C E N T R E D’É T U D E S C H Y P R I O T E S
CAHIER
44, 2014
Dossiers
Cinquantenaire de la mission française de Salamine (1964-2014),
et hommage à Jean Pouilloux
Quarante ans de fouilles françaises à Amathonte,
École française d’Athènes (1975-2014)
Actes du Symposium de Nicosie, 4-5 mai 2012
Actes de la Journée d’études, Aix-en-Provence, 14 mars 2014
Publié avec le concours de la Fondation A.G. Leventis
Édition-Diffusion De Boccard
11, rue de Médicis, F-75006 Paris
La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que
les « copies ou reproductions strictement privées à l’usage du copiste et non destinées à une utilisation
collective » et, d’autre part, que les analyses ou les courtes citations dans un but d’exemple et
d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de
l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa premier de l’article 40).
©
Centre d’Études Chypriotes, Paris
et
Édition-Diffusion de Boccard, Paris
ISSN 0761-8271
ISBN 978-2-7018-0453-8
Illustration de couverture : Tête de jeune homme en calcaire, ve s. av. J.-C., Nicosie, collection G. et N. Giabra
Piéridès (cf. dans ce volume Introduction du dossier Basileis et Poleis..., p. 94, fig. 1).
Vignette de titre : Calathos de la Tombe I de Salamine, xie s. av. J.-C. (cf. dans ce volume M. Yon, p. 36, fig. 4b).
La revue Cahiers du Centre d’Études chypriotes (abrégée CCEC) publie des contributions en
allemand, anglais, français, grec, et rend compte d’ouvrages qui lui sont envoyés.
Adresser les propositions d’articles au directeur de la revue (Centre Camille Jullian, Aix).
Directeur de la revue : Antoine HERMARY.
Comité de rédaction : Derek COUNTS, Sabine FOURRIER, Antoine HERMARY, Hartmut
MATTHÄUS, Robert MERRILLEES, Marguerite YON, qui constituent aussi le Comité de lecture
avec la collaboration de spécialistes extérieurs.
Maquette, mise en page : Marguerite YON.
Centre Camille Jullian, MMSH, Université d’Aix-Marseille – CNRS, 5 rue du Château-de-l’Horloge, B.P. 647,
F-13094 Aix-en-Provence Cedex 2.
ahermary@mmsh.univ-aix.fr
HISOMA [Histoire et Sources des Mondes Anciens], Université Lyon 2-CNRS, Maison de l’Orient,
7 rue Raulin, F-69365 Lyon Cedex 07.
sabine.fourrier@mom.fr
marguerite.yon@mom.fr
Cahiers du Centre d’Études
Chypriotes 44, 2014
SOMMAIRE
Avant-propos, par Antoine Hermary, Président du Centre ............................................ 9
IN MEMORIAM : Franz Georg MAIER (1926-2014), par Antoine Hermary ...................... 11
Dossier « Cinquantenaire des fouilles françaises de l’université de Lyon
à Salamine (1964-2014) : Jean Pouilloux et l’archéologie chypriote »
Introduction, par Marguerite Yon ................................................................................. 17
Vassos Karageorghis, Jean Pouilloux à Salamine de Chypre ...................................... 19
Jean Jehasse, Première mission à Salamine, 1964 ....................................................... 25
Marguerite yon, Salamine 1964-2014, un bilan ........................................................... 29
Cérémonie officielle au palais présidentiel, Nicosie, 14 mai 2015 :
Discours de M. Nicos Anastiasiadès, Président de la République de Chypre ......... 45
Dossier « Quarante ans de fouilles de l’École française d’Athènes
à Amathonte (1975-2014) »
Introduction, par Ludovic Thély .................................................................................. 51
Ludovic Thély, La naissance de la mission ................................................................. 53
Antoine Hermary, L’apport des fouilles françaises d’Amathonte
à l’archéologie chypriote ......................................................................................... 75
Actes du Symposium de Nicosie, 4-5 mai 2012 :
« Basileis et Poleis sur l’île de Chypre », édités par M. Iacovou et M. Hatzopoulos
Introduction, par Maria Iacovou et Miltiade Hatzopoulos,
Les régimes politiques chypriotes dans leur contexte méditerranéen .................... 93
Maria Iacovou, Beyond the Athenocentric misconceptions:
the Cypriote polities in their economic context ........................................................ 95
Sabine Fourrier, Rois et cités de Chypre : questions de territoires .......................... 119
6
ccec 44, 2014
Antoine Hermary, Les fonctions sacerdotales des souverains chypriotes .................
Georges Papasavvas, Warfare and the Cypriot kingdoms:
Military ideology and the Cypriot monarch ...........................................................
Panos Christodoulou, Les mythes fondateurs des royaumes chypriotes :
le nostos de Teukros ................................................................................................
