م بأ‬ ‫ مع‬، ‫ ل ابي‬1 ‫أ في أ ن ل ف ل من ل ن أ يغي شي م ج في ف ن مع ث م ي‬ ‫ليه‬ ‫ ل جم ي‬،‫ غي ه ؟ ي أخي‬H . Marcuse ‫م ك‬ ‫ ه ب‬، Guy Debord ‫جي ي‬ ‫ع ج‬ ‫ ي‬... ‫غي‬ ‫ل بي ع ك نه ي ي ( م ل ل ب ل ي ي ) ي كل من ص‬ ‫في‬ 340 . ‫غي‬ Et depuis quand le rôle du traducteur attire l'attention, si même l intellectuel, au sens large du mot, n'attire pas l'attention… Pensez-vous, mon frère, qu'il y a dans nos pays de ces intellectuels qui peuvent changer quelque chose à l'instar de ce qui s'est passé en France avec la révolte des étudiants en mai 68, avec Guy Debord, H. Marcuse et d'autres? Ô mon frère, le traducteur, dans la nation arabe, est considéré comme un parasite (tel le peuple parasite) qui mange ce qui reste des plats d'autrui... qui se nourrit des effort de l autre. Cas de frustration aiguë et de répugnance. La citation précédente témoigne d une certaine insatisfaction de la part d un traducteur de métier. Bien que sa position dans son champ ne soit pas comparable à celle de Bachīr As Sibā ī, Ahmed Uthmān décrit la situation qui est celle de presque tous ceux qui ont pris cette activité comme métier. La réussite dans ce domaine n est pas forcément liée à la « bonne traduction » mais plutôt aux bonnes connaissances et relations avec les appareils éditoriaux. Ce qui met tout le domaine dans un grand jeu social entre les acteurs d un champ littéraire. Comment décroche-t-on alors un contrat de traduction ? Pour ce point, c est l éditeur qui intervient souvent pour proposer une œuvre à traduire. Cela n interdit pas qu un traducteur pourrait choisir mais dans ce cas, il doit finir sa traduction d abord, puis il la « marchande ». Ce qui exige une bonne relation avec les autres, une existence sur « la carte des traducteurs ». La plupart des contrats se fait à travers un contact direct avec l éditeur ou à travers les amis et les collègues de ce domaine. C est donc dans ce système d « habitus » que le choix des traductions se définit. Trois de nos traducteurs déclarent qu ils n ont pas négocié leurs contrats de traduction avec les éditeurs : il s agit des traducteurs égyptiens qui ont décroché leurs contrats en presque tout pré-fixant 340 Ahmed Uthmān. réponses au questionnement envoyées par mail le - 199 Ahmed Khalifa -03-2010. « oralement ». Cela devient de moins en moins une habitude reconnue dans le domaine de la traduction. Le protocole qui fixe le prix, la date de livraison, le nombre d exemplaires et les conditions privées [s il y en a] est principalement respecté. Nous avons choisi de mettre l accent sur la négociation des contrats car, de notre point de vue, il existe un certain rapport de domination entre traducteur et éditeur ; un rapport de domination différent de celui entre écrivain et éditeur. Évidemment, il faut comprendre que quand on parle de l édition, on parle d une industrie. L éditeur est quelqu un qui veux faire du profit en exploitant les œuvres littéraires. Le fait donc de négocier son contrat est en effet une négociation entre « poétique » et « économique ». Le système de négociation change, nous le croyons, selon la personne qui fait face à l éditeur. L écrivain est trop souvent prêt à tout pour être édité et quand l éditeur met un peu de pression sur « la poétique » de l œuvre, l écrivain défend ses « mots » contre la modification et sacrifie « l économique ». Le traducteur est plus autonome économiquement dans son rapport avec l éditeur – des fois on paye la traduction mot par mot – ce qui donne à l éditeur une certaine liberté d imposer des modifications et de gérer directement des suppressions dans un sens de lisibilité, normativité, morale, etc. Cela nous a mené à présumer qu une traduction littéraire est plus considérée comme « production sociale », quelquefois plus que l œuvre littéraire elle-même. Les contraintes éditoriales, ou les modifications, constituent un terrain fécond pour une pratique sociale remarquablement prospère dans le domaine de la traduction. La traductrice syrienne Randa Ba th nous a écrit la situation suivante : ‫في ه ل ل‬ ‫ ل ي أش‬. ‫ح أ ت خل ن ش ب يا في ع ي ل جم ع ت يين م قق ل ج‬ ‫ ق ح‬.‫ ب م ق ل قق في ح أم ن لك‬،‫أخي لي‬ ‫ل‬ ‫ا ا ع ق ح ل قق ت‬ ‫يي‬ ‫إسا ح ن ي ل‬ ‫م‬ ‫ أح ه عن ت يخ ل ي يين في ل‬،‫لك في ك بين‬ ‫لم أق ل‬ ‫ ق ت ب‬،‫ب ) ق ب قي ه ل ك ج ش ي ت ق م ً في ماح ته‬ ‫ل ني (لم ي م ن‬ ‫ ق ق أ‬،‫ل بي إسامي‬ ‫ ه عن ت يخ ل‬،‫ ل ني ق ت ب ي ه م أقل من ش ين‬. ‫آخ‬ ‫ب‬ ً ً ‫ت يا أق ت ل ش‬ ‫ج‬ ‫ف تم‬ ‫ضع ماح‬ ‫أح أس ت ل م يين ب ع ص‬ 341 . ‫ب ج ن‬ Il est arrivé qu'un éditeur intervienne pour modifier mon travail traduit en nommant un réviseur de la traduction. Mais j'exige, dans ce cas, de voir les suggestions du réviseur, et d avoir le dernier mot après discussion avec le réviseur lorsque c'est possible. Cela s'est passé dans la traduction de deux livres, l'un sur l'histoire des chrétiens en Orient depuis l'avènement de l'Islam jusqu'à la seconde chute de Constantinople (pas encore publié), qui a 341 Randa Ba th, réponses au questionnement envoyées par mail le 09-05-2010. - 200 Ahmed Khalifa été révisé par Dr Jamāl Chi ayyid. Nous avons discuté ensemble ses observations, j'ai consenti à certaines et je n'ai pas accepté d'autres. Le second, un essai sur l'histoire de la pensée arabe et islamique que j'ai rendu il y a moins de deux mois, a été remis à un universitaire qui en a lu quelques pages et a fait quelques observations dont j'ai refusé la plupart, et j'ai convaincu l'éditeur de mon point de vue. Cette pratique de l intervention est souvent justifiée par la lisibilité de l œuvre traduite. Pour illustrer le phénomène, nous empruntons une page traduite de l œuvre de Fawzia Assaad Des enfants et des chats (1987), dans laquelle nous verrons en quoi consiste une modification. )l s agit d une entamé par le rédacteur en chef de la série Ruwāyāt Al (ilāl en tant que réviseur. )l faut aussi signaler que les modifications sont gérées dans le texte traduit sans recourir à l original. Ainsi, ce roman traduit n a-t-il jamais vu le jour à cause de « nombreux passages sexuels 342» et de « contrevérités historiques ». Voici une image brute d une intervention éditoriale : Selon les justifications de Ma m”d Qāsim, ex-rédacteur en chef de la série. C est aussi lui qui nous a confié cet exemplaire de la traduction refusée après révision. 342 - 201 Ahmed Khalifa - 202 Ahmed Khalifa Nous voyons donc que la plupart des modifications visent à changer le niveau de la langue dans le dialogue des personnages. )l s agit d adapter le texte à la culture à travers l égyptianisation des dialogues. Ces modifications ont certainement des répercussions positives sur la réception de la traduction, mais elles montrent aussi que le traducteur n a pas fait attention aux données socioculturelles. Ce qui nous a mené à poser des questions autour de « la récupération de la culture » ; les réponses en sont malheureusement négatives. Considérant que le texte francophone égyptien est un texte comme tous les textes, les traducteurs pensent, à l exception de Dima Al (usseini, que la traduction de ce texte ne se distingue pas des autres. Mettant l accent sur le « vouloir émouvoir » du texte, Dima Al Husseini proclame que le problème essentiel de la traduction du texte francophone est : 343 ‫ح ف ل ي من ل ص ل في‬ ‫ل ن‬ ‫ت ث به ل‬ ‫ل ب بل ل ل‬ ‫ل ثي ف ن س ل‬ Emouvoir l'âme du lecteur arabe de la même manière que le lecteur français et supprimer de nombreux éléments culturels C est donc le problème de vouloir émouvoir le lecteur tout en supprimant les données culturelles, qui sont, de notre point de vue, la source de l influence exotique du texte. A part cette vision spécifique à Al Husseini, il apparaît que la « récupération de culture » n est pas une problématique essentielle pour presque tous nos traducteurs. En conséquence, faut-il aller plus loin et interroger les expériences diverses qui façonnent notre individu social : ledit « traducteur » ? Ces expériences sont bien sûr créatrices de social, comme le confirme Jean Peeters dans son étude Sociolinguistique et sociologie de la traduction en 2009, quand il propose une étude détaillée dans le champ socioprofessionnel : « Qui le traducteur rencontre-t-il ? Quel type de relation entretient-il avec les autres acteurs sociaux dans sa vie professionnelle ou privée ? Cela pose aussi la question de la définition du traducteur selon la société dans laquelle il est acteur. Doit-on traiter de la même façon ce que fait un traducteur en Europe ou en Afrique par exemple ? Que fait un traducteur quand existe un choc de civilisations et comment se situe-t-il, par exemple entre une société Dima Al Husseini, réponse à la question Quelles sont les raisons qui expliquent votre attirance pour la traduction ? Réponses au questionnement envoyées par mail le 20-05-2010. 343 - 203 Ahmed Khalifa postcoloniale et société postindustrielle, entre une société tribale ou de castes et une société postindustrielle, etc. ? »344 Nous ne prétendons pas avoir fait nôtre les propositions de J. Peeters avancées dans cette étude mais la question n est pas encore close et « le traducteur » méritera plus d attention. Une analyse textuelle des traductions de la littérature égyptienne d expression française visant à savoir comment le rapatriement d un texte francophone vers sa culture d origine pourrait s intituler : « les pertes et les gains culturels ». PEETERS J., « Sociolinguistique ou sociologie de la traduction », Document PDF édité et mis ligne le 9 février 2009 par José Yuste Frias _ TRADUCTION & PARATRADUCTION (T&P), http://webs.uvigo.es/paratraduction/index.html 344 - 204 Ahmed Khalifa DEUXIEME PARTIE LE TEXTE : LA TRADUCTION RAPATRIANTE - 205 Ahmed Khalifa CHAPITRE PREMIER LA TRADUCTION DE LA POESIE - 206 Ahmed Khalifa Souvent pratiquée avec beaucoup de précautions : exactitude, rythme, forme, polysémie, interprétation, sens, sonorité, rime, pastiche, esthétique, etc., la traduction de la poésie est encore, jusqu aujourd hui, parfois déclarée )MPOSS)BLE. Les termes la qualifiant s opposent et les difficultés se juxtaposent pour créer la grande problématique de la traduction de la poésie. Chercher l exactitude interdit parfois de respecter la forme, s adapter à la polysémie peut être refus d une interprétation, reproduire le sens ne se décline pas forcément avec restaurer la sonorité, encenser la rime ne conduit pas souvent à un pastiche heureux, la traduction de la poésie incarne typiquement un cas de conflit/compromis entre fidélité et effet esthétique. La traduction est généralement considérée comme une copie dégradée d un texte original ou comme une nouvelle image d un texte non achevé. Reproduction littérale de l ordre des mots ou portrait exact de l Autre tel qu il apparaît dans son texte, elle est souvent louée quand elle respecte les valeurs de la langue et de la culture réceptrice. Traduire un texte, surtout quand il est poétique, c est veiller à ne pas l écarter de son rythme dont jaillit le sens ; c est veiller à ne pas l arracher de son contexte, id est sa place dans son époque et de mesurer comment ce texte traduit est capable de signifier quelque chose dans la nôtre. En effet, les contextes s instaurent o‘ se construisent les traditions sociales. Ainsi, une [bonne] traduction assure la continuité du texte original dans une perception prolongée de son sens et donc de sa vie comme le dit Walter Benjamin : « Vie prolongée, vie continuelle, living on, aussi vie par-delà la mort »345 BENJAMIN W., « La tâche du traducteur », Œuvres ), trad. par Maurice de Gandillac, Gallimard, coll. Folio-Essais, Paris, 2000, p. 252. 345 - 207 Ahmed Khalifa La traduction est un décentrement selon Louis Massignon (1883-1962) qui la décrit comme un combat contre nos propres certitudes pour réaliser avec l Autre une véritable rencontre. Pour lui, la vraie problématique est celle du respect [possible et impossible] du rythme. Mais le grand trait distinctif entre les différentes définitions de la traduction littéraire se résume dans deux visions différentes du monde : les linguistes qui voient en elle une opération impossible vu le cadre vraisemblablement illimité dans lequel circulent les différentes langues du monde ; et les littéraires qui voit en elle une opération possible qui permet la rencontre des cultures et la possibilité d une vraie universalité. K.-J. Hassan envisage le problème comme suit : « En regardant de près le devenir réel de la traduction, les détracteurs de celle-ci, comme ses défenseurs, sont amenés à voir en elle non pas une activité « toujours possible ou toujours impossible, toujours totale ou toujours incomplète », mais « une opération relative dans son succès, variable dans le niveau de la communication qu elle atteint ». Quelque chose passe toujours quand deux langues se mettent à parler. Pour les traducteurs comme pour ceux qui s interrogent au sujet de la langue, il s agit d élargir l étendue de ce « quelque chose »346 La psychanalyse est aussi entrée dans le débat puisque le domaine de la traduction relève de la subjectivité, question soulevée dans presque toutes les études traductologiques : mythe du traducteur qui pourrait réaliser sa traduction avec le souci que son travail soit totalement libéré des traces [manifestes ou non] de sa personnalité. Le traducteur [condamné à l effacement] nous conduira certainement à justifier les mauvaises traductions qui sont bien sûr le résultat d une certaine distance de prudence [et ou de faiblesse] entre lui et le texte original. De ce point de vue, les contre-sens, les faux-sens et les non-sens ne seraient pas forcément le résultat d une ignorance linguistique mais pourraient faire partie d un choix, d un goût et d une préférence qui représentent nolens volens une idéologie que nous serons invité à interroger. Dans le domaine de traduction littéraire, cela est appelé l idéologie poétique qui correspond au goût de l époque. Avant de commencer notre analyse in extenso de la traduction de la poésie francophone égyptienne, nous avançons que le but de cette étude est une comparaison entre le texte et sa traduction d un point de vue sociolinguistique ou sociologique. Dans ce sens, commenter ne sera pas forcément proposer d autres solutions ni corriger des 346 HASSAN K.-J., La part de l étranger, Actes Sud, Sindbad, Arles, 2007, p. 58. - 208 Ahmed Khalifa erreurs mais plutôt décrire la méthode linguistique, dite traductologique. Notre critique ne sera donc ni concentrée sur les fautes lexicales ni sur les contre-faux-non-sens commis. )bn Arabī disait : « Sans le défaut, il n y aurait point de perfection 347» et nous suivrons la veine de ce qu écrit Nietzche dans Le Gai Savoir en 1882 : « On peut mesurer le degré du sens historique que possède une époque d après la manière dont elle fait ses traductions. »348 Comme Nietzche, les sciences de l homme se sont intéressées à la traduction. Le code, le message, la parole et les risques d acculturation sont les éléments sur lesquels se porte la méthode sociologique d une analyse de traduction. A chaque fois qu il y a échange entre les cultures [i.e. traduction], la sociolinguistique intervient pour signer une anthropologie de mentalité, un traitement de l impact des représentations collectives sur les langues et une explication du rôle de la traduction dans l entraînement des rapports entre les peuples. Nonobstant que l analyse sociolinguistique de la traduction est quelquefois en opposition avec les textes travaillés par le poétique [i.e. la poésie], cela n interdit pas que la traduction en elle-même soit basée sur la recréation du sens. Une traduction ambitieuse essaye toujours de reproduire les sonorités du texte poétique et d insister sur les assonances et les allitérations. Ainsi, insiste-elle extrêmement sur la forme et la forme fait sens et participe par conséquent à la création du sens : objet vital de l analyse sociolinguistique. Le rythme excède le sonore des mots, il désigne aussi une certaine régularité formelle et sémantique dans l écrit. Bien qu il règle le mouvement des mots à l intérieur du texte, il régit la tension de toute l œuvre. Pour cela, la traduction de la structure métrique d un texte ou sa musique intérieure révèle toujours le grand pouvoir mimétique que possèdent certains traducteurs sur le plan musical. Le captage du rythme est donc le problème central du texte poétique comme l avait déclaré )ouri Lotman à propos d une meilleure perceptiondu texte lorsqu il est en sons : « Les problèmes de la traduction du texte poétique ont deux sources : les particularités intraduisibles des moyens linguistiques investis dans l œuvre 347 348 Cité in HASSAN K.-J., La part de l étranger, op.cit., p.11 Ibid., p. 15. - 209 Ahmed Khalifa et l originalité idéologique et psychologique nationale que tout écrit véhicule nécessairement. » 349 L élucidation des rapports du rythme avec les aspects extratextuels pourrait donc expliquer les soucis de certains traducteurs poètes à restituer le même effet (rythmique). A contrario, tout acte de transfert contient un certain mélange de haine et d amour. Non pas à l égard de l auteur mais plutôt envers le texte et sa langue. Cet état est appelé « hainamouraison »350 par Lacan. Pourrions-nous encore interroger ce transfert d un autre point de vue basée sur une phénoménologie de la traduction appartenant à Freud et Derrida qui ont pris le traducteur pour sujet principal d analyse ; K.-J. Hassan expose dans son livre La part de l étranger (2007) la problématique du traducteur chez Freud et Derrida qui ne se différencie pas, de notre point de vue, de la problématique du traducteur en sociologie : « Qu est-ce en effet qui pousse à traduire ? Et comment expliquer cette fameuse mélancolie des traducteurs et le doute qui s empare d eux après chaque réalisation ? Faut-il les relier simplement à cette sorte de déplaisir que Freud juge consubstantiel au plaisir ou s agit-il de sentiments propres à l opération traduisante ? »351 Ce pourrait donc être un cas de conflit entre le traducteur et l œuvre qui expliquerait les fautes de traduction. Moins le résultat d une ignorance de la langue source ou de la langue cible ou des deux langues à la fois mais plutôt l effetchez lui d un malaise causé par une partie du texte [non comprise] ou par un mot [sans équivalent]. Tout cela prenant source dans cette distance infranchissable entre les deux textes. Même d un point de vue sociologique nous pourrions interroger le choix du traducteur de telle catégorie de textes et la préférer à d autres, comme les mots qu il utilise et les tournures qu il mobilise pour reproduire l original. Les choix d As Sibā ī par exemple ou la façon de Ma m”dQāsim à constituer son roman traduit ne désignent-ils pas leur auteur de par une évolution, un caractère et un style ? En traduisant Georges Henein et le situant sur la carte intellectuelle égyptienne, Bachīr As Sibā i ne se situe-t-il pas lui-même à travers son choix de textes ? En manipulant le langage de (enein, n a-t-il pas transformé le texte en un palimpseste ? Cela est une constante puisque même dans les discours, que nous LOTMAN I., « Le Problème de la traduction poétique », trad. du russe par Léon Robel, Transformer traduire, Change, n°14, Paris, 1973, p.18. 350 In HASSAN K.-J., La part de l étranger, op.cit., p. 29. 351 Cité par HASSAN, Ibid., p.37. 349 - 210 Ahmed Khalifa avons exposé dans l étude de l épitexte des traductions, nous avons montré les craintes et croyances des traducteurs et leurs confidences à l égard des auteurs qu ils déforment ou effacent. Ce fait d exercer sur la langue cible un travail semblable à celui effectué sur la langue source est exprimé selon Meschonnic comme une élévation d une « traductiontraduction » au niveau d une « traduction-écriture ». Après avoir exposé trop brièvement la problématique majeure de la traduction de la poésie qui réside essentiellement dans le transfert du rythme et le rôle de la subjectivité des traducteurs vis-à-vis des textes pour produire, plus ou moins délibérément, des traductions plus ou moins éloignées des textes de départ, nous allons traiter le phénomène à travers une autre perspective qui n est pas, de notre point de vue, très éloignée des perspectives linguistiques et philosophiques précédentes. En fait, l acte de traduire est un acte social très signifiant qui se justifie lui-même comme pratique sociale connue et reconnue surtout quand il agit sur son « environnement ». Un texte traduit est une production, une situation linguistique fonctionnant à l intérieur d un marché, une « résultante » de la compétence d un locuteur comme le disait Pierre Bourdieu à propos de l œuvre littéraire : « Toute situation linguistique fonctionne comme un marché sur lequel le locuteur place ses produits et le produit qu il produit pour ce marché dépend de l anticipation qu il a des prix que vont recevoir ses produits. Sur le marché scolaire, que nous le voulions ou non, nous arrivons avec une anticipation des profits et des sanctions que nous recevrons. Un des grands mystères que la socio-linguistique doit résoudre, c est cette espèce de sens de l acceptabilité. Nous n apprenons jamais le langage sans apprendre, en même temps, les conditions d acceptabilité de ce langage. C est-à-dire qu apprendre un langage, c est apprendre en même temps que ce langage sera payant dans telle ou telle situation. »352 De ce point de vue, nous comprenons que la structuration de l espace social comme marché laisse passer l idée que les mots ne sont pas innocents. C'est-à-dire que la compétence sociale d échanger et de parler n est pas forcément basée sur des règles purement linguistiques mais plutôt sur la position et la légitimité des acteurs et des interlocuteurs à l intérieur d un champ [dominant ou dominé]. Ce qui signifie aussi qu une compétence sociale est plus imposée qu une compétence linguistique même dans 352 BOURDIEU P., Question de sociologie, Editions de Minuit, Paris, 1984, p. 98. - 211 Ahmed Khalifa le domaine de la traduction qui occupe une place centrale dans le polysystème littéraire d une culture réceptrice. Ce regard sur le domaine de la traduction implique un regard analytique sociologique pour les textes traduits. C'est-à-dire que si nous commentons les traductions pour parler du vocabulaire et comparer les phrases, les procès, les relations prédicatives, les passifs et les actifs, les formes pronominales etc., nous serions toujours dans l analyse linguistique. Mais encore faut-il qu il y ait encore une comparaison, sorte de tertium comparationis comme le déclare J. Peeters, c'est-à-dire montrer le commun non pas le différent. Ce commun s élabore à l intérieur d un champ littéraire à travers une communication prévue entre le traducteur et le lecteur. Umberto Eco n a-t-il pas parlé d une « machine paresseuse » [le texte] qui a besoin de quelqu un [le lecteur] pour la faire « fonctionner » ? Nous savons d ailleurs que la compétence linguistique de l émetteur n est pas la même que celle de son récepteur, ce qui poussa Eco à indiquer ce que l auteur doit faire pour que son texte fonctionne : « )l doit assumer que l ensemble des compétences auquel il se réfère est le même que celui auquel se réfère son lecteur. C est pourquoi il prévoira un Lecteur Modèle capable de coopérer à l actualisation textuelle de la façon, dont lui, l auteur, le pensait et capable aussi d agir interprétativement comme lui a agi générativement. »353 Dans ce sens, nous pourrions considérer que le choix des mots dans la traduction est une résultante d une certaine anticipation de la compréhension du lecteur. Ce n est donc pas un simple transfert d informations mais aussi une opération de présuppositions et d hypothèses de la part du traducteur qui l amène souvent à générer des interprétations et commettre les faux-contre-non-sens. Le lecteur, quant à lui, est donc censé retrouver le sens à partir de son propre savoir pour déchiffrer les indices textuels transformés et donnés à lui par le traducteur. D ailleurs, un traducteur doit advenir à ce que son texte puisse sembler couler de source. C est-à-dire, concernant notre corpus, qu il soit écrit en langue arabe limpide et aisée. Est-il vraiment nécessaire qu une traduction doive se lire comme si elle avait été rédigée directement dans la langue d arrivée ? Doit-on aboutir à supposer que le texte nous donne l impression que les Français, les Anglais ou autres personnes des langues ECO U., Lector in fabula. Le rôle du traducteur ou la coopération interprétative dans les textes narratifs, Grasset, Paris, 1985, pp. 67-68. 353 - 212 Ahmed Khalifa de départ, parlent comme nous ? Cette interrogation sur la logique et la simplicité de la langue d arrivée met en avant la place du lecteur. L idée que l on se construit du lecteur doit être intégrée dans la façon de traduire parce que le lecteur arabe n est pas toujours un lecteur instruit et cultivé et pourrait être un lecteur moyen. Cela explique l existence de traductions [non de la poésie] faciles à comprendre qui ne comportent pas de vocabulaire ni de structure compliqués. Mais, en général, la traduction de la poésie se libère de cette exigence de simplicité et se charge souvent du [lourd] vocabulaire qui nécessite un lecteur lettré et intéressé par la poésie traduite quel que soit son décentrement. Ce qui dit « à lecteur autre, traduction autre 354». Encore, faut-il souligner que le lecteur varie selon le type de discours. L insuccès de certaines traductions littéraires montre qu elles n ont pas trouvé leur lecteur ou autrement dit, ne se sont pas identifiées à son plaisir attendu à cause du style mal élaboré ou à cause des thèmes développés non existants dans son centre d intérêt. Le lecteur participe donc à son insu à la production et forme ce qu on appelle « l horizon de réception ». De plus, ce qui justifiera la présence de plusieurs traductions pour un seul texte est que ce dernier appartient à une époque et un lieu souvent différents de ceux de la traduction. Traduire pour un lecteur du début du siècle n engage pas le même type de vocabulaire ni la même formulation que pour un lecteur d aujourd hui. Nous voyons donc que la traductologie et la sociologie [ou la sociolinguistique] partagent quelques préoccupations et méthodes d investigation qui nous obligeront quelquefois à dépasser les frontières disciplinaires pour envisager la problématique du choix et celle des manières de traduire. Traductologie et sociolinguistique sont en effet des disciplines de contact et la traduction représente ce contact sous l angle d une rencontre entre les cultures, les langues et leurs interlocuteurs. La traduction est avant tout un rapport social qui conditionne le texte de départ et celui d arrivée. Elle est un acte social qui relève de certaines relations sociales de service. D ailleurs, la poésie possède ses propres qualités dont la plus importante est celle de l objectif poétique des poèmes. Ainsi, pourrions-nous dire que les anciens objectifs ne trouvent plus leur place dans la poésie moderne qui exige toujours la vivacité du PEETERS J., « Sociolinguistique te sociologie de la traduction », Document PDF édité et mis ligne le 9 février 2009 par José Yuste Frias _ TRADUCTION & PARATRADUCTION (T&P), http://webs.uvigo.es/paratraduction/index.html 354 - 213 Ahmed Khalifa présent. L analyse des objectifs de la poésie moderne dans sa nouvelle forme (libre ou en prose) manque relativement de la logique. Quelque fois nous rencontrons un certain cynisme dans les analyses de poèmes en prose dans le monde arabe en raison de la nouveauté de cette forme. La principale accusation désigne cette poésie comme« production » nouvelle venant d une terre non-arabe. Parmi les critiques, certains sont allés jusqu à lui refuser la désignation « qa idat an nathr » (poème en prose) arguant que les deux mots s opposent substantiellement et de plus qu elle ne correspond pas à la réalité de la personnalité arabe. Les défenseurs de la nouvelle poésie rétorquent que cette opposition est le résultat d une acception limitée du mot « Qa īda » qui, classiquement définit la « poésie rythmée et rimée ». Ce contre quoi les poètes avant-gardistes des années 1940 ont lutté pour en élargir la notion afin de contenir à la limite « Qa īdat at Taf īla » qui n est qu une évolution consciente des métriques d Al Khalīl )bn Ahmed Al Farāhīdī, le célèbre poète de l époque classique. En deçà des attaques des détracteurs de cette poésie se révèle in fine la cause de son appartenance aux pensées occidentales. Au-delà des critiques qualificatives de la poésie en prose, les questions se posent sur ce qui est objectivement demandé aux analyses. Celles-ci ne nous donnaient que des discours simplifiés et conformes aux normes littéraires contemporaines dans le monde arabe. Dès sa parution, le poème en prose subit des descriptions subjectives telles que l immersion dans l égoïsme, l ambiguïté, l aléa et l éloignement de la tradition poétique arabe, d o‘ par conséquence les nouveaux poètes deviennent les « agents » d une autre culture ! Face aux textes poétiques de ce genre, les critiques ont affronté la problématique de l identification des mécanismes analytiques de l écriture. Mais ce qui n est pas encore abordé, c est la découverte du sens qui constitue la clef de la lecture. Très hermétique en français aussi bien qu en arabe, la poésie en prose mérite un regard analytique différent puisqu elle ne correspond à aucune esthétique présente dans la poésie arabe moderne. Très éloignée de l « horizon d attente » du lecteur ordinaire de la poésie, la traduction de cette poésie s adresse plutôt à un public très particulier, un public qui, à la limite, se restreint aux poètes avant-gardistes arabes eux-mêmes. A partir de ces présupposés, nos soucis ne se limiteront pas dans l interrogation des écarts entre le texte original et sa traduction ou entre les retraductions mais plutôt dans l investigation de l effet produit par les traductions. Dans ce cas le mariage du sens, du - 214 Ahmed Khalifa rythme et de la sonorité dans la version traduite sera une question importante à relever dans notre analyse outre celle de l écart linguistique. Une analyse regroupant ces deux questions nécessite des étapes indispensables pour sa réalisation ; il s agit d examiner tout d abord le poème traduit sans se référer à l original en le considérant comme un texte directement écrit en arabe. Chercher comment se sont combinés les effets de sens, de rythme et de sonorité et quelles connotations sont évoquées par les mots arabes doit être suivi d une deuxième étape consistant à faire la même chose avec le texte original sans se référer à sa traduction. Puis, une troisième étape consiste à affronter les deux analyses et les deux textes pour tenter d en faire sortir une interprétation sociolinguistique cohérente. Notre analyse dépendra donc d une grille de lecture fort utile. Une analyse qui ne repose pas sur la versification traditionnelle mais sur les multiples ressources syntaxiques dans les deux langues. Sachant aussi qu avec la forme brève des poèmes en prose, la division des paragraphes, la structure des phrases et les procédés d énonciation peuvent prendre un relief particulier malgré qu ils ne soient pas déterminés par aucune règle et que le poète ou le traducteur-poète les agence en toute liberté. Notre analyse cherchera donc à montrer les différentes équivalences (phoniques, métriques, lexico-sémantiques et syntaxiques) dans sa première et deuxième étape puis, elle montrera les différentes techniques rapatriantes en mettant le texte et sa traduction en face à face pour pouvoir montrer l effet de l opération traduisante. - 215 Ahmed Khalifa 1 Georges Henein : Maître référent « Si l homme de demain accepte de disparaître dans un destin collectif, alors la poésie sera pour quelques-uns une chance de solitude. La poésie a, sur les grandes doctrines, l avantage de ne pas proposer de salut. C est une voix de la nuit, et le déplacement qu elle suggère recoupe tous les chemins sans se confondre avec aucun. C est l exode de l esprit, la diaspora créatrice qui n est plus ressentie comme dispersion, mais comme autorité. On ne s unit pas au poète ; on devient seul à son contact. » Georges Henein, La Bourse égyptienne (Le Caire, mars 1960). Georges Henein attire particulièrement notre attention dans le champ littéraire égyptien, et ce sur plusieurs périodes qui s échelonnent entre et . Quatorze ans après sa mort en 1973, le poète et penseur égyptien trouve enfin sa place, place d abord méconnue, de par la traduction de ses poèmes, articles et pamphlets vers l arabe. Certains de ces poèmes et articles parurent entre et 1 en français à l intérieur du champ littéraire égyptien. Ces écrits ont donné prétexte à ses rivaux de l époque, souvent d appartenance conservatrice, de le critiquer et l accuser d être FRANCOPHONE, id est non appartenant à l histoire culturelle de son pays. (enein resta donc dans l ombre entre 1 et à cause des conflits idéologiques dans l Egypte de ce temps-là. Le fait qu il fut ensuite traduit en arabe est désigné d un point de vue sociologique comme cas d une rétro-traduction355 à l intérieur d un champ littéraire. Bachīr As Sibā ī, poète et traducteur égyptien de tendance trotskiste, est presque l unique traducteur de Georges (enein et demeure son célèbre représentant dans le champ arabe et égyptien. Le premier poème traduit de (enein n est paradoxalement pasde ce traducteur mais de Abdal-Qādir Al Janābī, poète irakien trotskiste lui-aussi, qui découvrit Henein lors de ses recherches sur le surréalisme arabe en 1971. Al Janābīrecourutà (eneinen traduisant un seul de ses poèmes vers l arabe et l anglais, et en l introduisant dans un numéro de la première revue surréaliste arabe Al Raghba Al )bāḥiya (fondée en 1973). Le poème La fin de presque tout (1978) est donc la première Nous nous sommes permis d appeler comme telle toute traduction signifiant la « captation de l héritage poétique » selon R. Jacquemond in « La poésie en Egypte aujourd'hui: état des lieux d'un champ "en crise" », Alif: Journal of Comparative Poetics, No. 21, The Lyrical Phenomenon, (2001), p. 203. 355 - 216 Ahmed Khalifa parution de (enein en arabe. En , Bachīr As Sibā ī et Anwar Kāmil décident d autoéditer leur traduction de quelques poèmes et articles de Henein [3 poèmes et 5 articles] dans un livre de petit format [12cm×17cm] qui ne dépasse pas 50 pages et contient quatre portraits surréalistes de l artiste égyptien Kāmil At-Tilmisānī. Ce fut la première traduction de Henein parue sous forme « indépendante » (i.e. livre). Le livre fut distribué dans un cercle très limité et témoigne que « la transmission du savoir » était le but essentiel de l édition. Après une petite introduction exposant les activités du poète en Egypte entre 1936 et 1960, on a accès à Non-intervention, poème traduit en arabe par « ‫ل خل‬ ‫ » ع‬qui ne respecte pas la forme, selon notre premier regard sur le poème- source. Le poème dit la crise de l Espagne avant la Seconde Guerre mondiale, c'est-à-dire qu il « fut actuel » pendant sa parution en français et « historique » pendant sa parution en arabe : ans séparent l œuvre et sa traduction, ce qui nous renseigne sur le fait que le poète n est pas un contemporain qui partage avec nous la même langue actuelle. La donne linguistique sépare donc l écrivain de son traducteur parce que même si son thème évoquait « familiarité » au premier moment, il devenait « étrangeté » au deuxième356. Le poème aurait pu être penser « familier » et « contemporain » dans sa version traduite si nous prenions en considération [le social]. A fortiori, le moment de la parution de la traduction en Egypte fut un moment de grand conflit autour du poème en prose dont Bachīr As Sibā ī fut l un des défenseurs. Depuis le début de l aventure de ce poème dans le champ égyptien vers les années vingt, en passant par l imposition de ses valeurs et ses formes primaires vers les années cinquante, il arriva à sa maturation fin des années quatre-vingt. Sous cet angle, nous pourrions justifier ce recours à Henein, le poète surréaliste. Bref, Bachīr As Sibā ī adapta le poème de (enein à la nouvelle époque fusse au détriment de la forme originale. Voyons-le dans l extrait suivant : on n avait jamais eu sous la main autant de viande à discours — à dossiers — à rapports une larme par-ci une larme par-là on n avait jamais eu autant de victimes sur moins de conscience357 NON-)NTERVENT)ON, Déraison d être ‫ي‬ ‫لم ي ف قط‬ ‫م ل ه ل من ل م‬ ‫ل ي‬ ‫ل ب ل‬ ‫م من ه أخ من ه‬ ‫قط أ س ط م ل ه ل من ل‬ ‫لم ي‬ 358 ‫ل ه ل‬ ‫ل ي م‬ Le premier moment est le moment de la parution de l œuvre originale, le deuxième désigne le moment de la parution de sa traduction. 357 HENEIN G., Œuvres : Poèmes, récits, essais, articles et pamphlets, éd. Denoël, Paris, 2006, p. 54. 358 HENEIN G., Lā mubarirāt al wug”d, trad. de Bachīr As Sibā ī et Anwar Kāmil, Aswat, Le Caire, , p. 20. 356 - 217 Ahmed Khalifa Nous remarquons que l expression « on n avait jamais eu [sous les mains] autant de… » se répète deux fois dans le texte original tandis que l effet de cette répétition dans le texte traduit se résume par « ‫قط‬، ‫»لم‬. La structure du poème est presque la même dans ses deux versions : cinq lignes traduites en six mais le plus important est la suppression des tirets cadratins à la troisième ligne et leur remplacement par la particule de conjonction « ». Le tiret cadratin est souvent utilisé dans la typographie française pour introduire des répliques de dialogues, encadrer des incises [la fonction de quasiparenthèse]ou rarement pour séparer un mot simple d un mot composé. La valeur littéraire du cadratin en poésie est qu il permet, à la différence des parenthèses et des virgules, de rompre le gris typographique de l écriture et de laisser souffler les mots grâce à cet espacement qui donne plus de temps pour appréhender la relation logique entre les trois mots [discours, dossiers et rapports]. Et si le traducteur s est senti obligé de calquer la métaphore « viande » utilisée pour désigner la multiplicité des papiers accumulés et a choisi de ne pas mettre une équivalence dynamique en langue arabe, il aurait pu garder, selon le même principe, les tirets cadratins dans le texte traduit. De notre point de vue, la métaphore « viande » ne nous semble pas si forte pour être calquée. Elle n est pas comparable aux métaphores d un Rimbaud ou d un Lamartine inspirées d une culture lointaine. Que ferons-nous alors lorsque nous nous trouverons devant une métaphore comme : « Le pavillon en viande saignante sur la soie des mers et des fleurs arctiques 359 » ? Le texte dans ses deux versions est écrit à la troisième personne indéfinie mais le texte en arabe s appuie sur des procédés syntaxiques différents de ceux de l original tel l utilisation du pronom démonstratif « ‫ » ه‬trois fois dans la traduction. Ainsi, l utilisation des démonstratifs dans le texte cible est venue remplacer les trois sortes de comparatifs utilisées dans le texte source : « autant » et « moins ». Mais l utilisation de « autant » est dans des phrases négatives ; ce qui annule peut-être sa dimension méliorative. La nature déclarative des phrases reste la même mais le rôle des prépositions change d un texte à l autre ; ce qui influence de notre point de vue le rapport avec la réalité. L exemple de « ‫ » من‬et [« de », « par »] montre la différence entre les deux langues, chacune à sa façon, concernant ce rapport. Le « de » du texte source ne désigne que les choses, i.e. les discours, les dossiers et les rapports qui ne sont pas 359 Rimbaud, « Barbare », Illuminations, 1873. - 218 Ahmed Khalifa nombrables, pour indiquer leur prise en considération en tant que telle. La problématique en reste toujours l idée de quantité étant seulement entendu que ces choses ne sont pas envisagées dans leur totalité. De même, le « par » désigne le lieu ou le point de passage d'un parcours du regard mais les deux prépositions « de » et « par » sont traduit par « ‫ » من‬qui a plus de 10 sens en arabe dont : point de commencement à partir d un lieu = « par » et Al tab īd, c'est-à-dire une chose tronquée de l autre = « de ». Le texte traduit subit d une certaine ambiguïté incarnée dans la comparaison de « ‫من ل م‬ ‫ » ل‬où le mot « ‫مله‬ ‫ » ق‬désigne simplement une certaine quantité non définie alors que le texte source désigne par « autant de » une quantité relativement grande. D ailleurs, la musicalité repose dans les deux textes sur l organisation syntaxique et les effets du rythme qui en découlent. Nous y comptons en dehors des répétitions l harmonie dans une phrase rythmée en elle-même comme « une larme par-ci, une larme par-là » rendue aussi en arabe par « ‫من ه‬ ‫أخ‬ ‫من ه‬ ‫» م‬. De toute évidence, le poème traduit acquiert chez As Sibā ī une nouvelle forme autre que celle de l original. Est-ce encore un hasard que les tercets, les quatrains et les sizains confondus chez Henein pour créer de la poésie de forme libre soient souvent reproduits en sizains réguliers chez son traducteur ? )l nous semble aussi qu il y a une absence de technique traductive chez As Sibā ī puisque dans le même poème nous trouvons des contradictions techniques très remarquables, comme le montre l exemple suivant : regardez les plaies définitives s installer en plein peuple — ‫لأحي ء‬ et les nouveaux propriétaires de l azur créer dans la chair grande offerte des vivants de quotidiennes superficies de souffrance360 NON-)NTERVENT)ON, Déraison d être 1 ‫تل ج‬ ‫ل ب ل ص‬ ‫في ج ف ل ب‬ ‫ئ أ‬ ‫اا ل ل‬ ‫في ل م — ل ل ي‬ 361 ‫كل ي‬ ‫ح من ل‬ ‫ل‬ ‫ن‬ ‫ت‬ ‫ي‬ ‫م‬ ‫ام‬،‫ع م ل خل‬ Nous voyons que le traducteur remet des tirets non existant dans le texte source et regroupe les vers à son gré ou au gré de son champ de réception, i.e. celui de ses lecteurs. Cela n interdit pas que les autres aspects formels de la poésie libre de (enein tels les enjambements, les rejets et les contre-rejets sont le plus souvent respectés dans HENEIN G., Œuvres : Poèmes, récits, essais, articles et pamphlets, éd. Denoël, Paris, 2006, p. 54. HENEIN G., Lā mubarirāt al wug”d, trad. de Bachīr As Sibā ī et Anwar Kāmil, Aswat, Le Caire, 20. 360 361 - 219 Ahmed Khalifa , p. leur version traduite. Faut-il déclarer que nous avons du mal à inscrire les poèmes traduits dans un genre spécifique ? En effet, dans la doxa littéraire arabe, le mot « poésie » désigne « rythme » et « rime ». En arabe, les poèmes en prose et les poèmes de forme libre dépendent ainsi des trochées musicales, même s ils n y adhèrent pas tout au long du poème, et des recyclages poétiques du réel. Ce dont un traducteur se soucie généralement, c est de transmettre les images poétiques et symboliques camouflées par le poète de ses propres sentiments ou penchants politiques. En vérité, c est tout ce qu on peut transmettre d une poésie de ce genre et le lecteur arabe, comme le lecteur français d ailleurs, restera quelquefois en difficulté vis-à-vis de la signification du poème. publie En , un an après la première traduction publiée de (enein, Bachīr As Sibā ī nouveaux poèmes traduits dans la revue Al Kitāba As Sawdā ; revue consacrée aux créations de jeunes poètes révolutionnaires opposés au patrimoine littéraire arabe. Nous y remarquons par exemple des attaques sévères menées par A mad āha, poète et critique égyptien [aussi éditeur de la revue], à l égard de la création poétique du poète A mad Abdel Mu ī ijāzī, appelé « l un des rénovateurs de la poésie arabe contemporaine » dans son milieu. Jugé imitateur et faux rénovateur, A mad pour āha, un poète coincé dans une mentalité ancienne et « naïve » : ‫ي‬ ‫ل‬ ‫ل‬ ‫ ل أس‬، ‫ج‬ ‫ش ي (ي ) ك تب‬ ‫ل ء ل ل نص‬ ‫ع م‬ ‫هي‬ ‫ن م ص‬ ‫ب‬ ijāzī est, ‫ص‬ ‫ل ص ي شي ل‬ ‫ك ت‬ ‫ل‬ ‫خ‬ ‫ه ل هي ل ج ليت‬ ‫خي لي س ه ل أف من كل ن ا ت غ ل ين م‬ ‫ من ح‬، ‫ل ا‬ ‫ت‬ ‫ كل ه ا ي ع ق ي‬، ‫ان‬ ‫ل‬ ‫ ت‬، ‫أش ت ع في ل‬ ‫ن‬ ‫ ب ل ع ا ي ن ف‬، ‫أس سي خل ل ي‬ ‫ف ص ل ي ت ل ل‬، ‫م ص‬ ‫س‬ ‫ت‬ ‫ ل ن ع ص ل ي ع ح‬، ‫أح أ ب ض كل ه ل ص‬ ‫ي‬ ‫ م‬، ‫ نه ي ي ه ك هي‬، ‫ لي ع ع ي ل سه‬، ‫ ف ا ي ه من ل س‬، ‫ع ه‬ 362 . ‫أق م‬ ‫خل أ ه ل ي ص‬ Cette mentalité naïve qui nous illustre le danger de la mort exactement comme les recommandations des cheikhs de villages qui nous représentent l'aigle qui attend celui qui néglige la prière ; des monstres imaginaires qui vont l engloutir ou des serpents de toute sorte que l œil ne pourrait pas tracer le bout de leurs corps, des lions, des tigres et des fantômes dans l obscurité attendant le moment de bond. Tout cela ne fait pas un poème écrit par un écrivain contemporain ! Les éléments d imitation sont les principales composantes de son poème et, bien entendu, si l'on ne peut poser que tout texte contenant tel ou tel de ces éléments est médiocrité, les éléments d imitation chez (ijāzī dominent tous les autres éléments. )l ne les déshabillent pas pour les revêtir de son propre mais il les emprunte tels Ā(A A., « Min al inchād ila-l-Kitāba, Naẓra ila anā ir al hadm wa anā ir at taqlīd, Marthiyyat lel umr al jamīl nam”dhajan » in Al Kitāba As Sawdā , Aswat, Le Caire, , p. . 