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D'
GUSTAVE
jON
'
LA
Psychologie
Politique
ET
La Défense
sociale
La
raison crée
la
science.
Les sentiments mènent
PARIS-*'
ERNEST FLAMMARION, ÉDITEUR
26,
RUE RACINB, 36
l'histoire.
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DATE DUE
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I
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JbT
1
6 19941
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4
La Psychologie
politique
et la Défense sociale
PRINCIPALES PUBLICATIONS DU D^ GUSTAVE LE BON
VOYAGES, HISTOIRE, PHILOSOPHIE
1»
Voyage aux monts Tatras,
avec une cane
et
un panorama dressés par
l'auieur (publié par la Société géographique de Paris).
Voyage au Népal,
avec nombreuses illustrations, d'après les photographies
exécuiés par l'auteur pendant son exploration (publié par le Tour
ei dessins
(lu
Monde).
—
L'Homme
et les Sociétés.
Leurs origines et leur kistoire.
Tome I*' Développement physique et intellectuel de l'homme.
Tome II
Développement des sociétés. {Épuisé.)
—
:
:
Les Premières Civilisations de l'Orient
Grand
(Egypte, Assyrie, Judée, etc.).
illustré de 430 gravures, 2 cartes et 9 photographies. (Flamma-
in-4"',
rion.)
La
Civilisation des Arabes. Grand
in-4", illustré de 366 gravures, 4 caries
11 planches en couleurs, d'après les photographies et aquarelles de l'auteur.
ei
(Firmin-Diiloi.) {Épuisé.)
Les Civilisations de
2 caries,
(Épuisé.)
d'après
et,
l'Inde. Grand in-4°, illustré de 352 photogravures
photographies exécutées par l'auteur. 2" édition.
les
Les Monuments de
l'Inde.
documents, phoiographies, plans
400 planches d'après les
de l'auteur. (Firmin-Didot.) {Épuisé.)
In-folio, iHusiré de
et dessins
Les Lois psychologiques de l'évolution des peuples.
Psychologie des foules. 1 vol. in-18. 15' édition.
Psychologie du SociaUsme. 1 vol. in-8". 6"^ édition.
Psychologie de l'Éducation. 1 vol. in-18. 13» mille.
Zo
In-18. 9' édition.
RECHERCHES EXPÉRIiVIElVTALES
La Fumée du Tabac.
2' édition augmentée de recherches nouvelles sur
l'oxyde de carbone et divers alcaloïdes nouveaux que la
fumée du tabac contient. {Épuisé.)
l'acide
La
Vie.
prussiqiie,
—
Traité, de physiologie
humaine.
—
volume
1
in-S" illustré
de 300 gravures. {Épuisé.)
Recherches expérimentales sur l'Asphyxie.
(Comptes
rendus
de
l'Académie des sciences.)
Recherches
anatomiques et mathématiques sur
variations du volume du crâne. (.Mémoire couronné
des sciences
et
par
la
les lois des
par Y Académie
Société d'.Anthropologie de Paris.) ln-8°. {Épuisé.)
La Méthode graphique
et les Appareils Enregistreurs, contenant
la description
de nouveaux instruments de l'auteur.
1 vol. in-8'',
avec
63 ligures dessinées au laboratoire de l'auteur, {Épuisé.)
Les Levers photographiques.
Exposé des nouvelles méthodes de levers
de cartes et de plans employées par l'auteur pendant ses voyages. 2 vol.
in-18. (Gaiithier-Villars.)
L'éqmtation actuelle et ses principes.
tales,
—
Recherches expérimen-
-i"^
édiiion. 1 vol. in-8°, avec, 73 figures et
phies insianianées. (Firmin-Didot.) {Épuisé.)
Mémoires de Physique.
hertziennes.
Lumière
noire.
Dissociation de la matière, etc.
un
atlas de
200 photogra-
Phosphorescence invisible. Ondes
{Revue scientifique.)
L'Évolution de la Matière (18' mille), avec 62 figures. (Flammarion.)
L'Évolution des Forces (10« mille), avec 40 figures. (Flammarion.)
L'Évanouissement de la Matière. {Mercure de France.)
des iradurtions en Anglais, .Allemand, Espagnol, Italien, Danois,
Russe, Arabe, Polonais, Tchèque, Turc, Hindostani, Japonais, etc., de
quelques-uns des précédents ouvrages.
Il existe
Bibliothèque de Philosophie scientifique
D'
GUSTAVE LE BON
LA
Psychologie
politique
ET
La Défense
sociale
La raison crée
la
science.
Les sentiments mènent
P.J.E.E.
l'histoire.
CHAMB06T
PARIS
FLAMMARION, ÉDITEUR
ERx\EST
26,
RUE RACINE, 26
1910
Droits de iraiiuction
et
de reproduclion réservés pour tous les pays,
y compris la
Suède
et la
Norvège.
n
Droits de traduction et de reproduction
pour tous
les
pays.
Copyright 1910,
by
Ernest Flammarion.
réservés
La Psychologie politique
et la Défense sociale
LIVRE
I
BUT ET MÉTHODE
CHAPITRE
I
La Psychologie politique.
La première manileslationdes progrès d'une science
de renoncer aux explications simples dont se contentent ses débuts. Ce qui paraissait d'abord facile à
comprendre devient plus tard très difficile à expliquer.
est
Les études relatives à l'Evolution de la vie des
nations ont subi la même loi. Après avoir essayé de
tout interpréter, les historiens entrevoient maintenant
qu'ils dissertaient
souvent sur des illusions nées dans
leur esprit.
Les phénomènes sociaux apparaissent aujourd'hui
des mécanismes extrêmement compliqués,
étroitement hiérarchisés et où la simplicité ne s'observe guère. L'Evolution des peuples est aussi complexe que celle des êtres vivants.
La science cherche encore les lois qui déterminent
les transformations des esjjèces et conditionnent leurs
formes successives. Les lois de l'évolution sociale
comme
1
~
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE
restent aussi peu connues.
Quelques-unes seulement
sont entrevues.
L'analyse des divers éléments dont l'agrégat constitue une société n'étant pas sortie de la phase
des généralisations vagues et des assertions conjecturales, la vision des choses dont se contentent les
théoriciens de l'inconnu demeurent très fragmentaires
encore. Dans l'enchevêtrement des nécessités dirigeant
la trajectoire de la vie d'un peuple, ils choisissent
celles qui frappent leur esprit et négligent les autres.
C'est pourquoi le récit des actes des souverains et
surtout de leurs batailles semblait devoir constituer
l'unique intérêt de l'Histoire. Tout ce qui concernait
l'existence des peuples était, il y a peu de temps
encore, dédaigné ou ignoré.
La science ne se contente plus des réponses sommaires faites jadis aux « })Our(]uoi » qui se hérissent de
toutes parts 'et dont la vie politique des nations est
remplie. Pourquoi tant de peuples surgis brusquement du néant, et remplissant le monde du bruit de
leur grandeur? Pourquoi ont-ils sombré ensuite dans
un oubli si profond que pendant des siècles tout fut
ignoré d'eux? Gomment naissent, évoluent et meurent
les dieux, les institutions, les langues et les arts? Conditionnent-ils les sociétés humaines, ou sont-ils au
contraire conditionnées par elles? Pourquoi certaines
croyances comme l'Islamisme purent-elles s'édifier
Itresque instantanément alors que d'autres mirent des
siècles à s'établir?
Pourquoi
le
même
Islamisme surde sup-
vécut-il à la puissance politique qui lui servait
port et s'étend-il toujours alors que d'autres religions
comme le christianisme et le bouddhisme semblent
décliner et côtoyer leur lin?
A tous ces « pourquoi » et à bien d'autres, les réponses
ne manquèrent jamais. >"ous ressemblons à l'enfant
auquel il en faut toujours. Mais les explications dont
pouvait se contenter une science très jeune, sa maturité ne les accepte plus.
LA PSYCIIOLOfilE POI ITIQL'E
L'âge est passé où les dieux conduisaient l'histoire.
La Providence bienveillante qui guidait nos pas
incer-
nos erreurs, s'est évanouie sans
retour. Abandonné à lui-même, l'homme doit s'orienter seul dans l'effrayant chaos de« forces ignorées qui
l'étreignent. Elles le dominent encore, mais il apprend
chaque jour à les dominer à son tour. C'est celte
domination sans cesse plus accentuée sur la nature
que désigne le mot progrès.
Maîtriser la nature ne suflit pas. Vivant en société,
l'homme doit apprendre à se maîtriser lui-même et
subir des lois communes. C'est aux chefs placés à la
tête des nations qu'incombe la lâche d'édicter ces lois
el de les faire respecter.
La connaissance des moyens permettant de gouverner utilement les peuples, c'est-à-dire la psychologie
politique, a toujours constitué un diflicile problème.
Il l'est bien davantage aujourd'hui où des nécessités
économiques nouvelles, nées des progrès scientifiques
et industriels, pèsent lourdement sur les peuples et
échappent à l'action de leurs gouvernements.
La psychologie politique participe de l'incertitude
des sciences sociales indiquée plus haut. Il faut bien
•cependant l'utiliser telle (|u'elle est, car les événements nous poussent et n'altendenl pas. Les décisions
que ces derniers provoquent ont souvent une importance considérable, car les conséquences d'une erreur
peuvent s'appesantir sur plusieurs générations. Le
siècle qui précéda le nôtre en fournit de nombreux
exemples.
Les plus importantes des règles du gouvernement
tains et
<les
réparait
hommes sont celles relatives à l'action. Quand
comment agir et dans quelles limites agir? La
agir,
réponse à ces questions constitue tout
tique.
l'art
de
la poli-
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE
Une analyse
attentive des fanlos politiques dont est
parsemée la trame de l'histoire montre qu'elles
(Mirent généralement pour causes des erreurs de psychologie.
Les arts
et
les
sciences sont
règles qu'on ne peut
d'aussi précises
impunément
pour gouverner
soumis
violer.
les
à
certaines
II
en existe
hommes. Leur
diflicile,
sans doute, puisque
est fort
peu jusqu'ici ont été nettement formulées.
Le seul véritable traité de psychologie politique
connu fut publié il y a quatre siècles par un illustre
Florentin que son œuvre rendit immortel.
Le marbre luxueux qui protège son sommeil éternel
est édifié sous les voûtes de la célèbre église SantaCrocp à Florence. Ce panthéon des gloires de l'Italie
renferme de magnifiques monuments élevés à la
mémoire des hommes qui firent sa grandeur MichelAnge; Galilée, le Dante, etc. Les mérites de ces demidieux de la pensée y sont gravés en lettres d'or.
Dans cette galerie d'illustres ombres il n'est guère
découverte
très
:
tombeau sur lequel de longues inscriptions aient
Une seule indication y figure
Machiavel, 1527. Tanto nomini nullum par elogiinn.
{Nul éloge n'égalo un tel nom).
L'œuvre qui valut à son auteur une épitaphe si glorieuse et si brève est le petit volume intitulé le Prince,
(ju'un
été jugées inutiles.
:
auquel je faisais allusion plus haut. L'illustre écrivain y formulait des règles précises sur l'art de gouverner les hommes de son temps.
De son temps et non d'un autre. C'est pour avoir
oublié cette condition essentielle que le livre tant
admiré d'abord fut décrié plus tard, lorsque les idées
et les mœurs ayant évolué, il cessa de traduire les
nécessités des âges nouveaux. Alors seulement Machiavel devint machiavélique.
Possédant
le
sens des réalités, l'éminent psychologue
LA PSYCHOLOGIE POLITIQUE
O
ne cherchait pas le meilleur, mais seulement le possible. Pour pénétrer son génie on doit se reporter à
cotte période brillante, et perverse, où la vie d'autrui
ne comptait guère et où le fait d'emporter son vin avec
soi pour ne pas être empoisonné lorsqu'on allait
dîner chez un cardinal ou simplement chez un ami
était considéré comme très naturel. Juger la politique
de cet âge avec les idées du nôtre, serait aussi illogique que <le vouloir interj)réter les croisades, les
guerres de religion, la Saint-Barthélemy. à la lumière
des conceptions actuelles.
Machiavel n'était pas un simple théoricien. Mêlé
intimement par ses fonctions à la politique active de
son pays, il avait souffert
des dissensions qui
bouleversaient les ré])ubliques italiennes, alors en
plein régime syndicaliste et sans cesse troublées par
les plus sanglantes discordes. 11 avait vu en 1502,
Florence réduite à créer un gonfalonat à vie qui
n'était qu'une véritable dictature perpétuelle, c'est-àdire du (lésarisme pur. Cette dernière forme de gouvernement lui paraissait une phase fatale de l'anarchie qu'ont toujours engendrée les gouvernements
populaires. Il ne se trompait guère, puisque toutes
les républiques
italiennes finirent, ainsi d'ailleurs
que les républiques athénienne et romaine, de la
même
façon.
La plupart des
règles relatives à l'art de conduire
hommes, enseignées par Machiavel,
sont depuis
cependant, quatre siècles
ont passé sur la poussière de ce grand mort, sans
que nul ait tenté de refaire son œuvre.
La psychologie politique, ou science de gouverner,
est pourtant si nécessaire que les hommes
d'Etat
ne sauraient s'en passer. Ils ne s'en passent donc pas,
mais, faute de lois formulées, les impulsions du
moment et quelques règles traditionnelles fort som-
les
longtemps inutilisables,
et,
maires, constituent leurs seuls guides.
De tels guides conduisent fréquemment à de coù-
•6
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SuCIALE
teuses erreurs. Napoléon, si conscient de la psychologie des Français, ignora profondément celle des
Russes et des Espagnols. Cette ignorance le jeta dans
des guerres oii tout son génie de conquérant échoua
contre un patriotisme insoupçonné qu'aucune force
n'aurait pu vaincre. Très mal conseillé, l'héritier
de son nom accumula, en Crimée, au Mexique, en
Italie et ailleurs, des erreurs de psychologie tort
graves qui nous valurent finalement une nouvelle
invasion.
Les grands manieurs d'hommes sont nécessairement
de grands psychologues. Sans la connaissance intime
de la mentalité des individus et des peuples que possédait si bien Bismarck, la supériorité des armées germaniques n'aurait certainement pas suffi à fonder
l'unité de rAllemaone.
La psychologie politique
s'édifie
avec des matériaux
divers dont les principaux sont: la psychologie individuelle,
la
[)sychologie des foules et enfin, celle des
races. Les maîtres de notre
enseignement considèrent
évidemment ces connaissances comme
fort inutiles,
puisqu'on ne les trouve mentionnées dans .aucun de
leurs programmes. A l'Ecole des sciences politiques,
on semble même ignorer leur existence. N'est-il pas
étrange qu'on puisse être reçu « docteur es sciences
politiques », sans avoir jamais entendu parler de
connaissances qui sont pourtant les vraies bases de
la
politique ?
Quelques notions traditionnelles constituant le seul
bagage psychologique des hommes d'Etat médiocres,
ils se trouvent absolument désorientés devant certains problèmes nouveaux, dont la routine ne dit pas
la solution. Les impulsions mobiles des partis devenant leurs guides, les erreurs alors commises sont
innombrables.
Très longue en serait la liste, même limitée à ces
LA PSYCHOLOGIE J'OLITIQI E
i
flernières années. Erreur
dangereuse de psychologie,
séparation de l'Eglise et de l'Etat accordant
au clergé une indépendance et une puissance que les
plus catholiques de nos rois n'auraient jamais tolérées.
Erreurs fondamentales de psychologie, nos principes
cette
d'éducation, si différents de ceux qui conduisirent
l'Allemagne, à réaliser tous ses progrès scientifiques,
industriels et économiques. Erreurs de psychologie les
idées d'assimilation auxquelles nos colonies doivent
leur décadence. E^rreur de psychologie, la mesure
introduisant dans l'armée des apaches, jadis confinés
dans des bataillons spéciaux composés d'autres ai)a-
ches et où, par conséquent, leur contact ne pouvait
contaminer personne. Erreur de psychologie aussi
lourde, la capitulation du gouvernement dans la première grève des postiers. Erreurs de psychologie
«ncore, un grand nombre de nos lois prétendues humanitaires. Erreur de psychologie toujours, cet utopique
•espoir de refaire les sociétés à coups de décrets et la
croyance qu'un peuple peut se soustraire entièrement
à l'influence de son passé.
Les forces qui déterminent les actions d'un peuple
sont assurément
complexes
forces
naturelles,
forces économiques, forces historiques, forces politiques, etc. Elles produisent finalement une certaine
orientation de nos pensées et par conséquent de notre
conduite. Ces forces si diverses se trouvent ainsi
linalement transformées en forces psychologiques.
< l'est donc
à ces dernières que toutes les autres se
ramènent.
:
Les difficultés entre peuples sont ({uelquefois assez
graves pour n'être résolues qu'à coups de canon.
L'unique droit à invoquer alors est la loi du plus fort.
Tels furent les dilîérends de la Prusse et de l'Autriche,
du Transvaal et de l'Angleterre, du Japon et de la
Russie. Mais quand il s'agit de questions secondaires.
s
les
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
influences
psychologiques
habilement
maniées
réussissent parfois à remplacer les arguments mili-
un adversaire très supérieur en puissance
dédaigner. Il frappera le sol de son épée
taires. Seul
])eut les
comme le
firent
Napoléon
et
Bismarck
et l'adversaire
n'aura qu'à se taire en attendant l'heure de la
revanche qui sonnera toujours.
Personne ne semble assez fort aujourd'hui pour
employer ces procédés sommaires. Les enchevêtrements d'alliances ne permettent plus à aucun souverain de parler comme s'il était l'unique maître.
L'aventure du Maroc a enseigné aux peuples le sort
qui les attend s'ils ne savent pas solidariser leurs faiblesses pour se défendre.
C'est donc entre forces à peu près 'égales que
s'engagent maintenant les discussions provoquées par
les incidents de la vie quotidienne. Alors la psychologie reprend son rôle et Faction des diplomates peut
devenir importante.
11 est indubitable cependant
que cette action n'est
plus aujourd'hui ce qu'elle était jadis. Instruit par le
télégraphe, le téléphone, les journaux, le public discute passionnément les moindres événements politiques,
ment
pendant que
leurs
les
diplomates échangent lente-
notes obscures.
Habitués autrefois à
négocier dans l'ombre, il leur faut actuellement
discuter en pleine lumière et suivre l'opinion au lieu
de la précéder.
Et cependant leur rôle, injustement dédaigné, garde
une certaine utilité. Des événements récents l'ont
mise en évidence.
Plusieurs questions importantes furent en effet
solutionnées grâce à des interventions diplomatiques.
Bombardement des bateaux pêcheurs anglais par des
cuirassés russes au début de la guerre avec le Japon,
affaire de Casablanca, différend austro-russe à propos
de la Serbie, etc. Si nous avions, à la veille de 1870,
possédé des diplomates moins au-dessous de la plus
LA PSYCHOLOGIE l'OLlTIQUE
9
navrante médiocrité, la guerre eût été ajournée à un
moment où nous eussions pu préparer des alliances
et non à celui choisi par l'ennemi.
C'est la psychologie politique encore qui apprend
à résoudre des problèmes posés chaque jour. Discerner, par exemple, quand il faut céder ou résister
aux exigences populaires. Selon leur tempérament,
les hommes d'Etat cèdent indéfiniment ou résistent
toujours. Détestable principe. Suivant les circonstances
il
Aucune
iliflicile,
faut savoir résister
ou au contraire céder.
partie de la psychologie
et les
politique n'est plus
conséquences des erreurs plus graves.
La Révolution française eût été peut-être évitée,
sûrement atténuée, si à l'époque de la crise agricole
et
financière de 1788
qui avait accru la misère des
classes ouvrières par la disette et le
chômage,
la classe
pas persisté à refuser l'égalité
fiscale. Il en résulta une haine intense contre les
classes privilégiées et les émeutes qui engendrèrent
la désagrégation d'un long passé.
aristocratique n'eût
Frappé autrefois de l'absence d'ouvrages spéciaux
sur la psychologie politique, j'espérais toujours voir
combler cette lacune.
Après dix années presque exclusivement consacrées
aux expériences de physique d'où mon livre surT^'uoliition
viatièro
de
la
sorti, ces
recherches
est
devinrent trop coûteuses pour être continuées. Je dus
donc les abandonner et me résignai à reprendre d'anciennes études. Désireux d'appliquer à la politique les
principes exposés dans plusieurs de mes précédents
ouvrages, je priai mon éminent ami le professeur Ribot
de m'indiquer les traités de psychologie politique
publiés, pendant le dernier siècle. Sa réponse m'apprit
qu'il n'en existait pas. Mon étonnement fut le même
que lorsque quinze années auparavant, voulant entreprendre l'étude de la psychologie des foules, je
10
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET IiÊFENSE SOCIALE
qu'aucun écrit n'avait paru sur ce sujet.
Ce n"est pas, certes, que les dissertations politiques
aient jamais manqué. Elles abondent au contraire
depuis Aristote. mais leurs auteurs furent le plus souvent des théoriciens, étrangers aux réalités de leur
temps et ne connaissant que l'homme chimérique
enfanté par des rêves. Ni la psychologie, ni l'art de
gouverner n'ont rien à leur demander.
L'absence d'ouvrages classiques sur un tel sujet et
la non-existence de chaires consacrées à son ensei2:nement prouvent que son utilité n'apparaît pas
clairement. 11 était donc nécessaire de la démontrer.
Ce sera un des buts de ce livre.
constatai
'
La psychologie politique s'édifie, je l'ai dit plus
haut, sur des matériaux tirés de l'étude de la psychologie individuelle, de celle des foules, de celle
des peuples et enfin des enseignements de l'hisloiro.
Plusieurs de ces matériaux commencent à être connus,
mais ils ne sont pas le monument lui-même.
Dans l'état actuel de nos connaissances, la politique
ne peut être qu'une adaptation journalière de la
conduite à des nécessités. Rationnelles ou non, il
n'importe si ce sont des nécessités. Les préjugés
héréditaires d'un peuple et ses croyances religieuses
peuvent être déclarées absurdes par la raison, mais
un véritable homme d'Etat ne tentera jamais de les
combattre, sachant qu'il ne peut le faire utilement.
Seuls, des théoriciens, ignorants des réalités, croient
que
la raison
mera
pure gouvernera
hommes. En
le
inonde
et transfor-
prépare
lentement les changements qui, à la longue, transformeront nos âmes, mais son action immédiate est
très faible. Fort peu de choses peuvent être changées par elle brusquement.
La psychologie politique est encore, nous l'avons
dit, dans l'âge des incertitudes. Cependant des règles
se
empiriques souvent, mais pourtant très sûres
dégagent chaque jour. Ce n'est pas en les formu-
—
les
réalité,
l'intelligence
—
L.V
It
PSYCHOLOGIE POIITIQL'E
qu'on saurait pi'ouver leur valeur, mais bien eu
uiontraut les conséquences de leur ignorance. Ce sera
encore un des buts que je me propose.
Le développement des principes qui m'ont servi
laiit
de guide exigerait des commentaires que les dimensions de ce livre ne comportent pas; on les trouvera,
longuement exposés dans mes ouvrages antérieurs'.
Je me suis presque exclusivement confiné dans ce
livre à l'application des règles déterminables de la
psychologie politique aux événements contemporains.
Même limité à cette période très circonscrite, le sujet
souvent me
était encore si vaste qu'il m'a fallu
contenter d'indications sommaires. Examiner le rôle
de la psychologie politi(jue dans l'histoire des peuples,
dans la formation de leurs croyances, dans les lottes
guerrières qui forment la trame de leur passé aurait
nécessité plusieurs volumes.
Ayant à traiter des sujets un peu arides, capables,
par conséquent, d'effrayer le lecteur et d'épuiser facilement son attention, j'ai cherché à éviter les formes
trop didactiques. Les propositions les plus sérieuses
gagnent souvent à être présentées dans un cadre peu
sévère.
Un
des chapitres de cet ouvrage, consacré à décrire
de la persuasion, montre le rôle prépondérant de la répétition. C'est la conviction de son
utilité qui m'a incité à répéter parfois les mêmes choses
en termes peu différents. Je regrette que le défaut de
place m'ait empêché de le faire davantage. Napoléon
exagérait peu en disant que la répétition est la seule
les facteurs
1.
1"
Pour
les principes généraux, voir
orir/ines et leur histoire, 2 vol
tion
des
Peuples, in-18,
{!)"
in
8".
édition).
:
IJ Homme et les Sociétés, leurs
Les Lois psycholof/if/nes de l'Evolu-
La
Pstjcholiigie
des
Foutes, in-JS.
(15'= édition). Psi/cholof/ie
du Socialisme. m-H", {(>' éihùon). Psi/cholotjie de
l'éducation. (11= édition). 2° Pour les applications de la psychologie à l'his-
toire, voir
tion
:
Les premières cinilisations
des Arabes,
in-'i".
de l'Orieid, in-i".
Les Civilisations de i'huh\ in-'i".
La
Civilisa-
12
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
figure sérieuse de rhétorique.
d'affirmer qu'elle constitue
Il
est
un des
au moins permis
jilus actifs
facteurs
des convictions.
Tous les grands hommes d'Etat ont été conscients
de sa puissance. C'est au moyen de répétitions innombrables que l'empereur d'Allemagne réussit à persuader ses sujets de l'utilité des sacrifices nécessaires
à la construction d'une grande Hotte de guerre. L'aneion
Président des Etats-Unis, M. Roosevelt, écrit donc
« Toutes les grandes vérités fondamentrès justement
tales risquent de sonner comme des choses rebattues
:
et pourtant, toutes rebattues qu'elles soient, elles ont
besoin d'être réitérées encore et toujours
Si les
répétitions
sont nécessaires
».
pour répandre
des vérités connues, combien n'en faut-il pas ])0ur
des vérités neuves; je l'ai plus d'une
fois expérimenté. Les apôtres qui. dans le cours des
âges transformèrent nos conceplions et nos croyances
n'y ont réussi que par des répétitions incessantes.
C'est qu'en effet le vrai mécanisme des convictions
diffère profondément de celui qu'enseignent les livres.
Fort utile pour des démonstrations scientifiques, le
raisonnement ne joue qu'un rôle très faible dans la
genèse de nos croyances. Les idées ne s'imposent
nullement par leur exactitude, elles s'imposent seulement lorsque par le double mécanisme de la répétition et de la contagion, elles ont envahi ces régions
de l'inconscient où s'élaborent les mobiles générateurs
de notre conduite. Persuader ne consiste pas simplement à prouver la justesse d'une raison, mais bien
à faire agir d'après cette raison.
faire accepter
CHAPITHE
II
Les nécessités économiques
.
et les tiiéories
politiques.
Les images évoquées dans l'esprit par des rcTils
impressionnent médiocrement et c'est pourquoi les
difîérences du })assé et du présent n'apj>araissent
jamais bien clairement.
On ne se représente nettement les choses abstraites
qu'en les comparant à des impressions concrètes déjà
ressenties. Qui a vu une bataille ou un naufrage sei"a
toujours inipi'essionné par le récit d'événements semblables.
du passé par voie de compaconcrète me fut rendue très frappante un
jour dans les circonstances que voici
Les hasards d'une excursion m'avaient conduit à
traverser en automobile le [»ont jeté sur le tieuve qui
divise en deux villes l'antique cité de Huy, en Belgique. Un brouillard tellement intense l'enveloppait
qu'il fallut s'arrêter. Je descendis et m'accoudai au
Cette représentation
raison
:
parapet.
Sous l'épais manleau de brume envelo|»pant les
choses on entrevoyait des masses monumenlnles
imposantes. C'était pour moi l'inconnu. J'attendis
qu'il se dévoilât.
Soudain, un clair rayon de soleil dissi[)a les nuages
dans une vision imprévue, surgirent, séparés par
fleuve, deux mondes, deux expressions de l'huma-
et,
le
V
l'SVCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE
en face rune de l'autre cl (|u"au |»remier coup d'œil on devinait meimçanles. inconciiiilé (Ij-cssées
liables et teiTil)les.
Sur la rive gauche un agrégat d'antiques édifices.
Dominant leur ensemble, un gigantesque château
fort aux lignes rigides et une majestueuse cathédrale,
dont la piété ardente de nombreuses générations
pendant
avait
des
siècles
lentement festonné les
contours.
Sur
face à ces grandes synd'un autre âge. se développaient les murs
tristes et nus d'une immense usine de briques grisâtres, surmontée de hautes cheminées, vomissant
des torrents de fumée noire sillonnée de flammes.
A intervalles réguliers une porte s'ouvrait, livrant
jiassage à de longues théories d'hommes hirsutes,
couverts de sueur, la mine harassée, l'œil sombre.
Fils d'ancêtres dominés par les dieux et les rois, ils
n'avaient changé de maîtres que pour devenir les. serla rive droite, faisant
thèses
viteurs du fer.
Et c'étaient bien deux mondes, deux civilisations en
])résence, obéissant à des mobiles différents,
animés
un passé déjà mort, mais
volontés encore. De l'autre.
d'autres espoirs. D'un côté,
dont nous subissons les
un présent chargé de mystères
flancs un avenir inconnu.
Ils
existèrent toujours, ces
et
portant
deux mondes,
et
dans ses
constam-
ment hostiles, mais <les sentiments semblables, une
foi commune, comblait souvent l'abîme qui les séparait.
Aujourd'hui,
foi
et
sentiments ont disparu ne
que l'atavique hostilité du pauvre
contre le riche. Libérés graduellement des croyances
et des liens sociaux du passé, les travailleurs modernes
laissant
debout
révèlent de plus en plus agressifs et oppressifs,
les civilisations de tyrannies collectives qui
feront peut-être regretter celle des pires despotes.
Ils parlent en maîtres à des législateurs qui les flattent
servilement et subissent tous leurs caprices. Le
se
menaçant
XECESSITES ECONOMIQUES ET THEORIES POLITIQUES
15
poids du nombre cherche chaque jour davantage à se
subsliluer au poids de rinlolligence.
La vie politique est une adaptation <les sentimenls
de l'honime au milieu qui Fenloure. Ces sentimenls
varient peu, caria nature humaine se transforme fort
lentement, tandis que le milieu moderne évolue rapidement en raison des progrès continuels de la science
et de l'industrie. Quand rambiam^e extérieure se
modilie trop vite, l'adaptation
est
difficile
et
il
en
résulte le malaise général observé aujourd'hui. Faire
cadrer la nature de l'homme avec les nécessités ile
tout ordre qui l'étreignent, et dont il n'est pas maître,
constitue un problème sans cesse renaissant et toujours ])lus ardu.
Le monde ancien et le monde moderne diffèrent
profondément par leurs pensées et leurs modes d'existence. Les éléments nouveaux qui nous mènent ne
dérivent pas de raisonnements abstraits et n'oscillent
nullement au gré de nos espérances ou de nos conceptions logiques. Ils sont les résultats de nécessités
que nous subissons, et ne créons pas.
L'âge actuel ne dilTère point de ceux qui l'ont précédé, par les rivalités et les luttes, car ces dernières
naissent dépassions qui ne varient guère. La différence
réelle porte principalement sur la dissemblance des
facteurs qui font aujourd'hui évoluer les peuples.
C'est ce point essentiel que je vais essayer de marquer maintenant.
Les véritables caractéristiques de ce siècle sont
d'abord, la substitution de la puissance des facteurs
économiques à celle des rois et des lois. En second
lieu, l'enchevêtrement des intérêts
entre peuples
jadis séparés et n'ayant rien à s'emprunter.
Ce dernier phénomène, d'origine relativement récente, a une importance considérable. Les peuples
ne sont ]>lus comme jadis isolés et à peu près
:
10
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
dénués de relations commerciales. Ils vivent tous
uns des autres et ne pourraient subsister les uns
les
sans les autres. L'Angleterre serait vite réduite à la
lamine si elle était entourée d'un mur empêchant
l'ai-rivée des matières alimentaires cju'elle va chercher au dehors et paie avec d'autres marchandises.
Ces conditions nouvelles d'existence permettent de
tous les grands mouvements
commerciaux qui transforment la vie
des nations, créent la richesse sur un point, la paupressentir que dans
industriels et
vreté sur d'autres, l'influence des gouvernements, si
considérable autrefois, devient cha(jue jour plus faible.
Convaincus eux-mêmes de leur impuissance, ils
suivent les mouvements et ne les dirigent plus. Les
forces économiques sont les vrais maîtres et dictent
les volontés populaires auxquelles on ne résiste guère.
Il y a soixante ans un souverain était encore assez
])uissant pour décréter le libre-échange dans son
jiays. Aucun n'oserait même le tenter aujourd'hui.
Oue la protection, condamnée par la plupart des
économistes, soit bonne ou nuisible il importe peu.
Elle répond aux volontés poimlaires de l'heure présente et
cette heure est entourée de nécessités
trop accablantes pour que les hommes d'Etat songent
beaucoup à
Ils
l'avenir.
se font d'ailleurs souvent illusion sur les con-
séquences de leur intervention. Ces chefs dociles
d'armées très indociles, obéissent loujours et ne com-
mandent plus.
Dans une séance du 11 mars 1910, M. Méline assurait devant le Sénat que le libre-échange avait ruiné
anglaise, dont la production de blé a
baissé de plus de moitié en un demi-siècle, alors que
l'agriculture
le régime de la protection, la France qui, en
1892, avait un délicit alimentaire de 095 millions l'a vu
disparaître et remplacé par un excédent de 5 millions,
permettant d'exporter du blé au lieu d'en importer.
Le célèbre économiste attribue naturellement au
sous
NECESSITES ECONOMIQUES ET THEORIES POLITIQUES
17
régime de la protection, dont il fut l'apôtre, les 700 millions que les agriculteurs retirent maintenant du sol.
(Ml peut cej)endant assurer, sans crainte d'erreur, que
depuis l'origine du inonde aucune loi n'eut un tel
pouvoir créateur. En fait, la nouvelle production agricole résulte uniquement des immenses progrès scientifiques réalisés par une agriculture^ qui se sentait très
menacée.
Et si les Anglais n'ont pas accoin[)U les mêmes
progrès, ce n'est nullement parce que le libre-échange
les empêchait de lutter contre la concurrence étrangère, mais simplement parce qu'ils ont trouvé beau-
coup plus rémunérateur de fabriquer des produits
industriels, de la vente desquels
ils retirent plus d'argent qu'il ne leur en faut pour acheter tout le blé
nécessaire.
Oue
le
régime protectionniste
soit utile
ou nuisible
Dans
la politique
n'est d'ailleurs pas à considérer ici.
justement ce ({ue je voulais monpas de rechercher le meilleur, mais
uniquement l'accessible. De nos jours aucun despote ne
actuelle, et c'est là
trer,
il
ne
s'agit
serait assez fort, je le répète,
échange ou
pour imposer
le libre-
à un pays qui n'en voudrait
pas. Quand les peuples se trompent, tant pis pour eux.
L'expérience le leur fait savoir. Quelques hommes de
génie, aidés par les circonstances arrivent parfois à
remonter des courants mais leur nombre fut toujours
la protection
fort rare.
Ce qui précède montre bien à quel point les facteurs
de l'heure présente diffèrent de ceux du passé et permet de pressentir le peu d'influence des théories
politiques sur l'évolution des peuples. Avec les progrès de la science, de l'industrie et des relations
internationales, sont nés d'invisil)les mais tout-puissants maîtres auxquels les peuples et leurs souverains
eux-mêmes doivent obéir.
PSYCHOLOGIE POI.ITIOUE ET DEFENSE SOCIALE
Les éléments économiques de la vie des peuples
constituent donc des nécessités auxquelles ils sont
forcés de s'adapter puisqu'ils ne peuvent s'y sousnécessités naturelles s'en joignent
traire. A ces
d'autres, très artilîcielles, qu'essaient de créer les
théoriciens de la politique et les gouvernements
qui les suivent. Etudions leur rôle.
Malgré toutes les ressources de leurs laboratoires,
les biologistes n'ont jamais réussi à transformer une
seule espèce vivante. Les légères modifications extérieures que réussit à créer l'art de l'éleveur sont sans
durée et sans force.
Est-il plus facile de transformer un organisme social
qu'un être vivant? La réponse affirmative à cette
question a dirigé toute notre politique depuis plus
d'un siècle et la dirige encore.
La possibilité de refaire les sociétés au moyen
d'institutions nouvelles sembla toujours évidente aux
révolutionnaires de tous les âges, ceux de notre grande
Révolution surtout. Elle apparaît aussi certaine aux
socialistes. Tous aspirent à rebâtir les sociétés sur des
plans dictés par la raison pure.
Mais, à mesure qu'elle progresse, la science contredit de plus en plus cette doctrine. Appuyée sur la
biologie, la psychologie et l'histoire, elle montre que
nos limites d'action sur une société sont fort restreintes, que les transformations profondes ne se
réalisent jamais sans l'action du temps, que les institutions sont l'enveloppe extérieure d'une âme intérieure. Ces dernières constituent une sorte de vêtement capable de sadapter à une forme intérieure
mais impuissant à la créer, et c'est pourquoi des institutions excellentes pour un peuple peuvent être détestables pour un autre. Loin d'être le point de départ
d'une évolution politique, une institution en est simplement le terme.
NECESSITES ECONOMIQUES ET THEORIES POLITIQUES
10
hommes
sur
Certes, le rôle des institutions et des
événements n'est pas nul. L'histoire le montre à
chaque page, mais elle exagère leur puissance et
ne s'aperçoit pas qu'ils sont le plus souvent l'éclosion
d'un long passé. S'ils n'arrivent pas au moment nécessaire, leur action est simplement destructrice comme
les
celle des
conquérants.
en changeant ses institutions et ses lois est resté un dogme
que nous aurons à combattre fréquemment dans cet
ouvrage et dont il faudra bien revenir un jour.
Les peuples latins n'en sont pas revenus encore, et
c'est ce qui fait leur faiblesse. Leurs illusions sur la
puissance des institutions nous a coûté la plus sanCroire qu'on modifie l'âme d'un peuple
connue l'histoire, la mort
d'hommes, la décadence
profonde de toutes nos colonies et les progrès menaçants du socialisme.
Rien n'a pu l'ébranler, ce terrible dogme et nous
ne cessons de l'appliquer rigoureusement chaque jour
aux malheureux indigènes tombés entre nos mains
et que nous conduisons ainsi à la haine et à la réglante
révolution
qu'ait
violente de plusieurs millions
volte.
Les journaux ont fourni récemment un nouvel
exemple de cet aveuglement général en reproduisant
quelques extraits d'une circulaire du gouverneur de
la Côte-d'lvoire à ses administrateurs. Son résultat
final a été le soulèvement du pays, le massacre de
plusieurs officiers et la très coûteuse nécessité d'envoyer, de la métro[)o!e, des troupes nombreuses pour
rétablir l'ordre. Si les Anglais ou les Hollandais gouvernaient leurs colonies avec de tels principes, depuis
longtemps elles seraient perdues.
Ce document, dont je vais donner les plus saillants
passages, illustre nettement notre irréductible incapacité à comprendre que l'âme d'un peuple ne se
transforme pas avec des décrets et que des institutions excellentes pour un peuple peuvent être très
20
PSYCHOLOGIE POLITIOLE ET DÉFENSE SOCIALE
mauvaises pour un aulro
eu
et.
cas.
tout
inappli-
cables toujours.
« // faudra,
écrit ce gouverneur, que nos sujets
viennent au progrès malgré eux... C'est à l'autorité à
obtenir ce qui serait refusé à la persuasion... //
faudra, modifier du tout au tout la mentalité noire pour
faire comprendre... Ce que je ne veux pas.
que nous fassions étalage d'une sensibilité sans
résultat. Dussions-nous ne pas sembler tenir compte,
dès l'abord, des désirs de l'indigène, il importe que
nous suivions sans faiblesse l'unique voie susceptible
de nous mener au Itut... Je ne crois nullement qu'il
faille redouter les conséquences
de notre action,
môme lorsque celle-ci ne respectera pas des usages
dont le mieux qu'on en j)uisse penser est qu'ils sont
opposés à tout progrès. »
Ce n'est pas la mentalité noire qu'il serait urgent
nous
c'est
de modifier
— mais
—
si
la cliose
dépendait de notre volonté
celles des a<lministrateurs capables de signer
les lignes
précédentes.
Quant à l'illusion du brave gouverneur. ne redoutant nullement les conséquences de son intervention»,
les événements lui ont donné une rude leçon qui,
malbeureusement, ne profitera guère. Le propre d'une
((
croyance fut toujours de n'être modifiable ni par l'observation, ni par le raisonnement, ni par l'expérience
Les croyances politiques ont la même ténacité que les
dogmes religieux, bien qu'ils n'en possèdent pas tou;
jours la durée.
Ce dogme de la transformation de l'àme des peuples
sous l'influence des institutions est d'ailleurs indiscuté en France par tous les partis, y compris les plus
conservateurs. Nous l'avons vu étalé récemment dans
un manifeste publié en mars 1910 par le duc d'Orléans
et dont voici quelques extraits
« Il semble que jamais les événements n'aient donné
plus d'évidence à l'axiome politique
Ce sont les
institutions gui corrompent les hommes. Un détail
:
:
NECESSITES ECO.NOMIQL'ES ET THEORIES POLITIQUES
21
nous fournit l'actualité le démontre avec la
précision qu'une figure de géométrie éclaire
un théorème.»
Ce prince en est encore aux idées de Rousseau qui
croyait, lui aussi, que les sociétés pervertissaient les
hommes. On devrait renoncer à professer ouvertement de telles doctrines (]uand on aspire à régner.
(jue
même
Les progrès de la psychologie moderne permettent
d'expliquer le rôle joué par la raison dans l'organisation des sociétés, leurs croyances et leur conduite.
est très faible bien que tous les gouvernements prétendent s'appuyer sur elle.
Nous savons aujourd'hui que, contrairement aux
enseignements de la philosophie classique, il existe
la logique
deux formes de logique fort distinctes
rationnelle et la logique des sentiments. Ces deux
logiques sont tellement séparées qu'on ne peut jamais
11
:
de l'une à l'autre et, par conséquent, exprimer
l'une en langage de l'autre. C'est justement pourquoi
tant de choses se sentent qui ne se définissent pas.
j)asser
Sui-
la
logique
rationnelle
s'édifient
toutes
les
formes de la connaissance, les sciences exactes notamment. Avec la logique sentimentale se bâtissent nos
croyances, c'est-à-dire les facteurs de la conduite des
individus et des peuples.
La logique rationnelle régit le domaine du conscient
on se fabriquent les interprétations de nos actes.
Ce dans le domaine du subconscient, gouverné par
la logique des sentiments, que s'élaborent leurs vraies
causes.
L'observation montre que les sociétés sont guidées
par la logique des sentiments et que la logique rationnelle ne saurait guère les influencer et encore
moins
transformer.
L'âme simple des réformateurs est trop inaccessible
à la genèse des choses pour comprendre que les ins-
les
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET PEFENSE SOCIALE
'i^
ne s'édifient pas avec des raisonnements
mais cette notion semble évidente aux
hommes d'Etat anglais. Un de leurs ministres disait,
récemment, en plein Parlement, que le grand mérite
de la Constitution anglaise était de n'être pas rationnelle. C'est, en effet, sa force, alors que la faiblesse
des innombrables constitutions engendrées par nos
révolutions, depuis un siècle, en France, est justement de n'être basées que sur la raison pure.
Cette idée restant incompréhensible à des cerveaux
titutions
logiques,
latins,
donc
serait inutile d'y insister ici. Je
il
à rappeler
que
les religions, les
me
bornerai
gouvernements,
en un mot tout ce qui constitue
trame de l'existence d'un peuple, est fondé sur des
sentiments et nullement sur des raisons. Savoir
manier ces sentiments pour influencer l'opinion est le
vrai rôle des hommes d'Etat. Les ap[)arences semblent
prouver qu'ils agissent souvent par la logique de leurs
discours. Tout autre, en réalité, nous le verrons
dans cet ouvrage, est le mécanisme de la persuasion. Les multitudes ne
sont jamais impressionnées par la vigueur logique d'un discours, mais
bien par les images sentimentales que certains mots
et associations de mots font naître. Les propositions
enchaînées au moyen de la logique rationnelle servent
uniquement à les encadrer. En admettant qu'un discours simplement logique produise une conviction,
elle sera toujours éphémère et ne constituera jamais
un mobile d'action.
les actes politiques,
la
Mais
si
ce n'est pas la logique rationnelle qui con-
hommes
évoluer leurs croyances, comla Révolution des
théories uniquement déduites de la raison pure produisirent si rapidement de profonds bouleversements?
Avant de montrer que cette contradiction n'est
qu'apparente, rappelons tout d'abord que la llévoliilion
duit les
et fait
ment expliquer qu'au moment de
NÉCESSITÉS KCON'OMIQIES ET THÉORIES POLITIOI ES
n'ont,
en
réalité,
23
qn'un seni théoricien inlluent, Rous-
seau. L'action de Montesquieu, notable à ses débuts,
devint vite très faible. Ce dernier cherchait surtout à
expliquer des organisations sociales déjà existantes;
Rousseau proposait de refaire une société nouvelle.
Ce doux halluciné croyait que l'homme, heureux à
l'état de nature, avait été dépravé et rendu misérable par les sociétés. La raison exigeait donc qu'on
également convaincu que le vice
est l'inégalité, et que l'origine du mal social est l'antithèse de la richesse et de
la pauvreté. Nécessité, par conséquent, de changer
tout cela en établissant d'abord la souveraineté populaire. C'est précisément ce que ses disciples tentèrent
par les moyens énergiques que l'on connaît, dès que
les résistances du roi. de la noblesse et du clergé
engendrèrent des violences qui les amenèrent au pouvoir. Robespierre, Saint-Just et les Jacobins cherchèrent uniquement à appliquer les théories de leur
les
refit.
essentiel
Il
des
était
sociétés
maître.
de Rousseau ne disparut nullement
Révolution. M. Lanson fait justement remar(|uer que « depuis un siècle, tous les progrès de la
démocratie, égalité, suffrage universel, l'écrasement
des minorités, les revendications des partis extrêmes,
la guerre à la richesse et à la propriété ont été dans le
sens de son œuvre ». Nous verrons qu'en réalité
il
fut beaucou}) moins un inspirateur qu'un préL'influence
avec
la
texte.
La rapidité avec laquelle se propagèrent les idées
de Rousseau au moment de la Révolution est frappante. Nous savons par les cahiers généraux de 1789,
ce que la majorité des Français demandait alors
abolition des privilèges féodaux, lois fixes, justice
uniforme, etc., c'est-à-dire à peu près ce que Napoléon réalisa par son code. La royauté était encore
universellement respectée et i)ersonne ne demandait
à la supprimer.
:
24
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
Et cependant, trois ans plus tard, les théories
énoncées plus haut régnaient souverainement et la
Terreur supprimait ceux qui ne les vénéraient pas.
Il semble donc qu'il
y ait contradiction évidente
entre ce que nous avons dit du peu d'influence des
théories déduites de la raison pure, sur la marche des
événements et l'action si rapide que ces théories semblèrent exercer pendant la Révolution.
Nous accentuerons encore cette contradiction en
affirmant que les hommes de chaque âge sont gouvernés par un très petit nombre d'idées directrices
qui s'établissent fort lentement et ne deviennent des
mobiles d'actions qu'après s'être transformées en
sentiments.
En
malgré sa netteté appaen effet, les idées des théoriciens de la Révolution s'implantèrent facilement
dans l'àme des foules, ce n'est nullement parce
qu'elles étaient nouvelles, mais uniquement parce
qu'elles étaient au contraire fort anciennes. Les théories révolutionnaires ne firent que prêter l'appui
des lois à des passions n'ayant jamais cessé d'exister
et à des aspirations, que les nécessités sociales peuvent réprimer ou endormir, mais qui ne s'éteignent
réalité, la contradiction,
rente, n'existe pas. Si,
jamais.
Le peuple avait accepté
la
inégalités de conditions, parce
puissance royale et
que maintenues
j)ar
les
une
antique armature sociale elles semblaient d'indestructibles nécessités naturelles. Dès qu'il entendit des
gouvernants, auxquels le pouvoir suprême conférait
un grand prestige, lui affirmer que le peuple était
le vrai souverain, que son despotisme devait rem
placer celui des rois, que les inégalités de fortune
étaient une injustice et qu'on allait lui distribuer les
biens de ses anciens maîtres, il devait fatalement
adopter avec enthousiasme de telles idées et considérer comme des ennemis dignes du dernier supplice
ceux qui auraient pu s'opposer à
la
réalisation
XÉCESSITÉS ÉCONOMIQUES ET THÉOBIES POLITIQUES
~^>
de ses appétits. Si, de nos jours, un gouvernenieul
s"appuyant sur l'autorité de philosophes réputés,
édictait des lois autorisant le meurtre et le pillage,
il
compterait bientôt un grand nombre de sectateurs et serait aussi applaudi que lorsqu'il proposa
de s'emparer du milliard des congrégations pour le
distribuer aux ouvriers et à des amis. Certes, la pratique de pareilles doctrines ne subsiste pas longtemps car on découvre vite, comme il arriva après
quelques années de révolution, que l'anarchie ruine
et n'enrichit pas. Et alors, toujours ainsi qu'à cette
épO(}ue, la nation chercherait un dictateur énergique
capable de la soustraire au désordre.
On
s'illusionne
vernements
et les
souvent sur le rôle utile des goulimites de ce rôle, parce que leur
puissance, très faible pour le bien, est au contraire très
grande pour le mal. Il fut toujours aisé de détruire
et difficile de rebâtir. Aujourd'hui, nous n'avons pas à
nous défendre seulement contre les rigides nécessités
économi(iues de l'heure présente, mais encore contre
le zèle désastreux de législateurs légiférant au hasard,
comme nous le montrerons bientôt, suivant les impulsions du moment. Lois, dites sociales, qui gênent de
plus en plus l'industrie et n'enrichissent personne
lois entravant l'apprentissage au point d'avoir chassé
les apprentis des usines et transformé un grand
nombre d'entre eux en voleurs et assassins, ainsi (jue
le prouvent les rapides progrès de la criminalité infan;
tile;
persécutions religieuses incessantes, expropria-
<le diviser la France
douanières qui, par
les représailles qu'elles provoquent continuellement,
finiront par supprimer enlièrement notre commerce
avec l'étranger, etc. Toutes ces lois créées par une
raison trop courte sont des calamités artificielles qui
tions dont le résultat final a été
en deux peuples ennemis;
lois
26
PSYCHOLOGIE
l'Or
H lOLE ET DEFENSE SOCIALE
sajoutent aux maux naturels dont nous sommes l)i('n
obligés de supporter le poids.
Nous n'avions, certes, jias l'idée de faire ici le
procès de la raison, mais de ceux prétendant l'employer à modilîer des phénomènes qu'elle ne saurait
régir. C'est exclusivement sur la raison que
s"éditient la science et toutes les formes de la connaissance. C'est surtout avec des sentiments et des
croyances que se gouvernent les liommes et se fait
l'histoire.
CHÂPITKE
III
IVIéthodes d'étude de la Psychologie politique.
En psychologie
politique,
comme
d'ailleurs
dans
les autres sciences, ce sont les faits d'abord, puis leur
interprétation qui permettent de dégager des lois.
En politique, l'observation des faits est beaucoui»
plus facile que leur interprétation, c'est-à-dire que la
détermination de leurs causes el la prévision de leurs
conséquences. Nos armées ont été battues en 1870.
Voilà un fait connu de chacun. Mais pourquoi ont-elles
été battues ? Quelles réformes devraient-elles subir afin
d'éviter une nouvelle défaite ? Ici les difficultés s'accumulent et les explications varient considérablement.
Pour s'en convaincre, il suffit d'examiner les théories
contradictoires, révélées par la série de règlements
militaires édictés pendant vingt ans, ou simplement
les écrits des spécialistes. Si d'ailleurs l'interprétation
des phénomènes sociaux était aisée, nous serions
d'accord sur tout, alors qu'en réalité nous ne le
sommes
sur rien.
Donc, quoique
les faits politiques faisant partie de
journalière soient d'une observation facile, la
détermination de leurs causes est au contraire difficile.
Elle l'est d'autant plus que les parties d'un événement
la vie
dont nous prenons conscience ne sont généralement
qu'une très faible partie de l'événement lui-même.
Dans une pareille étude, la simple intuition ne saurait suffire. Des méthodes ris-oureuses deviennent
2H
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFEASE SOCIALE
nécessaires.
Elles
employées dans
notamment.
sont de
les
même
sciences,
ordre que celles
l'histoire
naturelle
Le psychologique doit opérer un peu comme le natuqui. mettant en relief par une analyse attentive les réalités cachées sous de trompeuses apparences, réunit ensemble des phénomènes d'aspect
dissemblable. Ainsi arrive-t-il à classer la baleine avec
les mammifères au lieu de la considérer comme un
poisson. Pour l'observateur superficiel, la baleine
parait évidemment plus rapprochée du requin que
d'un écureuil et c'est cependant avec ce dernier qu'on
raliste
doit la comparer. En politique, malheureusement, les
apparences seules frappent et non les relations
cachées.
Les généralités qui précèdent montrent que la première difficulté de la [tsychologie politique est de
découvrir les facteurs rapprochés ou lointains des
événements et de ne pas attribuer à une seule cause,
comme on le fait généralement, ce qui est le résul-
de plusieurs.
ne saurais trop insister sur cette difficulté. Pour
en prouver l'importance, je vais prendre un cas concret relativement assez simple — l'extension du socialisme
et par la seule énumération de quelques-uns
(les facteurs ayant déterminé cette extension, mettre
en évidence leur complexité.
tat
.le
—
A la base du socialisme, on trouve d'abord un élément fondamental, l'Espérance. Espérance d'améliorer son sort et de se créer un avenir heureux.
Un tel facteur possède assurément une grande
puissance. A lui seul, pourtant, il ne fournirait
qu'une explication bien incomplète du problème,
l'espoir d'améliorer sa destinée ayant constitué de
tout temps un des principaux mobiles de l'activité
des
hommes.
MÉTHODES d'Étude de la psychologie politique
29
Nous irons plus loin en remarquant qu'autrefois il
beaucoup moins nécessaire qu'aujourd'hui d'améliorer sa vie, puisqu'elle devait l'être dans un monde
futur, sur la réalité duquel on ne gardait aucun doute,
était
alors
qu'on
n'y
croit
guère
aujourd'hui.
l'homme espérait d'une autre existence
Ce
que
n'est recherché
maintenant qu'ici-bas. L'explication de l'extension du
commence ainsi à se préciser davantage.
Un nouvel élément d'interprétation apparaîtra si
l'on observe que le socialisme, dont la forme humanitaire s'accentue chaque jour, devient une religion
remplaçant celles en voie de disparaître. La psychologie moderne enseigne que le sentiment religieux,
c'est-à-dire la vénération du mystère et le besoin de
se soumettre à un credo capable d'orienter nos pensées, est une tendance irréductible de l'esprit. L'apôtre
socialiste est un clérical ayant changé le nom de ses
socialisme
dieux. Son âme demeure saturée d'une religiosité
ardente. Le journal L'Humanité du 30 novembre 1909
nous apprend que le jeune professeur à la Sorbonne
qui ouvrit, récemment, la |iremière séance de l'Ecole
socialiste, « adressa, comme il convenait, une invocation émue à la déesse Raison »!
Les facteurs psychologiques que nous venons d'indiquer présentent un caractère général les rendant
applicables à tous les peuples. Or, il est visible que
le socialisme prend, d'un pays à l'autre, des formes
diverses. Certains éléments d'interprétation doivent
donc s'ajouter encore aux précédents.
Nous trouverons tout d'abord
le
rôle de la race,
c'est-à-dire des dispositions héréditaires des nations.
Elles diffèrent
profondément
et c'est
pourquoi
le
mot
socialisme est une étiquette commune traduisant des
aspirations très dissemblables. Gomment pourraientelles être de même nature chez des peuples d'instincts
opposés, ceux des Etats-Unis, par exemple, comptant
exclusivement sur leur énergie, leur initiative individuelle, et ceux dominés,
comme
les Latins, parl'irré3.
30
PSYCHOLOGIE POLIÏIOUE ET DÉFENSE SOCIALE
sislible
et
perpétuel
besoin de
la
protection
d'un
maître ?
En dehors des aptitudes de race, un autre facteur
le passé.
psychologique capital intervient encore
Il est évident que des peuples centralisés depuis des
siècles sous la main d'un Etat réirlementant les moindres détails de leur vie sociale, industrielle, commerciale et même religieuse, ne sauraient posséder
les mêmes aspirations, les mêmes tendances, que de
jeunes nations n'ayant derrière elles qu'un passé politique très court, incapable, par conséquent, de peser
lourdement sur elles.
Le collectivisme étatiste, qui nous enserre de plus
en plus, fut pratiqué en réalité de tout temps par nos
monarchies, et c'est pourquoi les peuples latins y
reviennent facilement. Les minutieuses réglementations de Colbert formeraient un excellent chapitre
d'un traité de socialisme étatiste.
L'Etat étant considéré aujourd'hui comme une divinité protectrice, tous les partis, toutes les classes,
devaient naturellement lui demander d'intervenir
dans leurs affaires et défendre leurs intérêts. Ce
furent d'abord les industriels qui le prièrent de les
proléger, afin de les enrichir, par des droits de
douane, des primes, des subventions, etc. On détruisait évidemment ainsi la concurrence, mais en paralysant du môme coup toute initiative et, par conséquent, tout progrès.
Devenues puissantes ])ar le nombre, les classes
ouvrières réclamèrent à leur tour la protection de
l'Etat, mais, cette fois, contre les maîtres de l'industrie. En leur cédant, on entra davantage dans la voie
socialiste ouverte par le protectionnisme.
Pour satisfaire de croisssantes exigences, l'Etat s'engagea dans le chemin de l'arbitraire despotique et des
spoliations retraites ouvrières obligatoirement payées
par les patrons, c'est-à-dire charité forcée à leurs
dépens, rachat des chemins de fer, et extension pro:
:
MÉTHODES d'ÉTIDE DK LA
PSYCIIOLOf.lE POLITIQUE
31
des monopoles, tle façon à transformer
en fonctionnaires entretenus par l'Etat, etc.
Mais tout cela coûtant fort cher et l'engrenage des
répercussions se déroulant fatalement, les législateurs
en sont maintenant conduits à essayer de dépouiller
les possédants par de lourds impôts progressifs, sans
comprendre, d'ailleurs, que le petit nombre de ces
gressive
les ouvriers
privilégiés
rendra
dérisoires
les
sommes
obte-
nues. Leur spoliation devant avoir pour conséquence
ultime la ruine des grandes industries, on n'arrivera
finalement ainsi qu'à l'égalité dans la misère. Ce sera
nivellement rêvé par tant d'âmes que domine
haine des supériorités.
le
la
Bien que déjà longue, notre énumération des facteurs de l'évolution socialiste ne les contient pas tous.
Il faudrait rechercher encore comment les doctrines
se propagent dans les multitudes, pourquoi des
mots
des formules très vagues possèdent parfois tant
de puissance. On se trouve alors en présence de nouveaux facteurs importants créés par la spéciale mentalité des foules.
Mais l'examen des causes de l'extension du socialisme ne serait nullement terminé par cette étude,
puisqu'il sévit non seulement dans les multitudes
illettrées, mais encore parmi des professeurs et des
bourgeois aisés, satisfaits de leur sort.
Il devient alors nécessaire de faire intervenir d'autres facteurs psychologiques et notamment, la contagion mentale par imitation. Elle se retrouve toujours
à l'aube des grandes croyances et explique leur propaet
iration.
de facteurs agissent dans un phénomène
paraître bien difficile de doser leurs
influences respectives. Le problème est ardu, en effet.
Comment le résoudre?
Si tant
social,
il
doit
PSYCHOLOr.IE POLITIQliE ET DEFENSE SOCIALE
o'-C
On
deux méthodes différentes, l'une
comjdiquée.
La méthode simple, et pour cette raison d'un usage
général, consiste à supposer les phénomènes engendrés par une cause unique et de compréhension facile.
Trouver des remèdes apparents à tous les maux
devient alors aisé. Les ouvriers d'un pays se déclade leur sort ? Décrétons un
rent-ils mécontents
impôt sur le revenu qui permettra de dépouiller les
riches pour enrichir les travailleurs. La population
d'un pays est-elle stationnaire? Etablissons de lourdes
le
peut par
Irès simple, l'autre assez
charges
sur les citoyens qui n'ont pas
En
davantage? Des
endurcis pourraient seuls en douter.
fants.
auront-ils
assez d'en-
économistes
Ainsi raisonnent les politiciens à mentalité courte
et leur
simplisme, que
j'ai
dû condenser un peu dans
mes exemples, nous a valu de
Voyons maintenant
(pielle
détestables lois.
méthode
doit suivre l'ob-
servateur qui veut utiliser les enseignements de la
psychologie politique.
Un événement social (juelconque résultant le plus
souvent d'un grand nombre de facteurs immédiats ou
lointains, la première règle est d'apprendre à les séparer, la seconde d'évaluer exactement la valeur respec-
de chacun d'eux.
phéle physicien en présence d'un
nomène pouvant dériver de plusieurs causes. Sa
tâche est relativement facile, parce que des expériences répétées lui permettent de vérifier ses premières déductions. Mais, pour les phénomènes poli-
tive
Ainsi opère
tiques, l'observation seule et
tue l'unique guide. Certes,
non l'expérience
les
consti-
expériences sociales
ne manquent pas; elles sont même innombrables,
mais indépendantes de nous, et de nos volontés.
Ne pouvant les renouveler, nous en sommes réduits à
les interpréter. On sait trop à quelles divergences
conduisent ces interprétations et dans quel dis-
MÉTHODES d'Étude de la psychologie politique
33
sociologie est pour cette raison tombée.
ne devient vraiment possible de doser la valeur
d'un facteur déterminé qu'en le voyant agir d'une
façon semblable dans des temps divers et chez des
peuples ditTéreiits, alors que tous les autres facteurs
sont restés invariables. C'est un peu, on le voit, une
application de la méthode dite des variations concomitantes. N'étant applicable qu'à des cas très simples
on n'en dégage le plus souvent que des banalités d'utilité restreinte
l'anarchie engendre le césarisme, les
peuples faibles sont conquis par les peuples forts, etc.
La dissociation des éléments générateurs d'un événement est cependant facilitée par la constatation
que chaque phénomène social est habituellement le
résultat de deux catégories de facteurs très distincts
les uns permanents, les autres transitoires.
f^es premiers agissent d'une façon constante dans
tous les phénomènes. Telle, par exemple, la race, c'est(M-édit la
Il
:
:
le passé
sentiments religieux, politiques ou sociaux fixés dans l'âme des peuples et
r-endus stables par un long passé.
Les facteurs transitoires changent au contraire
fréquemment, mais, agissant sur le fond peu mobile
du résidu ancestral, ils en reçoivent toujours l'empreinte. C'est pour cette raison, que des peuples de
races ditférentes soumis en même temps aux mêmes
facteurs transitoires réagissent de façons diverses.
Certes, l'histoire paraît souvent montrer qu'un peuple
apparence, transformer ses
peut, au moins en
croyances, ses institutions et ses arts, mais sous les
changements extérieurs le passé reparaît toujours et
modifie bientôt les formes que les révolutions violentes avaient fait momentanément adopter.
Les influences de la race et du passé, habituellement négligées, parce qu'invisibles, sont en réalité
les plus nécessaires à étudier. Elles dominent effectivement toute l'évolution d'un peupl.e. C'est ainsi, par
à-dire les dispositions héréditaires. Tel aussi
social qui
comprend
les
34
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
exemple, qu'en France, sous des agitations politiques
nous retrouvons deux principes fixes, communs à tous les peuples latins et ayant invariablement dirigé leurs actes 1" La croyance dans le pouvoir
transformateur de l'Etat. 2" La confiance inébranlable
dans la puissance absolue des lois. De ces deux principes, que nous étudierons dans plusieure chapitres,
sont nés l'extension de l'Etatisme et le développement
du socialisme collectiviste qui n'en est que la floraison.
11 apparaît donc indispensable pour juger des événements relatifs à un peuple de connaître les caractères
de sa race et son histoire.
En ce qui concerne la race, cette étude n'est pas
très compliquée, les caractéristiques fondamentales
générales étant peu nombreuses. On sait déjà beaucoup des Américains des Etats-Unis et de leur avenir
possible lorsqu'on a observé quelques-uns de leurs
caractères essentiels tels que l'énergie, la confiance dans
ses propres forces, l'optimisme, le besoin de justice et
de liberté personnelle, l'habitude de l'initiative suppléant l'intervention du gouvernement. Alors que certains ])euples ne peuvent être étudiés sans la connaissance préalable de leur gouvernement, le citoyen des
Etats-Unis doit au contraire être observé surtout en
dehors de son gouvernement. Réduit à ses seules ressources, il progresse sans aucune aide et, à lui seul,
ce caractère psychologique aurait suffi pour tracer sa
variées,
:
destinée.
Un examen analogue des tristes républiques latines
de l'Amérique, impuissantes à sortir de l'anarchie où
elles végètent, montrerait également un très petit
nombre de caractères psychologiques fondamentaux
dominant toute leur
histoire.
Donc, la connaissance des grands facteurs généraux
qui déterminent, ou tout au moins orientent les autres,
simplifie un peu le problème de la psydiologie politique.
Il est encore très difficile cependant. Les facteurs
transitoires agissant à côté des facteurs permanents
MiinioDES d'étude de la psychologie politique
sont en
eiTet
si
nombreux que
déroute parfois toute logique.
leur
35
complication
Comment déterminer
leur rôle?
En observant
qu'outre les grands facteurs irréducdont je viens de marquer l'action, il existe pour
chaque époque un* petit nombre de principes directeurs canalisant les pensées et les actes dans un
même sens. C'est ainsi, par exemple, que la politique
du second Empire fut orientée par le principe dit des
nationalités, que le socialisme actuel évolue sous l'influence d'une idée maîtresse
l'égalisation des situations sociales sous la tutelle de l'Etat, etc.
tibles
:
Il résulte de toutes ces considérations que, dans la
genèse d'un événement, figurent toujours des éléments
nombreux mais d'inégale importance. Le rùle de la
l)sychologie politique consiste précisément à savoir
doser cette importance, discerner le principal et
éliminer l'accessoire.
L'élimination des facteurs secondaires est aussi
malaisée en politique que dans une science quelconque, la physique ou l'astronomie notamment. Elle
est pourtant aussi nécessaire.
Avec les progrès scientiliques actuels, la genèse de
tout phénomène apparaît infiniment complexe. La
simplicité des causes n'est créée que par l'insuffisance de nos moyens d'observation. Un ])Oids placé
sur le plateau d'une balance n'est pas attiré seulement
par la terre, puisque la lune et tous les autres astres
mais leurs milliers
du firmament agissent sur lui
d'attractions sont si minimes en comparaison de celle
exercée par notre planète qu'on n'en tient aucun compte.
Toute la sagacité du savant consiste à savoir dégager les facteurs principaux d'un phénomène et négliger les autres. Kepler ne réussit à formuler ses lois
qu'en mettant de côté les perturbations accessoires
modifiant faiblement le cours des planètes.
;
36
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE
Le véritable homme d'Etat ne procède pas dilTéremment, mais semblable au savant encore, il doit se
rappeler que tel facteur, sans importance à un
moment donné, peut en acquérir à un autre. Le phy-
comme vraie la loi de Mariotte parce
des éléments trop accessoires pour la
modifier visiblement dans les conditions habituelles
de température, mais il sait aussi que lorsque les gaz
se trouvent au voisinage de leur point critique, des
facteurs justement négligés d'abord deviennent maintenant prépondérants. La loi est alors inexacte et il
faut lui en substituer une autre.
sicien considère
qu'il
néiïliire
La notion de
loi absolue, chère aux savants du dertend à disparaître graduellement de la
science. Les principes de la psychologie politique
ne sauraient assurément prétendre à plus de fixité que
les lois physiques. Ils sont d'ailleurs troublés sans
cesse par l'intervention d'éléments imprévus. C'est
ainsi qu'à certains moments l'influence des facteurs
habituels disparait devant de brusques courants d'opinion. Si l'homme d'Etat en connaît le mécanisme, il
peut les faire naître ou tout au moins les orienter
comme y réussit Bismarck en 1870.
Ces subits mouvements d'oiiinion constituent une
force morale, si irrésistible parfois, que nulle puissance ne parviendrait à les endiguer. Napoléon, luimême, savait que certains courants ne se remontent
pas. Plusieurs de ses lettres sont caractéristiques sur
ce point. « Ce sont, écrivait-il, les faits qui parlent.
C'est la direction de l'esprit public qui entraîne... Je
n'ai jamais été mon maître. Jai toujours été gouverné
par les circonstances. »
La puissance, comme aussi la mobilité de ces mouvements populaires, se révèle à chaque page de notre
histoire. Ils sont nombreux dans un seul siècle.
L'Epojtéo impériale, la Restauration monarchique.
nier
siècle,
MliTHODES D ETUDE DE LA PSYCHOLOGIE POLITIQUE
le
37
romanlisme, le second Empire, l'aventure boulanen donnent autant d'exemples. Le Princr
giste, etc.,
de
Machiavel
s'appelle
aujourd'hui
la
multitude.
Son pouvoir devient formidable dès que toutes les
volontés s'orientent dans inie seule direction. Une telle
orientation ne dure d'ailleurs jamais longtemps et
l'homme d'Etat doit le savoir encore.
Les courants populaires d'une époque sont souvent
mal saisis par les hommes de cette époque. Au début
de la Révolution, personne ne prévoyait l'avenir terrible qui se préparait. On l'a dit avec raison pendant
:
navire sombrait, les passagers se congratulaient du naufrage. M"* de Genlis menait les princes
d'Orléans, dont elle était gouvernante, voir la démoli(pie
le
La noblesse regardait tout ce
autant de sympathie que notre aveugle
bourgeoisie a contemplé la première grève des postiers. Alors, comme aujourd'hui, personne ne comprenait que les phénomènes psychologiques ont un
enchaînement nécessaire et que chacun d'eux devient
cause à son tour. Toutes ces causes accumulées dans
le même sens produisent, comme en mécanique, une
accélération fatale.
de
tion
la
mouvement
Bastille.
ave(;
Nous voyons à quel point
est
difficile
la
tâche
sagement gouverner.
d'autant plus qu'ayant une mentalité ditTé-
actuelle des chefs qui veulent
Elle l'est
rente
ne
ils
de la foule
savent pas
obéissant à d'autres mobiles,
toujours la comprendre et lui
et
parler.
On ne connaît bien
les
hommes
d'une classe que
si
appartient à cette classe. C'est pourquoi les
meneurs de la Confédération du travail, sortis des
l'on
couches populaires, se font si parfaitement obéir. Des
grands principes, des belles théories humanitaires,
ils n'ont nul souci, sachant bien que les foules ne s'en
préoccupent pas davantage. Inaccessibles a tout raisonnement, elles acceptent sans discussion des
38
PSYCHOLOGIE POLITIQL'E ET DEFENSE SOCIALE
croyanees condensées en formules brèves et violentes
et se soumettent sans murmures aux ordres les plus
impérieux à coni^lition qu'ils soient édictés par des
hommes ou des comités revêtus de prestige.
Certes, ces meneurs ne possèdent qu'une psychologie fort sommaire, mais admirablement adaptée à
la mentalité des âmes simples qu'ils ont su asservir. Leur horizon est étroit mais ils le connaissent. Ils
savent où ils vont et ce qu'ils veulent. Les erreurs
des politiciens ne leur échappent pas et « de l'autre
eôté de la barrière » leurs conseils seraient fort utiles
à nos gouvernants. C'est ainsi, par exemple, (ju'à
l'heure où le gouvernement cédait aux menaces des
postiers, un des chefs du syndicalisme montra très
justement dans un article que les dirigeants « commettaient une faute impardonnable en laissant prendre
conscience de leur force à des agents qui ne s'en
doutaient guère ».
La réunion de tous ces facteurs lointains on
rapprochés, stables ou transitoires, représente ce que
l'on pourrait appeler l'équation sociale d'une époque.
De la solution correcte de cette équation dépend souvent l'avenir d'un peuple. La nécessité suffirait généralement à la résoudre, si les législateurs n'intervenaient pas pour troubler le jeu des facteurs que les
lois naturelles tendent toujours à équilibrer.
L'énumération des éléments générateurs de l'évolution d'un phénomène social nous en a montré la
Nous avons vu également que les plus actifs
souvent les moins aperçus. Leur ensemble
constitue un faisceau de forces invisibles qui dirigent
la destinée d'un peuple. Il s'agite, elles le mènent.
L'homme ressemble souvent au pantin ignorant les
tîls qui le font mouvoir.
Si puissantes cependant que soient ces forces, nous
ae devons pas les subir avec une résignation morne.
variété.
étaient
MÉTHODES d'Étude de la psychologie politique
39
Dominée par un tel sentiment, l'iiumanité ne serait
jamais sortie de la sauvagerie primitive, et n'aurait
pu vaincre la nature qui l'avait d'abord si étroitement asservie.
Et ceci nous conduira à une autre étude qui fait
encore partie de la psychologie politique.
Réduite à une simple science de constatation elle
serait un peu vaine. Mais elle enseigne aussi l'art de
prévoir, c'est-à-dire, en langage mathématique, l'art
d'extrapoler des courbes dont on a su déterminer un
nombre
suffisant d'éléments.
La psychologie politique présente un autre avantage
encore.
Prévoir est utile, prévenir
l'est
davantage.
Prévoir, c'est éliminer les surprises de l'avenir. Prévenir, c'est annuler leur action.
Gomment y
parvenir?
La science confirmant
les
plus vieilles traditions religieuses de l'humanité semble
nous confiner chaque jour davantage dans un fatalisme étroit. Nous verrons cependant dans un des derniers chapitres de cet ouvrage ({u"il est possible de
dissocier les éléments dont toute fatalité se compose.
Or désagréger les facteurs d'une fatalité, c'est apprendre
à s'y soustraire.
LIVRE
II
FACTEURS PSYCHOLOGIQUES
DE LA VIE POLITIQUE
CHAPITRE
L'Origine des
Beaucoup
lois
et
les
d'événenieuls
I
illusions
législatives.
politiquos
représenteut
nombre de principes solidement
âmes. La croyance en la puissance
l'éclosion d'un petit
ancrés dans les
souveraine des lois est un des plus actifs.
On rencontre en France une foule dv' gens se
disant dégagés de toute croyance i-eligieuse. Ils ne
croient plus aux dieux, méprisent les superstitions et
ne redoutent guère que les révélations des somnambules ou l'action magique du nombre treize.
Mais dans ce pays de libre pensée on trouverait
difficilement des citoyens manifestant le plus légei'
doute à l'égard de la ]niissance infaillible des constitutions et des lois. Nous sommes tous solidement
persuadés que des textes législatifs peuvent remanier
à volonté l'état social d'un peuple. Avec des lois
toutes les réformes sont possibles. Il ne tient qu'à elles
d'enrichir le pauvre aux dépens du riche, d'égaliser
les conditions et d'assurer un bonheur universel.
Ce dogme sacré de la puissance des lois est à peu
OHIGI\E DES
I,OIS
ET ILLUSIONS LÉGISLATIVES
41
près le seul resté debout et que les théoriciens
vénèrent. Si l'idéal d'un parti politique permettait de
le définir, on pourrait dire qu'il n'existe en France
qu'un seul parti. Tous possèdent, en effet, un même
idéal
réformer la société à coups de décrets et
:
demander à
vie
l'Etat
son intervention constante dans la
On ne sait pas, quand on
sociale des citoyens.
rencontre un Français, s'il est clérical ou anticlérical,
ce qui d'ailleurs représente souvent la même chose,
mais on peut être bien certain qu'il est Etatiste.
La doctrine de l'action souveraine des lois a toujours constitué un des plus puissants facteurs de
notre histoire. Les hommes de la Révolution étaient
persuadés qu'une société se refait avec des institutions et ils finirent par déifier la raison au nom de
laquelle étaient promulgués leurs décrets.
Bien des motifs ont contribué, chez les peuples
dont la mentalité religieuse est très développée, à
rechercher législativement les moyens de remédier
aux maux qui les affligent. Ne pouvant plus demander de miracles au ciel, on les demande au législateur. Le pouvoir des lois a remplacé celui des dieux.
Ces miracles législatifs paraissent d'une réalisation
facile, car si les raisons lointaines des choses sont
malaisées à percevoir, leurs causes fictives, très apparentes, semblent aisées à atteindre.
L'insuccès des lois votées sous la pression des
volontés populaires n'ébranle nullement d'ailleurs la
croyance en leur puissance. Elles gardent l'influence
des dogmes religieux. Les prescriptions impératives
et brèves des codes exercent toujours un prestige
mystérieux. Comme les divinités, les lois ordonnent
et n'expliquent pas. Leurs auteurs ont très bien compris qu'un pouvoir discuté n'est bientôt plus un pouvoir respecté. La vraie puissance ne réside pas, en
mais
etTet, dans la force de celui qui commande,
dans la soumission volontaire de celui qui obéit.
Cette idée, si répandue chez les peuples latins, que
^~
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE
les organisations sociales se
réforment avec des
lois,
une des plus funestes erreurs
qu'ait enregistrées l'histoire. Pour la défendre, des
millions d'hommes sont morts misérablement, des
cités florissantes sont tombées en ruines, de grands
empires descendent la pente de la décadence. La fatale
chimère est cependant plus puissante qu'elle ne h'
nous l'avons
est
dit déjà,
fut jamais.
Quelques rares philosophes ont bien essayé de
montrer la dangereuse absurdité de cette doctrine, Je
l'ai moi-même tenté dans plusieurs ouvrages et notamment dans mon livre sur
Lois de l'éoolnlion des
peuples. Mais que peuvent des écrits sur les impressions mobiles des foules? Elles n'écoutent guère que
/^'i-
les
démagogues
Ne nous
cesse les
fois
flattant servilement leurs instincts.
cependant de répéter sans
Les idées finissent quelqueterrain où elles peuvent germer.
lassons pas
mêmes
vérités.
par rencontrer
le
Persuadé lui-même de la toute-pnissance des lois,
législateur légifère pour remédier aux maux visibles dont lui demeurent cachées les causes. Il légifère
sans trêve, tout étonné de voir les lois volées rester
ineflicaces ou produire des effets contraires à ceux
espérés. 11 s'irrite alors, légifère de nouveau, interpelle les ministres, nomme des commissions pour surle
veiller
l'exécution
des décrets, et intervient inlassa-
blement dans tous les rouages de l'administration.
C'est ainsi que le régime parlementaire tend chez nous
à se transformer en un régime qui rappelle celui de la
Convention. A peine sortis du despotisme, les peuples
latins y reviennent toujours. Le despotisme collectif
remplace progressivement chez eux le despotisme
individuel. Tout fait croire qu'il sera aussi tyrannique.
Notre histoire est remplie des conséquences désastreuses de lois promulguées dans les meilleures intentions. La République de 1848 crut faire œuvre bien-
ORIGINE
DES. LOIS
ET ILLUSIONS LÉGISLATIVES
43
faisante en édictant de nombreuses lois ouvrières et
en créant des ateliers nationaux pour donner du travail a tous les citoyens. Quand les nécessités économiques, qui dominent de très haut les volontés du
législateur, obligèrent à fermer ces ateliers, il en
résulta une révolution et d'épouvantables massacres.
La conséquence finale fut le rétablissement de l'Empire et ses suites, y compris Sedan et l'invasion.
Elle est très funeste, la race des philanthropes. Sous
leur impulsion, s'édictent les lois dites humanitaires,
dont les etfets sont si souvent désastreux.
Les mesures législatives ayant produit un résultat
contraire à celui qu'elles se proposaient d'atteindre
sont innombrables. C'est ainsi, par exemple, que les
lois sur les primes à la navigation ont été une des
causes actives de la lamentable décadence de notre
marine marchande. Nous le montrerons bientôt.
C'est ainsi encore, qu'en vertu du principe de la
puissance souveraine attribuée aux lois, nous prétendons imposer nos institutions à tous les peuples
conquis par nous, sans comprendra qu'une telle
méthode devait bientôt déterminer la ruine de nos
colonies.
Le dogme latin du pouvoir transformateur des
décrets conduit, sous la pression des mobiles volontés
du peuple, à voter les lois les plus violentes sans se
préoccuper de leur injustice.
Après avoir fait miroiter aux yeux des classes
ouvrières le milliard des congrégations, il fallut
bien, devant les grondements populaires, édicter des
lois pour s'emparer de ce milliard. Cet acte d'iniquité
sauvage, dont l'injustice n'a pas frappé les législateurs,
a créé un précédent redoutable. Que les hasards d'un
vote confèrent pour un jour le pouvoir aux socialistes
révolutionnaires, ils sauront comment exproprier une
nouvelle classe de citoyens au profit d'une autre, sans
invoquer d'autres raisons que le^ droit souverain de
l'Etat, c'est-à-dire la
raison
du plus
fort.
44
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
>sotre société n'est
un
jieu
sauvée de
la
désorganisa-
tion produite par les décrets de ses législateurs
que
par l'impossibilité de toujours les appliquer. Chaque loi
entraîne la création d'une nuée de fonctionnaires destinés à la faire exécuter,
mais parfois
il
faut reculer
devant j'énormité de la dépense. On a hésité jusqu'ici
à instituer une armée de 500.000 inspecteurs pour
faire observer les lois sur le travail. Cette impossibilité seule a sauvé notre industrie de la décadence
profonde qu'aurait engendrée l'ingérence constante des
fonctionnaires dans les manufactures.
L'Etat finit d'ailleurs par renoncer de lui-même aux
lois inapplicables, parce que tout le monde les viole.
Un délit généralisé se transforme bientôt en droit.
Pour cette raison, les décrets édictés dans le but de
contrecarrer les spéculations financières, les sociétés
anonymes et toutes les formes de contrats, nés de
l'évolution économique moderne, ont misérablement
échoué. En étudiant la véritable genèse des lois, nous
comprendrons facilement pourquoi.
Conclurons-nous des considérations précédentes
qu'il ne faut jamais promulguer de réformes par voie
législative et qu'on doit se croiser les bras. Evidemment les législateurs de 1848, auxcjuels nous faisions
allusion plus haut, auraient été plus utiles en se croisant les bras qu'en votant des lois si dangereuses, mais
cette conclusion pessimiste n'est pas applicable à tous
les cas. Beaucoup de lois sont utiles lorsqu'elles naissent sous rinfkience de certaines nécessités que nous
allons examiner maintenant et qui sont étrangères le
plus souvent à la volonté des législateurs.
Pour savoir ce qu'il faut faire et surtout ne pas faire
en matière de lois, on doit d'abord tâcher de comprendre leur genèse.
Soyons avant tout bien convaincus qu'une nation ne
peut utiliser les constitutions et les lois d'un peuple
de mentalité différente, si parfaites soient-elles. Quand,
des juristes essaient de nous persuader que le droit
ORIGINE DES LOIS
romain a
I.T
Ill.l
SIO\S M-
f.lSI,
A 11\ ES
-lO
été adopte par certains pays et la constitu-
par d'autres, ils font preuve d'une
pauvre jisychologie. Lorsque le droit romain fut
adopté par un peuple quelconque, les Allemands, par
exemple, il devint aussitôl un droit allemand. Jamais,
sans qu'on puisse citer une seule exception, la constitution anglaise n'a été pratiquée par d'autres peuples
(|ue les Anglais, bien qu'acceptée par plusieurs.
tion
anglaise
Trois phases se succèdent dans la genèse d'un droit
coutume, 2° la jurisprudence, 3° la loi. Le légis:
1° la
lateur ne saurait intervenir utilement que dans la der-
nière de ces phases.
La loi doit se borner le plus souvent à codifier la
coutume. Là est son vrai rôle. Notre Code civil, que
beaucoup s'imaginent construit de toutes pièces par
un conseil de légistes dirigé par Napoléon, ne lit en
réalité que condenser les coutumes les plus f,fénéralement admises dans les diverses {)arties de la France.
Il termina ainsi une unification juridique commencée
depuis longtemps. Ce ne fut pas le code du présent,
mais celui d'un passé.
La coutume résulte des nécessités sociales, industrielles, économiques de chaque jour. La jurisprudence les fixe. La loi les sanctionne.
Mais ce que la loi sanctionne c'est l'état social du
moment. Les
civilisations, surtout aujourd'hui, évoluent plus vile que les lois. La jurisprudence intervient
alors pour les modifier d'après les nouvelles coutumes
qui s'établissent.
Dans les pays où le juge, manquant d'indépendance,
semble plus habitué à rendre des services que des
arrêts, les lois doivent proinptement enregistrer la
coutume et c'est pourquoi elles changent vite. Dans
pays où. comme en Angleterre, le juge demeure
indépendant, nul besoin de toucher aux lois, c'est
magistrat lui-même qui les transforme.
les
fort
le
46
PSYC.'îOLOGîE POLITIQUE ET
DÉFENSE SOCIALE
Mais chez toutes les nations et par le fait seul que
besoins sociaux évoluent plus rapidement que les
codes, la jurisprudence qui fixe les coutumes fut
toujours plus puissante que les lois. 11 n'y eut jamais
de peuple aussi respectueux des textes écrits que les
Romains. « Nulle part cependant plus (ju'à Rome,
écrit justement Cruet, le droit sanctionné par la pratique judiciaire n'a aussi largement dépassé, aussi
largement contredit le droit expressément écrit dans
les textes législatifs. Cela n'empêche pas que ce droit
national d'une société morte a été longtemps considéré
comme le prototype d'une législation universelle et
immorlelle »
En fait, une société dont le droit n'évoluerait pas
et resterait cristallisé dans des règles immuables
les
!
cesserait bientôt d'exister.
Un
droit
tel
cas d'ailleurs ne s'est jamais [)résenté.
musulman lui-même,
jadis fixé dans
fini
par en sortir presque entièrement.
loi
pourrait-elle
autour d'elle?
rester
stable,
le
Le
Coran, a
Comment une
quand
tout
change
A un moment donné,
son application
devient impossible. On peut continuer à respecter son
texte, mais on ne l'observe plus. Les Romains vénéraient beaucoup la loi des XII tables, seuioraent ils
ne l'appliquaient pas. Les musulmans respectent
le Coran, mais le transforment complètement par
leur interprétation.
Ainsi, par suite de l'évolution des coutumes, la
jurisprudence évolue en dehors de la loi et parfois
même contre elle. La loi n"a jamais été assez puissante pour lutter contre la coutume. « Si la vie de
famille nous inclinait à l'inceste, écrit le professeur
Durkheim, les défenses du législateur resteraient
impuissantes. » Rien n'est plus évident. Quel tribunal
oserait aujourd'hui condamner aux travaux forcés
pour meurtre, comme la loi l'y oblige, l'individu qui
a tué en duel son adversaire? La loi interdit l'avorte-
ORIGINE DES LOIS ET ILLl SIOXS I.ÉGlsr.ATlVES
H
mais le jury acquittant toujours la coupable,
juge Unira nécessairement par ne jtlus poursuivre.
mais
11 n^a pas, en effet, à nous imposer son droit,
à subir celui que le sentiment social lui impose.
Sans la jurisprudence qui suit toutes les oscillations de la coutume, le code finirait par devenir un
tissu d"ini(|uilés. C'est la jurisprudence, notamment,
(jui airranchit la femme du marin disparu dans un
lointain voyage du veuvage éternel auquel la loi
écrite la condamne, par suite de l'impossibilité pour
elle de pré.-enter l'acte de décès de son mari. C'est
malgré Tinterdiclion
la jurisprudence encore qui.
légale de la recherche de la paternité, oblige maintenant le séducteur à indemniser la femme séduite et
entretenir son enfant.
De tels faits expliquent la genèse des lois et déternu'iit.
le
minent le vrai rôle du législateur. Il devrait consister
uniquement à sanctionner les lois quand elles sont
déjà faites, c'est-à-dire créées par la coutume et fixées
par la jurisprudence. Toute loi surgie inopinément
sans avoir passé par ces deux étapes, est frappée de
mort le jour même où on la promulgue.
Comme exemple d'un droit nouveau en voie de se
former sous l'inOuence de la coutume et de la jurisprudence, citons
le
pouvoir prépondérant
et
croissant
chaque jour dans des proportions colossales, de notre
Conseil d'Etat. Jadis rouage administratif secondaire
confiné dans des fonctions assez subalternes, il est
devenu progressivement, sans règlements nouveaux,
un pouvoir qui fait plier tous les autres. Il juge sans
appel dans les cas les plus dilTérents, révoque les
des jiréfets et des ministres, réintègre des
de marine retraités, annule des nominations
de fonctionnaires, etc.
D'où provient une telle autorité? Toujours de la
même source. De coutumes créées par la nécessité et
fixées par la jurisprudence. Ce n'est pas le Conseil
d'Etat qui a rêvé d'empiéter sur lesautres pouvoirs; c'est
arrêtés
officiers
48
le
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
public qui robliire à empiéter sur eux, parce qu'il
est désireux de limiter les fantaisies ministérielles
ou
de trouver quelque protection au
milieu d'une anarchie universelle. Toutes les démocraties sont conduites d'ailleurs à la création de ces
puissances supérieures présentant un peu d'indépendance et de fixité. La cour suprême des Etats-Unis
joue un rôle analoirue à celui que paraît devoir remplir bientôt notre (Conseil d'Etat.
Un fait frappant dans la création de ces pouvoirs
spontanés et justiliant la thèse exposée ici sur la
genèse du droit, c'est qu'ils ne s'appuient pas sur des
textes, ne sont souvent sanctionnés par aucun, et
acquièrent cependant une grande puissance alors que
des lois nettement formulées, n'en possèdent aucune.
Ce phénomène s'observe également en Angleterre.
Les principes les plus fondamentaux du Gouvernement ne reposent nullement sur des textes. Il n'y en
a pas eu pour diviser le Parlement en deux Chambres,
pour lui permettre de voter les lois, pour obliger le
souverain à gouverner par l'intermédiaire de ministres
responsables, etc. L'Angleterre n'a pas de constitution
écrite*, bien (jue présentant le type du gouvernement
constitutionnel. Elle est progressivement devenue une
véritable république présidée par un i-oi. La liberté
y est cependant beaucoup plus grande que dans
aucune autre républi([ue, celle des Etats-Unis
exceptée. Les citoyens sont liltres d'aller ou de ne
administratives
et
surprend toujours les personnes qui ne croient qu'à la
Le hasard me permet de la jusiilier entièrement en
reproduisant un fragment du discours prononcé par un ministre anglais,
>L Asquith, devant la Chambre des lords au commencement de septembre 1909.
Voilà bien des siècles que nous sommes régis par une Consiiiuiion non
une inscription au livre de nos lois d'impérissables
écrite. Sans doute il y
instruments, tels que la Magna Ghana, mais l'ensemble de nos libertés et de
nos usages constitutionnels n'a été sanctionné jusqu'ici par aucun bill ayant
reçu formelli'ment le consentement du roi, des Lords et des Communes. Nous
vivons sous l'empire d'usages, de coutumes, de conventions qui, à l'origine,
se sont développés avec lenteur et sans uniformité, mais qui dans la suite des
temps ont été universellement observés et respectés o.
1. Celle asserlioli
valeur des textes écrits.
il
;i
or.KJl.NE
IJES
LOIS ET ILI.LSIOXS LÉGISLATIVES
49
sans subir aucune persécution
peuvent se réunir et acquérir
(les biens sans être jamais exposés à l'expropriation.
Les lettres de cachet que nous avons retirées des mains
des rois pour les mettre dans celles de petits juges
d'inslruction y sont inconnues.
Tout dans un tel pays heurte nos idées d'ordre, de
raison et de belle symétrie. Son droit est composé des
éléments les plus disparates. « Le grand mérite des
institutions anglaises, disait en jdein Parlement un
ministre, M. Chamberlain, est de n'être pas logiques. »
Profonde pensée. Les lois, en efVet, se passent de logi(|ue. parce qu'elles sont filles de sentiments créés par
des nécessités indépendantes de la raison.
Nous restons malheureusement très éloignés, en
France, de pareilles idées. L'expérience ne nous
profite pas. Nos erreurs sur la genèse des lois ont
coûté nombre de révolutions, de ruines et de massacres. Nul ne peut dire ce qu'elles coûteront encore.
Notre chimère n'est d'ailleurs pas près de s'anéantir
puisqu'elle trouve pour défenseurs des esprits fort
pas aller à
visible
l'église,
ou cachée.
éclairés.
