Location via proxy:   [ UP ]  
[Report a bug]   [Manage cookies]                
RE ÉR RV E IVSI T S AT AD E D EL A L AC E CP EA PL A L• •N U NM UM ÉO R OS P SÉ PC É ICAI L AL Les petites économies d’Amérique latine et des Caraïbes Hubert Escaith Division du développement économique CEPALC hubert.escaith@cepal.org La population, les ressources naturelles et la taille du marché intérieur ont été les composants traditionnels de l’équation déterminant la richesse des nations selon les économistes classiques. Les nouvelles directions de recherche ouvertes par les théories de la croissance endogène et les résultats des études statistiques comparatives sur les déterminants de cette croissance ont relancé l’intérêt sur les relations entre les effets d’échelle, la taille des marchés et le rôle du commerce international dans la croissance économique des petites économies. Dans un environnement de mondialisation croissante, les petites économies se retrouvent confrontées à une série de défis et d’opportunités où leur petite taille économique est généralement considérée comme un handicap. Les déséconomies d’échelle augmentent leurs coûts de production alors que la moindre diversification de leurs exportations les rend extrêmement vulnérables aux perturbations externes. Tous ces facteurs prennent d’autant plus d’importance que le commerce est devenu un des facteurs clefs du développement économique, comme l’indique la hausse significative de la participation des importations et des exportations par rapport au PIB notable depuis la seconde moitié des années 1980. Le rôle central du commerce intrarégional ou du marché nord-américain comme moteurs des exportations non traditionnelles exacerbe l’importance de la compétitivité-prix et donc des programmes de subventions ou d’exemptions pour assurer les débouchés sur ces marchés. Pour les petits pays en voie de développement de la région souffrant de désavantages relatifs, le succès dépendrait ainsi des conditions préférentielles de leurs relations avec leurs principaux partenaires commerciaux développés, soit les pays d’Amérique du Nord et, pour les pays membres du groupe ACP , l’Union européenne. De plus, une trop grande spécialisation en fonction d’un grand marché régional (ÉtatsUnis ou Brésil) entraîne des risques qui méritent considération. J ULATINE I N 2 0 0 ET 5 DES CARAÏBES • HUBERT ESCAITH LES PETITES ÉCONOMIES D’AMÉRIQUE 127 128 REVISTA DE LA CEPAL • NUMÉRO SPÉCIAL I Principales caractéristiques économiques Il n’y a pas de définition universellement acceptée de ce qu’est une petite économie. Les analyses théoriques retiennent souvent comme définition le fait d’avoir ou pas une influence sur la formation des prix internationaux. Une caractérisation voisine, et plus utile d’un point de vue de l’économie politique, identifie les petites économies comme celles qui n’ont pas d’autonomie dans leurs décisions de politique économique et doivent s’ajuster au contexte créé par les politiques économiques des grandes économies. C’est en particulier la définition retenue dans De Sierra (1994). Ces définitions sont de peu d’utilité pour la recherche empirique, car elles sont difficiles à observer et à mesurer. Pour des raisons pratiques, la taille d’une économie est donc généralement mesurée en fonction de sa population, de sa superficie ou de son revenu intérieur (Damijan, 1997). Gutiérrez (1996) indique qu’il y a en Amérique latine une forte corrélation entre les divers indicateurs usuellement retenus dans la littérature et qu’un classement en termes de population permet d’ordonner, de manière simple mais tout à fait acceptable, les économies de la région. Utilisant donc une définition de la petite économie fondée sur sa population (autour de 10 millions d’habitants ou moins au début des années 1990),1 la plupart des économies d’Amérique latine sont petites: L’auteur remercie les participants au colloque international sur les relations Europe-Amérique latine et la mondialisation, organisé par le Centre de recherche sur l’Amérique latine et les Caraïbes (CREALC) à Aix-en-Provence, ainsi que les collègues de la CEPALC, en particulier Len Ishmael, José Antonio Ocampo et Esteban Pérez qui ont enrichi de leurs commentaires les versions antérieures qui ont servi de base à l’élaboration de cet article. Les opinions exprimées ici restent cependant de la responsabilité exclusive de l’auteur et peuvent en particulier ne pas coïncider avec celles de la CEPALC. [Ndlr: le texte de cet article est paru sous le titre Les petites économies d’Amérique latine et des Caraïbes: Croissance, ouverture commerciale et relations inter-régionales, en mars 2001 sous le n° 14 de la série «temas de coyuntura» publiée par la Division du développement économique de la CEPAL , repris en espagnol sous le titre «Las economías pequeñas de América Latina y el Caribe» dans la Revista de la CEPAL, n° 74, août 2001, pp. 71-85]. 1 Critère tout relatif: vingt ans auparavant, la limite eut été de 6,1 millions pour un groupe similaire de pays latino-américains (Real de Azúa, 1977); aujourd’hui, elle est de 13 millions (excepté Cuba, qui serait maintenant considérée comme petite économie, voir tableau 1). toute la Caraïbe (excepté Cuba), l’Isthme centraméricain, la Bolivie, l’Équateur, le Paraguay et l’Uruguay. De nombreuses îles des Caraïbes ont une très petite taille, moins d’un million d’habitants (avec des populations pouvant parfois être inférieures à 100.000 personnes), ce qui accentue leur spécificité et les rend spécialement vulnérables (voir tableau 1). Néanmoins, toutes restent très différentes en termes de ressources naturelles, de revenu par tête, de culture et de sociétés, ce qui oblige à mettre en perspective les conclusions générales obtenues, afin d’éviter tout réductionnisme excessif. 1. Croissance et compétitivité La littérature récente sur les économies d’échelle et la croissance endogène des économies ouvertes tend à considérer l’étroitesse du marché intérieur comme un handicap, du moins dans les étapes initiales du développement. L’ouverture des marchés extérieurs favorisée par la mondialisation devrait en principe permettre à ces économies de compenser cette contrainte. Cependant, il n’y a pas d’unanimité sur les résultats de l’ouverture commerciale et du libre-échange quand les partenaires commerciaux sont fortement asymétriques en taille et en niveau de développement. Tant la théorie que la pratique tendent à indiquer que certains pays bifurquent sur des voies de garage et se spécialisent dans des marchés régressifs, alors que d’autres profitent des marchés extérieurs pour développer une spécialisation dynamique (Ros, 2000). Parmi l’ensemble des pays en voie de développement, les «grandes économies» affichent un revenu par tête significativement plus élevé que les «petites économies»; par contre les «très petites économies» ont un revenu moyen par habitant comparable à celui des plus grandes économies. Les mêmes relations se retrouvent lorsque l’on se penche sur les taux de croissance. Il semblerait donc que les petites économies (mais pas les très petites) souffrent de certains désavantages comparatifs (Salvatore, 1997). Selon cet auteur, ce handicap est dépendant du niveau de développement et tend à disparaître lorsque l’on analyse les économies développées. Ces résultats se retrouvent, encore qu’atténués, en Amérique latine et LES PETITES ÉCONOMIES D’AMÉRIQUE LATINE ET DES CARAÏBES • HUBERT ESCAITH REVISTA DE LA CEPAL • NUMÉRO 129 SPÉCIAL TABLEAU 1 Amérique Latine et Caraïbes: Sélection d’indicateurs démographiques et économiques Population (milliers d’habitants) Période ou année Amérique latine et Caraïbe (total)a 2000 519 752 Pays (par taille de population) St. Christophe-et-Nièves 41 Antigua-et-Barbuda 68 Dominique 71 Grenade 94 St. Vincent-et Grenadines 116 Ste Lucie 154 Belize 241 Barbade 270 Suriname 417 Guyana 861 Trinité-et-Tobago 1 295 Jamaïque 2 583 Panama 2 856 Uruguay 3 337 Costa Rica 4 023 Nicaragua 5 071 Paraguay 5 496 El Salvador 6 276 Honduras 6 485 Bolivie 8 329 Haïti 8 357 République dominicaine 8 396 Cuba 11 199 Guatemala 11 385 Équateur 12 646 Chili 15 211 Venezuela 24 170 Pérou 25 662 Argentine 37 032 Colombie 42 321 Mexique 98 881 Brésil 170 693 Taux annuel moyen de croissance démographique Densité de population (habitants/km2) par habitant (dollars de parité de pouvoir d’achat) 1991-2000 2000 1998 19811990 19912000 2000 1,7 25,0 6 340 1,2 3,3 43,4 -0,3 0,6 0,0 0,3 113,4 152,0 97,3 282,9 9 8 4 5 790 890 777 557 5,8 6,1 4,4 4,9 4,1 3,3 2,1 3,5 128,5 b 157,7 b 115,7 b 99,3 0,9 1,3 2,6 0,5 0,4 1,0 0,7 0,9 1,8 0,7 2,8 2,9 2,7 2,1 2,9 2,4 1,9 290,3 249,2 10,5 617,7 2,6 4,3 250,5 237,9 37,1 18,8 69,1 39,5 13,1 292,4 55,0 7,3 277,5 4 484 4 897 4 367 ... ... 