Location via proxy:   [ UP ]  
[Report a bug]   [Manage cookies]                
Réponses et adaptations aux changements globaux : quels enjeux pour la recherche sur la biodiversité ? Prospective de recherche. Ophélie Ronce, Catherine Boyen, Sophie Caillon, Anne Charmantier, Pierre Olivier Cheptou, Isabelle Chuine, Marie-Christine Cormier-Salem, Laetitia Cuypers, Hendrik Davi, Celine Devaux, et al. To cite this version: Ophélie Ronce, Catherine Boyen, Sophie Caillon, Anne Charmantier, Pierre Olivier Cheptou, et al.. Réponses et adaptations aux changements globaux : quels enjeux pour la recherche sur la biodiversité ? Prospective de recherche.. Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité, 74 p., 2015, 9791091015165. ฀hal-01594930฀ HAL Id: hal-01594930 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01594930 Submitted on 26 Sep 2017 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of scientific research documents, whether they are published or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Distributed under a Creative Commons Attribution - ShareAlike| 4.0 International License PROSPECTIVE DE RECHERCHE RÉPONSES ET ADAPTATIONS AUX CHANGEMENTS GLOBAUX QUELS ENJEUX POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ ? OCTOBRE 2015 SOmmaIRE • 3 SOMMAIRE SOMMAIRE 3 RÉDACTEURS ET CONTRIBUTEURS 4 DÉROULEMENT DE LA PROSPECTIVE 5 PRÉAMBULE 6 INTRODUCTION 9 I. SOURCES DE FLEXIBILITÉ : ÉTAT DES LIEUX 11 1. PLASTICITÉ PHÉNOTYPIQUE 12 2. ÉVOLUTION GÉNÉTIQUE 20 3. MIGRATION 25 4. RÉARRANGEMENT DES COMMUNAUTÉS 30 5. DYNAMIQUE DES STRATÉGIES, DES SAVOIRS ET DES PRATIQUES 36 II. SOURCES DE FLEXIBILITÉ : PROSPECTIVES 45 1. COMPRENDRE LES PROCESSUS DE L’ADAPTATION 46 2. ÉTUDIER LE COUPLAGE ENTRE SOURCES DE FLEXIBILITÉ 54 3. PROPOSER DES INDICATEURS DU POTENTIEL D’ADAPTATION 57 4. INTÉGRER CES SOURCES DE FLEXIBILITÉ DANS LES SCÉNARIOS DE BIODIVERSITÉ 60 CONCLUSION 63 BIBLIOGRAPHIE 64 Matinée à Måbødalen, Eidfjord, Norvège, 2011. Simo Räsänen. 4 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ RÉDACTEURS ET CONTRIBUTEURS L a rédaction et l’édition de ce document de prospective scientifique ont été coordonnées par Ophélie Ronce, directrice de recherche CNRS à l’Institut des sciences de l’évolution de Montpellier (ISEM), avec l’appui de Flora Pelegrin, responsable du pôle stratégie et animation scientifique à la FRB. Cette prospective a été préparée et rédigée collectivement par les membres d’un groupe de travail organisé par la FRB et par des experts extérieurs sollicités pour la rédaction des différentes parties. LISTE DES PERSONNES AYANT PARTICIPÉ AUX ATELIERS OU À LA RÉDACTION * : Ophélie Ronce (CNRS, Coordinatrice) François Lefèvre (INRA) Catherine Boyen (CNRS) Virginie Maris (CNRS) Sophie Caillon (CNRS) Natacha Massu (Ecofor) Anne Charmantier (CNRS) Jean-Paul Métaillié (CNRS) Pierre-Olivier Cheptou (CNRS) Muriel Millot (MEDDE) Isabelle Chuine (CNRS) Catherine Montchamp-Moreau (CNRS) Marie-Christine Cormier-Salem (IRD) Xavier Morin (CNRS) Laëtitia Cuypers (FRB) David Mouillot (Univ. Montpellier 2) Hendrik Davi (INRA) Sara Muller (Univ. de Strasbourg) Céline Devaux (Univ. Montpellier 2) Flora Pelegrin (FRB) Vincent Devictor (CNRS) Alain Roques (INRA) Isabelle Goldringer (INRA) Françoise Rovillé-Sausse (CNRS) Michel Kulbicki (IRD) Jean-Michel Salles (CNRS) Pierrick Labbé (Univ. Montpellier 2) Jean-François Silvain (IRD) Gilles Landrieu (Parc nationaux de France) Frank Schurr (CNRS) Sandra Lavorel (CNRS) John Thompson (CNRS) Paul Leadley (Univ. Paris-Sud) Mylène Weill (CNRS) Les coordinateurs et contributeurs principaux de chaque chapitre sont indiqués en tête des différentes parties et exemples encadrés. La partie II- Prospective a fait l’objet d’une rédaction collective. * Le rattachement institutionnel indiqué est celui à la date de la tenue du groupe de travail (2012). DÉROulEmENT DE la PROSPECTIVE • 5 DÉROULEMENT DE LA PROSPECTIVE D ans le prolongement des réflexions menées dans le cadre de sa prospective pour la recherche sur la biodiversité (Silvain et al., 2009), le conseil scientifique de la FRB a souhaité la création d’un groupe de travail consacré au thème de l’adaptation et qui soit axé sur des questions de recherche intégratives et multi-échelles, liées aux réponses des composantes de la biodiversité et des sociétés aux changements globaux. Fin 2011, le conseil scientifique a demandé à Ophélie Ronce, directrice de recherche CNRS au sein de l’Institut des sciences de l’évolution de Montpellier (ISEM), d’animer les travaux de ce groupe, associant des membres du Conseil scientifique et des experts de différentes disciplines, spécialistes des questions liées à l’adaptation à différentes échelles. Le groupe de travail s’est réuni à deux reprises en novembre 2011 et janvier 2012, avant un séminaire de travail de deux jours en avril 2012. Le travail a été conduit en plusieurs étapes : tout d’abord des discussions visant à définir les objectifs, le périmètre thématique et un vocabulaire commun, puis un travail d’état des lieux autour de différents mécanismes de flexibilités impliqués dans les réponses aux changements globaux et enfin des réflexions prospectives pour identifier les recherches à mener dans les années à venir. Le travail de rédaction a impliqué les membres du groupe de travail, ainsi que des experts sollicités pour la rédaction d’exemples de recherches illustrant l’état des lieux des connaissances dans le domaine. Les travaux du groupe ont fait l’objet d’un dialogue constant avec les membres du Conseil scientifique de la FRB, qui en a mobilisé les conclusions initiales dans le cadre de sa prospective pour la recherche sur la biodiversité publiée en mai 2015 (destinée à actualiser et compléter celle de 2009). Le lac d’Ourmia, en 2000 à gauche et 2014 à droite. Le lac couvre aujourd’hui seulement 10 % de sa superficie des années 1970. Depuis 1996, les sécheresses liées au réchauffement climatique ont contribué à son déclin. U.S. Geological Survey. 6 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ PRÉAMBULE L’ importance des questions liées à l’adaptation a été soulignée par le Conseil scientifique de la FRB dans sa prospective pour la recherche française sur la biodiversité (Silvain et al., 2009). Il a notamment mis en avant la question de l’adaptation à des pas de temps courts, au regard de changements environnementaux très rapides. L’enjeu résulte de la nécessité de mieux comprendre – de l’échelle des individus à celle des espèces et communautés, jusqu’aux écosystèmes et socio-écosytèmes – les conséquences des changements globaux, dans un objectif d’anticipation des états futurs de la biodiversité. En effet, les organismes vivants et les groupes d’organismes (y compris les sociétés humaines) s’adaptent en permanence aux changements environnementaux, en modifiant leur comportement et leur utilisation de l’environnement, en se déplaçant, mais aussi à travers des réponses génétiques ou phénotypiques. L’adaptation au sens large constitue donc une des principales boîtes noires sur le chemin d’une modélisation de la dynamique de la biodiversité et du développement de scénarios sur le devenir de celle-ci. D’une certaine manière, l’adaptation peut être perçue comme une marge de manœuvre non aisément quantifiable, mais vraisemblablement importante, des différents composants de la biodiversité face aux forçages climatiques et anthropiques. La justification d’une réf lexion autour du thème de l’adaptation réside ainsi d’abord dans l’identification de problématiques et axes de recherche prioritaires – et partagés. Une des difficultés qui se posent en matière de réflexion autour du thème de l’adaptation est que ce terme peut avoir des acceptions différentes selon les communautés scientifiques. Le groupe de travail a donc été confronté au défi de faire dialoguer des acteurs qui, tout en utilisant un vocabulaire proche ou identique, peuvent avoir des visions relativement différentes des processus adaptatifs. L’objectif général était de surmonter ces divergences pour définir des approches intégrées, multi échelles et ambitieuses, de l’étude des processus adaptatifs, sans négliger l’identification des verrous de connaissance majeurs qui peuvent freiner l’avancée de la science. L’objectif initial du groupe de travail était de produire une prospective de recherche sur l’adaptation aux changements globaux à différentes échelles, de l’organisme à la société. Au cours de nos travaux, il s’est cependant avéré que la notion d’adaptation était trop restrictive, dans la mesure où elle ne concernait que les réponses aux changements considérées comme positives d’un point de vue adaptatif. La qualification d’une réponse adaptative étant elle-même problématique et renvoyant à un faisceau d’autres concepts, tels que la flexibilité, la résilience, la capacité d’adaptation, la vulnérabilité, la transformabilité, etc. (voir ci-contre), nous avons finalement décidé d’élargir les enjeux de ce texte aux réponses aux changements globaux, qu’elles soient ou non considérées comme adaptatives. Les rizières de Chine, comme les milieux humides d’Europe, sont menacés par la dissémination rapide de l’écrevisse de Louisiane, Procambarus clarkii, une espèce capable de s’adapter à de très nombreux milieux et de bouleverser les écosystèmes locaux. Écrevisse, Duloup ; Rizière, Jialiang Gao. PRÉamBulE • 7 DÉFINITIONS fLEXIBILITÉ En physique, la flexibilité est la propriété d’un matériau souple pouvant être courbé ou plié sans se rompre. La notion fait l’objet d’une littérature abondante en sciences économiques et de gestion où elle désigne la capacité d’une organisation à s’adapter à l’évolution de la demande ou d’un environnement institutionnel changeant, à faire face à une situation d’incertitude. Sans faire l’objet d’une théorisation aussi poussée, elle est utilisée également en éco- logie – la « flexibilité écologique » désignant la capacité d’une espèce à s’adapter à des situations environnementales diverses – et dans les autres sciences sociales comme la psychologie (la faculté d’ajuster ses comportements en fonction des situations) et la sociologie où elle renvoie, dans une acception proche de la résilience, à la capacité d’un groupe social à faire face à des changements de nature politique ou économique par exemple. ADAPTATION L’adaptation est un concept principalement issu des sciences du vivant (il est au cœur de la théorie de l’évolution par sélection naturelle) qui désigne soit un processus évolutif – l’ajustement des fonctions biologiques d’un être vivant avec les conditions extérieures – soit l’état résultant de ce processus. Le concept a fait l’objet de transpositions à d’autres disciplines comme en sociologie, notamment dans le cadre de la sociologie systémique et complexe initiée par Edgar Morin (Taché, 2003). Sa parenté avec les théories évolutives lui conférant de notre point de vue implicitement un sens positif masquant les possibilités de « mal adaptation » (c’est-àdire, le fait d’évoluer vers un état peu ou non adapté à l’environnement ou vers une adaptation qui, par rétroaction, entraînerait des conséquences négatives sur la durabilité des systèmes), nous lui préférons dans cet ouvrage le terme plus neutre de « réponse ». CAPACITÉ D’ADAPTATION Capacités des individus, des populations et des sociétés à répondre à un changement de leur environnement par des évolutions (plastiques, génétiques, d’organisation, de localisation, techniques, etc.) réduisant les effets négatifs de ce changement, voire tirant avantage de ses effets bénéfiques (Lande & Arnold, 1983 ; Houle, 1992 ; Kirkpatrick, 2009 ; Walsh & Blows, 2009 ; Smith et al., 2003 ; de Perthuis, 2010). En biologie évolutive, cette capacité d’adaptation (ou vitesse attendue de la réponse adaptative) a historiquement été mesurée par l’héritabilité, c’est-à-dire la part génétique de la variance des traits phénotypiques dans une population. Dans le domaine des sciences humaines et sociales, cette notion s’est principalement développée dans le cadre de la recherche sur les effets du changement climatique et se rapproche donc de la résilience sociologique ; il s’agit toutefois selon Galopin (2006) d’un concept plus vaste que la résilience qui renvoie davantage à des propriétés systémiques. RÉSILIENCE La résilience désigne en physique, la capacité d’un matériau à retrouver sa forme initiale après une déformation n’ayant pas dépassé les limites de sa flexibilité ou l’énergie nécessaire pour provoquer sa rupture. Initialement appropriée par la psychologie où elle est utilisée pour la première fois par John Bowlby en 1969 pour qualifier « les personnes qui ne se laissent pas abattre », la notion passe ensuite dans le domaine de l’écologie, où deux visions s’opposent. La définition la plus « traditionnelle » repose sur l’idée d’un système en équilibre stable ; la résilience est alors mesurée comme le temps de retour à l’état d’équilibre (Pimm, 1984). Une acception plus contemporaine, mais déjà formulée dans les travaux précurseurs de Holling (1973), s’articule au contraire autour de l’idée d’équilibres pluriels : les écosystèmes y sont approchés comme des entités en état d’instabilité permanente, dans lesquelles le retour vers un état antérieur n’est qu’exceptionnel. Dans cette ligne, la résilience peut 8 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ être définie comme la capacité d’un système à absorber les perturbations et à se réorganiser de manière à conserver la même identité, la même fonction et la même structure (Walker et al., 2004). Cette définition qui a l’intérêt de souligner la capacité des systèmes à intégrer les transformations en évoluant (le paradoxe de la permanence dans le changement), entre en résonnance forte avec l’usage du concept, en sociologie et en psychologie (avec en France notamment les travaux de Boris Cyrulnik), où elle désigne la résistance à un traumatisme (ou une crise), le dépassement de cet évènement puis la reconstruction de l’individu (ou de la société), ce qui ne s’apparente pas en général à un retour à la situation initiale. Enfin, la notion est également utilisée en économie où elle désigne la capacité des systèmes économiques et des individus à surmonter les épreuves économiques (chocs, crises, krachs) (Richemond, 2003). VULNÉRABILITÉ La vulnérabilité est un concept développé dans le cadre de la recherche sur la gestion des risques, mais qui s’étend aujourd’hui à d’autres disciplines. Son introduction dans les années 70 offrait une alternative à une perception du risque jusque-là entièrement focalisée sur l’aléa (le risque est alors approché comme la combinaison de l’aléa et de la vulnérabilité). Dans un premier temps la vulnérabilité désigne de manière purement comptable « les pertes [prévisibles] de la société en cas d’aléa » (Dauphiné, 2001). Cette définition est toutefois élargie par la suite à « l’ensemble des modalités d’atteinte et de réaction d’une société face à un ou des aléas » (Hugonie et al., 2006) ce qui donne davantage d’importance à la prise en compte d’un ensemble de déterminants sociaux. La notion fait aujourd’hui l’objet d’un regain d’intérêt dans la littérature, notamment dans celle consacrée au changement climatique ; les auteurs s’accordent pour concevoir la vulnérabilité comme le produit du degré d’exposition, de la sensibilité (l’ensemble des facteurs déterminant les modalités d’atteinte d’une société) et des capacités d’adaptation (Smit & Wandel, 2006). TRANSfORMABILITÉ Walker et al. (2004) définissent la transformabilité comme la capacité d’une société à créer un système nouveau lorsque les structures économiques ou sociales rendent le système existant intenable ; ainsi cette notion s’inscrit- elle en accord avec l’acception contemporaine de la résilience en introduisant l’idée que « le maintien ou le retour du système à l’état initial n’est pas toujours souhaitable » (Cantoni & Lallau, 2010). L’adaptation des variétés végétales aux futures conditions environnementales, plus fluctuantes dans un contexte de changement climatique, nécessitera une mobilisation accrue de la diversité génétique présente dans ces espèces. INTRODuCTION • 9 INTRODUCTION L es sociétés humaines et les systèmes écologiques interagissent et leurs trajectoires s’influencent mutuellement. Changement climatique, croissance démographique, exploitation accrue des ressources, pression foncière, mutations socio-économiques, transferts de populations et d’espèces, insécurité politique… les transformations que connaîtra le 21ème siècle vont fortement influencer la biodiversité, l’accès et la disponibilité des ressources biologiques et les services écosystémiques. Développer des scénarios concernant le devenir de la biodiversité afin de mieux la préserver est donc un enjeu majeur pour les sociétés humaines. En effet, les scénarios aident non seulement à avertir les décideurs et les gestionnaires des dangers encourus par la biodiversité, mais représentent aussi un outil indispensable dans le développement des plans de gestion de la nature, un outil d’aide à la décision et à l’action, ou encore un outil de communication avec le grand public et de concertation avec les parties prenantes. L’élaboration de scénarios de biodiversité est un champ de recherche encore jeune, que soutient la FRB à travers son programme phare « Modélisation et scénarios de la biodiversité ». Les scénarios existants prennent aujourd’hui insuffisamment en compte les propriétés de flexibilité des socioécosystèmes, intimement liées à la diversité de leurs différentes composantes (diversité des techniques et pratiques, diversité des ressources naturelles à divers niveaux- infra et interspécifique, génétique, phénotypique). La majorité des scénarios basés sur la modélisation des socio-écosystèmes projettent dans le futur des relations entre certaines contraintes (climatiques, anthropiques) et certains compartiments de la biodiversité en ignorant l’évolution dynamique de ces relations. Par exemple, les projections du déplacement des aires de distribution sous l’effet du réchauffement climatique fondées sur des modèles d’enveloppes climatiques font l’hypothèse que les relations entre occurrence d’une espèce et conditions climatiques seront conservées. Or les systèmes écologiques et les sociétés qui en dépendent et les altèrent sont des objets dont les attributs sont changeants (flexibles) dans le temps et l’espace à presque toutes les échelles d’étude. Cette flexibilité repose sur de nombreux mécanismes. Au sein d’un écosystème par exemple, la composition en espèces peut varier du fait de l’extinction de certaines d’entre elles, de la prolifération ou de la colonisation par d’autres, ce qui est susceptible d’affecter le fonctionnement de cet écosystème lorsqu’il est confronté à des conditions environnementales nouvelles. Au sein d’une espèce confrontée à des conditions environnementales changeantes, les capacités de migration déterminent les changements de distribution des individus dans l’espace. Au sein d’une population, des changements dans la fréquence de différents génotypes en réponse à différentes pressions évolutives (sélection mais aussi dérive et migration) affectent la distribution des traits phénotypiques, et donc la persistance ou les services associés à l’espèce. D’autres modes de transmission (épigénétique, traits culturels) affectent la distribution de ces traits en réponse à des changements environnementaux. Au niveau individuel, la plasticité phénotypique permet de faire varier ces traits en réponse à des stimuli variés. Quant aux sociétés et notamment aux usagers locaux, ils ne cessent d’adapter leurs systèmes d’exploitation aux changements environnementaux, en privilégiant par exemple des semences à cycle court pour pallier le raccourcissement de la saison des pluies, adop- 10 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ tant de nouvelles cultures ou activités pour gérer l’incertitude climatique, ré-organisant leur territoire et ré-arrangeant leurs institutions face aux impératifs des politiques publiques, ou encore innovant pour saisir de nouvelles opportunités du marché. Ainsi les acteurs locaux ajustent leurs pratiques et élaborent des stratégies qui visent à maintenir leur socio-écosystème dans un contexte changeant. Il existe des interactions entre chacun de ces niveaux de flexibilité. Les capacités de plasticité phénotypique sont par exemple en général génétiquement variables au sein des espèces (Crispo et al., 2010), et la plasticité phénotypique affecte elle-même la probabilité d’adaptation génétique à un changement environnemental (Chevin & Lande, 2010). La diversité spécifique dans un écosystème pourrait inhiber les réponses adaptatives au sein des espèces (de Mazancourt et al., 2008). Les réponses des compartiments de la biodiversité aux changements globaux peuvent affecter les mutations des sociétés et de leurs pratiques, ce qui en retour affecte la dynamique de la biodiversité à différentes échelles (Gillon, 2000). Notre but est d’attirer l’attention sur la nécessité de mieux comprendre la nature, la dynamique et les interactions entre ces sources de flexibilité pour anticiper les devenirs possibles de la biodiversité et de ses services au cours du XXIème siècle. Nous mettons en avant les verrous scientifiques à lever et les perspectives à poursuivre pour mieux incorporer ces dynamiques dans les scénarios de biodiversité. Dans le contexte de la construction de scénarios de biodiversité pour le XXIème siècle, l’enjeu est par ailleurs de comprendre le poids relatif et les interactions entre ces différentes réponses sur des pas de temps (à l’échelle du siècle) qui sont à la fois courts d’un point de vue évolutif, et longs pour de nombreux processus d’ajustement plastique des phénotypes et des pratiques qui réagissent à des variations fines de l’environnement. L’articulation entre pas de temps (de quelques semaines à plusieurs années voire centaine d’années ou plusieurs générations) et échelles spatiales (de la parcelle des agronomes au territoire / écosystème des géographes et écologues à la région des climatologues par exemple) est un des enjeux majeurs de l’interdisciplinarité. L’articulation des réponses aux différentes échelles spatiales (par exemple migration à l’échelle globale, recomposition des communautés à l’échelle locale) doit également être étudiée dans la perspective de ces scénarios. Les notions de crise (par exemple Barnosky et al., 2011) et de transition (Tapia, 2001 ; Hopkins, 2008) permettent par ailleurs de tracer des parallèles entre les réponses des systèmes biologiques et des sociétés confrontées à un changement sévère de leur environnement et constitue un fil rouge pour cette synthèse. Pour chacune de ces grandes réponses, notre objectif est de réaliser un bref état des connaissances, d’identifier d’une part une liste de verrous à la connaissance, et d’autre part des perspectives de recherches pour les lever et enfin d’incorporer ces dynamiques dans les scénarios de biodiversité. Mangroves amazoniennes en Guyane, Christophe Proisy, IRD. La mangrove est un écosystème spécifique ayant développé des capacités d’adaptation à des conditions extrêmement sélectives. Les forêts de mangrove se développent dans la zone des marées en Guyane et constituent un écosystème fragile, menacé par les activités humaines. La mangrove, forêt amphibie des côtes envasées tropicales, est aujourd’hui très menacée. La pression anthropique et le changement climatique détruisent annuellement 1 à 2 % de sa surface. Ici, les pieds de Rhizophora mangle, espèce de palétuvier, résitant bien à l’érosion et qui contribue à la stabilisation du front érosif. SOURCES DE FLEXIBILITÉ : ÉTAT DES LIEUX C et état des lieux est structuré par les cinq grands mécanismes de flexibilité des socioécosystèmes identifiés dans l’introduction : la plasticité phénotypique, l’évolution génétique, la migration, les réarrangements de communautés et la dynamique des stratégies, des savoirs et des pratiques autour des usages de la biodiversité. Ces mécanismes se déclinent à différentes échelles d’organisation de la biodiversité, mais interagissent entre eux. La méthodologie adoptée pour cette synthèse est de partir d’un nombre réduit de cas d’études documentés illustrant comment chacune de ces sources de flexibilité altère la réponse de la biodiversité aux changements globaux, et comment celles-ci interagissent. Ces exemples illustrent aussi comment ces mécanismes de flexibilité peuvent atténuer les conséquences néfastes des changements globaux sur la biodiversité et ses services, mais aussi parfois les aggraver, rendant les relations entre flexibilité et adaptation complexes. Ces cas d’études sont remis dans un contexte plus large de recherches sur le rôle de chaque source de flexibilité. 12 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ 1. PLASTICITÉ PHÉNOTYPIQUE L a plasticité phénotypique d’un caractère est la capacité pour des organismes de même génotype à exprimer différents phénotypes pour ce caractère en fonction de l’environnement. La plasticité phénotypique d’un trait peut être quantifiée par la norme de réaction du trait, à génotype constant, en réponse à des variations biotiques ou abiotiques externes à l’organisme. La plasticité est donc une propriété d’un trait en réponse à un facteur externe donné, et non une caractéristique d’un individu. La plasticité peut être adaptative si la variation du trait en question accroît la valeur sélective de l’individu (Nicotra et al., 2010), mal-adaptative si elle la diminue (Ghalambor et al., 2007) ou neutre si elle ne la modifie pas. Enfin, la réponse de l’organisme est plus ou moins passive, cette distinction diffère du caractère adaptatif ou non. En effet, de nombreuses modifications d’un trait relié à la croissance peuvent être une simple conséquence des variations du niveau de ressources (van Kleunen & Fischer, 2005). Si on prend un exemple en écophysiologie végétale, une hausse de la teneur en CO2 entraîne mécaniquement une hausse de la photosynthèse car il y a ainsi plus de CO2 au niveau des sites de carboxylation, mais elle conduit aussi à une fermeture active des stomates (le CO2 agissant comme une hormone au niveau des chambres sous stomatiques) entraînant une hausse de l’efficience de l’utilisation de l’eau. La plasticité est un processus central dans les processus d’adaptation des organismes à court et long termes (Nicotra et al., 2010), particulièrement important pour les organismes sessiles comme les plantes qui ne peuvent se déplacer à tout moment dans leur cycle de vie pour échapper à de nouvelles conditions (van Kleunen & Fischer, 2005 ; Bradshaw, 2006 – voir exemples 1.3 et 1.4). Mais il est souvent difficile de démontrer la nature clairement adaptative des cas de plasticité (van Kleunen & Fischer, 2005 – voir exemple 1.1 pour un exemple de plasticité adaptative). La plasticité est un mécanisme majeur de flexibilité par rapport aux changements environnementaux qui n’est pas suffisamment pris en compte (Chevin et al., EXEMPLE 1.1 Coordinateur : Hendrik Davi 2010). Des individus et espèces qui présentent une forte plasticité pour certains traits (donc plus « généralistes ») ont probablement une plus grande chance de survie quand le milieu change du fait de la fragmentation des paysages (Futuyma & Moreno, 1988) ou d’évènements climatiques extrêmes. Mais c’est un mécanisme qui comporte aussi des limites (Jump & Penuelas, 2005 ; Valladares et al., 2007). D’abord, la plasticité a théoriquement un coût sinon les organismes spécialisés dans un environnement n’auraient aucun avantage (Dewitt & Wilson, 1998), mais si ce coût a largement été étudié grâce aux modèles mathématiques, les preuves empiriques sont rares (Huey & Hertz, 1984 ; van Kleunen & Fischer, 2005). De plus, la plasticité ne permet ni de s’adapter à des conditions extrêmes sortant des gammes habituelles ou quand l’environnement est trop hétérogène (Valladares et al., 2007), ni de faire face à une accumulation de stress qui affaiblissent l’individu. Enfin la réponse à un facteur environnemental comme la température interagit avec de nombreux autres facteurs (sécheresse, gel) et avec la communauté biotique dans lequel vit l’individu ce qui tend à tamponner la valeur adaptative d’une réponse plastique (Valladares et al., 2007). La quantification de la plasticité passe par de nombreuses méthodes et indicateurs (Valladares et al., 2006). Le plus simple est de mesurer les variations phénotypiques de certains traits adaptatifs d’un même individu au cours du temps (coefficient de variation, pente de la norme de réaction), mais l’effet de l’environnement peut alors être confondu avec des effets ontogéniques comme le vieillissement de l’individu (Coleman et al., 1994) ou avec des modifications tendancielles de la communauté biotique dans laquelle il est inséré. En dispositif contrôlé (dispositifs de descendance), on peut aussi calculer quelle est la part de la variation des phénotypes qui est due à la génétique et celle due à la plasticité phénotypique en réponse aux facteurs environnementaux. Enfin en conditions naturelles, des données sur les pédigrés ou une assignation probabiliste des parentés sur la base de génotypages permettent d’opérer le même travail (voir exemple 1.1). PLASTICITÉ ET RÉPONSE ÉVOLUTIVE DE LA PHÉNOLOGIE DES MÉSANGES fACE AUX CHANGEMENTS CLIMATIQUES Auteur : Anne Charmantier Chez les oiseaux, la date de reproduction est un déterminant majeur du succès reproduc- teur, et donc de la survie de l’espèce. Plusieurs études récentes ont montré que les populations I - SOuRCES DE FlEXIBIlITÉ : ÉTaT DES lIEuX • 13 général, ces deux processus n’ont pas été distingués. Une revue récente montre que sur 14 études de la phénologie de la reproduction fondées sur des données de suivi individuel, trois seulement ont testé un processus de réponse évolutive au changement climatique, sans résultat positif, alors que toutes montrent une réponse plastique individuelle (Charmantier & Gienapp, 2014). L’étude de l’héritabilité des normes de réaction en populations naturelles n’en est qu’à ses débuts (Stearns, 1989 ; DeWitt & Scheiner, 2004) mais c’est une approche très prometteuse pour comprendre l’adaptation des populations naturelles à l’hétérogénéité de l’environnement et leur réponse au changement. d’oiseaux peuvent répondre aux changements climatiques actuels en modifiant leurs dates de reproduction, mais, souvent, l’ampleur de la réponse n’est pas suffisante pour permettre une adaptation au changement environnemental (Visser, 2008). Les exemples les plus fréquemment illustrés sont l’avancée de la date de ponte (Visser et al., 2003 ; Husby et al., 2010) ou bien celle des comportements de migration (Hüppop & Hüppop, 2003 ; Van Buskirk et al., 2012). Cependant, il n’est pas aisé de tester si ces changements de comportements en réponse aux changements de l’environnement proviennent d’une plasticité phénotypique ou bien sont la conséquence d’une micro-évolution à déterminisme génétique et donc en règle 800 700 600 500 400 r 2 = 0.33 1960 1970 DATE DE PONTE MOYENNE A 1980 1990 20 r 2 = 0.36 1970 50 r 2 = 0.48 1960 1980 1990 ANNÉES 1970 B 30 2000 1980 1990 2000 ANNÉES 40 30 20 10 r 2 = 0.62 40 D Figure 1.1. A : Température printanière au cours du temps (mesurée par la somme des températures maximales entre le 1er mars et le 25 avril.) B : Dates annuelles de pic d’abondance des chenilles. C : Dates de ponte moyenne des mésanges charbonnières Parus major à Wytham, Angleterre entre 1961 et 2007. D : Relation étroite entre la date moyenne de ponte des mésanges et la date de pic d’abondance des chenilles. Les r² indiquent la proportion de la variance expliquée par les modèles de régression et les courbes représentent les meilleurs modèles statistiques linéaires ou quadratiques 10. D’après Charmantier et al., 2008. 