Réponses et adaptations aux changements globaux :
quels enjeux pour la recherche sur la biodiversité ?
Prospective de recherche.
Ophélie Ronce, Catherine Boyen, Sophie Caillon, Anne Charmantier, Pierre
Olivier Cheptou, Isabelle Chuine, Marie-Christine Cormier-Salem, Laetitia
Cuypers, Hendrik Davi, Celine Devaux, et al.
To cite this version:
Ophélie Ronce, Catherine Boyen, Sophie Caillon, Anne Charmantier, Pierre Olivier Cheptou, et al..
Réponses et adaptations aux changements globaux : quels enjeux pour la recherche sur la biodiversité ?
Prospective de recherche.. Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité, 74 p., 2015, 9791091015165.
hal-01594930
HAL Id: hal-01594930
https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01594930
Submitted on 26 Sep 2017
HAL is a multi-disciplinary open access
archive for the deposit and dissemination of scientific research documents, whether they are published or not. The documents may come from
teaching and research institutions in France or
abroad, or from public or private research centers.
L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est
destinée au dépôt et à la diffusion de documents
scientifiques de niveau recherche, publiés ou non,
émanant des établissements d’enseignement et de
recherche français ou étrangers, des laboratoires
publics ou privés.
Distributed under a Creative Commons Attribution - ShareAlike| 4.0 International
License
PROSPECTIVE DE RECHERCHE
RÉPONSES ET ADAPTATIONS
AUX CHANGEMENTS GLOBAUX
QUELS ENJEUX POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ ?
OCTOBRE 2015
SOmmaIRE • 3
SOMMAIRE
SOMMAIRE
3
RÉDACTEURS ET CONTRIBUTEURS
4
DÉROULEMENT DE LA PROSPECTIVE
5
PRÉAMBULE
6
INTRODUCTION
9
I. SOURCES DE FLEXIBILITÉ : ÉTAT DES LIEUX
11
1. PLASTICITÉ PHÉNOTYPIQUE
12
2. ÉVOLUTION GÉNÉTIQUE
20
3. MIGRATION
25
4. RÉARRANGEMENT DES COMMUNAUTÉS
30
5. DYNAMIQUE DES STRATÉGIES, DES SAVOIRS ET DES PRATIQUES
36
II. SOURCES DE FLEXIBILITÉ : PROSPECTIVES
45
1. COMPRENDRE LES PROCESSUS DE L’ADAPTATION
46
2. ÉTUDIER LE COUPLAGE ENTRE SOURCES DE FLEXIBILITÉ
54
3. PROPOSER DES INDICATEURS DU POTENTIEL D’ADAPTATION
57
4. INTÉGRER CES SOURCES DE FLEXIBILITÉ DANS LES SCÉNARIOS DE BIODIVERSITÉ
60
CONCLUSION
63
BIBLIOGRAPHIE
64
Matinée à Måbødalen, Eidfjord, Norvège, 2011. Simo Räsänen.
4 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ
RÉDACTEURS ET CONTRIBUTEURS
L
a rédaction et l’édition de ce document de prospective scientifique
ont été coordonnées par Ophélie Ronce, directrice de recherche
CNRS à l’Institut des sciences de l’évolution de Montpellier (ISEM),
avec l’appui de Flora Pelegrin, responsable du pôle stratégie et animation scientifique à la FRB.
Cette prospective a été préparée et rédigée collectivement par les membres
d’un groupe de travail organisé par la FRB et par des experts extérieurs sollicités pour la rédaction des différentes parties.
LISTE DES PERSONNES AYANT PARTICIPÉ AUX ATELIERS OU À LA RÉDACTION * :
Ophélie Ronce (CNRS, Coordinatrice)
François Lefèvre (INRA)
Catherine Boyen (CNRS)
Virginie Maris (CNRS)
Sophie Caillon (CNRS)
Natacha Massu (Ecofor)
Anne Charmantier (CNRS)
Jean-Paul Métaillié (CNRS)
Pierre-Olivier Cheptou (CNRS)
Muriel Millot (MEDDE)
Isabelle Chuine (CNRS)
Catherine Montchamp-Moreau (CNRS)
Marie-Christine Cormier-Salem (IRD)
Xavier Morin (CNRS)
Laëtitia Cuypers (FRB)
David Mouillot (Univ. Montpellier 2)
Hendrik Davi (INRA)
Sara Muller (Univ. de Strasbourg)
Céline Devaux (Univ. Montpellier 2)
Flora Pelegrin (FRB)
Vincent Devictor (CNRS)
Alain Roques (INRA)
Isabelle Goldringer (INRA)
Françoise Rovillé-Sausse (CNRS)
Michel Kulbicki (IRD)
Jean-Michel Salles (CNRS)
Pierrick Labbé (Univ. Montpellier 2)
Jean-François Silvain (IRD)
Gilles Landrieu (Parc nationaux de France)
Frank Schurr (CNRS)
Sandra Lavorel (CNRS)
John Thompson (CNRS)
Paul Leadley (Univ. Paris-Sud)
Mylène Weill (CNRS)
Les coordinateurs et contributeurs principaux de chaque chapitre sont indiqués en tête des différentes parties et exemples encadrés.
La partie II- Prospective a fait l’objet d’une rédaction collective.
* Le rattachement institutionnel indiqué est celui à la date de la tenue du groupe de
travail (2012).
DÉROulEmENT DE la PROSPECTIVE • 5
DÉROULEMENT DE LA PROSPECTIVE
D
ans le prolongement des réflexions menées dans le cadre de sa
prospective pour la recherche sur la biodiversité (Silvain et al.,
2009), le conseil scientifique de la FRB a souhaité la création d’un
groupe de travail consacré au thème de l’adaptation et qui soit axé
sur des questions de recherche intégratives et multi-échelles, liées aux réponses
des composantes de la biodiversité et des sociétés aux changements globaux.
Fin 2011, le conseil scientifique a demandé à Ophélie Ronce, directrice
de recherche CNRS au sein de l’Institut des sciences de l’évolution de Montpellier (ISEM), d’animer les travaux de ce groupe, associant des membres du
Conseil scientifique et des experts de différentes disciplines, spécialistes des
questions liées à l’adaptation à différentes échelles.
Le groupe de travail s’est réuni à deux reprises en novembre 2011 et
janvier 2012, avant un séminaire de travail de deux jours en avril 2012. Le
travail a été conduit en plusieurs étapes : tout d’abord des discussions visant
à définir les objectifs, le périmètre thématique et un vocabulaire commun,
puis un travail d’état des lieux autour de différents mécanismes de flexibilités
impliqués dans les réponses aux changements globaux et enfin des réflexions
prospectives pour identifier les recherches à mener dans les années à venir.
Le travail de rédaction a impliqué les membres du groupe de travail,
ainsi que des experts sollicités pour la rédaction d’exemples de recherches
illustrant l’état des lieux des connaissances dans le domaine.
Les travaux du groupe ont fait l’objet d’un dialogue constant avec les
membres du Conseil scientifique de la FRB, qui en a mobilisé les conclusions
initiales dans le cadre de sa prospective pour la recherche sur la biodiversité
publiée en mai 2015 (destinée à actualiser et compléter celle de 2009).
Le lac d’Ourmia, en 2000 à gauche et 2014 à droite. Le lac couvre aujourd’hui seulement 10 % de sa superficie des années 1970.
Depuis 1996, les sécheresses liées au réchauffement climatique ont contribué à son déclin. U.S. Geological Survey.
6 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ
PRÉAMBULE
L’
importance des questions liées à l’adaptation a
été soulignée par le Conseil scientifique de la
FRB dans sa prospective pour la recherche française sur la biodiversité (Silvain et al., 2009). Il a
notamment mis en avant la question de l’adaptation à des
pas de temps courts, au regard de changements environnementaux très rapides.
L’enjeu résulte de la nécessité de mieux comprendre –
de l’échelle des individus à celle des espèces et communautés, jusqu’aux écosystèmes et socio-écosytèmes – les
conséquences des changements globaux, dans un objectif
d’anticipation des états futurs de la biodiversité. En effet,
les organismes vivants et les groupes d’organismes (y compris les sociétés humaines) s’adaptent en permanence aux
changements environnementaux, en modifiant leur comportement et leur utilisation de l’environnement, en se
déplaçant, mais aussi à travers des réponses génétiques ou
phénotypiques. L’adaptation au sens large constitue donc
une des principales boîtes noires sur le chemin d’une modélisation de la dynamique de la biodiversité et du développement de scénarios sur le devenir de celle-ci. D’une certaine
manière, l’adaptation peut être perçue comme une marge
de manœuvre non aisément quantifiable, mais vraisemblablement importante, des différents composants de la
biodiversité face aux forçages climatiques et anthropiques.
La justification d’une réf lexion autour du thème
de l’adaptation réside ainsi d’abord dans l’identification
de problématiques et axes de recherche prioritaires – et
partagés. Une des difficultés qui se posent en matière de
réflexion autour du thème de l’adaptation est que ce terme
peut avoir des acceptions différentes selon les communautés
scientifiques. Le groupe de travail a donc été confronté au
défi de faire dialoguer des acteurs qui, tout en utilisant un
vocabulaire proche ou identique, peuvent avoir des visions
relativement différentes des processus adaptatifs. L’objectif général était de surmonter ces divergences pour définir
des approches intégrées, multi échelles et ambitieuses, de
l’étude des processus adaptatifs, sans négliger l’identification des verrous de connaissance majeurs qui peuvent freiner l’avancée de la science.
L’objectif initial du groupe de travail était de produire
une prospective de recherche sur l’adaptation aux changements globaux à différentes échelles, de l’organisme à
la société. Au cours de nos travaux, il s’est cependant
avéré que la notion d’adaptation était trop restrictive,
dans la mesure où elle ne concernait que les réponses
aux changements considérées comme positives d’un
point de vue adaptatif. La qualification d’une réponse
adaptative étant elle-même problématique et renvoyant
à un faisceau d’autres concepts, tels que la flexibilité,
la résilience, la capacité d’adaptation, la vulnérabilité,
la transformabilité, etc. (voir ci-contre), nous avons
finalement décidé d’élargir les enjeux de ce texte aux
réponses aux changements globaux, qu’elles soient ou
non considérées comme adaptatives.
Les rizières de Chine, comme les milieux humides d’Europe, sont menacés par la dissémination rapide de l’écrevisse de Louisiane, Procambarus clarkii,
une espèce capable de s’adapter à de très nombreux milieux et de bouleverser les écosystèmes locaux. Écrevisse, Duloup ; Rizière, Jialiang Gao.
PRÉamBulE • 7
DÉFINITIONS
fLEXIBILITÉ
En physique, la flexibilité est la propriété d’un
matériau souple pouvant être courbé ou plié
sans se rompre. La notion fait l’objet d’une littérature abondante en sciences économiques
et de gestion où elle désigne la capacité d’une
organisation à s’adapter à l’évolution de la
demande ou d’un environnement institutionnel changeant, à faire face à une situation d’incertitude. Sans faire l’objet d’une théorisation
aussi poussée, elle est utilisée également en éco-
logie – la « flexibilité écologique » désignant
la capacité d’une espèce à s’adapter à des situations environnementales diverses – et dans les
autres sciences sociales comme la psychologie
(la faculté d’ajuster ses comportements en
fonction des situations) et la sociologie où elle
renvoie, dans une acception proche de la résilience, à la capacité d’un groupe social à faire
face à des changements de nature politique ou
économique par exemple.
ADAPTATION
L’adaptation est un concept principalement
issu des sciences du vivant (il est au cœur de la
théorie de l’évolution par sélection naturelle)
qui désigne soit un processus évolutif – l’ajustement des fonctions biologiques d’un être vivant
avec les conditions extérieures – soit l’état résultant de ce processus. Le concept a fait l’objet
de transpositions à d’autres disciplines comme
en sociologie, notamment dans le cadre de la
sociologie systémique et complexe initiée par
Edgar Morin (Taché, 2003). Sa parenté avec les
théories évolutives lui conférant de notre point
de vue implicitement un sens positif masquant
les possibilités de « mal adaptation » (c’est-àdire, le fait d’évoluer vers un état peu ou non
adapté à l’environnement ou vers une adaptation qui, par rétroaction, entraînerait des
conséquences négatives sur la durabilité des
systèmes), nous lui préférons dans cet ouvrage
le terme plus neutre de « réponse ».
CAPACITÉ D’ADAPTATION
Capacités des individus, des populations et des
sociétés à répondre à un changement de leur
environnement par des évolutions (plastiques,
génétiques, d’organisation, de localisation,
techniques, etc.) réduisant les effets négatifs
de ce changement, voire tirant avantage de
ses effets bénéfiques (Lande & Arnold, 1983 ;
Houle, 1992 ; Kirkpatrick, 2009 ; Walsh &
Blows, 2009 ; Smith et al., 2003 ; de Perthuis,
2010). En biologie évolutive, cette capacité
d’adaptation (ou vitesse attendue de la réponse
adaptative) a historiquement été mesurée par
l’héritabilité, c’est-à-dire la part génétique de
la variance des traits phénotypiques dans une
population. Dans le domaine des sciences
humaines et sociales, cette notion s’est principalement développée dans le cadre de la
recherche sur les effets du changement climatique et se rapproche donc de la résilience sociologique ; il s’agit toutefois selon Galopin (2006)
d’un concept plus vaste que la résilience qui
renvoie davantage à des propriétés systémiques.
RÉSILIENCE
La résilience désigne en physique, la capacité
d’un matériau à retrouver sa forme initiale
après une déformation n’ayant pas dépassé les
limites de sa flexibilité ou l’énergie nécessaire
pour provoquer sa rupture. Initialement appropriée par la psychologie où elle est utilisée pour
la première fois par John Bowlby en 1969 pour
qualifier « les personnes qui ne se laissent
pas abattre », la notion passe ensuite dans le
domaine de l’écologie, où deux visions s’opposent. La définition la plus « traditionnelle »
repose sur l’idée d’un système en équilibre
stable ; la résilience est alors mesurée comme
le temps de retour à l’état d’équilibre (Pimm,
1984). Une acception plus contemporaine, mais
déjà formulée dans les travaux précurseurs de
Holling (1973), s’articule au contraire autour
de l’idée d’équilibres pluriels : les écosystèmes
y sont approchés comme des entités en état
d’instabilité permanente, dans lesquelles le
retour vers un état antérieur n’est qu’exceptionnel. Dans cette ligne, la résilience peut
8 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ
être définie comme la capacité d’un système à
absorber les perturbations et à se réorganiser
de manière à conserver la même identité, la
même fonction et la même structure (Walker
et al., 2004). Cette définition qui a l’intérêt de
souligner la capacité des systèmes à intégrer
les transformations en évoluant (le paradoxe
de la permanence dans le changement), entre
en résonnance forte avec l’usage du concept,
en sociologie et en psychologie (avec en France
notamment les travaux de Boris Cyrulnik), où
elle désigne la résistance à un traumatisme (ou
une crise), le dépassement de cet évènement
puis la reconstruction de l’individu (ou de la
société), ce qui ne s’apparente pas en général à un retour à la situation initiale. Enfin,
la notion est également utilisée en économie
où elle désigne la capacité des systèmes économiques et des individus à surmonter les
épreuves économiques (chocs, crises, krachs)
(Richemond, 2003).
VULNÉRABILITÉ
La vulnérabilité est un concept développé
dans le cadre de la recherche sur la gestion
des risques, mais qui s’étend aujourd’hui à
d’autres disciplines. Son introduction dans
les années 70 offrait une alternative à une
perception du risque jusque-là entièrement
focalisée sur l’aléa (le risque est alors approché comme la combinaison de l’aléa et de la
vulnérabilité). Dans un premier temps la vulnérabilité désigne de manière purement comptable « les pertes [prévisibles] de la société en
cas d’aléa » (Dauphiné, 2001). Cette définition
est toutefois élargie par la suite à « l’ensemble
des modalités d’atteinte et de réaction d’une
société face à un ou des aléas » (Hugonie et al.,
2006) ce qui donne davantage d’importance
à la prise en compte d’un ensemble de déterminants sociaux. La notion fait aujourd’hui
l’objet d’un regain d’intérêt dans la littérature,
notamment dans celle consacrée au changement climatique ; les auteurs s’accordent
pour concevoir la vulnérabilité comme le
produit du degré d’exposition, de la sensibilité (l’ensemble des facteurs déterminant
les modalités d’atteinte d’une société) et des
capacités d’adaptation (Smit & Wandel, 2006).
TRANSfORMABILITÉ
Walker et al. (2004) définissent la transformabilité comme la capacité d’une société à créer
un système nouveau lorsque les structures
économiques ou sociales rendent le système
existant intenable ; ainsi cette notion s’inscrit-
elle en accord avec l’acception contemporaine
de la résilience en introduisant l’idée que « le
maintien ou le retour du système à l’état initial n’est pas toujours souhaitable » (Cantoni
& Lallau, 2010).
L’adaptation des variétés végétales aux futures conditions environnementales, plus fluctuantes dans un contexte de
changement climatique, nécessitera une mobilisation accrue de la diversité génétique présente dans ces espèces.
INTRODuCTION • 9
INTRODUCTION
L
es sociétés humaines et les systèmes écologiques interagissent et leurs
trajectoires s’influencent mutuellement. Changement climatique,
croissance démographique, exploitation accrue des ressources, pression foncière, mutations socio-économiques, transferts de populations et d’espèces, insécurité politique… les transformations que connaîtra
le 21ème siècle vont fortement influencer la biodiversité, l’accès et la disponibilité des ressources biologiques et les services écosystémiques. Développer
des scénarios concernant le devenir de la biodiversité afin de mieux la
préserver est donc un enjeu majeur pour les sociétés humaines. En effet,
les scénarios aident non seulement à avertir les décideurs et les gestionnaires
des dangers encourus par la biodiversité, mais représentent aussi un outil
indispensable dans le développement des plans de gestion de la nature, un
outil d’aide à la décision et à l’action, ou encore un outil de communication
avec le grand public et de concertation avec les parties prenantes.
L’élaboration de scénarios de biodiversité est un champ de recherche
encore jeune, que soutient la FRB à travers son programme phare « Modélisation et scénarios de la biodiversité ». Les scénarios existants prennent
aujourd’hui insuffisamment en compte les propriétés de flexibilité des socioécosystèmes, intimement liées à la diversité de leurs différentes composantes
(diversité des techniques et pratiques, diversité des ressources naturelles à
divers niveaux- infra et interspécifique, génétique, phénotypique). La majorité des scénarios basés sur la modélisation des socio-écosystèmes projettent
dans le futur des relations entre certaines contraintes (climatiques, anthropiques) et certains compartiments de la biodiversité en ignorant l’évolution
dynamique de ces relations. Par exemple, les projections du déplacement des
aires de distribution sous l’effet du réchauffement climatique fondées sur
des modèles d’enveloppes climatiques font l’hypothèse que les relations entre
occurrence d’une espèce et conditions climatiques seront conservées. Or les
systèmes écologiques et les sociétés qui en dépendent et les altèrent sont des
objets dont les attributs sont changeants (flexibles) dans le temps et l’espace
à presque toutes les échelles d’étude.
Cette flexibilité repose sur de nombreux mécanismes. Au sein d’un
écosystème par exemple, la composition en espèces peut varier du fait de l’extinction de certaines d’entre elles, de la prolifération ou de la colonisation par
d’autres, ce qui est susceptible d’affecter le fonctionnement de cet écosystème
lorsqu’il est confronté à des conditions environnementales nouvelles. Au sein
d’une espèce confrontée à des conditions environnementales changeantes,
les capacités de migration déterminent les changements de distribution des
individus dans l’espace. Au sein d’une population, des changements dans
la fréquence de différents génotypes en réponse à différentes pressions évolutives (sélection mais aussi dérive et migration) affectent la distribution des
traits phénotypiques, et donc la persistance ou les services associés à l’espèce.
D’autres modes de transmission (épigénétique, traits culturels) affectent la
distribution de ces traits en réponse à des changements environnementaux.
Au niveau individuel, la plasticité phénotypique permet de faire varier ces
traits en réponse à des stimuli variés. Quant aux sociétés et notamment
aux usagers locaux, ils ne cessent d’adapter leurs systèmes d’exploitation aux
changements environnementaux, en privilégiant par exemple des semences
à cycle court pour pallier le raccourcissement de la saison des pluies, adop-
10 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ
tant de nouvelles cultures ou activités pour gérer l’incertitude climatique,
ré-organisant leur territoire et ré-arrangeant leurs institutions face aux impératifs des politiques publiques, ou encore innovant pour saisir de nouvelles
opportunités du marché. Ainsi les acteurs locaux ajustent leurs pratiques et
élaborent des stratégies qui visent à maintenir leur socio-écosystème dans
un contexte changeant.
Il existe des interactions entre chacun de ces niveaux de flexibilité.
Les capacités de plasticité phénotypique sont par exemple en général génétiquement variables au sein des espèces (Crispo et al., 2010), et la plasticité
phénotypique affecte elle-même la probabilité d’adaptation génétique à un
changement environnemental (Chevin & Lande, 2010). La diversité spécifique dans un écosystème pourrait inhiber les réponses adaptatives au sein
des espèces (de Mazancourt et al., 2008). Les réponses des compartiments
de la biodiversité aux changements globaux peuvent affecter les mutations
des sociétés et de leurs pratiques, ce qui en retour affecte la dynamique de
la biodiversité à différentes échelles (Gillon, 2000). Notre but est d’attirer
l’attention sur la nécessité de mieux comprendre la nature, la dynamique
et les interactions entre ces sources de flexibilité pour anticiper les devenirs possibles de la biodiversité et de ses services au cours du XXIème siècle.
Nous mettons en avant les verrous scientifiques à lever et les perspectives à
poursuivre pour mieux incorporer ces dynamiques dans les scénarios de
biodiversité. Dans le contexte de la construction de scénarios de biodiversité
pour le XXIème siècle, l’enjeu est par ailleurs de comprendre le poids relatif et
les interactions entre ces différentes réponses sur des pas de temps (à l’échelle
du siècle) qui sont à la fois courts d’un point de vue évolutif, et longs pour de
nombreux processus d’ajustement plastique des phénotypes et des pratiques
qui réagissent à des variations fines de l’environnement. L’articulation entre
pas de temps (de quelques semaines à plusieurs années voire centaine d’années
ou plusieurs générations) et échelles spatiales (de la parcelle des agronomes
au territoire / écosystème des géographes et écologues à la région des climatologues par exemple) est un des enjeux majeurs de l’interdisciplinarité.
L’articulation des réponses aux différentes échelles spatiales (par exemple
migration à l’échelle globale, recomposition des communautés à l’échelle
locale) doit également être étudiée dans la perspective de ces scénarios. Les
notions de crise (par exemple Barnosky et al., 2011) et de transition (Tapia,
2001 ; Hopkins, 2008) permettent par ailleurs de tracer des parallèles entre les
réponses des systèmes biologiques et des sociétés confrontées à un changement
sévère de leur environnement et constitue un fil rouge pour cette synthèse.
Pour chacune de ces grandes réponses, notre objectif est de réaliser un
bref état des connaissances, d’identifier d’une part une liste de verrous à la
connaissance, et d’autre part des perspectives de recherches pour les lever et
enfin d’incorporer ces dynamiques dans les scénarios de biodiversité.
Mangroves amazoniennes en Guyane, Christophe Proisy, IRD.
La mangrove est un écosystème spécifique ayant développé des capacités d’adaptation à des conditions extrêmement
sélectives. Les forêts de mangrove se développent dans la zone des marées en Guyane et constituent un écosystème
fragile, menacé par les activités humaines. La mangrove, forêt amphibie des côtes envasées tropicales, est aujourd’hui
très menacée. La pression anthropique et le changement climatique détruisent annuellement 1 à 2 % de sa surface. Ici, les
pieds de Rhizophora mangle, espèce de palétuvier, résitant bien à l’érosion et qui contribue à la stabilisation du front érosif.
SOURCES DE FLEXIBILITÉ :
ÉTAT DES LIEUX
C
et état des lieux est structuré par les cinq
grands mécanismes de flexibilité des socioécosystèmes identifiés dans l’introduction :
la plasticité phénotypique, l’évolution
génétique, la migration, les réarrangements de communautés et la dynamique des stratégies, des savoirs
et des pratiques autour des usages de la biodiversité.
Ces mécanismes se déclinent à différentes échelles
d’organisation de la biodiversité, mais interagissent
entre eux. La méthodologie adoptée pour cette synthèse est de partir d’un nombre réduit de cas d’études
documentés illustrant comment chacune de ces
sources de flexibilité altère la réponse de la biodiversité aux changements globaux, et comment celles-ci
interagissent. Ces exemples illustrent aussi comment
ces mécanismes de flexibilité peuvent atténuer les
conséquences néfastes des changements globaux sur
la biodiversité et ses services, mais aussi parfois les
aggraver, rendant les relations entre flexibilité et adaptation complexes. Ces cas d’études sont remis dans un
contexte plus large de recherches sur le rôle de chaque
source de flexibilité.
12 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ
1. PLASTICITÉ PHÉNOTYPIQUE
L
a plasticité phénotypique d’un caractère est la
capacité pour des organismes de même génotype à exprimer différents phénotypes pour
ce caractère en fonction de l’environnement.
La plasticité phénotypique d’un trait peut être quantifiée
par la norme de réaction du trait, à génotype constant, en
réponse à des variations biotiques ou abiotiques externes à
l’organisme. La plasticité est donc une propriété d’un trait
en réponse à un facteur externe donné, et non une caractéristique d’un individu. La plasticité peut être adaptative si
la variation du trait en question accroît la valeur sélective de l’individu (Nicotra et al., 2010), mal-adaptative
si elle la diminue (Ghalambor et al., 2007) ou neutre si
elle ne la modifie pas. Enfin, la réponse de l’organisme
est plus ou moins passive, cette distinction diffère du
caractère adaptatif ou non. En effet, de nombreuses modifications d’un trait relié à la croissance peuvent être une
simple conséquence des variations du niveau de ressources
(van Kleunen & Fischer, 2005). Si on prend un exemple en
écophysiologie végétale, une hausse de la teneur en CO2
entraîne mécaniquement une hausse de la photosynthèse
car il y a ainsi plus de CO2 au niveau des sites de carboxylation, mais elle conduit aussi à une fermeture active des stomates (le CO2 agissant comme une hormone au niveau des
chambres sous stomatiques) entraînant une hausse de l’efficience de l’utilisation de l’eau. La plasticité est un processus
central dans les processus d’adaptation des organismes à
court et long termes (Nicotra et al., 2010), particulièrement
important pour les organismes sessiles comme les plantes
qui ne peuvent se déplacer à tout moment dans leur cycle de
vie pour échapper à de nouvelles conditions (van Kleunen
& Fischer, 2005 ; Bradshaw, 2006 – voir exemples 1.3 et
1.4). Mais il est souvent difficile de démontrer la nature
clairement adaptative des cas de plasticité (van Kleunen &
Fischer, 2005 – voir exemple 1.1 pour un exemple de plasticité adaptative).
La plasticité est un mécanisme majeur de flexibilité par rapport aux changements environnementaux
qui n’est pas suffisamment pris en compte (Chevin et al.,
EXEMPLE 1.1
Coordinateur :
Hendrik Davi
2010). Des individus et espèces qui présentent une forte
plasticité pour certains traits (donc plus « généralistes »)
ont probablement une plus grande chance de survie quand
le milieu change du fait de la fragmentation des paysages
(Futuyma & Moreno, 1988) ou d’évènements climatiques
extrêmes. Mais c’est un mécanisme qui comporte aussi
des limites (Jump & Penuelas, 2005 ; Valladares et al.,
2007). D’abord, la plasticité a théoriquement un coût
sinon les organismes spécialisés dans un environnement
n’auraient aucun avantage (Dewitt & Wilson, 1998), mais
si ce coût a largement été étudié grâce aux modèles mathématiques, les preuves empiriques sont rares (Huey & Hertz,
1984 ; van Kleunen & Fischer, 2005). De plus, la plasticité
ne permet ni de s’adapter à des conditions extrêmes sortant des gammes habituelles ou quand l’environnement
est trop hétérogène (Valladares et al., 2007), ni de faire face
à une accumulation de stress qui affaiblissent l’individu.
Enfin la réponse à un facteur environnemental comme
la température interagit avec de nombreux autres facteurs
(sécheresse, gel) et avec la communauté biotique dans lequel
vit l’individu ce qui tend à tamponner la valeur adaptative
d’une réponse plastique (Valladares et al., 2007).
La quantification de la plasticité passe par de
nombreuses méthodes et indicateurs (Valladares et al.,
2006). Le plus simple est de mesurer les variations phénotypiques de certains traits adaptatifs d’un même individu
au cours du temps (coefficient de variation, pente de la
norme de réaction), mais l’effet de l’environnement peut
alors être confondu avec des effets ontogéniques comme le
vieillissement de l’individu (Coleman et al., 1994) ou avec
des modifications tendancielles de la communauté biotique
dans laquelle il est inséré. En dispositif contrôlé (dispositifs
de descendance), on peut aussi calculer quelle est la part
de la variation des phénotypes qui est due à la génétique et
celle due à la plasticité phénotypique en réponse aux facteurs environnementaux. Enfin en conditions naturelles,
des données sur les pédigrés ou une assignation probabiliste
des parentés sur la base de génotypages permettent d’opérer
le même travail (voir exemple 1.1).
PLASTICITÉ ET RÉPONSE ÉVOLUTIVE DE LA PHÉNOLOGIE DES MÉSANGES fACE AUX
CHANGEMENTS CLIMATIQUES
Auteur : Anne Charmantier
Chez les oiseaux, la date de reproduction est
un déterminant majeur du succès reproduc-
teur, et donc de la survie de l’espèce. Plusieurs
études récentes ont montré que les populations
I - SOuRCES DE FlEXIBIlITÉ : ÉTaT DES lIEuX • 13
général, ces deux processus n’ont pas été distingués. Une revue récente montre que sur 14
études de la phénologie de la reproduction fondées sur des données de suivi individuel, trois
seulement ont testé un processus de réponse
évolutive au changement climatique, sans
résultat positif, alors que toutes montrent une
réponse plastique individuelle (Charmantier
& Gienapp, 2014). L’étude de l’héritabilité des
normes de réaction en populations naturelles
n’en est qu’à ses débuts (Stearns, 1989 ; DeWitt
& Scheiner, 2004) mais c’est une approche très
prometteuse pour comprendre l’adaptation des
populations naturelles à l’hétérogénéité de l’environnement et leur réponse au changement.
d’oiseaux peuvent répondre aux changements
climatiques actuels en modifiant leurs dates
de reproduction, mais, souvent, l’ampleur
de la réponse n’est pas suffisante pour permettre une adaptation au changement environnemental (Visser, 2008). Les exemples les
plus fréquemment illustrés sont l’avancée de
la date de ponte (Visser et al., 2003 ; Husby et
al., 2010) ou bien celle des comportements de
migration (Hüppop & Hüppop, 2003 ; Van Buskirk et al., 2012). Cependant, il n’est pas aisé de
tester si ces changements de comportements en
réponse aux changements de l’environnement
proviennent d’une plasticité phénotypique ou
bien sont la conséquence d’une micro-évolution à déterminisme génétique et donc en règle
800
700
600
500
400
r 2 = 0.33
1960
1970
DATE DE PONTE MOYENNE
A
1980
1990
20
r 2 = 0.36
1970
50
r 2 = 0.48
1960
1980
1990
ANNÉES
1970
B
30
2000
1980
1990
2000
ANNÉES
40
30
20
10
r 2 = 0.62
40
D
Figure 1.1. A : Température printanière au cours du temps (mesurée
par la somme des températures
maximales entre le 1er mars et le
25 avril.) B : Dates annuelles de
pic d’abondance des chenilles.
C : Dates de ponte moyenne des
mésanges charbonnières Parus major
à Wytham, Angleterre entre 1961
et 2007. D : Relation étroite entre la
date moyenne de ponte des mésanges
et la date de pic d’abondance des
chenilles. Les r² indiquent la proportion de la variance expliquée par les
modèles de régression et les courbes
représentent les meilleurs modèles
statistiques linéaires ou quadratiques
10. D’après Charmantier et al., 2008.
60
2000
40
10
70
40
ANNÉES
1960
C
DATE DE PIC D’ABONDANCE
DES CHENILLES
80
DATE DE PONTE MOYENNE
CUMUL DES TEMPÉRATURES
PRINTANIÈRES (C°)
900
50
60
70
80
DATE DE PIC D’ABONDANCE
DES CHENILLES
Rôle prépondérant de la plasticité
Des relevés individuels sur 47 années (1961 2007) dans une population de mésange charbonnière (Parus major) étudiée à Oxford depuis
1947, ont montré que sur une durée d’un demisiècle, les mésanges ont avancé leurs dates de
ponte en moyenne de 14 jours (Charmantier
et al., 2008 – figure 1.1, C). Les données sur
l’abondance de nourriture dans la forêt ont
permis de montrer par ailleurs que ces 14
jours correspondent à l’avancement de la présence des chenilles dans les bois (figure 1.1, B),
la principale nourriture apportée aux poussins au nid. Ainsi, malgré un réchauffement
important de leur environnement au cours des
dernières décennies (figure 1.1, A) et un « avancement » du printemps, les mésanges ont su,
14 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ
en moyenne, avancer leurs dates de reproduction pour rester synchrones avec l’abondance
de nourriture et assurer la croissance de leurs
oisillons (figure 1.1, D). Grâce à l’identification
individuelle par baguage des mésanges charbonnières, cette étude portant sur près de 10
000 évènements de reproduction a mis en évidence que cette adaptation est le fait d’ajuste-
ments individuels (Charmantier et al., 2008).