3 139 7 208 3 344 4 925 8 541 5 812 1 896 4 312 4 008 2 338 2 205 1 379 6,5 6,8 4,5 1,1 0,5 - 2,9 - 2,6 2,2 1,4 0,0 2,2 - 1,5 3,0 - 0,4 2,4 0,2 - 0,5 3,2 2,2 4,1 1,4 1,7 5,3 3,0 0,1 4,4 3,0 5,0 3,3 2,2 4,6 3,1 3,8 - 1,0 121,5 b 133,1 b 101,9 b 130,4 b ... 203,3 b 97,7 b 111,7 b 146,8 38,0 94,6 117,8 81,2 66,3 101,5 41,8 47,0 1,8 0,5 2,7 2,1 1,5 2,2 1,8 1,3 1,9 1,7 1,4 170,6 101,1 99,6 44,0 19,8 26,3 19,4 13,2 39,3 50,2 19,6 4 337 ... 3 474 3 003 8 507 5 706 4 180 11 728 5 861 7 450 6 460 2,4 3,7 0,9 1,7 3,0 - 0,7 - 1,2 - 0,7 3,7 1,9 1,6 6,3 - 1,4 4,1 1,7 6,6 2,0 4,2 4,2 2,6 3,5 2,6 100,6 ... 47,6 77,3 60,8 51,1 33,2 23,1 36,5 65,0 23,1 PIB Taux de croissance annuel moyen du PIB Commerce extérieur (% du PIB) Source: CEPALC et Banque mondiale. Incluant Bahamas, Antilles néerlandaises, Aruba, îles Vierges, Montserrat et Porto Rico. b Commerce de biens seulement, 1998. a les Caraïbes. Sur les vingt dernières années, les économies de très petite taille (moins d’un million d’habitants) ont eu un taux de croissance du revenu par habitant au moins comparable sinon plus élevé que les pays de taille moyenne ou supérieure (plus de 10 millions d’habitants). Les petites économies (entre 1 et 10 millions d’habitants) ont enregistré en général une croissance moindre que les deux autres groupes. En fait, sur une longue période, seul le premier groupe de très petites économies a pu enregistrer une augmentation significative du produit par habitant, alors que la récupération de la croissance dans les années 90 LES PETITES ÉCONOMIES D’AMÉRIQUE LATINE ET DES CARAÏBES • HUBERT ESCAITH 130 REVISTA DE LA CEPAL • NUMÉRO SPÉCIAL TABLEAU 2 Amérique latine et Caraïbes: Évolution des revenus et taille 1981-2000 Pays Total PIB par habitant 1990a a/b a/b Amérique latine Caraïbes a/b Plus de 10 millions d’habitants b/c De 1 à 10 millions d’habitants b/c Moins de 1 million d’habitants b/c Taux de croissance annuel du 1981-1990 1991-2000 PIB par habitant 1981-2000 ... -0,9 1,5 0,3 ... ... 7 029 4 056 6 655 -0,9 -0,9 -0,5 -1,2 3,1 1,5 1,0 1,5 1,1 2,4 0,3 0,0 0,5 -0,1 2,7 Source: Tableau 1. a Dollars à la parité du pouvoir d’achat. Moyenne pondérée par le PIB. c Moyenne simple b fut à peine suffisante parmi les économies moyennes et grandes pour compenser les pertes subies dix ans auparavant en conséquence de la politique d’endettement des années 70 et de la crise économique qui en a découlé (voir tableau 2). Quant aux habitants de 14 petits pays, le revenu par tête en 2000 est en moyenne inférieur à celui de 1980; en d’autres termes, pour ce groupe de pays, la fameuse décennie perdue aura duré vingt ans: sur ce groupe de 14 pays, 8 ont enregistré un déclin de cet indicateur sur la période 1981-2000, une situation qui a touché particulièrement Haïti et le Nicaragua (en moyenne 2,6 pour cent et 1,7 pour cent, respectivement de chute annuelle du PIB par habitant). L’effet «taille» n’est qu’un des multiples facteurs qui peuvent influencer le taux de croissance, et il est donc nécessaire de contrôler l’action de ces autres causes possibles pour isoler la contribution spécifique de la taille du pays. Pour ce faire, une équation incorporant les divers autres facteurs identifiés par Escaith et Morley (2000) a été estimée pour un panier de 17 pays de la région sur la période 19711996, excluant les très petites économies. Tout en souscrivant aux restrictions soulignées par les auteurs quant aux limites de ce type d’analyse, les résultats présentés dans le tableau 3 tendent à indiquer que, toutes choses égales par ailleurs,2 les grands pays ont eu un taux de croissance du produit par tête supérieur. Les écarts observés avec les prédictions de la théorie néoclassique, neutres quant à l’effet taille, se 2 Parmi les autres facteurs, l’évolution du commerce international et la stabilité du cadre macro-économique interne sont les plus déterminants. Les réformes structurelles n’ont pas eu un effet global signifiant, mais le manque de progressivité dans leur mise en place a eu clairement un impact négatif. doivent principalement à des considérations microéconomiques. Un marché intérieur réduit implique que certaines économies de taille et de complémentarités ne peuvent être obtenues, impliquant de plus grands coûts relatifs et une moindre compétitivité. Ces coûts, qui affectent aussi bien le secteur public et le secteur privé, prennent des formes diverses qui peuvent se résumer comme suit: Indivisibilité, biens publics et infrastructure La plupart des services publics sont caractérisés par leur indivisibilité, ce qui implique pour les petits pays que leur coût par habitant est généralement supérieur. En outre, comme nous verrons plus loin, la structure incomplète ou déficiente des marchés oblige souvent l’État à assumer un rôle important dans l’économie. D’ailleurs, la part des dépenses publiques courantes dans le PIB et le coefficient d’imposition ont tendance à décroître avec la taille des économies. La nécessité de maintenir sous contrôle les dépenses de l’État implique aussi que la couverture et la qualité de ces services laissent souvent à désirer. a) b) Taille des entreprises et coûts de production Les entreprises privées sont confrontées aux mêmes problèmes, car l’étroitesse du marché intérieur interdit de pouvoir profiter des rendements d’échelle. Ceci est particulièrement vrai pour le secteur des biens et services non commercialisables, pour qui le marché est par définition interne. Ces handicaps sont moins marqués dans le cas des secteurs des biens et services commercialisables car les exportations permettent de compenser l’étroitesse du marché intérieur. Cependant, même dans ce contexte d’ouverture, les économies d’échelle sont difficiles à obtenir, car même les LES PETITES ÉCONOMIES D’AMÉRIQUE LATINE ET DES CARAÏBES • HUBERT ESCAITH REVISTA DE LA CEPAL • NUMÉRO 131 SPÉCIAL TABLEAU 3 Amérique latine et Caraïbes: Évaluation empirique des déterminants de la croissancea Variable Coefficient Statistique t 3,237 0,261 -0,033 -0,001 0,060 0,175 -0,125 0,127 0,007 0,154 -0,097 0,037 0,084 -0,001 -0,097 0,96 2,02 -2,50 -7,71 1,94 8,51 -4,16 2,46 1,72 2,97 -4,55 2,83 0,93 -1,19 -2,88 Constante Population moyenne en 1971-75 (logarithme) Proportion de population rurale, moyenne 1971-75 Revenu par tête au début de chaque sous-période de 5 ans Coefficient d’investissement (relatif au PIB) Variation des exportations des pays en développement vers l’OCDE Importance des secteurs primaires dans le PIB Variation du coefficient d’exportations (relatif au PIB) Participation des réserves en devises dans M2 Solde budgétaire (relatif au PIB) Fluctuations du taux de change réel Variation de la proportion du crédit destiné au secteur privé Indice moyen de réforme structurelle, début de chaque sous-période Carré de ce même indice moyen, début de chaque sous-période Variation de l’indice moyen de réforme durant chaque sous-période Source: Calculs de l’auteur. Origine et description des données: Escaith et Morley (2000). a b Variation annuelle du PIB par tête. Méthode des moindres carrés généralisés, pondérés et corrigés pour hétéroscédasticité. R-2: 0,83, utilisant 85 observations (17 pays, 5 sous-périodes de 5 ans entre 1971 et 1996). «grandes» entreprises des petits pays sont petites comparées à leurs concurrents régionaux et, comme beaucoup de petites entreprises, ont des difficultés à «suivre» la cadence du progrès technologique. En outre, elles doivent intégrer dans leurs processus productifs des biens et services non commercialisables produits localement à des prix souvent bien supérieurs à ceux de leurs concurrents internationaux. Dans ce contexte, une insertion réussie dans les marchés régionaux ou internationaux passe par une spécialisation suffisante pour atteindre la masse critique. Cette spécialisation se fait souvent au détriment de la complémentarité avec le reste de l’économie nationale. Structure des marchés L’étroitesse des marchés et son implication en terme de compétitivité-coûts ont des conséquences importantes sur l’organisation des marchés intérieurs. Le domaine des entreprises viables dans les secteurs exposés à la concurrence extérieure est plus réduit, en