60 2000 40 10 70 40 ANNÉES 1960 C DATE DE PIC D’ABONDANCE DES CHENILLES 80 DATE DE PONTE MOYENNE CUMUL DES TEMPÉRATURES PRINTANIÈRES (C°) 900 50 60 70 80 DATE DE PIC D’ABONDANCE DES CHENILLES Rôle prépondérant de la plasticité Des relevés individuels sur 47 années (1961 2007) dans une population de mésange charbonnière (Parus major) étudiée à Oxford depuis 1947, ont montré que sur une durée d’un demisiècle, les mésanges ont avancé leurs dates de ponte en moyenne de 14 jours (Charmantier et al., 2008 – figure 1.1, C). Les données sur l’abondance de nourriture dans la forêt ont permis de montrer par ailleurs que ces 14 jours correspondent à l’avancement de la présence des chenilles dans les bois (figure 1.1, B), la principale nourriture apportée aux poussins au nid. Ainsi, malgré un réchauffement important de leur environnement au cours des dernières décennies (figure 1.1, A) et un « avancement » du printemps, les mésanges ont su, 14 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ en moyenne, avancer leurs dates de reproduction pour rester synchrones avec l’abondance de nourriture et assurer la croissance de leurs oisillons (figure 1.1, D). Grâce à l’identification individuelle par baguage des mésanges charbonnières, cette étude portant sur près de 10 000 évènements de reproduction a mis en évidence que cette adaptation est le fait d’ajuste- ments individuels (Charmantier et al., 2008). Chaque femelle a donc la capacité de changer sa date de ponte d’une année sur l’autre, en fonction de son environnement (température, luminosité, pluviométrie, longueur du jour, phénologie des arbres… – Visser, 2008 ; Bourgault et al., 2010) anticipant ainsi la date de disponibilité de la nourriture. Variation interindividuelle et sélection de la plasticité La population étudiée présente peu de variation de la plasticité dans la réponse aux changements annuels de température (Charmantier et al., 2008). Ces résultats contrastent avec ceux obtenus avec des femelles de la même espèce dans une population néerlandaise où la plasticité est fortement variable et sous sélection directionnelle (Husby et al., 2010 ; Nussey et al., 2005). Cependant, une héritabilité de la plasticité (interaction génotype x environnement) n’a pas pu être montrée dans les deux populations de mésanges (Husby et al., 2010), laissant supposer que le potentiel évolutif de la plasticité reste faible. Croissance et décroissance en réponse à l’ajustement des dates de reproduction Cette adaptation du comportement a permis à la population de mésanges un ajustement en temps réel aux augmentations importantes de température et, par là même, de conserver une très bonne croissance, les effectifs de mésanges ayant d’ailleurs doublé dans l’intervalle de cette étude (Charmantier et al., 2008). Ces résultats contrastent avec ceux issus d’une étude néerlandaise des mésanges charbonnières. Aux Pays Bas, la plasticité très variable entre les femelles ne permet pas un ajustement global, ce qui conduit à une décroissance de la population. L’origine de ces différences dans l’adaptabilité du comportement pourrait résider dans les indices environnementaux (tels que la température) qu’utilisent les mésanges pour synchroniser leur reproduction avec leur environnement. Ce cadre d’étude met le doigt sur la difficulté de généraliser des résultats sur le potentiel adaptatif, même au sein d’une même espèce, et la nécessité de conduire des études comparatives. Nid de mésange charbonnière, Anne Charmantier, Mésange charbonnière, Philippe Perret. I - SOuRCES DE FlEXIBIlITÉ : ÉTaT DES lIEuX • 15 D éfinir la part respective de la plasticité et de l’évolution génétique dans l’adaptation des populations aux changements globaux est donc un enjeu essentiel (Potvin & Tousignant, 1996 ; Gienapp et al., 2008 ; Merilä & Hendry, 2014). Un des attendus est que l’importance relative de ces deux mécanismes dépend de l’amplitude des variations environnementales subies durant la vie d’un organisme par rapport à l’amplitude de ces variations entre plusieurs générations. Par exemple, comme les variations climatiques intra-annuelles (au sein d’une journée ou bien entre saisons) sont d’une ampleur supérieure aux variations interannuelles auxquels sont soumis les différentes générations d’organismes longévives (mammifères, arbres), on s’attend donc à ce que la plasticité soit un méca- EXEMPLE 1.2 nisme d’adaptation plus important pour ces derniers. C’est ce que montre l’exemple 1.1, la réponse de la phénologie des mésanges étudiées à Oxford depuis 1947 est de façon prépondérante due à de la plasticité. Cette plasticité est aussi très importante en anthropologie comme le montre l’exemple 1.2. L’organisme humain s’est adapté à une alternance d’abondance et de restrictions alimentaires par une flexibilité dans le stockage des réserves. Actuellement, cette plasticité est mal adaptative, jouant un rôle clé en santé humaine (notamment impliquée dans les problèmes d’obésité), du fait de l’évolution des pratiques alimentaires et du changement dans le régime de variation des conditions environnementales affectant les sociétés humaines. COMPORTEMENTS ALIMENTAIRES ET PLASTICITÉ DU CORPS HUMAIN Auteur : Françoise Rovillé-Sausse Constat Historiquement, les sociétés qui nous ont précédés étaient caractérisées par l’absence de choix alimentaire réel : les produits alimentaires étaient disponibles seulement en quantités limitées, leur production était saisonnière et pendant une partie de l’année on consommait des réserves qui devaient durer jusqu’à la prochaine récolte. L’organisme humain s’est adapté à cette alternance d’abondance et de restrictions en stockant des réserves énergétiques sous forme de graisses durant les périodes productives et en puisant dans ces réserves pendant les saisons de pénurie. Les progrès de l’agronomie (amélioration des espèces, amélioration des techniques de culture), l’acclimatation et la culture des produits alimentaires originaires du Nouveau Monde (maïs, haricots, pomme de terre, tomate…) contribuent à augmenter la disponibilité alimentaire. Il est alors possible de constituer des stocks et de réduire les effets des fluctuations climatiques. On est passé d’une économie de subsistance à une industrie agroalimentaire qui procure, dans les pays riches, mais aussi dans les pays en transition économique, une nourriture abondante et régulière. Mais la biologie n’évolue pas aussi vite que la culture et notre civilisation révèle aujourd’hui un décalage entre le substrat biologique et un mode de vie récent auquel nous ne serions pas encore adaptés. La plasticité du corps humain. Les progrès des moyens de transports, des moyens de conservation et l’augmentation du niveau de vie ont amené une situation unique dans l’histoire alimentaire de l’humanité : la possibilité d’un choix quotidien et pratiquement illimité d’aliments pour une grande partie de la population humaine. Les facteurs actuellement essentiels ne sont plus une augmentation supplémentaire de l’abondance, ni l’apparition d’aliments nouveaux, mais l’adaptation de notre comportement alimentaire à cette nouvelle situation d’abondance. L’obé- sité progresse partout dans le monde de façon épidémique. Les complications de santé qui y sont liées (diabète de type 2, maladies cardio-vasculaires associées, cancer) pourraient, pour la première fois dans l’histoire, amener à une espérance de vie de nos enfants plus faible de plusieurs années que celle de leurs parents. Même si l’augmentation du nombre de personnes obèses depuis deux décennies comporte des causes sociétales bien identifiées (sédentarité, « malbouffe »…), l’hérédité joue un rôle important dans la détermination du 16 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ poids et dans la survenue de l’obésité, d’autant plus lorsqu’elle est sévère et apparaît précocement. Toutefois, la prédisposition génétique ou les mutations ne peuvent pas expliquer à elles seules la prévalence actuelle de l’obésité. À chaque obésité correspond une combinaison particulière de facteurs de risques : pour certains, cela va jouer sur la prise alimentaire, pour d’autres sur la sécrétion d’insuline, pour d’autres encore sur la fonction des adipocytes. Complétant les approches génétiques menées auprès des populations générales, ces travaux (Meyre et al., 2009) révèlent que l’étude des formes familiales d’obésité sévère est particulièrement utile pour comprendre les causes génétiques de l’obésité. Ils démontrent le rôle fondamental du comportement alimentaire (dans la régulation et l’évolution de la corpulence humaine) et dans la survenue des obésités sévères de l’enfant. Ces résultats pourraient permettre à plus long terme l’identification précoce des enfants les plus à risque d’obésité ainsi que la mise en place de stratégies préventives. L’adaptation des comportements alimentaires L’un des facteurs fondamentaux de cette adaptation est l’acquisition de données précises en nutrition, qui pourront fournir des bases rationnelles à notre comportement. Différentes stratégies de prévention ont déjà été mises en place dans plusieurs pays (le Plan national nutrition santé en France depuis 2001). Ces stratégies ont réussi à communiquer aux individus des L a prise en compte de la plasticité dans les modèles d’adaptation est donc essentielle, elle peut aboutir à modifier les prédictions concernant l’évolution des niches écologiques soumises au changement climatique comme le montre l’exemple 1.3. Les modèles intégrant la plasticité sont plus conservateurs en termes d’évolution des distributions car ils prennent en compte la capacité qu’ont les espèces EXEMPLE 1.3 recommandations clés soulignant l’importance d’avoir une alimentation équilibrée. Cependant, le fait de connaître les recommandations n’amène pas toujours au changement des comportements. Il faut comprendre les moteurs individuels et collectifs des comportements alimentaires qui dépendent aussi de nombreux facteurs hédoniques, symboliques et sociaux. à modifier rapidement leur phénotype en réponse aux variations environnementales (Morin et al., 2008). La prise en compte explicite de la plasticité requiert l’incorporation des lois physiques et écophysiologiques dans les modèles de niche ce qui les rend plus robustes en milieu fluctuant (Kearney & Porter, 2009) et plus aptes à détecter des points de rupture. MODÉLISATION DE LA PLASTICITÉ DANS LES MODèLES D’AIRE DE RÉPARTITION : L’EXEMPLE DE PHENOfIT Auteurs : Isabelle Chuine et Xavier Morin Importance de la plasticité phénotypique dans la largeur de niche des arbres tempérés Les modèles d’aire de répartition d’espèces basés sur les traits et les processus (voir pour revue Dormann et al., 2012) pointent du doigt l’importance de certains caractères adaptatifs dans la définition de la répartition géographique des espèces. Ces caractères sont pour la plupart des caractères plastiques avec les conditions environnementales, notamment de température, d’humidité et de photopériode. Parmi ces caractères, les événements phénologiques apparaissent comme clés dans la définition de la niche des espèces (c-à-d dates de feuillaison, floraison, fructification, sénescence foliaire chez les arbres ; dates de ponte chez les oiseaux, amphibiens et reptiles, dates d’émergence des stades adultes des insectes, etc). La date d’occurence de ces événements varie d’une année à l’autre, d’un site à l’autre en fonction I - SOuRCES DE FlEXIBIlITÉ : ÉTaT DES lIEuX • 17 des conditions environnementales, jusqu’à plus d’un mois d’écart entre années extrêmes pour certains de ces événements. Le modèle d’aire de répartition d’espèces fondé sur les processus PHENOFIT (Chuine & Beaubien, 2001) explique la répartition des espèces d’arbres tempérés essentiellement par l’adéquation du cycle annuel de développement et des niveaux de résistance aux stress hydriques et thermiques aux variations saisonnières et spatiales des conditions environnementales (figure 1.2). Modèle statistique BIOMOD LOG (% EXTINCTIONS) Modèle basé sur les processus PHENOFIT 2.5 16 espèces PHENOFIT 2 1.5 1 0.5 A2 B2 Présent en 2000 et toujours présent en 2100 0 0 0.5 1 1.5 BIOMOD 2 2.5 Présent en 2000 mais absent en 2100 (extinctions) Absent en 2000 mais présent en 2100 (colonisation) En dehors de l’aire de répartition en 2000, zone de colonisation potentielle en 2100 Figure 1.2 : Comparaison entre le pourcentage d’extinctions locales prédites à l’horizon 2100 par un modèle de niche corrélatif (BIOMOD) et par un modèle fondé sur les processus (PHENOFIT), pour l’érable à sucre (Acer saccharum), selon le scénario A2 du GIECC. Carte de gauche : distribution actuelle et potentielle simulée par BIOMOD. Carte de droite : distribution actuelle et potentielle simulée par PHENOFIT (utilisant les données climatiques ATEAM). Morin & Thuiller, 2009 (cartes reproduites avec l’autorisation de la revue Ecology). PHENOFIT a été comparé à différents modèles corrélatifs d’aires de répartition d’espèces (Morin & Thuiller, 2009 ; Cheaib et al., 2012 ; Gritti et al., 2013) et ces comparaisons ont montré qu’il tendait à être plus conservateur dans l’évolution des aires de répartition selon des scénarios climatiques que les modèles corrélatifs (figure 1.2), c’est-à-dire qu’il prédit des taux d’extinction moindres. L’une des hypothèses avancées pour expliquer ce résultat serait la prise en compte par les modèles basés sur les processus de la plasticité phénotypique des traits impliqués dans la largeur de niche des espèces. Cependant cette hypothèse n’a pour l’instant pas été testée. Mesurer l’importance de la plasticité phénotypique dans la largeur de niche et dans la réponse à un changement environnemental a rarement été fait (Waddington, 1960 ; Pigliucci et al., 2006 ; Aubret & Shine, 2010). Il serait important de la déterminer dans le contexte actuel de changement climatique, notamment pour les espèces à temps de génération long telles que les arbres qui ne pourront pas évoluer génétiquement aussi rapidement que des espèces à cycle de vie plus court en réponse au changement de climat. À l’aide de PHENOFIT, l’effet de la plasticité des dates de débourrement sur la largeur de niche (et donc la répartition géographique) dans les conditions climatiques passées et futures a pu être estimé pour trois espèces d’arbres européens (Duputié et al., 2015). La plasticité des dates de débourrement a un effet relativement faible sur la largeur de niche des trois espèces dans les conditions climatiques actuelles mais ralentit le processus d’extinction locale aux marges sud chez certaines espèces dans les scénarios de changement climatique futur. 18 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ La plasticité phénotypique est aussi un caractère en tant que tel qui peut être déterminé génétiquement, héritable et donc potentiellement soumis à évolution (Bradshaw, 2006). Les deux prérequis à l’évolution génétique, héritabilité et variation génétique, ont été montrés en ce qui concerne la plasticité de nombreux caractères. La plasticité peut à la fois tamponner les effets du changement climatique, mais aussi accélérer (Nicotra et al., 2010) ou limi- EXEMPLE 1.4 ter l’adaptation génétique des organismes à ces mêmes changements. Enfin, à travers des effets parentaux et divers mécanismes épigénétiques, les modifications du phénotype par l’environnement peuvent parfois être transmises à travers les générations. Le rôle des réponses épigénétiques dans les réponses à différents stress environnementaux, et notamment l’adaptation au climat local semble, plus important que soupçonné initialement (voir exemple 1.4). ADAPTATION RAPIDE CHEz L’ÉPICÉA : RÉPONSE EN UNE GÉNÉRATION Auteur : François Lefèvre Les arbres, avec leur long cycle de vie, sont généralement dotés d’un fort potentiel de flexibilité, tant en terme de plasticité phénotypique que de potentiel évolutif des populations. La recolonisation post-glaciaire des continents, qui a pris quelques dizaines voire centaines de générations, a conduit à l’émergence d’adaptations locales très marquées, notamment sur des gradients altitudinaux et latitudinaux, contrastant avec une différenciation génétique « neutre » particulièrement faible (Mimura & Aitken, 2007 ; Savolainen et al., 2007). Dans le cadre de programmes de plantations coordonnés aux échelles nationales ou continentales, notamment depuis le XIXe siècle, les forestiers ont régulièrement transplanté des ressources génétiques vers des conditions environnementales différentes de celles de leur origine. Ces situations, parfois bien documentées, sont un excellent matériel pour étudier la capacité d’adaptation à ces nouvelles conditions. Parmi les adaptations locales très claires, l’adaptation phénologique des arbres aux climats froids est bien documentée : de façon très générale, pour une même espèce, les populations les plus septentrionales ou de haute altitude cessent leur croissance et ferment leurs bourgeons bien plus tôt que les populations méridionales ou de basse altitude, évitant ainsi les dégâts de gel précoce en automne (Savolainen et al., 2007). C’est le cas en particulier chez l’épicéa commun (Picea abies) où le décalage phénologique de date de fermeture de bourgeons est d’environ trois semaines entre des plants issus de graines provenant de Norvège et ceux issus de graines d’Europe Centrale, élevés en jardin commun dans une même condition environnementale (Skrøppa et al., 2010). Au début du XXe siècle, les forestiers Norvégiens ont introduit et planté dans leurs forêts des ressources génétiques (graines) d’origines allemande et autrichienne. Du fait des dégâts de gel, ces plantations ont donné des arbres mal conformés et les forestiers se sont inquiétés de la qualité génétique des graines produites par ces arbres. Les marqueurs mitochondriaux (à hérédité maternelle chez ce Gymnosperme) permettent d’identifier sans ambigüité l’origine géographique autochtone ou d’Europe centrale des arbres aujourd’hui reproducteurs en Norvège. Skrøppa et al. (2010) ont alors comparé la phénologie de plants issus de divers lots de graines : (a) graines récoltées en Europe centrale sur les peuplements précisément à l’origine des introductions faites en Norvège, (b) graines récoltées sur des arbres d’origine autochtone norvégienne, (c) graines récoltées sur des arbres d’origine d’Europe centrale poussant en Norvège. Le décalage phénologique très marqué qui différencie les lots (a) et (b) disparaît entre les lots (b) et (c) : une génération après l’introduction, les graines produites se comportent comme la ressource locale (figure 1.3). Divers mécanismes peuvent expliquer cette évolution rapide. Une certaine sélection a pu avoir lieu sur les arbres d’origine exotique (il y a eu de la mortalité et tous ne se reproduisent pas), mais il n’en reste pas moins que les arbres-mères sur lesquels ont été récoltées les graines ne sont pas parfaitement adaptés (dégâts de gel). Des flux de gènes se sont également produits, car les graines récoltées peuvent avoir une contribution paternelle locale, mais cela ne représente au maximum que 50 % du génome de la graine récoltée, et il est de plus peu vraisemblable que les arbres d’origine autochtone (non majoritaires localement) I - SOuRCES DE FlEXIBIlITÉ : ÉTaT DES lIEuX • 19 Steinkjer NORVÈGE Hurdal FERMETURE DES BOURGEONS (%) soient les seuls pollinisateurs. L’explication principale semble donc venir de mécanismes épigénétiques connus chez cette espèce. En réalisant les mêmes croisements contrôlés sous différentes conditions climatiques, Johnsen et al. (2005a, 2005b) ont montré que la température durant la phase post-zygotique de développement embryonnaire influence la performance en termes de phénologie et de croissance des futures plantules. Yakovlev et al. (2010, 2011) ont montré que, chez certaines familles, la température durant le développement embryonnaire modifie le niveau d’expression des gènes ainsi que la présence de certains micro-ARN chez la future plantule, tandis que d’autres familles semblent insensibles à cet effet épigénétique. 100 80 60 40 ORIGINE Allemagne (Harz) - a 20 Familles norvégiennes (Steinkjer) - b 0 Familles allemandes (Steinkjer) - c 7 10 15 21 AOÛT 28 Harz ALLEMAGNE AUTRICHE Tyrol FERMETURE DES BOURGEONS (%) A DATE 100 80 60 40 ORIGINE Autriche (Tyrol) - a 20 Familles norvégiennes (Hurdal) - b 0 Familles autrichiennes (Hurdal) - c 13 B 3 6 10 13 17 24 SEPTEMBRE 17 22 AOÛT 29 3 6 10 13 17 SEPTEMBRE 24 DATE Figure 1.3. Voies d’introduction d’épicéas depuis l’Allemagne et l’Autriche vers la Norvège – Comparaison de la cinétique de fermeture des bourgeons, observée en jardin commun, de plants provenant de divers lots de graines. Rond (a) : graines récoltées sur dans les peuplements à l’origine des introductions en Allemagne (ou Autriche). Carré (b) : graines récoltées en Norvège sur des arbres-mères autochtones. Triangle (c) : graines récoltées sur des arbres d’origine allemande (ou autrichienne) poussant en Norvège. D’après Skrøppa et al., 2010. 20 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ 2. ÉVOLUTION GÉNÉTIQUE L e monde vivant est l’objet d’une perpétuelle évolution qui trouve son terreau dans les modifications aléatoires du matériel génétique que sont les mutations et les recombinaisons génétiques. Au sein de chaque espèce, il existe une variation génétique et donc une possibilité d’évolution pour des caractères de toutes natures, qu’ils soient morphologiques, biochimiques, physiologiques ou comportementaux. Par corollaire, l’existence d’une composante génétique dans la variation de caractères liés à la valeur adaptative est une caractéristique très générale. Elle a cependant ses limites. Par exemple, l’absence de variation génétique pour des traits écologiques majeurs impliqués dans l’adaptation au climat semble limiter la répartition d’espèces de drosophiles spécialistes des milieux tropicaux (Kellermann et al., 2009) et donc leur réponse à des changements climatiques futurs (Willi & Hoffman, 2009). L’architecture génétique des caractères peut être plus ou moins complexe : effets additifs d’un nombre plus ou moins grand de gènes, effets d’interactions entre différents EXEMPLE 2.1 Coordinateurs : Catherine MontchampMoreau, François Lefèvre gènes sur un même caractère, effets d’un gène sur de multiples caractères, effets épigénétiques… Au final, la vitesse de l’évolution génétique en réponse à une pression de sélection va dépendre (1) de la part relative de la composante génétique dans la variation du caractère, (2) de l’architecture génétique des caractères liés à la valeur sélective, (3) de la relation entre ces caractères et la valeur sélective. Ces trois quantités dépendent du contexte environnemental et du contexte génétique dans lequel on se trouve : ainsi la « flexibilité génétique » est une variable, elle-même susceptible d’évolution. Des changements génétiques rapides chez des organismes divers sont liés à la circulation dans les écosystèmes de substances toxiques nouvelles introduites par l’homme, de façon intentionnelle ou non (antibiotiques, pesticides, pollution par des métaux lourds, etc). L’évolution de la résistance aux insecticides chez le moustique commun Culex pipiens a été une occasion exceptionnelle d’étudier in natura la construction d’une adaptation génétique et son évolution au cours du temps (voir exemple 2.1). LA RÉSISTANCE AUX INSECTICIDES CHEz LE MOUSTIQUE CULEX PIPIENS Auteurs : Mylène Weill et Pierrick Labbé L’utilisation massive de pesticides en agriculture et à des fins de santé publique depuis les années 1950 a conduit à la sélection pratiquement systématique de résistances dans les espèces cibles et non cibles. Le moustique Culex pipiens est vecteur de filaires et de virus dans certaines régions et constitue également une forte nuisance. À l’échelle mondiale, il est majoritairement traité aux insecticides organophosphorés (OP), ce qui permet d’avoir une vue globale de l’évolution de cette résistance. Les mutations responsables de la résistance aux OP Deux mécanismes majeurs sont responsables de cette résistance : la surproduction d’enzymes de détoxification (des estérases) et la mutation de la cible des OP (l’acétylcholinestérase ou AChE1). La surproduction d’estérases est due à une modification de la régulation de leur expression ou à une amplification génique au locus Ester. Une dizaine d’événements d’amplification indépendants sont apparus dans le monde. Le niveau d’amplification est variable et évolue (Raymond et al., 2001). L’AChE1 codée par le gène ace-1 est une enzyme du système nerveux qui hydrolyse le neurotransmetteur acétylcholine. Son inhibition par les OP conduit à la mort des moustiques par tétanie. Une mutation majeure (G119S, une glycine substituée par une sérine en position 119 de l’enzyme) est responsable d’une forte résistance à un large spectre d’OP (Weill et al., 2003). Elle est apparue indépendamment plusieurs fois chez Cx. pipiens. On l’a également mise en évidence chez d’autres espèces du genre Culex et dans le genre Anopheles. Cependant, certaines espèces (notamment du genre Aedes), pourtant I - SOuRCES DE FlEXIBIlITÉ : ÉTaT DES lIEuX • 21 régulièrement traités aux OP, ne développent jamais la résistance G119S. Cette incapacité réside dans la nature du codon glycine 119 (Weill, 2004). Les codons GGR (GGA ou GGC) ne peuvent pas muter en codon sérine par un seul évènement mutationnel et les codons intermédiaires engendrent une AChE1 létale. Le fait de posséder un codon ou l’autre est certainement fortuit, mais conditionne lourdement la capacité de l’espèce à trouver une réponse évolutive. Influence de la résistance sur la valeur sélective des moustiques La résistance est suivie dans la région de Montpellier depuis plus de 40 ans, dans les mêmes populations naturelles, en zone traitée ou non aux OP. 1 Ester 1 Ester 2 FRÉQUENCE 0,8 Ester 4 0,6 0,4 0,2 0 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010 ANNÉES L’analyse des patrons de fréquence des allèles de résistance par des modèles de génétique des populations a permis de montrer que les allèles de résistance sont avantageux en présence d’insecticides, mais plus ou moins coûteux en leur absence (Lenormand et al., 1999). Le coût de la résistance a diminué au cours du temps. Dans le cas des allèles Ester, il a diminué par remplacement d’allèles. Un de ces allèles, très invasif à l’échelle mondiale, paraît un bon compromis entre résistance et coût (Labbé et al., 2009). Le coût particulièrement élevé pour l’AChE1 mutée G119S, serait dû à une forte baisse de son activité (plus de 60 % de perte). La diminution du coût s’est faite par une duplication du locus ace-1 qui associe une copie sensible et une copie résistante du gène. La copie sensible compenserait le coût en augmentant l’activité AChE1. De nombreuses duplications similaires, mais de valeurs adapta- 2015 Figure 2.1 : Dynamique évolutive des allèles de résistance au locus Ester. La fréquence maximale observée lors de chaque campagne d’échantillonnage pour chacun des allèles est indiquée par les points. Les lignes solides représentent les prédictions issues d’un modèle génétique dont les paramètres ont été ajustés à partir des données de 1986 à 2002 par maximum de vraisemblance. Le modèle a été prolongé au-delà de 2002 sous l’hypothèse de conditions environnementales constantes. D’après Labbé et al., 2009. tives variables, ont été mises en évidence chez Cx. pipiens (Labbé et al., 2007). Une duplication adaptative semble envahir l’Afrique de l’Ouest chez le vecteur du paludisme Anopheles gambiae (Djogbénou et al., 2008). Globalement, peu de gènes majeurs et de types de mutations sont impliqués dans la résistance aux OP chez Cx. pipiens, mais ils sont apparus plusieurs fois indépendamment et sont retrouvés chez d’autres espèces. La construction de l’adaptation ressemble à un bricolage génique grossier, relativement coûteux lors de son apparition. Les situations locales sont complexes à comprendre car elles varient en fonctions des allèles en compétition et des pressions de sélection dues à la lutte anti-vectorielle, mais également aux pesticides agricoles, industriels ou domestiques. Seuls des suivis réguliers de populations dans le temps permettent de dégager des scénarios évolutifs clairs. 22 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ Cet exemple illustre d’abord le fait que les mutations par duplication de gènes et celles qui modifient l’expression des gènes par modification de la région régulatrice jouent un rôle de tout premier ordre. Si l’on sait depuis longtemps que des évènements de duplication de tout ou partie des génomes ont été massifs au cours de l’évolution, permettant l’acquisition de nouvelles fonctions, les nouvelles technologies autour de l’ADN et de l’ARN, séquençage massif et puces, nous révèlent que les duplications de courtes régions du génome sont omniprésentes à l’état polymorphe dans les populations naturelles. Parallèlement, l’usage de ces techniques nouvelles a révélé l’ampleur des variations de l’expression génique. Le défi est de déterminer la part génétique de ces variations. Les cas formellement démontrés d’adaptation via une mutation qui modifie l’expression génique sont encore peu nombreux (Bersaglieri et al., 2004 ; Chang et al., 2010), mais le potentiel des mutations d’expression pour l’adaptation apparaît important (Lasky et al., 2014). L’exemple du moustique illustre aussi les contraintes et les limites de l’adaptation par évolution génétique. Il faut d’abord qu’une mutation salvatrice existe dans la population concernée, soit qu’elle soit apparue localement, soit qu’elle ait été introduite par migration. Ensuite, les mutations ont en général un coût pour l’organisme, en termes de capacité démographique (survie, fertilité, vitesse de croissance…). Dans le cas du moustique, le coût initial était important ; ce n’est que progressivement, avec l’apparition et la sélection de nouvelles mutations, qu’il s’est trouvé réduit. À ces contraintes génétiques, s’ajoutent un certain nombre de contraintes démographiques : l’adaptation dans un environnement nouveau et défavorable Comme la plupart des moustiques, Aedes aegypti semble développer rapidement des résistances aux insectisites. Muhammad Mahdi Karim. est une course entre déclin démographique et évolution génétique ; un variant génétique favorable permettant de persister dans ces conditions nouvelles doit atteindre une forte fréquence avant que la population ne s’éteigne. On parle alors de sauvetage évolutif. La simple existence de variants génétiques adaptés aux conditions nouvelles n’est pas suffisante pour assurer le maintien de la population. Des informations démographiques (taille de la population, vitesse du déclin ou du changement environnemental, traits de vie des organismes) doivent être combinées avec des informations génétiques pour se prononcer sur le potentiel d’adaptation d’une population dans le contexte de stress environnementaux forts (Gomulkiewicz & Houle, 2009). Ce n’est donc pas un hasard si de tels cas de sauvetage évolutif dans le contexte des changements globaux sont surtout observés pour des organismes avec de très grands effectifs, des temps de génération courts et une forte fécondité. Toutes choses égales par ailleurs, différents modèles démo-génétiques prédisent que plus l’effectif d’une population est élevée, plus sa diversité génétique est grande et plus son potentiel adaptatif est important (car plus grande est la probabilité d’existence et de sélection d’un variant qui permettra à ses porteurs de s’adapter). Les résultats de travaux empiriques, utilisant des populations expérimentales soumises à un changement brutal de leur environnement, sont en accord avec ces prédictions [cf. drosophiles soumises à un stress thermique (Willi & Hofmann, 2009), levures soumises à un stress salin (Bell & Gonzalez, 2009), vers de farine dont on change la ressource (Agashe et al., 2011)]. Pour ces mêmes raisons, le rôle potentiel de l’évolution génétique spontanée (par exemple en comparaison avec la plasticité phénotypique) dans l’adaptation de populations de petites tailles, appauvries génétiquement et menacées par différentes pressions anthropiques, ou pour des organismes longévifs, est sujette à débat (Gienapp et al., 2008). Un défi majeur est donc de préserver au mieux la source de flexibilité que constitue la variation génétique des espèces dans un contexte de changements globaux qui tendent à déplacer, fragmenter ou réduire leur aire de répartition. Les méthodes de « gestion dynamique » (GD) récemment développées pour la conservation in situ des ressources génétique des espèces cultivées ouvrent des pistes. Elles s’appuient sur la conservation d’un grand nombre de populations, réparties sur une large gamme d’environnements contrastés pour maximiser la diversité des pressions sélectives locales. Le programme de GD appliqué au blé tendre (voir exemple 2.2) montre l’efficacité de ce dispositif comme support d’évolution génétique rapide des populations, ainsi que pour conserver la diversité génétique à l’échelle globale, notamment pour la résistance aux maladies et pour des traits d’histoire de vie majeurs. Il illustre aussi les limites de la méthode, liées en particulier aux conditions de culture, et au nombre ou choix de sites. I - SOuRCES DE FlEXIBIlITÉ : ÉTaT DES lIEuX • 23 EXEMPLE 2.2 UN EXEMPLE DE SySTèMES D’ÉVOLUTION GÉNÉTIQUE GÉRÉS PAR L’HOMME : LA GESTION DyNAMIQUE EXPÉRIMENTALE OU à LA fERME Auteur : Isabelle Goldringer Alors que pendant longtemps, la conservation des ressources génétiques des espèces cultivées était cantonnée à la conservation ex situ, en banques de graines ou collections, la Conférence de Leipzig (1996) a permis l’adoption par la FAO du Plan d’Action Mondial pour la conservation et l’utilisation durable des ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture, qui définit comme activité prioritaire : « Soutenir la gestion et l’amélioration à la ferme des ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture ». L’évènement est notable, il reconnaît que la diversité agricole naît et est entretenue par les pratiques de culture et de gestion des multiples agriculteurs qui cultivent des variétés locales, les sélectionnent et en échangent les semences. Dans GÉNÉRATION 1 ces systèmes, en contraste avec la conservation statique, la gestion des ressources génétiques cultivées est qualifiée de dynamique (GD), et les objectifs sont de conserver un réservoir de variabilité génétique plutôt que certains allèles spécifiques à un locus, ou bien certains cultivars génétiquement fixés. Le principe est de maintenir le contexte dans lequel les forces évolutives peuvent agir sur des populations cultivées génétiquement diverses afin qu’elles s’adaptent aux changements des conditions climatiques, à l’évolution des maladies et des pratiques agricoles. Afin de tester l’intérêt de cette approche, un programme de GD de populations de blé tendre (Triticum aestivum L.) en stations expérimentales a démarré à l’INRA en 1984 (Henry et al., 1991 – figure 2.2). GÉNÉRATION 2 GÉNÉRATION n GÉNÉRATION 0 ent C2 A m nne viro En Environnement B C1 En viro nne me nt C Figure 2.2. Des populations, chacune issue de croisements entre de nombreux parents (16 à 62) et donc très hétérogènes génétiquement, ont été distribuées dans des sites contrastés en France. Les populations comprenant 5 000 à 10 000 individus ont ensuite été cultivées en isolement chaque année dans chaque site avec deux conditions de culture. Les cercles représentent la distribution de la variabilité génétique pour deux caractères C1 et C2 : en noir pour la variabilité initiale, en couleur (nuances de vert) pour l’évolution attendue de cette variabilité au cours du temps dans chaque environnement. Les flèches à droite sur Génération n représentent des migrations éventuelles entre les populations qui permettraient de renouveler leur potentiel évolutif, mais durant l’expérimentation (qui a duré 25 générations pour certaines populations), aucune migration volontaire n’a été réalisée entre les populations. D’après Henry et al., 1991. 