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Mona Chollet : Sorcières. La puissance invaincue des femmes Sigolène Couchot-Schiex Dans Nouvelles Questions Féministes 2020/1 (Vol. 39), 39) pages 141 à 144 Éditions Éditions Antipodes © Éditions Antipodes | Téléchargé le 02/08/2024 sur www.cairn.info (IP: 44.209.135.156) Article disponible en ligne à l’adresse https://www.cairn.info/revue-nouvelles-questions-feministes-2020-1-page-141.htm Découvrir le sommaire de ce numéro, suivre la revue par email, s’abonner... Flashez ce QR Code pour accéder à la page de ce numéro sur Cairn.info. Distribution électronique Cairn.info pour Éditions Antipodes. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. © Éditions Antipodes | Téléchargé le 02/08/2024 sur www.cairn.info (IP: 44.209.135.156) ISSN 0248-4951 ISBN 9782889011773 DOI 10.3917/nqf.391.0141 Mona Chollet : Sorcières. La puissance invaincue des femmes 1 © Éditions Antipodes | Téléchargé le 02/08/2024 sur www.cairn.info (IP: 44.209.135.156) Quel titre attractif que celui-ci : Sorcières. « Le mot aimante l’attention » (p. 11). Ces femmes puissantes, égales ou supérieures aux hommes dans leurs savoirs et leurs actions, tant et si bien qu’il a fallu y mettre un terme au début du « nouveau » monde, au moment de la bascule vers la conquête de la rationalisation, au temps de la Renaissance en Occident. À sa manière littéraire et journalistique, Mona Chollet visite tour à tour injonctions sociales et croyances qui emprisonnent les femmes et les conduisent sur le bûcher à l’époque des grandes chasses aux sorcières du XVIe siècle. Aujourd’hui, au XXIe siècle, la puissance des femmes est toujours déniée. Il faut bien entendre que la sorcière « fut une victime des Modernes et non des Anciens » (p. 13). Partant de cette figure emblématique qui « incarne la femme affranchie de toutes les dominations, de toutes les limitations » (p. 11), l’auteure tisse l’histoire des femmes mises au ban de la société parce qu’elles ne veulent pas rentrer dans le rang, mais d’abord et avant tout parce que ce sont des femmes. Celles-ci font l’objet d’une haine ancestrale dont les témoignages tirés de sources diverses débordent des pages de l’ouvrage. Les femmes font peur dès qu’elles ne restent pas naïves, dociles et soumises, maintenues au secret du foyer où est leur place, procurant confort matériel, mental et sexuel à leur mari, soignant leur progéniture et celui qui fut longtemps légalement leur maître. Qui ne répond pas à ces injonctions est suspecte, ou moche, ou vieille, ou maligne, ou arrogante. Qui ne répond pas à ces injonctions est en capacité d’exister pour soi, à l’instar du « corps féminin vieillissant [qui] agit comme un rappel du fait que les femmes ont un “soi” qui n’existe pas que pour les autres » (cité de Cynthia Rich, p. 145), ce qui est socialement intolérable ! Sorcière : « Elle est un idéal vers lequel tendre, elle montre la voie » (p. 11), celle d’une femme qui pourrait détenir un pouvoir supplémentaire. Cet ouvrage est clairement positionné sur le registre de la subversion, de la rupture avec l’aliénation des femmes aux injonctions, normes et 1. Mona Chollet (2018). Sorcières. La puissance invaincue des femmes. Paris : La Découverte, 240 pages. 2. Sigolène Couchot-Schiex est maîtresse de conférences en sciences de l’éducation à l’Université Paris-Est Créteil, Laboratoire LIRTES (EA 7313). NQF Vol. 39, N°1 / 2020 | 141. © Éditions Antipodes | Téléchargé le 02/08/2024 sur www.cairn.info (IP: 44.209.135.156) Par Sigolène Couchot-Schiex 2 © Éditions Antipodes | Téléchargé le 02/08/2024 sur www.cairn.info (IP: 44.209.135.156) Levons un éventuel malentendu. Sorcières n’est pas un ouvrage historique. Si certains arguments peuvent restituer des faits rapportés par des historien·ne·s, cet essai est résolument sociopolitique et féministe. Son objectif est d’éclairer les consciences pour que les femmes se saisissent de leur potentiel d’émancipation afin de devenir des personnes, des sujets. Chollet les invite à rompre avec leur place d’objet, leur « asservissement » (p. 37), grâce auquel fonctionne le système capitaliste. Sorcières est un ouvrage « pour me donner du courage » écrit l’auteure (p. 39), pour déconstruire les mythes réducteurs et renouer avec des « modèles identificatoires » galvanisants, « une idéalisation qui donne des ailes » (p. 40). Quand la force des stéréotypes et des préjugés est telle que l’on se sent