raison des coûts unitaires de production. Les secteurs protégés tendent à se caractériser par une structure monopolistique qui est d’autant moins contestée que les coûts initiaux d’entrée dans ces petits marchés sont relativement importants, comparés aux revenus escomptés. Cette tendance monopolistique des marchés internes appelle une intervention publique –soit c) spontanée, soit forcée de l’extérieur par les accords commerciaux multilatéraux– afin de corriger les failles de marché et réguler la concurrence. Or, pour des raisons financières et en raison du manque de spécialistes, la fonction publique locale est rarement capable d’assumer les complexes implications légales et techniques d’une telle régulation. Les conséquences en termes de moindre efficience des marchés créent alors une situation sous-optimale d’un point de vue économique. L’étroitesse des marchés du travail et la moindre diversification des activités productives impliquent d’importants coûts de friction et d’ajustement. En période de croissance, les entreprises ont des difficultés pour recruter la main-d’œuvre qualifiée nécessaire. Par contre, en situation de récession, les alternatives d’emplois sont d’autant réduites que les activités sont peu diversifiées. Le chômage induit est difficilement résorbé et les chocs ont tendance à être persistants.3 Ce dernier point est spécialement important lorsque l’on considère les coûts sociaux de l’éventuelle restructuration productive qu’une ouverture au libreéchange pourrait rendre nécessaire. 3 Les petites économies sont d’ailleurs caractérisées par une forte émigration de leur main-d’œuvre. LES PETITES ÉCONOMIES D’AMÉRIQUE LATINE ET DES CARAÏBES • HUBERT ESCAITH 132 REVISTA DE LA CEPAL d) Gouvernance La taille réduite des marchés présente aussi des avantages liés aux déséconomies d’échelle en termes de coûts de transaction et de supervision. Dans un contexte où l’information sur les partenaires commerciaux (clients, fournisseurs) est facile d’accès, les coûts associés à l’asymétrie de l’information et au risque moral diminuent. La réputation et la pression du milieu pour se comporter selon les règles éthiques acceptées substituent en partie la nécessité de mettre en place un système formel de régulation et de surveillance. La petite taille des populations joue également en faveur d’une plus grande cohésion sociale et d’une plus grande implication des citoyens dans la gestion de la chose publique.4 Cependant, ces fruits ne sont récoltables que si un minimum de conditions de gouvernance est réuni, ce qui est loin d’être le cas dans la région.5 2. Vulnérabilité Au-delà des différences en niveaux de développement ou de croissance, les petites économies comme groupe sont intrinsèquement plus vulnérables aux chocs externes. En fait, la vulnérabilité est une des principales dimensions de l’analyse des relations entre taille et bienêtre économiques dans le contexte d’économies ouvertes, à telle enseigne que de nombreux petits pays ont tenté, sans succès pour le moment, d’introduire cette notion comme critère alternatif de différenciation dans la clause d’habilitation élargissant le traitement réservé aux pays moins avancés dans les accords de l’OMC. Trois facteurs interdépendants peuvent être distingués, qui répondent aux dimensions géographiques, démographiques et économiques. La conjonction des dimensions géographique et démographique se traduit par de fortes densités de population qui accroissent la pression sur les ressources naturelles, menaçant le fragile écosystème. Haïti en est l’exemple le plus extrême, mais la vulnérabilité écologique est présente dans de nombreuses petites économies de la région. Leur localisation dans des régions tropicales sujettes à des désastres naturels (ouragans, phénomènes sismiques ou volcaniques) 4 Déjà Aristote mentionnait cette cohésion comme une force des États, notion reprise maintes fois par les auteurs du XVIIIe siècle (Real de Azúa, 1977). 5 Comme peuvent en témoigner les guerres civiles qui ont ravagé l’Amérique centrale, les conflits ethniques et religieux dans les Caraïbes et les fractures de la société équatorienne. • NUMÉRO SPÉCIAL complique encore le problème. Ces catastrophes naturelles sont récurrentes et chaque occurrence touche un pourcentage important de la population, pouvant aller jusqu’à inclure la totalité du territoire. Dans certaines îles des Caraïbes, les dommages infligés à l’infrastructure et aux activités productives peuvent dépasser la valeur du PIB. Dans cette situation, la capacité des autorités nationales pour faire face à l’urgence de la situation et assumer les coûts de la reconstruction est dérisoire. Sur le point spécifique de la vulnérabilité sociale, une attention particulière doit être portée aux petites îles en voie de développement des Caraïbes, qui sont parfois utilisées comme points de transit ou de blanchiment d’argent par les trafiquants internationaux de stupéfiants. La criminalité interne associée au commerce et la consommation de stupéfiants minent les systèmes judiciaire et financier, et corrompent finalement l’ensemble des institutions qui participent de la gouvernance. La fragilité sociale de ces îles et les implications sur la gouvernance est rendue encore plus aiguë par les fractures sociales et culturelles qui prennent leurs racines dans des sociétés où existent une répartition inégale des revenus et des clivages difficilement réductibles fondés sur l’ethnie ou la religion. La dimension économique de la vulnérabilité des petites économies est fortement liée à l’importance relative du commerce international et à la faible diversification de leurs exportations. Le coefficient d’ouverture commerciale (importations plus exportations de biens et services) des petites économies d’Amérique latine et des Caraïbes s’élève à 85 pour cent du PIB, contre seulement 30 pour cent pour les autres économies de la région (CEPALC, 1996). En outre, ces exportations sont concentrées dans un petit groupe de produits et de marchés, créant les conditions d’une forte volatilité des revenus en devises provenant des ventes extérieures. Comme le coefficient d’ouverture est très élevé et que ces petites économies sont extrêmement dépendantes des importations pour satisfaire une grande partie de leur demande intérieure, les fluctuations des revenus d’exportation, qui sont généralement insuffisants même en période normale pour financer les importations, ont un impact important sur l’activité interne et la génération des revenus intérieurs. La nature préférentielle de l’accès des produits d’exportation sur les marchés européens ou nordaméricain (Accords de Lomé, Initiative du Bassin caraïbe) les rendent en outre dépendants de la continuité LES PETITES ÉCONOMIES D’AMÉRIQUE LATINE ET DES CARAÏBES • HUBERT ESCAITH REVISTA DE LA CEPAL des préférences unilatérales accordées. Or l’esprit même de ces préférences se voit de plus en plus contesté par les nouvelles règles régissant le commerce international depuis la conclusion des négociations d’Uruguay. La spécialisation dans des produits sensibles, tels que les produits agricoles, les textiles et l’habillement, fait que les marchés d’exportations sont vulnérables aux réactions protectionnistes des économies développées. En outre, les produits manufacturés exportés par les pays d’Amérique centrale et des Caraïbes (en provenance des maquiladoras) ont une faible intensité capitalistique et, par conséquent, les entreprises de sous-traitance se délocalisent aisément et sont très sensibles à des petites variations de coûts comparatifs de production. Cependant, cette grande vulnérabilité aux perturbations externes d’origine commerciale est compensée par une relative immunité aux chocs d’origine financière, qui ont été la cause principale des dernières crises économiques en Amérique latine. Grâce au faible développement de leur marchés financiers, les petites économies n’ont pas attiré l’intérêt des capitaux spéculatifs dont l’ampleur des flux et leur volatilité ont été la cause de grandes variations tant de prix relatifs –via les écarts de taux de change réel– comme de transfert de revenus. Il est intéressant de noter que la grande vulnérabilité externe, d’origine commerciale, inhérente aux petites économies de la région les a amenées à adopter des politiques macro-économiques généralement plus prudentes que celles de leurs voisins. Grâce à ce relatif conservatisme et à leur isolement des mouvements spéculatifs de capitaux, au cours des vingt dernières années, les fluctuations observées de la croissance des petites économies de la région sont en moyenne inférieures à celles enregistrées pour les pays de plus grande taille. Ce résultat confirme ainsi l’importante contribution de la cohérence et de la qualité de la politique macro-économique sur les résultats de la croissance de long terme, observée sur l’ensemble de la région (Escaith et Morley, 2000). 