24 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ Très rapidement, l’évolution de traits d’histoire de vie majeurs a été observée. Un indice de l’adaptation locale des populations après plusieurs générations d’évolution dans plusieurs environnements est l’existence d’une différenciation significative des populations entre elles pour certains de ces traits, et d’une corrélation entre la valeur de ces caractères et une / des caractéristique(s) (température, latitude, humidité, éléments nutritifs…) des environnements. Dans le programme de GD, il a été observé que les populations cultivées pendant 10 ans, dans des sites différents en France, se différenciaient pour de nombreux caractères comme les résistances aux maladies (résistance à l’oïdium par G12 VE VERVINS : + 4,6 jours 1298 8C LE MOULON N : + 1,8 jours 1241 B G0 1205 A TOULOUSE ULOU : = 1206 A 1 De plus, une différenciation significative a été observée au niveau du polymorphisme des trois copies du gène VRN1, gène impliqué dans la réponse à la vernalisation chez le blé tendre. Cette différenciation génétique se traduit par l’augmentation en fréquence d’haplotypes spécifiques dans chaque population, ce qui pourrait correspondre à une sélection de type épistatique où la sélection se réalise en fait sur la résultante des combinaisons d’allèle aux trois loci VRN1 impliqués (Rhoné et al., 2008). Cependant, dans cette conservation en stations expérimentales, les conditions de culture sont souvent assez proches de l’optimum et le nombre de sites est limité. De plus, les résultats montrent que, lorsque des populations cultivées sont soumises uniquement à la sélection naturelle, cela peut conduire à une relaxe des exemple (Paillard et al., 2000) et la précocité de floraison et ses composantes. Pour ce dernier caractère, c’est un gradient Nord-Sud qui est observé, les populations cultivées dans le Sud étant devenues génétiquement plus précoces, avec des besoins en vernalisation réduits par rapport aux populations cultivées dans le nord de la France (Goldringer et al., 2006), ce qui est interprété comme une adaptation au climat. L’évolution de la floraison a été étudiée plus finement dans trois populations cultivées dans des environnements contrastés pendant 12 générations, en comparant la distribution de la différenciation phénotypique et celle de marqueurs neutres (figure 2.3). Figure 2.3. Une sélection divergente a été détectée sur la précocité dès la 7ème génération. Partant d’une précocité d’épiaison de 1205 °C jours (somme de températures moyennes journalières cumulées depuis la levée) en génération initiale G0, une différenciation est apparue significative en génération 7 (G7) et très forte en génération 12 (G12) avec 1298 °C jours pour la population du site de Vervins, 1241 °C jours pour celle du Moulon et 1206 °C jours pour celle de Toulouse (les lettres différentes indiquent les valeurs significativement différentes) (Rhoné et al., 2010). Cela correspond à près de 5 jours d’écart pour les précocités des populations de Vervins et Toulouse (lorsqu’elles sont cultivées sur le même site). D’après Goldringer et al., 2006. pressions de sélection sur certains traits d’importance agronomique, comme par exemple la hauteur des plantes qui a augmenté de façon générale dans toutes les populations suite à la compétition entre individus pour la lumière, pouvant ainsi conduire à des risques de verse. La gestion de populations de bonne valeur agronomique implique donc la mise en œuvre de pratiques de sélection et de gestion humaine afin de contrôler l’évolution de certains traits critiques. Ainsi, la gestion à la ferme avec des approches de sélection participative pourrait constituer une stratégie plus durable de gestion de l’agrobiodiversité, car directement inscrite dans un contexte socio-économique. Elle s’appuiera sur un ensemble d’acteurs confrontés directement à la réalité de la production agricole (Enjalbert et al., 2011). I - SOuRCES DE FlEXIBIlITÉ : ÉTaT DES lIEuX • 25 3. MIGRATION Coordinatrice : Ophélie Ronce L a migration, c’est-à-dire le déplacement des individus dans l’espace, permet en principe d’échapper à des conditions environnementales locales détériorées et de coloniser au contraire des espaces où celles-ci deviennent favorables. Dans le contexte d’environnements en perpétuel changement, la migration apparaît donc comme une adaptation clé autorisant les espèces à suivre dans l’espace le déplacement des zones favorables. Il n’est donc pas étonnant que les déplacements d’aire, avec EXEMPLE 3.1 des remontées d’espèces en altitude et en latitude dans l’hémisphère nord, soient parmi les réponses de la biodiversité au réchauffement climatique les mieux documentées (Parmesan, 2006 – voir exemple 3.1 pour un exemple). Notre propre espèce ne fait pas exception, avec une proportion de plus en plus forte des migrations humaines liées aux changements globaux, et aux changements climatiques en particulier (Gonin & Lassaily-Jacob, 2002). EXPANSION GÉOGRAPHIQUE DE LA PROCESSIONNAIRE DU PIN ET RÉCHAUffEMENT CLIMATIQUE Auteur : Alain Roques 1970 2011 2013-2014 2005 1995 1992 1970 Figure 3.1. Expansion de la processionnaire du pin durant les 40 dernières années en France. La figure de droite détaille la position des fronts successifs dans le sud du Bassin parisien ; noter la présence de colonies isolées au-delà du front en 2013 – 2014. D’après Roques et al., 2015. Système biologique Contrairement à la majorité des insectes, la processionnaire du pin, Thaumetopoea pityocampa (Lépidoptère : Notodontidae), présente un développement larvaire hivernal hautement sensible à de faibles variations de tempé- rature. L’alimentation des chenilles, nocturnes, nécessite d’endurer une température minimale de 9 °C dans le nid durant la journée, suivie d’une température minimale de l’air de 0 °C la nuit suivante (Battisti et al., 2005). Migration Originellement méditerranéen, l’insecte a notablement étendu sa distribution tant en latitude qu’en altitude à partir de la fin des années 1970. Ainsi, par exemple en région Centre, alors que la processionnaire était bornée au sud de la Loire jusque dans les années 1970, on a observé une expansion continue vers le nord de plus de 100 km entre 1972 et 26 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ 2011, à la vitesse de 2.6 km par an en moyenne, mais avec une notable accélération à 5.5 km / an depuis le début des années 2000 (Robinet et al., 2007). La même expansion est observée en altitude (Alpes, Pyrénées, Massif central). On dispose désormais de cartographies géo-référencées comparatives des fronts d’expansion 2005 - 2006 et 2010 - 2011 sur l’ensemble de la France, et du dernier front pour l’ensemble de l’Europe du sud jusqu’en Bulgarie (Roques et al., 2015). Ces éléments ont amené à considérer cet insecte comme espèce modèle pour le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et pour l’ Observatoire National sur les Effets du Réchauffement Climatique (ONERC). État des connaissances sur les mécanismes connus ou supposés Il a été démontré expérimentalement que la levée des seuils thermiques létaux et de nutrition en raison du réchauffement climatique hivernal a permis aux populations de cet insecte de survivre dans des zones préalablement défavorables. L’expansion dans le bassin parisien a ainsi été concomitante à une augmentation moyenne de la température hivernale de 1,1 °C (Robinet et al., 2007). D’autres facteurs ont favorisé cette progression comme la plantation massive de pins par l’Homme, en particulier à usage ornemental, servant de relai pour l’expansion en zones non forestières (Robinet et al., 2010). Bien qu’une grande partie de l’Europe soit désormais favorable, la faible capacité de vol des femelles (3 km) constitue un frein pour la vitesse d’expansion. Cependant, la découverte récente de plusieurs foyers isolés largement au-delà du front (> 50 km) en région parisienne et en Alsace a mis en évidence le rôle de l’Homme dans des introductions accidentelles via le commerce des grands arbres accompagné de leurs mottes. L’analyse génétique de ces populations isolées montre qu’elles ne proviennent pas du front, mais de déplacements longues distances depuis le sud de la France (Robinet et al., 2012). Adaptations nouvelles Le projet ANR URTICLIM (2008 - 2011 – Roques, 2015) a cherché à apprécier le degré de différenciation des populations du front d’expansion par rapport à celles des zones de présence historique. Un élevage comparatif en conditions contrôlées a révélé une différence significative de phénologie entre populations, celles de front étant plus précoces pour la date de la première procession et des émergences d’adultes. Les femelles de front apparaissent moins lourdes, mais plus fécondes, et leurs capacités de vol semblent plus importantes (jusqu’à 11 km), ce qui pourrait avoir des conséquences considérables en matière de colonisation (Battisti et al., 2015). Les chenilles de front semblent Ligne de chenilles processionnaires, Bretagne, 2006. Lamiot. aussi avoir une charge en soies urticantes plus importante que celles des zones endémiques (Petrucco Toffolo et al., 2014). Plusieurs types de marqueurs génétiques ont mis en évidence une large hétérogénéité des populations du front d’expansion parisien (Kerdelhué et al., 2015). Certaines incluent ainsi du matériel génétique propre aux populations du sud, en lien vraisemblable avec des introductions par l’Homme. Enfin, en altitude (Massif central), l’arrivée récente dans la zone bioclimatique du sapin de Douglas a commencé à se traduire par des attaques sur ce nouvel hôte, sans que l’on sache si cela correspond à une simple plasticité ou à des populations en voie d’adaptation. I - SOuRCES DE FlEXIBIlITÉ : ÉTaT DES lIEuX • 27 Conséquences (écologiques, santé humaine…) Au plan écologique, la pénétration dans de nouveaux étages bioclimatiques est susceptible de menacer la biodiversité existante par compétition pour la niche écologique ou par effet « cascade » sur les prédateurs et les parasitoïdes. La défoliation par la processionnaire affecte ainsi négativement le développement des chenilles du papillon protégé, Actias isabellae, qui se nourrit du même feuillage des pins dans la zone néo-colonisée des Alpes du Sud (Imbert et al., 2012). En revanche, les parasitoïdes des œufs semblent ne pas suivre Si les déplacements constatés vont dans le sens du déplacement des niches climatiques prédit par les modèles sur la base de différents scénarios climatiques, la question des vitesses relatives de ces déplacements reste encore une grande inconnue : les espèces ont-elles toutes les capacités à se déplacer suffisamment vite pour suivre le déplacement de leurs zones climatiques optimales causé par les changements globaux ? Les modèles de scénarios de biodiversité incorporent encore rarement une description explicite des capacités de migration et de sa variation entre espèces (voir cependant Midgley et al., 2006 ; Barbet-Massin et al., 2012), confrontant le plus souvent au mieux des scénarios (i) où la répartition de chaque espèce suit instantanément les déplacements de sa niche écologique (migration non limitante), et (ii) où celle-ci est restreinte aux zones favorables précédemment occupées (pas de colonisation). La confrontation de ces deux extrêmes, probablement tous deux éloignés de la réalité, montre que les capacités migratoires sont un élément clé de la réponse future de la biodiversité aux changements globaux, ayant plus d’impact que le choix des scénarios exacts de changement climatique sur les patrons futurs de biodiversité (Thuiller et al., 2004). La migration joue également un rôle clé en ce qui concerne les conséquences de la perte d’habitat et de la fragmentation des paysages (voir exemple 3.2). La mobilité des espèces pourrait en théorie jouer comme un filtre expliquant la persistance des espèces dans des paysages où le nombre de parcelles d’habitat favorables diminue. Par ailleurs dans ces paysages de plus en plus morcelés, la migration permet la cohésion à la fois génétique et démographique de l’espèce en connectant ses différentes populations. Les flux de gènes véhiculés par les individus se déplaçant entre populations sont cruciaux à cet égard, empêchant une forte divergence génétique entre populations, mais maintenant une plus forte diversité génétique au sein de celles-ci. En rompant l’isolement génétique des l’expansion de la processionnaire au même rythme, quasiment aucun ne se retrouvant sur le front (Auger-Rozenberg et al., 2015). L’expansion amène aussi les chenilles hautement urticantes à pénétrer aujourd’hui largement en zone péri-urbaine et urbaine, ainsi que dans les zones touristiques de montagne. Les premières colonies se trouvent en 2012 à 800m de Paris intra-muros, l’insecte passant ainsi d’un statut de ravageur forestier à celui d’une nuisance sanitaire urbaine pour l’Homme comme pour les animaux domestiques (Moneo et al., 2015). populations, la migration permet notamment de réduire les conséquences néfastes de la consanguinité. Cependant, des flux de gènes nouveaux entre des populations isolées depuis longtemps peuvent également avoir des conséquences négatives, du fait d’incompatibilités génétiques, de la perte d’adaptations locales uniques à des conditions écologiques particulières, ou bien de l’échappement de gènes entre compartiments cultivés et sauvages (Waller, 2015). C’est en particulier un sujet d’inquiétude lorsque de nombreux animaux d’élevage s’échappent ou sont volontairement introduits dans les populations naturelles, comme c’est le cas chez les salmonidés. La prise en compte de la migration et des flux de gènes associés est donc cruciale pour comprendre les contraintes et les modalités de l’évolution génétique comme source d’adaptation aux changements globaux (voir exemple 3.1 pour des exemples de changements génétiques liés à la migration et Kremer et al., 2012 pour une revue). Inversement, les capacités migratoires dépendent de traits variés des espèces, allant de la physiologie, à la morphologie jusqu’au comportement. Ces traits sont variables génétiquement dans la plupart des espèces et les capacités migratoires donc susceptibles d’évoluer face à des pressions environnementales nouvelles (Ronce, 2007) ; la fragmentation des paysages rendant la migration plus périlleuse pourrait notamment sélectionner des génotypes moins mobiles ; c’est ce qui a effectivement été constaté chez la plante Crepis sancta où la colonisation du milieu urbain fortement fragmenté a conduit à un changement génétique des capacités de dispersion des graines en seulement quelques générations (voir exemple 3.2). Inversement, dans des espèces connaissant une forte expansion géographique, comme les espèces envahissantes, les génotypes favorisant une mobilité accrue sont plus fréquents au front d’expansion, accélérant significativement la propagation de l’espèce (voir exemple 3.1). 28 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ EXEMPLE 3.2 ÉVOLUTION DES CAPACITÉS DE DISSÉMINATION DES GRAINES EN MILIEU URBAIN CHEz CREPIS SANCTA Auteurs : John Thompson, Pierre-Olivier Cheptou et Ophélie Ronce De nombreuses régions témoignent de la transformation des paysages, voire de leur transfiguration, par des activités humaines telles que l’urbanisation, la construction de routes, la déforestation ou l’intensification de l’agriculture. Ces activités réduisent les effectifs de certaines espèces, modifient leur distribution dans l’espace et les possibilités d’échanges entre populations, et mettent au contraire en contact des espèces d’habitats différents jusque-là isolées. La fragmentation décrit un ensemble de processus qui transforme une surface continue d’habitat naturel en un nombre plus ou moins important de fragments de taille variable. La fragmentation des paysages modifie également les pressions de sélection sur les traits favorisant la dispersion des individus, et donc leurs capacités à migrer pour traquer les conditions environnementales changeantes dans le temps et l’espace, ainsi qu’à recoloniser les sites après extinction locale. D A E B C PROPORTION DE GRAINES NON DISPERSANTES PAR PLANTES 0,18 F 0,16 0,14 0,12 0,10 0,008 Claret 1 Claret 3 CNRS Antigone H.M. Roque Ch.B. Claret 2 Laver Pharma A.B. POPULATIONS POPULATIONS URBAINES NON FRAGMENTÉES FRAGMENTÉES Figure 3.2. Crepis sancta (A), une petite plante de la famille des asteracées, produit sur chaque plante des graines à pappus qui disséminent bien avec le vent (B) et des grosses graines qui se disséminent peu (C). Elle est présente dans de grandes populations plus continues en milieu rural (D) et des petits fragments de végétation en milieu urbain (E). Une étude récente (Cheptou et al., 2008) révèle une rapide adaptation de cette espèce à la configuration spatiale de ses populations en ville. On peut prédire que la sélection naturelle devrait favoriser les plantes produisant plus de grosses graines en ville – pour réduire les pertes par dissémination. On observe effectivement une réduction de l’investissement dans la dissémination en milieu fragmenté (F). D’après Cheptou et al., 2008. La réponse évolutive des espèces confrontées à la fragmentation de leur habitat pourrait donc aggraver encore l’isolement des populations (voir aussi Riba et al., 2009). Cependant, nous avons encore peu d’éléments pour juger de la généralité de ces réponses évolutives et de leurs conséquences pour la persistance des espèces dans les paysages fragmentés. I - SOuRCES DE FlEXIBIlITÉ : ÉTaT DES lIEuX • 29 La migration est donc à la fois une source de flexibilité et de réponse face aux changements globaux et est elle-même impactée par ces changements de façon contradictoire : réduction drastique des échanges entre populations due à la fragmentation et la perte d’habitat pour certaines espèces, intensité des transports sur des distances inégalées pour d’autres liée à l’intensification EXEMPLE 3.3 des échanges et du commerce mondial. Le changement climatique pourrait également affecter directement les conditions de migration des organismes : un tel scénario a pour l’instant été examiné à l’aide de modèles mécanistes de dispersion des graines chez les plantes (voir exemple 3.3), mais les données expérimentales restent rares (Kremer et al., 2012). INCIDENCE DU CHANGEMENT GLOBAL SUR LA DISPERSION fUTURE DES PLANTES ANÉMOPHILES Auteur : Frank Schurr Quantifier les taux de dispersion des espèces de plantes est important pour prévoir la dynamique de la végétation face au changement global. Cependant, le changement global devrait aussi modifier les conditions de dispersion et de déplacement des plantes. Ainsi les taux de déplacement dans les conditions futures pourraient être différents de ceux observés actuellement ou dans le passé. Une première information sur les effets du changement global sur le déplacement des plantes a été fournie par une étude combinant des modèles mécanistiques de dispersion et de déplacement populationnel de plantes anémophiles avec des séries longues de données micrométéorologiques (Kuparinen et al., 2009). Cette étude a montré que les conditions de vents turbulents qui favorisent la dispersion des graines et du pollen sont fréquentes lorsque la température de l’air est élevée. En consé- quence, une augmentation de la température de 3 °C pourrait augmenter significativement la dispersion par le vent et le déplacement de ces plantes. Une étude ultérieure a montré que le déplacement des arbres est aussi augmenté si l’accroissement de la teneur en CO2 augmente la fécondité et avance la maturation des arbres (Nathan et al., 2011). Cependant, malgré ces tendances à l’accroissement du potentiel de dispersion, l’accroissement des déplacements favorisés par le vent devrait rester en retard par rapport à la vitesse des futurs changements climatiques pour la majorité des plantes étudiées à ce jour. De plus, les effets positifs du réchauffement global et de l’enrichissement en CO2 seront vraisemblablement contrebalancés par les pertes d’habitats et la fragmentation qui peuvent fortement limiter les déplacements des populations végétales. En forêt, la dissémination des pollens est généralement assurée par le vent. Chelsea Bock. 30 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ 4. RÉARRANGEMENT DES COMMUNAUTÉS Coordinateurs : Vincent Devictor, Céline Devaux, Virginie Maris L es espèces ne sont pas égales face aux changements globaux, qu’il s’agisse du changement climatique ou de la transformation et de la destruction des habitats liées aux activités humaines. Certaines possèdent des caractéristiques écologiques, physiologiques ou comportementales leur permettant de répondre aux changements climatiques et aux changements d’habitats mieux que d’autres. Ainsi, on peut dire que les changements globaux « réarrangent » les assemblages ou « communautés » d’espèces : la présence et l’abondance des espèces possédant les caractéristiques permettant de faire face aux changements globaux augmentent progressivement au détriment des autres espèces. Cette réorganisation est susceptible de modifier les interactions entre les groupes. Si ces interactions sont connues comme dans le cas des plantes et de leurs pollinisateurs, on parle de réseaux. La vitesse, la flexibilité et les conséquences de cette réorganisation demeurent peu connues. Néanmoins, différents aspects du réarrangement des communautés et de la modification des interactions entre groupes ont été observés et reliés à la transformation des habitats et au changement climatique. Cette synthèse présente, à l’aide d’exemples concrets, quelques grandes thématiques déjà abordées et identifie les manques. Aurore, Anthocharis cardamines (haut) et Vanesse de l’ortie, Aglais urticae (bas), Laurent Godet. Utilisation de descripteurs neutres Les études permettant de relier la diversité et la composition des communautés aux changements d’habitats ou de climat sont innombrables. Mentionnons ici quelques-unes des caractéristiques principales de ces études. Une littérature abondante s’est attachée à relier la diversité des communautés (souvent comprise comme le nombre d’espèces ou la variabilité dans la distribution des abondances) à un degré de perturbation de l’habitat. Cette littérature a connu un développement théorique majeur ayant permis de définir la notion de méta-communautés, c’est-à-dire de communautés structurées spatialement et connectées par des événements de dispersion (Leibold et al., 2004). Ce cadre a fourni des modèles théoriques ayant permis d’identifier les règles d’assemblages des communautés (par exemple les rôles respectifs de la compétition, de la dispersion ou de la structuration spatiale). Les études de ce type ont conclu que selon l’histoire, l’intensité ou le type de perturbation, celle-ci pouvait avoir un effet positif, négatif ou non linéaire sur la diversité des communautés. L’hypothèse des « perturbations intermédiaires » a reçu une attention toute particulière. Selon cette hypothèse, la diversité des communautés est maximisée à des degrés intermédiaires de perturbations (Wilkinson, 1999), car une plus grande diversité de niches et de stratégies peuvent alors coexister. Cette relation souvent vérifiée est néanmoins dépendante des systèmes étudiés (Bongers et al., 2009). Mais pour comprendre le rôle spécifique d’une pression déterminée sur la dynamique spatiale et temporelle des assemblages, les auteurs ont souligné la limite que constitue la caractérisation de la réponse des communautés par une simple mesure de « diversité » (Purvis & Hector, 2000), qui est finalement peu informative sur les mécanismes en jeu. La notion de « perturbation » mérite quant à elle d’être également précisée, la réponse des communautés étant dépendante de l’intensité, de la fréquence et du type de perturbation. I - SOuRCES DE FlEXIBIlITÉ : ÉTaT DES lIEuX • 31 Intégration des caractéristiques écologiques, fonctionnelles et phylogénétiques Une tendance plus récente a cherché à caractériser la réponse des assemblages d’espèces aux changements globaux autrement que par une simple mesure de diversité en intégrant les différences écologiques, fonctionnelles ou phylogénétiques entre les espèces (Cadotte et al., 2011 ; Naeem et al., 2012). Une telle approche présente l’intérêt d’augmenter le pouvoir explicatif et prédictif. En effet, les perturbations induites par les changements globaux exercent des filtres sur des espèces ayant certaines stratégies écologiques (Clavel et al.,2010), certains traits fonctionnels (Smart et al., 2006 ; Thuiller et al., 2015) ou appartenant à certaines lignées (Thomas, 2008 ; Thuiller et al., 2011). Aussi, en mesurant la composition relative des espèces dans les communautés possédant certaines caractéristiques, on peut décrire la réponse des communautés à des pressions particulières. Par exemple, en mesurant la composition relative EXEMPLE 4.1 et la dynamique des espèces sensibles à l’urbanisation dans les communautés, on peut estimer la réponse des communautés à cette pression (Devictor et al., 2007). De même, on peut caractériser non pas la réponse mais l’effet potentiel du changement des communautés en caractérisant les espèces par des traits impliqués dans le fonctionnement des écosystèmes (Pakeman, 2011 ; Suding et al., 2008 ; Lavorel, 2013). Parmi ces exemples, une approche semble particulièrement robuste : les espèces spécialistes étant plus vulnérables à des modifications de leur environnement que les espèces généralistes, mesurer le degré de spécialisation des communautés permet de quantifier la réponse possible des communautés à d’éventuels changements, aussi bien climatiques que paysagers, dans des contextes variables et pour différents groupes d’espèces (exemple 4.1). IMPACTS DES CHANGEMENTS D’OCCUPATION DES SOLS ET DU CLIMAT SUR LES COMMUNAUTÉS D’OISEAUX ET DE PAPILLONS EUROPÉENS Auteur : Vincent Devictor À l’aide de données de suivi de biodiversité mené à large échelle (comme le Suivi Temporel des Oiseaux Communs, STOC – Jiguet et al., 2012), on peut calculer un degré de spécialisation de chaque espèce de façon standardisée et suivre le succès relatif de certaines espèces dans les milieux perturbés. Ce degré correspond simplement à l’intensité de la variation de l’abondance des espèces dans différentes classes d’habitats : plus une espèce est spécialiste, plus son abondance se concentre sur certains habitats. Il suffit ensuite de faire la moyenne des degrés de spécialisation des espèces rencontrées dans une communauté pondérés par leur abondance pour obtenir un indice de spécialisation des communautés (CSI). Cette approche a permis de montrer que le CSI a décliné ces dernières décennies chez les oiseaux de plusieurs pays européens. INDICE DE SPÉCIALISATION 0,01 R2 = 0.41 0,005 0 -0,005 -0,01 -0,015 -0,02 1990 1994 1998 2002 ANNÉES 2006 Figure 4.1. Cette courbe montre le déclin observé du degré de spécialisation moyen des communautés d’oiseaux (CSI) à l’échelle européenne depuis 1990. Les données utilisées sont les données de suivi des oiseaux communs ayant lieu dans différents pays européens (France, Suède, Royaume-Unis, Pays-Bas République tchèque). D’après Le Viol et al., 2012. 32 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ La baisse du CSI a pu être reliée à la perturbation spatiale et temporelle des paysages (Devictor et al., 2008). En France, la baisse du CSI est particulièrement corrélée à la modification des paysages agricoles s’accompagnant d’une intensification des pratiques et d’une simplification des cultures (Doxa et al., 2012). La même approche a permis de mesurer la réponse des communautés au changement climatique. En effet, suite au réchauffement climatique, les espèces généralistes ont tendance à remplacer les espèces spécialistes dans les communautés (Davey et al., 2011). De plus, une approche similaire a pu montrer que les espèces qui tolèrent les températures chaudes remplacent celles qui préfèrent les températures plus froides. Cette « préférence » s’obtient facilement en estimant la température moyenne de l’aire de distribution des espèces. Un indice de composition thermique des communautés (CTI) peut ensuite refléter l’enrichissement des communautés locales en espèces préférant les températures chaudes. Cette approche a permis de montrer que les communautés d’oiseaux et de papillons avaient changé rapidement au cours de ces deux dernières décennies en France et en Europe (figure 4.2). Figure 4.2. Cette carte montre le déplacement relatif des communautés d’oiseaux et de papillons dans plusieurs pays Européens, calculé à l’aide de l’indice thermique de composition des communautés (CTI). D’après Devictor et al., 2012. Ce type d’analyse a en outre révélé que le rythme du changement de composition observé était probablement trop lent pour que les communautés « suivent » correctement l’augmentation des températures : alors que les températures moyennes se sont « déplacées » de 250 km vers le nord durant les 20 dernières années, la composition des communautés d’oiseaux s’est seulement déplacée de 37 km et celle des papillons de 114 km (Devictor et al., Cette approche a l’avantage de ne pas considérer les espèces comme équivalentes face aux changements globaux. L’intégration d’informations fonctionnelles, phylogénétiques ou écologiques permet aussi de résumer une information complexe en un indice simple. Elle peut être utilisée aussi bien pour tester l’impact de la transformation des habitats que 2012). Autrement dit la distribution spatiale des espèces ne correspond plus à celle attendue sous l’hypothèse d’un ajustement synchrone entre les conditions climatiques et l’abondance relative des espèces. Des études complémentaires sont nécessaires pour comprendre quelle part de ce déplacement correspond à une adaptation, à l’expression d’une flexibilité phénotypique ou à un réel décalage de la réponse au changement. des changements climatiques. Une approche fonctionnelle permet de questionner également les conséquences de ces réarrangements sur le fonctionnement des écosystèmes et les services attachés à ceux-ci, comme dans le cas de la pêche illustré dans l’exemple 4.2. I - SOuRCES DE FlEXIBIlITÉ : ÉTaT DES lIEuX • 33 EXEMPLE 4.2 IMPACT DES CHANGEMENTS CLIMATIQUES SUR LES ÉCOSySTèMES MARINS Auteurs : David Mouillot et Michel Kulbicki Bien que des changements de climat soient démontrés et attendus dans tous les écosystèmes marins du globe (Sumaila et al., 2011 – figure 4.3, A), la régionalisation des modèles physiques ainsi que l’impact sur les communautés d’espèces sont des domaines scientifiques encore largement immatures. Ce manque de connaissances est d’autant plus critique que près de 1,5 milliards d’êtres humains dépendent des ressources marines qui constituent plus de 20 % de leur apport protéique (Badjeck et al., 2010). La modification des aires de répartition des espèces ainsi que de leurs abondances en réponse adaptative au réchauffement des eaux est largement démontré (Lloyd et al., 2012 ; Simpson et al., 2011), avec un impact sur la productivité, les liens trophiques et donc sur les ressources marines (Sumaila et al., 2011). La quantification et l’anticipation de ces modifications constituent un enjeu majeur pour l’adaptation de la société que ce soit au niveau économique, démographique ou sanitaire. Malgré la méconnaissance de certains processus complexes qui sous-tendent l’impact du changement de climat sur la production des systèmes marins et le manque de données temporelles, quelques avancées majeures sou- A lignent déjà l’ampleur de ces changements et la nécessité d’implémenter des stratégies d’adaptation. Il ressort que les impacts sont très hétérogènes à l’échelle du globe (Sumaila et al., 2011 ; MacNeil et al., 2010) avec une diminution attendue de 50 % des captures de pêche d’ici la fin du siècle par rapport à 2005 notamment dans les régions polaires et tropicales (figure 4.3, B). Les mécanismes sont pourtant très différents pour expliquer ces chutes de production. En régions tropicales, l’augmentation de fréquence des événements de températures extrêmes va engendrer une augmentation de la fréquence des épisodes de blanchiment des coraux qui, en tant qu’habitats essentiels des poissons (nourriture, protection, recrutement), vont limiter l’abondance et donc la production de pêche (Munday et al., 2008). En régions polaires, malgré l’arrivée de nouvelles espèces des régions tempérées et une augmentation de la production primaire (MacNeil et al., 2010), un accès nouvellement étendu (en temps et en surface) aux régions occupées par la banquise va favoriser l’épuisement rapide des ressources par une pêche plus intensive, couplé aux activités anthropiques telles que le convoyage par bateau et l’extraction de ressources énergétiques (pétrole et gaz – Sumaila et al., 2011). Évolution des températures de surface des mers et océans en 2100 par rapport à 2005 Absence de données -5.00 – -1.10 -1.00 – -0.51 -0.50 – -0.21 -0.20 – +0.19 +0.20 – +0.49 +0.50 – +0.99 +1.00 – +2.00 +2.00 – +5.53 B Évolution des potentiels de capture des ressources marines (en % comparé à 2005) < -50 -50 – -30 -29 – -15 -14 – -5 -4 – +5 +6 – +15 +16 – +30 +31 – +50 +51 – +100 > + 100 Figure 4.3. Projections attendues, selon le scénario A1B du « Groupe international d’experts sur le climat » (GIEC), concernant les changements des températures de surface des mers et océans du globe d’ici la fin du siècle par rapport à 2005 (A) et l’évolution des potentiels de capture des ressources marines (B). Sumaila et al., 2011 (reproduit avec l’autorisation de Nature Climate Change et de Global Change Biology). 