Ils
Un éminent homme
ment dans
d'Etat affirmait récem-
préface d'un livre, la nécessité « d'organiser politiquement et socialement la société selon
les lois de la raison ». C'est hélas! ce que nous
ne cessons de faire avec la plus inlassable obstination depuis un long siècle, au milieu d'elfroyables
convulsions. Ne renoncerons-nous jamais à vouloir
légiférer, organiser, réformer au nom de cette aveugle
raison qui ne connaît ni les nécessités naturelles, ni
les nécessités économiques, ni les nécessités d'aucune
sorte? Arriverons-nous à comprendre que les sociétés
ne sont pas à la merci des fantaisies sentimentales
des gouvernants? On ne fait pas le droit, il se fait.
Cette brève formule contient toute son histoire.
la
CHAPITRE
II
Les Méfaits des
lois.
Pour justifier les propositions énoncées dans le
précédent chapitre, il ne sera pas inutile d'examiner
les conséquences de quelques-unes de ces lois improvisées par les cerveaux fantaisistes, des législateurs.
Xerxès. dit la légende, fit fouetter la mer pour la
punir d'avoir détruit ses vaisseaux et, sans doute,
lui ôter l'envie de recommencer. La mentalité
de
l'illustre roi semble un peu rudimentaire aujourd'hui.
Elle est très proche pourtant de celle des législateurs qui prétendent transformer au gré de leurs
rêves les nécessités de toutes sortes régissant l'évolution des sociétés.
Ces nécessités sont cependant aussi immuables que
les lois physiques. On ne les voit pas toujours, mais
il faut invariablement les subir et vainement essayonsnous de leur opposer la codification de nos ignorances.
L'avenir seul, montrera combien sont dangereuses
les tentatives actuelles de rénovation sociale des
collectivistes révolutionnaires et des législateurs qui
les suivent.
De
illusions ne ]jerdent leur puissance que
où en apparaissent les conséquences. Il
fallut
Sedan pour nous révéler les dangers du
césarisme impérial. Des expériences analogues seront
le
telles
jour
51
LES .MÉFAITS DES LOIS
nécessaires jiuur dévoiler ceux du césarisuie socialiste".
En étudiant les illusions
sommairement retracé les
vie
du
droit et
comment
de
la
législatives,
lignes
genèse
nous
générales
des
ces dernières naissent de la
lois,
et
avons
de la
montré
coutume
et sont
modiliées lentement, chaque jour, suivant les besoins,
[tar la jurisprudence. La loi nous est apparue comme
une codification momentanée d'un droit évoluant
sans cesse. L'existence sociale, contrairement à ce
que supposent
les métaphysiciens du collectivisme,
ne s'organise pas à l'aide de décrets improvisés, mais
sous l'action des nécessités économiques, et du carac-
tère des peuples.
Sans doute, on peut remarquer, et l'illusion sociaguère d'autre appui, que de Solon à Napoléon
surgirent brusquement dans l'histoire, des codes semblant issus de toutes pièces du cerveau d'un seul législateur. L'examen attentif de ces ciides, celui de
Napoléon, par exemple, démontre vite qu'ils sont
simplement au contraire, la condensation et la simplification de coutumes antérieures fixées par l'usage.
Les codes supposés nouveaux sanctionnent et n'improvisent pas. Ils n'improvisent pas davantage quand
devient nécessaire d'imposer à des contrées, jadis
séparées, des lois générales destinées à remplacer
leurs droits particuliers. C'est ce qui arriva pour la
France à la fin du xvni* siècle, et, beaucoup plus
récemment, pour l'Allemagne et la Suisse. Ces grands
pays ont fini par fondre en un seul texte les codes
divers de provinces d'abord très dissemblables, puis
rapprochées et enfin identifiées par la similitude des
liste n'a
intérêts.
Depuis l'extension du collectivisme révolutionnaire,
une conception
du droit bien différente. Suivant eux. une société se
les théoriciens paraissent s'être forjiié
OZ
PSYCHOLOGIE l'OLlTKjUE ET DÉFENSE SOCIALE
referait avec des
codes.
La
puissance surnaturelle
attribuée aux lois a remplacé celle attribuée aux dieux.
De telles croyances n'étaient défendables qu'à
l'époque où de savants théologiens enseignaient que
les divinités, intervenant sans cesse dans les affaires
humaines, révélaient aux peuples leur volonté par
l'intermédiaire des rois. De lois naturelles inflexibles
il ne pouvait alors être question. La théologie socialiste n'en tient jias compte davantage aujourd'hui. Les
apôtres de la foi nouvelle ignorent les nécessités sociales
tout autant que les prêtres des divinités antiques.
Contrairement à ces chimériques doctrines, nous
apercevons clairement aujourd'hui que les phénomènes
historiques les plus considérables sont engendrés par
des causes lointaines, nomhreuses et étroitement
enchaînées.
de l'accumulation de petites causes
grands effets. En histoire, le pondérable sort souvent de l'impondérable. Les milliers de
petits faits, j)arfois inaperçus, dont les grands événements sont la synthèse, finissent par s'orienter dans
une même direction, en vertu de lois rigoureuses
analogues à celles qui obligent un astre à suivre une
certaine trajectoire ou le gland à devenir un chêne.
Ainsi canalisés, tous ces petits événements journaliers engendrent des courants qui, très faibles à l'origine, et pouvant être facilement détournés, deviennent irrésistibles plus tard, quand leur force s'est
suffisamment accrue. Alors, les grandes digues sociales
sont renversées, et l'évolution d'un peuple se transforme en une révolution.
Dans toutes les transformations lentement crées par
le temps, le rôle de la raison, nous l'avons dit déjà, fut
toujours très faible. Les vrais maîtres de l'histoire, les
fondateurs de grandes religions et de grands empires
l'ont d'ailleurs tous pressenti. Jamais ils n'essayèrent
d'agir sur la raison des hommes, mais bien d'influencer leurs sentiments et de conquérir leur coîur.
C'est
parfois
que naissent
les
5;i
LES IIEFAITS PES LOIS
-Mais cette |)hase héroïque du monde semble on
voie de s'évanouir. Avec l'évolution de la science et
de l'industrie, où riiumanité est entrée, les codes des
nécessités
économiques remplacent
les
codes
reli-
gieux devenus impuissants.
Il importe de ne pas ressusciter, sous forme d'une
théologie socialiste, la doctrine antique nous montrant
les peuples gouvernés par de divins caprices. La grande
d'attriutopie des réformateurs
est précisément
buer à des lois le pouvoir magique maintenant refusé
aux Dieux. Leur rêve de rénovation sociale ne tient
aucun compte des nécessités naturelles. Mais, si les
excusaient parfois nos faiblesses et
montraient accessibles à la pitié, les lois naturelles
restent inilexibles et ne pardonnent jamais. Vouloir
leur opposer d'artificiels décrets est toujours une
dangereuse entreprise. Il ne serait pas plus vain d'essayer d'arrêter une locomotive avec des discours.
Voilà, pourtant, la tâche que nous nous obstinons
à tenter chaque jour avec les lois accumulées par
d'imprudents législateurs. L'expérience peut seule
agir sur les esprits hallucinés par leur foi. Or, ces
expériences se multiplient et nous apercevons de
mieux en mieux les conséquences des mesures précipitées, entassées pour remédier aux imperfections de
l'état social. On commence à constater que la presque
totalité de ces
mesures n'a fait qu'augmenter les
maux qu'on voulait guérir, et cela, simplement parce
qu'elles prétendaient entraver le cours naturel des
vieilles divinités
se
choses.
L'énumération de ces lois nuisibles et de leurs répercussions remplirait un volume. Je vais donc me borner
à en citer quelques-unes avec la concision que le
le défaut de place m'impose. Il ne s'agira point, ici.
de contester les intentions du législateur, sans doute
excellentes, mais de
montrer
les résultats
de ses actes.
54
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
—
Lois sur les primes à la marine marchande.
(ioût annuel actuellement. 41 millions. Résultat accélération rapide de la décadence de notre marine et
rentes importantes servies à des compagnies alle:
mandes.
L'énormité de cette double conséquence est telle
faut entrer dans certains détails. Je les emprunte
au livre récent de Jules Huret sur l'Allemagne- La
compétence de son intei'locuteur. M. Piaté, n'est pas
discutable, puisqu'il est directeur du .Xorddeutscher
Lloyd. une des deux ou trois plus grandes compagnies
de navigation du monde.
(ju'il
Je dis à M. Plate
:
«
Vous qui
assistez ot participez à la pros-
périté extraordinaire des ports allemands,
vous notre arrêt
—
et
vos progrès?
C'est bien simple,
me
comment
expliquez-
»
répondit-ii assez brutalement, votre
système de primes à la navigation, c'est la mort. Vous donnez
de l'argent pour ne rien faire on ne fait rien
» Mais, le résultat le plus cocasse de ce sj'stème, c'est que
l'argent que vous distribuez ainsi a profité jusqu'à présent à des
Allemands et ii des Anglais...
» Je ne devrais pas dire cela, ajouta-t-il, puisque ce sont mes
compatriotes qui bénéficient de vos erreurs... Mais, puisque
vous me demandez mon avis, je vous le donne en toute bon:
nèteté.
!
»
M. Plate explique ensuite comment des groupes étrangers
Inndèrent en France des sociétés de bateaux avec des capitaux
allemands et anglais... L'Etat français payait, comme on le sait,
des primes pour les kilomètres parcourus même par les bateaux
vides. « On flt donc des tours du monde bien rémunérateurs
aux frais du budget français. »
Un armateur me disait cju'en liuit ans, en promenant ainsi
son bateau vide, il avait regagné le prix de sa construction.
M. Plate cite des bateaux refusant des chargements pour ne
pas perdre de temps, trouvant plus de bénéfice à circuler vides.
-M. Huret ayant fait observer que la
loi avait été modifiée et
qu'il fallait maintenant que les bateaux fussent chargés pour
toucher la prime, le directeur du Lloyd lui fit observer que
presque rien n'avait été changé en réalité, puisqu'il suffisait
d'un quart de fret pour profiter de la prime. Pour contrebalancer les primes françaises, quelques Allemands avaient
réclamé aussi des primes, mais les directeurs des grandes
Compagnies les refusèrent énergiquement. « C'eût été, dit le
directeur du Lloyd, la mort de notre initiative et de notre acti-
55
LES MEFAITS DES LOIS
la marine comt't
le commencement de la déchéance de
merciale allemande. Votre exemple nous suffit. Les primesv
d'encouragement sont des primes de mort. Nous ne recevons
des subventions que pour dos services rendus transports de la
poste, etc. Vous demeurez dans l'inaction... Pendant ce temps,
les autres pays marchent, et c'est ainsi que la France se voit
^ilé
:
chaque
joui' dislanc('e...
>>
Loi de 1900 limitant le travail des enfants dans
Disparition de
l""
Hé-sultats
manufactures.
—
les
:
prochaine très menaçante
pour l'industrie; 2° Augmentation de la criminalité
infantile quia doublé depuis l'application de cette loi.
Ces conséquences, M. le sénateur Touron les a
très nettement rappelées dans un récent rapport au
l'apprentissage
et
crise
Sénat.
«
Il
écrit-il,
est
universellement
que l'application de
reconnu
cette loi
aujourd'hui,
a
amené bon
«ombre de
chefs d'industrie à supprimer dans leurs
usines l'emploi des jeunes ouvriers. »
Après avoir constaté qu'à Paris le nombre des ado-
devenus apaches a doublé (2.273 au lieu
« L'une des causes principales
de 1.174). il ajoute
de ce phénomène réside précisément dans les rigueurs
d'une réglementation du travail qui, en éloignant les
jeunes gens de l'atelier, les a jetés à la rue, abandonnés à tous les dangers de la promiscuité. »
lescents
:
—
Cette
Loi sur le privilège des bouilleurs de cru.
autorise les propriétaires récoltants à distiller
loi
sans payer de droits. 11 ne leur reste plus ensuite
qu'à écouler leurs eaux-de-vie, opération facile et
permettant de bénéficier de 220 francs de droits par
1° Perte pour
hectolitre d'alcool pur. Résultats
le Trésor évaluée à plus de 100 millions par an;
2° Accroissement énorme de l'alcoolisme dans le&
familles qui auraient reculé devant le coût des eaux:
de-vie commerciales.
Loi d'expropriation des congrégations.
— Résultat
56
PSYCHOLOGIE POLITIOLE ET DÉFENSE SOCIALE
encore inconnu, mais facile à prévoir. Devait
produire un milliard. Paraît ne pas devoir rapporter
plus de 10 millions. N'a
servi
qu'à enrichir une
armée de gens de loi. En compensalion. nécessité de
créer un nombre immense d'écoles, d'établissements
hospitaliers, etc., pour remplacer ceux entretenus par
les congrégations. An lieu d'un milliard de recettes, ce
sera sûrement des centaines de millions à dépenser.
Je ne parle pas des conséquences sociales de cette
très immorale opération
exaspération de milliers de
citoyens, dévelojtpement chez les socialistes de cette
idée que l'Etat peut par une simple loi s'emparer des
propriétés privées ou des usines, comme il l'a fait, par
exemple, pour celle des Chartreux. Ce dépouillement
de toute une classe de citoyens a provoqué une violente
indignation chez les nations étrangères et nous a
davantage nui dans leur esprit que la perte de plusieurs
batailles. Le sujet sera repris dans un autre chapitre.
final
:
Lois sur les primes
aux fabricants de sucre.
—
Lois abolies après avoir coûté à l'Etat des centaines de
millions. Les résultats furent uniquement une surproartificielle du sucre et cette conséquence
admirable que les fabricants français vendaient en
France leur sucre quatre à cinq fois plus cher qu'aux
Anglais. Ils eurent tous d'ailleurs le temps de s'enrichir aux dépens du consommateur.
duction
Loi décrétant la liberté des cafés, cabarets, débits
de boissons.
Celte loi n'a rien coûté en apparence à l'Etat, mais fort cher aux citoyens, par le
développement considérable de l'alcoolisme. En peuplant les hôpitaux et affaiblissant les forces françaises, elle a indirectement été très onéreuse.
—
Loi
du rachat de
l'Ouest.
—
Cette loi n'étant qu'à
ses débuts, les elïets ne s'en feront sentir complète-
ment que dans quelques années. Dès
vote, les
employés
se réunirent
le lendemain du
pour demander des
LES MEFAITS DES LOIS
0(
augmentations
de salaire, mais elles ne sont pas
l'élévation
Actuellement,
des
dépenses, c'est-à-dire la perte annuelle de l'Etat,
s'élève pour 1910, d'après le rapport de M. Dounier.
à 50 millions. Ce n'est d'ailleurs qu'un tout petit
commencement. Par les faits observés à la Ville de
Paris, on
peut juger ce que devient un service
dont le personnel est transformé en fonctionnaires.
« Chaque fois, écrivait récemment M. Delomhre,
que la Ville a « municipalisé » u;î personnel, le
rendement de la main-d'œuvre a diminué pendant qu'augmentaient, au contraire, les salaires et
les frais accessoires. N'a-t-on pas vu. dans certains
services, les frais de maladie tripler d'une année
à l'autre, simplement parce que le personnel de
ces services avait été assimilé au personnel muniaccei>tées
cipal?
encore.
»
Ces coûteuses vérités ne sauraient, bien entendu,
ébranler la foi socialiste.
Lois destinées à remédier à la crise viticole du
Midi.
Ces lois, déjà innombrables et toujours
impuissantes, montrent clairement l'incapacité du
législateur à lutter contre des nécessités naturelles.
Par la culture exagérément développée de ses vignes,
le Midi est arrivé à une surproduction de vins, de qualité souvent douteuse, et dont il augmentait encore
la
quantité par l'addition de sucre. (Jue faire en
pareil cas? Simplement ce que tirent jadis les cultivateurs de garance quand fut découverte l'alizarine. Ils
renoncèrent à la garance et plantèrent autre chose.
On n'avait pas heureusement à cette époque lointaine,
la même confiance qu'aujourd'hui dans la puissance
de l'Etat, autrement la fabrication de l'alizarine économique eût été supprimée pour assurer la vente de
la très coûteuse garance.
Mais nous avons fait des i)rogrès et c'est à
l'Etat que les Méridionaux demandèrent d'acquérir
—
58
le
psyciioLOGiE roLiTiui
vin
dont
le
i:
et défense sociale
public ne voulait
plus.
Ils
[(reten-
sous forme d'akn>ol ou.
daient
l'obliger à l'acheler
ce qui
revient exactement au
même,
à
donner aux
de
viticulteurs des primes à la distillation. L'histoire
la crise
du Midi restera dans l'avenir
mémorable exemple de
comme un
mentalité d'un pays où
s'est épanoui l'Etatisme. Inutile d'ajouter, je pense,
qu'une crise analogue eût été impossible dans des
contrées comuie l'Amérique et l'Angleterre où les
particuliers sont habitués à compter sur leur initiative
et jamais sur l'inlervention de l'Etat.
la
—
Résultats
Loi sur le repos hebdomadaire forcé.
Augmentation d'au moins 10 p. 100 de la plupart
des objets de consommation: 2° Troubles tellement
:
1"
profonds dans l'industrie et le commerce qu'il fallut
apporter immédiatement une foule de tempéraments
à la loi. Mais c'est surtout pour les ouvriers qu'elle
est coûteuse. Dans la plupart des industries, sévissent
annuellement plusieurs mois de chômage qui constituaient un repos très suffisant. Ces catégories d'ouvriers perdent maintenant leur salaire du dimanche,
sans parler de la dépense au cabaret. J'ai entendu
plusieurs d'entre eux évaluer à un déficit de trois ou
quatre cents francs par an le coût de la nouvelle loi
pour eux.
—
Cette loi n'est
Loi sur les retraites ouvrières.
encore appliquée, mais on peut facilement en
prévoir les conséquences. Repoussée par l'immense
majorité de la classe ouvrière elle sera l'origine
jjas
de troubles incessants. Les mutualités dues à l'initiative privée suffisaient à créer ces retraites qu'elles
avaient commencé à constituer partout. En les rendant obligatoires, c'est-à-dire en obligeant patrons et
ouvriers à verser au Trésor des sommes relativement élevées le législateur a simplement établi des
impôts nouveaux qui vont lourdement grever notre
industrie déjà si accablée. Cela sans grand profit
LES MEFAITS KES LOIS
59
[misqu'oii estime qu'une faible partie des ouvriers
arriveront à l'âge de la retraite. La majorité aura donc
payé pour rien. Avec les formes actuelles de mutualités au contraire, un versement rapporte toujours
quelque chose
et n'est
jamais perdu.
Pour n'cupérer le montant du ses sacrilices, écrit le Temps.
et pour parvenir à cette terre promise de la retraite, le travailleur devra remplir diverses cunditions, dont une au moins ne
dépend pas de lui 11 devra atteindre l'âge de soixante-cinq ans.
S'il vient à décéder avant cet âge, il aura été dépouillé purement
et simplement de son épargni'. La belle façon d'enseianer la
prévoyance
Pour assurer que ces prévoyants malgré eux ne puissent pas
(luder l'obligation à laquelle ils se voient soumis, la loi ordonne"
que les patrons retiendront sur les salaires les sommes dues
:
!
par les ouvriers. C'est l'organisation de la lutte de classes.
chaque paye, les mêmes résistances s'élèveront.
A
Arrêtons-nous dans cette énumération qui ijuurrait
beaucoup plus longue. Aux conséquences indiquées, il faurait ajouter une impopularité parlementaire croissante dont je parlerai dans un prochain
chapitre. Le malade ne pardonne guère au médecin
J'insuccès de ses remèdes.
D'une façon générale, il est permis de dire que la
il)lupart des lois prétendues humanitaires accumulées
par des législateurs peu éclairés ont produit d'abord
de désastreux effets particuliers. Elles commencent
maintenant à engendrer des conséquences générales
de plus en plus sensibles et que révèlent d'indiscuêtre
tables statistiques.
Les ruines industrielles provoquées par elles
retomberont de tout leur poids sur les ouvriers,
chaque jour davantage guettés par le chômage et la
concurrence étrangère. Ils seront alors victimes de
ces grandes lois naturelles que l'étroitesse d'espril
des législateurs ne leur permet pas de comprendre.
Bien d'antres que nous ont signalé les méfaits de
,
•ces
lois
malfaisantes et ruineuses.
()0
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE
Les charges (•nornies résultant de ce qu'un appelle la puliti(jue
Delombre, ne déterminent pas le moindre
apaisement et nous conduiront à la faillite avant d"avoir désarmé
la colère professionnelle des démagogues socialistes. Les députés,
élus au scrutin d'arrondissement, donnent la mesure
lie la valeur du système, en gaspillant sans merci les ressources
sociale, écrit Paul
publiques.
Nos parlementaires ont créé à ce pays, écrit M. Jules René,
nous appellerons la mentalité miraculaire, l'état d'esprit
ce ipie
messianique. Et l'on étonnerait bien les esprits positifs, qui
rient de Lourdes et de ses prodiges, en leur démontrant qu'ils
attendent de la part de l'État des miracles politiques et sociaux
plus étonnants encore que ceux de la Vierge des Pyrénées.
Dans les masses profondes, la croyance s'est fortifiée et enracinée, que le Parlement n'a qu'à le vouloir pour changer l'eau
en vin, le bronze en or, le pain en gâteau et la misère en
richesse. Et si cette transmutation merveilleuse tarde à se produire, la chose ne tient qu'aux lenteurs du Sénat et à la négligence de l'autre Chambre. Mais, que les députés appointent un
peu plus d'application et les sénateurs un peu plus de hâte à la
confection des textes, la face delà France
aussitôt changée
sm
!
Avertissements justes mais sûrement inutiles. Ce
nest pas seulement dans le monde antic^ue cjue
Jupiter aveuglait d'abord ceux qu'il voulait perdre.
Les conséquences de tant de lois votées au hasard
se retourneront de plus en plus contre leurs instiirateurs. L'histoire est remjjlie de ces incidences. 11 est
rare, comme l'a dit Bossuet, que « la pensée humaine
ne travaille pas pour des fins qui non seulement la
dépassent, mais qui sont le contraire même de son
dessein
».
CHAPITRE
Rôle politique de
III
la
Peur.
Malgré rinsullisance avouée de mes connaissances
en occultisme, je ne crois pas téméraire de tenter une
classification des fantômes et de rechercher les lois
de leur formation.
Pour les cataloguer utilement, il faut d'abord déliniiter leur puissance res]iective.
On admettra aisément, et sans démonstration, je
pense, que la plupart des grands événements du
passé ont été réalisés sous l'influence de fantômes.
Etudiée d'un point de vue assez élevé pour saisir son
ensemble, l'histoire apparaît comme la collection des
efîorts des peuples pour créer des fantômes ou les
détruire. La politique, ancienne ou moderne, n'est
qu'une lutte de fantômes.
Mais toutes ces ombres ne possèdent pas un
liouvoir égal; elles ont leur hiérarchie et c'est ici
qu'intervient la nécessité d'une classification.
A son sommet règne une petite cohorte do fanli'tmes très ])nissants, très redoutables, contre lesquels
toute résistance serait vaine. Le temps seul est leur
maître.
Ces ombres souveraines sont celles des fondateurs
de grandes croyances. Du fond de leur tombeau, ils
dictent impérieusement leurs loi» à des millions
d'hommes. C'est pour les servir que de brillantes
civilisations ont surgi, que les peuples se sont
^2
l'SYCilOLOGIE
rOLlTIQUE ET DEFENSE SOCIALE
furieusement combattus et que tout récemnienl
encore 30.000 Arméniens furent massacrés en quelques jours.
Au-dessous de ces maîtres redoutés, évoluent les
fantômes des héros. Quelques-uns se bornent à créer
les légendes et les mythes encadrant l'idéal des peuples, mais il en est d'assez forts pour exercer leur
influence, bienfaisante ou néfaste, sur des événements
très éloignés d'eux. Tel, par exemple, le fantôme de
Napoléon qui fit sacrer empereur son neveu et nous
valut Sedan.
A l'autre extrémité de cette hiérarchie des ombres
grouille une légion immense de petits fantômes
bruyants, tapageurs et vains, sans puissance réelle et
sans durée. Ils terrifient parfois les âmes craintives,
mais s'évanouissent comme des bulles de savon dès
qu'on est assez hardi pour en approcher.
Tous ces petits spectres éphémères, grimaçants el
futiles, sont perpétuellement enfantés par un autre fantôme, invulnérable celui-là et immortid le fantôme
colossal de la peur. Son pouvoir s'exerce depuis
les origines du monde el le temps ne l'a pas effieuré
encore.
Je ne sais si, comme l'affirmait le grand i)oète
Lucrèce, le fantôme de la peur engendra les dieux,
mais je suis très certain que si son influence n'avait
pas constamment dominé les peuples et leurs maîtres,
le cours de l'histoire eût été tout autre. Et je sais bien
encore que si ce terrible despote, et ses fils innombrables, n'agitaient pas inlassablement leurs ombres
sur notre Parlement, l'efFrayante anarchie où nous
sommes plongés aurait fait place à l'ordre et à la
discipline sans lesquels aucune société ne peut sub:
sister.
Tous ces fantômes,
qu'il
celui de
engendre, furent connus
la
peur comuie ceux
grands hommes
<les
RÔLE POLITIQUE DE
L.V
63'
PEL'R
fit partie de leur génie. Les
simples politiciens les subissent, mais ne les utilisent
d'Etat. Savoir les utiliser
pas.
L'histoire lamentable
de la grève des postiers
point des gouvernants, un peu trop
dépourvus de génie, peuvent être terrifiés par les
moindres spectres. Elle a montré aussi comment se
développent ces derniers dès (ju'on néglige de les
révéla
à quel
maîtriser et avec quelle facilité
main qui ose les toucher.
ils
s'effondrent sous
la
d'abord tout petit, le fantôme créé par les
Rien n'eût été plus aisé, l'événement l'a
prouvé et je l'avais annoncé dans un article de
VOpinion. que do l'anéantir. Mais la terreur de
cette ombre vaine avait tellement paralysé le gouIl
était
postiers.
vernement
qu'il
capitula
vite et
si
humblement que
délégués postiers purent assurer publiquement
avoir vu les ministres « presque à leurs genoux, les
suppliant de reprendre leur service ».
les
L'humilité
de cette attitude fut d'ailleurs finale-
ment très utile. Lorsque, dans un Elat. une classe,
une caste, un parti s'imagine être tout-puissant, il
songe aussitôt à devenir le maître. Stupéfaite d'avoir
le Parlement, la magistrature et l'armée, la
caste des postiers se croyant invincible voulut utiliser
son petit fantôme sans même lui laisser le temps de
intimidé
grandir.
Sous un prétexte quelconque une nouvelle grève
décrétée. A moins d'admettre que la France
serait à l'avenir gouvernée par une délégation de
fut
commis des
postes
se défendit et, dès le
il
fallait
bien se défendre. On
la bulle de savon
premier choc
s'évanouit.
Son anéantissement amena l'effondrement instantané d'autres fantômes, notamment celui de la grève
générale que les ministres redoutaient fort,
l'un
d'eux l'ayant inventée avant d'arriver au pouvoir.
Vainqueurs et vaincus témoignèrent du reste d'une
—
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
(J4
complète ignorance dans
Elle leur
tît
l'art
de manier
les
fantômes.
entasser des fautes de psyrholo.ffie sans
excuse.
Faute énorme de psychologie du gouvernement
une première fois. Faute des postiers, touchant à rimbécillité pure, lorsque, après avoir, contre
toute vraisemblance, réussi à dompter l'Etat, ils ne
comprirent pas que de telles victoires ne sauraient
se répéter et qu'une défaite devient alors irrémédiable. Faute plus grossière encore celle des membres de la C. G. T. qui, au lieu de se ])orner à agiter
le spectre de la grève générale, voulurent s'en servir
et dévoilèrent du même coup la grandeur
de son
impuissance. Les occultistes auraient dû leur révéler
que les fantômes, puissants dans l'ombre, s'évanouissent à la lumière. Certaines vérités n'ont pas
d'avoir cédé
le
droit d'être
Le
ignorées.
échec de la grève des postiers et de
grève générale, solennellement décrétée parlaConfération du Travail, qui avait fini par se croire un
petit comité de salut public, n'a pas ea pour seul
résultat de nous apprendre l'utilité de la résistance.
Cette assez honteuse histoire montre encore avec
quelle facilité grandissent les petits fantômes dès
qu'ils sentent qu'on a peur d'eux.
L'évolution du langage des postiers est fort typique
à ce point de vue et fourmille d'enseignements, que
devront méditer nos hommes d'Etat. Au début de
la jiremière grève ils étaient respectueux encore. La
capitulation du gouvernement leur ayant donné l'illusion d'une force invincible, leur langage se transforme
aussitôt. Devenus soudain antipatriotes et révolutionnaires, ils s'allient à la Confédération du Travail
dont le but avoué est la destruction violente de la
société. On jugera de cette évolution par le passage
suivant emprunté à une interview de leur ministre
très piteux
la
:
Jamais fonclionnaires des postes n'avaient osé tenir, dans une
réunion publique, des discours aussi nettement ri'volutionnaires
65
RÔLE POLITIQUE DE LA PEUE
que ceux que
j'ai dû relever. L"un dos agculs poursuivis ifa-t-il
pas pris, ces jours derniers, la parole dans une n'union publique
pour y préconiser « Vaction énergique et concertée contre le
patronat, le capital et les pouvoirs publics » Z Et, dans cetic
même réunion, savez- vous à quoi Ton s'est engagé? On s'est
engagé « à propager les idées antimilitaristes, à détmire les
derniers remparts derinère lesquels se dérobent Vexploitatioii
capitaliste et son complice l'autorité, représentée par les pouvoirs publics ».
Les progrès grandissants de ranarchie dans les
masses eurent toujours iiour principale cause la faiblesse des gouvernements.
Des leçons répétées chaque jour Unirons-nous par
retirer quelque fruit? Le gouvernement arrivera-t-ii
enfin à déployer un peu d'énergie contre de petites
bandes d'énergu mènes, auxquelles, sous prétexte de
liberté d'opinion, on laisse prêcher le sabotage,
l'incendie, la révolte et la destruction de la société
qui les tolère ? Si parmi notre arsenal de lois aucune
— ce
—
dont je doute fort
n'est applicable à de pareils
il faut
en créer sans retard et les appliquci-
délits,
sans peur.
Cette création ne sera jjas
lendemain de
évidemment
facile.
Des
grève des postiers, certains parlementaires tremblants proposèrent l'amnistie des
révoltés et amenèrent beaucoup de députés à voter
avec eux. J'imagine que ces derniers durent rougir
quelque peu d'une pareille pusillanimité.
Les meneurs actuels ne sont pas seulement dangereux par les actes qu'ils provoquent, mais surtout
par les idées qu'ils font éclore dans les cervelles
populaires, idées qui suffisamment mûres finissent
par engendrer les révolutions. Souvenons-nous de
la Commune et de l'incendie d'une partie de la capitale pour nous représenter ce que peuvent devenir
les foules entraînées par d'insidieux' discours.
Conseillons donc la défense, mais sans trop l'espérer, car le fantôme de la peur qui a remplacé les
le
la
G.
C6
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE
anciennes divinités est devenu beaucoup plus puissant;
qu'elles.
C'est surtout aux époques troublées (ju'on le voit
(léinesurémenl grandir. Il est alors capable de transformer en bêtes sanguinaires de pacifiques bourgeois,,
inspirer à Carrier ses noyades et ses réquisitoiresà l'ouquier-Tinville. Ce dernier, magistrat réputé
jadis [)0ur sa douceur,
hécatombes dès que
le
ne s'arrêta plus dans les
fantôme de la peur l'eut fixé.
devint féroce au point de proposer de saigner les
les conduire à l'échafaud pour
les priver de leur courage.
Nous n'en sommes pas encore là. Souhaitons.,
malgré les menaces de certains socialistes, de n'y point
arriver, mais rappelons-nous que le chemin sur lequel
entraîne le spectre de la peur est fort glissant et ne
11
condamnés avant de
remonte pas.
Actuellemerit, \o terrible fantôme se borne à suggérer les lois les plus absurdes, les plus nuisibles,
se
à l'avenir de l'industrie.
Il lui suffit, pour y parvenir
quelques énergumènes hypnotisés par des
formules et se souciant fort peu d'ailleurs de l'intérêt
général. Croit-on, par exemple, qu'il y ait eu un
électeur sur 100.000 ayant souhaité réel'ement le
rachat de l'Ouest ?
En fait l'électeur s'inquiète médiocrement des lois
inspirées par des principes et ne s'occupe que de ses
intérêts immédiats. Il vote surtout pour ou contre les
personnes et s'occupe peu des opinions.
Dans les mobiles des votes des législateurs interviennent surtout les promesses, les mots d'ordre,
les formules magiques
donner un coup de barre
à gauche, poursuivre l'infâme capital, socialiser
les propriétés, etc. Ces fétiches élaborés dans les
clubs, les comités, les syndicats, les arrière- boutiques des marchands de vin, inspirent une telle
peur (jue l'orateur le plus aimé n'ose les heurter pour
«l'exciter
:
éviter l'impopularité.
RÔLE
lotîtes
vains
(le
POLlTIQLili
Uli
LA PEUR
67
ne constituent pourtant que
la psychologie
répèle qnel([uefois. mais ne les applique
ces fofmules
I)ruit.s.
(les i'onles les
L'homme possédant
jamais.
à
les masses obéissent
11 sait fort bien, en elïet, que
une logique inconsciente des sentiments entière-
ment
ment
soustraite à la logique rationnelle. Elles acclavolontiers Brutus ])arcc qu'il a tué César, mais
proposent aussitôt do faire de Brutus un César.
Les grands meneurs devinent, ou plutôt
suivent
assez aisément, l'âme populaire dont ils sont l'incarnation. Ils s'en assimilent les soudainetés et les mobilités, alors que les politiciens ordinaires s'y perdent
complètement. Leur étroite logique rationnelle latine,
vigoureusement aiguillonnée par la peur, conduit ces
derniers à fabriquer des lois déduites des formules hallucinantes, qui les terrifient.
que surgissent, avec d'énormes majoruineuses et inapplicables sous le poids
desquelles l'industrie, le commerce et la richesse
publique finiront par succomber.
Rien n'arrête dans cette voie. Les surenchères inspirées par le fantôme de la peur avaient engendré un
[irojet sur les retraites ouvrières que chaque député
savait irréalisable, puisqu'il eût été impossible de
trouver les 7 ou 800 millions annuels nécessités par
son application. Tous cependant l'ont voté sachant
Et, c'est ainsi
rités, ces lois
bien d'ailleurs que
le Sénat rectifierait leur fantaisie.
Les retraites obligatoires établies par la Chambre,
('"(rivait P. Delombre, eussent été à la fois l'écroulement
des finances publiques et la ruine du travail national.
Telle est la vérité que l'on ne fera jamais trop
«
connaître.
»
Sans doute, mais à quoi sert de la faire connaître?
Notons toujours, pense le député dominé par la peur,
les autres s'arrangeront.
68
PSYCîiOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSi: SOCIALE
Le fantôme de la peur est à lui seul extrêmement
redoutable, mais il le devient plus encore quand se
joint à lui ceux de la haine et de l'envie. Leur triumvirat dirige toute notre politique actuelle.
C'est surtout dans le projet d'impôt sur le revenu
qu'apparut l'action simultanée de ces trois fantômes.
On ferait un peu sourire en prétextant ijue l'amour
de l'équité et un intense besoin d'altruisme déterminèrent sa préparation. Chacun sait qu'il ne dégrève
à peu près personne et que ceux qu'il semblait,
dégrever de sommes infimes ne le seraient qu'au prix
des inquisitions les plus tyranniques.
La soif de la justice n'eut, en réalité, aucune part
dans la genèse de cette loi. Les fantômes de la haine
et de l'envie furent utilisés pour faire croire que
500,000 personnes seulement paieraient les impôts.
En agitant ensuite le fantôme de la peur on obtint de
Chambre une immense
la
Mais, nous
majorité.
les spectres craignent la
lumière, et le public a fini par comprendre de quelles
vexations, de quelles ruines on le menaçait uniquement pour obéir au fanatisme bruyant d'une petite
minorité socialiste, exaspérf'e jtai- la jirospérité de
quelques grands industriels.
Et pourquoi le parti avancé tenait-il tant à cet
impôt sur le revenu? Est-ce vraiment l'amour du
pays, un vif désir d'équité, un altruisme débordant
qui l'inspirait? Hélas! de tels sentiments se professent mais ne se ressentent guère. Un fin psychologue, Ë. Faguet, a fort bien mis en évidence les
l'avons
dit.
vraies raisons.
qu'il n'y a, en imtaxation arbitraire (|ui soit pratique,
que certain parti lient tellement à l'impôt sur le revenu. L'impôt sur le revenu sera un moyen de frapper qui déplaît et
d'épargner qui plaît. C'est justement ce qui en t'ait le mérite
aux yeux d'un certain parti. Cela pourra avoir d'admirables
conséquences électorales. Ici encore, ce qui est le défaut de la
mesure en est le principe pour ceux qui la proposent.
Il
est à croire
pôt sur
le
que
c'est
revenu, que
la
précisément parce
RÔLE POLITIQUE DE LA PELK
69
Aucun argument n'a pu impressionner les députés
sur lesquels le fantôme de la peur dardait de menaçants regards. Ils ont volé sachant parfaitement,
comme l'écrivait Jules Roche, « que ce qu'on leur a
présenté comme une réforme démocratique n'est autre
chose que le projet le plus rétrograde, l'inquisition la
plus odieuse, la plus dangereuse, mettant la fortune
des citoyens à la merci de l'arbitraire d'une armée de
fonctionnaires, agents du parti politique au pouvoir.
C'est une loi de ruine et de guerre civile. »
M. Raymond Poincaré «lit à peu près la même
chose
:
actuel constitue un effroyable danger pour nos
finances publiques... II amènera la perte des recettes et ro[)pression des contribuables moyens. C'est un péril pour la ioitune nationale et pour la République... Je suis convaincu qu"il
s'en suivrait un soulèvement formidable dans le pays.
Le
projet
Rien n'est plus certain, mais que pouvaient les parlementaires terrorisés par la menace immédiate des
fantômes, alors que la ruine et les soulèvements annoncés apparaissaient fort lointains. Qu'auraient pensé
d'ailleurs, en cas de rejet, les instituteurs, les marchands
de vin et les comités socialistes? Je ne parle pas des
syndicats ouvriers, car ils ont affirmé sur tous les tons
se désintéresser entièrement de cet impôt évidemment
destiné d'ailleurs à retomber sur eux.
Sous l'intluence dominante de ces fantômes, et
surtout de celui de la peur, on a gouverné, depuis
vingt ans, presque exclusivement au protit de la classe
ouvrière, ne cessant d'irriter
trie
par des
le
lois vexatoires et
commerce
et l'indus-
des menaces d'impôts
plus vexatoires encore.
C'est la peur seule qui fit légiférer sans cesse le
Parlement au profit d'une seule cKasse contre celles
qui, précisément, représentent la force et la gloire du
pays. Dépouillant les uns sous prétexte de religion,
70
PSYCHOLOGIE POLITIOIE ET DEFENSE SOCIALE
persécutant les autres sous prétexte de richesseacquise, toujours il fut mené par le fantôme de la
l)eur. Peur de l'Eglise, peur des ouvriers, peur des
socialistes révolutionnaires pour en arriver enfin à
l'humiliante terreur des ronds-de-cuir.
A-t-on au moins par tant de lois vexatoires conquis
les sympathies des travailleurs, aux chefs desquels
on cédait chaque jour? Personne n'ignore que le gouvernement a surtout récolté leurs haines. Les foules
ne sont jamais reconnaissantes de ce qu'elles obtiennent par des menaces.
décrié,
11 subsiste cependant, ce gouvernement si
mais simplement parce qu'on ne trouve rien pour le
remplacer. Un de ses préfets, M. J. d'Auriac, le dit
très bien dans son livre La France d'aujourd'hui
« si notre gouvernement se maintient debout depuis
(juarante ans, c'est plutôt par la faiblesse de ses
adversaires que par sa propre vertu ».
:
Cette opinion
commence
à devenir générale.
11
serait
donc utile de renoncer à accroître le nombre des
ennemis du régime par ce mélange de faiblesse, de
despotisme, d'intolérance et d'esprit de persécution
qui Unissent par devenir insupportables à tous sans
rallier
personne.
Pour réaliser ces sages conseils
sages que réalisables
la grande
—
—
sûrement plus
difficulté sera
s'atTranchirde la terreurdes fantômes.
Il
de
est à craindre
no^isnela subissions longtemps encore. Ce ne sera
sans doute qu'avec le dernier homme que périra le
dernier fantôme.
(juc
CHAPITRE
IV
Transformation moderne du droit
divin.
L'Étatisme.
L'Etatisinc, dont le socialisme collectiviste, est l'expansion naturelle constitue la religion nationale des
peuples latins, la seule universellement respectée.
Très forte, très puissante et très stable, elle n'est
pas une de ces croyances transitoires sensibles aux
suggestions de la raison ou des sentiments. Fixée par
une longue hérédité dans les âmes, nul ne la conteste
en dehors d'un petit noml)re d'hérétiques sans autorité ni prestige.
Grâce à son universalité, nos partis politiques
d'apparences souvent dissemblables n'en forment
réellement qu'un seul. Le plus convaincu des cléricaux, le plus réactionnaire des monarchistes, le plus
avancé des socialistes sont les lidèlcs adorateurs de
l'Etat. Ils durèrent sans doute sur le choix des grands
prêtres de la croyance, mais n'en discutent jamais les
dogmes.
Ces dogmes sont faciles à formuler. Pour les peuples
en général et pour les Français en particulier,
l'Etat représente une sorte de pape collectif devant
latins
tout administrer, tout fabriquer, tout diriger et dis-
penser les citoyens du plus léger eifort d'initiative.
Il a progressivement remplacé l'antique providence
dont notre religiosité ancestrale ne pouvait se passer. Le vigneron impuissant à vendre sa récolte
t'^
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE
si la providence
étaliste refuse de l'acheL'armateur, dont l'incapacité lui rend difficile la
lutte contre des rivaux étrangers, exige une indemnité pécuniaire de l'Etat. L'ouvrier qui préfère le
repos au travail lui demande ce repos.
Sous la poussée générale, l'action de cette providence s'étend chaque jour. Usines, chemins de fer,
compagnies de navigation, etc., tombent de plus en
plus dans ses mains. Le collectivisme, forme ultime
de l'Etatisme. voudrait même y faire passer toutes
les industries. 2se sait-il pas de source sûre que
l'Etat tout-puissaul peut par ses lois décréter le bon-
s'insurge
ter.
heur?
L'Etatisme ne représente pas seulement la forme
droit divin. Il a hérité à la fois de l'autorité des dieux et de celle des rois. Sa force tient
jusleinent à ce qu'il synthétise cet héritage. Louis XIV
est mort depuis longtemps, mais l'Etat a conservé
moderne du
et ses principes. Un
là-dessus l'ombre du grand roi
s'entendrait sûrement répondre que sa tradition a été
très fidèlement suivie par tous ses successeurs, mais
soigneusement
ses
méthodes
spirite interrogeant
ont fini par exagérer un peu sa centralisation
son autocratie. L'illustre fantôme donnerait peutêtre comme une des preuves de cette similitude l'expulsion des congrégations, identique à celle des protestants et dérivant des mêmes principes. Il n'aurait
jjas besoin d'une dialectique bien serrée pour démontrer ({u'en substituant à la Monarchie une et absolue,
la République une et indivisible, les Jacobins dotèrent
cette dernière de la toute-puissance de la première.
Les (îirondins payèrent de leur tète la prétention
de rendre l'Etat moins centralisateur et moins
despotique.
Un poinl cependant provoquerait peut-être les critiques du grand roi. II considérerait sans doute comme
fort difficile de gouverner avec l'obligation d'obéir
aux capricieuses oscillations de la multitude, et
({u'ils
et
TRANSFORMAT I0\ M0DER>;E DU DROIT
remarquerait aussi que
lations
73
DIVIN
les foules sont l'objet
d'aduau
plus servîtes que celles qui l'entourèrent
de sa i)uissance. Probablement observerait-il
encore que les monarques poursuivaient souvent l'intérêt général tandis (|ue bien des x'eprésentants de
faîte
l'Etat actuel paraissent
peu s'en soucier,
et n'hésitent
pas à voter des lois dangereuses si elles peuvent
assurer leur réélection. On lui répondrait alors, en
l'invitant à rejoindre sous terre les fantômes de ses
aïeux, qu'il ne comprend rien au progrès.
Les considérations précédentes sont assez évidentes,
je pense, pour se passer de démonstration. La prétention de l'Etat à l'omnipotence ne paraît guère contestable. Elle arrive même à choquer les plus officiels
de ses défenseurs. Un préfet, M. d'Auriac, déjà cité,
remarquait dans une récente étude que, suivant les
méthodes de la Monarchie, continuées, d'ailleurs,
scrupuleusement par la Convention et tous les gouvernements successifs, les habitants des provinces
sont traités comme un pays conquis, comme une
colonie lointaine, comme des hommes appartenant
à une autre race que leurs gouvernants. » Ils reçoivent
leurs autorités de la capitale et sont obligés de
demander à Paris une permission pour les moindres
actes construction d'un marché, édification d'une fon(t
:
taine, etc.
C'est,
observe justement
le
même
écrivain, la tradi-
gouverner leurs provinces
[lar des intendants, prédécesseurs de nos préfets.
Inutile de regarder
longuement autour de soi
pour constater que l'absolutisme de l'Etat rappelle
celui de l'ancienne Monarchie, mais considérablement aggravé. II est aggravé parce que le législateur
moderne, sentant son rôle éphémère, ne se préoccupe nullement des conséquences de lois édictées
sous la pression quotidienne des fantaisies populaires. Le décret à voter, c'est quelque chose d'immédiat, satisfaisant en apparence les intérêts du
tion des rois absolus faisant
7
74
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCLVLE
moment. Les incidences restant éloignées ne s'apercevront que plus tard. Esaii s'illustra jadis en enseignant aux âmes simples qu'un plat de lentilles présent
vaut mieux qu'un droit d'aînesse lointain. Les législateurs de race latine suivent fidèlement l'exemple
d'Esaii.
Si tardives
cependant que soient
les
conséquences
des lois inconsidérément votées, elles éclatent toujours avec la fatalité de l'obus explosant à la limite de
sa trajectoire.
Oscillant sans cesse, légiférant au hasard, persécutant des catégories entières de citoyens, l'Etat a fini
par devenir tellement insupportable et onéreux, que
des foules d'opprimés chaque jour plus nombreuses
se dressent maintenant contre lui. Il viole les
croyances, moleste les intérêts, berne le peuple
d'irréalisables chimères et ne se maintient qu'au
moyen de rivalités créées ou entretenues par ses
soins. Son pouvoir, immense en apparence, mais que
n'oriente aucun idéal, est à la merci de tous les hasards.
Le développement de l'Etatisme ne s'accompagne
pas seulement de tyrannies oppressives, il engendre
aussi la désorganisation des services dont l'Etat se
charge progressivement.
Les généralités psychologiques qui précèdent vont
nous permettre d'éclairer des faits récents, inexplicables lorsqu'ils demeurent détachés de leurs racines.
Tels, les scandales de l'Imprimerie Nationale et la
décadence de notre marine. Les commissions d'enquête
qui les ont révélés cherchent encore vainement leurs
causes. Le philosophe ne les cherche plus.
La reconstruction de l'Imprimerie JNationale, dont le
besoin ne se faisait nullement sentir,
sauf pour les
devait coûter au budget 442.350 francs.
architectes,
—
—
D'après les chiffres officiels fournis par la Commission
de contrôle, il faudra dépenser environ 10 millions.
TRANSFORMATION MODERNE DU DROIT DIVIN
tO
Los travaux devaient durer quatre ans. Commencés
depuis sept, ils sont loin d'être terminés.
Les faits signalés par la Commission mettent en
évidence le prodigieux sans-gêne avec lequel les fonctionnaires de l'Etat autocratique administrent ses
deniers. Aucune entreprise privée ne survivrait à des
un escalier est consconditions pareilles. Exemple
truit. Achevé, il paraît peu décoratif; on le démolit
entièrement pour le reconstruire. Plusieurs milliers
de mètres de plancher en ciment armé sont péniblement établis; le travail fini, un chef de bureau rhumatisant affirme que le contact du ciment refroidit les
pieds et expose à des bronchites. Immédiatement on
détruit le plancher en ciment pour le remplacer par
du bois qui étant de mauvaise qualité doit lui-même
être refait. Coût: quelques centaines de mille francs,
mais les précieux pieds du chef de bureau ne se
:
refroidiront pas.
La plus
complète fantaisie présidait à tous ces
avait acheté à grands frais des machines
variées, mais ayant oublié d'aménager des fosses sous
ces machines, il fallut démolir une partie de l'édifice. Et les millions coulaient sous l'œil serein d'un
tas de braves employés qu'une telle incurie ne saurait
toucher, puisque d'anonymes contribuables solderont
travaux.
On
les frais.
Innombrables sont les exemples analogues. Ils n'empêcheront i)as assurément les socialistes de confier à
l'Etat de pareilles entreprises au lieu d'en charger
sous peine de
l'industrie privée, qui ne saurait
faillite
se permettre les distractions et les négligences de fonctionnaires n'ayant rien à perdre.
Les gaspillages quotidiens, dont l'histoire de la
construction de l'Imprimerie Nationale constitue le
type, ne sont rien auprès de ceux qu'à révélés l'enquête sur notre marine de guerre.. Fantaisies encore,
mais sous une forme en vérité bien sinistre.
Le public a découvert avec stupeur que le lamen-
—
—
76
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
marine Tavait en quelques années
du deuxième rang au cinquième,
comme l'a montré M. Doumer.
» Ni unité de, vue. ni efforts coordonnés, ni méthode,
ni responsabilité définie, néarligence, désordre et confusion », est-il écrit dans le rap{)ort général de la
Commission.
M. Ajam, membre de cette commission, évalue à
700 millions le coût du gaspillage.
Cette somme se trouverait doublée si on y ajoutait
les 693 millions accordés en primes, d'après M. Caillaux, de 1899 à 1909 à notre marine marchande,
primes dont le résultat fut. comme je l'ai prouvé
dans un précédent chapitre, de précipiter sa décadence. « Nous avons dû commettre des erreurs de
principe », disait le ministre à la Chambre en reproduisant les chiffres cités plus haut et en constatant
l'abaissement progressif de notre commerce maritime.
De lourdes erreurs, en elTel. mais dont le ministre
qui les constate paraît ignorer entièrement les causes.
Il ne les soupçonne certainement pas issues du développement de l'Etatisme. L'ayant compris, ce politicien peu psychologue n'aurait pas proposé, comme il
le lit, d'associer l'Etat à l'exploitation de nos grandes
compagnies de navigation.
Les faits dévoilant le désordre et l'indifférence du
personnel maritime de l'Etat atteignent parfois à l'invraisemblance. M. Ajam cite un cuirassé chargé d'une
cuirasse trop lourde. On la change, elle devient trop
légère. Force est de la remplacer encore. Le bateau
flotte entîn. Coût: 3 millions.
L'accumulation de ces négligences arrive à être
ruineuse, le prix de nos cuirassés est de 30 p. 100 plus
élevé qu'en Angleterre. Et alors que nos rivaux
mettent deux ans à construire un vaisseau de guerre,
nous en employons cinq. « Notre manière actuelle
de construire, dit M. Ajam, c'est l'Etatisme dans toute
son horreur et la condamnation du monopole d'Etat. »
table état de notre
fait
descendre
TRAN'SFORMATION MODERNE DU DROIT DIVIN
/
/
Des faits analogues se révèlent partout. A Toulon
on constata lors des arrestations récentes de plusieurs
fournisseurs de l'Arsenal, qu'en 25 ans les marchandises n'avaient pas été vérifiées une seule fois à leur
entrée! Les fournisseurs livrant ce qu'ils voulaient,
encaissèrent des millions au préjudice du Trésor,
sans que personne s'en soit ému.
«Chacun s'en fiche >'. Telle est la vraie formule de
Une pareille devise serait
impossible dans l'industrie privée, caria faillite atteindrait vite le patron insoucieux et ne surveillant pas.
Le gâchis représentant une conséquence nécessaire
de l'esprit Etatiste est universel. Aux colonies où la
surveillance est nulle, il touche à l'invraisemblance.
M. Messimy, dans son rapport, en a donné de tristes
exemples. Les abus des fonctionnaires y sont sans
bornes et nous ont partout aliéné les populations, considérées par eux comme taillables et corvéables à
merci. Où passe l'argent extorqué en Indo-Chine par
des nuées d'agents, au moyen des plus odieuses
tyrannies? A des dépenses somptuaires totalement
inutiles. Un journal a résumé de la façon suivante
quelques pages du rapport de M. Messimy sur ce sujet.
l'administration Etatiste.
Les budgets sont abandonnés aux fantaisies individuelles.
Aussi plus d'un projet extravagant s'est-il vu doter de larges
crédits, et les indemnités de toutes sortes au personnel et les
dépenses purement somptuaires pour les administrateurs piiliullent-elles.
L'un de ces derniers a inscrit à son budget
13.200 francs pour l'installation de l'électricité dans son palais.
Beaucoup unt des autos. La plupart ont'' cinq ou six voitures.
Et sur les 16.000 hommes de la garde indigène, une partie est
uniquement occupée à faire un service de domestiques. M. Messimy cite un inspecteur de cette garde qui en détourne à lui
seul dix-neuf de leur emploi. Il se procure ainsi, sans bourse
délier, cuisiniers, cochers, jardiniers, deux blanchisseurs pour
madame, etc. On peut juger par là ce que ce peut être chez l'administrateur lui-même.
Au milieu de ces gaspillages et de ce, luxe, notre personnel
administratif a pris des habitudes de mollesse et d'indolence.
Et même l'unanimité des témoignages est telle sur ce point qu'il
faut bien, comme le laisse entendre M. Messimy, reconnaître
7.
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE
ici
que tous ses membres ne sont plus à l'abri du soupçon d'improbité. Son incapacité s'est trahie par des faits étranges qui
seraient bouffons,
s'ils
n'étaient
si tristes.
même journal ajoutait non sans quelque naïveté
L'usage des pots-de-vin qui double le poids des
Le
«
impôts
:
directs
disparaîtrait
si
l'on
en
établissait
d'une manière rationnelle et équitable. »
Je doute fort de la puissance attribuée à des règlements. Ce n'est certes pas eux qui pourront remédier
à un désordre général ayant des sources beaucoup plus
profondes.
l'assiette
La cause principale de la désorganisation de la
marine, de l'Imprimerie Nationale et de la presque
totalité des entreprises de l'Etat, est uniquement celle
indiquée plus haut.
Tout ce que dirige l'Etat se trouve nécessairement
fonctionnarisé,
c'est-à-dire
que
les
responsabilités,
disséminées entre des milliers d'agents, s'évanouissent.
Ces agents, divisés en bureaux distincts, ne possèdent
nulle initiative, se jalousent férocement, et ne sont
guidés par aucun intérêt commun. La cuirasse commandée par un bureau ne va pas à la coque commandée par un autre. Qu'est-ce que cela peut bien
faire aux employés? Les mêmes hommes, placés
dans une entreprise particulière où la responsabilité
est etTective, se conduiraient tout autrement.
Les ma,rines étrangères ont prospéré, parce qu'on y
recourt de plus en plus à l'industrie privée, alors que
nous étatisons progressivement la nôtre. Là surtout
est le secret de leur supériorité et celui de notre décadence. Les autres nations descendraient aussi bas si
elles se laissaient envahir par la religion étatiste.
Dans une très remarquable conférence publiée par
la Pecue politique et parlementaire, M. Harold-Cox.
membre du Parlement anglais, montre à l'aide d'exemples et de chilTres catégoriques que, dans les rares
TRANSFORMATION MODERNE DU DROIT DIVIN
79
circonstances où le gouvernement anglais voulut
exploiter lui-même des industries, ce fut toujours avec
de grandes pertes, alors que gérées par des particuliers
elles étaient très fructueuses. Telle l'industrie des télégraphes, dirigée jusqu'en 1870 par des Compagnies
l)riYées qui servaient 6 p. 100 à leurs actionnaires.
Dès que l'Etat s'en empara, les bénéfices se changèrent en un déficit progressif atteignant maintenant
25 millions annuellement.
De semblables résultats ne sauraient surprendre. Ils
sont la conséquence de lois psychologiques très sûres.
Un homme privé d'initiative et surtout déchargé de
responsabilité, voit aussitôt baisser sa valeur intellectuelle et productive dans d'énormes proportions. Les
socialistes ont raison de ne pas vouloir le comprendre, car le jour où cette loi naturelle deviendrait évidente pour eux, il n'y aurait plus de socialisme.
Quoi qu'il en soit, l'Etatisme collectiviste progresse
à grands pas chez les peuples latins. Les conséquences ruineuses du rachat de l'Ouest n'empêcheront
nullement le rachat d'autres lignes, ainsi que la création de monopoles variés qui augmenteront immensément encore une armée de fonctionnaires déjà si
nombreuse. 11 semble qu'un vent de folie dirige les
ministres des finances portés au pouvoir depuis quelque temps. L'un d'eux proclama devant la Chambre,
aux applaudissements des socialistes devenus ses
maîtres, son intention de proposer d'attribuer à l'Etat
le monopole des alcools et des assurances. Le Journal
des
Débats^
au
publia
réflexions suivantes
sujet
de
ces
mesures
les
:
nous attendre, désormais, à voir la politique finanmonopoles tenir une place de plus en plus large
dans les programmes électoraux, et pénétrer un jour ou l'autre
dans la législation. Ce sera, sans doute, une politique de folie.
Alors que tous les gens doués de quelque bon sens et d'un peu
de prévoyance s'épouvantent des p^og^ès de la centralisation
([ui déjà nous écrase et qui paralyse toute initiative individuelle,
alors que le nombre des fonctionnaires s'accroit sans cesse
Il
faut
cière des
80
PSYCHOLOGIE POLITIQLE ET DEFENSE SOCIALE
dans une population qui n'augmente plus et mot nos budgets
en déficit, il est insensé de songer à charger l'Etat de nouvelles
attributions et d'ajouter aux innombrables fonctions qu'il exerce
celles de débitant de boissons et d'assureur. Grâce aux agissements do la majorité parlementaire, l'Etat après être intervenu
dans toutes les branches de l'activité humaine au nom de la
pitié, va subdiviser ses fonctions économiques sous l^es formes
de différents monopoles, au nom de l'accaparement du capital
au profit de la collectivité.
En effet, l'impôt sur le revenu sera le commencement de la
main-mise de l'Etat .sur le capital. Comment l'Etat socialiste
s'arrêtera-t-il désormais dans cette marche vers la spoliation
légale? Les retraites ouvrières seront le commencement de la
charité organisée par l'Etat. Comment s"arrêtera-t-il dans cette
voie de philanthropie sociale? Le monopole de l'instruction
sera le commencement de la centralisation de l'enseignement
sous l'égide de l'Etat. Comment s'arrêtera-t-il dans cette voie
de nivellement intellectuel ?
Lorsque l'esprit d'initiative, source vive des forces d'une
nation, sera tari, le socialisme pourra tenter d'édifier son édifice
social sur le terrain pourri de la décadence.
L'Etatisme a pour expression et soutien le fonciioiinarisme. Etatisme et fonctionnarisme sont les deux
faces d'une même chose. Pour réduire la puissance
de l'Etatisme on devra commencer par diminuer celle
des fonctionnaires.
En raison de l'absorption progressive d'une foule de
monopoles et d'industries, l'Etat s'est vu obligé d'augmenter considérablement l'importance des administrations, par l'intermédiaire desquelles s'exerce son
action. Ces dernières forment maintenant des petits
blocs féodaux dont chacun devient assez fort pour
tenter d'imposer, comme le tirent récemment les
postiers, leur volonté à l'Etat.
Aujourd'hui, les fonctionnaires exigent un statut
destiné à stabiliser une puissance et des privilèges
déjà trop considérables.
Intimidée par leurs meneurs, la
sûrement
le
statut réclamé.
De
Chambre votera
toutes les mesures
TRANSFORMATION MODERNE DU DROIT DIVIN
'"^l
désastreuses acceptées par elle, aucune n'engendrera
certainement de plus tristes conséquences.
Ce statut, comme l'a très bien expliqué un ministre
des finances, avec lequel je suis d'accord pour la
première fois, constituerait une oligarchie de fonctionnaires qui conduirait la France
écoutait
plus à la.
nation, il serait aux fonctionnaires, on aurait constitué
un véritable mandarinat. Ce ne serait pas la peine
certaines
théories,
le
pouvoir ne
:
« Si l'on
serait
tomber sous une telle
domination. »
Reconnaître des droits particuliers à des agents
révoltés ou qui ont soutenu par leurs souscriptions
les employés insurgés, c'est se condamner à les avoir
bientôt pour maîtres.
Ils le sont déjà trop. Le dernier des fonctionnaires,
sous prétexte qu'il représente un fragment de l'Etat, se
croit une sorte de potentat et traite le public d'après
d'avoir fait la révolution pour
L'homme le plus éminent est pour
un simple « assujetti ». Dans la correspondance
officielle on le qualifiera de « sieur un tel ». Qu'il
le reçoive
derrière un guichet ou lui écrive, le
fragment de potentat marque généralement au pul)lic
un intense mépris.
Pour atténuer une situation, d'oîi résulte la désorganisation dont nous avons cité de si lamentables
exemples, la conduite à tenir est diamétralement
l'opposée de celle qu'on propose. Gardons-nous de voter
un statut qui transformerait les fonctionnaires en personnages inamovibles, se govivernant eux-mêmes, et
sur lesquels les ministres et la Chambre demeurecette conviction.
lui
raient sans action.
Afin de rester maître de ses agents. l'Etat-patron n'a
qu'à imiter les chefs d'industries privées. Voit-on un
grand magasin ou une grande usine accorder un statut
à ses employés ? Ce sont des auxiliaires, gardés
soigneusement s'ils sont capable's et congédiés dès
qu'ils font preuve d'incapacité. Que l'Etat agisse de
82
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
même,
acceptant seulement des auxiliaires sans leur
Ils seront exactement
alors dans la situation des auxiliaires dont le ministère des finances emploie souvent un millier.
C'est uniquement en faveur des services techniques,
ingénieurs, télégraphistes, etc., que l'Etat pourrait établir un contrat de quelques années, dix ans au plus.
J'entends votre objection, ne la formulez pas. Si
employés aucune stabilité,
l'Etat
n'offrait à ses
il
n'en trouverait plus, ou n'en trouverait que de
cunstituer aucun engagement.
médiocres.
Rassurez-vous. Votre supposition se réaliserait-elle,
ce serait tant mieux. Les jeunes gens intelligents se
tourneraient alors vers l'industrie ou le commerce et
un grand bénéfice en résulterait pour le pays.
Malheureusement cet exode est tout à fait improbable. Les candidats seraient presque aussi nombreux
qu'aujourd'hui. Les auxiliaires du ministère des
finances cités plus haut ne gagnent pas plus de 5 à
6 francs par jour, et cependant on compte cinquante
candidats, bacheliers
ou licenciés, pour une place
vacante.
Je n'insiste pas sur cette réforme, elle est trop capi-
beaucoup de sulTrages. Un moment
viendra cependant oîi la nécessité l'imposera, mais
sera-t-elle encore possible?
tale i)0ur réunir
L'Etatisme et son incarnation, le collectivisme, nous
ont conduits à cet état d'esclavage mental où l'homme
ne garde même plus conscience de son asservissement.
La tyrannie de l'Etat se fait pourtant tellement opprescontre lui une coaliprofondément lésés. On commence à
comprendre que le rôle du gouvernement n'est pas
de se montrer industriel, humanitaire ou philanthrope, qu'il n'a pas le droit d'imposer aux citoyens
sive et coûteuse qu'elle ligue
tion
d'intérêts
TR.VXSFOimATION MODERNE DU DROIT DIVIN
83
affirmations ou ses négations religieuses, sa
morale et son éducation que son vrai rôle enfin est
uniquement de servir d'arbitre entre les partis, de
veiller à la sécurité des citoyens au dedans par la
police, au dehors par l'armée.
Vérités très banales sans doute, peu répiandues
pourtant. Souhaitons qu'une lente évolution nous
affranchisse de la tyrannie Etatiste mais n'y comptons pas trop. On remanie facilement sur le papier
les lois d'une nation, mais comment transformer son
ses
;
àme?
CHAPITRE V
Facteurs psychologiques des luttes guerrières.
Malirré les pro.srès de la civilisation et les disser-
de certains i)hilosophes. la guerre n'a jamais
une des principales occupations des
peuples. 11 est douteux que les découvertes de la
science la rendent moins fréquente. Il est certain
qu'elles l'ont rendue plus meurtrière. Même en
remontant aux grandes destructions de Gengiskhan
et d'Attila, on citerait difficilement une phase de
l'histoire oii tant d'hommes soient restés couchés sur
les champs de hataille qu'au siècle de l'électricité et
de la vapeur.
Lorsqu'un phénomène se manifeste avec une aussi
persistante régularité, on doit bien admettre qu'il
traduit d'impérieuses nécessités. Protester contre sa
fatalité serait donc aussi vain que de s'insurger contre
la vieillesse ou la mort. Les luttes des peuples, d'ailleurs, ont été la source des plus importants progrès.
On ne voit pas comment, sans elles, les premiers
hommes seraient sortis de la barbarie et auraient pu
fonder ces magnifiques empires où naquirent les
arts, les sciences et l'industrie. Quelle grande civilisation n'a pas été guerrière? Quel est le peuple pacifique ayant joué un rôle dans l'histoire ?
Mais le moment n'est pas venu d'examiner les javantages ou les inconvénients des luttes périodiques auxtations
cessé
d'être
quelles se livrent les
nations.
Nous nous bornons
FACTEliRS l'SVCHOI.OC.IQlES DES LLTTES GUERRIÈRES 85
actuellement à en constater la nécessité et en rechercher les causes psychologiques.
Ces causes sont variées. On peut placer au pre-'
niier
rang
l'instinct naturel
qui, dans toute
l'échelle
détruire les faibles. La
civilisation l'atténue sans doute, mais ce qu'elle ne
animale, conduit
les
forts à
saurait atténuer, c'est l'antipathie profonde qu'engendrent entre les races les divergences de leur constitution mentale, divergences qui les amènent à des
conceptions de vie très dissemblables et par conséquent à une conduite ditTérente.
La plupart des luttes sont nées de ces divergences.
Toutes les grandes guerres de l'humanité
guerres
de conquête, de dynastie, de religion, de propagande,
n'ont été le plus souvent que des guerres de races.
Le conflit entre les Perses et les Assyriens, qui
pour la première fois fit passer l'empire du monde
des Sémites aux Aryens, fut une guerre de races.
Guerre de races également la lutte entre les Grecs
et les Asiatiques, entre
les Romains et les Barl)ares, les
Japonais et les Russes. Guerres de
races encore, les luttes religieuses du Moyen Age.
Ou'étaient eu ell'et ces dernières, sinon une lutte
de races défendant l'individualisme et la liberté
de penser, contre celles qui réclamaient l'autocratie politique et religieuse avec ses dépendanprincipe d'autorité, tradition et formalisme
ces
:
:
latins.
Considérer ces guerres
ment de
rivalités
comme
résultantes unique-
entre souverains serait avoir une
vue bien superficielle de l'histoire. Ils n'ont jamais
duré longtemps, les rois qui n'incarnaient pas l'idéal
de leur peuple, ses passions
Devons-nous espérer que
e,t
les
ses rêves.
progrès de la civilisa-
tion et la fréquence des rapports imissant les peujdes, puissent atténuer les antipathies d'origine psy-
86
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
chologique qui divisent les races? Des faits positifs
permettent de répondre.
A Tépoque récente encore où les communications
étaient rares, difficiles et la connaissance des langues
étrangères peu répandue, les différences psychologiques diversifiant les races demeuraient presque invisibles, masquées par le vernis superficiel d'une civilisation analogue dans les couches éclairées de l'Europe.
Aujourd'hui la facilité des communications" et Tenchevêtrement des intérêts commerciaux établissant
entre les peuples des rapports constants, leurs différences de constitution mentale et le désaccord qu'elles
engendrent sur la plupart des questions, éclatent chaque
jour. Entre individus de races différentes, l'accord n'est
possible sur aucun sujet, tous étant envisagés à des
points de vue dilTérents. Les rapports prolongés entre
eux accentuent simplement leurs dissentiments.
Donc, tandis que les intérêts des peuples les rapprochent, leur àme les sépare au lieu d'avancer vers
une fraternité plus grande, ils marchent vers une antipathie chaque jour plus sensible.
Elle a de nombreuses conséquences jjolitiques et
sociales, cette antipathie. Après avoir réduit les distances par la vapeur et l'électricité, les nations en arrivent maintenant à exagérer leurs armements et à s'entoui'er d'interdictions douanières qui coupent les relations et finissent par élever autour de chaque pays une
véritable muraille de Chine. Cette muraille, la plupart
des peuples, d'ailleurs, ne la trouvent pas encore assez
isolante, et le mot d'ordre général aujoui-d'hui chez
que leur gouvernebeaucoup de nations civilisées
est l'expulsion
ment soit autocratique ou libéral
des étrangers. L'Amérique, après avoir, de même
qu'en Australie, voté celle des Chinois, interdit maintenant l'accès de son territoire aux bateaux chargés
d'émigrants pauvres
les trades-unions anglaises
réclament bruyamment le renvoi des ouvriers étrangers; le gouvernement russe, obéissant à des vujux
;
—
;
—
FACTEURS PSYCHOLOGIQUES DES LUTTES GUERRIÈRES 87
populaires, plus puissants souvent que la volonté des
despotes, est obligé d'expulser les Juifs des grandes
villes. Leur expulsion est réclamée également en Alle-
magne par un
parti
dont
les
deviennent
adhérents
nombreux. Le gouvernement prussien expulse les
Polonais et les Italiens qui travaillaient à ses chemins
de fer. Le gouvernement suisse lui-même, après avoir
rejeté en 1892 le projet de refuser du travail aux
ouvriers étrangers, exige maintenant dans ses traités
avec les entrepreneurs pour fournitures militaires,
très
l'emploi exclusif d'ouvriers locaux. Les
mêmes
ten-
dances s'observent du reste partout, en France également. Que le vingtième siècle soit l'âge de la fraternité universelle,
constitue
une
proposition
fort
douteuse. La fraternité entre races différentes n'est
possible que lorsqu'elles s'ignorent. Rapprocher les
peuples en supprimant les distances, c'est les condamner à se mieux connaître, et comme conséquence
à se moins supporter.
Nous ne sommes d'ailleurs qu'à l'aurore du mouvement général de toutes les nations contre l'envahissement étranger. Des gouvernements édifiés sur les principes les plus opposés, depuis l'autocratisme absolu
jus(iu'aux républiques les plus libérales, en arrivant
aux mêmes mesures, il faut bien admettre qu'elles
répondent à quelques nécessités impérieuses. Les
haines de races ne suffiraient pas seules à les expliquer.
L'instinct qui pousse aujourd'hui tous les gouvernements dans la même voie est assez inconscient
encore, mais il a des bases psychologiques très sûres.
L'influence prépondérante des étrangers est un infaillible dissolvant de l'existence des Etats. Elle ôte à un
son âme. Quand
peuple ce qu'il a de plus précieux
les
étrangers devinrent nombreux dans l'empire
romain, il cessa d'être. Supposez une nation comme
la nôtre, où la population décline, entourée de pays où
la population s'accroit constamment. L'immigration
:
de ces peuples étrangers,
si
on
la tolère,
est fatale.
OO
PSYCHOLOGIE I>OLITIQrE ET DEFENSE SOCIALE
Pas de régime militaire à subir, peu ou pas d'impôts,
un
travail
territoire
plus facile et mieux rétribué que sur leur
L'hésitation pour eux est d'autani
natal.
moins possible que
le
choix entre divers pays ne leur
est pas loisible, tous les autres les repoussant. L'inva-
sion des foules étrangères devient, dans ce cas, très
redoutable puisque ce sont, naturellement, les éléments
inférieurs, incapables de se suffire à eux-mêmes chez
eux, qui émigrent. Nos principe» humanitaires nous
condamnent à subir une invasion croissante d'étrangers. D'après la quantité d'émigrés qu'elle contient.
Marseille pourrait être qualifiée de colonie italienne.
L'Italie ne possède même aucune colonie renfermant
un pareil nombre d'Italiens. Si ces invasions ne sont
pas enrayées, en peu de temps un tiers de la population
française sera devenu
allemand
et
un
tiers
ou simplement son existence, dans des conditions semblables?
Les pires hécatombes des champs de bataille seraient
italien.
Que peut
être l'unité d'un peuple
infiniment préférables à de telles invasions.
C'est un instinct très sûr qui enseignait aux anciens
la crainte des étrangers; ils savaient bien que la
valeur d'un pays ne se ihesure pas au nombre de ses
habitants, mais à celui de ses citovens.
Des lignes précédentes, nous conclurons que les
progrès de la civilisation sont impuissants à diminuer
les chances de lutte entre les peuples. Ils les diminueront d'autant moins, qu'aux causes psychologiques de dissentiment, décrites plus haut, la civilisation vient ajouter des motifs d'ordre économique
que nous aurons à examiner bientôt.
- Les
philosophes et les philanthropes auront donc
certainement à gémir pendant longtemps encore
sur les calamités déchaînées par les guerres. On
peut d'ailleurs les consoler en leur montrant qu'une
paix universelle accordée par quelque puissance
FACTEURS PSYCHOLOGIQUES DES LUTTES GUERRIÈRES 89
magique mar([uorait
la lin iimnédiale de toute civilisation et de tout progrès, le retour rapide à la [dus
épaisse l)arljarie. « La certitude de la paix, écrit avec
M. de Vogiié, engendrerait, avant un demiune corruption et une décadence plus destructives de l'homme que la pire des guerres. »
Assurément les guerres ne sont pas sans inconvéraison
siècle,
elles en présentent même de très sérieux;
mais il importe d'établir, les avantages une fois mis
en présence des inconvénients, de quel côté penche
la balance?
Les inconvénients des guerres sont de trois ordres
perte d'argent, perte d'hommes, affaiblissement de la
nients;
:
race.
Les pertes d'argent n'ont qu'une importance légère.
nous le montre toujours les peuples trop
riches disparaissent devant les peuples pauvres.
Appauvrir une nation n'est donc pas forcément lui
nuire. Les statisticiens enseignent que l'Allemagne
a dû dépenser déjà beaucoup de milliards pour
garder nos provinces conquises, et que toutes les
puissances de l'Europe en consacrent annuellement un
grand nombre à leurs armements. Je n'y vois que
L'histoire
:
Evidemment, plusieurs
nations marchent vers la faillite. Cela n'aura guère
d'autre conséquence que de stimuler un peu leur
énergie et les habituer aux privations. Il faut d'ailleurs considérer ces inévitables dépenses militaires
d'assez faibles inconvénients.
comme une
sorte de prime d'assurance payée par les
divers pays pour éviter l'envahissement
et le pillage.
Voit-on en Europe un peuple, excepté ceux dont la
défaite ne profiterait à personne, capable de subsister un seul jour sans armée? 11 serait immédiatement annexé à quelque puissante nation, et ^écrasé
d'impôts infiniment plus lourds que ceux qu'exigeait
son armement.
Sans doute les gouvernements et les peuples vantent
très haut les bienfaits de la paix et en font le thème
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
l'O
le
pins habituel d'une foule de beaux discours, mais
]»ersonne ne croit à cette paix dont tout
le
inonde
Chacun sait bien en effet qu'à l'instant précis
où une grande nation piésenterait une infériorité,
même momentanée, de sa puissance militaire, elle
parle.
instantanément envahie et pillée par ses voiNous en avons eu la preuve manifeste au lendemain de la bataille de Moukden, qui
annulait pour longtemps la puissance militaire de
la Russie notre alliée. Sans perdre un instant, l'Allemagne nous chercha au Maroc les plus tatillonnes
disputes dans l'espoir de nous pousser à une guerre^
qu'elle hésitait à déclarer pour d'aussi futiles motifs,
afin de ne pas trop effrayer l'Etirope. Les recueils des
dépèches diplomatiques font preuve de l'insolence
avec la(]uelle nous étions traités. Et si l'empereur
d'Allemagne renonça définitivement à cette guerre,
ce fut sous la seule crainte de voir ses ports bombardés par l'Angleterre, rangée nettement de notre
serait
sins plus forts.
côté.
Du moins
la
leçon
servit
et
immédiatement
les
grandes nations accrurent leurs armements. Ce
fut justement la nécessité d'élever les impôts pour
suffire aux dépenses de ces armements qui amena la
crise politique dont souffre si profondément l'Angleterre obligée de consacrer plus d'un milliard par
an à sa marine. En attendant qu'ils se battent à
coups de canon les peuples se battent à coups de
millions.
Le deuxième inconvénient des guerres mentionné
d'hommes, n'est à compter
que par ses conséquences lointaines. Les batailles de
Napoléon coulèrent trois millions d'hommes. Etant
donné qu'elles ont occupé les peuples pendant
vingt ans, créé une légende glorieuse à une race, tout
en satisfaisant l'instinct de destruction qui est un
des plus impérieux de la nature humaine, on peut
envisager cette hécatombe avec assez de résignation.
plus haut, la destruction
FACTELRS PSYCHOI.OGIQLF,>
lil-S
Ll TTES
GUERRIÈRES 91
Son seul résultat fâcheux, et en vérité l'unique inconvénient sérieux des guerres, est que les morts violentes, frappant les éléments virils les plus robustes
(l'une nation, réduisent l'accroissement futur de la
population et augmentent sa débilité. Cette conséquence n'est vraiment redoutable, d'ailleurs, qiie
pour les peuples dont la population reste stationnaire.
En nous montrant
ce que les guerres ont coûté
l'humanité, les statisticiens oublient toujours
d'évaluer ce qu'elles lui ont rapporté. C'est cependant une des faces du problème quil ne faut pas
à
négliger.
Parmi les nombreux avantages des guerres, notons
d'abord la formation d'une âme nationale. Par elles
seulement cette âme peut naître et se fixer. Or, sans
âme nationale, pas de civilisation possible pour un
peuple.
L'âme nationale, les guerres la consolident en cas
de victoire et accroissent considérablement sa force
en cas de défaite. léna fut, dit-on. un désastre pour
l'Allemagne. Rien de moins sûr, car sans ce prétendu désastre l'unité et la puissance de l'empire
allemand eussent été peut-être reculées de plusieurs
siècles. Si nous n'envisagions les événements que
par leurs conséquences lointaines, nous pourrions
même assurer que c'est pour la France, et non pour
l'Allemagne, qu'Iéna fut un désastre.
Laissant de côté ces influences indirectes des luttes
de races, il en est de très immédiates et parfaitement
dont l'importance ne saurait être
appréciables,
méconnue. Les dernières guerres ont mis l'Europe
sous les armes; quel en fut le résultat ? La ruine des
finances, disent les statisticiens; un relèvement
sérieux du caractère des peuples, pourraient répondre
les psychologues à ces honnêtes bureaucrates. Sans
92
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE
régime militaire obligatoire auquel la population
mâle de l'Europe est aujourd'hui soumise, l'anar-
le
chisme,
le
civilisation
socialisme, et tous les dissolvants de
la
moderne eussent progressé à pas de géant.
Les vieux fondements religieux sur lesquels s'édifièrent les sociétés modernes tombaient en ruine,
et nous n'avions rien trouvé pour les remplacer. Le
régime militaire fut le maître qui nous enseigna un
peu la patience, la fermeté, l'esprit de sacrifice et
nous procura une sorte d'idéal provisoire. Seul, il
a pu lutter contre l'égoïsme et la mollesse envahissant
les peuples. C'est un impôt fort lourd que le service
militaire, et rappelant les plus dures périodes du
servage antique; mais un impôt sans lequel le?
sociétés
européennes deviendraient rapidement la
proie des éléments barbares que chacune d'elles
contient. Les dieux des vieux âges coûtaient moins
cher sans doute, mais leur sceptre est tombé.
Cette influence morale du régime militaire sur le
caractère des peuples a une telle importance qu'on
ne saurait trop y insister. Le maréchal de Moltke l'a
mise en évidence dans ses Mémoires par le passage
suivant, qui mérite d'être médité.
Les jeunes gens, dit-il, ne subissent que pendant un temps
relativement court l'influence bienfaisante de l'école. Heureusement, chez nous, au moment où cesse l'instruction individuelle, commence l'éducation proprement dite, et aucune nation
n"a reçu dans son ensemble une éducation comparable à celle
que la nôtre a eue par le moyen du service militaire. On a dit
que c'était le maître d'école qui avait remporté nos victoires.
Mais la science seule ne suffit pas pour élever l'homme à un
niveau moral tel qu'il soit prêt à donner sa vie pour une idée,
pour l'accomplissement d'un devoir, pour l'honneur et la patrie,
et c'est à cela que tend toute l'éducation de l'homme. Ce n'est
pas le maître d'école, c'est le véritable éducateur, l'état militaire, qui a gagné nus batailles, qui a donné pendant seize ans
consécutifs à nos générations leur entraînement corporel et
intellectuel, les a dressées à Tordre, à la ponctualité, à la probité, à l'obéissance, à l'amour de la patrie, à l'énergie virile.
L'utilité
du régime militaire ne se borne pas au
FACTEURS PSYCHOLOGIQUES DES LUTTES GUERRIÈRES
9-^
rehaussement du caractère. C'est à lui principalement
(jue sont dus les plus grands progrès de l'industrie
moderne, surtout en ce qui concerne le travail des
métaux. Les recherches faites pour perfectionner les
armes ont doté l'industrie d'une précision scientifique
et d'une hardiesse absolument inconnues il y a cinquante ans. De même les nécessités stratégiques
amenèrent l'extension des réseaux de chemins de fer,
furent l'origine de la plupart
et
ments dans
l'art
des perfectionne-
naval.
Les guerres, ou simplement
les
menaces de guerre,
sont donc un des plus puissants stimulants moraux
et matériels des peuples. L'esprit militaire constitue
dernière colonne soutenant les sociétés modernes,
pour cette raison mériterait la reconnaissance des
peuples qui le maudissent. Ne déplorons pas trop l'anla
et,
tipathie réciproque des races. Sans elle, disparaîtrait
toute
crainte
de guerre
et.
du
même
coup, notre
civilisation.
Si les arguments qui précèdent restaient sans action
sur l'àme sensible, mais peu clairvoyante, des philanthropes, on pourrait placer sous leurs yeux les
conséquences de la paix forcée pour un peuple. Un
seul pays, l'Inde, jouit des bienfaits d'une tranquillité
absolue depuis un siècle. Elle est une des plus vastes
et des plus populeuses contrées du globe. L'expérience
faite sur une aussi large échelle présente donc un
grand intérêt.
Les conséquences de celte paix forcée, imposée
à 300 millions d'hommes par la main puissante
de l'Angleterre, n'ont pas été longues à se produire. Rien n'entravant plus le développement de
la population, elle acquit d'immenses proportions,
augmentant d'après les statistiques, de plus de
30 millions pendant ces vingt dernières années; sa
densité par kilomètre carré [lour les régions habitaldes
94
PSYCilOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
dépasse du double celle des pays
les plus
peuplés de
l'Europe.
Il
en est résulté, c'était fatal, une misère aussi
générale que 'profonde. Elle serait bien autrement
intense encore si, suivant la vieille loi de Malthus,
d'inévitables famines ne venaient décimer d'une
façon périodique cette effrayante fourmilière. Or,
ces famines, malgré les télégraphes et les chemins
de fer. sont des désastres laissant loin derrière eux
les plus sanglantes
batailles.
La seule province
d'Orissa, en 1866, a vu périr de faim un million
d'hommes; 1.200.000 sont moFts en 1868 dans le
Punjab. En 1874, 1.300.000 Hindous furent enlevés
par la famine dans le Dekkan. Que sont nos guerres
comparées à de j)areilles hécatombes? Et la mort par
la faim est-elle vraiment si supérieure à la mort par
le canon, qu'il faille éviter à tout prix l'une pour se
résigner à l'autre ?
Les dissertations sur
les
avantages ou les inconvé-
nients de la guerre ne présentent au surplus qu'un
intérêt
choisir,
purement théorique. Nous n'avons pas à la
mais bien à la subir, et par cela même mieux
vaut en considérer seulement les côtés avantageux et
surtout nous y tenir prêts.
Le meilleur moyen de préparation aux luttes possibles est de développer cet ensemble de sentiments
(|ui
forme ce que l'on appelle l'esprit militaire. Il
cduslilue la véritable puissance d'unearmée. Sans lui,
et quel que soit son armement, un peuple n'est plus
qu'un inconsistant troupeau sans résistance. Considérons donc comme les pires ennemis de la patrie,
comme de dangereux malfaiteurs, les écrivains et les
orateurs qui s'etforcent de détruire cet esprit dans les
âmes. Le jour où il serait annihilé, rien ne nous
resterait à perdre. La plus destructive des invasions
mettrait fin à notre histoire.
FACTEURS PSYCHOLOGIQUES DES LUTTES GUERRIERES 95
Répétons-le sans cesse, et ayons toujours présentes
la pensée les sombres prévisions des écrivains
militaires des divers pays sur les conséquences de la
prochaine guerre qui menace l'Europe. N'oublions
pas qu'elle sera une de ces luttes finales comme l'histoire en a déjà enregistré plusieurs et qui amènent la
disparition définitive et totale de l'une des nations aux
prises. Mêlées formidables ignoraiit la pitié et dans
lesquelles des contrées entières seront méthodiquement ravagées jusqu'à ce qu'elles ne renferment ni
une maison, ni un arbre, ni un homme.
Ayons ces notions bien vivantes dans l'âme quand
nous élevons nos enfants et nos soldats, et abandonnons aux j'héleurs les vains discours sur le paciQsme,
la fraternité et autres futilités qui font songer aux
discussions théologiques des Byzantins alors que
à
Mahomet
pénétrait dans leurs murs.
Des questions autrement vitales nous sollicitent.
Pour éviter, ou tout au moins reculer la lutte, il faut
être prêt à la supporter. Si elle devient inévitable,
rappelons-nous que la victoire ne sera pas du côté
des armées les plus nombreuses, mais de celui oîi
se coaliseront les plus résistantes énergies.
La guerre est question de psychologie tout autant
que de sti-atégie. Aucun grand capitaine ne l'a ignoré.
« A la guerre, dit Napoléon, tout est moral, et le moral
et l'opinion font plus de la moitié de la réalité. »
Peu importent les pertes. Le succès reste à qui sait
le mieux les supporter. Abaissez le caractère des soldats et vous aurez les cohues de Xerxès. Elevez ce
caractère, et vous aurez les guerriers de Léonidas.
S'il est
démontré que la valeur des armées se
mesure au niveau de leur caractère beaucoup plus
qu'à leur nombre, on voit que la guerre constitue
bien, comme je le disais à l'instant, un problème psychologique. Ainsi rentre-t-elle essentiellement dans
le
cadre de ce
livre.
Un raisonnement
très simple fera
aisément
saisir
9(j
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
rimportance du rôle joué, dans
les batailles
par
les
facteurs psychologiques.
Tous les écrivains militaires s'accordent à reconque la quantité d'hommes dont une armée peut
supporter la perte sans renoncer à la lutte est limitée.
dès qu'une
Des expériences séculaires le prouvent
armée laisse sur le champ de bataille 20 p. 100 de son
naître
:
considère comme vaincue. Ce chiffre
100 constitue ce qu'on pourrait appeler la
limite démoralisatrice. La déroute n'est bien évidemment que le résultat dune impression purement
psycholoirique et nullement une nécessité inéluctable,
puis(jue l'armée, ainsi décimée, possède encore les
(juatre cinquièmes, soil la plus grande partie de son
effectif.
Supposons maintenant qu'une puissance
magique inlkience le moral de l'armée vaincue au
point de la déterminer à une lutte indéfinie, ce qui,
précisément, fut le cas des Japonais. Par ce fait seul
que nous aurons modifié son état mental, et sans
transformer ni son armement ni sa tacti(jue. la défaite
va se changer en succès. La lutte continuant indéfini ment, le vainqueur finira forcément par perdre, à
son tour, le cinquième de son effectif et atteindra alors
ce que nous avons appelé la limite démoralisatrice.
L'ayant dépassée, comme il ne possède pas le pouvoir de résistance magique dont, par hypothèse, j'ai
doué son adversaire, c'est lui qui entrera en déroute.
De vainqueur, il deviendra vaincu.
Ce pouvoir miraculeux, décuplant la résistance des
armées, n'est nullement inaccessible. Il dépend de
l'éducation donnée aux soldats, de l'àme qu'on leur
inculque. Certains sentiments peuvent constituer une
force plus irrésistible que le nombre. L'histoire en
lournit d'illustres exemples.
effectif,
de 20
elle se
p.
L'énergie du caractère n'est pas le seul facteur
d'ordre psychologique intervenant dans le succès des
FACTEURS PSYCIIOLOGIfjUES DES LUTTES GUERRIÈRES 97
Un
autre existe d'importance égale je veux
communauté de conduite ou, si l'on
préfère, de doctrine. Elle représente le fruit d'une
éducation spéciale, forcément très longue. Ses effets
guerres.
parler de
:
la
ne se produisent que lorsqu'elle est arrivée à ancrer
certaines notions dans l'inconscient de tous les officiers d'une armée. Alors seulement, ces derniers
envisagent, avec une même optique mentale, les situations les plus inopinées et s'y comportent, par conséquent, de façon identique. La lecture des Mémoires
du maréchal de Moltke montre les résultats de cette
communauté de doctrine. On y voit, à chaque page
et l'auteur n'omet pas de le faire remarquer,
que
lorsque, dans la guerre franco-allemande, une évolution imprévue de l'ennemi obligeait l'état-major à
prescrire de nouveaux mouvements, ceux-ci étaient
généralement commencés avant que l'ordre fût arrivé.
Les Mémoires de nos généraux sur la guerre de 1870
révèlent, au contraire, qu'ils attendaient invariablement des instructions et ne bougeaient jamais sans
en avoir reçu. Les premiers possédaient la discipline
inconsciente, la seule permettant l'initiative; les
seconds ne connaissaient malheureusement que celle
du corps. Avec une très petite armée, la discipline
externe suffit. Avec une grande armée, la discipline interne devient indispensable. Une éducation
intelligente peut seule la créer'.
—
—
la lecture d'un ouvrage publié par le Command'Elat-Major Gaucher sous ce litre
Psychologie de ta Troupe et du Cominandemeiil. 11 y a réuni les conférences faites à des officiers en prenant pour
hase les principes exposés dans mes deux ouvrages
Psijcholoyie des /ouïes,
1.
Je l'eoommande à ce sujel
ilani
:
:
Psijclwtogic de l'éducalion.
CHAPITRE VI
Facteurs psychologiquesdes luttes économiques.
Les luttes à main armée dureront sans doute longtemps encore. Les haines de races et les conflits d'intérêts croissant à mesure que les peuples se connaissent mieux, les entretiendront fatalement. Mais.
avec
les progrès de la civilisation, elles se compliqueront de luttes économiques, d'ailleurs aussi meur-
que celles des champs de bataille.
Plus encore peut-être que les guerres sanglantes,
ces luttes économiques seront la résultante nécessaire
de la constitution mentale des nations.
Dans un livre publié, voici bien des années, je
trières
montrais que le rapprochement de l'Orient et de
l'Occident, sous l'influence de la vapeur et de l'électricité, aurait pour proche conséquence un conflit
économique gigantesque entre Occidentaux et Orientaux. Très contestées alors, ces prédictions commencèrent à se réaliser par la lutte des Russes et des
Japonais.
Longtemps. l'Europe exporta ses produits en Orient,
mais, graduellement, cet état de choses se modifie.
L'Orient, jadis foyer de consommation seulement,
devient aujourd'hui un centre immense de production. C'est lui qui envahit à son tour nos marchés,
avec des produits industriels et agricoles fabriqués
par des ouvriers dont les besoins très faibles les font
se contenter d'un salaire bien moindre que celui
FACTEURS PSYCHOLOGIQUES DES LUTTES ÉCOiNOMIQUES 99
de l'ouvrier européen. L'Europe essaie d'élever contre
ces produits une immense muraille douanière. Nous
verrons, plus loin, ce que vaudra prochainement une
telle barrière.