362 - 220 Ahmed Khalifa quels, chargés de connotations et bornés par leurs cadres fixés par les anciens. Cette citation nous donne une idée des tendances littéraires de la revue. Il nous laisse envisager aussi l ambiance dans laquelle se situe l œuvre de (enein [et ou autrement dit : s enracine]. C est dans cette ambiance de révolution littéraire que la création poétique de Henein vient faire (apport et appui) à la nouvelle génération des poètes égyptiens qui réfutaient les normes poétiques « anciennes ». De ce point de vue, Henein fut « actuel » en ce moment malgré les ans d écart entre lui et cette nouvelle génération. Parmi les 9 poèmes traduits et publiés dans la revue, nous en citerons encore un qui a près de ans d écart temporel mais qui correspond et répond en même temps aux ambitions des jeunes poètes : ‫ع‬ ‫أي ل س‬ ‫ل اء ل‬ ً ‫ليت يس‬ ‫أي ل‬ ‫ي ج ص ل‬ ‫ل ي ل‬ 364 ‫أ ي ك به إن‬ chevaliers soumis en vain à l épreuve du brouillard pierres émaciées d avance figures de proue de la distance à laquelle il est bon que l homme soit tenu363 ‫ء‬ Le parc de sceaux, l incompatible 1949 ‫س ل ب ل‬ ‫ل ام‬ ‫ل ض‬ ‫حي‬ Avec cet exemple qui montre l ambition des jeunes poètes qui luttent pour une nouvelle « poésie », nous pouvons expliquer le choix des poèmes à traduire. La poésie de (enein servit donc de jalon pour l idéologie de la revue. Ce qui nous intéresse dans cet exemple prototypique est plutôt la distance temporelle entre l origine et la traduction. Le poète et le traducteur sont deux êtres qui ont eu chacun un vécu différent l un de l autre, un vécu influencé essentiellement par le milieu socioculturel. D habitude, les choses sont censées se compliquer à cause du caractère actuel de la langue qui n est plus la même dans les écrits appartenant à une époque autre que celle du traducteur. Faut-il parler ici de disparité rhétorique ? C est-à-dire celle qui concerne les métaphores employées dans la poésie ancienne et celles utilisées dans la poésie contemporaine. La traduction d As Sibā ī témoigne d un rendu tel quel du texte. Mais elle correspond en même temps à une théorie actuelle de la traduction consistant à considérer le traducteur HENEIN G., Œuvres : Poèmes, récits, essais, articles et pamphlets, éd. Denoël, Paris, 2006, p. 84. HENEIN G., adiqat Al ʻalāmāt, trad. de Bachīr As Sibā ī, Al Kitaba As Sawdā , A wat, Le Caire, 1988, p.92. 363 364 - 221 Ahmed Khalifa comme sujet historique qui manie la langue selon les goûts de l époque et fait des dérogations lexicales et stylistique. Nous remarquons par exemple le choix d un vocabulaire d usage en vigueur actuelle : le mot « épreuve » est rendu par « ‫»باء‬, « émaciées d avance » rendu par « ‫س‬ ‫» ت‬, mais encore la faiblesse du style et de la syntaxe due à la littéralité du traducteur. Quatre ans après la publication des poèmes de (enein, d autres traductions paraissent à nouveau dans une autre revue appartenant à la gauche intellectuelle égyptienne, il s agit de la revue Adab wa-naqd qui consacra en 1993 un dossier à la création d Albert Cossery dont la traduction de l article L apport d Albert Cossery (1956). Puis en 1994, A mad āha, le poète éditeur et critique égyptien, décide d autoéditer une nouvelle revue Al-Jarād. Trois [nouveaux] articles de Henein parurent dans le premier numéro de la revue tandis que dans le deuxième numéro, on traduisit un seul articlemais qui sert d avant-propos, de prologue ou d introduction pour cette publication. L intellectuel dans la mêlée est l article de (enein qui ouvre le deuxième numéro de cette revue pour prendre en charge l exposition des créations de jeunes poètes égyptiens, d emblée en poésie de forme libre étonnement basée sur les enjambements, les rejets, l utilisation des blancs, la ponctuation, etc. Ainsi, le (enein des années 40 ouvre une publication des années 90 : Cher amis, Désolé de ne pouvoir me trouver parmi vous ce soir je tiens néanmoins à préciser très sommairement ma pensée sur la question importante entre toutes, qui fait l objet de votre débat. On se plaît à représenter les poètes, les écrivains, les artistes les plus avancés de notre temps comme les prolongateurs du mouvement romantique. Pourtant une analyse honnête et rigoureuse des rapports existants entre le contenu littéraire du X)Xe siècle et celui de notre époque, nous oblige à convenir qu il y a rupture de continuité de l un à l autre. La littérature romantique implique la contemplation permanente par un sujet donné de son propre drame. Chacun se complaît dans ses propres déchirements. La moindre complication morale, le moindre dilemme affectif deviennent un douloureux poème ou un drame en cinq actes au terme duquel rien n est absolu, rien n est sauvé. Le romantisme est sentimental et subjectiviste.365 Intervention de Georges Henein à la séance organisée par les Essayistes le 6 avril 1939 publié in Art et liberté ( Le Caire, mai 1939). ‫أص ق ء أع ء‬ ‫بين ج يع‬ ‫عن ل ل ل‬ ‫ب لغ ت‬ ‫ ف ن ي ح يص ع أ أ ضح ب ي‬،‫ع ل غم من أس ي ل ت ي من ل ج بي م ه ل ء‬ ‫ل ك‬ ‫ل نين أك ت م في م ن ع أن م م ص‬ ‫ء ل‬ ‫ل ء ت ي ل‬ ‫ ي‬.‫ ل ي ت ل م ض ن ش م‬،‫ل ئل‬ ‫ن من ش نه أ ي ن‬ ‫أ بي ل‬ ‫ل‬ ‫ل سع ع‬ ‫أ بي ل‬ ‫ ع أ ت يا ن ي ص م ل اق ل ئ بين ل‬. ‫ل م ن ي‬ . ‫مي ل م ل ص ب‬ ‫ع ل مل ل ئم من ج نب‬ ‫ل من يي‬ ‫ ف أ‬.‫ي بين اث ين‬ ‫ع اع ف ب ج ق ي في اس‬ ‫م من خ‬ ‫ق ي م ي ل جع أ‬ ‫م ث ي‬ ‫ أب ط ت أخاقي أب ط م‬. ‫ف ل ح ي غ في أح نه ت ق ته ل ي‬ . ‫تي‬ ‫ ل م ن ي ع ي‬. ‫ا ي ل شيء ا ي م ن شيء في خ م‬ ‫ف‬ . 365 ‫س‬ ‫س ي لي‬ ‫ك س ل‬ ‫ح ين س ل ف في ل‬ ‫ج‬ HENEIN G., Œuvres : Poèmes, récits, essais, articles et pamphlets, éd. Denoël, Paris, 2006, p. 398. - 222 Ahmed Khalifa En 1995, la revue littéraire Al Qāhira publie, pour la première fois pour une revue littéraire étatique, quelques traductions de Henein, suivies en 1996 par une publication entièrement consacrée aux écrivains francophones égyptiens dans cette autre revue littéraire étatique : )bdā , dans laquelle Henein fait partie des écrivains présentés. Dans la même année, Bachīr As Sibā ī reprend toutes ses traductions précédentes et les publie dans un livre Georges Henein : œuvres choisies édité chez Dar Al Jamal en Allemagne. Rassemblant tout ce qui est traduit de (enein, le livre est jusqu aujourd hui le seul livre traduit du poète égyptien. Le choix des textes à traduire reste une problématique non résolue, de notre point de vue, que nous ne pouvons pas renvoyer à un choix aléatoire. C est-à-dire que le lien logique entre les poèmes traduits par rapport à leur choix est très étroit et nous tenterons de trouver ou de tracer une technique ou même une idéologie derrière ce choix. Mais nous remarquons de légers changements, dans les textes traduits, au niveau du vocabulaire et de la forme ; reprenons un exemple cité auparavant ‫ع‬ ‫أي ل س‬ ‫ل اء ل‬ ً ‫ليت يس‬ ‫أي ل‬ ‫ي ج ص ل‬ ‫ل ي ل‬ ‫أ ي ك به إن‬ chevaliers soumis en vain à l épreuve du brouillard pierres émaciées d avance figures de proue de la distance à laquelle il est bon que l homme soit tenu ‫ل ض‬ ‫ل يء‬ ‫ح‬ ‫ه اي‬ ‫ل م من ق‬ ‫ي صل م ي‬ ‫ن‬ ‫مل فءب‬ ‫لي‬ ‫م ع ق ي م ع‬ ‫ب ج ل ال ع ي من ج ي‬ ‫أ شيء‬ ‫ه اي‬ ‫يل مي ل ل ا‬ ‫ت‬ ‫ل م ل ت أخي‬ ‫ي‬ ‫لم ت ه ع ق ه ص‬ 367 ‫نف كام‬ ‫لم ن ن‬ ici rien n est périmé le rêve est d une seule pièce et se pratique debout comme la fidélité au geste rare — forte caresse sur quoi la main n a plus besoin de se refermer ici rien n est périmé un long défi porté à l abandon fige les dernières têtes hautes ‫أ‬ ‫ع‬ ‫ل ض‬ ‫أي ل س‬ ‫ل اء ل يم‬ ً ‫ليت يس‬ ‫ي ل‬ ‫ي ج ص ل‬ ‫لي ي ل‬ ‫ي ك به إن‬ ‫ل يء‬ ‫أ‬ ‫ه اي‬ ‫ح‬ ‫ل م من ق‬ ‫ي صل م ي‬ ‫ن‬ ‫مل فءب‬ ‫لي‬ ‫م ع ق ي م ع‬ ‫ب ج ل ال ع ي من ج ي‬ ‫أ شيء‬ ‫ه اي‬ ‫يل مي ل ل ا‬ ‫ت‬ ‫ل م ل ت أخي‬ ‫ي‬ ‫لم ت ه ع ق ه ص‬ 368 ‫نف كام‬ ‫لم ن ن‬ il n y a plus d étreintes brusquées on ne reprend pas sa parole 366 Le parc de sceaux, l incompatible 1949 ‫ء‬ ‫ ل ب ل‬- ‫ل ام‬ ‫حي‬ 1‫س‬ ‫م‬ ‫س أع‬ ‫ل ام‬ ‫حي‬ HENEIN G., Œuvres : Poèmes, récits, essais, articles et pamphlets, éd. Denoël, Paris, 2006, p. 84. HENEIN G., « adiqat Al alāmāt », trad. de Bachīr As Sibā ī, Al Kitaba As Sawdā , A wat, Le Caire, 1988, p.92. 368 HENEIN G., Aʻmāl Mukhtāra, choix et trad. de Bachīr As Sibā ī, Manch”rat Al Jamal, Cologne, 1, p.14. 366 367 - 223 Ahmed Khalifa Les deux textes en arabe sont quasiment identiques. La seule différence en est le remplacement du mot « ‫ » ل‬par «‫» ل يم‬, mot classique d usage rare en arabe moderne en contradiction avec le manifeste du traducteur dans son article « Le traducteur comme acteur 369», o‘ il critique l utilisation de termes archaïques. O‘ pourrions-nous donc classer les expressions telles «‫ » باء ل يم‬ou « ‫ه ص‬ ‫? »ع ق‬ Comment pourrons-nous expliquer cette ambigüité stylistique et logique pour un lecteur [moyen ou instruit] telles « ‫ل‬ ‫» ج ص‬, « ‫ن‬ ‫ » ف ء ب‬ou « ‫أخي‬ La traduction d As Sibā i fut durement critiquée en ‫ل ت‬ ‫?» ل م‬ 1 par Abdel Qādir Al Janābī, le poète et traducteur irakien. Mauvaise traduction de la poésie de (enein malgré la sincérité du traducteur et sa bonne volonté de transmettre le patrimoine de Henein au lecteur arabe, Al Janābī affirme la perte du style « aristocratique » (sic) de Henein dans sa traduction : ‫ن ه‬ ‫أنه ق‬ ‫ن لي‬ ‫ت ج‬ ‫ي ل عي‬ ‫ث كم‬ ‫ ل ن ح‬...‫ء‬ ‫ خ ص‬... .370 ‫مي‬ ‫ح ين ب ل بي ق ب ل يق ب‬ ‫ه أ ه ت ج ج سي أش ج‬ ‫ل‬ ‫ بل ع‬..‫ح ين‬ ‫ءج‬ ‫لم أشك ي م في ني ب ي ل عي ل ق‬.‫ل ل‬ ‫ح ين ل أك ع من ل‬ ‫ج‬ ‫ت‬ ‫ ه ي‬: ‫ح ين لغ ي ح‬ ‫ب ج ج‬ ‫ ل ك ل ق شغل ل‬: ‫لم ي ف م أ كل ت ج ح ي ي‬ ‫ا ت ي في ل ج‬ ‫في ل غ ل‬ ‫ي ي ي من كل س‬ ‫أ س‬ ‫ح ين ل ي ب س‬ ‫ك ب ج‬ Ce qui est affligeant, c'est qu'il y a une très mauvaise traduction arabe des poèmes de Georges (enein faite par mon ami Bachīr as Sibā ī et publiée par Dar El-Jamal. Je n'ai jamais douté de la sincérité des intentions de Bachīr as Sibā ī vis-à-vis de Georges (enein, j'ai même la plus grande certitude qu'il l a traduit dans un seul but, transmettre le patrimoine de Georges Henein au plus grand nombre de lecteurs. Mais les bonnes intentions ne suffisent pas en traduction si elle ne s'accompagnent pas du principe à la base de toute véritable traduction: le doute, l'anxiété, la préoccupation. Surtout dans la traduction des écrits de Georges Henein qui sont d'un style aristocratique qui les protège contre la chute dans la langue commune. Al Janābī annonce que les fautes sont dans chaque poème, chaque strophe et chaque titre et, même ce qui paraît correct est piégé par les fautes « sous-jacentes » : ‫ بي ل يح ه "ع ي ل ي " أ‬،" ‫ت ج ه بـ" م ي ل ي‬: L octroi de la vie‫ل لي‬ ‫ف ا ل‬ : d écrire en retenant les ‫ ت جم ل عي ه ل يت‬، ‫ في ه ل ي‬." ‫ل ي‬ ‫"م‬ ." ‫ق ب) ل‬ ‫"! بي ل يح ه " ل ب ب ظ (عن‬ ‫ " ل ب مع ص ل‬:‫ب ل لي‬mots AS S)BĀ Ī B., « Al mutarjim mumathilan », article disponible sur le blog du traducteur : http://mabdaalamal.blogspot.com 370 Abdel Qādir Al Janābī, Āthār Georges (enein fī mujallad akhm, disponible sur le site intenet : www.jeeran.com. Lien de l article : http://egyptianpoetry.jeeran.com/Goerge%20Hinin%20-%20Asar%20Goerge%20Hinin.htm 369 - 224 Ahmed Khalifa ‫أ "!!!!! بي‬ ‫ل ل ب م‬ ‫بـ" إن‬: L'HOMME POSTHUME ‫ل لي‬ ‫ت جم ل‬ ‫ل‬ ‫ح ين في اس‬ ‫ع ي ج‬ ‫ت‬ ‫ في ه ل‬،"‫ف ته‬ ‫م ب‬ ‫ه "ن‬ ‫ل‬ 371 ‫من م ل ك تب ب م ته‬ ‫ل اع م ي‬ ‫ ا ت‬posthume‫ فـ‬. ‫ل‬ Parexemple, le titre suivant: L'octroi de la vie est traduit par " ‫" ل ي م ي‬ tandis que le correct est " ‫ " ل ي ع ي‬ou " ‫" ل ي م‬. Dans ce poème, Al-Sibā i a traduit ce vers: d'écrire en retenant les mots par le suivant: " ‫ص مع ل ب‬ ‫ !" ل‬Alors que le correct est " ‫عن( ب ظ ل ب‬ ‫)ق ب‬ ‫" ل‬. Il a traduit le titre suivant: L'HOMME POSTHUME par " ‫ !!!!! " أ م ب ل ل إن‬alors que le sens voulu est " ‫" ف ته ب م ن‬. Dans ce titre se manifeste le génie de Georges Henein concernant l'utilisation poétique des mots. Le mot "posthume" ne s'utilise que pour les œuvres d'un auteur publiées après son décès . Dans ce poème, il veut désigner l homme, c'est-à-dire l'humanité, après la disparition et la mort. Après avoir détaillé sa critique et signalé les erreurs qu il a pu relever dans la traduction, Al Janābī joignit sa nouvelle traduction du poème L homme posthume à son article pour que le lecteur puisse la mettre en comparaison avec celle d As Sibā ī. Voici le texte et ses deux traductions : 371 Ibid. - 225 Ahmed Khalifa Nous étions nés pour la froideur des armes nés pour contrarier le cours de la naissance et pour tracer à l'intérieur des êtres les signes du mauvais vouloir. « Laissez errer le sang » nous disait notre Maître et nous ne sûmes jamais de l'errance ou de l'erreur laquelle fut notre voie Sans cesse pourchassée L'éternelle grimace de vivre Est loin de renoncer à nous ; Dans nos mouvements séparés de la terre Un souffle secret introduit la discorde Comme on disperserait des oiseaux. « C'est la volonté des Absents » s'écrie l'un de nous et sous nos épaulettes de roc nous devinons que nous sommes nus nous resterons, cette fois encore, d'improbables guerriers L homme posthume, La Force de saluer A B ‫أ‬ ‫لن ل‬ ‫ل يا‬ ‫ل ن ل ي نغ لب م‬ ‫ل ي ن ب في ب ن ل ئ‬ ، ‫عام س ء ل ي‬ ‫عن خ ي كم‬ ‫"ق ل م ان "ك‬ ‫لم ن ف قط‬ ‫ ل يغ أ ل لل ل ت‬. ‫ب ي ا عن أ ي ق‬ ‫ل ل من ل ي‬ ‫ل‬ ‫ت‬ ‫ل قع ت ت ماح ا ت قف‬ ‫ن سا خ ي ي ث ل ق‬ ‫عن أ‬ ‫في ح ك ت ل‬ ‫ل في‬ ‫في ق ك ن‬ ‫لغ ئ ين‬ ‫"ي ف أح ن " ن‬ ‫ي‬ ‫ت تك يت ل‬ ‫ن ف أن ع‬ ...‫ م بين غي م ج ين‬، ‫ ه ل أي‬، ‫ن‬ 1‫س‬ ‫ان ن ل ل ب م ت أ س أع ل‬ 1 ‫أس‬ ‫ل ا‬ ‫ك م ل ين من أجل ب‬ ‫م ل ين كي ن كس م‬ ‫كي ن ط خل ل ئ‬ ‫ل ي‬ ‫عائم إ‬ " ‫ ق ل ح ي‬،"‫ع ل ل ي يه‬ ‫لم ن ف أب أي ك ن‬ ‫لغي أ ل ي‬ ‫بس‬ ‫بين‬ 6 1 ‫ف ته س ياف س‬ ‫ ل‬،‫ت م ل ي أ لي‬ ‫أ ي فع‬ ‫هي‬ ‫عن أ‬ ‫فيت كت ل‬ ‫ل اف‬ ‫ن ـسا خ ي ي‬ ‫ك ل أ س ب من ل ي ق ش ـت‬ " ‫حام‬ ‫ ي‬،"‫لغ ئ ين‬ ‫ه هي‬ ‫ي‬ ‫ت تك يت ل‬ ‫ن ف أن ع‬ ‫م‬ ‫ س ل ب يل من اح‬، ‫ه ل أي‬ ‫ن ن ب‬ Une analyse en détail de la longue citation précédente paraît intéressante à ce point analytique de notre recherche. Après une première lecture du texte A, nous avons eu du mal à définir les idées circulées dans le poème à cause de l absence des liens logiques qui permettent au lecteur d enchaîner et de comprendre les phrases. Le même problème se pose au texte B qui ne correspond pas lui-aussi aux attentes de la logique du lecteur surtout à la fin des strophes : par exemple, « ‫ل لل‬ l erreur ou « ‫( » ل يغ أ‬l égarement ou ‫( » لغي أ ل ي‬l illusion ou la désorientation sont-ils vraiment le résultat - 226 Ahmed Khalifa attendu pour quelqu un né pour la froideur des armes et pour contrarier le cours de la naissance ? Le vrai objectif du poème est bien clair et le sens des mots va en parallèle avec le thème de la tristesse du poème. La relation entre le début du poème et sa fin est forte puisque nous pouvons résumer « nous étions nés » (début) pour finir comme « improbables guerriers » (fin). La relation du texte avec le titre est logique et plausible dans le texte B puisque le discours dans le poème correspond à celui d un « Homme après sa mort ». Par contre, la relation avec le titre dans le texte A est illogique et irrecevable puisqu il s agit d un discours d un « Homme né après la mort du père ». D ailleurs, le rythme interne du poème est plus présent dans le texte A que dans le texte B par la multiplication des répétitions des mots tels « ‫ ل ي‬، ‫» ل ن‬. Le plus remarquable est la similarité sonore de la première syllabe dans les deux mots « ، ‫ل يغ‬ ‫» ل لل‬, ce qui correspond sans doute, sur le plan phonique, aux deux mots « errance, erreur ». La confrontation des deux traductions avec le texte original nous a révélé des nombreuses traits esthétiques disparus. A titre d exemple, qui pourra nier l impact du rythme dans « errer, errance, erreur, terre » ? ou celui dans « naissance, laissez, pourchassé » ? Ainsi, cette confrontation avec le texte source nous a poussé à montrer brièvement quelques traits utiles dans la description des opérations traduisantes des ‫ » أ‬bras dans le texte A alors qu il garde traducteurs. Les « armes » se traduit par « son sens dans le texte B. Le verbe « contrarier » se transforme en « ‫( » يغ لب‬rivaliser ou défier dans le texte A tandis qu il se traduit par « ‫ »ي كس‬aller en sens contraire d un mouvement) dans le texte B, ce qui est plus proche du sens du verbe original. Le verbe « tracer », lui aussi, prend un autre sens dans le texte A et devient «‫( » ي ب‬poursuivre) alors que le texte B le met dans son sens juste «‫ » ي ط‬former au moyen de l écriture un signe, des lettres et des motifs, etc.). Les « signes » sont correctement traduits dans les deux textes sauf que le texte B nous donne un faux pluriel qui n existe pas en arabe : «‫» عائم‬. L expression « Laissez errer le sang » prend un sens différent d un texte à l autre: «‫عن خ ي كم‬ ‫( » ك‬expiez vos péchés) dans le texte A, ce qui correspond à la traduction du « Maître » par « ‫ » م ان‬Mawlāna : maître religieux en Islam) ; «‫ل ل ي يه‬ ‫( » ع‬laissez confondre [ ou se perdre] les naissances [ou descendances, créatures, gens, etc.]) dans le texte B, ce qui convient avec la traduction du mot « Maître » par «‫( » ح يم‬Sage [ou philosophe]). « errance — erreur » se traduit par «‫لل‬ - 227 Ahmed Khalifa — ‫يغ‬ » (égarement [ou dérivation] — erreur) dans le texte A et « texte B. ‫( »غي — تي‬illusion — désorientation) dans le Après cette petite exposition narrative de quelques opérations traductives chez les deux traducteurs nous allons souligner les grands traits distinctifs entre les deux poèmes traduits. Le texte A, celui de Bachīr As Sibā ī, contient un bon nombre de fauxsens et se distingue par une littéralité qui a causé une non-compréhension dans la langue cible. Cette littéralité est respectée même dans les rejets et les contre-rejets du texte source ; ce qui a rendu incohérent et illogique le texte à cause du non respect des formules de l écriture en arabe. Le texte B, celui d Al Janābī, est plus lisible grâce au respect de l ordre de la phrase et de la logique de la langue arabe. Bien que le texte B représente dans sa majorité une redondance synonymique du texte A telle ([ — ‫ح ك ت‬ ‫كت‬ ‫]ت‬,[ ‫أح ن‬ ‫]ي ف أح ن — ي‬,[ ‫] ل اف — ل ق‬, [ ‫ ] أ لي — ل ل‬etc. , il donne l impression que nous sommes devant un autre Henein, ou autrement dit, devant un Henein aux voix multiples. D ailleurs, l absence de la ponctuation dans le texte original fait grand problème, nous le croyons, pour les deux traducteurs qui, face à un adjectif tel que «pourchassée», se trouvèrent obligés de former parfois une fausse image. )ndistinctement, l adjectif « pourchassée » pourrait être attribuée à deux sujets différents (voie ou grimace). Mais dans la mesure où il y a un blanc entre le vers précédent et celui de « pourchassée », on peut penser à bon droit que la phrase précédente s arrête après « voie » et que « pourchassée » renvoie d abord à la grimace. Ce qui incarne la fameuse situation du traducteur qui se trouve obligé de faire son choix. Pour mieux illustrer la différence entre les deux textes, nous allons faire une tentative de renverser le texte traduit vers la langue originale pour que nous ayons une idée de ce qu est (enein en arabe. Cette tentative a pour but de décrire le phénomène sans aucune prétention de viser le noyau du sens des mots ni de convertir la théorie du « sens total » des énoncés ; cela est plutôt la tâche de la linguistique modulaire372. Revenons à notre exemple: A voir notamment l ouvrage de (enning Nølke, Linguistique modulaire : de la forme au sens, Editions Peeters, Paris, 1994 372 - 228 Ahmed Khalifa Nous étions nés pour la froideur des armes nés pour contrarier le cours de la naissance et pour tracer à l'intérieur des êtres les signes du mauvais vouloir. « Laissez errer le sang » nous disait notre Maître et nous ne sûmes jamais de l'errance ou de l'erreur laquelle fut notre voie Sans cesse pourchassée L'éternelle grimace de vivre Est loin de renoncer à nous ; Dans nos mouvements séparés de la terre Un souffle secret introduit la discorde Comme on disperserait des oiseaux. « C'est la volonté des Absents » s'écrie l'un de nous et sous nos épaulettes de roc nous devinons que nous sommes nus nous resterons, cette fois encore, d'improbables guerrier L homme posthume, La Force de saluer 1 A B nous sommes nés pour la froideur des bras nés pour défier le cours de la naissance et pour poursuivre à l intérieur des êtres les signes de la mauvaise foi, Mawlāna nous a dit "expiez vos péchés !" et nous n avons jamais su de l égarement ou l erreur lequel nous a affligé elle est loin de nous quitter une projection de l'ennui éternel de la vie soumis à une poursuite qui n arrête pas un souffle caché diffuse la discorde Dans nos mouvements séparés de la terre Il nous disperse comme on disperse les oiseaux l un de nous s écrie « C'est la volonté des absents » et sous nos épaulettes rocheuses nous nous avérons nus Nous restons, cette fois encore, des guerriers improbables L homme né après la mort du père 1 nous étions nés pour la froideur des armes nés pour contrarier le cours de la naissance et pour tracer à l intérieur des êtres les signes de la mauvaise volonté « Laissez se confondre les naissances », nous a dit notre Sage et nous n avons jamais su quel était notre chemin l illusion ou la désorientation le renfrognement éternel de la vie, demandé continument impossible qu il nous quitte dans nos mouvements séparés de la terre un souffle caché cause la discorde comme si un troupeau d'oiseaux étaient dispersés «Cela est la volonté des absents», crie l'un de nous et sous nous épaulettes rocheuses nous découvrons que nous sommes nus Cette fois aussi, nous allons rester, avec peu de probable, des guerriers. Un homme après sa mort 2006 Nous avons essayé, par cette tentative de renversement vers la langue source, de montrer la différence entre le texte et ses copies qui ne sont pas forcément identiques [et ou fidèles]. Le fait d être passé nous-mêmes par cette expérience dans l exemple précédent nous a occasionné beaucoup de difficultés dans l acte de traduction. La différence entre les deux traductions, nous le croyons, commence là où le texte source fait obstacle, exactement à la cinquième ligne où la parole du Maître « laisser errer le - 229 Ahmed Khalifa sang » fait confusion et exige une intervention interprétative de la part du traducteur. Nous constatons aussi une certaine influence du texte A sur le texte B allant même jusqu à calquer une faute lexicale, le texte B reprend le faux diminutif « ‫» ك ي ت‬373 dans le texte A et reprend même toute la traduction du vers : « sous nos épaulettes rocheuses ». Après ce petit exposé de l existence de Henein dans le monde arabe, incarnée dans la traduction de Bachīr As Sibā ī parue en 1, le poète égyptien ne reparut qu en 1999 avec un petit article sur la poésie dans la revue Al Kitāba Al Ukhrā. Henein ne fut plus représenté après cette date sinon en 2008, dans un dossier élaboré par le traducteur marocain RachīdWa tī sur le mouvement surréaliste égyptien qui parut dans une revue littéraire marocaine dans laquelle nous retrouvons quelques poèmes retraduits du poète. Cette fois-ci, Henein est de nouveau multiple et différent : Le piège le sort est une panthère chaude et l instant o‘ l on est frôlé prend — dans la grande moquerie nocturne — un goût d orgie sarrasine puis, se fait la lumière et l on s aperçoit que l essentiel c est de bien conserver les objets qu on ne désire plus Le Signe le plus obscur (1977) A ‫لخ‬ ‫س‬ . 1‫س‬ B ‫ل‬ ‫ل ن سخ‬ ‫ل ي ن س في‬ ‫ل‬ ‫ي ليي ل ي‬ ‫ت ب س في ل‬ ‫م ع ب س سي يه‬ ‫ل ف ش ني‬ ‫حيث ي م ب‬ ‫ل‬ ‫ليي ل ئ س‬ ‫ن س في ل‬ ‫مت كم م‬ ‫ثم ي ق ل‬ ‫أ م ه ج ه‬ ‫ن‬ ‫كل ل‬ ‫ه أ ن‬ ‫ع أشي ء ل ي م ع ن ن‬ ‫في ج ضي ء ل‬ ‫ل ين أ ل ه في أم‬ ‫ه أ ن ظ‬ ‫أشي ء ل ي لم ن ن غب في‬ . ‫ي‬ ‫م‬ ‫ب ي ل عي س أع‬ ‫ت ج‬ ‫ح ي س حي ق ب لإي ء س‬ ‫شي‬ ‫ت ج‬ Là encore le propre du texte de (enein fait obstacle dans l opération de rapatriement. Le « goût d orgie sarrasine » est traduit différemment d une traduction à l autre mais nous en constatons la bizarrerie dans le texte B puisque «‫( » م ت ك م م‬goût de libertinage [sexuel] musulman) est une phrase insignifiante en arabe. Le problème réside, nous le pensons, dans le mot « sarrasin » qui est à l origine un nom donné aux 373 Lexicalement, le diminutif du mot « ‫ » ك ف‬doit être « ‫» ك يف‬ - 230 Ahmed Khalifa peuples de confession musulmane pendant l époque médiévale en Europe. En choisissant la translittération par « ‫» س سي ي‬, le texte A crée une ambigüité à cause de cet exotisme [non congru]. En choisissant l équivalent «‫»م م‬, le texte B crée une opposition logique entre terme érotique et terme religieux pour l esprit du lecteur. En tout cas, le lecteur du texte traduit restera à l ambiguïtéface aux deux termes : « ‫سي ي‬ ‫م‬ ‫ل‬ ‫ » ل ب‬et « ‫» ل ك ل‬. D ailleurs, fallait-il chercher ce que l « orgie sarrasine » signifie en français ? outre le jeu de mots qui réside dans la concordance entre le « sarrasin », qui est aussi une plante dont les grains s utilisent en alimentation humaine ou animale, et l « orge ». Donc, la voix de Henein change, voire même disparaît dans certaines traductions de ses poèmes. Cela revient à la problématique de la poésie surréaliste en général qui utilise des images indéfinies et ne suit pas de règles. Ce ton de rêves qui fait beaucoup d allusions à la nature, aux oiseaux, à l ombre, au silence, aux désirs et aux choses secrètes exige que nous fassions plus attention aux mots parce que la moindre interprétation dans une traduction d une poésie de telle sorte ne fait que produire une image autre que celle de l original. )mage que le poète n aurait jamais pensée : image indépendante qui est celle du traducteur. L opprimé (enein fut violemment, mais aussi logiquement, dominé en poésie par un abus d autorité exercé de la part de ses traducteurs qui prirent en charge sa récupération en arabe ; le vrai et juste Henein existe en arabe via ses articles et non pas via sa poésie. Il existe là où il y a moins de poétique et plus de réflexions. Nous le comprenons mieux en arabe et ressentons plus son esprit aiguisé dans un article traduit ou dans un pamphlet. Henein est maître de ses paroles là où nous lisons : Jeunes gens, refusez le siège qu on vous offre. Vous n en seriez que la housse humaine, très vite froissée. Georges Henein - 231 Ahmed Khalifa 2 Joyce Mansour : la voix multiple Ô introuvable son d une voix lointaine Dans mille ans tu sauras Qu il y a plus de passion Dans le manchon d une juive Que dans les ajours De la plaine Joyce Mansour – Les Damnations (1967) La théorie de la communication met en valeur trois éléments essentiels : émetteur, récepteur et contexte. La diversité linguistique se forme aussi selon des facteurs agissants : l identité sociale du locuteur, l identité sociale du destinataire et le contexte. Etudier les trois éléments de la communication aboutit à exiger que toute analyse de traduction doive prendre en considération trois critères fondamentaux :    L opposition : synchronie et diachronie. Les usages linguistiques et les croyances dans ces usages. La sociolinguistique et ses applications divisées encore en trois selon ses buts : faire un diagnostic des structures sociales, faire une étude des facteurs socio-historiques et donner un support à la planification, c'est-àdire la méthode qui nous propose des moyens pour parvenir à un résultat. Le cas des traductions de la poésie de Joyce Mansour met en évidence l application des trois critères précédents puisqu elles [les traductions] témoignent d une certaine diversité à tous les niveaux. A cause de la langue variante des différentes traductions de Joyce Mansour, notre étude du texte traduit aidera à envisager comment l opération du choix des mots, dans une traduction, peut séparer [et ou éloigner] le destinataire second [le lecteur du texte traduit] du locuteur premier [l auteur]. Cependant, nous ne pouvons pas nier cette croyance du locuteur second [le traducteur] dans certains usages linguistiques. Ces usages ne sont pas par contre connus et reconnus partout, surtout quand il s agit de la langue arabe qui connaît des diversités linguistiques dues aux différences multidialectales et multisociétales reconnues. Nous allons essayer de montrer une partie de cela à travers cette étude de la poésie traduite de Joyce Mansour. - 232 Ahmed Khalifa La première traduction de la poésie de Joyce Mansour revient à Abdel Qādir Al Janābī, qui fut le premier également à faire connaître (enein. En , le traducteur et poète surréaliste irakien publia, dans une revue parisienne, quarante poèmes traduits de la poétesse égyptienne. C est de la poésie surréaliste dont l absence de pudeur est le trait essentiel. L acte même de traduire cette poésie pourrait être considéré comme une révolte contre la tradition traductive arabe qui consiste à omettre tout ce qui est susceptible de censure. Cette traduction fut publiée à Paris, ce qui constituait un espace d indépendance par rapport aux normes du champ littéraire arabe à l époque. Al Janābī fit une petite introduction dans laquelle il affirma sa fidélité à l œuvre originale tout en donnant l impression que le texte traduit ait pu être directement écrit en arabe : ‫ل ئ ك ل أن ك ت ب ل بي‬ ‫ج ص يح في‬ ‫ج خ‬ ‫أن‬ ‫ل‬ ‫ل ض‬ ‫شي ً حيث ي‬ 374 . ‫ن ه ب ل بي‬ ‫ ل ن ب ي غ ت ئــي ه‬، ‫ت خيت في ت ج ي ه ل ق ل هي‬ ‫ه ه ص‬ ‫ل‬ ‫أ ل‬ ‫ مع أخ ب ين اع‬، ‫م ش‬ ‫ل ي ت عه س م‬ ‫ع به ل غ عن ش ل ع ل‬ ‫إع ئي حق ت ج‬ ‫ي ل يين! أش ل ي س ي م‬ Je me suis attaché, dans ma traduction, à la précision extrême, mais avec une structure qui fait voir ces poèmes comme s'ils étaient directement écrits en arabe, en considérant que la voix poétique est une voix féminine très spéciale et très franche dans son expression linguistique des divers sentiments et des caprices qui la déchirent d une manière sado-masochiste où le sujet et le moi échangent leurs rôles donnés! Je remercie M. Samīr Mansour de m'avoir donné le droit de les traduire et de les publier en arabe. En 1996, Joyce Mansour apparaît pour la première fois dans le monde arabe à travers quelques poèmes traduits par Bachīr As Sibā ī dans la revue )bdā au Caire. En début de l année , la revue littéraire Al Kitāba Al Ukhrā publie quelques poèmes de Joyce Mansour traduits en arabe par le même traducteur. A la fin de la même année, As Sibā ī publie une traduction d une centaine de poèmes édités chez Manch”rāt Al Jamal en Allemagne et intitulée Iftaḥ abwāb al layl (Ouvre les portes de la nuit). Dans cette traduction nous trouvons une retraduction de presque tous les quarante poèmes déjà traduits par Al Janābī en . La dernière traduction est celle de Rachīd Wa tī parue en et éditée chez Dār Afāq au Caire. C est encore une retraduction dans sa majorité de ce qui a été déjà traduit par Al Janābī et As Sibā ī. Nous sommes tombé par hasard aussi sur une traduction de six poèmes de la poétesse sur Internet où la traductrice précise Joyce Mansour, Annā tadhhab adhhab , traduction de poèmes par Abdel Qādir Al Janābī, disponible sur le site internet : http://egyptianpoetry.jeeran.com/Joyce%20Mansour%20%2040%20Qasida.htm 374 - 233 Ahmed Khalifa qu elle fut publiée dans une revue littéraire libanaise, mais sans citer le nom de la revue ni la date de publication. De ce constat, nous avons pu avoir sous les mains deux à trois traductions d un même poème de Joyce Mansour, voire parfois quatre traductions. D ailleurs, c est la raison pour laquelle nous avons choisi « la voix multiple » comme titre de ce point de recherche. Notre choix des poèmes traduits à analyser prendra donc en considération les retraductions en faisant, tout au long de ce point, une comparaison entre les différentes opérations traductionnelles. Ce qui est impressionnant pour les traductions de Joyce Mansour, c est que chaque traducteur annonce avoir choisi personnellement les poèmes à traduire. Ce qui nous a laissé perplexe face à une certaine problématique : il y a beaucoup de poèmes choisis par les quatre traducteurs et nous sélectionnons le suivant que nous pensons représentatif : Les vices des hommes Sont mon domaine Leurs plaies mes doux gâteaux J aime mâcher les viles pensées Car leur laideur fait ma beauté.375 Joyce Mansour, Cris (195 ) A ‫مـ ي‬ ‫ي ل‬ ‫غ أف هم ل ل‬ !‫ج لي‬ B ‫ئل ل ج‬ ‫ج حـ م ك‬ ‫أحب أ أم‬ ‫أ ق مي‬ ‫ئل ل ج‬ ‫خ صي‬ ‫مي‬ ‫ج ح م مغ ن ي ل ي‬ ‫أحب أ أل ن ي هم ل ي‬ .‫أ ن ءت م ت ع ج لي‬ 376 - ‫ل بي س أن ت هب أ هب‬ ‫ل‬ ‫ع‬ C - ‫ل يل‬ D ‫ئل ل ج‬ ‫م تي‬ ‫ج ح م ق ع ح تي ل ي‬ ‫أحب م غ أف هم ل ني‬ .‫أ ب ع م م ن ج لي‬ 377 378 ‫ب ي ل عي س ف ح أب‬ ‫شي ح ي س غ ت أمس أحامك‬ 5002 - ‫غ‬ ‫ئل ل ج‬ ‫م ي‬ . ‫لي‬ ‫ح‬ ‫ج ح م أق‬ : ‫أحب أ أع ك أف هم ل ني‬ .‫ب ع ت ع ج لي‬ 379 …. - ‫ئل ل ج م ي‬ ‫س‬ ‫ج من ح‬ « Les vices des hommes » est traduit à l identique dans les quatre traductions, i.e. on ne trouve qu un seul équivalent dans la langue cible « trois autres mots : « plaies » « ‫ئل ل ج‬ ». De même pour ‫»ج‬, « j aime » « ‫ »أحب‬et « ma beauté » «‫»ج لي‬. A part ces points de ressemblance entre les traductions, le reste offre une multiplicité d usages MANSOUR J., Prose et poésie, œuvre complète , Actes Sud, Paris, 1991, p. 327. MANSOUR J, Annā tadhhab adhhab , traduction de poèmes choisis par Abdel Qādir Al Janābī, disponible sur le site internet : http://egyptianpoetry.jeeran.com/Joyce%20Mansour%20-%2040%20Qasida.htm 377 MANSOUR J., Ifta Abwāb al layl, trad. de Bachīr As Sibā ī, Manch”rat al Jamal, Cologne . p. . 378 MANSOUR J., Raghabātuna ams a lamuka ghadan, trad. de Rachīd Wa tī, Dar Afāq, Le Caire, , p. 61. 379 MANSOUR J., Radhā il al rijāl mal abī », trad de Jumāna addād, disponible sue le site : http://egyptianpoetry.jeeran.com/Gewis%20Mansour%20-Razaelo%20Alrejal.htm 375 376 - 234 Ahmed Khalifa linguistiques. Le mot « domaine » par exemple est rendu différemment dans les quatre traductions : «‫(»م ك‬propriété, royaume [et ou Pouvoir]), « ‫خ‬ ‫( »مي‬champ de spécialité, terrain de compétence), «‫( »م تع‬espace de balade) et «‫( »م ب‬terrain de jeu). De cette diversité nous résumons que la polysémie de mot « domaine » en français crée problème dans le texte arabe. C'est-à-dire que la métaphore qui compare « les vices des hommes » à un « domaine » est réduit en un de ses sens dans la version traduite. Autrement dit, « domaine » en français désigne un ensemble de terres et de bâtiments, un ensemble de techniques et de savoirs relatifs à une science ou à un art, un ensemble d activités de personnes, un ensemble de possessions de l Etat. C est donc un ensemble de « terres, savoirs, activités » et cela ne retrouve pas son équivalent en arabe. Faut-il s interroger encore sur les mots dans leur contexte ? C est-à-dire les autres mots, les phrases et les ponctuations autour du mot « domaine ». Le contexte n y est pour rien puisque quand il s agit d une métaphore, le comparatif « domaine » se coupe du contexte et se présente devant le traducteur comme un mot employé seul : un mot de dictionnaire. Cela est une autre particularité de la poésie de Joyce Mansour qui projette ses images symboliques sans cesse. Voici encore ce que Joyce dit en arabe : A Les vices des hommes sont mon pouvoir Leur plaie est mon gâteau sucré J aime mâcher leurs viles idées Car leur laideur accomplit ma beauté. B Les vices des hommes Sont mon domaine Leurs plaies mes doux gâteaux J aime mâcher les viles pensées Car leur laideur fait ma beauté. Les vices des hommes Sont mon champ de spécialité Leurs plaies sont mes butins délicieux J aime mâcher leurs viles intentions Car leur abjection fabrique ma beauté. C Les vices des hommes Sont mon espace de balade Leur plaies sont mes délicieux morceaux de gâteau J'aime mâcher leurs abjectes pensées Car leur laideur est l abri de ma beauté. D Les vices des hommes Sont mon terrain Et leurs plaies sont mes délicieux bonbons J'aime mâcher leurs abjectes pensées: La laideur [de leurs pensées] fabrique ma beauté. - 235 Ahmed Khalifa Nous voyons donc que les métaphores de Joyce Mansour constituent un grand obstacle pour les traducteurs. D ailleurs La pratique parapsychologique spirite) de la poétesse dans certains de ses poèmes invoque, de notre point de vue, une raison de débat. Ce genre d écriture est produit par un poète qui écrit inconsciemment des phrases, voire des pages entières. Tout en parlant ou tout en chantant, il rédige sans regarder son papier sur lequel il n a aucune idée de ce qu il vient de tracer. Plusieurs poètes surréalistes déclarent leur étonnement, et parfois leurs tourments, quand ils lisent après coup leurs créations. Ecrire selon ce mode réalise donc une émancipation de l étroitesse de la pensée contrôlée par la raison. Ecrire automatiquement, c est, selon André Breton l ami préféré de la poétesse, écrire le plus rapidement possible sans préoccupations esthétiques ou morales, sans souci de cohérence grammaticale, voire sans respect du vocabulaire. Pour que cela se réalise, Breton continue, il faut être entre le sommeil et l éveil, il faut être dans un état de lâcher-prise, un état hypnotique ; il écrit : « Placez-vous dans l'état le plus passif ou réceptif que vous pourrez... écrivez vite sans sujet préconçu, assez vite pour ne pas vous retenir et ne pas être tenté de vous relire »380 De ce principe, nous comprenons qu en lisant un poème de ce genre nous sommes devant des mots irréfléchis : des mots de l inconscient. Cependant chaque mot dans la traduction de ces poèmes est a contrario cherché, effacé et réécrit, réfléchi, préféré, raisonné et finalement choisi et admis. Nous ne proposons pas que la traduction de cette poésie soit, elle aussi, automatique mais plutôt moins interprétative. L illogique du texte source, le non-respect de la grammaire et du vocabulaire, la discontinuité des phrases et l incohérence des images ne doivent pas disparaître dans le texte cible qui, via l opération traduisante, devient logique, cohérent et claire, i.e. normative et lisible. Or, la révolution du texte source contre sa langue se transforme en une soumission du texte cible à sa langue. Le révolutionnaire en français devient soumis en arabe. En voici un exemple : BRETON A., « Principe de l écriture automatique », in Manifeste du surréalisme, Editions du Sagittaire, Paris, 1924. 380 - 236 Ahmed Khalifa Danse avec moi, petit violoncelle Sur l herbe mauve magique Des nuits de pleine lune. Danse avec moi, petite note de musique Parmi les œufs durs, les violons, les clystères. Chante avec moi, petite sorcière Car les pierres tournent en rond Autour des soupières Où se noie la musique Des réverbères.381 Déchirure (1955) A B ‫ل ي ل ن يل ل غي‬ ‫ي ل‬ . ‫جي‬ ‫ أي‬،‫أ قص م ي‬ ‫ع ل ب ل‬ . ‫ل ي لي ل‬ ‫ أي ل ت ل سي ي ل غي‬،‫أ ق ي م ي‬ ‫ ل ن ل‬, ‫ ل‬، ‫بين ل يض ل‬ ‫ أي ل ح ل غي‬،‫أ ق ي م ي‬ ‫م م‬ ‫ت‬ ‫أ أح‬ ‫س ل ء‬ ‫ح‬ 382 ‫حيث تغ م سي ل نيس‬ . ‫جي‬ ‫ب ي ل عي‬ ‫حي‬ ‫ل ي ل غي‬ ‫ أي ل‬،‫أ قص م ي‬ ‫ل ح‬ ‫ل‬ ‫ع ل ب ل‬ ‫ل في ك‬ ‫ل ي لي‬ ‫ أي ل ه ل سي ي ل غي‬،‫أ ق ي م ي‬ ‫ل‬ ‫ ل‬، ‫ ل‬،‫ق‬ ‫ل‬ ‫سط ل ي‬ ‫ أي ل ح ل غي‬،‫غ ي م ي‬ ‫ح ن‬ ‫ت‬ ‫أ أح‬ ‫ني‬ ‫ح ل‬ ‫حيث تغ م سي‬ 383 ‫م بيح ل‬ ‫شي‬ Dans les deux versions arabes du poème, nous remarquons que la langue poétique dépend essentiellement de la répétition. Cette répétition ne désigne pas forcément une équivalence au niveau lexico-sémantique mais aussi au niveau sonore et syntaxique. A part la répétition des mots tels « ‫ س ح‬، ‫» قص‬, nous remarquons aussi des équivalences de nature sémiotique comme dans « chante, violoncelle, note, musique » où le rapport de chacun de ces termes avec le son est simplement détecté par le lecteur. Le texte B, celui de Wa tī, se charge de plus de sonorités manifestées dans les pluriels finis par la même syllabe tels « ‫ني‬ ‫ س‬، ‫ ح‬، ‫ ك‬، ‫» بي‬. Cette correspondance syntaxique donne un rythme convenant à une scène de danse. Une scène vive bien appuyée par le rapport aussi sémiotique entre « lune, œuf, petites pierres, soupières, autour de » et le verbe d action qui décrit un mouvement de « tourner en rond ». La présence des « clystères » dans cette scène de danse déstabilise l image mais elle renforce la description d un espace bien clos malgré même la présence alambiquée d un autre terme correspondant à la nature et donc, à un espace ouvert : il s agit de « l herbe MANSOUR J., Prose et poésie, œuvre complète , Actes Sud, Paris, 1991, p. 347. MANSOUR J., Ifta Abwāb al layl, trad. de Bachīr As Sibā ī, Manch”rat al Jamal, Cologne . p. . 383 MANSOUR J., Raghabātuna ams a lamuka ghadan, trad. de Rachīd Wa tī, Dar Afāq, Le Caire, p. 59. 381 382 - 237 Ahmed Khalifa , mauve ». La couleur « mauve » de l herbe installe bien l ambiance « magique » du poème : une ambiance renforcée par la présence de la petite « sorcière ». Le texte B rend bien l effet sonore du texte source comme celui de « violon, en rond, clystères, sorcière, soupières, réverbères ». mais la comparaison entre le texte et ses traductions nous a révélé maintes difficultés subites dans l opération traduisante. Le sens de la virgule est de prime abord problématique dans les deux poèmes traduits. La virgule signifie plusieurs relations entre les phrases : conjonction (et, ou), disjonction (mais, en revanche, au contraire), relation logique qui équivaut aux deux points (:) et relation d équivalence signe = . Elle peut aussi avoir un effet de soustraction qui encadre une partie de la phrase qui pourrait être effacée sans toucher au sens. Les relations logiques entre les mots dans le poème de Joyce sont censées se construire dans l esprit du lecteur mais les traductions n en laissent rien deviner. Par exemple, deux phrases séparées par une virgule dans « danse avec moi, petit violoncelle … » sont automatiquement liées en arabe et font comprendre qu il s agit d une demande de danse avec un violoncelle sur l herbe mauve et magique. Cela est dû à l existence de « ‫(»أي‬Ô) qui a exigé de rendre l indéfini « petit violoncelle » dans le poème source en un défini «le petit violoncelle » dans le poème cible. De même pour « Danse avec moi, petite note de musique », la chose se répète et l indéfini devient défini. Ainsi, la phrase « Des nuit de pleine lune » se lie-t-elle à l énoncé qui la précède par la particule «‫( »لـ‬pour, à). Nous voyons donc que la virgule qui sépare les énoncés fut négligée et la phrase passe en arabe « danse avec moi petit violoncelle… ». De ce fait, les poèmes traduits provoquent la personnification des choses et transmettent au lecteur l image qu on danse avec un violoncelle sur l herbe, qu on danse avec une note de musique parmi les œufs durs et les clystères, etc. Or, toute prise en compte de la possibilité d une relation d équivalence signe = ou d une relation logique deux point , voire l absence de toute relation logique [comme un des caractères de l écriture automatique] fut négligée. Un retour des poèmes traduits vers le français pourrait illustrer quelle est l empreinte des traducteurs : - 238 Ahmed Khalifa A Danse avec moi, petit violoncelle Sur l herbe mauve magique Des nuits de pleine lune. Danse avec moi, petite note de musique Parmi les œufs durs, les violons, les clystères. Chante avec moi, petite sorcière Car les pierres tournent en rond Autour des soupières Où se noie la musique Des réverbères. Ô le petit violoncelle, danse avec moi Sur l herbe violette et magique Des nuits de pleine lune. Ô la petite note de musique, danse avec moi Parmi les œufs durs, les violons et les clystères. Ô la petite sorcière, danse avec moi Car les pierres tournent en rond Autour des bols à soupe Où se noie la musique des lanternes B Ô le petit violon de voix basse, danse avec moi Sur l herbe de couleur mauve et charmante Des nuits avec la pleine lune. Ô la petite note de musique, danse avec moi Parmi les œufs durs, les violons, les clystères. Ô la petite sorcière, chante avec moi Car les pierres tournent autour d elles-mêmes Autour des bols Où se noie la musique Des lanternes de la rue. Rajoutons que chacun des deux textes obéit à des usages linguistiques différents qui n ont aucune autre explication que celle de « la pratique linguistique du traducteur ». Cette pratique n est pas forcément la même dans tous les pays arabes et dont nous aurions à montrer l interférence des facteurs multidialectaux, multilinguistiques et multisociétaux dans le texte traduit. Le poème précédent par exemple est traduit par deux traducteurs appartenant à deux pays arabes différents. Le texte A est traduit par un Egyptien alors que le texte B est traduit par un Marocain. Bien que les deux traducteurs appartiennent à une seule culture arabe, nous remarquons à titre d exemple que l usage du pluriel n est pas le même pour les deux traducteurs : «‫( »ح ن‬A) et « (A) et « ‫( »ح‬B), «‫» بيض‬ ‫( »بي‬B)384. A part la faute de translittération dans le texte A «‫ » في ل ن يل‬pour « violoncelle » – que nous préférons renvoyer à une faute de frappe – le texte A paraît plus familier si nous ne le confrontons pas avec le texte source. Faut-il encore souligner les différences entre « ‫( » ل ت‬A)et « « ‫( » ل‬B) pour désigner « la note », «‫ي‬ ‫ » خ‬pour indiquer la couleur mauve, « ‫ء‬ ‫ل‬ ‫س‬ » (A) et « définir les « soupières » et finalement entre « ‫( » ل نيس‬A) et « ‫( »ب‬A) et ‫ني‬ ‫( » س‬B) pour ‫بيح ل‬ ‫( » م‬B) pour décrire les « réverbères ». Nous constatons en tant que lecteur égyptien avoir une certaine familiarité avec les usages linguistiques du texte A qui explique que le texte B nous paraissait si éloigné. 