34 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ Malgré l’étendue des impacts des changements globaux ainsi révélés sur les systèmes terrestres ou marins, beaucoup de questions restent néanmoins à explorer dans ce domaine. En particulier la quantification d’un aspect seulement de la biodiversité (le nombre d’espèces, la tendance des populations) est souvent privilégiée, et les processus demeurent encore mal compris. Des recherches récentes semblent prometteuses pour mieux relier la réponse des communautés aux changements globaux (voir, les approches « multifacettes » dans la partie prospective). De plus, les études pré- cédemment nommées ne considèrent qu’un seul niveau trophique (par exemple oiseaux ou papillons ou poissons) et ignorent les interactions entre les espèces et entre les groupes d’espèces. Un autre champ de recherche s’est davantage intéressé à ce problème. Les communautés ne désignent dans ce cas plus un assemblage d’espèces d’un niveau trophique donné mais des communautés en interactions. Intégration des interactions entre les espèces Une communauté d’espèces d’un niveau trophique donné est le plus souvent en interaction avec une autre communauté dont elle dépend plus ou moins directement. Par exemple, les plantes sont en interactions étroites avec la faune et la micro-faune du sol et beaucoup d’entre elles sont en interaction avec les pollinisateurs qui les visitent. Or les changements globaux n’affectent pas seulement ces deux communautés mais aussi les interactions entre ces communautés (Wolters et al., 2000 ; Valiente-Banuet et al., EXEMPLE 4.3 2015). Mesurer l’impact des changements globaux sur les communautés nécessite donc d’étudier explicitement ces interactions. De plus, les modifications des interactions entre espèces altèrent les pressions de sélection pesant sur celles-ci et peuvent favoriser ou contraindre des changements génétiques au sein de chaque espèce, comme illustré dans l’exemple 4.3 à propos des relations entre plantes et pollinisateurs. IMPACT DES CHANGEMENTS GLOBAUX SUR LES PLANTES ENTOMOPHILES Auteur : Céline Devaux Toutes les composantes des changements globaux affectent les pollinisateurs et les plantes qu’ils visitent (Parmesan, 2006 ; Potts et al., 2010) : les changements climatiques, l’intensification de l’agriculture, l’urbanisation, la fragmentation ou la perte d’habitats et l’introduction involontaire d’espèces. Plusieurs études montrent que les plantes et les pollinisateurs subissent des effets directs des changements globaux et des effets indirects et complexes du fait des relations mutualistes qu’ils entretiennent. Les changements globaux provoquent le déclin voire l’extinction de populations de pollinisateurs (en particulier les Apidés – Cameron et al., 2011 ; Winfree et al., 2011) et de plantes (Thomas et al., 2004 ; Biesmeijer et al., 2006), le déplacement géographique d’espèces de plantes et de pollinisateurs, des changements concomitants de phénologies de plantes et de pollinisateurs (Hegland et al., 2009 ; Bartomeus et al., 2011) et des changements du comportement des pollinisateurs (Bartomeus et al., 2008). Des travaux expérimentaux (Fontaine et al., 2008) et d’observation le long de gradients d’abondance de pollinisateurs montrent également l’effet direct de la perte des pollinisateurs sur le succès reproducteur des plantes (SteffanDewenter & Westphal, 1999 ; Etterson & Shaw, 2001 ; Chalcoff et al., 2012). Les réseaux que composent les communautés de plantes en interaction avec les communautés de pollinisateurs ont la particularité que ces communautés constituent des « filtres » les unes pour les autres puisque les pollinisateurs sont des agents de sélection des plantes, et inversement. La structure de ces réseaux (hiérarchisés et avec une majorité d’espèces généralistes) leur assure une certaine résilience face à l’extinction des espèces de plantes ou de pollinisateurs (Thébault & Fontaine, 2010 ; Benadi et al., 2012). Cette relative stabilité face aux perturbations s’opère par des modifications dans la nature et l’intensité des interactions entre les espèces. Par exemple, les plantes et les pollinisateurs peuvent devenir plus généralistes en élargissant leur phénologie de floraison ou leur période d’activités (Herrera, 1988 ; Ackerman & Roubik, 2012). La phénologie de floraison des plantes peut en I - SOuRCES DE FlEXIBIlITÉ : ÉTaT DES lIEuX • 35 effet s’ajuster rapidement aux changements du climat et de l’environnement de pollinisation (Primack et al., 2004 ; Rafferty & Ives, 2011), via des réponses génétiques (Franks et al., 2007) ou plastiques (Mazer & Schick, 1991). En outre, la date de f loraison dans les communautés est aussi contrainte par la compétition entre les espèces de plantes pour les mêmes pollinisateurs généralistes qui déposent alors du pollen hétérospécifique et diminuent ainsi le succès reproducteur des plantes (Rathcke, 1983 ; Devaux & Lande, 2009). Plus généralement, la modification de l’environnement de pollinisation sélectionne des traits f loraux (par exemple la couleur et le nombre de fleurs) susceptibles d’augmenter le taux de visites des pollinisateurs et potentiellement le succès reproducteur des plantes, ou sélectionne des traits susceptibles d’augmenter le taux d’autofécondation des plantes et ainsi de les rendre potentiellement moins dépendantes des pollinisateurs. Notons que pour augmenter leur succès reproducteur, les plantes peuvent également changer de pollinisateurs ou diversifier les pollinisateurs qui les visitent, en attirant de nouvelles espèces de la communauté. Les scénarios possibles des réponses des plantes et des pollinisateurs à court-terme peuvent accroître leur risque d’extinction à plus long terme : (i) si les plantes deviennent plus auto-fécondantes et développent ensuite les syndromes fréquemment associés à ce type de reproduction, alors les pollinisateurs pourraient manquer de ressources polliniques et nectarifères ; (ii) si les plantes deviennent plus spécialistes, leur risque d’extinction serait accru ; (iii) si les pollinisateurs deviennent plus généralistes, les flux de gènes hétérospécifiques pourraient alors diminuer le succès reproducteur des plantes ; et, (iv) si les pollinisateurs deviennent plus spécialistes, alors certaines espèces de plantes ne seraient plus visitées. Conclusion L’état des lieux précédent, non exhaustif, a permis de décrire quelques aspects de la réponse actuelle des communautés aux changements globaux. Ces champs de recherche sont encore très actifs et restent nécessaires pour mieux décrire et comprendre la réponse des communautés aux changements globaux. Plusieurs aspects de la réponse des communautés aux changements globaux commencent à être bien documentés. Une réorganisation des assemblages d’espèces en faveur d’espèces possédant certaines caractéristiques (fonctionnelles, écologiques, évolutives) favorisées par les changements globaux a pu être quantifiée pour plusieurs groupes, dans plusieurs systèmes et à plusieurs échelles. Les études sur les communautés en interactions ont également montré l’importance d’étudier les communautés comme des réseaux d’interactions plutôt que comme des assemblages isolés. Notons aussi que sur la base de cette connaissance, d’importants travaux se sont concentrés sur la « projection » probable, sous forme de scénarios des assemblages futurs, en fonction de l’évolution possible du climat et de l’occupation des sols (Sekercioglu et al., 2012). Abeille butinant sur la tanaisie commune, Tanacetum vulgare, une Asteraceae riche en composés toxiques dont le pollen, pauvre en acides aminés, ne peut être exploité que par des espèces spécialistes disposant d’adaptations spécifiques. 36 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ 5. DYNAMIQUE DES STRATÉGIES, DES SAVOIRS ET DES PRATIQUES C haque système social et économique détermine un mode original d’exploitation des ressources naturelles et définit des normes spécifiques de leur usage (Godelier, 1978). La question de l’adaptation des sociétés à leur environnement comme celle de leurs réponses aux changements qui affectent les écosystèmes recouvre une certaine complexité car les groupes humains procèdent à des choix qui sont influencés à la fois par leurs orientations culturelles et par les potentialités du milieu, une combinaison résumée par le terme de « choix éco-culturel » (Bonnemaison, 1996). De la même manière, les réponses des sociétés face aux changements globaux, qu’il s’agisse de la mutation de l’univers social et économique dans lequel elles évoluent ou de la modification de variables environnementales, ne sont pas déterminées mais font intervenir des choix susceptibles de varier selon les orientations des sociétés concernées et le contexte spécifique de ces changements. Par-delà la diversité des contextes et des réponses, il semble possible néanmoins d’identifier un certain nombre de convergences, d’éléments transversaux permettant d’élaborer une approche systématique de ces adaptations. L’un de ces points de convergence se situe probablement autour de la notion de « résilience », une notion abondamment utilisée dans les contributions qui décrivent les réponses des sociétés confrontées à des changements environnementaux ou à des modifications de leurs structures sociales ou économiques. L’appropriation de cette notion issue des sciences physiques par les sciences sociales témoigne de la nécessité, éprouvée au sein de ce champ disciplinaire, de mettre en avant la capacité des sociétés à EXEMPLE 5.1 Coordinatrice : Sara Muller faire face aux transformations sans pour autant se « désintégrer ». Autrement dit, les sociétés feraient appel à leur capacité d’adaptation pour absorber les effets de la fluctuation des variables environnementales ou socio-économiques. Cette flexibilité est rendue possible par un ensemble de précautions qui semblent caractériser les modalités initiales d’exploitation du milieu par les groupes. Maurice Godelier a montré par exemple que les Boschimans de Nouvelle-Guinée faisaient un usage sélectif des ressources du milieu, laissant inexploitée une partie des ressources qu’ils connaissent. En évitant de vivre aux limites des possibilités de leur système, ces groupes se réservent ainsi une marge de manœuvre pour faire face à l’imprévu. Dans un contexte diamétralement différent, la contribution de Sandra Lavorel (exemple 5.1) montre que les éleveurs de haute-montage des Alpes du Nord parviennent, face à l’augmentation de la fréquence des sécheresses, à jouer sur la flexibilité des systèmes sans modifications structurelles, en faisant varier certains paramètres comme la surface des pâtures ou l’achat de fourrage. Le cas des horticulteurs du Vanuatu (exemple 5.2) illustre une réponse qui va plus loin qu’une simple adaptation de variables : en incorporant de manière contrôlée la culture du manioc (une plante exotique en Mélanésie) aux agrosystèmes locaux, ils parviennent à renforcer la résilience de ces systèmes et à convertir ainsi une menace potentielle en occasion de renforcement. Le cas des paysanspêcheurs de la Casamance (exemple 5.3) illustre une autre stratégie (également observée au Vanuatu) qui consiste, face à la péjoration des conditions climatiques, à gérer les risques en combinant les variétés culturales dans les mêmes parcelles et à élargir l’éventail des activités rurales et des espaces. ADAPTATION DES TERRITOIRES ALPINS à LA RECRUDESCENCE DES SÉCHERESSES DANS UN CONTEXTE DE CHANGEMENT GLOBAL Auteur : Sandra Lavorel L’objectif du projet GICC2 - SECALP était d’analyser les mécanismes d’adaptation des territoires semi-naturels de montagne face aux changements climatiques, particulièrement la récurrence des sécheresses. Les objectifs spécifiques étaient : (i) d’améliorer la compréhension des mécanismes de résilience et Massif Alpin, Tyrol, Autriche. Rafael Brix. I - SOuRCES DE FlEXIBIlITÉ : ÉTaT DES lIEuX • 37 de transformation des écosystèmes, et des processus d’adaptation des acteurs agricoles et forestiers. (ii) de proposer des orientations pour accompagner ces acteurs au travers des politiques publiques agri-environnementales et de développement territorial, et (iii) de proposer des stratégies d’observation à long terme pouvant favoriser l’adaptation des acteurs. Peu de données sont disponibles pour évaluer les dynamiques écologiques à long terme. L’analyse des données disponibles pour les alpages et par les inventaires forestiers a suggéré une forte résilience aux sécheresses des trente dernières années. La forte résilience des alpages, dont la dynamique et le fonctionnement sont principalement pilotés par la gestion, résulte de mécanismes d’adaptation physiologique dans ces milieux naturellement variables (Benot et al., 2014 ; Jung et al., 2014). Les enquêtes réalisées auprès d’acteurs agricoles et forestiers pour analyser leurs capacités et mécanismes d’adaptation aux sécheresses récentes ont révélé que les conséquences des sécheresses sur les activités d’élevage et forestières sont par nature différentes selon les échelles de temps de leur gestion et leur fonctionnement économique. Les adaptations adoptées par les acteurs de l’élevage restent toutefois limitées à une adaptation des pratiques pour jouer sur la flexibilité des systèmes sans modifications structurelles. À l’exception des exploitations disposant de surfaces irriguées importantes, toutes les exploitations ont recours aux achats de fourrage pour compenser la baisse des récoltes destinées aux stocks hivernaux, mais à des degrés divers selon la durée de l’hivernage. Pour les périodes de pâturage, les élevages de haute montagne et les systèmes laitiers des Alpes du Nord jouent avant tout sur l’agrandissement et le surdimensionnement des pâtures par rapport aux besoins du troupeau. Les exploitations pastorales des Alpes du Sud misent aussi sur une diversité de surfaces et une souplesse dans la conduite technique pour s’adapter aux conditions de l’année. Les préoccupations des éleveurs et des forestiers se rejoignent sur l’impact à moyen terme des sécheresses et se focalisent sur les interactions entre recrudescence des épisodes de sécheresse et contexte socio-économique. Ils partagent également leurs incertitudes sur les dynamiques à long terme (possibilités d’effets de seuils) et sur les conséquences de leurs modifications de pratiques pour la durabilité de leurs ressources, qu’elles soient fourragères ou forestières. Enfin, l’accroissement des séche- resses est susceptible de décloisonner les deux groupes d’acteurs, aussi bien par la demande de surfaces boisées « tampon » pour le pâturage, que pour la colonisation des alpages par le pin à crochet. La construction participative de scénarios combinant modalités climatiques et socio-économiques a permis de mettre en évidence le rôle relatif de ces deux dimensions dans l’adaptation des acteurs (Nettier et al., 2012 ; Lamarque et al., 2013). Conformément à ce qui a été observé concernant la perception et l’adaptation aux sécheresses récentes, la réalité du changement est plus prégnante pour les éleveurs que pour les forestiers, ne serait-ce qu’en relation avec les échelles de temps de leurs décisions et la détectabilité des effets des événements récents. De manière générale, les propositions d’adaptation sont en continuité avec les réponses récentes ou les anticipations qu’elles ont suscitées. Les éventuels changements plus radicaux mettent en jeu l’attitude face aux aléas et intègrent toujours d’autres facteurs, notamment relatifs à l’évolution du contexte socio-économique, bien que celui-ci reste une incertitude dont le poids est majeur, en particulier dans la position attentiste des acteurs forestiers. Enfin, même s’il reste un facteur crucial d’incertitude, le contexte réglementaire sera décisif dans la capacité des acteurs à mettre en place des adaptations, comme le seront l’accompagnement technique et territorial. La mise en place d’un système d’observation adapté aux contraintes des milieux de montagne apparaît comme un défi non seulement scientifique, mais une réponse à une demande des acteurs pour soutenir leurs adaptations. L’analyse des réseaux et protocoles existants souligne un foisonnement de réseaux, de dispositifs et de protocoles à de multiples échelles. Sur l’exemple du réseau Alpages Sentinelles (Dobremez et al., 2014), un tel observatoire devra assurer la coordination et la communication entre réseaux, et en particulier entre scientifiques et gestionnaires, et entre protocoles pour les paramètres à combiner sur le climat, les écosystèmes (biodiversité et valeur productive) et les pratiques. Le partage de cette démarche entre gestionnaires des espaces naturels, acteurs agricoles, forestiers, scientifiques, et acteurs territoriaux est essentiel pour sa mise en place et sa pérennité, ainsi que pour accompagner l’adaptation. 38 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ EXEMPLE 5.2 DIVERSITÉ BIOCULTURELLE DES SySTèMES HORTICOLES AU VANUATU Auteurs : Sophie Caillon et Sara Muller La capacité d’adaptation des sociétés est conditionnée à la fois par la structure de leur système social, par la multiplicité des stratégies actuelles et futures dépendantes du potentiel d’innovation des individus (Osty, 1978 ; Brookfield & Padoch, 1994 ; Chauveau et al., 1999 ; Brookfield, 2001), et, dans le cadre de sociétés vivants de leur agriculture, par la diversité des agrosystèmes. Cette diversité comprend à la fois la diversité biologique évoluant au sein des agroécosystèmes, soit l’agrobiodiversité, mais aussi la diversité culturelle décrite ici comme celle des pratiques, des savoir-faire et des connaissances liées directement ou indirectement à la gestion de systèmes agraires. La diversité biologique, un véhicule de la diversité culturelle Nous avons pu montrer que les horticulteurs du Vanuatu (Pacifique sud) conservent une grande diversité intra-spécifique de plantes à racines et tubercules, non pas uniquement pour leurs particularités culinaires, agronomiques ou pour répondre à des usages, mais en premier lieu pour consolider leurs réseaux sociaux, transmettre un système de valeurs et affirmer leur rapport au monde. Parmi les espèces les plus valorisées comme le taro (Colocasia esculenta) et la grande igname (Dioscorea alata), certains cultivars sont porteurs en effet d’une forte dimension symbolique qui renvoie les sociétés aux profondeurs de leurs mythes fondateurs. Parce que les plantes à propagation végétative ont la capacité de se multiplier à l’identique indéfiniment, elles constituent avec les pierres et les autres éléments fixes du paysage, l’unique objet immuable dans un environnement soumis aux caprices climatiques tels que cyclones, fortes précipitations, tsunamis… Chaque variété, à travers son système de nomenclature et de classification, véhicule ainsi la mémoire du village ; la relation aux ancêtres est consolidée par un lien physique : la plante enracinée et transmise de générations en générations. La diversité biologique constitue donc le véhicule (et la ressource) d’une richesse culturelle et le moyen d’expression d’un rapport au monde. De la conservation in situ à la sélection participative La diversité intra-spécifique des plantes cultivées, en terme de variétés ou cultivars nommés, est riche et dynamique. Face à des pressions extérieures (scolarisation, introduction d’espèces exotiques, développement de cultures de rente, etc.), elle a néanmoins tendance à se réduire. Le dynamisme des pratiques agricoles et du matériel génétique planté permet d’assurer un système agricole résilient car inventif et adaptable aux nouvelles pressions d’un environnement social, économique et naturel en mutation. Sachant que les principales raisons pour lesquelles les agriculteurs conservent un matériel ancestral sont d’ordre social, le scientifique ou le développeur a peu d’influence sur l’évolution des pratiques locales ; ils ne peuvent mettre la société « sous cloche » dans l’objectif de conserver cette grande diversité intra-spécifique. Nous pouvons néanmoins travailler sur le dynamisme du matériel génétique, soit le potentiel d’adaptation des plantes cultivées. Pour faciliter l’adaptation de ces plantes face à l’émergence de nouveaux risques et de nouvelles contraintes (par exemple l’introduction de maladies), il faut les « améliorer ». L’enjeu est en quelque sorte de susciter chez le végétal des « mutations utiles » face à des changements globaux engagés sur des pas de temps très rapides. Les programmes d’amélioration classique peuvent difficilement gérer scientifiquement et financièrement la variabilité des terroirs et des attentes sociales car la majorité de ces plantes à racines et tubercules changent de couleur, de forme et de goût selon l’environnement. Les horticulteurs du Vanuatu, en revanche, qui connaissent parfaitement les propriétés intrinsèques des cultivars, sont les plus aptes à juger, par un jeu d’expérimentations empiriques, de l’association adéquate entre un cultivar et un terroir lié à des pratiques spé- I - SOuRCES DE FlEXIBIlITÉ : ÉTaT DES lIEuX • 39 cifiques. Ces derniers sont les spécialistes du local alors que les scientifiques ont les connaissances du global. Ils ont par exemple accès à une plus grande diversité de taros, tant nationaux qu’issus de la région Pacifique, et souvent une connaissance de leurs résistances. Cette complémentarité dans la pratique s’illustre le mieux dans la mise en place d’un programme d’amélioration participative grâce à l’introduction de cultivars résistants et à l’enseignement de l’étape de la fécondation aux agriculteurs (Lebot et al., 2005). Ces programmes donnant aux agriculteurs la possibilité d’être de véritables acteurs de l’amélioration, sont actuellement mis en place au Vanuatu grâce à des financements FFEM et à un encadrement scientifique du CIRAD. Finalement c’est en protégeant une espèce végétale socialement valorisée quitte à la « moderniser » en améliorant son potentiel d’adaptation, que l’on conserve cette richesse de cultivars porteurs de la mémoire du village. La sélection participative est alors un moyen d’allier conservation et amélioration, soit conservation et développement. Dans ce cadre, une approche interdisciplinaire s’impose afin d’optimiser l’efficacité des programmes de conservation et de développement auprès des populations, parce qu’elle permet d’établir les bases d’une coopération avec les communautés locales qui les laisse libres de décider du sens et des modalités de leur inscription dans les processus de globalisation auxquelles elles sont désormais confrontées. La diversité biologique, un indicateur de la capacité d’adaptation des sociétés Face à la mondialisation, les agrosystèmes du Vanuatu apparaissent particulièrement résilients. Nous avons montré que l’incorporation récente de nouvelles espèces exotiques (p. ex. le manioc Manihot esculenta) ne s’inscrivait pas nécessairement comme une menace pour le maintien des espèces traditionnelles ; bien souvent en effet, cette incorporation est contrôlée et mise au service de la résilience générale des systèmes. Par exemple, afin de mieux gérer le risque lié à de fortes contraintes environnementales comme le volcanisme, les horticulteurs distribuent leur patrimoine de variétés au sein d’un plus grand nombre d’espèces cultivées dans des agroécosystèmes distincts. Paral- lèlement, l’analyse des discours et des pratiques autour de ces espèces exotiques a démontré : • la faculté des sociétés à produire des discours visant à incorporer ces plantes à leur vision du monde, à leur donner du sens ; • la contribution de ces plantes à l’enrichissement des pratiques, savoirs et représentations liés à la diversité. Ces constats nous amènent à nous positionner en faveur d’une conception dynamique de la diversité « bioculturelle » et à proposer que cette diversité puisse être appréhendée comme un indicateur des capacités d’adaptation des sociétés aux bouleversements engendrés par la mondialisation. Femmes découpant les cormes de taro cuits au four traditionnel à pierres destinés à être distribués entre les convives participants à une fête religieuse chrétienne. Village de Vêtuboso, île de Vanua Lava, Vanuatu, 2002. Sophie Caillon. 40 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ Toutefois ces démonstrations de résilience ne doivent pas masquer le caractère souvent précaire des défenses mises en œuvre face à des mutations particulièrement intenses. D’où l’importance de la notion de « risque », une autre notion transversale. Dans les trois exemples cités ci-dessus, se pose en effet la question des « effets de seuils » susceptibles d’entraîner rupture et basculements quand le système atteint ses limites. Cette question se pose avec d’autant plus d’acuité que la modification des pratiques sociales sous l’effet des pressions extérieures est susceptible de s’inscrire aussi comme un facteur d’aggravation des pressions et des déséquilibres via l’intervention de processus de rétroaction, mettant en péril les conditions de reproduction du système EXEMPLE 5.3 (écueil de la « mal adaptation »). La notion de risque fait donc écho à celle d’« incertitude » sur les dynamiques à long terme. Dans les situations les plus critiques, le basculement du système est susceptible d’engendrer le départ des populations (exode rural, migrations internationales), la migration pouvant être envisagée comme la stratégie adaptative ultime face à la dégradation des conditions de fonctionnement des systèmes sociaux et écologiques. Le plus souvent, la situation évolue vers un système composite dans lequel les réseaux familiaux en ville ou à l’étranger contribuent activement à la survie du système via des transferts de fonds. DyNAMIQUES INNOVANTES DANS LES PAyS DES RIVIèRES DU SUD (SÉNÉGAL-SIERRA LÉONE) Auteur : Marie-Christine Cormier-Salem La riziculture de mangrove, une crise multiforme Le changement des systèmes de gestion de la mangrove dans les Rivières du Sud (littoraux à mangrove du Sénégal à la Sierre Léone) représente une bonne illustration des réponses face à une crise d’abord socio-économique et politique (marquée notamment par l’exode rural massif des jeunes vers les villes), aggravée et accélérée par la péjoration climatique des années 1980 (Cormier-Salem, 1999). Cette riziculture repose sur un ensemble de techniques dont la plus remarquable est la construction de digues de ceinture des terroirs pour les protéger de l’invasion de l’eau salée des bolons (bras d’estuaire). Il s’agit donc d’une riziculture « endiguée », mais non irriguée et sans apport en eau douce, dans des conditions climatiques limites pour la culture de riz, à savoir 1 500 mm de pluie en année moyenne. Les socio-écosystèmes de cette région, caractérisés par la combinaison de diverses ressources, usages et acteurs, tendent à se simplifier avec le recul, à partir de la fin des années 1960, de la riziculture de mangrove, activité structurante de ces systèmes (Cormier-Salem, 1992 ; 1994b). Les migrations, d’abord saisonnières, sont de plus en plus souvent définitives. Faute de main d’œuvre, les aménagements hydro-agricoles, en particulier les digues, ne sont plus entretenus ; de nombreuses rizières sont abandonnées. Cette déprise, manifeste dès les années 1950 Aménagement traditionnel des mangroves en BasseCasamance. Vue du terroir rizicole, depuis la mangrove (premier plan) jusqu’au plateau (arrière-plan). Marie-Christine Cormier-Salem. I - SOuRCES DE FlEXIBIlITÉ : ÉTaT DES lIEuX • 41 (Pélissier, 1967), est accélérée par la péjoration climatique et la salinisation des sols et des eaux (Le Reste et al., 1986). Tous les niveaux de la chaîne trophique subissent une augmentation très rapide de la salinité, conduisant à la simpli- fication des socio-écosystèmes et à l’appauvrissement du milieu. De vastes étendues sursalées et stériles, les tannes, occupent désormais la place de mangroves et de rizières endiguées. Réponses aux changements Outre la construction de digues et diguettes, les paysans détiennent des savoirs, techniques et pratiques qui leur permettent d’anticiper les irrégularités pluviométriques et de répartir les risques de tout ordre. La diversification est au cœur de ces logiques et se décline à tous les niveaux de la biodiversité. sité de variétés de riz, combinée à la diversité des parcelles : ce sont là les conditions essentielles de l’adaptabilité de ces systèmes. En ce qui concerne la diversité génétique des riz, les paysans détiennent un stock d’au moins 15 variétés, combinant « riz humide » et « riz sec ». Chacune de ces variétés est adaptée aux conditions agro-pédologiques des parcelles (des zones les plus profondes de la mangrove aux eaux parfois saumâtres, jusqu’aux terrasses plus sèches et aux plateaux), aux conditions climatiques (avec des variétés à cycle court et à cycle long) et aux besoins organoleptiques et socioculturels (Cormier-Salem, 1992). Enfin, en ce qui concerne le terroir dans son ensemble, la riziculture est associée à d’autres cultures (arachide, mil, maraîchage et plantation d’anacardiers), mais aussi à d’autres usages, tels que l’exploitation du sel sur les tannes, la récolte des huîtres de palétuviers et des coquillages sur les vasières, la pêche dans les bolons et le f leuve, l’élevage sur les plateaux, etc. Avec le recul de la riziculture, les ressources extractivistes de la mangrove (bois de palétuvier, sel, huîtres) comme des forêts de plateau (anacardiers, palmiers), sont devenues de petites productions marchandes, écoulées sur les marchés ruraux et urbains, voire même internationaux. En ce qui concerne le terroir rizicole, les paysans jouent sur la diversité de leurs parcelles selon un continuum, des zones inondables de mangrove aux zones de plateaux (Richards, 1989). La gestion des risques (notamment des irrégularités climatiques) s’appuie sur la diver- Ainsi pour faire face à la crise multiforme et pallier le déficit des productions rizicoles, les populations des Rivières du Sud ont développé des stratégies de diversification des cultures et d’élargissement des activités rurales (Cormier-Salem, 1994). Les systèmes de pêche Chez les marins pêcheurs migrants du Sénégal, la flexibilité repose sur la mobilité spatiale et sur la diversité des systèmes de pêche (fonds exploités, ressources marines ciblées, engins, moyens de navigation, filière, marchés, organisation des unités de pêche, etc.). Les unités de pêche peuvent adapter leurs lieux de pêche et leurs cibles selon les conditions de l’environnement (Cury & Roy, 1991). Face à la demande croissante en poisson, ils adoptent des techniques nouvelles : la motorisation des pirogues, les glacières pour conserver le poisson à bord, les nouveaux engins de pêche comme les sennes tournantes coulissantes sont toutes des innovations majeures pour augmenter les captures et les diversifier, afin de répondre à la croissance spectaculaire du marché urbain, puis à la glo- balisation des échanges (Cormier-Salem, 2006). L’explosion de la pêcherie de poulpes dans les années 1990 illustre cette capacité à saisir des opportunités, les poulpes s’étant multipliés du fait de la raréfaction des grands prédateurs tels que les requins. Peu connue jusqu’à cette date et non consommée localement, cette ressource devient alors la principale espèce capturée au Sénégal. Ces stratégies innovantes sont, à court terme, génératrices de revenus, mais ne sont pas durables