La
borne actuellement à quelques produits
agricoles, mais
elle s'étendra rapidement. L'Inde, le Japon et bientôt la Chine nous
menacent de leur concurrence sur tous les marchés.
Munis de notre outillage, ils fabriquent les produits industriels dont l'Europe avait le monopole.
L'Inde fournit maintenant à l'Angleterre les tissus de
coton que les tisseurs de Manchester lui fournissaient jadis. Les « filés de colon », envoyés autrefois en Chine de Manchester, partent aujourd'hui de
Bombay. Les produits fabriqués par des Hindous et
lutte se
industriels
et
des Chinois qui se contentent d'un salaire journalier
très faible, valent ceux de l'ouvrier européen, et la
concurrence des Asiatiques est telle que l'Amérique
et l'Australie en sont réduites à les expulser.
Déjà plusieurs grèves, celle des boutonniers de
Méru, notamment, sont nées de la concurrence que
nous font les Japonais sur les marchés étrangers.
Lorsque le Japon, l'Inde et la Chine auront fini par
installer chez eux, grâce à la houille qu'ils possèdent, de nombreuses usines et inonderont le monde
de leurs produits fabriqués à vil prix, quelle barrière
arrêtera leur extension commerciale ? L'ouvrier européen verra alors tomber son salaire au niveau de
celui d'un Hindou, d'un Chinois ou d'un Japonais.
Le gain de l'Oriental fixera celui de l'ouvrier européen. « Le régulateur du monde économique tendra
toujours, a-t-on dit avec raison, à être, quoi qu'on
fasse, le marché où le travail sera au plus bas prix. »
Malgré le rêve socialiste, le salaire des Européens,
loin de s'accroître, s'abaissera alors dans de notables
proportions.
Lorsque j'examinai ces hypothèses, il y a plus de
vingt-cinq ans, les journaux anglais de l'Inde, tout en.
100
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE
reconnaissant la justesse de mes prévisions, me
répondirent que les ouvriers orientaux finiraient par
avoir nos besoins et deviendraient, par conséquent,
aussi exigeants que les confrères occidentaux. Dès lors,
l'équilibre serait établi. Ils oubliaient,
fait
toujours, que
le
comme on
le
caractère psychologique de la
plupart de ces races est trop stable pour se transformer. L'expérience le prouve, d'ailleurs, surabondamment. Les Chinois aflluent en Amérique depuis
longtemps. L"image du luxe ambiant a-t-elle jamais
modifié le genre de vie de l'un d'eux? La tasse de thé
et la poignée de riz quotidienne ont-elles jamais été
remplacées par le régime européen? Notre civilisation
se trouve trop peu en rapport avec la constitution
mentale de ces peuples pour exercer la moindre
influence sur eux. Quiconque a fait travailler un ouvrier
hindou sait, qu'aussitôt gagnés les cinq ou six sous
nécessaires à sa subsistance journalière, l'appât des
sommes
Cette
les plus tentantes reste sans action sur lui.
révolution économique profonde, qui fera
le sceptre de la j)roduction aux races
de l'Amérique et de l'Asie et pourra ruiner l'Europe,
n'est maintenant qu'à son aurore. L'heure paraît cependant prochaine où l'Europe verra se réduire immen-
peut-être passer
sément ses exportations.
En
ce qui concerne les produits venus de l'Amé-
rique, ce jdiénomène est en voie d'accomplissement,
les ouvriers américains étant des Européens possédant des besoins d'Européens, leurs productions
ne descendront jamais à très bas prix. Ils ne peuvent
donc être bien redoutables pour le vieux continent.
Si ce dernier cesse de rien importer en Amérique,
par contre, il n'a pas à craindre l'invasion des produits expédiés par elle.
Tout autre est la question pour le Japon, la Chine
et l'Inde. Comme l'Amérique, ces contrées refuseront nos produits inutiles, mais nous encombreront
en outre des leurs, ou. tout au moins, nous créeront
mais
FACTEURS PSVCHOLOGKJLK.S DKS LUTTES ÉCO.\OMIQI
une désastreuse concurrence sur
gers. Déjà nos stocks
les
I.S
101
marchés étran-
s'accumulent. Nos industries,
n'ayant plus que la clientèle européenne, s'entre
ruinent l'une l'autre. Elles devront un jour avilir
leurs prix et, par conséquent, rédaire le salaire de
leurs ouvriers.
ne faut pas croire qu'en s'isolant du reste du
barrière infranchissable de tarifs
douaniers, l'Europe pourra se soustraire indéfiniment
à la concurrence de l'Orient. Peut-être y parviendraitelle en arrivant à assurer sa propre subsistance, mais
depuis longtemps sa population a pris une extension
qui ne le lui permet plus.
Les économistes ont calculé en effet que la plupart
des Etats d'Europe cessent graduellement de proIl
monde par une
duire
la
nourriture nécessaire à leurs habitants. L'iso-
lement réduirait donc l'Europe à la famine. Naturellement, pour éviter la fâcheuse perspective de
mourir de faim, on abaissera les barrières douanières,
mais avec quoi payer les produits destinés à Talimentation quand toute exportation sera impossible?
Que deviendra la vieille Europe ployée sous ses milliards de dettes et de lourds impôts? Elle tombera
peut-être alors dans la décadence, sort final de toutes
et sa population, après des
achèveront de l'épuiser, devra se
réduire au chiffre qu'il lui sera possible de faire subsister. Ce jour-là, les économistes les plus endurcis
commenceront peut-être à comprendre les inconvénients d'une progression trop rapide de la population
et la supériorité réelle des Etats peu peuplés.
Dans le conflit économique des races, dont nous
entrevoyons l'aurore, la supériorité intellectuelle de
l'Europe n'est pas assurément un facteur à négliger.
Mais n'oublions point qu'en définitive elle reste le lot
d'une élite fort restreinte et qu'au .point de vue du
travail manuel, la plupart des peuples se valent, et
ne sont supérieurs ni aux Japonais ni aux Chinois.
les
civilisations usées,
luttes sanglantes qui
0.
102
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
La nécessité dans
laquelle se trouvent les Américains
Australiens de les expulser, par suite de la
concurrence redoutable qu'ils font à leurs ouvriers,
en constitue la preuve.
et les
Si la lutte
intellectuelle
et de l'Occident était une lutte
entre les couches supérieures de leurs
de l'Orient
populations, l'issue n'en serait probablement pas
douteuse. Mais il ne s'agit que d'un conflit économique entre couches moyennes à peu près égalespar leur niveau mental, mais très inégales par leurs
besoins. Le succès final sera sans doute du côté des
besoins les plus faibles.
Toutes ces spéculations n'ont du reste qu'un intéLes problèmes de l'heure présente sont
assez graves pour que nous puissions abandonner à
nos fils l'étude de ceux de l'avenir.
rêt lointain.
CHAPITRE
Vil
Influences psychologiques de l'enseignement
universitaire.
Leibniz disait qu'avec l'éducation on peut transforans. Il aurait pu ajouter aussi
mer un peuple en cent
qu'avec une éducation mal adaptée, on déforme la
mentalité d'un peuple en beaucoup moins de temps.
Les succès scientifiques, industriels et économiques
des Allemands, nés de leur enseignement universitaire
depuis un siècle, ont justifié l'assertion de Leibniz.
La décadence où nous conduisent nos méthodes
classiques tend à vérifier également ce que je viens
de dire sur les conséquences d'une éducation mal
adaptée aux besoins d'un peuple. C'est un triste système celui qui crée un nombre immense de déclassés
et de révoltés, qui fabrique tant de théoriciens bavards,
incapables d'être utilisés dans un laboratoire ou une
usine, et aptes seulement à répéter les démonstrations de leurs manuels-.
Le problème de l'éducation est avant tout un problème de psychologie. Or, les principes fondamentaux
de notre éducation classique, des écoles primaires aux
écoles supérieures, reposent sur une série d'énormes
erreurs psychologiques. Il en est résulté que notre
Université est devenue une des causes principales de
l'anarchie sociale qui nous ronge et de la décadence
qui nous menace.
Par un après-midi d'hiver assez sombre, je
vis
104
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
moi un grand
entrer chez
fine,
l'œil
perçant.
logie de l'éducation,
de paraître,
et,
11
la physionomie
main ma Psychoneuvième édition venait
vieillard,
tenait à la
dont
la
sans autre
préambule,
me
tint ce
discours
« Notre système d'éducation ne peut durer. L'Université conduirait la France au dernier degré de la
décadence. Je suis sénateur, membre de l'Académie
des sciences et de l'Académie de médecine, ancien
:
professeur à la Faculté, et possède, par conséquent,
plusieurs tribunes. L'attention doit être attirée sur
les idées que vous avez exposées. Il faut m'aider dans
cette tâche, en me fournissant des notes, des renseignements, pour un discours documenté au Sénat. »
Je ne connaissais pas personnellement alors mon
interlocuteur et savais seulement qu'à l'époque où il
exerçait sa profession, il passait pour le plus habile
chirurgien de son temps. Une telle indication suffit
à préciser son nom.
La visite de l'illustre académicien se répéta plusieurs fois. Le résultat de nos discussions fut que.
pour changer notre enseignement, il serait nécessaire
de transformer d'abord l'àme des chefs de l'Université
puis celle des professeurs et enfin celle des parents et
des élèves. Devant cette évidence, l'éminent sénateur
renonça de lui-même à son discours.
Peu de questions suscitent autant de livres, de documents et de brochures que l'éducation. Aucune ne
montre mieux combien restent tenaces les idées héréditaires des peuples et par quelle impérieuse tyrannie
le
passé les enchaîne.
Le problème de l'éducation française donne lieu,
en efTet, à cette double constatation nécessité universellement reconnue d'une réforme et impossibilité
complète de la réaliser.
:
Législateurs, professeurs, savants. lettrés, sont una-
IXFIl'ENCE DE L ENSEIGNEMENT UNIVERSITAIRE
105
ninies à trouver notre système d'enseignement détes-
que le temps passé au lycée et à
primaire est un temps perdu. Personne n'ignore
que l'homme désireux de réussir dans la vie doit refaire
tout seul son instruction et consacrer la seconde partie de son existence à détruire les illusions, les erreurs
et les modes de penser acquis dans la première.
L'accord est complet sur tous ces points et cependant, malgré les efforts journellement tentés, notre
système d'éducation n'a réalisé aucun progrès depuis
table et à répéter
l'école
cinquante
ans.
Chaque
changement
n'aboutit,
au
contraire, qu'à accentuer ses défauts.
Il
est utile de mettre en évidence les causes de cette
Une idée erronée se trouve
base de toutes les réformes si
vainement essayées. Remanier des programmes n'est
pas changer l'erreur psychologique qui les inspire.
Si nous modifions toujours sans succès les règlements universitaires, c'est parce que ce sont les
méthodes d'enseignement et non les programmes qu'il
faudrait changer. Jamais nos professeurs n'ont pu
arriver à cette conviction. Ils ne se rendent pas
singulière impuissance.
nécessairement à
la
compte qu'avec leurs procédés mnémoniques, leurs
raisonnements théoriques, abstraits, sans base concrète, l'élève ne saurait apprendre à observer, réfléchir, raisonner, juger et acquérir de la méthode.
Au lecteur qui voudra étudier l'impuissance irréductible des universitaires à saisir les causes de la
faiblesse de notre éducation, je recommande la lecture des deux discours sur l'enseignement prononcés
devant l'Association française pour l'avancement des
sciences, par M. Lippmann, professeur à la Faculté
des sciences de Paris, et M. Appell,doyen de la même
Faculté.
—
et sur ce
commence par prouver
que
d'accord avec tous ses. collègues
l'enseignement à ses divers degrés est tombé en France
à un niveau extrêmement bas. La supériorité écra-
M. Lippmann
point,
il
est
—
106
PSYCHOLOGIE rOLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
santé de l'enseignement
des universités allemandes
mondiale lui semblent démontrées.
Impressionné par de tels faits, le distingué physicien a réfléchi longuement sur les causes du mal et
sur les remèdes.
Sa laborieuse méditation n'a pas été heureuse. Ses
conclusions prouvent uniquement à quel point de
grands spécialistes sont incapables d'observer et de
et leur influence
raisonner dès qu'ils s'écartent de leur spécialité. Il
n'irait pas loin le pays gouverné par un aréopage de
savants, comme de candides philosophes l'ont jadis
proposé
Si M. Lippmann n'était pas un homme grave, parlant
devant des gens très graves, on le soupçonnerait
volontiers de s'être moqué de ses auditeurs.
Ce qu'il leur a révélé est, en elTet. bien singulier.
« Notre enseignement ne demeure si déplorable, dit-il,
que parce qu'il vient de Chine et a été importé par les
Jésuites
Quant à le réformer, rien n'est plus aisé. Il
suffirait de « libérer les Universités du joug du pouvoir
exécutif... » et lui « retirer la collation des grades ».
Etrange aberration Toute la puissance du pouvoir
exécutif ne se borne-t-elle pas à signer les diplômes
que rUniversité seule délivre! Il faut fermer les yeux
ù l'évidence pour découvrir de telles causes à une
situation créée uniquement par nos méthodes d'enseignement.
Les conceptions de M. Lippmann sont, comme on le
voit, d'une naïveté un peu excessive. Celles émises par
M. Appell, dans son discours, méritent, au même
degré, un semblable qualificatif. Chaque ligne trahit
!
!
)'
!
l'incertitude
de
extraits suivants
la
pensée.
On en jugera par
les
:
L'administration voit le mal et clierche activement le remède
consisterait surtout à établir des relations suivies entre les.
écoles normales primaires et l'enseignement supérieur (!!).
;
il
Plus loin,
il
propose
comme
grande réforme la
INFLUENCE DE l'eNSEIGNEMENT UNIVERSITAIRE
107
suppression d'une partie des cours du Muséum et sa
transformation en « Institut national des collections ».
L'auteur a fini par sentir la faiblesse de pareilles
idées. Dans un article récent, il revient sur le même
sujet et assure que
:
classement des matières dçs
seconde l'application de
ce rapport dans l'université active comme dans son administra-
La première réforme
programmes par valeur
serait le
utilitaire et la
tion, tel enseignement restreint et tel autre
supprimées et telles autres créées.
élargi, telles chaires
On le voit, aucun de ces éminents spécialistes n'es^
«ncore arrivé à comprendre (jue ce qu'il faut modilier ne sont pas les programmes, mais les méthodes.
Proposer d'allonger ou de raccourcir les premiers, de
supprimer certaines chaires ou d'en fonder d'autres,
représente une
phraséologie vaine,
sans nulle idée
directrice pour soutien.
Dans le numéro même de la revue oîi paraissait le
discours cité plus haut se trouvait un travail de
M. Le Chatelier, très apte à faire saisir aux nombreux universitaires, raisonnant comme M. Appel, la
différence séparant l'homme dont l'éducation pratique a formé le jugement et celui qui s'est borné
à apprendre des manuels et des théories abstraites.
L'auteur suppose, cas d'ailleurs plusieurs fois observé,
deux ingénieurs chargés d'installer des fours Siemens à
chaleur régénérée. Impossible d'utiliser les indications
livresques, car il existe une centaine de modèles de
ces fours, et rien ne servirait même de les connaître
tous, la conduite de chacun d'eux variant entièrement, suivant les innombrables qualités de charbons employées. L'homme des manuels est complètement perdu. Il tâtonne au hasard, et, après avoir fait
dépenser à son usine des sommes considérables et un
temps précieux, en est réduit à recourir aux lumières
d'un spécialiste. L'ingénieur dont l'instruction n'a pas
été édifiée uniquement, comme en France, sur la
mémoire, et dont le jugement scientifique s'est exercé
108
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
sur des réalités, procède d'une façon très différente.
Dans une série d'observations, il s'astreindra à ne faire
varier à la lois qu'une seule des conditions de l'expérience
un
jour le mode de soufflage, un autre la nature du charbon ou
enfin la quantité d'eau envoyée au cendrier. Ces tentatives
méthodiques lui permettront de juger dans chaque cas des
résultats de telle ou telle modification et le conduiront peu à
peu à obtenir une marche normale de son gazogène. Le temps
:
perdu sera minime
'
et la
dépense insignifiante.
Chaque période de l'histoire des peuples réclame
une éducation nouvelle, parce que le milieu change
et que naissent de nouvelles nécessités. Le tort de
la nôtre est de n'avoir pas su évoluer.
L'éducation française, écrivait récenuuent un ancien ministre,
est purement livresque. Nos jeunes hommes
sont traînés jusqu'à vingt-cinq ans sur les bancs des écoles où
tandis (|ue leurs culottes s'usent, leur esprit s'amincit
ils
n'apprennent plus rien à la fin qu'à répéter des leçons verbales et formelles qui les rendent remarquablement inaptes
à la vie. L'existence de notre élite tourne ainsi à un remuement
de paperasses indifférentes ou au repolissage sempiternel de
formules déjà usées. Cette ignorance, ce dédain des réalités,
cette fausse appréciation des valeurs sociales est la base de
elle contamine la plupart de nos
notre éducation moderne
professions libérales.
M. Hanotaux,
;
:
Certains principes formulés en quelques lignes ont
des conséquences dont l'exposé demande-
parfois
rait
un volume. Les principes psychologiques si
erronés qui servent de hase à notre enseignement
supérieur '', secondaire et primaire ont fini par s"in-
mêmes
méitiodes mnémoniques font la base do toui enseignement
de l'école primaire au.x. facultés de médecine. Le Matin du
18 mars 1910 a publié le manifeste suivant signé d'un grand nombre de médecins à propos du concours d'agrégation.
1.
Les
universitaire,
n
Ce que nous demandons,
même temps que
disent-ils,
parce ((ue cela est notre intérêt en
un enseignement pratique et technique.
congrès médicaux, à Paris et à Lille, nous réclamons
celte réforme, on néglige de nous répondre. Le concours d'agrégation est éminemment injuste. On ne peut juger un candidat sur une composition écrite. Les
épreuves de ce concours sont toutes théoriques. Les épreuves pratiques, qui
seules devraienl compter, n'existent pas. »
Quand dans nos
l'intérêt public, c'est
différents
INFLUENCE DE L ENSEIGNEMENT UNIVERSITAIRE
sinuer jusque dans l'enseignement technique.
appelés à ruiner notre industrie nationale.
Ils
109
sont
Notre université ne donne pas
et n'a jamais cherché
de caractère qui font
la vraie valeur de l'homme dans la vie. Elles soni
très inutiles il est vrai pour le professeur ou le
bureaucrate, mais indispensables dans toutes les
donner
d'ailleurs à
les qualités
autres professions et tous les métiers.
Les Anglais y attachent au contraire une importance
considérable. Les faits observés dans leurs colonies
auraient suffi à leur montrer cette importance. Les
Hindous doués d'une mémoire merveilleuse réussissaient admirablement dans les examens conduisant
aux emplois supérieurs du gouvernement de l'Inde, et
pourtant après des expériences répétées, il fallut, par
suite de l'infériorité manifeste de leur caractère, les
éliminer progressivement.
Le passage suivant du remarquable ouvrage de
M. Chailley
Inde britannique fera parfaitement saisir
la différence établie par les Anglais entre l'instruction
U
purement
intellectuelle et les caractères.
Les Hindous n'allèguent jamais que talent et habileté les
Anglais se préoccupent surtout du caractère. Qu'est-ce? C'est la
valeur morale de l'homme
le sang-froid, quand il s'agit de
décider, et la rapidité quand il s'agit d"agir; la conscience, pour
tenir tête à qui tente; l'énergie, à qui menace. C'est le sentiment du devoir envers le paj^s et envers soi-même. L'intelligence,
attestée par de brillants concours, des discours éloquents ou
d'ingénieux écrits, les Anglais n'en font que le cas qui convient.
Ce sont pour eux des mérites de second ordre.
Lord Lawrence n'était certes pas, en son temps, le civilian le
plus orné de talents, le plus doué d'habileté, (in le choisit cependant entre tous pour en faire un vice-roi
c'est qu'il possédait au suprême degré ces dons incomparables, la <lroilure, la
;
:
:
volonté.
Comment
dont
se
cultivent
ces
qualités
les plus utiles sont l'empire
de caractère
sur soi et la disci10
110
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFEXSE SOCIALE
Je n'ai pas à l'examiner
pliiie?
ailleurs
ici
layaiit déjà fait
K
Si le lecteur désire connaître, en regard des tristes
procédés mnémoniques et des raisonnements vides de
notre Université, des méthodes fixant définitivement
les choses dans l'esprit, je pourrais l'engager à visiter
les élaldissements d'enseignement de l'Allemagne.
Mais il retirerait trop d'humiliation de son voyage. Je
lui conseillerai donc seulement la lecture du livre de
Buyse sur les systèmes américains d'éducation,
ouvrage auquel l'Académie royale de Belgique vient
de décerner une de ses plus hautes récompenses. En
voici un court résumé, emprunté au professeur Jac-
quemin
:
Tuule l'éducatiuiî et loule riusU-uctiou américaines reposent
sur l'eirort personnel
le
système appliqué dès la première
année de Técole primaire s'élargit avec lage, les exercices
;
pratiques sont toujours à la base, quand bien même il s'agirait
de littérature celle-ci devient un travail de laboratoire, car elle
sassocie intimement avec le dessin et le modelage. Foin de
renseignement par la parole du maître On fait agir les enfants
comme s'ils étaient seuls au monde, en toute liberté de même
que dans les. sciences pures et appliquées l'élève arrache aux
appareils et au matériel d'expérimentation le secret des phénomènes et des lois qui les régissent, de même tontes les branches
d'enseignement, jusqu'aux plus abstraites, sont présentées sous
:
!
;
1. Le< cxiraiis suivants d'une lettre reçue de M. le capitaine d"ét<tl-major C...
du 21' dr.igijn<. condensent parfaitement les principes que j'ai exposés et qui
sont tout aussi applicables aux élèves d'une classe qu'à des recrues.
« Permette? à un oflicier fervent de son métier de vous dire combien il a été
Il appé du
la sûreté de main avec laquelle vous avez touché aux choses de l'armée.
Imposer avant tout aux hommes une ferme discipline externe, la discipline interne
succédera bieniot par association inconsciente de réflexes. Ce ne sera plus alors
ipi'un jeu de se faiie aimer et pour peu qu'on ait quelque prestige personnel, un
peu de bonté, on verra comme par miracle surgir autour de soi d'incalculables
dévouements. Que de chefs oui l'esprit fermé, hélas à toutes ces vérités écla-
tantes ».
L'auienr oublie d'ajouter que, hypnotises par les idées socialistes à la mode,
officiers en sont arrivés à la théorie de la discipline rai-
beaucoup de jeunes
sonnée et voUinlaire.
est
faire
On
Ils
discutent avec leurs
subordonnés, dissertent, expli-
mais jamais débuter de celte façon. L'ignorer
preuve d'une bien grande méconnaissance psychologique et empêcher
quent, etc.
pour toujours
peut finir par
la
là,
création d'une disciplLoe.
INFLUENCE DE l'eNSEIGNEMENT UNIVERSITAIRE
111
formes concrètes (jui nécessitent pour ètn; assimilées aussi
l'habileté des mains que la vivacité de la pensée.
...Quel ((ue soit le système pédagogique, on trouve toujours
le travail manuel à sa base, vrai fond de l'étude: ce principe du
travail manuel, base de l'éducation, est entré dans les écolt.'s
américaines par la voie frœbelienne et par la voie technique.
Kii'S
bii'ii
.Mêmes principes en Angleterre. J'extrais d'une
culaire adressée aux professeurs par le Scolcli
cation Department les lignes suivantes
cir-
Edu-
:
L'acquisition d'un certain nombre de faits n'est pas le premier
objet de l'enseignement, qui doit surtout viser à implanter dans
l'esprit de l'enfant l'habitude de l'investigation exacte, méthode
qui peut devenir un moyen de discipline mentale de l'ordre le
plus élevé.
du travail est l'étude par chaque
pour lui-même, d'un problème défini
au laboratoire, et que les démonstrations du professeur doivent
prendre une place secondaire. Le travail au laboratoire peut
être précédé par les explications nécessaires pour faire comprendre aux élèves la question à étudier il doit être suivi par
la comparaison des résultats obtenus, la discussion des divergences et l'établissement des conclusions générales. La démonstration du professeur peut être employée à confirmer ces conclusions, ou à illustrer leui" portée. C'est l'affaire du maître, de
_guider et de diriger, d'éveill«r l'intérêt, de suggérer de nouveaux
problèmes // ne doit jamais se contenter d^ exposer des résulIl
suit
de
là
que
l'essentiel
élève, individuellement et
;
;
tats tout faits.
Ces méthodes ne constituent certes pas des nouveautés. Elles sont en usage à peu près partout, sauf
dans les pays latins, et ont contribué puissamment à
prospérité scientifique et économique de l'Allemagne. Nous ne les adoptons pas, parce qu'il faudrait
commencer, comme je le disais plus haut, par transla
former d'abord l'àme des professeurs, puis
celle des
parenls, et, enfin, celle des élèves.
Celle des professeurs surtout. Eduqués suivant des
méthodes mnémoniques, pourraient-ils en enseigner
Toutes les tentatives accomplies dans ce
sens ont misérablement échoué. L'a mentalité des
professeurs, créée par l'enseignement classique, est
d'autres?
112
lixée
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
pour toujours. Formés par
mourront dans les
les livres, ils
les livres,
livres.
guidés par
Le monde
réel
leur restera toujours fermé.
Pourquoi devrait-on, après avoir changé
la
men-
des professeurs, modifier aussi celle des parents
puis des élèves? Simplement parce que les uns et les
autres ne demandent à l'Université qu'une chose
mettre promptement les jeunes gens en mesure de
passer des examens. Or, pour y réussir, le procédé le
plus rapide consiste évidemment à apprendre par
cœur une série de manuels. Ces derniers dotent de
talité
:
connaissances très éphémères, mais suffisantes pour
l'examen. Les rares professeurs partisans de la
méthode expérimentale, seule capable de former l'esprit,
mais inutile pour l'examen, seraient vite éliminés par les grands chefs de l'Université. Ceux qui
l'ont tenté furent toujours très mal vus. On leur répète
que le temps consacré par l'élève à observer serait
beaucoup plus utilement employé à apprendre par
cœur des livres, de façon à pouvoir les réciter imperturbablement le jour de l'examen. Les parents émettent
un avis absolument identique.
Le but de l'Université n'est pas du tout d'ailleurs de
former des hommes, mais de leur apprendre un beau
langage. Elle en paraît très fière. Parlant dans son discours de réception à l'Académie de u la formation universitaire », M. Dùumic donne les explications suivantes:
d'ailleurs
Nous savons
très bien en quoi elle consiste et à quoi elle
façonne, par la discipline de l'antiquité, des lettrés
qui, rendus sensibles au mérite de composition et à la valeur
d'art des œuvres classiques, en deviennent pour leur compte
capables d'ordonner leurs idées avec méthode et de les traduire
dans un langage irréprochable. On a beaucoup médit de cette
sorte de culture, certes! et on continue, et on continuera; seulement on n'arrive pas à en inventer une autre.
aboutit
On
:
elle
n'y arrive pas en France, en effet, et c'est ce qui
constitue précisément l'incurable faiblesse de notre
Université. Le lecteur de ce chapitre sait qu'on y est
arrivé ailleurs.
INFLUENCE DE l'eNSEIGNEMENT UNIVERSITAIRE
113
De simples instituteurs ont quelquefois sur les
méthodes d'éducation des idées beaucoup plus justes
que celles des académiciens. On en pourra juger par
le
passage suivant d'un manifeste récent de
cale des instituteurs de la
Marne
«
l'Ami-
».
pas montrer, c'est apprendre à voir; ce
suggérer; ce n est pas entraîner, c'est
orienter: c'est mieux qu'instruire, c'est rendre apte à observer,
à penser, à se déterminer soi-même, ;i agir.
Enseigner ce
n'est pas
n'est
révéler,
c'est
On s'étonne souvent de voir le socialisme le plus
révolutionnaire recruter ses adeptes parmi les professeurs, du normalien à l'instituteur. L'Opinion a publié
le résultat d'une enquête
démontrant qu'un grand
nombre des
élèves de l'Ecole normale supérieure font
groupes socialistes extrêmes, c'est-à-dire
rêvant la destruction complète de l'état actuel.
Cette mentalité n'a rien de surprenant, étant données les idées inculquées par l'Université. Elle établit
comme dogme indiscutable que le mérite des hommes
se classe uniquement d'après leurs diplômes. En bas,
le bachelier, un peu plus haut le licencié, plus haut
encore, le docteur et, enfin, au-dessus de tous les
autres, l'agrégé. Le professeur possédant ces titres, se
croit volontiers d'une essence supérieure. Constatant
ensuite que, malgré cette supériorité supjiosée, il jouit
dans la vie d'une considération restreinte, d'appointements assez modestes, la nécessité s'impose à son
esprit de bâtir une société nouvelle capable de lui
donner la place élevée due à ses mérites.
Un examen plus attentif des choses lui apprendrait vite que.
dans le monde, les hommes se
classent d'après des mérites très difTérents de la
partie des
mémoire, seule faculté nécessaire à l'obtention des
diplômes.
Les faits ne modifient nullement la mentalité de
nos professeurs, ils n'y voient qu'injustice et ne font
10.
114
PSYCEOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE
que
haïi' davantage la société dont ils se croient
vicUmes. Le socialisme révolutionnaire des intellectuels est en réalité un produit universitaire.
Leur rancune déjà grande contre l'état social est
devenue féroce lorsqu'une loi nouvelle les a contraints
au stage de la caserne sous les ordres de caporaux
souvent peu lettrés et parfois assez rudes. Une société
où le licencié et le docteur peuvent être commandés
par des ignorants est sûrement mal organisée et on
^loit se hâter de la refaire
Ce passage des intellectuels à la caserne est également une des causes les plus actives du développement de l'antipatriotisme et de l'antimilitarisme parmi
eux. Des couches supérieures de l'Université, ces sentiments sont descendus aux instituteurs, où ils se sont
rapidement développés.
!
L'instituteur, écrit Pau!
Adam,
soulTrit tcllenient
dans
la cliani-
devint un antimilitariste hargneux, il est trop simpliste encore pour concevoir l'effroyable péril d'une propagande
de désarmement lorsque la barbarie des pangermanistes augmente sans cesse le budget de l'offensive allemande, et renforce
ses moyens de lancer brusquement |)ar-dessus notre frontièri'
d'innombrables armées. L'instituteur livre la nation pieds cl
[)oings liés à ses ennemis.
hrée, qu'il
Et c'est ainsi que les professeurs de tout ordre, se
tournent de plus en plus vers les pires doctrines anarchistes. Dans le laisser-aller général, les ministres
n'osent pas endiguer ce redoutable courant qu'aurait
vite supprimé une volonté forte. Quel symbole que
cet instituteur entamant un procès contre le ministre
de l'Instruction publique,
simple serviteur de la
démocratie, dont lui, instituteur, était un mai Ire
({ui, retenu par un ambassadeur s'était permis de le
faire attendre un quart d'heure. Quelle hypertrophie
de la vanité égalitaire! Quel chemin les illusions
créées par l'enseignement universitaire ont-elles dû
faire dans des esprits mal dégrossis pour les conduire
jusque-là
Ne les critiquons pas trop cependant, ces modestes
—
!
—
INFLUENCE DE l'eNSEIGNEMENT UNIVERSITAIRE
115
que l'enseignement supérieur
manuels devenus leur Bible sont géné-
instituteurs. Ils sont ce
les a faits. Les
ralement rédigés, en effet, par des maîtres de l'Université parmi lesquels figurent des académiciens et
des professeurs à la Sorbonne. Beaucoup de ces livres
sont malheureusement peu recommandables. On
s'étonne d'y rencontrer tant de preuves d'une mentalité de fanatiques. Les journaux les moins suspects
de cléricalisme ont relevé récemment les jésuitiques
interprétations de l'histoire contenues dans un de ces
manuels rédigé par un professeur de la Sorbonne des
plus connus. Il faut remonter k l'époque de l'Inquisition pour rencontrer d'aussi sombres sectaires. Si
ces fastidieuses élucubrations ne dégageaient pas un
mortel ennui, elles influeraient de la plus dangereuse
façon sur l'imagination des enfants et nous feraient
une génération d'antipatriotes et de révoltés.
C'est un spectacle attristant de voir des professeurs en Sorbonne, des académiciens, etc., réduits
pour plaire aux maîtres de l'Université à interpréter
au gré des idées du jour les faits historiques du passé.
Quelques-uns poussent la crainte jusqu'à ne plus oser
])rononcer le nom de Dieu dans leurs manuels, n'hésitant pas pour y réussir à défigurer même les fables
•de La Fontaine! Chacun connaît l'histoire du petit
poisson
.
Petit poisson
deviendra grand
Pourvu que Dieu
lui
prêle vie.
Les auteurs des nouveaux manuels écrivent grave-
meni
.
Petit poisson
Pourvu qu'on
deviendra grand
lui prête la vie.
Voici à quelles platitudes on arrive pour flatter
des chefs de bureaux et obtenir des souscriptions!
Il est un peu humiliant de voir des hommes éminents comme M. Lavisse, membre de l'Institut, se
prêter à de pareilles besognes. On lui a fait remarquer
que dans la dernière édition de son manuel d'Histoire
•de France, il n'avait plus osé parler de Sainte-Gene-
116
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
viève et avait eu soin de biffer dans une phrase expliquant le génie d'un grand homme le mot Dieu. L'inquisition cléricale n'était assurément pas plus sévère
que
l'inquisition libre penseuse!
Le livre dans lequel j'ai exposé les principes psychologiques qui devraient être la base de l'éducation
eut beaucoup de lecteurs, à en juger par ses nombreuses éditions. Néanmoins, son influence sur les
universitaires est restée très faible. Confinés dans de
rigoureux programmes, les professeurs ne peuvent
enseigner que les matières de ces programmes, et les
enseignent nécessairement avec les méthodes qui servirent à leur propre instruction.
Cependant, nos recherches ont fini par trouver un
écho dans la très importante école destinée à former
nos futurs généraux. Je veux parler de l'Ecole de
guerre, soustraite entièrement, comme on le sait, à
l'influence de l'Université. Desavants maîtres, le général Donnai, hier, le colonel de Maud'huy, aujourd'hui
et quelques autres y inculquent à une brillante élite
d'officiers les principes fondamentaux développés dans
la Psijchologie de V éducation. Parmi les plus importants se trouve celui que j'ai choisi comme épigraphe
réducation csl Vart de faire passer le conscient dans
l'inconscient. Ainsi que je l'ai déjà dit dans un autre
chapitre, M. le commandant Gaucher a publié sous ce
titre
Etude sur la Ps)/rhologie de la J^roupe et du
Commandement, un livre destiné aux officiers, et basé
sur les méthodes d'éducation que j'ai fait connaître.
Ce succès, un peu inespéré, prouve qu'il ne faut
jamais hésiter à dire ce qu'on doit dire même quand
on est seul à le dire^
:
:
1. Je dois reconnaîiro que si les idées exposées dans mou livre ont eu
peu de suc'-ès en France, elles en ont obtenu beaucoup à Tétranger. Le
grand-duc Constantin Constantinovich, président de l'Académie des sciences et
grand-maitre des Ecoles militaires de Russie, l'a fait traduire en russe pour
l'enseignement dans les écoles qu'il dirige.
INFLIKXCE DE
I.
ENSEIGAEMENT UNIVERSITAIRE
Un grand nombre d'enseignements
117
se dégagent de
des infructueuses tentatives accomplies pour
modifier notre système d'éducation. Si les législateurs
cherchaient quelquefois dans l'expérience, et non dans
des intérêts immédiats, leurs mobiles d'action, ils y
trouveraient une preuve nouvelle, de l'inutilité des
réformes accumulées constamment sans, comprendre
que l'àme d'une nation ne se refait pas avec des lois.
Les lois, je le répète encore, sont efficaces lorsqu'elles
expriment la mentalité d'un pays, mais elles ne la
créent jamais.
Il faudra sans doute bien des revers économiques,
bien des bouleversements, pour graver dans nos
esprits ces notions fondamentales
que la science et
l'industrie ont conduit le monde à une phase d'évolution où certaines facultés, jouent un rôle prépondérant dans la vie des peuples. Les futurs maîtres de la
science, de l'industrie et du commerce seront des
hommes possédant initiative, esprit d'observation,
volonté, jugement et domination d'eux-mêmes. Voilà
les qualités que nos méthodes officielles n'ont jamais
encore essayé de nous inculquer.
Le président de l'enquête parlementaire sur l'éducation, M. Ribot, est arrivé à cette conclusion que
notre enseignement est en grande partie responsable
des maux de la société française. Je n'hésite pas à
dire, après avoir longuement étudié la question, que
notre Université est un des lléaux de la France.
l'histoire
:
:
LIVRE
III
LE GOUVERNEMENT POPULAIRE
CHAPITRE
L'Élite et la
I
Foule
Le monde moderne se trouve en présence d'un
problème, lentement grandi à travers les siècles et
qu'il faudra résoudre sous peine de voir certains
-é
peuples sombrer dans la barbarie,
Une des caractéristiques les plus certaines, quoique
fort méconnue de la civilisation actuelle, est la différenciation progressive des intelligences et par conséquent des situations sociales.
Malgré toutes les théories égalitaires et les vaines
tentatives des
tuelle
ne
fait
codes,
cette
différenciation intellec-
que s'accentuer, parce qu'elle résulte
de nécessités naturelles entièrement soustraites à
iluence des
l'in-
lois.
technique sont devenus les vrais
modernes. Par sa complication progressive, cette technique a fini par exiger
des connaissances théoriques et pratiques si vastes,
des initiatives si hardies et un jugement si sûr, que
seuls, des esprits supérieurement doués peuvent se
hausser à un pareil niveau. Or, en même temps que
Les progrès de
moteurs des
la
civilisations
L ELITE ET LA
uy-
FOULE
capacité des dirigeants s'est accrue, celle des
simples exécutants s'est trouvée réduite. La division
du travail, le perfectionnement des machines, ont
rendu le rôle du travailleur à ce point facile que
l'apprentissage est presque inutile aujourd'hui.
la
Ainsi, se sont formées des classes distinctes, sépa-
rées par un fossé chaque jour plus large. L'éducation
permet bien rarement de le franchir, parce qu'elle ne
dote que d'une faible partie des qualités nécessaires
pour réussir maintenant.
très irritant pour les
Il est évidemment
dominés par la passion égalitaire, de voir
esprits
le
rôle
des élites tellement grandir qu'on ne saurait se passer
mais ce phénomène était inévitable. Examinez
séparément tous les éléments d'une civilisation et
vous saisirez vite l'importance des élites. C'est d'elles
seules qu'émanent les progrès scientifiques, artisti-
d'elles,
ques, industriels qui font la force d'un pays et la
jtrospérité de millions de travailleurs. Si l'ouvrier
gagne trois fois plus aujourd'hui qu'il y a un siècle et
jouit de commodités que ne possédait pas un grand
seigneur du temps de Louis XIV, il le doit uniquement à des élites travaillant pour lui, beaucoup plus
ne travaille pour elles.
Par cela même, en effet, que le rôle des élites grandissait sans cesse, leur labeur s'accroissait aussi. La
journée de huit heures n'est pas faite pour elles.
C'est seulement par d'écrasants efforts que les élites
modernes, celles de l'industrie surtout, réalisent
découvertes et progrès. Elles atteignent souvent
à cette opulence qui chagrine tant les esprits égalitaires, mais, en réalité, les élites industrielles oscillent
toujours entre la richesse et la ruine, sans pouvoir
qu'il
espérer un état intermédiaire. La richesse, si tout est
rigoureusement prévu, combiné et dirigé. La faillite
et la ruine, si la i)lus légère erreur est commise. Le
grand industriel n'a plus le droit de Se tromper. Sous
des dehors parfois fastueux se cachent souvent de
120
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE
sombres soucis. Vient-il d'édifier une usine munie
des meilleures machines, brusquement une découverte nouvelle, une concurrence inopinée, l'oblige à
tout recommencer. La concurrence est devenue si
âpre, les découvertes des laboratoires si soudaines,
l'instabilité si générale que la quiétude d'esprit est
interdite à l'homme qui dirige une entreprise quelconque
Dans
^.
Comme
le firent les
monde
antique on ne pouvait s'enrichir
Romains, qu'en ruinant les autres.
Dans les temps modernes il est difficile de s'enrichir
sans enrichir en même temps les autres. C'est ce qu'a
le
très bien
vantes
résumé M. d'Avenel dans
les
lignes sui-
:
()n «"enrichissait aux temps féodaux par la çrucire privée, en
ruinant ses voisins; plus tard par Tusure puliliiiuc en s'apppropriant les fonds de l'Etat. f)n s'enrichit aux trnips actuels en
enrichissant ses voisins et l'Etat.
La richesse nouvellement conquise n'est ])ninl dérobée au
peuple, ni obtenue du roi, mais bien créée, tirée du néant parla
sicience
et
;
celte
accompa£rnée d'un
conquête individuelle de quelques-uns est
iïain collectif de tous. iTnn aain vraiment
social.
ici du rôle
.les élites est tri;? sommaire, donc irii-omconséquent inexact sur bien des points. L'industriel créateur dont
j'ai parlé
constitue l'exception. 11 tend de plus en plus
se dégager des
responsabilités en mettant son industrie en actions. Même dans ce cas apparaît
encore le rôle des capacités supérieures. D'après des renseignements obtenus
l.
Li-
tableau tracé
plel et par
:'i
de diverses sources, surtout en Belgique, des entreprises qui, gérées par des
patrons rapportaient 10 à 12 p. 100, ne rapportent guère que 4 p. 100 soit trois
fois moins dès quelles sont mises en actions. Beaucoup même n'échappent pas à
la faillite.
11
s'en [anl également, et de beaucoup, que,
dans
alTaires financières surtout, les rétributions soient
les alfaires industrielles, les
toujours proportionnelles à la
Ce qui est rétribué surtout, ce sont des relations utiles. Un journal bien
faisait remarquer que la plupart des individus engagés dans les finances
généralement d'une intelligence fort méd'.O' re. .^impies placiers d'affaires
pour la plupart, les remises qu'ils obtiennent leur assurent cependant une
situation brillante. Les bénéfices sont le plus souvent sans aucun rapport avec
les services rendus. Un journal a signalé, sans être démenti, que chacun des
douze administrateurs d'une de nos plus grandes sociétés de crédit s'attribuent
aux dépens des Actionnaires un traitement annuel d'environ 300.000 francs pour
un travail à peu près nul. Des faits analogues justifient cerlnines diatribes des
socialistes. On ne peut les défendre qu'en les rev;onnai?sanl inévitables.
capacité.
informé
étaient
L ELITE ET
121
1
Donc, les civilisations du type moderne créées par
des élites, ne peuvent vivre et évoluer que par elles.
Cette première constatation était nécessaire pour
comprendre le problème auquel j'ai fait allusion en
commençant. Ce problème, le voici
Tandis que les progrès scientifiques amenaient les
élites de mentalité supérieure à diriger le mécanisme
de la vie moderne, les progrès des idées politiques
conféraient de plus eu plus à des foules de mentalité
inférieure le droit de gouverner et de se livrer par
l'intermédiaire de leurs représentants aux jdus dangereuses fantaisies.
Sans doute, si la foule choisissait pour conductrices
:
mènent
la civilisation, le problème
mais ce choix n'est qu'exceptionnel. Un antagonisme qui s'accentue chaque jour
séparé la multitude des élitr^s. Jamais ces dernières
jamais
ne furent plus nécessaires qu'aujourd'hui
cependant elles ne furent aussi difficilement supportées. L'élite intellectuelle pauvre est à peu près
tolérée parce qu'ignorée. L'élite industrielle opulente
les
élites
actuel
qui
serait
résolu,
;
n'est plus acceptée et les lois sociales, édictées par les
représentants des multitudes, visent continuellement
à la dépouiller de ses richesses.
C'est ainsi que les sociétés actuelles ont fini par se
diviser en classes distinctes dont les luttes roiH|iliront
l'avenir.
Comment
oppositions? Comsans laquelle un
pays ne peut subsister et une masse immense de travailleurs, aspirant à écraser cette élite avec autant
de fureur que les Barbares en mirent jadis à saccager
ment
faire
concilier
de
telles
vivre ensemble
l'élite,
Rome"?
Le problème est difficile mais non insoluble. L'histoire nous apprend que les foules, très co'nservatrices.
malgré leurs instincts révolutionnaires apparents,
11
1-2
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
ont toujours rétabli ce qu'elles avaient détruit. Le plus
destructeur des triomphes populaires ne modifierait
donc pas longtemps l'évolution d'un peuple. Mais les
ruines accumulées en un jour demandant parfois des
siècles pour être relevées, mieux vaut tâcher de les
éviter.
Un remède
d'asitecl 1res simple serait de restreindre
pouvoir populaire. Sa simplicité même séduit beaucoup d'esprits Ce moyen est cependant chimérique.
L'évolution démocratique des gouvernements dans
tous les pays montre qu'elle correspond à certaines
nécessités mentales contre lesquelles les récriminations resteraient vaines. Une élémentaire sagesse
conseille de s'adapter à ce qu'on ne peut empêcher,
r/est donc aux élites à s'adapter au gouvernement
populaire et à endiguer et canaliser les fantaisies du
nombre, comme l'ingénieur endigue et canalise la
force d'un torrent.
Constatons, d'ailleurs, et ceci forme déjà une utile
consolation, que le dogme de la souveraineté populaire n'est pas plus irrationnel, au point de vue de la
logique, que les dogmes religieux dont les hommes du
passé ont vécu et dont beaucoup d'hgmmes du présent
continuent à vivre. Il semblerait même, à en juger
par les enseignements de l'histoire, que l'esprit
humain s'adapte plus facilement à l'absurde qu'au
rationnel. Disons simplement qu'il finit par s'adapter
le
à tout.
En
aux multitudes
semeurs d'illusions, n'avaient fait germer dans l'âme des masses
ouvrières des erreurs et des haines, seuls soutiens de
serait
réalité, cette
assez aisée
adaptation de
si
l'élite
les politiciens,
l'antagonisme dont j'ai parlé.
L'antagonisme s'évanouira le jour où les foules,
conscientes de leurs vrais intérêts, découvriront que
la disparition ou l'alTaiblissement des élites entraînerait rapidement pour elles la pauvreté d'abord, la
ruine ensuite.
123
L ELITE ET LA FOULE
Leur démontrer cette vérité élémentaire, sera difliIl est pourtant bien clair que si l'atelier sans
maître, rêvé par les syndicalistes, ou l'atelier dirigé
par des délégués de l'Etat collectiviste était, à la
rigueur, possible au commencement du siècle dernier,
à l'époque où la technique restait très ])rimitive. ces
formes d'organisation sont impossibles aujourd'hui.
Etrangers malheureusement à toutes les réalités,
errant dans la sphère des illusions pures, les socialistes ne cessent de propager des utopies dont l'accomplissement amènerait la ruine rapide des âmes simoile.
ples qui les écoutent.
Les chimères incrustées dans les cervelles popunettement marquées par le conseil suivant
d'un délégué de la classe ouvrière, présenté et approuvé
au congrès socialiste de février 1910:
M II n'y a qu'un moyen de vous allranchir, c'est
de substituer aux propriétés capitalistes la propriété
collectiviste qui, gérée par vous et pour vous, fera de
vous tous, serfs modernes du salariat, des producteurs
laires sont
associés et libres.
L'usine gérée
privé de son
»
par
des
ouvriers serait
le
navire
capitaine et conduit par les matelots.
que quelques jours. Administrée par
un délégué de l'Etat collectiviste, elle se maintiendrait un peu plus longtemps, ce délégué se gardant
bien d'y rien changer, mais au lieu de progresser,
Elle ne durerait
diminuerait vite d'importance et les salaires
également. Ce ne sont pas assurément des fonctionnaires n'ayant aucun intérêt à une amélioration
quelconque qui prendraient l'initiative de s'exposer
aux risques de ruine supportés par les grandes entreprises modernes désireuses de |)rospéi"er.
Ne nous excusons pas de défendre d'aussi banales
évidences puisque des millions d'hommes encore
semblent les ignorer. Elles commencent cependant à
se répandre dans divers pays, l'Angleterre et la Belgique surtout. C'est pourquoi le socialisme n'y a pas
elle
124
PSyr.HOLOGIE POLîTIulE ET DÉFENSE SOCIALE
revêtu les lormes agressives constatées chez les
peuples latins où il a rapidement dégénéré en une
guerre de classes.
L'incompréhension totale de certains principes élémentaires, prouve la nécessité d'une éducation nouvelle de la démocratie. Elle aurait pour premier but
de lui faire saisir les relations unissant ces trois éléments de l'activitiî moderne l'intelligence, le capital
:
et le travail.
En attendant
cette
rét'urme
non ébauchée encore,
qu'on ne doit certes pas espérer de notre Université, il faut vivre avec les foules et pour cela apprendre
à les connaître.
Remarquons tout d'abord que gouvernement populaire ne signifie nullement gouvernement par le peuple
mais bien par ses meneurs. Ce ne sont pas les multitudes qui font l'opinion. Elles la subissent, puis, hypnotisées, l'imposent ensuite avec violence. Tel est le mécanisme de ce qu'on nomme un mouvement d'opinion.
Jamais, en effet, ou presque jamais, les foules ne
déterminent de tels mouvements. Elles leur impriment une force irrésistible mais ne les créent pas.
Lors de l'exécution de Ferrer, personnage dont le
peuple parisien n'avait jamais entendu parler, quelques meneurs conduisirent 50.000 hommes attaquer
l'ambassade d'Espagne. Exaspérée par leurs discours
sans d'ailleurs (comprendre pourquoi, car de l'événement initial elle ne savait presque rien, la foule se
livra à toutes les violences y compris le pillage et
l'assassinat. Un peu effrayés, les meneurs ordonnèrent
pour le lendemain une manifestation pacifique. Et la
même foule, si violente la veille, se montra d'une
sagesse exemplaire.
La docilité des foules est extrême, en effet, quand
on sait les guider. L'art de les manier est assez connu
des grands meneurs d'aujourd'hui.
et
L ELIit:
12^
ET LA lOLLE
C'est donc seulement en apparence, je le répète,
que gouvernent les multitudes. Loin d'être vraiment
populaires, les gouvernements actuels représentent
simplement une oligarchie de meneurs.
Puisque ces derniers créent l'opinion, il importe de
savoir par quel mécanisme. L'utilité de la psychologie
des foules apparaît maintenant évidente. Paul Adam,
u Dans une démocratie, la
affirme avec raison (|ue
:
science des
foules
doit être
le
principal souci
des
influents. »
Cette nécessité m'avait frappé, il y a une quinzaine
d'années, et c'est pourquoi j'écrivis la Psychologie des
foules, sujet très inexploré alors, mais qui fut, depuis,
nombreuses recherches.
Je n'ai pas l'intention de redire ici les caractères
des foules et me propose seulement de marquer quel-
l'objet de
ques-uns des plus importants, manifestés nettement
au cours d'événements récents.
Observons, auparavant, que si la psychologie des
foules commence à être assez connue, puisque les
règles posées jadis dans mon livre sont journellement
utilisées par des officiers de l'armée et enseignées couramment à l'Ecole de Guerre, elles ne sont pas arrivées
encore jusqu'à nos hommes politiques. Ces derniers
ne cessent, en effet, de vanter la sagesse, le jugement
et le bon sens des foules, qualités dont elles furent
dépourvues toujours. Les multitudes manifestent parfois de l'héroïsme, un dévouement aveugle à certaines
causes, mais du jugement, jamais. Toute l'histoire est
là pour le dire. Quand par hasard elles en montrèrent,
c'est qu'on en eut pour elles.
Nos législateurs ne se forment évidemment qu'une
idée très inexacte de la mentalité populaire. S'imaginant, par exemple, que la reconnaissance est une
vertu collective ils accumulent des lois inutiles ou
dangereuses destinées uniquement à plaire à la multitude. Ne soupçonnant guère l'intense mépris des
foules pour la faiblesse, ils ne comprennent pas que
11.
126
l'SYCUOLOGIE rOLITIQLE ET DÉFE.\SE SOCIALE
leurs perpétuelles concessions devant les
menaces
les
dépouillent graduellement de tout prestige. Ces concessions fixent
seulement dans l'âme
conviction, que
des meneurs la
menacer avec violence
obtenir. Le lendemain
même
aux employés de chemins de
de
la loi
suffit
pour
qui accordait
fer des retraites, à
peu
de beaucoup
de magistrats, ces employés voyant ce qu'on obtenait par intimidation, se réunirent pour exiger des
salaires qui réduiront à une valeur presque nulle les
actions des compagnies. Ne doutez pas qu'ils les
obtiennent.
Je ne rappellerai pas ici que l'âme collective diffère
tout à fait de l'âme individuelle. Modes de penser,
mobiles d'actions, intérêts même, tout les sépare.
Nous ne retiendrons des caractères des foules que
l'incapacité totale à raisonner ou à se laisser influencer
par un raisonnement, le simplisme, l'émotivilé et la
crédulité. Les idées ne leur sont guère accessibles que
traduites en formules brèves et évocatrices d'images.
Le capital, c'est un bourgeois paresseux et ventru,
nourri de la sueur du peuple. L'Etat, c'est le gendarme
près égales
et la troupe.
à
celles
des
officiers
Le cléricalisme,
et
c'est le
gouvernement
des curés. Le socialisme, c'est un gouvernement qui
fera rendre gorge aux boui'geois et permettra à l'ouvrier de boire et manger sans rien faire.
Les politiciens ont bien senti d'instinct l'impuissance des foules à se représenter plusieurs idées à la
fois et l'utilité des formules violentes et claires. Au
moment des élections, ils tâchent d'en trouver, pouvant servir, comme on dit, de tremplin électoral le
milliaj'd des congrégations, le péril clérical, l'impôt
sur le l'evenu, etc., ont servi tour à tour.
Les Anglais sont passés maîtres dans cette condensation, utilisant surtout l'action impressionnante de
l'image. Leurs dernières élecLions prouvèrent la puissance des formules simples et affirmatives. L'Angleterre fui. à un certain moment, couverte d'affiches
:
L ELITE ET LA
12-
FALLE
dépourvues de ces lilandreuses explications
dont abusent les candidats latins. Toute la Ihéorie du
parti unioniste était synthétisée dans quelques formules comme celle-ci voter pour les radicaux, c'est
voter contre la puissance navale de l'Angleterre.
Assertion terrible dans un pays où le dernier des
manœuvres considère comme un dogme religieux
intangible la nécessité de la supériorité navale de la
Grande-Bretagne.
Des images accentuaient encore la force impérative
de ces formules. Une des plus impressionnantes et qui.
certainement, détermina bien des votes, fut une grande
affiche divisée en deux parties. A gauche, au-dessous
de cette simple date 19U0, un immense cuirassé totalisant la flotte anglaise
à côté, un tout petit bateau
représentant la flotte allemande. A droite de l'affiche,
sous cette indication 1910, les rapports sont inversés,
le petit bateau allemand est devenu un grand cuirassé
presque aussi impoi'tant que le géant anglais. Le
péril de l'Angleterre apparaissait ainsi évident. Inutile d'ajouter que personne ne songeait à vérifier la
valeur statistique de l'affiche. C'eût été du raisonnement, de l'esprit critique, facultés dont les foules furent
illustrées,
:
;
toujours incapables.
Toutes ces manœuvres reposaient sur une connaissance parfaite de l'âme populaire, de son émotivité,
de sa crédulité et de l'action de la répétition sur elle.
Si les résultats souhaités n'ont pas été toujours obtenus, puisque le parlement anglais est divisé actuellement en deux partis à peu près égaux, c'est que les
adversaires employant les mêmes armes, leurs elîets
s'annulaient. L'électeur indécis suivait alors l'impul-
sion du groupe auquel
il
appartenait.
C'est grâce à leur sensibilité qu'on
ment
émeut
si
facile-
grâce à leur mobilité qu'on les
retourne si aisément. Le héros, porté avec enthousiasme au Capitole, sera précipité avec le même enthousiasme du haut de la roche Tarpéienne. La veille de
les foules, et
128
PSYCHOLOGIE POI
I
I
I^X E
ET DÉFENSE SOCIALE
sa chute, Robespierre était dieu de la plèbe parisienne.
Le lendemain,
elle hurlait
des invectives
et délirait
de
emportant vers la guillotine
le dieu tombé. Conduit au Panthéon parmi les acclamations de la foule, le corps de Marat était jeté à
l'égout par la même foule quelques années plus tard.
Le cadavre de Cromwell connut le même sort.
Ne pouvant tabler sur le raisonnement des foules,
puisqu'elles en sont totalement dépourvues, le meneur
essaie seulement d'impressionner leur sensibilité.
joie derrière la charrette
agissant naturellement de la même
façon, le succès appartiendra, finalement, à celui qui
L'adversaire
criera le plus fort et sera le plus violent.
Cette nécessité de la violence est telle, qu'on a pu
voir, lors des dernières élections, des ministres anglais,
réputés habituellement pour leur correction, vociférer
des invectives dans leurs discours populaires avec le
style des clubs jacobins au moment de la Révolution.
Dans une harangue publique, M. Lloyd George,
ministre des Finances, déclarait que la Chambre des
Lords « était une réunion de misérables lâches,
de tristes pleutres, n'ayant pas assez de cœur pour
faire le bien et pas assez de courage pour faire le
mal ». Des injures analogues étaient répétées chaque
jour par les divers ministres dans leurs circonscriptions.
Dans l'étude de la psychologie populaire, on doit
noter encore, que la conscience de sa puissance et de
son irresponsabilité donne à une foule une susceptibilité et un orgueil excessifs. Les événements récents
en ont fourni maintes preuves dont j'ai déjà cité plusieurs dans cet ouvrage.
Quels que soient d'ailleurs les sentiments de la multitude, ils sont toujours exagérés et c'est pourquoi, si
son orgueil est excessif, son obéissance et sa servilité
le sont également dès qu'elle se trouve en présence
d'individus possédant du prestige. Nous avons montré
avec quelle facilité les ordres les plus absurdes et
L ELITE ET LA
129
FOULE
de comités révolutionnaires étaient
respectueusement obéis par les corporations ouvrières.
Cet état mental des masses fut toujours le même
je trouve un bien curieux exemple de la susceptibilité
et de la servilité que peut successivement manifester
la même foule, suivant les circonstances, dans l'extrait
suivant emprunté à un journal des mémoires d'un
voyageur étranger nommé Campe, venu en France
enl790.
Il s'agissait d'un projet d'adresse au roi que Target
les plus impératifs
:
lisait
—
à ses collègues
:
Sire, dit Target, lisant
rhonneur...
Gris, trépicnements.
mot
Effacez ce
—
—
l'adresse,
{'Assemblée nalionnle a
Point dhonneiu'! Point
d'honneur!
!
... de metb'e aur pieds de
Voire Majesté...
Tumulte, huées foi'midables, les parois et les vitres en trem-
blaient.
—
A bas les pieds! A bas les pieds! L'Assemblée nationale ne
rien aux pieds de qui que ce soit!...
Target, déconcerté, reprit avec un geste de désespoir
met
:
—
—
—
l'Assemblée nationale porte à Votre Majesté...
Sii-e,
Bravo
!
l'offrande...
...
—
Protestations frénétiques.
Pas d'offrande!...
Kt la chose ainsi continua jusqu'à la fin de la séance. Le bon
Allemand sortit de là etîaré et un peu déçu. Le lendemain, il
parvint à se glisser dans le château de Versailles à l'heure où
l'adresse devait être remise au roi; il n'était pas fâché de contempler, en présence du monarque, la hère mine de ces législateurs qu'il avait jugés la veille si chatouilleux et si jaloux de
leur dignité. Hélas! Dès que Louis XVI parut dans la galerie, ce
fut un délire unanime; ceux qui s'étaient montrés à l'Assemblée
parmi les plus arrogants sautaient sur les tabourets pour mieux
voir leur bon maître, s'accrochaient aux pilastres, se levaient
sur leurs pointes. Un grand cri de Vive le roi! ébranla tout le
palais et l'Assemblée
pour l'accompagper à
En regard des
oublier d'en
1
1
V
:
:
;
1
((
sit
la
mit docilement à
la suite
du souverain
chapelle.
défauts des foules, il ne faut pas
mentionner aussi les 'qualités. Leur
à raisonner rend possible chez elles un
130
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
grand développement de raltruisme, qualité que la
raison atTaiblit forcément et qui constitue une très
utile vertu sociale. L'individu qui raisonne est généralement égoïste et ne se détermine que difficilement à sacrifier sa vie pour un intéi'èt général.
Seules les foules sont capables de telles abnégations.
Les causes les plus chimériques trouvèrent toujours
des milliers d'hommes prêts à se faire tuer pour elles.
C'est grâce seulement au concours des foules que de
puissants empires ont pu naître et se développer. Les
foules ne créent pas de grandes civilisations, mais
dans leur sein résident l'héroïsme, le dévouement et
beaucoup des vertus qui les font vivre.
Une des dernières caractéristiques de la mentalité
populaire, que je mentionnerai ici. est leur extrême
crédulilé. Elle est sans limites
comme
celle de
yeux. Si une
demande la lune, il faut la lui promettre. Les
ticiens ne reculent guère d'ailleurs devant de
fant.
Rien n'est impossible
à leurs
l'en-
foule
politelles
promesses
Répandez dans une élection les plus
invraisemblables calomnies sur votre adversaire, vous
serez cru toujours. Evitez cependant de l'accuser de
crimes trop sombres, vous le rendriez sympathique.
Les foules manifestent généralement, en etîet, une
admiration respectueuse pour les grands criminels.
La crédulité illimitée dans les multitudes, ne leur
est pas un sentiment exclusif. La crédulité et non le
scepticisme constitue notre état normal. Nous possédons tous une petite dose d'esprit critique pour les
choses de notre métier, mais hors de cet horizon circonscrit, nous n'en manifestons généralement que
d'assez faibles traces. Ne croyez pas beaucoup au
scepticisme des sceptiques. Ils n'ont fait le plus souvent (]ue changer l'objet de leur crédulité. Les paradis
socialistes ont remplacé ceux des légendes. Les dieux
morts ont jiour successeurs des tables tournantes, des
somnambules et des fétiches.
La crédulité des foules et celle des esprits primitifs
!
l'élite et la folle
131
sont presque égales. Les faiseurs de prospectus et
d'annonces le savent bien et ils connaissent aussi le
rôle suggestif de l'affirmation et de la répétition. De
grosses fortunes s'édifient chacj-ue jour sur l'annonce
d'agents thérapeutiques aux propriétés purement chimériques.
Si l'on fait entrevoir aux âmes simples un gain considérable par une annonce suffisamment suggestive, le
bénéfice est plus certain encore. Des légions de financiers vivent des promesses les plus invraisemblables
habilement répétées. Leur rédaction ne demande
aucuns frais d'imagination. Il suffit de toujours affirmer
les mêmes choses dans les mêmes termes. Le Globe
a raconté l'instructive histoire des actions d'une certaine mine de la Fiépublique argentine n'ayant jamais
fonctionné. Tous les six mois, des prospectus répandus
par millions répètent qu'un dividende énorme va être
très prochainement distribué, et que l'action devant
décupler de valeur il faut en acheter de suite. Convaincu, le petit capitaliste se précipite vers le guichet
pour ne pas manquer une pareille occasion. Bien
entendu aucun dividende n'est jamais versé. Et pourtant il y a cinq ans que l'opération se répète et grâce
à ces habiles annonces, le public a absorbé pour
12 raillions de titres dont la valeur ne dépasse pas
notablement celle du poids du jjapier.
Les faits du même ordre sont innombrables, le
journal qui relatait
ajoutait
le
précédent, choisi entre mille,
:
La crédulité de l'épargne est insondable; elleest sans bornes
rinfini. Elle ne demande ni preuves, ni vraisemblance
des promesses et des affirmations lui en tiennent lieu. Elle se
laisse bercer et endormir par de charlatanesques boniments et
«
comme
plus
ils
:
sont grossiers
et
de
qualité
inférieure,
plus
elle
s'y
abandonne sans réserve. Que les espérances qu'on fait miroiter
à ses yeux soient manifestement folles, que le lendemain même
elle est
elles soient démenties par les faits, peu lui importe
;
tellement confiante et aveugle qu'elle en veut parfois d'avantage
ceux qui lui dessillent les paupières qu'aux histrions qui l'ont
trompée.
;i
132
PSYCHOLOGIE POLIÏIOLE ET
Dl
FFNSE SOCIALE
Transposez ce qui précède à la politique et vous
aurez la genèse du succès de certains individus et de
certaines doctrines. Promettre des chimères, affirmer
sans preuve, répéter sans cesse les mêmes i)romesses
en surenchérissant toujours sur son con(?urrcnt. telle
est la
formule du succès.
Ne nous plaignons pas
trop cejiendant de l'univernous baigne. Peu de facteurs des
civilisations furent aussi énergiques. Grâce à elle, de
grandes religions consolatrices surgirent du néant et
de puissants empires ont été fondés. C'est la crédulité
bienfaisante qui rend la foi possible et conserve les
traditions, soutien do la grandeur (Pun pays. Foi dans
la patrie, foi dans un idéal, foi dans l'avenir, tous ces
pivots de notre activité mentale ont la crédulité pour
gardien. Les peuples qui perdent toute foi perdent
selle crédulité qui
avec leur
âme
les raisons d'agir. L'avenir n'est plus à
eux. les liens sociaux sont détruits. Déclinant chaque
jour,
ils
rejoignent bientùt dans l'oubli les races dont
un scepticisme destructeur
a
marqué
la lin.
CHAPITRE
Genèse de
la
11
Persuasion.
Sous rcxtension des Inllueiices i)opulaircs, certains
événements politiques éclatent souvent avec une soudaineté aussi surprenante pour le public que pour les
hommes
d'Etat.
Rien ne permettait de les prévoir
et
nul ne les avait prévus.
Cette soudaineté se manifesta notamment dans la
Révolution turque, renversant en peu de jours un
gouvernement plusieurs
fois séculaire. Elle s'est
mon-
trée encore dans la grève des postiers, déclarée
en
quelques instants, puis dans l'insurreclion de Rarcelone, où des citoyens paisibles transformés presque
instantanément en brigands sanguinaires, incendièrent les couvents, les églises et déterrèrent les
morts.
Les interprétations théoriques de ces subites explosions, données après coup, ne les expliquent guère.
Pour les comprendre, il faut se résigner à mettre de
côté notre logique rationnelle. Elle peut, cette logique,
nous servir à imaginer des causes fictives pour les
événements, mais non
les créer.
mouvements
poi)ulaires ne sont pas lîls
sentiments inconscients qui les
engendrent obéissent à des lois dont l'étude est à peine
entrevue encore.
Un fait demeure cependant parfaitement acquis.
Ces brusques insurrections ont. le plus souvent,
Certes, ces
du hasard, mais
les
134
PSYCHOLOGIE POLITIQIE ET DEFENSE SOCIALE
de quelques meneursimporte donc tout d'abord de découvrir comment
ces derniers agissent et pourquoi leur action est parfois si rapide et si sûre, quoique leurs moyens
paraissent fort méprisables à notre raison.
jiour point de départ, rinfluence
Il
Je n'étais pas encore sorti de l'enfance lorsque,
sur la grande place d'une petite ville de province, je
reçus à ce sujet une leçon de psychologie qui m'impressionna fort. Une trentaine d'années me furent,
du reste, nécessaires pour en saisir toute la portée.
Ce ne fut pas bien entendu, la leçon qui me frappa
alors, mais son auteur, personnage imprévu, couvert
d'une tunique d'or constellée de pierreries.
Était-ce un roi mage, un satrape assyrien, un fabuleux rajah? Troublant problème.
Le trône d'où rayonnait sa splendeur dominait un
char que traînaient des chevaux caparaçonnés de
pourjtre. Derrière lui. deux guerriers, porteurs d'armures étincelantes. lançaient dans de longues trompettes d'argent des appels sonores et mystérieux.
Une foule admirative, à chaque instant plus dense.
Tenveloppa bientôt. Soudain, il fit un geste, les trompettes se turent et un silence anxieux s'étendit.
Alors, se soulevant avec une royale nonchalance, le
mage éclatant harangua la multitude. Elle écoutait
attentive, respectueuse et charmée.
Ce qu'il disait? J'étais trop loin pour bien Tentendre
compris seulement que ce puissant personnage
et
venait des contrées lointaines, où régnait jadis la reine
de Saba, pour donner aux hommes, en échange de
sommes minimes, des boîtes magiques contenant une
poudre merveilleuse capable de guérir tous les maux
et d'assurer le bonheur.
leurs appels et
Il se tut. les trompettes réjjétèrent
la foule éblouie se précipita pour acheter les miraculeuses boîtes. Je l'aurais bien volontiers imitée, mais.
135
GE\ESE DE LA PERSUASION
hélas, ma famille, désireuse de m'inculquer le mépris
des richesses et de m'éviter, disait-elle, le sort de
Sardanapale, laissait mes poches totalement vides.
Plus amers encore furent mes regrets lorsque j'a})pris les cures prodigieuses accomplies par la magique
poudre. Sans doute, le pharmacien du lieu, homme
jaune, sec et sévère, prétendit que les boîtes contenaient uniquement du sucre. Mais, que pouvaient
valoir, je vous prie, les dires de ce boutiquier jaloux
contre les affirmations d'un mage couvert d"or, derrière lequel d'imposants guerriers sonnaient du buccin?
Tout
cependant,
joies
toujours,
les
amertumes quelquefois. Les années descendirent
leur
s'efface
les
rapide spirale, estompant un peu le souvenir du magicien dont l'apparition imposante avait enchanté ma
vie d'enfant.
J'acquis
les
collège et parmi elles
assuraient
mes maîtres,
la
connaissances inutiles du
logique,
d'après laquelle,
se forment nos croyances et
se dirigent nos actions.
Je n'avais pas oublié toutefois l'homme prestigieux.
Sa logique, fort différente de celle des livres, lui avait
réussi. Donc elle n'était pas vaine. Si sa poudre ne
contenait que d'insignifiants éléments, elle agissait
pourtant. A quelle puissance magique devait-on alors
attribuer ses miraculeuses vertus?
Je restais muet devant ces problèmes. Néanmoins,
après y avoir souvent réfléchi, je finis par découvrir que ce subtil personnage avait su manier d'instinct les facteurs fondamentaux d'où dérivent la vie
des peuples et le cours de leur histoire.
Ce qu'il vendait, en effet, c'était cet élément
immatériel qui mène le monde et ne saurait mourir
l'espérance. Les prêtres de tous les cultes, les politiciens de tous les âges ont-ils jamais vendu autre
chose ?
Et si l'ingénieux personnage avait réussi à imposer
la foi en ses discours, c'est que, comme tous les fon:
136
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE
dateurs de croyances, il s'appuyait sur ces quatre principaux facteurs des convictions populaires: l°le prestige qui suggère et impose; 2° raffirmation sans
preuve qui dispense de la discussion 3° la répétition
qui fait accepter coniine certaines les choses affirmées;
4" la contagion inenlale qui rend vite très puissantes
:
convictions individuelles les plus faibles.
Cette brève énumération contient les éléments fon-
les
la grammaire de la persuasion. Si des
professeurs de logique vous assurent que la raison
devrait y figurer aussi, laissez-les dire, mais ne les
croyez pas.
Ces facteurs sont applicables aux cas les plus divers,
dans les circonstances les plus variées. Pour coninconsciemment peutvaincre, vous les emploierez.
que vous soyez simple charlaêtre, mais sûrement
tan désireux de vendre un élixir. subtil financier obligé
d'écouler de médiocres valeurs, ou même puissant
damentaux de
—
—
empereur voulant amener son peuple aux lourds sacrifices nécessaires pour fonder une grande marine de
guerre.
Ces facteurs de la persuasion ne s'adressent qu'aux
sentiments, c'est-à-dire aux mobiles habituels de notre
conduite. Ils auraient peu de ])rise sur l'intelligence et
seraient, par conséquent, sans utilité pour le professeur faisant une démonstration ou le savant exposant
une expérience. Ces derniers cherchent en effet à établir des connaissances et non des croyances.
Connaissance et croyance sont choses fort distinctes. Platon l'avait observé, il y a un certain temps
déjà, et indiqué également qu'on ne les édifie pas de
la même façon. Tous les hommes acquièrent facilement des croyances. Très peu s'élèvent jusqu'à la
connaissance. La connaissance implique des démonstrations et des raisonnements. La croyance n'en exige
aucun.
La grammaire de la persuasion, dont je viens de
résumer brièvement les éléments essentiels, n'est uti-
137
GENÈSE DE LA PERSUASION
lisable que pour la création d'opinions ou de croyances
ayant des sentiments pour bases. De ces opinions et
de ces croyances dérive l'immense majorité de nos
actions. Qui les fait naître est notre maître.
Un orateur populaire s'adressant, comme tant
d'honnèles logiciens le supposent, à l'intelligence de
ses auditeurs, ne convaincrait pcsonne et ne serait
même pas entendu. Avec des gestes, des formules,
des mots évocateurs d'images il influence leur sensibilité et par elle atteint leur volonJé. Ce qu'il vise,
ce n'est pas l'intelligence, mais cette région inconsciente 011 germent les émotions génératrices de nos
pensées.
On agit sur elle par les moyens que j'ai indiqués
prestige, suggestion, etc. Mais, dans notre énumération, ne pouvait figurer,
car il n'est guère formulable en règles
ce facteur personnel, composé
d'éléments très divers et indéfinissables, dont l'en:
—
—
semble constitue
la séduction.
L'orateur qui séduit charme par sa personne beaucoup plus que par ses paroles. L'âme de ses auditeurs est une lyre dont il ressent les moindres vibrations nées sons l'influence de ses intonations et de
ses gestes. Il devine ce qu'il doit dire et comment
le dire.
L'orateur vulgaire, le politicien craintif, ne
savent que tlatter servilement la multitude et accepter
aveuglément ses volontés. Le véritable manieur
d'hommes commence d'abord par séduire, et l'être
séduit, foule ou femme, n'a plus qu'une opinion,
de son séducteur, qu'une volonté, la sienne.
semblerait que .de ces charmeurs rayonnent des
forces attractives inconnues. A qui les possède nul
besoin de donner des raisons, la simple affirmation
suffit. Si les grands orateurs consentent quelquefois à
des explications, lorsque, leurs discours .doivent être
publiés, c'est qu'ils n'ignorent pas que le mécanisme
de la persuasion par les écrits diffère immensément
de celui exercé par la parole. Le prestige individuel
celle
Il
12.
138
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
constitue cependant une telle puissance que,
même
son action subsiste encore. De grands
écrivains comme Rousseau, ont convaincu, non par
leurs arguments souvent très faibles, mais surtout
par leur prestige.
Le charmeur n'a d'autre ennemi irréductible qu'une
solide croyance ancrée dans l'àme de ses auditeurs.
Lors(in'une telle croyance a envahi le champ de l'entendement, tout se brise devant elle. C'est un mur
que rien ne traversera plus.
Le charme magnétique suffît quelquefois, mais non
pas toujours, et d'autres qualités, parmi lesquelles
l'art de bien parler ne figure qu'à une place secon-
dans
les écrits,
daire, sont nécessaires à l'orateur.
Pour persuader,
il
savoir sortir de sa pensée, j^énétrer dans celle
de ses auditeurs, et vibrer à l'unisson de la foule
doit
qui l'entoure. Il faut s'émotionner avec elle avant
de tenter de l'amener à ses vues. C'est ce que sut
faire Antoine, prononçant devant le cadavre de César
le très habile discours que lui prêle Shakespeare et
grâce auquel il transforma en quelques instants ses
auditeurs, d'abord favorables aux meurtriers, en vengeurs prêts à les massacrer.
Et qu'il s'agisse d'une foule vulgaire ou d'une
assemblée d'élite, l'élément de persuasion que je viens
d'indiquer
sera
toujours
le
plus efllcace.
Il
faut,
répétons-le, deviner ce que pense l'auditoire et penser
d'abord
comme
comme
vous.
lui
pour l'amener ensuite à penser
de ce principe est très bien marquée dans
passage suivant d'un travail consacré par M. Tardieu à un des grands orateurs de notre temps, le
prince de Biilow, alors chancelier de l'empire d'Allemagne.
L'utilité
le
L'essence de l'art oratoire dans une assemblée politique réside
la perception immédiate de ce qu'attend l'auditoire. Le
contact s'élablit-il ? Voilà la partie gagnée. M. de Biilow a toujours excellé à établir ce contact. Nul plus que lui n'a senti
dans
139
GENÈSE DE LA PERSLASION
au public qui l'écouy a. dans nombre do ses discours, des pbrases ou dos
périodes entières faites pour répondre au goiit du jour. L'affirmation répétée à l'excès de la force allemande, les déclarations
« L'Allemagne ne se laissera pas marcher sur le
arrogantes
pied... L'Allemagne ne se laissera pas mettre de côté... L'Allemagne ne se laissera pas isoler... » sont des banalités usées que
cet intellectuel raffiné ne s'approprie point sans raisons. Mais,
orateur avisé, il sait que ces banalités plaisent aux députés qui
l'écoutent, échantillons assez vulgaires, pour la plupart, d'un
Deiitschtum orgueilleux. 11 manœuvre son public comme une
d'instinct ce qui convenait, h tout instant,
tait.
Il
:
partie d'échecs.
Les foules, nous l'avons vu précédemment, possèdent une crédulité infinie, mais le plus souvent les
opinions qu'on leur suggère sont momentanées, sans
consistance, sans durée et sans force. A de rares
périodes de l'histoire seulement on les voit acquérir
pour un certain temps de solides croyances. Alors,
comme au moment des premières Croisades, pendant
les guerres de religion ou à l'époque de la Révolution,
elles deviennent un irrésistible torrent qui bouleverse
le monde. Ce ne sont pas nos pâles socialistes révolutionnaires, si bruyants devant les défenseurs de
l'ordre social, mais si craintifs devant les foules, qui
pourraient provoquer de tels mouvements. Trop d'aj)pétits personnels sont à la base de leurs éphémères
convictions. Jamais des croyances durables ne s'édifièrent sur d'aussi fuyants appuis.
Le rôle des meneurs, connu depuis longtemps,
puisqu'il s'est manifesté à toutes les époques, n'a
cependant reçu des psychologues qu'une insuffisante
explication. Ils ne la fourniront sans doute qu'après
avoir exploré davantage cette obscure région du sub-
—
—
conscient
le subliminal des chercheurs actuels
où s'élaborent les causes de nos actes et les formes
de nos pensées.
J'irai plus loin, peut-être, que la science positive
ne le permet en disant que les âmes inconscientes du
charmeur
et
du charmé, du meneur
et
pénètrent par un mécanisme mystérieux.
du mené
se
140
rsYCnoi.oGiE poiitiqif; et défense sociale
Celte fusion d'inconscients indiquée, semble-t-il,
par un grand nombre de faits, même en psychologie
animale, nous conduit au seuil d'un domaine inconnu
que la science entrevoit, mais qu'elle n'a pu explorer
encore.
De ces régions ténébreuses, il faut revenir à celles
dont l'observation est facile. J'ai signalé quelques
éléments de la persuasion, mais quelques-uns seulement. Comment exposer en d'aussi brèves pages
ce qui demanderait un volume? Persuasion par le
milieu, par le journal, par les comités anonymes, par
l'annonce, par l'intérêt individuel, etc. Que de chapitres dignes de l'attention des psychologues et qui,
cependant, ne les ont guère tentés. Ils seraient plus
utiles que leurs vaines dissertations sur les catégories
de Kant ou sur la nature de l'espace et du temps.
Plus utiles, j)lus intéressants, mais beaucoup plus
difficiles aussi.
Parmi les facteurs principaux des convictions popuénumérées plus haut, il en est un. la contagion
mentale, tellement important que nous devons en.
dire quelques mots. Elle est le fondamental élément
laires
de la projjagation des mouvements dont je parlais
en commençant grève des postiers, insurrection de
Barcelone, etc.
Ces mouvements, commencés par les meneurs
<juand diverses circonstances
un mécontentement
i-'^énéral, par exemple,
prédispose les esprits à une
certaine réceptivité, s'étendent très vite autour d'eux
par le mécanisme de la contagion mentale.
Son rôle est prépondérant dans la plupart des
phénomènes historiques. Sans elle, aucune des fondamentales croyances qui menèrent le monde
christianisme, islamisme, bouddhisme, etc.. n'aurait
pu se répandre. La contagion mentale seule el
jamais la raison entraîna leur propagation.
C'est encore la contagion mentale qui généralise les
grandes révolutions, les mouvements d'opinions et
:
—
—
:
Gr:\'È!>E
141
DE LA PEIl.SLASION
tout ce qui constitue l'àme d'une époque. Son action
semble plus considérable aujourd'hui qu'en aucun
temps, parce que l'âge moderne est devenu l'ère de
multitudes que les liens du passé ont cessé de retenir.
Pour bien discerner les vrais mobiles de la conduite
des individus et des foules, il ne faut pas oublier que
sentiments et intelligence sont, je l'ai dit déjà, hétérogènes. Régis par des lois fort dilTérentes, ils n'ont
pas de commune mesure. Cette notion m'a guidé
dans plus d'un livre, et tout récemment encore l'éminent philosophe Ribot insistait sur sa capitale importance.
Nous nous obstinons cependant à traduire l'atTectif
en termes intellectuels. Sentiments et intelligence étant
toujours mélangés sont du reste difficilement séparables. C'est seulement par des moyens détournés
qu'on a pu dégager des états de conscience purement affectifs, c'est-à-dire vides de tout contenu
intellectuel.
Retenons seulement de ces indications sommaires
que la logique de l'intelligence n'a, je ne saurais trop
le redire, aucun rapport avec celle des sentiments.
Les ressources de la première sont donc absolument
impuissantes
seconde.
à
interpréter
les
actes issus
de
la
L'histoire, telle que la bâtissent des érudits de
bibliothèque, disciples dociles d'une sévère logique,
est une construction artificielle beaucoup trop rationnelle. Les plus importants des événements, ceux qui
ont dominé la destinée des peuples et leurs civilisations, émanèrent de facteurs psychologiques inconscients, que l'érudit prétend interpréter sans savoir en
pénétrer les causes. Ce n'est pas du rationnel mais
de l'irrationnel que
Le rationnel crée
l'Histoire.
les
la
grands événements sont nés.
l'irrationnel conduit
Science,
CHAPITRE
La
III
Mentalité ouvrière.
Je ne voudrais pas méconnaître
l'utilité des noude la psychologie contemporaine.
11
est certainement très intéressant d'observer les
formes de l'altruisme chez les batraciens et la faiblesse
des sentiments conjugaux chez divers arachnides. Je
me suis cependant souvent demandé si les psychologues professionnels ne rendraient pas de plus précieux services, en s'adonnant un peu à l'étude des faits
journaliers de la vie sociale et à la détermination de
leurs causes. Il en résulterait peut-être la connaissance
de lois importantes.
Les sujets d'observation al)ondent. S'ils ju'ovoquent
souvent beaucoup d'étonnement. c'est précisément
parce que la psychologie moderne n'a pas encore su
en déterminer les lois.
Des insurrections comme celle de Draveil par exemple
et celles analogues, font partie de ces mouvements
|)opulaires imprévus, surprenants toujours, parce que
leur déroulement psychologique demeure ignoré.
On se souvient de Draveil. Insurrection à main
armée ordonnée par les meneurs de la Confédération
du Travail, soldats contraints à se défendre pour
n'être pas massacrés, etc. Conséquences tinales: adhésion immédiate de la majorité des syndicats ouvriers
à la (Confédération, tentative de grève des typographes
pour empêcher les journaux de paraître, grève des
velles recherclies
lA MENTALITÉ OLVRlÈRK
électriciens privant Paris
de
lu.nièro
143
pendant une
soirée.
Ces faits demeurent incompréhensibles à qui n'a
pas un peu étudié la mentalité populaire. L'extraordinaire naïveté des moyens proposés pour en prévenir le retour montre à quel point des hommes pourtant éclairés demeurent étrangers à la psychologie
collective.
de Draveil est très caractéristique parce
fait assez rare en pareille
aventure
que tous les torts furent d'un côté et le
bon droit de l'autre. Révolte contre les lois, attaque
violente contre des troupes chargées de protéger les
propriétés privées et qui ne se défendirent qu'à la
dernière extrémité. La répression était indispensable.
Aucun pouvoir politique n'aurait pu l'éviter.
Le gouvernement avait donc entièrement raison.
Cependant toute la classe ouvrière l'a furieusement
blâmé. Pourquoi?
Avant de répondre à cette question, il faut répéter
encore que les foules obéissent à des impulsions
toujours déconcertantes lorsqu'on veut les juger au
nom de la logique. Disserter sur l'absurdité de leurs
mobiles serait inutile. C'est uniquement l'impression
produite par eux dans les esprits qu'il importe de
L'alïaire
(ju'il
reste incontestable
—
—
connaître.
Pour saisir l'influence de ces mobiles souvenonsnous du pouvoir des chimères sur l'âme populaire.
Méconnaître leur action serait ignorer l'histoire. Dans
la chaîne des événements dont elle redit le cours,
le rôle de la raison fut toujours minime, et celui
du rêve prépondérant. Des millions d'hommes ont
péri au service des illusions et par elles furent
fondés de puissants empires.
Le prestige de l'irréel reste aussi considérable aujourd'hui que jadis. Les chimères qui fascinaient autrefois
les multitudes les fascinent encore. Leurs noms seuls
ont changé.
144
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
Avant d'étudier la mentalité ouvrière nous devrons
rappeler certains caractères généraux communs aux
l'ouïes déjà décrits, puis les idées directrices spéciales
aux ouvriers et déterminant leur conduite.
Une foule n'est pas nécessairement un rassemblement d'hommes. Des suggestions partagées par des
individus éloignés, mais que la presse et le télégraphe
réunissent mentalement, peuvent leur donner les aptitudes d'une foule. Ils en ont alors l'excitabilité, l'inconstance, la fureur, la crédulité, l'absence totale d'esprit
critique, l'incapacité à se laisser influencer par un
raisonnement, le fétichisme et le besoin irréductible
d'obéir à un maître. Leurs mouvements les plus violents résultent toujours de l'impulsion de quelques
meneurs. Aujourd'hui comme autrefois la foule est
prête à se prosterner devant tous les tyrans, mais elle
en change plus souvent.
« Les foules, écrit Tarde, se ressemblent toutes par
leur intolérance [irodigieuse, leur
certains traits
:
leur susceptibilité maladive, le
sentiment atTolant de leur irresponsabilité née de
l'illusion de leur toute-puissance et l'absence totale du
sentiment de la mesure qui tient à l'outrance de leurs
émotions mutuellement exaltées. Entre Texécration et
l'adoration, entre l'horreur et l'enthousiasme, entre
les cris vive et à mort, il n'y a pas de milieu pour une
orgueil grotesque,
foule.
)!
Ces diverses particularités psychologiques se retrouvent dans tous les grands mouvements populaires
récents, notamment ceux de Draveil. Les ouvriers
avaient attaqué violemment la troupe pour obéir à
quelques meneurs. La riposte des soldats provoqua
cependant dans
la
France entière
la
furieuse sus-
ceptibilité de la classe ouvrière s'imaginant,
comme
toutes les multitudes, être au-dessus des lois. Immédiatement elle se solidarisa avec les émeutiers et
145
LA MENTALITE OUVRIERE
invectiva violemment le gouvernement, coupable uni-
quement de
n'avoir pas obligé des militaires à se lais-
ser massacrer sans défense. « L'amour-propre irrité
chez
le
peuple, disait
la mort. »
M"^ de
Staël, c'est le besoin
de donner
Quant à
la soumission aveugle des foules aux ordres
des meneurs elle a été nettement mise en évidence
non seulement par les violences exercées sur les soldats, mais encore par les deux grèves consécutives à la
répression de l'insurrection. Celle des typographes,
qui faillit empêcher les journaux de paraître, n'aboutit
qu'à moitié parce que les chefs s'attardèrent à parlementer au lieu d'agir d'une façon assez despotique.
La grève des électriciens réussit parfaitement, au
contraire, parce que l'ordre en fut donné impérativement, au dernier moment, de manière à éviter toute
discussion. Chaque ouvrier reçut simplement l'injonc-
tion suivante
:
Le Comité ordonne à tout syndiqué de cesser de
travailler le jeudi 6 août 1908 à huit heures du
soir, et de ne recommencer qu'à dix heures. Signé
«
:
Pataud.
»
Pataud fut obéi comme ne le seraient ni le Tsar ni
aucun autocrate. Seul peut-être le Grand Lama, incarnation de Dieu, comme on sait, possède sur ses
fidèles une autorité comparable.
Les journaux recueillirent pieusement les déclarations du dictateur. Il leur révéla avec condescendance ses opinions. Pataud est antimilitariste,
méprise le gouvernement et juge sévèrement le roi
des Belges. Il n'admet pas que le Président du Conseil
se
permette de remplacer les électriciens par des
lui enverra d'ailleurs prochainement ses
soldats et
ordres.
Cet éphémère potentat manie assez subtilement
Il considère la grève générale comme une
merveilleuse baguette magique dont la claSse ouvrière
l'ironie.
doit profiter, mais
il
en restitue honnêtement
la
décou13
146
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE
verte à
un ministre actuellement en fondions
l>référerait, je
pense, avoir
fait tle
et c[ui
plus utiles inven-
tions.
Malgré son pouvoir souverain, je ne conseille pas
cependant à cet autocrate de trop compter sur la durée
de sa puissance. Il n'est qu'un symbole traduisant un
état d'âme populaire, que d'autres sauront prochainement exploiter. Les foules sont obéissantes mais terriblement changeantes et Pataud tombera bientôt dans
un oubli aussi profond que Ferroul et Marcelin
Albert, rois passagers du Midi. Il fera bien alors de
solliciter une chaire de psychologie pratique à la
Sorbonne afin d'y enseigner aux politiciens et aux
chefs dindustrie l'art de manier les foules, qu'il pos-
.
sède si bien et ses adversaires si mal.
Cet enseignement leur serait fort utile. L'ignorance
'de la mentalité populaire est évidemment complète
chez beaucoup d'hommes politiques de tous les
partis et aussi chez les chefs industriels. Ils en sont
à croire, en effet, qu'on séduit les multitudes par
une servile soumission, alors que c'est précisément le
contraire.
On trouvera des preuves de cette singulière ignorance dans le stupéfiant manifeste des députés socialistes unifiés, à la suite de l'insurrection de Draveil.
Bien qu'accablés des plus méprisantes invectives
])ar les meneurs de la Confédération, ils n'ont pas
rougi d'affirmer leur solidarité « avec les militants
ouvriers en grève et en bataille et les organisations
syndicales qui les groupent et les encadrent... Aujourd'hui
comme
hier,
ajoutent-ils.
participation entière à toute
le
parti
donnera sa
action décidée
par
le
prolétariat organisé ».
C'est, comme le faisait remarquer un des journaux
qui reproduisirent ce document, « l'abdication pure
et simple de toute autorité entre les mains des dirigeants de la C. G. T. »
Cette mentalité servile est fort instructive. Elle
LA MENTALITE OLVRIERE
147
représente une forme laïcisée de l'esprit clérical le
plus humble. Je préfère infiniment les dévots, courbés
aveuglément sous les ordres du Pape, aux politiciens
s'agenouillant devant les décrets des citoyens Pouget
et Pataud. Les premiers ont du moins le mérite du
désintéressement.
Si l'on ignorait la puissance de l'esprit religieux
il
serait incompréhensible de voir des hommes
éclairés fraterniser avec des anarchistes s'attribuanl
le droit
de massacrer les soldats, suspendre la
publication des journaux, arrêter la vie publique et
autres fantaisies que n'auraient osé rêver ni Néron ni
Héliogabale.
Et de leur basse soumission que retirent-ils? Le
mépris intense et non dissimulé des maîtres qu'ils
prétendent servir.