Miltiades Hatzopoulos, Cypriote kingships in context .............................................
137
153
191
217
Actes de la Journée d’étude, Aix-en-Provence, 14 mars 2014,
« Pratiques et gestes cultuels à Chypre au premier millénaire av. J.-C. »,
édités par A. Hermary et S. Huber
Introduction, par Sandrine huber. Des espaces et des rites : pour une
archéologie du culte dans les sanctuaires du monde méditerranéen .....................
Antoine hermary, Les textes antiques ont-ils créé le mythe
d’une prostitution sacrée à Chypre ? .....................................................................
Eustathios Raptou, Les aménagements cultuels dans les sanctuaires
de la région de Paphos et de Marion. Fouilles récentes ........................................
Sabine Fourrier, Espaces et gestes cultuels dans les sanctuaires chypriotes
de l’Âge du Fer : l’exemple de Kition-Bamboula .................................................
Armelle gardeisen et Sabine Fourrier, avec la collaboration de F. Belhaoues,
N. Delhopital et L. Garcia-Petit, L’oiseau et les enfants : à propos
d’une pratique funéraire inédite de Kition ...........................................................
Thierry petit, Les galets des rois : dépôts de galets en contexte sacrificiel
au palais d’Amathonte ...........................................................................................
Aurélie carbillet et isabelle tassignon, Une amphore et des marmites.
Pratiques et gestes cultuels au palais d’Amathonte ...............................................
Sidonie leJeune, La vaisselle cultuelle du sanctuaire de Kafizin ..............................
Sandrine huber et William van andringa, Remarques conclusives ........................
235
239
261
281
299
323
333
365
373
VARIÉTÉS
Antoine hermary, The “Priest with dove” did not belong to the Paphian Goddess .. 379
Jacqueline Karageorghis, À propos du sarcophage d’Amathonte ............................ 385
Olivier callot et martine creuzy, Un denier inédit (?) d’Henri Ier roi de Chypre ... 399
Robert Merrillees, George Basil Palma, Chemist and Collector
of Cypriote Antiquities in Famagusta, Cyprus, in the 20th Century A.D. ............... 401
Annie caubet, Chypre entre l’Assyrie et l’Ibérie. À propos d’une exposition ......... 431
7
sommaire
COMPTES RENDUS D’OUVRAGES
1. I.A. Todd, Vasilikos Project 12: The Field Survey of the Vasilikos Valley, vol. III,
Human Settlement in the Vasilikos Valley, SIMA 71:12, Uppsala, 2013 [S. Fourrier] .......... 437
2. J.M. Webb, D. Frankel, Ambelikou Aletri. Metallurgy and Pottery Production
in Middle Bronze Age Cyprus, SIMA 138, Uppsala, 2013,
et J.M. Webb (ed.), Structure, Measurement and Meaning. Studies on Prehistoric Cyprus
in Honour of David Frankel, SIMA 143, Uppsala, 2013 [R.S. Merrillees] ........................... 439
3. V. Karageorghis, a. kanta, Pyla-Kokkinokremos. A Late 13th Century BC Fortified
Settlement in Cyprus. Excavations 2010-2011, SIMA 141, Uppsala, 2014 [R.S. Merrillees] 442
4. G. Georgiou, V. Karageorghis, A Cypro-Archaic Tomb at Xylotymbou and
Three Cypro-Classical Tombs at Phlasou, SIMA 140, Uppsala, 2013 [S. Fourrier] ............ 444
5. A. Hermary, J.r. mertens, The Cesnola Collection of Cypriot Art. Stone Sculpture,
The Metropolitan Museum of Art, New York, 2014 [A. Satraki] ......................................... 448
6. V. Karageorghis, e. PoyiadJi-richter, s. rogge (eds.), Cypriote Antiquities in Berlin
in the Focus of New Research, Berlin 2013, Münster et New York, 2014 [A. Hermary] ..... 451
7. I. Tassignon, Le « Seigneur aux lions » d’Amathonte. Étude d’iconographie et d’histoire
des religions des statues trouvées sur l’agora, ÉtChypr 18, Athènes, 2013 [A. Caubet] ..... 454
8. D. christou, Ανασκαφές Κουρίου 1975-1998, Nicosie, 2013 [A. Hermary] ................... 455
9. T. FuJii, Imperial Cult and Imperial Representation in Roman Cyprus, Stuttgart, 2013
[J.-B. Cayla] ........................................................................................................................... 457
Cahiers du Centre d’Études
Chypriotes 44, 2014
ACTES DE LA JOURNÉE D’ÉTUDES,
Aix-en-Provence, Maison méditerranéenne des Sciences de l’Homme, 14 mars 2014
« PRATIQUES ET GESTES CULTUELS À CHYPRE
AU PREMIER MILLÉNAIRE AV. J.-C. »
Édités par A. Hermay et S. Huber
Journée organisée par le Centre Camille Jullian (Aix-en-Provence),
l’École française d’Athènes, le Centre d’Études chypriotes (Paris),
la Fondation A.G. Leventis et l’Université de Lorraine.