Chaque femelle a donc la capacité de changer
sa date de ponte d’une année sur l’autre, en
fonction de son environnement (température,
luminosité, pluviométrie, longueur du jour,
phénologie des arbres… – Visser, 2008 ; Bourgault et al., 2010) anticipant ainsi la date de
disponibilité de la nourriture.
Variation interindividuelle et sélection de la plasticité
La population étudiée présente peu de variation de la plasticité dans la réponse aux changements annuels de température (Charmantier
et al., 2008). Ces résultats contrastent avec ceux
obtenus avec des femelles de la même espèce
dans une population néerlandaise où la plasticité est fortement variable et sous sélection
directionnelle (Husby et al., 2010 ; Nussey et
al., 2005). Cependant, une héritabilité de la
plasticité (interaction génotype x environnement) n’a pas pu être montrée dans les deux
populations de mésanges (Husby et al., 2010),
laissant supposer que le potentiel évolutif de la
plasticité reste faible.
Croissance et décroissance en réponse à l’ajustement des dates de reproduction
Cette adaptation du comportement a permis
à la population de mésanges un ajustement
en temps réel aux augmentations importantes
de température et, par là même, de conserver une très bonne croissance, les effectifs de
mésanges ayant d’ailleurs doublé dans l’intervalle de cette étude (Charmantier et al., 2008).
Ces résultats contrastent avec ceux issus d’une
étude néerlandaise des mésanges charbonnières. Aux Pays Bas, la plasticité très variable
entre les femelles ne permet pas un ajustement
global, ce qui conduit à une décroissance de la
population. L’origine de ces différences dans
l’adaptabilité du comportement pourrait résider dans les indices environnementaux (tels
que la température) qu’utilisent les mésanges
pour synchroniser leur reproduction avec leur
environnement. Ce cadre d’étude met le doigt
sur la difficulté de généraliser des résultats
sur le potentiel adaptatif, même au sein d’une
même espèce, et la nécessité de conduire des
études comparatives.
Nid de mésange charbonnière, Anne Charmantier,
Mésange charbonnière, Philippe Perret.
I - SOuRCES DE FlEXIBIlITÉ : ÉTaT DES lIEuX • 15
D éfinir la part respective de la plasticité et de l’évolution génétique dans l’adaptation des populations
aux changements globaux est donc un enjeu essentiel
(Potvin & Tousignant, 1996 ; Gienapp et al., 2008 ; Merilä
& Hendry, 2014). Un des attendus est que l’importance relative de ces deux mécanismes dépend de l’amplitude des
variations environnementales subies durant la vie d’un
organisme par rapport à l’amplitude de ces variations
entre plusieurs générations. Par exemple, comme les
variations climatiques intra-annuelles (au sein d’une journée ou bien entre saisons) sont d’une ampleur supérieure
aux variations interannuelles auxquels sont soumis les différentes générations d’organismes longévives (mammifères,
arbres), on s’attend donc à ce que la plasticité soit un méca-
EXEMPLE 1.2
nisme d’adaptation plus important pour ces derniers. C’est
ce que montre l’exemple 1.1, la réponse de la phénologie
des mésanges étudiées à Oxford depuis 1947 est de façon
prépondérante due à de la plasticité. Cette plasticité est
aussi très importante en anthropologie comme le montre
l’exemple 1.2. L’organisme humain s’est adapté à une alternance d’abondance et de restrictions alimentaires par une
flexibilité dans le stockage des réserves. Actuellement, cette
plasticité est mal adaptative, jouant un rôle clé en santé
humaine (notamment impliquée dans les problèmes d’obésité), du fait de l’évolution des pratiques alimentaires et
du changement dans le régime de variation des conditions
environnementales affectant les sociétés humaines.
COMPORTEMENTS ALIMENTAIRES ET PLASTICITÉ DU CORPS HUMAIN
Auteur : Françoise Rovillé-Sausse
Constat
Historiquement, les sociétés qui nous ont précédés étaient caractérisées par l’absence de
choix alimentaire réel : les produits alimentaires étaient disponibles seulement en quantités limitées, leur production était saisonnière
et pendant une partie de l’année on consommait des réserves qui devaient durer jusqu’à
la prochaine récolte. L’organisme humain s’est
adapté à cette alternance d’abondance et de restrictions en stockant des réserves énergétiques
sous forme de graisses durant les périodes productives et en puisant dans ces réserves pendant les saisons de pénurie.
Les progrès de l’agronomie (amélioration
des espèces, amélioration des techniques de
culture), l’acclimatation et la culture des produits alimentaires originaires du Nouveau
Monde (maïs, haricots, pomme de terre,
tomate…) contribuent à augmenter la disponibilité alimentaire. Il est alors possible de
constituer des stocks et de réduire les effets des
fluctuations climatiques. On est passé d’une
économie de subsistance à une industrie agroalimentaire qui procure, dans les pays riches,
mais aussi dans les pays en transition économique, une nourriture abondante et régulière.
Mais la biologie n’évolue pas aussi vite que la
culture et notre civilisation révèle aujourd’hui
un décalage entre le substrat biologique et un
mode de vie récent auquel nous ne serions pas
encore adaptés.
La plasticité du corps humain.
Les progrès des moyens de transports, des
moyens de conservation et l’augmentation du
niveau de vie ont amené une situation unique
dans l’histoire alimentaire de l’humanité : la
possibilité d’un choix quotidien et pratiquement illimité d’aliments pour une grande
partie de la population humaine. Les facteurs
actuellement essentiels ne sont plus une augmentation supplémentaire de l’abondance, ni
l’apparition d’aliments nouveaux, mais l’adaptation de notre comportement alimentaire à
cette nouvelle situation d’abondance. L’obé-
sité progresse partout dans le monde de façon
épidémique. Les complications de santé qui
y sont liées (diabète de type 2, maladies cardio-vasculaires associées, cancer) pourraient,
pour la première fois dans l’histoire, amener
à une espérance de vie de nos enfants plus
faible de plusieurs années que celle de leurs
parents. Même si l’augmentation du nombre
de personnes obèses depuis deux décennies
comporte des causes sociétales bien identifiées
(sédentarité, « malbouffe »…), l’hérédité joue
un rôle important dans la détermination du
16 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ
poids et dans la survenue de l’obésité, d’autant
plus lorsqu’elle est sévère et apparaît précocement. Toutefois, la prédisposition génétique
ou les mutations ne peuvent pas expliquer à
elles seules la prévalence actuelle de l’obésité.
À chaque obésité correspond une combinaison particulière de facteurs de risques : pour
certains, cela va jouer sur la prise alimentaire,
pour d’autres sur la sécrétion d’insuline, pour
d’autres encore sur la fonction des adipocytes.
Complétant les approches génétiques menées
auprès des populations générales, ces travaux
(Meyre et al., 2009) révèlent que l’étude des
formes familiales d’obésité sévère est particulièrement utile pour comprendre les causes
génétiques de l’obésité. Ils démontrent le rôle
fondamental du comportement alimentaire
(dans la régulation et l’évolution de la corpulence humaine) et dans la survenue des obésités sévères de l’enfant. Ces résultats pourraient
permettre à plus long terme l’identification précoce des enfants les plus à risque d’obésité ainsi
que la mise en place de stratégies préventives.
L’adaptation des comportements alimentaires
L’un des facteurs fondamentaux de cette adaptation est l’acquisition de données précises en
nutrition, qui pourront fournir des bases rationnelles à notre comportement. Différentes stratégies de prévention ont déjà été mises en place
dans plusieurs pays (le Plan national nutrition
santé en France depuis 2001). Ces stratégies
ont réussi à communiquer aux individus des
L a prise en compte de la plasticité dans les modèles d’adaptation est donc essentielle, elle peut aboutir à modifier les
prédictions concernant l’évolution des niches écologiques
soumises au changement climatique comme le montre
l’exemple 1.3. Les modèles intégrant la plasticité sont plus
conservateurs en termes d’évolution des distributions
car ils prennent en compte la capacité qu’ont les espèces
EXEMPLE 1.3
recommandations clés soulignant l’importance
d’avoir une alimentation équilibrée. Cependant, le fait de connaître les recommandations
n’amène pas toujours au changement des comportements. Il faut comprendre les moteurs
individuels et collectifs des comportements
alimentaires qui dépendent aussi de nombreux
facteurs hédoniques, symboliques et sociaux.
à modifier rapidement leur phénotype en réponse aux
variations environnementales (Morin et al., 2008). La
prise en compte explicite de la plasticité requiert l’incorporation des lois physiques et écophysiologiques dans les
modèles de niche ce qui les rend plus robustes en milieu
fluctuant (Kearney & Porter, 2009) et plus aptes à détecter
des points de rupture.
MODÉLISATION DE LA PLASTICITÉ DANS LES MODèLES D’AIRE DE RÉPARTITION :
L’EXEMPLE DE PHENOfIT
Auteurs : Isabelle Chuine et Xavier Morin
Importance de la plasticité phénotypique dans la largeur de niche des arbres tempérés
Les modèles d’aire de répartition d’espèces
basés sur les traits et les processus (voir pour
revue Dormann et al., 2012) pointent du doigt
l’importance de certains caractères adaptatifs
dans la définition de la répartition géographique des espèces. Ces caractères sont pour
la plupart des caractères plastiques avec les
conditions environnementales, notamment de
température, d’humidité et de photopériode.
Parmi ces caractères, les événements phénologiques apparaissent comme clés dans la définition de la niche des espèces (c-à-d dates de
feuillaison, floraison, fructification, sénescence
foliaire chez les arbres ; dates de ponte chez les
oiseaux, amphibiens et reptiles, dates d’émergence des stades adultes des insectes, etc). La
date d’occurence de ces événements varie d’une
année à l’autre, d’un site à l’autre en fonction
I - SOuRCES DE FlEXIBIlITÉ : ÉTaT DES lIEuX • 17
des conditions environnementales, jusqu’à plus
d’un mois d’écart entre années extrêmes pour
certains de ces événements.
Le modèle d’aire de répartition d’espèces fondé
sur les processus PHENOFIT (Chuine & Beaubien, 2001) explique la répartition des espèces
d’arbres tempérés essentiellement par l’adéquation du cycle annuel de développement et
des niveaux de résistance aux stress hydriques
et thermiques aux variations saisonnières et
spatiales des conditions environnementales
(figure 1.2).
Modèle statistique
BIOMOD
LOG (% EXTINCTIONS)
Modèle basé sur les
processus PHENOFIT
2.5
16 espèces
PHENOFIT
2
1.5
1
0.5
A2
B2
Présent en 2000 et toujours présent en 2100
0
0
0.5
1
1.5
BIOMOD
2
2.5
Présent en 2000 mais absent en 2100 (extinctions)
Absent en 2000 mais présent en 2100 (colonisation)
En dehors de l’aire de répartition en 2000, zone de
colonisation potentielle en 2100
Figure 1.2 : Comparaison entre le pourcentage d’extinctions locales prédites à l’horizon 2100 par un modèle de
niche corrélatif (BIOMOD) et par un modèle fondé sur les processus (PHENOFIT), pour l’érable à sucre (Acer
saccharum), selon le scénario A2 du GIECC. Carte de gauche : distribution actuelle et potentielle simulée par
BIOMOD. Carte de droite : distribution actuelle et potentielle simulée par PHENOFIT (utilisant les données
climatiques ATEAM). Morin & Thuiller, 2009 (cartes reproduites avec l’autorisation de la revue Ecology).
PHENOFIT a été comparé à différents modèles
corrélatifs d’aires de répartition d’espèces
(Morin & Thuiller, 2009 ; Cheaib et al., 2012 ;
Gritti et al., 2013) et ces comparaisons ont montré qu’il tendait à être plus conservateur dans
l’évolution des aires de répartition selon des
scénarios climatiques que les modèles corrélatifs (figure 1.2), c’est-à-dire qu’il prédit des taux
d’extinction moindres. L’une des hypothèses
avancées pour expliquer ce résultat serait la
prise en compte par les modèles basés sur les
processus de la plasticité phénotypique des
traits impliqués dans la largeur de niche des
espèces. Cependant cette hypothèse n’a pour
l’instant pas été testée. Mesurer l’importance
de la plasticité phénotypique dans la largeur de
niche et dans la réponse à un changement environnemental a rarement été fait (Waddington,
1960 ; Pigliucci et al., 2006 ; Aubret & Shine,
2010). Il serait important de la déterminer dans
le contexte actuel de changement climatique,
notamment pour les espèces à temps de génération long telles que les arbres qui ne pourront
pas évoluer génétiquement aussi rapidement
que des espèces à cycle de vie plus court en
réponse au changement de climat. À l’aide de
PHENOFIT, l’effet de la plasticité des dates de
débourrement sur la largeur de niche (et donc
la répartition géographique) dans les conditions climatiques passées et futures a pu être
estimé pour trois espèces d’arbres européens
(Duputié et al., 2015). La plasticité des dates de
débourrement a un effet relativement faible
sur la largeur de niche des trois espèces dans
les conditions climatiques actuelles mais ralentit le processus d’extinction locale aux marges
sud chez certaines espèces dans les scénarios de
changement climatique futur.
18 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ
La plasticité phénotypique est aussi un caractère en tant
que tel qui peut être déterminé génétiquement, héritable et donc potentiellement soumis à évolution (Bradshaw, 2006). Les deux prérequis à l’évolution génétique,
héritabilité et variation génétique, ont été montrés en ce qui
concerne la plasticité de nombreux caractères. La plasticité
peut à la fois tamponner les effets du changement climatique, mais aussi accélérer (Nicotra et al., 2010) ou limi-
EXEMPLE 1.4
ter l’adaptation génétique des organismes à ces mêmes
changements. Enfin, à travers des effets parentaux et divers
mécanismes épigénétiques, les modifications du phénotype
par l’environnement peuvent parfois être transmises à travers les générations. Le rôle des réponses épigénétiques
dans les réponses à différents stress environnementaux,
et notamment l’adaptation au climat local semble, plus
important que soupçonné initialement (voir exemple 1.4).
ADAPTATION RAPIDE CHEz L’ÉPICÉA : RÉPONSE EN UNE GÉNÉRATION
Auteur : François Lefèvre
Les arbres, avec leur long cycle de vie, sont
généralement dotés d’un fort potentiel de flexibilité, tant en terme de plasticité phénotypique
que de potentiel évolutif des populations. La
recolonisation post-glaciaire des continents,
qui a pris quelques dizaines voire centaines de
générations, a conduit à l’émergence d’adaptations locales très marquées, notamment sur
des gradients altitudinaux et latitudinaux,
contrastant avec une différenciation génétique
« neutre » particulièrement faible (Mimura &
Aitken, 2007 ; Savolainen et al., 2007). Dans le
cadre de programmes de plantations coordonnés aux échelles nationales ou continentales,
notamment depuis le XIXe siècle, les forestiers
ont régulièrement transplanté des ressources
génétiques vers des conditions environnementales différentes de celles de leur origine. Ces
situations, parfois bien documentées, sont un
excellent matériel pour étudier la capacité
d’adaptation à ces nouvelles conditions.
Parmi les adaptations locales très claires, l’adaptation phénologique des arbres aux climats
froids est bien documentée : de façon très générale, pour une même espèce, les populations
les plus septentrionales ou de haute altitude
cessent leur croissance et ferment leurs bourgeons bien plus tôt que les populations méridionales ou de basse altitude, évitant ainsi les
dégâts de gel précoce en automne (Savolainen
et al., 2007). C’est le cas en particulier chez l’épicéa commun (Picea abies) où le décalage phénologique de date de fermeture de bourgeons est
d’environ trois semaines entre des plants issus
de graines provenant de Norvège et ceux issus
de graines d’Europe Centrale, élevés en jardin
commun dans une même condition environnementale (Skrøppa et al., 2010).
Au début du XXe siècle, les forestiers Norvégiens ont introduit et planté dans leurs forêts
des ressources génétiques (graines) d’origines
allemande et autrichienne. Du fait des dégâts
de gel, ces plantations ont donné des arbres mal
conformés et les forestiers se sont inquiétés de
la qualité génétique des graines produites par
ces arbres. Les marqueurs mitochondriaux (à
hérédité maternelle chez ce Gymnosperme)
permettent d’identifier sans ambigüité l’origine géographique autochtone ou d’Europe
centrale des arbres aujourd’hui reproducteurs
en Norvège. Skrøppa et al. (2010) ont alors
comparé la phénologie de plants issus de divers
lots de graines : (a) graines récoltées en Europe
centrale sur les peuplements précisément à
l’origine des introductions faites en Norvège,
(b) graines récoltées sur des arbres d’origine
autochtone norvégienne, (c) graines récoltées
sur des arbres d’origine d’Europe centrale poussant en Norvège. Le décalage phénologique très
marqué qui différencie les lots (a) et (b) disparaît entre les lots (b) et (c) : une génération après
l’introduction, les graines produites se comportent comme la ressource locale (figure 1.3).
Divers mécanismes peuvent expliquer cette
évolution rapide. Une certaine sélection a
pu avoir lieu sur les arbres d’origine exotique
(il y a eu de la mortalité et tous ne se reproduisent pas), mais il n’en reste pas moins que
les arbres-mères sur lesquels ont été récoltées
les graines ne sont pas parfaitement adaptés
(dégâts de gel). Des flux de gènes se sont également produits, car les graines récoltées peuvent
avoir une contribution paternelle locale, mais
cela ne représente au maximum que 50 % du
génome de la graine récoltée, et il est de plus
peu vraisemblable que les arbres d’origine
autochtone (non majoritaires localement)
I - SOuRCES DE FlEXIBIlITÉ : ÉTaT DES lIEuX • 19
Steinkjer
NORVÈGE
Hurdal
FERMETURE DES BOURGEONS (%)
soient les seuls pollinisateurs. L’explication
principale semble donc venir de mécanismes
épigénétiques connus chez cette espèce. En réalisant les mêmes croisements contrôlés sous différentes conditions climatiques, Johnsen et al.
(2005a, 2005b) ont montré que la température
durant la phase post-zygotique de développement embryonnaire influence la performance
en termes de phénologie et de croissance des
futures plantules. Yakovlev et al. (2010, 2011) ont
montré que, chez certaines familles, la température durant le développement embryonnaire
modifie le niveau d’expression des gènes ainsi
que la présence de certains micro-ARN chez
la future plantule, tandis que d’autres familles
semblent insensibles à cet effet épigénétique.
100
80
60
40
ORIGINE
Allemagne
(Harz) - a
20
Familles norvégiennes
(Steinkjer) - b
0
Familles allemandes
(Steinkjer) - c
7 10
15 21
AOÛT
28
Harz
ALLEMAGNE
AUTRICHE
Tyrol
FERMETURE DES BOURGEONS (%)
A
DATE
100
80
60
40
ORIGINE
Autriche
(Tyrol) - a
20
Familles norvégiennes
(Hurdal) - b
0
Familles autrichiennes
(Hurdal) - c
13
B
3 6 10 13 17
24
SEPTEMBRE
17
22
AOÛT
29
3
6
10 13 17
SEPTEMBRE
24
DATE
Figure 1.3. Voies d’introduction d’épicéas depuis l’Allemagne et l’Autriche vers la Norvège – Comparaison de
la cinétique de fermeture des bourgeons, observée en jardin commun, de plants provenant de divers lots de
graines. Rond (a) : graines récoltées sur dans les peuplements à l’origine des introductions en Allemagne (ou
Autriche). Carré (b) : graines récoltées en Norvège sur des arbres-mères autochtones. Triangle (c) : graines
récoltées sur des arbres d’origine allemande (ou autrichienne) poussant en Norvège. D’après Skrøppa et al., 2010.
20 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ
2. ÉVOLUTION GÉNÉTIQUE
L
e monde vivant est l’objet d’une perpétuelle évolution qui trouve son terreau dans les modifications aléatoires du matériel génétique que sont les
mutations et les recombinaisons génétiques. Au
sein de chaque espèce, il existe une variation génétique
et donc une possibilité d’évolution pour des caractères de
toutes natures, qu’ils soient morphologiques, biochimiques,
physiologiques ou comportementaux. Par corollaire, l’existence d’une composante génétique dans la variation de
caractères liés à la valeur adaptative est une caractéristique très générale. Elle a cependant ses limites. Par
exemple, l’absence de variation génétique pour des traits
écologiques majeurs impliqués dans l’adaptation au climat
semble limiter la répartition d’espèces de drosophiles spécialistes des milieux tropicaux (Kellermann et al., 2009) et
donc leur réponse à des changements climatiques futurs
(Willi & Hoffman, 2009).
L’architecture génétique des caractères peut être plus
ou moins complexe : effets additifs d’un nombre plus ou
moins grand de gènes, effets d’interactions entre différents
EXEMPLE 2.1
Coordinateurs :
Catherine MontchampMoreau, François Lefèvre
gènes sur un même caractère, effets d’un gène sur de multiples caractères, effets épigénétiques… Au final, la vitesse
de l’évolution génétique en réponse à une pression de sélection va dépendre (1) de la part relative de la composante
génétique dans la variation du caractère, (2) de l’architecture génétique des caractères liés à la valeur sélective, (3)
de la relation entre ces caractères et la valeur sélective. Ces
trois quantités dépendent du contexte environnemental
et du contexte génétique dans lequel on se trouve : ainsi
la « flexibilité génétique » est une variable, elle-même
susceptible d’évolution.
Des changements génétiques rapides chez des organismes divers sont liés à la circulation dans les écosystèmes
de substances toxiques nouvelles introduites par l’homme,
de façon intentionnelle ou non (antibiotiques, pesticides,
pollution par des métaux lourds, etc). L’évolution de la résistance aux insecticides chez le moustique commun Culex
pipiens a été une occasion exceptionnelle d’étudier in natura
la construction d’une adaptation génétique et son évolution
au cours du temps (voir exemple 2.1).
LA RÉSISTANCE AUX INSECTICIDES CHEz LE MOUSTIQUE CULEX PIPIENS
Auteurs : Mylène Weill et Pierrick Labbé
L’utilisation massive de pesticides en agriculture et à des fins de santé publique depuis
les années 1950 a conduit à la sélection pratiquement systématique de résistances dans
les espèces cibles et non cibles. Le moustique
Culex pipiens est vecteur de filaires et de virus
dans certaines régions et constitue également
une forte nuisance. À l’échelle mondiale, il est
majoritairement traité aux insecticides organophosphorés (OP), ce qui permet d’avoir une
vue globale de l’évolution de cette résistance.
Les mutations responsables de la résistance aux OP
Deux mécanismes majeurs sont responsables
de cette résistance : la surproduction d’enzymes
de détoxification (des estérases) et la mutation
de la cible des OP (l’acétylcholinestérase ou
AChE1). La surproduction d’estérases est due
à une modification de la régulation de leur
expression ou à une amplification génique au
locus Ester. Une dizaine d’événements d’amplification indépendants sont apparus dans le
monde. Le niveau d’amplification est variable
et évolue (Raymond et al., 2001). L’AChE1 codée
par le gène ace-1 est une enzyme du système
nerveux qui hydrolyse le neurotransmetteur acétylcholine. Son inhibition par les OP
conduit à la mort des moustiques par tétanie.
Une mutation majeure (G119S, une glycine
substituée par une sérine en position 119 de
l’enzyme) est responsable d’une forte résistance
à un large spectre d’OP (Weill et al., 2003). Elle
est apparue indépendamment plusieurs fois
chez Cx. pipiens. On l’a également mise en évidence chez d’autres espèces du genre Culex et
dans le genre Anopheles. Cependant, certaines
espèces (notamment du genre Aedes), pourtant
I - SOuRCES DE FlEXIBIlITÉ : ÉTaT DES lIEuX • 21
régulièrement traités aux OP, ne développent
jamais la résistance G119S. Cette incapacité
réside dans la nature du codon glycine 119
(Weill, 2004). Les codons GGR (GGA ou GGC)
ne peuvent pas muter en codon sérine par un
seul évènement mutationnel et les codons
intermédiaires engendrent une AChE1 létale.
Le fait de posséder un codon ou l’autre est
certainement fortuit, mais conditionne lourdement la capacité de l’espèce à trouver une
réponse évolutive.
Influence de la résistance sur la valeur sélective des moustiques
La résistance est suivie dans la région de Montpellier depuis plus de 40 ans, dans les mêmes
populations naturelles, en zone traitée ou non
aux OP.
1
Ester 1
Ester 2
FRÉQUENCE
0,8
Ester 4
0,6
0,4
0,2
0
1970
1975
1980
1985
1990
1995
2000
2005
2010
ANNÉES
L’analyse des patrons de fréquence des allèles
de résistance par des modèles de génétique des
populations a permis de montrer que les allèles
de résistance sont avantageux en présence d’insecticides, mais plus ou moins coûteux en leur
absence (Lenormand et al., 1999).
Le coût de la résistance a diminué au cours
du temps. Dans le cas des allèles Ester, il a
diminué par remplacement d’allèles. Un de
ces allèles, très invasif à l’échelle mondiale,
paraît un bon compromis entre résistance et
coût (Labbé et al., 2009). Le coût particulièrement élevé pour l’AChE1 mutée G119S, serait
dû à une forte baisse de son activité (plus de
60 % de perte). La diminution du coût s’est faite
par une duplication du locus ace-1 qui associe
une copie sensible et une copie résistante du
gène. La copie sensible compenserait le coût en
augmentant l’activité AChE1. De nombreuses
duplications similaires, mais de valeurs adapta-
2015
Figure 2.1 : Dynamique évolutive des allèles de résistance au
locus Ester. La fréquence maximale observée lors de chaque
campagne d’échantillonnage
pour chacun des allèles est indiquée par les points. Les lignes
solides représentent les prédictions issues d’un modèle génétique dont les paramètres ont
été ajustés à partir des données
de 1986 à 2002 par maximum
de vraisemblance. Le modèle
a été prolongé au-delà de 2002
sous l’hypothèse de conditions
environnementales constantes.
D’après Labbé et al., 2009.
tives variables, ont été mises en évidence chez
Cx. pipiens (Labbé et al., 2007). Une duplication
adaptative semble envahir l’Afrique de l’Ouest
chez le vecteur du paludisme Anopheles gambiae
(Djogbénou et al., 2008).
Globalement, peu de gènes majeurs et de types
de mutations sont impliqués dans la résistance
aux OP chez Cx. pipiens, mais ils sont apparus
plusieurs fois indépendamment et sont retrouvés chez d’autres espèces. La construction de
l’adaptation ressemble à un bricolage génique
grossier, relativement coûteux lors de son apparition. Les situations locales sont complexes
à comprendre car elles varient en fonctions
des allèles en compétition et des pressions de
sélection dues à la lutte anti-vectorielle, mais
également aux pesticides agricoles, industriels
ou domestiques. Seuls des suivis réguliers de
populations dans le temps permettent de dégager des scénarios évolutifs clairs.
22 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ
Cet exemple illustre d’abord le fait que les mutations par
duplication de gènes et celles qui modifient l’expression des
gènes par modification de la région régulatrice jouent un
rôle de tout premier ordre. Si l’on sait depuis longtemps
que des évènements de duplication de tout ou partie des
génomes ont été massifs au cours de l’évolution, permettant
l’acquisition de nouvelles fonctions, les nouvelles technologies autour de l’ADN et de l’ARN, séquençage massif et
puces, nous révèlent que les duplications de courtes régions
du génome sont omniprésentes à l’état polymorphe dans
les populations naturelles. Parallèlement, l’usage de ces
techniques nouvelles a révélé l’ampleur des variations
de l’expression génique. Le défi est de déterminer la part
génétique de ces variations. Les cas formellement démontrés d’adaptation via une mutation qui modifie l’expression génique sont encore peu nombreux (Bersaglieri et al.,
2004 ; Chang et al., 2010), mais le potentiel des mutations
d’expression pour l’adaptation apparaît important (Lasky
et al., 2014).
L’exemple du moustique illustre aussi les contraintes
et les limites de l’adaptation par évolution génétique.
Il faut d’abord qu’une mutation salvatrice existe dans la
population concernée, soit qu’elle soit apparue localement,
soit qu’elle ait été introduite par migration. Ensuite, les
mutations ont en général un coût pour l’organisme, en
termes de capacité démographique (survie, fertilité, vitesse
de croissance…). Dans le cas du moustique, le coût initial
était important ; ce n’est que progressivement, avec l’apparition et la sélection de nouvelles mutations, qu’il s’est
trouvé réduit. À ces contraintes génétiques, s’ajoutent un
certain nombre de contraintes démographiques : l’adaptation dans un environnement nouveau et défavorable
Comme la plupart des moustiques, Aedes aegypti semble développer rapidement des résistances aux insectisites. Muhammad Mahdi Karim.
est une course entre déclin démographique et évolution
génétique ; un variant génétique favorable permettant de
persister dans ces conditions nouvelles doit atteindre une
forte fréquence avant que la population ne s’éteigne. On
parle alors de sauvetage évolutif. La simple existence de
variants génétiques adaptés aux conditions nouvelles n’est
pas suffisante pour assurer le maintien de la population.
Des informations démographiques (taille de la population,
vitesse du déclin ou du changement environnemental, traits
de vie des organismes) doivent être combinées avec des
informations génétiques pour se prononcer sur le potentiel
d’adaptation d’une population dans le contexte de stress
environnementaux forts (Gomulkiewicz & Houle, 2009).
Ce n’est donc pas un hasard si de tels cas de sauvetage évolutif dans le contexte des changements globaux sont surtout
observés pour des organismes avec de très grands effectifs,
des temps de génération courts et une forte fécondité.
Toutes choses égales par ailleurs, différents modèles
démo-génétiques prédisent que plus l’effectif d’une population est élevée, plus sa diversité génétique est grande
et plus son potentiel adaptatif est important (car plus
grande est la probabilité d’existence et de sélection d’un
variant qui permettra à ses porteurs de s’adapter). Les
résultats de travaux empiriques, utilisant des populations
expérimentales soumises à un changement brutal de leur
environnement, sont en accord avec ces prédictions [cf. drosophiles soumises à un stress thermique (Willi & Hofmann,
2009), levures soumises à un stress salin (Bell & Gonzalez,
2009), vers de farine dont on change la ressource (Agashe
et al., 2011)]. Pour ces mêmes raisons, le rôle potentiel de
l’évolution génétique spontanée (par exemple en comparaison avec la plasticité phénotypique) dans l’adaptation de
populations de petites tailles, appauvries génétiquement et
menacées par différentes pressions anthropiques, ou pour
des organismes longévifs, est sujette à débat (Gienapp
et al., 2008).
Un défi majeur est donc de préserver au mieux
la source de flexibilité que constitue la variation génétique des espèces dans un contexte de changements
globaux qui tendent à déplacer, fragmenter ou réduire
leur aire de répartition. Les méthodes de « gestion dynamique » (GD) récemment développées pour la conservation
in situ des ressources génétique des espèces cultivées ouvrent
des pistes. Elles s’appuient sur la conservation d’un grand
nombre de populations, réparties sur une large gamme
d’environnements contrastés pour maximiser la diversité des pressions sélectives locales. Le programme de GD
appliqué au blé tendre (voir exemple 2.2) montre l’efficacité de ce dispositif comme support d’évolution génétique
rapide des populations, ainsi que pour conserver la diversité
génétique à l’échelle globale, notamment pour la résistance
aux maladies et pour des traits d’histoire de vie majeurs. Il
illustre aussi les limites de la méthode, liées en particulier
aux conditions de culture, et au nombre ou choix de sites.
I - SOuRCES DE FlEXIBIlITÉ : ÉTaT DES lIEuX • 23
EXEMPLE 2.2
UN EXEMPLE DE SySTèMES D’ÉVOLUTION GÉNÉTIQUE GÉRÉS PAR L’HOMME : LA GESTION
DyNAMIQUE EXPÉRIMENTALE OU à LA fERME
Auteur : Isabelle Goldringer
Alors que pendant longtemps, la conservation
des ressources génétiques des espèces cultivées
était cantonnée à la conservation ex situ, en
banques de graines ou collections, la Conférence de Leipzig (1996) a permis l’adoption
par la FAO du Plan d’Action Mondial pour la
conservation et l’utilisation durable des ressources phytogénétiques pour l’alimentation
et l’agriculture, qui définit comme activité
prioritaire : « Soutenir la gestion et l’amélioration à la ferme des ressources phytogénétiques
pour l’alimentation et l’agriculture ». L’évènement est notable, il reconnaît que la diversité
agricole naît et est entretenue par les pratiques
de culture et de gestion des multiples agriculteurs qui cultivent des variétés locales, les sélectionnent et en échangent les semences. Dans
GÉNÉRATION 1
ces systèmes, en contraste avec la conservation
statique, la gestion des ressources génétiques
cultivées est qualifiée de dynamique (GD), et
les objectifs sont de conserver un réservoir de
variabilité génétique plutôt que certains allèles
spécifiques à un locus, ou bien certains cultivars génétiquement fixés. Le principe est de
maintenir le contexte dans lequel les forces
évolutives peuvent agir sur des populations
cultivées génétiquement diverses afin qu’elles
s’adaptent aux changements des conditions
climatiques, à l’évolution des maladies et des
pratiques agricoles. Afin de tester l’intérêt de
cette approche, un programme de GD de populations de blé tendre (Triticum aestivum L.) en
stations expérimentales a démarré à l’INRA en
1984 (Henry et al., 1991 – figure 2.2).