Evidemment, les députés socialistes unifiés ont fait
preuve dans cette circonstance d'une psychologie très
pauvre, mais plusieurs défenseurs de l'ordre ne se sont
pas montrés beaucoup plus clairvoyants. L'un d'eux,
député modéré cependant, assurait dans un journal,
que les événements de Draveil résultaient de la lenteur du Parlement à adopter toutes les lois que les
syndicats exigent et qu'on devrait s'empresser de les
voter. Cela signifie sans doute qu'après avoir admis
rachat de l'Ouest, il faut se hâter d'édicter l'impôt
sur le revenu qui, en dévoilant l'état des fortunes,
permettra de dépouiller les citoyens à volonté. En
résumé, obéir sans discussion aux ordres du syndicalisme révolutionnaire qui, d'ailleurs, déclare mépriser
toutes ces réformes. Obéir sans trêve, obéir toujours!
le
Quelle dangereuse conseillère que la peur!
On vit mieux encore les conséquences de la crainte
par ce qui se passa chez le Président du Conseil lorsqu'au lendemain de la grève des électriciens, il réunit
de Paris.
avec raison, qu'une ville de
millions d'habitants dût subir les caprices d'une
les directeurs des six secteurs électriqu&s
N'admettant
.trois
pas,
148
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
poignée de syndicalistes,
le
ministre
conseilla
aux
immédiatement leur personnel,
remplacer par des soldats du génie. Un
directeurs de licencier
offrant de le
seul accepta la proposition, s'engageant à faire fonctionner sans difficulté son usine avec les ouvriers qu'on
lui procurerait. Les cinq autres refusèrent, déclarant
préférer obéir aux ordres du citoyen Pataud. Le lendemain ils envoyaient un émissaire pour offrir bien
humblement
à cet
homme
redouté, un emploi lui
laissant toute liberté avec 4.000 francs environ d'ap-
pointements La pusillanimité poussée à ce degré est
tellement invraisemblable que je n'aurais pas raconté
cette histoire si je ne la tenais d'un témoin présent à
l'entrevue et qui en sortit rouge de honte, sous l'œil
dédaigneux du ministre.
!
Cette poltronnerie insigne des directeurs des secparisiens produisit naturellement les effets
teurs
qu'eût empêchés le licenciement, au moins provisoire,
du personnel. La foule méprise toujours la faiblesse
et respecte l'énergie. Il n'y a pas d'exemple dans l'histoire qu'elle ait été conquise par la lâcheté. Dans le
cas des électriciens, le renvoi était d'autant plus
facile, que toutes les machines des secteurs fonctionnent automatiquement. Les ouvriers y jouant pour
la plupart le rôle de simples manœuvres peuvent,
comme me l'expliquait un des ingénieurs, être remplacés par des hommes quelconques, après un apprentissage très
sommaire.
Plusieurs journaux flétrirent avec une vigueur dont
on doit les féliciter la très honteuse conduite des
Depuis que la crise sociale
Tnnps, il n'y a pas eu de
symptôme plus grave que cette défaillance. L'audace
des révolutionnaires n'est rien. C'est la couardise des
directeurs de secteurs.
est ouverte,
concluait
«
le
autres qui serait irréparable. Le gouvernement fait
son devoir. On refuse son appui. On ne veut pas être
aidé.
On veut
Si le
être battu.
»
patronat refuse de se défendre et n'arrive pas
149
LA MENTALITE OUVRIERE
à
mieux
s'assimiler la psychologie populaire,
tera les déchéanres dont on le
menace
il
et ses
mérijours
sont comi)tés.
caractères communs à toutes les
mentalité ouvrière oiîre des particularités
spéciales dues à un petit nombre d'idées transformées
en dogmes chez l'ouvrier par le mécanisme de la répétition et de la contagion.
Ces idées aussi simples qu'absurdes sont présentées par les apôtres de la Confédération du Travail
sous les formes suivantes
« L'ouvrier est le créateur de la richesse sociale et
de cette richesse ne profite pas. Seuls au contraire
les hommes qui ne la créent pas en sont bénéficiaires. »
Pour remédier à celte injustice, il faut simplement
détruire la société actuelle au profit de la classe
ouvrière et par conséquent « fortifier des groupements
aptes à accomplir l'expropriation capitaliste et capable
de procéder à une réorganisation sociale sur le plan
En dehors des
foules,
la
:
communiste
En
».
le comité ordonne des grèves répépour arriver, par l'élévation des salaires, à la
suppression progressive et bientôt totale du bénéfice
attendant,
tées
des entreprises industrielles. Cette dernière manœuvre
accentuée chaque jour, est facilement praticable pour
les anciennes entreprises, parce que leurs administrateurs, très craintifs et assez indifférents
aux intérêts
des actionnaires, iront de concessions en concessions,
jusqu'à ce que le dividende tombe à zéro. La valeur
de l'action se trouvera réduite alors au même chiffre.
Une prochaine et très évidente conséquence de cet
état de choses sera la difficulté de trouver des commanditaires pour des entreprises nouvelles. De mieux
en mieux fixé sur son sort, l'actionnaire préfère
engager ses capitaux dans des sociétés étrangères. La
liste déjà serait longue des produits vendus en France
13.
150
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
mais ne se fabri(]uant plus qu'au dehors. L'ouvrier,
sans s'en apercevoir, est en train de tuer la poule aux
œufs d'or. Totalement incapable de prévision, il ne
que les résultats immédiats, momentanément
avantageux pour lui, et persévérera dans la voie où
on l'a engagé jusqu'à l'heure finale de la ruine.
Cette course à l'abime des classes ouvrières, est
accélérée par les déclamations furieuses d'une foule
de demi-intellectuels en révolte. Mécontents de leur
sort, persuadés que les diplômes obtenus par la récitation mécanique de gros manuels devraient leur
procurer des situations élevées, tous ces incompris
maudissent la société qui iiiéconDaît leur génie et de
l'ouvrier, bien entendu, ne se soucient nullement.
voit
Dépourvus du sens des
nomiques qui régissent
réalités et des nécessités écoles civilisations
modernes,
ils
s'imaginent qu'une société nouvelle s'inclinera devant
leurs qualités éclatantes si mal ai)préciées par le
monde
actuel.
Abusé par ces déclassés, fruits de notre enseignement universitaire, l'ouvrier se persuade chaque jour
davantage être victime des plus criantes injustices
ne rêve que révoltes.
et
C'est ainsi que les cervelles populaires se sont
peuplées d'illusions. Le simple manœuvre s'imagine
maintenant, malgré l'évidence contraire, produire des
revenus dont il ne profite pas. Est-il nécessaire de
démontrer que les véritables créateurs de la richesse
sont des agriculteurs, des industriels, des ingénieurs,
des savants, possesseurs de capacités absolument
étrangères à l'ouvrier. L'action de ce dernier a toujours
été nulle dans les grandes inventions qui le font vivre.
Evidemment le travail manuel contribue à permettre
d'utiliser ces inventions, mais avec les progrès incessants du mécanisme moderne, le rôle de la maind'œuvre se restreint progressivement. Nous avons
déjà dit à propos des usines électriques qu'un petit
nombre de simples manœuvres suffit à les faire mar-
LA MENTALITE OUVRIERE
151
Dans
la plupart des industries, celle des autopar exemple, la main-d'œuvre ouvrière
n'enlre pas pour plus d'un cinquième dans la valeur
totale de l'objet fabriqué.
«cher.
mobiles,
Est-il vrai d'ailleurs que cette main-d'œuvre soit
mal rétribuée? Elle l'est au contraire si bien que
beaucoup d'ouvriers reçoivent maintenant des salaires
supérieurs à ceux qu'atteignent
oifficilement, après
vingt ans de travail, une foule de bourgeois: magistrats, officiers, médecins, ingénieurs, avocats, fonc-
munis cependant d'une éducation
extrêmement coûteuse.
Dans la plupart des usines parisiennes, notamment
celles des automobiles citées plus haut, le travail du
tionnaires, etc.,
dernier des manœuvres est payé 6 francs par jour,
traitement d'un préparateur, déjà docteur, dans une
Faculté, et les ouvriers un peu habiles arrivent rapidement à des gains quotidiens de 13 à 14 francs.
Parmi les illusions populaires figure, malheureusement, celle-ci que les hommes sont égaux par l'intelligence. Les bénéfices des chefs d'usine paraissent
en conséquence injustement élevés.
Un simple
travail-
leur est pour la foule aussi apte à bien diriger une
usine ou régir une Compagnie qu'un homme instruit.
Les ouvriers ont pourtant fait de probantes expériences qui auraient dû les éclairer sur l'insuffisance
de leurs capacités. Combien pourraient-ils citer d'entreprises industrielles fondées par eux, à l'aide de
capitaux complaisants, ayant réussi?
La haine des supériorités est si générale aujourd'hui, qu'on a vu de. grandes villes, Brest, Dijon,
Roubaix, Toulouse, etc., choisir comme maires et
conseillers municipaux, de simples ouvriers, de
modestes facteurs de gare, de médiocres commis.
On sait les résultats. Ils furent nettement désastreux. Un tel gaspillage financier et une si rapide
désorganisation s'en suivirent qu'il fallut aux i)remières élections se débarrasser d'eux.
152
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
Partout, mêmes conséquences. En Alsace-Lorraine,
par exemple, les dernières élections éliminèrent les
ouvriers de toutes les municipalités, notamment à
Strasbourg et à Mulhouse. Dans cette dernière ville,
ils s'étaient livrés à des désordres administratifs tellement invraisemblables que pas un seul conseiller
municipal sortant n'a pu être réélu.
Les peuples ne s'instruisant que par l'expérience,
il
leur devient utile d'en faire quelquefois de semblables, si ruineuses puissent-elles être. Le gouvernement de toutes les communes de France par des
ouvriers socialistes engendrerait sûrement en quelques mois l'horreur intense du socialisme. Alors seulement les foules découvriraient peut-être que la
nature s'est obstinément refusée à créer les hommes
égaux, que la capacité est la première des puissances
et que la grandeur, la force et la richesse d'un pays,
sont uniquement constituées par une petite élite
d'esprits supérieurs
savants, industriels, artistes,
ingénieurs, ouvriers de choix, etc. Jamais les masses
ne s'empareront du capital comme le demandent tant
(le fanatiques imbéciles, parce que le véritable capital
c'est l'intelligence. De cette propriété on ne peut
dépouiller personne.
:
CHAPITRE IV
Les Formes nouvelles
des aspirations
populaires.
Considérée dans ses résultats immédiats, la grève
des postiers apparut comme un incident comparable
à une grève quelconque. Envisagée dans ses causes
lointaines et dans l'avenir dont elle est chargée, elle
constituait, au contraire, un de ces événements marquant une phase nouvelle de l'histoire, la chute de
Byzance, par exemple.
Pour la première fois, en effet, on a constaté le
commencement de désagrégation d'une société en
petits
groupes homogènes, ne possédant chacun
d'autre patriotisme que celui de leur groupe et prêts
à sacrifier l'intérêt général, dès qu'ils y trouvent un
avantage particulier. Le monde civilisé a vu, avec
étonnernent. des postiers traiter le reste de la nation
en ville assiégée que l'ennemi cherche à isoler et à
réduire par la famine. Nul souci des ruines que pouvait provoquer un pareil arrêt de la vie publique.
Cet égoïsme corporatif substitué à l'intérêt général
du pays frappa beaucoup les étrangers. Voici comment s'exprima, à ce propos, le plus important des
grands journaux anglais,
le
Times
:
de constater que la grève actuelle jette un jour
véritablement sinistre sur certains aspects de la vie nationale
en France.
...Si la crise européenne actuelle s'était dénouée soudainement par une guerre, la puissance militaire de la France eût été
Il
est triste
154
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFE\SE SOCIALE
réduite en ces quelques jours à son minimum et un épouvantable désastre national eût été rendu inévitable.
...Un corps de fonctionnaires publies qui, dans une heure de
difficulté et d'anxiété internationales, ne tient pas compte de
pareilles considérations, manque forcément, ou bien de l'intelligence la plus ordinaire, ou bien des moindres éléments du
patriotisme.
Le mépris de tout un irroupe de citoyens pour l'inne constitue qu'un des enseignements de
cette grève. Elle en comporte bien d'autres.
Son explosion soudaine fut la conséquence de la
térêt général
formation d'énergies sociales nouvelles, inaperçues,
mais grandies dans l'ombre depuis longtemps. Conscientes de leur force, elles se sont dressées devant
l'Etatisme parlementaire et, par un foudroyant succès,
ont montré ce que pourrait devenir leur rôle.
Ce pouvoir imprévu s'élève aussi bien contre la
puissance de l'Etat que contre celle du socialisme,
simple floraison de l'Etatisme. Les collectivistes
eurent donc, en vérité, bien tort de se réjouir de la
réussite d'une grève dont, évidemment, ils ne soupçonnèrent aucunement la portée.
Le triomphe des postiers fut favorisé par l'impopularité croissante d'un Parlement qui n'a su qu'édiavec la
fier des lois incohérentes et persécuter,
plus cruelle intolérance, des classes entières de
citoyens.
L'histoire, rapportée à la Chambre, de cette receveuse des postes dont un préfet exigeait la révocation,
uniquement parce qu'elle allait à la messe, provoqua,
dans le public, une véritable explosion d'indignation
et fut, pour beaucoup, dans la sympathie témoignée
aux grévistes,
Cette nouvelle évolution des aspirations populaires
nous ramène à une période d'anarchie et de régression. La Révolution avait remplacé les corporations
par la liberté, et voici que les corporations se rétal3lissent. Elle avait supprimé l'impôt personnel, pour
éviter l'inquisition fiscale, et
nous allons rétablir
cette
AS1'IK.VTI0\S l'OPULAIRES 155-
FORMES .NOUVELLES DES
qui deviendra plus oppressive que les
anciennes persécutions religieuses. Les vieilles tyrannies renaissent donc tour à tour et changent simplement de noms. La seule liberté de Tavenir sera celle
inquisition
de nous haïr. La théocratie syndicaliste n'en tolère
pas dautres.
La soudaineté de la grève dont nous venons de
parler et son absence de motifs prouve clairement
qu'elle était issue d'un nouvel état mental des foules.
Dès qu'ils l'eurent proclamée, les postiers eurent bien
de la peine à lui trouver des causes avouables. Leurs
affiches trahirent nettement cet embarras.
Dans une proclamation du Conseil central de la
grève publiée par le Matiii du 19 mars 1909, nous
lisons
:
n'avons envisagé la grève comme moyen de
défense professionnelle, ce sont les injures adressées par
M. Syniian à nos collègues dames qui ont soulevé l'indignation
du personnel tout entier.
Jamais nous
Mais, comprenant bientôt que le fait d'avoir adressé
dames des noms de volatiles, peu réputés parleur
à des
ne suffisait pas à e.vcuser l'arrêt de la vie
d'un pays, les grévistes cherchèrent d'autres motifs.
Ils ne trouvèrent à invoquer qu'un vague favoritisme,
utilisé d'ailleurs par la plupart des agents, et dont
le seul résultat était de faire gagner trois mois à
des employés avançant automatiquement tous les
intelligence,
trois ans.
En
réalité, la
grève eut de tout autres causes et la
situation des postiers ne la justifiait nullement.
Cette situation
était,
en
comme
effet,
absolument
privi-
des agents électorau.v précieu-x. ils voyaient, depuis quinze ans, toutes leurs
exigences satisfaites. Mieux payés que la plupart des
fonctionnaires et beaucoup plus que les meilleurs
ouvriers, ils ne possèdent cependant qup l'instruction
primaire de ces derniers et exécutent un travail bien
légiée. Considérés
moins
difficile.
156
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
Le coniiiiis qui a dirigé la grève toucliail, avec ses
indemnités, près de 6.000 francs d'appointements, et
l'employé le plus mal noté est toujours sûr d'arriver,
à quarante-cinq ans, avec les remises, à 4.400 francs,
s'il travaille dans un bureau fixe, et 5.500 francs, s'il
est ambulant. La retraite représente les deux tiers des
appointements. Les sujets capables avancent tous les
trois ans. Les moins capables sont seulement retardés
de trois mois. En publiant les instructions qui règlent
l'avancement, les journaux montrèrent l'indulgence de
l'administration et quelles faibles notes il fallait avoir
pour n'avancer (\uk l'ancienneté. Voici ce que disent
ces instructions
:
L'avancement par ancienneté se
fera poni' le personnel des
de direction et de surveillance se signalant pa?- sa faiblesse de rendement, manquement de zèle, d'assiduité, d'exactitude, manque d'autorité, négligences graves on
services d'exécution,
répétées dayis le service.
Alors, pourquoi la grève?
Elle fut simplement une crise de vanité collective
exaspérée chez des gens conscients de la force artificielle qu'on leur avait laissé prendre. En voici la
genèse
:
Les ministres et sous-secrétaires d'Etat qui se sont succédé
depuis dix ou douze ans, écrivait le Temps, ont eu pour politique de conquérir à tout prix la faveur de leurs subordonnés.
A priori, toutes les réclamations du personnel étaient
aux
yeux des ministres ou sous-secrétaires d'Etat
justes en principe et faciles à satisfaire. Même quand ces réclamations étaient
formulées comme des ordres
et ceci devint la règle constante
tout allait pour le mieux, car il convenait d'éviter un
conflit. C'est ainsi qu'on le préparait, et qu'on le préparait plus
—
—
—
—
grave.
Le pouvoir
ilattait
avec
servilité
les
délégués de
Son président, a-t-on révélé, «déjeunait
semaines chez le sous-secrétaire d'Etat,
l'Association.
toutes les
qui le consultait
sur les promotions, les tableaux
sur les nominations des directeurs! »
la suite de quelques discussions se manifesta un
d'avancement
A
et
FORMES NOUVELLES DES ASPIRATIONS POPULAIRES 157
brusque refroidissement dont
le
point de départ tut
l'insuffisance des crédits, impuissants à satisfaire de
commis, habitués à parler
en maîtres devant des chefs très déférents, furent
indignés d'une ébauche de résistance et commencèrent
à menacer. Le conflit devenait psychologiquement
évident, au premier refus d'un pouvoir toujours prêt
croissantes exigences. Ces
à céder.
II
éclata
bruyamment, pour
le
plus futile motif. Le
13 mars, une délégation n'ayant pas obtenu du
ministre ce qu'elle exigeait. c"est-à-dire la suppression
de l'avancement au choix, sortit de l'audience en
poussant des hurlements de fureur et se précipita
vers le bureau central de télégraphie. Elle y sema le
désordre par ses vociférations et commença la grève.
Cette dernière fut votée à l'unanimité le lendemain par
les postiers et télégraphistes réunis au Tivoli Vauxhall.
On connaît ses résultats. Après quelques jours de
vague résistance et de menaces de révocation, le gouvernement, malgré l'appui de la Chambre, capitula de
la plus complète, et, il faut bien le dire aussi, de la
plus humiliante façon.
C'est, en etïet, très humblement, que des ministres,
disposant de toute la puissance publique, cédèrent
aux injonctions insolemment formulées de fonctionnaires révoltés.
Le représentant des postiers sut bien marquer la
forme humiliante de la défaite devant ses camarades
enthousiasmés par un succès si imprévu.
Quand
j'ai vu, hier, dans le cabjnet du Président du Conseil,
gouvernants à genoux, pour ainsi dire, nous demander
l'apaisement du conflit, j'ai senti que nous étions forts parce
que nous étions résolus.
les
Les révoltés ne mirent pas longtemps à dégager les
enseignements de leur triomphe. Il a été "clairement
indiqué par un de leurs délégués.
Nous avons appris par notre mouvement
la
signification
14
du
158
PSYCHOLOGIE POLITIQDE ET DÉFENSE SOCIALE
maitre. Pour nous, il n"v n plus île umitres... Nous
plus des subordonnés, mais dos collaborateurs.
Miot
ne
sommes
Ce délégué
de
fut
modeste,
collaborateurs.
Il
eût
en qualifiant les postiers
pu dire plus justement
les maîtres, nous l'avons
:
nous qui sommes
montré et le montrerons encore.
Quel frein moral, en effet, pourrait arrêter aujour-
c'est
d'hui des fonctionnaires sachant n'avoir qu'à
pour obtenir. Tous, maintenant, y compris
menacer
la
corpo-
ration des sergents de ville, font entendre des revendications.
C'est un psychologue pratique très expert, le citoyen
Pataud, qui. de cette triste aventure, a le mieux
déduit la leçon.
« Les dirigeants, a-t-il écrit, ont une faute impardonnable à leur actif. C'est d'avoir laissé prendre
conscience de leur force à des agents qui ne s'en
doutaient guère. »
Le même citoyen Pataud n'ignore pas la valeur de
la discipline. Ce sagace despote sait se faire obéir de
fonctionnaires sur lesquels le gouvernement reste
sans action, aussi a-t-il pu assurer en public que
s'il ordonnait de jeter tous les chefs de service dans
des chaudières, il serait instantanément obéi. Remercions-le de bien vouloir ajourner un peu 1? réalisation
de ses menaces.
Les feuilles socialistes marquèrent également les
conséquences du triomphe de la grève. Voici ce
qu'écrivait la plus importante d'entre elles
:
Le prolétariat peut se rendre compte de la force que lui donnerait la possession de l'outillage des communications postales,
téléphoniques et télégraphiques, lorsqu'il les prendrait en main
à son usage, non plus, comme dans la grève d'aujourd'hui,
pour une revendication particulière ou pour le renvoi d'un sousniinistre, mais pour une lutte générale, à l'heure décisive, en
vue de son émancipation.
Une
sions,
fois
il
c'est ce
engagé dans
la voie
des lâches conces-
faut la parcourir jusqu'à la chute finale et
que nous faisons maintenant.
FORMES NOUVELLES DES ASPIRATIONS POPULAIRES 159
Les journaux ont signalé cette invraisemblable
énorniité que le Conseil d'administration des chemins
de fer de l'Etat avait décidé de s'adjoindre un des secrétaires de cette confédération révolutionnaire du travail
qui ne cache pas son intention de défruire violemment
la société. On voit jusqu'où peut pousser l'aiguillon de
la peur et on devine quel avenir attend des chefs, ne
comptant que sur la méprisante pitié de leurs subor-
donnés.
Bien que momentané, le succès des fonctionnaires
révoltés entraînera des conséquences profondes et lointaines. Je ne m'occuperai ici que des plus rapprochées.
Nous allons assister à l'accélération d'une désorganisation générale, commencée d'ailleurs depuis longtemps. Finances, services publics, marine et bientôt
armée, tout s'effondrera plus ou moins lentement mais
sûrement.
Ce sont surtout les forces morales, seules armatures
réelles d'une société, qui s'effritent maintenant.
Un tel phénomène n'a pas été l'œuvi'e d'un jour.
Pendant de longues années, des politiciens avides de
succès ne cessèrent de bercer leurs électeurs de promesses irréalisables et de flatter les plus bas instincts
populaires. Les comités électoraux, les instituteurs et
les cabaretiers devinrent nos vrais maîtres. D'une
pareille collaboration, quel idéal pouvait sortir? Toutes
les hiérarchies, toutes les disciplines, tous les dévouements à l'intérêt collectif furent lentement détruits.
Ce n'est pas impunément qu'on anéantit de tels sentiments dans les âmes.
L'anarchie que nous voyons éclore était donc inévitable et à peine est-il temps encore de méditer sur les
enseignements de l'histoire. A Rome, à Athènes, dans
les Républiques italiennes, partout enfin, l'anarchie
prépara toujours les plus dures dictatures.
Devant
la situation
morale créée par
la
grève des
160
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
postiers,
des
les
politiciens
remèdes. Imbus de
ont naturellement cherché
grande illusion latine sur
la
la toute-puissance des lois, ils proposèrent immédiatement de combattre le désordre avec des règlements et le gouvernement combina vite une loi sur
le statut des fonctionnaires destinée à punir ceux qui
se mettront en grève. Un tel degré de naïveté est surprenant. On s'est étonné de voir un journal sérieux
qui a souvent montré comment le gouvernement
passait « de l'énergie des paroles à la veulerie des
actes », croire à l'efficacité de semblables mesures.
Est-il beaucoup de personnes capables d'admettre que
lorsque dix mille employés se mettront en grève,
la perspective de
la
révocation ou même de la
prison pourra les arrêter? On les avait aussi menacés
de la révocation dans la dernière grève. Quelle
action la menace a-t-elle exercé sur eux? Absolument
aucune.
Ce moyen n"a pas été d'ailleurs le seul proposé la
discussion sur la grève au Parlement en a fait surgir
de plus candides encore. Un député, d'âme évidemment simple, est venu assurer la Chambre que tout
rentrerait dans l'ordre si le sous-secrétariat des postes
était transformé en ministère
Des mots et des formules nous ne savons pas sortir.
En fait de remèdes, il n'en existait qu'un seul et
après la seconde grève, force fut d'y avoir recours.
La conduite à tenir était exactement celle qui s'imposait déjà lors de la grève des électriciens des secteurs, dont les directeurs, par leur pusillanimité,
déterminèrent en grande partie la grève des postiers.
(Juand une armée en lu-ésence d'une autre se trouve
dans l'impossibilité de fuir, il ne lui reste que
deux partis à prendre, se constituer prisonnière ou
combattre. En cédant, elle se met à la discrétion du
vainqueur qui usera largement de sa victoire. En se
défendant, elle peut triompher. Vaincue, son sort
n'est pas plus dur. Elle a en outre sauvé l'honneur.'
:
!
FORMES NOUVELLES DES ASPIRATIONS POPULAIRES 161
La seule décision efficace pour le gouvernement
la Chambre, était donc de livrer bataille
aux forces coalisées contre lui.
Électriciens, employés de chemins de fer et de
beaucoup d'administrations se seraient peut-être joints
aux postiers, l'émeute aurait troublé les rues et Paris
se serait vu légèrement affamé pendant quelques
jours. Dure peut-être eût été la lutte, mais le succès
était .certain. En cédant lâchement, on n'a pas évité
de futurs combats, mais alors le triomphe sera beaucoup moins assuré, car s'il est encore possible aujourd'hui de s'appuyer sur l'armée, dans très peu d'années cela ne le sera probablement plus. Il n'y avait
donc qu'un moment difficile à passer et mieux valait
l'accepter pour en éviter de plus sombres. Deux prinqu'appuyait
cipes contraires, l'ordre et la révolution, ne peuvent
subsister simultanément. Les peuples ont subi de
nombreux bouleversements
mais on n'en peut citer
aucun ayant vécu longtemps dans un état de révolution permanente, comme celui où nous semblons
,
entrer.
Inutile d'insister sur une thèse juste, mais que n'a
pas osé adopter un gouvernement dont plusieurs
ministres avaient fomenté diverses grèves et pactisé
souvent avec l'émeute, avant d'arriver au pouvoir.
Tenons-nous-en donc uniquement aux considérations de philosophie pure, bien qu'elles soient toujours très vaines.
Les forces sociales antagonistes en présence sontelles inconciliables?
Elles ne le sont certes pas en théorie, leur antagonisme n'étant qu'apparent. Elles le deviennent malheureusement en pratique, parce qu'une des forces
rivales dérive de sentiments sur lesquels la raison
est sans prise. La haine, l'envie, la magie des mots
et des formules a[)parliennent à la catégorie des puissances que la logique ne saurait atteindre.
Ce sont donc les esprits qu'il faudrait pouvoir
14.
162
PSYC'WLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
modifier et non les institutions politiques. Filles de
nécessités économiques, ces dernières échappent toujours à notre action.
Changer
les
la foule se
ses fureurs,
loin
représentations mentales erronées que
des réalités, et calmer ses jalousies et
fait
une tâche peu
est
du jour où
les
politiciens
facile. Nous sommes
comprendront qu'une
société ne se reconstruit pas au gré de leurs caprices,
une divinité assez puissante pour
apprendront enfin que le perfectionnement d'un peuple dépend uniquement du
progrès mental des individus qui le composent.
Le syndicalisme actuel, dont la grève des postiers
représente une manifestation, est dangereux, non par
ses buts très chimériques, mais bien par une discipline et une énergie, auxquelles un Parlement disque
l'Etat n'est point
tout transformer,
oîi ils
crédité, divisé et sans force, n'oppose qu'incohérence
et faiblesse.
L'expérience du passé prouve que le monde a toujours appartenu aux audacieux, dominés par un idéal
puissant, qu'elle qu'en fût la valeur. C'est avec des
volontés fortes, soutenues par des convictions puissantes, que furent détruits de grands empires et fondées de grandes religions capables d'asservir les âmes.
La faiblesse philosophique des nouveaux dogmes
ne saurait donc nuire à leur propagation. Les volontés
disciplinées et actives qui les défendent les rendent
redoutables. Il leur suffirait de se maintenir pour
créer un droit nouveau, car le droit n'est que de la
force qui dure.
CHAPITRE V
L'Impopularité parlementaire
au commencement de
C'était
la
et !a
surenchère.
Révolution française
;
l'habitude de se débarrasser de ses contradicteurs en
leur coupant la tète n'était pas encore régulièrement
Le doux Saint-Just guettait celle de Camille
Desmoulins, mais n'avait pu réussir encore à la lui
faire supprimer. Profitant d'un répit qui devait être
assez court, le célèbre polémiste écrivait avec une
établie.
fiévreuse activité ses dernières réflexions. Elles paraissaient dans
un
petit journal
nommé
Le Vieux Cor-
delier.
Vous n'avez jamais lu, sans doute, cette feuille
vénérable, je ne la connaissais pas davantage jusqu'au
jour récent où le hasard mit sous mes yeux le numéro
du « 20 frimaire an II de la République une et indivisible. »
Son instructive lecture prouve, à qui aurait pu l'ouque dès les débuts de la Révolution, la méthode
blier,
de la surenchère, ce fléau des démocraties, sévissait
furieusement. Camille Desmoulins s'en plaint avec
amertume et indique les moyens de la combattre en
rappelant une vieille histoire de l'époque romaine.
En ce temps-là, dit le célèbre polémiste, que je
résume un peu, vivait à Rome un certain député collectiviste du nom de Gracchus, devenu très gênant,
parce qu'il faisait aux ouvriers quantité de promesses
irréalisables. Ces promesses le rendaient fort popu-
164
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
mais dépopularisaient en même temps le Sénat.
Inquiète de ses manœuvres, l'illustre assemblée finit
par prendre à sa solde un anarchiste du nom de
Drusus, chargé de renchérir sur toutes les motions de
laire,
Gracchus. Ce dernier demandait-il de livrer au peuple
pain à quatre sous la livre, Drusus proposait aussitôt de le donner pour deux sous et ainsi de suite.
En peu de temps. Gracchus perdit toute sa popularité. Il la perdit même tellement que ses anciens adorateurs finirent, à la grande satisfaction du Sénat,
par lui casser la tète. Ses contemporains le plaignirent peu, et la postérité moins encore.
Tel est le sens général de l'histoire rapportée par le
Vieux Cordelier d'après les auteurs latins. L'apologue du célèbre polémiste ne fut pas compris et sous
l'influence des surenchères journalières, la République
descendit rapidement la pente des violences, de
l'anarchie et des mesures arbitraires ({ui la firent
sombrer dans la dictature.
Certes, la surenchère constitue, en apparence du
moins, un assez sûr moyen de vaincre ses rivaux,
surtout si ces derniers gardent quelques scrupules
et si du premier coup on va assez loin. Il est incontestable que le député socialiste qui promettait jadis
6.000 francs de rente à chacun de ses électeurs, en
échange d'une heure de travail quotidien, dans le cas
où son parti triompherait, ne devait pas craindre
beaucoup de surenchères. On eût pu tout aussi aisément promettre à chaque électeur 12.000 francs de
rente et une automobile conduite par un bourgeois
enchaîné sur le siège; mais, en matière de surenchère, s'il est recommandable d'arriver de suite aux
extrêmes limites du vraisemblable, il est dangereux
de trop les dépasser.
La méthode de la surenchère étant très commode.
certains politiciens ont pris l'habitude d'en user largement. C'est seulement maintenant qu'ils lui décou-
le
.
vrent d'assez
nombreux inconvénients.
IMPOPULARITÉ PARLEMENTAIRE ET SURENCHÈRE
165
Promettre n'est jamais difUcile, tenir l'est toujours.
Sans doute, peut-on ajourner pendant quelque temps
les réalisations, en invoquant l'opposition des partis,
mais un moment arrive où l'électeur finit par découvrir qu'on l'a berné avec des chimères. 11 perd alors
ses illusions et les illusions sont choses trop précieuses pour qu'on les perde sans colère.
Aujourd'hui, grâce justement à leurs surenchères,
beaucoup de parlementaires sont enveloppés d'un
nuage d'impopularité qui s'accroît chaque jour.
Non pas, certes, que ces législateurs aient manqué
de zèle, mais nul n'est capable de créer l'impossible.
Or, ce qu'on a promis est précisément l'impossible.
Se heurtant sans cesse à des nécessités naturelles,
les lois édictées n'ont fait parfois qu'accentuer les
maux qu'elles prétendaient guérir. De surenchère en
surenchère, le Parlement avait voté des retraites
ouvrières qui eussent coûté annuellement. 800 millions, des retraites pour les employés de chemin de
fer en exigeaient 200, etc. Les intéressés eux-mêmes,
comprenant l'absurdité de ces votes, laissèrent le
Sénat les ramener à des chiffres vraisemblables.
Dupé d'abord par de magnifiques promesses, le
peuple a fini par s'apercevoir que seuls, restaient
vivaces aujourd'hui chez ses maîtres, les conflits
d'appétits, et que leur morale se ramenait à une
course vers la satisfaction de ces appétits. 11 vit les
candidats,
si
humbles
votes, devenir ensuite
lorsqu'ils
se
disputaient ses
tyranniques avec les faibles
et trop dépourvus de convictions pour reculer devant
les plus irréalisables programmes, les plus absurdes
promesses.
Aujourd'hui le député est à la fois l'esclave de son
comité et le tyran de ceux dont il ne pqut escompter
les voix. Il lui faut toujours servir les besoins et les
haines de ses électeurs influents.
Son existence est véritablement peu enviable. On en
jugera d'après le tableau tracé par M. Raymond Poin-
166
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
c-aré,
de
la vie
d'un notaire de ]»rnvince devenu dé-
puté, puis ministre.
11 mit peu
de temps aies perdre. 11
d'abord subir la promiscuité du comité électoral et ses
exigences. Elu, il essaya d'être indépendant. On lui fit comprendre qu'il ne fallait pas s'amuser à ce jeu. Il dut s'inféoder
à un groupe. Les lettres qui affluaient demandant des palmes,
des secours, des places ne l'y obligeaient-elles pas ?
Puis il devint ministre. A peine était-il désigné que son
antichambre était envahie par une vingtaine de jeunes gens
ambitieux de s'embarquer sur l'esquif qui portait sa fortune.
Après une tentative tôt réprimée de résistance, il en fit des
«hefs, des sous-chefs, des chefs adjoints, des attachés de ca-
Il
était plein d'illusions.
lui fallut
binet.
Mais
il
même gouverner. Les séances du
dissuadèrent promptement. Il fallait
voulait tout de
conseil des ministres l'en
vivre d'abord, durer, éviter les
naturellement, et lassé, dégoûté,
sa petite ville et à son champ.
affaires
il
gênantes...
il
tomba
est discrètement retourné à
Parmi les députés, certains sont cependant pleins
de bonne volonté. Réunis en foule, ils ne peuvent
rien. Un député de la gauche, M. Labori, qui a renoncé
A se représenter, marque très justement cette impuissance dans les lignes suivantes
:
L'initiative parlementaire est à peu près nuUi- pour tout ce qui
touche aux intérêts généraux.
Le travail parlementaire se fait sans l'ègle, sans ordre, sans
sincérité. Les votes escamotés sont acquis. Le contrôle parlementaire est impossible. Les députés sont subordonnés aux
ministres dont ils ont un besoin continuel pour assurer à leurs
électeurs la justice qui, dans l'état de nos mœurs politiques, est
devenue une faveur.
Le Parlement et le gouvernement réunis sont cahotés entre les
exigences d'une démocratie chaque jour plus impérieuse et
celles dune oligarchie financière qui défend ses intérêts, et non
ceux de l'Etat. Ainsi la vie politique n'est qu'un perpétuel compromis entre deux puissances de surenchère ou de corruption la
ilémagogie et l'argent.
La Chambre vole les lois au hasard des intérêts de l'heure.
Quatre années m'ont enseigné qu'au Parlement les hommes de
bonne volonté et de pensée droite s'épuisent en vains efforts.
:
L'usage de
la
surenchère a été une des Causes prin-
IMPOPULAnilÉ PAHLE.MEXTAIRE ET SURENCHÈRE
167
cipales d'antipathie croissante contre le Parlement^
dont sont animés beaucoup de citoyens comme nous
le montrerons bientôt. Examinons d'abord les méthodes gouvernementales qu'elle engendra.
L'habitude de la surenchère rend naturellement très
obéissant devant les menaces. On cède par crainte
de voir ses collègues céder. Or. ce n'est guère que dans
la classe ouvrière, que se font entendre de bruyantes
menaces. C'est donc pour elle surtout que le Parlement a légiféré, accumulant les lois sociales, sans
s'occuper de leurs répercussions, et sans se douter
qu'elles ne feraient qu'attiser des haines.
Ces terribles lois sociales ont en effet semé partout
la discorde, grevé lourdement nos tinances et gêné
singulièrement notre industrie. Le directeur d'une de
nos plus grandes compagnies de navigation maritime
écrivait récemment qu'elles étaient une des causes
de la triste décadence de notre marine marchande.
Elles limitent graduellement l'avenir de nos entreprises industrielles en obligeant les patrons, entravés
par des règlements tatillons, à supprimer de fait l'apprentissage, jetant ainsi sur le pavé des milliers d'enfants dont beaucoup sont devenus de dangereux
criminels. L'assistance aux vieillards n'a guère servi
qu'à allouer plus de 90 millions par an aux électeurs
influents, comme l'ont prouvé récemment des rapports officiels. Qu'on y ajoute la centaine de millions
aljandonnés aux bouilleurs de cru, puis les centaines
do millions que coûteront les retraites ouvrières votées
par le Parlement, et on aura une idée du poids que
peuvent faire peser sur le budget et l'industrie les
surenchères de l'intérêt individuel talonné par la
peur.
Bien entendu, le législateur se soucie peu des
conséquences de ses lois. La plus anodine en apparence coûte cependant fort cher. Dans le Bulletin
officii'l de la Ville de Paris du 2 avril 1908, on peut
lire le rapport d'un conseiller constatant avec amer-
168
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE
tume que pour ses services municipaux, la ville était
obligée de payer à la Compagnie qui lui fournissait le
charbon nécessaire aux usines des eaux, nne augmentation annuelle de 600.000 francs, conséquence des
nouvelles lois ouvrières.
Les municipalités auraient tort de se plaindre, car
elles pratiquent la surenchère tout autant que les
politiciens. Un joui'nal financier, Le Globe, montrait
dans son numéro du 19 août dernier que les mesures
prétendues humanitaires du conseil municipal de
Paris avaient coûté aux actionnaires des diverses
compagnies detrannvays parisiens plus de 75 millions.
Ces compagnies ayant vu disparaître tout leur capital
et n'exploitant plus qu'à perte, ne distribuent naturellement aucun dividende à leurs actionnaires. Les
socialistes diront que c'est tant mieux. Ils découvriront
que c'est tant pis lorsque devant la grève fatale des
futurs actionnaires les municipalités se verront obligées
d'assurer elles-mêmes leurs services. Ce seront alors
tous les contribuables, y compris les socialistes, qui
subiront les pertes. Ce jour-là, ils commenceront à
comprendre la puissance des lois économiques.
Rien ne servirait de récriminer puisque la surenchère, l'humanitarisme et la peur sont devenus nos
guides. De tels fléaux sévissent fréquemment chez les
peuples sans stabilité mentale et que menace la
décadence.
On conçoit facilement maintenant
les causes prinde l'impopularité du Parlement. Illusions
créées par l'abus des promesses. Tentatives de réaliser
ces impossibles promesses et par suite désordre jeté
dans le commerce, l'industrie et les finances. Persécutions de classes entières de citoyens aux dépens desquelles on a voulu exécuter ces promesses. Déce])tion de tous les croyants dans la puissance de l'Eta-
cipales
tisme.
IMPOi'L r.ARITÉ
PARLEMENTAIRE ET SURENCHÈRE
Suivons maintenant
parlementarisme dans
le
169
développement de l'anticouches sociales.
les diverses
Inutile, naturellement, d'insister sur sa progression
dans le clergé et chez les catholiques, c'est-à-dire
dans une fraction déjà notable de la nation. On ne
peut espérer que des gens dépouillés, traqués, persécutés de toute façon, puissent avoir de la sympathie
pour des oppresseurs qui se déclarent leurs irj-éductibles ennemis. Donc inimitié certaine, et d'ailleurs
fort justifiée,
de leur part.
La même inimitié est évidente encore, quoique nullement justifiée cette fois, chez les instituteurs et de
nombreux fonctionnaires.
Aucun gouvernement n'a autant
très
pour
fait
les insti-
tuteurs que la République actuelle, aucun cependant
n'a récolté pareille impopularité. L'adhésion récente
Fédération des syndicats d'instituteurs à la Conrévolutionnaire du travail traduit nettement l'esprit dont ils sont animés.
Quant à l'hostilité des fonctionnaires proprement
dits
800.000 environ
elle croît à mesure que sont
exaucées leurs revendications et si l'on ne réussit pas
à les dominer, ils pourront nous conduire fort loin.
Non seulement en écrasant progressivement le budget,
mais encore par leur prétention de se substituer aux
autres pouvoirs et de former de petits Etats dans
l'Etat. Tant qu'il obtempérera à leurs désirs, le gouvernement pourra compter sur eux dès que cela
deviendra impossible, faute d'argent, comme pour les
postiers, il les verra se dresser contre lui. Ce que les
fonctionnaires demandent maintenant, c'est simplement « détruire la puissance ministérielle pour la
répartir entre les administrations mêmes », Ce serait
le despotisme complet du rond-de-cuir. Mieux vaudrait sûrement Héliogabale ou Tibère, On peut se
débarrasser d'un tyran et son pouvoir est toujours
éphémère. La tyrannie anonyme et indestructible des
bureaucrates nous laisserait sans espoir,
de
la
fédération
—
"
—
;
15
170
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
Nous sommes pourtant menacés de
finir
par
elle.
On
a depuis cent ans, en France, renversé bien des
régimes, bien des chefs d'Etat, bien des ministres,
seule la puissance des fonctionnaires n'a jamais été
Sur toutes les ruines accumulées ils n'ont
effleurée.
fait que grandir, et on entrevoit le jour où
définitivement nos seuls maîtres.
Presque autant que
la classe
ils
seront
des instituteurs et des
fonctionnaires, celle des ouvriers a été depuis vingt
ans favorisée par les législateurs. Cependant ces der-
n'ont pas de plus bruyants adversaires. Nul
besoin d'être un Machiavel pour expliquer ce phénomène. Il résulte des invariables lois de la psychologie populaire. Les foules ne respectent que
les gouvernements forts. Elles n'ont jamais, je l'ai dit
déjà, de reconnaissance pour ce qu'elles obtiennent
par les seules menaces. Le mépris du faible a toujours été leur loi.
L'antiparlementarisme des ouvriers en général, et
de la Confédération du travail en particulier, est indiscutable. Leur haine contre les législateurs s'adresse
à tous les partis, aux socialistes surtout. Pour les
cléricaux seulement ils manifestent parfois quelque
indulgence, sans doute parce que leur mentalité est
assez voisine.
L'ouvrier rêve aujourd'hui d'une autocratie populaire nouvelle dressée contre l'autocratie jacobine. Il
est persuadé que, grâce à ses mystérieuses capacités,
le prolétariat réalisera ce que n'a pu réaliser la bourniers
geoisie
:
le
bonheur universel.
A
force d'entendre les parlementaires lui promettre des
miracles, lui proclamer tous les jours qu'il est le maître souverain de toutes choses, investi de tous droits, sans nul devoir,
qu'il n'a qu'à vouloir pour pouvoir, le Nombre, écrit M. Jules
Roche,
«
a fini
par croire ses courtisans.
Plus de politiciens!
Plus d'action parlementaire!
IMPOPULARITÉ PARLEMENTAIRE ET SURENCHÈRE
lî
l
Tout par raction directe
» est aujourd'hui la devise
des entraîneurs populaires.
Sentant cette hostilité croissante, les socialistes
avancés ont tâché de la combattre par des flatteries,
mais ils n'ont abouti qu'à des échecs et en sont arrivés
à ne plus oser se montrer dans les grands meetings
ouvriers. Quand par hasard ils essaient de s'y insinuer, c'est pour se voir accueillis de la plus insolente
façon. On en jugera par les extraits suivants d'un
compte rendu que j'emprunte au journal Le Temps flu
21 mai 1909
:
M. Dejeante, député de Paris, essaye d'obtenir le silence il
adjure les auditeurs de rester calmes, il n'obtient qu'une
;
réponse
:
— Hou
hou les quinze mille
Toute la salle est debout, soit sur les banquettes, soit sur les
tables. Les interruptions opposées se croisent
Dehors, les mouchards
A la porte, les députés
Le tapage redouble encore lorsque M. Dejeante veut prononcer son discours.
Je suis un vieux syndiqué, dit-il.
Et un « quinze mille » en même temps
lui répond le
groupe des interrupteurs.
Nouvelle bagarre. M. Dejeante voulant parler quand même,
les révolutionnaires entonnent V Internationale. M. Dejeante
prend le parti de faire chorus avec eux la un de V Internationale
est accueillie par des applaudissements frénétiques.
Puis, c'est un libertaire qui vient prêcher le sabotage
Nous avons entendu des gens parler de révolutions et qui
s'en sont fait des rentes. Messieurs les députés qui avez table
bien servie, auto et le reste, vous en parlez à votre aise. Mais
nous n'avons rien, nous n'aurons ritn. Il ne s'agit pas de discours.
!
!
!
—
—
:
!
!
—
—
!
;
:
—
Il
faut des actes.
Pour des raisons
très diiîérentes,
mais parfaitement
justifiées, les industriels et les capitalistes, c'est-à-dire
générateurs de la richesse nationale, ne
professent aucune sympathie pour nos gouvernants.
Non seulement ces derniers ne les ont guère protégés
contre le sabotage, l'incendie et les violences de toute
les vrais
172
PSYCHOLOGIE POLITIOLE ET DÉFENSE SOCIALE
mais ils entravent cliaque jour leurs industries
par les lois sociales les plus vexatoires, en attendant
de pouvoir détruire définitivement leurs fortunes par
des impôts inquisitoriaux plus vexatoires encore.
On croit ne pas devoir les ménager parce qu'ainsi
que le dit M. Pierre Baudin dans son livre La Politique réaliste^ « les sociétés ne sont plus représentées
par l'élite >>. Cela n'est vrai que d'apparence. En réalité,
je l'ai précédemment montré, les élites ne furent
jamais aussi nécessaires qu'aujourd'hui. Loin de diminuer leur r(Me grandira encore. Sans élites, ni
science, ni industrie, ni progrès matériels. Sans elles
ce serait la basse décadence socialiste caractérisée
par l'égalité dans la misère et la servitude.
Donc le parlementarisme s'est créé des ennemis
nombreux et variés. Toutes les classes lui témoignent
de l'aversion. Une seule, la bourgeoisie moyenne,
ne lui est pas hostile, mais simplement indifférente,
immensément indifférente. M. d'Auriac. dont j'ai plusieurs fois cité les écrits, l'a très bien montré dans
sorte,
les
termes suivants
La bourgeoisie
:
composée d'éléments divers, secouée
par dix révolutions, est profondément indifférente à toutes les
formes de gouvernement.
Elle n'est ni royaliste, ni impérialiste, ni républicaine. Elle
vote pour la république parce que la république existe, elle est
conservatrice, non d'une forme de gouvernement, mais de ce qui
est. Elle est fidèle à celui, quel qu'il soit, qui lui donne la paix et
la sécurité. Le lendemain de la chute elle ne le connaît plus
puisqu'il ne peut plus lui servir à rien.
française,
Une des causes les plus actives de l'impopularité
parlementaire est la tyrannie véritablement odieuse
que le député de province, obligé d'épouser toutes les
haines locales de son comité, fait lourdement peser
sur les citoyens n'appartenant pas à son parti. Dans
une interview publiée par Le Journnl. M. Loubet, qui
fut député avant de devenir Président de la République, lit à ce sujet les révélations suivantes
:
Comment
voulez-vous que
l'on
conserve
le
scrutin d'arron-
IMPOPIIARITÉ PARLEMENTAIRE ET SURENCHÈRE
173
dissemcnt dans l'état misérable où il est tombé avec les réprésentations qu'il adonnées et qu'il préparerait encore? C'est le
comble de l'abaissement. On n'a pas idée à Paris des mœurs que ce
système déformé a fini par créer dans les provinces, des tyrannies
qu'il a érigées, des procédés d'oppression publique qu'il a installés.
« Celui qui ne vote pas pour moi est mon ennemi. » Voilà la
formule. Elle ne se déguise pas. Peu importe que la grêle tombe
sur la vigne de l'adversaire et que son bétail soit emporté par
la maladie. Il y aura des indemnités pour certains électeurs. Il
n'y en aura pas pour les autres. Tant pis pour eux s'ils sont
ruinés
ça leur apprendra à ne pas faire partie de la clientèle
triomphante Dans un pays centralisé comme la France, de
telles mœurs ont pu durer très longtemps, mais elles sont
arrivées à un point d'excès où l'instinct de justice qui est si vif
chez nous finit par être universellement révolté. Et il est dangereux d'exaspérer en France le sentiment de justice.
:
!
Les
hommes
les plus
éclairés ont fini par se for-
mer de la Chambre des députés une idée très sévère.
On en peut juger par l'extrait suivant d'un manifeste
du
comité républicain de
République proportionles plus connus de
l'Tnstitut, de la Sorbonne. de l'Industrie et du Barreau
MM. A. Carnot, Bouchard, Croiset, Dastre, Painlevé,
Ilarmand. Diehl, Fernand Faure, etc. Cet etc.
J.
comprend une cinquantaine de noms, la plupart
éminents. Au fond, ce manifeste signifie simplement
que, par trop opprimée, l'élite finalement se révolte.
«
nelle ».
Il
est signé
des
la
noms
:
L'usage du scrutin d'arrondissement a perpétué des mœurs
la candidature officielle,
électorales et politiques intolérables
l'arbitraire
dans
les actes
;
administratifs, l'arbitraire
même
dans
l'application des lois, la faveur substituée à la justice, le désordre
dans les budgets où les intéde clientèle prévalent sur l'intérêt général.
Il faut aflranchir les députés de la servitude qui les oblige à
satisfaire des appétits pour conserver des mandats. Il faut mettre
plus de dignité et de moralité dans l'exercice du droit de suffrage;
substituer la lutte des idées à la concurrence des personnes.
dans
les services publics, le déficit
rêts privés et
Comment, après avoir accumulé
toutes les classes, le régime
tant d'hostilité dans
parlementaire peut-il
encore subsister?
15.
174
11
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE
dure, et probablement durera longtemps, grâce
à cette raison tout à fait capitale d'être à peu près
le seul gouvernement possible chez les peuples civi-
justement pourquoi tous l'ont adopté.
régime parlementaire ait à sa tête un souverain héréditaire, comme en Angleterre, en Belgique
et en Italie, ou un chef élu comme en France et en
Amérique, ce sont toujours des parlements qui légiC'est
lisés.
Que
le
fèrent et des ministres qui gouvernent. Les derniers
gouvernements autocratiques de l'Europe, la Russie
et la Turquie, ont dû finir par accepter le parlementarisme, ne pouvant faire autrement.
Quand un régime est inévitable il faut l'accepter,
mais tâcher de l'améliorer. On améliorera le régime
parlementaire par un mode d'élection des députés
leur donnant quelque indépendance à l'égard des
électeurs. On l'améliorera encore au moyen des
mesures que j'ai indiquées contre la dangereuse
armée des fonctionnaires. Lorsque ces derniers seront
uniquement, ainsi que dans l'industrie privée, des
agents auxiliaires, à l'égard desquels aucun engagement n'aura été pris au début de leur carrière, ils se
considéreront comme des serviteurs facilement remplaçables et ne s'érigeront plus en maîtres impérieux.
Enfin le régime parlementaire sera surtout amélioré
quand
les gouvernants se décideront à faire preuve
d'un peu d'énergie et à ne plus pactiser sans cesse
avec l'émeute, sous prétexte d'apaisement. Comment,
malgré tant d'exemples répétés, les hommes au
pouvoir n'arrivent-ils pas à découvrir que leur faiblesse constante, leurs amnisties à jet continu ne font
qu'accroître l'armée des révoltés, des incendiaires et
des saboteurs?
Et par le fait seul que les amnisties sont à jet
continu, les émeutes le sont aussi. Le bilan en devient
de plus en plus sombre.
1907, révolte de deux départements du Midi et
mutinerie d'un régiment; 1908, insurrection à main
.
IMPOPULARITÉ PARLEMENTAIRE ET SURENCHÈRE
armée de Draveil; 1909, grèves des
175
postiers et des
maritimes, grèves révolutionnaires de Méru
et de Mazamet, sabotages variés, emploi de la dynamite pour faire exploser des bateaux; 1910, nouvelle
grève des inscrits de Marseille, etc.
Une faiblesse aussi constante que celle de nos gouvernants ne saurait longtemps durer. Quand l'anarchie
grandit sans cesse et que le parti de l'ordre faiblit
toujours, c'est l'anarchie qui finit par triompher.
inscrits
CHAPITRE VI
Les Progrès du Despotisme.
L'évolution du collectivisme et du syndicalisme
révolutionnaire vers un despotisme absolu est une des
caractéristiques de l'âge actuel. Un grand journal en
donnait récemment l'exemple
suivant, choisi entre
mille.
Un cas tout à fait odieux de tyrannie syndicale vient de se
produire à Cette. Douze ouvriers sont mis, par le syndicat, dans
l'impossibilité absolue de tiavailler, et par conséquent de vivre,
ces ouvriers-là n'ayant pour vivre que leur travail. Quel est donc
leur crime ? De s'être laissé embaucher durant une grève
récente qu'ils n'approuvaient point.
Nulle part la tyrannie syndicale n'a exercé de tels ravages et
causé tant de ruines qu'cà Cette, une pauvre ville très affaiblie
déjà par la crise économique. Les ouvriers dockers, par leurs
prétentions exorbitantes, par leurs grèves incessantes, ont tout
fait pour détruire ce qui restait encore de vie dans notre second
port méditerranéen. La pauvreté, la misère augmentent; les
quais restent déserts c'est à peine si, à de rares intervalles, un
navire se montre dans le port.
;
Ce n'est pas à Cette seulement que se produisent
semblables faits. On peut les observer partout. Après
avoir constitué une exception, ils deviennent la règle.
Une telle généralisation résulte de causes lointaines.
Les événements politiques et sociaux ne germent pas
spontanément. Ils ont des racines profondes et représentent toujours l'épanouissement de phénomènes
antérieurs.
Les discours
de tous
les
orateurs politiques, du
LES PROGRES DU DESPOTISME
177
la Révolution à nos Jours, proclament sans
cesse la haine du despotisme et l'amour de la liberté.
L'histoire de la même période révèle, au contraire,
début de
—
surtout de celle
l'horreur profonde de la liberté,
des autres
et le goût de la tyrannie. Toutes nos
batailles politiques ont roulé presque exclusivement
sur la question de savoii' quel parti exercerait cette
tyrannie et quelles classes de citoyens la supjtorteraient. Nous avons peu varié depuis Louis XIV. L'Etat
persécutait alors les protestants et les Jansénistes
rebelles à ses volontés. Il continue aujourd'hui la
même méthode, vis-à-vis de ceux qui ne pensent
pas comme lui, et les dépouille de leurs biens. Nos
petits despotes ne sont pas assurément très comparables à Louis XIV. mais ils possèdent les mêmes
besoins de domination. Les syndicats ouvriers sont
héritiers de l'esprit du grand roi.
Tous les partis sont animés en France d'une égale
et farouche intolérance, d'une identique tendance à la
tyrannie. Comme l'écrit justement Faguet, ce qu'on
enseigne d'abord à l'enfant, c'est une doctrine à détester, des catégories de citoyens à haïr. On sait avec
quelle vigueur un trop grand nombre d'instituteurs
développent ces sentiments dans les couches populaires.
Notre goût très vif pour le despotisme et notre
horreur invincible de la tolérance, étant des sentiments manifestés par les classes sociales les plus
différentes, il faut bien les subir.
Pratiqué d'abord parla noblesse et les rois, puis par
la bourgeoisie, le despotisme l'est maintenant par les
classes populaires. Elles apportent naturellement dans
son exercice les violences caractéristiques de leur
mentalité rudimentaire. Ces violences ne déplaisent
—
nullement d'ailleurs aux socialistes puisqu'ils ne
cessent de ITatter leurs maîtres avec des expressions
d'adulation que seuls les rois nègres obtenaient jusqu'ici de leurs esclaves.
Toutes les décisions élaborées dans les vapeurs de
178
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
par quekiues meneurs attablés chez des marchands de vins sont écoutées avec respect et humble-
l'alcool
ment
obéies.
Ces entraîneurs
et les foules qui les suivent
blement impulsifs.
facile,
même
eux. Les
l'injuste,
forment
sont terri-
Servir de tels maîtres n'est pas
en se prosternant perpétuellement devant
primitives ne connaissent, en effet, ni
âmes
ni l'absurde,
la majorité,
ni
on
Comme
l'impossible.
est bien obligé
elles
de subir
les
du nombre interprétées par les esclaves du
nombre. 11 faut, et notre Parlement ne fait guère
fantaisies
autre
plus incohérentes mesures,
mépriser les nécessités écono-
chose, voter les
rejeter les traditions,
miques, agir contre les lois naturelles, n'obéir enlin
qu'aux intérêts et aux impulsions du moment.
Ces impulsions représentent les volontés du syndicalisme et du collectivisme révolutionnaire. Parmi
les meneurs les plus influents, figure la demi-douzaine
des chefs de la Confédération du travail. Leur pouvoir absolu a vite fait pâlir celui des socialistes,
précisément parce qu'il est absolu.
La mentalité de ces meneurs est cependant singulièrement inférieure. M. Deschanel en a très bien mis
en évidence les éléments dans un discours
:
sont k la fois césariens, aristocrates et mystiques.
Césaricns, autant par leur mépris des institutions parlementaires que par leur mode de votation arbitraire et la direction
autoritaire de la confédération
aristocrates par leur dédain
du suffrage universel et de la démocratie mystiques puisqu'ils
croient au « cataclysme » d'où surgira le monde nouveau.
Ils se flattent de ne plus croire aux mythes et ils vivent sur un
mythe comme aux âges primitifs. Le miracle est déplacé, il
a changé de forme
mais c'est toujours le miracle, le coup
magique qui renouvelle les sociétés en changeant la nature
Ils
;
;
;
humaine elle-même.
L'idéal de ces âmes rudimentaires représente une
régression politique et sociale complète, un retour à la
barbarie des premiers où dominait ce collectivisme
pur dont l'humanité eut tant de peine à
sortir.
179
LES PROGRES DU DESPOTISME
Leur mentalité et le but poursuivi les rapprochent beaucoup des premiers chrétiens. Les prophètes juifs fuhninaient eux aussi contre les riches
et annonçaient le règne de la justice et de l'égalité.
Les Pères de l'Eglise déclaraient avec saint Basile et
saint Jean-Ghrysostome que les riches sont des lar-
Pour saint Jérôme, la richesse était toujours
produit du vol. Il fallait revenir à la communauté des biens, à l'égalisation des fortunes. Les chefs
de la Confédération peuvent donc invoquer de célèbres
prédécesseurs.
rons.
le
Le besoin de tyrannie est un sentiment de race
faisant partie, à vrai dire, de notre constitution psy-
chologique.
comme je
On
l'ai
le
prouve aisément en comparant,
tenté déjà, les effets d'institutions iden-
tiques chez des nations différentes.
Considérons par exemple
le
syndicalisme, évolution
naturelle de l'esprit corporatif, qui se développe chez
tous les peuples.
En France,
ment de violence, prêchant
il
est
devenu un instru-
la révolte, la haine, l'an-
un agent
de désagrégation sociale menaçant l'existence même
de notre pays. En Angleterre, le syndicalisme est, au
contraire, une institution pacifique fort utile pour
régulariser les rapports entre patrons et ouvriers et
n'incitant à la haine et à la révolte contre personne.
Ce phénomène impressionna beaucoup les ouvriers
d'une délégation, chargée récemment d'aller étudier sur
place, l'organisation du travail en Angleterre. Voici
un extrait de son rapport
tipatriotisme, l'antimilitarisme, et constitue
:
Nous avons
l'esprit national qui anime nos
nous ont parlé de leur sentiment de fraternité
aucun ne trouve à exprimer de sentiments hostiles ou du moins violemment hostiles au gouvernement anglais.
En plusieurs cas, notamment à la Bourse du Travail de
Manchester, nos camarades syndiqués ont porté la santé du roi.
Nos amis ne paraissent point aussi prompts que nous à faire la
critique de leur propre pays.
amis. Tous
universelle
été frappés
par
;
.
180
PSYCHOLOGIE POLITIQLE ET DÉFENSE SOCIALE
Nous avons vu nos camarades des syndicats s'asseoir à la table
des patrons, nous inviter à en faire autant. Il semble que les
relations aient une forme plus diplomatique entre syndicats
ouvriers et syndicats patronaux.
Je ne sais pas
si
le siècle
actuel assistera,
symptômes, à
comme
naissance d'une
religion nouvelle. Elle aura droit à notre admiration
si elle réussit à nous inculquer l'esprit de tolérance
et l'horreur du despotisme, sentiments totalement
ignorés de nos mentalités latines.
Les conséquences de la tyrannie exercée par les
meneurs ouvriers ne s'aperçoivent que lorsqu'elles
se manifestent sous forme de grèves ou d'insurrections, comme àDraveil, mais les plus dangereuses sont
celles qu'on ne voit pas. Par leur action continue et
l'accumulation de leurs elTets. elles produisent une
lente désagrégation des services publics et de l'industrie, c'est-à-dire des éléments de la vie sociale.
Redoutant le sabotage qui les ruinerait, certains de
ne pas être soutenus par le gouvernement, chefs et
patrons acceptent maintenant les yeux fermés toutes
les exigences des ouvriers et tolèrent la réduction
croissante de leur production. Ils se disent qu'après
tout, ce sont des collectivités anonymes, actionnaires
ou caisses publiques, qui supporteront les frais de
cet état de choses.
La diminution du travail et. par conséquent, l'élévation des prix de revient, s'accroissent dans d'énormes
proportions, sous l'empire dune crainte générale. Elle
règne, cette crainte, dans les secteurs électriques de
Paris, où, depuis la grève des électriciens, on n'ose pas
prendre la plus anodine mesure sans avoir demandé
l'avis du redouté secrétaire dont l'ordre a provoqué
cette grève
dans les arsenaux où la production
d'après la
est réduite à ce point qu'ils consacrent,
cinq ans à
déclaration d'un ministre de la Marine,
la construction d'un cuirassé que l'Angleterre édifie en
deux ans avec une dépense Ijeaucoup moindre.
l'indiquent certains
;
la
—
—
181
LES PROGRÈS DU DESPOTISME
Par contagion, l'autorité s'affaisse universellement.
Convaincus de leur impuissance, les chefs se désintéressent de la chose publique et ne songent plus qu'à
leurs intérêts personnels. De temps en temps éclate
une catastrophe, synthèse de toutes ces petites désorganisations et indifférences partielles. Ce ne sont pas
des accidents purement fortuits qui causèrent en quelques années la disparition d'importantes unités de
notre marine
Vléna, le Sully, le Jean-Bart, le
Chanzy, la Nive.
Le despotisme populaire s'ajoute du reste à beaucoup d'autres. L'autocratie jacobine des collectivistes
n'est pas moins oppressive et son action s'étend chaque
:
jour. Persécutions religieuses
pratiquées
sur une grande
classe très
nombreuse,
nie contre le
commerce
lois
féroces, expropriations
à l'égard d'une
d'une intolérable tyran-
échelle
et l'industrie, etc.
Actuellement, elle prépare, sous le nom d'impôt sur
le revenu, le plus
formidable engin d'oppression
individuelle que la France ait connu depuis plusieurs
siècles. Tous les économistes ont répété, et Paul
Delombre en a refait vingt fois la preuve, dans ses
beaux articles, que cet impôt, tel qu'on le propose,
désorganisera entièi'ement nos finances déjà si incertaines sans alléger personne. Les collectivistes le
savent d'ailleurs parfaitement et s'en réjouissent,
puisqu'ils se ju'oposent les deux buts suivants: 1° Persécuter d'une façon insupportable les gens qui ne sont
pas de leur parti 2° obtenir par une inquisition fiscale de tous les instants l'inventaire des fortunes, de
façon à s'en emparer, soit progressivement, soit en
bloc, le jour où il sera possible de le faire par une
mesure légale identique à celle qui permit d'exproprier les. congrégations, sans avoir à invoquer d'autre
;
que celui du plus fort. En attendant, la loi
fonctionnera comme un moyen d'oppression autorisant à écraser de taxes ceux qui déplairont et à
dégrever de toute charge les amis. Les collectivistes
droit
IG
182
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
ne se doutent guère que ce
régime
d'inquisition
deviendrait vite
tellement odieux, engendrerait de
telles révoltes que son application marquerait, malgré la veulerie universelle, la fin certaine de la
Les moutons eux-mêmes finissent par
du despotisme est trop
intense dans les âmes qu'elle domine pour leur laisser
aucun jugement.
République.
s'insurger. Mais la passion
Si
le
penchant à
liberté sont
la tyrannie et le mépris de la
universels en France, on ne peut nier,
cependant, qu'il s'y rencontre une élite d'esprils
libéraux éclairés, n'éprouvant pas le besoin de persécuter et d'asservir des classes entières de citoyens
pensant différemment qu'eux. Leur nombre est trop
minime pour pouvoir former un
parti influent. Loin
de s'accroître, ce parti diminue chaque jour.
pourquoi
Ici se pose une question embarrassante
cette élite, déjà si faible, se réduit-elle constamment? Comment rencontrons-nous parmi les députés
d'ailleurs,
:
et leurs électeurs,
sages
:
beaucoup
d'esprits
pacifiques
et
professeurs, médecins, industriels, ingénieurs,
devenus les défenseurs des doctrines les plus
subversives?
Pourquoi, par exemple, est-ce surtout chez les universitaires que se recrutent les chefs et les principaux
apôtres du collectivisme révolutionnaire, de l'antipa-
etc.,
triotisme, de l'antimilitarisme, etc. ?
bon sens n'accompagne pas toujours
que les intellectuels ne brillent pas
tous par l'intelligence serait une insuffisante réponse.
Diverses raisons ont déterminé ce nouvel état mental. Il faut citer, au premier rang, la peur, devenue,
nous l'avons vu, le véritable mobile des votes parleRappeler que
l'instruction
le
et
mentaires.
Un ancien député socialiste, M. Fournière,
justement exprimé dans les lignes suivantes
:
l'a
très
LES PROGRES DU DESPOTISME
183
Du plus anarchiste au plus parlementaire d'entre nous, nous
portons tous une chaîne de terreur, la terreur de n'être pas
aussi avancé que celui qui est devant nous... Cures de la
sociale, nous avons promis le paradis à nos ouailles, où les
avons-nous conduites ?
Terrorisé par les clameurs des comités que dirigent
d'obscurs sectaires, le député redoutant de ne pas
paraître assez hardi, de ne pas flatter suffisamment
les aspirations populaires, tâche de les dépasser.
Pour être entendu, il crie plus fort que ses concurrents et. à force de se répéter, finit par croire à ses
propres discours.
Cette cause n'est pas la seule de la mentalité que
j'essaie d'expliquer. Une des principales est l'antique
erreur latine que les sociétés peuvent se transformer
par des lois. Tous les partis étant persuadés qu'avec
de bons décrets il est facile de remédier aux maux
dont chacun souffre, le député est harcelé par ce désir
de « faire quelque chose ». Les complications formidables des nécessités sociales lui échappant, ainsi
qu'échappait jadis aux médecins la complication de
l'organisme, il traite le corps social comme les docteurs traitaient alors les malades, saignant et purgeant au hasard. Eux aussi s'acharnaient à « faire
quelque chose >>. Ils mirent plusieurs siècles pour
découvrir que beaucoup mieux eût valu ne rien faire,
laisser agir les lois naturelles, et éviter ainsi de
mettre le doigt dans un mécanisme très compliqué et
mal connu.
Aucune démonstration
fort
n'est arrivée à affaiblir en
France cette conviction que l'Etat peut tout avec des
lois. Elle est même devenue une sorte de dogme
religieux intangible pour une foule de sectaires. Dans
un lumineux article, M. J. Bourdeau analysait récemment le livre d'un professeur de l'Université, destiné
de l'Etat. Suivant ce
charger du bonheur du
peuple, de son salut terrestre et exercer un rôle ana-
à justifier le
professeur,
rôle
l'Etat
providentiel
doit
se
184
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE
à celui de l'Eglise au Moyen Age. Quels terribles
éducateurs s'est donnés notre démocratie Combien
logiie
!
funestes ces pédagogues vivant uniquement d'illusions loin des réalités qui conduisent le monde.
L'idée d'un Césarisme étatiste absolu pouvant tout
se permettre est tellement ancrée, dans la cervelle des
sectaires socialistes, que d'après eux l'Etat n'est tenu à
respecter aucun engagement, aucun droit et n'a
d'autre maître que son bon plaisir.
Cette prodigieuse mentalité n'avait été observée,
jusqu'ici,
que chez
les rois
nègres de l'Afrique.
Ils
respectaient, cependant, quelquefois leur parole. Pour
socialistes, au contraire, l'Etat n'est nullement
obligé à en tenir compte. Le chef du parti socialiste,
en France, n'a pas hésité, dans une discussion récente
les
au Parle'ment, à soutenir cette thèse. Il s'est attiré
la réponse suivante, d'un ministre dont le jugement a
survécu à son passé socialiste.
Comment un contrat est passé entre une Compagnie et l'Etat,
!
des difficultés s'élèvent sur l'interprétation du contrat entre les
deux parties, et l'une des parties réglerait elle-même ces difficultés
en interprétant toute seule le contrat
Est-ce possible ? Que
deviendrait la parole de l'Etat et j'ose dire le crédit même de
l'Etat si les engagements pris au nom du pays pouvaient être
le lendemain, ou vingt ou trente ans après
le temps ne fait
rien à l'affaire
reniés avec cette désinvolture ?
!
—
—
De telles évidences devraient sembler indiscutables.
Le fait qu'il soit devenu nécessaire de les défendre
montre à quel point les doctrines les plus despotiques
ont séduit
nombre
d'esprits.
Les observations précédentes révèlent la mentalité
des législateurs et l'expliquent un peu. D'où vient celle
du bourgeois à tendances révolutionnaires?
Inapte généralement à la réflexion et au raisonnement, il adopte, par simple imitation, quelques formules à la mode qui lui permettent de se dissimuler
la médiocrité de ses pensées. « Marcher avec son
ji
185
LES PROGRES DU DESPOTISME
temps, être un homme de progrès», etc. Ce que cela
signifie, il ne l'a jamais soupçonné et les braves gens
qui l'écoutent ne le savent pas davantage.
Il est, du reste, de même que tous les Français,
incurablement Etatiste et c'est pourquoi les bourgeois
de tous les partis
cléricaux, collectivistes, monarchistes, etc.. se trouvent d'accord pour exiger de l'Etat
des lois destinées à remanier le monde.
Le socialisme synthétisant cette aspiration générale
fait, pour cette raison, de rapides progrès dans la
bourgeoisie, bien qu'il soit un retour vers la barbarie
et nous menace d'un despotisme plus dur que tous
ceux étudiés par l'histoire.
Aux causes qui viennent d'être données de la mentalité bourgeoise actuelle, s'ajoute encore son antipathie apparente pour la tradition. Aucune classe n'est
plus courbée sous son joug et pourtant, aucune ne la
déteste davantage, sans doute parce que, de temps à
autre, elle sent que, malgré tant d'efforts, il est
impossible de détruire sa puissance. On la déteste
comme l'esclave déteste le maître qui le domine tout
en sachant bien qu'il faut lui obéir.
Pour toutes ces causes diverses, des hommes relativement éclairés en sont arrivés à se courber devant
les bas démagogues des Eglises nouvelles avec autant
de servilité que des courtisans asiatiques devant un
souverain absolu.
Quelques rares indépendants finissent pourtant par
renoncer à servir de pareils maîtres. Un des anciens
chefs du parti socialiste belge, M. le sénateur Edmond
Picard, a exprimé sa répulsion à cet égard dans une
lettre publique dont voici quelques extraits
:
:
Je ne quiUe pas le parti ouvrier, mais je quiUe
le
groupe des
sectaires qui y tapagent et que, suivant la tradition, les raisonnables se laissent aller à suivre. L'inévitable surenchère s'impose
à ceux qui craignent de paraître pusillanimes s'ils ne font pas
autant ou plus que les extravagants.
J'ai une ùme rebelle à l'intolérance. Vous avez, parmi vous,
des individualités qui pratiquent, à la sauce socialiste, le Perindc
16.
186
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
ac cadaver d'Ignace de Loyola. Je refuse de m'y soumettre, ne
que pour Texemple et pour la dignité humaine. Que ce
clergé cherche ailleurs des esclaves.
Suivez vos destinées. Leur fatalité vous entraîne.
fût-ce
Le
«
clergé socialiste
découvrir
lité
de.s
actuelle,
il
esclaves.
n'est pas embarrassé pour
Avec l'évolution de la menta»
est facile de trouver des
âmes
prêtes
beaucoup plus redoutables que
celles des anciens rois absolus. La liberté possède
encore des défenseurs théoriques, mais c'est le desà subir des tyrannies
potisme qui séduit
les foules et leurs maîtres.
LIVRE IV
LES ILLUSIONS SOCIALISTES
ET SYNDICALISTES
CHAPITRE
I
Les Illusions socialistes.
Le socialisme dont nous discutons les doctrines
ne doit pas être confondu avec le mouvement de
solidarité sociale, que nous voyons se développer un
peu partout. Ce dernier n'est aucunement issu des
théories socialistes et le triomphe de ces dernières
ne pourrait même que l'entraver. Etablir universellement le même niveau égalitaire sous la main rigide
de l'Etat ne conduirait nullement, en effet, à l'amélioration du sort des classes ouvrières, et empêcherait
tout progrès.
Donc, en luttant contre les théories socialistes, nous
bien assurés de ne pas combattre le mouvement de solidarité sociale dont je viens de parler et
que personne
sauf peut-être les socialistes
ne
songe à empêcher. Le progrès matériel et moral des
classes pauvres est l'objet des préoccupations universelles. On sait quels efforts se multiplient pour réaliser un tel but. Assurances contre les accidents, créations de maisons ouvrières, retraites, hygiène, éduca-
sommes
—
—
J88
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
développement de la mutualité,
organisation de la prévoyance, etc., etc.. sont des
preuves évidentes de la sollicitude générale. Ce n'est
pas là du socialisme, mais du devoir social, chose
lion, crédit agricole,
bien différente.
Le socialisme comprenait jadis des sectes diverses
n'ayant de commun qu'une haine intense de l'organisation établie. Depuis quelques années, le collectivisme semblait devoir se substituer à toutes ces sectes
et devenir prépondérant. Il règne encore au Parlement
et inspire beaucoup de ses votes.
Un tel triomphe ne parait pas devoir durer. Progressivement, on a vu se développer en Allemagne,
en France, et ailleurs, une nouvelle doctrine, le Syndicalisme, en voie de conquérir le monde ouvrier et de
le détourner entièrement du collectivisme.
Les deux doctrines sont nettement opposées. Les
syndicalistes tiennent essentiellement du reste à
bien marquer cette divergence. Les collectivistes font
leur possible au contraire pour la cacher, sachant parfaitement, combien ce nouveau mouvement est nuisible à leurs théories, et voyant chaque jour l'âme
populaire se détourner d'eux.
Malgré les concessions les plus humbles des collectivistes, les syndicalistes ne cessent d'insister sur
rincompatibilité qui les sépare des socialistes. Ils y
reviennent sans cesse dans leurs journaux et leurs
congrès.
A celui d'Amiens où figurait un millier de syndicats
représentés par 400 délégués, il fut proposé « de faire
entrer les syndicats en rapport avec le parti socialiste.
Cette proposition a été repoussée à la quasi-unanimité ».
Les syndicalistes tiennent surtout à montrer le
côté chimérique des doctrines collectivistes. S'adressant à un des chefs du socialisme français, un
membre influent du syndicalisme s'est exprimé au
Congrès de 1907 dans les termes suivants
:
LES ILLUSIONS SOCIALISTES
189
Vos conceptions sont utopiqucs parce qu'elles ilunnent à
force coercitive de l'Etat une valeur créatrice qu'elle n'a
pas... Vous ne ferez pas surgir du jour au lendemain une
société toute faite, vous ne donnerez pas aux ouvriers la capacité de diriger la production et l'échange, vous serez les maîtres
de l'heure, vous détiendrez toute
la
puissance qui hier
appartenait à la bourgeoisie, vous entasserez décrets sur décrets,
mais vous ne ferez pas de miracle et vous ne rendrez pas du
coup les ouvriers aptes à remplacer leF capitalistes. En quoi,
dites-moi, la possession du pouvoir par quelques hommes polila
tiques aura-t-elle transformé la psychologie des masses, modifié
les sentiments, accru les aptitudes, créé de nouvelles règles
de vie ?
Ce n'est pas en France seulement, mais en Alles'est opérée la scission entre syndicalistes
magne que
et collectivistes.
Au Congrès de Mannheim, en
1906, le
socialiste
son parti se sont trouvés en présence des
syndicalistes. « Bebel, rapporte M. Faguet, a été
obligé, pour conserver une ombre d'autorité, de leur
faire, au mépris de toutes ses déclarations antérieures,
des concessions quasi complètes. »
Dans leurs journaux, les syndicalistes repoussent
fièrement toute alliance avec le socialisme.
Bebel
et
Le socialisme, écrit l'un d'eux, tend à étendre le domaine
des institutions administratives... Il est un principe de lassitude
et de faiblesse espérant réaliser par l'intervention extérieure du
pouvoir ce que l'action personnelle ne peut atteindre. C'est
le produit de nations en décadenci' économiciue, de peuples
anémiés
et vieillis.
Ces vérités n'étaient évidentes, il y a quelques
années, que pour un petit nombre de psychologues.
Il est intéressant aujourd'hui de les voir comprises par
des ouvriei'S.
Depuis longtemps, du reste, les creuses déclamations des rhéteurs sur la dictature du prolétariat et sa
substitution à la classe bourgeoise avaient été jugées
à leur valeur par des socialistes éclairés.
La dictature du prolétariat, écrivait Bernstein,
cela veut dire la dictature d'orateurs de clubs et de
<i
littérateurs. »
190
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE
Devant
les attaques répétées
des syndicalistes, les
socialistes s'affolent et acceptent avec résignation des
théories
les plus
avancées,
telles
que
l'antipatrio-
Un
journal, organe officiel de leurs doctrines,
a publiéen premièrepage, un dessin allégorique reprétisme.
sentant des ouvriers déchiquetant des drapeaux couverts des noms les plus glorieux de notre histoire.
De si basses concessions ne sauraient empêcher la
désagrégation du socialisme. Il se divise maintenant
en petites chapelles s'accablant d'invectives. Ce sont
là querelles de moines, possédant la
vérité pure,
et réservant des trésors de haine pour les impies.
Les journaux doctrinaires gémissent de ces dissensions, mais ils sont bien obligés de les confesser. Le
Mouvement socAaliste du 15 janvier 1908 s'exprimait
ainsi
:
Le socialisme s'enfonce toujours davantage dans une crise
inextricable. Le glorieux mouvement qui avait, au cours du
siècle passé, éveillé tant d'espérances, risque de s'acheminer à
plus triste des faillites. Voilà qu'à coté du socialisme ouvrier
révolutionnaire pullulent, comme autant de champignons
vénéneux qui étoufferont sa poussée, des multitudes de socialismes étranges et imprévus. Nous avions le socialisme d'Etat,
le socialisme municipal de l'eau et du gaz, le socialisme francmaçon, le socialisme intégral et intégraliste, et toute une série
d'autres aux adjectifs également variés. Nous avons maintenant,
officiellement défendu par le plus vaste parti socialiste, le socialisme patriotique. A quand le socialistne capitaliste?
la
et
Le côté chimérique du collectivisme éclate donc
maintenant à bien des yeux. Gela ne l'empêche pas
d'être toujours très puissant au Parlement, où s'élaborent sous son influence de pernicieuses lois, et c'est
pourquoi nous croyons utile d'indiquer ici ses dangers.
Dans un autre chapitre, nous parlerons plus en détail
du syndicalisme, mouvement autrement sérieux que
le
collectivisme, car ce sont les nécessités économiques modernes et non des rêveries qui l'ont créé.
Un des buts fondamentaux des
socialistes est d'effacer
191
LES ILLUSIONS SOCIALISTES
inégalités naturelles
les
en établissant l'égalité des
On espère y
arriver par la suppression de
la propriété et de la fortune individuelle et la gestion
conditions.
de toutes
les industries
par
l'Etat.
Cette doctrine représente, en réalité, une des formes
de
du pauvre contre
de
remonte
aux origines de l'histoire. Tous les peuples connurent
de telles luttes. Pour les Grecs, elles amenèrent la
perte de l'indépendance, pour les Romains la fin de
la République et l'établissement de l'Empire.
La Révolution française fut peu favorable aux socialistes. Elle
proclama l'égalité, mais, après avoir
exproprié la noblesse et le clergé, s'empressa de
déclarer que la propriété était chose sacrée et la
base même de l'ordre social. Il y eut bien alors quelques tentatives de socialisme communiste. On y mit
rapidement fin en coupant le cou aux adeptes de la
la lutte
éternelle
le riche,
l'incapable contre le capable et à ce titre
il
doctrine.
Comment
est né le socialisme moderne, comment
développé au point d'être devenu une véritable
religion? C'est ce que j'ai expliqué dans ma Psychologie du Socialisme^ et ne saurais redire ici.
En politique comme en religion les formules vagues
et imprécises sont fort utiles, chacun pouvant les
interpréter à son gré. Rien de plus nuageux que le
sens actuel du mot socialisme. Pour les gens satisfaits
de leur sort, il exprime un désir d'améliorer les conditions d'existence de classes populaires redoutées. Pour
les mécontents il traduit simplement leur mécontentement. Le commis à 1.500 francs qui n'avance pas
assez vite, le marmiton dont on méconnaît les mérites,
le marchand de vins qui voit un concurrent s'établir
près de lui. deviennent immédiatement socialistes.
Pour les théoriciens ce mot représente une organisas'est-il
tion
sociale, variable
1. 6= édition,
1910
'^Librairie
suivant
Alcan.)
chacun d'eux,
et qui
192
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
doit être substituée par la force à l'organisation actuelle.
Le primordial caractère du socialisme est une haine
supériorité du
de toutes les supériorités
talent, de la fortune et de l'intelligence.
Pour ses adeptes, il a remplacé les anciens dieux et
constitue une puissance mystique capable de réparer
intense
:
du sort.
Le collectivisme avait Uni par concrétiser la foi
nouvelle. Sur les débris de la vieille société, s'élèverait un monde régénéré où. comme dans les Paradis
les iniquités
de jadis, tous les
hommes
jouiraient d'une félicité
éternelle.
Longtemps, labsurdité de la doctrine ne nuisit nullement à sa propagation. Elle flattait des instincts
assez bas et par conséquent assez répandus. Prendre
à ceux qui possèdent est toujours tentant pour qui ne
possède rien. Les dogmes d'ailleurs s'imposent par
les espérances qu'ils font naître et jamais par les
raisonnements qu'ils proposent. Ils triomphent, malgré leur illogisme, dès que sont déterminées dans les
âmes certaines transformations mentales. Le rôle des
apôtres est de produire ces transformations. Le socialisme n'en a jamais manqué.
Son succès universel rappelle les débuts du christianisme. Ce dernier, lui aussi se propageait, malgré
la faiblesse logique de ses dogmes, et les réfutations
des philosophes. Par la puissante action de la suggesUnit par conquérir
la contagion, il
tion et de
jusqu'aux classes éclairées que son influence devait
bientôt détruire.
élément de succès du socialisme fut
moment où l'homme ne croyant plus
à la puissance de ses anciens dieux, en cherchait
d'autres à invoquer. Les divinités meurent quelquefois, mais la mentalité religieuse leur survit toujours.
L'esprit humain ne sait pas vivre sans religion, c'est-
Le
grand
d'apparaître au
à-dire sans espérance.
Cette mentalité est la
même
dans toutes
les classes
193
LES ILLUSIONS SOCIALISTES
sociales. 'Juand on renie les dieux, on croit aux fétiches.
Et c'est pourquoi la religion socialiste a autant triomphé dans la bourgeoisie que dans les couches populaires. La magique puissance de la nouvelle foi est
telle, que les classes éclairées perdent toute confiance
dans la justesse de leur cause et ne savent pas se
défendre contre les plus audacieux rhéteurs. Elles
sont envahies par la peur et aussi par un humanitarisme vague, forme assez méprisable de l'égoïsme et
grave symptôme de décadence, comme Renan l'avait
déjà observé.
Le socialisme ne progresse pas en réalité par la
valeur de l'idéal très bas qu'il propose, mais malgré
cet idéal. C'est son côté mystique, l'espérance d'un
paradis terrestre où tous les hommes jouiraient d'une
éternelle félicité qui fait sa force. J'ai eu souvent
occasion de montrer qu'au cours de l'histoire les
hommes se sont fait tuer pour des idées, beaucoup
plus que pour satisfaire des besoins matériels. C'est
l'idéal à poursuivre qui les a charmés. L'espoir de travailler, sous la férule de l'Etat collectiviste, pour obtenir des bons de pnin et de charcuterie ne passionnera
jamais personne. Dans un intéressant livre, les
Découvertes de VEconomie sociale, M. d'Avenel est
arrivé par une autre voie à la même conclusion.
comment
Voici
Le
dans
('
bien-être
»
il
s'exprime
;
ne tient vraiment- qu'une place très petite
l'histoire des nations. C'est assez tard qu'elles se sont avisées d'y penser.
Elles ont visé longtemps à des satisfactions d'un tuut autre
ordre elles se sont passionnées pour tout autre chose et, dans
sa marche lente, la civilisation, celle de l'antiquité aussi bien
;
du Moyen Age, a recherché le beau bien avant Vutile.
ou des temples avant de faire
des lampes ou des parapluies elle a su écrire avant de savoir
que
celle
Elle a excellé à faire des statues
;
pinceau avant la fourchette.
Ces hommes ont vécu pour l'idée plus que pouV la matière
ils ont glorilié les noms des guerriers qui ont accompli les faits
héroïques, dont les peuples le plus souvent ont souffert; et aussi
noms] de ceux qui ont formulé des pensées ou créé des
les
se chauflfer et a découvert le
;
17
194
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
d'utilité pratique. Quant aux noms de
dotés des inventions les plus nécessaires,
semble-t-il, à la vie, ils les ont laisse tomber dans l'oubli. Di'
sorte qu'à examiner les faits au long des siècles on s'aperçoit
qu'il n'y a que les « idées » qui comptent. C'est pour elles que
les hommes vivent
c'est pour elles qu'ils meurent.
De nos jours encore, ceux qui semblent le plus attachés soit
à l'argent soit aux plaisirs qu'il sert à payer, poursuivent, au fond,
une satisfaction purement idéale beaucoup plus qu'un besoin
œuvres
d'art,
ceux qui
les
dépourvues
ont
;
corporel.
Je n'ai commencé à comprendre les divagations
des théologiens du Moyen Age qu'après avoir lu celles
des socialistes sur la société future. Même ignorance
de la nature humaine et des nécessités économiques,
mêmes visions chimériques, même besoin de destruction du présent pour réaliser le monde idéal
enfanté par leurs rêves.
Les théologiens disparus ont laissé des héritiers
de leur esprit. Les chimères n'ont fait que changer
de nom et les fanatismes qu'elles engendrent, les destructions dont elles nous menacent, sont les mêmes
que par le passé. Le socialisme constitue une religion dont les apôtres ont toute l'intolérance de leurs
ancêtres. Doctrines, langage, croyances, méthodes de
propagation sont presque identiques.
Nous n'avons éteint des
que pour allumer
fantômes, écrit justement
des étoiles chimériques. Notre
Cité Future vaut la Jérusalem Céleste.
Ces deux villes
sont également métaphysiques. Toutefois, on s'ennuiera peutêtre moins dans la Cité Future parce qu'on s'y ennuiera moins
longtemps.
astres
Sageret,
Le christianisme des premiers âges, avec lequel le
socialisme offre tant d'analogies, possédait cependant
un élément de succès dont les doctrines actuelles sont
dépourvues. Les récompenses espérées devaient être
accordées dans un paradis dont nul n'était revenu. Les
promesses de bonheur terrestre faites par le socialisme
depuis soixante ans et qui devaient se réaliser dans un
avenir prochain n'ayant pu s'accomplir, la confiance
.
195
LES ILLUSIONS SOCIALISTES
dans
la doctrine a été ébranlée et, aujourd'hui, une
nouvelle, le syndicalisme, tend à la remplacer.
Moins chimérique sur bien des points, elle est sans
foi
doute destinée à un plus durable avenir.
Le socialisme collectiviste repose sur une série d'illusions dont on commence maintenant à voir la vanité
mais qui s'imposeront pendant longtemps encore. Elles
ramènent aux propositions suivantes: l^Une société
peut être refaite de toutes pièces à coups de décrets
par une révolution 2" Le régime capitaliste étant la
source de tous les maux, il suffirait de le supprimer
se
;
pour
établir
un bonheur universel
;
3° L'Etat
doit
s'emparer de toutes les propriétés, de toutes les industries, et les faire administrer par une armée de fonctionnaires chargés de répartir également les produits
entre les membres de la communauté.
De pareilles théories ne tenant compte ni des passions, ni des sentiments, ni des nécessités économiques,, ni d'ailleurs de réalités d'aucune sorte, il est
facile, en les prenant pour base, de bâtir sur le papier
des sociétés artificielles très variées. Ce sont les paradis des âmes simples.
Ces chimériques illusions demeurent
en France
—
—
du moins
très puissantes encore. Elles inspirent
une absolue confiance aux cafetiers et aux commis
voyageurs de province, dont se composent tant de
comités électoraux, et sont au "Parlement l'origine de
lois fort dangereuses. On ne nie plus que le rachat
d'une importante ligne de chemins de fer ait été,
comme
revenu, inspiré par les docLa première de ces opérations
était destinée à préparer l'accaparement de toutes les
industries {)ar l'Etat. L'impôt sur le revenu n'avait
d'autre but que de faire le bilan de la fortune des
citoyens, de façon à pouvoir plus tard les dépouiller à
volonté. Les socialistes savent fort bien qu'un tel
impôt ne s'établirait qu'au prix d'odieuses inquisitions
destinées à susciter de redoutables ennemis au régime
trines
l'impôt sur le
collectivistes.
19(3
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
républicain, sans le moindre bénéfice
Pinancier pour
personne. De telles évidences n'ont arrêté cependant
aucun vote. Les comités électoraux socialistes ayant
parlé, le Parlement a servilement obéi.
De toutes les illusions socialistes, la plus vaine
peut-être est le rêve de supprimer la classe bourgeoise dont le talent, l'intelligence et les capitaux ont
créé et font prospérer les industries desquelles les
ouvriers vivent.
Supposons qu'un chef d'usine ayant i.OOO ouvriers
et réalisant 40.000 francs de bénéfices annuels donne
gratuitement son usine aux travailleurs. Grâce aux
40.000 francs abandonnés, le salaire de chacun augmenterait en apparence de 10 centimes environ par
jour^. En réalité, il serait bientôt très amoindri, car
les hommes aptes à diriger de grandes industries
sont rares, et dès que la capacité du chef diminue, les
bénéfices s'efi'ondrent. Vérité éclatante que les sociane veulent pas comprendre. Dans l'état actuel
listes
de l'industrie, l'homme capable devient un instrument si précieux qu'il est toujours économique de le
payer fort cher.
Supposons cependant que le socialisme triomphe,
avec son administration collectiviste de l'industrie
et son égalisation des salaires. Immédiatement, tous
les hommes intelligents
savants, artistes, inventeurs, ouvriers habiles, etc., peu soucieux de voir
rémunérer leur talent avec des bons d'aliments,
émigreraient vers des pays voisins qui les accueilleraient avec enthousiasme, car le talent fait prime
partout. Le socialisme ne régnerait alors que sur une
société composée d'individus de la plus basse médio:
crité.