384 - 239 Ahmed Khalifa Ainsi, dans la plupart des traductions de Joyce Mansour, y a-t-il une sorte de ressemblance surtout quand il s agit des poèmes pris dans la première traduction d Al Janābī en , repris par As Sibā ī en , puis par Wa tī en . Ce qui remet toute la question du choix des poèmes en doute. Est-ce un hasard que les quarante poèmes choisis par Al Janābī soient tous repris dans les traductions d As Sibā ī et Wa tī ? De même, est-ce un hasard que les poèmes déclarés « choisis » par As Sibā ī soient tous repris encore dans la traduction de Wa tī ? Cela nous amène à supposer que la multiplicité des traductions de Joyce ne signifie pas forcément qu elle est la plus traduite parmi les poètes francophones égyptiens, elle est simplement la plus retraduite. De ce fait, un regard sur la question de pourquoi retraduire nous semble intéressant à poser pour approcher les raisons qui ont motivé cette décision de retraduire Joyce Mansour. « Retraduire » est-il vraiment un verbe ambivalent comme l a constaté J.-P. Lefebvre en écrivant « on traduit un texte, même s il a déjà été traduit auparavant385 » ? Comment donc interpréter ce phénomène d une influence probable d une traduction plus ancienne sur une autre plus récente ? Est-il possible d admettre que cette influence n est pas phénoménale parce qu à la base : on traduit tous le même texte ? Est-il vraiment nécessaire de retraduire une œuvre qui apparu huit ans auparavant, comme c est le cas de la traduction d As Sibā ī et de celle de Wa tī ? Ayant occupé le centre du débat entre les théoriciens de la traduction, la retraduction trouve jusqu aujourd hui des difficultés à se situer. La différence la plus remarquable entre la traduction et la retraduction est que la première se caractérise par une naturalisation de l œuvre pour mieux l intégrer à la culture cible. Elle est plutôt une adaptation et a pour préoccupation d assurer une « bonne » réception auprès du public. La retraduction, quand à elle, est plus attentive au texte source, à ses particularités linguistiques et stylistiques. Mais toutes les deux, traduction et retraduction, sont inséparables de la culture, de la littérature et de l idéologie de leur société. La meilleure réponse à la question est, de notre point de vue, celle d Antoine Berman qui consiste à considérer la retraduction comme une nécessité inévitable car aucune traduction ne peut être la seule traduction possible. En se basant sur le fait que l œuvre originale ne 385 LEFEVBRE J.-P., « Retraduire », Traduire, n° 218, 2008, p. 7. - 240 Ahmed Khalifa peut ni vieillir ni mourir, Berman indique que toute traduction vieillit et meurt sauf celle qui se qualifie comme « grande traduction ». Il déclare qu une grande traduction est : ▬ […] un événement dans la langue d arrivée. ▬ Elle se caractérise par sa systématicité. ▬ Elle est le lieu d une rencontre entre la langue de l original et celle du traducteur. ▬ Elle établit un lien fort avec l original. ▬ Elle est une richesse pour la traduction de notre temps. 386 De ce point de vue, toute première traduction n est pas forcément une grande traduction. Ce qu affirma Goethe387 bien auparavant en disant que toute action humaine a toujours besoin de la répétition pour s accomplir car tout début est maladroit. )l expliqua aussi que l expérience est une nécessité pour réussir une action. Cette pensée sur la perception de l action humaine en général, nous pouvons l adopter pour le phénomène de la retraduction en particulier. Ce que Berman essaya d aborder en 1990388 en distinguant deux faits fondamentaux : tout acte de traduire est touché parallèlement par l incapacité de traduire et la résistance au traduire. Mais toujours, la chose indiquée comme raison de la retraduction est la temporalité psychologique, culturelle et linguistique de la première traduction, et qui annonce sa défaillance. Ajoutant que la retraduction est un genre polymorphe qui revient à la multiplicité des fonctions du traducteur, L. Rodriguez389 met l accent sur l ordre chronologique qui fait qu un traducteur est d abord lecteur puis rédacteur. Lecteur en une langue et rédacteur dans une autre. Mais en tout cas, le message reste, pour elle, intact et la transmission n entraîne que des changements au niveau du code et du contexte. D o‘ la notion de « messager » pour le traducteur qui transmet le code et le contexte de la langue de départ vers la langue d arrivée et, dans ce sens, ce « messager » aurait consulté d autres messagers [traducteurs] ayant déjà transmis le même « message ». Rodriguez insiste aussi sur le fait que les traductions et les retraductions sont des objets de BERMAN A. « La retraduction comme espace de la traduction », Palimpsestes n°4, Retraduire, Publications de la Sorbonne Nouvelle, 1990, p. 2. 387 GOETHE J., Le divan occidental-oriental, trad. de Henri Lichtenberger, Aubier-Montaigne, Paris, 1950, p. 72. 388 BERMAN A. « La retraduction comme espace de la traduction », Palimpsestes n°4, Retraduire, Publications de la Sorbonne Nouvelle, 1990, p. 5 389RODRIGUEZ, Liliane sous le signe de Mercure, « la retraduction », Palimpsestes n°4, 1990. 386 - 241 Ahmed Khalifa consommation dont le marché obéit à la loi de l offre et de la demande. La retraduction pourrait porter la mention « nouvelle », juste pour argumenter la vente. Nous pouvons résumer donc que le traducteur retraduirait pour maintes raisons : il retraduit pour une meilleure intégration au contexte de réception, ou encore il retraduit pour atteindre l intégralité et la transmission la plus complète du message. Terminologiquement parlant, on retraduit selon les idéologies traduisantes du moment : on est soit « ethnocentrique » suppression de l étrangeté , soit « hypertextuel » (imitation). Tout cela est appelé par Antoine Berman les « tendances déformantes » qui affectent l intégralité du texte original. Après avoir exposé les conjonctures qui mettent en concurrence les multiples retraductions d une seule œuvre, nous allons avancer un exemple qui montrera que les retraductions de la poésie de Joyce se ressemblent dans leur majorité et que leur apparition n est que le résultat du flou qui entoure les droits d auteur ? tout en écartant la supposition que ces retraductions réapparurent en lien avec une nouvelle situation politique, comme c est, selon Berman, le cas de certaines retraductions parues en Amérique et en Europe. Revenons aux traductions des poèmes de Joyce Mansour qui témoignent d un enchaînement logique. Les premiers quarante poèmes choisis et traduits par Al Janābī en 1 sont tous retraduits par As Sibā ī et Wa tī. Les raisons annoncées pour les retraductions peuvent se résumer dans le fait que la première traduction est une « introduction de la poétesse» dans la culture arabe, la deuxième est une « meilleure présentation de la poétesse » et la troisième traduction est une « présentation exacte et légitime de la poétesse ». L exactitude renvoie aux fautes multiples dans la deuxième traduction et la légitimité revient à l obtention des droits de traduction. Aujourd hui, les droits de traduction deviennent affectifs dans l évolution du mouvement de la traduction surtout dans un champ littéraire éloigné du centre comme c est le cas du monde arabe. D ailleurs, nous allons voir un exemple qui montre l influence colossale390qu a la première traduction sur les retraductions de la poésie de Joyce : En effet, une part non négligeable des similitudes entre les traductions revient au fait que le lexique et l agencement des phrases en français sont très simples. En conséquence, les choix de traduction sont très limités. Mais, ce qui justifie plutôt cette influence du texte A sur le texte B est que Wa tī dans le texte C, et 390 - 242 Ahmed Khalifa Ne mangez pas les enfants des autres Car leur chair pourrirait dans vos bouches bien garnies. Ne mangez pas les fleurs rouges de l été Car leur sève est le sang des enfants crucifiés. Ne mangez pas le pain noir des pauvres Car il est fécondé par leurs larmes acides Et prendrait racine dans vos corps allongés. Ne mangez pas afin que vos corps se flétrissent et meurent Créant sur la terre en deuil L Automne.391 Cris (1953) A ‫آخ ين‬ ‫اتك أ‬ ‫أ ل م م س يف في ح ق م ل‬ ‫ء‬ ‫ا ت ك أ ه ل يف ل‬ ‫م بين‬ ‫أ‬ ‫أ ن غ‬ ‫ا ت ك خ ل ء أس‬ ‫أنه خ ب ب م ع م ل م‬ ‫ق ي صل في أج م م ل‬ ‫ا ت ك عل أج م م ت بل ثم ت‬ 392 ‫ح ً ل يف‬ ‫خل ع أ‬ - ‫ل بي‬ ‫ل‬ ‫ع‬ B . ‫آخ ين‬ ‫اتك أ‬ ‫أ ل م سي ن في أف ه م ل‬ ‫ء‬ ‫ا ت ك أ ه ل يف ل‬ ‫م بين‬ ‫أ‬ ‫أ ن غ‬ ‫ا ت ك خ ل ء أس‬ ‫أنه م ب ب م ع م ل م‬ ‫ق ب صل في أج م م ل‬ ‫ا ت ك عل أج م م ت ك ت‬ ‫ل يف‬ ‫خل ع أ‬ 393 ‫مت‬ ‫ب ي ل عي س‬ ‫كم‬ -‫حي‬ C ‫آخ ين‬ ‫أ‬ ‫ات‬ ‫أ ل م ق ي ن في أف ه م ل‬ ‫ء‬ ‫أ ه ل يف ل‬ ‫ات‬ ‫بين‬ ‫ل‬ ‫أ ن غ من أ‬ ‫خ ل ء أس‬ ‫ات‬ ‫أنه م ب ب ت م ل م‬ ‫في أج كم ل‬ ‫ب‬ ‫ق ي‬ ‫أج‬ ‫من أجل أ ت هل ت‬ ‫ات‬ ‫ل‬ ‫ت سث‬ ‫آتي ف أ‬ 394 ‫ب ل يف‬ ‫شي‬ Nous voyons donc cette ressemblance quasi parfaite entre le texte A et le texte B, une ressemblance qui n est pas certainement le fruit du hasard. Le texte C, celui de Wa tī et le dernier en date, contient quelques changements qui méritent d être discutés. Voulant peut-être se libérer de l influence de la première traduction, Wa tī retrouva la solution dans la synonymie pour affirmer sa différence. Mais la structure grammaticale et l ordre des mots sont les mêmes, suivant peut-être en cela ceux du texte original. Cette opération de changement synonymique a conduit le traducteur à commettre des fauxsens et créer des fausses images. Nous présentons ce que les traductions disent en arabe pour que la chose soit claire dans l analyse suivante : dans une recherche d originalité, ait recouru à des choix plus « littéraires », pour éviter de reproduire les traductions antérieures. Ce qui éloignerait logiquement aussi la supposition que les traducteurs des textes B & C, n auraient pas consulté la première traduction. 391 MANSOUR J., Prose et poésie, œuvre complète, Actes Sud, Paris, 1991, p. 310. 392 MANSOUR J, Annā tadhhab adhhab , traduction de poèmes choisis par Abdel Qādir Al Janābī, disponible sur le site internet : http://egyptianpoetry.jeeran.com/Joyce%20Mansour%20-%2040%20Qasida.htm 393 MANSOUR J., Ifta Abwāb al layl, trad. de Bachīr As Sibā ī, Manch”rat al Jamal, Cologne 1998. p. 10. 394 MANSOUR J., Raghabātuna ams a lamuka ghadan, trad. de Rachīd Wa tī, Dar Afāq, Le Caire, , p. 44. - 243 Ahmed Khalifa Ne mangez pas les enfants des autres Car leur chair pourrirait dans vos bouches bien garnies. Ne mangez pas les fleurs rouges de l été Car leur sève est le sang des enfants crucifiés. Ne mangez pas le pain noir des pauvres Car il est fécondé par leurs larmes acides Et prendrait racine dans vos corps allongés. Ne mangez pas afin que vos corps se flétrissent et meurent Créant sur la terre en deuil L Automne. A B C Ne mangez pas les enfants des autres Car leurs chairs charogneront dans vos gorges remplies Ne mangez pas les fleurs rouges de l été Car leur sève est le sang des enfants crucifiés. Ne mangez pas le pain noir des pauvres Car il est imprégné de leurs larmes acides Et il s enracinerait dans vos corps allongés Ne mangez pas peut-être vos corps de se flétriront puis ils mourront Créant l automne sur la terre comme deuil. Ne mangez pas les enfants des autres Car leur chair pourrira dans vos bouches rembourrées. Ne mangez pas les fleurs rouges de l été Car leur sève est le sang des enfants crucifiés. Ne mangez pas le pain noir des pauvres Car il est fécondé par leurs larmes acides Et il s enracinerait dans vos corps allongés Ne mangez pas peut-être vos corps se déchireront et mourront Créant l automne sur la terre Comme funéraire N engloutissez pas les enfants des autres Car leur chair pourrirait dans vos bouches remplies. N engloutissez pas les fleurs rouges de l été Car leur sève est du sang des enfants crucifiés. N engloutissez pas le pain noir des pauvres Car il est fécondé par leurs larmes silencieuses et acides. Et il planterait ses racines dans vos corps couchés sur le côté N engloutissez pas pour que vos corps se boursouflent et ils mourront. En venant sur une terre qui s habille en robe de deuil Pendant l automne. Remarquons que le texte C utilise des images détaillées et ponctuelles plus que les autres traductions, voire même plus rigoureuses que celle du texte source. Cela est du certainement à l usage du vocabulaire. En traduisant « Ne mangez pas » par « ‫ا‬ ‫ » ت‬N engloutissez pas l image devient plus cruelle. Mais surtout en traduisant les « larmes » par « ‫( » ع‬larmes qui coulent en silence), « allongés » par « ‫»م‬ couché sur l un des deux côtés du corps et « se flétrissent » par « ‫( » ي هل‬grossir, boursoufler, etc., le verbe est dérivé de « ‫ » هل‬qui signifie la tumeur : état d'un organe - 244 Ahmed Khalifa qui se gonfle au cours de certaines fonctions physiologiques), que le texte de Wa tī acquiert une nature très éloignée de celle du texte source. Bien qu il fasse attention au temps des verbes [remarquons que les textes A et B transforment le conditionnel du texte source en futur, et c est l une des fautes récurrentes chez As Sibā ī par exemple], le texte C acquiert abusivement une nature littéraire. Cela est fortement remarqué dans ‫ل‬ une expression telle « la terre en deuil » « ‫ت سث‬ ‫ » أ‬une terre qui s habille en robe de deuil . Une même traduction d un seul vers pourrait notifier d ailleurs une relation d hypertextualité entre les trois traductions : « Car leur sève est le sang des enfants crucifiés. » : une phrase qui se traduit identiquement dans les trois traductions par « ‫بين‬ ‫م‬ ‫أ‬ ‫»أ ن غ‬ Récapitulons donc de tout ce qui précède que Joyce Mansour, la poétesse surréaliste, n est pas la même dans ses poèmes en arabe. Cela revient à ses multiples traducteurs qui, chacun selon sa méthode, font d elle une poétesse aux multiples visages. Joyce d Al Janābī n est pas comme celle d As Sibā ī, ni comme celle de Wa tī. Malgré les ressemblances que nous venons d indiquer dans l exemple précédent, nous constatons que ses traducteurs ont essayé de l intégrer per fas et nefas dans la culture accueillante. Que ce soit en la rendant plus logique, plus compréhensible ou plus littéraire, l automatique en elle disparaît en arabe. - 245 Ahmed Khalifa 3 Mona Latif-Ghattas : Du noir au blanc J en suis venu à considérer qu un seul mot, placé sur une feuille blanche, constitue déjà un poème, et qu y ajouter un deuxième mot précis représente déjà un processus poétique extrêmement délicat. 395 Franz Mon, autoportrait, 1983. Mona Latif-Ghattas est une poétesse égyptienne née en Egypte en 1946 puis partie s installer à Montréal dès 11. Après avoir obtenue une maîtrise en création dramatique à l Université de Montréal, elle s est intéressée à plusieurs domaines qui font d elle une femme poète, romancière, traductrice et compositrice. Assez connue sur la scène internationale, elle a participé à plusieurs conférences dans les universités canadiennes, belges, américaines, jordaniennes et égyptiennes. Très active, elle est l un des écrivains francophones de la deuxième génération qui se présentent sur la scène native égyptienne pour assurer une meilleure existence littéraire dans le monde arabe via la traduction de ses œuvres. Ayant aussi traduit en français des romans des écrivains égyptiens tel Mohammed Salmawy et May El Telmissany, Mona Latif-Ghattas a publié plus d une vingtaine d ouvrages, variant prose et poésie, dont quatre seulement sont traduits en arabe. Son premier ouvrage publié fut par contre édité au Caire chez Elias Publishing House en 1985 : il s agit de ses traversées poétiques intitulées Les chants du Karawane. Cet ouvrage fut aussi le premier ouvrage traduit de la poétesse en 1994 par Walid Al Khachāb et édité, lui aussi, chez Elias Publishing House au Caire. En 2006, la SODEC 396 finança la publication d une deuxième traduction de son ouvrage intitulé Momo et Loulou (2004) : une œuvre en prose traduite par May El Telmissany et Walid Al Khachāb et éditée chez les Editions du remue-ménage au Québec, maison spécialisée dans la publication d'ouvrages sur la condition féminine. En 2007, fut publiée la troisième traduction au Caire chez les Edition Esig : Le Livre ailé (2004), des traversées poétiques traduit par May El Telmissany et une révision [poétique] d Ahmed Ash Shahāwy, Edition Esig. La quatrième et la dernière traduction parue en 2009 est celle du recueil Les Chants modernes au bien-aimé (2008), traduit par Oussama Nabil et Maha El Séguini et édité chez Dar Al Hani au Caire. MON F., « autoportrait », catalogue Écouter, Lire, Regarder, Hören, Lesen, Sehen, Goethe-Institut, Munich,, 1983, p.12 396 Société de développement des entreprises culturelles au Québec. 395 - 246 Ahmed Khalifa L un des caractères essentiels de sa poésie est le silence. L usage abondant du blanc crée la poésie, là o‘ la verbalisation est une règle, le lieu exceptionnel d un silence est compréhension. Dans sa poésie il est difficile de séparer le blanc de la parole parce que le premier porte une valeur significative. En effet, sans les blancs entre les mots, ceux-ci ne seraient pas signifiants et nous irons plus loin en proposant que les blancs de Mona Latif-Ghattas sont un langage non-verbal qui est sous-jacent au langage verbal. Pour montrer l importance des blancs chez Mona Latif, nous donnons un exemple de la première traduction de sa poésie éditée en version bilingue : Avant que les saisons alors que lumière et seule lumière fut Dépositaire du mot la fille de l aube nue et ses cheveux perlés de soie le long de son dos glissent le long des hanches ondulent et glissent longs ils effleurent et la terre et la mer. ‫ح‬ ‫ا‬ Elle lui dit je vais t écrire sur parchemin tout cet éclat premier natif de la lumière.) ‫أ‬ ‫س‬ Les chants du Karawane (1985) ‫س لي ل‬ ‫ت نيم ل‬ ‫ل سم‬ ‫ق‬ ‫ع م ك ل‬ ‫بت‬ ‫ي ل ل‬ ‫ل‬ ‫ل‬ ‫ش ه ل ين‬ ‫بل ي ب‬ ‫ه م اع‬ ‫أ فم ج م‬ ‫يا‬ ‫ل‬ ‫ي عب أ‬ ‫ل‬ ‫(ق لت له س ف أك ب لك‬ ‫كل ه ان ا‬ ‫ع ق‬ ) ‫بن ل‬ Nous voyons donc que les blancs ne sont pas respectés dans la version traduite malgré la signifiance remarquable des espaces entre les mots et entre les vers. Les espaces, outre qu ils construisent une certaine forme pour le poème, désignent la discontinuité et la rupture. Cette intermittence est l un des caractères essentiels de la poésie moderne qui représente une « image exacte des allures de la pensée 397» selon Claudel le poète français. Les blancs dans la poésie moderne sont une sorte de langage premier et antérieur aux mots eux-mêmes selon leurs défenseurs, alors qu ils ne sont qu un artifice de présentation pour leurs détracteurs. Les blancs sont récurrents chez Mona Latif-Ghattas ; ils apparaissent dès sa première publication poétique, où ils jouent le fameux rôle annoncé par Mallarmé : « L aboli bibelot d inanité sonore 398». De ce fait, nous comprenons pourquoi les mots tels « lumière – long – glissent » se répètent et se laissent influencer par les blancs autour d eux qui exercent un jeu de [ou sur les] mots. CLAUDEL P., « Réflexions et propositions sur le vers français », Œuvres en Prose, NRF, . L extrait que nous avons consulté est disponible en version PDF sur le site internet : http://www.centenairenrf.fr/Extrait/14586.pdf 398 MALLARME S., « Plusieurs sonnets », Poésies (1899), Editions Gallimard, coll. Poésie/Gallimard, 1992, p. 59. 397 - 247 Ahmed Khalifa Ce genre d épanouissement des redondances, en queue d aronde, rythmé de blancs, nous conduit progressivement à la question de la signification du repos, ou autrement dit « du silence » au sens musical. Ces blancs ne sont pas donc à négliger puisqu ils sont des blancs matériels, pratiques, concrets et font de la poésie de Mona Latif-Ghattas une forme de poésie chantée. A part cette disparition de la fonction des blancs dans la traduction d Al Khachāb, nous trouvons des fragments traduits maladroitement comme « ses cheveux perlés » traduit par « ‫ين‬ parchemin » par « ‫ ش ه ل‬399» (ses tristes cheveux), et « Elle lui dit je vais t écrire sur ‫ق‬ ‫ » ق لت له س ف أك ب لك ع‬Elle lui a dit je t écrirai sur un papyrus). Traduire « parchemin » [ qui est fait de la peau des animaux (mouton, chèvre, agneau ou veau généralement), grattée, amincie, rendue imputrescible et doucie à la pierre ponce]400 par « papyrus » [ qui est une feuille constituée par la superposition de deux couches pressées de fines bandes de tiges de la plante de papyrus, l'une horizontale, l'autre verticale, séchée et poncée, utilisée par les Égyptiens de l'Antiquité pour la confection de leurs manuscrits]401 nous a mené à interroger la traduction d Al Khachāb concernant l utilisation lexicale de ce dernier qui, croit restituer la qualité littéraire. )l s agit d une perte autre que celle de la forme mise en place par les mouvances visuelles et sonores du texte source. Nous avons vu comment se perd le « stimulus » du blanc dans la poésie de Mona Latif et comment le traducteur efface toute activité poétique du texte : celle qui se manifeste dans les poèmes « sonores » de notre poétesse qui intègre cette dimension dans son écriture. En cela, nous aurions intérêt à parler de la particularité de cette poésie qui se résume dans le fait que la poésie de Mona Latif n est pas seulement un texte-à-voir mais un texte essentiellement à lire. Prenons un autre exemple qui montre clairement l intervention du traducteur : aurions-nous courtisanes dans les palais harem flatté les rois aurions-nous suivi les reines le long des eaux […] Les chants du Karawane, 1985, p. 60. 1 ‫س‬ - ‫ت نيم ل‬ ‫يم‬ ‫ل‬ ‫أفي ق‬ ‫مح ل‬ ‫ن ن ل ئ‬ ‫أت‬ ‫ع شط ل ء‬ ‫ل‬ […] Nous préférons considérer cette fausse traduction comme une faute de frappe puisque le mot « ‫» ل ين‬ est proche du mot « ‫( » ل ين‬orné), ce qui correspond avec la traduction. 400 Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales : site internet : http://www.cnrtl.fr/definition/parchemin 401 Ibid., : http://www.cnrtl.fr/definition/papyrus 399 - 248 Ahmed Khalifa Nous avons dit auparavant que le traducteur, voulant rajouter de la valeur littéraire, chercha des mots [classiques] qui ne relèvent pas, de notre point de vue, d un bon choix ; comme pour « parchemin » et « papyrus » que nous avons vu plus haut. Et si ce dernier acte n influence pas directement le sens du poème, l exemple suivant montre un cas d usage linguistique que l on retrouve dans presque toute la traduction de la poésie étrangère : il s agit de l exhumation des mots anciens. Le phénomène mérite attention puisque jusqu à nos jours, les dictionnaires arabe-arabe manquent de la moindre information sur l usage des mots telle « vieilli » ou « littéraire » comme c est le cas des dictionnaires français par exemple. Ainsi, les dictionnaires français-arabe sont peut-être derrière ce phénomène puisque ils n indiquent pas non plus l usage des mots en arabe. Sans aucune idée dépréciative pour un mot et sans aucune préférence pour un autre, nous posons la question de tels usages linguistiques qui créent un problème d incompréhension temporaire et qui exigent qu un lecteur doive se procurer un dictionnaire lors de la lecture. C est aussi à cause de l idée courante qui veut qu un texte est « fort » littérairement quand il est chargé de mots de ce type. Dans le cas présent, il s agit de la traduction du mot « courtisanes » par « ‫ئ‬ ‫» ل‬. « Courtisan » avec l idée de fonction désigne en français la personne attachée à la Cour ou au service d un roi. Le sens du mot se définit en effet selon l idée que l on veut exprimer. Par exemple avec l idée de mondanité ou d hypocrisie, il prend la signification d une personne à la recherche d intérêt personnel en gagnant les faveurs d une personne influente au moyen de la flatterie. Ou autrement dans le domaine amoureux, et sous la forme du substantif, une courtisane est une femme demi-mondaine, légère, cocotte, hétaïre ou prostituée. A l opposé, le mot arabe mis est « ‫ » خ ئ‬pluriel de « ‫ » خ ي‬qui désigne généralement la femme pudique selon Lisān Al Arab et particulièrement la fille vierge jamais touchée par un homme. Il désigne aussi « une perle avant la perforation ». Nous avons donc vu que la confrontation avec le texte source révèle des problèmes qui pourraient changer le sens du poème. L analyse d un poème dans sa langue traduite doit, de notre point de vue, être appuyée par une autre dans la langue originale. Cela conduira sans doute à envisager, outre les subtilités et les ingéniosités du traducteur, ses aberrations et réticences. L exemple suivant sera mis dans ce cadre d investigation : - 249 Ahmed Khalifa ....... ‫» أغ ني ل‬ ....... ‫لي س ف ت ق ل يح ل ي‬ ‫ص‬ ‫ي م صغي ق ء لغ ل‬ ‫في ل ء س ف ت ك في أ نه اسم‬ ‫ل غ ج ا أم‬ ‫ل‬ ‫س في ل ب ئ‬ ‫ل‬ ‫مم‬ ‫أع ف م ئ‬ ‫ه ل‬ ....... « ‫» ه أغ ني ل يل ل لي‬ ....... … « les chants d orient il y a de cela » … Ce matin elle va fendre le vent pour que Petit apprenne à lire les langues du Nord. Et elle déchiffrera le soir à son oreille Les papyrus codés beauté et les proverbes Images, il lui dira plus tard Mama Ces mots me sont connus depuis « ‫م‬ … « ces chants Mawals passés » … ‫س‬ Les chants du Karawane 1985, p. 102 ‫س لي ل‬ ‫ت نيم ل‬ Les équivalences sonores dans le texte traduit sont bien présentes mais rarement ‫ ش‬، entres les mots tels « sémiotiques entre « ‫يل‬ ‫ ل‬، ‫ ج‬، ‫ » أم‬et « ‫ ب ئ‬، ‫» م ئ‬. De même, les équivalences ‫ » ل‬, «‫ م ء‬، ‫ ص‬، ‫ » لي‬, « ‫ أغ ني‬، ‫ ك‬، ‫» لغ‬, « ، ‫ل‬ ‫ » ل‬se lient logiquement dans l esprit du lecteur. Ainsi, les équivalences lexico- sémantiques au niveau de l opposition aident-elles à renforcer la logique aussi bien que la description des images : nous en tirons cette opposition entre « ‫( » اسم‬talismans) et « ‫( » أم‬proverbes) où le lecteur se trouve en face de deux questions concernant logiquement ce qu on appelle l usage ; il s agit d un usage distinct : celui des « talismans » et d un usage commun : celui des « proverbes ». Donc, le texte traduit a bien transmis le propre de la poésie de Mona Latif-Ghattas qui revendique toujours chez son lecteur une certaine prise de conscience de la nature énigmatique de ses poèmes. De ce point de vue, nous pourrions comprendre la multiplicité des points de suspension, les phrases coupées et incomplètes et la suppression des articles [définis et indéfinis]. Le texte de Walīd al Khachāb connaît aussi quelques solutions jugées inconvenantes de notre part telles l expression de « ‫يل‬ ‫ » أغ ني ل‬où le Mawal est un genre largement connu pour le lecteur arabe et ne mérite pas, nous le pensons, cette définition par un autre mot « chant ». Au niveau de la grammaire nous remarquons aussi une faiblesse de style causée par l ordre des mots dans les phrases, due à la littéralité du traducteur. Et nous nous demandons si la musicalité et/ou la sonorité dans le texte change après une petite opération d arrangement en préférant ce que la langue arabe préfère et non seulement ce qu elle accepte ! En traçant la logique générale du poème en arabe, nous pourrions aussi tomber sur des contradictions contestables ; le lecteur arabe comprendra sans doute via la traduction que « les chants d’Orient vont fendre le vent pour qu un petit apprenne les langues du Nord ». Dans le poème arabe le sujet est bien « les chants » - 250 Ahmed Khalifa malgré l existence des guillemets ; cela est dû à la non-traduction de l adjectif démonstratif dans « Ce matin » ; ce qui fait que les deux mots « ‫ » م‬et « ‫لي‬ ‫ » ص‬se lient logiquement dans l esprit du lecteur malgré les guillemets et les points de suspensions qui les séparent. L existence de l adjectif démonstratif aurait pu empêcher cette confusion parce qu il séparera entre les deux et annoncera le début d une autre phrase. Nous voyons donc que le sens du poème peut complètement changer avec une omission. De ce postulat, nous confirmons que la recherche des équivalences, sur tous les niveaux, est un souci à ne pas négliger dans les traductions de la poésie surtout quand il s agit des équivalences sonores. Parfois le texte original se transmet facilement au niveau de la sonorité quand il dépend des répétitions des mots qui font rythme inévitable. L exemple tiré de la traduction de Maha El Séguini et Oussama Nabil d un poème de Mona Latif-Ghattas pourrait illustrer le phénomène : Protège-moi de moi ami de lune Protège-moi de mes rêves en furie Protège-moi mon bel ami De l aventure de mes mots Protège-moi mon bien-aimé De la morsure de l amour Les chants modernes au bien aimé p. 53 3 ‫ب ا‬ ‫أح ي من ن ي ي ص يق ل‬ ‫ح ي من أحامي لغ ض‬ ‫ح ي ي ص ي ل يل‬ ‫من مغ م ك تي‬ ‫ح ي‬ ‫ي م بي‬ ‫من ل غ ل ب‬ )ci, la traduction est bel bien littérale mais elle témoigne d un certain effort à rendre la musicalité du texte source et à donner rythme aux mots traduits. Outre la répétition du mot « ‫ » ح ي‬au début des trois premier vers nous soulignons cet effort à donner un rythme au cinquième vers en le coupant en deux vers pour faire un arrêt obligatoire dans la lecture. Même au niveau du rythme intérieur résidant par exemple dans la répétition de la lettre « M » [répétée 15 fois dans le poème source], nous remarquons que son équivalent dans l alphabet arabe « » se présente avec la même abondance [répétée fois], même s il ne figure pas dans les mêmes mots du texte source. Ainsi, reste-t-il à signaler cette recherche d une meilleure équivalence de la métaphore « morsure de l amour » que la solution littérale ferait sans doute obstacle dans la réception. La morsure est bien au sens figuré et signifie une action de ce qui tourmente, de ce qui ronge ou de ce qui attaque pour désigner l amour. Une traduction littérale risque de créer une métaphore non adéquate dans l esprit du lecteur arabe. Le - 251 Ahmed Khalifa traducteur a recouru à un autre mot « ‫[ » ل غ‬piqûre] pour éviter toute réprobation probable. Traduire morsure par « ‫ » ل غ‬est certainement plus doux dans l oreille du lecteur pour une simple raison : c est que « ‫[ » ع‬morsure] en arabe signifie une blessure causée par des animaux spécifiques [chien, lion, etc.] alors que « ‫ » ل غ‬signifie la lésion cutanée causée exclusivement par le scorpion402 et ou couramment par le serpent. Le besoin d éviter « ‫ » ع‬est y donc pour éviter une référence probable au chien ; ce qui risque de diminuer l effet de la métaphore, voire même l escamoter et créer un autre choquant et malsonnant vu que cet animal ne possède pas une image de grande dignité dans le monde arabe. Donner rythme aux paroles traduites est une opération saluée par les critiques et les traductologues. Dans l exemple suivant nous verrons que les adjectifs possessifs dans le texte source créent une certaine sonorité. Une sonorité qui pourrait exister facilement dans le texte cible par la lettre « », l équivalent grammatical toujours attaché à la fin des mots en arabe. La problématique dans cet exemple réside dans l ajout d une tonalité particulière causée par la lettre « », qui signifie « pour » en français. De ce fait, nous constatons que le poème traduit est bien travaillé au niveau sonore : J écris dans l eau Pour ton enfance de mer Ton accostage au port de mon pays Ta vie maritime Ton cœur goélette Ton regard navire Ton âme felouque à l est du temps Ton style kayak Ton air transatlantique Sur l océan de mes exils ensoleillés de toi Les chants modernes au bien aimé p. 6 Les mots « ‫ئك‬ 6 ‫ ل‬،‫ أس بك‬،‫ ل حك‬،‫م ك‬ ‫ب ا‬ ‫ اب‬،‫تك‬ ‫أك ب ع ل ء‬ ‫ل لك ل ي‬ ‫ل س في مي ء با‬ ‫ل ي تك ل ي‬ ‫ص يين‬ ‫ل كسي‬ ‫ل تك س ي‬ ‫اب م ك‬ ‫ل م‬ ‫في ش‬ ‫ل حك ج‬ ‫اس بك ف‬ ‫ل ئك ل ي ي‬ ‫ع م يط غ ب ي‬ ‫بك‬ ‫ل‬ ‫ ل‬،‫ ل ك‬،‫ ل ي تك‬، ‫ ل س‬،‫ل ك‬ ‫»ل‬ constituent une fréquence rythmique si brève mais qui témoigne d une certaine périodicité métrique causée par le retour des deux lettres « ، » prononcé [Li & Ka] au début et à la fin du premier mot de chaque vers [9 vers sur 12]. Nous ne pouvons pas négliger non plus que l existence de « » soit une nécessité grammaticale pour écarter toute fausse [compréhension-interprétation] du texte en langue arabe. Les équivalences 402 Lisān Al arab. - 252 Ahmed Khalifa sémiotiques migrent en toute flexibilité du français vers l arabe puisque la plupart des mots dans le poème se verse, nous le pensons, en un seul champ sémiotique : « eau, mer, accostage, port, maritime, goélette, navire, felouque, kayak, transatlantique, océan ». La confrontation avec le texte source révèle des choix non pertinents qui ont causé des redondances non existantes dans le texte source, nous y soulignons la traduction de goélette par « ‫ص يين‬ ‫[ » س ي‬navire à deux mâts] et celle de « transatlantique » par « ‫ [ » م ي ي‬océanique]. Après cette étude restreinte de la traduction de la poésie de Mona Latif-Ghattas, nous concluons que l un des caractères essentiels de sa poésie fut négligé ou aléatoirement simulé : il s agit des blancs qui ne sont pas respectés malgré leur signifiance. Faisant rythme et espace de méditation, le niveau du traitement avec les blancs change d une traduction à l autre. Mais nous constatons aussi un certain effort de reproduire une image poétique assez ostensible [cas de la traduction d Al Khachāb], une sonorité audible et un rythme retentissant [cas de la traduction de Maha El Séguini et Oussama Nabil]. - 253 Ahmed Khalifa 4 Chédid, Jabès et Rassim: les quasi-absents « La poésie – par des voies inégales et feutrées – nous mène vers la pointe du jour au pays de la première fois. », CHEDID A., Terre et poésie. « Quoique tu fasse, c est toi que tu espère sauver. C est toi que tu perds » , JABES E., Le petit livre de la subversion hors de soupçon. Presque inconnus pour le lecteur arabe, Andrée Chédid, Edmond Jabès et Ahmed Rassim sont les plus connus des poètes égyptiens d expression française pour le lecteur francophone. Andrée Chédid est bien connue dans le champ littéraire arabe en tant que romancière puisqu on traduisit négligée jusqu à romans et une nouvelle. Sa création poétique fut o‘ CharbalDāghir403 décida de l introduire au lecteur arabe en tant que poétesse à travers la traduction des poèmes choisis parue au Kuwait sous le titre de Chaml tachābuh ḍā i . Edmond Jabès à son tour fut catégoriquement négligé à cause des politiques culturelles de l Egypte que nous avons expliquées au premier et au deuxième chapitre de cette thèse. )l n apparut à la surface que deux fois seulement : à travers la traduction de quelques poèmes dans le numéro spécial de la revue )bdā et, récemment à travers une traduction de l un de ses poèmes en dans la revue Nazwā à Oman. Ahmed Rassim est le poète non-traduit jusqu à ce jour malgré qu il soit le plus égyptien des trois poètes. Son égyptianité pourrait être paradoxalement la raison de son absence en arabe. On ne traduisit qu un seule article du poète en 1 et quelques extraits de son journal, disponibles sur le blog du traducteur égyptien Bachīr As-Sibā ī. Revenons à la traduction de la poésie d Andrée Chédid, dont nous allons tirer des exemples illustratifs qui montreront la façon avec laquelle on a traité la création de la poétesse. L un des caractères remarquable de sa poésie est certainement l universalité malgré que la poétesse fut dans le monde arabe l objet d un véritable débat autour de sa triple appartenance [Egypte, Liban, France]. Sans entrer dans les détails des nations et des entités politico-culturelles, Chédid et Henein incarnent un cas de composition de plusieurs cultures en proposant ouverture et dialogue de par leur conception de la poésie entre autres. 403 Maitre de conférence dans une université libanaise. - 254 Ahmed Khalifa La poésie de Chédid est, à l opposé de celle de Joyce Mansour ou de Henein, simple, lisible et témoigne d une clarté prosodique. L éloquence y est bien travaillée et le sens y est extrêmement attaché au rythme et à la rime. Sa poésie doit être placée en dehors des frontières et des nationalismes parce qu elle prend sa source dans l inconscient collectif et dans l histoire de l humanité. Nous ne trouvons pas mieux que ces mots de René Lacôte pour saisir la nature de la poésie chédidienne : « La poésie d'Andrée Chedid est une poésie claire, simple, immédiatement accessible à tous et qui peut sembler pourtant difficile en ce qu'elle rejette les séductions littéraires, tous les artifices de langage qui font écran entre le poète et son poème avant d'épaissir encore l'écran entre le poème et son lecteur. Le langage d'Andrée Chedid n'est pas absolument direct, mais il est dépouillé jusqu'à la transparence, il ne recourt à des métaphores que pour donner force à l'expression, et non pour la recherche d'une beauté plastique. [...] ».404 Claire, simple et immédiatement accessible au lecteur français, la poésie de Chédid le reste-t-elle dans sa version arabe ? Pour répondre à la question, prenons un exemple de la traduction de Charbal Dāghir : ‫ال وا‬ Les mouettes Je te donne trois mouettes La pulpe d un fruit Le goût des jardins sur les choses ‫أع يك ثاث ن‬ ‫أشي ء‬ ‫ئق ع‬ ‫لب ث‬ ‫م ل‬ La verte étoile d un étang Le rire bleu de la barque La froide racine du roseau ‫ء‬ ‫م عخ‬ ‫ن‬ ‫ل قء‬ ‫ل‬ ‫ض‬ ‫ل ب ل‬ ‫ج‬ Je te donne trois mouettes La pulpe d un fruit ‫أع يك ثاث ن‬ ‫لب ث‬ ‫ف بين أص بع‬ ‫ا بين ل غين‬ De l aube entre les doigts De l ombre entre les tempes Je te donne trois mouettes Et le goût de l oubli. Textes pour un poème (1950)405 3 ‫ش ل ت به ض ئع‬ ‫أع يك ثاث ن‬ ‫م ل ي‬ De prime abord, le poème dans la version arabe dépend essentiellement du rapprochement des épithètes telles « ‫ ب‬، ‫قء‬ ،‫ء‬ ‫» خ‬. Les liens entre les vers sont quasiment absents. Le sens même du poème semble naïf et il suffit juste d imaginer que 404 405 LACOTE R., « Andrée Chédid », in Les Lettres Françaises, Paris, 6 mars 1968. CHEDID A., Textes pour un poème 1949-1970, Flammarion, Paris, 1987, p. 43. - 255 Ahmed Khalifa ‫ » ل‬nous pourrions identifier « le goût des jardins seulement dans « les mouettes » « sur les choses » « ‫أشي ء‬ ‫ئق ع‬ ‫م ل‬ ». Ce vers aussi étrange ne semble pas toucher une certaine réalité sauf si nous le pensons comme sujet principal du poème. Dans ce cas « les choses » ne pourraient-ils pas être NOTRE VIE [et ou le réel] et que « le goût des jardins », sert d ornement qui projette des fruits, des arbres, de l eau sur cette V)E pour la rendre plus belle. Ainsi, le premier vers « Je te donne trois mouettes » fait-il obstacle à la compréhension puisque son rapport avec le reste du poème est difficile à envisager. Le « je » [manifesté en français et dissimulé en arabe] n est pas forcément un « je » égocentrique puisque il désigne un rapport avec l autre : « je te donne ». Au niveau de la sonorité et du rythme dans le poème, nous ne remarquons que l effet de la répétition mais le propre du poème réside d ailleurs dans la force des métaphores telles « ‫بين أص بع‬ ‫ « » ف‬De l aube entre les doigts », « ‫غين‬ l ombre entre les tempes », « ‫ل ق ء‬ ‫ل‬ ‫ « » ا بين ل‬De ‫ « » ض‬Le rire bleu de la barque ». Le traducteur aurait donc sacrifié le rythme pour garder ces métaphores. A part l équivalence sonore dans « ‫ء‬ ‫ خ‬،‫ق ء‬ ،‫ » أشي ء‬nous ne constatons pas d autres sonorités similaires même au niveau du rythme interne du poème. La version originale se caractérise, outre la force métaphorique, par une musicalité au niveau interne et au niveau externe. Nous y soulignons un certain respect pour la métrique : le nombre des syllabes est souvent respecté. La fin du poème correspond à son début et tout les deux se lient facilement à la logique aussi bien qu à l oreille : « Je te donne trois mouettes, La pulpe d un fruit,[…] Et le goût de l oubli ». Pourrions-nous dire que Dāghir s efforçait à donner rythme à ces vers même s il s agit d un poème basé sur la sonorité ? L exemple suivant le montrera-t-il ? ‫ه ا ال‬ Ce lieu En ce lieu qui s absente ‫في ه ل‬ ‫ل ي ط ع يك‬ En ce lieu qui te hante ‫ا ح ج لأس‬ Nul besoin de voyage En ce lieu qui t enfante. .‫ك‬ ‫ش ل ت به ض ئع‬ Fraternité de la parole (1976)406 406 ‫في ه ل‬ ‫ل يغيب‬ CHEDID A., Poèmes pour un texte (1970-1991), Flammarion, Paris, 1991, p.92. - 256 Ahmed Khalifa ‫في ه ل‬ ‫ل ي‬ Nous avons gardé la même disposition des mots sur la page et sur la ligne de la même façon qu elle apparait dans la version originale en ayant foi dans l harmonie entre les rythmes, les images et les sonorités qui rend la vraie valeur du poème. Bien que la poétesse ne respecte pas généralement les règles classiques, ce poème incarne ce que les critiques appellent « Le sens de la musicalité des vers et le sens de la formule ». L alliance des mots y est patente et le parallélisme y rejoint les répétitions rythmiques. Les cadences et la mesure syllabique existent dans ce poème mais il ne s agit pas de le généraliser à toute la création poétique de Chédid. La mise en page chez elle est bien signifiante parce que la poésie est avant tout un art où il ne suffit pas seulement d aligner les vers. Ayant forme et rythme d une chanson, le poème perd sa musicalité dans sa forme cible qui est marquée par la démesure syllabique surtout au deuxième hémistiche. La forme distique [deux vers] du poème est bien respecté mais le tétrasyllabique [4 syllabes ex. qui/t en/fan/te] du deuxième hémistiche se perd sans même qu il soit remplacé par une autre. Le nombre des syllabes dans « ‫ي ط‬ ‫ي ك‬ ‫ ل‬،‫يغيب‬ ‫ ل‬،‫ » ع يك‬varie et le seul effet sonore qui reste est celui de la répétition de « ‫ل‬ ‫في ه‬ ‫» ل‬. D ailleurs, la traduction de Dāghir garde bien la qualité de la communication avec l autre chez Chédid. Le respect de la trame du poème semble être une priorité pour le traducteur ainsi que la richesse des mots. Nous donnons un dernier exemple de sa traduction : - 257 Ahmed Khalifa ‫؟‬ Qui reste debout ? D abord Efface ton nom Abolis ton âge Supprime tes lieux Déracine ce que tu sembles ‫م‬ ‫من ي‬ ،‫ب ي‬ ،‫مح س ك‬ ، ‫لغ ع‬ ،‫ب أم ك‬ ‫م ت ع يه‬ ‫ن ج‬ ‫ً؟‬ ‫من ي م‬ Qui reste debout ? Maintenant, Ressaisis ton nom Revêtis ton âge Adopte ta maison Pénètre ta marche . ...