3. Politiques économiques Tant leur taille que leur ouverture sur l’extérieur impriment un caractère distinctif aux politiques économiques suivies par les petites économies de la région. Plus qu’à un choix volontaire, ce caractère répond aux marges de manœuvre réduites qu’impliquent des marchés intérieurs incomplets et l’ouverture sur l’extérieur incluant non seulement le • NUMÉRO SPÉCIAL 133 commerce, mais aussi les marchés des changes. L’étroitesse des marchés financiers locaux et la faiblesse de l’épargne interne renforcent le classique «trilemme» des économies ouvertes, où la liberté des échanges, la stabilité du taux de change et l’autonomie de la politique monétaire sont des objectifs globalement incompatibles. Dans ces conditions, face à un choc récessif, il est très difficile aux autorités nationales de lisser la demande intérieure par une expansion du financement interne, sans risquer de déstabiliser l’économie.6 La stabilité du taux de change est un des objectifs dominants dans ces petites économies très ouvertes au commerce international. Durant la période 1989-2000, l’écart type des indices du taux de change réel (normalisés à une valeur 100 pour 1995) a été de 11 pour les petites économies, contre 21 pour les autres pays. La plupart des petites économies ont maintenu une parité fixe longtemps après la fin de l’étalon dollar défini par Bretton Woods. Si, en Amérique centrale, le Costa Rica fut le premier pays à dévaluer (décembre 1980), ce fut un cas isolé et les parités fixes restèrent la norme durant les années 80, au prix d’une multiplicité de taux de change, de contraintes non tarifaires aux importations et de l’accumulation de déséquilibres croissants de la balance des paiements. Dans les Caraïbes, les principales économies (Jamaïque, Guyana, Trinité-et-Tobago, République dominicaine, Haïti) essayèrent aussi de maintenir leur parité cambiaire en dépit de déséquilibres internes et externes alarmants, qui finalement entraîneront dévaluations à chaud et la mise en place de programmes d’ajustement. Cependant, les plus petites économies des Caraïbes ont réussi à conserver une parité stable (premièrement avec la livre, ensuite avec le dollar), soit dans le cadre d’un régime normal de taux fixe (Barbade, Bahamas, Belize), soit dans le cadre d’un système monétaire de conversion géré par la Banque centrale des Caraïbes orientales qui réunit six pays. Cette stratégie n’a été possible que grâce au conservatisme de la politique macro-économique et aux transferts de ressources, soit directs (aide au développement) soit par le biais d’accords commerciaux préférentiels (protocoles spécifiques prévus dans les Accords de Lomé avec la Communauté européenne). En Amérique du Sud, pour 6 Néanmoins, cette moindre capacité de réaction de la politique macro-économique face aux chocs externes ne s’est pas traduite par une plus grande fluctuation des taux de croissance, certainement grâce à l’isolement des petites économies des flux de capitaux spéculatifs. LES PETITES ÉCONOMIES D’AMÉRIQUE LATINE ET DES CARAÏBES • HUBERT ESCAITH 134 REVISTA DE LA CEPAL des raisons géographiques et historiques, la politique macro-économique des petites économies pendant les années 80 est restée proche de celles suivies par leurs grands voisins. L’ancrage du taux de change y fut de même généralement pratiqué dans les efforts de stabilisation des années 1990. La politique budgétaire est, elle aussi, peu autonome en raison de la fragilité des finances publiques et de leur dépendance externe. D’une part, les petits pays souffrent en règle générale de déficits budgétaires plus importants que chez leurs grands voisins. D’autre part, les recettes courantes du gouvernement proviennent en grande partie des taxes sur le commerce extérieur. À cela, il faut ajouter que dans les petits pays de moindre développement relatif, l’investissement public s’appuie sur une aide externe proportionnellement plus élevée, relativement au contexte régional. • NUMÉRO SPÉCIAL On peut constater dans le tableau 4 que les pays les plus vulnérables aux fluctuations économiques, selon la double classification de déficit budgétaire et de dépendance externe, sont pratiquement tous de petites économies. Ainsi la façon de concevoir la politique macro-économique dans les petites économies reste-t-elle très réactive, et plus qu’ailleurs, son ambition est de maîtriser l’inflation et de préserver la stabilité nominale du taux de change, deux objectifs fortement interdépendants dans de telles économies. D’ailleurs, les faits montrent que les petites économies ont moins souffert de l’inflation ou de la dévaluation que leurs grands partenaires régionaux (CEPALC, 1996). Cependant, ces limitations structurelles à l’utilisation active de la politique macro-économique de court terme n’impliquent pas l’impossibilité d’avoir une politique publique de développement. Ainsi les restrictions budgétaires n’ont-elles pas empêché TABLEAU 4 Amérique latine et Caraïbes: Situation budgétaire et dépendance des recettes douanières (Moyennes 1995-1999) Soldes budgétaire Surplus ou léger déficit Déficit modéré b Déficit important c a Dépendance des Recettes douanières Réduite Trinité-et-Tobago El Salvador Mexique Bolivie Brésil Costa Rica Uruguay Modérée Chili Argentine Barbade Guatemala Panama Paraguay Pérou Équateur Guyana Élevée République dominicaine Antilles néerlandaises Saint-Kitts-et-Nevis St. Lucie St. Vincent-et-les-Grenadines Venezuela Antigua-et-Barbuda Bahamas Belize Colombie Dominique Grenade Haïti Honduras Nicaragua Jamaïque Source: Escaith et Inoue (2001). a b c Excédent budgétaire ou déficit inférieur à 1 pour cent du PIB. Déficit compris entre 1 et 2 pour cent du PIB. Déficit moyen supérieur à 2 pour cent du PIB ou fortement instable. LES PETITES ÉCONOMIES D’AMÉRIQUE LATINE ET DES CARAÏBES • HUBERT ESCAITH REVISTA DE LA CEPAL certaines petites économies, en particulier au Costa Rica et dans les Caraïbes anglophones, de mettre en place des programmes d’investissement dans le capital humain (santé et éducation) ou des instruments fiscaux d’une politique agressive d’exportation. Faute de pouvoir financer de coûteux programmes d’aide au développement industriel, de nombreuses petites économies ont accordé des subventions à l’investissement productif sous la forme d’exemption d’impôts, tant directs qu’indirects. C’est en particulier le cas pour les activités de maquiladora qui se sont installées dans des zones franches, tant en Amérique centrale qu’aux Caraïbes. Certains pays ont co-participé au développement de l’infrastructure nécessaire aux nouvelles activités, comme ce fut le cas en République dominicaine dans le cadre de son programme de promotion du tourisme. Ces actions représentent des coûts importants, en termes de dépenses budgétaires ou de manque à gagner fiscal.7 Cependant, ces programmes d’incitation sont fréquemment nécessaires pour contrebalancer les • NUMÉRO SPÉCIAL 135 handicaps structurels propres aux petites économies (déséconomies d’échelle, coûts d’externalités) qui augmentent les coûts de production et affaiblissent la compétitivité internationale des productions locales. Le fait est qu’ils furent bien souvent la clef du succès des programmes de diversification des exportations non traditionnelles des petites économies d’Amérique centrale et des Caraïbes (Stallings et Peres, 2000). Les nouvelles conditions du marché international, en particulier les règles définies dans le cadre des négociations d’Uruguay et des accords internationaux et multilatéraux qui en découlèrent, sont particulièrement sensibles pour ces économies, dont la stabilité des finances publiques dépend de tarifs douaniers en voie de réduction et l’insertion dans l’économie internationale, de subventions à l’exportation dont l’usage se voit de plus en plus contraint. La qualité de cette insertion et les conditions dans lesquelles elle s’opère présentent une série de défis, mais aussi d’opportunités, qui conditionnent en bonne partie