GÉNÉRATION 2
GÉNÉRATION n
GÉNÉRATION 0
ent
C2
A
m
nne
viro
En
Environnement B
C1
En
viro
nne
me
nt
C
Figure 2.2. Des populations, chacune issue de croisements entre de nombreux parents (16 à 62) et donc
très hétérogènes génétiquement, ont été distribuées dans des sites contrastés en France. Les populations
comprenant 5 000 à 10 000 individus ont ensuite été cultivées en isolement chaque année dans chaque site
avec deux conditions de culture. Les cercles représentent la distribution de la variabilité génétique pour
deux caractères C1 et C2 : en noir pour la variabilité initiale, en couleur (nuances de vert) pour l’évolution
attendue de cette variabilité au cours du temps dans chaque environnement. Les flèches à droite sur Génération n représentent des migrations éventuelles entre les populations qui permettraient de renouveler leur
potentiel évolutif, mais durant l’expérimentation (qui a duré 25 générations pour certaines populations),
aucune migration volontaire n’a été réalisée entre les populations. D’après Henry et al., 1991.
24 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ
Très rapidement, l’évolution de traits d’histoire
de vie majeurs a été observée. Un indice de
l’adaptation locale des populations après plusieurs générations d’évolution dans plusieurs
environnements est l’existence d’une différenciation significative des populations entre elles
pour certains de ces traits, et d’une corrélation
entre la valeur de ces caractères et une / des
caractéristique(s) (température, latitude, humidité, éléments nutritifs…) des environnements.
Dans le programme de GD, il a été observé que
les populations cultivées pendant 10 ans, dans
des sites différents en France, se différenciaient
pour de nombreux caractères comme les résistances aux maladies (résistance à l’oïdium par
G12
VE
VERVINS
: + 4,6 jours
1298
8C
LE MOULON
N : + 1,8 jours
1241 B
G0
1205 A
TOULOUSE
ULOU : =
1206 A
1
De plus, une différenciation significative a
été observée au niveau du polymorphisme
des trois copies du gène VRN1, gène impliqué
dans la réponse à la vernalisation chez le blé
tendre. Cette différenciation génétique se traduit par l’augmentation en fréquence d’haplotypes spécifiques dans chaque population, ce
qui pourrait correspondre à une sélection de
type épistatique où la sélection se réalise en fait
sur la résultante des combinaisons d’allèle aux
trois loci VRN1 impliqués (Rhoné et al., 2008).
Cependant, dans cette conservation en stations expérimentales, les conditions de culture
sont souvent assez proches de l’optimum et le
nombre de sites est limité. De plus, les résultats
montrent que, lorsque des populations cultivées sont soumises uniquement à la sélection
naturelle, cela peut conduire à une relaxe des
exemple (Paillard et al., 2000) et la précocité de
floraison et ses composantes. Pour ce dernier
caractère, c’est un gradient Nord-Sud qui est
observé, les populations cultivées dans le Sud
étant devenues génétiquement plus précoces,
avec des besoins en vernalisation réduits par
rapport aux populations cultivées dans le nord
de la France (Goldringer et al., 2006), ce qui
est interprété comme une adaptation au climat. L’évolution de la floraison a été étudiée
plus finement dans trois populations cultivées
dans des environnements contrastés pendant
12 générations, en comparant la distribution
de la différenciation phénotypique et celle de
marqueurs neutres (figure 2.3).
Figure 2.3. Une sélection divergente a été
détectée sur la précocité dès la 7ème génération. Partant d’une précocité d’épiaison
de 1205 °C jours (somme de températures
moyennes journalières cumulées depuis la
levée) en génération initiale G0, une différenciation est apparue significative en génération
7 (G7) et très forte en génération 12 (G12) avec
1298 °C jours pour la population du site de
Vervins, 1241 °C jours pour celle du Moulon
et 1206 °C jours pour celle de Toulouse (les
lettres différentes indiquent les valeurs significativement différentes) (Rhoné et al., 2010).
Cela correspond à près de 5 jours d’écart pour
les précocités des populations de Vervins
et Toulouse (lorsqu’elles sont cultivées sur le
même site). D’après Goldringer et al., 2006.
pressions de sélection sur certains traits d’importance agronomique, comme par exemple la
hauteur des plantes qui a augmenté de façon
générale dans toutes les populations suite à la
compétition entre individus pour la lumière,
pouvant ainsi conduire à des risques de verse.
La gestion de populations de bonne valeur
agronomique implique donc la mise en œuvre
de pratiques de sélection et de gestion humaine
afin de contrôler l’évolution de certains traits
critiques. Ainsi, la gestion à la ferme avec des
approches de sélection participative pourrait
constituer une stratégie plus durable de gestion
de l’agrobiodiversité, car directement inscrite
dans un contexte socio-économique. Elle s’appuiera sur un ensemble d’acteurs confrontés
directement à la réalité de la production agricole (Enjalbert et al., 2011).
I - SOuRCES DE FlEXIBIlITÉ : ÉTaT DES lIEuX • 25
3. MIGRATION
Coordinatrice :
Ophélie Ronce
L
a migration, c’est-à-dire le déplacement des individus dans l’espace, permet en principe d’échapper
à des conditions environnementales locales détériorées et de coloniser au contraire des espaces où
celles-ci deviennent favorables. Dans le contexte d’environnements en perpétuel changement, la migration apparaît
donc comme une adaptation clé autorisant les espèces à
suivre dans l’espace le déplacement des zones favorables.
Il n’est donc pas étonnant que les déplacements d’aire, avec
EXEMPLE 3.1
des remontées d’espèces en altitude et en latitude dans l’hémisphère nord, soient parmi les réponses de la biodiversité
au réchauffement climatique les mieux documentées (Parmesan, 2006 – voir exemple 3.1 pour un exemple). Notre
propre espèce ne fait pas exception, avec une proportion
de plus en plus forte des migrations humaines liées aux
changements globaux, et aux changements climatiques en
particulier (Gonin & Lassaily-Jacob, 2002).
EXPANSION GÉOGRAPHIQUE DE LA PROCESSIONNAIRE DU PIN ET RÉCHAUffEMENT
CLIMATIQUE
Auteur : Alain Roques
1970
2011
2013-2014
2005
1995
1992
1970
Figure 3.1. Expansion
de la processionnaire
du pin durant les
40 dernières années
en France. La figure
de droite détaille la
position des fronts successifs dans le sud du
Bassin parisien ; noter
la présence de colonies
isolées au-delà du front
en 2013 – 2014. D’après
Roques et al., 2015.
Système biologique
Contrairement à la majorité des insectes, la
processionnaire du pin, Thaumetopoea pityocampa (Lépidoptère : Notodontidae), présente
un développement larvaire hivernal hautement sensible à de faibles variations de tempé-
rature. L’alimentation des chenilles, nocturnes,
nécessite d’endurer une température minimale
de 9 °C dans le nid durant la journée, suivie
d’une température minimale de l’air de 0 °C
la nuit suivante (Battisti et al., 2005).
Migration
Originellement méditerranéen, l’insecte a
notablement étendu sa distribution tant en
latitude qu’en altitude à partir de la fin des
années 1970. Ainsi, par exemple en région
Centre, alors que la processionnaire était bornée au sud de la Loire jusque dans les années
1970, on a observé une expansion continue
vers le nord de plus de 100 km entre 1972 et
26 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ
2011, à la vitesse de 2.6 km par an en moyenne,
mais avec une notable accélération à 5.5 km / an
depuis le début des années 2000 (Robinet et
al., 2007). La même expansion est observée en
altitude (Alpes, Pyrénées, Massif central). On
dispose désormais de cartographies géo-référencées comparatives des fronts d’expansion
2005 - 2006 et 2010 - 2011 sur l’ensemble de la
France, et du dernier front pour l’ensemble
de l’Europe du sud jusqu’en Bulgarie (Roques
et al., 2015). Ces éléments ont amené à considérer cet insecte comme espèce modèle pour
le Groupe d’experts intergouvernemental sur
l’évolution du climat (GIEC) et pour l’ Observatoire National sur les Effets du Réchauffement
Climatique (ONERC).
État des connaissances sur les mécanismes connus ou supposés
Il a été démontré expérimentalement que la
levée des seuils thermiques létaux et de nutrition en raison du réchauffement climatique
hivernal a permis aux populations de cet
insecte de survivre dans des zones préalablement défavorables. L’expansion dans le bassin
parisien a ainsi été concomitante à une augmentation moyenne de la température hivernale de 1,1 °C (Robinet et al., 2007). D’autres
facteurs ont favorisé cette progression comme
la plantation massive de pins par l’Homme,
en particulier à usage ornemental, servant de
relai pour l’expansion en zones non forestières
(Robinet et al., 2010). Bien qu’une grande partie
de l’Europe soit désormais favorable, la faible
capacité de vol des femelles (3 km) constitue
un frein pour la vitesse d’expansion. Cependant, la découverte récente de plusieurs foyers
isolés largement au-delà du front (> 50 km) en
région parisienne et en Alsace a mis en évidence le rôle de l’Homme dans des introductions accidentelles via le commerce des grands
arbres accompagné de leurs mottes. L’analyse
génétique de ces populations isolées montre
qu’elles ne proviennent pas du front, mais de
déplacements longues distances depuis le sud
de la France (Robinet et al., 2012).
Adaptations nouvelles
Le projet ANR URTICLIM (2008 - 2011 –
Roques, 2015) a cherché à apprécier le degré
de différenciation des populations du front
d’expansion par rapport à celles des zones de
présence historique. Un élevage comparatif en
conditions contrôlées a révélé une différence
significative de phénologie entre populations,
celles de front étant plus précoces pour la date
de la première procession et des émergences
d’adultes. Les femelles de front apparaissent
moins lourdes, mais plus fécondes, et leurs capacités de vol semblent plus importantes (jusqu’à
11 km), ce qui pourrait avoir des conséquences
considérables en matière de colonisation (Battisti et al., 2015). Les chenilles de front semblent
Ligne de chenilles processionnaires, Bretagne, 2006. Lamiot.
aussi avoir une charge en soies urticantes plus
importante que celles des zones endémiques
(Petrucco Toffolo et al., 2014). Plusieurs types
de marqueurs génétiques ont mis en évidence
une large hétérogénéité des populations du
front d’expansion parisien (Kerdelhué et al.,
2015). Certaines incluent ainsi du matériel
génétique propre aux populations du sud, en
lien vraisemblable avec des introductions par
l’Homme. Enfin, en altitude (Massif central),
l’arrivée récente dans la zone bioclimatique du
sapin de Douglas a commencé à se traduire par
des attaques sur ce nouvel hôte, sans que l’on
sache si cela correspond à une simple plasticité ou à des populations en voie d’adaptation.
I - SOuRCES DE FlEXIBIlITÉ : ÉTaT DES lIEuX • 27
Conséquences (écologiques, santé humaine…)
Au plan écologique, la pénétration dans de
nouveaux étages bioclimatiques est susceptible de menacer la biodiversité existante par
compétition pour la niche écologique ou par
effet « cascade » sur les prédateurs et les parasitoïdes. La défoliation par la processionnaire
affecte ainsi négativement le développement
des chenilles du papillon protégé, Actias isabellae, qui se nourrit du même feuillage des
pins dans la zone néo-colonisée des Alpes
du Sud (Imbert et al., 2012). En revanche, les
parasitoïdes des œufs semblent ne pas suivre
Si les déplacements constatés vont dans le sens du déplacement des niches climatiques prédit par les modèles sur
la base de différents scénarios climatiques, la question des
vitesses relatives de ces déplacements reste encore une
grande inconnue : les espèces ont-elles toutes les capacités à se déplacer suffisamment vite pour suivre le déplacement de leurs zones climatiques optimales causé par
les changements globaux ? Les modèles de scénarios de
biodiversité incorporent encore rarement une description
explicite des capacités de migration et de sa variation entre
espèces (voir cependant Midgley et al., 2006 ; Barbet-Massin
et al., 2012), confrontant le plus souvent au mieux des scénarios (i) où la répartition de chaque espèce suit instantanément les déplacements de sa niche écologique (migration
non limitante), et (ii) où celle-ci est restreinte aux zones
favorables précédemment occupées (pas de colonisation).
La confrontation de ces deux extrêmes, probablement
tous deux éloignés de la réalité, montre que les capacités
migratoires sont un élément clé de la réponse future de la
biodiversité aux changements globaux, ayant plus d’impact
que le choix des scénarios exacts de changement climatique
sur les patrons futurs de biodiversité (Thuiller et al., 2004).
La migration joue également un rôle clé en ce
qui concerne les conséquences de la perte d’habitat et
de la fragmentation des paysages (voir exemple 3.2). La
mobilité des espèces pourrait en théorie jouer comme un
filtre expliquant la persistance des espèces dans des paysages
où le nombre de parcelles d’habitat favorables diminue.
Par ailleurs dans ces paysages de plus en plus morcelés,
la migration permet la cohésion à la fois génétique et
démographique de l’espèce en connectant ses différentes
populations. Les flux de gènes véhiculés par les individus
se déplaçant entre populations sont cruciaux à cet égard,
empêchant une forte divergence génétique entre populations, mais maintenant une plus forte diversité génétique
au sein de celles-ci. En rompant l’isolement génétique des
l’expansion de la processionnaire au même
rythme, quasiment aucun ne se retrouvant
sur le front (Auger-Rozenberg et al., 2015). L’expansion amène aussi les chenilles hautement
urticantes à pénétrer aujourd’hui largement en
zone péri-urbaine et urbaine, ainsi que dans les
zones touristiques de montagne. Les premières
colonies se trouvent en 2012 à 800m de Paris
intra-muros, l’insecte passant ainsi d’un statut
de ravageur forestier à celui d’une nuisance
sanitaire urbaine pour l’Homme comme pour
les animaux domestiques (Moneo et al., 2015).
populations, la migration permet notamment de réduire
les conséquences néfastes de la consanguinité. Cependant,
des flux de gènes nouveaux entre des populations isolées
depuis longtemps peuvent également avoir des conséquences négatives, du fait d’incompatibilités génétiques,
de la perte d’adaptations locales uniques à des conditions
écologiques particulières, ou bien de l’échappement de
gènes entre compartiments cultivés et sauvages (Waller,
2015). C’est en particulier un sujet d’inquiétude lorsque de
nombreux animaux d’élevage s’échappent ou sont volontairement introduits dans les populations naturelles, comme
c’est le cas chez les salmonidés. La prise en compte de la
migration et des flux de gènes associés est donc cruciale
pour comprendre les contraintes et les modalités de
l’évolution génétique comme source d’adaptation aux
changements globaux (voir exemple 3.1 pour des exemples
de changements génétiques liés à la migration et Kremer et
al., 2012 pour une revue).
Inversement, les capacités migratoires dépendent de
traits variés des espèces, allant de la physiologie, à la morphologie jusqu’au comportement. Ces traits sont variables
génétiquement dans la plupart des espèces et les capacités migratoires donc susceptibles d’évoluer face à des
pressions environnementales nouvelles (Ronce, 2007) ;
la fragmentation des paysages rendant la migration plus
périlleuse pourrait notamment sélectionner des génotypes
moins mobiles ; c’est ce qui a effectivement été constaté
chez la plante Crepis sancta où la colonisation du milieu
urbain fortement fragmenté a conduit à un changement
génétique des capacités de dispersion des graines en seulement quelques générations (voir exemple 3.2). Inversement,
dans des espèces connaissant une forte expansion géographique, comme les espèces envahissantes, les génotypes
favorisant une mobilité accrue sont plus fréquents au front
d’expansion, accélérant significativement la propagation de
l’espèce (voir exemple 3.1).
28 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ
EXEMPLE 3.2
ÉVOLUTION DES CAPACITÉS DE DISSÉMINATION DES GRAINES EN MILIEU URBAIN CHEz
CREPIS SANCTA
Auteurs : John Thompson, Pierre-Olivier Cheptou et Ophélie Ronce
De nombreuses régions témoignent de la transformation des paysages, voire de leur transfiguration, par des activités humaines telles
que l’urbanisation, la construction de routes,
la déforestation ou l’intensification de l’agriculture. Ces activités réduisent les effectifs de
certaines espèces, modifient leur distribution
dans l’espace et les possibilités d’échanges entre
populations, et mettent au contraire en contact
des espèces d’habitats différents jusque-là isolées. La fragmentation décrit un ensemble de
processus qui transforme une surface continue
d’habitat naturel en un nombre plus ou moins
important de fragments de taille variable. La
fragmentation des paysages modifie également
les pressions de sélection sur les traits favorisant la dispersion des individus, et donc leurs
capacités à migrer pour traquer les conditions
environnementales changeantes dans le temps
et l’espace, ainsi qu’à recoloniser les sites après
extinction locale.
D
A
E
B
C
PROPORTION DE GRAINES NON
DISPERSANTES PAR PLANTES
0,18
F
0,16
0,14
0,12
0,10
0,008
Claret 1
Claret 3
CNRS
Antigone
H.M.
Roque
Ch.B.
Claret 2
Laver
Pharma
A.B.
POPULATIONS
POPULATIONS URBAINES
NON FRAGMENTÉES
FRAGMENTÉES
Figure 3.2. Crepis sancta (A), une petite plante de la famille des asteracées, produit sur chaque plante des
graines à pappus qui disséminent bien avec le vent (B) et des grosses graines qui se disséminent peu (C).
Elle est présente dans de grandes populations plus continues en milieu rural (D) et des petits fragments
de végétation en milieu urbain (E). Une étude récente (Cheptou et al., 2008) révèle une rapide adaptation
de cette espèce à la configuration spatiale de ses populations en ville. On peut prédire que la sélection
naturelle devrait favoriser les plantes produisant plus de grosses graines en ville – pour réduire les pertes
par dissémination. On observe effectivement une réduction de l’investissement dans la dissémination en
milieu fragmenté (F). D’après Cheptou et al., 2008.
La réponse évolutive des espèces confrontées à
la fragmentation de leur habitat pourrait donc
aggraver encore l’isolement des populations
(voir aussi Riba et al., 2009). Cependant, nous
avons encore peu d’éléments pour juger de la
généralité de ces réponses évolutives et de leurs
conséquences pour la persistance des espèces
dans les paysages fragmentés.
I - SOuRCES DE FlEXIBIlITÉ : ÉTaT DES lIEuX • 29
La migration est donc à la fois une source de flexibilité et de réponse face aux changements globaux et
est elle-même impactée par ces changements de façon
contradictoire : réduction drastique des échanges entre
populations due à la fragmentation et la perte d’habitat
pour certaines espèces, intensité des transports sur des
distances inégalées pour d’autres liée à l’intensification
EXEMPLE 3.3
des échanges et du commerce mondial. Le changement
climatique pourrait également affecter directement les
conditions de migration des organismes : un tel scénario a
pour l’instant été examiné à l’aide de modèles mécanistes
de dispersion des graines chez les plantes (voir exemple
3.3), mais les données expérimentales restent rares (Kremer et al., 2012).
INCIDENCE DU CHANGEMENT GLOBAL SUR LA DISPERSION fUTURE DES PLANTES
ANÉMOPHILES
Auteur : Frank Schurr
Quantifier les taux de dispersion des espèces
de plantes est important pour prévoir la dynamique de la végétation face au changement global. Cependant, le changement global devrait
aussi modifier les conditions de dispersion et
de déplacement des plantes. Ainsi les taux de
déplacement dans les conditions futures pourraient être différents de ceux observés actuellement ou dans le passé.
Une première information sur les effets du
changement global sur le déplacement des
plantes a été fournie par une étude combinant des modèles mécanistiques de dispersion
et de déplacement populationnel de plantes
anémophiles avec des séries longues de données micrométéorologiques (Kuparinen et al.,
2009). Cette étude a montré que les conditions
de vents turbulents qui favorisent la dispersion
des graines et du pollen sont fréquentes lorsque
la température de l’air est élevée. En consé-
quence, une augmentation de la température
de 3 °C pourrait augmenter significativement
la dispersion par le vent et le déplacement de
ces plantes.
Une étude ultérieure a montré que le déplacement des arbres est aussi augmenté si l’accroissement de la teneur en CO2 augmente la
fécondité et avance la maturation des arbres
(Nathan et al., 2011). Cependant, malgré ces
tendances à l’accroissement du potentiel de
dispersion, l’accroissement des déplacements
favorisés par le vent devrait rester en retard
par rapport à la vitesse des futurs changements
climatiques pour la majorité des plantes étudiées à ce jour. De plus, les effets positifs du
réchauffement global et de l’enrichissement en
CO2 seront vraisemblablement contrebalancés
par les pertes d’habitats et la fragmentation qui
peuvent fortement limiter les déplacements des
populations végétales.
En forêt, la dissémination des pollens est généralement assurée par le vent. Chelsea Bock.
30 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ
4. RÉARRANGEMENT DES
COMMUNAUTÉS
Coordinateurs :
Vincent Devictor,
Céline Devaux,
Virginie Maris
L
es espèces ne sont pas égales face aux changements
globaux, qu’il s’agisse du changement climatique
ou de la transformation et de la destruction des
habitats liées aux activités humaines. Certaines
possèdent des caractéristiques écologiques, physiologiques
ou comportementales leur permettant de répondre aux
changements climatiques et aux changements d’habitats
mieux que d’autres. Ainsi, on peut dire que les changements
globaux « réarrangent » les assemblages ou « communautés » d’espèces : la présence et l’abondance des espèces
possédant les caractéristiques permettant de faire face
aux changements globaux augmentent progressivement
au détriment des autres espèces. Cette réorganisation est
susceptible de modifier les interactions entre les groupes.
Si ces interactions sont connues comme dans le cas des
plantes et de leurs pollinisateurs, on parle de réseaux. La
vitesse, la flexibilité et les conséquences de cette réorganisation demeurent peu connues. Néanmoins, différents
aspects du réarrangement des communautés et de la modification des interactions entre groupes ont été observés et
reliés à la transformation des habitats et au changement
climatique. Cette synthèse présente, à l’aide d’exemples
concrets, quelques grandes thématiques déjà abordées et
identifie les manques.
Aurore, Anthocharis cardamines (haut)
et Vanesse de l’ortie, Aglais urticae (bas), Laurent Godet.
Utilisation de descripteurs neutres
Les études permettant de relier la diversité et la composition des communautés aux changements d’habitats ou de
climat sont innombrables. Mentionnons ici quelques-unes
des caractéristiques principales de ces études. Une littérature abondante s’est attachée à relier la diversité des communautés (souvent comprise comme le nombre d’espèces
ou la variabilité dans la distribution des abondances) à
un degré de perturbation de l’habitat. Cette littérature a
connu un développement théorique majeur ayant permis
de définir la notion de méta-communautés, c’est-à-dire de
communautés structurées spatialement et connectées par
des événements de dispersion (Leibold et al., 2004). Ce cadre
a fourni des modèles théoriques ayant permis d’identifier
les règles d’assemblages des communautés (par exemple les
rôles respectifs de la compétition, de la dispersion ou de la
structuration spatiale).
Les études de ce type ont conclu que selon l’histoire,
l’intensité ou le type de perturbation, celle-ci pouvait avoir
un effet positif, négatif ou non linéaire sur la diversité des
communautés. L’hypothèse des « perturbations intermédiaires » a reçu une attention toute particulière. Selon cette
hypothèse, la diversité des communautés est maximisée
à des degrés intermédiaires de perturbations (Wilkinson,
1999), car une plus grande diversité de niches et de stratégies peuvent alors coexister. Cette relation souvent vérifiée
est néanmoins dépendante des systèmes étudiés (Bongers
et al., 2009).
Mais pour comprendre le rôle spécifique d’une pression déterminée sur la dynamique spatiale et temporelle des
assemblages, les auteurs ont souligné la limite que constitue
la caractérisation de la réponse des communautés par une
simple mesure de « diversité » (Purvis & Hector, 2000), qui
est finalement peu informative sur les mécanismes en jeu.
La notion de « perturbation » mérite quant à elle d’être
également précisée, la réponse des communautés étant
dépendante de l’intensité, de la fréquence et du type de
perturbation.
I - SOuRCES DE FlEXIBIlITÉ : ÉTaT DES lIEuX • 31
Intégration des caractéristiques écologiques, fonctionnelles et phylogénétiques
Une tendance plus récente a cherché à caractériser la
réponse des assemblages d’espèces aux changements globaux autrement que par une simple mesure de diversité
en intégrant les différences écologiques, fonctionnelles
ou phylogénétiques entre les espèces (Cadotte et al., 2011 ;
Naeem et al., 2012). Une telle approche présente l’intérêt
d’augmenter le pouvoir explicatif et prédictif. En effet, les
perturbations induites par les changements globaux exercent des filtres sur des espèces ayant certaines stratégies
écologiques (Clavel et al.,2010), certains traits fonctionnels
(Smart et al., 2006 ; Thuiller et al., 2015) ou appartenant à
certaines lignées (Thomas, 2008 ; Thuiller et al., 2011). Aussi,
en mesurant la composition relative des espèces dans les
communautés possédant certaines caractéristiques, on peut
décrire la réponse des communautés à des pressions particulières. Par exemple, en mesurant la composition relative
EXEMPLE 4.1
et la dynamique des espèces sensibles à l’urbanisation dans
les communautés, on peut estimer la réponse des communautés à cette pression (Devictor et al., 2007). De même, on
peut caractériser non pas la réponse mais l’effet potentiel du
changement des communautés en caractérisant les espèces
par des traits impliqués dans le fonctionnement des écosystèmes (Pakeman, 2011 ; Suding et al., 2008 ; Lavorel, 2013).
Parmi ces exemples, une approche semble particulièrement robuste : les espèces spécialistes étant plus vulnérables à des modifications de leur environnement que
les espèces généralistes, mesurer le degré de spécialisation
des communautés permet de quantifier la réponse possible
des communautés à d’éventuels changements, aussi bien
climatiques que paysagers, dans des contextes variables et
pour différents groupes d’espèces (exemple 4.1).
IMPACTS DES CHANGEMENTS D’OCCUPATION DES SOLS ET DU CLIMAT SUR LES
COMMUNAUTÉS D’OISEAUX ET DE PAPILLONS EUROPÉENS
Auteur : Vincent Devictor
À l’aide de données de suivi de biodiversité
mené à large échelle (comme le Suivi Temporel des Oiseaux Communs, STOC – Jiguet et al.,
2012), on peut calculer un degré de spécialisation de chaque espèce de façon standardisée
et suivre le succès relatif de certaines espèces
dans les milieux perturbés. Ce degré correspond simplement à l’intensité de la variation de
l’abondance des espèces dans différentes classes
d’habitats : plus une espèce est spécialiste, plus
son abondance se concentre sur certains habitats. Il suffit ensuite de faire la moyenne des
degrés de spécialisation des espèces rencontrées
dans une communauté pondérés par leur abondance pour obtenir un indice de spécialisation
des communautés (CSI). Cette approche a permis de montrer que le CSI a décliné ces dernières décennies chez les oiseaux de plusieurs
pays européens.
INDICE DE SPÉCIALISATION
0,01
R2 = 0.41
0,005
0
-0,005
-0,01
-0,015
-0,02
1990
1994
1998
2002
ANNÉES
2006
Figure 4.1. Cette courbe
montre le déclin observé
du degré de spécialisation
moyen des communautés
d’oiseaux (CSI) à l’échelle
européenne depuis 1990.
Les données utilisées sont
les données de suivi des
oiseaux communs ayant
lieu dans différents pays
européens (France, Suède,
Royaume-Unis, Pays-Bas
République tchèque).
D’après Le Viol et al., 2012.
32 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ
La baisse du CSI a pu être reliée à la perturbation spatiale et temporelle des paysages (Devictor et al., 2008). En France, la baisse du CSI est
particulièrement corrélée à la modification des
paysages agricoles s’accompagnant d’une intensification des pratiques et d’une simplification
des cultures (Doxa et al., 2012).
La même approche a permis de mesurer la
réponse des communautés au changement climatique. En effet, suite au réchauffement climatique, les espèces généralistes ont tendance
à remplacer les espèces spécialistes dans les
communautés (Davey et al., 2011). De plus, une
approche similaire a pu montrer que les espèces
qui tolèrent les températures chaudes remplacent celles qui préfèrent les températures plus
froides. Cette « préférence » s’obtient facilement en estimant la température moyenne
de l’aire de distribution des espèces. Un indice
de composition thermique des communautés
(CTI) peut ensuite refléter l’enrichissement des
communautés locales en espèces préférant les
températures chaudes. Cette approche a permis de montrer que les communautés d’oiseaux
et de papillons avaient changé rapidement
au cours de ces deux dernières décennies en
France et en Europe (figure 4.2).
Figure 4.2. Cette carte
montre le déplacement
relatif des communautés
d’oiseaux et de papillons
dans plusieurs pays Européens, calculé à l’aide de
l’indice thermique de composition des communautés
(CTI). D’après Devictor
et al., 2012.
Ce type d’analyse a en outre révélé que le
rythme du changement de composition
observé était probablement trop lent pour
que les communautés « suivent » correctement
l’augmentation des températures : alors que les
températures moyennes se sont « déplacées »
de 250 km vers le nord durant les 20 dernières
années, la composition des communautés
d’oiseaux s’est seulement déplacée de 37 km et
celle des papillons de 114 km (Devictor et al.,
Cette approche a l’avantage de ne pas considérer les espèces
comme équivalentes face aux changements globaux. L’intégration d’informations fonctionnelles, phylogénétiques ou
écologiques permet aussi de résumer une information complexe en un indice simple. Elle peut être utilisée aussi bien
pour tester l’impact de la transformation des habitats que
2012). Autrement dit la distribution spatiale des
espèces ne correspond plus à celle attendue sous
l’hypothèse d’un ajustement synchrone entre
les conditions climatiques et l’abondance relative des espèces. Des études complémentaires
sont nécessaires pour comprendre quelle part
de ce déplacement correspond à une adaptation, à l’expression d’une flexibilité phénotypique ou à un réel décalage de la réponse au
changement.
des changements climatiques. Une approche fonctionnelle
permet de questionner également les conséquences de ces
réarrangements sur le fonctionnement des écosystèmes et
les services attachés à ceux-ci, comme dans le cas de la pêche
illustré dans l’exemple 4.2.
I - SOuRCES DE FlEXIBIlITÉ : ÉTaT DES lIEuX • 33
EXEMPLE 4.2
IMPACT DES CHANGEMENTS CLIMATIQUES SUR LES ÉCOSySTèMES MARINS
Auteurs : David Mouillot et Michel Kulbicki
Bien que des changements de climat soient
démontrés et attendus dans tous les écosystèmes marins du globe (Sumaila et al.,
2011 – figure 4.3, A), la régionalisation des
modèles physiques ainsi que l’impact sur les
communautés d’espèces sont des domaines
scientifiques encore largement immatures. Ce
manque de connaissances est d’autant plus critique que près de 1,5 milliards d’êtres humains
dépendent des ressources marines qui constituent plus de 20 % de leur apport protéique
(Badjeck et al., 2010). La modification des aires
de répartition des espèces ainsi que de leurs
abondances en réponse adaptative au réchauffement des eaux est largement démontré (Lloyd
et al., 2012 ; Simpson et al., 2011), avec un impact
sur la productivité, les liens trophiques et donc
sur les ressources marines (Sumaila et al., 2011).
La quantification et l’anticipation de ces modifications constituent un enjeu majeur pour
l’adaptation de la société que ce soit au niveau
économique, démographique ou sanitaire.
Malgré la méconnaissance de certains processus complexes qui sous-tendent l’impact
du changement de climat sur la production
des systèmes marins et le manque de données
temporelles, quelques avancées majeures sou-
A
lignent déjà l’ampleur de ces changements
et la nécessité d’implémenter des stratégies
d’adaptation. Il ressort que les impacts sont très
hétérogènes à l’échelle du globe (Sumaila et al.,
2011 ; MacNeil et al., 2010) avec une diminution
attendue de 50 % des captures de pêche d’ici la
fin du siècle par rapport à 2005 notamment
dans les régions polaires et tropicales (figure
4.3, B). Les mécanismes sont pourtant très différents pour expliquer ces chutes de production. En régions tropicales, l’augmentation de
fréquence des événements de températures
extrêmes va engendrer une augmentation de
la fréquence des épisodes de blanchiment des
coraux qui, en tant qu’habitats essentiels des
poissons (nourriture, protection, recrutement),
vont limiter l’abondance et donc la production
de pêche (Munday et al., 2008). En régions
polaires, malgré l’arrivée de nouvelles espèces
des régions tempérées et une augmentation de
la production primaire (MacNeil et al., 2010),
un accès nouvellement étendu (en temps et en
surface) aux régions occupées par la banquise
va favoriser l’épuisement rapide des ressources
par une pêche plus intensive, couplé aux activités anthropiques telles que le convoyage par
bateau et l’extraction de ressources énergétiques (pétrole et gaz – Sumaila et al., 2011).