‫ثم‬ ،‫ت قف‬ ‫من‬ . ‫ب أ من ج ي‬ Et puis… A n en plus finir Recommence. ، ‫آ‬ ،‫س س ك‬ ، ‫ت ع‬ ،‫ت ين بي ك‬ ‫ن مج في م ي‬ 1 Contre-Chant (1968)407 ‫ش ل ت به ض ئع‬ Voyons donc que la parole dans ce poème n est pas seulement créatrice mais aussi communication avec l autre. La correspondance entre le discours et la forme est signifiante. Dans le poème, nous soulignons une transfiguration du vocabulaire courant et une favorisation des verbes d action. Mais, nous y signalons aussi des associations inhabituelles qui amplifient le sens telles « Revêtis ton âge » ou « Pénètre ta marche ». Ce qui s éprouve c est que les poèmes de Chédid méritent plus d exploration du processus de création puisque c est une constante qu ils transcendent la langue. Revenons à la traduction de Dāghir qui, au niveau du rythme, a gardé nolens volens de la sonorité grâce à l utilisation des adjectifs possessifs dans le texte source. L impératif en arabe crée un arrêt léger dans la lecture grâce au signe Sukūn obligatoire sur la deuxième lettre dans « ‫ ب أ‬،‫ ن مج‬، ‫ ت‬، ‫ س‬، ‫ ن‬، ‫ ب‬،‫ لغ‬،‫» مح‬. Résumons donc qu au niveau du rythme, Dāghir réussit là ou l écriture de Chédid prend ainsi volontiers la forme du dialogue ou du dire rapporté. C est dans cette forme que l arabe rencontre le français au niveau de la tonalité intérieur des poèmes. Au niveau du sens, rien n est perdu sauf quand il s agit des contours, visant de bonne foi une meilleure compréhension, qui rendent le poème dans un autre sens, voire même dans un contre sens. Le fameux « je » de la poésie de Chédid garde son vouloir dire et son vouloir 407 CHEDID A., Textes pour un poème 1949-1970, Flammarion, Paris, 1987, p. 264. - 258 Ahmed Khalifa émouvoir en arabe tout en montrant que Chédid est une poétesse de la différence comme l est d ailleurs le célèbre poète négligé Edmond Jabès. Largement connu et reconnu, célébré et consacré dans le champ littéraire français, Jabès le poète juif égyptien reste jusqu à nos jours inconnu au lecteur arabe à cause de la non-traduction de sa création poétique. Victime de la discrimination, Jabès parut pour la première fois en arabe en 1996 dans le numéro consacré aux écrivains francophones égyptiens de la revue littéraire )bdā . Quelques extraits de l un de ses premiers recueils furent traduits par Bachīr As Sibā ī : il s agit du recueil chansons pour le repas de l ogre -1945. En fut sa deuxième parution en arabe avec la traduction d Ahmed Uthmān d un petit extrait de son œuvre le livre du désert. Nous tirons un exemple de la première traduction, celle de Bachīr As Sibā ī : ‫ئع‬ CHANSON POUR UN JOUR PERDU Le jour est tombé comme un cri mûr. Je n aime pas les cris Le jour est tombé comme un soleil mûr. Je n aime pas la nuit. Ce jour qui brûle dans ma douleur. Le jour est tombé comme un vieil oiseau. Je n aime pas la terre. . Le jour est tombé comme un rêve ancien. Je n aime pas la mer. Ce jour qui meurt dans les regards. ‫ع‬ ‫ك‬ ‫أن ا أحب أ‬ . ‫سط‬ ‫ل‬ .‫ك م ق يم‬ ‫أن ا أحب ل‬ ‫ي‬ ‫ل‬ Le jour est tombé au milieu de la route. Nul ne l a ramassé. Chansons pour le repas de l ogre ‫ل‬ ‫ه ل‬ ‫في ل‬ ‫سط‬ ‫ل‬ ‫سط ل يق‬ . ‫لم ي ه أح‬ 408 ) 3- ( ‫أغ ي‬ ‫أغ ي ل‬ ‫سط‬ ‫ل‬ . ‫ك خ نض‬ ‫أن ا أحب ل خ‬ ‫سط‬ ‫ل‬ ‫ك سنض‬ ‫أن ا أحب ل يل‬ ‫ي‬ ‫ل‬ ‫ه ل‬ ‫في ج ي‬ ‫سط‬ ‫ل‬ ‫ع‬ -1945. Dans ce poème construit de sept strophes composées en tercet et en distique, la mesure syllabique n est pas strictement respectée parce qu il s agit au tout premier plan d un poème en prose mais nous remarquons par exemple que la répétition de « Le jour est tombé », qui revient au début de chaque strophe, est en nombre impair de syllabes [5]. Le reste des vers varie entre hexasyllabique et heptasyllabique. Aucune homophonie ni assonance s accentue à l intérieur d une même strophe mais nous constatons une correspondance phonique dans la totalité du poème, comme celle entre [cris, nuit], 408 )bdā , op.cit., p. . - 259 Ahmed Khalifa [mûr, brûle], [meurt, douleur], [tombé, ramassé] et [terre , mer]. Les harmonies imitatives y sont nombreuses comme l allitération de consonne sonore [m] dans la plupart des strophes et ou rarement celle des consonnes sourdes [t & p]. Les assonances des voyelles participent ainsi dans l harmonie imitative du poème comme dans [mûr, nul, brûle, route, douleur, etc.]. Dans la version arabe du poème nous remarquons aussi un niveau de sonorité tout au long du poème dû, comme nous l avons déjà mentionné, à la répétition des mots. Une répétition largement utilisée dans le poème surtout si nous comptons dans les sept strophes : il y a 5 « ‫س ط‬ ‫ » ل‬et 4 « ‫» أن ا أحب‬. Remarquons aussi par exemple que la correspondance phonique entre « ‫ » ص خ‬et « ‫ » ص خ‬n est pas identique à celle du texte source : « cri, cris ». Le lien entre les phrases est très clair et logique. Les métaphores sont aussi fortes et leur lien sémiotique avec la fin de chaque strophe se trouve facilement ; ex. [le jour = soleil → × nuit], [ le jour = vieil oiseau → × terre], [ le jour = rêve ancien → × mer]. A la fin de cette étude de la traduction de la poésie égyptienne d expression française, nous nous permettons de redire que l apport de ces poètes fut tout d abord lancé par le poète surréaliste )rakien Abdel Qādir Al Janābī, puis par le traducteur égyptien Bachīr As Sibā ī qui se présente comme véritable acteur derrière l existence de cette poésie dans le champ littéraire égyptien et arabe. C est grâce à ses traductions que ces poètes s inscrivent de près ou de loin dans la production intellectuelle arabe. Bien que la poésie de Henein et de Mansour ne soit pas comparable à celle de Chédid, LatifGhattas et Jabès, et que leurs productions ne se regroupent pas dans les mêmes mouvements, ils se réunissent tous sous le dais de la poésie moderne. Une poésie dont la version arabe lutte encore à l intérieur du champ littéraire arabe pour trouver sa légitimité et son autonomie. Ces poètes traduits font appui, apport et parfois preuve de l existence de leurs homologues. L analyse de la traduction de cette poésie n est pas terminée mais au contraire, elle est le début d un nouveau regard sur le domaine de la traduction qui est un champ en crise dans le monde arabe. Le recours à Henein comme maître référent ou celui à Joyce Mansour comme poétesse inspirée a sans doute ses objectifs sains mais nous soulignons l effort de chacun des traducteurs à présenter son poète à sa façon. - 260 Ahmed Khalifa Que la présentation de Henein sous-entende le regret de la perte d un intellectuel expulsé, que les retraductions de Mansour désignent une véritable et sérieuse tentative d un meilleur rapatriement, que les blancs de Mona Latif-Ghattas soient les naufragés du noir des caractères arabes et que les sons de Chédid et Jabès deviennent des mutités, notre but était et restera la description des opérations traduisantes et l observation de ce qu un texte perd lors de son passage d une langue à l autre. - 261 Ahmed Khalifa CHAPITRE II LA TRADUCTION DE LA PROSE - 262 Ahmed Khalifa Nous avons vu dans les chapitres précédents que les liens entre langue et société étaient étroits et que notre interrogation sur ceux-là se devaient être un sans-cesse vaet-vient entre le deux démarches symétriques essentielles de la sociolinguistique : nous avons interrogé la langue à l aide de la société [l étude de paratexte] et interrogé la société à l aide de la langue [l étude de texte]. Nous allons continuer la seconde dans ce chapitre qui concerne l analyse textuelle de la prose traduite. Quand nous disons P ROSE, nous disons toute forme de discours écrit ou oral qui n est dépendante d aucune règle de versification. Cette définition n exclut pas la poésie dont nous venons de faire l analyse dans le chapitre précédent, puisque cette poésie-là, bien qu elle manque de versification, fait forme, intègre des rythmes et harmonise des images, qui entre aussi dans la définition de la POESIE. Bien que l étude sociolinguistique de la poésie traduite ne contienne pas les subtilités de la théorie sociologique de la traduction, elle avance que ses techniques traductives se libèrent de toute soumission à la société. La traduction de la prose doit a contrario obéir et se montrer soumise aux fonctionnements de la communication. Le texte francophone, étant le fruit du plurilinguisme au sein de la société égyptienne, rend cette question de la communication entre texte et société plus importante puisque dans le cas de sa traduction vers l arabe, son retour met en évidence les gestions de ses doubles destinataires [auteur et traducteur] : il s agit de la gestion in vivo plurilingue de l auteur sur le texte source et la gestion in vitro de son traducteur sur le texte cible. Cela n est pas la seule problématique de la traduction des textes francophones romanesques mais se rajoutent d autres problématiques que nous exposerons en détail dans les pages suivantes. - 263 Ahmed Khalifa La conception de la manière de traduire aujourd hui lutte contre toute tendance ethnocentrique au nom du maintien de la singularité créative et prône la réalisation de textes rationnels, homogènes, claires et ennoblis. C est dans ce sens que tout texte traduit se doit de faire attention à ses petites unités de traduction dont l unité culturelle (la restitution dosée du culturel et du stylistique du texte source) qui prend en charge la présentation homologue des effets de narration, l atmosphère historique, les coutumes sociales, les personnages, l authenticité des dialogues et des descriptions. Cette demande n est pas impossible selon le point de vue des théoriciens qui exigent, pour la traduction littéraire, une sorte de créativité raisonnée intégrant à la fois deux composantes : linguistique et extralinguistique. Ces composantes linguistique et extralinguistique seront les deux axes sur lesquels notre approche suivante va se baser. Approche qui n a aucune autre prétention que celle d envisager en quoi consiste une traduction d un texte francophone. Comment se compose la notion de l étrangeté du familier ? Et pourquoi faut-il penser une nouvelle stratégie particulière à la traduction de ce genre des textes : celle que nous préférons appeler la stratégie rapatriante ? Nous nous sommes permis, dans ce point de recherche, de ne pas nous agréger au même style d expositions théoriques soutenu ab initio dans cette thèse; celui consistant à propulser nos exposés par les citations des théoriciens. Cela est soutenable pour deux raisons : d abord, parce que dans l abondance des théories de la traduction, une présentation de ce qui correspond à notre sujet de recherche nous paraît inabordable dans ces quelques pages et nous éloignera de notre but essentiel, celui de la présentation de la particularité de la traduction des textes francophones ; puis, car cette particularité ne fut pas discutée que dans de très peu d études linguistiques et se présente toujours sous une forme d ébauches compendieusement informatrices. Au préalable, les caractères essentiels d un texte francophone romanesque égyptien se résument généralement dans les points suivants :  La thématique de l étrange : c est-à-dire l espace culturellement étranger à la langue d écriture de l écrivain dans laquelle se compose le texte narratif qui évolue en dénombrant des détails ethnographiques propres à cette espace. Le pittoresque des personnages se caractérise par une ambiance de différences - 264 Ahmed Khalifa historiques et géographiques. Une ambiance exotique est produite par l évocation de saveurs, de coutumes et traditions locales ;une ambiance irritée, par les crises identitaires [les textes de Jabès], les croyances religieuses [les textes d Out El Kouloub], les relations intercommunautaires [les textes de Fawzia Assaad] et les conflits idéologiques [les textes de Georges Henein].  Le mélange de techniques narratives qui se compose de récit, discours direct et indirect et monologue dans la même œuvre [les textes de Cossery].  La langue influencée par la présence d une autre langue souterraine qui remet l identité culturelle du texte en avant de la scène : il s agit de la langue arabe [ou plutôt du dialectal égyptien] qui est mise au jour dans les traductions calquées des propos des personnages. Cela vise à produire un double effet : suggérer un certain langage original des personnages tout en créant une sorte de vraisemblance culturelle d une part et, insérer des éléments et des caractères exogènes d autre part ; ceux-ci éloignent le texte des normes endogènes au sein du champ d accueil et lui assurent une certaine autonomie littéraire. Les textes d Albert Cossery et d Out El Kouloub en sont d illustres exemples.  La libération des règles syntaxiques et lexicales pour interpeller la culture d origine qui assure au texte son authenticité. Ces caractères essentiels du texte francophone deviennent problématiques lors de sa traduction vers la langue arabe. Tous ces caractères sont censés disparaître puisque le texte fait retour à sa culture d origine. L opération traductive de cette littérature fut diversement appelée « rapatriement », « récupération », « captation » de l héritage littéraire. Pourtant, dès lors que l opération traductive ne peut prendre en considération ces caractères, le texte francophone traduit prend le risque d être remis dans le domaine de la littérature étrangère, comme il l était dans le champ français. Cela le condamne à être étranger à jamais. De ce point de vue, l accueil favorable du texte dans sa culture d origine se devait être inéluctable. En effet, le public arabophone est bel et bien conscient que la traduction de la littérature francophone lui fait découvrir des textes qui ne sont pas écrits à l origine dans la même langue. Ce qui le rend [le public] plus attentif à la médiation du traducteur et à son aménagement. Cela est l argumentum ad crumenam qui se tient derrière les attaques sévères et que nous avons montrées auparavant, à l égard des traducteurs de cette littérature dans le monde arabe. - 265 Ahmed Khalifa Ces attaques visent dans leur majorité la mauvaise récupération des textes qui acquièrent, du fait du traducteur, une certaine étrangeté du familier qui est, une nouvelle conception dont nous sentons la nécessité de déployer ici. En effet, le familier (i.e. les données socioculturelles et sociolinguistiques) pris dans une autre langue sous une forme hybride doit passer par deux étapes lors de sa traduction vers la langue arabe : la première étape consiste à opérer une traduction intralinguale409 qui enlève l arabe de son habillage français, puis une deuxième étape d opération traduisante interlinguale410 qui détermine l appropriation linguistique et culturelle dans la langue cible. Le concept désigne aussi une étrangeté provenant de la déstabilisation des rapports d altérité causée par la nature francophone qui présume la présence d une culture différente dans le texte original. A ce point, celui qui ramènera ce texte à la langue mère de l écrivain se trouvera devant des codes familiers mais en même temps étranges parce qu ils sont écrits en une autre langue. De ce fait, l étrangeté du familier pourrait être un concept à double face : celle ressentie par le traducteur devant le texte source et qu il essaye d effacer s il est conscient de cette étrangeté et celle, ressentie par le lecteur devant le texte traduit si le traducteur en fut inconscient et produisit un texte hybride de la même manière qu il traduit toute œuvre étrangère. L hybridité cette fois est évoquée du côté du lecteur. En effet, chaque traducteur doit, devant un texte francophone, neutraliser cette influence du bilinguisme et supprimer toute caractéristique de la littéralité de l œuvre. )l doit enlever cette hybridation du texte source et l apporte à son texte tout en mobilisant les potentialités expressives de l auteur pour que ce texte traduit soit vraisemblable aux productions natives du champ récepteur. L hybridité expressive du texte source doit donc disparaitre dans le texte traduit et, toute prétention de rendre possible la reproduction de cette hybridité nous paraît impossible. Même avec la déclaration de Dima Al Husseini dans son étude L exotisme du retour aux sources411 où elle déclare avoir réussi à recréer de l effet exotique dans la traduction. Ceci nous semble, à notre point de vue et sans aucune dépréciation, une escroquerie intellectuelle. Comment pourrions-nous, en dévoilant la réalité bilingue de texte, transférer l exotisme ou même recréer du nouveau dans la La traduction intralinguale ou reformulation, qui consiste en l interprétation des signes linguistiques au moyen d autres signes de la même langue. 410 La traduction interlinguale ou traduction proprement dite, qui consiste en l interprétation des signes linguistiques au moyen d autres signes d une autre langue. 411 Nous avons exposé cet article dans l étude des autocommentaires des traducteurs. 409 - 266 Ahmed Khalifa culture d origine ? Faut-il parler encore du risque d émousser l hybridité textuelle et culturelle dans une traduction d un texte francophone vers sa culture d origine ? Ce qui doit être pris en compte, c est retrouver l identité de l œuvre qui se manifeste dans les vocables, les tournures et les figements. Nous n aurions pas pour résultat un texte qui a perdu le cap mais au contraire, un texte qui retrouve sa bonne direction. Toute négligence de cette tentative risque de produire une ré-énonciation mal identifiée, voire non identifiée. Bien sûr, le texte traduit perdra l apport, littéraire ou non, de l exotique, mais nous ne pouvons pas non plus suggérer à la place des réexpressions brumeuses et pacifiées, des imprécisions lexicales ou des dislocations syntaxiques. L exemple des lieux et des personnages non fictifs est illustratif pour ce postulat ; si ceux-ci sont familiers au traducteur au moment de la traduction, ne serait-il pas mieux de les décrire et de les faire parler d une façon à certifier leur profil identitaire ? c est-à-dire mettre dans les bouches des personnages des propos que le lecteur arabe peut reconnaître. Cela aidera le traducteur à redécouvrir les idiosyncrasies de sa propre culture. A travers cette réconciliation, la déchirure de l exil et la parole expatriée s aménagent pour consolider les retrouvailles entre l auteur francophone et son lecteur [compatriote] arabophone. Cette opération traduisante de la réconciliation sera appelée dorénavant la stratégie rapatriante. Celle-là désigne l acte réducteur, voire effaceur de l altérité du texte source. Cela ne doit pas être considéré comme un acte ethnocentrique mais bien au contraire, il s apparente à l effort conscient de la part du traducteur de dévoiler aux lecteurs arabes la créativité de l auteur. )l ne s agit pas non plus d assimiler complètement l œuvre sans tenir en compte la singularité créative qui ne se base pas seulement sur l exotique. Cette préconisation pourrait paraître injuste et despotique pour certains traductologues qui déploreront la disparition du singulier du texte source comme la polyphonie textuelle, l oralisation des discours et des monologues intérieurs, l expressivité stylistique, la langue métissée, la thématique différenciée de la langue qui l entoure, etc. A part cela, diront-ils, que restera-t-il du texte ? Et nous n avons qu à leur retourner la question en leur demandant comment faut-il donc garder ces riches ingrédients ? Comment faire pour redonner à ce texte dans sa version traduite les mêmes déclinaisons ? De notre point de vue, la traduction des textes francophones pourrait enlever une éthique particulière qui est sans aucun doute différente de celle - 267 Ahmed Khalifa dans les traductions ordinaires. La solution en est d ailleurs la poéticité412. Nous demandons juste un parcours plus long que d ordinaire en exigeant du traducteur du texte francophone de quitter le texte de surface et aller à la découverte du texte latent sans anéantir la signifiance originale. Puis, de ré-exprimer l exotique dans son idiome en restant assez lucide pour ne pas revêtir les mots de sa propre conception de la réalité des choses. Et même si cela arrive, ce n est pas si scandaleux puisque tout traducteur, on l a prouvé, use de sa propre langue lorsqu il traduit des textes différents. )l est bien connu que chaque traducteur possède sa propre conception de la littérarité textuelle, mais ce qui nous intéresse est qu il sache arriver enfin à passer l œuvre à travers la barrière des langues. Enfin, notre approche de la traduction du texte francophone pourrait avoir comme finalité de proposer au traducteur quelques préceptes pour lui permettre de mieux restituer en partie ou en totalité l héritage littéraire de ses compatriotes francophones. Ces préceptes ne sont nullement limitatifs ni totalement novateurs ; ils ne constituent qu un point de départ pour les futures entreprises de traduction de ces écrivains. )ls demandent, nous l avouons, à être développés et nuancés. Nous avons juste essayé de cerner au préalable l objectif que chercherait à atteindre la traduction de tels textes. 412 Poéticité et éthicité sont deux termes revenant à Antoine Berman qui les définit : La poéticité d une traduction réside en ce que le traducteur a réalisé un véritable travail textuel, a fait texte, en correspondance avec la textualité de l original. L éthicité, elle réside dans le respect, ou plutôt dans un certain respect de l original - 268 Ahmed Khalifa 1 Fawzia Assaad : De la soumission à l’imposition Romancière de la deuxième génération francophone égyptienne. Fawzia Mikhaïl, est née au Caire et vit actuellement à Genève. Elle obtint sa thèse ès Lettres de l Université de la Sorbonne puis regagna le Caire pour enseigner la philosophie à l Université de Ain Shams. Quelque temps après, elle démissionna de son poste pour accompagner son mari le docteur Fakhry Assaad, médecin à l Organisation Mondiale de la Santé, dans ses déplacements. Elle publia en 1975 son premier roman l Egyptienne, édité au Mercure de France à Paris. Ses romans, qu elle ne préfère pas appeler comme tels, se succèdent : Des Enfants et des Chats(1987), La Grande Maison de Louxor (1992), HATSHEPSOUT Femme Pharaon (2000), Ahlam et les Eboueurs du Caire (2004). L écrivain publia aussi entre-temps des études spécialisées en philosophie et psychanalyse telles Les Préfigurations Egyptiennes de la Pensée de Nietzsche (1986) et Freud et les Mythes Egyptiens, dans Mythes et Psychanalyse (1997). Sa création romanesque, dont la traduction est l objet de cette étude, traite de la complexité de la société égyptienne. Ses romans sont de nature très personnelle et très informée qui, à travers les coutumes, les croyances, les superstitions, la politique et l humour, nous font découvrir les relations entre les musulmans et les chrétiens d Egypte. )ls témoignent d une continuité de l identité égyptienne toujours persistante depuis l antiquité pharaonique jusqu aujourd hui. Fawzia Assaad fut couronnée deux fois par le prix de la Société des Ecrivains de Genève. Très engagée dans deux projets à la fois : littéraire et social, elle fait partie des comités d organisation et de sélection d une Résidence d Ecrivains au Château de Lavigny en Suisse et représente le PEN International à la Commission des Droits de L (omme pour la défense de la liberté d expression. Egalement très active, elle entretient une relation assidue avec son pays natal et joue un rôle très important dans la traduction des ses œuvres vers sa langue maternelle. En , fut traduit en arabe et publié son premier roman l Egyptienne, édité chez Dar Al (ilāl au Caire. Puis, consécutivement en 2002 et 2003 on publia la traduction de deux autres romans : il s agit de HATSHEPSOUT Femme Pharaon et La Grande Maison de Louxor. Deux romans parus dans les publications du Centre Nationale de la Traduction qui publia aussi la traduction de son dernier roman Ahlam et les Eboueurs du Caire en 2008. - 269 Ahmed Khalifa Notre analyse textuelle des traductions des romans de Fawzia Assaad va s attacher à la stratégie rapatriante de ses quatre traducteurs qui, chacun selon sa conception, présenta l écrivaine au lecteur arabe. 1.1 Stratégie rapatriante ou soumission prescrite. La première traduction appartient à Ahmed Uthmān, le premier introducteur de Fawzia Assaad dans le monde arabe. )l ne s agit pas d une découverte de l écrivaine mais d une demande de la traduire en arabe provenant de l éditeur qui entretenait à ce moment-là une bonne relation avec l écrivaine elle-même. Parue dans la collection de Ruwāyāt Al (ilāl, la traduction fut introduite au lecteur arabe par l écrivaine elle-même qui préfaça son œuvre en insistant sur quelques thèmes importants dans l œuvre comme l égyptianité et l actualité par exemple. Le texte est bien traduit dans sa majorité mais il manque à nos yeux d une stratégie rapatriante fixe et respectée tout au long de l œuvre. Quand nous parlons d une stratégie rapatriante, nous pensons non seulement à celle des passages de narration mais aussi bien des dialogues et des données socioculturelles. Le traducteur a réussi en général le rapatriement des dialogues en faisant parler les personnages et mettant dans leurs bouches des propos en égyptien dialectal. Ce qui n est pas forcément son apport personnel car il revient peut-être au réviseur et ou à l éditeur. Mais quelques fois, on trouve des propos inappropriés chez les personnages, l exemple suivant le montre : )ls aiment se souvenir de cette terre d o‘ ils sortent. — Je viens du Saïd, dit Hussein. — Je suis une Saïdeya, dit Laïla. — Crache ce mot de ta bouche ! s indigne une dame vêtue de noir. — Mais, risposte Laïla interloquée, mon père vient de Hour ! — Dis que tu possèdes quelques arpents de « boue » au Saïd, gémit la dame en se frappant la poitrine, mais ne dis pas que tu es une Saïdeya. Avec ton intelligence ! Ta culture !413 L Egyptienne, p. 33. . ! ‫ ب ك ئك ! ث ف ك‬، ‫ ل ن ا ت لي نك ص ي ي‬، ‫ي‬ 413 ‫ي س‬ ‫م‬ :‫ ق ح ين‬. ‫ل ي خ ج م‬ ‫تك ه أ‬ . ‫ أن ص ي‬. ‫ أن ص ي ي‬: ‫لي‬ : ‫بل‬ ‫ق لت سي م‬ ! ‫من ف ك‬ ‫ ب يه ل‬! ‫ ل ن أبي ج ء من ح‬: ‫ت لي م ت‬ ‫ ق لي نك ت ين أ ي ن في ل‬: ‫ص ه بي ه‬ ‫ق لت ل أ في ألم هي ت‬ ASSAAD F., L Egyptienne, Mercure de France, Paris, 1975. - 270 Ahmed Khalifa ‫ي‬ Dans le dialogue précédent nous remarquons que le traducteur n a pas fait attention aux niveaux de langue parlée des personnages. Surtout en ce qui concerne les paroles de la femme vêtue de noir qui est une paysanne de Haute-Egypte. Le traducteur a mis dans sa bouche des paroles de l arabe littéraire alors qu elle est censée parler le dialectal, tout particulièrement dans l énoncé « Crache ce mot de ta bouche ! » qui correspond ou plutôt vient d un expression égyptienne connue : « ‫ » ت ي من ب ك‬mais peutêtre l éditeur ou le traducteur pensait que cette expression serait vulgaire et donc comme résultat, nous avons une femme non instruite, paysanne, habillée en noir, qui s exprime en arabe littéraire «‫من ف ك‬ ‫ل‬ ‫يه‬ ‫» أب‬. Une telle expression mal rapatriée est immédiatement remarquée par le lecteur arabe [et surtout l égyptien] qui rapatrie lui-même l expression de l arabe littéraire vers le dialectal. Le niveau de la langue se maintient tout au long du dialogue sauf à la fin où nous remarquons un bon rapatriement des détours et des tournures exercé sur la phrase française, inspirée sans doute du dialecte égyptien, telle « mais ne dis pas que tu es une Saïdeya. Avec ton intelligence ! Ta culture ! » . Ainsi, la faute de frappe concernant « risposte » dans le texte source a peut-être obligé le traducteur à deviner qu il s agit de « répondre », ce qui ne l éloigne pas du sens mais soulignons qu il s agit du verbe « riposter » qui est défini strictement par répondre vivement et immédiatement par des paroles ou par des actes à une attaque verbale ou physique. D ailleurs et dans le même sens, nous remarquons une sérieuse perturbation au niveau de la récupération des dialogues. En voulant mettre du dialectal dans la bouche des personnages, le traducteur ne se rend pas compte de certains idiomes utilisés dans sa propre société, voici un autre exemple : Tard dans la nuit, ils dansent. )ls se sentent chez eux. Pour souper, ils commandent un plat d énormes crevettes. A la sortie se tient un vieux nain qui ressemble à Khamis ou au Dieu Bès, sa longue robe gonflée par le vent de la mer, les bras chargés de colliers de jasmin. — Porte-nous bonheur, vieil oncle, lui disent-ils. — Donnez-moi ce que Dieu vous a donné, psalmodie le nain. Il vous en accordera davantage. L Egyptienne, p. ‫يل‬ ‫ ج به ل‬،‫ي ه خ يس أ إله بيس‬ ‫ي س‬ ‫م‬ ‫ي با ق م ع‬ . ‫ ع خ ج‬.‫ل ء‬ ‫من ل‬ ‫ ي‬.‫ل قت م خ من ل يل‬ ‫ي ق‬ .‫ ب ك ي عم‬:‫ ي ا له‬.‫لي س ين‬ ‫ب‬ ‫ي م‬ ‫من يح ل‬ ‫م‬ .‫ ه ي ي م ل ض‬،‫ ني من ل ي كم ه‬: ‫ق ل‬ Nous voyons que le désir d égyptianiser la parole du vendeur ambulant a mené le traducteur à commettre un faux-sens en traduisant « Il vous accordera davantage » par - 271 Ahmed Khalifa « ‫ » ه ي ي م ل ض‬Que Dieu vous garde l un pour l autre . Ce qui nous intéresse plutôt dans cet exemple c est la traduction de « Donnez-moi ce que Dieu vous a donné » par « ‫كم ه‬ ‫ني من ل ي‬ » qui n est pas très courant dans la bouche des Egyptiens qui ‫أع ي م‬ s expriment dans une situation pareille par une phrase de l arabe classique « ‫ه‬ ‫ » أع‬une phrase fréquente que l on entend partout, avec une certaine mélodie, dans la bouche des vendeurs et des mendiants de la rue. Ce que dénote aussi le verbe « psalmodier » qui fait référence aux chants et aux récitations dans les églises juives ou chrétiennes. De ce fait, ce oscillement des dialogues s insinue fortement dans l esprit du lecteur, oscillement qui n est pas le seul défaut des traductions des textes métis comme celui-ci. Signalons aussi dans l exemple précédent l omission d une phrase entière « Ils se sentent chez eux » et la fausse traduction de « psalmodie le nain » par « ‫ل‬ ‫( » ق‬le vieux a dit). D ailleurs, nous avons remarqué un certain agir sur le texte traduit provenant certainement de tics langagiers du traducteur, allant même contre la logique du texte et contre « l identité » de son auteur. Sachant que l écrivaine est une chrétienne, le traducteur [et ou le réviseur-éditeur] n hésite pas à rajouter toute une phrase répandue sur les bouches des croyants de la religion musulmane, énoncée après chaque mention du prophète de l islam ou de son prénom ; il s agit de la phrase « Que la bénédiction et la paix soient sur lui », voyons l exemple : Depuis quelque temps déjà, on circule à nouveau dans des rues obscurcies. La guerre est prévue pour l anniversaire du Prophète ou pour le moment propice. Les espoirs de paix négociée sont morts. Les Israéliens sont puissants ; ils ont besoin des terres qu ils occupent. L Egyptienne, p. 233. ‫ م تت‬. ‫ل س‬ 1 ‫ي س‬ ‫ه ع يه س م) أ في ل‬ ‫م‬ ‫ في م ل ل ي (ص‬، ‫ل‬ ‫ل بي اح ي ي ل‬ ‫ ت‬، ‫م‬ ‫ ل‬، ‫م أخ‬ .‫ا ي ل في ح ج ل ي من أ ضي‬.‫ إس ئي ي أق ي ء‬.‫آم ل ا ات قي‬ La phrase « Depuis quelque temps déjà, on circule » n est pas traduite et l énoncé fut agressivement anéanti Mais ce qui intéressant dans l exemple est, comme nous l avons déjà mentionné, l ajout entre parenthèses de la phrase « ‫ه ع يه س م‬ ‫ » ص‬après le mot « Prophète » ; ce qui n existe pas, comme nous le voyons, dans le texte source. Cette phrase donne un certain effet d islamisation du discours d une écrivaine chrétienne. De plus, la suppression dans la première phrase est suivie d une clarification non justifiée dans la deuxième où nous remarquons la traduction de « La guerre est prévue » par « ‫ل‬ ‫اح ي ي ل‬ ‫ل بي‬ ‫( » ت‬ils ont pris les mesures de précaution contre la - 272 Ahmed Khalifa guerre attendue. Une reprise du texte traduit en français pourrait mieux aider à aborder toute notre analyse de cet exemple : Depuis quelque temps déjà, on circule à nouveau dans des rues obscurcies. La guerre est prévue pour l anniversaire du Prophète ou pour le moment propice. Les espoirs de paix négociée sont morts. Les Israéliens sont puissants ; ils ont besoin des terres qu ils occupent. Encore une fois, les rues sont obscurcies, ils ont pris les mesures de précaution contre la guerre attendue, à l anniversaire du Prophète Bénédiction et paix soient sur lui) ou au bon moment. Les espoirs de la paix conventionnelle sont morts. Les Israéliens sont forts. Ils ont encore besoin de plus de terres. L agir sur le texte n est pas seulement réduit aux clarifications et aux suppressions de nature lexico-sémantique, il met fin aussi à l existence des passages entiers en exerçant une activité de censure, soi-disant légitimée et officielle, souvent pratiquée par l éditeur et visant les œuvres traduites plus que les œuvres originales dans un champ littéraire donné. Ayant certainement pour but de respecter les conditions socioreligieuses, l éditeur [ou le traducteur] a ressenti le besoin d effacer la seconde moitié d un passage décrivant la scène des célèbres funérailles du président Nasser :  La rumeur populaire raconta que les égouts débordèrent près de son mausolée, et que son corps en fut souillé. Mais la nouvelle fut démentie. Une autre rumeur voulait que dans sa tombe deux anges fussent allés lui rendre visite : Munkar et Nakir. )ls l interrogèrent sur le Prophète. Le mort dit : — Le Prophète, le Pasteur, se fit berger de son peuple. — Et toi, lui demandèrent Munkar et Nakir. L Egyptienne, p. 6 . Voyons donc pour quelles raisons s opère ici la censure ; il s agit de rumeurs populaires qui circulaient sur Nasser après son décès, spécialement celle qui prédisait ironiquement la réponse du Président à l interrogation des deux anges, Munkar et Nakir414. Nous constatons, dans cette traduction du roman d Assaad, la suppression de tous les passages de tel thème touchant la religion musulmane. Sur le plan de la récupération des mots exotiques contenus dans le texte source, ils furent dans leur majorité bien rapatriés vers leur culture d origine : tels ghorza (repaire des fumeurs de haschisch), haschaschin (les fumeurs de haschisch), boab (portier), zagharits (cris de joie envoyés par les femmes dans les mariages), nabbout, doctorah, dabka, iftar, etc. cependant ce dernier extrait offre un cas particulier : Dans la foi musulmane, Munkar et Nakir sont les deux anges chargés d interroger tout homme [musulman ou non] après sa mort, très peu de temps après son enterrement, sur son Dieu, sa religion, son prophète, son livre, son vécu et son argent. 414 - 273 Ahmed Khalifa Les femmes entouraient la poupée de sucre. Deux d entre elles étaient particulièrement fières : la dallalah, qui avait négocié la dot, et la ballamah, qui avait baigné, poudré la mariée[…]. L Egyptienne, p. 1 . ‫ ل ان « ل ي ح ت‬، 7 ‫ي س‬ ‫ل‬ ‫« ل ي ت ضت ع‬ ‫ »ل‬: ‫ت‬ ‫ف‬ ‫م‬ ‫م‬ ‫ ث‬.« ‫ل ل ل ا‬ […]‫حيق‬ ‫»ع‬ ‫بل‬ ‫ح‬ ‫ت ف ل‬ ‫ت جه ل‬ Ici, est très sensible la résistance contre un simple retour du mot « dallalah » en arabe soit « ‫ » ل اله‬qui fut traduit par un autre synonyme « ‫» ل‬. Nous ne pouvons pas comprendre de raison forte derrière ce choix sauf peut-être que le premier mot fut ressenti comme vulgaire de la part du traducteur, voire même insultant, comme il peut l être dans quelques villes égyptiennes. Signalons en dernier lieu une petite intervention à propos du texte source. Sachant qu il arrive qu un écrivain francophone peut se traduire lui-même de sa langue parlée à sa langue d écriture, Fawzia Assaad a mentionné le mot « dot » dans l extrait précédent ; un mot qui signifie en français et pour les Français « Le bien qu apporte une femme en se mariant » et se définit juridiquement sous le régime dotal comme «Biens apportés par la femme, qui sont inaliénables et insaisissables et soumis à l'administration du mari 415». Balzac écrivit « Il voulait [Daguenet] être pratique, il épouserait une grosse dot et finirait préfet » (Zola, Nana, 1880, p. 1266)416. Le mot arabe « ‫ » ل‬signifie « le don, selon les prescriptions de l islam, que l époux doit faire à l épouse ». Ce don serait une forme d appréciation et permettrait d offrir certaines garanties à la femme. Nous voyons donc que la signification des deux mots s oppose et c est peut-être parce que l écrivaine ne trouva pas d équivalent dynamique en français pour ce qu elle voulait indiquer. En 2002 fut publiée la traduction de HATSHEPSOUT Femme Pharaon (2000). Nous pouvons dire que c est cette traduction qui a permis une meilleure connaissance de l écrivaine par son lectorat arabe. Grâce au thème intéressant de l œuvre et à la compétence du traducteur Māhir G”waygātī, connu par ses études approfondies en égyptologie, l œuvre d Assaad fut mieux présentée et mieux reçue que sa précédente. La traduction de cette œuvre fut propulsée par les notes du traducteur qui corrigea des informations erronées ou rajouta des explications. Très nombreuses, les notes de G”waygātī enrichissent le texte traduit dans le but de fournir au lecteur toute Centre National de http://www.cnrtl.fr/definition/dot 416 Ibid. 415 Ressources Textuelles - 274 Ahmed Khalifa et Lexicales : site internet : information nécessaire et utile à la bonne compréhension. Nous remarquons que les notes figurent quand il s agit d un passage difficile à restituer naturellement dans la langue arabe sans s éloigner a priori du sens original. Les notes du traducteur, considérées comme un aveu d échec pour certains traductologues, furent directement placées en bas de pages alors que celles du texte original, qui comptent 355 notes, gardent leur place à la fin du livre. Comme fut d ailleurs l ordre du livre en français. L intervention du traducteur est tellement prépondérante dans l œuvre que l on peut trouver notes explicatives insérées dans l espace de sévèrement la lecture. L exemple suivant le montre : lignes qui en interrompent Senenmout avait commencé la construction du temple de Deir-el-Bahari, s inspirant de celui de Mentouhoteb. Elle y consacre une chapelle du culte au roi Thoutmosis I : la chapelle d Anubis qui fera pendant à celle de Hathor, Hathor, la mère nourricière. Elle la nommera la chambre d Aakheperkaré quand il reçoit le vent du nord . Le vent du nord est le vent de vie.417 HATSHEPSOUT Femme Pharaon, p. 116. ‫إق م ل ئ من‬ ‫م‬ ‫ س ف ت ق ع ي‬. ‫ل بي‬ ‫ت في ل‬ ‫ خ‬،)*(« ‫ق س ح من م »م ن ح تب‬ ‫لي ل‬ ‫ك »س ن م « ق ب أ ت يي م‬ ‫ أ ل ض‬،« ‫هي ل »ح‬ ‫هي ل» أن بيس« ل ث ل‬ ‫ هي م‬: ‫أجل» ت ت س« أ‬ .)****( ‫هي يح ل ي‬ ‫ يح ل‬، « ‫«(***)ع م ي ل يح ل‬ ‫»ع خ ك‬ ‫سم »ح‬ —————— )**( )‫جم‬ ‫س‬ ‫ل أ ل ع‬ ‫(ل‬. ‫ح‬ ‫ل‬ ‫ من ج‬، )‫جم‬ ‫ح‬ ‫ ( ل‬.‫بي‬ ‫م‬ ‫ لم ي ق م ه ا ال ي‬. ‫أس ل ي ع‬ ‫في ل م ل‬ ‫ح‬ ‫ في حين ت ع م‬، ‫لي من ل‬ )‫ ( ل جم‬. ‫ل ج ين ل ي ل‬ )‫ ( ل جم‬. ‫يح ح‬ ‫أصل اش قي ل ي‬ ‫م ن ح تب أ من م‬ ‫أن بيس في ل م ل‬ ‫ب همك‬، ‫ت س أ‬ ‫احظ في ل غ ل بي أ‬ ‫ي‬ ‫(*) ب ل‬ ‫(**) ت ع م‬ ‫(***) ل ب ت‬ ‫(****) من ل‬ Les notes du traducteur sont présentes donc ici pour plus de détermination : il s agit de Mentouhoteb [le premier], de la chapelle d Anubis [à la section Nord du temple] et celle de (athour [ à la section Sud] et, de l indication qu Aakheperkaré est un surnom de Thoutmosis ). La quatrième note est une remarque sur l origine étymologique unique de deux mots arabe « » (esprit) et « ‫ » يح‬vent . G”waygātī est souvent fidèle et précis dans ses traductions et quand il sent le besoin d intervenir dans le texte, il le fait via des notes et cela explique leur surabondance plus ou moins bien jugée de notre part. Cela peut être interprété autrement si nous prenons en compte que G”waygātī possède une longue expérience de traduction d ouvrages d égyptologie scientifique, ce qui lui a permis de transposer son « éthos » de traducteur spécialisé en égyptologie dans la traduction romanesque. ASSAAD F., Hatshepsout , femme pharaon: biographie mythique, Editions Paul Geuthner , Paris, 2000. 417 - 275 Ahmed Khalifa 1.2 Trucages orthographiques : effet de prononciation Grâce à la traduction de G”waygātī, le Projet National de la Traduction, appelé aujourd hui le Centre National de la Traduction, s intéressa à l écrivaine et reprit en charge en la publication de la traduction d une troisième œuvre : il s agit de La grande Maison de Louxor . Cette fois, la traductrice est Mona Jean Qattān, actrice de cinéma assez ignorée et seconde femme du célèbre poète égyptien Salah Jāhīn. Le texte traduit est quasiment juste au niveau du rapatriement sauf quelques omissions et quelques interventions non adéquates au niveau de la linguistique concernant l écriture du langage utilisé par les habitants du sud égyptien. Voulant rendre l accent des gens du sud, la traductrice introduit quelques changements dans l écriture de certains vocables des dialogues en remplaçant surtout la lettre « » par « » pour souligner la prononciation particulière des paysans égyptiens en général, pas seulement ceux du Sud. Ce remplacement produit en effet de la confusion [linguistique et lexicale] dans l esprit du lecteur qui n est pas habitué à ce mode d écriture parce que même dans les œuvres des écrivains égyptiens arabophones, les dialogues ne sont pas écrits de telle manière418. Que le remplacement soit vu positif ou négatif, nous constatons sans doute les confusions prévues lors de la lecture des mots tels que « ‫» ج يت‬, « ‫» ج‬, « ‫ » ف‬etc. dont la signification est bien évidemment nébuleuse. Ayant sens dans l arabe, les mots précédents signifient, selon l ordre, « j ai couru », « il a parcouru », « troupe »), tandis qu ils sont utilisés dans le texte traduit pour désigner « j ai lu », « il a dit », « au dessus »). Bien que le lecteur restitue rapidement le vouloir dire et émouvoir de la traductrice, une écriture des dialogues de cette façon demeure hors usage jusqu à nos jours. Nous montrons par l extrait ci-dessous le procédé de la traductrice : Ayant déjà vu ce genre de choix de transcription dans des écrits légers tels ( presse, internet, etc.) pour rendre le parler du sud égyptien, Richard Jacquemond déclare que ce n est pas forcément l invention de la traductrice Mona Qattān en mettant l accent sur le fait que la traductrice l utilise dans une traduction d un roman, là o‘ on attend davantage du respect de la norme orthographique. Et même s il est vrai que cela peut induire le lecteur en erreur, Jacquemond continue, on s y habitue rapidement. 418 - 276 Ahmed Khalifa Les soldats de la dame riche ont voulu refouler Abou El-Heggag. Lui, a fait appel aux bons sentiments. – Dites à votre Dame que je suis un pauvre homme et que la terre appartient à tout le monde. Qu elle me donne la surface d une couverture de chameau. La grande maison de Louxor, p. 21. . 1 ‫ل ي س‬ ‫بيت أق‬ . ‫م ل إح‬ ‫ل هخ بع‬. ‫ه ق‬ .‫ كل ل ي ل ه ب ص ف من ب ل ل‬. ‫ل ل ل‬ ‫أ‬ ‫ج ل ي ل ي أبي ل‬ ‫ت‬ ‫ ج ل ل ت أني جل ف ي‬- Nous voyons donc comment l accent du Sud est rendu dans l écrit par cette transformation de la lettre « » en « ». Le « » doit être prononcée à l égyptienne pour que les mots se réactualisent en dialectal dans l esprit du lecteur. Ainsi, la tentative de la traductrice pourrait être considérée innovatrice mais il faudrait, de notre point de vue, une élaboration de tout un nouveau système phonétique arabe nous proposant les caractères qui transcrivent les différences articulatoires de chacun des dialectes arabes, et puis voir ce qu il en sortirait. Et si la traductrice avait bien réussi à transmettre un seul son en s opposant aux normes, elle aurait du respecter son entreprise de transcription jusqu à la fin et nous donner un système cohérent puisque dans l exemple précédent, la lettre « » qui remplace une autre ne se fait pas remplacer quand elle est originaire du mot « ‫ » جل‬et « ‫» ج ل‬. Un homme du Sud égyptien ne prononce pas « ‫» ف ي‬ et « ‫ » ج ل‬de la même façon et donc, cette lettre aurait besoin, elle aussi, d être remplacée par une autre ! ou de subir un rajout de trois points en bas comme il se fait dans certains modes d écriture en Egypte pour désigner le son « ja ». Cet effet d accent rendu dans les dialogues se reproduit dans la dernière traduction parue de Fawzia Assaad, Ahlam et les Eboueurs du Caire (2004) [trad. 2008] où la traductrice Dima Al Husseini réactualise le procédé de Mona Qa ān : - 277 Ahmed Khalifa Non, a dit Ahlam, il faut que les sœurs signent, autrement, les frères les dévoreront et elles se retourneront contre nous. Personne n a demandé ton avis, ont dit les frères. Tu es une femme. Et ton mari est en vie. Une femme oui, mais je veux ma part. Supposez que je sois veuve et que je doive nourrir mes trois filles, leur assurer un trousseau, les marier. […] Tu n es pas veuve, lui ont lancé les frères. Alors faites comme si j étais l homme de la famille, a-t-elle répondu sans souci d insolence. 419 Ahlam et les Eboueurs du Caire, p. 364. . ‫عي‬ . […].‫أس م‬ ‫س‬ ‫ق م ل ه‬ ‫أجيب ل م ج‬ ‫أ كل ب تي ل ات‬ ‫ا‬ ‫ل نتك ح م ي‬. ‫ك‬ ‫ي‬ ‫ ا ل‬: ‫لم ت فق أحا‬ ‫ع يش‬ ‫ نت لي ج‬.‫ م ح س لك أيك‬‫ني ب يت أ م‬ ‫ ف ض ب‬.