INTRODUCTION
DES ESPACES ET DES RITES : POUR UNE ARCHÉOLOGIE DU CULTE
DANS LES SANCTUAIRES DU MONDE MÉDITERRANÉEN
Sandrine HUBER
Cette Journée d’étude est organisée dans le cadre du programme commun aux Écoles
françaises d’Athènes et de Rome « Des espaces et des rites : pour une archéologie du culte
dans les sanctuaires du monde méditerranéen » 1, dont l’objectif premier est la constitution
d’un réseau de savoir-faire et de compétences pour que naisse une véritable discipline
de l’archéologie du culte dans les sociétés antiques (au même titre que l’archéologie
funéraire par exemple).
L’archéologie récente a connu des progrès considérables, sous l’impulsion notamment
des chantiers préventifs nationaux, ce qui permet de travailler sur des dossiers beaucoup
plus complets, beaucoup plus riches en informations et mieux cernés chronologiquement.
L’archéologie des sanctuaires antiques est passée d’une archéologie dans les sanctuaires
à une archéologie des sanctuaires – la nuance est grande –, d’un discours centré sur
la trilogie architecture/statuaire/inscriptions à un discours multiforme sur les activités
rituelles et les cérémonies 2. Ce sont désormais la topographie des lieux et les gestes
1. Ce programme commun aux Écoles françaises d’Athènes et de Rome (2012-2016) est porté
par Sandrine Huber (EFA) et William Van Andringa (EFR).
2. W. Van Andringa, « The Archaeology of Ancient Sanctuaries », dans J. Rüpke, R. Raja (éd.),
A Companion to Archaeology of Religion in Antiquity, Oxford, 2015, p. 29-40.
236
ccec 44, 2014
accomplis par les participants aux cultes qui se trouvent au cœur de la problématique :
l’examen des cultes passe par une archéologie des gestes, une archéologie des objets et
des contextes, une archéologie des intentions, en tenant compte aussi d’une archéologie
de l’absence, qui permet d’approcher les actions et les individus 3.
Le programme « Des espaces et des rites : pour une archéologie du culte dans les
sanctuaires du monde méditerranéen » offre divers supports d’échanges (journées
d’étude, ateliers, séminaires de formation doctorale, colloques), qui s’appuient sur un
certain nombre d’opérations de terrain sur les littoraux méditerranéens et dans le monde
celtique. La Journée d’étude chypriote est la deuxième manifestation du programme, qui
a commencé avec une première journée d’étude le 26 octobre 2013 à Lyon, consacrée aux
pratiques et gestes rituels à Délos, sous le titre de « Sacrifices et hécatombes à Délos ».
Dans les espaces des rites analysés dans le cadre du programme commun entre les Écoles
françaises d’Athènes et de Rome, le contexte funéraire occupe la part belle, dans le dossier
publié ici, mais aussi dans une table ronde organisée par l’École française d’Athènes et
le Centre d’Études Alexandrines du 30 octobre au 1er novembre 2014 : « Constituer la
tombe, honorer les défunts en Méditerranée hellénistique et romaine ».
Dans notre réseau de savoir-faire et de compétences dans l’archéologie des cultes
antiques, Chypre constitue un laboratoire privilégié pour une comparaison contrastive
et interculturelle, puisque diverses sociétés s’y sont côtoyées autour des royaumes
chypriotes durant le Ier millénaire avant J.-C. Partant du postulat que nous vivons par
nos croyances, que nos pratiques religieuses constituent un marqueur essentiel de notre
identité, on peut avancer que les vestiges matériels résultant des pratiques et gestes rituels
peuvent révéler l’identité d’une société ou d’un groupe d’individus, selon l’échelle du
discours ; en Méditerranée, ce postulat permet – ou permettra car la réflexion n’en est
qu’à ses débuts – d’estimer le degré d’influence et/ou d’acculturation d’une société ou
d’un groupe. Les pratiques religieuses, l’identité religieuse résultent d’une multitude de
facteurs que les questionnements récents remettent sur le métier, par la confrontation
des vestiges matériels désormais documentés dans le détail avec les textes, littéraires et
épigraphiques. Il s’agit désormais de caractériser les lieux de culte, de les comprendre
dans leur contexte communautaire, aussi parfois dans leur contexte intercommunautaire 4.