la définition des options de politique économique. II Défis et opportunités 1. Mondialisation, libre-échange et intégration régionale Selon l’orthodoxie économique, les petites économies sont censées être les principales bénéficiaires du libreéchange: les tenants de la mondialisation avancent que les désavantages de la taille peuvent être compensés par l’intégration régionale et l’internationalisation des activités productives. L’ouverture des marchés permet de surmonter ces handicaps car les petits pays, grâce à une moindre inertie structurelle, seraient plus à même de montrer la flexibilité nécessaire pour s’adapter aux conditions de la concurrence internationale, dans la mesure où leurs gouvernements adoptent les «bonnes» politiques. Hélas, ces perspectives optimistes sont plus qu’incertaines, et un survol de la littérature théorique 7 Par exemple, en République dominicaine, les fonds d’appui au développement d’infrastructure hôtelière se sont élevés à 1,1 pour cent du PIB en 1986, alors que le manque à gagner en termes d’impôts exemptés a oscillé, selon les années, entre 5 et 9 pour cent des recettes fiscales au Costa Rica (Escaith et Inoue, 2001). sur l’impact du libre-échange sur le bien-être économique ne permet pas de dégager un consensus sur ses conséquences pour les petites économies (Escaith et Pérez, 1999). Rodriguez et Rodrik (1999), faisant une lecture critique des travaux empiriques publiés sur le sujet, concluent que les résultats présentés ne sont pas plus convaincants. Plus concrètement, bien des dirigeants des petites économies ont émis des réserves sur la capacité de leurs pays de bénéficier pleinement de l’initiative de créer une large Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA), suite au processus entamé au Premier Sommet des Amériques tenu en 1994 pour encourager l’intégration commerciale de l’ensemble des économies du continent. Les limitations structurelles confrontées par les petites économies réduisent, selon eux, les bénéfices potentiels que peuvent attendre leurs (petites) entreprises de l’extension des marchés d’exportation, alors que l’augmentation de la concurrence de grandes entreprises extérieures laisse craindre pour leur survie. Ces doutes ne doivent pas cacher les bénéfices nets que peuvent apporter les nouveaux flux de commerce LES PETITES ÉCONOMIES D’AMÉRIQUE LATINE ET DES CARAÏBES • HUBERT ESCAITH 136 REVISTA DE LA CEPAL et d’investissement, en particulier si on prend en compte les coûts d’opportunité de la non-intégration. En fait, les petites économies d’Amérique centrale et des Caraïbes n’ont pas beaucoup d’options alternatives à intégrer la ZLEA, instance qui devrait résulter de la signature (prévue pour 2005) de cet accord de libreéchange: en refusant de jouer les règles du libreéchange, elles courraient le risque de s’isoler des marchés qui constituent maintenant la partie la plus importante et la plus dynamique de leurs exportations. Même si ces pays bénéficient aujourd’hui d’un traitement approchant, bien que soumis à de nombreuses restrictions, celui du Mexique dans le cadre de leurs exportations aux États-Unis, leur marginalisation de la ZLEA impliquerait que ces privilèges, accordés unilatéralement, pourraient être unilatéralement révoqués. La seule existence de cette possibilité réduirait les gains qu’ils peuvent attendre de la libéralisation du commerce, et particulièrement des mouvements d’investissement. 2. Coûts et bénéfices escomptés Du point de vue d’une petite économie, mettre en balance les coûts et bénéfices potentiels devrait aboutir à établir la liste suivante: Échanges créateurs contre détournement du commerce Le cas est classique et fait référence à l’existence de barrières tarifaires qui détournent les flux de commerce existants, en faveur d’un autre membre de la zone de libre-échange et au détriment de partenaires extérieurs initialement plus compétitifs. Dans ce contexte, et prenant en considération l’ensemble des coûts de transaction, la formation d’une zone de libreéchange entre partenaires comparables devrait théoriquement être une bonne chose lorsque cette zone suit les lignes naturellement dictées par la proximité (blocs «naturels»). Cette proximité, en effet, permet de minimiser les effets de détournement. Les blocs «contre nature» (c’est-à-dire englobant des partenaires improbables ou séparés par de forts coûts de transaction) sont moins susceptibles de contribuer à l’amélioration du bien-être économique des populations (Frankel, Stein et Wei, 1995). Ce dernier point est potentiellement préoccupant pour ces petites économies qui souffrent de coûts élevés de transaction, soit de par leur insularité (dans le cas des Caraïbes), soit, tout au contraire, du fait de leur enclavement (Bolivie et Paraguay). Cet état de choses deviendrait –du moins a) • NUMÉRO SPÉCIAL sous certaines hypothèses théoriques– encore plus sombre pour ces petites économies quand l’asymétrie entre les partenaires commerciaux est prise en compte. Dans un référent théorique de concurrence imparfaite, les gains obtenus de l’adhésion à une zone de libreéchange seraient en fin de compte liés à la taille relative des partenaires: les grands pays sont en général favorisés, au détriment des petites économies. Cependant, comme il a été suggéré auparavant, les petites économies n’ont pas vraiment le choix: la menace d’un détournement de commerce est un coût pour tout pays tiers qui peut voir fondre ses parts de marché s’il se maintient en dehors d’une zone de libreéchange.8 b) Association et investissement Le fait de s’intégrer une zone de libre-échange ne permet pas seulement d’étendre ses marchés (création de commerce), cela permet aussi de réduire l’incertitude quant à l’accès à ces marchés. Cette plus grande sécurité devrait à son tour se traduire par un coup de fouet aux investissements destinés à produire des biens et services exportables. Néanmoins, ce bénéfice attendu est aussi un «cadeau empoisonné» lorsque les investissements sont très spécifiques aux marchés visés et impliquent des investissements initiaux importants ou non récupérables. Comme nous verrons infra, cette situation implique à terme une perte de pouvoir de négociation qui n’est pas sans coûts. Externalités positives Les autorités macro-économiques d’un pays souffrant d’un passé d’instabilité peuvent gagner en crédibilité et réduire la perception de risque pays en s’associant avec des partenaires plus stables. Au contraire, à cause de l’effet de contagion, l’entrée de nombreux partenaires instables peut représenter un coût pour les «bons élèves», raison pour laquelle un certificat de bonne conduite macro-économique est souvent exigé comme condition d’éligibilité pour joindre une telle zone. D’autres effets induits sont envisageables, comme par exemple la consolidation du processus de réformes c) 8 La situation est cependant moins claire lorsque l’on considère l’ensemble des relations commerciales. Dans le cas des Caraïbes en particulier, qui ont un fort pourcentage de commerce avec l’Europe, joindre la ZLEA pourrait se traduire par un fort effet de détournement à l’encontre de l’Europe et une trop grande spécialisation par rapport aux États-Unis. Il serait alors préférable de maintenir un certain équilibre entre leurs deux grands partenaires commerciaux. LES PETITES ÉCONOMIES D’AMÉRIQUE LATINE ET DES CARAÏBES • HUBERT ESCAITH REVISTA DE LA CEPAL internes ou la convergence plus rapide vers les normes de qualité reconnues internationalement, ce qui devrait permettre l’ouverture de nouveaux marchés hors ZLEA (Europe, Japon). Dans la même ligne de raisonnement, l’obligation de satisfaire des critères plus stricts de protection de l’environnement devrait pouvoir ouvrir de nouveaux marchés, tout en bénéficiant également les populations locales. Ces externalités peuvent être importantes pour certains pays, lorsque l’adhésion à la ZLEA permet d’aider à consolider l’adhésion de la communauté nationale à l’exécution de programmes d’ajustement structurel et de réinsertion soutenable dans l’économie mondiale (Finger, Ng et Soloaga, 1998). Plus concrètement, l’appartenance à une grande zone de libre-échange ouvre des possibilités nouvelles de s’associer avec des pays voisins pour réaliser ensemble de grands projets, en particulier pour la production de services publics spécialisés ou particulièrement coûteux (tels que l’éducation supérieure et la formation professionnelle, l’infrastructure, la