‫ بس ع ي ح ي‬، ‫ أن لي آ‬‫ بس نت مش أ م ل جيت‬‫ ت ف م ي ك ني جل ل ي‬، ‫ب يه أي ب‬ - ‫أحا‬ Nous apercevons dans cet extrait que le mélange entre les types de discours dans le texte source disparaît dans le texte cible et les propos des personnages se transmettent en tant que dialogue. Les paroles rapportées dans des propositions subordonnées où les verbes ont une fonction descriptive et sont côtoyés par la présence du JE des personnages, fait que le texte est un mélange entre discours direct lié et discours indirect libre. Tout ce jeu du style se remplace par des discours insérés dans le récit traduit d une façon visuellement distinctive. A chaque fois qu un personnage prend la parole, Dima Al (usseini fait un passage d une ligne et met un tiret en retrait pour produire un dialogue marqué par la vivacité et la valeur émotionnelle de l oral. Les verbes avec les sujets inversés à l intérieur de la phrase s effacent dans la version traduite mais leur sens se transmet intelligemment dans l ajout des propos tel dans « a‫ب‬ t-elle répondu sans souci d insolence » qui se transforme en discours « ‫» ب أيه أي‬. L effet sonore de l accent des gens du Sud essaye de créer une nouvelle valeur communicative mais reste, de notre point de vue, une entreprise hasardeuse. Même si la traductrice le justifie elle-même dans une étude ultérieure autour de cette traduction en disant : Le lecteur de l original ne peut pas ressentir l effet exercé par l usage du dialecte, vu que les dialogues sont écrits en français standard. Donc, opter pour l arabe littéral standard ne correspondrait pas à la spécificité de cette situation locale. Le choix du dialecte saïdi a été orienté par la prise en compte des spécificités géographique, sociale et culturelle du destinataire égyptien connaissant les « normes » qui régissent la société de la Haute- 419 ASSAAD F., Ahlam et les Eboueurs du Caire, Editions de l (èbe, Grolley [Suisse], - 278 Ahmed Khalifa . Egypte, nous avons choisi le dialecte (porteur de charge notionnelle et affective pour affirmer l identité saïdi.420 Certainement le lecteur égyptien pourrait ressentir un effet de proximité mais le lecteur arabe non égyptien ressentirait sans doute un effet de distance à cause non seulement de l usage du dialecte mais aussi d une de ses variantes articulatoires qui influencent négativement sa conception de l écriture habituelle. 420 AL HUSSEINI D., « Retour aux sources et recréation de l effet », op.cit., p. 156. - 279 Ahmed Khalifa 2 Chédid et Solé : Les revisités. Chaque œuvre manifeste ses propres singularités en matière de traduction, de réception et de retraduction — celles qui sont placées sous l épreuve de la raréfaction, d autres face à la foison de retraductions et à leur féroce mise en concurrence.421 2.1 Andrée Chédid : la traduction nationalisante La première apparition d Andrée Chédid dans le champ littéraire arabe se fit à travers la traduction de son roman Le sixième jour (1960), traduit par et édité au Caire en amāda )brāhīm 1 . Cette traduction n a pas eu l attention qu elle méritait à cause des conflits idéologiques au cœur du champ littéraire égyptien que nous avons discutés auparavant. En 1975 au Kuwait, une pièce de théâtre Bérénice d Egypte (1968) fut traduite par I ām Usayrān puis on publia à Damas dans la revue littéraire Al Mawqif al Adabī la traduction d un petit recueil de poésie intitulé cérémonial de la violence (1976), textes choisis et traduits par Sa d ā ib. Ensuite en , Paris décida de participer au processus du rapatriement par une traduction de la nouvelle L étroite peau (1965), dans une édition bilingue ; traduction de Na īm B” ān”s. En 1, le Caire reprend la main par l adaptation du roman Le sixième jour au cinéma égyptien par Youssef Chahine. En 1988, on publia la traduction du roman Néfertiti et le rêve d Akhnaton (1974), traduit par ādiq Sulaymān et éditée chez Dar Al (ilāl au Caire. Le sommeil délivré (1951), le premier roman de l écrivaine, fut finalement traduit en par Na īm A allah ; une Caire répond par une retraduction du même roman en pour affirmer l identité traduction marquée par un certain projet de réappropriation de la culture libanaise. Le égyptienne de l écrivaine ; ādiq Sulaymān fut le traducteur de cette version détentrice de l égyptianité du roman. Chédid fit partie des écrivains francophones présentés dans les revues littéraires égyptiennes : Al Qāhira et )bdā (1996). Le Kuwait revint sur la scène en 2001 par une traduction des poèmes choisis ; traduction de Charbal Dāghir. Finalement, en fut la dernière parution de Chédid via la réédition de la première traduction : celle de amāda )brāhīm. PESLIER J., "Penser la retraduction", Acta Fabula, Dossier critique : "Confins, fiction et infinitude dans la traduction", URL : http://www.fabula.org/revue/document6026.php 421 - 280 Ahmed Khalifa Nous remarquons que les traductions de l œuvre d Andrée Chédid dans le monde arabe s effectuent sur des périodes échelonnées et la plupart est consacrée aux romans. Quatre romans, une pièce de théâtre, des poèmes choisis et une nouvelle nous semblent suffisants si nous prenons en considération que le mouvement de la traduction dans le monde arabe est relativement lent par rapport aux autres mouvements en Europe ou en Amérique. Dans l abondance du corpus à traiter dans ce point consacré aux traductions de Chédid, nous nous sentons obligé d opter pour une stratégie concernant les exemples à introduire dans notre analyse textuelle. Pour ne pas nous répéter, nous avons choisi deux traductions seulement, choix qui n est pas du tout le fruit du hasard. )l s agit de deux traductions du roman Le sommeil délivré qui soulignent une question très importante dans le domaine de la traduction : il s agit de la retraduction. Une question dont nous ressentons le besoin d aborder dans ce nombre limité de pages. Nous commençons notre analyse par la première traduction qui est parue en 1990 sous le titre de « ‫لغ في‬ ‫» ص‬. Une traduction éditée sous la collaboration de deux éditeurs : La Maison de culture au Liban en collaboration avec Dar Al-Arab à Paris. Un an plus tard, une deuxième traduction est publiée en Egypte chez Dar Al (ilāl sous le titre de « ‫ف‬ ‫ل‬ ‫» ل‬. Le roman retrace le cheminement de la vie d une jeune Egyptienne, Samia qui s est mariée, à l âge de 1 ans, avec un homme bourgeois de ans, Boutros. Dans l attente d avoir un enfant, Samia souffre des comportements de son mari, de son orgueil et de sa négligence. Après huit ans de mariage, elle a sa fille Mia avec laquelle elle a retrouvé le bonheur et le plaisir de vivre. Mia, qui a donné à sa mère l espoir et sa raison d être pendant 1 ans, à cause d une fièvre ardente meurt en laissant sa mère retourner à la souffrance maritale. Le choc est si fort que Samia tombe et devient paraplégique. Voulant mettre fin à toutes ses souffrances, elle décide de tuer son époux à l heure o‘ il vient lui faire son éternel baiser du soir… Le même baiser sur le front à la même heure pendant 15 ans de mariage. La traduction est signée Na īm A allah, le traducteur de l arabe de cette époque- là, à la maison d édition Dar Al Arab à Paris. Cette maison d édition avait déjà publié une traduction « bilingue » de la nouvelle L étroite Peau en . Une autre maison d édition est intervenue pour prendre en charge la publication de la traduction, c est Dar Al - 281 Ahmed Khalifa Thaqāfaà Beyrouth. Mais, comme le traducteur est lié à la première, il est possible qu on fut obligé de mettre les noms des deux maisons sur la couverture. Dar Al Thaqāfa, à cause de la variation de ses publications, et comme la plupart des maisons arabes d édition, n a pas fait de support pour cette traduction : on n y trouve aucune indication de collection ni de série. Notons que tout ce qui est indiqué sur la couverture sans illustration ni effet recherché (étrangeté ou familiarité culturelles), est le mot « ‫ي‬ » (roman) puis le titre traduit et ensuite le nom de l auteur ; ce qui donne l impression que c est un roman écrit à l origine en arabe. Nous découvrons que c est un texte traduit à la deuxième page quand nous trouvons le nom du traducteur cité en dessous d une petite phrase « ‫ل بي‬ ‫ل‬ ‫( » ن‬transposé en arabe par . Nous remarquons qu il n y avait aucune indication de la langue originelle du texte. Cette traduction est introduite par une préface d Andrée Chédid rédigée en français et traduite en arabe par Rawad Tarabay. )l convient de noter que la présentation du roman est ambiguë à cause du niveau de l arabe très classique et nous en expliquerons le pourquoi plus tard, nous citons ‫أفق م‬ également : « ‫لغ في هي ح ي ن‬ ‫ح ي ص‬ 422»(Le sommeil délivré est une histoire d enclavement et d horizon fermé). En premier lieu, contre trois notes en bas de page de nature culturelle dans le texte original, expliquant quelques mots de vocabulaires égyptiens (Sitt, Maamour, feddan), nous trouvons neuf notes dans la traduction dont la plupart sous cette forme « ‫في ل ص ل ن ي‬ comme « ‫( » ه‬Sic dans le texte français). Ces notes concernent des mots ‫» ل‬, « ‫» جابي‬, « ‫» بيك‬, etc. Cela signale que le traducteur ne souhaitait pas rapatrier le texte dans son égyptianité pour deux raisons : d abord parce qu il n est pas Egyptien et donc les dialogues sont un vrai obstacle pour lui et ensuite parce que son projet de traduction littérale l oblige à créer le même effet d étrangeté que celui du texte original. Nous avons attribué ces notes au traducteur même s il n est pas mentionné si elles sont rédigées par lui ou par un tiers (éditeur). Nous confirmons aussi que le niveau de l arabe dans cette présentation est le même dans toute la traduction (le même vocabulaire, la même composition syntaxique). Nous nous interrogeons finalement sur Rowad Tarabay, le traducteur de la présentation, à savoir s il était le vrai traducteur, ou bien, a-t-on mis juste son nom pour donner un effet d équitable ? d attraction? 422 - 282 Ahmed Khalifa Concernant les caractères italiques, ils sont presque absents dans la traduction qui ne cherche pas à les remplacer par des guillemets, des parenthèses ou autres. L onomastique est mal rendue vers l arabe et témoigne d une ignorance parfaite de la culture égyptienne, par exemple « Ratiba » est devenu « ‫ي‬ lieu de « ‫ف ي‬ », « Fakiha » est « ‫ » ف ي‬au ‫» تي‬. L onomastique qui a une équivalence connue dans tout le monde arabe est, par contre, bien rendue comme « Maamour », « sitt », etc. Le traducteur a donc recours à la transcription phonétique pour les prénoms égyptiens qu il ignore. Mais cette transcription est, elle aussi, mal faite à cause des lettres emphatiques arabes qu il utilisait pour le « T » et le « K ». Cette transcription en lettres emphatiques a donné sens aux prénoms et les a transformés en adjectifs : « ‫ي‬ » ne signifie-t-il pas « douce » ? Et « ‫ » ف ي‬ne désigne-t-il pas « une femme savante » ou plus particulièrement « une femme jurisconsulte » ? Nous considérons la présence des prénoms et des mots en langue étrangère, qui est celle du récepteur de la traduction, dans le texte français une opportunité que le traducteur aurait perdue pour un rapatriement plus convenable. D ailleurs, la construction des paragraphes et des parties dans le texte français est bien respectée dans la version arabe. Le nombre des omissions est très limité malgré la suppression d une citation importante dans la préface de la version française :  « La femme est semblable à une eau très profonde dont on ne connait pas les remous » Vizir Ptahhotep, « Enseignement au sujet des femmes », (Ancienne Egypte, env. 2600 avant J.-C.). 423 Cette citation avait pour but, dans la version française, d informer le lecteur sur la nature et l histoire du roman. La femme et l Egypte sont les grands thèmes que la citation est venue propulser au début du roman. Comment le traducteur, littéraliste qu il est, a-t-il pu supprimer une telle citation ? La réponse est facile si nous remarquons qu il a presque rayé, pour des raisons (inconnues), la majorité des realia424du texte source : une technique ayant pour effet de faire disparaitre l égyptianité du texte, comme nous le verrons. Le sommeil délivré est un roman en prose (très poétique) mêlant narration et dialogue dans un style témoignant d un grand talent. La ponctuation y est primordiale. L énonciation joue un rôle important dans l action puisque le narrateur homodiégétique 423 424 CHEDID A., Le sommeil délivré, Flammarion, coll. « Mille et une pages », Paris, 1998, p.17. Unité lexicale qui désigne une réalité particulière à telle ou telle culture. - 283 Ahmed Khalifa devient parfois intradiégétique. Ce qui montre que la focalisation est à la fois interne et externe. Ce style d écriture est absent dans la traduction de Na īm A allah. Le niveau de la langue est toujours le même dans la narration et les dialogues. La ponctuation est bien adaptée mais la tonalité du texte sérieuse et satirique est perdue. Le narrateur n est pas identifié et devient parfois extradiégétique. D. Gile disait : « […], il est difficile, voire impossible de construire en langue d arrivée une phrase qui contienne toutes les informations d une phrase dans le texte de départ tout en transmettant le même message et en gardant une bonne qualité rédactionnelle.»425 Le projet traductif de A allah se dévoile littéral dans sa première confrontation avec le texte source. La traduction littérale a toujours pour but de préserver l intégrité à la fois du sens du message dans la langue d arrivée. Elle est considérée comme l idéal vers lequel tend le traducteur consciencieux. Il ne faut pas, tout d abord, confondre la traduction littérale avec la traduction mot à mot (la traduction de la forme linguistique) qui ne serait qu un agencement de mots aboutissant à un non sens, voire à un contre sens. La traduction littérale consiste selon A. Berman (1999) : « à une traduction de la lettre, du texte en tant qu il est lettre. Mais la lettre n est pas le mot, il est le lieu habité o‘ le mot perd sa définition o‘ résonne quoi ?426». Traduire littéralement est toujours possible et souvent acceptable, mais dans certains cas, cela n est pas toujours retenu ; la raison en est que pour la traduction d un titre ou d un message codé jouant sur la connotation, le double sens, les figures du style, ceux-ci peuvent être un piège dans lequel tombera le traducteur désireux de respecter les intentions de l auteur.Berman a défendu la traduction littérale en se basant sur la capacité de chaque langue à entrer en contact authentique avec une autre langue, on peut toujours trouver une phrase de la même construction dans deux langues. L exemple de Chateaubriand, traducteur de Milton, qui a voulu introduire ce dernier dans la langue française avec la considération de la lettre miltonienne et enrichir la langue d arrivée en utilisant sa maîtrise du français non pas pour servir GILE D., La traduction, la comprendre, l apprendre, La linguistique nouvelle, P.U.F., Paris, 2005, p. 69. Berman A., La traduction et a lettre ou l auberge du lointain, Seuil, Paris, coll. « L ordre philosophique », 1999, p. 19. 425 426 - 284 Ahmed Khalifa « Chateaubriand » mais pour servir Milton. Ainsi, la traduction littérale ne reproduit pas la facticité de l original, mais la logique qui préside dans cette facticité. Le rejet des traductions littérales, qui ne sont pas parfois suffisantes, revient à des simples raisons phonétiques des systèmes de métrique, d accentuation, différents . Mais la question se pose : la traduction littérale, serait-elle un problème de traduction ou une solution des problèmes de la traduction ? C est pour cela que nous la considérons comme l un des enjeux de la traduction. Elle est un problème quand elle réunit les défauts du mot à mot, ceux du calque et de l emprunt à plusieurs niveaux : syntaxique (structure de la phrase), stylistique (agencement de mots), lexical (calque des mots), etc. ; elle est solution quand le traducteur affronte des grands obstacles culturels qui l obligent à calquer o‘ à emprunter tel terme d une longue tradition culturelle. Cette création n a pas les mêmes soucis pour une traduction littéraire que pour une traduction juridique où elle peut poser des problèmes au niveau des effets juridiques. Revenons à la traduction de Na īm A allah dans laquelle il a reproduit la structure et l information de l énoncé du départ d une manière maladroite de notre point de vue et encombrée d informations superflues qui alourdissent la traduction. Ce n est pas parce qu elles font partie de l énoncé source que nous n accordons pas le droit de dévier de ce que l auteur a choisi de dire. Mais on a deux objections : si l auteur maîtrisait la langue d arrivée et s il écrivait directement dans cette langue, utiliserait-il les mêmes structures et les mêmes informations pour formuler son message ? La réponse n est pas très difficile à trouver : si nous suivons la logique de la défense de l intérêt et des intentions de l auteur, nous déciderons certainement de réécrire complètement le texte en choisissant d autres informations et un autre cheminement que l auteur pour satisfaire le besoin de chercher l impact maximum sur les lecteurs du texte d arrivée : « l adaptation ». Si les constructions linguistiques habituelles dans la langue de départ sont maladroites dans la langue d arrivée, nous nous demandons par conséquent si l auteur ne les choisirait-il pas s il écrivait directement dans celle-ci ? Par exemple, le fait que le français préfère le substantif alors que l arabe préfère le verbe, ne serait-il pas légitime pour considérer que nous servons les intérêts de l auteur sans lui manquer de fidélité en formulant la traduction arabe avec moins de substantifs et plus de verbes ? - 285 Ahmed Khalifa D autres questions concernant la fidélité linguistique s imposent : est-ce que les mots et les structures linguistiques dans l énoncé de départ résultent toujours d un choix de l énonciateur ? ou encore, n y a-t-il pas une part aléatoire ou au moins non maîtrisée ou non voulue dans l énonciation ? Pour l énonciation écrite, n est-il pas ordinaire que l auteur, en relisant son texte après la première écriture, change un tel mot, une telle structure ? L auteur, s il est conscient des faiblesses de son texte, préférera-t-il que nous les éliminons, ou voudra-t-il les garder dans le texte d arrivée ? Les exemples suivants seront comparés non seulement avec l original mais aussi avec la deuxième traduction de Sadik Soliman « ‫ف‬ ‫ل‬ ‫ » ل‬pour une meilleure compréhension de la nature du texte et des procédés de chaque traducteur. Sur la maison blanche, les reflets du soleil étaient moins aveuglants. Plus loin un bras du Nil retrouverait la souplesse de l ombre. Le sommeil délivré p.19 .‫أض ف‬ ‫لغ في‬ A ‫ل س ع ل يت أبيض أخف ق في ل‬ ‫ل ي ص ن‬ .‫ل ل‬ ‫ع أح س ع ل يل ل أب ي م ب‬ . ‫ل ه‬ ‫ص‬ ‫ف‬ ‫ل‬ ‫ل‬ B ‫س ت أش ش س أصيل في ه ء ع ج‬ ‫ل يل ب ي مع ا لغ‬ ‫حيث ي ي أح ف‬ ‫بل‬ ‫ل‬ Dans l incipit du roman, Andrée Chédid commence par une scène de description. Na īm A allah a bien compris l image et la reproduit en arabe sans omission. Mais la phrase est ambiguë à cause de la littéralité et de la composition syntaxique fautive. « Plus loin » est traduit par « ‫» ل أب‬, une expression non soutenue en arabe, mal placée dans la phrase. « ‫ » س ع ل يل‬ne convient pas en arabe, mais nous saluons son effort à traduire « moins aveuglants », qui n a pas d équivalence adéquate, par « ‫أخف ق في ل‬ ‫» أض ف‬. Une expression que la deuxième traduction a omis en la remplaçant par une autre image «‫( » في ه ء‬doucement). Par ces deux traductions, nous voyons que chaque traducteur possède une qualité qui diffère de celle de l autre. Le premier maîtrise la langue de départ mais sa langue d arrivée est relativement déficiente. Par contre la deuxième traduction est écrite dans un style soutenu mais subissant plusieurs faux-sens. Cette mauvaise connaissance de la langue d arrivée entraîne systématiquement un repli littéral qui atténue la déverbalisation427. Le traducteur de ce roman a essayé de 427 Le processus de traduction peut-être découpé en trois phases successives : 1. compréhension : assimilation du sens véhiculé par un texte, du vouloir dire d'un auteur. - 286 Ahmed Khalifa compenser son incapacité à rapatrier correctement le texte en le métamorphosant en une mauvaise réexpression, voici un exemple : Le boulevard aboutissait à la maison. Elle avait un air tenace avec ses deux colonnes massives sous le balcon central. A cette heure, mes cinq frères et mon père l avaient quittée pour prendre l air, ou bien ils bavardaient attablés avec des amis aux terrasses des grands cafés. Le sommeil délivré p.47 ‫يه ل ي ين‬ ‫ب‬ ‫م‬ ‫ل‬ ‫خ تي ل‬ ‫ث مع أص ق ء ل م ح‬ ‫م‬ A B ‫ نه‬. ‫ل ل‬ ‫ي‬ ‫م س ب ل ل ل‬ ‫ب‬ ‫ع م ل ل ي‬ ‫ ل غ‬, ‫ين ت ت ل ف ل س‬ ‫ل‬ ‫ ع م ك‬... ‫ي ل ي ت ل ل ف ل ئي ي‬ ‫ أ أن م ي‬. ‫ل ق ل ء في م ل ه ل ع‬ .‫س ع ص لي‬ ‫في ل اء ل ء ب ض‬ ‫ل‬ ‫خ تي ل‬ ‫ب ل هي ل‬ ‫ا ع م‬ .‫ب ح ل هي مع ب ض أص ق ء‬ ‫م‬ ‫ف‬ ‫لغ في‬ ‫ل‬ ‫ل‬ ‫ك ل يق ي ي‬ ‫ل‬ ‫أع ته ل‬ ‫ل‬ ‫ل خ‬ ‫ه‬ ‫ل‬ ‫ل غ‬ ‫ل قت في ل ث ح‬ ‫ص‬ Dans cet exemple, le mot « boulevard » fut arabisé en plus d une utilisation d un adjectif étrange « ‫ » م‬qui fait un vrai obstacle à la réception de l image de « deux colonnes ». Nous remarquons que les deux traducteurs ont reproduit « massives » d une manière différente mais qui ne fait pas grande différence avec celle de l original. Nous sentons toujours l étrangeté dans la première traduction alors que l harmonie entre les vocabulaires de la deuxième élimine tout éloignement linguistique. Par contre, le mot « boulevard » a créé un effet d étrangeté absent dans le texte source. Le traducteur, au lieu de rapatrier le texte, insiste à l éloigner de sa matrice. Nous savons que chaque traducteur traduit aussi pour que sa traduction soit lue, comprise et appréciée. Na īm A allah en tant que libanais dont la traduction sera publiée au Liban, jugerait-il que le goût de son public est conservateur pour comprendre son recours à la littéralité classique ? Autrement dit, rassurait-il son lecteur « libanais » et lui donnant l impression de se trouver dans un environnement familier ? L exemple suivant montre son projet d un rapatriement partiel d un chant, non pas vers l égyptien, comme il est censé le faire, mais vers le dialecte libanais. Ce qui affirme ce que nous avons dit à propos de son vouloir supprimer toute égyptianité du texte. Nous remarquons son effort encore une fois à donner un rythme (libanais) à la chanson : 2. déverbalisation : oubli des mots et conservation du sens ; « Opération par laquelle un sujet prend conscience du sens d'un message en perdant conscience des mots et des phrases qui lui ont donné corps.» 3. réexpression : reformulation du vouloir dire en langue cible. (http://wapedia.mobi/fr/Traduction ) - 287 Ahmed Khalifa A B Mes cheveux peuvent blanchir Et ma main se rider Mon enfant est venu Du soleil plein les lèvres ‫شب‬ ‫ش تي ت‬ ‫ل ني غ ب‬ ‫ه‬ ‫ل ن ب ي ج يي ي‬ .. ‫ل س تالي ع ش ف‬ ‫ي يب‬ ‫ي نش‬ ‫ي ت ي ت عي‬ ‫بيي يي‬ ‫ي ا من ل س ش ي‬ La lune est son ami Tous les oiseux l attendent Mon enfant est venu Et le cœur me tient chaud. ‫ب ل يل م ي ل يل‬ ‫ع ب ي لغ في‬ ‫ي‬ ‫ي ل ل ت غي‬ ‫ق ي من عي ن في‬ ‫ل صحه حيه‬ ‫كل ل في م ي‬ ‫ك ق ي في‬ ‫ع‬ Le sommeil délivré p.19 ‫لغ في‬ ‫ص‬ ‫ف‬ ‫ل‬ ‫ل‬ Tout traducteur rapatriant un texte émigré vit une situation conversationnelle idéale parce qu il instaure avec ce texte un échange fondé sur l harmonie langagière entre l arabe et ses dialectes. Mais l incompétence du traducteur évoqué a abouti à un texte illisible et lourd parce qu il ne s est pas fixé un projet de traduction au départ. Neutraliser les dialogues et les reproduire dans un même niveau d arabe s opposent, ce que nous avons vu dans l exemple précédent. )l avait le choix dès le début de rapatrier les dialogues du texte vers le dialecte libanais mais les données culturelles égyptiennes ont construit un barrage qu il ne pouvait pas dépasser. Le texte B se distingue par sa fidélité au texte source mais il a omis le refrain « Mon enfant est venu » alors que le texte A, pour donner rythme à ses mots, se torpille lui-même par les faux et les contre-sens. « Et ma main se rider » se remplace par « ‫ل ني غ ب‬ ‫( » ه‬les inquiétudes de la vie s absentent », « La lune est son ami » se transforme en « ‫ي ل يل‬ ‫ل يل م‬ ‫( » ب‬la lune passe la nuit), etc. La présence de ces faux sens pourrait en être le besoin de donner un effet sonore à la chanson. Bien que l effet donné soit inspiré du dialecte libanais incarné dans « ‫» ع ش ف‬, « ‫» ت غي‬428 etc., le texte A reste dans sa majorité un produit« étrange » à cause de sa langue d arrivée non suffisamment maîtrisée et très approximative dans ses structures syntaxiques, ses contours stylistiques et ses choix lexicaux. L exemple suivant en témoigne : 428 « Faire signe » en dialectal libanais. - 288 Ahmed Khalifa Les bien-vêtus me semblaient en uniforme. Je préférais les enfants dont les doigts sales couraient sur les vitrines jaunissantes. Le long des ruelles, entre les trottoirs affaissés, bordés d épluchures, des garçons jouaient à la balle. Le sommeil délivré p.54 A ‫ ل ي أف ل‬. ‫مي‬ ‫ل ئ‬ ‫ل ج‬ ‫لي‬ ‫ل‬ ‫ب‬ ‫لغ في‬ de « ‫ص‬ B ‫ابس ب ن‬ ‫ي ء لي أ من جخ من ل‬ ‫أ ا ل ين ك نت أص ب م ل س ت كض ع‬ ‫ل ق يق بين أ ص‬ . ‫ل اص‬ ‫بل‬ ‫ك أ ا ي‬، ‫ل‬ ‫ت ن ه أ س‬ L expression « ‫ل‬ ‫ج‬ 1 ‫ ك ت أه‬. ‫ي م ح‬ ‫مابس ج ي ك ن م ي ت‬ ‫ك ل ي ت‬ ‫ج‬ ‫أص ب م ع‬ ‫ل ين ي ك ب‬ ‫ل يث مع أ‬ . ‫ع ل‬ ‫ل‬ ‫بل‬ ‫ ل ين ي‬... ‫ل‬ ‫ف‬ ‫ل‬ ‫ل‬ ‫ » من جخ من ل‬revient au dialecte libanais puisque le mot « ‫ » جخ‬vient ‫ » ل‬qui est le fait d être bien-vêtu alors qu il signifie en arabe classique se reposer ou se déplacer . Nous voyons donc qu il s agit d une certaine adaptation de la variante dialectale. Nahla Baydoun, la traductrice libanaise, confirme dans son étude sur les traductions arabes de l œuvre de l écrivain francophone Amin Maalouf: « Face aux normes d écriture en arabe, il y a deux modes d agir : soit adopter la variante dialectale explicitement dans toute sa plénitude, ou tenter de recréer les écarts stylistiques qu elle provoque par touches successives à l intérieur de l arabe standard en forçant celui-ci à suggérer le mode d expression dialectal, à faire résonner le vernaculaire. C est ainsi que le traducteur recrée à son tour un « entre-deux » à la manière de l écriture francophone elle-même, en forgeant une réécriture qui façonne l expression pour en faire jaillir le parler local, ou du moins le suggérer.»429 À l opposé, Na īm A allah, a introduit des mots dialectaux dans la narration qui devait être en arabe standard et a éliminé, en revanche, la variante dialectale des dialogues. Le traducteur, de notre point de vue, devrait respecter le niveau de langue choisi par l auteur et ses intensions stylistiques. Sa propre langue traduisante doit être organisée selon celle de l original concernant les différentes manifestations pour arriver au plus profond de son vouloir émouvoir. L exemple suivant le montre : BAYDOUN N., Réflexions sur la traduction arabe de l œuvre romanesque d Amine Maalouf, écrivain libanais d expression française « Migration ou rapatriement de l œuvre littéraire », Thèse de doctorat : Langues et civilisations orientales, Paris 3, 2005. Op.cit., p. 163. 429 - 289 Ahmed Khalifa Ils se penchaient vers moi, ensemble, tous les deux. Ils portaient la même chemise de nuit en toile blanche, qui descendait jusqu aux mollets et dont l encolure en pointe était déboutonnée. )ls avaient le même nez étroit dans un visage qui luisait de graisse et sommeil. Leurs épaules se courbaient comme si une bosse leur pesait sur le dos. Leurs deux ombres étaient sur mon drap : « Qu as-tu encore ? disaient-ils. Tu nous empêches de dormir. » Le sommeil délivré p.19 A ‫ق ي لي ي من ك‬ ‫ ل ل س كل م‬. ‫ اث م‬، ‫ن ي ي ف قي‬ . ‫ت ي ت ل س‬ ‫ ق ت ت أ‬، ‫ ش ي ب يص آخ‬، ‫أبيض‬ ‫ ت ست‬. ‫أنف ته ضي في جه ي ع ب ل م ل‬ ‫ب ل‬ ‫ خي اه ع ش ش ي "م بك ب ؟‬. ‫أك ف ك ن ت ت ت ق ح ب‬ " ‫ نك ت ي ل‬.‫ي ا لي‬ 1 ‫لغ في‬ ‫ي ل‬ B ‫ق يص ل يل أبيض ل‬ ‫ي ي س ي ن‬ . ‫ل م ف ل‬ . ‫لامع من أث ل‬ ‫ك كل له ن س أنف ن س ل جه ل‬ ‫ ك نت‬، ‫أك ف م ل ك ل ي ل ح ا ث يا ف‬ ‫ " يه ل ي في ي؟ يه ل ي‬: ‫ئي ك ن ي ا‬ ‫ال ت ط ف‬ "‫بي ي؟ م ن من ل ليه؟‬ ‫ف‬ ‫ص‬ ‫ل‬ ‫ كل ي ت‬، ‫ل‬ A travers cet exemple, nous voulons montrer que le dialogue romanesque ne répond pas aux exigences des critiques pour sa traduction. Le traducteur n a pas reproduit l illusion de l oralité ni suggéré un rythme différent de celui de l original. Et par conséquent, le psychologisme régnant dans le roman a disparu c est-à-dire les répliques de caractéristiques (lexicales, syntaxiques, stylistiques, et rythmiques) permettant au lecteur d attribuer une réplique à tel ou tel personnage. Ainsi, l insertion du dialectal à la narration et son absence au niveau des dialogues fait que le texte A dans l exemple précédent est lexicalement décousu. Au vu de l usage de quelques mots tels « ‫» ش شف‬, « « ‫ي من ل‬ ‫ » ت ي‬et « ‫ » ي‬dans la narration suivi d un discours au niveau littéraire dans ‫ نك ت‬.‫بك ب ؟ ي ا لي‬ ‫» م‬, nous pouvons constater que la traduction de Na īm A allah est une traduction réfractaire aux ordres stylistique et rythmique. Le littéraire y côtoie le dialectal dans une même phrase pour créer un texte lexicalement amorphe. Cette traduction, bien qu elle respecte l original dans sa version calquée, témoigne d une faiblesse due à la littéralité de traduction que le traducteur a adoptée tout au long de la traduction. C est une traduction mal rapatriée et écrite dans un style faible qui l a mise hors d évaluation même par rapport aux autres traductions littéraires parues dans le monde arabe. Cette faiblesse montre pourquoi on a eu recours à une deuxième traduction. La mise « hors d évaluation » s explique par le fait que le traducteur a essayé d enlever l identité égyptienne du texte en la remplaçant par une autre libanaise. Ce qui nous paraît impossible puisque les données culturelles sont l esprit du texte. Cette tentative ne revient pas à des causes hostiles mais à l incapacité d un traducteur, vivant à l étranger, à rapatrier un tel texte vers une culture inconnue au moins pour lui. Sa traduction est, en effet, une copie dégradée d un original imitable s il - 290 Ahmed Khalifa prenait en considération le rapatriement comme son unique projet de traduction. Sa reproduction littérale de l ordre des mots dans le texte incarne une véritable transsubstantiation de l écrit. Sa littéralité convient à l ancienne théorie du calque sur l original, du mot à mot stérile et improductif. En , un an après l apparition de la traduction de Na īm A allah, Dar Al (ilāl publie au Caire dans la série « Riwāyāt » (romans) la retraduction du Roman de Chédid. Le fait de mettre ce roman traduit dans une telle série montre le désir de l éditeur de placer cette traduction parmi la production romanesque arabe. Une volonté d assimilation appuyée par l illustration orientale sur la couverture. La préface contient une longue présentation de la traduction dans laquelle on a présenté l auteur, sa vie et ses œuvres. Cette présentation insiste sur la célébrité d Andrée Chédid et sur l originalité de son œuvre inspirée de la culture égyptienne. Par contre, nous trouvons des fausses informations concernant sa vie et sa création. La plus importante est celle de l année de sa naissance ou le préfacier anonyme informe son lecteur qu elle est née en 1929 et que son premier recueil fut édité quand elle avait 14 ans. Le préfacier, soucieux de bien présenter la traduction, a fait une analyse de toute sa création romanesque, poétique et théâtrale en traitant en détail ses consécrations littéraires. Par ailleurs, les notes en bas de page, sont absentes selon le projet du traducteur dans cette traduction qui est plutôt de nature communicative et dont les traits essentiels se résument dans les points suivants : - Concernant la forme, les caractères italiques du texte source ont été remplacés parfois par des guillemets et souvent, effacés sans aucune mention de leur effet culturel particulier. - Les expressions en langue étrangère dans l original son bien rapatriées parce qu elles appartiennent à la langue du récepteur de la traduction. - La composition n est pas respectée mais la différence entre narration, description et dialogues est très remarquable. - La ponctuation est en dissymétrie à cause de la qualité éditoriale très basse. - Les fautes de frappes sont presque présentes dans chaque paragraphe. - Le narrateur est généralement perdu à cause de la composition syntaxique totalement différente du texte source. - 291 Ahmed Khalifa La plupart des théoriciens distinguent l opposition entre les différentes traductions : traduction fidèle contre traduction libre, humaine contre automatique, littéraire contre technique, pédagogique contre professionnelle. Cette opposition binaire paraît non suffisante pour d autres qui prévoient qu il faudrait classer les traductions par but et non pas par genre et nature du texte traduit. Ainsi, pensons-nous que la distinction la plus adéquate est celle de Casagrande qui classe les types de traduction selon leur fonction informative et expressive430. Selon lui, la traduction peut être : pragmatique (le message est traduit avec le souci de transférer exactement l information , esthétique-poétique (le message est transféré avec l effet émotionnel et la forme esthétique), ethnographique (celle qui fait attention au contexte culturel dans les deux langues et à l utilisation des mots dans un contexte social défini , linguistique celle qui cherche toujours à trouver les équivalents pour la structure linguistique et syntaxique de la langue cible). Si nous classons la retraduction faite par ādiq Sulaymān, nous dirons qu elle est à la fois ethnographique et linguistique et l effort du traducteur pour rendre au mieux sa traduction lisible mérite d être étudié. Selon le point de vue des linguistes, chaque traducteur doit penser à son public, ou plus précisément à la lisibilité de sa traduction. Lors de la traduction, il est à la fois le récepteur et l émetteur du message. L absence du vrai émetteur [l auteur du texte] est un problème que le traducteur doit surmonter en reproduisant la même situation d émission et en interprétant le sens que l auteur veut donner à son texte. Le traducteur est aussi le récepteur du message qu il a déjà traduit et émis vers la langue cible, en fait, il s adresse à lui-même. Il doit faire attention aux aspects de la communication. Cela veut dire : l intention du message, les conventions qui jouent dans l élaboration de l énoncé source et le cadre dans lequel se prépare cet énoncé c est-à-dire où et quand le texte a été composé et enfin le cadre dans lequel s élabore l énoncé traduit. Les conventions jouant dans l élaboration de l énoncé source peuvent être socioculturelles. C est un problème que notre traducteur devait rencontrer tout au long du roman. L action se déroule dans un village égyptien, au temps de la féodalité, où la différence entre la langue des riches aristocrates et celle des villageois était une réalité concrète. 430 BRISLIN R., Translation, Application and Research, Gardner, Press, New York, 1976. - 292 Ahmed Khalifa Le récepteur n est pas toujours capable de faire un effort de compréhension. C est pour cela le traducteur devait lever tous les obstacles de la polysémie, clarifier ou expliciter, éviter les ambiguïtés. En bref, c est comme l a dit J. Levy 1 «choisir la solution qui, avec le minimum d effort, crée le maximum d effet »431. Notre tâche s est résumée à chercher à faire saisir la particularité de la traduction et sa combinaison avec celle du texte source. Une particularité d un traducteur s adressant à un lecteur désireux qu on lui explique tout. Bien que les contre-sens, les faux-sens et même les non-sens dans cette traduction relèvent souvent d une ignorance linguistique, ils entrent en grande partie dans un choix, un goût, une préférence et, le plus important, une idéologie basée sur la communication et c est cette idéologie que nous nous sentons tenu de montrer. C est une idéologie poétique, un goût de l époque donnant un effet d une certaine égyptianité que le traducteur a interrogée et annoncée. La communication est l objectif vers lequel tend chaque traducteur. C est ce que Kadhim Jihad (assan a confirmé dans son essai critique sur la traduction de la poésie dans la culture arabe : « En regardant de près le devenir réel de la traduction, les détracteurs de celle-ci, comme ses défenseurs, sont amenés à voir en elle non pas une activité toujours possible ou toujours impossible, toujours totale ou toujours incomplète , mais une opération relative dans son succès, variable dans le niveau de la communication qu elle atteint. »432 Le long exemple suivant témoigne de l effort du traducteur à rendre le texte traduit lisible et bien rapatrié. La communication y est l objectif et l activité possible : 431 432 LEVY J., Translation as a decision process, in To Honor Roman Jakobson 1972, vol II, 1171-82. HASSAN K.-J., La part de l étranger, Actes Sud, Sindbad, Arles, 2007, p.58. - 293 Ahmed Khalifa « Des fainéants !... des voleurs !... Te souviens-tu de l histoire de la vieille Zannouba ? » Zariffa se retourne pour me faire face ; elle doit gêner les mouvements du volant. Elle secoue sa figure ridée. Elle fronce le nez. Elle me prend à témoin : « Toujours à la même place, aux mêmes heures, la vieille Zannouba ! On la connaissait, elle était si décharnée, qu on se demandait comment elle tenait debout. Elle me faisait pitié ! Je lui en ai donné des piastres, que le diable ait son âme ! A sa mort, les voisins sont venus avec une obole, de quoi l enterrer. Sais-tu ce qu on a trouvé sous ses hardes ? » Elle s arrête un moment et me regarde dans les yeux. Je sais ce qu elle va me dire. On a trouvé des liasses d argent sous le matelas de Zannouba. «De quoi se faire un mausolée !... » dit Zarrifa. « La tête qu ils faisaient les voisins !... Sur des liasses… étendue comme une mendiante, avec des pieds terreux, durcis, tournés vers l extérieur… Et la main tendue !... Elle l a emportée comme cela sa main, avec elle, dans la tombe ! » Le sommeil délivré p.52-53 A B ‫ن ب؟‬ ‫ل‬ ‫ هل ت ك ين ق‬... ‫ ل‬... ‫ ن ـــي فـــ ك ح يـــ ن بـــ ت بل‬... ‫ ح ميـــ‬...‫ م ـــ يب‬...‫ك ـــانين‬ ‫ ا شـــك ن ـــ ت ـــ يق‬. ‫ي ـــ ح ـــ ت نـــي م ج ـــ‬ ‫ ك نـــت ت ـــ ي‬.‫ل ـــ ؟ ق لـــت ي ـــ هـــي تـــ ي ج ـــ ل ـــ ث ي‬ ‫ب ل كيــ ت ــ ب ل ــيق ل ــ ئق ل ــ‬ ‫ تــ ن ــ ج ع ــ م ــي‬، ‫ ف ــ ج ــ ل ــ‬. ‫هــي ت ــ ج ــ ل ــئ ح كــ ل ــ‬ .‫أ ت ي ب ت من ء‬ ‫ب ل عي ت‬ : ‫ش ه ع كام‬ ‫ ا‬... ‫ن ب ـ‬ ‫ ل ـ‬،‫ت ـ‬ ‫ فــي ل ـ ع‬،‫تــه‬ ‫ ن بــ ل ــ كــل ئ ـ فــي ل ـ‬، ‫ئ ــ فــي ل قــت فــي ل قــت ب لــ‬ ‫ ل حــ ي ــب‬.‫ ك نــت ج ــ ع ــ ع ــم‬. ‫ل ــ ع في ــ‬ ‫ح ــ ن ــ ك ــ ن ــ ء كيــف‬ ‫ ك نــت ن ي ــ م ــ‬. ‫ــ‬ ‫أحــ ي‬ ‫ كـــم أع ي ـــ مـــن‬... ‫ كـــم أشـــ ت ع ي ـــ‬.‫ ل ــن ت ـــ ع ـــ ل قـــ ف‬، ‫ ك نــت ب ــ ب ع يــ ع ي ــ ف ــ‬. ‫ب ــف ع ــ ج ي ــ‬ ‫كــ‬ ‫ل ــي‬ ، ‫هيـ‬ ‫ ع ـ م ت ـ جـ ء ل يـ ب ـ‬... ‫ لي ـ فــي ج ـ م‬، ‫ ت فــي قـ‬، ‫ ل ــ م تــت جــم ل يــ يــ ف ه‬. ‫ك ــ‬ ‫ هـــل ت ـــ فين مـــ جـــ ت ـــت م ـــ‬. ‫ل ــ يــه فــي ل اهيــل ب ع ــ ؟ ت ق ــت ي ــ ل ــ ل ــ فــي أ مـــ ي ـــي لـــ ف‬ ‫مــ مــن أ‬ ‫ أعــ ف م ـ ســ لين اب ـ أن ــم ج ـ‬: ‫عي ــي‬ ‫ل ي ؟‬ . ‫كي‬ ‫ل لي في م تي ن ب ت ي ل ء م‬ ‫ ن ــي أع ـــم مــ ت ـــم‬.‫ف قــف ه ي ـــ تغــ ب ـــ ه فــي عي ـــي‬ ‫ل يــ شــ لت ســ‬ : ‫ق لــت ي ــ‬ ‫ م ـ‬... ‫ن ب ـ‬ ‫ل ـ ت ــت ف ـ‬ ‫ ج ـ ك س ـ م ـن أ‬.‫ف هــ ب ج ي ــ ل ــي ب لــه‬ ‫يـــ ه م ـــ‬ ‫بيغ ي ـــ ل ـــ‬ ‫ كـــم ك نـــت ك يـــ‬. ‫ي ـــ‬ ‫ ت ـــ‬...‫ خ هـــ ل ـــ يـــ ه ل ـــ ي ـــي ل ـــ ء ضـــ يح ضـــ م‬، . ‫م‬ ‫ م ــل ش ـ‬... ‫ ن ب ـ م ـ ع ـ ك س ـ ل ـ‬... ‫ه ـ ل ي ـ‬ ‫ليــ‬ ‫ قــ ب تــ لــ ل ــ‬،‫شــ ين‬ ‫ب ج ي ــ ل غ ــ تين ل‬ . ‫ ه ح ت ي ه م ل ل‬... ‫ م‬1 ‫ل ل ف‬ 1 ‫لغ في‬ ‫ص‬ Bien que l exemple soit long, il prouve définitivement le projet du traducteur. L effet du dialecte égyptien, renforcé tantôt par des ajouts, tantôt par des suppressions, atteste que la communication est la seule activité dominante dans cette traduction. Le texte B témoigne de certaines opérations linguistiques qui méritent d être signalées. Le mot « ‫يب‬ ‫( » م‬catastrophes) ne se trouve pas dans le texte source mais il est ajouté pour désigner les « fainéants » dans une expression égyptienne redondante. Les contresens et les faux-sens ont tout à fait changé la description de l image : le « volant » est devenu « ‫( » ل ئق ل‬chauffeur rapide), « Elle me prend à témoin » est rendue « ‫ي‬ ‫أ ت‬ ‫»ت‬ (elle essaye de me convaincre), « la même place » est traduite par « ‫( » في ل قت‬le même temps), « La tête qu ils faisaient les voisins !... » par « ‫س‬ ‫ش لت‬ ‫ل ي‬ »(les voisins ont levé sa tête [la mendiante]), « Elle l a emportée comme cela sa main, avec elle, dans la tombe ! » par « ‫م‬ ‫يه ل‬ ‫خ ه ل‬ » ils [les voisins] l ont fait entrer dans la tombe avec sa main toujours tendue). Les suppressions dans cet exemple reviennent à l incapacité du traducteur de trouver des équivalents adéquats comme« Elle fronce le nez », « des pieds […] durcis, tournés vers l extérieur ». Par contre, la créativité du - 294 Ahmed Khalifa traducteur se manifeste dans la traduction de l expression « elle était si décharnée » «‫ع م‬ ‫( » ك نت ج ع‬elle était peau sur os 433),« que le diable ait son âme » est une autre expression bien rapatriée, malgré la différence des modes (le vocatif est rendu par un indicatif), par « ‫ك‬ ‫ل ي‬ ‫( » ك‬elle était possédée par le diable)et les« hardes » par « ‫» هاه يل‬. Les transformations multiples dans cet exemple (ajout – suppression – contre et faux-sens)faites par le traducteur peuvent être considérées positives si nous prenons en compte que le rapatriement et la communication sont le but de cette traduction ethnographique. Mais, elles peuvent être très négatives si nous considérons, avec la confrontation de la traduction avec le texte original, qu elles ont supprimé toute l originalité du style de l auteur. Nous avons vu comment le texte B réintègre le texte source dans sa culture d origine via les appropriations linguistiques incarnées dans l usage du dialecte. L exemple suivant montre que ādiq Sulaymān visait aussi un niveau d arabe assez soutenu pour que son lecteur puisse distinguer aisément entre les différents styles du texte : Cette phrase lointaine et proche à la fois, il me semblait l avoir toujours attendue, dans la crainte. Le fait de la vivre soudain me la rendait moins monstrueuse. Le contact brutal avec la réalité m ôtait pour un moment toute pensée. Le sommeil délivré p.57 . ‫ئ‬ A B ‫ ق ن ت‬، ‫ل ئي ل ني في آ م‬ ‫ل ي ل ن ي ل ي عن ه ي في ت ء لي ت ك ل‬ ‫أت قع ه ل‬ ‫ك ت أن‬ ‫أقل ب ع ق‬ ‫ع ف ء ج‬ ‫ ك ن ت‬.‫ت ي قل في ل ي ل ف‬ ‫ ك ك ت أعيش م ه ك نت ت ك ل‬.‫ل قت ن ه‬ ‫ب أض م ج ت ل أف‬ ‫ ل ن ال‬، ‫غ ض‬ .