et demeurent fragiles, la ressource étant très fluctuante. C’est pourquoi à ces stratégies opportunistes, souvent le fait de jeunes capitaines, plus individualistes, ciblant une espèce, sont préférées les stratégies des marins pêcheurs misant sur la diversité des 42 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ ressources et de leur fluctuation, mobilisant diverses tactiques de pêche, s’adaptant à l’évolution du marché. La valorisation de toute la chaîne de valeur apparaît alors comme une stratégie innovante plus durable, permettant de diminuer la pression sur la ressource tout en maintenant le niveau de vie de pêcheurs grâce à une meilleur qualification des captures (Cormier-Salem & Samba, 2010). Conclusion Si les réponses des sociétés aux changements de leur environnement sont très diversifiées selon les contextes, les travaux sur les stratégies des communautés locales (savoirs, pratiques, logiques) mettent en évidence des caractéristiques communes. Premièrement, les socioécosystèmes sont d’autant plus flexibles qu’ils sont divers et que cette diversité s’exprime à tous les niveaux (gènes, cultivars et races animales, ressources naturelles, parcelles, paysages, savoirs, etc – Milleville, 2007). Deuxièmement, on observe que les stratégies sont Aussi importante qu’elle soit, la notion de « risque » est néanmoins contrebalancée par celle « d’opportunités », émanation positive de l’incertitude. Ainsi, les populations des Rivières du Sud de la Casamance étudiées par MarieChristine Cormier-Salem (exemple 5.3) ont-elles, en dépit de la dégradation des conditions de la riziculture de mangrove, su tirer parti des nouvelles possibilités offertes par leur insertion dans des systèmes économiques mondialisés (exportation de noix de cajou et autres « produits de niche » sur les marchés internationaux) et des innovations technologiques, notamment dans le domaine de la pêche. Cet exemple constitue une bonne illustration de « stratégies offensives » moins attachées à la préservation de l’ancien système (le propre des « stratégies défensives ») qu’à la recherche de voies alternatives permettant précisément de rompre avec l’existant pour se projeter dans l’avenir. Plus proches de nous, les anciens terroirs de l’arrière-pays andalous étudiés par André Humbert (2007), bien que longtemps désertés, sont parvenus à retrouver un second souffle grâce aux stratégies avisées des nouveaux acteurs d’une « agriculture ancienne modernisée » : ces derniers ont su mettre à contribution les financements offerts par la PAC dans le cadre de l’éco-conditionnalité et les outils de communication modernes (internet) pour tirer profit de l’engouement que suscitent les « produits de terroirs » auprès d’une catégorie de consommateurs en quête d’authenticité. Cet exemple permet de faire le lien avec la question du rôle des politiques publiques et de l’innovation institutionnelle en matière d’adaptation des sociétés. Minimi- à la fois défensives (pour faire face à la crise) et offensives (pour saisir de nouvelles opportunités (marchés, filières, etc – Chauveau & Yung, 1995). Enfin, les innovations qui entrent en jeu sont à la fois techniques, sociales, économiques et institutionnelles (Chauveau et al., 1999). Pour que ces innovations soient effectives (efficientes et appropriées), elles sont le plus souvent le résultat d’une hybridation entre les logiques locales (paysannes notamment) et la rationalité des experts externes (Byé et al., 1999 ; CormierSalem et al., 2013). ser les risques de mal adaptation, anticiper les risques sur le long terme, renforcer la disponibilité de l’information et favoriser les bifurcations nécessaires (de Perthuis et al., 2010) nécessite en effet d’accompagner les sociétés dans les changements qu’elles traversent. L’action publique est d’autant plus nécessaire que les populations et les acteurs locaux ne bénéficient souvent pas d’une visibilité optimale pour mesurer les risques et les opportunités qui émergent dans le cadre du passage d’un système à un autre. Une raison en est que, dans le contexte de la mondialisation, les contextes locaux sont de plus en plus déterminés par des transformations qui se jouent à d’autres échelles. La nécessité d’établir des passerelles entre le local et le global comme entre le sectoriel et le général, deux enjeux forts du développement durable (Theys, 2002) ouvre aujourd’hui un vaste champ à l’innovation institutionnelle. Les politiques publiques sont par ailleurs de puissants outils d’incitation et d’encadrement susceptibles d’orienter les réponses des sociétés dans une direction planifiée. La contribution de Gilles Landrieu (exemple 5.4) montre toutefois qu’elles ne sont pas dépourvues d’écueils en dépit du bien-fondé des objectifs affichés. Ainsi, si le Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC) place la biodiversité au premier rang de ses préoccupations, les risques liés aux transferts de vulnérabilité (lesquels sont d’autant plus élevés que les problèmes traités sont complexes et les enjeux multiples), et ceux de voir prévaloir la prise en compte des intérêts économiques, faute de préconisations précises et volontaristes, appellent à la vigilance. I - SOuRCES DE FlEXIBIlITÉ : ÉTaT DES lIEuX • 43 Déforestation illégale en zone de conservation à Madagascar. Pour lutter contre la déforestation et ses conséquences, sont développés des projets REDD+ (Réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts tropicales). Georges Serpantié, IRD. EXEMPLE 5.4 PLAN D’ADAPTATION NATIONAL AU CHANGEMENT CLIMATIQUE ET RISQUES DE MALADAPTATION Auteur : Gilles Landrieu A côté des adaptations spontanées des sociétés (comme l’abandon des régions devenues hostiles ou le recours massif à la climatisation), le Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC 2011 - 2015) constitue une réponse adaptative aux défis posés par l’un des changements globaux : une réponse consciente (faisant suite au Grenelle Environnement et à la stratégie nationale pour la biodiversité), participative (élaborée dans le cadre d’une concertation « grenellienne » de 180 acteurs pendant 6 mois), rationnelle (prenant en compte les résultats de la recherche et l’évaluation des coûts), planifiée et multisectorielle (211 actions planifiées dans 20 domaines). secteur (santé, sécurité des personnes ou des biens…) sur le secteur biodiversité, et à la restriction de certains services écosystémiques (régulation de la chaleur ou de l’eau, pollinisation… ; • Lorsque la structure des filières économiques, les politiques et les pratiques ont une inertie telle que l’absence de préconisation (comme dans le domaine des pêches maritimes) ou des préconisations « neutres » (comme en matière d’agriculture) conduiront à maintenir les systèmes sur leurs pentes naturelles… si elles ne font pas l’objet de préconisations volontaristes favorisant les pratiques vertueuses. Le Plan ne peut être a priori suspect de porter atteinte à la biodiversité : la préservation du patrimoine naturel est affichée comme la quatrième finalité de l’adaptation, la biodiversité fait partie des 20 secteurs pris en compte et les recommandations sectorielles ont été systématiquement croisées. Par ailleurs la plupart des mesures proposées sont de nature conceptuelle, organisationnelle ou immatérielle : préciser les concepts, développer les connaissances, définir des normes, évaluer la vulnérabilité de certains systèmes, mettre en place des réseaux d’alerte, diffuser et mettre en réseau l’information… Pourtant le risque de « mal-adaptation » peut apparaître : • Lorsqu’une mesure conduit involontairement à un transfert de vulnérabilité d’un Parmi les zones d’incertitudes que l’on peut identifier dans le PNACC, on peut relever deux exemples parmi d’autres : 1. Dans le domaine de la santé, le Plan prévoit de « mettre en place ou renforcer la surveillance des facteurs de risque […], surveiller les vecteurs et hôtes réservoirs ». L’objectif est de rendre le système plus réactif aux risques de maladies émergentes et devrait logiquement conduire à abaisser les seuils d’alerte… et notamment à généraliser et rendre plus fréquentes les mesures de démoustication des plans d’eau, les moustiques étant des vecteurs privilégiés de ces maladies favorisées par la mondialisation des échanges et peut-être par le réchauffement climatique (Dengue, West 44 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ Nile, Chikungunya, Paludisme…). Les techniques actuelles reposant sur l’épandage du Bacille de Thuringe Bti, même si elles constituent un progrès par rapport aux pesticides chimiques traditionnels, ne sont pas tout à fait ciblées et éliminent d’autres espèces, notamment une grande partie des diptères, et portent ainsi atteinte à l’ensemble de l’écosystème. Le recours plus fréquent au Bti pourrait entraîner l’apparition rapide de nouvelles résistances et inciter, notamment en cas de crise, à autoriser l’utilisation de molécules plus puissantes et encore moins ciblées, donc encore plus préjudiciables. C’est pourquoi il importe de développer la recherche sur la lutte biologique, voire sur la mise au point d’insecticides biodégradables ciblant spécifiquement les moustiques. 2. La ressource en eau, qui risque de diminuer globalement (selon les modèles climatiques, la pluviométrie sur l’hexagone devrait diminuer et les épisodes pluvieux se concentrer sur l’hiver, au moment où la végétation et les sols seront moins en mesure de retenir l’eau), correspond au secteur qui devrait subir les tensions les plus fortes : la généralisation des contraintes réglementaires, tarifaires et Enfin, d’un point de vue méthodologique, appréhender les réponses des sociétés aux changements globaux implique d’analyser les « boucles de rétroaction » entre systèmes écologiques et sociaux. Toutefois, les exemples exposés ici (cas notamment des paysans-pêcheurs de la Casamance et des horticulteurs du Vanuatu) soulignent l’intérêt de concevoir une alternative au modèle linéaire (ou cyclique) qui met l’accent sur les ruptures, les crises et les discontinuités et ne conçoit l’innovation que comme un processus exogène (imposé de l’extérieur) aux effets nécessairement déstruc- techniques incitera les utilisateurs à augmenter les prélèvements d’eau en été sur les zones marginales mal surveillées (petits pompages en rivière, puits). Cela conduira les acteurs à chercher à renégocier à la baisse les débits réservés des rivières ou les normes de température de rejet des eaux de refroidissement. Cette démarche est déjà engagée puisque le PNACC prévoit d’« intégrer la dimension changement climatique dans le cadre des indicateurs de suivi de la Directive cadre sur l’eau afin que l’effet des rejets thermiques puisse être isolé de celui du réchauffement global ». Ceci vise explicitement à découpler les rejets d’eaux chaudes par les industries (notamment la production d’électricité) et le réchauffement des rivières imputable au changement climatique. Or, si les objectifs globaux ne sont pas calés sur les exigences écologiques des espèces aquatiques, certaines ressources en eau dont les débits seront déjà affectés par la baisse de la pluviométrie estivale, verront leurs écosystèmes aquatiques soumis à la triple pression d’eaux encore plus chaudes, donc encore plus appauvries en oxygène et ayant dissout davantage de toxiques piégés dans les sédiments. turant. Une approche alternative pourrait être celle du modèle en spirales ou en boucles successives, plus apte à mettre en évidence les articulations et à prendre en compte les processus endogènes émanant des sociétés (gestion des changements, réappropriations). Trois types d’articulations peuvent alors être envisagés : l’articulation entre le temps court et le temps long des sociétés, l’articulation des différentes échelles spatiales (du local au global) et enfin, l’articulation de la reproduction sociale et du changement (comment le nouveau se fond dans l’ancien). Ouragan Dennis, juillet 2005. NASA. De catégorie 4, avec des vents allant jusqu’à 230 km / h, il établit plusieurs records, notament celui du plus fort ouragan atlantique à s’être déployé avant août. Un titre qu’il tenu seulement 6 jours avant d’être surpassé par l’Ouragan Emily, de catégorie 5. SOURCES DE FLEXIBILITÉ : PROSPECTIVES L a première partie de ce document, qui met en lumière les connaissances sur la flexibilité des réponses de la biodiversité aux changements globaux à différentes échelles, éclaire en creux les manques et les domaines à explorer. Le groupe de travail s’est attaché à identifier des axes de recherche à promouvoir dans les années à venir. Cette analyse est structurée de façon transversale autour de 4 défis majeurs : 1) 2) 3) 4) Comprendre les processus de l’adaptation, Etudier le couplage entre ces sources de flexibilité, Proposer des indicateurs du potentiel d’adaptation, Intégrer ces sources de flexibilité dans les scénarios de biodiversité. 46 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ 1. COMPRENDRE LES PROCESSUS DE L’ADAPTATION L a question de l’adaptation implique de s’attacher particulièrement à dépasser la description de patrons pour aller vers celles de processus. Comprendre comment ces sources de flexibilité peuvent atténuer (ou non) les conséquences négatives des changements globaux sur la biodiversité et les sociétés qui en dépendent nécessite en effet d’en comprendre les mécanismes. Plusieurs grandes questions ouvertes à propos de ces mécanismes sont listées ici. La mésange bleue, Cyanistes caeruleus, constitue un modèle de choix pour l’étude des processus adaptatifs. Jean-François Silvain. 1.1 Déterminer les contraintes et les limites de la plasticité phénotypique Quels aspects de l’environnement influencent l’expression du phénotype et quand ? Ceci implique de mieux comprendre l’ontogénie des phénotypes et l’évolution des normes de réaction. Pour connaître la réponse des organismes aux changements globaux, les mécanismes de la plasticité phénotypique doivent être étudiés en détails en partant de l’échelle moléculaire. L’étude des organismes modèles permet de déterminer la chaîne des processus qui relient les stimuli environnementaux, l’information génétique et les variations de phénotype de traits fonctionnels clés dans l’adaptation aux changements climatiques (Nicotra et al., 2010). Dans le cas d’une plasticité active, le signal environnemental est traduit par des récepteurs en signaux chimiques qui conduisent après une cascade de réactions parfois complexes à l’expression d’une information génétique (épigénétique, post-transcriptionnelle ou transcriptionnelle) qui modifient la production de protéines ou d’enzymes et ainsi changent la valeur du phénotype (Nicotra et al., 2010). Cette étude fine des mécanismes permet de mieux séparer les parts « actives » et « passives » de la plasticité, ce qui peut être particulièrement important dans le cadre des changements climatiques. En effet, l’amplitude de la réponse active de l’organisme peut être tamponnée ou augmentée par une réponse passive. Par exemple, si les ressources manquent l’organisme peut diminuer son allocation d’énergie et de matière vers un puits et l’augmenter vers un autre. Mais ces changements actifs et peut être adaptatifs sont difficilement séparables des modifications passives de la valeur des traits due à la baisse des ressources (van Kleunen & Fischer, 2005). Comprendre les déterminants de la relation plasticité – adaptation (plasticité adaptative vs plasticité disadaptative) : en particulier y a-t-il des points de basculement qui font passer de l’un à l’autre ? Comme le nombre de caractères et de traits dans un organisme est très élevé, il est absolument nécessaire de hiérarchiser au préalable les traits fonctionnels variables qui peuvent présenter un caractère adaptatif dans le cadre du changement global du fait de leur fort impact sur la valeur sélective (Nicotra et al., 2010 ; Chevin et al., 2010). Ensuite, il faut établir d’une part les normes de réaction des phénotypes par rapport à une variation environnementale, puis le paysage adaptatif qui relie cette variation à la valeur sélective (Chevin et al., 2010). Mais les normes de réaction souvent supposées linéaires le sont rarement dans la nature (Valladares et al., 2006). De plus, normes de réaction et paysage adaptatif varient potentiellement dans le temps (Visser et al., 1998) et dépendent des interactions avec de nombreux autres traits (Lande & Arnold, 1983 ; Crozier et al., 2007). La complexité des situations rend illusoire l’existence d’un pronostic unique concernant le rôle de la plasticité dans le cadre des changements globaux (Valladares et al., 2007). Il semble donc nécessaire, (i) de continuer à affiner les prédictions théoriques, (ii) de multiplier les cas d’études et (iii) de développer des modèles mécanistes intégrant les connaissances en physiologie (Helmuth et al., 2005) capables de mieux appréhender cette complexité. II - SOuRCES DE FlEXIBIlITÉ : PROSPECTIVES • 47 1.2 Explorer les réponses plastiques à d’autres composantes du changement global que le changement climatique (pollution, surexploitation, changement d’usage des terres) Le rôle de la plasticité phénotypique a surtout été mis en avant dans la réponse des organismes aux changements climatiques ; en effet les variations saisonnières du climat sélectionnent naturellement pour des mécanismes d’ajustement à des contraintes, qui sont variables au cours de la vie d’un même individu. Parce que le grain de variation d’autres composantes du changement global telles que la pollution, la surexploitation ou le changement d’usage des terres est potentiellement assez différent de celui du climat, 1.3 le rôle de la plasticité phénotypique en réponse à ces pressions anthropiques a peut -être été sous-estimé, et reste dans un grand nombre de cas à évaluer. Par exemple, les rôles respectifs de la plasticité phénotypique et des changements génétiques dans le changement de taille des poissons en réponse à la pèche a été âprement débattu. Discriminer entre ces mécanismes est crucial, en ce qu’ils impliquent des points de levier très différents sur ces réponses et des points de rupture distincts. Identifier la nature et les cibles de la sélection liée aux changements globaux (à la fois moléculaire et phénotypique) Les changements globaux peuvent causer des changements génétiques au sein des populations, à travers leurs effets sur toutes les forces évolutives : présence de mutagènes, modification des flux de gènes, modification de la dérive génétique à travers les changements de taille de populations et sélection de variants génétiques différents liés à des conditions écologiques nouvelles. Comprendre comment les changements globaux modifient les patrons de sélection naturelle et ses cibles est un enjeu majeur qui se heurte à de nombreuses difficultés méthodologiques. Le développement de méthodes d’inférence des patrons de sélection à partir de comparaisons temporelles ou spatiales de la variation phénotypique et génétique est un domaine très actif de recherches. L’accès aux patrons fins de diversité moléculaire chez des organismes modèles et non-modèles donne potentiellement accès aux cibles moléculaires de la sélection divergente dans les milieux modifiés par l’homme, dans une variété de scénarios écologiques. Cependant, nous sommes encore loin de bien saisir les mécanismes fins de ces phénomènes sélectifs, afin de pouvoir projeter dans le futur leur évolution. Par exemple, si les déplacements de clines latitudinaux de fréquence de certaines inversions chromosomiques chez la drosophile sont documentés dans plusieurs continents différents et représentent actuellement le cas le plus clair des impacts du changement climatique sur la composition génétique des populations naturelles, on comprend encore mal les mécanismes par lesquels les changements de température affectent la sélection sur ces réarrangements chromosomiques. Renseigner les liens entre variation moléculaire, patrons d’expression génique, traits phénotypiques et composantes de la valeur sélective reste un défi impliquant de mobiliser en parallèle technologies de pointe de biologie moléculaire et des études démographiques en populations naturelles. Soutenir ces études de la sélection naturelle sur le terrain est essentiel pour progresser d’une description phénoménologique des patrons de sélection (qui souffre des mêmes problèmes potentiels d’extrapolation que toute approche phénoménologique) vers une compréhension accrue de ses mécanismes. En particulier, il s’agit d’identifier, non seulement les cibles moléculaires de la sélection liée aux changements globaux, mais aussi les cibles phénotypiques de celles-ci : quels sont les principaux traits ou combinaisons de traits des organismes potentiellement modifiés par cette sélection divergente, comment sont-ils reliés à la valeur sélective et comment leur altération impacte-t-elle la dynamique et le fonctionnement des écosystèmes concernés ? Une difficulté accrue est liée à la nécessité de comprendre comment les changements globaux ont modifié les pressions de sélection pesant sur les organismes mais aussi comment ils le feront dans le futur. Le paradigme « espace pour temps » a beaucoup été utilisé, notamment dans le contexte des changements climatiques, pour étudier cette question : la comparaison de sites soumis aujourd’hui à des conditions écologiques variées fournit un scénario pour imaginer comment la sélection pourrait varier dans le temps dans une même localité. Ce paradigme, qui s’est montré très fertile à la fois d’un point de vue théorique et expérimental, a néanmoins ses limites en particulier si les conditions écologiques futures n’ont pas d’analogue actuel. La manipulation expérimentale des conditions environnementales est une alternative, même si la dimensionnalité du changement environnemental imposé est nécessairement réduite. Une autre option réside en l’utilisation de modèles mécanistes permettant de prédire l’impact de variations de traits physiologiques, phénologiques, comportementaux, reproductifs sur la valeur sélective dans des contextes écologiques variés, mimant ceux imposés par les changements globaux (par exemple, les scénarios de changement climatique). Ces modèles mécanistes pourraient permettre d’identifier les traits sous sélection, de proposer des scénarios de variation de la sélection dans l’espace et le temps ; ils peuvent être informés par des données 48 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ sur la variation génétique de ces traits écologiques quand celle-ci est disponible ; cette approche par modélisation permettrait donc de fournir une série d’hypothèses à tester sur les cibles de la sélection et ses effets, et de concentrer les efforts de mesure sur le terrain sur des traits phénotypiques identifiés comme potentiellement clés pour la réponse aux pressions locales. Une difficulté commune aux approches expérimentales et théoriques consiste à identifier une ou des mesures de la valeur sélective pertinente et opérationnelle dans des contextes écologiques variés, intégrant les informations concernant différents traits d’histoire de vie (notamment la reproduction) et l’effet de la compétition. Mouron des champs, Anagallis arvensis. La composition chimique du sol agit sur sa couleur, les fleurs rouges étant associées à un sol acide. O. Pichard. 1.4 Contraintes et opportunités liées à la diversité génétique Certaines espèces ou populations échouent à s’adapter à des conditions écologiques nouvelles par manque de variabilité génétique pour des traits critiques dans ce nouvel environnement (phénomène de « génostase » – Bradshaw, 1991). Par exemple, seule une fraction très faible des espèces au sein des communautés végétales s’est adaptée à la pollution métallique des rejets miniers et ces espèces se distinguent par la pré-existence en zone non exposée de génotypes partiellement tolérants à la pollution. L’existence de variabilité génétique pour de nombreux caractères étant la règle, plutôt que l’exception, l’existence de traits écologiques très peu variables reste un paradoxe, soulevant beaucoup de questions ouvertes. Comprendre les potentialités d’adaptation des populations c’est en comprendre les limites. Mesurer la variabilité génétique pour des traits identifiés comme cibles de la sélection dans les environnements modifiés par l’homme est donc un objectif important pour appréhender ces limites. Si les apports de la génomique environnementale permettent d’imaginer dans le futur un certain saut quantitatif de notre compréhension de la distribution de la variabilité génétique, les approches de génétique quantitative plus traditionnelles fondées sur l’analyse de pédigrés (et notamment le développement de ces techniques pour l’estimation de la variabilité génétique en nature) demeurent efficaces pour répondre à ces questions. Par ailleurs, comme cela se fait de plus en plus chez les espèces domestiques, il convient de mieux inté- grer ces approches (génomique et génétique quantitative) pour prendre en compte la nature complexe du déterminisme génétique de nombreux traits écologiques (variation multigénique, interactions entre gènes, expression différentielle selon l’environnement, etc). Finalement, la nature multivariée de la sélection liée aux changements globaux doit être prise en compte : ceux-ci affectent de manière simultanée et parfois antagoniste la sélection sur différents traits écologiques (p. ex. tolérance thermique et à différents pesticides) ; il est alors crucial d’évaluer comment la covariation entre traits dans les populations soumises à ces changements s’aligne avec la direction de la sélection et si les corrélations génétiques entre traits, néanmoins chacun génétiquement variables, peuvent ralentir la réponse des populations à la sélection. On ne peut envisager néanmoins de multiplier ces mesures (relativement lourdes) pour tous les traits et toutes les populations concernées par les changements globaux : mieux comprendre pourquoi certains traits sont variables dans certaines populations et pas dans d’autres, ou pourquoi certains traits sont moins variables que d’autres est donc crucial pour construire des indicateurs du potentiel évolutif à plus large échelle. Différentes hypothèses doivent être évaluées expérimentalement si l’on veut progresser dans notre compréhension de cette question relativement basique ; qu’est-ce qui, in fine, explique les variations de diversité II - SOuRCES DE FlEXIBIlITÉ : PROSPECTIVES • 49 pour des traits écologiques majeurs ? Si les patrons de diversité neutre ont fait l’objet de recherches intenses, cette question reste encore largement ouverte en ce qui concerne la diversité sélectionnée. En particulier, on manque d’un corpus de données suffisant pour avoir une vision générale des rôles relatifs des flux de gènes, plus généralement de la démographie ou de l’histoire des populations (effet de fondation, admixture, introgression) sur la variabilité pour des traits écologiques clés. Les contraintes à l’évolvabilité de certains caractères peuvent être liées à des phénomènes de canalisation phénotypique (et génétique) forte sur des traits centraux de la physiologie ou du développement, à une 1.5 Comprendre ce qui organise la variation des capacités migratoires Les capacités d’expansion géographique et l’échelle spatiale des flux de gènes, à la fois observées et prédites, sont extrêmement variables dans le monde vivant à de multiples niveaux taxonomiques. Progresser dans notre compréhension des facteurs organisant cette diversité actuellement et évaluer comment celle-ci peut s’exprimer dans le futur implique une fois encore d’accéder aux mécanismes expliquant la variation des capacités de migration : quelle est la part des facteurs intrinsèques (traits biologiques des espèces), extrinsèques (facteurs abiotiques comme les conditions météorologiques, facteurs biotiques dont les agents de dispersion y compris l’homme) ? Des méta-analyses ont tenté d’évaluer ainsi les différences de capacité de dispersion entre niveaux trophiques, cycles de vie, groupes taxonomiques ou fonctionnels et d’identifier les principaux facteurs expliquant les événements de dispersion à longue distance, mais nous sommes encore loin de disposer d’indicateurs fiables des capacités de dispersion pour une large fraction de la biodiversité. Des approches novatrices couplant des informations hétérogènes à grande échelle spatiale (données génétiques, données météorologiques, données phénologiques, écologie du mouvement, prédictions de modèles 1.6 détérioration de gènes associée à une forte spécialisation écologique, ou à différentes contingences. L’exploration au niveau moléculaire de la question de l’évolvabilité (quelles sont les cibles possibles de mutation bénéfique chez différents organismes lorsqu’ils sont confrontés à un environnement nouveau) renseignera de manière significative ce débat. Une piste de recherches différente de la question de l’évolvabilité consiste à mesurer la vitesse d’évolution de ces traits écologiques clés dans l’histoire des taxons concernés et de rapprocher patrons macroévolutifs et microévolution contemporaine afin d’identifier d’éventuels prédicteurs de ce potentiel évolutif à différentes échelles taxonomiques. mécanistes de dispersion) devront être développées pour mieux mesurer les capacités de dispersion des individus et de leurs gènes, impliquant des développements statistiques non triviaux. Progresser dans la description et la modélisation de la migration implique également de dépasser certains paradigmes, comme ceux fondés sur la notion de noyau de dispersion, pour en explorer d’autres (notions de réseaux ou de cartes de connectivité), pour mieux tenir compte des asymétries affectant les mouvements dans les paysages réels. Finalement les mécanismes de flexibilité de la migration elle-même (persistance dans les communautés d’espèces plus ou moins dispersantes, diversité des vecteurs de dispersion et de leur comportement, sélection spatiale, évolution génétique des capacités de dispersion, forte plasticité phénotypique en réponse non seulement à la structure du paysage mais à différents indices de qualité d’habitat, y compris l’environnement social) devront être plus explicitement pris en compte. L’objectif serait d’arriver à une compréhension plus fine des barrières à la migration, incorporant plus d’information sur la biologie de la dispersion des espèces ou groupes d’espèces d’intérêt. Comprendre les mécanismes d’assemblage des espèces dans les écosystèmes Rôle de la migration, de la stochasticité, des effets historiques, des filtres environnementaux Un des grands enjeux de l’étude des changements globaux consiste à augmenter notre capacité de prédiction de la composition des communautés impactées. Or les changements globaux vont vraisemblablement induire la formation de nouveaux assemblages d’espèces (Hobbs et al., 2009 ; Lavergne et al., 2010). Ceci soulève des questions sur les mécanismes d’assemblages de ces nouvelles communautés : vont-elles s’assembler principalement sous l’effet de filtres environnementaux, ou selon des mécanismes de loteries compétitives (Chase & Leibold, 2003) ? Ces communautés seront-elles des assemblages transitoires non-viables ou au contraire stables ? Étrangement, peu d’études se sont concentrées sur cet aspect de la réponse des communautés. Suivre la réorganisation actuelle des communautés face aux changements globaux pourrait être l’occasion d’étudier ces différents mécanismes (Lavergne et al., 2010). Par exemple, les inte- 50 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ ractions compétitives et le filtrage de l’environnement devraient conduire à des divergences fonctionnelles ou phylogénétiques dans les communautés (Cornwell & Ackerly, 2009 ; Vamosi et al., 2009). L’approche par modélisation sera ici un support très utile pour extraire un ensemble de règles d’assemblage des futures communautés naturelles et vérifier la cohérence avec les assemblages observés, lorsque les données le permettent. Les communautés sont façonnées par l’interaction entre des processus évolutifs et écologiques (Ricklefs, 1987). Cependant, ces processus ont été étudiés principalement de façon isolée. L’évolution s’est largement préoccupée de l’émergence de la diversité biologique (par exemple la diversification des traits des espèces lors de radiations adaptatives – Schluter, 2000) alors que l’écologie des communautés suppose cette diversité déjà existante et s’attache aux réponses des assemblages aux modifications de l’environnement (McGill et al., 2006). Un premier chantier prospectif consiste donc à intégrer ces deux approches (Mouquet et al., 2012). En effet, comprendre l’impact des changements globaux sur la biodiversité exige d’avoir une compréhension à la fois des dynamiques de l’évolution et de celle de l’écologie des communautés (Lavergne et al., 2010 ; Vellend, 2010). Dans ce contexte, un nouveau programme de recherche intégré alliant écologie et évolution doit être développé. Par exemple, mesurer et tester la structure phylogénétique des communautés ainsi que les traits des espèces (Webb et al., 2002) permet théoriquement d’étudier l’effet relatif de filtres environnementaux, de processus historiques et des interactions entre espèces. Cette vision intégrée de l’étude des mécanismes d’assemblages d’espèces a néanmoins connu peu de support empirique et s’est développé en considérant des systèmes théoriques, souvent déconnectés des changements globaux. D’autre part, un manque certain de connaissance réside dans la difficulté actuelle de mesurer dans la réponse des communautés, ce qui résulte d’une réponse évolutive des populations, du simple ajustement dynamique des populations. Une piste prometteuse pour étudier l’impact des changements globaux sur les mécanismes d’assemblages consisterait à favoriser les analyses quasi-expérimentales contrastant des zones ayant subis différentes pressions (par exemple les aires protégées versus non protégées, ayant subi des évènements climatiques extrêmes ou non, plus ou moins urbanisées récemment, etc). Maquis minier typique du sud de la NouvelleCalédonie où se trouvent les plus grands réservoirs d’endémicité (le taux d’endémisme pouvant y atteindre des niveaux extrêmement élevés). Cela est notamment du à la présence de sols riches en métaux (leur oxydation donnant cette couleur rouge orangée) et pauvres en minéraux essentiels aux végétaux, ce qui a conduit à des adaptations spécifiques. Bananaflo. 