Évolution des températures
de surface des mers et océans
en 2100 par rapport à 2005
Absence de données
-5.00 – -1.10
-1.00 – -0.51
-0.50 – -0.21
-0.20 – +0.19
+0.20 – +0.49
+0.50 – +0.99
+1.00 – +2.00
+2.00 – +5.53
B
Évolution des potentiels de
capture des ressources marines
(en % comparé à 2005)
< -50
-50 – -30
-29 – -15
-14 – -5
-4 – +5
+6 – +15
+16 – +30
+31 – +50
+51 – +100
> + 100
Figure 4.3. Projections
attendues, selon le scénario
A1B du « Groupe international d’experts sur le
climat » (GIEC), concernant
les changements des températures de surface des mers
et océans du globe d’ici la
fin du siècle par rapport
à 2005 (A) et l’évolution
des potentiels de capture
des ressources marines (B).
Sumaila et al., 2011 (reproduit avec l’autorisation de
Nature Climate Change
et de Global Change Biology).
34 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ
Malgré l’étendue des impacts des changements globaux
ainsi révélés sur les systèmes terrestres ou marins, beaucoup
de questions restent néanmoins à explorer dans ce domaine.
En particulier la quantification d’un aspect seulement de
la biodiversité (le nombre d’espèces, la tendance des populations) est souvent privilégiée, et les processus demeurent
encore mal compris. Des recherches récentes semblent prometteuses pour mieux relier la réponse des communautés
aux changements globaux (voir, les approches « multifacettes » dans la partie prospective). De plus, les études pré-
cédemment nommées ne considèrent qu’un seul niveau
trophique (par exemple oiseaux ou papillons ou poissons)
et ignorent les interactions entre les espèces et entre les
groupes d’espèces.
Un autre champ de recherche s’est davantage intéressé
à ce problème. Les communautés ne désignent dans ce cas
plus un assemblage d’espèces d’un niveau trophique donné
mais des communautés en interactions.
Intégration des interactions entre les espèces
Une communauté d’espèces d’un niveau trophique donné
est le plus souvent en interaction avec une autre communauté dont elle dépend plus ou moins directement. Par
exemple, les plantes sont en interactions étroites avec la
faune et la micro-faune du sol et beaucoup d’entre elles
sont en interaction avec les pollinisateurs qui les visitent.
Or les changements globaux n’affectent pas seulement ces
deux communautés mais aussi les interactions entre ces
communautés (Wolters et al., 2000 ; Valiente-Banuet et al.,
EXEMPLE 4.3
2015). Mesurer l’impact des changements globaux sur les
communautés nécessite donc d’étudier explicitement ces
interactions. De plus, les modifications des interactions
entre espèces altèrent les pressions de sélection pesant sur
celles-ci et peuvent favoriser ou contraindre des changements génétiques au sein de chaque espèce, comme illustré
dans l’exemple 4.3 à propos des relations entre plantes et
pollinisateurs.
IMPACT DES CHANGEMENTS GLOBAUX SUR LES PLANTES ENTOMOPHILES
Auteur : Céline Devaux
Toutes les composantes des changements globaux affectent les pollinisateurs et les plantes
qu’ils visitent (Parmesan, 2006 ; Potts et al.,
2010) : les changements climatiques, l’intensification de l’agriculture, l’urbanisation, la
fragmentation ou la perte d’habitats et l’introduction involontaire d’espèces. Plusieurs études
montrent que les plantes et les pollinisateurs
subissent des effets directs des changements globaux et des effets indirects et complexes du fait
des relations mutualistes qu’ils entretiennent.
Les changements globaux provoquent le déclin
voire l’extinction de populations de pollinisateurs (en particulier les Apidés – Cameron
et al., 2011 ; Winfree et al., 2011) et de plantes
(Thomas et al., 2004 ; Biesmeijer et al., 2006), le
déplacement géographique d’espèces de plantes
et de pollinisateurs, des changements concomitants de phénologies de plantes et de pollinisateurs (Hegland et al., 2009 ; Bartomeus et
al., 2011) et des changements du comportement
des pollinisateurs (Bartomeus et al., 2008). Des
travaux expérimentaux (Fontaine et al., 2008)
et d’observation le long de gradients d’abondance de pollinisateurs montrent également
l’effet direct de la perte des pollinisateurs sur
le succès reproducteur des plantes (SteffanDewenter & Westphal, 1999 ; Etterson & Shaw,
2001 ; Chalcoff et al., 2012).
Les réseaux que composent les communautés
de plantes en interaction avec les communautés de pollinisateurs ont la particularité que
ces communautés constituent des « filtres »
les unes pour les autres puisque les pollinisateurs sont des agents de sélection des plantes,
et inversement. La structure de ces réseaux
(hiérarchisés et avec une majorité d’espèces
généralistes) leur assure une certaine résilience face à l’extinction des espèces de plantes
ou de pollinisateurs (Thébault & Fontaine,
2010 ; Benadi et al., 2012). Cette relative stabilité face aux perturbations s’opère par des
modifications dans la nature et l’intensité des
interactions entre les espèces. Par exemple, les
plantes et les pollinisateurs peuvent devenir
plus généralistes en élargissant leur phénologie de floraison ou leur période d’activités
(Herrera, 1988 ; Ackerman & Roubik, 2012).
La phénologie de floraison des plantes peut en
I - SOuRCES DE FlEXIBIlITÉ : ÉTaT DES lIEuX • 35
effet s’ajuster rapidement aux changements du
climat et de l’environnement de pollinisation
(Primack et al., 2004 ; Rafferty & Ives, 2011),
via des réponses génétiques (Franks et al., 2007)
ou plastiques (Mazer & Schick, 1991). En outre,
la date de f loraison dans les communautés
est aussi contrainte par la compétition entre
les espèces de plantes pour les mêmes pollinisateurs généralistes qui déposent alors du
pollen hétérospécifique et diminuent ainsi le
succès reproducteur des plantes (Rathcke, 1983 ;
Devaux & Lande, 2009).
Plus généralement, la modification de l’environnement de pollinisation sélectionne des
traits f loraux (par exemple la couleur et le
nombre de fleurs) susceptibles d’augmenter le
taux de visites des pollinisateurs et potentiellement le succès reproducteur des plantes, ou
sélectionne des traits susceptibles d’augmenter
le taux d’autofécondation des plantes et ainsi de
les rendre potentiellement moins dépendantes
des pollinisateurs. Notons que pour augmenter
leur succès reproducteur, les plantes peuvent
également changer de pollinisateurs ou diversifier les pollinisateurs qui les visitent, en attirant de nouvelles espèces de la communauté.
Les scénarios possibles des réponses des
plantes et des pollinisateurs à court-terme
peuvent accroître leur risque d’extinction à
plus long terme : (i) si les plantes deviennent
plus auto-fécondantes et développent ensuite
les syndromes fréquemment associés à ce
type de reproduction, alors les pollinisateurs
pourraient manquer de ressources polliniques
et nectarifères ; (ii) si les plantes deviennent
plus spécialistes, leur risque d’extinction serait
accru ; (iii) si les pollinisateurs deviennent plus
généralistes, les flux de gènes hétérospécifiques
pourraient alors diminuer le succès reproducteur des plantes ; et, (iv) si les pollinisateurs
deviennent plus spécialistes, alors certaines
espèces de plantes ne seraient plus visitées.
Conclusion
L’état des lieux précédent, non exhaustif, a permis de décrire
quelques aspects de la réponse actuelle des communautés
aux changements globaux. Ces champs de recherche sont
encore très actifs et restent nécessaires pour mieux décrire
et comprendre la réponse des communautés aux changements globaux. Plusieurs aspects de la réponse des communautés aux changements globaux commencent à être bien
documentés. Une réorganisation des assemblages d’espèces
en faveur d’espèces possédant certaines caractéristiques
(fonctionnelles, écologiques, évolutives) favorisées par les
changements globaux a pu être quantifiée pour plusieurs
groupes, dans plusieurs systèmes et à plusieurs échelles.
Les études sur les communautés en interactions ont également montré l’importance d’étudier les communautés
comme des réseaux d’interactions plutôt que comme des
assemblages isolés. Notons aussi que sur la base de cette
connaissance, d’importants travaux se sont concentrés
sur la « projection » probable, sous forme de scénarios des
assemblages futurs, en fonction de l’évolution possible du
climat et de l’occupation des sols (Sekercioglu et al., 2012).
Abeille butinant sur la tanaisie commune, Tanacetum vulgare, une Asteraceae riche en composés toxiques dont le pollen,
pauvre en acides aminés, ne peut être exploité que par des espèces spécialistes disposant d’adaptations spécifiques.
36 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ
5. DYNAMIQUE DES STRATÉGIES,
DES SAVOIRS ET DES PRATIQUES
C
haque système social et économique détermine
un mode original d’exploitation des ressources
naturelles et définit des normes spécifiques de
leur usage (Godelier, 1978). La question de l’adaptation des sociétés à leur environnement comme celle de
leurs réponses aux changements qui affectent les écosystèmes recouvre une certaine complexité car les groupes
humains procèdent à des choix qui sont influencés à la fois
par leurs orientations culturelles et par les potentialités du
milieu, une combinaison résumée par le terme de « choix
éco-culturel » (Bonnemaison, 1996). De la même manière,
les réponses des sociétés face aux changements globaux,
qu’il s’agisse de la mutation de l’univers social et économique dans lequel elles évoluent ou de la modification de
variables environnementales, ne sont pas déterminées mais
font intervenir des choix susceptibles de varier selon les
orientations des sociétés concernées et le contexte spécifique de ces changements. Par-delà la diversité des contextes
et des réponses, il semble possible néanmoins d’identifier
un certain nombre de convergences, d’éléments transversaux permettant d’élaborer une approche systématique de
ces adaptations.
L’un de ces points de convergence se situe probablement autour de la notion de « résilience », une notion
abondamment utilisée dans les contributions qui décrivent
les réponses des sociétés confrontées à des changements
environnementaux ou à des modifications de leurs structures sociales ou économiques. L’appropriation de cette
notion issue des sciences physiques par les sciences sociales
témoigne de la nécessité, éprouvée au sein de ce champ
disciplinaire, de mettre en avant la capacité des sociétés à
EXEMPLE 5.1
Coordinatrice :
Sara Muller
faire face aux transformations sans pour autant se « désintégrer ». Autrement dit, les sociétés feraient appel à leur capacité d’adaptation pour absorber les effets de la fluctuation
des variables environnementales ou socio-économiques.
Cette flexibilité est rendue possible par un ensemble de
précautions qui semblent caractériser les modalités initiales
d’exploitation du milieu par les groupes. Maurice Godelier a montré par exemple que les Boschimans de Nouvelle-Guinée faisaient un usage sélectif des ressources du
milieu, laissant inexploitée une partie des ressources qu’ils
connaissent. En évitant de vivre aux limites des possibilités
de leur système, ces groupes se réservent ainsi une marge de
manœuvre pour faire face à l’imprévu. Dans un contexte
diamétralement différent, la contribution de Sandra Lavorel (exemple 5.1) montre que les éleveurs de haute-montage
des Alpes du Nord parviennent, face à l’augmentation de
la fréquence des sécheresses, à jouer sur la flexibilité des
systèmes sans modifications structurelles, en faisant varier
certains paramètres comme la surface des pâtures ou l’achat
de fourrage. Le cas des horticulteurs du Vanuatu (exemple
5.2) illustre une réponse qui va plus loin qu’une simple
adaptation de variables : en incorporant de manière contrôlée la culture du manioc (une plante exotique en Mélanésie) aux agrosystèmes locaux, ils parviennent à renforcer la
résilience de ces systèmes et à convertir ainsi une menace
potentielle en occasion de renforcement. Le cas des paysanspêcheurs de la Casamance (exemple 5.3) illustre une autre
stratégie (également observée au Vanuatu) qui consiste,
face à la péjoration des conditions climatiques, à gérer les
risques en combinant les variétés culturales dans les mêmes
parcelles et à élargir l’éventail des activités rurales et des
espaces.
ADAPTATION DES TERRITOIRES ALPINS à LA RECRUDESCENCE DES SÉCHERESSES DANS
UN CONTEXTE DE CHANGEMENT GLOBAL
Auteur : Sandra Lavorel
L’objectif du projet GICC2 - SECALP
était d’analyser les mécanismes d’adaptation des territoires semi-naturels de
montagne face aux changements climatiques, particulièrement la récurrence
des sécheresses. Les objectifs spécifiques
étaient : (i) d’améliorer la compréhension des mécanismes de résilience et
Massif Alpin, Tyrol, Autriche. Rafael Brix.
I - SOuRCES DE FlEXIBIlITÉ : ÉTaT DES lIEuX • 37
de transformation des écosystèmes, et des
processus d’adaptation des acteurs agricoles
et forestiers. (ii) de proposer des orientations
pour accompagner ces acteurs au travers des
politiques publiques agri-environnementales
et de développement territorial, et (iii) de proposer des stratégies d’observation à long terme
pouvant favoriser l’adaptation des acteurs.
Peu de données sont disponibles pour évaluer
les dynamiques écologiques à long terme. L’analyse des données disponibles pour les alpages
et par les inventaires forestiers a suggéré une
forte résilience aux sécheresses des trente dernières années. La forte résilience des alpages,
dont la dynamique et le fonctionnement sont
principalement pilotés par la gestion, résulte de
mécanismes d’adaptation physiologique dans
ces milieux naturellement variables (Benot et
al., 2014 ; Jung et al., 2014). Les enquêtes réalisées auprès d’acteurs agricoles et forestiers pour
analyser leurs capacités et mécanismes d’adaptation aux sécheresses récentes ont révélé que
les conséquences des sécheresses sur les activités d’élevage et forestières sont par nature
différentes selon les échelles de temps de leur
gestion et leur fonctionnement économique.
Les adaptations adoptées par les acteurs de l’élevage restent toutefois limitées à une adaptation
des pratiques pour jouer sur la flexibilité des
systèmes sans modifications structurelles. À
l’exception des exploitations disposant de surfaces irriguées importantes, toutes les exploitations ont recours aux achats de fourrage pour
compenser la baisse des récoltes destinées aux
stocks hivernaux, mais à des degrés divers selon
la durée de l’hivernage. Pour les périodes de
pâturage, les élevages de haute montagne et les
systèmes laitiers des Alpes du Nord jouent avant
tout sur l’agrandissement et le surdimensionnement des pâtures par rapport aux besoins
du troupeau. Les exploitations pastorales des
Alpes du Sud misent aussi sur une diversité
de surfaces et une souplesse dans la conduite
technique pour s’adapter aux conditions de
l’année. Les préoccupations des éleveurs et des
forestiers se rejoignent sur l’impact à moyen
terme des sécheresses et se focalisent sur les
interactions entre recrudescence des épisodes
de sécheresse et contexte socio-économique.
Ils partagent également leurs incertitudes sur
les dynamiques à long terme (possibilités d’effets de seuils) et sur les conséquences de leurs
modifications de pratiques pour la durabilité
de leurs ressources, qu’elles soient fourragères
ou forestières. Enfin, l’accroissement des séche-
resses est susceptible de décloisonner les deux
groupes d’acteurs, aussi bien par la demande de
surfaces boisées « tampon » pour le pâturage,
que pour la colonisation des alpages par le pin
à crochet.
La construction participative de scénarios combinant modalités climatiques et socio-économiques a permis de mettre en évidence le rôle
relatif de ces deux dimensions dans l’adaptation
des acteurs (Nettier et al., 2012 ; Lamarque et
al., 2013). Conformément à ce qui a été observé
concernant la perception et l’adaptation aux
sécheresses récentes, la réalité du changement
est plus prégnante pour les éleveurs que pour
les forestiers, ne serait-ce qu’en relation avec les
échelles de temps de leurs décisions et la détectabilité des effets des événements récents. De
manière générale, les propositions d’adaptation
sont en continuité avec les réponses récentes
ou les anticipations qu’elles ont suscitées. Les
éventuels changements plus radicaux mettent
en jeu l’attitude face aux aléas et intègrent
toujours d’autres facteurs, notamment relatifs
à l’évolution du contexte socio-économique,
bien que celui-ci reste une incertitude dont le
poids est majeur, en particulier dans la position
attentiste des acteurs forestiers. Enfin, même
s’il reste un facteur crucial d’incertitude, le
contexte réglementaire sera décisif dans la
capacité des acteurs à mettre en place des adaptations, comme le seront l’accompagnement
technique et territorial.
La mise en place d’un système d’observation
adapté aux contraintes des milieux de montagne apparaît comme un défi non seulement
scientifique, mais une réponse à une demande
des acteurs pour soutenir leurs adaptations.
L’analyse des réseaux et protocoles existants
souligne un foisonnement de réseaux, de dispositifs et de protocoles à de multiples échelles.
Sur l’exemple du réseau Alpages Sentinelles
(Dobremez et al., 2014), un tel observatoire
devra assurer la coordination et la communication entre réseaux, et en particulier entre
scientifiques et gestionnaires, et entre protocoles pour les paramètres à combiner sur le
climat, les écosystèmes (biodiversité et valeur
productive) et les pratiques. Le partage de cette
démarche entre gestionnaires des espaces naturels, acteurs agricoles, forestiers, scientifiques,
et acteurs territoriaux est essentiel pour sa mise
en place et sa pérennité, ainsi que pour accompagner l’adaptation.
38 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ
EXEMPLE 5.2
DIVERSITÉ BIOCULTURELLE DES SySTèMES HORTICOLES AU VANUATU
Auteurs : Sophie Caillon et Sara Muller
La capacité d’adaptation des sociétés est conditionnée à la fois par la structure de leur système social, par la multiplicité des stratégies
actuelles et futures dépendantes du potentiel
d’innovation des individus (Osty, 1978 ; Brookfield & Padoch, 1994 ; Chauveau et al., 1999 ;
Brookfield, 2001), et, dans le cadre de sociétés
vivants de leur agriculture, par la diversité des
agrosystèmes. Cette diversité comprend à la
fois la diversité biologique évoluant au sein
des agroécosystèmes, soit l’agrobiodiversité,
mais aussi la diversité culturelle décrite ici
comme celle des pratiques, des savoir-faire et
des connaissances liées directement ou indirectement à la gestion de systèmes agraires.
La diversité biologique, un véhicule de la diversité culturelle
Nous avons pu montrer que les horticulteurs
du Vanuatu (Pacifique sud) conservent une
grande diversité intra-spécifique de plantes
à racines et tubercules, non pas uniquement
pour leurs particularités culinaires, agronomiques ou pour répondre à des usages, mais
en premier lieu pour consolider leurs réseaux
sociaux, transmettre un système de valeurs
et affirmer leur rapport au monde. Parmi les
espèces les plus valorisées comme le taro (Colocasia esculenta) et la grande igname (Dioscorea
alata), certains cultivars sont porteurs en effet
d’une forte dimension symbolique qui renvoie
les sociétés aux profondeurs de leurs mythes
fondateurs. Parce que les plantes à propagation
végétative ont la capacité de se multiplier à
l’identique indéfiniment, elles constituent avec
les pierres et les autres éléments fixes du paysage, l’unique objet immuable dans un environnement soumis aux caprices climatiques
tels que cyclones, fortes précipitations, tsunamis… Chaque variété, à travers son système
de nomenclature et de classification, véhicule
ainsi la mémoire du village ; la relation aux
ancêtres est consolidée par un lien physique :
la plante enracinée et transmise de générations
en générations. La diversité biologique constitue donc le véhicule (et la ressource) d’une
richesse culturelle et le moyen d’expression
d’un rapport au monde.
De la conservation in situ à la sélection participative
La diversité intra-spécifique des plantes cultivées, en terme de variétés ou cultivars nommés,
est riche et dynamique. Face à des pressions
extérieures (scolarisation, introduction d’espèces exotiques, développement de cultures
de rente, etc.), elle a néanmoins tendance à se
réduire. Le dynamisme des pratiques agricoles
et du matériel génétique planté permet d’assurer un système agricole résilient car inventif et
adaptable aux nouvelles pressions d’un environnement social, économique et naturel en
mutation. Sachant que les principales raisons
pour lesquelles les agriculteurs conservent un
matériel ancestral sont d’ordre social, le scientifique ou le développeur a peu d’influence
sur l’évolution des pratiques locales ; ils ne
peuvent mettre la société « sous cloche » dans
l’objectif de conserver cette grande diversité
intra-spécifique.
Nous pouvons néanmoins travailler sur le
dynamisme du matériel génétique, soit le
potentiel d’adaptation des plantes cultivées.
Pour faciliter l’adaptation de ces plantes face
à l’émergence de nouveaux risques et de nouvelles contraintes (par exemple l’introduction
de maladies), il faut les « améliorer ». L’enjeu
est en quelque sorte de susciter chez le végétal des « mutations utiles » face à des changements globaux engagés sur des pas de temps
très rapides. Les programmes d’amélioration
classique peuvent difficilement gérer scientifiquement et financièrement la variabilité des
terroirs et des attentes sociales car la majorité
de ces plantes à racines et tubercules changent
de couleur, de forme et de goût selon l’environnement. Les horticulteurs du Vanuatu, en
revanche, qui connaissent parfaitement les propriétés intrinsèques des cultivars, sont les plus
aptes à juger, par un jeu d’expérimentations
empiriques, de l’association adéquate entre un
cultivar et un terroir lié à des pratiques spé-
I - SOuRCES DE FlEXIBIlITÉ : ÉTaT DES lIEuX • 39
cifiques. Ces derniers sont les spécialistes du
local alors que les scientifiques ont les connaissances du global. Ils ont par exemple accès à
une plus grande diversité de taros, tant nationaux qu’issus de la région Pacifique, et souvent
une connaissance de leurs résistances. Cette
complémentarité dans la pratique s’illustre le
mieux dans la mise en place d’un programme
d’amélioration participative grâce à l’introduction de cultivars résistants et à l’enseignement
de l’étape de la fécondation aux agriculteurs
(Lebot et al., 2005). Ces programmes donnant
aux agriculteurs la possibilité d’être de véritables acteurs de l’amélioration, sont actuellement mis en place au Vanuatu grâce à des
financements FFEM et à un encadrement
scientifique du CIRAD.
Finalement c’est en protégeant une espèce
végétale socialement valorisée quitte à la
« moderniser » en améliorant son potentiel
d’adaptation, que l’on conserve cette richesse
de cultivars porteurs de la mémoire du village. La sélection participative est alors un
moyen d’allier conservation et amélioration,
soit conservation et développement. Dans ce
cadre, une approche interdisciplinaire s’impose
afin d’optimiser l’efficacité des programmes de
conservation et de développement auprès des
populations, parce qu’elle permet d’établir les
bases d’une coopération avec les communautés
locales qui les laisse libres de décider du sens
et des modalités de leur inscription dans les
processus de globalisation auxquelles elles sont
désormais confrontées.
La diversité biologique, un indicateur de la capacité d’adaptation des sociétés
Face à la mondialisation, les agrosystèmes du
Vanuatu apparaissent particulièrement résilients. Nous avons montré que l’incorporation
récente de nouvelles espèces exotiques (p. ex.
le manioc Manihot esculenta) ne s’inscrivait pas
nécessairement comme une menace pour le
maintien des espèces traditionnelles ; bien souvent en effet, cette incorporation est contrôlée
et mise au service de la résilience générale des
systèmes. Par exemple, afin de mieux gérer le
risque lié à de fortes contraintes environnementales comme le volcanisme, les horticulteurs distribuent leur patrimoine de variétés
au sein d’un plus grand nombre d’espèces cultivées dans des agroécosystèmes distincts. Paral-
lèlement, l’analyse des discours et des pratiques
autour de ces espèces exotiques a démontré :
• la faculté des sociétés à produire des discours visant à incorporer ces plantes à leur
vision du monde, à leur donner du sens ;
• la contribution de ces plantes à l’enrichissement des pratiques, savoirs et représentations liés à la diversité.
Ces constats nous amènent à nous positionner
en faveur d’une conception dynamique de la
diversité « bioculturelle » et à proposer que
cette diversité puisse être appréhendée comme
un indicateur des capacités d’adaptation des
sociétés aux bouleversements engendrés par
la mondialisation.
Femmes découpant les
cormes de taro cuits
au four traditionnel à
pierres destinés à être
distribués entre les
convives participants
à une fête religieuse
chrétienne. Village
de Vêtuboso, île de
Vanua Lava, Vanuatu,
2002. Sophie Caillon.
40 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ
Toutefois ces démonstrations de résilience ne doivent pas
masquer le caractère souvent précaire des défenses mises
en œuvre face à des mutations particulièrement intenses.
D’où l’importance de la notion de « risque », une autre
notion transversale. Dans les trois exemples cités ci-dessus,
se pose en effet la question des « effets de seuils » susceptibles d’entraîner rupture et basculements quand le système
atteint ses limites. Cette question se pose avec d’autant plus
d’acuité que la modification des pratiques sociales sous
l’effet des pressions extérieures est susceptible de s’inscrire
aussi comme un facteur d’aggravation des pressions et des
déséquilibres via l’intervention de processus de rétroaction,
mettant en péril les conditions de reproduction du système
EXEMPLE 5.3
(écueil de la « mal adaptation »). La notion de risque fait
donc écho à celle d’« incertitude » sur les dynamiques à
long terme. Dans les situations les plus critiques, le basculement du système est susceptible d’engendrer le départ
des populations (exode rural, migrations internationales),
la migration pouvant être envisagée comme la stratégie
adaptative ultime face à la dégradation des conditions de
fonctionnement des systèmes sociaux et écologiques. Le
plus souvent, la situation évolue vers un système composite dans lequel les réseaux familiaux en ville ou à l’étranger contribuent activement à la survie du système via des
transferts de fonds.
DyNAMIQUES INNOVANTES DANS LES PAyS DES RIVIèRES DU SUD (SÉNÉGAL-SIERRA LÉONE)
Auteur : Marie-Christine Cormier-Salem
La riziculture de mangrove, une crise multiforme
Le changement des systèmes de gestion de la
mangrove dans les Rivières du Sud (littoraux à
mangrove du Sénégal à la Sierre Léone) représente une bonne illustration des réponses face
à une crise d’abord socio-économique et politique (marquée notamment par l’exode rural
massif des jeunes vers les villes), aggravée et
accélérée par la péjoration climatique des
années 1980 (Cormier-Salem, 1999).
Cette riziculture repose sur un ensemble de
techniques dont la plus remarquable est la
construction de digues de ceinture des terroirs
pour les protéger de l’invasion de l’eau salée
des bolons (bras d’estuaire). Il s’agit donc d’une
riziculture « endiguée », mais non irriguée et
sans apport en eau douce, dans des conditions
climatiques limites pour la culture de riz, à
savoir 1 500 mm de pluie en année moyenne.
Les socio-écosystèmes de cette région, caractérisés par la combinaison de diverses ressources,
usages et acteurs, tendent à se simplifier avec le
recul, à partir de la fin des années 1960, de la
riziculture de mangrove, activité structurante
de ces systèmes (Cormier-Salem, 1992 ; 1994b).
Les migrations, d’abord saisonnières, sont de
plus en plus souvent définitives. Faute de main
d’œuvre, les aménagements hydro-agricoles,
en particulier les digues, ne sont plus entretenus ; de nombreuses rizières sont abandonnées.
Cette déprise, manifeste dès les années 1950
Aménagement
traditionnel des
mangroves en BasseCasamance. Vue du
terroir rizicole, depuis
la mangrove (premier plan) jusqu’au
plateau (arrière-plan).
Marie-Christine
Cormier-Salem.
I - SOuRCES DE FlEXIBIlITÉ : ÉTaT DES lIEuX • 41
(Pélissier, 1967), est accélérée par la péjoration
climatique et la salinisation des sols et des eaux
(Le Reste et al., 1986). Tous les niveaux de la
chaîne trophique subissent une augmentation
très rapide de la salinité, conduisant à la simpli-
fication des socio-écosystèmes et à l’appauvrissement du milieu. De vastes étendues sursalées
et stériles, les tannes, occupent désormais la
place de mangroves et de rizières endiguées.
Réponses aux changements
Outre la construction de digues et diguettes,
les paysans détiennent des savoirs, techniques
et pratiques qui leur permettent d’anticiper les
irrégularités pluviométriques et de répartir les
risques de tout ordre. La diversification est au
cœur de ces logiques et se décline à tous les
niveaux de la biodiversité.
sité de variétés de riz, combinée à la diversité
des parcelles : ce sont là les conditions essentielles de l’adaptabilité de ces systèmes.
En ce qui concerne la diversité génétique des
riz, les paysans détiennent un stock d’au moins
15 variétés, combinant « riz humide » et « riz
sec ». Chacune de ces variétés est adaptée aux
conditions agro-pédologiques des parcelles (des
zones les plus profondes de la mangrove aux
eaux parfois saumâtres, jusqu’aux terrasses
plus sèches et aux plateaux), aux conditions
climatiques (avec des variétés à cycle court et
à cycle long) et aux besoins organoleptiques et
socioculturels (Cormier-Salem, 1992).
Enfin, en ce qui concerne le terroir dans son
ensemble, la riziculture est associée à d’autres
cultures (arachide, mil, maraîchage et plantation d’anacardiers), mais aussi à d’autres
usages, tels que l’exploitation du sel sur les
tannes, la récolte des huîtres de palétuviers et
des coquillages sur les vasières, la pêche dans
les bolons et le f leuve, l’élevage sur les plateaux, etc. Avec le recul de la riziculture, les
ressources extractivistes de la mangrove (bois
de palétuvier, sel, huîtres) comme des forêts de
plateau (anacardiers, palmiers), sont devenues
de petites productions marchandes, écoulées
sur les marchés ruraux et urbains, voire même
internationaux.
En ce qui concerne le terroir rizicole, les paysans jouent sur la diversité de leurs parcelles
selon un continuum, des zones inondables de
mangrove aux zones de plateaux (Richards,
1989). La gestion des risques (notamment des
irrégularités climatiques) s’appuie sur la diver-
Ainsi pour faire face à la crise multiforme
et pallier le déficit des productions rizicoles,
les populations des Rivières du Sud ont développé des stratégies de diversification des
cultures et d’élargissement des activités rurales
(Cormier-Salem, 1994).
Les systèmes de pêche
Chez les marins pêcheurs migrants du Sénégal,
la flexibilité repose sur la mobilité spatiale et
sur la diversité des systèmes de pêche (fonds
exploités, ressources marines ciblées, engins,
moyens de navigation, filière, marchés, organisation des unités de pêche, etc.). Les unités
de pêche peuvent adapter leurs lieux de pêche
et leurs cibles selon les conditions de l’environnement (Cury & Roy, 1991). Face à la demande
croissante en poisson, ils adoptent des techniques nouvelles : la motorisation des pirogues,
les glacières pour conserver le poisson à bord,
les nouveaux engins de pêche comme les sennes
tournantes coulissantes sont toutes des innovations majeures pour augmenter les captures et
les diversifier, afin de répondre à la croissance
spectaculaire du marché urbain, puis à la glo-
balisation des échanges (Cormier-Salem, 2006).
L’explosion de la pêcherie de poulpes dans les
années 1990 illustre cette capacité à saisir des
opportunités, les poulpes s’étant multipliés du
fait de la raréfaction des grands prédateurs tels
que les requins. Peu connue jusqu’à cette date
et non consommée localement, cette ressource
devient alors la principale espèce capturée
au Sénégal. Ces stratégies innovantes sont, à
court terme, génératrices de revenus, mais ne
sont pas durables et demeurent fragiles, la ressource étant très fluctuante. C’est pourquoi à
ces stratégies opportunistes, souvent le fait de
jeunes capitaines, plus individualistes, ciblant
une espèce, sont préférées les stratégies des
marins pêcheurs misant sur la diversité des
42 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ
ressources et de leur fluctuation, mobilisant
diverses tactiques de pêche, s’adaptant à l’évolution du marché. La valorisation de toute la
chaîne de valeur apparaît alors comme une
stratégie innovante plus durable, permettant
de diminuer la pression sur la ressource tout
en maintenant le niveau de vie de pêcheurs
grâce à une meilleur qualification des captures
(Cormier-Salem & Samba, 2010).