Bien entendu, le conquérant qui voudrait s'empad'un pays ainsi socialisé n'aurait qu'à lever le
doigt. Les socialistes répondront que cela leur est
rer
Ce cliifTie lie 10 centimes comme bénéfice moyen réalisé sur l'ouvrier a
également donné à la Chambre des députés dans une discussion récente.
1.
été
197
LES ILLUSIONS SOCIALISTES
égal puisqu'ils se déclarent de plus en iilns antiinilila-
yeux patron franou patron allemand représentent la même chose.
Pour leur ôter cette nouvelle illusion, il suffit de
les renvoyer aux livres d'histoire montrant la destinée
des peuples que leurs dissensions ont conduits sous
la loi de l'étranger. La Pologne en est un frappant
exemple. Bàtonnés et expropriés par les Allemands,
vigoureusement mitraillés par les Russes dès qu'ils
crient trop fort, ne pouvant même pas, sous peine du
fouet, faire apprendre leur langue dans les écoles à
ristes et antipatriotes, et qu'à leurs
çais
leurs propres enfants, les infortunés Polonais expient
durement
les luttes civiles ancestrales.
devrait être
salles
des
Leur destinée
gravée en lettres d'or dans toutes les
congrès socialistes où l'antipatriotisme
s'enseigne.
Le socialisme
collectiviste qui triompherait
quelque
durer bien longtemps. Il
ramènerait vite les despotes libérateurs que le peuple
acclamerait comme il l'a fait pour tous ceux subis par
la France depuis la Révolution. En attendant, les
ravages produits seraient terribles. Je suis de l'avis de
Laveleye montrant à la suite du socialisme victorieux
« nos capitales ravagées par la dynamite et le pétrole,
d'une façon plus sauvage et surtout plus systématique
que Paris ne l'a été en 1871 par la Commune ».
Faguet a recherché comment pourrait triompher le
socialisme, et il admet, ainsi que je l'avais fait moimême, que ce sera peut-être par l'affaiblissement
moral de l'armée. Nous avons déjà vu, dans les
troubles du Midi, un régiment lever la crosse, et l'histoire de la Commune montre qu'en pareil cas un
gouvernement peut s'effondrer instantanément.
Cet effondrement s'accomplirait plus simplement
encore par des mesures législatives. Le même auteur
fait remarquer « qu'il suffirait d'une décision législative comme en 1790, ou d'un coup d'Etat populaire pour exproprier la bourgeoisie et procéder à son
part ne saurait
d'ailleurs
198
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
égard comme elle a procédé à l'égard du clergé et de
la noblesse
au moment de la Révolution, et plus
récemment à l'égard des congrégations possédantes
et
du clergé séculier ».
semble qu'un souffle d'aliénation aveugle aujour-
Il
d'hui la bourgeoisie, car elle ébranle
sans trêve les
plus solides colonnes delà société qui l'abrite, notamment les finances et l'armée. Elle détruit progressive-
ment toute
discipline, et vote les pires
mesures finan-
cières et militaires proposées par les socialistes sans
pouvoir douter cependant que le triomphe du socialisme serait, comme l'a écrit le révolutionnaire Malato.
«
un despotisme plus dangereux que le système
monarchique, parce qu'il serait insaisissable et impersonnel. »
La bourgeoisie se fait donc profondément illusion en
suivant le courant qui la pousse et qu'il lui serait
possible non de remonter, mais d'orienter. Elle perd
conscience de sa supériorité, de sa puissance et de
sa valeur, et ne comprend pas qu'une société ne saurait vivre sans discipline, sans tradition et sans hiérarchie.
Elle ignore surtout l'art de parler aux foules et ne
conçoit guère le simplisme de leur âme. La seule
vision politique de l'ouvrier est qu'il est exploité par
le
patron
et
que
le
gouvernement doit
faire
augmen-
ter sa paye.
« La
masse, écrit justement M. Bourdeau, n'a
aucune idée nette, elle est toujours de l'avis de l'orateur qui pérore devant elle, qu'il soit favorable à la
défense républicaine ou anticlérical, patriote ou antipatriote, politicien ou syndicaliste révolutionnaire. »
La foule, en effet, juge en bloc uniquement d'après
l'impression produite sur elle par les vociférations des
orateurs. Leurs raisons, elle ne les entend pas et,
comme les femmes, se passionne pour les individus
sans écouter leurs discours. Toutes les vérités seront
acceptées
si
l'homme qui
les dit lui plaît, et
il
lui plaît
199
LES ILLUSIONS SOCL-VLISTES
quand il est énergique. On a vu dans une circonscription du Nord, citadelle du socialisme, un candidat,
faire
nommer
assez conservateur cependant, se
député à la place de l'un des grands chefs du socialisme, non par ses raisons mais parce qu'il avait su
plaire et que les foules sentaient en lui le maître
réclamé toujours.
Malgré leurs instincts révolutionnaires apparents
les multitudes ne demandent qu'à obéir. Toute l'histoire est là pour le dire. Les ouvriers les plus violents
obéissent sans discuter aux coups de sifflet du délégué des comités révolutionnaires et se mettent instantanément en grève, sans se permettre la moindre
observation. Louis XIV ou Bonaparte n'auraient jamais
osé les prescriptions draconiennes décrétées par
d'obscurs comités auxquels leur anonymat seul con-
fère
du
prestige.
Beaucoup de
socialistes sont trop intelligents
pour
avoir confiance dans leurs doctrines et les abandonnent dès qu'ils arrivent au pouvoir. Devenus alors
en découvrent
non sans
quelque étonnement, les compliments décernés aux
bourgeois par un socialiste devenu ministre, M. Viviani,
dans un discours prononcé à Calais
partie intégrante de la bourgeoisie,
brusquement
les
qualités.
On
ils
a pu
lire,
:
Autour du
une bourgeoisie
qui
Et c'est une
grande injustice que de la dénoncer dans son ensemble à la
colère ou au mépris des travailleurs. C'est elle qui, par ses
penseurs et ses philosophes, a montré le vide du Ciel.
...
prolétariat, disait-il,
vit
travaille, qui a ses intérêts, sa volonté, ses désirs.
bourgeoisie n'avait fait que détruire des illun'y aurait pas lieu de lui en être extrêmement
reconnaissant. Je ne sais pas
ni M. Viviani non
plus
si le ciel est vide. C'est une hypothèse probable mais non démontrée. En tout cas, c'est une
hypothèse que la très grande majorité des Français
n'admet pas encore. Or, un véritable homme d'Etat
Si la
sions,
il
—
—
200
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
doit savoir respecter toutes les convictions et gouverner les peuples avec leurs idées, et non avec ses
propres croyances.
Mais si les hypothèses relatives au ciel restent incertaines, au moins est-il sûr que les progrès de la civilisation sont dus uniquement à la bourgeoisie de tous
l^s âges, puisque c'est dans son sein qu'ont toujours
été recrutés artistes, industriels,
philosophes et
savants.
La démocratie, disait M. Clemenceau dans un de ses discours,
gouvernement du nombre... A la source de toute
évolution nous trouvons l'efTort individuel des penseurs, tandis
que le progrès général doit résulternécessairement de l'accommodation progressive des masses aux idées soumises à la sanction
n'est pas le
de l'expérience par
Ne
le
génie de quelques-uns.
ces vérités de banales puisque
jour où ils arrivent au pouvoir que
les politiciens les découvrent.
Elles ne sauraient bien entendu effleurer les socialistes révolutionnaires, rêvant la destruction de la
c'est
qualifions pas
seulement
le
société actuelle.
Avec un peu plus d'intelligence, ces bruyants
apôtres arriveraient à comprendre qu'ils ne gagneraient rien à se substituer au gouvernement qu'ils
maudissent. Les survivants de leurs hécatombes iinique les méthodes de gouvernement sont peu variées, et deviendraient plus réactionnaires encore que leurs prédécesseurs. C'est ce qui
fut toujours observé du reste quand les Césars
vinrent écraser l'anarchie.
Des révolutionnaires vainqueurs ne peuvent prendre
en effet que deux partis
rester révolutionnaires, et
dans ce cas perpétuer un désordre contre lequel se
liguent vite toutes les opinions et qui par conséquent
ne saurait durer, ou gouverner à peu près comme
leurs aînés. Ce dernier parti fut toujours adopté par
tous les démagogues triomphants. Ceux qui, avant
d'arriver au pouvoir prêchaient l'insurrection, la
raient par constater,
:
201
LES ILLUSIONS SOCLVLISTES
grève générale et
la violence, les
quement une
devenus
fois
les
combattent énergi-
maîtres. Non,
certes,
mais simplement
parce qu'ils découvrent alors que le maintien de la
vie d'un peuple est soumis à l'observance de certaines
qu'ils
trahissent leurs
principes,
règles traditionnelles.
Ce ne sont pas en réalité
les violences
des révolu-
tionnaires, mais la faiblesse de nos gouvernants qui
constitue
le
d'anarchie,
vrai
danger.
quand trop
Quand un pays est saturé
sont menacés et
d'intérêts
qu'on ne voit partout que
palabres
inutiles,
pro-
peuples se
dirigent d'instinct vers un dictateur capable de ramener l'ordre et de protéger le travail. C'est ainsi que
tant de démocraties ont péri.
messes mensongères
et
lois
stériles,
les
La dictature, c'est évidemment l'ordre pour quelque
temps, mais c'est aussi Waterloo, Sedan et l'invasion.
Sans doute les Romains n'eurent pas à regretter
l'avènement d'Auguste, mais son règne rendit possible
Tibère, Caligula, la lente décadence et l'écrasement
final sous le pied des Barbares.
La reconstruction du monde détruit par ces nouveaux maîtres exigea mille ans de guerres et de bouleversements. Le présent est fait surtout du passé et
le passé ne se recrée pas. Aujourd'hui les barbares
sont dans nos murs et nous les laissons saper jour
après jour un édifice social péniblement construit. Ils
pourront le détruire mais non le remplacer. Une
société périt parfois très vite, les
mettent de
la rebâtir.
siècles seuls per-
CHAPITRE
Les
II
Illusions syndicalistes.
L'association des intérêts similaires est devenue la
de l'âge moderne. La grande industrie ne
loi
l'a
pas
créée, mais fortement développée.
pays ont connu des formes diverses d'asFlorence et Sienne, au Moyen Âge. étaient
des Républiques professionnelles, formées d'une agglomération de syndicats réalisant assez bien le rêve de
beaucoup de théoriciens actuels. Les corporations
détruites par la Révolution constituaient aussi de véri-
Tous
les
sociation.
taldes syndicats.
L'avantage évident de telles institutions est de conde petites collectivités une puissance que ne
saurait posséder l'individu isolé. Elles le dispensent,
en outre, d'initiative et de volonté, qualités d'un exercice fatigant et d'ailleurs assez peu répandues.
Les liens du syndicat tendent à devenir aujourd'hui
la seule attache entre les hommes. Alors que les institutions politiques ne sont plus respectées, que
ridée de patrie s'affaiblit, que toutes les croyances
ancestrales s'évanouissent. l'influence de l'idée syndicaliste grandit chaque jour. Elle est en voie de
donner naissance à des formes de droit nouvelles.
Tel par exemple le contrat collectif dans lequel le
patron traite, non plus avec l'ouvrier, mais avec son
syndicat. Il tend à devenir le régime normal de l'inférer à
dustrie.
LES ILLUSIONS SYNDICALISTES
L'ouvrier
203
— surtout le médiocre — gagne à ce régime,
condition d'accepter une tyrannie très
peut conserver l'illusion du pouvoir, il ne
saurait garder celle de la liberté.
De cette vérité banale, que les institutions n'ont
par elles-mêmes aucune vertu et que leur influence
varie avec les qualités mentales des peuples les
ayant adoptées, l'histoire du syndicalisme fournit, je
l'ai montré déjà, une preuve frappante.
Il se présente, en effet, sous deux formes très difféle syndicalisme pacifique et
rentes suivant les races
le syndicalisme révolutionnaire. Le premier s'observe
chez les Anglo-Saxons. Les syndicats ne s'y occupent
que d'intérêts économiques et ignorent les luttes de
classes. Chez les peuples latins, le syndicalisme est
devenu, au contraire, un instrument d'anarchie ne
visant que la destruction de la société. C'est ce dernier que nous étudierons maintenant.
Quelques syndicats d'ouvriers français se bornent
bien, comme en Angleterre ou en Allemagne, à
défendre leurs intérêts et ne présentent, jusqu'à présent du moins, rien de subversif. Etant peu nombreux ils ne possèdent guère d'influence.
Tout autre est le syndicalisme révolutionnaire,
représenté par la bruyante Confédération du travail.
Nous avons précédemment montré son antipathie
pour le collectivisme, considéré par elle, avec raison,
comme une simple forme de l'Etatisme.
Cette Confédération, à peine âgée de quelques
années, prétend constituer un syndicat de syndicats;
mais, en réalité, compte très peu de syndiqués,
puisque 5 p. 100 à peine des ouvriers français en font
partie. Il est vrai que ce n'est pas le nombre des
apôtres qui fait la force d'une doctrine.
Ses débuts furent assez flottants. Elle ne commença à devenir puissante qu'après avoir eu à sa
tête quelques révolutionnaii*es intelligents, comprenant qu'un pouvoir anonyme, hardi et possesseur d'un
mais sous
dure.
la
S'il
:
204
petit
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFEASE SOCIALE
nombre de
principes fixes,
devait, grâce à la
gouvernementale et à l'anarchie générale,
acquérir une autorité considérable.
Au double point de vue psychologique et politique,
son histoire est très intéressante. Elle montre comment une poignée d'hommes résolus, peut arriver
à fonder une organisation traitant d'égal avec l'Etat,
au point d'obliger le Parlement à voter d'urgence des
lois impérieusement dictées.
En politique, l'autorité est précieuse, mais il suffit
parfois de faire croire qu'on la possède. Le prestige
des sorciers a duré mille ans, bien qu'ayant comme
unique appui la foi dans la sorcellerie.
Fonder un pouvoir personnel est extrêmement
compliqué. Créer un pouvoir anonyme est, au contraire, assez facile. On discute le premier, on subit le
second. En France, le pouvoir des comités anonymes
est toujours respecté. Au Parlement, ils régnent en
maîtres. L'éminent homme d'Etat R. Poincaré montrait, dans un discours récent, ces députés affolés,
« agitant en désordre leurs bulletins, jetant sur leurs
circonscriptions muettes des regards interrogateurs,
« Vais-je i)laire à mon comité? »
en se demandant
Les plus farouches socialistes, interrupteurs bruyants
des ministres, sont en général très modestes, très
petits, devant des comités souvent composés de braillards alcooliques qui. en fait de volonté populaire,
ne représentent que la leur. Appuyé sur des comités,
un journal et le concours d'un nombre suffisant de
marchands de vin, on peut devenir un des maîtres
faiblesse
:
d'un pays.
On
l'a
pu du moins
jusqu'ici,
mais
les
comités
électoraux sont maintenant assez menacés. Ayant forcé
députés d'édicter des lois très dangereuses pour
prospérité de notre industrie, ils conduisirent les
négociants à former des ligues de défense. Les Chambres de commerce n'ont pas réussi à empêcher le
les
la
ruineux rachat de l'Ouest, ordonné par
les
comités
205
LES ILLUSIONS SYNDICALISTES
socialistes,
mais
la
Fédération
détaillants a fait hésiter la
des
commerçants
Chambre devant
j)lusieurs
impôts.
Quoi
autre,
qu'il
en
sous une forme ou sous une
soit,
groupement
d'intérêts politiques
ou d'intérêts
professionnels, l'avenir n'est pas aux influences personnelles, mais surtout
aux
collectivités
anonymes,
guidées par des meneurs.
Les créateurs de la Confédération du travail comprirent parfaitement ces vérités élémentaires et
quelques autres. Leur programme apparent fut de
former un syndicat global, géré par un comité
dépourvu de pouvoir visible, mais les exerçant tous, en
réalité, et notamment celui d'imposer aux sociétés
confédérées des ordres exécutés sans discussion.
Un premier obstacle se présentait. Pour arriver à
dominer, ne fallait-il pas faire voter d'abord les ouvriers
et obtenir une majorité?
Des politiciens ordinaires auraient été arrêtés par
cette difficulté. Elle
n'embarrassa nullement
les fon-
dateurs de la Confédération. Ne pouvant espérer le
nombre, ils déclarèrent simplement substituer au
pouvoir des majorités celui des minorités, et pour justifier une telle prétention,
celle d'ailleurs de toutes
les aristocraties,
décidèrent hardiment, en oppo-
—
—
sition
aux idées démocratiques et socialistes, que les
le droit d'imposer leurs volontés.
minorités seules ont
...Ainsi
apparaît,
écrit
l'un
d'eux,
l'énorme
différence de
méthode qui distingue le syndicalisme du démocratisme celuici, par le mécanisme du suffrage universel, donne la direction
aux inconscients, aux tardigrades et étouffe les minorités, qui
portent en elles l'avenir. La méthode syndicaliste donne, elle,
un résultat diamétralement opposé l'impulsion 'est imprimée
:
;
par les conscients, les révoltés.
Et sur quoi est fondée cette aptitude d'une minorité
de révoltés? Uniquement sur l'instinct. Les maîtres du
parti assurent que « le plus simple ouvrier, engagé
dans le combat, en sait davantage que les plus abscons
is
206
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
doctrinaires de toutes les écoles ». L'ouvrier insurgé,
bien entendu, s'il est membre de la Confédéra-
—
tion. — devient ainsi une sorte de baron féodal placé
au-dessus des lois.
Les conseils qu'on lui donne sont, en effet, ceux
qui pourraient être présentés à un souverain absolu,
n'ayant pas à tenir compte des codes.
Il faut aller de Tavant, se laisser porter par sa propre impiilsioa naturelle, ne se fier qu'à soi-même et se dire que ce n'est
pas à nous à nous adapter à la légalité, 7)iais à la légalité à
s'adapter à notre volonté.
Les autocrates
étant placés
l'aristocratie constituée par les
au-dessus
membres de
des lois,
la Confé-
dération n'est pas tenue à les respecter.
L'ouvrier français, écrit
un des grands chefs de
autocratie, est au-dessus de toute autorité, de tout
toute hiérarctiie.
lui
Il
permet ou non
ne se demande pas, avant
d'agir.
Il
la
nouvelle
respect, de
d'agir,
si
la loi
agit et voilà tout.
Evidemment, Louis XIV et Napoléon étaient plus
modestes et moins convaincus de leur grandeur.
Quant à la foule, jamais despote asiatique ne manifesta à son égard autant de mépris que les nouveaux
potentats. Ils assurent, et en ceci n'ont pas tort, c{ue
les masses adoptent tout ce qu'on leur suggère et sont
incapables de réflexion. En cas de révolution, le peuple
se tournera du côté des plus hardis. En temps ordinaire, il n'a qu'à se taire. « Les conscients, les militants ont seuls le droit de parler au nom de la classe
ouvrière. » Naturellement, les conscients sont les
directeurs de la Confédération.
Pénétrée de l'infériorité de la vile multitude, ils la
traitent, à chaque occasion, comme un simple troupeau d'esclaves. Leurs délégués ne prennent même
pas la peine d'expliquer les ordres donnés, celui de
se mettre en grève par exemple. Si quelque ouvrier
un peu indépendant esquisse une résistance, il est
vigoureusement assommé par les camarades obéissant avec une parfaite servilité aux injonctions du
LES ILLLSIO^•S SYNDICALISTES
207
comité. L'ordre du délégué remplace ainsi le fouet
du commandeur sur les plantations jadis cultivées
par les nègres.
La plus invraisemblable fantaisie préside souvent à
ces grèves. La preuve en est fournie par un des
membres les plus influents de la Confédération du
Travail, M. Victor GrilTuelhes dans son opuscule
Voyage d'un Révolutionnaire. Voici comment il s'ex-
prime
A
par
un
:
Marseille, sur les quais, il y avait par chantier un délégué
Syndicat. Il avait un pouvoir grand... trop grand. Pour
rien, je dis pour un rien, souvent ce délégué lançait en
le
plein travail
un coup de
sifflet.
C'était le signal,
quitter le chantier, c'était la grève.
l'ignorait,
patrons
Pourquoi
?
chacun devait
Tout le monde
et ouvriers.
De tels aveux montrent avec quelle facilité se
peuvent asservir les foules ouvrières dès qu'on possède du prestige.
Leur obéissance va jusqu'à une abnégation que
n'auraient jamais exigée les pires despotes. On connaît
l'aventure récente de ce patron briquetier des environs de Paris, qui, voulant se retirer et n'ayant
pas d'héritiers, offrit à ses ouvriers de mettre son
usine en actions et de les leur distribuer en restant
gérant pour quelque temps afin de ne pas laisser l'affaire péricliter.
Les briquetiers acceptèrent avec
enthousiasme, mais la C. G. T. intervint et, redoutant
cet exemple d'accord entre patrons et ouvriers, donna
l'ordre impératif à ces derniers de refuser le présent.
Ils obéirent sans discussion. Guéri de sa philanthropie
le patron ferma l'usine.
Les méthodes gouvernementales employées par les
chefs syndicalistes ne constituent pas assurément une
innovation, puisqu'elles furent celles de tous les
anciens tyrans. Il fallait une grande confiance dans la
servilité
des multitudes pour oser les appliquer
de nos jours.
Comment se maintient ce pouvoir nouveau qui
208
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
prétend remplacer tous les autres? Les syndicalistes
révolutionnaires n'ayant à tenir compte ni de la
volonté populaire, ni des lois, d'ailleurs, de plus en
plus fléchissantes devant eux, le problème devenait
relativement assez simple. Grâce aux menaces, au
sabotage et aux grèves violentes, ils obtiennent à peu
près tout ce qu'ils exigent. Ouand une grève pacitique
éclate quelque part, le comité envoie aussitôt quelques
délégués pleins d'expérience, car ce sont toujours les
mêmes, pousser les grévistes aux violences. Dès que
les coups commencent à pleuvoir, ils disparaissent
pour aller exercer leur apostolat ailleurs.
De pareils procédés ont du reste le privilège d'exaspérer les socialistes qui croient encore au suffrage
universel et à l'efficacité des lois.
'
Le syndicalisme, a dit l'un d'eus au Congrès de Nancy de
emploie pour arriver à ses fins le boycottage, le sabotage,
les grèves partielles. Telles sont les armes
vos seules armes
avec lesquelles vous avez la prétention de transformer la
propriété et la société. C'est avec cela que vous entendez faire
l'économie de la conquête de l'Etat, enclouer ses canons. N'estce pas souverainement ridicule
1907,
—
—
!
On leur fit remarquer ensuite que le syndicat
contenait assez peu de syndiqués. Sans doute, mais
point n'est besoin, je le répète, de beaucoup d'apôtres
pour fonder un culte.
C'est un des grands chefs du socialisme doctrinaire,
M. Guesde, qui s'est le plus insurgé contre le pouvoir
grandissant et les méthodes de la Confédération.
Je voudrais seulement qu'on m'expliquât, dit-il, comment
casser des réverbères, éventrer des soldats, brûler des usines,
peut constituer un moyen de transformer la propriété. Il faudrait en finir avec toute cette logomachie prétondue révolutionnaire. Aucune action corporative, si violente soit-elle,
grève partielle ou grève générale, ne saurait transformer la
propriété.
Les syndicalistes révolutionnaires répondent, très
justement. (|ue leur méthode est excellente puisqu'elle
produit d'utiles résultats. Ils en fournissent comme
209
LES ILLLSIOXS SYMJICAI.ISTES
preuve
l'affaire
plusieurs exemples, notamment
des bureaux de placement.
celui
de
Les manifestations violentes et répétées avaient surpris et
intimidé le gouvernement. Effrayé, le ministère Combes déposa
au plus vite un projet de loi que, sans perdre haleine, votèrent
en trois jours la Chambre et le Sénat. Faut-il rappeler à quel
degré la leç.on de ce simple fait et d'autres semblables a été
efficace ?
Je n'en doute pas un instant, mais je ne doute pas
davantage que si le ministre, cité plus haut, avait
dépensé, pour résister à des menaces présentées de la
plus insolente façon, le quart de l'énergie déployée
par lui pour dépouiller et expulser de vieux moines
et
des
religieuses sans
n'aurait pas fait
les
défense, l'anarchie sociale
progrès que chacun constate
aujourd'hui.
La puissance de la Confédération du travail ne
repose en effet que sur l'extrême faiblesse du pouvoir.
Son développement n'était possible qu'en France. En
Amérique et en Angleterre, les faits exposés plus haut
ne pourraient se produire. Aux Etats-Unis, leurs auteurs subiraient de nombreuses années de prison,
sans aucune chance d'amnistie. En Angleterre, les
syndicats étant pécuniairement responsables des détériorations commises par leurs membres, le sabotage y
est inconnu.
Évidemment, cette mollesse du gouvernement constitue un facteur que les psychologues de la Confédération savent ingénieusement utiliser, mais ils commencent à triompher trop bruyamment. L'exagération
de leurs violences est d'ailleurs salutaire, car elle
finira sûrement par faire surgir un ministère de
défense sociale qui les mettra rapidement à la raison
par la rigoureuse application des lois.
Lors de la grève de Draveil, la Confédération se
croyant sûre de l'impunité dépassa fortement la
mesure. Les grévistes ayant saboté les machines,
dévalisé les passants, attaqué des voitures en circu18.
210
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE
tribunaux n'osèrent pas fermer les yeux et
entamer des poursuites. La Confédération menaça alors le gouvernement de décréter une
grève générale s'il ne suspendait pas l'action de la
justice. A la vérité, le droit de piller les diligences
et d'incendier les usines est pratiquement reconnu
aux ouvriers, mais on a négligé de l'inscrire dans
les codes. Il fallut donc prononcer quelques condamnations. Elles furent très anodines d'ailleurs, et
peu de semaines plus tard. les courtisans de la
basse popularité firent, comme d'habitude, voter une
lation. les
se résignèrent à
amnistie.
moins pour
montrer au gouvernement la vanité des
menaces qui l'ont fait tant de fois trembler. Il comprit, pour la première fois, que le pouvoir de la ConCette
tentative de révolution eut au
résultat de
fédération
inspire.
reposait
Son action
surtout
sur
la
n'est considérable
terreur
qu'elle
que parce que
s'exerçant contre des ministres sans résistance.
Mais à défaut de la défense gouvernementale sur
laquelle on ne peut guère compter, la Confédération
du
travail
se trouve
maintenant en face d'ennemis
plus sérieux que la police et l'armée. Elle a vu, bien à
contre-cœur, s'enrôler sous sa bannière la secte redoudes anarchistes. Impossible de les repousser,
leur programme de destruction sociale, pour établir
nne sorte de communisme, était identique à celui de
la Confédération.
Les compagnons anarchistes ne connaissant guère
d'autre méthode de raisonnement que le sabotage et
rincendie, ne sont pas d'un maniement facile. Ces
illuminés veulent bien tâcher d'anéantir la société en
bloc, assassiner en attendant le plus de souverains
possible, souffrir au besoin le martyre pour leur foi,
mais jamais ils ne se plieront à la discipline d'un
syndicat. Les membres de la Confédération du travail
ont victorieusement tenu tête dans les congrès aux
collectivistes, mais on ne voit pas facilement comtable
LES ILLUSIONS SYNDICALISTES
ment
ils
211'
réussiront à se défaire de leurs nouveaux
Nous examinerons les conséquences de leur présence dans le prochain chapitre.
Quant aux ouvriers, esclaves dociles poussés par
d'invisibles mains, ils n'ont assurément rien à gagner
dans la voie où on les dirige et beaucoup à perdre.
Leur salaire, en effet, dépend uniquement de l'état des
alîaires industrielles. Ils pourraient être syndiqués
jusqu'au dernier sans obtenir une augmentation d'un
centime, si le commerce de leur pays diminuait d'imalliés les anarchistes.
portance. Cette
diminution, déjà commençante,
deviendra beaucoup plus grande encore, quand les
capitaux elTrayés iront chercher des pays sagement
gouvernés où ne les inquiéteront pas les grèves
violentes, les sabotages et les lois tyranniques que
les Chambres ne cessent de voter et qui déterminent
de plus en plus l'émigration des fortunes.
Ces vérités, les prétendus défenseurs des classes
ouvrières se gardent bien de les dire. Ils savent
la
pourtant que ce n'est pas en s'appropriant
fortune d'autrui que les travailleurs amélioreront
leur sort, mais seulement en perfectionnant leur instruction technique. La capacité est la grande puisabsolument rien
sance de l'âge moderne et rien
ne peut la remplacer. Que l'ouvrier accroisse sa
valeur professionnelle, qu'il finisse par s'élever au
niveau de ses collègues américains dont nous parle
Paul Adam, gentlemen qui arrivent le matin à leur
atelier élégamment vêtus, mettent une blouse, travaillent et, leur journée finie, prennent un bain et
vont achever la soirée au cercle sans que rien les
distingue dans leurs manières des hommes du monde
—
—
plus corrects.
côté de ces ouvriers à 25 francs par jour végètent,,
est vrai, les manœuvres ignorants et bornés qui ne
les
A
il
gagnent que 4 francs dans
le
même
la civilisation est-il d'élever le
temps. L'idéal de
manœuvre au rang du
gentleman ou de créer une société
artificielle
qui.
212
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE
manœuvre? Je
réponse des socialistes, mais je sais
aussi celle dictée par le simple bon sens. Dédaignons
les vagues phrases humanitaires inspirées uniquement par la basse envie. Tous nos efforts doivent
tendre à fortifier la mentalité d'un peuple et non à
l'amoindrir. Le progrès n'est pas dans la haine des
classes, comme ne cessent de le répéter les sectaires,
mais uniquement dans leur fusion.
Les socialistes, qui d'abord favorisèrent la création
des syndicats, les voient maintenant se retourner
contre eux. Bien vainement essaient-ils de calmer cette
hostilité. Malgré leur soumission, la Confédération
du Travail les repousse avec mépris. Dans ses
meetings récents, elle a refusé la présence d'un
seul député socialiste.
L'idéal des syndicalistes reste encore lUi peu vague,
car pour le moment ils ne cherchent qu'à détruire,
mais leurs écrivains ont déjà pris soin de nous dépeindre
la future société syndicaliste. Elle sera composée de
producteurs réunis en syndicats échangeant leurs services. Cette organisation, très éloignée de la forme
Etatiste prônée par les collectivistes, lui serait éviabaisserait le gentleman au niveau du
connais
la
demment
supérieure. Collectivistes et syndicalistes
sont en réalité aux pôles de la pensée, et nulle conciliation n'est possible entre
eux.
Beaucoup de braves gens prennent des airs entendus pour nous révéler que le syndicalisme représente l'aurore de temps nouveaux. Ils ne semblent
pas soupçonner que cette aurore constitue simplement
une régression vers un état de choses fort ancien et si
insupportable qu'il fut abandonné.
Le régime syndicaliste a fonctionné, en effet, pendant des siècles dans les républiques italiennes. Elles
n'étaient que des fédérations de syndicats industriels,
sous la direction d'un conseil élu par ces syndicats.
213
LES ILLUSIONS SYNDICALISTES
Le tableau des conséquences de cette forme gouvernementale a été parfaitement tracé par un professeur au Collège de France, M. Renard, que sa qualité
de socialiste humanitaire rend peu suspect. Je lui
emprunte sa description
:
Querelles de ville à ville, de quartier à quartier, de famille
à famille, interminable et monotone kyrielle de vendettas,
d'émeutes, d'incendies, de meurtres, de barricades, d'exils, de
confiscations, voilà le spectacle désordonné, tumultueux, qu'offrent pendant des siècles les communes italiennes, Florence la
Belle aussi bien que les autres. En Italie on croirait à certains
moments qu'on descend avec Dante dans un de
ces
cercles
infernaux où se poursuivent, se débattent, se mordent, se
dévorent des troupes de monstres, de démons et de damnés.
Dans son livre, Socialisme à l' Etranger', M. QuentinBauchart montre que ce régime syndicaliste était si
oppressif pour l'ouvrier que l'on considéra partout
comme un bonheur d'en être débarrassé
même au
prix de dictatures militaires très dures. La Révolution
—
se crut obligée d'abolir
les corporations, infiniment
moins tyranniques cependant que
les
tout-puissants
syndicats des républiques italiennes.
que l'effort de la
dont est sortie la constitution des
grands Etats, a été de substituer l'intérêt général à
des intérêts individuels et corporatifs toujours en
lutte. Le syndicalisme est donc, en réalité, je le
Il
n'est pas douteux, d'ailleurs,
civilisation,
effort
une évolution régressive et non progressive.
Que des intérêts similaires se syndiquent, rien de
plus naturel. Cela existe universellement. En Allemagne, notamment, les syndicats sont innombrables.
répète,
Tous
corps d'état, bouchers, professeurs, magisetc., sont plus ou moins syndiqués.
En France seulement, se manifeste la prétention des
syndicats de renverser l'Etat pour être les maîtres, etrevenir à une forme de gouvernement que le progrès
de la civilisation a fait disparaître.
Si le syndicalisme triomphait un jour, nous verrions s'ouvrir une période d'anarchie à laquelle aules
trats, égoutiers,
214
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
cane organisation sociale ne saurait résister longtemps. Les peuples révoltés contre leurs lois sont
condamnés à subir bientôt les fantaisies des despotes
<iue le désordre fait invariablement surgir, et finalement les invasions. C'est pour ne l'avoir pas compris
que de grandes nations ont péri, que la Grèce, flambeau du monde antique, fut réduite en esclavage et
que la Pologne disparut de l'Histoire.
Le triomphe du mouvement actuel ne serait
qu'une conséquence de la désagrégation mentale
dont la révolte des postiers constitue un alarmant
symptôme. Dans leurs meetings, on a vu ces derniers
prôner l'antimilitarisme, l'antipatriotisme et l'anarchie. Leur grève, au moment même où l'alîaire des
Balkans paraissait devoir entraîner la France dans
une guerre redoutable, prouve à quel point des syndiqués font passer de petits intérêts particuliers avant
Pour eux, la patrie, c'est leur syndicat.
dessine de plus en plus nettement
syndicalisme révolutionnaire et l'Etatisme
l'intérêt général.
La
lutte
entre le
se
Ces deux formes de tyrannie sont égaleque la première
serait peut-être la moins dure, parce que de petits
despotismes collectifs se font équilibre et sont dès
lors moins tyranniques qu'un seul despotisme collectif tel que celui rêvé par les socialistes.
Avec l'efTacement progressif des caractères et Tincompréhension générale des lois naturelles, nous
sommes condamnés à subir l'une ou l'autre de ces
tyrannies, à moins que ces deux forces antagonistes
n'arrivent à se neutraliser l'une par l'autre. Ne l'espérons pas trop.
collectiviste.
ment
détestables. Je crois cependant
'
CHAPITRE
III
L'Évolution anarchique du Syndicalisme.
Le don de proi)hétie constituait, jadis, un exceptionnel présent des dieux. La Bible ne cite qu'un petit
nombre de prophètes et témoigne à leur égard d'une
respectueuse vénération.
Grâce sans doute aux incontestables progrès de la
religiosité contemporaine, la faculté de deviner l'avenir est devenue générale. On rencontre peu d'hommes
qui n'utilisent plusieurs fois par jour cette aptitude, autrefois si rare. Je ne fais pas allusion seulement aux socialistes, perpétuels prophètes, dont tous
les verbes se conjuguent invariablement au futur, ainsi
qu'on le leur a déjà fait observer. Je parle simplement d'individus quelconques, habitués comme la
plupart de leurs contemporains à disserter longuement sur les sujets qu'ils ignorent. Vous causerez
difficilement dix minutes avec eux sans entendre une
prédiction. Si elle ne concerne pas l'avenir de la
France ou des, autres Etats, elle touche au sort de
leurs voisins.
On ne saurait donc tirer vanité d'une faculté que tous
possèdent, ou au moins exercent, d'une si continue
façon. Ne pas la pratiquer serait vouloir se distinguer.
Donc, me conformant à l'usage universel, il m'arrive parfois de tenter des prédictions. Elles sont le
plus souvent à longue échéance, pour m'éviter d'assister à leur irréalisation.
216
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE
J'en ai cependant risqué c|uelc|iies-unes à brève
échéance. Parmi ces prédictions appuyées uniquement d'ailleurs sur des notions psychologiques très
simples, je citerai celle publiée dans un grand journal
lendemain même de l'exécution de Ferrer
où je prédisais que cet événement si bruyamment
commenté à Paris ne produirait aucune espèce d'émotion en Espagne. Vérifiée aussi fut la prédiction où
j'annonçais que la Confédération du travail finirait
par subir l'absorption des éléments anarchiques
qu'elle s'était si maladroitement annexés.
Sur ce dernier point voici comment s'est exprimé,
juste une année après mon pronostic, le secrétaire
démissionnaire de la C. G. T.. M. Xiel
parisien, le
et
:
Tous nos
efforts
pour arrêter l'envahissement du syndicalisme
par la politique ont tout bonnement abouti à ceci
c'est qu'on
a fermé la porte de devant au virus socialiste pour ouvrir celle
de derrière au poison anarchiste... Peu à peu, soutte à goutte,
:
politiciens anarchistes incorporent tout l'anarchisme au
syndicalisme, à tel point qu'ils n'ont plus besoin d'employer
l'expression compromettante, anarchisme, pour faire triompher
leur politique anarchiste, celle plus sympathique de syndicalisme leur suffisant de plus en plus... Le syndicalisme, c'est
l'anarchisme sans le mot.
les
Arrêtons-nous sur cette dernière définition qui
synthétise fort justement le syndicalisme latin actuel
;
de l'anarchisme sans le mot ». Les fondateurs du
syndicalisme pacifique ont mis quelque temps à le
découvrir. Les ouvriers le découvriront peut-être
également et finiront par comprendre que l'anarchisme ne constitue pas une doctrine politique, mais
un état mental, spécial à des variétés bien définies de
dégénérés, catalogués depuis longtemps par les pathologistes. Ils s'apercevront alors que le sabotage des
machines, l'incendie des usines, l'assassinat des soldats est une œuvre de demi-aliénés, ne pouvant améliorer le sort de personne.
Hallucinés par leurs impulsions morbides, les anarchistes se soucient peu d'ailleurs d'améliorer l'exis«
l'évolution ANARCIIIQlf^
DL"
217
SYNDICALISME
tence des classes ouvrières, comme réussirait ù le faire
un syndicalisme intelligent, celui d'Angleterre ou
d'Amérique par exemple.
Une
très
utile leçon
fut
récemment donnée, sur
par M. Samuel
ce sujet, aux syndicalistes français
Gompers, président de la C. (i. T. américaine [Amei'ican Fédération of Labour k Cette association compte
deux millions d'ouvriers, alors que la nôtre en comprend seulement trois cent mille. Leur richesse est conils possèdent plus de trois cents journaux.
Le mépris professé par les syndicalistes américains
pour les agitations stériles des syndicalistes français
sidérable et
est visible. Ils considèrent les conceptions de ces der-
niers
comme
fort puériles.
Autrefois, est-il dit dans le discours de M. Gompers, alors que
nous étions dans l'enfance, nous avions nous aussi nos commu-
nos anarchistes, nos chevaliers du travail, nous étions
impuissants.
...Le syndicalisme ne doit pas être destructif, il doit êtreconstructif... Ruiner l'industrie nationale par le sabotage et les grèves
est un mouvement incohc'-rent comme les Jacqueries du Moyen
Age. Le prolétariat français n"a rien appris, il est resté impulsif.
nistes,
L'assertion qui a le plus
frappé les syndicalistes
français et les a remplis d'horreur, est celle du pré-
grande Confédération américaine leur
certain que la suppression
du patronat serait un progrès. Ce pourrait même être
un retour à l'esclavage >'.
Nos syndicalistes auraient entendu des affirmations
analogues en Angleterre et en Allemagne, mais leur
mentalité étroite ne leur permet pas la compréhension
de pareilles vérités. Seul le travailleur, capable d'observer, comprend que le produit de Fatelier. et par
conséquent le salaire, dépend avant tout de la valeur
sident
disant
de
«
la
n'être nullement
du patron.
Cette dernière concejjtiou n'est jamais admise par
Quand ou leur demande de prérépondent invariablement: «l'ate-
les syndicalistes latins.
ciser leur
lier
rêve,
ils
sans maître
».
19
.
218
PSYCHOLOGIE l'OMTIOl E ET DÉFENSE SOCIALE
Ce sont là évidemment utopies d'intellectuels qui
n'ont pas dû fréquenter beaucoup d'ateliers ou ne les
i>nt jamais regardés bien attentivement. Un superliciel examen leur eût vite prouvé que l'usine vaut
surtout par son chef. Tel maître, telle usine.
La grande difficulté actuelle, avec les complications
énormes de
technique
la
moderne,
n'est
pas
de
recruter les soldats de l'industrie, mais leurs chefs,
l'ne usine prospéi-ant sous un directeur habile dépérit
l»romptement entre des mains inexpérimentées. L'atelibre, c'est-à-dire sans chef, serait le vaisseau
sans capitaine. Anarchie aujourd'hui, ruine demain.
Ces vérités sont au surplus dénuées d'intérêt pour les
anarchistes devenus les maîtres du syndicalisme, puisqu'ils ne poursuivent d'autre but que de détruire la
lier
un vague communisme.
ennemis du syndicalisme
que du collectivisme, ou de toute autre forme d'orgasociété,
Ils
pour
la
remplacer
jiar
sont en réalité autant
nisation sociale.
Bien que redevables à la faiblesse de l'Etat moderne
des lois qui leur permetlent de vivre, ils se dressent
maintenant contre lui et nous avons la naïveté de les
supporter.
J'ai exposé dan> un précédent chapitre quelques-uns
des méfaits des lois que les législateurs s'obstinent à
entasser, sans en prévoir les incidences. Parmi elles,
on peut mentionner encore la loi créée en 1884 par
un ministre, orateur excellent mais psychologue
détestable, sur les syndicats professionnels.
Les avertissements ne lui manquèrent pas. En
réponse à un sénateur, craignant « qu'il ne vienne un
jour où le Pai-lement sera dominé ])ar une Fédération
d'ouvriers obéissant à un mot d'ordre donné par un
grand syndicat ». il se borna à railler « ce pouvoir
indicible, supérieur à celui qui a pu être exercé par
toutes les dictatures, qui serait attribué à je ne sais
quel conseil général des syndicats ».
On lui avait pourtant signalé le danger en termes
l'évolution anarciiiqle du syndicalisme
219
d'une psychologie très sûre « La tlominalion, déclarait un judicieux sénateur, sera inévitablement absolue, car il n'y a pas de milieu, ou elle n'existera pas
ou elle sera absolue; ou il n'y aura pas de Fédération
de syndicats professionnels ou l'union aura une autorité sans limites, car on sait comment parmi les
ouvriers l'autorité sait s'imposer et se faire obéir"».
On indiqua également comme conséquences du projet,
le développement de Fantimilitarisme, et de l'antipatriotisme. Rien n'y fit. L'aveuglement demeura général
et la loi dont se déroulent, grandissants chaque jour,
les désastreux effets fut votée.
Grâce à elle, la Confédération des ouvriers peut se
maintenir impunément en guerre contre la patrie,
l'armée, la société, le capital, ne cessant sa propa:
gande
antimilitariste,
provoquant
les pillages d'usines
et les incendies.
le royaume de
de l'Ecole socialiste
M. Jaurès lui-même a montré, par l'examen d'un livre
récent de deux syndicalistes révolutionnaires, que ces
bruyants révoltés n'arrivaient qu'à proposer le rétablissement exact de ce qu'ils auraient détruit par une
Tous ces fanatiques vivent dans
l'illusion
pure.
A
l'ouverture
révolution violente.
Un des traits qui me frappent le plus dans la révolution qu'on
nous raconte, écrit M. Jaurès, c'est son invraisemblable facilité
Le gouvernement disparaît comme un fantôme, le parlementarisme s'évanouit comme une fumée, l'armée passe au peuple.
Tout cède...
Mais voilà qu'aussitôt, dans la réorganisation sociale à
laquelle les syndicats président, apparaît une série de transactions et d'arrangements si opportunistes, que le plus modéré
des parlementaires d'aujourd'hui y pourrait prendre des leçons
Le paysan garde son champ, le petit boutiquier sa boutique.
La Révolution s'empare des banques, mais c'est pour remettre
aux déposants des carnets de chèques nouveaux...
L'Etat détruit renaît. Le Parlement reparaît dans le Congrès
Confédéral, où l'on ne résout pas seulement des ([uestions corporatives, mais la question agraire entière, mais la question de
la monnaie et bien d'autres aussi.
Tous les éléments de la société s'y trouvent, c'est la loi de la
!
!
220
PSYCHOLOGIE POLITIQLE ET DÉFENSE SOCIALE
ilrmocratio
mais toutes
(jiii
les -régit.
Nuus avons bien santé
la
barricade,
de l'autre côté...
Ceux qui souvent nous ont traités, non sans dédain, d'opportunistes, tombent à notre triste niveau dès qu'ils essaient de
prendre contact avec la réalité, Ihunanité àxi 30 novembre 1909).
les difficultés actuelles se retrouvent
i
En attendant son
rôle lutur. la Confédération du
dans le présent une action destructrice
indubitable. Elle tend à ruiner beaucoup d'industries, sans se douter d'ailleurs que ce sera la misère
des ouvriers vivant de ces industries. Son influence
contribua fortement, par les grèves maritimes et l'élévation des salaires, à la décadence de notre marine
marchande. On peut juger do son état actuel par le
tableau suivant, indiquant la chute des dividendes
de nos grandes compagnies de navigation en moins
travail exerce
de dix ans.
en 1900.
En 1908
Chargeurs Réunis
.^Ofr.»
Néant
Compagnie havraise
30
Messageries maritimes
Compagnie générale Iransatlanliqin'
2o 50
Uivideniips payés
16
»
»
20
Néant
12
un discours prononcé au Sénat et dont
extraits empruntés à l'Officiel du
11 mars 1910. M. Méline montra parfait^^ment les
résultats créés par l'anarchie législative et l'état menDans
voici
quelques
actuel de la population ouvrière.
tal
Je vis dans le monde industriel; eh bien! laissez-moi vous
que je constate que l'esprit d'entreprise et d'initiativ& est
découragé. Les menaces dirigées contre le capital, les grèves à
jet continu, les attentats trop souvent impunis à la liberté du
travail, les menaces fiscales dirigées contre tous ceux qui possèdent et qui épargnent, sont peut être pour beaucoup dans ce
«
dire
découragement.
" Les révolutionnaires qui nous pous.sent dans cette voie sont
bien imprudents. Ils sont en train de tuer la poule aux œufs
d'or. Ils espèrent qu'avant peu il n'y aura plus de riches. S'il
n'y a plus de riches, tout le monde sera pauvre, les pauvres
seront plus pauvres et ce sera la misère générale. »
Quant à l'objection
tirée
des bilans commerciaux
221
L EVOLUTION ANARCHIQUE DU SYNDICALISME
1res
avantageux en apparence, attestés par nos stal'orateur n'eut pas de peine à montrer de
listiques,
(|uelles
illusions
optimistes
les
hommes
d'Etat qui
invoquent étaient victimes. Alors que depuis vingt
ans le commerce de la plupart des pays
Allemagne,
Etats-Unis, Belgique, etc., a doublé, le nôtre, au
point de vue de la progression, est lentement tombé
au dixième rang.
Et pendant que nous nous ralentissons ainsi, tous
los peuples devenant de plus en plus industriels trouvent de moins en moins de débouchés. Ces derniers se
ferment successivement. « Un jour peut venir où
les
difficultés
de cet encombrement général ne
seront plus d'ordre économique et pourront tourner
en conflits de peuple à peuple ».
Une des causes contribuant aussi, en dehors de
l'ordre qui y règne, à la puissance de certains pays
étrangers, c'est qu'au lieu de la sinistre armée des
déclassés fabriqués par notre Université, ils possèdent
" une jeunesse ardente et nombreuse qui se répand
les
:
d'un bout du monde à l'autre et qui travaille à la prospérité des affaires de son pays d'origine ».M.Méline
espère que nous aurons cette jeunesse le jour où nous
serons guéris de la plaie du fonctionnarisme. Plus
grave est la plaie de notre Université. Le fonctionnarisme n'en constitue que la conséquence nécessaire.
*
Dès qu'un parti politique se fonde
et quelles
que
soient ses doctrines, eût-il pour but de saccager des
machines ou de « planter le drapeau national dans le
», on est toujours sûr de voir accourir à son
aide une nuée de demi-intellectuels sans emploi. Notre
éducation classique en fabrique des légions, incapar-
fumier
Ne nous étonnons
formes du syndicalisme anarchique puissent recruter de nombreux avocats.
Le sabotage des usines, ou la destruction des fils
bles de remplir d'autres fonctions.
donc pas que
les pires
19.
~22
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
télégraphiques, constituant des opérations qu'on évite
de recommander trop ouvertement, par crainte des
professeurs d'anarchie linirent par essayer
philosojihie. d"où pourraient se
déduire, grâce à d habiles subterfuges de langage,
les pratiques du syndicalisme anarchiste.
lois, les
de découvrir une
La
On
tentative étant malaisée réussit médiocrement.
avec étonnement les doctrines enseignées au
Collège de France par le plus do'ux et le plus sagace
des philosophes, M. Bergson, devenir TEvangile du
vit
syndicalisme révolutionnaire.
C'est de M. Bergson
l'école nouvelle », nous dit M. le professeur Bougie. 11 est vrai que les modernistes, les
néo-catholiques et d'autres sectes s'en prévalent
également. « Ce que demandent les uns et les autres
à leur maître involontaire, ce sont des leçons d'autii<
que se réclame
« On doit remplacer le raisonnement
par des intuitions illuminantes, qui seules nous
permettent de comprendre la vie par une sorte de
sympathie inexprimable... Il faut s'en lier en tout et
pour tout, aux inspirations de l'élan ouvrier, frère
de l'élan vital ».
Vous ne comprenez peut-être pas très bien? Moi non
plus,, et les syndicalistes encore moins. Cela n'a du
reste aucune importance. La grande force d'une
doctrine est souvent d'être incompréhensible. Les
foules ne se passionnent guère que pour ce qu'elles ne
comprennent pas. A l'époque du Jansénisme, l'Europe faillit être bouleversée par une doctrine de la
Grâce, dont aucun théologien n'est jamais parvenu à
nettement exposer les principes nia voir l'immoralité.
En fait, les théoriciens du syndicalisme ont sim-
intellectualisme.
«
plement pressenti l'utilité pour une doctrine politique
de posséder une philosophie. Celles d'Hegel, Comte
et quelques autres avaient déjà servi à des partis
très
divers
fallait
prit la
et
d'ailleurs
étaient
bien
vieilles.
11
donc en choisir une autre et naturellement on
plus neuve. Lorsque les anarchistes incendie-
ll-«n
l'évolution ANARCIIIQUE DU SYNDICALISME
223
ront une usine, ils pourront assurer désormais le
faire au nom d'une philosophie et avoir pour guides
« les intuitions illuminantes de l'instinct ».
Et ceci nous montre en passant combien est dangereuse la tendance de la philosophie pragmatiste à
dédaigner
oublie
la
raison pour
lui
trop facilement qu'il
substituer l'instinct. On
fallut à l'homme des
entassements d'âges, pour sortir de l'instinctif et
entrer dans le rationnel. Ce n'est qu'en se dégageant
progressivement de ses impulsions instinctives, que
l'humanité put s'élever sur l'échelle de la civilisation.
Une civilisation, c'est la domination de l'instinctif
par le rationnel. Une révolution et l'état de barbarie
<iui l'accompagne, c'est la revanche de l'instinctif
contre
Si
le
rationnel.
donc,
comme
l'affirme M. Bougie, la philosophie
anti-intellectualiste doit conduire
« les constructions
retourner spontanément en poussière » on peut assurer que le même jour l'humanité
retombera au plus inférieur degré de la basse barbarie. La philosophie de l'instinct a toujours été pratiquée en réalité par les sauvages et les apaches de
tous les temps. Il faut la leur laisser.
Les doctrines du syndicalisme révolutionnaire et
la
faiblesse gouvernementale nous préparent de
furieux bouleversements. Peut-être finalement en
résultera-t-il quelque utilité. L'âme des peuples est
parfois si stable que la modification, même légère,
du moindre élément de leur vie sociale, réclame un
temps fort long ou une révolution très violente. Les
révolutions coûtent cher et produisent peu, mais enfin
il en reste parfois quelque chose. La Terreur, vingt ans
de guerres européennes et la mort violente de trois
millions d'hommes furent nécessaires pour donner
simplement aux Français la similitude des droits et
l'égalité devant la loi. Ils eussent fini par les obtenir
sans révolution, car la locomotive est une niveleuse
plus puissante que la guillotine; mais il aurait fallu
intellectuelles
à
224
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
attendre un peu. et les dieux n'ont
Latins la faculté d'attendre.
pas accordé aux
rôle, assurément très important, joué
syndicalisme dans l'Evolution économique du
nous entraînerait au delà des limites possibles
L'examen du
par
le
monde
d'un chapitre. Voulant nous restreindre au point le
plus intéressant, nous remanjuerons simplement que
le syndicalisme pourra peut-ètrC; s'il réussit à se débarrasser des anarchistes, s'opposer utilement au développement du collectivisme, forme suprême de l'Etatisme. dans lequel nous nous enlisons chaque jour
davantage et dont le terme ultime serait la misère
dans
l'égalité et la servitude.
ne faut pas oublier, eu ellet, et cesser de répéter,
que le syndicalisme est l'ennemi irréductible du collectivisme. Associer les deux mots, c'est comme si on
chrétiens musulmans ou de cléricaux
parlait de
Il
libres penseurs.
Aux personnes ignorantes de
cette divergence absode doctrines, que persistent à méconnaître les
socialistes, je recommande la lecture d'un opuscule
intéressant, dû à la plume d'un syndicaliste fervent.
M. Edouard Berth. Il y démontre fort bien l'irréductible différence séparant le collectivisme, expression
finale de l'Etafisme, du syndicalisme qui repousse
de toutes ses forces l'intervention de l'Etat. L'auteur
lue
considère, non sans raison, que le développement
du socialisme est une conséquence de la décadence
bourgeoise. Il combat également l'anarchisme qui,
explique-t-il judicieusement. « représente la résistance
au progrès ou la dissolution du progrès ». Quant au
capitalisme si persécuté par les socialistes, les syndicalistes en comprennent parfaitement au contraire la
puissance.
Le syndicalisme, dit M. Hertli, considère
un merveilleux magicien qui a sn. grâce
le
capitalisme
à l'audace
comme
combinée
l'évolution anarchique du syndicalisme
de
de
dormaient
linitiiitive individuelle et
travail social
où
elles
la
225
coopération, faire sortir du
des forces productives
l'infinité
humaines.
De plus en plus
effacés devant leurs rivaux, les
cependant aujourd'hui que le synditravaille à déposséder le parti socialiste de
socialistes savent
calisme
«
ses électeurs ouvriers
>>.
Ces rivalités nous présagent bic-n des combats. Ne
les redoutons pas trop, puisqu'ils sont inévitables
et que la nature n'a pas encore trouvé d'autre moyen
de réaliser ses progrès. La lutte, elle est partout.
Luttes entre les espèces animales, luttes entre les
peuples,
luttes
entre les
individus, luttes entre
mêmes
les
de notre
organisme. Et ces dernières, quoique cachées, sont
justement les plus impitoyables. Il faut donc se résigner à toutes ces batailles que ne sauraient prévenir nos
discours. Le monde marche avec nous ou contre nous
suivant la manière dont nous savons nous orienter.
Les nécessités naturelles nous conduisent, et vainement chercherions-nous à les fuir. On peut les mausexes, luttes enfin entre les cellules
dire.
Il
faut les subir.
LIVRE V
LES ERREURS DE PSYCHOLOGIE POLITIQUE
EN MATIÈRE DE COLONISATION
CHAPITRE
I
Nos Principes de Colonisation.
Les luttes économiques entre l'Occident et rOrienl
sans doute, une des sérieuses préoccupations
du xx*" siècle et entraîneront, fatalement, plus de
ruines et de sang versé que les guerres des temps
seront,
passés.
Dans ce
conflit
de deux civilisations aux
pi'ises, les
colonies sont appelées à jouer un rôle considérable.
On ne
conteste plus, aujourd'hui, l'intérêt que nous
les nôtres. ÎSous ne saurions donc
avons à conserver
rester inditférents à ce qui les concerne.
L'administration des colonies fondées par les
nations européennes, repose sur quelques
principes très précis. Ces principes, engendrés par
l'expérience, et qui devraient, semble-t-il, être généraux, varient, au contraire, d'un peuple à l'autre.
D'un peuple à l'autre est peut-être trop dire, car, en
ce qui touche les méthodes colonisatrices, on peut
distinguer, parmi les puissances européennes, deux
-catégories. Dans la première, nous sommes, nous,
diverses
NOS PRINCIPES DE COLONISATION
~~'i
Français, à peu près isolés, la seconde comprend
la plupart des autres nations. Ces divers pays fondent
(les colonies pour les garder et en tirer profit. Supérieurs à ces préoccupations mesquines, et n'oubliant
pas que notre rôle est de porter aux divers peuples de
la terre les bienfaits de la civilisation, nous préten-
dons
les
gouverner avec nos institutions
Institutions et idées sont
et
nos idées.
malheureusement repous-
avec une complète unanimité. Convaincus de
notre bon droit, nous persistons dans nos doctrines,
et il en sera sans doute ainsi jusqu'à ce qu'une série
suffisante de désastres nous ait solidement prouvé
(ju'en matière de colonisation, nos grands jirincipes
constituent, théoriquement et pratiquement, de lamentables erreurs.
Dans un chapitre de mon livre Les civilisalions do
sées
:
montré les principes directeurs suivis par
l'Angleterre pour la conquête et l'administration de
l'Inde, j'ai
ses colonies,
et
notamment
l'Inde;
comment
cette
dernière avait pu être soumise avec l'argent et les
hommes du peuple conquis; combien elle était sagement administrée; et comment, par l'application d'un
>eul principe psychologique erroné, ce gigantesque
empire échapperait peut-être un jour à ses vainqueurs.
Obligé d'être bref, je me bornerai, dans ce chapitre, à rechercher les idées courantes en France sur
l'administration de notre colonie la plus voisine, l'Algérie, et quelles conséquences peut entraîner leur
application.
Les études sur l'Algérie sont innombrables; mais
d'entre elles, rédigées par des auteurs fort
compétents, résument clairement la moyenne des
opinions admises. L'une a pour auteur un savant
[u'ofesseur du ccrllège de France, M. Leroy-Beaulieu.
l'autre, un ancien consul français, M. Vignon.
Je n'ai pas pour but. dans ce chapitre, d'examiner
en détail les résultats de notre colonisation algérienne; mais seulement la valeur des idées psycholo-
deux
228
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE
giques fondamentales qui ont dirigé et paraissent
devoir diriger longtemps encore notre administration.
Mes critiques porteront donc uniquement sur les principes et nullement sur les hommes qui les appliquent.
Ce sont des nécessités politiques et non des théories
qui dirigent les hommes d'Etat; or, les nécessités sont
de l'opinion. C'est donc à l'opinion qu'il faut s'en
prendre, non aux personnes forcées de la subir et
dont aucune ne serait assez puissante pour gouverner sans elle. La changer sera fort difficile, car si le
peuple français se montre le plus révolutionnaire des
peuples, en apparence, il est peut-être, au fond, le
filles
plus conservateur de l'univers.
L'Algérie, contrée aussi vaste que la France, est un
pays assez peu peuplé. Elle est habitée par six millions de musulmans dévoués à nos institutions, assurent les rapports officiels; mais, en
ment a besoin d'être consolidé par
ce dévoueune armée de
fait,
60.000 hommes, c'est-à-dire à peu près égale à celle
qu'emploient les Anglais pour maintenir sous l'obéissance 250 millions d'Hindous, dont 50 millions de
musulmans bien autrement redoutables et difficiles à
manier que leurs coreligionnaires algériens'.
milieu de cette population musulmane de l'Alévolue une autre de 800.000 Européens
dont la moitié seulement est française; l'autre moitié
est espagnole, italienne, maltaise, etc. Ces éléments
européeiLs, d'origines si diverses, ne se croisent pas
Au
gérie en
avec les Musulmans, mais seulement entre eux, et le
jour est proche où il résultera de ces mélanges une
l>opulation nouvelle à caractères bien tranchés et
1.
Beaucoup de musulmans de
l'Inde sont
d'ailleurs
de
purs
Arabes.
On
rencontre surtout dans l'empire du Nizam. A Hyderabad, ils forment une
population tellement fanatique et dangereuse, que le gouvernement anglais a
pris le parti d'interdire absolument aux Européens de traverser les rues sans
les
et sans escorte. C'est, du reste, un principe général, aux Indes,
d'empêcher autant que possible le contact des indigènes et des Européeas.
Chaque cité comprend toujours deux parties souvent séparées par plusieurs
cette dernière
kilomètres de distance, la ville indigène et la ville européenne
forme ce qu'on appelle le cantonnement.
autorisation
:
229
NOS PRINCIPES DE i.OLOMSATION
dont les intérêts seront, nalurelltmenl. ceux de l'Albeaucoup plus que ceux de la métropole. Elle
apparaît un peu déjà, cette métropole, comme une
sorte de banquier naturel destiné à gratifier le pays
de chemins de fer, d'établissements publics et de
subventions variées.
gérie,
Quant aux musulmans, constituant
majeure partie
la
de la population, ils contiennent des descendants
de tous les conquérants africains; mais le fond paraît
être formé principalement de deux tiers de Berbères
et d'un tiers environ d'Arabes. Les différences entre
eux sont assez faibles; la seule présentant quelque
importance est la division en sédentaires et en
nomades. Nous verrons plus loin que, contrairement
à une opinion très répandue, Arabes et Berbères
fournissent des éléments à ces deux classes.
Le livre de M. P. Leroy-Beaulieu pourrait se
résumer en un mot, traduction exacte, d'ailleurs, des
idées régnantes en France sur l'Algérie
Franciser lés
:
musulmans
((
».
Le système politique suivi jusqu'ici pour franciser
ou conquérir moralement ces musulmans est d'ailleurs d'une barbarie voisine du procédé des primitifs Américains à l'égard de ces Peaux-Rouges,
qu'on
dépouillait de leurs
territoires
de chasse en
leur laissant la pleine liberté de mourir de
faim.
peu de choses près notre méthode adminisdu refoulement fort bien décrit par M. Vignon
C'est à
trative
:
L'administration, dit-il, voyant les gouverneurs généraux
confisquer une partie des terres des tribus après chaque insurrection, pensa qu'elle pouvait en toute justice faire choix des
meilleures terres pour les colons et « refouler » les indigènes.
A mesure que l'élément européen se développait, les indigènes
étaient renvoyés de l'héritage de leurs pères, dos tribus entières
transportées loin de la région qui était en quelque sorte leur
patrie... Les résultats d'une pareille politique suivie pendant
plus de trente ans ne pouvaient èln' dou^ux ici, l'Arabe incessamment refoulé, toujours plus incertain de recueillir le fruit
de son travail, ne songeait ni à bien cultiver, ni à améliorer le
sol ; là, privé des terres labourables de sa tribu, de la joui.';;
•
20
230
PSYCHOLOGIE l'OLlTIOUE ET DEFENSE SOCIALE
même de l'accès lie.s cours d'eau, ne pouvant lutter contre
sécheresse, il ne recueillait pas le blé suffisant à sa nourripartout,
ture et voyait ses troupeaux diminuer ou disparaître
enfin, ces mille souffrances entretenaient les haines de l'indigène contre le colon et creusaient, au lieu de le combler, le
fossé déjà profond qui sépare les deux races.
Le sénatus-consulte de IStJo qui déclara les tribus propriétaires des territoires dont elles avaient la jouissance n"a pas rais
fin au système du « refouU'raent », mais il a chanaé de forme
et de nom. Aujourd'hui il sappelle le système de « l'expropriation poiu" cause d'utilitc- puiilique »... Deux traits essentiels
d'une part, il ne procure la terre aux
caractérisent ce système
colons qu'en i'ôtant aux indigènes, il constitue des cercles
exclusivement européens d'où les indigènes sont écartés avec
soin en tant que proprii'-taires d'une autre, il condamne à la
misère l'indigène dépossédé. L'ancien propriétaire du sol reçoit
une indemnité en argent qui est fixée par les tribunaux elle
varie généralement de 50 à 60 francs par hectare. L'indigène se
trouve donc échanger les 30 ou 40 hectares sur lesquels il vivait
aisément avec sa famille contre une somme de 1.500 francs à
2.000 francs, c'est-à-dire qu'au lieu d'un fonds de terre suffisant
à ses besoins pour toute sa A"ie, il n'a plus (ju'un capital qu'il
épuise en une ou deux années.
sance
la
;
:
;
;
Une des plus ét.rani;es applications faites eu Algérie
de l'omnipotente intervention de l'Etat a été la colonisation officielle. Il faut en lire la lamentable histoire dans le livre qui' je viens de citer. On y verra les
conséquences de ces distributions gratuites de terres
à des déclassés de toutes sortes, aussi aptes à cultiver le sol qu'à professer le sanscrit, de ces créations
de villages officiels devenus aujourd'hui des déserts,
etc. Les résultats de cette désastreuse e.xpérience,
et les frais excessifs entraînés par elle,
iront pas
suffi pourtant à éclairer nos administrateurs, puisque,
il y a quelques années, un gouverneur général demandait 50 millions pour exproprier encore des Arabes
et créer d'autres villages en remplacement de ceux
qui avaient si misérablement échoué! Heureusement,
le projet fut repoussé par les Chambres, car il préparait sûrement une nouvelle révolte de la population
musulmane
millions de la
et
un nouveau gouffre pour
Qu'un pareil projet
métropole.
les
ait
NOS PRINCIPES DE COLONISATION
231
pu être proposé, discuté et près d'aboutir, cela
montre à cjuel point l'éducation de l'opinion française demeure encore primitive en matière de colonisation.
Il
n'est pas
surprenant ciu'avec de
telles
expériences
nous coûte excessivement cher. On évalue
ce que nous avons payé pour elle à plus de 4 milliards,
l'Algérie
déduction faite des recettes. Au prix de tant de sacriavons-nous au moins pacifié le pays ? Tâchons
de nous le persuader, mais n'oublions pas que, pour
y conserver une paix relative, il nous faut y entretenir
constamment une importante armée.
fices,
Depuis la conquête de l'Algérie, deux princi])es fondamentaux, alternés suivant les mouvements de l'opinion, semblent avoir exclusivement dirigé notre politique colonisatrice.
L'un consiste à exproprier les
Arabes, puis à les refouler dans le désert: l'autre à
les franciser en leur imposant nos institutions. Les
Arabes ne se sont pas laissé refouler, par l'excellente
raison que le désert ne peut nourrir personne, et qu'avant de consentir à mourir de faim, plusieurs millions
d'hommes commencent généralement par opposer
quelque résistance. Les indigènes n'ont pas plus
accepté d'être francisés que refoulés, parce que jamais
jusqu'ici un peuple n'a pu changer sa constitution
mentale, pour adopter celle d'un autre.
Les deux systèmes sont donc également détestables
et le passage successif de l'un à l'autre ne nous offre
aucune chance de les améliorer. On continuera la
série des ruineuses expériences, jusqu'au jour oi^i
nos gouvernants, enfin éclairés, s'aviseront que laisser au pays conquis ses institutions, ses coutumes'
son genre de vie, ses croyances, comme le font tous
les peuples colonisateurs, les Anglais et les Hollandais notamment, est la plus simple, la moins coûteuse et la plus sage des solutions.
232
PSYCHOLOGIE l'OLlTIOIE ET DÉFENSE SOCIALE
serait
Cette solution
actuellement impossible,
puisque l'opinion publique est contre elle. La conduite de nos administrations, les idées émises dans
les journaux et dans les livres, le prouvent suffisamment.
A peu près dégagés en Occident de l'influence des
croyances religieuses, nous supposons volontiers
(ju'il en est universellement ainsi. Fort peu d'auteurs
européens ont compris qu'en Orient la question religieuse prime toutes les autres. Institutions civiles et
politiques, vie publique ou privée sont, pour les disciples de Mahomet, comme pour ceux de Siva ou de
Bouddha, uniquement régies par la loi l'eligieuse.
Manger, boire ou dormir, ensemencer son champ,
recueillir sa récolte, constituent chez l'Oriental des
actes religieux. Les Anglais le comprennent si bien
(jue, malgré leur protestantisme rigide, ils restaurent
aux Indes les pagodes, entretiennent largement les
prêtres de Siva et de Yichnou, et ne favorisent nullement le zèle de leurs pi'opres missionnaires. On
chercherait vainement sous le ciel britannique des
avocats pour soutenir qu'une colonie doit périr plutôt
(|u"uii
principe.
Protéger la religion musulmane, nous appuyer sur
les congrégations influentes, fortifier l'autorité des
prêtres musulmans au lieu de la combattre et de l'affaiblir, aurait dû être la base de notre politique. Le
l)remier résident français. à Tunis, un des bien rares
gouverneurs ayant su s'assimiler les choses de l'Orient,
et qu'on s'est d'ailleurs empressé d'en retirer, faisait
preuve d'un sens politique très profond quand il suggérait au bey de Tunis la promulgation de décrets religieux pour affirmer aux yeux des croyants la légitimité
des mesures qu'il voulait imposer.
Respecter les coutumes religieuses des Arabes,
c'est respecter toutes leurs institutions, ces dernières
dérivant uniquement, comme je le disais plus haut.
des croyances religieuses. M. Leroy-Beaulieu réprouve
233
NOS PRINCIPES DE COLONISATION
cette politique qu'il qualifie de politique d'abstention
respect complet des coutumes, des
de ce que l'on a appelé la
nationalité arabe exigerait que notre armée et nos
colons quittassent l'Afrique ».
et
ajoute que
« le
traditions, des
Pourquoi
le
mœurs
respect des
mœurs
et
coutumes arabes
armée et
entraînerait-il le départ obligatoire de notre
de nos colons? L'auteur oublie totalement de nous
le dire. Je crois qu'il aurait grand'peine à étayer son
opinion d'aucune raison sérieuse. La politique défendue ici est celle adoptée à l'égard des musulmans par
les Anglais aux Indes sans que ces derniers paraissent nullement disposés à abandonner leur immense
empire.
Les mesures conseillées par M. Leroy-Beaulieu sont
bien conformes à nos idées d'égalité universelle. Elles
consistent dans « la fusion de l'élément indigène avec
l'élément européen ». Cette fusion est représentée
comme « un état de choses oi^i les deux populations
d'origine différente seraient placées sous le même
régime économique et social, obéissant aux mêmes
lois générales, et suivraient dans l'ordre de la production la même impulsion ».
Le tableau apparaît séduisant sur le papier. C'est
le rêve égalitaire de nos théoriciens de 93 et d'auIl
ferait un peu sourire le plus modeste
employé du service civil des Indes. On peut être un
savant remarquable sans soupçonner l'abîme qui
jourd'hui.
sépare la pensée et les sentiments d'un Oriental de
ceux d'un Occidental.
L'auteur prévoit bien quelques obstacles à sa politique de fusion, mais les surmonte aisément. D'abord
il assure, toujours sans dire sur quelles observations
s'appuie son assertion, que « les Kabyles ne diffèrent
des Européens que par un point, la religion ».
Quelle erreur! On serait plus près de la vérité en
disant qu'entre l'Européen civilisé et le Berbère
actuel,
la
différence est aussi considérable qu'entre
20.
'
234
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
et un Parisien de
nos jours.
Les Berbères, suivant M. Leroy-Beaulieu, étant
identiques aux Européens, les Arabes, seuls, resteraient à franciser. La chose lui parait fort simple
« Il faudrait, explique l'auteur, radicalement modifier
le système de la tribu, de la propriété collective,
de la famille polygame. Ces trois points obtenus, il
ne resterait plus que des détails dont on viendrait à
bout avec le temps. »
Ces petites transformations, qui réjouiraient assurément les plus purs des socialistes, semblent si
faciles à l'auteur qu'il ne juge même pas utile d'indiquer le moyen de les opérer. Je crois cependant
que pour toute personne un peu familiarisée avec
l'étude de la constitution mentale des Arabes, réaliser de telles modiOcations n'offre guère moins de
difficultés que de changer un indigène australien
en professeur au Collège de France, ou d'apprendre
à voler à un batracien.
M. Leroy-Beaulieu n'est pas tendre d'ailleurs pour
les Arabes, qu'il parait considérer comme une collection de sauvages. Leur organisation est simplement,
suivant lui, «l'ancienne constitution de tous les peuples
pasteurs ». L'auteur croit évidemment que tous les
Arabes sont des pasteurs, et les Berbères des séden-
un Gaulois du temps de lirennus
:
taires.
En
réalité,
nomades
et
sédentaires subsistent
chez les deux peuples. Les plus purs des Berbères, les
Touaregs, sont exclusivement nomades. En lisant ce
qu'écrivait Ibn Khaldoun au xiv* siècle, on voit que
cette division des Berbères de l'Algérie en sédentaires
et en nomades ne date pas d'hier i.
Depuis les temps les plus anciens, dit Ibn KhalJoun, cette race d'hommes
Berbères) habite le Maghieb, dont elle a peujjlé les plaines, les montagnes,
les plateaux, lus régions mariiimes, les cam])agnes et les villes. Ils construisent
1. «
lies
leurs demeures, solide pierres, soit d'argde, soii de
ou
et
loseanxetde broussailles,
de chameau. Ceux d'entre les Bejbères qui
la puissance et qui dominent les autres s'adonnent à la vie nomade
parcourent avec leurs troupeaux les pâturages auxquels un court voyage peut
bien
de
jouissent de
toiles faites
de
poil
NOS PRINCIPES DE COLONISATION
235
Les distinctions faites autrefois par quelques auteurs
entre Berbères et Arabes, au point de vue de l'aptitude à la civilisation, reposaient sur des observations
fort superficielles et ne sont plus soutenables aujourd'hui. Il y a, je le répète, parmi les Berbères, des
sédentaires et des nomades, comme il y en a parmi
Arabes. Le mode d'existence dépendant du milieu,
ces deux formes de la vie sociale résultent de la
nature du sol et non de la race. Dans les plaines
les
sablonneuses, Arabes et Berbères sont nomades;
les régions fertiles ils sont sédentaires. On
trouve des Arabes nomades et des Arabes sédentaires en Algérie, aussi bien qu'en Egypte, en Syrie et
en Arabie.
Des Berbères sédentaires et des Arabes sédentaires,
je ne vois guère qui l'emporte comme développement
intellectuel. Si l'on devait pencher d'un côté, ce serait
plutôt vers les Arabes, possesseurs jadis d'une civilisation très haute, alors que celle des Berbères fut
toujours assez rudimentairc^.
La réforme sur laquelle M. Leroy-Beaulieu insiste
le plus
mais toujours en oubliant de nous indiquer
son mode d'application pratique
est la suppres-
dans
—
—
ils m: quiUeut l'inlérieui' du Tell pour entrer dans les vastes
Us gagnent leur vie à élever des moutons et des bœufs,
réservant ordinairement les chevaux pour la selle et pour la propagation de
l'espèce. Une partie des Beriieres nomades l'ail aussi métier d'élever ues chameaux, se donnant ainsi une ocLU)ia ion qui est plutôt celle des Arabes. Les
Berbères de la classe pauvre tirent leur si'.bsistaiice du produit de leurs champs
et des bestiaux qu'ils élèvent chez eux; mais la haute classe, celle qui vit en
nomade, parcourt le pays avec ses chameaux, et toujours la lance en main, elle
^'occupe également à multiplier ses troupeaux et à dévaliser les voyageurs. »
lus aiiieiior
plaines du
;
jamais
désert.
1. Au point de vue moral, les Berbères paraissent même très inlérieurs aux
Arabes. Les premiers sont célèbres depuis la plus haute antiqiiité par leur perfidie. Ils étaient nombreux sans doute dans les armées cai ihaginidses et ont dû
'miributr certainement à la mauvaise renommée de la foi punique. Lorsque
Mouza, conquérant arabe de l'Espagne, fut interrogé par le calite de Damas
sur les Berbères haijitant les provinces qui forment l'Algérie actuelle, il lui en
lit le tableau suivant que beaucoup de personnes trouveiont encore
très exact
« ils ressemblent fort aux Arabes dans leur manière d'attaquer, de combattre;
huspilaliers entre eux, mais ce sont le» gens les
ils sont patients, sobres et
plus perlides du monde ; promesses ni parole ne sont sacrées pouf eux. »
'
:
.
236
PSYCHOLOGIE POLITIQIE ET DEFENSE SOCIALE
sion de la polygamie.
Il
nous développe
les
avantages
monogamie et révèle à ses contemporains que
« le ménage est essentiellement le domaine de la
femme unique sans elle l'âme de la famille manque,
de
la
;
et le ressort de la prospérité
C'est là
de
la
une des grandes causes de
maison
la
est absent.
stagnation où se
trouve la société arabe «
Je ne veux pas entrer dans le fond de la question
et objecter que tous les Orientaux étant polygames,
il faut bien
quelques puissants motifs à cette coutume. Je ne ferai pas remarquer non plus que la
polygamie légale des Orientaux vaut bien la polygamie hypocrite des Européens et son cortège de
naissances illégitimes. On i)Ourra trouver des développements suffisants sur ces questions et quelques
autres dans mon Histoire dr la civilisation des Arabes'^
et y voir aussi que sous la domination arabe, les
harems ont produit autant de bas-bleus illustres et de
femmes savantes (jue nos lycées de filles.
Il est bien démontré aujourd'hui que la polygamie
n'a jamais causé la stagnation des musulmans. Est-il
nécessaire de rappeler que les Arabes, et les Arabes
seuls, nous ont révélé le monde gréco-latin, et que les
universités européennes, y compris celle de Paris, ont
pendant six cents ans vécu exclusivement des traductions de leurs livres et de l'application de leurs
méthodes? La civilisation arabe fut une des plus brillantes qu'ait connues l'histoire. Elle est
morte
comme
bien d'autres; mais ce serait se contenter d'explications par trop superficielles que d'attribuer à la polygamie les conséquences de facteurs d'une tout autre
importance.
On ne saisit pas très bien d'ailleurs les motifs de
l'animosité du vertueux professeur contre la polygamie, puisqu'il nous annonce qu'elle est restreinte
aux familles riches, et perd du terrain. Si elle devient
1.
Un
vol. in-4'' de
750 pages.
—
Vuli.
Didol, 18S4.
NOS PRINCIPES DE C0L0.\'1SATI0N
237
rare ol de si peu d'influence, pourquoi donc alors
vouloir la supprimer, et comment justifier que cette
si
coutume puisse être « une des grandes causes de
stagnation où se trouve la société arabe » ?
la
Leroy-Beaulieu range notre éducation latine
les principaux moyens d'action sur les Arabes.
C'est là, du reste, une opinion générale aujourd'hui,
que j'ai partagée comme tout le monde, et dont il
m'a fallu beaucoup de voyages et d'observations pour
me dépouiller complètement. Bien que ne pouvant
espérer convertir à mes idées un seul lecteur français, le sujet est trop grave pour que je ne dise pas
toute ma pensée. Elle sera exposée dans un prochain
chapitre. On y verra que loin d'améliorer la condition
des indigènes, l'instruction européenne n'a d'autre
résultat que de les rendre moralement et matériellement tout à fait misérables.
Les raisons psychologiques du déplorable effet
produit sur des races relativement inférieures ou, du
moins, différant profondément de celles de l'Europe par
notre éducation européenne n'étaient pas impossibles
à prévoir. Cette éducation adaptée par des transformations séculaires à nos sentiments et à nos besoins
ne pouvait l'être à des sentiments et à des besoins
différents. Ses premiers résultats sont de dépouiller
brusquement l'Arabe, l'Hindou ou un Oriental quelconque des idées héréditaires sur lesquelles sont fondées ses institutions et ses croyances, base de son
existence. Si le rêve de M. Leroy-Beaulieu et de tous
les auteurs qui prônent l'éducation européenne des
M.
parmi
Arabes s'accomplissait, l'Algérie serait pour nous ce
que fut laVénétie pour l'Autriche, ce qu'est l'Irlande
pour l'Angleterre, l'Alsace {)0ur l'Allemagne.
Nos historiens gémissent quelquefois dans leurs'
livres de la perte de l'Inde, jadis en partie conquise
par le génie du grand Dupleix. Ne la regrettons pas
trop. Gouvernée comme nous gouvernons Pondichéry
et nos autres colonies, c'est-à-dire avec les principes
238
PSYCHOLOGIE l'OLITIOIE ET DEFEiNSE SOCIALE
exposés par M. Leroy-Beaulieu, l'Inde, rapidement
mise à feu et à sang, n'eût pas lardé à nous échapper.
On a recommencé en Indo-Chine ^ exactement les
mêmes lourdes fautes qui rendent partout notre
domination si intolérable et si ruineuse. Nous envoyons
administrer des Orientaux par des agents politiques
qui les traitent à la façon d'un département français, avec une armée de fonctionnaires, n'ayant pas
les notions les plus vagues des mœurs et des coutumes du peuple indigène, et le heurtant à chaque
instant. Alors, que notre grande colonie devrait rapporter 200 millions par an à la métropole, suivant
l'assertion d'un ancien gouverneur, M. Harmand. nous
continuons à y semer millions et soldats, sans autrt'
résultat que de nous faire profondément haïr, perdre
tout prestige et montrer une fois de plus au monde
notre désolante incapacité à comprendre quelque
chose aux besoins, aux sentiments et aux idées des
races étrangères et, par conséquent, à les gouverner.
Le danger apparaît donc clairement de vouloir
imposer aux indigènes des colonies des institutions.
et des besoins de peuples diiïérents. Nous
pouvons ajouter, d'ailleurs, que pareille tâche est
impossible et qu'aucune nation n'a jamais réussi à la
réaliser. Le vernis provisoire de l'éducation européenne modilie fort peu l'indigène. Causez quelque
temps avec des lettrés hindous, élevés dans les écoles
anglo-indiennes, vous constaterez, malgré une instruction à peu près égale à celle du bachelier ou du
des idées
licencié européen, l'abîme subsistant entre leurs idées
1.
une
En Indo-Chine
et paj'loul.
série d'arlieles où
il
Le D'
Colin a publié sur
le
Sanégal
el le
Soudan
raonir« les tristes résultats de notre incurable manie
de vouloir imposera tous les peuples nos institutions. « En nous attaquant prématurément à lorganisaiion de la souiélê nègre, dit lauleur, nous aurons la
guerre, la guerre perpémelle et sans mer<;l, et nous trouverons devant nous tous
les peuples l'étiL-histes et masuhnans, sans compter (jue les esclaves eux-mêmes
seraient contre nous. »
239
NOS PRINCIPES DE COLONISATION
de longs siècles aux Barbares
du monde romain, une
civilisation, une langue et des arts adaptés à leurs
besoins. Ces grandes transformations, le temps seul
peut les accomplir.
L'histoire prouve que deux civilisations trop différentes, mises en présence, ne se combinent jamais.
Les peuples conquérants qui ont pu en influencer d'autres sont uniquement ceux dont les sentiments, les
idées, les institutions et les croyances ne présentaient
pas de divergences trop accentuées. Les Orientaux agissent aisément pour celte raison sur des Orientaux, mais
jamaisles Occidentaux n'ont pu acquérir d'action sur eux.
Tel est le secret de l'influence immense exercée par
les Arabes en Orient, et qu'ils possèdent encore en
Afrique, en Chine et dans l'Inde. Partout ils ont réussi
sans effort à faire adopter aux })euples en contact avec
eux les éléments les plus fondamentaux de leur civilila religion, la lq.ngue et les arts. Implantée
sation
dans un pays, la civilisation musulmane y semble
fixée pour toujours. Elle a fait reculer dans l'Inde des
religions pourtant bien vieilles et rendu entièrement
arabe cette antique Egypte des Pharaons sur laquelle
les Perses, les Grecs et les Romains eurent si peu
d'influence. L'Islamisme compte 50 millions de sectateurs dans l'Inde, 20 millions en Chine, et ce nombre
s'accroît rapidementchaquejour.il conquiert aujourd'hui tout le continent africain, alors que les etîorts
des missionnaires européens échouent misérablement.
L'explorateur européen, parvenu à grand'peine au
centre de l'Afrique, trouve des caravanes d'Arabes laissant derrière elles leur religion et souvent leur langue.
Les Européens peuvent être des colonisateurs
habiles
mais, depuis Rome, les seuls peuples réellement civilisateurs ont été les musulmans. Seuls*
en effet, Hs réussirent à faire adopter à d'autres
races les éléments essentiels d'une civilisation
la
et les nôtres.
Il
fallut
[lour se créer, avec les débris
:
;
:
reliiïion. les institutions et
les arts.
240
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
Les Européens parviennent assez aisément, comme
Anglais dans l'Inde, à dominer un peuple inférieur; mais modifier sa mentalité, il n'y faut pas
songer. L'écart entre nos sentiments, nos besoins et
les leurs est trop considérable pour que les étapes
en puissent être brusquement franchies. La civilisation adaptée à nos besoins ne l'est nullement aux
leurs notre vie factice, nos inquiétudes perpétuelles,
nos révolutions fréquentes, nos nécessités artificielles
et le travail incessant qu'elles entraînent, la vie de
l'ouvrier de l'usine ou des mines, péniblement attelé
à un dur labeur et ne possédant de la liberté que le
mot. rien de tout cela ne le tente. Je fus toujours
frappé, dans mes voyages, de constater que les lettrés
orientaux, ayant visité l'Europe, étaient les moins
séduits par notre civilisation. 'Je n'en ai jamais connu
qui n'aient considéré l'Oriental comme beaucoup
plus heureux, i)lus honnête et plus moral que l'Européen tant qu'il n'a pas subi son contact. Le seul
résultat de notre civilisation sur les Orientaux est
de les dépraver et de les rendre misérables.
Impossible d'insister longuement sur les vérités qui
précèdent. On ne peut qu'énoncer brièvement ici des
les
;
dont le développement exigerait un volume.
Pour en revenir à M. Leroy-Beaulieu. j'ai l'espoir
qu'en y réfléchissant il reconnaîtra que l'idée de franciser un peuple demi-barbare en lui inculquant notre
idées
éducation, théorie si générale encore en France, n'est
véritablement plus soutenable par un savant. Laissons de telles idées aux démagogues socialistes. On
n'a plus aujourd'hui le droit d'ignorer que les institutions d'une race ont un enchaînement nécessaire,
qu'elle ne peut pas les choisir à volonté, mais doit
subir celles en rapport avec ses besoins et imposées par son évolution. Inutile de rechercher la civilisation théoriquement la meilleure pour une nation,
mais bien
celle qui lui convient.
Je n'ai cessé depuis vingt ans de répéter les vérités
NOS PRINCIPES
DI"
COLONISATION
2Ai
qui précèdent. Elles commeuceiit. bien que très lentement, par faire leur chemin. Dans son remarquable
ouvrage, Domination et (olonisalion, un des hommes
avec les choses de l'Orient, M. l'ambassadeur Jules Harmand. s'exprime de la façon sui-
les plus familiers
vante
:
plus grande des erreurs et la plus fatale pour le
et pour ses sujets de ne pas reconnaître qu'il y a
des races et des sociétés supérieures de pa'' la nature et par
l'accumulation des circonstances évolutives, qu'il y en a d'autres
moins favorisées, et que plus la distance qui les sépare est
grande et moins il est possible de les i-approcher par des lois
C'est
la
conquérant
communes
et
par les
mêmes
...Ce sont ces convictions,
procédés de culture.
dictées par l'observation des faits,
doivent inspirer la conduite des Européens dans leur
expansion lointaine, accomplie par la domination des peuples
si différents d'eux-mêmes. Leur application seule, résolument
désassimilatrice, systématiquement respectueuse de la constitution mentale de ces peuples, des organisations politiques et
sociales qui sont la résultante de leurs besoins matériels et
moraux, peut être profitable en même temps au dominateur et
au sujet, et justifier ces vastes et difficiles entreprises.
qui
Nos hommes politiques sont pour
loin encore de ces idées.
la
plupart
très
Couramment des adminis-
trateurs font traduire et afticher, dans les pays bar-
bares qu'ils gouvernent, la proclamation des Droits
de Vhomme, pour se concilier les populations envahies et leur faire apprécier les bienfaits de nos institutions. Cette enfantine conception donne l'exacte
mesure de leur mentalité en matière de colonisation.
A
nos méthodes d'assimilation forcée se joignent,
les colonies un peu éloignées, des procédés
d'autocratie jacobine, qui les rendent rapidement
inhabitables pour des Européens. Le moindre petit
gouverneur
fruit sec de la politique le plus souvent
se croit un potentat et .se conduit en despote
dans
—
asiatique.
—
*
242
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
Le Matin du 29 mars 1910 contenait à ce sujet
une correspondance d"un voyageur à la Guyane dont
voici
un
extrait
:
Les hauts fonctionnairf.s e-nvoyiis de
la
métropole
m,'
passent
que pour amorcer une aSaire ou une candidature. S'ils séjournent un peu, ils sont en proie à la folie autocratique, promulguent des ukases effarants, ordonnent des arrestations, séquestrations, expulsions, répandent la terreur, préparent la révolte.
Quand, à la dernière extrémité, le gouvernement central les
rappelle, c'est pour les envoyer ailleurs en fructueuse mission.
Pour le malheureux colon, nulle sûreté; politiquement, l'arbitraire; commercialement, l'arbitraire. L'interprétation variable
des tarifs de douane permet à l'administration de ruiner Pierre
au bénéfice de Paul. Nulle garantie pour' Tavenir d"une entreprise. Vous achetez des terres pour y planter des cacaoyers, sur
lesquels on vous promet une prime de 80 centimes quand ils
seront en rapport; vous engagez vos capitaux le moment venu,
il
se trouve que la prime est réduite à 3(J centimes, et qu'au
surplus il n'y a pas de crédits au budget pour la payer. Vous
réclamez on vous objecte « L'administration n'est pas allée
vous chercher en France: que venez-vous faire ici? »
:
;
:
de deviner à quelle misérable situation,
procédés ont conduit ces colonies. Le
résultat est rendu frappant, par la comparaison avec
des pays voisins. Alors que la Guyane anglaise et la
Guyane hollandaise ont atteint un haut degré de pi'ospérilé, la Guyane française retourne à l'état sauvage.
J'ai déjà montré dans un précédent chapitre, en
reproduisant des fragments d'une circulaire du gouverneur actuel de la Côte-d'Ivoire, combien étaient
maladroitement féroces nos méthodes de colonisation
et à quel point elles avaient exaspéré les populations.
L'n journal anglais, YAfrican Mail faisait justement
remarquer que les révoltes de toutes ces peuplades,
auxquelles nous prétendons imposer par la violence
les bienfaits de notre civilisation, étaient fatales.
Il
est aisé
semblables
Les autorités récoltent ce qu'elles ont semé, et depuis deux
ans la Càte-d"lvoire est le théâtre de combats incessants aboutissant à \\n état de choses, presque sans précédent, dans les
annales de l'Afrique occidentale moderne.
On peut tirer de' ce qui se 'passe actuellement à la Côte-
243
NOS PRIN'CIPES DE COLONISATION
ijlu.sieiii.s leçons, dont la principale rst la folie ([u'il y
a à frapper d'impôts les tribus des forêts qui n'ont substantiellement rien gagné à l'occupation européenne. Une telle politique
ne peut être appliquée que par des méthodes brutales: incendies
de villages, raids sauvages et incidents déshonorants.
Lorsqu'une administration civilisée exhibe sur des lances les
têtes des cliefs indigènes rebelles pour montrer ses prouesses,
lorsqu'elle hypothèque les récoltes des villages indigènes pour
le paiement de ses impôts, on ne peut guère se montrer surpris
que les communautés indigènes soient préparées à courir le
risque d'une destruction complète pour secouer un joug si
odieux.
d'Ivoire
—
Comme
—
d'ailleurs médiocre
de
consolation
coloniaux, nous pouvons dire que les
Allemands ne furent pas plus heureux. Les Belges ont
employé des procédés aussi durs que les nôtres,
mais, possédant en plus beaucoup de méthode et des
'nos insuccès
hommes capables, ils ont su retirer de leur grande
colonie du Congo d'immenses richesses. N'ayant nullement la prétention
toujours un peu hypocrite
d'être les bienfaiteurs de l'humanité, ils se sont bornés
à devenir les bienfaiteurs de leur propre pays. C'est
généralement le seul but qu'on puisse se proposer et
obtenir en matière de colonisation.