3. M. Denti, « Pour une archéologie de l’absence. Observations sur l’analyse intellectuelle
et matérielle de la céramique en contexte rituel », dans M. Denti, M. Tuffreau-Libre (éd.), La
céramique dans les contextes rituels. Fouiller et comprendre les gestes des anciens, Actes de la
table ronde de Rennes (16-17 juin 2010), Rennes, 2013, p. 13-23 ; aussi, dans le même volume,
S. Huber, « Le cratère, l’hydrie et la cruche à haut col. Des céramiques au service des premiers
rituels à Érétrie (Grèce) », p. 75-94, pl. VI-IX, spécialement p. 91, et J.-P. Morel, « Des céramiques
aux “gestes”, des “gestes” aux rites. Impressions finales d’une table ronde », p. 203-213.
4. Cités phéniciennes comme cités chypriotes s’inscrivent dans un moule royal avec une
conception pyramidale du pouvoir, alors que les poleis grecques se caractérisent par la mise
en avant du principe du partage des pouvoirs et de la notion de communauté de citoyens, voir
C. Bonnet, V. Pirenne-Delforge, « Les dieux et la cité. Représentations des divinités tutélaires
entre Grèce et Phénicie », dans N. Zenzen, T. Hölscher, K. Trampedach (éd.), Aneignung und
pratiques et gestes cultuels
: s. huber, introduction
237
Comment distinguer aussi entre mythes et croyances partagés par plusieurs civilisations
ou entre mythes et croyances spécifiques à l’une ou à l’autre de sociétés qui ont pu se
côtoyer ? Quelles sont les clés de lecture, les méthodes d’approche ?
Ce dossier chypriote rassemble les sept contributions présentées à l’occasion de
la Journée d’étude du 14 mars 2014. Certains chercheurs font part de leurs premières
réflexions sur des sites en cours de fouille, tels le sanctuaire de Yialia-Photies sur le
territoire de Marion et celui de Kouklia-Lingrin tou Dhigeni sur le territoire de Paphos,
ainsi que la nécropole de l’Âge du Fer de Kition au lieu-dit Pervolia ; d’autres discutent
de découvertes récentes, dont celle de dépôts de galets en contexte sacrificiel au Palais
d’Amathonte ; d’autres encore reprennent d’anciens dossiers, notamment celui de
Kition-Bamboula et celui du sanctuaire rural de Kafizin, sous le prisme de nouveaux
questionnements, pour les faire interagir, susciter des recoupements, révéler des
cohérences ou, selon les cas, dégager des spécificités. Une contribution nous offre la
publication minutieuse et, on peut le dire, exhaustive, d’un ensemble de dépôts rituels
– quatorze dépôts de vases (treize marmites et une amphore) – dans un contexte rituel
original : les fondations des magasins du Palais d’Amathonte. Les vestiges analysés
dans ce dossier témoignent de formes et usages cultuels variés et variables. Ces riches
analyses de vestiges matériels sont introduites par une enquête qui reprend la question de
la « prostitution sacrée » à Chypre, à la lumière des textes littéraires et épigraphiques et
de la documentation iconographique, et qui montre les limites du discours.
Temples et monuments ont pour ainsi dire été laissés de côté durant cette Journée
d’étude pour faire place aux pratiques et aux gestes cultuels à Chypre au Ier millénaire
avant notre ère. Ce sont de modestes aménagements cultuels et témoignages de pratiques
rituelles qui sont analysés ici, dans une perspective pluridisciplinaire, sous le prisme
notamment des textes, des structures et des mobiliers mis au jour. Images peintes et
sculptées, pierres à cupules, galets, dépôts de récipients dans le sol, bassins, foyers, bothroi,
plaques, plateformes, banquettes, niches à offrandes, céramique, ossements animaux…,
tels sont les vestiges matériels examinés par une brochette de spécialistes travaillant dans
des contextes religieux sur l’île de Chypre. Pour ce qui concerne la céramique, l’attention
s’est particulièrement concentrée sur la vaisselle à caractère universel sans fonction
spécifique, marmites, faitouts et autres. Les dossiers analysés révèlent des pratiques dont
la durée est très variable, parfois éphémère comme lors des dépôts de fondation au Palais
d’Amathonte, ponctuelle et limitée à quelques années comme lors du culte rendu à la
Nymphe dans le sanctuaire rural de Kafizin. Qui étaient les acteurs de ces rites ? Parfois
peu de gens : à Kafizin, l’acteur principal du culte célébré à la Nymphe était un certain
Onésagoras, fermier ou collecteur d’une dîme frappant la production de lin, flanqué d’une
association à caractère professionnel de potiers tour à tour dédicants et/ou fabricants de
vases.
Abgrenzung. Wechselnde Perspektiven auf die Antithese von ‘Ost’ und ‘West’ in der griechischen
Antike, Heidelberg, 2013, p. 201-218.