régulation des marchés, etc.). d) Dépendance Le bilan des coûts et des bénéfices est rendu encore plus compliqué lorsque l’on prend en compte des considérations d’économie politique et de rapport de forces.9 Un premier élément est la capacité de chaque pays de manipuler à son avantage les conditions de l’échange via des changements unilatéraux de tarifs ou l’instauration de restrictions non tarifaires, dans le cas où une guerre commerciale éclaterait au sein de la zone de libre-échange. Comme cette capacité dépend fortement des tailles respectives, pour une grande économie, les gains potentiels d’un conflit ouvert avec une petite économie peuvent dépasser largement les coûts immédiats. D’un point de vue dynamique, les choses se compliquent encore plus pour la petite économie, car son degré de spécialisation en fonction des relations commerciales avec le grand partenaire va être relativement plus élevé. Une fois que la spécialisation devient irréversible, son pouvoir de négociation peut être réduit à néant (McLaren, 1997). Une telle figure théorique peut être singulièrement pertinente pour caractériser les phénomènes d’industrialisation fondés sur les activités de soustraitance, tels qu’ils peuvent être observés dans certains pays des Caraïbes et en Amérique centrale. 9 Pour une analyse en ces termes du processus d’intégration régionale, voir en particulier Dabène (1998). • NUMÉRO SPÉCIAL 137 Cependant, les mêmes modèles théoriques suggèrent que, tant que l’irréversibilité n’est pas complète, la spécialisation n’est pas un handicap rédhibitoire si le grand pays attache suffisamment de poids aux gains attendus du libre-échange (Park, 2000). Cet aspect théorique peut avoir des implications intéressantes pour le petit pays en termes de stratégie de négociation et d’alliance. Effets de délais entre coûts et bénéfices D’un point de vue tant théorique que pratique, il est généralement reconnu que les bénéfices éventuels du libre-échange sont diffus et de long terme, alors que les coûts sont visibles dans le court terme et touchent quelques groupes bien spécifiques. Ce dernier point peut, en particulier, jouer contre l’adhésion à une zone de libre-échange (encore que, comme signalé supra, une fois la zone créée, les exportateurs des pays tiers ont tendance à pousser dans le sens d’une adhésion de leur pays afin de limiter les effets de détournement). D’un autre point de vue, la distribution asymétrique des coûts et des bénéfices dans le temps peut être un facteur critique si on considère la grande vulnérabilité des petites économies aux chocs externes. Dans les cas extrêmes, si l’adhésion ne se fait pas sur une base graduelle et si les chocs s’accumulent dans les premières années, la petite économie peut entrer en crise et être forcée à sortir de l’accord. D’où l’importance de considérer explicitement la vulnérabilité lorsque l’on étudie le degré de préparation des économies en vue de leur incorporation à une zone de libre-échange. e) 3. Degrés de préparation La résultante des coûts et des bénéfices de l’intégration évoqués ci-dessus dépendra en grande partie du degré de préparation de ces économies pour adhérer à une zone de libre-échange. Mesurer celui-ci est une façon d’évaluer ex ante la capacité d’une économie donnée, d’en minimiser les coûts et d’en maximiser les bénéfices. Un des premiers travaux publiés dans ce sens fut celui de Hufbauer et Schott (1994). Une des évaluations les plus complètes de ce degré de préparation est une étude réalisée par la CEPALC (CEPALC, 1996) en préparation des négociations de la ZLEA et développée dans Escaith et Pérez (1999). La méthodologie de la CEPALC reprend 55 indicateurs, regroupés en 4 catégories: éligibilité, fondamentaux, politiques et risques, eux-mêmes subdivisés selon leur nature (macro-économique, commerciale, etc.). L’étude de ces indicateurs confirme en règle générale les analyses théoriques présentées ci-dessus. LES PETITES ÉCONOMIES D’AMÉRIQUE LATINE ET DES CARAÏBES • HUBERT ESCAITH 138 REVISTA DE LA CEPAL Les petites économies ne se différencient pas de manière significative des grands pays quant à leur degré global d’éligibilité, leurs difficultés budgétaires et de balance des paiements se voyant compensées par une plus grande stabilité monétaire et de change. La situation empire cependant à prendre en compte les critères non macro-économiques, en raison de retards accumulés dans la mise aux normes internationales du droit du travail ou de protection de l’environnement. Cependant, comme nous l’avons vu, les pays des Caraïbes et de l’Amérique centrale sont en retard dans leurs réformes budgétaires et restent très dépendants des recettes douanières. Ces tarifs sont de même généralement plus élevés et plus dispersés que ceux de leurs grands voisins, impliquant une certaine propension au protectionnisme. Par ailleurs, les indicateurs fondamentaux montrent en général un retard des petites économies, ce qui appelle donc un effort plus soutenu des politiques d’aide à la reconversion et au développement industriel. Ce retard est souvent explicable par leur niveau de développement relatif ou par les restrictions imposées par la taille du marché intérieur à la diversification de l’activité industrielle. Par exemple, la participation du secteur agricole dans le PIB est en moyenne plus importante dans les petites économies et leurs • NUMÉRO SPÉCIAL exportations sont moins diversifiées. Cependant, ces indicateurs montrent une grande hétérogénéité, en partie liée aux différences de développement. Les pays d’Amérique centrale (excepté le Costa Rica) ou les petits pays d’Amérique du Sud (excepté l’Uruguay) restent à la traîne dans la formation de leur maind’œuvre comparés aux Caraïbes anglophones. Ces derniers bénéficient aussi de meilleures infrastructures de transport, énergie et télécommunication (bien que leurs coûts soient élevés). Finalement, c’est au niveau de la viabilité et du risque que les petites économies se trouvent en général dans une situation précaire, liée à leur plus grande vulnérabilité externe et à une tendance à présenter de plus grands déficits commerciaux. Cependant, les petites économies ne compensent pas cette vulnérabilité en accumulant des réserves internationales. Au contraire, ces dernières sont en général à un niveau relativement plus bas que celles des autres pays. De même, les gouvernements des petits pays dépendent pour leurs finances publiques des recettes douanières et de l’aide officielle, deux sources de revenus qui sont en danger de forte réduction avec l’avènement du libreéchange et la politique des pays industriels de substituer l’aide officielle au développement par un meilleur accès à leurs marchés nationaux. III Orientations et perspectives 1. Politique économique10 Comme il a été souvent mentionné, la vulnérabilité est une des caractéristiques centrales des petites économies. La réduire doit être une priorité, d’autant que l’intégration commerciale accompagnée par une plus grande liberté et de meilleures garanties pour les mouvements des capitaux devrait induire une situation d’instabilité pendant la période de transition. Si l’expérience des grandes et moyennes économies latino-américaines est une indication, les entrées de capitaux peuvent en particulier créer des situations de surchauffe de la demande interne et de surévaluation du taux de change qui sont dommageables à la fois à la 10 Cette section s’inspire en particulier des recommandations de la (2000). CEPALC compétitivité externe et à la stabilité du développement, l’alternance de phases d’accélération et de freinage enfermant l’économie nationale dans un piège de faible croissance moyenne. Accumuler des réserves internationales durant les phases hautes (tout en stérilisant l’effet monétaire d’une telle accumulation) afin de lisser la demande interne tout au long du cycle économique est indispensable. Une plus grande exposition au risque financier, ainsi que la tendance à renforcer les normes internationales, réclame à son tour une meilleure supervision du secteur bancaire, tant pour des raisons économiques que de sécurité publique et de politique étrangère (en particulier dans les pays qui sont la cible du trafic international de stupéfiants). Les pays fortement dépendants des revenus douaniers pour financer leurs dépenses publiques LES PETITES ÉCONOMIES D’AMÉRIQUE LATINE ET DES CARAÏBES • HUBERT ESCAITH REVISTA DE LA CEPAL doivent amorcer au plus vite une réforme