—
—
CHAPITRE
Résultats psychologiques de
péenne sur
les
II
l'Éducation euro-
Peuples inférieurs.
Nous venons d'étudier les idées françaises reçues
en matière de colonisation. Abordant la question sous
un point de vue plus spécial, nous allons maintenant
rechercher quelle influence notre civilisation européenne, nos institutions, notre éducation, peuvent
exercer sur les populations indigènes des colonies.
Ce sujet a toujours été, en France, l'objet de débats
passionnés, et ou sait la voie funeste dans laquelle
l'opinion et les pouvoirs publics se sont engagés pour
tenter d'en trouver la solution.
Il
n'est question que de franciser les Arabes de
l'Algérie, les populations jaunes de l'Indo-Chine, les
nègres de la Martinique; d'imposer à ces colonies nos
mœurs et nos lois, de les transformer en véritables
départements français.
La France ne se trouve pas seule d'ailleurs intéressée à l'étude de ce grave problème. Il est essentiellement international, et s'est posé ou se posera tôt
ou tard chez toutes les nations possédant des colonies,
c'est-à-dire dans l'Europe entière.
Les principes généraux que je défends n'ont jamais
rallié, dans notre pays, de nombreux sutfrages. Pour
persister à les soutenir, il faut avoir acquis cette conviction profonde, résultat de nombreux voyages, que
l'application soutenue de ces principes assure aux
RÉSULTATS DE l'ÉDL'CATIOIV EUROPÉENNE
245
colonies anglaises et hollandaises la persistante prospérité dont elles jouissent. Régies par des méthodes
psychologiques fort différentes, les nôtres se trouvent
dans une situation fort peu brillante, si l'on s'en rapporte à la statistique, aux plaintes unanimes de leurs
représentants, enfin aux charges toujours croissantes
qu'elles imposent à notre budget.
Des divers facteurs de la civilisation, celui supposé
plus important est l'éducation
C'est le seul que
nous nous proposions d'étudier maintenant.
Les résultats de l'éducation européenne sur les indigènes ne peuvent être considérés comme concluants
que lorsqu'ils résument des tentatives faites pendant
de longues années sur un nombre considérable d'individus. Si je citais, dès le début, les expériences accomplies dans nos propres colonies françaises, en Algérie,
par exemple, on pourrait me répondre qu'elles ont
été exercées sur une trop petite échelle. Il est donc
nécessaire d'appuyer l'observation faite dans nos colonies par d'autres recueillies ailleurs. C'est pourquoi
nous parlerons d'abord des expériences d'éducation
européenne tentées aux Indes par les Anglais.
L'essai a porté sur une population de 250 millions
d'hommes; il dure depuis soixante-dix ans. C'est une des
plus gigantes({ues expériences qu'ait connues l'histoire.
Ce fut en 1835, sous l'inspiration de lord Macaulay,
alors membre du Conseil du Gouvernement général à
Calcutta, que commença l'éducation anglaise de l'Inde.
le
!
Les livres et les sciences de l'Inde paraissant tout à
méprisables à l'éminent homme d'Etat, comparés
à la Bible et aux ouvrages anglais, devaient être, suivant lui. rigoureusement bannis de l'enseignement.
Grâce à son influence, le gouvernement de lord Bentinck décida qu'on enseignerait exclusivement, dans
les écoles anglaises de l'Inde, la littérature anglaise et
les sciences européennes.
fait
24G
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
L'expérience se continue dei)iiis cette époque; l'Indt^
possède aujourd'hui quatre universités européennes.
130.000 écoles et 3 millions d'élèves. Plus de 50 rail
lions sont consacrés à cet enseignement. Un tiers de
cette
somme
est destiné
aux écoles primaires,
le reste
à l'enseignement secondaire et aux universités.
Au
point de vue de l'utilité pratique immédiate,
pour obtenir à bas prix les milliers d'agents
subalternes nécessaires aux Anglais dans leurs admi-
e'est-à-dire
nistrations
bureaux,
:
postes,
etc.. l'utilité
télégraphes, chemins de fer,
des résultats obtenus n'est pas
contestable. Les écoles anglaises fournissent surabon-
damment un
contingent d'employés que les Anglais
Europe à des prix
vingt fois supérieurs.
Mais ce point de vue n'est pas le seul. Il faut se
demander encore
premièrement si les individus
imprégnés de cette éducation anglaise sont devenus
amis ou ennemis de la puissance qui les en a dotés,
seraient obligés de se procurer en
:
secondement
si
l'instruction
européenne élève leur
intelligence et développe leur moralité.
A ces questions, la réponse théorique ne semble
d'abord pas douteuse. L'instruction n'est-elle pas
considérée comme une sorte de ])anacée universelle?
Capable de rendre tant de services en Europe, ne
doit-elle pas en rendre d'aussi appréciables aux Indes,
chez un j)euple dont la civilisation était déjà ancienne
et très développée ?
Les résultats de l'expérience ont été diamétralement
opposés aux indications de la théorie. A la profonde
stupéfaction des professeurs, l'instruction européenne
n'a fait que déséquilibrer entièrement les Hindous et
leur enlever l'aptitude au raisonnement, sans parler
d'un énorme abaissement de la moralité, dont j'aurai
m'occuper plus loin.
Les partisans de l'éducation européenne ne songent
plus à le nier aujourd'hui. Leur opinion peut se résumer dans les citations suivantes, empruntées à un livre
à
.
BÉSULTATS DE L'ÉDUCATION EUKOPÉENNE
247
de M. Monier Williams, jadis professeur de sanscrit
Oxford, et qui a
comme moi
visité l'Inde
en tous sens
à
:
Je dois avouei' en toute vérité, dit-il, que je n'ai pas été
favorablement impressionné par les résultats généraux de
notre campagne éducatrice. J'ai rencontré un grand nombre
d'hommes mal instruits et mal formés, c'est-à-dire sans force
<lans le caractère et sans équilibre dans l'esprit. De tels hommes
peuvent avoir appris beaucoup dans les livres mais s'ils pensent
par eux-mêmes, leur pensée est sans consistance. La plupart
d'entre eux ne sont que de grands baA'ards. On les croirait
atteints d'une sorte de diarrhée verbale. Us sont incapables
<run effort durable ou, s'ils ont la force d'agir, ils agissent en
dehors de tout principe arrêté, et comme entièrement détach<-s
de ce qu'ils disent ou écrivent.
...
Ils abandonnent leur propre langue, leur propre litlépropre philosophie, les
rature, leur propre religion, leur
règles de leurs propres castes, leurs propres coutumes consacrées par les siècles, saps pour cela devenir de bons disciples de nos sciences, des sceptiques honnêtes ou des chré;
;
tiens sincères.
nous fabriquons ce qui s'appelle
il
se tourne contre nous
au
lieu de nous remercier pour la peine que nous avons prise à
son sujet, il se venge sur nous du tort que nous avons causé à
son caractère, et il fait servir l'imparfaite éducation reçue en
...
Après beaucoup
un indigène
d'efforts,
instruit. Et aussitôt
;
l'employant contre ses maîtres.
La pauvreté mentale de l'indigène instruit n'est
égalée que par son incurable manie de discourir à
tort et à travers. Il abordera le premier Européen
rencontré pour lui demander gravement, et sans
attendre d'ailleurs les réponses, s'il préfère Shakspeare à Ponson du Terrail, si le roi d'Angleterre chasse
le tigre à Londres, et quel est le nombre de ses
femmes.
L'incohérence de ses idées est frappante. Vichnou,
Siva, Jupiter, la Bible, le prince de Galles, les héros
Grèce et de Home, les anciennes républiques,
monarchies modernes, dansent dans son cerveaii
une sarabande elfroyable. Volontiers s'imagine-t il
que le roi d'Angleterre, son premier ministre et le
prince de Galles forment une trinité semblable à
celle de Brahma, Vichnou et Siva. Il interprétera
de
les
la
.
248
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
toutes ses notions nouvelles d'après les conceptions
héréditaires de sa race, les seules auxquelles il puisse
atteindre, malirré ri nfatuation où son éducation anglaise
l'a
plongé.
Le dernier passage de la citation reproduite plus
répond clairement à la question que nous
nous sommes posée l'éducation européenne fait-elle
de l'indigène un ami ou un ennemi du peuple qui la
lui inculque?
Par milliers d'ailleurs pourraient être fournies les
observations du même ordre. On ne trouve guère d'administrateur anglais dans l'Inde qui ne soit solidement
convaincu que la totalité des indigènes élevés dans les
écoles anglaises, deviennent des ennemis irréconciliables de la puissance anglaise, alors que ceux édu(jués dans les écoles hindoues ne lui sont pas hostiles. Ces derniers apprécient au contraire la paix
profonde que leur assure la domination britannique,
domination du reste moins pesante que celle de la race
mogole. sous le joug de laquelle ils vivaient aujiahaut
:
ravant
Pour connaître l'opinion des Hindous élevés à l'eulire les nombreux journaux
le gouvernement anglais est
traité aussi durement que le nôtre par les plus furieux
ropéenne, il sul'lit de
publiés par eux. et où
Il est instructif de voir des Hindous, jadis
remarquables par leurextrème douceur, devenir féroces
aussitôt que l'éducation anglaise les a effleurés. Si
l'Angleterre réussit à maintenir son prestige devant
des attaques semblables, c'est que ces dernières ne
rencontrent nul écho au sein d'une population dont
l'immense majorité ne sait pas lire.
Le cri de guerre des lettrés hindous, instruits par
Devise
« l'Inde aux Hindous! »
les Anglais, est
d'ailleurs dépourvue de sens dans un pays composé
des races les plus diverses, parlant plus de 200 langues
anarchistes.
:
RÉSfl.TATS DE l'ÉDUCATIOX ELROI'ÉEWE
L'iitièrement différentes,
mun,
que
et
249
n'ayant aucun intérêt com-
ne connaissant d'autre unité politique
et sociale
le village et la caste.
Mais
si la
classe nouvelle des lettrés n'est pas encore
très redoutable actuellement, à
cause de son faible
nombre, elle constitue, ce nombre s'accroissant chaque
jour, une sérieuse menace pour l'avenir de la puissance britannique aux Indes.
Les faits cités répondent suffisamment aux deux
questions posées L'éducation européenne élève-t-elle
le niveau intellectuel de l'Hindou? Fait-elle de lui
l'ami du peuple qui la lui inculque? Reste à élucider
ce dernier point fondamental L'éducation européenne
développe-t-elle la moralité de l'Hindou?
La réponse sera catégorique. Loin d'élever le niveau
moral des Hindous, l'éducation européenne l'abaisse
à un degré dont les personnes qui les ont fréquentés
peuvent seules avoir l'idée. Cette éducation transforme
des êtres inoffensifs et honnêtes en individus fourbes,
rapaces, sans scrupules, insolents et tyranniques
envers leurs compatriotes, platement serviles avec
leurs maîtres. Voici comment s'exprime à cet égard
le professeur anglais déjà cité
:
:
:
que les Européens ont des vices
que leurs vertus, et que l'Hindou, quoique rarement
capable de s'assimiler nos qualités, est au contraire très apte à
s'emparer de nos défauts... Des officiers instruits par une longue
expérience, et (jui ont vu s'étendre progressivement notre empire
de l'Inde, m'ont dit que dans les territoires nouvellement
annexés, on n'a jamais constaté d'abord chez les habitants la
Il
faut tenir compte, dit-il,
aussi forts
fourberie, l'amour des procès,
la
fausseté, l'avarice
montraient ensuite d'une façon
devant nos tribunaux comme dans leurs rapports
nous.
défauts,
Mais
qu'ils
c'est surtout le contact
et autres
frappante
officiels avecsi
des employés subal-
ternes, élevés dans les écoles anglaises, qui révèle leur
absence profonde de moralité. L'administration an-
250
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
glaise, parfailement édifiée sur ce point, est obligée
de prendre les précautions les plus minutieuses et de
l'infini les moyens de contrôle pour se
mettre à l'abri des déprédations de ses agents hindous des chemins de fer et des postes.
Pourquoi cette immoralité ne s'observe-t-elle que
chez les indigènes élevés à l'européenne? Simplement
parce que notre éducation, mal adaptée à la constitution mentale de l'Hindou, a eu pour conséquence de
détruire en lui les résultats des influences ancestrales,
d'ébranler les vieilles croyances sur lesquelles se basait
autrefois sa conduite, et de les remplacer par des
multiplier à
théories trop abstraites pour lui. Il a perdu la morale
de ses pères, sans avoir pu adopter celle des Européens. Jadis dépourvu de besoins, sa nouvelle éducation lui en crée une foule, sans lui donner les moyens
de les satisfaire. Il méprise ses frères, mais se sent
méprisé par ses maîtres. Ne trouvant plus de place
dans la société, désorienté et misérable, il devient
forcément l'implacable ennemi de ses éducateurs.
Ce n'est pas l'instruction elle-même, assurément,
mais je le répète, ime instruction mal adaptée à la
constitution mentale d'un peuple, qui produit ces
tristes effets. On peut s'en convaincre par la comparaison des résultats de l'éducation européenne avec
ceux de l'éducation exclusivement hindoue telle qu'elle
se pratique depuis des siècles. Les lettrés hindous,
élevés par des Hindous, sont des hommes instruits,
honnêtes, estimables, dont plusieurs pourraient figurer dans les grandes assemblées savantes européennes,
et dont la conduite pleine de dignité est sans parenb'
avec l'attitude à la fois insolente, et rampante des
sortis des écoles anglaises.
L'inimitié i)Our leurs maîtres, des indigènes élevés
à l'européenne n'est aucunement spéciale à l'Inde.
Hindous
Nous avons commis
les
mêmes
mêmes
erreurs en Indo-Chint^
La preuve en est fournie par l'extrait suivant d'un rapport de M. Klobuet récolté les
résultats.
.
~5l
RÉSULTATS DE l'ÉDLC.ATIOX EUROPÉENNE
kowski. gouverneur de rindo-Ghhie. reprodiiil par Le
Journal du 27 décembre 1909.
Après avoir constaté l'antipathie croissante des
Annamites contre nous, M. Klobukowski ajoute
:
Dans des conversations ou des conférences, on excitait les habicampagnes contre le gouvernement français et les man-
tants des
darins qui collaboraient à notre œuvre.
A côté de ces lettrés, propagateurs dldées aventureuses, la
classe remuante des gradés universitaires sans place, aigris,
froissés dans leur orgueil d'être tenus à l'écart des affaires,
continue à fomenter contre nous, par esprit de caste, une
sourde hostilité. Et parmi eux, se distinguent des jeunes gens
que nous avons vus naître, demi-savants pleins de convoitises,
avides de se produire et de s'élever, disaient-ils, au niveau du
.lapon!
Eclairé par l'expérience sur la valeur de nos idées
latines d'assimilation. M.
coliquement
Klobukowski ajoute mélan-
:
(Je n'est pas toujours aider au progrès des peuples placés sous
notre influence que prétendre substituer nos coutumes à leurs
rites séculaires et nos conceptions sociales à leurs traditions
et
fortes
pratiques,
telle,
par exemple, et en première
ligne, l'admirable commune annamite, cette cellule originelle de
organisme national, dont une tendance trop fréquente de notre
administration à l'intervention directe a souvent faussé oii même
entravé le fonctionnement.
Il
ne faut toucher que d'une main fort légère à l'œuvre de
le temps,
loin d'effriter cet édifice,
générations successives
d'une originalité d'ailleurs saisissante, où s'abritent les mœurs
et la législation d'un peuple, le consolide au contraire
ce fut
ime erreur grave
et,
nous le voyons aujourd'hui, d'une
de procéder, dans le domaine polirépercussion lointaine
tique et administratif, à des innovations hâtives et trop brusques,
risquant de contrarier des habitudes invétérées.
I
;
—
;
—
Quittons ces pays lointains et arrivons à la plus
importante de nos colonies. l'Algérie. La majorité des
]»oliticiens français tombent d'accord pour proposer
c'est l'expression consacrée
au
de la franciser
moyen de l'éducation. Il s'agit sans doute ici de races
l)ien différentes de celles de l'Inde. Voyons cependant
—
—
252
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
si les expériences déjà accomplies en Algérie peuvent faire espérer des résultats meilleurs que ceux
obtenus par les Anglais dans leur grand empire asia-
tique.
assez
est
Il
ment sur
les
de
difficile
musulmans
expérimentale-
vérifier
algériens la valeur de notre
éducation, car ils ne fréquentent guère nos écoles.
Mais bien que les conséquences observées l'aient
été sur une petite échelle, elles sont déjà suffisamment probantes. En voici quelques-unes, racontées
Les Français
dans un travail de M. Paul Dumas
:
d'Afrique.
En 1868, pendant la famine, M. Lavigene, archevêque d'Alger,
inaugurant en cela son système de propagande, recueillit un
grand nombre d'enfants indigènes abandonnés, garçons et
filles. Cette fondation charitable a donné lieu à lapins instructive,
mais aussi à la plus navrante des expériences. Il n'y a
pas longtemps, me rendant d'Alger à Constantine, j"fus occasion
de causer dans le train avec un ecclésiastique fort distingué,
qui me parut ne plus nourrir aucun espoir au sujet de l'amélioration de cette malheureuse race arabe. Il me raconta l'histoire
lamentable des orphelins de M. Lavigerie. « Quatre mille
enfants environ, me dit-il, lui imt passé par les mains une
presque tous sont
centaine seulement sont restés chrétiens
revenus à l'islamisme. Ces orphelins ont d'ailleurs, en Algérie,
les divers colons bien intentionnés
la plus détestable réputation
qui se sont avisés d'en employer quelques-uns ont dû se débarvoleurs, fainéant?, ivrognes,
rasser d'eux au plus vite
tous les vices, ceux de leur race qu'ils oui
ils synthétisent
sang, et les nôtres par- dessus le
indélébilement dans le
marché. On a eu l'idée de les marier les ims aux autres on
a ensuite installé ces ménages dans des villages spéciaux, on
les a pourvus de terres, on les a outillés, on les a mis dans
le meilleur état pour bien faire. Les résultats ont été lamentables. En 1880, dans un de ces villages, ils ont assassiné leui'
;
;
;
;
;
curé
!
»
L'expérience qui précède, fort connue en Algérie,
est tout à fait caractéristique i»uisqu'elle a porté sur
dans les meilleures conditions
pour subir notre influence, puisqu'ils étaient entière-
•4.000 enfants, placés
ment
soustraits à l'action de leurs parents.
Qu'il s'agisse d'enfants
ou d'adultes, d'instruction
i)ar
253
RÉSULTATS DE l"ÉDL'CATIO\ EUROPÉENNE
de l'école ou d'éducation par le contact
hommes, les résultats ont toujours été
analogues. Aucune discipline n'est plus apte assurément à dompter les âmes que celle du régiment, et
nous ne possédons pas de moyen plus efficace de
fusionner l'Arabe, et le Français que de les enrôler
sous le même drapeau. Or, beaucoup d'Arabes ont
servi dans les régiments d'Algérie, commandés par
des sous-officiers et des officiers français. Ont-ils été
francisés parce contact de plusieurs années? Nullement. Ce sont de très braves soldats assurément-,
mais en déposant l'uniforme, ils se débarrassent du
même coup de leur faible vernis européen.
les
livres
journalier des
Aussitôt libéré, dit l'auteur cité plus haut, notre turco s'est
hâté de reprendre son burnous, il a repris le chemin de son
douar ou de son village, il n'aime toujours que le couscoussou,
il prendra autant
de femmes qu'il lui en faudra et qu'il pourra
en entretenir moralement, il estimera toujours qu'il n'y a qu'un
seul Dieu qui est Dieu, et que Mahomet est son prophète, que
les chrétiens sont des chiens, fils de chiens, que la femme est
une bête de somme... Il est devenu aussi peu Français que
possible. La plupart du temps il s'est assimilé quelque chose
de nous, nos vices, hélas et, parmi eux, le seul des nôtres qui
peut-être n'était pas le sien
l'ivrognerie.
;
!
:
L'opinion que je viens d'exposer sur l'impossibilité
aux Arabes d'Algérie notre civilisation,
par nos méthodes d'éducation, ne m'est nullement
personnelle. On la trouve répandue chez toutes les
personnes ayant étudié l'Algérie, sans préjugés ni
intérêt individuel, en un mot allégées de théories préconçues. J'ajouterai que cette opinion est également
celle des Arabes les plus lettrés. Les avis que j'ai pu
recueillir de musulmans les plus divers, depuis le
Maroc jusqu'au fond de l'Asie, ont été unanimes. Tous
considèrent que notre éducation rend les musulmans
d'infuser
ennemis invétérés des Européens, envers lesquels ils
ne professaient d'abord qu'indifférence. Les Arabes
éclairés que j'ai consultés affirment sans exception,
que le seul résultat de nos essais éducateurs est
22
254
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE
de dépraver leurs compatriotes, de leur créer des
besoins factices sans fournir les moyens de les satisfaire, en un mot d'assombrir leur sort et d'en faire des
révoltés. L'instruction c}ue nous nous efforçons avec
tant de peine d'inculquer leur apprend la distance
que nous mettons entre eux et nous. Chaque page de
nos livres d'histoire enseigne à ces Aaincus que rien
n'est plus humiliant que la résignation sans révolte
à la domination étrangère. Si l'éducation européenne
se généralisait dans notre colonie méditerranéenne,
est
L'Aldes musulmans algériens serait bientôt
aux Arabes! de même que L'Inde aux Hindous!
le mot d'ordre de tout indigène de l'Inde imbu
de
la civilisation anglaise.
le cri
:
gérie
ou
prouver
combien est vain l'espoir de modifier un peuple par
l'éducation. Continuer à tenter de telles expériences
serait dangereux chez une nation dont on ne peut
dire qu'elle soit encore
pacifiée, puisqu'il nous
faut une puissante armée pour l'empêcher de se
Ces
faits, qu'il
s'agisse de l'Inde, de
d'autres pays, étant identiques,
l'Algérie
suffisent à
révolter.
ne faudrait pas conclure de ce qui précède que je
à un degré quelconque, ennemi de l'instruction.
J'ai tenu à prouver seulement que le genre d'éducation
applicable à l'Européen civilisé ne l'est nullement à
d'autres hommes d'une civilisation
ni
ditTérente
surtout à ceux n'ayant pas de civilisation du tout.
Des modifications que serait forcée de subir l'instruction européenne pour être utile aux races inférieures, je n'ai pas à m'occuper ici et remarquons
seulement, en passant, que l'éducation technique
Il
sois,
d'abord, puis des notions très simples, comprenant
éléments du calcul et quelques applications des
sciences à l'agriculture, à l'industrie ou aux métiers
les
manuels, suivant les régions, devraient constituer les
seules bases de leur instruction. Ils s'y intéresseraient
sans doute davantage qu'à la généalogie des rois de
RÉSULTATS DE l'ÉDUCATION EUROPÉENNE
255
France ou aux causes de la guerre de Cent ans. Ils
en retireraient aussi, je pense, plus de profit. Si je
ne formule pas d'ailleurs de programmes détaillés,
c'est que j'ai la claire notion de la parfaite inutilité de
tout ce qu'on pourrait écrire sur ce sujet.
CHAPITRE
III
Résultats psychologiques
des Institutions et des Religions européennes
sur les Peuples inférieurs.
Notre éducation européenne a donc pour résultai
inyariable de démoraliser l'indigène et de le transfor-
mer en ennemi acharné de l'Européen, sans
élever
son niveau intellectuel. Laissant de côté ces effets de
l'éducation européenne sur l'indigène, dont j'essaierai plus loin de fournir l'explication, je vais
aborder maintenant un autre facteur d'assimilation,
en recherchant quelle influence les institutions européennes peuvent exercer sur les indigènes des colonies.
L'idée qu'on transforme un peuple en changeant
ses institutions, est trop répandue en France, pour
être ébranlée. Avec notre goût de l'uniformité,
nos
sinon dans la durée, au moins dans l'espace,
institutions actuelles
nous apparaissent toujours
comme les meilleures, et notre tempérament nous
conduit à vouloir les imposer. Généralement fondées
sur des abstractions et déduites de la raison pure,
nos spéculations politiques et sociales acquièrent rapidement, à nos yeux, l'autorité de vérités révélées.
Comme tous les apôtres, nous sentons le besoin de
les propager pour le bonheur de l'humanité.
La plupart des nations civilisées s'élant montrées
assez réfractaires à nos leçons, nous avons dû nous
rabattre sur nos possessions coloniales, pour les fran-
—
—
RESULTATS DES
INSTlTLiTIOiVS
EL'r^01'EE^^ES
257
obtenus sont du plus
haut intérêt pour les philosophes.
Nos théories nous ont conduits progressivement à
faire de nos colonies de vastes départements français. Peu importe, d'ailleurs, la population qui les
occupe. Nègres, jaunes, Arabes, sauvages même,
doivent bénéficier de la Déclaration des droits de
Vhomme et des grands principes. Tous possèdent
le suffrage universel, des conseils municipaux, des
conseils d'arrondissement, des conseils généraux, des
tribunaux de tous les degrés, des députés et des
sénateurs qui les représentent dans nos assemblées.
De braves nègres, à peine émancipés et dont le
développement cérébral peut être assimilé à celui
de nos ancêtres de l'âge de la pierre taillée, sautent
à pieds joints dans toutes les complications de nos
formidables machines administratives modernes.
Ce régime fonctionne depuis un temps assez long
pour qu'on puisse en apprécier les etfets. Ils sont
incontestablement désastreux. Des pays, jadis prospères, sont tombés dans la plus basse décadence. Les
statistiques nous les montrent réduits à vivre du
budget que leur consacre la métropole et ne cessant
de faire entendre, par leurs représentants officiels,
d'exigeantes lamentations.
Bien que l'assimilation ait causé la ruine de nos
••olonies, toutes réclament une assimilation encore plus
complète que celle existante.
Ne nous imaginons pas cependant nos sujets d'outremer aussi naïfs que leur langage le ferait sujiposer.
Quand ils exigent l'assimilation, ce n'est pas qu'ils
admirent les rouages compli(|ués de notre système administratif et judiciaire. Leur rêve, en effet,
est d'être assimilés à la métropole pour les avantages
pécuniaires du régime et non pour les charges qui
en résidtent. Au lieu de construire à leurs frais,
routes, ports ou canaux, comme cela se pratique dans
les indigènes souhaiteraient
les colonies anglaises
ciser à outrance. Les résultats
,
22.
~5S
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE
vivement voir
l'Etat se charger de ces travaux publics,
sans être tenus à payer nos impôts. Etre assimilées signifie pour nos colonies devenir les penconsidéré comme une sorte
sionnaires de l'Etat.
de providence toute-puissante, aux inépuisables trésors.
Leurs vœux, en ce sens, sont exprimés avec
une candeur ne laissant place à aucun doute. Ils se
résument clairement dans la phrase suivante, émise
I>ar un président du Conseil général de la Réunion
« Nous souhaitons l'assimilation progressive de la
colonie à la métropole et sa transformation en un
département français, mais sans que celte assimilation
puisse nous assujettir auxmêm<'s impôts que ceux payés
—
:
—
:
en France.
»
Le système de l'assimilation, séduisant en théorie
par son apparente simplicité, présente, au contraire,
dans la pratique, une extraordinaire complexité.
Nos institutions administratives et judiciaires sont
fort compliquées, parce qu'elles répondent aux besoins
non moins compliqués d'une civilisation très ancienne.
Nés et vivant sous leur joug, nous y sommes faits, et
cependant récriminons à toute occasion contre les lenteurs et les vexations de l'administration ou de la procédure. Que de formalités administratives entraînent
chez les nations civilisées les actes les plus inévitables,
la naissance, le mariage et la mort! En France même,
est-il beaucoup de citoyens possédant des notions
précises sur les attributions d'un conseil municipal,
d'un conseil d'arrondissement, d'un conseil général,
d'un juge de paix, d'un tribunal de première instance,
dune cour d'appel, etc. ? Et vous voulez qu'un malheureux nègre, un Arabe, un Annamite, se représente le
jeu de tant de rouages enchevêtrés, qu'il doit accepter
tout à coup, d'un seul bloc? Songez à tous les devoirs
nouveaux que, sous peine d'amende, il n'a plus le
droit d'ignorer, aux nombreux fonctionnaires avec
RÉSULTATS DES INSTITUTIONS EUROPÉENNES
259
lesquels il va se trouver en contact, le guettant à
chaque détour de la vie. Il ne peut vendre ou acheter
un lopin de terre, réclamer une dette à son voisin,
sans subir les formalités les plus longues et les plus
compliquées. Vous l'avez enfermé, lui, le barbare,
l'homme à demi civilisé, dans une série inextricable
d'engrenages. Jusqu'alors il n'avait connu que des
institutions simples et parfaitement en rapport avec
ses besoins
une justice sommaire, mais peu coûteuse et rapide, des impôts dont il comprenait le
mécanisme, auxquels il était habitué et qui ne comportaient rien d'imprévu. Lui dont la vie ignorait les
entraves, et pour lequel le lointain pouvoir absolu
d'un chef ne signifiait souvent rien de direct et de
réel, il trouve que la prétendue liberté dont nous le
dotons se présente sous des formes singulièrement
tyranniques.
Ces objections ne sauraient ralentir le zèle de nos
théoriciens, qui se croient le devoir de faire le
bonheur des peuples malgré eux. En dépit des répugnances les plus naturelles, nos colonies doivent bon
gré mal gré jouir des bienfaits de nos institutions com:
pliquées.
Pour maintenir ces
institutions,
on leur expédie des
légions de fonctionnaires. C'est à peu près d'ailleurs
notre seul article d'exportation sérieux. A la Mar-
où les quatre-vingt-quinze centièmes de
population sont des nègres, on compte huit cents
fonctionnaires français. Dans les trois ou quatre
petits villages de l'Inde nous appartenant encore, et
dont les habitants sont exclusivement hindous, nous
avons, en dehors d'un sénateur et d'un député, plus
de cent fonctionnaires, dont trente-huit magistrats.
tinique,
la
En Indo-Chine,
ils forment une armée.
Tous partent d'Europe animés d'un zèle ardent,
mais il leur faut bientôt reconnaître que forcer
un peuple à renier ses institutions pour adopter celles
d'un autre est une utopie réalisable seulement dans
260
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
Leurs tentatives n'ont pour résultat qu'une
complète anarchie. Aux prises avec des difficultés de
toute sorte, chacun d'eux essaye d'improviser un sysles livres.
tème bâtard destiné à
concilier tous les intérêts, et qui.
naturellement, n'en satisfait aucun.
De temps à autre, un gouverneur énergique et
clairvoyant pratique des coupes sévères parmi ces
rangs épais de bureaucrates, et la colonie respire
momentanément. C'est ainsi que, dans l'Indo-Chine.
M. Constans en supprima d'un seul coup un nombre
suffisant pour peupler une petite ville, et réalisa ainsi
sur cet unique chapitre une économie annuelle de
plus de 8 millions. Bien entendu, aussitôt son départ,
on s'empressa de les réintégrer.
Ce n'est pas uniquement au défaut de capacité de
nos fonctionnaires qu'il faut attribuer leur insuccès,
mais à l'absurdité du devoir imposé. Ils quittent la
France avec la mission d'api)liquer nos institutions à
des peuples qui ne sauraient les accepter ni même les
comprendre. De loin, rien ne leur semble plus facile;
mais, sitôt à leur poste, le découragement les saisit
avec le sentiment d'une complète impuissance. Les
gouverneurs eux-mêmes renoncent à cette trop lourde
tâche; on vit autrefois, en six ans, quinze gouverneurs
généraux se succéder en Indo-Chine, soit une moyenne
de cinq mois pour chacun. S'ils y restent plus longtemps
aujourd'hui, c'est que l'emploi étant royalement rétribué, on le donne à des hommes politiques inlluents.
Instruit par l'échec désastreux de son prédécesseur,
chaque nouveau gouverneur essaye un système différent, et ne fait qu'accroître l'anarchie. Ce n'est pas toujours, d'ailleurs, ses vues personnelles qu'il applique,
mais celles que le télégraphe lui impose. Le gouverneur cité plus haut faisait remarquer, dans un intéressant discours prononcé devant la Chambre des députés, qu'en un règne de six mois, il avait dû obéir à
trois ou quatre ministres, « lui donnant chacun une
impulsion différente».
261
RÉSULTATS DES INSTITUTIONS EUKOPÉEN.NES
Les conséquences d'un tel système, on les devine
aisément anarchie d'abord, révolte ouverte ou tout
au moins haine profonde des populations, ensuite.
Les témoignages, malheureusement, sont unanimes
;
sur ce point.
La cause iveilo de la piraterie vn ludo-Chiiie, lisons-nous
dans un ouvrage récent, n'est pas une idée de patriotisme
soulèverait les populations indigènes contre l'envahisseur.
nous qui l'avons suscitée. Nous avons indisposé les populations paisibles en réquisitionnant des porteurs, en éloignant
de leurs terres des agriculteurs pour en faire des coolies, en
(jui
C'est
brûlant des villages, en tyrannisant les indigènes, en établissant
partout et sur tout des taxes lourdes, dépassant trois ou quatre
fois la valeur des produits
la piraterie n'est que le résultat des
tracasseries de nos administrateurs et d'^s crimes des mandarins
que nous couvrons.
;
Notre ruineux système ne sème pas ses tristes conséquences uniquement en Indo-Chine. Nous tentons
également d'assimiler toutes nos colonies anciennes
et nouvelles, et partout avec le même insuccès. Je ne
veux pas rappeler
car cet exemple n'est pas exactement applicable à ma démonstration actuelle
que
la cause du dernier bouleversement qui faillit nous
enlever l'Algérie fut l'incompréhensible mesure par
laquelle nous avons naturalisé en bloc toute la
partie juive de la population. Mais je citerai, d'après
des témoins oculaires, les faits observés au Sénégal.
Dans une série d'articles publiés par un grand journal parisien, M. Colin montre jusqu'où peut conduire
la manie d'imposer nos institutions à des peuples
—
—
qui n'en veulent pas.
En nous attaquant prématurément à l'organisation de la société
nègre, dit M. Colin, nous aurons la guerre, la guerre perpétuelle
et sans merci, et nous trouverons devant nous tous les peuples
fétichistes et
mêmes
musulmans, sans compter que
les
esclaves eux-
seront contre nous.
La guerre durable non, sans doute, ni au Sénégal
dans nos autres colonies, tant que, très visiblement,
nous resterons les plus forts mais l'hostilité des popuni
;
2(i2
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
lations
si
maladroitement troublées, nous l'avons
éveillée partout.
Un
observateur judicieux, ayant longtemps habité
Poitou-Duplessy. ancien médecin
principal de la marine, écrit
nos
colonies, M.
:
L'application prématurée du suffrage universel aux colonies,
la mise à l'élection de tous les postes principaux ont eu pour
elïet de faire tomber tout le pouvoir aux mains des noirs sept à
Iiuit fois plus nombreux, et, grâce à la faiblesse, à la pusillani-
mité du pouvoir métropolitain et de ses représentants, de rendre
pour la race blanche, vouée
le séjour des iles impossible
aujourd'hui à l'oppression ou à la disparition. C'est le retour
fatal à la barbarie. L'exemple de Saint-Domingue est là pour le
prouver... Si l'on considère le nombre d'électeurs que représente
tel ou tel député colonial qui vient légiférer à Paris sur nos
intérêts les plus chers, on arrive à cette conclusion singulière
([u'un nègre des Antilles compte sept à huit fois plus dans la
balance des de.stinsde la patrie que n'importe lequel des citoyens
français.
Tels sont les résultats produits par l'application des
européennes aux indigènes des colonies.
institutions
Ayant successivement étudié l'influence de l'éducail ne me reste plus qu'à examiner celle des croyances religieuses.
Sur l'action que nous pouvons exercer par elles,
je serai fort bref. Accuser nos hommes d'Etat actuels
de prosélytisme religieux serait injuste et le temps est
passé où l'on prenait les armes pour défendre les mislion et des institutions,
sionnaires troublant par leurs prédications les institutions sociales des Orientaux. Si l'on devait nous
reprocher quelque chose, ce serait plutôt un prosélytisme négatif. Mais enfin, nos indigènes coloniaux res-
généralement parfaitement libres dans la pratique
de leurs différents cultes. J'aborde donc seulement ce
côté de la question, pour compléter ma démonstration qu'aucun des éléments d'une civilisation supérieure ne peut s'imposer à des peuples inférieurs.
tent
Quelques chilTres suffiraient à montrer
le
peu
d'in-
RÉSULTATS DES INSTITUTIONS EUROPEENNES
263
lUience de nos croyances
religieuses sur les Oriensont superflus devant les aveux d'impuissance échappés aux missionnaires eux-mêmes.
taux. Mais
ils
En ce qui touche les Arabes, j'ai déjà cité le cas
des 4.000 orphelins du cardinal Lavigerie. Elevés dans
la religion chrétienne, soustraits à tout contact indigène, l'immense majorité de ces orphelins est retournée à l'islamisme aussitôt parvenue à l'âge adulte.
L'expérience se poursuit sur une bien autre échelle
en Orient, et notamment dans l'Inde anglaise. Au sein
d'un congrès de l'Eglise anglicane, un chanoine,
M. Isaac Tylor, fut obligé de constater le navrant
insuccès des missionnaires anglais, (jui, en de nombreuses années, malgré la protection du gouvernement et d'énormes dépenses, n'avaient recruté qu'un
nombre très minime de prosélytes, et parmi les plus
basses castes. Dans les pays musulmans, où les missionnaires ne peuvent espérer l'appui de leur gouvernement, les échecs sont plus signalés encore. Après
avoir dépensé un demi-million et dix ans d'efforts, en
Arabie, en Perse, en Palestine, ils n'ont pu obtenir
qu'une seule conversion, celle d'une jeune fille, notoirement connue d'ailleurs pour être à demi idiote. Cet
exemple, ajouté à tant d'autres, dénonce l'impossibilité où nous sommes de faire pénétrer nos idées,
nos conceptions, notre civilisation, dans les cerveaux
des Orientaux, par quelque moyen que ce soit.
L'impuissance des croyances religieuses est importante à noter après celle de l'instruction et des institutions. Mais, je le répète, elle ne constitue pour ma
thèse qu'un argument accessoire. Je ne suis nullement l'ennemi des missionnaires, dont je respecte le
courage et les illusions, et qui nous rendent souvent
de grands services dans les pays demi-civilisés n,e
nous appartenant pas, la Syrie, par exemple, en
répandant notre langue au moyen de leurs écoles.
Ma tâche pourrait paraître terminée, après avoir
montré que notre éducation et nos institutions, appli-
^<34
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
quées aux indigènes des colonies, n'ont d'autre résultat que de troubler {irofondément leurs conditions
d'existence et les transformer en ennemis irréconciliables des Européens.
De tels faits sont indépendants de toute théorie.
Mais ils doivent avoir des causes, et ce sont ces causes
que je veux essayer maintenant de déterminer. Les
faits ne sont que les conséc|ueiices de lois très générales qu'il faut toujours tâcher de découvrir. C'est ce
que nous allons tenter maintenant en recherchant
les causes de notre impuissance à élever au niveau
de la civilisation européenne les peuples demi-civilisés
ou barbares. Alors peut-être apparaîtront nettement
au lecteur les raisons profondes de l'impénétrabilité
des races.
CHAPITRE IV
Raisons psychologiques de l'impuissance
de
à
la
Civilisation
transformer
les
européenne
Peuples inférieurs.
L'étude des éléments divers d'une civilisation, notanijnent les institutions, les croyances, la littérature, la
langue et les arts, montre qu'ils correspondent à certains modes de penser et de sentir des peuples qui les
ont adoptés, et se transforment seulement quand ces
modes de penser et de sentir viennent eux-mêmes à
se modifier.
L'éducation ne
civilisation
;
fait
que résumer
les institutions et
les
de la
repré-
les résultats
croyances
sentent les besoins de cette civilisation. Si donc une
civilisation n'est pas en rapport avec les idées et les
sentiments d'un peuple, l'éducation synthétisant cette
civilisation restera sans prise sur lui; de même les
institutions, correspondant à certains besoins, ne
sauraient correspondre à des besoins différents.
Le parallèle le plus sommaire montre facilement
que la distance mentale qui sépare les peuples de
l'Orient
musulmans et Indo-Chinois notamment
de ceux de l'Occident est trop considérable pour que
les institutions des uns puissent être applicables aiix
autres. Idées, sentiments, croyances, modes d'existence, tout diffère profondément. Alors que les nations
de l'Occident tendent chaque jour davantage à se dégager des influences ancestrales, celles de l'Orient vivent
—
—
23
266
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
presque exclusivement du passé. Les sociétés orientales ont une fixité de coutumes, une stabilité inconnue aujourd'hui en Europe. Les croyances que nous
avons perdues, elles les conservent avec soin. La
famille, si fortement ébranlée chez les peuples occidentaux, demeure intacte chez l'Oriental, dans son
immuabilité séculaire. Les principes, qui ont perdu
leur action sur nous, gardent toute leur puissance
ont un idéal très fort et des besoins très
que notre idéal est incertain et nos
besoins très grands. Religion, famille, autorité de la
tradition et de la coutume, toutes ces bases fondamentales des sociétés antiques, si profondément
sapées en Occident, ont conservé un prestige indiscuté en Orient. Le souci de les remplacer n'a pas
encore tz'aversé leur esprit.
Mais c'est surtout dans les institutions que se révèle
entre l'Orient et l'Occident un incomblable abîme.
sur eux.
Ils
faibles, alors
Toutes les institutions politiques et sociales des
Orientaux, qu'il s'agisse d'Arabes ou d'Hindous, dérivent uniquement de leurs croyances religieuses, alors
qu'en Occident les peuples les plus dévots ont depuis
longtemps séparé institutions politiques et croyances.
Point de- code civil en Orient, il existe seulement
des codes religieux. Une nouveauté quelconque n'y
acceptée qu'à la condition d'être le résultat de
prescriptions théologiques. Sous peine de perdre toute
est
influence, les Anglais en sont réduits, je le rappelle,
malgré leur protestantisme rigide, à restaurer les
pagodes et entretenir largement les prêtres de Vichnou
et de Siva et à professer en toutes circonstances les
plus grands égards pour la religion de leurs sujets et
les institutions qui en découlent. Le vieux code,
religieux et civil, de Manou, est resté la loi fondamentale de l'Inde depuis deux mille ans, comme le Coran,
code également religieux et civil, demeure la loi
suprême des musulmans depuis Mahomet.
Ce n'est pas seulement dans
la
constitution mentale.
niPlISSANCE DE LA CIVILISATION EUROPEENNE
•26^
It's
instilulions et les croyances, que résident les
divergences profondes qui nous séparent des peuples de
rOrient. Elles éclatent dans les moindres détails de
l'existence, et principalement dans la simplicité de
leurs besoins comparée à la complexité des nôtres.
Les modestes aspirations de l'Oriental, l'acceptation de
conditions d'existence considérées en Europe comme
la noire misère, frappent toujours le voyageur. Une
couverture, une cabane ou une tente, quelques végétaux suffisent à son ambition. Les mêmes hommes
élevés à l'européenne acquièrent fatalement aussitôt
un certain nombre des besoins factices créés par
notre civilisation; et comme il est impossible de les
gratifier en même temps des ressources nécessaires
pour satisfaire ces besoins, les simples, les heureux,
deviennent mécontents, misérables et révoltés. Dans
les Indes anglaises surtout, où l'éducation européenne sévit sur une large échelle, le fait est significatif. Un indigène imprégné d'éducation anglaise,
et muni de protections, peut obtenir des appointements de 30 fi"ancs par mois. Aussitôt à la tète
de ce revenu, il s'essaye à singer le gentleman européen, porte des chaussures, devient membre d'un club
indigène, fume des cigares, lit des journaux. Finalement il trouve son sort tout à fait déplorable avec
une somme qui ferait vivre largement deux familles
élevées dans les usages hindous.
La simple comparaison des besoins d'un Arabe
d'Algérie et d'un colon européen, suffit à prouver
combien deux races, parvenues à des degrés inégaux
de civilisation, peuvent, sur le même sol, avoir des
exigences différentes. La petite provision de graines
nécessaire pour son couscoussou, de l'eau pure, une
lente comme habitation, un burnous pour vêtement,
voilà comblées toutes les aspirations de l'indigène.
Combien plus compliqués les besoins de son voisin le
colon européen, même appartenant aux couches
sociales inférieures. Il lui faut une maison, de la
.
268
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
viande, du vin, des vêtements variés: en un mot,
matériel de nécessités factices auquel l'a habitué
lo
le
milieu européen.
De ces faits multiples, constatés en tous lieux, se
dégage clairement cette loi psychologique l'éducation européenne, appliquée à l'indigène, le rend profondément misérable parce qu'elle lui impose des
idées nouvelles et un mode de vie raffinée sans lui
procurer les moyens de la pratiquer. Elle détruit les
:
legs héréditaires de son passé et le laisse désorienté en
du présent.
Devons-nous espérer que nos institutions
face
et notre
éducation euroiiéenne rapprocheront de nous les
Orientaux distancés aujourd'hui par un si vaste abîme?
Les exemples que j'ai cités n'autorisent guère cette
espérance, et la théorie vient à leur appui, en nous
enseignant que la plus difficile transformation à accomplir chez un peuple est celle de ses sentiments héréditaires. Or c'est précisément la différence de leurs
hérédités qui sépare si profondément l'Orient de l'Oc-
cident.
Sur
ces
sentiments
mêmes ambiances,
les
nationaux,
mêmes
formés
institutions, les
par les
mêmes
croyances agissant depuis des siècles sur ces sentiments, dis-je, l'éducation demeure sans prise. Ils
i-eprésentent, en effet, le passé d'une race, le résultat
des expériences et des actions de toute une longue
série de générations, les mobiles héréditaires de la
conduite. Constituant l'âme d'un peuple, leur poids est
;
considérable.
Ces caractères des peuples, nul ne l'iimore, jouent
un rôle fondamental dans l'histoire. Les Romains ont
dominé la Grèce, et une poignée d'Anglais domine
aujourd'hui l'Inde, beaucoup plus par le développe-
ment de certaines qualités nationales, la persévérance et l'énergie, notamment, que par l'élévation
de leur intelligence. Nulle éducation ne saurait empêcher certains peuples, les nègres, par exemple, de
IMPIISSANCE DE
I.V
CIVILISATION EUROPEENNE
2(39
rester impulsifs, imprévoyants, incapables d'énergie
durable, d'efforts soutenus.
Si l'on ne considère l'instruction ipie comme Fart
de fixer dans la mémoire un certain nombre de théories livresques,
nous pouvons assurer quo
les
peuplades
anthropologistes de races iulérieures, en y comprenant les plus inférieures, toiles
que certains nègres, peuvent être éduquées comme
les Européens. Un professeur de notre Université,
à son retour d'Amérique, M. Hippeau, parle avec
par
(pialifiées
les
admiration des jeunes nègres qu'il a vus dans les
classes, répétant des démonstrations de géométrie et
« Jamais on n'a
traduisant Thucydide à la perfection
mieux compris, dit-il, que les nègres et les blancs
sont enfants du même Dieu; que la nature n'a établi
entre les uns et les autres aucune différence fondamentale. »
J'ignore, faute de lumières suffisantes sur ce point,
si les nègres et les blancs sont les enfants d'un même
Dieu; mais ce que je crois bien savoir, c'est que l'auteur est dupe ici d'une illusion, partagée d'ailleurs
par beaucoup de personnes s'occupant de l'éducation des peuples inférieurs, les missionnaires notamment.
Je dis
d'une illusion, et voici pourquoi. L'enseignement des écoles se compose presque uniquement d'exercices de mnémotechnie destinés à ai)provisionner la mémoire de matériaux que l'intelligence,
«piand elle se développera, pourra utiliser. Elle les
utilisera, grâce à des aptitudes intellectuelles héréditaires, des modes de sentir et de penser qui représentent la somme des acquisitions mentales de toute
une race. Ce sont précisément ces différences d'aptitndes, apportées par l'homme en naissant, qui établissent entre les races des inégalités dont aucun
système d'éducation ne saurait effacer la trace.
L'enfant appartenant à un peuple demi-civilisé ou
demi-sauvage réussira généralement aussi bien à
:
:
23.
270
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
que rEiiropéen, mais uniquement parce que
éludes classiques sont surtout des exercices de
mémoire créés pour des cerveaux d'enfants, et que la
différenciation intellectuelle entre les races ne se
manifeste guère avant l'âge adulte. Alors que l'enfant
européen perd, en grandissant, son cerveau d'enfant,
riiomme inférieur, incapable, de par les lois de l'hérédité, de dépasser un certain niveau, s'arrête à
une phase inférieure de développement et laisse en
friche les matériaux fournis par l'instruction du collège. Suivez dans la vie ces blancs et ces nègres,
jadis égaux à l'école, et bientôt vous apparaîtront
les diiTéi'ences profondes qui séparent les races.
Le seul résultat définitif de l'instruction européenne,
aussi bien pour le nègre que pour l'Arabe et pour
l'Hindou, est d'altérer, je le répète, les qualités héréditaires de leur race sans leur donner celles des
Européens. Ils pourront acquérir parfois des lambeaux
d'idées européennes, mais les utiliseront avec des
raisonnements et des sentiments de sauvages ou
de demi-civilisés. Leurs jugements flottent entre
des idées contraires, des principes moraux opposés. Ballottés par tous les hasards de la vie et
incapables d'en dominer aucun, ils n'ont finalement
pour guide que l'impulsion du moment.
Ne nous laissons donc pas illusionner par ce faible
vernis jeté provisoirement sur un indigène au moyen
(le notre éducation européenne. On peut la comparer
à un de ces vêtements éphémères de théâtre qu'il ne
faut pas regarder de trop près. J'ai eu des centaines
de fois l'occasion de causer avec des lettrés hindous,
("levés dans les écoles anglo-indiennes, ou même ayant
pris leurs grades dans des universités européennes.
Toujours il m'a fallu constater qu'entre leurs idées
et les nôtres, leur logique et la nôtre, leurs sentiments et les nôtres
la
distance restait iml'école
les
,
mense.
Est-ce à dire que ces peuples demi-civilisés ou bar-
IMPUISSANCE DE LA CIVILISATION EUROPÉENNE
271
Imres n'arriveront jamais au niveau de la civilisation
européenne? Ils y atteindront un jour, sans doute,
mais seulement après avoir franchi successivement,
et non d'un seul coup,
les nombreuses étapes
(|ui les en séparent. Nos pères, eux aussi, ont été
plongés dans la barbarie. Il leur a fallu près de
mille ans d'elTorts pour en sortir et pouvoir utiliser
—
—
les trésors de la civilisation antique. On sait quelles
modifications successives ils durent faire subir à ses
la langue, les institutions et les arts,
éléments
notamment, pour se les adapter. À. leurs cerveaux
de barbares, une civilisation raffinée ne pouvait
pas plus convenir que la nôtre aux cerveaux des
:
peuples inférieurs.
Les lois de l'évolution sociale sont aussi rigoureuses que celles de l'évolution des êtres organisés.
La graine ne devient un arbre, l'enfant ne devient un
homme, les civilisations ne s'élèvent aux formes supérieures qu'après avoir passé par toute une série de
développements graduels et presque insensibles dans
leur lente succession. Nous pouvons, par des mesures
violentes, troubler chez les peuples cette évolution
fatale,
comme on peut suspendre l'évolution de la
iiraine en la brisant,
mais il ne nous est pas donné
«l'en modifier les lois.
—
—
Une des principales raisons psychologiques de notre
impuissance à imposer notre civilisation aux peuples
inférieurs peut être exprimée d'un seul mot
Elle
est trop compliquée pour eux. Les seules institutions,
les seules croyances, la seule éducation, capables d'agir
sur leur mentalité, sont celles dont la simplicité les
met à la portée de leur esprit et qui ne bouleversent:
pas leurs conditions d'existence.
justement la civilisation musulmane, et
profonde influence, en apparence
mystérieuse, que les musulmans ont exercée et
Telle
est
ainsi s'explique la
si
it-C
rSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE
exercent encore en Orient. Les peuples conquis
par eux étaient ou sont le plus souvent des Orientaux, possédant des sentiments, des besoins, des coutumes de vie fort analogues aux leurs. Par conséquent, en s'assiniilant les éléments londamentaux
de la civilisation musulmane, ils n'ont pas eu à subiices modifications radicales que l'adoplion d'une civilisation occidentale compliquée entraîne.
Les historiens ont cru pouvoir attribuer le prodigieux ascendant moral et intellectuel exercé par les
musulmans dans le monde à leur force matérielle.
Il
n'est plus permis aujourd'hui d'ignorer que la
civilisation musulmane continua de se répandre longtemps après que la puissance politique de ses propagateurs était anéantie. Le Coran compte 20 millions de sectateurs en Chine, où les mahométans
il en a recruté
n'ont jamais exercé aucun pouvoir
50 millions dans l'Inde, c'est-à-dire iiiliniment plus
qu'à l'apogée de la domination mogole. Ces nombres énormes s'accroissent sans cesse. Les mahométans sont, après les Romains, les seuls civilisateurs ayant réussi à faire adopter par les races
les plus diverses les éléments fondamentaux de toute
;
culture sociale, la religion, les institutions et les arts.
Loin de tendre à disparaître, leur influence grandit
chaque jour et dépasse les limites atteintes aux
époques splendides de leur puissance matérielle. Le
Coran et les institutions qui en découlent sont si simples, tellement en rapport avec les besoins des peuples
primitifs, que leur adoption s'opère toujours sans
difficulté. Partout où passent des musulmans, fût-ce
en simples marchands, on retrouve leurs institutions et leurs croyances. Aussi loin que les explorateurs modernes aient pénétré en Afrique, ils y ont
trouvé des tribus professant l'islamisme. Les musul-
mans
civilisent actuellement les
dans
la
leur
mesure où
puissante action
elles
sur
peuplades de l'Afrique
peuvent l'être, étendant
le
continent mystérieux,
-
IMPUISSANCE DE LA CIVILISATION ELROPEENNE
que
21'A
Européens
(jui parcourent l'Orient, soit
en commerçants, ne laissent pas
trace d'influence morale.
alors
les
en conquérants,
soit
La conclusion de ce chapitre
et des précédents est
par l'éducation, ni par les institutions,
ni par les croyances religieuses, ni par aucun des
moyens dont ils disposent, les Européens ne peuvent
exercer d'action civilisatrice rapide sur les Orientaux,
et moins encore sur les peuples inférieurs.
L'histoire récente du Japon ne saurait modifier
aucune des conclusions qui précèdent. Ne pouvant traiter ici en détail ce cas particulier d'un
peuple arrivé à un degré de civilisation déjà haute,
très nette. Ni
qui paraît la changer pour une autre civilisation élevée
mais différente, je me bornerai à une remarque essentielle. Par l'adoption en bloc des résultats de la civi-
européenne, le Japonais n'a transformé en
fondamentales, ni ses croyances, ni
surtout son caractère. Il représente ce que serait un
baron féodal revenu à la vie et auquel on apprendrait
l'usage des locomotives et le maniement du canon.
Sa mentalité se trouverait-elle beaucoup modifiée
par cette éducation? L'âme japonaise ne l'a pas été
davantage, mais la variation apparente d<> la vie extérieure du Japon a dissimulé aux Européens la fixité
de sa vie intérieure.
Ouoi qu'il en soit, aucune des nations que nous
essayons de coloniser ne possédait
quand nous
l'avons conquise
une culture comparable à l'ancienne civilisation du Japon. Nous pouvons donc
répéter que nos espoirs d'assimiler ou de franciser un
peuple conquis sont de dangereuses chimères. Laissons aux indigènes leurs coutumes, leurs institutions
et leurs lois. N'essayons pas de leur imposer l'engrenage de notre administration compliquée, et ne
conservons sur eux qu'une haute tutelle. Pour y arrilisation
réalité ni ses lois
—
—
-i'-i
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE
ver, réduisons
énormément
le
nombre de nos
fonc-
tionnaires coloniaux; exigeons d'eux une étude approfondie des mœurs, des usages et de la langue des
indigènes. Assurons-leur surtout une situation considérable, capable de leur conférer le prestige nécessaire.
Ces projets de réformes, ou pour mieux dire de simme borne à les énoncer d'une façon
sommaire, considérant leur développement comme
inutile. 11 faudra longtemps encore pour atteindre
l'opinion publique. Les idées politiques actuelles, si
contraires à celles que j'ai exposées, forment un
courant qu'il n'est pas aisé de remonter. La chimérique entreprise d'assimilation à laquelle nous consacrons tant d'hommes et d'argent nous est dictée par
des motifs de sentiments, sur lesquels la logique
rationnelle reste impuissante.
Cette
dernière ne
triomphe qu'au prix des plus cruelles expériences.
Les catastrophes seules ont le pouvoir de faire jaillir
la lumière dans les esprits chargés d'illusions.
On ne peut se demander sans douleur est-il vraiment possible que, pour réaliser des rêves, aussi
chimériques que les croyances religieuses auxquelles
nos pères ont sacrifié tant de vies, nous persistions
dans nos dangereux errements ? Est-ii croyable
({u'on rencontre encore des hommes d'Etat convaincus
de notre mission d'assurer, malgré eux, le bonheur
des autres peuples? Est-il admissible qu'on entende
journellement des économistes prétendre transformer
la constitution mentale d'une race telle que celle des
Arabes, en « modifiant radicalement chez eux le
système de la propriété collective et de la famille » ?
Songeons à ce que nous ont coûté quelques-unes de
ces grandes théories humanitaires et simplistes si
déplorablement ancrées dans notre esprit! C'est en leur
nom que nous avons versé notre sang pour la liberté
ou l'unité de peuples devenus aujourd'hui nos pires
ennemis. C'est pour elles que nous nous obstinons
plifications, je
:
IMPUISSANCE DE LA CIVILISATION El'ROPEEKNE
~<0
des populations jadis paisibles sous
antiques lois. Qu'avons-nous recueilli de nos
utopiques entreprises, sinon des haines et d'incessantes guerres ?
Il éprouve toujours un sentiment de profonde humiliation, le voyageur français quittant nos colonies pour
visiter celles d'autres Européens. Anglais et Hollandais, notamment, qui se gardent soigneusement de
nos grands principes. Quel merveilleux s|)ectacle que
ce gigantesque empire des Indes, oi^i 250 millions d'indigènes sont gouvernés dans une paix profonde par un
millier de fonctionnaires, appuyés d'une petite armée
de soixante mille hommes, et qui se couvre de canaux,
de chemins de fer. de travaux de toute sorte, sans
à
franciser
leurs
réclamer un centime à la métropole Le prestige moral
constitue la seule force de cette poignée de gouvernants, mais un prestige que nous n'avons jamais
su obtenir dans nos colonies. Sans doute, ces mil!
lions d'indigènes n'ont point le suffrage universel,
ils
ne possèdent pas de conseils généraux et ne sont pas
représentés en Europe par des sénateurs et des
députés. Ignorant nos institutions compliquées, ils
s'administrent eux-mêmes, suivant leurs vieux usages,
sous la haute et lointaine tutelle d'un nombre insignifiant d'Européens intervenant le moins possible
dans leurs
affaires.
malheureux
que les indigènes de
en tous sens par nos milliers
d'agents, pris dans l'engrenage de lois et de coutumes
incompréhensibles pour eux? A ceux qui le croiraient
je conseille la visite des trois ou quatre petits villages,
derniers vestiges de notre grand empire des Indes. Ils
y trouveront des centaines de fonctionnaires français,
dont le seul rôle possible est de bouleverser de fond
en comble les antiques institutions hindoues et ils verront de quel poids pèse sur l'indigène ce que nous
appelons le régime de la liberté, les discordes et les
luttes intestines engendrées par nos méthodes chez
Sont-ils
plus
nos colonies,
tiraillés
.
276
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
une population jadis si pacifique, sans que tous nos
sacrifices nous procurent même un peu de respect.
Pour comprendre la portée psychologique d'un
système dilïérent, visitez quelques lieues plus loin les
mêmes populations placées sous la domination anglaise.
Dès les premières minutes, vous serez frappé des
égards de l'indigène pour ses conquérants, vous y
verrez à quel point l'unique fonctionnaire surveillant
d'un vaste district pénètre peu dans la vie publique
ou privée des citoyens, respecte leurs institutions,
leurs
coutumes, leurs
fictive, mais
mœurs
et leur laisse
une
liberté
pouvais imposer à
tous les Français un pareil voyage, la thèse que je
défends n'aurait plus de contradicteurs, et nous renoncerions vite à l'idée d'imposer nos lois à des peuples
étrangers pour le seul triomphe de nos grands prin-
non pas
réelle.
Si je
cipes.
Assurément, il ne faut pas les dédaigner, ces prinCe sont les formes d'un idéal nouveau, fils
des illusions religieuses que nous avons perdues et
l'homme n'a pas encore appris à vivre sans illusions.
Abdiquons seulement le rôle d'apôtres, et n'oublions
pas que dans la lutte économique oîi le monde
moderne s'engage de plus en plus, le droit de vivre
appartiendra uniquement aux peuples forts. Ce n'est
pas avec des chimères que nous assurerons l'avenir de
notre patrie; c'est avec des chimères que nous pourcipes.
rions le perdre.
CHAPITRE V
Les Formes nouvelles de
la
Colonisation.
Les procédés de colonisation pratiqués aux diverses
périodes de l'histoire sont peu nombreux puisqu'ils se
réduisent à deux. Les Romains n'en ont d'abord
connu qu'un conquérir un peuple à main armée,
:
prendre ses trésors et vendre comme esclaves les plus
vigoureux de ses habitants; les autres repeuplaient
lentement le pays jusqu'à ce que ce dernier étant
enrichi de nouveau, le pillage put recommencer.
On finit cependant par s'apercevoir que cette méthode
à la fois coûteuse et simpliste n'est pas très profitable
aux vainqueurs et, vers l'époque des premiers empereurs. Rome en découvrit une seconde, consistant à
exploiter les populations conquises par l'intermédiaire
de gouverneurs qui les chargeaient d'impôts, leur laissant cependant de quoi vivre et en échange leur assurant la paix.
Ce dernier procédé ne s'est pas sensiblement modifié
pendant le cours des siècles. Bien appliqué, il est
généralement d'un bon rapport, mais entraîne beaucoup de complications par suite de la nécessité de
défendre le pays conquis contre les agressio/is
armées des rivaux jaloux. En outre, il faut savoir
administrer avec ordre et intelligence. Si l'administration est mauvaise, le peuple colonisé ne procure
que des désagréments et constitue une cause perpé-
278
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE
de conflits. Personne n'ignore que nos colonies
non seulement ne nous rapportent rien, mais coûtent
tuelle
cher et sont, par les guerres lointaines dont
nous menacent, un danger permanent.
Aux deux systèmes précédemment énoncés, les
Allemands en ont ajouté un troisième très ingénieux.
Il consiste simplement à ne recueillir que les bénélices d'un pays, en laissant à des étrangers les charges
de son gouvernement et de sa défense.
Après avoir laissé d'autres peuples prendre la
peine de conquérir et de garder un j)ays, les Allemands s'y installent ensuite et l'exploitent. Aux conquérants, les dépenses d'hommes et d'administration
et le
pouvoir nominal. Pour eux les bénéfices
d'abord, puis plus tard, le pouvoir réel que confère
toujours la richesse. Ils gardent l'amande et laissent
les possesseurs du sol se disputer les coquilles.
La réalisation de ce programme exigeait certaines
qualités de caractère jointes à une supériorité industrielle et commerciale, permettant •d'éliminer tous les
rivaux. Grâce à une éducation technique remarquable,
les Allemands ont acquis cette supériorité, et la lutte
contre eux est devenue presque impossible aujourd'hui.
Les Anglais eux-mêmes y ont renoncé.
Partout où les pz*emiers s'installent, en nombre d'abord
restreint, puis chaque jour grandissant, ils s'emparent de toutes les industries, de tout le commerce,
et deviennent bientôt les maîtres.
C'est ainsi qu'en moins de vingt ans, ils ont conquis
une place prépondérante dans cette magnifique région
méditerranéenne, dite Côte d'Azur, jadis grand enjeu
de l'histoire. Leur puissance se dessine actuellement
sur 200 kilomètres de côtes et s'accentue rapidement.
C'est à la fois en colonie de peuplement et d'exploitation que les Allemands transforment la Côte d'Azur.
Ils s'emparèrent d'abord de l'industrie des hôtels, qui
sont maintenant presque entièrement dans leurs mains.
fort
«lies
FOEMES NOUVELLES DE LA COLONISATION
27^
Le jiersonnel y est exclusivement allemand et la cliende plus en plus allemande. En 1906, je fis à
Menton un relevé montrant que sur 1.000 étrangersdisséminés dans 22 hôtels figuraient 350 Allemand&
et 50 Français.
Je n'ai rencontré sur la Côte d'Azur aucun hôtel,
sauf quelques auberges de dernière catégorie tenues
par des Français.
Cet envahissement teuton, si surprenant pour ceux
(pii
comparent la Côte d'Azur actuelle à son état
antérieur, est aussi le résultat d'une cause économique
profonde, que l'habileté des hôteliers ne suffirait
tèle
pas à expliquer.
Avant la guerre, l'Allemand était pauvre et laborieux. Il est resté laborieux mais il n'est plus pauvre.
Son développement industriel l'a conduit à la richesse
et aux goûts de luxe qu'elle entraine. Ce sont les
Français qui sont appauvris aujourd'hui.
Donc, l'Allemand travaille et s'enrichit. Après des
mois de labeur, il vient chercher sur la Côte d'Azur
repos et distractions, espérant bien d'ailleurs y trouvei'.
en outre, quelques affaires fructueuses à traiter, placement de marchandises, spéculations de terrains, etc.
L'industrie des hôtels, créés surtout par lui, est
si
rêve de chaque gérant d'hôtel est
naturellement d'en fonder un, à son tour. Quand
il
fait preuve de capacités, un banquier de Hambourg ou d'ailleurs lui fournit facilement les fonds.
Les Banques allemandes recherchent fort les placements industriels, alors que nos sociétés de crédit
françaises ont réussi à en détourner entièrement le
public, le dirigeant exclusivement vers les placements
de fonds d'Etat ou de chemins de fer étrangers susceptibles de procurer aux banques des remises %
lucrative
que
le
1. Le chiffre des remises versées par le Gouvernemeni russe aux cinq
malsons de Bani[ae de Paris qui se sont chsirgées du lancement récent d'un,
emprunt de 1.200 raillions s'est monté i 8 p. 100, soit 96 millions. Il est navrant.
280
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
naturellement que les valeurs à
Un État quelconque, Venezuela, Haïti ou tout autre de même nature, est toujours sûr de trouver de grandes maisons françaises
pour lancer ses emprunts. Les banquiers allemands
ne sont pas assurément plus patriotes que les nôtres,
mais beaucoup plus intelligents et savent mieux placer
leurs fonds, c'est-à-dire ceux de leurs clients. On m'a
cité le gérant d'un hôtel de Monte-Carlo, qui, ayant
économisé 60.000 francs, trouva un banquier pour lui
en avancer 200.000. et acheta un hôtel qu'il revendit
un million, au bout de cinq ans.
J'ai pu me procurer, il y a quelques années, les
comptes de deux grands hôtels de Menton, que les
habitués du pays reconnaîtront facilement à ce détail, qu'ils sont situés sur une hauteur à faible distance l'un de l'autre. Le premier a réalisé, pour la
saison 1904-1905, 397,444 francs de bénétlces, le
second 167.153 francs. Nulle mine d'or n'équivaut
à de telles exploitations. Quel service nous rendrait
l'homme de génie qui nous apprendrait à profiter des
richesses de la France, si ingénieusement exploitées
par des étrangers, au lieu de nous prêcher l'émigration dans de lointaines régions fiévreuses, pauvres
et à peine peuplées! Avant de prétendre coloniser le
Congo ou Madagascar, pourquoi ne pas songer à profiter des richesses dont la France est remplie, aux
yeux de qui sait les voir?
d'autant plus fortes
placer sont plus véreuses.
Dans
le
rapide qui
me
ramenait à Paris, j'eus poui'
compagnon un vieux professeur allemand de philosophie.
fait
de
Un
incident imprévu de la route
entrer en relation,
penser
que
ces
sommes énormes
refaire notre outillage industriel,
totalité
dans
les
je lui
si
soumis
les
nous ayant
observations
dont nous aurions tant besoin pour
passèrent en presque
inférieur maintenant,
mains des Allemands, fournisseurs
l'outillage militaire, industriel et naval.
attitrés
de
la
Russie pour
FORMES NOUVELLES DE
L.V
281
COLONISATION
qui précèdent et Finvitai à me donner ses impressions,
dégagées de toutes vaines formules de politesses. Pour
le mettre d'ailleurs à son aise sur ce dernier point,
j'avais commencé par plaindre charitablement les Allemands d'être conduits par un César capricieux et despotique.
Le philosophe sourit, me demanda la permission
d'allumer sa pipe et posément s'exprima comme il suit
:
Laissons de côté les Césars. L'histoire nous montre qu'ils
apparaissent toujours quand un peuple est livré à des divisions
intestines. Ils s'appellent tantôt Sylla et t;intùt Bonaparte. Ne
nous plaignez pas trop de vivre sous un régime denii-césarien,
car vous marchez à grands pas vers des Césars de décadence,
destinés à vous sortir de l'anarchie où vous vous enlisez chaque
jour. Vous en serez bientôt à l'ère des pronunciamentos et mieux
vaut un (lésar, illustre et accepté comme le nôtre, ({ue les Césars
d'occasion qui surgiront chez vous, ainsi qu'ils l'ont déjà fait
plus d'une fois.
Ne nous occupons donc, si vous le voulez bien, que des faits
économiques qui ont attiré votre attention sur la (]ôte d'Azur, et
qui sont d'ailleurs, je le reconnais volontiers, rigoureusement
exacts.
Je suis assez âgé pour avoir suivi l'évolution allemande depuis
uniquement le développement de l'éducation tech-
la guerre. C'est
nique, jointe à certaines qualités de caractère, qui sont, comme
l'avez bien vu, les causes de son développement industriel et commercial. L'intelligence, généralement assez lourde de
vous
mes
compatriotes, n'y est pour rien. Il leur suffît de posséder de
de la méthode. Ces qualités et une instruction
convenable assurent toujours le succès dans la vie. L'Allemand
idéaliste de jadis a complètement disparu. Il ne perd plus son
temps à disserter sur la philosophie. Il fonde des usines, des
banques, des ports, des entreprises de toute sorte et s'enrichit
rapidement. Je l'ai connu à l'époque où il vivait pauvrement,
considérant la viande comme un article de luxe, ne voyageant
qu'en troisième classe, et ne fréquentant ([ue des hôtels borgnes.
Aujourd'hui, ce même Allemand est riche et dépense largement.
Comme tous les parvenus, il est devenu insolent et grossier.
Vos employés de chemins de fer du littoral s'en plaignent justement. Je confesse qu'il se conduit souvent en rustre et ignore
tout à fait les raffinements d'une civilisation avancée.
Ce sont là des défauts évidents, mais qui n'ôtent rien à son mérite.
L'Allemand est assuré maintenant d'être le premier partout où il
s'installera, grâce à la supériorité de son outillage, de son organisation et de son éducation technique. Même dans votre capila discipline et
24.
282
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
laie, il vous l'ait une concurrence redoutable, absorbant l'une
après l'autre à son profit vos grandes industries
produits chimiques, objectifs photographiques, instruments de précision,
:
Il commence déjà à
usines pour éviter vos
barrières de droits protecteurs, qui bientiM n'auront plus rien à
outillage électrique, etc.
installei',
Le reste suivra.
sur votre territoire
même, des
protéger.
Ce que vous avez constaté sur
la Côte d'Azur vous le constadonc également ailleurs. Nous allons coloniser maintenant le Maroc, comme nous avons colonisé la plus belle partie
de la Méditerranée, bientôt tout entière dans nos mains.
Qui tient l'industrie et le commerce d'un pays en est le vrai
maître. L'affaire marocaine, à laquelle vos journaux n'ont rien
compris, était en réalité très simple. Nous ne tenions nullement à entreprendre la très coûteuse et très improductive con(juête de cette contrée et, volontiers, nous vous aurions laissé la
gloire et les dépenses de cette opération, si l'administration
despotique et tatillonne de vos colonies ne les rendait inhala
liitables, même pour des Français. C'est seulement dans
France même que le pouvoir est trop discuté pour être bien
gênant et vous avez vu sur la Côte d'Azur qu'il ne nous importune guère. Il fallait donc simplement vous empêcher de gouverner le Maroc, c'est-à-dire de le fermer à notre commerce et
nous y avons réussi pleinement. Point n'était besoin d'une guerre
pour cela. La menace en suffisait et l'Allemagne n'avait aucun
intérêt à vous la faire maintenant. Nous y songerons seulement
le jour où vos pacifistes, vos internationalistes, vos antimilitaristes et autres variétés d'imbéciles, auront achevé de dissocier
dans vos âmes l'idée de patrie qui fait notre force. Nous n'aurons alors qu'un bien faible pffort à tenter pour vous imposer toutes,
nos volontés.
Mon pays ne tenait donc nullement à la guerre. L'heure n'était
pas venue d'ailleurs de lutter contre l'Angleterre, votre alliée,
que nous ne redoutons pas au point de vue commercial et
industriel et qui, au contraire, sur ces deux points, nous redoute
beaucoui). La guerre avec elle est inévitable bientôt, mais l'enjeu
en sera autrement important que le Maroc. Hambourg est
devenu trop petit. Un grand port militaire et commercial
nous est nécessaire, et il n'y a guère qu'Anvers dans notre
maisons de comvoisinage. Nous y avons multiplié nos
merce, nos entreprises maritimes, nos banques, mais cela
ne suffit pas, car dans ce port si voisin de l'Angleterre,
la puissance militaire doit accompagner la puissance commeiciale. Les Belges connaissent parfaitement d'ailleurs ces aspirations, qui sont celles de tous les Allemands et que certains
atlas de géographie ont vulgarisées partout. J'ai lu le discours
qu'un de leurs hommes d'Etat les plus émincnts, le sénateur
teriez
FORMES NOUVELLES DE LA COLONISATION
Edmond
283:
prononça à co propos devant le Parlement
mais bien inutile. Les peuples
n'échappent pas à leur destinée. Les belges la retarderaient
peut-être un peu, en se fondant avec la Hollande, mais ils ne
paraissent pas assez subtils pour comprendre (}ue bientôt il
n'existera plus de place dans le monde pour les petites nations.
Naturellement, et c'est là que gît l'unique difficulté, les
Anglais s'opposeront à cette-entreprise. \oilà pourquoi la guerre
avec eux est fatale. Vous vous y joindrez sans doute, mais, à
belge.
ce
Picard,
Cri d'alarme très justifié,
moment, plus
affaiblis
encore qu'aujourd'hui,
votre seul
rôle probable sera de payer les frais d'une guerre nécessairement
fort coûteuse.
D'ici
là,
en
effet,
vos luttes religieuses
et politiques
achève-
vous user. Vous êtes arrivés à un degré d'intoléun besoin de persécution qui finiront par vous rendre
odieux à tous les peuples assez civilisés pour pratiquer la
liberté. Vos innombrables syndicats, dont la tyrannie est autrement lourde que ne le fut jamais celle des plus furieux despotes, ne syndiquent guère que des jalousies et des haines.
La haine et l'envie semblent les seuls sentiments ayant survécu dans l'âme des Latins. Vous ressemblez à des insectes,
luttant àprement au fond d'une mare, pour s'arracher les maigres
provisions que quelques-uns possèdent, alors qu'autour d'eux
s'étendent de riches prébendes. Vous descendez rapidement au
dernier rang des peuples, après avoir été si longtemps au premier. Vous devenez une petite nation repliée sur elle-même, écrasée d'impôts, ne subsistant qu'à force d'économie et de privations,
ront de
rance, à
et
de plus en plus incapable de
s'offrir le
luxe d'avoir des enfants.
il vous faudrait
renoncer à vos haines politiques et religieuses, hypothèse bien
improbable, et changer entièrement votre système d'éducation, ce
que vous avez très inutilement tenté. Il vous faudrait en outre un
esprit de solidarité que vous n'acqueiTez jamais. Vous êtes restés
un peuple d'artistes et de beaux parleurs. De telles qualités,
si prépondérantes jadis, n'ont plus cours dans la phase savante,
industrielle et économique de l'âge actuel. Le monde moderne
est gouverné par la technique et, qu'il s'agisse de guerre ou
d'industrie, la technique demande avant tout une précision qui
s'obtient seulement par un travail méthodique, continu et une
persévérance que vous ne possédez pas. L'imprécision restera
toujours le grand défaut des Latins. Voyez, comme je le remarquais à l'instant, le sort d'industries jadis florissantes chez
vous, dès que nous les avons abordées avec notre outillage et
nos méthodes. En quelques années, vous avez été forcés de
renoncer à la lutte. Sur le terrain maritime, vous avez dû également à peu près disparaître. Consultez le cours de la Bourse
et voyez par leur cote, la misérable situation de vos grandes corn-
Pour remonter
cette pente
de
la
décadence,
284
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
pagnies
de navigation, alors que les nôtres, si prospères,
distribuent de beaux dividendes à leurs actionnaires.
Les arguments humanitaires et pacifistes jouent aujourd'hui
rôle prépondérant dans vos discour.«.
constituent
Ils
même la principale force des socialistes. Mais quelle puissance
peuvent-ils avoir contre les nécessités économiques qui régissent
le monde moderne? Exactement celle des conjurations adressées
par de superstitieux Napolitains au Vésuve, pour calmer ses
fureurs. On n'éteint pas les volcans avec des mots. Ce sont uniquement des nécessités économiques qui dominent aujourd'hui
les forces inconscientes conduisant les peuples. L'Allemagne
commence à avoir trop d'enfants alors (jue vous n'en avez plus
assez. Elle fabrique trop de produits qu'il lui faut, à tout prix,
écouler, ce qui lui sera bientôt impossible. Le monde devient
trop petit et la clientèle de l'Orient conquise par le Japon disparaît pour nous. C'est donc vers nos plus proches voisins cpie
nous devrons tourner les yeux, industriellement d'abord, militairement ensuite. Nous jetterons chez vous l'excédent de nos produits et de notre population et attendrons seulement, ce qui ne
saurait être bien long, que les divisions et l'anarchie vous aient
suffisamment affaiblis pour rendre impossible votre défense. Les
lois de l'histoire restent les mêmes. La destinée du plus faible
fut toujours de disparaître devant le plus fort, ou de le servir.
Le progrès ne s'est jamais réalisé autrement. Elle est encore
plus vraie aujourd'hui qu'il y a 2.000 ans, l'impitoyable sentence
du vieux Brennus « Malheur aux vaincus »
un
:
!
Ainsi parla le rude Germain. (Jn aurait pu opposer
bien des objections à ses farouches assertions, mais
à quoi bon? Les convictions individuelles ne se transforment guère avec des arguments. Xotis approchions,
d'ailleurs, de Paris, et je pensais aussi (pie les paroles
du philosophe contenaient bien des fragments de
vérité. Je me bornai donc à un léger haussement
d'épaules, accompagné d'un vague sourire, tout en
éprouvant un peu les sensations d'un voyageur
poussé vers un abîme très profond et très noir.
LIVRE
\'I
L'ÉVOLUTION ANARCHIQUE ET LA LUTTE
CONTRE LA DÉSAGRÉGATION SOCIALE
CHAPITRE
I
L'Anarchie sociale.
Il
n'était
ni
pacifiste
Marcius Censorinus, mais
logie de ses adversaires.
Quand
ni
il
humanitaire,
le
consul
savait utilis-^r la psycho-
ce subtil guerrier se présenta devant Car-
thage, la grande cité passait pour la plus riche capi-
du monde
Les arts, le commerce y
également. Après avoir
longuement vanté à ces derniers les bienfaits de la
paix et maudit les horreurs de la guerre, Censorinus
conclut en leur disant « Livrez-moi vos armes et Rome
se chargera de vous protéger. » Les pacifistes
gens
de mentalité toujours médiocre
s'empressèrent
d'obéir. « Livrez-moi maintenant vos vaisseaux de
guerre; ils sont encombrants, d'un entretien coûteux
et bien inutiles puisque Rome vous défendra contre
vos ennemis. » Les pacifistes obéirent encore. « Votre
soumission est louable, leur dit alors le consul. Il ne
me reste plus qu'un sacrifice à vous demander. Pour
éviter une révolte possible, Rome m'ordonne de raser
tale
llorissaient
antique.
et les pacifistes
:
—
—
2S6
i'SYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
Carthage. Elle vous autorise, d'ailleurs, à vous établii
dans le désert, sur le point que vous choisirez, sous
condition qu'il soit situé à 80 stades de la mer. »
Alors seulement les Carthaginois comprirent les
dangers du pacifisme, et, devant la perspective
assurée de mourir de faim dans les sables, entreprirent de se défendre. Il était trop tard. Carlhage
fut prise, incendiée avec tous ses habitants et disparut de l'histoire.
Cette aventure, bien qu'un peu ancienne, contient
cependant d'assez modernes enseignements. J'imagine
qu'elle a dû, après la première grève des postiers,
hanter les songes d'un de nos hommes d'Etat, à ce
moment président du Conseil. Je base cette supposition sur la lecture du discours qu'il prononça devant
le monument de Gambetta. On y relève les vérités
suivantes
.
tiiie pour les foils... L'avenir est à qui ne
Toute société capaljle de tolérer la révolte des
fonctionnaires s'effondrerait sous le mépris universel. La prompte
répression devient en conséquence ici une nécessité de salut
11
n'y a de
redoute
di'oit
rien...
public.
Ce langage contraste heureusement avec celui d'un
membre du gouvernement qui, pour remédier à
l'insurrection des fonctionnaires, aux menaces, aux
grèves et aux sabotages des ouvriers, n'a trouvé que
ces vagues formules
« Tenir compte des faits
nouveaux, être de son
temps, faire confiance à la classe ouvrière. »
L'auteur termine en s'adressant à ceux qu'il nomme
les « heureux de la vie » et leur conseille des libéralités aux ouvriers et aux fonctionnaires.
Ce pauvre langage est une des manifestations de la
nouvelle philosophie humanitaire qualifiée de solidaautre
:
que, suivant la juste expression de G. Sorei, il
plus exact de nommer « la philosophie de
l'hypocrite lâcheté ». L'humanitarisme est notre plaie-
rité et
serait
sociale.
l'anarchie sociale
Ou connaît
287
la réponso des; ouvriers et des lonctioninsurgés à ces bêlements humanitaires. Plus ils
se sentent redoutés, plus ils méprisent et menacent.
A la moindre résistance, grève, sabotage et incendie.
La dominante actuelle des gouvernants est, malheureusement, la peur, l'horrible i)eur qui fit perdre
tant de batailles et prépara tant de révolutions.
Les sages paroles de l'ancien président du Conseil,
précédemment citées, et prononcées après la grèv<',
des postiers, auraient beaucoup gagné à l'être au
moment même de cette grève, alors que la défense
offrait peu de difficultés. Elles eussent évité à leur
auteur d'être qualifié, par le directeur d'un grand
journal socialiste, de « feuille morte s'abandonnant
sans résistance à tous les remous ».
La défense était facile, en effet. Céder ne fit que
donner aux révoltés conscience de leur force et provoquer leur mépris. Machiavel l'avait indiqué depuis
longtemps
les foules n'ont aucune reconnaissance
pour ce qu'elles obtiennent par la force.
Machiavel étant très vieux, n'a pas été écouté et on
est d'abord entré dans la voie des concessions. \^Officiel enregistra vite une augmentation notable des
traitements des postiers. Leurs exigences, naturellement, ne manquèrent pas de croître et le gouvernement dut reconnaître que, sous peine de se démettre,
il devenait impossible de toujours se soumettre.
C'est, d'ailleurs, avec la plus extrême insolence et
la menace répétée d'une
nouvelle grève que les
postiers l'évoltés manifestèrent leurs volontés. Les
autres fonctionnaires, voyant le succès de cette méthode d'intimidation, commencèrent aussitôt à clamer
des revendications. Pour y satisfaire, il eût fallu doubler le budget et, par conséquent, les impôts.
Sans doute, les ministres et le Parlement se soucient médiocrement des conséquences de leur faiblesse.
sachant bien qu'ils ne seront plus là pour en supporter les effets, mais les exigences avaient grandi si
ïiaires
:
~bO
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE
vite que, sous peine de trop indigner l'opinion, force
un peu.
La seconde grève des postiers n'a pas été sans
résultats utiles. Il est bon que le public soufîre un
peu des grèves des postes, des chemins de fer, etc.,
pour comprendre ce que lui prépare le régime syndifut de résister
caliste
;
alors, et
seulement alors, l'opinion,
fort puis-
sante aujourd'hui, se dressera énergiquement contre
tous les révolutionnaires.
Si l'on avait continué à subir les caprices des
révoltés,
ils
auraient créé un Etat dans
l'Etat,
vite
devenu un Etat contre l'Etat. Ce fut une véritable
dérision que cette prétention de quelques milliers de
commis d'arrêter la vie d'un grand pays. On serait
stupéfié des insanités pouvant germer dans de faibles
cervelles si ne se révélait, dans le mouvement
actuel, un de ces cas d'épidémie mentale ])ropagée
par contagion, très fréquente aux époques troublées et
(jui
avec
Il
ne sauraient surprendre les personnes familières
la psychologie des foules.
faut apprendre à se défendre, et cela sans crainte.
La peur, cette terrible conseillère, a toujours été l'origine de perturbations sanglantes et de tous les despotismes militaires qu'elles engendrent. Croit-on. en
vérité, que les agents des postes, les instituteurs, etc.,
auraient osé tenir le langage reproduit dans les
journaux s'ils n'avaient été assurés de la terreur
(ju'inspiraient leurs discours? Peut-on tolérer un
instant que des fonctionnaires entretenus par l'Etat
viennent prêcher l'antipatriotisme et l'antimilitarisme,
c'est-à-dire la destruction de la société dont ils vivent?
Doit-on accepter que des instituteurs s'expriment
comme l'a fait un de leurs représentants autorisés
dans un meeting public
:
Afin d'émanciper le prolétai'iat, je réclame pour les instituteurs le droit de s'affilier aux Bourses du travail, à la G. G. T.
et celui d'incruster dans le cerveau des enfants la haine de la
bourgeoisie.
289
l'anarchie sociale
Il n'y a i)as à discuter avec des dévoyés fanatisés
par quelques meneurs. Ces gens, qui se plaignent si
bruyamment, appartiennent, en réalité, à une des fractions les plus privilégiées de la bourgeoisie. On a
relevé l'amusant paradoxe de ce chef du mouvement
des, postiers jouissant de près de 6.000 francs d'appointements, devant toucher plus de 3.000 francs de
retraite, et se qualifiant de prolétaire
Si le syndicalisme triomphait, les salaires de tous ces employés
seraient vite ramenés à ceux des ouvriers.
Pendant la grève des postiers, nous avons assisté à
ce spectacle singulier d'un gouvernement dont une
partie était insurgée contre l'autre. De quoi, en effet,
est formé le gouvernement d'un pays? Ce n'est pas
seulement du Parlement qui vote les lois et de la douzaine de ministres en ordonnant l'exécution. Il se
compose surtout du million de fonctionnaires qui les
exécutent et entre lesquels l'autorité est dispersée. Que
ces fonctionnaires se révoltent, l'État s'évanouit. Les
ministres, on s'en passe, mais comment se dispenser
de fonctionnaires dans une organisation aussi étatiste
que la nôtre? Jamais, heureusement, ne se présentera
l'ombre d'une difficulté pour les remplacer. Il faut des
années pour former un mécanicien ou un forgeron,
mais quelques semaines suffisent à fabriquer un
excellent chef de bureau, un estimable receveur des
postes, un bon percepteur, un parfait facteur. Dans
cette immense armée de fonctionnaires, les techniciens dont le métier exige un peu d'apprentissage, tels
I
que
les télégraphistes, constituent l'exception.
*
« Ce qui trouble les hommes, ce ne
Epictète a dit
sont pas les choses elles-mêmes, mais les opinions
:
qu'ils s'en font. »
Voilà précisément le danger de l'heure présente. Il
ne réside pas dans les faits eux-mêmes, mais dans les
25
290
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
provoquées par eux et les idées c[ui les
engendrent.
Les chimères seules soulèvent les peuples et l'histoire montre qu'il a fallu des siècles de luttes et des
fleuves de sang pour ébranler la puissance de certains
lantômes.
A aucune époque, le sort des classes populaires ne
fut plus favorisé qu'aujourd'hui, comme l'a fort bien
montré récemment rencjuète de M. d'Avenel. A aucun
âge, cependant, elles ne firent entendre des plaintes
illusions
plus vives.
Les divergences d'intérêts seraient faciles à conqui reste inconciliable, ce sont les haines et
les jalousies semées par des politiciens flattant bassement les foules. Nous en voyons maintenant l'éclosion.
La contagion mentale a rendu le mécontentement
universel. Le socialisme, il y a peu de temps, le syndicalisme et l'anarchisme, maintenant, sont devenus
les panacées offertes à tous les maux.
Les foules, imprégnées des nouvelles doctrines, se
composent d'un mélange hétérogène d'arrivistes ferd'universitaires
vents, de fanatiques convaincus,
aigris, d'humanitaires larmoyants et d'une masse
immense de doux imbéciles qui suivent tous les mouvements parce que leur faible mentalité les condamne
à toujours suivre quelque chose.
Les croyances actuelles collectivisme, anarchisme.
syndicalisme, etc. sont fondées uniquement sur les
visions que leurs disciples ont de l'avenir. Ces visions
restent forcément chimériques, l'avenir nous étant
fermé, mais elles n'en constituent pas moins de puissants mobiles d'action.
L'audace croissante des partis révolutionnaires provient surtout de la grande pusillanimité des gouvernants dont l'humanitarisme craintif est tout à fait
cilier: ce
:
néfaste.
Aucune illusion sur les résultats de celte faiblesse
ne reste possible. Dans son intéressant livre Réflexions
:
291
l'anarchie sociale
sur lu violenc(\ M. G. Sorel, défenseur désabusé des
doctrines socialistes, s'exprime ainsi
:
Le facteur
le plus déterminant de la politique
sociale est lu
poltronnerie du Gouvernement... 11 n'a pas lallu beaucoup de
lenips aux chefs des syndicats pour bien .saisir cette situation...
Ils enseignent aux ouvriers qu'il ne s'agit pas d'aller demander
des faveurs mais qu'il faut profiter de la lâcheté bourgeoise
pour imposer la volonté du prolétariat... Une politique sociale
l'ondée sur la lâcheté bourgeoise qui consiste à toujours céder
devant la menace dé violences, ne pouvait manquer d'engendrer
l'idée que la bourgeoisie est condamnée à mort et que sa disparition n'est plus qu'une affaire de temps.
Convaincus de
la peur qu'ils inspirent, les sociarévolutionnaires accentuent chaciue jour leurs
menaces. On peut en juger par le programme récent
listes
de
et
la «
Fédération Socialiste de la Seine
»
:
Pour son combat, qui ne peut prendre fin qu'avec la société
Vétat capitaliste eux-mêmes, et par la mainndse du prolé-
tariat sur la
matière
instruments de la production de
emploie tous les moyens d'action,
suivant les circonstances
action électorale et parlementaire,
action directe, <jrève générale et insurrection.
(]'cst dans cette idée qu'il affirme que l'idée collectiviste ou
communiste se fera par une propagande portée jusque dans le
fond des campagnes, afin de susciter en tous milieux l'esprit de
et
les
l'achat et de l'échange, le parti
:
révolte.
Bien entendu, il ne faudrait pas demander à ces
farouches sectaires étatistes quelles conséquences
enti-aînerait la réalisation de leurs rêves. Ils ne
voient pas si loin et ne songent qu'à détruire. On
peut cependant considérer comme certain que si une
divinité malfaisante exauçait d'un coup de baguette
tous les souhaits révolutionnaires et transformait la
société suivant leurs désirs, le sort de l'ouvrier sous
infiniment plus dur
le régime syndicaliste serait
qu'aujourd'hui.