1.7 Etudier l’effet relatif des changements d’habitats et de climat sur la dynamique temporelle des communautés Peu d’études s’intéressent à la fois au changement climatique et aux changements d’habitats. Or ces deux types de pression agissent, certes à des échelles différentes, mais simultanément sur les communautés d’espèces. En effet, la niche « climatique » et la « niche d’habitat » des espèces étant étroitement liées (Barnagaud et al., 2012), l’étude conjointe des impacts de ces deux pressions est nécessaire pour mieux comprendre la réorganisation des communautés. Pour cela, l’utilisation de jeux de données permettant de séparer les effets relatifs du climat et du changement d’habitat est indispensable. Seules quelques études récentes ont permis de quantifier l’effet relatif du changement climatique et de la modification des habitats sur les communautés (Kampichler et al., 2012). Changement II - SOuRCES DE FlEXIBIlITÉ : PROSPECTIVES • 51 du climat et transformation des habitats sont susceptibles d’avoir des effets relatifs différents selon les groupes considérés (p. ex. entre les ectothermes ou les homéothermes). Ces approches méritent d’être développées pour mieux comprendre et prévoir l’impact des changements globaux sur les communautés. Une piste prometteuse pour développer cette recherche consiste à s’intéresser davantage à la dynamique temporelle des communautés. La plupart des études menées sur les communautés se sont en effet concentrées 1.8 Comprendre les effets potentiels des interactions interspécifiques nouvelles ou modifiées dans les nouveaux assemblages d’espèces À ce jour, encore peu de données et de résultats théoriques sont disponibles pour évaluer les effets des interactions entre espèces sur le maintien de la diversité. En particulier, la variabilité temporelle et spatiale des communautés de plantes-pollinisateurs est encore peu documentée, ce qui empêche la détermination des facteurs favorisant leur stabilité et leur résilience ainsi que la compréhension des mécanismes évolutifs impliqués. D’autre part, les réseaux sont analysés le plus souvent à l’échelle d’une communauté locale et ne prennent pas en compte les aspects spatiaux. Les approches en métacommunautés ou méta-réseaux sont récentes et n’ont pas encore de réels supports empiriques. De la même manière, les études sont la plupart du temps une image instantanée des réseaux (Petanidou, 2008). On manque donc encore de données de suivi dans le temps de réseaux qui subissent les effets des changements globaux. Or même si l’on commence à disposer de liens corrélatifs entre certaines métriques et certains facteurs (phylogénétiques ou structure du paysage – Bascompte et al., 2003 ; Bastolla et al., 2009 ; Thébault & Fontaine, 2010) le manque de données sur la variabilité spatiale et temporelle empêchent de pouvoir révéler les mécanismes qui structurent les réseaux car les processus écologiques et évolutifs 1.9 sur la réponse spatiale des communautés aux changements globaux, par exemple en reliant une caractéristique de la communauté (sa diversité, sa composition) à un gradient de perturbation (la fragmentation des paysages ou le taux d’urbanisation). Mais peu d’études ont relié explicitement la dynamique temporelle des communautés avec la dynamique temporelle des paysages et du climat. Ces études sont nécessaires pour mieux comprendre la dynamique des communautés, en particulier leur stabilité, leur résilience ou leur temps de réponse à plus ou moins longs termes. à l’œuvre sont probablement singuliers (Tylianakis, 2007) et s’expriment à des échelles de temps et d’espace différentes. Pour combler ce manque, les programmes de science participative pourraient s’avérer essentiels, à condition de tenir compte de leurs limites statistiques inhérentes. On ne connait que peu de choses sur la structure de « réseaux de réseaux », c’est-à-dire des réseaux qui comprennent des interactions entre espèces aussi bien mutualistes qu’antagonistes. Une fois encore, on dispose de très peu données sur ces systèmes (Fontaine et al., 2011) et surtout on ne dispose pas de cadre conceptuel pour les analyser. Evidemment, on pourrait comme précédemment étudier les caractéristiques des réseaux mixtes (connectance, modularité, compartimentation) et vérifier que les résultats précédents obtenus sur des réseaux indépendants sont robustes. Il est néanmoins probable qu’un nouveau cadre théorique (p. ex. la théorie des graphes) soit nécessaire pour décrire cette complexité. La description de ces systèmes ne devra être qu’une première étape, devant déboucher sur l’identification des facteurs qui expliquent les structures mises en évidence, leur résilience dans le contexte des changements globaux et, enfin, l’identification des facteurs ou processus qui peuvent être négligés ou non et à quelles échelles temporelles et spatiales. Comprendre le fonctionnement de communautés non analogues Prédire le fonctionnement des assemblages d’espèces inédits dans les communautés impactées par les changements globaux est un défi de recherche majeur. Ce projet implique notamment de dépasser les questionnements autour des relations diversité-fonctionnement pour prendre en compte (i) les interactions nouvelles ou perturbées entre espèces, (ii) le fait que les espèces résilientes à différentes composantes du changement global ne sont pas nécessairement un échantillon aléatoire des espèces dans les communautés non impactées. La représentation de différents traits fonctionnels dans ces communautés va donc changer. Les conséquences pour différents aspects du fonctionnement 52 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ des écosystèmes et, pour les services associés, commencent seulement à être comprises : par exemple, quelles sont les conséquences fonctionnelles d’un changement de l’indice de généralisme des communautés ? Quelles seraient les conséquences d’une représentation accrue d’espèces colonisatrices ou spécialistes de milieux perturbés – ou productifs – en situation d’expansion géographique ? Les bases de données sur les traits fonctionnels d’un grand nombre d’espèces (p. ex. Jones et al., 2009 ; Kattge et al., 2011) peuvent permettre d’avancer sur ces questions. Il serait intéressant notamment de coupler l’analyse des patrons émergeant des ces bases de données à des approches théoriques nouvelles explorant les relations entre fonctionnement et composition des communautés. 1.10 Comprendre la dynamique des rapports sociétés-nature L’impact des changements globaux sur les sociétés humaines est considérable. Que ce soit de façon réactive ou préventive, spontanée ou planifiée, individuelle ou collective, les individus et les groupes humains n’ont d’autre choix que de répondre à ces changements et il est essentiel de comprendre les processus d’adaptation (ou d’inadaptation) des sociétés à ces changements. Les réponses des sociétés aux changements globaux vont dépendre de la façon dont les individus et les groupes se représentent la nature et la valorisent. Des travaux en philosophie de l’environnement, en anthropologie de la nature, en psychologie environnementale et en économie doivent être poursuivis et développés ; des programmes interdisciplinaires permettant de mettre en dialogue ces différentes approches disciplinaires seront un atout inestimable pour mieux comprendre l’adaptation des sociétés aux changements globaux ou pour mettre en évidence les freins et les limites à cette adaptation. Les changements globaux ne sont pas perçus et pris en compte de façon homogène. Une attention particulière devrait être portée aux mécanismes d’appréhension des changements, à la façon dont circulent les informations et les savoirs entre les sphères scientifiques, sociales et politiques. L’importance des savoirs locaux, la place des lanceurs d’alerte et de la production d’expertise par la société civile dans le contexte militant sont autant de champs à explorer, d’un point de vue épistémologique, anthropologique et sociologique. Enfin, les changements affectent différemment les individus et les groupes, faisant émerger de nouveaux enjeux d’équité et de justice et donnant une importance croissante aux problèmes d’injustice environnementale. Si ceux-ci se superposent souvent à d’autres formes d’inégalités politiques et socio-économiques, ils n’y sont pas strictement réductibles. La vulnérabilité aux changements climatiques, par exemple, relève également de déterminants géographiques. Pour appréhender et pour favoriser l’adaptation des sociétés aux changements environnementaux, il est donc nécessaire de repenser les notions de justice et de solidarité, tant du point de vue philosophique que du point de vue politique et juridique. 1.11 Comprendre la mobilisation des savoirs et les mécanismes de l’innovation Pour répondre aux pressions auxquelles elles sont confrontées, les sociétés mobilisent souvent des savoirs anciens formant un fond collectif et innovent à travers la recherche et l’expérimentation. Il existe un dialogue continu entre des acquisitions / transmissions à l’échelle de l’individu et de la société. Toutefois, ces savoirs anciens ne sont pas des savoirs traditionnels que l’on pourrait trop facilement identifier à des savoirs figés et archaïques. Dans un monde globalisé, les informations circulent rapidement. Les savoirs mobilisés sont donc des savoirs composites qui procèdent par assemblage d’éléments hétéroclites, mêlant l’ancien et le neuf dans des configurations nouvelles. Il est important de travailler sur les hybridations et les échanges entre savoirs locaux / vernaculaires et les savoirs scientifiques (Collignon, 2005). Quels sont les processus d’ap- prentissage ? Est-ce que les mécanismes impliqués divergent selon les types de savoirs et les interlocuteurs ? Comment s’opèrent les transmissions verticales, trans-générationnelles, versus les transmissions horizontales ? Quels sont les processus et les acteurs impliqués dans la transformation d’une innovation individuelle en un savoir collectif partagé ? Quelles sont les formes les plus efficaces de réseaux sociaux pour la circulation de biens immatériels comme les savoirs mais aussi de biens matériels comme les plantes et animaux ? Leur topologie dépend-t-elle des biens échangés ? Inversement, comment les scientifiques peuvent-ils intégrer et valoriser les savoirs locaux ? Les savoirs produits par des méthodes de sciences participatives, de sciences citoyennes ou par des méthodes anthropologiques basées II - SOuRCES DE FlEXIBIlITÉ : PROSPECTIVES • 53 sur l’observation participante sont-ils de même nature, sontils comparables ? Et si non, en quoi diffèrent-ils ? Les institutions nationales et transnationales ont pris conscience de l’importance de cette diversité des savoirs pour l’anticipation et l’adaptation aux changements globaux. Qu’il s’agisse de la CDB (Convention sur la diversité biologique), du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) et plus récemment de l’IPBES (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques), l’emphase est mise sur la valorisation des savoirs locaux et traditionnels. Néanmoins, l’hétérogénéité de ces connaissances, de leur conservation et de leur transmission ainsi que la multiplicité des dialogues qui se tissent entre savoirs savants et savoirs profanes obligent à repenser le sens et les modalités de l’expertise. Alors que la légitimité des sciences et des expertises scientifiques est sans cesse remise en cause par le grand public ou par certains groupes d’intérêts, qu’il s’agisse de mettre en cause la responsabilité des scientifiques dans certaines crises sanitaires, des scandales des conflits d’intérêt ou du travail de sape des marchands de doute (Oreskes & Conway, 2011), l’introduction de nouvelles formes de savoir dans l’expertise et l’aide à la décision ne va pas de soi. Des travaux en épistémologie et en sociologie des sciences ainsi que des recherches interdisciplinaires associant anthropobiologie, sciences politiques et épistémologie pourront permettre de documenter et d’accompagner ces mutations. 1.12 Comprendre les réponses institutionnelles Faces aux évolutions perçues ou anticipées, les réponses des sociétés sont multiples, allant de la mise en œuvre de stratégies visant à maintenir l’existant, comme souvent face aux espèces envahissantes par exemple, au complet laisserfaire, par manque de volonté, face à la pluralité des sujets qui mobilisent les moyens publics, ou de moyens adaptés. Il est intéressant de scinder la question des réponses institutionnelles en deux niveaux logiques distincts, même s’ils ne peuvent être indépendants aux niveaux technique et souvent social : le choix des objectifs et la définition des moyens. Le choix des objectifs soulève des interrogations sur le fond et sur la forme. Comment les sociétés et les institutions (depuis les administrations publiques jusqu’au règles de droit, en passant par les marchés et l’économie sociale et solidaire) définissent les objectifs souhaitables en matière de préservation de la biodiversité ? On sait que cette question est objet de débats multiples, que l’on peut caricaturer ici en opposant l’approche utilitariste (parfois instrumentée dans les évaluations économiques) qui a souvent présidé aux stratégies de conservation des ressources, et les approches déontologiques qui visent à identifier des principes à respecter (responsabilité, précaution, normes minimales…) implicites dans les politiques de protection de la nature. Le niveau des moyens est également en débat et peut traduire cette diversité des objectifs. Une dichotomie fondamentale oppose ici les approches incitatives qui visent à envoyer aux acteurs des signaux reflétant le poids des enjeux, si on a pu le mesurer, et les approches purement réglementaires ou « de police » par lesquelles les institutions, au premier rang desquelles les États, définissent des normes de comportement et s’efforcent de s’assurer de leur respect. Ces questions se retrouvent dans la mise en œuvre des instruments actuellement en place : réseau Natura 2000, Trame Verte et Bleue, mesures agri-envionnementales (MAEt) et autres mécanismes de paiements pour services écosystémiques (PSE). La diversité institutionnelle dont les travaux d’Elinor Ostrom (p. ex. Ostrom, 2010) s’efforçaient de rendre compte, traduit cette pluralité des motivations et des raisons invoquées, ainsi que des moyens mobilisables, techniquement appropriés et socialement acceptables. Cette diversité reflète la multiplicité des valeurs qui fondent les jugements, tant sur l’importance ou la gravité des enjeux, que sur la pertinence des moyens. La crainte est ici que la temporalité de ces processus ne soit pas compatible avec les dynamiques à l’œuvre. Nos institutions ont émergé dans un monde ouvert où il était légitime et socialement efficace de favoriser la prise de risque et d’en organiser la couverture, parfois en les mutualisant, ce qui paraissait conforme à l’intérêt mutuel. Elles seront peut-être maladroites pour vivre dans les limites d’un monde fini. Plusieurs questions sont ici pertinentes pour structurer des programmes de recherche : • Quelles relations existent entre l’action collective et l’émergence d’institutions ? • Comment s’articulent les domaines de pertinence des réponses en termes de principes et celles en termes d’efficacité pratique ? • Comment mieux évaluer les réponses institutionnelles passées ? • Comment les réponses institutionnelles intègrent ou n’intègrent pas les questions de résilience et de vulnérabilité ? 54 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ 2. ÉTUDIER LE COUPLAGE ENTRE SOURCES DE FLEXIBILITÉ 2.1 Comprendre le rôle relatif des différentes sources de flexibilité à différentes échelles de temps et d’espace Très intuitivement, on peut penser que les différentes sources de f lexibilité jouent un rôle différent dans la réponse aux changements globaux selon l’échelle de temps ou d’espace considérée. Par exemple, si la plasticité phénotypique semble jouer un rôle prépondérant dans la réponse actuelle des espèces au changement climatique, des évolutions génétiques seront probablement nécessaires sur le plus long terme si le réchauffement se poursuit et conduit à des gammes de variation environnementale encore inexplorées (Gienapp et al., 2013). Les échelles de temps où les changements de pratiques des sociétés ont été étudiées sont souvent radicalement différentes des échelles de temps des projections de changement de distribution de la biodiversité liées toujours au changement climatique : il est difficile pour une société de se projeter 100 ans dans le futur. Les problématiques liées aux échelles d’espace sont également cruciales : la migration des aires de répartition a des conséquences très différentes selon que l’on s’intéresse à la conservation de la biodiversité à une échelle très locale ou globale. Les mécanismes évolutifs sont principalement décrits comme intervenants à de grandes échelles temporelles (climatiques ou géologiques), tandis que les processus écologiques sont généralement interprétés sur des échelles temporelles et spatiales courtes, en supposant que l’évolution des processus peut être ignorée. Ces différences entre échelles ne sont néanmoins pas si nettes ; par exemple, les exemples d’évolution contemporaine rapide ont remis en cause très fortement le paradigme de la séparation des temps écologiques et évolutifs. L’histoire évolutive et les processus biogéographiques ayant 2.2 lieu à larges échelles (telle que la migration) sont fondamentaux pour expliquer la formation et la dynamique des communautés locales (Leibold et al., 2004 ; Graham & Fine, 2008). Inversement, avoir une idée de la flexibilité phénotypique et les changements évolutifs rapides qui contribuent à façonner les communautés locales est nécessaire pour expliquer ce qui est observé sur des échelles plus larges. L’Homme est un des agents le plus efficace pour la dispersion des plantes et des animaux. L’histoire de la domestication et de la diffusion des plantes est peu à peu révélée en croisant les résultats des archéologues, des linguistes, des ethnobiologistes et des généticiens (p. ex. Roullier et al., 2013 pour la patate douce). Mais pour réellement comprendre la manière dont les migrants ont choisi les plantes et animaux à transporter, il faut pour cela travailler sur des cas de migrations contemporaines ayant souvent lieu sur de courtes distances. Il faut ainsi croiser les échelles locales / globales et actuel / historique pour comprendre les mécanismes de diffusion et ainsi se projeter dans le futur. Des choix s’imposent néanmoins devant l’ampleur de la complexité. Une question importante concerne donc la hiérarchisation des processus que l’on peut négliger et à quelles échelles temporelles et spatiales. Par exemple, on ne va pas intégrer l’architecture génétique de tous les traits fonctionnels d’un réseau d’espèces. Mieux comprendre comment ces différents mécanismes de f lexibilité s’articulent entre eux à différentes échelles de temps et d’espace est donc une étape critique afin d’intégrer de façon pertinente ces réponses dans différents scénarios de biodiversité. Comprendre les interactions entre les sources de flexibilité Les principaux fronts de recherche actuels s’intéressent aux interactions entre ces différentes sources de flexibilité, historiquement étudiées séparément et souvent par des disciplines différentes. La nécessité de les intégrer émerge comme une priorité forte, ce qui implique de comprendre comment elles s’influencent mutuellement. Par exemple, l’évolution génétique peut être contrainte, ou facilitée, par la plasticité phénotypique, la migration, les interactions interspécifiques, les pratiques humaines sans que nous soyons toujours en mesure de prédire le sens et l’intensité de ces interactions. Nous ne donnons ici qu’un exemple de problématique de recherche autour de ces interactions, mais celles-ci sont pertinentes entre tous les niveaux de flexibilité des socio-écosystèmes (voir tableau). Ce cas concerne la coévolution et le fonctionnement des réseaux d’espèces. L’étude des réseaux d’interactions entre espèces a privilégié la compréhension de leurs caractéristiques dynamiques (persistance) et structurelles (connec- II - SOuRCES DE FlEXIBIlITÉ : PROSPECTIVES • 55 tance, modularité, imbrication), en ignorant le plus souvent rôle de l’évolution (Bascompte, 2009). D’autres travaux suggèrent néanmoins l’importance considérable de la dynamique évolutive de ces interactions interspécifiques (p. ex. dans le cas des systèmes plantes-herbivores, hôtes-parasites, ou plantes-pollinisateurs). Par exemple, étudier la structure phylogénétique des réseaux d’interactions a permis de faire la lumière sur des questions complexes en jeu dans des réseaux trophiques, des réseaux mutualistes ou des réseaux hôtes-parasites (Montoya et al., 2006 ; Ings et al., 2009). Les approches visant à prédire la stabilité des communautés mutualistes sont souvent écologiques, bien que la nature et l’intensité des interactions entre les plantes et les pollinisateurs soient aussi régies par des processus évolutifs potentiellement rapides et soient potentiellement plastiques. Les approches visant à prédire les conditions qui mènent une espèce végétale à changer de pollinisateurs sont quant à elles évolutives mais ne prennent pas en compte le réseau d’interactions entre les plantes et leurs pollinisateurs, ni sa variabilité (« Most Efficient Pollinator Principle » – Stebbins, 1970 ; Aigner, 2001 ; Sargent & Otto, 2006). Les rares modèles de coévolution entre les plantes et les pollinisateurs ne considèrent qu’une paire d’espèces interagissant, chacune étant souvent modélisée par un seul caractère (Thompson, 1982 ; Kiester et al., 1984). À noter qu’il faut probablement pour arriver à construire des protocoles expérimentaux et des modèles prédictifs considérer les pollinisateurs non pas comme des espèces mais des groupes fonctionnels (Fenster et al., 2004). La prise en compte du couplage entre mécanismes écologiques et évolutifs a des conséquences directes sur notre capacité à comprendre le fonctionnement des réseaux, non seulement dans des situations d’équilibre mais aussi dans le cadre de changements rapides. Un enjeu prospectif majeur consiste donc à développer les approches éco-évolutives dans l’étude des réseaux complexes. Quelques exemples d’interactions entre sources de flexibilité et leurs conséquences pour la réponse des socio-écosystèmes aux changements globaux SUR EffET DE PLASTICITÉ PHÉNOTyPIQUE PLASTICITÉ PHÉNOTyPIQUE ÉVOLUTION GÉNÉTIQUE ÉVOLUTION GÉNÉTIQUE Evolution de la plasticité Plasticité de la migration RÉARRANGEMENT DES COMMUNAUTÉS Augmentation de l’indice de généralisme CHANGEMENT DES PRATIQUES ET SAVOIRS Ajustement des pratiques agricoles aux changements phénologiques RÉARRANGEMENT DES COMMUNAUTÉS CHANGEMENT DES PRATIQUES ET SAVOIRS Sélection sur la plasticité Normes de réaction affectées par la présence d’autres espèces Manipulation du phénotype via les conditions environnementales (p. ex. irriguation) Adaptation locale Force de la sélection MIGRATION MIGRATION Maintien de la diversité génétique Migration dépendante de la présence d’autres espèces (dont vecteurs de dispersion) Evolution de la migration Evolution des interactions Force et direction de la sélection Effets génétiques étendus Séparation spatiale des espèces en fonction de leurs capacités migratoires Efficacité des méthodes de lutte contre les pathogènes et les vecteurs (évolution de résistances) Gestion des invasions biologiques Limites des zones de protection Déplacement des zones d’exploitation Gestion des ressources génétiques Sélection artificielle Migration assistée (p. ex. transplantations) Diversification des cultures et plus généralement mutations des agroécosystèmes Stratégies d’exploitation des ressources naturelles 56 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ 2.3 Décrire les boucles de rétroactions En particulier comment les changements de biodiversité affectent les pratiques humaines L’existence d’interactions fortes entre les différents mécanismes de flexibilité des socio-écosystèmes, souvent multidirectionnelles et de signe variable, implique l’existence de boucles de rétroaction entre différentes composantes de ces systèmes encore mal comprises. Ces boucles de rétroaction, par exemple entre évolution génétique et fonctionnement écologique des communautés, ont été surtout décrites d’un point de vue théorique, mais rarement documentées d’un point de vue expérimental sauf dans quelques systèmes bien particuliers (voir par exemple Kokko & Lopez-Sepulcre, 2007). Ces études suggèrent que la compréhension et la description de ces boucles de rétroaction est critique afin d’expliquer les points de basculement du fonctionnement de ces systèmes complexes, les phénomènes d’hystérésis et d’irréversibilité des changements environnementaux, 2.4 les spirales de dégradation comme les spirales « vertueuses » permettant de restaurer un fonctionnement plus harmonieux. Nous sommes encore loin d’intégrer ces boucles de rétroactions aux scénarios de biodiversité : par exemple si la modélisation des impacts du climat sur la biodiversité prend en compte les conséquences de différents scénarios d’évolution des pratiques humaines autour de l’usage des ressources naturelles, la façon dont, en retour, ces pratiques vont être modifiées par les changements de biodiversité n’est pas modélisée de façon dynamique. Ces nouvelles pratiques auront à leur tour un impact sur la biodiversité. Les scénarios autour de l’exploitation des ressources halieutiques prennent en revanche plus en compte les rétroactions entre changements de pressions et changements des stocks. Promouvoir l’interdisciplinarité en soutenant la formation et le recrutement de chercheurs aux interfaces Ce programme de recherches nécessite de travailler aux interfaces de plusieurs disciplines et son succès dépendra de manière cruciale de la formation, du recrutement mais aussi de la valorisation de la carrière de chercheurs travaillant à la frontière de ces disciplines, capables de les faire dialoguer entre elles. Le poids moyen des chamois, Rupicapra rupicapra, dans le massif alpin a diminué de 25 % depuis 1980, une adaptation probable à la hausse de la température en montagne. Fulvio Spada. II - SOuRCES DE FlEXIBIlITÉ : PROSPECTIVES • 57 3. PROPOSER DES INDICATEURS DU POTENTIEL D’ADAPTATION 3.1 Indicateurs de plasticité adaptative Nous avons vu que la plasticité se définit pour un phénotype et pour un individu. Potentiellement, les mesures de plasticité sont donc infinies. Il est par conséquent nécessaire de cibler les mesures sur des phénotypes impliqués dans la réponse adaptative au changement global (p. ex. phénologie, efficience d’utilisation de l’eau des plantes) ou connectés à la valeur sélective (p. ex. traits de croissance, investissement reproductif). Ensuite, il faut améliorer les métriques permettant d’estimer la plasticité. Valladares et al. (2006) ont réalisé une synthèse des estimations de la plasticité qui sont en usage : coefficient de variation (total, basé sur les moyennes ou sur les médianes), pente d’une norme de réaction, différence ou ratio entre la moyenne du phénotype à forte disponibilité en ressource et celle à faible disponibilité en ressource… Ces estimateurs peuvent aussi prendre en compte l’effet de covariables (p. ex. la biomasse) ou être normalisés selon la distance entre individus ou selon les variations de l’environnement. 3.2 Les estimations les plus répandues utilisent la variation spatiale de l’environnement, et par conséquent en population naturelle, ils mélangent la variabilité génétique et la plasticité. Les variations temporelles de phénotypes d’un même individu peuvent aussi être étudiées (p. ex. largeurs de cernes). Dans ces cas, il n’y a plus de confusion entre variation génétique et plasticité. Par contre, il existe alors une forte autocorrélation temporelle et une confusion possible avec des effets ontogénétiques. Les évaluations expérimentales présentent elles aussi des désavantages. L’estimation de la plasticité comme celle de l’hérédité varie selon le degré de contrôle des autres facteurs de variations du phénotype que celui étudié dans l’expérience. Enfin, la plupart des estimateurs correspondent à des moyennes entre différents individus ou même entre différentes populations, sans qu’une réflexion soit menée sur l’expression de ces moyennes. La conclusion est que l’estimation de la plasticité requiert toujours en préalable une clarification des enjeux afin de choisir les bons phénotypes à étudier et les estimateurs adéquats à utiliser. Potentiel évolutif Même si les objectifs de la biologie de la conservation sont explicites (Soulé, 1985), leurs applications demeurent souvent au cas par cas et la question de quelle diversité protéger et promouvoir dans une logique fonctionnaliste du vivant n’est pas résolue. Néanmoins, la gestion de la biodiversité est récemment devenue plus pro-active et s’est inscrite dans le temps, et la vision fixiste de la conservation des espèces a laissé place à une vision plus évolutionniste impliquant de conserver les espèces et leur capacités à s’adapter à un monde changeant. De manière formelle et précise, la capacité d’adaptation est définie pour une population (et non pas une espèce) soumise à un nouvel environnement. Elle est déterminée par le taux de croissance moyen de la valeur sélective (contribution attendue d’un individu aux gènes de la génération suivante) des individus composant la population ciblée. La capacité d’adaptation est donc un concept prometteur en biologie de la conservation, car maintenir la capacité d’adaptation revient à permettre à une popu- lation d’éviter le risque d’extinction. Mais ce concept n’est pas encore normatif et encore moins prescriptif : combien de capacité faut-il garder ? Comment conserver la capacité d’adaptation ? La capacité d’adaptation est estimée par une multitude d’indicateurs qui ne traitent ni des mêmes objets ni des mêmes échelles, et ces indicateurs n’ont alors pas les mêmes propriétés (Houle, 1992) : classiquement la variance génique additive ou l’héritabilité d’un trait lié au succès reproductif, plus fréquemment l’évolvabilité (Houle, 1992), l’adaptabilité, le potentiel évolutif, le potentiel adaptatif, ou encore la charge génétique (Le Rouzic & Carlborg, 2008), et plus récemment, et en accord avec les données expérimentales, les associations et les corrélations entre plusieurs traits liés au succès reproductif (Gomulkiewicz & Houle, 2009 ; Lande & Arnold, 1983 ; Walsh & Blows, 2009). Beaucoup de travail doit être accompli pour clarifier le concept de capacité d’adaptation, sa pertinence à dif- 58 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ férentes échelles temporelles et spatiales, son efficacité à prédire le devenir des populations et des espèces, ses relations avec des mesures estimables facilement dans les popu- 3.3 lations naturelles, et sa valeur opérationnelle (normative et prescriptive). Indicateurs de migration Différentes bases de données sur la variation interspécifique des distances de dispersion, des flux de gènes, de la migration ou de la mobilité (p. ex. Stevens et al., 2010) à l’échelle des papillons d’Europe) ont tenté d’identifier des prédicteurs des capacités de dispersion et plus généralement d’explorer la covariation entre traits. Ces indicateurs du potentiel de migration sont probablement difficilement généralisables d’un groupe taxonomique à l’autre et la constitution de semblables bases de données est à encourager afin de définir des groupes fonctionnels intégrant les différences migratoires. C’est une étape importante afin d’incorporer la migration de façon moins caricaturale dans les scénarios de biodiversité. Ces bases de données ont également mis en avant les multiples facettes et descriptions de la mobilité des espèces, qui donnent chacune une image un peu différente des capacités de dispersion. Une difficulté avec cette approche est que la variabilité des capacités de dispersion au sein des espèces n’est pas prise en compte : la plasticité phénotypique ou l’évolution génétique de la dispersion sont ignorées, alors que cette variation intraspécifique peut souvent dépasser celle existant entre les espèces. On ne dispose pas encore d’indicateurs de migration opérationnels sur un grand nombre de situations qui incorporent la flexibilité de ce comportement. Oie cendrée, Anser anser. En Europe, elle niche principalement dans le Nord (Islande, Écosse, Scandinavie…) et, généralement migratrices, elles se déplaçent vers le sud en hiver (Espagne, Portugal, bords de la Méditerranée…). En 1968, 10 oies cendrées avaient hiverné en France, alors qu’on en dénombrait 28 000 en 2011. Axel Kristinsson. 