Conclusion
Si les réponses des sociétés aux changements
de leur environnement sont très diversifiées
selon les contextes, les travaux sur les stratégies
des communautés locales (savoirs, pratiques,
logiques) mettent en évidence des caractéristiques communes. Premièrement, les socioécosystèmes sont d’autant plus flexibles qu’ils
sont divers et que cette diversité s’exprime
à tous les niveaux (gènes, cultivars et races
animales, ressources naturelles, parcelles,
paysages, savoirs, etc – Milleville, 2007). Deuxièmement, on observe que les stratégies sont
Aussi importante qu’elle soit, la notion de « risque » est
néanmoins contrebalancée par celle « d’opportunités »,
émanation positive de l’incertitude. Ainsi, les populations
des Rivières du Sud de la Casamance étudiées par MarieChristine Cormier-Salem (exemple 5.3) ont-elles, en dépit
de la dégradation des conditions de la riziculture de mangrove, su tirer parti des nouvelles possibilités offertes par
leur insertion dans des systèmes économiques mondialisés
(exportation de noix de cajou et autres « produits de niche »
sur les marchés internationaux) et des innovations technologiques, notamment dans le domaine de la pêche. Cet
exemple constitue une bonne illustration de « stratégies
offensives » moins attachées à la préservation de l’ancien
système (le propre des « stratégies défensives ») qu’à la
recherche de voies alternatives permettant précisément de
rompre avec l’existant pour se projeter dans l’avenir. Plus
proches de nous, les anciens terroirs de l’arrière-pays andalous étudiés par André Humbert (2007), bien que longtemps désertés, sont parvenus à retrouver un second souffle
grâce aux stratégies avisées des nouveaux acteurs d’une
« agriculture ancienne modernisée » : ces derniers ont su
mettre à contribution les financements offerts par la PAC
dans le cadre de l’éco-conditionnalité et les outils de communication modernes (internet) pour tirer profit de l’engouement que suscitent les « produits de terroirs » auprès
d’une catégorie de consommateurs en quête d’authenticité.
Cet exemple permet de faire le lien avec la question
du rôle des politiques publiques et de l’innovation institutionnelle en matière d’adaptation des sociétés. Minimi-
à la fois défensives (pour faire face à la crise) et
offensives (pour saisir de nouvelles opportunités (marchés, filières, etc – Chauveau & Yung,
1995). Enfin, les innovations qui entrent en jeu
sont à la fois techniques, sociales, économiques
et institutionnelles (Chauveau et al., 1999). Pour
que ces innovations soient effectives (efficientes
et appropriées), elles sont le plus souvent le
résultat d’une hybridation entre les logiques
locales (paysannes notamment) et la rationalité
des experts externes (Byé et al., 1999 ; CormierSalem et al., 2013).
ser les risques de mal adaptation, anticiper les risques sur
le long terme, renforcer la disponibilité de l’information
et favoriser les bifurcations nécessaires (de Perthuis et al.,
2010) nécessite en effet d’accompagner les sociétés dans
les changements qu’elles traversent. L’action publique est
d’autant plus nécessaire que les populations et les acteurs
locaux ne bénéficient souvent pas d’une visibilité optimale
pour mesurer les risques et les opportunités qui émergent
dans le cadre du passage d’un système à un autre. Une
raison en est que, dans le contexte de la mondialisation,
les contextes locaux sont de plus en plus déterminés par
des transformations qui se jouent à d’autres échelles. La
nécessité d’établir des passerelles entre le local et le global
comme entre le sectoriel et le général, deux enjeux forts du
développement durable (Theys, 2002) ouvre aujourd’hui un
vaste champ à l’innovation institutionnelle. Les politiques
publiques sont par ailleurs de puissants outils d’incitation
et d’encadrement susceptibles d’orienter les réponses des
sociétés dans une direction planifiée. La contribution de
Gilles Landrieu (exemple 5.4) montre toutefois qu’elles ne
sont pas dépourvues d’écueils en dépit du bien-fondé des
objectifs affichés. Ainsi, si le Plan national d’adaptation
au changement climatique (PNACC) place la biodiversité
au premier rang de ses préoccupations, les risques liés aux
transferts de vulnérabilité (lesquels sont d’autant plus élevés que les problèmes traités sont complexes et les enjeux
multiples), et ceux de voir prévaloir la prise en compte des
intérêts économiques, faute de préconisations précises et
volontaristes, appellent à la vigilance.
I - SOuRCES DE FlEXIBIlITÉ : ÉTaT DES lIEuX • 43
Déforestation illégale en
zone de conservation à
Madagascar. Pour lutter
contre la déforestation
et ses conséquences, sont
développés des projets
REDD+ (Réduction des
émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts tropicales).
Georges Serpantié, IRD.
EXEMPLE 5.4
PLAN D’ADAPTATION NATIONAL AU CHANGEMENT CLIMATIQUE ET RISQUES DE MALADAPTATION
Auteur : Gilles Landrieu
A côté des adaptations spontanées des sociétés
(comme l’abandon des régions devenues hostiles ou le recours massif à la climatisation),
le Plan national d’adaptation au changement
climatique (PNACC 2011 - 2015) constitue une
réponse adaptative aux défis posés par l’un des
changements globaux : une réponse consciente
(faisant suite au Grenelle Environnement et à
la stratégie nationale pour la biodiversité), participative (élaborée dans le cadre d’une concertation « grenellienne » de 180 acteurs pendant
6 mois), rationnelle (prenant en compte les
résultats de la recherche et l’évaluation des
coûts), planifiée et multisectorielle (211 actions
planifiées dans 20 domaines).
secteur (santé, sécurité des personnes ou
des biens…) sur le secteur biodiversité, et
à la restriction de certains services écosystémiques (régulation de la chaleur ou de
l’eau, pollinisation… ;
• Lorsque la structure des filières économiques, les politiques et les pratiques ont
une inertie telle que l’absence de préconisation (comme dans le domaine des
pêches maritimes) ou des préconisations
« neutres » (comme en matière d’agriculture) conduiront à maintenir les systèmes
sur leurs pentes naturelles… si elles ne font
pas l’objet de préconisations volontaristes
favorisant les pratiques vertueuses.
Le Plan ne peut être a priori suspect de porter
atteinte à la biodiversité : la préservation du
patrimoine naturel est affichée comme la quatrième finalité de l’adaptation, la biodiversité
fait partie des 20 secteurs pris en compte et les
recommandations sectorielles ont été systématiquement croisées. Par ailleurs la plupart des
mesures proposées sont de nature conceptuelle,
organisationnelle ou immatérielle : préciser les
concepts, développer les connaissances, définir
des normes, évaluer la vulnérabilité de certains
systèmes, mettre en place des réseaux d’alerte,
diffuser et mettre en réseau l’information…
Pourtant le risque de « mal-adaptation » peut
apparaître :
• Lorsqu’une mesure conduit involontairement à un transfert de vulnérabilité d’un
Parmi les zones d’incertitudes que l’on peut
identifier dans le PNACC, on peut relever deux
exemples parmi d’autres :
1. Dans le domaine de la santé, le Plan prévoit de « mettre en place ou renforcer la surveillance des facteurs de risque […], surveiller
les vecteurs et hôtes réservoirs ». L’objectif est
de rendre le système plus réactif aux risques
de maladies émergentes et devrait logiquement conduire à abaisser les seuils d’alerte…
et notamment à généraliser et rendre plus
fréquentes les mesures de démoustication des
plans d’eau, les moustiques étant des vecteurs
privilégiés de ces maladies favorisées par la
mondialisation des échanges et peut-être par
le réchauffement climatique (Dengue, West
44 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ
Nile, Chikungunya, Paludisme…). Les techniques actuelles reposant sur l’épandage du
Bacille de Thuringe Bti, même si elles constituent un progrès par rapport aux pesticides
chimiques traditionnels, ne sont pas tout à fait
ciblées et éliminent d’autres espèces, notamment une grande partie des diptères, et portent
ainsi atteinte à l’ensemble de l’écosystème. Le
recours plus fréquent au Bti pourrait entraîner
l’apparition rapide de nouvelles résistances et
inciter, notamment en cas de crise, à autoriser
l’utilisation de molécules plus puissantes et
encore moins ciblées, donc encore plus préjudiciables. C’est pourquoi il importe de développer
la recherche sur la lutte biologique, voire sur
la mise au point d’insecticides biodégradables
ciblant spécifiquement les moustiques.
2. La ressource en eau, qui risque de diminuer globalement (selon les modèles climatiques, la pluviométrie sur l’hexagone devrait
diminuer et les épisodes pluvieux se concentrer sur l’hiver, au moment où la végétation
et les sols seront moins en mesure de retenir
l’eau), correspond au secteur qui devrait subir
les tensions les plus fortes : la généralisation
des contraintes réglementaires, tarifaires et
Enfin, d’un point de vue méthodologique, appréhender les
réponses des sociétés aux changements globaux implique
d’analyser les « boucles de rétroaction » entre systèmes écologiques et sociaux. Toutefois, les exemples exposés ici (cas
notamment des paysans-pêcheurs de la Casamance et des
horticulteurs du Vanuatu) soulignent l’intérêt de concevoir
une alternative au modèle linéaire (ou cyclique) qui met
l’accent sur les ruptures, les crises et les discontinuités et
ne conçoit l’innovation que comme un processus exogène
(imposé de l’extérieur) aux effets nécessairement déstruc-
techniques incitera les utilisateurs à augmenter les prélèvements d’eau en été sur les zones
marginales mal surveillées (petits pompages
en rivière, puits). Cela conduira les acteurs
à chercher à renégocier à la baisse les débits
réservés des rivières ou les normes de température de rejet des eaux de refroidissement. Cette
démarche est déjà engagée puisque le PNACC
prévoit d’« intégrer la dimension changement
climatique dans le cadre des indicateurs de
suivi de la Directive cadre sur l’eau afin que
l’effet des rejets thermiques puisse être isolé de
celui du réchauffement global ». Ceci vise explicitement à découpler les rejets d’eaux chaudes
par les industries (notamment la production
d’électricité) et le réchauffement des rivières
imputable au changement climatique. Or, si les
objectifs globaux ne sont pas calés sur les exigences écologiques des espèces aquatiques, certaines ressources en eau dont les débits seront
déjà affectés par la baisse de la pluviométrie
estivale, verront leurs écosystèmes aquatiques
soumis à la triple pression d’eaux encore plus
chaudes, donc encore plus appauvries en oxygène et ayant dissout davantage de toxiques
piégés dans les sédiments.
turant. Une approche alternative pourrait être celle du
modèle en spirales ou en boucles successives, plus apte à
mettre en évidence les articulations et à prendre en compte
les processus endogènes émanant des sociétés (gestion des
changements, réappropriations). Trois types d’articulations peuvent alors être envisagés : l’articulation entre le
temps court et le temps long des sociétés, l’articulation des
différentes échelles spatiales (du local au global) et enfin,
l’articulation de la reproduction sociale et du changement
(comment le nouveau se fond dans l’ancien).
Ouragan Dennis, juillet 2005. NASA.
De catégorie 4, avec des vents allant jusqu’à 230 km / h, il établit plusieurs records, notament celui du plus fort ouragan atlantique
à s’être déployé avant août. Un titre qu’il tenu seulement 6 jours avant d’être surpassé par l’Ouragan Emily, de catégorie 5.
SOURCES DE FLEXIBILITÉ :
PROSPECTIVES
L
a première partie de ce document, qui met
en lumière les connaissances sur la flexibilité
des réponses de la biodiversité aux changements globaux à différentes échelles, éclaire
en creux les manques et les domaines à explorer. Le
groupe de travail s’est attaché à identifier des axes de
recherche à promouvoir dans les années à venir. Cette
analyse est structurée de façon transversale autour de
4 défis majeurs :
1)
2)
3)
4)
Comprendre les processus de l’adaptation,
Etudier le couplage entre ces sources de flexibilité,
Proposer des indicateurs du potentiel d’adaptation,
Intégrer ces sources de flexibilité dans les scénarios
de biodiversité.
46 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ
1. COMPRENDRE LES PROCESSUS DE L’ADAPTATION
L
a question de l’adaptation implique de s’attacher particulièrement à dépasser la description
de patrons pour aller vers celles de processus.
Comprendre comment ces sources de flexibilité
peuvent atténuer (ou non) les conséquences négatives des
changements globaux sur la biodiversité et les sociétés qui
en dépendent nécessite en effet d’en comprendre les mécanismes. Plusieurs grandes questions ouvertes à propos de
ces mécanismes sont listées ici.
La mésange bleue, Cyanistes caeruleus, constitue
un modèle de choix pour l’étude des processus
adaptatifs. Jean-François Silvain.
1.1
Déterminer les contraintes et les limites de la plasticité phénotypique
Quels aspects de l’environnement influencent l’expression du
phénotype et quand ? Ceci implique de mieux comprendre l’ontogénie des phénotypes et l’évolution des normes de réaction.
Pour connaître la réponse des organismes aux changements
globaux, les mécanismes de la plasticité phénotypique
doivent être étudiés en détails en partant de l’échelle
moléculaire. L’étude des organismes modèles permet de
déterminer la chaîne des processus qui relient les stimuli
environnementaux, l’information génétique et les variations de phénotype de traits fonctionnels clés dans l’adaptation aux changements climatiques (Nicotra et al., 2010).
Dans le cas d’une plasticité active, le signal environnemental est traduit par des récepteurs en signaux chimiques qui
conduisent après une cascade de réactions parfois complexes à l’expression d’une information génétique (épigénétique, post-transcriptionnelle ou transcriptionnelle) qui
modifient la production de protéines ou d’enzymes et ainsi
changent la valeur du phénotype (Nicotra et al., 2010). Cette
étude fine des mécanismes permet de mieux séparer les
parts « actives » et « passives » de la plasticité, ce qui peut
être particulièrement important dans le cadre des changements climatiques. En effet, l’amplitude de la réponse active
de l’organisme peut être tamponnée ou augmentée par une
réponse passive. Par exemple, si les ressources manquent
l’organisme peut diminuer son allocation d’énergie et de
matière vers un puits et l’augmenter vers un autre. Mais ces
changements actifs et peut être adaptatifs sont difficilement
séparables des modifications passives de la valeur des traits
due à la baisse des ressources (van Kleunen & Fischer, 2005).
Comprendre les déterminants de la relation plasticité – adaptation (plasticité adaptative vs plasticité disadaptative) : en
particulier y a-t-il des points de basculement qui font passer
de l’un à l’autre ?
Comme le nombre de caractères et de traits dans un organisme est très élevé, il est absolument nécessaire de hiérarchiser au préalable les traits fonctionnels variables qui
peuvent présenter un caractère adaptatif dans le cadre
du changement global du fait de leur fort impact sur la
valeur sélective (Nicotra et al., 2010 ; Chevin et al., 2010).
Ensuite, il faut établir d’une part les normes de réaction des
phénotypes par rapport à une variation environnementale,
puis le paysage adaptatif qui relie cette variation à la valeur
sélective (Chevin et al., 2010). Mais les normes de réaction
souvent supposées linéaires le sont rarement dans la nature
(Valladares et al., 2006). De plus, normes de réaction et
paysage adaptatif varient potentiellement dans le temps
(Visser et al., 1998) et dépendent des interactions avec de
nombreux autres traits (Lande & Arnold, 1983 ; Crozier et
al., 2007). La complexité des situations rend illusoire l’existence d’un pronostic unique concernant le rôle de la plasticité dans le cadre des changements globaux (Valladares et
al., 2007). Il semble donc nécessaire, (i) de continuer à affiner les prédictions théoriques, (ii) de multiplier les cas
d’études et (iii) de développer des modèles mécanistes
intégrant les connaissances en physiologie (Helmuth et al.,
2005) capables de mieux appréhender cette complexité.
II - SOuRCES DE FlEXIBIlITÉ : PROSPECTIVES • 47
1.2
Explorer les réponses plastiques à d’autres composantes du changement global que le changement climatique
(pollution, surexploitation, changement d’usage des terres)
Le rôle de la plasticité phénotypique a surtout été mis en
avant dans la réponse des organismes aux changements
climatiques ; en effet les variations saisonnières du climat
sélectionnent naturellement pour des mécanismes d’ajustement à des contraintes, qui sont variables au cours de la
vie d’un même individu. Parce que le grain de variation
d’autres composantes du changement global telles que la
pollution, la surexploitation ou le changement d’usage des
terres est potentiellement assez différent de celui du climat,
1.3
le rôle de la plasticité phénotypique en réponse à ces pressions anthropiques a peut -être été sous-estimé, et reste dans
un grand nombre de cas à évaluer. Par exemple, les rôles
respectifs de la plasticité phénotypique et des changements
génétiques dans le changement de taille des poissons en
réponse à la pèche a été âprement débattu. Discriminer
entre ces mécanismes est crucial, en ce qu’ils impliquent
des points de levier très différents sur ces réponses et des
points de rupture distincts.
Identifier la nature et les cibles de la sélection liée aux changements globaux (à la fois moléculaire et phénotypique)
Les changements globaux peuvent causer des changements
génétiques au sein des populations, à travers leurs effets
sur toutes les forces évolutives : présence de mutagènes,
modification des flux de gènes, modification de la dérive
génétique à travers les changements de taille de populations et sélection de variants génétiques différents liés à des
conditions écologiques nouvelles. Comprendre comment
les changements globaux modifient les patrons de sélection
naturelle et ses cibles est un enjeu majeur qui se heurte à
de nombreuses difficultés méthodologiques. Le développement de méthodes d’inférence des patrons de sélection à
partir de comparaisons temporelles ou spatiales de la variation phénotypique et génétique est un domaine très actif
de recherches. L’accès aux patrons fins de diversité moléculaire chez des organismes modèles et non-modèles donne
potentiellement accès aux cibles moléculaires de la sélection
divergente dans les milieux modifiés par l’homme, dans
une variété de scénarios écologiques.
Cependant, nous sommes encore loin de bien saisir les mécanismes fins de ces phénomènes sélectifs,
afin de pouvoir projeter dans le futur leur évolution.
Par exemple, si les déplacements de clines latitudinaux de
fréquence de certaines inversions chromosomiques chez
la drosophile sont documentés dans plusieurs continents
différents et représentent actuellement le cas le plus clair
des impacts du changement climatique sur la composition génétique des populations naturelles, on comprend
encore mal les mécanismes par lesquels les changements de
température affectent la sélection sur ces réarrangements
chromosomiques. Renseigner les liens entre variation
moléculaire, patrons d’expression génique, traits phénotypiques et composantes de la valeur sélective reste
un défi impliquant de mobiliser en parallèle technologies de pointe de biologie moléculaire et des études
démographiques en populations naturelles. Soutenir
ces études de la sélection naturelle sur le terrain est essentiel pour progresser d’une description phénoménologique
des patrons de sélection (qui souffre des mêmes problèmes
potentiels d’extrapolation que toute approche phénoménologique) vers une compréhension accrue de ses mécanismes.
En particulier, il s’agit d’identifier, non seulement les cibles
moléculaires de la sélection liée aux changements globaux,
mais aussi les cibles phénotypiques de celles-ci : quels
sont les principaux traits ou combinaisons de traits des
organismes potentiellement modifiés par cette sélection
divergente, comment sont-ils reliés à la valeur sélective et
comment leur altération impacte-t-elle la dynamique et le
fonctionnement des écosystèmes concernés ?
Une difficulté accrue est liée à la nécessité de comprendre comment les changements globaux ont modifié
les pressions de sélection pesant sur les organismes mais
aussi comment ils le feront dans le futur. Le paradigme
« espace pour temps » a beaucoup été utilisé, notamment
dans le contexte des changements climatiques, pour étudier
cette question : la comparaison de sites soumis aujourd’hui
à des conditions écologiques variées fournit un scénario
pour imaginer comment la sélection pourrait varier dans
le temps dans une même localité. Ce paradigme, qui s’est
montré très fertile à la fois d’un point de vue théorique
et expérimental, a néanmoins ses limites en particulier
si les conditions écologiques futures n’ont pas d’analogue
actuel. La manipulation expérimentale des conditions
environnementales est une alternative, même si la dimensionnalité du changement environnemental imposé est
nécessairement réduite. Une autre option réside en l’utilisation de modèles mécanistes permettant de prédire l’impact
de variations de traits physiologiques, phénologiques, comportementaux, reproductifs sur la valeur sélective dans des
contextes écologiques variés, mimant ceux imposés par les
changements globaux (par exemple, les scénarios de changement climatique). Ces modèles mécanistes pourraient
permettre d’identifier les traits sous sélection, de proposer des scénarios de variation de la sélection dans l’espace et le temps ; ils peuvent être informés par des données
48 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ
sur la variation génétique de ces traits écologiques quand
celle-ci est disponible ; cette approche par modélisation permettrait donc de fournir une série d’hypothèses à tester sur
les cibles de la sélection et ses effets, et de concentrer les
efforts de mesure sur le terrain sur des traits phénotypiques
identifiés comme potentiellement clés pour la réponse aux
pressions locales. Une difficulté commune aux approches
expérimentales et théoriques consiste à identifier une ou
des mesures de la valeur sélective pertinente et opérationnelle dans des contextes écologiques variés, intégrant les
informations concernant différents traits d’histoire de vie
(notamment la reproduction) et l’effet de la compétition.
Mouron des champs,
Anagallis arvensis. La
composition chimique
du sol agit sur sa couleur,
les fleurs rouges étant
associées à un sol acide.
O. Pichard.
1.4
Contraintes et opportunités liées à la diversité génétique
Certaines espèces ou populations échouent à s’adapter à des
conditions écologiques nouvelles par manque de variabilité
génétique pour des traits critiques dans ce nouvel environnement (phénomène de « génostase » – Bradshaw, 1991).
Par exemple, seule une fraction très faible des espèces au
sein des communautés végétales s’est adaptée à la pollution
métallique des rejets miniers et ces espèces se distinguent
par la pré-existence en zone non exposée de génotypes partiellement tolérants à la pollution. L’existence de variabilité génétique pour de nombreux caractères étant la règle,
plutôt que l’exception, l’existence de traits écologiques très
peu variables reste un paradoxe, soulevant beaucoup de
questions ouvertes. Comprendre les potentialités d’adaptation des populations c’est en comprendre les limites. Mesurer la variabilité génétique pour des traits identifiés
comme cibles de la sélection dans les environnements
modifiés par l’homme est donc un objectif important pour
appréhender ces limites. Si les apports de la génomique
environnementale permettent d’imaginer dans le futur
un certain saut quantitatif de notre compréhension de la
distribution de la variabilité génétique, les approches de
génétique quantitative plus traditionnelles fondées sur
l’analyse de pédigrés (et notamment le développement
de ces techniques pour l’estimation de la variabilité génétique en nature) demeurent efficaces pour répondre à ces
questions. Par ailleurs, comme cela se fait de plus en plus
chez les espèces domestiques, il convient de mieux inté-
grer ces approches (génomique et génétique quantitative)
pour prendre en compte la nature complexe du déterminisme génétique de nombreux traits écologiques
(variation multigénique, interactions entre gènes, expression différentielle selon l’environnement, etc). Finalement,
la nature multivariée de la sélection liée aux changements
globaux doit être prise en compte : ceux-ci affectent de
manière simultanée et parfois antagoniste la sélection sur
différents traits écologiques (p. ex. tolérance thermique et à
différents pesticides) ; il est alors crucial d’évaluer comment
la covariation entre traits dans les populations soumises à
ces changements s’aligne avec la direction de la sélection et
si les corrélations génétiques entre traits, néanmoins chacun génétiquement variables, peuvent ralentir la réponse
des populations à la sélection.
On ne peut envisager néanmoins de multiplier ces
mesures (relativement lourdes) pour tous les traits et toutes
les populations concernées par les changements globaux :
mieux comprendre pourquoi certains traits sont variables
dans certaines populations et pas dans d’autres, ou pourquoi
certains traits sont moins variables que d’autres est donc
crucial pour construire des indicateurs du potentiel évolutif
à plus large échelle. Différentes hypothèses doivent être évaluées expérimentalement si l’on veut progresser dans notre
compréhension de cette question relativement basique ;
qu’est-ce qui, in fine, explique les variations de diversité
II - SOuRCES DE FlEXIBIlITÉ : PROSPECTIVES • 49
pour des traits écologiques majeurs ? Si les patrons de
diversité neutre ont fait l’objet de recherches intenses, cette
question reste encore largement ouverte en ce qui concerne
la diversité sélectionnée. En particulier, on manque d’un
corpus de données suffisant pour avoir une vision générale
des rôles relatifs des flux de gènes, plus généralement de
la démographie ou de l’histoire des populations (effet de
fondation, admixture, introgression) sur la variabilité pour
des traits écologiques clés. Les contraintes à l’évolvabilité
de certains caractères peuvent être liées à des phénomènes
de canalisation phénotypique (et génétique) forte sur des
traits centraux de la physiologie ou du développement, à une
1.5
Comprendre ce qui organise la variation des capacités migratoires
Les capacités d’expansion géographique et l’échelle spatiale
des flux de gènes, à la fois observées et prédites, sont extrêmement variables dans le monde vivant à de multiples niveaux
taxonomiques. Progresser dans notre compréhension des
facteurs organisant cette diversité actuellement et évaluer
comment celle-ci peut s’exprimer dans le futur implique
une fois encore d’accéder aux mécanismes expliquant la
variation des capacités de migration : quelle est la part des
facteurs intrinsèques (traits biologiques des espèces), extrinsèques (facteurs abiotiques comme les conditions météorologiques, facteurs biotiques dont les agents de dispersion y
compris l’homme) ? Des méta-analyses ont tenté d’évaluer
ainsi les différences de capacité de dispersion entre niveaux
trophiques, cycles de vie, groupes taxonomiques ou fonctionnels et d’identifier les principaux facteurs expliquant
les événements de dispersion à longue distance, mais nous
sommes encore loin de disposer d’indicateurs fiables des
capacités de dispersion pour une large fraction de la biodiversité. Des approches novatrices couplant des informations hétérogènes à grande échelle spatiale (données
génétiques, données météorologiques, données phénologiques, écologie du mouvement, prédictions de modèles
1.6
détérioration de gènes associée à une forte spécialisation
écologique, ou à différentes contingences. L’exploration
au niveau moléculaire de la question de l’évolvabilité
(quelles sont les cibles possibles de mutation bénéfique chez
différents organismes lorsqu’ils sont confrontés à un environnement nouveau) renseignera de manière significative
ce débat. Une piste de recherches différente de la question de
l’évolvabilité consiste à mesurer la vitesse d’évolution de ces
traits écologiques clés dans l’histoire des taxons concernés et
de rapprocher patrons macroévolutifs et microévolution
contemporaine afin d’identifier d’éventuels prédicteurs de
ce potentiel évolutif à différentes échelles taxonomiques.
mécanistes de dispersion) devront être développées pour
mieux mesurer les capacités de dispersion des individus et
de leurs gènes, impliquant des développements statistiques
non triviaux. Progresser dans la description et la modélisation de la migration implique également de dépasser
certains paradigmes, comme ceux fondés sur la notion
de noyau de dispersion, pour en explorer d’autres (notions
de réseaux ou de cartes de connectivité), pour mieux tenir
compte des asymétries affectant les mouvements dans les
paysages réels. Finalement les mécanismes de flexibilité
de la migration elle-même (persistance dans les communautés d’espèces plus ou moins dispersantes, diversité des
vecteurs de dispersion et de leur comportement, sélection
spatiale, évolution génétique des capacités de dispersion,
forte plasticité phénotypique en réponse non seulement à
la structure du paysage mais à différents indices de qualité
d’habitat, y compris l’environnement social) devront être
plus explicitement pris en compte. L’objectif serait d’arriver
à une compréhension plus fine des barrières à la migration, incorporant plus d’information sur la biologie de
la dispersion des espèces ou groupes d’espèces d’intérêt.
Comprendre les mécanismes d’assemblage des espèces dans les écosystèmes
Rôle de la migration, de la stochasticité, des effets historiques, des filtres environnementaux
Un des grands enjeux de l’étude des changements globaux
consiste à augmenter notre capacité de prédiction de la composition des communautés impactées. Or les changements
globaux vont vraisemblablement induire la formation
de nouveaux assemblages d’espèces (Hobbs et al., 2009 ;
Lavergne et al., 2010). Ceci soulève des questions sur les
mécanismes d’assemblages de ces nouvelles communautés :
vont-elles s’assembler principalement sous l’effet de filtres
environnementaux, ou selon des mécanismes de loteries
compétitives (Chase & Leibold, 2003) ? Ces communautés
seront-elles des assemblages transitoires non-viables ou au
contraire stables ?
Étrangement, peu d’études se sont concentrées sur cet
aspect de la réponse des communautés. Suivre la réorganisation actuelle des communautés face aux changements
globaux pourrait être l’occasion d’étudier ces différents
mécanismes (Lavergne et al., 2010). Par exemple, les inte-
50 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ
ractions compétitives et le filtrage de l’environnement
devraient conduire à des divergences fonctionnelles ou phylogénétiques dans les communautés (Cornwell & Ackerly,
2009 ; Vamosi et al., 2009). L’approche par modélisation
sera ici un support très utile pour extraire un ensemble de
règles d’assemblage des futures communautés naturelles et
vérifier la cohérence avec les assemblages observés, lorsque
les données le permettent.
Les communautés sont façonnées par l’interaction
entre des processus évolutifs et écologiques (Ricklefs, 1987).
Cependant, ces processus ont été étudiés principalement
de façon isolée. L’évolution s’est largement préoccupée de
l’émergence de la diversité biologique (par exemple la diversification des traits des espèces lors de radiations adaptatives – Schluter, 2000) alors que l’écologie des communautés
suppose cette diversité déjà existante et s’attache aux réponses
des assemblages aux modifications de l’environnement
(McGill et al., 2006). Un premier chantier prospectif consiste
donc à intégrer ces deux approches (Mouquet et al., 2012). En
effet, comprendre l’impact des changements globaux sur
la biodiversité exige d’avoir une compréhension à la fois
des dynamiques de l’évolution et de celle de l’écologie
des communautés (Lavergne et al., 2010 ; Vellend, 2010).
Dans ce contexte, un nouveau programme de
recherche intégré alliant écologie et évolution doit être
développé. Par exemple, mesurer et tester la structure
phylogénétique des communautés ainsi que les traits
des espèces (Webb et al., 2002) permet théoriquement
d’étudier l’effet relatif de filtres environnementaux, de
processus historiques et des interactions entre espèces.
Cette vision intégrée de l’étude des mécanismes d’assemblages d’espèces a néanmoins connu peu de support
empirique et s’est développé en considérant des systèmes
théoriques, souvent déconnectés des changements globaux.
D’autre part, un manque certain de connaissance réside dans
la difficulté actuelle de mesurer dans la réponse des communautés, ce qui résulte d’une réponse évolutive des populations, du simple ajustement dynamique des populations.
Une piste prometteuse pour étudier l’impact des
changements globaux sur les mécanismes d’assemblages
consisterait à favoriser les analyses quasi-expérimentales
contrastant des zones ayant subis différentes pressions
(par exemple les aires protégées versus non protégées, ayant
subi des évènements climatiques extrêmes ou non, plus ou
moins urbanisées récemment, etc).
Maquis minier typique
du sud de la NouvelleCalédonie où se trouvent
les plus grands réservoirs
d’endémicité (le taux
d’endémisme pouvant
y atteindre des niveaux
extrêmement élevés). Cela
est notamment du à la
présence de sols riches en
métaux (leur oxydation
donnant cette couleur
rouge orangée) et pauvres
en minéraux essentiels
aux végétaux, ce qui a
conduit à des adaptations
spécifiques. Bananaflo.
1.7
Etudier l’effet relatif des changements d’habitats et de climat sur la dynamique temporelle des communautés
Peu d’études s’intéressent à la fois au changement climatique et aux changements d’habitats. Or ces deux types de
pression agissent, certes à des échelles différentes, mais
simultanément sur les communautés d’espèces. En effet,
la niche « climatique » et la « niche d’habitat » des
espèces étant étroitement liées (Barnagaud et al., 2012),
l’étude conjointe des impacts de ces deux pressions est
nécessaire pour mieux comprendre la réorganisation
des communautés. Pour cela, l’utilisation de jeux de données permettant de séparer les effets relatifs du climat et
du changement d’habitat est indispensable. Seules quelques
études récentes ont permis de quantifier l’effet relatif du
changement climatique et de la modification des habitats
sur les communautés (Kampichler et al., 2012). Changement
II - SOuRCES DE FlEXIBIlITÉ : PROSPECTIVES • 51
du climat et transformation des habitats sont susceptibles
d’avoir des effets relatifs différents selon les groupes considérés (p. ex. entre les ectothermes ou les homéothermes).
Ces approches méritent d’être développées pour mieux
comprendre et prévoir l’impact des changements globaux
sur les communautés.
Une piste prometteuse pour développer cette
recherche consiste à s’intéresser davantage à la dynamique
temporelle des communautés. La plupart des études
menées sur les communautés se sont en effet concentrées
1.8
Comprendre les effets potentiels des interactions interspécifiques nouvelles ou modifiées dans les nouveaux
assemblages d’espèces
À ce jour, encore peu de données et de résultats théoriques
sont disponibles pour évaluer les effets des interactions
entre espèces sur le maintien de la diversité. En particulier,
la variabilité temporelle et spatiale des communautés
de plantes-pollinisateurs est encore peu documentée, ce
qui empêche la détermination des facteurs favorisant leur
stabilité et leur résilience ainsi que la compréhension des
mécanismes évolutifs impliqués.
D’autre part, les réseaux sont analysés le plus souvent
à l’échelle d’une communauté locale et ne prennent pas
en compte les aspects spatiaux. Les approches en métacommunautés ou méta-réseaux sont récentes et n’ont pas
encore de réels supports empiriques. De la même manière,
les études sont la plupart du temps une image instantanée
des réseaux (Petanidou, 2008). On manque donc encore de
données de suivi dans le temps de réseaux qui subissent les
effets des changements globaux.