238
ccec 44, 2014
Ce dossier, modeste au premier regard, prend une dimension tout autre dès le moment
où l’on comprend que ce sont les actes, les pratiques qui déterminent les individus, les
sociétés auxquelles ils appartiennent. Il constitue un maillon non négligeable dans le
programme commun aux Écoles françaises d’Athènes et de Rome « Des espaces et des
rites : pour une archéologie du culte dans les sanctuaires du monde méditerranéen »,
annonçant deux manifestations prévues dans le même cadre en 2015 et 2016 : un colloque
organisé par les deux Écoles avec la collaboration du LabEx Archimède « Archéologie
et Histoire de la Méditerranée et de l’Égypte anciennes », à Rome, du 18 au 20 juin
2015 – « Quand naissent les dieux : fondation des sanctuaires antiques. Motivations,
agents, lieux » – et un colloque organisé par les Écoles françaises d’Athènes et de Rome
à Athènes en 2016 – « Côtoyer les dieux : l’organisation des espaces dans les sanctuaires
grecs et romains ».
L’organisation de la Journée d’étude à Aix-en-Provence n’est pas due au hasard, bien
évidemment. Outre le fait que l’université d’Aix-Marseille et le Centre Camille Jullian
jouent un rôle important dans les recherches conduites par les missions françaises sur l’île
de Chypre, nous espérons avoir participé quelque peu aux réflexions sur les pratiques et
gestes cultuels qui ne cessent de se développer dans la région, i. e. en Gaule du Sud – entre
Celtes, Ibères et Grecs –, une région qui constitue un laboratoire intercommunautaire
privilégié, comme l’île de Chypre à l’autre extrémité de la Méditerranée – entre Orientaux,
Chypriotes et Grecs.
Avec William Van Andringa, nous avons fait office de modérateurs tout au long de la
Journée d’étude. Nous concluons ensemble le dossier (infra p. 373-377) à la lumière de nos
questionnements et méthodes d’approches respectifs sur les sociétés antiques auxquelles
nous sommes habitués : grecque, celte et romaine. Je tiens, avec Antoine Hermary, à
remercier tous les participants à la Journée d’étude, intervenants, chercheurs et étudiants
venus participer à nos débats ; de même, à exprimer notre plus sincère reconnaissance à
la Maison méditerranéenne des Sciences de l’Homme et au Centre Camille Jullian pour
leur accueil à Aix-en-Provence, au Centre Camille Jullian, à l’École française d’Athènes,
au Centre d’Études chypriotes (Paris, lui-même redevable à la générosité de la Fondation
Leventis) et à l’université de Lorraine pour leur appui financier ; enfin, nous exprimons
notre gratitude au Centre d’Études chypriotes pour accueillir la publication des Actes de
la Journée d’étude sous forme de dossier dans ce Cahier.
Université de Lorraine / Hiscant-MA
Cahiers du Centre d’Études
Chypriotes 44, 2014
REMARQUES CONCLUSIVES
Sandrine HUBER & William VAN ANDRINGA
Les questionnements évoqués lors de notre Journée d’étude recoupent, on l’a déjà dit
en introduction, des problématiques qui font débat sur tout le pourtour de la Méditerranée
antique. Constructions identitaires, gestes rituels, espaces sacrés sont d’actualité dans
la recherche sur les civilisations méditerranéennes et ont trouvé un nouveau cadre, la
Méditerranée dans sa globalité, sous l’impulsion des recherches mises en œuvre au
tournant du IIIe millénaire, en tête desquelles on cite naturellement celle qui fut initiée
par Peregrine Horden et Nicholas Purcell 1. L’histoire des religions profite bien entendu
de ce développement spatial de la réflexion, qui permet des comparaisons contrastives et
interculturelles2. L’éclairage de l’archéologie, de l’archéologie du culte plus précisément
dans notre propos, est essentiel dans les réflexions sur la caractérisation des cultes
célébrés par les Anciens. Notre Journée d’étude est, certes, limitée aux pratiques et gestes
cultuels sur l’île de Chypre, mais c’est tout un réseau de croyances et de communautés
du bassin méditerranéen oriental qui est concernée. Et les travaux rassemblés dans ce
dossier, la plupart en cours d’élaboration, doivent être désormais mis en perspective selon
de nouveaux questionnements.
Le geste a la vedette dans l’actualité de l’archéologie du culte. Reprenons à notre actif
la formule « Fouiller et comprendre les gestes des Anciens », au cœur de la problématique
de notre discipline et, de fait, de l’histoire des religions, empruntée au sous-titre d’un
colloque récemment consacré à la céramique dans les contextes rituels 3. Lorsque l’on
appréhende les gestes, on appréhende les individus, les fidèles, et donc leurs croyances
1. P. Horden, N. Purcell (éd.), The Corrupting Sea. A Study of Mediterranean History, Oxford,
2000.