démoralisée, le poids des inégalités peut, par revers, donner le courage de se montrer iconoclaste : de briser les anciennes images et leurs malédictions. L’essai s’inscrit dans une vague de regain d’intérêt pour la pensée positive, la libération de sa « déesse intérieure », la vogue de la sorcellerie. Ce dont l’auteure n’ignore rien, mais qu’elle dépasse pour aller vers le « féminisme et (de) l’empowerment politique, qui impliquent la critique des systèmes d’oppression » (p. 30). Une longue et riche introduction (41 pages) installe le propos sur la place des femmes en parcourant la période historique des grandes « chasses aux sorcières ». Elle pose les jalons des quatre thématiques qui seront développées : la mise à mal des « velléités d’indépendance » des femmes et leur aliénation à « l’institution de la maternité », thème qui se poursuit par l’interrogation de l’éventualité du non-désir d’enfant, de la stérilité, puis l’exploration de la construction de l’image négative de la vieille femme : « la vieille peau », « déjà toujours vieille », pour terminer sur les effets de cette construction sociale, académique, politique et les possibles alternatives dans la relation à l’autre, au monde, aux savoirs. Dans « Une vie à soi. Le fléau de l’indépendance féminine » (chapitre 1), Chollet rapporte les témoignages des femmes qui se sentent à l’étroit dans la condition que prévoit pour elles la société. Si le besoin de liberté est ressenti 142. | NQF Vol. 39, N°1 / 2020 © Éditions Antipodes | Téléchargé le 02/08/2024 sur www.cairn.info (IP: 44.209.135.156) contraintes sociales, développant un argumentaire féministe sur la place des femmes dans nos sociétés occidentales. Puisant ses exemples principalement en France, en Europe et aux États-Unis, pour certains anciens, pour d’autres contemporains, Chollet visite les contraintes sociales et politiques qui pèsent lourdement sur les femmes jusqu’à éteindre leur force vitale, leur intelligence, leur créativité, leur imaginaire. L’auteure cherche à dénouer le réseau des fils de la normativité qui piège un grand nombre de femmes et leur confère ce que la société patriarcale a façonné en tant qu’identité féminine notamment à travers le don de soi. Le propos de l’ouvrage s’inscrit dans une perspective de transformation sociale, dans le but de « changer les consciences » (p. 40). Édito | Grand angle | Champ libre | Parcours | Actualité Comptes rendus Collectifs Mona Chollet : Sorcières. La puissance invaincue des femmes Par Sigolène Couchot-Schiex © Éditions Antipodes | Téléchargé le 02/08/2024 sur www.cairn.info (IP: 44.209.135.156) Pour se libérer de ce « boulet » de la maternité, peut-on faire valoir « le désir de la stérilité » ? (chapitre 2). De longue date, les femmes ont utilisé la contraception et l’avortement comme moyens de protestation. La « maternité patriarcale » est une violence institutionnelle qui stigmatise les femmes. Certaines le vivent très difficilement, ce qui peut les conduire à « exploser en violence psychopathologique » (cité de Adrienne Rich, p. 90) allant jusqu’à l’infanticide. La violence sociale qui cantonne les femmes au service des hommes, notamment par l’institution de la maternité, caractérise l’époque de l’apparition de la sorcière et, avec elle, le désir de la stérilité, a minima celui de la limitation des naissances : « Le natalisme est affaire de pouvoir, et non d’amour de l’humanité » (p. 93). Il ne concerne que les femmes blanches, les femmes de couleur étaient stérilisées de force dans certains territoires français. La procréation reste le verrou du système dans lequel sont enfermées les femmes. Le « non » à l’enfant est l’envers d’un « oui » à la vie telle que la société la propose (l’impose) (p. 95). Le non-désir d’enfant demeure toutefois une zone de non-pensée (p. 100) toujours actuelle, et la procréation, le dernier bastion de la nature. À quel âge les femmes sont-elles vieilles ? Dans ce chapitre 3 sur « l’ivresse des cimes », l’auteure explore les caractéristiques de la « péremption » (p. 136) de l’attractivité sociale féminine. « Toujours déjà vieilles », la péremption touche uniquement les femmes : elle les rend socialement invisibles. En soumettant sans cesse l’apparence aux regards des autres, elle assigne à la dissimulation des traits du vieillissement, elle polarise les catégories de jeunes et de vieilles et leurs conséquences sur la fécondité. Mais au-delà du vieillissement, « ce