Or même si l’on commence à disposer de liens corrélatifs entre certaines métriques et certains facteurs (phylogénétiques ou structure du paysage – Bascompte et al.,
2003 ; Bastolla et al., 2009 ; Thébault & Fontaine, 2010) le
manque de données sur la variabilité spatiale et temporelle
empêchent de pouvoir révéler les mécanismes qui structurent les réseaux car les processus écologiques et évolutifs
1.9
sur la réponse spatiale des communautés aux changements
globaux, par exemple en reliant une caractéristique de la
communauté (sa diversité, sa composition) à un gradient
de perturbation (la fragmentation des paysages ou le taux
d’urbanisation). Mais peu d’études ont relié explicitement
la dynamique temporelle des communautés avec la dynamique temporelle des paysages et du climat. Ces études
sont nécessaires pour mieux comprendre la dynamique des
communautés, en particulier leur stabilité, leur résilience
ou leur temps de réponse à plus ou moins longs termes.
à l’œuvre sont probablement singuliers (Tylianakis, 2007) et
s’expriment à des échelles de temps et d’espace différentes.
Pour combler ce manque, les programmes de science
participative pourraient s’avérer essentiels, à condition de
tenir compte de leurs limites statistiques inhérentes.
On ne connait que peu de choses sur la structure
de « réseaux de réseaux », c’est-à-dire des réseaux qui
comprennent des interactions entre espèces aussi bien
mutualistes qu’antagonistes. Une fois encore, on dispose
de très peu données sur ces systèmes (Fontaine et al., 2011)
et surtout on ne dispose pas de cadre conceptuel pour les
analyser. Evidemment, on pourrait comme précédemment
étudier les caractéristiques des réseaux mixtes (connectance,
modularité, compartimentation) et vérifier que les résultats précédents obtenus sur des réseaux indépendants sont
robustes. Il est néanmoins probable qu’un nouveau cadre
théorique (p. ex. la théorie des graphes) soit nécessaire pour
décrire cette complexité. La description de ces systèmes ne
devra être qu’une première étape, devant déboucher sur
l’identification des facteurs qui expliquent les structures
mises en évidence, leur résilience dans le contexte des changements globaux et, enfin, l’identification des facteurs ou
processus qui peuvent être négligés ou non et à quelles
échelles temporelles et spatiales.
Comprendre le fonctionnement de communautés non analogues
Prédire le fonctionnement des assemblages d’espèces inédits dans les communautés impactées par les changements
globaux est un défi de recherche majeur. Ce projet implique
notamment de dépasser les questionnements autour des
relations diversité-fonctionnement pour prendre en compte
(i) les interactions nouvelles ou perturbées entre espèces,
(ii) le fait que les espèces résilientes à différentes composantes du changement global ne sont pas nécessairement
un échantillon aléatoire des espèces dans les communautés non impactées. La représentation de différents traits
fonctionnels dans ces communautés va donc changer. Les
conséquences pour différents aspects du fonctionnement
52 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ
des écosystèmes et, pour les services associés, commencent
seulement à être comprises : par exemple, quelles sont les
conséquences fonctionnelles d’un changement de l’indice de généralisme des communautés ? Quelles seraient
les conséquences d’une représentation accrue d’espèces
colonisatrices ou spécialistes de milieux perturbés – ou
productifs – en situation d’expansion géographique ?
Les bases de données sur les traits fonctionnels d’un grand
nombre d’espèces (p. ex. Jones et al., 2009 ; Kattge et al., 2011)
peuvent permettre d’avancer sur ces questions. Il serait intéressant notamment de coupler l’analyse des patrons émergeant des ces bases de données à des approches théoriques
nouvelles explorant les relations entre fonctionnement et
composition des communautés.
1.10 Comprendre la dynamique des rapports sociétés-nature
L’impact des changements globaux sur les sociétés humaines
est considérable. Que ce soit de façon réactive ou préventive, spontanée ou planifiée, individuelle ou collective, les
individus et les groupes humains n’ont d’autre choix que
de répondre à ces changements et il est essentiel de comprendre les processus d’adaptation (ou d’inadaptation) des
sociétés à ces changements.
Les réponses des sociétés aux changements globaux
vont dépendre de la façon dont les individus et les groupes
se représentent la nature et la valorisent. Des travaux en
philosophie de l’environnement, en anthropologie de la
nature, en psychologie environnementale et en économie
doivent être poursuivis et développés ; des programmes
interdisciplinaires permettant de mettre en dialogue ces
différentes approches disciplinaires seront un atout inestimable pour mieux comprendre l’adaptation des sociétés
aux changements globaux ou pour mettre en évidence les
freins et les limites à cette adaptation.
Les changements globaux ne sont pas perçus et pris
en compte de façon homogène. Une attention particulière
devrait être portée aux mécanismes d’appréhension des
changements, à la façon dont circulent les informations
et les savoirs entre les sphères scientifiques, sociales
et politiques. L’importance des savoirs locaux, la place
des lanceurs d’alerte et de la production d’expertise par
la société civile dans le contexte militant sont autant de
champs à explorer, d’un point de vue épistémologique,
anthropologique et sociologique.
Enfin, les changements affectent différemment les
individus et les groupes, faisant émerger de nouveaux
enjeux d’équité et de justice et donnant une importance
croissante aux problèmes d’injustice environnementale.
Si ceux-ci se superposent souvent à d’autres formes d’inégalités politiques et socio-économiques, ils n’y sont pas
strictement réductibles. La vulnérabilité aux changements
climatiques, par exemple, relève également de déterminants
géographiques. Pour appréhender et pour favoriser l’adaptation des sociétés aux changements environnementaux,
il est donc nécessaire de repenser les notions de justice et
de solidarité, tant du point de vue philosophique que du
point de vue politique et juridique.
1.11 Comprendre la mobilisation des savoirs et les mécanismes de l’innovation
Pour répondre aux pressions auxquelles elles sont confrontées, les sociétés mobilisent souvent des savoirs anciens formant un fond collectif et innovent à travers la recherche
et l’expérimentation. Il existe un dialogue continu entre
des acquisitions / transmissions à l’échelle de l’individu et
de la société. Toutefois, ces savoirs anciens ne sont pas
des savoirs traditionnels que l’on pourrait trop facilement identifier à des savoirs figés et archaïques. Dans un
monde globalisé, les informations circulent rapidement. Les
savoirs mobilisés sont donc des savoirs composites qui procèdent par assemblage d’éléments hétéroclites, mêlant l’ancien
et le neuf dans des configurations nouvelles. Il est important de travailler sur les hybridations et les échanges
entre savoirs locaux / vernaculaires et les savoirs scientifiques (Collignon, 2005). Quels sont les processus d’ap-
prentissage ? Est-ce que les mécanismes impliqués divergent
selon les types de savoirs et les interlocuteurs ? Comment
s’opèrent les transmissions verticales, trans-générationnelles, versus les transmissions horizontales ? Quels sont
les processus et les acteurs impliqués dans la transformation
d’une innovation individuelle en un savoir collectif partagé ? Quelles sont les formes les plus efficaces de réseaux
sociaux pour la circulation de biens immatériels comme les
savoirs mais aussi de biens matériels comme les plantes et
animaux ? Leur topologie dépend-t-elle des biens échangés ?
Inversement, comment les scientifiques peuvent-ils
intégrer et valoriser les savoirs locaux ? Les savoirs produits par des méthodes de sciences participatives, de sciences
citoyennes ou par des méthodes anthropologiques basées
II - SOuRCES DE FlEXIBIlITÉ : PROSPECTIVES • 53
sur l’observation participante sont-ils de même nature, sontils comparables ? Et si non, en quoi diffèrent-ils ?
Les institutions nationales et transnationales ont pris
conscience de l’importance de cette diversité des savoirs
pour l’anticipation et l’adaptation aux changements globaux. Qu’il s’agisse de la CDB (Convention sur la diversité
biologique), du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) et plus récemment de l’IPBES
(Plateforme intergouvernementale scientifique et politique
sur la biodiversité et les services écosystémiques), l’emphase
est mise sur la valorisation des savoirs locaux et traditionnels. Néanmoins, l’hétérogénéité de ces connaissances, de
leur conservation et de leur transmission ainsi que la multiplicité des dialogues qui se tissent entre savoirs savants et
savoirs profanes obligent à repenser le sens et les modalités de l’expertise. Alors que la légitimité des sciences et
des expertises scientifiques est sans cesse remise en cause
par le grand public ou par certains groupes d’intérêts, qu’il
s’agisse de mettre en cause la responsabilité des scientifiques
dans certaines crises sanitaires, des scandales des conflits
d’intérêt ou du travail de sape des marchands de doute
(Oreskes & Conway, 2011), l’introduction de nouvelles
formes de savoir dans l’expertise et l’aide à la décision
ne va pas de soi. Des travaux en épistémologie et en sociologie des sciences ainsi que des recherches interdisciplinaires
associant anthropobiologie, sciences politiques et épistémologie pourront permettre de documenter et d’accompagner
ces mutations.
1.12 Comprendre les réponses institutionnelles
Faces aux évolutions perçues ou anticipées, les réponses
des sociétés sont multiples, allant de la mise en œuvre de
stratégies visant à maintenir l’existant, comme souvent face
aux espèces envahissantes par exemple, au complet laisserfaire, par manque de volonté, face à la pluralité des sujets
qui mobilisent les moyens publics, ou de moyens adaptés.
Il est intéressant de scinder la question des réponses
institutionnelles en deux niveaux logiques distincts, même
s’ils ne peuvent être indépendants aux niveaux technique
et souvent social : le choix des objectifs et la définition
des moyens.
Le choix des objectifs soulève des interrogations sur
le fond et sur la forme. Comment les sociétés et les institutions (depuis les administrations publiques jusqu’au règles
de droit, en passant par les marchés et l’économie sociale et
solidaire) définissent les objectifs souhaitables en matière de
préservation de la biodiversité ? On sait que cette question
est objet de débats multiples, que l’on peut caricaturer ici
en opposant l’approche utilitariste (parfois instrumentée
dans les évaluations économiques) qui a souvent présidé aux
stratégies de conservation des ressources, et les approches
déontologiques qui visent à identifier des principes à respecter (responsabilité, précaution, normes minimales…)
implicites dans les politiques de protection de la nature.
Le niveau des moyens est également en débat et peut
traduire cette diversité des objectifs. Une dichotomie fondamentale oppose ici les approches incitatives qui visent
à envoyer aux acteurs des signaux reflétant le poids des
enjeux, si on a pu le mesurer, et les approches purement
réglementaires ou « de police » par lesquelles les institutions, au premier rang desquelles les États, définissent
des normes de comportement et s’efforcent de s’assurer
de leur respect. Ces questions se retrouvent dans la mise
en œuvre des instruments actuellement en place : réseau
Natura 2000, Trame Verte et Bleue, mesures agri-envionnementales (MAEt) et autres mécanismes de paiements pour
services écosystémiques (PSE).
La diversité institutionnelle dont les travaux d’Elinor Ostrom (p. ex. Ostrom, 2010) s’efforçaient de rendre
compte, traduit cette pluralité des motivations et des raisons invoquées, ainsi que des moyens mobilisables, techniquement appropriés et socialement acceptables. Cette
diversité reflète la multiplicité des valeurs qui fondent les
jugements, tant sur l’importance ou la gravité des enjeux,
que sur la pertinence des moyens. La crainte est ici que la
temporalité de ces processus ne soit pas compatible avec les
dynamiques à l’œuvre. Nos institutions ont émergé dans un
monde ouvert où il était légitime et socialement efficace de
favoriser la prise de risque et d’en organiser la couverture,
parfois en les mutualisant, ce qui paraissait conforme à
l’intérêt mutuel. Elles seront peut-être maladroites pour
vivre dans les limites d’un monde fini.
Plusieurs questions sont ici pertinentes pour structurer des programmes de recherche :
• Quelles relations existent entre l’action collective et
l’émergence d’institutions ?
• Comment s’articulent les domaines de pertinence des
réponses en termes de principes et celles en termes
d’efficacité pratique ?
• Comment mieux évaluer les réponses institutionnelles
passées ?
• Comment les réponses institutionnelles intègrent ou
n’intègrent pas les questions de résilience et de vulnérabilité ?
54 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ
2. ÉTUDIER LE COUPLAGE ENTRE
SOURCES DE FLEXIBILITÉ
2.1
Comprendre le rôle relatif des différentes sources de flexibilité à différentes échelles de temps et d’espace
Très intuitivement, on peut penser que les différentes
sources de f lexibilité jouent un rôle différent dans la
réponse aux changements globaux selon l’échelle de temps
ou d’espace considérée. Par exemple, si la plasticité phénotypique semble jouer un rôle prépondérant dans la réponse
actuelle des espèces au changement climatique, des évolutions génétiques seront probablement nécessaires sur le
plus long terme si le réchauffement se poursuit et conduit
à des gammes de variation environnementale encore inexplorées (Gienapp et al., 2013). Les échelles de temps où les
changements de pratiques des sociétés ont été étudiées sont
souvent radicalement différentes des échelles de temps des
projections de changement de distribution de la biodiversité liées toujours au changement climatique : il est difficile pour une société de se projeter 100 ans dans le futur.
Les problématiques liées aux échelles d’espace sont également cruciales : la migration des aires de répartition a des
conséquences très différentes selon que l’on s’intéresse à
la conservation de la biodiversité à une échelle très locale
ou globale. Les mécanismes évolutifs sont principalement
décrits comme intervenants à de grandes échelles temporelles (climatiques ou géologiques), tandis que les processus
écologiques sont généralement interprétés sur des échelles
temporelles et spatiales courtes, en supposant que l’évolution des processus peut être ignorée.
Ces différences entre échelles ne sont néanmoins pas
si nettes ; par exemple, les exemples d’évolution contemporaine rapide ont remis en cause très fortement le paradigme de la séparation des temps écologiques et évolutifs.
L’histoire évolutive et les processus biogéographiques ayant
2.2
lieu à larges échelles (telle que la migration) sont fondamentaux pour expliquer la formation et la dynamique des
communautés locales (Leibold et al., 2004 ; Graham & Fine,
2008). Inversement, avoir une idée de la flexibilité phénotypique et les changements évolutifs rapides qui contribuent
à façonner les communautés locales est nécessaire pour
expliquer ce qui est observé sur des échelles plus larges.
L’Homme est un des agents le plus efficace pour la dispersion des plantes et des animaux. L’histoire de la domestication et de la diffusion des plantes est peu à peu révélée
en croisant les résultats des archéologues, des linguistes,
des ethnobiologistes et des généticiens (p. ex. Roullier et
al., 2013 pour la patate douce). Mais pour réellement comprendre la manière dont les migrants ont choisi les plantes
et animaux à transporter, il faut pour cela travailler sur
des cas de migrations contemporaines ayant souvent lieu
sur de courtes distances. Il faut ainsi croiser les échelles
locales / globales et actuel / historique pour comprendre les
mécanismes de diffusion et ainsi se projeter dans le futur.
Des choix s’imposent néanmoins devant l’ampleur de
la complexité. Une question importante concerne donc la
hiérarchisation des processus que l’on peut négliger et à
quelles échelles temporelles et spatiales. Par exemple, on
ne va pas intégrer l’architecture génétique de tous les traits
fonctionnels d’un réseau d’espèces. Mieux comprendre
comment ces différents mécanismes de f lexibilité
s’articulent entre eux à différentes échelles de temps
et d’espace est donc une étape critique afin d’intégrer de
façon pertinente ces réponses dans différents scénarios de
biodiversité.
Comprendre les interactions entre les sources de flexibilité
Les principaux fronts de recherche actuels s’intéressent
aux interactions entre ces différentes sources de flexibilité, historiquement étudiées séparément et souvent
par des disciplines différentes. La nécessité de les intégrer émerge comme une priorité forte, ce qui implique de
comprendre comment elles s’influencent mutuellement.
Par exemple, l’évolution génétique peut être contrainte, ou
facilitée, par la plasticité phénotypique, la migration, les
interactions interspécifiques, les pratiques humaines sans
que nous soyons toujours en mesure de prédire le sens et
l’intensité de ces interactions. Nous ne donnons ici qu’un
exemple de problématique de recherche autour de ces
interactions, mais celles-ci sont pertinentes entre tous les
niveaux de flexibilité des socio-écosystèmes (voir tableau).
Ce cas concerne la coévolution et le fonctionnement des
réseaux d’espèces. L’étude des réseaux d’interactions entre
espèces a privilégié la compréhension de leurs caractéristiques dynamiques (persistance) et structurelles (connec-
II - SOuRCES DE FlEXIBIlITÉ : PROSPECTIVES • 55
tance, modularité, imbrication), en ignorant le plus souvent
rôle de l’évolution (Bascompte, 2009). D’autres travaux suggèrent néanmoins l’importance considérable de la dynamique évolutive de ces interactions interspécifiques (p.
ex. dans le cas des systèmes plantes-herbivores, hôtes-parasites, ou plantes-pollinisateurs). Par exemple, étudier la
structure phylogénétique des réseaux d’interactions a
permis de faire la lumière sur des questions complexes en
jeu dans des réseaux trophiques, des réseaux mutualistes
ou des réseaux hôtes-parasites (Montoya et al., 2006 ; Ings
et al., 2009). Les approches visant à prédire la stabilité des
communautés mutualistes sont souvent écologiques, bien
que la nature et l’intensité des interactions entre les plantes
et les pollinisateurs soient aussi régies par des processus
évolutifs potentiellement rapides et soient potentiellement
plastiques. Les approches visant à prédire les conditions
qui mènent une espèce végétale à changer de pollinisateurs sont quant à elles évolutives mais ne prennent pas en
compte le réseau d’interactions entre les plantes et leurs
pollinisateurs, ni sa variabilité (« Most Efficient Pollinator
Principle » – Stebbins, 1970 ; Aigner, 2001 ; Sargent & Otto,
2006). Les rares modèles de coévolution entre les plantes
et les pollinisateurs ne considèrent qu’une paire d’espèces
interagissant, chacune étant souvent modélisée par un seul
caractère (Thompson, 1982 ; Kiester et al., 1984). À noter qu’il
faut probablement pour arriver à construire des protocoles
expérimentaux et des modèles prédictifs considérer les pollinisateurs non pas comme des espèces mais des groupes
fonctionnels (Fenster et al., 2004). La prise en compte du
couplage entre mécanismes écologiques et évolutifs a des
conséquences directes sur notre capacité à comprendre
le fonctionnement des réseaux, non seulement dans des
situations d’équilibre mais aussi dans le cadre de changements rapides. Un enjeu prospectif majeur consiste donc
à développer les approches éco-évolutives dans l’étude
des réseaux complexes.
Quelques exemples d’interactions entre sources de flexibilité et leurs conséquences
pour la réponse des socio-écosystèmes aux changements globaux
SUR
EffET
DE
PLASTICITÉ
PHÉNOTyPIQUE
PLASTICITÉ
PHÉNOTyPIQUE
ÉVOLUTION
GÉNÉTIQUE
ÉVOLUTION
GÉNÉTIQUE
Evolution de la
plasticité
Plasticité de
la migration
RÉARRANGEMENT
DES
COMMUNAUTÉS
Augmentation
de l’indice de
généralisme
CHANGEMENT
DES PRATIQUES
ET SAVOIRS
Ajustement des
pratiques agricoles
aux changements
phénologiques
RÉARRANGEMENT
DES
COMMUNAUTÉS
CHANGEMENT
DES PRATIQUES
ET SAVOIRS
Sélection sur la
plasticité
Normes de
réaction affectées
par la présence
d’autres espèces
Manipulation du
phénotype via
les conditions
environnementales
(p. ex. irriguation)
Adaptation locale
Force de
la sélection
MIGRATION
MIGRATION
Maintien de la
diversité génétique
Migration dépendante de la présence
d’autres espèces
(dont vecteurs de
dispersion)
Evolution de
la migration
Evolution des
interactions
Force et direction
de la sélection
Effets génétiques
étendus
Séparation spatiale
des espèces en fonction de leurs capacités migratoires
Efficacité des
méthodes de
lutte contre les
pathogènes et les
vecteurs (évolution
de résistances)
Gestion des invasions biologiques
Limites des zones de
protection
Déplacement des
zones d’exploitation
Gestion des ressources génétiques
Sélection artificielle
Migration assistée
(p. ex. transplantations)
Diversification des
cultures et plus
généralement
mutations des
agroécosystèmes
Stratégies
d’exploitation
des ressources
naturelles
56 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ
2.3
Décrire les boucles de rétroactions
En particulier comment les changements de biodiversité affectent les pratiques humaines
L’existence d’interactions fortes entre les différents mécanismes de flexibilité des socio-écosystèmes, souvent multidirectionnelles et de signe variable, implique l’existence de
boucles de rétroaction entre différentes composantes de ces
systèmes encore mal comprises. Ces boucles de rétroaction,
par exemple entre évolution génétique et fonctionnement
écologique des communautés, ont été surtout décrites d’un
point de vue théorique, mais rarement documentées d’un
point de vue expérimental sauf dans quelques systèmes bien
particuliers (voir par exemple Kokko & Lopez-Sepulcre,
2007). Ces études suggèrent que la compréhension et la
description de ces boucles de rétroaction est critique
afin d’expliquer les points de basculement du fonctionnement de ces systèmes complexes, les phénomènes d’hystérésis et d’irréversibilité des changements environnementaux,
2.4
les spirales de dégradation comme les spirales « vertueuses »
permettant de restaurer un fonctionnement plus harmonieux. Nous sommes encore loin d’intégrer ces boucles de
rétroactions aux scénarios de biodiversité : par exemple si la
modélisation des impacts du climat sur la biodiversité prend
en compte les conséquences de différents scénarios d’évolution des pratiques humaines autour de l’usage des ressources naturelles, la façon dont, en retour, ces pratiques
vont être modifiées par les changements de biodiversité
n’est pas modélisée de façon dynamique. Ces nouvelles
pratiques auront à leur tour un impact sur la biodiversité.
Les scénarios autour de l’exploitation des ressources halieutiques prennent en revanche plus en compte les rétroactions
entre changements de pressions et changements des stocks.
Promouvoir l’interdisciplinarité en soutenant la formation et le recrutement de chercheurs aux interfaces
Ce programme de recherches nécessite de travailler aux
interfaces de plusieurs disciplines et son succès dépendra de manière cruciale de la formation, du recrutement
mais aussi de la valorisation de la carrière de chercheurs
travaillant à la frontière de ces disciplines, capables de les
faire dialoguer entre elles.
Le poids moyen des chamois, Rupicapra rupicapra, dans le massif alpin a diminué de 25 % depuis 1980,
une adaptation probable à la hausse de la température en montagne. Fulvio Spada.
II - SOuRCES DE FlEXIBIlITÉ : PROSPECTIVES • 57
3. PROPOSER DES INDICATEURS DU
POTENTIEL D’ADAPTATION
3.1
Indicateurs de plasticité adaptative
Nous avons vu que la plasticité se définit pour un phénotype et pour un individu. Potentiellement, les mesures de
plasticité sont donc infinies. Il est par conséquent nécessaire de cibler les mesures sur des phénotypes impliqués
dans la réponse adaptative au changement global (p. ex.
phénologie, efficience d’utilisation de l’eau des plantes) ou
connectés à la valeur sélective (p. ex. traits de croissance,
investissement reproductif). Ensuite, il faut améliorer les
métriques permettant d’estimer la plasticité. Valladares et
al. (2006) ont réalisé une synthèse des estimations de la
plasticité qui sont en usage : coefficient de variation (total,
basé sur les moyennes ou sur les médianes), pente d’une
norme de réaction, différence ou ratio entre la moyenne
du phénotype à forte disponibilité en ressource et celle à
faible disponibilité en ressource… Ces estimateurs peuvent
aussi prendre en compte l’effet de covariables (p. ex. la biomasse) ou être normalisés selon la distance entre individus
ou selon les variations de l’environnement.
3.2
Les estimations les plus répandues utilisent la variation spatiale de l’environnement, et par conséquent en
population naturelle, ils mélangent la variabilité génétique
et la plasticité. Les variations temporelles de phénotypes
d’un même individu peuvent aussi être étudiées (p. ex. largeurs de cernes). Dans ces cas, il n’y a plus de confusion
entre variation génétique et plasticité. Par contre, il existe
alors une forte autocorrélation temporelle et une confusion possible avec des effets ontogénétiques. Les évaluations
expérimentales présentent elles aussi des désavantages. L’estimation de la plasticité comme celle de l’hérédité varie
selon le degré de contrôle des autres facteurs de variations
du phénotype que celui étudié dans l’expérience. Enfin,
la plupart des estimateurs correspondent à des moyennes
entre différents individus ou même entre différentes populations, sans qu’une réflexion soit menée sur l’expression
de ces moyennes. La conclusion est que l’estimation de la
plasticité requiert toujours en préalable une clarification des enjeux afin de choisir les bons phénotypes à
étudier et les estimateurs adéquats à utiliser.
Potentiel évolutif
Même si les objectifs de la biologie de la conservation sont
explicites (Soulé, 1985), leurs applications demeurent souvent au cas par cas et la question de quelle diversité protéger
et promouvoir dans une logique fonctionnaliste du vivant
n’est pas résolue. Néanmoins, la gestion de la biodiversité
est récemment devenue plus pro-active et s’est inscrite dans
le temps, et la vision fixiste de la conservation des espèces
a laissé place à une vision plus évolutionniste impliquant
de conserver les espèces et leur capacités à s’adapter à un
monde changeant.
De manière formelle et précise, la capacité d’adaptation est définie pour une population (et non pas une
espèce) soumise à un nouvel environnement. Elle est
déterminée par le taux de croissance moyen de la valeur
sélective (contribution attendue d’un individu aux gènes de
la génération suivante) des individus composant la population ciblée. La capacité d’adaptation est donc un concept
prometteur en biologie de la conservation, car maintenir
la capacité d’adaptation revient à permettre à une popu-
lation d’éviter le risque d’extinction. Mais ce concept n’est
pas encore normatif et encore moins prescriptif : combien
de capacité faut-il garder ? Comment conserver la capacité
d’adaptation ?
La capacité d’adaptation est estimée par une multitude d’indicateurs qui ne traitent ni des mêmes objets ni
des mêmes échelles, et ces indicateurs n’ont alors pas les
mêmes propriétés (Houle, 1992) : classiquement la variance
génique additive ou l’héritabilité d’un trait lié au succès
reproductif, plus fréquemment l’évolvabilité (Houle, 1992),
l’adaptabilité, le potentiel évolutif, le potentiel adaptatif, ou
encore la charge génétique (Le Rouzic & Carlborg, 2008), et
plus récemment, et en accord avec les données expérimentales, les associations et les corrélations entre plusieurs traits
liés au succès reproductif (Gomulkiewicz & Houle, 2009 ;
Lande & Arnold, 1983 ; Walsh & Blows, 2009).
Beaucoup de travail doit être accompli pour clarifier
le concept de capacité d’adaptation, sa pertinence à dif-
58 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ
férentes échelles temporelles et spatiales, son efficacité à
prédire le devenir des populations et des espèces, ses relations avec des mesures estimables facilement dans les popu-
3.3
lations naturelles, et sa valeur opérationnelle (normative
et prescriptive).
Indicateurs de migration
Différentes bases de données sur la variation interspécifique
des distances de dispersion, des flux de gènes, de la migration ou de la mobilité (p. ex. Stevens et al., 2010) à l’échelle
des papillons d’Europe) ont tenté d’identifier des prédicteurs
des capacités de dispersion et plus généralement d’explorer
la covariation entre traits. Ces indicateurs du potentiel de
migration sont probablement difficilement généralisables
d’un groupe taxonomique à l’autre et la constitution de
semblables bases de données est à encourager afin de définir des groupes fonctionnels intégrant les différences
migratoires. C’est une étape importante afin d’incorporer
la migration de façon moins caricaturale dans les scénarios
de biodiversité. Ces bases de données ont également mis en
avant les multiples facettes et descriptions de la mobilité
des espèces, qui donnent chacune une image un peu différente des capacités de dispersion. Une difficulté avec cette
approche est que la variabilité des capacités de dispersion
au sein des espèces n’est pas prise en compte : la plasticité
phénotypique ou l’évolution génétique de la dispersion sont
ignorées, alors que cette variation intraspécifique peut souvent dépasser celle existant entre les espèces. On ne dispose
pas encore d’indicateurs de migration opérationnels sur un
grand nombre de situations qui incorporent la flexibilité
de ce comportement.
Oie cendrée, Anser anser.
En Europe, elle niche
principalement dans le
Nord (Islande, Écosse,
Scandinavie…) et, généralement migratrices, elles
se déplaçent vers le sud en
hiver (Espagne, Portugal,
bords de la Méditerranée…). En 1968, 10 oies
cendrées avaient hiverné
en France, alors qu’on en
dénombrait 28 000 en
2011. Axel Kristinsson.
3.4
Indicateurs de résilience des communautés (aspects multifacettes de la diversité)
L’écologie des communautés a récemment défini des
indices simples capables de décrire plusieurs aspects de la
diversité. Ces différentes facettes (fonctionnelle, phylogénétique, écologique) peuvent à leur tour être décomposées pour mesurer la diversité locale (alpha), régionale
(gamma) ou entre sites (diversité bêta) (Devictor et al.,
2010). La dynamique de différentes « facettes » de la biodiversité mériterait aujourd’hui d’être quantifiée sur plusieurs
groupes et à différentes échelles.
II - SOuRCES DE FlEXIBIlITÉ : PROSPECTIVES • 59
Au delà de l’utilité de décrire la dynamique de ces
différentes facettes, ces approches doivent être affinées pour
préciser à la fois la direction du réarrangement des communautés, leurs conséquences (en particulier sur le fonctionnement des écosystèmes) et les moyens d’infléchir ces
dynamiques (en évaluant l’effet des mesures de conservation). En testant la réponse de ces indicateurs (amplitude,
inertie, sens et intensité), il sera ainsi possible de mieux
caractériser la flexibilité de la réponse des communautés
(capacités de résilience, points de ruptures et d’adaptation).
Par ailleurs, la part de ces résultats attribuables à des
mécanismes évolutifs (adaptations locales), écologiques
(changements de niches, compétition, changements dans
3.5
Ceci est valable pour les communautés étudiées indépendamment des interactions comme pour les réseaux.
Aussi nous ne disposons que de peu d’idées sur ce qu’il faut
faire concrètement pour conserver un réseau, si tel est l’objectif, dans le contexte des changements globaux (rapides
et multi-formes). Des questions simples comme « Faut-il
garder les espèces spécialistes ou généralistes ? Faut-il privilégier l’équivalence fonctionnelle ou phylogénétique ? »
sont encore largement sans réponses.
Indicateurs de résilience des socio-écosystèmes
Les indicateurs de résilience des socio-écosystèmes peuvent
être de trois types :
• Les indicateurs d’état : ils décrivent à un instant t la
qualité « adaptative » d’un socio-écosystème. On peut
ainsi évaluer la réactivité du système.
• Les indicateurs de changement : ils permettent à
une communauté de noter les changements environnementaux grâce à des marqueurs endogènes. Un
des exemples les plus frappants est le décalage entre
les conditions climatiques actuelles et les calendriers
saisonniers souvent basés sur la cyclicité du monde
naturel (date de floraison des plantes, date et parcours
de migration des animaux, etc). En développant ces
connaissances, les sociétés sont capables d’opter pour
une stratégie préventive.
• Les indicateurs de potentiel d’adaptation : ils sont
évalués en confrontant l’exposition à un changement,
la sensibilité et la capacité d’adaptation du socio-écosystème. Si une société a su développer une forte capacité
3.6
les interactions entre espèces et niveaux trophiques), et
aux dynamiques des populations de chaque espèce (survie,
reproduction) reste encore largement à déterminer.
d’adaptation, elle sera capable d’être en situation de
pro-action face à un changement. Elle saura transformer en opportunité certaines perturbations.
La multiplication des méthodes d’évaluation des services écosystémiques, qu’ils s’agissent d’évaluations monétaires, biophysiques, socio-culturelles ou encore d’approches
multicritères, offre un panel d’indicateurs d’états et de
tendances qui mettent en évidence le niveau de dépendance des sociétés humaines vis-à-vis du fonctionnement
des écosystèmes ou de certaines de leur composantes. En
croisant ces informations avec des prédictions d’évolution
de la composition et des fonctionnalités des écosystèmes
il est possible de développer des outils d’aide à la décision
permettant notamment d’établir des priorités dans les politiques économiques et environnementales et, ce faisant,
d’accroître les capacités d’adaptation des sociétés aux changements environnementaux.
Indicateurs prenant en compte les interactions
Un champ de recherches relativement vierge consisterait à
définir des indicateurs du potentiel adaptatif des socioécosystèmes qui intégreraient les interactions entre les
différents mécanismes de flexibilité : par exemple des
indicateurs de flexibilité phénotypique qui prendraient en
compte à la fois les capacités de changements génétiques
et la plasticité phénotypique, ou bien des indicateurs de
résilience qui prendraient en compte à la fois les changements phénotypique au sein des espèces et les changements
d’abondance de celles-ci (assurance écologique et évolutive). On pourrait également développer des indicateurs
qui prennent en compte les pratiques et modes de gestion,
couplés à la dynamique de l’écosystème.