2. Citons dans ce cadre le projet « Lieux de cultes : rites, espaces et limites », USR 3125/MMSH,
qui proposait une enquête transversale des religions de la Méditerranée, antiques et modernes,
développée sous la forme de deux colloques internationaux organisés ici-même à Aix-en-Provence,
à la Maison méditerranéenne des sciences de l’Homme : « (Re)fonder un lieu de culte : la délimitation
des “espaces sacrés” » les 9 et 10 novembre 2011 ; « D’une religion à l’autre. La conversion des
lieux de culte dans les religions du monde méditerranéen » les 10 et 11 octobre 2012.
3. M. Denti, M. Tuffreau-Libre (éd.), La céramique dans les contextes rituels. Fouiller et
comprendre les gestes des anciens, Actes de la table ronde de Rennes (16-17 juin 2010), Rennes,
2013 ; voir ci-dessus l’introduction à notre dossier.
374
ccec 44, 2014
et leurs constructions identitaires. Les constructions identitaires sont elles aussi plus que
jamais d’actualité dans les recherches méditerranéennes, générant des manifestations
scientifiques à foison, qu’il est vain et hors cadre de citer en détail ici 4. Du côté des
offrandes aussi, la réflexion a connu des progrès retentissants et les nouvelles lectures
font transparaître les divers gestes de l’offrande et les constructions identitaires à leur
origine 5.
Les aménagements modestes – plateformes, banquettes et autres – font partie
intégrante du paysage rituel et doivent être pris en compte dans le discours autant que
les constructions monumentales ; ils jouent souvent d’ailleurs un rôle plus important
que les monuments dans le rite et procèdent de l’instrumentum rituel. Dans ce domaine,
Eustathios Raptou propose une lecture contrastive éclairante de telles structures dans
deux sanctuaires du district de Paphos : Yialia-Photies sur le territoire de Marion et
Kouklia-Lingrin tou Dhigeni sur le territoire de Paphos.
Sabine Fourrier rassemble les données livrées par les fouilles du sanctuaire urbain
de Kition-Bamboula par la mission suédoise en 1929-1930 et par la mission française
entre 1976 et 1989, en structurant son analyse selon deux angles d’approche : 1) sous le
prisme topographique en analysant les différents espaces, leurs limites, leurs fonctions
(avait-on affaire à une inclusion ou une juxtaposition des espaces ?) ; 2) sous le prisme
des gestes et des pratiques en proposant, comme Eustathios Raptou, une discussion sur les
aménagements, i. e. « toutes les structures qui ne sont pas des espaces construits » : autels
construits, plateformes, foyers, plaques, banquettes.
Thierry Petit s’intéresse aussi à un modeste aménagement spécifique : une concentration
de galets avec ossements animaux et cendres dans le palais d’Amathonte. La fonction est
loin d’être claire : table d’offrande pour recevoir des restes sacrificiels, amas de pierres
déposées progressivement mais à destination votive. La discussion ne peut aller plus loin
que les quelques hypothèses de lecture évoquées par l’auteur. L’analyse proposée par
Thierry Petit est éclairante : elle montre la nécessité de décrire les structures que l’on
ne comprend pas, d’en proposer des hypothèse de lecture car ce n’est que lorsque l’on
disposera d’une série de structures analogues et des données y relatives que l’on pourra
avancer dans leur compréhension. Ne pas publier, ni discuter ces aménagements relèverait
d’une faute de méthode grave dans notre manière d’approcher les pratiques rituelles.
L’évocation d’ossements animaux, de coquilles marines, de restes carbonisés et de
cendres a ponctué certaines contributions rassemblées dans ce dossier. L’importance
4. Évoquons toutefois quelques travaux marquants : R. Roure, L. Pernet (éd.), Des rites et des
hommes. Les pratiques symboliques des Celtes, des Ibères et des Grecs en Provence, en Languedoc
et en Catalogne, Paris, 2011 ; H. Ménard, R. Plana-Mallart (éd.), Contacts de cultures, constructions
identitaires et stéréotypes dans l’espace méditerranéen antique, Montpellier, 2013, notamment la
contribution de Ph. Boissinot, « De quelle identité parlons-nous, entre historiens et archéologues »,
p. 15-21.