3.4 Indicateurs de résilience des communautés (aspects multifacettes de la diversité) L’écologie des communautés a récemment défini des indices simples capables de décrire plusieurs aspects de la diversité. Ces différentes facettes (fonctionnelle, phylogénétique, écologique) peuvent à leur tour être décomposées pour mesurer la diversité locale (alpha), régionale (gamma) ou entre sites (diversité bêta) (Devictor et al., 2010). La dynamique de différentes « facettes » de la biodiversité mériterait aujourd’hui d’être quantifiée sur plusieurs groupes et à différentes échelles. II - SOuRCES DE FlEXIBIlITÉ : PROSPECTIVES • 59 Au delà de l’utilité de décrire la dynamique de ces différentes facettes, ces approches doivent être affinées pour préciser à la fois la direction du réarrangement des communautés, leurs conséquences (en particulier sur le fonctionnement des écosystèmes) et les moyens d’infléchir ces dynamiques (en évaluant l’effet des mesures de conservation). En testant la réponse de ces indicateurs (amplitude, inertie, sens et intensité), il sera ainsi possible de mieux caractériser la flexibilité de la réponse des communautés (capacités de résilience, points de ruptures et d’adaptation). Par ailleurs, la part de ces résultats attribuables à des mécanismes évolutifs (adaptations locales), écologiques (changements de niches, compétition, changements dans 3.5 Ceci est valable pour les communautés étudiées indépendamment des interactions comme pour les réseaux. Aussi nous ne disposons que de peu d’idées sur ce qu’il faut faire concrètement pour conserver un réseau, si tel est l’objectif, dans le contexte des changements globaux (rapides et multi-formes). Des questions simples comme « Faut-il garder les espèces spécialistes ou généralistes ? Faut-il privilégier l’équivalence fonctionnelle ou phylogénétique ? » sont encore largement sans réponses. Indicateurs de résilience des socio-écosystèmes Les indicateurs de résilience des socio-écosystèmes peuvent être de trois types : • Les indicateurs d’état : ils décrivent à un instant t la qualité « adaptative » d’un socio-écosystème. On peut ainsi évaluer la réactivité du système. • Les indicateurs de changement : ils permettent à une communauté de noter les changements environnementaux grâce à des marqueurs endogènes. Un des exemples les plus frappants est le décalage entre les conditions climatiques actuelles et les calendriers saisonniers souvent basés sur la cyclicité du monde naturel (date de floraison des plantes, date et parcours de migration des animaux, etc). En développant ces connaissances, les sociétés sont capables d’opter pour une stratégie préventive. • Les indicateurs de potentiel d’adaptation : ils sont évalués en confrontant l’exposition à un changement, la sensibilité et la capacité d’adaptation du socio-écosystème. Si une société a su développer une forte capacité 3.6 les interactions entre espèces et niveaux trophiques), et aux dynamiques des populations de chaque espèce (survie, reproduction) reste encore largement à déterminer. d’adaptation, elle sera capable d’être en situation de pro-action face à un changement. Elle saura transformer en opportunité certaines perturbations. La multiplication des méthodes d’évaluation des services écosystémiques, qu’ils s’agissent d’évaluations monétaires, biophysiques, socio-culturelles ou encore d’approches multicritères, offre un panel d’indicateurs d’états et de tendances qui mettent en évidence le niveau de dépendance des sociétés humaines vis-à-vis du fonctionnement des écosystèmes ou de certaines de leur composantes. En croisant ces informations avec des prédictions d’évolution de la composition et des fonctionnalités des écosystèmes il est possible de développer des outils d’aide à la décision permettant notamment d’établir des priorités dans les politiques économiques et environnementales et, ce faisant, d’accroître les capacités d’adaptation des sociétés aux changements environnementaux. Indicateurs prenant en compte les interactions Un champ de recherches relativement vierge consisterait à définir des indicateurs du potentiel adaptatif des socioécosystèmes qui intégreraient les interactions entre les différents mécanismes de flexibilité : par exemple des indicateurs de flexibilité phénotypique qui prendraient en compte à la fois les capacités de changements génétiques et la plasticité phénotypique, ou bien des indicateurs de résilience qui prendraient en compte à la fois les changements phénotypique au sein des espèces et les changements d’abondance de celles-ci (assurance écologique et évolutive). On pourrait également développer des indicateurs qui prennent en compte les pratiques et modes de gestion, couplés à la dynamique de l’écosystème. 60 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ 4. INTÉGRER CES SOURCES DE FLEXIBILITÉ DANS LES SCÉNARIOS DE BIODIVERSITÉ 4.1 Utiliser les indicateurs pour orienter les choix de modélisation / scénarisation On peut douter de l’efficacité opérationnelle d’une stratégie de modélisation qui intégrerait toutes les sources et mécanismes de flexibilité, à toutes les échelles, et pour toutes les composantes des socio-écosystèmes dont on souhaite scénariser le devenir. Modéliser c’est simplifier la réalité en incorporant les mécanismes majeurs d’évolution des systèmes et en négligeant ceux qui vont avoir peu d’impact. Les indicateurs du potentiel d’adaptation discutés précédemment peuvent nous aider à faire des choix, à hiérarchiser les mécanismes non pas sur la base d’a priori non nécessairement bien fondés, comme la séparation des échelles de temps écologiques et évolutives, mais sur la base d’informations sur le rôle relatif, la dynamique et les échelles spatiales et temporelles des différents types de réponses. Par exemple, des indicateurs du potentiel d’évolution génétique devraient nous permettre d’identifier quand il est nécessaire d’incorporer ce type de réponse dans les 4.2 scénarios, pour quelles populations et pour quels traits, et quand cela n’est pas nécessaire. De manière assez évidente, la prise en compte de l’évolution de résistances est incontournable dans la scénarisation de la gestion de populations de pathogènes et de vecteurs dont les tailles de population sont énormes. Inversement, prendre en compte les capacités d’évolution de résistance à la sécheresse chez des espèces spécialisées où cette diversité d’adaptation a été perdue ou très réduite n’améliorera pas les prédictions sur le devenir de ces populations. Entre ces deux extrêmes, les indicateurs qualitatifs ou quantitatifs peuvent nous aider à orienter les choix de modélisation, en définissant par exemple des groupes fonctionnels sur la base de l’importance de ces différentes sources de flexibilité, et plus généralement en informant les compromis nécessaires à réaliser entre précision, généralité et réalisme dans la construction de ces scenarios. Défis de modélisation liés au couplage Pour appréhender la flexibilité des agro-écosystèmes face aux changements globaux, il est nécessaire d’intégrer les différentes formes de flexibilité dans des modèles mathématiques. Deux voies peuvent être suivies. La première est de trouver des formalismes simples et génériques qui permettent de rendre compte d’une très grande variété de situations. Ces modèles théoriques (Chevin et al., 2010) permettent une résolution analytique qui nous donne l’ensemble des cas envisageables. Ces modèles rendent compte des points de basculement possibles, mais, par contre, ils ne permettent pas forcément de quantifier explicitement les seuils correspondant à ces points de basculement pour une situation écologique spécifique. Ils doivent donc être complétés par des modèles de simulations qui quantifient les sources de flexibilité pour des situations précises. Ces modèles permettront en plus d’affiner les scénarios dans ces cas écologiques pour lesquels la quantification de l’évolution des services écosytémiques rendus est importante (p. ex. plantes de grandes cultures, forêts, pêches). Il faut arriver à faire dialoguer ces deux types d’approches pour préciser les scénarios de l’évolution de la biodiversité. Un des enjeux est donc de développer chacun de ces types de modélisation. En ce qui concerne la modélisation théorique, la prise en compte de plusieurs sources de flexibilité rend plus difficile la résolution analytique. Les modèles de simulation ont vocation à coupler des modèles de physiologie, de dynamique des populations, de génétique voir d’impact des pathogènes. Pour ces modèles de simulation, nous sommes confrontés à une série de problèmes complexes. D’abord, il faut arriver à coupler des modèles développés séparément. Ceci nécessite parfois un interfaçage entre programmes codés dans différents langages ou le recodage de programmes dans un langage commun. Ensuite, il faut cibler les variables permettant de faire le lien entre les différents modèles (p. ex. la teneur en réserves carbonés des arbres qui pilote la probabilité de mortalité). Enfin, il faut arriver pour des situations précises (p. ex. un cortège d’espèces et un site) à paramétrer et à valider ces modèles complexes. Pour faciliter ce travail de paramétrisation et de validation, il est judicieux de partir de situations bien documentées (p. ex. sites atelier). Cela pose évidemment aussi la question de la parcimonie et du niveau de description requis pour quantifier l’évolution des II - SOuRCES DE FlEXIBIlITÉ : PROSPECTIVES • 61 écosystèmes. L’idée n’est pas de prédire précisément leur évolution, mais plutôt de donner des gammes de variations spatiales ou temporelles de l’environnement (climat, sol) pour lesquelles les capacités de flexibilité permettent la sur- 4.3 vie des populations. Ce travail nécessite aussi la réalisation d’études de sensibilité afin de déterminer quels processus sont à retenir et quels sont ceux que l’on peut négliger. Défis liés aux changements d’échelle Les processus impliqués dans l’adaptation des agro-écosystèmes opèrent à des échelles de temps (c-à-d de la seconde au siècle) et d’espace (c-à-d de la molécule au biome) très variées. Nous avons vu que la compréhension des mécanismes impliqués dans l’adaptation nécessitait parfois d’étudier les processus à fine échelle, notamment en physiologie (en lien avec la biochimie) ou en génétique (en interface avec la biologie moléculaire). La non linéarité des processus ainsi que le dépassement des gammes de variations environnementales actuellement expérimentées (notamment en termes de CO2) rend nécessaire un programme réductionniste au cas par cas (Steel, 2004). Ces études faites sur certains objets écologiques bien connus et importants (p. ex. les moustiques) permettent de bien comprendre toute la chaîne d’expression des phénotypes impliqués dans l’adaptation au changement global. Mais ce programme réductionniste prend le risque de s’éloigner des échelles d’intérêt pour les écologues et la société que sont l’écosystème et la région. Une réflexion sur les changements d’échelles spatiale et temporelle est donc nécessaire. Dans ce contexte quatre défis paraissent majeurs. Premièrement, il faut mener une réflexion sur les hiérarchies d’échelles. Les échelles spatiales supérieures servent de cadre de fonctionnement aux échelles inférieures (p. ex. la photosynthèse d’une feuille dépend de la lumière interceptée qui est fonction des conditions environnementales et des feuilles au dessus d’elles), et les échelles inférieures de base matérielle aux échelles supérieures (p. ex. la photosynthèse a lieu dans le stroma et dans la membrane des chloroplastes). Pour chaque source de flexibilité et chaque phénotype étudié, il faut trouver le bon équilibre dans la description des différentes échelles. Ensuite, si plusieurs échelles emboîtées doivent être prises en compte, il faut trouver les principes ponts permettant de faire le lien entre les lois développés à ces différentes échelles. Deuxièmement, il existe des processus spécifiquement spatiaux comme la dispersion des propagules ou les flux latéraux de matière. Etudier ces processus pose des problèmes et enjeux spécifiques et requiert l’usage d’un outillage statistique particulier. Par exemple, pour la dispersion le passage des échelles locales (noyau de dispersion de graines) à une échelle régionale (p. ex. avancée Mélange des eaux de deux torrents au pied de l’Antisana en Equateur. Ce volcan de la Cordillère des Andes constitue un des plus intéressants sujets d’étude des conséquences du réchauffement climatique en Amérique latine puisqu’on estime que le tiers de son glacier a disparu en l’espace de 30 ans. Olivier Dangles, IRD. 62 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ d’un front de colonisation) demeure un enjeu important. Troisièmement, du fait de la réponse non linéaire de nombreux processus aux variations de l’environnement, tout usage de moyennes biaise potentiellement systématiquement les résultats de simulations (Davi et al., 2006). Il est donc nécessaire lors de changements d’échelle (p. ex. de la parcelle à la région), soit de tester le caractère négligeable de ces biais, soit d’utiliser des paramètres équivalents. Qua- 4.4 trièmement, le changement d’échelle requiert aussi l’usage d’outils spécifiques. En ce qui concerne l’écologie végétale, si la télédétection semble prometteuse pour estimer à de larges échelles la phénologie (Guyon et al., 2011), le niveau de recouvrement du couvert (Turner et al., 1999) ou même la composition biochimique des feuilles (le Maire et al., 2008), l’investigation des variations spatiales du sol et du sous-sol pose encore plus de problèmes. Défis liés à la confrontation aux données (validation) La complexité croissante liée à l’intégration de différents mécanismes de flexibilité dans la réponse des socio-écosystèmes aux changements globaux rend encore plus aigus les défis de recherche liés à la confrontation de ces scénarios de biodiversité aux données. Cette confrontation est nécessaire à la fois pour paramétrer les modèles et aussi pour les valider. En effet, si l’exercice de scénarisation ne consiste pas à prédire un futur mais à comparer des options pour différents futurs, le sens de ces comparaisons dépend de la qualité de nos outils de modélisation. Valider la qualité des prédictions de différents modules séparément et de leur couplage est donc crucial. Dans cette optique, il y a un besoin crucial de renforcer l’acquisition de données, notamment des suivis à long terme, et de disposer de grosses bases de données (notamment en terme d’étendue spatiale). Les données historiques (sur des échelles de temps variées) seront également nécessaires pour valider et paramétrer les scénarios. Il est également nécessaire de poursuivre les efforts de mise en cohérence des systèmes d’observation de la biodiversité, mais aussi de développer des approches expérimentales pour mieux comprendre les processus. Le développement d’approches comparatives (notamment fondées sur des analyses phylogénétiques) est également prometteur pour à la fois informer et tester les scénarios de biodiversité. CONCluSION • 63 CONCLUSION D ans un contexte marqué par l’accélération du changement global, la question de l’adaptation des espèces, des écosystèmes et des modes d’interaction des sociétés humaines avec la biodiversité a pris une importance croissante dans les politiques environnementales, ainsi que dans les négociations internationales dans le champ de l’environnement. La prise en compte de cet enjeu engendre d’importants besoins de mobilisation des connaissances et rend nécessaire un effort de recherche accru dans ce domaine, pour combler les lacunes de connaissance. L’état des lieux, comme la partie prospective de ce rapport, mettent en lumière des besoins de recherche fondamentale pour comprendre les processus et les interactions multiples impliquées dans les réponses des organismes, des écosystèmes et des socio-écosystèmes au changement global. Ils soulignent aussi la nécessité de recherches plus en « aval » sur le potentiel d’adaptation (au sens positif du terme) des différents niveaux de biodiversité et sur les façons de le favoriser tant pour faciliter les processus évolutifs dans leur ensemble que pour assurer le bien-être humain en lien avec celle-ci. Le document illustre que ces mécanismes d’adaptation, ou plus généralement de flexibilité, des socio-écosystèmes sont multiples et interagissent les uns avec les autres ; ce document montre également que ces mécanismes ont leurs limites. Le rôle que joueront ces mécanismes de flexibilité dans les réponses de la biodiversité aux changements globaux dans le futur reste donc une inconnue critique pour notre capacité à anticiper ces changements. Les réflexions conduites, et les exemples mobilisés, illustrent bien que toutes les réponses spontanées ne sont pas adaptatives (c’est-à-dire qu’elles ne vont pas nécessairement dans le sens d’une résolution du problème posé par le changement, en terme de survie des éléments de la biodi- versité concernés). On pourrait ajouter que toutes les adaptations qui réussissent à résoudre un problème causé par le changement global ne sont pas nécessairement un progrès du point de vue de la préservation de la biodiversité : des robots pollinisateurs ne sauraient remplacer les abeilles, ni les poissons d’élevage leurs homologues sauvages. On pourrait multiplier les exemples. Il s’agit donc bien de connaître et de mesurer le potentiel d’adaptation, pour mieux anticiper les états futurs de la biodiversité, mais aussi pour être en mesure de mieux favoriser ce potentiel. La connaissance des réponses spontanées du monde vivant et des sociétés humaines doit interagir étroitement avec les réflexions sur les stratégies et les modes d’action à mettre en place. L’accroissement des connaissances doit en outre contribuer à réduire (autant que possible) et à mieux gérer l’incertitude sur les risques associés au changement global. Si les réponses à apporter aux changements subis par biodiversité représentent un défi majeur, les acteurs de la biodiversité s’intéressent de plus en plus à la façon dont les écosystèmes eux-mêmes, de par leur aptitude à répondre au changement global peuvent être mobilisés pour renforcer les capacités d’adaptation des sociétés, notamment face au changement climatique, à travers des approches telles que « ecosystem-based adaptation » (mise en avant par différentes organisations d’envergure internationale), ou plus récemment les « solutions fondées sur la nature », notion mise en avant par l’UICN et qui commence à interroger les cercles politiques et scientifiques. Ces approches pourront sans doute apporter une contribution positive à l’équilibre futur des relations homme-nature, à condition qu’elles se donnent pour objectif de rétablir le potentiel adaptatif et évolutif des systèmes naturels, en s’appuyant sur les réponses adaptatives de la biodiversité pour relever les défis posés par le changement global. 64 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ BIBLIOGRAPHIE A ckerman J.D., Roubik D.W. (2012) Can extinction risk help explain plant-pollinator specificity among euglossine bee pollinated plants? Oikos, 12, 1821–1827. Adger W.N. (2006) Vulnerability. Global Environmental Change, 16, 268–281. Agashe D., Falk J.J., Bolnick D.I. (2011) Effects of founding genetic variation on adaptation to a novel resource. Evolution, 65, 2481–2491. Aigner P.A. (2001) Optimality modeling and fitness tradeoffs: when should plants become pollinator specialists? Oikos, 95, 177–184. Aubret F., Shine R. (2010) Thermal plasticity in young snakes : how will climate change affect the thermoregulatory tactics of ectotherms ? Journal of Experimental Biology, 213, 242-248. Auger-Rozenberg M.A., Barbaro L., Battisti A., Blache S., Charbonnier Y., Denux O., Garcia J., Goussard F., Imbert C.E., Kerdelhué C., Roques A., Torres-Leguizamon M., Vetillard F. (2015) Ecological responses of parasitoids, predators and associated insect communities to the climate-driven expansion of pine processionary moth. In A. Roques (Ed.), Processionary Moths and Climate Change: An Update. (pp. 311–358). Springer/ Quae. B adjeck Mc, Allison E., Halls A., Dulvy N. (2010) Impacts of climate variability and change on fishery-based livelihoods. Marine Policy, 34, 375–383. Barbet-Massin M., Thuiller W., Jiguet F. (2012) The fate of European breeding birds under climate, land-use and dispersal scenarios. Global Change Biology, 18, 881–890. Barnagaud V., Jiguet F., Barbet-Massin, M., Le Viol, I., Archaux, F., J.-Y. D. (2012) Relating habitat and climatic niches in birds. PLoS ONE, 7(3). Barnosky A.D., Matzke N., Tomiya S., Wogan G.O.U., Swartz B., Quental T.B., Marshall C., McGuire J.L., Lindsey E.L., Maguire K.C., Ben Mersey B., Ferrer E.A. (2011) Has the Earth’s sixth mass extinction already arrived? Nature, 471, 51–57. Bartomeus I., Vilà M., Santamaría L. (2008a) Contrasting effects of invasive plants in plant-pollinator networks. Oecologia, 155, 761–770. Bartomeus I., Vilà M., Santamaría L. (2008b) Contrasting effects of invasive plants in plant-pollinator networks. Oecologia, 155, 761–770. Bascompte J. (2009) Disentangling the web of life. Science, 325, 416–419. Bascompte J., Jordano P., Melián C.J., Olesen J.M. (2003) The nested assembly of plant-animal mutualistic networks. Proceedings of the National Academy of Sciences, 100, 9383–9387. Bastolla U., Fortuna M. A., Pascual-García A., Ferrera A., Luque B., Bascompte J. (2009) The architecture of mutualistic networks minimizes competition and increases biodiversity. Nature, 458, 1018–1020. Battisti A., Avcı M., Avtzis D.N., Ben Jamaa M.L., Al. E. (2015) Natural History of the Processionary Moths (Thaumetopoea spp.): New Insights in Relation to Climate Change. In A. Roques (Ed.), Processionary Moths and Climate Change: An Update. (pp. 15–18). Springer/ Quae. Battisti A., Stastny M., Netherer S., Robinet C., Schopf A., Roques A., Larsson S. (2005) Expansion of geographic range in the pine processionary moth caused by increased winter temperatures. Ecological Applications, 15, 2084–2096. Bell G., Gonzalez A. (2009) Evolutionary rescue can prevent extinction following environmental change. Ecology Letters, 12, 942–948. Benadi G., Blüthgen N., Hovestadt T., Poethke H.J. (2012) Population Dynamics of Plant and Pollinator Communities: Stability Reconsidered. The American Naturalist, 179, 157-158. Benot M.L., Saccone P., Pautrat E., Vicente R., Colace M. P., Grigulis K., Clement JC, Lavorel S. (2014) Stronger ShortTerm Effects of Mowing Than Extreme Summer Weather on a Subalpine Grassland. Ecosystems, 17, 458–472. Bersaglieri T., Sabeti P.C., Patterson N., Vanderploeg T., Schaffner S. F., Drake J.A., Rhodes M., Reich D.E., Hirschhorn J. N. (2004) Genetic signatures of strong recent positive selection at the lactase gene. American Journal of Human Genetics, 74, 1111–1120. Biesmeijer J.C., Roberts S.P.M., Reemer M., Ohlemüller R., Edwards M., Peeters T., Schaffers A.P., Potts S.G., Kleukers R., Thomas C.D., Settele J., Kunin W.E. (2006) Parallel declines in pollinators and insect-pollinated plants in Britain and the Netherlands. Science, 313, 351–354. Bongers F., Poorter L., Hawthorne W.D., Sheil D. (2009) The intermediate disturbance hypothesis applies to tropical forests, but disturbance contributes little to tree diversity. Ecology Letters, 12, 798–805. Bonnemaison J. (1996) Gens de pirogue et gens de la terre. Paris: ORSTOM. Bourgault P., Thomas D., Perret P., Blondel J. (2010) Spring vegetation phenology is a robust predictor of breeding date across broad landscapes: A multi-site approach using the Corsican blue tit (Cyanistes caeruleus). Oecologia, 162, 885–892. Bowlby J. (1969) Continuité et discontinuité ; vulnérabilité et résilience. Devenir, 4, 7–31. Bradshaw A.D. (2006) Unravelling phenotypic plasticity Why should we bother? New Phytologist, 170, 644-648. BIBlIOGRaPHIE • 65 Brookfield H. (2001) Exploring agrodiversity. New York: Columbia University Press. understanding and quantification of uncertainty. Ecology Letters, 15, 533–544. Brookfield H., Padoch C. (1994) Appreciating agrodiversity: A look at the dynamism and diversity of indigenous farming practices. Environement, 36, 271–289. Cheung W.W.L., Lam V.W.Y., Sarmiento J. L., Kearney K., Watson R., Zeller D., Pauly D. (2010) Large-scale redistribution of maximum fisheries catch potential in the global ocean under climate change. Global Change Biology, 16, 24–35. Byé P., Muchnik J. (1995) Innovations et sociétés. Quelles agricultures ? Quelles innovations ? I- Dynamisme temporel de l’innovation (Actes du XIVème séminaire d’économie rurale, CIRAD-INRA-Orstom, 13-16 sept. 1993). Montpellier: CIRAD. C adotte M.W., Carscadden K., Mirotchnick N. (2011) Beyond species: Functional diversity and the maintenance of ecological processes and services. Journal of Applied Ecology, 48, 1079-1087. Cameron S.A., Lozier J.D., Strange J. P., Koch J.B., Cordes N., Solter L.F., Griswold T.L. (2011) Patterns of widespread decline in North American bumble bees. Proceedings of the National Academy of Sciences, 108, 662–667. Cantoni C., Lallau B. (2010) La résilience des Turkana. Une communauté de pasteurs kenyans à l’épreuve des incertitudes climatiques et politiques. Développement Durable et Territoire, 1. Chalcoff V.R., Aizen M.A., Ezcurra C. (2012) Erosion of a pollination mutualism along an environmental gradient in a south Andean treelet, Embothrium coccineum (Proteaceae). Oikos, 121, 471–480. Chan Y.F., Marks, M.E., Jones F.C., Villarreal G., Shapiro M.D., Brady S.D., Southwick A.M., Absher D.M., Grimwood J., Schmutz J., Myers R.M., Petrov D., Jónsson B., Schluter D., Bell M.A., Kingsley D.M. (2010) Adaptive evolution of pelvic reduction in sticklebacks by recurrent deletion of a Pitx1 enhancer. Science, 327, 302–305. Charmantier A., Gienapp P. (2014) Climate change and timing of avian breeding and migration: Evolutionary versus plastic changes. Evolutionary Applications, 7, 15–28. Charmantier A., McCleery R.H., Cole, L.R., Perrins C., Kruuk L.E.B., Sheldon B.C. (2008) Adaptive phenotypic plasticity in response to climate change in a wild bird population. Science, 320, 800–803. Chevin L.M., Lande R. (2010) When do adaptive plasticity and genetic evolution prevent extinction of a densityregulated population? Evolution, 64, 1143–1150. Chevin L.M., Lande R., Mace G.M. (2010) Adaptation, plasticity, and extinction in a changing environment: Towards a predictive theory. PLoS Biology, 8(4). Chuine I., Beaubien E. G. (2001) Phenology is a major determinant of tree species range. Ecology Letters, 4, 500– 510. Clavel J., Julliard R., Devictor V. (2010) Worldwide decline of specialist species: Toward a global functional homogenization? Frontiers in Ecology and the Environment, 9, 222-228. Coleman J.S., McConnaughay K.D.M., Ackerly D.D. (1994) Interpreting phenotypic variation in plants. Trends in Ecology and Evolution, 9, 187–191. Cormier-Salem M.C. (1992) Gestion et évolution des espaces aquatiques : la Casamance. Paris, Orstom, coll. Études et Thèses. Cormier-Salem M.C. (1994) Environmental changes, agricultural crisis and small scale fishing development in the Casamance region, Senegal. Ocean & Coastal Management, 24, 109–124. Cormier-Salem M.C. (1999) Innovation et relations sociétés-environnement. In J.P. Chauveau, M.C. CormierSalem, E. Mollard (Eds.), L’innovation en agriculture. Questions de méthode et terrains d’observation (pp. 127–168). Paris: IRD, coll. A travers Champs. Cormier-Salem M.C. (Ed.) (1999) Rivières du Sud. Sociétés et mangroves ouest-africaines. Paris, IRD, vol. I. Chase J. M., Leibold M., (2003) Ecological Niches: Linking Classical and Contemporary Approaches, University of Chicago Press, Chicago. Cormier-Salem, M.C. (1991) Logiques de développement en Afrique : les experts à l’école paysanne. Ecodecision (Revue Environnement et Politiques/ Environment and Policy Magazine), 2, 78–91. Chauveau J.-P., Yung J.-M. (Eds.) (1995) Innovations et sociétés. Quelles agricultures ? Quelles innovations ? II- Les diversités de l’innovation. XIVème séminaire d’économie rurale, CIRAD-INRA-Orstom, 13-16 sept. 1993 (Vol. I). Montpellier: CIRAD-INRA-Orstom. Cornwell W.K., Ackerly D.D. (2009) Community assembly and shifts in plant trait distributions across an environmental gradient in coastal California. Ecological Monographs, 79, 109–126. Chauveau J.-P., Cormier-Salem M-C., Mollard E. (Eds.). (1999) L’ innovation en agriculture. Questions de méthodes et terrains d’observation. coll. A travers champs. Paris: IRD. Cheaib A., Badeau V., Boe J., Chuine I., Delire C., Dufrêne E., François C., Gritti E.S., Legay M., Pagé C., Thuiller W., Viovy N., Leadley P. (2012) Climate change impacts on tree ranges: Model intercomparison facilitates Crispo E., Dibattista J.D., Correa C.C., Thibert-Plante X., McKellar A.E., Schwartz A.K., Berner D., De León L. F. (2010) The evolution of phenotypic plasticity in response to anthropogenic disturbance. Evolutionary Ecology Research, 12, 47–66. Cury P., Roy C. (1991) Pêcheries ouest-africaines. Variabilité, instabilité et changement. Paris: ORSTOM. 66 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ Cutter S.L., Boruff B.J., Shirley W.L. (2003) Social vulnerability to environmental hazards. Social Science Quarterly, 84, 242–261. D auphiné A. (2001) Risques et catastrophes observer, spatialiser, comprendre, gérer. Collection U. Géographie. Dobremez, L., Nettier, B., Legeard, J.-P., Caraguel, B., Garde, L., Vieux, S., Lavorel S., Della-Vedova M. (2014). Les alpages sentinelles : un dispositif original pour une nouvelle forme de gouvernance partagée face aux enjeux climatiques. Revue de Géographie Alpine / Journal of Alpine Research, 2, 10 pp. Davey C.M., Chamberlain D.E., Newson S.E., Noble D.G., Johnston A. (2012) Rise of the generalists: Evidence for climate driven homogenization in avian communities. Global Ecology and Biogeography, 21, 568–578. Dormann C.F., Schymanski S.J., Cabral J., Chuine I., Graham C., Hartig F., Kearney M., Morin X., Römermann C., Schröder B., Singer A. (2012) Correlation and process in species distribution models: Bridging a dichotomy. Journal of Biogeography, 39, 2119–2131. Davi H., Bouriaud O., Dufrêne E., Soudani K., Pontailler J.Y., le Maire G., François C., Brédac N., Granierc A., le Dantec V. (2006) Effect of aggregating spatial parameters on modelling forest carbon and water f luxes. Agricultural and Forest Meteorology, 139, 269–287. Doxa A., Paracchini M.L., Pointereau P., Devictor V., Jiguet F. (2012) Preventing biotic homogenization of farmland bird communities: The role of High Nature Value farmland. Agriculture, Ecosystems and Environment, 148, 83–88. De Mazancourt C., Johnson E., Barraclough T.G. (2008) Biodiversity inhibits species’ evolutionary responses to changing environments. Ecology Letters, 11, 380–388. Duputié A., Rutschmann A., Ronce O., Chuine I. (2015) Phenological plasticity will not help all species adapt to climate change. Global Change Biology, 21, 3062–3073. De Perthuis C., Hallegatte S., Lecocq F. (2010) L’économie de l’adaptation au changement climatique - Rapport pour le Conseil Economique pour le Développement Durable (CEDD). E Devaux C., Lande R. (2009) Displacement of f lowering phenologies among plant species by competition for generalist pollinators. Journal of Evolutionary Biology, 22, 1460–1470. Devictor V., van Swaay C., Brereton T., Brotons L., Chamberlain D., Heliölä J., Herrando S., Julliard R., Kuussaari M., Lindström Å., Reif J., Roy D.B., Schweiger O., Settele J., Stefanescu C., Van Strien A., Van Turnhout C., Vermouzek Z., Wa V. (2012) Differences in the climatic debts of birds and butterf lies at a continental scale. Nature Climate Change, 2, 121–124. Devictor V., Julliard R., Couvet D., Lee A., Jiguet F. (2007) Functional homogenization effect of urbanization on bird communities. Conservation Biology, 21, 741–751. Devictor V., Julliard R., Jiguet F. (2008) Distribution of specialist and generalist species along spatial gradients of habitat disturbance and fragmentation. Oikos, 117, 507–514. Devictor V., Mouillot D., Meynard C., Jiguet F., Thuiller W., Mouquet N. (2010) Spatial mismatch and congruence between taxonomic, phylogenetic and functional diversity: The need for integrative conservation strategies in a changing world. Ecology Letters, 13, 1030-1040. DeWitt T. J., Sih A., Wilson D.S. (1998) Costs and limits of phenotypic plasticity. Trends in Ecology and Evolution, 13, 77-81. DeWitt T., Scheiner S. (Eds.)