60 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ
4. INTÉGRER CES SOURCES DE FLEXIBILITÉ
DANS LES SCÉNARIOS DE BIODIVERSITÉ
4.1
Utiliser les indicateurs pour orienter les choix de modélisation / scénarisation
On peut douter de l’efficacité opérationnelle d’une stratégie
de modélisation qui intégrerait toutes les sources et mécanismes de flexibilité, à toutes les échelles, et pour toutes
les composantes des socio-écosystèmes dont on souhaite
scénariser le devenir. Modéliser c’est simplifier la réalité
en incorporant les mécanismes majeurs d’évolution des
systèmes et en négligeant ceux qui vont avoir peu d’impact. Les indicateurs du potentiel d’adaptation discutés
précédemment peuvent nous aider à faire des choix, à
hiérarchiser les mécanismes non pas sur la base d’a priori
non nécessairement bien fondés, comme la séparation
des échelles de temps écologiques et évolutives, mais sur
la base d’informations sur le rôle relatif, la dynamique et
les échelles spatiales et temporelles des différents types de
réponses. Par exemple, des indicateurs du potentiel d’évolution génétique devraient nous permettre d’identifier quand
il est nécessaire d’incorporer ce type de réponse dans les
4.2
scénarios, pour quelles populations et pour quels traits, et
quand cela n’est pas nécessaire. De manière assez évidente,
la prise en compte de l’évolution de résistances est incontournable dans la scénarisation de la gestion de populations
de pathogènes et de vecteurs dont les tailles de population
sont énormes. Inversement, prendre en compte les capacités
d’évolution de résistance à la sécheresse chez des espèces spécialisées où cette diversité d’adaptation a été perdue ou très
réduite n’améliorera pas les prédictions sur le devenir de ces
populations. Entre ces deux extrêmes, les indicateurs qualitatifs ou quantitatifs peuvent nous aider à orienter les choix
de modélisation, en définissant par exemple des groupes
fonctionnels sur la base de l’importance de ces différentes
sources de flexibilité, et plus généralement en informant les
compromis nécessaires à réaliser entre précision, généralité
et réalisme dans la construction de ces scenarios.
Défis de modélisation liés au couplage
Pour appréhender la flexibilité des agro-écosystèmes face
aux changements globaux, il est nécessaire d’intégrer les
différentes formes de flexibilité dans des modèles mathématiques. Deux voies peuvent être suivies. La première
est de trouver des formalismes simples et génériques qui
permettent de rendre compte d’une très grande variété
de situations. Ces modèles théoriques (Chevin et al., 2010)
permettent une résolution analytique qui nous donne l’ensemble des cas envisageables. Ces modèles rendent compte
des points de basculement possibles, mais, par contre, ils
ne permettent pas forcément de quantifier explicitement
les seuils correspondant à ces points de basculement pour
une situation écologique spécifique. Ils doivent donc être
complétés par des modèles de simulations qui quantifient
les sources de flexibilité pour des situations précises. Ces
modèles permettront en plus d’affiner les scénarios dans
ces cas écologiques pour lesquels la quantification de l’évolution des services écosytémiques rendus est importante (p.
ex. plantes de grandes cultures, forêts, pêches). Il faut arriver à faire dialoguer ces deux types d’approches pour
préciser les scénarios de l’évolution de la biodiversité.
Un des enjeux est donc de développer chacun de ces
types de modélisation. En ce qui concerne la modélisation
théorique, la prise en compte de plusieurs sources de flexibilité rend plus difficile la résolution analytique.
Les modèles de simulation ont vocation à coupler des
modèles de physiologie, de dynamique des populations, de
génétique voir d’impact des pathogènes. Pour ces modèles
de simulation, nous sommes confrontés à une série de problèmes complexes. D’abord, il faut arriver à coupler des
modèles développés séparément. Ceci nécessite parfois
un interfaçage entre programmes codés dans différents
langages ou le recodage de programmes dans un langage
commun. Ensuite, il faut cibler les variables permettant
de faire le lien entre les différents modèles (p. ex. la teneur
en réserves carbonés des arbres qui pilote la probabilité de
mortalité). Enfin, il faut arriver pour des situations précises
(p. ex. un cortège d’espèces et un site) à paramétrer et à
valider ces modèles complexes. Pour faciliter ce travail de
paramétrisation et de validation, il est judicieux de partir
de situations bien documentées (p. ex. sites atelier). Cela
pose évidemment aussi la question de la parcimonie et du
niveau de description requis pour quantifier l’évolution des
II - SOuRCES DE FlEXIBIlITÉ : PROSPECTIVES • 61
écosystèmes. L’idée n’est pas de prédire précisément leur
évolution, mais plutôt de donner des gammes de variations
spatiales ou temporelles de l’environnement (climat, sol)
pour lesquelles les capacités de flexibilité permettent la sur-
4.3
vie des populations. Ce travail nécessite aussi la réalisation
d’études de sensibilité afin de déterminer quels processus
sont à retenir et quels sont ceux que l’on peut négliger.
Défis liés aux changements d’échelle
Les processus impliqués dans l’adaptation des agro-écosystèmes opèrent à des échelles de temps (c-à-d de la seconde
au siècle) et d’espace (c-à-d de la molécule au biome) très
variées. Nous avons vu que la compréhension des mécanismes impliqués dans l’adaptation nécessitait parfois d’étudier les processus à fine échelle, notamment en physiologie
(en lien avec la biochimie) ou en génétique (en interface
avec la biologie moléculaire). La non linéarité des processus
ainsi que le dépassement des gammes de variations environnementales actuellement expérimentées (notamment
en termes de CO2) rend nécessaire un programme réductionniste au cas par cas (Steel, 2004). Ces études faites sur
certains objets écologiques bien connus et importants (p.
ex. les moustiques) permettent de bien comprendre toute la
chaîne d’expression des phénotypes impliqués dans l’adaptation au changement global. Mais ce programme réductionniste prend le risque de s’éloigner des échelles d’intérêt pour
les écologues et la société que sont l’écosystème et la région.
Une réflexion sur les changements d’échelles spatiale et
temporelle est donc nécessaire.
Dans ce contexte quatre défis paraissent majeurs. Premièrement, il faut mener une réflexion sur les hiérarchies
d’échelles. Les échelles spatiales supérieures servent de cadre
de fonctionnement aux échelles inférieures (p. ex. la photosynthèse d’une feuille dépend de la lumière interceptée
qui est fonction des conditions environnementales et des
feuilles au dessus d’elles), et les échelles inférieures de base
matérielle aux échelles supérieures (p. ex. la photosynthèse a
lieu dans le stroma et dans la membrane des chloroplastes).
Pour chaque source de flexibilité et chaque phénotype étudié, il faut trouver le bon équilibre dans la description des
différentes échelles. Ensuite, si plusieurs échelles emboîtées
doivent être prises en compte, il faut trouver les principes
ponts permettant de faire le lien entre les lois développés
à ces différentes échelles. Deuxièmement, il existe des processus spécifiquement spatiaux comme la dispersion des
propagules ou les flux latéraux de matière. Etudier ces processus pose des problèmes et enjeux spécifiques et requiert
l’usage d’un outillage statistique particulier. Par exemple,
pour la dispersion le passage des échelles locales (noyau de
dispersion de graines) à une échelle régionale (p. ex. avancée
Mélange des eaux de deux
torrents au pied de l’Antisana en Equateur. Ce
volcan de la Cordillère des
Andes constitue un des
plus intéressants sujets
d’étude des conséquences
du réchauffement climatique en Amérique latine
puisqu’on estime que le
tiers de son glacier a disparu en l’espace de 30 ans.
Olivier Dangles, IRD.
62 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ
d’un front de colonisation) demeure un enjeu important.
Troisièmement, du fait de la réponse non linéaire de nombreux processus aux variations de l’environnement, tout
usage de moyennes biaise potentiellement systématiquement les résultats de simulations (Davi et al., 2006). Il est
donc nécessaire lors de changements d’échelle (p. ex. de la
parcelle à la région), soit de tester le caractère négligeable
de ces biais, soit d’utiliser des paramètres équivalents. Qua-
4.4
trièmement, le changement d’échelle requiert aussi l’usage
d’outils spécifiques. En ce qui concerne l’écologie végétale,
si la télédétection semble prometteuse pour estimer à de
larges échelles la phénologie (Guyon et al., 2011), le niveau
de recouvrement du couvert (Turner et al., 1999) ou même la
composition biochimique des feuilles (le Maire et al., 2008),
l’investigation des variations spatiales du sol et du sous-sol
pose encore plus de problèmes.
Défis liés à la confrontation aux données (validation)
La complexité croissante liée à l’intégration de différents
mécanismes de flexibilité dans la réponse des socio-écosystèmes aux changements globaux rend encore plus aigus les
défis de recherche liés à la confrontation de ces scénarios
de biodiversité aux données. Cette confrontation est nécessaire à la fois pour paramétrer les modèles et aussi pour les
valider. En effet, si l’exercice de scénarisation ne consiste
pas à prédire un futur mais à comparer des options pour
différents futurs, le sens de ces comparaisons dépend de la
qualité de nos outils de modélisation. Valider la qualité des
prédictions de différents modules séparément et de leur
couplage est donc crucial.
Dans cette optique, il y a un besoin crucial de renforcer l’acquisition de données, notamment des suivis à
long terme, et de disposer de grosses bases de données
(notamment en terme d’étendue spatiale). Les données historiques (sur des échelles de temps variées) seront également
nécessaires pour valider et paramétrer les scénarios. Il est
également nécessaire de poursuivre les efforts de mise
en cohérence des systèmes d’observation de la biodiversité, mais aussi de développer des approches expérimentales
pour mieux comprendre les processus. Le développement
d’approches comparatives (notamment fondées sur des analyses phylogénétiques) est également prometteur pour à la
fois informer et tester les scénarios de biodiversité.
CONCluSION • 63
CONCLUSION
D
ans un contexte marqué par l’accélération du
changement global, la question de l’adaptation des espèces, des écosystèmes et des modes
d’interaction des sociétés humaines avec la biodiversité a pris une importance croissante dans les politiques environnementales, ainsi que dans les négociations
internationales dans le champ de l’environnement. La prise
en compte de cet enjeu engendre d’importants besoins
de mobilisation des connaissances et rend nécessaire un
effort de recherche accru dans ce domaine, pour combler
les lacunes de connaissance.
L’état des lieux, comme la partie prospective de ce
rapport, mettent en lumière des besoins de recherche fondamentale pour comprendre les processus et les interactions
multiples impliquées dans les réponses des organismes,
des écosystèmes et des socio-écosystèmes au changement
global. Ils soulignent aussi la nécessité de recherches plus
en « aval » sur le potentiel d’adaptation (au sens positif
du terme) des différents niveaux de biodiversité et sur
les façons de le favoriser tant pour faciliter les processus
évolutifs dans leur ensemble que pour assurer le bien-être
humain en lien avec celle-ci. Le document illustre que ces
mécanismes d’adaptation, ou plus généralement de flexibilité, des socio-écosystèmes sont multiples et interagissent
les uns avec les autres ; ce document montre également
que ces mécanismes ont leurs limites. Le rôle que joueront
ces mécanismes de flexibilité dans les réponses de la biodiversité aux changements globaux dans le futur reste donc
une inconnue critique pour notre capacité à anticiper ces
changements.
Les réflexions conduites, et les exemples mobilisés,
illustrent bien que toutes les réponses spontanées ne sont
pas adaptatives (c’est-à-dire qu’elles ne vont pas nécessairement dans le sens d’une résolution du problème posé par le
changement, en terme de survie des éléments de la biodi-
versité concernés). On pourrait ajouter que toutes les adaptations qui réussissent à résoudre un problème causé par le
changement global ne sont pas nécessairement un progrès
du point de vue de la préservation de la biodiversité : des
robots pollinisateurs ne sauraient remplacer les abeilles,
ni les poissons d’élevage leurs homologues sauvages. On
pourrait multiplier les exemples.
Il s’agit donc bien de connaître et de mesurer le potentiel d’adaptation, pour mieux anticiper les états futurs de
la biodiversité, mais aussi pour être en mesure de mieux
favoriser ce potentiel. La connaissance des réponses spontanées du monde vivant et des sociétés humaines doit interagir étroitement avec les réflexions sur les stratégies et
les modes d’action à mettre en place. L’accroissement des
connaissances doit en outre contribuer à réduire (autant
que possible) et à mieux gérer l’incertitude sur les risques
associés au changement global.
Si les réponses à apporter aux changements subis par
biodiversité représentent un défi majeur, les acteurs de la
biodiversité s’intéressent de plus en plus à la façon dont les
écosystèmes eux-mêmes, de par leur aptitude à répondre au
changement global peuvent être mobilisés pour renforcer
les capacités d’adaptation des sociétés, notamment face au
changement climatique, à travers des approches telles que
« ecosystem-based adaptation » (mise en avant par différentes organisations d’envergure internationale), ou plus
récemment les « solutions fondées sur la nature », notion
mise en avant par l’UICN et qui commence à interroger les
cercles politiques et scientifiques. Ces approches pourront
sans doute apporter une contribution positive à l’équilibre
futur des relations homme-nature, à condition qu’elles
se donnent pour objectif de rétablir le potentiel adaptatif et évolutif des systèmes naturels, en s’appuyant sur les
réponses adaptatives de la biodiversité pour relever les défis
posés par le changement global.
64 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ
BIBLIOGRAPHIE
A
ckerman J.D., Roubik D.W. (2012) Can extinction
risk help explain plant-pollinator specificity among
euglossine bee pollinated plants? Oikos, 12, 1821–1827.
Adger W.N. (2006) Vulnerability. Global Environmental
Change, 16, 268–281.
Agashe D., Falk J.J., Bolnick D.I. (2011) Effects of founding
genetic variation on adaptation to a novel resource.
Evolution, 65, 2481–2491.
Aigner P.A. (2001) Optimality modeling and fitness tradeoffs: when should plants become pollinator specialists?
Oikos, 95, 177–184.
Aubret F., Shine R. (2010) Thermal plasticity in
young snakes : how will climate change affect the
thermoregulatory tactics of ectotherms ? Journal of
Experimental Biology, 213, 242-248.
Auger-Rozenberg M.A., Barbaro L., Battisti A., Blache S.,
Charbonnier Y., Denux O., Garcia J., Goussard F., Imbert
C.E., Kerdelhué C., Roques A., Torres-Leguizamon M.,
Vetillard F. (2015) Ecological responses of parasitoids,
predators and associated insect communities to the
climate-driven expansion of pine processionary moth. In
A. Roques (Ed.), Processionary Moths and Climate Change:
An Update. (pp. 311–358). Springer/ Quae.
B
adjeck Mc, Allison E., Halls A., Dulvy N. (2010)
Impacts of climate variability and change on
fishery-based livelihoods. Marine Policy, 34, 375–383.
Barbet-Massin M., Thuiller W., Jiguet F. (2012) The fate
of European breeding birds under climate, land-use and
dispersal scenarios. Global Change Biology, 18, 881–890.
Barnagaud V., Jiguet F., Barbet-Massin, M., Le Viol, I.,
Archaux, F., J.-Y. D. (2012) Relating habitat and climatic
niches in birds. PLoS ONE, 7(3).
Barnosky A.D., Matzke N., Tomiya S., Wogan G.O.U.,
Swartz B., Quental T.B., Marshall C., McGuire J.L., Lindsey
E.L., Maguire K.C., Ben Mersey B., Ferrer E.A. (2011) Has
the Earth’s sixth mass extinction already arrived? Nature,
471, 51–57.
Bartomeus I., Vilà M., Santamaría L. (2008a) Contrasting
effects of invasive plants in plant-pollinator networks.
Oecologia, 155, 761–770.
Bartomeus I., Vilà M., Santamaría L. (2008b) Contrasting
effects of invasive plants in plant-pollinator networks.
Oecologia, 155, 761–770.
Bascompte J. (2009) Disentangling the web of life. Science,
325, 416–419.
Bascompte J., Jordano P., Melián C.J., Olesen J.M. (2003)
The nested assembly of plant-animal mutualistic networks.
Proceedings of the National Academy of Sciences, 100, 9383–9387.
Bastolla U., Fortuna M. A., Pascual-García A., Ferrera
A., Luque B., Bascompte J. (2009) The architecture
of mutualistic networks minimizes competition and
increases biodiversity. Nature, 458, 1018–1020.
Battisti A., Avcı M., Avtzis D.N., Ben Jamaa M.L., Al.
E. (2015) Natural History of the Processionary Moths
(Thaumetopoea spp.): New Insights in Relation to Climate
Change. In A. Roques (Ed.), Processionary Moths and
Climate Change: An Update. (pp. 15–18). Springer/ Quae.
Battisti A., Stastny M., Netherer S., Robinet C., Schopf
A., Roques A., Larsson S. (2005) Expansion of geographic
range in the pine processionary moth caused by increased
winter temperatures. Ecological Applications, 15, 2084–2096.
Bell G., Gonzalez A. (2009) Evolutionary rescue can
prevent extinction following environmental change.
Ecology Letters, 12, 942–948.
Benadi G., Blüthgen N., Hovestadt T., Poethke H.J.
(2012) Population Dynamics of Plant and Pollinator
Communities: Stability Reconsidered. The American
Naturalist, 179, 157-158.
Benot M.L., Saccone P., Pautrat E., Vicente R., Colace M. P.,
Grigulis K., Clement JC, Lavorel S. (2014) Stronger ShortTerm Effects of Mowing Than Extreme Summer Weather
on a Subalpine Grassland. Ecosystems, 17, 458–472.
Bersaglieri T., Sabeti P.C., Patterson N., Vanderploeg
T., Schaffner S. F., Drake J.A., Rhodes M., Reich D.E.,
Hirschhorn J. N. (2004) Genetic signatures of strong
recent positive selection at the lactase gene. American
Journal of Human Genetics, 74, 1111–1120.
Biesmeijer J.C., Roberts S.P.M., Reemer M., Ohlemüller R.,
Edwards M., Peeters T., Schaffers A.P., Potts S.G., Kleukers
R., Thomas C.D., Settele J., Kunin W.E. (2006) Parallel
declines in pollinators and insect-pollinated plants in
Britain and the Netherlands. Science, 313, 351–354.
Bongers F., Poorter L., Hawthorne W.D., Sheil D. (2009)
The intermediate disturbance hypothesis applies to
tropical forests, but disturbance contributes little to tree
diversity. Ecology Letters, 12, 798–805.
Bonnemaison J. (1996) Gens de pirogue et gens de la terre.
Paris: ORSTOM.
Bourgault P., Thomas D., Perret P., Blondel J. (2010) Spring
vegetation phenology is a robust predictor of breeding
date across broad landscapes: A multi-site approach using
the Corsican blue tit (Cyanistes caeruleus). Oecologia, 162,
885–892.
Bowlby J. (1969) Continuité et discontinuité ; vulnérabilité
et résilience. Devenir, 4, 7–31.
Bradshaw A.D. (2006) Unravelling phenotypic plasticity Why should we bother? New Phytologist, 170, 644-648.
BIBlIOGRaPHIE • 65
Brookfield H. (2001) Exploring agrodiversity. New York:
Columbia University Press.
understanding and quantification of uncertainty. Ecology
Letters, 15, 533–544.
Brookfield H., Padoch C. (1994) Appreciating
agrodiversity: A look at the dynamism and diversity of
indigenous farming practices. Environement, 36, 271–289.
Cheung W.W.L., Lam V.W.Y., Sarmiento J. L., Kearney
K., Watson R., Zeller D., Pauly D. (2010) Large-scale
redistribution of maximum fisheries catch potential in
the global ocean under climate change. Global Change
Biology, 16, 24–35.
Byé P., Muchnik J. (1995) Innovations et sociétés. Quelles
agricultures ? Quelles innovations ? I- Dynamisme temporel
de l’innovation (Actes du XIVème séminaire d’économie
rurale, CIRAD-INRA-Orstom, 13-16 sept. 1993). Montpellier:
CIRAD.
C
adotte M.W., Carscadden K., Mirotchnick N. (2011)
Beyond species: Functional diversity and the
maintenance of ecological processes and services.
Journal of Applied Ecology, 48, 1079-1087.
Cameron S.A., Lozier J.D., Strange J. P., Koch J.B., Cordes
N., Solter L.F., Griswold T.L. (2011) Patterns of widespread
decline in North American bumble bees. Proceedings of the
National Academy of Sciences, 108, 662–667.
Cantoni C., Lallau B. (2010) La résilience des Turkana.
Une communauté de pasteurs kenyans à l’épreuve des
incertitudes climatiques et politiques. Développement
Durable et Territoire, 1.
Chalcoff V.R., Aizen M.A., Ezcurra C. (2012) Erosion of a
pollination mutualism along an environmental gradient
in a south Andean treelet, Embothrium coccineum
(Proteaceae). Oikos, 121, 471–480.
Chan Y.F., Marks, M.E., Jones F.C., Villarreal G., Shapiro
M.D., Brady S.D., Southwick A.M., Absher D.M.,
Grimwood J., Schmutz J., Myers R.M., Petrov D., Jónsson
B., Schluter D., Bell M.A., Kingsley D.M. (2010) Adaptive
evolution of pelvic reduction in sticklebacks by recurrent
deletion of a Pitx1 enhancer. Science, 327, 302–305.
Charmantier A., Gienapp P. (2014) Climate change and
timing of avian breeding and migration: Evolutionary
versus plastic changes. Evolutionary Applications, 7, 15–28.
Charmantier A., McCleery R.H., Cole, L.R., Perrins C.,
Kruuk L.E.B., Sheldon B.C. (2008) Adaptive phenotypic
plasticity in response to climate change in a wild bird
population. Science, 320, 800–803.
Chevin L.M., Lande R. (2010) When do adaptive plasticity
and genetic evolution prevent extinction of a densityregulated population? Evolution, 64, 1143–1150.
Chevin L.M., Lande R., Mace G.M. (2010) Adaptation,
plasticity, and extinction in a changing environment:
Towards a predictive theory. PLoS Biology, 8(4).
Chuine I., Beaubien E. G. (2001) Phenology is a major
determinant of tree species range. Ecology Letters, 4, 500–
510.
Clavel J., Julliard R., Devictor V. (2010) Worldwide
decline of specialist species: Toward a global functional
homogenization? Frontiers in Ecology and the Environment,
9, 222-228.
Coleman J.S., McConnaughay K.D.M., Ackerly D.D. (1994)
Interpreting phenotypic variation in plants. Trends in
Ecology and Evolution, 9, 187–191.
Cormier-Salem M.C. (1992) Gestion et évolution des espaces
aquatiques : la Casamance. Paris, Orstom, coll. Études et
Thèses.
Cormier-Salem M.C. (1994) Environmental changes,
agricultural crisis and small scale fishing development
in the Casamance region, Senegal. Ocean & Coastal
Management, 24, 109–124.
Cormier-Salem M.C. (1999) Innovation et relations
sociétés-environnement. In J.P. Chauveau, M.C. CormierSalem, E. Mollard (Eds.), L’innovation en agriculture.
Questions de méthode et terrains d’observation (pp. 127–168).
Paris: IRD, coll. A travers Champs.
Cormier-Salem M.C. (Ed.) (1999) Rivières du Sud. Sociétés et
mangroves ouest-africaines. Paris, IRD, vol. I.
Chase J. M., Leibold M., (2003) Ecological Niches: Linking
Classical and Contemporary Approaches, University of
Chicago Press, Chicago.
Cormier-Salem, M.C. (1991) Logiques de développement
en Afrique : les experts à l’école paysanne. Ecodecision
(Revue Environnement et Politiques/ Environment and Policy
Magazine), 2, 78–91.
Chauveau J.-P., Yung J.-M. (Eds.) (1995) Innovations et
sociétés. Quelles agricultures ? Quelles innovations ? II- Les
diversités de l’innovation. XIVème séminaire d’économie rurale,
CIRAD-INRA-Orstom, 13-16 sept. 1993 (Vol. I). Montpellier:
CIRAD-INRA-Orstom.
Cornwell W.K., Ackerly D.D. (2009) Community
assembly and shifts in plant trait distributions across an
environmental gradient in coastal California. Ecological
Monographs, 79, 109–126.
Chauveau J.-P., Cormier-Salem M-C., Mollard E. (Eds.).
(1999) L’ innovation en agriculture. Questions de méthodes et
terrains d’observation. coll. A travers champs. Paris: IRD.
Cheaib A., Badeau V., Boe J., Chuine I., Delire C.,
Dufrêne E., François C., Gritti E.S., Legay M., Pagé C.,
Thuiller W., Viovy N., Leadley P. (2012) Climate change
impacts on tree ranges: Model intercomparison facilitates
Crispo E., Dibattista J.D., Correa C.C., Thibert-Plante X.,
McKellar A.E., Schwartz A.K., Berner D., De León L. F.
(2010) The evolution of phenotypic plasticity in response
to anthropogenic disturbance. Evolutionary Ecology
Research, 12, 47–66.
Cury P., Roy C. (1991) Pêcheries ouest-africaines. Variabilité,
instabilité et changement. Paris: ORSTOM.
66 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ
Cutter S.L., Boruff B.J., Shirley W.L. (2003) Social
vulnerability to environmental hazards. Social Science
Quarterly, 84, 242–261.
D
auphiné A. (2001) Risques et catastrophes
observer, spatialiser, comprendre, gérer. Collection U.
Géographie.
Dobremez, L., Nettier, B., Legeard, J.-P., Caraguel, B.,
Garde, L., Vieux, S., Lavorel S., Della-Vedova M. (2014).
Les alpages sentinelles : un dispositif original pour une
nouvelle forme de gouvernance partagée face aux enjeux
climatiques. Revue de Géographie Alpine / Journal of Alpine
Research, 2, 10 pp.
Davey C.M., Chamberlain D.E., Newson S.E., Noble D.G.,
Johnston A. (2012) Rise of the generalists: Evidence for
climate driven homogenization in avian communities.
Global Ecology and Biogeography, 21, 568–578.
Dormann C.F., Schymanski S.J., Cabral J., Chuine I.,
Graham C., Hartig F., Kearney M., Morin X., Römermann
C., Schröder B., Singer A. (2012) Correlation and process
in species distribution models: Bridging a dichotomy.
Journal of Biogeography, 39, 2119–2131.
Davi H., Bouriaud O., Dufrêne E., Soudani K., Pontailler
J.Y., le Maire G., François C., Brédac N., Granierc A., le
Dantec V. (2006) Effect of aggregating spatial parameters
on modelling forest carbon and water f luxes. Agricultural
and Forest Meteorology, 139, 269–287.
Doxa A., Paracchini M.L., Pointereau P., Devictor V.,
Jiguet F. (2012) Preventing biotic homogenization of
farmland bird communities: The role of High Nature
Value farmland. Agriculture, Ecosystems and Environment,
148, 83–88.
De Mazancourt C., Johnson E., Barraclough T.G. (2008)
Biodiversity inhibits species’ evolutionary responses to
changing environments. Ecology Letters, 11, 380–388.
Duputié A., Rutschmann A., Ronce O., Chuine I. (2015)
Phenological plasticity will not help all species adapt to
climate change. Global Change Biology, 21, 3062–3073.
De Perthuis C., Hallegatte S., Lecocq F. (2010) L’économie
de l’adaptation au changement climatique - Rapport pour le
Conseil Economique pour le Développement Durable (CEDD).
E
Devaux C., Lande R. (2009) Displacement of f lowering
phenologies among plant species by competition for
generalist pollinators. Journal of Evolutionary Biology, 22,
1460–1470.
Devictor V., van Swaay C., Brereton T., Brotons L.,
Chamberlain D., Heliölä J., Herrando S., Julliard R.,
Kuussaari M., Lindström Å., Reif J., Roy D.B., Schweiger
O., Settele J., Stefanescu C., Van Strien A., Van Turnhout
C., Vermouzek Z., Wa V. (2012) Differences in the climatic
debts of birds and butterf lies at a continental scale. Nature
Climate Change, 2, 121–124.
Devictor V., Julliard R., Couvet D., Lee A., Jiguet F. (2007)
Functional homogenization effect of urbanization on bird
communities. Conservation Biology, 21, 741–751.
Devictor V., Julliard R., Jiguet F. (2008) Distribution of
specialist and generalist species along spatial gradients of
habitat disturbance and fragmentation. Oikos, 117, 507–514.
Devictor V., Mouillot D., Meynard C., Jiguet F., Thuiller
W., Mouquet N. (2010) Spatial mismatch and congruence
between taxonomic, phylogenetic and functional
diversity: The need for integrative conservation strategies
in a changing world. Ecology Letters, 13, 1030-1040.
DeWitt T. J., Sih A., Wilson D.S. (1998) Costs and limits of
phenotypic plasticity. Trends in Ecology and Evolution, 13,
77-81.
DeWitt T., Scheiner S. (Eds.)(2004) Phenotypic Plasticity,
Functional and Conceptual Approaches. Phenotypic plasticity:
Functional and conceptual Approaches. Oxford University
Press.
Djogbénou L., Chandre F., Berthomieu A., Dabiré R., Koffi
A., Alout H., Weill M. (2008) Evidence of introgression of
the ace-1R mutation and of the ace-1 duplication in West
African Anopheles gambiae s. s. PLoS ONE, 3(5).
njalbert J., Dawson J.C., Paillard S., Rhoné B.,
Rousselle Y., Thomas M., Goldringer I. (2011)
Dynamic management of crop diversity: From an
experimental approach to on-farm conservation. Comptes
Rendus – Biologies, 334, 458-468.
Etterson J. R., Shaw R.G. (2001) Constraint to adaptive
evolution in response to global warming. Science, 294,
151–154.
F
enster C.B., Armbruster W.S., Wilson P., Dudash
M.R., Thomson J.D. (2004) Pollination syndromes
and floral specialization. Annual Review of Ecology,
Evolution, and Systematics, 35, 375-403.
Fontaine C., Collin C.L., Dajoz I. (2008) Generalist
foraging of pollinators: Diet expansion at high density.
Journal of Ecology, 96, 1002–1010.
Fontaine C., Guimarães P.R., Kéfi S., Loeuille N.,
Memmott J., Van Der Putten W.H., van Veen F.J.F.,
Thébault E. (2011). The ecological and evolutionary
implications of merging different types of networks.
Ecology Letters, 14, 1170-1181.
Franks S.J., Sim S., Weis A.E. (2007). Rapid evolution
of flowering time by an annual plant in response to a
climate fluctuation. Proceedings of the National Academy of
Sciences, 104, 1278–1282.
Futuyma D.J., Moreno G. (1988) The Evolution of
Ecological Specialization. Annual Review of Ecology and
Systematics, 19, 207-233.
G
allopín G.C. (2006) Linkages between
vulnerability, resilience, and adaptive capacity.
Global Environmental Change, 16, 293–303.
Ghalambor C.K., McKay J.K., Carroll S.P., Reznick D.N.
(2007) Adaptive versus non-adaptive phenotypic plasticity
and the potential for contemporary adaptation in new
environments. Functional Ecology, 21, 394–407.
BIBlIOGRaPHIE • 67
Gienapp P., Lof M., Reed T.E., McNamara J., Verhulst
S.,Visser M.E. (2013) Predicting demographically
sustainable rates of adaptation: can great tit breeding time
keep pace with climate change? Philosophical Transactions
of the Royal Society of London. Series B: Biological Sciences,
368, 20120289.
Hobbs R.J., Higgs E., Harris J.A. (2009) Novel ecosystems:
implications for conservation and restoration. Trends in
Ecology and Evolution, 24, 599–605.
Gienapp P., Teplitsky C., Alho J.S., Mills J.A., Merilä J.
(2008) Climate change and evolution: Disentangling
environmental and genetic responses. Molecular Ecology,
17, 167-178.
Hopkins R. (2008) The Transition Handbook : From Oil
Dependency to Local Resilience. Green Publishing.
Gillon Y., Chaboud C., Boutrais J., Mullon, C. (2000)
Du bon usage des ressources renouvelables. Paris: IRD, coll.
Latitudes 23.
Godelier M. (1978) La part idéelle du réel. Essai sur
l’idéologie. L’Homme, 18, 155–188.
Goldringer I., Prouin C., Rousset M., Galic N., Bonnin I.
(2006) Rapid differentiation of experimental populations
of wheat for heading time in response to local climatic
conditions. Annals of Botany, 98, 805–817.
Gomulkiewicz R., Houle D. (2009) Demographic and
genetic constraints on evolution. The American Naturalist,
174, E218–E229.
Gonin P., Lassailly-Jacob V. (2002) Les réfugiés de
l’environnement. Une nouvelle catégorie de migrants
forcés? Revue Européenne Des Migrations Internationales, 18,
139–160.
Graham C.H., Fine P.V.A. (2008) Phylogenetic beta
diversity: Linking ecological and evolutionary processes
across space in time. Ecology Letters, 11, 1265-1277.
Gritti E.S., Duputié A., Massol F., Chuine I. (2013)
Estimating consensus and associated uncertainty between
inherently different species distribution models. Methods
in Ecology and Evolution, 4, 442–452.