5. On se contentera ici de citer la synthèse récente de I. Patera, Offrir en Grèce ancienne. Gestes
et contextes, Stuttgart, 2012.
pratiques et gestes cultuels
: s. huber & W. van andringa, remarques conclusives
375
de ces vestiges dans la restitution des pratiques rituelles est désormais comprise. Mais
relevons que ces modestes traces, tant négligées jusqu’à il y a peu, ne sont pas encore
exploitées à leur juste mesure. Il a été question de restes fauniques à de nombreuses
reprises au cours de la Journée d’étude ; c’est une excellente chose. Constatons toutefois
que le discours s’arrête souvent à l’évocation de la présence d’ossements animaux et des
espèces représentées. L’observation des restes fauniques en contextes cultuels ne doit
pas s’arrêter là ; d’autres données sont essentielles à la compréhension des pratiques et
des temps du rituel et doivent faire partie intégrante de la discussion : les questions de
prélèvements des restes osseux (en vrac, par ensemble ou pièce à pièce), les protocoles
d’échantillonnage de lots de sédiments tamisés, leur position in situ, la composition
spécifique et anatomique des lots d’ossements qui peut mettre en évidence ou non des
règles de sélection présentant des fréquences anormalement élevées d’une espèce animale,
voire un choix de morceaux particuliers par l’absence de certaines parties anatomiques ou
par une règle symbolique comme celle qui favorise des os d’épaules droites sur plusieurs
sites, enfin le traitement des os : traces de découpe sur les surfaces osseuses, passage au
feu (là aussi on distinguera le degré de combustion, entre grillade et crémation) ou non 6.
Souvent, le raisonnement de l’historien des religions et/ou de l’archéologue s’arrête
à une étape de la recherche, se référant à des publications clés, mais que l’archéologie a
grandement complétées depuis. On constate que, si l’analyse archéologique progresse,
on peine à appliquer une méthode d’analyse linéaire, détaillée et cohérente, depuis
l’enregistrement des données sur le terrain – qui ne cessent d’augmenter avec le
développement des méthodes de documentation des faits archéologiques et l’implication
des archéosciences – jusqu’à la publication finale. Dès le moment où l’on est parvenu
à classer les faits archéologiques – une tâche devenue délicate au vu de l’augmentation
exponentielle et de la variabilité des faits archéologiques –, le discours glisse de l’analyse
scientifique à une approche heuristique où l’on force l’interprétation dans un processus
déductif, se contentant de relever de manière intuitive l’adhérence, pour ne pas dire
l’appartenance, des données à des pratiques rituelles déjà identifiées. La tâche est rude
et l’on constate, encore une fois dans ce volume, combien il est difficile de maintenir le
discours sur le même plan scientifique du début à la fin.
Isabelle Tassignon et Aurélie Carbillet nous offrent une publication minutieuse des
dépôts de vases dans les fondations des magasins du Palais d’Amathonte. L’analyse
est rigoureuse, prudente ; les auteurs décrivent les faits archéologiques de manière
6. Sur la caractérisation du sacrifice animal à partir des restes osseux, aspects méthodologiques
dans P. Méniel, Manuel d’archéozoologie funéraire et sacrificielle. Âge du Fer, Gollion,
2008 ; S. Lepetz, W. Van Andringa, Le sacrifice animal en Gaule romaine. Rituels et pratiques
alimentaires, Actes de la table ronde organisée les 24 et 25 octobre 2002 à Paris, Montagnac,
2008 ; également S. Huber, P. Méniel, « Pratiques sacrificielles et de commensalité à Érétrie, cité
grecque de Méditerranée au viiie siècle avant notre ère », dans A. Esposito, S. Wirth (éd.), Autour
du banquet. Modèles de consommation et usages sociaux, Rencontres organisées à l’université de
Bourgogne (2010-2012), Dijon, 2015, p. 49-62.
376
ccec 44, 2014
exhaustive, ce qui permet une discussion développée sur les fonctions possibles de
cet ensemble unique. Relevons toutefois que la thusía grecque est évoquée dans cette
discussion uniquement sous le prisme de l’étude anthropologique mise en œuvre sous
la direction de Marcel Detienne et Jean-Pierre Vernant dans l’ouvrage clé La cuisine
du sacrifice en pays grec paru en 1979 7, alors que quantités de données archéologiques
et archéozoologiques sont venues compléter le dossier 8. Données archéologiques et
archéozoologiques auxquelles s’ajoutent bien évidemment les données épigraphiques,
avec la publication de nouvelles règlementations sacrées des cités grecques, qui mettent
en lumière des normes religieuses et une identité civique parfois communes aux cités
grecques, parfois à une cité en particulier, mais qui mettent aussi en lumière des pratiques
spécifiques à telle divinité ou à tel rite.