De cet avenir lointain les révolutionnaires se préoccupent nullement. Leur but est de provoquer les
fureurs populaires et ils y réussissent parfaitement.
Les socialistes parlementaires qui s'imaginent cana-
292
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
trompent fort et
calmer les anarchistes par des concessions auxquelles ces derniers ne
tiennent nullement, telles que le rachat des chemins
de fer et l'impôt sur le revenu.
Aucune illusion ne devrait être permise sur les
effets de ces mesures en regardant de quel côté se
tournent progressivement les masses ouvrières. Est-ce
vers les auteurs de ces vaines réformes ou vers
les syndicats
révolutionnaires qui n'en proposent
d'autres que la destruction violente de la société au
liser
à
leur profit ces
colères,
se
s'illusionnent plus encore, en croyant
moyen d'une guerre civile?
En dehors des motifs d'ordre économique que
n'examinerai pas
ici,
je
une cause évidente détermine
nouvelle des classes ouvrières vers
Entre des gouvernants timides,
inclinés devant toutes les menaces, et un pouvoir
autocratique solidement constitué comme celui de la
cette orientation
les révolutionnaires.
Confédération du travail,
dirige
d'instinct,
comme
la foule n'hésite pas. Elle se
toujours,
du côté où
elle
sent une autorité active, des convictions inéhranlables.
Impossible de méconnaître que le syndicalisme
révolutionnaire possède une autorité forte. Il conduit,
en effet, les masses ouvrières, courbées sous son joug,
avec des procédés devant lesquels hésiteraient les plus
rudes despotes. Bien que parlant peu, ces maîtres
redoutés savent se faire obéir des foules en apparence
plus indisciplinées. Abandonnant aux faibles les
longs discours, ils se contentent d'agir. Leurs décrets
sont formulés par un comité généralement anonyme,
les grèves commandées à coups de sifflet ou par un
ordre porté à bicyclette par un délégué qui n'a pas à
fournir d'explications. Qui résiste est aussitôt assommé
par des camarades trop heureux de paraître zélés aux
yeux de leurs maîtres. On se souvient de l'aventure
de ce contremaître d'Herserange qui, ayant eu l'audace, après un ordre d'expulsion du syndicat, de venir
chercher ses hardes. n'échappa à la mort que par
les
l'anarchie sociale
293
la gendarmerie qui le retira des
mains des ouvriers en fort piteux état: Dans une
fabrique de tabac, une cigarière subit dernièrement
un sort analogue, pour avoir osé accepter un salaire
l'intervention de
supérieur à celui décrété par le syndicat.
Tous les commandements sont exécutés alors même
qu'ils dépassent les bornes de l'insanité pure. A Hazebrouck, les ouvriers sont demeurés en grève plusieurs
mois, sur l'ordre d'un délégué du syndicat, parce que
les directeurs d'une usine de tissage s'étaient permis
d'installer, à la place de leur vieil outillage, des
machines perfectionnées, employées d'ailleurs en Amérique depuis dix ans. Si les chemins de fer n'existaient pas, je doute que leur création fût possible
aujourd'hui en France, avec la mentalité ouvrière
actuelle, et la faiblesse des gouvernants.
De
tels
exemples sont nécessaires à ceux qui croient
de raisonner.
Confédération du
travail est précisément d'avoir compris qu'elles ne
raisonnent jamais et n'obéissent qu'à la force ou au
prestige. Aussi repoussent-ils le sutTrage universel et
proclament le droit des minorités, c'est-à-dire de
quelques meneurs des syndicats. Ce droit, peu
démocratique assurément, finira cependant par s'imposer puisque les foules l'acceptent docilement.
les collectivités populaires susceptibles
La supériorité des meneurs de
la
Le danger du mouvement révolutionnaire ne consiste
pas uniquement dans les violences suscitées par lui
car elles ne sauraient durer. Il réside principalement,
je le répète, dans l'anarchie mentale propagée par voie
de contagion, parmi toutes les classes. C'est ainsi
qu'ont pris naissance la grève des employés des postes,
celle des sergents de ville de Lyon, le soulèvement
des instituteurs, les syndicats des fonctionnaires, etc.
Devant ces essais d'intimidation, le gouvernement
cédant toujours, a fortifié dans l'àme des révoltés
294
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE
conviction qu'il suffit de menacer
la
Tiraillés entre des
intérêts
pour obtenir.
contraires, apercevant
derrière chaque insuriré l'électeur de demain, les législateurs perdent toute notion de Tengrenage des nécessités
les
économiques
et
votent au hasard, sans en prévoir
contradictoires dès que les
incidences, des lois
menaces deviennent trop
])ruyantes.
Etant d'ailleurs humanitaires et surtout craintifs,
ils se disent qu'après tout ces réclamants ont un peu
raison, que sans doute il est regrettable de voir des
usines saccagées, des soldats assassinés, des industries ruinées, mais qu'on doit faire preuve d'indulgence vis-à-vis des égarés. N'est-il pas certain qu'avec
de ])onnes lois ces égarés rentreront dans le devoir et
deviendront bien sages? Aussi se hàte-t-on d'amnistier
ceux qui après avoir trop massacré ou incendié subissent quelques jours de prison. S'ils récidivent, c'est
évidemment que les lois n'étaient pas assez bonnes,
et on s'empresse d'en faire d'autres.
Ainsi s'établit, aussi bien au Parlement que dans
toute la classe bourgeoise, un état d'esprit des plus
dangereux, puisqu'il a créé l'atmosphère d'anarchie
où nous sommes plongés.
M. R. Poincaré a très justement marqué les conséquences de cette mentalité nouvelle des classes dirigeantes dans un de ses beaux discours
:
un éternel
niinige Toasis où l'humanité se reposera dans l'égalité parfaite
de ses fatigues séculaires, nous demeurons incrédules... ilais
Lorsque,
dit-il, le
collectivisme nous montre en
sonmies-nous bien sûrs de ne jamais faciliter nous-mêmes
inconsciemment la tâche de ces rêveurs ? Nous sourions de leurs
utopies, nous protestons contre leur politique que nous croyons
décevante et chimérique et tous les jours pourtant, dans l'illusion d'apaiser leur hostilité systématique, nous leurs livrons
des lambeaux de nos convictions.
kii-mème l'éminent homiue
C'est liélas ce qu'a iail
d'Etat,
montrant
ainsi la
Télat d'esprit (jull indique
dn Sénat comptaient sur
])uissance inconsciente de
si
clairement. Ses collègues
combattre le rachat
lui jiour
l'anarchie sociale
295
que seul capable de l'ah-e échouer un
désastreux pour nos iinances, il s'est cependant abstenu. La peur est un [)uissant transformateur
des opinions.
C'est justement pourquoi on constate tant de contradictions entre les paroles des hommes d'Etat et
leur conduite. Nous avons vu un président du Conseil
protester dans un discours contre les « criminelles
divagations » des syndicats. Cette protestation ne
l'a pas empêché, ainsi que le lui a fait remarquer
un grand journal, de continuer
à payer sur les
fonds des contribuables la propagande antipatriotique sous prétexte de subventions aux syndicats. »
Une des caractéristiques les plus visibles de la
mentalité actuelle des peuples latins est l'affaissej'allais dire surtout
ment de la volonté, même
chez les plus hautes intelligences. Or ce fut toujours
par cet alTaiblissement du caractère, et non par celui
de l'intelligence, que de grands peuples disparurent
dp l'histoire.
(le
rOiicsl. Bien
|)roj('t si
'-.
—
—
En dehors de
leurs causes apparentes immédiates,
événements sont déterminés par un engrenage
d'enchaînements lointains. Dans la graine visible
les
l'arbre
invisible
est contenu.
Les crises politiques
actuelles nous frappent par leur violence, mais elles
sont arcomj)agnées et souvent engendrées par beauconji d'autres.
Leur ensomble
r('>V(Me
une perturbation
[)rofonde des esprits.
de jeter les yeux autour de soi pour consdésorganisation actuelle porte sur toutes les
forces morales, vrais soutiens d'un peuple. Crise de la
famille qui se dissocie et ne se multiplie que foi*t
lentement, crise des besoins augmentant beaucoup plus
rajjidement que les moyens de les satisfaire, crise de
l'autorité que personne ne respecte, l'idée d'égalité
faisant repousser toutes les supériorités, crise de la
Il
tater
suffit
que
la
296
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
morale qui s'effondre pendant que la criminalité
s'accroît dans d'énormes proportions, crise de la
volonté qui s'affaisse chaque jour, crise des fonctionnaires qui s'insurgent, des magistrats n'osant plus
rendre la justice, des instituteurs professant l'anarchie, etc. Les syndicats qui se multiplient ne syndi-
quent guère que des mécontentements et des haines
haine de la patrie, de l'armée, du capital, des capacités. Il faut vraiment que l'armature mentale formée
par l'hérédité soit bien résistante, pour qu'une
société qui se désagrège ainsi, puisse se maintenir
:
encore.
Du haut en
bas
de
l'échelle
sociale,
pline s'évanouit et l'autorité disparait.
ment général,
les dirigeants
A
la
disci-
cet effondre-
n'opposent hélas, qu'une
tranquille résignation. Ceux qui jadis ordonnaient ne
songent maintenant qu'à obéir. M. Aulard. professeur
d'histoire à la Sorbonne, donna récemment de cet
état d'esprit un exemple, qui aurait dû mieux le renseigner à l'égard de la psychologie populaire, que les
montagnes de paperasses réunies par lui sur l'époque
de la Révolution.
Donc, cet admirateur convaincu des vertus des
foules fut obligé, par suite d'un retard de train, d'aller
un matin chercher dans une grande gare de Paris
sa valise laissée à la consigne. Le local affecté à ce
dépôt était occupé par quatre solides facteurs déambulant d'un pas tranquille. Jugeant, à l'allure modeste et un peu terne du réclamant, que ce n'était
pas un de ces voyageurs de marque dont on peut
espérer une rétribution sérieuse, ils considérèrent
comme inutile de se déranger trop vite et continuèrent leur promenade. Un peu humilié par cette
dédaigneuse indifférence, le professeur se plaignit au
chef des facteurs qui écrivait dans un bureau voisin. Ce
dernier reconnut que son interlocuteur avait parfaitement raison, mais ajouta que, ne possédant aucune
autorité sur ses subordonnés, il ne pouvait que livrer la
297
l'anarchie sociale
valise
placer
sortie.
lui-même et poussa l'obligeance jusqu'à la
sur un chariot qu'il roula vers la porte de
Les quatre facteurs s'étant par hasard retour-
n6s aperçurent la manœuvre. Exaspérés par la |)erte
même modeste, ils se précipitèrent sur leur chef, l'accablèrent d'invectives et le
sommèrent de laisser sur place la valise, sous peine
d'être assommé. Le chef se sauva précipitamment en
adressant à ses subordonnés d'humbles excuses.
Je sais bien qu'on ne doit pas avoir une confiance
illimitée dans les dires d'un professeur d'histoire,
plus apte à réunir des documents qu'à les interpréter,
mais alors même que la relation précédente
d'ailleurs non démentie par les intéressés
ne serait
qu'à demi exacte, elle n'en resterait pas moins fort
possible d'un pourboire,
—
—
instructive.
Chacun, du reste, peut observer journellement
autour de lui des faits analogues. Regardez par exemple un simple cantonnier dans l'exercice de sa profession. Faites-vous renseigner ensuite sur le rendement
actuel de son travail et comparez-le au rendement
d'il y a vingt ans. Le déchet est énorme. Pourquoi
d'ailleurs travaillerait-il sérieusement, ce cantonnier? N'a-t-il pas la certitude d'être protégé contre ses
chefs par son député et son débitant d'alcool?
L'anarchie sociale ne se manifeste pas seulement
les couches inférieures de la société. Elle est,
comme toutes les épidémies mentales, une maladie
essentiellement contagieuse. La contagion mentale
conduit aujourd'hui les conservateurs eux-mêmes à
s'allier aux pires anarchistes. Nous avons vu récemment l'archevêque de Paris fraterniser avec un dcr,
chefs de la Confédération du travail. Dans un récent
congrès catholique, le droit de grève, c'est-à-dire de
révolte du fonctionnaire, fut énergiquement soutenu
par un prêtre. « Des prêtres, écrit le Temps, défen-
dans
298
PSYCHOLOGIE POLITIOTiE ET DEFENSE SOCIALE
dent et répandent les théories les plus audacieuses,
»
les plus antisociales, les plus anarchiques
Le besoin d'une basse popularité ne se développe
donc pas seulement chez les socialistes avancés, mais
chez des conservateurs qui devraient être les plus
fermes soutiens de la société.
!
« Ils
peuvent, disait justement le journal cité plus haut,
contribuer efficacement à ruiner un ordre social dont ils sont
d'ailleurs parmi les principaux bénéficiaires. Quant à recueillir
eux-mi^mes de ces dégâts un profit politique, utopie, chimère »
Les syndicalistes et les révolutionnaires se serviraient peut-être
d'eux mais ne leur accorderaient rien.
!
C'est surtout
par
les
progrès de l'antipatriotisme
que se révèle le développement de notre anarchie.
Dans les discours, toujours pleins d'éloges, qu'ils
adressent aux instituteurs et aux membres de l'Université, les ministres feignent de croire que le développement de l'antipatriotisme et de l'antimilitarisme
— ce qu'on appelle aujourd'hui
—
« l'hervéisme »
est
exceptionnel en France. A qui espèrent-ils faire illusion? Cacher un mal n'est pas le guérir.
Malgré sa réserve habituelle M.R. Poincaré n'a pas
hésité dans un discours récent à insister sur la grandeur du mal.
Après avoir montré que ces antipatriotes qui refusent de défendre la France contre l'étranger, prêchent
avec enthousiasme la guerre civile pour établir le
triomphe de leur parti, l'orateur ajoute très juste-
ment
:
M. Hervé est-il un isolé, un esprit fantasque, qui tient une
gageure personnelle? Pour peu que nous jetions un coup d'œil
sur les délibérations de certains congrès, nous sommes malheureusement forcés de constater que s'il met une violence calculée
dans l'expression de ses idées, il n'est pas seul à les professer,
et qu'il est en définitive, un personnage représentatif. N'exagérons pas l'influence de son action et celle de ses semblables;
mais ne croyons pas détruire cette action en la niant.
Pendant que M. Hervé écrivait des lignes sacrilèges, vous savez
ce que disait Bebel au Heichstag « Si jamais on attaquait l'Aile:
L
magne,
ANARCHIE SOCIALE
299
était en jeu, alors, je puis en donner
du plus jeune au plus vieux, nous serions prêts
à mettre le fusil sur l'épaule et à marcher sus à l'ennemi. Cette
terre est aussi notre patrie. Nous nous défendrions jusqu'à notre
dernier souffle, je vous en fais serment! »
En présence du contraste qui éclate entre ces deux langages,
le langage du socialiste allemand et celui du révolutionnaire
ma
si
son existence
parole, tous,
comment ne pas se rappeler la parole d'Edgar Quinet
France se fait cosmopolite, elle deviendra imnianqualdoment dupe de tous les autres peuples.
Oui, c'est le mot qu'il faut reprendre. L'antipatriotisme ne peut
être, à l'heure où nous sommes, dans l'Europe où nous vivons,
que la plus effroyable duperie. 11 n'aurait d'excuse que dans ce
pays chimérique dont pailail ironiquement Waldeck-Rousseau,
chez un peuple sans passé et sans rivaux, habitant, au milieu
d'un océan ignoré, une île assez fertile pour le nourrir et assez
pauvre, en même temps, poiu' ne tenter l'ambition de personne.
français,
«
:
Si la
;.
L'iiistoire montre par d'éloquents exemples le sort
des peuples tombés dans l'anarchie.
Mais l'histoire ne parle que de choses passées qui ne
sont pas toujours applicables au présent. C'est donc dans
le présent qu'il faut examiner les faits. Un vaste continent occupé par 25 républiques espagnoles nous renseigne sur le sort des nations tombées dans l'anarchie
par l'absence d'idéal moral, d'ordre et de discipline. Ces
malheureuses républiques ont sombré dans une demibarbarie
et si leur commerce et leur
industrie
mains d'étrangers elles y retourneraient tout à fait. Des bandes armées les ravagent
sans trêve, cherchant à s'emparer du pouvoir pour
n'étaient pas entre les
nommer président un de leurs chefs. La puissance de ce dernier est très éphémère, car d'autres
bandes, désireuses de pouvoir piller à leur tour, l'as-
faire
sassinent bientôt.
suivant paru dans quelques journaux et
pourrait s'appliquer plusieurs fois l'an à la pluj)art de ces républiques montre ce qu'est devenue la
L'extrait
({ui
vie sociale
dans ces contrées
:
300
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
Les dépêches américaines représentent le Nicaragua comme
un état de pleine anarchie justifiant l'intervention
des Etats-Unis, demandée par les Nicaraguéens eux-mêmes.
D'après ces dépêches, tout le pays est en pleine fermentation
et se soulève contre le président Zelaya. Les manifestations
continuent dans les rues de Managua et de Corinto, où l'on se
bat à coups de revolver. On craint un massacre général de
détenus politiques dont les prisons regorgent et qu'on laisse
mourir de faim. Des comités de vigilance se sont formés pour
empêcher le président de fuir.
Dans un combat qui vient d'avoir lieu à Rama, les zelayistes
seraient vainqueurs. Le général Vasquez, chef des forces gouvernementales, aurait fait massacrer un grand nombre de révoétant dans
lutionnaires qui auraient violé l'armistice.
Le gouvernement américain insistera sur le châtiment du
président Zelaya pour violation criminelle du droit des gens. Il
n'acceptera qu'ensuite la coopération du Mexique pour imposer
aux Etats centre-américains
la
paix et
le
respect de leurs obli-
gations.
Impo.ser à ces gens-là
le
respect de leurs obligations
Cette notion implique déjà
un niveau de
!
civilisation
que d'eux-mêmes ils n'atteindront jamais. Souhaitons
que les Etats-Unis s'emparent de ces pays pour les y
élever. Par l'entière transformation de Cuba en peu
d'années et l'organisation prospère d'un pays que l'administration latine avait plongé dans la plus complète
anarchie, ils ont montré ce que peuvent l'ordre et la
discipline et créé un admirable exemj)le du rôle de
ces qualités dans l'histoire.
Les peuples latins feront sagement de le méditer
et de songer qu'ils laissent se dissocier chaque jour
les qualités de caractère assurant la grandeur des
peuples et sans lesquelles aucune société civilisée
ne saurait se maintenir.
CHAPITRE
Les Progrès de
la
II
Criminalité.
Un des résultats les plus visibles du développement
de l'anarchie sociale est l'extension de la criminalité.
La lecture des récentes discussions parlementaires
sur la criminalité et la peine de mort est instructive.
On y apprend avec quelle facilité des orateurs, dont
l'intelligence n'est cependant pas au-dessous de la
moyenne, arrivent à déraisonner lorsqu'ils ont pour
guide unique leurs convictions sentimentales. Nous y
voyons encore comment, du groupement habile des
mêmes chiffres, il est possible de tirer des conclusions
diamétralement contraires.
Pour protéger
la vie des assassins et leur permettre
trop de risques l'industrie dont ils
vivent, des motifs variés ont été invoqués dont je vais
d'exercer sans
donner
la liste.
Je laisserai de côté dans cette énumé-
ration les causes de la criminalité découvertes par un
député socialiste et révélées par lui à ses collègues.
Les
crimes
disparaîtront, assure-t-il, quand les
seront sûrs de trouver de quoi vivre au
soleil librement, sans être opprimés comme ils le sont
à l'heure actuelle par tout un système capitaliste qui
les broie sans qu'ils puissent s'en libérer ». Suppri-
citoyens
mons
«
ces vilains capitalistes
et
évidemment
il
26
n'y
302
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
aura plus d'assassins. La grande force des socialistes
est de ne jamais hésiter devant ces solennelles absurdités.
Voici les divers arguments présentés à
contre la peine de mort
la
Chambre
:
est mauvaise parce qu'elle ne préserve pas
punit des irresponsables.
La peine de mort n'est ni moralisatrice ni exemplaire.
La peine de mort est un crime social. Un homme n"a aucun
droit sur la vie d'un autre homme.
La peine de mort ne s'explique que par l'idée de vengeance.
On a pu constater qu'un certain nombre de guillotinés étaient
des fous. Comme on ne peut pas toujours reconnaître d'une
façon certaine les stigmates delà folie avant l'exécution, il faut,
afin de ne pas s'exposer à décapiter un fou, un irresponsable
par conséquent, supprimer la guillotine.
La peine de mort déshonore plus ceux qui l'appliquent que
ceux qui la subissent.
La peine de mort n'a jamais exercé aucune action efficace sur
la marche des crimes dans aucun pays.
La peine de mort
la société et
Seul le dernier de ces arguments présente un aspect
sérieux.
nistre
Il
s'est
par M. Briand et ce midonné un mal énorme pour essayer de
a été invoqué
sans réussir d'ailleurs à convaincre personne et peut-être pas lui-même.
Pour prouver que la peine de mort n'a aucune
intluence sur la criminalité, on a cité surtout les données de la statistique. Malheureusement, ses chiffres
sont aussi précis que navrants. La criminalité a augmenté dans des proportions véritablement terrifiantes
30 p. 100 pour les assassinats, et l'ensemble de la
criminalité doublé en cinq ans. Voici d'ailleurs les
le justifier
;
documents fournis à la Chambre par le Président de
la Commission de la réforme judiciaire
:
nous considérons, non pas seulement les affaires jugées,
mais l'ensemble des crimes commis, ce qu'on appelle la criminalité connue, voici les chiffres
795 en 1901, 1.313 en 1905,
Si
:
1.434 en 1907.
donc absolument raison, conclut M. Berry, en disant
en croissant d'année en année depuis
suppression en fait de la peine de mort... Les assassins,
.J'avais
que
la
la criminalité allait
303
LES PROGRES DE LA CRLMINALITE
assurés de ne plus subir l'expiation suprême, ne redoutent plus
d'accomplir les plus grands crimes.
Devant cette recrudescence, on comprend que tous
généraux, sauf trois, aient sollicité des
pouvoirs publics le maintien de la peine de mort et
du pouvoir exécutif son application.
La terreur que la peine de mort inspirait autrefois
aux criminels est péremptoirement démontrée, par
l'orateur précédemment nommé, à l'aide des faits les
plus probants aveux des criminels ayant reculé devant
le meurtre par peur de la guillotine, opinion de tous
les chefs de sûreté, des avocats ayant plaidé pour les
coupables, etc.
les Conseils
:
est évident,
Il
d'après ses
déclarations,
marchand de bestiaux Leuthereau, ne
que
l'assassin
du
tua que parce qu'il
savait ne pas être guillotiné et ne pas risquer grand'chose.
« Les responsabilités, déciara-t-il après son crime, je les connais
j'irai à la Nouvelle ou à la Guyane, et
comme je suis
instruit et que je sais être bon sujet quand je veux, je serai,
dans
au bout d'un an ou deux, employé de l'administration
dix ans, j'aurai une concession et je me referai une nouvelle
vie, une vie peut-être plus heureuse que celle que j'aurais menée
en France. »
le
;
;
peine de mort est tellement indiscupays, comme la Suisse, l'ayant
supprimée, sont obligés d'y revenir. Dix cantons l'ont
rétablie les uns après les autres.
En sa qualité de socialiste, M. Briand avait son
Le rôle de
table que
siège
la
les rares
établi,
mais
les chiffres
étaient
si
clairs,
les
concluants qu'il importait de se débarrasser
au moins des premiers. Sa façon d'épiloguer a été
peu probante, mais ingénieuse.
Les meurtres, souvent non prémédités, ont été
séparés des assassinats qui le sont généralement.;
Bien entendu, la victime périt dans les deux cas et ce
doit être une maigre consolation pour elle, lorsqu'on
l'égorgé, de succomber à un meurtre et non à un
assassinat. M. G. Berry montra l'absurdité de cette
distinction en relatant les meurtres de passants par
faits si
304
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
les apaches sans autre motif que le simple plaisir de
tuer et répondit avec raison au ministre de la jus« Un meurtre accompli dans certaines conditions
tice
:
vaut un assassinat. »
Le ministre a simplement maintenuses distinctions.
Il eût mieux fait de se taire. Les applaudissements
dont furent saluées les paroles de son adversaire le
lui ont suffisamment démontré.
Essayons maintenant, nous élevant au-dessus de
casuistique de théologiens, de voir le fond du
problème et les mobiles secrets de tant de longs discette
cours.
Le moteur inconscient de ces discussions a été la
grosse question de la responsabilité qui a tant pesé
sur la répression depuis cinquante ans, mais que l'on
peut considérer comme à peu près élucidée maintenant.
Responsabilité implique libre arbitre; or, les savants
philosophes ne croient guère aujourd'hui à ce
libre arbitre. Donc, l'individu criminel ne serait pas
responsable de ses actes.
Il ne l'est pas en effet, philosophiquement, mais
l'est complètement au point de vue social, car, sous
peine de périr, une société .doit se défendre et n'a pas à
se préoccuper de subtilités métaphysiques. Très certainement, ce n'est pas la faute de l'apache assassin
s'il possède une mentalité d'apache au lieu de celle
d'un Pasteur. Cependant l'apache et Pasteur jouissent
d'une considération fort différente. Le mouton, lui
non plus, n'est pas responsable de sa qualité de mouton et cependant elle le condamne fatalement à se
voir dé[iouiller de ses côtelettes par le boucher.
(Jette distinction entre la responsabilité sociale et
l'irresponsabilité philosophique a mis quelque temps
à être comprise. Les divers congrès consacrés à. son
étude, et notamment celui des médecins aliénistes.
et les
305
LES PROGRÈS DE LA CRIMINALITÉ
tenu à Genève en 1907, ont fini par la mettre nettement en évidence. J'emprunte à R. de Gourmont le
résumé des opinions émises à ce dernier congrès
Fous et demi-fous doivent être également condamnés s'ils
:
sont coupables, c'est-à-dire s'ils ont volontairement ou involontairement violé les lois sociales... S'il faut abandonner l'idée
de responsabilité morale, il n'en est pas de même de l'idée de
responsabilité sociale... Peu importe que le criminel ait agi
avec conscience ou avec insconscience il est également dangereux dans un cas comme dans l'autre et il doit être chassé de
la société pour laquelle il est un danger. Nul ne doit échapper
à la responsabilité sociale. Elle est et doit rester un fait inattaquable, un fait sacré. Sans la responsabilité sociale, aucune
:
civilisation n'est possible.
Jusqu'ici, dit le savant criminaliste Garofalo, les peines sont
graduées d'après rme idée fausse de libre arbitre et de responsabilité morale. Il nous faut changer tout cela, nul n'étant libre.
Nous ne punissons plus en raison du degré de liberté, mais en
raison de l'intérêt de la société et en proportionnant la peine
au danger que présente le criminel.
Le docteur Bard, de Genève, a été encore plus loin en disant:
« Si j'étais législateur, je n'hésiterais pas à faire de la demi-folie
une circonstance aggravante du crime, car les demi-fous sont
de tous les criminels les plus dangereux pour la société.
Les médecins sont presque tous d'accord pour abandonner
l'idée de responsabilité morale, mais ils affirment unanimement
la responsabilité sociale des criminels et la nécessité d'une
répression de plus en plus attentive des crimes dont plus (jue
jamais souffre la civilisation.
Ce ne sont pas seulement les médecins et les criminalistes qui défendent ces théories. Voici comment
s'exprime M. Faguet
:
Soleilland est-il coupable moralement ? Pas du tout, pas plus
qu'un chien, tant il est évident qu'il est une brute, tant on le
voit n'avoir aucun remords, aucun regret, aucune inquiétude
de conscience. Dès lors, il n'est pas coupable. Absolument
pas...
Il
n'est pas coupable,
seulement
il
est
furieusement dan-
gereux.
Pour
il faut une moelle épinière
justement parce qu'il a une
moelle tout à fait particulière qu'il convient de la lui couper.
... Quand il s'agit de malades, de pauvres malades, bien dignes
de pitié, certes, mais dont la maladie consiste à égorger leurs
semblables, je ne vois pas du tout pourquoi on ne s'appliquerait
qu'à prolonger leur existence.
tout à
faire ce qu'a fait Soleilland,
fait particulière.
Mais
c'est
26.
.
306
...
PSYCHOLOGIE POLITIQI'E ET DÉFENSE SOCIALE
Pour moi,
Elle sert
manent
:
l" à
peine de mort est une question d'opportunité
supprimer la hèXe féroce qui est un danger per-
la
;
2» à terroriser les autres bêtes féroces.
Je suis pour la répression très sévère des criminels et tout
particulièrement des criminels malades parce que ce sont les
plus dangereux. Soyez sûrs que cela fera sur certains malades
un
;
effet très curatif.
Il est indiscutable que la plupart
des dégénérés,
demi-fous, alcooliques, déséquilibrés, etc., sont très
influençables par la crainte du châtiment et que plus
ce châtiment sera sévère, plus
ils le
redouteront.
une catégorie de gredins, pour lesquels la
guillotine devrait être rigoureusement appliquée sans
exception, alors qu'elle ne l'est jamais. Je veux parler
de ces sinistres brutes, terreur de nos faubourgs,
tuant uniquement pour le plaisir de tuer. Le passant
attardé, la femme et l'enfant rencontrés par hasard
tombent indifféremment sous leurs coups. Arrêtés,
ils s'en tirent avec quelques mois de prison et recommencent aussitôt relâchés.
Ce ])esoin de tuer par simple dilettantisme se développera encore plus si l'on ne prend soin de le vigoureusement réprimer, parce qu'il est un résidu ancestral des temps primitifs toujours prêt à renaître. Le
demi-civilisé et même le civilisé lui donnent satisfaction par la chasse, qui n'a guère d'autres motifs que le
besoin de tuer. Un magistrat distingué, grand chasseur
lui-même, a très bien décrit, cette psychologie du chasseur, qui ne se distingue souvent de celle de l'apache
meurtrier, que parce que leur férocité s'exerce sur des
existe
Il
êtres diirérents.
Ah les remords d'un chasseur, quel douloureux chapitre
Tuer impitoyablement, et
c"est plus atroce encore -^ trouver un plaisir intense, violent, magnifique à tuer, à tuer encore
ces animaux de douceur, ces oiseaux charmants, ces merveilles
de grâce, de beauté... et ne pas pouvoir s'en empêcher, ne pas
pouvoir renoncer à verser ce sang innocent, à répandre ces
1
!
—
injustes souffrances, quelle misère
Comme
le
chasseur,
plaisir intense, violent,
!
l'apache
trouve
magnifique
».
à tuer
«
Pas plus que
un
le
I,ES
PROGRES DE LA CRIMINALITE
307
chasseur. « il ne peut s'empêcher de tuer ». Voilà
pourquoi nous devons le supprimer afin d'éviter d'être
supprimé par lui.
Remarquons en passant combien se sont modifiées
en que](iues années les idées des médecins et des
criminalistes. Il y a peu de temps encore, tous les
criminels étaient des fous irresponsables qu'il fallait
se borner à soigner. Aujourd'hui, on les considère
encore comme des détraqués, mais i)arfaitement responsables. Au point de vue de l'intérêt social, on
réclame maintenant, à leur égard, l'application de
toutes les rigueurs du Code. Se contenter de les
enfermer ne servirait à rien, car au bout de peu de
temps, jugés guéris, ils seraient relâchés et recom-
menceraient aussitôt.
Je suis d'accord avec l'école nouvelle sur la nécessité de la répression, mais je voudrais qu'elle s'étendit
à toutes les variétés de délinquants sans cesse récidivistes. Rappelons à ce sujet ce que j'écrivais dans
la Revue Philosophique, bien avant l'éclosion des
idées actuelles, dans le but de montrer que « tous
les criminels sont responsables ». J'arrivais alors à
pour les criminels d'occasion, des
cette conclusion
peines corporelles énergiques; pour les criminels
d'habitude qui sont des êtres incurables dont une
société doit se défaire, la déportation dans un pays
lointain. C'est le traitement qu'on api>liquait jadis aux
lépreux considérés, eux aussi, comme dangereux et
:
On
pourrait utiliser d'ailleurs les récidiincorporant dans des compagnies de
discipline employées à construire des routes et des
chemins de fer au centre de l'Afrique.
incurables.
vistes
en
les
Ce qui précède nous conduit à examiner notre pénaLa peine de mort n'en est qu'un élément d'influence
toujours restreinte parce que rarement appliquée.
Le problème est autrement vaste, en effet, que celui
lité.
308
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
discuté à la
ment
Chambre. La criminalité
croît
énormé-
quelques douzaines d'exécutions annuelles
ne sauraient contribuer notablement à la ralentir.
L'assassinat et le meurtre resteront toujours les crimes
les moins nombreux. Ce sont donc les autres qu'il faut
apprendre à combattre.
Nous les réprimons actuellement de la plus misérable façon, par le seul moyen des bagnes et des
prisons. Nos idées humanitaires ont transformé les
premiers en Aéritables villégiatures et les secondes
en demeures de luxe.
Un avocat général me parlait récemment des résultats produits aujourd'hui par certaines prisons modèles
dont le confortable dépasse de beaucoup celui de la
et
jjlupart des
petits bourgeois. Electricité, chauffage
eau chaude et eau froide, salles de bains,
promenades dans de beaux jardins ombragés, etc. Il
a vu plusieurs fois des individus commettre des délits,
uniquement pour se faire enfermer pendant six mois
de l'hiver dans ces asiles princiers où se rencontrent
tous les luxes, sauf celui de la liberté.
Tout autre est le système de l'Angleterre, pays des
peines brèves, mais énergiques, et par conséquent très
efficaces -siir des âmes criminelles. Dans la prison,
c'est le travail forcé et l'application rigoureuse du
fouet à neuf queues.
central,
Cette
méthode a
vite réduit la criminalité.
M.Lacas-
sagne remarque qu'on n'a connu à Londres qu'une
seule bande d'apaches
l'emploi du fouet et du hard
labour aux membres capturés la fit disparaître en
quelques semaines et depuis cette époque on n'entendit plus parler de ces bandits dont le nombre est de
30.000 à Paris.
;
M. Lacassagne ajoute
On
:
magistrats et du
Paris devient sous l'influence du régime
dire grâce à une excessive indulgence des
parquet. Les neuf dixièmes des malandrins
raflés la nuit sont
chaque matin remis en circulation après une
sait
ce
que
contraire, c'est à
309
LES PROGRÈS DE LA CRIMINALITÉ
admonestation. La mise en parallèle des deux syspeines physiques et tolérance abusive, montre où sont la
raison et le bon sens pratique. Les châtiments corporels seuls
sont efficaces pour les criminels professionnels.
En 190j, au Danemark, comme il y avait de nombreuses
attaques contre des personnes, on rétablit la bastonnade
en
peu de temps les crimes de cet ordre ont cessé.
Nous estimons, conclut le professeur Lacassagne, qu'il faudrait introduire l'usage des châtiments corporels
ce sont les
seuls qui agissent, l'expérimentation anglaise l'a bien prouvé.
Il est plus sûr et plus efficace,
nous dirons môme plus hygiénique, d'infliger des coups de fouet ({ue d'appliquer des mois
ou des années de prison.
paternelle
tèmes
:
;
:
Assurément, devant
l'incapacité,
criminalité
la nullité
de
la
répression et
parfois excessive, de nos magistrats, la
est destinée à s'élever
encore.
Les
lois
dites humanitaires, et en réalité féroces, sur le travail
dans
manufactures contribuent fortement à augnombre des criminels. Elles ont eu pour
résultat, comme je l'ai dit déjà, de jeter sur le pavé
des milliers d'adolescents qui, par désœuvrement,
adoptent vite la profession de souteneur et d'apache.
Le peu de risques qu'entraînent le meu:^tre et l'assassinat, les bons soins attendant les condamnés dans
les prisons ou dans les bagnes provoquent également
l'accroissement de la criminalité.
Au cours d'une séance récente du Conseil municipal
de Paris, deux conseillers se plaignirent de la fréquence
des attaques nocturnes à Paris. Le préfet, M. Lépine,
répondit en montrant que la faiblesse de la magistrature et les amnisties continues avaient entièrement
désarmé la répression et conclut par ces mots « Le
vent d'humanitarisme qui souffle depuis quelques
années sur le pays porte aujourd'hui ses fruits. »
Seul l'excès du mal pourra engendrer le remède.
Les cervelles les plus dures, celles dominées par la'
plus plaintive sentimentalité, sont bien obligées de
se rendre aux leçons de l'expérience. Lorsque certains
quartiers des grandes villes seront devenus des coupegorges redoutables, que des bandes de chauffeurs
les
menter
le
:
310
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
infesteront les campagnes, qu'il sera impossible
sortir
dents,
le
soir dans Paris sans
peut-être
être
décidera-t-on
se
de
armé jusqu'aux
prendre
à
des
mesures pour nous défendre.
Mais alors, les lois répressives sérieuses n'existant
pas encore et chacun étant obligé de se protéger luimême, nous verrons, ainsi que l'a très bien montré
à la Chambre le rapporteur de la commission, se
déchaîner les fureurs populaires et devenir usuel le
lynchage des criminels.
La justice de la foule est impulsive, brutale, sommaire,
aveugle parfois et les pouvoirs publics seraient coupables s'ils
abdiquaient entre les mains d'irresponsables le droit social
d'infliger la peine de mort pour la défense des honnêtes gens.
Les pouvoirs publics seraient coupables s'ils amenaient à se
munir d'armes pour se faire justice eux-mêmes les citoyens
qui n'auraient plus confiance dans la protection de la loi.
La pusillanimité excessive
de notre magistrature
qui redoute la vengeance des criminels, et ne sévit
avec rigueur, que lorsque de bas policiers lui
amènent des femmes sans défense, coupables de
délits, est aussi une cause active d'accroissement de la criminalité. Ce point a été bien marqué
par un magistrat dans une interview dont je reproduis ici un fragment
légers
:
—
Vous parlez procédure, dit-il, et vous n'envisagez jamais
répression. Savez-vous que depuis vingt ans l'échelle des
peines a été abaissée de cinquante pour cent, que la libération
conditionnelle et la défalcation de la prison préventive ont
énervé l'action de la justice ? La loi sur la relégation n'est pas
la
appliquée, et ainsi chaque jour grossit le nombre des récidimais alors previstes. Vous voulez la procédure anglaise. Soit
punissez
nez la répression anglaise, le fouet, le hard labour
sans pitié les délits et les crimes de nature à affaiblir l'autorité
entourez les agents du pouvoir d'une telle sollicitude qu'ils
soient intangibles. Les policeraen n'ont ni sabre ni revolver et
ils circulent isolés à Londres dans des quartiers où nos agents
.'
;
;
n'iraient qu'en troupe et armés jusqu'aux dents. Alors, quand
vous aurez supprimé le crime par la terreur du châtiment implacable, nous parlerons de la procédure.
La terreur du châtiment
est,
au demeurant, l'unique
311
LES PROGRES DE LA CRLMINALITE
(l'aiTèter les progrès de la criminalité, comme
également fort bien montré Maxwell clans son
beau livre Le Crime et la Société. L'aliéné kii-nièine
est parfaitement sensible à la menace du châtiment.
moyen
l'a
*
*
*
Pour arriver aux répressions nécessaires, il faudra
guérir le public de son humanitarisme maladif et la
magislralure de ses craintes. Quelques indices, bien
insuffisants encore, permettent cependant d'espérer
un peu cette guérison.
A
l'enterrement récent d'un brave sergent de ville
par un apache, le président du Conseil
municipal disait très justement
« Mais, ce qui importe surtout, c'est de ne pas nous
laisser envahir par ces doctrines soi-disant humanitaires qui n'aboutissent qu'à énerver toutes les énergies et sont plus pernicieuses que les malfaiteurs euxassassiné
:
mêmes.
»
Je suis absolument de cet avis. Les humanitaires
sont, indirectement mais sûrement, beaucoup plus
dangereux que
les bandits.
En attendant
la vulgarisation de ces vérités, l'humanitarisme continue à s'étendre. Une de ses plus
funestes manifestations fut l'incorporation des criminels de profession dans l'armée.
On se demande dans quelle cervelle de bureaucrate
borné a pu germer l'idée d'introduire les repris de
justice dans nos casernes. Certains régiments, comme
certain moment
le 82™*= de ligne, ont renfermé à
une centaine d'apaches ayant subi de nombreuses
condamnations. Le Journal du 28 décembre 1909
indiquait les conséquences de leur présence.
Dopuis
le
mois d'octobre dernier, deux vols à
inconnue des Montargeois, ont
spécialité jusqu'alors
l'esbroufife;
été
commis
en pli'in jour, au contre même de la ville; la villa d'un lieutenant fut cambriolée selon toutes les règles de l'art; un habitant
fut nuitamment frappé « au lancé » d'un coup de couteau entre
les deux épaules par deux militaires qu'il ne put malheureuse-
312
PSYCHOLOGIE POLITIQLE ET DÉFENSE SOCIALE
ment pas reconnaître;
enfin, il y a huit jours à peine, on
retrouvait dans le canal le cadavre d'un soldat noyé « accidentellement », conclut le parquet, à la suite d'uue discussion avec
un camarade, dit-on ouvertement en ville. La conduite de ces
soldats apaches n'autorise-t-elle pas les pires soupçons?...
Si l'opinion publique n'avait fini par se révolter et
obtenir l'abrogation de cette funeste loi, la pernicieuse engeance des humanitaires aurait achevé de
désorganiser entièrement l'armée.
Malheureusement, les tendances actuelles nous
poussent plus en France vers la protection des criminels que vers leur répression.
Les divagations de certains professeurs de droit sur
atteignent le ridicule. Ils font raisonner
le criminel comme ils raisonneraient eux-mêmes et
agir d'après les mêmes motifs. N'est-ce pas enfantin
de vouloir assimiler l'état d'esprit d'un bandit à celui
d'un professeur de droit?
M. Chaumet, député de la Gironde, s'est montré
beaucoup plus intelligent en écrivant les lignes
suivantes sur la nécessité des peines corporelles, pour
limiter les progrès effrayants de la criminalité
la criminalité
:
Je m'excuse de scandaliser les àmcs sensibles. Mais je le
déclare tout net
je demande qu'on punisse de châtiments corporels les jeunes apaches qui commettent tant de lâches et
d'odieux attentats contre les personnes.
Avant de philosopher, il faut vivre. La question n'est pas de
savoir si les criminels sont responsables, mais s'ils sont dangereux. Hélas à cet égard, il n'y a point de contradiction. Il n'est
pas de jour où nous n'ayons à enregistrer des agressions sauvages, des meurtres, des guets-apens, des assassinats, commis le
plus souvent par de tout jeunes gens, et parfois sans motif
apparent, par bravade, pour rien, pour le plaisir.
l'^aites l'analyse psychologique de ces apaches. Elle n'est guère
compliquée. Ce sont des paresseux, des jouisseurs, mais surtout des cabotins. Au lieu de travailler dans l'usine ou dans le
chantier, ils trouvent plus commode de se faire entretenir par
des filles. Ils promènent leur prétentieuse oisiveté de cabarets
en cabarets, plastronnant devant leurs pareils, désireux de
paraître plus audacieux, moins scrupuleux que le voisin, jaloux
de provoquer l'admiratiun particulière de leur milieu très
:
!
spécial.
313
LES PROGRES DE LA CRIMINALITE
L'apachc tue souvent pour voler, mais plus encore par gloire.
fois avons-nous lu dans les journaux ces exploits signi« Parie un litre que je dégringole le premier bourgeois
ficatifs
qui passe » Le pari est tenu... et gagné. Voici un brave homme,
un père de famille lâchement assassiné par un gamin alTolé de
Que de
:
!
cabotinage.
contre
Il faut donc, quand nous songeons à nous défendre
les apaches, tenir compte de ce trait essentiel de leur caractère.
Les pénalités, pour être efficaces, doivent d'abord n'être pas de
nature à ajouter un rayon à l'auréole qu'ils ambitionnent.
Le principal avantage des châtiments corporels est précisément
qu'ils sont, en même temps que douloureux, humiliants. Un
apache se vantera de risquer le bagne ou même l'échafaud. 11
ne se vantera pas d'avoir reçu dix ou vingt coups de fouet.
Or, si nous ne considérons pas la peine comme un châtiment
ni comme une rédemption, si elle nous apparaît, ce qu'elle doit
être
un moyen de préservation, un procédé d'intimidation de
nature à décourager les tentatives criminelles, quelle objection
pourrait-on élever contre les châtiments corporels ?
:
En attendant, l'apache commence déjà à recruter
des défenseurs. Un journal a publié le manifeste
d'une brave doctoresse racontant qu'elle fut convertie
à « l'apachisme » par un jeune gredin, lui ayant fait
comprendre que « l'honnêteté ne sert qu'à sauvegarder les riches ». Être ouvrier, ajoutait le triste
vaurien, ^ c'est ennuyeux. La profession d'apache,
au contraire, est pleine d'imprévus agréables ».
Séduite par d'aussi lumineux arguments, l'aimable
dame arrive à cette conclusion « qu'il ne serait pas
mal qu'il y ait dans notre armée révolutionnaire
quelques apaches conscients ». Bel exemple des troubles que peut déterminer l'instruction sur de faibles
cervelles.
L'expérience seule pourra nous renseigner sur les
conséquences de notre humanitarisme.
Lorsque le danger sera devenu trop aigu, et qu'un
nombre suffisant de philanthropes aura été éventré,
notre sentimentalité s'évanouira rapidement. Alors,
comme les Anglais, nous emploierons des moyens
peines corporelles surtout. Quand les
30.000 apaches qui infestent Paris auront acquis la
efficaces, les
27
314
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
solide conviction qu'au lieu d'une villégiature en
Nouvelle-Calédonie ou dans une prison bien chauffée,
ils risquent le fouet,
un labeur forcé et la guillotine,
le travail leur semblera préférable au vol et à l'assassinat. En quelques semaines, Paris sera purgé de son
armée de bandits. Nos législateurs découvriront alors
<[ue de toutes les formes d'imbécillité connues, l'humanitarisme est la plus funeste, aussi bien pour les
individus que pour les sociétés. 11 a toujours constitué
un énergique facteur de décadence.
À
CHAPITRE
III
L'Assassinat politique.
politiques, devenus si fréquents
une des manifestations de l'anarchie sociale actuelle. Ils trahissent un déséquilibre
Les
assassinats
aujourd'tiui, sont
mental profond.
L'impression la plus frappante pour le public dans
les meurtres politiques, après l'horreur qu'ils insc'est leur absurdité pratique.
Que
la victime
impératrice
d'Autriche, président de République, roi de Portugal, etc., il est évident que les souverains assassinés
seront immédiatement remplacés et que le régime
qu'ils représentent ne changera pas. Ces assassinats
produisent même des réactions fortifiant le régime
pirent,
soit
empereur de Russie,
combattu.
est
Il
roi
d'Italie,
également certain que l'assassin n'a
rien à espérer personnellement de son crime.
De
évidences semblent dérouter toutes les
de psychologie courante qui montrent le
crime comme conséquence d'un intérêt personnel
quelconque vengeance, cupidité, etc.
Ces crimes politiques dérivent donc de mobiles
paraissant étrangers à l'intérêt personnel et à l'utilité^
générale. Comment la psychologie actuelle peut-elle
les expliquer?
Pour les comprendre, il faut rechercher le mode
de propagation de certaines convictions dans les
telles
notions
:
esprits et leur puissance.
316
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
La nécessité de se soumettre à une foi quelconque,
ou sociale, constitue pour beaucoup
d'âmes un très impérieux instinct. Elles ont besoin de
croyances pour diriger machinalement leur vie et
divine, politique
s'épargner tout effort de raisonnement. C'est à l'esclavage de la pensée, et non à la liberté, que la plujtart des hommes aspirent.
Les croyances fortes échappent entièrement à l'influence du raisonnement et deviennent de puissants
mobiles d'action. Aucune des grandes croyances qui
régirent l'humanité et au nom desquelles s'établirent
de durables religions, de solides empires, ne fut fille
delà raison. Elles eurent pour auteurs un petit nombre
d'hallucinés et furent propagées par des apôtres imbus
de convictions, assez intenses pour transformer en
vérités éclatantes les plus manifestes erreurs, et
asservir entièrement les âmes.
Les convictions de ces apôtres sont si puissantes qu'ils
obéissent à leurs suggestions sans se soucier de leur
intérêt personnel. Hypnotisés par la foi qui les a
subjugués, ils sacrifieront tout pour en établir le
règne.
Ces demi-aliénés, dont l'étude relève surtout de la
rôle
pathologie mentale, jouèrent cependant un
immense dans
l'histoire.
recrutent principalement, comme je l'ai
montré dans ma Psychologie du socialisme, parmi les
Ils
se
esprits
doués à un haut degré d'instinct religieux,
instinct dont la caractéristique est le besoin d'être
dominé par un être ou par un Credo quelconque, et
de se sacrifier pour faire triompher l'objet de leur
adoration. Tous rêvent une société paradisiaque bien
proche du paradis céleste de nos pères. Les terroristes
russes et les diverses variétés d'anarchistes en fournissent de curieux exemples. Dans ces cervelles rudimeiitaires, entièrement dominées par l'atavisme religieux, et qu'aucun raisonnement ne saurait effleurer,
le vieux déisme ancestral s'est objectivé sous la forme
317
l'assassinat politique
d'un paradis terrestre, gouverné par un Etat provitoutes les injustices et doté de la
puissance illimitée des anciens dieux.
L'incapacité de l'apôtre à raisonner, son besoin de
propager sa croyance, son ignorance des nécessités
et des réalités le rendent très dangereux, parce qu'il
dentiel réparant
sur des foules incapables, elles aussi, de raisonner et dont les opinions se forment surtout par
voie de contagion.
Une des grandes erreurs de l'âge moderne est de
croire que l'on persuade les foules avec des raisonnements. L'affirmation, la répétition, le prestige et
la contagion sont, je le rappelle de nouveau, les
sources à peu près uniques de leurs convictions. Que
agit
dernières contrarient leurs intérêts les plus cerqu'elles se heurtent à des impossibilités évidentes, peu importe. Les croyances acceptées, si
absurdes soient-elles, deviennent de puissants mobiles
d'action. C'est au nom de croyances fort contraires
à la raison que le monde fut bouleversé tant de fois
ces
tains,
et le sera sans
doute encore.
De semblables
vérités, qui devraient être élémenexpliquent les assassinats politiques. Ils peuvent nous indigner, mais non pas nous surprendre.
La caractéristique de l'apôtre convaincu est de faire
partager à tout prix sa croyance et de détruire sans
pitié tous ceux qui, dans son esprit, y font obstacle
et sont, par conséquent, les ennemis évidents de
l'humanité. L'apôtre éprouve un ardent besoin de
propager sa foi et d'apporter au monde la bonne
nouvelle qui sortira l'humanité de l'océan de misères
oi^i elle avait végété jusqu'à lui.
Cette soif de destruction est, je le répète, un des
éléments constitutifs de la mentalité de l'apôtre. Pas
de véritable apostolat sans le besoin intense de massacrer quelqu'un ou de briser quelque chose. Pour
détruire les ennemis de sa foi, l'apôtre n'hésite pas à
faire périr des milliers d'innocentes victimes. 11 lance
taires,
27.
318
PSYCHOLOGIE POLITIOLE ET DEFENSE SOCIALE
ses bombes dans un théâtre rempli de spectateurs ou
dans une rue populeuse. Qu'importent de telles hécatombes quand il s'agit de régénérer le genre humain,
d'établir la vérité et de détruire l'erreur
Ces apôtres meurtriers ne se recrutent pas principalement dans les éléments inférieurs d'un peuple.
chez des demi-intellecIls se rencontrent souvent
éducation universitaire mal
tuels, ayant reçu une
adaptée à leur mentalité simpliste. Ce sont parfois de
doux philanthropes dominés par l'idée fixe de rénover
Marat. Robesla société. Torquemada. Ravaillac.
pierre se considéraient comme des amis du genre
humain, ne rêvant que son bonheur et prêts à sacrifier leur vie pour lui.
!
Les aliénés et les passionnés à tendances altruistes ont surgi
de tout temps, écrit Lurabroso, même à l'époque sauvage, mais
plus tard,
alors ils trouvaient un aliment dans les religions
ils se rejetèrent dans les factions politiques et les conjurations
antimonarchiques de l'époque. D'ahord croisés, puis rebelles,
errants, puis
martyrs de la foi ou de
puis chevaliers
;
l'athéisme.
De nos jours, et surtout chez les races latines, lorsqu'un
de ces fanatiques altruistes surgit, il ne trouve d'autre aliment
possible à ses passions que sur le terrain social et économique.
Ce sont presque toujours les idées les plus discutées et les
moins sûres qui laissent le champ libre à l'entlicusiasme des
fanatiques. Vous trouverez cent fanatisés pour un problème
de théologie ou de métaphysique vous n'en trouverez point
pour un théorème de géométrie. Plus une idée est étrange et
absurde, plus elle entraine derrière elle d'aliénés et d'hystériques, surtout dans le monde politique où chaque triomphe
privé devient un échec ou un triomphe public, et cette idée
;
soutient jusqu'à la mort les fanatiques à qui elle sert de compensation pour la vie qu'ils perdent ou les supplices qu'ils
endurent.
Les doctrines anarchiques nmltiplient de plus en
nombre des assassinats politiques. On connaît
celui tout récent du colonel aide de camp du ministre
des Indes, par un jeune étudiant hindou, imbu des doctrines d'un journal où se lisaient les lignes suivantes:
« Au risque de perdre l'esliiiie et la sympathie de
plus le
319
L ASSASSINAT POLITIQIE
nos vieux amis, nous répétons que l'assassinat politique n'est pas un crime. Toutes les personnes libres
de préjugés traitent l'assassin politique, non comme
un criminel, mais comme un vengeur de l'humanité. »
En un an, on a signalé dans le Bengale 329 crimes,
dont beaucoup ne sont peut-être que des actes de
simple brigandage, mais qui se qualifient de crimes
politiques.
Le nombre des meurtres commis depuis
ans
i)ar
les
anarchistes, les
terroristes
variétés de convaincus est considérable.
dique
qu'il
au contraire,
doive
qu'il
et les hallucinés,
diminuer.
Tout
et
trente
diverses
Rien n'in-
porte à
croire,
augmentera encore. Les mystiques
absorbés jadis par
les religions, se
report(mt aujourd'hui vers la politique. Inutile de discuter avec ces dangereux hallucinés. 11 faut les
supprimer ou être supprimés par eux.
CHAPITRE IV
Les Persécutions religieuses.
Les haines religieuses sont une des nomlireuses
causes des progrès de l'anarctiie sociale en France.
Poussé par de bruyants sectaires, le gouvernement est
entré, malheureusement pour lui. dans cette phase
(les persécutions religieuses qui n'ont jamais profité
à personne. Elle indique d'ailleurs une ignorance
parfaite, de la psychologie et de l'histoire.
Ces persécutions se sont manifestées surtout par la
loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat, et par celle
d'expropriation des congrégations.
La haine aveugle toujours. Il fallut en vérité un
aveuglement excessif pour voter cette loi de la séparation, dont le vrai but était de dépouiller le clergé
des modestes traitements qui le faisaient vivre, et
dont le résultat sera tout autre.
Aucune mesure ne pouvait être plus dangereuse
pour la République. Le clergé eut tort de s'en
plaindre, car elle lui a octroyé une liberté et lui donnera une puissance que le plus catholique de nos rois
n'aurait jamais tolérée. Peut-on imaginer mesure
aussi inopportune que de soustraire le clergé à l'autorité séculière, laisser le pape nommer des évêques,
choisis autrefois en fait par le gouvernement, qui les
tenait en main grâce à ce choix et au traitement
qu'il leur servait ?
la
Rien ne pouvait être plus maladroit également, que
persécution mesquine des membres du clergé,
LES PERSÉCUTIONS REMGIEUSES
«'^Sl
chassés de leurs presbytères et privés de leurs moyens
d'existence. Combien plus intelligente la conduite du
gouvernement allemand en Alsace. C'est par le clergé
conquête morale du pays, le comde le persécuter, et augmentant notablement son traitement.
Bien peu d'efforts étaient nécessaires pour rallier à
la République un clergé pauvre, n'ayant guère d'opinions politiques à défendre. Aveuglés par notre imprévoyant fanatisme, nous avons agi contre nos plus
évidents intérêts. Les i)uissances morales ne se combattent pas avec des violences. C'est à l'école primaire que devraient être enseignées d'aussi rudimentaires vérités.
Quant aux lois d'expropriation des biens des congrégations
elles ne furent pas seulement maladroites, mais d'une iniquité sauvage et trahissent une
qu'il a entrepris la
blant d'égards au lieu
,
incapacité prodigieuse à comprendre certaines notions
d'équité. Elles ont montré aussi à quel point les lois
immorales, étaientgénératrices d'immoralité chez ceux
qui les appliquent.
Chacun
sait que l'origine de ces lois fut le pros'emparer du milliard, supposé appartenir aux
congrégations, pour le distribuer en partie aux ouvriers
sous forme de retraites afin de s'assurer leurs votes. Le
seul résultat obtenu a été de s'assurer leurs haines,
jet de
car le milliard s'est vite évanoui. La liquidation finale
ne produira guère plus d'une dizaine de millions et
sera tout à fait désastreuse, les innombrables œuvres d'assistance entretenues par les congrégations et où passaient tous leurs revenus retombant
maintenant à la charge de l'Etat.
Les seules personnes qui aient gagné quelque chose
à l'opération sont des liquidateurs et des spéculateurs.'
Ils y ont réalisé de brillantes fortunes et le principal
l'opération
auteur de cette loi, M. Combes, eut raison de reconnaître, dans une interview, que son exécution avait
été un acte de banditisme.
H22
PSYCHOLOGIE POIITIOIE ET DEFENSE SOCIALE
Les chiffres donnés dans son rapport au Sénat par
M. Regismanset. jettent les plustiistes lueurs sur cette
sombre aventure. Certains liquidateurs se voyaient
allouer par de complaisants tribunaux 100.000 francs
d'honoraires sur un actif de 600.000 francs. Un
autre se fait donner 10.000 francs sur un actif de
28.000 francs. A Nice, un liquidateur se fait attribuer
16.000 francs, alors que l'actif est nul, etc.
Mais ces sommes englouties par les liquidateurs
et leurs protégés sont bien peu de chose, auprès des
bénéfices colossaux réalisés par des industriels se
portant acquéreurs, à la suite d'adjudications faites
sans publicité, au moment de l'année où les acheteurs possibles étaient absents. Dans la séance du
14 décembre 1909, M. de Villaine a cité des faits
typiques qui n'ont pu être démentis et qui d'ailleurs
se sont multipliés dans d'immenses proportions.
que l'Abbaye-aux-Bois a été vendue 2.600.000 fr.
un personnage qui en a retiré immédiatement 8 millions.
Un autre amateur, de même origine, qui faisait le guet a vu
son tour de faveur se réaliser avec l'acquisition, à un prix
trois fois au-dessous de sa valeur réelle, du couvent des Oiseaux
C'est ainsi
à
dépendances.
Aujourd'hui, on espère continuer cette série scandaleuse. La
propriété du Sacré-Cœur représente 52.000 mètres carrés. La
mise à prix est de 5.200.000 francs. On peut supposer que les
enchères ne monteront guère, parce que chacun sait que derrière
l'achat global, attend un financier tout prêt à entrer en scène.
Il est donc à prévoir que
l'enchère définitive et globale no
dépassera pas 6 millions. Par conséquent vous allez vendre à
X..., pour6 millions, c'est-à-dire sur le pied de lOOfrancs le mètre,
une propriété qui, par sa situation dans Paris, vaut au moins
ajoutons
400 francs le mètre. Vous allez livrer pour 6 millions
encore 2 millions de frais, soit pour 8 millions au total
à une
société ou à un individu, une propriété qui vaut, au bas mot,
et ses
—
—
20 millions.
Ainsi interpellé, le président du Conseil fut forcé de
reconnaître que l'adjudication qui devait produire
d'aussi énormes bénéfices, n'avait pas été régulière.
Voici comment il s'exprima
:
La vente avait
été fixée en plein été, à la fin de juillet, à
une
LES PERSÉCUTIONS RELIGIEUSES
323
époque peu propice à des opérations de ce genre. De plus le
ministre de la justice a constaté que l'adjudication n'avait pas
été précédée d'une publicité suffisante. Il a soumis des observations, à ce sujet, au parquet le procureur de la République a
partagé sa manière de voir et il a, en conséquence, présenté au
tribunal civil de la Seine des conclusions auxquelles celui-ci,
dans la liberté de son appréciation, a fait droit.
:
On connaît les manœuvres dont le récit a révolté
Chambre et les complicités, faisant dire au ministre
la
lui-même en plein Parlement, qu'il y
décidément quelque chose de gangrené dans
notre organisation judiciaire. Grâce à elles, furent
adjugées [tour 500.000 francs aux amis d'un liquidalour, l'usine et la marque do la grande Chartreuse évaluées officiellement à 8 millions. On sait également que,
malgré de trop persistantes protections, et devant la
pression de l'indignation générale, il fallut arrêter
pour vol de 5 millions un des membres de la sinistre
bandf qui vivait sur le milliard des congrégations.
Quant aux expropriés, personne ne songea à s'en
occuper. La plupart de ces malheureux sont tombés
dans une noire misère. Certains attendent vainement
depuis cinq ans les pauvres secours promis par leurs
spoliateurs, qui n'ont pas osé proposer de les laisser
entièrement mourir de faim. Leurs promesses ont été
vite oubliées, à en juger par l'extrait suivant d'une
lettre que M. Briand, président du Conseil, adressait
en juillet 1908 à son cojjègue de l'Instruction publique
de
la Justice
avait
:
assumer jusqu'à la fin
de laisser dajis la plus atroce misère
des femmes qui, après avoir obéi à la loi, se voient privées, par
le fait de l'Etat lui-même, de l'indemnité alimentaire que prétendait leur assurer cette loi.
î'ermellez-niui d'ajouter ipie je ne puis
de l'année
la responsabilité
On a rapporté à
Chambre,
sans être démenti,
jour sur la mentalité'
de certains h'gislateurs. Elle fait songer à celle de
Torquemada. Si le socialisme triomphant les dépouille
la
d'autres faits jetant un bien
à leur tour, trouveront-ils
s'apitoyer
sur leur
sort".'
et
tristr;
beaucoup d'historiens pour
J'ospère
qu'ils
n'en ren-
324
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
contreront aucun. Quand pour satisfaire aux exigences de quelques braillards fanatiques on se livre
à de pareilles spoliations on ne mérite ni excuses
ni pitié.
Après avoir cité M. Briand. qui semble connaître
aujourd'hui le remords et en tout cas reconnaître, que
l'extrême fanatisme confine à l'extrême maladresse,
je donne maintenant un passage reproduit à VOfficiel
du discours d'un orateur.
Dernière question capitale que j'adresse à M. le Président du
Qui, aujourd'hui, va nourrir ces religieux et religieuses
dépouillés par vos liquidateurs et comment allez-vous subvenir
à leurs besoins ?
Ils n'ont pas de retraite, ils n'ont pas de ressources! A l'heure
actuelle, le directeur de Stanislas, un prêtre âgé de plus de
soixante ans, n'a pas un morceau de pain et donne des leçons
conseil
:
pour vivre.
lard
A
six reprises
j'ai
demandé une retraite pour
ce vieil-
:
On
a volé 2 raillions à cette maison, alliée cependant à l'Uniet où les années de professorat comptaient pour la
versité,
retraite.
Et celui qui la dirigeait végète à un sixième étage, ayant inutilement tendu la main et fait valoir ses années de service
N'est-ce pas odieux ?
M. Georges Berry.
Je comprends votre indignation et
I
—
y
m'y associe.
Qui donnera du pain à ces frères des écoles chrétiennes
auxquels on a pris l'argent qui leur servait à donner l'instruction aux enfants du peuple? N'ayant pas trouvé grâce devant
vous, ils n'ont pas davantage trouvé grâce devant vos liquida-
—
teurs
!
Nous connaissons maintenant la première utilisation du fameux
milliard des congrégations. Nous savons à quoi il a servi à chas:
ser de saintes
filles,
de braves gens qui ne demandaient qu'à
faire le bien, étant les soutiens des
malheureux
et
les
protec-
teurs de l'enfance.
Ainsi, vous avez chassé, traqué, dépouillé, ruiné, mis dans
l'impossibilité de vivre, si ce n'est en s'expatriant, les meilleurs
d'entre nous, et pourquoi faire ? Pour permettre à quelques
Duez de fourrer de l'argent dans leurs poches. Ah! messieurs,
quelle tristesse pnur nous, mais pour vous quelle responsabilité
!
Je ne saurais reproduire ici les articles de très
légitime indignation, que cette expropriation digne des
LES PERSÉCUTIONS RELIGIELSES
-^25
âges les plus barbares provoqua dans le monde entier.
Je me bornerai à citer les paroles d'un grand personnage, candidat à la présidence de la République de
son pays, et reproduites dans un joui'nal brésilien non
suspect de cléricalisme
:
fantôme du cléricalisme, va
sans cesse de réaction en réaction, inquiète, agressive, despotique. Avec elle, sous l'apparence de la licerté républicaine, le
xx^ siècle assiste à un épouvantable accès de régalisme, qui a
déjà banni du pays les congrégations religieuses. Au sein de
l'Amérique, se réunissent les exilés de la persécution d'outre-
La France, obsédée par
mer,
et les collectivités
l'éternel
religieuses se développent tranquilles,
prospères, fécondes, sans le moindre nuage à leur horizon. C'est
dans la plus parfaite cordialité que les prélats romains et les
membres du Sacré Collège s'asseyent à la table du protestant
Roosevelt.
Aucun esprit indépendant ne peut nier la perturbation du sens de la justice et la démoralisalion que
comporte la mainmise par l'Etat sur des propriétés
privées comme l'usine de la Grande Chartreuse.
appartenant à une association d'individus qui l'avait
créée avec ses capitaux et son labeur. C'est une monstruosité de déposséder des hommes de leurs biens,
uniquement parce que leurs opinions religieuses ne
cadrent pas avec les idées des gouvernants détenant
le pouvoir.
Avec un pareil mépris du droit, sur quelle baso
une société peut-elle vivre ? C'est un retour aux
âges de barbarie où n'existait que le droit du plus
fort.
—
la gauche
très peu hélas
reconnaître combien sont odieuses
ces persécutions religieuses qui nous ramènent en
plein Moyen Age. Voici comment s'exprimait devant
la Chambre l'un d'eux, M. Labori
Quelques députés de
— commencent à
!
:
Une bonne part de la besogne effective depuis vingt ans se
ramène à une guerre religieuse, déclarée ou sourde, selon
qu'il est compris, n'est plus la
défense du pouvoir contre les empiétements du cléricalisme.
Sous prétexte de tolérance ou de liberté de conscience, sous le
l'heure. L'anticléricalisme, tel
28
326
PSYCHOLOGIE POLITIOLE ET DÉFENSE SOCIALE
couvert de ces mots magnifiques, dont rarement il a été fait plus
grand abus, il s'agit de brimer qui garde une foi ou une conception philosophique qu'on ne partage point. Je me suis élevé
et je m'élève encore contre l'hypocrisie de ceux qui veulent
détruire les religions, alors qu'eux-mêmes ou leurs proches
observent, dans les circonstances solennelles, les rites de la
leur. 11 n'appartient pas à l'Etat de tenter de faire l'unité morale de
la nation dans un athéisme officiel que même les hommes au
pouvoir ne respectent pas quand il s'agit d'eux. La France a
souffert assez jadis quand Louis XH' voulut faire cette unité
morale dans la foi catholique, pour que l'Etat républicain
n'essaie pas aujourd'hui un effort analogue, au nom deje ne sais
quel dogme matérialiste, de tous le moins satisfaisant, selon
moi, pour la raison.
Les générations do Tavenir jugeront sûrement les
persécutions religieuses d'aujourd'hui, le dépouillement du clergé et des ordres monastiques comme
nous jugeons l'Inquisition et la Révocation de l'Edit
de Nantes. Nos gouvernants ont invoqué d'ailleurs
exactement les mémos raisons que Louis XIV obtenir Tunité morale et politique du pays. Les consétjuences de leur œuvre seront aussi néfastes que celle
des édits du irrand roi.
:
Un seul motif d'apparence scientifique pouvait être
invoqué, non pas pour justifier d'injustifiables expropriations, mais pour expliquer l'expulsion des congrégations. Ces dernières enseignaient des théories
religieuses erronées, donc répandaient des erreurs. De
bons professeurs saturés de manuels scientifiques
devaient les remplacer.
Ce sont Là conceptions de primaires fort étrangers
à l'évolution de la psychologie moderne. Cette dernière a montré, en etîet, que les dogmes ne doivent
pas être jugés d'après leur valeur rationnelle, mais
par les actes qu'ils inspirent. Peu importe donc, leur
degré de vérité ou d'erreur. Seules peuvent nous intéresser les actions provoquées par leur influence. On
voit naître chaque jour aux Etals-Unis des religions
LES PERSÉCUTIONS RELIGIEUSES
nouvelles
cela
même
327
comme
mobiles d'activité et pour
La religion des Mormons, par
un bienfait pour l'Amérique, puisqu'elle
utiles
respectées.
exemple, a été
a déterminé la fondation de plusieurs grandes cités
prospères dans des pays jadis incultes.
Ce point de vue utilitaire est pratiquement capital.
Les libres penseurs s'attaquant à des dogmes, sous
prétexte qu'ils sont erronés, ne comprennent rien au
rôle des religions. Il est évident qu'au point de vue
rationnel, elles ne contiennent que de faibles parcelles
de vérité. L'histoire nous montre cependant que c'est
avec l'appui des grandes croyances que les civilisations les plus importantes furent fondées. Elle nous
apprend aussi que la foi dans les dogmes, a embelli
la vie de millions d'hommes, et que jamais doctrines
philosophiques n'inspirèrent pareilles abnégations,
semblable dévouement, aussi intense altruisme. Les
religions constituent une force à utiliser, non à
détruire. Leurs disciples ne doivent être combattus
que lorsqu'ils veulent persécuter d'autres croyances.
Créatrices des longs espoirs, soutiens des faibles et
des déshérités du destin, les religions furent toujours
l'asile de ceux que. le sort condamnait à soutîrir.
Seules elles ont su adoucir la désespérante horreur
de la mort. Considérons comme de grands bienfaiteurs
de l'humanité les rêveurs, dont l'imagination charmeuse
inventa et glorifia les dieux. Jugées par les œuvres
dont elles furent les soutiens, ces augustes ombres
méritent toute la vénération des penseurs. La science
qui les connaît mieux, renonce à les combattre et
proclame la grandeur de leur rôle. Elles furent dans
le passé les éléments les plus sûrs de la stabilité
morale des peuples. L'avenir les transformera sans
doute, mais tant que l'âme humaine aura besoin
d'espérance elles ne pourront périr.
CHAPITRE V
Les Luttes sociales.
Située dans ces régions brumeuses que les anciens
considéraient comme les confins du monde, Stockholm
est une ville de réputation discrète qu'on ne visite
guère. Les guides prétendent qu'elle rappelle Venise,
mais les touristes restent mal persuadés delà justesse
de cette comparaison.
Ils
jettent
un coup d'œil
dis-
sur les points intéressants de la cité et n'y
séjournent pas.
Stockholm, cependant, connut la célébrité pendant
quelque temps. Les voyageurs, amenés par le hasard
de leur fantaisie, y assistèrent à un spectacle que
nous reverrons peut-être, mais que, depuis l'origine
des âges, aucun œil humain n'avait pu contempler
encore.
trait
L'inédite vision
que
cette capitale
donna durant de
longs jours, fut un monde où les antiques hiérarchies
sociales se trouvaient renversées. Le maçon devenu
rentier et le grand seigneur remplissant les fonctions
du maçon des ingénieurs remplaçant les conducteurs de tramways, des banquiers balayant les rues,
des étudiants chargeant et déchargeant les bateaux,
;
de graves magistrats exerçant la profession utile,
mais sans éclat, d'égoutier. Contemplant ce spectacle
d'un œil étonné, de lentes théories d'ouvriers oisifs
flânaient le long des rues et des canaux.
329
LES LUTTES SOCLVLES
De quel pouvoir magique résultaient pareilles transformations? Etaient -elles l'œuvre de ces sombres
génies, qui, au dire des légendes Scandinaves, peuplent le ciel, la terre et l'onde? Non certes. Les génies
ne sont pas assez influents pour bouleverser à ce
point les pensées qui nous dirigent et le farouche
Odin lui-même y eût échoué.
Plus puissante qu'eux, une de ces forces invisibles
et souveraines qui conduisent le monde, avait suffi
pour renverser en un instant hiérarchies sociales et
conditions normales de l'existence.
Cette force était la nécessité de la défense sociale,
apparue brusquement à tous les citoyens. Elle seule
pouvait réussir à modifier aussi complètement leurs
âmes et imposer la pratique immédiate des plus durs
métiers.
Fier de son pouvoir croissant, certain d'être toujours obéi par des travailleurs asservis, un syndicat
ouvrier international venait, par une grève générale,
de déclarer une guerre sans merci à la société. Chacun sentit aussitôt que, sous peine de voir périr la
patrie, la défense devenait urgente contre les prétentions de ces nouveaux barbares.
Sans doute, pouvait-on, malgré l'absurdité des exigences syndicales, céder, comme le fit en France un
président du Conseil dans la première grève des
postiers, mais cette pusillanimité ne fût parvenue
qu'à reculer le danger et l'accentuer. C'était, en perspective, de nouvelles grèves générales, engendrant
fatalement la destruction du commerce et de l'industrie et la substitution aux couches supérieures,
créatrices de tous les progrès, d'éléments inférieurs.
La nécessité de la résistance s'imposait, et sans rien
demander à l'Etat, ne comptant que sur son initiative
et son courage, la classe bourgeoise se substitua
presque instantanément à la classe ouvrière.
Après trois mois de lutte, la formidable grève fut
vaincue. Elle le fut malgré les efforts désespérés
28.
330
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE
syndicat pour réduire la société et l'asservir à son
(lu
Suède rendit un
apprit aux
classes dirigeantes, dont la résistance dans d'autres
pays est si faible, comment on se protège.
En dévoilant à une foule d'humanitaires bornés
de quels dangers le socialisme nous menace, cette
grève eut une autre utilité incontestable. Un impor« que son résultat le
tant journal suédois écrivait
plus tangible a été de souder dans un bloc compact
tous les éléments non socialistes, c'est-à-dire les cinq
sixièmes du pays, tournés de toutes leurs énergies
hostiles contre le danger socialiste. »
La défense ne fut d'ailleurs possible que grâce à la
cohésion admirable des syndicats patronaux, encore
si peu coordonnés chez nous, et à la sympathie de
Par cette courageuse défense,
immense
à la
service
la
civilisation. Elle
:
l'opinion publique.
Elle fut favorisée aussi, parce que la plupart des
bourgeois avaient reçu cette précieuse éducation
manuelle qui apprend à .se servir de ses mains, éducation leur permettant, lorsqu'ils habitent les campagnes un peu éloignées, d'entreprendre une foule de
petits travaux urgents
limer, tourner, raboter, sou:
der, forger, etc.
Un
tel
partie de toute éducation.
reusement
Il
n'a
le
demander
enseignement devrait faire
Nous ne pourrions malheu-
à notre Université.
faut considérer encore qu'on
pas
ce caractère résigné
en France
Suède
la bourgeoisie
veule si commun
dépouillement, sans
et
et qui facilite son
autre protestation que de vains discours. Si elle ne
songe pas à s'associer pour se défendre, la bourgeoisie française arrivera vite à être complètement
spoliée, puis à disparaître.
Nous vivons à une époque, écrivait récemnientM. S. Lauzanne,
où vis-à-vis de l'Etat, il ne sert à rien de se montrer éloquent,
humilié ou attendrissant il faut se montrer fort. Regardez tout ce
que les ouvriers obtiennent chaque jour c'est qu'ils sont unis,
:
:
LES LUTTES S0CL4.LES
331
puissants et rudes. Regardez au contraire comment, chaque
matin, on s'assoit un peu plus sur les bourgeois, les industriels
et les conmierçants c'est qu'ils sont divisés, timides et mous.
Ils appartiennent à ce qu'un ancien président des Etats- Unis
appelait « type flasque ».
:
Ces tentatives de grève générale, les révoltes de
comme celle des postiers, les pronunciamentos militaires en Grèce, etc., peuvent sembler
issus de causes diverses. En réalité, ce sont des
phénomènes semblables, résultats d'une même loi
psychologique vérifiée par l'histoire chez tous les
peuples, à toutes les époques.
Cette loi peut se formuler ainsi
chaque fois que
dans une société une classe quelconque voit par un
motif quelconque son influence s'accroître, elle tend
aussitôt à devenir prépondérante et asservir les
fonctionnaires
:
autres.
La prépondérance
initiale, qui précède l'absorption
dès que les divers éléments constitutifs de la vie sociale, cessent de se faire équilibre.
La vie d'un peuple, comme celle d'un individu, ne
peut se maintenir que par l'équilibre des forces en
présence. Le trouble de cet équilibre, c'est la maladie.
La persistance du trouble, c'est la mort. Il existe des
maladies sociales comparables aux maladies individuelles. Un traité de pathologie sociale complet formerait certainement un gros livre. Mais si les empiriques proposant des remèdes pour ces maladies sont
innombrables, les savants capables de déterminer
leur genèse demeurent singulièrement rares.
Un coup d'oeil très sommaire, jeté sur l'histoire,
suffit pour justifier cette loi de la tendance constante
à dominer des diverses classes sociales par celle'
devenue prépondérante. Rome, qui domina le monde
par ses armées, finit par les avoir pour maîtres, dès
que la puissance du Sénat leur faisant équilibre fut
annihilée par les empereurs. Au déclin de l'Em-
finale, se produit
332
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
pire, les soldats seuls possédaient le pouvoir de créer
des Césars.
La même action absorbante a été exercée plus tard
par des éléments sociaux divers devenus trop prépondérants
féodalité; clergé, monarchie, etc. L'excès
même de leur prépondérance, rompant par l'effacement des classes antagonistes l'équilibre qui leur
était nécessaire, en amena la perte. La Monarchie
française périt pour n'avoir pas compris l'importance
de cet équilibre.
C'est donc un principe politique primordial, de
maintenir toujours la balance entre les divers éléments d'une société et, par conséquent, de ne pas
favoriser l'extension des uns aux dépens des autres.
:
la monarchie périt pour avoir méconnu cette
notre république périrait également en continuant à la méconnaître. Il suffirait qu'elle laissât les
|)Ouvoirs nouveaux que nous voyons grandir
Confédération du travail, syndicats de fonctionnaires, etc.,
jirendre trop d'influence. Oui exerce un tel rôle
devient bientôt l'unique maitre.
Cette loi générale se vérifiera toujours, et nous en
avons vu une pi'euve bien frappante en Grèce. Elle
explique comment une classe d'officiers, qu'on a trop
insoucieusement laissée se développer, a pu finir par
établir une véritable dictature militaire.
Si
loi,
:
Les vaines parlotes humanitaires, les perpétuelles
capitulations devant toutes les révoltes, deviennent
inutiles.
Nous sommes maintenant en présence d'ennele programme de destruction est absolument
desquels, en cas de défaite, aucun quartier ne
mis dont
clair et
serait à espérer.
« Le syndicalisme révolutionnaire, dit un de leurs
écrivains, a pris nettement position contre l'armée et
la patrie », et dans un récent discours, un député
socialiste de Paris « a
montré en exemple aux jeunes
333
LES LUTTES SOCL\LES
appelés sous les drapeaux la conduite des
ouvriers de Barcelone qui ont refusé de répondre à
l'ordre de mobilisation et se sont révoltés contre l'au-
gens
torité militaire ».
Voici donc la guerre vigoureusement déclarée à
meneurs de la classe ouvrière,
dont la rouge bannière est suivie par un certain
l'ordre social par les
nombre de députés
et
beaucoup de fonctionnaires
d'instituteurs. Pactiser avec eux,
ques riches bourgeois dans
qu'ils considèrent
comme
comme
l'espoi]-
le
et
font quel-
d'attendrir ceux
leurs futurs vainqueurs, est
d'une pauvre psychologie. Toutes ces lâches et très
honteuses faiblesses ne font qu'accroître l'audace des
assaillants. De telles luttes ne comportent d'autre
alternative que vaincre ou périr. Pactiser n'éviterait
pas la défaite et engendrerait, outre la ruine, la
honte dans le présent et le mépris de nos fds dans
l'avenir.
Rien ne servirait donc de continuer à masquer sa
peur sous d'hypocrites discours philanthropiques auxquels ne croient plus, ni ceux qui l3S débitent, ni
ceux qui les entendent.
La tactique actuelle des socialistes révolutionnaires
menacer toujours, et par la menace
tout obtenir. J'ai montré dans un autre chapitre que
la peur qu'ils inspirent, constitue aujourd'hui un des
est très simple
:
plus puissants facteurs psychologiques des décisions
du Parlement.
Les incidences de toutes les mesures que font
adopter les socialistes sont fatales. C'est notamment
la ruine prochaine de nos finances. Mais qui s'intéresse aujourd'hui à cette échéance, en apparence
lointaine et, en réalité, si proche?
On peut cependant constater chaque jour les conséquences de lois votées sous la pression des anarchistes
et des collectivistes. Le fameux rachat de l'Ouest,
effectué malgré l'opposition à peu près unanime des
chambres de commerce et qui devait, assuraient ses
334
PSYCHOLOGIE P0I,1TIQLE ET DÉFENSE SOCIALE
promoteurs, créer uno ère de prospérilé. a creusé dans
le budget un nouveau gouiTre. M. Douraer a montré
que le déficit de cette ligne a été de 31 millions
en 1909 et sera de 50 millions en 1910. C'est d'ailleurs une loi générale pour toutes les exploitations
privées passant dans les mains de l'Etat, et dont
nous avons déjà donné les causes défaut de responsabilité des employés, indifférence totale des fonctionnaires pour une bonne gestion, etc.
Les pertes financières causées par des théoriciens,
que domine leur chimère, grandissent chaque jour.
Le rachat de l'Ouest a simplement montré une fois
(le plus leur funeste rôle. Dans l'espoir de satisfaire
le fanatisme de quelques collectivistes, et, sans que
personne puisse en retirer aucun bénéfice, l'Etat
s'est créé une charge nouvelle de 50 millions par
an et qui, d'après les calculs de M. le sénateur
Boudenoot. représentera dans dix ans une perle
:
totale d'un milliard.
Mais ce n'est là qu'un modeste commencement.
Sous l'influence des idées qui mènent le Parlement va
se creuser très rapidement le gouffre du déficit.
Ne parlons pas des lois encore non formulées, bien
(]ue figurant sur la liste des réformes socialistes, tel
que le monopole de l'enseignement qui, d'après les
calculs les plus modérés, exigera une dépense annuelle
dépassant 150 millions.
On avait le secret espoir de pouvoir consaci*er à
cette réforme une partie du fameux milliard des
congrégations, sans prévoir qu'aujourd'hui, presque
rien ne resterait
sauf entre les mains des gens de
loi
de cette gigantesque spoliation.
Entré dans la voie des expropriations autocratiques,
on ne s'arrête pas. On ne s'est plus arrêté, en effet.
Nombre de lois récentes constituent, sous couleur
de mesures humanitaires, de véritables lois expropriatrices. Aucun juriste ne saurait qualifier autrement celle qui força les Compagnies de chemin de
—
—
.
335
LES I-ITÏES SOCIALES
servant déjà des retraites éleAéesà leurs employés
2.400 francs par an pour lés mécaniciens
à les
.uignienter encore. Pour le P.-L.-M. seulement, l'accroissement annuel des dépenses est de 10 millions
environ. C'est donc 10 millions dont on dépouille
fer.
—
—
rhaque année
cette
compagnie, autrement
dit,
ses
.-ictionnaires.
L'obtention de pareille loi d'expropriation n'exigea
des syndiqués qu'une menace de grève. Gomme
iDUJours, le Parlement céda. Il serait naïf de compter
sur lui pour assurer la défense sociale.
Les agents des Compagnies voyant avec quelle
docilité on leur obéissait, se réunirent alin d'élaborer
un nouveau projet destiné à obtenir, sous i»eine de grève
toujours, des augmentations de traitement. Le chiiï're
total de ces augmentations s'élèverait, d'après leur
propre estimation, à 80 millions pour l'ensemble des
chemins de fer. C'est ce qu'ils appellent « enfoncer
d'un vigoureux coup de bélier le cotTre-fort capitaliste »
la nouIl est intéressant de rechercher combien
velle expropriation coûtera aux Compagnies. Prenons
la plus importante, celle qui passe pour la plus intel-
ligemment administrée, la Compagnie Paris-LyonMéditerranée. Sa part contributive exigerait une
dépense annuelle de 25 millions. En divisant ce chiiTre
par les huit cent mille actions de la Compagnie, on
voit que la charge, par action, serait de 31fr. 25 c.
L'actionnaire, au lieu de toucher, comme aujourd'hui, 56 francs, ne toucherait donc plus que 24 fr. 75 c,
soit beaucoup moins de la moitié de son ancien
revenu annuel. Inutile de compter sur la garantie d'intérêt de l'Etat, puisqu'elle expire, pour cette Compagnie, en 1914.
}satui'ellement,
les
socialistes
se
réjouiront de la
perte subie par les actionnaires, oubliant que ces
derniers sont parfois d'anciens ouvriers, de petits
fonctionnaires ayant mis de nombreuses années pour
économiser de quoi acheter quelques
titres.
336
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE
Que ces actionnaires apprennent
Qu'ils
aient
assez
à
se
défendre.
pour provoquer,
d'initiative
le
moment
venu, un mouvement d'opinion, des réunions publiques et. surtout, découvrir des députés
assez influents pour protéarer leurs petits revenus, si
durement
et si
Si toutes ces
prochainement menacés.
menaces de ruine pouvaient
son apathie notre bourgeoisie
il
sortir
de
faudrait les bénir.
Nos actes visibles sont le plus souvent la conséquence des forces invisibles qui nous mènent. Nous
ne les connaissons, ordinairement, que par leurs elTets.
Elles inspirent cependant non seulement nos actes,
mais encore les raisons imaginées après coup j)Our
les expliquer.
loi s'applique surtout aux esprits ne posséguère que des convictions sentimentales. Les
hommes politiques n'en ayant guère d'autres ne
sauraient y échapper.
Les motifs donnés par eux pour justifier leur conduite diffèrent très fort, généralement, de ceux qui
les ont inspirés. Ces derniers restent ignorés parce
qu'élaborés dans l'obscure région de l'inconscient.
Les principes directeurs des savants d'une génération ne sont jamais bien nombreux. Ceux qui conduisent les hommes politiques d'une époque ne le
sont pas davantage.
En recherchant les facteui*s des actes de nos gouvernants depuis une trentaine d'années, on découvre
Cette
dant
les trois
suivants,
dominant tous
les
autres,
bien
ne soient jamais avoués 1° une peur intense des
électeurs; 2° la croyance que. pour leur plaire, il
faut persécuter vigoureusement les minorités, alors
même qu'elles comprennent des classes entières de
citoyens; 3° l'influence des doctrines collectivistes.
Montrons maintenant, par de clairs exemples, l'action de ces trois facteurs.
qu'ils
:
337
LES LUTTES SOCL\LES
En ce qui concerne la peur. J'ai déjà consacré un
chapitre à ses effets. Nul né j»rétendrait, je crois,
en contester l'énoz-me influence. Son rôle, visible
dans l'élaboration de la plupart des lois récentes,
s'est manifesté sur une grande échelle, lors de la
première grève des postiers, où l'on vit les miParlement céder, en s'inclinant bien bas,
aux injurieuses menaces de fonctionnaires révoltés.
Le second des facteurs énoncés, l'esprit de persécution, est également trop apparent pour avoir besoin
d'être discuté. Des persécutions de tout ordre constituèrent le principal levier do la pluj)artdes ministères
nistres et le
qui se sont succédé.
«
Waldeck-Rousseau,
écrivait
récemment un grand
journal, a vécu trois ans avec la loi contre les congré-
Combes a vécu autant avec la fermeture
des écoles et l'expulsion des moines; M. Rouvier
avec la loi de séparation des Eglises et de l'Etat. On
a espéré calmer la surexcitation populaire en lui
donnant, en pâture, les biens des fabriques et des
gations; M.
églises. »
Des
mérés,
trois
le
facteurs politiques
précédemment énu-
dernier, l'influence collectiviste, joue,
comme
déjà montré, un rôle des plus actifs. Par suggestion, répétition et contagion, les théories collectivistes
je
l'ai
par constituer une religion aux dogmes plus
que les vieilles croyances. Ceux mêmes
qui ne les acceptent pas en sont fortement imprégnés
et osent à peine les combattre.- Nous assistons à
une réédition des débuts du christianisme, alors que
n'avait
déjà très répandu
il
pas complètement
triomphé.
L'influence collectiviste a insjiiré nombre de lois
désastreuses. Tel ce ruineux rachat de l'Ouest, dont
ont
fini
intolérants
.
parlé plus haut. Pour flatter les collectivistes,
beaucoup de radicaux l'avaient fait figurer sur leurs
programmes, et cette unique raison les poussa à
le voter, sans s'inquiéter des conséquences d'une
j'ai
29
338
PSYCHUIOGIE POLITInlE ET DÉFENSE SOCIALE
semblable opération, conséquences prévues par lous
économistes et réalisées immédiatement.
Sont également filles des théories collectivistes et
du vague humanitarisme qu'elles utilisent comme
dont le résultat fut,
soutien, beaucoup de lois
comme je l'ai montré dans un autre chapitre, de
désorganiser profondément aussi bien nos croyances
morales que notre commerce, notre marine et notre
industrie. Telle, jiar exemple, celle sur le travail
dans les manufactures qui. par la suppression de
l'apprentissage, transforma en apaches une foule d'an-
les
ciens apprentis inoccupés.
Tant que les membres éclairés, des classes encore un
peu dirigeantes, persisteront dans un découragement
aussi terne, une indiiîérence aussi profonde pour le
sort qui les menace, les facteurs politiques énumérés
plus haut,
constance.
(ontinueronl à agir
Nous allons
les voir bienlùl
avec
régularité
et
s'exercer encore dans
le revenu, basé sur
Volé par la Chambre avec une
écrasante mais très humiliante majorité, il est discuté
maintenant au Sénat. De son succès ou de son rejet
dépendra sûrement la durée du régime républicain.
La France a supporté bien des tyrannies mais l'inquisition bureaucratique dont on la menace serait trop
vexatoire pour être tolérée longtemps.
Personne n'ignore plus d'ailleurs que le dégrèvement annoncé, de quelques catégories de citoyens,
serait tout à fait insignifiant et obtenu uniquement au
prix d'intolérables investigations dans la vie privée.
S'il en est ainsi, quels mobiles poussèrent le Parlement à voter une loi dont le premier résultat sera
de désorganiser entièrement nos finances déjà si
ébranlées? Nous l'avons dit, mais il ne sera pas inutile
de le répéter encore.
Ce vote eut plusieurs causes psychologiques.
D'abord la menace des comités électoraux qui. dans
la sinistre
l'inquisition
loi
de
fiscale.
l'imjiôt sur
?39
LES LUTTES SOCIALES
leur épaisse ignorance
des lois économiques, s'ima-
ginaient (ju'on pourrait faire peser tous les impôts sur
une classe uni(|ue de citoyens en dégrevant totalement
les
autres. L'inquisition fiscale, sans laquelle la loi
inexécutable, fut également une cause de son
On devine de quelle utilité pourra devenir,
pour les factions politiques, cette irquisition dans nos
jietites villes de province, déjà si divisées. On voit
serait
succès.
aussi quelles indications précieuses elle fournirait aux
collectivistes
sur la fortune des citoyens,
et
quel
parti les socialistes pourront en tirer le jour où, à la
d'une majorité suffisante, il leur deviendra posd'appliquer aux capitalistes, par un simple
décret, les procédés sommaires d'expropriation déjà
employés contre les congrégations.
Les doctrines collectivistes, l'esprit de persécution
et la peur furent donc les générateurs de cette loi.
Ainsi se retrouvent à sa base les trois grands facteurs
des convictions politiques, dont nous avons étudié
tête
sible
nrécédemment
les etTets.