Guyon D., Guillot M., Vitasse Y., Cardot H., Hagolle O.,
Delzon S., Wigneron J.P. (2011) Monitoring elevation
variations in leaf phenology of deciduous broadleaf forests
from SPOT/VEGETATION time-series. Remote Sensing of
Environment, 115, 615–627.
H
egland S.J., Nielsen A., Lázaro A., Bjerknes A.L.,
Totland, Ø. (2009) How does climate warming
affect plant-pollinator interactions? Ecology Letters,
12, 184-195.
Helmuth B., Kingsolver J.G., Carrington E. (2005)
Biophysics, physiological ecology, and climate change:
does mechanism matter? Annual Review of Physiology, 67,
177–201.
Henry J. P., Pontis C., David J., Gouyon P.H. (1991) An experiment on dynamic conservation of genetic resources with
metapopulations. In A. Seitz & V. Loeschcke (Eds.), Species
conservation: a population-biological approach (pp. 185–198).
Herrera C.M. (1988). Variation in mutualisms - the spatiotemporal mosaic of a pollinator asemblage. Biological
Journal of the Linnean Society, 35, 95-125.
Holling C.S. (1973) Resilience and Stability of Ecological
Systems. Annual Review of Ecology and Systematics, 4, 1-23.
Houle D. (1992) Comparing evolvability and variability of
quantitative traits. Genetics, 130, 195-204.
Huey R., Hertz P. (1984) Is a Jack-of-all-temperatures a
master of none? Evolution, 38, 441–444.
Hugonie G., Sainero M., Geiger S. (2006) Clés
pour l’enseignement de la géographie. Paris: ScérenCRDP Versailles, coll. «Aide à la mise en œuvre des
programmes».
Hüppop O., Hüppop K. (2003) North Atlantic Oscillation
and timing of spring migration in birds. Proceedings of
the Royal Society of London Series B, Biological Sciences, 270,
233–240.
Husby A., Nussey D.H., Visser M.E., Wilson A.J., Sheldon
B.C., Kruuk L.E.B. (2010) Contrasting patterns of
phenotypic plasticity in reproductive traits in two great tit
(Parus major) populations. Evolution, 64, 2221–2237.
I
mbert C.E., Goussard F., Roques A. (2012) Is the
expansion of the pine processionary moth, due to
global warming, impacting the endangered Spanish
moon moth through an induced change in food quality?
Integrative Zoology, 7, 147–157.
Ings T. C., Montoya J. M., Bascompte J., Blüthgen N.,
Brown L., Dormann C.F., Edwards F., Figueroa D., Jacob
U., Iwan Jones J., Lauridsen R.B., Ledger M.E., Lewis H.M.,
Olesen J.M., Frank Van Veen F.J., Warren P.H., Woodward,
G. (2009) Ecological networks--beyond food webs. The
Journal of Animal Ecology, 78, 253–269.
J
iguet F., Devictor V., Julliard R., Couvet D. (2012)
French citizens monitoring ordinary birds provide
tools for conservation and ecological sciences. Acta
Oecologica, 44, 58–66.
Jones K.E., Bielby J., Cardillo M., Fritz S.A., O’Dell J.,
Orme C.D.L., Safi K., Sechrest W., Boakes E.H., Carbone
C., Connolly C., Cutts M.J., Foster J.K., Grenyer R., Habib
M. Plaster C.A., Price S.A., Rigby E.A., Rist J., Teacher
A., Bininda-Emonds O.R.P, Gittleman J.L., Mace G.M.,
Purvis A. (2009) PanTHERIA: a species-level database of
life history, ecology, and geography of extant and recently
extinct mammals. Ecology, 90, 2648.
Jump A.S., Peñuelas J. (2005) Running to stand still:
Adaptation and the response of plants to rapid climate
change. Ecology Letters, 8, 1010–1020.
Jung V., Albert C.H., Violle C., Kunstler G., Loucougaray
G., Spiegelberger T. (2014) Intraspecific trait variability
mediates the response of subalpine grassland
communities to extreme drought events. Journal of Ecology,
102, 45–53.
68 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ
K
ampichler C., van Turnhout C.A.M., Devictor V.,
van der Jeugd H.P. (2012) Large-scale changes in
community composition: Determining land use
and climate change signals. PLoS ONE, 7(4).
(2014) Natural Variation in Abiotic Stress Responsive
Gene Expression and Local Adaptation to Climate in
Arabidopsis thaliana. Molecular Biology and Evolution, 31,
2283–2296.
Kattge J., Díaz S., Lavorel S., et al. (2011) TRY - a global
database of plant traits. Global Change Biology, 17, 2905–
2935.
Lavorel S. (2013) Plant functional effects on ecosystem
services. Journal of Ecology, 101, 4–8.
Kearney M., Porter W. (2009) Mechanistic niche
modelling: Combining physiological and spatial data to
predict species’ ranges. Ecology Letters, 12, 334–350.
Kellermann V., van Heerwaarden B., Sgrò C.M., Hoffmann
A.A. (2009) Fundamental evolutionary limits in
ecological traits drive Drosophila species distributions.
Science, 325, 1244–1246.
Kerdelhué C., Battisti A., Burban C., Branco M., Al. E.
(2015) Genetic diversity and structure at different spatial
scales in the processionary moths. In A. Roques (Ed.),
Processionary Moths and Climate Change: An Update. (pp.
163–226). Springer/ Quae.
Kiester A.R., Lande R., Schemske D.W. (1984) Models of
coevolution and speciation in plants and their pollinators.
American Naturalist, 124, 220–243.
Kirkpatrick M. (2009) Patterns of quantitative genetic
variation in multiple dimensions. Genetica, 136, 271–284.
Kokko H., López-Sepulcre A. (2007) The ecogenetic link
between demography and evolution: Can we bridge the
gap between theory and data? Ecology Letters, 10, 773-782.
Kremer A., Ronce O., Robledo-Arnuncio J.J., Guillaume F.,
Bohrer G., Nathan, R., Bridle J.R., Richard Gomulkiewicz
R., Klein E.K., Ritland K., Kuparinen A., Schueler S. (2012)
Long-distance gene flow and adaptation of forest trees to
rapid climate change. Ecology Letters, 15, 378-392.
Kuparinen A., Katul G., Nathan R., Schurr F.M. (2009)
Increases in air temperature can promote wind-driven
dispersal and spread of plants. Proceedings Royal Society of
London, Series B: Biological Sciences, 276, 3081–3087.
L
abbé P., Berthomieu A., Berticat C., Alout H.,
Raymond M., Lenormand T., Weill M. (2007)
Independent duplications of the acetylcholinesterase
gene conferring insecticide resistance in the mosquito
Culex pipiens. Molecular Biology and Evolution, 24, 1056–
1067.
Labbé P., Sidos N., Raymond M., Lenormand T. (2009)
Resistance gene replacement in the mosquito Culex
pipiens: Fitness estimation from long-term cline series.
Genetics, 182, 303–312.
Lamarque P., Meyfroidt P., Nettier B., Lavorel S. (2014)
How ecosystem services knowledge and values inf luence
farmers’ decision-making. PLoS ONE, 9(9)
Le Maire G., François, C., Soudani K., Berveiller D.,
Pontailler J. Y., Bréda N., Genet H., Davi H., Dufrêne E.
(2008) Calibration and validation of hyperspectral indices
for the estimation of broadleaved forest leaf chlorophyll
content, leaf mass per area, leaf area index and leaf canopy
biomass. Remote Sensing of Environment, 112, 3846–3864.
Le Rouzic A., Carlborg O. (2008) Evolutionary potential
of hidden genetic variation. Trends in Ecology and Evolution,
23, 33-37.
Le Viol I., Jiguet F., Brotons L., Herrando S., Lindstrom A.,
Pearce-Higgins J. W., Reif J., van Turnhout C., Devictor V.
(2012) More and more generalists: two decades of changes
in the European avifauna. Biology Letters, 8, 780-782.
Leibold M. A., Holyoak M., Mouquet N., Amarasekare
P., Chase J. M., Hoopes M.F., Holt R.D., Shurin J.B.,
Law R., Tilman D., Loreau M., Gonzalez, A. (2004) The
metacommunity concept: A framework for multi-scale
community ecology. Ecology Letters, 7, 601-613.
Lenormand T., Bourguet D., Guillemaud T., Raymond M.
(1999) Tracking the evolution of insecticide resistance in
the mosquito Culex pipiens. Nature, 400, 861–864.
Lloyd P., Plagányi É.E., Weeks, S. J., Magno-Canto,
M., Plagányi G. (2012) Ocean warming alters species
abundance patterns and increases species diversity in
an African sub-tropical reef-fish community. Fisheries
Oceanography, 21, 78–94.
M
cGill B.J., Enquist B.J., Weiher E. Westoby M. (2006)
Rebuilding community ecology from functional
traits, Trends in Ecology & Evolution, 21, 178-185.
MacNeil M.A., Graham N.A.J., Cinner J.E., Dulvy
N.K., Loring P. A., Jennings, S., Polunin N.V.C., Fisk
A.T., McClanahan T. R. (2010) Transitional states in
marine fisheries: adapting to predicted global change.
Philosophical Transactions of the Royal Society of London.
Series B: Biological Sciences, 365, 3753–3763.
Mazer S.J., Schick C.T. (1991) Constancy of population
parameters for life history and floral traits in Raphanus
sativus L. I. Norms of reaction and the nature of genotype
by environment interactions. Heredity, 67, 143-156.
Merilä J., Hendry A.P. (2014) Climate change, adaptation,
and phenotypic plasticity: The problem and the evidence.
Evolutionary Applications, 7, 1-14.
Lande R., Arnold S.J.J. (1983) The measurement of
selection on correlated characters. Evolution, 37, 1210–1226.
Meyre D., Delplanque J., Chèvre J.C., et al. (2009)
Genome-wide association study for early-onset and
morbid adult obesity identifies three new risk loci in
European populations. Nature Genetics, 41, 157–159.
Lasky J.R., Des Marais D.L., Lowry D.B., Povolotskaya
I., McKay J.K., Richards J.H., Keitt T.H., Juenger T.E.
Midgley G.F., Hughes G.O., Thuiller W., Rebelo A.G.
(2006) Migration rate limitations on climate change-
BIBlIOGRaPHIE • 69
induced range shifts in Cape Proteaceae. Diversity and
Distributions, 12, 555–562.
population. Science, 310, 304–306.
Milleville P. (2007) Une agronomie à l’oeuvre. Pratiques
paysanes dans les campagnes du Sud. Paris: ArgumentsQuae.
O
Mimura M., Aitken S.N. (2007) Adaptive gradients and
isolation-by-distance with postglacial migration in Picea
sitchensis. Heredity, 99, 224–232.
Ostrom E. (2010) Beyond markets and states: Polycentric
governance of complex economic systems. American
Economic Review, 100, 641–672.
Moneo I., Battisti A., Dufour B., Garcia-Ortiz J. C.,
González-Muñoz M., Moutou F., Paolucci P., Petrucco
Toffolo E., Rivière J., Rodriguez-Mahillo A.I., Roques
A., Roques L., Maria Vega J., Vega J. (2015) Medical and
veterinary impact of the urticating processionary larvae.
In A. Roques (Ed.), Processionary Moths and Climate Change:
An Update. (pp. 359–410). Springer/ Quae.
Osty P. L. (1978) L’exploitation agricole vue comme un
système. Diffusion de l’innovation et contribution au
développement. Bulletin Technique d’Information, 326,
43–49.
Montoya J.M., Pimm S.L., Solé R.V. (2006) Ecological
networks and their fragility. Nature, 442, 259–264.
Morin X., Thuiller W. (2009) Comparing niche- and
process-based models to reduce prediction uncertainty
in species range shifts under climate change. Ecology, 90,
1301–1313.
Morin X., Viner D., Chuine I. (2008) Tree species range
shifts at a continental scale: New predictive insights from
a process-based model. Journal of Ecology, 96, 784–794.
Mouquet N., Devictor V., Meynard C.N., Munoz F., Bersier
L.F., Chave J., Couteron P., Dalecky A., Fontaine C., Gravel
D., Hardy O.J., Jabot F., Lavergne S., Leibold M., Mouillot
D., Münkemüller T., Pavoine S., Prinzing A., Rodrigues
A.S.L., RuRohr R.P., Thébault E., Thuiller W. (2012)
Ecophylogenetics: Advances and perspectives. Biological
Reviews, 87, 769–785.
Munday P.L., Jones G.P., Pratchett M.S., Williams A. J.
(2008) Climate change and the future for coral reef fishes.
Fish and Fisheries, 9, 261-285.
N
aeem S., Duffy J.E., Zavaleta E. (2012) The
Functions of Biological Diversity in an Age of
Extinction. Science, 336, 1401-1406.
Nathan R., Horvitz N., He Y., Kuparinen A., Schurr
F.M., Katul G.G. (2011) Spread of North American winddispersed trees in future environments. Ecology Letters, 14,
211-219.
Nettier B., Dobremez L., Lamarque P., Eveilleau C.,
Quétier F., Véron F., Lavorel S. (2012) How would Farmers
in the French Alps Adapt their Systems to Different
Drought and Socio-economic Context Scenarios? In 10th
European IFSA Symposium. Aarhus, Denmark. http://www.
ifsa2012.dk/downloads/WS2013_2011/Baptiste_Nettier.pdf
Nicotra A.B., Atkin O.K., Bonser S.P., Davidson A.M.,
Finnegan E.J., Mathesius U., Poot P., Purugganan M.D.,
Richards C.L., Valladares F., van Kleunen, M. (2010) Plant
phenotypic plasticity in a changing climate. Trends in Plant
Science, 15, 684-692.
Nussey D.H., Postma E., Gienapp P., Visser M.E. (2005)
Selection on heritable phenotypic plasticity in a wild bird
reskes N., Conway E.M. (2011) Merchants of Doubt:
How a Handful of Scientists Obscured the Truth on
Issues from Tobacco Smoke to Global Warming Reprint
edition. New York: Bloomsbury Press.
P
aillard S., Goldringer I., Enjalbert J., Doussinault
G., De Vallavieille-Pope C., Brabant P. (2000)
Evolution of resistance against powdery mildew
in winter wheat populations conducted under dynamic
management. I - Is specific seedling resistance selected?
Theoretical and Applied Genetics, 101, 449–456.
Paillard S., Goldringer I., Enjalbert J., Trottet M., David
J., De Vallavieille-Pope C., Brabant P. (2000) Evolution
of resistance against powdery mildew in winter wheat
populations conducted under dynamic management. II Adult plant resistance. Theoretical and Applied Genetics, 101,
457–462.
Pakeman R.J. (2011) Functional diversity indices reveal the
impacts of land use intensification on plant community
assembly. Journal of Ecology, 99, 1143–1151.
Parmesan C. (2006) Ecological and Evolutionary
Responses to Recent Climate Change. Annual Review of
Ecology, Evolution, and Systematics, 37, 637-669.
Pélissier P. (1967) Une civilisation ouest-africaine: Les
Diola de la Basse-Casamance. Acta Geographica, 67, 3–6.
Petanidou T., Kallimanis A.S., Tzanopoulos J., Sgardelis
S.P., Pantis J.D. (2008) Long-term observation of
a pollination network: Fluctuation in species and
interactions, relative invariance of network structure and
implications for estimates of specialization. Ecology Letters,
11, 564–575.
Petrucco Toffolo E., Zovi D., Perin C., Paolucci P., Roques
A., Battisti A., Horvath H. (2014) Size and dispersion of
urticating setae in three species of processionary moths.
Integrative Zoology, 9, 320–327.
Pigliucci M., Murren C.J., Schlichting C.D. (2006)
Phenotypic plasticity and evolution by genetic
assimilation. The Journal of Experimental Biology, 209,
2362–2367.
Pimm S. L. (1984) The complexity and stability of
ecosystems. Nature, 307, 321–326.
Potts S.G., Biesmeijer J.C., Kremen C., Neumann P.,
Schweiger O., Kunin W.E. (2010) Global pollinator
declines: Trends, impacts and drivers. Trends in Ecology and
Evolution, 25, 345-353.
70 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ
Potvin C., Tousignant D. (1996) Evolutionary
consequences of simulated global change: genetic
adaptation or adaptive phenotypic plasticity. Oecologia,
108, 683-693.
Primack D., Imbres C., Primack R.B., Miller-Rushing A.J.,
Del Tredici P. (2004) Herbarium specimens demonstrate
earlier f lowering times in response to warming in Boston.
American Journal of Botany, 91, 1260–1264.
Purvis A., Hector A. (2000) Getting the measure of
biodiversity. Nature, 405, 212–219.
R
afferty N.E., Ives A.R. (2011) Effects of experimental
shifts in f lowering phenology on plant-pollinator
interactions. Ecology Letters, 14, 69-74.
Rathcke B. (1983) Competition and facilitation among
plants for pollination. In Pollination biology, pp. 305–329.
Raymond M., Berticat C., Weill M., Pasteur N., Chevillon
C. (2001) Insecticide resistance in the mosquito Culex
pipiens: What have we learned about adaptation? Genetica,
112-113, 287–296.
Rhoné B., Remoué C., Galic N., Goldringer I., Bonnin
I. (2008) Insight into the genetic bases of climatic
adaptation in experimentally evolving wheat populations.
Molecular Ecology, 17, 930–943.
Rhoné B., Vitalis R., Goldringer I., Bonnin I. (2010)
Evolution of f lowering time in experimental wheat
populations: A comprehensive approach to detect genetic
signatures of natural selection. Evolution, 64, 2110–2125.
Riba M., Mayol M., Giles B.E., Ronce O., Imbert E., Van
Der Velde M., Chauvet S., Ericson L., Bijlsma R., Vosman
B., Smulders M.J.M., Olivieri I. (2009) Darwin’s wind
hypothesis: Does it work for plant dispersal in fragmented
habitats? New Phytologist, 183, 667–677.
Richards P. (1989) Doing What Comes Naturally:
Ecological Inventiveness in African Rice Farming. In
R. E. Johannes (Ed.), Traditional Ecological Knowledge: a
Collection of Essays (p. 77). Gland, Switzerland: UICN.
Richemond A. (2003) La résilience économique. Paris:
Eyrolles.
Ricklefs R.E. (1987) Community diversity: relative roles of
local and regional processes. Science, 235, 167–171.
Robinet C., Baier P., Pennerstorfer J., Schopf A., Roques
A. (2007) Modelling the effects of climate change on the
potential feeding activity of Thaumetopoea pityocampa
(Den. & Schiff.) (Lep., Notodontidae) in France. Global
Ecology and Biogeography, 16, 460–471.
Robinet C., Imbert C. E., Rousselet J., Sauvard D., Garcia
J., Goussard F., Roques A. (2012) Human-mediated longdistance jumps of the pine processionary moth in Europe.
Biological Invasions, 14, 1557–1569.
Robinet C., Rousselet J., Imbert C.E., Sauvard D., Garcia
J., Goussard F., Roques A. (2010) Le réchauffement
climatique et le transport accidentel par l’homme
responsables de l’expansion de la chenille processionnaire
du pin. Forêt Wallonne, 108, 19–27.
Ronce O. (2007) How Does It Feel to Be Like a Rolling
Stone? Ten Questions About Dispersal Evolution. Annual
Review of Ecology, Evolution, and Systematics, 38, 231-253.
Roques A. (Ed.) (2015) Processionary Moths and Climate
Change: An Update. Springer/ Quae.
Roques A., Rousselet J., Avci M., Avtzis D.N., Al E. (2015)
Climate warming and past and present distribution
of the processionary moths (Thaumetopoea spp.) in
Europe, Asia Minor and North Africa. In A. Roques (Ed.),
Processionary Moths and Climate Change: An Update. (pp.
81–162). Springe Quae.
Roullier C., Benoit L., McKey D.B., Lebot V. (2013)
Historical collections reveal patterns of diffusion of sweet
potato in Oceania obscured by modern plant movements
and recombination. Proceedings of the National Academy of
Sciences of the United States of America, 110, 2205–2210.
S
argent R. D., Otto S.P. (2006) The role of local species
abundance in the evolution of pollinator attraction
in f lowering plants. American Naturalist, 167, 67–80.
Savolainen O., Pyhäjärvi T., Knürr T. (2007) Gene f low
and local adaptation in forest trees. Annual Review of
Ecology, Evolution, and Systematics, 37, 595–619.
Schluter D. (2000) Ecological Character Displacement in
Adaptive Radiation. The American Naturalist, 156, S4-S16.
Şekercioĝlu çaĝan H., Primack R. B., & Wormworth J.
(2012) The effects of climate change on tropical birds.
Biological Conservation, 148, 1-18.
Silvain J.F., Le Roux X., Babin D., Barbault R., Bertin P.,
Bodo B., Boude J.P., Boudry P., Bourgoin T., Boyen C.,
Cormier-Salem M.C., Courchamp F., Couvet D., David
B., Delay B., Doussan I., Jaskulke E., Lavorel S., Leadley
P., Lefèvre F., Leriche H., Letourneux F., Los W., Mesleard
F., Morand S., Schmidt-Lainé C., Siclet F. & Verrier E.
(2009) Prospective pour la recherche française en biodiversité.
Fondation pour la recherche sur la biodiversité, 96 pp.
Simpson S.D., Jennings S., Johnson M.P., Blanchard J.L.,
Schön P.J., Sims D.W., Genner M.J. (2011) Continental
shelf-wide response of a fish assemblage to rapid warming
of the sea. Current Biology, 21, 1565–1570.
Skrøppa T., Tollefsrud M.M., Sperisen C., Johnsen Ø.
(2009) Rapid change in adaptive performance from one
generation to the next in Picea abies-Central European
trees in a Nordic environment. Tree Genetics and Genomes,
6, 93–99.
Smart S.M., Thompson K., Marrs R.H., Le Duc M.G.,
Maskell L.C., Firbank L.G. (2006) Biotic homogenization
and changes in species diversity across human-modified
ecosystems. Proceedings Royal Society of London, Series B,
Biological Sciences, 273, 2659–2665.
Smit B., Wandel J. (2006) Adaptation, adaptive capacity
and vulnerability. Global Environmental Change, 16, 282–
292.
BIBlIOGRaPHIE • 71
Smith J., Klein R., Huq S. (2003) Climate Change Adaptive
Capacity and Development. London: Imperial College Press.
Soule M.E. (1985) What is Conservation Biology ? A new
synthetic discipline addresses the dynamics and problems
of perturbed and ecosystems. BioScience, 35, 727–734.
Stearns S.C. (1989) The evolutionary significance of
phenotypic plasticity. BioScience, 39, 436–445.
Stebbins G.L. (1970) Adaptive Radiation of Reproductive
Characteristics in Angiosperms, I: Pollination
Mechanisms. Annual Review of Ecology and Systematics, 1,
307-326.
Steel D. (2004) Can a reductionist be a pluralist? Biology
and Philosophy, 19, 55–73.
Steffan-Dewenter I., Tscharntke T. (1999) Effects of
habitat isolation on pollinator communities and seed set.
Oecologia, 121, 432–440.
Stevens V. M., Turlure C., Baguette M. (2010) A metaanalysis of dispersal in butterf lies. Biological Reviews, 85,
625–642.
Suding K.N., Lavorel S., Chapin F.S., Cornelissen J.H.C.,
Díaz S., Garnier E., Goldberg D., Hoopper D.U., Jackson
S.T., Navas, M. L. (2008) Scaling environmental change
through the community-level: A trait-based responseand-effect framework for plants. Global Change Biology, 14,
1125–1140.
Sumaila U.R., Cheung W.W.L., Lam V.W.Y., Pauly
D., Herrick S. (2011) Climate change impacts on the
biophysics and economics of world fisheries. Nature
Climate Change, 1, 449-456.
T
aché A. (2003) L’Adaptation : un concept sociologique
systémique. Paris: L’Harmattan.
Tapia C. (2001) Éditorial. Connexions, 76, 7–13.
Thébault E., Fontaine C. (2010) Stability of ecological
communities and the architecture of mutualistic and
trophic networks. Science, 329, 853–856.
Theys J. (2002) L’approche territoriale du “
développement durable ”, condition d’une prise en
compte de sa dimension sociale. Développement Durable et
Territoires, 1, 1–12.
Thomas C.D., Cameron A., Green R.E., Bakkenes M.,
Beaumont L.J., Collingham Y.C., Erasmus B.F.N., Ferreira
de Siqueira M., Grainger A., Hannah L., Hughes L.,
Huntley B., van Jaarsveld A.S., Midgley G.F., Miles L.,
Ortega-Huerta M.A., Peterson A.T., Phillips O.L., Williams
S. E. (2004) Extinction risk from climate change. Nature,
427, 145–148.
Thomas G.H. (2008) Phylogenetic distributions of British
birds of conservation concern. Proceedings Royal Society of
London, Series B: Biological Sciences, 275, 2077–2083.
Thompson J.N. (1982) Interaction and Coevolution. New
York: John Wiley & Sons.
Thuiller W., Araújo M.B., Pearson R.G., Whittaker R. J.,
Brotons L., Lavorel S. (2004) Biodiversity conservation:
uncertainty in predictions of extinction risk. Nature, 430,
Brief Comm.
Thuiller W., Lavergne S., Roquet C., Boulangeat I.,
Lafourcade B., Araujo M. B. (2011) Consequences of
climate change on the tree of life in Europe. Nature, 470,
531–534.
Thuiller W., Maiorano L., Mazel F., Guilhaumon F.,
Ficetola G.F., Lavergne S., Renaud J., Roquet C., Mouillot
D. (2015) Conserving the functional and phylogenetic
trees of life of European tetrapods. Philosophical
Transactions of the Royal Society B: Biological Sciences, 370,
20140005.
Turner D.P., Cohen W. B., Kennedy R.E., Fassnacht K.S.,
Briggs J.M. (1999) Relationships between leaf area index
and Landsat TM spectral vegetation indices across three
temperate zone sites. Remote Sensing of Environment, 70,
52–68.
Tylianakis J.M., Tscharntke T., Lewis O.T. (2007) Habitat
modification alters the structure of tropical hostparasitoid food webs. Nature, 445, 202–205.
V
aliente-Banuet A., Aizen M.A., Alcantara J.M.,
Arroyo J., Cocucci A., Galetti M., García M.B.,
García D., Gómez J.M., Jordano P., Medel R.,
Navarro L., Obeso J.R., Oviedo R., Ramírez N., Rey P.J.,
Traveset A., Verdú M., Zamora R. (2015) Beyond species
loss: the extinction of ecological interactions in a changing
world. Functional Ecology, 29, 299–307.
Valladares F., Gianoli E., Gómez J.M. (2007) Ecological
limits to plant phenotypic plasticity. New Phytologist, 176,
749-763.
Valladares F., Sanchez-Gomez D., Zavala M.A. (2006)
Quantitative estimation of phenotypic plasticity: Bridging
the gap between the evolutionary concept and its
ecological applications. Journal of Ecology. 94, 1103-1116.
Vamosi S.M., Heard S.B., Vamosi J.C., Webb C.O. (2009)
Emerging patterns in the comparative analysis of
phylogenetic community structure. Molecular Ecology, 18,
572-592.
Van Buskirk J., Mulvihill R.S., Leberman R.C. (2012)
Phenotypic plasticity alone cannot explain climateinduced change in avian migration timing. Ecology and
Evolution, 2, 2430–2437.
Van Kleunen M., Fischer M. (2005) Constraints on the
evolution of adaptive phenotypic plasticity in plants. The
New Phytologist, 166, 49–60.
Vellend M. (2010) Conceptual synthesis in community
ecology. The Quarterly Review of Biology, 85, 183–206.
Visser M.E. (2008) Keeping up with a warming world;
assessing the rate of adaptation to climate change.
Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences, 275,
649–659.
72 • RÉPONSES ET aDaPTaTIONS | FONDATION POUR LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ
Visser M.E., Adriaensen F., Van Balen J.H., Blondel J.,
Dhondt A.A., Van Dongen S., Chris du F., Ivankina E.V.,
Kerimov A.B., de Laet J., Matthysen E., McCleery R., Orell
M., Thomson, D.L. (2003) Variable responses to largescale climate change in European Parus populations.
Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences, 270,
367–372.
Visser M. E., Noordwijk A.J. van, Tinbergen J. M., &
Lessells, C. M. (1998) Warmer springs lead to mistimed
reproduction in great tits (Parus major). Proceedings of the
Royal Society B: Biological Sciences, 265, 1867–1870.
W
addington C.H. (1960) Experiments on
canalizing selection. Genetical Research, 1, 140-150.
Walker B., Holling C.S., Carpenter S.R., Kinzig A. (2004)
Resilience, adaptability and transformability in socialecological systems. Ecology and Society, 9, 5.
Waller D.M. (2015) Genetic rescue: a safe or risky bet?
Molecular Ecology, 24, 2595–2597.
Walsh B., Blows M.W. (2009) Abundant Genetic Variation
+ Strong Selection = Multivariate Genetic Constraints: A
Geometric View of Adaptation. Annual Review of Ecology,
Evolution, and Systematics, 40, 41-59.
Webb C.O., Ackerly D.D., McPeek M. A., Donoghue M.J.
(2002) Phylogenies and community ecology. Annual
Review of Ecology and Systematics, 33, 475-505.
Weill M., Berticat C., Lutfalla G., Pasteur,N., Philips A.,
Fort P., Raymond M. (2004) Insecticide resistance: a silent
base prediction. Current Biology, 14, R552–3.
Weill M., Lutfalla G., Mogensen K., Chandre F.,
Berthomieu A., Berticat C., Pasteur N., Philips A., Fort P.,
Raymond M. (2003) Comparative genomics: Insecticide
resistance in mosquito vectors. Nature, 423,136–137.
Wilkinson D.M. (1999) The disturbing history of
intermediate disturbance. Oikos, 84, 145–147.
Willi Y., Hoffmann A.A. (2009) Demographic factors and
genetic variation inf luence population persistence under
environmental change. Journal of Evolutionary Biology, 22,
124–133.
Winfree R., Bartomeus I., Cariveau D.P. (2011) Native
Pollinators in Anthropogenic Habitats. Annual Review of
Ecology, Evolution, and Systematics, 42, 1-22.
Wolters V., Silver W.L., Bignell D.E., Coleman D.C.,
Lavelle P., Van Der Putten W.H., De Ruiter P., Rusek J.,
Wall D.H., Wardle D.A., Brussard L., Dangerfield J.M.,
Brown V.K., Giller K.E., Hooper D.U., Sala O., Tiedje J.,
Wardle D.A. (2000) Effects of global changes on aboveand belowground biodiversity in terrestrial ecosystems:
implications for ecosystem functioning. BioScience, 50,
1089–1098.
Y
akovlev I.A., Asante D.K.A., Fossdal C.G., Junttila
O., Johnsen Ø. (2011) Differential gene expression
related to an epigenetic memory affecting climatic
adaptation in Norway spruce. Plant Science, 180, 132–139.
Yakovlev I.A., Fossdal C.G., Johnsen Ø. (2010) MicroRNAs,
the epigenetic memory and climatic adaptation in
Norway spruce. New Phytologist, 187, 1154–1169.
Yung J.M., Bosc P.M., Losch B. (1995) Stratégies des
producteurs et phénomènes d’innovation au Sahel. In
J. P. Yung & J. M. Chauveau (Eds.), Innovations et sociétés.
Quelles agricultures ? Quelles innovations ? II- Les diversités
de l’innovation (Actes du XIVème séminaire d’économie rurale,
CIRAD-INRA-Orstom, 13-16 sept. 1993) (p. 379). Montpellier:
CIRAD.
Z
ubin J., Spring B. (1977) Vulnerability: A new view
of schizophrenia. Journal of Abnormal Psychology, 86,
103-126.
CITATION
Fondation pour la recherche sur la biodiversité
(2015), Réponses et adaptations aux changements globaux : quels enjeux pour la recherche
sur la biodiversité ? Prospective de recherche.
Série FRB, Réflexions stratégiques et prospectives. Ed. Ophélie Ronce et Flora Pelegrin, 74 pp.
© fRB 2015
ISBN : 979 - 10 - 91015 - 16 - 5 (imprimé)
ISBN : 979 - 10 - 91015 - 17 - 2 (PDF)
Directeur de publication :
Pierre-Edouard Guillain
Conception graphique et figures :
Laurine Moreau
Dépôt légal novembre 2015
Image figure 4.2 :
Agne Alesiute / Evan MacDonald, the Noun Project
FONDaTION POuR la RECHERCHE SuR la BIODIVERSITÉ
Fondation de coopération scientifique, la Fondation pour
la Recherche sur la Biodiversité a pour mission de favoriser
aux niveaux national, européen et international les activités
de recherche sur la biodiversité, en lien étroit avec les enjeux
des différents acteurs de la société. Ses fondateurs sont huit
établissements publics de recherche (BRGM, CIRAD, CNRS,
IFREMER, INRA, IRD, IRSTEA, MNHN) et LVMH.
La FRB bénéficie du soutien du Ministère chargé de
l’Enseignement supérieur et de la Recherche pour ses
activités de prospective.
FRB
195, rue Saint-Jacques
75005 Paris
contact@fondationbiodiversite.fr
www.fondationbiodiversite.fr
twitter : @FRBiodiv
Membres
Fondateurs
de la FRB :