(2004) Phenotypic Plasticity, Functional and Conceptual Approaches. Phenotypic plasticity: Functional and conceptual Approaches. Oxford University Press. Djogbénou L., Chandre F., Berthomieu A., Dabiré R., Koffi A., Alout H., Weill M. (2008) Evidence of introgression of the ace-1R mutation and of the ace-1 duplication in West African Anopheles gambiae s. s. PLoS ONE, 3(5). njalbert J., Dawson J.C., Paillard S., Rhoné B., Rousselle Y., Thomas M., Goldringer I. (2011) Dynamic management of crop diversity: From an experimental approach to on-farm conservation. Comptes Rendus – Biologies, 334, 458-468. Etterson J. R., Shaw R.G. (2001) Constraint to adaptive evolution in response to global warming. Science, 294, 151–154. F enster C.B., Armbruster W.S., Wilson P., Dudash M.R., Thomson J.D. (2004) Pollination syndromes and floral specialization. Annual Review of Ecology, Evolution, and Systematics, 35, 375-403. Fontaine C., Collin C.L., Dajoz I. (2008) Generalist foraging of pollinators: Diet expansion at high density. Journal of Ecology, 96, 1002–1010. Fontaine C., Guimarães P.R., Kéfi S., Loeuille N., Memmott J., Van Der Putten W.H., van Veen F.J.F., Thébault E. (2011). The ecological and evolutionary implications of merging different types of networks. Ecology Letters, 14, 1170-1181. Franks S.J., Sim S., Weis A.E. (2007). Rapid evolution of flowering time by an annual plant in response to a climate fluctuation. Proceedings of the National Academy of Sciences, 104, 1278–1282. Futuyma D.J., Moreno G. (1988) The Evolution of Ecological Specialization. Annual Review of Ecology and Systematics, 19, 207-233. G allopín G.C. (2006) Linkages between vulnerability, resilience, and adaptive capacity. Global Environmental Change, 16, 293–303. Ghalambor C.K., McKay J.K., Carroll S.P., Reznick D.N. (2007) Adaptive versus non-adaptive phenotypic plasticity and the potential for contemporary adaptation in new environments. Functional Ecology, 21, 394–407. BIBlIOGRaPHIE • 67 Gienapp P., Lof M., Reed T.E., McNamara J., Verhulst S.,Visser M.E. (2013) Predicting demographically sustainable rates of adaptation: can great tit breeding time keep pace with climate change? Philosophical Transactions of the Royal Society of London. Series B: Biological Sciences, 368, 20120289. Hobbs R.J., Higgs E., Harris J.A. (2009) Novel ecosystems: implications for conservation and restoration. Trends in Ecology and Evolution, 24, 599–605. Gienapp P., Teplitsky C., Alho J.S., Mills J.A., Merilä J. (2008) Climate change and evolution: Disentangling environmental and genetic responses. Molecular Ecology, 17, 167-178. Hopkins R. (2008) The Transition Handbook : From Oil Dependency to Local Resilience. Green Publishing. Gillon Y., Chaboud C., Boutrais J., Mullon, C. (2000) Du bon usage des ressources renouvelables. Paris: IRD, coll. Latitudes 23. Godelier M. (1978) La part idéelle du réel. Essai sur l’idéologie. L’Homme, 18, 155–188. Goldringer I., Prouin C., Rousset M., Galic N., Bonnin I. (2006) Rapid differentiation of experimental populations of wheat for heading time in response to local climatic conditions. Annals of Botany, 98, 805–817. Gomulkiewicz R., Houle D. (2009) Demographic and genetic constraints on evolution. The American Naturalist, 174, E218–E229. Gonin P., Lassailly-Jacob V. (2002) Les réfugiés de l’environnement. Une nouvelle catégorie de migrants forcés? Revue Européenne Des Migrations Internationales, 18, 139–160. Graham C.H., Fine P.V.A. (2008) Phylogenetic beta diversity: Linking ecological and evolutionary processes across space in time. Ecology Letters, 11, 1265-1277. Gritti E.S., Duputié A., Massol F., Chuine I. (2013) Estimating consensus and associated uncertainty between inherently different species distribution models. Methods in Ecology and Evolution, 4, 442–452. Guyon D., Guillot M., Vitasse Y., Cardot H., Hagolle O., Delzon S., Wigneron J.P. (2011) Monitoring elevation variations in leaf phenology of deciduous broadleaf forests from SPOT/VEGETATION time-series. Remote Sensing of Environment, 115, 615–627. H egland S.J., Nielsen A., Lázaro A., Bjerknes A.L., Totland, Ø. (2009) How does climate warming affect plant-pollinator interactions? Ecology Letters, 12, 184-195. Helmuth B., Kingsolver J.G., Carrington E. (2005) Biophysics, physiological ecology, and climate change: does mechanism matter? Annual Review of Physiology, 67, 177–201. Henry J. P., Pontis C., David J., Gouyon P.H. (1991) An experiment on dynamic conservation of genetic resources with metapopulations. In A. Seitz & V. Loeschcke (Eds.), Species conservation: a population-biological approach (pp. 185–198). Herrera C.M. (1988). Variation in mutualisms - the spatiotemporal mosaic of a pollinator asemblage. Biological Journal of the Linnean Society, 35, 95-125. Holling C.S. (1973) Resilience and Stability of Ecological Systems. Annual Review of Ecology and Systematics, 4, 1-23. Houle D. (1992) Comparing evolvability and variability of quantitative traits. Genetics, 130, 195-204. Huey R., Hertz P. (1984) Is a Jack-of-all-temperatures a master of none? Evolution, 38, 441–444. Hugonie G., Sainero M., Geiger S. (2006) Clés pour l’enseignement de la géographie. Paris: ScérenCRDP Versailles, coll. «Aide à la mise en œuvre des programmes». Hüppop O., Hüppop K. (2003) North Atlantic Oscillation and timing of spring migration in birds. Proceedings of the Royal Society of London Series B, Biological Sciences, 270, 233–240. Husby A., Nussey D.H., Visser M.E., Wilson A.J., Sheldon B.C., Kruuk L.E.B. (2010) Contrasting patterns of phenotypic plasticity in reproductive traits in two great tit (Parus major) populations. Evolution, 64, 2221–2237. I mbert C.E., Goussard F., Roques A. (2012) Is the expansion of the pine processionary moth, due to global warming, impacting the endangered Spanish moon moth through an induced change in food quality? Integrative Zoology, 7, 147–157. Ings T. C., Montoya J. M., Bascompte J., Blüthgen N., Brown L., Dormann C.F., Edwards F., Figueroa D., Jacob U., Iwan Jones J., Lauridsen R.B., Ledger M.E., Lewis H.M., Olesen J.M., Frank Van Veen F.J., Warren P.H., Woodward, G. (2009) Ecological networks--beyond food webs. The Journal of Animal Ecology, 78, 253–269. J iguet F., Devictor V., Julliard R., Couvet D. (2012) French citizens monitoring ordinary birds provide tools for conservation and ecological sciences. Acta Oecologica, 44, 58–66. Jones K.E., Bielby J., Cardillo M., Fritz S.A., O’Dell J., Orme C.D.L., Safi K., Sechrest W., Boakes E.H., Carbone C., Connolly C., Cutts M.J., Foster J.K., Grenyer R., Habib M. Plaster C.A., Price S.A., Rigby E.A., Rist J., Teacher A., Bininda-Emonds O.R.P, Gittleman J.L., Mace G.M., Purvis A. (2009) PanTHERIA: a species-level database of life history, ecology, and geography of extant and recently extinct mammals. Ecology, 90, 2648. Jump A.S., Peñuelas J. (2005) Running to stand still: Adaptation and the response of plants to rapid climate change. Ecology Letters, 8, 1010–1020. Jung V., Albert C.H., Violle C., Kunstler G., Loucougaray G., Spiegelberger T. (2014) Intraspecific trait variability mediates the response of subalpine grassland communities to extreme drought events. Journal of Ecology, 102, 45–53. 68 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ K ampichler C., van Turnhout C.A.M., Devictor V., van der Jeugd H.P. (2012) Large-scale changes in community composition: Determining land use and climate change signals. PLoS ONE, 7(4). (2014) Natural Variation in Abiotic Stress Responsive Gene Expression and Local Adaptation to Climate in Arabidopsis thaliana. Molecular Biology and Evolution, 31, 2283–2296. Kattge J., Díaz S., Lavorel S., et al. (2011) TRY - a global database of plant traits. Global Change Biology, 17, 2905– 2935. Lavorel S. (2013) Plant functional effects on ecosystem services. Journal of Ecology, 101, 4–8. Kearney M., Porter W. (2009) Mechanistic niche modelling: Combining physiological and spatial data to predict species’ ranges. Ecology Letters, 12, 334–350. Kellermann V., van Heerwaarden B., Sgrò C.M., Hoffmann A.A. (2009) Fundamental evolutionary limits in ecological traits drive Drosophila species distributions. Science, 325, 1244–1246. Kerdelhué C., Battisti A., Burban C., Branco M., Al. E. (2015) Genetic diversity and structure at different spatial scales in the processionary moths. In A. Roques (Ed.), Processionary Moths and Climate Change: An Update. (pp. 163–226). Springer/ Quae. Kiester A.R., Lande R., Schemske D.W. (1984) Models of coevolution and speciation in plants and their pollinators. American Naturalist, 124, 220–243. Kirkpatrick M. (2009) Patterns of quantitative genetic variation in multiple dimensions. Genetica, 136, 271–284. Kokko H., López-Sepulcre A. (2007) The ecogenetic link between demography and evolution: Can we bridge the gap between theory and data? Ecology Letters, 10, 773-782. Kremer A., Ronce O., Robledo-Arnuncio J.J., Guillaume F., Bohrer G., Nathan, R., Bridle J.R., Richard Gomulkiewicz R., Klein E.K., Ritland K., Kuparinen A., Schueler S. (2012) Long-distance gene flow and adaptation of forest trees to rapid climate change. Ecology Letters, 15, 378-392. Kuparinen A., Katul G., Nathan R., Schurr F.M. (2009) Increases in air temperature can promote wind-driven dispersal and spread of plants. Proceedings Royal Society of London, Series B: Biological Sciences, 276, 3081–3087. L abbé P., Berthomieu A., Berticat C., Alout H., Raymond M., Lenormand T., Weill M. (2007) Independent duplications of the acetylcholinesterase gene conferring insecticide resistance in the mosquito Culex pipiens. Molecular Biology and Evolution, 24, 1056– 1067. Labbé P., Sidos N., Raymond M., Lenormand T. (2009) Resistance gene replacement in the mosquito Culex pipiens: Fitness estimation from long-term cline series. Genetics, 182, 303–312. Lamarque P., Meyfroidt P., Nettier B., Lavorel S. (2014) How ecosystem services knowledge and values inf luence farmers’ decision-making. PLoS ONE, 9(9) Le Maire G., François, C., Soudani K., Berveiller D., Pontailler J. Y., Bréda N., Genet H., Davi H., Dufrêne E. (2008) Calibration and validation of hyperspectral indices for the estimation of broadleaved forest leaf chlorophyll content, leaf mass per area, leaf area index and leaf canopy biomass. Remote Sensing of Environment, 112, 3846–3864. Le Rouzic A., Carlborg O. (2008) Evolutionary potential of hidden genetic variation. Trends in Ecology and Evolution, 23, 33-37. Le Viol I., Jiguet F., Brotons L., Herrando S., Lindstrom A., Pearce-Higgins J. W., Reif J., van Turnhout C., Devictor V. (2012) More and more generalists: two decades of changes in the European avifauna. Biology Letters, 8, 780-782. Leibold M. A., Holyoak M., Mouquet N., Amarasekare P., Chase J. M., Hoopes M.F., Holt R.D., Shurin J.B., Law R., Tilman D., Loreau M., Gonzalez, A. (2004) The metacommunity concept: A framework for multi-scale community ecology. Ecology Letters, 7, 601-613. Lenormand T., Bourguet D., Guillemaud T., Raymond M. (1999) Tracking the evolution of insecticide resistance in the mosquito Culex pipiens. Nature, 400, 861–864. Lloyd P., Plagányi É.E., Weeks, S. J., Magno-Canto, M., Plagányi G. (2012) Ocean warming alters species abundance patterns and increases species diversity in an African sub-tropical reef-fish community. Fisheries Oceanography, 21, 78–94. M cGill B.J., Enquist B.J., Weiher E. Westoby M. (2006) Rebuilding community ecology from functional traits, Trends in Ecology & Evolution, 21, 178-185. MacNeil M.A., Graham N.A.J., Cinner J.E., Dulvy N.K., Loring P. A., Jennings, S., Polunin N.V.C., Fisk A.T., McClanahan T. R. (2010) Transitional states in marine fisheries: adapting to predicted global change. Philosophical Transactions of the Royal Society of London. Series B: Biological Sciences, 365, 3753–3763. Mazer S.J., Schick C.T. (1991) Constancy of population parameters for life history and floral traits in Raphanus sativus L. I. Norms of reaction and the nature of genotype by environment interactions. Heredity, 67, 143-156. Merilä J., Hendry A.P. (2014) Climate change, adaptation, and phenotypic plasticity: The problem and the evidence. Evolutionary Applications, 7, 1-14. Lande R., Arnold S.J.J. (1983) The measurement of selection on correlated characters. Evolution, 37, 1210–1226. Meyre D., Delplanque J., Chèvre J.C., et al. (2009) Genome-wide association study for early-onset and morbid adult obesity identifies three new risk loci in European populations. Nature Genetics, 41, 157–159. Lasky J.R., Des Marais D.L., Lowry D.B., Povolotskaya I., McKay J.K., Richards J.H., Keitt T.H., Juenger T.E. Midgley G.F., Hughes G.O., Thuiller W., Rebelo A.G. (2006) Migration rate limitations on climate change- BIBlIOGRaPHIE • 69 induced range shifts in Cape Proteaceae. Diversity and Distributions, 12, 555–562. population. Science, 310, 304–306. Milleville P. (2007) Une agronomie à l’oeuvre. Pratiques paysanes dans les campagnes du Sud. Paris: ArgumentsQuae. O Mimura M., Aitken S.N. (2007) Adaptive gradients and isolation-by-distance with postglacial migration in Picea sitchensis. Heredity, 99, 224–232. Ostrom E. (2010) Beyond markets and states: Polycentric governance of complex economic systems. American Economic Review, 100, 641–672. Moneo I., Battisti A., Dufour B., Garcia-Ortiz J. C., González-Muñoz M., Moutou F., Paolucci P., Petrucco Toffolo E., Rivière J., Rodriguez-Mahillo A.I., Roques A., Roques L., Maria Vega J., Vega J. (2015) Medical and veterinary impact of the urticating processionary larvae. In A. Roques (Ed.), Processionary Moths and Climate Change: An Update. (pp. 359–410). Springer/ Quae. Osty P. L. (1978) L’exploitation agricole vue comme un système. Diffusion de l’innovation et contribution au développement. Bulletin Technique d’Information, 326, 43–49. Montoya J.M., Pimm S.L., Solé R.V. (2006) Ecological networks and their fragility. Nature, 442, 259–264. Morin X., Thuiller W. (2009) Comparing niche- and process-based models to reduce prediction uncertainty in species range shifts under climate change. Ecology, 90, 1301–1313. Morin X., Viner D., Chuine I. (2008) Tree species range shifts at a continental scale: New predictive insights from a process-based model. Journal of Ecology, 96, 784–794. Mouquet N., Devictor V., Meynard C.N., Munoz F., Bersier L.F., Chave J., Couteron P., Dalecky A., Fontaine C., Gravel D., Hardy O.J., Jabot F., Lavergne S., Leibold M., Mouillot D., Münkemüller T., Pavoine S., Prinzing A., Rodrigues A.S.L., RuRohr R.P., Thébault E., Thuiller W. (2012) Ecophylogenetics: Advances and perspectives. Biological Reviews, 87, 769–785. Munday P.L., Jones G.P., Pratchett M.S., Williams A. J. (2008) Climate change and the future for coral reef fishes. Fish and Fisheries, 9, 261-285. N aeem S., Duffy J.E., Zavaleta E. (2012) The Functions of Biological Diversity in an Age of Extinction. Science, 336, 1401-1406. Nathan R., Horvitz N., He Y., Kuparinen A., Schurr F.M., Katul G.G. (2011) Spread of North American winddispersed trees in future environments. Ecology Letters, 14, 211-219. Nettier B., Dobremez L., Lamarque P., Eveilleau C., Quétier F., Véron F., Lavorel S. (2012) How would Farmers in the French Alps Adapt their Systems to Different Drought and Socio-economic Context Scenarios? In 10th European IFSA Symposium. Aarhus, Denmark. http://www. ifsa2012.dk/downloads/WS2013_2011/Baptiste_Nettier.pdf Nicotra A.B., Atkin O.K., Bonser S.P., Davidson A.M., Finnegan E.J., Mathesius U., Poot P., Purugganan M.D., Richards C.L., Valladares F., van Kleunen, M. (2010) Plant phenotypic plasticity in a changing climate. Trends in Plant Science, 15, 684-692. Nussey D.H., Postma E., Gienapp P., Visser M.E. (2005) Selection on heritable phenotypic plasticity in a wild bird reskes N., Conway E.M. (2011) Merchants of Doubt: How a Handful of Scientists Obscured the Truth on Issues from Tobacco Smoke to Global Warming Reprint edition. New York: Bloomsbury Press. P aillard S., Goldringer I., Enjalbert J., Doussinault G., De Vallavieille-Pope C., Brabant P. (2000) Evolution of resistance against powdery mildew in winter wheat populations conducted under dynamic management. I - Is specific seedling resistance selected? Theoretical and Applied Genetics, 101, 449–456. Paillard S., Goldringer I., Enjalbert J., Trottet M., David J., De Vallavieille-Pope C., Brabant P. (2000) Evolution of resistance against powdery mildew in winter wheat populations conducted under dynamic management. II Adult plant resistance. Theoretical and Applied Genetics, 101, 457–462. Pakeman R.J. (2011) Functional diversity indices reveal the impacts of land use intensification on plant community assembly. Journal of Ecology, 99, 1143–1151. Parmesan C. (2006) Ecological and Evolutionary Responses to Recent Climate Change. Annual Review of Ecology, Evolution, and Systematics, 37, 637-669. Pélissier P. (1967) Une civilisation ouest-africaine: Les Diola de la Basse-Casamance. Acta Geographica, 67, 3–6. Petanidou T., Kallimanis A.S., Tzanopoulos J., Sgardelis S.P., Pantis J.D. (2008) Long-term observation of a pollination network: Fluctuation in species and interactions, relative invariance of network structure and implications for estimates of specialization. Ecology Letters, 11, 564–575. Petrucco Toffolo E., Zovi D., Perin C., Paolucci P., Roques A., Battisti A., Horvath H. (2014) Size and dispersion of urticating setae in three species of processionary moths. Integrative Zoology, 9, 320–327. Pigliucci M., Murren C.J., Schlichting C.D. (2006) Phenotypic plasticity and evolution by genetic assimilation. The Journal of Experimental Biology, 209, 2362–2367. Pimm S. L. (1984) The complexity and stability of ecosystems. Nature, 307, 321–326. Potts S.G., Biesmeijer J.C., Kremen C., Neumann P., Schweiger O., Kunin W.E. (2010) Global pollinator declines: Trends, impacts and drivers. Trends in Ecology and Evolution, 25, 345-353. 70 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ Potvin C., Tousignant D. (1996) Evolutionary consequences of simulated global change: genetic adaptation or adaptive phenotypic plasticity. Oecologia, 108, 683-693. Primack D., Imbres C., Primack R.B., Miller-Rushing A.J., Del Tredici P. (2004) Herbarium specimens demonstrate earlier f lowering times in response to warming in Boston. American Journal of Botany, 91, 1260–1264. Purvis A., Hector A. (2000) Getting the measure of biodiversity. Nature, 405, 212–219. R afferty N.E., Ives A.R. (2011) Effects of experimental shifts in f lowering phenology on plant-pollinator interactions. Ecology Letters, 14, 69-74. Rathcke B. (1983) Competition and facilitation among plants for pollination. In Pollination biology, pp. 305–329. Raymond M., Berticat C., Weill M., Pasteur N., Chevillon C. (2001) Insecticide resistance in the mosquito Culex pipiens: What have we learned about adaptation? Genetica, 112-113, 287–296. Rhoné B., Remoué C., Galic N., Goldringer I., Bonnin I. (2008) Insight into the genetic bases of climatic adaptation in experimentally evolving wheat populations. Molecular Ecology, 17, 930–943. Rhoné B., Vitalis R., Goldringer I., Bonnin I. (2010) Evolution of f lowering time in experimental wheat populations: A comprehensive approach to detect genetic signatures of natural selection. Evolution, 64, 2110–2125. Riba M., Mayol M., Giles B.E., Ronce O., Imbert E., Van Der Velde M., Chauvet S., Ericson L., Bijlsma R., Vosman B., Smulders M.J.M., Olivieri I. (2009) Darwin’s wind hypothesis: Does it work for plant dispersal in fragmented habitats? New Phytologist, 183, 667–677. Richards P. (1989) Doing What Comes Naturally: Ecological Inventiveness in African Rice Farming. In R. E. Johannes (Ed.), Traditional Ecological Knowledge: a Collection of Essays (p. 77). Gland, Switzerland: UICN. Richemond A. (2003) La résilience économique. Paris: Eyrolles. Ricklefs R.E. (1987) Community diversity: relative roles of local and regional processes. Science, 235, 167–171. Robinet C., Baier P., Pennerstorfer J., Schopf A., Roques A. (2007) Modelling the effects of climate change on the potential feeding activity of Thaumetopoea pityocampa (Den. & Schiff.) (Lep., Notodontidae) in France. Global Ecology and Biogeography, 16, 460–471. Robinet C., Imbert C. E., Rousselet J., Sauvard D., Garcia J., Goussard F., Roques A. (2012) Human-mediated longdistance jumps of the pine processionary moth in Europe. Biological Invasions, 14, 1557–1569. Robinet C., Rousselet J., Imbert C.E., Sauvard D., Garcia J., Goussard F., Roques A. (2010) Le réchauffement climatique et le transport accidentel par l’homme responsables de l’expansion de la chenille processionnaire du pin. Forêt Wallonne, 108, 19–27. Ronce O. (2007) How Does It Feel to Be Like a Rolling Stone? Ten Questions About Dispersal Evolution. Annual Review of Ecology, Evolution, and Systematics, 38, 231-253. Roques A. (Ed.) (2015) Processionary Moths and Climate Change: An Update. Springer/ Quae. Roques A., Rousselet J., Avci M., Avtzis D.N., Al E. (2015) Climate warming and past and present distribution of the processionary moths (Thaumetopoea spp.) in Europe, Asia Minor and North Africa. In A. Roques (Ed.), Processionary Moths and Climate Change: An Update. (pp. 81–162). Springe Quae. Roullier C., Benoit L., McKey D.B., Lebot V. (2013) Historical collections reveal patterns of diffusion of sweet potato in Oceania obscured by modern plant movements and recombination. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 110, 2205–2210. S argent R. D., Otto S.P. (2006) The role of local species abundance in the evolution of pollinator attraction in f lowering plants. American Naturalist, 167, 67–80. Savolainen O., Pyhäjärvi T., Knürr T. (2007) Gene f low and local adaptation in forest trees. Annual Review of Ecology, Evolution, and Systematics, 37, 595–619. Schluter D. (2000) Ecological Character Displacement in Adaptive Radiation. The American Naturalist, 156, S4-S16. Şekercioĝlu çaĝan H., Primack R. B., & Wormworth J. (2012) The effects of climate change on tropical birds. Biological Conservation, 148, 1-18. Silvain J.F., Le Roux X., Babin D., Barbault R., Bertin P., Bodo B., Boude J.P., Boudry P., Bourgoin T., Boyen C., Cormier-Salem M.C., Courchamp F., Couvet D., David B., Delay B., Doussan I., Jaskulke E., Lavorel S., Leadley P., Lefèvre F., Leriche H., Letourneux F., Los W., Mesleard F., Morand S., Schmidt-Lainé C., Siclet F. & Verrier E. (2009) Prospective pour la recherche française en biodiversité. Fondation pour la recherche sur la biodiversité, 96 pp. Simpson S.D., Jennings S., Johnson M.P., Blanchard J.L., Schön P.J., Sims D.W., Genner M.J. (2011) Continental shelf-wide response of a fish assemblage to rapid warming of the sea. Current Biology, 21, 1565–1570. Skrøppa T., Tollefsrud M.M., Sperisen C., Johnsen Ø. (2009) Rapid change in adaptive performance from one generation to the next in Picea abies-Central European trees in a Nordic environment. Tree Genetics and Genomes, 6, 93–99. Smart S.M., Thompson K., Marrs R.H., Le Duc M.G., Maskell L.C., Firbank L.G. (2006) Biotic homogenization and changes in species diversity across human-modified ecosystems. Proceedings Royal Society of London, Series B, Biological Sciences, 273, 2659–2665. Smit B., Wandel J. (2006) Adaptation, adaptive capacity and vulnerability. Global Environmental Change, 16, 282– 292. BIBlIOGRaPHIE • 71 Smith J., Klein R., Huq S. (2003) Climate Change Adaptive Capacity and Development. London: Imperial College Press. Soule M.E. (1985) What is Conservation Biology ? A new synthetic discipline addresses the dynamics and problems of perturbed and ecosystems. BioScience, 35, 727–734. Stearns S.C. (1989) The evolutionary significance of phenotypic plasticity. BioScience, 39, 436–445. Stebbins G.L. (1970) Adaptive Radiation of Reproductive Characteristics in Angiosperms, I: Pollination Mechanisms. Annual Review of Ecology and Systematics, 1, 307-326. Steel D. (2004) Can a reductionist be a pluralist? Biology and Philosophy, 19, 55–73. Steffan-Dewenter I., Tscharntke T. (1999) Effects of habitat isolation on pollinator communities and seed set. Oecologia, 121, 432–440. Stevens V. M., Turlure C., Baguette M. (2010) A metaanalysis of dispersal in butterf lies. Biological Reviews, 85, 625–642. Suding K.N., Lavorel S., Chapin F.S., Cornelissen J.H.C., Díaz S., Garnier E., Goldberg D., Hoopper D.U., Jackson S.T., Navas, M. L. (2008) Scaling environmental change through the community-level: A trait-based responseand-effect framework for plants. Global Change Biology, 14, 1125–1140. Sumaila U.R., Cheung W.W.L., Lam V.W.Y., Pauly D., Herrick S. (2011) Climate change impacts on the biophysics and economics of world fisheries. Nature Climate Change, 1, 449-456. T aché A. (2003) L’Adaptation : un concept sociologique systémique. Paris: L’Harmattan. Tapia C. (2001) Éditorial. Connexions, 76, 7–13. Thébault E., Fontaine C. (2010) Stability of ecological communities and the architecture of mutualistic and trophic networks. Science, 329, 853–856. Theys J. (2002) L’approche territoriale du “ développement durable ”, condition d’une prise en compte de sa dimension sociale. Développement Durable et Territoires, 1, 1–12. Thomas C.D., Cameron A., Green R.E., Bakkenes M., Beaumont L.J., Collingham Y.C., Erasmus B.F.N., Ferreira de Siqueira M., Grainger A., Hannah L., Hughes L., Huntley B., van Jaarsveld A.S., Midgley G.F., Miles L., Ortega-Huerta M.A., Peterson A.T., Phillips O.L., Williams S. E. (2004) Extinction risk from climate change. Nature, 427, 145–148. Thomas G.H. (2008) Phylogenetic distributions of British birds of conservation concern. Proceedings Royal Society of London, Series B: Biological Sciences, 275, 2077–2083. Thompson J.N. (1982) Interaction and Coevolution. New York: John Wiley & Sons. Thuiller W., Araújo M.B., Pearson R.G., Whittaker R. J., Brotons L., Lavorel S. (2004) Biodiversity conservation: uncertainty in predictions of extinction risk. Nature, 430, Brief Comm. Thuiller W., Lavergne S., Roquet C., Boulangeat I., Lafourcade B., Araujo M. B. (2011) Consequences of climate change on the tree of life in Europe. Nature, 470, 531–534. Thuiller W., Maiorano L., Mazel F., Guilhaumon F., Ficetola G.F., Lavergne S., Renaud J., Roquet C., Mouillot D. (2015) Conserving the functional and phylogenetic trees of life of European tetrapods. Philosophical Transactions of the Royal Society B: Biological Sciences, 370, 20140005. Turner D.P., Cohen W. B., Kennedy R.E., Fassnacht K.S., Briggs J.M. (1999) Relationships between leaf area index and Landsat TM spectral vegetation indices across three temperate zone sites. Remote Sensing of Environment, 70, 52–68. Tylianakis J.M., Tscharntke T., Lewis O.T. (2007) Habitat modification alters the structure of tropical hostparasitoid food webs. Nature, 445, 202–205. V aliente-Banuet A., Aizen M.A., Alcantara J.M., Arroyo J., Cocucci A., Galetti M., García M.B., García D., Gómez J.M., Jordano P., Medel R., Navarro L., Obeso J.R., Oviedo R., Ramírez N., Rey P.J., Traveset A., Verdú M., Zamora R. (2015) Beyond species loss: the extinction of ecological interactions in a changing world. Functional Ecology, 29, 299–307. Valladares F., Gianoli E., Gómez J.M. (2007) Ecological limits to plant phenotypic plasticity. New Phytologist, 176, 749-763. Valladares F., Sanchez-Gomez D., Zavala M.A. (2006) Quantitative estimation of phenotypic plasticity: Bridging the gap between the evolutionary concept and its ecological applications. Journal of Ecology. 94, 1103-1116. Vamosi S.M., Heard S.B., Vamosi J.C., Webb C.O. (2009) Emerging patterns in the comparative analysis of phylogenetic community structure. Molecular Ecology, 18, 572-592. Van Buskirk J., Mulvihill R.S., Leberman R.C. (2012) Phenotypic plasticity alone cannot explain climateinduced change in avian migration timing. Ecology and Evolution, 2, 2430–2437. Van Kleunen M., Fischer M. (2005) Constraints on the evolution of adaptive phenotypic plasticity in plants. The New Phytologist, 166, 49–60. Vellend M. (2010) Conceptual synthesis in community ecology. The Quarterly Review of Biology, 85, 183–206. Visser M.E. (2008) Keeping up with a warming world; assessing the rate of adaptation to climate change. Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences, 275, 649–659. 72 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ Visser M.E., Adriaensen F., Van Balen J.H., Blondel J., Dhondt A.A., Van Dongen S., Chris du F., Ivankina E.V., Kerimov A.B., de Laet J., Matthysen E., McCleery R., Orell M., Thomson, D.L. (2003) Variable responses to largescale climate change in European Parus populations. Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences, 270, 367–372. Visser M. E., Noordwijk A.J. van, Tinbergen J. M., & Lessells, C. M. (1998) Warmer springs lead to mistimed reproduction in great tits (Parus major). Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences, 265, 1867–1870. W addington C.H. (1960) Experiments on canalizing selection. Genetical Research, 1, 140-150. Walker B., Holling C.S., Carpenter S.R., Kinzig A. (2004) Resilience, adaptability and transformability in socialecological systems. Ecology and Society, 9, 5. Waller D.M. (2015) Genetic rescue: a safe or risky bet? Molecular Ecology, 24, 2595–2597. Walsh B., Blows M.W. (2009) Abundant Genetic Variation + Strong Selection = Multivariate Genetic Constraints: A Geometric View of Adaptation. Annual Review of Ecology, Evolution, and Systematics, 40, 41-59. Webb C.O., Ackerly D.D., McPeek M. A., Donoghue M.J. (2002) Phylogenies and community ecology. Annual Review of Ecology and Systematics, 33, 475-505. Weill M., Berticat C., Lutfalla G., Pasteur,N., Philips A., Fort P., Raymond M. (2004) Insecticide resistance: a silent base prediction. Current Biology, 14, R552–3. Weill M., Lutfalla G., Mogensen K., Chandre F., Berthomieu A., Berticat C., Pasteur N., Philips A., Fort P., Raymond M. (2003) Comparative genomics: Insecticide resistance in mosquito vectors. Nature, 423,136–137. Wilkinson D.M. (1999) The disturbing history of intermediate disturbance. Oikos, 84, 145–147. Willi Y., Hoffmann A.A. (2009) Demographic factors and genetic variation inf luence population persistence under environmental change. Journal of Evolutionary Biology, 22, 124–133. Winfree R., Bartomeus I., Cariveau D.P. (2011) Native Pollinators in Anthropogenic Habitats. Annual Review of Ecology, Evolution, and Systematics, 42, 1-22. Wolters V., Silver W.L., Bignell D.E., Coleman D.C., Lavelle P., Van Der Putten W.H., De Ruiter P., Rusek J., Wall D.H., Wardle D.A., Brussard L., Dangerfield J.M., Brown V.K., Giller K.E., Hooper D.U., Sala O., Tiedje J., Wardle D.A. (2000) Effects of global changes on aboveand belowground biodiversity in terrestrial ecosystems: implications for ecosystem functioning. BioScience, 50, 1089–1098. Y akovlev I.A., Asante D.K.A., Fossdal C.G., Junttila O., Johnsen Ø. (2011) Differential gene expression related to an epigenetic memory affecting climatic adaptation in Norway spruce. Plant Science, 180, 132–139. Yakovlev I.A., Fossdal C.G., Johnsen Ø. (2010) MicroRNAs, the epigenetic memory and climatic adaptation in Norway spruce. New Phytologist, 187, 1154–1169. Yung J.M., Bosc P.M., Losch B. (1995) Stratégies des producteurs et phénomènes d’innovation au Sahel. In J. P. Yung & J. M. Chauveau (Eds.), Innovations et sociétés. Quelles agricultures ? Quelles innovations ? II- Les diversités de l’innovation (Actes du XIVème séminaire d’économie rurale, CIRAD-INRA-Orstom, 13-16 sept. 1993) (p. 379). Montpellier: CIRAD. Z ubin J., Spring B. (1977) Vulnerability: A new view of schizophrenia. Journal of Abnormal Psychology, 86, 103-126. CITATION Fondation pour la recherche sur la biodiversité (2015), Réponses et adaptations aux changements globaux : quels enjeux pour la recherche sur la biodiversité ? Prospective de recherche. Série FRB, Réflexions stratégiques et prospectives. Ed. Ophélie Ronce et Flora Pelegrin, 74 pp. © fRB 2015 ISBN : 979 - 10 - 91015 - 16 - 5 (imprimé) ISBN : 979 - 10 - 91015 - 17 - 2 (PDF) Directeur de publication : Pierre-Edouard Guillain Conception graphique et figures : Laurine Moreau Dépôt légal novembre 2015 Image figure 4.2 : Agne Alesiute / Evan MacDonald, the Noun Project FONDaTION POuR la RECHERCHE SuR la BIODIVERSITÉ Fondation de coopération scientifique, la Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité a pour mission de favoriser aux niveaux national, européen et international les activités de recherche sur la biodiversité, en lien étroit avec les enjeux des différents acteurs de la société. Ses fondateurs sont huit établissements publics de recherche (BRGM, CIRAD, CNRS, IFREMER, INRA, IRD, IRSTEA, MNHN) et LVMH. La FRB bénéficie du soutien du Ministère chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche pour ses activités de prospective. FRB 195, rue Saint-Jacques 75005 Paris contact@fondationbiodiversite.fr www.fondationbiodiversite.fr twitter : @FRBiodiv Membres Fondateurs de la FRB :