qui semble rédhibitoire, c’est l’expérience » (p. 156). L’expérience, la connaissance, l’aisance des femmes plus âgées est perçue comme une menace. Si en matière de séduction la vulnérabilité peut NQF Vol. 39, N°1 / 2020 | 143. © Éditions Antipodes | Téléchargé le 02/08/2024 sur www.cairn.info (IP: 44.209.135.156) par les hommes et par les femmes, la quête du sentiment amoureux conduit ces dernières à la recherche d’un mari, d’un compagnon. Or, l’exercice des rôles de la féminité traditionnelle dont on nous fait une « propagande insistante », « nous affaiblit et nous appauvrit » (p. 56). Mais qu’elles osent s’affirmer ou même seulement tendre vers la liberté, l’autonomie, l’indépendance (la figure de l’aventurière), défendre le féminisme, et elles se verront rappelées à l’ordre patriarcal : « Une femme qui pense seule pense à mal » (p. 58). Pour les femmes, l’exercice de la liberté équivaudrait à la misère de la solitude alors que pour les hommes, il mettrait en valeur leur force de caractère. Le rappel au couple hétérosexuel fait toujours l’actualité sociale et médiatique. Les femmes se dissolvent dans la maternité, le travail, où on les réduit à reproduire des gestes stéréotypés, à tenir des rôles sociaux infériorisés, dévalorisés. Éduquées à être au service des autres, elles se sentent coupables d’imposture dès qu’elles sont en situation de réussite. L’accomplissement de soi passerait par la maternité qui « flatte notre bonne conscience et notre narcissisme collectif » alors qu’elle constitue un « boulet au pied » (p. 82). © Éditions Antipodes | Téléchargé le 02/08/2024 sur www.cairn.info (IP: 44.209.135.156) Le retour sur la chasse aux sorcières et ses interprétations donne à Chollet l’opportunité de consolider son lien entre la pensée féministe et la lutte contre ce monde de « marchandisation morbide » (p. 188), de « mettre ce monde cul par-dessus tête » (chap. 4). La vision mécaniste libérale qui considère la nature comme une ressource procède de la rationalisation du monde, « le “drame de la parturition” : un arrachement à l’univers organique et maternel du Moyen Âge pour se projeter dans un monde neuf où règnent la clarté, le détachement, l’objectivité » (cité de Susan Bordo, p. 190). Le monde nouveau des hommes s’est fabriqué contre le monde ancien des femmes. Les hommes ont inauguré une science moderne dont les femmes ont été exclues. « La femme qui causait du désordre, comme la nature chaotique, devait être placée sous contrôle » (cité de Carolyn Merchant, p. 191). Chollet examine la mise en place du contrôle scientifique et médical du corps des femmes, misogyne et s’opposant aux pratiques anciennes des guérisseuses, des sorcières. Sommes-nous condamné·e·s à laisser les choses être ce qu’elles sont, interroge l’auteure. L’histoire et le progrès auraient-ils pu prendre un tour différent ? Il s’agit de questionner cette construction historique et ses conséquences d’un point de vue féministe. Les écoféministes mènent une critique de ce genre en renouant avec l’association femmes/nature. Cependant, jusqu’où peut se (re)nouer ce lien ? Repose-t-il sur une nouvelle ségrégation entre vie citadine et vie loin des villes ? On peut s’interroger avec l’auteure sur la manière dont l’écoféminisme considère le corps, la « nature » des corps (p. 223). Lever les stéréotypes et les préjugés est toujours socialement utile et sert la prise de conscience collective. S’appuyer sur la figure mythique de la sorcière pour marquer les esprits est un joli coup journalistique. En revanche, je dois avouer un regret. Si les objectifs féministes sont atteints, le choix des témoignages et des autres sources reproduit parfois les clichés contre lesquels Mona Chollet souhaite s’élever. La force des arguments s’en trouve quelque peu diminuée. ■ 144. | NQF Vol. 39, N°1 / 2020 © Éditions Antipodes | Téléchargé le 02/08/2024 sur www.cairn.info (IP: 44.209.135.156) être une arme fatale, la faiblesse du corps féminin vieillissant symbolise l’abjection. La société occidentale a horreur des corps et les femmes l’ont particulièrement intériorisé. Tandis que les « hommes n’ont pas de corps » (cité de Virginie Despentes, p. 161), le corps (répugnant) c’est la femme. « Occuper une position dominante […] permet [aux hommes] d’être des sujets absolus et de faire des femmes des objets absolus. » (p. 161) Les hommes ont le pouvoir de faire que leur propre décrépitude corporelle ne compte pas.