‫ف من ل قت بل ن ا ل قع بغ في ج ي ق شل ت ي ل ين‬ ‫لغ في‬ ‫ص‬ 11 ‫ف‬ ‫ل‬ ‫ل‬ Le pathos que le traducteur a imposé dans l exemple précédent revient à une tradition arabe o‘ l emphase Al mubālagha) faisait partie des techniques traductrices malgré les exhortations des critiques à respecter le ton de l énonciation. De son effort à bien montrer la différence entre l arabe égyptien et l arabe littéraire, le traducteur voyait dans les termes littéraires et les termes dialectaux l équivalent de la différence entre narration et dialogue. Mais, le fait de donner un effet très littéraire a conduit à une incompréhensibilité de l énoncé traduit. Dans cet exemple, l héroïne attendait qu on lui annonce son mariage mais elle proclame que cette idée n était pas si affreuse. Notre traducteur nous transmet un message différent de celui du texte source. Il nous parle d une phrase que l héroïne aime «‫ل ن ي‬ ‫ » ل ي‬proche de moi mais elle n y pense pas «‫( » ل ي عن ه ي‬loin de mon esprit) et quand elle réfléchit au sens de cette phrase « ‫أعيش‬ ‫ »م ه‬je vis son sens , elle devient moins ambiguë et le fait de s unifier avec cette 433 Expression égyptienne désignant la personne très maigre. - 295 Ahmed Khalifa phrase est une surprise qui ôte ses pensées. Nous voyons que l énoncé en arabe est bien contradictoire puisque le fait aimer, ne pas penser, réfléchir, s unifier à une seule phrase pose un vrai obstacle à la compréhension du texte. Nous constatons aussi que le traducteur a changé le ton des phrases en ajoutant plus souvent le mot (‫)ل ن‬ « Mais ».L énoncé devient donc en arabe : Cette phrase lointaine et proche à la fois, il me semblait l avoir toujours attendue, dans la crainte. Le fait de la vivre soudain me la rendait moins monstrueuse. Le contact brutal avec la réalité m ôtait pour un moment toute pensée. Texte B J attendais et je m attendais à cette phrase proche de moi et loin en même temps de mon esprit. A chaque fois que je vivais son sens, cette phrase-là devint moins mystérieuse, mais le contact avec elle constitua une surprise qui paralysa mes pensées pour quelques temps. Récapitulons donc cette brève étude du phénomène de la retraduction. Il existe bel et bien des motifs derrière l acte de traduire et de retraduire. La récupération de Chédid incarne un cas de contestation/protestation résultant de prétentions rivales pour inscrire l écrivaine dans l un des deux champs arabes : Le Liban et l Egypte. La contestation fut menée par Na īm A allah chez qui nous avons constaté dans sa traduction un certain fait de remettre en cause l identité de l œuvre de Chédid et de changer systématiquement la réalité établie. La protestation fut la réponse de ādiq Sulaymān puisque sa retraduction fut une sorte de manifestation par laquelle le traducteur égyptien désapprouvait le fait de son homologue libanais. Sa traduction montre qu il s agit d une opposition à quelque chose : l appropriation de Chédid à une culture autre que celle d Egypte. Ce cas de protestation/contestation existe de même dans les traductions de la création romanesque de Robert Solé, l écrivain égyptien d origine syrienne. Celui-ci fut retraduit dans deux pays, l Egypte ne faisant pas partie de la manifestation de l identité de son œuvre : il s agit du Liban et de la Syrie. 2.2 Robert Solé : La révision sévère. Le premier roman traduit de Robert Solé est Le Tarbouche (1992) ; il est paru au Liban en 1993sous le titre de « ‫ئع‬ l appartenance perdue ». En ‫ح ي ان ء ل‬ ‫ب‬ ‫ « » ل‬Le Tarbouche : l histoire de , est publiée la retraduction de cette œuvre en Syrie chez Dar Ward. Une retraduction justifiée d une part par un souci de plus grande - 296 Ahmed Khalifa exactitude, d autre part par l obtention des droits de traduction. Pour rappel, la première traduction témoignait d une opération traduisante très elliptique et, en outre non légitime, i.e. éditée sans l autorisation de l auteur de l œuvre. Dar Ward, deux ans plus tard, publia la traduction d un autre roman de Solé, Mazag (2000) [trad.2002].434 Dans ces quelques pages, nous allons prendre en considération les deux premières traductions du roman Le Tarbouche. Nous avons décidé de ne pas introduire ici notre analyse du deuxième roman Mazag puisqu il s agit du même traducteur que pour le premier et pour autant que le sujet, à ce point de notre recherche, est le phénomène de la retraduction. Le roman de Solé, objet de notre courte analyse ici, raconte l histoire de la famille Batrakani, une famille syrienne, chrétienne profondément francophile et exemplaire d une minorité divisée entre deux mondes. C est dans cette extraordinaire et cosmopolite Égypte de 1916 que George Batrakani décide de fabriquer des tarbouches : une coiffure masculine dont la forme est comparable à celle d un pot de fleurs. A cette époque, le tarbouche était un emblème national, symbole d une société heureuse avant d être confrontée aux tourments du siècle. Ce tarbouche est tombé en disgrâce en effet avec la prise du pouvoir par les nouveaux officiers. La fin de leur monde étant proche, ces Syriens d Égypte devront entreprendre des nouvelles migrations douloureuses. Nous sommes donc devant une histoire d identités divisées. Un roman qui décrit la présence devenue troublée des Syriens en Égypte. Pour cela nous remarquons cet ajout dans la traduction libanaise dans le titre, un ajout qui y est fait peut-être pour changer le contrat de lecture et l horizon d attente du lecteur arabe. En mettant l accent sur le problème de l identité, la traduction libanaise amène le lecteur arabe vers une autre dimension problématique du roman, voire secondaire. Que l on juge ce faire soit mal soit bien, nous constatons avant tout que le temps de réception du pays de la première traduction (le Liban , c est à dire les années , fut centré sur les récits décrivant les crises identitaires. Précisons que ce pays est soumis profondément et spécifiquement à un problème identitaire druzes et de par ses divisions religieuses (chiites, sunnites, chrétiens, culturelles arabe, français, anglais . Selon l écrivain libanais Depuis ce temps, on atteste la non apparition d autre traduction en arabe de l auteur, sauf s il s agit des traductions non autorisées parues quelques part dans le monde arabe, puisque l écrivain lui-même déclare un certain abus de ses droits au Liban. 434 - 297 Ahmed Khalifa NajībMan ”rZakkā, la plupart des écrits de cette époque s est orientée vers la question de l identité après la guerre civile de ; voire cette question en est devenue le thème dominant.435 La recherche sur l influence de cette crise d identité sur la littérature fut l objet de plusieurs études, que nous avons effleurées précédemment à travers une simple réflexion par ce qui pourrait toucher la traduction littéraire comme une variante de la littérature. Le sujet pourrait être largement discuté mais nous avons choisi de ne pas nous éloigner de nos objectifs dans ce chapitre qui visent les textes seulement. Pour cela, accédons promptement à notre analyse qui concerne avant tout la comparaison entre les traductions mais qui envisage, de temps en temps, les signes du contexte dans lequel se trouve le texte. Le premier exemple que nous donnerons prétend montrer la différence de technique de chacun des deux traducteurs (libanais et syrienne) vis-à-vis des deux composantes essentielles du roman : le dialogue et la narration : Pas un seul adjectif, pas la moindre fioriture. La plume de Michel Batrakani avait griffé le papier juste ce qu il fallait, interdisant à cette encre violette, un peu baveuse, de se répandre en pleins et en déliés. Comme si toute émotion épistolaire était proscrite ce soir-là. Comme si l importance de l événement exigeait une précision d entomologiste, un style de greffier. Le Tarbouche, p. 17. A ‫ ك‬، ‫ ك ل صيل ت م‬، ‫ب ك ني شي‬ ‫لم ي ف مي‬ . ‫ل تب ل‬ ‫أ ل س‬، ‫ل ق ع لم ل‬ ‫ي‬ ‫ل‬ . ‫س‬ ‫ئع) س ح ح‬ ‫(ح ي ان ء ل‬ ‫ب‬ ‫مي يل‬ ‫ل‬ ‫ك ل‬، ‫أ أه ي‬ . . ‫ل‬ B ‫ ف خ ت ي‬. ‫ك‬ ‫ أي‬، ‫ي ن في ل ص أي ص‬ ‫ ب يث ا ي‬،‫م ه ا ف ط‬ ‫ك ني ع ل‬ ‫ل قي‬ ‫ي ل ئع ن ع م ع ح ف ل ف ل ي‬ ‫ ك ل ل‬،‫لك ل ء‬ ‫في ل ب م‬ ‫كل ن‬ ‫ك تب م‬ ‫ أس‬، ‫ق ع لم ح‬ ‫ك نت ت‬ ‫س ن ب ثس‬ ‫ب‬ ‫ل‬ ‫لم‬ ‫ب‬ ‫ل‬ ‫ك‬ ‫ل‬ Au préalable, nous pouvons comprendre pourquoi la deuxième traduction [le texte B] s est révélée plus exacte que la première traduction [le texte A]. C est parce qu il s agit d une opération traduisante qui commet beaucoup d omissions. Comme dans l exemple précédent, nous remarquons que la première phrase est seulement traduite par « ‫ل صيل ت م‬ ‫ك‬ ‫ك ني شي‬ ‫ب‬ ‫ « » لم ي ف مي‬Michel Batrakani n a rien ajouté et il a Voir Najīb Man ”r Zakkā, Littérature Libanaise contemporaine: aspects thématiques, Université Saint-Esprit de Kaslik, 2000. 435 - 298 Ahmed Khalifa exactement mentionné les détails » . La deuxième phrase est omise et seulement la troisième est traduite. Ce qui résume le texte original finalement en deux phrases : Pas un seul adjectif, pas la moindre fioriture. La plume de Michel Batrakani avait griffé le papier juste ce qu il fallait, interdisant à cette encre violette, un peu baveuse, de se répandre en pleins et en déliés. Comme si toute émotion épistolaire était proscrite ce soir-là. Comme si l importance de l événement exigeait une précision d entomologiste, un style de greffier. Texte B Michel Batrakani n a rien ajouté et il a exactement mentionné les détails. Comme si l événement avait besoin de la précision d un entomologiste ou du style d un notaire [scribe impartial]. La deuxième traduction, celle de Randa Ba th, témoigne d une exactitude par sa fidélité au texte original et au niveau de l emploi d une langue arabe relativement standard qui s approche au maximum des normes d écriture, jusque même au niveau des dialogues. Autrement dit, c est une traduction qui abandonne tout acte d appropriation nationalisante. Par contre, la première traduction se caractérise par un niveau oscillant de l arabe écrit qui se confond avec le dialectal « libanais ». L exemple suivant le montrera : Khalil s était parfaitement adapté à ces contraintes. )l menait à la baguette des ouvriers recrutés pour quelques piastres et licenciables à tout moment. Son compte en banque prenait, d année en année, une tournure plus présentable. Tu verras, ma colombe, disait-il à Mima en la serrant contre lui : je te construirai une superbe villa, à deux pas de la basilique. Le Tarbouche, p. 20. ‫ل ين‬ ‫في ل ك‬ . ‫ل ي‬ . ‫س‬ ‫ل‬ ‫صي‬ A ‫ ف‬، ‫ب‬ ‫ل ت ش خ يل مع ه ل‬ ‫ بي من ح ي ك‬، ‫أج‬ ‫ ل هي‬،‫ب ل ف‬ . ‫من س ه أخ‬ ‫ي‬ : ‫ك ي ل جه ه ي ن ب‬ ‫ س ب ي لك في ا ج ي ب‬. ‫س ف ت ين ي ق تي ل ي‬ ‫ئع) س ح ح‬ ‫(ح ي ان ء ل‬ ‫ب‬ ‫ل‬ B ‫ ف ل‬، ‫ت ق م خ يل ب ل ك مل مع ت ك ل ق‬ ‫ي يع‬ ‫م‬ ‫ك ي غ م م بل ق‬ .‫ف ي ن‬ ‫ ص ح به في ل‬، ‫ع م ب ع‬ ‫ب بين‬ ‫ل ي ه ي‬ ‫ ك ي‬،‫— س ف ت ين ي ي م ي‬ ‫ ع ب خ تين من‬، ‫ئ‬ ‫ س ب ي لك‬.‫عيه‬ . ‫ل ت ئي‬ ‫ق ع له ل ين‬ . ‫هم في أي ل‬ . ‫س ن ب ثس‬ ‫ب‬ ‫ل‬ Remarquons donc ce décalage entre les deux textes l un empruntant un vocabulaire usé. La différence est notoire dans les cas de réduplication synonymique comme par exemple la traduction de « s est adapté » par « ‫[ » ي ش‬texte A] et « ‫» ي ق م‬ [texte B], « contraintes » par « « ‫[ » صي‬texte A] et « ‫[ » ص ب‬texte A] et « ‫[ » م ق‬texte B], « compte » par ‫[ » ح‬texte B], « banque » par « ‫[» ب ك‬texte A] et « ‫ف‬ - 299 Ahmed Khalifa ‫[ » م‬texte B], « villa » par « ‫[ » في ا‬texte A] et « » [texte B] et particulièrement la traduction de « ma colombe » par « ‫[ » ق تي‬texte A] et « ‫[ » ي م ي‬texte B]. La traduction de ce dernier terme prouve que le texte A ne fait pas attention au niveau de langue puisque le mot « ‫ » ق‬est un mot classique, utilisé rarement, même chez les anciens arabes. Bien qu il signifie la colombe, le fait de l introduire dans le dialogue crée un effet de bizarrerie. Rappelons que justement ce mot fut le sujet d un poème entier intitulé « Le secret du mot » du poète égyptien Naguib Sur”r [ -1978], où il avait l ambition spéciale d intriguer le lecteur. Or ce n est pas le cas dans la traduction libanaise qui est censée donner un effet d oralité dans les dialogues. Ce cas d usage de termes vieillis et démodés est un cas itératif tout au long de la traduction qui éloigne évidemment son lecteur par ces archaïsmes désuets. Un autre exemple vient affermir notre constat : Il se pencha sur le document, puis se ravisa : — Quel jour sommes-nous à votre calendrier ? — Nous sommes le 13 mai, Hautesse. — Le 13 ! c est un mauvais chiffre. Je ne veux pas l inscrire. Il y eut quelques sourires embarrassés. Le père recteur crut devoir dire : — Nous n avons pas cette frayeur, (autesse. Le Tarbouche, p. 20. A : . 1 ‫س‬ : ‫ثم س‬ ‫ن بع ل‬ ‫ن م ك؟‬ ‫ ي ب‬،‫— في أ ي ن ن‬ .‫ لن أك ه‬، ‫ ه قم م‬. ‫— في ل لث ع‬ ‫ج ل ي ن هي‬ ‫ل ب‬ ‫ل ض ل‬ ‫ت‬ . ‫ ي ص حب ل ي‬،‫ف‬ ‫— لي ت ل ي ه ل‬ ‫ئع) س ح ح‬ ‫(ح ي ان ء ل‬ ‫ب‬ ‫ل‬ . B :‫ق ئا‬ ‫ثم س‬ ‫ع ل‬ ‫ن‬ ‫— في أ ي ن ن ح ب ت ي م؟‬ . ‫ ي ص حب ل‬، ‫— ن ن في ل لث ع من آي‬ .‫ ا أ ي أ أ نه‬،‫! ه ل قم ي ب ل س‬ ‫— ل لث ع‬ . ‫فت ب ع ب م م ت‬ : ‫ع أ ل ي ب من ج ه أ ي‬ . ‫ ي ص حب ل‬، ‫ف‬ ‫— ليس ل ي م ل ه ل‬ ‫س ن ب ثس‬ ‫ب‬ ‫ل‬ Nous avons tiré cet exemple pour souligner la traduction du mot « calendrier » dans le texte A par « ‫ن م‬ » qui est un mot persan composé de « » [jour] et « ‫» ن م‬ [livre]. Le mot s utilise rarement pour désigner la brochure indiquant non seulement les jours et les mois de l année mais aussi les heures des levers du soleil et de la lune. Le mot crée un effet d étrangeté ou autrement dit, un effet de spécificité appartenant à l usage linguistique de la culture libanaise. Ainsi, par l omission de la phrase « Nous sommes le 13 mai, Hautesse », le dialogue dans le texte A manque de cohérence et donne de faux traits aux personnages comme à travers la phrase « le père recteur crut devoir dire » qui est transformée en « le recteur se trouva répéter : ». Entre une phrase bien réfléchie [texte source] et une phrase « inconsciente », celle traduite dans le [texte A] l un des caractères du père recteur ne change-t-il pas ? A part cela, nous remarquons quelques - 300 Ahmed Khalifa changements comme celui de l effet littéraire causé par la traduction de « se pencha » par « ‫» ن ب‬. Pourrions-nous penser qu en raison de cet effet archaïque de la traduction libanaise [texte A] est née l envie d une retraduction [texte B] ? Celle-ci ne s inscrit-elle pas dans une réception de la première traduction et de son esthétique ? N est-elle pas [la retraduction] une relecture de la première et une proposition nouvelle d une lecture cohérente et logique ? La deuxième traduction, celle de Randa Ba th, ne témoigne-t-elle pas d un certain souci de faire texte au sens d Antoine Berman ou celui d Yves Chevrel ? La réponse est certainement positive si nous prenons en considération que la reproduction syrienne de Solé est plus tenace que la production libanaise. Cette ténacité s exprime au niveau de la langue écrite, de la grammaire, de la syntaxe, et spécialement au niveau de la fidélité de la traduction. Ce fait, nous pourrions l asseoir sur le remplacement des mots « anciens et étrangers » par d autres « courants et familiers » comme « ‫ » ق تي‬par « ‫» ي م‬, « ‫ن م‬ » par « ‫» ت يم‬, « ‫ » ن ب‬par « ‫» ن‬, etc. Pour prouver plus avant que la retraduction est plus exacte, moderne et actualisée que la première nous tirons un dernier exemple : Rachid savait que son frère Sabri participait activement à la révolte populaire. )l l avait rencontré à deux reprises depuis le début des événements, essayant de comprendre ce qui l animait. Les deux hommes n évoluaient plus tout à fait dans le même univers. Des années plus tard, ayant recueilli divers témoignages, le fils de Sabri écrirait dans son livre Itinéraire d un officier : « Rien ne prédestinait mon père à devenir un révolutionnaire. Rien, sinon la pauvreté, l injustice qui régnait dans le pays et l arrogance des Anglais. » Le Tarbouche, p. 85. A ‫ ف قبه‬. ‫ل‬ ‫في ل‬ ‫ي‬ ‫ص‬ ‫ ف ج ين ع ل‬.‫ف ه‬ ‫ م ا فم‬، ‫في ك يه ل‬ ‫ ك ب بن ص‬، ‫ع ي‬ ‫ ا‬. ‫ي ن ث شيء ي يئ ل لي ح ث ي‬ ‫ل‬ ‫ ب إض ف‬، ‫م ل ئ ين في ل ا‬ . ‫س‬ ‫ئع) س ح ح‬ ‫(ح ي ان ء ل‬ ‫ب‬ ‫شي ي م ب خ‬ ‫ك‬ ‫م تين م ب ء أح‬ ‫ ب س‬. ‫م‬ ‫ " لم‬: ) ‫ج‬ ‫(م‬ ‫ل‬ ‫ل‬ ‫شيء س‬ " ‫غ س ان ي‬ ‫ل‬ ،‫ي‬ . B ‫ي هم ب ل ف في ل‬ ‫شي ي م ب أخ ص‬ ‫ك‬ ‫م ا أ ي م فه‬ ‫به م تين م ب ي أح‬ ‫ق ل‬ ‫ ب لك ب‬. ‫أص ح ل ل من أخ ين ع لم م ف ت م عن آخ‬ ‫في ك به م ض بط ب أ ج ع ش‬ ‫ ك ب بن ص‬، ‫س‬ ‫ ا شيء س‬. ‫" م من شيء ك ي هب أبي أ ي ح ث ئ‬ ‫م‬ ." ‫ غ س ان ي‬، ‫ل م ل ين س ل ا‬ ‫ل‬ ‫ل‬ ‫س ن ب ثس‬ ‫ب‬ ‫ل‬ Notons d abord les omissions et les ajouts pratiqués dans le texte A qui omet par exemple l adverbe « activement » et la phrase entière « ayant recueilli divers témoignages ». Puis, le même texte, subit des transformations changeant la signification des faits comme par exemple la transformation d une « révolte populaire » en une « révolution armée » et « officier » en « soldat ». Il est vrai que les deux textes partagent la mauvaise traduction du temps conditionnel dans « écrirait » et le détour dans la construction de la phrase « Les deux hommes n évoluaient plus tout à fait dans le même - 301 Ahmed Khalifa univers » mais, le texte B témoigne d une certaine fidélité au texte source au niveau du style de l auteur. Ce qui nous a poussé à le juger comme un texte après coup, un texte contre qui renie, comble, renouvelle et remodèle. )l n est pas indifférent comme l est le premier. Laconique L étude des retraductions des œuvres de Chédid et de Solé nous a aidé à concevoir et apprécier quelques idées déjà développées chez certains théoriciens tels Berman A., Chevrel Y. et Marty Ph. La retraduction égyptienne de l œuvre de Chédid témoigne du refus méthodique de lire la première traduction, et c est peut-être une rivalité implicite qui tend garantir une certaine autonomie au mot. La retraduction de l œuvre de Solé est une révision sévère de la première traduction. Comme il n y a pas de traducteur qui se permette de se nommer retraducteur, protraducteur436 ou rétrotraducteur, la question reste toujours en attente d une nouvelle conception de l œuvre et de ses lectures [retraductions]. Celles-ci sont l essaim qui est parti grossir pour devenir pluriel et éphémère dans une langue autre. 436 Du « progrès » par rapport à la traduction précédente. - 302 Ahmed Khalifa 3 Albert Cossery : Entre narration et dialogue « Mais ce n était qu un état qu il s imposait de temps en temps pour croire à sa dignité. Car El Kordi s imaginait que la dignité était seulement l apanage du malheur et du désespoir. C étaient ses lectures occidentales qui lui avaient faussé ainsi l esprit. ». COSSERY A., Mendiants et Orgueilleux En , on décide d introduire Albert Cossery au lecteur arabe à travers la traduction du roman Mendiants et orgueilleux (1951). Cinq ans plus tard, on publie chez Dar Al (ilāl la deuxième traduction d un autre roman de Cossery : il s agit de La violence et la dérision (1964). La troisième traduction, celle du roman La maison de la mort certaine (1944) paraît en 1996. En 1999, on publie la quatrième et la dernière traduction de Cossery, Les fainéants dans la vallée fertile (1948). Toutes les quatre sont effectuées par un seul traducteur : il s agit de Ma m”d Qāsim, le journaliste égyptien. Entre temps, nous constatons la parution des traductions de quelques petits extraits de la création de Cossery dans les revues littéraires égyptiennes comme Al Kitāba Al Ukhrā (1992), Adab wa naqd (1993) Al Qāhira (1994-1995) et )bdā (1996). Nous remarquons d abord qu une énorme part de la production de Cossery en arabe fut traduite par un seul traducteur. )l s agit de quatre romans traduits qui constituent en outre 50 % de la création romanesque de l écrivain. Ce qui nous permettra de dire que Cossery est l écrivain le plus traduit parmi les écrivains francophones égyptiens de la première génération. Avant de débuter notre analyse des traductions de Cossery, une mise en garde s impose. En effet, d aucuns verront peut-être dans les pages qui suivent une analyse textuelle détaillée de chacune des quatre traductions. Nous allons essentiellement essayer de donner des exemples significatifs vu que les tendances générales des traductions appartiennent à un seul traducteur. Le rapport de ce dernier avec l auteur sera donc l axe sur lequel se base cette étude. Un rapport vu positivement familier et négativement étrange ; ou autrement dit comme le déclare la traductrice libanaise Nahla Baydoun : « Le rapport entre l écrivain et son traducteur qui partage la même culturemère est séparée par l allophonie de l écrivain. La particularité de ce rapport - 303 Ahmed Khalifa interculturel provient de l inversion du schéma traditionnel de l altérité o‘ le dialogue s installe entre deux entités entretenant des rapports de « familiarité » plutôt que des rapports d « étrangeté » » 437 Albert Cossery est un écrivain égyptien « de langue française » comme il se définit lui-même. Tous ses écrits parlent de l Egypte moderne qui occupe le temps et l espace. La « version française » de Naguib Mahfouz, comme la désignent certains intellectuels égyptiens, incarna ce que Charles Bonn dit dans son livre Littérature francophone : 1 le roman 1997 : « Le critère réaliste répond au désir de visibilité des peuples qui cherchent une reconnaissance. Pour être vu par l Autre mieux vaut se décrire dans la langue et dans les termes de l Autre »438 D ailleurs c est un écrivain qui n a jamais changé de registre. Tous ses romans nous décrivent les mêmes images et nous dessinent les mêmes personnages dont la majorité survit à peine. Les descriptions chez lui sont émouvantes et dramatiques. Misère et pauvreté sont les thèmes principaux de son œuvre qui représente une Egypte noire : symbole de la misère et symbole de tout autre lieu de misère. Tout est confondu avec l humour et l ironie d un peuple pour qui la moquerie est un moyen de survie. Pour bien transmettre tout cela, il a choisi de penser « en arabe » en donnant un tour à sa phrase qui n est pas un tour français, ou plus précisément comme il le déclara « un tour parisien ». De même pour les conversations et les répliques, il appliqua la même technique. Les propos des personnages sont donc des exclamations, interjections et insultes calquées sur le dialectal égyptien. Ce fut donc une écriture troublante pour le public français qui se trouva face à une langue française qui enveloppait une autre langue – de par l utilisation soit du vocabulaire soit de la syntaxe. Voici dans une petite phrase ce qui pourrait illustrer ce phénomène : — Par Allah ! (anafi mon frère, je ne me moque pas de toi ! C est bien une lettre à ton nom. Et une lettre recommandée encore […]. Les hommes oubliés de Dieu 1941 C est ce cas de polyphonie que nous examinerons tout au long de ce point de la recherche. Ayant foi qu une traduction d une œuvre de Cossery doive extraire l arabe de BAYDOUN N., Réflexions sur la traduction arabe de l œuvre romanesque d Amine Maalouf, écrivain libanais d expression française « Migration ou rapatriement de l œuvre littéraire », Op.cit., p. 81. 438 BONN CH., XAVIER G., et LECARME J., Littérature francophone : 1 le roman, Hatier, Paris, 1997. P ; 20. 437 - 304 Ahmed Khalifa son enveloppe française, nous avons choisi d axer notre analyse sur deux points essentiels : il s agit de narration/description et dialogue. Ce qui nous permettra d aborder, nous le pensons, toute la problématique de la traduction de l œuvre de Cossery. D ailleurs, nous prions le lecteur de nous excuser d avoir à citer des exemples si longs mais ce sera pour une meilleure description du phénomène. 3.1 Narration Selon Genette, la narration est la part qui représente les actions et les événements. Elle se différencie de la description qui est la part qui représente les personnages et les objets. Ainsi, la narration présente les déroulements dans le temps alors que la description présente des arrangements dans l espace. La description devient portrait quand il s agit de la présentation morale et physique d un personnage du roman. Pour bien différencier le narratif du descriptif, Genette affirme, qu il suffit d identifier l opposition passé simple et imparfait. Les différences entre les deux termes sont bien identifiés chez Genette ; nouscitons par exemple : énoncé de faire (narratif) et énoncé d état descriptif), linéaire et tabulaire, etc. Chez Cossery, narration et description se mélangent. Son récit est souvent à la troisième personne, ce qui fait que le narrateur ne fait pas partie de l histoire, il ne fait que la raconter. Mais parfois il intervient pour donner ses sentiments et juger les personnages. Le point de vue narratif change fréquemment ; il est externe quand notre écrivain préfère jouer l observateur extérieur mais c est un cas très limité. Souvent, le narrateur Cossery est un narrateur interne qui partage ses pensées, sentiments et émotions avec le lecteur. La focalisation zéro ou le point de vue omniscient se présente rarement dans ses romans, mais parfois, son narrateur donne l impression de tout connaître de la réalité décrite et des pensées des personnages. C est le narrateur qui connaît parfaitement l histoire qu il raconte, non seulement au niveau du passé mais aussi au niveau de l avenir. Le particulier de son écriture réside essentiellement dans le mélange entre discours direct et discours indirect libre où la conscience du narrateur joue un rôle important dans la subjectivation des événements, donnons en un exemple : « C était vraiment un être terrible, venu d un monde de désespoir, de lutte. Serag comprenait maintenant cette angoisse qu il propageait autour de lui. Elle n était pas due uniquement à son aspect misérable, ni à son visage de criminel précoce. Non, cette angoisse était le message d un univers hostile et - 305 Ahmed Khalifa trouble qui se perdait au fond des âges et dont il n était que le pâle et inconscient reflet. )l donnait l impression d une pauvre bête traquée, livrée au pire destin, et toujours en butte à des dangers latents. Quels dangers ? »439 Remarquons donc une certaine difficulté à définir celui qui nous parle dans l exemple suivant. La narration à la troisième personne pourrait être facilement considérée comme une narration à la première personne. Ce style d écriture éloigne la considération que l œuvre de Cossery est un simple récit ou un simple discours, il est plutôt un monologue narrativisé. Or, de telstyle narratif ne peut que susciter des problèmes de traduction puisqu il s agit d un traducteur qui saurait surmonter les imbroglios de la narration ; prenons la traduction de Ma m”d Qāsim de la citation précédente : .‫آ س ب لغم ل ي ث من ح له‬ ‫ف مس‬. ‫ل ا‬ ‫م عب ج ء من ع لم لي‬ ‫نه ب ل ل ن‬ ‫ ف لغم ه س ل ع لم ي لم ي ني أض س ين‬.‫ ا‬.‫ل ئس ا ل ج ه إج مي‬ ‫ليس ن ي ل‬ ‫ ي ث له عن م ي ق‬. ‫ أش ه ب ي م ين م‬.‫ع لا عي‬ ‫ل‬ ‫حي ته لم ي ن م س‬ ‫ ل ن أ أخ ؟‬. ‫ك ه أخ‬ )l s agit d un monologue narrativisé décrivant la réflexion du héros du roman après une rencontre avec un enfant de rue. Le texte arabe contient des ambigüités au niveau de la compréhension due à la non identification du narrateur. Cela revient peutêtre au niveau non-satisfaisant du traducteur, mais l essentiel est que l information devient presque autre. La narration trouve obstacle à la troisième phrase, là où le traducteur ne fait pas attention à rendre son texte logique en traduisant « Non, cette angoisse était le message d un univers hostile et trouble qui se perdait au fond des âges et dont il n était que le pâle et inconscient reflet. » par « Non, cette mélancolie est le message d un monde qui souffre, qui subit et qui a perdu les années de sa vie sans récolter que la pâleur et la [non] inconscience ». Donc le « Non » introduit dans la narration a dû poser problème au traducteur comme nous le croyons. Mais en tout cas, et mise à part la non pertinence de la traduction, un lecteur du texte arabe devrait se demander, qui dit ce « Non » ? Qui a « perdu les années de sa vie » ? Et pourquoi le monde souffre ? Pourquoi le monde n a récolté que la « [non] inconscience » ? Tant de questions qui se poseront à un lecteur conscient et qui jugerait sans doute la traduction comme non-satisfaisante à cause de ce démontage des idées. COSSERY A., Les fainéants dans la vallée fertile, Œuvres complètes, Editions Joëlle Losfeld, Paris, 2005, pp.15-16. 439 - 306 Ahmed Khalifa Sans être définitif dans nos jugements, nous allons étendre notre analyse pour bien aborder cette question narration/description rendue chez Qāsim, l unique traducteur de Cossery. Voici un autre exemple tiré du même roman : Depuis qu il avait appris par Rafik que dans certains pays des hommes se levaient à quatre heures du matin pour aller travailler dans les mines, Serag avait essayé d en faire autant. )l avait découvert dans une armoire un réveille-matin hors d usage, et l avait réparé avec l intention de s en servir. Comme il dormait seul dans sa chambre, il pouvait se permettre cette fantaisie d un genre déplacé. Toutefois, le premier jour, la sonnerie du réveil faillit provoquer un esclandre dans toute la maison. Serag n était pas encore habitué à cette rupture violente du sommeil ; il avait laissé le réveil sonner interminablement. Il se croyait en plein cauchemar. Ce jour-là, il se sentit des aptitudes pour une activité étonnante. Mais, quelques instants plus tard, ne sachant que faire, il se rendormit. Il recommença le lendemain et plusieurs jours encore, en ayant soin de rouler le réveil dans une serviette afin d étouffer le bruit de la sonnerie. Les fainéants dans la vallée fertile, Œuvres complètes )), p. 64. ‫أ ي ل‬ ‫ي‬ ‫ س‬،‫ب ص ح كي ي ه ل ل في ل جم‬ ‫ه‬ ‫ في ه أ ي‬،‫ح في غ ف ه‬ ‫ أنه ي‬،‫ب ي س مه‬ . ‫لم ي قط ع م ل ه ل ع ل يف ل‬ ‫ ف‬.‫ب ك ه‬ ‫ل‬ ‫ لم ي ف‬. ‫ل‬ ‫ ل ن ب ب‬. ‫أحس ب ل يه حي ي م ه‬ ‫ ل نه‬، ‫لي ق ض يج ل‬ ‫يف ل ه ب‬ ‫ل لي‬ 1 ‫يب‬ ‫ال‬ ‫ك ل في الوا‬ ‫في ل‬ ‫أ ع م من فيق أنه في ب ض ل ا ي ي ظ ل‬ ‫ ف ص ه‬.‫ه‬ ‫ ك ف في ل ا م لم ي أح ي‬. ‫ل هض ي س‬ ‫ أث ج‬. ‫ في أ ي‬.‫ي ه‬ ‫ع‬ ‫ في ه لي‬. ‫أنه في ك ب‬ ‫ ت‬.‫ل ه ي با ت قف‬ ‫ في أي‬،‫ ع في لي ل لي‬، ‫ ف م أخ‬.‫ي ل‬ . ‫أ ل‬ ‫مل ل‬ ‫ت م غي م‬ ‫ا‬ ‫م‬ ‫شي‬ ‫آل‬ ‫ف‬ ‫م‬ ‫ل‬ )l s agit ici de la narration du thème constant qui conduit le récit, celui de la paresse. Ce thème éclate dans tout le roman. Dans cet exemple, il y a moins d interrogations au niveau de la validation des propos et de l enchaînement des idées. La narration cette fois ne perd pas la logique mais pourtant le traducteur se présente comme un bon tailleur qui s est bien servi d un bon tissu. Le texte arabe ne témoigne ni de maladresses stylistiques ni de hors-usages lexicaux. La grammaire y est bien respectée ainsi que la syntaxe. La philosophie de la dérision de Cossery passe bien vers l arabe. Mais, pourrions-nous dire que ce segment est l un des rares segments o‘ Qāsim ne fait pas faute de traduction. L un des rares o‘ nous sentons Cossery l égyptien. Le lecteur arabe pourrait facilement capter ce caractère de la critique du soi ou, autrement dit, de l autodérision. Cet exemple dans sa version arabe ne manque pas de transmettre humour et dérision. Humour à partir des faits énoncés « la situation drôle » et dérision à partir de la langue du sujet parlant cossérien. Nous remarquons quelques pertinences stylistiques dans le texte arabe comme « ‫مه‬ ‫س‬ ‫» ف ص ه ب ي‬, « ‫ب ك ه‬ ‫ل‬ ‫س‬ ‫« »ض ي‬ ‫» ل ع ل يف ل‬, etc. Ce qui donne l impression que le texte a été directement écrit dans cette langue. Or, une question se pose : est-ce vraiment le traducteur qui est derrière ce texte rationnel ? c'est-à-dire, - 307 Ahmed Khalifa facile à lire et à comprendre. La réponse pourrait être positive si nous ne portons pas un regard au texte source. En effet, cette rationalité et cette construction lexicale et syntaxique conformes au lecteur arabe découlent du texte source. Un simple regard témoigne que le traducteur n a fait que traduire littéralement. Sans aucune intervention interprétative, Qāsim garde presque l ordre des mots du texte source. Ce qui nous fait réfléchir au texte français lui-même. Celui-ci contient des tours stylistiques qui font sentir qu il y a une langue sous-jacente. Bien sûr que cela ne se manifeste comme dans les dialogues mais, le type de la narration chez Cossery témoigne le plus souvent d un monologue intérieur. Ce qui fait que son narrateur réfléchit lui-aussi à l égyptienne. Un autre exemple le montrera plus clairement : Drapé dans une robe de chambre pourpre, Heykal quitta le divan et, pour la dixième fois au moins, s approcha de la fenêtre. Bien qu il fût au comble de l énervement, il gardait un air impassible et employait pour se mouvoir une démarche altière, qu on eût pu croire spécialement étudiée pour la fréquentation des palais royaux. Le regard froid et sans passion qu il jeta dans la rue indiquait sa résolution de s abandonner au fatalisme ; depuis un bon moment, il avait renoncé à l espoir de voir apparaître Siri, son domestique. Celui-ci pouvait revenir demain ou bien dans une semaine ; nul n aurait su le dire, et (eykal encore moins que quiconque. Au début de l après-midi, il l avait envoyé porter son unique costume présentable chez le repasseur du quartier, et, maintenant, à six heures du soir, il n était pas encore de retour. La disparition de son domestique plongeait Heykal dans un affreux tourment ; il se voyait confiné dans son appartement avec interdiction d en sortir. ‫ ف نه‬، ‫ غم نه في ق ل ي‬، ‫من ل ف‬ ‫ ل ي خ ت من‬، ‫ل‬ ‫ك ت ل‬.‫ل ي‬ ‫غ أ خا‬ ‫ ه ل ي ه ل‬. ‫مه س‬ ، ‫ لم ي ح آ‬.‫ل ه ل حي ل ك ء ل ي‬ . ‫ه ك نه ي هب ل‬ ‫ي‬ La violence et la dérision, Œuvres complètes I, p.204. ‫ ق‬،‫ل ش ع أقل‬ ‫ ل‬،‫ش م ق م يين ت هي ل أ ي ه‬ ‫ت عب‬ ‫ب ل خياء ك نه ق ت ب في ل‬ ‫ت‬. ‫أع‬ ‫ب‬ ‫ه‬ ‫ح ظب‬ ‫خ‬ ‫ ف أمل في ي‬، ‫ ف ل‬، ‫ن ه ل‬ ‫ل ع عن ت ي ه أ ي‬ ‫ كي ي هب ب‬، ‫س ه ب ل ي‬ ‫ ل‬.‫ ح هي ل ن ه‬، ‫ ا أح ي ف م‬، ‫أس‬ ‫في ش‬ ‫ي‬ ‫ ف‬،‫ أغ هي ل غي خ م في ألم م عب‬،‫في ل س م ء‬ ‫ال ف ال‬ Nous avons choisi cet exemple pour prolonger la réflexion sur le style de Cossery, que nous croyons être la raison de la réussite de la traduction de Qāsim au niveau de la narration et de la description. En définissant le style, nous pouvons dire que c est la manière d écrire avec un vocabulaire dense, des formules idiomatiques, maîtrise de la syntaxe et de la concordance de temps. Un bon style est celui qui prend en considération la construction des phrases. Or, ce n est pas la signification la plus importante surtout quand il s agit d un écrivain francophone comme Cossery. Le plus recommandé à chercher selon les critiques, c est d envisager comment l auteur dévoile son histoire ? Comment décrit-il ses personnages et leurs interactions entre eux-mêmes ? Comment délivre-t-il son idéologie à son lecteur ? Etc. De ce fait, le style ne signifie pas forcément - 308 Ahmed Khalifa une bonne écriture mais plutôt la manière dont on raconte une histoire avec l intention de la rendre intéressante. Il est donc une question de perception de la réalité, question d état d âme et de conscience. Pour résumer, le style est l ensemble des émotions, des rêves et des cauchemars, des secrets et des fantasmes de son auteur. C est pourquoi, nous ne nous croyons pas avoir tort si nous disons que l égyptianité de Cossery existe non seulement au niveau des dialogues mais aussi au niveau de la narration. Notre tentative à sortir l arabe de son enveloppe française n a d autre prétention que celle de montrer à notre lecteur comment Cossery arrive à passer sa vision du monde dans son texte avec le même souci, peut-être, exprimé par Kateb Yacine, écrivain algérien, sur lui-même : J écris en français pour dire aux Français que je ne suis pas Français.440 Pour ce faire, nous proposons une autre lecture : il s agit de notre lecture en tant qu Egyptien du texte français. Une lecture qui pourrait rater d autres effets d égyptianité sur le texte puisque nous ne prétendons pas avoir le niveau qui nous permet de saisir tout ce qui se ditou qui nese dit pas en français. D abord les expressions telles « pour la dixième fois », « marche […] étudiée pour la fréquentation des palais royaux » et « celui- ci pourrait revenir demain ou dans une semaine » sont des expressions idiomatiques du dialecte égyptien o‘ la première par exemple s utilise souvent pour la répétition. L utilisation du nombre « dix » chez les Egyptiens dans les situations pareilles ne désigne pas forcément « dix » mais plutôt « un nombre indéterminé des fois » qui signifie plusieurs reprises de la même chose ou le même geste. Ainsi, la deuxième expression « la fréquentation des palais royaux » est une expression moqueuse souvent utilisée pour désigner la personne arrogante et altière. De même, la troisième expression témoigne d une égyptianité évidente puisqu on l utilise quand on désespère le retour de quelqu un parti pour un petit trajet. L expression désigne essentiellement le caractère insouciant de la personne décrite. Ces expressions font facilement retour vers l arabe en donnant l impression que le texte est directement écrit en cette langue, comme nous l avons déclaré auparavant. Ainsi, au niveau de la structure des phrases dans le texte traduit, nous constatons que 440 A voir la biographie de l auteur, disponible sur internet : http://fr.wikipedia.org/wiki/Kateb_Yacine - 309 Ahmed Khalifa cette construction coule du source vu par exemple que la particule de conjonction « et » s utilise beaucoup chez Cossery, comme va la manière égyptienne de raconter les histoires ou autrement, comme sont les habitudes de l art narratif dans le monde arabe. L usage abusif du « et » chez Cossery pourrait même éloigner la fonction que cette particule remplit en français et la charger d autres fonctions adoptées par la langue arabe. L exemple de « … chez le passeur du quartier, et, maintenant , … » pourrait bien illustrer ce que nous venons d indiquer. Les fautes de traduction se révèlent dès la confrontation avec le texte source. Nous constatons plusieurs ellipses au niveau des comparaisons, mais cela est dû à la stratégie rapatriante du traducteur qui, le plus souvent, a fait des approximations non négligeables. La faute la plus remarquable est celle qui a changé toute l information telle la traduction de « il se voyait confiné dans son appartement avec interdiction d en sortir » par « il commença à se remuer dans son appartement comme s il était prêt à sortir ». Mais nous remarquons, malgré les fautes, qu il y a une rectification progressive au niveau de la narration, même s il s agit d une fausse traduction. C est le cas d un traducteur auteur qui comble les lacunes de sa traduction fantaisiste. En résultat, on pourrait avoir un autre texte qui possède d autres esthétiques. La description d un meurtre dans le roman de Mendiants et orgueilleux (1951), nous semble importanteà commenter : Gohar se dégagea brusquement ; les bracelets de la fille en se choquant dirent un bruit de tonnerre, et il sentit son cœur s arrêter de battre. Une sueur froide noyait ses membres. )l frissonna, se leva d un bon, entraîna la fille vers le lit et s abattit sur elle. Ses mains l avaient agrippée à la gorge avant qu elle eût le temps de crier. Elle ouvrait de grands yeux emplis d une surprise énorme, elle n avait pas encore compris ce qui lui arrivait. Gohar ne put supporter son regard et détourna la tête. Il pressa avec ses doigts de toutes ses forces chancelantes. La fille détendit les jambes en avant dans un geste d extrême défense. Gohar ferma les yeux. Il y eut un long silence, plein de ténèbres, durant lequel Gohar relâcha insensiblement son étreinte. La tête de la fille retomba sur l édredon avec un bruit mou ; elle était morte. Mendiants et orgueilleux, Œuvres complètes I, pp.38-39. ‫ع ج ع‬ ‫ ن‬. ‫ أحس ب ه ي قف عن ل‬، ‫ض أش ه ب ل ع‬ ‫ل‬ ‫ بي أص‬، ‫ه م‬ ‫ ف ت عي ي‬. ‫ أ ق ي يه ع ع ق ل أ ت ن من ل‬. ‫س ب ل ن حي ل ي ه م ع ي‬ ‫ف‬ ‫ م‬. ‫ ضغط ب ص ب ه ب ل م ي ك من ق‬. ‫ لم ي ل ج ه ن ت‬. ‫ لم ت م م ي‬, ‫ه غ ي‬ ‫ع ت‬ ‫ ح‬. ‫ بي س في خ‬. ‫ م يء ب ل‬.‫ص ت يل‬ ، ‫ أغ ق ج ه عي يه‬. ‫أم في ح ك ف أخي‬ . ‫م ث ض‬ ‫م‬ ‫ش‬ ‫ن‬ ‫خص ل‬ ‫ق‬، ‫ت‬ ‫ب‬ ‫ل س ين ل ين‬ ‫ل س قي ل‬ ‫س ت أ ل‬ ‫ل م تت‬ Nous voyons tout d abord que le type de narration dans cet exemple est relativement complexe : il s agit, selon Genette, d une narration intercalée puisque le - 310 Ahmed Khalifa narrateur raconte l histoire et en même temps insère les impressions des personnages sur les mêmes événements et actions. Cossery aura sans doute recouru au passé simple pour assurer, outre la succession des actions achevées, la vitesse narrative de la scène. C est aussi par l emploi de ce temps que l on pourrait juger les priorités de l auteur. Action principale du roman, le meurtre se représente en arabe sous le même aspect narratif qui ne diminue ni la vivacité ni la vitesse du récit. Par contre, les détails descriptifs disparaissent et font que le texte arabe va plus vite que le texte source. Le texte en arabe manque de plusieurs descriptions telles « en se choquant », « il frissonna », « détourna la tête », « relâcha insensiblement », « sur l édredon », « mou ». Sur le plan linguistique, les comparaisons passent vers l arabe sans ambiguïté mais nous remarquons quelques transformations. Par exemple : « membres » a été transformé en « corps », « ouvrait de grands yeux » en « ouvrait ses grands yeux », « extrême défense » en « dernière défense » et « durant lequel Gohar relâcha insensiblement son étreinte » en « alors qu il continua à l étouffer ». Ces omissions et faux sens font que les effets de lecture ne sont pas les mêmes dans les deux versions du texte. Les ralentissements causés par les détails descriptifs de Cossery, se sont donc transformés en accélérations. Sans doute, la différence de vitesse entre les deux textes est légère mais nous nous interrogeons si l omission des petites descriptions statiques interdit au lecteur arabe de sentir l un des effets de la technique narrative de Cossery : celui de la pause. D ailleurs, inspecter la fidélité dans les traductions de Qāsim semble une fonction facile parce qu il s agit, nous le confirmons, de fautes omniprésentes. Bien que l analyse des textes dans la langue cible se base sur un regard autre pour la traduction en tant qu œuvre littéraire possédant ses propres langue, style et créativité, la confrontation des deux textes pourrait envisager aussi des viols sacrilèges commis par le traducteur vis-àvis de la création de l auteur. Ce qui mérite de citer un dernier extrait : - 311 Ahmed Khalifa . Dans la venelle des Sept Filles, les gens s ingéniaient à prédire le jour et même l heure o‘ surviendra la catastrophe. Ces voisins venimeux, toujours à l affût d un malheur survenu à autrui, vivaient dans l attente de cet effondrement spectaculaire et ne s occupaient plus d autre chose. )ls envoyaient les enfants sur les lieux se rendre compte, n osant pas, ces invertis, se déranger eux-mêmes. Il y avait toujours, il est vrai, quelques commères hagardes et pleurnicheuses qui plaignaient les futures victimes et les enviaient presque pour ce malheur définitif et grandiose. Quant aux locataires, eux, après le coup de l ingénieur, ils n attendaient plus aucune aide de ce chien de Si Khalil et tâchaient de trouver par eux-mêmes quelque solution satisfaisante. A aucun moment, il ne s agissait pour eux de déménager. Car, outre les frais qu occasionnerait un déménagement intempestif et les multiples difficultés résultant de la recherche d un taudis, il y avait encore tous les loyer arriérés qu il eût fallu régler. Si Khalil, ce dominateur perfide, avait bien compté là-dessus. La maison de la mort certaine, Œuvres complètes I, p.364. ‫ء ئ ي ص‬ ، ‫ل ل حي‬ ، ‫ل ع‬ ‫ف صم‬ ‫ لم‬. ‫م‬ ‫في ل‬ ‫عن ل ث عن‬ 84 ‫ال و اأكي‬ ‫ل‬ ‫ ه اء ل ي‬، ‫ل ع ل ي س ل في ل ث‬ ‫ أي‬، ‫في ل ب لي‬ ‫ل عب ي ن ل‬ ‫في ع‬ ‫ أ س أ‬. ‫ا ي غ ب يء ع‬ ‫ه ان ي ل س‬ ‫في ن‬ ‫ ي ي‬،‫أ ت لم ي تي من أ ج نب‬ ‫ ح أ ب ض ل ع‬، ‫أن م‬ ‫م م فم ي ء أ ي ع‬ ‫ أم ل ي‬، ‫ق أخ كل شيء في ح ب م‬ ‫ل‬ ‫ أم ب ل‬.‫م‬ ‫ل ه ل‬ ‫ل ي ت ن ئ من ه لي‬ ‫ل كي ي ين أ ي ن من ض ي ل‬ . ‫ل في‬ ‫بن م ب ض ل‬ ‫ ح ل أ ي‬.‫أ م ع من ه ل ب سي خ يل‬ ‫ لم ي‬، ‫ل‬ ‫) غي م ج ف ا عن ل عب ل ك ل ت‬ ‫(ل‬ ‫ليت‬ ‫أ ل‬. ‫ل‬ ‫في ت‬ ‫م‬ ‫ي‬ .