fiscale, afin de renforcer les sources internes de contributions directes et indirectes et se préparer ainsi au démantèlement de leurs barrières douanières. Cette réforme, accompagnée d’une nouvelle orientation moins procyclique de la politique budgétaire, devrait viser aussi à renforcer l’épargne intérieure, un des points faibles des petites économies. Il est particulièrement important d’améliorer la qualité du contexte économique et institutionnel dans les petites économies de la région pour appuyer leur transformation productive si on considère le poids prépondérant des petites entreprises dans leur tissu industriel. Comme l’impact de la libéralisation commerciale sur les petites entreprises est pour le moins hétérogène, il y a là à la fois des opportunités de création d’activités et des risques de faillites en chaîne. Les entreprises existantes devront s’adapter ou disparaître, et il serait erroné de vouloir les protéger à tout prix. Cependant, il est aussi improbable qu’un groupe important de petites entreprises compétitives surgisse du néant pour profiter des nouvelles opportunités offertes par l’ouverture des frontières. Une politique industrielle adaptée est nécessaire pour faciliter leur émergence et pour stimuler et faciliter les adaptations stratégiques dans le cas des entreprises existantes. Ceci peut être fait de diverses manières telles que la modification et la simplification des règles administratives et fiscales ; l’aide à la formation ; des fonds d’appui à la modernisation technologique et à l’exportation. La création de zones franches et la promotion de clusters d’entreprises sont particulièrement adaptées au cas des petites économies. Celles qui ont à compenser le handicap de coûts élevés de transaction associés à leur isolement géographique (Caraïbes) doivent forcément s’appuyer sur leurs avantages naturels afin de s’insérer efficacement dans l’économie régionale et internationale. L’idée est de se fonder sur les exportations traditionnelles tout en augmentant leur valeur ajoutée et en les gérant de manière soutenable. C’est en particulier le cas du tourisme, mais cela peut s’étendre à l’exploitation d’autres produits naturels (agro-alimentaires). L’investissement en capital humain et son orientation vers la création d’avantages comparatifs dans certains créneaux du marché est aussi une réelle possibilité, comme le démontre la transition opérée au Costa Rica en direction de maquiladoras de haute technologie. La spécificité linguistique des îles de la Caraïbe anglophone et leur situation géographique se prêtent aussi à une diversification potentielle dans les secteurs • NUMÉRO SPÉCIAL 139 des services fondés sur le traitement de l’information (traitement de données, commerce et finance). Un effort spécial doit cependant être fait pour diminuer dans la mesure du possible les coûts de transaction (développement de l’infrastructure de communication, dérégulation et contrôle de la concurrence). La décennie qui s’ouvre devrait offrir de nouvelles perspectives aux petites économies pour mettre en place des politiques d’appui au développement productif. En effet, les nouvelles tendances technologiques permettent de s’affranchir partiellement des contraintes imposées par les économies d’échelles (génération électrique, télécommunications) alors que le commerce électronique peut ouvrir de nouveaux marchés. Cependant, le niveau d’investissement en capital physique et humain impliqué par la mise en œuvre de ces politiques, ainsi que les exigences techniques et régulatrices du nouveau rôle d’intermédiaire et de partenaire que joue l’État dans ses relations avec l’économie privée dépassent en règle générale les capacités des petites économies en voie de développement. En conséquence, l’aide officielle au développement reste plus que jamais nécessaire pour réussir cette insertion dans la nouvelle économie internationale, et un frein doit être mis à la tendance actuelle à sa réduction. L’aide externe est aussi requise pour pallier les risques inhérents aux catastrophes naturelles, phénomènes récurrents dans ces régions. Outre l’effet et les coûts directs des désastres, ces risques se traduisent dans des primes élevées d’assurance pour les activités productives. Pour faire face aux contingences, des fonds d’urgence doivent être mis en place, comptant avec l’aide internationale ; les efforts nationaux, quant à eux, doivent s’appliquer à délimiter les zones à risque et mettre en place un zonage rigoureux pour l’exploitation des sols. 2. Négociations commerciales Les petites économies ont plus de difficultés à représenter leurs intérêts dans les enceintes internationales. Leurs maigres ressources en personnel qualifié, soit dans les capitales, soit à Genève auprès de l’OMC , se trouvent partagées entre les multiples réunions commerciales qui abordent des sujets complexes et hautement spécialisés et, parfois, se déroulent de manière simultanée. Il leur est extrêmement difficile de s’y préparer de manière adéquate et d’y défendre leurs positions, encore plus d’y prendre l’initiative. LES PETITES ÉCONOMIES D’AMÉRIQUE LATINE ET DES CARAÏBES • HUBERT ESCAITH 140 REVISTA DE LA CEPAL Comme il a été observé, leur degré de préparation et leur capacité pour honorer les engagements pris au niveau international ou régional sont aussi souvent réduits, tant en matière de législation du travail, de protection de l’environnement ou de la propriété intellectuelle. Dans le contexte spécifique de négociations d’intégration régionale, la faible profondeur des relations industrielles intérieures fait que les petites économies ont plus de difficultés à respecter les seuils minima de valeur ajoutée d’origine régionale. Ces règles d’origine sont d’autant plus contraignantes que ces pays ont parfois un commerce important avec d’autres régions du monde (tel est le cas des économies des Caraïbes), ce qui peut provoquer un important détournement des échanges quand se matérialisera la ZLEA. En conséquence, il est généralement reconnu que les petites économies doivent pouvoir bénéficier, au moins durant une phase de transition, de traitements spécifiques et différenciés. Ceux-ci incluent, entre autres, un calendrier plus échelonné afin de pouvoir adopter de façon graduelle les obligations souscrites dans le cadre des accords commerciaux. La flexibilité doit aussi concerner les seuils (tels les minima de valeur ajoutée régionale) ou les obligations légales et institutionnelles. Les petites économies doivent également pouvoir compter sur une abondante assistance technique, tant pendant qu’après les négociations. Si ces aspects sont généralement reconnus, les négociations internationales ont jusqu’à présent insisté plus sur la réciprocité des obligations dans le cadre de l’OMC que sur la nécessaire relation entre commerce et développement, causant au passage l’échec d’une relance des négociations à Seattle à la fin de 1999. Les négociations régionales en cours paraissent plus propices, tout au moins potentiellement. Au cours du Deuxième Sommet des Amériques (18-19 avril 1998) et plus récemment durant la Cinquième Réunion des ministres du Commerce (Toronto, 4 novembre 1999), les trente quatre gouvernements concernés ont souligné la nécessité d’assurer que les différences de niveau de développement et de taille économique soient prises en considération pendant le processus de négociation de la ZLEA. Cependant, au stade actuel nul pas concret en cette direction n’a été réalisé et l’incertitude prévaut quant à la forme et à l’amplitude que de tels traitements différenciés pourraient avoir. Cet état de fait signale les difficultés des petites économies pour faire prévaloir leurs points de vue. Bien évidemment, dans ce contexte, seule l’unité des petites économies autour d’une • NUMÉRO SPÉCIAL position commune peut faire pencher la balance d’une manière décisive. Or une telle alliance est difficilement réalisable quand les trois principaux groupes de petites économies, Caraïbes, Amérique centrale et Amérique du Sud, ne partagent pas toujours les mêmes attentes ni les mêmes objectifs stratégiques. Les pays d’Amérique centrale visent bien entendu à renforcer leurs liens avec le Mexique et surtout avec les États-Unis, mais passent par une phase difficile en tant que groupe d’intégration, ce qui les fait parfois négocier en ordre dispersé. Les petites économies d’Amérique du Sud se définissent par rapport à deux pôles, le marché