Se distingue évidemment dans ce contexte l’enquête pluridisciplinaire menée par
Armelle Gardeisen et Sabine Fourrier, avec la collaboration de Fabien Belhaoues,
Nathalie Delhopital et Lluis Garcia Petit, lors de la fouille et de l’étude en laboratoire
des restes ostéologiques mis au jour dans la tombe 379 de la nécropole de l’Âge du Fer
de Kition au lieu-dit Pervolia. L’assemblage révèle un spectre faunique varié et original,
contenant des restes assignables à l’histoire récente du site, mais, surtout, un dépôt
volontaire de nature exceptionnelle dans l’état actuel de nos connaissances des dépôts
funéraires : une oie déposée en offrande liée aux dépouilles de deux enfants. Ce dossier
permet d’insister, encore une fois, sur l’importance de l’observation – observation sur le
terrain et observation en laboratoire, la seconde ne pouvant aboutir que si la première a
été réalisée de manière optimale. Artéfacts et écofacts, dépôt volontaire (anthropique) et
dépôt naturel (taphonomique) sont les éléments essentiels pour reconstituer les gestes,
mettre en évidence leur récurrence et/ou leur spécificité selon les cas, pour aboutir à une
archéologie des objets, mais surtout des contextes, autrement dit une archéologie de la
présence et de l’absence, qui permet d’approcher les actions et les individus 9.
Tout ceci évidemment sans oublier les gestes que seuls les textes peuvent restituer,
qui ne laissent aucun vestige matériel, ni en positif, ni en négatif. Tout geste ne laisse pas
de trace et tout ce discours n’est valable que si l’on exploite l’ensemble des données –
textuelles, archéologiques et iconographiques – avec la rigueur scientifique qui caractérise
chacune de ces disciplines.
Antoine Hermary, en tête de notre dossier, montre les limites du raisonnement dans la
reprise de la discussion sur la question de l’existence ou non d’une prostitution sacrée à
Chypre, notamment en l’honneur d’Aphrodite. Ce rite ne transparait que dans des sources
textuelles et iconographiques, on ne dispose d’aucun témoignage archéologique à ce sujet.
Antoine Hermary reste prudent dans son analyse ; reprenant l’étude des textes antiques,
7. M. Detienne, J.-P. Vernant (dir.), La cuisine du sacrifice en pays grec, Paris, 1979.
8. Contentons-nous de citer ici par commodité G. Ekroth, J. Wallenstein (éd.), Bones, Behaviour
and Belief. The Zooarchaeological Evidence as a Source for Ritual Practice in Ancient Greece and
Beyond, Stockholm, 2013.
9. Voir ci-dessus les références dans notre introduction au dossier.
pratiques et gestes cultuels
: s. huber & W. van andringa, remarques conclusives
377
la plupart écrits par des auteurs non Chypriotes, et de documents iconographiques, il
montre que c’est essentiellement leur interprétation à l’époque moderne qui a contribué
à créer la notion de « prostitution sacrée » à Chypre, mais qu’il est tout à fait crédible
que des femmes aient pratiqué des relations sexuelles contre une rétribution financière à
l’occasion de certaines fêtes, liées ou non à des rites prénuptiaux.
Le dossier est clos par une brève étude synthétique de la vaisselle cultuelle mise
au jour dans le sanctuaire rural de Kafizin, proposée par Sidonie Lejeune. Ici, les
perspectives diffèrent : les données concernent de nombreux vases relevant d’une riche
variété de formes et d’usages, porteurs de dédicaces ; elles permettent de déduire une
activité cultuelle vivante, certes éphémère, limitée à quelques années, où s’articulent
piété individuelle et vie associative à caractère professionnel de potiers. Les récipients,
en grand nombre certes, relèvent en majorité de la vaisselle à caractère universel sans
fonction spécifique : lékanai, faitouts, bols, qui contenaient des offrandes de bouillies.
Le rite est ici double : les récipients ont été d’abord offerts à la Nymphe avant d’avoir
été manipulés dans un contexte rituel. La richesse du corpus céramique apparaît éclairant
sur les pratiques rituelles célébrées dans la grotte de Kafizin, mais là aussi les données
manquent pour aller plus avant.
Même si l’état d’avancement des analyses proposées durant cette Journée d’étude
est variable car il correspond à des étapes différentes de la réflexion (nouveaux
questionnements sur des données anciennes, données en cours d’élaboration, sites en
cours de fouille), le bilan est positif. Ce dossier témoigne des potentiels de l’exploitation
de données archéologiques modestes, de ses apports à notre connaissance des pratiques
et des gestes cultuels à Chypre au premier millénaire av. J.-C. et au-delà. Pour clore
(momentanément) le dossier, empruntons quelques mots à Sabine Fourrier (supra,
p. 297) : « La perspective choisie a permis de rassembler des observations, dont certaines
font apparaître des recoupements, des cohérences […]. Le point de vue ne permet pas
d’aborder toutes les questions suscitées » par les sites discutés durant la Journée d’étude.
Il a pour objectif, au contraire, de (mieux) faire comprendre que l’étude précise de vestiges
modestes de rituels, qui peuvent apparaître insignifiants en regard des constructions
monumentales, concerne tout autant, voire parfois davantage, l’activité des lieux de culte.
Université de Lorraine / Hiscant-MA
Université de Lille 3 / HALMA