‫ضع ه أم في ح نه‬ ‫ ل‬،‫ ل ت خ في فع أج ع ي م ت ي أم مع خ يل‬. ‫ك‬ ‫م‬ De prime abord, nous remarquons l omission de plusieurs expressions telles « il y avait toujours », « il ne s agissait pas pour eux », « intempestif », « ce dominateur perfide ». Puis, les phrases en arabe subissent des ruptures et/ou bien elles manquent d enchaînement logique. Ainsi, les faux-sens et les contre-sens rayonnent dans le texte choisi comme par exemple la traduction de « commères hagardes » par « prostituées effrayées », ou celle de « qui plaignaient les futures victimes » par « [qu ] elles craignent d être parmi les victimes de l avenir ». Bien que Qāsim ait recouru à un mot du dialecte égyptien pour traduire « un déménagement », il a mal rapatrié le mot « taudis », qui ‫» ك‬, le mot le plus convenable serait « désigne une habitation misérable, par « ‫» ع‬, souvent utilisé pour désigner les huttes des pauvres. L exemple contient aussi des détours syntaxiques non justifiés et des ajouts frivoles. L information à partir « Ces voisins venimeux… » jusqu à « … définitif et grandiose » n est presque pas la même. Le traducteur recourt à des mots tels « ‫[ » كل شيء‬tout] et « ‫أم‬ ‫[ » ه‬cette chose] pour éclipser des phrases toutes entières. Aussi, une reprise d une part traduite de cet extrait en français permettra finalement d illustrer le fait du traducteur : - 312 Ahmed Khalifa Ces voisins venimeux, toujours à l affût d un malheur survenu à autrui, vivaient dans l attente de cet effondrement spectaculaire et ne s occupaient plus d autre chose. )ls envoyaient les enfants sur les lieux se rendre compte, n osant pas, ces invertis, se déranger eux-mêmes. Il y avait toujours, il est vrai, quelques commères hagardes et pleurnicheuses qui plaignaient les futures victimes et les enviaient presque pour ce malheur définitif et grandiose. Ces voisins intelligents surveillent toujours toute souffrance venant de n importe quel côté. )ls vivent dans l attente de cet effondrement tragique. ils ne s occupent pas d autre chose. )ls ont envoyé les enfants aux banlieues en prenant tout en considération. Les méfiants parmi eux n ont pas voulu se déranger eux-mêmes. Certes, quelques prostituées effrayées et pleurnicheuses craignaient d être parmi les victimes de l avenir et ont peur de ce désespoir apparent et gonflant. Récapitulons donc de tout ce qui précède que Qāsim, le traducteur de Cossery, avait bien présenté un texte narratif plausiblement cohérent. Le lecteur arabe aurait pu y rencontrer quelques difficultés au niveau de la compréhension mais cela ne touche pas l entité du travail du traducteur. Un travail que nous saluons si nous supposons qu une bonne traduction est celle qui respecte les normes et les habitudes d écriture chez son lecteur cible. Ce dont la narration chez Qāsim témoigne en général. Mais était-ce vraiment le fait du seul traducteur ? La réponse est négative puisque Cossery, l écrivain source, avait participé à cette correspondance aux normes d écriture en arabe. C est à travers son style, ses descriptions et sa technique narrative dans la langue source que l on sent d abord un texte arabe. La problématique et la particularité du texte cossérien sont plus sensibles dans la langue française et l on découvre, au fur et à mesure, que ces problématiques ne devraient nullement exister dans la traduction puisque il s agit en tout premier plan de la problématique de l égyptianité même au niveau du style et de la technique narrative. Ceux-ci examinés à travers un processus de confrontation entre les deux textes nous font découvrir, et arriver à, des résultats autres que ceux d une simple analyse de chacun des deux textes dans sa langue. Cossery n est pas le même, et nous le confirmons sans résipiscence, à cause de l incompétence linguistique de son traducteur. Le narrateur extradiégétique devient intradiégétique et vice versa. Et même au niveau de la fidélité, nous nous trouvons souvent devant de fausses informations. Que reste donc de la particularité de l œuvre de Cossery ? Outre cette perte du style de l auteur, nous n avons qu à espérer une meilleure retrouvaille avec l auteur dans un autre endroit du texte, celui du dialogue. Dialogues « Pour le traducteur d un roman, c est souvent le dialogue en discours direct qui pose les problèmes les plus aigus, en particulier les effets de connotation - 313 Ahmed Khalifa : le rythme des phrases, le niveau de langue, les idiotismes, les interjections… »441 Traduire le dialogue en général nécessite que le traducteur fasse un certain choix de registre de langue pour pouvoir réaliser la séparation entre la langue du récit de celle du dialogue. L opération traduisante apparaît plus complexe encorelorsque la langue d arrivée présente des différences entre langue écrite [récit]et langue orale [dialogue] remarquables. En cessituations, les « tendances déformantes 442» peuvent se multiplier dans le texte traduit. )l s agit des tendances des traducteurs à déformer l original et le gommer pour des raisons de la particularité de la langue d arrivée. Mais cette version ethnocentrique que Berman dévoile va à l opposé de ce que les théoriciens de la réception préfèrent concernant les goûts et les besoins de la langue d arrivée. Correspondre aux goûts du public est sans doute la position la plus dominante surtout au niveau des maisons d édition qui se penchent le plus souvent vers la communication qui est, pour eux, le seul objectif de la traduction. Et lorsqu’on traduit Cossery vers l’arabe ? La langue arabe constitue un problème pour ses propres écrivains qui se trouvent en face de cet écart entre langue classique écrite et le dialectal parlé. C est pourquoi, la plupart de ces écrivains adopte une langue standard qui confère un aspect clair au personnage. Le modèle le plus réussi est celui de Naguib Mahfouz qui trouva la solution en accordant à chacun de ses personnages un répertoire sociolinguistique qui le différencie des autres. Le génie de Mahfouz lui a permis d échapper à l alternative de la diglossie souvent mal jugée dans le champ intellectuel de son époque. Quant à Cossery, pourrions-nous dire qu il a réussi ce que Mahfouz avait fui ? Autrement dit, a-t-il trouvé sa technique qui lui assure la bonne introduction du parler tel quel dans le récit ? La réponse est positive si nous considérons que ce dernier a écrit en une langue qui distingue rarement l écrit del oral. Malgré cela, Cossery trouva son chemin dans les répliques des personnages et perça les caractères fondamentaux de sa langue maternelle. Avec plus de liberté que celle prise par Mahfouz, Cossery s est servi d une MYLNE V.-G., Le dialogue dans le roman français de Sorel à Sarraute, Universitas, Paris, 1994, p. 153. 442 Cette notion appartient à Antoine BERMAN, in OSEKI-DEPRE I., Théories et pratiques de la traduction littéraire, Armand Colin, Paris, 1999, p. 39. 441 - 314 Ahmed Khalifa autre langue pour réaliser un projet d écriture443 longtemps rejeté dans le champ littéraire arabe : celui de l écriture en dialectal égyptien. Sa position comme écrivain venant d une autre contrée lui a permis de pratiquer des changements stylistiques dans sa création romanesque, changements qui vont surement à l encontre des normes d écriture en français. Or, ces changements stylistiques ne devraient pas poser problème lors du retour des textes de Cossery vers l arabe et spécialement après les évolutions que le champ littéraire arabe, et surtout le champ égyptien, a connues ces dernières années et dont atteste la renommée de poètes dialectaux comme Abd al Ra mān al Abn”dī, Ahmed F” ād Nijm et Salā Jāhīn444. Revenons à notre traducteur Ma m”d Qāsim et ses opérations traduisantes de l œuvre de Cossery. Au niveau de la traduction des dialogues, Qāsim, s efforça à mettre les dialogues à un niveau d arabe moyen pour que son lecteur n éprouve pas d effet de vulgarisation de la langue comme il nous l a déclaré lui-même445. Suivant en cela les habitudes éditoriales de quelques maisons d édition égyptiennes qui n acceptent pas ce niveau de langue parce qu elles visent un public plus vaste que celui de l Egypte : « il s agit du public arabe, Qāsim continue, qui sentirait dans ce faire une sorte de nationalisation de la littérature ! ». Or, cette affirmation peut être nettement contredit puisque les maisons d édition o‘ Qāsim publie ses traductions sont les mêmes que pour les traductions d Andrée Chédid et Fawzia Assaad o‘ les dialogues sont écrits en dialectal égyptien : Dār Al (ilāl est un bon témoin. Nous reviendrons ultérieurement à la question de la vulgarisation de la langue mais commençons d abord par un exemple tiré de la traduction du roman Les fainéants dans la vallée fertile de 1948 : Ce projet fut annoncé depuis les années dans les écritures de Salāma M”sā, Ahmed Lu fī Es Sayyid, Qāsim Amīn, Ma m”d Taym”r, Lwis Awad et autres. Ceux-ci, faisant partie de l élite intellectuelle égyptienne, furent attaqués par leurs adversaires de tendance conservatrice et accusés de servir les moyens des ennemis à détruire la langue arabe. Ces « vendus », disaient leurs adversaires, ne font qu appeler aux politiques culturelles de l occupation anglaise ; celle qui diffusaient plus de 17 journaux en dialectal égyptien au cours des années au profit de l effacement de la culture arabe de l Egypte. 444 A voir l article de Madiha DOSS, « Réflexions sur les débuts de l écriture dialectale en Égypte », Égypte/Monde arabe, Première série , Les langues en Égypte , [En ligne], mis en ligne le 08 juillet 2008. URL : http://ema.revues.org/index1928.html. 445 Entretien avec Ma m”d Qāsim à Dār al-(ilāl au Caire le / / . 443 - 315 Ahmed Khalifa Rafik était abasourdi ; il venait de se réveiller, il avait l esprit embrouillé et n arrivait pas à émettre une opinion sur un cas aussi grave. C était très difficile. Enfin, il dit : — Tu as de l argent ? — Pourquoi faire ? — Tu vas aller en ville sans argent ! — Je vais travailler, te dis-je. J en gagnerai. — Pauvre garçon ! Tu crois qu on t attend là-bas pour t offrir un poste de ministre ! — Je ne veux pas être ministre ! Qu est-ce qui te fait croire cela ? — Alors, qu est-ce que tu veux être ? — Je ne sais pas. Je te prie de me laisser tranquille. Je dois penser à ce que je dois emporter avec moi. Les fainéants dans la vallée fertile, Œuvres complètes II, p. 114. : ‫ أخي ق‬.‫ نه أم ص ب‬. ‫ج م ل ض‬ ‫يب‬ ‫ال‬ ‫م‬ ‫عأ ي‬ ‫ ل لم ي‬. ‫لم ي م شي ب‬ ‫ف سيظل‬، ‫ه‬ ‫هل م ك ن ؟‬ ‫ل أف ل؟‬ ‫أس هب ل ل ي با م ؟‬ ‫ س ك ب‬.‫أخ تك أني س ع ل‬ . ‫ي‬ ‫نك لي م لك ي‬ ‫ ت أن م ي‬.‫ص ي م ين‬ ‫ه ؟‬ ‫م ل ج كت‬. ‫ي‬ ‫ا أ ي أ أك‬ ‫م ت ي أ ت ؟‬ .‫ أف أن ي ي ب أ آخ م ي‬، ‫ أع أ أك ه ئ‬.‫ا أع ف‬ ‫فيق م‬ — — — — — — — — ‫ب‬ ‫ك ل في الوا‬ Le dialogue dans la version arabe, et sans sa confrontation avec le texte source, semble incohérent et illogique puisqu il s agit d une conversation entre deux personnages en désaccord total comme l histoire du roman le montre. Serag et Rafik, les deux personnages du dialogue, énoncent chacun des propos s opposant aux propos de l autre. La dernière répartie de Serag oblige le nôtre en ce que le traducteur transforme « Je ne sais pas. Je te prie de me laisser tranquille. Je dois penser à ce que je dois emporter avec moi » en « Je ne sais pas, je te promets d être tranquille et, je pense que je dois te prendre avec moi ». Outre ces propos qui n ont aucun sens pour le lecteur poursuivant l action du roman, le traducteur change, sous l aspect de « tendances déformantes » que nous avons citées auparavant, quelques descriptions importantes telles : « abasourdi » transformé en « surpris, étonné », « il […] n arrivait pas à émettre une opinion » en « il n arrivait pas à comprendre » et « l esprit embrouillé » en « il n a rien compris encore ». Disons donc que Qāsim n a pas réussi à faire découvrir à son lecteur la façon de parler des personnages de Cossery en unifiant le niveau de la langue et, nous n exagérons pas si nous l accusons d avoir dissimulé leurs traits de caractères et mêmes leurs émotions. La fonction essentielle du dialogue à faire avancer l action est bien respectée mais une autre fonction se perd, celle qui apporte l information au lecteur sur - 316 Ahmed Khalifa des événements passés ou à venir dans l histoire du roman. Les intentions des personnages restent ambiguës dans leur majorité à cause de fausses interprétations du traducteur de mêmepour l évolution des relations ou des projets. Le lecteur arabe subira donc ces carences tout au long de lecture de telles traductions. Un autre exemple pourrait aider à mieux aborder notre propos: El Kordi, calmement, se tourna vers lui et dit sur le ton d une conversation mondaine : — S il y a un policier dans cette maison, je veux bien faire sa connaissance. Le soi-disant négociant de province accusa le coup, sans se départir de sa jovialité. Il joua cependant à l homme honnête qu effraie la proximité de la police. — Il y a un policier ici ! Sur mon honneur, c est un jour noir. — )l parait que c est toi, dit El Kordi en le désignant du doigt. L homme blêmit — Tu te trompes, Effendi ! Je sui un honorable commerçant. — N insulte pas la clientèle, s interposa Set Amina. Cet homme est un noble. Je le connais. — Mais c est toi-même qui m as dit qu il était un policier, lança El Kordi avec une sorte de rage inconsciente. — Moi ? hurla Set Amina. Ô ingrat ! Et moi qui te recevais comme mon propre fils dans cette maison ! — Calmez-vous, bonnes gens ! dit le policier. C est un simple malentendu. Expliquonsnous. — C est inutile, dit El Kordi. Je suis prêt à avouer. — Avouer quoi, Effendi ? — J avoue que je suis l assassin de la fille Arnaba. Mendiants et orgueilleux, Œuvres complètes I, pp.162-163. : ‫ل‬ ‫ي ف من ج‬ .‫ل يت‬ 1 - 1 ‫م‬ ‫في ه‬ : ‫ق ي‬ ‫ءن‬ .‫في ه ل يت ف ي أ أع فه‬ ‫جل ش‬ ‫ه‬ ‫ل يف ل‬ ‫عي أنه فا ق من أ ي ف ه ي ل‬ . ‫ه ي له من ن أغ‬ .‫نه نت‬ ‫ ي‬:‫ي ي ليه ب ص ه‬ ‫جل ش‬ .‫ل يت‬ ‫ب‬ ‫ك‬ ‫ي‬ ‫ل‬ ‫س‬ — ‫ه ف لك ل‬ ‫— ش‬ ‫ه‬ ‫ق ل‬ :‫ش ب ل جل‬ .‫ ف ت س ت ج ش يف‬. ‫ي أف‬ ‫— نت غ‬ .‫ ه جل ن يل أن أع فه‬.‫ت خ ت ل ت أمي ا ت ن ب ئ ي‬ ‫ نت ل ي ق ت ه‬: ‫ق ت ت ع يه ص ع غ ي‬ ‫ق ل‬ ‫ أن ل أع م ك ك ب ي في ه‬. ‫ أن ؟ أي ل ح‬: ‫ص خت ل ت أمي‬ .‫ ه س ء ت هم ب يط‬. ‫ل ي‬ ‫ أي ل‬. ‫ ه ء‬:‫ي‬ ‫ق ل‬ .‫أ أت م‬ ‫ أن م‬. ‫ ا ف ئ‬: ‫ق ل‬ . ‫— ت م عن م ي أف‬ . ‫— ع ف أن ي ق تل ل أ ن‬ ‫ش‬ Remarquons dans cet exemple la soumission du dialogue de Cossery à l opération traduisante de Qāsim. Une soumission qui révèle des tendances diverses du traducteur dont les traits essentiels résident dans l oralisation due au jeu sur les registres de la langue arabe [non dominant], l invention des parlures [non dominant] et l unification des propos des personnages au niveau de la langue [dominant]. Ce dernier trait risque - 317 Ahmed Khalifa de donner l impression que tous les personnages parlent de la même façon. Les propos du policier ressemblent à ceux de la prostituée où à ceux du paysan. Ainsi, le niveau de la langue dans l exemple précédent est-il oscillant puisque nous remarquons des propos variés, au niveau du registre, sur la bouche du même personnage comme celui du ‫ي له من ن‬ négociant de province. Ce dernier ne prononce-t-il pas successivement « ‫ أغ‬446» et « ‫ي أف‬ ‫نت غ‬ 447». A part la bonne traduction de « le ton d une conversation mondaine » par « d une manière courtoise », Qāsim a mal rendu les vives réactions des personnages qui évoluent à l intérieur du roman : « accusa le coup » par exemple, qui désigne l acte de montrer qu on est affecté par quelque chose au sens familier, se traduit pas « cria », « l homme blêmit » par « l homme dénonça » et « une sorte de rage inconsciente » par « une étrange crise d épilepsie ». La non traduction de « sans se départir de sa jovialité » et « Expliquons-nous » fait que le dialogue est plus rigide et ferme dans sa version arabe. Ainsi, y a-t-il un mauvais rapatriement de l expression égyptienne « c est un jour noir » qui correspond à « ‫س‬ ‫ي‬ » [da y”miswid]. L hésitation du traducteur figure aussi dans la traduction du verbe « avouer », qui se répète trois fois, par « parler » [2 fois]. Le plus important dans cet exemple est la mauvaise traduction de « tu m as dit qu il était un policier » par « tu m as dit qu il y a un policier ». Cette mauvaise traduction change toute l intrigue du dialogue dans le texte cible. Faut-il signaler que la cause de la montée du ton du débat entre El Kordi et Set Amina commence par cette phrase annoncée par le premier devant les autres personnages. Ce qui a dévoilé Set Amina comme une femme hypocrite. Et dans un geste d autodéfense, la femme rendit le coup en insultant El Kordi. Or, en arabe, le lecteur ne peut comprendre la réaction exagérée de Set Amina puisqu El Kordi n a dit qu elle parlait d un certain policier dans la maison et non spécifiquement du commerçant. Cette montée du ton du dialogue [injustifiable] en arabe à cause de cette phrase mal traduite en arabe interdit au lecteur arabe de comprendre sur le coup la raison pour laquelle El Kordi avouerait un crime qui ne lui appartient pas. Donc, au niveau de l avancement de l action dans les dialogues, Qāsim causa aussi des carences très remarquables. Sur le plan du rapatriement, il saisit [un peu] et Expression classique souvent utilisée pour désigner les jours mauvais. Cela n interdit que « ‫» ن أغ‬ s utilise dans le dialecte égyptien mais souvent sous la forme de « ‫أغ‬ ‫» ي ن‬. Nous avons choisi cette expression surtout pour l utilisation de « ‫ » ي له‬qui témoigne de la formule littéraire classique. 447 Expression dialectal qui désigne « tu te trompes ». 446 - 318 Ahmed Khalifa manque [souvent] les données socioculturelles et sociolinguistiques. Celles-ci, choisies très soigneusement par l auteur, se perdent d une façon intolérable au profit des normes d écriture vraisemblablement respectées par le traducteur. Face à l égyptianité s irradiant des dialogues, on ne peut que reprocher au traducteur d avoir occulté les habiletés de Cossery. En voici un exemple : — Dis-moi : tu étais chez Set Amina le jour du meurtre ? Yéghen fit semblant de réfléchir. — Pour te dire la vérité, Excellence, je dormais. — Quand la fille Arnaba a été assassinée, où étais-tu ? — Je viens de te le dire, Excellence, je dormais. Nour El Dine garda son sang-froid ; il resta un moment silencieux, le visage grave. )l n y avait pas de doute,Yéghen faisait l idiot. — Je sais formellement que tu as été à la maison close ce jour-là. Qui y as-tu rencontré ? — Je dormais, Excellence. — Personne n est venu pendant que tu dormais ? — Comment veux-tu que je le sache, Excellence, puisque je dormais ? — Par Allah ! est-ce que tu dors tout le temps fils de chien ? — Monsieur L officier, dit Yéghen, excuse-moi, mais je ne savais pas que dormir était un acte illégal. — Eh bien ! je vais te réveiller, moi. Mendiants et orgueilleux, Œuvres complètes I, pp. 201-202. ‫ي ؟‬ .‫ع لغ ء‬ ‫م‬ ‫ل‬ ‫ هل ك ت في بيت ل ت أمي ي‬.‫— قل لي‬ : ‫ب ي ي ي‬ . ‫ ف ك ت ن ئ‬,‫تك‬ ‫— كي أق ل ي ل‬ ‫ أين ك ت؟‬. ‫— ع م ق ت أ ن‬ . ‫— قت نيكتنئ‬ ‫ لم ي ك أ ي ي ي‬.‫ ق ت م ج ه‬. ‫ ل ص م ل‬.‫ت لك ن ل ين أع به‬ ‫ من ق ب ت؟‬. ‫— أ ثق نك ك ت ه في ه لي‬ .‫ل بط‬ ‫— كتنئ ي ح‬ ‫— ألم ي أح أث ء ن مك؟‬ . ‫ ل ك ت ن ئ‬.‫— كيف ت ي ني أ أع ف‬ .‫ هل ك ت ن ئ ي ل قت ي بن ل ب‬.‫— ي ل ي‬ . ‫ لم أكن أع ف أ ل ع ي غي ق ن ني‬.‫ل بط‬ ‫ي ح‬ ‫م‬: ‫ق ي ي‬ ‫— ح س فأ ق ك‬ ‫ش‬ Sans reproduire encore notre analyse, cet extrait montre spécialement le niveau moyen de la langue que Qāsim s efforça à respecter dans ses traductions. Un niveau de langue qui ne différencie pas entre narration et dialogue, à moins que les aspects visuels de la forme du dialogue, pas toujours respectés chez lui-aussi, constituent les uniques marques de l oralité. Cet exemple tiré du roman Mendiants et orgueilleux (1951) nous présente une scène capitale dans l histoire racontée concernant l enquête, thème dominant du récit, avec Yéghen, l un des personnages principaux. Ce roman fut adapté au cinéma en par la réalisatrice égyptienne Asmā El Bakrī. Le film intitulé « ‫ش‬ ‫( » ن اء‬Mendiants et nobles), fut un fiasco à cause de sa réalisation peu conforme à - 319 Ahmed Khalifa l esthétique dominante du cinéma égyptien. Mais nous en empruntons le dialogue pour le moment parce qu il témoigne de plus de fidélité au texte de Cossery. Fidélité moins présente dans la traduction [écrite] de Qāsim. Nous allons présenter l effort des scénaristes de ce film, Asmā El Bakrī et usām Zakariyya, dans le rapatriement des dialogues de Cossery. Dû à la nature cinématographique de la présentation du roman, nous pourrions comprendre pourquoi un bon rapatriement futnécessaire. Nous allons remettre le texte de Cossery face à l effort des deux scénaristes pour montrer ce qu un meilleur rapatriement pourrait être : — — — — — — — — — — — Dis-moi : tu étais chez Set Amina le jour du meurtre ? Pour te dire la vérité, Excellence, je dormais. Quand la fille Arnaba a été assassinée, où étais-tu ? Je viens de te le dire, Excellence, je dormais. Je sais formellement que tu as été à la maison close ce jour-là. Qui y as-tu rencontré ? Je dormais, Excellence. Personne n est venu pendant que tu dormais ? Comment veux-tu que je le sache, Excellence, puisque je dormais ? Par Allah ! est-ce que tu dors tout le temps fils de chien ? Monsieur L officier, dit Yéghen, excuse-moi, mais je ne savais pas que dormir était un acte illégal. Eh bien ! je vais te réveiller, moi. ‫ك ت فين ي ل ث ؟‬ .‫ ك ت ن يم‬...‫ق لك ل ق‬ ‫ ك ت فين؟‬...‫ل ل ت ت ت‬ ‫ ك ت‬... ‫ل يه‬ ‫م ن ل ه ق يل لك ي س‬ .‫ن يم‬ ... ‫ن ع ف نك ك ت ع أمي ي مي‬ ‫ق ب ت مين ه ؟‬ .‫ ك ت ن يم‬...‫م فش‬ ‫جه نت ن يم؟‬ ‫م‬ ‫ مش‬...‫ل يه‬ ‫ي س‬ ‫حع ف‬ ! ‫ك ت ن يم‬ ‫ي بن ل ب؟‬ ‫ن يم ع‬ ‫ م ك ش ع ف‬... ‫ن سف ي بيه‬ . ‫ل ك ض ل ن‬ 448 .‫ب ن ب ه ع ف ص يك‬ — — — — — — — — — — — Admettons les influences que le scénario exerce sur le texte littéraire dont la plus importante est celle du rythme puisque le scénario va directement à l essentiel pour mieux informer le spectateur. La suppression des verbes indicatifs, au niveau des dialogues, est la première technique adoptée par les scénaristes en laissant la place à la performance des acteurs qui prononcent souvent des phrases concises mais efficaces. Le scénario compte donc sur les acteurs pour faire avancer l action en traduisant l état émotionnel des personnages à moins que le personnage soit un bavard. Dans ce cas, le Nous avons tiré cette partie du scénario du film à travers la version du film téléchargée vers le site internet : www.youtube.com. Le film est divisé en huit parties sur le site dont les liens : 1 http://www.youtube.com/watch?v=ed9WD7HdKfA&feature=relmfu 2 http://www.youtube.com/watch?v=Wz26dYcTQGc&feature=relmfu 3 http://www.youtube.com/watch?v=G4RKybb0rc8&feature=relmfu 4 http://www.youtube.com/watch?v=H2CDOt1ZUwY&feature=relmfu 5 http://www.youtube.com/watch?v=DemAxNVQsEQ&feature=relmfu 6 http://www.youtube.com/watch?v=GV4U6diN15E&feature=relmfu 7 http://www.youtube.com/watch?v=2cDkwlKYXAY&feature=relmfu 8 http://www.youtube.com/watch?v=Z2b_A2ndnh4&feature=related dont nous avons tiré notre exemple et spécifiquement à partir de la minute : jusqu à : . Dernière consultation le lundi -01-2011. 448 - 320 Ahmed Khalifa scénario respectant le dialogue d origine deviendrait un élément de caractérisation. Ces changements opérationnels qu exerce le scénario sur le dialogue d origine sont appelés dans le milieu des scénaristes « La tartine de dialogue ». Ce qui nous intéresse ici, c est de montrer cette influence sur le dialogue de Cossery en gardant toute l estimation à la stratégie rapatriante des deux scénaristes, stratégie bien réussie de notre point de vue. Pour une meilleure présentation de cette influence, nous nous permettons de reprendre pour la troisième fois le dialogue de Cossery et le mettre devant la reprise du scénario précédent en français pour que notre lecteur puisse faire la distinction. D abord nous nous excusons pour les quelques trucages orthographiques exercés sur le texte en français mais ils sont là pour rendre les effets de la prononciation rapide des personnages : — Dis-moi : tu étais chez Set Amina le jour du meurtre ? — Pour te dire la vérité, Excellence, je dormais. — Quand la fille Arnaba a été assassinée, où étais-tu ? — Je viens de te le dire, Excellence, je dormais. — Je sais formellement que tu as été à la maison close ce jour-là. Qui y as-tu rencontré ? — Je dormais, Excellence. — Personne n est venu pendant que tu dormais ? — Comment veux-tu que je le sache, Excellence, puisque je dormais ? — Par Allah ! est-ce que tu dors tout le temps fils de chien ? — Monsieur L officier, dit Yéghen, excuse-moi, mais je ne savais pas que dormir était un acte illégal. — Eh bien ! je vais te réveiller, moi. — T étais o‘ le jour de l accident ? — Je t dis la vérité ! je dormais. — Quand la fille a été assassinée, t étais où ? — Je viens de te le dire, Excellence, je dormais. — Je sais que t étais chez Amina ce jour-là, t as rencontré qui ? — Je sais pas, je dormais. — Personne n est venu quand tu dormais ? — Comment le saurais-je, Excellence, j dormais, n est-ce pas ? — Tu dors toujours fils de chien ? — Je suis désolé monsieur, je savais pas que le sommeil est aussi contre la loi. — Eh bien, alors moi je saurai te réveiller. Ainsi, nos deux scénaristes ont parfaitement réussi le rapatriement des dialogues de Cossery malgré la concision des phrases s adaptant au cinéma en ce qui concerne la durée, la performance des acteurs, etc. Revenons de nouveau à Ma m”d Qāsim qui, dans certains cas de séquences narratives, intègre nolens volens le dialogue à la narration et vice versa. Ce qui affecte l importance du narrateur intradiégétique de Cossery, voire tend à le supprimer. Voici un exemple : - 321 Ahmed Khalifa Un peu plus tard, quand Abdel Al, le charretier, descendit dans la cour, il considéra longuement le désastre, puis se mit à proférer toutes sortes d injures contre des êtres inconnus et assurément fictifs. A la fin, il précisa sa menace : — Je l étranglerai ce fils de putain. Le fils de putain, c était Si Khalil, le propriétaire. La maison de ma mort certaine, Œuvres complètes I, p.316. ،‫ل‬ ‫م‬ ‫ئم ض كي ن‬ ‫ل‬ ‫ي ظ كل أن‬ ‫ ثم ش‬، ‫م ي‬ ‫ي مل ل‬ .‫ ص حب ل يت‬، ‫سي خ يل‬ ‫ال و اأكي‬ ‫ل ك‬ ‫ل‬ ‫ل‬ ‫ل‬ ‫ع‬ ‫ل‬ ‫ ن‬،‫ب ق يل‬ ‫ ح ت ي حين‬، ‫في ل ي‬ : ‫ق‬ ‫ ح‬.‫ بن ل مس‬، ‫— س ف أخ ه بن ل مس‬ ‫م‬ Ce petit exemple est là pour affirmer ce que nous venons de dire par rapport à la disparition du narrateur cossérien. Nous voyons que le traducteur intègre les paroles du narrateur dans celles du personnage du charretier. Celui-ci acquiert, grâce à cette intégration, un caractère que l on ne lui a pas conféré le texte source : il s agit de la hardiesse. Par contre, ce personnage a un rapport complexe avec Si Khalil le propriétaire de la maison. Abdel Al évite toujours l affrontement avec Si Khalil vu que ce dernier est un puissant. Tout au long du roman, il n ose pas lancer publiquement de pareilles insultesà l égard de Si Khalil. Le texte arabe dessine mal ce caractère et passe l idée, comme dans l exemple précédent, que les propos de ce personnage ne correspondent pas à ses actes, ni même à ses autres propos prononcés pendant le déroulement de l histoire du roman. Ce personnage qui ose insulter publiquement, selon la version traduite, en hurlant « Je vais l étrangler ce fils de putain même s il était Si Khalil le propriétaire », on le voit dire lors de sa première rencontre dans le roman avec Si Khalil : — Ta maison, dit alors Abdel Al, ta maison, ô Si Khalil, ce n est qu un tas [la maison] de pierres et de boue. Cette affirmation, lancée d une voix mesurée et tranquille, arrêta un instant le tumulte. Si Khalil semblait consterné. — On voit bien, que tu n es qu un charretier ignorant la valeur des choses. Cette maison que tu vois là, ô homme, vaut plusieurs milliers de livres. La maison de ma mort certaine, Œuvres complètes I, p.3 1. .‫جل‬ 34 : ‫ل‬ ‫أك من ألف ج يه ي‬ ‫ال و اأكي‬ ‫ع‬ . ‫ل بل‬ ‫ يه ي سي يل نه ليس س ك م من ل‬.‫— بي ك بي ك‬ ‫ ف‬, ‫ب سي خ يل م ه‬ ‫ل‬ ‫ ل‬، ‫ ه‬،‫أث ه ل ا ل ق من ص ب ئس‬ ‫ي‬، ‫ل ت‬ ‫ت ل قي أشي ء ف ل‬ ‫ ف نت ل ت س ح‬. ‫جي‬ ‫— س‬ ‫م‬ Notons donc que les traits de caractère du personnage sont confus du fait du traducteur. Cette confusion crée dans l esprit du lecteur arabe une certaine distance avec l œuvre de Cossery. Le traducteur de Cossery n était pas invité à approprier à sa culture - 322 Ahmed Khalifa une œuvre déjà appropriée en elle-même. Son travail en était de dévisager, de faire sortir de l enveloppe française, de rapatrier ou compendieusement, de récupérer. En revanche, il a omis et commis, griffé et biffé, inventé et planté, d une certaine façon il a désapproprié. - 323 Ahmed Khalifa 4 Out El Kouloub : le texte intermédiaire. « L écrivain a su apprendre des maîtres l art de construire un récit et de décrire avec les mots les plus simples, les passions les plus ardentes», André Maurois à propos d Out El Kouloub.449  Out El Kouloub entre deux mondes La production romanesque d Out El Kouloub s incarne dans ses huit romans entre 1934 et 1961. La plupart furent édités en France chez Gallimard et préfacés par des écrivains français reconnus comme J. Cocteau et A. Maurois qui avaient déjà lié une relation d amitié avec l auteur pendant leur séjour en Egypte. Avec l appui de ces écrivains français, l œuvre d Out El Kouloub put recevoir, à cette époque, un accueil favorable dans un champ ouvert aux échanges culturels avec l Egypte. Des échanges qui se réalisèrent non seulement sur le plan littéraire mais aussi sur d autres, social, philosophique et esthétique et qui engendrèrent une large diffusion des idées et des œuvres entre les deux pays. Les romans d Out El Kouloub furent classés dans le cadre du réalisme décrivant une « part de réel » et présentant une « peinture authentique450», ses romans se distinguant par la franchise et la sincérité comme le rappelle J. Tharaud dans sa préface du roman intitulé Zanouba (1947) : [le roman] nous vient de l Orient pour nous apporter un message d amitié et nous dire en même temps comment on vit dans l intimité d un foyer islamique. […Nous] remercions l auteur de Zanouba d avoir, par son livre franc et sincère, un peu levé le voile qui recouvre de son mystère la vie de famille en Islam451 Les romans d Out El Kouloub pourraient être considérés comme une vision en détails de la société égyptienne au cours de ces années de par la présentation des personnages féminins appartenant à des milieux sociaux différents, ces personnages dont l espritest toujours occupé par les droits de la femme et leurs revendications continuelles, ce que les préfaces des écrivains français vinrent en introduisant au lecteur français Out El Kouloub lui donner légitimité. OUT EL KOULOUB, Trois Contes de l Amour et de la Mort, , Corréa ,Paris, [préface d André Maurois, pp. 9-10]. 450 OUT EL KOULOUB, La Nuit de la destinée, Gallimard, Paris, , [préface d Emile Dermenghem, p. .] 451 OUT EL KOULOUB, Zanouba, Gallimard, Paris, 1947, [préface de Jérôme et Jean Tharaud p. 8 et p. 9] 449 - 324 Ahmed Khalifa Pourtant, malgré l accueil favorable au sein du champ français et le rôle important qu elle tintde son vivant sur la scène littéraire égyptienne, Out-ElKouloub reste jusqu aujourd hui en marge des histoires littéraires arabe et égyptienne. Les traductions récentes de ses romans vers l arabe romans traduits marquent son inscription dans l héritage littéraire égyptien mais d une manière remarquablement insuffisante. Signalons que cette écrivain est traduite [quelques titres] et rééditée en Allemagne et aux Etats-Unis depuis une vingtaine d années. Out El Kouloub restera-t-elle encore une écrivain sans histoire littéraire dans les deux pays qui ont formé sa substance identitaire et linguistique [l Egypte et la France] ? Est-ce parce qu elle écrit en français qu elle doive appartenir à l histoire littéraire française ? Comment celle-ci intègrerait la création de l écrivain dans le corpus français ? Le fera-t-on en gardant ou bien en supprimant les spécificités égyptiennes, arabes et musulmanes de ? De son côté, l histoire littéraire arabe, doit-elle intégrer des littératures qui ne sont pas écrites dans sa langue ? Et si l on traduit Out El Kouloub vers l arabe, est-ce suffisant pour lui assurer une position dans le canon littéraire arabe ? Tant de réflexions adjurées aux historiens de la Littérature dans les deux mondes : français et arabe.  Out El Kouloub via les langues Ramza Le premier roman traduit en arabe d Out El Kouloub est son septième roman qui est paru en chez Dār al (ilāl. Un an plus tard, la même maison d édition décide de publier une autre traduction de la romancière : il s agit de la traduction de Zanouba [trad. ]. La dernière traduction parue d un roman de l écrivain est celle de La nuit de la destinée (1954) [trad.2009]. Le plus rageant est que les deux romans traduits d Out El Kouloub ne sont pas traduits directement du français comme le troisième, mais de l allemand ! Ce qui nous a mis en face d un cas fréquent dans le domaine de la traduction mais peu discuté par les traductologues : il s agit de la traduction indirecte. Ce faire nous semble si intéressant puisqu il suffit juste de le décrire pour qu il nous jette dans un monde d interrogations. De premier abord, traduire à partir d une traduction nous semble une opération monstrueuse si nous prenons en considération que la traduction en elle-même n est pas un fait de reproduction neutre telle produite par une machine ; elle est toujours porteuse de deux charges ou bien deux cultures : une culture d origine du texte source et une culture cible du traducteur. Et si nous prenons cette complexité en considération, nous envisageons que le texte traduit - 325 Ahmed Khalifa d une traduction ait pu passer par des étapes de métamorphoses non négligeables. Ayant subil influence culturelle et linguistique lors de son passage de la langue première [originale] vers la deuxième langue [traduction], le texte reprend le même trajet, et porte à nouveau ces changements culturels et linguistique de la traduction vers une troisième langue qui exerce à son tour ses contraintes sur le texte. Or, sommes-nous devant un texte porteur de plusieurs impacts culturels et linguistiques ? Affirmativement, et ces impacts appartenant aux deux traducteurs par lesquels traverse le texte sont un véritable champ d investigation. Un champ d investigation qui ne manque pas de corpus puisque ce phénomène s est déjà produit avec la traduction russe de l Odyssée à partir de la version anglaise de Lawrence (1932) et non pas à partir de l original écrit en grec, comme l avouait le traducteur lui-même: Israël Shamir. Les traductions de la Bible constituent un corpus immense puisque l on constate qu à la base il y avait une version originale écrite en hébreu puis traduite en grec puis en toutes les langues puis on est revenu à la retraduire en hébreu à partir de la version grecque, etc. On est arrivé enfin à décider de baser chacune sur sa version dite [plus correcte] à savoir la version grecque sur laquelle se base la foi orthodoxe ; celle de la Septante452. Revenons à notre problématique du texte intermédiaire entre le français et l arabe : il s agit du texte allemand dont nous essayerons d envisager l influence dans les pages suivantes. Mais avant de commencer notre analyse, rappelons qu elle prendra seulement l exemple des traductions de Ramza (1958) en considération, vu que les traductions [allemande et arabe] de Zanouba (1947) présentent le même cas que nous exposerons ici. Concernant la traduction de La nuit de la destinée (1954) qui est directement faite du français, nous avons choisi de signaler juste ici sa tendance très marquée de censure des passages [jugés érotiques] de la part du traducteur et ou l éditeur. Mais la traduction témoigne par ailleurs d un bon et facile rapatriement du texte du fait de ses nombreuses citations de versets coraniques et d invocations religieuses assez connues dans la société égyptienne. La Septante est une version de la Bible hébraïque en langue grecque réalisée par 72 (septante-deux) traducteurs à Alexandrie, vers 270 av. J.-C., à la demande de Ptolémée II. Par extension, on appelle Septante la version grecque ancienne de la totalité des Écritures bibliques (l'Ancien Testament chrétien). Le judaïsme n'a pas adopté la Septante, restant fidèle au texte hébreu et à des traductions grecques ou araméennes (Targoum) plus proches dudit texte. 452 - 326 Ahmed Khalifa L Allemagne a traduit et édité deux des romans d Out El Kouloub, Ramza en 1995 et Zanouba en 1998. Les deux traductions desquelles sont traduites les traductions arabes. Les traductions allemandes se caractérisent de prime abord par une modification au niveau des titres : Ramsa, Tochter des Harems [La Fille du harem]. Et Saidas Klage [la planète de Saïda] pour Zanouba. Ce qui montre que l éditeur allemand en donnant du sens aux titres par le biais d une interprétation a envisagéde révéler d emblée une face du roman à son lecteur alors que le titre original avait décidé de miser sur le mystère d un nom oriental féminin. Par là l éditeur allemand dessineun horizon de lecture de ce qui est en attente de ces histoires, celle d une fille à l intérieur du harem [Ramza] et celle d une certaine position de protestation d une femme [Zanouba] ; ils rendent implicite le contexte social dans lequel se déroulent les histoires des romans. Le titre de la traduction arabe à son tour est plus génitif : « ‫ل‬ ‫م ج‬ ‫ أس‬:‫يم‬ ‫ل‬ ‫ ب‬: ‫م‬ ‫[ » في م‬Ramza : La fille du harem : Les secrets de ce qui est arrivé aux femmes esclaves en Egypte]. Cette fois, le titre est plus identifiant et clairement influencé par le titre allemand. D ailleurs, nous nous sommes trouvé obligé d introduire ici un élément de péritexte pour signaler que les modifications opérées par l éditeur allemand semblent faites à partir d un choix d une traduction plutôt cibliste que nous déterminerons aussi au niveau du texte au fil de cet analyse, voici la couverture de la traduction allemande : - 327 Ahmed Khalifa Une coupole, des minarets, des femmes allongées et d autres en train de discuter au sein de la cour intérieure d une maison construite à l orientale. La peinture renforce bien là l ambiance exotique déjà connotée dans l ajout du titre que l éditeur allemand avait choisi, pour dessiner cet horizon d attente propice à une production dans son champ. Ce qui nous intéresse le plus dans cette couverture est la citation empruntée à Jihane El Sadate, femme du président égyptien Anwar El Sadate [1918-1981]: « « Out El Kouloub ist eine bewundernswerte Frau. » [Out El Kouloub est une femme admirable]. L éditeur allemand a fait appel à Jihane El Sadate qui est une femme égyptienne reconnue en Allemagne pour attirer l attention de son lecteur et atteindre une meilleure vente. Ces modifications opérées dans la couverture de la traduction allemande nous ont poussé à aller plus loin dans notre analyse et chercher dans le texte allemand lui-même pour savoir jusqu à quel point la traduction allemande cibliste aurait pu influencer la traduction arabe et l éloigner de sa source française. Autrement dit, nous allons essayer de débusquer la présence allemande dans la traduction arabe d une œuvre d Out El Kouloub. Tout d abord au niveau du rapatriement des noms propres. Nous n y avons pas observé un changement radical sauf quand il s agissait d un prénom non arabe qui suit pendant sa translittération en arabe - 328 Ahmed Khalifa la prononciation allemande, ex. IndjéIndsche ‫ ن ش‬. Puis, au niveau de la mise en page.La traductrice allemande suit la même organisation du texte source en respectant l ordre des paragraphes et les aspects visuels incarnés dans les caractères en italiques désignant les mots étrangers [arabes], les versets coraniques et les chansons populaires. Cependant, elle [la traductrice allemande] crée des effets visuels non existants dans le texte source mais d une manière qui puisse être conforme, nous le pensons, à son lecteur. L exemple suivant le montre : Les journaux paraissaient avec des manchettes sensationnelles : « Des ventres d esclaves ne peuvent naître que des esclaves », ou bien « Libérons nos mères, nos épouses, nos filles, pour que naissent des générations d hommes libres ! ». Ramza, pp.206-207. Die Zeitungen überboten sich in Schlagzeilen: SKLAVINNEN KÖNNEN NUR SKLAVEN GEBÄREN hieß es etwas, oder: FREIHEIT FÜR UNSERE MÜTTER, FRAUEN UND TÖCHTER BEDEUTET FREIHEIT FÜR DIE KOMMENDEN GENERATIONEN! Ramsa, Tochter des Harems, p. 186. :‫ل ئم في ل ين‬ ‫ت‬ ‫اعي‬ ‫ ل ي اي‬132 ‫ م‬. ‫ ت ي ل ي لأجي ل م‬، ‫ ب ت‬، ‫ أ ج‬، ‫ ل ي أم ت‬- Nous notons d abord l effet visuel dans la couverture de la traduction allemande en ces deux points, celui où elle enlève les guillemets du texte source et celui où elle met les énoncés du titre en majuscule pour simuler les manchettes de journaux. Remarquons que la phrase « Les journaux paraissaient avec des manchettes sensationnelles » ainsi traduite en allemand par « Die Zeitungen überboten sich in Schlagzeilen » [les journaux se sont surpassés dans les titres], procède d une interprétation suivie d une autre dans la version arabe « ‫ين‬ ‫ئم في ل‬ ‫ل‬ ‫» ت‬453, ce qui transforme la phrase source in fineen [Les titres des crimes rivalisaient entre eux !]. De plus, la plupart des changements dans cet exemple revient à la traductrice allemande qui, pour une meilleure compréhension de son texte, a traduit « Les ventres d esclaves » par « SKLAVINNEN » [les femmes esclaves], ou a supprimé dans la traduction de « pour que naissent des générations d hommes libres » par « FÜR DIE KOMMENDEN GENERATIONEN » [pour la prochaine génération]. Donc, l écart entre le texte original et la traduction arabe pourrait bel et bien ressortir à la présence d un texte entre les deux, un texte intermédiaire dont l interférence est forte : il s agit de la traduction allemande. Nous allons étayer notre analyse pour montrer l influence de cette traduction sur la traduction arabe en donnant 453 Il y a peut-être une faute d impression dans cette phrase : « ‫ين‬ - 329 Ahmed Khalifa ‫ئ في ل‬ ‫ل‬ ‫»ت‬ d autres exemples illustrant cette interférence au niveau de la narration et au niveau des dialogues. Le narrateur dans le roman de Ramza est un narrateur autodiégétique, c'est-àdire que l histoire est racontée par le personnage principal du roman, à la première personne et selon son propre lexique et ses choix linguistiques. Parmi les différents types de narration, Out El Kouloub a choisi celui qui entretient une relation particulière avec son lecteur. Celui-ci pendant sa lecture est régulièrement interpellé par le narrateur-personnage qui s adresse directement à lui en donnant l impression que le récit lui est personnellement destiné. )l est vrai que nous n y remarquons pas la présence des propositions incidentes rejetées en début ou en fin des phrases narratives mais nous constatons un certain décalage énonciatif marqué à l écrit par la ponctuation (virgule, trois points de suspension, tiret, etc.). Or, nous allons voir que, dans les versions traduites, les décalages énonciatifs et les altérations se multiplient, en voici un exemple : Les dernières années de sa vie, elle restait des heures étendues sur un divan ; j avais les larmes aux yeux à l entendre tousser. Souvent elle m appelait et je venais tout contre elle. Elle me caressait la tête, en m appelant, sa gazelle. Elle me contait par bribes décousues toute sa vie, sa vie de femme esclave. Elle croyait naïvement m amuser par le récit des splendeurs au milieu desquelles elle avait vécu. Pouvait-elle souhaiter pour moi un autre destin ? Elle ne me vit jamais serrer les poings, tandis qu en l écoutant se durcissait mon âme de révoltée. Ramza, p. 21. In ihren letzten Lebensjahren lag sie oft stundenlang auf einem Diwan, und wenn ich sie husten hörte, hätte ich weinen mögen. Zuweilen rief sie mich zu sich, und dann schmiegte ich mich dicht an sie. Sie streichelte meinen Kopf und nannte mich ihre Gazelle. Bruchstückhaft, zusammenhanglos erzählte sie mir ihr ganzes Leben, das Leben einer Sklavin. In ihrer Naivität glaubte sie, die Schilderungen des glanzvollen Lebens, das sie geführt hatte, würden mich amüsieren. Konnte sie sich für mich ein besseres Los wünschen? Nie hat sie bemerkt, wie sich meine Hände beim Zuhören zu Fäusten ballten und meine rebellische Seele sich verhärtete. Ramsa: Töchter des Harems, p. 11. ‫ ف لك أسي‬... ‫ ف ل ق ب‬...‫ع ي‬ ‫ ت‬...‫ أب ي‬... ‫ أس ع س ل‬... ‫ ع ل ي‬، ‫ي‬ ‫ ئ ل ع‬،‫ع ه ك نت ت س‬ ‫في خ س‬ ‫ ب ج ت ن أن ك نت ت ي ي ب لك‬. ‫ حي ج ي‬...‫ ك نت ت ص ع حي ت ك م ب ل م ع غي م ت ط‬.‫ أنت غ ل ي‬:‫لي‬ ‫ت‬ ‫ب‬ ‫ت ك ل ي كيف‬ ‫ ن لم تاحظ أب هي ت‬.. ! ‫لي ح أف ل م ؟