nord-américain, mais aussi le Mercosur et, en particulier, le Brésil. Le cas des pays des Caraïbes est particulièrement complexe. Bénéficiaires au même titre que l’Amérique centrale d’un accès privilégié au marché américain dans le cadre de l’Initiative du Bassin caraïbe (IBC), ces pays –en particulier la Jamaïque– ont principalement vu la création de l’Accord de libreéchange nord-américain (ALENA) comme une menace d’éviction de ce marché par les produits de maquiladoras mexicains. Le récent élargissement par les États-Unis des préférences aux produits textiles et de confection exportés, entre autres pays bénéficiaires de cette mesure, par les pays de l’IBC répond partiellement à cette inquiétude. Cependant, ces pays font aussi partie d’un accord avec la Communauté européenne dans le cadre des «Accords de Lomé» ancienne ou nouvelle formule, ce qui leur pose un problème spécifique.11 En effet, dans son acception ancienne, les conventions de Lomé représentaient un compromis entre aide et commerce qui prenait explicitement en compte l’asymétrie économique des partenaires, d’une part, pays ACP en développement et, d’autre part, l’Europe développée. Les conventions reconnaissaient notamment l’importance d’aider spécifiquement les pays les moins développés, insulaires ou enclavés, à tirer profit des avantages inhérents à ces accords. De nombreux pays des Caraïbes ont dépendu, et dépendent encore, des bénéfices accordés par ces conventions pour soutenir une grande partie de leur activité économique, de l’emploi et de leurs revenus. Ces conventions entrant en conflit avec les nouveaux principes régissant le 11 Il faut noter que la majorité des petites économies d’Amérique latine (Groupe andin et Amérique centrale) bénéficient d’un régime préférentiel d’accès au marché européen, comparable à celui des pays moins avancés non ACP, comme moyen de combattre le trafic de stupéfiants. L’impact de ce traitement est cependant resté marginal. LES PETITES ÉCONOMIES D’AMÉRIQUE LATINE ET DES CARAÏBES • HUBERT ESCAITH REVISTA DE LA CEPAL commerce international, les pays ACP ont finalement signé à Cotonou une nouvelle convention avec l’Union européenne, suite à de longues négociations techniques terminant en février 2000. Le nouveau système se traduira par une perte potentielle pour les pays ACP qui pourrait atteindre 2 pour cent de la valeur de leurs exportations (hors protocoles), calculée sur la base des tarifs douaniers en vigueur en 2000, Pour les protocoles portant sur certains articles (plantes, produits agroalimentaires et habillement), la perte de préférence résultant de l’application du Système généralisé de préférences ( SGP ) pourrait dépasser 10 pour cent (Groupe ACP, 1999). Pour certains pays ACP de la région, les conséquences économiques et sociales liées à la réduction progressive des subventions implicites aux conventions de Lomé et les menaces plus immédiates sur l’accès préférentiel de certains produits stratégiques (bananes) se voient compliquées par de nouvelles difficultés dans le développement de leur secteur financier extraterritorial en raison de pressions de pays de l’OCDE de réduire les privilèges fiscaux accordés à ce secteur. Or, comme l’exemple de la maquila l’indique, ces pays ont peu d’options sinon l’octroi de subventions directes et surtout indirectes, principalement moyennant des exonérations fiscales, • NUMÉRO 141 SPÉCIAL pour attirer l’attention des investisseurs étrangers et diversifier leurs activités. La stratégie optionnelle serait de faire valider par l’OMC la vulnérabilité économique, qui est une constante des petites économies, en particulier insulaires, comme clause d’habilitation afin d’élargir aux économies vulnérables les privilèges accordés aux pays moins avancés (PMA). Cette option paraît pour l’instant peu probable. Il faut rappeler que la création d’échanges commerciaux fortement spécialisés et l’asymétrie dans le pouvoir de négociation jouent en défaveur des petites économies, mais ce handicap diminue en fonction de l’intérêt que les grands pays attachent au libre-échange. Il est donc dans l’intérêt des petits partenaires commerciaux de s’attacher l’appui des groupes de pression dans les pays importateurs (groupes de consommateurs, société civile, etc.) pour limiter les risques de mesures protectionnistes arbitraires, souvent fatales pour les petites entreprises exportatrices. De même, les instances régionales de règlement des différends commerciaux doivent être les plus transparentes possibles et s’appuyer sur des règles simples, connues à l’avance, afin de minimiser les jeux de pouvoir. (Traduit de l’espagnol) Bibliographie ACP Group (1999): Conséquences pour les pays ACP de l’application du Système de Préférences généralisées, document de travail, Bruxelles, 20 avril. CEPALC (Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes) (1996): El grado de preparación de los países pequeños para participar en el ALCA, Mexico, D.F. (2000): Equidad, desarrollo y ciudadanía (LC/G.2071), Santiago du Chili. Dabène, Olivier (1998): «L’intégration régionale dans les Amériques: Économie politique de la convergence», Les Études du CERI, n° 45, Paris, septembre. Damijan, J. (1997): «Main economic characteristics of small countries: Some empirical evidence», Development and International Cooperation, vol. XIII, nº 24-25, Ljubljana, Yougoslavie, Université de Ljubljana, Faculté des sciences sociales, Centre des relations internationales. De Sierra, G. (coord.) (1994): Los pequeños países de América Latina en la hora neoliberal, Caracas, Nueva Sociedad. Escaith, Hubert et Keiji Inoue (2001): «Small economies’ tariff and subsidy policies in the face of trade liberalisation in the Americas», Thirteenth Regional Seminar on Fiscal Policy, CEPALC, Santiago du Chili. Escaith, Hubert et Sam Morley (2000): The Impact of Structural Reforms on Growth in Latin America and the Caribbean: An Empirical Estimation, Macroeconomía del desarrollo series, n° 1, Santiago du Chili, CEPALC. Escaith, Hubert et Esteban Pérez (1999): «Los países pequeños y la integración hemisférica», A. de la Reza et R. Conde (coord.), Nuevas dimensiones de la integración. Del TCLAN al regionalismo hemisférico, Mexico, D.F., Plaza y Valdés Editores. Finger, J.Michael, Francis Ng et Isidro Soloaga (1998): Trade Policies in the Caribbean Countries: A Look at the Positive Agenda, Washington, D.C., Caribbean Group for Cooperation on Economic Development, juin. Frankel, Jeffrey, Ernesto Stein et Shang-jin Wei (1995): «Trading blocs and the Americas: The natural, the unnatural and the supernatural», Journal of Development Economics, vol. 47, nº 1, Amsterdam, Pays-Bas, Elsevier Science Publishers BV. Gutiérrez, Mario A. (1996): «Is small beautiful for the economic integration: The Americas», Journal of World Trade, vol. 30, n° 4, Genève, Werner Publishing Company Ltd., août. Hufbauer, Gary et J. Schott (1994): Western Hemisphere Economic Integration, Washington, D.C., Institute for International Economics. McLaren, J. (1997): «Size, sunk costs and Judge Bowker’s objection to free trade», The American Economic Review, vol. 87, n° 3, Nashville, Tennessee, American Economic Association. Park, J. (2000): «International trade agreements between countries of asymmetric size», Journal of International Economics, vol. 50, Amsterdam, Pays-Bas, North-Holland Publishing Company. LES PETITES ÉCONOMIES D’AMÉRIQUE LATINE ET DES CARAÏBES • HUBERT ESCAITH 142 REVISTA DE LA CEPAL Real de Azúa, C. (1977): «Las pequeñas naciones y el estilo de desarrollo “constrictivo”», Revista de la CEPAL , nº 4, S.77.II.G.5, Santiago du Chili, CEPALC, second semestre. Rodriguez, F. et D. Rodrik (1999): Trade Policy and Economic Growth: a Skeptic’s Guide to the Cross-National Evidence, Cambridge, Massachussets, Harvard University, janvier. Ros, Jaime (2000): Development Theory and the Economics of Growth, Ann Arbor Michigan University Press. • NUMÉRO SPÉCIAL Salvatore, D. (1997): «The economic performance of small versus large nations», Development and International Cooperation, vol. XIII, n° 24-25, Ljubljana, Yougoslavie, Université de Ljubljana, Faculté des sciences sociales, Centre des relations internationales Stallings, Barbara et Wilson Peres (2000): Growth, Employment and Equity: The Impact of the Economic Reforms in Latin America and the Caribbean, Washington, D.C., The Brookings Institution. LES PETITES ÉCONOMIES D’AMÉRIQUE LATINE ET DES CARAÏBES • HUBERT ESCAITH