Notre avenir dépend de ce que pensera, dira et fera
jeunesse que nous voyons grandir. Celle d'hier est
arrivée à la vie sociale sur un entassement de ruines.
Elle a contemplé l'évanouissement des croyances du
passé, la désagrégation des antiques conventions
sociales. Ne trouvant plus d'idéal à défendre, voyant
la
les
vieilles
hiérarchies, la
famille, la propriété, la
patrie et l'armée battues en brèche sans relâche, elh'
a
fini
par se convaincre de
l'inutilité
de tout
effort.
Semblable persuasion devait rapidement conduire
à
des caractères qui fait supporter avec
résignation' les persécutions et les violences.
Une aussi passive attitude encouragea l'audace
de révolutionnaires hardis, sans traditions ni scrupules, ne songeant qu'à l'heure présente et ne concevant d'autres sources de richesse que le pillage de
cette usure
PSYCHOLOGIE POLITIQLE ET DÉFENSE SOCIALE
;-)40
fortunes péniblement acquises par autrui. Le fanatisme du mal devient vite très puissant quand le fanatisme du bien ne lui est pas opposé.
La jeunesse bourireoise reste cependant toujours
l'élite,
parce que
la science, l'industrie, la littérature
demeurent encore entre ses mains, mais
sans caractère n'est bientôt plus une élite.
et les arts
une
élite
Très raffinée aussi était l'élite romaine, à la fin de
l'Empire, mais, ayant perdu toute énergie morale, elle
ne sut pas résister à l'avidité de Barbares, possédant
une volonté forte. Quand les classes, jadis dirigeantes,
se laissent de plus en plus diriger, elles sont bien
proches de leur fin.
Malgré tant d'apparences contraires, les luttes de
l'avenir ne seront pas uniquement des conflits d'intérêts économiques, mais aussi des luttes d'idées, ou
plutôt de sentiments (Migendrés par ces idées.
Les sentiments dont l'ensemble constitue le caractère d'une nation ne changent que très lentement.
Cependant, au cours des âges, on les a vus plusieurs
fois évoluer. C'est ainsi, par exemple, que l'éducation,
qui continue à jouor en France un rôle si nuisible,
parvint, dirigée par des mains habiles, à transformer
l'Allemagne en moins d'un siècle. Les maîtres
ne gagnent pas les batailles, comme on le
quelquefois, mais ils peuvent créer la mentalité
qui les fait perdre. Modifier les sentiments d'un
peuple serait changer le cours de son histoire.
d'écoles
dit
CHAPITRE
VI
Le Fatalisme moderne et la dissociation
des fatalités.
On pressent les destinées d'une génération par
rétude des idées directrices qui orientent ses volontés et déterminent sa conduite. Mais où les rechercher, ces idées? Ce n'est certes pas dans les actes
des multitudes. Elles possèdent des appétits et non
des pensées. Sera-ce chez les intellectuels qui font
des livres et prononcent des discours ? Ils ne nous
donnent le plus souvent que le redet d'opinions
adoptées pour séduire auditeurs ou lecteurs.
Malgré la difficulté de dégager nettement les idées
d'une époque, on peut s'en faire une notion approximative par l'enseignement des maîtres les plus écoutés.
De récents discours académiques, ceux notamment de MM. Lavisse et Pierre Loti, trahissent clairement les préoccupations actuelles des guides de la
jeunesse.
Ils ne sont pas réconfortants, ces discours. Un pessimisme attristé les domine. Ce qu'on y lit surtout,
c'est la conviction de l'inutilité de l'etTort, une résignation passive devant les événements, la proclamation de l'impuissance de la science à éclaircir les
mystères qui nous enveloppent. Un fatalisme sombre
semble envahir, au déclin de leurs jours, l'àme de penseurs qui. à l'aurore de leur activité mentale, étaient
tout rayonnants d'espérances.
29
342
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
Cette note fataliste constatée chez les professeurs
et les académiciens,
hommes
nous
la
retrouverions également
Dans une interTiew,un ancien président de la République, M.Loubet,
s'exprime ainsi « La force inéluctable des choses l'emporte sur la volonté des hommes. Une logique mysNous verrons bientôt de
térieuse nous conduit.
quels éléments se composent cette force inéluctable
chez les
politiques actuels.
:
>>
et cette
Parmi
logique mystérieuse.
les
académiciens dont je viens de parler,
Pierre Loti s'est montré le plus attristé. Dans une
langue harmonieuse, il réédite la vieille plainte de
au cours des âges.
de la science, créatrice cependant de tous les progrès civilisateurs, que s'en prend
M. Loti. Il lui reproche de ne savoir rien expliquer.
l'Ecclésiaste, tant de fois répétée
C'est à l'impuissance
Nous ne savons
ni
ne saurons jamais rien de rien
:
c'est le
seul fait acquis. La vraie science n'a même plus cette prétention
d'expliquer, qu'elle avait hier. Chaque fois quun pauvre cerveau
humain d'avaht-garde découvre
pourquoi de quelque chose,
une nouvelle porte de fer,
mais pour n'ouvrir qu'un couloir plus effarant, plus sombre,
c'est
comme
s'il
le
réussissait à forcer
qui aboutit à une autre porte plus scellée et plus terrible. A
mesure que nous avançons, le mystère, la nuit s'épaississent, et
l'horreur augmente... C'est alors que le « résidu » chrétien essaye
encore de protester doucement au fond de nos nmes. Nous
voyons bien que ce n'e.st pas cela, qu'il n'est pas possible que
c& soit cela
infiniment
mais derrière l'ineffable symbole,
loin derrière, si l'on veut, là-bas aux confins de l'incompréhensible,
-nous nous disons qu'il y a peut-être la vérité, avec
—
;
—
l'espérance.
Peu confiant dans
la
puissance explicative de la
science, le célèbre écrivain ne croit pas davantage à
de l'elîort pour se défendre contre la menace
des événements. « Il n'y a pas de lutte possible, dit-il,
contre ce souffle moderne qui se lève pour tout
abattre en nivelant tout. »
Je doute fort de ce nivellement, admettant au contraire une dénivellation croissante entre les individus,
et par conséquent entre leurs situations, à mesure
celle
343
LE FATALISAIK MODERNE
donné, il y a longtemps,
psychologiques de cette différenciation
]»rogressive, dont j'ai déjà parlé dans un précédent
chapitre. Avec les complicalions de la science et de
la technique industrielle- la distance entre les mentalités du savant et de l'ignorant, entre celles de l'ingé-
<lii'ôvolue la civilisation. J'ai
raisons
les
nieur et de
l'ouvrier
devient
immense
et s'accroît
chaque jour. On égalisera de plus en plus les apparences, mais de moins en moins les hommes. Le capitaine sachant lire dans les astres la direction que
doit suivre son navire, pour ('viter les écueils des mers
tt'n('breuses, ne sera jamais l'égal de l'obscur matelot,
infaiUiblement perdu s'il est abandonné à lui-même.
Les inégalités mentales sont des fatalités irréductibles, qu'aucune violence ne saurait effacer.
Le pessimisme et le fatalisme de M. Lavisse n'appai-;ussent pas moindres que ceux de M. Loti. Recevant
M. R, Poincaré, il commença d'abord par le gourmander de son demi-optimisme, lui reprochant
« l'usage de formules un peu défraîchies ». « Je
serais fâché pour vous et aussi pour moi, ajoute M. Lavisse, si vous croyiez que quelques principes anciens
v\ simples puissent suffire à conduire les hommes
dans leur politique d'aujourd'hui. »
Quels seraient alors les nouveaux principes directeurs? M. Lavisse ne les indique pas, sans doute
parce qu'il les ignore; mais il les appréhende beaunuip. Les fantômes lointains paraissent toujours
dangereux.
en question et
un tumulte
énorme d'instincts, de passions et d'idées. Elle ne sait ni ne
peut savoir au juste ce qu'elle veut, et personne n'est en état de
proposer à ses obscures volontés le plan de la cité future. Gênée,
irritée par les institutions, lois et coutumes, elle s'attaque à
tous les étais de la cité présente et tout s'ébranle et semble
pencher vers la ruine.
... Un jour, il faudra dans
tous les États du monde choisir
entre les dépenses militaires et les dépenses sociales. Ce jour
L'Etat et
on
péril...
la
société, continue l'orateur, sont
Une démocratie commence par
être
344
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DEFENSE SOCIALE
viendra, il approche. 11 mettra en présence deux mondes,
deux conceptions différentes de l'humanité. Ce sera le grand
jour.
L'éminent prophète est-il l)ien sûr que ses craintes
ne soient pas un peu vaines ? A-t-il vraiment oublié
f|ue les mêmes problèmes se sont posés sous les
mêmes formes, chez tous les peuples, à Athènes, à
Rome, à Florence, de l'antiquité aux temps modernes?
Répétés dans des termes presque identiques, ils ont
ahouti partout aux mêmes solutions. La barbarie
changea souvent de nom, mais force fut sans cesse
de lutter contre celle du dedans et celle du dehors.
Cette lutte constitue d'ailleurs un des facteurs du
progrès. Elle n'est dangereuse que si, les défenseurs
d'un ordre social établi, se l'ésignent d'avance à la
défaite. Fatalement vaincus alors, ils méritent l'écrasement qui termine leur inutile existence.
L'hétérogène alliance des pacifistes, des socialistes
et des universitaires de race latine, pourra peut-être
faire éclore dans un pays, le « grand jour » de M. Lavisse, mais il aurait son lendemain, ce grand jour
rèv('\ Ce serait l'assez'vissement immédiat et le pillage
<lu peuple désarmé, par des voisins avides d'encaisser
(les milliards et de supprimer la concurrence des
vaincus.
Ces fâcheuses réalités sont fondées sur des pasque les rêveries humanitaires ne sauraient
enrayer. Elles ont jusqu'ici gouverné le monde et sans
doute le gouverneront toujours.
Les tendances pessimistes et fatalistes, dont nous
venons d'indiquer les symptômes, ne se rencontrent
pas seulement dans les discours académiques. Elles
envahissent de plus en plus notre enseignement unisions
versitaire.
Les professeurs qui ne sont pas des résignés
deviennent bientôt des révoltés. Beaucoui) se mettent aujourd'hui à la tête du socialisme l'évolutionn ai 1-e.
LE FATALISME JIODERNE
345
La lecture de leurs œuvres montrent quel mélange
d'humanitarisme, de religiosité et d'envie sature leurs
âmes. Les écrits récents d'un professeur au Collège
de France sont typiques à ce point de vue. Dans son
livre,
Paroles d'avenir^ écrit en style apocalyptique,
nous apprenons que la liberté de l'ouvrier consiste à
« crever dans un fossé comme un chien ou dans un
lit d'hôpital comme un gueux qu'il est. Il a la liberté
de mourir de faim et de misère ».
Quant aux riches, l'auteur révèle à ses lecteurs
qu'ils n'ont guère d'autres occupations que « des
orgies stupides et immondes ». On doit les dépouiller
de leurs richesses. « Délivrer ces bons à rien des tares
des misères morales qu'engendre l'extrême opulence serait leur rendre un signalé service. » C'est, on
et
dans les temples de la science pure que grandissent aujourd'hui les futurs Marats.
le voit,
Des élucubrations aussi haineuses sont assurément
trop dépourvues de style, de pensée et de vérité, pour
exercer quelque influence sur des esprits éclairés.
Mais n'oublions pas que leurs auteurs sont les guides
<le la jeunesse. Quelle génération sortira des mains
de pareils maîtres?
La résignation
d'une part, la révolte ensemblent devenir chaque jour
les dominantes des éducateurs latins.
L'influence de l'esprit révolutionnaire n'amène que
des violences éphémères, celle du fatalisme est plus
durable et pour cette raison plus dangereuse. Le
de
davantage
vieuse
fataliste
l'autre,
fatalisme est la religion des faibles, incapables d'efAppuyé en apparence sur des bases scientifiques,
fort.
il
semble un monstre redoutable. Sa force cependant
n'est qu'illusoire.
Le fatalisme
est
un héritage antique, continué par
philosophies. Au sommet des
choses, dominant les dieux et les hommes, les anciens
les
religions
et
les
346
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
un pouvoir souverain nommé destin. Ses
« Tu tueras ton père et
épouseras ta mère », avait dit l'oracle à Gîdipe et
Œdipe, malgré tous ses efîorts, dut subir sa des-
plaçaient
arrêts étaient inviolal)les.
tinée.
Les religions ont perpétué cette tradition. Dans la
doctrine de la prédestination, encore chère à plusieurs
sectes protestantes, et qui fait le fond du jansénisme.
Dieu, dès l'origine des choses, a décrété que certaines
âmes seraient sauvées et d'autres damnées.
déterminisme de la science moderne paraît
pour beaucoup leur fatalisme atavique, c'est
qu'ils confondent fatalisme et déterminisme, choses
en réalité fort différentes. Le déterminisme enseigne
qu'un phénomène est la conséquence rigoureuse de
Si
le
justifier
certaines causes antérieures.
Il
se
répète quand les
mêmes
causes se reproduisent et sans que les volontés d'aucun être supérieur puissent intervenir dans
cet enchaînement. Les anciens avaient divinisé toutes
les forces naturelles parce qu'ignorant leur engrenage
invariable, ils espéraient, avec des prières, en modifier
le cours. Rejeter l'intervention d'êtres supérieurs,
voilà tout le déterminisme.
Le fatalisme comporte une définition tout autre.
Alors que le déterminisme échappe à notre volonté,
beaucoup de fatalités peuvent, au contraire, être
dominées par
elle.
Laissons avix métaphysiciens les discussions subtiles sur le libre arbitre, puisque le problème est
philosophiquement insoluble. En se jjlaçant à un
point de vue exclusivement pratique, il devient facile
de prouver que la fatalité n'est le plus souvent
que la synthèse de nos ignorances et s'évanouit dès
qu'on sait désagréger les éléments qui la composent.
la
Trois classes distinctes peuvent être étal)lies dans
grande famille des fatalités l*" Les fatalités natu:
LE FATALISME MODERNE
relies, irréductibles.
347
Telles soiil la vieillesse, les phé-
nomènes météorologiques,
le cours des astres. Tout
au plus pouvons-nous en déterminer les lois, les prévoir et quelquefois nous protéger un peu contre elles.
2° Les fatalités réductibles. Dès que les progrès de la
science permettent de dissocier leurs éléments et de
les attaquer séparément, elles s'évanouissent. Les
grandes épidémies, les famines, qui faisaient autrefois périr des millions d'hommes, en sont des exemples.
;i° Les fatalités artificielles. Créées par nous, ces dernières remplissent l'histoire. Lutter contre elles est
difficile, parce qu'une cause étant constituée,
ses
effets ont un déroulement nécessaire. Pour les dominer, il faut savoir opposer, à la cause possédant un
certain poids, une autre cause d'un poids plus lourd.
C'est ainsi généralement que les grands hommes
surent briser les fatalités.
L'examen sommaire du rôle de la science sur des
phénomènes, considérés jadis comme d'inexorables
destins, enseigne clairement de quelle façon peuvent
être désagrégées et anéanties certaines fatalités.
Il y a quarante ans, c'était une inéluctable fatalité,
que tout sujet amputé dans un hôpital parisien succombât en quelques jours. C'était également une fatalité que les habitants de diverses contrées fussent
victimes de fléaux comme le paludisme et la fièvre
jaune.
Aujourd'hui,
éléments de ces fatalités étant
Les amputés périssaient par l'action de certains microbes. Dès que les
méthodes d'asepsie permirent de supprimer cette
dissociés,
les
on a pu
les anéantir.
action, les opérations jadis mortelles devinrent inoffcnsives.
De même pour le paludisme et la fièvre jaune»
Aussitôt qu'on les sut produits par des parasites,
qu'introduisaient dans les globules du sangles piqûres
de certains moustiques, on entrevit le moyen de faire
disparaître ces épidémies et la fatalité commença à
348
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
dissocier.
se
Elle ne le fut
•utièremenl que
lors-
que, étudiant les conditions d'existence de ces moustiques, on découvrit qu'ils se reproduisaient seulement dans des mares ou flaques d'eau. Mares
et flaques d'eau desséchées, les moustiques disparurent et du même coup les épidémies. Des pays,
comme la Havane, au séjour si souvent mortel,
devinrent habitables sans danirer, La fatalité s'était
évanouie.
Même observation pour la peste, dont certaines
explosions tirent périr jadis jusqu'à vingt-cinq mil-
d'hommes. Nous la savons maintenant résultant
d'un bacille, produit par la morsure des puces ayant
abandonné les cadavres de rats pesteux. De même
encore pour la maladie du sommeil qui dépeuplait
diverses régions de l'Afrique, etc.
Les faits analogues sont innombrables. Les Hollandais surent se soustraire par un énergique effort à
la fatalité d'inondations dont la mer les menaçait.
La Prusse transforma les sables de la Poinéranie ef
les tourbières du Brandebourg
en forêts magnifiques et en champs fertiles. Tous ces dominateurs de la nature ont lutté contre des fatalités
et les ont vaincues, parce qu'ils se refusèrent à la
lions
résiffnation.
Ce que nous venons de dire de
la
désagrégation de
certaines fatalités naturelles peut s'appliquer égale-
ment aux
fatalités historiques.
Quoique
])arfois
très
lourdes, lorsqu'elles dérivent de la race et du passé
politique d'un peuple, elles n'échappent pas à cette
de l'évanouissement par dissociation de leurs éléments. C'est principalement notre ignorance de la
nature des éléments d'une fatalité qui fait sa force.
Chaijue page de l'histoire vérifie ces assertions.
Considérez un événement important, la guerre
de 1870, par exemple, analysez-en tous les facteurs
loi
349
LE FATALIS-Ml- MODERNE
psychologi([uos immédiats l'I surtout lointaius, vous
découvrirez vite que, si notre défaite était devenue
inévitable, les divers éléments qui la rendirent telle
auraient pu être successivement annulés par dès
intelliirences supérieures, avant que leur accumulation devînt trop écrasante.
Les erreurs de psychologie dans le présent et l'incapacité de prévision pour l'avenir, sont toujours l'origine de fatalités ruineuses qui pèsent ensuite sur
plusieurs générations. Que de fatalités créées par les
aveugles conseillers du souverain, qui présidait à nos
destinées, il y a cinquante ans. Des erreurs analogues,
l'absence complète d'esprit d'observation, une ignorance invraisemblable de la psychologie des Japonais
engendrèrent les défaites des Russes et des conséquences destinées peut-ètro à transformer l'avenii- de
l'Europe,
Les fatalités arlilicielles ([ui nous enveloppent sont
innombrables. Tel, par exemple, l'alcoolisme. Nous
savons à quel point il nous envahit et que près du
quart des conscrits sont éliminés en raison des tares
héréditaires dues à des parents alcooliques. Sur cette
fatalité, nous avons peu d'action.
L'Etat, d'ailleurs,
est presque obligé de l'encourager, sous peine de provoquer un énorme déficit dans son budget.
Toutes ces fatalités, que nous créons sans relâche,
finissent par devenir si puissantes qu'il devient presque impossible de les dissocier.
Un livre récent de M, Cruppi. ancien ministre du
commerce, en fournit un excellent exemple. On y voit
comment un ministre, en apparence tout-puissant, peut
demeurer très impuissant à rien réformer dans son
propre ministère, et se trouve obligé de subir l'anarchie
qu'il y constate. L'auteur nous révèle le désordre prodigieux des services administratifs qu'il espérait vainement pouvoir diriger disputes perpétuelles des employés, confusions des responsabilités, manque d'unité
dans le commandement, organismes vieillis, etc.
:
30
350
'
PSY(H(jI KGIE
POLITIOUE KT DÉFENSE SOCIALE
Pendant les denx années qu'il resta en fonctions,
ce ministre n'est parvenu à aucune modification utile,
et on voit bien dans son livre qu'il n'a pas très nette-
ment conq)ris ie^ motifs de son impuissance, puisque
le seul remède proposé par lui est de « changer la
morale
même
de la démocratie par la réforme élecPour réussir à combattre les forces réelles
qui conduisent les choses, il faut mieux les connaître.
torale
').
Les fatalités sentimentales sont peut-être les jilus
redoutables de toutes par leurs conséquences. C'est
pourquoi l'humanitarisme, forme inférieure du christianisme, devient un des fléaux de la France moderne.
Il ronge sans relâche les bases de l'édifice social. C'est
par humanitarisme, je l'ai déjà montré, que nous
avons créé tant de lois génératrices de révolutions
redoutables. C'est par humanitarisme encore que
furent introduits les apaches dans l'armée au risqua
de la désorganiser entièrement. Par humanitarisme
toujours, nous réservons à ces apaches des prisons
bien chauffées, pourvues de tout le confort moderne
et fort supérieures au logement de la plupart des
ouvriers.
Grâce aux humanitaires, les assassins se multiplient
dans d'efi'rayanles projjortions. En (jnelques années le
nombre des meurtres a triplé. Il a fallu une véritalde explosion d'indignation publi(]ue pour décider
le
gouvernement à
laisser guillotiner des
assassins
.ayant rôti leurs victimes à petit fou. Quand la funeste
race des philanthropes s'abat sur un i»euple, il est
près des grandes catastrophes. Un sait à quel point
ils
pullulèrent, la veille de la Révolution.
cations à l'Etre suprême, d'appels
émus
Que d'invoà la Frater-
avant les massacres de Septembre et la permanence de la guillotine
Le terme ultime de l'Evolution de l'humanitarisme
fut invariablement de sanglantes hécatombes. Il faut
craindre la peste, mais redouter beaucoup [dus encore
les philanthropes. Les sociétés n'eurent jamais de
nité,
!
LE FATALISME MODERNE
pires
ennemis.
Le
iihilanihrope
l'homme du progrès, mais
n'est
351
nullemenl
eelui qui tlétruit toutes les
initiatives et entrave tous les progrès.
L'ulililé (les counaissances psychologiques pourdésagréger les l'atalités, apparaît clairement, je suppose.
Un de nos plus éminents ministres des aiVaires étrangères. M. Hanotaux, consulté récemment par moi
sur ce point, me disait qu'il ne voyait pour l'homme
d'Etat aucune connaissance plus nécessaire, aucune
([u'il
ait eu à employer plus souvent pendant sa
longue carrière.
La psychologie politique n'apprend pas seulement
à combattre avec succès les fatalités qui entravent
sans cesse la vie des peuples. Elle enseigne aussi à
conduire les hommes et à diriger les événements.
Les grands hommes d'Etat Richelieu, Cavour, Bismarck, le roi Edouard, etc., surent, non seulement
gouverner, mais encore dissocier et détruire les éléjnents dont l'ensemble forme les fatalités de l'histoire.
Tous ces esprits éminents manièrent avec une précision merveilleuse les facteurs psychologiques qui nous
mènent. Ils comprirent aussi le rôle des nécessités
:
économiques que chaque époque
dont nous ne saurions être maîtres.
Séparer les fatalités inévitables de celles qui ne le sont
pas et ne jamais s'user dans d'inutiles luttes, est un
des points fondamentaux de la psychologie politique.
On ne peut détruire en effet les fatalités créées par
<les conditions extérieures indépendantes de notre
volonté, mais l'homme supérieur les utilise comme le
marin utilise le vent malgré sa direction. C'est ainsi,
par exemple, que devant le problème de la surproduction et des concurrences ruineuses qu'elle engendre,
les Allemands, au lieu d'entrer en lutte contre des
fatalités économiques, les ont utilisées par la création
de ces syndicats de production dits cartells, qui
religieuses, sociales et
voit
surgir et
352
PSYCHOLOGIE POLITIOLE ET DÉFENSE SOCIALE
empêchent concurrence et surproduction. Impuissants
comprendre les nécessités inéluctables de la concentration industrielle, nous combattons par des lois
draconiennes ces syndicats, que l'empereur d'Allemagne aide au contraire de tout son pouvoir.
Clairvoyance d'un côté, aveuglement de l'autre.
à
Lorsque, incapable i)ar ignorance d'utiliser les fatarésultant de lois naturelles, on essaie de leur
résister, il on résulte des calamités dont les générations futures subissent longtemps les conséquences.
Chaque fatalité artificiellement créée implique, en
etTet, un déroulement nécessaire. Nous évoquions plus
haut la guerre de 1870, Beaucoup de Français l'ont
oubliée, à tel point qu'un professeur de l'Ecole normale supérieure signalait récemment, dans le Temps,
(jue certains candidats à cette école l'ignoraient complètement. Et, pourtant, nous sommes tellement enveloppés encore de son influence que ses conséquences
continuent à régir l'Europe. Au seul point de vue de
ses incidences financières, nous payons toujours
450 millions par an, rente des 15 milliards que cette
guerre a coûtés. Parmi les autres conséquences de
notre défaite, figure encore celle-ci, que, pour éviter
l'attaque dont nos voisins victorieux n'ont pas manqué, depuis quarante ans. une seule occasion de nous
menacer, nous avons dépensé en armements, suivant
les calculs de M. Cochery, 53 milliards.
On voit ce que pèse l'imprévoyance des hommes
d'Etat, et combien sont précieux pour leur pays, les
grands hommes politiques, qui savent dans le présent
lire un peu l'avenir, et éviter de créer des fatalités.
lités
Ils
sont malheureusement fort rares.
développement du parlementarisme, beaucoup d'hommes d'Etat considèrent que la politique
est simplement l'art de bien parler et se préoccupent
peu de bien penser. Séduire son auditoire par le
cliquetis charmeur des formules sonores, ne constitue
pourtant qu'un succès éphémère.
Dej)uis le
353
LK FATALISME MODERNE
Habitué à prendre les mots pour des réalités,
fréquemment un
le
homme
d'Etat médiocre. Nul besoin, en effet, pour discourir élégamfaraud orateur est
ment, de i)Osséder cette connaissance des hommes
des choses qui permet les décisions justes, énergiques et rapides, ni cette continuité dans l'effort,
et
génératrice des succès durables.
Pour l'orateur politique, obligé de satisfaire aux
besoins d'explications d'un public peu capable de
les événf^ments sont engendrés par des
causes très simples, paraissant évidentes.
La vérité est cependant tout autre. Ce n'est nullement par l'évident, l'immédiat, le clair et le simple
que s'expliquent les phénomènes historiques. Ils sont
créés au contraire par le lointain et le complexe.
Et c'est pourquoi la faculté de prévoir les conséquences de leurs actes échappe si souvent aux hommes
d'Etat actuels. S'ils ne prennent pas constamment leurs
idées pour des faits, ils croient volontiers que leurs
idées modifieront les faits et vivent trop exclusivement
dans l'heure présente pour tâcher de pi'évoir un peu.
Or l'homme d'Etat incapable de prévision est, je le
répète, un créateur de fatalités désastreuses. Si
l'Angleterre se débat actuellement contre les immenses difficultés qu'entraîne la nécessité d'accroître
considérablement ses impôts, pour augmenter sa
flotte et lutter contre la menaçante suprématie de
l'Allemagne, c'est parce que, il y a quarante ans, ses
gouvernants ne surent rien prévoir. Pour satisfaire
des rancunes, qu'un véritable homme politique devrait
ignorer, elle nous refusa, après la guerre franco-allemande, de favoriser un congrès qui eût limité les
prétentions de l'Allemagne et changé l'avenir. La
crainte de voir se réunir ce congrès était le cauchemar'
de Bismarck. Il y pensait jour et nuit, dit-il, dans ses
Mémoires. Ce grand psychologue comprenait bien
qu'un tel congrès eût réussi à « rogner le prix de ses
victoires ». C'est justement ce que fit, quelques années
réfléchir,
30.
354
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
plus tard, le congrès de Berlin, qui obligea les Russes,
victorieux des Turcs, à renoncer à s'emparer des territoires convoités par eux.
Jamais en
effet, et
malgré nos défaites, un congrès
n'aurait laissé troubler entièrement l'équilibre de l'Eu-
rope au profit d'une seule puissance. L'Angleterre,
l'Autriche et la Russie n'avaient-elles pas un intérêt
évident à empêcher la formation d'un Etat prépondérant au centre de l'Europe? Les hommes d'Etat
anglais expient aujourd'hui les fautes de prévision
alors
commises.
La destinée des peuples
taine aujourd'hui, parce
latins est devenue très incer-
que
les
politiciens, n'ayant
chez eux qu'une existence éphémèi'e, vivent uniquement dans le présent, sans souci de l'avenir. Une
politique ne tenant compte que de l'heure actuelle, est
toujours d'ordre inférieur, et condamnée à subir les
coups de toutes les fatalités. En politique comme
dans l'industrie, le succès appartient aux jirévoyants.
L'histoire récente de la Belgique en fournit un bien
frappant exemple. Il y a quarante ans, l'Afrique était
à {>eu près inconnue. Quelques explorateurs hardis
commençaient à peine à la révéler. Un jeune roi,
doué de vision lointaine, comprit que l'Asie, allant
échapper à l'Europe, l'avenir des Européens était
en Afrique. Alors, presque sans ressoui'ces, malgré
l'opposition ou la mauvaise volonté de ses sujets, il
c-ommença au centre du continent africain la fondation d'un empire qui, progressivement agrandi,
occupe maintenant une surface égale à la moitié de
la Russie. 11 est finalement devenu pour la Belgique
une source de richesse telle, que ce petit pays va
compter parmi les plus grandes puissances économiques du monde.
Le lecteur qui a bien voulu nous suivre doit avoii'
maintenant de la fatalité une idée tout autre que celle
LE FATALISME MODEHNE
355
«lonnée par les livres. Envisagée comiae nous l'avons
l'ait, elle perd son pouvoir inexorable et mystérieux.
Beaucoup de fatalités naturelles sont des forces que
nous devons vaincre. Celles engendrées par l'impr-évoyance des aïeux sont destructibles par la volonté.
Nous ne cessons, malheureusement, de créer des
fatalités artificielles dont les conséquences retombel'ont durement sur nos descendants. Croit-on, par
exemple, que vainement se prêchent l'antipatriotisme,
l'antimilitarisme et l'anarchie; que nous supportons
les révoltes des fonctionnaires; que nous entassons
des lois de plus en plus oppressives pour l'industrie;
<|ue les maîtres de l'Université donnent une éducation
dont le niveau technique et moral s'affaisse chaque
jour? Est-ce impunément qu'ils infdtrent dans l'âme
de la jeunesse avec la haine des supériorités, créatrices cependant de la puissance d'un peuple, l'indifférence pour toutes les grandes causes, la résignation morne, l'esprit de négation et de dénigrement,
l'absence de morale directrice capable d'orienter les
volontés? Comme conséquence, nous descendons mpidement, alors que l'Allemagne, guidée par d'autres
maîtres, ne cesse de grandir. C'est par l'éducation,
que nous n'avons pas su manier, qu'elle parvint
à désagréger des fatalités subies depuis des siècles.
Il est fort redoutable pour un peuple de s'engager
dans une voie ayant le désordre et les révolutions
pour inévitable issue. Or, celle voie si dangereuse, nous
la suivons de plus en plus. Créer des privilèges à l'incapacité et au désordre, poursuivi'e d'une haine
aveugle les élites et tenter de pratiquer l'égalité par
en bas, persécuter les croyant^es, essayer par des lois
vexatoires de s'emparer des fortunes qu'édifie le
travail, méconnaître les nécessités naturelles, exciteï'
sans cesse les jalousies et l'envie, tel est actuellement
le rôle des meneurs populaires. Toutes leurs tentatives constituent une
œuvre de démagogues que
devrait rejeter un grand peuple.
356
PSYCHOLOGIE POLITIQIB ET DÉFENSE SOCIALE
Et pendant que s'accumulent tant de causes de
décadence, nous laissons se développer une armée
de révolutionnaires fanatiques, sans traditions, sans
principes, sans scrupules, n'ayant pour idéal que la
violence de leurs appétits et un intense besoin de destruction. Nous leur opposons seulement nos pâles
incertitudes, notre indifférence et notre résignation
fataliste. A mesure qu'ils menacent, nous cédons
davantage. Ne croyant plus à rien, nous ne savons
rien défendre. Faiblesse grandissante d'un côté, puissance grandissante- de l'autre. La balance oscille
encore un peu dans le sens de l'ordre, mais bientôt
elle n'oscillera plus.
cet ouvrage a pu éclairer quelques esprits,
lourd travail (ju'il a demandé n'aura pas été
perdu.
Je n'ai dit le plus souvent d'ailleurs que des vérités banales et, qu'avec un peu de réflexion, chacun
pouvait énoncer. Les peuples qui nous suivaient jadis
et nous précèdent aujourd'hui les connaissent parfaitement. Tous leurs guides les proclament. On les
retrouvera dans le discours prononcé à la Sorbonne
le 24 avril 1910 par un des plus illustres présidents
des Etats-Unis M. Roosevelt. Lui aussi a montré
l'absurdité de nos théories égalitaires, le danger des
doctrines socialistes, la supériorité du caractère sur
l'intelligence, dans la conduite de la vie, et bien
d'autres vérités encore. Voici quelques extraits de sa
magistrale leçon
Si
le
:
ne nous faut jamais oublier qu'aucune acuité ou subtilité
d'intelligence, aucun poli, aucune habileté ne saurait compenser
le manque des grandes qualités fondamentales de caractère. La
maîtrise de soi-même, le pouvoir de se contraindre, le sens
...Il
commun,
d'accepter la responsabilité individuelle et
avec les autres, le courage et la
résolution
voilà les qualités à quoi se reconnaît un maître
peuple. Sans elles, aucun peuple ne peut se régir lui-môme, ni
s'éviter à lui-même d'être rési du dehors.
la faculté
cependant d'agir en union
:
LF,
FATALISME MODERNE
357
Devant l'intelligence, je m'incline, mais j'ajoute, que de plus
d'importance encore, sont les qualités communes et les vertus de
liiiis
les jours.
...On ne saurait exagérer le funeste elTct, sur aucune race, de
l'adoption d'un S)-stème logique de socialisme poussé à l'extrême. 11 n'en pourrait sortir que destruction; il produirait de
plus grands maux et une plus grande injustice, une pire immoralité
qu'aucun système actuel.
...Nous ne devons pas plus consentu' à pratiquer un mensonge qu'à en dire un. Nous ne saurions déclarer que les
hommes sont égaux, alors qu'en fait ils ne le sont pas, ni agir
comme si nous tenions pour réelle une égalité non existante.
...Il y a eu bien des Républiques dans le passé. Elles tombèrent, et le premier facteur de leur ruine fut ce fait que les
partis tendaient à se diviser selon la ligne de partage de la
richesse et de la pauvreté. Peu importa quel parti réussit à
dominer
l'autre; peu importa sous la règle de qui tomba la
République, et que ce fût celle d'une oligarchie ou celle de la
populace. Dans l'un et l'autre cas, quand la fidélité à une classe
eut remplacé la fidélité à la République, la fin de la République
était
proche.
Ce sont
là choses que depuis bien des années je
de répéter, mais qu'il faut constamment
redire. La répétition seule peut les faire entrer
dans l'esprit. Les idées s'imposent rarement par la
démonstration de leur exactitude, elles s'imposent
seulement, après avoir envahi ces régions profondes
de l'esprit oîi s'élaborent les mobiles de nos actions.
n'ai cessé
CHAPITRE
VII
La Défense sociale.
L'anarchie ot les luttes sociales dont nous avons
le tableau se manifestent surtout
chez les
peuples ayant tenté de rompre avec leur passé et dont
la mentalité a par conséquent perdu sa stabilité.
L'âme d'une nation est formée d'un réseau de
traditions, de croyances, de sentiments communs,
de préjugés même, fixés par l'hérédité. Cette âme
oriente inconsciemment nos pensées et dirige notre
conduite. Grâce à elle, les peuples pensent et agissent
d'une façon semblable dans les conditions fondamentales de leur existence.
Une société n'est solidement constituée, et l'idée de
patrie qui conduit à la défendre, ne peut exister que
lorsque l'âme nationale est née. Jusqu'à sa formation, un peuple reste une poussière de barbares
capable seulement de cohésion momentanée, et sans
lien durable. Il retourne à la barbarie dès que l'âme
nationale se désagrège. Rome périt en perdant son
âme. Les envahisseurs qui héritèrent de ses ruines,
mais non de sa grandeur, mirent plusieurs siècles pour
acquérir cette âme nationale, dont la possession pouvait seule les sortir de la barbarie.
Or, nous sommes précisément à une de ces phases
critiques de l'histoire où les croyances religieuses,
politiques et morales, qui orientaient nos pensées et
notre conduite, s'évanouissent progressivement et où
tracé
.
359
LA DEFENSE SOCIALE
celles qui doivent les
remplacer ne sont pas formées
encore. C'est une terrible chose pour un peuple
d'avoir perdu ses dieux. Le scepticisme, possible
chez quelques individus, est un sentiment que les
foules ne sauraient connaître. II leur faut un idéal
créateur d'espérances. Comme l'a dit très justement
un poète
:
A l'Homme
il faut toujours, incarnant son désir,
Héros, doctrine ou dieu, quelque fétiche étrange
En vain, sans se lasser, un ténébreux archange
Jette à bas les palais qu'il s'épuise à bâtir.
En vain le Sort moqueur inccssannnent dérange
Les nuages fuyants qu'il s'obstine à saisir '.
;
Les dieux changent quelquefois, mais ils ne peuvent
mourir. Une croyance nouvelle vient bientôt se
substituer à celle usée par les siècles.
Les dogmes socialistes tendent aujourd'hui à remplacer les
dogmes
chrétiens. Leur principale force
de pouvoir se rattacher aisément aux croyances
ancestrales. L'Etat providence est une forme affaiblie
du ciel providence de nos pères. Les paradis socialistes sont proches parents de ceux des primitives
est
légendes.
Il n'en fut jamais autrement. Les peuples très vieux,
portant le poids d'hérédités très lourdes, ne peuvent guère posséder que d'anciennes croyances trans-
formées et, par conséquent, changer simplement leurs
noms. Les sentiments qui ont demandé des successions d'âges pour se fixer dans l'esprit ne sauraient
brusquement
disparaître.
en partie pour cette raison que, malgré le
peu d'élévation de son idéal, la foi socialiste, héritière
immédiate de la foi chrétienne, progresse dans l'esprit
des foules. Elle rend aux simples l'espérance, que les
dieux ne leur donnaient plus, et les illusions que la
C'est
science
1.
leiir
avait ôtées.
E. Picaïui. Podsies philosophiques.
360
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
Ses apôtres poursuivent bien à tort d'une haine
intense les vieux dogmes. Cléricaux, socialistes, anarchistes, etc., sont des variétés voisines d'une même
espèce psychologique. Leur âme est ployée sous le
poids de semblables chimères. Ils ont une mentalité
identique, adorent les mêmes choses et répondent
aux mêmes besoins par des moyens peu différents.
Si les propagateurs de la religion nouvelle se bornaient à prêcher pacifiquement leur doctrine, ils ne
seraient pas trop dangereux, mais les socialistes partagent avec tous les apôtres ce caractère commun,
de vouloir imposer par la force l'idéal qu'ils croient
destiné à régénérer le monde.
La haine que la société inspire à des esprits, dominés
par un atavisme religieux à peine laïcisé, se répand
rapidement parmi les ouvriers. Le sort de ces derniers
est beaucoup plus heureux aujourd'hui que jadis et
cependant, leurs malédictions contre l'organisation
actuelle, sont identiques à celles des premiers chrétiens envers le monde antique qu'ils finirent par
détruire.
Bien que l'attaque
jour plus violente, sa
celle du monde païen
aux mêmes causes.
de la société s'accuse chaque
défense reste aussi molle que
devant la foi nouvelle et tient
Maintenant comme alors, les
esprits d'élite ne croient plus à la solidité des principes sur lesquels l'édifice social est bâti. Tiraillés par
des influences ataviques, dont ils se délient, et par les
nécessités de l'heure présente, ils sont incapables de
volonté forte et finissent par céder à tous les mouvements de l'opinion populaire. Or, cette opinion est
extrêmement changeante. Des explosions imprévues
de fureur, d'indignation, d'enthousiasme, éclatent à
propos des moindres événements.
^"'ayant plus un fonds commun de principes susceptibles d'endiguer leurs oscillations mentales, aucun
361
DÉFENSE SOCIALE
I.A
phare direcleur pour orienter leur conduite, les gouvernants suivent les foules au lieu de les guider.
L'action des élites perd ainsi graduellement sa force
et sera bientôt sans poids.
Toutes les formules dans lesquelles se condensent
maintenant les instincts populaires et qui visent à la
destruction totale de la société, sont propagées par
cette catégorie de demi-hallucinés désignés sous le
nom de meneurs ou d'apôtres et dont la psychologie
n'a pas varié à travers les âges.
Ce sont généralement des esprits très bornés, mais
doués d'une ténacité forte, répétant toujours les mêmes
choses dans les mêmes termes et prêts souvent à
sacrifier leurs intérêts personnels et leur vie pour
le triomphe de l'idéal qui les a conquis. Leur puissance sur l'àme des foules est considérable, parce
•ju'ils promettent sans trêve de lumineux paradis. Un
paradis, c'est de l'espérance, et l'espérance fut toujours
le grand mobile de l'activité des hommes.
Hypnotisés par leurs rêves, ils finissent par halluciner les multitudes et par les déchaîner furieusement
contre tous les obstacles. La mentalité des masses ne
s'est guère modifiée dans le cours des siècles. L'intelligence peut évoluer, mais les sentiments et les passions, qui sont nos vrais guides, n'ont jamais changé.
Les apôtres ne se combattent malheureusement
qu'avec des apôtres or, si ceux du désordre sont nombreux, ceux de l'ordre demeurent bien rares. L'erreur
passionne, les froides vérités n'enthousiasment pas.
La tâche est plus facile, d'ailleurs, de vanter des
illusions que de défendre des réalités. Assurez à l'ouvrier que son patron est un voleur et qu'il faut en
incendier l'usine, il vous croira aisément. Expliquezlui que le patron est obligé de réduire les salaires,
parce que de petits hommes jaunes fabriquent, au
fond de l'Asie, à bien meilleur marché, les mêmes
produits, vous ne serez nullement écouté.
Le monde a été jusqu'ici bouleversé par des chi;
31
362
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
mères. De grands empires furent détruits sous
l'in-
fluence de convictions sentimentales, dont l'insignifiance nous paraît aujourd'hui extrême. N'espérons
guère que la raison joue dans l'avenir un rôle qu'elle
n'a pas su exei'cer dans le passé et apprêtons-nous à
subir encore l'invincible puissance des chimères. Les
illusions pénètrent lentement dans l'âme des foules,
mais lorsqu'elles y sont implantées, c'est pour longtemps, et il est impossible d'en prévoir les ravages.
Dans un des premiers chapitres de cet ouvrage,
lâché de montrer que les violences de la Révolution résultèrent de ce que l'instinct de barbarie primitive, sommeillant toujours au fond de l'âme d'un
j'ai
peuple, avait été, grâce à certaines théories philosophiques, accepté comme genèse d'un droit nouveau.
On crut agir au nom de la raison, l'invoquant sans
cesse, alors qu'on luttait en réalité contre elle et que
des instincts ancestraux, libérés de tout frein, étaient les
seuls guides. La Terreur représente la transformation
en droits d'instincts inférieurs. Elle fut l'effort de l'inspour dominer le rationnel et non une domination du rationnel, comme se l'imaginèrent les personnages qui en furent les auteurs et les historiens qui la
tinctif
racontent.
Ce triomphe légal, d'instincts ataviques, était chose
neuve dans l'histoire, car tout l'effort des
sociétés,
effort indispensable pour leur permettre
fut constamment de refréner par la
de subsister,
puissance des traditions, des coutumes et des lois,
certains instincts naturels légués à l'homme par son
animalité primitive. Il est possible de les dominer
et un peuple est d'autant plus civilisé qu'il les
mais on ne peut les détruire.
domine davantage
Sous l'influence d'excitants divers, le socialisme par
exemple, ils reparaissent facilement.
Les grands mouvements populaires ne sont jamais
assez
—
—
—
—
LV DÉFENSE SOCIALE
363
la raison, mais le plus souvent une
contre la raison. Chercher à expliquer par la
logique rationnelle ce qui fut créé par la logique des
instincts, est ne rien entendre à l'histoire.
Le mouvement révolutionnaire actuel n'est, comme
tous ccu-v qui l'ont précédé, qu'une réaction d'ins-
un résultat de
lutte
barbares aspirant à secouer le joug de liens
sociaux assez affaiblis pour qu'on puisse espérer les
détruire. Ce que beaucoup d'esprits aveuglés par des
chimères, considèrent comme le progrès, est une
simple régression vers des formes inférieures d'existincts
tence.
Toute civilisation implique gène et contrainte. On
ne devient même civilisé qu'après avoir appris à supporter cette contrainte et cette gêne. C'est en créant
des freins sociaux puissants, que les peuples sortent
do la barbarie, c'est en les laissant s'affaiblir qu'ils
y retournent.
Les liens sociaux créés par la civilisation ne se
maintiennent que par un constant effort. Une des
grandes causes de décadence est de renoncer à l'effort,
le croyant inutile.
Cette notion d'impuissance est surtout répandue dans
les couches éclairées de la nation. Elles se résignent
aux calamités sociales, comme on se résignait jadis
à des épidémies, qu'une science soustraite au pessimisme, a fini par vaincre.
Le scepticisme indilTérent, (jui fait notre faiblesse, n'a
]»as
du tout
La conun des éléments de leur force.
atteint les apôtres révolutionnaires.
fiance dans le succès est
Bien que la situation des travailleurs soit très
prospère aujourd'hui, les doctrinaires les ont tellement persuadés de l'injustice de leur sort qu'ils ont
fini par y croire. La véritable réalité des choses, c'est
l'idée qu'on s'en fait.
Retournée progressivement aux instincts primitifs,
mentalité de l'ouvrier moderne est en voie de
la
devenir celle d'un barbare.
.
364
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
le ramener à la civilisafaudra d'abord parvenir à lui démontrer la
valeur respective de l'inlolligence, du capital et du
La tâche sera lourde, de
tion.
Il
travail, puis lui faire saisir
offert
comme un mirage
que l'ordre
social
nouveau
à ses yeux, serait la misère
les travailleurs. Mais où sont les maîtres capables
d'enseigner ces choses?
pour
N'en possédant pas, ne pouvant s'appuyer sur une
Université dépourvue de règles directrices, ni sur un
gouvernement sans force, notre bourgeoisie doit
compter seulement sur elle-même
s'organiser pour se défendre
dans sa lutte contre l'insurrection de
Instruit par l'expérience, le
comprit que
le
et
comme
apprendre à
la Suède
le fit
la classe ouvrière.
gouvernement suédois
droit de grève, tel qu'il
est pratiqué
aujourd'hui, accordant à une minorité de factieux le
droit d'arrêter tous les services publics d'un pays et
semer partout le désordre, était complètement incompatible avec les progrès de la civilisation.
Il
déposa
Parlement un projet de loi réglant les contrats
collectifs et prononçant des pénalités sévères contre
les grèves de nature à entraîner un danger public. Un
tribunal spécial d'arbitrage réglera les différends. Avec
une telle loi nous n'eussions connu, ni la grève des
I)Ostiers, ni les grèves répétées des inscrits maritimes
qui achèvent de ruiner notre marine marchande.
Un mouvement analogue commence à se dessiner
en France devant les dures leçons de l'expérience.
Mais notre mentalité devra subir quelques changements, avant qu'il aboutisse à des lois ^
Notre bourgeoisie est encore trop indécise et trop
molle pour songer à se protéger, mais l'énergie de
1. On trouvera
d'intéressants développements sur ce sujet
devant
le
de M. Bouioc /c Droit de grève. 11 montre claipsychologiques et économiques d'un tel
droit. J'engage l'auteur à se répéter souvent, s'il veut intéresser
à sa cause d'influents orateurs.
dans le
rement
livre
les
:
illusions
365
LA DEFENSE SOCIALE
amènera peut-être celle de la défense.
M. Georges Sorel le montre fort bien « Le jour, dit-il,
où les patrons s'apercevront qu'ils n'ont rien à gagner
]iar les œuvres de paix sociale ou par la démocratie,
ils comprendront qu'ils ont été mal conseillés, alors
il y a quelque
chance pour qu'ils retrouvent leur
ancienne énergie. Une classe o'ivrière grandissante
l'attaque
:
solidement organisée peut forcer la classe capitaà demeurer ardente dans la lutte industrielle. »
Qui veut mériter de vivre doit rester le plus fort.
Avec l'évolution moderne du monde, nul ne pourra
conserver ce qu'il ne saura défendre. Pour triompher
dans les luttes que nous voyons grandir, notre bourgeoisie devra acquérir certaines vertus et renoncer à
certains vices. L'insolence du luxe de quelques parvenus oisifs, luxe que l'ouvrier croit composé d'une
partie considérable de son travail, a suscité plus de
haines que tous les discours socialistes.
Comparée soit à l'aristocratie anglaise, soit à l'ancienne aristocratie française, notre bourgeoisie vieillit
très vite, et ne durerait guère, si presque à chaque
génération elle n'était consolidée par les éléments
et
liste
empruntés à
la classe placée au-dessous d'elle.
ne faudrait pas cependant s'en trop étonner. Les
vieilles aristocraties ne se perpétuaient que par des
droits héréditaires, ne nécessitant aucune supériorité.
Les aristocraties de l'intelligence ne subsistent au
contraire, qu'à la condition du maintien de leur supériorité intellectuelle. Or l'hérédité ne le permet guère.
J'ai montré dans un autre ouvrage^ que les élites
sociales sont condamnées à se renouveler constamment, parce que les lois de l'hérédité ramènent bien
vite au type moyen de la race, les descendants des
Il
individus qui s'en étaient trop écartés. La nature, elle
aussi, est parfois égalitaire
les
1.
socialistes.
mais non
Loin d'égaliser
Les Lois psychologiques de
l'
les
comme
le rêvent^
individus d'une
Évolution des peuples,
9*=
31
édition.
.
366
rSYCHOLOGIE l'OLITIOLE ET DEFENSE SOCIALE
génération, elle les différencie. C"est seulement les
descendants des élites qui sont ramenés à l'égalité.
La nature égalise donc seulement dans le futur, alors
(jue les socialistes voudraient égaliser dans le présent.
11 ne semble pas aujourd'hui, que ce soit dans les
couches élevées de la l)ourgeoisieque la défense sociale
se dessine, mais dans ses rangs les plus humbles
boutiquiers, petits commerçants, etc. Toujours très
menacés et jamais défendus, ils comprennent maintenant qu'ils ne peuvent compter que sur eux et
commencent à s'organiser pour soutenir la lutte.
Ils se syndiquent, forment des associations et projettent même de constituer une milice pour les protéger. L'exemple donné par la Suède leur a servi de
leçon. On ne saurait tro[) les encourager à persister
dans cette voie.
:
La situation devenait
eux. Voici
le j'emjjs
comment
d'ailleurs
s'exprimait
intolérable
récemment
pour
à ce sujet
:
Le conimerçaQt.
est livré par la
surenchère démagogique des
aux loups du
législateurs et la faiblesse des pouvoirs publics,
syndicalisme. Sous
le
du nom de politique
régime de répartition
fantaisiste,
sociale, à lui les patentes, à lui les
des. Les lois dites sociales,
il
les
baptisé
amen-
supporte doublement, en tant
que patron.
Est-ce à dire qu"en échange de ces sacrifices croissants, on lui
assure la protection à laquelle il adroit? Nullement. De temps
en temps, les volontaires de l'action directe vont lui rendre
visite. Si le commerçant n'obtempère pas à leurs sommations,
il y est contraint par la force. Des syndiqués se répandent dans
ses locaux, envahissent ses « rayons », chassent les commis,
épouvantent les acheteurs.
Les commerçants détaillants, race taillable et corvéable à
merci, se rebiffent enfin. Ils se montrent fermement résolus à se
défendre eux-mêmes s'ils ne sont pas défendus et projettent l'organisation d'une milice qui opposerait la force à la force. Voilà
où l'indifférence des gouvernements qui se succèdent depuis une
dizaine d'années nous conduit à la défense directe des citoyens
molestés.
:
367
LA DÉFENSE SOCIALE
Ce qui précède ne concerne que
diate contre des violences.
Il
la
serait
défense
immé-
autrement impor-
tant d'acquérir quelques principes fixes, capables de
nous orienter un peu. au sein du désordre où nous
sommes plongés, et de lutter contre les forces qui désagrègent de plus en plus l'édifice social.
Ce sont justement ces principes fixes qui nous
manquent. Quelques-uns des faits enregistrés quotidiennement par les journaux, et qui constituent
d'utiles fragments de notre histoire sociale, trahissent
une psychologie que les hommes de l'avenir ne comprendront plus. Quelle aventure typique, celle de ces
manifestants, conduits par leur député, arrêtant
brusquement un train express à Villeneuve-le-Roi,
au risque de produire une catastrophe, dans le but
la Compagnie à leur donner une gare.
une mentalité de sauvages pour en arriver là.
d'obliger
faut
Quand
le
mépris des
d'autorité a disparu et
lois est général,
que toutes
que
le
Il
principe
les disciplines qui
font la force d'une civilisation s'évanouissent, l'écrou-
lement d'une société est proche. Rien n'est respecté
aujourd'hui en dehors de la force. Le fonctionnaire
est insolent devant ses chefs, le matelot devant son
capitaine, l'ouvrier devant son patron.
Et il faut bien reconnaître aussi, que les vieilles autorités perdent chaque jour leur droit à être respectées.
La magistrature ne rend plus la justice et semble
réserver toute son indulgence à des forbans, que leur
or protège. Les gouvernements obéissant aux pires
sectaires, ne protègent plus les citoyens contre les
violences, et ne manifestent d'énergie que pour dépouiller et persécuter de vieux moines sans défense.
C'est toute une civilisation qui s'écroule, un passé
glorieux qui s'éteint. Des phénomènes du même
ordre se manifestèrent à la fin du Directoire après
dix ans d'anarchie. Sans doute, la rude main d'un
368
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
despote suffit alors à rétablir l'ordre, mais à quel prix!
Pouvons-nous, en vérité, recommencer des expériences semblables?
Où donc chercher un frein? Vers qui se retourner?
Vers nous-mêmes seulement, je le répète et non vers
les gouvernants, moins encore vers les législateurs.
Que pourraient d'ailleurs ces gouvernants et ces législateurs sans liberté, sans dignité et sans force? Ils ne
songent qu'à obéir aux exigences de comités dont ils
sont les esclaves.
M. R. Poincaré montrait
récemment que le député,
devant le Parlement, n'était qu'un
modeste courtier d'arrondissement « ne faisant pas
un pas sans entendre le bruit des anneaux qui lui
rappellent son esclavage » et prêt « à agenouiller les
plus fiers desseins, devant ces divinités mystérieuses
et redoutables, qui s'appellent les comités d'arrondis-
parfois
si
altier
sement ».
Le législateur, tel qu'il est élu aujourdhui, constitue
un véritable danger social parce que, dépourvu de
caractère et ne songeant qu'à sa réélection,
aux plus bas instincts de la multitude.
il
obéit
11 serait
inutile de se le dissimuler. La plèbe
seule aujourd'hui nous gouverne. Or, ignorante de ses
propres intérêts et rongée par l'envie, elle rêve uniquement de s'emparer des richesses conquises par
l'intelligence, et de supprimer toutes les supériorités.
Elle en arrive à exiger la confiscation brutale des
fortunes, sans lesquelles aucune industrie ne saurait
prospérer. Impôt inquisitorial sur le revenu, confiscation du quart des successions, etc. C'est vers
la ruine complète de nos finances que, sous son
impulsion, nous marchons à grands pas. L'histoire
sera justement sévère pour les esclaves qui suivent de pareils maîtres, sans jamais chercher à les
éclairer.
LA DEFENSE SOCIALE
369
Les humbles serviteurs du gouvernement populaire
avec des lois les sociétés, établir
l'égalité et déposséder les détenteurs des richesses.
-Nous avons montré dans cet ouvrage la vanité et les
dangers de ces tentatives auxquelles s'acharnent inlassablement nos législateurs.
Etudiant récemment les origines des grands progrès qui ont transformé les conditions d'existence des
hommes, et fait de l'ouvrier moderne l'égal du riche
d'autrefois, M. d'Avenel montrait, une fois de plus
encore, que ces progrès ne furent jamais le résultat
d'entreprises collectives, mais d'efforts individuels.
croient refaire
Ce que
le libre
jeu de ces derniers a réalisé, ni la charité chré-
tienne, ce socialisme facultatif d'hier, ni le socialisme moderne,
cette charité obligatoire d'aujourd'hui, n'auraient pu ni ne pourraient l'obtenir... les progrès futurs seront le résultat du libre
individuel et non de la bonté collective, fût-elle érigée en
système légal. La bonté sert beaucoup à Famélioration morale
de ceux qui l'exercent comme un devoir, et fort peu au soulagement de ceux qui la réclament comme un droit. Elle crée seulement de la vertu pour les uns, elle ne crée pas de richesses
pour les autres. Au point de vue économique les bienfaiteurs
effectifs de l'humanité ne sont pas les organisateurs de la bonté,
mais les entraîneurs de travail.
effort
Nos
pour changer des lois naturelles inélucexemple l'égalité, là où la nature
impose l'inégalité, représentent d'aussi dangereuses
tentatives que celles d'un chef d'usine qui voudrait
violer toutes les lois de la physique et de la mécani(jue. La ruine lui montrerait bientôt le danger d'une
efforts
tables, établir par
telle entreprise.
Rechercher ici quelles règles morales dirigeront
de l'avenir serait bien inutile. Nous devons
nous occuper surtout de celle où nous vivons et des
moyens de la faire durer, en arrêtant la grandissante
les sociétés
anarchie.
Les principes directeurs capables de guider un
peuple n'ont pas besoin d'être nombreux, s'ils sont
370
PSYCHOLOGIE POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
Le culte de Rome,
dominant des Romains, assura leur grandeur
jusqu'au jour où il s'affaiblit dans Tàme des citoyens.
forts et universellement respectés.
idéal
C'est précisément sur la défense
patrie, impliquant toute
de
la
notion de
une organisation morale, que
nos efforts doivent se concentrer. Elle est profondément sapée en France par la plupart des sectes
socialistes qui sentent nettement que cette idée, pivot
de l'édifice social, étant détruite, l'édifice s'écroulerait d'un seul coup.
De cette notion fondamentale beaucoup d'autres
qu'un peuple ne
découlent, et notamment celle-ci
peut vivre sans armée, sans hiérarchie, sans respect
de l'autorité; sans discipline mentale. Ces éléments
essentiels, aucun parti, sauf celui des révolutionnaires,
ne saurait les rejeter, puisque tous aspirent nécessairement à la durée du pays où ils vivent.
L'amour de la patrie forme le véritable ciment
social capable de maintenir la puissance d'un peuple.
La patrie est le symbole des acquisitions héréditaires
de toute notre existence ancestrale. Ne pouvant vivre
que par elle, nous devons vivre pour elle. C'est en faisant aiqjel au culte de la patrie que les auteurs de la
récente Révolution turque conquirent les âmes
« Tout homme de cœur et de conscience, disait une
de leurs proclamations, sait que la patrie est chose
plus sainte, plus chérie que la mère, le père, en un
mot que tout au monde. »
Malheureusement, le culte de la patrie, qui créa
jadis la puissance de Rome, et a tant contribué de nos
jours au développement rapide de la prospérité allemande, est bien faiblement défendu chez nous maintenant. En Allemagne, comme en Amérique, il est
propagé par les universités dans les classes lettrées,
et par les instituteurs dans les couches populaires.
Pouvons-nous compter, en France, sur la même catégorie de défenseurs auprès de la jeunesse et de l'enfance? On a trop de raisons d'en douter.'
:
:
LA DÉFENSE SOCIALE
371
M. Bougie faisait remarquer récemment que ce que
comprennent de plus clair, ce qui les
/'meut et les attire le plus dans le socialisme, c'est
« l'hervéisme ». On
sait avec quelle vigueur il fut
repoussé par les Allemands, au dernier Congrès socialiste international. Pareille leçon n'a pas corrigé nos
les « jeunes
»>
professeurs.
Si cette mentalité se perpétue, si les instituteurs
s'agrègent progressivement aux syndicats prêchant la
haine de la patrie et de l'armée, que devrons-nous
attendre des générations ainsi formées? Quand les
hommes renient leur patrie et s'insurgent contre ses
lois,
sur quels éléments une société pourrait-elle
s'étayer pour continuer à vivre?
Vérités évidentes sans doute, mais qu'il ne faut pas
cependant
se
lasser
de
redire.
Les socialistes se
répètent sans cesse, et à force de vociférer contre le
capital et l'organisation actuelle, ils ont fini par persuader les foules de la justesse de leurs théories.
Une vérité ne s'incruste dans les âmes qu'après
des répétitions innombrables. Si les défenseurs de la
société étaient animés d'une foi aussi ardente et
propageaient leurs doctrines avec le même zèle que
les révolutionnaires, la défaite de ces derniers se
dessinerait rapidement.
Nous sommes arrivés à cette heure décisive où
chacun devra se résigner à être un apôtre pour défendre l'édifice social contre la barbarie destructive des
sectaires. Le triomphe de ces derniers conduirait vite
à la ruine générale, aux guerres civiles et aux invasions. Défendre la patrie, combattre l'anarchie est
devenu un devoir auquel nul ne doit se soustraire.
Les lois morales dérivées de la notion de patrie
suffisent à constituer l'armature sociale d'un peupje.
Leur force dépend uniquement de l'action qu'elles
exercent sur les âmes. Soutenue seulement par les
codes, cette force serait bien faible.
Ce ne sont ni les constitutions, ni les flottes, ni les
372
PSYCHOLOGIE POLITIQLE ET DÉFENSE SOCIALE
la cohésion à une nation et
maintiennent sa grandeur. Sa vraie force, c'est son
idéal. Puissance invisible, créatrice des choses visibles,
il
dirige les âmes. Un peuple met des siècles pour
acquérir un idéal et retombe dans la barbarie dès
armées qui donnent de
qu'il l'a ])erdn.
De la décadence qui nous menace, le plus sûr
symptôme est l'atTaissement général des caractères.
Nombreux, aujourd'hui, sont les hommes donl
surtout parmi les élites qui en
faiblit,
auraient justement le plus besoin. Chez les grands
maîtres placés à la tête des nations comme chez les
petits chefs qui en gouvernent les détails, l'indécision
et la mollesse deviennent dominantes.
Les fanatiques révolutionnaires, dotés d'énergie par
leur fanatisme même, sont pour cette raison redoutables. Devant une volonté forte, toute volonté faiblo
l'énergie
doit plier.
Ces agitateurs ne sont pas encore aussi dangereux
pourront le devenir, parce que les traditions
sociales, créées par un long passé, maintiennent un
peu l'édifice journellement sapé. Dans l'ombre des
tombeaux se trouvent nos vrais maîtres. Contre les
fantaisies des vivants se dresse le despotisme des
(ju'ils
morts.
11 semblerait même aujourd'hui que les morts seuls
aient de l'énergie pour nous. Cependant ils ne pourront nous aider toujours. Le pouvoir du passé ne se
maintient que si le présent lui fournit un apport
constant.
Arrivé au terme de ce long travail,
il
faut conclure.
Je le ferai en essayant de montrer, dans une brève
synthèse, que les phénomènes physiques, biologiques
quelles que soient les
et sociaux sont conditionnés
—
373
LA DÉFENSE SOCIALE
—
lois diverses qui les régissent
par des nécessités
générales du même ordre. Ces nécessités supérieures
semblent constituer l'ultime philosophie accessible
des choses.
Le monde de la connaissance a pris depuis un demisiècle une extension plus vaste que durant toute la
série des âges antérieurs.
Aux découvertes réalisées dans les faits, se sont
ajoutées les théories proposées pour les interpréter.
La science moderne renonce à découvrir un élément fixe dans l'univers, un repère invariable dans
l'écoulement des phénomènes. Tous se sont évanouis
tour à tour, et la matière elle-même, le dernier sur
lequel on croyait pouvoir compter, a perdu son éternité. L'instabilité succède ainsi à la fixité. Des fluctuations perpétuelles d'équilibre ont remplacé le repos.
La raison première des choses recule dans un
infini inaccessible. Seuls sont connaissables les rapports des phénomènes. L'ensemble des expériences
conduit à cette conclusion si profonde de Poincaré :
« Dans notre monde relatif toute certitude est un
mensonge ».
Abandonnant
les explications trop sommaires, la
science substitue maintenant aux grandes lois géné-
rales l'accumulation de causes infiniment petites,
mais
infiniment nombreuses. Elle enseigne que le monde
physique, le monde biologique et le monde social
sont l'œuvre de minimes individualités, sans action
(]uand elles restent isolées, mais fort puissantes dès
sont associées. Les infiniment petits font
surgir les continents, germer les moissons et mainqu'elles
tiennent la vie. Les multitudes humaines font évoluer
les civilisations.
Mais en montrant ce rôle de la multiplicité et de
des causes dans la genèse et l'évolution
des phénomènes, la science a prouvé également
démonstration capitale
que toutes ces individualités
diverses
atomes physiques, cellules vivantes, unités
l'addition
—
—
:
32
374
PSYCHOLOGIF, POLITIQUE ET DÉFENSE SOCIALE
humaines,
etc.,
demeurent sans effet, si des forces
provoquer et canaliser leurs
directrices ne viennent
actions.
Que les éléments considérés appartiennent au cycle
physique, biologique ou social, il n'importe. Les
agents directeurs sont toujours indispensables pour
les orienter. Dès qu'ils cessent de subir leur influence
éléments individuels
deviennent une vaine
les
poussière. Pour les cellules d'un être organisé,
l'orientation directrice c'est la vie. son arrêt c'est
la mort. Pour les unités de l'être social, la loi est la
même.
Dans
voyons
le
cycle
humain
les forces
— seul à considérer — nous
directrices
ici
:
croyances, idéal, etc.
succéder sans jamais disparaître. Elles peuvent
changer de nom, mais persistent toujours. Orientation
par la foi, l'épée. la science ou l'idée, il en fallut à
toutes les phases de l'histoire. Priver une société de
puissances directrices ou la soumettre à des forces
capricieuses oscillant constamment, serait la con-
se
damner
à périr.
Le rôle des gouvernants dans la conduite des peuples est tout à fait comparable à celui du savant dans
le maniement des phénomènes. Comme ce dernier,
l'homme
d'Etat ne peut qu'utiliser, en les orientant
sagement, des forces naturelles qu'il ne saurait créer.
De même que le savant encore, il peut lutter contre
elles en leur opposant des forces antagonistes.
Parmi les forces diverses dont l'homme dispose, pour
lutter victorieusement contre les puissances qui l'étrei-
gnent, la volonté fut toujours la plus active. Divinité
souveraine, elle fit sortir du néant avec les merveilles
des sciences et des arts, tout ce qui
fait
l'éclat
des
civilisations.
En remontant
chant
comment
la
chaîne de
l'histoire,
et
recher-
certains peuples acquirent leur gran-
LA DÉFENSE SOCIALE
comment
375
maîtres de la pensée obligèrent
on retrouve toujours,
à la base de leurs succès, une volonté forte.
Si nous tâchons de découvrir ensuite, pourquoi
tant de nations périrent après un long déclin, pourquoi Rome, jadis reine du monde, finit par tomber
sous le joug des Barbares, nous constatons que
ces chutes profondes eurent généralement une même
cause, raffaiblissement de la volonté.
Cette faculté est donc la qualité maîtresse des
individus et des peuples. Le but primordial de l'éducation devrait être de la fortifier et non de l'atïaiblir. Le difficile n'est pas de vouloir un instant,
mais de vouloir sans trêve. Une volonté forte ne
désespère jamais. « J'en réchapperai malgré les dieux»,
s'écriait Ajax, déjà enveloppé par les vagues que
déchaînait la fureur de Neptune. La foi qui soulève
deur.
les
l'univers à livrer ses mystères,
les
montagnes s'appelle
la volonté.
Elle est la véri-
table créatrice des choses.
moderne nous montre des nations
chaque jour, alors que d'autres restent stationnaires ou déclinent, la raison s'en trouve dans les
quantités variables de volonté que ces nations possèdent. Ce n'est pas la fatalité qui régit le monde, c'est
Et
si
l'histoire
s'élevant
la
volonté.
TABLE DES MATIERES
LIVRE
I
BUT ET MÉTHODE
Pages
—
H
—
—
—
III.
—
Chai-.
[.
La Psychologie politique
1
Les Nécessités économiques et les théories
Méthodes d'étude de
politiques
i;j
la
LIVRE
psychologie politique.
27
II
FACTEURS PSYCHOLOGIQUES DE LA VIE POLITIQUE
Cn.\p.
I.
—
L'Origine des lois et les illusions législa-
...
tives
—
—
—
—
II.
—
Les Méfaits des lois.
m.
—
Rôle politique de la Peur
IV.
—
V.
—
50
.
ci
Transformation moderne du droit divin.
L'Étatisme
Facteurs psychologiques des luttes
—
71
guer-
rières
84-
—
VI.
—
Facteurs psychologiques des luttes écono-
—
VII.
—
Influences
w
miques
ment
40
psychologiques
universitaire
de renseigne103
378
TABLE DES MATIÈRES
LIVRE
m
LE GOUVERNEMENT POPULAIRE
l'ages
—
m.
—
IV.
—
V.
—
—
—
—
—
—
VJ.
—
CiiAP.
].
—
11.
L'Élite et la Foule
118
Genèse de
133
la Persiiasion
La Mentalité ouvrière
142
Formes nouvelles des aspirations populaires
153
L'Impopularité parlementaire et
chère
163
Les Progrès du Despotisme
la
suren-
176
LIVRi: IV
LES ILLUSIONS SOCIALISTES ET SYNDICALISTES
(ln.\p.
—
—
1.
—
Les Illusions socialistes
187
II.
—
Les Illusions syndicalistes
202
111.
—
LÉvolution anarchique du syndicalisme.
.
.
215
LIVRE V
LES ERREURS DE PSYCHOLOGIE POLITIQUE
EN MATIÈRE DE COLONISATION
—
11.
—
—
—
III.
—
—
IV.
—
V.
—
Chap.
1.
Nos Principes de Colonisation
226
Résultats psychologiques de léducation européenne sur les peuples inférieurs ....
244
Résultats psychologiques des institutions et
des religions européennes sur les peuples
inférieurs
256
Raisons psychologiques de l'impuissance de
la civilisation européenne à transformer
les peuples inférieurs
265
Les Formes nouvelles de la Colonisation.
277
.
.
379
TABLE DES MATIÈRES
LIVRE \l
L'ÉVOLUTION ANARCHIQUE ET LA LUTTE CONTRE
LA DÉSAGRÉGATION SOCIALE
Pages
CiiAP.
I.
—
II.
—
in.
1\
—
—
.
V.
VI.
—
—
—
—
—
—
L'Anarchie sociale
Les Progrès de
la
2s:i
Criminalité
:i01
LAssassinat politique
31.j
Les Persécutions religieuses
320
Les Luttes sociales
32S
Le Fatalisme moderne et
la
dissociation des
fatalités
— VII. —
H il
La Défense sociale
7113.
—
Paris.
—
Imp. Hemmerlé
;
et
C".
--
5.10
.
3.ïs
IRNEST FLAMMARION, ÉDITErR, 26, RUE RACINE, PARIS
BIBLIOTHÈQUE
DE
rniLosoniiE scientifique
Publiée sous la direction du
Collection, iii-18 jésus à
1'
—
Série.
BOINET
D""
3
Gustave Le Bon
fr.
50
le
volume
Sfieiircs pliYsiijiies el naturelles
(E.), Professeur de Clinique médicale.
trines médicales.
—
— Les
Doc-
Leur Évolution.
La nécessité dune doctrine directrice s'impose à la médecine,
qui est à la fois un art pnr ses applications et une science par ses
[noyens d'éludé. Les doctrines médicales ont donc une portée pratique el théorique, et leur évolution marque les étapes de la médecine.
Un vol.
—
BONNIER
(Gaston), Membre de Vlnstitul, Pro'iesseur à la Sorbonne.
Le Monde végétal.
Dans Le Monde Végétal, l'auteur, avant tout, expose les faits qui
—
la philosophie des sciences naturelles; il y passe en revue
succession des idées que les savants ont émises sur les végétaux;
éclairent
la
il
les
commente
BOUTY
el
il
les discute.
—
Un
vol. illustré
de 230 figures
—
(E.). Prolesseur à la Faculté des Sciences.
La VéSa Poursuite.
rité scientifique.
Mettre en lumière les caractères généraux de la vérilé scientifique, le rôle que jouent lexpérience et le raisonnement dans
sa découverte; montrer l'unité réelle de l'effort sous la diversité
—
indéfinie de ses formes, l'étroite solidarité des sciences considérées
la fois dans leur développement logique et historique, tel esl
l'objet essentiel de ce livre.
Un vol.
à
—
BRUNHES
(Bernard),
—
Directeur de VObservatoire
du Puy
La Dégradation de l'Énergie.
de Dôme.
Quand le public cultivé parle de « conservation de l'énergie
il
(le
»,
croit en général à la conservation de « lénergie utilisable » ou.
la « capacité de produire du travail ». Non content de dénoncer,
une
livre
fois
en
genèse.
de plus, le contre-sens si usuel, l'auteur a voulu dans ce
rechercher les origines historiques et en expliquer la
—
Un
vol. illustré.
2
COMBARIEU
(Jules),
au Collège de France.
son Evolution.
Dans ce
gage très
Chargé du Cours dllistoîre inusicale
Ses Lois et
La Musique.
—
—
l'auteur ne s'est pas contenté d'exposer en lanavec exemples à Tappui, les lois de la musique
il les explique, en rattachant un état donné de l'art et de la
théoUn vol. illustré.
rie à l'élat correspondant de la vie sociale.
travail,
clair,
:
—
DASTRE.
Prolesseur de Physiologie à
La Vie et la Mort.
rinslitut.
Ce livre
—
traite
point de vue de
Sorbonne, Membre de
la
des questions relatives à la Vie
philosopliie et de la science.
la
ETELAGE (Yves)
et
GOLDSMITH
—
(M.).
—
à
et
Un
Mort au
la
vol.
Les Théories de
l'Evolution.
Sur le principe de l'évolution, c'est-à-dire sur l'idée que les
êtres animés descendent les uns des autres, on est à peu près
d'accord. Mais sur le modus agendi de cette évolution, il est loin
d'en être ainsi. Le lecteur curieux de ces questions trouvera dans
ce livre un fil d'Ariane qui lui permettra de se retrouver dans le
dédale des opinions contradictoires et de se i'a;ie une idée d ensemble sur une question qui intéresse l'humanité entière en raison
Un vol.
de ses applications aux théories sociologiques.
—
DEPÉRET
Lyon.
—
(Charles},
Z)oj/c7i
de
la
Faculté
Les Transformations
<1u
des
Sciences
de
Monde animal.
Ce livre est destiné à exposer ce que nous savons, actuellement,
des lois qui ont présidé aux transformations du monde anim.al,
depuis l'apparition de la vie sur le globe jusqu'à nos jours.
Un voj.
—
HÉRICOURT
J).
(D"^
— L-'s
Frontières de
Mal
la
ul e.
toutes les maladies qui
laissent aux patients les apparences de la sanié, et qui. par cela
même, sont abandonnées à leur libre évolution dans leur phase
maniable par l'hygiène, jusqu'à leur transformation en états graves, contre lesquels la thérapeutique est alors le plus souvent
Les frontières de
impuissante.
—
—
Un
la
maladie,
ce sont
vol.
L'Hygiène moderne.
Sous une forme toute nouvelle, l'auteur présente aux lecteurs
un ensemble d'idées générales capables de les guider avec sûreté
pour la solution de tous les problèmes concernant la conservation
et la protection de leur santé.
Un vol.
—
HOUSSAY
—
(Frédéric\ Prolesseur de Zoologie à
Nature et
la
Sorbonne.
Science.<î naturelles.
Ce nouveau livre, accessible à tous les esprits cultivés et réfléa pour noyau la plus originale tentative pour montrer, dans
de la science, la continuité de pensée depuis l'antiquité jusqu'à notre époque.
Un vol.
chis,
l'édification
LAUNAY
—
(L.
de), Professeur à V Ecole des ilines.
toire de la Terre
Faire une Histoire de la Terre, qui
soit,
à
—
L'His-
proprement parler, une
-
3
—
Histoire, c'est-à-dire qui raconte simplement les faits du passé
dans leur succession chronologique et qui ne devienne pas, pour
cela, un roman, tel est le but difficile que s'est proposé M. De
Lauxay.
—
—
Un
vol.
La Conquête minérale.
Le but de cet ouvrage est d'étudier le rôle industriel, économique, social et politique de la richesse minérale dans l'histiiire, en indiquant l'évolution subie, dans son mode de découverte,
Un vol.
d'extraction et d'applicalion dans l'industrie.
—
LE BON
iD""
Gustave).
—
L'Évolution de
Matière.
la
Cet ouvrage présente un intérêt scientifique et philosophique
considérable. L'auteur y a développé les recherches nombreuses
que sous ces titres
La Lumière Noire, La Demniérialisation de la
ilalière. etc., il a publié depuis plusieurs années.
Ua vol. illustré de 65 gravures photographiées au laboratoire de l'auteur.
:
—
—
L'Évolution des Forces.
livre est consacré à développer les conséquences des principes exposés par Gustave Le Bon dans son ouvrage l'Evolution de
la Matière, dont le 18* mille a paru récemment.
Un vol. illustré
Ce
—
de 42 figures.
LE DANTEC
f
Félix),
Chargé de Cours à
la
Sorbonne.
—
Les Influences Ancestrales.
L'auteur montre comment, de la seule notion de la continuité des
lignées, on conclut sans peine aux principes de Lamarck et Darwin. Le premier livre de l'ouvrage est un véritable résumé de la
biologie tout entière.
— La
—
Un
vol.
Lutte universelle.
Contrairement à Siint Augustin qui affirme que les corps de
nature se soutiennent réciproquement et « s'aiment en quelque
sorte » M. Le Dantec prétend, dans ce nouveau livre, que l'existence même d'un corps quelconque est le résultat d'une lutte.
la
—
Un
vol.
—
Philosophie
XX*
du
Siècle
•
de
l'honiivie
a
la
SCIENCE.
Les études biologiques de M. Le Dantec, ses efforts pour placer
la vie au milieu des autres phénomènes naturels, devaient l'amener
à écrire une œuvre de synthèse.
Un vol.
—
—
•
SCIENCE ET CONSCIENCEScience et Conscience nous est donné par M. Le Dantec comme
son dernier livre de Biologie. Son œuvre considérable ne saurait
manquer d'avoir une grande influence sur la pensée moderne.
3f
—
Un
vol.
MARTEL
Sous ce
fE.-A.).
titre,
c'e«t-''-d'rp
vol. illustré
1
—
L'Évolution souterraine.
l'autour
évn'iiiion
montre
1
histoire souterraine de la planète
rrrnnrtlnïîp
de 80 belles gravures.
cf
continue de
la
Terre.
—
Un
—4OSTWALD
zig.
{'W.),Prolesseur de Chimie à VUniversUé de Leip-
— L'Evolution
d'une Science.
—
La Chimie,
tra-
duction du Docieur DLTOUR, Professeur agrégé à la Facvlté
de Médecine de yanry
Bien que VEvoluiion d'une Science ne soil pas à propremenl
parler une hislol"? de la ihimie, l'auteur a cherché à ne lai.=ser
de côlé aucun point essentiel. Son 'ivre est um^ pierre apporlée à
Ihisloire de la chin.i.% et c'est aussi une contribution à l'histoire
Un vol.
générale de la sJenc-.
—
PICàRD
^Émile
honne.
M.
—
Picard
.
de VlnsUhU, Prolesseur à la Soret son État actucL
proposé di- donner, dans ce volume, une idéi
.I/e;)it)e
La Science moderne
s'est
physiques
Tétst des sciences rnalhémaliques,
naturelles dans les premières années du xx* siècle.
sur
d'ensf^nible
—
POINCARÉ
(H.), de VAcadémie Française.
et rSiypothèse.
—
et
L'n vol.
La Science
y. Poi.vcARÉ a réuni sous ce litre les résultais de ses réflexions
L'n vol.
sur la logique des sciences mathématiques et physiques.
—
—
La Valeur de
Science.
la
Cet ouvrage a pour but de
valeur objective de la science.
—
recherchi-r
—
Un
quelle
est
la
véritable
vol.
Science et Méthode.
PoiNCARÉ a réuni dans cet ouvrage diverses études se rapUn vol.
portant à des questions de méthodologie scientilique.
M.
—
POINCARÉ Lucien
—
Inspecteur général de llnslruciion pu-
,
blique.
La Physique moderne.
Ouvrage couronné par l'Académie des Sciences.
—
Son Évolution,
L'auteur a pensé qu'il serait utile d'écrire un livre où, tout en
d'insister sur les détails techniques, il ferait connaître,
d'une façon aussi précise que possible, les résultats si renuirquables qui, depuis une dizaine d années, sont venus enrichir le
domaine de la physique et modifier profondément les idées des
Un vol.
philosophes aussi bien que celles des savants.
évitant
—
—
L'Électricité.
Dans ce volume, M. Lucien Poincaré étudie
les modes de production et d'ulilisalion des courants électriques et les principales
applications qui appartiennent au domaine de léleclrotechnique.
—
Un
vol.
RENARD
(Commandant Paul
tel
.
—
L'Aéronautique.
aéronautique tout entière et bien qu'un
volume embrasse
sujet comporte nécessairement des parties abstraites, l'auteur a
Kie
I
su exposer avec clarté les questions les plus arides sans rien sacrifier de la précision n'écess.iirp et en se mettant à la portée de
tous les lecteurs.
Un vnl. illustré.
—
—52' Skrie.
BINET
—
Psychologie
et Hisloire.
(Alfred\ Direcleur de Laboratoire à
Les Idées Modernes sur
les
la
Sorbonne.
—
Enfants.
Depuis une Irenlaine d'années, en Allemagne, en Amérique, en
en France, des médecins, des ph\siologisles et des psychologues ont cIk rché à intioiluire les méthodes scienliliques dans les
auteur examine en toute imchoses de
educalion. Voilà ce que
partialité. Sou livre s'adresse aux pères de faiiiille, aux éducateurs,
politiques
ceux
qui s'intéressent au proaux hommes
ei à tous
blème de l'enfance.
Un vol.
Italie,
I
1
—
—
L'Ame
et le Corps.
M. BiNET a voulu montrer que les progrès récents de la psychologie expérimenlale ont eu un retentissement sur les spéculations
les plus hautes et les plus abstraites de la philosophie.
Un vol.
—
—
BIOTTOT
(Coloner.
Les Grands Inspirés devant la
Science. — jeanne d'arc.
Celte œuvre s adresse cgalcmont aux penseurs et aux simples
curieux dune explication scientifique de Jeanne d'Arc, l'héroïne
du patriotisme.
Un vol.
—
BOHN
—
(Georges).
La Naissance de
l'Intelligence.
Ce volume est un exposé de létat actuel des problèmes de
chologie animale.
Un vol.
—
la
psy-
—
BOUTROUX
(Emile). Membre de VInstilut.
Science et
la philosothie conteiviporaineEtude critique des princ'pales solutions que reçoit actuellement,
parmi les hoinmrs qui réfléchissent, le problème des rapports de
la religion el de la science.
Un vol.
Religion dans
—
BRUYSSEL
(Ernest van). Consul général de Belgique.
Ses Evolutions.
Vie Sociale.
—
— La
Ce livre expose dans son ensemble toute l'histoire de l'humanité.
a pour but
élude des idées sociales dès leur origine et à travers
leurs évolutions, durant la succession des siècles.
Un vol.
Il
—
I
CROISET
fAlîred\.l/emf;re de Vlnsl'dul, Doyen de
des Lettres de Vlniversilé de Paris.
—
la
Faculté
Les Démocraties
Antiques.
Faire c<innaîlre, par un exposé rapide, non seulement les traits
saillants des inslilui ons démocratiques de l'antiquité, mais aussi
les grandes lignes de leur évolution et, autant que possible, les
causes écorio'iiiiines, polilii]ues, morales qui en ont réglé le dévetoppeiiient ou dét. miné le caractère, tel est lobjet du présent
ouvrage.
—
i
Un
vol.
—6—
CRUET
Docteur en droit, Avocat à la Cour d'appel.
[)roit ET L'impuissance des lois.
Cet ouvrage examine s'il n'y a pas, contre le droit du législateur
et à côté de lui, un droit du juge et un droit des mœurs. Il convient
dapporter au moule dans lequel doit être coulée la pensée législative, certaines retouches ou corrections. Le législateur ne doit
Un vol.
pas proiiieltre ce qu il ne saurait tenir.
—
(Jean),
La Vie du
—
DUBUFE
Guillaume
Ce que représenle
.
— La
l'art
Valeur de l'Art.
chez les divers peuples, les aspirations
est la synthèse, les besoins qu'il traduit, les élémrnls quil
fournit ù l'étude des civilisations, telles sont les questions abor-
dont
il
dées dans cet ouvrage.
JANET
(D'" Pierre), Professeur de Psychologie au Collège de
France.
Les Névroses.
Cet ouvrage présente un résumé rapide d'un grand nombre
d'études que l'auteur a publiées depuis vingt ans sur la plupart
—
des troubles névropathiques.
LE BON
et
D"^
Gustave).
—
—
Un
vol.
Psychologie de l'Éducation.
Ce livre a été écrit pour tous les membres de l'enseignement,
au moins autant pour les pères de famille, soucieux de l'avenir
de leurs
fils.
—
Un
vol.
—
LE DANTEC
L'Athéisme.
(Félix).
Voici, nous dit fauteur, un livre de bonne foi; et, réellement,
le ton de l'ouvrage est tel qu'on pourrait se demander, le plus
souvent, si l'on est en présence d'un plaidoyer pour l'athéisme ou
pour la nécessité d'une foi religieuse.
Un vol.
—
LICHTENBERGER
.Henri), \laître de Conlérences à la Sorbonne.
Son Évolution.
L'Allemagne moderne.
Dans cet ouvrage on a essayé de donner, en. quatre livres,
un tableau sommaire de l'évolution économique, politique, intellectuelle, artistique de
Allemagne moderne.
Un vol.
—
—
—
1
—
Université de Vienne.
La Connaissance et l'Erreur, traduction du U"" Dufour, Profes-
ti A.CE {E.). Prolesseur à
seur h la FdCiiUé de \ancy.
M. Mach est un physicien dont la pensée a été fortement influencée par la théorie de l'évolution. Selon lui, le but de la science est
de mettre de l'ordre dans les données sensibles, et de chercher avec
toute l'économie de pensée possible les relations de dépendance
qui existent entre nos sensations.
Un vol.
—
MAX'WELL
Docteur en médecine. Substitut du Procureur général près la Cour d'appel de Paris.
Le Crime
et la Société.
M. Maxwell expose dans cet ouvrage les idées actuelles sur la
naiure et les causes de la criminalité qui lui paraît être un phéno-
mène
(G.),
social normal.
—
11
analyje
1
acte criminel et son auteur dans
,
—7—
les différentes variétés; la responsabilité pénale,
la
l'évolution
sont ensuite étudiés.
classification des criminels,
minalité politique,
NAUDEAU
(Ludovic).
— Le
l'aliéné criminel,
contemporaine de
—
La
cri-
la
vol.
J^pon moderne, son Évo-
lution.
L'auleur, capturé sur le champ de bataille de Moukden, par les
vainqueurs, et amené par eux au Japon s'y attarda plus d'un an,
car il sentait le désir intense de pénétrer leur mentalité. Aussi doitUn vol.
on lire cet ouvrage si l'on veut connaître le Japon.
—
PICARD (Edmond), Avocat
gique.
Le Droit pur.
—
à
la
Cour de Cassation de
Bel-
Ce livre est en quelque sorte un « Testam''nt juridique », le legs
d'un opulent patrimoine intellectuel accumulé au cours de l'pjiislence prolongée de lutte et de travail du célèbre avocat et professeur à r Université Nouvelle de Bruxelles.
Un vol.
—
REY
(Abel), Processeur agrégé de Philosophie.
— La
Philo-
sophie moderne.
Dans ce
lauteur renouvelle les vieilles questions philosomatière et de la vie, de l'esprit et le la raison, du
vrai et du bien, et les résultats déjà obtenus.
Un vol.
livre,
phiques de
la
—
DERNIERS VOLUMES PARUS
GUIGNEBERT
(Charles),
cienne du Cliristianisme à
Chargé du Cours d'Histoire anla
Faculté des Lettres de Paris.
—
L'Évolution des Dogmes.
Dans
cet ouvrage, l'auteur s'est proposé d'établir que tout dogme
se développe, se transforme, vieillit et meurt, ainsi qu il
arrive à tous les organismes de la nature.
naît,
GENNEP
(A. van), Directeur de la «
graphiques
».
— La
Revue des Études Ethno-
Formation des Légendes.
ceux qui s'intéressent aux problèmes de la production
en général que s'adresse l'auteur dans ce livre original,
bien documenté, agréable à lire et souvent amusant.
Un vol.
C'est à tous
littéraire
PIÉRON
—
(Henri). Maître de Conférences à l'Ecole des Hautes
—
Eludes.
L'Évolution de la Mémoire.
Sous quelles formes se présente la mémoire ?
Quels sont les aspects et les limites de la mémoire humaine, en
quoi consistent ses troubles et quels peuvent être ses progrès ? .
C'est à ces diverses questions que le lecteur trouvera en ce livre
une réponse, basée sur l'ensemble des faits actuellement établis par
la psychologie objective, humaine et comparée.
Un vol.
—
AVENEL
(Vicomte Georges d'].— Découvertes d'Histoire
Sociale.
L'idée maîtresse de ce livre est que les évolutions économiques,
en bien ou en mal, ne dépendent pas des changements politiques
ou sociaux.
Un vol.
—
JAMES
(William), Prolesseur à Vlniversiléde Harvard, Membre
associé de llnslitut,
La Philosophie de l'Expérience,
traduit par E. Le Bbln et M. Paris.
D'après M. W. James, pour être un philosophe, il faut d'abord
—
une vision » portant sur « la nature intime du réel, »
une mélhode par laquelle interpréter cette vision.
Un
«
ROZ
Firmin).
ÉTATS-UNIS.
—
—
et ensuite
vol.
L'Énergie Américaine, évolution des
Ce livre essaie d'ordonner en une philosophie de leur histoire
éludes et les témoignages de toute sorte dont les Etats-Unis
l'objet depuis quelques années.
Un vol.
les
—
ont été
—
HANOTAUX
(Gabriel),
de VAcadémie Française.
La.
Démocratie et le Travail.
Dans ce livre, d'un intérêt si actuel. M. Gabriel IIanotaix
mais, c'est la plus
apporte sa solution de la question sociale,
simple,
la
plus
naturelle, la plus unie, la plus
la solution par le travail.
marche des choses
PIRENNE
(H.\
—
conforme à
Un vol.
Prolesseur à Université de Gand.
:
—
la
Les
Anciennes Démocraties des Pays-Bas.
On
verra dans ce livre comment furent résolus, jadis, des propresque identiques à ceux qui s'agitent aujourdhui.
—
blèmes
Un
vol.
CHARRIAUT
(Henri), Chargé de vnssion par
ment Français.
—
le
Gouverne-
La Belgique Moderne, terre
d'EX-
PÉRIENCES.
La plus haute leçon qui se dégage de la Belgique moderne est
celle de la puissance de la volonté réfléchie et de la grandeur
que peut atteindre un pays, si étroites que soient ses frontières,
lorsque chaque citoyen constitue un foyer d'énergie.
Un vol.
—
LE BON
(Gustave).
Défense Sociale.
—
La Psychologie Politique
et la
Sous ce titre, lauleur de la Psychologie des foules fait voir
que la plupart des grands mouvements populaires sont généralement une révolte de l'instinctif contre le rationnel.
Un vsl.
—
MEUNIER (Stanislas
toire
Aaturellc.
—
Muséum \aHonal d'HisLes Convulsions Uc l'Écorce TerProlesseur au
I,
restre.
Tous les amateurs de sciences voudront connaître le dernier
mot de la géologie quant à l'explication des tremblements de
terre et des volcans,
mènes dans
1
et
apprécier le rôle de ces terribles phénola nature.
Un vol.
harmonie de
—
Date Due
yORKUMIVERSÎTï JBRARÎESl
FROST
I