‬ ‫ ألم ت ع أ ت‬... ‫ي ل ي ل ي ت هم أن ك نت ئ‬ ‫ل‬ ‫ م‬. ‫ت‬ ‫حي ل‬ ‫ كيف أ‬... ‫ك ت أ ق ي‬ En comparant le texte arabe avec le texte français, nous remarquons un grand changement au niveau de la construction des phrases. Cela revient plutôt à la traduction allemande qui adapta le texte français à l usage de la langue allemande. A titre d exemple, la phrase « j avais les larmes aux yeux à l entendre tousser » fut traduite par « und wenn ich sie husten hörte, hätte ich weinen mögen. » [et quand j entendais sa toux, j aurais voulu pleurer ] et celle de « Elle me contait par bribes décousues toute sa vie,… » elle fut traduite par « Bruchstückhaft, zusammenhanglos erzählte sie mir ihr ganzes Leben » [Par bribes, d une façon incohérente, elle me contait toute sa vie…]. Ces deux - 330 Ahmed Khalifa phrases, lors de leur passages de l allemand vers l arabe, acquirent d autres formes ; la première phrase allemande fut traduite par « ‫ أب ي‬... ‫[ » أس ع س ل‬j entends sa toux… je pleure], la deuxième par « ‫ع غي م ت ط‬ ‫[ » ك نت ت ص ع ي حي ت ك م ب ل م‬elle me racontait toute sa vie d une manière intermittente et incohérente]. Ce qui nous amène à présenter ces phrases les unes sous les autres pour en montrer les changements au niveau du temps des verbes et au niveau de l ordre des mots :  J’avais les larmes aux yeux à l’entendre tousser [original]  Et quand j entendais sa toux, j aurais voulu pleurer. [trad. allemande]  J entends sa toux… je pleure [trad. arabe]  Elle me contait par bribes décousues toute sa vie [original]  Par bribes, d une façon incohérente, elle me contait toute sa vie[trad. allemande]  Elle me contait toute sa vie d une manière intermittente et incohérente [trad. arabe] Nous ne nions pas que le sens des phrases est arrivé peu ou prou au lecteur arabe, mais notre objectif était, via notre reprise en français, de montrer comment chaque langue choisit ses préférences syntaxiques et lexicales, ayant toujours à l esprit que le texte original français a été écrit par une Egyptienne. Celle-ci qui en effet s est traduite elle-même en français. Ce qui fait penser que le texte, lors de son passage entre les langues, n est pas seulement passé par deux étapes de transformation, mais plutôt par trois étapes si nous admettons le principe de l autotraduction que l écrivain avait pratiquée pendant son écriture du roman. Ce qu illustre bien la séquence suivant : ARABE  FRANÇAIS  ALLEMAND  ARABE Les phrases se décomposent et se reconstruisent, les expressions cherchent leurs équivalents, les métaphores se remplacent par d autres remplissant les mêmes fonctions, le lexique se complique et le texte ne devient formellement pas le même. Que reste-t-il de l auteur ? « le récit des splendeurs » n est-il pas devenu « die Schilderungen des glanzvollen Lebens » [les représentations de la vie glamour » puis n est-il pas redevenu finalement « ‫ئ‬ ‫ل ي ك نت ت هم أن‬ ‫ل ي‬ croyait fantastique] ? ‫ي‬ ‫[ » ت‬l illustration de la vie qu elle L aspect des données socioculturelles semble aussi intéressant si nous prenons en considération qu elles ont traversé un texte intermédiaire pour trouver enfin leur culture d origine. Les topoï, sujets caractéristiques d'un groupe sociologique ou d'une - 331 Ahmed Khalifa spécialité, n ont pas perdu leur signifiance pendant leur passage du français vers l allemand et peut-être ce dernier avait ajouté plus de détails descriptifs. La récupération de ces topoïne semble pas être difficilement passé de l allemand vers l arabe sauf quand il s agissait des détours excessifs au niveau lexico-syntaxique du texte allemand. Un autre exemple pourrait illustrer ces discernements : Ce qui m enchantait, c était le spectacle de la rue. il y avait aux portes de certaines mosquées une foire perpétuelle : marchands, cuisiniers ambulants, qui offraient des beignets de gâteaux de riz, jongleurs, montreurs de singes savants ou de marionnettes, chanteurs, danseuses dont la vue me faisait trépigner de plaisir. On ne pouvait pas du tout m interdire, et j avais l oreille fine et la mémoire fidèle. Je me souviens encore de chansons populaires qui n était certes pas faites pour des fillettes de mon âge : […] Ramza, p. 84. Was mich interessierte, war das bunte Treiben in den Straßen. Vor manchen Moscheen herrschte ein ständiger Jahrmarkt: Krämer, Garköche, die Krapfen und Reisfladen feilboten, Jongleure, Männer, die dressierte Affen oder Marionetten vorführten, Sänger, Tänzerinnen, deren Anblick mich entzückte. Man konnte mir nicht alles verbieten, und ich hatte ein gutes Gehör und ein gutes Gedächtnis. Ich erinnere mich noch an Lieder, die gewiß nicht f“r Mädchen meines Alters gedacht waren: […] Ramsa: Tochter des Harems, p. 72. ‫أ‬ ‫في م ل‬ ‫أ‬ ‫ل‬ ‫ل ئ‬ ‫ي‬ ‫ لم ت ن ل‬،‫في ه ل قت‬ ‫ل يخ ل‬ ‫ ل ل‬. ‫ل ي ت يط ب ل ج‬ ‫ ل أس‬.. ‫في ل ي‬ ‫ك ت ف ط أن ه ل م ي‬ ‫ لم أ ك أغ ني ل ي س‬..‫ني‬ ‫ ك نت ق ئع ل ل ت‬.. ‫ل تي ل غ ين ل ق‬ ‫ل ن‬ ‫م‬ ‫ك ق‬ ‫س ي ك ت أم ك ح س س ع جي‬ D abord, nous remarquons que la traductrice allemande a traduit la phrase «Ce qui m enchantait, c était le spectacle de la rue » par «Was mich interessierte, war das bunte Treiben in den Straßen » [Ce qui m intéressait, c était l effervescence dans les rues]. En traduisant « m enchantait » par « mich interessierte » [ m intéressait] et « le spectacle » par « das Treiben » [l effervescence dans le sens de "vive agitation")], la traduction allemande a peut-être influencé la version arabe plus éloignée lexicalement du texte source : « ‫في ل ي‬ ‫[ » ك ت ف ط أن ه ل م ي‬Je faisait juste attention à ce qui se passait dans la ville].Puis, et sur le même plan lexical, nous remarquons aussi la traduction de « une foire perpétuelle » par « ständiger Jahrmarkt » [une fête permanente] qui s altère en arabe par « ‫[ » أس‬marchés]. C est donc dans ce sens de redondance synonymique que la tendance générale des traductions de Ramza peut se définir. Ainsi, signalons-nous ce contre sens dans la traduction arabe, qui n est pas de la responsabilité de la traductrice allemande : « Je me souviens encore de chansons populaires… » est traduit par « ich erinnere mich noch an Lieder » [Je me souviens encore des chansons] mais le traducteur arabe l a traduit « ‫في ه‬ ‫أغ ني ل ي س‬ ‫لم أ ك‬ ‫[ » ل قت‬Je ne me suis pas souvenu des chansons que j ai entendues à cette époque]. D ailleurs, ce que nous souhaitons aussi montrer dans cet exemple c est le rapatriement des topoï caractérisant quelques composants d un groupe social : il s agit - 332 Ahmed Khalifa de la description d une certaine tranche sociale dans ce genre de fête. Nous allons présenter les changements et les ajouts opérés dans la traduction allemande et les équivalents arabes de ces topoï dans le tableau suivant : Texte source Traduction allemande Marchands  cuisiniers ambulants  des beignets de gâteaux de riz jongleurs montreurs de singes savants ou de marionnettes    Krämer [épicier] Garköche [cuisiniers] die Krapfen und Reisfladen [les gâteaux de riz et de beignets] Jongleure Männer, die dressierte Affen oder Marionetten vorführten [des hommes ayant des singes dressés ou des marionnettes montrées] Traduction arabe      ‫ل‬ [les marchands] ‫ل يخ ل ي‬ [la cuisine vendue] ‫أ‬ ‫أ‬ ‫ل ئ ل‬ [les crêpes garnies et les assiettes de riz] ‫ل ن‬ [les jongleurs] ‫ل تي‬ [les montreurs de singes] Un dernier aspect à signaler dans cette étude abrégée des traductions de l œuvre d Out El Kouloub est la traduction des dialogues. Endroit où le traducteur est tenu de reproduire le summum des signes d oralité. Dans le cas que nous étudions, celui du l intervention d une langue troisième entre le texte français et le texte arabe, les dialogues prennent des virages scabreux, voire même dangereux. Par exemple, nous sommes bien au fait que le texte source procède à un certain choix de registre de langue pour séparer la langue de récit de celle du dialogue. Celui-ci, lors de sa traduction, subit nolens volens certaines tendances déformantes exercées de la part du traducteur pour des raisons souvent justifiées par les particularités de la langue d arrivée. Or, traduire à partir d une traduction, fait que le même dialogue est remis à nouveau à d autres tendances déformantes exercées par le deuxième traducteur [arabe]. Que devient donc un texte subissant deux fois des changements stylistiques ? Et l exemple suivant essayera de déterminer les changements qu ont subis les propos d un personnage du roman : - 333 Ahmed Khalifa — La mauvaise bête ! s exclamait-il, blême de rage. Il a parlé de moi comme « du plus obscur vulgaire parmi le vulgaire ». ce sont ses propres termes. Avec quel mépris il a évoqué mes ancêtres fellah : « Des vers de terre ! » comme il a sali mon père : « Un fils de paysan enrichi en entassant le millième sur le millième pour faire la piastre, la piastre sur la piastre pour faire la guinée. » Quant à moi, ajoutait Maher, c est bien simple, il m a dépeint comme le dernier des soldats. )l a insinué que si j avais été admis à l Ecole Militaire, si j en était sorti officier, c est qu on prenait dans l armée les rustres les plus stupides, les plus ignorants, les plus mal élevés, à défaut des jeunes gens de la bonne société qui se gardaient bien d y entrer. Ramza, pp.204-205. »Dieser Schuft! stieß er hervor, kreidebleich vor Wut. »Er hat mich den obskursten aller obskuren Emporkömmlinge genannt, das waren seine Worte! Wie verächtlich hat er von meinen bäuerlichen Vorfahren gesprochen: Regenwürmer wären sie! Meinen Vater hat er heruntergemacht: Ein Fellachensohn, der sein Vermögen Millim um Millim, Piaster um Piaster zusammenkratzen mußte Was mich betrifft, fuhr Mahir fort, so machte er es sich einfach - ich wäre ein hundskommuner Soldat. Er hat angedeutet, ich sei nur darum an der Militärakademie zugelassen worden und hätte mein Offizierspatent nur darum erwerben können, weil man heutzutage die größten Nullen, die dümmsten Bauerntrottel in die Armee aufnehme, junge Leute aus gutem Hause würden sich ja hüten, diesen Beruf zu wählen. Ramsa: tochter des Harems, p. 184. ‫به عن أج‬ ‫ل ت‬ ‫ ك نت ه ك ته أ كم من اح‬، ‫ل غ ع ني ب ن ي من ل ص ليين ل ء‬ ‫ ل ح ب نه ل لك‬. ‫ق‬ ‫ أن ج‬، ‫ع ق‬ ‫ ق‬،‫ بن فا ج ع ث ته م يم ع م يم‬: ‫ل‬ ‫من ش‬ ،‫ل احين ل ء أغ ي ء في ل يش‬ ‫أن م في ه أي ي‬ ‫ل‬ ‫ي ح تع ش‬ ‫يي ل‬ ‫ م‬. ‫خي ه ل‬ ‫غي من ل ئا ل ي ي‬ ‫ص "ه‬ ‫ل احين ح‬ ‫ق ني ب أك‬ ‫ل‬ ‫ل‬ Nous voyons donc que la traduction allemande a changé certains propos, supprimé et rajouté d autres. La traduction de la traduction allemande, c'est-à-dire la traduction arabe, a, à son tour, modifié, supprimé et rajouté. Nous allons montrer rapidement dans le tableau suivant ce que le texte a acquis ou perdu lors de ces passages : La mauvaise bête blême de rage. le plus obscur vulgaire parmi le vulgaire Des vers de terre pour faire la piastre, pour faire la guinée ajoutait Maher le dernier des soldats l Ecole Militaire si j en étais sorti officier les plus ignorants les plus mal élevés              Dieser Schuft [cette fripouille] kreidebleich vor Wut [blême de rage] obskursten aller obskuren Emporkömmlinge [le plus obscur de tous les arrivistes obscurs] Regenwürmer [Des vers de terre] supprimée supprimée Fuhr Mahir fort [Maher a poursuivi] hundskommuner Soldat [un misérable soldat] Militärakademie [L Académie militaire] Hätte mein Offizierspatent [J ai eu mon diplôme d officier] supprimée supprimée [diesen Beruf zu wählen [à choisir cette profession] - 334 Ahmed Khalifa              ‫ه ل غ‬ [cette fripouille] ‫ص‬ [il cria] ‫ل ص ليين ل ءأن ي من‬ [Je fais partie des ingrats arrivistes] supprimée supprimée supprimée supprimée ‫أن ج ق‬ [et je suis un soldat villageois] ‫ي‬ ‫ب أك ي ي ل‬ [L Académie militaire] ‫ل‬ ‫ح تع ش‬ [J ai eu mon diplôme] supprimée supprimée ‫خي ه ل‬ [choisir cette profession] Une reprise de ce qu est devenue finalement la traduction arabe pourrait mieux décrire les pertes et les gains : — La mauvaise bête ! s exclamait-il, blême de rage. Il a parlé de moi comme « du plus obscur vulgaire parmi le vulgaire ». ce sont ses propres termes. Avec quel mépris il a évoqué mes ancêtres fellah : « Des vers de terre ! » comme il a sali mon père : « Un fils de paysan enrichi en entassant le millième sur le millième pour faire la piastre, la piastre sur la piastre pour faire la guinée. » Quant à moi, ajoutait Maher, c est bien simple, il m a dépeint comme le dernier des soldats. )l a insinué que si j avais été admis à l Ecole Militaire, si j en était sorti officier, c est qu on prenait dans l armée les rustres les plus stupides, les plus ignorants, les plus mal élevés, à défaut des jeunes gens de la bonne société qui se gardaient bien d y entrer. Il cria : « cette fripouille m a appelé l un des ingrats arrivistes, c étaient ses mots. Avec quel mépris il a parlé de mes ancêtres fellah, il a méprisé mon père : fils de paysan qui a rassemblé sa fortune millième sur millième, piastre sur piastre, et moi je suis un soldat villageois. Il a insinué que pour cela ils m ont accepté à l Académie Militaire et, que j ai obtenu mon diplôme parce qu ils acceptaient dans l armée à ces jours les idiots et stupides paysans, et que les jeunes des grandes familles évitaient de choisir cette profession. Récapitulons donc : les traductions arabes d Out El Kouloub sont marquées par un manque d informations dû à la séparation du texte source par un autre texte. Ce texte intermédiaire duquel la traduction arabe provient est une traduction allemande. Celle-ci aussi cibliste a influencé la traduction arabe au niveau du style, des topoï et des dialogues. Cela ne nous invite-t-il pas à rejeter tout acte de traduction indirecte ? L a-t- elle été tout de même par goût du fait qu Out El Kouloub est une forte figure féminine littéraire, et qui a poussé l éditeur à publier ces traductions malgré qu elle soit traduite de l allemand ? Pourquoi prendre un tel risque ? Est-ce parce que les traductions allemandes et anglaises sont parues pendant les années que le champ égyptien n a pas voulu manquer de nouveau la renommée de l écrivain ? Est-ce par hasard sachant que la personne derrière cette décision hâtive de la traduire [de l allemand] et de la publier soit Ma m”d Qāsim, unique traducteur de Cossery et rédacteur en chef de la série Ruwāyāt à Dār al (ilāl au moment de la publication des traductions ? Tant de questions se posent pour mieux comprendre ce fait. Pour finir, nous dirons qu Out El Kouloub n a certainement et malheureusement qu une existence littéraire apocryphique en langue arabe. - 335 Ahmed Khalifa CONCLUSION - 336 Ahmed Khalifa Au terme de cette thèse, nos conclusions ne peuvent qu être prudentes. D abord, en considération que nos corpus sont relativement restreints, nous insistons sur le fait de ne pas prendre nos résultats comme définitifs ou que l on puisse étendre à tout le domaine de la traduction dans le monde arabe. Nous avons essayé tout au long de notre parcours de redéterminer les caractéristiques qui avaient été déjà cernées mais en proposant aussi une nouvelle et grande spécificité à l intérieur de ce domaine : celle de la récupération de la culture expatriée. Ensuite, nos échantillons de lecture pourront être discutés et nos jugements pourront être éprouvés mais nous convenons qu ils ont été perçus et examinés comme représentatifs. Ils pourront être considérés comme des lectures personnelles mais ils ne sont pas individualisables. Ce travail est un travail dont l aspiration est d être un indicateur et d identifier des appropriations singulières des acteurs et des facteurs au sein du domaine de la traduction qui constitue une composante non négligeable du champ littéraire arabe. Cependant, si nos résultats ne valident pas entièrement nos hypothèses sur la relation entre le champ littéraire arabe et le domaine de la traduction via l inscription des différentes réceptions du premier sur le deuxième, nous avons accumulé les éléments qui prouvent que les acteurs du champ littéraire arabe enracinent leur réception par des lectures antérieures, écritures venant du champ littéraire mondial. Une réception qui pourrait être qualifiée de réminiscence donnant consistance à telle ou telle particularité. Ce qui ouvre encore la voie à des investigations interprétatives sur les habitudes de lecture dont il nous était impossible d établir seul la genèse, mais nous avons percé avec une grande satisfaction l énigme dans laquelle se cache l esquisse des grands traits d une intrigue… Comment un champ ou un réseau littéraire donné pourrait-il évoluer ? - 337 Ahmed Khalifa Les écrivains francophones égyptiens, qui sont-ils ? Commençons par les descriptions et les interprétations vis-à-vis de l émergence du phénomène de la littérature égyptienne d expression française. Faut-il que l on parle encore d une « adoption » d une langue étrangère ? Faut-il insister et répéter au sein de la recherche académique qu il s agissait d un choix, d une préférence d une langue à l autre ? Non… la langue française fait déjà partie de la substance de nos écrivains francophones, elle est à la source de leur culture individuelle. Dans leurs écritures, nous n avons jamais eu l impression qu ils se détournent de leur identité de naissance ; nous avons ressenti plutôt qu ils la retrouvent à travers un autre chemin. Que cette particularité ait attiré le centre littéraire déjà charmé par les écritures sur l Orient : celles de Lamartine, Nerval, Volney, Chateaubriand et Flaubert, nos écrivains n ont fait qu accepter d être invités à enrichir cet Orient des voyageurs qui était devenu un genre littéraire. Cela a mené, peut-être, certains d entre eux à jouer cette différence dans un cadre plus proche du réalisme comme Out El-Kouloub, Cossery, Fawzia Assaad, Ahmed Rassim, qui ont choisi d obéir aux besoins de la capitale littéraire en satisfaisant les amateurs de charme exotique et les curieux du pittoresque et des mœurs, en vue de réapprendre à l Occident nos richesses. Finalement, cela se jouait plutôt au sein du champ français qui avait accepté l exotisme comme raison d édition de quelques écrivains mais aussi l assimilation pointait logiquement derrière l envie de « faire exister » d autres écrivains, comme Joyce Mansour, Edmond Jabès, Georges Henein pour qui le mouvement surréaliste était une vraie bouée de sauvetage. Les universels comme Chédid et Solé ont trouvé leur place ailleurs, dans un espace littéraire libéré à la fois de la nationalisation et de l engagement littéraire. Le fait que chacun de ces écrivains ait déclaré sa répugnance à livrer des faits biographiques, suivant en cela tous les écrivains exilés du monde entier, pourrait être justifié comme un envie d oublier ses origines pour participer au patrimoine littéraire mondial mais leurs œuvres témoignent d une égyptianité supportée et défendue ; ce qui met fin aux soupçons de leur appartenance occidentale. Leurs textes nous parlent d eux… pourquoi donc n écoutons-nous pas leur alter ego ? Et comment sont-ils reçus ? - 338 Ahmed Khalifa En partant du principe que toute traduction n est pas un simple fait du seul traducteur et qu elle est plutôt la production d une institution qui influence sa réception, nous constatons les effets de plusieurs métiers qui ont influencé la réception des traductions de la littérature égyptienne d expression française tels l éditeur, le reviseur, le préfacier, etc. En prenant le champ littéraire égyptien comme exemple démonstratif, et aussi représentatif, nous confirmons que le champ politico-social de l Egypte a remarquablement influencé la présence de cette littérature dans son champ d origine. Les éditeurs égyptiens, cas particulier dans le monde des éditeurs, à travers leur rapport de concordance/discordance avec l Etat, sont la raison sous-jacente à l absence de cette littérature dans leur champ entre et et, c est certainement par application des projets idéologiques de l Etat. La réorientation de ces projets dans les dernières années 1980 a assuré une certaine présence de cette littérature via ses traductions mais reste jusqu à nos jours une présence indécise marquée par la carence des politiques éditoriales dans le monde arabe en général et en Egypte en particulier. Dernièrement, nous remarquons un avancement au niveau de la présence de cette littérature via l interaction des écrivains francophones eux-mêmes avec le champ littéraire égyptien. Le phénomène de cette littérature commence à ne plus être considéré comme « particulier » ni comme « expérience personnelle » de ses seuls traducteurs. D ailleurs, l économie politique de la littérature du monde arabe a sans doute influencé la réception de cette littérature. Les rapports de forces entre les différents agents du champ littéraire arabe nous ont aidé à déterminer les enjeux spécifiques du péritexte par lequel s effectue et se dit la légitimation de l œuvre traduite. Les éléments du péritexte nous ont fait deviner peu ou prou comment se situent les agents dans un espace socioculturel donné et le fait que ces agents puissent in extenso imprimer un sens et instaurer des liens sociaux de type particulier : celui des « habitus ». Les préfaces des traductions de cette littérature – qu elles soient auctoriales, allographes ou faites par les traducteurs eux-mêmes – révèlent une vraie problématique de la réception de cette littérature. )l s agit de l identité de ses écrivains ; la question de l identité dite plurielle occupe un grand espace dans les préfaces de leurs œuvres traduites. Leur intégration dans la culture égyptienne en particulier fut difficile à cause des techniques de présentation des préfaciers qui, en insistant sur la question de l identité plurielle, n ont pas servi, de notre point de vue, à une meilleure intégration. En - 339 Ahmed Khalifa tout cas, les préfaces des traductions de cette littérature fut le lieu d interactions et ou de rétroactions qui indique une autre place aux traducteurs outre celle d un lecteur/auteur : il s agit d un récepteur/instructeur. Les titres traduits modifiés ou appropriés ont parfois changé le contrat de lecture de cette littérature ainsi que la disposition bilingue de certaines éditions qui ont changé même la fonction de la traduction littéraire au sein du champ littéraire arabe. Nous ne pourrons ni généraliser ni avancer de jugements sur le domaine de la traduction puisque notre corpus était restreint mais le champ du péritexte des traductions reste sans doute riche pour des futures études. De son coté, l épitexte de notre corpus nous a montré comment s inscrivent ses différents éléments dans la description de l ensemble des pratiques éditoriales des pays arabes récepteurs. La publicité littéraire incarnée dans les annonces de presse et les présentations visuelles des œuvres des écrivains francophones égyptiens sont plus justes et propices à l esprit de l œuvre ; elle ne se trouvait pas à contre-courant comme c était d ailleurs parfois le cas dans le champ français. Sur ce plan, les œuvres traduites se sont assurées d une meilleure intégration à leur culture d origine. Sur le plan de l auctorial public, les traducteurs participent plus ou moins dans la réception de leurs propres productions littéraires, mais ils restent toujours conditionnés par le rapport de soumission aux politiques éditoriales. Leur situation financière modique et leur position intellectuelle marginalisée les obligent à céder sur leurs mots traduits et à ne pas les défendre vis-à-vis de l outrage des puissants du monde intellectuel : les éditeurs. Cependant, sur le plan des allographes officieux, nous constatons un cas de « délit de fausses informations », celui-ci est malheureusement mené par des journalistes et des écrivains considérés quelquefois comme « dirigeants de la société littéraire ». Cette diffusion de fausses informations, étendue par la nouvelle technique d information comme )nternet, fait qu un lecteur peut être victime d un délit sans qu il puisse demander réparation des préjudices subis. La plupart des écrivains francophones subissent, eux aussi, ces préjudices. Certains ne sont plus vivants et ceux qui restent parmi nous aujourd hui méritent qu on les lise attentivement, qu on les connaisse et qu on les comprenne mieux. Nous ne demandons pas cassation mais plutôt révision du procès : présentation de la littérature francophone « égyptienne » dans le monde arabe. Mais comment donc sont-ils traduits ? - 340 Ahmed Khalifa Une analyse textuelle des traductions de la littérature égyptienne d expression française nous paraît inéluctable. Outre les résultats présumés auparavant via l étude du paratexte des traductions, une étude des textes traduits nous a aidé à envisager plusieurs constantes. Ayant proposé un nouveau regard sur les textes traduits, nous nous sommes chargé d appliquer une autre méthode d analyse : celle de la sociolinguistique. Nous avons placé le tertium comparationis comme priorité de nos analyses. C est-à-dire que nous avons essayé de montrer le commun et non pas le différent. Celui-ci s annonçait dans les études linguistiques précédentes qui se préoccupaient du vocabulaire et comparaient les phrases, les procès, les relations prédicatives, les passifs et les actifs, les formes pronominales, etc. Mais le commun, notre objectif, réside là ou s élaborent à l intérieur d un champ littéraire donné les communications prévues entre les traducteurs et les lecteurs. Autrement dit, nous avons essayé de décrire, au sens d Umberto Eco, cette machine paresseuse qui ne fonctionne qu avec l aide d un homme : le lecteur. Nous nous sommes permis de nous placer en tant qu homme lecteur pour mener notre investigation sur les textes et comparer les deux gestions fondamentales exercées sur ces textes dans leur double version : l originale et la traduction ; il s agit de la gestion in vivo de l auteur et la gestion in vitro de son traducteur. Nous avons laissé les traductions nous parler d elles-mêmes, nous faire déceler ce qui leur est propre et nous guider à identifier leur tendance générale. Organiser cela par auteur ou par traducteur était notre problème, mais finalement nous sommes arrivé à donner la priorité au premier, qui, d une façon ou d une autre, a plus d influence sur le texte traduit. Le deuxième a aussi son influence que nous étions censé remuer pour qu il apparaisse sur la surface de cette étude. Ce que nous avons certainement fait mais, force de leur position souterraine dans tous les champs littéraires du monde entier, on a éclipsé les traducteurs et permis aux écrivains de monter sur le proscenium comme il en est l habitude de se montrer au public. Nous avons choisi de classer nos réflexions sur notre corpus en faisant une distinction générique entre les traductions de la poésie et celles de la prose. Les premières nous étaient si délicates à analyser puisqu il s agit d une majorité de nature surréaliste dont les images indéfinies sont un principal constituant. Mais nous présumons que les moindres interprétations dans les traductions d une telle poésie ne font que produire des images autres que celles de l orignal. Des images indépendantes - 341 Ahmed Khalifa que le poète lui-même n aurait peut-être jamais pensées. Ainsi, la forme brève des poèmes surréalistes sont-ils agencés en toute liberté dans leur version traduite. Les équivalences (phoniques, métriques, lexico-sémantiques et syntaxiques) dans les poèmes sources se sont influencées par les différentes techniques traductives, voire même se sont perdues dans les versions traduites. Et si nous nous permettrons de donner nos réflexions sur les tendances générales des traductions de la poésie, nous dirons que :  Georges Henein fut logiquement dominé dans la version arabe de sa poésie. Il fut dominé par l autorité de ses traducteurs qui ont pris en charge sa récupération. Le vrai (enein fut moins dominé par contre dans ses articles traduits en arabe dont l absence de la poétique assure à son lecteur une meilleure réception de son esprit aiguisé puisqu il s agit plutôt des réflexions traduites.  Joyce Mansour, elle aussi, fut dominée. Mais elle se caractérise dans sa version arabe par une voix multiple causée par la multiplicité de ses traducteurs. Ceux-ci, ont essayé, chacun à sa façon, de l intégrer per fas et nefas dans sa culture accueillante. Que la traduction de celui-ci soit plus logique et compréhensible ou celle de celui-là soit plus littéraire, aucun trait de son écriture automatique ne renaît en arabe.  Mona Latif-Ghattas fut aléatoirement reproduite au niveau des blancs qu elle utilise dans sa poésie. Cela n est pas forcément le fait de ses traducteurs mais il ne nous interdit pas de regretter la perte d une grande signifiance poétique. Parmi les images ostensibles caractérisant l une de ses traductions et les sonorités audibles caractérisant l autre, la poésie de Mona Latif-Ghattas reste indécise.  Andrée Chédid et Edmond Jabès furent moins présents. A travers le peu de présence poétique arabe dans leur champ d origine, nous constatons aussi la disparition de leurs sons et de leurs rythmes intérieurs. Mais ces pertes, sont-ce réellement les problématiques des traductions ? Ou bien, sont-ce les problématiques d un genre littéraire déjà en crise dans son propre champ ? Que dirons-nous encore de la poésie traduite dans le monde arabe ? La question reste encore, nous le pensons, à débattre. D ailleurs, notre analyse de la prose francophone traduite en arabe s est trouvée à chercher en quoi consiste sa traduction. Nous avons approuvé la notion de l étrangeté du familier et proposé une nouvelle stratégie de la traduction de ce genre des textes : il s agit de la stratégie rapatriante. Celle-ci absente dans la plupart des traductions de cette - 342 Ahmed Khalifa littérature, est une proposition consistant à faire disparaître quelques particularités de l œuvre originale telles la thématique étrange, la langue influencée par la présence d une autre, etc. Cette stratégie rapatriante désigne toute technique traductive ou toute opération traduisante prenant en considération la « récupération » et ou la « captation » de l héritage littéraire. Nous avons observé par contre que quand cette stratégie ne se présente pas dans l esprit du traducteur, le texte francophone traduit se remet nolens volens dans le support de la littérature étrangère ; comme c était son cas d ailleurs dans le champ littéraire français. De ce point de vue, nous constatons que l accueil de la plupart des textes francophones n est pas très chaleureux dans leur culture d origine. Le public arabophone, attentif aux aménagements des traducteurs à ce propos et conscient de la spécificité de ces textes, avait riposté et annoncé son refus via les attaques sévères à l égard des traducteurs. Que voulions-nous de plus pour pouvoir mesurer la réception de telles œuvres ? A priori, nos réflexions sur les tendances générales des traductions de la prose se résument dans les points suivants :  Les traductions des romans de Fawzia Assaad témoignent d un effort à rendre un effet de proximité avec le lecteur [égyptien] à travers les trucages orthographiques désignant l oralité dans les dialogues. Un effort mené par Fawzia Assaad elle-même qui entretient une présence active dans son champ littéraire d origine. Celle-ci proposait et demandait à ses traducteurs de suivre telle ou telle technique ou de rendre tel ou tel effet, ce qui est tout à fait légitime. Mais son lecteur arabe non égyptien restera toujours mis à distance à cause des variantes articulatoires qui vont à l encontre de ses conceptions de l écriture habituelle.  Les retraductions des œuvres de Chédid et de Solé nous ont aidé à concevoir et apprécier quelques idées déjà développées chez certains théoriciens tels A. Berman, Y. Chevrel et Ph. Marty. La retraduction égyptienne de l œuvre de Chédid témoigne d un refus méthodique de lire la première traduction, et c est peut-être une rivalité implicite qui tend garantir une certaine autonomie au mot. La retraduction de l œuvre de Solé est une révision sévère de la première traduction.  Les œuvres de Cossery méritent d être retraduites pour remettre l écrivain dans sa vraie valeur. L art de Cossery ne nous a pas encore été transmis à cause des traductions non satisfaisantes. Nous saluons l effort de son traducteur presque unique puisqu il est pratiquement le seul qui a pris en charge l introduction de Cossery dans - 343 Ahmed Khalifa champ arabe. Cossery le mal traduit nous arrive neutralisé, désapproprié et incomplet. Narration incohérente, dialogues apathiques et personnages estompés, les romans de Cossery sont malheureusement tombés victimes de l incompétence linguistique de son traducteur qui, malgré sa plume expérimentée, n a pas réussi à les sauver.  Les traductions arabes d Out El Kouloub sont marquées par un manque d informations dû à la séparation du texte source par un autre texte. Ce texte intermédiaire duquel la traduction arabe provient est une traduction allemande. Celle-ci aussi cibliste a influencé la traduction arabe au niveau du style, des topoï et des dialogues. Enfin, par ces propositions de réponses aux interrogations sur la question des traductions de la littérature égyptienne d expression française, nous espérons avoir montré que le champ de la sociologie de la traduction mérite un intérêt particulier. L analyse des fonctionnements linguistiques de la traduction est bien important mais il faut aussi envisager les traductions dans leur dimension sociologique ; chaque traduction exprime un sens et instaure un certain lien social que l on doit explorer dans tout ce qui l accompagne ; les éléments du paratexte sont une vraie incarnation de l agir social sur la traduction : Que dire pour finir ? La traduction n est pas seulement dans les mots, mais elle est aussi indubitablement hors des mots. - 344 Ahmed Khalifa BIBLIOGRAPHIE - 345 Ahmed Khalifa Notice bibliographique Nous ne pouvions pas mentionner tous les ouvrages nécessaires à la réalisation de ce travail. Nous avons essayé de retenir ici les quelques titres que nous avons cités, analysés ou consultés, en fonction de leur importance pour des futures thèses soutenues dans le même domaine. D ailleurs, la largeur de notre champ d étude nous a obligé à sérier les titres en plusieurs rubriques en nous appuyant sur un regroupement plus thématique que générique ou structurel. - 346 Ahmed Khalifa BIBLIOGRAPHIE LES TRADUCTIONS ARABES DES ŒUVRES DES ECRIVAINS FRANCOPHONES D’ORIGINE EGYPTIENNE ETUDE SOCIO-LINGUISTIQUE DE LA RECEPTION 1 CORPUS 1.1 Corpus de base — ASSAAD F. - Mi riyya, trad. d Ahmed Uthmān, Dar Al (ilāl, Le Caire, . atchibs”t : Al mar ā al firʻawn, trad. de Māhir J”ayjā ī, CSC, Le Caire, 2003. - Bayt al Aq ur al Kabīr, trad. de Mona Qattān, CNT, Le Caire, . - A lām wa qimāmat Al Qāhira, trad. de Dīma Al (usīnī, CNT, Le Caire, 2008. — CHEDID A., - Al yawm As Sādis, trad. de amāda )brāhīm 1 , rééd. chez le HCC, Le Caire, 2002. - Al Āri - Bérénice al Mi riyya, trad. de ) ām Usayrān, Ministère de l )nformation, Kuwait, . - uq”s al Unf, trad. de Sa d ā ib, al Mawqif al adabī, Damas, . - L étroite peau, Al jild al musta īq, trad. de Na īm B” ān”s, éd. 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Editorial ................................................................................................................................................................ - 90 - 2 Les Titres traduits ...........................................................................................................................- 92 2.1 LE TITRE LITTERAL ........................................................................................................................................................... - 94 2.2 LE TITRE MODIFIE ............................................................................................................................................................. - 98 2.2.1 L ajout .......................................................................................................................................................................... - 98 2.2.2 La suppression.......................................................................................................................................................... - 99 2.2.3 La substitution ...................................................................................................................................................... - 100 2.3 LE TITRE TRANSFORME................................................................................................................................................. - 100 2.4 LE TITRE RETRADUIT .................................................................................................................................................... - 101 2.5 LE TITRE EN POESIE ....................................................................................................................................................... - 102 - 3 Les préfaces des traductions ................................................................................................... - 105 3.1 3.2 3.3 4 LES PREFACES AUCTORIALES ....................................................................................................................................... - 110 LES PREFACES ALLOGRAPHES ...................................................................................................................................... - 115 LES PREFACES DES TRADUCTEURS .............................................................................................................................. - 122 - Editions bilingues......................................................................................................................... - 135 4.1 MISE EN PAGE ET LECTURE .......................................................................................................................................... - 136 4.1.1 Orientation de la lecture. .................................................................................................................................. - 136 4.1.2 Numérotation ........................................................................................................................................................ - 138 4.2 LES ASPECTS VISUELS .................................................................................................................................................... - 138 4.3 NOTES DU TRADUCTEUR. .............................................................................................................................................. - 142 - Chapitre 2: L épitextuel et son rôle dans la réception des ouvrages traduits..-1451 L épitexte éditorial : Publicité de l œuvre traduite. ........................................................ - 150 - 364 Ahmed Khalifa 1.1 1.2 1.3 2 L allographe officieux. ................................................................................................................ - 160 - 2.1 2.2 2.3 3 LES ANNONCES DANS LA PRESSE ................................................................................................................................. - 152 RHETORIQUE DE LA SEDUCTION .................................................................................................................................. - 154 LA PUBLICITE INTERNE: DAR AL-HILAL.................................................................................................................... - 157 L ALLOGRAPHE TRADUIT .............................................................................................................................................. - 162 L ALLOGRAPHE AUTO-TRADUIT................................................................................................................................... - 165 L ALLOGRAPHE RECEPTEUR ......................................................................................................................................... - 169 - L auctorial public .......................................................................................................................... - 177 - 3.1 LE REGIME AUTONOME ................................................................................................................................................. - 178 3.1.1 Les auto-compte rendus .................................................................................................................................... - 178 3.1.2 Les réponses publiques ...................................................................................................................................... - 182 3.1.3 Les autocommentaires ....................................................................................................................................... - 186 3.2 LE REGIME MEDIATISE .................................................................................................................................................. - 192 3.2.1 Les interviews ........................................................................................................................................................ - 193 3.2.2 Les entretiens ......................................................................................................................................................... - 194 - DEUXIEME PARTIE: LE TEXTE : LA TRADUCT)ON RAPATR)ANTE…………..... -205Chapitre 1: La traduction de la poésie………………………………………………………. -2061 2 3 4 Georges Henein : Maître référent ........................................................................................... - 216 Joyce Mansour : la voix multiple ............................................................................................ - 232 Mona Latif-Ghattas : Du noir au blanc .................................................................................. - 246 Chédid, Jabès et Rassim: les quasi-absents ......................................................................... - 254 - Chapitre 2: La traduction de la prose………..………………………………………………. -2611 Fawzia Assaad : De la soumission à l imposition ............................................................. - 269 - 1.1 1.2 2 Chédid et Solé : Les revisités.................................................................................................... - 280 - 2.1 2.2 3 ANDREE CHEDID : LA TRADUCTION NATIONALISANTE............................................................................................ - 280 ROBERT SOLE : LA REVISION SEVERE......................................................................................................................... - 296 - Albert Cossery : Entre narration et dialogue ..................................................................... - 303 3.1 3.2 4 STRATEGIE RAPATRIANTE OU SOUMISSION PRESCRITE. .......................................................................................... - 270 TRUCAGES ORTHOGRAPHIQUES : EFFET DE PRONONCIATION ................................................................................ - 276 - NARRATION .................................................................................................................................................................... - 305 DIALOGUES...................................................................................................................................................................... - 313 - Out El Kouloub : le texte intermédiaire. .............................................................................. - 324 - Conclusion………………………………………………………………………………………………. -336Bibliographie………………………………………………………………………………………….. -345- - 365 Ahmed Khalifa Résumé )l est un champ d investigation qui mérite un intérêt particulier : il s agit de la réception des traductions de la littérature égyptienne d expression française dans le monde arabe. Pour mener une l étude de cette réception, il fallait prendre en considération les mutations littéraires ainsi que les contextes politique, sociale et économique que connaît le monde arabe et surtout l Egypte depuis le début du ème siècle. Ces relatives ont eu une incidence directe et indirecte sur le domaine de la traduction et cette étude sociolinguistique en affine les répercussions dans la communication dont la plus remarquable tient aux idéologies du marché du livre. Celles-ci ont eu toujours tendance à imposer des contraintes linguistiques aussi bien que culturelles qui allaient dans le sens de la pluralité. Interroger le phénomène de cette littérature en amont et en aval est donc l objet de cette thèse. Pour ce faire, j ai procédé à des descriptions sociolinguistiques globales de la réception mises à l épreuve d un corpus de textes traduits d œuvres d écrivains francophones égyptiens. Ma recherche comporte deux grandes parties précédées d un chapitre préliminaire investiguant l existence littéraire de ces écrivains dans leur champ littéraire égyptien puis dans leur champ international. La première partie s intéresse aux rôles du paratexte péritexte et épitexte) dans la réception. La deuxième partie est une analyse sociolinguistique textuelle des traductions rapatriantes. Mots clés : Traduction – francophone – textes littéraires – éditeur – traducteur – réception – sociolinguistique – lecteur – paratexte – existence littéraire. - 366 Ahmed Khalifa